C. PITSAKIS - Les Mariages Mixtes Dans La Tradition Juridique de l'Eglise Grecque

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Cahiers Pierre Belon

10 | 2003 : Le droit romano-byzantin dans le Sud-Est europen

Les mariages mixtes dans la tradition juridique de lglise grecque : de lintransigeance canonique aux pratiques modernesMixed Marriages in Greek Church Juridical Tradition: From Canonical Intransigence to Modern Practices

CONSTANTINOS G. PITSAKISp. 107-145

RsumsEn matire de mariage mixte, bien que lintransigeance du Concile Quinisexte (692) soit thoriquement toujours en vigueur de nos jours, lglise orthodoxe grecque a lentement volu selon le principe dconomie, qui prconise dappliquer le dogme aux situations pastorales afin de sauvegarder lunit de la communaut ecclsiale. Ces premiers arrangements ont vu le jour aux XIIe-XIIIe sicles avec lirruption de lIslam dans lEmpire, ainsi quavec la Quatrime croisade, et nont pas eu de forme identique sil sagissait de musulmans ou de catholiques romains (voire orientaux). Aprs une courte priode de svrit renouvele au dbut du XIXe sicle, on en vient mme entriner les mariages entre chrtiens (1897), ce qui a t facilit par lvolution pralable du droit civil. Mixed Marriages in Greek Church Juridical Tradition: From Canonical Intransigence to Modern Practices With regard to marriage, although the Quinisexte Council (692) intransigence is theoretically still in force today, the Greek Orthodox Church has slowly evolved under the influence of the principle of economy, which calls for applying the doctrine to pastoral situations in order to safeguard the unity of the ecclesial community. These initial arrangements have emerged in the 12th-13th centuries with the arrival of Islam in the empire, as well as the Fourth Crusade, and have not been identical if they were Muslims or Roman (and Eastern) Catholics. After a short period of renewed severity in the early 19th century, the marriage between Christians has even been allowed (1897), which was facilitated by the prior evolution of civil law.

Notes de la rdaction Texte dun expos prsent au sminaire : Mariage et famille : le problme des mariages mixtes (Istanbul, 6-7 novembre 1997), dont les actes nont pas t publis. Le caractre juridique du sminaire est lorigine du contenu et du style, quelque peu technique de ce

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texte.

Texte intgral

I. La norme canonique1. La lgislation du concile in Trullo1

La rglementation canonique dfinitive des mariages mixtes dans lglise dOrient, pour ce qui est aujourdhui dans lglise orthodoxe, toujours officiellement en vigueur, a t faite dune manire fortement ngative par le canon 72 du concile in Trullo, ou concile Quinisexte, de lan 692 ; concile lgislatif par excellence de lglise de tradition byzantine1 : , , , . , 2. Ne liceat virum orthodoxum cum muliere haeretica matrimonio contungi, neve mulierem orthodoxam viro haeretico nubere ; sed et si quid eiusmodi a quopiam ex omnibus fieri apparuerit, irritae nuptiae existimandae sunt et nefarium coniugium dissolvendum est ; neque enim ea quae non sunt miscenda misceri, nec ovem cum lupo, nec peccatorum sortem cum Christi parte coniungi oportet. Si quis autem ea, quae a nobis decreta sunt, transgressus fuerit, excommunicetur3. Quil ne soit pas permis un homme orthodoxe de sunir une femme hrtique, ni une femme orthodoxe dpouser un homme hrtique ; et si pareil cas sest prsent pour nimporte qui, le mariage doit tre considr comme nul et le contrat matrimonial illicite est casser ; car il ne faut pas mlanger ce qui ne se doit pas, ni runir un loup une brebis, [ni le sort des pcheurs la part du Christ]. Si quelquun transgresse ce que nous avons dcid, quil soit excommuni 4 .

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3

Le canon du concile in Trullo reprend et cherche gnraliser une interdiction dj prsente, sous une forme plus nuance ou dapplication plus restreinte, dans des canons de certains conciles locaux antrieurs, dont la lgislation a t confirme, dans son ensemble, par le canon 2 de ce mme concile in Trullo, et ds lors de force canonique concomitante. Dont : (a) le canon 10 de Laodice (ca. 380) : . Le canon contient une double ambigut : seraient-ils des ecclsiastiques , comme traduisait dj Denys le Petit, au VIe sicle (Quod non oporteat indifferenter ecclesiasticos ad foedera nuptiarum hereticis suos filios filiasque coniungere), ou bien tous les chrtiens, les membres de lglise , selon linterprtation unanime des canonistes byzantins5, suivie par Joannou (Que les membres de lglise ne marient pas indiffremment leurs enfants avec les hrtiques) ? Et cette expression indiffremment , indifferenter, signifierait-elle tout simplement que cette question nest pas indiffrente , sans importance, ou introduirait-elle une distinction entre plusieurs catgories d hrtiques ? La doctrine byzantine est aussi unanime rejeter toute distinction de cette sorte, donc toute distinction entre des cas de mariages mixtes interdits et des cas de mariages mixtes permis6. Quoi quil en soit, linterdiction est rpte dans

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(b) le canon 31 de Laodice, cette fois sans ambigut, mais tout en laissant une possibilit d accepter ou de recevoir un hrtique dans une famille chrtienne , si celui-ci promet de se convertir : , . Quod non oporteat cum hereticis universis nuptiarum foedera celebrare nec eis filios dare vel filias ; sed magis accipere, si tamen promittant se fieri Christianos (traduction ancienne de Denys le Petit) La traduction franaise de Joannou, de caractre plus juridique, fait disparatre cette nuance dordre social entre dare et accipere dans une famille : On ne doit pas se marier avec des hrtiques quels quils soient, ni leur donner en mariage ses fils et filles, moins quils ne promettent de se faire chrtiens 7 .

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(c) Le canon 21 du concile de Carthage (419) qui interdit particulirement les mariages des enfants des membres du clerg avec des paens ou des hrtiques : Item placuit ut filii clericorum gentilibus vel hereticis matrimonio non coniugantur (dans la traduction grecque officielle des collections canoniques orientales : ). Dans la lgislation des conciles cumniques avant le Quinisexte, un seul canon, le canon 14 du concile de Chalcdoine (IVe concile cumnique), traite de ce sujet, dans un cas trs particulier aussi, au moins en apparence. Ceux qui seraient entrs dans les ordres mineurs, qui nempchent pas le mariage aprs lordination, ne doivent pas pouser des femmes htrodoxes (le terme est clairci plus bas : hrtiques, juives ou paennes) ; dans la ligne des canons de Laodice et de Carthage ils ne doivent pas non plus donner leurs enfants en mariage des personnes htrodoxes, moins que celles-ci ne promettent dembrasser la foi chrtienne orthodoxe : , . , . . Quoniam in quibusdam provinciis concessum est lectoribus et psalmistis uxores accipere, statuit sancta synodis non licere cuiquam ex his sectae alterius uxorem accipere. Qui vero ex huiusmodi coniugio iam filios susciperunt neque copulari debet nuptura haeretico, Iudaeo vel pagano, nisi forte promittat se ad orthodoxam fidem orthodoxe copulanda persona transferre. Si quis autem hanc definitionem sanctae sinhodi transgressus fuerit, correptioni canonicae subiacebit)8.

7

On sait que le concile de Chalcdoine avait sous les yeux une collection canonique comprenant les canons de Laodice qui empchaient le mariage avec des hrtiques pour tous les fidles. Pourquoi donc cette disposition trs particulire propos des seuls lecteurs et chantres ? On a vu l une influence du canon 21 de Carthage, ce qui parat peu probable, et nexplique dailleurs pas grand-chose. On devrait plutt sassocier lopinion dun minent canoniste orthodoxe contemporain, Mgr Pierre LHuillier, un spcialiste de la lgislation des quatre premiers conciles cumniques : Canons 10 and 31 of Laodicea, appearing in the collection used by fathers of Chalcedon, forbade all Christian from marrying heretics No doubt, this ruling was poorly observed by many laymen. Since readers and chanters were at the limit between the clergy and the laity, they neglected it also. Canon 72 of Trullo was to go further by nullifying absolutely the marriages between orthodoxs and heretics9 .

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2. Les effets civils8

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Dans toute cette lgislation conciliaire une chose parat tre trs claire. cette poque, o une vraie doctrine sacramentelle ne stait pas encore dveloppe sur le mariage, le problme des mariages mixtes (ce terme moderne nexiste videmment pas dans le vocabulaire juridique de lpoque) ne se pose pas encore sur un plan doctrinal propre. Il relve plutt du domaine de la pastorale ecclsiastique ou de la pratique sociale : on voque surtout limpossibilit dintgration de la personne infidle la communaut et de coexistence dans le lien conjugal et en famille, la difficult dexclusion efficace de linfluence htrodoxe , le problme du sort religieux de la progniture. Cest l, dans le problme dintgration la communaut et la famille, que se trouve linterprtation de ces termes, presque incomprhensibles voire insignifiants sur le plan proprement juridique, du canon 31 de Laodice : ne pas donner en mariage mais plutt recevoir (non dare, sed magis accipere ; ou didonai, alla mallon lambanein). Les commentateurs ont mme souvent recours des notions de droit civil, par excellence la dfinition clbre du mariage par Modestin dans Dig. 23.2.1 : Nuptiae sunt coniunctio maris et feminae et consortium omnis vitae, divini et humani iuris communicatio. Si le mariage est un consortium (syn-klrsis) omnis vitae et aussi une communicatio divini iuris, comment pourrait-on envisager un mariage entre personnes qui nont pas un sort commun ni dans cette vie ni dans celle venir, qui nont rien de commun du point de vue du droit divin ? Ce nest sans doute pas par hasard que le canon du concile in Trullo se rfre particulirement au sort (klros) des pcheurs quon ne doit pas unir la part du Christ. Le fait que le mariage dune personne chrtienne avec un hrtique et mme avec un non-chrtien, si ce dernier promet de se convertir, mais avant quil ne soit effectivement converti et baptis (canons 31 de Laodice et 14 de Chalcdoine), tait considr par lglise comme licite, et mme, semble-t-il, souhaitable, fait bien ressortir que le mariage dun chrtien avec un infidle , rprouv en principe pour des raisons pastorales et sociales, ntait pas considr comme institutionnellement impossible, nallait pas encore lencontre de la doctrine ou dune thologie sacramentelle. Le concile in Trullo qui a procd systmatiquement une institutionnalisation du droit canonique oriental a supprim cette possibilit, mais sans encore tablir une thologie des mariages mixtes. No doubt, this ruling was poorly observed by many laymen , pour rpter les paroles de Mgr LHuillier. En effet, comme les conditions juridiques et les empchements de mariage lpoque du concile de Chalcdoine (Vesicle), et mme aussi celle du concile in Trullo (VIIesicle), relevaient encore du seul droit civil, qui nempchait pas en principe le mariage pour cause de disparit de religion mme sil semblait parfois le dsapprouver et le frappait de certaines mesures dordre financier ou administratif, surtout en faveur de la partie orthodoxe , les dispositions canoniques conciliaires rprouvant les mariages mixtes navaient dapplication propre quau niveau de la pastorale et de la discipline ecclsiastiques, et, en principe, naffectaient pas, au moins directement, le sort du mariage en soi. Le rdacteur du Nomocanon en XIV titres invoque toujours la dfinition de Modestin pour dplorer ce fait : , , , , 10 .

