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Egalement disponible :

Oui, je le veux !

Lorsque Jane arrive au mariage de sa meilleure amieClara, elle ne se doute pas que le bel artiste qu’elleaperçoit va bouleverser sa vie. Mais en amour, rien n’est simple, et le beau Dann’est peut-être pas celui qu'il paraît. Dan ou Dante ?De qui Jane est-elle tombée sous le charme ? Découvrez comment Jane Brooks rencontre DanMcKenzie, l’artiste multimilliardaire aussi secretque sexy ! Entre élans du cœur et talents cachés, lespersonnages de la nouvelle série de Phoebe P.Campbell nous plongent dans un univers où passionrime avec sensualité.

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Tout contre lui

Clara Wilson ne vit que pour l'amour de l'art. Jeunegaleriste new-yorkaise, farouchement indépendante,elle se bat pour faire sa place entre un patrontyrannique et une famille étouffante, qui n'acceptepas ses choix. Mais un jour, son chemin croise celuidu mystérieux et magnifique Théodore Henderson, ettout va changer… Sous le charme du jeune amateurd'art riche à milliards, Clara doit néanmoins garderla tête froide… Qui est réellement le beau Théo ? Une trilogie haletante au charme envoûtant, nepassez pas à côté du nouveau Phoebe Campbell !

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Tous ses désirs - vol. 1

Moi, c'est Cléo Delille, journaliste chez Starglam, unmagazine people parisien. Mon travail ? Couvrir lessoirées les plus en vue du moment, de Monaco àParis. Mon problème ? Impossible de mettre un nomsur toutes les stars que je croise. Moi, ma passion,c'est l'art.Pourtant, entre deux cocktails, j'ai rencontré unhomme. Il m'a tout de suite eue avec ses yeux bleusmagnétiques, irrésistibles... Il m'a tendu un piège, etje m'y suis engouffrée sans réfléchir plus d'uneseconde. Et aujourd'hui, je suis sa prisonnière.Prisonnière de ses yeux, de son nom – NathanChesterfield, milliardaire et prédateur à ses heures–, de mon désir pour lui depuis la première fois qu'ila posé ses lèvres sur les miennes.

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Pretty Escort

172 000 dollars. C’est le prix de mon avenir. Celuide ma liberté, aussi. J’ai bien essayé les banques,les petits boulots où la friture t’accompagne jusquedans ton lit... Mais impossible de réunir cette sommed’argent et avoir le temps d’étudier. J’étais au borddu gouffre quand Sonia m’a tendu cette mystérieusecarte, avec un losange pourpre gravé dessus et unnuméro de téléphone en lettres d’or. Elle m’a dit : «Rencontre Madame, tu vas lui plaire, elle vat’aider... Et ton prêt étudiant et ton taudisd’appartement en colocation ne seront plus que devilains souvenirs. » Elle avait raison, le meilleur m’est arrivé, et le pireaussi...

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Je suis à toi

Je m'appelle Charlotte. Je rêve du prince charmantmais sans trop y croire… Jusqu'au jour où je lerencontre vraiment. Et rien ne se passe commeprévu…Imaginez, un château de conte de fées, uneatmosphère romantique à souhait, le soleil quibaigne les lieux d'une douce lumière. Et lui. LUI. Ilapparaît comme par magie, aussi beau que sensuel.Nos regards se croisent, mon pouls s'emballe et moncœur se met à cogner dans ma poitrine…Bon, je vous arrête. En guise de château, c'était uneruine perdue au milieu de rien, qui a sûrement connudes jours de gloire mais il y a longtemps. Trèslongtemps. Et l'atmosphère évoquait plutôt celled'une maison hantée. En plus, il pleuvait… Quandmon prince est apparu, j'étais en train de sautillercomme une idiote et j'ai eu la peur de ma vie. La

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preuve, j'ai poussé un cri de frayeur. N'empêche, tout le reste est vrai. Je ne connais queson prénom, Milton, mais désormais, je ne rêve quede le revoir et de sentir à nouveau son regard bleusombre sur moi.

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Lisa Swann

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DARK FEVERMILLIARDAIRE,

SUBLIME… MAISDANGEREUX

Vol. 1

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1. Ma famille, monhistoire

Si le serveur vient me demander encore une foissi je suis certaine de ne pas vouloir commander, jecrois que je vais lui livrer le fond de ma pensée…

Je reprends une gorgée de mon cocktail de fruitsque je sirote depuis un bon quart d’heure, voire unedemi-heure. Ça m’apprendra à toujours être enavance à mes rendez-vous. Je commence à avoirfaim. D’un autre côté, je ne peux m’en prendre qu’àmoi-même, je sais bien que papa n’arrive JAMAIS àl’heure.

Ah ! le voilà qui déboule enfin !

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Je ne peux m’empêcher de sourire en l’observantme chercher du regard dans la salle et se précipiter,affolé, vers ma table. Parvenu près de moi, il sepenche pour m’embrasser chaleureusement.

– Je suis en retard, hein ? me lance-t-il avec sonsourire contrit qui me fait toujours tout lui pardonner.

Je hausse les épaules.

– Juste ce qu’il faut pour que je sois encore plusheureuse de te voir, je réponds avec humour.

La vérité, c’est que je vois si peu souvent monpère que je suis toujours heureuse de le retrouverpour ces moments en tête à tête. Je le regardes’installer à table, poser sa veste chiffonnée – toutautant que sa chemisette qu’il doit porter depuisdeux jours – sur le dossier de sa chaise.

Taylor Clancy, mon père, avocat des causesperdues et des démunis se fiche complètement de sa

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mise et de ce que les autres peuvent penser. Aprèstout, ce qui importe, c’est ce qu’il fait pour les autreset j’avoue que je dois bien avoir hérité ça de lui.

Il se frotte énergiquement le visage, souffle unbon coup et frappe dans ses mains.

– J’ai faim, dit-il avec le ton enjoué d’un gossequi revient d’une grande aventure.

Mais c’est un peu toujours le cas avec mon père,il revient toujours d’une aventure quelconque.

– Tu veux boire un apéritif ? je demande enconstatant que j’ai bu jusqu’à la dernière goutte demon cocktail.

– Non, non, dit-il en secouant la tête. Passons toutde suite aux choses sérieuses.

Il prend la carte posée sur la table, hèle leserveur qui nous épiait depuis un moment et passenotre commande.

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– Pff, soupire-t-il. Je sors d’une réunion dequartier. On essaie de chasser des pauvres gens desmasures qu’ils habitent depuis toujours.

– Des expropriations ? je demande.– Plus vicieux que ça, des promoteurs qui

proposent de racheter au rabais des parcelles. Lesouci, c’est que certains habitants ont accepté, on lescomprend, ils ont besoin d’argent. Mais ce qui estproblématique, c’est que ceux qui résistent subissentdes manœuvres d’intimidation.

Comme je m’apprête à intervenir, il lève la mainpour m’interrompre.

– Je sais ce que tu vas me dire, Alba, pourquoi nepas prévenir les autorités, c’est ça ?

Je ne peux m’empêcher de sourire. Il me connaîtbien. Même si nous sommes tous les deux de lamême trempe, à désirer œuvrer pour la justice avecun réel désir de droiture, nos opinions sur lesrecours divergent toujours.

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– Je crois en la mobilisation de la populationpour déjouer certaines injustices, poursuit-il alorsque le serveur dépose nos assiettes devant nous. Jecrois que les gens doivent se responsabiliser, qu’ilsont des droits et que c’est à eux, en premier lieu, deles faire valoir avec les moyens qui leur sontpropres.

– Je suis d’accord, papa, dis-je en couvrant samain de la mienne dans un souci d’apaisement.

– Je sais que tu es d’accord, Alba, réplique-t-il.Et pourtant tu as opté pour une autre voie.

Aïe, ça y est, on est dans le vif du sujet.

Je hoche la tête en lui adressant un sourire tendre.

– Papa, je respecte, tu le sais, ton engagement.C’est même pour cette raison que j’ai choisi cettecarrière que tu désapprouves. Pour ma part, je penseque c’est à la police de protéger les citoyens, à lapolice de montrer l’exemple.

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Il ferme les yeux. Nous avons déjà eu cettediscussion des dizaines de fois, mais je sais que jen’y couperai pas encore aujourd’hui.

– Quand tu m’as annoncé en quittant le lycée quetu voulais étudier le droit, Alba, dit-il avecl’émotion du souvenir qui lui revient. Tu ne peuxsavoir à quel point j’ai été heureux de me rendrecompte que tu n’avais pas été insensible aux valeursque nous vous avions inculquées, à ta sœur et à toi.

J’entends à sa voix que sa gorge se serre àl’évocation de ma mère et de ma sœur, Celia. Mamain presse la sienne.

– Et puis j’ai choisi une autre forme de justice,papa, je poursuis à sa place. J’ai choisi de travaillerdans la police. Est-ce grave ? Mes motivations sontles mêmes que les tiennes.

– Je sais, Alba, je sais, dit-il en tapotant ma main.Je sais que tu souhaites faire le bien.

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Papa n’est pas fort dans les démonstrationsd’affection. Ça n’a pas toujours été le cas, mais j’aiparfois l’impression qu’il a désappris à être tendre,à montrer qu’il aime, depuis la mort de ma mère, il ya six ans.

Il a désappris d’ailleurs pas mal de choses,comme prendre soin de lui, de sa personne et de sasanté. Il se concentre uniquement sur les autres etleur bien-être en oubliant le sien. Il nous a mêmeparfois un peu oubliées, ma sœur et moi, tant il étaitrongé par le chagrin.

Dans ces secondes où flottent l’émotion et lesouvenir, je redoute soudain de lui annoncer lanouvelle dont je souhaitais lui faire part. Malgrétout, il faut bien que je me lance.

– Papa, justement, je voulais qu’on dîne ensemblece soir pour te parler de quelque chose d’importantpour moi, dis-je d’une voix que je sens fragile.

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J’ai tellement peur de le blesser. Pourtant je saiscombien il m’aime et qu’il respecte tous mes choix.

– Ma demande d’affectation a été acceptée, jecommence demain, j’ajoute sans être capable dedissimuler ma joie.

– Et ? demande mon père, attentif. Quel service ?– Le département des stupéfiants, je réponds.

Voilà, c’est dit ! Plus possible de reculer !

Je vois à sa mine figée qu’il accuse le coup sansvouloir rien en laisser paraître. Je me redresse, jesuis sûre de mon choix, j’en suis fière même et il y ade quoi, sans aucun doute. Après être sortie del’école de police avec les honneurs de mapromotion, deux années de patrouille mobileexemplaires, j’ai passé le concours d’enquêteur etl’ai réussi du premier coup !

– J’aurais pu émettre le souhait pour n’importequel service, ma demande aurait été acceptée,

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j’ajoute. Je veux travailler aux Stups.

Je suis plutôt quelqu’un de modeste, mais les faitssont là et on m’a avertie : je serai la plus jeuneenquêtrice des Stups. Je n’ai pas choisi la facilité,mais j’aime la difficulté.

– Je suis motivée, dis-je comme si je concluaismon monologue intérieur.

Mon père affiche un sourire sincère devant monassurance.

– Je n’en doute pas, Alba, dit-il. Et, malgré nosopinions qui diffèrent un peu, je suis fier de toi, dece que tu as décidé d’entreprendre. Que je ne soispas convaincu par les actions et l’image de la policene veut pas dire que je ne crois pas en ce que tu escapable d’y faire en tant qu’enquêtrice. Tu as déjàété au plus proche des gens pendant tes années depatrouille. Je suis persuadé que tu as le potentiel defaire bouger les choses.

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Je ne peux qu’être touchée. J’ai conscience de larancœur et du chagrin qu’il doit mettre de côté pourexprimer cette fierté.

– Papa, je te remercie, ton soutien est vraimentimportant pour moi, tu sais. Je mesure aussi combienc’est difficile pour toi de me dire tout ça, dis-je enespérant qu’il sente tout l’amour que j’ai pour lui.

Il baisse les yeux vers son assiette.

– Je ne peux pas oublier que ta mère est morte àcause d’une bavure policière, Alba, murmure-t-il.

– Moi non plus, papa, dis-je en me penchant verslui par-dessus la table.

– Je ne peux pas oublier que malgré tous leséléments que nous avons apportés aux policiersaprès la disparition de ta sœur, ils n’ont rien faitpour suivre les pistes que nous leur avions soumises.

Je ne veux pas rentrer maintenant, avec mon père,dans les détails des drames qui jalonnent notre

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histoire familiale. Je sais que, ce soir, je vaisretrouver mon « chez-moi », cette maison qui estremplie de souvenirs de ma mère et de ma sœur. Jevis avec eux chaque jour.

– Je ne veux pas que tu embrasses cette carrièreuniquement pour guérir les blessures du passé,poursuit-il d’une voix concernée, une fois l’émotionrefoulée. Tu n’es pas coupable de ce qui s’estproduit. Cela m’ennuierait que cela soit ta seulemotivation.

– Je sais tout ça, papa, rassure-toi, je répondsavec affection. C’est parce que je le sais que j’aipris toutes ces décisions, que je suis dans la police.C’est ma manière à moi d’œuvrer pour une sociétéplus juste. Toi, tu le fais à ta façon. Je ne sais pas sije pourrai changer les choses, mais je vais faire demon mieux pour être fidèle à ce désir de justice quenous partageons tous les deux.

Je marque une pause le temps de laisser passer leserveur venu observer où nous en étions. Nos

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assiettes sont quasiment pleines, il devra encoreattendre.

– Et je garde toujours en tête l’idée de retrouverCelia, tu sais, je garde espoir, j’ajoute avant de mesaisir de mes couverts. Mais là, pour le moment, jecrois que je vais faire un sort à ce qui est devantmoi.

Mon père hoche la tête en me fixant droit dans lesyeux. Je lis dans ce regard beaucoup plus qu’il nesaura jamais me dire ou me montrer et ça me suffitamplement.

Il m’imite et commence à dévaster avec entrain lajolie présentation de légumes et de poisson de sonassiette. Le plaisir de manger aidant, la discussionse fait plus bavardage. Pas question de se couperdavantage l’appétit.

– Et comment va ton ami Juan ? me demandepapa.

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Je secoue la tête le temps d’avaler la monstrueusebouchée que je viens d’engloutir.

– Bien, bien, dis-je. Toujours en patrouille. C’estce qui lui plaît.

– Tu t’es toujours bien entendue avec Juan, n’est-ce pas ? lâche-t-il d’une voix de complot sansaffronter mon regard.

Du coup, il ne me voit pas sourire d’amusement àcette énième tentative de mariage.

– Tu as dû oublier quelques épisodes, papa, dis-je, moqueuse. Juan est marié et il est papa depuistrois mois…

Mon père lève les yeux au ciel.

– Je devrais parfois noter tout ce que tu meracontes, soupire-t-il.

– Je sais que c’est parce que tu as beaucoup dechoses en tête, papa, je réponds. Pas parce que tu es

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en train de devenir un vieux croulant.

Il émet un petit rire enfantin.

– N’empêche qu’à 27 ans, Alba, tu… commence-t-il avant que je l’interrompe, le doigt levé commeune maîtresse donnant une leçon.

– Oui, à 27 ans, je devrais avoir un fiancé, dis-je.À cet âge, maman et toi étiez déjà parents, vousaviez formé une famille, etc.

Bien sûr, j'ai eu des amoureux, des amants. Deshommes sont passés dans ma vie. Qu'ils n'aient paseu envie de rester ou que je n'aie pas eu envie de lesretenir, c'est un point sur lequel je ne tiens pas àm'attarder. Ce qui est certain, c'est qu'être femme flicne facilite pas la vie sentimentale…

– Dis, papa, je crois qu’aujourd’hui j’ai plutôtenvie de parler d’un homme de 52 ans qui oublie derepasser ses chemises, de se couper les cheveuxalors qu’il y a une dame, deux tables derrière lui, qui

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n’arrête pas de l’observer depuis qu’il est arrivé…

Il secoue la tête en m’offrant un sourire éclatant.

– Tu es mon rayon de soleil, Alba ! lâche-t-ilavant de s’essuyer la bouche. J’ai toujours aimé tonhumour et ta joie de vivre. Mais qui voudrait d’unvieux bonhomme comme moi, tout chiffonné et le nezconstamment plongé dans des piles de documents ?

Je fais mine de repousser ma chaise pour melever.

– Attends, tu veux que j’aille demander à cettedame ? dis-je, l’air déterminé.

Papa éclate d’un rire franc qui me réchauffe lecœur et efface, le temps de quelques heures, monangoisse à l’idée de la première journée aux Stupsqui m’attend le lendemain.

Nous passons le reste du repas à discuter comme

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deux adultes qui ont laissé leurs ennuis au vestiaireet partagent un bon repas et des fous rires.

***

De retour chez moi, je mets un bémol à monhumeur joyeuse.

J’habite l’ancienne maison de ma grand-mèreRosita, la mère de ma mère. Cela fait six ans qu’elleest maintenant en maison médicalisée. Depuis lamort accidentelle de maman.

Dans la pièce principale de la maisonnette, j’aiconservé la décoration colorée de ma grand-mère et,à ses photos, j’ai ajouté les miennes. Dans un cadre,sur le buffet un peu kitsch, j’en ai glissé une de mamère et de ma sœur posant pour un cliché joyeux àl’occasion d’une réunion de famille. Je prends lecadre et les dévisage toutes deux. Leur sourireradieux, les yeux plissés par la joie, leur expression

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de bonheur.

Oui, je vis avec elles deux chaque jour. Ilm’arrive même de leur parler… pour ne pas lesoublier. C’est une habitude que j’ai prise depuis queje vis seule.

Si mes collègues me voyaient, ils me prendraientpour une folle…

Il y a six ans, maman a été victime d’une balleperdue au cours d’une fusillade entre des policiers etdes membres de gang, à Little Haïti. À sa mort,j’avais 21 ans et Celia, ma sœur cadette, 18 ans.

J’étais à l’université, je me suis réfugiée dansmes études. Mon père s’est enterré sous ses tonnesde dossiers de juriste. Et Celia ? Celia, j’ai bienpeur qu’on l’ait un peu oubliée dans l’histoire. Nonpas qu’on ne se soit pas préoccupé d’elle, mais ellerejetait la moindre de nos attentions.

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– J’aurais dû insister, je murmure à la photo.J’aurais dû te parler, ne pas te laisser dériver,m’intéresser davantage à toi.

Mais cela avait été difficile de suivre Celia. Toutjuste sortie du lycée, elle n’avait pas su quelledirection prendre dans ses études et elle avaitcommencé à sortir beaucoup. Elle vivait en completdécalage, fréquentait des jeunes d'un autre milieu,beaucoup trop aisés, trop insouciants. Puis elle a finipar disparaître de la circulation, du jour aulendemain. « Elle est majeure », nous avait dit lapolice. « Il faut attendre. » Cela fait deux ans qu’onattend…

– J’aurais dû voir que tu sombrais, Celia.

Je me doutais bien qu’elle se droguait, mais jecrois que j’ai évité d’aborder le sujet. Ça me faisaitpeur et pourtant, ce qu’elle vivait, c’est bel et bience que j’allais côtoyer dans le métier que j’avaischoisi.

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– Non, je ne perds pas espoir, je chuchote. On vase retrouver, Celia.

Je lève les yeux pour affronter mon reflet dans lemiroir au-dessus du buffet. J’y apparais, cernée parles colifichets, breloques et autres rosaires que magrand-mère a accrochés autour de la glace.

– Eh bien, Alba, demain, c’est le grand jour ! medis-je à haute voix.

Je me redresse, rejette mes épaules en arrièrepour me tenir bien droite et m’adresse un francsourire d’encouragement tout en bravant mon imagedans le miroir.

Alba Clancy, 27 ans, célibataire, inspectrice auxStups.

Je hausse les épaules, secoue la tête. Je memoque gentiment de moi… Je ferais mieux d’allerme coucher – si j’arrive à dormir… –, la journée

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risque d’être forte en émotions, demain.

***

Le lendemain matin, je ramasse mes affairesquand j’entends klaxonner devant la maison. Puis jesors, ferme ma porte à clé et me dirige au petit trotdiscipliné vers la voiture de patrouille qui m’attend,garée le long du trottoir.

– Bon, c’est bien parce que c’est ta rentrée, miss !me lance Juan, en uniforme de patrouille, au volant.Mais il ne faudrait pas que tu prennes l’habitude dete faire accompagner !

– Hé ho, arrête, je lui réponds en claquant laportière après m’être laissé tomber sur le siègepassager. Ça n’est pas une escorte en limousine, fautpas pousser, et je te rappelle que c’est toi qui asinsisté pour me conduire au poste pour mon premierjour !

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Juan, beau gosse ténébreux d’origine cubaine, quia la cote dans tous les quartiers chez les femmes de7 à 77 ans, fronce les sourcils en prenant un airsongeur.

– Ouais, parfois je me demande si tu nemériterais pas qu’on te conduise au poste, mais alorsvraiment, tu vois, du mauvais côté des barreaux,pour que tu prennes le temps de réfléchir à tamauvaise foi féminine…

– N’importe quoi, je réponds en faisant la moueet en levant les yeux au ciel. Allez, t’endors pas,Juan, je ne veux pas arriver en retard le premierjour !

Juan démarre et me désigne de la main les deuxcafés posés sur un plateau entre nos sièges.

– J’ai pensé que tu aurais besoin d’un latte avantd’affronter tes nouveaux collègues, me dit-il avec unpetit sourire.

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Je comprends que mon père refuse de croire queJuan en a trouvé une autre que moi ! Moi-même,parfois je me pose des questions…

Et pourtant, dès notre rencontre à l’université, çaa été une évidence que nous avions beaucoup plus àpartager qu’une histoire d’amour…

Mais après tout, je ne sais pas ce que jemanque, hein…

Juan est comme mon jumeau. Nous sommes nés lemême jour. Quand nous l’avons découvert, il n’aplus été question d’envisager autre chose qu’uneprofonde relation de frère et sœur. Je suis plus âgéeque lui de quelques heures. Je suis donc son aînée, etj’aime bien en jouer quand je trouve qu’il dépasseun peu les bornes.

Mais en général, nous nous pardonnons tout. Luiexcuse mon caractère parfois emporté et versatile,ma tendance à trop réfléchir dans certaines

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situations, et je passe sur ses traits d’humour parfoistrop caustiques à mon goût – c’est bien que je doisêtre un peu susceptible aussi… – et sa tendanceforcenée au romantisme, surtout depuis qu’il arencontré l’élue de son cœur, qu’il l’a épousée enquelques mois et qu’ils ont eu un enfant, etc. Jetolère son bonheur amoureux et son insolence et luifait mine de ne pas être agacé par mon côté trop sageet mes changements d’humeur. Je trouve que nousnous complétons bien.

– Tu as la trouille ? me demande-t-il tout enconduisant.

– J’aurais préféré que tu me demandes toutsimplement si ça allait, je réponds. Parce que là, j’aibien compris que ça se voit que j’ai la trouille.

Il rit.

– Ça va bien se passer, Alba, me dit-il.– Dis, ce n’est pas parce que tu es un nouveau

papa qu’il faut me parler comme à ta fille… je

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réponds, ironique.

Il ne relève pas.

– En tout cas, tu as mis toutes les chances de toncôté pour séduire tes nouveaux collègues, frangine,continue-t-il sur un ton enjoué.

Je me tourne vers lui, sans comprendre.

– Oui, continue-t-il. Le petit jean moulant…– Il n’est pas moulant, je le remplis, c’est tout ! je

rétorque.– La coiffure savamment sauvage…– Merde, ça ne ressemble à rien, c’est ça ? je

demande en baissant le pare-soleil pour inspectermes cheveux.

– Le petit tee-shirt déboutonné que tu as mis àl’envers, conclut-il en éclatant de rire.

Je tire sur l’arrière du col de mon tee-shirt. Eneffet, l’étiquette est à l’extérieur.

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– Merde, ralentis, dis-je en me pliant en deux surle siège pour enlever mon tee-shirt et le remettre àl’endroit.

– Attention, Alba, je t’embarque pour attentat à lapudeur, dit-il.

Quand je me redresse, le sang m’est monté auvisage, ma coiffure est VRAIMENT sauvage et onarrive devant le Miami Police Department sur la62e.

– Laisse-moi là, dis-je en ramassant mon sac.

Juan engage la voiture dans l’allée qui mène auparking, puis s’arrête.

– Hé, tu permets, je travaille là aussi ! répond-ilen faisant mine d’être offusqué.

J’ouvre la portière et descends sur le trottoir.

– Tu veux que je t’attende avec ton goûter à la

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sortie ce soir ? me demande-t-il, toujours goguenard.– Tu m’énerves, Juan, je réponds avec un sourire

pincé.– Sois honnête, Alba, dit-il. Si je n’avais pas

arrêté de te complimenter et de t’encourager pendanttout le trajet, tu m’aurais envoyé balader, dit-il avecun sourire taquin.

J’éclate de rire. Juan me connaît si bien !

Je lui envoie un baiser et me dirige à grands pasvers l’entrée du bâtiment. C’est le premier jour dema nouvelle vie !

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2. Dans le vif du sujet

Je grimpe au deuxième étage où se trouve ledépartement des Stups. En chemin, je croise desvisages connus. On m’adresse des signesd’encouragement, des « C’est le grand jour, Alba ! »et des tapes sur l’épaule en passant.

Je ne peux m’empêcher de sourire malgrél’angoisse de l’inconnu. Je suis fière, aucune raisonde le cacher. Fière mais, je ne me voile pas la face,je sais où je vais mettre les pieds et ça risque de nepas être une partie de plaisir. On me l’a dit quandj’ai déposé mes choix d’affectation. « Les Stups ?T’as peur de rien. Ces gars-là n’ont pas la réputationd’être très sympas avec les nouveaux. »

Et certainement encore moins avec les

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« nouvelles », je suppose…

C’est vrai, les hommes des Stups n’ont pas bonneréputation. On raconte même qu’on les voit souventsur le terrain, mais qu’il n’y a jamais grand mondederrière les barreaux. Je sais que c’est unraisonnement simpliste, parce que le boulot desStups est un boulot de fond. Ils ne vont pas arrêtertous les petits délinquants, les petits dealers dequartier. Non, leur travail, c’est de remonter lespistes jusqu’aux gros bonnets, les têtes des trafics.

Alors pourquoi les Stups, hein ? Mis à part lemotif personnel que mon père n’a pas manqué derelever, à savoir la culpabilité que je nourris de nepas avoir vu ni aidé ma sœur qui plongeait dans ladrogue, évidemment, je ne veux plus voir des gaminsqui ne font que se détruire. J’ai eu ma dose de salesrencontres en deux années de patrouille, de famillesterrassées, d’enfants à la rue, de jeunes filles qui seprostituent pour payer leurs doses quotidiennes, deviolences…

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En deux ans, je n’ai pu que constater, j’ai essayéde mettre de minces sparadraps sur des plaiesbéantes. Aujourd’hui, je veux agir, je veux remonterà la source pour endiguer ce fléau. Et c’est aux Stupsque ça se passe. Je pousse la double porte battantequi ouvre sur mon nouveau service.

J’ai dû y aller avec mon énergie habituelle parcequ’au moment où la porte s’est refermée en claquantderrière moi, tous les hommes de l’open space ontcessé instantanément leur discussion et se sont figés.

– Hum, bonjour ! je lance d’une voix qui menacede dérailler.

Les hommes me fixent tout d’abord sans broncherni répondre à mon salut. Puis certains hochent la têteen silence quand d’autres prononcent un « bonjour »dubitatif.

Ils doivent croire que je me suis trompée

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d’étage…

Puis l’un d’eux, forte carrure, un café à la main,holster sur chemisette, se détache du groupe ets’approche de moi.

– Alba Clancy ? demande-t-il en changeant songobelet de main avant de me tendre la droite. Je suisle chef Morrison.

Je hoche la tête et lui serre la main, au risquequ’il broie la mienne.

Sûrement une manière de me faire comprendred’emblée qui est le chef.

– Chef Morrison, je suis ravie de faire partie devotre équipe.

– Attendez, ne parlez pas trop vite, répond-il engloussant de toute sa corpulence. Vous ne savez pasoù vous êtes tombée.

– Je sais à quoi m’attendre, vous savez, dis-je.

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Il m’invite d’un signe de la main à le suivre alorsqu’il se dirige vers la porte de son bureau. J’entredans la pièce et il referme la porte derrière moiavant de me montrer une chaise et de s’installer lui-même derrière sa table surchargée de paperasses entout genre.

– OK, Alba, je ne vous cache pas que les garssont plutôt réticents au fait d’intégrer une femmedans l’équipe, commence-t-il, coudes sur le bureau,mains jointes sous le menton, avec un léger sourire.Mais de toute façon, ils sont réticents à tout engénéral. Ils ne se rendent pas compte qu’il fautsavoir accueillir la nouveauté. Après tout, ils ne sontpas immortels et deux de nos meilleurs enquêteursviennent de prendre leur retraite. Même notredernier arrivé, Jack, après deux mois, se fait encorebizuter… gentiment, bien sûr.

Je hoche la tête sans rien dire, juste pouracquiescer, tandis qu’il semble avoir dans l’idée deme dresser un tableau peu avenant de ce qui m’attend

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en sortant de son bureau.

S’il croit que, parce que je suis une femme, jepeux me laisser balader… je le laisse espérer… etles autres aussi d’ailleurs.

Je suis bien consciente que je vais devoirattendre plus longuement que les autres à la casedépart, le temps que mes collègues me fassentcomprendre que ma place est aux archives ou à lapaperasse tout comme, chez eux, celle de leur femmeest à la lessive ou aux fourneaux. OK, la police n’estplus ce qu’elle était et il y a de plus en plus defemmes flics, mais avec les Stups de Miami, j’ail’impression de m’attaquer au dernier bastion desirréductibles machos…

Du coup, j’ai décroché pendant quelquessecondes du laïus un peu pompeux du chef Morrison.Mais je tends l’oreille juste au bon moment semble-t-il…

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– Un élément comme vous, Alba, ça m’aurait étédifficile de le refuser, poursuit-il. Deux années depatrouille sans faute, des résultats excellents auconcours d’enquêteur…

Enquêtrice…

– Sans compter que vous savez ce qu’il faut fairequand on vous met une arme entre les mains ! Bon,on ne va pas passer la journée à vous faire descompliments. Prenez le temps de les déguster tout demême, ça n’arrive pas tous les jours chez nous.

Il me tend ma plaque avec un franc sourire.

– Voilà votre plaque, dit-il. Je vais appeler votreéquipier et partenaire, Dan Chaplin. Il va se chargerde vous présenter, de vous mettre au parfum, etc. Ilvous accompagnera à l’armurerie pour allerchercher votre arme de service.

Le chef Morrison se lève et je l’imite. Il ouvre la

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porte et je le suis dans le couloir.

– Dan ! fait-il en s’adressant à un grouped’hommes.

L’un d’eux, un brun grisonnant dans lacinquantaine, grand et carré, s’éloigne de sescollègues et s’approche de nous avec une démarcheà la fois imposante et légère. On a l’impression qu’ildéplace à peine l’air autour de lui.

OK, ça n’est pas l’idée qu’on se ferait d’unchaperon bienveillant, mais il va falloir que çaaille…

– Dan, je te présente Alba, ta nouvelle équipière,déclare le chef Morrison en forçant sur son sourire,espérant sans doute que Dan l’imite.

Mais rien à faire, le gars est aussi accueillantqu’une porte de prison. Je tends la main avec unsourire à ma façon, franc et honnête, et je lui broie

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les doigts avant qu’il ne se charge des miens.

– Bon, fait le chef en frappant dans ses mains. Ilest temps de se mettre au boulot, les gars.

Il se passe ensuite quelques dizaines de minutesassez déstabilisantes pendant lesquelles Dan Chaplinne s’adresse à moi que par des phrases verbalesd’une étrange concision : « Chercher ton arme »,« Prendre holster », « Donner identifiant pour baseinformatique », etc. Au début, je ne comprends pasoù il veut en venir, mais très vite j’intègre qu’ilm’annonce à chaque fois ce que nous allons fairecomme s’il lisait une liste à laquelle il devait setenir contre son gré.

Je sens que ça va être la franche rigolade avecmon équipier…

Je sais que je ne suis pas là pour me marrer, maisun peu de cordialité serait bienvenue pour mespremiers pas dans le service.

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Quand on remonte de l’armurerie, j’affronte enfinle gros de l’équipe, et Dan passe alors en mode« phrase normale » pour communiquer avec sescollègues.

– Bon, les gars, je vous présente Alba Clancy,lance-t-il alors que tous sont tournés vers nous.

J’avoue que c’est assez impressionnant de sefaire ainsi considérer dans un silence de plombpendant quelques secondes, parce que c’est bien cequi se passe, il faut être honnête, les types medétaillent de la tête aux pieds. Je lève une maincomme une squaw apache rencontrant un convoi decowboys.

– Salut, ça va ? je fais d’une voix faiblarde.

Deux secondes très pénibles s’éternisent avantqu’un homme qui doit avoir, comme moi, moins detrente ans, le seul dans le groupe, se détache de lamasse pour avancer vers moi.

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– Bonjour ! Moi, c’est Jack, dit-il en m’offrantpour la première fois de la matinée une main qui n’apas comme dessein de briser la mienne. Je ne saispas si je peux te souhaiter la bienvenue de la part duservice, mais je te le dis quand même : bienvenue.

Des gloussements ironiques échappent aux autres,et j’entends même quelques railleries du genre « HéJack, déjà sur le coup, t’es chaud comme la braise,laisse la petite arriver… ».

J’affiche un sourire sincère.

Merci ! Il y a donc au moins un être civilisédans cette tribu !

Jack rougit presque sous les moqueries desautres. Ça lui va bien, il est plutôt beau gosse etdétonne au milieu des autres hommes du bureau auxairs bourrus. Svelte, habillé très soigneusement –voire de manière assez coûteuse… –, il tient plus dumannequin que du flic, mais il ne doit pas être là

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pour rien non plus.

– Je sens qu’on va bien s’entendre tous les deux,poursuit-il, gêné, sans avoir lâché ma main.

Oui, enfin professionnellement, hein… Je nesuis pas sûre d’avoir envie d’un plan drague dèsmon premier jour aux Stups…

Il devait bien y avoir un dieu quelque part pourme sauver de ce mauvais pas, car le téléphone asonné dans le bureau du chef et, quelques secondesplus tard, Morrison est sorti pour interpeller seshommes.

– Bon, il y a du grabuge au Pink Velvet, déclare-t-il, provoquant aussitôt une rumeur excitée dans lebureau. On se calme, les gars, les Mœurs sont déjàparties et il y a trois patrouilles sur les lieux, alorsje vous explique.

L’équipe se rassemble autour de son chef. Je suis

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tout ouïe mais aussi surprise de voir comment lasimple évocation du « Pink Velvet » a animé tous cestypes d’une fièvre de chasseurs.

– Ils nous appellent parce qu’ils ont trouvé de ladrogue, poursuit Morrison. En deux mots, un afterqui tourne mal, des mecs et des nanas quis’empoignent. Pas mal de fric et de la dope dans lessacs des demoiselles amènent les Mœurs à suspecterun éventuel réseau de prostitution.

Certains flics ricanent.

– Ouais, on est d’accord, on sait tous que Ferrisne va pas s’amuser à ce genre de trucs, mais parcontre, s’il a fait un faux pas en laissant entrer de ladrogue au Pink Velvet, on peut peut-être le coincersur cet écart, dit Morrison. Alors on va pas sedéplacer en nombre, c’est juste une affaire de routineet notre homme n’est pas encore arrivé à son club.

Il scrute des yeux son équipe.

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– Bibson et McDrew, vous y allez, dit-il endésignant deux types qui filent aussitôt à leursbureaux. Dan, tu suis avec la nouvelle, c’est unebonne mise en jambes pour elle.

Dan Chaplin se dirige vers son bureau pourprendre sa veste, ajuster son holster d’épaule et jel’attends, plantée au milieu de l’open space sansmême qu’il m’ait adressé un regard.

– Tu veux emporter ton sac ? Tu veux que je te legarde ? T’as un bloc-notes ? me demandesuccessivement Jack, posté à côté de moi.

J’ouvre des yeux de chouette, il faut que jeréagisse vite. Je réponds : « Non, oui, non », et il meprend mon sac qu’il coince sous son bureau puis sortd’un tiroir un petit carnet qu’il me tend.

– En piste, me dit-il en accompagnant sonencouragement d’une petite tape sur l’épaule alorsque j’emboîte le pas à Chaplin.

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Je dévale l’escalier à la suite de mon collèguefort peu bavard.

***

Heureusement, dans la voiture, ça s’arrange unpeu. Et tant mieux pour moi parce que je me voyaismal essayer de comprendre le rapide brief qu’il m’afait sur la situation, s’il avait continué à parler enmonosyllabes et autres phrases verbales sans queueni tête.

D’abord, il met tout de suite les points sur les i.

– Tu regardes et tu fais ce que je te demande,mais c’est tout, OK ? commence-t-il.

Au moins, les choses sont claires…

Mais ça ne me choque pas plus que ça. C’estcomme ça aussi qu’on apprend dans le métier :regarder, écouter, se taire avant de pouvoir un jour

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agir, prendre des décisions, être véritablement acteurdans une enquête. Je secoue la tête pour acquiescer.Dan Chaplin continue à me parler, le regard fixé surla route devant lui. J’ai par moments l’impressionqu’il parle seul, qu’il révise plutôt qu’il ne partageavec moi des informations qui pourraient m’êtreutiles. En gros, je ne serais pas là, ce serait pareil…

Qu’est-ce que tu croyais ? Que tu allais êtredorlotée ? Tu sais quand même un peu comment çafonctionne au début !

– Bon, ça n’est pas une intervention importantedans le sens où on y va un peu à l’aveuglette,explique Chaplin. Le truc qui nous intéresse dansl’affaire, c’est que ça se passe chez un fils Ferris.Ferris, ça te dit quelque chose, je suppose ?

