URGENCES Chapitre 34 2010 - SFMU

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339 URGENCES 2010 co-fondateurs LES ANTIAGRÉGANTS PLAQUETTAIRES ORAUX EN PRATIQUE QUOTIDIENNE Correspondance : Jean-Philippe Collet, Institut de Cardiologie-Inserm 857, Hôpital de la Pitié- Salpêtrière, 47-83 bvd de l’Hôpital, 75013 Paris. E-mail : [email protected] L’arrivée des nouveaux inhibiteurs du récepteur P2Y 12 , récemment évalués dans la prise en charge des syndromes coronaires aigus (SCA), va changer nos prati- ques. Leur effet sur la réduction de la thrombose de stent va les rendre incon- tournables dans l’angioplastie des SCA. Le dilemme entre leur efficacité et leur profil de sécurité va rester au cœur du débat. La stratégie du choix sera-t-elle basée uniquement sur le bon sens clinique ? Les tests au lit du patient sont accessibles pour évaluer le degré de réponse biologique au traitement mais aussi pour déterminer le profil génétique de réponse. Vont-ils faire partie du jeu ? Les génériques du clopidogrel sont là et ils arrivent en nombre. Le prasugrel (Efient ® ) sera mis sur le marché en début d’année 2010 ! Quid des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) ! Une mise au point s’impose. 1. Les recommandations sur l’utilisation des antiagrégants plaquettaires après stent La Société Européenne de Cardiologie (2007) et la Conférence ACCP 8 th (2008) recommandent de poursuivre le traitement par aspirine à faible dose indéfiniment (1, 2). Ces mêmes sociétés savantes et la FDA ont également endossé le fait de poursuivre l’association aspirine + clopidogrel jusqu’à 1 an même si les évidences scientifiques ne sont pas de très haut niveau pour l’endoprothèse active, à l’inverse des syndromes coronaires aigus. La mise en place d’une endoprothèse nue en dehors de tout contexte de syndrome coronaire aigu permet d’envisager en cas de nécessité un arrêt du clopidogrel après 4 à 6 semaines de bithérapie. Chapitre 34 Les antiagrégants plaquettaires oraux en pratique quotidienne J.-P. COLLET, J. SILVAIN, G. CAYLA, A. BELLEMAIN-APPAIX, G. MONTALESCOT

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LES ANTIAGRÉGANTS PLAQUETTAIRES ORAUX EN PRATIQUE QUOTIDIENNE

Correspondance :

Jean-Philippe Collet, Institut de Cardiologie-Inserm 857, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 47-83 bvd de l’Hôpital, 75013 Paris. E-mail : [email protected]

L’arrivée des nouveaux inhibiteurs du récepteur P2Y

12

, récemment évalués dansla prise en charge des syndromes coronaires aigus (SCA), va changer nos prati-ques. Leur effet sur la réduction de la thrombose de stent va les rendre incon-tournables dans l’angioplastie des SCA. Le dilemme entre leur efficacité et leurprofil de sécurité va rester au cœur du débat. La stratégie du choix sera-t-ellebasée uniquement sur le bon sens clinique ? Les tests au lit du patient sontaccessibles pour évaluer le degré de réponse biologique au traitement mais aussipour déterminer le profil génétique de réponse. Vont-ils faire partie du jeu ? Lesgénériques du clopidogrel sont là et ils arrivent en nombre. Le prasugrel (Efient

®

)sera mis sur le marché en début d’année 2010 ! Quid des inhibiteurs de lapompe à protons (IPP) ! Une mise au point s’impose.

1. Les recommandations sur l’utilisation des antiagrégants plaquettaires après stent

La Société Européenne de Cardiologie (2007) et la Conférence ACCP 8

th

(2008)recommandent de poursuivre le traitement par aspirine à faible dose indéfiniment

(1, 2)

. Ces mêmes sociétés savantes et la FDA ont également endossé le fait depoursuivre l’association aspirine + clopidogrel jusqu’à 1 an même si les évidencesscientifiques ne sont pas de très haut niveau pour l’endoprothèse active, à l’inversedes syndromes coronaires aigus. La mise en place d’une endoprothèse nue endehors de tout contexte de syndrome coronaire aigu permet d’envisager en cas denécessité un arrêt du clopidogrel après 4 à 6 semaines de bithérapie.

