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Aumoinsjusqu’àl’arrivéefracassantedeNilsEriksen,quim’asauvélavietoutenymettantunsoukimprobable.Sanscesse,nosdestinss’entrechoquent,s’entremêlent,s’entrelacent,etnoscorpsnedemandentqu’àlesimiter…

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GabrielSimon

IMPOSSIBLELOVE–RETROUVE-MOI

Volume6

ZPAR_006

1.Ledébutdelafin

Des ombres semblent passer derrière mes paupières encore closes. Ma conscience s’éveilledoucement. Je n’entends rien, oupresque.Àpeine, au loin, un crépitement familier : une cafetièreélectriquepeut-être.Jenesuispasmorte,apparemment.

Oupasencore?

L’airambiantpénètrelentementdansmesnarinespourremplirmespoumons.Pasdenotehumide,pasd’odeurdeboisoudeboue.Jemesenscalme,maisépuisée.

Jemerendors.

Combiende tempsapassé?Denouveau, la lumièredoucevacilleen transparencederrièremesyeuxfermés.Lesilencen’estplustotal.J’entendsdespas.Jemetortillelégèrement.Jesuisallongéesousdesdrapsàladouceurrassurante.Jeplielesdoigts,faisfonctionnermesarticulations:coudes,genoux,pieds.Jen’oseencoreouvrirlespaupières.Jeprendsuneprofonderespiration.

Je sens le matelas s’écraser à mes côtés : quelqu’un vient de s’asseoir. Je me relève à peine,reposantmatêtesurlemuràquelquescentimètresdehauteur.

Unetendrecaressesurmajoue.

–Enfintevoilà,ditMaxdesavoixgraveetapaisante.

J’ouvrelesyeux.Jeperçoiscommeunvoileblanc,maisjepeuxvoirsonsourire.

Il se penche vers moi et dépose un baiser sur mon front. D’un geste automatique, je lève maboucheverslui.

Non,passurlefront.Surleslèvres!

Ilhésiteunefractiondeseconde,puism’embrassedélicatement.

–CommentvalaBelleauboisdormant?glisse-t-il.

Jen’arrivepasàluirépondre.Toutegroggy,jetentedem’asseoirenm’aidantdemescoudes.Mavision se fait plus claire, je reconnais l’appartement deMax. Je ressens un immense soulagement,sanstoutefoismerappelerledéroulementdesévénementsquim’ontmenéeici.Jenesaispascequis’estpasséetjenesaispascequisepasse,maisjesaisquecethomme-là…jel’aime.

Maisj’aiaussimal.J’aimalpartout.Descourbaturesdanstoutlecorpsetunmaldecrânecommerarementj’enaieu.

MêmeleslendemainsdesortiesavecOlympiaetAgnès!

Maxposesurlatabledechevetunverreaucontenueffervescent.

–Çanepourrapastefairedemal,dit-ilaffectueusementenserasseyant.

Je suismaintenant parfaitement assise, dos plaqué aumur et tête reposée en arrière, regard auplafond.Puisnosyeuxsecroisent.Nousnoussourions.

Monespritembruméseréveillepetitàpetit.Dessouvenirscherchentàémerger,maismatêteestsilourde.Lesimagessontflouesetmélangées.Jerevoisunvisage:c’estceluideBetty,toutenfureuretenhaine.Jemerappelleavoirétéàterre,souffrantetpaniquant,prêteà…

Mourir?

Maisaprès?C’estlenoircomplet.

–Ques’est-ilpassé,Max?luidemandé-jedoucement.

Ilmecaresselescheveuxenmeregardanttendrement.

–J’aieutellementpeur,Emily…Àquelquessecondesprès,tu…

LavoixdeMaxagitcommeunbaume.Elleestgraveetsuave,etc’esttoutcedontj’aibesoinencemoment.

–Jesais,Max.Àquelquessecondesprès,jemourrais…fais-je,sentantlachairdepoulesurmapeau.Maiscommentas-tusuoùmetrouver?

–C’estunelonguehistoire.Tudevraistereposerd’abord.–Non,raconte-moi.Jeveuxsavoirmaintenant,protesté-jed’unevoixfaible.

Maxinspireetsourit.

–MaryWatson:cenomterevient?medemande-t-il.–Oui,biensûr.C’étaitlafillequidevaitavoirunentretiend’embaucheavectoi.Bettym’enaparlé

aussi…jecrois.Toutesttellementflou.Bettymeracontaitdeschoses,jenecomprenaispastout,oupasvraiment…Jen’arriveplusàmesouvenir…

–C’estnormal!Ellet’avaitcomplètementdroguée!ditMaxaveccolère.–Oui,mais j’aimerais tant comprendre ce qu’elleme voulait, soupiré-je.Mais peu importe, tu

parlaisdeMaryWatson?–Samèrevousacroiséesparhasard,Bettyettoi,hiersoir.–Jem’ensouviensmaintenant!Sonregardétaitcurieux:profondetinquiet.Jecroyaispresque

l’avoirrêvé.–C’est bien arrivé etMmeWatson t’a reconnue. Elle t’avait croisée à l’agence quand elle était

venuem’annoncerlamortdeMary,rappelle-toi.Turessemblesapparemmentàsafille.Beaucoup.«Commeunsosie»,a-t-elleprécisé.

–C’estaussicequ’aditBetty,murmuré-je,songeuse.

–MaislamèredeMaryasurtoutreconnuBettyetçaaétélànotrechance!–Ellelaconnaissait?Commentça,«notrechance»?– Quelque temps avant son entretien avecmoi,Mary avait rendez-vous chez Taylor, Baxter &

Morrison.Samèrel’accompagnait.Et,arrivéesdanslehallduCarrawayBuilding,ellesontcroisélaroutedeBetty.

–Etj’imaginequeçanes’estpasbienpassé…– Au contraire ! Betty était très chaleureuse. Elle a proposé à Mary de la guider à travers le

CarrawayBuildingpourqu’ellen’arrivepasenretardàsonrendez-vous.BettyaaussiinsistépourqueMmeWatsonattendesafilledansuntrèsboncafépastrèsloin.Cemêmecaféd’oùtusortaishiersoiravecBetty,quandMmeWatsonvousacroisées.

Waouh,tropdecoïncidencestuentlacoïncidence.

–C’estellequit’aracontéça?nepuis-jem’empêcherdel’interrompre.– Oui, c’est Mme Watson. Mais attends, j’y arrive ! Donc, Mme Watson laisse Betty et Mary

ensemble.C’estladernièrefoisqu’elleverrasafille…C’étaitsixjoursavantsonrendez-vousavecmoi…Maryadoncdûêtretuéele…6novembre,ajoute-t-ilpensif.

–MaryWatson,assassinéele6novembre?LesoirdelafêtechezSullivaninc.,quandons’estvuspourlapremièrefoissurlaterrasse?Lefameuxsoiroùs’estouvertelaportetemporelle?insisté-je.Ils’agitforcémentd’unecoïncidence,non?

–Jenesaispas.Cettehistoireestunvraisacdenœuds!–Quinousapermisdenousrencontrer,souris-je.–Etquejen’aipasenviededénouertropvite.Quisaitcequenouspourrionstrouver?–Quelquechosequipourraitnousséparer?–Riennepourranousséparer.Jamais.

Etilm’embrasseavectoutl’amourdontestcapablequelqu’un.Jefrissonned’émotion.

Ilmesouritetcontinue:

– Quand Mary Watson a été retrouvée noyée, rien ne laissait supposer qu’il s’agissait d’unmeurtre. La thèse la plus évidente était l’accident. Ou sinon, le suicide : elle se serait jetéevolontairementdansl’étang.

Volontairement…

Jefrémisàcetteidée.

CettedroguequeBettym’aadministrée…ElleadûdonnerlamêmeàMary.

–Maissamèrenepouvaitcroireniàl’accident,niausuicide,reprendMax.Maryétaitunejeunefemmeheureuseetpleinedetalent,prêteàcommencerunecarrièreprometteuse.Enplus,ellen’avaitaucuneraisondesetrouveraussiloindeNewYork,enpleinecampagne.Donc,quandcettefemmet’avueavecBetty,toilesosiedesafille,elleatiqué.Surtoutquetun’avaispasl’airbiendutout.Elleestvenuemeprévenirsur-le-champ.C’estlàqu’ellem’atoutexpliqué.

–Ettul’ascrue?D’autresquetoiauraientpenséavoiraffaireàunefolle.

–Depuisnoshistoiresdevoyagedansletemps,peudechosespeuventmesurprendre,sourit-il.Ilyavaitaussiunelueurdanssesyeux…quelquechosed’indéfinissable,unéclat…C’était forcémentvrai.

–Maistunesavaispasqu’ils’agissaitdeBetty.LamèredeMaryneconnaissaitpassonnom,fais-jeremarquer.

–Oui. J’ai été directement voirDonald.C’était le seul qui pouvaitm’aider. Par chance, il vousavait aperçues en train de discuter devant le bar, puis partir ensemble. Il n’y avait pas de doutepossible.

–MaiscommentsavoiroùBettym’avaitamenée?– C’était le coup de poker : on s’est dirigés vers l’étang dans lequel avait été retrouvéeMary.

C’étaitunpari,maisonn’avaitaucuneautrepiste.Etnotreintuitionaétélabonne.–Jenemesouviensderien…–Tuétaisquasimentinconscientequandnoussommesarrivés.Bettys’estenfuieavecsavoitureen

nous voyant et t’a laissée à terre, allongée dans la boue, évanouie. On ne l’a pas poursuivie : laprioritéétaitdeteramenerauchaud,ensécurité.

–Doncellecourttoujours?Ellen’apasétéarrêtée?m’inquiété-je.–Nousn’avonspasétévoirlapolice:jenepeuxpasdonnertonnom,nileurdirequetuviensde

2015.C’esttoietmoiqu’ilsenfermeraient!QuantàBetty,plusdenouvelles.Impossibledesavoiroùellesetrouve.Jen’aiaucuneidéedecequ’elleprépare.

Nousnousregardonsintensément.L’avenirestincertain.Maisena-t-ildéjàétéautrement?Celanefait-ilpaspartieducontrattemporelquinouslie,malgrénous?Maxmeprendlamain,rassurant.

Noussommesinterrompusparlasonnettedel’interphone.Jeluilanceunregardinterrogateur.Ilsortdelachambrepourrejoindrel’entrée.Àvoirsonexpression,iln’attendaitpersonne.

Ilvautmieuxquejesortedulit.Jesoulèvelesdraps,faispivotermesjambespourreposermespiedsàterreetmelèvedansdescraquementsd’articulations.Jem’étire,brasversleciel.

J’ail’impressiond’avoirpasséunesemainedansunbocal!

Jemarcheverslesalon,mespiedsnuss’enfonçantdanslamoquetteépaisseetchaude.J’arriveàl’instant même où Max ouvre la porte d’entrée. C’est Donald qui apparaît. Après les salutationsd’usage:

–Commejesuisheureuxdevoirqueçavamieux,melance-t-ilavecunsourire.–Oui,çava,merciDonald.Mercipourtoutcequetuasfait.–Iln’yariend’exceptionnel.J’aisimplementsuiviMax,fait-ilmodestement.–Emily,ditMaxinquiet,tuauraisdûresterallongée.–Jevaistrèsbien,lerassuré-je.–Maisils’enestfalludetrèspeu,commenteDonald.

Jenotedanssontonunepointedetension,etçan’estpaspourmemettreàl’aise.

–Ilfautquenousparlions.Touslestrois.Denouveau,ajoute-t-il.

Maxetmoi,nousnousjetonsunregardtendu.Nousnesommespasauboutdenospeines…

Sansunbruit,nousnousinstallonssurlecanapé,danslamêmeconfigurationqueladernièrefois.C’étaitilyasipeudetemps,etils’estpourtantpassétantdechoses!

Donaldselanceenparaissantprendresurlui:

–J’aireçudesmessages…importants,déclare-t-ilgravement.–C’est-à-dire?l’interrogeMax.Dequi?–Desvoyageursdutemps.

D’entendrelenomdecegroupeétrangeetmystérieuxquimaîtriselesnotionsduvoyagetemporeln’augureriendebon.Maxmeprendlamain,maisresteconcentrésurDonald.

–Etqueteveulent-ils?faitMax.–Mamissionestpresqueterminée,annonce-t-ilfroidement.–Donald !Mais c’est formidable !m’écrié-je. Tu vas enfin pouvoir rentrer chez toi.C’est une

excellentenouvelle,non?–Oui…marmonne-t-ilensetordantlesdoigts.Enfin…jesupposequeoui.–Maisilyaautrechose,c’estça?suggèreMax.–Exact.Ilsvoulaientaussimeprévenir.

Ilmeregardeintensément:

–Emily,ilvafalloirpartir.Aprèstonprochainpassage,laporteserefermera,définitivement.Tunepourrasplusrevenir.

Jeressenscommeuneballeexploserdansmoncœur.

–Quoi?!nousécrions-nousensemble,Maxetmoi.– Je suis totalement navré, vraiment… désolé… Je ne sais que vous dire… Je n’ai pas… de

solutions…

Lesmots deDonald s’enchaînent et se télescopent.Un fort bourdonnement emplitmes oreilles.Moncœurbatàcentàl’heure,mesmainsetmespiedsdeviennentfroids.

–Donald,reprendMaxententantdegardersoncalme,quesepasse-t-il?–C’estunehistoiresicompliquée…Vouslesavezvous-mêmes:c’estinsensé.Onnepeutvivre

commeça,surdeuxépoques.C’estdelascience-fiction,c’est…–Dis-noustout!l’interromps-jebrusquement.Raconte!

Jedardesurluiunregardfébrile.Illèvelatêteversmoi,acquiescedoucement,puisselance:

–Tuas raison,Emily,vousavez ledroitde savoir. Jevaisvousexpliquerunebonne foispourtoutes.

Mapoitrinevaexploser,jesuisentièrementcrispée,respirantfortement.Maxm’enlaceententant

dem’apaiser.