J’ai à peine le temps de répondre, qu’il continuesur sa lancée. Après tout, il s’en fout un peu que jeconnaisse ou pas les Ferris, il a prévu de me faire laleçon, pour bien souligner son ancienneté, son

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expérience et, par là même, le fait que je suis unepetite nouvelle qui se la ferme et écoute.

– Les Ferris, c’est quasi notre but aux Stups,poursuit-il. On se lève tous les matins en espérant unjour pouvoir les coincer, le père et les fils, parceque ce sont eux qui détiennent en gros tout le traficde drogue de Miami. Et pas que la drogue d’ailleurs,armes, contrefaçon, les Mœurs soupçonnent aussi unpeu de prostitution. En tout cas, ce qui est certain,c’est que la famille Ferris sait graisser les bonnespattes pour être toujours en activité. Ce sont deshommes d’influence, mauvaise certes, maisn’empêche, ils ont du pouvoir à Miami.

J’acquiesce toujours même si Chaplin ne meregarde pas, mais au cas où, on ne sait jamais.

– Alors dans la famille Ferris, on a le fils aîné,Jeremy, une sorte de petite frappe, un gars vicieux etviolent, qui s’occupe surtout du réseau des dealersmais qui gère aussi un peu de racket. On l’a arrêté

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plusieurs fois pour des agressions mineures, maisrien qui ne nous permette de le coincer vraiment. Enfait celui qui nous intéresse, c’est le père, BobbyFerris, qu’on appelle aussi Bobby Dragon. Tu saispourquoi ?

Là, Chaplin marque une pause pour ménager sonsuspense, je suppose. J’ai entendu parler des Ferrisévidemment. Impossible de passer à côté de lalégende de cette mafia quand on est flic à Miami,mais c’est vrai que je ne me suis jamais interrogéesur le pourquoi d’un tel surnom.

Chaplin n’attend pas ma réponse.

– On l’appelle Bobby Dragon parce que quandquelqu’un le trahit, il le brûle au lance-flammes pourrendre le corps méconnaissable. Évidemment, on neretrouve les cadavres que des mois plus tard, etnotre homme continue de faire régner la terreur dansson organisation criminelle. C’est une des raisonspour lesquelles on n’arrive pas à le coincer… Tous

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ceux qui bossent pour les Ferris en ont une trouilleterrible.

Il se tait et je me tourne vers lui. Il fixe toujoursla route, les yeux plissés, perdu dans ses pensées.

– Et l’autre fils alors ? je demande.– Ouais, l’autre fils Ferris, c’est Matthew, le

gérant du Pink Velvet où on va. C’est un club deMiami Beach très chic, dit Chaplin. Quand je te disque c’est important d’y aller là, c’est que MatthewFerris est intouchable, inattaquable, clean dans tousles domaines. Tout son business est réglo. Il a ceclub où, en général, il n’y a jamais de grabuge. Ilpossède aussi une boîte d’événementiel pour lesriches et préside même une fondation, un truc pourfinancer les gamins qui ne savent pas lire ou un trucdans le genre.

– L’alphabétisation, dis-je malgré moi.

Merde, ce n’est pas le moment de la ramener envoulant jouer la première de la classe…

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Je fixe aussitôt le paysage droit devant moi pouréviter d’affronter le regard agacé de Chaplin que jesens se tourner vers moi. Comme je ne réagis pas, ilinspire un grand coup par les narines, genre « ouais,fais attention quand même ».

– Bon, ce type est tellement clean dans sesaffaires qu’on le considère un peu comme le talon…d’Arthur des Ferris… ajoute-t-il, pas très sûr de lui.Enfin, c’est le maillon faible de la famille, quoi.

Je retiens un petit rire et plisse les yeux.

Achille, monsieur, c’est le talon d’Achille…

– Bref, une occasion comme celle-ci ne seprésente pas tous les jours, on va aller filer un coupde pied dans la fourmilière voir s’il en sort quelquechose d’intéressant.

Ce que j’aime chez les flics, c’est leur manière des’exprimer souvent décalée, enfin qui date d’une

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autre époque, parce que la nouvelle génération auraitplutôt tendance à faire davantage attention, hein…Quand même, il y a un certain charme qui me faitaimer ce milieu. Et je ne dois pas oublier que cetype est mon équipier, mon supérieur, et je lui doisrespect et obéissance, je ne l’oublie pas !

Surtout le premier jour !

La mer est turquoise quand nous passons le pontpour aller à Miami Beach. Le quartier est plutôtcalme en cette heure matinale. Nous nous engageonsdans une petite rue pour rejoindre le club. Desvoitures de patrouille et un attroupement de badauds,surtout des joggers, en bloquent l’entrée. L’autrevoiture des Stups nous a précédés. Chaplin se gare àla va-vite à moitié sur le trottoir.

– Bon, t’as compris ? Tu écoutes, tu regardes et tufais ce qu’on te dit, rien de plus ! dit-il avant dedescendre de la voiture.

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Je le suis. Je m’étais imaginée faire de lapaperasse et trier des dossiers pendant quelquesjours avant qu’on m’emmène sur le terrain. Maisvoilà, j’y suis !

C’est génial !

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3. Quand soudain...

L’attroupement des badauds n’est pas tropimportant, mais deux flics de patrouille sont postésdevant l’entrée du club pour repousser les curieux.Je sors ma plaque de ma poche de jean et la brandisdevant les flics en suivant Chaplin à l’intérieur. Unefois dans le bâtiment, je coince à nouveau mon badgede manière visible à la poche avant de mon jean.

Il fait un peu plus sombre dans le Pink Velvet,même si je me doute que l’endroit est bien pluséclairé que la nuit, afin de faciliter le travail de lapolice. Passé l’entrée et le vestiaire, derrière deuxportes battantes doublées d’un capitonnage develours rose évidemment, on pénètre dans la pièceprincipale du club. Je marque une pause pourparcourir la salle du regard, me familiariser avec un

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décor que je n’ai pas l’habitude de fréquenter et quin’a pour moi aucun attrait.

C’est vrai qu’il m’est arrivé une fois ou deux lorsde mes patrouilles d’être appelée dans ce style declub, la nuit, pour des bagarres, sortir des clientstrop ivres, embarquer un mauvais payeur, maisj’étais plutôt affectée aux quartiers populaires.

Certains flics se battent pour patrouiller dans cesquartiers soi-disant plus tranquilles car plus luxueux.Ça n’a jamais été ce qui m’intéressait dans le métier.Tout ce clinquant, cet argent, ces apparences… Et là,je suis servie ! Quel étalage de paillettes et destrass ! On se croirait dans une boîte à bijoux !

Beurk !

Je me demande vraiment comment on peut passerses nuits dans ce genre d’endroit, tous les clientsaffichant les mêmes visages, les mêmes stéréotypesdu luxe et dans une musique assourdissante…

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Je sais qu’en fait c’est une autre question que jeme pose : comment ma sœur Celia a-t-elle pu passerdes nuits dans ces clubs chics de Miami, encompagnie de jeunes qui n’avaient rien à voir avecl’environnement dans lequel elle a grandi, à boire etconsommer de la drogue et Dieu sait quoi d’autre ?

Il faut que je cesse de tout ramener à Celia et àma vie ou je vais finir par donner raison à monpère…

Tout est rose et argent, les meubles sont d’un stylerococo voyant, les miroirs à facettes, le bargigantesque serpente telle une créature de légendeaux écailles de verre et d’argent dans la grandesalle. La piste de danse est une mosaïque de dallestranslucides et nacrées qui doivent s’illuminer la nuitsous les pas des danseurs. Des alcôves bordent lasalle, surélevées ou à demi cachées par des rideauxde velours rose. Dans l’une d’elles, une jeune filleest assise, le visage dans les mains pendant qu’unhomme essaie de lui parler et qu’un policier en

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uniforme la considère d’un regard blasé.

Ce doit être la victime de l’agression, une fillequi ne doit pas savoir ce qui lui arrive après une nuitpassée à faire la fête…

Chaplin a rejoint un groupe d’hommes près dubar. Deux jeunes semblent vouloir s’expliquer àgrands renforts de gestes décousus. Au bout ducomptoir, celui que je suppose être le gérant, unhomme aux cheveux gominés, chemise ouverte sur letorse, est en train de faire une courte déposition surle vif, une serveuse à côté de lui.

C’est lui, Matthew Ferris ? Il a bien la tête del’emploi, dans le style type pas net…

Je ne sais pas ce que je dois faire. Je merapproche mais reste plantée en lisière de l’action etdes discussions. J’attends que Chaplin me donne desinstructions. Je n’ose pas intervenir de peur de mefaire rembarrer devant tout le monde. Malgré tout, de

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là où je me trouve, j’entends l’échange entre lesdeux jeunes hommes et les policiers.

– Ouais, OK, c’est de la coke, on ne va pas vousdire le contraire et vous le savez mieux que nous, ditl’un des jeunes clients, habillé comme une gravurede mode sans en avoir la prestance. Mais c’est notreconsommation perso. Rien d’autre. On sort, onconsomme, on partage entre amis, quoi.

Son copain, tout aussi élégant, balaie ses cheveuxd’un geste désabusé de la main.

– Ce n’est pas comme si on avait besoin dedealer, vous voyez, marmonne-t-il. On n’a pasbesoin de ça. On est des clients, c’est tout.

Je suis sidérée par l’aplomb de ces jeunes quinoient l’ennui de leur vie trop aisée dans la drogueet qui, en voulant jouer les dandys, ressemblent plusà des zombis bien habillés qu’à des rebelles.

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– Ouais, on a compris, mais les clients de qui,hein ? demande Chaplin d’un ton agressif. T’asraison, mon gars, on s’en fout de toi et du fait que tut’emmerdes dans la vie, nous ce qu’on veut c’est letype qui te fournit. Il était là, ce soir ? C’était aussiun client du Pink Velvet ?

Les deux jeunes hommes haussent les sourcilscomme s’ils avaient l’habitude d’être agacés par cegenre de questions. Je sens que ça irrite encore plusChaplin.

– Bon, eh bien, on verra si vous avez plus enviede parler au poste, dit-il. Et toi, t’as pas 21 ans,ajoute-t-il à l’intention de celui à la mèche de dandy.Je me demande ce que tes parents vont penser denotre petit coup de fil.

Ils s’en foutent, Chaplin. Ils feront ce qu’ils ontà faire pour que leur fils soit sorti d’affaire et leurfiche la paix…

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J’ai vraiment l’impression d’entendre la mêmehistoire pour la énième fois, et je suis surprise queChaplin n’en soit pas également lassé. Mais c’estcertainement pour ça qu’il paraît aussi à cran.

À ce moment-là, je perçois un peu d’agitationderrière moi, vers l’entrée du club. Certainement descurieux qui essaient d’en savoir plus ou un employéqui veut rentrer chez lui après cette nuit à rallonge.Je ne bouge pas. Les uniformes vont se charger degérer ça. J’observe toujours ce qui se passe àquelques mètres devant moi, l’échange entreChaplin, un autre policier et les deux clients.

Et je ne bouge pas non plus quand je sens uneprésence évidente dans mon dos. Je ne comprendsmême pas pourquoi je ne me retourne pas d’emblée.Il y a quelqu’un derrière moi, j’en suis sûre. Unepersonne qui s’est immobilisée, à quelquescentimètres de moi, dont je sens la réalité avecinsistance, mais c’est comme si j’étais paralysée.

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Hé, qu’est-ce que je fais, là ? ! Qu’est-ce quej’attends ?

Ma respiration se fait plus courte pendant quecelle de la personne derrière moi devient plusaudible, mais je sais que c’est parce que je meconcentre ainsi qu’elle paraît à ce point exagérée. Jedéglutis, sans comprendre à quoi rime cette lenteurdans ma réaction. Comme si j’attendais qu’on meparle. Quand soudain, en effet, une voix s’adresse àmoi. Une voix chaude et profonde, celle d’un hommeassuré qui doit m’observer depuis quelquessecondes.

– Qui êtes-vous ? demande-t-il simplement.

Je me retourne comme au ralenti alors que lasurprise paralyse tout mon corps. Le timbre de cettevoix sonne comme une prémonition. J’ai un drôle desentiment de déjà-vu ou de certitude sur l’avenir.Comme si je savais au plus profond de moi que cettequestion risquait de m’être posée, de cette manière,

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par cette voix d’homme.

Il se tient devant moi, sa question en suspens. Ilest grand, son visage est anguleux, affirmé, celuid’un homme qui sait ce qu’il fait, mais son regardbleu ciel me parle également du danger de se noyerdedans. Il hausse les sourcils, étonné que je neréponde pas.

Il est élégamment habillé d’une chemise en linblanc, d’un pantalon droit. Il est rasé de près et sescheveux châtain clair, souples, sont coiffés enarrière. Un parfum épicé se dégage de lui. Il n’a pasl’air d’avoir passé la nuit dans ce club.

– Vous êtes ? dit-il alors comme si sa premièreinterrogation avait été mal formulée ou dans unelangue étrangère.

Avec la tête que je dois faire, je peux comprendrequ’il se pose cette question. Je déglutis, pose la mainsur ma plaque coincée dans mon jean mais me

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retrouve incapable de la sortir pour la lui brandirsous le nez.

– Alba Clancy, département des stupéfiants, jeréponds enfin d’une voix étranglée.

Son regard translucide descend alors jusqu’à mamain qui tripote nerveusement mon badge. Et il necache pas qu’en chemin, il prend le temps de meconsidérer d’un regard appréciateur.

Dis donc, ne te gêne pas surtout !

Mais c’est une indignation bien illusoire quej’exprime là en pensée, parce que je suis justeembarrassée par cette confrontation qui me trouble etme fait perdre tous mes moyens.

Il relève alors les yeux vers moi. Son regard estplus froid, son visage me fait penser à celui d’unaigle qu’il faut craindre. Il pince ses lèvres avant dedire :

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– Je suis Matthew Ferris.

Quoi ! ? Mais je croyais que c’était le type entrain de faire sa déposition au bout du bar…

Évidemment, plus rien à voir avec l’idée que jeme faisais du fils de Bobby Dragon Ferris. J’en restela bouche entrouverte de surprise et d’embarras. Ilme dévisage encore quelques secondes puis mecontourne et se dirige tranquillement vers le groupeoù se trouve Chaplin.

Je le suis du regard, comme hypnotisée par sadémarche souple et détachée. Je l’observe serrer lamain aux policiers, discuter même calmement aveceux passé les premières explications, mais c’estcomme si le son avait été coupé. Je reste captivéepar ce visage particulier dont les traits secontredisent, à la fois durs et doux, en un très beaumystère.

Je parviens à arracher mon regard de cette

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apparition déstabilisante mais reste sagement àl’écart.

Hé, il faut que je me reprenne, pas question deme laisser déboussoler par ce type !

Un des hommes des Mœurs s’approche alors dugroupe devant moi et fait un signe à Chaplin pourattirer son attention. Les deux policiers s’éloignent.Matthew Ferris se dirige vers celui qui doit être lepatron du Pink Velvet puisque c'est vers lui que setournent tous les serveurs et puisque maintenant jesais que cet homme n’est pas Matthew Ferris…

Je vois Chaplin et le gars des Mœurs lever lesyeux vers moi tout en parlant à voix basse, puisChaplin me demande de venir d’un geste de la main.

– On a du boulot pour toi, Clancy, dit-il. On n’apas de femme policier sur place et on a besoin d’unepremière déposition à chaud de la demoiselle là-bas,ajoute Chaplin.

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Il me désigne l’alcôve que j’ai déjà remarquéetout à l’heure où le flic en uniforme se trouvetoujours debout près de la fille.

– Elle est un peu sur les nerfs et j’avoue qu’ellem’agace, intervient le policier des Mœurs. Tu peuxvenir t’en charger ?

Je hoche la tête, trop contente de servir à quelquechose et d’être balancée directement dans l’action –et accessoirement de me sortir de la confusion danslaquelle la confrontation avec Matthew Ferris m’aplongée…

***

Je rejoins l’alcôve dans laquelle est assise lajeune cliente du Pink Velvet qui a été victime del’agression. Elle se tient toujours le visage à deuxmains, pliée en deux sur la banquette, comme si ellevoulait se cacher de tous les regards.

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– Mademoiselle, dis-je doucement en posant unemain sur son épaule.

Elle relève la tête au son d’une voix de femme.Son maquillage a coulé sous ses yeux, dessinant destraînées sombres. Je remarque une ecchymose auniveau de sa tempe, une légère bosse qui commenceà devenir bleue. À part ça, elle ressemble à unepoupée mannequin : cheveux blonds bien lissés,bouche nacrée et la tenue glamour d’une héroïne defeuilleton, même si la manche de son chemisiersophistiqué est déchirée. Elle a seulement enlevé sesescarpins en satin. Elle a l’air d’une Cendrillon toutjuste sortie d’un bal qui a mal tourné.

– Mademoiselle, je vais vous poser quelquesquestions, vous voulez bien ? dis-je en m’asseyant àcôté d’elle sur la banquette.

Je commence par les questions d’usage sur sonidentité. Elle s’appelle Ariel, a tout juste 21 ans,habite le quartier huppé de Coral Gables et ne fait

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pas grand-chose de sa vie, apparemment.

– Vous êtes étudiante ? je demande gentiment.– Ouais, enfin, pas vraiment, comme ça, quoi…

répond-elle en agitant vaguement la main. Ça ne meplaît pas trop les études, je ne sais pas encore ce queje veux faire.

Je n’insiste pas. Je crois que l’expressiondésabusée du vide de sa vie me répugne un peu, maisje réprime ce dégoût en moi. Je suis là pour fairemon boulot, pas pour juger.

– C’est la première fois que vous venez au PinkVelvet ? dis-je.

– Non, on y vient souvent avec les copains,répond-elle. C’est chic, on peut faire la fête sans êtreennuyé par de mauvaises fréquentations, on est entrenous, quoi…

Entre vous, oui, surtout ne pas se mêler à lavraie vie…

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– Et ce jeune homme qui vous a agressée, vous leconnaissiez ? je continue.

Elle secoue la tête.

– Non, c’était la première fois que je le voyais,répond-elle en faisant la moue. C’est un dealer, c’estça ? Enfin, c’est ce que j’ai cru comprendre parcequ’il m’a demandé de l’argent pour de la coke que jelui devais, mais c’est pas possible, il a dû meconfondre avec une autre. Et puis il a réussi à s’enaller, non ? Après la bagarre…

Pendant que la fille parle, je me surprends àchercher des yeux Matthew Ferris dans la boîte, àl’observer se faire interroger par des policiers.Comme si mes yeux étaient aimantés par lui depuisqu'il est arrivé dans le club. Je hoche la tête pour meremettre les idées en place et invite la fille àpoursuivre.

– OK, j’en prends parfois aussi, de la drogue, dit-

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elle sans paraître touchée par cet aveu, comme sic’était normal. Mais un truc qui est sûr, c’est quec’est jamais moi qui l’achète ou alors c’est toujoursau même gars, et ce n’était pas celui qui m’est tombédessus ce soir. Vous savez ce que je crois ?

Je hausse les sourcils pour lui faire comprendreque je suis à des années-lumière de savoir ce qu’ellecroit.

– Eh bien, à mon avis, poursuit-elle avec l’airconcerné de celle qui réfléchit, je crois qu’il m’aconfondue avec une de ces filles qui traînent parfoisavec nous… enfin les jeunes de mon milieu. Parceque ces filles, elles viennent d’autres quartiers,moins… enfin vous voyez quoi…

Et là, ça commence à résonner de manière trèsfamilière en moi. Je me rappelle les soi-disant amiesde Celia que j’avais eu l’occasion de croiser une oudeux fois, pas plus, des filles du genre de celle quise trouve devant moi, famille aisée, jeunesse dorée,

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rien à voir avec Celia…

– Je ne dis pas qu’elles ne sont pas sympas, hein,ces filles, ajoute celle que j’interroge. Au début, onse marre bien tous ensemble. C’est juste qu’au boutdu compte, elles finissent par seulement profiter denotre argent, elles consomment sur notre dos, sefournissent en racontant que c’est pour nous et,finalement, les dealers savent très bien où allerchercher le fric qu’elles leur doivent. Ils s’enprennent à nous.

Je secoue toujours la tête sans un mot. Et jesoupire d’agacement, c’est plus fort que moi. Ce quej’entends ne me plaît pas et, sans juger, je peuxquand même faire sentir à mon interlocutrice que sespropos sont déplacés et déplaisants. Déplacés, c’estvrai, parce que Celia faisait sûrement partie de cesfilles pas assez friquées pour se payer sa drogue. Etl’éventualité qu’on ait pu s’en prendre à elle parcequ’elle était aussi paumée que ces jeunes riches maissans les moyens pour nourrir son désespoir, qu’on

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ait pu lui faire payer ça…

– Vous vous prostituez ? je demande alors à lafille.

Je sais que c’est vache et direct, mais c’est uneautre réalité du milieu et c’est surtout ce quesoupçonnent les Mœurs. La fille reste bouché bée,elle est à deux doigts de me demander de m’excuser,j’en suis certaine. Alors j’embraie aussitôt en jouantle tutoiement et la clarté :

– Bon, je vais être honnête, on a trouvé beaucoupd’argent dans ton sac à main, sans compter lespréservatifs et ce petit tube en verre vide dans lequelje ne doute pas qu’on prélève des résidus de coke,alors c’est normal qu’on se pose la question, non ?Est-ce que tu te prostitues ?

La fille secoue la tête en silence.

– Il vient d’où cet argent ? je demande.

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– Ben, c’est à moi, mon argent, quoi, pour lasoirée, balbutie-t-elle comme si elle ne voyait pasoù est le problème.

Non, pas de problème, en effet, quand on sebalade avec l’équivalent de deux mois de salairedans son sac comme argent de poche d’une soirée.

J’abandonne, prends congé de la fille en luidisant qu’elle va être conduite au poste pour unedéposition plus officielle. Je rejoins l’enquêteur desMœurs, non sans avoir auparavant repéré MatthewFerris, pas loin de l’endroit vers lequel je me dirige.J’inspire un bon coup, pas question de perdre la faceune seconde fois. Je prends le temps d’exposer aveccalme le résultat de ma discussion avec la victime.

Je sens la présence de Matthew Ferris à moins dedeux mètres de moi. Il est détendu et pas du toutinquiet par ce qui se passe dans son club. De là où jeme trouve me parvient encore le parfum épicé quej’ai humé tout à l’heure, ou bien c’est son souvenir

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qui s’attarde en moi.

Je dois me contrôler, qu’est-ce qui m’arrive àtout mélanger aujourd’hui, le premier jour ? !Celia qui me revient toujours en tête et ce type quime… qui me trouble comme ça ne m’est jamaisarrivé… C’est un fils Ferris, merde, Ferris commecriminel !

Et puis il est là, à côté de moi. Et j’oubliecomplètement ce que j’étais en train de me dire.J’oublie que c’est ici, dans son club, que des jeunesconsomment de la drogue, se battent… parce que saprésence est écrasante et me vide de toute énergie etde toute raison.

L’enquêteur des Mœurs s’est éloigné pour parlerà un policier en uniforme. J’ai le sentiment qu’autourde nous, de Matthew Ferris et moi, une énorme bulleblindée s’est dressée pour nous séparer du reste del’agitation.

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Et je sais que c’est stupide, je sais que ce n’estpas professionnel, mais là, en cette seconde, il n’y aque lui et moi, son regard bleu piscine, son teinthâlé, son expression impénétrable alors qu’il medévisage tranquillement.

Je serre mes doigts autour de mon carnet pourréprimer leurs tremblements.

– Alba Clancy… dit-il lentement comme s’ilréfléchissait, comme s’il cherchait à savoir où ilpouvait m’avoir déjà rencontrée.

Puis il se redresse et mes yeux sont captivés parses lèvres quand il dit enfin :

– Un nom, ça ne suffit pas pour savoir qui vousêtes. On se reverra…

Il ne prend même pas le temps d’observer maréaction. On dirait qu’il n’en a même pas besoin etc’est tant mieux, parce que le rouge me monte aux

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joues, mes oreilles me chauffent et mon cœur se metà cogner comme une sono de boîte de nuit. J’ai lesentiment que le vrai monde s’abat alors soudain surmoi, révélant les regards de mes confrères, les bruitsenvironnants.

Matthew Ferris disparaît déjà derrière les portescapitonnées de velours rose.

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4. Cet homme quim'obsède

Une petite demi-heure – que je vis dans laconfusion du « Qu’est-ce que je dois faire ? Qu’est-ce qui m’arrive ? » – passe avant que Chaplin mefasse signe de le suivre. On rentre au poste. Lesprotagonistes de l’agression vont y être égalementconduits.

Chaplin sort du Pink Velvet en se faufilant parmiles policiers en uniforme et les passants, toujoursavec cette allure très animale et puissante qui faits’écarter les gens devant lui. Je le suis comme jepeux en trottinant.

J’ai à peine le temps de me poser sur le siège

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passager que la voiture quitte le trottoir. Pendant lespremières minutes du trajet, Chaplin reste silencieux.Puis, alors que nous sommes coincés dans lesbouchons de milieu de matinée, il tape un bon coupsur le volant et se tourne vers moi, l’air irrité.

– Tu peux m’expliquer ce que tu as foutu au PinkVelvet ? me lance-t-il en me dévisageant de sonregard mauvais.

J’ouvre des yeux ronds comme des soucoupes,surprise par son ton et sa question dont je redoute decomprendre le but. Veut-il me dire par là que jen’aurais pas fait mon boulot comme je devais lefaire ou alors c’est autre chose, et là, je crains qu’ilévoque mon embarras face au fils Ferris…

Pourvu que ce ne soit pas ça…

Passé l’étonnement, je reprends un peud’assurance et j’adopte une voix posée pour luirépondre :

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– J’ai fait ce que tu m’as demandé de faire, àsavoir rien jusqu’à ce que tu m’envoies prendre ladéposition à chaud de la victime. Ensuite, j’ai fait unrapide compte-rendu à l'enquêteur des Mœurs.

– Je ne te parle pas de ça, rétorque Chaplinencore plus agacé. Tu peux me dire ce que tu fichaisà faire les yeux doux au fils Ferris ? Tu crois qu’on abesoin de compliquer les choses ?

Bon, eh bien, c’était effectivement la secondeoption…

Je prends une mine presque offusquée, genre« Comment ? Mais de quoi est-ce que tu parles,là ? » Mais il n’est pas dupe.

– On n’a rien contre le fils Ferris, poursuitChaplin. Cette affaire ne va pas nous aider à lecoincer, mais on n’a pas besoin non plus qu’il nousnargue en te faisant du rentre-dedans ! Et toi qui asl’air d’y prendre du plaisir…

– Euh, attends une seconde, Dan, dis-je en levant

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la main.

C’est à son tour d’écarquiller les yeux devant maréaction, comme si une jeune recrue n’avait toutsimplement pas le droit de se défendre sous prétextede manque d’expérience. Je marche malgré tout surdes œufs, je me dois de respecter son autorité.

– Je n’ai rien fait, je poursuis en maîtrisant lemoindre de mes mots. Je n’ai certainement pas invitéMatthew Ferris à me parler et j’ai tout juste déclinémon identité et dit pourquoi j’étais là.

– On ne peut pas vraiment dire que tu l’asdécouragé non plus, ricane Chaplin. Tous les garsont bien vu ta tête.

– J’ai été déstabilisée, je l’admets.– Ouais, eh bien, essaie de moins le montrer la

prochaine fois, conclut-il. On s’efforce de coincer cetype, je te rappelle, c’est pas le moment de luidonner l’impression qu’on a des maillons faiblesdans l’équipe.

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J’accuse le coup du « maillon faible » en pinçantles lèvres. C’est le premier jour, quelques heuresviennent à peine de passer que mon équipier m’adéjà cataloguée, tu parles d’une bonne impression…

Fidèle à sa manière de faire – passer du coq àl’âne –, Chaplin me résume ensuite la discussionavec les deux clients, la déposition du patron et laconversation qu’il a eue avec Ferris.

– Les deux jeunes sont conduits au poste. Ilsaffirment qu’ils n’ont pas acheté leur came au PinkVelvet, ce qu’assurent aussi le patron et Ferrisévidemment. Quoiqu’il en soit, ils ont consommé auclub et on va entendre Ferris et le patron dans lasemaine. Je te préviens, je ne veux pas de faux pas,quitte à t’enfermer aux archives quand le fils Ferrisva venir déposer…

Un instant, très bref et vite maîtrisé, l’évocationde la venue de Matthew Ferris au poste, lapossibilité que je le croise encore une fois, fait

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sauter une mesure à mon cœur.

Du calme… Est-ce que j’ai vraiment envied’être le « maillon faible » des Stups, juste parceque ce type est beau à mourir et qu’il me fait del'effet ? !

Bien sûr que non, j’ai envie d’être un bon flic,incorruptible et efficace. Le simple fait que cethomme superbe s’appelle Ferris devrait toutsimplement me calmer.

***

À peine pousse-t-on la double porte du serviceque je me rends compte que nos collègues qui nousont précédés ont déjà répandu la malheureuseimpression que j’ai faite. Des visages goguenards setournent vers moi. Je redresse les épaules etm’avance d’un pas décidé vers le centre de l’openspace, sans savoir finalement où aller puisqu’on n’a

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pas eu le temps de m’attribuer un bureau ce matin.

Je vais chercher mon sac sous le bureau de Jackqui s’est absenté, et je jette un « Je m’installe où ? »désinvolte à Chaplin. Il me désigne en silence laplace qui fait face à la sienne.

Super, on va se faire de sacrés tête-à-tête…

Je connais l’ambiance d’un poste de police. J’aiappris qu’une femme – parce que ce sexe soi-disantfaible est peu représenté dans la profession – doits’adapter à l’humour graveleux, aux réflexionsmachistes et souvent à la franche ambiance dechambrée qui peut régner dans une équipe. Mais jem’y suis faite. Quand ça m’agace, je le dis. J’aiégalement compris que se faire charrier gentimentvaut toujours mieux que d’être ignorée ou snobée,car au moins on fait partie de l’équipe.

Alors je prends plutôt sereinement lesplaisanteries dont je ne tarde pas à faire l’objet.

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– Hé, Clancy, me lance un des enquêteursprésents en même temps que nous au Pink Velvet.Pas mal ton petit numéro de drague, hein ? Onn’avait pas pensé à ça pour coincer Ferris.Visiblement, on a trouvé son point faible, là…

Quelques éclats de rire. Un autre vient s’asseoirsur le coin de mon bureau pendant que je faisl’inventaire du contenu de mes tiroirs en souriant.

– Non, vraiment, on n’avait pas pensé à ça, on estcon, dit-il sans méchanceté. On pourrait peut-êtrelaisser faire la nature et planquer des micros souston oreiller, non, Clancy ?

Je relève la tête sans dissimuler ma bonnehumeur, parce que finalement je préfère qu’on mecharrie sans nier ce qui s’est passé, plutôt qu’on mebatte froid et qu’on me reproche des trucs dont je nesuis pas responsable – et que je suis incapable demaîtriser surtout !

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– Avouez que vous êtes jaloux, les gars, jeréponds en rigolant. Je suis là depuis deux heures etj’ai déjà votre suspect numéro un dans la poche.

– Oh ! oh ! fait mon interlocuteur en appréciant detoute évidence ma réaction. Sûr qu’aucun d’entrenous n’aurait voulu se dévouer pour draguer le filsFerris.

– Eh bien, je suis là, moi ! je fais en ouvrant lesbras. J’ai peut-être les moyens de le faire parler,non ?

– En tout cas, t’as ce qu’il faut où il faut d’aprèsFerris, lance un autre enquêteur.

Les gars éclatent tous de rire et même Jack quirevient dans le bureau se joint à cette effusion avecl’air du type qui ne sait pas vraiment ce qui se passe.Chaplin ne se gêne pas pour casser l’ambiance.

– Clancy, tu t’occupes du rapport d’intervention,lâche-t-il sans détourner les yeux de son écrand’ordinateur.

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En gros, je sais ce que ça veut dire : punition depaperasse. Je prends mon bloc pour consulter mesnotes et me lève pour aller chercher les infos qui memanquent auprès de mes collègues présents au PinkVelvet. Il faudra aussi que je récupère le rapport despoliciers de patrouille qui sont arrivés les premierssur les lieux. Mais d’abord un café !

Devant la machine, Jack me rejoint, comme parhasard. Je lui souris. Il se gratte la tête en attendantson tour.

– Dis donc, ça commence sur les chapeaux deroue pour toi, dit-il. Je peux t’aider pour ton rapport,si tu veux. Te donner quelques trucs pour queChaplin ne te tombe pas dessus ensuite. Et puis tefaire faire le tour du service pour te montrer où setrouve tout ce dont tu peux avoir besoin.

– D’accord, avec plaisir, je réponds. On y va !

Je sais, j’ai d’abord un rapport à faire, ordre deChaplin. Mais je sais aussi qu’il me met la pression

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pour marquer son territoire. Son rapport, il l’auratout à l’heure, sans problème, un compte-renduimpeccable, il peut compter sur moi. Mais une choseest certaine, si je ne montre pas tout de suite que j’aidu répondant et que je ne me cache pas sous lebureau dès qu’il hausse la voix, je vais me fairemanger toute crue. Et ça, hors de question ! Flic etfemme, ça ne fait pas toujours bon ménage. Je nevais pas changer le boulot de policier, il est dur,c’est comme ça. Alors je fais des concessions avecma féminité. Au travail, je peux être aussi coriacequ’un homme, mais j’essaie de garder ma sensibilitéen sourdine. Ça peut toujours servir.

Je passe un moment avec Jack à faire le tour duservice. Il me présente plus personnellement àchaque équipier, quand ces derniers acceptent deprendre le temps. Jack me propose de partager sapause-déjeuner et nous allons grignoter une saladedans un café non loin du poste.

Je suis bien consciente que je lui plais, mais je

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n’en abuse pas. Je le laisse se débrouiller avec sesbégaiements, sa fourchette qui lui échappe desmains, sa maladresse d’homme troublé. Et je croisque ça me fait du bien d’avoir en face de moiquelqu’un qui peut être aussi confus que je l’ai été cematin face à Matthew Ferris.

D’ailleurs, Jack est plutôt mignon dans le styled’homme qui ne m’intéresse pas vraiment. Tropsoigné, facilement déstabilisé par une femme.J’avoue que mon style serait plutôt… ouais, on acompris, Matthew Ferris ! Et, si possible, n’ayantaucune connexion avec le milieu du crime,évidemment…

Je laisse Jack être attentionné, ça a l’air de luifaire plaisir malgré les vannes que lui balancent noscollègues. En fin d’après-midi, je dépose monrapport sur le bureau de Chaplin qui a fait mine dem’ignorer le restant de la journée. Il jette un rapidecoup d’œil, l’air dédaigneux.

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Tu peux chercher la petite bête, mon vieux ! Tune la trouveras pas !

Fin de ma première journée.

***

Durant les trois jours suivants, j’ai déjàl’impression d’avoir perdu la fraîcheur et l’attrait dela nouvelle recrue. De déjà faire partie des meubles.Ce qui n’est pas plus mal et me laisse le temps detrouver mes marques.

Deux matins de suite, on prend soin de déposersur mon bureau une grosse pile de dossiers pour queje me sensibilise aux affaires en cours. Et Jack secharge de m’apporter un latte en rougissant.

Jack, Jack, si tu continues à être aussi gentil, etpas qu’avec moi, tu vas te faire balader par tout lemonde…

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Je saisis mieux pourquoi le chef Morrison m’aparlé de son bizutage par l’équipe et je suis presquegênée par tout le mal qu’il se donne pour attirer monattention. Parce qu’apparemment mon attention estrestée coincée au Pink Velvet, sur un certainMatthew Ferris…

Le soufflé de l’intervention au club de MiamiBeach est retombé. Je comprends que je ne suis pasconviée à toutes les réunions concernant le dossierFerris et, quand j’essaie de questionner Chaplin, jeme fais rabrouer… Ce qui est sûr, c’est que lesStups ne tireront rien de l’affaire Pink Velvet contreMatthew Ferris, mais il va falloir l’entendre, et cejour va bien finir par arriver.

Alors que je discute avec un collègue d’undossier sur lequel il bosse, Chaplin débarque etinterrompt notre discussion.

– Clancy, tu vas aux archives, j’ai un boulot pourtoi, dit-il sur un ton sans appel.

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– Euh, là ? je fais sans réfléchir.– Non, quand tu as le temps, hein, rétorque-t-il,

agacé. Ah merde, excuse-moi, tu n’as pas reçu monbristol ?

Le collègue toussote et je comprends que discuterne servira à rien. Je retourne à mon bureau avec desréférences d'affaires classées, range un peu lespochettes ouvertes sur ma table pour ne rien laissertraîner en cas de visite indiscrète.

– Tout de suite, Clancy ! me balance Chaplin.– OK, OK, fais-je en attrapant bloc et stylo avant

de filer vers la sortie.

Merde, quel sale con, tout de même !

Ruminant toujours, je déboule à l’accueil du rez-de-chaussée et le traverse pour rejoindre le servicedes archives.

– Bonjour, Alba Clancy.

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Je ne m’arrête pas, je ralentis juste. Et surtout jerésiste pour ne pas me pétrifier, bouche bée, lesjambes tremblantes.

Matthew Ferris se trouve devant le comptoir del’accueil. Costard beige impeccablement coupé,chemise blanche sans cravate, chaussures élégantescomme on a rarement l’occasion d’en voir par ici. Jene discerne pas son regard derrière ses lunettes desoleil d’aviateur, mais aucun doute, c’est bien à moiqu’il parle – parce que j’en connais peut-êtred’autres des Alba Clancy au poste ?… – et c’estmoi qu’il suit du regard.

Je hoche la tête tout en continuant d’avancer auralenti, les jambes lourdes comme si je pataugeaisdans la mélasse.

Ça ne va pas recommencer ! Je me comportecomme une collégienne, ça n’est pas moi !

Il a alors un sourire qui me tue, j’en tomberais à

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genoux. Quelque chose entre l’amusement et lasurprise qui lui fait retrousser le coin de la boucheen une moue super sexy.

– Dites, Alba, je vous fais peur ? lance-t-il.