Chapitre

34

Les antiagrégants plaquettairesoraux en pratique quotidienne

J.-P. C

OLLET

, J. S

ILVAIN

, G. C

AYLA

,A. B

ELLEMAIN

-A

PPAIX

, G. M

ONTALESCOT

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SYNDROME CORONAIRE AIGU

2. Quelle dose de charge en clopidogrel ?

L’étude CURRENT-OASIS7 n’a pas permis de démonter un bénéfice supplémen-taire d’une dose de charge de 600 mg de Plavix

®

par rapport à la dose de l’AMMde 300 mg. Elle suggère l’intérêt de cette dose chez les patients admis pour SCAet allant bénéficier d’une angioplastie précoce, une stratégie déjà recommandéeet largement adoptée par de nombreux cardiologues interventionnels. La dosede charge de 600-mg permet d’éviter 7 infarctus, 6 thromboses de stent au prixde 3 saignements majeurs. Cette même étude retrouve une tendance non signi-ficative à une réduction des événements cardiovasculaires avec une plus fortedose d’aspirine. On peut probablement raisonnablement étendre ces résultatsaux patients déjà sous Plavix

®

et qui doivent bénéficier d’une nouvelle angioplas-tie. Ces données nouvelles ne font que confirmer ce qu’avaient démontré lesétudes pionnières pharmacodynamiques sur l’intérêt des fortes doses de chargesen Plavix

®

, c’est-à-dire supérieures ou égales à 600 mg (Figure 1). Ces donnéessont à mettre en perspective avec les résultats très prometteurs obtenus avec lesnouveaux inhibiteurs du récepteur P2Y

12

, le prasugrel ou le ticagrelor, qui per-mettent d’obtenir une plus forte inhibition de l’agrégation plaquettaire que600 mg de Plavix

®

, suggérant ainsi qu’un blocage plus puissant de cette cible estnécessaire dans le contexte de l’angioplastie à haut risque (Figure 2).

3. L’association avec les inhibiteurs de la pompe à protons ?

L’association du clopidogrel avec les IPP diminue fortement (de plus de 45 %) lescomplications hémorragiques gastro-intestinales selon l’étude COGENT (Bhatt D.TCT 2009) et conforte les recommandations conjointes des sociétés américainesde cardiologie et de gastro-entérologie de 2008 qui favorisaient cette associa-tion.

Le clopidogrel est une prodrogue et la perte de fonction génétiquement déter-minée du cytochrome CYP 2C19*2, qui catalyse l’une des étapes de sa biotrans-formation, réduit la quantité de métabolite actif et son effet inhibiteur sur lesplaquettes. La prévalence de ce variant varie entre 30 % et 50 % de populationen fonction des ethnies et multiplie par 3 le risque de thrombose de stent. LesIPP inhibent le CYP2C19 avec un effet classe mais variable allant d’une inhibitionimportante pour l’oméprazole à faible pour le pantoprazole. La coprescription duclopidogrel avec l’oméprazole diminue l’efficacité biologique du clopidogreld’environ 20 %.

De larges registres de la vraie vie plaident en faveur d’un surcroît d’événementscardiovasculaires liés à cette interaction. Ceci n’a pas été confirmé ni par lesétudes randomisées sur les antiplaquettaires (TRITON et CURRENT)

(3)

ni par laseule étude qui a randomisée l’utilisation de l’oméprazole (COGENT). Les auto-rités d’enregistrement ont cependant à deux reprises publié une mise en gardesur cette association en faisant valoir le principe de précaution sur la base de très

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LES ANTIAGRÉGANTS PLAQUETTAIRES ORAUX EN PRATIQUE QUOTIDIENNE

Figure 1 –

Taux événements dans CURRENT, TRITON et PLATO à 30 jours.