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Seule exception explicite, la disposition de Cod. 1. 9. 6 (a. 388), propos du mariage dune personne juive avec un chrtien :

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Ne quis Christianam mulierem in matrimonium Iudaeus accipiat neque Iudaeae Christianus coniugium sortiatur. Nam si quis aliquid huiusmodi adtiserit, adulterii vicem commisst huius crimen obtinebit, libertate in accusandum publicis quoque vocibus relaxata (Basiliques 1. 1. 34 : , ).

3. La comptence exclusive de lglise en matire de clbration de mariage11

12

Cest seulement au dbut du Xe sicle que lglise devient, par la Novelle 89 de Lon VI le Sage, la seule autorit qui puisse clbrer un mariage lgitime pour tous les Chrtiens de lEmpire, mme du point de vue du droit civil. Elle le sera jusqu la chute de lEmpire, et aussi pendant toute la priode ottomane et dans ltat grec moderne jusqu la fin du XXe sicle, soit sous le droit dit romano-byzantin introduit en 1835, en vigueur jusquen 1946, soit, aprs cette date, sous le Code civil grec, qui ne reconnaissait que le mariage religieux, entre chrtiens ou non-chrtiens (la possibilit lgale dun mariage civil ne fut introduite en Grce quen 1982 ; une volution peu prs analogue a eu lieu aussi dans la rpublique de Chypre). Du fait de ce monopole ecclsiastique en matire de clbration dun mariage lgal, le droit de lglise pour ce qui est des conditions et des empchements de mariages sest dsormais invitablement impos au niveau aussi du droit civil ; lglise y exerce un contrle effectif et exclusif. En vertu du canon 72 du concile in Trullo, dernier mot de la lgislation canonique en la matire, les mariages mixtes entre orthodoxes et hrtiques (entre chrtiens orthodoxes et non-chrtiens aussi, plus forte raison : ce dernier cas, prvu dans les canons des conciles antrieurs et sans doute considr dj comme impensable, nest plus mentionn expressment dans les prvisions du canon du concile in Trulo, mais il y est certainement compris a fortiori) sont dsormais considrs comme absolument interdits par le droit positif, la fois droit canonique et droit civil, et lglise dispose maintenant, au moins en thorie, de tous les moyens pour imposer cette interdiction dans les faits.

4. Effets rtroactifs de la conversion lorthodoxie13

14

Selon un principe gnral de la doctrine et de la pratique juridiques byzantines, tout empchement matrimonial dirimant, qui nexistait pas lors de la clbration du mariage mais qui sest produit par la suite, a des effets rtroactifs quant la validit du mariage, dont il entrane, en rgle gnrale, lannulation. Il sagit dune particularit du droit matrimonial byzantin, qui a parfois cr des constructions bizarres voire ridicules, tout au moins nos yeux11 . Par une trs rare exception, dans le cas du canon 72 du Quinisexte, cet effet rtroactif est explicitement exclu ; si dans un couple d hrtiques ou de non-chrtiens lun des poux se convertit lorthodoxie et que lautre demeure dans sa religion non-chrtienne ou dans son hrsie, il ne se produit pas en soi dempchement caractre rtroactif, de nature annuler le mariage existant, ce qui constituerait, dailleurs, selon le cas, soit un obstacle pour la conversion de lpoux intress lorthodoxie soit une occasion pour des conversions de complaisance, visant dissoudre automatiquement un mariage devenu indsirable. Lexception tait dailleurs invitable, car il sagit dun cas prvu explicitement dans lcriture :

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Si un frre a une femme non croyante qui consente cohabiter avec lui, quil ne la rpudie pas. Si une femme a un mari non croyant qui consente cohabiter avec elle, quelle ne le rpudie. En effet le mari non croyant se trouve sanctifi par sa femme, et la femme non croyante se trouve sanctifie par son mari croyant. Car autrement vos enfants seraient impurs, alors quils sont saints Et qui sait, femme, si tu ne sauveras pas ton mari ? Et qui sait, mari, si tu ne sauveras pas ta femme ? (I Cor. 7. 12-16).15

Cest prcisment ce prcepte quinvoque le canon 72 : , , , , , , , . Si qui autem, cum infideles essent et in orthodoxorum gregem nondum relati essent, inter se legitimo matrimonio coniuncti sunt, deinde alter quidem, eo quod est honestum electo, ad lucem veritatis accessit, alter vero erroris vinculo detentus est, nolens divinos radios fixis oculis intueri, si infideli uxori placet cum viro fideli habitare, vel vice versa viro infideli cum fideli uxore, ne separentur. Ex divina enim apostoli sententia, "sanctificatus est vir infidelis in muliere, et sanctificata est mulier infidelis in viro. Quant ceux qui tant encore mcrants avant dtre admis au bercail des orthodoxes, sengagrent dans un mariage lgitime, si lun dentre eux ayant choisi la part la meilleure vint la lumire de la vrit, tandis que lautre fut retenu dans les liens de lerreur sans vouloir contempler les rayons de la lumire divine, si lpouse incroyante veut bien cohabiter avec le mari croyant, ou vice versa le non-croyant avec la croyante, quils ne se sparent pas, car, selon le divin Aptre, le mari non-croyant est sanctifi par sa femme, et la femme non-croyante est sanctifie par son mari (traduction Joannou).

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Mme mention aussi dans le canon 9 de saint Basile, dans un contexte diffrent : , , , , ; (traduction Joannou : Mme dans le cas du mari non-chrtien, on nordonne pas la femme de se sparer de lui, mais de rester, parce quon ne sait ce qui en rsulterait : Qui sait, femme, si tu ne sauveras pas ton mari ? )12.

17

18

Au XIIe sicle Thodore Balsamon, dans deux passages de son commentaire considre encore cette dernire distinction du canon 72 comme valable13. Il a mme le courage den proposer une interprtation assez large : un ancien hrtique converti, dont la femme et les enfants insistent sur lhrsie, non seulement ne doit pas se sparer de sa femme (et de sa famille), mais peut aussi, malgr cela, entrer dans les ordres. Le canon du Quinisexte prvaudrait, selon Balsamon, contre le canon 36 de Carthage : Ut episcopi et presbyteri et diaconi non ordinentur priusquam omnes qui sunt in domo eorum christianos facerint, qui, selon Balsamon ne serait applicable quaux orthodoxes de naissance ayant pous des femmes non-chrtiennes ou non-orthodoxes14 . Cela ne saurait exclure la possibilit dun divorce qui pourrait tre prononc pour cause de disparit de religion (disparitas cultus) sur la demande surtout de la partie orthodoxe , malgr la rprobation scripturaire et canonique. Au sujet de la disparit de religion ( ), le Nomocanon en XIV titres cite surtout Cod. 5. 1. 5, portant sur la dissolution des fianailles propter religionis vel sectae diversitatem. A une poque postrieure, dans lenvironnement compltement christianis et orthodoxe de lEmpire, ces cas sont devenus, semble-t-il, trs rares. Balsamon15 cite un exemple sous le patriarcat de Thodote II (1151/2-1153/4) : un bucinator imprial nouvellement baptis se spare, par dcret

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patriarcal, de sa femme qui, malgr les instances de son mari, refuse de se convertir. En effet, Matthieu Blastars, un minent continuateur de Balsamon, crira ce propos, deux sicles plus tard (1334/1335), en scartant quelque peu de lavis de son ancien : , , , ; je suis persuad que [le prcepte paulinien de I Cor. 7.12-16] ne se rfrait quaux circonstances primitives dalors, aux dbuts de la diffusion du message vanglique ; car aujourdhui comment pourrait-on concevoir quun juif ou un musulman converti cohabite encore avec une femme non-baptise ou quune femme baptise cohabite avec linfidle ? 16.19

Le cas inverse, savoir le cas o dans un couple jusque l orthodoxe lun des poux se convertit une autre religion (ou une hrsie ), ne se pose pas dans toute cette littrature ; au moins pour ce qui est de la conversion dun chrtien une autre religion, lapostasie constitue, en droit byzantin, comme dans tous les droits mdivaux, un crime de droit pnal commun, puni par la peine capitale.

II. Les ralits de lEmpire dOrient20

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la fin de la priode conciliaire, le christianisme orthodoxe ou catholique (les deux termes sont encore synonymes) se trouve tabli comme religion dEmpire prtendant lexclusivit. Comme le mariage entre juifs et chrtiens avait t assez tt prohib par le droit positif sculier, et que pour les hrsies , condamnes la fois par le droit ecclsiastique et sculier, un seul statut est pratiquement concevable lintrieur de lEmpire, celui de la perscution ou de la conversion volontaire ou force, pratiquement aucun vritable problme de mariages mixtes , avant la lettre, ne se pose dans la vie de lEmpire, au moins jusqu lapparition de lIslam. La norme canonique absolument prohibitive du concile in Trullo pourrait donc tre gnralement et aisment applique. Le problme nentre dans la pratique byzantine que par linvasion et la prsence de lislam dans des territoires de lEmpire ; le second lan, de beaucoup plus important, est videmment donn par le schisme entre les glises dOccident et dOrient. Cest toujours le commentaire de Thodore Balsamon, au XIIe sicle, qui traite de ce sujet sous ses deux aspects (mariage dun chrtien avec un non-chrtien, mariage entre un orthodoxe et un non-orthodoxe ), pour la premire fois du point de vue du droit canonique oriental.

