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150 ans de revendications de bilinguisme judiciaire : de Louis Riel à Michel Bastarache & Hommage posthume à Michel Lavigne Grâce à la participation de plusieurs personnes dont Céline Bossé, Claude Boutin, Diane Boutin, Jean-Mathieu Brassard, Gary Colette, Dany Côté, Suzanne de Courville Nicol, Henri Emond, Dorys Gagné, Elsy Gagné, Myriam Girard, Yvon Godin, Sébastien Grammond, Jacques Hébert, Mathieu Kalenga, Charlie Langevin, Lana Langevin, Gérard Lévesque, Gilles Mossière, Arlette Pregliasco, Jacqueline Simard, Claudette Tardif, Denis Tardif et Inouk Touzin et Estelle Valois, une lecture collective d'extraits d'une partie du texte « 150 ans de revendications de bilinguisme judiciaire : de Louis Riel à Michel Bastarache » a été organisée par la Société franco- canadienne de Calgary (SFCC) et Théâtre à pic, vendredi 29 septembre 2017, de 17h00 à 20h00, dans la salle paroissiale de l’Église Sainte-Famille, 1719 5 E Rue, S.O., Calgary 1. Narrateur Pour cette présentation, nous nous limitons à faire en moins de 120 minutes un survol nécessairement incomplet des revendications du bilinguisme judiciaire car il faudrait sans doute au moins 24 heures pour dresser un portrait vraiment représentatif de 150 ans de luttes pour obtenir justice dans ce domaine. 1

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150 ans de revendications de bilinguisme judiciaire : de Louis Riel à Michel

Bastarache & Hommage posthume à Michel Lavigne

Grâce à la participation de plusieurs personnes dont Céline Bossé, Claude Boutin,

Diane Boutin, Jean-Mathieu Brassard, Gary Colette, Dany Côté, Suzanne de

Courville Nicol, Henri Emond, Dorys Gagné, Elsy Gagné, Myriam Girard, Yvon

Godin, Sébastien Grammond, Jacques Hébert, Mathieu Kalenga, Charlie Langevin,

Lana Langevin, Gérard Lévesque, Gilles Mossière, Arlette Pregliasco, Jacqueline

Simard, Claudette Tardif, Denis Tardif et Inouk Touzin et Estelle Valois, une

lecture collective d'extraits d'une partie du texte « 150 ans de revendications de

bilinguisme judiciaire : de Louis Riel à Michel Bastarache » a été organisée par la

Société franco-canadienne de Calgary (SFCC) et Théâtre à pic, vendredi 29 septembre

2017, de 17h00 à 20h00, dans la salle paroissiale de l’Église Sainte-Famille,

1719 5E Rue, S.O., Calgary

1. Narrateur

Pour cette présentation, nous nous limitons à faire en moins de 120 minutes un survol

nécessairement incomplet des revendications du bilinguisme judiciaire car il faudrait sans doute

au moins 24 heures pour dresser un portrait vraiment représentatif de 150 ans de luttes pour

obtenir justice dans ce domaine.

Dans l’introduction d’une bibliographie de Louis Riel, publiée en 1972 par le Centre de

ressources de recherche du Collège de l’éducation de l’université de Saskatchewan, les

professeurs Harry Dhand, L. Hunt et L. Goshawk, résument la grande influence que Louis Riel a

eue sur le développement du Canada.

2. Le professeur Harry Dhand :

Many French Canadians had considerable empathy for Riel and his cause because of the

common language and religion which they shared. He became the symbol of French

influence in the west, as the rebellion was synonymous with the desire many French

Canadians had to overcome English Canadian oppression and hatred towards the French.

During the House of Commons debates of 1885, the French clearly expressed the opinion

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that Riel was hanged by the government for political expediency, necessitated by

Orangemen support. The French Canadians felt their national existence had been attacked

– that the English speaking majority was determined to end French influence in Canada

both culturally and politically, for all time. That Riel’s death would result in long-lasting,

perhaps permanent, problems for Canadian society, was predicted by numerous editorials

in French newspapers at the time.

3. L. Hunt :

The influence of Louis Riel on the development of the Canadian nation was profound in

that it also laid bare the deep-rooted feeling of English Canadians regarding French

Canadians. It was the Orange Order –a group of Protestant, anti-Catholic, highly pro-

British, English Canadians, that became the focus for aroused emotions… Fearful of

French dominance in the West, the Orangemen used their antagonism as a political

weapon in both 1870 and 1885 to force the Conservative government to act in their

interest. Louis Riel was not the cause of these extreme views, but rather the focal point of

aroused religious and racial emotions in a political climate which was opportunistic and

sometimes ruthless.

4. L. Goshawk :

Few figures in Canadian history are more controversial than Louis Riel. The man, and the

two rebellions which he led in the 19th century, are still of great interest as they were in

the early days of the nascent confederation. But the significance of Riel and the two

rebellions runs deeper than mere interest since the basic issues involved are still haunting

the Canadian mind. An examination and clarification of the issues in which Riel was

intimately involved would aid the development of an understanding of the treatment of

Canada’s first settlers in the West. It may also assist us to understand better the present-

day frustrations and problems of the Métis, Indians and other minority groups in Canada.

(Louis Riel, An Annotated Bibliography, University of Saskatchewan, Saskatoon, p. 5-6.)

5. Narrateur

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La Loi constitutionnelle de 1867 confirme les ambitions du Canada pour acquérir les

territoires à l’Ouest de l’Ontario. Les Métis craignent que la Compagnie de la Baie

d’Hudson vende les terres et, comme du bétail, vendent aussi les personnes qui habitent

ces terres. Louis Riel réussit à unir les Métis francophones et anglophones afin de

présenter des revendications.  En 1869 et 1870, en tant que chef métis, il réussit à unifier

les résidents des Territoires du Nord-Ouest qui parlent français et ceux qui parlent anglais

afin de présenter une liste de droits qu’ils réclament des représentants d’Ottawa. Or, parmi

ces demandes, il y a celle concernant le droit d’employer le français et l’anglais devant les

tribunaux.

6. Louis Riel

« Nous ne voulons pas des demi-droits mais bien tous les droits qui nous appartiennent. »

7. Narrateur

Parmi les revendications des Métis, il y a le bilinguisme législatif et judiciaire. Lorsque le

Manitoba est créé en 1870, des garanties constitutionnelles sont accordées au bilinguisme

législatif et judiciaire. La population étant devenue en majorité anglophone à la faveur des

politiques d’immigration, les droits linguistiques des francophones sont enlevés illégalement. Le

gouvernement ignore les deux décisions judiciaires qui déclarent anticonstitutionnel ce vol de

droits linguistiques. Il va falloir attendre 95 ans avant que des décisions de la Cour sup^rme du

Canada (CSC) réinstituent les droits des francophones. 

8. Narrateur:

Le 22 novembre 1885, Montréal connaît une des plus grandes manifestations de toute son

histoire. Plus de cinquante mille personnes hurlent leur rage à la suite de la pendaison de

Louis Riel. La ville compte alors 140 000 habitants. Pratiquement tout ce que la ville

compte de francophones descend dans la rue. Au nombre des orateurs qui affirment leur

désapprobation, on trouve Honoré Mercier, futur premier ministre du Québec, déjà un

orateur très populaire.

9. Honoré Mercier

« Riel, notre frère, est mort, victime de son dévouement à la cause des Métis dont il était

le chef, victime du fanatisme et de la trahison ; du fanatisme de Sir John et de quelques-

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uns de ses amis ; de la trahison de trois des nôtres qui, pour garder leur portefeuille, ont

vendu leur frère. »

10. Narrateur :

Aucun groupe linguistique n’a le monopole du fanatisme. Il arrive cependant que, les

circonstances le justifiant, même les ecclésiastiques soient portés à généraliser. Le 27

octobre 1887, le père Albert Lacombe écrit à son archevêque, Mgr. Taché.

11. Le père Albert Lacombe :

« Je ne prétends pas être un prophète mais il me semble qu’une grande tempête se pointe à l’horizon. Le courant anglais, avec tout son fanatisme et sa brutalité habituels, tentera de savoir si maintenant est le bon moment pour nous attaquer de front avec une chance de succès. Je m’attends à recevoir les foudres de la tempête, autant parmi les membres de notre législature que dans la presse… »

I do not pretend to be a prophet but it seems to me that a big storm is brewing on the horizon. The English element, with all its fanaticism and its usual brutality, will attempt to find out whether now would not be the time to attack us frontally, with a chance of success. I expect the unleashing of the storm, both among the members of our legislature and in the press… (Translation)

12. Narrateur : Donald B. Smith, professeur au Département d’histoire de l’Université de

Calgary, écrit dans son texte sur l’histoire des francophones de l’Alberta:

La lettre du père Lacombe, écrite en 1887 était prophétique, car moins de cinq ans plus tard, le conseil des Territoires du Nord-Ouest élimine le français à la fois de l’assemblée territoriale, des tribunaux et presque complètement du système scolaire de ce qui constitue aujourd’hui l’Alberta et la Saskatchewan.(traduction)

Lacombe’s letter written in 1887 was indeed prophetic, for within five years the catastrophy occurred. In 1892, the North West Territorial Council eliminated the French language from the territorial assembly, the courts, and almost completely from the schools of what today constitutes the provinces of Alberta and Saskatchewan.

Source : SMITH, Donald, A History of French-Speaking Albertans, p. 82

13. Mot du narrateur

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En 1890, le député de Simcoe-Nord, Dalton McCarthy, présente un projet de loi dont le

seul objectif est de supprimer les dispositions de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest,

S.C. 1875, c.45, enchâssant l’utilisation du français à l’assemblée législative, un droit qui

était alors à l’article 110. En 1988, dans le dossier R. c. Mercure, (1988) 1 RCS 234) la

Cour suprême du Canada va caractériser de la façon suivante l’initiative assimilatrice de

McCarthy :

Le juge La Forest :

…la première étape d’un processus

qui visait ultimement l’élimination

de la langue française dans tout le

pays, un processus qui comprenait

incidemment la tentative d’abolition

par le Manitoba des garanties

linguistiques prévues à l’article 23 de

la Loi de 1870 sur le Manitoba.

…the first step in a process the ultimate goal

of which was the elimination of the French

language throughout the country, a process

which incidentally included the attempted

abolition by Manitoba of the language

guarantees in s. 23 of the Manitoba Act,

1870.

14. Narrateur:

Le 21 février 1890, l’honorable Alphonse Larivière (député de Provencher), prononce

l’un des derniers discours avant le vote de la Chambre des communes rejetant la

proposition de McCarthy. Il rappelle que la protection des minorités a été un enjeu central

des négociations importantes de la Confédération et que c’est à la lumière de ce fait qu’on

doit interpréter les lois entourant la création du Manitoba.

Alphonse Larivière :

Mais, chose étonnante, quand la province du Manitoba a été érigée, ce n’était pas la minorité française ou catholique qui était protégée par l’acte de constitution, parce que les catholiques et les Français formaient la majorité. En conséquence, les lois adoptées pour donner une constitution à la province du Manitoba, l’ont été pour protéger la minorité protestante et anglaise.

But, astonishing to say, when the Province of Manitoba was organized, it was not the Catholic or the French minority that was protected by the enactment, because at that time the Catholics and the French were in the majority. Therefore, the laws which were passed in order to give a constitution to the Province of Manitoba, were passed with the view to protect the Protestant and English

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Maintenant le contraire existe. La population anglaise et protestante a augmenté de telle manière que les Français sont en minorité.

Que voyons-nous aujourd’hui ? Avons-nous jamais vu la majorité, quand le premier état de choses existait, essayer d’enlever les droits de la minorité? Non; mais nous voyons aujourd’hui que la majorité, agissant d’après les vues préconisées par l’honorable député de Simcoe-nord (M. McCarthy) adopte des lois pour abolir la langue française au Manitoba…

Débats de la Chambre des communes du Canada, (1890) 29, page 1010

minority. Today, the reverse exists. The Protestant and English-speaking population has increased, so that now the minority is on the other side.

What do we see now? During the existence of the former state of things, did we ever see the majority attempt to take advantage of their position to take away the rights of the minority? No, but today we see that the majority, acting on the views which have been enunciated by the hon. member for North Simcoe (Mr. McCarthy) are passing enactments to abolish the frenc language in Manitoba…Debates of the House of Commons of Canada, (1890) 29, page 987

15. Narrateur:

Même si le projet de loi de McCarthy est rejeté par la Chambre des communes, celui-ci

revient à la charge, déposant sa proposition francophobe aux sessions de 1891, 1892, 1893,

1894 et 1895. Chacune de ces tentatives d’abolir le français dans les Territoires du Nord-

Ouest échoue.

Le premier des premiers ministres du Manitoba est le franco-manitobain Marc-Amable Girard

qui a aussi été membre du Sénat du Canada (13 décembre 1871 - 12 septembre 1892). Voici un

extrait de l'une de ses interventions en tant que sénateur en 1891. Comme les effectifs d’alors du

Bureau des traductions n’étaient pas à la hauteur de la situation, les francophones qui voulaient

être compris par les anglophones unilingues intervenaient en anglais. 

