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TRANS- 17 (2014) Au-delà ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Sibylle Orlandi Gherasim Luca, Paul Celan : un au-delà de la langue dans la langue ? ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Sibylle Orlandi, « Gherasim Luca, Paul Celan : un au-delà de la langue dans la langue ? », TRANS- [En ligne], 17 | 2014, mis en ligne le 24 février 2014, consulté le 11 mars 2015. URL : http://trans.revues.org/890 Éditeur : Presses Sorbonne Nouvelle http://trans.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://trans.revues.org/890 Document généré automatiquement le 11 mars 2015. Tous droits réservés

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  • TRANS-17 (2014)Au-del

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    Sibylle Orlandi

    Gherasim Luca, Paul Celan: un au-delde la langue dans la langue?................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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    Rfrence lectroniqueSibylle Orlandi, Gherasim Luca, Paul Celan: un au-del de la langue dans la langue?, TRANS- [En ligne],17|2014, mis en ligne le 24 fvrier 2014, consult le 11 mars 2015. URL: http://trans.revues.org/890

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    Sibylle Orlandi

    Gherasim Luca, Paul Celan: un au-del dela langue dans la langue?

    1 De Paul Celan et Gherasim Luca, on ne retient souvent quun faisceau de donnesbiographiques: tous deux sont juifs, tous deux sont ns en Roumanie, ont vcu Paris, ontmis fin leurs jours en se jetant dans la Seine. De ces potes on a dit aussi quils avaient enpartage un bgaiement crateur: une affection de la langue mme, non un affect de la parole1.Il semblerait que le rapprochement sarrte l. Paul Celan crit en allemand, Gherasim Lucaen franais. Lun installe sa potique lore du silence, de labsence, et fait de lcriture unecoute (celle des disparus); lautre explore par lhumour et les jeux smiotiques les scrtionsde la pense. Le premier interroge la possibilit de faire entendre une parole, il est aux prisesavec la langue, avec les langues (dans lcriture, la traduction). Le second multiplie les supportset les pratiques de cration: cubomanies, dessins aux points, rcitals, collaborations avec desplasticiens. La lettre scrit alors dans la promiscuit du son, de limage.

    2 La mort, certes, nest absente daucune des deux uvres. Sans nul doute, les crations deGherasim Luca comme celles de Paul Celan sont le lieu dun trouble: un trouble qui prendnaissance dans lhistoire et ne se rsorbe ni dans loubli, ni dans le tmoignage. Paul Celan estn en 1920 Czernowitz dans une famille juive dorigine allemande il sappelait alors PaulAntschel. Ses deux parents meurent en dportation, lui-mme est envoy aux travaux forcs.Il sexile en France en 1948, et y demeure jusquen 1970. Paris, Paul Celan enseigne latraduction et lallemand lcole Normale Suprieure de la rue dUlm. En avril 1970, le potese donne la mort. bien des gards, le parcours de Gherasim Luca fait cho celui de PaulCelan. N en 1913 Bucarest sous le nom de Salman Locker, Gherasim Luca est issu dunmilieu juif libral. Trs jeune, il publie ses textes dans des revues davant-garde. Pendant laseconde guerre mondiale, Gherasim Luca doit lui aussi effectuer des travaux forcs. Aprs unelongue attente, il parvient rejoindre Paris en 1952 et sy installe dfinitivement. Il crit, credes cubomanies, donne des rcitals (le terme est de lauteur) et sengage dans de nombreusescollaborations. En 1994, comme le fit Paul Celan vingt-quatre ans plus tt, Gherasim Luca sejette dans la Seine. Les deux potes taient amis: de cette relation tmoignent les changespistolaires conservs la bibliothque Jacques Doucet de Paris. Ils partageaient aussi unecommune exprience: celle dun vnement dont on ne peut donner la mesure.

    3 La question qui se pose est celle de la prise de parole aprs Auschwitz. Gherasim Lucaconvoque le dfunt dans une bien trange clbration: LA SANT / DU MORT2. Le paradoxequi consiste voquer la sant dun mort participe de lhumour sourd3 et grinant dunpome o le peloton dexcutants et le peloton dexcuts sont renvoys dos dos. Bien diffrente est lvocation des disparus chez Paul Celan. Comme le montre AlexisNouss, la posie de Celan sinterroge sur les conditions de possibilit dune parole juste,responsable, qui parviendrait se faire entendre des disparus et constituerait en mmetemps une coute4. Les deux dmarches ouvrent donc sur des expriences de lecture fortloignes lune de lautre. On peut certes retrouver chez Paul Celan et Gherasim Luca leschos dun mme bouleversement dordre temporel. La reprsentation linaire qui voudraitvoir se succder vie, mort et au-del dans une parfaite continuit est frappe de discrdit. Maisalors que la mort fait lobjet chez Gherasim Luca dun retournement factieux qui la renverseet la met distance (en tmoigne le texte de La Mort morte5), elle apparat dans les pomes deCelan comme un domaine indissociable de celui de la vie, dont lexprience potique constitueune traverse.

    4 Chacun des auteurs dessine une voie qui place le mot (das Wort, en allemand) au cur dudispositif potique. Mots en transit, mots changs, trangers, disloqus, rduits parfois une syllabe, une lettre, lindice dune prsence ; tous tmoignent de la non-concidence6

    constitutive de lnonciation, dun cart que la posie creuse au lieu de le rsorber. Ce

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    recours au mtalangage ne relve pourtant pas dune mme dmarche. Chez Gherasim Luca, ilparticipe dune qute qui prend pour support le langage au sens le plus physique du terme: lemot inscrit sur la page, prononc par la bouche. De cette qute, lhumour nest jamais absent.Paul Celan pour sa part interroge inlassablement la possibilit mme dune prise de parole: lasyntaxe perturbe rend compte de ltranget et de lopacit installes au cur de la langue.Il sagit de travailler de lintrieur les limites du dire, dans un mouvement qui na rien dejubilatoire: on ne peut droger, semble-t-il, la fatalit de lclatement des langues.

