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EmmaM.Green

JEUXINSOLENTS

Volume1

zliv_001

1.«Knockin’onHeaven’sDoor»

Leventagitedoucementlespalmiers,maisl’airestlourd.Ilfautcroirequ’enpresquesixans,j’airéussiàoublierlachaleurécrasantequirègnesurcetteîledusuddelaFloride.J’attachemescheveuxen un chignon approximatif etm’évente comme je peux avec la feuille de papier sur laquelle j’aigribouillédesébauchesdediscours.Àforcedeserrerlesdents,jerisquedem’enuserquelques-unes.Maisparfois,ilfautsavoirdonnerdesapersonne.C’estluiquimel’aappris.

Maintenu dans les airs par quatre hommes baraqués, l’imposant cercueil en pin massif nousdevancedequelquesmètres.Jelesuiscommeunrobot,enjetantparfoisunregardàdroite,unregardàgauche.

Quedesgueulesd’enterrement…

Unsourire traversesoudainmes lèvres lorsquemesyeux seposent sur la statue immaculéequisemblesortirdeterre,unpeuplusloin.Unangequipleure,çan’apourtantrienderéjouissant.MaisKeyWestn’estpasunendroit comme les autres.Soncimetière, situé aucœurde lavieilleville, aquelquechosedemagique.Fascinant.Commesi,sousterre,lesdéfuntsétaiententraindetrinqueràleursbellesetjoyeusesexistences,plutôtquepourriretdevenirpoussière.

En cematin d’avril,mon père s’apprête à les rejoindre pour s’envoyer des slushies en fumantclope sur clope. Là où il se trouve, il arbore probablement son sourire canaille, pose son regardespiègle sur moi et se moque de ma robe noire bien trop stricte et déprimante. Cette image mefendillelecœur.Unelarmecoulesurmajoue,Betty-Suel’essuieduboutdesonmouchoirparfuméàlalavande.Elleaussiarevêtuunerobenoire,maisl’aaccompagnéed’unénormechapeaurougevifsurmontédepicots.Elleaunpeul’airdéguisée,maissurlechemin,ellem’aexpliquéqueçavoulaitdire:«SaloperiedeBonDieu!Situviensmecherchermoiaussi,jesuisprêteàterecevoir!»

–Jen’arrivepasàcroirequeçafaithuitjoursqu’ilestparti…,murmuré-jeenavançantsurl’alléedegravier.

Magrand-mèreserreunpeuplusfortmamaindanslasienneetlecortègecontinuesonavancée,jusqu’àatteindrelaparcelledeterreoùCraigestsurlepointd’êtreinhumé.

Putain.Jenesuisdoncpasentrainderêver.Ilsvontvraimentl’enterrer.

Jenereverraiplusjamaismonpère.

Des sanglots incontrôlables s’emparent demoi, je neparviensplus à respirer etme laisse allercontreBetty-Sue,elle-mêmeenlarmes.MaiscesontlesbrasdeRoméoRivera,l’ancienbrasdroitdemonpèreàl’agenceimmobilière,quis’enroulentinstantanémentautourdemoipourm’empêcherdem’écrouler.Latristesse, l’injustice, laviolencedecettesituationmedonnentenviedehurler, toutà

coup,mais jeme contente de gémir dans son cou. Perdre celui qui vous a tout donné, celui qui atoujoursétélà,contreventsetmarées,c’estinexplicable.Indéfinissable.Çafaitbientropmal.

Ilyasixans,nousavonsquitté laFloridepourrentrerenFrance.Sixannéespendant lesquellesj’ai vécu en tête-à-tête avecmon père, à Paris, travaillé avec lui pour apprendre lemétier d’agentimmobilieretprendresasuite,unjour.Betty-Sue,elle,estrestéeàKeyWesttoutcetemps,mêmesielle venait nous rendre visite de temps en temps, surtout vers la fin, quand son fils partait. Noussommestouteslesdeuxderetourici,désormais.Maissanslui.

Monpèreestmortle12avril,dessuitesd’unlongetaffreuxcancerquiauraeusavie,maispassadignité. Il s’est battu comme un lion pendant plusieurs années, tentant de faire fuir le mal quigrignotaitsespoumons.J’étaisàsescôtéschaquejour,lesbonscommelesmauvais.Onaconnudesmoments d’accalmie lorsque la maladie le laissait souffler, seulement quelques jours, quelquesheures,mais ces parenthèses inespérées étaient toujours suivies d’un retour brutal à la réalité.Lestraitementslourds,leseffetssecondaires,lesappelsauSAMU,lesnuitssanssommeil,leschambresd’hôpital,lesminesdéprimantesdesspécialistes,leursdiscoursalarmistes,lamaigreurdeCraig,lefeuquis’éteignaitdanssesyeux.

Cen’étaitpastoujoursbeauàvoir,maisjedevaism’accrocher.Sourire,coûtequecoûte,pourlui.Depuismonfauteuilensimilicuirvertamande,jeremontaissondrappourqu’iln’aitpasfroidetjeluicaressaislebras,pendantdesheures,envérifiantquetoutessesperfusionsluiapportaientlaforcedontilavaitbesoin.Sij’avaispuluidonnerunboutdemoi,jel’auraisfait,parcequeriendecequiétaitmisenplace–aucuntraitement,aucunprotocole–nesemblaitfonctionner.

Monpère,quinecroyaitenrien,atentéd’ycroirejusqu’aubout.Bornéetcourageux,ilrefusaitdemecommuniquersescraintes,sesangoisses.Alors,j’aifaitensorted’êtresonroc.J’yaicruaveclui, pour lui, jusqu’à l’instant où j’ai compris que, s’il niait l’évidence, c’était pourmoi. Pourmeprotéger.Ilmepensaitsûrementtropfragile,aprèscequej’avaisdéjàenduré.QuitterlaFloride.Mavied’avant.Celuiquej’aimais.Maisenrefusantd’accepterl’inévitable,monpèren’étaitpasenpaix.Alors,sanssavoirqu’iln’avaitplusqu’unedizainedejoursàvivre,j’aidonnélefeuvertàBetty-Sue.Sans savoirquemon timingétaitparfait, j’ai annoncéàmagrand-mèrequ’il était tempsde sauterdansunavionpourvenirdireadieuàsonfils.Sonseulenfant.Monseulparent.Etjen’aipasencorevingt-cinqans.

Dansunsens,ons’estretrouvéesunpeuorphelines,touteslesdeux…

Etensouhaitantêtreenterrélà,sursaterrenatale,ilm’aramenéechezmoi.

Mamère n’a jamais vraiment voulu demoi. Lorsqu’elle a quittémon père, deux ans aprèsmanaissance,ellem’aquittéeaveclui.Apparemment,ilétaitinconcevablequ’ellegâcheunepartiedesavieàmeregardergrandir,àm’éduquer,àmechérir.AlorsCraigafaittoutleboulot,sansjamaisseplaindre.Ilétaittoutcedontj’avaisbesoin.Avecunpèrecommelui,jen’aijamaismanquéderien.

LavoixdeBobDylans’élèvedanslesairsavantqueleprêtreàl’accentcubainaiteuletempsdedirequoiquece soit. Jequitte l’épaule réconfortantedeRoméoet reprendsmaplaceauxcôtésdeBetty-Sue, face au trou creusédans le sol.Autour denous, une centainedepersonnesme sourient

tristementlorsquejememetsàchanterd’unevoixcassée,enfixantl’horizon.

–Knock,knock,knockin’onheaven’sdoor…«Toc,toc,toc,auxportesduparadis…»

Deplusenplusdevoixmerejoignent,enparticuliercellesdenoscollèguesdelaLuxuryHomesCompany. Janice chante un peu trop fort, un peu trop faux, mais ses yeux remplis de larmes metouchentprofondément.Pareilpourtoutel’équipequia faitprospérer l’agence immobilièredepuisnotredépart.MonpèrecontinuaitàlagérerdepuisParis,avecRoméoennumérodeux,présentsurleterrain.Jen’aiprislarelève,àdistance,quequandmonpèreestdevenutropmaladepourtravailler.Aujourd’hui,jesuisderetourpourdebon.Danslemêmebateauqu’eux.Maiscettefois,jesuisauxcommandes.Ensixans,j’aiapprispresquetoutcequ’ilyaàapprendredansnotreagenceparisienne,dont j’ai confié les rênes à une personne de confiance. Ici, un bureau avec une vue imprenablem’attend.

CraigSawyeratoujourstoutprévu…

Encoremaintenant,ilveillesurmoi.

Lachansonprendfinet lesilence teintéd’émotionmeserreànouveaulecœur.Je jetteuncoupd’œilaucaveau,pourl’instantvide,puisaucercueilquis’apprêteàdescendresousterre.S’ilavaitétélà,àmescôtés,monpèreauraittrouvéunepetitevacherieàmesouffler,justepourmeredonnerlesourire.Maisaujourd’hui,c’estbeletbienluiqu’onenterre.

–Aucuned’ellesn’estlà,grommelleBetty-Sueenobservantl’assemblée.Ça,poursefairepasserlabagueaudoigt,yavaitdumonde,maispour…

–C’estmieuxcommeça,murmuré-jeen luiprenant lamain.Sesex-femmesl’ontsuffisammentemmerdé,jecrois.

Sapeauestétonnammentfroidecomparéeàlamienne,samaintremblecontremapaumeetjelaserredoucementpourrappeleràBetty-Suequ’ellen’estpasseule.

–Unemèreestcenséemouriravantsonenfant,souffle-t-elledouloureusement.–Jesuisencorelà,moi.J’aiencorebesoindetoi.–OhLiv…

Difficilederespirertellementmagrand-mèrem’écrasecontreelle.Jecouine,sanssavoirsijerisoujepleure,puismedétached’ellelorsqueleprêtrecommencesondiscours.

Ledernieradieu.

Jenesuispasprête…

Je vois la bouche de l’homme en soutane semouvoir, mais aucunmot, aucun son ne parvientjusqu’àmesoreilles.Moncorpsestlà,maismonesprits’estfaitlamalle.Jeneveuxpasentendrequemonpèren’estplusqu’unmerveilleuxsouvenir.Qu’ilparcourt sonderniervoyage.Que toutesonexistence,toutl’amourqu’ilm’aporté,toussescombats,toussesaccomplissementssontdésormais

enfermésdansuneboîte.

–CraigSawyern’estpaslà-dedans.Pasvraiment,dis-jesoudain,àvoixhauteetsuffisammentfortpourqueleprêtres’interrompe.

Touslesregardssetournentànouveauversmoi,jelesens.Roméoposeunemainsurmonépaule,pensantprobablementquejedélire,jeluisourisetrepoussesongeste.Jenesuispasunepetitechosequ’ilfautàtoutprixsecourir.Jen’aipasbesoindeprendreunepetitepilulequifaitdormir.Jesuiscapable de m’exprimer sans m’effondrer. Alors je laisse les mots affluer, en me rapprochant ducercueil.

–Monpèrenenousapasattendus!Oùqu’ilsoit,Craigestdéjàentraindevivresadeuxièmevie!Cettecérémonie,ildiraitprobablementquec’estunepertedetemps.Qu’ilamieuxàfairequenousvoirpleurnicherfaceàsaphotoencadrée–qu’iltrouveraitprobablementhideusesionluidemandait.Non,lui,ilcourtdéjàdanstouslessens,ilfumeunementhol,ilachèteunepropriétépourlarevendreàprixd’or,ilfaitlacouràunefemmeenchantantduBobDylanetelleveutdéjàl’épouser.

Quelques rires fusent çà et là, Betty-Sue semble totalement adhérer à ma théorie et ajoute, leslarmesauxyeux:

–Ildanseletangoavecunebrunesublime…etluiécraselepied.

Lesriresreprennent.Etj’enchaîne:

–Ilboitdeslitresetdeslitresdeslushiesfluoetchimiques!

Mêmeleprêtresedéride.

–Ilassassineparsonhumourgrinçant,maisnepeuts’empêcherd’aiderlepremiervenu…Ilsemarreennousvoyantagglutinésici,alorsqu’ilmènelabellevie,souris-je.Etiln’apasbesoinqu’onluirappelleàquelpointonl’aimeetàquelpointilnousmanque.Illesait…

–Iln’oublierajamaissatoutepetite,laprunelledesesyeux,l’amourdesavie,conclutBetty-Sueenmedonnantunpetitcoupd’épaule.

Lesriress’estompent.Leprêtrereprendsacérémonie,faceàdesvisagesunpeumoinsfermés,unpeuplussereins.Des larmescoulentparfois le longdemes joues, jene luttepluspour les retenir.Commemonpèreavantmoi,jedécided’accepter.Pourtrouverlapaix.

Chacun fait ses adieux à samanière, les proches demon père défilent devantmoi etm’offrentparfoisunsourirecompatissant,unegrimacedouloureuseouunclind’œilquiseveutjoyeux,puislecercueilcouvertdefleursdescendlentementdanslecaveau.Jelesuisdistraitementduregard.Monpèreestailleurs.Ilgambadedansuneprairie,suruneplage,n’importeoù,librecommel’air.

Àforcedem’enpersuader,jefiniraiparlecroire.

Jen’ai invitépersonnedemonpassé.D’abord,parceque jen’enaipas ressenti l’envie,ensuite,parcequelalisteauraitétécourte.Trèscourte.Elleseseraitrésuméeàuneseulepersonne,enfait.

Bonnie,monanciennemeilleureamie,divaàlavoixdevelours,quisillonnelesroutesdesÉtats-Unisavecsongroupedegospel.Pourêtrehonnête,çatombaitbienqu’ellesoitàl’autreboutdupays.Dansquelquesjours,seséclatsderiremeferontleplusgrandbien.Aujourd’hui,seslarmesnem’auraientpasaidée.

L’assembléecommenceàs’agiter,leprêtremefaitsignequelacérémonieestterminéeets’avanceversmoi.Priseenflagrantdélitdelâcheté,jelaisseBetty-Sueselecoltineretjeprendslatangente.C’estàcemoment-làquejeleremarque.Àl’ombred’unpalmier,habilléennoirdelatêteauxpieds,TristanQuinnm’observeàdistance. Jecroisesesyeuxbleusperçantsetmoncœurs’arrête…puisredémarre en accéléré.Mes jambesne semblentplus aussi stablesqu’uneminute auparavant. Jeneparvienspasàdécrypterl’expressionsursonvisagefermé,danssonregardintense.Niàcomprendrelesensdesesbrascroiséssursontorse.Choquéeparsaprésence,je lefixed’unairahuripendantune éternité, jusqu’à ce qu’il entrouvre la bouche et que ses pectoraux se soulèvent, comme si luiaussimanquaitd’air.Lesjouesécarlates,jemeretournebrusquementetfixelesol,pourmecalmer.

Onestentraind’enterrermonpère,bordel!

Tristan aurait pu faire partie de l’assemblée, comme tous ceux réunis ici. J’aurais accepté saprésence,conscientede l’amouretdu respectmutuelsque lui etmonpère seportaient. Il était sonbeau-fils,aprèstout.Mondemi-frère.Maisilauraitdûmepréveniretchoisird’êtreparminous,pasd’assisterauspectaclesouscetarbre,ensecret.

C’estlapremièrefoisquejelerevoisaprèssixansd’absence,desilenceet…devide.

Ettoutàcoup,jenesaispluspourquijepleure…

Tristanetmoi,çaacommencépardesétincelles.Monpèreaépousésamèrequandnousavions15ans.Onnesesupportaitpasetonaété forcésdevivresous lemêmetoit,commele frèreet lasœurquenousn’étionspas.Jusqu’aujouroùl’étincelles’est transforméeencoupdefoudre.Nousavions18ans.Etapparemmentpasledroitdenousaimer.Derumeurenrumeur,toutelavilleafaitde notre passion d’adolescents une histoire d’inceste, un amour interdit. On a tenté de résister…Jusqu’audramequiatoutemporté.LepetitfrèredeTristan,Harrison,adisparualorsqu’ilétaitsousnotresurveillance.Ilavait3ans.Ladouleur,lemanqueetlaculpabilitéonteuraisondenous.Tristanm’aimait,mais il adécidédemequitter. Je l’aimais,mais j’ai accepté sonchoix. Je suis rentrée àParisetnosviessesontséparéespourdebon.

Jusqu’àaujourd’hui.

–Liv,leprêtrevoudraittedirequelquesmotsavantquetupartes,m’annoncedoucementRoméoalorsquejesuistoujourstrèsoccupéeàfixermespieds.

–Non,j’aiatteintmeslimites.

Jesèchemeslarmesetquittel’alléedegravier.Jemarchemaintenantdansl’herbeendirectiondelasortie.Mestalonss’enfoncentdanslesol,jeretiremeschaussuresetpressel’allure.Moncollègue–devenumonamimalgrésesseptansdeplusquemoi,ettoujoursauxpetitssoinsdepuismonretour–mesuit sans fairedecommentaires.Roméoest toujours làquand il faut. Iln’en fait jamais trop,

jamaistroppeu.Letrentenairesaitsemontrerdiscret,nemanquenidepatience,nidecompassion.Etjedoisreconnaîtrequejemesensmoinsseuleetmoinsdémunielorsqu’ilestlà.

Un regard en arrière et je constate que le prêtre ne cherche pas à me retenir, trop occupé àrépondreauxquestions–inappropriées,j’ensuissûre–deBetty-Sue.Unregardsurlagauche,etlagrille du cimetière apparaît, preuve quema fuite touche à sa fin. Un regard sur la droite et… jechange d’avis. Tristan est toujours là, immobile, posté sous son arbre, son visage tourné versl’enterrement qui se termine, au loin. J’avais oublié la beauté presque arrogante de son profil, lafinessedesestraits,contrastantaveclaforcequiémanedetoutsoncorps.Etjefoncemaintenantdanssadirection,sanstropsavoirpourquoi,nicequejevaisluidire.

Le bruit demes pas le prévient demon arrivée. Tristanme fixe soudain, intensément. Commeavant.Désormaisassezproche,jepeuxvoirsesyeuxbleusseplisser.

–Liv?Qu’est-ceque…,souffleRoméoderrièremoi.

Ilsembleperplexe,maiscontinuedemesuivre.J’accélèreunpeuplusetarriveenfinàhauteurdeceluiquej’aitantaimé.Celuiquin’estplusmondemi-frère.Plusmonennemi.Plusrien.Letempsafaitsonœuvre.Iln’aplus18ansmais25.Etnousnesommesplusliés.Entoutcas,pasparlesliensde lafamille.Jemeplantedevant lui,sixansaprès,piedsnuset lecœurenmiettes…maisriennesort.Pasunfoutumot.Jelecontemplebêtement,jemenoiedanssesyeux,partagéeentrelatristesse,lacolèreet…l’effetqueluiseulmefait.Tristanresteparfaitementimmobile,àunmètredemoi.Ilsemble promener son regard sur chaque recoin demon visage, puis lâche doucement de sa voixrauque,enenfonçantlesmainsdanssespoches:

–Çava?–Questiondébile.

Cette réponsem’aéchappé.Évidemmentqu’ilnesaitpasquoimedire : jeviensdeperdremonpèreetc’estaujourd’huiquejeluidisadieu.

–Toujoursaussisympa,Sawyer.–Toujoursaussiperspicace,Quinn.

Unflotd’émotionscontradictoiressedéverseenmoi.Rire,pleurer,hurler,l’embrasser,legifler,meserrercontresontorse,meloverdanssesbras…Jenesaisplusquoifaire.Niquoipenser.J’aiquitté un adolescent qui faisait plus vieux que son âge et dont la beauté solaire me fascinait. Il atoujours cette peau hâlée, ces yeux bleus brillants, ces cheveux d’un châtain lumineux, en bataille,qu’on a encore plus envie de décoiffer.Mais c’est un homme que je retrouve. Sa carrure est plusimpressionnanteencore,savoixplusgrave,sonassurancedésarmante.Etaufonddesonregard,lalueurn’estpluslamême.Ellerespirelavirilité,lafougue,lemystère,unsex-appealpresqueanimal.