16. Le sénateur Marc-Amable Girard

“You have been asked by petitioners in all parts of the Dominion to protect the majority from the

evils of the liquor traffic: I am asking you now to protect the minority in one of the provinces and

in the territories from an encroachment upon their rights and privileges. It seems to me that it is

the duty of every member of this House, if he finds a lack of harmony in the province from which

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he comes, to investigate the cause and to suggest a remedy… I must say that the present

Government of Manitoba has dealt harshly with the French minority of the province… It is not

necessary for me to enter into an argument, before a body that is so well disposed towards us as

the Senate is, to show the importance of the French language. At the same time, I may say that

we ask simple justice and we claim a right which should not have been contested in any way…

Under the circumstances, we think we are justified in calling upon the Federal Government to

come to our protection… There are people of French origin, not only in Manitoba, but throughout

the North-West, who are waiting for justice, and they do not understand why they should have to

wait so long for that to which they are fairly entitled.”               Débats du Sénat, 7e lég., 1re sess.

(27 mai 1891), p. 42-43.

17. Narrateur :

En mars 1892, dans la cause Hébert à propos d’élections municipales à La Broquerie, le

juge Louis-Arthur Prud’homme prononce une première déclaration d’invalidité de la loi

de 1890.

18. Narrateur :

Le successeur du sénateur Girard est le sénateur Thomas-Alfred Bernier. Voici une de ses

déclarations en 1894. 

19. Le sénateur Thomas-Alfred Bernier

“In the first place, we have the right to rely on the general promises of protection contained in the

federal constitution as explained during the debates on the resolutions placed before the

Parliament of old Canada in 1865. Then fears were entertained and vigorously expressed by the

opponents of the measure as to the condition in which the minorities might afterwards find

themselves. But it was repeatedly said that all through confederation, and for all time to come, the

minorities would receive protection and be accorded the free and full enjoyment of their

language…Why? Confederation was conceived and passed and adopted expressly with that

view.” Débats du Sénat, 7e lég., 4e sess. (3 avril 1894), p. 101-102.

20. Narrateur

7

 Le 30 janvier 1909, la 2e déclaration d’illégalité de la loi de 1890 éliminant le français est

prononcée par le juge L. A. Prud’homme. 

21. Le juge L. A. Prud’homme :

“I then hold that "An Act to Provide that the English Language shall be the Official Language of

the Province of Manitoba" (R.S.M. 1902, c. 126), is ultra vires of the Legislature of Manitoba and

that consequently s. 23 of the Manitoba Act, 1870 cannot be amended and still less repealed by

the provincial Legislature. I could not come to a different conclusion without doing violence to

both the letter and the spirit of the British North America Act, 1867, and the Manitoba Act, 1870.

The Legislature evidently did not appear to be sure of its right to abolish the French language.

The act contains only two sections: the first has the effect of abolishing the French language and

the second to confess its doubt to do so by stating: "This Act shall only apply so far as this

Legislature has jurisdiction so to enact ...".”

Bertrand v. Dussault, Cour de comté de St-Boniface, le 30 janvier 1909, reproduit dans 1977

CanLII 1635 (MB CA), 77 D.L.R. (3d) 445 at 458.

22. Narrateur :

Dans son ouvrage « L’Ontario français, quatre siècles d’histoire », l’écrivain Paul-François

Sylvestre souligne le rôle prépondérant joué par le procureur général Roy McMurtry en faveur de

l’accès à la justice en français.

23. L’écrivain Paul-François Sylvestre :

En Ontario, le secteur de la justice s’ouvre à la dualité linguistique, en douce. Pas de

manifestation, pas de grève des avocats francophones. Tout commence avec l’arrivée de Roy

McMurtry, qui est nommé Procureur général dans le cabinet de Bill Davis en 1975. Il demeurera

à ce poste pendant dix ans.

En 1976, McMurtry donne son aval à la mise en œuvre d’un programme de services en français

dans les tribunaux. Il commence par une cour provinciale bilingue, division criminelle, à

Sudbury. L’année suivante, le Procureur général crée un comité de juristes francophones pour le

conseiller sur toutes questions relatives à l’usage du français dans les tribunaux de la province.

8

Toujours en 1977, il devient possibilité de tenir des procès en français dans des tribunaux de

certains districts judiciaires.

En 1978, l’Assemblée législative adopte la loi permettant la création de jurys bilingues. C’est

aussi le début du programme de traduction des lois de l’Ontario. L’année suivante, il devient

possible d’utiliser les versions françaises des lois comme élément de preuve lors d’un procès.

L’année 1979 est surtout marquée par la reconnaissance du droit de tout francophone de subir un

procès d’instance criminelle en français en Ontario.

En 1980, la province désigne les régions où il sera désormais obligatoire d’offrir des services en

français ; cela s’applique aux cours provinciales (division de la famille). Deux ans plus tard, le

Procureur général fait adopter des amendements législatifs autorisant l’enregistrement de certains

formulaires et documents en français (testaments, titres de propriété, etc.). Il devient aussi

possible pour une compagnie d’adopter sa raison sociale en français.

Enfin, en 1984, l’Assemblée législative adopte la Loi sur les tribunaux judiciaires qui confère au

français et à l’anglais le statut de langues officielles dans le système judiciaire de l’Ontario. Sans

tambour ni trompette, Roy McMurtry a gagné son pari de rendre la province bilingue en matière

de justice ! L’Ontario français, quatre siècles d’histoire (pages 186-187)

24. Narrateur:

Des parents franco-albertains vont jusqu’en Cour suprême du Canada pour obtenir les

droits prévus à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le 15 mars 1990,

par une décision unanime, rendue par le juge en chef Brian Dickson dans le dossier Mahé

c. Alberta, [1990] 1 RCS 342, le plus haut tribunal du pays leur donne raison et déclare :

25. Le juge en chef Brian Dickson :

Une langue est plus qu'un simple moyen de communication ; elle fait partie intégrante de l'identité et de la culture du peuple qui la parle. C'est le moyen par lequel les individus se comprennent eux-mêmes et comprennent le milieu dans lequel ils vivent.

Language is more than a mere means of communication, it is part and parcel of the identity and culture of the people speaking it.  It is the means by which individuals understand themselves and the world around them.

9

26. Narrateur : En 1981, toutes les autorités législatives du pays, y compris l’Alberta alors

représentée par Peter Lougheed, acceptent les dispositions linguistiques de ce qui

devient la Loi constitutionnelle de 1982.

27. Le 22 juin 1988, le procureur général de l'Alberta, Jim Horsman, fait une déclaration

ministérielle à l'Assemblée législative.

28. Le procureur général de l'Alberta Jim Horsman :

29. Narrateur : Même si le procureur général Jim Horsman annonce que les procédures

judiciaires seront enregistrées dans la langue parlée, comme on va le constater par

après, cela ne signifie pas nécessairement que les propos prononcés en français feront

partie de la transcription de l’audience.

30. Narrateur : Lors de la rencontre que le Conseil de l'Association du Barreau canadien

tient en août 1991 à Calgary, une résolution sur le dépôt de documents en français

devant les tribunaux de l'Alberta est présentée et débattue passionnément par les

membres du Conseil.

Maître Gérard Lévesque :

Attendu que la Loi linguistique de

l’Alberta prévoit à l’article 4(1) :

Chacun peut employer le français ou

l’anglais dans les communications

verbales dans les procédures devant

Whereas the Languages Act of

Alberta provides in subsection 4(1):

Any person may use English or

French in oral communication in

proceedings before the following

10

les tribunaux suivants de l’Alberta :

(a) La Cour d’appel de l’Alberta

(b) La Cour du Banc de la Reine de

l’Alberta

(c) Le Tribunal des successions de

l’Alberta

(d) La Cour provinciale de l’Alberta;

Attendu que la Loi ne permet pas le

dépôt de documents écrits en

français devant ces tribunaux;

Attendu que toute personne devrait

avoir le droit de déposer les

documents écrits dans la langue

officielle de son choix;

Qu’il soit résolu que le président de

l’Association du Barreau canadien

demande formellement au

gouvernement de l’Alberta de

modifier la Loi linguistique afin de

permettre le dépôt de documents en

français devant les tribunaux de

l’Alberta.

courts:

(a) The Court of Appeal of Alberta

(b) The Court of Queen’s Bench of

Alberta

(c) The Surrogate Court of Alberta

(d) The Provincial Court of Alberta;

Whereas the Act does not allow the

filing of documents in French in the

Courts enumerated above;

Whereas all persons should have the

right to file documents in the official

language of their choice;

Be it resolved that the President of

the Canadian Bar Association

formally request the Government of

Alberta to amend the Languages Act

to permit the filing of documents in

French in Alberta courts.

Extrait du compte-rendu de la rencontre du Conseil de l'Association du Barreau canadien

(ABC), tenue du 18 au 21 août 1991 à Calgary, où a été débattue la résolution 9 sur le

dépôt de documents en français devant les tribunaux de l'Alberta.

http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-

751102913&voir=traduct&tvoir=centre_detail&Id=6108

Filing of French documents in Alberta Courts (CBA proceedings, August 18-21,

1991)

11

http://documentationcapitale.ca/index.cfm?

Repertoire_No=2137985599&voir=centre_detail&Id=6109

31. Narrateur : Bien que la résolution soit adoptée avec l’appui spécifique de la Section de

l’Alberta de l’Association du Barreau canadien, la requête sera ignorée par le

gouvernement de l’Alberta.

32. Narrateur : En 1992, Don Getty, le successeur de Peter Lougheed, propose d’enlever

au bilinguisme tout caractère législatif. Voici un extrait de son allocution. 

Le premier ministre de l’Alberta Don Getty :

…Le dernier des points que je veux toucher, jamais je ne l’ai précisé auparavant. Je demande à tout Albertain et à tout Canadien de l’examiner attentivement.

Je propose qu’au Canada, nous renouvelions notre engagement envers la notion de bilinguisme en tant que caractéristique positive et fondamentale de l’unité canadienne, mais je crois que le temps est venu de soustraire le bilinguisme à l’empire de la loi.

Ceci constituerait un changement crucial au Canada : bilinguisme par choix, non pas par la loi.

J’émets cette suggestion après beaucoup de réflexion introspective parce que cela correspond à une attitude d’ouverture et de tolérance plutôt qu’à la force de la loi.

Cette attitude nous renvoie à la manière canadienne de travailler ensemble parce que tel est notre sentiment et non pas parce que les gouvernements nous ont dit comment il fallait nous conduire.

Cette position délicate, je vous en fais part parce que je crois que ce sera positif pour le Canada. Je ne veux être associé

…My final point today is one which I would ask every Albertan and Canadian to consider with a great deal of care – because it is a position I have never stated before.

I propose that in Canada, we re-commit ourselves to the concept of bilingualism as a positive, fundamental characteristic of Canadian unity – but, I believe the time has come when bilingualism should be removed from the force of law.

This would be a fundamental change in Canada. Bilingualism by choice, not by law.

I make this proposal after a great deal of soul searching because it relies on an attitude of openness and tolerance, rather than legal force.

It takes us back to the Canadian way of working together because that is how we feel – not because governments have told us how we must behave.

I present this sensitive position because I believe it will be positive for Canada. I don’t want to be part of any intolerance,

12

à aucune intolérance à quelque mouvement qui alimente l’incompréhension, Je ne veux jouer aucun rôle dans des politiques qui disent au Québec : « Vous n’êtes pas le bienvenu ».

Mon Canada comprend le Québec mais j’en suis venu à la conclusion que, de quelque manière au Canada, nous devons trouver entre nous des façons de nous défaire d’irritants, et que, partout au pays, le bilinguisme imposé par la loi est devenu un tel symbole d’irritant.

À mes yeux, nous aurons franchi un pas au Canada si nous pouvons affirmer: «Nos lois ne nous contraignent pas à cela, mais dans nos cœurs, nous voulons nous adresser l’un à l’autre en tant que Canadiens égaux.»

Ce n’est pas la philosophie du bilinguisme qui est en cause, elle a mon appui. Tous, nous tirons profit de nous comprendre mutuellement. C’est l’idée d’être contraint, c’est le sens d’obligation qui a été si destructif. Voici venu le moment de changer.

Dans tout ça, le côté paradoxal consiste dans le fait que si nous enlevons la contrainte de la loi, et c’est ce que je crois, beaucoup plus de Canadiens adopteront librement le bilinguisme.

Je convie les Albertains et les Canadiens à penser à un nouvel équilibre qui favorise la compréhension, qui encourage le bilinguisme mais qui désamorce la colère, parce que ce n’est plus une loi punitive et désagréable.

Version française de l’allocution du premier ministre Don Getty (9 jan. 1992)

or any movement which feeds misunderstanding. I want no part of policies which say to Quebec: « you are not welcome ».