–Emily,continueDonald,MaryWatsonettoi,vousêtes…lamêmepersonne.–Comment?!m’exclamé-je.–Lorsqu’elleestmorte,sonâmeaerré,puiss’estréincarnéeentoiàtanaissance.Tuasgrandiet

tues«revenue»en1963,lejourexactdelamortdeMary,commepourcontinuersavie.Enfin,votrevie.

–Jesuisuneautrepersonne?!Mais,medéfends-je,jesuisbienmoi!Enfin,jeréfléchis,jepense,jeressens,jevis…C’estmoiquifaistoutça,cen’estpasquelqu’und’autre!Etsurtoutpasquelqu’unquiestmort ilyacinquanteans…ouilyadeuxsemaines…enfin,peu importe!C’est totalementabsurde,cettehistoire!

Faceàmaréaction,Donaldhochelatêtelentementetreprendd’unevoixdouce:

–Oui,biensûrquetuestoi.Maistun’espasquetoi.Jenetedépossèdepasdetonidentité,Emily.JesuisentraindetedirequeMary,c’estaussitoi.Ettusaisquoi?Elleavait24ans,commetoi.Etcommetoi,elleestnéeun12avril.Maisen1939.Toutcela,jel’aienfincompris,etlesvoyageursdutempsme l’ont confirmé. Ilsne sontpas intervenus avant car c’était lapremière foisqu’ils étaientconfrontés à ce genre de « secousses » temporelles.Mais ils ont décidé que tout ça devait finir etm’ontchargédevousprévenir. Jecroisquevotrehistoirea touchébienplusdegensquevousnepouvezl’imaginer…

JesuisabasourdieparlarévélationdeDonald.Jenesaisquepenser.JeplongemesyeuxdansceuxdeMax.Ilmecaresselajoue.Toutsembleprendresens:maressemblanceavecMary,notremétiercommun, mon attirance pour les sixties, l’émotion que sa mère et moi avions ressentie en nouscroisantlapremièrefois,etévidemment…monamourpourMax.

Cetamourfou,dingue,irraisonné,aupremierregard.Unamourquepersonnen’auraitpudétruiredès la première étincelle. Un souvenir me revient brusquement : Betty m’a dit près de l’étangqu’Atticus avait prédit cet amour-là entreMax etMary. J’aimême ressenti une pointe de jalousie,malgrélapeurquim’étreignait!Maisdelààpenserqu’ils’agissaitde…moi!

– Je comprends mieux, marmonne Max. Je me rappelle ce jour-là, ce 6 novembre. J’aisoudainementressentiuneimmensetristesse.Quelquechosed’irrationneletd’impalpable.ÇadevaitêtrelemomentdelamortdeMary.Puis,toutàcoup,tuesapparue,Emily,etlavies’estilluminée.Moncœurs’estrouvertetréchauffésubitement.

Maxditcelaenmeregardantavecdesyeuxbrillantsd’émotionetenmecaressantlajouedesonpouce.J’aipeineànepasmelaisserenvahirparleslarmes.

– C’est à peine croyable : je… j’étais prédestiné à une âme sœur… Pourquoi moi ? Pourquoinous?Toutesttellement…fort,avectoi,Emily.

Maxsembletouchéenpleincœur,enproieàsesquestionnements.IlsetournealorsversDonald:

–Pourquoiavons-nouseucettechance?– Je ne sais pas… Je pense que l’amour est bien plus mystérieux que les voyages temporels,

philosopheDonald.

Jesuismoi-mêmeencoresouslechoc.Ledestinnousachoisisetnousadonnéledroitdenousrencontreretdenousaimer.Quid’autreaeucetteopportunité?Etquil’asaisie?

–Trèsbien.Maisqu’est-cequecelachange? lanceencoreMaxàDonald.EmilyouMary,sicesont les mêmes âmes, il n’y a pas de différence pour nous. Nous nous aimons et nous aimeronstoujours.Quel rapport avec la fermeture de la porte ?Et avec tamission ? Cet accident que tu ascausé,celanenousconcernepas,non?

–Si,justement.Voilàpourquoijevousdisaisquel’histoireestcompliquée,répond-ilensepinçantleslèvres.L’hommequiestdécédédansl’accidents’appelaitHenry.Vousn’avezpasentenduparlerdelui,maisvousconnaissezsafiancéedel’époque:Betty.

Je nepeux retenir un cri d’étonnement.Max etmoi passonsde surprise en surprise.Nousnousserronsfortsurlecanapé,commeuncouplebravantlatempête.

–Commevouslesavez,continue-t-il,àlasuitedeça,jesuisrestécoincédansletemps.Quandj’aiétéconvoquéaucommissariat,j’aidûprendreunenouvelleidentité.J’airéussiànepasêtreinquiétéparlapolice,àdevenirquelqu’und’autre,enprenantunnouveaunom,ici,danslesannées1960.J’aitrouvécejobdebarmanpourpouvoirvivre, toutenrestant leplusanonymepossible.Jecroisquej’aitoujoursgardél’espoirderevoirunjourlesannées2000,sansattendredevieillirquaranteans…Bref,quelquetempsplustard,j’aicommencéàvoirAaronetBettypasseraubar.Cettedernières’estd’ailleursmiseàyvenirsouvent.Nousnoussommesreconnus,bienévidemment.Monvisageavaitdû restergravédans samémoiredepuis la tragédie.Mais ellen’ena jamais reparlé.Plus étonnantencore:ellea toujoursfeintdem’ignorer.Soit.Cedevaitêtreunesortededéfense.Je l’aiacceptébiensûr.J’étaisencauseaprèstout.

–Etdonc,réparercetaccident,c’étaitdevoirquoi?AiderBetty?luilancé-je,incrédule.–C’estcequej’aid’abordcru.Maisimpossibledemelierd’amitiéavecelleoudeluiproposer

monaide.Jel’aidonc«regardée»vivre,j’aicherchécequ’ilfallaitfairepourréparer.Maistoutceque j’ai pu constater, c’est que tout cequi est arrivépar la suite est entièrementdema faute.Si jen’avaispastuélefiancédeBetty,elleneseraitpastombéedanslesbrasd’Aaron…

–Maiscen’étaitpasunebonnechose?l’interromps-je.–Jel’aid’abordpensécommetoi:c’étaitgénialqu’ellerefassesavie!Jem’envoulaisunpeu

moinsetpuisj’espéraisaufondqueledestinavait«réparé»leschosestoutseul.Etc’estalorsqueçaadégénéré.JenesaispassiBettyétaitdéjàunpeufolleavantl’accidentousic’estsarencontreavecAaronquiatoutdéclenché,maisjevoyaisbienquesaseulegrandeobsessionétaitlacarrièredesonmari.C’étaitclair,vulafaçondontelleenparlaitconstammentaubar.Maiscequej’avaisd’abordprispourunesimpleobsessionestdevenupurefolie.Jel’aientenduedivagueretracontersesséancesdevoyancedevantsescopinesquinecomprenaientrienetn’osaientpaslacontredire.Elles’estmiseàparlerd’«éliminer»tousceuxquisetrouveraientsursaroute,commeonleluiconseillait.Silesautresn’yvoyaientquemétaphore,j’aicommencéàréaliserqueBettyétaitvraimentsérieuse.

JesaismaintenantdequoiparleDonald,etpourcomplétersonrécit,jeleurracontelesrévélationsqueBettym’afaitesdanslesboisausujetdesprophétiesd’Atticus:Mary,talentueusejeunefemme,allait tomber follement amoureuse de Max, et leur vie professionnelle serait florissante. À côté,Aaronresteraitdansl’ombre…Jecomprendsalorsplusclairementlaportéedecesrévélations:

– Si je n’avais pas traversé la porte temporelle, Max n’aurait jamais rencontré son âme sœurpuisque Betty s’était chargée de tuer Mary, commencé-je à expliquer en essayant de remettre del’ordredansmesidées.Etc’estcetteréalité-làquejeconnaisen2015:Marymorte,Maxn’apaseulecourage et l’inspiration pour continuer son travail. Aaron Sullivan, au contraire, a créé lamultinationaleSullivan inc., plus tard reprise par son fils Jimmy et dans laquelle je travaille.Maxn’étantplusunconcurrentencourse,iln’yavaitplusaucunobstaclepourquesedéveloppelafirmeSullivan…Bettyagagnédansmon2015.Elleestmêmeencorevivante…C’estincroyable,touslesélémentss’ajustentàlaperfection!Bettyestpeut-êtrefolle,maisellearéussi.Saufqu’ellen’avaitpasprévuquejedébarqueparuneportetemporelle.Celachangetout,non?

Saufsijedoispartirpourtoujoursd’ici…

Donalds’éclaircitlavoixaprèsmonexposé:

–Celachangetout,maispasdanslesensoùtul’entends,Emily.Oui, tuesrevenue;oui,Maxatrouvél’amour,maisjenecroispasquetupuisseschangerleschosesen2015.Mamissionconsistaitàréparer lesdégâtsqueBettycommettrait, suiteàmonaccident. Jedevaisvous rencontrer, laisservotreamourfleurir,etenfinempêchercedeuxièmemeurtreatroce.

Il se rassied bien droit. Il ferme les yeux, et je sens comme un sentiment de soulagement leprendre.Ilrespireprofondémentcommesi,enfin,unfardeauaccablants’étaitévanouidesesépaules.Etdefait,quandilrouvrelesyeux:

–Cettemissionestdoncàprésentaccomplie…Etmaintenant,Emily,tudoispartir.–Maisc’estinsensé!protesteMax.Onpeuttrèsbienchoisirnous-mêmesnotredestin!–Parfoisnon…répliqueDonaldlaconiquement.–Onnepeutpasêtreprisonnierdesviesdesautres!m’écrié-je.Jeneveuxpasn’êtrequ’unpion,

qu’un personnage secondaire dans les vies d’Henry et de Betty ! Je ne veux pas payer pour tonerreur!

–Cen’estpasdeçaqu’ils’agit,insisteDonaldtouchéparmonaccusation.Oui,j’aifaituneerreur,maisjenesaismêmepassijevaispouvoirretournerchezmoi.Toutseraréparéquandtupasseraslaporte.Maisaprès?Jen’ensaisrien.Jenevaispasmeplaindre…maisvous,vousavezréellementvécu votre amour. Vous avez été les personnages principaux de cette passion-là. Vous avez eu lachancedevousrencontreretdevousaimer.Tantdepersonnesn’ontpascettepossibilitéaucoursdeleurvie!

Ilsecouelatête,selaissantgagnerparl’agacement:

–Emily,siturestes,tunesaispascequetupeuxprovoquercommedégâts.Iln’yapasdesolution.Jesuisdésolé,maisilfautêtreraisonnableàprésent.C’esttropdangereux.Pourtoutlemonde!

2.Lesnouvellesdujour

MadisonAvenue,NewYork.

18heures.Jeudi12décembre1963.

Nousavonslesentimentdemarcherversl’échafaud.IlrègnecesoiràNewYorkuneatmosphèrecurieuse, irréelle. Le ciel est violacé, et notre petit groupe de trois personnes chemine lentement,mutique,surMadisonAvenue,versleCarawayBuilding.Est-cemoi,outoutsemblepluscalmequ’àl’ordinaire?Lebruitdefondconstantdesvoituresparaîtassourdi,lafouledestrottoirsmoinsdense.Maxmetientlamainetlaserre.Fort.

Jerépondsàsapression,maisjen’osecroisersonregarddepeurdefondreenlarmes,là,toutdesuite.

Alors,c’estdoncmaintenantlafindel’histoire?Toutçapour…ça?

Touscesrêvesd’amouréternel,cesmoments intensesetenflammés, toutcelanedeviendraplusqu’unsouvenirqu’uneEmilydufuturgarderaenellecommelereliquatd’unsonge?Quelquechosedetellementfouqu’unjourjen’ycroiraiplus?Jemepersuaderaialorsquecenedevaitêtrequedeshallucinations. Dues à la fatigue, au surmenage. Ce serait donc ça le burn-out ! Voyager dans letemps?Maisqueldélire!Commentai-jepucroireuninstantquec’étaitvrai?Rencontrerunmecsublime,bienau-delàdetoutcequej’auraispuespérer,vivredesaventureshaletantes,dangereusesmême,était-cevraimentcequeledestinavaitprévupourEmilyGreen?Nesuis-jepasplutôtvouéeàtravailler sur mon petit bureau dans mon open-space, à supporter Voldemort, à monterprogressivementleséchelons,etàfonderunefamillenormale,dansunepetitemaisonordinaire,avecunmariclassiquemaisgentil,complicemaissanspassion?

Jememets à trembler.De colère et de peur.Nous allons pénétrer dans leCaraway,monter lesétages,puisjepartirai,toutsimplement,pourtoujours.L’idéequel’onpuisseeffacerd’uncouptoutcequenousavonsvécuensemblemedonnelanausée.

Donaldesttroispasdevantnous.Jelevoismarcherdedos,sanspouvoirdécelersespensées,sesémotions.Sadémarcheestsoupleetbalancée,commed’habitude.Peut-êtreest-ilunpeuplusvoûté?Max, lui, est àmes côtés, droit et puissant, bravant les éléments avec flegme et témérité. C’est samanièred’être.C’estégalementsamanièreàluid’affronterlasouffrance.Jelesaiscarj’aiapprisàliredanssesyeux.

Mon regard court tout autour demoi.C’est aussi la dernière fois que jeme promène en 1963.J’essaiedem’imprégnerdecequejevois.Cettevie-lànem’aétéqueprêtée.CesvieillesFordquiroulentavecuncrépitementdefeuetcesgensportantchapeauetcostard,clopeaubec.Toutecetteviequej’avaissilongtempsfantasméeetquej’airéellementvécue !Cen’estquandmêmepasdonnéàtoutlemonde,non?