–Tongardeducorpsm’ajugédangereux?

Je me retourne et comprends qu’il fait allusion à la présence de Roméo, qui s’est éloigné dequelquespaspournousoctroyerunpeud’intimité.

–Tucroisvraimentquej’aipeurdetoi,Tristan?

Monadversairesoupire,passelamaindanssescheveuxendésordre–unpeupluslongsquedansmessouvenirs–,puis regarde la tombedemonpère,au loin.Sesyeuxs’emplissentsoudaind’uneinfinietristesse.

–Tuauraisdûmedirequetucomptaisvenir,murmuré-je.Tuavaistaplaceici,maispascommeça.

–Onn’ajamaissubienfaireleschoses,toietmoi.–Peuimporte.Monpèreétaittoujoursdenotrecôté.Detoncôté…–C’étaituntypebien,admet-il.D’ailleurs,ilestenterrétoutprèsdemonpère,cen’estpaspour

rien…

Ilseraclelagorgeetsesyeuxazurs’éloignentverslatombedeLawrenceQuinn.Sonpèreàlui,disparuonzeansplustôt.Luinonplusn’aplusdepilieret luiaussiensouffrechaquejour.Faceàmoi, tendu et pensif, Tristan me paraît immense, tout à coup. Son regard reste fixe, intense,indéchiffrable. J’enprofitepour l’observerplusendétail.Ensixannées,deschosesont forcémentchangé.Depetitsdétailsquin’ensontpaspourmoi.

Ses yeuxbleusmeparaissent plus foncés qu’avant, comme si les épreuves de la vie les avaientnoircis.Sesépaulesmesemblentpluslarges,sesbrasplusmusclés.Sapeaubronzéecontrasteavecsontee-shirtetsonjeannoirs,luiquineportaitpresquequedesbermudasetdestee-shirtscolorés.Sursonavant-bras–àl’intérieur,làoùlapeauestfineetsidouce–,jeremarquelaprésenced’untatouage.Tristans’enrendcompteetnemelaissepasletempsdel’étudier.Ilremetsamaindanssapocheetjugenécessairedepréciser:

–JesuisvenupourCraig,Liv.–Jen’aijamaispensélecontraire.–Jenevoulaispasquetucroies…–Çafaitsixansquejen’espèreplusrien,Quinn.–Alorstoutvabien.

Saremarquem’atterre,maispasautantquelui.Réalisantcequ’ilvientdedire,ilsecouelatêteenfermantlesyeux.

–Liv…–«Toutvabien»?Jeviensd’enterrermonpèreTristan,soufflé-je,leslarmesauxyeux.–Jesais,jesuisdésolé.Jenevoulaispas…–Laissetomber.

Je lui jette un dernier regard, comme si, malgré ma colère, j’avais peur de ne plus jamais lerevoir, puis fais volte-face pour prendre à nouveau la direction du grand portail. M’enfuir d’ici.Immédiatement.C’estvital.

Roméo a anticipé mon départ et il m’attend déjà au volant d’une berline garée à la sortie ducimetière,prêtàmeramenerchezmoi.

Ouplutôt,chezBetty-Sue…

Lebitumemebrûlelespieds,jemontedanslevéhiculeetclaquelaportièrederrièremoi.

–Jevaisattendremagrand-mère,Roméo.–Non,onrentre.Jetedéposeetjerevienslachercher.–Jeneveuxpaslalaisserseule!–Elleestoccupée,c’estellequim’afaitsignedeteraccompagner,insiste-t-il.

Monchevalierservantattachemaceintureàmaplace.Jesuis tropdistraitepourlefaire,perduedansmespensées, rempliesdemonpère et deTristan.Quand j’y réfléchis, je croisquemonpèreseraitheureuxdesavoirquesonenterrementaétélelieudemesretrouvaillesavec…monpremieramour.

Oui,CraigSawyerétaitunhommeàpart.

– Je ne savais pas si je devais te laisser seule avec lui, s’excuse soudain Roméo. Tristan a étécorrect?

–Non.Etmoinonplus.J’imaginequ’onn’apasvraimentchangé,finalement.

Unesortedegrognements’échappedelagorgedemonvoisin.Jemetourneversluietl’interrogeduregard.

–TristanQuinnaplusquechangé,Liv.Ils’esttransformé.–Commentça?–C’étaitungaminunpeurebelleàl’époque,maisrienàvoiraveccequ’ilestdevenu.–Quoi?Unmectatoué?MonDieu,appelezlapolice!–Jen’exagèrepas.Ilestdevenutellementsolitairequ’ilpassepresquepourunsauvage.Quandil

sort,ilboittrop,ilsebatetfinitaupostedepolice.Ilcollectionnelesfilles,etpaslesplussages.Etilchercheencoresonfrère…quitteàremuerlapoussièreetàsefairedesennemis.

Harry…

–Commentest-cequetusaistoutça,toi?–Tuasoublié?Onvitsuruneîle,toutsesait,ici.Etpuismalgrélesannées,ladisparitiond’Harry

estencoredans toutes lespensées.Lesgenssontcurieuxdesavoircequedevientsongrandfrère,pourquoiilfaittantparlerdelui…

Mes pensées replongent six ans en arrière. La nuit de la disparition. Le chaos. Le malheur.Harrison, le petit frère de Tristan, n’a toujours pas été retrouvé depuis. Kidnapping ? Accident ?Meurtre?Uneseulechoseestsûre:soncorpsn’ajamaisrefaitsurfaceetaucunepisten’apurelancerl’enquête. Malgré le temps qui passe, la douleur reste intacte. Difficile de repenser à ce petitbonhommede3ans,hautcommetroispommes,timide,affectueux,intelligent,quimefaisaitcraquer.Sadisparitionnousatoustraumatisés,maisc’estTristanquiensouffreleplus,encoreaujourd’hui.

–Siennas’estremariée,tusais?

LamèredeTristan,quiétaitaccessoirementmabelle-mèreiln’yapassilongtemps.Etquis’estdégotéeMari-Numéro-TroisquelquesmoisseulementaprèsnotredépartdeKeyWest.

–Oui, j’aicrucomprendre…Betty-Suenous tenaitaucourant,papaetmoi.Elles’est trouvéunmecdelahaute,apparemment.

– Un businessman proche du maire, qui joue au politicien, acquiesce Roméo en réglant laclimatisation.

–Ilsonteuunenfant,c’estça?–Oui,unpetitgarçon.Ildoitavoirdansles5ans.

SiennaLombardi,plusrapidequesonombre…

–CequifaitdeTristanungrandfrère.Ànouveau…

Roméo hausse les épaules et regarde la route, comme si ma dernière remarque était sansimportance.Ilnesaitpas,lui,àquelpointTristanaimaitHarry.Àquelpointlesdeuxfrèresétaientfusionnels.Àquelpointilsesentcoupabledesadisparition.

Sadisparitionquiabrisénotrehistoire…

–Noussommesarrivés,missSawyer,mesouritcourtoisementmonchauffeurdujour.

Jeréaliseque levéhiculeestà l’arrêtdepuisde longuesminutes,devant lapetitebicoquedemagrand-mère.JeremercieRoméo,enfilemeschaussures,sorspéniblementdelavoitureetm’éloigneavecunpetitsignedelamain.Maislebeaubrunàlapeaumaten’enapasfiniavecmoi.Ildescendsavitreetmelance:

–JevaischercherBetty-Sueetjereviens.–Mercipourtoutcequetuasfaitpourmoi,Roméo.Maisjevoudraisêtreunpeuseule.–Jecomprends.Maisn’oubliepasquej’aifaitlapromesseàtonpèredeveillersurtoi.Tusaisqui

appelerencasdebesoin,Liv.–Là,toutdesuite,c’estluidontj’aibesoin…,murmuré-jepourmoi-même.

Lafilleàpapaorpheline:uncomble.

Magrand-mèreaconfiétoutesaménagerieàuneassociation–quiaacceptéderecueillirchiens,chats, cochons, chèvres et pélicans, le temps qu’elle s’occupe du reste, c’est-à-dire de moi,principalement,etdetouteslesformalitésaprèslamortdesonfils.Jeretrouvedoncunemaisonvideetterriblementsilencieuse.

–Résumonslasituation,dis-jeàvoixhauteenfixantlaphotodemonpèreaccrochéeaumur.Jeviensde t’enterrer. J’aiperduunepartdemoi,monpilier,monmeilleurami,monconfident,monprotecteur.Celuiavecquijevisentête-à-têtedepuisprèsdevingt-cinqans.

Unelarmecreuseunsillonsurmajoue,jelalaissecouleretcontinuemonintrospection:

–Jeviensderecroisermonpremieramour.Quejen’aijamaisréussiàoublier.Maisquejedois

fuir à tout prix. Et qui est apparemment devenu plus torturé que moi. Alors ? Je fais quoi,maintenant?Papa,réponds-moi…

Quelqu’un?Unesolution?Unremède?

Uneputaind’idéepourmesortirdeceputaindecauchemar?!

2.Unhéritageempoisonné

Jesavaisqu’ilseraitunjouroul’autrequestiond’héritage.Maisjenepensaispasrecevoircetteconvocationchezlenotairesitôt.Pasunesemaineaprèsl’enterrementdemonpère.Depuiscejour,je n’ai rien fait d’autre que travailler : rencontrer les nouveaux employés, retrouver les anciens –Ellen, Janice, Roméo –, mettre le nez dans les comptes, organiser des réunions, reprendre mesmarquesàl’agence,puislafairetourneràpleinrégime,commedutempsdeCraigSawyer.Cessixdernièresannées,j’aitravailléàsescôtés,àParis.C’estl’unedesescollèguesetamies,unefemmede confiance, qui a repris les rênes de l’agence parisienne. En revenant m’installer à Key West,définitivement,jesavaisquelaLuxuryHomesCompanym’attendait.Maisjen’aiencorejamaisjouélespatronnes.C’estunrôlequ’ilfautquej’apprennesurleterrain.Alorsj’aibosséquinzeheuresparjour, cette semaine, comme mon père, jusqu’à tout oublier. Me noyer dans le boulot est la seulesolutionquej’aitrouvéepournepaspenser,niàmonchagrinniàmacolère,niàpapaniàTristanQuinn.

Cedernierneleméritepas.

Aujourd’hui, j’ai rendez-vous chez le notaire.Ma grand-mèrem’accompagne jusqu’au seuil del’étude, mais pas plus loin, car elle n’a pas été convoquée, ce que je n’arrive toujours pas àcomprendre.

–Jenecomprendspas…–J’aiditàtonpèrequejenevoulaisrien!Etpourunefoisdanssavie,ilm’aécoutée!–Maispourquoituasfaitça,Betty-Sue?–Parcequej’ai83ans,quemaviemeplaîtcommeelleestetquejen’aiplusbesoinderien.Toi,

tuasencoretoutàconstruire.

J’aiunchocenentendantsonâge.Jeleconnais,biensûr,maiscetteforcedelanaturemelefaittoujoursoublier.Betty-Sue,avecseslongscheveuxgrisondulés,sesmilliersdebijouxfantaisie,sesrobes bohèmes et colorées, son regard bleu pétillant parsemé de rides rieuses et son inépuisableénergie,faitbiendixouquinzeansdemoins.Maisjeréalisequ’elleneserapaséternellementàmescôtés,ellenonplus.Etmesyeuxs’emplissentdelarmesenrepensantàlafragilitédelavie,àcelledemonpèredéjàfinie,à…

– Haut les cœurs, Livvy chérie ! C’est juste un bout de papier à signer. Quelques meubles etquelqueszérossurunchèquepourbiendémarrerdanslavie.

–Onauraitquandmêmepupartager,dis-jed’unepetitevoix.–Non,tuétaisabsolumenttoutpourlui.C’estnormalquetuaiestout!Etjeviensdeperdremon

fils unique, je ne vais pas en plusme retrouver avec une petite-fille sans le sou ! essaie-t-elle deplaisanter.

–Tucroisqu’ilafaituntestament?Onneparlaitjamaisdeceschoses-là.

–Iln’avaitquetoi,Liv.Àquid’autreilpourraitavoirenviedetransmettrequelquechose?–Tuoubliessesdeuxex-femmes.–Tuveuxdirelasorcièreetlapimbêchequin’ontmêmepasdaignéveniràsesfunérailles?–Pasfaux…–S’illeuralaisséquelquechose,ellesdevrontmepassersurlecorpspourlerécupérer!–Moiaussi,jen’aiplusquetoi,Betty-Sue…Alorsonvaessayerdepréservertoncorpsdemémé

encorequelquesannées.–N’hésitepasàm’insulter,surtout.–Àtonservice,grand-mère.

Elleme rendmon sourire etme pince tendrement la joue comme si j’avais 5 ans. J’ai beau enavoirpresquevingtdeplus,saprésencemefaitdubien.Iln’yaqu’ellepourrendreunmomenttristeaussiléger.Iln’yaqueBetty-Suepourmettredelavielàoùlamortatoutravagé.

Jerentrechezcenotaireavecunpeumoinsdechagrin,unpeuplusdesérénité.Enfinça,c’étaitjusqu’à ce que je le voie. Jean brut, chemise gris foncé, manches retroussées qui laissent encoreapparaître le tatouageindéchiffrableà l’intérieurdesonavant-bras.Et toujourscevisagegrave,ceregardintense,difficileàsoutenir.C’estladeuxièmefoisquejelecroise,etjenesaistoujourspass’ilm’al’airinsolent,tristeouterriblementsexy.

Àmoinsquecenesoitlestroisàlafois.

–Qu’est-cequetufouslà?!–Bonjouràtoiaussi,Sawyer.–Quinn,jeneplaisantepas.–Tum’asvusourire?–Non,maistoi,jet’aiassezvucommeça.

Un homme se racle la gorge derrière nous et fait redescendre la tension aussi vite qu’elle estmontée.SoncostumegrisclairentredansmonchampdevisionetmeforceàquitterdesyeuxTristanetsonairprovocant.

–Veuillezmesuivre,s’ilvousplaît.–Moiaussi?!–Luiaussi?!

Tristanetmoiavonsposélamêmequestionenmêmetemps.Pourtant,lenouveauregardquenouséchangeonsn’ariendecomplice.Lasymétriedenosphrasesnousagaceautant l’unquel’autre.Etnousentronsentraînantdespiedsdansunbureauvieillotquisentlecuiretlepapier.Lesdeuxchaisesen bois sur lesquelles nous nous asseyons sont proches. Très proches. Mais nos corps, eux, sepenchentnaturellementsurlecôtépouréviterd’avoirànoustoucher.Oujustenousfrôler.

–DouglasWest,jesuislenotairechoisiparMrSawyerpourexécutersontestament.

Doncmonpèreenafaitun…

–Nousavionsl’habitudedetravaillerensemblepourlaLuxuryHomesCompany.

Çan’expliquetoujourspascequeTristanfaitici…

–Écoutez,MrWest,résonnesavoixgrave.Jen’aiaucuneidéedecequejefaislà.Jeferaismieuxdem’enaller…

Ilvacontinueràfaireçalongtemps?Direoupenserlamêmechosequemoiaumêmemoment?

–VousaveztouslesdeuxreçucetteconvocationcarvosdeuxnomsfigurentdansletestamentdeMrSawyer.

–Vousplaisantez?!–C’estuneblague?!–Vousdevezvoustromper!–Vousdevez…–Arrêtederépétercequejedis!–Maisc’esttoiqui…–Putain!–Faischier.

Sixannéesontpassé,onapeut-êtretouslesdeuxmûridansnotrecoin,maisensemble,onseparletoujours commedes gamins. J’ai l’étrange impression qu’on s’est quittés hier.C’est comme si onétaitincapables,l’unavecl’autre,desecomporterautrementquecommedesadolescents.Çam’irriteautantqueçamefascine.Etmoncœursemetàbattrebientropvite.Jenesaispassic’estdesavoirquemonpèrea léguéquelquechoseàTristanou juste saprésenceàmescôtésquim’énerveà cepoint.Entoutcas,rienn’achangé:onnesaittoujourspascommuniquer.

–Miss Sawyer, poursuit l’homme au costume gris, gêné par notre échangemusclé, votre pèrevousalaissél’intégralitédesesbiens,quenousdétailleronsensembledansunsecondtemps.Tous,àl’exceptiondelademeuresituéeau1019,EatonStreet.

–Quoi?!Maisc’estmamaisond’enfance!Ilnevaquandmêmepas…?–Arrêtedehurler,Sawyer,jen’airiendemandé!–Laferme,Quinn!dis-jeencriantencoreplusfort.

Lenotairenouslaissefinir,s’enfonceunpeuplusdanssonfauteuilencuiretdesserrelégèrementsacravate,l’airdedire«Onenapourunmomentaveccesdeux-là,jevaismemettreàl’aise».

–Jepeuxcontinuer?nousdemande-t-ilaprèsquelquessecondesdesilence.–Oui,désolée.–Allez-y.–MrSawyervousadoncléguélavillaàtouslesdeux,pourmoitié.Jevaismaintenantvouslire

sessouhaitstelsqu’ilssontécritssursontestament:«Cettemaisonestcelleoùtuasenpartiegrandi,Liv.CellequinousaaccueillisquandnoussommesarrivésenFloride,notrepetitparadis.Jenel’aijamaisvendue,mêmequandnoussommesalléshabiterchezSienna,etDieusaitsitum’enasvouludequitter cet endroit. Je ne l’ai pas vendue non plus quand nous sommes retournés vivre à Paris. Jesavais,aufonddemoi,quecen’étaitpasunadieu.Quetufiniraisparrevenirici.Cettemaison,Liv,jelagardaispourtoi,unjour,etj’espèrequetuvoudrasyvivreànouveau.Nousyavonsbeaucoupde

souvenirs,touslesdeux.Maisilesttempsquetuencréesd’autres,lestiens.»

Malgré le tonmonocorde du notaire, j’entends la voix demon père et l’émotionme gagne. Jedevine son sourire, son regard bienveillant. Je ressens tout l’amour qu’il me portait, comme unevaguechaudeetenveloppante,j’ail’impressiondesentirsaprésenceànouveau.

Etsonabsencen’enestquepluscruelle.

Jemepencheenavant,surmachaiseinconfortable,posemescoudessurmesgenouxettentedecachermeslarmesderrièremesmains.MaisjesenslapaumedeTristanseglisserdoucementdansmondos,prèsdes reins.Etcecontactm’électrise. Jesursaute. J’essuiemonvisageetmeredresse,surprised’untelgeste.Jenesaispascommentleprendre.Maisilretiresamainetcroisesesbrassursapoitrine.Nousfixonstouslesdeuxlenotaireetsacravatedetraverspourlesupplierdecontinuer.Etdebrisercesilencepesant.

–LetestamentdeMrSawyersepoursuitcommececi,dit-ilaprèss’êtreencoreraclélagorge:«Tristan, jevoulaisaussi te laisserquelquechose.Tun’espasmonfils,mais tuasbeaucoupcomptépourmoi.EtpourLiv, évidemment. J’aipenséque lameilleure solution seraitquevouscohabitiez,tous les deux, dans cette maison, avant de décider quoi en faire. Ensuite, si vous le voulez, vouspourrezrachetervospartsoudéciderdevendre.Maisj’espèresincèrementqueçan’arriverapas.Jevousdonneuneannée.Jepensequeceseranécessairepourdeuxpersonnesaussibornéesquevous.Pendantunan, lepremierniveau t’appartiendra,Tristan, et le secondseraà toi,Liv.Vouspourrezpartagerlespiècescommunes–cuisine,salon,ainsiquelejardinetlapiscine,biensûr.Faites-enbonusage.Nevousengueulezpastrop.Etessayezd’êtreheureux.C’esttoutcequejesouhaite.»