    La dsertion des cieux5 Le premier constat qui simpose est celui de la dsertion des cieux. Les deux potes prennent

    acte de labsence de divinit. Le texte Psalm ( Psaume ) de Paul Celan sadresseparadoxalement cette absence:

    Niemand knetet uns wieder aus Erde und Lehm,niemand bespricht unsern Staub.Niemand.Gelobt seist du, Niemand.Dir zulieb wollenwir blhn.Direntgegen.7

    6 Insensiblement, un glissement de catgories grammaticales a lieu, faisant du pronom Niemandun nom propre. La prsence dune majuscule dans le vers Gelobt seist du, Niemand rend manifeste la recatgorisation. Dans les trois premiers vers, Niemand apparat comme unpronom, et le lecteur peut attribuer la majuscule la place occupe par le mot (en dbut devers). Une telle analyse nest plus possible par la suite: Niemand devient le destinataire dela parole potique, ce du (tu) apostroph dans une formule qui rappelle la prire. Letrouble smiotique est dautant plus grand que lon reconnat en filigrane une adresse Dieu:Gelobt seist du, Herr (Lou sois-tu, Seigneur). Dans ce jeu de rcriture, la substitutionde Niemand Herr indique une vacance. De toute vidence, Niemand ne fonctionne pascomme un nom propre prototypique, et nest pas le support dune individuation8. Le potesemble avoir explor les zones dinstabilit de la syntaxe: rien nempche, en effet, de voirds les premiers vers en Niemand (sujet grammatical de la proposition) le nom dune instanceagissante. Dans ce brouillage des catgories, le signe se rvle labile, insituable, il chappe,tout comme chappe la saisie ce quoi il rfre. Niemand est le nom dune absence ordonner un nom cette absence, cest ouvrir la possibilit dune adresse (adresse pour le moinsparadoxale, puisquelle se tourne vers une vacance).

    7 Dans la suite du pome la communaut des hommes se trouve ainsi dfinie:Ein Nichtswaren wir, sind wir, werdenwir bleiben, blhend:die Nichts-, dieNiemandsrose.9

    8 Ce psaume est le lieu dun double dplacement: plutt que dtre le fruit (die Frucht)de Dieu, lhomme est la rose de personne (Die Niemandsrose). Martine Broda, dansla traduction, choisit de ne pas conserver la majuscule: dans le pome Psaume commedans le titre, cest de la rose de personne quil est question. Sans doute ce choix renforce-t-il limpression dinstabilit dont nous venons de rendre compte. Quoi quil en soit, fort desa prcdente exprience, le lecteur retrouve toujours virtuellement dans personne un nompropre. laune de cette dcouverte, le titre du recueil se charge dune coloration nouvelle:la rose de personne, cest aussi la rose de Personne, la floraison dune absence institue endestinataire.

    9 Chez Gherasim Luca, le nom divin, objet de drision, est vid de tout sens religieux. DansSept slogans ontophoniques, la faveur dun jeu smiotique, le lecteur est invit reconnatredans les quatre lettres qui constituent le nom de Dieu le sigle dune socit dassurance:

    Le passage de la rvolution solitaire la folie, le monde et personnelorganisent en socit dassuranceayant les initiales de sa direction gnrale

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    pour sigle (D.I.E.U.)10

    10 Si lhumour ici lemporte sur le blasphme, un tel texte nen demeure pas moins violemmentmcrant. Il sagit l plus que dune simple dsmantisation: cest le statut mme du signe Dieuqui change, puisque faire de lui un sigle implique de considrer chaque lettre comme linitialedun nom virtuellement convoqu (il revient au lecteur de poursuivre le jeu en imaginant lesdiverses combinaisons possibles). De cette modification tmoignent les points sparant chaquelettre et lemploi de majuscules. Le sigle est un signe motiv lexicalement, dans la mesure oil est compos dune srie dabrviations. Mais la transformation nest jamais aussi sensibleque lors dune lecture haute voix: lusage veut que pour un sigle on pelle chaque lment.On lira donc [de], [i], [], [y] plutt que [dj]. Dans lcart qui spare Dieu de D.I.E.U. surgitlhumour: la mention du sigle entre parenthse rsout la tension et lattente gnres par lespremiers vers. Rinscrivant le nom divin dans un contexte capitaliste, Gherasim Luca insistesur la trivialit des transactions.

    11 Alors que dans les grands textes kabbalistiques la lettre, en dernire instance, reprsente lenom de Dieu, chez Gherasim Luca le nom de Dieu nest plus quune succession de lettres.La qute dune transcendance devient drisoire: il ne sagit plus de dcouvrir la puissance luvre dans le nom mais de restituer les quatre mots dont les initiales forment le sigle. Ensomme, Gherasim Luca, dans un geste dappropriation qui confine au dtournement, vide lapratique kabbalistique de tout horizon divin. Cest ce qui apparat dans une lettre adresse Tilo Wenner, pote argentin et fondateur de la revue Ka-Ba avec lequel Gherasim Luca aentretenu une correspondance. Cette missive, date du 13 juillet 1958 et crite Paris, fait choau dsir de Wenner de publier quelques textes de Gherasim Luca dans sa revue davant-garde:

