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Pour citer cet ouvrage URIEN Jean-Yves Une Lecture de Jean Gagnepain - Du Signe Institut Jean Gagnepain - Matecoulon-Montpeyroux 2017

ISBN 979-10-96513-07-9

EN GUISE DrsquoAVANT-PROPOS

LrsquoInstitut Jean Gagnepain est heureux drsquoaccueillir sur son site cette

laquo LECTURE raquo copieuse et minutieuse que nous propose Jean-Yves Urien et

drsquoen assurer la publication et agrave la diffusion

En srsquoattachant par ce travail consideacuterable agrave lrsquohermeacuteneutique du

premier chapitre de laquo DU VOULOIR DIRE I raquo consacreacute par Jean Gagnepain

au SIGNE Jean-Yves Urien nous permet de saisir lrsquoimportance princeps de la

theacuteorie du Signe au regard de lrsquoensemble de la Theacuteorie de la Meacutediation

Gracircce agrave ses eacuteclairages ses explicitations en nous exposant aussi les

points drsquoachoppement les interrogations et les difficulteacutes Jean-Yves Urien

nous conduit vers une compreacutehension plus eacuteclaireacutee et plus fine de la

reacuteflexion fondatrice de Jean Gagnepain ce faisant il en deacutemontre lextraordinaire puissance heuristique tout en nous fournissant les moyens deacutelaborer les outils conceptuels neacutecessaires agrave lrsquoapprofondissement et au deacutepassement mdash que le bon maicirctre a souvent appeleacute de ses vœux mdash de

lrsquoapproche meacutediationniste des pheacutenomegravenes humains telle qursquoil nous lrsquoa

laisseacutee

Par la publication et la diffusion de cette laquo Lecture raquo de Jean-Yves Urien

lrsquoInstitut Jean Gagnepain entend inaugurer une collection qui sous le titre

de laquo QUADRATIO raquo aura pour vocation drsquoaccueillir des textes ayant pour

objectif drsquoexposer de poursuivre drsquoapprofondir voire de subvertir mdash

naturellement dans le cadre eacutepisteacutemologique deacutefini par Jean Gagnepain mdash

lrsquoanthropologie meacutediationniste

Bonne laquo Lecture raquo donc

Pierre Jubanvice-preacutesident de lrsquoInstitut Jean Gagnepain

Jean-Yves Urien

UNE LECTURE de Jean GAGNEPAIN

Du Vouloir Dire I

Du Signe

laquo Encore que lrsquoimproprieacuteteacute soit agrave la source du langage elle ne saurait en

aucun cas ecirctre le but de lrsquousager et ce nrsquoest point raisonner agrave mon goucirct

que de filer interminablement la meacutetaphore au lieu de tendre agrave deacutefinir en

quoi chaque secteur est distinct Il nest de science qui ne vise agrave la speacutecialisa-

tion et ne cherche agrave traduire au moyen de sa terminologie lunivociteacute de

ses concepts raquo

Du Vouloir Dire Du Signe p 4-5

I

GLOSES

Le preacutesent texte de gloses se propose drsquoaider le lecteur agrave mieux comprendre lrsquoœuvre de

Jean Gagnepain

Du Vouloir-Dire est reacuteputeacute difficile agrave lire et le temps qui passe (plus de 30 ans) ajoute une

difficulteacute agrave la compreacutehension des reacutefeacuterences et des allusions aux ideacutees des anneacutees 1970

souvent implicites Jrsquoentends bien que certains eacuteprouvent moins de difficulteacute que drsquoautres agrave le

lire Je sais aussi que drsquoautres encore ont pour principe de refuser tout travail de glose

Pourtant le genre concerne lrsquoensemble des eacutecrits y compris lrsquoensemble du domaine

scientifique Le fameux laquo tableau de Mendeleiumlev raquo nrsquoest rien sans de multiples deacuteveloppe-

ments explicatifs

Je propose donc ici un ensemble de commentaires de termes de phrases ou de para-

graphes au fil de la lecture de la premiegravere partie de lrsquoouvrage Certains commentaires sont des

paraphrases drsquoeacutenonceacutes preacutesentant des renvois multiples de pronoms ndash Jean Gagnepain aime

les anaphores et les cataphores Drsquoautres paraphrases redistribuent en plusieurs eacutenonceacutes une

laquo peacuteriode raquo qui rappellera agrave certains lrsquoeacuteloquence drsquoun Ciceacuteron Drsquoautres commentaires tentent

drsquoexpliciter des reacutefeacuterences agrave des auteurs resteacutes ici anonymes ou agrave des thegraveses resteacutees

implicites Les psychologues cliniciens sont enclins agrave croire que tous les lecteurs savent repeacuterer

leur Lacan et les linguistes leur Hjelmslev ou leur Chomsky Voire Enfin des termes tels

qursquolaquo isomorphisme anthropodiceacutee anagnose dieacutegegravese heacutesychasme raquo ne sont pas drsquousage

courant pas davantage des formulations telles que laquo Si le signe du zeacutero peut par

autoformulation se faire ainsi signe de signe crsquoest qursquoil participe en quelque sorte de son

essence et que la neacuteguentropie est sa loi raquo p65 sect2

Invitation agrave la lecture et aide agrave la lecture de lrsquoœuvre de Jean Gagnepain avant tout ce

texte est aussi une eacutebauche de commentaire eacutepisteacutemologique du fait qursquoil est ameneacute agrave situer

la Theacuteorie de la meacutediation (la laquo TdM raquo) par rapport agrave drsquoautres approches Il sera assorti de

quelques laquo intermegravedes raquo sur des thegravemes particuliegraverement deacutelicats

Pour autant il ne propose pas une analyse critique approfondie et syntheacutetique Lrsquoouvrage

meacuterite certes un tel projet Ces commentaires srsquoils parviennent agrave expliciter les propositions de

lrsquoauteur veulent ecirctre une eacutetape preacutealable et une invitation agrave un tel bilan critique Cela dit on

ne peut preacutejuger de mes accords ou deacutesaccords avec les postulats et hypothegraveses preacutesenteacutes

dans le livre en dehors des passages ougrave je prends explicitement position

Il va de soi mais mieux vaut le dire que ces Gloses ne sont laquo agrave consommer raquo qursquoen

preacutesence du texte inteacutegral du Vouloir-Dire faute de quoi la promenade drsquoarbre en arbre risque

de cacher la forecirct Je ne me suis drsquoailleurs arrecircteacute que devant ceux qui me faisaient difficulteacute

Certaines propositions dont la formulation est particuliegraverement claire dans lrsquoouvrage peuvent

donc nrsquoavoir pas eacuteteacute commenteacutees Je me suis toutefois efforceacute de proposer un reacutesumeacute de

lrsquoargumentation tout au long de ma lecture

Ce va-et-vient certes exigeant est la condition de la compreacutehension de mes propos

Ineacutevitablement une suite de gloses fausse la perspective geacuteneacuterale drsquoun propos systeacutematique

Le risque est grand drsquoeacutedulcorer ce que lrsquoon reacutesume et de surestimer lrsquoimportance du deacutetail

que lrsquoon se doit de deacutevelopper pour une raison de forme (un mot laquo savant raquo) plus que de fond

Sans compter les malentendus et les contresens

II

Il ne mrsquoeacutetait pas possible de distinguer systeacutematiquement par la typographie ce qui est

paraphrase du texte de ce qui en est une explication personnelle une correction ou un

deacuteveloppement Les exemples traiteacutes sont geacuteneacuteralement de moi sauf reacutefeacuterence faite au texte

et citation en italiques de lrsquoexemple Cette difficulteacute est inheacuterente au genre Je laisse donc le

lecteur appreacutecier la diffeacuterence dans la confrontation de la source et de la glose

Ma profonde reconnaissance va aux deux relecteurs qui chapitre apregraves chapitre ont non

seulement releveacute mes errements les plus manifestes ou les mieux cacheacutes mais mrsquoont aussi

suggeacutereacute nombre drsquoeacuteclaircissements Sans leur disponibiliteacute leur expertise leur perspicaciteacute

leur indulgence et leur gentillesse ce projet nrsquoaurait pu aboutir

Merci en premier lieu agrave Suzanne Allaire Parce qursquoelle a veacutecu directement la peacuteriode

drsquoeacutelaboration par Jean Gagnepain de la glossologie et y a contribueacute et parce qursquoelle mrsquoa

donneacute de son temps pour partager ces concepts elle mrsquoa permis drsquoapprofondir ma com-

preacutehension de la theacuteorie du signe notamment du principe de laquo neacutegativiteacute raquo qui est lrsquoun des

fondements de la theacuteorie de la meacutediation mais aussi de bien drsquoautres points En outre ses

compeacutetences profondes drsquohelleacuteniste et de latiniste mrsquoont eacuteteacute une aide indispensable pour

affronter le texte moi qui nrsquoai guegravere retenu de mon Gradus ad Parnassum que les Fables

drsquoEacutesope et la Guerre des Gaules

Merci aussi agrave Jean Giot depuis Namur et Paris Son aide mrsquoa eacuteteacute preacutecieuse tout

particuliegraverement dans le domaine de la seacutemantique et nos eacutechanges eacutepistolaires ont eacuteteacute pour

moi particuliegraverement enrichissants

Par ailleurs merci agrave tous ceux qui mrsquoont aideacute sur des points preacutecis de fond comme de

forme parmi lesquels Laurence Baud Pierre Corbel Gilles Clerval Gildas Hamel Michael

Herrmann Marc Legrand et Jean-Claude Schotte Merci agrave Pierre Juban agrave double titre pour son

aide eacuteditoriale indispensable et pour son rocircle essentiel dans lrsquoInstitut Jean Gagnepain qui

accueille ce texte Merci enfin agrave Madame Jeanne Gagnepain et agrave Monsieur Bruno Gagnepain

au sein de lrsquoInstitut

Je tiens aussi agrave exprimer ma profonde gratitude envers tous mes collegravegues eacutequipiers de

longue date en Sciences du Langage agrave lrsquoUniversiteacute de Haute-Bretagne Rennes 2 sans qui je ne

pourrais pas penser ce que jrsquoexpose ici Attie Duval Jacques Laisis et Jean-Claude Quentel Agrave

ces derniers jrsquoassocie notre regretteacute Hubert Guyard

Quant agrave Jean Gagnepain en Personne ce retour agrave lrsquoenvoyeur est ma forme de

reconnaissance

Cela dit cette lecture est mienne celle drsquoun moi en devenir et proposeacutee agrave drsquoautres

lecteurs Les deacutebats que jrsquoespegravere susciter font partie de cette transaction qursquoest la lecture et

contribueront au capital dans nos histoires

laquo Les livres les plus utiles sont ceux dont les lecteurs font eux-mecircmes la moitieacute ils eacutetendent

les penseacutees dont on leur preacutesente le germe raquo

Voltaire Dictionnaire philosophique (Preacuteface)

III

Leacutegende

Les reacutefeacuterences au texte du Vouloir-Dire sont noteacutees par une seacutequence

laquo PageParagraphe raquo et parfois laquo PageParagrapheLigne raquo renvoyant au passage du

Vouloir-Dire correspondant Par exemple 416 deacutesigne un passage qui commence agrave la

6e ligne du 1er paragraphe de la page 4 La reacutefeacuterence agrave des pages entiegraveres est noteacutee 4

(une seule page) ou 4-7 (pages 4 agrave 7)

Un laquo clic (gauche) raquo sur ces reacutefeacuterences signaleacutees par laquo une petite main index

pointeacute raquo donne accegraves au corps du texte du Vouloir-Dire par un lien hypertexte Le

passage citeacute apparaicirct en haut de page drsquoeacutecran

Lorsqursquoune reacutefeacuterence ne comporte pas de lien cherchez le lien le plus proche

renvoyant au mecircme paragraphe

En cliquant dans Du Vouloir Dire sur un passage lieacute signaleacute par la petite main index

pointeacute et un fond gris on est renvoyeacute agrave sa glose dans la premiegravere partie Celle-ci

apparaicirct en haut de page Si la citation est commenteacutee agrave plusieurs reprises le lien

renvoie au commentaire le plus deacutetailleacute La fonction laquo recherche raquo (ctrl+f) permet de

retrouver lrsquoensemble des autres passages

En outre les reacutefeacuterences agrave des ouvrages disponibles sur la Toile ont fait lrsquoobjet de liens

hypertexte

Toute citation du texte du Vouloir-Dire est en italiques et correspond aux passages

lieacutes dans lrsquoouvrage Les exemples entre guillemets en caractegraveres droits sont de moi ou

drsquoautres auteurs dont le nom est mentionneacute

Jrsquoai repris lrsquoensemble des titres qui figurent dans le Sommaire p VII du Vouloir-Dire

et je les ai compleacuteteacutes de titres intermeacutediaires personnels chaque fois que je lrsquoai jugeacute utile

agrave la lisibiliteacute de mes commentaires On retrouvera le sommaire de laquo Une Lecturehellip raquo

dans le panneau des signets qui permet eacutegalement la navigation dans le texte

Le nom de Jean Gagnepain sera abreacutegeacute en JG Theacuteorie de la Meacutediation en TdM et

Du Vouloir-Dire en DVD

Modes de lecture

Si vous souhaitez disposer cocircte agrave cocircte sur votre eacutecran laquo Une lecturehellip raquo et laquo Du

Vouloir-Dire I Du Signe raquo proceacutedez de la maniegravere suivante avec Adobe Acrobat Reader

(gratuit) Certains lecteurs de fichiers pdf ne permettent pas cette manœuvre

- Vous pouvez teacuteleacutecharger les deux textes sur le site wwwinstitut-jean-gagnepainfr

Dans un premier temps le lecteur de fichier laquo pdf raquo proposera deux onglets crsquoest-agrave-dire

un choix entre les deux textes En cliquant laquo fenecirctre raquo dans le bandeau supeacuterieur puis

laquo nouvelle fenecirctre raquo les deux textes apparaicirctront dans deux fenecirctres indeacutependantes

- Si vous nrsquoavez teacuteleacutechargeacute que le fichier laquo Une lecturehellip + Le signe raquo suivez la mecircme

meacutethode laquo Nouvelle fenecirctre raquo ouvrira une copie du fichier Vous pourrez faire

apparaicirctre la partie laquo Du Signe raquo sur lrsquoune des fenecirctres et la partie laquo Une lecturehellip raquo sur

lrsquoautre Les liens hypertextes fonctionneront sur chacune des deux fenecirctres de faccedilon

indeacutependante

Ce texte est lisible sur toute tablette qui reconnaicirct un fichier laquo pdf raquo Dans ce cas

laquo la petite main raquo peut ne pas apparaicirctre mais un contact du doigt ou du stylet

deacuteclenchera le lien hypertexte

Discours et meacutethode 1

INTRODUCTION GEacuteNEacuteRALE

DISCOURS ET MEacuteTHODE

On le verra tregraves vite lrsquoanthropologie qui est deacuteveloppeacutee dans cet ouvrage repose sur le

principe de Raison Crsquoest pourquoi je vois dans ce titre un clin drsquoœil agrave lrsquoopuscule ceacutelegravebre de

Descartes le Discours de la meacutethode Certes il ne srsquoagit aucunement ici drsquoun nouveau

laquo carteacutesianisme raquo mais comme le dit avec esprit la quatriegraveme de couverture drsquoun laquo neacuteo-

quarteacutesianisme raquo attendu que la rationaliteacute humaine y est dissocieacutee en quatre plans

Cependant crsquoest bien de laquo meacutethode raquo dont il est question ici au sens eacutetymologique du terme

un laquo cheminement raquo En effet cette introduction propose un itineacuteraire intellectuel agrave la fois

eacutepisteacutemologique ndash qui prend position dans un deacutebat entre savoirs et critique ndash qui explicite la

leacutegitimiteacute de ses options

Le chemin est parcouru en trois eacutetapes Je propose les titres suivants 1 Un nouveau type

de scientificiteacute 2 Pour une anthropologie dialectique 3 Pour une anthropologie clinique

1 UN NOUVEAU TYPE DE SCIENTIFICITEacute

Jean-Gagnepain situe son projet dans les savoirs contemporains Lrsquoouvrage a eacuteteacute reacutedigeacute au

deacutebut des anneacutees 1980 mais il conclut un long travail de recherches dont teacutemoignent les

seacuteminaires hebdomadaires des anneacutees 1970

- Neacutecessiteacute de reacuteorganiser le savoir pour deacutepasser lrsquoantagonisme entre perspective histo-

rique et perspective scientifique 3-4

- Critique du logocentrisme de la laquo seacutemiologie raquo 43

- Critique de lrsquoillusion technique qui preacutetend que la machine explique lrsquohumain 52

En conclusion Jean-Gagnepain oppose au laquo neacuteopositivisme raquo 63 de ses contemporainshellip

hellip une anthropologie qui prend en compte le fait que la laquo formalisation raquo chez lrsquohomme

est laquo incorporeacutee raquo 65

Une neacutecessaire reacuteorganisation complegravete du savoir

Lrsquoauteur dans ce deacutebut drsquoouvrage affirme la neacutecessiteacute drsquoune reacuteorganisation complegravete du

savoir Il commence par remettre en question un antagonisme traditionnel entre deux

approches de lrsquohumain celle de laquo lrsquohistoire raquo et celle de laquo la science raquo

laquo hellipSrsquoil est vrai qursquoexpliquer crsquoest toujours rattacher lrsquooccurrence au principe et qursquoon peut

par-lagrave deacutesigner aussi bien lanteacuteceacutedence chronologique de lorigine que la preacutecession logique du

modegravele gracircce auxquels il eacutechappe agrave la contingence en mecircme temps quagrave la singulariteacute on ne

saurait manquer drsquoapercevoir qursquoentre les deux types drsquoexplication une sorte de clivage srsquoeacutetait

pratiquement opeacutereacute qui (hellip) opposait la science agrave lrsquohistoire raquo 36

2 Une lecture de Jean Gagnepain

Reconstituons le jeu des anaphores laquo par-lagrave raquo renvoie agrave laquo principe raquo de mecircme que

laquo (auxquels) il (eacutechappe) raquo laquo Auxquels raquo renvoie agrave lrsquoalternative des deux types de principes

explicatifs que sont (1) laquo lrsquoorigine raquo (chronologique) et (2) laquo le modegravele raquo (logique)

On lira donc laquo On peut deacutesigner par principe aussi bien lrsquoorigine que le modegravele Gracircce au

rattachement de lrsquooccurrence agrave lrsquoorigine lrsquoexplication eacutechappe agrave la contingence et gracircce au

rattachement de lrsquooccurrence au modegravele lrsquoexplication eacutechappe agrave la singulariteacute raquo

laquo Contingence raquo et laquo singulariteacute raquo 36 reformulent le terme laquo occurrence raquo pris dans le sens

de laquo fait circonstanciel raquo et renvoient le premier agrave la variation de lrsquoobservable selon le temps

lrsquoespace et le milieu et le second agrave lrsquoexpeacuterience particuliegravere ce dont srsquoabstrait le principe

explicatif On eacutechappe agrave la laquo contingence raquo gracircce agrave laquo lrsquoanteacuteceacutedence chronologique raquo qui re-

cherche le commencement et agrave la laquo singulariteacute raquo gracircce agrave laquo la preacutecession logique raquo qui re-

cherche le geacuteneacuteral

Cela dit par la suite Jean Gagnepain essaiera de convaincre lrsquohistorien et le philologue que

seul le laquo modegravele raquo est explicatif qursquoil faut revoir la question de laquo lrsquoorigine raquo que le terme

laquo principe raquo ne doit ecirctre compris que comme le synonyme de laquo cause raquo Ce faisant on exclut le

sophisme ancien laquo Post hoc propter hoc raquo (laquo Agrave la suite de cela donc agrave cause de cela raquo) qui

identifiait la relation avant ndash apregraves et la relation de cause agrave conseacutequence En effet dans la

partie qui traite de la Personne (DVD 2) JG soutient que seule la sociologie (en tant que theacuteo-

rie de la Personne et non pas en tant que discipline) a un pouvoir explicatif pour rendre

compte du devenir humain parce qursquoelle cherche de la laquo cause raquo crsquoest-agrave-dire une relation

entre geacuteneacuteral et speacutecifique agrave travers une modeacutelisation logique drsquoun objet qui lui est social La

notion de laquo cause raquo est bien au cœur de la deacutemarche de lrsquohistorien mais pour celui-ci le

terme ne prend son sens que par rapport agrave un modegravele Cest pourquoi lrsquohistorien doit chercher

la sociologie qui fonde la conception qursquoil a de laquo lrsquoeacuteveacutenement raquo

Lorsque Jean Gagnepain eacutenonce laquo On peut deacutesigner par-lagrave [lagrave = un principe explicatif] (hellip)

lrsquoanteacuteceacutedence chronologique de lrsquoorigine raquo on peut se demander si ce laquo On raquo comprend

lrsquoauteur Il me semble qursquoil expose ici un laquo lieu commun raquo celui qui donne une eacutegale valeur

explicative aux deux deacutemarches comme deux maniegraveres de trouver du laquo principe raquo Autrement

dit Jean Gagnepain joue sur lrsquoambivalence du terme laquo principe raquo que lrsquoon peut entendre

comme laquo ce qui est au commencement raquo ou laquo ce qui est au fondement causal raquo Il a releveacute agrave

de multiples reprises dans ses Seacuteminaires cette ambivalence du grec laquo arkhegrave raquo que lrsquoon re-

trouve en franccedilais dans la diffeacuterence entre laquo archeacuteologie raquo drsquoun cocircteacute et laquo archeacutetype raquo de

lrsquoautre Le latin laquo principium raquo est tout aussi ambivalent comparez le franccedilais laquo le premier

jour du mois raquo et laquo le Premier ministre raquo Rappelez-vous enfin le prologue de lrsquoEacutevangile de

Jean laquo Egraven arkheacute egraven o logos In principio erat verbum raquo JG renvoyait aussi agrave la diffeacuterence en

allemand de laquo Ur- raquo (au deacutepart) et de laquo Grund- raquo (au fondement)

Optant pour le modegravele en sciences humaines il demande que le terme laquo origine raquo prenne

un autre sens et ne soit pas compris comme laquo le deacutebut drsquoun enchaicircnement de faits dans le

temps raquo enchaicircnement reacutecursif agrave lrsquoinfini agrave moins de srsquoarrecircter au Pegravere Adam De mecircme faut-il

lever lrsquoambiguiumlteacute de la notion de laquo chronologie raquo parce que le lecteur (agrave ce deacutebut) peut penser

au temps physique ou biologique Or lrsquohistoire dans la theacuteorie de la Personne nrsquoest pas de cet

ordre La proposition preacutesente est donc provisoire Elle fait reacutefeacuterence agrave une doxa qursquoil criti-

quera

Ainsi dans le seacuteminaire du 20 novembre 1986 laquo les 4 veacuteriteacutes raquo deacuteclare-t-il laquo Le principe

drsquoorigination fait formellement de lrsquoorigine un modegravele comme les autres Autrefois je racontais