Cravate-de-Traverssetait.Iltasseetrangesesfeuillesdevantluicommepournoussignifierqu’ilafini.Etqu’ilattenduneréaction.

–C’esthorsdequestion,soufflé-jeenfin.–…–Pourquoitunedisrien?–…–Tristan,c’estmaintenantquetudoisdirelamêmechosequemoi!

Jenesaispass’ilestému,sonné,maisàencroiresafossettecreuséedanssajouegauche,ilsourit.Etçam’horripile.

–Tonpèreestunsacrétype!finit-ilparlâcherenmeregardantdroitdanslesyeux.–Jesais…Maisonnevapasvivreensembledanscettemaison.–Pourquoipas?–Parcequ’onnesesupportemêmepasdanslebureaud’unnotaire!–Tunecriaispasautant,avant.

Savoixestcalme,grave, troublante.Sonvisageimpassible.Etsoncorpsmesembleimmenseetlarge,débordantde ce charismenaturel, intense, simasculin.Déstabilisant.D’unair sérieux, ilmeregardetoujours,plisselesyeuxetpenchelatêtesurlecôtépourtenterdemedécrypter.Detrouver

cequiestdifférentchezmoi.Etjedétesteça.

–Quinn,sixannéesontpassé.J’aichangé,toiaussi.Onadéjàétéobligésdecohabiteretonsaitcommentçaafini!Jeneveuxpasrevivreça.Jamaisdelavie!

–C’estpourtantcequetonpèreveut,lui,souffle-t-ilsuruntonassuré,maistranquille.–Etdepuisquandtufaiscequ’onattenddetoi?!C’esttoujoursquandçat’arrange!–Liv…–Non,jenetelaisseraipasfaireça!Tafamillen’apasassezdefriccommeça?Tacarrièrede

musicienneterapportepasdequoit’acheterdixvillascommecelle-là?–Cen’estpascequetucrois.–C’estbizarrecommetuastantvoulusortirdemavie,ilyasixans.Etcommetutienstantàyre-

rentrerquandils’agitd’argent!–Arrête,tumeconnaismieuxqueça…–Non,Tristan,jeneteconnaispas!Jeneteconnaisplus!Etjeveuxqueçarestecommeça!– Je vais vous laisser unpetitmoment pour endiscuter entre vous.Vouspourrez signer enbas

quandvousserezprêts.

Cravate-de-Traversplacedeuxfeuillesfaceànous,puisselèvedesonfauteuiletquittelapièceàpasdeloup,unsourirecontritsurleslèvres.Unsilenceassourdissants’installeànouveaudanssonbureau.L’odeurducuiretduvieuxpapiermedonnelanausée.Àmoinsquecesoitautrechose.Ilyatoujoursdel’électricitédansl’air,maisjemesenslasse,toutàcoup,triste,vidée.Tropfatiguéepourcontinueràmebattreouàcrier.Jenepeuxplusrienfaired’autrequepenser.

Maispourquoimonpèreasouhaitéunechosepareille?CommentmeforceràvivreavecTristanQuinnpeutfigurerdanssontestament?Àquoipensait-il?Àluioffriruneportedesortie,pourqu’ilquittesafamilledefousetsamèretoxique?Ouest-cequ’ilespéraitsecrètementqu’onseretrouveetqu’on fasse lapaix?Ouest-cequ’ilvoulait seulementquequelqu’unveille surmoietpensaitqueTristan était le mieux placé pour ça ?Mon père a toujours été un homme plein de surprises, deressources, de rêves à réaliser.Mais là, je ne comprends rien à ses dernières volontés. Toutes leshypothèses me semblent possibles, mais aucune ne me paraît sensée. Et cet héritage commenceétrangementàressembleràuncadeauempoisonné…

–DouglasWest, dit soudain Tristan en insistant sur le nom de famille. Tu crois qu’il est de lafamilledeKanye?

Jesorsdemespensées,lèvelesyeuxjusqu’àluietdécouvreunesortedesouriretristeaucoindesabouche.Etunetoutepetiteétincelleaufonddesonregardbleuéteint.Jenepeuxpasm’empêcherd’imaginer le notaire en rappeur, la cravate autour de la tête, en sweat et baggy à la place de soncostumegris.Etjeris.

Faischier.

–Jetedéteste.Monpèreestmort.Nemefaispasrire.–Jemecasse!–Quoi?Etlenotaire?!–Faiscequetuveux,Sawyer.

Savoixgraveetprofonde,quejen’aijamaisvraimentoubliée,vientmepercuter.Sonvisageestfermé,dur,soncorpsbaraquémesembleêtreunamasdemusclestendusetdenerfsàvif.Toutchezluial’airlas.Sesexpressions,sescordesvocales,sesgestes,sonseuildetolérance.Tout,peut-être,saufsaforcedecaractère.Ilplongelesmainsdanssespochesetquittelapiècesansseretourner.

Jerécupèrelesdeuxfeuillessurlebureauetm’élancederrièrelui,exaspéréeparsonimpatience,son égoïsme, sa lâcheté. Je sors de l’immeuble presque en courant pour l’arrêter, enme plantantdevantluisurletrottoir.

–C’esttellementfaciledefuir!–Nemeparlepasdefacilité,Sawyer,tunesaispascequetudis,lâche-t-il,mâchoiresserréeset

regardquimefusille.

Ilparletoutprèsdemonvisage,dansunmurmurequiressembleàuncri,etjeluitrouveunairmenaçant, presque méchant. Je prends une grande inspiration pour ne pas exploser à mon tour.Pendantquelquessecondes,jefermelesyeux,laisselesoleild’avrilmechaufferlevisage,tarirmeslarmesquinedemandentqu’àcouler.Maisc’estluiquiseradoucitetreprendlaparolelepremier:

–Tunesaispascequetuveux,Liv.Tumereprochesd’abordd’accepter.Puisdefuir.–Parcequejenetecomprendspas!–Non, c’est toi-même que tu ne comprends pas. Tu veux que je te dise quel est ton problème,

Sawyer?C’estquetun’asaucuneenviedevivreavecmoi,maisquetuneveuxpasnonplusdésobéiràtonpère.

Cesalaudvisetoujoursjuste.

–Monpèrevientdemourir,Quinn ! Je feraisn’importequoipour lui.Mais là, ilmedemandel’impossible.

–Alors,soiscohérenteetrefusecethéritage.–Jenepeuxpas!–Alors,laconversations’arrêtelà.

Ilapeut-êtreraison,maissonassurance,soncalmeetsalogiquem’exaspèrent.

–Maispourquoitul’acceptesaussifacilement,toi?–Parcequej’aimaisbeaucouptonpère,figure-toi.Etsic’estcequ’ilvoulait,jesuisprêtàlefaire.

Pourquoiest-cequ’ilal’airsincère?

–Cen’estpasunequestiond’argent,continue-t-il,plusdoucement.Mêmesi…contrairementàcequetucrois,lamusiquenerapportepastantqueça.Etsic’estl’occasionderetrouvermalibertéetdem’éloigner demamère et du connard fini avec qui elle a refait sa vie, alors oui, disons que çam’arrangeaussi.

SiennaLombardi,parquelleorduretuasoséremplacermonpère?!

–Etcontrairementàceque tupenses, legestedeCraigme touche.C’estpeut-êtreduràavaler,

maisiln’yapasquetoiquicomptes,Sawyer.–Jen’aijamaisditlecontraire.Paslapeinedetecomportercommeuncon.

Putain,cequ’ilm’énerve!

–Notre histoire appartient au passé. Ce n’est pas parce qu’on vivra sous lemême toit qu’il sepasseraquoiquecesoit,meprévient-ilencore,commesic’étaitnécessaire.

–Qu’est-ce qui te fait croire que j’ai envie d’autre chose que ça ? demandé-je en haussant lessourcils.

–Jepréfèrequeleschosessoientclaires,c’esttout,déclaresavoixprofonde.–Jenet’aipasattendupourêtreauclairavecmoi-même,Quinn.Épargne-moitessermonsetta

pseudo-maturité.–Ettoi,arrêtedemeprendrepourcequejenesuispas!Onn’estplusdesgosses.Onestcapables

decohabitersanss’entretuer,enmenantchacunnotrevieséparément.C’est justepourunan.Aprèsça,jetevendsmesparts,tuferascequetuvoudras.

Sonregardd’unbleuintensemedéfiedeluitenirtête.Jefrémisàl’intérieur…etn’yrésistepas.

–Necroispasque tuseraschez toi. Jepeux te foutredehorsn’importequand.Mamaison,mesrègles!

–Danstesrêves.Personnenedécidepourmoi.–Toujoursaussirebelle,rienn’achangé!ironisé-jepourl’agacer.–Toutachangé,mecontredit-ilsèchement.T’étaisunepeste,t’esdevenueunegarce.

Un sourire provocateur s’esquisse sur ses lèvres. Derrière mon visage que j’espère serein,impassible,monespritfumeetmoncœurcogne.Ilm’insupporte.J’aideplusenplusdemalàgardermoncalme.Et jerepenseaussitôtàmonpère,àsontestament,àsesdernièresvolontés,sansdoutebienveillantes,mais qui sont en train de tourner au cauchemar. Je détournemon regarddeTristanpourravalermeslarmesetnepascraquer.

–Écoute…Jen’aipasenviedemebattreavectoi,Liv.Jesaiscequeturessensencemoment.Jesaiscequec’est…Deperdrequelqu’unqu’onaimeàcepoint.

Savoixs’estfaiteencoreplusrauqueetmesyeuxseposentànouveausurlui.Sursonvisage,unedouleurintacte:cellequej’aivueendernierquandjesuispartie,ilyasixans.Ouplutôtquandilm’aquittée.Parcequ’ilavaittropmalpourm’aimer.Parcequetoutcequ’ilvoulait,cequ’ilpouvaitfaire,c’était chercher sonpetit frère.Harry avait 3 ans. Il en aurait presque10 aujourd’hui.Et onne l’ajamaisretrouvé.

Moiaumoins,jesaisoùsetrouvemonpère.Jenesaispascequ’ilyaaprès,maisjesaisqu’ilestenpaix.Tristannesaurapeut-êtrejamaissisonfrèregranditoupas,s’ilsouffreencore,s’ilabesoindelui,s’ilestvivantoumort.Etl’immensechagrindeTristan,toutàcoup,écrabouillelemien.Ilaencoresimal.Etjenepensaispasavoirencoremalpourlui.

Del’empathie.Voilàcequec’est,justedel’empathie.Unsentimentnaturel,parfaitementhumain.Etriend’autre.

Presquesansréfléchir–etjustepourfairequelquechose,parcequ’iln’yarienquejepuissedire–,jeparsàlarecherched’unstyloaufonddemonsac.Enappuisurlapaumedemamain,jesigneenbasdemafeuillefroissée.Puisjetendslasienneàmonnouveaucolocataireauregardtristeetfroid.Ilessaiedesourire,maisiln’yarrivemêmepas.

AlorsTristansefrottevigoureusementlescheveux,commeillefaisaittoutletemps,àl’époque,chaque fois qu’il était nerveux. Ou qu’il voulait reprendre le contrôle d’une situation qui luiéchappait.Jesourisintérieurementdeceticquin’apasdisparu.Deretrouveraumoinsunechosedugarçon que j’ai connu. Alors que l’homme face àmoime semble si différent. Plus sombre, plustourmenté.Moinssociable,moinssolaire.Plusduraveclui-mêmeetplusintolérantaveclesautres.Plusfroid,plussauvage,plusindomptableencore…

Maispeut-êtrequ’aufond,iln’apastantchangéqueça.Peut-êtrepasavecmoi…?

Ilfinitparattrapersafeuilleetlestyloquejeluitends,mesaisitparlesépaulesetmefaitpivoterpourmeplacer dos à lui. Je ne saismêmepas pourquoi jeme laisse faire comme ça.Une de sesmainsdégagelentementmescheveuxetleslaissetomberd’uncôtédemanuque.J’essaiederéprimerunfrisson.Etjepriepourqu’iln’aitrienvu,riensenti.Jetournelégèrementlatêtepourl’observer,pourvérifierqu’ilnesouritpasfièrement,insolemment,insupportablement,commejel’aisisouventvufaire.Maisilsecontentedeposersafeuillesurmonomoplate.Etilsigneàsontour.

–J’espèrequetunemeleferaspasregretter…–Troptardpourréfléchir,Sawyer!lâche-t-ilenmecontournantpourseretrouverfaceàmoi.–MonDieu,tum’énervesdéjà!–Tuledisaisdéjà,àl’époque.Ça,çan’apaschangé.Maistoi…–Moi,quoi?!

Je soutiens son regard quime détaille.Au tour deTristan de chercher où est passée la fille de18ansqu’ilaconnueautrefois,garçonmanquémaispeureuse,têtuemaisindécise,caractériellemaisfragile.En regardant ses lèvres,malgrémoi, je tombe sur une sorte de sourire en coin, à la foisprovocateuretincrédule.

–Regarde-toi,murmure-t-il. Tu t’habilles comme une femme,maintenant. Tu ne sursautes plusquandontetouche.Tumeregardesdroitdanslesyeux.

–Çategêne?–Non.Maisjenet’aipasvueuneseulefoisrougir,jen’aipasentendutavoixtrembler.–Çafaitsixans,Tristan…–J’aidumalàtereconnaître,LivSawyer…–Toiaussi,tuaschangé.–Oui,pasenbien.Toi,tut’esaffirmée.–Peut-être.J’aijustechangédevie,chuchoté-jeenfeignantl’indifférence.–Jen’aipaseucettechance,rétorque-t-ilfroidement.

Sonvisageserefermeetsesirisbleuss’assombrissentànouveau.Mauvaischoixdemots.Jenevoulaispasleblesser.Maisjelevoisserrerlesdents,serrerlespoingsqu’ilenfoncedanssespochesenreculant.Jerepenseauxsixansquel’onvientdepasserséparément.Moietlecancerdemonpère.

Moietmonchagrind’amour,àhuitmillekilomètresdelui.PendantqueTristanvivaitavecsafamillebrisée, affrontait l’absence d’Harry, se battait chaque jour contre l’oubli, je n’avais qu’à mereconstruire,meguérirdelui.Iln’avaitnullepartoùs’enfuir.Aucunenouvellevieàvivre.Aucuneguérisonpossible.

–Tristan…–Laissetomber,Sawyer.Tunepeuxpascomprendre.Etmonchauffeurestlà!

Une décapotable vient de se garer en double file le long du trottoir.Au volant, une blonde auxcheveuxbientropdécolorés,auxlunettesdesoleilquiluibouffenttoutlevisageetauchewing-gumdeuxfoistropgrospoursabouche.Elleklaxonneàdeuxreprises.

–C’estcommeçaqu’ellet’appelle?!tenté-jedeleprovoquer.–Ouais,j’aimebienquandlesfemmescommandent…parfois.–Etelle,c’estquoisonnom?Plan-Cul-Numéro-412?–C’esttoiquil’asdit!répond-ilenfaisantl’innocent,avecunhaussementd’épaulesnonchalantet

unpetitsourirequ’ilessaiederéprimer.–C’estça,tonéchappatoire?Tun’asvraimentrientrouvédemieuxàtemettresousladent?–Ça,Sawyer,çaneteregardeplusdepuislongtemps!–Non,etheureusement,fais-jed’unairdégoûté.–Désolé,ellen’aimepasquejelafasseattendre.Ettoi,iln’yapasunnotaire-gangsterquit’attend

danssonbureau?–Laferme,Quinn!

Ilpartàreculonsalorsquej’essaiedelefrapperavecmesdeuxpauvresfeuillesdepapierfroissé.

Plan-Cul-Numéro-412:jetehais!

DouglasKanyeWest:ànousdeux!Etdésolée,tuvasprendreàlaplacedeTristan…

3.LeSauvage

–Alors,tudéménagesquand?!medemandemagrand-mèrequandellemevoitrentrerdechezlenotaire.

–Jepeuxboireuncaféoutumemetsdehorstoutdesuite?soupiré-jeenm’affalantsurlecanapé.–Oublielecafé,petite,jecroisquetuasbesoindematisanemagique!

Le temps que je me débarrasse de mes chaussures, de mon sac à main et des 1539 pages quiconstituent le testament de mon père, Betty-Sue revient avec deux tasses ébréchées remplies d’unbreuvageambré.

–Iln’yaaucunproblèmequ’unegouttederhumcubainnepuisserégler!lance-t-ellegaiement.–Mêmequandmonpèremortm’obligeàhabiterdansmamaisonavecmonennemijuré?–Ah.–Oui.Rienqueça.Amènetoutelabouteille!–CraigSawyer,tunousaurastoutfait!ditmagrand-mèreenregardantleplafonddelamaison,

unpetitsourirecoquinsurleslèvres.–Profites-enpourdemanderàDieudemesortirdelà!–Liv,est-cequetonpèreadéjàfaitquelquechosed’idiot,d’insensé,demauvaispourtoi?Jamais.

Ilensortiraforcémentquelquechosedebon!–J’aibeauchercher,jenevoispas…Commentilapupenserunesecondequeçapouvaitêtreune

bonneidée?!–Tonpèreétaitbourrédedéfauts, accroauboulot, auxcigarettes, aux femmesqui le rendaient

malheureux…Maispoursafille,çanon,iln’ajamaisrienlaisséauhasard!–Betty-Sue,nemedispasquetuétaisaucourant.–Non,maisçanem’étonnequ’àmoitié…–Tum’expliques?

Jem’enfoncedanslecanapé,recroquevillemesjambesetboisquelquesgorgéesréconfortantesenattendantlesthéoriesfumeusesdemagrand-mère.

–Craigm’aditplusieursfoisqueçalerongeait.Tonchagrin.Sonimpuissanceàteconsoler.–Jesais…–Ils’enesttoujoursvouludet’avoirséparéedeTristan.–C’étaitcequ’ilyavaitdemieuxàfaire.Ilm’avaitquittée,detoutefaçon.–Maistonpèreétaitungrandromantique.Unidéaliste.Ilespéraitencore.–Quoi…?demandé-jeàvoixbasse,leslarmesauxyeux.–Teguérirdupassé.Vousguérirtouslesdeux.Vousdonnerunechancede…–C’esttroptard,Betty-Sue.

Jesècherapidementmesyeuxetvidematassed’untrait.

–Situvoyaiscequ’estdevenuTristan!–Tul’astoujourstrouvéinsupportable,çanet’ajamaisempêchéedel’aimer,s’amusemagrand-

mèreenvenants’asseoiràcôtédemoi.–Non,ilestcentfoisplusarrogantqu’ilyaseptans,quandj’ai…craqué.Ilal’airdesefoutre

complètementdecequ’onpensede lui,desconséquencesdesesactes,desautresengénéral. Ilestenfermé dans sa bulle, et je crois que ce n’est pas joli à voir là-dedans. Tout noir. Il a aussi untatouageétrangesurlebras.Etilal’airdecacherdeschoses.Jenesaispas…

–Iltefascineencore,Liv.–Non!OK,soncôtérebelleetmystérieux,c’estsexy.OK,ilatoujourscesmusclesetcecorps

baraqué. Et OK, les années en plus lui vont bien. Mais c’est un sauvage, Betty-Sue ! Il estincontrôlable!Etcen’estsûrementpasmoiquivaisjoueràladompteuse.Pascettefois.