Il relève alors ses lunettes de soleil et m’adresseun nouveau sourire plus franc.

– Ce n’est pas mon intention, en tout cas, ajoute-t-il aussitôt en faisant un pas vers moi.

Je m’arrête deux secondes, le temps de luirépondre en me gardant bien de bégayer. Je plongemes yeux dans les siens couleur lagon.

Respire, respire !

– Pas du tout, monsieur Ferris. Il m’en faut un peuplus. Je vous laisse, je crois qu’on vous attend là-haut.

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Ses lèvres sensuelles forment un « o » desurprise, puis de nouveau ce sourire de traversterriblement craquant.

Je continue mon chemin, serrant les dents pouressayer de contrôler la chaleur qui m’envahit tout levisage. Je comprends pourquoi Chaplin m’a envoyéeaux archives.

***

La nuit suivante, je me réveille aux environs detrois heures, ouvrant d’un coup les yeux comme si onvenait d’appuyer sur un interrupteur interne. Et jesens tout de suite que ce n’est pas bon…

Merde, pas une insomnie…

Je soupire et fais gonfler mon oreiller en espérantque le sommeil reviendra bientôt, mais c’est peineperdue, mon cerveau s’est déjà mis au boulot.Depuis mon entrée aux Stups, j’ai dormi comme un

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bébé. Chaque soir, je suis rentrée épuisée par latension des premiers jours, mais là, je sais que çan’a rien à voir.

Matthew Ferris, j’aimerais bien que vous mefichiez la paix…

Je me force à penser à autre chose, mais rien nemarche. Je me repasse le film de mes premiers joursau Stups, ce boulot qui me passionne, les trucssympas qui ont pu se passer entre collègues déjà, uneconnivence et une confiance que je sens naître, Jackqui me drague…

Matthew Ferris, son sourire de séducteur…

Oui, Jack qui me drague, c’est marrant tout demême. Il est mignon après tout quand il est gêné. Jene sens pas vraiment la fibre du super flic vibrer enlui, mais ça peut venir. Et finalement, c’est bienaussi qu’il soit différent des autres. C’est comme çadans la réalité et tous les flics ne sont pas pareils. La

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vie du service, c’est un concentré de vie, non ? Desinimitiés, des rencontres qui me font penser à masœur…

Et Matthew Ferris… mais qu’est-ce qu’ilcherche ?

Je me prends la tête à deux mains. Il faut que jeme sorte ce type de la tête parce que je risque degros ennuis, des inattentions, et je n’ai absolumentaucune envie de mettre ma carrière en péril pour unplay-boy qui se paie sûrement ma tête.

Ouais c’est ça, ce type s’amuse avec moi. Il acompris qu’il me faisait de l’effet et ça le faitmarrer de me mettre mal à l’aise !

Je repense soudain à un truc que j’ai lu dans unbouquin ou vu dans un film. Un stratagème pourrepousser les pensées parasites, plus précisément,quelque chose qui m’aiderait à m’ôter de la tête cesuperbe type qui n’a rien de l’homme idéal, même

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s’il est terriblement séduisant…

J’attrape un élastique dans le tiroir de la table denuit et je le passe à mon poignet. Pas trop serré, pastrop lâche, ce qu’il faut pour que je ne me retrouvepas avec la circulation coupée. Je visualise alorstrès précisément le sourire très sexy de MatthewFerris en train de me parler… et je fais claquerl’élastique sur l’intérieur de mon poignet.

Matthew Ferris est lié à la mafia, il est sansdoute un dangereux criminel ! Ça calme, hein ?

Et ça, je le ferai chaque fois que ce type envahirames pensées !

***

Le lendemain, je me tiens à ce que je me suisimposé. En fin de matinée, je dois me rendre àl’évidence, non seulement ça n’a pas l’air defonctionner, mais ça fait un mal de chien. Et pas

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seulement…

– Merde, Clancy, tu vas arrêter avec ce truc, mebalance Chaplin. Ça me tape sur les nerfs.

Très bien… alors si la méthode Coué ne marchepas, autant affronter les faits. Je profite que Chaplins’absente pour emprunter le dossier Matthew Ferrisque j’entreprends de parcourir pour me dissuader detoute rêverie à son sujet. Mais ça non plus, ça n’estpas probant, car il faut bien reconnaître que si lesStups s’acharnent à lui chercher une faille depuis desmois, c’est bien qu’il n’en a apparemment pas.

Le Pink Velvet et sa boîte d’événementiel de luxe,Leisure & Pleasure, qui pourraient être descouvertures idéales pour blanchir l’argent de lafamille n’en sont pas. La brigade financière ledémontre dans un rapport où tous les avoirs etaffaires de Ferris ont été épluchés. Rien à voir doncavec son frère Jeremy et son père Bobby Dragon.Sans compter que Matthew Ferris préside le conseil

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d’administration d’une fondation pourl’alphabétisation dans les quartiers pauvres. Donc,jusqu’à preuve de sa culpabilité, ce type est…innocent, clean, plutôt bienveillant, etc. Ça n’arrangepas mes affaires. Mais alors pas du tout… et jecontinue à ruminer en rentrant chez moi pour trouverun moyen de m’ôter cet homme de la tête.

Juan m’appelle, mais ça n’est pas lui qui pourram’aider et il est hors de question que je lui confiemes préoccupations.

– Hé, ça se passe comment alors, jeuneenquêtrice des Stups ? me demande-t-il. Tu pourraisdonner des nouvelles quand même, à moins que tu nesois super occupée et que tu n’aies plus le temps debavarder avec un flic de patrouille.

Alors je lui raconte l’ambiance, les collègues, lapremière intervention – pas trop de détails, hein…,Jack qui me drague, etc. Puis, on sonne à l’entrée.

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Je laisse Juan poursuivre la conversation tout enouvrant la porte au livreur que j’ai aperçu par lafenêtre. Je n’attends rien, il a dû se tromperd’adresse, ce ne serait pas la première fois. Maisnon, c’est bien moi qu’il cherche. Il me tend unegrande boîte en carton avec le document à signerposé dessus. Je coince le téléphone contre monépaule, signe, fais un geste de la main au livreurpour prendre congé pendant que Juan continue de meraconter ses déboires de jeune papa.

Tout en ponctuant son monologue de « Ahouais ? », « Super » et « Hum, hum » pour montrerque je suis ce qu’il me raconte, j’entreprendsd’ouvrir la boîte que j’ai posée sur la table de lacuisine. Du papier de soie et, en dessous, du tissu.

Qu’est-ce que c’est que ce truc ?

Je sors le tissu qui s’avère être une robe légère ensoie, des fleurs vives sur fond noir, décolleté etbretelles. Je fronce les sourcils.

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Dans la boîte, il y a un bristol. Bizarrement, jepense un instant à Chaplin et à sa vanne du bristolqu’il aurait oublié de m’envoyer pour me demanderde descendre aux archives. Mais il vient dequelqu’un d’autre :

« Alba Clancy. Je veux en savoir plus. Je passevous prendre demain à 20 heures. MatthewFerris. »

– Putain mais c’est incroyable, ça ! je lâche.– Ben non, je suppose que c’est normal pour son

âge, non ? répond Juan. Enfin je veux dire, faire sesnuits à trois mois, ça n’est pas non plus un miracle !

– Ah non, excuse-moi, Juan, je réagissais à autrechose. Excuse-moi…

– Tu m’écoutes ou pas, Alba ? demande-t-il sansagressivité, tout de même conscient qu’il soliloquedepuis dix minutes.

– Oui, oui, c’est juste que… que j’étais en trainde regarder les pubs dans le courrier et qu’il y a unepromo incroyable sur… sur les matelas, enfin un truc

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fou, tu vois.

Un moment de silence.

– Tu déconnes, là, Alba ?– Euh non… je te dis, c’est fou, des remises…

incroyables… je bafouille en froissant ce fichubristol dans ma main.

Ce Ferris ne manque pas d’air. Pour qui il seprend ?

– OK, tu déconnes, poursuit Juan. Bon, jel’admets, je suis un peu chiant avec mes histoires decouches et de biberon, excuse-moi. En plus, tapremière semaine doit te mettre à cran, hein ?

Tu n’as pas idée…

– Tu sais quoi, Alba ? Viens dîner à la maisondemain soir, ça nous fera plaisir de t’avoir avecnous. Et tu pourras prendre ta filleule dans les bras,

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changer sa couche, tout ça. Faut que tu t’entraînes unpeu, ça peut t’arriver un jour, tu sais ?

– Quoi donc ? je demande.

Je fixe le bristol dans ma main et je pense enmême temps à des matelas, je suis à deux doigts dedérailler.

– Ben, d’être maman, Alba, ça peut t’arriveraussi, dit Juan en rigolant. Ma vieille, t’escomplètement à côté de tes pompes. Allez, OK pourdemain soir 19 heures ?

– Oui, 19 heures, c’est parfait ! je réponds d’unevoix trop forte.

Juan éclate de rire et nous nous quittons sur cettenote de bonne humeur.

Matthew Ferris, si tu crois que tu peux tepermettre n’importe quoi avec moi, tu vas avoir dessurprises…

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5. J'avais un rendez-vous

Pas facile de trouver le sommeil après ça… Jegrignote en ruminant devant une série policière,anticipant toutes les répliques de la femme flic avecun petit air satisfait. De temps à autre, je lance unregard vers la boîte que j’ai laissée sur la table de lacuisine que j’aperçois depuis le canapé. La robe esten vrac, le mot à la poubelle.

Non mais vraiment… Moi, dans une robepareille… D’abord, comment peut-il simplementoser imaginer que j’accepterais un rendez-vousavec lui ?

Il faut que je cesse de penser à ça. Je ne devrais

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tout simplement plus lui accorder la moindreseconde de mes réflexions. D’ailleurs, si ça setrouve, c’est une mauvaise plaisanterie des gars desStups qui veulent se payer ma tête. Les collèguespeuvent parfois faire preuve d’un humour un peulourd. Comme cela fait plusieurs jours qu’on mesurnomme « la vamp des Stups », il ne serait passurprenant que mes équipiers aient envie de pousserle bizutage plus loin…

Je ressasse jusqu’à ce qu’épuisée, mon cerveauimplore pitié et coupe le jus. Je m’endors enfin.

***

C’est donc suspicieuse et tendue que je débarquele lendemain au bureau. Je suis assaillie parl’effervescence dès que je pousse les portesbattantes. Jack se précipite mine de rien vers moi enroulant des yeux.

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– Chaplin t’attend, marmonne-t-il en medépassant, genre « j’ai autre chose à faire ».

Je consulte la pendule, je ne suis pas en retard,mais je suppose qu’on doit être là quand on a besoinde nous, même sans savoir exactement quand on abesoin de nous… Dès que Chaplin me voit, ilm’adresse un signe de la main pour que je medépêche.

Il m’agace, je ne suis pas sa chose !

– Bon, Clancy, commence-t-il dès que je suis àportée d’oreille. Tu vas filer en salled’interrogatoire, on va réentendre la fille qui s’estfait secouer au Pink Velvet.

– La victime, dis-je pour rectifier sa vision assezbrutale de la situation. C’est une victime, elles’appelle Ariel.

Il pince les lèvres, dilate ses narines, fronce lessourcils. Visiblement s’il m’agace, c’est réciproque.

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Et pourtant il ne peut pas me reprocher grand-chose,je reste respectueuse.

– Ouais, bon, en tout cas, tu t’y colles, continue-t-il. On a du nouveau. Le résidu de poudre qu’on aretrouvé dans son sac pourrait finalement nous aiderà incriminer Ferris.

Et voilà, même pas cinq minutes que je suis là etdéjà ce nom…

J’écarquille les yeux et hausse les sourcils,dubitative.

– Mais je croyais que… je commence.– Ouais, nous aussi, me coupe Chaplin. Mais

finalement la donne a changé.– Mais vous avez entendu Ferris, non ? Je croyais

que… j’essaie encore d’intervenir.

Chaplin n’a pas l’air d’avoir l’habitude de sefaire couper la parole.

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– Écoute, Clancy, oui, on a entendu Ferris.D’après ce qu’il a affirmé et ce qu’ont déclaré lesdeux clients qui ont fait partie de la bagarre, la camen’a pas été achetée au Pink Velvet. Quoi qu’il ensoit, ces gamins avaient consommé et on trouve desrésidus dans le sac de la demoiselle, ce qui semblevouloir dire qu’elle est entrée avec. Donc premièrefaute pour Ferris.

– Mais rien ne prouve qu’ils ont consommé àl’intérieur du club, non ? je demande malgré moi.

Je joue à quoi là ? Je cherche à défendre Ferrisou quoi ?

Et ce doit être exactement la question que se poseChaplin qui étend ses mains bien à plat sur sonbureau, soupire bruyamment et fixe sur moi un regardfroid qui est également censé me transmettre le fondde sa pensée, à savoir qu’il préférerait que je laferme…

– De plus, continue-t-il en insistant bien sur

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chaque syllabe, la coke que nous avons analyséecorrespond à celle que les dealers de la familleFerris, père et fils aîné, déversent dans les rues deMiami depuis quelques semaines. Et c’est ce pointqui nous intéresse. D’où cette fille tient-elle cettecoke ? Et oui ou non, est-ce qu’on peut faire le lienentre Ferris junior, le Pink Velvet et cette Cendrillonqui a mal fini la nuit ?

Je hoche la tête pour montrer que le message estpassé et je prends un bloc. Par la même occasion, jenote mentalement l’ordre du jour que j’aimeraisrespecter : accumuler toutes les preuves possiblesde la culpabilité de Ferris pour me le sortirdéfinitivement de la tête…

Répète après moi, Alba : Ferris est un criminel,Ferris est un DANGEREUX criminel…

En partant, j’en profite pour lancer des regardsfurtifs vers mes collègues, histoire de voir – s’ils’agit en effet d’une plaisanterie de leur part – s’ils

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m’observent pour débusquer le moindre trouble enprévision du rendez-vous que je devrais avoir lesoir même avec le play-boy de Miami, MatthewFerris… Mais rien, les habituels saluts de la tête etun « hello, ô vamp des Stups » qui échappe à un garsqui a le vice du comique de répétition. Je luiréponds par un sourire crispé et méprisant.

Direction l’étage du dessous où je dois interrogerAriel, la victime du Pink Velvet. Elle m’attend dansla petite pièce qui nous a été réservée.

– Bonjour Ariel, dis-je en refermant la portederrière moi.

Je m’approche de la table et m’assure que ledictaphone très usagé qu’on m’a refilé fonctionnebien. J’enclenche l’enregistrement et procède àl’énumération des informations habituelles.

– Bon, Ariel, comment vas-tu ? je demande enm’installant face à elle, avec un air bienveillant.

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Elle secoue légèrement la tête.

– Ça va mieux, répond-elle d’une voix moinsfluette que l’autre jour au Pink Velvet.

D’ailleurs, elle semble avoir repris du poil de labête. Elle se tient droite sur sa chaise, elle n’a pasl’air terrorisée par notre tête-à-tête. Bien sûr, il luireste des souvenirs de sa fin de soirée mouvementée.Une ecchymose jaune foncé s’étale sur sa tempe etson œil est un peu gonflé, mais c’est tout. Elle estmaquillée avec soin et habillée avec goût.

– Je suis contente que ce soit vous quim’interrogiez, me dit-elle. Les autres… ils sont unpeu brusques, enfin vous voyez.

Je n’ai pas l’impression d’avoir étéparticulièrement agréable avec elle, plutôt brutale àma façon.

– Mes parents voulaient que je vienne avec mon

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avocat, dit-elle.– C’est ton droit, mais tu sais aussi ce que ça peut

signifier, je suppose, je réponds en feuilletant ledossier remis par Chaplin.

– Que j’aurais quelque chose à me reprocher, dit-elle en me fixant droit dans les yeux.

Je hoche la tête.

– Ce qui n’est pas le cas, conclut-elle.– À n’importe quel moment, tu peux demander à

ce qu’il soit là, je précise pour la rassurer car je lasens malgré tout tendue. Après tout, tu es tout justemajeure.

– Je n’ai rien à me reprocher, affirme-t-elle ensecouant la tête.

– OK, sauf que je vois là, d’après les analyses desang, que tu avais fumé de la marijuana, dont on nedécèle aucune trace dans ton sac. Mais, par contre,on y a trouvé une petite éprouvette avec des résidusde cocaïne qui nous intéresse.

– J’en ai pas pris, rétorque-t-elle aussitôt.

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– On le sait, les analyses le montrent, dis-je enplongeant mon regard dans le sien. Ce que jevoudrais savoir, c’est d’où vient cette éprouvette.

– Elle n’est pas à moi, réplique-t-elle aussitôt.

Je fais la grimace, agacée.

– Bien, alors comment tu expliques qu’elle setrouvait dans ton sac, Ariel ?

– Je ne sais pas, quelqu’un l’y a mise, dit-elle enhaussant les épaules.

Je pince les lèvres, l'air dubitatif.

– Ça ne va pas me suffire, ça, tu le sais bien, dis-je en m’appuyant sur la table et en me penchant verselle. Tu m’expliques comment, tes copains et toi,vous vous approvisionnez ?

Elle baisse les yeux.

– Je ne veux pas dénoncer qui que ce soit,

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marmonne-t-elle.– Alors c’est là où ça va se compliquer pour toi,

Ariel. Encore une fois, je vais être franche. Parceque pour l’instant, tout ce qu’on a, c’est ces résidusde poudre dans ton sac et beaucoup trop d’argentpour une soirée. Si on réfléchit un peu vite, on peutcroire que c’est toi qui deales.

Elle ouvre la bouche comme un poisson.

– Eh oui, ça devient un gros problème pour toi,dis-je en ouvrant les mains pour lui fairecomprendre que la balle est dans son camp. Alorsexplique-moi un peu comment ça se passe ?

Elle reste silencieuse quelques secondes avant deparler.

– On s’arrange toujours pour ne pas acheter endirect, dit-elle.

Je la fixe en attendant la suite.

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– Ces filles dont je vous ai parlé l’autre jour, ditAriel. Vous savez, ces paumées qui traînent avecnous, qui profitent quoi, eh bien on se sert d’elles.Ça fait partie du deal entre nous. Elles sedébrouillent pour trouver ceux qui vendent, on donnel’argent, elles font le deal. Pour qu’en cas deproblèmes, ce ne soit pas nous qu’on coince.

Elle sourit. Cette jeune femme inconsciente souriten me racontant ça comme si elle était super fière desa stratégie. J’éprouve un petit pincement au cœur enpensant que ma sœur Celia a très bien pu servir decoursier à une fille comme Ariel.

– Alors c’est pour ça aussi qu’elles ont le droitde consommer, vous voyez, poursuit Ariel. On leurfile un peu de notre came et, si elles veulent plus,c’est autant qui s’ajoute à l’addition.

Je sais que je ne suis pas là pour ça, mais cettehistoire de manipulation et de réseau de « services »où se perdraient des filles comme ma sœur

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m’intrigue. Évidemment qu’il n’y a pas que monintérêt professionnel et qu’une chose pluspersonnelle nourrit mes préoccupations, maisapparemment, je ne tirerai rien d’Ariel au sujet de lapoudre trouvée dans son sac.

– Parle-moi un peu de ça, dis-je à Ariel.

Elle a l’air soulagé que j’oublie ce qu’on a trouvédans son sac, alors elle déballe tout : cette sorte decour que ses copains et elle ont, les filles de milieuxmoins aisés qui font les coursiers, à qui on prête desfringues, de l’argent, qu’on entretient plus ou moinspendant quelques semaines avant de leur annoncer laréalité brutale de tout ce qu’elles doivent. Une foisredevables, menacées qu’on leur coupe les vivres,leur consommation ou tout simplement qu’on lesdénonce aux flics, ces filles passent de maison enmaison où elles deviennent de véritables esclavesdomestiques.

– Des fois, les parents en profitent même, balance

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Ariel, l’air détaché. Finalement, c’est de la maind’œuvre gratuite qui les arrange.

OK, là, j’ai atteint mes limites !

Je sais que si je ne soupçonnais pas ma sœurd’avoir atterri dans un de ces réseauxd’esclavagisme moderne, je prendrais la chosecertes gravement mais avec moins d’émotion. Quoiqu’il en soit, je n’étais pas là pour ça…

– D’accord, Ariel, dis-je en me préparant à melever. On va en rester là.

Elle me fixe avec une expression surprise.

– Qu’est-ce qu’il y a ? je demande, un rienagressive. Tu as autre chose à me dire. Commentcette éprouvette s’est retrouvée dans ton sac parexemple ? Tu pourrais dénoncer une de tes copinesfauchées et boniches, après tout, non ? Mais après ceque tu viens de me raconter, je ne vois pas bien

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comment ça ne va pas te revenir en pleine figure.

Elle ne répond pas.

– Bon alors, je te laisse décider si tu as besoin deton avocat, dis-je en me levant.

Juste avant de sortir, je me retourne vers elle.

– À un moment donné, tu sais, Ariel, on ne peutplus se cacher derrière les autres.

La jeune femme détourne le visage, la bouchecrispée.

Puis je remonte dans mon service. Chaplin, endiscussion avec le chef dans son bureau, sortaussitôt.

– Alors, Clancy ? me demande-t-il.– Rien sur Ferris, rien sur rien d’ailleurs, je

réponds. Enfin rien qui nous intéresse. La drogue

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n’est pas à elle, elle ne sait pas pourquoi elle estdans son sac et, d’ailleurs, ce n’est même pas ellequi se fournit.

Chaplin a un geste énervé de la main.

– Putain, j’aurais dû m’en occuper moi-même,lance-t-il toujours sur le même mode à cran.

Je ne bronche pas. Je préfère ne pas répondre ceque je sens de très désobligeant monter en moi.

– Par contre, c’est la deuxième fois que cette filleme parle d’une sorte de réseau de manipulation,limite esclavagisme moderne, dis-je d’une voix queje m’efforce de garder neutre.

– L’affaire Ferris, ça ne t’intéresse pas, Clancy ?me demande Chaplin, d’un ton hargneux. C’est toutce qu’on te demande après tout. De nous filer uncoup de main pour coincer Ferris. C’est ça, ton job,maintenant…

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Ferris Ferris, qu’est-ce qu’il croit ? Que je n’ypense pas ? Vraiment ? !

Je ne me démonte pas.

– Je ne veux pas insister, mais cette fille m’araconté qu’elle ne s’approvisionne jamaisdirectement mais que ses copains et elle se servent,entre autre pour ça, de jeunes paumées. Ce peut êtreune piste pour remonter jusqu’à Ferris, non ?

– Tu ferais peut-être bien de demander tamutation aux Fraudes ou à l’Immigration alors, mebalance Chaplin. Pour autant que tu puisses servir àquelque chose.

Je reste bouche bée et le regarde s’éloigner, jesuppose, vers la salle où j’ai interrogé Ariel.

– C’est injuste, ça, me dit Jack qui s’est approchédiscrètement. Laisse tomber, Alba.

– Toi, laisse tomber, Jack ! J’ai pas besoin d’unchevalier servant, dis-je, agacée par sa

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bienveillance mielleuse.

Et je m’éloigne à mon tour du même pas que monéquipier.

***

On peut dire qu’au moins l’idée d’un éventuelrendez-vous avec Matthew Ferris en fin de journéem’aura lâchée pendant quelques heures… Le tempsde me calmer, de taper mon rapport, de filer mine derien aux Mœurs pour discuter avec un collègue, voirs’il aurait entendu parler de ce réseau de pauméesdont on se sert comme d’une main d’œuvre gratuite.Mais c’est sans résultat et cela me rassure plutôt. Jecrois que je n’aurais pas aimé entendre parler deprostitution.

À l’heure du déjeuner, je file en douce pourmanger toute seule. Passer un coup de fil à mon pèrequi n’a pas le temps et qui promet de me rappeler.

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Puis sentir mon cœur s’emballer stupidement dèsque je pense à ce rendez-vous que Matthew Ferrism’a, peut-être, en effet donné… même si j’ai fait ensorte d’organiser ma soirée pour ne pas le voir ou,plutôt, pour ne pas subir l’humiliation d’un canularorganisé par mes collègues.

Quelques secondes, je reste le regard dans levague, ma fourchette en l’air, à invoquer le souvenirdu visage très sexy de Matthew Ferris en train de meregarder et de me parler, puis une autre moi, trèsguerrière, débarque dans mon cinéma intérieur et faitexploser cette image romantique.

Non, mais faut que j’arrête !

En fin de journée, je repasse comme une voleusechez moi – alors que deux heures me séparent durendez-vous avec Matthew Ferris – pour prendre unedouche et me changer avant de filer chez Juan pourle dîner.

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Je sais que j’ai décidé de ne pas me soumettre aubon vouloir de cet homme mystérieux et présumé liéau monde du crime. Je sais qu’il est fort probableque tout cela ne soit qu’une mauvaise plaisanterie et,pourtant, tout le temps que je passe chez Juan et sacompagne, même avec leur bébé dans les bras, je nepeux m’empêcher d’être obsédée par ce que je fuis.

J’ai le sentiment d’être juste en dessous de lasurface des choses. Les discussions sont assourdies,je réponds souvent à côté de la plaque. Juan est làpour me rappeler à l’ordre.

– Hé, tu ne lâches pas mon bout de chou, hein ?me lance-t-il alors qu’au moment de passer à table,je pense qu’il est tout juste 20 heures. Tu sais que tuportes le trésor de ma vie, là ?

Le repas est succulent. La compagne de Juan estextraordinaire : elle est belle, souriante, intelligente,elle fait bien la cuisine… Et Juan et elle filent leparfait amour, ont un bel enfant. Je les observe sans

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jalousie, juste avec l’envie un jour de savoir ce quecela fait de vivre ça.

Juan sent bien que je suis ailleurs et, surtout, qu’ilprend plus que sa part de la discussion. Ilm’interroge alors sur mes journées aux Stups et jeme surprends à faire ce qu’on fait ado, quand on estobsédée par un garçon et qu’on parle de lui tout letemps sans vouloir vraiment avouer… MatthewFerris par-ci, Matthew Ferris par-là, l’incident duPink Velvet, etc.

Mine de rien, je me fais du mal. Parce quej’aimerais tout raconter à mon ami, mais ne le peuxpas. Il va me juger, me dire que ce type estdangereux, qu’il s’amuse. Et au fond de moi, je saisqu’il n’aurait pas tort.

21 heures passées, j’annonce que je rentre. Quique soit celui qui m’a donné rendez-vous ce soir, jedoute qu’il aura attendu plus d’une heure devant mamaison. Sur le chemin du quartier de Little Havana

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où je vis, je prends mon temps, roule au ralenti et, aubout du compte, je finis par me convaincre que je nerisque plus rien.

Mais dès que je passe le coin de ma rue,j’aperçois aussitôt la grosse voiture noire luxueusestationnée devant ma maison, de l’autre côté de lavoie.

Merde, non, ce n’est pas possible…

Complètement paralysée par l’appréhension, jegare ma vieille Lincoln devant chez moi. Avant desortir, je jette un coup d’œil à la Maserati aux vitresteintées qui m’empêchent de voir si quelqu’un s’ytrouve. Je reste là quelques secondes, puis prenantmon courage à deux mains, je m’éjecte littéralementde ma voiture et me rue quasiment jusqu’à ma porte.

Le visage bouillant de nervosité, je fouille dansmon sac à la recherche de mes clés, quand cette voixvirile que je commence à connaître me parvient

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depuis l’autre côté de la rue.

– Vous êtes en retard, Alba ! me lance MatthewFerris sur un ton amusé.

Je me retourne lentement. Il est appuyé contre laportière de sa voiture. Pantalon droit anthracite,chemise souple grise, déboutonnée au col, lesmanches roulées sur ses avant-bras puissants,jambes nonchalamment croisées. Et ce sourire sexysous son regard clair.

– Heureusement, je suis un homme patient, ajoute-t-il.

Il s’éloigne de sa Maserati et traverse la rue.

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6. Perdre la tête

Je retiens mon souffle, les yeux braqués surl’homme séduisant qui se dirige vers moi. Ilressemble plus à un acteur dans une pub de luxe qu’àl’idée qu’on peut se faire d’un criminel malintentionné.

Mais je n’en sais rien, après tout ! C’est bien là,mon problème !

Mon cœur me remonte dans la gorge au risque dem’étouffer. Je serre mes clés au point d’en avoirmal, et lui, Matthew Ferris, avance toujours,nonchalamment, un demi-sourire sexy aux lèvres.

– Vous avez essayé de me faire faux bond, dit-ilen s’arrêtant à un mètre de moi, les mains dans les

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poches.

Je crispe les mâchoires. Même si cet hommeferait succomber n’importe quelle femme – même sin’importe quelle femme se battrait pour être à maplace ! –, je n’apprécie pas vraiment la situation.Pour être franche, je commence même à me sentirhors de moi, pas de façon extatique, hein, genrepâmée de désir et sous le charme, mais plutôtoutragée.

– Que faites-vous ici, monsieur Ferris ? jedemande d’une voix froide.

Cela n’entame en rien le sourire qu’il m’adresse.

– Nous avions rendez-vous, Alba, répond-il eninclinant la tête sur le côté.

Comment ne pas être sensible à son expression,à tout ce qu’il dégage… Comment ? ! Mais je suisflic, c’est tout. Et ce type est soupçonné d’être

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associé à de dangereux criminels, ça suffitamplement pour résister, il me semble !

Malgré mon monologue intérieur et le fait queMatthew Ferris monte et descende brutalement dansmon sondage d’opinion personnelle, je suis bienconsciente que la femme que je suis avant d’être flicest fortement troublée par la proximité de cethomme.

– Nous n’avions pas rendez-vous, dis-je toujoursdu même ton neutre. Et je n’aime pas que vous voussoyez renseigné sur l’endroit où je vis.

Il ne réagit pas tout de suite. Il me fixe unmoment, son regard bleu s’accrochant au mien dansune sorte de dialogue silencieux censé l’éclairer surce que je ressens. Je détourne le visage, jette unregard dans la rue. Je crains, c’est vrai, qu’on mevoie là avec Matthew Ferris, que le voisinages’interroge sur cette voiture luxueuse, cet hommevoyant.

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– J’aimerais vous emmener boire un verre, dit-ilsoudain en omettant de répondre à ma question.C’est tout, un moment agréable avec vous, Alba.

– Qu’est-ce qui vous fait croire que j’ai envied’aller boire un verre avec vous, monsieur Ferris ?je rétorque en le regrettant aussitôt.

Parce que, merde, il doit bien voir que je suistroublée, et ça depuis notre rencontre au PinkVelvet…

Nous sommes plantés l’un devant l’autre sous leporche de ma maison. Il baisse le visage et sonregard se fait plus vif. Ses lèvres forment une petitemoue qui creuse une légère fossette sur sa joue. Jedéglutis.

Oh non, je ne suis pas insensible à soncharme…

– Vous avez raison, Alba, dit-il presque enchuchotant. C’est peut-être présomptueux de ma part.

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Disons juste alors que j’avais envie, moi, de passerun moment avec vous…

Je relève le menton d’un air de défi. J’ai labouche sèche et je suis vraiment impressionnée parl’assurance de cet homme. Tout d’un coup, dans monjean et ma blouse hippie, mes ballerines, je me senscomme une Cendrillon draguée par le princecharmant.

Mais je ne suis pas dans un conte de fées, là…Comment vais-je me sortir de cette situationcauchemardesque ?

– Et ne voyez rien de mal à ça, ajoute-t-il toujoursde la même voix suave. Aucune mauvaise intentionde ma part.

Il se penche vers moi et mon cœur s’emballe deplus belle. Son visage est à quelques centimètres dumien. Je dois avoir l’air d’un lapin pétrifié devantles phares d’une voiture. Il doit le sentir, car il

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s’éloigne lentement pour reprendre une posture plusdétendue, moins « offensive ». Malgré ça, je sensmon corps qui tremble légèrement.

– Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, dis-je cette fois d’une voix frémissante en baissant lesyeux.

Je sens qu’il a un élan qu’il retient aussitôt etj’imagine très bien de quelle manière il pourraittendre la main et me relever le menton du bout desdoigts pour me dévisager. Ma gorge se serre, jesecoue la tête.

– Très mauvaise idée, monsieur Ferris, j’ajouteavec un sourire crispé.

Alors il a cette réaction désinvolte qui medésarçonne tout à fait. Il croise les bras et s’adossecontre le poteau du porche, lève le visage dans uneattitude pensive.

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– OK, Alba, voilà comment je sens les choses,dit-il avec aplomb mais sans me brusquer. Vous êtesflic et, moi, je suis justement quelqu’un après qui lesflics en ont. Hum… vu comme ça, la situation meparaît insoluble. Mais si on la prenait autrement,vous voulez bien ? Disons que vous êtes une femme,séduisante et spontanée…

Il plonge alors ses yeux dans les miens, juste letemps d’une pause dans son souffle. Je rougisjusqu’à la racine des cheveux, à cause de soncompliment et de son regard.

Oh merde, où a-t-il appris ce truc…

– Et moi, je suis un homme qui vous croise parhasard et que vous intriguez, poursuit-il en mesoulageant de l’intensité de son regard. Disons queje me dis : « Tiens, mais qui est cette femme ?J’aimerais bien en savoir plus sur elle, laconnaître », alors je l’aborde et je l’invite à prendreun verre.

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Il hoche la tête en faisant la moue.

– Voilà une manière plus détendue de considérerce qui se passe là, non, Alba ? Une femme et unhomme qui vont prendre un verre pour discuter, justepour mieux se connaître.

Je ne réponds toujours pas.

– Il n’y a pas de traquenard, Alba, dit-il alors endécroisant ses bras pour avancer d’un pas vers moi.Un nom, une adresse, ça ne me suffit pas pour vousconnaître. Et ne me demandez pas pourquoi, jesentais seulement que ça devait arriver, ce moment,là, depuis que je vous ai rencontrée au Pink Velvet.

Il hausse les épaules, ouvre ses mains et, au fondde moi, il y a une Alba sous le charme qui rêve deprendre ces mains dans les siennes pour voir ce quecela fait.

Non ! Ce serait trop risqué !

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Je croise les bras, détourne les yeux, sans rienrépondre.

– Alba, c’est juste un verre, laissez-moi cettechance, murmure-t-il à présent. Ensuite je vouslaisserai tranquille si vous le désirez.

Je plante alors mes yeux dans les siens. Pour lesonder. Et ce que j’y lis, à mon grand désespoir,c’est, il me semble, de la sincérité, de l’honnêtetémême, et soudain, ça m’ennuie beaucoup d’envisagerque cet homme le soit vraiment.

Finalement, c’est de ça dont j’ai le plus peur,pas qu’il soit le pire des gangsters, parce que ça aumoins, je sais gérer…

Dans ma tête, les questions s’enchaînent à touteallure.

Ai-je envie qu’il me harcèle jusqu’à ce que jecède ? Ce pourrait être grisant mais aussi très

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pénible et suis-je joueuse à ce point ? Sûrementpas.

Mais je ne peux nier que son comportement est àla fois très flatteur et terriblement agaçant…

Suis-je une chose dont on dispose juste parcequ’on en a envie ? Non et non. D’un autre côté, cen’est pas comme s’il ne se donnait pas du mal, là…Certes, qu’est-ce que je risque à part en apprendreun peu plus sur un homme que mon service chercheà épingler ? Oui, pas mal ça, voilà une manière detirer profit de ce moment qu’il n’envisagequ’agréable… Est-ce que je crois vraiment à ça ouest-ce que je cherche tout simplement à justifier cedésir qui me prend le ventre, me crispe et me faittrembler dès que cet homme m’approche etm’adresse la parole ?

– OK, dis-je d’une voix tendue. OK pour unverre.

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Il frappe dans les mains, me gratifie de son demi-sourire sexy et ma poitrine s’emplit d’un coup.

C’est ce qu’il incarne qui me fait cet effet, pasce qu’il est vraiment ? !

Ouais, je vais bien finir par m’en convaincre,mais ça ne va pas être chose facile si je dois oublierce visage, ce regard, ces lèvres et ce corps toujoursbien habillé…

– Parfait, dit Matthew Ferris. Je vous laisse vouschanger.

Et moi, comme une gourde, j’acquiesce, meretourne, ouvre ma porte et disparaît à l’intérieur, medirigeant comme une femme sous hypnose dans lacuisine où je prends la robe qu’il m’a fait livrer.Puis je gagne ma chambre, toujours le cœur battant etla peau moite, les doigts tremblants. Alors que jesuis en sous-vêtements, prête à passer sur mon corpsle tissu souple et luxueux de la robe, je me fige en

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plein geste. Je reprends possession de mon cerveauet de ma volonté.

Non, mais ça ne va pas la tête ! Je ne suis pasune poupée qu’on habille et qu’on emmène boireun verre pour la montrer !

Je fouille dans ma penderie au hasard. La piochen’est pas mauvaise, c’est une robe noire toute simpleet fluide que j’assortis d’une paire de sandales àpetits talons rouges. Je jette un coup d’œil dans lemiroir.

Ça ira !

Le temps de quelques minutes, ma colère m’alibérée de l’étreinte du trouble qui m’a prise plustôt. Mais dès que j’approche de la porte, mon sac àmain sur l’épaule, l’angoisse me reprend. La valsedes « et si » m’étourdit.

Et si c’était un coup monté ? Et si Matthew

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Ferris avait dans l’idée de me manipuler ? Et sic’était pire : s’il voulait me… supprimer ? ! Non,non, je déraille là. Et puis j’ai mon arme de servicesur moi… Mais si, tout simplement, il se passait enmoi ou bien entre nous quelque chose que je nepourrais tout bonnement pas contrôler ? C’est déjàun peu le cas, non ?

J’ai une brève pensée pour mes collègues quim’appellent la « vamp des Stups ». Je me vois uneseconde apportant l’information qui manque pourcoincer le fils Ferris et je m’en veux aussitôt.

J’efface le tableau noir de mon cerveau que j’aisurchargé d’interrogations, j’ouvre la porte et sors.