    [...] Quant moi, je vous enverrai quelques pomes indits; comme le droulement physique du langage occupedans mes pomes une place centrale, je vous demanderai de nouveau daccompagner votre traduction de saversion originale.Ce nest pas une proccupation dordre esthtique qui me dicte cette exigence (vous pensez bien que lalittrature constitue le dernier de mes soucis), lcriture ntant pour moi que le support dans le sensalchimique du terme dune dmarche analogue la kabbale (une kabbale anarchique et athe, bien sr, maisnon moins rigoureuse que celle des mystiques du moyen-ge), chaque incursion dans la structure intime du motdevant marquer la transgression concrte dun obstacle intrieur et louverture dune porte dans mon esprit.11

    12 Le pote retient de la tradition sotrique la possibilit douvrir le mot pour explorer desrelations nouvelles et relancer le mouvement de signification. La valeur de la dmarcherside dans le processus mme de cration, qui conserve de la mystique juive une extrmerigueur, mise au service de la dstabilisation des circuits habituels de la pense, de lalecture et de lcriture. Aussi lhumour et le dtournement ne sont-ils jamais absents de cettequte: en tmoigne le recueil Sept slogans ontophoniques, o le sigle D.I.E.U. renversefactieusement la question de lorigine. Ultime perturbation, le pome se termine sur unetrange clause:

    moins que personne et le mondene sentrevivent avant.

    13 En somme, le passage de la rvolution solitaire / la folie, qui se ferait sous lgide dunesocit dassurance rpondant au nom de D.I.E.U. ne peut avoir lieu qu cette condition.Lnonciation sinstalle ici la frontire de labsurde, et conduit la pense dans ses derniersretranchements. Car le risque que personne et le monde ne sentrevivent suppose quilssont morts. Laporie est double: le lecteur se confronte dabord la difficult de concevoirune relation entre personne et le monde, entre le vide et la totalit, ensuite celle dereprsenter la rciprocit que suggre le verbe pronominal sentrevivre, antonyme du verbe(bien attest dans le lexique celui-ci) sentretuer. La mort semble installe au cur des tres etdes choses. Sa prsence est dautant plus intrusive quelle nest pas nonce clairement: dans lepome, elle est inscrite en creux, virtuellement convoque par les termes socit dassurance,personne, par le nologisme sentrevivre. Pourtant, il semble possible de se donner la vierciproquement: peut-tre peut-on esprer chapper la destruction toujours porte par laparole apocalyptique.

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    14 Si les cieux sont dserts, si lhomme est la rose de personne, si lassurance dun aprsest dissoute, comment composer avec la mort? Peut-on encore parler dun au-del, qui neserait ni laccs une origine prserve du sens, ni la garantie dune vie ternelle?

    Dplacement, renversement15 De demeure cleste, il nest pas. Si une traverse doit advenir, chez Celan, elle nest pas

    ascendante ber aller dieser deiner / Trauer: kein / zweiter Himmel12 mais maritimeet, partant, elle sinscrit sur une ligne horizontale (prcisment celle qui apparat parfois dansle pome sous la forme dune srie de points: ligne discontinue, poreuse, qui spare et relie laparole elle-mme). Les images de traverse, de passage, attestent que le parcours nest plusarien, mais aquatique. Dans le pome Osterqualm (Fume de Pques), loppositionentre ciel et mer sarticule la faveur dun suspens balis par les parenthses:

    (Niemals war Himmel.Doch Meer ist noch, brandrot,Meer.)13

    16 Cest ainsi que la posie de Celan ouvre la possibilit dun dplacement14, permettant letransport dans un temps et un lieu autres, qui prcisment ne peuvent advenir que dans et parle pome. Lau-del prend alors un sens nouveau. Fragile, prcaire, il nest jamais conquis:tout au plus peut-on esprer le rinventer page aprs page, le convoquer dans la relance duneparole qui na rien dvident. Le mouvement est spatial, non chronologique, aussi la parolea-t-elle charge de donner un sens (une direction). Quant au temps, il nest plus apprhenddans son droulement linaire, mais embrass dans ses multiples chappes:

    Dort und Nicht-da und Zuweilen,kometenhaft schwirrte ein Augauf Erloschenes zu, in den Schluchten,da, wos verglhte, standzitzenprchtig die Zeit,an der schon empor- und hinab-und hinwegwuchs, wasist oder war oder sein wird ,15

    17 Cest bien vers un au-del spatial (hinwegwuchs) que poussent les trois poques ( was /ist oder war oder sein wird) : lenjeu de la parole potique est de rsorber le souffle quispare Dort, Nicht-da et Zuweilen, de runir pass, prsent et futur dans un gestedindistinction. La floraison, une fois encore, est la matrice de ce mouvement qui rend possiblela runion des vivants et des disparus. Comme le montre Alexis Nouss, [l]e concept desurvie claire toute la potique celanienne: luvre est crite pour accueillir la mmoire desdisparus de la Shoah en tant que vivants puisque leur disparition les a privs du cycle vie-mort naturel16.

    18 La question de savoir comment composer avec la mort, pour laccueillir ou la djouer, est dslors centrale. Dans Renverse du souffle, Landschaft (Paysage) engage le pote dansune partie contre la mort:

    das Klinkerspiel gegen den Todkann beginnen17

    19 Le traducteur sexplique dans une note du choix de traduire das Klinkerspiel par unnologisme: en allemand, Klinker dsigne (par onomatope) un type de brique vernisseextrmement dure qui rend au moindre choc un son "clinquant" trs caractristique. MaisKlinker dsigne aussi les billes de terre cuites utilises dans les jeux denfants. Pour Lefebvre,[l]es Klinker, ce sont aussi les pomes, largile (dont lhomme est fait) devenue sonore, quasiptrifie18. Dans ce jeu o ladversaire est aussi partenaire19, il importe moins demporterla victoire dfinitive que de relancer la partie. ce titre, la parole potique occupe un rleessentiel: cest elle quil incombe dassurer cette relance. Performative, lnonciation ouvrele jeu en dclarant quil peut commencer20.