–Onverraça…

Ma grand-mèreme tapote lamain l’air de dire « Cause toujours » et quitte le canapé avec unnouveau petit sourire entendu.Moi qui craignais de vivre seule, ça ne va pasme faire demal dequittercetteambianceWoodstock:danscettemaison,rienn’estclair, toutgrince,onnesait jamaisvraiment ce qu’on boit, ce qu’on mange, ce qu’on pense, et surtout, on ne sait jamais ce que lapropriétairedeslieuxaderrièrelatête.

Saufquepourlasolitudeetlaquiétudedontjerêvais,ilfaudraaussirepasser.J’aisignécesfoutuspapiers.Etmoncolocataireneseraplusunegrand-mèrehippieàmoitiéfolle,maisunmecquej’aidétesté,aiméfollementpuisdétestéànouveau.

Etjedoisàtoutprixéviterdeglisserverslaphasesuivante.Detoutefaçon,ilm’énervebientroppourça.Êtrecanonnesuffitpas.

Oui,parceque j’aioubliédedire àBetty-Sueque lemalheur a renduTristanencoreplusbeau.Avec ses cheveuxunpeuplus longs, sapeauunpeuplusmate, sesyeux assombris, ses jouesmalrasées,ilagagnéenépaisseur,envirilité.Lebeaugossepopulairedulycée,lajeunerockstaràlagueuled’angeestdevenueunhomme,undiable,unoursmalléché,unloupsolitaire,unmâlealpha,un…

Stop.Je.Ne.Craquerai.Pas.

–Nerestepasterréeici,Livvychérie,regardecommeilfaitbeaudehors!C’estça,lemiracledelavie!Dusoleilaveuglantmêmequandons’imagineaufonddutrou.Lalumièreauboutdutunnelalorsqu’onsecroitàl’entrée.Lavieadéjàrepris,petite!Etellenet’attendrapas…

–J’aicomprislemessage,Betty-Sue!

Prèsdelaported’entréedelamaison,magrand-mèreenfilesursespiedsnusdevieillesbottesencaoutchoucparticulièrement«seyantes»avecsarobelongueàmotifsethniques.

–Tuveuxveniravecmoiarracherlesherbesfollesprèsdumarécage?–Nonmerci.–Faireducompost?–Sansfaçon.

–Ramasserlesdéjectionsde…–OK,j’appelleBonnie!capitulé-jeenm’écroulantsurlecanapé,têteenfoncéedanslecoussin.

***

Mameilleureamieaacceptémonrendez-vous,dansquinzeminutes,surlaplageauxchiens,làoùonseretrouvaittoujoursaprèslescoursouencasdecoupdur.

Etjecroisbienquejelesaccumule,cesdernierstemps…

Jen’airepriscontactavecellequ’ilyaquelquesjoursseulement.Ellem’alaissésonnumérodetéléphonepourl’appeler«quandjeseraiprête».Jesuisheureusequ’ellenem’enveuillepaspourcessixannéesdesilence.Et jecroisqu’elleacomprispourquoi j’aicoupé lespontsquand jesuisrentréeàParis.Betty-SueétaitlaseulepersonnequinousreliaitàlaFloride,monpèreetmoi.J’avaisbesoindem’éloignerdetoutça,desdrames,deladisparitiond’Harry,dudivorcedemonpère,desrumeursd’inceste,demaruptureavecTristan.Çafaisaitbeaucoup,pourunefillede19ans.

Mais aujourd’hui, et malgré la voix chaleureuse de Bonnie au téléphone, j’appréhende nosretrouvailles.Quandjel’aiquittée,c’étaituneadodécomplexée,quiassumaitsesrondeurs,changeaitde coiffure presque tous les jours, chantait et dansait sans arrêt, une boule d’énergie et de bonnehumeur, aux jupes tropcourteset auxmimiques théâtrales. Jen’imaginepasune femmede25anscommeça.

Maisjepriepourqu’ellen’aitpaschangé.Ellemefaisaittantdebien…

–Dansmesbras,Porcelaine!

J’entendssoncridejoieàplusieursdizainesdemètresdelà.Jemeretourneetavancepouralleràsa rencontre pendant qu’elle râle contre tout ce sable et celui qui a osé inventer les sandalescompensées.Ellemefaitdéjàrire.Oncroiraitqu’ons’estquittéeshier.

–EbonyRobinson!m’exclamé-jeenarrivantàsahauteur.–LivSawyer!Enfinnon,ElleFanning!Toujoursaussipâle,àcequejevois!Remarque,jesuis

toujoursaussinoire,moi!

Elle éclate de rire et me serre dans ses bras à m’en étouffer. J’enfouis mon visage dans sescheveuxcrêpésquiformentuneénormeafrotoutautourdesatête.

– Je suis désolée pour tonpère,Liv…Mais tu ne peuxpas savoir ce que je suis contente de tesavoirderetouràKeyWest!

–Merci…Etmerci,luisouris-je.–Tuasvu,rienn’achangéparici!Enfinsi, j’aiencoregrossi.Etmescheveuxviventtoujours

unevieindépendante,maisbon…–Jetetrouvesuperbe.

Après ce compliment sincère, Bonnie improvise une danse chaloupée pendant que j’admire sa

robebleuecache-cœurqui luifaitundécolletéd’enfer,sapeauchocolatquibrillesursesbras, lesgrossescréolesjaunesquisebalancentàsesoreilles,sonrougeàlèvrescarmintrèsaudacieuxetsonimmensesourire.

Commentj’aifaitpourmepasserd’ellesilongtemps?

–J’avaistellementpeurquetusoisdevenueuneadulte…–Tuplaisantes ? ! rit-elle de bon cœur. Toujours pas demec fixe.Ma voiture est toujours une

bouse.Maisj’aiquandmêmequittémesparents!– Félicitations ! Je vivais toujours avec mon père avant qu’il… Enfin bref. Et ton groupe de

gospel?Çaal’airdebienmarcher!–Etoui,jenesuispluschoriste.C’estmoi,aumilieudel’affiche!m’annonce-t-ellefièrementen

pointantsesdeuxindexmanucurésverssonvisage.Ondonnerégulièrementdesconcerts,onpartentournée,çamarcheplutôtbien.Je teprésenterai,si tuveux! Ilyaquelquesmecsquipourraient teplaire…

Ellem’envoieunclind’œilexagéréetunpetitcoupdehanchequimefaitrebondir.

–Jepassemontour.Maisjesuisheureusepourtoi,Bonnie!–Ettoi,j’aivuquetuavaisreprisl’agenceimmobilière.C’estparchoixou…?–Oui, j’aime vraiment ce boulot. Et je suis fière de prendre la suite demon père…, dis-je en

sentantunevagued’émotionmesubmerger.

Çaarrivetoujourssansprévenir…

Je laissemes yeux trempés se promener sur l’horizon, au loin, et vers les quelques chiens quijouentàchasserl’océanenaboyant.Bonniem’entouredesonbras,sansparler,etappuiematêtesursonépauleenmeberçantlégèrement.

–Ensixans,j’aiquandmêmeapprisàmetairequandc’estnécessaire,tuasvu?Bon,OK,pastrèslongtemps. Et je ne sais même pas quoi te dire d’intelligent. Et comme je ne suis pas une adulteprévenante,jen’aipasdemouchoiràtetendre.Maisjeseraitoujourslàsituasbesoindereniflersurquelqu’un,OK?

Jeluisourisenessuyantmeslarmes.

–Ça va déjàmieux.Et ton guitariste aux oreilles percées, alors ? demandé-je pour changer desujet.

–Drake?!Pfff!Ons’estremisensembledixfois,onarompu,recommencé…DesvraisFeuxdel’Amour!Maisavecplusdefeuqued’amour,enfait.IlestpartivivreàMiamiquandlesKeyWhyontétédissous.J’enaipleurépendantunesemaine.Maislaversionofficielleditquejel’ailarguéparcequ’ilnememéritaitpas,OK?

–C’estnoté!acquiescé-jeenriant.–Ettoi,tuasrevuTristan?–Oui,avoué-jespontanément.Déjàdeuxfois.Etçam’aamplementsuffi.– Il amauvaise réputation,maintenant…Mais jene saispascequeçavaut,onne separleplus

depuislongtemps.–Quoi?!Oùestpasséelareinedesrumeursetdespotins?–Avec lui, c’est difficile de savoir quoi que ce soit. Et je rate plein de trucs quand je pars en

tournée.Cen’estpluscequec’était,mavieille!–Bon,alorsj’aiunscooppourtoi…

Bonniesefigedansunepositionétrange,commesisoncousedéboîtaitetquesesmainstenduessurlescôtésvoulaientsuspendreletemps.

–OK,onarrêtetout!Chut,levent!Stop,lesvagues!Onsetait,leschiens,là-bas!L’heureestgrave.Jet’écoute,Porcelaine!

–JevaisdevoirvivreavecTristan.Ànouveau.Monpèrenousaléguélamaisonàtouslesdeux.Jenepourrairachetersespartsquedansunan.

–Oh…My…God…–Commetudis.Lavieestunepetitefarceuse,hein?ironisé-je.–Lavieestunebitch,ouais!Bon,j’avaisrendez-vouschezlecoiffeurdansunedemi-heure,mais

jecroisquejevaisdevoirannuler.Casdeforcemajeure.Ilfautabsolumentqu’onparledetoutça!–Non,jevaisveniravectoi,décidé-jeenmesurprenantmoi-même.J’aienviedechangement.Je

vaistoutcouper.–Quoi?!MaisLiv,tuaslescheveuxlongsdepuistoujours…Tuesnéeaveccettecrinière,non?!–Justement,ilesttempsquejemelibèredecepoids.Nouveaudépart,nouvellevie,nouvelletête!

Adieu,ElleFanning!–Adieu,l’afro-champignon!surenchéritBonnieensecouantsesproprescheveux.Tusaisquoi?!

Jecroisquejevaismeraserlecrâne!J’enaitoujoursrêvé!Tuviensdemedonnerlecourage.Oui,c’estlemomentoujamais.MonDieu,jesuisexcitée!

–Tum’astellementmanqué,Bonnie…

Onsetombeànouveaudanslesbrasenéclatantderire.Trenteminutesplustard,j’aiunpeignoirblancautourducorps,uneservietteenturbandanslescheveuxetmameilleureamiepoussedepetitscouinementsapeuréspendantqu’unetondeuses’attaqueàsachevelurecrépue.

–Parle-moi!Ilfautquejepenseàautrechose!

Elleattrapemamainetl’écrabouilledanslasienne.Jegrimaceenreprenantmonrécit.

–Ilauralerez-de-chaussée,etmoil’étage.Saufqu’ondoitpartagerlacuisineetlesalon,quisontenbas.Doncsursonterritoire.Sansparlerdelapiscine.

–Vousavezmisdesrèglesaupoint?Pourleslessives,lefrigo,lesfêtes,lesrencards?–TucroisvraimentquejepeuximposerdesrèglesàTristanQuinn?–OK,Juanito,occupez-vousd’elle !ordonne-t-elleaucoiffeurquiéteint la tondeuse.C’estplus

urgent!Pluspersonnenedoitluirésister,quandvousl’aureztransformée.–Bonnie,tuessûredevouloirgardercettecrêteaumilieuducrâne?

Elleseregardedanslemiroiretpousseuncrisilencieux.

–Juanito,revenez!

La tondeuse se remet au travail et le cerveau de Bonnie recommence à fumer sous son crânepresquerasé.

–TucroisqueQuinnvatemenerlaviedure?Oujustet’ignorer?–Aucuneidée.Jetediraiçabientôt,j’emménagedanstroisjours.–Tucroisquelecoupdefoudrepeutseproduiredeuxfois?–Non,Bonnie,n’essaiemêmepas…–OK,jeretire!Maistupourraslevirersitunelesupportesplus?Fairechangerlesserrures?–D’aprèslenotaire,ilseraautantchezluiquemoi.–Mais jen’aipascompris…Lenotaire, il est de la familledeKanyeWest ? ! hurle-t-ellepar-

dessuslebruitdelatondeuse.

J’éclatederireetc’estuneBonniepresquechauvequimeregarde,incrédule.Nouspassonsencoredeuxbonnesheuresàdiscuter,rattraperletempsperdu,évoquernossouvenirs,lesmeilleurscommelespires,àparlerdeFergusquin’a jamaisremis lespiedsàKeyWest,deLanaetPiper, lesexdeTristan,deKyle,mon ex àmoi, d’Elijah,Cory et Jackson, les anciensmembresdesKeyWhy, dunouveaupetitfrèredeTristanetdunouveaumarideSiennaLombardi.Enbref,detouslesgenssurquiBonniepeutcrachersonveninoumebalancerdespotins.

JerepensebrièvementàFergusO’Reilly,monancienmeilleurami,letroisièmeélémentdenotrebande,àl’adolescence.Maisaussiceluiquinousadénoncés,Tristanetmoi,ilyasixans.Avecdesappels et des lettres anonymes immondes. Celui qui a lancé les rumeurs d’inceste et sali toute lafamille.Bref,unlâcheetuntraître.

Àlafindecettejournéericheenémotions,jeréalisequec’estlapremièrefoisquejerisautant,aussifort,aussisincèrementdepuislamortdemonpère.Etc’estgrâceàmonancienneetnouvellemeilleureamie.Quandnousquittonsenfinlesalondecoiffure,sonafroetmalonguetignasseblondeontdisparu:Bonnieadécidédeteindreenblondplatinelemillimètredecheveuxquiluiresteetçaluivaàmerveille–ellevientdedéciderqu’elleétaitlesosieofficield’AmberRose.Quantàmoi,j’aimaintenantuncarréplongeant,justesouslesmâchoires–j’aidumalàmereconnaître–,maisjemesens incroyablement légère.Ma copine a insisté pour ajouter une touche de rouge carmin surmabouche.

–Là,c’estsûr,tuastuéElleFanning!Tuétaisunejoliefille,tuesdevenueunebusinesswomancroiséeavecunefemmefatale!CeJuanitoestungénie.EtceTristann’oseraplust’emmerder!

–Mercipourcettejournée,Bonnie.Tun’imaginespaslebienqueçam’afait.–Toiaussi,tum’avaismanqué.Etjeneveuxplusteperdredevue,LivSawyer!memenace-t-elle

desonindex.–Çanerisquepas,onnevoitquenous!ris-jeenobservantsoncrânevoyant,avantdelouchersur

maboucherouge.

***

J’avais 15 ans quand j’ai quitté cette maison, pour aller habiter à contrecœur chez SiennaLombardi,quemonpèrevenaitd’épouser.J’ignoraisquemavieallaitautantchanger.J’ignoraisquej’y reviendrais un jour, seule.Dix années ont passémais cette villa, elle, semble intacte. Son style

colonial, typique de l’île. Sa façade en lattes de bois blanches, ses volets d’un bleu sombre et lespalmierstoutautour.Lespetitescolonnesblanchesquiontl’airdelasoutenir.Laterrassesuspendueaupremierétage.Desmilliersdesouvenirsaffluentdevantmesyeuxquandjepasselapetitebarrièreblanche.Quandjemontelesquatremarchesquimènentauperronpuisàlaported’entrée.Jeretiensmonsouffleenglissantmaclépuisentournantlapoignée.

–Pasmal, labaraque !me lanceTristan,deboutaumilieudu salon.Tonpère l’a fait restaurer,non?Tiens,ilyavaitunmotdetonmecsurlecomptoir.

Ils’avanceversmoietmetendunpetitcartonblancpliéendeux.Roméomesouhaitelabienvenuechezmoietmeditqu’ils’estoccupédugrandnettoyageavantmonarrivée.Tristan, lui,attenduneréactiondemapart,lesmainsdanslespochesetleregardprovocateur.Moncœurbatfort,maisjedécidedel’ignorer.Jelecontournepourallerrevisiterlagrandecuisineouverte,avecdesdizainesdeplacardsenboisetdesplansdetravailengranitgris,dansunstyleauthentique,maisdotéedetouslesappareilsmodernes.Je laisseglissermesdoigtssur le largeîlotcentralquinousservaitdebarcomme de table à manger, et des souvenirs de petit-déjeuner en tête-à-tête avec mon père mereviennentenmémoire.JesensTristanquimesuit,àunedistanceraisonnable.Lacuisines’ouvresurunvastesaloncontenantdeuxcanapésblancs,disposésenL,etj’aiunefurieuseenviedemevautrersurlesénormescoussinsmoelleux,commequandj’avais14ans.

Mais je ne suis plus une gamine. «Tu es devenue une businesswoman croisée avec une femmefatale.TristanQuinnn’oseraplust’emmerder»,mechuchotemonangegardienaucrâneraséetauxgrandescréolesjaunes.

–Quoi?!Tunerâlespasparcequejesuisarrivéavanttoi?–Tufaiscequetuveux,Quinn.Tuasuneclé,moiaussi.Onfaitchacunnotrevie,tutesouviens?–Çamevaparfaitement,lâche-t-ilavantdesortir.

Ilouvreuneporte-fenêtreau fonddusalonquidonnesur lepatio. J’observede loincette largeterrasse abritée à l’arrière de la maison, où je passais tout mon temps, pendant que mon pèretravaillaitous’occupaitdujardinexotique.Jevérifiequelesdeuxvieuxventilateursauxlargespales,suspendus au plafond, sont toujours là, dehors. Je vois Tristan descendre les quatre marches ets’approcher de la piscine. Il se penche. J’essaie de ne pas regarder ses fesses. Puis il s’accroupit,remontelamanchedesachemiseettrempesamaindansl’eauturquoise,jusqu’aupoignet.

Pourvuqu’ilnesedéshabillepaspourallersebaigner…

Maisilrevientàl’intérieur,desadémarchenonchalante.

–Çavaêtreduboulotàentretenir,toutça,soupire-t-il,l’airépuisé.–Siçaneteplaîtpas,tupeuxtoujoursretournervivrecheztamère.

Il lancesonbrasenarrièrepoursefrotterlescheveuxet jenepeuxpasm’empêcherdefixerletatouagesursonavant-bras:unesuccessiondechiffresetdelettresnoiresincompréhensibles.Ilmelecacheaussitôt,reboutonnantsamanchedechemiseautourdesapeautrempée.

Foutusmystères…

Je repars en arrière, observe rapidement la salle àmanger contiguë au salon, séparée par deuxportesvitrées,làoùmonpèreorganisaitparfoisdesdînersd’affaires,làoùonnemangeaitpresquejamais, saufquandBetty-Suevenait etm’obligeait à engloutir des kilos depommesde terre bio–inquiètedemamaigreuretdestalentsculinairesdiscutablesdemonpère.Jesourisàcessouvenirsetprends le long couloir, n’entre pas dans ce qui doit être la chambre deTristan et sa salle de bainpersonnelle,désormais.Maiscetteidéemegêne.Heureusementquecen’étaitquelachambred’amis,avant.

Jemedirigeverslelargeescalier,auxmarchesblanchesetàlarampeenboissombre,cirée,quejenepeuxm’empêcherdetoucher.Jevérifieaupassagequeladeuxièmemarcheesttoujoursabîmée,justesurlerebord.C’esticiquejem’asseyais,faceàlaported’entrée,quandj’attendaisleretourdeCraig.C’esticiquejeboudaisquandjevenaisdemefaireengueuler.Iciquejesuistombéeenfaisantdurollerdanslecouloiretenoubliantdenégocierlevirage.Monmentons’ensouvient.Lamarcheaussi. Je m’arrête suffisamment longtemps, perdue dans mes pensées, pour sentir la présence deTristanderrièremoi,surlamarchedubas.