My Canada has Quebec in it. But I have come to the conclusion that somehow in Canada, we need to find new ways to remove the irritants among us, and enforced bilingualism has become such a symbol all across the country.

To me, we will have truly accomplished something in Canada, if we can say: «our laws don’t force us to, but in our hearts, we want to be able to speak to each other as equal Canadians.»

The issue is not the philosophy of bilingualism. I support it. All of us benefit when we understand each other. It’s the idea of being forced; it’s the sense of obligation which has been so destructive. And it’s time to make a change.

The odd part about it is this. I believe that if we remove the force of law, many more Canadians will willingly embrace bilingualism.

What I ask Albertans and others to consider is a new balance – that does encourage understanding – but takes the anger away because it no longer is a punitive, unwelcome law.

Don Getty (January 9, 1992) http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=2137985599&voir=traduct&tvoir=centre_detail&Id=6345

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33. Narrateur : Le président de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA),

alors Denis Tardif, commente la proposition de Don Getty. 

34. Le président de l’ACFA, Denis Tardif : (vidéo)

« Le premier ministre de l’Alberta pose un geste irresponsable lorsque qu’il souhaite l’abolition

de la Loi sur les langues officielles.

Voilà que notre premier ministre dévoile une fois de plus sa vraie nature.

Monsieur Getty ne comprend pas que le bilinguisme officiel vise les institutions

gouvernementales. On ne lui demande pas de devenir bilingue, on ne demande pas aux Albertains

d’être bilingues.

Le gouvernement albertain a eu plusieurs occasions de démontrer son ouverture d’esprit. Qu’a-t-

il fait ? Il a aboli les droits historiques des francophones en 1988, il refuse toujours de leur

accorder la gestion de leurs écoles, un droit inscrit dans la Constitution canadienne. Nous

demandons à monsieur Getty de nous rencontrer ; depuis cinq ans, il fait toujours la sourde

oreille. Je trouve que monsieur Getty n’a guère fait la démonstration de la largesse d’esprit et de

la générosité dont il se vante tant aujourd’hui. »

35. Narrateur : Le Comité oblat Justice et Paix réagit par l’entremise de son président, le

père Camille Piché, o.m.i.

Le père Camille Piché :

Les propos qu’a tenus, le 9 janvier 1992, le premier ministre de l’Alberta, Don Getty,

concernant la Loi sur les langues officielles et le multiculturalisme ont étonné et consterné

un secteur important de la population.

Les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée travaillent depuis plus de 130 ans avec les

francophones de l’Alberta. Ils savent ce que ces derniers ont contribué de travail et

d’énergie à la construction de cette province…

…Au moment où notre pays traverse la plus grande crise de son histoire et où tout devrait

être mis en œuvre pour favoriser l’unité de tous les Canadiens, l’intervention du premier

ministre Getty nous semble maladroite, inappropriée et intempestive.

14

Nous nous voyons dans l’obligation de nous dissocier de ces déclarations qui nous

apparaissent comme très regrettables…

Source : http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-

751102913&voir=centre_detail&Id=5268

36. Narrateur :

En 1999, le Gouverneur général du Canada, Roméo Leblanc, porte un regard réaliste sur

l’évolution du pays.

Le Gouverneur général du Canada, Roméo Leblanc :

Au fil des ans, nous nous sommes efforcés de construire une société qui repose sur la liberté et l’égalité. Nous avons à notre actif de belles réalisations, mais notre histoire nationale a ses chapitres sombres …Tous n’ont pas profité de notre rêve national.

Over the years, we have worked to create a society based on freedom and equality. We have accomplished a great deal, but our national story has some dark chapters…Not everyone benefittedfrom our National Dream.

37. Narrateur :

En 1999, dans la cause R. c. Beaulac, (1999) 1 RCS 768, la Cour suprême du Canada renverse

l’ancienne interprétation des droits linguistiques.

Le juge Michel Bastarache :

« 25. Les droits linguistiques

doivent dans tous les cas être

interprétés en fonction de leur

objet, de façon compatible avec le

maintien et l’épanouissement des

collectivités de langue officielle au

Canada; voir Renvoi relatif à la

Loi sur les écoles publiques

(Man.), précité, à la p. 850. Dans

25     Language rights must in all cases be

interpreted purposively, in a manner

consistent with the preservation and

development of official language

communities in Canada; see Reference re

Public Schools Act (Man.), supra, at

p. 850.

To the extent that Société des Acadiens du

15

la mesure où l’arrêt Société des

Acadiens du Nouveau Brunswick,

précité, aux pp. 579 et 580,

préconise une interprétation

restrictive des droits linguistiques,

il doit être écarté. La crainte

qu’une interprétation libérale des

droits linguistiques fera que les

provinces seront moins disposées à

prendre part à l’expansion

géographique de ces droits est

incompatible avec la nécessité

d’interpréter les droits

linguistiques comme un outil

essentiel au maintien et à la

protection des collectivités de

langue officielle là où ils

s’appliquent. Il est également utile

de réaffirmer ici que les droits

linguistiques sont un type

particulier de droits, qui se

distinguent des principes de justice

fondamentale. Ils ont un objectif

différent et une origine différente.

Je reviens plus tard sur ce point. »

Nouveau-Brunswick, supra, at pp. 579-80,

stands for a restrictive interpretation of

language rights, it is to be rejected.

The fear that a liberal interpretation of

language rights will make provinces less

willing to become involved in the

geographical extension of those rights is

inconsistent with the requirement that

language rights be interpreted as a

fundamental tool for the preservation and

protection of official language

communities where they do apply.

It is also useful to re-affirm here that

language rights are a particular kind of

right, distinct from the principles of

fundamental justice.

They have a different purpose and a

different origin.  I will return to this point

later.

38 Narrateur

Dans le dossier Caron c. Commission albertaine des droits de la personne, Gilles Caron se représente lui-même et fait ses représentations en français alors que la Commission et la Ville d’Edmonton font leurs représentations en anglais.

16

Comme il n’y a pas d’interprète, c’est la juge bilingue présidant l’audience du 28 juin 2007, au Palais de justice d’Edmonton, qui ajoute à ses tâches en traduisant d’une langue à l’autre ce que les parties disent respectivement en français et en anglais.

En plus de discuter de la question à savoir qui, dans une instance où les deux langues sont utilisées, doit fournir et payer l'interprète, la juge et les parties soulèvent plusieurs questions ayant trait aux droits linguistiques, notamment : si le juge qui entend les parties doit être bilingue et si les justiciables qui utilisent le français ont le droit d'être compris directement dans cette langue (page 23 de la transcription de l’audience); s'il y a une différence entre les instances bilingues où les deux parties sont civiles par rapport aux instances où l'État est une partie (pages 7, 8, 19); s'il y a une différence entre les langues officielles et les autres langues; s'il y a une différence entre les droits linguistiques devant les tribunaux administratifs et les droits linguistiques devant les tribunaux judiciaires (page 28, 29); si les moyens financiers de la personne ayant besoin d'un interprète (pages 4, 5, 11, 17, 30-32) ou son niveau de connaissance de la langue seconde (page 21) devaient être considérés; si la langue française peut être utilisée dans une procédure de divorce en Alberta (page 8).

(Caron v. Chief Commissioner of the Alberta Human Rights and Citizenship Commission, Proceedings taken in Court of Queen’s Bench of Alberta, June 28, 2007, disponible sur le site www.DocumentationCapitale.ca : http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=- 751102913&voir=centre_detail&Id=3503 )

La Commission albertaine des droits de la personne n’estime pas opportun de demander à ce que le ministère de la Justice de l’Alberta participe à l’audience pour expliquer comment les droits linguistiques peuvent être exercés devant les tribunaux. L’avocate de la Commission et l’avocat de la ville d’Edmonton reconnaissent que Gilles Caron a droit à un interprète mais ils prennent la position que c’est Caron qui doit payer pour ce service lui-même s’il veut l’utiliser. La juge Joanne Veit rejette cette position car agir ainsi serait pénalisé un justiciable qui choisit d’utiliser une des deux langues autorisées devant les tribunaux albertains.

Le 14 septembre 2007, la juge Joanne Veit, de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, rend une décision favorable à Gilles Caron: elle somme le gouvernement de l’Alberta, représenté dans ces procédures par le Directeur de la Commission, de payer les services d’un interprète pour l’audition de la requête de révision judiciaire :

39. La juge Joanne B. Veit

« …puisque M. Caron a le droit enchâssé de s’exprimer en français au cours de l’audience, il est nécessaire d’avoir une transcription officielle de ses prétentions… »

… since Mr. Caron has a constitutional right to express himself in French during the judicial review, it is necessary to have an official version of his submissions…

17

(Caron c. Alberta (Human Rights and Citizenship Commission), 2007 ABQB 525, paragraphe 8, disponible sur le site de l’Institut canadien d’information juridique: www.canlii.org/en/ab/abqb/doc/2007/2007abqb525/2007abqb525.html )

40. Narrateur :

La Cour du Banc de la Reine reconnait ainsi que Monsieur Caron a le droit de s'exprimer dans la langue officielle de son choix. Elle reconnait que ce droit impose des obligations afin qu’une partie puisse comprendre l’autre partie. L'octroi d'un interprète doit être compris dans ce contexte de l'obligation de respecter les droits linguistiques des parties.

La Commission albertaine des droits de la personne n’est pas d’accord et porte en appel la décision de la Cour du Banc de la Reine. Estimant qu’il manque au dossier une partie essentielle, le conseiller juridique de Gilles Caron présente, le 24 février 2009, en Cour d’appel de l’Alberta une requête afin que la Couronne soit mise en cause et, ainsi, informe la Cour des raisons expliquant l’absence d’un règlement pris en application de la Loi linguistique qui donnerait effet aux dispositions de l’article 4 de cette loi ou préciserait ou complèterait cet article ainsi que des raisons expliquant l’absence de règles des tribunaux pour encadrer l’emploi du français et de l’anglais dans les communications verbales dans les procédures devant les tribunaux.

La Couronne s’oppose à la requête, indiquant qu’il est préférable que, dans une situation de clarification de droits linguistiques devant les tribunaux, elle soit jointe au dossier dès la première instance.

La Couronne demande au juge que les deux déclarations présentées en appui de la requête soient radiées du dossier. Ces témoignages écrits de Gilles Caron et de Annie Cadoret présentent des exemples illustrant le fait qu’il est presqu’impossible pour les justiciables et les juristes d’expression française de l’Alberta d’exercer pleinement leurs droits linguistiques. La Cour refuse la demande de radier du dossier les éléments de preuve qui gênent la Couronne. La Cour décide toutefois que la Couronne ne sera pas mise en cause lors de l’appel.

La Commission est d’avis que l’audience en appel ne devrait pas être tenue avant que la Cour suprême du Canada rende sa décision dans l’affaire R. c. Caron, [2011] 1 R.C.S. 78.

Cependant, peu de temps après la publication en mars 2011 de la décision Pooran, la Commission se désiste de son appel en Cour d’appel de l’Alberta. Le désistement de la Commission prive alors les justiciables et les juristes d’obtenir du plus haut tribunal de la province la clarification d’une partie des droits linguistiques devant les tribunaux.

En 2008, l’AJEFA présente un mémoire sur l’accès à la justice. L’élection provinciale du 3 mars 2008 arrive sans que le ministre de la Justice de l’Alberta, Ron Stevens, ait l’occasion de répondre à la lettre du président de l’AJEFA.

À la suite de l’élection, l’AJEFA envoie à la nouvelle ministre de la Justice et procureure générale de l’Alberta, Alison Redford, un mémoire par lequel l’Association recommande entre autres la mise en place d’un Groupe de travail albertain sur l’accès à la justice et la création, au sein du ministère de la Justice, d’un Bureau de coordination des services en français. Les

18

recommandations du mémoire seront ignorées par la ministre et par les fonctionnaires de son ministère.

Mémoire sur l'accès à la justice en langue française, disponible sur le site de l’AJEFA : www.ajefa.ca/pdf/memoire2008.pdf

Également disponible sur le site www.DocumentationCapitale.ca : http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=- 751102913&voir=traduct&tvoir=centre_detail&Id=3681

Le 11 décembre 2008, dans une audience pour discuter si une cause sera entendue en français, la juge Cook- Stanhope prononce à trois reprises des propos en français; ils ne sont pas transcrits. À la place de ses propos, il y a l’explication : «Foreign language spoken».

Transcription de l’audience du 11 décembre 2008 dans l’affaire de l’enfant R. O.-A., pages 13, 15 & 19.

Disponible sur le site www.DocumentationCapitale.ca :

http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-751102913&voir=centre_detail&Id=3810

La personne en charge de la transcription de la procédure judiciaire certifie que son travail reproduit fidèlement ce qui s’est dit oralement :

41. Lori Rosdal: I, the undersigned, certify that the foregoing pages are a true and faithful transcript of the contents of the record…

Transcription de l’audience du 11 décembre 2008 dans l’affaire de l’enfant R. O.-A., page 24

Disponible sur le site www.DocumentationCapitale.ca :

http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-751102913&voir=centre_detail&Id=3810

Il s’agit là d’un traitement inacceptable des propos prononcés par un membre de la magistrature. Lorsque, dans une instance devant un tribunal albertain, un juge s’exprime en français ou en anglais, la transcription doit refléter fidèlement ce que le juge a dit en français ou en anglais.