Discours et meacutethode 3

qursquoil y avait deux explications ndash par modegravele et par origine (Jrsquoai mecircme mis cela dans la premiegravere

page du Vouloir-Dire parce que cela me facilitait didactiquement lrsquoexposeacute) Mais les sciences

humaines ne rendent plus cela valable dans la mesure ougrave (mais je ne pouvais le dire avant de

lrsquoavoir deacutemontreacute) lrsquoorigine ndash en tant que principe drsquoorigination ndash est un modegravele entre les

autres raquo Ou encore dans le tome II du Vouloir-Dire laquo Lrsquoexplication par lrsquoorigine ne saurait

srsquoopposer agrave lrsquoexplication par modegravele degraves lors que lrsquoorigine est modegravele et que tel un procegraves

lrsquoeacuteveacutenement lui-mecircme est instruit raquo DVD II 33212

En somme laquo Lhumain seul autrement dit appartenait aux archivistes dans un monde livreacute

agrave des expeacuterimentateurs raquo 36 Lrsquoauteur reacutesume ici la diffeacuterence de perspective intellectuelle

supposeacutee exister entre la tradition des laquo humaniteacutes raquo (faculteacute des Lettres) et celle des

laquo sciences raquo Les premiers archivent chronologiquement des documents Ils postulent la laquo li-

berteacute raquo des actes humains et recherchent les laquo intentions raquo de ces actes Or ils vivent dans un

univers de savoir ougrave domine la deacutemarche scientifique fondeacutee sur la meacutethode expeacuterimentale

pour tout ce qui touche agrave la matiegravere et agrave la vie une meacutethode qui repose sur le principe de

causaliteacute donc sur des deacuteterminismes

Partant de lagrave lrsquoauteur pose directement le problegraveme des sciences humaines soutient que

lrsquoon doit prendre le terme de laquo sciences raquo au seacuterieux agrave ce propos crsquoest-agrave-dire que lrsquoon doit

tenter drsquoappliquer agrave lrsquohumain la perspective scientifique

laquo La suspicion dans laquelle on tient [les sciences humaines] et la quasi-clandestiniteacute que

linstitution ndash sinon la presse ndash leur impose ne sont point dues (hellip) au fait que les consideacuterations

de systegraveme aient tendance agrave y preacutevaloir sur celle de devenir (hellip) Agrave la mutation profonde

qursquoelles impliquent on preacutefegravere par inertie le compromis raquo 41 La preacutevalence en cause ici fait

reacutefeacuterence au mouvement structuraliste (ex Leacutevi-Strauss) Ce courant propose un regard

systeacutematisant sur lrsquohumain qui remet en question une tradition drsquoeacutetudes historiques

laquo Suspicion raquo laquo quasi-clandestiniteacute raquo sont des termes agrave remettre dans le contexte de 1980

laquo Toutes nrsquoadoptent pas la mecircme attitude sur ce point raquo 41 JG nuance ici le fait que laquo les

consideacuterations de systegraveme aient tendance agrave preacutevaloir sur celles du devenir raquo autrement dit

lrsquoaccent mis deacutesormais sur la laquo synchronie raquo plutocirct que sur la laquo diachronie raquo

Lrsquoimage laquo [Crsquoest deacuteplacer] agrave mi-temps les eacutequipes [sans changer les regravegles du jeu] raquo 42

deacuteveloppe lrsquoideacutee du laquo compromis par inertie raquo Certes les scientifiques prennent conscience

drsquoune part des raisons et effets sociaux de leur activiteacute et drsquoautre part du caractegravere humain de

la science Certes inversement les litteacuteraires sont attireacutes par lrsquoanalyse quantitative des

donneacutees Cependant JG y voit une simple inversion des attitudes y voit des scientifiques

jouant aux lettreacutes et des lettreacutes jouant aux scientifiques La contradiction des deux deacutemarches

nrsquoest pas deacutepasseacutee elle se maintient chacune important dans son propre champ une petite

partie de lrsquoautre

Critique du logocentrisme

Cette forme de reacuteductionnisme assimile tout fait humain agrave un fait de langage en se fondant

sur le fait que toute connaissance passe par un laquo discours raquo sur la reacutealiteacute

Jean Gagnepain part de lrsquoabus drsquoutilisation du terme laquo signification raquo auquel on donne

tellement de sens heacuteteacuterogegravenes qursquoil devient laquo le plus vide de ce qursquoil voudrait suggeacuterer raquo 45

Drsquoougrave le rappel drsquoun des principes de la meacutethode scientifique agrave savoir la rigueur seacutemantique

laquo Encore que lrsquoimproprieacuteteacute soit agrave la source du langage elle ne saurait en aucun cas ecirctre le but

4 Une lecture de Jean Gagnepain

de lrsquousager et ce nrsquoest point raisonner agrave mon goucirct que de filer interminablement la

meacutetaphore au lieu de tendre agrave deacutefinir en quoi chaque secteur est distinct Il nest de science qui

ne vise agrave la speacutecialisation et ne cherche agrave traduire au moyen de sa terminologie lunivociteacute de

ses concepts raquo 4-5

Il srsquoagit donc de deacutelimiter rigoureusement ce que sont les laquo ordres raquo geacuteneacuteraux de faits et

deacutefinir en particulier le vaste champ de la culture Il srsquoagit aussi de dissocier au sein de ce

dernier ce qursquoil appellera les laquo plans raquo de rationaliteacute sans les confondre ces quatre registres

qui sont analogues au sein de lrsquoordre et distincts en tant que plans Ces laquo plans raquo qursquoannonce

le plan du Vouloir Dire laquo Le signe lrsquooutil la personne la norme raquo Notons tout de suite que

JG utilisera comme synonymes stricts les termes laquo culture rationaliteacute raison raquo selon les

contextes

Faute de dissociation on pratique un reacuteductionnisme et le logocentrisme en est un qui

preacutetend laquo Reacuteduire la culture au sens raquo 51 La deacutemarche de dissociation que propose lrsquoauteur

est preacuteciseacutee par la formule suivante laquo hellipSans doute les faits invoqueacutes sont-ils bien au sens

pascalien de mecircme ordre mais leur analogie nrsquoautorise pas agrave les confondrehellip raquo

Les faits en question ce sont les faits humains aussi divers que le fait de parler de faire la

vaisselle de commercer et de jeucircner Or la laquo seacutemiologie raquo ramegravene tous ces faits agrave des faits de

laquo discours raquo ce que JG qualifie de laquo narcissisme raquo 51 laquo Sous le preacutetexte que tout ce qui est

verbe est nocirctre [les seacutemiologues] ont allegravegrement infeacutereacute que tout ce qui eacutetait nocirctre eacutetait verbe

et que les lois de lrsquounivers srsquoidentifiaient agrave leurs propres discours raquo 43

La notion laquo drsquoordre raquo en 51 est inspireacutee de Blaise Pascal Penseacutees L 308 Br 793 mais

adapteacutee par JG agrave sa propre probleacutematique Pascal eacutecrivait

laquo La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des

esprits agrave la chariteacute car elle est surnaturelle (hellip) La grandeur de la sagesse qui est nulle sinon

de Dieu est invisible aux charnels et aux gens drsquoesprit Ce sont trois ordres diffeacuterents de genre

() Tous les corps le firmament les eacutetoiles la terre et ses royaumes ne valent pas le moindre

des esprits Car il connaicirct tout cela et soi et les corps rien (hellip) De tous les corps ensemble on

ne saurait faire reacuteussir une petite penseacutee Cela est impossible et drsquoun autre ordre De tous les

corps et les esprits on nrsquoen saurait tirer un mouvement de vraie chariteacute cela est impossible et

drsquoun autre ordre surnaturel raquo

JG pense pour sa part agrave une cateacutegorisation scientifique en laquo Nature Culture raquo Ainsi

lorsque Roland Barthes traite en termes de laquo discours raquo autrement dit de rheacutetorique le fait

social qursquoest la mode ou le fait laquo ergologique raquo (technique) qursquoest le vecirctement il reste dans le

mecircme ordre celui de la culture celui de la rationaliteacute mais il confond les plans de rationaliteacute

Il rapporte des faits fabriqueacutes et eacutechangeacutes agrave la maniegravere dont on en parle1 Il reacuteduit le fait social

et le fait technique agrave la mesure du Dire2 Ce faisant il megravene ce type de raisonnement que JG

appellera laquo seacutemantique mythique raquo La seacutemantique mythique imagine une reacutealiteacute agrave la mesure

des mots par lesquels on tente de la comprendre JG lui trouve pour critegravere le passage de

1 Roland Barthes 1967 Systegraveme de la mode Le Seuil Lrsquoauteur analyse la maniegravere dont la presse traite de la mode

2 Jrsquoutiliserai deacutesormais le plus souvent le terme laquo dire raquo comme nom drsquoaction plutocirct que celui de laquo signe raquo pour deacutesigner lrsquoaptitude humaine geacuteneacuterale qui est au fondement du langage laquo Signe raquo est pour Jean Gagnepain un hommage agrave Ferdinand de Saussure Nous verrons combien le sens qursquoil lui donne est diffeacuterent de celui du Cours Notez pour lrsquoinstant qursquoil ne lrsquoutilise jamais comme synonyme de laquo un mot raquo et qursquoil ne dit jamais laquo un (des) signe(s) raquo Or le franccedilais dispose du terme laquo dire raquo qui cadre tregraves exactement avec lrsquoobjet geacuteneacuteral que deacutefinit et analyse Jean Gagnepain dans son traiteacute laquo Du signe raquo

Discours et meacutethode 5

laquo lrsquoanalogie raquo agrave la laquo confusion raquo 51 La formule laquo Reacuteduire la culture au sens raquo 51 souligne que

le reacuteductionnisme repose sur un abus des mots3

Le terme de laquo Narcissisme raquo qursquoil applique au logocentrisme renvoie agrave un mode drsquoecirctre de la

Personne Logiquement la critique porte ici sur la laquo circulariteacute raquo du raisonnement

logocentrique Oralement et sur le registre technique JG dira souvent dans ses Seacuteminaires

que lrsquoon confond alors laquo ses lunettes raquo avec la reacutealiteacute qui leur est exteacuterieure

Critique de lrsquoillusion technique

La critique porte drsquoabord sur lrsquoeacutethologie Il est illusoire de faire des animaux laquo nos maicirctres

en eacuteloquence en civisme en ingeacuteniositeacute raquo 52 On reconnaicirct lagrave respectivement les plans du

Dire de la Personne et de lrsquoOutil

Le progregraves technologique est illustreacute par lrsquoexploration de la lune laquo Cyrano srsquoest fait

Armstrong raquo Savinien de Cyrano de Bergerac eacutecrit au milieu du XVIIe laquo LrsquoAutre Monde ou Les

Eacutetats et les Empires de la lune raquo et de cette speacuteculation on est passeacute au voyage effectif

drsquoApollon 11 qui permit agrave Neil Armstrong de poser le pied sur la lune le 21 juillet 1969

laquo hellipapregraves srsquoecirctre acquis la maicirctrise de lefficience [les ingeacutenieurs] sont avec la cyberneacutetique

en passe de srsquoassurer celle de la finaliteacute raquo 52 Lrsquoefficience deacutesigne les performances de la

technique telles que la conquecircte de lrsquoespace La finaliteacute renvoie au processus de projet qui

repose sur des deacutecisions Le terme laquo cyberneacutetique raquo a chez JG le sens eacutetymologique de

laquo choix pour aller dans une direction raquo (Cf laquo gouvernail raquo et laquo gouvernement raquo) Le concept

est axiologique4 La cyberneacutetique en ce sens fabrique de la deacutecision (ou de lrsquoaide agrave la

deacutecision)

Sur ce point histoire et science cessent drsquoecirctre ennemies pour devenir complices

laquo Lrsquohistoire et la science (hellip) srsquoaccordent agrave crier ensemble haro sur le mecircme baudet raquo agrave savoir

les sciences humaines 53 Ces derniegraveres viennent troubler la reacutepartition acadeacutemique entre

des laquo humaniteacutes raquo non scientifiques et des laquo sciences raquo qui considegraverent lrsquohumain comme

inaccessible parce que ses comportements sont censeacutes reacutesulter du libre arbitre et non de la

neacutecessiteacute laquo On cria haro sur le baudet raquo figure dans la fable laquo Les animaux malades de la

peste raquo de Jean de La Fontaine Fables Livre VII I Crsquoest une variante du thegraveme du bouc

eacutemissaire

JG propose alors un parcours disciplinaire de lrsquointroduction des meacutethodes quantita-

tives et informatiques dans les sciences humaines

Il commence par la linguistique ougrave la perspective historique a eacuteteacute suivie drsquoune perspective

formalisante Il rapproche ainsi la linguistique historique et la grammaire geacuteneacuterative laquo hellipLa

transformation logique [a succeacutedeacute agrave] leacutevolution diachronique les algorithmes des geacuteneacuteratistes

3 Agrave titre drsquoexemple introductif voici une Note de Ferdinand de Saussure qui attire lrsquoattention sur un tel raisonnement laquo [hellip] il nrsquoarrive jamais qursquoune langue succegravede agrave une autre par exemple que le franccedilais succegravede au latin [hellip] cette succession imaginaire de deux choses vient uniquement de ce qursquoil nous plaicirct de donner deux noms successifs au mecircme idiome et par conseacutequent drsquoen faire arbitrairement deux choses seacutepareacutees dans le temps Sans doute lrsquoinfluence qursquoexercent sur notre esprit deux noms successifs de ce genre est tellement deacutecisive et tellement ineacutebranlable indeacuteracinable que je ne songe pas je vous lrsquoavoue franchement agrave deacutetruire votre preacutejugeacute en quelques jours par deux ou trois remarques de ma part raquo (N 13 = 32852 Eacutedition critique du Cours par Rudolph Engler)

4 Deacutefinition de ce terme en 182

6 Une lecture de Jean Gagnepain

[ont succeacutedeacute aux] asteacuterisques des geacuteneacuteticiens (hellip) Tel a cru pouvoir se poser en prophegravetehellip raquo

54

Drsquoun cocircteacute la Grammaire Geacuteneacuterative et Transformationnelle de Noam Chomsky (modegraveles

1960-70) propose des algorithmes agrave commencer par la formalisation eacuteleacutementaire du type

S rarr NP + VP crsquoest-agrave-dire laquo Phrase se reacuteeacutecrit en Syntagme nominal + Syntagme verbal)

De lrsquoautre cocircteacute la tradition de la linguistique diachronique note par un asteacuterisque une

forme ancienne non documenteacutee reconstruite par analogie avec drsquoautres seacuteries

drsquoenchaicircnements de formes attesteacutees Ainsi agrave partir de laquo fregravere brother etc raquo et au-delagrave de

laquo frater raquo (latin) ou du vieil armeacutenien laquo ełbayr raquo va-t-on reconstituer une racine indo-

europeacuteenne laquo bʰreacuteh₂tēr raquo (Cf Michel Breacuteal et Anatole Bailly Dictionnaire eacutetymologique latin

Hachette Paris 1885 p105)

La grammaire geacuteneacuterative a laquo recycleacute raquo agrave sa maniegravere lrsquoasteacuterisque comme signe typogra-

phique drsquoun eacutenonceacute deacutefini comme laquo agrammatical raquo Est deacuteclareacute tel tout eacutenonceacute qui nrsquoest pas

deacuteductible de lrsquoalgorithme qui modeacutelise les eacutenonceacutes grammaticaux Lrsquoeacutenonceacute laquo Je les leur

dors raquo serait preacuteceacutedeacute drsquoun asteacuterisque parce qursquoil est agrammatical laquo dormir raquo eacutetant un verbe

intransitif En revanche laquo Je les leur donne raquo est grammatical laquo donner raquo eacutetant un verbe

transitif

Dans les deux perspectives historique ou geacuteneacuterative lrsquoasteacuterisque deacutesigne du laquo non

attesteacute raquo Mais il y a lagrave deux maniegraveres drsquo laquo (at)tester raquo Pour le geacuteneacuteticien il srsquoagit drsquoun

testament documenteacute pour le geacuteneacuterativiste il srsquoagit drsquoun test expeacuterimenteacute

laquo Tel a cru pouvoir se poser en prophegravetehellip raquo Noam Chomsky auteur notamment de

Cartesian linguistics en 1966 Son ouvrage srsquoappuie en fait sur la Grammaire de Port-Royal et

non pas sur la conception du langage chez Descartes Les critiques de lrsquoouvrage ont eacuteteacute una-

nimes sur ce point

laquo En restaurant [Port-Royal Chomsky]helliprassure raquo 54 JG suggegravere ici une reacutetrospective des

approches du langage La Grammaire (drsquoArnault et Lancelot dite de Port-Royal) agrave laquelle il

importe drsquoassocier la Logique (drsquoArnault et Nicole) repreacutesente un courant rationaliste Elle est

de lrsquoordre du laquo modegravele raquo (et non de lrsquohistoire de la langue) mais elle modeacutelise des laquo ideacutees raquo et

des laquo raisonnements raquo et non des formes Au XIXe la grammaire historique suit une autre

deacutemarche Au XXe Saussure propose une perspective drsquoeacutetude agrave la fois modeacutelisatrice (notion

de laquo systegraveme de valeurs raquo) et laquo formelle raquo (laquo la langue est une forme et non une substance raquo)

qui entre en contradiction avec les deux perspectives preacuteceacutedentes Chomsky quant agrave lui en

revient au rationalisme logique de Port-Royal voire en partie agrave Aristote puisque la regravegle de

base laquo P rarr SN + SV raquo est une preacutesentation laquo algeacutebrique raquo de lrsquoanalyse de toute proposition en

laquo sujet et preacutedicat raquo (Soit laquo toute phrase peut ecirctre reacuteeacutecrite comme composeacutee drsquoun syntagme

nominal et drsquoun syntagme verbal raquo) La grammaire scolaire a donc trouveacute chez Chomsky une

reformulation de ce qursquoelle a toujours enseigneacute En revanche le courant laquo structuraliste raquo a

eacuteteacute plutocirct mal veacutecu par le monde des inspecteurs en raison de son caractegravere iconoclaste

Drsquoautres disciplines sont aussi concerneacutees par le passage agrave la modeacutelisation ou agrave la

quantification des faits culturels Lrsquoarcheacuteologie et la sociologie en particulier laquo Le socio-

logue [statisticien]hellip tend agrave condamnerhellipcette reacutesistance agrave lidentification des personnes

par ougrave le groupe humain eacutechappe justement agrave la greacutegariteacute raquo 54 Thegraveme essentiel de la

sociologie meacutediationniste la Personne se deacutefinit par une dialectique fondeacutee sur un

principe laquo drsquoalteacuteriteacute raquo drsquoirreacuteductibiliteacute de soi agrave tout autre principe qui lrsquooblige agrave passer

Discours et meacutethode 7

des contrats pour constituer des communauteacutes toujours relatives et historiques Les

autres espegraveces animales en revanche sont laquo greacutegaires raquo car tout individu y est constam-

ment le congeacutenegravere des autres individus Lrsquoanimal srsquoagregravege en troupeau lrsquohomme se

deacutefinit par son impossibiliteacute agrave ne constituer qursquoun troupeau

Il faut noter au passage lrsquoambivalence seacutemantique en franccedilais du verbe laquo identifier raquo Ici

laquo lrsquoidentification des personnes raquo a pour synonyme laquo le fait que plusieurs personnes soient

identiques les unes aux autres raquo crsquoest-agrave-dire le fait qursquoon les considegravere comme des individus

semblables au sein de lrsquoespegravece comme le sont les congeacutenegraveres dans un groupe animal Ce sens

est rare chez JG Le sens inverse preacutevaut geacuteneacuteralement laquo Identifier raquo un fait consiste avant

tout agrave trouver la caracteacuteristique qui le distingue de tout autre fait Lrsquoidentification est au

principe de lrsquoanalyse qualitative (dite laquo taxinomique raquo ou diffeacuterentielle) et fonde laquo lrsquoidentiteacute raquo

Telle est bien par exemple la fonction distinctive de notre laquo carte drsquoidentiteacute raquo Dans ce second

sens lrsquoauteur aurait aussi bien pu parler de tendance agrave condamner laquo cette identification des

personnes par ougrave le groupe eacutechappe agrave la greacutegariteacute raquo Mais en deacutebut drsquoouvrage avant une

explicitation du principe drsquoidentiteacute le risque de malentendu eucirct eacuteteacute fort

JG termine lrsquoeacutevocation de lrsquoadoption des techniques de quantification des donneacutees par

lrsquoensemble des disciplines des sciences humaines en eacutevoquant lrsquoeacuteconomie libeacuterale et les

sciences juridiques Ce mouvement serait couronneacute par laquo helliplannexion de notre domaine raquo 55

agrave savoir lrsquoannexion de laquo la linguistique raquo par Chomsky ou par diverses formes de linguistiques

quantitatives Toutefois le rapprochement de lrsquoœuvre de Chomsky et des courants quantitati-

vistes nrsquoest justifieacute que si lrsquoon considegravere comme JG que tous relegravevent drsquoune approche positi-

viste de laquo la forme raquo contrairement agrave lrsquoenseignement de Saussure dont se reacuteclame JG Celui-

ci parlera plus loin de laquo neacuteopositivisme foncier raquo 63

Critique du positivisme Formalisation instance et performance

JG admet que lrsquoapplication de la formalisation aux faits de culture est leacutegitime lorsqursquoelle

met laquo la performance agrave la porteacutee des automates raquo 61 Autrement dit cela ne regarde que les

ingeacutenieurs Cependant une telle deacutemarche ne peut produire un modegravele explicatif de

laquo lrsquoinstance raquo laquo Crsquoest se fourvoyer que de preacutetendre deacutechiffrer [dans la] performance

lrsquoinstance agrave laquelle nous devons drsquoen ecirctre capables [c-agrave-d de performance] raquo Est introduit

dans cette formulation un couple de concepts fondamental dans la TdM Par INSTANCE il faut

entendre lrsquoaptitude geacuteneacuterale qui speacutecifie tout comportement culturel Ainsi tout ce qui est dit

lrsquoest agrave travers une aptitude agrave maintenir des diffeacuterences entre des laquo mots raquo abstraits dont le

sens peut varier selon les situations dans lesquelles on les choisit laquo Lrsquoimproprieacuteteacute du signe raquo

est de lrsquoordre de lrsquoinstance abstraite Par PERFORMANCE il faut entendre lrsquoaptitude geacuteneacuterale agrave

produire des comportements culturels en situation comme par exemple de tenir un propos

senseacute Le terme laquo performance raquo a un sens proche du sens anglais agrave ceci pregraves qursquoil ne srsquoagit

pas de lrsquoexeacutecution effective de tel ou tel fait culturel mais de lrsquoaptitude permanente agrave

lrsquoeffectuer Sommairement non telle ou telle exeacutecution drsquoune œuvre par un pianiste mais lrsquoart

de lrsquoexeacutecution drsquoune œuvre par ce pianiste

JG eacutemet deux critiques dans ce propos

- Lrsquoune porte sur la diffeacuterence laquo instance ndash performance raquo On ne peut pas comprendre ce

qursquoest une instance si lrsquoon reacuteduit lrsquoobservation agrave une analyse statistique de comportements

effectifs crsquoest-agrave-dire agrave des laquo performances raquo (au sens anglais du terme)

8 Une lecture de Jean Gagnepain

- Lrsquoautre critique porte sur la meacuteconnaissance du biais inheacuterent agrave la technologie

Lrsquoautomate ne peut pas ecirctre laquo la cause raquo de lrsquohumain degraves lors que crsquoest lrsquohumain qui est laquo la

cause raquo de lrsquoautomate Autrement dit laquo lrsquoautomate raquo ne peut pas nous apprendre ce qursquoest un

homme puisque crsquoest parce qursquoon est un humain deacutetenteur de cette laquo instance raquo qursquoest la

culture qursquoon est capable de fabriquer cette laquo performance raquo qursquoest un automate (Cela dit il

est possible drsquoanalyser en quoi un automate est un artefact afin de comprendre ce qursquoest

lrsquoaptitude humaine agrave fabriquer des artefacts La 2e partie du Vouloir-Dire laquo lrsquoOutil raquo est consa-

creacutee agrave ce thegraveme)