–Jenet’aipasinvité.–Jeveuxjustevisiter.–C’estchezmoi,tuescensémedemander.–Jepeux?–Premièreetdernièrefois.–Arrêtedejoueràlapatronneavecmoi.Gardeçapourtonmec!–Cen’estpasmon…Laissetomber.–Alorsgardetesordreset tesgrandsairspourtespetitsemployésdel’agenceavecquitupeux

joueràlachef.–Neparlepasd’euxcommeça.–Ouquoi?!medéfie-t-il.–Ourien,soupiré-je.Jepensaisquetuavaisfinidejoueràcespetitsjeux-là.

Jereprendslamontéedel’escalier,Tristansurmestalonsetlecorpspleindetensions.J’inspireprofondémentàchaquemarche,expirelongtempsàlasuivante,jusqu’àatteindrel’étage.Monantre.Malgré leménagedeRoméo,desodeursfamilièresmereviennent.Lecraquementduparquetsousmes pieds. Porte après porte, je retrouve mon ancienne chambre, réaménagée mais pleine desouvenirs quandmême.Puis le bureaudemonpère, videmais que je peux re-remplir de tous sesdossiersjusteenfermantlesyeux.Puissachambre,danslaquellej’aidumalàresterplusdequelquessecondes.Puisunepetitepiècetoutenlongueurquiservaitdedressing,maisdanslaquellejejouaisàme déguiser enCraig Sawyer. Enfin, la salle de bain à deux vasques, où jeme brossais les dentspendant quemonpère se rasait, jusqu’à ceque je le chasse, devenue trop pudique, trop grande, etl’obligeàprendresesquartiersmasculinsdanslasalledebaindubas.

Difficiledemaîtrisermonémotion,maisjeneveuxpascraquerdevantTristan.Jeretournedansma chambre et ouvre la porte-fenêtre qui donne sur la terrasse suspendue. Elle fait le tour de lamaison, sur trois des quatre murs, on peut y accéder de n’importe quelle pièce de l’étage. Moncolocatairenem’apassuivie,cettefois–peut-êtrequ’ilacomprisquej’avaisbesoind’air,peut-êtrequ’il vient enfin d’accepter de respectermon territoire. Jem’accoude à la rambarde et profite du

silence, de la vue sur la piscine, des quelques oiseaux qui piaillent dans les feuillages denses dujardin, de l’océan que l’on devine au loin. Secrètement, je remercie mon père de m’avoir léguél’étageduhaut,celuiàlaplusjolievue,celuioùjemesensensécurité,danslecocondemonenfance–avantquemavieprennetouscestournantstragiques.

–Jetepréféraislescheveuxlongs,ditTristanderrièremoi,aupointquejepeuxsentirsonsoufflesurmanuque.

Enfoiré.

Est-cequej’aisursauté?

–Çatombebien,jemefousdetonavis.

Jemeretournepourluifairefaceetnousnousdévisageonsquelquessecondes.J’hésiteàsoutenirson regard jusqu’àcequece soit luiquicède,mais jen’aipasenvied’initierces jeuxdepouvoirentrenous.Immatures.Etbientropdangereux.Jem’éloigne,rouvrelaporte-fenêtreetluilance,enluiindiquantlasortie:

–Lavisiteestfinie.Tupeuxretournercheztoi.

Il ne bouge pas d’un centimètre. Je vois ses yeux bleu foncé réfléchir : me tenir tête ou jouerl’indifférent?Continueràmeprovoqueroupartiravecunsouriremoqueur,insolent?Jen’auraipasmaréponse.Lasonnettedelamaisonretentitetc’estluiquidévalelesescalierspourallerouvrir.Ilattendpeut-êtreuncopainquivientl’aider–unecopine?–ouundéménageur.Ilnevapasêtredéçu.

–Bonjour,jesuisRoméoRivera.JetravailleavecLiv.

Jejubileunpeuavantdelesrejoindreaurez-de-chaussée.

–Jevienspour…–Jesaisquivousêtes,lecoupesèchementTristan.–…l’aideràs’installer,poursuitmoncollègue,apparemmentsurprisdesarudesse.

Jedescendsrapidementlesescaliersavantquel’échangetournemal.

–Sawyer,tonesclaveestlà!hurlemoncolocataire,alorsqu’ilmevoit.–Laferme,Quinn!–Charmant…,mesouritRoméopendantqueTristans’éloigneàreculonsdanslecouloir.

Ilnenousapasquittésdesyeux,toutletempsoùl’onportaitmesquelquescartonsdelivres,mavalisedefringues,l’autredechaussures,quelquesbabiolesettableauxquimetiennentàcœur,lepeuquej’aipuramenerdeParisoudelamaisondeBetty-Sue.Tristann’apasproposésonaidequandjesuisalléefairequelquescourses,niquandjelesairangéessoussonnez.Iln’apasnonplusdaignéquitterlesalonquandj’aioffertunebièrefraîcheàRoméo,ensueur,danslacuisineouverte.Ils’estcontentéd’augmenter lesonde la télévision.Çane l’apasempêchéde réagirquandmoncollèguem’adiscrètementdemandé:

–Tuessûrequejepeuxtelaisserseule?–Devenir sonmecou remplacer sonpère, il va falloir choisir,monvieux !Tunepourraspas

fairelesdeux,siffleTristan,contentdelui.–C’estàmoiquetuparles?!s’agacesoudainlegrandbrun.–Laissetomber,Roméo,dis-jeenleretenantparlebras.C’estexactementcequ’ilcherche.Etjete

jurequeçanevautpaslecoup.

Maisjenepourraispasjurerqueçanemefaitrien,devoirTristanjaloux…

***

Jecraignaisdenepaspouvoirfermerl’œil,maisj’aidormicommeunbébédansmonanciennemaison.Etmoncolocataireestrestéétrangementcalmeetdiscretpourcettepremièrenuit.

Enrevanche,lelendemainsoir,leschosescommencentàsegâter.Jerentretarddel’agenceetjenerêvequedemeglissersousunedouchefraîchepourmedébarrasserdelachaleurmoitedumoisdemai.Maisenentrantdanslasalledebainduhaut,jetrouveunTristannuettrempé,dedos,quimettroisplombesàs’enrouleruneservietteautourdelataille,préférantsourireencoinetmeregarderrougirethurler.

Sesputainsdepectorauxdessinés.Sesabdominauxscandaleux,quejepeuxdistinguerunparun.Etcette lignebrune indécentequidescend,descend jusquedessous la serviette encotonbleu.Bleucommesesyeuxfiers,provocateurs,mystérieux.

–Dégagedelà!Tuasunesalledebainenbas!–Oui,maisjen’aimepaslesbains,jepréfèrelesdouches…–Depuisquandonnepeutpassedoucherdansunebaignoire?!– Ça fout de l’eau partout, m’explique-t-il en haussant les épaules, totalement indifférent à ma

colère.–Tutefousdemoi,hein?!–Non.Vul’heurequ’ilest,jepensaisquetunerentreraispas…–Etalors?!crié-jeencoreplusfort,frustréeparsoncalmeimperturbable.–EtquetuétaisdéjàentraindetefairefrotterledospartonRoméo…–Pitié,Quinn,trouve-toiunautrehobbyquemoi.Etrends-moimaserviette…Non!Garde-la!Et

sorsd’ici,putain!

L’insolent finit par partir, content dem’avoir fait enrager, secouant ses cheveuxmouillés pourm’arroseraupassage.

Etça,encore,c’estparcequ’ilestdansunbonjour.Lessoirsquisuivent,Tristansetransformeensauvage.Iljouedelaguitarejusqu’à4heuresdumatinetjeleretrouveendormiàmêmeletapis.Puisilinvitedesmecsbizarresquimefontunpeupeur,avecquiilboitmaisneparlemêmepas.Puisildoitfairedescauchemarsparcequesescrismeréveillentparfoisenpleinenuit,ainsiquelefracasd’unelampebrisée.Puisc’estunefemmequ’ilinvite.Puisdeuxàlafois.Jamaislesmêmes.

Quandonavait18ou19ans,Tristans’amusaitdéjààça.Maisàl’époque,lesfillesétaientjeunes

et fraîches et gloussaient pour un rien, ses potes riaient fort et chantaient des ballades folkromantiques,hésitantà jouer lesbadboys ou lesdon Juan.Mais toutes ses fréquentationsont l’aird’avoirgagnéennoirceur,engravité.Plusdefauxrebellesoudegroupieshystériques,justedesgenssombres,silencieuxoutourmentéscommelui.Sonuniversachangé.Samusiqueaussi.Ilévoluedansunmonde plusdark, oùmême les plaisirs les plus simples semblent lourds, compliqués, presquedouloureux.

J’enviensàfuirmapropremaisonpourmenoyerdansletravailetéviterleSauvage.J’enviensàressentirde lapeinepourmonennemi juré. J’enviensàêtre troublée, intriguéeparcecolocatairetorturéquiaengloutimonpremieramouretl’afaitsombrer.

Oui,TristanQuinncontinueàmefasciner…

4.Commesic’étaithier

Quatreheuresdesommeilàtoutcasser:mesnuitssontcourtes,agitéesetfrustrantes.Voilàcequej’airécoltéensignantcefoutupapier.CedébutdecohabitationforcéeavecTristanestsurlepointdemerendredingue–oudem’envoyerderrièrelesbarreauxpourunbonnombred’années.

Àpart lesquelquesnuitsoùleSauvages’absente, jedoissupportersesconcerts improvisés,sescoups d’un soir, ses solos de guitare, son home cinéma constamment allumé et son volumeconstamment à fond. Bref, je dois supporter son incapacité à exister, à vivre, à respirer sans medéranger.

LesboulesQuiès?J’aitesté…sansrésultat.Lemenacer?Fairesauterlesplombsdelamaison?Taperdespiedsetdesmainsàsaporte?Àchaquefois,çal’afaitrire.

Pasdedoute:nonseulement,Tristannemènepaslamêmeviequemoi–ilsévitlanuit,jebosselejour–,maisillaconsacreàpourrirlamienne.

Arabica,robustaetRedBull:sansvous,jenesuisplusrien.

Jedescendsmollement les escaliers, bâille àm’endécrocher lamâchoire et passe lamaindansmescheveuxcourts–lasensationresteétrange,mêmeunebonnedizainedejoursplustard.Jesuislaseuleâmeéveilléeauxalentourset jemarchesur lapointedespiedspour le rester.Généralement,lorsque les aiguilles se posent sur le 7 , Tristan est au fond de son lit, àmoins qu’il soit en traind’escortersaconquêtedelaveillejusqu’àlaporte.Classe.

Audébut,j’aifaitmonpossiblepourleréveillerdebonmatin.Histoiredeluirendrelamonnaiedesapièce.Maisriennesemblaitfonctionner.Nimonriretonitruant–autéléphoneavecBonnie–,nilesbruits typiquesdupetit-déjeuner–grille-pain,cafetière, tiroirsquiclaquent–multipliéspardixenviron,ni la radio réglée si fortqu’elledevaitdéranger lesvoisins.Maisnon,Tristann’a jamaisréagi,ilnes’enestjamaisplaint,commes’ilnevoulaitpasmefairececadeau.

Sauvage:1–Sauvageonne:0.

Deséclatsdevoixmeparviennentsoudain,dusalon,etjem’attendsàtombersurunsquatteuroudeux,tropalcooliséspourquitterleslieuxaumilieudelanuit.C’estarrivéunefois.Etj’aihurlésifortetsi longtempsquejepensais lemessageclair :aucuninconnun’estautoriséàcuversurmoncanapé,quellesquesoientsesraisons.

Lorsque je réaliseque les sonsproviennentde la télé, etnond’invités-surprises, il estdéjà troptard.J’aifoncédanslesalonenbeuglantmesmenacesridicules, lesmainsposéessurmeshanchescommeuneharpiedutroisièmeâge.SeulTristansetrouvedanscettepièce,entee-shirtgrisetjeannoir.Ilestàgenouxsurletapis,latêtetournéeversl’écran.Ilréagitàpeineàmescris,secontentant

deleverunemainpourmefairesignedemetaire.Jeravalemacolèred’uncoup,ressentantsoudainunetensionélectrique,presqueétouffante.

Sousmesyeuxabasourdis,lacorrespondantedeCNNrépondàlaquestionduprésentateur:

–Oui,Michael,ils’agiraitbiend’ossementsprovenantdeladépouilled’unenfant.Uncrâneetunbassin,plusprécisément.Lesexamenspréliminairesmenéssurplaceontl’aird’indiquerqueceux-ciappartiendraientàunenfantâgéde3à4ansaumomentdesamort,maisriendedéfinitifencore.

Marespirationsecoupe,j’aidumalàavalermasalive.Leprénomd’Harrypasseenboucledansmonesprit.Jemelaissetomberàgenoux,àcôtédeTristan.Ilestblanccommeunlinge.Toujoursagenouillé,immobile,commetétanisé.Jen’osepasimaginerlatempêtequidoitdéferlerenlui.Alorsjeposemamainsurlasienne,incapabledefaireautrement.Ilnemerepoussepas,ilnebronchepas,il fixe l’écran. J’y retourne,moi aussi. À l’image, ilsmontrent unmarécage, comme ceux qu’ontrouveenFloride.Etmapeaufrémitunpeuplus.

– Où a été faite cette découverte macabre, Liza, et dans quelles circonstances ? relance leprésentateurdanssoncostumeétriqué.

–NoussommesiciàGainesville,aunorddelaFloride.Unevilleuniversitaire,sansproblèmes.C’estNick,unétudiantde24ans,quis’estaventuréjusqu’àcemarécagepourvenirphotographierlafauneetlafloresauvages.Cequ’iladécouvertétaittoutautre…

–Eneffet.J’imaginequedesinvestigationssontencours?– Bien sûr. Des analyses, et notamment une datation au carbone 14 , sont nécessaires afin de

pouvoirpréciserlapériodependantlaquellecetenfantavécuetdepuiscombiend’annéesilestmort.Cesinformationspermettraientpeut-êtredel’identifieretdeconnaîtrelescirconstancesdecedrame.Àl’heureoùjevousparle, lesossementssontenroutepourl’institutmédico-légal,nousattendonslespremiersrésultatsdanslajournée.

Ettoutàcoup,alorsqueTristannesemblemêmepluscapablederespirer,laquestionfatidiqueestposée:

–Cettetrouvaillepeut-elleêtrereliéeàuneouplusieursdisparitionsd’enfants,danslarégion?– L’enquête nous le dira plus précisément, Michael, mais ce qu’on sait déjà, c’est qu’un petit

garçonadisparuàKeyWestilyasixanspresquejourpourjour.Soitàenvironhuitcentskilomètresd’ici,oùontétéretrouvéslesossements.LepetitHarrisonQuinn,alorsâgéde3ans,s’étaitvolatilisédans la nuit. Quelque temps après sa disparition, sa peluche avait été retrouvée sur une routenationale, à sept kilomètres de son domicile, ce qui avait mené les enquêteurs à penser à unkidnapping.

–Aucunepistedepuis?–Malheureusement,non.–Merci,Liza.Nousvoustiendronsinformésdel’évolutiondel’enquête.Etmaintenantlamétéo…

Mamainesttoujourssurlasienne.TristanzappeetpasseàFoxNews.Mêmesimages,àquelquesdétailsprès.Mêmesinformations.Mêmesraccourcis.

–Cen’estpasforcémentlui,Tristan,murmuré-jeenlevoyantzappersurABCNews.Harryn’est

pasforcément…–Mort?

Lafaçondontilaprononcécemotmefendlecœur.Tristancoupelesondelatélévisionetfinitpar repousser ma main. Il se redresse, va s’asseoir un peu plus loin en s’adossant aux pieds dufauteuiletdompted’ungestesescheveuxenbataille.Àl’écran,leslèvresd’unnouveaujournalistesemeuvent,maisaucunsonnem’arrive.C’estmieuxcommeça.

Jemelève,merendsjusqu’àlacuisineetpréparedeuxcafésenfaisantgrillerdeuxtoasts.Horsdequestion que je laisse Tristan affronter ça seul. Qu’il le veuille ou non, je ne bougerai pas d’ici.J’envoieunmessageàRoméo,lepréviensquejenemettraipaslespiedsàl’agenceaujourd’huietregardel’arabicacouler.Quelquesminutesplustard,jesuisderetourausalon,unplateauàlamain.Lesondelatélérésonneànouveaudanslapièce,jem’assiedsprèsdeTristanenmefaisantlapluspetitepossible.Timidement,jeluitendsuncafé.Ilrefuse.J’insiste.Ilsoupireetattrapelatassepourlaporteràseslèvres.

Pendantprèsdecinqheures,Tristanetmoirestonscôteàcôte,solidairesdansl’horreur,faceàcetécrantélé.Ilmeparlepeu,maisjesensqu’iln’estpashostile,qu’ilappréciemaprésence.LeprénomdeSiennaapparaîtàplusieursreprisessursontéléphone,iln’apaslaforcederépondre.J’arriveàlepersuaderd’envoyerunSMSà samère,pour luidirequelquesmots rassurants. Je tapepresque lemessageàsaplace,peinéepourmonex-belle-mère–quej’aimaispourtantsipeu,à l’époque.Sonnouveaumari et sonnouveau fils n’ont rien àvoir avec tout ça. Ils n’étaientpas là…SeulTristanconnaîtlamêmedouleurqu’elle.

Lanouvelletombeversmidi.TristanvientderepassersurCNNquandMichaelannoncequeLizaest sur le point dedévoiler une information exclusive, élément clé de l’enquête.À côtédemoi, legrand frèresous tensions’agite, faitcraquernerveusement sesdoigts,passeplusieurs fois lamainsursabarbenaissante.Moi?Jepriepournepasentendrequ’ilneresteriendupetitbonhommeàlacoupeaubol.Rien,àpartuncrâneetunbassin.

–Nous n’en sommes qu’au début de cette enquête,Michael,mais le sexe de l’enfant a déjà étéidentifié.Aprèsavoiranalysél’osdubassin,lemédecinlégisteestformel:lavictimeestunepetitefille.

–LapistedupetitHarryQuinnestécartée,alors.–Toutàfait.

Tristan lâche un soupir rauque, comme s’il venait seulement de repenser à respirer. Il se passelonguementlamaindanslanuqueettoussesmusclessemblentsedétendrepeuàpeu.Lesmiensmedémangent,d’uncoup;j’ail’enviesubitedesautersurmespiedsetdefaireladansedelavictoire.Etpuisjemesouviensqu’Harryn’esttoujourspasrentréchezlui.Quesicecrânen’estpaslesien,onnesaittoujourspascequ’ilestadvenudupetitgarçon,sixansaprèssadisparition.EtleregardquemelanceTristanmeconfirmequelesoulagementestbienlà,maisquelecauchemarestloind’êtreterminé.

–Mercid’êtrerestée,Sawyer…

Savoixgraveetprofondemetrouble.Sonregardsombreetintense,aussi.Nosyeuxnesequittentpaspendantde longuessecondeset toutàcoup, jemeursdechaud.Et lorsque je levois fixermeslèvres,moncœursemetàbattrefrénétiquement.

–Turougisencore,finalement…,sourit-ilpresque.–C’estl’émotion.Rienàvoiravectoi.–Menteuse.–Allumeur.

Unangepasse.Ouplutôtundémon,avecunefourcheenformedeT.Pour«Tentation».

–Çaferasixansdemain,souffle-t-ilsoudainenplissantlesyeuxdedouleur.–Jesais…–Putain.Qu’est-cequ’onafait,Liv?

Savoixs’estbrisée.Tandisquejeresteahurie,accabléeparsesmots,Tristansecouelatêteensemaudissant, puis se lève et sort lentement de la pièce sans rien ajouter.Me laissant seule avecmaculpabilité.