***

Matthew Ferris m’attend près de sa voiture.Alors que je traverse la route, en m’efforçant deprendre un air détaché, je le sens me détailler de la

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tête aux pieds. Puis il sourit, ce sourire en biais avecla fossette à se damner.

– Hum, cette robe vous va bien aussi, Alba, medit-il.

Il me tient la portière ouverte côté passager, lareferme doucement dès que je suis installée. Jel’observe contourner la voiture, son profil sinettement dessiné, son front sur lequel retombentquelques mèches de cheveux souples, ses épaulesqui roulent avec élégance sous le tissu de sachemise.

Je déglutis et décide de fixer la route devant nouspendant tout le trajet. Du coin de l’œil, je guette sesmains puissantes sur le volant, son bras droit qui detemps en temps empoigne le levier de vitesse. Je tirenerveusement sur ma robe, serre mes genoux.

Merde, il conduit, rien de plus… Pas de quoi memettre dans tous mes états…

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Il se tourne vers moi à un feu rouge. M’adresse unsourire qui plisse ses yeux.

Même les fines rides qui naissent aux coins deses paupières sont hyper sexy…

– Ça va, Alba ? me demande-t-il. Je vousemmène à Key Biscayne, ça vous convient ?

Je hausse les épaules, incapable de trouver uneréponse simple et claire. Plus loin, la parole merevient et c’est un sarcasme qui m’échappe. Je saisbien qu’à être agressive, je dois dire beaucoup de laconfusion dans laquelle cet homme me plonge, maiscomment fait-on pour éviter ça ?

– Jolie voiture, dis-je sur un ton ironique aprèsavoir fait mine de détailler l’intérieur luxueux de laMaserati.

Je m’en contrefous !

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– C’est celle de mon comptable, me répondMatthew Ferris avec un petit sourire amusé.

Je le fixe, intriguée, ne sachant s’il se paie matête ou s’il dit vrai.

– C’est vrai, me dit-il alors en se penchantlégèrement vers moi.

– Et lui, il roule dans votre voiture ? je demandeen ayant du mal déjà à imaginer un véhicule plusluxueux.

Il hausse les sourcils avec un air mystérieux.

– Oui et bien plus encore, répond-il en donnant unbrutal coup d’accélérateur.

Notre discussion se résume quasiment à cesparoles jusqu’à notre arrivée à Key Biscaynequelques minutes plus tard. Matthew Ferris gare laMaserati non loin d’un bar ouvert sur la rue.L’endroit n’affiche pas le luxe auquel je m’attendais.

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C’est un établissement plutôt sympathique, fréquentépar des trentenaires, une clientèle bohème etdécontractée, mais chic, évidemment, car on est àKey Biscayne.

De la musique cubaine passe à plein volume etquelques couples dansent dans l’espace au centre dubar. Les gens sont également installés en terrasse. Ilrègne une ambiance joyeuse et simple. D’un coup, jesens en moi la pression retomber. J’avais un peupeur d’avoir à affronter un club glamour et laclientèle qui va avec.

Matthew Ferris me sourit en ouvrant son braspour m’inviter à m’installer à une table un peu enretrait. Il se penche ensuite par-dessus la table.

– Vous n’êtes pas en service. Vous voulez unmojito ? me demande-t-il, le visage bien trop prochedu mien pour que je me sente à l’aise.

– Un Cuba libre plutôt, je réponds en me reculantsur ma chaise.

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Il revient quelques minutes plus tard avec nosverres puis s’assied à son tour, avant de releverdavantage les manches de sa chemise. C’estincroyable, le simple fait de regarder sa peaudénudée me donne chaud à la nuque, me compressela poitrine comme si je manquais d’air.

Jamais un homme ne m’a fait ça… ou alors c’estque j’ai très très peur…

Mais ce n’est pas de la peur. C’est bien de lafascination pour un être dont le physique est unvéritable appel au désir, un aimant qui émet desondes auxquelles ma peau, mon corps ne peuventrésister. Je bois une gorgée de mon cocktail aprèsavoir trinqué avec lui en silence. Puis vient la phrasefatidique :

– Je ne plaisantais pas tout à l’heure, Alba, dit-il.Je vous trouve très attirante et j’aimerais en savoirplus sur vous.

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Il marque une pause, plonge ses yeux dans lesmiens.

– Vraiment, ajoute-t-il.

Je me redresse avant de me liquéfiercomplètement.

– Mais moi aussi j’aimerais en savoir plus survous, monsieur Ferris, dis-je avec un ton défiant.

Il éclate d’un rire très sensuel, rejetant la tête enarrière.

– D’abord, j’aimerais que vous m’appeliez,Matthew, répond-il. Ensuite, qu’est-ce que jepourrais vous dire que vous ne sachiez déjà, Alba ?Vous êtes de la police. Je suis certain que vous avezlu mon dossier dans tous les sens, comme tous voscollègues d’ailleurs.

Bon, il n’a pas tort. Que pourrais-je bien lui

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poser comme question après tout… S’il est plutôtcafé ou thé ? Ce qu’il écoute comme musique ? Toutça paraît superflu, j’ai déjà une vue d’ensemble dupersonnage.

La musique change dans le bar et Matthewaccompagne le nouveau rythme en tapant élégammentdes mains sur la table, ses épaules puissantes jouantsous sa chemise.

– Vous devez aimer la musique cubaine, Alba,non ? demande-t-il.

– Ça se voit tant que ça ? je réponds, toujours enmode défensif.

– Quoi ? Que vous avez du sang cubain ? dit-il.Votre père ou votre mère ?

– Ma mère, dis-je. Elle est arrivée à Miami avecma grand-mère à l’âge de 4 ans.

Et je ne sais pas ce qui se passe, comment je melaisse prendre à son jeu, mais le fait est que jedéroule ensuite l’histoire jusqu’à la mort de ma

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mère. Ce doit être dans ses expressions, l’attentionqu’il porte à ce que je lui dis, sa façon de poser desquestions, de relancer la discussion quand je mesens gênée et surtout… de m’encourager chaque foisd’un sourire charmeur.

Matthew Ferris me mange littéralement des yeux,c’est un fait.

Et si au début, je suis embarrassée, très vite, jeme laisse envelopper par ce regard pour concentrermon attention sur d’autres détails de son visage :cette minuscule fossette qui n’apparaît que sur unejoue quand il sourit à moitié, de quelle façon il passela langue sur ses dents blanches quand il réfléchitavant de parler. Mes yeux observent ses mains quiont leur propre langage, ses poignets épais et forts,l’élégante montre en or qui ne fait que souligner lapuissance de ses bras, ses doigts agiles d’homme.

Après ma mère, je parle de mon père, puis je luilivre mes ambitions, mon envie d’être juste, droite,

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sans me rendre compte à qui je m’adresse, parce quece type, par sa beauté, son intérêt et tout ce qu’il est,m’a tout simplement fait oublier qui il était.

C’est ça, alors, être sous le charme d’unhomme ?…

Un moment, j’éclate de rire. Ce doit être àquelque chose qu’il a dit. Certainement aussi le faitque j’en suis à mon deuxième cocktail, que cela faitdeux heures que nous discutons et qu’il ne m’a pasquittée des yeux une seconde, que son sourire esttoujours le même.

J’éclate de rire, et quand mon rire s’éteint, je levois qui me fixe en silence. Il ne sourit plus. Seslèvres sont entrouvertes et lentement sa main se lèvevers mon visage. Il dégage une mèche de cheveuxprise au coin de ma bouche. Ses doigts me frôlent etje me fige, sans le quitter des yeux.

Oui, il se passe bien quelque chose qu’on ne

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contrôle plus…

Cela ne dure pas longtemps mais ce regard, cecontact, ce silence, tout est lourd de sensualitépartagée. D’une attirance évidente. La musiquechange encore. C’est maintenant une salsa endiabléeet plusieurs couples se lèvent pour rejoindre la piste.Matthew me tend la main.

– Tu veux bien danser avec moi ? me demande-t-il.

Il est passé au tutoiement et je ne lui en veux pas.Je prends sa main, je me lève. Je le suis au milieudes autres couples et, quand il se retourne vers moipour lever nos mains jointes et poser son autre mainlibre sur ma taille, nous échangeons un regard sansfard. Ce qui se passe là, ce n’est pas que dans matête, c’est dans la sienne aussi.

Nous accordons nos corps au rythme de lamusique, faisant pivoter nos pieds au sol et tourner

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nos hanches à l’unisson, comme si nous avionstoujours dansé ensemble.

Il a un port de tête élégant, le sens de la musique.Il est souple et vif à la fois, solide et rapide. Je melaisse guider et je dois reconnaître que j’adore ça. Ilm’emmène où il veut et anticipe mes mouvements. Ila un léger sourire aux lèvres. Parfois ses yeuxglissent sur mon buste pour observer mesdéhanchements, et ces regards m’enflammentdavantage. J’en donne et montre plus encore.

Prise par la musique, par la chaleur et son parfumépicé, la poigne ferme de sa main sur ma taille, jesuis toute à lui dans la danse.

Je ne suis plus la « flic des Stups », je suis unefemme envoûtée par un homme mystérieux. Et j’aimeça, oui, j’aime voltiger entre ses mains, les sentir surmes hanches, son ventre contre le mien quand noustanguons collés l’un contre l’autre. Il me fait tourner,me rattrape. Quand je me lance, il est toujours là.

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C’est comme si nous nous testions sur cette piste,comme si nos corps faisaient déjà connaissance.

La salsa est une danse sensuelle et folle. Quandnous nous arrêtons, je suis essoufflée, les cheveuxcollés à mes tempes. Matthew a le front qui luit, lachemise qui marque les contours de ses pectoraux. Illève encore une fois la main vers mon visage, poseses doigts sur mes lèvres entrouvertes, les caressedoucement. Ses yeux me disent : « J’ai envie det’embrasser ». Mais sa bouche dit alors :

– Viens, je t’emmène quelque part, Alba.

***

Je le suis dehors. Il est allé chercher mon sac quej’avais glissé sous ma chaise, arme de serviceoblige. Il me le rend avec un petit sourire.

Je suis appuyée contre la Maserati, il approchelentement sans que nos yeux se quittent. Encore une

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fois ce geste doux de la main, juste avant que seslèvres se posent sur les miennes. Et je me rendscompte que j’en avais terriblement envie. Que meslèvres ont faim de lui. Comme dans la danse tout àl’heure, nous partageons aussitôt un baiser d’unepassion évidente.

Matthew colle son corps au mien, m’enserre dansses bras. J’aime me sentir frêle contre son torsepuissant. Je sais aussi comme cela peut êtredangereux, cet abandon. Puis il pose sa tête dans lecreux de mon cou. Je le sens soupirer contre mapeau, il redresse son visage. Il est si près du mien.J’ai l’impression qu’on entend mon cœur résonnerdans toute la rue.

Il glisse sa main derrière moi pour m’ouvrir laportière et je monte en silence dans la Maserati.C’est toujours sans un mot qu’il m’emmène où ilveut, à quelques rues de là, au bas d’une résidenceluxueuse. Je flotte dans du coton. Toutes mesfonctions corporelles semblent sur pilote

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automatique.

Je ne contrôle plus rien…

Malgré tout, je n’ai pas peur. J’ai 27 ans, j’ai eudes aventures dans ma vie. Je sais quand quelquechose me dépasse et c’est bien la première fois quele désir d’un homme s’impose à moi de cette façon,avec une telle puissance.

Alors je sors de la voiture quand il me tend lamain. Je le suis dans le hall de marbre blanc, dansl’ascenseur qui semble tout en cristal. Tous mes senssont électrisés par cet homme.

Lui. Matthew Ferris.

Dès que les portes de l’ascenseur se referment,nos corps sont de nouveau aimantés.

Je ne m’abandonne pas, non, je ne m’abandonnepas…

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Et c’est vrai. Je sens en moi une force qui s’unit àla sienne, celle de mon désir qui joue avec le sien.Ses lèvres sont douces, elles ont le goût de menthe.Sa langue est intrépide et la mienne lui répond sanscrainte.

Au dernier étage, les portes de l’ascenseurs’ouvrent alors sur deux êtres enlacés. Lui et moi,nos lèvres qui dansent, nos mains qui apprennent noscontours.

– Viens, dit-il avant de m’entraîner dans lesomptueux penthouse.

Je n’ai aucune envie de résister. Je sais très bienoù je vais. J'en ai même très envie.

Au bout de quelques pas dans le hall dupenthouse, Matthew me lâche la main, comme pourvérifier que je ne le suis pas bêtement, envoûtée.

Il se retourne et recule lentement dans le salon

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tout en me fixant. J’avance vers lui du même pastranquille en ne le quittant pas des yeux.

Non, je ne t’obéis pas, je fais exactement cedont j’ai envie, là, maintenant.

Je sens que dans cet échange de regard, nous nousdisons énormément de choses. Il m’observe memouvoir devant lui comme s’il voulait en profiterpleinement, comme s’il avait envie de me savourer.Je pose calmement les yeux sur le décor qui nousentoure. Argent et élégance, mais je n’en suis mêmepas étonnée et cela ne m’impressionne même pas.Finalement, cela n’a plus d’importance.

Ce qui est important, c’est ce silence que noscorps habitent. Ce silence lourd de sensualité,d’attente et d’anticipation.

Il recule toujours en me souriant maintenant. Unsourire qui répondrait à toutes mes pensées.

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– Tu veux boire quelque chose ? me demande-t-ild’une voix douce pour ne pas troubler ce qui sepasse entre nous.

Je m’arrête, lui souris. Je lève mon pied versl’arrière, enlève ma sandale que je laisse tomber parterre, puis je procède de même avec l’autre. Sesyeux sont d’un bleu encore plus intense dans lalumière voilée de l’appartement.

– J’ai chaud, dis-je. Je veux bien un verre d’eau.

Il se dirige vers l’îlot d’une cuisine donnant sur lagrande salle où nous nous trouvons. Je me déplace,pieds nus, vers lui. Le carrelage est frais sous mespieds. Le froid est presque mordant. Tous mes senssont décuplés. Il me tend un verre d’eau avec desglaçons. Nous sommes assez proches pour que noscorps se frôlent. Un frisson court sur ma peau.

– Tu as la chair de poule, dit-il en posant la mainsur mon bras nu.

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J’ai soif, je bois avec avidité, l’eau ruisselle à lacommissure de mes lèvres. Il me dévisage puiss’incline vers moi pour poser ses lèvres juste endessous de ma bouche. Je soupire quand sa languelèche l’eau sur ma peau.

Un petit grognement de satisfaction lui échappe enme sentant ainsi bouleversée par son contact. J’ai unincontrôlable mouvement de tout mon corps vers luiqu’il perçoit aussitôt. Il se colle à moi. Sa mainpuissante remonte vers mon menton qu’il maintientfermement afin de presser sa bouche sur la mienne.Sa langue m’envahit et nos gestes s’emballentsoudain.

Je plonge les mains dans ses cheveux pourrépondre à son baiser passionné. Dans cette caressede nos langues, de nos lèvres qui s’embrasent, jeperds mon souffle. J’ai l’impression que ma surviene tient qu’à ce baiser, qu’il ne doit pas s’arrêter etsans doute ressent-il la même chose car il est aussiurgent que moi. Ses bras m’enserrent, une main sur

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ma nuque sous mes cheveux, l’autre sur mes fessesqu’il empoigne avec ardeur, faisant remonter marobe sur mes cuisses.

Nous nous détachons soudain d’un même élan,hébétés par la passion partagée ces quelquessecondes. La respiration saccadée, il prend le tempsde me dévisager. Je lis la surprise, le doute, dans ceregard.

– Je ne ferai rien que tu ne veuilles toi aussi,Alba, murmure-t-il d’une voix enrouée par le désir.

Je le fixe presque avec colère. Que croit-il ? Queje me laisserais faire juste parce qu’il est MatthewFerris ?

– Je ne ferai rien que je ne désire pas, je répondsen soutenant son regard, essoufflée. Je fais ce dontj’ai envie.

J’ai à peine le temps de finir ma phrase que nos

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corps s’entrechoquent de nouveau, nos bouchesreprennent leur dialogue mouillé. Ses caresses sontplus directes maintenant. Sa main passe sous marobe, sous ma culotte, pour s’emparer de mes fesseset les palper effrontément. Une bretelle de ma robe aglissé sur mon bras, celle de mon soutien-gorge suitaussitôt et ses doigts suivent la courbe de mon seinqu’il aide à découvrir.

Je gémis, poussant mon ventre contre le sien. Unautre gémissement me vient quand je perçois contrema chair la tension que contient son pantalon. Unemain sur son torse, dans l’entrebâillement de sachemise, l’autre sur ses reins pour qu’il pousse etpousse encore contre moi et me fasse sentir sondésir. Il grogne quand il comprend que j’appréciel’évidence de son érection. Presque surpris par mahardiesse.

Puis il me soulève d’un coup et me pose sur lebord de l’îlot. Sa bouche quitte mon visage pours’accrocher au mamelon de mon sein découvert. Il

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me lèche et me lape, attisant le feu de mon sein dubout de la langue. Je bascule mon bassin en avant,rejette ma tête en arrière en gémissant. Il m’aspire,suce le bout de mon sein puis sa bouche s’ouvre pluslargement comme s’il voulait me dévorer. Tout celame semble tellement évident. J’ai le souvenir fugacede ce qu’il m’a dit devant chez moi. Qu’il sentaitsimplement qu’il fallait que cela arrive et c’estexactement ce que nos corps sont en train de nousdire.

Mes mains se rejoignent sur sa nuque pour meredresser. Je baisse les yeux sur ses cheveux, ce sontmaintenant mes deux seins qui sont dénudés sous sescaresses. J’ai la tête qui va éclater. Le sang bat dansmes tempes. Toute ma peau brûle. Il relève le visageet dès que nos yeux se rencontrent, ma respiration sefait haletante. Il ne dit rien. Il me fixe et se redresseà son tour, mes mains toujours accrochées à son cou.

Il secoue légèrement la tête sans rien dire. Maisj’entends sa voix rauque et virile dans ma tête. Il n’a

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pas besoin de me parler. Je l’entends me dire :« Qu’est-ce que tu me fais, là ? Dans quel état tu memets ? Qu’est-ce qui se passe ? » Ça n’est qu’unécho de ce que je ressens moi aussi, mais je suispourtant certaine que je ne projette pas sur lui ce quirésonne dans ma tête.

Toujours sans un mot, ses mains remontent le longde mes cuisses. Ses doigts attrapent ma culotte dechaque côté et la tirent vers le bas. Je referme lesjambes pour lui permettre de m’ôter complètementmon sous-vêtement. Il le laisse tomber par terreavant de reposer les mains sur mes cuisses, à lalisière de mon sexe découvert. Ma poitrine sesoulève plus vite, plus fort. Nous ne disons rien, nosyeux toujours rivés l’un à l’autre. Je sais qu’aumoindre signe de désaccord de ma part, il cessera.J’en ai la certitude.

Mais je n’ai pas envie qu’il arrête…

Je tends les bras vers lui et déboutonne sa

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chemise. Mes doigts tremblent, mais je parviens àdéfaire les boutons supérieurs, avant qu’agacée, jelui fasse lever les bras pour le débarrasser duvêtement.

Oh merde, ce corps !

J’en suis presque bouche bée d’émerveillement.Le temps se suspend pendant que mes mainseffleurent ses épaules, mon regard rivé à mes doigtsqui le parcourent, puis son torse hâlé, ses pectorauxlisses, puis plus bas, en me penchant, vers son ventretendu et dur au galbe parfait. Mes yeux recroisent lessiens. Je ne dissimule pas la fascination que j’aipour sa plastique parfaite et il se laisse apprivoisercomme un animal sauvage qui sait qu’il peut fairepeur. Sa peau est si douce qu’un sourire se dessinesur mes lèvres, illuminant aussitôt son regard.

– Comment… je bafouille, cherchant ma voix. Tues si…

– Chut, fait-il en posant ses doigts sur mes lèvres.

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Puis avec des gestes très virils, il balance endeux coups de pied ses chaussures, détache sonpantalon qu’il laisse en vrac au sol. Je me mords lalèvre d’excitation en apercevant son érection quidéforme son boxer. Ses mains plongent entre mescuisses pour se plaquer sur mon sexe.

– Oh, soupire-t-il quand ses doigts s'immiscentdans mon intimité.

La bouche toujours entrouverte, je réprime bienplus qu’un gémissement. Je suis trempée et sesdoigts effleurent mon clitoris tendu et mouillé. Jebascule la tête en arrière, ferme les yeux,m’abandonnant complètement à son intrusiondélicate dans mon sexe. Il écarte mes lèvres, agacel’entrée de mon intimité et tout mon corps est secouéde tremblements. Quand son pouce entame une dansevirevoltante sur mon clitoris, je ne retiens pas un cride plaisir auquel il répond par un râle ravi. Jeredresse la tête, rouvre les yeux et l’affronte.

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– C’est toujours ce que tu veux ? me demande-t-ild’une voix rauque comme si sa gorge était entravée.

Mes halètements m’empêchent de répondre.Cuisses ouvertes, le haut de ma robe en vrac sur mataille, mon soutien-gorge baissé, il me semble que jesuis plus que consentante. Je dégrafe mon soutien-gorge et enlève ma robe. Mes pointes sont foncéespar l’excitation, deux pics de chair qui se tendentvers Matthew.

Oh oui, c’est ce que je veux… Je n’ai jamaisautant désiré un homme même…

Pour lui faire comprendre plus explicitement, jeme penche vers lui et, tout en léchant ses lèvresd’une langue gourmande, je tire vers le bas sonboxer. Il saisit le message et s’en débarrasse.

J’aime ce moment que nous prenons à chaquecaresse, pour nous regarder, nous laisser submergerpar la surprise du corps de l’autre et de ses

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réponses. Je m’accorde un instant pour convoiter duregard son sexe tendu, beau comme son corps, sescuisses larges et musclées. Mes yeux sont fascinéspar la perfection de ce sexe bandé, ce ventre qui batau-dessus, malmené par le souffle du désir contenu.

– Alba, ne me demande pas d’arrêter, ditMatthew avec sa voix d’homme assuré.

Je prends son visage dans mes mains et couvreses lèvres des miennes.

– Oh non, je lui susurre. Oh non, continue…

Ces simples paroles, énoncées avec douceur,semblent déclencher un véritable ouragan et je mesens emportée, bringuebalée, sous l’assaut de sesmains sur mon corps. Sa bouche est vorace, plusencore quand il presse son sexe contre le mien. Jem’accroche à lui. Je ne pourrai jamais me rassasierde sa peau, de son goût sous ma langue.

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– Attends, me fait-il alors pour se détacher demoi.

Juste au moment où moi aussi, je pense que… ehbien… Matthew se penche vers son pantalon et je neme détourne pas de ce spectacle qui dit beaucoupd’un homme. Cette façon à la fois détachée et virilede trouver ce qu’il faut au bon moment, de se couvrird’un geste précis, de prendre ses responsabilités etcelles de mon bien-être.

Il voit que je regarde. Je lui souris. Il y a entre luiet moi ce quelque chose qui m’a souvent manquéavec d’autres hommes, certainement trop timorés outrop directifs alors qu’ils n’en avaient pas lacarrure… J’ai envie de lui dire que je me senscomme lui, mais je me retiens, de peur qu’il necomprenne pas. J’ai envie de lui dire que j’aimequ’il me traite comme une femme qui n’a pas peur deson désir. J’ai le sentiment d’avoir trouvé mon égalet qu’il le découvre en même temps que moi.

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Ça ne l’empêche pas de reprendre le dessus pourme soumettre, consentante, à son plaisir.

Entre mes cuisses, les mains passées dans mondos, sur mes reins, pour me soutenir contre lui, ilpose son sexe à l’entrée de mon sexe et s’enfoncelentement en moi, ses yeux plongés dans les miens.Je ne détourne pas le visage, j’observe ses traits setendre légèrement puis s’adoucir alors qu’il mepossède. Il a un léger sourire aux lèvres. Quand ilest complètement en moi, sa présence brûlante dansmon sexe me ravage totalement.

Je bascule en arrière, vulnérable, et il me rattrapeentre ses bras, se baisse sur moi pour me posséderplus encore. Je m’accroche à ses épaules dures, lesmuscles roulent sous mes doigts.

– Alba, murmure-t-il avant de commencer à alleret venir en moi.

Un gémissement monte dans ma poitrine, déborde

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de ma gorge et j’ai envie de laisser chanter le plaisiren moi, d’ouvrir les lèvres pour donner voix à cettesensation merveilleuse. Comme si son sexe était faitpour le mien, qu’ils se trouvaient enfin avec laconviction de s’être toujours connus. Chaquepoussée de ses reins provoque un éblouissement. Lesouffle de Matthew effleure mes seins, puis c’est sabouche qui me tète langoureusement.

Il me prend comme une houle qui me feraittanguer régulièrement. Il me pénètre avec douceur,par à-coups mesurés. Puis soudain, accélère quandj’empoigne ses fesses.

– Attends, dit-il presque aussitôt en se redressant.

Je le fixe, interdite, les yeux écarquillés par laproximité de l’extase.

– Pas comme ça, bébé, ajoute-t-il.

Oh merde, il arrive même à être encore plus

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sexy…

Et il se relève en me portant contre lui. Jeresserre mes cuisses autour de sa taille. J’ail’impression d’être une plume entre ses bras qui nepeinent pas. J’étouffe un grognement en sentant monsexe peser sur le sien, et son membre aller encoreplus loin en moi, comme si c’était possible. Seslèvres atterrissent sur mon cou alors qu’il se dirigevers le salon d’un pas tranquille. Enivrée desensations, je commence à basculer par petits coupsmon bassin contre lui, frottant mon clitoris contreson ventre.

Matthew s’immobilise, les muscles de sonabdomen se tendent. Ses paupières s’abaissent uninstant comme s’il cherchait à reprendre le contrôle,puis il refait surface, plante ses yeux bleus dans lesmiens, son demi-sourire sensuel de nouveau là.

– Je crois que tu risques de me surprendre, Alba,fait-il d’une voix rauque.

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Je sais bien qu’il n’est pas en train de m’avouerque ça lui fait peur, mais plutôt qu’il est prêt à tout,que ça l’excite et qu’il est disposé à répondre avecvirilité à mes élans. Ce regard et ce sourire… jem’enflamme complètement. En trois pas, il nousallonge sur le canapé, lui toujours en moi, pourm’enlacer avec passion et parcourir tout mon corpsde ses mains. Quelques rires de plaisir se mêlent ànos baisers, puis s’éteignent quand de nouveau sonsexe reprend ses va-et-vient en moi.

J’exhale un soupir de capitulation.

– Surprends-moi, bébé, chuchote-t-il dans mescheveux en accélérant soudain ses assauts.

Sous lui, j’allonge mes bras au-dessus de ma tête,paupières doucement baissées, et je gonfle mapoitrine en sentant le plaisir monter dans mon ventre.Ses mains se posent sur mes poignets qu’il maintientsans brutalité sur le canapé. J’ouvre les yeux d’uncoup pour le voir m’admirer. Parce qu’il ne me

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regarde pas simplement pour s’assurer du plaisirqu’il me donne, non, il me déguste, il me mange avecdélicatesse du regard. Et ses yeux grands ouvertsdisent bien combien ce qu’il voit lui plaît.

– Encore, je souffle en deux halètements. Plusfort. Encore.

Il incline le visage et s’exécute avec fermeté,cognant son pubis contre le mien pendant que toutmon corps s’étire et s’étend comme s’il étaitélastique. J’ouvre la bouche comme si je manquaisd’air, mais c’est un cri animal qui déchire la nuitquand l’orgasme explose violemment en moi. Je suisprise d’une vague de tremblements comme si j’étaistraversée par un courant électrique.

Ma jouissance est tellement forte qu’elle me videde toute substance. Je me transforme en une poupéede chiffon entre les bras de Matthew. Les yeuxtoujours fixés sur moi, il mord sa lèvre, fronce lessourcils et il ouvre, lui aussi, la bouche, mais sans

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crier, comme en syncope. Je pose mes mains sur sonvisage le temps que dure son orgasme, crispant monsexe autour du sien. Puis il s’abat puissammentcontre ma poitrine. Il love son visage dans mon couet je le serre dans mes bras, fort, si fort, avecl’impression que si je le lâche, nous allonsdisparaître.

– Hé, bébé, je ne vais pas partir, me dit-il ensouriant. Je suis bien, là.

Je me détends, caresse son dos, les yeux fermés.

Non, ne pars pas…

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7. Quand le cœur faitboum !

Nous restons longtemps enlacés et nus sur lecanapé, à échanger des regards et des caresses, desmurmures pour nous assurer que nous sommes bien.

Je redoute pourtant le moment où nous trouveronsla force de parler de ce qui vient de se passer. Cetterencontre passionnée, cette attirance irréfutable, ledésir incontrôlé et le plaisir merveilleux qui nous aréunis. J’ai peur de ça, qu’il faille mettre des motsdessus et réintégrer la réalité, essayer de trouver uneplace dans nos vies à ce que nous venons de vivre.

Ça me semble impossible…

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Matthew semble sentir le doute qui m’envahit peuà peu. Après quelques tentatives pour me rattraper,me récupérer pour d’autres minutes d’intimité etvisiblement plus, il abandonne et, la tête appuyée sursa main, allongé sur le côté, il me fixe avec intensité.

– Oui ? dit-il comme s’il s’attendait à ce que jedévoile toutes mes pensées.

Je déglutis, essaie de sourire, mais je sens quemes lèvres sont crispées.

– Il faut que je rentre chez moi, je réponds enaffrontant néanmoins son regard.

Il me fixe longuement, sans rien dire. Cela melaisse le temps, malgré tout, d’apprécier laperfection de ses traits, ses lèvres sensuelles, le bleude ses yeux.

C’est peut-être la dernière fois que…

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Il est toujours silencieux. Je crois qu’il attendsans doute que je me justifie, que j’expliquepourquoi soudain je passe de la passion à lafroideur. Il avance la bouche en une moue nerveuse,fait claquer sa langue avant de se lever du canapé,de s’éloigner. Je savoure le spectacle de sa plastiqueidéale, de sa splendide nudité.

– OK. Je prends une douche et je te ramène, dit-ild’une voix glaciale. Si tu veux, tu peux me rejoindredans la salle de bains.

Pour éviter qu’il ne lise dans mes pensées, je meredresse à mon tour et fait mine de chercher duregard ma robe et mes sous-vêtements disséminésdans la pièce.

Il n’insiste pas, je l’entends s’éloigner, ses piedsnus claquent sur le carrelage, une porte s’ouvre et seferme, pas vraiment en douceur.

J’ai la gorge serrée. Je ne regrette pas ce qui s’est

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passé entre nous, non, sûrement pas… Jamais, jen’aurais cru qu’une telle ardeur pouvait exister entreun homme et moi. Jamais, je n’aurais imaginé qu’unhomme puisse éveiller en moi un tel brasier, l’enviede tout oublier. Je trouve incroyable qu’en quelquesheures, toute ma vie, tout ce qui me motive et me faitavancer ait été écarté, quasiment rayé par l’urgencede me retrouver contre Matthew Ferris.

Matthew Ferris… Il est à quelques mètres demoi, dans une autre pièce, et c’est comme si jem’obligeais presque déjà à le transformer ensouvenir.

Je me lève et mon corps vibre encore du plaisirressenti, de la chaleur partagée ensuite. Le parfum deMatthew imprègne ma peau.

Je ramasse ma robe, puis vais récupérer monsoutien-gorge et ma petite culotte. J’entends dans uneautre pièce l’eau qui coule. Une seconde, jem’immobilise, perdue entre la terrible envie de

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rejoindre Matthew pour me coller de nouveau à lui,rejouer le danse passionnée de nos chairs, et lesremords qui m’assaillent de toute part d’avoirsuccombé au désir sans penser aux conséquences.

Et putain, il risque d’y en avoir de sacrées, deconséquences !

Je me rhabille à la va-vite, les mains tremblantes.Je sens le chagrin monter en moi. Et la trouilleaussi… de la réaction de Matthew, de ce que je vaisdevoir affronter si mes supérieurs apprennent ce quivient de se passer…

Mais personne ne le saura, je vais y veiller ! Etla première chose à faire, c’est surtout d’éviterqu’une telle situation ne se reproduise !

J’en suis là dans ma réflexion quand Matthewréapparaît dans le salon, habillé de frais, lescheveux mouillés, son visage figé en un masqueinexpressif.

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– Tu es prête ? me demande-t-il en passant prèsde moi sur le chemin de la cuisine. Tu veux mangerquelque chose, boire peut-être ?

Il me frôle et ma peau se couvre aussitôt d’unefine chair de poule.

Putain, c’est pas le moment de faiblir ! Il fautque je pense à ma carrière, mon avenir !

Je relève le menton, redresse les épaules etabandonne ma posture de pauvre fille qui ploie sousles regrets et le chagrin.

Rompre avant d’avoir commencé quoi que cesoit, c’est complètement con… Peut-être mais c’estce qu’il faut faire !

– Non, rien, merci, je réponds sur un ton détaché.

Je ne peux empêcher ma voix de dérailler un peusous le coup de l’émotion.

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– On peut y aller, dis-je en serrant fort mon sac àmain.

Matthew, depuis la cuisine, un verre d’eau à lamain, me fixe toujours sans rien dire, les lèvrespincées, le visage un rien penché en avant de sorteque j’ai l’impression qu’il me considère de travers.

J’ai la bouche sèche, je ne trouve rien à dire.L’homme qui m’observe, là, est tout simplementsuperbe, trop beau pour moi. Il me plaît d’une façonsurnaturelle comme s’il était, malgré tout, pour moiet rien que pour moi et que je n’avais pas d’autrechoix que de succomber. J’ai fait l’amour avec cethomme et son corps ne m’a pas menti. J’en ai laconviction. Un lien a été tissé entre nous et je ne saispas vraiment comment faire pour le couper, aussineuf soit-il.

Matthew prend son temps et les secondes quipassent sont insoutenables.

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– On y va, dit-il en se dirigeant vers le hall etl’ascenseur.

L’ascenseur… Dans la cabine, impossible de fuir.Fixer mes pieds, les portes fermées que je rêve devoir s’ouvrir sur le rez-de-chaussée. J’évite leregard de Matthew.

Je sens soudain sa main s’approcher de monvisage. Je me tends pour réprimer le désir derépondre à cet élan, me lover contre son torse,embrasser encore une fois ses lèvres.

– Hé, bébé ? dit-il en repoussant une mèche decheveux derrière mon oreille.

Je ne bronche pas. Je dois avoir l’air d’une statueinexpressive.

– C’est OK pour toi ? demande-t-il en me forçantcette fois à tourner le visage vers lui.

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Oh merde, ce regard…

J’avale ma salive, essaie d’afficher quelquechose qui ressemble à un sourire mais qui tient plusdu rictus.

– Ouais, ça va, dis-je.

Et j’ajoute cette phrase odieuse qui le fait aussitôttiquer et lui durcit les traits.

– C’était bien, non ?

Mais comment je peux dire un truc pareil ! ?

Les portes de l’ascenseur s’ouvrent et Matthew,le visage glacial, sort aussitôt. Je le suis jusqu’à laMaserati. Il se comporte toujours de manière aussigalante, me tient la portière ouverte, la refermedoucement une fois que je suis installée. Je profiteencore une fois qu’il contourne la voiture pourm’assurer que je n’ai pas rêvé, que cet homme

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sublime est bien réel. Pour confirmation, je pince lecuir noir de mon siège.

Malheureusement tout est vrai…

Le trajet du retour se fait dans une ambiancelourde de tension. L’aller n’avait pas été vraimentserein, mais je l’avais presque oublié après lesheures passées au Key Hole, la salsa et cette autredanse bien plus charnelle dans le penthouse deMatthew…

Il conduit vite, sec. Je serre les genoux, respiredifficilement, la poitrine comme enserrée dans unétau d’acier. Nous arrivons rapidement devant chezmoi. Il arrête la voiture le long du trottoir, serre lefrein à main et coupe le moteur. Il me faut rassemblerle peu de force qui reste en moi pour me tourner verslui avec le sourire d’une fille qui veut vraimentassurer mais qui n’assure pas une cacahuète.

– Eh bien merci, dis-je en évitant soigneusement

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de prononcer son prénom.

Il hausse les sourcils toujours sans décoincer lesmâchoires.

– Merci de m’avoir raccompagnée, pour leverre… et tout ça, j’ajoute alors que ma voixdéraille complètement.

– Et tout ça… répète-t-il en faisant une mouedésabusée et en secouant la tête.

Puis il relève soudain les yeux et je n’ai pasd’autre choix que d’affronter son regard intense.

– Tu sais ce que tu fais, là, Alba ? me demande-t-il.

Je déglutis.

Oui, je sais ce que je fais, je fous tout en l’air, jefais comme si ce qui vient de se passer étaitcomplètement anodin, mais je n’ai pas le choix.

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C’est ça ou j’ai comme l’impression que je vaisdevoir faire une croix sur ma vie, ma carrière…

J’ai envie de lui dire ça, mais je sais qu’il sauraitme convaincre du contraire, ou alors ça me plaît dele penser. En tout cas, je n’ose pas imaginer qu’il netente pas le coup, car cela voudrait dire que je mesuis trompée sur toute la ligne.

– Bien sûr, je réponds en le fixant, les mâchoiresserrées.

– Et si je dis que j’aimerais qu’on parle de ce quis’est passé cette nuit et de ce qui arrive là,maintenant ? dit-il d’un ton sec.

– Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, jerétorque aussitôt, surprise par mon assurance.

Il frappe alors violemment le volant de sespaumes ouvertes. Je me raidis, actionne la poignéede la portière et sors dans le même mouvement. Uneseconde, je me tiens, le souffle coupé, debout prèsde la Maserati, puis je repousse doucement la

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portière.

Il baisse alors la vitre côté passager et se pencheun peu avant de me lancer :

– Tu ne crois pas que c’est une bonne idée ? Tu asdéjà dit ça tout à l’heure, Alba. Tu le pensestoujours ?

Je me retourne aussitôt et me retiens de ne pascourir vers ma porte d’entrée, le menton tremblant,des larmes plein les yeux. Matthew démarre entrombe dans un boucan impressionnant.