Nousarrivonsaupieddel’immeuble.Sahautefaçadeestintimidantecesoir.Lesvolutespourpresdesnuagessedédoublentdanslerefletdesvitres.Jemesensécraséeparleciel.

Nousentrons.

Legrandhallestparticulièrementtranquille.Ilesttardetlajournéedetravailestterminéepourlaplupart des employés.Mais ce calme est pesant, il bourdonne àmes oreilles.Les concierges noussaluentdelointoutencompulsantdespapiers.

Cegeste,cen’estpasunbonjour.C’estunadieu!

Jemesenssi froideà l’intérieur.Jefrissonneet jepeineàmeréchauffer,alorsmêmequenoussommesentrés.

Nous voici debout à attendre les ascenseurs. Nous irons au trente-sixième d’abord. C’est notreendroitànous.Etpuisilmefaudraêtreseule.Lesportess’ouvrent,etnouspénétronsdanslacabine.Désormaistouslestroisfaceàface,jepeuxévaluerl’ampleurdelaluttequisemènedanslescœursdeDonaldetdeMaxencemomentdifficile.Leurregardestintenseettroublé.Maxgardesesyeuxdanslesmiens.Donaldlèvelatête,semblantéviterdenousobserver.Jesaisaussiàquietàquoicettesituationlefaitpenser…

C’estdurpourtous.

Lasonnerie tinteet lesportess’ouvrentau trente-sixième.Noussortons.Sanshésitation,Donalds’éclipse.Ilnouslaissepudiquementànosadieux.JetremblecommeunefeuillelorsqueMaxprendmesdeuxmainsdanslessiennes.Noussommesfaceàfaceetletempss’estcommearrêté.

Siseulementils’arrêtaitvraiment!Resteraveclui,coincésdansuneminuted’éternité…

–Je…jesuisdésolée,Max,parviens-jeàarticulerentredeuxsanglots.–Cen’estpasdenotrefaute,Emily,merassure-t-ild’untonincertain.–Si jen’avaispasvoyagédansle temps,si jenet’avaispasrencontrésur la terrassecesoir-là,

nousnesouffririonspascommeça.–Tun’asrienchoisi.Moinonplus.Nousn’avonsétéquelesjouetsdudestin.Desâmessœurssont

destinées à se rencontrer, non ? À ne jamais nous connaître, nous serions passés à côté de cettepassion,decetteexpérienceunique.Delaseuleviequimérited’êtrevécue!

–Nedispasça!Lerestedenosexistencesneserviradoncàrien?!m’écrié-je,levisagebaignédelarmes.

– Tout ce que nous avons vécu ensemble nous a nourris. Il reste dans nos cœurs comme undiamant que nous avons taillé tous les deux et qui luira à jamais, auquel nous penserons à chaqueinstantdedouteoudetristesse.Tum’aschangé,EmilyGreen.Jamaisplusjenepourraimenermaviecommeavant.

JeserrefortlependentifdeMaxquej’emporteavecmoi.

–Etdirequejen’aimêmepasputelaisseruncadeauensouvenir,luifais-jetoutedésolée.–Tuplaisantes!Cequetum’asoffertestbienplusprécieuxquen’importequelobjet.Etpuis,tuas

entrouvertpourmoidespossibilités immensesaveccetaperçudufutur, toutecette technologie.Dequoialimentermacréativitépourdesannées!

Il parvient àme sourire. Il veutmeconsoler,m’apaiser,mais sesyeux sontbrillants et vibrantsd’émotion.

Nousnous embrassons follement, éperdument.C’est ladernière foisquemes lèvresgoûtent lessiennes. Je suis bouleversée. Nos larmes se mêlent, joue contre joue. J’ai l’impression que nousn’avonspasvécuunmillièmedecequenousaurionspuvivre.J’auraistantaiméprofiterdavantage,vivre plus pleinement tous cesmoments, apprécier plus fortement la douceur éphémère de chaquebaiser.

Maisonnepeutrevenirenarrière.Etils’agitmaintenantdeprofiteraumieuxdecetteseconde-ci,éphémère,decetinstantprésent,fugace.

Leseulquicomptevraiment.

– Je suis navré, je dois vous interrompre, dit Donald, soudainement réapparu. Je sens la portetemporellecommenceràs’effacer.Cen’estplusqu’uneaffairedeminutes.

Savoixtrembleaussi.Ilsaitqu’iljouelemauvaisrôleànouspresser,etcen’estpasfacilepourluinonplus.Maxmeserredanssesbras.Jetienssoncorpscommesijem’accrochaisàlavie.

–Viens,Max,faitDonalddoucementenluiposantlamainsurl’épaule.

Maxtournelatêteversluietacquiescelentement.Notreétreintesedesserrecommedespétalessedétachant sous l’effet du vent.Nos regards restent ancrés l’un à l’autre. Ses pas nous éloignent auralenti,aurythmedesecondesinterminablesetdéchirantes.

Jenesensplusmesmembres,jenesensplusmoncorps.Jenesuisplusqu’unepoupéedechiffonvidée de sa substance, hébétée et désolée. Seule, je le suis désormais face aux ascenseurs. Sansréfléchir,j’appuiesurlebouton.Dannys’ouvre.

J’entredanslacabine.

***

CarawayBuilding,MadisonAvenue.

19h12.Samedi12décembre2015.

Lesnéonsmodernesgrésillentd’untonmonocorde.Pasdemoquettevertolive,maisunsolduretfroid, blanc et gris. Samedi soir, personne au travail. La plupart des lumières sont éteintes dansl’open-spacequejepeuxapercevoirdepuislehall.

Je tremblecommeunefeuille.L’émotionest tropforte : jevacille.Jemetiensaumur,penchée,prêteàm’effondrer.Maisjesuistropfaibleet jem’écrouleausol,prisedehoquetsetdespasmes,

pleuranttoutmonsoûl.

C’estlafin.Lavraiefin.

Soudain, dans un geste désespéré, je me relève vivement, le cœur battant, et je me jette sur leboutond’appelquejepressefrénétiquement.Unascenseurarrive.Cen’estpasDanny.

Pourtant,jesuisseule!

Jepresseleboutonencoreetencore,commeunefollefurieuse,perdanttotalementlecontrôle.Lescabines s’ouvrent, se referment, se suivent dans un ballet mécanique insupportablement lent etindifférent,maisDannyrestedemarbre:ilnes’ouvrepas.

Ilnes’ouvriradoncplus…

Laportetemporelleestfermée,etjesuisici,bloquéeàjamaisàmonépoque.Chosenormalepourtoutlemonde,maisunetorturepourmoi.

À bout de forces, désespérée, jeme laisse glisser le long dumur, mes larmes coulant surmachemise,mesjouesmarbréesdemascara.Jeresteprostréeunlongmoment,là,impuissante…

Inutile.

***

Appartementd’Emily,quartierdeLittleItaly.

9h26.Dimanche13décembre2015.

C’estenouvrantlesyeuxquelaréalitémeretombedessuscommeunpoidsmort.Lesommeilm’adonnéunrépitdecourtedurée,presquecruelcaréphémère.Jeresteallongéesur le lit,moncorpsankylosésurlematelas.Jepourraispasserlajournéecommeça,regardperduauplafond.

Ladéprime,quoi…

Montéléphonesonne.Ilinsiste.MesparentsetSerenam’ontlaissédesmessages,etjen’aipasprisletempsdeleurrépondre.C’estlemonderéelquiserappelleàmoi…Etcen’estpeut-êtrepasplusmal.Çamepermetdesortirdematorpeur.

Ouimais,seréveiller,pourquoifaire?

Allez, on ne se pose pas de questions et on sort du lit ! Une petite voix en moi me force aumouvement.Sansréfléchir,jepasseàladouche.L’eauchaudemefaitdubien.

Unpeuragaillardie,j’appelleSerena.S’ilyaquelqu’unquipeutm’aideralorsquejesuisaufonddutrou,c’estbienelle.

–Allô,Serena?–Emily!Commenttuvas?Tuasunetoutepetitevoix,s’inquiète-t-elle.–Ça…va,bredouillé-je.

Unsilence.

–Non,enfait,çanevapas,Serena,reprends-jelavoixtremblante.Tucroisqu’onpeutsevoir?–Évidemment,s’écrie-t-elle.Onn’aqu’àseretrouveràBrooklyn,auWynberg?D’iciuneheure

etdemie?Onva sepromenerau square juste à côté, avec Jade, et ellepourra se reposer aucafé,après.

–OK,super.Merci,Serena.–Hé,Emily?–Oui?–Çavaaller.Net’enfaispas,hein?–Oui.Tuaspeut-êtreraison.

Je raccroche. L’envie de pleurer ne m’a pas quittée. J’essaie de ne pas y penser, mais j’ail’impressiondevoirMaxpartout.

***

J’aperçoismonamieàtraverslavitrinedupetitcaféquisetrouveàl’angledelarue,justeenfacedusquareoùs’ébattentunedizained’enfantssouriants.Serena,assisefaceàunthéfumant,estentraindedonnerlesein,regardanttendrementJadetéter.Letableaumefaitsourire.Neserait-cequepourça,j’aibienfaitdevenir!

Serenam’accueille joyeusement. Elle sait que je ne verse pas dans les larmoiements. Une foisinstalléeetmoncafécommandé,jememetsàluiraconterlesderniersévénements.

–Plusjamais?!s’exclame-t-elle,abasourdie.–Laportetemporelles’estrefermée.Jenepeuxpasyretourner.–Mais…Etsituvenaisàlaboutique?Tupourraispeut-être…–Non.Si elle est ferméepourmoi auCaraway, elle le sera aussi à laboutique.C’est ledestin,

ajouté-jemélancoliquement.–Maisonl’emmerdecedestin!s’indigne-t-elle.Depuisquandonnepeutpasdéciderdecequ’on

faitdanslavie!–Depuisquejenesaispasouvriretfermertouteseulelesportestemporelles,luiréponds-jeavec

regret.–MaisPhoebepeutpeut-êtrefairequelquechose…

Serena est gentille, elle essaie de me remonter le moral en tentant de trouver des solutions.Malheureusement,cen’estpassisimple.

–C’estunelonguehistoire…Cen’estpaspossible,Serena.Jeveuxdireque,cettefois-ci,c’étaitréellementladernièrefois.Maisc’estadorabledetapartdet’enfaireautantpourmoi.

Ellesetait,visiblementtroubléeparmessoucis.

–Tunedevraispasêtreaussiaffectée,larassuré-je.Jenevoulaispastemettrematristesseetmonstresssurledos.

–Commentveux-tuqueçanemetouchepas?Tuesmameilleureamie.

Ellemesouritenmeprenantlamain.Jade,elle,s’estendormie,repueetheureusedanslesbrasdesamaman.

–Bon,sinon,j’aiquelquechosepourtoi,m’annonce-t-elle.–Pourmoi?

Ellesortunegrandeenveloppeenkraft,apparemmentpasdetoutejeunesse,etmelatend.

–Quelqu’unalaisséçaàlaboutiquepourtoi.Ilyalongtemps.–Longtemps?Quelgenredelongtemps?Quelquesmois?Quelquesannées?luidemandé-je.

Lemystères’épaissit.J’ouvreetj’ytrouveunjournaldatédedécembre1963.Quiestderrièreça?Max?Donald?Phoebequandelleétaitjeune?

– Je ne sais pas, Emily. Phoebe m’a juste dit – et je la cite – « tu donneras ça à ta copine ».Impossibled’ensavoirplus.

–OK…

J’étale le journal devantmoi. En une : la politique internationale. Puis un sujet sur Johnson, lesuccesseurdeKennedy,interviewéàproposduVietnam:«Faut-ilrapatrierlessoldatsouenenvoyerdavantage?»Bref,riendeplusquecequej’aidéjàludansleslivresd’histoire.Jetournelespagesdistraitement, essayantdecomprendrecet étrangemessage, envoyépar-delà lesdécennies. J’arrivesurlapagedesfaitsdiversettombesurunarticle.Jelecompulse,etmesyeuxs’écarquillentaufuretàmesuredelalecture.

–Qu’est-cequet’astrouvé,Emily?Tufaisunedecestêtes…s’inquièteSerena.–Là,danscejournal…–Maistun’espeut-êtrepascenséemeraconter?–Laneutralitétemporellenemeconcerneplusdésormais.Dumoins,jenecroispas.

Oupeut-êtrequejem’enfiche,maintenantquetoutcelas’estsimalterminé…

–C’estcommetulesens,dit-elle.–Engros,ilestécritquelapolicevientd’éluciderlemeurtred’unejeunefemme–MaryWatson–

dont le corps avait été retrouvé dans un étang à plusieurs kilomètres de NewYork. Les autoritéspenchaientjusqu’alorspourl’accident,voirelesuicide,maislamèredeladéfunteapuidentifierunefemme qui avait été présente aux côtés de sa fille peu de temps avant de mourir. La police l’ainterrogée.Ses réponsesontéveillédes soupçons.Suffisammentpourqu’ilsaillentperquisitionnerchezelle,oùilsontretrouvé…lebookdeMary.BettySullivan–lameurtrière,donc–l’avaitgardé.Ils n’ont pour l’instant aucune précision quant à ses motivations. Ils notent simplement desdivagationsincohérentesausujetd’«âmessœurs»,de«carrièredesonmari»,de«réincarnation».

Bref,lejugedéciderasielleiraenprisonouàl’hôpitalpsychiatrique.–L’histoireal’airdingue,maisjenecomprendspastout,faitSerenaenfronçantdessourcils.–Jet’expliqueraiplusprécisément.Maisattends,c’estpasfini…Donc,apparemment,lemaridela

coupable,AaronSullivan,cadreàl’agencedepublicitéTaylor,Baxter&Morrison,estcomplètementsous le choc. La police le pense effectivement innocent et se tourne plutôt vers un certainAtticusWoodman, prétendu voyant, qui aurait pu avoir une certaine influence sur les agissements de lafameuseBettySullivan.