    20 La relation engage avec la mort dans les textes de Gherasim Luca ressortit elle aussi du jeu,mais il sagit l dun jeu tout diffrent, qui repose sur la parodie et le dtournement. Fortementmarqu par lentreprise de ngation de la ngation initie par le groupe surraliste roumain(dont il fut lun des fondateurs), Gherasim Luca invente un dispositif exprimental destin

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    retourner la mort contre elle-mme. En 1945, il publie Bucarest Moartea Moart, quiltraduit la fin de sa vie en franais sous le titre La Mort morte. Luvre, compose dun textetypographi et de fac-simils de documents manuscrits, se prsente comme le rsultat duneexprience: il sagit de faire cinq tentatives de suicide en consignant avant, pendant et aprschaque essai les conditions du protocole et les impressions qui affectent le sujet. GherasimLuca structure lui-mme son texte de manire trs rigoureuse: cinq reprises, il distinguela lettre laisse sur la table avant la tentative, le texte crit pendant la tentative et lanotation immdiate qui suit directement lexprience, et tient lieu de commentaire. Lestentatives sont voques lune aprs lautre: la strangulation succdent la balle tire dansla tte, le coup de couteau plant dans le cur, le poison aval, la respiration volontairementretenue. La survie du suicid, capable de faire sereinement le compte rendu de ces expriences,est rendue plus mystrieuse encore par la radicalit des scnarios envisags et lobstinationreflte par leur succession immdiate.

    21 bien des gards, cette uvre a de quoi dstabiliser. Dune part, elle se prsente commeun protocole scientifique et se situe la frontire entre lexpos thorique, le compte-rendudexprience, la parodie (les cinq lettres de suicide appartiennent ce registre), le thtre(lensemble du dispositif relve dune mise en scne) mais aussi peut-tre la performance(il nest pas exclu quune partie des procds dcrits aient t rellement prouvs aussipeut-on voir dans les fac-simils des manuscrits les traces laisses par un corps confront ses propres limites). Dautre part, le texte se rvle doublement htrogne. Le volume faitcohabiter aux cts du texte tapuscrit la reproduction de notations traces la main: le trachsitant, le trembl des lettres perturbent durablement la comprhension. Mais lhtrognitest aussi linguistique. Lorsque Gherasim Luca publie en 1945 Moartea Moart, il fait conciderlalternance manuscrit/tapuscrit avec une alternance franais/roumain. Alors que la plusgrande partie du texte est rdige en langue roumaine, les cinq prises de notes simultanes ausuicide apparaissent en franais. tonnamment, la langue trangre semble permettre au sujetde sinscrire dans une immdiatet qui se drobe la langue maternelle.

    22 En tout cela, La Mort morte constitue un vritable hapax dans le champ littraire. Insituablegnriquement, luvre pose aussi le problme du rapport au corps. Linsertion dun textemanuscrit censment crit dans des conditions de mort imminente tend brouiller la distinctionentre lvnement et sa reprsentation, entre le corps virtuel de lnonciateur et le corps relde lauteur. Sans doute sagit-il l dune gageure : luvre donne voir la mort dans sondroulement mme, elle fait le pari dune simultanit entre le vcu et le narr. Cest unerponse factieuse la pense occidentale, qui, depuis picure jusqu Gaston Bachelard21, nacess de faire le constat de limpossible preuve de la mort. Ce faisant, le dispositif dplace laquestion de la vraisemblance: il ne sagit pas de sinterroger sur la crdibilit dune dmarche,mais de se demander quelles conditions on peut intgrer la mort la pense, et ainsi lui terson pouvoir paralysant. Quant la question de laprs, elle se rsorbe dans lhumour. Lanotation qui suit immdiatement le coup de pistolet dans la tempe se conclut sur ce constatlaconique: Jai mal au cerveau22.

    23 On retrouve dans le titre un cho au constat de Ludwig Wittgenstein: La mort nest pas unvnement de la vie. La mort ne peut tre vcue23. Avec humour, Gherasim Luca rpond cette impossible mort vcue par un renversement lexical: nat ainsi le paradoxe de la mortmorte. Sil nest pas envisageable de vivre sa mort, pourquoi ne pas la mourir ? Mais letitre renvoie aussi un mouvement de ngation de la ngation cher Gherasim Luca. Lepote, en retournant la mort contre elle-mme, sattache rendre compte dun phnomne derversibilit. Comme le souligne Iulian Toma, la dialectique telle quelle est entendue par lemouvement surraliste roumain ne connat pas de synthse: elle est loscillation permanentede la pense, et le refus de tout figement dfinitif24. Or la mort, ce Paralytique GnralAbsolu25, consiste prcisment en un arrt, une stabilisation. Univoque, elle a le pouvoir deptrifier et constitue ce titre un obstacle. Lenjeu de la dmarche prsente dans La Mortmorte est de rintroduire une dynamique, de relancer le mouvement dialectique. la morttyrannique, cette ennemie quotidienne, lnonciateur voudrait opposer une mort entendue

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    comme prolongement de [s]on tre / lintrieur de ses propres contradictions26. Cettemise en branle ne peut se faire quau prix dune confrontation. En somme, ce que cherche ici provoquer le sujet en proie au dsespoir, cest une relance du dsir, un renversement qui terait la mort son pouvoir ptrifiant. Pour ce faire, il se propose daggraver son tat dirritation,de le pousser jusqu son paroxysme, de lexasprer jusqu sa ngation / impossible etjusqu la ngation exasprante de limpossible. Lenjeu est datteindre le point o la mort

    quitte ses qualits traumatiqueset sembrase qualitativementthaumaturgiquement et adorablementdans lhumour