JG en propose un exemple laquo Autant chercher dans lrsquoastronautique (hellip) lrsquoexplication du vol

de lrsquooiseau raquo 61 JG envisage ici lrsquoastronautique et la balistique en tant que techniques de

laquo vol raquo artificiel Du fait que lrsquoon invente gracircce agrave lrsquoinstance de lrsquoOutil des proceacutedeacutes de vol on

ne peut pas preacutetendre avoir expliqueacute le comportement biologique de lrsquooiseau qui vole Ni

lrsquoinverse Noter qursquoil y a dans cet exemple une diffeacuterence drsquoordre ndash entre biologie et culture ndash

alors que preacuteceacutedemment la critique portait sur une diffeacuterence entre plans culturels lrsquoartifice

ne peut pas expliquer ce qui nrsquoest pas artificiel et qui est neacuteanmoins culturel agrave savoir le

langage ou les faits sociaux

[On ne gagne rien agrave] laquo helliplaisser le matheacutematicien sous preacutetexte de les reacutesoudre poser en

fait nos problegravemes raquo 62 Poser un problegraveme agrave travers le biais drsquoun artifice technique nrsquoest pas

une bonne maniegravere de poser le problegraveme dans son ordre propre Ce propos est drsquoactualiteacute

lorsque lrsquoon observe que la gestion des personnels en entreprise se fait via des donneacutees

chiffreacutees sur des ordinateurs au meacutepris des relations interpersonnelles Idem pour lrsquousage

meacutedical du DSM5 catalogue des laquo troubles mentaux raquo fondeacute sur lrsquoanalyse statistique facto-

rielle des correspondances entre comportements manifestes Idem pour lrsquoeacuteconomie artificielle

des logiciels de prise de deacutecision automatique ces algorithmes qui se deacuteclenchent en fonction

drsquoeffets de seuil et qui ignorant les reacutealiteacutes eacuteconomiques produisent des effets pervers

Conclusion Ce type drsquoapplication de la formalisation aux sciences humaines traduit laquo une

sorte de neacuteopositivisme foncier raquo puisque lrsquoon prend laquo les donneacutees pour des choses raquo En outre

il constitue un raisonnement circulaire puisque lrsquoon prend laquo pour postulats ce qursquoil srsquoagit de

deacutemontrer raquo 633-4 Deacutenombrer par exemple le nombre de laquo mots raquo eacutecrits diffeacuterents dans

lrsquoœuvre drsquoun auteur ou encore opposer lrsquoideacutee de laquo lexique raquo sur le seul critegravere quantitatif de la

liste des mots agrave celle de laquo syntaxe raquo fondeacutee sur des regravegles statistiques de preacutesence de tel mot agrave

cocircteacute de tel autre crsquoest prendre ces concepts pour des eacutevidences laquo positives raquo sans y voir de

problegraveme agrave reacutesoudre Qursquoest-ce en effet qursquoun laquo mot raquo Quelle capaciteacute mentale rend capable

de lexique et de syntaxe Et comment deacutefinir ces termes Gaston Bachelard est sur le bureau

lorsque ce paragraphe est eacutecrit laquo Toute connaissance est une reacuteponse agrave une question Sil ny

a pas eu de question il ne peut y avoir de connaissance scientifique Rien ne va de soi Rien

nest donneacute Tout est construit raquo (La formation de lrsquoesprit scientifique p 16)

Critique du positivisme Vers une conception dialectique de la culture

Cette formulation amegravene lrsquoauteur au cœur mecircme de sa conception de la culture et de la

rationaliteacute agrave savoir une conception dialectique non positiviste et non ontologique Cette posi-

5 Diagnostic and Statistical manual of Mental disorders Ce manuel de lrsquoAssociation Ameacutericaine de Psychiatrie tend agrave srsquoimposer en Europe sous la pression des cognitivismes Wikipeacutedia en fait une preacutesentation simple et en preacutesente les limites ainsi que les critiques qui lui sont opposeacutees JG aurait probablement souscrit agrave lrsquoavis de la revue Prescrireorg sept 2010t30 laquo DSM-V Au fou raquo teacuteleacutechargeable

Discours et meacutethode 9

tion mainte fois deacuteveloppeacutee par la suite est ici exposeacutee dans une formule lapidaire qui

demande une glose deacuteveloppeacutee

laquo Il nest point en effet de substance dans notre cas qui soit en deccedilagrave de ses varieacuteteacutes non

plus quau-delagrave de ses meacutetamorphoses raquo 64

Lrsquoessentiel du propos est bien drsquoaffirmer que dans lrsquoordre de lrsquohumain rien nrsquoest de lrsquoordre

de la substance positive En effet lrsquoaptitude agrave la rationaliteacute introduit dans tous les comporte-

ments une analyse (lrsquoinstance) principe de laquo dessaisissement raquo de la reacutealiteacute analyse elle-

mecircme redeacutefinie par la performance

Je vais deacutevelopper chacune des deux parties du raisonnement (laquo en-deccedilagrave au-delagrave raquo)

1egravere partie laquo Il nest point de substance qui soit en deccedilagrave de ses varieacuteteacutes

Le choix des termes laquo substance raquo et laquo varieacuteteacutes raquo me semble reacutefeacuterer plus agrave Saussure qursquoagrave

Aristote Rappelons qursquoAristote oppose lrsquolaquo ousia raquo fondement permanent de ce qui est aux

laquo kategoria raquo ses varieacuteteacutes Ferdinand de Saussure de son cocircteacute dit laquo La langue est une forme

et non une substance raquo JG oppose ici la substance positive et la forme qui est laquo systegraveme et

neacutegative raquo (Saussure) Chez Saussure tout fait de laquo langue raquo ndash disons pour simplifier laquo tout

mot raquo ndash est laquo neacutegatif raquo en ce sens qursquoil est deacutefini non par ce qursquoil veut dire ou par la faccedilon dont

on le prononce ndash ce serait sa substance mais par les limites qui le distinguent des autres

reacutealiteacutes du systegraveme lrsquoeacuteleacutement est ce que les autres ne sont pas

Dans la perspective positiviste le langage est un ensemble de laquo choses dites raquo que lrsquoon

pourrait envisager et deacutenommer isoleacutement sans prendre en compte leur appartenance agrave un

systegraveme Le catalogue de mots qursquoest le dictionnaire irait de soi De mecircme on pourrait dire

que la voyelle laquo a raquo srsquoappelle (srsquoeacutepelle) laquo a raquo et peut ecirctre deacutecrite par une certaine configuration

de la bouche Il suffirait de dire laquo a raquo puis de srsquoeacutecouter et de deacutecrire le bruit que lrsquoon a fait

pour comprendre ce qursquoest le phonegraveme a Un linguiste (un phonologue) ne procegravede pas

ainsi Pour lui le phonegraveme a ne peut ecirctre compris que par la deacutefinition de ses frontiegraveres avec

les autres phonegravemes de la structure phonologique Par conseacutequent dans le cadre de la varieacuteteacute

de franccedilais qui distingue laquo patte raquo pat de laquo pacircte raquo pɑt il nrsquoexiste pas de voyelle laquo a raquo mais

deux phonegravemes distincts a et ɑ

Le fait drsquoaffirmer lrsquoexistence drsquoune laquo forme raquo (instance neacutegative et structurale) nrsquoest cepen-

dant pas un laquo formalisme raquo exclusif parce que cette forme est laquo transformeacutee raquo dialectique-

ment dans une performance observable qui est une laquo positivation raquo et non plus une positiviteacute

Le phonegraveme abstrait a srsquoobserve prononceacute de faccedilon audible par le locuteur chaque fois qursquoil

parle crsquoest une laquo reacutealisation raquo du phonegraveme mais pas une substance En effet le locuteur

comprend qursquoil srsquoagit du phonegraveme a en tant que tel et non pas drsquoun son banal non langagier

acoustiquement semblable

La globaliteacute de la laquo substance raquo est remplaceacutee par le pluriel des laquo varieacuteteacutes raquo qui

drsquoailleurs nrsquoen sont pas agrave proprement parler puisque lrsquoon a affaire agrave des eacuteleacutements deacutefinis

dans une structure sui generis Cette proposition geacuteneacuterique est alors deacuteclineacutee sur divers

plans

Sur le plan de la cognition Il nrsquoy a donc pas de laquo choses raquo distinctes preacutealables agrave la faculteacute

de dire qui permet de les concevoir distinctement 64 laquo Point de choses agrave dire preacuteexistant agrave

notre faccedilon drsquoen parler raquo Cette proposition deacutecoule du theacuteoregraveme saussurien le langage nrsquoest

pas une laquo nomenclature raquo Elle srsquooppose radicalement agrave la tradition scolastique qui conccediloit le

10 Une lecture de Jean Gagnepain

langage comme une mise en adeacutequation des mots et des choses (des pheacutenomegravenes) une

laquo adaeligquatio rei et intellectus raquo (Isaac Israeli puis Thomas drsquoAquin6) Attention cependant agrave ce

faux ami qursquoest le latin laquo adaeligquatio raquo Le verbe laquo ad-aeligquere raquo veut dire laquo rendre eacutegal faire se

correspondre raquo Cf laquo eacutequation raquo en algegravebre Crsquoest autre chose qursquoune mise en relation La

Grammaire Geacuteneacuterale de lrsquoacircge classique (Port-Royal) posera ainsi qursquoun Nom eacutegale un objet un

Verbe un acte un adjectif la qualiteacute drsquoun objet et un adverbe la qualiteacute drsquoun acte (notamment

les circonstances de lrsquoacte) Le langage serait alors le reflet de la penseacutee La conception scolaire

du langage en garde des restes et le laquo substantif raquo ou le laquo qualificatif raquo font encore eacutecho agrave

Aristote

Dans ces deux variantes de reacutealisme des choses existent dans une reacutealiteacute indeacutependam-

ment de lrsquoexistence de lrsquohomme dans cette reacutealiteacute

Pour JG au contraire le langage est le principe qui constitue de ce qui est humainement

reacuteellement connaissable Il est laquo formateur raquo du reacuteel et non laquo reproducteur raquo du reacuteel pour

reprendre une formule drsquoErnst Cassirer Envisageons un instant laquo lrsquoarcheacuteologie du savoir raquo de

JG sur ce thegraveme

Intermegravede 1

Le renversement remonte agrave Wilhem von Humboldt (quoique ce dernier lrsquoenvisageacirct dans

une perspective laquo diachronique raquo confondant langue et langage) [La langue est] laquo le moyen

sinon absolu du moins sensible par lequel lrsquohomme donne forme en mecircme temps agrave lui-mecircme

et au monde ou plutocirct devient conscient de lui-mecircme en projetant un monde hors de lui raquo

Introduction agrave lrsquoœuvre sur le kavi et autres essais p17 laquo La langue est lrsquoorgane constitutif de

la penseacutee raquo Ibidem p 53 Ou encore laquo hellip Car [elle] est la contrepartie drsquoun domaine infini et

veacuteritablement illimiteacute le champ englobant [der Inbegriff] de tout le pensable raquo ibidem p

183

Via Kant (La critique de la raison pure) la notion de laquo chose raquo est repenseacutee par la

pheacutenomeacutenologie de Husserl et aussi par Ernst Cassirer (1923) Philosophie des formes symbo-

liques Consideacuterez par ex t1 p18 ce propos de porteacutee anthropologique laquo Toutes les

grandes fonctions spirituelles partagent avec la connaissance la proprieacuteteacute fondamentale decirctre

habiteacutees par une force originairement formatrice et non pas simplement reproductrice Loin

de se borner agrave exprimer passivement la pure preacutesence des pheacutenomegravenes une telle fonction lui

confegravere par la vertu autonome de leacutenergie spirituelle qui se trouve en elle une certaine

laquo signification raquo une valeur particuliegravere dideacutealiteacute Cela est aussi vrai de lart que de la connais-

sance de la penseacutee mythique que de la religion le monde dimages dans lequel vit chacune

de ces fonctions spirituelles nest jamais le simple reflet dun donneacute empirique il est au

contraire produit par la fonction correspondante suivant un principe original Il convient donc

de voir en elles non pas les diffeacuterentes maniegraveres quaurait un reacuteel-en-soi de se reacuteveacuteler agrave

lesprit mais bien les diverses voies que suit lesprit dans son processus dobjectivation cest-

agrave-dire dans sa reacuteveacutelation agrave lui-mecircme raquo Le lecteur de cet ouvrage de Cassirer notera aussi

lrsquoutilisation pertinente de lrsquoopposition laquo immeacutediat meacutediat raquo ougrave le concept de laquo meacutediation raquo

repose toujours sur lrsquoideacutee de rupture Agrave ce titre Cassirer est une des sources du choix par JG

de la formule laquo theacuteorie de la meacutediation raquo En revanche il observera aussi que Cassirer qui

6 laquo (hellip) et sic dicit Isaaac quod veritas est adaeligquatio rei et intellectus raquo Quaeligstiones disputataelig de veritate questio 1 articulus 1 Respondeo sect7 Thomas cite Isaac Israeli ben Salomon philosophe neacuteoplatonicien et meacutedecin eacutegyptien installeacute agrave Kairouan (fin IXegraveme ndash deacutebut Xegraveme) et auteur du laquo Livre des deacutefinitions raquo

Discours et meacutethode 11

teacutemoigne drsquoune connaissance approfondie de la linguistique historique ne fait pas reacutefeacuterence agrave

Ferdinand de Saussure

Jrsquoy ajouterai lrsquoœuvre de Gaston Bachelard critique radical du positivisme dans les sciences

de la matiegravere et dialecticien laquo Les veacuteritables substances chimiques sont des produits de la

technique plutocirct que des corps trouveacutes dans la reacutealiteacute Cela suffit pour deacutesigner le reacuteel en

chimie comme une reacutealisation Cette reacutealisation suppose une rationalisation preacutealable drsquoallure

kantienne (hellip) raquo La philosophie du non p53

Ceci nrsquoest qursquoun reacutesumeacute grossier et incomplet de la laquo geacuteneacutealogie raquo de la position de JG

Celui-ci reprend ce thegraveme fondamental dans la partie consacreacutee au signe Il consacrera plus

tard en 1986-87 une anneacutee de seacuteminaires au positionnement de la theacuteorie de la meacutediation

dans lrsquohistoire de la philosophie sous le titre laquo Les quatre veacuteriteacutes raquo

Jrsquoajouterai qursquoil srsquoagit aussi drsquoune prise de position contre toutes les laquo seacutemantiques

universelles raquo qui preacutetendent faire un inventaire laquo drsquoideacutees universelles raquo On pense agrave Leibniz

et agrave une tradition constante jusqursquoagrave Montague (1970)7 et Anna Wierzbicka aujourdrsquohui8

Voilagrave pour sa laquo theacuteorie de la connaissance raquo La culture ne se reacuteduit pas pour autant agrave la

production humaine de connaissance La mecircme dialectique rationnelle vaut sur drsquoautres plans

Sur le plan de la technique Le propos laquo pas de fonctions anteacuterieures agrave leur exercice raquo 64

bien que geacuteneacuterique peut faire allusion plus particuliegraverement au plan de la technique Dans la

perspective de JG il nrsquoy a pas de laquo pluie raquo pour une vache de lrsquoeau lui tombe dessus La

laquo pluie raquo est distinctivement le reacutesultat de lrsquoinvention humaine des techniques drsquoabri pour se

proteacuteger de lrsquoeau grotte toiture et parapluie9 On peut aussi faire de ce propos une lecture

sociologique Il nrsquoy a pas de laquo service raquo preacutealable agrave la division professionnelle du travail qui

donne au service une deacutefinition relative

Sur le plan de lrsquoaffectiviteacute Le terme laquo besoins raquo dans laquo [point de] besoins qui ne procegravedent

de notre aptitude agrave les satisfaire raquo 64 implique que lrsquoon distingue ce qui relegraveve de la

physiologie et ce qui relegraveve de la recherche de la satisfaction axiologique

2e partie laquo Il nest point de substance (hellip) au-delagrave de ses meacutetamorphoses raquo Proposition

corollaire de la preacuteceacutedente Lrsquoaboutissement de la dialectique agrave savoir le concept (dit) lrsquooutil

(utiliseacute) le contrat ou lrsquoeacuteveacutenement (transigeacute) la satisfaction (mesureacutee par une restriction)

nrsquoest pas une nouvelle substance Elle nrsquoest pas un reacutesultat fixe (positif) Tout est susceptible

de reacuteameacutenagement du fait que toute reacutealiteacute humaine reacutesulte drsquoune dialectique Le concept

peut ecirctre modifieacute ndash preacuteciseacute ou geacuteneacuteraliseacute deacuteveloppeacute ou reacutesumeacute ndash par des reformulations

7 Le terme laquo Grammaire de Montague raquo reacutesume un ensemble de 3 articles (1970-73) dont laquo Universal grammar raquo Theoria 36 (1970) 373ndash398 fondeacute sur une approche logique de la seacutemantique

8 Cf 1993 laquo La quecircte des primitifs seacutemantiques 1965-1992 raquo Langue franccedilaise 98 pp 9-23 Ou What Did Jesus Mean Explaining the Sermon on the Mount and the Parables in simple and universal human concepts (2001) New York Oxford University Press Ou (2006) laquo Sens et grammaire universelle Theacuteorie et constats empiriques raquo Cahiers Ferdinand de Saussure ndeg59 p 151-172 Lrsquoauteur limite agrave 60 sa liste de concepts primitifs universels laquo voir dire vouloir penser bouger faire moi nehellippas quelque chose etc raquo agrave partir desquelles il serait possible de formuler une deacutefinition synonymique de nrsquoimporte quel mot dans nrsquoimporte quelle langue lrsquoexemple proposeacute eacutetant laquo Die Schadenfreude raquo

9 Dit autrement par Jacques Laisis 1994 laquo On est toujours pris dans une circulariteacute [anthropologique] Crsquoest ce qui fait si jrsquoose dire tourner Leroi-Gourhan en bourrique Puisque tentant deacutesespeacutereacutement drsquoexpliquer les proprieacuteteacutes meacutecanologiques de lrsquooutillage par je ne sais quelles proprieacuteteacutes a priori de la matiegravere il est obligeacute en petites notes de reconnaicirctre que la matiegravere nrsquoa jamais que les proprieacuteteacutes que lui confegravere une meacutecanologie raquo laquo Quels ldquo Discours de la meacutethode rdquo pour les sciences humaines raquo in Anthropo-logiques 6 Peeters p 5-13

12 Une lecture de Jean Gagnepain

Aucune parole nrsquoest finale aucune parole nrsquoest premiegravere Toute reacutealiteacute technique a une effica-

citeacute relative et peut ecirctre reacuteameacutenageacutee Tout contrat peut ecirctre rompu ou reacuteviseacute Toute satisfac-

tion est provisoire et relative Rien drsquohumain nrsquoest substantiel Crsquoest vrai sur chacun des plans

La premiegravere partie de la formulation ndash laquo Point de choses agrave dire preacuteexistant agrave notre faccedilon

drsquoen parler raquo 64 ndash est fondamentale pour comprendre la conception qursquoa JG du Dire Comme

Saussure JG propose une theacuteorie du signe non ontologique et non nomenclaturiste

Jrsquoai utiliseacute le terme de laquo nomenclature raquo dans le sens que Saussure donnait agrave ce terme dans

son Cours p97 laquo une liste de termes correspondant agrave autant de choses raquo JG utilisera le

terme plus loin dans sa Seacutemantique pour deacutesigner lrsquoaptitude par la synonymie agrave distinguer un

concept drsquoun autre Dire que sa theacuteorie nrsquoest pas laquo reacutefeacuterentialiste raquo demande aussi que lrsquoon

preacutecise bien dans quel cadre theacuteorique le terme est utiliseacute Ainsi JG donne plus loin un statut

agrave la notion de laquo reacutefeacuterence raquo dans la dialectique du signe En ce sens sa theacuteorie de la laquo perfor-

mance raquo est laquo reacutefeacuterentielle raquo en tant qursquoelle nrsquoaccepte pas laquo lrsquoimmanentisme raquo drsquoun signe

coupeacute de toute expeacuterience Il a entendu la critique que faisait Paul Ricœur du Cours de

Saussure dans La meacutetaphore vive (Paris Seuil 1975 p159) passage ougrave Ricœur reproche agrave

Saussure de reacuteduire le signe agrave de la laquo signification raquo deacutefinie par la relation entre laquo signifiant et

signifieacute raquo laquo Le discours par sa fonction de reacutefeacuterence met bel et bien les signes en rapport

avec les choses la deacutenotation est une relation signe-chose alors que la signification est une

relation signifiant-signifieacute raquo (On notera lrsquoutilisation du terme laquo choses raquo par un Ricœur qursquoon

ne peut soupccedilonner de reacutealisme naiumlf) JG utilise le terme laquo deacutesignation raquo plutocirct que

laquo deacutenotation raquo sur ce thegraveme Pour autant il nrsquoest pas laquo reacutefeacuterentialiste raquo dans le sens que la

philosophie analytique donne agrave ce terme10 Seule la dialectique du signe produit ce que nous

consideacuterons comme des choses distinctes et qui sont humainement des concepts formuleacutes

JG reprend dans le paragraphe suivant 65 lrsquoopposition traditionnelle entre la perspective

historique et la perspective drsquoobservation des faits humains agrave quoi correspond en linguistique

lrsquoopposition de la laquo diachronie raquo agrave la laquo synchronie raquo Elle est ici formuleacutee comme lrsquoopposition

des laquo pegraveres raquo et des laquo œuvres raquo Je propose drsquoexaminer seacutepareacutement les deux aspects de ce

raisonnement

1) laquo helliplrsquohomme nrsquoest pas fils de ses pegravereshellip il est source de ses sources raquo 65 Agrave la relation

geacuteneacutealogique vectorielle orienteacutee dans le temps JG substitue le laquo principe drsquoorigination raquo

Tout ecirctre humain est porteur drsquoune capaciteacute agrave constituer agrave partir de lui de la reacutetrospective et

de la prospective Crsquoest lrsquohistorien contemporain qui constitue et peacuteriodise le passeacute agrave sa

mesure et relie cette reacutetrospective agrave lrsquoavenir qursquoil projette en fonction de ce qursquoil considegravere

comme un laquo eacuteveacutenement raquo Crsquoest lrsquoUniversiteacute reacutepublicaine franccedilaise qui constitue les usages

langagiers meacutedieacutevaux en laquo ancien raquo puis laquo moyen raquo franccedilais Ce thegraveme est deacuteveloppeacute dans le

seacuteminaire sur laquo le premier Homme raquo (1984-85) lequel est chacun de nous Lrsquohomme est donc

la source de ce qursquoil appellera sa source son origine Crsquoest aussi pourquoi le laquo paleacuteontologue raquo

(disons Yves Coppens) deacutepend de lrsquoanthropologue puisque le premier ne peut distinguer un

vestige humain drsquoun vestige non humain qursquoen fonction des critegraveres drsquohumaniteacute que lui

propose lrsquoanthropologie drsquoaujourdrsquohui laquo Dites-moi ce que vous entendez par laquo humain raquo et je

vous dirai si ccedila en est raquo Et non lrsquoinverse

10 On trouvera un eacutecho des deacutebats sur le reacutefeacuterentialisme en seacutemantique dans Pierre Cadiot et Franck Lebas 2003 laquo La constitution extrinsegraveque du reacutefeacuterent preacutesentation raquo in Langages ndeg150 La perspective soutenue se reacutefegravere agrave la pheacutenomeacutenologie