–Tuvasvraimentdevoirmefaireunrécap’,Emily.–Oui,ne t’inquiètepas, je finis justecetarticle,marmonné-je.Alors lasuite, lasuite…Ahoui,

c’est là. « La police regrette malheureusement un incident survenu lors de l’arrestation de BettySullivan,quis’estdérouléeaubarduCarawayBuilding.»Non!t’entendsça,Serena?!AuCaraway!« En effet,Mme Sullivan, dans un accès de folie, s’est jetée sur un client de l’établissement et l’agrièvementblesséaucouteau.L’hommedécéderamalheureusementdesesblessuresdans lanuit. Ils’appelaitMaxWhitman.»

MAX!

Jeme fige. Toutmon corps se glace. Non, ce n’est pas possible !Mon cœur se fissure. Il mesemblequelecielmetombedessus.Serenacomprendimmédiatement.Ellepâlitetmeserrelamain,par-dessuslatable.Jememetsàtrembleretleslarmesmeviennent.

–Max…mort?balbutié-je.

Max…MonMax…

L’amourdemavie.

Jesuiseffondrée,tremblante,frissonnante.Malgrétout,jepensaisqu’ilyavaitencoreunespoir…Quivientd’êtreanéanti.Pourtoujours.

–Emily,glissedoucementSerena.Jesuisnavrée…Tellementdésolée.Tellement.Qu’est-cequejepeuxfairepourtoi?

Jem’affaledansmonfauteuil,dépasséeetbouleversée.

–Emily,jesaisquec’estterrible,maisdis-toique…çafaitcinquante-deuxansqu’ilestmort.

3.Lestempschangent

Appartementd’Emily,quartierdeLittleItaly.

6h45.Lundi14décembre2015.

Quiabienpumelaissercejournal?Jeressassesanscessecettequestion.Etsurtout…pourquelleraison ? Pourquoim’a-t-on fait ça ? Pourquoime dire par-delà les années queMax est décédé ?Pourquoiprendrecettepeine?Pourmefairedumal?Pourbienmefairecomprendrequejenelereverraieffectivementjamais?

Nel’avais-jepasdéjàtropbiencompris?

Danscecas,pourquoiçamefaitaussimald’apprendresamort?Ilétaitdéjàentenduquenousnenousreverrionsplus.Alorsquelledifférence?

Peut-êtretoutsimplementparceque,maintenant,jen’aivraimentplusaucunechancedelerevoir.Est-cequejemementais?Avais-jeaufonddemoiunsecretespoirdeleretrouver?Espérais-jequequelquechosearriverait,unévénementquelconque,quim’auraitpermisderepartirlà-bas?Ledestinaurait-il donc lu enmoi, auplus profonddemon cœur, y voyant des choses quemoi-même je nesoupçonnaispas?Etserendantcomptedecequis’ytramait,aurait-ildécidéd’étouffertouteformed’espéranceetd’optimisme?

J’ai les yeux grands ouverts, fixés au plafond. Le sommeil est peu venu cette nuit, et le réveilsonneradansunquartd’heure.Ilvafalloirselever,allerautravailetvivreunevienormale.

Normale?Vraiment?

Comment faire ? Et, surtout, pour faire quoi ? Pourquoi se lever, aller à l’agence et fairesemblant?Fairesemblantquetoutvabienetquelavievauteffectivementlapeined’êtrevécue.Maisellenevautlapeined’êtrevécuequesionauneraisondevivre,etpourl’instantmaraisondevivreadisparu.

JerepenseàMaxetàsaforcedecaractère.Qu’aurait-ilfait,lui,enpareillesituation?Jel’imagineàmescôtésmesusurrantàl’oreilledesconseils,sesdoigtscaressantdoucementmonbras.Luimeconnaissait. Lui savait comment extraire le meilleur de moi-même. Et, évidemment, lui m’auraitexhortéedecontinueràvivreetdepartir travailler,vaillequevaille.Enmequittant, ilm’aditquenotrerencontreluiavaitpermisdenourrirsonimagination.Etc’estpareilpourmoi!Ilm’adonnématièreàvoir,àrêver,àpenserplusquejen’auraisjamaispumelefigurer.

Il fautmettre ça àprofit.Comme lui l’aurait fait.C’est crucial que je le fassepour lui, pour samémoire,pourquecequ’ilétaitnedisparaissepasaveclui.

Serai-je capable de trouver un jour de la joie dans l’idée qu’il vaut mieux avoir connu Max

quelquessemainesdansmaviequepasdutout?Peut-être.Enattendant,essayonsdenepenseràrien.Cela ne fait qu’empirer les choses. « Tête vide, cœur léger »,me disaitmon grand-père quand ilm’arrivaitdevenirpleurerchezluiaprèsunepetitemésaventurearrivéeàl’école.Alors,allonsdel’avant!

Douche,puisvêtements.Jelaissemesgestess’enchaînerdemanièreautomatique.Àremettremeshabitsvintage,moncœur se serre. Jeme rends comptenéanmoinsque j’ai naturellement laissédecôtéceuxquejemettaisquandj’étaisaveclui.

C’esttroptôtencore.

Dehors, je lève le regard au ciel.Heureusement, il fait beau.Le soleil brille dans l’air frais dedécembre, et c’est très vivifiant. Je ferme les yeux et inspire un grand coup pour me donner ducourage.Lesvingtminutesdetrajetpassentenunéclair,etjepénètredansleCarawayBuilding.J’aile sentiment de repartir à zéro. Je me revois, plusieurs semaines auparavant, entrant commed’habitudedanscemêmehall,sanssavoirencorecequiallaitm’arriver ;sanssoupçonnerunseulinstantquemavieétaitsurlepointdebasculeràtoutjamais;sanssavoirmêmequeMaxexistait–ouenfaitavaitexisté.Carenfinilavécuilyacinquante-deuxans,et…

Ilestmort.

J’avalemasaliveet j’essaied’oublier laboulequej’aidanslagorge.Jemefondsdanslafoulepressantedulundimatin,m’imaginanttransparente,presqueàdisparaître,visageanonymeparmitantd’autres,naviguantaugrédesvaguesd’employésdanslehalld’entréeduCaraway.

Arrivéeaupieddesascenseurs,j’aidenouveauunpincementaucœur:ilsfonctionnenttous.

MêmeDanny…

Lapage est donc définitivement tournée. Je ferme les yeux un instant,me remémorant tous cesmomentsàl’appeleretàsauterdejoieàchaqueapparition;àpesterparfoisquanduncollègueunpeucollantm’empêchaitd’êtreseuleetdepouvoirouvrirlaportetemporelle.Àvoirtouscesgensquisepressentdansmonascenseuràmoi,jesensmagorgeseserrer.

J’entreàmontourdansunecabine.Lesportescommencentàserefermerquandunepersonneseglisseencourantàl’intérieur.Jemepinceleslèvres:c’estVoldemort!

Cen’estpasunesurprise. Jem’attendaisbienévidemmentà lavoircematinaubureau,mais jen’étaispasencorepréparée.Jesuistropfébrileetjen’aiaucuneidéedelamanièredel’aborder,ici,serréeentredixpersonnes.Jem’armecourageusementd’unsourire.Ellemelerendplutôtgentiment.

–Avez-vouspasséunbonweek-end,Emily?medemande-t-ellecordialement.

Ouf!Pasdereproche!

Elles’est levéedubonpiedcematin !Tantmieux, jen’avaispasenviedesupporter sasévéritésurjouéetoutelajournée.Maisnesachanttropquoiluirépondre,jemefendsd’un:

–Àlafoislemeilleuretlepiredemavie.

Elle semble décontenancée parma réponse, et plutôt queme questionner, elle se tait, respectantmonairincertain.

Aujourd’hui,elleestplusCarmenqueVoldemort,etçafaitdubien.Elleadûsentirquequelquechosen’allaitpascematin.Finalement,elleestvraimenthumaine.Ilyauncœurquibat,mêmeenCelle-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom ! Je m’en doutais, mais sans trop y croire, ou j’ycroyaiscommeàunesortedelégendeurbainedontlestémoinssontforcémentindirects.

Notreconversations’entientlà,etnosregardsnaviguentaulointandisquel’ascenseurmonteenflècheà travers lebâtiment.Noscopassagersgardent égalementunair impassible, touspressésdequitterlapetitecabineexiguë.Jem’attardeuninstantsurquelquesvisages.LeCarawayestgrand,etentre lescentainesderésidentset lesbusinessmendepassage, ilmesemblene jamaiscroiserdeuxfoislamêmepersonne.

Etpourtant,chacundecesprofilsestlaported’entréeversunepersonnalitéparticulière,vivantlesdouteset les joiesde l’existenceà samanière, souffrantet jouissantdemille façons. Jenem’étaisjamaisfiguréleschosescommeça,etilm’apparaîttoutàcoupquemadouleurn’estpasseule.Là,parmicesgensautourdemoi,ilyaundeuil,unchagrind’amour,unabattementquiserrelecœurmaisqu’onnelaissepasvoir,carilfautfairebonnefigureetmontrersaforce,mêmesiellen’estquesimulée.

Cette proximité me console. Ma solitude n’est plus si aiguë, et je me surprends à doucementsourireàlaronde.Carc’estvrai:combienparmilesmilliersd’individusquejecroisesuruntrottoirouà lacaissed’uncaféontdéjàvoyagédans le temps?Peut-êtreaucun?Peut-êtredesdizaines?Certainspartantverslepassé,d’autresvenantdufutur,trouvantnotre2015délicieusementvintage?

Je réfléchis à tous les gens que je connais personnellement. Si, moi, je n’en parle à personne(hormisàSerena,maisc’estuncasàpart),unautrevoyageurneleferaitpasnonplus.Etmesamis?Olympia, Agnès auraient-elles déjà pris une porte temporelle ? EtMike, trop content de pouvoirtesterinsitutoutel’histoiredusandwichmoderne,de1750ànosjours?

L’ouverturedesportesautrente-sixièmeinterromptmespensées.Nousnesommesplusquequatredanslacabine,jelatraverseendeuxpasetjesors.

–Vousn’allezpasautrente-neuvième?

C’estVoldemortquim’alancécettequestion.J’aiàpeineletempsdemeretournerquelesportesserefermentetl’ascenseurrepart.

Au trente-neuvième ?Mais dequoi parle-t-elle ?Y a-t-il quelque chosequim’ait échappé ?Unpoidsdescenddansmonestomac.

Merde.J’aiencoredûfaireunebourde.

Je fouille dansmes souvenirs, essayantdeme remémorerundétail, un indice,mais rienneme

vient. J’ai le sentimentque jevaisencoreme faire taper sur lesdoigts.Et cen’estvraimentpas lemoment…

Quoique,Carmen s’est peut-être tout simplement trompée ; sa langue aura fourché.Mais alors,pourquoiest-ellerestéedansl’ascenseur?

Touteàmespensées,jemedirigeversl’open-space,quandjemefigesoudain.

Maisc’estquoi,cebordel?!

Jenereconnaisrien.Toutestdifférent.Jenesuispasaubonendroit,çac’estsûr!Enadmettantquej’aieencoretoutematête–cequej’espère–,ilestévidentquerienn’estcommeavant.Etcen’estpasunequestiondetravauxqu’onauraitmystérieusementaccomplisceweek-end,commejel’avaisd’abordcrupourlebardurooftop.

Aurais-jeencorevoyagédansletemps?Réfléchissons:quandai-jeétéseuleetpu,malgrémoi,passeruneportetemporelle?Non,jenevoispas…

Merde,jesuisdenouveauentraindemequestionnersurmasantémentale.

Au tout début, j’avais cru à un burn-out, et ça s’est avéré être un voyage dans le temps.Aujourd’hui,jen’aipasvoyagé,alorsc’estforcément…unaccèsdefolie?

Tropdetristesse,tropdedouleur,pasassezdesommeil?Dansunréflexe,jeregardemamontre:je vais être en retard. Il s’agit de nepas commettre tropd’impairs.Carmen amentionné le trente-neuvième:c’estmaseulepiste.Allons-y.

J’attendsl’ascenseurdenouveauetm’yengouffre,pressantleboutondutrente-neuvième,lecœurbattant.Unedésagréable sensationmeprend.Quelquechose se trame, et jene comprendspas tout.Enfin,pasencore.

Lesportess’ouvrent,etc’estJimmySullivanhimselfquejecroisedanslehall.

–BonjourmademoiselleGreen,commentallez-vouscematin?–Euh…bien,merci,luifais-je,déconcertéeparcetexcèsdepolitesse.–La salle de réunion est prête.Vous pouvez déjà vous y installer en attendant la conférence, si

vousvoulez.–Oh…biensûr.

Biensûrdequoi?!Jen’enaiaucuneidée!Dansquoisuis-jeembarquée?

–Vousprendezuncafé?reprendJimmySullivan,décidémenttrèsprévenant.–Merci,oui.Uncafé,ceseraitbien,marmonné-je.

Il s’éloigne.Mon bureau doit se trouver quelque part à cet étage, mais où ? J’avance dans lescouloirs, mais il me semble marcher dans des lieux totalement inconnus. Comment diable est-cepossible?Carici,jesuiscenséeêtreenterrainconnu!

Oùaller?Jenepeux toutsimplementpasdemanderaupremiervenu :«Bonjour,excusez-moi,sauriez-vousoùsetrouvemonbureau,j’aicommeuntrou?Non,non,jen’aipasfumélamoquette.Enfin,vulasituation,j’enaipeut-êtrebesoin.»

J’aperçois une grande porte ouverte : c’estmanifestement celle de la salle de réunion. Il n’y apersonne.J’enprofitepourm’installer.Çavamefairegagnerdutemps.Jem’installeaufonddelapièce,prèsdumur,etjesorsmonportablepourdiscrètementappelerSerena.Jegardemapaumeencoupeautourdemabouche,histoirequel’onnem’entendepas.