1. Le mariage dun chrtien avec un non-chrtien22

Or, le mariage dun chrtien avec un non-chrtien a toujours t, il lest encore aujourdhui, hors de question en droit canonique oriental. Balsamon, se trouvant dans un milieu o lglise seule a depuis longtemps la possibilit de clbrer lgalement le mariage, dont elle a par consquent le contrle absolu, se demande deux reprises comment les orthodoxes gorgiens peuvent donner leurs propres filles en mariage des musulmans, et cela, parat-il, avec la tolrance, sinon le consentement, de lpiscopat local : , , , , 17 ; [sc. 78 du concile in Trullo] ,

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En 1195 Balsamon rdige, au nom du synode de Constantinople, des rponses sur diverses questions canoniques poses par le patriarche orthodoxe dAlexandrie, Marc19. Le patriarcat dAlexandrie, se trouvant depuis des sicles en dehors de lEmpire, sous domination de lislam, avec une prsence importante de communauts chrtiennes non-chalcdoniennes, considres comme hrtiques, avait affronter des problmes particuliers sur les rapports de ses fidles avec les non-chrtiens et les non-othodoxes. Or, la question N 36 porte justement sur le cas de femmes orthodoxes ayant contract de prtendus mariages ( ) avec des Sarrasins ou des hrtiques ; seraient-elles acceptes la communion ? Rponse : non ; elles sont excommunies en vertu du canon 72 du concile in Trullo. Elles seront acceptes seulement aprs la dissolution du mariage ( du mal , dit-il : tou kakou) et aprs quelles aient fait pnitence20. On se demande mme21 si quelquun qui a eu de simples relations charnelles avec une femme juive ou musulmane ne devrait pas tre rebaptis ! Ici Balsamon, malgr son intransigeance canonique, se rvolte : il sagirait videmment dune personne coupable de fornication, coupable mme, si on veut, de rapports sataniques ( ), souille sans doute, mettre en pnitence svre certainement, mais on ne rebaptise pas ainsi les pcheurs. Le cas des princesses byzantines donnes en mariage des princes tartares, mongoles, persans ou turcs, dans le contexte des relations extrieures de lEmpire, surtout lpoque du dclin (Marie et Euphrosyne Palologue, filles illgitimes de lempereur Michel VII maries avec Ilkhan Abaga, khan mongol de Perse, en 1265, et Nogaj, chef tartare ; Marie, leur nice, fille illgitime dAndronic II Palologue, pouse de Tuktai, khan mongol de la Horde dOr, la fin du XIII sicle ; Thodora, fille de lempereur Jean VI Cantacuzne, donne en mariage son alli ottoman Ohrhan ; la clbre kyra Mara elle-mme, pouse de Murat II et belle-mre trs respecte de Mehmet II le Conqurant, ne Marie Brankovi, fille du despote Georges [Djuradj] de Serbie et de la princesse grecque Irne Cantacuzne) ntaient que des mariages contracts en dehors de lEmpire et ignors de lglise. Au moins dans le premier cas, les historiens byzantins insistent sur le fait que le mariage a t accompagn de la conversion du grand-khan Abaga. En tout cas, Marie Palologue, veuve khatun des Mongols, la kyra des Mongols de la tradition byzantine, de retour sa Ville impriale, fit construire son glise, Notre-Dame-desMongols, glise de la priode byzantine qui est aujourdhui encore affecte sa premire destination. Cest probablement cette mme Marie Palologue, ou bien sa nice et homonyme, khatun des Mongols elle aussi, qui figure, comme co-fondatrice, sur les splendides mosaques du monastre de Chora, (Kahriye) Camii, sous son nom en religion, Mlan, mais aussi avec son titre mongol : h kyra tn Mougoulin. Et lon sait bien le rle trs important qua jou cette troisime homonyme, la kyra Mara Brankovi, dans les affaires du patriarcat aprs la prise de Constantinople et jusqu sa mort (ca. 1480).

2. Le mariage dun chrtien orthodoxe avec un hrtique 25

Nous venons de voir lattitude de Balsamon ce sujet, dans ses rponses Marc dAlexandrie. Le grand canoniste considre comme absolument identiques, selon la lettre du canon du concile in Trullo, les deux cas : mariage avec un non-chrtien ou mariage avec un hrtique . Il soppose catgoriquement toute ide de mariage mixte ou dintercommunion, mme dans les circonstances trs difficiles o se trouve le patriarcat dAlexandrie : car la situation locale difficile et le grand nombre des hrtiques ne peuvent pas lemporter sur lintgrit de la foi

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orthodoxe ( )22. Nous avons vu que dans la rponse N 36 il est question de mariages mixtes avec des Sarrasins ou bien avec des hrtiques ( ) ; le traitement ngatif est identique pour les deux cas.

3. Le mariage entre chrtiens orthodoxes et latins . Du schisme de 1054 linstitutionnalisation de la disparit de culte26

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Le schisme de 1054 na pas introduit ds labord, comme on en prend de plus en plus conscience, une sparation institutionnelle entre les deux glises. Ce seront plus tard le choc des Croisades, le grand choc de la prise et du pillage de Constantinople par les Croiss de la IVe Croisade (1204), linstallation dun piscopat latin (qui plus est, des patriarcats latins, dans le territoire canonique traditionnel des glises dOrient), lchec des grands conciles dunion (Lyon, Ferrare-Florence), enfin la chute de lEmpire et la nouvelle ralit cre sous lEmpire ottoman, qui ont graduellement consomm et institutionnalis le schisme, qui produirait un vrai tat de disparitas cultus et ds lors une question de mariages mixtes entre catholiques et orthodoxes . Or, juste aprs le schisme et avant cette institutionnalisation de la disparit de culte, la question ne prsente pas encore de grande importance : de prime abord, il sagissait plutt, malgr les anathmes rciproques, dune sorte de diffrence de juridiction ou dobdience, voire de diffrence de rite, sans effet direct sur la possibilit dun mariage entre les parties, latine et orientale, qui nauraient, semble-t-il, qu suivre la juridiction, le droit et le rituel du lieu. Cela saccorde assez bien avec un concept gnral byzantin, la conception internationaliste de lEmpire qui considre comme Romains tous ceux qui sont son service . Cest une expression employe par Nicolas Oikonomids au sujet de lallocution du patriarche Michel IV Autrianos (1208-1214) aux soldats grecs et occidentaux de larme de lEmpire en exil Nice, sous lempereur Thodore Lascaris : ...23. Sans doute, dans cette arme de mercenaires, ne sagissait-il pas, en majorit de soldats dappartenance orthodoxe orientale ; mais leur orthodoxie , explicitement signale dailleurs ( ), tait prsume du seul fait quils se trouvaient au service de lEmpire. Depuis la priode proto-byzantine , au moins, une glise et un monastre ( ) de la capitale appartenaient aux Goths, mercenaires au service de lEmpire, aux Goths orthodoxes , prcise le Pre R. Janin24 , en sefforant de les distinguer des Goths ariens ; mais ctait plutt leur appartenance lEmpire qui assurait cette orthodoxie prsume. Les mercenaires vargues et leurs successeurs possdaient Constantinople une glise de Notre-Dame-desVargues et de Saint-Olaf25 ; les Anglais au service de lEmpire y disposaient dune glise ddie Saint-Nicolas et Saint-Augustin-de-Cantorbry26. Comme ils se trouvaient au service de lEmpire, ils taient tous prsums orthodoxes, avant ou aprs le schisme, malgr la diffrence de rite. Sur le Mont-Athos, ce microcosme de lunivers byzantin27 , ct des monastres grecs, slaves ou gorgiens se trouvait le monastre latin des Amalfitains, considr, mme aprs le schisme, comme un monastre orthodoxe , sous la juridiction de Constantinople28 tout comme les monastres grecs dans lItalie non-byzantine fonctionnaient rgulirement sous lobdience romaine. Les Latins qui se trouvent au service de lEmpire, considrs ipso jure ou par simple prsomption lgale comme Romains et orthodoxes , nont pas de vritable difficult pouser des femmes dorigine orientale, selon le droit et le rite

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orientaux ; pour ce qui est des orientales donnes en mariage des Occidentaux en dehors de lEmpire, on peut penser quil est gnralement accept quelles doivent suivre la juridiction et lobdience ecclsiastiques, le droit et le rite de leur mari : the Eastern tradition that the wife follows the husband , comme la signal rcemment le pre Jobe Abbass, propos des nouveaux codes de droit canon, occidental et oriental, de lglise catholique29 ; il sagirait surtout de ces princesses byzantines donnes en mariage des princes ou de hauts dignitaires occidentaux (surtout depuis lpoque des Comnnes), lorsque les deux mondes se trouvent en relations trs troites, tantt amicales tantt non, la suite des Croisades et de ltablissement des Etats latins en Orient. Au XIIe sicle, au centenaire du schisme officiel , sous lempereur Manuel Ier Comnne (1143-1180), dont les sympathies occidentalistes sont bien connues, les deux mondes entretiennent des relations trs troites, la suite des Croisades et de ltablissement dtats latins en Orient ; cest alors que le commerce des mariages dynastiques mixtes atteint son apoge pour se perptuer dans les sicles suivants. Pour ne citer que la propre famille de Manuel Ier, ses deux pouses ont t des princesses occidentales : Irne (comtesse Berthe von Sulzbach), sur de la femme de lempereur germanique Conrad III Hohenstaufen, et Marie dAntioche ; une autre candidate fut aussi une princesse occidentale : Mlisande de Tripoli. De ses deux enfants, son fils et successeur, linfortun Alexis II (1180-1183), pousera Anne-Agns de France ; sa fille Marie sera, en premires noces, la femme dAlexis-Bla de Hongrie, puis, en secondes noces, de Renier de Montferrat. Ce sera aussi le cas de la plupart de ses neveux et nices et de leurs enfants, ainsi, semble-t-il, que dautres membres de laristocratie de lEmpire. Dans une Novelle, date davril 1166, au sujet des empchements de mariage pour cause de parent, Manuel Ier donne une image trs vivante de ce commerce : , , 30.

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Josef Zhishman, dans son ouvrage fondamental sur le mariage dans le droit de lglise dOrient31 , signale aussi ce qui ntait alors que presque naturel : dans ces cas-l lappartenance du clbrant lune ou lautre glise, et le rite de clbration, qui, en principe, suivait naturellement la lex loci celebrationis taient pratiquement indiffrents. Cest dans ce climat que Thodore Balsamon, contemporain de Manuel Ier, canoniste officiel de lglise et de la cour, dans ce XIIe sicle byzantin appel le grand sicle de la science du droit canonique32, fervent anti-latin, patriarche dAntioche, nayant jamais pu prendre possession de son sige, occup par un patriarche latin, introduit pour la premire fois (dans une note ajoute la fin de son commentaire sur le canon 14 de Chalcdoine, et non dans un commentaire sur le canon 72 du Quinisexte), la notion quun mariage entre latin et orthodoxe est en principe interdit, en vertu des normes canoniques en vigueur qui interdisent le mariage dun orthodoxe avec une hrtique. Cest pour cela, dit-il, que lglise oblige les Latins qui veulent pouser des femmes romaines renier les croyances latines : , , , 33.