    27

    24 Par lhumour, ft-il noir, il est possible dintgrer la mort la pense et, par l mme, denrayerla catalepsie. Cest dans cette perspective que lon peut lire les diffrentes lettres rdigesavant les cinq tentatives: imitant le ton tantt dchirant tantt solennel des crits laisss parles suicids, Gherasim Luca cre un dcalage comique. Les notations immdiates ne fontque renforcer cette impression, insrant des rflexions fort triviales aux moments les plusinattendus. Djouer la mort, cest aussi (et peut-tre avant tout) djouer la langue, investirles discours communs pour mieux les travestir. Le renversement est au cur de lensemblede ce dispositif fort thtral. Il constitue aussi une matrice pour la pense, qui procde parretournements successifs pour ne pas cder la paralysie. Lcriture manuscrite en est le refletsaisissant. Dans la premire dition du texte, lune des notations immdiates est inverse, etne peut tre lue que dans un miroir (linstrument partir duquel elle a t compose). Delcriture, on ne devine alors plus que lenvers. Le texte qui suit commente ce geste et situesa gense dans une origine insaisissable:

    le griffonnage que je tracedevant le miroiravec la main gauchependant que de la droitejappuie le canon du pistoletsur ma tempeme semble crit par quelquun dautrepar une ombreou par un autre miroir28

    25 Reflets dun reflet, les mots nappartiennent plus: il nest plus question de trouver une origine,mais dinstaller une chambre dcho. Le miroir apparat ici comme la forme par excellencede linversion cette inversion qui renvoie la mort elle-mme, le soi lautre et le mot un autre mot.

    Opacit du langage26 Paul Celan et Gherasim Luca lisent, parlent et traduisent plusieurs langues. Enfant, Celan parle

    dabord lallemand. Cest dans une cole hbraque quil apprend lhbreu. Par la suite, ilintgre un lyce roumain o les cours sont dispenss en roumain et en franais. Ses tudesle conduiront aussi apprendre le russe, langlais et lespagnol. Aprs son installation enFrance, Celan enseigne pendant plus de vingt ans la traduction et lallemand lcole NormaleSuprieure de la rue dUlm. Il traduit en allemand depuis diffrentes langues : le russe,le franais, le roumain, lespagnol, lhbreu29. Quant Gherasim Luca, il grandit dans unefamille o lon parle roumain. Mais ds ses premires annes il est mis en contact avecplusieurs langues, et ds 1938 il crit des textes en langue franaise. Aprs son installation Paris, Gherasim Luca ne publie plus quen franais, tout en refusant lide dune quelconqueappartenance : Fondamentalement et mme lgalement je suis ncessairement apatride.Ni ma langue passe ni ma langue prsente ne justifient mes yeux (aprs Auschwitz)lappartenance un patrimoine national30.

    27 Si les deux auteurs ont en commun cette pluralit linguistique, ils adoptent cependant uneposition diffrente par rapport la langue maternelle. Chalfen attribue Celan ces propos:Nur in der Muttersprache kann man die eigene Wahrheit aussagen, in der Fremdsprachelgt der Dichter31. Une dclaration que Dominique Combe traduit en ces termes: on nepeut exprimer la vrit qui vous est propre que dans sa langue maternelle; dans une langue

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    trangre, le pote ment32 . On mesure le foss qui spare cette assertion de linjonctionformule par Gherasim Luca dans un carnet de 1962:

    oublie ta langue maternellesois tranger la langue dadoption trangreseulelano mans langue33

    28 La no mans langue qui choit lhomme est une langue hors la langue, qui nappartientpas et laquelle on nappartient pas. Le passage par langlais et le travestissement quilaccompagne tmoignent justement de cette altrit fondamentale. Le dtour est double: lesurgissement dans un nonc franais dun mot compos anglais permet de mieux faire saillir,dans un second temps, le glissement qui sopre de langlais au franais (au terme attenduland se substitue le quasi-homonyme langue). Dans ce mouvement daller-retour, la languefranaise diffre delle-mme sans devenir tout fait mconnaissable.

    29 Quelle que soit la langue dcriture, des langues trangres viennent travailler lnonciationet rompent lillusion dune concidence du discours lui-mme, du mot la chose quildsigne. Dans cet cart prend naissance le pome. Mme lorsquune seule langue est enjeu, le mot apparat souvent en mention. Il ne sefface plus, transparent, dans lvidencedu dire, mais au contraire sinterpose, invitant la parole faire retour sur elle-mme. Ceprocessus dopacification34 conduit aborder lexprience dcriture (et, pour Gherasim Luca,de profration) comme un corps corps du pote avec le matriau de la langue. Lenjeu est biende trouver un au-del de la langue dans la langue, moins quil ne sagisse dun en-de: unetelle conception du langage nest pas sans rappeler la tradition de lexgse juive, qui cherche faire merger par le travail sur la matire du discours un autre niveau de comprhension.

    30 Chez Paul Celan, le mot dsign comme tel (Wort) apparat comme un lieu de rencontreentre deux temporalits qui semblaient irrconciliables. Le disparu, celui dont on a perdula trace dans les nuds de lHistoire, a bascul dans un temps autre, qui obit un rythmesingulier. Ce temps dplac, selon les termes dAlexis Nouss, est un monde parallle, quine rpond plus une stricte chronologie. Il sagit pour le pote de faire concider deux universdisjoints. Cest dans lcriture que peut se produire la collision, dans le mot que lunion arrive prendre forme:

    DeinHinbersein heute Nacht.Mit Worten holt ich dich wieder, da bist du,alles ist wahr und ein Wartenauf Wahres35.