Figure 2 –

Niveau d’inhibition de l’agrégation plaquettaire dans CURE, CURRENT, RELOAD, TRITON et PLATO. Les doses choisies pour le développement des nouveaux inhibiteurs sont associés à un effet inhibiteur très nettement supérieur à celle du clopidogrel.

0 10 20 30 days

8

6

4

2

0

Cu

mu

lativ

e i

ncid

en

ce

(%

)

Ticagrelor 180mg + 90mg x2

4.8 % (Ticagrelor PLATO)

5.4 % (Clopidogrel 75 PLATO)

HR 0.88 (95% CI 0.77–0.95), p=0.045*Clopidogrel 75mg vs Ticagrelor 90mg x2 - 12%

7.1% (Clopidogrel 75 TRITON)

5.6%

5.6% (Prasugrel TRITON)Prasugrel 60mg + 10mg

4.7%

HR 0.77 (95% CI 0.67–0.88), p<0.001*Clopidogrel 75mg vs Prasugrel 10mg - 23%

Clopidogrel 300mg + 75mg

Clopidogrel 600mg + 150mg

3.5 % (Clopidogrel 150 CURRENT)

4.9 % (Clopidogrel 75 CURRENT)

HR 0.85 (95% CI 0.76-0.99), p=0.036*Clopidogrel 75mg vs Clopidogrel 150mg - 15%

300mg300mg

600mg600mg

900mg900mg

90mg90mg

10mg10mg

60mg60mg

ClopidogrelClopidogrel TicagrelorTicagrelor PrasugrelPrasugrel

TR

ITO

N

CU

RR

EN

T

CU

RE

180mg180mg

PLA

TO

RE

LO

AD

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SYNDROME CORONAIRE AIGU

gros registres ou un effet était démasqué (populations à haut risque CV) maiségalement d’étude pharmacodynamique (dosage des métabolites actifs). L’inter-action biologique est réelle et indiscutable. Elle reste modeste en termes d’ampli-tude d’effet mais elle ne pourrait s’exprimer cliniquement que chez les patientsles plus à risque d’événements cardiovasculaires, ceux qui souvent ont des stig-mates de résistance naturelle aux antiagrégants plaquettaires. Il convient doncde préférer les IPP pour lesquels l’interaction biologique n’a pas été décritecomme le pantoprazole (Inipomp

®

). Malheureusement il a souvent été retiré desmarchés hospitaliers !

4. Les génériques du clopidogrel

L’ère du 100 % Plavix est terminée ! À ce jour 7 génériques sont sur le marchéet 13 vont arriver. Les évaluations de ces médicaments sont succinctes et nerepose que sur des études de bioéquivalence chez le volontaire sain. Aucunedonnée chez le patient. Les sels sont très divers et variés avec possiblement deseffets sur la tolérance digestive et l’absorption intestinale. Il faut donc chez nospatients stentés et SCA privilégiés le véritable Plavix

®

ce d’autant que tous lesgénériques n’ont pas l’AMM dans le SCA et le stent ! Donc mettre pour lemoment « non substituable » en toutes lettres sur l’ordonnance de nos patientsadmis pour SCA ou chez qui un stent vient d’être posé.

5. La mise sur le marché du Prasugrel (Efient

®

)

Le prasugrel (Efient

®

) sera disponible dès janvier 2010 et sans aucun doute serale médicament de l’angioplastie dite à risque, c’est dire l’angioplastie du syn-drome coronaire aigu. Les contrindications sont limitées aux antécédents d’AVCet la prudence est requise chez les patients de moins de 60 kg et/ou de plus75 ans, ou le bénéfice/risque n’est pas clairement démontré aux doses utilisées.Ce médicaments sera particulièrement intéressant chez le diabétique et à laphase aiguë de l’infarctus du myocarde, situations associés à une réduction desévénements les plus critiques (composite de décès, infarctus, AVC mais surtoutthrombose de stent) sans surcroît de complications hémorragiques majeures

(4)

.Le dosage de 5 mg en dose d’entretien est en cours d’évaluation mais ne serapas disponible conformément au libellé de l’AMM. Le rapport bénéfice risque decette molécule est très favorable dans le libellé de l’AMM, c’est-à-dire l’angio-plastie du syndrome coronaire aigu chez le sujet de moins de 75 ans, pesant plusde 60 kg et n’ayant pas d’antécédent d’AVC comme le montre la figure 3.