Messouvenirsremontent,commesic’étaithier.J’entrembleencore.Cettenuit-là,j’étaisdanslesbrasdeTristan,jecaressaisseslèvres,sapeau,sonâme,alorsquenosparentsnousavaientinterditdenousvoir,alorsqu’ilsnouspensaientséparéspourdebon.Jesuisrevenuechercherlegarçonquej’aimais,parcequejenepouvaispasm’enempêcher.C’estlorsdecettenuit,decetteheureinterdite,qu’Harry adisparude la chambred’à côté.Tristan etmoi étions censés le surveiller, on l’a laissétomber.Depuis,cetteerreurnoussuitàlatrace.Etuneterribleculpabiliténouscolleàlapeau.ElleabriséledestindeTristan,nousabousillés,nousaséparés,m’aobligéeàquitterl’îleetàtireruntraitsurl’Amour.Leplusfou,leplusintense,leplusabsoludesamours.

Jel’aiperdu,maisjeneregretteraijamaisdel’avoiraimé.

***

Lelendemainmatin,personnen’estfigédevantlatélévision,personneneperturbelesilencedelamaison quand je descends l’escalier en tenue de sport. J’ai découvert sur le tard ce que les genspouvaientbientrouveràlacourseàpied.Mespremiersessaisparisiensfurentdouloureux–malauventre,auxcôtes,auxpoumons,àl’épauledroite,aupoignetgauche,sensationd’avoiravalédesbrisdeverreetmarchésurdescharbonsardents.

Non,jen’exagèrejamais.Non,jenesuispashypocondriaque.

Depuis quatre ans, la corvée s’est transformée en besoin vital. J’allais courir lorsque papa étaithospitaliséetbranchéàdestasdefilsetàdesmachinesquibipaientdanstouslessens.J’allaiscourirlorsquedesproblèmesaubureaum’empêchaientdefermerl’œillanuit.J’allaiscourirlorsquej’étaistentéedem’arracherlapeautellementelleleréclamait.Lui.Tristan.Quid’autre?

ForceestdeconstaterquecourirsurlestrottoirsbondésetpolluésdeParisn’arienàvoiravec

l’expériencequejevisencemoment.Mespoumonsquisegonflentd’airpur.Lesoleilquicaressemapeau.Lesabledursousmesbaskets,surlapisteétroitequilongelelittoral.L’eauturquoisefaceàmoi,àpertedevue,pourseuldécor.Voilàtrenteminutesquejecoursàbonneallureetjenesouffrepas.

Siquelqu’uncomptemedirequejesuismorteetquec’estçaleparadis,qu’ils’étrangled’abordavecuncookie.

J’emprunte un sentier qui m’éloigne de la plage et m’enfonce un peu plus dans la végétation.J’observe lesplantes, les rayonsde soleilqui traversent leurs feuilles, leurscouleurséclatantes. Jeralentis,ouvremabouteille,boisdeuxgorgéesd’eaufraîcheettourneàdroitesansfaireattentionoùjevais.Lavégétationestencoreplusdense,ici.J’entendsdescrisd’oiseauxunpeupartout,jecroiseuninsectenonidentifiédelatailled’unchihuahua,faisunbondsurlecôtéetmemetsàregretterlaplage. J’hésite à retourner sur mes pas, mais préfère emprunter un sentier à gauche, cette fois.Toujoursaucunhumaindanslesparages.Jecoursdeplusenplusvite,commesij’étaispourchassée.Mes cuisses commencent à chauffer,ma respiration s’accélère, jem’insulte intérieurement d’avoirquittélapistebaliséedulittoral.

Etpuis,audétourd’unvirage, jem’arrêtenet,meretenantdehurler.Àcinqmètresdevantmoi,couché aubeaumilieudu chemin : un énormealligator.Lemonstredécèlema présence, ses yeuxjauness’ouvrentetsefixentsurmoi.Cettefois,jehurle.Commej’airarementhurlé.Jeprendsmesjambes àmon cou, fais demi-tour et cours, comme je n’ai jamais couru. En quelquesminutes, jeretrouve la plage, le sable doux, les humains enmaillot de bain et je fonce droit dans l’eau, touthabillée.Latiédeurdel’océanfaitlentementredescendremonrythmecardiaque.

BienvenueenFloride.Attendez…Ilyadesrequins,danslecoin?

Toutvabien.Nihypocondriaque,niparano.

Bon.Lamortdemonpère.Unnouveauboulot.Unnouveaucolocataire.Çafaitpeut-êtrebeaucouppourmonciboulot.

***

Lemoisdemais’étire.Laviecontinue.Pendant lesdeuxsemainesquisuivent,se joueunballetincessant entre lui etmoi,unedanse troublantequime laisseperplexe.Tristan a ses jours.Parfoisrenfermé, désagréable, fuyant le moindre contact et me privant de sommeil la nuit. Parfoisprovocateur,attentif,sonsourireencoinsur les lèvreset le regardbaladeur.Àtelpointque jemedemande s’iln’estpasen traindemedraguer.Etpuis le soirmêmeou le lendemain, il inviteunenouvelleblonde,bruneourousseàpasserlanuitetjeredescendssurterre.

Luietmoi,onaperduledroitdes’aimer.

Siseulementlessentimentspouvaients’effacer…

Jefixelafilleaucarréblondetauxlèvresrougevifdanslemiroir.Vusonairpeuemballé,elle

s’apprête à sortir à contrecœur avec un homme charmant, prévenant, respectueux,mais qui ne luiplaîtpasparticulièrement.Cettefille,c’estmoi.Celuiquim’ainvitéeàdînercesoir,c’estRoméo.

J’allège un peumon rouge à lèvres à l’aide d’unmouchoir et tire surma robe bleu nuit. Trèscintrée,ellen’apasbesoindedévoilertropdejambes.J’enfilemesescarpinsetsorsdemachambre.Lamainsurlarampe,jedescendslentementpouréviterdeglissersurleparquetetdefinircommeunecrêpe,unétageplusbas.

–Oh!Mapetitechérievaàsonbaldefind’année…

Enbasdesmarches,Tristanmefixedesonregardmoqueur.Lorsquesesyeuxdescendentlelongdemoncorps,puiss’attardentsurmesjambes,ilnepeuts’empêcherdesemordrelalèvre.

–Trèsdrôle.Vat’occuperetarrêtedememater.–Attends,jevaischerchermonappareilphoto!Ilfautquej’immortalisecemoment!–Tristan,soupiré-jeenarrivantàsonniveau,invente-toiunevie,pitié.

Ilmebarrelaroute.Nosvisagessontassezprochesl’undel’autrepourquejesentesonsoufflesurmapeau.Conscientedudangerd’unetelleproximité,jem’avanceunpeuplusenpensantqu’ilmelaisserapasser.Raté.

–Dînerd’affaires?Tuportescetterobepouraugmenterteschancesdeconclureunevente?

Ilnebougepasd’unmillimètre,pourleplaisir.Pourmetroublerdavantage.

–Non.Dînertoutcourt.–Rencard?–Peut-être.–Avecqui?–Çateregarde?

Sesyeuxseplissent,maisseslèvress’écartentdansunsourireinsolent.Lorsqu’ilritdoucement,sontorsefrôlepresquemapoitrine.

–Tuasraison.Bonnesoirée,Sawyer,tuasmabénédiction.–Tropsympa,qu’est-cequejeferaissanstoi?ironisé-jeàvoixbasse,toutenfixantsabouche.

Nepasl’embrasser.Nepasl’embrasser.Nepasl’embrasser.

Lasonnerieretentitàcetinstantetj’enprofitepourmefaufilerentrelemuretletitan.Saufqu’ilmeretientunesecondeparlatailleetmeglisseàl’oreille:

–Net’amusepastropquandmême…

Jesuiscouvertedefrissons.Sonodeur,savoixrauqueetsonregardardentviennentdem’achever.Etcetenfoirédemeplanterlà,lesjouescramoisies,larespirationsaccadéeetlescuissesenfeu,pourallers’enfermerdanssatanière.

Ouvrirlaporte.SourireàRoméo.Oublierquejenedésirepersonned’autrequeTristan.

Lesdébutsdecerendez-voussontchaotiques,maisaprèsleplatprincipaletmontroisièmeverredevin, jeparviensàpeuprès àdonner le change.À rire et sourirenaturellement, sansme forcer.RoméoRiveraestlegendreidéal.Unsourireimmaculéetfranc.Desyeuxdouxetrieurs.Unecarrurecapable de protéger une damoiselle en détresse. Un sens de l’humour suffisant et une ambitionsupérieureàlamoyenne.Monpèrel’adorait,maisiln’étaitpasdupepourautant.Ilsavaitqu’àmesyeux,iln’yavaitqueTristan…

–Je suis tonbrasdroitmaintenant,Liv.Tunevoispasdeproblèmeà cequ’on se rapproche…personnellement?

–Non.Cen’estpascommesij’étaistonPDGettoimasecrétaire…

Ilsourit,satisfaitdemaréponse,etenchaînesurlavraiequestionquiletaraude.

–Àquandremontetadernièrehistoire?–Sérieuse?–Oui.–Ilyatroisans.Etjenesaispassij’étaisamoureuse…C’étaitjuste…confortable.Etpuispapa

étaitmaladeetj’avaisbesoindequelqu’un.

Adrien,27ans.Courtier enassurances.Beaugarçon.Peudechosesà raconter.Trop lisse.Tropparfait.

J’avaisdel’affectionpourlui.Jen’étaisdéfinitivementpasamoureuse.

–Qu’est-cequetucherches,aujourd’hui?creuseunpeuplusRoméo.–Riendespécial.Quelquechosedefacile,desimple.Quelquechosequiviendratoutseul.Oune

viendrapas…–Alors,jevaispatienter,letempsqueçavienne…,sourit-il,espiègle.–Roméo?–Oui?–Jesuisunpeubrisée,tusais?Àl’intérieur.

Sesyeuxnoirséclairésàlabougiemecontemplentd’unairquimefaitmonterleslarmes.Moncollègue a l’air de compatir. Sincèrement.Et de vouloirm’aider.Le beauLatino pourrait se tapern’importequi–ilfaittournertouteslestêtes–,maisilachoisidesecompliquerlavieavecmoi.

–Jesuistrèsbonbricoleur.Jepourraispeut-êtreterafistoler…–Jenepeuxrientepromettre.–Pourl’instant,jeneveuxriend’autrequelacartedesdesserts.

Sonsouriremalicieuxme faitdoucement rire. J’aibeaunepas ressentirgrand-chosepour luiàpartde l’amitié, je suisà l’aiseensaprésence.Assezà l’aisepourboireunecoupedechampagneaprèstoutcevin.Puisunedeuxième…

Arrivéesurleporchedu1019,EatonStreet,jesenssesbrass’enroulerautourdemataillepour

m’empêcher de trébucher. J’ai trop bu, ça ne fait aucun doute.MaisRoméo, pourtant parfaitementsobre, n’a pas l’air dem’en vouloir, au contraire. Il rit de bon cœur à chaque fois que j’ouvre labouchepourdireuneniaiserieetrépèteinlassablement,enrépondantàmaquestion:

–Non,Liv,jenevaispasraconterçaàtoutel’agencedemainmatin.

Prised’uncoupdefolie,jemeretourneetcollemeslèvresauxsiennes,espérantressentirquelquechose.Cetteévidence.Cettechaleurbienfaitriceetentêtantequinem’apasenveloppéedepuissixans.Cespicotementsentremescuisses.Cedésir,cettefouguequimedépassent.

Rien.

Justedeslèvresdoucesetagréables.

Unpeusonnémaisparfaitementgentleman,Roméosedétachedemoietmedemandeàvoixbassederentrerdanslamaison.

–Cebaiserétait…Maistuastropbu.–Désolée.

Jerisdemoi,denous,affreusementgênéeparmoninitiative,puisunhoquetbruyants’échappedemagorgeetmes jouesrougissentunpeuplus.Nouveauhoquet.Je faissigneàRoméoque jedoisrentrer, il me souhaite une bonne nuit et retourne à sa voiture. De mon côté, je file à l’étage etm’enfermedansmachambre,meshoquetsrésonnantdusolauplafond.

Enmeglissantdansmonlit,quelquesminutesplustard, jeréalisequel’écrandemontéléphones’estallumé.EtqueleprénomdeTristanyfigure.

[Cebaiserm’aparudécevant,Sawyer…]

C’est justement ça, le problème, espèce de sale con arrogant ! Tes baisers, impossible de lessurpasser!

Bienplusdiplomate,jemecontentederépondre:

[TuassûrementdequoifaireavecPlan-Cul-Numéro-495.Fous-moilapaix,Quinn.]

J’éteinsmontéléphone,histoiredeluicouperlesifflet,maisaussipouréviterdediredeschosesquejepourraisregretter.

Futilité.Fierté.Nananère.

J’aivraimentembrasséRoméo?

***

Quelques jours plus tard, à la nuit tombée, je m’échappe discrètement après avoir serré une

centainedemainsetsouriàautantdevisages.L’oragemeprendparsurpriseàlasortiedecegalad’affaires–Roméonepouvantpass’yrendre,ilabienfalluquejemedévoue.Dansmarobelonguedesoirée,quejemejurededonnerauxbonnesœuvresdèsdemain,jememetsàl’abri,attendantquelevoituriermeramènemaMiniCooper.Deséclairscisaillentlecieletunepluietorrentielles’abatdésormaissurl’île.

Jemetsunetrentainedeminutesàrentrerchezmoi,roulantàtrèsfaibleallurepouréviterdefinirdanslefossé.Àlaradio,lejournalisteannonceunrisqued’inondationetjeremercielecield’avoirhéritéd’unemaisonsurélevée.

Jeremerciemonpère,surtout,d’avoirunefoisdepluspenséàtout.

Une fois garée dans l’allée, je sors de la voiture et fonce vers la porte d’entrée.Mais surmonchemin,undétailretientmonattention.Uneformelongueetnoire,souslesescaliersdelamaison.Jem’arrête,reviensquelquespasenarrièreetmepenche.Desjambes.Cesontdesjambes!Quelqu’unestallongélà,surleventre.

Pitié,pasunenouvelleenquêtecriminelle…

–Putain,vienslà!Jenevaispastebouffer!

Un:cesontlesjambesdeTristan.Deux:ilestvivant.Trois:iltentedeconvaincrequelqu’undesortirdesacachette–avecdesargumentscontestables.

Quelqu’un…Souslamaison?!

–Qu’est-cequetufous,Quinn?grogné-jeententantdevoircequ’ilfabriquelà-dessous.

Lapluietombedeplusenplusfort,jesuistrempéejusqu’auxos,j’ailescheveuxdanslesyeux,onnes’entendpassanshurler.Bref,lechaos.

–Rentre,Sawyer,jen’aipasbesoindetoi!–Dis-moiàquituparles!insisté-jeenm’allongeantàsescôtés.–Arrêtetesconneries,Liv,tuvastombermalade.Rentre,jetedis!–Non!Jeveuxsavoircequetu…

Tout à coup, unmiaulement effrayéme parvient. À l’aide de son téléphone, Tristan éclaire unrenfoncementàquelquesmètresdelàetnousdécouvronsunchatonminusculeaucorpsblancetàlatêtenoire.

–Situmedisqu’ilesttropmimi,jevousabandonneicitouslesdeux,grommellemonvoisin.–C’esttoiquiestropmimi,ris-jedoucement.TristanQuinn,sauveurdeminous.–Laferme,sourit-ilpresque.

Nous appelons la boule de poils, faisons des signes, des bruits de bouche ridicules : rien nefonctionne.

–Pourquoiest-cequ’ilnevientpas?Ilestcoincé?–Sûrement.Oualorstarobededuchesseluifaitpeur.–Qu’est-cequetupeuxêtrecon…,soupiré-jeenmeglissantdansletrou.–Tufaisquoi,là?–Jevaislechercher!Jesuisplusfinequetoi,jepeuxpasser.–Sawyer,l’eaupourrait…–Tun’espasmonpère,Quinn!

L’argument est un peu cruel,mais il est efficace. Je rampe sur le sol, sous les fondations de lamaison,pouraccéderauchaton.Unefoisarrivéeàsahauteur,jedécouvrequesespattesarrièresontenliséesdanslaboue.Jelestiredélicatement,l’uneaprèsl’autre,etledélivre,ilfileimmédiatementendirectiondesonsauveur.Jefaisdemi-touretsorspéniblementdelà,lesbrasdeTristanm’aidantàmerelever.LeSauvagetientcontresontorselapauvrebestiolefrigorifiée.

–Tucomptesencorem’appelerduchesse?grommelé-jeenvoyantl’étatdemarobe.–Viens,«sauveuse»deminous!ricanelesalegosseenm’attrapantparlamain.

Tandisqu’ilpose lechatonsur l’îlotde lacuisineet le frottedansuneserviettechaude, je restedansl’entréeetmedébarrassedemarobequipèseunetonne.D’oùilest,jesaisqu’ilpeutmevoir.Ilprétendnepasmeregarder,maissonsourireencoinle trahitet je lesurprendsàdeuxreprisesentraindememater.Unefoisensous-vêtements,jecoursjusqu’auxescaliersetfileàmonétage,puissous ladouche. Jene redescendsquedixminutesplus tard, lescheveuxattachés,vêtued’une tenuepropreetsèche.

Lechaton,lui,esttoujourssurlecomptoirdelacuisineaméricaine,enroulédanssaserviette,etlape du lait tiède dans une petite tasse. Tristan a disparu. Jem’approche de la boule de poils et lacaresse, tentant de faire connaissance avec elle.Mais l’animal s’endort rapidement et je le déplacedélicatement pour l’installer par terre, dans un coin protégédu salon.Unbruit attire soudainmonattention.JemeretourneetmeretrouvefaceàunTristanaussisurprisquemoi,torsenu,sonboxerblanctrempénecachantplusgrand-chose:

– J’ai oublié de le descendre de l’îlot, s’explique-t-il, mal à l’aise, en passant la main dans satignasse.J’avaispeurqu’iltombe…

–Jel’aifait.Toutvabien.

Mavoixatrahimafébrilité.Levoirpresquenu,siprèsdemoi,sapeautrempée,luisante,bronzée,sesmuscles saillants…Mes cuisses fourmillent. Les picotements reviennent. Sans réfléchir, jemejetteenavantetl’embrassecommesijedevaismourirdemain.C’estbrutal.Presqueviolent.Plusfortquemoi.PuisTristanreprendlecontrôle:ilromptcebaiser,mebouffeduregard,m’attrapeparleshanchespourmeplaquercontrelemuretintroduitànouveausalanguedansmabouche.Jegémis,ilm’embrassedeplusbelle,laissantsesmainss’aventurersousmontop.

Jen’aipasdesoutien-gorge.

Pasdeculotte,nonplus…

Etmerde.J’avaistoutprévu.

LeSauvagequittemesseinsetempoignemesfesses.Seslèvreslaissentmaboucheetseperdentdans mon cou, léchant, embrassant, mordillant ma peau, partout. Plusieurs fois, il me plaque ànouveau contre le mur. Ou écrase son corps presque nu contre le mien. J’aime sa rudesse, sonimpatience,lapassiondanschacundesesgestes.

Non,jenelesaimepas:ellesmerendentdingue.

Ellesm’onttellementmanqué.

Ilm’embrasseànouveauàpleineboucheetjedoism’empêcherdegémirtellementc’estbon.Jemordsdanssalèvreinférieurepournepaslaisserlevertigem’envahir.Pourpouvoirreprendremonsouffle, juste une seconde.Mais l’insolent n’apprécie pas qu’on le batte à son propre jeu. Etmonaudace ne fait que décupler sa fougue. Sansme quitter des yeux, il passe son pouce sur sa lèvreendolorie, sourit en coin et m’écarte les jambes brusquement, du genou. Je sens son érection,enferméedanssonboxertrempé,frottercontremonintimité.