Dun certain point de vue, ce ne serait que lvolution formelle de ce que nous avons dj vu : un tranger peut toujours se mettre au service de lEmpire et participer ses institutions, mais il doit sy intgrer pleinement, y compris en matire dappartenance religieuse et confessionnelle. Sil ne sagissait pas dintgration aux

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structures de lEmpire, mais quil sagisse, par exemple, dun Latin qui voulant emmener une femme orientale chez lui en Occident, lglise dOrient naurait probablement pas sy opposer. Signalons que Balsamon ne dit rien du cas thorique inverse : un Grec qui voudrait pouser une latine ; dans ce cas, il semble que lintgration ait lieu par le mariage mme : la femme suivant naturellement les appartenances de son poux. Mais dun autre point de vue, Balsamon, par ce commentaire, vient soudainement dresser une barrire canonique formelle entre les deux glises et leurs ressortissants, ce qui se passe, semble-t-il, pour la premire fois au niveau proprement juridique. Ce serait l, sans doute, une attitude influence par lanti-latinisme de lauteur, surtout en raison de son aventure personnelle en tant que patriarche dAntioche en exil34 , ou bien une raction contre les mariages frquents avec des Latins, mis la mode surtout sous lempereur Manuel Ier. Dans les rponses de Balsamon Marc dAlexandrie au sujet des mariages mixtes de chrtiens orthodoxes avec des non-chrtiens ou des hrtiques, les Latins ne sont pas explicitement mentionns. Mais le contexte des autres rponses est assez clair, en effet, si lintercommunion avec des hrtiques, et mme la prire commune, voir de simples rapports sociaux, sont rigoureusement interdits (rponse N 15 : sont mentionnes les Syriens-Jacobites et les Nestoriens), lintercommunion avec des Latins ( et dautres : rponse N 16) lest aussi, ainsi que le parrainage mutuel (rponses N 15 et 35 : cette fois sont mentionns les Latins, les Armniens, les Syriens-Jacobites, les Monothlites, les Nestoriens, et dautres aussi ) ; Balsamon a mme souvent recours une argumentation ou un vocabulaire assez insultants. Si pour les hrtiques proprement dits Balsamon cite trs aisment Math. 7-6 : Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacr, ne jetez pas vos perles aux porcs , propos des Latins il prfre renvoyer simplement Math. 12.30 / Luc 11.23 : Qui nest pas avec moi est contre moi ! Mais mme ainsi, il ne fait, en ralit, aucune distinction substantielle entre les hrtiques proprement dits et les Latins ; en effet, Balsamon pour dfinir lhrsie a recours au droit sculier. En citantCod. 1.5.2 : Haereticorum autem vocabulo continentur et latis adversus eos sanctionibus debent succumbere, qui vel levi argumento iudicio catholicae religionis et tramite detecti fuerini deviare (= Basiliques 1.1.18)

il insiste sur le fait que la diffrence entre orthodoxes et les hrtiques de son temps (y compris les Latins), est norme alors quune diffrence minime suffirait :, , . , , 3532

Quelques annes aprs la mort de Balsamon, les vnements de la IVe Croisade entranrent la rupture dfinitive. Dernier grand canoniste byzantin, dans la ligne de Balsamon, Matthieu Blastars au XIVe sicle rdige, la mode de lpoque, de longs traits Contre les Latins ( , indit), dont lun est intitul : Quil ne faut pas contracter mariage avec des Latins ( ) 36, sujet qui revient plusieurs fois sous sa plume37 . Les Latins sont accuss de toutes les hrsies, arienne, acphale, apollinariste, et classs avec les Armniens, les Monothlites et les Nestoriens. Dans le chapitre r. 12 de son ouvrage canonique principal, le Syntagma alphabtique (1334/1335), Blastars rassemble les normes canoniques portant sur le mariage avec des hrtiques ( ) 38: canons 10 et 31 de Laodice, 14 de Chalcdoine, 21 de Carthage, 72 du Quinisexte. Il emploie largement le commentaire de Balsamon, mais il est, comme nous lavons vu, trs rigoriste voire absolument ngatif quant la possibilit de la poursuite du rgime matrimonial

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dans un couple dinfidles, aprs la conversion dun seul des poux. Il ne cite pas les Latins mais il cite Cod. 1. 9. 6 = Basiliques 1. 1. 34 (sur le mariage dune personne juive avec un chrtien) dune manire trs altre, pour lui faire dire que tous les mariages avec des hrtiques et des personnes trangres la foi orthodoxe sont interdits galement par la loi civile et ne sauraient tre accepts sous aucun prtexte : , , 39.33

Il va de soi que la pratique des mariages mixtes, surtout pour les mariages dynastiques, se poursuivit nanmoins sans interruption jusqu la dernire dynastie des Palologues.

III. La pratique post-byzantine : de linstitutionnalisation de la disparit de culte linstitutionnalisation des mariages mixtes entre chrtiens1. Le mariage avec des non-chrtiens34

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Dans la priode, qui suit la chute de lEmpire dOrient (1453), priode dite post-byzantine , les mariages entre chrtiens et non-chrtiens sont toujours rprouvs la fois dans la conscience gnrale et dans la pratique ecclsiastique ; sils sont pratiqus, cest toujours en dehors de lglise et en pleine conscience de porter atteinte au droit divin et de commettre un pch. Dans le vocabulaire de lglise orthodoxe un mariage mixte , quil soit permis ou interdit, est toujours un mariage entre chrtiens (en loccurrence entre un orthodoxe et un non-orthodoxe), le mariage entre un chrtien et un non-chrtien tant toujours hors de question. Le mariage est un sacrement indivisible, mais qui suppose par dfinition deux participants ; il ne saurait pas tre administr une personne non baptise, mais il ne saurait ltre non plus une personne seule ; et il ne saurait tre conu comme un sacrement pour lun des participants et un acte juridique ou social pour lautre. Il y a certainement aussi linterdiction des canons conciliaires ; qui plus est, vu le caractre du problme qui ne relve pas du seul droit canonique, mais de la doctrine sacramentelle, il est trs probable quon ne saurait avoir recours ici non plus lapplication de lconomie. Au cours de la priode ottomane, des mariages de femmes orthodoxes avec des musulmans ont t invitablement pratiqus ; nous en avons vu certains exemples exceptionnels mme dans la priode byzantine. Lglise tout simplement ignorait, voire dplorait, ces cas. Cest surtout au XVIIe sicle que cette pratique a connu une expansion toute particulire. La procdure usuelle, et assez simple semble-t-il, tait celle que les sources grecques de lpoque appellent mariage par kapnion ou kpnion ( , dun mot persan grcis), mariage par contrat de bail conclu devant le kdi ; il correspondrait au muta, temporary mariage ou leasehold mariage de la tradition chiite40. Les sources grecques emploient aussi ce propos un terme typique pour le mariage proprement dit : , nikh41 . Beaucoup de travail reste encore faire sur cette institution, au moins de la part des historiens grecs du droit, malgr les efforts importants de certains chercheurs, dont Mgr Gennadios Arabadjoglu et le professeur Nicolas Pantazopoulos, et de quelques

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amateurs rudits comme Dionysios Romas42. Mais la rpugnance des autorits ecclsiastiques de lpoque pour cette institution, naturelle en soi et plusieurs fois exprime, est surtout due au fait que les chrtiens eux-mmes avaient la possibilit de recourir cette procdure pour contracter des mariages entre eux, donc aussi pour contracter des mariages mixtes qui navaient pas obtenu lautorisation ecclsiastique. On recourait aussi parfois, cette mme procdure pour des mariages entre chrtiens orthodoxes, qui ne pourraient pas tre clbrs par lglise du fait dun empchement canonique ; vers 1670, mme un prtre et moine Phteinos a eu recours cette procdure pour pouser une jeune chrtienne. Cette pratique tait videmment fortement condamne par lglise et ordinairement frappe dexcommunication. Une extension du recours cette possibilit pouvait compromettre le privilge trs important de lglise sur le contrle des affaires matrimoniales et du statut familial de ses fidles. En 1671, sous le patriarcat de Parthnios IV, le gouvernement ottoman, sur les instances de lglise, interdit laccs des chrtiens cette procdure pour contracter des mariages entre eux43. Cependant nous disposons dactes mentionnant ces mariages entre chrtiens mme aprs cette date, dont un acte de mariage entre chrtiens devant le kdi de Berrhe (en 1673)44 ; nous allons voir que, vers 1706, des mariages entre des Armniens et des femmes orthodoxes avaient t conclus avec la mme procdure en Serbie. Quoi quil en soit, la mesure ottomane interdisant le mariage entre chrtiens par cette procdure fut renouvele45 peut-tre en 1794, puis en 1819 ; mais la procdure resta en vigueur pour le mariage dun musulman et dune chrtienne. Un des derniers exemples historiques, au dbut du XIXe sicle, est le mariage dAli Pacha de Janina avec sa fidle femme grecque kyra Vassiliki.

2. Le mariage avec des non-orthodoxes . La doctrine rigoriste36

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La chute de lEmpire trouve donc la rupture entre les deux glises institutionnalise dans la conscience ecclsiale mise part, certainement, lunion infortune de Ferrare-Florence et ses adeptes et ne fait que laggraver, voire la rendre dfinitive. Les mariages entre orthodoxes et catholiques romains sont donc regards dsormais comme de vritables mariages mixtes , et le seront jusqu aujourdhui. Il en va de mme pour les mariages entre orthodoxes et membres des autres glises et confessions chrtiennes, surtout les chrtiens non-chalcdoniens, qui ont une prsence importante au sein de lEmpire ottoman et, plus tard, pour les membres des glises et des communauts chrtiennes issues de la Rforme. Mariages mixtes donc, sans aucun doute ; mais sont-ils aussi, pour cela, ncessairement des mariages prohibs ? Il faut le dire tout de suite, la conscience gnrale du corps ecclsial orthodoxe na jamais, semble-t-il, considr les mariages mixtes entre chrtiens baptiss comme vraiment prohibs. La pratique byzantine courante des mariages mixtes dynastiques, qui se poursuivit jusqu la fin, avait cr une certaine tradition et une sorte de conviction de lgalit. Aprs la chute de Constantinople, les sujets ottomans orthodoxes vivaient dans un Empire supranational, dune tolrance religieuse gnralement remarquable. Tout en gardant leur identit religieuse et ethnique et malgr leur prpondrance numrique, ils se trouvaient mls dautres populations chrtiennes orientales non-orthodoxes, de tradition et de sort parallles dont, par excellence, les Armniens et aussi dimportantes colonies doccidentaux de confession catholique et, bientt, protestante. Plus tard les orthodoxes de lEmpire ottoman durent mme faire face une activit missionnaire catholique et protestante importante, la fois bnfique ou suspecte. Dans les les (Cyclades, les de la mer ge, Crte, Chypre) et dans une partie du littoral du