–Allô,Serena?chuchoté-je.–Emily,maisqu’est-cequit’arrive?Pourquoituchuchotes?–Kennedy,ilestmort?luisoufflé-je.–Hein,quoi?!Encore?Tuvasmefairelecouptouteslessemaines?–Serena,s’ilteplaît!C’estimportant…Mefaispasrépéter,please!Ken-ne-dy,ilestmort,ouiou

non?!–T’esvraimentpaspossible,Emily,s’exclame-t-elle.–Serena!– OK, OK, OK. Oui, il est mort. Oui, oui, mille fois oui, et ça s’est bien passé à Dallas le

22novembre1963.Ettoutvabien,onestlelundi14décembre2015ettoutestnormal.–Non!Toutn’estpasnormal!m’écrié-jeleplussilencieusementpossible.Jesuisauboulot,etce

n’estpasleboulot.–C’esttrèsclair,fait-elleplacidement.–Netemoquepas.JesuisauCaraway,ettoutachangé.Monbureaun’estpasaumêmeendroit,

j’aiuneréunionquin’estpasdansmonagendaettoutlemondeestsympaavecmoi.–Toutlemondeestsympaavectoi?!Tuasraisondet’inquiéter:quellehorreur!semoque-t-elle

gentiment.– Arrête ! C’est pas le moment. Il s’est passé quelque chose, et je ne sais pas quoi. Tu as des

nouvellesdesvoyageursdutemps?Ils’estpasséuntrucdepuishier?–Non,depuislejournalquejet’aidonné:rien.Maisattends…

LavoixdeSerenas’éclaire:

–L’articledujournalracontaitcommentBettyavaitétéarrêtée,non?–Oui,entreautres…–Maisalors,lefutur…enfinnotreprésentapuenêtrechangé,modifié,non?Çaparaîtlogique,

tunecroispas?–Euh…Oui,eneffet,luiréponds-je,perdue.–SiBettyn’apaspufairepromouvoirAaron,iln’estdoncpasdevenulepatrondeTaylor,Baxter

&Morrison?–EtdoncJimmyn’estpaslebigbossaujourd’hui?réfléchis-je.–Çanes’appelleprobablementmêmepasSullivaninc.!s’écrie-t-elle,avecletonjoyeuxdecelle

quiatrouvélenomdumeurtrieràlafind’unpolar.

Àcemoment-là,desbruitsdepas:Jimmyrevient,uncaféàlamain.

–Serena,jedoistelaisser,luichuchoté-jerapidement.

–Tumeraconteras,hein,Emi…

Maisj’airaccrochésubitement,fourrantmonportabledansmonsac.Jenesuispascenséepasserdecoupsdefilpersoautravail.Ilposeunetassedecafédevantmoi,mesourit,puiss’éclipse.

Jen’ai rienosédire.Tout cequipeut sortir demabouchepeut êtreunegaffe, vu la situation !Alorsquoi?Jerestemuetteetsourisbêtementenattendantd’encomprendreplus?

Oui.

Denouveauxbruitsdepas:c’estAgnèsquiapparaît.

Ouf,sauvée!

Ellesemetàdisposerdesdocumentsbleucieltoutautourdelatable.

–Agnès?Tu…–Oui,missGreen?

MissGreen?!Ahmerdealors,onn’estpascopines!Jem’ensorscommentmaintenant?

–Euh,Agnès… j’ai…unmaldecrâne terrible. J’ai trèspeudormi.Pourriez-vousme rappelerprécisémentl’ordredujourdenotreréuniondecematin?luidemandé-jedutonleplusnatureldontjesoiscapable.

Vusesyeuxécarquillés,soitellemeprendpourunefolle,soitellepensequejemepaiesatête.Danslesdeuxcas,c’estquitteoudouble.Heureusement,ellegardecontenance,souritetexplique:

–Biensûr,missGreen:JimmySullivanaétécontactéparl’actionnairedel’entrepriseetnouslerecevonsaujourd’hui.

–Oui,évidemment,fais-jed’unairmaîtredelasituation.–Çanedoitpasêtresimplepourvous,meglisseAgnès.–C’est-à-dire?–Ehbien,entantquedirectriceartistique,vousallezdevoirtravaillerétroitementaveclui,tousles

jours.Etcommepersonnenel’ajamaisvu,onnesaitpasquelgenredetypec’est…–Oh,voussavez,Agnès,letravail,c’estletravail,luirépliqué-jed’untonentendu.–Etsinon,vousavezuneidéedunom?–Commentça?–Ehbien, lenouveaunomde laboîte.Çane sert à riendecontinuerà s’appelerWhitman inc.,

j’imagine?

Whitmaninc.?!Jedéglutisdifficilement.

–Vouslesaurezen tempsvoulu,Agnès, lui réponds-je,unpeuabrupte,histoiredemesortirdecetteconversationcompliquée.

–Oui,biensûr.Excusez-moid’avoirétéindiscrète.–Iln’yapasdemal.

Elleinclinelatêteetsortdelapièce,melaissantdenouveauseule.

Ohlavache!C’estquoice2015?!

Directriceartistique?Moi?Etjen’aitoujoursque24ans?Maisc’estdudélire!Doncleprésenta bien été modifié, et profondément si je comprends bien. Je n’aurais jamais cru que la simplearrestationdeBettyauraittantchangéleschoses,maisc’estvraiquec’estlogique.Pourquoijenemesouviensderien?Moncerveaun’enregistrepaslesmodificationstemporellesdemonpassé?Sijen’avaispaseuSerenaautéléphonequisaitqui jesuisetcequej’aivécu, jecroisquejemeseraisévanouiesur-le-champ.

Ducoup,jem’ensorscomment,moi?Commentavoirl’airnatureletcompétentalorsquejenecomprends rien de rien à ce qui se passe ? Le fameux président-actionnaire-mystère vame virerdirectavantlafindelajournée.Çavaêtrejoyeux,tiens.

Bip!

Montéléphone:unealerte.Jeregarde.UnenotificationFacebook?Cen’estpaslemoment!UnM.Emersonveut devenirmonami : super, çame fait unebelle jambe.Maintenant, j’ai tout un tasd’amisetdeconnaissancesque…quejeneconnaismêmepas!

Merciledestin…

–Bon,alors,tum’acceptescommeami?Situdéclines,jerisqued’êtrevexé.

Jelèvelesyeuxverslapersonnequivientdemeparler.Là,àquelquesmètres,debout,maindanslapocheetsourirecraquant:

Max!

4.Latraceeffacéedudestin

CarawayBuilding,39eétage,sallederéunion.

9h59.Lundi14décembre2015.

Moncœurestsurlepointd’éclater.Jesensmesjouesdevenirrougesd’émotion.Jevacilleetmeretiensdeperdreconnaissance.

Max,vivant?

Etdeplus…

Max,ici?

Jesuisparfaitementsidérée.Marespirations’estaccélérée.Jenepeuxycroire.Maissi,c’estbienlui.Beaucommeundieu,iln’apasvieillidepuis…depuis1963!Maiscommentest-cepossible?Ilporteuncostume2015,cintréetanthracite, sesyeuxont toujourscemêmeéclatmalicieuxetviril.Commedansundessinanimé,jemepincepourvoirsijenerêvepas.

OK,àtouslescoupsils’agitd’unemauvaiseblaguedudestin.Voiredel’univers!Maxestmort,jelesais,jel’ailu.Etmêmesijel’airêvé,ilestimpossiblequ’ilpuisseavoirvoyagédanslefutur.Lafailletemporellequienrésulteraitseraitfataleàterme.

Oualorsceseraitsonfils?Luiressemblanttraitpourtraitet…meconnaissant?

Non,c’estcomplètementdébile.

Oualors,serais-jetombédansunefailletemporellequivameperdre,moi,monprésentetmonfutur,cartouteslesépoquesseseraientmélangées,là,devantmoi?Cesmillepenséesm’assaillentetmedéstabilisentenquelquessecondes.

–Max?Max,c’estbientoi?bredouillé-je,incrédule.Tu…

Ilvapourouvrir labouche,quandtoutàcoupunedizainedepersonnespénètrentdans lapièce.Toutlemondes’installesolennellementdansunbruitfeutrédechaisespousséeset tirées.JerepèredescadresdeSullivaninc.ainsiquecertainsvisagesinconnus.Lemouvementgénéralmepermetdemasquermasurpriseetmonagitation.Max,lui,sansmequitterdesyeux,articulesilencieusementun« tu vas comprendre » enme faisant signe dem’asseoir. Il garde son sourire et s’installe à deuxplaces de moi. Je m’assieds également, tremblant intérieurement. J’ai l’impression que le mondeentierentendmesbattementsdecœur,etquetouspeuventliresurmonvisageàquelpointjesuisàlafoisperdue,stupéfaite,et…heureuse!

Maispersonnenefaitallusionàquoiquecesoit,etlaréuniondémarresousl’impulsiondeJimmy

Sullivandansuneambiancestudieuseetattentive.Ilselève,unpeunerveux,etavisiblementpréparéundiscours,carilsortunpetitpapierpliéenquatre.

Ilseraclelagorgeetselance:

–Mercià tousd’êtreprésentscematin.Maintenantquenoussommesaucomplet,nouspouvonscommencer. J’ai le privilège de prendre la parole en tant que gestionnaire de cette entrepriseflorissante. J’avais pris la suite demon père,Aaron Sullivan, présent à cemême poste il y a unequinzaine d’années. Il m’avait conseillé à l’époque de considérer cette agence commema proprefamille, et c’est ce que j’ai fait. Lui avait suivi cemême conseil, donné parMaxWhitman, notrefondateur,malheureusementdécédéen1963.Etc’estcetétatd’espritquiafaitnotreréussite :nousavons racheté plusieurs de nos concurrents, dont à l’origine Taylor, Baxter &Morrison, et noussommesdevenusungroupeimportantetrespectédanslemondedelacommunication.

Quoi?!Jenecomprendsplusrien.

MaxWhitmanestmort?Maisjelevois,là,justedevantmoi!Jedélire,ouquoi?Cen’estpasunspectre:j’aibienvuAgnèsluiapporteruncafé…

Le«spectre»aunpetitsourireencoin,commes’ils’amusaitàdistancedemonairmédusé.

MaisJimmy,lui,continue:

–Cetétatd’espritvientaussidelagrandelibertéquenousaoffertejusquemaintenantnotreseulactionnaire.Notrepropriétaireatoujourstenuàresteràl’écart.Ilsortaujourd’huidel’ombrepournotreplusgrandplaisir,etnousespéronscontinuersurcettevoieetnouerdesrelationsfructueuses.VeuillezaccueillircordialementM.MaxEmersoniciprésent!

ToutlemondeapplaudittandisqueMax…Emerson(!)selèveetprendlaparole.Jesuisbouchebée.

–MerciJimmy,dit-ildesavoixgrave.Jesuisravid’êtreparmivousaujourd’hui.Maprésenceicisuscite peut-être des inquiétudesquant audevenir de cette entreprise. Il est demondevoir devouséclairersurcesujetauplusvite.Jetiensenpremierlieuàrectifierunepetiteerreurquevousavezfaite, Jimmy. Rien de grave, rassurez-vous. Il s’agit simplement d’un chiffre : je ne possède pas100%despartsdecetteentreprise,maisseulementlamoitié.Les50%restantssontdétenusparuneautrepersonneiciprésente:MlleGreen,quevousconnaisseztous.

Hein?Jepossède50%deWhitmaninc.?EtMaxestvivant?EtilestenfaitMaxEmerson?

Etmonanimaldecompagnieestunelicorneetjesuischampionnedumondedecurling,peut-être?

C’estquoicegrosdélire?Unemaster-blaguedupèreNoël?

Tout le monde chuchote dans la salle, j’imagine qu’ils se demandent pourquoi je n’ai rien ditavant.Jesensdescoupsd’œilglisserdiscrètementsurmoi.J’essaiedenepasmontrermonembarras.

– Je tiens d’ailleurs à remercier chaleureusementMlle Green pour l’excellent travail qu’elle afournijusqu’àprésent…

Lesgensacquiescent…MêmeVoldemort!

–…entantquedirectriceartistique,jeuneetpourtantsidouée.Jelaremercieaussid’avoirinvesti,en toute discrétion, dans lamoitié des parts dugroupe, ce qui nouspermet une certaine assurancepourl’avenir.Àpartird’aujourd’hui,etsivousn’yvoyezpasd’inconvénient,jesouhaiteraisquelegroupeprennelenomd’«Emerson&Greeninc.»pourentamercettenouvelleère.

JevoisCarmenéchangerunregardavecJimmy.Ilsdoiventêtreinquietspourleuravenir.Etjelesuisunpeu,moiaussi!JenesaispascequeMaxaentête…Jenesaispasnonpluscommentilestarrivélàetpourquoiiln’estpasmort,enfait…

– Il est également tout naturel de remercier JimmySullivandont l’implicationpersonnelle sansfailleaétécrucialepournous.La familleSullivannousaaccompagnésdepuis fort longtempsetaeffectuéuntravaildegestionnaireremarquable.Enfin,ilestévidentquesansvotremotivationàtous,nousneserionsrien.Jesouhaitevivementcontinuersurcettemêmelancéeetpoursuivrel’excellenttravailquiaétéaccomplijusqu’ici,avecvoustous.Merci.

Lesapplaudissementsfusent.Lebruitemplitmesoreilles.Jesuisfigéed’émotion,presquesaisiedevertige, bienqu’assise.L’assemblée se lève, et petit àpetit sedisperse, vidant la salle.LesgensviennentféliciterMax,Jimmy,etmêmemoi!Puis,enfin,nerestentplusquedeuxpersonnes:Maxetmoi.Nosregardssontaimantés.J’ailesoufflecourt.Ils’approche.Jepeuxàpeineparler,toutjusteparviens-jeàarticulerunfaible:

–Mais…comment?

Il sourit et s’assied àmes côtés.Au risquequ’onnous surprenne, il s’interdit demeprendre lamain,etencoremoinsdemecaresseroudem’embrasser–queldommage!Maissesyeuxendisentlong.