Cet exemple n’est pas dû à l’initiative personnelle de la personne responsable de la préparation de la transcription. Le gouvernement de l’Alberta diffuse sur Internet le manuel qui régit les transcriptions des audiences des tribunaux de l’Alberta. À la lecture de ce document, on constate que, dans une instance, lorsqu’une langue autre que l’anglais est utilisée, la directive aux dactylographes et aux greffiers est claire : il suffit d’indiquer qu’une autre langue a été utilisée et cette annotation est définie comme étant une situation où une langue étrangère est utilisée. Cela revient donc à considérer le français comme étant une langue étrangère!

Non seulement le ministère de la Justice n’entend pas modifier les directives régissant la préparation des transcriptions judiciaires, il cautionne une pratique qui fait fi des droits linguistiques devant les tribunaux.

19

Dans l’affaire R.O.-A., deux juristes d’expression française comparaissent le 18 décembre 2008

devant une juge bilingue de la Cour provinciale de l’Alberta, à Calgary. Bien que le client de

chacun de ces deux juristes a le français comme première langue, l’avocat du directeur du bien-

être des enfants s’oppose à la requête de tenir une audience en français. Son opposition est

d’abord fondée sur le fait qu’advenant un appel de la décision en Cour du banc de la Reine, tout

devrait être traduit en anglais. À l’avocat du ministère public, la juge L.T.L. Cook-Stanhope

indique: 

42. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:

«There  are  several  Queen’s  Bench  Justices  who  speak French.”

43. T. LaRochelle :

«What if it goes to the Court of Appeal?” 

44. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:

«There are several Court of Appeal Justices who speak French».

45. Mot du narrateur :

L’avocat du directeur du bien-être des enfants doit donc avancer un autre argument ce qu’il fait

en présentant l’interprétation originale suivante du droit de chacun d'employer le français ou

l'anglais devant les tribunaux de l'Alberta. 

46. T. LaRochelle :

«The Legislature dealt with that issue by enacting the Languages Act. The Languages Act is quite

clear that you are not entitled to… it is not a right to a hearing in French. You have a right to a

hearing in English…we’re saying that French should be no different than if people were here

speaking any other language, asking that the proceedings be in any other language. This Court

wouldn’t say, well we’ll do it in that language then because we happen to have a judge who

speaks that language…So French, after the Languages Act, French has been treated like any other

language. No more rights are accorded or afforded someone who wants to speak French in this

matter in this Court than someone who wants to speak any other language. »

47. Mot du narrateur :

20

Pour appuyer sa position, l’avocat de la Couronne s'engage à remettre au juge et aux autres parties un mémorandum portant sur l’utilisation du français devant nos tribunaux.

48. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:

Okay. Can I have your authorities?

49. T. LaRochelle :

“Well, I have got a memorandum that I would be happy to give you. I am going to have to get the authorities reproduced for you.”

50. La juge L.T.L. Cook-Stanhope

“Would you do that, please.”

51. T. LaRochelle :

“Sure, I'm happy to do that.”

52. Mot du narrateur :

 Puis, l’avocat de la Couronne affirme que la position qu’il vient de présenter à la Cour est

appuyée entre autres par un constitutionnaliste renommé. 

53. T. LaRochelle :

“I have some authorities I can give your Honour this morning, if you – if you wish, and I’ll – ”

54. La juge L.T.L. Cook-Stanhope :

« Yes. »

55. T. LaRochelle :

“I’ll make copies for my friend. I don’t have copies this morning.”

56. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:

« Well, when you make copies for your friend, why don’t you just provide them then to me.”

57. T. LaRochelle :

« Fair enough. »

58. T. LaRochelle :

21

“I’ll just tell you right now I wanted your ruling on this. One of the authorities I intend to provide

is – I believe it’s – is it Peter Hawke (phonetic), constitutional expert?”

59. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:

« Constitutional expert, mmm hmm. »

60. T. LaRochelle :

“He has prepared an article on this issue, and I can tell you that the outcome of that article is in

support of our argument.”

61. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:

“Is that post R. v. Beaulac ?”

62. T. LaRochelle :

« Yes. »

63. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:

« Okay. »

64. T. LaRochelle :

“So that is one of the documents I’ll be tendering.”

65. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:

« All right… »

66. T. LaRochelle :

“And could I then suggest that my materials be to Your Honour even the 30th?”

67. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:

“Actually…Then, yes, Mr. Larochelle .”

68. Narrateur

L’avocat de la Couronne n'a pas remis, tel qu’il s’en était engagé, ce mémorandum au juge et aux

autres avocats puisque cette cause ne s'est pas poursuivie.

22

Ce qui est important de noter, c’est que la Couronne a induit la Cour en erreur. Le professeur

émérite Peter Hogg n’appuie pas la thèse présentée à la Cour. Au contraire, dans Constitutional

Law of Canada, lorsqu’il traite du sujet Language of courts, à la section Language of

proceedings, il écrit ceci :

Le professeur émérite Peter Hogg :

In R. v. Beaulac (1999) 1 S.C.R. 768, para 25, Bastarache for the majority said, obiter:

« To the extent that Société des Acadiens stands for a restrictive interpretation of language rights,

it is to be rejected »;”

see also Solski v. Que. (2005) 1 S.C.R. 201. para. 20 (language rights must be interpreted in a

broad and purposive manner).

Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, Fifth Edition, Volume 2, p, 706.

69. Narrateur

La plaidoirie de Maître T. LaRochelle n’est pas désavouée. Au contraire, quelques mois plus tard,

Alison Redford, alors ministre de la Justice de l’Alberta, nomme cet avocat à la magistrature

provinciale.

En 2009, dans le dossier R. c. Pooran, 2011 ABPC 77, la Couronne et la Défense demandent une

clarification du droit à l’usage du français. Il est important de noter que la demande de

clarification des droits linguistiques devant les tribunaux a été faite conjointement car, par après,

l’attitude de la Couronne va démontrer moins de zèle.

Voici un extrait de la lettre envoyée le 10 juin 2009 au juge en chef adjoint R. J. Wilkins par

l’avocate de la Couronne.

70. L’avocate de la Couronne Britta Kristensen :

You may recall that earlier this year, Mr. Levesque and I appeared before you to request that a

traffic ticket matter (Accused Sonia Pooran) be moved from traffic court to Provincial Court. Mr.

Levesque on behalf of Ms. Pooran is seeking a ruling as to whether the Alberta Languages Act

allows a litigant to have a trial in French on a traffic matter. Judge Brown is currently seized

with the Pooran matter and we are setting a date for hearing on June 17, 2009.

23

Mr. Levesque also represents François-Pierre Marquis who is also charged with a matter under

the TSA. Mr. Levesque on behalf of Mr. Marquis is seeking the same ruling as to whether or not

Mr. Marquis is entitled to a French trial. Mr. Marquis currently has a trial date of July 22, 2009

in traffic court.

The Crown and defence are agreeable to having these two matters joined together for the purpose

of determining the Accused's right to use French on traffic matters. When we appeared before

Judge Brown in the past, we advised her this and Judge Brown was agreeable.

Would you please authorize the transfer of the Marquis matter to Provincial Court so that we can

marry it up with the Pooran matter?

R. c. Marquis: lettre envoyée au juge en chef adjoint par l'avocate de la Couronne (10 juin 2009)

http://www.documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-

751102913&voir=centre_detail&Id=4808

71. Narrateur : Quatre journées d’audience sont consacrées à ce débat où la Couronne

plaide que les francophones ont le droit d’employer le français mais non le droit d’être

compris en français.

Les pages 60 à 63 de la transcription de l’audience du 24 juin 2010 dans ce dossier R. c. Pooran

révèlent que les directives à l’avocate de la Couronne sont de plaider que les droits linguistiques

devant les tribunaux de l’Alberta ne sont pas une question d’interprétation statutaire mais une

question politique relevant de l’Assemblée législative. Ainsi, les législateurs de l’Alberta, à ce

moment-là une majorité conservatrice, sont présumés être d’accord à ne pas respecter la

jurisprudence bien établie de la Cour suprême du Canada et à prétendre que les francophones

avaient le droit de parler en français devant les tribunaux mais non le droit d’être compris dans

cette langue. Voici l’échange pertinent:

72. La juge Anne Brown :

But I take Maître Lévesque’s point to be that, first of all, you are to interpret language rights

liberally, and secondly, the very fact that there are not these various sub-rights detailed is part of

the problem and concern…

He complains that we have no rules or procedure, nothing to guide us in the implementation of

the languages rights that are apparently bestowed in Section 4.

24

73. L’avocate de la Couronne Britta Kristensen :

In the Crown’s submission, it’s a political issue as opposed to an issue of statutory interpretation.

The Legislature has chosen to give a right, a very limited right, the right to speak English or

French, to use English or French in oral communications…

74. La juge Brown :

I am very troubled by the suggestion that, for instance, a person is entitled to speak English or

French, but not to be understood by the person presiding, when the Presider does not speak the

language.

Transcription de l'audience du 24 juin 2010 dans le dossier R. c. Pooran

http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-

751102913&voir=centre_detail&Id=4806

75. Narrateur : Se basant sur cet échange entre la juge Brown et l’avocate de la Couronne,

bien des juristes et justiciables d’expression française ont pensé qu’un changement

politique comme celui qui mettra au pouvoir en mai 2015 un gouvernement NPD en

Alberta aurait comme conséquence que les directives données aux avocats de la

Couronne respecteraient dorénavant la jurisprudence du plus haut tribunal du pays,

mais, malheureusement, ce n’est pas encore le cas en 2017.

En mars 2011, la juge Anne Brown rend sa décision; elle rejette la position de la Couronne. 

76. La juge Anne Brown :

[21] Si des participants à un litige ont le droit d’employer soit l’anglais, soit le français dans leurs observations orales devant les tribunaux, mais qu’ils ne sont compris que par l’intermédiaire d’un interprète, ils ne détiennent certes que des droits linguistiques fictifs. Une interprétation aussi restreinte de leur droit d’utiliser l’anglais ou le français est illogique ─ comme le fait d’applaudir d’une seule main et

[21] If litigants are entitled to use either English or French in oral representations before the courts yet are not entitled to be understood except through an interpreter, their language rights are hollow indeed. Such a narrow interpretation of the right to use either English or French is illogical, akin to the sound of one hand clapping, and has been emphatically overruled by Beaulac.

25

d’en espérer du son. Ainsi une telle interprétation a-t-elle été écartée avec force dans l’arrêt Beaulac.

[22] Si nous faisons nôtre l’assertion de la Couronne intimée selon laquelle les droits de la Loi linguistique sont respectés par le fait d’offrir les services d’un interprète, nous nous trouvons à écarter d’un revers de main, en lien avec les droits linguistiques, les droits de la partie au litige à l’application régulière de la loi, au respect de la justice naturelle et à un procès équitable que la Charte reconnaît aux justiciables.

[23] À la lumière de la déclaration ministérielle (du 22 juin 1988), il est clair que dans trois institutions où interagissent des particuliers et la province ─ l’Assemblée législative, les tribunaux et les écoles ─, les langues qui peuvent être utilisées sont l’anglais et le français.

[24]   Par conséquent, pour les raisons suivantes, j'ai conclu que les demandeurs ont droit à un procès du Traffic Safety Act en français, avec un juge de langue française et un procureur de la Couronne de langue française:

Les droits linguistiques doivent recevoir une interprétation libérale et téléologique; (Beaulac)Les droits linguistiques sont distincts des droits juridiques; (Beaulac)

L'Alberta reconnaît les droits uniques des francophones; (déclaration ministérielle, le 22

[22] The Crown Respondent assertion that the rights in the Languages Act are met by the provision of an interpreter amounts to a sloughing of the language rights of the litigant to the Charter legal right to due process, natural justice and a fair trial. As to the reference in the June 22, 1988, ministerial statement, to the provision of an interpreter if necessary, I infer from those words that the interpreter is to be provided for witnesses who do not speak the language, English or French, in which the trial is being conducted.

[23] It is clear from the ministerial statement that in three significant arenas of interaction between individuals and the province, the Legislative Assembly, courts and schools, the languages that may be used are English and French.

[24] Therefore, for the following reasons, I have concluded that the Applicants are entitled to have their Traffic Safety Act trials in French, with a French-speaking judge and French-speaking prosecutor:

Language rights are to be given a liberal and purposive interpretation; (Beaulac)Language rights are distinct from legal rights; (Beaulac)

Alberta recognizes the unique rights of Francophones; (ministerial statement, June 22, 1988, Alberta Hansard)

26

juin 1988, Alberta Hansard)Les langues des tribunaux de l'Alberta sont l’anglais et le français; (Article 4(1), Loi linguistique) et, les droits linguistiques énoncés à l’article 4 de la Loi linguistique ne sont en rien amoindris parce qu’on a omis d’adopter des dispositions règlementaires pour en favoriser la mise en œuvre. »

The languages of the courts in Alberta are English and French; (section 4(1), Languages Act) and, the language rights enunciated in section 4 of the Languages Act are not eroded by the failure of the provincial government to enact regulations to hone their delivery.