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continent la population grecque orthodoxe a vcu pendant des sicles sous la domination de pouvoirs occidentaux catholiques, par excellence de Venise et pratiqu frquemment des mariages mixtes avec des familles catholiques, dont un grand nombre se trouvrent assez vite hellnises ; les communauts catholiques des Cyclades et dautres les de la mer Ege ont largement subsist mme aprs le passage des les lEmpire ottoman. Les les Ioniennes nont mme pas connu la domination ottomane sous les Vnitiens ; une mobilit trs importante se manifeste surtout entre les familles nobles, catholiques et orthodoxes, et les mariages mixtes y ont acquis un statut de pratique courante. Cela se poursuivit sous les nouveaux matres britanniques des les Ioniennes, au XIXe sicle, de nos jours avec la prsence, assez restreinte semble-t-il, dun nouvel lment : les anglicans. Une diaspora orthodoxe trs importante, surtout mais non pas exclusivement dorigine grecque, stait de trs bonne heure tablie dans des pays dEurope occidentale, commencer par Venise, sige en Occident du mtropolite grec portant le titre, et le souvenir, oriental de Philadelphie, quasi alterum Byzantium ; dans tous les cas, ces communauts, tout en restant sous la dpendance du patriarcat de Constantinople, avaient entretenir des relations spciales avec les autorits locales, civiles et ecclsiastiques, ce qui entranait mme une certaine soumission des normes canoniques trangres la canonicit stricte orthodoxe et empchait toute manifestation dintransigeance confessionnelle. Un nombre constant de voyageurs, commerants, ecclsiastiques, tudiants, marins ou simples aventuriers, qui sajoutait provisoirement la diaspora permanente orthodoxe en Occident, contribuait aussi cette interaction entre Occident latin et Orient grec et la formation dune mentalit commune. Dautre part lglise, qui a toujours sous lEmpire ottoman gard et mme renforc sa comptence pratiquement exclusive en matire de droit matrimonial, ainsi que le contrle de la clbration du mariage des orthodoxes, tait presque spontanment dfavorable toute pratique de mariages mixtes. Cette raction naturelle visait sauvegarder lidentit religieuse et lappartenance de fidles la communaut orthodoxe. Le droit canonique toujours en vigueur (canon 72 du Quinisexte) qui interdisait le mariage des orthodoxes avec des hrtiques tait l pour lappliquer. Mais devant les ralits et les ncessits de lexistence, devant, surtout, lacceptation des mariages mixtes par la conscience gnrale, lglise grecque dut souvent accepter, dune faon ou dune autre, selon le temps et le lieu, au moins de facto, parfois post factum, la pratique de mariages mixtes entre chrtiens. Dans sa propre juridiction, au cours de toute la priode ottomane le patriarcat a dsapprouv les mariages mixtes et, dans tous les cas o cela lui tait possible, il les a empchs. Cest surtout au tournant du XVIIIe au XIXe sicle, lorsque lglise, devant le danger de lexpansion des ides nouvelles aprs la Rvolution franaise, passe du conservatisme la raction (C. Th. Dimaras), quun nouvel intgrisme canonique se dveloppe, reprsent surtout par le patriarcat de Grgoire V (1797-1798, 1806-1808, 1818-1 821) et la publication du Pdalion des moines Agapios et saint Nicodme lHagiorite (1800), collection canonique devenue aussitt officieuse , et mme considre parfois, tort, comme officielle . Le Pdalion46 fulmine contre les mariages avec les hrtiques , y compris, explicitement, les Latins. Grgoire V, par un tomos synodal de 1806, un document de grande force juridique, exclut, entre autres, toute possibilit de mariage dun orthodoxe avec des htrodoxes et des hrtiques et dfend aux vques daccorder des autorisations de clbrer ces mariages47 . Des dcisions synodales communiques tous les diocses par des lettres patriarcales ont renouvel cette position compltement ngative48 en 1815, 1818, 1825, 1827, 1835, 1838, 1839 et 1842. En 1827, le patriarche Agathange Ier avait mme interdit que de jeunes filles orthodoxes, particulirement dans lle de Chypre, fussent engages comme

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domestiques chez des Armniens, pour empcher des relations qui pourraient conduire des mariages avec eux49. En 1857 encore, le patriarche Cyrille VII informait le mtropolite de Hongro-Valachie Niphon que lglise na jamais autoris et nautorise pas les mariages dorthodoxes avec des catholiques et des Armniens ( ), ce que le mtropolite devra toujours faire aussi50. Cette phrase outrancire revient souvent sous la plume patriarcale, mme en 1871 : , (1869) ; (1870) ; ! (1871)51 .

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Dans ldition grecque de louvrage de Zhishman par Mltios Apostolopoulos, le traducteur a ajout (en note en bas de page), quatre pages pour enregistrer la seule jurisprudence patriarcale du XXe sicle interdisant, voire annulant, des mariages mixtes52, puise dans la collection de jurisprudence patriarcale par Michel Thotokas53. On trouvera aussi une collection trs importante de documents de cette priode, dans une tude de Miltiade et Georges Karavokyros (1909-1910)54 . La pratique avait toujours t compltement diffrente, nous venons de le dire, dans les possessions vnitiennes sous la juridiction ecclsiastique du patriarcat de Constantinople : dans ce cas, le patriarcat fermait tout simplement les yeux (cf. pourtant le rquisitoire du Pdalion, contre les vques des les propos des mariages mixtes avec les Latins) 55. Il est aussi vrai que, ds le dbut de la domination vnitienne dans les les, la possibilit de mariages mixtes entre catholiques et orthodoxes tait considre comme un privilge accord aux orthodoxes par les autorits vnitiennes (1299) 56, renouvele par le Snat vnitien57 en 1582, 1593, 1599, 1662 et 1710, en vertu du bref du pape Lon X, confirm par la bulle de Clment X pour les orientaux des les Ioniennes, de la Crte, de Cattaro, de la Dalmatie et de Venise, avec lapprobation, semble-t-il, du patriarcat de Constantinople58. Cependant, lorsquen 1838 une nouvelle lgislation civile pour les les Ioniennes, formant alors ltat-Uni des les Ioniennes sous la protection de la Grande-Bretagne, voulut institutionnaliser les exceptions traditionnellement pratiques dans les les lgard du droit canonique orthodoxe officiel propos des conditions et des empchements de mariage, y compris la pratique des mariages mixtes ( , , )59, cela provoqua une raction violente de la part du patriarche Grgoire VI, dfenseur fervent de la lgalit canonique la plus stricte sur le mariage, et dclencha une guerre dencycliques60 et une tension, qui aboutit mme la dposition du patriarche, sur les instances de lambassadeur britannique prs de la Porte (1840) 61 . Il nen a pas toujours t ainsi. Il est vrai que le statut canonique des mariages mixtes pour lglise orthodoxe tant toujours officiellement rgi (comme il lest dailleurs encore aujourdhui), par la lgislation conciliaire, en dernier lieu par le canon 72 du concile in Trullo (donc compltement ngatif), une vrai canonisation des mariages mixtes semblait vraiment impossible. Mais il restait toujours la notion canonique typiquement orientale de lconomie. Ctait la solution la plus simple et la plus rpandue. On confirmait chaque fois la rgle gnrale, selon laquelle les mariages entre orthodoxes et non-orthodoxes taient interdits, et on accordait en mme temps par conomie lautorisation de clbrer un mariage mixte, ou on reconnaissait post factum la validit dun mariage dj clbr. Nous connaissons aussi des mesures dconomie gnrale, qui se rfrent des groupes de personnes. Au XVIIIe sicle, Pierre le Grand et le synode de lglise autocphale russe sadressaient encore au patriarcat de Constantinople pour obtenir ses instructions

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et son autorisation au sujet de mariages mixtes62. Les mariages mixtes ont t finalement autoriss en Russie, sous conditions, par loukase de Pierre le Grand du 17 avril 1719, renouvel par celui du 18 aot 1721. Un des plus anciens documents qui nous soient parvenus concernant une vritable application d conomie propos de mariages mixtes est une lettre du patriarche Dosithe de Jrusalem, adresse en 1706 au mtropolite Michel de Belgrade, hors de sa juridiction, donc titre simplement consultatif, car Dosithe, le compilateur de la Nomik Synagg63, tait un minent canoniste de lpoque. Le mariage avec des hrtiques, dit-il, est absolument interdit ( ), sous peine dexcommunication. Cependant, les femmes orthodoxes qui ont pous des Armniens cause de la guerre pour protger leur honneur et pour viter des maux plus grands, peuvent tre reues la communion, pourvu quun mariage religieux, quel quil soit, ait vraiment t clbr ( ); mais si les Armniens les ont pouses seulement selon la procdure de mariage par kpnion devant le kdi ( ) ce danger est toujours prsent ; il faut alors quun mariage religieux soit clbr par un prtre orthodoxe et non un Armnien. Les femmes doivent continuer de pratiquer en orthodoxes ; leurs maris armniens peuvent toujours suivre la liturgie orthodoxe, et recevoir mme lantidron, dans lespoir de se convertir un jour, mais jusqu leur conversion ils seront exclus de la communion. On doit toutefois faire en public une dclaration officielle selon laquelle toute femme orthodoxe qui pouserait lavenir un Armnien serait frappe non seulement dexcommunication mais danathme ( ) 64 . En 1782, les orthodoxes des Indes obtinrent du patriarche Gabriel IV la permission, par conomie ( ), de prendre en mariage des femmes catholiques ou armniennes, cause de labsence totale de femmes orthodoxes, ce qui, autrement, les conduirait invitablement ladultre et la fornication avec des infidles, des htrodoxes et des idoltres 65. En 1848 encore, malgr le rigorisme canonique de lpoque, le patriarche Anthime IV adresse une lettre au patriarche dAntioche, propos dune requte du mtropolite dAmida (Diyarbakir) : sauf avis contraire du patriarche dAntioche dont dpend Diyarbakir, il est permis des orthodoxes de ce diocse de se marier avec des Armniennes, dans les conditions habituelles : clbration du mariage par un prtre orthodoxe, baptme et formation orthodoxe des enfants issus du mariage66. Dans les trois derniers cas il sagit dune mesure gnrale. Par la suite, dans la pratique les exemples se multiplient, semble-t-il, mais sur un plan personnel et sont souvent passs sous silence. Il parat souvent dailleurs plus facile, plus simple aussi, de reconnatre un mariage mixte dj clbr que daccorder une autorisation de le clbrer. Mais le rigorisme canonique des trois premiers quarts du XIXe sicle a profondment affect cette pratique : en 1867, le synode refuse de reconnatre deux mariages mixtes dj clbrs, dont lun entre un orthodoxe et une Armnienne, et les annule67 ; nous avons vu quen 1869 aussi le synode dclarait que lglise ne pouvait reconnatre les mariages mixtes mme post factum : 68; dans un acte de 1871 le synode rejette la requte dun mtropolite qui demandait une autorisation de mariage entre catholique et orthodoxe, non sans lui faire certaines remontrances : . On pourrait facilement multiplier les exemples (actes de 1870, 1873, 1874, 1875). Parfois on a mme recours des rponses sans valeur, qui nient tout simplement le problme : le mariage est permis, pourvu que la partie non-orthodoxe se convertisse pralablement lorthodoxie (actes de 1870, 1875). Dans un cas de mariage mixte de 1873 le synode refuse de reconnatre le mariage, mais accepte par conomie de lever lexcommunication de la partie orthodoxe en cas

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de maladie ou de danger de mort. En 1877 encore, le synode annule des mariages entre orthodoxes et catholiques69 et, plus forte raison, refuse daccorder le permis de clbration dun mariage entre un orthodoxe et une armnienne catholique ; cette occasion il reprend linterdiction gnrale de tout mariage mixte70. Ctait dj trop tard. Mme dans des documents aussi intransigeants on peut entrevoir une brche dans le systme. Dans le document Ghins N 1033 de 1867, tout en annulant le mariage mixte en question, on lit une mention trs explicite et trs significative : le synode dcide en mme temps de passer sous silence tous les mariages mixtes antrieurs ( , ). Dans le document Ghins N 1059 de 1877 se lit la phrase : Le patriarcat ne reconnat pas les mariages entre orthodoxes et catholiques ( ) ...qui ont t clbrs selon le rite latin ( ) . Un mariage mixte clbr par un prtre orthodoxe a donc t reconnu ? En 1873, le synode dclarait encore : La clbration du mariage (mixte) selon le rite orthodoxe ne suffit pas pour le rendre valide .