–Tuaspeut-êtrebesoind’uneexplication?mefait-ilmalicieusement.–Peut-être,oui,luiréponds-jeavecémotion.–Aprèstondépartde1963,DonaldetmoinousavonsfinalementréussiàfairearrêterBetty.Tout

celagrâceàlamèredeMaryWatson.Ellel’avaitvueavecsafille,commetulesais.–Oui,jesaisbientoutça!Enplus,jel’ailudanslejournalhier.Enfin,pasceluid’hier:celuide

1963,maisjenel’ailuqu’hier.

Maxsouritetmeprenddiscrètementlamainsouslatable.

–AinsiBettyaétémisehorscourse,continue-t-il.Malheureusement,unincidents’estdéroulélorsdel’arrestation.Ças’estpasséaubardurooftop.Bettyestdevenuecommefolle.Elleacomplètementperdu les pédales. Elle s’est mise à hurler comme une furie, renversant tout autour d’elle. Lespoliciersavaientmêmedumalàlamaîtriser!Desclientsontprisduvindanslafigure,d’autresdesboutsdeverre,etquelqu’unaétégrièvementblessé.

–Maisoui!C’étaittoi,c’étaitécritdanslejournal,l’interromps-je.

LevisagedeMaxdevientgrave.

–Non,pasexactement.Bettyaseulementtentédemetuer.Ellevoulaitsavoiroùtuétaisetjuraitencriantqu’elle sevengerait. J’ai étéprispar surprisequandelle s’est jetée surmoi.Maisquelqu’uns’estinterposéauderniermomentpourmeprotéger:Donald.

–Donald!m’écrié-je.Lui?– Il a pris le coup de couteau à ma place. La lame lui a perforé le poumon. Il a été emmené

immédiatementàl’hôpital,maisilsn’ontrienpufaire.–C’estterrible,dis-jebouleversée.–Jel’aiaccompagné,j’étaissipeinépourlui.Maisilm’afaitpromettredenepasl’être,carsa

missionétait terminée. Ilpouvait enfinquitter1963et iln’a jamaispensépouvoirpartir autrementqu’enmourant,enfait.Ilditqu’ilatoujourssuquecelasetermineraitainsi.

–Commenta-t-ilpucroireunechosepareille?Jesuissûrequ’ildevaityavoiruneautresolution,merécrié-je.

–Ilensavaitbeaucoupplusquenous,tusais.Ilaajoutéqu’illuirestaitjusteunedernièrechoseàaccomplir:mepermettredeterejoindre.Lasolutionluiestapparued’elle-même,simpleetévidente.Donaldaditaumédecinqu’ils’appelaitMaxWhitman.Ilallaitmourir,maisofficiellement,ceseraitMaxWhitmanquidécéderait.

–Maisenquoicelaréglaitleproblème?–SiMaxWhitmanmouraiten1963,jedevenaissoudainlibredepartircar,«n’existantplus»,il

n’y aurait plus de risque de faille temporelle. Je n’avais plus de famille depuis longtemps, aucuneattache–hormistoi,biensûr.PlusDonaldm’enparlait,pluscelasemblaittragique,maisjudicieux.

–Crois-tuqueDonald avait déjà songé auparavant à cette possibilité ?Qu’il avait préparé cettesortie,attendantsimplementlebonmoment?

–Jenesaispas.C’estpossible.Entoutcas,iln’avaitpasl’aird’improviser;ilsavaitparfaitementoùilvoulaitenvenir.Ilm’asimplementdemandéunservice:fairevenirPhoebeàl’hôpitalpourluirendreunedernièrevisite.Ilneluirestaitplusbeaucoupdetemps,donciln’avaitplusaucuneraisondes’inquiéterdelaneutralitétemporelle.

–C’estsitriste…–Danssesderniersmoments,quandjeluiaiditadieu,ilm’aconfiéqu’ilnefallaitpasleplaindre

etqu’ilétaitheureux. Ilavait lacertitudequePhoebeet luiallaientseretrouverplus tard,dansuneautrevie.Des«âmessœurs»par-delàletemps…Etpuisilm’aaussidemandédetesaluer.

–C’estgentil,dis-je,touchée.–Ilvoulaitaussitedirequelapremièrefoisqu’ilt’avue,s’iladevinéquetuvenaisdufutur,ce

n’est pas parce qu’il avait des super-pouvoirs. C’est tout simplement qu’il n’avait jamais vu unepersonnehabilléeà lamodesixtiesquiportaitdesLouboutin!Moinonplusd’ailleurs,ditMaxensouriant.

Jelâcheunéclatderire.JemeremémoremarencontreavecDonald,siétrangeetmystérieuse.Ils’enesttantpassé,depuis!

Etmoiqui l’ai accusédenous fairepayer ses erreurs alorsqu’il a toujours tout faitpournousaider…Ilmemanquera.

–Maiscommentes-tuvenuen2015?Laportetemporelles’étaitpourtantrefermée,m’enquiers-je.–Laportes’étaitreferméepourMaxWhitman.PaspourMaxEmerson,fait-ilavecunclind’œil.

Envrai,çan’apasétésisimple.C’estPhoebequim’aaidé.Ellem’ad’aborddemandéquelleidentitéjeprendraisen2015.«Emerson»,tuterappelles?C’estlenomdel’hôteldanslequelnoussommesdescendusàLosAngeles.C’estlapremièrechosequim’estvenueàl’esprit:unmomentdebonheuravectoi.Aprèsavoirréglétouslesdétailsdenotreavenir,jesuisalléàlalibrairieetl’ouverturedela porte s’est faite, mais… pour une seule et unique fois. Ça n’a fonctionné que parce que jerejoignaismonâmesœur.Impossiblepourmoiderepartirenvadrouilledanslescouloirsdutemps,commeunvoyageurdu tempsque jene suispas.C’étaitundépart sans retour,ungrand sautdansl’inconnu.

–Maistoutça,autourdenous,Whitmaninc.,les50%d’actions,commentas-tufait?– Jen’avaisquequelques jourspour toutorganiseravantmondépart. Ilme fallait assurermon

aveniretletien.J’aiinvestidansdesactionsquejesavaisflorissantesen2015,grâceàtoutcequej’aiappris avec toi. Les énergies renouvelables par exemple !Qui en 1963 se serait lancé là-dedans ?C’étaitimpossibledefairetoutçaaunomdeMaxEmersoncarj’auraisalorsretrouvéune«identité»en 1963 et n’aurais pas pu te rejoindre ; et encore moins au nom de Max Whitman qui étaitofficiellement mort. Donc, j’ai tout fait avec des bons au porteur : c’est le porteur des bons quipossèdelesactions.J’aifaitdemêmeavectoutesmespossessions,dontl’appartement.

–Commentas-tupenséàunstratagèmepareil?–Grâceàtoi,encoreunefois!sourit-il.Tum’avaislaissél’ordinateuravecdesfilms,etj’aivu

LargoWinch.C’estexactementlesystèmequ’ilutilisedanslefilm:sonpèreluilèguelegroupeviadesbonsauporteur.Sonnomresteainsisecretjusqu’auderniermoment.

Jerestesilencieuseuninstant,essayantdemettreenordredansmonesprittoutcedontMaxvientdemeparler.Jesuisunpeusubmergéeparlaquantitéd’informations.Voyantmontrouble,Maxmeproposedesortirprendrel’air.

–Allonssurlaterrasse.Çateferadubien.–Tuveuxdirealler là-haut,etnousretrouver tous lesdeux,commelapremièrefoisque je t’ai

vu?–C’estça.

Nousnouséclipsons.Maxprévient Jimmyquenousallonsdiscuteraffaireaubardurooftop, etnousprenonsl’ascenseur.Unefoisdehors,l’airvifrefroiditmesjouesrosissantes.Noussommesàl’abri des regards, et Max se penche vers moi. Nos lèvres se retrouvent comme une nouvellepremière fois, tendre, électrique, éternelle.Mais il fait froid.Aussi, nous entrons dans le bar pournousinstallersurlesgrandsfauteuilsmoelleux.Unserveurvientànous.J’aiunpincementaucœur:nousneverronsplusjamaisDonald.J’espèrequ’ilestheureux,làoùilest.

– Avant de partir, j’ai été voir Aaron, reprend Max. Après les révélations du meurtre etl’arrestation de Betty, il était bouleversé. Plus rien ne faisait sens pour lui. Comme il me fallaitquelqu’undeconfianceetque je savaispouvoir compter sur lui, je lui aidoncdonné les rênesdeWhitman inc. Jeme suis débrouillé pour lui laisser une rente, ainsi qu’à son fils si par hasard ilreprenaitladirectiondel’entreprise.Ilfallaitquejesoissûrderetrouvermonbébécinquante-deuxansplustard,danslefutur!

–C’étaitunsacrépari!Ilauraitpusepassern’importequoi.

–C’étaitunrisqueàprendre.Il fallaitquejeterejoigne,c’était laseulechosequicomptait.J’aibiensûrfaitattentionàmodifierlemoinsdechosespossibledupassépourque2015nesoitpastropdifférent,quetudeviennestoujourscettejeunefemmepleinedetalent,etquetusoisbienembauchéeparWhitmaninc.!

–Aaronasimplementaccepté,commeça?–Ilaeudumalàmefaireconfianceaudébut.Iltrouvaitcelabizarrequejeluiconfiesifacilement

ma raison de vivre, ce que j’avais bâti toutes ces années. Surtout que je ne lui demandais rien enéchange.Maseuleconditionétaitdenepasmeposerdequestionsetsurtoutdenejamaisparlerdetoutçaàpersonne.Jamais.MaiscommeleschosessegâtaientchezTaylor,Baxter&Morrison–ilsluienontfaitunpeubaveraprèsl’arrestationdeBetty,tuconnaisleurdiplomatieetleurbongoût!–,ilaaccepté.Ila toutdemêmetrouvéçadingue,mais iladitoui.Pour leremercier, je luiaialorslaissélefameuxbookdeMaryWatsonquesamèrem’avaitconfié.Celapermettaitàtoutescesbellesidées de voir enfin le jour, et puis ce vieux fou d’Atticus avait raison : cela a permis àAaron dedonneruncoupdefouetàsacarrièreetdedévelopperlegroupe.

Commequoi,onnetrompejamaiscomplètementledestin…

–Depuisquandes-tuarrivé?Jeveuxdireici,en2015?–Cematinmême!s’exclame-t-il joyeusement.À la librairie,Phoebede2015m’aaccueilli très

gentiment.Ellem’adonnélespapiersd’identitéetl’extraitdenaissancequ’elleavaiteuletempsdefairefaireencinquante-deuxans,avecl’aidedesvoyageursdutemps,ainsiqu’uncostume«moderne». Je suis passé en vitesse à la banque pour prendre possession demes biens et je suis venu à laréunion.D’ailleurs,ilvafalloirquetupassesàlabanqueaussi,pouryfaireenregistrertesbonstedésignantcommepropriétaireà50%.

–Touts’estsibiendéroulé.Jen’enrevienspas,lâché-je,ébahie.–Jedois t’avouerque j’aieu trèspeur. Jenesavaispasàquoi réellementm’attendrede l’autre

côtédelaportetemporelle…Tuauraispunepasêtrelà,êtreengloutiedansjenesaisquelabîmedutemps.Oupire…tuauraispum’oublier.

–T’oublier?!m’indigné-je.J’aisurtoutcruquetuétaismort!

Nousnoussourions,perchéssurunnuage.Ilmeprendlamain.

–Maisdonc…monproprepasséaétémodifié,fais-jeenmefrappantlefront.–Oui,unpeu.

Lanouvellemedonnelevertige.

–Mevoilàdirectriceartistiquedugroupe,c’estça?À24ans,enplus!–Parexemple.–Commentas-tufaitpourorganiserça?luidemandé-je.–Ahça,jen’ysuispourrien!Jimmyt’aengagéeetapparemmenttuasgrimpéleséchelons.Tu

n’asqu’àremerciertontalent.

Jesuissidérée.

–Etqu’ya-t-ild’autrequejedoissavoirdemonpassé?J’airatébeaucoupdetrucs?

–Quandlaportes’estreferméedéfinitivement,Phoebem’aexpliquéquetuascomme«zappé»tonnouveaupassé.Maiscomme j’aimodifiépeudechosesen1963, toutadûsedéroulerplusoumoinsnormalement,àquelquesdétailsprès.Quiserontdesbonnessurprises,j’espère!

J’éclated’unrireincrédule.Jesecouelatêtetoutenserrantfortsamain.C’esttellementbond’êtrelà,aveclui,ici.Moncœuréclatedebonheur.

Je saisquemesparents sontvivants : j’ai reçuunSMSdemamèrecematin. J’ai euSerenaautéléphone,elleaussiesttoujourslà.J’aiunboulotderêve,etsurtoutMaxestprésenten2015.

Pasdequoifairemadifficile!

–Unedernièrechose,Emily…meglisse-t-ildoucement.–Oui?–Ilyatropdemondeici.

Sesyeuxbrillentd’unéclatdefauve.Cettelueur, jenelaconnaisquetropbien.Unechaleurmeprendlecorps.Celafaituneheurequej’ysonge,depuisquejel’aiaperçudanslasallederéunion.Nousavonstouslesdeuxenvie,touslesdeuxbesoindelamêmechose:nousretrouver.Celaaététropdur,celafaittroplongtemps.Certes,nousnoussommesquittésilyadeuxjours,maispournous,ilyacommemilleansàrattraper.

Maxmeprendparlamain.Nousnouslevonsdenosfauteuils.Illaisseunbilletsurlatablebasse,etnousnouséclipsons.

–Nevont-ilspassedemanderoùnoussommespartis?luisuggéré-je,mesentantunpeucoupable.–Whitmaninc.atenucinquante-deuxanstoutseul.Jepensequ’ilsarriverontàtenirunejournée

deplus,meglisse-t-ilavecunclind’œil.–Maisçafaitlouche,non?souris-je.–EmersonetGreenpeuventlogiquementavoirdutravailàfairepourEmerson&Greeninc.–Seuls?–Oui,pourquoipas,seuls…Unequestiondesecretprofessionnel.–Etpersonnel.