***

Adossée à ma porte, en sécurité à l’intérieur dema maison, je laisse rouler quelques larmes sur mesjoues avant de me ressaisir.

Je me fais peur, ce type me fait peur, cettesituation trop compliquée m’a complètement

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échappé…

Qu’est-ce que je croyais, franchement ? Quej’allais pouvoir résister à la confusion que MatthewFerris provoquait déjà en moi alors qu’il ne s’étaitrien passé ? Que j’allais réussir à me convaincre quej’agissais pour le bien de mon boulot ?

Pff, quelle conne je suis !

Je secoue la tête pour essayer d’effacer toutes lesimages des moments magiques que je viens de vivre.Tout défile dans ma tête en un rapide retour enarrière dans la soirée : notre discussion sous monporche, sa posture nonchalante, son pouvoir depersuasion qui est venu à bout de mes résistances. Jele revois me sourire, rire, porter la main à monvisage au Key Hole. Je nous revois danser, nousembrasser dans la rue… et, ensuite, la passion denotre étreinte, la rage irraisonnée de partager tant deplaisir.

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Tout cela paraissait si simple, oui, et ça pourraitl’être s’il n’était pas ce qu’il est, le fils de BobbyDragon Ferris, et moi, une jeune enquêtrice desStups.

Voilà, comme ça, le problème est réglé, non ? !

Je jette brutalement mes affaires dans le panier delinge sale et me couche dans la foulée. Ma résolutionest prise, il est 3 heures du matin, je me lève dansmoins de quatre heures, c’est n’importe quoi !

Dans le lit, alors que je force mes paupièrescloses en implorant le sommeil pour qu’il daignes’arrêter à mon adresse, je me prends une bouffée del’odeur de Matthew qui couvre toute ma peau. Je merecroqueville sous le drap.

Comme c’était bon…

***

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– Alors, on a fait la fête toute la nuit, la Vamp ?

Voilà exactement le genre d’accueil dont jen’avais absolument pas besoin ce matin. Je passe àcôté du collègue farceur en question en lui adressantun « je t’emmerde » silencieux, assorti d’un méchantsourire.

Il me répond en levant deux pouces et enbraillant :

– La forme, Alba !

Devant la machine à café, je me fais évidemmentalpaguer par Jack qu’aucune de mes humeurs nedécourage.

– Ça va, Alba ? me demande-t-il, l’air soucieux.T’as des petits yeux ?

Resourire crispé de ma part.

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Oui, j’ai des petits yeux parce que j’ai peudormi et un peu chialé, rien de grave, hein, mettezun peu de fatigue, ajoutez un pincement de cœur etça donne trois quatre larmes…

– Ça va, je réponds en lui tapotant amicalementl’épaule.

Intérieurement, je lui réponds aussi :

Jack, laisse tomber tes airs compatissants quim’agacent. J’ai fait une grosse connerie et je nepeux en parler à personne. Et si tu crois qu’avectes gentilles attentions, tu vas pouvoir me faireoublier l’homme sublime avec qui j’ai… enfin bref.

– T’inquiète, ça va, je répète. Au boulot !

Mais le problème quand on travaille aux Stups,c’est que le boulot en question a toujours tendance àtourner autour de la famille Ferris et, accessoirementdepuis la descente au Pink Velvet, de Matthew.

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À mon bureau, je lis le rapport de l’interrogatoiresupplémentaire d’Ariel, la victime de l’agression auPink, que Chaplin a mené. Bien entendu, en présenced’un avocat. La situation de la jeune femme nes’arrange pas. Mais finalement, rien d’incriminantcontre Matthew.

Pendant ma lecture, je sens le regard de Chaplin,assis à son bureau en face de moi. Et, sans êtreparano, je n’ai pas le sentiment qu’il m’observeavec bienveillance. Quand je relève la tête, il mefixe de son regard habituellement méprisant.

– Des remarques ? me demande-t-il.

Oh, je pourrais lui signaler qu’en effet, il a faitchou blanc, comme moi, mais je me retiens. Je mesens déjà bien assez coupable de mon écart nocturnepour ne pas en plus m’attirer les foudres de monéquipier.

– Non, c’est OK pour moi, dis-je simplement.

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Il me balance alors un gros dossier que jereconnais aussitôt pour l’avoir consulté en sonabsence, il y a deux jours.

– Bon, eh bien, voyons si quelque chose là-dedans te parle, me dit-il toujours avec ironie. C’estle dossier Matthew Ferris. Histoire que tu aies tousles éléments en main maintenant pour aborder lesujet qui nous intéresse aux Stups.

J’ai la désagréable impression de percevoir dessous-entendus derrière chacune de ses paroles. Maisje sais que c’est mon vécu qui influe là. Ce que jesais et que lui ne sait pas, qui me fait tout malinterpréter.

– Ça m’intéresserait de savoir si tu vois quelquechose qui nous aurait échappé, poursuit-il, toujourssarcastique. On ne sait jamais, hein, la chance dudébutant ou une nouvelle perspective peut-être ?

Tu ne crois pas si bien dire… parce que je suis

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sans aucun doute la seule de l’équipe à avoir euune perspective très intime de Matthew Ferris…Non pas que j’aie envie de m’en vanter, d’ailleurs.

Je hoche la tête en prenant l’expression de lajeune enquêtrice sérieuse et impliquée. Mais quandj’ouvre le dossier, que pourtant je connais, je tombedirectement sur une photo de mon amant de la nuitdernière. C’est comme un choc de tout mon corps.Ma chair, ma peau se rappellent à moi en mêmetemps que je suis assaillie par tous les souvenirs deMatthew, de nos caresses, de… Stop !

J’ai le visage bouillant et le cœur qui bat plusvite. Je relève la tête pour voir si Chaplin m’observetoujours, et c’est le cas.

– Oui ? me fait-il en haussant les sourcils.– Rien, je… je bafouille. Je me demandais juste

ce que tu en pensais, toi ?– De quoi ? rétorque-t-il.– Eh bien, de Matthew Ferris, je poursuis en

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retrouvant un certain aplomb. Tu crois vraimentqu’on va finir par le coincer, qu’il a une faille, qu’iltrempe incontestablement dans le business de sonpère ?

Je ne suis pas dupe, je sais très bien pourquoi jepose à Chaplin une telle question. C’est que je refused’admettre que j’ai fait une énorme bourde la nuitdernière, que j’ai fauté et failli à mes convictions. Jeveux qu’on me dise qu’il existe un doute et une forteprobabilité que Matthew Ferris soit aussi clean qu’ils’efforce de le faire croire.

Chaplin me dévisage en paraissant réfléchir à maquestion. Pas à la réponse qu’il va donner, mais bienà la raison qui me pousse à lui demander ça.

– Écoute, Clancy, commence-t-il, les coudesplantés sur son bureau. Dans le boulot de flic, il y ace qu’on sent dans ses tripes et les faits. En ce quiconcerne Matthew Ferris, les faits et leur étudetendent à nous faire croire qu’il est au-dessus de tous

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soupçons. Et ça, pour un gars qui est lié à unefamille du crime, c’est déjà un point suspect en soi.

– Et tes tripes alors, qu’est-ce qu’elles te disent ?je demande alors sans me démonter.

Il fait la grimace.

– J’aimerais autant ne pas me fier à mes tripesconcernant ce type, répond-il. Je préfère analyser lesfaits, tu vois. C’est pour ça qu’on les accumule,justement, les faits. Les données. Matthew Ferris estsous surveillance policière depuis des mois, ça, cesont des faits. Filature, planque et écoutestéléphoniques.

Mon sang se transforme d’un coup en métalliquide glacé. Je me pétrifie sur mon siège, meretiens de ne pas m’accrocher au bord de monbureau.

Quoi ? ! Sous surveillance, mais ça veut direque…

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Je m’humecte nerveusement les lèvres. J’ai peurd’avoir perdu ma voix. Et je ne tiens surtout pas à ceque Chaplin sente que quelque chose cloche dans maréaction.

– Ah oui ? Sous surveillance ? je répète enhochant la tête. Tous les jours, c’est ça ?

– Un vrai marquage à la culotte, oui, surtoutdepuis l’incident du Pink Velvet, répond Chaplin. Onne le quitte pas d’une semelle. D’ailleurs, tu peuxvoir les clichés de la filature sur le serveur. Les garsont certainement déjà chargé ceux d’hier soir.

Là, mon cœur manque tout bonnement des’arrêter. Je me liquéfie. Ce que je redoutais est entrain d’arriver. C’est un cauchemar éveillé.

Comment ai-je pu ne pas envisager cettepossibilité ? Et Matthew n’est pas né de la dernièrepluie, il devait bien s’en douter, non ? Et moi quicroyais qu’il s’était passé quelque chose de fortentre nous, qui ai lu de l’étonnement, de la

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surprise, du plaisir, de la sincérité dans ses yeux…Je me serais complètement plantée. Je me seraisfait manipuler, c’est ça ?

– Tiens, lâche Chaplin en se penchant sur monbureau pour me coller un Post-it sous le nez.Dossier, fichier, tu rentres ton identifiant et voilà lemot de passe. Je vais aller jeter un coup d’œil moiaussi.

J’ai ensuite des gestes de robot. Je suis engloutiepar la peur. Je suis à quelques secondes de la fin dema carrière, autant dire de ma vie… et cela meparaît soudain complètement stupide de vouloir àtout prix sauver les apparences le temps de cesquelques secondes.

J’ai envie de m’écrouler sur mon bureau, de toutbalancer à Chaplin, parce que je suis comme ça, onm’a élevée comme ça, avouer ses fautes au lieu dementir, essayer de réparer, ne pas s’enfoncer dansses erreurs.

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Mais je n’y arrive pas.

Je me tourne vers mon écran. Je survole lescolonnes des dossiers avec le curseur de ma souris.Mes mains pèsent des tonnes. Je n’arrive pas à lirece que j’ai sous les yeux. J’attends que le couperetme tombe sur la nuque.

Ça y est, j’y suis. Le bon dossier, le bon fichier,je rentre mon identifiant, on me demande mon mot depasse. J’ai l’impression de vivre une expériencehors de mon corps, je ne suis déjà plus là, maisailleurs, morte, je n’existe plus.

– Tiens, tiens, fait Chaplin à son bureau. Je voisque Matthew Ferris a passé une soiréeintéressante…

Et mon monde s’écroule.

À suivre,

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ne manquez pas leprochain épisode.

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Egalement disponible :

Dark Fever 2

Après une nuit incroyable avec Matthew, Alba estpersuadée qu’elle peut croire en son innocence.Mais ses collègues ne sont pas de cet avis et sontprêts à tout pour faire inculper le fils Ferris. Albapensait pouvoir exorciser son passé en intégrant lesStups, mais l’inverse se produit et l’empêche degarder la tête froide.Tiraillée entre raison et sentiments, Alba pourra-t-elle vraiment rester fidèle à ses idéaux ?

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Découvrez Bliss - Le faux journald'une vraie romantique,

d'Emma Green

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EXTRAIT DE BLISS - LE FAUX

JOURNAL D'UNE VRAIEROMANTIQUE

Vol. 1

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1. En chair et en os

21 avril 2015.

- Nombre de pages écrites aujourd’hui pourmon prochain roman :

0

- Nombres de mojitos bus avec Margo hiersoir :

3… à moins que ce soit 5 ? (ceci explique donccela…)

- Nombre de pages à rendre à Stanislas avantla fin de la semaine :

15

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- Nombre de fois où j’ai écouté « Someone likeyou » en attendant l’inspiration :

7 (dont deux fois où j’ai chanté plus fortqu’Adele… avant de me lever pour danser avecune cannette vide en guise de micro)

- Nombre de capsules de cappuccino écouléesdepuis ce matin :

4 (soit 336 calories sans avoir rien mangé dutout)

- Nombre de cannettes de Coca Light avaléesdepuis ce midi :

5 (soit 0 calorie mais 27 gargouillis de gorge et,selon le dernier ELLE, un cancer galopant dû àl’excès d’aspartame)

- Nombre de milliardaires inventés dans mesromans jusqu’ici :

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4 (Gabriel, Vadim, Emmett et Jude… Penser àdonner un prénom « normal » au prochain. Maisqui a envie de tomber amoureuse d’un Robert,qui ? !)

- Nombre de milliardaires rencontrés dans mavie jusqu’ici :

toujours 0

- Nombre de milliardaires rencontrés dans mesrêves cette nuit :

2 (Gabriel Diamonds et Vadim King réunis dansla même pièce, ça fait un choc ! Et réunis dans lemême lit, je ne vous raconte même pas…)

- Tendance à la schizophrénie, façon je meprends pour l’héroïne de mes romans :

inquiétante

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- Nombre de parties de jambes en l’air réellesce mois-ci :

encore et toujours 0

- Nombre de rêves érotiques ce mois-ci :

29 (la trentième nuit, je flottais nue, ivre debonheur, dans un pot de yaourt stracciatellagéant… Ne me demandez pas pourquoi.)

La vraie question qui se pose, en fait, c’est« Someone like you », oui, d’accord, mais qui ?Quelqu’un comme qui ? Qui est l’homme quej’attends ? Un savant mélange de mes héros depapier si parfaits d’imperfections ? GabrielDiamonds : viril et charismatique à tendancedominateur ? Vadim Arcadi-King : rebelle sexy àtendance torturé ? Emmett Rochester : sombre ettendre à tendance macho ? Jude Montgomery :élégant dandy à tendance sarcastique ? Le mix detout ça ? En chair et en os ? Est-ce que ce type-là ne

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serait pas à tendance insupportable avec sa beautéinsolente, sa brillante carrière, ses qualités de cœuret sa repartie à toute épreuve ?

Ça me fatigue d’avance…

Ou alors, comme toutes les jeunes trentenairestoujours célibataires mais pas encore complètementfolles, je rêve d’un homme simple, pas si beau ni siriche que ça, juste aussi gentil que mon père et moinscon que mon ex ?

Oui, ce serait déjà bien.

Bon, à partir de maintenant, j’arrête de fantasmersur un type qui n’existe pas – ou qui, de toute façon,sera trop bien pour moi. J’arrête de repenser à monmariage annulé et à tous les enfants que je n’aijamais eus – alors que je déteste Dean du plusprofond de mon être et que l’épouser aurait étél’erreur du siècle. J’arrête de traîner en pyjamajusqu’à une heure avancée de la matinée : être

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habillée, coiffée et maquillée avant 9 heures dumatin sera mon nouveau défi. Et surtout, je luttecontre le syndrome de la page blanche de lameilleure manière qui soit : en fonçant chez monéditeur pour le laisser me mettre un bon coup depied aux fesses – là où c’est assez rebondi pour nepas faire mal.

Un jean et une chemise – un peu serrée – plustard, je mets enfin le nez dehors pour une marche dedouze minutes : c’est ce qui sépare normalement monappart' de République du bureau de Stan, rueOberkampf, dans le 11e arrondissement de Paris,mon quartier chéri. Douze minutes, « normalement »,parce que je ne peux pas m’empêcher d’étudier lesannonces inabordables dès que je croise une agenceimmobilière, de m’arrêter devant la vitrine d’uneboulangerie en salivant puis d’étudier mon refletdans la vitre pour me confirmer que non, je n’ai pasbesoin de manger ce pain au chocolat aux amandesau milieu de l’après-midi.

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Pourquoi est-ce que les deux pans de machemise essaient systématiquement de s’éloignerl’un de l’autre et de révéler un petit bout de peaunue juste entre mes seins ?

Il me reste le trajet en ascenseur pour resserrermes deux boutons qui tentent de sauter, et je débouleà l’étage de Stanislas Delalande, mon éditeur préféré– et surtout le seul qui m’a embauchée.

– Emma Lucie Margaret Green, assieds-toi, j’aiquelque chose à te dire !

– Bonjour à toi aussi, Stan, souris-je à l’excitéqui fait glisser le fauteuil en velours jusqu’à moi etretourne aussitôt à son ordinateur, pianotant commeun fou furieux sur son clavier tout en battantfrénétiquement de la jambe sous son bureau.

Avec lui, les idées fusent plus vite que lesformules de politesse. Ce n’est pas qu’il soit malélevé, froid ou asocial, il n’a juste pas de temps àperdre. Malgré ses semaines de soixante heures, il a

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toujours l’air frais et surtout, il a perpétuellement unautre projet en tête, une nouvelle lubie, un conceptrévolutionnaire qui fera de moi une auteure ausuccès planétaire et de lui un éditeur de génie. Il necourt pas vraiment après l’argent : s’il ne s’était paslancé dans le monde impitoyable de l’édition il y aune dizaine d’années, il pourrait exercer le plus beaumétier du monde : rentier. Stanislas est issu d’unefamille aristo qui ne comprend pas pourquoi il esttoujours marié à son boulot, à 40 ans passés, alorsqu’il a tout du parfait gentleman : belle carrière,allure de dandy et bonnes manières, portant lamoustache mieux que personne et la coiffure « sautdu lit », qui le fait plutôt ressembler à un petit garçonpressé d’aller à l’école.

Ce que sa famille ignore sûrement, c’est à quelpoint Stan est fatigant. Brillant, créatif, jovial etgénéreux sûrement, mais aussi bordélique,hyperactif, lunatique et inconstant, comme il lereconnaît lui-même. Mon dernier roman, Call me

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Baby, vient seulement de sortir en librairie – pourpreuve, les piles de bouquins encore sous plastiquetrônant à même le sol de son bureau. Quant à sa suiteCall me Bitch, elle n'est même pas encore impriméeque ce gentil tyran me réclame déjà le suivant.

Et quelque chose me dit qu’il vient d’avoir unenouvelle illumination me concernant…

– Tu voulais aller voir des milliardaires de plusprès, je t’ai trouvé l’événement parfait ! Une venteaux enchères ultra-selecte, qui a lieu ce soir aupalais de Chaillot, dans les jardins du Trocadéro. Neme demande pas comment, mais je t’ai dégoté unpass pour la salle des ventes. Et le cocktail,évidemment !

– Ce soir… ? m’étranglé-je à moitié.– C’est une vente d’œuvres d’art, sculptures,

tableaux… Normalement, les gens qui ont lesmoyens de les acheter envoient un expert à leurplace pour obtenir les meilleurs prix, mais j’aientendu dire qu’il y aurait du beau monde ce soir,

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des Américains, des Japonais, des Danois, desmilliardaires en chair et en os…

– Stan, ce soir… c’est dans moins de quatreheures !

Ah oui, Stanislas a aussi dans sa botte secrètede qualités indéniables une capacité d’écouted’environ dix secondes.

– Je serais bien venu avec toi, mais je dîne avecun producteur. Il ne le sait pas encore, mais il meurtd’envie de m’acheter les droits de Toi + Moi pourl’adapter en série télé, me sourit-il de toute samoustache brune et mal rangée, comme s’il préparaitle coup du siècle.

J’ai mis les pieds dans ce bureau il y a moins dedix minutes et je suis déjà épuisée.

J’aurais définitivement dû m’offrir ce pain auchocolat pour tenir le coup !

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– Voilà ton pass, tu as toutes les infos dessus ! Jene te mets pas dehors mais je dois voir lesgraphistes : il faut qu’on change toutes lescouvertures de Call me, ce bleu ciel ne rend rien àl’impression. C’est du rose qu’il nous faut !

– Vas-y, vas-y, Stan ! Je vais faire discrètement unpetit malaise sous ton bureau pour me remettre demes émotions. Tu me réanimes dans une heure ?

S’il ne rit pas à ma blague, c’est qu’il est déjàsorti, au pas de course, vers le service graphisme.

Je décide de remettre mon malaise à plus tard etde courir chez moi, un pain au chocolat dans unemain, mon portable dans l’autre, pour appeler Margoà la rescousse. J’ai déjà étalé toutes mes robes surmon lit quand elle arrive dans sa camionnetteblanche à pois rouges – customisée par ses soins –qui klaxonne sous mes fenêtres. Elle se gare endouble file, actionne les warnings et va ouvrir laportière à l’arrière de sa camionnette, coupant sonslogan en deux : « Margo, un relooking et go ! ». Sur

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la portière latérale, son logo est toujours entier : unebaguette magique rouge libérant une farandole depetites robes de pin-up. Tout un programme… Avecune dizaine de housses transparentes serrées dansses bras, ma copine referme la camionnette du boutde la ballerine et sautille jusqu’à l’entrée de monimmeuble.

– Toc toc… Vous avez demandé une relookeusede l’extrême ? !

– Entre, Margotte, je suis dans ma chambre ! luibraillé-je, figée en sous-vêtements face à mon litnoyé sous les fringues.

– Ne crie pas des choses pareilles, malheureuse !J’ai enlevé le T à Margot pour me la joueraméricaine, t’es en train de ruiner ma réputation.

– Sorry, Margo ! lui lancé-je avec mon plus belaccent.

– T’as de la chance, j’avais encore ces robes degala dans mon dressing ambulant pour ma dernièrecliente. Qu’est-ce qu’il te faut ? Fourreau, empire,

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sirène, patineuse ?– Une robe dans laquelle je rentre sans avoir à

arrêter de respirer, pour commencer ! Et noire, ceserait bien.

– Berk, trop triste pour le printemps, mime-t-elleen tirant la langue de dégoût. Et je t’ai déjà fait tacolorimétrie Em’, ce sont les couleurs chaudes qui tevont au teint !

– Le jour où j’aurais envie de ressembler à unrôti pas encore cuit, je t’appellerai pour essayer desrobes rouges en lycra ! Aide-moi à enfiler celle-là.

Je jette mon dévolu sur la plus sobre du lot : unerobe droite à petites manches, d’un bleu marinefoncé, qui m’arrive au-dessus du genou. Margo mefait rapidement un ourlet pour la raccourcir d’uncentimètre – « Ça va tout changer, tu verras ! » –puis elle ajoute une fine ceinture dorée censéemarquer ma taille. Une pochette et une paired’escarpins plus tard, je suis métamorphosée, assezclasse pour me fondre dans une foule de

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milliardaires, assez discrète pour ne pas me faireremarquer et assez à l’aise pour pouvoir passer unebonne soirée.

Ou en tout cas essayer…

– J’avais oublié à quel point tu étais douée ! Unevraie magicienne, admiré-je dans le miroir sans mereconnaître.

– « Margo, un relooking et go ! », me sourit-elleen me lançant un coup de baguette magiqueimaginaire. Pour le look, c’est quand tu veux ! Pourl’attitude, tu ferais mieux d’appeler Penny. Et pourles techniques de drague… je ne sais pas qui.

– L’homme qui tombe à pic ! se marre Elliot endébarquant à son tour dans mon appart' avec sondouble de clés. Tu veux draguer qui ?

– Personne, j’y vais uniquement pour le boulot !– N’écoute pas un seul conseil qui sortira de sa

bouche, me chuchote ma copine, assez fort pour quemon frère l’entende.

– La seule raison pour laquelle tu n’as pas encore

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succombé à mes charmes, Margo, c’est que tun’assumes pas ton côté cougar, lui lance-t-il avecune voix suave et un clin d’œil forcé.

Elle glousse et commence à remballer sesaffaires, sans comprendre que mon petit frère –26 ans et donc quatre ans de moins qu’elle seulement– ne blague qu’à moitié. Elle lui a tapé dans l’œil ily a longtemps, et Elliot, qui loue un studio troisétages au-dessus de chez moi, se pointe chaque foisqu’il aperçoit la camionnette à pois garée en bas.

Mais ces signaux-là, Margo est bien tropperchée pour les voir…

– Bijoux dorés, maquillage frais et cheveuxlâchés ! me balance-t-elle comme derniers conseilsavant de filer.

Puis elle ajoute un coup de griffe dans les airs àdestination de mon frère, avec une tentative derugissement qui ressemble plutôt à un chaton enroué

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miaulant pour la toute première fois.

– Faut que j’arrête les mimes et les bruitages,non ? ! grimace-t-elle pour se moquer d’elle-même.

– Bonne idée ! répliqué-je pendant qu’Elliotrépond « Surtout pas ! »

Nos trois rires éclatent en même temps et Margos’enfuit en virevoltant comme une gamine pour fairetournoyer ses longs cheveux et sa jupe à volants.Mon frère, à la fois sous le charme de cette sortieextravagante et déçu qu’elle reparte si vite, me quitteaussi, sans aucun scrupule.

– Bon, j’étais venu juste pour elle, mais je vaisaller passer ma frustration sur mes élèves, j’ai descopies à corriger. « Brian is in the kitchen »… andElliot is dans la merde ! plaisante-t-il avant dem’embrasser sur la joue.

– C’est ça, abandonne-moi !– T’es canon, Em’ ! Tu vas tous les faire tomber,

ce soir ! m'assure-t-il en s’éloignant dans le couloir.

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– C’est une vente aux enchères pourmilliardaires, pas une soirée de célibataires !protesté-je pour le principe.

– Good luck quand même ! me taquine mon petitfrère avant de claquer la porte.

***

Le palais de Chaillot est éclairé d’une douce etagréable lumière argentée lorsque j’arrive sur leparvis et ralentis enfin le pas. Mes talons metorturent depuis plusieurs centaines de mètres maisje garde un sourire de circonstance. Mon cœur batexagérément – l’effort et le stress mélangés – et lecoup d’œil jeté à ma montre n’arrange rien à monétat. Je suis rarement en avance, c’est un faitincontestable, et malgré toute ma bonne volonté, jen’ai pas réussi à faire exception ce soir. Un flashcrépite devant moi, j’observe l’homme qui l’aactionné et me retourne pour découvrir quel trésor secache derrière ma crinière bouclée : la tour Eiffel

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scintillante. Si proche qu’il suffirait presque que jetende le bras pour la toucher. Une fascinante illusiond’optique qui ajoute quelques minutessupplémentaires à mon retard.

Un quinquagénaire en costume extravagant sedirige vers l’immense porte d’entrée, je le suis tantbien que mal en gravissant les dernières marches.Cavaler sur douze centimètres de talons et marchersur l’eau : même combat, ça relève du miracle. Deuxjeunes hommes en queues-de-pie m’accueillent àforce de sourires et de courbettes, je leur tends monpass puis l’un des deux me mène jusqu’au vestiaire.J’y laisse mon châle aux reflets dorés, suis tentée deréclamer une paire de chaussons en fourrure à lalocation, mais renonce. Pas sûre que la top modelqui me fait face comprenne mon humour. Ici, dans celieu illustre et peuplé de créatures d’exception, horsde question de faire tache. Du moins, pas de monplein gré.

Je suis le mouvement et accède à un premier

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salon. Les colonnes en pierre de taille, les plafondsaux moulures centenaires, les lustres illuminés quirivalisent d’éclat : juste de quoi se sentirmicroscopique dans ce lieu immense et chargéd’histoire. Lorsqu’un serveur longiligne me sort dema torpeur en me tendant une coupe de champagneoù nage une framboise recouverte de feuille d’or, jesursaute et manque de lui balancer ma pochette à lafigure. Étonné mais compatissant, il me souritpoliment et passe son chemin. Pas de champagnepour moi. Je l’ai bien cherché.

Arrête de serrer cette ridicule pochette contretoi comme si tu avais besoin d’un bouclier…

Le danger public, ici, c’est toi.

Partout autour de moi, les voix s’animent danstoutes les langues et se lancent dans de grandesdiscussions. Les costumes et les robes semblent toutdroit sortis d’un magazine de mode – haute couture –et les sourires affables ou forcés éclairent les

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visages maquillés, parfois retouchés. Les poitrinespigeonnantes sont de sortie, tout comme les montresde luxe et diamants aux multiples carats. Parmi cesgens, un bon nombre de millionnaires, d’hommes etde femmes d’affaires tenaces, d’héritiers chanceux,ainsi qu’une poignée de milliardaires. Qui est qui ?Je n’en ai aucune idée, c’est ma première immersiondans ce milieu ultra-sélect. Et fermé.

Certains regards se posent sur moi, plus ou moinsbienveillants, je perçois quelques chuchotementscurieux mais tente de ne pas me laisserimpressionner, d’arpenter les centaines de mètrescarrés sans afficher sur mon front « J’ai du mal àpayer mon loyer ! ».

Lorsque le maître de cérémonie annonce que lavente aux enchères est sur le point de débuter, je merends dans la salle des ventes en ignorant lesnouveaux signaux d’alarme que me lancent mespieds. Je m’assieds en bout de dernière rangée, meplonge dans le catalogue et me retiens de m’étrangler

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en découvrant les estimations des différentes œuvresen jeu ce soir. Tandis que la salle se remplitd’ensembles et d’effluves Chanel, Prada, Hermès ouYves Saint Laurent, je patiente en m’empêchant derespirer trop fort, jusqu’à ce que le commissaire-priseur lance les hostilités.

Que le spectacle commence !

Des dizaines d’excités vissés à leurs oreillettesBluetooth ou les plus sereins et fortunés,confortablement assis sur le velours, lèventinlassablement la main, faisant monter les enchèresau-delà de l’entendement. Ils sont dans un étatsecond et, soudain, cette scène jusque-là intimidanteen devient presque comique. Je n’ai jamais vu autantde zéros, ni de toiles, dessins et sculptures défilersous mes yeux. À tel point que très rapidement, j’enperds la notion du beau et du raisonnable. Il esttemps pour moi d’aller me désaltérer dans la pièced’à côté. Quitte à fâcher mes pieds et récolter aupassage quelques regards courroucés. Et un long

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soupir excédé du snob en veste rouge que j’aimanifestement dérangé.

– Je fais l’impasse sur ce Rembrandt à quinzemillions… Je vous le laisse, murmuré-je endirection de l’énervé à ma gauche, avant de filerdiscrètement.

Riche ET bien élevé, c’est trop demander ?

Le bar. Le lieu où rien ne se passe jamais dans lavie comme dans les romans ou les séries. Le lieu oùje pourrais espérer qu’un serveur me remarque toutde suite et me demande ce que je veux boire, au lieude devoir attendre en dansant d’un pied sur l’autre eten prononçant trois fois « Excusez-moi ? » sans quepersonne ne m’entende. Le lieu où un bel inconnum’aborderait spontanément, avec une phraseintelligente, un mot d’esprit qui me détendraitaussitôt. Et qui me proposerait de partir d’ici, sansavoir l’air d’un psychopathe ou d’un obsédé, et queje suivrais les yeux fermés. Au lieu de ça, je reste

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seule un petit moment, sans verre dans les mainspour me donner une contenance, sans rien d’autreque mon imagination et mes clichés pour me tenircompagnie.

– Mademoiselle… mademoiselle ? insiste leserveur en habit blanc qui finit par me taperdoucement sur l’épaule.

Si je rêvais un peu moins, ce serait peut-êtreplus simple, en effet, pour faire des rencontres dansle monde réel…

– Oui, pardon… Ça fait longtemps que vous… ?Laissez tomber ! Je voudrais un…

– En fait, ce monsieur m’a chargé de vous servirune coupe de champagne, m’interrompt le serveur enme tendant un sourire complice en même temps quemon verre.

Je saisis la coupe et me retourne pour apercevoircet homme mystérieux dans la direction qu’on

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m’indique. Je m’attends à trouver un vieux beau –sans doute pas si beau que ça – à la recherche d’uneminette écervelée. Mais l’homme est jeune. Et toutsauf moche. Ok, il n’a pas pris la peine de trouverune petite phrase drôle à me chuchoter à l’oreillemais, au moins, il est venu au secours de ma gorgesèche et de mon côté empoté. Quand nos regards secroisent, il soulève sa propre coupe de champagnepour trinquer avec moi de loin.

Il est peut-être timide, lui aussi ?

Ou peut-être qu’il ne regarde pas assez deséries…

Malgré la distance, je distingue le bleu de sesyeux, la blondeur de ses cheveux – gominés, je crois– et surtout un large sourire qui étire ses lèvres fineset claires. Et qui contraste étrangement avec sonregard triste. Et au lieu de profiter de cette tentatived’approche plutôt réussie, je me mets à cogiter.Quelque chose cloche chez cet homme grand, élancé,

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sûr de lui, qui a l’air d’avoir jeté son dévolu sur moisans aucune raison valable.

Son boss l’a peut-être catapulté ici, seul etdémuni ?

L’un de ses amis l’a peut-être mis au défi dedraguer la première inconnue qui passe ?

Sa sœur l’a peut-être encouragé à « toutes lesfaire tomber, ce soir », avant de partir en boudantcorriger des copies… ?

– J’ai oublié de vous remettre ça de sa part, mesort encore une fois le serveur de ma rêverie.

Puis il me tend une carte de visite cartonnée,blanche des deux côtés, à l’exception d’uneinscription minimaliste en gris clair : DémétriusWhite, suivi d’un numéro de téléphone. Rien de plus,rien de moins. Et rien de griffonné au stylo pourrendre le message plus personnel. Jusque-là, un beau

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blond m’avait abordée timidement au milieu d’unesoirée huppée, et c’était presque comme décrocherle gros lot. Maintenant, il a l’air du gros dragueurqui n’a pas envie de se fatiguer, et je me demandemême ce que j’ai bien pu lui trouver. Je ne sais passi cet Américain – l'étant à moitié, j'arrive souvent àles reconnaître – est l’employé d’un milliardaire ous’il en est un lui-même, mais s’il voulait me fairerêver, c’est raté. Je vide ma coupe, lui envoie unsourire poli, presque gêné, puis repars en directionde la salle des ventes.

C’est tout moi, ça : râler quand la vie ne sepasse pas comme dans les livres… et fuir quand çaarrive !

Le regard azur ne me quitte pas, je le sens dansmon dos. Je m’éloigne d’un pas rapide, sans meretourner, puis tire sur ma robe qui est remontée dequelques centimètres. Une gravure de mode auxlèvres pincées me regarde de haut en bas, puisreprend son chemin au bras de son mari – de vingt

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ans son aîné et trop moulé dans son costume trois-pièces.

Le vieux « beau » et l’écervelée : check.

Le sort s’acharne lorsque je pénètre dans le longcouloir qui mène à la salle des ventes et que mestalons se prennent dans l’épais tapis rouge quihabille le sol en marbre. La scène se déroule commeau ralenti. Je trébuche et, sans que je puisse merattraper à quoi que ce soit, mon élan me dirigedangereusement vers une sculpture en bronze d’unevaleur sans doute inestimable. La reine de lamaladresse est sur le point de réduire une déesse enmille morceaux. Tout moi. Un éléphant dans unmagasin de porcelaine. Dans un roman à l’eau derose, un chevalier servant viendrait à mon secours etme rattraperait in extremis. J’atterrirais dans sesbras telle une fleur du printemps prête à être cueillie.En réalité, une main robuste s’enroule sansménagement autour de ma taille, une autre se posesur la statue pour la maintenir en place et la

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catastrophe est évitée – sans aucune délicatesse.

Je retrouve un semblant de stabilité et fais volte-face, prête à remercier celui qui m’a évité – d’uncontact musclé – de m’endetter sur dix siècles. Mabouche s’entrouvre, mais les mots ne passent pas. Jesuis subjuguée.

Celui qui me fusille du regard a des yeux commeje n’en ai jamais vus de ma vie. Comme je n’auraisjamais pensé à en décrire pour l’un de mes héros. Ilssont d’un vert profond, avec quelques éclats demarron. Ils pourraient sembler pailletés, iriséscomme deux pierres précieuses dont j’ignorerais lenom, mais c’est plutôt un motif militaire quis’imprime dans ces iris virils. Ses yeux me font laguerre. Et c’est toute une armée qui fonce sous sespaupières, droit sur moi, m’empêchant de bouger, deparler, de respirer. J’ai sûrement l’air d’une bicheaux abois face à une horde de chasseurs, d’un lapinpris dans la lumière des phares, mais je continue àobserver les cheveux en bataille, châtain foncé, le

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front large et le nez à peine busqué, la barbe brunenaissante qui entoure une bouche inoubliable, le teintlégèrement mat et la peau lisse à l’exception d’unecicatrice sur la pommette, bien trop saillante pourêtre honnête.

Et ce parfum viril et entêtant qui me monte déjàà la tête...

Je ne sais pas s’il m’observe aussi ou s’ilcherche à contenir le flot d’injures qui lui brûle leslèvres. Non, ce genre d’hommes ne se retient pas.C’est son silence qu’il m’inflige, comme si mamaladresse et mon air ahuri ne valaient rien demieux que son indifférence. Le brun ténébreux neprononce pas un mot – et je choisis de l’imiter,comme si j’avais eu l’idée en premier. Ce qui mefrappe chez lui, au-delà de ce regard troublant,difficile à soutenir, de sa beauté animale et de sonallure folle, c’est son air de voyou qui n’a rien àfaire ici. Il porte un costume sombre, bien coupémais sa chemise est noire, à la différence de tous les

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autres pingouins en chemises blanches. La sienne aaussi le col ouvert : il n'a pas pris la peine de mettrecravate ou nœud papillon. Pas plus qu'il n'a jugénécessaire de se raser pour un événement aussiguindé.

Prise à mon propre piège. Je voudrais parler,maintenant que le silence a assez duré. Justeprononcer un mot ou deux. Le remercier ou le défier,peu importe. Juste lui faire entendre le son de mavoix. Et surtout pouvoir écouter la sienne. Touchersa peau que je devine douce et chaude à m'en brûlerles doigts. Et pour vérifier qu'un tel homme existebien, que je ne le rêve pas.

Mais son regard qui me détaille intensément, cettelueur étrange qui le traverse, son visage grave, cettearrogance naturelle ne m’en laissent pas la chance.Alors je lui tends la main, comme la dernière desidiotes. Ses yeux verts se plissent un peu plus, seposent une dernière fois sur moi, puis le brunmystérieux me contourne et s’en va d’une démarche

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affirmée en direction de la salle des ventes. Sacarrure est impressionnante, il émane de lui uneforce presque surnaturelle. Pour tout dire, son versoest aussi beau que son recto.

Déformation professionnelle…

– Enchantée de vous connaître, excellente soiréeà vous aussi ! ironisé-je à voix haute en serrant lamain imaginaire, dans le vide.

Incroyable. Le bel indifférent daigne se retourneret... me sourire.