Discours et meacutethode 13

2) laquo Lrsquohomme nrsquoest pas fils de ses œuvreshellip Il est modegravele de ses modegraveles raquo 65 La phrase

peut ecirctre prise dans un sens restreint faisant reacutefeacuterence agrave Homo Faber Ce nrsquoest pas le produit

technique qui creacutee lrsquohumain crsquoest lrsquohumain qui creacutee le produit technique Toute creacuteation est agrave

la mesure de lrsquohumain qui lrsquoa creacuteeacutee La phrase a cependant une porteacutee anthropologique geacuteneacute-

rale car elle est aussi vraie des aspects cognitifs relationnels et affectifs de lrsquohumain

laquo Celui qui preacutetend lexpliquer ne saurait construire de forme quil ne lait dabord

reacuteveacuteleacutee raquo 65 Lorsque lrsquoobjet eacutetudieacute est de lrsquohumain il srsquoagit de capter lrsquoaptitude humaine

inheacuterente au comportement eacutetudieacute Il ne srsquoagit pas de projeter sur elle une formalisation exteacute-

rieure Crsquoest ce que reacutesume la formule laquo formalisation incorporeacutee raquo Dans ce passage

lrsquoadjectif laquo incorporeacute raquo est seulement synonyme laquo drsquoimmanent raquo laquo drsquoinheacuterent raquo agrave lrsquoaptitude

humaine agrave la culture En voici une glose de Jean-Luc Brackelaire laquo (hellip) La sociologie est une

science humaine crsquoest-agrave-dire une science qui a un objet speacutecifique dont le caractegravere deacutefini-

toire est lrsquoautoformalisation ou encore un mode de la rationaliteacute Lrsquohomme est une rationaliteacute

incorporeacutee raquo11 La formule peut aussi prendre un autre sens lorsqursquoelle est relieacutee agrave la dialec-

tique entre nature et culture Voir infra laquo Les fonctions supeacuterieures ou mentales ne sont pas

seacuteparables du corps du seul fait qursquoelles nous distinguent de lrsquoanimal raquo 123 Ou encore ce

passage du Vouloir-Dire tome 3 p 29 laquo Je tiens que les faculteacutes qui impliquent dialectique-

ment en nous les fonctions animales sont toutes eacutegalement humaines raquo Lrsquoaccent mis sur la

dialectique entre laquo fonctions raquo naturelles et laquo faculteacutes raquo culturelles permet agrave JG de soutenir

que ces derniegraveres sont des aptitudes distinctes des premiegraveres mais tout autant laquo incorpo-

reacutees raquo en tant que deacutetermineacutees par le cortex Il nrsquoy a jamais eu de laquo dualisme raquo dans la penseacutee

de JG qui dans des seacuteminaires ulteacuterieurs en viendra agrave parler laquo drsquoanthropobiologie raquo

laquo Lrsquoanthropologiehellip [promeut]hellip moins des sciences nouvelles quun type diffeacuterent de

scientificiteacute raquo 65 JG distingue ici drsquoun cocircteacute les sciences de la nature ougrave lrsquohumain

capable drsquoanalyse grammatico-seacutemantique conceptualise par le langage des objets

naturels qui ne preacutesentent pas ce type de fonctionnement et de lrsquoautre cocircteacute les sciences

de la culture ougrave lrsquohumain analyse des faits qui sont eux -mecircmes analytiques On y fait

lrsquoanalyse explicite drsquoune analyse implicite qursquoil faut laquo reacuteveacuteler raquo Il srsquoensuit qursquoon ne peut

simplement eacutetendre agrave la culture les meacutethodes qui ont fait leurs preuves agrave propos de la

nature12

2 POUR UNE ANTHROPOLOGIE DIALECTIQUE

La rationaliteacute est dialectique Cela implique la reconnaissance drsquoune instance laquo implicite raquo

1 Lrsquoimplicite dans le marxisme Examen critique

2 Lrsquoimplicite dans la psychanalyse Examen critique

11 Jean-Luc Brackelaire 1991 laquo Le corps en personnehellip agrave la frontiegravere naturelle de la sociologie raquo in Anthropo-logiques 3 Peeters Louvain-la-neuve coll BCILL p 145

12 Sans oublier pour autant que toute science est laquo humaine raquo degraves lors que seul lrsquohumain peut faire de la science par son langage Lire Jacques Laisis Introduction agrave la sociolinguistique et agrave lrsquoaxiolinguistique p3 laquo Œuvres humaines les sciences (de la nature aussi bien) sont donc neacutecessairement parce que laquo projectivement raquo anthropomorphes en ce sens qursquoon y retrouve toujours la trace mecircme implicite des opeacuterations laquo humaines raquo dont elles reacutesultent raquo

14 Une lecture de Jean Gagnepain

3 Lrsquoimplicite dans la linguistique structurale Examen critique

La rationaliteacute est dialectique Exposeacute du thegraveme

laquo Qui dit immanence ne dit pas reacuteflexiviteacute raquo 66 Il semble que JG se reacutefegravere au sens

philosophique de la laquo reacuteflexiviteacute raquo (et non agrave son sens en matheacutematiques) Un jugement

laquo reacuteflexif raquo est un jugement qui reacutesulte drsquoune prise de conscience de soi laquo dans lequel nous

nous rendons compte de ce que nous savions deacutejagrave raquo (Victor Cousin 1840) Quelque chose

comme le laquo gnocircthi seauton raquo socratique comme une introspection une sorte drsquoexamen de

conscience (Notons au passage que celui-ci ne serait pas laquo freudien raquo) Un tel implicite serait

donc du mecircme ordre que lrsquoexplicite Lrsquoideacutee laquo drsquoimmanence raquo preacutesenteacutee par JG est autre et est

agrave rattacher agrave lrsquoideacutee de dialectique ougrave lrsquoimplicite entre en contradiction avec lrsquoexplicite

laquo Janus est lrsquoemblegraveme et le paradoxe la loi du monde agrave double fondhellip raquo (Il srsquoagit du monde

de lrsquohumain)

laquo Janus raquo dieu agrave tecircte agrave double face chez les Latins est le dieu des seuils (exteacuterieur ndash

inteacuterieur) et du changement drsquoanneacutee (drsquoougrave laquo janvier raquo) laquo Paradoxe raquo ce concept introduit le

concept de laquo dialectique raquo Le terme est agrave prendre dans son sens logique laquo sens contraire au

sens le plus eacutevident et apparent raquo Il est paradoxal pour un observateur terrestre de dire que la

terre tourne autour du soleil puisqursquoil est eacutevident que le soleil se deacuteplace dans le ciel en

contournant la terre ougrave se situe cet observateur Le terme peut aussi ecirctre pris dans son sens

sociologique et eacutetymologique laquo para-doxa raquo ce qui choque lrsquoopinion laquo ortho-doxe raquo

laquo hellipVisage priveacute de chair dont les traits nont dautre deacutefinition que celle de leurs rapports

mutuels raquo 66 Lrsquoimplicite humain est vide de substance comme la maille du filet qui nrsquoexiste

que par sa deacutelimitation fabriqueacutee par le fil qui constitue solidairement lrsquoensemble des mailles

[Le psychisme] 66 laquo hellippour ne point laisser decirctre aussi ce que nous le faisonshellip raquo

Paraphrase laquo lrsquoexplicite existe aussi comme reacutesultante de la dialectique qui est notre œuvre

et dont lrsquoimplicite est le pocircle de contradiction raquo laquo hellipnrsquoen apparaicirct pas moins deacutesormais comme

intrinsegravequement ambigu raquo Soit (rappel) lrsquohumain eacutetant deacutefini par la rationaliteacute celle-ci est

immanente elle est laquo notre œuvre ce qui nous fait nous-mecircmes raquo et ne peut donc pas ecirctre

expliqueacutee par un principe exteacuterieur agrave elle-mecircme (principe transcendant)

laquo Lrsquoailleurs ainsi creacuteeacute est pheacutenomeacutenologiquement notre œuvre mais non pas seulement agrave

notre insu Il reacutesultehellip de la distance et de la relation [entre nature et culture]hellip dont la

synthegravese sur tous les plans nous constitue raquo 71 La dialectique est une proprieacuteteacute de la

rationaliteacute (la culture) en geacuteneacuteral et pas seulement de notre cognition plan ougrave srsquoopposent

dialectiquement laquo conscience raquo ou laquo su raquo et laquo inconscience raquo ou laquo insu raquo Elle caracteacuterise aussi

notre activiteacute outilleacutee notre ecirctre social ainsi que notre deacutesir ougrave compte laquo lrsquoinconscient raquo de la

psychanalyse qui nrsquoest pas une affaire de connaissance mais drsquoaffectiviteacute

laquo hellipdistance et relationhellip raquo Lrsquoantagonisme de ces deux concepts reacutesume de maniegravere simpli-

fieacutee ce qursquoest la dialectique la contradiction met agrave distance les points de contradiction tandis

que le deacutepassement de la contradiction les met en relation Je vous propose lrsquoimage (tech-

nique) de la porte Partant drsquoun espace naturel sa construction introduit une contradiction

parce qursquoelle seacutepare du fait qursquoelle suppose un mur dans lequel elle srsquoinscrit et qursquoelle

deacutelimite un inteacuterieur et un exteacuterieur Toutefois agrave la diffeacuterence du mur la porte relie parce

qursquoelle est mobile et srsquoouvrant permet le passage Lrsquoouverture de la porte donne un exemple

de ce qursquoest le laquo deacutepassement drsquoune contradiction raquo puisque la seacuteparation de lrsquointerne et de

Discours et meacutethode 15

lrsquoexterne (la contradiction) nrsquoest pas annuleacutee pour autant comme elle le serait par la destruc-

tion de lrsquoensemble construit La contradiction est laquo deacutepasseacutee raquo par un meacutecanisme qui permet

la maicirctrise du passage entre inteacuterieur et exteacuterieur

laquo hellipde ces deux univers de nature auquel nous appartenonshellip et de culture que nous

engendrons raquo 71

Lrsquounivers de nature celui de la physique et de la biologie y compris de la biologie

laquo animale raquo propre agrave lrsquoespegravece homo sapiens avec sa sensorialiteacute et sa motriciteacute particuliegraveres

ou sa meacutemoire particuliegraverement eacutetendue et son eacutemotiviteacute speacutecifique Attention sur ce point

Dans cette introduction et en premiegravere analyse JG utilise lrsquoopposition laquo nature ndash culture raquo et

parfois les adjectifs laquo biologique ndash anthropologique raquo Dans une analyse approfondie il insis-

tera sur le fait que pour lui la culture (la rationaliteacute) est une aptitude biologique particuliegravere agrave

notre espegravece dont lrsquoexplication reacuteclame un modegravele (les sciences de lrsquohomme) autre que le

modegravele biologique geacuteneacuteral qui explique les aptitudes dites laquo naturelles raquo Lrsquoanthropologie

deviendra une anthropo-biologie En outre il faut bien avoir conscience qursquoune opposition

conceptuelle formuleacutee par un couple de termes (nature-culture) ne rend pas totalement

compte du caractegravere dialectique de la culture Crsquoest une simplification neacutecessaire agrave un certain

moment de lrsquoexposeacute

Lrsquounivers de culture laquo hellipque nous engendrons raquo JG oppose ici laquo appartenir raquo (agrave la nature)

et laquo engendrer raquo (la culture) Lrsquoideacutee est que ce qui nous deacutetermine naturellement est expli-

cable par des lois qui srsquoappliquent aussi agrave drsquoautres espegraveces tandis que la rationaliteacute demande

une explication laquo sui generis raquo speacutecifique Certes notre bipeacutedie est anatomiquement et

physiologiquement caracteacuteristique de notre espegravece et diffeacuterente de celle du chimpanzeacute (qui

peut faire quelques pas) de lrsquoours ou de la poule mais il suffit pour lrsquoexpliquer de concevoir ce

que sont les lois geacuteneacuterales de la meacutecanique et celles de lrsquohistologie et des autres domaines de

la biologie Ce recours agrave un modegravele biologique plus geacuteneacuteral nrsquoest plus possible pour

comprendre ce qursquoest un phonegraveme ce qursquoest revendiquer ou pardonner et mecircme pour com-

prendre tout simplement en quoi laquo la deacutemarche raquo de quelqursquoun se distingue de laquo la marche raquo

La formule laquo que nous engendrons raquo peut ecirctre compleacuteteacutee par laquo qui nous engendre raquo

lrsquohomme est agrave lui-mecircme sa propre laquo cause raquo du fait que la rationaliteacute le constitue

laquo hellipdont la synthegravese sur tous les plans nous constitue raquo Le verbe laquo nous constitue raquo para-

phrase laquo que nous engendrons raquo laquo Les plans raquo introduit le propos suivant qui distingue les

quatre registres de la rationaliteacute cognitif (laquo savoir raquo) technique (laquo pouvoir raquo au sens de

lrsquoanglais laquo can raquo) eacutethique (laquo vouloir raquo) et enfin social (laquo paraicirctre raquo)

Ces quatre termes entendent deacutesigner ce qui apparaicirct comme le reacutesultat explicite que

lrsquohomme peut atteindre Il sait des choses il fabrique des choses il veut et obtient des

succegraves et il se donne des apparences sociales Se contenter de constater cela serait ecirctre

aveugle agrave la dialectique qui explique ces laquo performances raquo Or dialectiquement ce qui semble

un laquo fait raquo est la reacutesultante du deacutepassement drsquoune contradiction Il faut donc apprendre agrave

repeacuterer cette contradiction laquelle tend agrave disparaicirctre dans cette reacutesultante Il faut aussi

apprendre agrave eacuteviter de confondre un processus de positivation et une positiviteacute

Crsquoest ce qursquoeacutenonce laquo Si par [lrsquounivers de culture lrsquohomme est] eacutetranger en partie agrave son

propre savoir il lrsquoest aussi dans une eacutegale proportion agrave son pouvoir agrave son vouloir [et agrave] son

paraicirctrehellip raquo 71 Marx a deacuteveloppeacute le thegraveme de la diffeacuterence entre laquo conscience raquo et laquo ecirctre

16 Une lecture de Jean Gagnepain

social raquo dans un texte ceacutelegravebre13 et agrave travers la notion drsquoideacuteologie Voilagrave pour laquo son paraicirctre raquo

Freud dans un texte eacutegalement ceacutelegravebre14 laquo se propose de montrer au moi qursquoil nrsquoest

seulement pas maicirctre dans sa propre maison qursquoil en est reacuteduit agrave se contenter de

renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe en dehors de sa conscience dans

sa vie psychique raquo Voilagrave pour laquo son vouloir raquo

Eacutetranger aussi laquo agrave son propre savoir raquo La laquo contrainte de Langacker raquo en donne un bon

exemple Soit la seacuterie des quatre phrases suivantes 1 laquo Quand Beacuteru chante il est de bonne

humeur raquo 2 laquo Quand il chante Beacuteru est de bonne humeur raquo 3 laquo Beacuteru chante quand il est de

bonne humeur raquo 4 laquo Il chante quand Beacuteru est de bonne humeur raquo

(On a croiseacute deux oppositions celle du pronom et du nom et celle de la disposition entre

principale et subordonneacutee) Demandez-vous qui est deacutesigneacute par laquo il raquo dans chacune de ces

phrases Une dissymeacutetrie apparaicirct agrave la seule reacuteflexion Dans les trois premiegraveres phrases laquo il raquo

peut ecirctre Beacuteruhellip ou quelqursquoun drsquoautre San Antonio par exemple Mais dans la derniegravere phrase

laquo il raquo ne peut plus reacutefeacuterer agrave Beacuteru Grammaticalement parlant crsquoest le second eacutenonceacute qui est

paradoxal la possibiliteacute pour un pronom dans la laquo subordonneacutee raquo de renvoyer agrave un nom

posteacuterieur dans la laquo principale raquo tient agrave une proprieacuteteacute de la subordination15 Rien de ce

fonctionnement nrsquoapparaicirct agrave la conscience du locuteur

Meacutetaphore vestimentaire de la dialectique en 72 Celle-ci est laquo hellipnotre combat raquo car il est

impossible de reacuteduire lrsquohumain agrave ce principe de neacutegativiteacute qursquoest lrsquoinstance (laquo se mettre agrave nu raquo)

ni de le reacuteduire agrave ses performances (laquo ses vecirctements raquo) Lrsquoexemple du laquo costume raquo (en tant que

marqueur social) est suggestif Toute personne est irreacuteductible au costume qursquoelle porte

laquo hellipla neacutegativiteacute inscrite en nous par la culture nrsquoa drsquoexistence que parce qursquoelle se nie raquo

72 JG explicite ici directement le processus de dialectique Neacutegativiteacute et neacutegation de la

neacutegativiteacute ne sont pas deux eacutetapes successives mais deux laquo pocircles raquo qui se donnent existence

mutuellement Lrsquoimage de la laquo tension raquo peut aider agrave figurer cela La tension drsquoune corde nrsquoest

pas la corde La tension nrsquoexiste que si deux forces antagonistes srsquoexercent aux deux bouts De

mecircme la neacutegativiteacute nrsquoest pas un bout de la corde et sa neacutegation lrsquoautre bout La dialectique

crsquoest la tension elle-mecircme appeleacutee laquo contradiction raquo Lrsquoimage a ses limites mais elle peut

aider dans une premiegravere approche de ce concept redoutable Elle est preacutesente dans la deacutefini-

tion courante de la dialectique en termes de laquo pocircles raquo Noter que JG utilise aussi le terme de

laquo phases raquo (de la dialectique)

Pour JG existe une preacutecession logique de la neacutegativiteacute dans la notion de dialectique en ce

sens que crsquoest parce que la rationaliteacute humaine introduit de la neacutegativiteacute que srsquoensuit

neacutecessairement la neacutegation de la neacutegativiteacute laquo Si lrsquoon est conseacutequent avec le concept de dialec-

tique il nrsquoy a pas de doute que les deux phases ne sont nullement isomorphes mais que tout

deacutepend de la preacutesence ou de lrsquoabsence de la premiegravere qui logiquement fonde la seconde Ce

caractegravere second et non autonome de toute performance je lrsquoai agrave maintes reprises signaleacute lrsquoan

passeacute quand nous avons deacutefini la performance comme une restructuration en insistant sur

13 Karl Marx 1857 Preacuteface agrave lrsquoIntroduction agrave la critique de lrsquoeacuteconomie politique laquo Le mode de production de la vie mateacuterielle conditionne le processus de vie social politique et intellectuel en geacuteneacuteral Ce nrsquoest pas la conscience des hommes qui deacutetermine leur ecirctre crsquoest inversement leur ecirctre social qui deacutetermine leur conscience raquo

14 Sigmund Freud Introduction agrave la psychanalyse 1916 II chap 18 p266 (eacuted Petite bibliothegraveque Payot)

15 Voir la deacutemonstration (reacutesumeacutee) dans Jean-Yves Urien La trame drsquoune langue p 161-163 (et approfondie) dans Jean-Yves Urien Le schegraveme syntaxique et sa marque tome 1 p 103-105

Discours et meacutethode 17

lrsquoidentiteacute profonde des processus inheacuterents agrave lrsquoinstance comme agrave la performance raquo16 De mecircme

agrave propos du signe laquo Partageacute entre la structure qui le deacutefinit et la conjoncture agrave laquelle il est

conceptuellement ordonneacute le signe ne se deacutedouble pas La phase qui le reacuteinvestit nrsquoajoute rien

agrave la premiegravere crsquoest la premiegravere qui est fondatrice qui est logiquement anteacuterieure (hellip) cette

premiegravere phase consistant agrave nier la positiviteacute de la repreacutesentation Mais lrsquoautre phase dialec-

tique consistant en la neacutegation drsquoune neacutegativiteacute ne creacutee rien au contraire puisqursquoelle tend agrave

deacutetruire le signe qursquoelle reacuteinvestit raquo17 Cela dit lrsquoauteur critique lrsquoideacutee drsquoune laquo prioriteacute raquo drsquoun

pocircle sur lrsquoautre comme en teacutemoigne ce passage drsquoun autre Seacuteminaire sur le sens Agrave lrsquoobjection

drsquoun collegravegue ainsi reformuleacutee ndash laquo Vous parlez drsquoeacutevidement structural agrave partir de quel

plein raquo ndash il reacutepondait laquo Srsquoil fallait partir du plein qursquoil y ait une prioriteacute du plein sur le vide

voilagrave la conception non dialectique de lrsquoaffaire Pour nous dans une conception dialectique le

plein et le vide ne se deacutefinissent que par leur contradiction mutuelle Aucune nrsquoa la prioriteacute sur

lrsquoautre raquo18 Le deacutebat tient agrave mon sens drsquoabord au choix rapide du terme laquo plein raquo

dialectiquement il nrsquoy a ni plein ni vide mais laquo eacutevidement raquo et laquo reacuteinvestissement raquo De

mecircme agrave propos du signe laquo Surtout ne pensez pas la signification comme preacuteceacutedant la

deacutesignation dans le moindre acte de langage les deux processus se jouent en mecircme temps

Crsquoest-agrave-dire qursquoils sont continuellement en conflit raquo19

laquo Ce nest pas lhomme en soi qui peut ecirctre lobjet de nos sciences humaines mais

lhomme en tant preacuteciseacutement quil se conteste raquo 72 Si lrsquoon chercher agrave laquo expliquer raquo ndash but

de la deacutemarche scientifique on ne peut srsquoen tenir au fait laquo en soi raquo que les hommes

existent et qursquoils sont humains Il faut rechercher ce qui rend lrsquohomme humain une fois

exploreacutees ses caracteacuteristiques biologiques drsquoespegravece La thegravese de JG est que lrsquohumain en

lrsquohomme reacutesulte de la rationaliteacute laquelle est dialectique

Celle-ci est un double mouvement laquo Alieacutenation raquo lrsquohumain est toujours autre que ce qursquoil

paraicirct (neacutegativiteacute) laquo Appropriation raquo il tend contradictoirement agrave apparaicirctre Ainsi sociale-

ment il faut qursquoil soit laquo boulanger parent joueur de foot etc raquo ce qui est manifeste mais il

est aussi autre que cela (alieacutenation) et source de tout cela La suite de lrsquoouvrage montre qursquoil

en est de mecircme dans lrsquoordre du langage et dans celui de la technique

laquo Lrsquoinstance par elle-mecircme neacuteantisante drsquoune analyse qui est dans le monde et de bien des

faccedilons agrave lrsquoorigine du discret nrsquoest en aucun cas seacuteparable de la performance qui positivement

lrsquoy reacuteinvestit et ajoutant nos lois agrave ses lois nous permet de le transformer raquo 73 Paragraphe

redoutablehellip mais capital

JG reformule ici ce qursquoil entend par laquo dialectique raquo comme proprieacuteteacute de lrsquohumain La diffi-

culteacute augmente dans cette formulation parce que jusqursquoici la preacutesentation simplifieacutee de la

dialectique ne semblait prendre en compte qursquoun antagonisme binaire (laquo instance

performance raquo) Deacutesormais la phrase met en jeu trois laquo positions raquo conceptuelles aussi appe-

leacutees laquo moments raquo repeacuterables aux termes (1) laquo instance raquo (2) laquo (analyse dans) le monde raquo (3)

laquo performance raquo La dialectique en effet pose un laquo point de deacutepart raquo ou agrave mieux dire un

16 Seacuteminaire du 27 novembre 1975 laquo Signification et deacutesignation raquo

17 Seacuteminaire du 8 janvier 1976 laquo Signification et deacutesignation raquo

18 Seacuteminaire du 5 mai 1977 laquo Les limites de la connaissance raquo

19 Seacuteminaire du 4 deacutecembre 1975

18 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo point de reacutesistance raquo que nie le pocircle de neacutegativiteacute Crsquoest le principe de reacutealiteacute appeleacute ici laquo le

monde raquo et ailleurs laquo lrsquoexpeacuterience raquo (236 par exemple)20

Exemple lexical le mot laquo le ciel raquo en tant que mot nie lrsquoespace lumineux naturel que je vois

en levant le nez de lrsquoeacutecran et que jrsquoisole par son contraste avec les bords de la fenecirctre qui le

cadrent Le mot est drsquoun autre ordre que la situation agrave laquelle on le confronte Il a ses raisons

propres (lexicales en premiegravere analyse) laquo Il aliegravene raquo la reacutealiteacute en la captant il la transforme en

ecirctre de raison On a donc drsquoune part ce point de reacutefeacuterence qui est dans cet exemple une

reacutealiteacute perceptive ndash une laquo gestalt raquo et drsquoautre part sa neacutegation langagiegravere humaine Ceci eacutetant

le mot nrsquoa drsquoexistence humaine qursquoen tant qursquoil permet de geacuteneacuterer du sens (du seacutemantisme)