L’administration préhospitalière de cette molécule reste un point d’achoppementimportant. En effet, les recommandations de l’ESC soulignent l’importance duprétraitement en amont de l’angioplastie à haut risque. Plus des 3/4 des patientsde l’étude TRITON ont été randomisés sur la table d’angioplastie. Le restant a

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reçu le traitement dans l’heure qui précède l’angioplastie. Il est donc importantde positionner cette nouvelle molécule dans l’arsenal thérapeutique du médecinurgentiste qui voit le patient en amont du cardiologue et de la salle d’angioplas-tie. C’est l’objectif de l’essai ACCOAST (

A C

omparison of Prasugrel at the Timeof Percutaneous

C

oronary Intervention

O

r as Pre-treatment

A

t the Time of Dia-gnosis in Patients with Non-

ST

-Elevation Myocardial Infarction (NSTEMI) qui vientde débuter. Il concerne les patients NSTEMI à haut risque qui vont habituelle-ment en salle de cathétérisme dans les 24 premières heures qui suivent l’admis-sion.

6. Le ticagrelor : un concept séduisant

L’étude PLATO a comparé le clopidogrel au ticagrelor

(Figures 1 et 2) et confirmeun effet classe

(5)

. En effet, le ticagrélor est un antagoniste réversible du récep-teur P2Y

12

à l’inverse des thiénopyridines toutes générations confondues.

Deuxiè-mement

, PLATO ressemble à CURE dans son dessin et elle va certainementséduire le clinicien. La dose de charge de clopidogrel était d’au moins 300 mg(600 mg chez 19 % des patients) et les patients étaient traités de façon plus pré-coce que dans l’étude TRITON qui a évalué le prasugrel contre le clopidogreldans l’angioplastie du syndrome coronaire aigu sans pré-traitement. Au moins1/3 des patients ont été traités médicalement. Enfin, il s’agit d’une vraie popu-lation à risque sans le filtre de la coronarographie, où 85 % des patients avaientune élévation de la troponine et un taux de mortalité à 12 mois de 5 %, ce quiest inhabituel et bien plus élevé que dans TRITON ou CURRENT.

Troisièmement

,cette étude est positive sur le critère primaire de jugement (Figure 1).

La bonne surprise est la réduction de mortalité. L’étude n’était en effet pastaillée pour cela. Les explications sont multiples et restent à creuser dans la

Figure 3 –

Rapport bénéfice risque d’Efient

®

dans la population définie par l’AMM.

Days From Randomization

0 30 90 180 270 360 4500

2

4

6

8

10

12

14

16

En

dp

oin

t (

%)

Hazard Ratio, 1.240

(95% CI, 0.911-1.687)

P=0.170

Hazard Ratio, 0.745

(95% CI, 0.657-0.84)

P<0.001

Clopidogrel

Prasugrel

Clopidogrel

Prasugrel1.95%

1.50%

11%

8.4%

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SYNDROME CORONAIRE AIGU

mesure où la cible pharmacologique est la même. Le niveau de risque élevé dela population à l’étude dans PLATO en est une parmi d’autre.

Le taux de complications hémorragiques majeures non reliées aux pontages,évalué selon des définitions plus classiques (TIMI) et comparables avec les autresétudes (TRITON), montre que le tricagrélor entraîne une augmentation deshémorragies majeure de façon significative par rapport au clopidogrel et quasi-ment identique à celui observé avec le prasugrel dans l’étude TRITON. Onretrouve également un taux de complications hémorragiques intracérébralesfatales plus élevée avec une variation allant de 1 à 10 entre le clopidogrel et leticagrélor, ce qui nécessitera une surveillance attentive dans la vraie vie. L’inter-prétation du risque hémorragique reste à creuser et en particulier celle deshémorragies fatales.