– Vous avez lu dans mes pensées, répond-il enfrançais d'une voix légèrement cassée.

Cet accent... D'où vient-il ?

– Mieux vaut tard que jamais, j'imagine...continué-je, le cœur battant à mille à l'heure maisincapable d'arrêter de le provoquer.

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– Il faut croire que votre impatience n'a d'égaleque votre maladresse, sourit-il insolemment avant dereprendre sa route.

Je le regarde partir et chacun de ses pas me faitdégringoler un peu plus de mon nuage. Lorsqu'ildisparaît totalement, j'atterris enfin et me pose lesbonnes questions. Qui est ce fantasme de chair etd’os ? Que fait-il ici, au milieu de tous ces gens quise suivent et se ressemblent ? Je suis venuerencontrer des milliardaires, je suis tombée sur unprince guerrier, un gentleman aux allures de voyou, àla repartie cinglante et à l'impolitesse de mufle.

Mais je voudrais déjà qu'il revienne. Avoir ledernier mot. Pouvoir le contempler à nouveau.

Et surtout, lui rétorquer que la beauté de sonfessier n'a d'égale que son ego surdimensionné.

Je n’ai pas le temps de rêvasser, adossée contremon pan de mur. Deux hommes baraqués, à la

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démarche pourtant vive et légère, viennent chercherla sculpture en bronze et l’emportent avec soin. Loinde moi, là où elle a toutes les chances de survivre.

– La plus prometteuse rencontre de ma soirée,ironisé-je en voyant la déesse m’échapper. Merciquand même…

Je m’apprête à rendre les armes et à retourner enclaudiquant jusqu’au vestiaire lorsqu’un brouhahas’élève dans la salle des ventes, au loin. Malgré ladistance, j’entends le commissaire-priseurproclamer :

– La Vénus de Médicis a trouvé acquéreur,mesdames et messieurs. Adjugée pour dix-septmillions de dollars !

Elle et moi, on n’était pas du même monde…

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2. Sur un nuage… depoussière

J’arrive chez Pénélope pour une soirée« débriefing » entre filles. C’est une tradition pournotre trio, chaque événement dans la vie de l’uneentraînant aussitôt un débrief obligatoire de la partdes deux autres. Autant dire que ma vente auxenchères et ma double rencontre les ont rendueshystériques quand je leur ai résumé la situation autéléphone.

Penny ayant l’appart' le plus grand – et un maritoujours en déplacement professionnel – c’est encorechez elle que ça se passe ce soir. Margo est déjà là,pieds nus sur l’immense tapis à bouclettes du salon,dans les tons blancs, comme tout le reste de

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l’appartement.

– Pourquoi tu tournes en rond en fermant lesyeux ? lui demandé-je alors qu’elle ne m’a pas vuearriver.

– Viens voir, ça donne l’impression de marchersur un nuage… Non, sur un mouton ! glousse-t-elleavec des yeux émerveillés.

– Margo, arrête la drogue ! se moque Pénélope ennous rejoignant. C’est plutôt Emma qui doit être surson petit nuage… Raconte ! m’ordonne-t-elle en metendant un saladier de chips.

– Tu n’as pas plutôt des carottes ? grimace Margoen rentrant la tête pour nous montrer son mini doublementon.

Mes deux meilleures amies ne pourraient pas êtreplus différentes. D’un côté, une rêveuse àl’imagination débordante et de l’autre, unecartésienne qui va droit à l’essentiel. Relookeuse etcréatrice de vêtements, Margo ne se voit pasautrement que son propre patron. Elle est presque

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toujours à sec mais adore dépenser – j’ignore quelest son secret. Penny, elle, bosse dans une galeried’art qui la paye plutôt bien, mais elle économisetout pour ne jamais manquer de rien. Et, enredoutable femme d’affaires, elle conclut des ventesaussi vite qu’elle obtient de nouvelles promotions.La première est une éternelle célibataire qui rêve auprince charmant, la seconde une jeune mariée qui aarrêté de rêver il y a longtemps.

Et je crois que je me situe pile au milieu de cesdeux extrêmes.

Physiquement aussi, Pénélope et Margo sontcomme le jour et la nuit. Coréenne adoptée à 3 anspar un couple de Parisiens, Penny est une petitesauterelle à la peau translucide et aux cheveux noirsretenus en queue-de-cheval stricte, qui peut mangerce qu’elle veut sans prendre un gramme. Sur sesjambes qui font à peu près l’épaisseur de mes bras,elle ne marche pas : elle sautille. Margo, même sielle se rêve américaine, a plutôt le type

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méditerranéen : c’est une fille pulpeuse au teint matet aux longs cheveux teints au henné, toujours lâchéset toujours emmêlés. Elle ne sait pas marcher nonplus : elle, elle danse. Tailleurs chics et talonsaiguilles pour l’une, robes vintage et sandalesbohèmes pour l’autre. Maquillage discret mais propour la première, bouche rouge obligatoire et smokyeyes coulants pour la seconde. Montre de luxe d’uncôté, bijoux fantaisie de l’autre.

Là encore, je dois me trouver à mi-chemin deces deux styles.

Et croyez-moi, ce n’est pas toujours facile d’êtreentre ces deux-là…

– Alors, Démétrius White ! Blond surfeur oublond acteur ? tente d’étiqueter ma copinepragmatique.

– Ni l’un ni l’autre. Sûrement un Américain, jeles repère à trois kilomètres. Il ressemblait un peu àDean, je crois... Le côté enfoiré en moins.

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– Biiiip, me buzze Margo avec un son nasillard.Interdiction de parler des ex ! Trouve quelqu’und’autre pour la ressemblance.

– Ok, alors peut-être le type qui joue leMentalist…

– Patrick Jane ? ! Patrick Jane t’a offert un verre ?s’étrangle Margo avec une chips.

– Il s’appelle Simon Baker en vrai, rectifiePenny. Mais ça ne change rien au fait que tu asenvoyé balader le Mentalist ! hausse-t-elle le ton,scandalisée.

Si, il y a bien un point commun entre mesamies : la passion des séries !

– Je lui ai souri très poliment… Mais qu’est-ceque j’étais censée faire de plus ? Il n’avait qu’àvenir me parler… ou au moins écrire un mot sur lacarte !

– Faut vraiment te mâcher tout le travail, à toi ! sedésole la brune excédée.

– Je comprends, compatit la rousse fleur bleue en

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me caressant les cheveux… avant de décider de mefaire une tresse.

– Attends, quelle carte ? !

Je farfouille dans mon sac jeté sur le canapé à larecherche du petit carton blanc que je ressors toutcorné.

– Plus épuré tu meurs ! commenté-je en tendant lacarte à Pénélope.

– Hmm… Pas d’adresse, pas d’entreprise, pas deprofession…

– Je vous l’ai dit, il est du genre à ne pas sefatiguer ! Ça doit être un Mentalist fainéant.

– Ce n’est pas une carte de visite, Em’ ! Il achoisi de te donner son numéro perso !

– Tu vas l’appeler ? ! Il faut que tu l’appelles !T’as envie de l’appeler ? commence à s’exciterMargo en tirant sur ma tresse pour que je la regarde.

– Aïe ! Non… Si vous aviez vu le brun ténébreux,vous n’auriez pas envie d’appeler le blondmystérieux ! me justifié-je comme je peux.

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– À qui il ressemble, lui ? Derek de Grey’sAnatomy ? tente Margo, déjà séduite.

– Plus jeune, moins intello !– Le jardinier de Desperate Housewives ?– Non, plus dark, limite dangereux !– Dexter ? ! s’inquiète-t-elle, prête à exploser de

rire.– Laisse tomber, il ne ressemble à personne…

soupiré-je bêtement, en regardant dans le vague pourreconstituer son image dans ma tête.

Et ses yeux… Comment je pourrais oublier sesyeux ?

– Tu n'as même pas son nom ? Qu'est-ce que vousvous êtes dit ? Qu'est-ce qui te fascine à ce pointchez lui ? me harcèle Margo, échauffée par lemanque d'infos.

– Je ne sais pas, je ne sais rien, soupiré-je. Etc'est justement ça qui me rend dingue.

– Dingue de lui... ricane l'éternelle romantique.– Emma, la vie c’est pas comme dans tes

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bouquins ! me secoue Pénélope qui veut reprendreles choses en main. Il n’y en a qu’un des deux qui t’alaissé son numéro. Intéresse-toi à un type qui existe,pour une fois ! Et qui veut bien de toi ! Arrête detergiverser et appelle-le !

Ouch.

Mme Tact a encore frappé... Et c’est la sœurjumelle de Mme Vérité…

– De toute façon, qu’est-ce que tu en sais ? Tun’as jamais lu un seul de mes romans ! lui envoyé-jeà mon tour.

– Si, je les ai tous commencés ! Mais je n’ai pasle temps, Em’ ! J’ai un vrai boulot et un vrai mari,moi… me sourit-elle, taquine.

– Ce n’est pas parce qu’on bosse à la maisonqu’on n’a pas un job aussi intéressant que le tien !me défend Margo.

– Tu veux dire créer des robes importables et deshistoires d’amour qui n’arrivent à personne ? ! se

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moque encore Pénélope.– Ça, c’est sûr qu’il faudrait que tu arrives à voir

ton mari pour vivre une histoire avec lui ! vanné-jede plus belle.

– Tu sais quoi ? renchérit Margo. Penny arrête delire chaque fois qu’elle tombe sur une scène desexe ! Ça lui rappelle des souvenirs trop lointains !éclate-t-elle de rire.

– Ok, j’appelle Démétrius ! se venge la brune enattrapant mon portable et en s’enfuyant avec la carte.

– Elle ne ferait jamais ça, ricane la rousse avantde se stopper net. En fait si, je crois qu’elle en estcapable !

On se met à courir au même moment pourrejoindre la fugitive dans la cuisine, Margo sur sespieds nus qui dansent, moi comme la biche aux aboisqui ne sait pas vraiment ce qui l’attend. Mais on rit,on ne s’arrête jamais de rire. Jusqu’à ce que la voixde Pénélope nous parvienne, dans un anglais parfait :

– Je suis une amie d’Emma... Oui, la vente aux

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enchères... Robe bleue, c’est ça… Je déteste jouerles entremetteuses mais si je ne le fais pas…

– Très drôle ! Je sais que tu n’es pas vraiment entrain de l’appeler, Penny !

– Voilà, vous avez tout compris, Mr White…– Mr Qui ? Il a compris quoi ? ! commencé-je à

paniquer.– Vous êtes à égalité, maintenant que vous avez

aussi son numéro…– Raccroche ! lui hurlé-je à voix basse, les yeux

écarquillés.– Mais je vous en prie. Bonne soirée à vous

aussi…

Je ne la laisse pas terminer sa phrase, je luiarrache le carton de la main et le téléphone del’oreille, raccroche illico puis compare le numérode la carte à celui qu’elle vient de composer.

– Elle l’a vraiment fait… conclut Margo envoyant ma bouche former un grand O.

– Je te rappelle que c’est comme ça que j’ai

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rencontré mon mari grâce à toi, se défend Pénélope,très fière d’elle.

– C’était il y a cinq ans ! Et après cinq mojitos !– On peut les boire maintenant, tu me remercieras

quand tu seras saoule ! repart-elle en direction dusalon, un grand sourire aux lèvres.

Penny est comme ça : un peu sans gêne, trèsrentre-dedans, elle déteste attendre et préfère foncerdans le tas. Elle trouve des solutions même quand iln’y a pas de problème et le pire, c’est qu’elle esttoujours persuadée d’avoir raison. La plupart dutemps, c’est rafraîchissant. Quand ce n’est pas à vosdépens… Au moins, maintenant, la balle est dans lecamp de ce Démétrius, je n’aurai plus à medemander si je dois ou non l’appeler. Le Mentalistfainéant va bien devoir trouver au moins une phraseà me dire au téléphone.

S’il s’intéresse vraiment à moi… ce qui est demoins en moins sûr après un coup comme ça !

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Et si c’est un psychopathe qui m’appelle dix foispar jour, ma vengeance sera terrible…

Pénélope Su-Jin Lacroix : sautille tant que tupeux encore le faire !

***

– Croissants ? me balance Elliot qui s’est invitépour le petit déjeuner après ma soirée trop arroséede la veille.

– Tu n’as pas cours ? marmonné-je en faisantcouler un expresso pour lui et un cappuccino pourmoi.

– Dans une heure. Je venais juste vérifier queMargo n’avait pas dormi chez toi, à tout hasard…

– Raté… Mais elle m’a demandé si tu allaisbientôt arrêter la coiffure Zlatan. Au moins, elles’intéresse à ta vie capillaire !

– Le footballeur ? ! Je croyais qu’elle mecomparait à Jared Leto ! se désole mon frère.

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– Non, elle a dit que tu étais grand et maigre,comme lui. Que tu avais les cheveux longs et souventen chignon, comme lui. Mais qu’elle préférait lesacteurs hollywoodiens aux profs d’anglais parisiens.

– F**k ! jure-t-il en anglais. Je savais quej’aurais dû rester musicien au lieu de me trouver unvrai métier ! Un musicien raté peut-être, mais laguitare, ça a toujours fait craquer les filles, non ?

– Tu n’as pas besoin de ça pour faire craquer quique ce soit, Elliot… bâillé-je en sentant la migraineme guetter.

– Si Margo voyait ça, je fais un carton auprès demes quatrièmes quand je leur joue du Iggy Pop !

– Faire craquer des gamines de treize ans, c’estun bel accomplissement dans la vie ! le félicité-jeavec une tape sur l’épaule. Papa et maman seraienttrès fiers de toi !

– La prochaine fois que tu voudras te foutre demoi, évite les miettes de croissant dans les dents, çale fait moyen !

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Je lui lance mon plus beau sourire, en espérantforcer le trait. J’ai toujours pensé que mon petitfrère, cet original, ce doux rêveur, ne grandiraitjamais. D’ailleurs, il a toujours son visage d’enfant,malgré son look de chanteur grunge et sa petitemallette en cuir de professeur sérieux. Mais en fait,c’est moi qui redeviens une gamine à son contact.Depuis que nos parents sont retournés vivre auxÉtats-Unis, après douze ans passés à Paris, Elliot etmoi avons reformé notre petite bulle ici, à troisétages l’un de l’autre. Et il suffit qu’il quitte sonstudio sous les toits et vienne toquer à la porte demon appartement – ce qu’il fait régulièrement – pourque j’aie à nouveau 10 ans.

– Et toi, alors, t’as rencontré ton « Vadim » à tasoirée de milliardaires ?

Bon, disons plutôt 18 ans…

– J’en ai rencontré deux, figure-toi ! Un blond etun brun. Mais je ne sais rien d’eux. Ni s’ils sont

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milliardaires, ni même s'ils s'intéressent à moi. Oui,bon, ce n’étaient pas vraiment des rencontres…finis-je par concéder.

– Laisse-moi deviner, tu as trébuché sur l’un etrenversé ton verre sur l’autre ?

– Presque… souris-je, amusée qu’il me connaissesi bien.

– C’est bien, Emma ! Maman et ses envies depetits-enfants seraient très fiers de toi… Tu iras loin,comme ça ! se venge-t-il à retardement.

– Je m’en fous, j’ai vu les plus beaux yeux del’univers, ça me suffira pour rêver pendant unesemaine entière !

– Tu veux dire une année ? !– Si Pénélope et Margo ne me marient pas de

force avant !– Elles ont encore essayé de t’arranger un coup ?

Pourquoi tu ne joues pas les marieuses pour tonpauvre petit frère célibataire ?

– Parce qu’on ne force pas le destin, Elliot ! Çatue le romantisme. C’est comme réécrire la fin d’un

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roman qui n’est pas le tien.– Si tu veux mon avis, celui qui est en train

d’écrire le bouquin de ma vie est un abruti !– Mais non, c’est un maître du suspense…

essayé-je de le convaincre. Il a juste besoin d’unchapitre un peu plat pour te faire rebondir dans leprochain.

– Écris plus vite, toi là-haut ! implore mon frèreen regardant vers le ciel, déclenchant mon éclat derire.

– Je ne sais pas pourquoi il a mis sur mon cheminun joli blond qui ne me fait pas l’effet qu’il devraitet un sublime brun que je ne reverrai jamais. Tout ceque je sais, c’est que j’ai hâte de vivre la prochainepage.

– Tu es beaucoup trop optimiste pour moi, Emma.Si tu te drogues, il faut me le dire.

– Oui ! ris-je de plus belle. Je me shoote auromantisme. J’en vois partout, j’en mets même là oùil n’y en a pas… Tu devrais essayer, ça fait planer !

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La moustache de Stanislas apparaît sur l’écran demon téléphone portable : c’est mon éditeur lui-mêmequi a pris cette photo en très gros plan pourl’assigner à son contact. J’en sursaute à chaque fois.Cette vision me coupe un peu dans mon élanromanesque et Zlatan en profite pour s’enfuir àpetites foulées, comme s’il voulait éviter d’êtrecontaminé. Je décroche in extremis, au moment où laporte de mon appart' se referme.

Chassez un problème, un autre arrive aussitôt !

– Salut Stan… lui souris-je au bout du fil.– Donne-moi un pitch, une idée de scénario, un

tout petit début d’histoire, mais donne-moi quelquechose, Emma ! me secoue le dandy survolté.

– Tu ne veux pas retirer les doigts de cette prise,Stanislas… ? tenté-je pour gagner du temps.

– Est-ce que la vente aux enchères t’a inspirée ?m’ignore-t-il.

– Tu n’as même pas idée… Je crois que je tiensquelque chose. Un personnage. Rencontré en chair et

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en os.– Je t’écoute. Mais j’ai trois minutes avant mon

prochain rendez-vous.– Un regard qui fait la guerre, improvisé-je en

soupirant longuement. Des yeux couleur militaire.Qui te regardent encore, des jours après s’être poséssur toi. Qui te fusillent même quand ils ne sont pluslà.

– Rien compris… C’est mieux si on se rappelleplus tard, non ? ! Ou envoie-moi ce que tu as parmail.

– On fait comme ça, lui réponds-je en souriantintérieurement, sachant qu’il ne m’écoute plus, déjàbranché sur une autre idée.

Le prince guerrier, qu’est-ce que je vais bienpouvoir faire de toi ?

Et surtout, qu’est-ce que tu vas faire de moi… ?

S’il existait vraiment, j’aurais bien besoin d’unMentalist – pas fainéant – pour déchiffrer mes

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pensées.

***

Depuis la fin de la matinée, j’essaie tant bien quemal de me mettre à écrire : ordinateur allumé, pagetoujours blanche, quelques phrases griffonnées surdes bouts de papier à côté, quelques notes sur lesorigines du vert dans l’Armée, et la traduction dumot kaki, « poussière ». J’aime quand les mots mesurprennent. Comme la vie. Et quand les idées neviennent pas, il me reste ça : les mots qui se jouentde moi.

Je tiens mon amour de la langue française de mamère, Béatrice, et mon frère partage sa passion pourl’anglais avec notre père américain, James. Grandirdans une famille bilingue n’a que des avantages :deux langues parlées à la maison, de bonnes notes àl’école dans au moins deux matières, une doubleculture et des voyages fréquents dans au moins deux

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pays du monde. Mais surtout, bien plus de mots.Deux fois plus de mots pour dire les choses. C’est enfrançais que j’écris, en français que j’aime lire, maisc’est en anglais que je regarde mes films et messéries. Une langue sous mes doigts, sous mes yeux,une autre dans mes oreilles. Tous les mots mebercent, tous m’inspirent. Si je ne faisais pas cemétier, je serais peut-être cruciverbiste. Et triste.

Comment font les gens pour ne pas écrire ?

Comment font-ils pour ne vivre que leur vie sanss’en inventer d’autres, où tout est possible ?

D’ailleurs, dans mes rêves les plus fous, monhomme idéal parle encore une autre langue que lesdeux miennes… et nos enfants sont trilingues avant3 ans. Mais je me demande toujours si j’arriverais àapprendre le russe, le créole ou le mandarin. Sanseffort, juste par amour.

Mais bon, chanceuse comme je suis, mon mec

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sera un Français pure souche qui fera une faute àchaque mot !

Et je l’aimerai quand même, et c’est ça qui serabeau !

En début de soirée, pas encore résignée àremettre l’écriture à demain, je suis interrompuedans mon inaction rêveuse par une vibration. Pas demoustache sur mon téléphone. Stanislas doit être entrain de harceler quelqu’un d’autre. Ou juste lui-même. C’est un texto qui s’affiche sur mon écran,d’un numéro inconnu – mais pas tout à fait.

[Je ne vous ai pas oubliée. Café ? Champagne ?Caviar ? Où vous voulez, quand vous voulez.Démétrius White]

L’Américain a enfin trouvé quelque chose à medire. Mais il a préféré me l’écrire. En anglais, maissans faute. Avec toutes les lettres, et toutes au bonendroit. Et surtout, il ne s’est pas dégonflé. La

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traîtresse Pénélope serait ravie de savoir que sapetite stratégie a fonctionné. Et moi ? Je ne sais plussi je suis ravie ou déçue. Sans doute un peu flattée.Mais le séducteur me laisse encore tout le travail àfaire : décider. Choisir le lieu, le moment, et mêmece qu’on va déguster.

Si je l’appelais, est-ce qu’il me demanderaitaussi ce qu’il doit porter ?

Mon homme idéal, lui, serait déjà venu mechercher. Dans des fringues parfaites, sophistiquéesou non, rien à changer. De ses mots étrangers, je necomprendrais rien. Et de ses yeux dangereux, tout.De sa main ferme sur ma taille, il ne me laisseraitpas le choix. Il m’emmènerait je ne sais où, et je nevoudrais même pas le savoir. Il me laisserait bouchebée, haletante, silencieuse. Il me ferait taire, et ceserait le tout premier à y arriver. Les mots sebousculeraient sur ma langue, mais aucun nesortirait. Je ne saurais pas qui il est, un guerrier, unprince, un imposteur, un voyou. Il ne me dirait rien,

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il me laisserait deviner, regarder sous l’armure, àtravers le nuage de poussière, tout au fond de sesyeux verts.

Écris plus vite, Emma !

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3. Black or White ?

Une nouvelle semaine s’est écoulée, sansnouvelles du gentleman voyou, mais ses yeux vertsaux éclats ambrés s’obstinent à me poursuivre. Je medemande souvent ce qu’est devenu l’homme qui m’aempêchée de culbuter Vénus, ce soir-là. S’il setrouve toujours à Paris. S’il sauve d’autres gourdesque moi, en glissant ses mains de titan autour deleurs tailles. S’il porte toujours ce costume griffé quiflattait sa carrure d’Apollon mais ne faisaitqu’accentuer son air de mauvais garçon. Et surtout,s’il pense à moi.

La fille complètement ahurie qui l’a bouffé duregard comme si elle contemplait son derniercheesecake marbré avant de débuter un régimesoupe aux choux.

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Si si, croyez-moi, certaines l’ont testé.

Une copine d’une copine...

Je n’ai pas répondu à l’invitation de DémétriusWhite. Pénélope me traiterait de tous les noms sielle le savait mais je tiens bon. Le grand blond auxyeux océan et au discours charmeur, j’ai déjà donné.Je rêve d’autre chose. De cheveux bruns en bataille,d’un regard assassin, d’une poigne ferme et virile.D’un homme qui inspire le danger plutôt que lafacilité. La nouvelle moi doit être maso.

Et puis le caviar, je déteste ça.

Le chien du voisin se met à aboyer – toujours à lamême heure, c’est-à-dire juste avant que l’aiguillematinale n’atteigne le neuf. Monsieur Collard –seulement deux lettres à changer et il porterait trèsbien son nom – rentre de sa garde de nuit et n’a quefaire de foutre en l’air toutes mes grasses matinées,mais je dois avouer qu’il a parfois son utilité. Par

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exemple, me rappeler subtilement que je suis enretard. Je renonce à ma partie de Candy Crush enréalisant que je n’ai pas vu le temps passer. Rien denouveau.

Je quitte mon canapé, m’inspecte rapidementdevant le miroir de l’entrée : jean slim noir etchemisier bicolore. Juste ce qu’il faut desophistiqué, sans excès. J’enfile mes Richelieusvernies en maudissant ce clébard qui refuse de lafermer, frappe un petit coup dans le mur juste parprincipe, puis me dirige vers la porte de sortie.Retour en arrière : j’attrape mon sac à main quitraîne sur la console, y fourre mes clés et directionla porte. Cette fois c’est mon téléphone qui manque àl’appel. Retour au canapé, passage dans l’entrée,coup d’œil au miroir, recto, verso, porte claquée,coup de clé tournée dans la serrure, caged’escaliers, rue de la Folie-Méricourt : j’y suisarrivée !

Merde, mes dossiers !

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Je débarque vingt minutes plus tard dans lebureau de Stan, qui me fait payer mon retard enm’obligeant à m’asseoir sur un tabouret bancal etriquiqui. Face à lui, j’ai l’air de faire un mètre vingt.Si j’envoyais valser les piles de manuscrits qui s’ytrouvent, je pourrais presque poser mon menton sursa table en bois massif.

– Ne t’avise pas de te plaindre ! Si tu t’étaispointée à l’heure, tu aurais eu droit à l’habituelfauteuil en velours, ma chère. Pas de chance, monassistant l’a gagné à un pari, grommelle-t-il enm’arrachant presque ma pochette des mains.

– Comment ça ?– À ton avis, Emma ? soupire le moustachu hype

en levant les yeux au ciel. Il savait que tu serais enretard. Moi, âme charitable que je suis, j’ai cru quetu honorerais ta promesse pour une fois. Résultat,j’ai perdu mon fauteuil pour la journée. Enfin, tonfauteuil.

– Et ton assistant, il a misé quoi ? gloussé-je en

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observant la mine vexée de mon éditeur.– Sa pause déjeuner…– Tu es sûr que c’est très légal, ça ? ris-je de plus

belle.– Non, mais cette chemise façon carrelage de

salle de bains ne devrait pas l’être non plus.– Tu plaisantes ? Je l’ai payée un bras aux

Galeries !– Rappelle-moi de t’y accompagner la prochaine

fois, ricane le dandy en décrochant son téléphonefixe.

Sur ce, il braille « Vincenzo, deux cafés !Illico ! » et raccroche.

– Quoi ? me demande-t-il, toujours aussi malluné. Il a eu mon fauteuil, non ? Je ne vais pas enplus le dorloter !

– Tu as raison… fais-je d’une voix sadique. Jepropose qu’on lui ordonne de venir nous servir àcloche-pied.

– Bonne idée. Il pourrait renverser tout le café sur

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ce bout de torchon géométrique que tu appelles unchemisier.

– Et me brûler au troisième degré !– Attends, je le rappelle !

Et le voilà qui beugle à nouveau dans soncombiné : « Vincenzo, glacés les cafés ! »

– Bon, parlons peu, parlons bien, reprend-il unquart d’heure plus tard, après avoir suffisamment faitson show.

Ma tenue est restée intacte. Mon intégritéphysique également. Si ce n’est ce foutu tabouretqui maltraite mon arrière-train.

– Ton nouveau pitch est prêt ? fait-il ens’appuyant contre son dossier. Je suis tout ouïe.

– Disons que j’y travaille.

Il ouvre la pochette qui me sert de fourre-tout,boîte à idées et compagnie et en extirpe deux feuilles

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sur lesquelles j’ai griffonné quelques notes.

– C’est tout ? Ne me dis pas que tu es en panned’inspiration !

– J’ai un concept. Et je crois qu’il est bon, souris-je timidement. Seulement, je n’en suis qu’auxbalbutiements. J’ai besoin de temps…

– Ça fait des semaines que tu me fais poireauter,Emma ! Donne-moi quelque chose. Juste l’idée dedépart !

– Une jeune femme déçue par l’amour, un hommesombre, inaccessible, insaisissable.

– Hmm… Niveau originalité j’ai déjà vu mieux…Mais continue, ça me parle.

Ce ton à la fois complice et condescendant, je l’aidéjà entendu mille fois dans ce bureau. Stan saitvous tirer les vers du nez comme personne, mêmequand votre discours n’est pas encore rôdé. C’estson truc en plus, son petit grain de génie : faire naîtredes scénarios dans votre tête, à votre insu.

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– L’homme en question a tout d’un imposteur,d’un voyou. Il ne correspond pas aux stéréotypes dumilliardaire. Et pourtant, il est brillant, richissime,humaniste et cache un terrible secret. Une sorte dechevalier blanc en costume noir.

– Un prince charmant qui aurait mal tourné ?– Ou bien tourné justement, question de point de

vue, souris-je en voyant mon éditeur mordre àl’hameçon.

– Ça me plaît ! Et elle, qu’est-ce qu’elle a de plusque les autres ?

– Elle sait ce qu’elle veut. Et ne veut pas. Pas dejeune première effarouchée. Une fille qui a du vécuet qui se donne une nouvelle chance.

– Et tu te bases sur… ? murmure Stan d’une voixmoqueuse.

– Sur le gentleman voyou, oui, riposté-je pouresquiver la vraie réponse.

– Celui de la vente aux enchères ?

Je hoche la tête, le dandy tournicote sa moustache

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en réfléchissant à voix haute.

– Ça peut fonctionner… Dans le roman, jeprécise.

– Inutile de préciser, sifflé-je en le voyant venir àtrois kilomètres.

– Emma, les gens riches sont…– Qu’est-ce qui te fait croire qu’il est riche ? Et

même s’il l’est, qu’est-ce qui te fait croire quej’envisage quoi que ce soit avec lui ?

– Tu fantasmes et c’est déjà un danger en soi.– Bon, puisque apparemment tu lis en moi comme

dans un livre ouvert, je vais l’écouter ton sermon,ironisé-je.

– Le romantisme c’est bien beau, mais il fautsavoir à qui on a à faire. J’ai grandi dans ce milieu.Les gens de pouvoir, les grands noms, lesmilliardaires sont bien plus dangereux qu’ils en ontl’air… Pourquoi est-ce que j’ai fui, à ton avis ?

– Parce que tu préfères ta liberté aux milliards ?Et que tu es bon à interner ?

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– Parce que certaines personnes ne s’achètentpas. J’en fais partie et toi aussi, conclut-il le plussérieusement du monde.

Difficile de rire, là. Il marque un point.

Comme d’habitude, notre rendez-vous« professionnel » s’est éternisé et commed’habitude, Stan et moi avons fini au restau du coin.J’ai craqué pour un risotto crémeux à plus de septcent calories pendant qu’il s’enfilait un plateau defruits de mer – comme s’il avait besoin de surveillersa ligne.

Nous nous quittons en début d’après-midi et jerepars avec cinq pages manuscrites d’idées sous lebras. J’ai l’impression de me promener avec uneampoule géante au-dessus de la tête. Mon futurroman vient de prendre vie. Mon gentleman voyou,ses différentes facettes, ses aspirations, sesmanigances commencent à prendre forme dans monesprit. Ses yeux verts, eux, sont restés tels quels.

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Tirés de l’original. Dont j’ignore tout… Et que je nereverrai probablement jamais.

Si la vie était un roman, il surgirait au coin dela prochaine rue.

J’accélère bêtement le pas en espérant que lemiracle se produise… Raté ! Je rentre en collisionavec une ado mal lunée, reçois quelques insultes maldissimulées et continue mon chemin. Je croisemonsieur Connard et son malinois dans la caged’escaliers et me retiens d’être désagréable. Ladernière fois que je lui ai fait une petite remarque, lechien a joué avec des bouteilles en plastique videstoute la journée. Un raffut de l’autre côté du mur quia failli me rendre folle.

Dans Call me Baby, Emmett étaitparticulièrement rude avec Sidonie, ce jour-là.

Note pour plus tard : apprendre à mieux gérerses humeurs lorsqu’on est en plein travail

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d’écriture.

Une heure plus tard, je m’apprête à monter surmon vélo elliptique – trois jours que je repoussel’inéluctable – quand on sonne à ma porte. Jedélaisse joyeusement l’instrument de torture et vaisouvrir en tirant sur mon tee-shirt qui s’amuse àremonter au-dessus de mon nombril. Le livreur quin’a même pas pris la peine de me saluer et encoremoins de retirer son casque me tend une enveloppeen échange d’une signature. Je referme la porte en luisouhaitant de ma voix la plus aiguë – et la plusironique – une excellente journée et me penche sur lamystérieuse missive. Je déchire le papier et étudie lapetite carte plastifiée qui se trouve à l’intérieur.

Démétrius White

PDG de Déméter Éditions

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Une petite feuille de papier pliée en deuxaccompagne la carte de visite. À la fois méfiante etterriblement curieuse, je découvre le message quim’est adressé :

« Ne vous fiez pas aux apparences Emma, c’estaprès votre plume que j’en ai. RDV ce soir auPlaza Athénée. 20 heures. »

Un éditeur concurrent ? !

Et comment est-ce qu’il a eu mon adresse ? !

Pénélope, si jamais tu as osé…

Parce qu’il faut que j’en aie le cœur net et parceque j’ai sérieusement besoin de partager mon chocavec quelqu’un, je me connecte sans attendre surSkype et clique sur l’avatar de la traîtresse. Jepatiente quelques secondes, espérant qu’elle ne soitpas trop occupée pour décrocher.

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Tee-shirt au-dessus du nombril ? Oui. L’heureest bien trop grave pour y remédier.

– Décidément, aucune de vous ne compte melaisser bosser ! répond enfin la businesswoman enapparaissant à la webcam.

Ce n’est que quand je vois la jolie tête de Margos’inviter sur mon écran que je comprends qu’ellessont ensemble à la galerie.

– J’ai un rendez-vous hyper important dans dixminutes, nous prévient Pénélope. Un Japonais qui nesait plus quoi faire de ses millions ! Et évidemment,j’ai quelques suggestions à lui faire…

– Tu ne veux pas lui proposer mes robes ?soupire Margo – clairement en manque de clients.

– Ou mes romans ? souris-je avant de repenser àla raison de mon appel. Penny, tu n’aurais pasquelque chose à m’avouer ?

– Laisse-moi réfléchir… rigole la brune. J’hésiteentre ça, ça et… ça ! me provoque-t-elle en comptant

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sur ses doigts.– Le Mentalist fainéant, murmuré-je d’une voix

rauque.– Hein ?– Démétrius White ! grondé-je.– Oui ?– Tu lui as donné mon adresse ?– Quoi ? Jamais de la vie ! se défend-elle.– Pourquoi ? s’enquiert Margo, tout émoustillée.

Il t’a fait livrer un bouquet de mille roses ? Uncollier Cartier ? Un…

– Sa carte de visite ! la stoppé-je net. La vraie,cette fois. Histoire de me glisser subtilement qu’ilest éditeur ! Et que s’il en a après moi, c’est pour maplume…

– Celle avec laquelle tu écris, j’imagine ? Pascelle que tu as dans le…

– Pénélope, si tu vas plus loin je te scotche lespaupières grandes ouvertes et je te force à lire toutesles scènes hot de mes romans !

– Bon et alors ? s’interpose Margo, comme si elle

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jouait sa vie. Il te propose quoi ?– Un dîner au Plaza Athénée ce soir. J’y vais ou

pas ?– Oui et mets ta robe la plus sexy ! Si possible

qui cache ton nombril, se marre la brune.– Margo ? demandé-je à la rousse.– Je suis tentée de dire oui, mais je ne sais pas

comment Stan pourrait le prendre…– C’est son boss, pas son mec !– C’est son ami et celui qui l’a lancée ! rétorque

Margo en la poussant pour avoir plus de place surmon écran. Emma, c’est ta décision.

Pénélope se venge en tournant la webcam de soncôté et, pendant une bonne minute, les deux sechamaillent comme deux harpies.

– Bon, je vais y aller, affirmé-je soudain. Pourprofiter du spectacle et lui dire une bonne fois pourtoutes que je ne suis pas intéressée. Vous me suivez ?

– Oui. Mais ne ferme pas la porte trop vite,Emma… me conseille Pénélope, sérieuse cette fois.

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Tu te souviens de tes bonnes résolutions ?– Prendre ta vie en main, ne plus rater les

opportunités, laisser ton passé là où il est… c'est-à-dire loin derrière, enchaîne Margo. Démétriuspourrait te faire du bien.

– Vous êtes deux folles lunatiques, caractérielleset je ne vous changerai pour rien au monde, souris-je.

– Mets la Chloé qui fait fille facile, tu sais, cellequi est bien fendue sur la cuisse ! recommence labrune.

– Prépare tes paupières, j’amène le gros scotch !réponds-je avant de raccrocher.

Bon, mais sérieusement, je mets la Chloé ?

***

Ma robe de tentatrice reste finalement au placard.Après l’avoir passée et m’être reluquée sous tous lesangles, j’en conclus qu’elle ferait passer le mauvais

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message. Si je me rends à ce dîner, c’est pour goûterau luxe le temps d’une soirée, siroter un champagnegrand cru, discuter avec un homme intrigant, maisc’est avant tout pour délivrer un message clair,limpide comme ses yeux : « Mr White, merci maisnon merci. » J’opte donc pour une petite robe noiretaille empire et des escarpins argentés. Je me prendsen photo et l’envoie à Pénélope, sa réponse ne se faitpas attendre.

[Ne t’étonne pas s’il te plante pour aller se taperla serveuse dans les vestiaires !]

SMS rapidement suivi par un second, qui me faitsourire niaisement.

[Bon ok, je suis jalouse. Ni milliardaire, ni marien vue pour moi ce soir. Cette robe est trop sage àmon goût mais toi, tu es belle à tomber.]

Après les avoir lissés, je rassemble mes cheveuxchâtains dans un chignon flou. Un maquillage

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minimaliste plus tard et je prends la sortie – un seulretour en arrière cette fois, pour m’asperger d’Inlove again.

Tentatrice : non. Féminine : toujours.

Le taxi me dépose sur l’élégante avenueMontaigne et je pénètre pour la première fois dans lepalace parisien en tâchant de faire bonne figure.Alfred Hitchcock, Frank Sinatra, Michael Jackson :ils y sont tous venus avant moi. On me saluecourtoisement, des hommes m’ouvrent les portes surmon passage – je pourrais m’habituer à ce genre depolitesses. Je me laisse guider jusqu’au restaurantétoilé d’Alain Ducasse, puis jusqu’à la table oùm’attend le souriant Démétrius White. Il se lèvelorsque j’arrive à sa hauteur, attrape ma main et ydépose un baiser qui m’embarrasse autant qu’il mecharme.