En cela le choix du mot teacutemoigne drsquoune confrontation agrave une situation particuliegravere En disant

laquo [Je regarde] le ciel raquo dans une certaine situation et par exclusion des autres mots possibles

je fais comprendre que je deacutesigne lrsquoatmosphegravere terrestre telle que je la conccedilois et non autre

chose Dans un autre contexte ce pourrait ecirctre un concept religieux ou pictural Je nie ainsi la

neacutegativiteacute du mot en le reliant agrave de lrsquoexpeacuterience Crsquoest le second laquo pocircle raquo de la dialectique

appeleacute dans la phrase eacutetudieacutee laquo reacuteinvestissement raquo parce qursquoil reacuteinvestit laquo lrsquoinstance raquo en la

confrontant laquo au monde raquo transformant de la neacutegation en laquo positivation raquo laquelle est la

neacutegation de la neacutegativiteacute et non pas une positiviteacute substantielle Dans mon exemple le

concept de laquo ciel raquo ne coiumlncide pas avec ce qursquoil cherche agrave dire Dans ce cas preacutecis je ne fais

que concevoir ce laquo ciel raquo en le distinguant des laquo arbres raquo de la laquo haie raquo et de la laquo fenecirctre raquo

sous mon regard Rien de plushellip sauf agrave en dire plus Cette confrontation suffit agrave eacuteliminer le

sens religieux et celui de voucircte (de lit de grotte) mais ne peut que reacuteduire tregraves relativement

son improprieacuteteacute Lrsquoeacutenonceacute laquo Je regarde le ciel raquo en ces circonstances ne dit pas srsquoil fait jour ou

nuit si je mrsquointeacuteresse agrave sa luminositeacute agrave des nuages ou agrave des eacutetoiles ou si jrsquoy vois laquo le temps

qursquoil fait raquo Ce raisonnement ne peut se preacuteciser qursquoagrave proportion du deacuteveloppement de la

formulation Plus geacuteneacuteralement le physicien sait bien que le terme laquo ciel raquo est vague lieacute agrave la

position terrestre du locuteur et scientifiquement inutile

En reacutesumeacute la dialectique preacutesente trois laquo moments raquo drsquoougrave une terminologie agrave trois termes

tels que laquo monde mot concept raquo et deux laquo phases raquo ou laquo pocircles raquo deacutenommeacutes laquo instance ndash

performance raquo ou laquo grammaire ndash rheacutetorique raquo pour cet exemple

Jrsquoai choisi un exemple lexical tregraves reacuteducteur alors que JG se place dans lrsquoordre geacuteneacuteral de

la culture La culture laquo ajoute nos lois raquo un pluriel notamment parce qursquoelles sont doubles

puisqursquoil y a bipolariteacute instance et reacuteinvestissement de lrsquoinstance Elle les laquo ajoute raquo aux lois de

la nature Eacutevidemment il y a une grande part drsquoapproximation et drsquoimproprieacuteteacute dans une telle

formulation Crsquoest ineacutevitable Ainsi laquo ajoute raquo 73 est en deacutecalage avec lrsquoideacutee de laquo transforma-

tion raquo sans compter le fait que pour lrsquoauteur crsquoest le dire humain qui introduit de la causaliteacute

dans la reacutealiteacute Cf infra le chapitre laquo Sens et causaliteacute raquo 105-125

Drsquoautres points demandent explicitation compte tenu de ce qursquoon lira par la suite JG

parle ici drsquoune laquo analyse agrave lrsquoorigine du discret (dans le monde) raquo 73 Que veut-il dire

Peut-on entendre par laquo analyse raquo la performance elle-mecircme La formule laquo Lrsquoinstance [est]

par elle-mecircme neacuteantisante drsquoune analyse qui est dans le monde raquo contredit cette lecture

20 Jacques Laisis recourt volontiers au terme laquo le pheacutenomeacutenal raquo afin de ne pas preacutejuger drsquoune quelconque configuration de ce qui nrsquoest qursquoun principe de reacutesistance au dire En effet le pluriel de termes comme laquo les pheacutenomegravenes raquo ou laquo les choses raquo est deacutejagrave de trop puisque crsquoest le dire qui introduit diversiteacute ou pluraliteacute dans le raisonnement conceptuel Apport meacutethodologique de la linguistique structurale agrave la clinique p 93 et passim

Discours et meacutethode 19

puisque la notion de laquo monde raquo deacutepasse le cadre de lrsquohomme Retenons donc que drsquoune faccedilon

singuliegravere dans son œuvre ndash introduction oblige ndash JG utilise les termes laquo analyse raquo

laquo discret raquo et laquo ses lois raquo pour deacutesigner le fait que lrsquounivers nrsquoest pas laquo amorphe raquo (infra 175)

Par ailleurs et par la suite JG utilisera toujours le concept laquo drsquoanalyse raquo pour deacutesigner

lrsquoaptitude de lrsquohumain agrave structurer ses comportements y compris sur le pocircle performantiel Il

opposera par exemple les faits naturels que lrsquoon peut mesurer et les faits humains que lrsquoon

peut analyser Il soutiendra constamment que crsquoest lrsquohumain qui en laquo causant raquo (en mots)

laquo cause raquo le monde et y introduit une intelligibiliteacute agrave la mesure de cette capaciteacute drsquoanalyse que

lui donne la culture laquo Le signe cause lrsquounivers raquo (851 944 1071 1244 De lrsquoOutil 1861

2045 2722) Il dira plus loin que la seacutemantique scientifique laquo creacutee un deacuteterminisme dans les

choses raquo 1071 Il substituera le terme laquo cause raquo agrave celui de laquo loi raquo pour reacuteserver au second

terme son sens laquo leacutegal raquo sociologique (dura lex sed lex)

Toutefois en mecircme temps est affirmeacute plus loin laquo (qursquo) il nest pas vrai que lunivers sans [la

culture] soit amorphe raquo 175 ou qursquolaquo Il nest pas vrai que la nature soit comme on le dit

amorphe et continue raquo 251 Sans quoi il nrsquoy aurait pas de reacutesistance du laquo monde raquo au

raisonnement

laquo hellip (Une analyse qui est dans le monde) et de bien des faccedilons (agrave lrsquoorigine du discret) raquo 73

JG suggegravere par laquo de bien des faccedilons raquo que le rapport agrave la nature nrsquoest pas seulement une

question de connaissance Il exposera un tableau des pathologies laquo naturelles raquo sur les quatre

aspects de la biologie Ainsi troubles sensoriels moteurs du soma de lrsquoaffect Dans chacun

des domaines il y a des effets de seuils naturels (qursquoil qualifie de laquo discret raquo ici)21

laquo Nous permet de le transformer raquo [laquo le raquo = le monde] Le verbe laquo transformer raquo nrsquoest pas agrave

prendre seulement dans son sens technique La rationaliteacute humanise la reacutealiteacute relativement

Elle fait qursquoelle devient connue (par la conceptualisation) artificialiseacutee entre dans de lrsquohistoire

et est soumise agrave de la norme

laquo Un mecircme souci drsquoeacutetablir les critegraveres drsquoune rationaliteacute sous-jacente caracteacuterisehellip trois

eacutecoles de penseacuteehellip raquo 74 noteacute 1

JG rassemble ici Marxisme Psychanalyse et Linguistique geacuteneacuterale en raison drsquoune thegravese

qui leur serait commune lrsquohumain se caracteacuterise par une rationaliteacute sous-jacente Suivent

deux critiques (introduites par laquo on deacuteplorerahellip raquo 74) (1) Cette compleacutementariteacute aurait eacuteteacute

nieacutee par les geacuteneacuterations suivant les fondateurs chaque courant de penseacutee isolant des autres

son approche particuliegravere de lrsquohumain (2) Ils auraient confondu les principes et ce qui

reacutepondait agrave la laquo conjoncture raquo dans laquelle ces theacuteories ont eacuteteacute conccedilues

1 Le mateacuterialisme historique 75

JG y voit une premiegravere tentative de relier histoire et science Il a en effet laquo puissamment

deacutemontreacute quon ne saurait impuneacutement tenir lhomme pour lobservateur essentiel et passif

dun univers objectiveacute que loin decirctre en un mot ce que la nature la fait il est aussi et

speacutecifiquement ce que par sa culture il se fait raquo 75 JG insiste sur lrsquoimportance de la notion de

laquo praxis raquo Par laquo praxis raquo le marxisme soutient qursquoune theacuteorie fait partie de lrsquoexpeacuterience

sociale veacutecue et que crsquoest donc une activiteacute qui a des effets historiques En drsquoautres termes

une theacuteorie est laquo performative raquo JG lie ensuite mateacuterialisme historique et mateacuterialisme

21 Un tel tableau figure dans Du Vouloir-Dire t3 Ch1 Gueacuterir lrsquohomme p63 Le tableau reacutecapitule une nosologie exposeacutee p 21agrave p27 (laquo Lrsquohomme cortical raquo et laquo Corps et biens raquo)

20 Une lecture de Jean Gagnepain

dialectique pour eacutenoncer une critique du marxisme Ce dernier reacuteduirait lrsquohumain agrave sa dimen-

sion sociohistorique Il ne peut donc expliquer laquo inteacutegralement raquo lrsquohomme Ce point est deacuteve-

loppeacute Le passage laquo La dialectique est la piegravece maicirctresse drsquoune reacuteflexion agrave laquelle personnelle-

ment je souscris raquo 81 est important une fois corrigeacute par le paragraphe suivant qui pose un

laquo usage eacutelargi raquo du concept (agrave lrsquoensemble des faits de culture) La TdM est une anthropologie

dialectique et pas seulement une sociologie dialectique

laquo hellipnotre usagehellip eacutelargit [la notion de dialectique] raquo 82 Pour la TdM la dialectique est une

proprieacuteteacute geacuteneacuterale de la rationaliteacute laquo Signe raquo (langagier) Outil et Norme (eacutethique) raquo

fonctionnent aussi dialectiquement que la laquo Personne raquo

Autre critique du marxisme en 83 Reacuteduire lrsquoexistence de laquo classes raquo agrave lrsquoexistence des

exploiteurs implique lrsquoideacuteal que par la reacutevolution puisse exister une socieacuteteacute sans classes JG

donne au contraire agrave lrsquoideacutee de laquo classification raquo un sens geacuteneacuteral (laquo ontologique raquo) qui en fait

une proprieacuteteacute du social Le conflit de classe distingue lrsquohistoire (humaine) de la vie biologique

(JG opposera en ce sens les deux termes allemands die Gesellschaft la socieacuteteacute et die

Gemeinschaft la communauteacute ou la laquo greacutegariteacute raquo biologique 54)22

2 La psychanalyse 84

En reacutesumeacute lrsquoexamen critique de lrsquoapport et des errements de la psychanalyse porte

principalement sur deux points Drsquoun cocircteacute JG reconnaicirct que la notion drsquoinconscient ouvre la

voie agrave une conception dialectique de lrsquohumain fondeacutee sur la contradiction drsquoun implicite et

drsquoun explicite De lrsquoautre il reproche agrave la psychanalyse un reste de confusion entre le plan de la

laquo repreacutesentation raquo (de la connaissance) et celui du traitement humain du deacutesir dont

teacutemoigne drsquoailleurs en franccedilais lrsquoambiguiumlteacute du terme laquo conscience raquo laquo Je suis bien conscient

de cela Quel inconscient raquo versus laquo Je suis en paix avec ma conscience raquo Voyons les deacutetails

de lrsquoargumentation

De quel laquo glissement raquo analogue srsquoagit-il lorsque lrsquoon passe du marxisme agrave ce que soutien-

nent laquo nombre de fervents de la psychanalyse raquo Il srsquoagit de la confusion faite entre un

processus constitutif de la culture humaine et certaines de ses manifestations observeacutees dans

un cadre professionnel Selon JG certains confondraient lrsquoaptitude humaine permanente au

laquo rationnement raquo (ici deacutesigneacute par la figure extrecircme de laquo lrsquoascegravese raquo) avec son deacuteregraveglement

pathologique qursquoest laquo lrsquoinhibition raquo 84 Ce principe de laquo rationnement raquo (titre de chapitre dans

le tome II) ndash terme au demeurant choisi par lrsquoauteur pour sa relation avec le terme laquo raison raquo ndash

est rapprocheacute de la notion lacanienne de laquo castration raquo laquo gracircce agrave laquelle le deacutesir se fait libre

arbitre raquo 84 On devine ici ce que sera le modegravele drsquoaxiologie dialectique proposeacute dans le tome

II du Vouloir-Dire Le rationnement dit aussi laquo manque raquo 91 repreacutesente le pocircle drsquoinstance

neacutegative drsquoune satisfaction librement choisie qui en est le pocircle performantiel dans la

dialectique du deacutesir humain Un tel laquo glissement raquo est la cause du recours agrave cette notion de

laquo surmoi raquo qui deacuteplace lrsquoinstance fondamentale du deacutesir vers une sorte de superstructure

22 Ce bilan du marxisme et de lrsquoheacutegeacutelianisme se trouve clairement reacutesumeacute par Jean-Luc Lamotte dans son Introduction agrave la theacuteorie de la meacutediation en deux propositions p20-21 (1) laquo [La theacuteorie de la meacutediation dissocie] lrsquohistoire et la penseacutee Car si Hegel a identifieacute lrsquohistoire agrave la penseacutee on peut dire que Marx a identifieacute la penseacutee agrave lrsquohistoire raquo (2) [Jean Gagnepain] laquo refuse de restreindre lrsquoapplication de la dialectique au domaine du devenir (hellip) et lui donne son maximum de pouvoir explicatif en le transposant du plan (hellip) drsquoune succession agrave celui (hellip) drsquoune contradiction de la nature et de la culture (alors que chez Hegel comme chez Marx ndash du moins le Marx du mateacuterialisme dialectique ndash nature et culture eacutetaient parfaitement homogegravenes) raquo

Discours et meacutethode 21

gendarme de la bonne conduite ou Jiminy le cricket agrave la Walt Disney Erreur de plan

soutiendra-t-il plus loin pour lui le surmoi nrsquoest pas laquo lrsquointrojection de la Loi raquo 173 La loi

relegraveve de lrsquoaptitude au social le laquo surmoi raquo relegraveve de la reacutegulation du deacutesir

La recherche de laquo lrsquoauthenticiteacute raquo 84 est un fantasme puisque celle-ci ne peut ecirctre

atteinte sans deacuteshumanisation Cette critique fait eacutecho agrave lrsquoimage de laquo Janus raquo on ne sort pas

de la dialectique sans sortir de lrsquohumaniteacute

La difficulteacute de comprendre laquo les relations du je du moi et du ccedila raquo tient surtout de laquo notre

impuissance grammaticale agrave les formuler clairement en franccedilais raquo 85 Ainsi la notion invoqueacutee

ici de laquo surmoi raquo est-elle un contresens puisque Freud en allemand dit laquo uumlber-Ich raquo (au

nominatif et non agrave lrsquoaccusatif) Il ne srsquoagit donc pas drsquoun processus qui surplombe un laquo moi raquo

dans une laquo dimension interindividuelle raquo mais un processus interne au principe axiologique de

reacutegulation du deacutesir

Le propos de JG est ici critique et srsquoadresse surtout aux lacaniens Pour lui

laquo lrsquoinconscient raquo nrsquoest pas une affaire de cognition comme le suggegravere le couple laquo conscience ndash

inconscient raquo mais renvoie agrave la reacutegulation des affects au plan de la norme (du droit) et non

au plan du signe (du dire) Cf laquo par-lagrave se maintient la vieille confusion du savoir et de la

morale raquo 92 En teacutemoignent le privilegravege attacheacute agrave la verbalisation dans la cure 91 et laquo le flirt raquo

terminologique avec la linguistique qui teacutemoigne drsquoun laquo hellipmalentendu sur le signehellip raquo

Allusion notamment agrave lrsquoutilisation par Jacques Lacan des termes laquo signifiant raquo et laquo signifieacute raquo

qui nrsquoont strictement plus rien de saussurien ou agrave celle des notions de laquo meacutetaphore raquo et de

laquo meacutetonymie mal comprise raquo

Lrsquoallusion au laquo pansexualisme raquo freudien rappelle que la theacuteorie de Freud reflegravete les usages

(drsquointerdits) de la socieacuteteacute de son eacutepoque

Cela dit JG reconnaicirct comme un laquo apport raquo essentiel de la psychanalyse lrsquoideacutee drsquoune

distinction radicale entre latent et manifeste cette laquo Spaltung raquo (clivage) 93 notion qursquoil

reprend dans la dialectique de lrsquoimplicite et de lrsquoexplicite en en faisant un principe de

contradiction et de laquo neacutegativiteacute raquo laquo Spaltung raquo signifie en allemand laquo seacuteparation clivage raquo

Freud traduit ainsi en allemand la notion de laquo double conscience raquo apprise chez Pierre Janet

Cf la notion de laquo manque raquo eacutevoqueacutee plus haut en 91

laquo Un ordre [=la culture] qursquoon a seulement eu tort drsquoappeler ‟symboliquerdquo raquo 93 JG reacutecuse

le terme qui selon lui reacuteduit la rationaliteacute au domaine de la repreacutesentation Il critiquera

constamment lrsquoutilisation extensive et geacuteneacuterique des termes laquo symbolique raquo et laquo signe raquo par

lrsquoensemble des courants structuralistes par la sociologie bourdieusienne ainsi que par Jacques

Lacan23

3 La linguistique structurale 94

La linguistique relegraveve des sciences humaines degraves lors que lrsquoon reconnaicirct dans la grammaire

laquo cette capaciteacute drsquoanalyse que tout locuteur porte en soi raquo 94 ce laquo principe drsquointelligibiliteacute raquo

propre agrave lrsquohomme dont il faut comprendre le mode de fonctionnement

Les laquo attaques raquo le laquo procegraves raquo 95 dont fait lrsquoobjet la linguistique structurale font probable-

ment allusion agrave lrsquoopposition universitaire entre laquo linguistique geacuteneacuterale raquo et laquo linguistique

23 On trouvera une mise en perspective approfondie de la Theacuteorie de la meacutediation avec lrsquoœuvre de Freud et celle de Lacan dans lrsquoouvrage de Jean-Claude Quentel 2007 Les fondements des sciences humaines Eacuteditions Eacuteregraves

22 Une lecture de Jean Gagnepain

historique raquo laquo En passant du pointillisme agrave la structure les linguistes opeacuteraient une conversion

eacutepisteacutemologique exemplaire raquo 95 JG rappelle ici la tendance des laquo philologues raquo agrave privileacutegier

lrsquoeacutetude laquo diachronique raquo de mots isoleacutes Or le linguiste dans son laquo champ raquo speacutecifique (le

laquo signe raquo) eacutetudie une aptitude geacuteneacuterale de lrsquohumain laquo hors du temps raquo et surtout un systegraveme

ougrave laquo la valeur de nrsquoimporte quel terme est deacutetermineacutee par ce qui lrsquoentoure raquo Saussure Cours

p 160 Il faut cependant que lrsquohistorien comprenne que la faculteacute de signe nrsquoest pas toute la

culture et que drsquoune autre faculteacute celle de personne procegravede lrsquohistoire en geacuteneacuteral et les

langues par reacutepercussion

JG envisage ensuite le courant dominant en linguistique agrave lrsquoeacutepoque de la reacutedaction de son

ouvrage agrave savoir la laquo grammaire geacuteneacuterative raquo promue par Noam Chomsky Deux critiques

principales sont preacutesenteacutees

(1) La premiegravere erreur (capitale) de la grammaire geacuteneacuterative serait son formalisme Elle

projetterait sur la reacutealiteacute langagiegravere un algorithme matheacutematique et graphique (les laquo regravegles raquo

et les laquo arbres raquo) imagineacute pour capter au mieux la diffeacuterence entre ce qui est grammatical ou

agrammatical Cette erreur aurait pour conseacutequence ineacutevitable de nier le caractegravere dialectique

de lrsquoopposition entre implicite et explicite traiteacutee ici comme une diffeacuterence entre une

laquo profondeur raquo imagineacutee par la formalisation et une laquo surface raquo effectivement dire par le

locuteur

JG relegraveve drsquoabord laquo helliplrsquoerreur capitale consistant agrave prendre le Pireacutee pour un hommehellip raquo

101 Cette meacutetaphore est reprise de la Fable de Jean de la Fontaine laquo le singe et le dauphin raquo

(Livre IV fable 7) qui raille ceux qui parlent beaucoup de ce qursquoils ignorent laquo qui caquetant

au plus dru Parlent de tout et nrsquoont rien vu raquo La grammaire geacuteneacuterative en assimilant

structure profonde et modegravele implicite prend lrsquoabstraction qursquoopegravere le grammairien pour

lrsquoabstraction qui caracteacuterise la capaciteacute de grammaire sous-jacente au dire Grave ceacuteciteacute selon

J G car le rocircle que srsquoadjuge le grammairien lorsqursquoil deacuteduit lrsquoimplicite de lrsquoexplicite le rend

degraves lors incapable de comprendre que dans le deacutejagrave-lagrave de la grammaire laquo in-siste raquo (disait JG)

cette analyse dont lrsquoanteacuteceacutedence logique permet seule drsquoacceacuteder agrave une explication du dire La

critique est ensuite reformuleacutee

laquohellip et prendre ce qui nrsquoest qursquoun pocircle de contradiction pour un niveau plus subtil et quasi

hypostasieacute (hellip) drsquoabstractionhellip raquo Le terme laquo compeacutetence raquo que lrsquoon trouve dans la phrase

suivante oriente encore le lecteur vers une critique de la grammaire geacuteneacuterative qui

laquo positive raquo ce qursquoelle appelle laquo la structure profonde raquo censeacutee expliquer la structure

grammaticale Elle transformerait ainsi un laquo pocircle raquo (de la dialectique) en hypostase

laquo Lrsquoailleurshellip devient un autre monde successivement chiffre ou matrice du nocirctrehellip raquo Il

srsquoagit de la structure profonde chez Chomsky qui laquo geacutenegravere raquo le message langagier Et laquo le

nocirctre raquo crsquoest le langage reacuteel opposeacute agrave la fiction matheacutematique de la grammaire geacuteneacuterative

Lorsqursquoun message preacutesente une ambiguiumlteacute (ex laquo La peur des ennemis raquo) celle-ci imagine

deux structures laquo profondes raquo distinctes laquo les ennemis ont eu peur raquo ou laquo quelqursquoun a eu

peur des ennemis raquo Elle nie ainsi lrsquoimproprieacuteteacute qui caracteacuterise le grammatical Ce faisant la

grammaire geacuteneacuterative se rend aveugle au principe drsquoabstraction grammaticale On ne peut

donc laquo reacuteduire lrsquoeacutequivociteacute sans ruiner avec elle les fondements de la penseacutee raquo Pour JG en

revanche lrsquoimproprieacuteteacute est constante et fondamentale On ne peut la reacuteduire que dialectique-

ment par le choix seacutemantique drsquoun eacutenonceacute approprieacute agrave la situation (Dans lrsquoexemple par lrsquoune

ou lrsquoautre des paraphrases verbales que nous avons proposeacutees)