77. Narrateur :

Au plus fort des débats sur l’opportunité d’exiger une compétence linguistique de la part des candidats à une nomination à la Cour suprême du Canada, c’est la ministre de la Justice de l’Alberta qui fournit l’appui le plus enthousiaste à la position des conservateurs fédéraux.

En effet, alors qu’elle est ministre de la Justice de l’Alberta, Alison Redford publie dans les journaux une lettre pour susciter l’opposition active des Albertains à tout projet de loi reconnaissant le droit d’être compris en français sans interprétation devant la Cour suprême du Canada. Sa campagne l’amène même à écrire des lettres aux chefs du Parti libéral du Canada, du NPD du Canada et du Bloc Québécois, lettres auxquelles Michael Ignatieff, Jack Layton et Gilles Duceppe répondent brillamment.

78. Gilles Duceppe :

Considérant que les citoyens ont droit à une justice pleine et entière, le Bloc Québécois insiste sur l’importance du bilinguisme des juges à la Cour suprême, dernière instance juridique au Canada. En effet, nous croyons que la compréhension du français et de l’anglais constitue un critère de compétence incontournable pour quiconque aspire occuper un tel poste…

Actuellement, les juges francophones – qui sont tous bilingues – ont l’obligation de tenir les discussions dans leur langue seconde parce que les seuls juges unilingues admis à cette instance sont des juges anglophones, ce qui crée une situation non équitable.

Lettre du 21 juin 2010 de Gilles Duceppe à la ministre Alison Redford http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-751102913&voir=centre_detail&Id=3900

79. Michael Ignatieff :

27

Liberals believe an understanding of both official languages is necessary to be nominated to the Supreme Court of Canada. Canada is a bilingual country and therefore its highest court must be able to hold proceedings and deliberations in either official language. Every Canadian should be able to be heard in his or her first language before the Supreme Court and not through simultaneous interpretation.

Lettre du 24 juin 2010 de Michael Ignatieff à la ministre Alison Redford http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-751102913&voir=centre_detail&Id=3899

80. Jack Layton :

It is also inaccurate to say Bill C-232 would unduly favour candidates from Quebec, Ontario or New Brunswick when selecting judges to sit on the Supreme Court. That argument has been made for 40 years, but has not stopped fully competent candidates, who are able to read original legal documents in both English and French, from across Canada from sitting on our highest Court. I would only cite the case of current Supreme Court Chief Justice Beverly McLaughlin, a native of your province, and whose competence, legal and otherwise, is beyond question.

Given the high quality of legal professionals from Alberta and all other provinces, I remain confident that we can continue to fill nine positions on our highest court with fully competent judges who represent the amazing diversity of our great country.

Lettre du 7 juillet 2010 de Jack Layton à la ministre Alison Redford http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-751102913&voir=centre_detail&Id=3901

81. Narrateur :

Le 28 juin 2011, la sous-ministre adjointe Vicki Brandt explique qu’en Alberta, même en

droit criminel, il n’y a pas d’offre active du droit d’employer le français.

82. La sous-ministre adjointe Vicki Brandt

“You have asked whether a French or bilingual version of the designation of counsel form

currently exists. There is no French form. The (English) form has been prepared by Court

Services merely for the assistance of the accused and their counsel.

Where the Court has granted an order under section 530 of the Criminal Code permitting the

accused to be tried in French, counsel may prepare and file a designation of counsel document in

French should they wish to do so. Absent an order under section 530, there is no requirement to

accept French language documents for filing in criminal matters.”

28

Lettre envoyée le 28 juin 2011 par la sous-ministre adjointe Vicki Brandt

http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-

751102913&voir=traduct&tvoir=centre_detail&Id=4582

83. Narrateur :

Dans ce dossier, l’avocat francophone prépare donc un formulaire français à être signé par les

accusés francophones. Par après, le dépôt de cette version française est refusé au comptoir de la

Cour à Fort McMurry et à Calgary… jusqu’au moment où les fonctionnaires lisent avec surprise

la lettre de la sous-ministre adjointe Vicki Brandt.

En 2012, il est démontré que les directives albertaines pour la préparation des transcriptions

judiciaires permettent de remplacer, même dans un procès criminel, les propos prononcés en

français par un juge, un avocat ou l’accusé.

La sénatrice franco-albertaine Claudette Tardif est souvent intervenue pour dénoncer les

injustices faites aux membres des communautés francophones en situation minoritaire, en

particulier aux Franco-Albertains. Voici un extrait de son allocution lors du banquet de

l’Association des étudiantes et étudiants en common law de la Faculté de droit de l’Université

d’Ottawa, le 2 novembre 2012, au Château Laurier, à Ottawa. »

84. La sénatrice Claudette Tardif : (vidéo)

«... en ce qui concerne l'accès à la justice en français, un droit aussi fondamental que le droit à

l'éducation, je me demande comment il se fait, qu'en dépit de la reconnaissance de nos droits par

la Constitution, par la Charte canadienne des droits et libertés, par le Code criminel, par la Loi

sur les langues officielles et par la jurisprudence, il existe encore trop d'obstacles qui rendent

problématique un accès équitable à la justice en français aux membres des communautés

francophones en situation minoritaire.»

85. Le député Yvon Godin (vidéo)

0 :00 min à 1 :35 min

https://www.youtube.com/watch?v=mknLZZUNtqw#action=share

86. Narrateur:

29

Le 8 mars 2013, dans la cause Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur

général), [2013] 1 RCS 623, la décision majoritaire écrite par la juge en chef Beverley

McLachlin et la juge Karakatsanis donne raison aux Métis en déclarant que la Couronne

fédérale n’a pas mis en œuvre de façon honorable la disposition prévoyant la concession

de terres énoncée à l’art. 31 de la Loi de 1870 sur le Manitoba.

87. La juge en chef Beverley McLachlin :

[1] Le Canada est une jeune nation aux

racines anciennes… Le gouvernement

canadien, dirigé par le premier ministre

John A. Macdonald, a instauré une

politique visant à intégrer les territoires

de l’Ouest dans le Canada et à les ouvrir

à la colonisation.

[2]    Pour y arriver, il fallait traiter avec

les peuples autochtones établis dans les

territoires de l’Ouest.  Dans les Prairies,

ces peuples se divisaient principalement

en deux groupes — les Premières Nations

ainsi que les descendants issus des unions

entre les négociants et explorateurs blancs

et les femmes autochtones, maintenant

connus sous le nom de Métis…

[4]    La politique du gouvernement était

moins claire à l’égard du peuple métis —

qui composait, en 1870, 85 pour 100 de la

population de ce qui est aujourd’hui le

Manitoba.  Des colons ont commencé à

s’installer en grand nombre dans la

région et à assumer le contrôle politique

et social jusqu’alors exercé par les Métis,

[1]    Canada is a young nation with

ancient roots... The Canadian

government, led by Prime Minister John

A. Macdonald, embarked on a policy

aimed at bringing the western territories

within the boundaries of Canada, and

opening them up to settlement.

[2]    This meant dealing with the

indigenous peoples who were living in the

western territories.  On the prairies, these

consisted mainly of two groups — the

First Nations, and the descendants of

unions between white traders and

explorers and Aboriginal women, now

known as Métis…

[4]  The government policy with respect

to the Métis population — which, in 1870,

comprised 85 percent of the population of

what is now Manitoba — was less clear. 

Settlers began pouring into the region,

displacing the Métis’ social and political

control.  This led to resistance and

conflict.  To resolve the conflict and

30

ce qui a entraîné de la résistance et des

conflits.  Cherchant à régler la situation et

à assurer une annexion pacifique du

territoire, le gouvernement canadien a

entamé des négociations avec les

représentants du gouvernement

provisoire dirigé par des Métis.  C’est

ainsi qu’a été adoptée la Loi de 1870 sur le

Manitoba, S.C. 1870, ch. 3 (« Loi sur le

Manitoba »), pour faire entrer la province

du Manitoba dans le Canada.

[5]    Le pourvoi porte sur les obligations

envers les Métis qui sont consacrées dans

la Loi sur le Manitoba, un document

constitutionnel.  Il s’agit en fait des

conditions auxquelles les Métis ont

renoncé à revendiquer le pouvoir de se

gouverner et de gouverner leur territoire

et accepté de faire partie de la nouvelle

nation du Canada.  Ces promesses avaient

pour but d’assurer aux Métis et à leurs

descendants une place permanente dans

la nouvelle province.  Malheureusement,

les Métis n’ont pas vu leurs attentes

devenir réalité et ils se sont dispersés

devant la colonisation massive qui a

marqué les décennies suivantes.

assure peaceful annexation of the

territory, the Canadian government

entered into negotiations with

representatives of the Métis-led

provisional government of the territory. 

The result was the Manitoba Act, 1870,

S.C. 1870, c. 3 (“Manitoba Act”), which

made Manitoba a province of Canada.

[5]     This appeal is about obligations to

the Métis people enshrined in the

Manitoba Act, a constitutional document. 

These promises represent the terms under

which the Métis people agreed to

surrender their claims to govern

themselves and their territory, and

become part of the new nation of

Canada.  These promises were directed at

enabling the Métis people and their

descendants to obtain a lasting place in

the new province.  Sadly, the expectations

of the Métis were not fulfilled, and they

scattered in the face of the settlement that

marked the ensuing decades.

88. Narrateur :

31

En septembre 2013, le règlement 158/2013 sur l’usage des langues devant les tribunaux de

l’Alberta est adopté sans consultation avec les justiciables et juristes d’expression française. Il

vise à contourner la décision de mars 2011 de la juge Brown dans le dossier Pooran.

Le Règlement indique qu’un justiciable peut demander une instance française ou bilingue et, si le

poursuivant provincial y consent, le juge peut accueillir cette requête.

La sous-ministre adjointe Lynn Varty se vante qu’en conséquence de ce règlement, le ministère

de la Justice de l’Alberta n’anticipe pas une demande plus importante d’instances françaises ou

bilingues. C’est là une annonce de ce qui va arriver à toutes les demandes recensées au Palais de

justice de Airdrie Calgary, Canmore, Edmonton et Red Deer pour obtenir une instance en

français ou bilingue depuis 2013. Elles ont toutes été refusées par le poursuivant provincial. Voici

un extrait de la lettre envoyée le 10 septembre 2013 aux trois juges en chef de l’Alberta par la

sous-ministre adjointe Lynn Varty. 

89. La sous-ministre adjointe Lyne Varty

“I am attaching, for your information, a copy of Order in Council 254/2013 making the

Languages in the Courts Regulation (AR 158/2013) effective September 6, 2013…

This regulation is made under s. 4(2) of the Languages Act and clarifies the use of French in

proceedings under the Provincial Offences Procedure Act. The regulation provides that in

provincial matters:

- Where the defendant or counsel wishes to use French in oral communications in a

proceeding, the defendant must give reasonable notice of that fact to the prosecutor and

the Court, and the Crown will arrange for an interpreter.

- Where the defendant wishes to have their proceeding held in French, and provided the

prosecutor consents, the judge may conduct the proceeding in French.

- For French proceedings, unless the parties agree otherwise, the Crown must pay to

translate any of its written evidence to French, and the Defendant must pay to translate

any of its written evidence to French.

- Where the defendant wishes to have their proceeding held in English and French, and

provided the prosecutor consents, the judge may conduct the proceeding in English and

French…

32

In large part, the regulation incorporates existing practices which have developed over time to

permit French-speaking Albertans to exercise their right to use French in oral communication

with the Court under s. 4(1) of the Languages Act. As a result, the Ministry does not anticipate an

increased demand for French or bilingual proceedings as a result of this regulation.”

Source: Lettre aux trois juges en chef de l'Alberta (10 sept. 2013)

http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-

751102913&voir=centre_detail&Id=5353

90. Narrateur :

La sous-ministre adjointe Lynn Varty ne révèle pas que le Règlement 158/2013 vise à contourner

la décision de mars 2011 de la juge Brown dans le dossier Pooran. Il faudra attendre le 17 juin

2016 pour qu’un représentant de la Direction du droit constitutionnel du ministère de la Justice de

l’Alberta fait un aveu à ce sujet dans une lettre envoyée à l’avocat de Paquette et autres.

91. L’avocat Don Padget :

You cite the Provincial Court decision in Pooran (2011 ABPC 77) but that decision did not

involve Charter rights and was not the subject of a notice of constitutional question. Its results

was overridden by 2013 changes in the Alberta Languages of the Court Regulation.