    31 Alors que la demeure de lternel est in-/habitable36, la langue offre un refuge, un abricertes prcaire mais du moins hospitalier:

    Sichtbares, Hrbares, dasfrei-werdende Zeltwort:Mitsammen37

    32 Mitsammen est ce mot-tente qui dsigne lunion tout en la ralisant. Ltre du langagenest pas rductible une manifestation sonore ou visuelle: si le vocable se libre du visible,de laudible, cest parce quil est sans doute mieux peru dans le retrait du silence et de lablancheur. Il est trace mentale, indice dune prsence et promesse dun accord. De la mmefaon, le surgissement du nom dOssip dans Es ist alles anders (Tout est autrement)rend possible la rencontre: der Name Ossip kommt auf dich zu38. Car si les choses et lestres chappent, leur nom en revanche demeure le seul gage dune saisie. Mais cette saisie,toujours fugace, ne saurait se comprendre comme une conqute. La fragilit, la vulnrabilitdu Zeltwort, du mot-tente, nest jamais aussi sensible que lorsque le vocable sinscritcomme une trace phmre, instable. Le pome Plus dart du sable prsente leffacementprogressif du chant dans la neige:

    Tiefimschnee,

    Iefimnee,

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    I i e.39

    33 Lclatement typographique est le signe de lvanouissement voqu, et figure la progressivedissolution dans la blancheur. La perte nest cependant pas totale : le pome, parce quilenregistre ce mouvement, prserve le chant de loubli.

    34 Invit sinterroger sur la valeur des signes, le lecteur porte sur le mot ainsi dsign un regardnouveau : la perte de la transparence conduit considrer chaque terme comme sil taitinconnu. Le passage par des formules trangres renforce ce phnomne: dans les recueilsDie Niemandsrose et Atemwende, lallemand est mis au contact de langlais, avec Give theword40, de lhbreu, avec les mots Kaddisch et Jiskor41, du franais (lexpressionParis emprs Pontoise est un cho Franois Villon42), du cyrillique (dans une citationnon traduite de Marina Tsvtaeva). Ce faisant, les frontires gographiques et temporellesseffacent au profit dune nonciation htrolingue43. Le procd ne se rduit donc pas une simple juxtaposition didiomes : les langues entrent en interfrence pour produire uneffet dtranget gnralis44. Les distorsions syntaxiques et lexicales qui traversent les textesparticipent de ce mouvement. Le pome Huhediblu (Flhuerissentles) montre commentlnonciation investit le trajet qui spare le mot de lui-mme:

    Schwer-, Schwer-, Schwer-,flliges aufWortwegen und -schneisen45

    35 Tantt agglutin dautres, tantt scind par un trait de dsunion, le mot napparat pluscomme une unit stable et le rpertoire lexical du pote devient infini en droit. Lcriture chezCelan ouvre la langue sur un hors-lexique qui la dborde, la dplace et la travaille. Dans cetcart de la langue elle-mme, dans cette non-concidence qui fonde la potique celanienne,peut merger la chance dun partage.

    36 Les recueils composs en France par Gherasim Luca explorent aussi la possibilit douvrir lalangue sur un hors-code, quoique dans une toute autre perspective. La recherche verbale menepar Gherasim Luca, depuis Hros-Limite (1953) jusquaux textes publis titre posthume,repose sur une rverie alchimique. Il sagit pour le pote de prendre les mots au pied de lalettre pour y dcouvrir des parents secrtes, et chapper ainsi aux structures linguistiquesinstitues. Sans doute est-ce dans le recueil Paralipomnes, publi pour la premire fois par lesditions du Soleil Noir en 1976, que ce phnomne est le plus frappant. Les transformationslexicales vont de pair avec un dtournement des signes de ponctuation, et engagent la parolepotique dans un processus de variation continue46:

    Ouvrons donc la-tome seconddu livre des morts47

    37 La formule entre en rsonance avec la dfinition du mot comme atome renvers / sansfin ni commencement dans le mme recueil48. Le mot est doublement atome : il lestgraphiquement, en tant que signe-trace a-tome , et mtaphoriquement, dans le langageenvisag comme une physique. Satures de marques typographiques, ces lignes condensentles multiples manires de dsarticuler le signifiant. Les deux vers prennent la forme duneinjonction pratique redouble : ils sont une invitation ouvrir le second tome du livre desmorts et un acte performatif qui se ralise dans lnonciation en ouvrant les signes du discours.Cest dans le travail mme du signe que rside la valeur du geste potique. Il sagit bien, chezGherasim Luca, douvrir la langue ce qui lui est tranger pour installer la parole dans unmouvement de continuelle chappe. Prise dans ce flux, la mort peut devenir mtamort puismtamorphose:

    La mort, la mort folle, la morphologie de la mta, de la mtamort, de la mtamorphose ou la vie, la vie vit, lavie-vice, la vivisection de la vie tonne, tonne et et et est un nom, un nombre de chaises, un nombre de 16aubes et jets, de 16 objets contre, contre la, contre la mort ou, pour mieux dire, pour la mort de la mort ou pourcontre, contre, contrlez-l, oui cest mon avis, contre la, oui contre la vie sept, cest , cest dire pour, pour unevie dans vidant, vidant, dans le vidant vide et vid, la vie dans, dans, pour une vie dans la vie.49

    38 Les uvres de Gherasim Luca et Paul Celan ont cela de dstabilisant quelles installent lanon-concidence au cur de la parole potique. Cette tranget qui travaille le discours delintrieur semble ouvrir sur un hors-code. Lcriture devient alors le lieu dun trange pari: il

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    sagit de trouver un au-del de la langue dans la langue. Le processus dopacification du signene rpond pourtant pas aux mmes enjeux dans les uvres de Paul Celan et Gherasim Luca.Cest cet cart entre deux potiques qui placent le signe opacifi au centre de la cration quunetude plus pousse pourrait mettre au jour, en insistant sur la nature du trouble linguistiqueexplor par chacun des auteurs.