Discours et meacutethode 23

On voit finalement que la critique du formalisme chomskien est double Il empecircche de

comprendre que le principe drsquoimproprieacuteteacute grammaticale est une proprieacuteteacute immanente du

dire ce faisant il empecircche de comprendre la dialectique du dire

(2) La seconde erreur porte plus preacuteciseacutement sur la notion laquo drsquoaxes raquo de lrsquoanalyse

grammaticale laquo Drsquoautreshellip [privileacutegient] la geacuteneacuterativiteacute raquo 102 Il srsquoagit encore de la grammaire

geacuteneacuterative mais dans la preacutesentation qursquoen a faite en 1967 Nicolas Ruwet dans Introduction agrave

la grammaire geacuteneacuterative Ce dernier considegravere comme deacutepasseacutee la linguistique structurale en

ce qursquoelle lui paraicirct privileacutegier lrsquoeacutetude des oppositions celle de la morphologie et des

paradigmes Nicolas Ruwet critique cette linguistique qursquoil qualifie de laquo taxinomique raquo Il vise

la philologie classique la grammaire scolaire mais aussi la laquo valeur raquo saussurienne et leur

oppose la grammaire laquo geacuteneacuterative raquo qui se consacre agrave lrsquoeacutetude de la syntaxe JG lui reproche

laquo drsquoabjurer raquo la notion de structure parce qursquoil la reacuteduit agrave celle de taxinomie Il lui reproche

autrement dit de jeter le beacutebeacute avec lrsquoeau du bain Il proposera dans son modegravele glossologique

drsquoaccorder une eacutegale attention agrave la taxinomie et agrave la geacuteneacuterativiteacute (deacutesormais autrement

deacutefinies) qui sont deux dimensions (deux axes) de la structure Il est important de noter ici

que la laquo geacuteneacuterativiteacute raquo chomskyenne ne correspond pas agrave ce que Jean Gagnepain appellera

laquo capaciteacute geacuteneacuterative raquo dans son propre modegravele grammatical

Les laquo axes raquo de lrsquoanalyse Eacutebauche critique du modegravele glossologique

Les paragraphes suivants deacuteveloppent la critique preacuteceacutedente concernant les axes drsquoanalyse

La comparaison de la grammaire traditionnelle et de la grammaire geacuteneacuterative fait de cette

derniegravere laquo une convulsion du mecircme art raquo 103 Crsquoest surtout pour JG une premiegravere occasion

drsquoexposer les lineacuteaments de son modegravele drsquoanalyse grammaticale

1 - Tout drsquoabord quelques formulations particuliegraveres appellent une glose

laquo La verticaliteacute des tables hellip fait place agrave lrsquohorizontaliteacute des formuleshellip raquo 103 Ce passage

confronte la grammaire traditionnelle scolaire qui privileacutegie la morphologie et les

laquo tableaux raquo et la grammaire geacuteneacuterative de Chomsky qui privileacutegie lrsquoeacutetude de la phrase et de

ce qursquoelle appelle sa laquo syntaxe raquo Il srsquoagit lagrave drsquoun laquo deacuteplacement raquo drsquointeacuterecirct (En reacutealiteacute chacune

de ces deux eacutecoles traite de ces deux dimensions)

laquo Linteacuterecirct des classes reacutepertorieacutees lemportait sur celui dune simple et lineacuteaire construc-

tion raquo JG rappelle qursquoune grammaire traditionnelle privileacutegie lrsquoeacutetude des conjugaisons et

deacuteclinaisons et y ajoute une eacutetude des laquo fonctions raquo syntaxiques par un inventaire des

constructions dans la phrase

laquo La preacutevalence des regravegles et des cycles nous ramegravene au traditionnel inventaire des parties

du discours raquo 103 laquo Cycles raquo Il srsquoagit du principe de reacutecursiviteacute chez Chomsky Cet auteur

(dans le modegravele standard) reprend une classification traditionnelle en distinguant des

laquo cateacutegories syntaxiques majeures raquo Nom Verbe Adjectif Preacuteposition qui sont les laquo tecirctes raquo

(angl Head) des syntagmes de base (angl Phrases) NP VP AP PP

laquo Le perfectum le cegravede agrave lrsquoinfectumhellip raquo Perfectum aspect accompli Formes verbales qui

signifient que lrsquoaction est termineacutee Infectum aspect inaccompli Formes verbales qui

signifient que lrsquoaction nrsquoest pas termineacutee Je risque donc la lecture suivante La grammaire

traditionnelle et la linguistique structurale ont privileacutegieacute lrsquoeacutetude de corpus crsquoest-agrave-dire de

propos tenus attesteacutes dans des documents laquo perfecta acta raquo La grammaire geacuteneacuterative pour

sa part teste chez les locuteurs la limite entre les phrases grammaticalement coheacuterentes et

24 Une lecture de Jean Gagnepain

celles qui sont incoheacuterentes (dites agrammaticales) Ces phrases sont potentiellement infini-

ment varieacutees et non tireacutees de documents deacutejagrave produits laquo infecta acta raquo Le corpus fini

devient enquecircte en devenir le testament devient test renouvelable

laquo hellipou le classique encore au baroque raquo 103 Le style classique est eacutevoqueacute en tant qursquoil

privileacutegie la stabiliteacute crsquoest le cas du corpus deacutefinitivement eacutetabli selon JG Stabiliteacute eacutegalement

ndash ou plutocirct conservatisme ndash de la terminologie et des meacutethodes drsquoanalyse Le style baroque

en tant qursquoil privileacutegie le mouvement ce serait le cas du test constamment inventeacute et

renouveleacute au fur et agrave mesure de lrsquoeacutelaboration du modegravele Ce peut ecirctre aussi une reacutefeacuterence au

fait que la grammaire geacuteneacuterative a remanieacute en permanence et profondeacutement ses modegraveles et

qursquoelle se diversifie en de multiples courants

2 ndash Preacutesentation des deux laquo axes raquo de lrsquoanalyse Taxinomie et geacuteneacuterativiteacute

laquo On conccediloit mal dailleurs que le choix puisse simposer dune syntaxe des types ou dune

morphologie des schegravemes (hellip) Taxinomie et geacuteneacuterativiteacute [sont des] capaciteacutes indissociables du

langage raquo 104

JG opegravere la conjonction de deux ideacutees

(1re ideacutee) La grammaire geacuteneacuterative ainsi que la grammaire traditionnelle hieacuterarchisent les

deux aspects de la grammaticaliteacute que JG appelle laquo les deux axes raquo Drsquoune part lrsquoaxe de la

segmentation qui permet la successiviteacute du multiple lrsquoaxe du laquo et puis raquo Drsquoautre part lrsquoaxe de

la diffeacuterenciation qui permet les choix lrsquoaxe de laquo ou bien raquo La grammaire geacuteneacuterative reacuteduit le

grammatical au seul premier axe sous le nom de geacuteneacuterativiteacute La grammaire traditionnelle

reacuteduit le grammatical agrave lrsquoautre lrsquoaxe de la diffeacuterenciation dont teacutemoignent les classes

(2e ideacutee) Cependant lrsquoobservation oblige aussi bien la grammaire geacuteneacuterative que la gram-

maire scolaire agrave trouver un artifice pour prendre en compte lrsquoautre axe en le ramenant agrave celui

qursquoils ont privileacutegieacute (laquo hellipfacteurs deacutefinis preacutealablement sur lrsquoautre raquo) La grammaire geacuteneacuterative

tenterait de modeacuteliser une laquo syntaxe des types raquo en classifiant les laquo Syntactic Phrases raquo selon

le type de leur laquo tecircte raquo et en les deacutenommant laquo Noun Phrase Verb Phrase etc raquo Autrement

dit cette grammaire devient en cela laquo taxinomique raquo La grammaire traditionnelle ferait de

mecircme autrement Par exemple elle postule que toute proposition contient un verbe fondant

ainsi un fait de syntaxe sur une base morphologique Et surtout elle envisage toute relation

syntaxique comme une fonction comme la relation entre un laquo compleacutement raquo (suppleacutemen-

taire) et un laquo principal raquo (compleacuteteacute) Ainsi parlera-t-on du laquo sujet du verbe raquo du laquo compleacute-

ment du nom raquo Toute relation est assigneacutee agrave une cateacutegorie morphologique agrave la base de la

fonction On seacuteparera dans les grammaires le chapitre de laquo la syntaxe du verbe raquo de celui de

laquo la syntaxe du nom raquo Au contraire JG deacutemontrera qursquoune relation syntaxique (un

laquo schegraveme raquo) reacutesulte de contraintes mutuelles La relation de laquo sujet raquo nrsquoest ni dans le verbe ni

dans le nom elle est deacutefinie par lrsquoensemble des contraintes que chaque partie prenante fait

peser sur lrsquoautre En outre il montrera qursquoun mecircme processus syntaxique tel que la

subordination est identique qursquoil srsquoinvestisse sur du nom ou du verbe

3 ndash Approfondissement de la theacuteorie de la biaxialiteacute De la laquo non-coiumlncidence raquo des deux

types drsquoanalyses deacutecoule leur laquo projection raquo Qursquoest-ce agrave dire

laquo Il sagit des coordonneacutees dune seule et mecircme analyse creacuteatrice agrave la fois de diffeacuterence et

de segmentation dont la non-coiumlncidence en retour fonde par projection aussi bien linclusion

logique que linteacutegration raquo 104

Discours et meacutethode 25

Cette formulation reacutesume tout le programme de travail en quoi consiste la theacuteorie du fait

de laquo dire raquo la theacuteorie du laquo signe raquo appeleacute plus loin laquo glossologie raquo Drsquoougrave la difficulteacute voire

lrsquoimpossibiliteacute de comprendre cette proposition en se limitant agrave lrsquoinformation minimale qursquoelle

apporte en ce deacutebut drsquoouvrage Je pourrais ajouter laquo Renoncez agrave comprendre maintenant il

vous suffit de lire la 1re partie du livre p 34 agrave 66 et drsquoy revenir ensuite raquo Cette proposition

eacutetant applicable agrave toute difficulteacute de lecture de cette introduction elle est contradictoire avec

le parti que jrsquoai pris de la gloser Si vous deacutesapprouvez mon obstination fermez cette partie Agrave

cellecelui qui est resteacute(e) je propose un bref deacuteveloppement qui ne dispense pas de lire la

suite Jrsquoutiliserai quelques exemples grammaticaux dans la terminologie scolaire

Le deacutebut preacutesente les laquo deux axes raquo comme deux aspects de la capaciteacute de grammaire qui

est aptitude agrave maicirctriser de lrsquoanalyse crsquoest-agrave-dire des deacutelimitations (diffeacuterentielles ou segmen-

tales) relatives des laquo valeurs raquo dans le sens que Saussure donne agrave ce terme

laquo Dans la langue il nrsquoy a que des diffeacuterences sans termes positifs raquo (Cours p 166) laquo des

valeurs eacutemanant du systegraveme (hellip) [termes] purement diffeacuterentiels deacutefinis non pas

positivement par leur contenu mais neacutegativement par leurs rapports aux autres termes du

systegraveme raquo (Cours p 162) Noter seulement que JG pense les laquo valeurs raquo selon deux aspects

analyse de la qualiteacute (productrice drsquoidentiteacutes diffeacuterentielles) et analyse de la quantiteacute (produc-

trice drsquouniteacutes segmentales)

Il convient maintenant de deacutefinir chacun des termes qui caracteacuterisent ce modegravele biaxial

laquo non-coiumlncidence projection inclusion et inteacutegration raquo 1048-9

laquo Non-coiumlncidence et projection raquo Identiteacute diffeacuterentielle et uniteacute segmentale ne se

correspondent pas Ainsi si je dis dans un simple appel agrave lrsquoattention laquo la porte raquo jrsquoeacutenonce

une structure nominale simple ndash du point de vue de la quantiteacute puisque tout nom suppose un

preacutefixe deacuteterminant Cependant je dis en mecircme temps plusieurs informations Outre la

distinction laquo porte fenecirctre hellip raquo il y a la classe laquo feacuteminin raquo qui est incluse dans la deacutefinition du

nom et que marque le laquo la- raquo et aussi un singulier puisque je ne nrsquoai pas dit laquo les portes raquo

Comme tout ce qui est dit inclut agrave la fois lrsquoaspect qualitatif et quantitatif une interaction se

produit entre les deux appeleacutee laquo projection drsquoun axe sur lrsquoautre raquo JG fait allusion ici agrave deux

meacutecanismes grammaticaux connus auxquels il apporte ici une (bregraveve) explication Pour en

parler rapidement je vous propose lrsquoimage topologique de laquo la surface raquo puisqursquoune surface

pour ecirctre dessineacutee exploite les deux dimensions drsquoune feuille la verticale et lrsquohorizontale

Premier meacutecanisme laquo lrsquoinclusion raquo Un paradigme (conjugaison verbale ou deacuteclinaison

nominale) est une laquo projection raquo une laquo surface raquo deacutefinie quantitativement par la limite drsquoune

uniteacute et qualitativement par le deacuteploiement de diffeacuterences Ainsi lorsque lrsquoeacutecolier apprend

laquo le verbe avoir raquo il sait qursquoil ne doit pas prendre en compte un sujet ou un compleacutement mais

seulement ce qui fait ce verbe Crsquoest-agrave-dire pas seulement strictement laquo avoir raquo mais

qualitativement lrsquoensemble de la conjugaison de ce verbe qui inclut une information

laquo pronominale raquo (en reacutealiteacute un preacutefixe) et une information de temps et de mode Il va donc

apprendre laquo jrsquoai tu as il ahellip raquo ou bien laquo nous avons nous avions nous aurons hellip raquo

Autrement dit un ensemble de diffeacuterences laquo incluses raquo dans le cadre bien deacutelimiteacute drsquoune seule

uniteacute celle drsquoun seul verbe La conjugaison drsquoun verbe est un paradigme

Second meacutecanisme laquo lrsquointeacutegration raquo Une relation syntaxique est une surface deacutefinie par

deux conditions Quantitativement il faut une pluraliteacute drsquouniteacutes Exemple Pour qursquoil y ait

compleacutement drsquoobjet direct (cod) il faut agrave la fois un verbe et un nom compleacutement

Qualitativement il faut qursquoune caracteacuteristique permette de preacutevoir la forme que va prendre

26 Une lecture de Jean Gagnepain

chacune des uniteacutes ainsi relieacutees Dans lrsquoexemple laquo Il regarde le ciel raquo le verbe devra ecirctre

laquo transitif raquo car laquo Il va le ciel raquo est exclu Cette restriction laisse preacutevoir la possibiliteacute drsquoun

laquo cod raquo degraves que le verbe est dit Drsquoautre part on observe que le nom qui suit le verbe nrsquoa pas

de preacuteposition et que cela permet la preacutesence drsquoun verbe transitif devant lui A contrario si je

dis laquo hellipdans le ciel raquo je puis quand mecircme commencer la phrase par laquo il regarde raquo mais ce

nrsquoest plus une relation de cod La forme de chaque partie du syntagme permet laquo drsquoidentifier raquo

en partie ce qursquoest lrsquoautre une classe restreinte de verbe + lrsquoexclusion de la preacuteposition

nominale

4 ndash Relation entre dialectique et biaxialiteacute

laquo Neacutevoquer (hellip) que les processus explicites de seacutelection et de preacutedication cest teacutelescoper

inducircment les deux pocircles de cette dialectique simultaneacutee de lidentique et de lun qui nrsquoest en

aucune faccedilon lrsquoapanage du langage mais dont culturellement limportance risque fort de re-

mettre en cause lantagonisme issu de larpentage et abusivement entretenu depuis lors du

nombre et de la qualiteacute raquo 104

JG relie dans sa critique deux thegravemes de son modegravele theacuteorique Le thegraveme de la dialec-

tique drsquoune part et celui de la biaxialiteacute et de la projectiviteacute drsquoun axe sur lrsquoautre drsquoautre part

La tradition et les linguistiques contemporaines laquo teacutelescopent raquo les pocircles de la dialectique

Comment En nrsquoenvisageant sous le nom de laquo seacutelection raquo et de laquo preacutedication raquo que le seul

reacutesultat de la dialectique agrave savoir le raisonnement seacutemantique Ces processus pour JG ne

prennent en compte que laquo la rheacutetorique raquo En effet observer que le locuteur laquo choisit raquo tel

mot plutocirct que tel autre qursquoil choisit laquo la porte raquo plutocirct que laquo la fenecirctre raquo parce qursquoil

entend parler de ceci plutocirct que de cela crsquoest oublier qursquoun tel choix nrsquoest possible que laquo srsquoil y

a le choix raquo que si lrsquoon laquo sait raquo implicitement que ces deux mots sont diffeacuterents Sans diffeacute-

rence pas de choix La seacutelection acte seacutemantique preacutesuppose la maicirctrise drsquoune diffeacuterencia-

tion lexicale La seacutelection est seconde et la diffeacuterenciation est premiegravere De mecircme laquo la

preacutedication raquo terme par lequel JG deacutesigne ici le fait de tenir un propos dans une phrase

construite suppose la maicirctrise de la dimension des termes mecircmes que lrsquoon met en relation

pour tenir ce propos La laquo preacutedication raquo seacutemantique preacutesuppose lrsquoaptitude agrave la laquo segmenta-

tion raquo en uniteacutes grammaticales JG vise en particulier Roman Jakobson pour qui la

laquo seacutelection raquo et la laquo combinaison raquo eacutetaient les deux laquo aspects raquo principaux du langage et qui

expliquait ainsi les deux types drsquoaphasies nommeacutees laquo de Wernicke raquo et laquo de Broca raquo par les

neurologues Cf laquo deux aspects du langage et deux types drsquoaphasies raquo in Essais de linguistique

geacuteneacuterale Eacuted de Minuit 1963

laquo Cette dialectique simultaneacutee de lrsquoidentique et de lrsquoun raquo La dialectique nrsquoest pas entre la

qualiteacute et la quantiteacute Simultaneacutement existe une dialectique dans lrsquoordre de la qualiteacute entre

diffeacuterenciation et choix et dans lrsquoordre de la quantiteacute entre segmentation et combinaison

laquo hellip qui nrsquoest aucunement lrsquoapanage du langage raquo Qursquoon interpregravete ce passage comme

concernant la dialectique la biaxialiteacute ou les deux peu importe JG annonce ici que lrsquoon peut

trouver leur eacutequivalent en ergologie en sociologie et en axiologie Il srsquoagit de proprieacuteteacutes de la

culture observeacutees ici dans le langage

[Lrsquoantagonisme du nombre et de la qualiteacute] laquo issu de lrsquoarpentage raquo Ce rappel de lrsquoorigine

technique en Eacutegypte et en Gregravece de lrsquoarithmeacutetique et de la geacuteomeacutetrie reste pour moi trop

rapide pour qursquoon puisse en deacutegager une leccedilon consistante Srsquoil est fait allusion ici agrave la doxa

ordinaire il est vrai que bien des discussions se fondent sur un tel antagonisme On parle par

Discours et meacutethode 27

exemple drsquoune sociologie laquo qualitative raquo opposeacutee agrave une sociologie laquo quantitative raquo Peut-on

pour autant parler laquo drsquoantagonisme raquo au sein des matheacutematiques entre qualiteacute et quantiteacute et

lrsquoimputer aux applications techniques Certes les matheacutematiques comme toutes les sciences

ont toujours eacuteteacute lieacutees agrave des objectifs drsquoapplications civiles et militaires parmi lesquels

lrsquoarpentage neacutecessaire pour deacutefinir la proprieacuteteacute et lrsquoimpocirct degraves la plus haute antiquiteacute notam-

ment dans la valleacutee du Nil ougrave les crues du fleuve effacent tous les ans les limites des champs

Cela dit tout deacutepend du sens que lrsquoon donne au concept de laquo qualiteacute raquo Je vais supposer que

JG ne lrsquoentend pas dans son sens aristoteacutelicien (dans le traiteacute des laquo Cateacutegories raquo) mais agrave la

suite de Saussure comme laquo valeur distinctive deacutefinie par exclusion raquo De ce point de vue le

principe drsquoidentiteacute et drsquoexclusion est preacutesent degraves le deacutebut des matheacutematiques En effet la

topologie la plus simple demande que lrsquoon repegravere des positions On deacutenomme distinctement

chacun des sommets drsquoun triangle de maniegravere agrave ne pas les confondre24 Entre le nombre et la

qualiteacute il y a une coexistence permanente et une compleacutementariteacute

JG reacutecapitule en conclusion quelles sont les trois disciplines universitaires qui enseignent

les trois doctrines traiteacutees preacuteceacutedemment 111 Ces disciplines sont respectivement la

sociologie la psychologie et la linguistique Celles-ci utilisent une terminologie distincte

respectivement laquo superstructure sublimation connotation raquo pour deacutesigner les divers aspects

drsquoun processus humain unique pour lrsquoauteur laquo lrsquoimplicite raquo La laquo superstructure raquo fait partie du

vocabulaire du marxisme la laquo sublimation raquo de celui du freudisme la laquo connotation raquo de celui

du structuralisme linguistique et litteacuteraire Cela montre que des enjeux de pouvoir masquent la

reacutealiteacute scientifique

La theacuteorie de la meacutediation conteste dans son ensemble la reacutepartition disciplinaire en usage

dans lrsquouniversiteacute 112 Celle-ci dit-il laquo ajoute des sciences agrave des sciences raquo pour reacutesoudre des

conflits de meacutetiers laquo sciences de lrsquoeacuteducation sciences de lrsquoinformation et de la communica-

tion raquo Le modegravele meacutediationniste est lui aussi complexe notamment par les distinctions des

quatre plans de la rationaliteacute mais cette complexiteacute se deacuteveloppe en fonction des raisons

internes agrave la reacuteflexion theacuteorique qursquoelle propose et agrave sa mise agrave lrsquoeacutepreuve expeacuterimentale par la

clinique Il srsquoagit drsquoune complexiteacute agrave base drsquoexplication scientifique et non pas agrave base de

reacutepartition de services disciplinaires laquo (hellip) la complexiteacute [de la theacuteorie] ny saurait reacutesulter que

de sa propre scissipariteacute raquo 112 Ce que JG appelle laquo science raquo est restrictivement une

deacutemarche de connaissance explicative qui doit ecirctre distingueacutee de son inscription sociale dans

une histoire de la division des services De mecircme que le Dire qursquoil appelle laquo signe raquo est agrave

dissocier de son inscription sociale dans de la langue

3 POUR UNE ANTHROPOLOGIE CLINIQUE

1 Justification de la perspective clinique Statut de la biologie 11-13

2 Apport de lrsquoeacutetude des aphasies agrave lrsquoanthropologie 13-15

24 Ouvrez httpeuclidesfrbibliothequeeuclideelementslivre_1 La Proposition V du 1er livre des Eacuteleacutements drsquoEuclide commence ainsi laquo Soit le triangle isocegravele ABΓ ayant le cocircteacute AB eacutegal au cocircteacute AΓ raquo Le point A ne peut pas ecirctre interchangeacute avec le point B ou avec le point Γ (pour autant que le triangle ne soit pas eacutequilateacuteral ) Les appellations des points sont exclusives les unes des autres

28 Une lecture de Jean Gagnepain

3 La laquo transposabiliteacute raquo du modegravele Comment lrsquoobservation clinique a conduit agrave une theacuteorie

de lrsquooutil via et par-delagrave la question de lrsquoeacutecriture chez les aphasiques puis agrave une theacuteorie de la

personne via et par-delagrave la question de lrsquointerlocution entre malade et theacuterapeute et enfin agrave

une theacuteorie de la norme via et par-delagrave la question de lrsquoinitiative de parole 15-17