Source: (à venir)

92. Narrateur :

À peine quelques jours après l’entrée en vigueur du Règlement 158/2013, soit le 10 septembre

2013, une première requête est présentée pour la tenue d’une procédure en français. Il s’agit de

celle de Xavier Mc Guire, un résident de Red Deer qui doit répondre au Palais de justice de

Airdrie à une contravention au Code de la route. La commissaire P.T. MacKay interroge le

représentant de la Couronne :

93. La commissaire P.T. MacKay :

So Crown, what’s the procedure then? Mr. Levesque needs to go to the counter and set a

date so that we can have a French Justice or interpreter?

94. Narrateur : Le poursuivant provincial Terry Melendy répond.

95. Le poursuivant provincial Terry Melendy

I believe it’s not a trial that he wants simply with a French interpreter present…

33

Potentially it would be held in Calgary. They have courtrooms essentially set aside that

deal with language issues and trials of that nature. So I would submit either we put it to

the counter where the staff can possibly select a date, or we can put it over here for a

week or two to speak to, and we can then confirm that information and have a date

selected for the next time it comes back before this Court…

Even though it’s a part 3 ticket, Ma’am, certainly the Crown would have no objection to

having the matter waived. Now the officer on this is a sheriff so he’s available to certainly

appear in a Calgary courtroom. I don’t know if he’s here today or not. But that would be

the request then. If the counsel here wants to put it over to Calgary to speak to for that

date next week we can have the file there for that date.

96. Le dossier est donc transféré au Palais de justice de Calgary. L’avocat de Xavier Mc

Guire doit donc se présenter une deuxième fois en Cour pour son client, soit le 19

septembre 2013. Au début de l’audience, la juge Anne Brown indique :

97. La juge Anne Brown :

Mc Guire is in from Airdrie. I think, and it is also an application for a French trial.

98. Narrateur : La poursuivante provinciale Juzwiak répond:

99. La poursuivante provinciale Juzwiak :

Okay. But that shouldn’t be heard here. It should be heard in Traffic Court. There’s now a

new regulation. So if they don’t like the decision that they get from Traffic Court, then,

they have to appeal. But it shouldn’t be brought before you anymore. They’re following

the old procedure…

As of September 6th, there has been a new regulation. I’m not speaking to McGuire.

McGuire should be sent back. It could – it could go back to traffic Court. I can tell you

where Traffic Court is sitting…

But I’m not speaking to that one in French either. I’m not prepared.

100. Narrateur : L’échange suivant a ensuite lieu:

101. Juge Brown: Oh, that is fine. But other counsel is here and expecting to speak to it

in French.

102. Maître Juzwiak: As far as I know, the Crown never consented…

34

103. Juge Brown : Et Maître Lévesque, vous êtes aussi ici pour Monsieur McGuire, je

pense?.. Maître Juzwiak, vous êtes libre, mais je pense que nous devons parler aussi

de la contravention de Monsieur McGuire…

104. Maître Juzwiak : Je vais rester, mais je veux parler en anglais parce que je n’ai pas

reçu d’avis et, pour moi, c’est vraiment difficile de parler en français sans me préparer

assez longtemps, et d’aller chercher toute la terminologie qu’il faut dans – dans le

dictionnaire. Et, maintenant, Monsieur McGuire, n’a pas obtenu une ordonnance

d’avoir un procès en français. Je ne sais pas pourquoi on procède en français sans une

ordonnance et le consentement – le consentement qu’il faut avoir dans le règlement,

mais je dois parler en anglais…

Okay. So in my respectful submission, this is a traffic matter. It should be going in Traffic

Court. Traffic Court sit in the morning and the afternoon.

I think it was sent here on the misunderstanding that, you know, I’m just a regular

prosecutor who regularly prosecutes in French and you’re here anyway, ant it will be

simple, but it – as you can see, the issue is not simple.

So the appropriate thing – to happen would be for this accused to be – this one that we’re

speaking to, to be sent back to Traffic Court and then Traffic Court can indicate whether

or not they consent for it to proceed in French because the order from September 6th does

apply to them. And if Mr Lévesque is unhappy with that, he has a very simple recourse,

He can attack the legislation directly.

105. Juge Brown: The cover letter that was sent to Assistant Chief Judge Ogle from

Provincial Prosecutor Terry Melendy, he says that – I will read one of the last

paragraphs:

Sir:

The request is for this matter to be spoken to in Courtroom 1005, on September 19th,

2013, to determine if the matter should be heard in the Calgary courtroom or be returned

to Airdrie clerk.

106. Maître Juzwiak: Okay. And I think he picked this court because he thought, again,

that we just do these and that we do the applications in French. I think he was

mistaken…

And, frankly, it shouldn’t have – I think Mr. Melendy just didn’t know.

35

107. Narrateur :

Maître Juzwiak prétend alors que, si un poursuivant provincial qui se fait demander s’il

consent à l’utilisation du français, répond qu’il va accepter ce que la juge va ordonner,

cela n’est pas une promesse à ce que le procès soit tenu en français.

108. Maître Juzwiak :

Well, but even is somebody says, If the judge orders it, we’re not going to object,

normally, we don’t object after a judge orders something. We proceed. So that wasn’t a

promise to have a trial even based on what my friend is saying in French.

Like, he would have to order the transcript. I don’t have the file.

109. Narrateur:

Si un avocat de la Couronne qui se fait demander s’il consent à l’utilisation du français,

répond qu’il va accepter ce que la juge va ordonner, c’est une confirmation implicite soit

qu’il consent à la requête ou qu’il renonce au droit que le règlement lui donne : celui de

s’objecter à la requête de tenir l’audience en français.

S’il faut accepter comme véridique l’allégation de Maître Juzwiak selon laquelle la

Couronne ne pourrait pas s’opposer à la décision du juge, ainsi, la seule interprétation

possible du droit de faire présenter une requête pour qu’un procès se déroule en français

est que la Couronne doit faire connaître avant la décision du juge sa position sur la

requête et que, si la Couronne n’exprime pas son opposition à ce moment-là, il s’agit soit

d’un consentement implicite ou d’une renonciation à exercer le droit sans équivoque que

le règlement lui réserve : celui de s’opposer à la requête.

Maître Juzwiak avait raison de signaler qu’il était nécessaire d’obtenir une transcription

de l’audience du 10 septembre 2013. En effet, à la lecture des pages 2 et 3 de la

transcription de l’audience du 10 septembre 2013, il est clair que le poursuivant provincial

avait consenti à l’utilisation du français et que le dossier était transféré au bureau de

gestion des causes de Calgary ou à la salle d’audience 1005 du Palais de justice de

Calgary afin que soit fixée une date pour le procès en français.

Je souligne ici l’importante révélation faite par la poursuivante provinciale :

110. Maître Juzwiak

36

If he’s saying that we’ve consented, then even under the order currently we have to

proceed in French. But if we have not, then I expect that we won’t be consenting because

of resource issues.

Ainsi est révélée l’excuse que la Couronne entend utiliser pour s’opposer aux requêtes des

justiciables qui demandent la tenue de leur procès en français : la Couronne allègue que le

non consentement à la tenue de procès en français serait justifié par un manque de

ressources.

111. Narrateur : Lorsque l’avocat de Mc Guire rappelle que, si la Couronne voulait

s’opposer à la requête et qu’elle ne l’a pas fait en temps opportun, retourner le dossier

à Airdrie pour présenter une nouvelle requête serait pénaliser le justiciable, la

poursuivante provinciale allègue :

112. Maître Juzwiak :

But it was sent here for an application, not for a trial. He was sent here for an

application.

113. Narrateur :

La greffière V. Le contredit alors la poursuivante provinciale :

114. La greffière V. Le :

He was sent here to set a date for trial, according to (indiscernible).

115. Maître Juzwiak :

But what kind of trial?

116. Juge Brown :

Pour fixer une – la date pour un procès en français.

117. Maître Juzwiak :

--So if they consented, then they need to set a French date. They can set ---I don’t know if

we’ll have a French prosecutor, but if that’s what they’ve done – so it just depends what

was said on that, and I would think that you’d need to order a transcript to find out if

we’ve actually consented, because if we have, of course, we won’t go back on our word.

But if we haven’t then we’re likely to have a different position.

118. Narrateur :

37

La dernière affirmation de la poursuite provinciale me porte à croire qu’il existait alors

une directive pour que les poursuivants provinciaux ne consentent pas aux requêtes

présentées en vue de tenir des procès en français.

La juge semble ensuite critiquer l’affirmation du poursuivant provincial Melendy qui a

affirmé, lors de l’audience du 10 septembre 2013, que Calgary était mieux équipé que

Airdie pour entendre les causes en français :

119. Juge Brown : D’abord, je ne comprends pas le besoin d’avoir cette contravention à

Calgary …parce que s’il y a un procès en français, c’est complètement disponible à

Airdrie. Alors, ça ce n’est pas un défi du tout.

120. Narrateur :

La poursuivante provinciale indique ensuite que, même si sa collègue qui serait désignée

pour l’audience à Airdrie est bilingue, s’il y a lieu de faire une nouvelle requête pour tenir

l’audience en français, la requête doit être présentée en anglais.

121. Maître Juzwiak : …even if she does speak French, she will do the application in

English…because I know that that’s her position that the application should be done

in English, with an interpreter.

122. Narrateur : Cette affirmation de la poursuivante provinciale laisse entendre que,

non seulement la Couronne ne reconnaît pas la langue française comme une langue

des tribunaux de l’Alberta, mais qu’elle n’hésite pas à engager des frais superflus à

être payés par les contribuables. En effet, si on a un juge bilingue, une poursuivante

provinciale qui est bilingue et un avocat de la défense qui est bilingue, il n’est pas

utile de faire payer par les contribuables un service d’interprétation pour entendre une

requête au sujet de la langue du procès.

Le dossier de Mc Guire retourne donc au Palais de justice de Airdrie. Le 22 octobre

2013, son avocat comparaît, une troisième fois, pour tenter d’obtenir un procès en

français. Dès le début de l’audience, le poursuivant provincial David Burroughs

informe la juge de paix S. J. Taylor :

123. Le poursuivant provincial David Burroughs :

38

I can advise you, Ma’am, this matter was in our court back on September the 10th, 2013.

Mr. Levesque made an application, Ma’am, that Mr. McGuire requires a trial, however, in

the French language only…

It’s back in front of us today. And I can advise you, Ma’am, I also have copies of an order

in council. I will give Mr. Levesque one in case he doesn’t have it…

One for you, Ma’am. And I can advise you the Crown’s position in this matter is to refuse

his application to have a trial in French. He could have one in French if the Crown

consented. I don’t think Mr. Malendy (phonetic) did consent to it…

And I guess part of my reason for objecting to a trial in French, we do not have any fully

bilingual French-speaking commissioners…And I don’t see why we just can’t have a trial

with Mr. McGuire having a French-speaking interpreter, Ma’am.

124. Narrateur:

L’avocat de Xavier Mc Guire prend ensuite la parole en français mais ses propos ne sont

pas transcrits. La transcription indique seulement qu’il aurait parlé dans une autre langue.

Cette pratique est conforme aux directives de Justice Alberta pour la préparation des

transcriptions judiciaires. Ces directives ne prévoient pas la transcription de ce qui est dit

dans les langues autres que l’anglais. À la place des propos prononcés dans une langue

autre que l’anglais, le transcripteur inscrit alors OTHER LANGUAGE SPOKEN ou

FOREIGN LANGUAGE SPOKEN.

L’avocat de Xavier Mc Guire poursuit sa présentation en anglais. Il indique que, le 10

septembre 2013, il a présenté en anglais une requête pour la tenue du procès en français.

À l’aide de la transcription de l’audience du 10 septembre 2013, il prouve qu’à la fois la

Couronne et la Cour ont accueilli la requête.

Le poursuivant provincial intervient pour modifier sa position. Maintenant, sa position

n’est plus que le poursuivant Melendy n’a pas consenti à la requête du 10 septembre

2013.

125. Le poursuivant provincial David Burroughs :

Ma’am, but I don’t think Mr. Malendy knew the Crown’s position at that date.

126. Narrateur :

Le poursuivant suggère à la juge de paix d’ajourner l’audience afin qu’elle puisse prendre

connaissance de la documentation déposée par les parties. Il répète sa position :

39

127. Le poursuivant provincial David Burroughs :

I don’t think Mr. Malendy gave consent…I don’t think he understood the Crown’s

position when he did send it into Calgary. And I know that Ms. Juzwiak, the prosecutor in

Calgary and the Provincial Court judge has sent it back out here to this court in Airdrie,

Ma’am.

128. Narrateur :

Le dossier de Xavier Mc Guire est ajourné de nouveau. Pour une quatrième fois, son

avocat doit se présenter en Cour, cette fois-ci le 14 janvier 2014. À cette audience, la

commissaire Taylor révèle qu’il y a au moins deux commissaires bilingues, possiblement

trois, qui sont en mesure de présider des instances en français.

129. La commissaire Taylor :

So, I understand we have two at least bilingual commissioners that are available, three

probably but two for sure.