Cet homme est d’un autre temps.

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Qu’est-ce qu’il peut bien me vouloir,exactement ?

– Je ne savais pas si vous viendriez, murmure-t-ilen anglais en m’invitant à m’asseoir. Je suis ravi devous avoir convaincue.

Entendre sa voix pour la première fois meconfirme qu'il est bien américain. Probablement dela côte ouest, comme moi, si j'en crois son accentdiscret. Je m’installe, il m'imite et demande auserveur de nous amener une bouteille de Bollinger.

– C’est votre première fois ? sourit le blond enme voyant admirer le décor.

– Ça se voit tant que ça ?– Il n’y a pas de mal à s’émerveiller, au contraire.

S’émerveiller ? Il y a de quoi. La salle durestaurant est un écrin. Un lieu divin où tout n’estque douceur. Les courbes, les lumières, les sons, lesmatières. J’ose à peine bouger pour ne pas perturber

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ce havre de paix. L’homme en costume de pingouinrevient pour remplir nos flûtes de champagne, et lebruit des bulles ne fait qu’accroître mon sentiment debien-être. Aucun doute : j’ai bien fait de répondre àcette invitation.

– À votre venue, me regarde Démétrius en levantson verre.

Il est beau, inutile de le nier – et il ne ressemblepas tant que ça au sombre enfoiré qui me servait defiancé. Ses yeux bleus qui inspirent la confiance, sescheveux clairs aux subtils reflets, son sourire quilaisse entrevoir ses dents immaculées, son costumegris perle : contrairement à celui qui hante mespensées, cet homme a tout du chevalier blanc. Jetrinque en l’air, comme lui, puis plonge mes lèvresdans le liquide pétillant. Notes sucrées, acidulées,rafraîchissantes. Je dois lutter pour que tout ce fastene me monte pas à la tête.

Garde les pieds sur terre, Cendrillon.

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– Et si vous me disiez ce que je fais là ? souris-jeen direction de celui qui m’observe avec insistance.

– Il vous faut vraiment une raison ? Tout ça nevous suffit pas ? ironise-t-il en écartant les bras depart et d’autre de la salle.

Je laisse mon regard se promener à nouveau etsens une décharge électrique m’atteindre tout près ducœur. Je rêve, c’est impossible autrement. Près dubar. Ça ne peut pas être lui. L’homme du palais deChaillot.

Mon gentleman voyou ?

– Emma ? Vous êtes toujours là ?

Je fixe Démétrius une seconde, puis mes yeux sefraient à nouveau un chemin jusqu’au fond de lasalle. Un homme brun aux épaules carrées discuteavec une jeune femme, mais ce n’est pas celui que jecroyais.

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– Oui, pardon. J’ai cru reconnaître quelqu’unmais j’ai fait erreur, dis-je en sentant mes jouess’empourprer.

Je deviens folle ! Champagne ! Non, arrête lechampagne ! Oh, et puis m...

– J’ai quelque chose à vous proposer. Rassurez-vous, rien de déplacé, précise-t-il en sentant maméfiance. Nous n’en sommes pas encore là, vous etmoi.

– Et ça ne risque pas de changer, rétorqué-je pourne pas l’encourager.

– Vous êtes directe.– Et vous, vous tournez trop autour du pot, souris-

je à nouveau. Démétrius, qu’est-ce que vouscherchez ?

– Une collaboration.– Pardon ?– Ma maison d’édition a besoin d’une auteure

telle que vous. J’ai fait mes recherches et je suisarrivé à cette conclusion : vous et moi, on pourrait

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faire de belles choses !– J’ai déjà un éditeur et je compte lui rester

fidèle, haussé-je les épaules, faute de mieux.– Dommage. J’avais un contrat en or à vous

proposer. Mes millions pourraient peut-être vousinspirer…

– Quelqu’un que j’affectionne toutparticulièrement vous dirait que je ne suis pas àvendre. Et la « chick lit », c’est vraiment votre truc ?

Démétrius prend le temps de réfléchir, puis, detout son sérieux, il prononce ces phrases auxquellesje ne m’attendais pas :

– J’aime la littérature dans son ensemble.J’estime qu’il n’y a pas de sous-genre. Que chaqueauteur, quel que soit son public, a quelque chose àdire. Des émotions à faire passer. Et qu’il n’y a riende plus beau que des mots jetés sur le papier.

– Alors nous sommes d’accord, dis-je d’une voixplus douce. Mais je ne suis toujours pas intéressée.

– Je pense être plus têtu que vous, ricane-t-il en

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faisant appel au serveur. Nous n’en sommes qu’audébut de ce merveilleux dîner…

Méfie-toi, White. « Bornée » est mon deuxièmeprénom.

Trente minutes plus tard, les langoustines – ou cequ’il en reste – viennent de quitter la table quand sesyeux me transpercent. Mon cœur rate un battement.Je suis trop loin pour discerner les éclats de marronqui se noient dans leur vert profond, mais je ressensleur intensité jusque-là – jusqu’en moi. C'était bienlui, tout à l'heure. Le prince guerrier qui est venu àmon secours – ou plutôt à celui de Vénus – quelquessemaines plus tôt se tient à une dizaine de mètres demoi. Je pensais ne jamais le revoir, il est là. En chairet en os. En muscles et en grâce. Il est habillé en noirde la tête aux pieds, la beauté de ses traits n’enressort que davantage.

Nouvelle résolution : ne plus le laisser filer !

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Sans me laisser le temps de me dégonfler, jem’excuse auprès de Démétrius et prétexte un coup defil urgent pour m’éloigner. Le blond est assis dos aubrun, il ne verra rien de la scène dans laquelle jem’apprête à jouer. J’avance avec précaution sur mestalons, ne souhaitant pas répéter ma maladresse del’autre fois. L’homme mystérieux me fixe sansbouger d’un millimètre, avec le même aplomb, lessourcils froncés. Il a l'air aussi intrigué que moi,mais tandis que je panique à moitié, lui semble s'enamuser. Je suis littéralement happée par son regard,et mes jambes augmentent la cadence sans que je lesy oblige. Le lien invisible qui nous aimante estsubitement rompu lorsqu’il détourne les yeux. Deuxgravures de mode, blondes comme les blés, lui fontsigne de les rejoindre à une table un peu excentrée.Je sens mon courage me quitter. Mes jambes perdrede leur légèreté.

Et ce regard sur moi, à nouveau…

C’est lui qui parcourt les derniers mètres qui nous

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séparent. Plus il approche et plus il me paraîtimmense. Un léger sourire s’esquisse au coin de seslèvres. Ses lèvres, pleines et hypnotisantes. Que jedevine si douces au toucher…

Il arrive à ma hauteur, je l’observe en faisantmine d’être aussi peu impressionnée que lui. Il n’estpas dupe. Le chevalier noir sait l’effet qu’il me faitet ça ne semble pas lui déplaire.

– Vous ici ? Vous comptez me suivre partout ?murmure-t-il dans un français toujours aussi parfaitmais à l'accent envoûtant et indéfinissable.

– Il faut croire que je suis votre plus grande fan…ironisé-je.

– Vous n’avez encore rien renversé ce soir, jevous félicite. Je craignais que ce miroir ancien soitvotre prochaine victime…

Son sourire en coin est aussi insolent que sonregard. Cet homme ne manque pas d’assurance.Tandis que ses iris me sondent sans relâche, je me

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retiens de sourire. Pour ne pas le laisser gagner. Passi vite.

Picotements sous mon nombril.

Son regard me détaille inlassablement, s’aventuresur ma bouche, frôle mon décolleté, remonte pour seplonger dans mes yeux. Il dégage une telle sensualitéqu'il peut tout se permettre – et je ne me prive pasnon plus de l'examiner avec gourmandise. Puis lesiris verts s'éloignent soudain et fixent autre chose,derrière moi. Son expression se durcit. Je meretourne et réalise que Démétrius est en train de nousobserver, depuis notre table. Je lui fais un petit signeen espérant le faire patienter. Mais derrière moi, jeperçois un rapide « bonne soirée » et je n’ai pas letemps de refaire face à mon inconnu en costumesombre qu’il est déjà en train de tourner les talons.

– « Il faut croire que je suis votre plus grandefan » ? ! répété-je tout bas, morte de honte.

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Frustration : niveau maximal. Et ça ne s’arrangepas lorsque je le vois embrasser la première blonde,puis la seconde. Sur la joue, il me semble. Peuimporte : ses lèvres se sont posées sur leurs peaux.Pas sur la mienne. Complètement déroutée, déçuepar ma prestation médiocre – je n’ai même pasobtenu son nom ! – je retourne auprès du blond quin’a rien perdu de son sourire. Je m’excuse à demi-mot, il ne veut rien entendre et me tend ma flûte dechampagne. Je dois admettre que Démétrius Whiteest d’une agréable compagnie. Sauf qu’au moment oùil reprend la parole, je comprends que le scénarioest en train de se complexifier :

– Ne vous excusez pas Emma, je n’ai pas peur dela concurrence. Au contraire…

Je l’ai laissé filer. Pour les bonnes résolutions,on repassera…

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4. Call me Vénus

Elliot râle depuis un bon quart d’heure. Selon lui,je n’ai rien trouvé de mieux que de le traîner à cetteséance de jogging en plein cagnard, le jour le pluschaud de ce mois de mai. Il n’a pas tort, mais cequ’il n’a toujours pas saisi – sûrement parce qu’iln’a pas pour objectif de rentrer dans sa dernièrerobe Miu Miu, achetée trop petite en solde – c’estque dans ces conditions-là, on brûle un max decalories !

Amies poignées d’amour, rendez-vous dans dixans !

Les berges du canal Saint-Martin sontgénéralement balayées par un vent frais et agréable,mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Le soleil est au

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zénith, l’air est lourd et saturé. Bougon et moicourons le long des différents bassins, écluses,traversons ponts et passerelles en tentant de résisterà la déshydratation. Mon frère ne lâche pas un instantson Smartphone, cramponné à son applicationmiracle Run Machin Truc qui lui dévoile en directtoutes sortes d’informations sur ses performancesphysiques – à mon sens totalement inutiles. J’essaied’être à l’écoute de mon corps plutôt qu’à celle d’ungadget.

– Nos muscles sont en train de fondre ! Accélèrefeignasse, on atteint à peine les 11 km/h… me lâchele flambeur, pourtant complètement essoufflé.

– On dépasse déjà tout le monde ! Et puis si onaugmente le rythme, tu vas t’écrouler ! Regarde-toi,Tomato Head…

Tête de tomate. Enfant, Elliot détestait que jel’appelle de cette manière. C’était pourtant troptentant : à la moindre émotion, au moindre effort,mon frère devenait écarlate.

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– 13 km/h ou rien ! s’acharne-t-il en me tirant parle poignet.

– Elliot, j’ai besoin de cette main pour travailler !résisté-je. Et détends-toi un peu, essaie de profiter.

– Je déteste courir, j’ai chaud, faim, mal auxpieds et une tonne de copies à corriger, souffle-t-ilcomme un buffle.

– Pourquoi tu m’as accompagnée alors ?– J’espérais qu’elle soit là. Tu sais qui…– Sympa pour moi, souris-je en ralentissant pour

me mettre à marcher. Viens, on rentre tranquillementet je t’offre le déjeuner.

– Si elle demande, tu lui diras qu’on a fait legrand tour, hein ?

– Elliot, Margo se foutrait royalement que tutraverses l’océan Atlantique à la nage ! C’est avec tasensibilité que tu devrais la toucher. Ou ta guitare…

– Plus facile à dire qu’à faire. Elle vit sur uneautre planète, cette fille !

– C’est justement ça qui te plaît.

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– Ouais, je crois aussi… sourit-il tout bas.

Nous reprenons lentement notre souffle etgloussons en croisant des joggeurs au bord de lacrise d’apoplexie. J’aime mon frère parce qu’ilpartage le même ADN que moi, mais surtout parcequ’il est mon ami, mon confident, celui avec qui jepeux être moi, en toutes circonstances. Elliot m’atoujours acceptée comme j’étais, n’a jamais essayéde me juger, de me faire la morale. Malgré nosquelques années d’écart, on a bu notre premièregorgée de bière ensemble, fumé notre premièrecigarette, connu notre premier chagrin d’amour ensimultané. Il était précoce, pas moi. Elliot respectemes choix, quels qu’ils soient, et je tente de luirendre la pareille, même si mon rôle de grande sœurme donne parfois envie de lui apprendre lesrudiments de la vie.

– Bon, et ce brun aux yeux revolvers alors ?balance-t-il soudain, à un feu rouge.

– Je l’ai revu il y a quelques jours, pendant mon

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dîner avec le blond aux yeux azur.– Emma, tu me prends pour un con ?– Non, je t’assure que c’est vrai !– Il n’y a qu’à tes héroïnes que ça arrive, ce genre

de coïncidences douteuses !– Je sais. Peut-être que je suis dans un rêve. Ou

qu’on m’a plongée dans un coma artificiel…– Ton blond et ton brun symboliseraient le bien et

le mal ! Le yin et le yang ! se met-il aussi à divaguer.– Démétrius serait un espion envoyé par les

services secrets américains pour arrêter le malfratséducteur et sanguinaire aux allures de milliardaire !

– Sauf qu’en te rencontrant, le voyou décideraitde troquer son M12-392 automatique contre uneorchidée incrustée de diamants.

– Tu viens d’inventer un modèle de flingue, c’estça ? pouffé-je.

– Le M12-392, inventé ? ? Malheureuse, ilexiste ! s’écrie-t-il théâtralement. C’est le sombrepersonnage qui a mis au point l’arme la plusmeurtrière au monde et qui l’a commercialisée !

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C’est pour ça qu’il est recherché ! Pour ça et pourles meurtres en série d’une dizaine de romancières àcrête… ajoute-t-il en écrasant mes cheveux sur lesommet de mon crâne.

Ce geste impétueux lui vaut un coup de pied auxfesses, et nous reprenons notre balade, bras dessusbras dessous.

– Sans rire, il a beau avoir des yeux inoubliables,il est sûrement marié, avec deux maîtresses, troisgosses illégitimes et un casier judiciaire long commema prochaine saga, philosophé-je en décidant de mefaire une raison.

– N’abandonne pas si vite, Elizabeth… Il estpeut-être ton Mr Darcy… sifflote mon frère avant deme piquer ma petite bouteille d’eau pour se la vidersur la tête.

***

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Qui suis-je ? Une fille assise à son bureau ensous-vêtements – début de canicule oblige – face àla fenêtre, les cheveux encore humides de la douche,ne sachant plus quoi faire d’elle-même. CarrieBradshaw aurait la clope au bec, elle – et une petiteculotte en dentelle taille XS. Le syndrome de la pageblanche n’est pas un mythe. Voilà trois heures que jele constate. Postée face à mon écran, je visite desblogs littéraires, des sites de chatons mignons,feuillette au hasard parmi la pile de romans qui setrouvent à mes pieds, gribouille sur des post-it,étudie mes ongles, tape une ligne ou deux pour leseffacer aussitôt. L’inspiration ne vient pas. Sûrementparce que ma dernière entrevue avec le gentlemanvoyou s’est soldée par une liste interminabled’interrogations.

Tu vas sortir de ma tête, oui ? !

La page de ma messagerie clignote : un e-mailnon lu. Je me précipite dessus en espérant que cetteinterruption divine fera jaillir les mots. Erreur : une

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pub pour une séance d’épilation définitive. Je ne saispas comment je dois le prendre. Je retourne sur mafeuille blanche et rédige la première chose qui mepasse par la tête. « Rien. Je n’ai rien à dire. Rien derien de rien de rien de… » Nouveau clignotement !Je prie intérieurement pour qu’il ne s’agisse pasd’une promotion pour une crème antirides ou uneliposuccion. Gagné : cette fois, le mail m’estpersonnellement adressé. Mais il ne me dit rien quivaille…

De : Démétrius WhiteÀ : Lisa SwannObjet : Têtu acte II Chère Emma,Je me permets de revenir à la charge sans aucunscrupule, puisque j’estime que nous avons tousdeux à y gagner. Je vous ai fait rédiger uncontrat très spécial pour une romance dont vousavez le secret. Vous le trouverez en pièce jointe.

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Deux cents feuillets pour débuter, unerémunération plus que décente et des relationsde travail exquises : qu’attendez-vous poursigner ?Souriez, Emma, je ne vous veux que du bien.J’ai comme vous l’amour des mots. Les petits,les grands, les simples, les durs, lesflamboyants, les poignants. Tous, sansexception.Et puisque rien ne m’arrête, j’en profite pourvous faire parvenir une seconde invitation. Jevous convie à un bal qui se tiendra samediprochain à Versailles, en présence de têtescouronnées. Serez-vous ma cavalière, Emma ?Vous y avez votre place, à mes côtés.Amicalement (et plus),Démétrius W.

Le contrat ? Je passe. Je décide de l’envoyerillico à la corbeille avant même d’avoir lu la case« Rémunération ». L’argent ne fait pas le bonheur, ma

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mère me l’a toujours dit – avec une pointe demauvaise foi dans la voix, certes. Le bal àVersailles ? Tentant mais non merci. J’ignorecomment Démétrius a mis la main sur mon adressemail personnelle – après mon adresse postale – maisil faut que ça cesse. Demain, il se pointera à maporte ? Après-demain, je le trouverai allongé dansma baignoire, flottant sur un lit de roses blanchesdans son plus simple appareil ?

Cela dit, la thèse du coma artificiel seconfirmerait…

Le plus directement et poliment du monde, je luiréponds par la suivante :

De : Lisa SwannÀ : Démétrius WhiteObjet : Rideau Cher Démétrius,

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Je vous remercie de l’intérêt que vous portez àma plume mais je réitère ma réponse, ferme etdéfinitive : cette collaboration ne verra pas lejour dans un futur proche.Quant au bal, je suis navrée mais pas libresamedi.Tachez d’illuminer Versailles sans moi, en usantde cette éloquence dont vous ne semblez jamaismanquer.Cordialement,Emma

Page blanche, à nouveau. Je jette un coup d’œil àl’horloge : bizarrement, les minutes passent aucompte-gouttes lorsque vous êtes pressée qu’ellesdéfilent. Margo vient à ma rescousse – sans lesavoir.

[RDV Body Minute à 17 heures !][Avoue, tu avais oublié !]

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Faux. Archi-faux ! Cette information s’étaitsimplement perdue en chemin, dans les méandres demon cerveau amoindri. Je saute de mon fauteuil,enfile un jean et un top marinière, des sandalesplates et secoue la tête pour aérer mes boucles folles– certaines choisiraient de se coiffer, moi j’aère.

Je retrouve la rousse et la brune devant la vitrinebleue un quart d’heure plus tard. Margo en robe bainde soleil, façon baba cool remasterisée pin-up.Pénélope, elle, étrenne son éternel look chemisiergrand couturier et pantalon carotte – c’est ça ou lajupe taille haute.

– Salut les bombasses ! fais-je en les embrassantchacune sur la joue. Vous m’attendez depuislongtemps ?

– J’aurais pu devenir millionnaire en moins queça… bougonne Pénélope.

– J’ai de quoi me faire pardonner ! souris-jefièrement en sortant un assortiment Haribo de monsac.

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– La prochaine fois, ramène au moins desmacarons Ladurée, ronchonne la grincheuse. Ou unebonne bouteille de vodka.

– Mauvais poil ? demandé-je en me tournant versMargo.

– Son client japonais n’est jamais venu, chuchote-t-elle. Elle est persuadée d’avoir raté la vente de savie.

– « Elle » vous entend et « elle » a besoin d’unbon débroussaillage ! Monsieur mon mari rentre cesoir.

Margo et moi la suivons docilement à l’intérieur.L’hôtesse nous demande de patienter sur les fauteuilsassortis à la couleur de la marque, nous optons pourune banquette un peu à l’écart.

– Je ne vous ai pas dit… J’ai décidé de ne plustoucher à ça, nous confie la rousse en désignant sonentrejambe.

– Margo, ne fais pas ça, pitié ! panique la plusmaniaque de nous trois.

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– Penny, ça ne changera pas grand-chose à tavie… gloussé-je en la voyant blêmir.

– Ni à la mienne, soupire Margo. Vu le peud’action que connaît mon intimité ces dernierstemps… Je pourrais me transformer en yeti quepersonne ne le remarquerait.

– Raison de plus pour ne pas te laisser aller ! Uneopportunité pourrait se présenter ! s’obstine labrune.

– Je prends qui en premier ? nous interromptl’esthéticienne tout juste débarquée.

– Elle ! s’écrie Pénélope en désignant Margo. Latotale ! Je paye !

– C’est à moi, s’interpose une jeune femmeexcédée, arrivée avant nous.

Pénélope s’apprête à lui répondre une phraseassassine, je lui couvre la bouche juste à temps enéclatant de rire. Margo prend la relève en fourrantdes schtroumpfs dans le gosier de la bombe àretardement et, visiblement, le sucre agit vite. Une

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minute plus tard, la râleuse a presque retrouvé lesourire.

– Priez pour que je m’envoie en l’air ce soir,murmure-t-elle en consultant l’écran de sontéléphone. Mais pour ça, il faudrait qu’il ne rate passon avion, son train ou sa navette spatiale !

– Il va rentrer, Penny, vous allez vous retrouver,dis-je d’une voix compatissante.

– Je pensais qu’être mariée, c’était être deux. Oualors ne faire qu’un, à deux. Bref, j’avais tout faux.Enfin, il y a tout de même un avantage : je ne me suisjamais autant fait draguer que depuis que je porteune alliance !

– À quoi bon ? lui demande Margo. Si tu ne peuxpas… consommer ?

– C’est flatteur. Excitant même, parfois. Et je necrains aucun dérapage, je ne tromperai jamais Rémy.

Pénélope a presque tous les défauts du monde,mais s’il y a une chose qu’on ne peut pas lui enlever,c’est sa loyauté. Envers ses amies, mais avant tout

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envers son mari. À force de passer son temps àl’attendre, cela fait des années qu’elle aurait pudéchanter, se lasser, désespérer. Mais non, elle tientle coup, patiente, s’impatiente, patiente encore,motivée par les sentiments profonds qu’elle ressentpour cet homme plus effacé et plus âgé qu’elle. Pourça, je l’admire. Et pour tellement d’autres choses…

– Un homme ne ferait jamais ça, affirme Margo.Se vouer corps et âme à quelqu’un, quitte à y perdreune partie de sa vie. Les hommes sont lâches. Aumoindre problème, ils prennent la poudred’escampette. J’ai renoncé au grand amour, jecrois… Mais j’ai ma machine à coudre.

– Hmm… Sexy… se moque Pénélope.– Traitez-moi de folle, mais j’y crois encore,

fais-je en me souvenant d’un certain regard vertambré.

– Emma, tu peux tout avouer ! Ils n’existent pastes deux chevaliers !

– Comme tes héros… soupire Margo, d’un air

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dépité. Ce Jude Montgomery…– Emmett Rochester tu veux dire !– Pénélope Su-Jin Lacroix ! Tu as lu Call me

Baby ? ! m’écrié-je.– Oui… en sautant les passages hot, avoue-t-elle

enfin.– Quel gâchis, plaisante Miss Yeti.– Je vais le retrouver, c’est décidé ! Je ne veux

rien regretter… dis-je soudain.– Qui ?– Mon voyou, souris-je. Je compte lui faire la

peau…

***

Deux jours plus tard, mon enquête est toujours aupoint mort. Impossible d’en savoir plus sur l’identitéde mon inconnu. J’ai contacté l’organisateur de lavente aux enchères, suis retournée au Plaza Athénée :rien. Personne ne semble prêt à m’aider. « Nous neplaisantons pas avec l’anonymat, mademoiselle

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Green » : c’est tout ce qu’on m’a répondu lorsquej’ai eu le culot d’insister. Il est 19 heures passées :c’est ce qu’on appelle une journée peu productive.Je rentre bredouille, les pieds en compote – mêmemes compensées se retournent contre moi.

Stationnée à quelques mètres de mon immeuble,une voiture incroyablement luxueuse est à l’arrêt. Leconducteur se trouve probablement à l’intérieurpuisque le moteur tourne. En me rapprochant, jeréalise que je suis face à une LamborghiniAventador : le bolide hors de prix dans lequel roulemon père dans ses rêves les plus fous.

Plus que dix millions de livres à vendre et jepourrai peut-être lui payer…

Je me penche discrètement en longeant la voiturepour l’étudier de plus près. Puis je décide de sortirmon iPhone pour la prendre en photo – James Greendevra s’en contenter. C’est à cet instant que la vitreavant descend… et que son visage de voyou

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apparaît. Regard insoutenable, barbe naissante sur sapeau hâlée, cicatrice et pommettes saillantes : toutest là.

Ne pas sauter de joie. Ne pas sauter de joie. Nepas sauter de...

– Je peux vous aider ? me sourit insolemmentl’homme à la voix rauque.

– C’est la voiture qui m’intéresse, pas vous,rétorqué-je en luttant pour maîtriser mon trouble.

– Montez, j’ai quelque chose à vous montrer, fait-il de son mystérieux accent.

– On m’a appris à ne pas faire confiance àn’importe qui, résisté-je en croisant les bras sur mapoitrine – pas mieux pour un effet push-up !

– Montez, Emma, insiste-t-il en se détendant.– Emma ? Comment vous savez ça ? ! m'étonné-

je, déstabilisée.

Dans cette bouche, mon prénom est un appel aucrime...

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– Peu importe. Montez, sourit-il à nouveaucomme pour me provoquer.

– Vous n’avez pas dû m’entendre, fais-je avant dehausser le ton et de séparer mes mots comme si jeparlais à une personne sénile. JE. NE. MONTERAI.PAS. AVEC. VOUS.

L’étranger en chemise blanche et jean foncé ritdans sa barbe, puis me fixe à nouveau intensément.

– Voilà mon adresse si vous changez d’avis.

Il s’empare d’un stylo feutre sur le tableau debord, attrape agilement mon bras et y inscrit sonadresse, délicatement, sans appuyer trop fort. Je melaisse faire, abasourdie par son assurance. Envoûtéepar ce contact. La pulpe de ses doigts sur ma peau.Je frissonne avant de reprendre mes esprits. Et monbras.

– Qui êtes-vous ? Vous avez un nom ? Commentm’avez-vous retrouvée ?

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– Les réponses que vous voulez, il va falloirvenir les chercher… me provoque-t-il en désignantma peau griffonnée.

Sur ce, ses yeux verts me jaugent une dernièrefois, son sourire de voyou s’efface, il pose sesaviateurs sur son nez racé et fait vrombrir sonmoteur.

– Attendez ! tenté-je de le retenir. Dites-moi aumoins votre nom !

– Je connais le vôtre, quel intérêt aurais-je à vousdonner le mien ? me défie-t-il une dernière fois.

Il est déjà à plusieurs mètres quand une insultes’échappe de ma bouche. Ce que je ressens estindescriptible. Un cocktail d’émotionscontradictoires, qui me met dans un état inconnujusque-là. La colère, la curiosité, le désir… Tout semélange et c’est à peine si je me souviens commentje m’appelle.

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– Taxi ! crié-je soudain en voyant approcher unvéhicule équipé d’une enseigne lumineuse.

Je déchiffre l’adresse et la balance au chauffeuren me frottant énergiquement le bras. Je veux quecette inscription disparaisse. Et faire comprendre autagueur qu’on ne termine pas une conversation decette manière. Pas avec moi, en tout cas !

Une fois arrivée avenue Marceau dans le XVIe, jepaye la course sans attendre la monnaie et meretrouve face à une grille gardée par un homme vêtutout de noir. Décidément. Je me présente – nom,prénom, signe astrologique et tatouage attestant dema bonne foi – la grille s’ouvre et le garde medésigne la direction que je dois emprunter. Il n’estpas bavard, je n’insiste pas pour faire la causette. Lacour dans laquelle j’atterris est immense, pavée parendroits, arborée à d’autres. Lorsque je lève le nez,je me retrouve face au plus incroyable hôtelparticulier que j’aie jamais vu. Je gravis les

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quelques marches qui mènent à la grande porte, je lapousse, elle s’ouvre automatiquement. Je pénètredans l’immense hall meublé uniquement de blanc etde bois clair, dans un style scandinave, me perdsdans la contemplation de toutes les œuvres d’art quis’y trouvent et redescends sur terre lorsqu’unediscrète sonnerie retentit.

Je me retourne. Le voyou ne me décoche pas unsourire mais il me fait signe de le rejoindre dansl’ascenseur d'un hochement de tête. Un geste sansautorité, sans brusquerie, d'une simplicité et d'unnaturel qui me désarment. J’hésite une seconde, nesachant pas trop dans quelle aventure je m'embarque,puis me résous à avancer vers lui. Si je suis venue,ce n’est pas pour faire mon effarouchée !

Si je suis venue, c'est pour lui.

– Je suis là, dis-je en entendant les portesmétalliques se refermer derrière moi.

– J’ai remarqué, murmure-t-il en passant la main

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dans sa nuque de la plus virile des manières.

Il connaît vraiment tous mes points faibles ?

– Votre nom ? grondé-je dans sa direction, biendécidée à jouer celle qui maîtrise la situation.

– Vous avez la peau douce, je l’ai su dès que j’aiposé les yeux sur vous à cette vente aux enchères.

– Votre nom, insisté-je en sentant mes cuisses seréchauffer.

– Vous n’avez rien de plus intéressant à medemander ? sourit-il enfin.

– Pourquoi je suis ici ... ? fais-je tout bas.– Cette impatience, il va vraiment falloir y

remédier, gronde-t-il d'une voix particulièrementprofonde.

– D’où vient votre accent ? bredouillé-je ensentant ma résistance me quitter.

– Encore une question à laquelle je ne compte pasrépondre…

Son sourire grandit. Mais pas autant que mon

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attirance pour lui.

– Vous êtes toujours aussi sûr de vous ?– Je ne suis sûr de rien, souffle-t-il. C’est bien

plus amusant comme ça. Après vous…

Je suis son geste et réalise que nous sommesarrivés au troisième étage. Je sors de l’ascenseur etprends naturellement à gauche.

– Excellent choix, commente-t-il d'une voixamusée, derrière moi.

Je presse bêtement le pas, sentant sa présencebrûlante, dangereuse, dans mon dos. C’est alors queje la repère, au bout du couloir.

La Vénus de Médicis.

Je me prends une claque fulgurante. Et délicieuse.Face à cette statue de bronze, je réalise qu’il l’aachetée ce soir-là, juste après notre rencontre.

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Dix-sept millions de dollars…

En plus d’être un dieu vivant, un monstred’insolence, un amateur d’art, il est bel et bienrichissime.

– Depuis qu’elle est dans mon salon, je ne voisque vous, murmure-t-il.

Moi… ?

– Oui, vous… continue-t-il comme s’il m’avaitdevinée. Ses courbes, les vôtres. Cette volupté. Cesein qu’elle essaie de me cacher. Ce corps offert àmes yeux… mais pas encore à mes mains.

Mes jambes menacent de céder, mon cœurtambourine dans ma poitrine. Plus je le regarde, plusje l'écoute et plus j’ai envie de mille et une choses.Avec lui. Sa voix est rauque mais d’une douceurétonnante. Son regard troublant passe de la statue àmoi comme s’il était le sculpteur. Inspiré par le

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modèle, enchanté par l’œuvre, mais pas encorecomblé. Mes lèvres s’entrouvrent mais mes motsn’ont plus de sens. Il n’y a rien que je pourrais dire.Mais il y a tout ce que je pourrais faire. À cetinstant, c’est tout ce qu’il me reste.

L’homme raffiné redevient voyou, guerrier, quandil avance sur moi. D’un pas lent mais déterminé. Etc’est comme si un aimant me forçait à l’imiter.J’avance aussi, sans réfléchir, pour que ma bouchesilencieuse trouve la sienne, pour que tout s’expliqueenfin. Encore quelques pas et nos lèvres se frôlent,nos souffles s’entremêlent. Ce premier baiser, chaud,fort et profond, m’entraîne dans un sublimetourbillon. Sa bouche avide s’empare de la mienne,sa langue s’invite à la danse et la mienne s’y enlace,inlassablement. J’ignorais que l'on pouvaits'embrasser avec tant de sensualité.

Sans s’arrêter, il me force à reculer et finit par mecoincer contre un mur. Sans me toucher. Ses mainsviennent se poser de chaque côté de ma tête et ses

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lèvres me quittent. Pour mieux me murmurer :

– Il vous reste trois options : vous déshabiller, melaisser faire… ou partir avant que je ne puisse plusm’arrêter.

Il me semble que c’est ma main, sans que je l’aievraiment décidé, qui défait le premier bouton de monchemisier. J’essaie de soutenir son regardincandescent mais il délaisse mes yeux pourpromener les siens sur mon décolleté. Je ne connaispas son nom, encore moins ses intentions. Mais jesuis incapable de lui résister. Et mon autre main,tremblante, s’attaque aux boutons de sa chemiseblanche.

Il y a peu, je me suis fait le serment de changer devie, de ne plus rien m’interdire. De vivre de grandesaventures, quitte à faire des erreurs. Celle-ci serapeut-être sans lendemain. Mais cette nuit, au moins,je serai une héroïne de roman. L’objet d’un désir fou.Irraisonnable. L’amante d’un prince voyou.

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Tous les boutons ont cédé, nos corps se dénudentet nos peaux se dévoilent. La tension sexuelle entrenous, déjà extrême, croît. Comme si aucun de nousne pouvait plus reculer, plus attendre, plus passerune seule seconde loin de l’autre. Quand il frôleenfin mes seins de son torse, mon ventre du sien, lachaleur de son corps irradie dans tout le mien. Sesmains de titan se font douces pour glisser monchemisier le long de mes bras, je le débarrasse àmon tour de sa chemise ouverte. L’urgence de mondésir et le premier contact de ses musclesm’électrisent le bout des doigts. J’avais rêvé sa peausoyeuse, brûlante, elle est encore plus que ça. Mesyeux s’écarquillent à la vue des épaules larges etrondes, des biceps contractés, des pectorauxparfaitement dessinés, des abdominaux qui sedétachent sous la peau dorée.

La perfection d’une statue grecque, mais dechair et d’os, juste sous mes yeux…

Il interrompt ma contemplation en revenant

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m’embrasser, langoureusement. Et ce baiser, fou desensualité, me fait frémir : cet homme que je désiretant ressent la même urgence que moi de me toucher,de me goûter, de me posséder. Je glisse mes mainsdans sa nuque pour m’y accrocher, mes doigts dansses cheveux, aussi doux que je les avais imaginés.Mais sa bouche me quitte déjà pour aller sepromener dans mon cou, descendre encore, visitermon décolleté, puis frôler la peau fine de mes seins,juste au-dessus de ma dentelle. Quand je le croisdoux, tendre, appliqué, il devient sauvage et resserremes seins contre son visage. Il se met à me dévoreralors qu’il me savourait. Et quand il remonte à mahauteur, c’est pour me retourner d’un geste brusqueface au mur.

Le contact froid me fait gémir, mais moins quel'amant brûlant collé derrière moi, son souffle courtprès de mon oreille, son érection tendue contre mesfesses. Et ses mains, impatientes, qui se faufilentpartout. L’une fonce dans mon soutien-gorge et

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empoigne mon sein. L’autre court sur mon ventre etdéfait le premier bouton de mon jean, juste assezpour glisser un doigt entre mes lèvres, sous le tissu.Je gémis de plus belle et il resserre son empriseautour de moi, sensuel et puissant, comme le plusgracieux et le plus dangereux des félins : il est toutça à la fois. Derrière, il durcit et j’entends sonsouffle devenir rauque. Devant, il me caresse etm’emprisonne, il me cajole et me malmène à la fois.Je voudrais le toucher, moi aussi.

Mais je ne suis plus qu’une proie entre ses bras.

Mon téton pointe sous la pulpe de son pouce.Mon clitoris brûle sous la magie de ses doigts. Jeplaque mes deux mains sur le mur, renverse ma têtesur son épaule, m’abandonne à ces plaisirs intensessans savoir où ils m’emmènent. C’est bien trop bonpour pouvoir réfléchir. Mon fauve ajoute à sessupplices le bout de sa langue humide derrière monoreille. Le long de ma mâchoire. À la commissure demes lèvres. Puis il mord dans ma bouche

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entrouverte, sans oublier mon sein, sans oublier monsexe. Je décolle presque du sol, entre ses mains.Titanesques, à nouveau. Je laisse le sauvage me fairejouir, si vite… Mais si fort. Entre le mur et soncorps. Le blanc immaculé devant, le chevalier noirderrière. Cet infime espace qui forme tout monunivers.

– C’est comme ça que je préfère Vénus, vivante,frissonnante… grogne-t-il doucement, un souriredans sa voix cassée, et cet accent charmant sur sesmots murmurés.

Ses mains s’éloignent alors de ma peau, monamant lâche sa prise et recule, me faisant retrouverma liberté, en même temps que mon souffle. Sadernière phrase résonne encore dans mes oreilles.J’hésite à me retourner. Ne pas gâcher la magie del’instant, briser la bulle de plaisir qui m’enveloppeencore. Je pose mon front brûlant contre le mur frais,ferme les yeux un moment, expire, inspire, respireencore l’odeur de nos corps emmêlés. Si tout doit

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s’arrêter maintenant, j’en aurai encore profité, justequelques secondes. Si je ne dois plus jamais mesentir si vivante, si frissonnante… j’en aurai le plusparfait souvenir. Et si l’imprévisible sauvage n’en apas encore fini avec sa proie, s’il la laissesimplement respirer une dernière fois avant del’emporter… Eh bien je lui aurai fait croire que jen’ai pas encore fini de résister.

– Qu’est-ce qu’il me reste de mes options ?parviens-je à bredouiller, essoufflée maisprovocante, en lui tournant toujours le dos.