    Bibliographie

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    Notes

    1 Sur la notion de bgaiement chez Gherasim Luca, voir Gilles Deleuze, Critique et clinique, Paris,ditions de Minuit, 1993, p.135.2 Gherasim Luca, Paralipomnes, Paris, Le Soleil Noir, 1976, p.78.

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    3 Ibid., p.81.4 Alexis Nouss, Paul Celan. Les lieux d'un dplacement. Lormont, Le Bord de leau, 2010, p.28.5 Gherasim Luca, L'Inventeur de l'amour [Inventatorul Iubirii] suivi de La Mort morte [MoarteaMoart], Paris, Jos Corti, 1994 [1945].6 La notion de non-concidence a t dveloppe par Jacqueline Authier-Revuz dans son ouvrage Cesmots qui ne vont pas de soi: boucles rflexives et non-concidences du dire, Paris, Larousse, 1995.7 Personne ne nous reptrira de terre et de limon, / personne ne bnira notre poussire. / Personne. /Lou sois-tu, Personne. / Pour lamour de toi nous voulons / fleurir. / Contre / toi. Paul Celan, Larose de personne [Die Niemandsrose], d. bilingue, trad. Martine Broda, Paris, Jos Corti, 2002 [1963],pp.38-39.8 Selon Stphane Chauvier, nous pouvons identifier, cest--dire individuer cognitivement un particulieren utilisant des noms propres. Le nom propre a donc normalement une fonction logique dindividuationcognitive. Voir Stphane Chauvier, Particuliers, individus et individuation in Pascal Ludwig etThomas Pradeu (dir.), LIndividu. Perspectives contemporaines, Paris, Vrin, 2008, pp.11-35.9 Un rien / nous tions, nous sommes, nous / resterons, en fleur: / la rose de rien, de / personne. PaulCelan, La rose de personne [Die Niemandsrose], op. cit., pp.38-39.10 Gherasim Luca, Sept slogans ontophoniques, Paris, Jos Corti, 2008, p.51.11 Document indit conserv au fonds Doucet.12 Sur tout ce deuil / qui est le tien: pas / de deuxime ciel Paul Celan, La rose de personne [DieNiemandsrose], op. cit., p.33.13 (Jamais il ny eut de ciel. / Mais il y a encore une mer, rouge incendie, / une mer.) Renversedu souffle [Atemwende], d. bilingue, trad. Jean-Pierre Lefebvre, Paris, ditions du Seuil, 2003 [1967],pp.95-96.14 Alexis Nouss, dans louvrage quil consacre au pote, articule sa pense autour dun quadrupledplacement, comme en tmoignent les titres des chapitres: le sens dplac, le temps dplac, lalangue dplace, la vie dplace. Voir Alexis Nouss, Paul Celan. Les lieux d'un dplacement, op. cit.15 L-bas, Pas-l et Parfois, / un il siffla comme une comte / vers de lteint, dans les ravines, /l o mourait lclat, se tenait / le Temps, nourrice splendide, / sur lequel poussait dj, vers le haut, /le bas, au-del, ce qui / est, tait, ou sera ,, Paul Celan, La rose de personne [Die Niemandsrose],op. cit., pp.22-23.16 Alexis Nouss, Paul Celan. Les lieux d'un dplacement, op. cit., p.37.17 la partie de clinquantes contre la mort / peut commencer Paul Celan, Renverse du souffle[Atemwende], op. cit., p.61.18 Ibid., p.157.19 On touche l une distinction radicale entre jeu et combat. Par ailleurs, ltat dfinitif du texte retientla prposition gegen (contre), mais dans une premire version, la partie est commence avec (mit)la mort. Voir ce sujet les notes du traducteur Jean-Pierre Lefebvre, ibid., p.157.20 On peut rapprocher ce vers de formules clbres: je dclare les jeux ouverts, je dclare la sanceouverte. Selon John Langshaw Austin, de tels noncs dpendent du contexte de leur nonciation etont le pouvoir de transformer ce dernier. Celui qui dclare que la partie contre la mort peut commenceraccomplit, par son discours, lacte mme dinitier le jeu. Un tel acte nest effectif, bien entendu, que dansla mesure o lnonciateur est dot dune certaine autorit. John Langshaw Austin, Quand dire, cestfaire [How to do things with words], trad. Gilles Lane, Paris, Seuil, 1970 [1962].21 Dans une lettre Mnce, picure crit : [...] celui de tous les maux qui nous donne le plusdhorreur, la mort, nest rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mmes, la mort nest pas, etque, quand la mort existe, nous ne sommes plus. (picure, Lettres, trad. Octave Hamelin, Paris, Nathan,1998 [1992], p.77). Quant Gaston Bachelard, il fait le constat suivant: La mort est dabord une image,elle reste une image. Elle ne peut tre consciente que si elle sexprime, et elle ne peut sexprimer que pardes mtaphores. (Gaston Bachelard, La Terre et les rveries du repos, Paris, Jos Corti, 1948, p.312).22 Gherasim Luca, L'Inventeur de l'amour [Inventatorul Iubirii] suivi de La Mort morte [MoarteaMoart],. op. cit., p.85.23 Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 6.4311, Paris, Gallimard, 1961 [1921], p.104.24 Iulian Toma, Gherasim Luca ou l'intransigeante passion d'tre, Paris, Honor Champion, 2012,p.200.25 Gherasim Luca, L'Inventeur de l'amour [Inventatorul Iubirii] suivi de La Mort morte [MoarteaMoart], op.cit., p.77.26 Ibid., pp.73-74. Ici encore, lexpression nest pas dnue dhumour : ce passage thorique laisseapparatre en filigrane une parodie de la rhtorique marxiste.