130. Narrateur :

Lorsque l’avocat de Xavier Mc Guire informe la Cour qu’en compagnie de d’autres

justiciables, il a décidé de contester la validité constitutionnelle du Règlement 158-2013 parce

que le non consentement de la Couronne à l’utilisation du français était fondé sur un manque

de ressources bilingues, une excuse que la Cour suprême a estimée non acceptable pour

empêcher l’exercice des droits linguistiques, la commissaire explique :

131. La commissaire Taylor :

Mr. Burroughs was saying that he didn’t believe that there was French commissioners and a

French Crown. We’ve learned subsequent to that that there are.

132. Narrateur :

L’avocat de Mc Guire indique alors qu’une autre raison de porter le dossier en Cour du Banc

de la Reine est de contester le fait que la Couronne traite le français comme une langue

étrangère, par exemple, par les directives aux responsables des transcriptions judiciaires. La

commissaire ajourne alors le dossier au 11 mars 2014. L’avocat de Xavier Mc Guire doit

donc se présenter en Cour une cinquième fois pour son client. À l’audience du 11 mars 2014

présidé par la commissaire D. C. Elliott, le poursuivant provincial Brian Trotter annonce, sans

explication, que l’accusation portée contre Xavier Mc Guire est suspendue.

40

133. Le poursuivant provincial Brian Trotter :

Madam clerk, the Crown directs a stay of proceedings in this matter.

134. Narrateur

Dans Beaulac, la Cour suprême du Canada a indiqué : 

135. Le juge Michel Bastarache

« 39.  Je tiens à souligner qu’un simple

inconvénient administratif n’est pas un

facteur pertinent.  La disponibilité de

sténographes judiciaires, la charge de

travail des procureurs ou des juges

bilingues et les coûts financiers

supplémentaires de modification

d’horaire ne doivent pas être pris en

considération parce que l’existence de

droits linguistiques exige que le

gouvernement satisfasse aux dispositions

de la Loi en maintenant une

infrastructure institutionnelle adéquate et

en fournissant des services dans les deux

langues officielles de façon égale. »

39. I wish to emphasize that mere

administrative inconvenience is not a

relevant factor.  The availability of court

stenographers and court reporters, the

workload of bilingual prosecutors or

judges, the additional financial costs of

rescheduling are not to be considered

because the existence of language rights

requires that the government comply with

the provisions of the Act by maintaining a

proper institutional infrastructure and

providing services in both official

languages on an equal basis.

136. Narrateur :

Le Règlement 158/2013 n’oblige pas le poursuivant provincial à motiver son refus de consentir à

la tenue d’une instance française ou bilingue. Quelques poursuivants ont tenté de justifier leur

refus. En septembre 2013, contrairement à la décision Beaulac, la première demande pour obtenir

une audience en français est refusée par Maître Marta Juzwiak pour la raison suivante. 

137. L’avocate Marta Juzwiak

“…we won’t be consenting because of resources issues.”

41

138. Narrateur :

En confiant aux tribunaux des provinces des responsabilités en matière de divorce, un

domaine de compétence fédérale, le gouvernement canadien a négligé de confirmer dans

la Loi sur le divorce le droit des Canadiens d'utiliser la langue officielle de leur choix. Le

18 novembre 2014, pour tenter de justifier l'absence de formulaires français ou bilingues

dans le domaine du divorce, le ministre de la Justice de l'Alberta, Jonathan Denis, écrit à

Kent Hehr, alors député provincial de Calgary-Buffalo:

139. Le ministre Jonathan Denis: «The Divorce Act provides no statutory

mechanism for documents to be filed on a specific language, or for proceedings to be

in a specific language. »

140. Narrateur

Le 12 mars 2015, après la présentation au Palais de justice de Canmore d’une requête au nom

d’un justiciable francophone d’Okotoks pour que sa cause soit entendue en français, on a pu

entendre l’échange suivant entre la juge de paix J.L. Schwager et le poursuivant B. Trotter :

141.  La juge de paix J.L. Schwager

“ And so Mr. Trotter, as the prosecutor, do you consent or not consent to this request?”

142. Le poursuivant B. Trotter

“The Crown does not consent to this, Your Worship.”

143. Narrateur

Et, voilà, comme dans le cas de plusieurs autres requêtes similaires présentées au Palais de justice

de différentes localités de l’Alberta, le représentant du ministère de la Justice ne consent pas à la

tenue d’une audience en français. La situation de Canmore était ironique parce que la

commissaire qui présidait l’audience était bilingue, et, en tant que juge de paix, elle n’a pas

besoin du consentement de l’employé de Justice Alberta pour choisir d’utiliser l’une ou l’autre

des deux langues de nos tribunaux.

Elle choisit donc de terminer l’audience en français : 

144. La juge de paix J.L. Schwager

42

« Monsieur Lévesque, je vous remercie pour vos soumissions aujourd’hui. »

(Transcription de l’audience du 12 mars 2015 : http://documentationcapitale.ca/index.cfm?

Repertoire_No=-751102913&voir=centre_detail&Id=6209 )

145. Narrateur

Le 5 mai 2015, les électeurs de l’Alberta élisent pour la première fois depuis la création de leur

province un gouvernement néo-démocrate. L’assermentation du nouveau Cabinet n’aura lieu que

le 23 mai 2015. Dans une conversation tenue en mai 2015 avec le journaliste Gary Mason, du

Globe and Mail, Glen Clark, l’ex premier ministre néo-démocrate de la Colombie-Britannique

(de 1996 à 1999), anticipe ainsi la situation qu’allait vivre le gouvernement dirigé par Rachel

Notley :

146. L’ex premier ministre Glen Clark :

“They will inherit a bureaucracy that almost certainly will have gone stale… “With one party in

power for 40 years you have learned to have one perspective on your world view. [Bureaucrats

are] not bad people it’s just that they haven’t thought about an alternative world view…Because

there has been one party rule there will be problems. … The bureaucracy won’t want to help

because it has been complicit, and I don’t mean to make them sound nefarious, but they have

been part of working with government to paper over issues that have arisen over the years.”

Le 15 mai 2015, dans le dossier Paquette et autres, un représentant de la Direction du droit

constitutionnel du ministère de la Justice de l’Alberta a une occasion de plaider les droits

linguistiques une dernière fois selon les directives du gouvernement précédent.

La juge Kristine Eidsvik, de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, indique qu’elle ne

comprend pas pourquoi le gouvernement albertain s’oppose au dépôt de documents en français

alors qu’il ne s’opposait pas au dépôt de tels documents dans des causes précédentes qu’elle

présidait. 

147. La juge Kristine Eidsvik :

« Et je veux dire que dans un autre cas que j’étais impliquée, le cas de Caron – in the Caron case,

I was involved in that. Everything got filed in French, with the Government’s consent. So I do

not understand why there is an issue here and where the Government has -- where and why the

Government has changed their position.”

43

(Paquette et autres c. Alberta (transcription de l'audience du 15 mai 2015)

http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-

751102913&voir=centre_detail&Id=6094)

148. Narrateur

La juge ne recevra pas de réponse à cette question.

Dans sa plaidoirie orale du 15 mai 2015 contre le droit de déposer des documents en français

devant les tribunaux de l’Alberta, Maître Donald Padget revient plusieurs fois sur la décision de

la Cour suprême du Canada dans le dossier du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique. À chaque fois, madame la juge Eidsvik indiqué que cette décision n’est pas

pertinente en Alberta. En voici un exemple : 

149. La juge Kristine Eidsvik :

“You have -- you have put all kinds of interesting information on the language rights here, but,

quite frankly, a lot of them do not apply. B.C. is a completely different situation than Alberta, as

you should probably know. For instance -- and you have put in a Supreme Court of Canada case

dealing with a B.C. rule, which is irrelevant, as far as I am concerned, here in Alberta.”

(Transcription de l’audience du 15 mai 2015, page 6, lignes 35 à 40)

150. Narrateur

 La Direction du droit constitutionnel de Justice Alberta continue d’estimer que son interprétation

des droits linguistiques a préséance sur la jurisprudence bien établie de la Cour suprême du

Canada. La juge Eidsvik est pourtant très claire à ce sujet : 

151. La juge Kristine Eidsvik :

“The problem you have though is Beaulac and until that Supreme Court of Canada decision is

overturned, that is your biggest problem -- because Beaulac expands rights. Whenever you have

rights, you have to read them expansively and that is what Judge Brown did in Pooran case as

well. And your Government did not appeal that decision. » (Transcription de l’audience du 15

mai 2015, page 13, lignes 1 à 7)

152. Narrateur

44

La juge rejette la position présentée par le fonctionnaire de Justice Alberta, autorise le dépôt de

documents en français et ajourne le dossier au mois de septembre suivant.

Le 12 juin 2015, la première ministre Rachel Notley profite des célébrations du 25e anniversaire

de l’Association des juristes d’expression française (AJEFA) pour confirmer l’intention de son

gouvernement d’améliorer l’accès à la justice et de promouvoir les services juridiques en

français. Elle indique qu’elle souhaite que l’Alberta devienne une province plus inclusive grâce à

une amélioration de l’accès à la justice et à une promotion des services juridiques en français. La

première ministre de l’Alberta a écrit à l’Association des juristes d’expression française de

l’Alberta (AJEFA) : 

153. La première ministre Rachel Notley

“I hope we can create a more inclusive province by improving access to justice and facilitating

French legal services.”

154. Narrateur

Le 22 septembre 2015, la juge Eidsvik demande à Maître Donald Padget s’il a reçu de nouvelles

directives et qu’elle est sa position sur la lettre écrite par la première ministre Notley. 

155. La juge Kristine Eidsvik

« OK. On va pas -- on va demander à Monsieur Padget, Monsieur Padget -- alors, Monsieur

Padget, Do you have other instructions from - different from what you filed -- the material that

you filed there, back in -- I am looking for it here – back in May?”

156. L’avocat Donald Padget

“No. No, I don’t. And just to – The Premier said a number of things that are aspirational and

general in nature, like, improving access to justice; what does that mean; does it have to mean

more money, does it mean something else; facilitating access in French, has no specific concrete

meaning and strictly-speaking, it’s not relevant to the issue of litigating Charter rights. I mean,

have the Minister or the Premier said the opposite, I don’t think we’re going to be arguing that

that is irrelevant to Charter rights either.

So I thought I was clear that, you know, I don’t have any different instructions. And also, I’m not

here to respond to any lobbying or policy effort. That’s -- that’s not my job.

45

And if others do that with other parts of Government, that’s -- that’s not what I deal with. So I

mean, I could’ve written things then maybe more clearly, but we’re in litigation and until I get

other instructions, we’re still in litigation.”

157. Narrateur

 En février 2016, au Palais de justice de Red Deer, le poursuivant provincial s’oppose à la

demande de Joey Couture d’avoir une audience en français. Maitre Rob Gregory tente ainsi de

justifier son refus : 

158. Le poursuivant Rob Gregory

"clearly the Supreme Court has ruled that the ... French language trials are not a right in the

Province of Alberta, sir. "

159. Narrateur :

Plusieurs personnes commentent la position de la Couronne.

160. Le professeur Sébastien Grammond (vidéo)

"C'est complètement loufoque! La Cour suprême n'a pas pu enlever des droits que l'Alberta elle-

même reconnaît dans sa loi linguistique. La langue des procès n'était même pas en litige dans

l'affaire Caron."

(Sébastien Grammond, ex doyen, Faculté de droit, Université d’Ottawa, et un des avocats de

Pierre Boutet.)

161. Maître Frédéric Bérard: "Je suis du même avis que Sébastien Grammond, en ajoutant, par

ailleurs, que le législateur fédéral a prévu, aux articles 530 et ss., le droit de subir un procès

criminel en français, la portée de ses articles ayant été interprétée de façon large par la Cour

suprême dans l'arrêt Beaulac (1999)." Maître Frédéric Bérard, constitutionnaliste et

codirecteur de l'Observatoire national des droits linguistiques, Faculté de droit, Université de

Montréal.

162. Le professeur Edmund Aunger : "La Cour suprême s'est prononcée uniquement sur la

question du droit constitutionnel au bilinguisme législatif. Il n'y avait rien sur l'usage des langues

dans les tribunaux." Edmund A. Aunger, professeur

émérite en sciences politiques, Campus Saint-Jean, Université de l’Alberta.

46

163. Maître Francis Poulin: "Dans Caron, la Cour d'appel de l’Alberta a spécifiquement exclu la

question du droit à un procès en français car la question était devenue théorique puisque Gilles

Caron avait reçu son procès en français. Cette question n'était donc pas devant la CSC."