Jeperdslatêterienqu’àl’idéederevoir,deretoucher,deressentircesexequiahantémesnuits,chaquefoisquej’étaisseuledansmonlit,chaquefoisquejelaissaisunautrehommeseglissersousmesdraps.Commepourm’empêcherdepenser,Tristansaisitmonvisageentresesmainsetmeforceà le regarder.Dans ses iris bleus, presque noirs, je lis un désir fou, brûlant.Dansmes yeux, sansdoutelamêmeflamme,lamêmeintensité,lamêmequestion:pourquoiest-cequ’onfaitça?

Parceque.

Parcequ’onnepeutpasnepaslefaire.Parcequec’estau-dessusdenosforces.

C’estmaintenantmaboucheàmoiquecaresselepoucedeTristan,soussonregardpleindedéfi.Desouvenirsaussi,commes’ilreprenaitsesmarquessurmonvisage,commes’ilredécouvraitmestraits,commes’ilvérifiaitquechaquegraindebeauté,chaquetachederousseur,chaqueminusculecicatricesurmapeauestàsaplace.

–Embrasse-moi,dis-jeàvoixbasse.–Non.–Embrasse-moi,Tristan.–Jenereçoispasd’ordresdetoi,Liv.

Sonair arrogant,quim’agace tantd’habitude,m’excite follement.Sonpouce sepresse surmeslèvrespourmefairetaire.J’entrevoisletatouagesombreàl’intérieurdesonbras,maisjen’aipasletemps,paslatêteàça.Sonsexeduresttoujourslogéentremescuisses,nospeauxseulementséparéesparsonboxeretmonshortyencoton.Essoufflée,pétriededésir,j’entrouvrelabouchepouryglissersondoigt.Jerefermemeslèvressursonpouce,enregardantdroitdanslesyeuxmonamantrebelle.Jelesuçoteetiln’apasbesoind’autresexplicationspourcomprendreoùjeveuxenvenir.Iln’aimepeut-être pas qu’on lui donne des ordresmais, à l’entendre grogner, il aimema façon de les luisuggérer.

Tristanquittemonvisageetglissesamaindansmonshorty.Sapaumeseplaqueavecforcesurmanudité. Je soupire. Il presse un peu plus fort, je gémis. Il faufile un doigt sur mon clitoris, jem’essouffle.Ilmecaresseetjem’agrippeàsonsexe,pournepasêtrelaseuleàflancher.

MaisTristansaisitmamainetlaplaquesurlemur,au-dessusdematête.Ilfaitpareilavecl’autre.Et emprisonne mes poignets entre ses doigts serrés. J’ai un peu mal. J’aime ça. Et j’attendsimpatiemmentlessévicessuivants.Samainquirevientdansmonshorty.Sapaumequim’enveloppe,aveccettepossessivitévirile.Lapulpedesesdoigtsquijouentàmerendrefolle.Sescaressesquimefontperdrelatête.Etsondoigtquis’insinueenmoi.Jenerespireplus.

Ilsouritencoindetoutceplaisirqu’ilfaitjaillirenmoi.Ils’approchedemeslèvresentrouvertes.Etyglissesalangue,pendantqu’ilmepénètred’undoigt,puisdeux.Jeluirendssonbaiser,extrême,passionné, je le dévore pendant qu’il me fait jouir. Déjà. Je crie contre sa bouche. Jemêle à sonhaleinesucréemonsoufflesaccadé.Samainsedéchaînesurmonsexe.Moncorpstremblesoussescaresses. Et l’orgasme m’emporte, fulgurant, désarmant, me laissant pantelante, brûlante,emprisonnéeentrelemuretlecorpsbouillantdemonamant.

–Tumerendsmesbras?luisoufflé-jeaprèsquelquessecondesdesilence.–Pourquoi?–Parcequ’iln’yapasquetoiquiasenviedejouer.

Mesyeuxdescendentsurlabossequimenacededéchirersonboxer.Tristandesserresonempriseautourdemespoignetsets’écartedemoi,pourmerendremaliberté.Puisilreculedanslecouloir.Jepeuxadmirersoncorpsmuscléetsonsexetoujoursdressé.Maisjenecomprendspasàquoiiljoue.S’il fuit. S’il se fait désirer. Il disparaît dans sa chambre.Et je n’osepas le supplier de revenir. Jen’osepasluidemandercequ’ilfait.Silapartieestterminéepourcesoir.

–Lejeunefaitquecommencer,Sawyer,prononcesavoixgravequandilréapparaît.

Son boxer blanc a disparu. Tristan ne porte plus rien, si ce n’est un emballage de préservatifbrillant dans lamain. Je retiensmon souffle et le bouffe des yeux. Je ne crois pas qu’il existe unhommeplusattirant,unsexeplusparfait,unepeauplusalléchante.Pendantqu’ilavance,lentement,sabouches’entrouvreetlesonquiensortestunsoufflesuave,unordredélicieux:

–Déshabille-toi.

Je ne l’ai jamais vu si viril, si sensuel, si déterminé. L’incendie se rallume au creux de monintimité. J’obéis sans le quitter du regard. Sans même me demander si je devrais dire non, merebeller, fuir. Je retiremon topet luioffremesseinsnus.Lentement, je faisglissermonshorty lelongdemesjambes.Jen’aiplus18ans.Manuditénemefaitpluspeur.Etmapudeurn’estrienàcôtédudésirviolentquejeressens.

Uneétincelle fait briller son regardbleu foncé.PuisTristan se rue surmoi etme soulève.Noscorpssepercutent.Nosbouchess’aimantent.Noslanguess’enroulent.Mesjambessenouentautourdesataille,ilm’emmènejusqu’ausalonetm’allongesurundescanapés.

–Tut’espeut-êtreaffirmée,Liv.Maisilyadesmomentsoùc’estencoremoiquicommande.

Je frémis en entendant sa voix rauque.Et en comprenant le sens de sesmots. J’essaie de le luicacher,maissaprisedepouvoirm’excitebienplusqu’ilnelecroit.Jeluitienstête,parprincipe.Etparcequeplusjeledésire,plusj’aienviedeleprovoquer.

–Ceschoses-lànesedisentpas.Ellessemontrent.

Safossettesecreuse,sonpetitsourires’étireetmonamantsepencheenavant,plaquantsamainsurmonseinetsabouchesurmontéton.Physiquement,ilmedominepeut-être.Maisj’aiobtenucequejevoulais.Safougue.Soncorpssurmoncorps.Salanguesurmapeau.

Maispasencoresachairdansmachair…

Etjenesaispascombiendetempsjevaistenirsanslesupplierdemeposséder.

Je lui arrache lepréservatif de lamain et déchire l’emballage avecmesdents, pendantqu’il estoccupéailleurs.À tâtons, je pars à la recherche de son sexe quime frôle insolemment.Et quimemanque tant. Je l’empoigne. Il est dur, long, doux. Plus impressionnant encore que dans monsouvenir. Tristan râle quand je le caresse. Mais il ne trouve rien à redire quand je lui enfile lepréservatif.

Samains’emparedemacuisseet la remonte le longde sa jambe. Ilplongeson regarddans lemien.Jemenoiedanssonbleuauxmillenuances.Auxmilleémotionscontradictoires.Maisledésirl’emporte.EtTristanmepénètre, enfin.C’est bon à enmourir. Il reste logé au creuxdemoi et jel’interdisd’ensortir,mesmainsplaquéessursesfessesbombées.Letempss’arrête.Moncœuraussi,jecrois.

Puismonamant indomptableme transperced’unnouvel assaut.Ses coupsde reinsviennentmecombler, chaque fois un peu plus loin, chaque fois un peu plus intenses. Notre corps-à-corpss’emballeàunrythmeendiablé.Maisparfaitementsynchronisé.Sondésir,monplaisir.Sonplaisir,mondésir.Noustombonsducanapé,roulonssurletapis,sansjamaisnouslâcher.Nosyeuxsedisentdes tas de choses pendant que nos corps profitent de ces retrouvailles intenses, inespérées. Sespectorauxmusclés écrasés surmes seins. Ses abdominaux dessinés frôlantmon ventre. Ses bicepscontractésquandilsoulèvemescuisses.Sesmainsfixéessurmeshanchespourmeposséderunpeuplusfort.Sonbassinquiclaquecontrelemien.Nosjambesemmêlées.Sescheveuxenbataille.Meslèvresentrouvertes.Sonodeurentêtante.Etnospeauxquisemblentencoreseconnaîtreparcœur.

Toutchezluin’estquevirilité,sex-appeal,sensualité.

Toutchezmoin’estquedésirdesoncorpstoutentier.

Je m’abandonne à cette jouissance inéluctable, sans lutter. Mais sa force me surprend, mesubmerge,me bouleverse. Tristan grogne et râle et tremble et cède à son tour. Son corps devientlourdsurlemien.Maissonâmes’élève,commelamienneilyaquelquessecondes.Enlacés,nousplanons,l’unetl’autre,sansparler,perdusdansuneautreréalité.

Ilnousfautdelonguesminutespouratterrir.Pourrouvrirlesyeux.Oserbougerànouveau.C’est

Tristanqui se lève lepremier, sedébarrassedupréservatifetmarchevers lacuisineouverte. Je leregarde,nu, lapeauluisantedesueur,sagrâcemasculineetsabeautébouleversante.J’essaiedenepaspenser.Ilouvrelefrigo,resteplantédevantcommepourserafraîchir,puisleferme.Sonpoings’écrase sur le mur pour actionner le ventilateur suspendu au plafond de la cuisine. Ses cheveuxdésordonnés se mettent à voler. Puis Tristan commence à ouvrir tous les placards et finit par sepencher pour boire directement au robinet. Je souris bêtement. J’attrape le plaid gris sur l’autrecanapé,m’yenrouleet le rejoins.Jemehissesur lapointedespiedspoursortirquelquechoseduplacardetleluitendre.

–Onadesverres,tusais?–LeSauvage,tuterappelles?Cen’estpascommeçaquetumesurnommes?–Commenttusaisça?–Jet’aientendue…Tuparlestouteseulequandturâlescontremoi.–Tuleveuxoupas?insisté-jeentenantleverreàboutdebras.–Tun’asaucuneidéedecequejeveux,Liv.

L’insolentàlavoixgravemeprovoqueànouveau.Ilplisselesyeux,penchelatêtesurlecôtéetattendmaréaction.Commetoujours.

–Tunet’arrêtesjamais,hein?soupiré-jeensoutenantsonregard.–Jamais.

Àcetteréponse,Tristanattrapesoudainmonplaid, tiredessuspourlefaire tomberàmespieds,mesoulèveànouveausouslescuissesetm’assiedbrusquementsurleplandetravailengranit.Glacé.Monsangseréchauffeenunmillièmedeseconde.Monamantinsatiableglissesamainsurmanuqueettiredoucementsurmescheveux,renversantmatêteenarrière.Jemesouvienscommeilaimaitmalonguecrinièreemmêlée. J’ignorecequ’ilpensevraimentdemoncarrécourt. Ilm’aditqu’ilmepréféraitavant,maisçanel’empêchepasdefoncersurmabouchepourm’embrasserpassionnément.

Toutemapeaufrémit.Toutmoncorpstressailleetleverrem’échappedesmains.Ilsefracassesurle sol, à deux mètres de nous. Le ventilateur s’affole au-dessus de nos têtes. Et dans ce chaosmerveilleux,Tristanenfouitsonvisageentremescuissesetsalangueentremeslèvres.Àunevitessefolle,ilmegoûte,memord,mecaressedetoutesabouche.Mefaitsienneànouveau.Ilmedévorecommeunaffamé,sansrienperdredesagrâce,desasensualité. Ilsaitparcœurceque j’aime,aumillimètreetausouffleprès.Riennesemblepouvoirl’arrêter.Niarrêterledésirquimeconsume.Etletroisièmeorgasmequimenacedemeterrasser.

LeSauvageadisparu…

Etc’estcommesileTristand’avantvenaitderéapparaître…avecsixannéesàrattraper.

5.Libres

L’horlogeancienneenferforgéindique3heuresdumatin.

Jel’ailaisséfairecequ’ilvoulaitdemoipendantcentquatre-vingtsminutes…

Mapeauenfrémitencore.Cesretrouvaillesétaient…indescriptibles.Sinosespritsetnosegosefontconstamment laguerre,noscorps,eux,savents’unirà laperfection.Jen’avaispasressentiçadepuissixans.Depuislui.Sonsex-appeal.Soninsolence.Safougue.Etilaremisça,commepourmerappelerquejamaispersonneneluiarriveraàlacheville.

Rappel:c’esttoiquiasfaitlepremierpas,Liv…

Etalors?Iln’étaitpasobligédemefairejouirtroisfois!

Désormais, les soupirs, les grognements, les cris d’extase ont laissé place à un silence gêné.Tristanetmoin’avonspaséchangéunseulmotdepuislafindenosébats.Allongéesurlecanapéàses côtés, je triture le plaid gris qui cache partiellementma nudité. Lui respire calmement, si j’encroissontorsequisebombedemanièrerégulière. Ila lesyeuxrivésauplafond,savirilitébienàl’abrisousuncoussin.Seulsnosbrassetouchent,riend’autre.Etcedétailmedérange.

–Tontatouage…,lancé-jeenfin.–Hmm?–Ilreprésentequoi?–Jet’aimenti,Sawyer.

Desavoixrauque,iltenteclairementdechangerdesujet.Etlorsquesonvisagesetourneversmoietquesonsouriredesalegosseapparaît,jecomprendsquejen’obtiendrairiendelui.Pascettenuit.

–Tuvasjoueràmerendredingue,c’estça?–Qu’est-cequitefaitdireça?semarre-t-ildoucement.–Tout.–Tuneveuxpassavoirsurquoijet’aimenti?–Non,jeveuxsavoircequesignifientceschiffresetceslettressurtonavant-bras.–Tescheveux…–Quoi?Qu’est-cequ’ilsontmescheveux?–Jet’aiditquejen’aimaispas…–Laisse-moideviner,lecoupé-je.Enréalité,c’estpirequeça.Tudétestes.

Jesoupire,pensantavoirdevinésonpetitmanège.S’ilcroitquejem’attendsàuncompliment,ilme connaîtmal…Mais le titanme lance un regard quime désarme. Il se retourne, se rapproche,suffisammentpourquenoscorpsentrentencontact,etilglisselamainsurmanuque.Ettoutentirant

légèrementmacrinièreblonde,ilmurmure:

–J’aieuenviedetoiàl’instantoùjet’aivuearriveraveccettecoupe…

Desfrissonsremontentlelongdemacolonne.Sescomplimentssontsirares.Etcettephrase-làmetrouble bien plus qu’elle ne devrait. Je fixe ses lèvres, tentée d’y replonger. Mais, fidèle à soninsolenceettrèsfierdelui,Tristanembrasseleboutdemonnezetbonditau-dessusmoipoursortirducanapé.Toutenlemaudissant,j’admiresonfessiernuetmusclés’éloignerdemoi.

–Àplus,Sawyer…

Iln’apaschangé.Moinonplus.Maispourquoiest-cequejeluilaisseavoirlemotdelafin?

–Vat’occuperdetonminou!luibalancé-jebêtement,pourmevenger.

Lesouriredémoniaquequ’ilm’envoiedepuis lacuisinemedonneenviede legifler,mais ilnem’enlaissepasletemps.Sesgrandsbrass’emparentduchatonetdesaserviette,lesdeuxroulésenboulesur lesol,puis ils lesemmènent rapidementdanssachambre.J’entends laportese refermerderrière eux et je balance un coussin à l’autre bout de la pièce en l’insultant, comme une fillesusceptible,immature–etabsolumentpas«cliché»–leferait.

Résumons.Jeledéteste.Ilsefoutdemoi.Ilm’horripile.Ilm’attire.Ilattaque.Jecontre-attaque.Ilm’obsède. Il est arrogant. Insolent. Macho. Irrésistible. Il sauve des minous. Il embrasse commepersonne.Baisecommeundieu.Ilestinsupportable.Jesuisunegarce.Ondoitsurvivreencoreonzemoisetquelquessouslemêmetoit.

Help!!!

***

Leréveilfaitmal,cematin.Enparticulierparcequ’onestdimanche,quej’aidormitroisheuresetqu’aulieud’unesonneriezen,c’estlavoixsuraiguëd’uneharpiequim’arracheàmessonges.

–Club666…Attendutoutelanuit…Àtabotte…Égoïste…

Desbribesdeconversationmeparviennent, jefourrelatêtesousmonoreillerpourneplusrienentendre,maisc’estencorepire.Lafollefurieusepasseàl’octavedudessus.Jesautedemonlit,fileàla salle de bain pour dompter mon carré et me laver les dents, puis descends pour assister auspectacle.

Une fois au rez-de-chaussée, je reste un peu à l’écart, dans le couloir, et observe Plan-Cul-Numéro-412s’exciter touteseule.Labimbodécoloréearboresaplusbellerobedesoirée–roseàpaillettes,ajouréedehautenbaspourleplusgrandplaisirdemesyeuxàpeineouverts–etcrachesabilesurunTristantranquillementassissuruntabouretderrièrelecomptoir,lescheveuxenbatailleetlesbrascroiséssursontorse.

Ilvientdeseréveiller,luiaussi…Saufqu’ausautdulit,ilestdéjàbeauàcrever…

–Jetedemandeuneseulechose:tenirtesengagements!Êtrelàquandtumedonnesunrencard!Maismême ça, tu n’es pas capable de le faire ! Je t’ai attendu toute la nuit !Et tout lemondemeconnaît,auclub,jesuispasséepourlapiredesconnes!

–Jenetedoisrien.Ettoinonplus.Tudevraisallervoirailleurs.

Sontonn’estpasagressif,saréponseneseveutpeut-êtrepascruelle,maisellel’est.J’avancedequelquespas,toujourssansêtreremarquée.Lablondeestmaintenantauborddeslarmes.

–Tufinirasseuletmalheureux,Tristan.–C’estmonproblème.–Jet’aimebien…–Jet’aiditdenepast’attacher.–Jesuishumaine!J’aiuncœur!–Tuesvenuemechercher,Lexie.Tusavaisquejenevoulaisrien,justem’envoyerenl’air.J’ai

ététrèsclair.–Jepensaisquetuchangeraisd’avis,àlalongue…,murmure-t-elled’unevoixtriste.–Çan’arriverapas.–Tunesaispascequi…–Non!Onarrête.Toietmoi,çan’iranullepart.Ilfautquetutrouvesquelqu’unquiaenviedela

mêmechosequetoi.Etquitrouveraça«adorable»quetudébarquesà7heuresdumat’pourluifaireunescène.Moi?Jedétesteça.

Sadernièrephrasem’apresquefaitfrémir.Cettefois,sonmessageestclairementpassé.Plan-Cul-Prénommé-Lexieattrapesonsacàmainàfrangesposésurl’îlotcentral,faitcliquetersesbraceletsdorés,puiss’éloignesurses talonshautsenreniflant.Avantdepasser laporte,elleéructedansmadirection:

–Aufait, ilyaunepétasseblondequinousécoutedepuiscinqminutes.J’espèrequ’ellesaitoùellemetlespiedsavectoi…

Merde.

Attendez,ellem’avraimenttraitéedepétasse?!

Laported’entréeserefermedansunclaquementsecetjem’apprêteàgrimperlesescaliersàtoutevitessepouréchapperàTristan.Raté.