La réversibilité d’action constitue un avantage indiscutable de cette classe théra-peutique. On estime qu’en moins de 48 heures, l’effet biologique a presque dis-paru chez la majorité des patients. Ceci est bien illustré par le fait que le tauxde complications hémorragiques reliés à la chirurgie de pontage est strictementidentique dans les deux groupes de patients étudiés. Ceci constitue un avantageen cas de chirurgie de pontage urgente, ce qui concerne environ 0,5 % despatients. En effet, la majorité des patients qui doivent être revascularisés parpontages le sont de façon différée (4,5 % des patients). Ceci devient un argu-ment fort pour l’initiation de cette molécule dans la phase préhospitalière ou enamont de l’angiographie coronaire. La réversibilité pourrait aussi majorer lerisque liée à une mauvaise observance.

Les résultats du ticagrélor chez les patients ayant été dilatés et en particulier àla phase aiguë de l’infarctus confirme que cette molécule est le challenger duprasugrel avec une image de meilleure tolérance qui reste à confirmer dans lavraie vie. L’analyse approfondie des données de PLATO et les recommandationsdes agences d’enregistrement permettront de trancher. Le prasugrel est le trai-tement de référence pour les angioplasties à haut risque, c’est-à-dire l’angioplas-tie primaire et l’angioplastie du patient diabétique mais également des patientsayant fait une complication thrombotique grave (thrombose de stent en particu-lier). L’étude TRILOGY en cours dans les SCA traités médicalement relancera cer-tainement le débat dans la mesure où elle évalue une plus faible dose deprasugrel chez des patients plus à risque (dose de 5 mg).

Enfin, le taux d’arrêt dans la vraie vie liée à la dyspnée ou à la bradycardieconstituera peut-être un obstacle à son utilisation. En effet, le défaut d’obser-vance potentielle est un réel enjeu ce d’autant qu’une double prise est néces-saire. Le taux de complications hémorragiques fatales intracérébrales pose laquestion de sa sécurité dans certain sous groupe de patient, tout comme cela aété le cas avec le prasugrel.

Le défi pour ces molécules très efficaces reste leur tolérance cumulée. En effet,si la grande majorité des événements ischémiques est précoce, les événementshémorragiques augmentent progressivement tout au long de l’exposition au

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traitement. Et le patient sort de la salle d’angioplastie avec une ordonnance debithérapie pour un an en général dans les suites d’un SCA ou de la pose d’unstent actif. Se pose alors la question du traitement à la carte.

7. Le traitement à la carte : un mythe ou une réalité ?

On dispose de tests au lit du patient ou « point of care » permettant (i) d’évaluerla réponse pharmacodynamique au traitement antiplaquettaire oral (aspirine etclopidogrel) en salle de cathétérisme ou en consultation mais aussi de (ii) déter-miner le profil génétique de réponse au clopidogrel. Ces tests ont un coût quiest évalué à moins de 70 euros ! La réponse est disponible en moins de deuxheures. La mauvaise réponse biologique mesurée avec les tests pharmacodyna-miques type VerifyNow

®

multiplie par 2 le risque d’événement coronarien aiguaprès pose de stent

(6)

. De la même façon, les porteurs du variant 2C19*2 ontun risque de thrombose de stent multiplié par 3 à 4 lorsqu’ils sont exposés auclopidogrel après stenting (Figure 4). On est donc à l’heure où le choix raisonnédevient possible. Il reste à démontrer si cela est intéressant pour le patient. Eneffet, la valeur prédictive positive de ces tests reste faible (< 20 %). C’est l’objetde certaines études en cours (ARCTIC) (Figure 5).