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    27 Ibid., p.76.28 Ibid., p.84.29 Daprs Myriam Suchet, Outils pour une traduction postcoloniale. Littratures htrolingues, Paris,Archives contemporaines, 2009, p.86.30 Cit daprs Dominique Carlat, Gherasim Luca lintempestif, Paris, Jos Corti, 1998, p.251.31 Israel Chalfen, Paul Celan: eine Biographie seiner Jugend, Frankfurt am Main, Insel Vedag, 1979,p.148.32 Dominique Combe, Potiques francophones. Paris, Hachette Suprieur, 1995, p.32.33 Cit daprs Dominique Carlat, Gherasim Luca lintempestif, op.cit., p.253.34 Jacqueline Authier-Revuz parle dopacification du signe pour dcrire le processus engag par lamodalisation autonymique (Jacqueline Authier-Revuz, Ces mots qui ne vont pas de soi : bouclesrflexives et non-concidences du dire, op.cit., p.32). Il y a opacification des mots lorsque ceux-ci cessentde ne dsigner que la chose et quils donnent voir, en mme temps quils dsignent le rel, leur proprematrialit, leur nature de mot.35 Ton / Passage au-del cette nuit / Avec des mots je tai ramene, tu es l, / tout est vrai et attente /du vrai. Paul Celan, La rose de personne [Die Niemandsrose], op. cit., pp.24-25.36 un- / bewohnbar, ibid., pp.76-77.37 Du visible, de laudible, le / mot-tente / qui se libre: / Ensemble, Ibid., pp.90-91.38 le nom dOssip vient ta rencontre Ibid., pp.140-141.39 Dans la neige, enfoui, / Eige-en-oui, / -e-i., Renverse du souffle [Atemwende], op. cit., p.37.40 Ibid., pp.106-107.41 Paul Celan, La rose de personne [Die Niemandsrose], op. cit., p.32.42 Ibid., p.46.43 Pour une tude de lhtrolinguisme dans Die Niemandsrose, voir Myriam Suchet, Texteshtrolingues et textes traduits : de la langue aux figures de lnonciation. Pour une littraturecompare diffrentielle, thse de doctorat soutenue le 6 dcembre 2010.44 Sans doute ce phnomne est-il rapprocher de la mise en contact des idiomes provoque parla dportation. Les camps dextermination et de concentration sont marqus par la cohabitation denombreuses langues, dont on peut dire quelles ont l rvl leurs enjeux vitaux.45 Lourd-, lourd-, lour- / daudement sur / les chemins et les layons des mots. Paul Celan, La rosede personne [Die Niemandsrose], op. cit., pp.122-123.46 Telle quelle est pense par Deleuze, la variation continue soppose aux invariants, aux constantes.Mettre en variation continue, ce sera faire passer lnonc par toutes les variables, phonologiques,syntaxiques, smantiques, prosodiques, qui peuvent laffecter dans le plus court moment de temps (leplus petit intervalle). Gilles Deleuze, Flix Guattari, Capitalisme et schizophrnie 2: Mille Plateaux,Paris, ditions de Minuit, 1980, p.119.47 Gherasim Luca, Paralipomnes, op.cit., p.70.48 Ibid., p.87.49 Gherasim Luca, Hros-Limite, Paris, Le Soleil Noir, 1953, p.15.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Sibylle Orlandi, Gherasim Luca, Paul Celan: un au-del de la langue dans la langue?, TRANS-[En ligne], 17|2014, mis en ligne le 24 fvrier 2014, consult le 11 mars 2015. URL: http://trans.revues.org/890

    propos de lauteur

    Sibylle OrlandiAncienne tudiante lcole Normale Suprieure de Lyon, agrge de Lettres Modernes, SibylleOrlandi est actuellement doctorante contractuelle luniversit de Lyon 2 Lumire. Ses recherches,menes sous la direction de Dominique Carlat, se consacrent aux travaux sonores, plastiques etpotiques de Gherasim Luca. Lobtention de la bourse Explora Doc lui a permis de passer six mois enRoumanie, titre de chercheuse invite par le dpartement de Lettres de luniversit Ion Cuza (Iai).

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    Lyon, o elle poursuit sa thse, Sibylle Orlandi fait partie du Laboratoire Junior Corps: Mthodes,Discours, Reprsentations dirig par Mathieu Gonod.

    Droits dauteur

    Tous droits rservs

    Rsums

    Paul Celan et Gherasim Luca ont en commun un hritage, qui semble la fois installer la mortau cur de la cration et interdire le passage dans un aprs. Lhomme ne peut espreratteindre un au-del ni ne peut aspirer la saisie dun sens dfinitif, qui transcenderait lelangage. Bien plus, les auteurs font le constat que toute fixation est mortifre, et que linstabilitest le prix de la parole potique. Lcriture devient alors le lieu dun trange pari: lenjeu estde trouver un au-del de la langue dans la langue.Paul Celan and Gherasim Luca share the same legacy, which seems to put death at thecenter of their creative work and denies access to any kind of afterlife. There is no hope ofreaching heaven, no chance of garnering any definitive meaning that could transcend language.Moreover, both authors acknowledge the same fact: the desire to fix things is a mortiferousone, and instability is the backbone of poetry. The very act of writing is based on a paradoxicalaspiration: to go beyond the limits of language within the language.