–C’estvalablepourtoiaussi,Sawyer,grogne-t-il,maintenanttournéversmoi.–Quoidonc?

Ilselèvedesontabouretetmetenroutelamachineàcafé.Alorsqu’ilouvreleplacardduhautpourattrapersonmug,sontee-shirtsesoulèveetdécouvresonbas-ventre.Mesyeuxseposentsursaceintured’Apollon.CeVdessinésursapeaubronzée,quidémarresurseshanchesetdescendjusqu’àdisparaîtresoussonbermuda.

Là-hautlesyeux,Sawyer!

–Qu’est-cequiestvalablepourmoi,Quinn?insisté-je.–Tulesaistrèsbien…–Dis-le.–Jesuislibreetjecomptelerester.

Ilmefixesoudain,pourliremaréaction.Jen’enaiaucune.Jemecontrôle.Ilassèneunnouveaucoup:

–Les«Jet’aime», lesconneriesdecoupleet lespetitscœursquipalpitent,c’estfinipourmoi.Cettenuit,onadérapé,riendeplus.Mets-toiçadanslecrâneetévitedetefairedesfilms.

–Desfilms?sifflé-je.Maistut’imaginesquoi,Tristan?Quejet’aimeencore?!

Jedétaleaussivitequepossibleendirectiondupremierétage,leplantantlà,sonmugvidedanslamainetlesyeuxsombres.Jenesaispassijesuiscrédible,j’ignoresijel’aitouché,blessé,maisjem’enfuis.Commeavant.Commeàchaquefoisqu’ilmetroublait,medéstabilisait,mepoussaitdansmesretranchements.

Ceputaindejeuduchatetdelasourisreprend.

J’aibeauprétendre le contraire, sesmotsm’ont faitmal. J’auraisdûmieuxmepréparer à cetteattaquegratuite,quidevaitarriver.Tôtoutard,Tristanallaitrenfilersacarapace,serenfermeretmeremettreàmaplace,c’étaituneévidence.LeTristand’avantl’auraitprobablementfaitunpeuplusendouceur,avecplusdetact,endédramatisantlasituation.LeSauvagefrappefort,quitteàfairemal.Ilsemoquedecequejeressens.Sesmotsétaientaussiaffûtésquesonregardétaitnoirlorsqu’ilm’adévisagée,l’airdedire«Tut’attendaisàquoi?».

Àunedemandeenmariage,enfoiré.

***

–Liv,jesuisauportail.–Entre!lancé-jedansl’interphone.–Tuessûre?Jepeuxattendredehors…–Roméo,entre!J’aipréparéunesaladeetlancélebarbecuepourlessteaks.–OndevaitdéjeunerauPetitParis,non?

Jesourisenentendantsonfauxaccentfrenchie.

–J’aichangéd’avis!Vienstestermestalentsdecordon-bleu…

Je ricane intérieurement, consciente que Tristan ne va pas du tout apprécier ce qui va suivre.RoméoRivera–qu’iln’ajamaispuencadrer–quis’invitechezlui,undimanchemidi,pourmangersessteaks.

Quoi?Paseuletempsdefairelescourses!

J’aipleuréquelquessecondes,aprèsledépartdeLexie,avantdeséchermeslarmesetdedécider

quejen’allaispasjouercerôle-là.Quejenevoulaispasêtrecettefillequirestesagementsurlecôtéetprendlescoupssansbroncher.SiTristanpeutsepermettrecegenredevacheries,s’ilpeutfairecequebonluichantesanssepréoccuperdurestedumonde,alorsmoiaussi.

RoméoaàpeinemislespiedsdanslamaisonqueTristansortdesatanière, lescheveuxencorehumides de la douche – qu’il réussit désormais à prendre dans sa baignoire, ômiracle. Les deuxhommes se toisent un instant, puismon collègue tend lamain en signe de paix, mais le Sauvagepréfèrel’ignoreretvas’affalersurlecanapédusalon,oùilretrouvesaguitare.

Làoù…cettenuit…Stop!

–Toujoursaussicharmant,murmureleLatinoenacceptantlabièrequejeluitends.Jepeuxfairequelquechose?

–Tusais,cettefillequit’ainvitéàdéjeunerentepromettantdessteaks?–Uneblondeauxyeuxbleus,jecrois,acquiesce-t-il.Trèsjolie,maispastrèsfiable…

Jerougis,m’excused’unepetitemoueconfuse.

–Jesuisdecorvéebarbec’,c’estça?

Il rit, je l’imite, sentant lesyeuxdeTristandansmondos,probablementplissésde colère.Sansfaired’histoires,Roméos’emparedelaviandeposéesurlecomptoiretfileendirectiondujardin.

–Lebarbecueestjustederrièrelamaison,verslaportedu…–Jemesouviens,tonpèrem’avaitmontré!

Papa l’avait amené ici, il y a sept ans, juste après avoir embauché son bras droit.Mais j’étaispersuadéequec’étaitpourvendrelamaison…

Tout à coup, ma tentative de rendre Tristan jaloux – ou juste de bien l’énerver – me sembleatrocementfutile.Jerepenseàmonpèreetàcequ’ilm’auraitconseillédefaire,danscettesituation.Probablement quelque chose du genre : « Laisse-lui du temps, il en a besoin. Et toi aussi, tu doisguériravanttoutechose.Maisaccroche-toisic’estluiquetuveuxvraiment.»

Cequejeveuxvraiment?Depuishiersoir,minuit,jenesuisplussûrederien.

–Qu’est-cequeturegardes?grondé-jesoudainendirectiondeTristan.

L’insolent lève lesmainsdechaquecôtédesa tête,maisnerépond rien.Cequim’irriteauplushautpoint.

–Quoi?Tuesàcourtdesaloperiesàmedire?

Toujoursriendesoncôté.Justeunregardazur,quimefixeintensément.

–TristanQuinn,situsavaiscommeilmetarded’êtredansonzemois…–346jours,murmure-t-il.

–Quoi?–Tum’asentendu.–Sic’esttroppéniblepourtoi,tupeuxrentrercheztamèreetsonmari.Personneneteretient.–Sansfaçon.Jesuistrèsbienici,àquelquesexceptionsprès.–Moi,j’imagine?–Çadépenddesjours,sourit-ilencoin.Tongigolo,parcontre…–Monquoi?

Tristanritdanssabarbesansrienajouter,puisgrattedeux-troisaccordssursaguitare.

–Jeteparle,insisté-je.–Cen’estpastonmec.J’aitort?–…–Cen’estpasnonplusjustetonami.–Ettusaistoutça,parceque…?–Parcequejeteconnaisparcœur.Etparcequ’onvitsouslemêmetoit.–Alorsjeproposeuntruc:mêle-toidetesfessesetjeferailamêmechose.–C’esttoiquiramènescetypeenpleinmilieudelajournée,ensachantpertinemmentquejeserai

là.–Je…–Ilt’attend,Sawyer,souritleroidesemmerdeurs.J’espèrequ’ilapprécieramessteaks.–Tumefatigues!

Son sourire de sale gosse m’exaspère, je fais volte-face, attrape la jatte de salade et file àl’extérieur,retrouverlatablequej’aidresséeunpeuplustôt.Roméoestenpleinecuissondessteaks.Moi,jecuis,maispouruneautreraison.

–Tusaisqu’onestamis,toietmoi?luidemandé-jetoutàcoup,gênée.–C’étaitjusteunbaiser,Liv.Toutvabien,mesourit-il.

Unconseil:netombepasamoureuxdemoi,Roméo.Jesuistoxique.

***

Le lendemain après-midi. Les rues du centre-ville sont bondées. Comme chaque année à cetteépoque, leKeyWestSongwritersFestival s’ouvre sur l’île et amène avec lui plusieursmilliers detouristes, musiciens, paroliers et simples amateurs. Des plus connus aux plus novices, les artistesmontent sur scène pour jouer leurs dernières créations. Une semaine pendant laquelle l’île vit etchante jour et nuit. Pendant laquelle Bonnie ne dort quasiment pas. Et pendant laquelle il estimpossibledesegarer.

Jefinisparbaisserlesbrasetabandonnemavoitureunpeun’importeoù,àunendroitquinegênepaslacirculation.Ellenvientdemeprévenirquemonrendez-vousauraitunebonneheurederetard,j’ai le temps de flâner au soleil en sirotant un café frappé. Je croise un premier groupe, un jeunegarçonblancetunefemmenoireplusâgée,quichantentunesomptueuseballadeàdeuxvoix.Puisuneartistesolo,sorted’AlanisMorissette façonreggae.Un ténor,cette fois,quis’adonneauchant

lyriquefaceàunefouleestomaquée.Letempsdeterminermaboissonglacée,j’aiparcouruàpeinetroisruestellementlesgroupessontnombreuxetlespassantsagglutinés.

Jem’apprêteàreprendrelechemindel’agencelorsqu’unevoixfamilièreetsuavemesaisit,surmagauche.CelledeTristan,quichanteun«tube»desKeyWhy,sonanciengroupe:LetMeHaveYou.

Cesoir-là,ilyaseptans,j’auraisjuréqu’illachantaitpourmoi.

Jelecherchepartout,lecœurbattant,avantdecomprendrequ’ils’agitd’unenregistrement.Etderéaliseràquelpointjesuisdéçue.

–Liv!Qu’est-cequetufouslà?

Drake, l’ex-meilleuramideTristan, l’ex-amoureuxdeBonnie, se ruesurmoi, tout sourire. Ilatoujourslesdeuxoreillespercées,maissescheveuxblondsetrassontmaintenanthérisséssursatête.Sixansontpassé.

–Jevisici!Ettoi,c’estfiniMiami?–Non,jesuisjusterevenupourlefestival.–Ettufaislapromotiond’ungroupequin’existeplus?–C’estuneerreur,semarre-t-il.L’ingésonapassélemauvaistitre.Onmontesurscènecesoirsi

tuveuxmevoirjouer.Tuviendras?

Ce quim’a toujours étonné chezDrake, c’est cette bonne humeur permanente, quel que soit ledramequisejouejusteàcôté.Audébut,j’aiprisçapourunmanqued’intelligence.Finalement,ilsepourraitqu’ilaittoutcompris.Pouréviterlesproblèmes,ilsuffiraitdenepaslesregarderenface.

–J’aiapprispourtonpère,jesuisdésolé,sesouvient-ilsoudain.Toutlemondel’aimaitbeaucoup,parici.

–C’estgentil.–TuasrevuTristan?–JevisavecTristan…,grommelé-je.–Quoi?–Unehistoired’héritage,laissetomber.–Ilvabien?–Tudevraislesavoirmieuxquemoi,non?Vousn’étiezpasinséparables?

Lesouriredurockeurdisparaît,toutàcoup.Premièrefoisquejevoisça.

–J’aiessayéd’êtrelàpourlui,Liv.Ladisparitiond’Harry,çal’avraimenttransformé.Auboutdedeux ans, je n’en pouvais plus.Les coups de fil en pleine nuit pour aller le chercher au poste. Legroupequ’il bousillait àneplusvouloir chanter.Ladistancequ’ilmettait avec tout lemonde.Sonobsessiondetrouverlecoupable,d’envouloiràlaterreentière.

–Tucroisqu’illechercheencore?réalisé-jesoudain.–Iln’arrêterajamais,Liv.Àl’époque,ilpassaitsesjournéesetsesnuitssurInternet,pourtraquer

jenesaisquiet jenesaisquoi.MaisHarryne reviendra jamais.Tout commeTristanne seraplus

jamais le même, le pote que j’admirais tant, que j’aimais comme un frère. Il ne veut plus qu’onl’aime.Ilveutqu’onlelaissesedétruire,etpourça,ilafaitlevideautourdelui.

Jeparsauquartdetour,soudainfurieusedecequejeviensd’entendre:

–Ilestencorelà,quelquepartenlui!LevraiTristan…–Tuenessûre?

Oui.Jel’aientraperçu,l’autrenuit…

N’ayantaucuneenviedemedisputeravec lui, jequitte rapidementDrake,en luiproposantd’enrediscuteruneautrefois,quandj’auraiplusde temps–cequin’arriveraprobablementpas.Puis jeretourneàl’agenced’unpasénergique,enmecognantàtouslesbadaudstroplentssurmonchemin.Cette conversation m’a remontée. Je suis prête à ne faire qu’une bouchée du prochain acheteur.LorsqueRoméomevoitarriverdanscetétat,ilm’empêchedemeservirunnouveaucaféetmetendunebouteilled’eaubienfraîche.

–Tuveuxenparler?–Non.–Besoind’unpunching-ball?–Oui,souris-jeenfin.Jesongeàeninstallerundansmonbureau.–Tonpèrem’aditpareil,unjour…

Moncollèguesortdelapièceultra-climatiséepourlaisserentrerlecoupledeFrançaisvenusdeParis pour s’offrir une luxueuse villa secondaire. Je serre vigoureusement lesmains tendues, puispasseauxchosessérieuses.Si jenégociebienmonaffaire,c’est touteunenouvelleclientèlequejepourraisattireràlaLuxuryHomesCompany.

Venezàmoi,petits,petits…

Troisheuresplustard,lapromessedeventeestsignée.M.etMmedeFrémontm’annoncentqu’ilsvontfêterçaauRuinart,tandisquejem’apprêteàretrouvermonétage,monseaudepop-cornetmonécranplat.L’agences’estvidée,Roméomefaitunsignedelamainenpartant,jemetsdel’ordredansmes papiers et me lève pour décamper à mon tour. Sauf qu’au moment où j’éteins ma lampe debureau,maportes’ouvrebrutalement.

Jesursaute,puisreconnaisSiennaLombardi.LamèredeTristan.L’ex-femmedemonpère.Ensixans, elle n’a pas changé d’un pouce. Ses cheveux noirs et impeccablement bouclés, sa peau hâléed’Italienne,sestraitsfins,sesformesvoluptueusesetsaligneparfaite.Etsurtout,sesyeuxsombresquimefusillentetsemblentm’accuserdetouslesmalheursdumonde.

–Sienna?

Lefiletdevoixestàpeinesortidemagorge.

–Jesavaisquetonpèresouhaitaitêtreenterrélà.Maisj’espéraisquetunereviendraispas.

Savoixàelleesttranchante,commeaiguiséeaucouteau.Jeluiréponds,ententantdenepasmelaisserimpressionner.

–Tuauraispuvenirluifairetesadieux…–Àquoibon?C’étaittroptard!

J’ignorecequ’ellefaitdansmonbureauàuneheurepareille,maisj’aiunmauvaispressentiment.Cequis’estpasséentreTristanetmoiilyaseptansl’arenduefollederageetdehonte.Etelledoitsansdouteencoremetenirpourresponsablede ladisparitiondesonpetitgarçon.Jenereprésentepourellequ’unelisted’horreurs.Lorsquej’avanced’unpaspourm’approcherdelaporte,ellelèvelamainversmoietmefaitsignedenepasbouger.

–Sienna,quelqu’unm’attend…,inventé-je.–Alorsjevaisluirendreunprécieuxservice.–Pardon?–Tufaisdumalàtousceuxquit’entourent,Liv!Lapreuve:ilsdisparaissent,ilsmeurentouilste

fuient…–Sorsd’ici,luidemandé-je,leslarmesauxyeux.–Tamèren’a jamaisvoulude toi! reprend-elleenhurlant.Tum’asvoléunfils!Tuas tué ton

pèreàpetitfeu!Maintenant,resteloindeTristanoutuleregretteras…

Savoix se fait de plus en plus âpre, cruelle, perfide.Les larmesm’aveuglent,mais je serre lesdents.Jemerépèteintérieurementquecequ’elleditestfaux.Jesuisinnocente.

–Jesuissérieuse,Liv.Unemèreestprêteàtout…pourprotégersesenfants.Etleslibérerdumalquilesentoure.

Sousmesyeux,ellesortunobjetdesonsacàmain.Unpetitrevolverargenté.Moncœurs’arrête,jeneparviensplusàreprendremonsouffle.Jesavaisquemonex-belle-mèrem’envoulait,maisjenepensaisjamaisqu’elleenarriveraitlà.

–Ycomprisàfairecoulerlesang.

Sesyeuxnoirsseplongentdanslesmiensetj’ylisunedéterminationfarouche.Presqueanimale.Ellenementpas.Elleestvraimentprêteàpasseràl’acte.

C’estdoncça,voirsaviedéfilerdevantsesyeux?

Àsuivre,nemanquezpasleprochainépisode.

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Jeuxinsolents-Vol.2

À15ans,ilétaitmonpireennemi.À18ans,monpremieramour.À25ans,jeleretrouve,parleplustristehasarddelavie…Saufqu’ilestredevenutoutcequejedéteste.Quejedoisànouveaucohabiteraveclui.Quelesdramesnouspoursuiventetqu’aucundenousnes’enestjamaisremis.

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Jeuxinterdits

À15ans,j’airencontrémonpireennemi.SaufqueTristanQuinnétaitaussilefilsdelanouvellefemmedemonpère.Etqueçafaisaitdeluimondemi-frère.Entrenous,laguerreétaitdéclarée.Etonn’apastenudeuxmoissouslemêmetoit.À18ans,leroidesemmerdeursrevientdupensionnatoùilaétéenvoyépourlelycée.Ilasondiplômeenpoche,lesyeuxlesplusperçantsquisoientetunsourireinsupportablequej’aienvied’effacerdesagueuled’ange.Oud’embrasserjustepourlefairetaire.

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Lui,moietlebébé

LéonieremplacesonfrèrecommechauffeurauprèsdurichissimeJesseFranklin.Alorsqu'elleattendsonnouveaupatronauvolantdelaRollsPhantom,unefemme,seprésentantcommelagouvernante,installesurlesiègearrièreZoé,unadorablebébédequelquesmois.Problème:JesseFranklin,enarrivant,ditn’avoirnigouvernante,nibébé.Àquiappartientcebébé?Parquietpourquoia-t-ilétédéposélà?

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Résiste-moi

LudmillaProvidenceestpsychologue.Quandunedesespatientesluiracontedeschosesétrangessurunéminentchirurgienesthétique,Ludmillaenquête,persuadéequesapatienteestmanipulée,voireabuséeparlemédecin.MaiselleestbienobligéedereconnaîtrequeledocteurCliveBoydestabsolumentcharmant!Luttantcontresonattirancepourlemédecin,Ludmilladécidedeluitendreunpiège…Maissic’étaitelle,laproie?LedocteurBoydest-ilsincèreouessaie-t-ildemanipulerLudmillacommeilenamanipuléd’autres?Impossibledelesavoirsanssemettreendanger…

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Prêteàtout?

Deuxinconnusirrépressiblementattirésl’unparl’autrepassentensembleunenuittorride,ilsn’ontpasprévudeserevoir.Ouimaisvoilà,elle,c’estTessHarper,unejeunefemmequiaungrandbesoind’argentetquiparticipeàuneémissiondetélé-réalité,quitteàpasserpourunepoufiasse.Lui,c’estColinCooper,ilestproducteur,plutôtintello,etdétestelespaillettesetlesbimbos.Etilsn’avaientpasledroitdeserencontrer.

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Protège-moi…detoi

Célèbreactriceabonnéeausuccèsetausommetdubox-office,LizHamiltonestunejeunefemmede22ans,insoucianteetlégère.Savieserésumeàunesuccessiondetournages,desoirées,d’interviews–etd’amispastoujourssincères.Jusqu’aujouroùellereçoitleslettresd’undétraqué.Desmissivesinquiétantes,violentes,sinistres.Habituéeàévoluerdansunmondedepaillettesetdefaux-semblants,ellen’yaccordeguèred’importance…avantquesonagentn’engageungardeducorps.Etpasn’importelequel!

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Retrouveztouteslesséries

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