La messe n’est donc pas dite ! On peut sélectionner les mauvais répondeurs auclopidogrel (par le test fonctionnel et le test génétique et cela représente au basmot un patient sur 3) mais on peut aussi sélectionner les patients hyper-répondeurs au prasugrel ou au ticagrélor et potentiellement plus à risque decomplications hémorragiques majeures.

Figure 4 –

Risque de thrombose de stent sous clopidogrel en fonction du variant 2C19*2 (à propos de 161 cas de thrombose de stents).

ASA poursuivi et (clopidogrel arrêtée avant) (délai de la thrombose = 9 jours)

Arrêt simultané ASA et clopidogrel (délai de survenu de la thrombose = 9 jours)

Arrêt clopidogrel (ASA maintenu) (délai de survenue de la thrombose = 122 jours)

0 50 100 150 200 250 300 350

100

90

80

70

60

50

40

30

20

10

0

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SYNDROME CORONAIRE AIGU

8. L’arrêt des antiagrégants plaquettaires en pratique

Il est probable que c’est le dernier antiagrégant plaquettaire arrêté qui exposeau maximum de morbi-mortalité mais les données scientifiques solides sontinexistantes. Les études randomisées en cours sur l’interruption n’apporterontqu’une réponse partielle en raison de la nécessité de sélectionner les patientsdans les études d’arrêt.

8.1. Mesures de préventive

C’est en partie l’art de la médecine que d’identifier des situations d’arrêt prévi-sibles. L’utilisation de questionnaire standardisé comme résumé dans la figure 6doit permettre d’améliorer le dépistage des malades à risque d’interruption pré-maturée dans les toutes premières semaines.

8.2. Comment arrêter prématurément ?

Les avis d’expert des sociétés savantes américaines rappellent le danger d’arrêterprématurément

(7)

. Elles ne prennent pas en compte l’évaluation du risquehémorragique dépendant de chaque geste invasif qui parfois ne peut attendre1 an ! En pratique, on sait que les arrêts prématurés de bithérapie dans dessituations de procédures invasives sont excessifs et au moins trois plus fréquentsqu’attendu (registre REGINA)

(8)

. Les anesthésistes (registre français RECO) nousdisent que le risque de thrombose de stent cumulé durant la période périopéra-toire est de 2 %, sans différence entre stent actif et stent nu. Surtout, la plupart

Figure 5 –

Dessin de l’étude ARCTIC utilsiant le VerifyNow

®

en salle de cathétérisme pour ajuster les doses d’aspirine et de clopidogrel au moment de l’angioplastie et à 1 mois.

Groupe 1 : Bras monitoré• Evaluation systématique de la réponse biologique à

l’aspirine et au clopidogrel avant mise en place de l’endoprothèse.

• Adaptation du traitement antiplaquettaire chez les hyporépondeurs au moment de l’angioplastie

• Réévaluation chez tous les patients de la réponse au traitement antiplaquettaire et ajustement de la dose d’entretien

Groupe 1 : Bras monitoré• Evaluation systématique de la réponse biologique à

l’aspirine et au clopidogrel avant mise en place de l’endoprothèse.

• Adaptation du traitement antiplaquettaire chez les hyporépondeurs au moment de l’angioplastie

• Réévaluation chez tous les patients de la réponse au traitement antiplaquettaire et ajustement de la dose d’entretien

Groupe 2 : Bras conventionnel• Pas d’évaluation de la réponse

biologique au traitement antiplaquettaire

• La stratégie antiplaquettaire orale est

laissée à la discrétion de l’investigateur

en fonction des pratiques habituelles

Groupe 2 : Bras conventionnel• Pas d’évaluation de la réponse

biologique au traitement antiplaquettaire

• La stratégie antiplaquettaire orale est

laissée à la discrétion de l’investigateur

en fonction des pratiques habituelles

Randomisation avant implantation d’un stent actifRandomisation avant implantation d’un stent actif

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de ces événements sont observés après arrêt complet de la bithérapie et princi-palement lorsque cet arrêt survient dans les 6 premières semaines après la posed’un stent.