3. La fin de la tradition rigoriste47

Nous sommes en effet la fin de la tradition rigoriste : lanne prcdente (1876), le synode avait dj permis dans trois cas71 la clbration de mariages mixtes par des prtres orthodoxes pour viter des consquences dsagrables ( ); il le fera aussi lanne suivante (1878) dune manire beaucoup plus gnrale72, pour le mme motif : . Dans tous les cas on insiste sur le fait que lglise rprouve par principe les mariages mixtes : ; dans tous les cas on a donc recours lconomie : , , ; dans tous les cas aussi on met laccent sur la discrtion ncessaire pour viter de scandaliser les fidles : , , . Les actes eux-mmes prennent un soin quelque peu excessif sauvegarder cette discrtion : dans lun des actes de 1876 la dcision officielle est ngative, mais on informe officieusement le mtropolite dexercer lconomie ( , ) ; dans un autre cas ce nest pas officiellement le synode, mais lun de ses membres, le mtropolite de Cyzique, qui va tlgraphier la dcision larchevque du lieu, titre personnel ! Ce qui est plus important cest que ces actes reconnaissent explicitement ce quon niait constamment ou, au moins, laissait passer jusqualors sous silence : ctait dj devenu une pratique frquente ( , ). Lacte de 1878 numre mme certains cas. Sans doute le patriarche et le synode voudraient-ils rduire limportance de leur hardiesse , en invoquant des prcdents ; mais la pratique, nous venons de le voir, existait vraiment et a laiss des traces, malgr le rigorisme canonique et le silence gnral. Nous venons de voir le cas de lautorisation gnrale de mariage dorthodoxes avec des armniennes dans le diocse de Diyarbakir en 1848. En 1855, nous avons la premire dcision patriarcale qui reconnaisse le mariage dun orthodoxe et dune protestante (Ghins N 1000) ; en 1875, presque aussitt aprs la formation de lglise vieille-catholique, on permet la clbration dun mariage entre orthodoxe et vieux-catholique. Armniens, protestants, vieux-catholiques : on peut penser que lintransigeance canonique, mme lorsquelle frappait invitablement tous les groupes htrodoxes, visait surtout les catholiques romains, qui reprsentaient le danger traditionnel pour lglise grecque, la bienveillance des documents de 1848 et de 1855 en faveur des Armniens et des protestants est remarquable : on vite

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mme dinsister particulirement sur la notion dconomie, pour lui prfrer des fondements canoniques plus solides ; la remarque finale du document de 1848 nous fait un peu sourire : Dailleurs, une fois que ce mariage a t dj contract, on ne saurait facilement le dissoudre ( , ), lorsquon tient compte des dcisions synodales fort nombreuses de lpoque prononant lannulation de mariages mixtes. En 1878 une dcision synodale propos des mariages avec des Armniens, tout en insistant sur linterdiction thorique des mariages mixtes ( en principe , ), propose que dans des cas semblables des contacts aient lieu entre les autorits ecclsiastiques respectives ( ). Quoi quil en soit, aprs 1878, il semble que les mariages mixtes soient gnralement permis dans la juridiction du patriarcat de Constantinople, dans les conditions usuelles : clbration par un prtre orthodoxe, engagement par crit des poux de faire baptiser et lever leurs enfants dans la foi orthodoxe si la conversion de la partie non-orthodoxe ne devenait pas possible , insiste encore la formule courante dans un grand nombre de documents (1881, 1883, 1886, 1887, 1888, 1889), pour sauver les apparences. Un curieux document de 1888 semble exiger mme que la femme catholique, bien quelle ne devienne pas orthodoxe, soit ointe avec le myron ; mais cela reste, je crois, un unicum canonique. Toujours pour sauver les apparences, les dcisions synodales de caractre normatif de 1879, 1883 et 1887 ont encore recours une rhtorique trs byzantine : Lglise orthodoxe daprs les canons ne permet pas de mariages avec des htrodoxes ; mais dans des circonstances imprvues et exceptionnelles ( ), elle tolre () ces mariages, pourvu quils soient clbrs selon son rite et par des prtres orthodoxes, et elle ne sabstient pas de regarder ces mariages comme valides ( ) ; comme toujours, lglise naccorde pas officiellement la permission de clbrer des mariages mixtes ( ), mais elle-mme et les vques de chaque lieu se rservent damnager chaque fois les choses, dans leur prudence pastorale de la faon quils connaissent bien, sans provoquer de scandale ( ). Le canoniste officiel du patriarcat Mlissnos Christodoulos crivait encore, en 1889, dans son trait sur les empchements matrimoniaux que le mariage des orthodoxes avec des catholiques ou des protestants est interdit , pour ajouter, en note seulement, que ces mariages sont permis par conomie dans des circonstances spciales et dans les conditions mentionnes73. Depuis 1897, date de la collection de jurisprudence patriarcale par Thotokas, les juristes du patriarcat (Thotokas Karavokyros) ne font plus mention dconomie ni de circonstances spciales ou exceptionnelles : Aujourdhui les mariages des orthodoxes avec des chrtiens non-orthodoxes sont permis , toujours dans les conditions usuelles (Thotokas, p. 355). Au XXe sicle, les mariages mixtes entre orthodoxes et non-orthodoxes ne sont plus une exception permise ou tolre, mais, existent de plein droit.

4. Le fondement canonique de la nouvelle pratique51

Au tournant du sicle les mariages mixtes entre chrtiens sont pratiquement institutionnaliss par la haute autorit de lglise grecque (patriarcat de Constantinople). Aprs cette volution le recours traditionnel lapplication de lconomie ne rpondait plus, ne ft-ce que pour de simples raisons de bon sens, au caractre nouveau de la pratique des mariages mixtes. Ds les actes de 1848 et de

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1855, propos des Armniens et des protestants, on semble essayer de se librer de la logique de lconomie. Lconomie y est certes cite, en passant (1848 : ; 1855 : ) (elle le sera dailleurs constamment pendant des dcennies venir) ; mais on cherche dj des fondements canoniques plus solides : a) Lacte de 1848 repose surtout sur le canon 14 de Chalcdoine, qui ne semble pas, daprs linterprtation donne dans lacte, exclure la possibilit de mariage avec un htrodoxe et qui met plutt laccent sur la formation orthodoxe des enfants issus du mariage, ce qui doit toujours tre sauvegard. b) Lacte de 1855 repose directement sur le prcepte paulinien de I Cor. 7. 12-16 cit dans le canon 72 du Quinisexte : , , , , , , laissant part le contexte du canon et son interprtation courante. Balsamon nous informe qu son poque dj certains canonistes ont voulu crer la possibilit de mariages mixtes selon lesprit de ce prcepte en ignorant la teneur du canon :

, , , 74 .Nous avons vu quau XIVe sicle Blastars, plus svre que Balsamon lui-mme, pensait que le prcepte paulinien navait mme plus dapplication dans un monde christianis ; il ne se rfrait quaux dbuts du christianisme. Dans le Pdalion de 1800, saint Nicodme lHagiorite, grand reprsentant de lIntransigeance canonique au tournant des XVIIIe et XIXe sicles, ne peut pas contester le prcepte scripturaire devenu aussi une rgle de droit canonique positif, mais cherche exorciser saint Paul par saint Paul. Nest-ce pas Paul lui-mme qui dit :Ne formez pas dattelage disparate avec des infidles. Quel rapport en effet entre la justice et limpit ? Quelle union entre la lumire et les tnbres ? Quelle entente entre le Christ et le Bliar ? Quelle association entre le fidle et linfidle ? (II Cor 6. 14-15).

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Nicodme veut appliquer ce passage directement au mariage, en faisant, semble-t-il, un parallle entre hetero-zyg = former un attelage disparate (traduction de la Bible de Jrusalem) et sy(n)- zyg, homo-zyg = contracter mariage 75 . Un canoniste assez libral de lpoque, Thophile de Campanie (ca. 1780), aux antipodes de Nicodme, dont luvre navait jamais reu lapprobation ecclsiastique, accepte quand mme la thorie de Blastars selon laquelle le prcepte de I Cor. 7. 12-16 ne serait plus applicable, mais seulement pour y ajouter un motif pragmatique : tout cela pourrait mme tre applicable aujourdhui aussi, mais dans des pays libres , qui pourraient sen offrir le luxe ( , ) 76. Dans la doctrine canonique moderne la pratique des mariages mixtes, eu gard la lgislation canonique conciliaire toujours en vigueur (canon 72 du Quinisexte), est fonde plutt sur des considrations plus formelles : a) Le canon ne saurait tre appliqu quaux hrtiques (et, plus forte raison, aux non-chrtiens) ; il ne saurait donc tre appliqu aux simples schismatiques. Or, les catholiques romains sont gnralement considrs dans la doctrine canonique orthodoxe, au moins selon lopinion dominante, comme des schismatiques bien que le terme ne soit plus en usage. Mme si lon tait dispos les traiter dhrtiques comme cest le cas dans certains milieux intgristes aucun concile na prononc leur hrsie et ne les a formellement condamns. Dans leur cas, la rgle du Quinisexte ne saurait avoir dapplication canonique. On notera pourtant que le patriarcat constantinopolitain avait dj largement appliqu linterdiction des

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mariages mixtes dans un cas de vrai schisme dorigine disciplinaire et non pas doctrinale : le schisme bulgare, au XIXe sicle. Mais ctait surtout des considrations dordre temporel voire de politique nationale qui avaient prvalu. b) En revanche, pour la plupart des glises issues de la Rforme, des accusations d hrsie , au sens classique ou patristique du terme, seraient probablement bien fondes, du point de vue orthodoxe. Mais mme ici il nexiste pas de condamnation officielle conciliaire. Cest donc possible de ne pas appliquer aux protestants non plus le canon, aussi longtemps quun futur concile ne les aura pas condamns pourvu quils aient reu un baptme valide avec la formule trinitaire et quils acceptent la foi de Nice-Constantinople. c) Le problme se poserait propos des glises orientales anti-chalcdoniennes, glises condamnes sans aucun doute pour hrsie, tort ou raison, par des conciles cumniques. Ici une sorte danalogie tacite ou sous-entendue a, semble-t-il, fonctionn : si lon pratique des mariages mixtes avec des catholiques et des protestants, il serait tout simplement impensable de les interdire dans le cas de chrtiens orientaux, de tradition, de culture, de liturgie et dhistoire semblables ou communes celles de lglise orthodoxe. A cette construction sopposent toujours des thories intgristes, qui considrent en principe comme hrtiques tous ceux qui se trouvent en dehors de lglise orthodoxe, regarde comme la seule vraie glise catholique, lUna sancta. Par consquent, toute sorte de mariage mixte est considre comme canoniquement interdite. Il est vident que, pour cette approche, le recours lconomie resterait la seule issue possible des mariages mixtes.