Le paragraphe introductif preacutesente le plan laquo (hellip) La preuve y reacutesulte en mecircme temps que

de lexpeacuterience qui seacutelectivement la veacuterifie de la transposabiliteacute des modegraveleshellipqursquoelle

construit raquo 114 Il est deacuteveloppeacute en trois parties (1) examen du statut de lrsquoexpeacuterimentation

en sciences humaines (2) preacutesentation de lrsquoexpeacuterience laquo probante raquo de lrsquoaphasie (3)

transposition aux autres registres de la rationaliteacute

Un deacutetail de cette phrase laquo veacuterifie raquo Il ne faut pas srsquoarrecircter agrave ce terme discreacutediteacute par la

perspective proposeacutee par Karl Popper promoteur du critegravere de laquo reacutefutabiliteacute raquo (anglais

laquo falsifiability raquo) lequel critegravere est une variante de la notion de laquo rectification raquo chez Gaston

Bachelard25 Le deacuteveloppement de ce que recouvre chez JG la notion de laquo clinique raquo montre

qursquoil srsquoagit bien de mettre agrave lrsquoeacutepreuve de tester et de soumettre des hypothegraveses agrave une

possible reacutefutation (Cf infra 156 la preacutesentation de la reacutefutation qui a conduit agrave la theacuteorie

de lrsquooutil) Lrsquoadverbe laquo seacutelectivement raquo indique drsquoailleurs que la reacutefutation procegravede par

seacutelection ndash exclusion drsquohypothegraveses

1 Justification de la perspective clinique

laquo Je tiens quil nest en matiegravere de culture dautre expeacuterience que clinique raquo 115 Cette

proposition est caracteacuteristique de lrsquoanthropologie clinique Son caractegravere restrictif invite

eacutevidemment agrave des deacutebats Cependant comme la thegravese est reprise et preacuteciseacutee plus bas en 131

je commenterai agrave ce moment-lagrave lrsquoensemble des propositions

laquo Non quagrave mes yeux le praticien soit larbitre obligeacute de nos dissensions intestines raquo Noter le

terme laquo praticien raquo 115 JG distingue en effet le rocircle du theacuterapeute qui est de soigner et le

rocircle du clinicien qui est drsquoexpliquer lrsquohumain agrave partir de ses pathologies Agrave ses yeux

cependant le clinicien est lrsquoarbitre des divergences theacuteoriques en sciences humaines

Le fil du propos de cet ouvrage preacutesente des nœuds on lrsquoa deacutejagrave constateacute Voici un essai de

deacutenouement de celui qui suit

laquo Le neurologue soucieux pour eacutetayer son diagnostic de prendre le langage comme on

prend par ailleurs ou la tempeacuterature ou la tension le psychiatre qui lui envie les leacutesions

nosographiquement seacutecurisantes de la moelle eacutepiniegravere ou du cortex sont de leur cocircteacute et par

formation peu enclins agrave reconnaicirctre la speacutecificiteacute dune pathologie ougrave dune part le malade

est agrave consideacuterer agrave la fois comme la serrure et la cleacute ougrave la raison nest plus seulement induite

mais produite ougrave le symptocircme nest interpreacutetable que parce quimplicitement interpreacuteteacute ougrave

le mecircme trouble dautre part change daspect selon le trouble auquel il advient quil soit

associeacute ougrave en vertu du jeu quasi teacuteratologique des compensations dans le cadre de leacutecono-

mie geacuteneacuterale des fonctions la carence ou la deacuteteacuterioration sont masqueacutees par la reacutesistance

25 laquo Scientifiquement on pense le vrai comme rectification historique dune longue erreur on pense lexpeacuterience comme rectification de lillusion commune et premiegravere raquo Bachelard Le nouvel esprit scientifique p 177

Dans La philosophie du Non p9 Bachelard deacutefinit la philosophie de la connaissance scientifique laquo comme la conscience drsquoun esprit qui se fonde en travaillant sur lrsquoinconnu en cherchant dans le reacuteel ce qui contredit des connaissances anteacuterieures (hellip) Lrsquoexpeacuterience nouvelle dit non agrave lrsquoexpeacuterience ancienne (hellip) Mais ce non nrsquoest jamais deacutefinitif pour un esprit qui sait dialectiser ses principes constituer en soi-mecircme des nouvelles espegraveces drsquoeacutevidences (hellip) raquo

Discours et meacutethode 29

que suscite chez le patient soit lintoxication provenant des capaciteacutes quil conserve soit le

blocage au stade preacutealablement atteint ougrave enfin et surtout lobjectiviteacute semble remise en

cause dun observateur qui simplique au risque bien connu de trahir ce quil traduit dun fait

que le pheacutenomegravene reacutevegravele moins quil ne le nie raquo 115 agrave 121

1re partie 1154-9 Le neurologue et le psychiatre sont laquo peu enclins agrave reconnaicirctre la

speacutecificiteacute dune pathologiehellip [culturelle] raquo pour plusieurs raisons

Le neurologue ne prend en compte la parole du patient qursquoau titre de symptocircme parmi

drsquoautres Mais il peut srsquoappuyer sur un tableau de leacutesions pour eacutetablir son diagnostic ce qui

nrsquoest pas le cas du psychiatre

2e partie 115 agrave 121 Deacuteveloppement du thegraveme de la laquo speacutecificiteacute raquo des pathologies de la

culture La seacuterie de laquo ougrave raquo eacutenumegravere les deacutefis auxquels sont confronteacutes tant le neurologue que

le psychiatre

- Le malade est laquo serrure et clef raquo 1159 Ce thegraveme est abondamment deacuteveloppeacute par JG agrave

propos de lrsquoaphasie Il ne srsquoagit pas de mesurer la distance entre ce que dit quelqursquoun de

normal (la clef de reacutefeacuterence) et ce que dit un aphasique (la serrure agrave ouvrir) mais de tester ce

qursquoest le raisonnement grammatical particulier de lrsquoaphasique laquo La raison nest plus seulement

induite mais produite raquo le clinicien nrsquoa pas agrave projeter sur le malade sa rationaliteacute de normal

mais agrave comprendre quel raisonnement particulier lrsquoaphasique produit

- laquo le symptocircme nest interpreacutetable que parce quimplicitement interpreacuteteacute raquo La compreacutehen-

sion de ce qursquoon observe suppose une hypothegravese sur ce qursquoest le fonctionnement aphasique

Or son raisonnement est laquo inconscient raquo et est inaccessible agrave lrsquoobservation directe Plutocirct que

drsquoaccumuler des donneacutees immeacutediatement observables il faut tester des hypothegraveses sur le

mode de fonctionnement pathologique de lrsquoaphasique

- Trouble et trouble laquo associeacute raquo 11512 Un exemple suivra agrave propos de lrsquoeacutecriture Une

incoheacuterence apparemment semblable dans lrsquoeacutecriture ne sera pas expliqueacutee de la mecircme

maniegravere lorsqursquoelle est associeacutee agrave un tableau drsquoaphasie et lorsqursquoelle est associeacutee agrave des

incoheacuterences dans la manipulation de divers outils crsquoest-agrave-dire dans le cadre drsquoune atechnie

Ailleurs JG insistera sur le fait que lrsquoobservation du seul langage ne suffit pas agrave diffeacuterencier la

fabulation (neacutevrotique) et le deacutelire (psychotique)26

- Thegraveme des laquo compensations raquo et des laquo reacutesistances raquo 1211-4 Ainsi un aphasique de

Wernicke tentera de compenser son manque de maicirctrise des diffeacuterences lexicales en ayant

recours agrave des peacuteriphrases (Abeille) laquo Crsquoest un oiseauhellip un oiseau de chez noushellip un oiseau agrave

miel quoi raquo Olivier Sabouraud Le langage et ses maux p 9527

- Thegraveme de laquo lrsquoobjectiviteacute raquo en sciences humaines 1214 Lrsquohumain tente drsquoobjectiver de

lrsquohumain Ce thegraveme est bien connu en sociologie le sociologue ne cesse pas drsquoecirctre un acteur

social sa preacutesence elle-mecircme dans un groupe peut modifier les relations agrave lrsquointeacuterieur du

groupe et biaiser son analyse Crsquoest aussi vrai sur les autres plans de la rationaliteacute y compris du

test aupregraves des aphasiques Le test laquo reacutevegravele raquo en partie la maniegravere de raisonner de

lrsquoobservateur et laquo nie raquo en cela ce qui speacutecifie le raisonnement du malade Cet effet de

projection est agrave prendre en compte

26 Jean Gagnepain 1985 laquo Clinique du deacutelire clinique de la fabulation raquo La psychiatrie franccedilaise

27 Cette personne eacutetait originaire du Val de Loire reacutegion ougrave lrsquoon deacutenomme lrsquoabeille laquo mouche agrave miel raquo ou laquo avette raquo Cf Jules Gillieacuteron 1918 Geacuteneacutealogie des mots qui deacutesignent lrsquoabeille

30 Une lecture de Jean Gagnepain

On peut aussi comprendre en termes de dialectique entre implicite et explicite la formule

laquo Le pheacutenomegravene reacutevegravele moins [le fait] qursquoil ne le nie raquo Le pheacutenomegravene directement constateacute en

lrsquooccurrence la parole de lrsquoaphasique en recherche de sens laquo nie raquo par les compensations qursquoil

preacutesente le trouble de la grammaire implicite qui est le laquo fait raquo que le clinicien cherche agrave

circonscrire

Suit la critique drsquoune attitude qui consisterait agrave additionner de la neurologie et de la linguis-

tique (des langues par ex) sans les remettre en cause sans comprendre que la speacutecificiteacute des

sciences humaines oblige agrave revoir la deacutemarche de lrsquoune et de lrsquoautre 122 Il ne srsquoagit pas de

mettre la linguistique dans le prolongement de la neurologie en croyant au laquo caractegravere uni-

voque de la relation de la culture et de lrsquoactiviteacute neuronale raquo 123 comme si la premiegravere eacutetait

un chapitre suppleacutementaire de la biologie classique (Voir plus loin notre Intermegravede 2)

laquo Les fonctions supeacuterieures ou mentales ne sont pas seacuteparables du corps du seul fait

qursquoelles nous distinguent de lrsquoanimal raquo 123 Cette phrase formule clairement le fait que la

theacuteorie de la meacutediation nrsquoest pas une anthropologie dualiste En ce sens elle nrsquoest pas

carteacutesienne JG utilisera ailleurs (et plus tard) le terme drsquoanthropo-biologie Ceci est un point

important agrave comprendre car lrsquoopposition laquo nature culture raquo pourrait laisser penser agrave tort agrave

un dualisme Pour JG la culture est une aptitude particuliegravere que permet la biologie de notre

espegravece agrave savoir lrsquoaptitude agrave la rationaliteacute Cette derniegravere est biologiquement conditionneacutee

Pour autant sa singulariteacute reacutesumeacutee par ce terme de laquo rationaliteacute raquo demande une

modeacutelisation diffeacuterente de celle que la biologie classique a eacutelaboreacutee pour expliquer les

fonctions et comportements y compris chez homo sapiens

JG forme lrsquohypothegravese que la neurologie agrave venir (nous sommes en 1980) permettra de

trouver laquo le conditionnement ceacutereacutebral raquo des pathologies psychiatriques 1233-7 La recherche

de la laquo localisation raquo recherche anatomique nrsquoest qursquoun aspect de la neurologie laquelle est

aussi une recherche de la laquo physiologie raquo du cerveau de sa biochimie et biophysique

(eacutelectrique) JG utilisait lrsquoexpression familiegravere suivante laquo On nrsquoest jamais malade que de sa

viande raquo Seule laquo helliplrsquoignorance raquo (de ce type de faits jusqursquoagrave preacutesent) relegravegue psychoses et

neacutevroses dans un laquo splendide isolement raquo

Je reviens sur la fin de la phrase laquo Les fonctions dites supeacuterieures ou mentales ne sont point

seacuteparables du corps du seul fait qursquoelles nous distinguent de lrsquoanimal raquo Attention au

contresens JG ne veut pas dire que lrsquohomme nrsquoest pas un animal Homo sapiens est un

animal parmi drsquoautres Il veut dire qursquoil est preacuteciseacutement laquo speacutecifieacute raquo de deux faccedilons Drsquoune

part conformeacutement agrave la notion biologique drsquoespegravece par des comportements particuliers qui

sont explicables par la biologie geacuteneacuterale de lrsquoanimaliteacute nous avons une gueule et un squelette

particuliers (anatomie) et une physiologie particuliegravere y compris de la perception de la

praxie de la meacutemoire ou de lrsquoaffect Et drsquoautre part Homo sapiens est laquo speacutecifieacute raquo par un

type laquo drsquoaptitude geacuteneacuterale raquo de laquo faculteacute raquo qui demande un autre mode drsquoexplication

irreacuteductible au preacuteceacutedent la rationaliteacute (ou culture) elle-mecircme eacuteclateacutee en quatre registres

JG se conforme agrave tort ou agrave raison agrave une terminologie courante qui distingue laquo lrsquoanimal raquo et

laquo lrsquohomme raquo Dans ces gloses je veille pour ma part agrave utiliser agrave propos de laquo lrsquohomme raquo (espegravece

animale) le terme laquo humain raquo pour deacutesigner ce qui relegraveve de la culture Il y a dans lrsquohomme de

Discours et meacutethode 31

laquo lrsquohumain raquo objet des sciences de la culture et aussi de lrsquoanimaliteacute speacutecifique objet de la

biologie de lrsquohomme28

laquo La psychologie de ce point de vue nest quun mythe ou dans le meilleur des cas un

chapitre mdash ducirct-il la bouleverser mdash de la biologie raquo 123

Ambiguiumlteacute du terme laquo psychologie raquo Entendu dans un sens eacutetymologique comme laquo science

de lrsquoesprit raquo et dans un cadre dualiste (philosophique) qui seacutepare radicalement corps et

laquo esprit raquo crsquoest un mythe Dans une perspective moniste lrsquoobligation qursquoa la psychologie de

rendre compte de sa relation agrave la biologie demande un renouvellement de la deacutefinition mecircme

de la biologie Cette reacutevolution conceptuelle nrsquoest pas faite selon JG puisque la biologie tend

toujours agrave ramener la culture agrave ce qursquoelle comprend des fonctions naturelles donc agrave en nier la

speacutecificiteacute Ceci inclut eacutevidemment lrsquoeacutethologie et ce qursquoon appelle aujourdrsquohui laquo les sciences

cognitives raquo

Apregraves avoir traiteacute de lrsquoattitude des biologistes et des meacutedecins JG porte un regard critique

sur les diverses laquo psychotheacuterapies raquo 124

laquo Ihomeacuteotheacuterapie raquo 124 Le terme prend un sens particulier agrave lrsquoauteur fondeacute sur le grec

laquo homoios raquo (semblable) laquo Lrsquoexcegraves raquo (de ce qursquoil appelle laquo la faune parameacutedicale raquo) consiste agrave

eacutetendre abusivement au champ des theacuterapies la porteacutee de lrsquoexplication laquo litteacuteraire raquo Jacques

Lacan est ici viseacute Autrefois on imputait familiegraverement agrave la lune une influence morbide On

aurait seulement changeacute drsquoimaginaire et de formulation Les laquo Nuits raquo 124 sont un groupe de

quatre poegravemes drsquoAlfred de Musset

laquo Entendons-noushellip raquo 125 et 131 JG preacutecise ce qui distingue le theacuterapeute et

laquo lrsquoanthropologue clinicien raquo Lrsquoun traite la maladie laquo le meacutedecin sera toujours le seul

theacuterapeute raquo Lrsquoautre cherche agrave expliquer Il faut toujours garder en meacutemoire que la clinique

est pour Jean Gagnepain un lieu et une meacutethode drsquoexplication exclusivement sans aucune

preacuteoccupation theacuterapeutique

laquo De celui que nous proposonshellip il devra rester le garant raquo 131 Paraphrase laquo Le

theacuterapeute devra rester le garant du modegravele mecircme srsquoil nrsquoen est pas lrsquoauteur raquo lequel auteur

reste Jean Gagnepain

Le pouvoir heuristique de la clinique

Je regroupe maintenant trois propos centreacutes sur le thegraveme du pouvoir heuristique particulier

de la clinique 131

laquo Notre postulat est] de nadmettre et de nimputer au systegraveme dautres dissociations que

celles qui sont pathologiquement veacuterifiables raquo Crsquoest laquo seulement le trouble du fonctionnement

qui permet gracircce agrave lrsquoexamen drsquoen seacuteparer les processus raquo Ainsi que plus haut laquo Je tiens quil

nest en matiegravere de culture dautre expeacuterience que clinique raquo 115

Ces trois propos ont en commun drsquoecirctre restrictifs dans le but manifeste de souligner

lrsquoapport privileacutegieacute de la clinique agrave lrsquoanthropologie et lrsquooriginaliteacute de la TdM Cependant il ne

28 Cf Patrice Gaborieau et Laurence Beaud 2016 laquo Lrsquoarbre qui cache la forecirct De lrsquoorigine du langage agrave la speacutecificiteacute de lrsquohumain raquo Teacutetralogiques ndeg21 Existe-t-il un seuil de lrsquohumain p135-169 Numeacutero teacuteleacutechargeable sur httpwwwressourcesuniv-rennes2frciaphstetralogiques

32 Une lecture de Jean Gagnepain

faut pas non plus y voir une sorte de slogan geacuteneacuteral sur le mode laquo Hors de la clinique point de

salut raquo29

En effet JG parle ici laquo drsquoexpeacuterience raquo en un sens particulier Nrsquooublions pas que la culture

est pour lui laquo une formalisation incorporeacutee raquo 65 Il veut donc dire que seule la pathologie

laquo deacutecoupe raquo la reacutealiteacute culturelle normalement veacutecue globalement La pathologie est seacutelective

elle nrsquoaffecte lrsquohumain que partiellement Et crsquoest le seul moyen selon lrsquoauteur drsquoobserver une

dissociation factuelle des processus culturels 131 Tout le travail consiste agrave savoir en quoi

consiste ce deacutecoupage

Cela dit toute mise agrave lrsquoeacutepreuve drsquoune hypothegravese sur un comportement culturel ne relegraveve

pas de ce qursquoil entend ici par laquo expeacuterience raquo Les sciences humaines ne se reacuteduisent pas agrave cette

laquo expeacuterience raquo clinique JG lui-mecircme ne se prive pas drsquoavoir abondamment recours dans sa

theacuteorie du signe agrave lrsquoobservation du fonctionnement normal Ici peut srsquoouvrir un deacutebat dans

lequel je nrsquoentrerai pas sur ce qursquoon entend par laquo meacutethode expeacuterimentale raquo en sciences

humaines et plus geacuteneacuteralement sur la relation entre laquo explication raquo et meacutethode

expeacuterimentale

Trois deacutetails du texte demandent attention en 131

- Le terme laquo dissociations raquo est ici geacuteneacuterique et ne deacutesigne pas seulement la dissociation

des quatre plans de meacutediation que propose le modegravele Il renvoie agrave lrsquoensemble des processus

culturels tels que les laquo phases axes et faces raquo qui seront preacutesenteacutes par la suite

- Le terme laquo postulat raquo a le sens drsquohypothegravese geacuteneacuterale servant de fondement au modegravele ici

agrave sa meacutethodologie mais qui relegraveve du critegravere de reacutefutabiliteacute comme toute hypothegravese

- Ceci mrsquoamegravene au terme laquo veacuterifiables raquo JG utilise le terme de laquo veacuterification clinique raquo agrave

propos de la mise agrave lrsquoeacutepreuve de ses hypothegraveses Voir supra le commentaire de 114 Les

eacutetudes cliniques meneacutees dans le cadre de la TdM proposent une meacutethodologie qui preacutesente

une alternative entre confirmation et reacutefutation drsquoune hypothegravese dans une dynamique

constante entre theacuteorie et tests30

De la nature

laquo hellipIl serait artificiel de preacutetendre abstraire la dialectique [culturelle] de la nature qui en est

bel et bien le premier moment raquo 132 Il srsquoagit de deacutefinir le statut de la nature (biologique)

dans la dialectique La dialectique de la culture part du laquo premier moment raquo qursquoest la nature

(laquo Empyreacutee raquo = domicile des dieux) Encore une fois il est important de ne pas donner au

terme laquo moment raquo le sens laquo drsquoeacutetapes raquo mais celui de position dans la dialectique

laquo Crsquoest lagrave [dans sa nature] que lrsquohumain srsquoarticule que le seuil ou non se franchit dune

Gestalt ou totaliteacute positive eacuteventuellement traitable par seacuteriation agrave la structure qui deacutefinie sur

la seule base doppositions et de contrastes na dautre statut que formel raquo

Lire ainsi expliquer lrsquohumain suppose le laquo franchissement dlsquoun seuil raquo le passage drsquoun ordre

drsquoexplication agrave un autre entre drsquoune part lrsquoaptitude naturelle agrave la laquo Gestalt raquo et drsquoautre part

29 En amorce de deacutebat lire Jean-Claude Schotte La raison eacuteclateacutee laquo Il arrive agrave certains penseurs de preacutetendre qursquoune anthropologie ne peut ecirctre scientifique qursquoagrave la seule condition drsquoecirctre clinique (hellip) Personnellement nous ne deacutefendrons pas cette convictionhellip raquo p70 laquo Le recours agrave la clinique nrsquoest pas une garantie de scientificiteacute car la penseacutee clinique nrsquoest qursquoune penseacutee elle peut ecirctre scientifique comme elle peut ecirctre mythique raquo p 86

30 Sur la meacutethodologie de lrsquoapproche clinique et sa neacutecessaire dynamique on lira avec profit Attie Duval-Gombert amp Christine Le Gac-Prime 1997 laquo Du modegravele Theacuteorie et clinique La neacutecessiteacute de leur reacuteciprociteacute raquo Teacutetralogiques 11 Souffrance et discours Rennes Les PUR p 173-190

Discours et meacutethode 33

lrsquoaptitude culturelle agrave la laquo structure raquo Le terme de laquo Gestalt raquo fait penser ineacutevitablement au

sens que lui donne la psychologie de la perception agrave savoir la capaciteacute cognitive agrave percevoir

une laquo entiteacute raquo comme une laquo globaliteacute raquo deacutelimiteacutee par son contraste avec un laquo fond raquo Jrsquoeacutevite ici

le terme de laquo forme raquo agrave cause de la suite Mais JG lrsquoassocie au laquo semeion raquo aristoteacutelicien qui

implique un indice et un meacutecanisme drsquoinfeacuterence31 Le terme laquo positif raquo est le terme important

Cette positiviteacute est laquo traitable par seacuteriation raquo 132 Lrsquoauteur anticipe ici la notion de symbole

ougrave une laquo entiteacute raquo gestaltique perccedilue agrave un moment donneacute renvoie par association ou contiguiumlteacute

agrave une autre entiteacute non perccedilue (infra 252) La fumeacutee visible au loin fait penser au feu mecircme

invisible laquo Aliquid stat pro aliquo raquo dit-on depuis lrsquoAntiquiteacute (mais comme une deacutefinition du

laquo signe raquo ndash lagrave est lrsquoerreur)

laquo La structure deacutefinie sur la seule base drsquooppositions et contrastes nrsquoa de statut que

formel raquo La structure est purement constitueacutee drsquoeacuteleacutements deacutefinis laquo neacutegativement raquo les uns par

rapport aux autres (Saussure) Le terme de laquo neacutegativiteacute raquo signifie que crsquoest la deacutelimitation qui

creacutee lrsquoeacuteleacutement et non lrsquoentiteacute globale comme dans un fait de gestalt Soit la meacutetaphore du

filet crsquoest le fil qui fait la maille Celle-ci est un espace vide et neacuteanmoins deacutefini Attention

aussi agrave la polyseacutemie du terme de laquo forme raquo qui est ailleurs la traduction usuelle de laquo Gestalt raquo