Nousarrivonsdevantlesascenseurs.Noussommesseulsàattendre,ici,auquarantième.J’aitoutàcoupunrushd’adrénaline:etsiDannynousemportaittouslesdeux…quelquepart?

Maisnon,riendetelneseproduit.

Danslacabine,noscorpsn’enpeuventplus.Latensionestsifortequejemecollemalgrémoitoutcontrelui.Jenichemonvisagedanssoncou,humantsonparfum.Nosmainsagissentlibrementsanslaisserletempsauconsentement.Mespaumescourentsursontorse,soussaveste.Luimeprendparlatailleetsabouchevienttoutcontremonoreille.Sescaressesdescendentsurmesfesses.Jeserrelescuissesdedésirtantlachaleuretl’humiditédeviennentintenses.

Moncœurbatfort:l’ascenseurpourraits’arrêteràtoutmoment,etonpourraitnoussurprendre.Je suis partagée entre la pudeur qui m’interdit ce genre de débordement en public et l’excitation

explosivequimetientpuissamment.Maispasunefoislacabineneralentitdurantladescente.

Unefoisarrivésaurez-de-chaussée,nousnousséparonsjusteavantl’ouverturedesportes.Nousjouons l’indifférencefaceauxanonymesquipénètrentdans lacabine. Ilest impossiblequ’ilsneserendentpascompte…

Nousfilonsàl’anglaiseparlegrandhalld’entrée,puisnoushélonsuntaxi.

–Àl’hôtelEmpire,s’ilvousplaît,lanceMaxauchauffeur.–Nousn’allonspascheztoi?luidemandé-je.–Ilyapeut-êtreunpeudeménageàfaired’abord:çafaitcinquante-deuxansquel’appartement

estinhabité!

Iln’yapasàdire:notrehistoireestcarrémentspéciale!

Le taxi nous laisse devant l’hôtel.Maxme prend par lamain etmemène vers la réception.Vunotre empressement, j’ai le sentimentd’êtreune fugitiven’ayantplusquequelquesheures àvivre.Pourlaquelle,seulleprésentcompte.

Enquelquesminutes,Maxnousenregistreauprèsduconciergeet,clefenmain,nousdisparaissonsdanslescouloirscossustapissésdetissuépais.

La cartemagnétique nous ouvre la serrure de notre suite, et à peine la porte refermée derrièrenous,nousn’ytenonsplus,nousavonstropattendu.Notredésirbrûleennous.

Nousallonsenfinnousretrouver.

Noussommespresqueincontrôlables.JemejettesauvagementsurMax.Luim’agrippecommeunfauve enragé. Nos bouches s’entredévorent, nous n’avons jamais été aussi volcaniques. Sa languepénètre ma bouche avec virtuosité, tournoie et m’explore. Nos salives se mêlent et ses lèvresdeviennentaussihumidesqu’ellessontsatinées.Jelemordille,ilgeint.Ilmecroqueetjecrie.

Il se débarrasse de sa veste qui tombe au sol. Je défais les boutons de sa chemise en en faisantsauterquelques-uns.Jesuisdevenueunelouveaffamée.Jefondssursontorseathlétiquequejelècheavidement.Jepassemalanguesurtouteslessailliesdesesmuscles.Jeneveuxpasrateruncentimètredesapeau.Jeneveuxplusjamaisêtreséparédelui.J’aibesoindem’imprégnerdechaqueparcelledesoncorps.

Max, suivant son désir impérieux, faufile ses mains sur ma nuque, sous mon col, pour faireglisser,puistombermaveste.Ilrelèvemonvisageàsahauteuretrevientmangermoncou,justeàl’oréedemonlobe,m’arrachantdesgémissementsplaintifs.Mesmainscourentdanssescheveux,sursesépaules.Jesuisdevenueentièrementpalpitante,embrasée,monsexesurexcitésuppliantdavantage.

Lui, toutaussiexcité,arrache lespansdemachemise. Jeplaquemoncorpscontre le sien,peaucontrepeau.Ilfait tomberd’ungestemonsoutien-gorge,etmestétonsdurcissentaucontactdesespectoraux.Nousne sommesplusquedeux flammes incandescentesdedésir, sansaucune formedepudeuroudecontrôle.Jesaisparfaitementoùjeveuxenvenir:satisfairesonenvieirrépressibleet

goûterunplaisirdémesuré,renversant,commeseulMaxsaitmeleprocurer.J’aicrunejamaisplusressentirriendetel,j’aicruleperdrepourtoujoursetvoilàqu’onmerendl’amourdemavie.Jenesuisquebonheur,plaisir,désir…

Sans réserve, je caresse le sexe deMax à travers son pantalon. Son érection est imposante. Jedéboucle sa ceinture, baisse son boxer et libère sa verge tendue versmoi. Je ne réfléchis pas unesecondeet je fondsdessus,boucheenavant. Je sens songlandglisser surma langueet contremajoue. Je le lèche, le mordille, le rends dingue, voyant par en dessous ses yeux briller d’un éclatfiévreux. Je le happe profondément, agrippant ses fesses fermes et solides, mouillant moi-mêmecommejamais,accompagnantlemouvementdesonbassind’avantenarrière.Jecommencedelongsva-et-vient sur sa hampequi grossit dansmabouche.Maxne peut retenir un cri rauque, viril, quim’emplit de bonheur. Être capable de procurer autant de plaisir à cet homme parfait me rendtellementfièredemoi.Maisaussidelui,denous.

Soudain,n’ytenantplus,Maxmerelèved’uncoup,m’emmèneverslecanapébordeauxdelasuiteetm’allonge dessus. Jeme laisse faire. Il baisse subitementma jupe pour la retirer tout à fait. Laculotte suit.Nousnous retrouvonsentièrementnusen l’espacedequelques secondes.Allongée surl’assisemoelleuse, jambes écartées, offerte à lui, il neme reste quemes escarpins noirs à doublelanière.

Aveclamêmevoracitédontj’aifaitpreuvetoutàl’heure,ilplongeenmoipourvenirgoûtermonsexeavecl’ardeuretlafouguequeluidictesondésir.Seslèvrestouchentmonintimitéetjecriedeplaisir.Lavirtuositédesesbaisersmetiredesgémissementsetdesfrémissementsinédits.Salanguecourtdehautenbas,jouantaveclesreplisdemafente,titillantmonclitorisavecdéfi,attisantmonexcitationàdesniveauxdélirants.JetienslatêtedeMaxfortementcontremoi.Jeneveuxpasqu’ils’arrête,qu’ilnavigueailleurs,qu’ilquittemesdélicieuxrivages.

Reste.Reste.C’estsibon.

–Max!–Unproblème,Emily?demande-t-ildesonairmalicieuxquej’aimetant.–Non,maisnet’arrêtepas,jamais,haleté-jesousl’emprisedemondésir.

Ilintroduitdeuxdoigtsenmoietjesensquejemouilleencoredavantage.Indexetmajeurvontetviennent,touchantavecmaîtrisemonpointG,jouantavecmesnerfspourmonplusgrandplaisir.Àcetinstant,jenesaisplusquijesuis…Jesaisseulementque:

–Jet’aime,Max,murmuré-je.–Moiaussi,Emily…etjevaisteleprouver.

Àcesmots,monamantaccentuesescaresses.Jenepeuxplustenir,ilmefaitmontertrophaut.

Soudain,ilselibèredemonempriseetembrassemonventre,mataille,meshanches,mordantetcroquantmachair,remontantversmapoitrinegonfléedevolupté.J’attrapesonsexeetleguidedanslemien. Sa longueurme surprend ; il vient profondément. Je laissema tête aller en arrière, doscambré et jambes emprisonnant sonbassin. Sonvisage, fin et racé, ses yeux en amande luisant de

désiretseslèvrespulpeusesmerendentdingue.

Il commence ses va-et-vient, immédiatement fougueux et déchaînés. Je suis ensorcelée par sesgestes.Jesuistotalementsoussonemprise,presqueplusqu’unepalpitationentresesmains.Sonpubisentreencontactaveclemien,frottantmonclitorisàchaqueà-coup.J’enfoncemesonglesdanssondos,luiarrachantuncridemâle,emplideplaisiretdefeu.

Maisjelerepoussesubitement.Jemeretourne,mainssurledossieretgenouxsurl’assise.Jeveuxqu’ilmeprennecommeça,maintenant, sansdélai. Impossibled’attendreunesecondedeplus. Il lecomprend et me pénètre de nouveau avec force. Sesmainsmaintiennent fermementmes hanches,manipulantmonbassin à saguise sur saverge surexcitée. Jeprofited’avoir lesmains librespourvenircherchersesboursesquejetiensetcaresseaucreuxdemapaume.Jel’entendsgémir,etcelanefaitqu’intensifiermonplaisir.

Ilpassesesmainsenmillecaressessurmondos.Jerâle,submergéedesensualité.Jelelâcheetviensjoueravecmonclitoris tandisqu’ilmepénètresansrelâche.Cettedoubleémotionm’arrachedescrishachés.

Maisilseretired’uncoup.

Jerestedanscetteposition,fessesoffertesàlui,maisl’attenteestdecourtedurée.

Sesmainsseposentsurmapoitrinetandisqu’ilguidemamaindroiteversmonclitorispourquejemecaresseànouveau.Mamaingaucheseserresur lecanapé,et ladroite titillemonclitorisdeplusbelle.Jemecambredavantage,écartantplusmesfessespourl’inviteràvenirenmoi,vite.Maxsemble comprendremon impatience. Sa verge imposante, satinée et ruisselante demon désir, mepénètrelentementd’unmouvementsûr.Mesdoigts,toujoursenmoi,caressentsonsexeàchacundesmouvements demon amant. Demon ventre bouillonnant de ce plaisir inédit rayonne une voluptéenvoûtante. Jememords la lèvre.Max sebaisse etmecroque lanuque, fiévreux et exalté, tout enpoursuivantdesva-et-vientfousquimelaissentdansunestupeurdesensualitétotalementfascinante.

Nosmouvements s’accélèrent, nos gestes perdent leur sens.Nos voix se répondent comme desvibrationsdelapassionquinousanime.Sonbassintapecontremesfessesenunrythmetoujourspluspuissant,toujoursplusrapide.

Est-ceencorepossibledemonterplushaut?

Ilnecessedecaressermesseins,lesétreint.J’attrapesamain,laserrantfortcontremapoitrine.Mesdoigtsayantquittémonsexe,Maxaccélèreencorecommepourprendretotalementpossessiondemoi.Etjesuismaintenanttouteàlui,possédéetoutentière.Sonsexemeprendfortpar-derrière,etsamainjoueavecmonclitorisdefaçonànemelaisseraucunechance,aucunchoix:jesuisvouéeàjouir.Progressivement,l’émotionmontecommelalaved’unvolcanentrantenéruption.L’excitationmesubmerge,laforcedudésirmecontraintcomplètement;c’estlàquenotreamouratteintsonpointculminant…Et soudain, nous atteignons le point de non-retour. Je crie de plaisir.Des soubresautsahurissantssecouentmoncorps.Maxjouitenmêmetemps.Nosvoixsemêlentenuneintensitéfolle.Nous nous rejoignons dans un torrent de volupté qui nous emporte et finalement nous laisse sans

voix,tressaillantdesensualité,incandescentsdedésiretbrûlésd’amour.

Nos corpsmeurtris d’émotion s’étreignent et se cajolent.Nous nous allongeons, enlacés sur lecanapé,nousfondantl’undansl’autre.Maxcaressemonvisageavectendresseet,danssesyeux,jepeuxdevinertoutsonamour.Àcet instant,s’ilpeutliredansmonregard–et jenedoutepasqu’ilpuisselefaire–,l’hommedemaviepeutvoirl’impérieusepenséequim’anime:

Max,monseuletuniqueamour.Tuesmaraisondevivre.Tues…mavie.

5.Robeblancheetcœurheureux

Connecticut.

13h41.Samedi25juin2016.

Lesoleiltapefortàtraversleshautesfenêtresàcroiséedebois.Olympiaestsurexcitée.Ellesautepartoutetdonnedesordresavecdegrandsgestesvifsetgracieux.

Iln’aurapasfallulongtempspourquenousdevenionsamies…denouveau.Carbiensûr,jesuislaseule à savoir que, dansune autre vie, nous l’étionsdéjà.Audébut, il a fallu que je fasse demonmieuxpourjouerl’étonnéequandellemeracontaitdeschosespersonnellesquejeconnaissaisdéjà.Et trèsvite,notre relationest redevenuecellequ’ellea toujoursété.AvecAgnès,çaaétépareil.Àcroireque,quelsquesoientlesévénementsdemavie,ledestinsaitoùmemener.

L’atmosphère aujourd’hui est effervescente dans notre propriété du Connecticut, à quelqueskilomètresàpeinedelamaisonfamilialedesSullivan–làoùMaxetmoiavionsétéinvitéspourlafameuseparty en 1963. Du haut d’une colline verdoyante, notre demeure surplombe un gazon àl’anglaise,avecvuesurl’océanquelquescentainesdemètresplusbas.C’estabsolumentmagnifique:jenepeuxpasm’enlasser!

La maison est entièrement blanche, reflétant le soleil avec force. La bâtisse est composée deplusieurspartiesimbriquées,avecsurchacuneunepetitetoiturereliéeaugrandblocprincipal.Unelongueterrasselongeledeuxièmeétagedontlarambardeestfaitedepierressculptéesd’arabesquesflorales.Aurez-de-chaussée,degrandesbaiesvitréesdonnentsurlejardin.C’estl’endroitidéalpourunjourcommecelui-ci.

Lesalléesetvenuescommencentàmedonner le tournis.Mais jen’aipas ledroitdebougerunorteil.Lachaleurdanslapièceestétouffanteetmefaitpresquedéfaillir.