5. Le droit civil59

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En ralit, linstitutionnalisation des mariages mixtes a eu lieu dans les pays orthodoxes beaucoup plus tt, par la voie du droit sculier, avec lapprobation ou la tolrance des glises locales. Sans doute la ncessit et la frquence des mariages dynastiques dans les royaumes et les principauts orthodoxes (qui taient souvent des mariages mixtes), ont-elles contribu tablir dans la conscience gnrale la lgitimit des mariages mixtes entre chrtiens. Nous avons vu quil y en eut en Russie ds 1719 ; nous avons aussi suivi lvolution des mariages mixtes dans les les Ioniennes. Le Code civil de Moldavie de 1816 (Code Callimaque) art. 91 interdisait absolument le mariage entre chrtiens et non-chrtiens et entre orthodoxes et non-orthodoxes77 , tandis que celui de Valachie de 1817 (Code Caradja) art. III. 16 2 se contente dempcher le mariage entre chrtiens et ceux dune autre religion ( , Crestini cu cei de alta lege ou religie )78 ; les mariages mixtes ont t gnralement autoriss grce lintroduction assez rapide du mariage civil dans le royaume de Roumanie79. En Serbie, la loi du 9 septembre 1853 permettait les mariages mixtes dans les conditions habituelles : clbration orthodoxe du mariage, engagement des poux baptiser et lever leurs enfants dans lglise orthodoxe. En Grce la loi ( Des mariages mixtes ) du 10 aot 1861 permettait explicitement pour la premire fois les mariages entre des orthodoxes et les membres des autres confessions chrtiennes, dans les conditions connues de la clbration orthodoxe du mariage et de lengagement des poux, pris par une poigne de main devant le juge de paix ou le consul, baptiser et lever leurs enfants dans lglise orthodoxe. Tous les mariages mixtes clbrs jusqualors, mais exclusivement par des prtres orthodoxes, taient dclars valides ex tunc. La loi souleva aussitt lindignation des catholiques grecs (elle aurait provoqu aussi une intervention du gouvernement franais) et des protestations simultanes de la part de lglise grecque. Sa vie fut trs courte ; elle fut remplace par la loi du 15 octobre 1861. Par une formule dlibrment vague, cette nouvelle loi permettait les

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mariages entre orthodoxes et chrtiens non-orthodoxes pourvu que soient respectes les rgles suivies en la matire par lglise orthodoxe grecque . En revanche, tous les mariages mixtes entre chrtiens clbrs jusqualors par des prtres orthodoxes ou non-orthodoxes, taient maintenant dclars valides. Un petit chaos lgislatif sest produit qui a dur, avec la loi du 15 octobre 1861 elle-mme, presque un sicle entier, jusqu lintroduction du Code civil grec, le 23 fvrier 1946 (Loi dintroduction du Code civil, art. 75 1). Comme on le sait, le Code civil grec (art. 1367) reconnaissait comme seule forme possible et mme, daprs une jurisprudence dominante, mais quelque peu de parti pris, comme lment constitutif du mariage la bndiction nuptiale (ou, pour les non-chrtiens, un rite analogue, ncessairement religieux). Les discussions au sujet des mariages mixtes dans les comits de rdaction du Code sont trs instructives en ce qui concerne la fois le chaos juridique particulier produit par la loi de 1861, et le problme gnral de lincorporation dans lordre juridique grec moderne du concept de symphonie byzantine ou de lunit des ordres juridiques, canonique et sculier, au moins pour ce qui est du droit matrimonial. Il y eut, en effet, des propositions pour autoriser ou reconnatre les mariages mixtes clbrs seulement dans des glises qui ont des sacrements valides, ou qui reconnaissent le caractre sacramental du mariage, ou qui ont gard intacte la succession apostolique. Le Code civil a finalement opt pour une construction nuance : 1. Le mariage entre chrtiens et non-chrtiens est prohib (art. 1353). 2. Le mariage entre chrtiens de confession diffrente (ou entre non-chrtiens de religion diffrente) doit tre clbr selon les deux rites et par les ministres des deux rites ou religions (1371). 3. Le mariage dun orthodoxe avec un non-orthodoxe doit tre clbr par un prtre orthodoxe, faute de quoi le mariage est non seulement invalide, mais ab initio inexistant (art. 1367). Cela nempche videmment pas une double clbration du mariage, orthodoxe et non-orthodoxe. 4. Les mariages mixtes clbrs par un prtre non-orthodoxe jusqu la promulgation du Code sont une dernire fois reconnus valides mais seulement sil sagit de mariages mixtes entre orthodoxes et catholiques clbrs par un prtre catholique (Loi dintroduction du Code civil, art. 75, 2).

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Malgr lindignation de lglise catholique en Grce, de ce quune fois encore son propre rite ntait pas considr comme suffisant pour la clbration dun mariage mixte valide, ce systme a fonctionn, pratiquement jusqu aujourdhui. Lglise catholique a seulement toujours exig que, dans les cas de double clbration (ce qui se passe presque toujours), la clbration catholique et lieu la premire : ce serait la partie orthodoxe qui assumerait la responsabilit (et le pch) de redoubler un sacrement dj validement clbr. Lglise, traditionnellement consciente seulement de la validit suffisante de ses propres sacrements, na pas vu de subtilit et na pas formul dobjection l-dessus, et cest la pratique qui a prvalu. Des pratiques visant matrialiser une sorte dengagement des poux pour le baptme et la formation orthodoxes des enfants issus du mariage, pratiques defficacit juridique minime, qui se heurtaient dailleurs des exigences analogues de lautre partie, sont de plus en plus dlaisses. Les modifications introduites dans le droit matrimonial du Code civil par la loi 1250 de 1982 nont pas affect substantiellement ce systme, pour ce qui est du mariage religieux. Lintroduction, pour la premire fois, de la possibilit dun mariage civil en Grce (de mme valeur lgale que le mariage religieux, qui maintient toujours sa force proprement, et directement, civile) a tout simplement rendu possible un droit de conditions et dempchements de mariage scartant du

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droit canonique (pratiquement : de la lgislation du concile in Trullo). Elle a rendu possible aussi, pour la premire fois, la suppression de lempchement de mariage entre chrtiens et non-chrtiens. Les modifications ont t introduites par la loi 1329 de 1983. videmment la suppression de lempchement de mariage entre chrtiens et non-chrtiens a fonctionn seulement dans des cas de mariage civil, puisque lglise orthodoxe ignore toujours absolument toute ventualit de mariage mixte entre chrtiens et non-chrtiens. Inversement, un grand nombre de mariages civils conclus en Grce (qui ne reprsentent dailleurs quune trs faible proportion du nombre total des mariages) sont des mariages mixtes entre chrtiens et non-chrtiens, qui ne sauraient tre lobjet une clbration religieuse. Noublions pas que jusquen 1982 la seule possibilit dun mariage entre chrtiens (de toutes les confessions) et non-chrtiens aurait t la conversion, sincre ou plus souvent conventionnelle, dune des parties. La loi de 1982, en introduisant la possibilit dun mariage civil, a aussi explicitement renvoy, quant aux conditions (et aux empchements) du mariage religieux, au droit propre de chaque glise ou communaut religieuse, pour ce qui est des mariages religieux quelles clbrent, avec une rserve gnrale dordre public et, videmment, pourvu que les dispositions minimales du droit civil soient respectes. Lglise orthodoxe de Grce a maintenant officiellement reconnu comme sien, pour les mariages religieux quelle clbre, le droit matrimonial du Code civil grec, dans sa teneur originelle, avant les modifications des annes 1982 et 1983 (encyclique du Saint Synode N 2320 du 19 mai 1982). En effet ce droit tait, comme nous venons de dire, pratiquement conforme au droit canonique de lglise orthodoxe (la lgislation matrimoniale du concile in Trullo), abstraction faite peut-tre du mariage entre chrtiens orthodoxes et non-orthodoxes, prohib, au moins pour les hrtiques , par le canon 72 du concile, mais permis par le Code civil, mme avant les modifications rcentes. En recevant ce vieux texte du Code civil comme son propre droit matrimonial, lglise de Grce qui, a en fait, toujours tolr et clbr des mariages mixtes entre chrtiens, a maintenant accord aussi une sorte de statut canonique ces mariages.

Notes1 Sur ce concile et son uvre lgislative voir surtout : V. LAURENT, L'uvre canonique du concile in Trullo (691-692), source primaire du droit de l'glise orientale Revue des tudes Byzantines 23 (1965), p. 7-41 ; H. OHME, Das Concilium Quinisextum und seine Bischofstiste. Studien zum Konstantinopler Konzil von 692 [Arbeiten zur Kirchengeschichte, 56], Berlin-New York, 1990 ; Mgr P. MNVISSOGLOU, , Stockholm 1990, p. 276-296 ; S. TROANOS, , Athens, 1992 ; une thse de doctorat sous le mme titre par G. GABARDINAS [Nomokanonik Bibliothk 4], Katrini, l999 n'ajoute pratiquement rien la littrature antrieure. Deux colloques "jumeaux" ont t organiss en 1992 Istanbul/Constantinople et Rome pour clbrer le 13e centenaire du concile ; les actes en sont publis, respectivement, dans Annuarium Historiae Conciliorum, t. 24 (1992) et suivants et dans G. NEDUNGATT-M. FEATHERSTONE (ed.), The Council in Trullo Revisited [Pontificio Istituto Orientale. Kanonika 6], Rome, 1995., Sur le droit matrimonial de l'glise d'Orient voir surtout : J. ZHISHMAN, Das Eherecht der orientalischen Kirche, Vienne, 1864 (traduction grecque par M. APOSTOLOPOULOS, t. I-II, Athnes, 1912-1913), S. TROANOS, , Athnes, 1982. Particulirement sur la lgislation matrimoniale du concile in Trullo : C. G. PITSAKIS, Le droit matrimonial dans les canons du concile in Trullo, Annuarium Historiae Conciliorum t.24 (1992) 158-185 ; cf. id., Clerg mari et clibat dans la lgislation du concile in Trullo : le point de vue oriental, The Council in Trullo Revisited, p. 263-306. 2 Texte grec des canons du concile in Trullo dans Rhalls-Potls, Syntagma, t. II (avec le texte des commentaires byzantins) ; P. -P. JOANNOU, Discipline gnrale antique. t. I.1 Les canons des conciles cumniques [Pontificia Commissione per la redazione del Codice di Diritto Canonico Orientale. Fonti, IX], Rome-Grottaferrata, 1962. Reproductions corriges dans : P. TROIANOS, et Nedungatt-Featherstone, The Council in Trullo Revisited.