– Je n’ai rien contre cette vue que vous m’offrez,répond-il, intrigué. Mais je préfère vous regarderdans les yeux, si je dois vous parler.

Si je me retourne, il a gagné.

Si son regard vert m’empoisonne, je ne pourraiplus résister.

– Finir de me déshabiller ? insisté-je, têtue. Finir

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de vous déshabiller ? continué-je, joueuse. Oupartir… maintenant que j’ai obtenu ce que jevoulais ? m’amusé-je, presque menaçante.

– Partir n’est plus une option, Vénus. À moins quevous ayez le courage de me le dire en face ? meprovoque-t-il à son tour, doux mais déterminé.

Ne jamais jouer avec un guerrier… Il al’habitude de gagner.

Je me retourne lentement, prenant conscience àchaque mouvement de ma semi-nudité, de monsoutien-gorge que je m’apprête à lui montrer, de messeins clairs qui remplissent un peu trop la dentelle,de mon ventre nu et imparfait, de ma chevelurebouclée sans doute tout emmêlée, de ma boucherougie là où il l’a mordue. Et je me préparementalement à la perfection de son torse nu, de sescheveux bruns à peine en bataille, de sa carrureimposante et de son sourire insolent, de sespommettes saillantes et de cette cicatrice en travers,peut-être une blessure de guerre. Et surtout ses yeux

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militaires, qui vont encore me fusiller.

Et voilà, j’ai perdu…

Je suis perdue, face à lui. Je n’ai plus de mots surles lèvres, plus de provocation en tête, plus dephrases de roman déjà toutes faites. Je n’ai que sesyeux verts dans lesquels me noyer.

– Vous disiez… ? me défie-t-il sans sourire.

Face à mon silence désarmé, le chevalier noirreprend le pouvoir. Mais sans jubiler. Et toujourssans m’approcher. Son regard rivé au mien, il défaitsa ceinture. Puis ouvre le premier bouton de sonjean, d’une façon aussi virile que sensuelle. Il n’arien du pseudo-Chippendale qui fait son numéro. Ceguerrier n’a rien à prouver. Il a juste envie de sedéshabiller. Sans se pencher, il retire ses chaussures,une à une. Se retrouve pieds nus, en jean brut toutjuste ouvert, une image qui réveille mon désir àpeine reposé. Puis il descend la braguette, baisse le

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pantalon jusqu’à ses chevilles, s’en débarrasse enmarchant dessus. Absolument rien ne semble legêner quand il se retrouve en boxer face à moi. Nipudeur ni fierté mal placée. Seulement sa façon à luide ne me laisser qu’une seule option.

Et je ne sais pas ce qui me fait le plus craquer,de son corps d’Apollon ou de sa détermination.

Quand le boxer noir disparaît à son tour, d’ungeste lent et sûr, un frisson me parcourt les reins. Iln’y a pas d’imperfection chez cet homme. Et tout ceque vous imaginez être beau se révèle chez luisublime. Avec plus de grâce, plus de force. Au-delàde toutes vos espérances. De vos rêves érotiques lesplus inavouables.

Comme aimantée, j’avance à nouveau vers luisans réfléchir. À petits pas glissés. Moi qui metrouve si maladroite, parfois, si lourde et empotée,j’ai l’impression de flotter. Il me laisse venir à lui,sans bouger. Son regard vert ambré me détaille

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encore, curieux, gourmand, intéressé. Etencourageant. Comme si chacun de mes pas en avantétait pour lui une victoire.

Et pour moi une promesse…

Quand j’arrive à sa portée, le guerrier nu tend lamain. J’y glisse timidement la mienne. Il tire pour memener à lui. J’ai envie de l’embrasser, il pense queje vais parler. Son index se pose sur ma bouche puisglisse sur mon épaule pour faire tomber ma bretelle.Il recommence de l’autre côté. Dans le plus parfaitdes silences. Il n’a besoin que de deux doigts dansmon dos pour faire céder l’agrafe. Et c’est avec lamême lenteur, la même assurance, la mêmesensualité que pour lui-même qu’il achève de medéshabiller. Mon soutien-gorge rejoint son boxer.Mes chaussures volent et mon jean clair glissejusqu’à retrouver le jean brut. Ma peau frémit sousle bout de ses doigts. Et c’est ma dentelle qu’il faitrouler en dernier le long de mes cuisses, passer unpied, puis l’autre.

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Jamais je n’ai eu le sentiment d’être siprécieuse.

Et si bien mise à nue.

Comment le sauvage de tout à l’heure a pudevenir ce gentleman tout en délicatesse ? Et à quelmoment va-t-il rebasculer, en m’entraînant avec lui ?À court d’options, je le laisse mener la danse. Sanssavoir quel genre de désir brûle derrière ses irisverts. Mais ils sont plus brillants que jamais.

Il pose une main sur ma joue, relève légèrementmon visage. Il semble avoir décidé que le momentde m’embrasser était arrivé. Mon cœur accélère etmon souffle est de plus en plus court à mesure qu’ilapproche. Mais à quelques millimètres, il s’arrête.

Est-ce que mon guerrier cruel, de retour, auraitune autre idée en tête ?

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Je respire son air pendant qu’il me fait languir.Ces secondes sont les plus longues de monexistence. Les plus chargées en désir aussi, entensions, en émotions. Aucun de nous n’ose bouger.Jusqu’à ce que le voyou me soulève brusquement dusol, une main sous chaque cuisse, et m’emporte aveclui. Pas très loin, sur l’immense tapis où il medépose. Avec une lueur nouvelle dans ses yeuxembrasés.

– Il y a des choses que j’aime : l’art, les voitures,les courbes de votre corps, la profondeur de votreregard, me murmure sa voix cassée. Mais je n’aimepas parler, m’explique-t-il en posant ses mains à platsur le tapis, de chaque côté de ma tête, son corps medominant sans me toucher.

– Alors taisez-vous… soufflé-je sans réfléchir,comme s’il n’y avait rien d’autre à dire.

Il ne doit pas être habitué à recevoir des ordres.Mais celui-ci fait mouche et je récolte le pluspassionné des baisers. Finalement, c’est lui qui me

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fait taire, de la plus délicieuse des manières. Et jesens mon corps se tendre sous le poids du sien, monsang se réchauffer, mes sens se réveiller. J’emmêle ànouveau mes doigts dans les cheveux doux,m’agrippe à la nuque solide, promène mes onglesdans son dos pendant qu’il m’embrase de sa langue.Mes cuisses s’écartent pour l’accueillir tout contremoi. Son sexe tendu me frôle et une vague de désirme donne la chair de poule.

Je vais vraiment faire ça… L’amour avec unpresque inconnu. Un homme dont j’ignore encore lenom. Et dont les yeux verts ont suffi à faire tombertoutes mes barrières. D’une main ferme sur mon sein,il m’interdit de réfléchir. D’une bouche dévorantmon téton, il me ramène à lui, ici et maintenant. Nousdeux sur ce tapis.

Et mon corps qui en redemande… quis’abandonne au guerrier sexy.

Je le sens s’éloigner un instant, faire un bruit de

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papier que l’on froisse ou d’emballage que l’onouvre. Même ça, il le fait avec grâce, assurance etvirilité. Il me désarme. Rien ne me semble plusnaturel, plus évident. Et surtout plus urgent. Tout moncorps le réclame. Mais contrairement au sauvage quim’a fait perdre la tête un peu plus tôt, cet amant-là serévèle dangereusement patient, presque nonchalant,prêt à me faire lentement repousser mes limites.

Il relève ma cuisse le long de sa jambe, la perchesur sa hanche et se rapproche encore un peu plus. Sabouche frôle la mienne, le bout de sa langue faitmine de s’immiscer et recule, son regard brûlantm’enveloppe… Je suis prête à le supplier, à briserle silence, quand il me possède enfin, d’un long etlent coup de reins. Je retiens mon souffle et le gardeserré à l’intérieur de moi, le plus longtempspossible, comme s’il m’était impensable de lerendre. C’est lui qui reprend sa liberté, et je croisvoir un infime sourire étirer ses lèvres humides.J’approche mon visage pour l’embrasser, il me

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refuse ce baiser et me pénètre à nouveau, sansprévenir, juste pour le plaisir de m’entendre gémir.

Je peux sentir chaque centimètre de son sexe,cette brûlure divine et indécente qui me fait perdretous mes repères. Chaque fois qu’il s’éloigne est undéchirement. Chaque fois qu’il revient, une guérisonéphémère, un soulagement meilleur encore que leprécédent. Je l’accueille en moi, de plus en plusloin, mais de moins en moins longtemps. Et je nesaurais pas choisir ce que je préfère de toutes cessensations. Heureusement qu’il ne me laisse pas lechoix, accélérant la cadence de ses hanches, mepercutant plus fort, plus vite, sans jamais s’arrêter,sans jamais faiblir. Ce crescendo me fait décoller,mon bassin s’envole pour mieux l’épouser et monamant insatiable grogne en m’entendant crier.

J’atteins l’extase sous ses yeux vert ambré, il meserre fort en me sentant trembler, et mon guerrierjouit en silence, le regard rempli de feu, sa peauluisant de sueur, son corps fusionné au mien, sa

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bouche qui ne dit rien. Mais qui m’embrasse encore,me frôle et me mord. Et finit par murmurer, de savoix rauque et essoufflée :

– Vénus… Vous n’avez rien à lui envier.

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5. « S » comme…Sérénissime !

Se réveiller après une nuit d’amour inoubliableest une chose. Se réveilleur, seule, dans un silenceassourdissant, au beau milieu de l’hôtel particulierd’un inconnu aussi riche que mystérieux, en est uneautre – d’autant plus bouleversante. D’hier soir, jeme souviens seulement de l’ascenseur intérieur,d’être montée au troisième étage, d’avoir tourné àgauche puis d’être tombée nez à nez avec une statue.Après ça, rien. Le mur. Le tapis. Le lit. Lui.

Lui qui s’est envolé…

Est-ce que je me suis vraiment endormie aussivite… après ce troisième round ? !

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Ce matin, l'étage est inondé de soleil. Hier, jen’avais pas vu les verrières bordées de noir, ou degris très foncé. Cette modernité, dans un stylepresque industriel, contraste avec le parquet ancien àchevrons, dans un bois clair et tellement ciré que jepourrais me voir dedans. La pièce où je m’éveille,un peu sonnée, m’a tout l’air d’une suite si j’en croisla chambre semi-ouverte sur un immense salon. Jequitte le lit – bien trop grand pour moi seule, en medemandant si ça se fait de déambuler nue chez unétranger.

À part cette Vénus en bronze, qui sait sur qui jepourrais tomber ?

Je reconnais le vaste tapis du salon, dans les tonsgris clair, et je n’ai même pas besoin de fermer lesyeux pour revivre mes folies de la nuit. Sa peaudorée, ses muscles tendus, son corps fusionné dansmon corps. Et moi qui n’ai jamais soupiré si fort. Jesecoue la tête pour chasser ces images, ces sons, cesodeurs et ces sensations de mon esprit. J’aperçois

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mon chemisier, mon jean et mes sous-vêtements,ramassés et soigneusement déposés sur le dossier ducanapé.

Est-ce que c’est lui, mon gentleman voyou, quis’est donné la peine de faire ça… ?

J’enfile ma chemise, à peine assez longue pourcouvrir ce qu’il faut, et je continue à arpenter l’étageensoleillé. Avec sa déco épurée, dans un stylescandinave, je viens de décréter que c’était monniveau préféré des quatre, même si je n’ai pas visitéles trois autres. Le canapé est en fait une longuebanquette au dossier bas, formant un U, capabled’accueillir une vingtaine de personnes, à l’aise,dans un tissu gris un peu plus foncé que le tapis.Quelques plaids blancs sont jetés ici et là, quelquescoussins aux couleurs clairs et, au milieu, trône unetable basse qui ressemble à l’œuvre d’un décorateurfou : un rassemblement de caissons de différenteslargeurs, hauteurs, coloris et matériaux, mêlant lebois blond, le blanc laqué, le taupe et le métal clair.

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Je n’ai jamais vu une chose pareille. Et mon premierréflexe est de me pencher pour voir si l’un deséléments, en creux, recèle quelques secrets.

Les gens normaux auraient caché là leurtélécommande, leur magazine de mots croisés ou descatalogues qu’ils ne feuillèteront jamais, mais n’ontpas eu envie de jeter. Mais qu’est-ce qu’un typerichissime peut garder sur ou sous sa table basse… ?

Et pourquoi, moi, je reste là à fouiller au lieu deprendre mes affaires et de m’en aller ?

S’il avait voulu que je reste, il me l’auraitproposé. Mieux : lui aussi, il serait resté, etm’aurait offert les croissants avec le café !

Et s’il a des caméras de surveillance qui filmenttout ça, je devrais peut-être songer à arrêter deparler toute seule… à voix haute.

Rien, dans aucun des recoins du meuble design.

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Pas un magazine avec le nom de son propriétaireécrit derrière, pas de petit bout de papier oublié, destylo qui n’écrit plus ou de piles dont on ne sait plussi elles marchent ou pas. Soit cet homme estparticulièrement soigneux, soit il ne vit pas vraimentici. Et mon enquête pour découvrir son identité nefait que se corser.

J’avance vers un buffet bas, dans un joli bois :fermé à clé. Je trouve un peu plus loin une petiteconsole blanche épurée : rien dans les tiroirs – dontle dernier, un peu coincé, me reste dans la main.J’arrange tout ça et m’éloigne de ce meuble mauditen me faisant la promesse de ne rien abîmer avant departir d’ici.

Si j’arrive à en partir un jour…

Tout au bout du salon, au-delà des baies vitrées,j’entrevois une terrasse, à peu près aussi vaste quecet étage. Je retourne chercher mon jean, l’enfile etfourre ma culotte en dentelle dans la poche arrière

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puis j’accède à l’espace extérieur, à ciel ouvert, quidonne sur un jardin arboré, parfaitement entretenu, àl’abri des regards. La terrasse se poursuit en unbalcon filant et je peux presque faire tout le tour del’hôtel particulier. En me penchant un peu sur larambarde, j’aperçois la cour par laquelle je suisentrée hier soir, et un autre homme, toujours vêtu denoir, debout près de la grille.

Je ne suis donc pas seule ici. Et il est grandtemps que je m’en aille, avec ou sans réponse àtoutes mes questions !

Je rejoins en courant le troisième étage, commeune petite fille prise en flagrant délit de bêtise,retrouve mes chaussures et mon sac, reprends lecouloir puis appelle l’ascenseur. Je sais que je doisdescendre tout en bas mais je ne peux pasm’empêcher d’appuyer sur le bouton du deuxième,qui ne répond pas, puis du premier, apparemmentinaccessible lui aussi. Le bouton noir du rez-de-chaussée se colore en rouge quand je l’actionne

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finalement. Et de nouvelles questions me taraudent :qui habite dans un hôtel particulier dont deuxniveaux sur quatre sont verrouillés ? À moins que letroisième niveau soit uniquement la garçonnièreluxueuse réservée aux conquêtes d’un soir de cetinconnu ? Mais s’il avait voulu se débarrasser demoi dès ce matin, pourquoi ce garde du corps ne secharge-t-il pas de me mettre dehors ?

Je me retrouve dans l’immense hall d’hier soir,meublé de blanc et de bois clair, et décoré dedizaines d’œuvres d’art, tableaux accrochés auxmurs, sculptures trônant dans les angles ou petitsobjets précieux perchés sur des meubles design.Mon guerrier n’a peut-être pas de nom, mais il nemanque pas de goût. Et d’amour pour les belleschoses.

Et si je n’en suis qu’une de plus à sa collection,ce sera déjà pas mal…

Je n’arrive pas à être en colère de son départ, de

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ses mauvaises manières de séducteur qui disparaîtaux premiers rayons du soleil. Je n’en veux mêmepas à moi-même d’être tombée dans les griffes d’unprédateur qui m’abandonne lâchement dans satanière. Cette nuit a été plus intense que toutes cellesde ma vie réunies. Et moi qui m’étais juré de melaisser aller, d’écouter mes envies et d’assouvir mesdésirs, c’est plus que réussi. Mais repartir sans unnom, sans un mot, sans rien d’autre que messouvenirs, ça gâche tout. C’est comme si cette nuitn’avait jamais existé. Et je refuse que le gentlemanvoyou me vole ça, un signe, une trace, un quelconqueadieu.

Un joli petit point à la fin de cette si bellephrase. Une parenthèse pour refermer la première.Pas un grand final, juste une dernière page, à lahauteur du roman éphémère et sublime qu’a étécette soirée. Est-ce que c’est vraiment tropdemander ?

En me dirigeant vers la lourde porte d’entrée – en

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traînant les pieds pour exprimer mon profondmécontentement, sinon ce n’est pas drôle –j’aperçois une liasse d’enveloppes ouvertes et delettres posées sur un petit guéridon cylindrique,taillé dans un tronc d’arbre.

Petit un : les décorateurs devraient arrêter defumer la moquette.

Petit deux : les êtres humains devraient arrêterde se fixer des règles comme « on ne lit pas lecourrier des autres ». C’est ridicule.

Je vérifie que l’homme en noir regarde vers larue et écarte du bout des doigts les feuilles de papierpour essayer d’apercevoir une adresse, un nom, unesignature, n’importe quel indice. Certains textes sontécrits dans une langue que je ne connais pas – sansdoute scandinave – et que j’ai même du mal àdéchiffrer, avec des « o » barrés et des petites bullessur les « a ». Charmant mais pas très instructif. Je mereporte sur ce que j’arrive à lire, en français, et

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découvre sur plusieurs lettres l’en-tête del’ambassade du Danemark en France, l’adresse lasituant à quelques numéros d’ici, dans la mêmeavenue Marceau.

Mon sauvage de la nuit dernière,ambassadeur ? ! Non, trop jeune, trop beau et bientrop fougueux pour ça.

Mais s’il y travaille, à un poste assez élevé, çapourrait expliquer le garde du corps et l’hôtelparticulier…

Cet accent envoûtant… c’était donc du danois ?

Je me sens lentement mais sûrement craquer unpeu plus pour l’inconnu sans nom, mais qui amaintenant, peut-être, un métier et une nationalité. Etqui parle une autre langue, avec de jolis petitsdessins sur les lettres, et qui pourrait l’apprendre ànos enfants…

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N’im-por-teu-quoi !

Je me ressaisis, essaie de m’arrêter de sourirebêtement et pense à ce que je vais bien pouvoir direà l’homme en noir qui me verra m’enfuir. Je tireenfin sur la lourde porte de l’entrée. Sur laquelle estscotchée une petite enveloppe où figure mon prénominscrit au feutre noir.

Le même qui m’a griffonné sur le bras hier… ?

On se calme, le ventricule droit ! Et on n’oubliepas d’envoyer du sang dans le gauche !

Je déchire fébrilement l’enveloppe et découvre lepetit mot manuscrit qui m’est adressé :

« Je ne regarderai plus jamais cette statue de lamême manière… Merci pour cette parenthèseenchanteresse, Vénus. S »

Boum boum boum. Ventricule. Ventricule.

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Il referme peut-être la parenthèse, mais il m’a faitses adieux. Et en français dans le texte. Mon voyouest donc aussi un parfait gentleman… Et il n’a peut-être toujours pas de prénom, mais j’ai au moins uneinitiale. Et la plus sensuelle de toutes, qui serpenteencore dans mes veines, comme mon désir pour lui.

Là c’est sûr, j’ai atteint le niveau zéro duromantisme… et la débilité profonde.

Avec mon cœur qui cogne et ma bouche qui sourittoujours, je traverse la cour. L’homme qui garde lagrille me l’ouvre aussitôt. Je peux deviner de grosmuscles sous son costume noir, ses cheveux blondssont coupés ras, façon soldat, mais il a un air sympa,un peu juvénile, et des yeux très doux, d’un bleusombre presque gris. Son regard me rassure et je luisouris poliment, un peu gênée, en cherchant quelquechose à prononcer.

« Merci pour tout » ? « À bientôt » ? « Sympa,la baraque » ? « Je n’ai rien volé, vous savez ! » ?

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Je pense d’abord me contenter d’un petit signe dumenton mais mon pouls rapide et l’hystérie que jetente de contenir me poussent à la faute.

– Guten Tag ! lancé-je spontanément, pleine debonne volonté.

– Ça, c’est de l’allemand, m’explique-t-il enanglais, amusé de ma maladresse. Et ça veut dire« bonjour », sourit-il, à la limite de se moquer.

– Oh, sorry ! Alors… au revoir, balbutié-je enmourant de honte, avant de me mettre à courir.

Sur le trajet qui me ramène chez moi, monsentiment de légèreté s’envole, mes idéess’obscurcissent. Deux métros plus tard, j’arriveenfin dans ma grotte. Je rêve de me glisser sous lacouette, dans le silence et le noir total. Juste pourfaire le point, pour retrouver une respiration normaleet un semblant d’activité cérébrale.

Mais quand ma clé ouvre la porte, plusieurs voixmasculines me parviennent et mon entrée ressemble

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à un cimetière de baskets usées. Quatre paires, pourêtre précise. Et je sais déjà à qui elles appartiennent.

– Ma sœur préférée ! tente de m’amadouer Elliot.Ça va ? T’as vu, j’ai demandé aux gars de retirerleurs chaussures !

– Super ! soupiré-je en entendant les guitares setaire. On remballe, vous avez à peu près deuxminutes avant que je vous mette dehors, leur souris-je à tous les quatre.

– Ok, moment mal choisi, je vois… Mais on esttrop à l’étroit pour répéter chez moi.

– Je sais, El’. Juste… pas aujourd’hui.– On y va ! m’embrasse-t-il sur le front sans me

poser plus de questions.

J’en étais à combien de mojitos, déjà, quand j’aiaccepté que le groupe de rock d’Elliot prenne monappart’ pour une salle de concert ?

Les E.T.’s, franchement, est-ce que c’est un nomqui ressemble à quelque chose ? Tout ça parce que

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mon frère est fan de l’extraterrestre de Spielberg etque le petit héros du film s’appelait Elliot…

– Les « Itiz », on décolle ! lance mon chanteur defrère à son guitariste, son batteur et son bassiste.

– C’est ça, téléphone maison ! renchéris-je enpointant mon index vers la sortie.

La porte se referme sur les quatre extraterrestreset mon frère m’envoie illico un texto pour me direqu’il n’est pas loin, quand j’aurai envie d’en parler.Je lui réponds seulement que je le sais et que jel’aime. Ça suffit pour qu’on se comprenne.

Une fois dans mon lit, c’est le visage de Dean quis’imprime sur le plafond que je fixe. Je chassel’image de mon ex et tous les échecs qui vont avecmais ils sont tenaces. Mon malaise teinté de tristessene fait que grandir. Puis les yeux verts reviennent,les éclats de marron, l’accent et la voix cassée, lalettre S qui serpente au plafond, et ses bras que jepeux encore sentir s’enrouler autour de moi. Je

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m’étais fait la promesse de ne plus avoir peur. Peurd’aimer, peur de souffrir, peur de me tromper. Maisces trois angoisses m’assaillent au point de me fairemonter les larmes. Je les chasse, elles aussi, d’unrevers de la main. Et je me jure d’être meilleure.Cette fois, je ne laisserai pas un homme contrôler mavie. Écrire une nouvelle page à ma place. Ni « S » nipersonne.

***

[Brunch au café du Temple ! On t’a commandé unmimosa, accélère si tu veux éviter que Pennyl’aromatise au Tabasco ! Margo]

Pénélope est un peu sadique sur les bords. Cetteblague-là, elle me l’a déjà faite plusieurs fois. Pourse venger de mes éternels retards, mais surtout pourse bidonner en voyant mon visage rougir, gonfler etmes yeux se remplir de larmes. Je ne supporte pastout ce qui est épicé. Enfin, du moins, pas dans mon

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assiette.

[Le petit flacon rouge se rapprochedangereusement de ton verre… Penny]

Cette fois, hors de question de lui laisser ledernier mot.

[Je ne céderai pas à cette tentative d’intimidation.Je glisse mon gros scotch dans mon Marc Jacobs etj’arrive. Em’]

J’enregistre mon fichier en cours – cinq millesignes écrits en moins de deux heures : il faut croireque mon coup de folie de la veille m’a inspiréeautant qu’il m’a secouée. Je ferme mon ordinateur enfaisant claquer le clapet, trottine jusqu’à l’entrée,enfile mes sandales, secoue mes boucles et attrapemon sac à main – le cadeau de Mme Sadique pourmes 30 ans.

Dix minutes de marche plus tard, j’arrive sur la

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terrasse ombragée de notre QG et embrasse l’uneaprès l’autre mes complices de toujours. Toujours ?Pas vraiment, mais c’est pourtant mon sentiment. J’aicroisé Margo dans une petite librairie de monquartier il y a un peu plus de dix ans. Je venais pourfaire le plein de romances, elle venait pour unedédicace de je ne sais plus quelle styliste qui sortaitun bouquin. Sauf qu’elle s’était pointée le mauvaisjour – pour elle, mais pas pour moi. Sans cetteerreur, je ne l’aurais jamais rencontrée. Elle avaitl’air si déçu dans sa robe à froufrous créée justepour l’occasion que pour la consoler, je lui aiproposé de prendre la ligne 8 direction Fauchon.Elle s’est enfilé plus d’éclairs que moi et depuis cejour, impossible de me passer d’elle et de sa visiondélicieusement utopiste du monde. Pénélope, elle,est venue m’aborder il y a sept ans, au beau milieud’une boîte de nuit. Quand je dis « m’aborder », jedevrais préciser qu’elle était prête à m’arracher lescheveux pour avoir osé la bousculer du bout de monpetit doigt. Une bonne engueulade, trois cocktails et

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un remix de Britney Spears plus tard et nous étionsles meilleures amies du monde.

– Toi, tu as ta tête de dévergondée ! me souritPénélope en poussant le fameux mimosa dans madirection.

– Un bloody mary, s’il vous plaît ! signalé-je auserveur en rougissant.

– Attends ? Tu ne l’envoies pas bouler ? réagitMargo en délaissant son omelette aux légumes deprintemps.

– Ce n’est pas comme si j’avais eu le temps ! ris-je jaune en essayant de sauver les apparences.

Raté. Elles me connaissent trop bien, ces deux-là.Après un interrogatoire musclé, je suis obligée deleur révéler la vérité. J’aurais préféré attendrequelques jours, histoire d’y voir un peu plus clair,mais face à ces deux paires d’yeux qui me fixentsans ciller, je vide mon sac :

– Le gentleman voyou… fais-je d’une petite voix.

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Il m’attendait en bas de chez moi hier.– Comment il a eu ton adresse ? se rembrunit

Pénélope.– On s’en fout ! Il a fait ce qu’il fallait pour la

retrouver, c’est romantique ! Qu’est-ce qu’il t’a dit ?Il t’a sorti le grand jeu ? Ou alors c’est un ours malléché qui cache en fait un grand cœur ? s’exciteMargo en trépignant sur sa chaise.

Le serveur dépose mon verre, je croque dans lebâton de céleri puis le repose pour continuer :

– Il m’a dit qu’il avait quelque chose à memontrer…

– Ah ! s’exclame la brune en levant les yeux auciel. Typique ! Et laisse-moi deviner, ce quelquechose se trouvait derrière sa braguette ?

– Arrête de voir le mal partout, rabat-joie ! larembarre la rousse.

– Je peux continuer ? gloussé-je en leur balançantdes sachets d’édulcorant.

– Ah ! Non ! C’est toxique ce machin ! se défend

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Margo.– Ils ne sont même pas ouverts, cruchette…

soupire Penny.

Je mets un temps fou à leur raconter la suite – enne rentrant pas exagérément dans les détails. Mesdeux amies sont scotchées. Margo me félicite et seréjouit déjà de le rencontrer – ce qui n’estabsolument pas prévu – tandis que Pénélope meregarde de ses yeux chafouins.

– J’aurais choisi Démétrius, moi. Ton « S » refusede se dévoiler, de jouer franc-jeu, Emma. J’ai peurque ça finisse mal…

– Un : j’ai couché avec « S », point barre. Jen’attends rien d’autre.

Menteuse…

– Deux : l’alchimie, l’attirance, ça ne s’expliquepas, reprends-je. Démétrius a tout pour plaire mais ilne me plaît pas. Pas dans ce sens-là…

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– Tu veux dire pas la tête en bas et la crouperelevée ? pouffe Margo, très fière de sa blague quise veut salace.

– Tu comptes le revoir, ton brun ténébreux ?Enfin, tu l’espères ?

– Pénélope, je n’en sais rien, m’impatienté-je unpeu.

Menteuse bis…

– C’est lui qui est aux commandes, si jecomprends bien…

– Quelles commandes ? me rebellé-je. J’ai tenumes nouvelles résolutions ! Je me suis laissée aller,sans me poser de questions, comme tu me leconseillais. Personne ne dicte ma conduite,personne ! Pas même un dieu vivant au corps parfait,aux yeux de fou et…

– Au compte en banque qui déborde.– Penny ! me défend Margo.– Tu insinues quoi ? grogné-je en direction de la

brune qui lève les mains en signe de paix.

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– Relax Emma, j’ai été maladroite ! s’excuse-t-elle. Tu n’es ni naïve, ni superficielle, ni vénale, jele sais. C’est justement pour ça qu’il n’a pas intérêtà te faire du mal…

– Crois-moi, hier, il ne m’a fait que du bien, ris-je en croquant à nouveau dans mon légume.

Changement de sujet. Pénélope nous raconte sa –presque – nuit d’amour avec Rémy. C’était bien partiapparemment, jusqu’à ce qu’une crise subited’éternuements vienne tout gâcher. Après un appel àSOS médecin pour s’assurer qu’elle n’était pas endanger de mort, Penny était rassurée. La crise a finipar passer mais trop tard : la magie du moment avaitdepuis longtemps foutu le camp. Margo glousse etenchaîne sur sa nouvelle collection : elle acommencé à coudre une dizaine de pièces, avant deréaliser que personne à part elle n’accepterait deporter un imprimé tête de hérisson. Nous partageonsun dessert pour trois, Penny se charge de la chantilly,Margo des fruits de saison, moi du chocolat coulant.

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– Au fait, j’ai trouvé la robe qu’il te fallait pource bal… me signale Margo au moment de quitter lerestaurant.

– Parfait. Il ne te reste plus qu’à trouverquelqu’un pour la porter.

– Allez Emma ! me secoue Pénélope, qui vient depayer la note. Vas-y, sinon tu vas le regretter ! C’estVersailles, merde !

– Je ne veux pas que Démétrius se fasse desidées.

– Il a compris ! Il ne va pas te sauter dessus ! Etpuis ça t’aidera à penser à autre chose…

– Pas faux, murmuré-je en réalisant que jen’attends qu’une chose.

Que « S » me contacte. Par n’importe quelmoyen.

Et ces deux greluches le savent parfaitement.

Va pour ce foutu bal masqué !

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Ohé ohé…

***

À l’issue d’une discussion via e-mails – pendantlaquelle j’insiste lourdement sur le mot « amitié » –Démétrius et moi décidons de nous appeler. C’estplus simple comme ça. L’éditeur tente une nouvellefois de me débaucher, puis remet le sujet du bal surle tapis.

– Emma, vous ne pouvez pas manquer ça. Et, trèshonnêtement, j’aurai l’air de quoi sans vous à monbras ?

Cet homme sait vous charmer à force de motsbien ciblés et ne manque pas de verve, je le laissedonc s’exprimer un bon moment avant de lui avouerque j’ai changé d’avis et que je me ferai un plaisirde l’accompagner. Le chevalier blond en perdpresque son latin, avant de me balancer soudain :

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– Je passe vous prendre à 19 heures ! Et je peuxvous faire livrer une robe… Dior ? Chanel ?

– J’ai ce qu’il faut, merci. À moins que vous ayezpeur que je vous fasse honte, ris-je.

– Vous ? Me faire honte ? Je n’ose l’imaginer…– Alors à demain, Mr White.– Il me tarde d’y être ! Je vous embrasse Emma…– Démétrius !– En toute amitié, je vous assure !– Soit, m’amusé-je d’une voix pompeuse, pour

l’imiter. Bonne soirée.– Vous de même.– Vous pensez qu’on peut s’arrêter là niveau

politesses ?– Oui c’est préférable.– Très bien, je raccroche.– Je vous en prie.– Démétrius, taisez-vous ou je n’y arriverai

jamais !– Vous voyez, vous ne pouvez plus vous passer de

moi, vous non plus.

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Je ris malgré moi et raccroche enfin, en luilaissant le dernier mot. Je crois que j’ai trouvé plusfort que moi en la matière. Plus obstiné, en tout cas.

***

Le trajet file aussi vite que la Rolls-Royce sur lebitume. Dans ma robe longue aux nuances dorées, jeflotte dans un cocon, aux côtés d’un homme volubilemais fort agréable, qui me parle d’art, de littérature,de cinéma et de toutes ces choses qui le passionnent,comme moi. Je me mets à croire en une amitiépossible entre nous deux. Démétrius me fait penser àStan par moments, à Elliot aussi. Une multitude defacettes se cachent dans l’esprit de cet esthète encostume trois-pièces.

Les bonnes manières, il les manie si bien qu’ilsemble les avoir apprises au berceau. Ou alors c’estjuste un beau parleur accompli. Démétrius mecomplimente sans jamais me mettre mal à l’aise –

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progrès notoire ! –, m’aide à m’extraire de lavoiture, m’offre son bras pour monter les marches del’Orangerie, en contrebas du château de Versailles. Ilme révèle ce qu’il sait des uns et des autres à mesureque nous les croisons. Démétrius semble connaîtretout le monde et se sentir comme un poisson dansl’eau, mais il ne me délaisse pas une seule fois pouraller s’entretenir avec ces énergumènes de la haute.Il reste avec moi, coûte que coûte, et se contente dehocher la tête en direction de ses connaissances.

J’apprécie de plus en plus sa compagnie.

Même si c’est un autre qui hante mes pensées…

Un serveur me tend une coupe, je m’en emparevolontiers et trinque avec mon cavalier. L’orchestredébute un nouveau morceau – classique etmélodieux, que j’ai déjà entendu sans jamaischercher à en savoir le titre – tandis que j’étudie ledécor qui m’entoure. Par sa hauteur, son ampleur, labeauté de ses lignes, l’Orangerie est un bijou

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d’architecture. La galerie centrale est jolimentvoûtée et éclairée par des grandes fenêtres. La nuitvient de tomber, des illuminations extérieuresviennent parfaire ce spectacle ravissant. Perdue dansma contemplation, je remarque à peine queDémétrius me mène jusqu’à la piste de danse.

– Emma, me ferez-vous ce plaisir ? me sourit leblond espiègle.

– Oui, mais je ne donne pas cher de vosmocassins en cuir italien… gloussé-je encommençant à tournoyer.

– Il faut vivre dangereusement, paraît-il, sourit-ilen menant la cadence.

Pas franchement gracieuse au début, je me laisseenfin porter par le mouvement et ne trébuche qu’uneou deux fois, rattrapée in extremis par Mr White.Autour de moi, les couples virevoltent lentement, lestenues dévoilent toute leur magie, les souriress’échangent. Une harmonie d’un autre temps, presqued’une autre planète, dont je ne me lasse pas. Je me

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croirais dans un roman de Fanny Burney, HenryFielding ou Jane Austen. Mais dans un univers plusluxueux encore.

La bulle dans laquelle je me suis retranchéeéclate lorsque le maître de cérémonie, engoncé dansson costume noir aux liserés dorés, accède àl’estrade en hauteur et lève la voix pour annoncerl’arrivée d’un haut dignitaire.

– Son altesse sérénissime Soren KonstantinGustav Ostergaard, prince héréditaire du royaume duDanemark.

Tous les visages se tournent vers la grande portequi se referme derrière un individu en costumeofficiel barré d’une écharpe bleu pâle. Je le discernemal, bloquée derrière un géant chauve, mais jeremarque qu’il est accompagné d’une jeune femmeblonde dans une robe à la traîne interminable.

– S ? ! m’écrié-je, chavirée, alors que je le

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reconnais enfin.

Mon intervention me vaut quelques regardsappuyés – en particulier celui de Démétrius – maisje les vois à peine, le sang menaçant de quitter mesextrémités.

Respire, Emma. Souffle. Fais le chien. Remue lesorteils.

– Tout va bien ? me chuchote mon cavalier.– Oui ! dis-je à nouveau trop fort. Enfin non. Je ne

sais pas. Je…

Prise au piège. Les iris militaires viennent deplonger dans ma direction, et Soren – puisque c’estson nom – marque un temps d’hésitation avant dereprendre son chemin sur le tapis rouge. Saprincesse lui murmure quelque chose à l’oreille, ilsourit puis me jette un nouveau coup d’œil. Cettefois, il prend également le temps d’étudierDémétrius. Son expression change, son regard se

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resserre, son corps pourtant immense prend plusd’ampleur encore. Les yeux verts me détaillent ànouveau et enfin… un sourire. En coin, discret, maisréel.

Soren Konstantin Gustav Ostergaard… Unprince ! Un vrai de vrai !

– Vous le connaissez, ce Soren Oster Truc ? medemande Démétrius. Vous n’avez pas eu l’air de lelaisser indifférent. S’il croit que son titrem’impressionne, il se trompe. Ce soir, vous êtes àmoi !

Et un triangle amoureux, un !

Au secours ! Je suis devenue une héroïne deroman ! Sortez-moi de là !

À suivre,

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ne manquez pas leprochain épisode.

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Bliss - Le faux journal d'une vraieromantique, 2

Bon, un prince reste un homme malgré tout, non ?Pas de quoi fouetter un chat, si ? À moins que cebrun ténébreux ait des yeux à se damner, un charismeà vous faire frémir et un corps d’Adonis pour lequelon vendrait petit frère et meilleures amies… Oui,Soren paraît trop beau pour être vrai.Et parce qu’apparemment, les hommes fabuleuxtombent toujours du ciel deux par deux… CeDémétrius, qu’est-ce qu’il me veut ? Un blond, unbrun. Un intello aux petits soins, un prince voyou quime prend pour son joujou. Non mais franchement,dans quel monde vit-on ?

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