–Lesfenêtres,lesfenêtres!s’agiteOlympia.

Elleavuquejetournaisdel’œiletaeulebonréflexe.Labrisedouceettièdeesttrèsagréable.Exactementcequ’ilmefallait !Àmespieds, l’habilleusemet ladernière toucheàmatenue, tandisquelacoiffeuselanceuncoupdelaquefinal.

Cettepropriété,nousen sommes tombésamoureuxavecMax.Nousypassonspresque tousnosweek-ends.La semaine, nous sommesbien sûr àNewYork, dans son appartement. J’ai lâchémonstudiodeLittleItalypourm’installeraveclui.

Mieuxvautçaquelecontraire!

Quandnousavonsredécouvertsonchez-lui,inhabitépendantcinquante-deuxans,çanousafaitunchoc!MêmeMaxétaitdéstabilisé.Depuis,nousavonstoutrefait(lesnormesélectriquesontunpeu

évolué depuis 1963 !), même si nous avons gardé pas mal de meubles vintage. Et entre nous, auquotidien,lapassion,plutôtquedes’atténueravecletemps,n’afaitques’attiser.Elleparaîtgrandirdejourenjour!

C’est en avril queMax etmoi avons pris un bateau pour longer la côte entre leConnecticut etLongIsland.Etc’estsurcebateau,àlalueurdelalunenaissante,qu’ils’estagenouillé,unéclatdorédanslesyeux,pourmedemanderenmariage.

Cesouvenirm’émeutsifortàchaquefois…

–Ahnon!Interditdepleurer!megrondeCyllia,lamaquilleuse.

Jesouris.

–Ahnon!Interditdesourireaussi!mereprend-elle.

Fuckalors!Jen’ailedroitnidesourire,nidepleureràmonpropremariage?

–J’aipresque terminé, fait-elled’unair concentré.Après,Emily, tu ferasceque tuveuxde toncorpsetdetabouche:jeneseraisplusresponsablederien!

Jenepeuxm’empêcherdeglousser.Jeregardelevisageradieuxdemescopines,quis’affairentautourdemoidanslapièce–unbureaureconvertipourl’occasionenloge.Olympia,Agnès,etbienévidemmentSerenasonttouteslestroisravissantesdansleursrobesblanchesàbustier.

Lapetite Jadeestau rez-de-chaussée,gardéeparAmos,unhommeplus-adorable-tu-meursaveclequelSerenas’est liéecethiver. Jen’aipasbiensaisi lescirconstancesde leur rencontre ; je saissimplementqu’ilyétaitquestiondeméditation,depointsd’énergie,d’encens,etaufinal,demassagestraditionnels chinois qui ont dérapé pour le plus grand bonheur des deux.Aujourd’hui,Amos, ungrandbrunà lapeaumateet auxyeuxverts, s’occupede lapetite fille commes’il s’agissaitde lasienne.

Pour l’instant, la clique des filles – dont je fais partie – est recluse à l’étage pour les ultimespréparatifs,tandisqueMaxm’attendenbas,entourédesinvités,arrivantlesunsaprèslesautres,surlapetiteesplanadedegazonmeubléepourl’occasion.

Lesconvivesneserontpasnombreux.Maxn’apasdefamilleetlamienneestlimitée.Quantànosamis,ilsnesecomptentpasparcentaines.Maispeuimporte: leprincipalestd’êtreentourédenosproches–ceuxquenousaimonsetquinousaiment–etsurtoutd’êtreheureux.

Allez,c’estpartipourletop5destrucsquimerendentlaplusheureuse!

5.VoirMaxauréveil.

Sesyeuxaumatinontunetelledouceur…

4.SortiravecMax.

Etsentirsamaindanslamiennequandnousnouspromenons.

3.Fairel’amouravecM…

Maisenfin,çasertàquoi,cetop5?Maxseramaintenanttoujoursnuméro1.Allez,finilestresset«l’uber-organisation»!Finileslistesetlesclassificationsàgogo!Àmoilalibertétotalenimbéed’amour!Maxestleseultopqu’ilmefaut!

Jesorsdemarêverie:

–Alors?fais-jed’unevoixfébrile.

Jetournetoutdoucementsurmoi-même,avecl’impressionquemonchignondeprincesserisqueàtoutmomentdefairetomberlelustre.

–Ma-gni-fique!s’exclameAgnès.–Fabuleuse!lanceSerena.–Ondiraitquet’esphotoshopée,maisenvrai!s’écrieOlympia.–C’estuncompliment,ça?luiréponds-je.

Etnouséclatonstoutesderire.

Ça fait du bien et ça fait redescendre un peu – un tout petit peu – la pression.Mais je trembleencore,detrac,destressetdejoie.

Monpèrepousse laporte : çayest, c’est lemomentdedescendre.Nous sortons sur l’immensepalierdonnantsurunlargeescalierdepierre.J’entendsmonterlemurmuredesvoixquisemélangeauchantdesoiseauxpénétrantparlabaievitréeentièrementouverte.

Jefermelesyeux,prendsunegrandeinspirationetposelepiedgauchesur lapremièremarche.Monpèremedonne lebrasetmesamiesm’entourent, toutesavecdes fleursdans lesmainset lescheveux.Enbasdesmarches,Maxm’attend. Ilporteune redingoteaucol tissé,ungiletcintréà lataille et une chemise blanche avec une cravate légèrement bouffante. Il est la classe incarnée. Sonsourireestradieux.Ilmefaitfondre,maiscen’estpaslemomentdeperdremesmoyens.

Enfin,aurez-de-chaussée,monpère,avecunlargesourire,passelerelaisàsonfuturgendrequime donne le bras à son tour. Nous n’avons pas vraiment cherché à respecter la coutume : lacérémonien’apasencorecommencéquejesuisdéjàaubrasdemonfuturmaripouraccueillirnosinvitésquidéambulententrelesalondejardinetlebuffet.J’entendssoudainunsanglot.Jemetourneversladroite:c’estmamère!Elleatoutfaitpournepascraquer,maisc’estplusfortqu’elle:ellepleuredebonheur,commeuneMadeleine.Ellefaituneffortsurhumainpourmesourireàtraversleslarmesenmecaressantlebras.

–Ah non,maman ! Si tu continues comme ça, je vaismemettre à pleurer aussi ! C’est pas lemoment,lagrondé-jeenlaserrantcontremoi.

Ellerit,etmonpère,yeuxbrillants,aussi.Ilssontsiémus,celafaitbattremoncœur.

–Matoutepetitefille,commetuasgrandi,mechuchotemonpèreàl’oreille,enmeprenantluiaussidanssesbras.

Quand mes parents ont rencontré Max, ça a été un coup de foudre immédiat. Ils l’ont toutsimplement a-do-ré ! Jemedemandemême simamèrene l’adopterait pas si elle pouvait.Lui lesaime énormément aussi. Il est toujours prêt à déjeuner avec sa belle-mère chérie !Du coup, je nereçois plus les reproches continuels concernant mon boulot qui me bouffe la vie, et ça, c’estappréciable!

Nousnousdirigeonsverslerestedesinvités.Phoebeestlà,unpeuàl’écart,sirotantunecoupedechampagne.

–Tuméritestantderemerciements,c’estindécent,luiditMax.Toutça,c’estgrâceàtoi.

Ellesouritmodestement.

–C’estvousquivousêtesbattuspourcetamour.Jen’aifaitquevousaccompagnerquandcelam’aétépossible,etcelagrâceàDonald.

Jel’embrassesurlajoue.Elleestvisiblementémue.

Lapetitefamille,là,ànotregauche,c’estJimmySullivan,accompagnédesonépouse,Martha,etde leurs jumelles, Philippa et Josepha. Nous sommes devenus proches de Jimmy, qui se montretoujourstrèsaffableetprévenant.

–Çaa été tellementvite ! s’exclame-t-il.Quand jepensequevousvous êtes rencontrés il y a àpeinesixmois.Etpourtant,onalesentimentquevousvousêtestoujoursconnus.

–C’estvrai,fais-jeenregardantMaxdanslesyeux.Parfois,j’oubliepresquequ’ilyaeuunevieavant.

Martha nous embrasse, tout sourire, alors que les filles font une petite révérence polie. Par-derrière,unesilhouettes’approche:c’estAaronSullivan!

–Papy!s’exclamentlespetitesenluicourantdanslesbras.

J’aieuunchoclorsquej’aicomprisilyaquelquesmoisqu’Aaronétaittoujoursenvie.Ilhabitedésormaisàl’étranger,etc’estlapremièrefoisquejelevois,ànotreépoque,en2016.QuandJimmynousademandésisesparentspouvaientvenirànotremariagepours’occuperdespetites,avecMaxnousn’avonspashésitéuneseconde.JesuisàlafoisimpressionnéeetémuedemeretrouverdevantAaron. Il nous présente ses félicitations de son air tendre et délicat. Mais il a un tressaillementlorsqu’ilserrelamaindeMax.Quelquechosepassedansleursyeux,unelueurindescriptible.

–Nevousaurais-jepasdéjàrencontré?ditAarond’untonincertain.Ilyabienlongtemps…Maisnon,c’estimpossible.

–Lavieestpleinedemystères,n’est-cepas?luirépondMaxdemanièresibylline.–Vousme rappelez quelqu’un, continue le vieil homme.Quelqu’un de grande valeur, qui a su

autrefoism’aider à sortir la tête de l’eau alors que je vivais un drame.Cet homme, je lui serai à

jamaisredevable.–Jesuiscertainquecethommevousentend,delàoùilest,ditMaxsanssetrahir.–J’espèrequevousavezraison,ditAaronenplissantlesyeuxmalicieusement.

Maxetmoinousregardons:est-ilpossiblequ’Aaronaitdeviné?Jehausselesépaules.Aprèstout,pourquoipas?

Àcôtéd’AaronsetrouveOrnella,sonépouse.Sadeuxièmefemme,biensûr.

–Enchantée,fait-elled’untonsimpleetdistingué.

Unsoir,alorsquenousprenionsunverreafterworkavecJimmyaubardurooftop,ilnousalivréquelques confidences familiales.Aaron avait en fait étémarié unepremière fois, avait-il expliqué,avecunejeunefemmedunomdeBetty,quiavaitfiniàl’asile.Unefoisledivorceprononcé,Ornellaestapparuedanslavied’Aaron,etilsonteutroisenfantsensemble:Jimmy,NigeletSam.Ehoui,danscettevie,Bettyn’estpluslamèredesenfantsd’Aaron!

Nouslesquittonspolimentetsaluonstoutàtourlesautrescadresd’Emerson&Greenquenousapprécions,puisquelquescousinséloignésqu’ilesttoujoursunejoiederevoir.

Soudain,untintementdeclochesefaitentendre.C’estl’annoncedudébutdelacérémonie.Toutlemondesepressepours’installersurlesbancsdeferforgédisposéssurlegazon.Lamusiqueretentit,etlepasteurnousattend,l’airdouxetpaternel,deboutsurlapetiteestrade.

Maxetmoinousavançonsvers l’autel, lecœurbattant.Lesregardssont tous tournésversnous.C’estcemoment-làquej’aimeraisgardergravéàjamaisdansmamémoire:Maxetmoimarchantversnotrefuturcommun.

–EmilyLouiseGreen, acceptez-vousdeprendrepour épouxMax JamesEmerson ici présent ?demandel’hommed’Égliseaprèssondiscourstraditionnel.

–Oui,jeleveux.–MaxJamesEmerson,acceptez-vousdeprendrepourépouseEmilyLouiseGreeniciprésente?–Oui,jeleveux.–Vouspouvezembrasserlamariée!s’exclame-t-ilgaiement.

Nos lèvres se rejoignent. Mon cœur explose. Je suis submergée par une vague scintillante etmoelleuse.L’amournousprendetnousétreintfort.Cebaiserestdonclepremierdurestedemavie.Celui qui scelle la fin d’une histoire et le commencement d’une autre… à suivre. Avons-nous euraisondudestin,ouest-celuiquifinalementaeuraisondenous?Carn’était-ilpastoutnaturelqu’aufinalnousnousretrouvionsensemble,«âmessœurs»quenoussommes?

Combienexiste-t-ildeviesparallèlesauxquellesnousavonséchappé?!

Cettepenséemehantesouventdepuisquej’aivécutoutescesaventurestemporelles,maistrèsvite,jemerappelle laplus importante leçonque j’aiapprise : la seulesecondequicompteestcellequipassemaintenant.

–D’ailleurs,peut-êtrequecettesecondeestlemeilleurmomentpourl’annonce?meglisseMax.

Lit-ildansmespensées?

Jeregardemamèreetmesamies,etavecungrandsourire,jemecaresseleventredansungesteonnepeutplusclair.

J’ail’impressionquemamèrevatomberdanslespommes!

Maxsepencheversmonoreilleetmechuchote:

–Sic’estungarçon…–Nousl’appelleronsDonald,luiréponds-jedansunsouffle.

FIN.

Egalementdisponible:

Insupportable...maisàtomber!

Noran’aque24ansmaissesgrands-parentsluiontdéjàconfiélaresponsabilitédeleurhôtelnew-yorkais.Àlatêted’unétablissementaussiprestigieuxquedélabré,ellesebatentrelesclientscapricieuxetlesfacturesàpayer.Riendebienexcitantjusqu’aujouroùellerencontreNeilCaine,LEdesignerquetoutlemondes’arrachepoursacréativité…maisdonttoutlemonderedoutelesfrasques!Leurrelationserapleinedesurprises,depassion...etdetensionsentousgenres.

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«Toutereprésentationoureproductionintégrale,oupartielle,faitesansleconsentementdel’auteurou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1er de l’article L. 122-4). Cettereprésentationoureproduction,parquelqueprocédéquecesoit,constitueraitdoncunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticles425etsuivantsduCodepénal.»

©EDISOURCE,100ruePetit,75019Paris

Juin2016

ISBN9791025731611

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