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3 Traduction latine de Gentien Hervet [Paris, 1620], remanie par Joannou [supra n. 2], p. 209-210]. Texte revu par les soins de S. AGRESTINI dans Nedungatt-Featherstone, The Council in Trullo Revisited, p. 153-154. Texte grec et latin du corpus entier des canons de l'glise grecque (avec les commentaires byzantins) dans PG 137-138 (d'aprs l'dition G. Beveregius) ; nous viterons dans la suite, propos des canons et des commentaires cits, les renvois continuels cette dition. 4 Traduction franaise de Joannou, loc. cit. ; propos des problmes de traduction de l'dition Joannou cf. Laurent [supra, n. 1], p. 39 n. 127 : "la traduction laissant d'autre part beaucoup dsirer". Voir aussi la traduction anglaise dans Nedunsratt-Featherstone, The Council in Trullo Revisited, loc. cit. Vieille traduction anglaise des canons du concile in Trullo et du corpus entier des canons de l'glise grecque : H. R. PERCIVAL, The Seven Ecumenical Councils of the Undivided Church [A Select Library of Nicene and Post-Nicene Fathers secondseries, XIV], Oxford, 1900 ; nous ne reviendrons pas, par la suite, sur ces traductions propos des autres canons. 5 Voir les commentaires dans Rhalls-Potls, t. II, p. 252-254 et t. III, p. 180-181. 6 Voir les commentaires de ZONARAS et de BALSAMON dans Rhalls-Potls, t. II, p. 252-253. 7 Les canons grecs des conciles locaux ou particuliers, dans Rhalls-Potls, t. III (avec les commentaires byzantins) et JOANNOU, Discipline gnrale antique, t. I.2 Les canons des synodes particuliers, Rome-Grottaferrata, 1962 (avec les anciennes traductions latines et la traduction franaise moderne de l'diteur : cf. supra, n. 4). Sur d'autres ditions et traductions voir supra, n. 3 et 4. 8 Les canons du concile de Chalcdoine, dans Rhalls-Potls, t. II (avec les commentaires byzantins) et Joannou, I.1 (avec l'ancienne traduction latine et la traduction franaise moderne de l'diteur). Sur d'autres ditions et traductions voir supra, n. 3 et 4. 9 Archbishop Peter LHUILLIER, The Church of the Ancient Councils : the Disciplinary Work of the First Four Ecumenical Councils, Crestwood, NY, 1996, p. 242-243. 10 Rhalls-Potls, I, p. 271. 11 Sur certains aspects de ce concept voir, par exemple : S. TROANOS, , in C. PITSAKIS Clerg mari et clibat [supra, n. 1], p. 297-299, 304-305. 12 Les canons des Pres grecs (confirms par le canon 2 du concile in Trullo), dont ceux de saint Basile : Rhalls-Potls, t. IV (avec les commentaires byzantins) et Joannou, Discipline gnrale antique. t. II : les canons des Pres grecs, Rome-Grottaferrata, 1962 (avec des traductions latine et franaise). Sur d'autres ditions et traductions voir supra, n. 3 et 4. 13 Rhalls-Potls, t. I, p. 271-272 et t. II, p. 473. 14 Rponse N 34 Marc d'Alexandrie : Rhalls-Potls, t. IV, p. 474-475. Sur cette collection voir infra n. 19. 15 Rhalls-Potls, t. II, p. 473. V. GRUMEL-J. DARROUZS, Les Regestes des actes du Patriarcat de Constantinople. I. Les actes des patriarches, N 1036. 16 Rhalls-Potls, t. VI, p. 174. 17 Rhalls-Potls, t. VI, p. 174. 18 Rhalls-Potls, t. II, p. 473. 19 Les Regestes [supra, n. 15], N 1184. dition Rhalls-Potls, t. IV, p. 447-496 = GC 138, col. 937-1112. Une vieille tude ad hoc : V. GRUMEL, Les rponses Marc d'Alexandrie, leur caractre officiel, leur double rdaction, in Echos d'Orient, t.38 (1939) 321-333. 20 Rhalls-Potls, t. IV, p. 476-477. 21 Question N 49 : ibid., p. 484. 22 ibid., p. 460. 23 Les Regestes, N 1205 (V. Laurent). Edition : N. OIKONOMIDS, Cinq actes indits du patriarche Michel Autoreianos, in Revue des Etudes Byzantines, t.25 (1867), 113-145 (la citation la p. 131) = idem, Documents et tudes sur les institutions de Byzance, Londres, 1976, XY. Sur ce texte je me permets de renvoyer C.G. PITSAKIS, Conceptions et loges de la romanit dans l'Empire romain d'Orient : deux thmes byzantins d'idologie politique, Idea giuridica e politica di Roma e personalit storiche [Da Roma alla Terza Roma. X Seminario internazionale di studi storici], Rome, 1990, p. (95-139) 131-135. 24 R. JANIN, la Gographie ecclsiastique de l'Empire Byzantin. I. Le sige de Constantinople et le patriarcat cumnique. Les glises et les monastres, Paris, 1969, p. 79-80. 25 R. JANIN, p. 158 ; S. BLNDAL-B.S. BENDIKZ, The Varangians of Bysantium, Cambridge, 1978, p. 152-153, 185-186 ; cf. Mgr P. MNVISSOGLOU, ,Athnes, l994, p. 20-21, 159 n. 1.

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26 R. JANIN, p. 579. 27 En dernier lieu : I. BILIARSKY, Le mont Athos en tant que lieu sacr de l'orthodoxie (le culte marial et l'universalisme orthodoxe), in Citt ed Ecumene : i luoghi dell'uniuersalismo da Roma a Costantinopoli a Mosca. XXII Seminario Internazionale di Studi Storici (Rome, 2002) [texte provisoire] avec rfrence particulire aux travaux de D. NASTASE. 28 P. LEMERLE, Les archives du monastre des Amalfitains au Mont Athos, Eptris Htaireias Byzantinn Spoudn t. 23 (1953) 548-566 = id., le monde de Byzance : Histoire et Institutions, Londres, 1978, XXII. 29 J. ABBAS, Two Codes in Comparison [Kanonika, 7], Rome, 1997, p. 113. Certains indices dans le sens inverse, mme la priode prcdant le schisme, ne seraient considrer qu' la lumire des cas spciaux qu'ils reprsentent : le mariage infortun du jeune fils de l'empereur Constantin VII Porphyrognte, le futur empereur Romain II (959-963), avec la fille du roi Hugues d'Italie (926-947), Berthe-Eudocie, fut clbr, en pleine Constantinople, par l'vque Sigefred de Parme (Liutprand de Crmone, Antapodosis, 5.20) ; mais il s'agissait d'un mariage d'anti-canonicit flagrante, et le patriarche et l'piscopat constantinopolitains ont sans doute hsit fortement le clbrer : en effet, la jeune pouse se trouvait encore dans sa petite enfance 30 Novelle IV. 69 = F. DLGER, Regesten, N 1068. Ed. Rhalls-Potls, t. V, p. 311-313 ; P. et J. ZPOS, Ius Graecoromanum, t. I, Athnes 1931, p. 408-410. La citation aux p. 312, 409, respectivement. J'en donne ici la traduction anglaise par P. MAGDALINO, (The Empire of Manuel i Komnenos, 1143-1180, Cambridge, 1993, 214) : Since many and frequent unions take place among those of imperial lineage and others most noble and illustrious in rank, and emigrants from foreign lands, where kings and princes reign, to the Queen of Cities. Sur la pratique de mariages mixtes poursuivie au sicle suivant (XIIIe) : D. M. NICOL, Mixed Marriages in Byzantium in the Thirteenth Century, in Studies in Church History, t. I, Londresdimbourg, 1964, p. 160-172. 31 Voir supra, n. 1. 32 J'emprunte cette phrase N. VAN DER WAL - J. H. A. LOKIN, Historiae iuris graecoromani delineatio : Les sources du droit byzantin de 300 1453, Groningue, 1985, p. 107 (intitul du Ch. X). Voir maintenant le volume collectif : N. OIKONOMIDS (ed.), Byzantium in the 12th Century : Canon Law, State and Society, Athenes, 1991. 33 Rhalls-Potls, t. II, p. 253-254. 34 Cf. C. G. PITSAKIS, : 12 dans : N. OIKONOMIDS (ed.), Byzantium in the 12th Century [supra, n. 32], p. 91-139. Sur l'uvre canonique de Balsamon on pourrait toujours consulter facilement la vieille monographie de G. P. STEVENS, De Theodoro Balsamone : analysis operum ac mentis iuridicae [Corona Lateranensis, 16], Rome, 1969. Voir maintenant, en plus des ouvrages gnraux, plusieurs contributions dans le volume collectif Byzantium in the 12th Century, dont : V. TIFTIXOGLU, Zur Genese der Kommentare des Theodoros Balsamon, (p. 483- 532) ; C. GALLAGHER, Gratian and Theodore Balsamon : Two Twelfth-Century Canonistic Methods Compared (p. 61-89) ; de ce dernier point de vue cf. aussi C. G. FRST, Balsamon, il Graziano del diritto canonico bizantino, in La cultura giuridico-canonica medioevale. Premesse per un dialogo ecumenico. Convegno di Studi. Pontificia Universit della Santa Croce, Facolt di Diritto Canonico (Rome, 14-15 mars 2002 ; publier). 35 "Ne donnez pas aux chiens": rponse N 15 : Rhalls-Potls, t. IV, p. 459. Haereticorum autem vocabulo : rponse N 35 : ibid., t. IV, p. 476. 36 P.B.PASCHOS, , Thessalonique, 1978, p. 93 n. 2 ; cf. id., , Athnes, 1980, p. 17-18. 37 Cf. PASCHOS, , p. 94. 38 Rhalls-Potls, t. VI, p. 173-175. 39 ibid., p. 175. 40 Voir, par exemple : S. VESEY-FITZGERALD, Muhammadan Law, Londres, 1831, p. 38 (leasehold marriage) ; J. SCHAFT, An Introduction to Islamic Laws, Oxford 1964 1982, p. 163 (temporary marriage). 41 D.S.GHINS, . , Athnes, 1966, N 493, 547 (nous nous rfrerons cet ouvrage de base sur les sources du droit post-byzantin par le seul numro d'inventaire). 42 G. ARABADJOGLU (Gennadios d'Hliopolis), ,in Orthodoxia t.4 (1929) p. 162-164 ; G. ARABADJOGLU est aussi l'auteur de l'article dans la Grande Encyclopdie Hellnique (MEE : Mgal Hellnik Egkyklopaideia), t. XIII, 742 (avec la bibliographie antrieure). N. PANTAZOPOULOS,

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. , in Mlanges Alexandre Litzropoulos, Athnes, 1985, p. 20