Si on doit arrêter prématurément, il faut raisonnablement attendre unminimum de 6 semaines et ne pas tout arrêter.

La thrombose de stent arrivedans un délai de 10 jours en cas d’arrêt complet de la bithérapie alors qu’il fauten moyenne 122 jours après l’arrêt du clopidogrel lorsque l’aspirine est mainte-nue, remettant en question un lien de causalité immédiat entre arrêt du clopi-dogrel et thrombose de stent (Figure 7)

(9)

.

Figure 6 –

Questionnaire standardisé avant mise en place d’un stent actif (CHU Nîmes et Montpellier).

Figure 7 –

Recommandations périopératoires.

< J30-45 > 365 J> J14 < 365 J> J30-45< J14

Stent actifStent nuBallon seul

Différer une chirurgie élective

ou non urgente

Opérer sous aspirineDifférer une chirurgie élective ou non urgente

Opérer sous aspirine

Antécédents d’angioplastie

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9. En pratique

– Ne pas envisager d’endoprothèse active chez les patients à risque de chirurgieintercurrente.

– Différer tout geste invasif et en particulier la chirurgie non urgente de 6 à12 mois au mieux en cas d’endoprothèse active.

– En cas de chirurgie qui ne peut être différée, respecter la règle des 6 semainesquelle que soit la nature de l’endoprothèse.

– Pas d’arrêt systématique et complet de la bithérapie : la majorité des actesinvasifs peut se faire sous aspirine faible dose.

– Favoriser les discussions pluridisciplinaires (cardiologues, chirurgiens, anesthé-sistes). L’HAS y travaille et un document sera publié avant la fin 2010.

– Se reporter aux consensus d’expert et aux recommandations des sociétéssavantes. Toutes ces recommandations seront bientôt en ligne sur le site duGACI (

www.sfcardio.fr/.../atherome-coronaire-et-cardiologie-interventionnelle

).

– En cas d’arrêt nécessaire : arrêt court (5 jours) et reprise rapide avec dose decharge des deux antiagrégants pour éviter l’inertie d’action de l’aspirine et duclopidogrel à faibles doses.

– Pas de traitement de substitution a priori (manque de preuves).

9.1. Comment arrêter tardivement ?

C’est l’autre vrai casse-tête. Une récente analyse des patients ayant interrompule traitement à l’étude (placebo ou clopidogrel) dans l’étude CHARISMA nemontre pas d’effet rebond d’accident thrombotique mais aussi la persistance dubénéfice acquis du clopidogrel. Une analyse post-hoc de la même étude montreun bénéfice de la poursuite de la bithérapie au-delà d’un an chez les patientsdits à risque (post-infarctus). Mais ceci est loin de pouvoir s’appliquer à nospatients de la vraie vie.

Nous ne disposons pas non plus de données prospectives randomisées sur lerisque d’arrêt de la bithérapie 12 mois après la mise en place du stent. Environ70 000 patients sont en cours de randomisation dans une dizaine d’études éva-luant l’arrêt du clopidogrel 6 à 12 mois après un stent actif (ARTCIC, ISAR-SAFE,ITALIC, OPTIDUAL, PROTECT). Elles auront toutes le même défaut. Les patientsà risque d’arrêt prématuré seront éliminés. Ce sont d’abord les patients à risquehémorragique potentiel ou ceux ne tolérant pas la bithérapie qui souvent par-tage les comorbidités associées à un risque ischémique élevé. Les patients à trèshaut risque ischémique ne seront pas inclus (patients SYNTAX-like). Nous auronsdonc la réponse pour les patients dits à risque intermédiaire. Attendons les pre-miers résultats fin 2012 !

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10. Conclusion

L’utilisation des médicaments antiplaquettaires oraux repose avant tout et heu-reusement encore sur le bon sens clinique et ce en dépit de toutes les interro-gations qui persistent. Les progrès sont là et plus rapides que jamais témoignantde l’activité de la recherche clinique au service des patients.

Références

1.

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