Maître Francis Poulin, un des avocats de Caron et de l’ACF

164. Patricia Paradis, la directrice générale du Centre d’études constitutionnelles de

l’Université de l’Alberta, déclare : "C'est bien triste qu'un avocat de Justice Alberta a si mal

compris la décision Caron où la Cour suprême s'est prononcée uniquement sur la question du

droit constitutionnel au sujet du bilinguisme législatif. La décision de la Cour indique clairement

que la Constitution n'oblige pas l'Alberta à édicter, à imprimer ni à publier ses lois et règlements

en français. Mais la loi en Alberta reconnait les droits linguistiques des francophones à subir un

procès en français." Patricia Paradis, directrice générale, Centre d’études constitutionnelles,

Université de l’Alberta

165. Le professeur Yves Frenette: "Il fallait s'y attendre. Soit parce qu'ils sont ignorants, soit

parce qu'ils sont mal intentionnés, des citoyens ou des praticiens du droit vont utiliser la décision

de la Cour suprême dans la cause Caron pour essayer de restreindre les droits linguistiques des

francophones en Alberta et en Saskatchewan. Ces derniers vont devoir redoubler d'efforts."

(Professeur Yves Frenette, titulaire de la Chaire de recherche du Canada Migrations, transferts et

communautés francophones, Université de Saint-Boniface, Winnipeg (Manitoba); auteur de

l’avant-propos du volume Le statut du français dans l’Ouest canadien : la cause Caron.)

166. Le professeur Pierre Foucher : "L’affirmation n’est pas fausse mais elle est incomplète.

Dans Caron, même si n’était en jeu que la langue des lois, c’est l’ensemble de la

constitutionnalisation des droits linguistiques en 1870 qui a été refusée; cela comprend donc la

langue des procès. Dans cette mesure, Caron a décidé qu’il n’existe pas de droit constitutionnel à

un procès dans sa langue en Alberta. Par contre l’Alberta a elle-même reconnu le droit d’utiliser

sa langue devant certains tribunaux (dans la loi linguistique) et au moins un arrêt en a extrapolé le

droit d’être compris sans l’aide d’un interprète (Pooran). Cela semble donc renverser Société des

Acadiens dans lequel un droit semblable (utiliser le français devant les tribunaux du NB) avait été

interprété comme n’incluant pas le droit d’être compris sans interprète. Mais Société des

Acadiens était fondé sur l’interprétation via le compromis politique, une règle d’interprétation

47

écartée dans Beaulac, ce qui pourrait permettre de réévaluer la conclusion tirée dans Société des

Acadiens." Professeur Pierre Foucher, Faculté de droit, Université d’Ottawa

167. Le professeur François Larocque

« À mon avis, le poursuivant provincial a erré en affirmant: ‘clearly the Supreme Court has ruled

that the … French language trials are not a right in the Province of Alberta, sir.’ Le bilinguisme

judiciaire n’était pas en jeu dans l’affaire Caron et la Cour suprême a scrupuleusement évité de se

prononcer sur cette question. L’affaire Caron portait uniquement sur le bilinguisme législatif. La

Cour suprême du Canada ne s’est pas prononcée sur la question à savoir si l’article 4 de la Loi

linguistique, RSA 2000, c L-6, donne le droit aux Franco-Albertains à un procès en français. La

décision de la juge Brown dans l’affaire R c Pooran demeure, à ma connaissance, la seule autorité

judiciaire sur cette question. »

Professeur François Larocque, Faculté de droit, Université d’Ottawa, et un des avocats de Boutet

et de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA).

168. L’avocat à la retraite, Jean-Marc Demers :"Quelle histoire indigne ! Il faut que les juges

du Québec à la Cour suprême sachent ce que font les fonctionnaires de Justice Alberta avec leurs

décisions." Jean-Marc Demers, avocat à la retraite, Québec

169. Narrateur :

Le 14 avril 2016, dans une décision unanime écrite par la juge Rosalie Abella, la Cour suprême

du Canada tranche, dans le dossier Daniels c. Canada, [2016] 1 SCR 99, une question

constitutionnelle soulevée depuis 149 ans.

170. La juge Rosalie Abella :

[13] Le gouvernement fédéral et les

gouvernements provinciaux ont tour à

tour nié avoir le pouvoir de légiférer à

l’égard des Indiens non inscrits et des

Métis. Comme l’a conclu le juge de

première instance, quand les Métis et les

Indiens non inscrits demandent au

[13]   Both federal and provincial

governments have, alternately, denied

having legislative authority over non-

status Indians and Métis. As the trial

judge found, when Métis and non-status

Indians have asked the federal

government to assume legislative

48

gouvernement fédéral d’assumer

compétence législative à leur égard,

celui-ci tend généralement à répondre que

le par. 91(24) (de la Loi constitutionnelle

de 1867) l’empêche de le faire. Et lorsque

ces groupes s’adressent aux

gouvernements provinciaux, ces derniers

leur opposent souvent un refus au motif

que la question relève du champ de

compétence fédéral.

[14] Ces collectivités autochtones se

retrouvent donc dans une sorte de désert

juridique sur le plan de la compétence

législative, situation qui, comme l’a

reconnu le juge Phelan, a des

conséquences défavorables importantes et

évidentes...

[15] Les gouvernements fédéral et

provinciaux refusant tous deux de

reconnaître compétence à leur égard, les

Métis et les Indiens non inscrits n’ont

personne qu’ils peuvent tenir responsable

de ce statu quo inopportun.... L’existence

d’un vide législatif reflète manifestement

le fait qu’aucun ordre de gouvernement

n’a reconnu sa responsabilité sur le plan

constitutionnel. Un jugement déclaratoire

garantirait à la fois la certitude et la

responsabilité à cet égard, et satisferait

ainsi facilement au seuil jurisprudentiel

authority over them, it tended to respond

that it was precluded from doing so by s.

91(24). And when Métis and non-status

Indians turned to provincial

governments, they were often refused on

the basis that the issue was a federal one.

[14] This results in these Indigenous

communities being in a jurisdictional

wasteland with significant and obvious

disadvantaging consequences, as was

recognized by Phelan J. …

[15]   With federal and provincial

governments refusing to acknowledge

jurisdiction over them, Métis and non-

status Indians have no one to hold

accountable for an inadequate status

quo… The existence of a legislative

vacuum is self-evidently a reflection of the

fact that neither level of government has

acknowledged constitutional

responsibility. A declaration would

guarantee both certainty and

accountability, thereby easily reaching

the required jurisprudential threshold of

offering the tangible practical utility of

49

applicable, soit le fait de présenter l’utilité

pratique tangible de régler un conflit de

compétence de longue date…

[20] Pour éviter toute incertitude dans

le futur, le fait de rendre un jugement

déclaratoire confirmant leur inclusion

dans le champ d’application du mot «

Indiens » présente donc une utilité

démontrable.

[21] Il nous reste donc essentiellement

à nous demander si les Métis sont eux

aussi inclus.

[22] Selon le point de vue dominant,

les Métis sont des « Indiens » visés au par.

91(24). Le professeur Hogg, par exemple,

estime que le mot « Indiens » utilisé au

par. 91(24) a une portée très englobante,

qui inclut vraisemblablement les Métis :

[traduction] Les Métis, personnes nées

dans l’Ouest de mariages entre des

hommes canadiens-français et des femmes

indiennes à l’époque du commerce des

fourrures, ont reçu des concessions de

terres de « Sang-Mêlés », au lieu du droit

de vivre dans des réserves, et ils ont par

conséquent été exclus du groupe duquel

découlait le statut d’Indien. Cependant,

ils sont probablement des Indiens visés au

par. 91(24). (Peter W. Hogg,

Constitutional Law of Canada (5e éd.

the resolution of a longstanding

jurisdictional dispute…

[20]   …To avoid uncertainty in the

future, therefore, there is demonstrable

utility in a declaration that confirms their

inclusion.

[21]   We are left then to consider

primarily whether the Métis are included.

[22]         The prevailing view is that Métis

are “Indians” under s. 91(24). Prof. Hogg,

for example, sees the word “Indians”

under s. 91(24) as having a wide compass,

likely including the Métis:

     The Métis people, who originated in

the west from intermarriage between

French Canadian men and Indian women

during the fur trade period, received

“half-breed” land grants in lieu of any

right to live on reserves, and were

accordingly excluded from the charter

group from whom Indian status devolved.

However, they are probably “Indians”

within the meaning of s. 91(24).

(Peter W. Hogg, Constitutional Law of

Canada (5th ed. Supp.), at p. 28-4)

50

suppl.), p. 28-4)

[23] En fait, le mot « Indiens » a

longtemps été utilisé comme terme

générique désignant tous les peuples

autochtones, y compris les collectivités

d’ascendance mixte comme les Métis. Le

terme a été créé par les colons européens

et appliqué aux peuples autochtones du

Canada sans qu’aucune distinction ne soit

faite entre eux...

[42] Il ne fait aucun doute que les

Métis forment un peuple distinct. Notre

Cour a reconnu leur caractère distinct

dans deux affaires récentes...

[50] Il y a donc lieu d’accorder le

premier jugement déclaratoire demandé.

Les Indiens non inscrits et les Métis sont

des « Indiens » visés au paragraphe

91(24) (de la Loi constitutionnelle de

1867), et c’est vers le gouvernement

fédéral qu’ils peuvent se tourner.

[23]     In fact, “Indians” has long been

used as a general term referring to all

Indigenous peoples, including mixed-

ancestry communities like the Métis. The

term was created by European settlers

and applied to Canada’s Aboriginal

peoples without making any distinction

between them…

[42]         There is no doubt that the Métis

are a distinct people. Their distinctiveness

was recognized in two recent cases from

this Court…

[50]         The first declaration should,

accordingly, be granted as requested.

Non-status Indians and Métis are

“Indians” under s. 91(24) and it is the

federal government to whom they can

turn.

170. Narrateur

 Le 2 juin 2017, Michel Bastarache prend la parole à Calgary au banquet annuel de l’Association

des juristes d’expression française de l’Alberta (AJEFA) : 

171. Michel Bastarache

« ll n’y a pas de raison pour que nous nous trouvions encore continuellement devant les tribunaux

pour la mise en œuvre des droits linguistiques…Nous ne pouvons pas continuer à résister à

l’application de ces droits comme si celle-ci avait pour effet d’enlever quelque chose aux

51

membres de la majorité… il semble bien que rien n’est acquis pour toujours, qu’il ne faut jamais

que la minorité menacée par l’assimilation baisse la garde. »

172 Narrateur

Le 14 juin 2017, le gouvernement albertain rend public sa politique en matière de

francophonie. Le texte de cette politique indique que l’Alberta va signer la version

française de deux ententes Canada-Alberta. Selon l’interprétation restrictive plaidée

le 15 mai 2015, cela signifierait que les ministres du présent gouvernement albertain

continueraient, sauf pour deux exceptions, la politique du gouvernement précédent

de refuser de signer la version française des ententes Canada-Alberta.

Or, le 9 août dernier, la directrice des communications de la première ministre

Notley confirme que celle-ci n’a pas l’intention de refuser de signer la version

française des Ententes Canada-Alberta.

Est-ce un signe que l’Alberta accepte enfin de respecter la jurisprudence bien établie

de la Cour suprême du Canada en matière d’interprétation des droits linguistiques ?

En date de cette lecture collective (29 septembre 2017), il n’est pas encore confirmé

que les fonctionnaires de Justice Alberta vont enfin respecter la jurisprudence bien

établie de la Cour suprême du Canada en matière d'interprétation des droits

linguistiques; qu’ils vont cesser de plaider qu'on peut parler en français devant les

tribunaux albertains, mais qu'on n'a pas le droit d'être compris en français; qu’ils

vont cesser de s'opposer au dépôt de documents en français devant les tribunaux;

qu’ils vont cesser d’empêcher l'utilisation du français dans les domaines de

compétence fédérale comme le divorce; qu’ils vont cesser de refuser de reconnaître

l'authenticité d'un testament signé en français; qu’ils vont cesser de ne pas fournir

de formulaires de procédure en français ou bilingues; et, enfin, qu’ils vont cesser de

poursuivre bien d'autres positions contraires à l'épanouissement d'une communauté

minoritaire de langue officielle.

Les Canadiens connaissent peu l’histoire de leur pays, encore moins celle des droits linguistiques.

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Au moment où nous sommes invités à célébrer les 150 ans de la fédération canadienne, il est

inacceptable que des droits fondamentaux réclamés au début de la Confédération soient encore

contestés.

Nous profitons de notre rencontre d’aujourd’hui pour rendre un hommage posthume à un Franco-

Ontarien de Rockland, décédé en février dernier. Dessinateur professionnel, Michel Lavigne a été

entre autres caricaturiste pour la presse de la francophonie canadienne hors Québec. Au cours des

12 dernières années, il a produit plus d’une centaine de dessins en appui aux revendications de

bilinguisme judiciaire. Nous en avons quelques exemples ici aujourd’hui. Suivant le principe des

deux solitudes, la version française de ces dessins a été ignorée par la majorité anglophone du

pays. Nous espérons qu’il en sera autrement lors de la diffusion de la version anglaise et de la

version bilingues des dessins créés par Michel Lavigne. 

Note : une version plus élaborée de ce texte sera disponible pour la lecture collective qui sera

tenue au cours des prochaines semaines.

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