La laquo forme raquo gestaltique est un contenu global homogegravene laquo saillant raquo par rapport agrave un fond

La laquo forme raquo structurale est un cadre de deacutelimitations vide en son inteacuterieur

laquo La collaboration dun partenaire sans qui le passeacute la montreacute nous serions condamneacutes agrave

la dichotomie raquo 132 Le partenaire est le biologiste voire le laquo psychologue raquo de la Gestalt ou

le pheacutenomeacutenologue Sans la prise en compte du fait biologique comme premier moment de la

dialectique culturelle on serait conduit agrave ne concevoir qursquoun dualisme laquo corps ndash esprit raquo ou

laquo nature ndash culture raquo ce dont teacutemoigne lrsquohistoire de la philosophie

2 Lrsquoapport des aphasies

JG refuse de distinguer laquo une linguistique pour ainsi dire ‟sans qualiteacutesrdquo raquo drsquoune

laquo ‟neurolinguistiquerdquo qui se contenterait de lrsquoexploiter raquo 133 Pour lui la seule laquo linguistique raquo

ou plus exactement la laquo glossologie raquo doit ecirctre clinique

Une linguistique laquo Sans qualiteacutes raquo JG reprend ici le titre de lrsquoouvrage de Robert Musil (Der

Mann ohne Eigenschaften) comme synonyme drsquoune laquo linguistique geacuteneacuterale raquo voueacutee agrave la

theacuteorisation des langues

Une neurolinguistique laquo hellipqui se contenterait de lexploiter raquo Critique drsquoune

neurolinguistique qui emprunterait un modegravele issu de la linguistique geacuteneacuterale (des langues)

pour tenter drsquoobserver le comportement aphasique sans remettre en question un tel modegravele

et tout particuliegraverement la confusion constante entre le plan du logos et celui du social

laquo Point de theacuteorie sans pratique et reacuteciproquementhellipthinspraquo Tout systegraveme laquo helliptire ses

deacutecouvertes de sa propre rigueur raquo JG met en balance les deux aspects de la deacutemarche

scientifique Drsquoun cocircteacute neacutecessiteacute drsquoune pratique et de lrsquoautre neacutecessiteacute drsquoun modegravele

theacuteorique rigoureusement coheacuterent

Dans la suite du texte sous le nom de laquo bilan raquo 134 JG expose successivement drsquoun

point de vue clinique les grandes articulations de sa theacuteorie du signe qui vise agrave expliquer laquo ce

que Dire veut dire raquo (Cf Quand dire crsquoest dire titre de lrsquoouvrage de Reneacute Jongen De Book

31 Aristote Organon Peri Hermeneias (De lrsquoInterpreacutetation) 16a 4

34 Une lecture de Jean Gagnepain

1994) Agrave savoir la dialectique (la bipolariteacute grammaire rheacutetorique) lrsquoexistence et la relation

entre deux laquo faces raquo du grammatical (distinction issue des concepts de laquo signifieacute et de

signifiant raquo chez Saussure) et la distinction entre deux axes drsquoanalyse analyse diffeacuterentielle et

segmentale

laquo Le constathellip que lrsquoaphasique nrsquoest point muet nrsquoavait jamais trouveacute qursquoune pseudo-

explication dans la dissociation automatico-volontaire raquo 134 Il srsquoagit drsquoune observation

classique un malade peut produire un propos laquo coheacuterent pour lrsquoobservateur raquo srsquoil est eacutemis

spontaneacutement mais pas en reacuteponse agrave une question Tel aphasique de Wernicke ne peut

reacutepondre agrave la question laquo Comment srsquoappelle votre mari raquo puis se tourne vers lui et lui dit

laquo Mon pauvre Jean je ne trouve mecircme plus ton nom raquo La laquo dissociation raquo en question reacutesume

lrsquoobservation et John Hughlings Jackson qui lrsquoa promue pensait que ce paradoxe eacutetait heuris-

tique parce qursquoil montrait le contraste entre un fait pathologique cacheacute et la reacutesistance au

trouble sous la forme drsquoautomatismes JG y voit une laquo pseudo-explication raquo sans doute en ne

srsquoattachant qursquoagrave la formule elle-mecircme

La dialectique et la bipolariteacute Apport des aphasies

laquo Si la faculteacute (hellip) qui reste au malade drsquoeacutemettre et drsquoentendre du son voire drsquoy faire

globalement correspondre un sens nrsquoest point (hellip) inaccessible agrave lrsquoanimal elle suffit [au

malade] pour qursquoon puisse continuer en situation agrave deacutesigner ce qursquoon ne signifie plus raquo 134

Lrsquoaphasique conserve lrsquoaptitude naturelle agrave infeacuterer drsquoun son ou drsquoun geste une autre informa-

tion que JG appelle laquo symbole raquo Donc il se peut que la situation lui permette drsquoassocier

laquo verre raquo agrave lrsquoobjet sans que cela soit pour lui un laquo mot raquo mais seulement un symbole Ce qui

en revanche fera deacutefaut agrave lrsquoaphasique crsquoest la possibiliteacute de jouer de la polyseacutemie du mot

laquo verre raquo hors situation car la maicirctrise de lrsquoimproprieacuteteacute grammaticale lui fait deacutefaut

Cela dit ce passage introductif preacutesente certaines approximations corrigeacutees par la suite

Premiegravere approximation Le deacutebut de la phrase deacutecrit la relation naturelle dans le symbole

entre ce que JG appellera plus loin laquo lrsquoindice raquo et son laquo sens raquo (146 151 252 et sq) Le

terme laquo sens raquo ne relegraveve pas ici de la laquo seacutemantique raquo crsquoest-agrave-dire de la laquo deacutesignation raquo dans la

dialectique du signe ou du laquo sens raquo conceptuel tel qursquoon lrsquoentend drsquoordinaire Ce passage ne

retrouve sa coheacuterence que si lrsquoon rend le terme laquo deacutesigner raquo synonyme de laquo pointer du

doigt raquo Le malade fait preuve de symbolisme et non de signification Seconde approximation

JG observe par ailleurs que lrsquoaphasique nrsquoest atteint que dans une partie de la grammaire

selon qursquoil est de type Broca ou Wernicke et que cela lui permet de compenser Par

conseacutequent tout aphasique est capable drsquoun raisonnement seacutemantique (tronqueacute) sur la base

de ce qui lui reste de grammaire Crsquoest cette seacutemantique qui est deacutefinie plus loin comme la

capaciteacute culturelle de laquo deacutesignation raquo et non la capaciteacute naturelle de symbole Par ailleurs le

fait que les observations portent en geacuteneacuteral sur des images drsquoobjets fabriqueacutes standardiseacutes est

agrave prendre en compte La performance du malade est faciliteacutee du fait qursquoil conserve intacte sa

laquo saisie raquo des structures techniques et des conventions

Lrsquoaphasique laquo hellipperd justement lrsquoimproprieacuteteacute gracircce agrave laquelle il la classe ou lengendre raquo

142 Paraphrase laquo Gracircce agrave lrsquoimproprieacuteteacute le signe classe et engendre ce qursquoil dit raquo Crsquoest-agrave-

dire La capaciteacute de laquo dire raquo de par la capaciteacute drsquoanalyse implicite (la grammaire) transforme

lrsquoexpeacuterience en abstraction Ce qui est dit est deacutelimiteacute qualitativement par ce qui pourrait ecirctre

dit autrement le concept reacutesulte drsquoun classement Et tout propos est deacutelimiteacute quantitative-

ment par ce qui le seacutepare de ce qui pourrait ecirctre dit en plus lrsquoeacutenonceacute reacutesulte drsquoun

Discours et meacutethode 35

engendrement Le laquo ou raquo drsquoalternative est lagrave pour rappeler que lrsquoune des aphasies affecte

seacutelectivement laquo le classement raquo et lrsquoautre seacutelectivement laquo lrsquoengendrement raquo Ce dernier

terme calque lrsquoanglais laquo to generate raquo populariseacute par Noam Chomsky

laquo Ce nest point le stockage ou la reacutepeacutetition qui chez lui sont atteints non plus que laptitude

agrave hieacuterarchiser concepts ou propositions mais bien celle danalyser cest-agrave-dire de structurer

des mots raquo 143 JG eacutenumegravere des proprieacuteteacutes du message lieu notamment du raisonnement

seacutemantique Lrsquoaphasique reste capable drsquoun tel raisonnement qui est de lrsquoordre de lrsquoexplicite

Ce qui est perdu dans lrsquoaphasie est de lrsquoordre de la structure formelle des laquo mots raquo (ou des

phonegravemes) Une telle formulation dans sa geacuteneacuteraliteacute peut sembler contradictoire avec la

thegravese de la dialectique en ce sens que toute seacutemantique suppose une grammaticaliteacute et

reacuteciproquement Lrsquoobservation est cependant exacte parce que lrsquoaphasique ne perd qursquoune

partie de la grammaticaliteacute et compense la perte drsquoun des axes drsquoanalyse par lrsquoanalyse qui

reste intacte

La distinction des deux faces Apport des aphasies

laquo Encore quehellip raquo 144 JG parle dans ce passage de la distinction entre aphasie phono-

logique et aphasie seacutemiologique Ces deux termes distinguent ce que Saussure appelait les

deux laquo faces du signe raquo meacutetaphore imageacutee du recto et du verso drsquoune piegravece de monnaie ou

drsquoune feuille de papier En termes scolaires actuels il y aurait drsquoun cocircteacute la structure des

phonegravemes et de lrsquoautre ce que lrsquoon regroupe sous les appellations de lexique morphologie et

syntaxe agrave savoir dans le vocabulaire de la glossologie lrsquoensemble des faits grammaticaux

laquo seacutemiologiques raquo

Lrsquoallusion agrave la distinction classique laquo aphasies sensorielle ou motrice raquo est quelque peu

surprenante puisqursquoelle est plutocirct synonyme drsquoaphasie de Wernicke et drsquoaphasie de Broca

dans la litteacuterature neurologique La premiegravere est lieacutee agrave des leacutesions du lobe temporal proche

des zones auditives et des zones parieacutetales laquo postrolandiques raquo qui controcirclent la sensorialiteacute

La seconde est lieacutee agrave des leacutesions du lobe frontal en immeacutediate proximiteacute de la zone frontale

laquo preacuterolandique raquo responsable de la motriciteacute Par ailleurs une observation drsquoaphasiques

superficielle mais trompeuse montre que le Wernicke est bavard et le Broca taciturne Pour

JG tout cela ne relegraveve pas de lrsquoexplication des processus en cause

Jrsquoai eacutecrit volontairement laquo est lieacutee raquo dans cette reacutefeacuterence rapide agrave la neurologie de lrsquoeacutepoque

de lrsquoouvrage JG pour sa part srsquoappuie sur lrsquoobservation de ce qui est dit et non pas sur des

localisations ceacutereacutebrales qui sont lrsquoaffaire des neurologues Les neurologues actuels deacuteclarent

volontiers abandonner le laquo localisationnisme raquo et mettent en avant lrsquoorganisation en reacuteseau

des systegravemes neuronaux ainsi que la plasticiteacute neuronale voire lrsquoimportance sous-estimeacutee des

cellules gliales On peut au contraire soutenir que lrsquoengouement pour lrsquoimagerie ceacutereacutebrale est

une nouvelle forme de localisationnisme exacerbeacute32 Au lieu de localiser des zones on localise

des circuits (Voir infra lrsquointermegravede 2)

[On a souvent qualifieacute] laquo hellipdrsquoimmanencehellip raquo [la relation entre les deux faces du grammati-

cal] Saussure a insisteacute sur le fait que le fonctionnement du signe (du grammatical) eacutetait

interne laquo sui generis raquo Crsquoest pourquoi il a proposeacute deux neacuteologismes celui de laquo signifiant raquo

pour bien montrer qursquoil ne srsquoagit pas de son et celui de laquo signifieacute raquo parce qursquoil ne srsquoagit pas

32 Cf Hugues Duffau 2016 Lrsquoerreur de Broca Exploration drsquoun cerveau eacuteveilleacute eacuted Michel Lafon Encore faut-il faire la part de la provocation ou de la fausse eacutevidence dans le titre de cet ouvrage deacutemarqueacute de Lrsquoerreur de Descartes drsquoAntonio Damasio en 1995 Un jour viendra ougrave quelqursquoun drsquoautre eacutecrira laquo Lrsquoerreur de Duffau raquo

36 Une lecture de Jean Gagnepain

de sens On ne peut expliquer ni lrsquoun ni lrsquoautre par un critegravere externe agrave leur interaction Le

signifiant srsquoexplique par le signifieacute et le signifieacute par le signifiant Crsquoest pourquoi JG preacutefegravere le

terme de laquo reacuteciprociteacute raquo sans reacutecuser la notion drsquoimmanence (Une explication plus deacutetailleacutee

montrera comment on eacutechappe agrave la circulariteacute apparente du raisonnement)

laquo Ni le son ni le sens ne se deacutefinissant sur la base de leur contenu il faut bien que

chacun drsquoentre eux trouve dans lrsquoautre son critegraverehellip raquo 145 JG veut dire qursquoil parle du

signifiant (et non de son) et du signifieacute (et non de sens symbolique) crsquoest-agrave-dire de faits

grammaticaux Chaque face du grammatical laquo trouve dans lrsquoautre son critegravere raquo Il est bien

difficile de commenter rapidement ce passage qui reacutesume lrsquoexposeacute des pages 31-34 Je

propose ici un exemple pour chaque face Un bon peintre sait qursquoil faut appliquer

plusieurs couches de peinture Voici la premiegravere dans cette couleur Il y en aura drsquoautres

apregraves repos

(1) Une distinction de lrsquoordre du signifieacute est laquo gageacutee authentifieacutee raquo gracircce au critegravere de

DENOTATION qui consiste agrave repeacuterer un changement correacutelatif de phonegravemes je sais que le

couple laquo Je lui parle je leur parle raquo oppose un singulier agrave un pluriel parce que je constate le

changement correacutelatif des deux derniers phonegravemes (l)ɥi en (l)œr de ces morphegravemes

indicateurs par ailleurs de la 3e personne

(2) Une distinction de lrsquoordre du signifiant est laquo gageacutee authentifieacutee raquo par le critegravere de

PERTINENCE qui consiste agrave repeacuterer un changement correacutelatif de laquo mots raquo (qursquoil srsquoagisse de

lexique de morphologie ou de syntaxe) je sais que le phonegraveme a est distinct du phonegraveme

ε parce que je constate que le passage de lrsquoun agrave lrsquoautre provoque systeacutematiquement les

changements de laquo mots raquo suivants laquo rat raie il viendra il viendrait il en a il en est raquo etc

laquo (hellip) Il devient aiseacute par-lagrave dexpliquer la saisie alterneacutee de la marque tantocirct comme vecteur

du segraveme tantocirct comme la chaicircne de ses constituants raquo 145 Ex kanalize peut ecirctre envisageacute

(laquo saisi raquo) soit comme le laquo garant raquo de lrsquoidentiteacute du verbe laquo canaliser raquo au nom du critegravere de

deacutenotation soit comme lrsquoenchaicircnement de 8 phonegravemes dont il faudrait prouver la deacutefinition

par le critegravere de pertinence ce que ne permet pas cette seule observation Agrave strictement

parler ou bien on saisit laquo la marque raquo qui nrsquoexiste qursquoen tant que gage drsquoun eacuteleacutement ndash point

de vue du seacutemiologue ndash ou bien on saisit une laquo chaicircne raquo de phonegravemes crsquoest-agrave-dire une

multipliciteacute drsquoeacuteleacutements ndash point de vue du phonologue laquo Lrsquoalternative raquo tient agrave la solidariteacute des

deux faces ce qui est marque est fait de phonegravemes et le phonegraveme nrsquoest tel qursquoen raison de sa

laquo pertinence raquo

laquo On y verra largument qui permet deacutechapper aussi bien agrave lisomorphisme quagrave la double

articulation raquo 145

laquo hellipeacutechapper agrave lrsquoisomorphisme raquo il y a laquo isomorphisme raquo entre deux ordres diffeacuterents de

faits systeacutematiques quand ils preacutesentent tous les deux un paralleacutelisme dans leurs relations Il y

a isomorphisme dans le systegraveme coloreacute des feux de circulation agrave la triade de couleurs laquo vert ndash

orange ndash rouge raquo correspond respectivement la triade des injonctions laquo passage ndash attention ndash

arrecirct raquo En voici maintenant un exemple grammatical Certaines laquo paires minimales raquo (de mots)

utiliseacutees pour prouver une diffeacuterence de phonegravemes apparaissent comme un fait

drsquoisomorphisme en ce sens qursquoagrave une opposition eacuteleacutementaire phonologique correspond une

opposition eacuteleacutementaire seacutemiologique Ex lrsquoopposition u ne oslash est prouveacutee par la paire de

mots simples laquo houx raquo ne laquo œufs raquo et reacuteciproquement la diffeacuterence entre ces deux mots est

prouveacutee par la diffeacuterence de ces seuls deux phonegravemes Toutefois ceci est une deacutemonstration

Discours et meacutethode 37

trompeuse parce qursquoincomplegravete En effet ce nrsquoest qursquoun cas particulier non geacuteneacuteralisable et

jrsquoai artificiellement neacutegligeacute les homophones (Ou ougrave eux) Sinon le lexique ne comporterait

que des mots drsquoun seul phonegraveme soit en tout quelques dizaines de mots seulement

Lrsquoabsence drsquoisomorphisme entre phonologie et seacutemiologie est prouveacutee par les milliers

drsquoeacuteleacutements seacutemiologiques morphegravemes et lexegravemes qui sont construits avec plusieurs

phonegravemes deux dans laquo nous nœud sous ceux raquo une consonne srsquoajoutant pour construire

la marque du mot et plus bien entendu

laquo hellipeacutechapper agrave la double articulation raquo 145 Reacutefeacuterence est faite ici singuliegraverement agrave la

theacuteorie grammaticale drsquoAndreacute Martinet qui hieacuterarchise chacune des deux structures en

question Reacutefeacuterence est faite aussi plus geacuteneacuteralement agrave toute theacuteorie en laquo niveaux raquo

drsquoanalyse En laquo linguistique fonctionnaliste raquo (Andreacute Martinet) lrsquoanalyse possible en

laquo monegravemes raquo qui sont les eacutequivalents approximatifs des laquo segravemes raquo de JG ou identiteacutes

minimales seacutemiologiques sont pour cet auteur un premier niveau drsquoanalyse et lrsquoanalyse en

phonegravemes un second niveau Cette ideacutee repose sur le simple constat de la dimension

observable des eacuteleacutements envisageacutes Un mot est geacuteneacuteralement construit avec plusieurs

phonegravemes un phonegraveme est plus rarement le lieu drsquoimplantation de plusieurs laquo monegravemes

segravemes raquo Ce fait existe cependant on lrsquoappelle laquo amalgame raquo laquo a raquo dans laquo il en a raquo fusionne

plusieurs informations il srsquoagit (1) du verbe laquo avoir raquo et pas drsquoun autre (2) du preacutesent et pas

du futur laquo aura raquo (3) de la 3e personne (ne de laquo ai raquo) (4) drsquoun singulier de la personne (ne de

laquo ont raquo)

La position de JG est diffeacuterente et srsquoappuie sur deux arguments Drsquoune part il fait obser-

ver que le principe drsquoanalyse est le mecircme dans les deux cas et que chaque analyse requiert

eacutegalement un principe drsquoabstraction Ce sont donc deux aspects de la dialectique du signe

drsquoeacutegale importance Drsquoautre part il fait observer que chaque structure fournit agrave lrsquoautre le

moyen drsquoexister De cette reacuteciprociteacute entre faces JG conclut agrave une eacutegale importance et agrave

lrsquoinutiliteacute explicative de la notion de laquo niveau raquo au-delagrave des apparences

Ne perdons pas de vue la teneur du propos de JG Il fait ici un bilan de lrsquoapport pour la

linguistique de lrsquoexplication des aphasies En derniegravere instance ce qui agrave ses yeux deacutement une

hieacuterarchisation des deux faces en deux niveaux crsquoest le fait que lrsquoon ne peut pas hieacuterarchiser

une aphasie phonologique et une aphasie seacutemiologique Il srsquoagit de deux tableaux cliniques

distincts La premiegravere lorsqursquoil srsquoagit drsquoune aphasie de Wernicke a aussi eacuteteacute distingueacutee

classiquement sous le nom laquo drsquoaphasie de conduction raquo JG et O Sabouraud la deacutefinissent

comme une aphasie de Wernicke phonologique33

La dualiteacute des faces du signe srsquoorigine dans la dualiteacute du symbole 146 - 15 JG

reprend ici une deacutefinition meacutedieacutevale du symbole (classiquement toujours appeleacute

laquo signum raquo) laquo Aliquid stat pro aliquo raquo (Quelque chose est mis pour autre chose) Les

Grecs appelaient laquo suacutembolon raquo divers signaux de reconnaissance comme par exemple

un jeton casseacute en deux dont chaque partie eacutetait conserveacutee par deux familles ou deux

hocirctes en teacutemoignage drsquoamitieacute Le jeton devient laquo lrsquoindice raquo de ce lien social qui est son

laquo sens raquo La tradition philosophique remonte notamment agrave Guillaume drsquoOckham 34 et

33 Cf O Sabouraud Le langage et ses maux 114-128 138-139 etc

34 Moine franciscain philosophe et theacuteologien consideacutereacute comme repreacutesentant de lrsquoeacutecole scolastique nominaliste laquo Le rasoir drsquoOckham raquo est resteacute ceacutelegravebre et reacutefegravere agrave la proposition suivante (1319) laquo Pluralitas non est ponenda sine necessitate raquo (Une pluraliteacute ne doit pas ecirctre poseacutee sans neacutecessiteacute) In Quaestiones et decisiones in quatuor

38 Une lecture de Jean Gagnepain

passe par la Logique de Port-Royal (Arnault amp Nicole) laquo Car la mecircme chose pouvant ecirctre

en mecircme temps amp chose amp signe peut cacher comme chose ce quelle deacutecouvre comme

signe Ainsi la cendre chaude cache le feu comme chose amp le deacutecouvre comme signe thinspraquo

Roman Jakobson y fait reacutefeacuterence dans ses Essais de linguistique geacuteneacuterale p 162 Mais

contrairement agrave cette tradition qui en fait une proprieacuteteacute du signe (theacuteorie de la

laquo suppositio raquo du latin laquo sup-ponere raquo laquo mettre agrave la place de raquo) JG en fait une capaciteacute

cognitive naturelle accessible agrave drsquoautres espegraveces Crsquoest drsquoailleurs ainsi qursquoil rend compte

des performances des primates savants Attention donc agrave la terminologie y compris au

terme laquo sens raquo JG nrsquoutilise par la suite le terme laquo sens raquo qursquoen dehors du langage

comme synonyme de laquo direction viseacutee raquo que comporte le symbole Du texte de Port-

Royal JG ne retient que la fin lrsquohomme est capable laquo drsquoeacutevider raquo la vision de la cendre

(ce que JG appelle laquo lrsquoindice raquo) pour en infeacuterer la preacutesence du feu (ce qursquoil appelle laquo le

sens raquo) Ailleurs JG parlera du symbole comme de la capaciteacute laquo drsquoimaginaire raquo 252 sans

pour autant limiter cela agrave de la vision

laquo Crsquoest le principe mecircme de lrsquoarticulation [=analyse] qui lrsquoinstaure [le signe]hellip raquo 151 Crsquoest le

principe drsquoanalyse creacuteant une relation dialectique entre implicite et explicite grammaire et

rheacutetorique qui fait passer du symbole au signe (et donc au langage) et non pas la relation

laquo vectorielle raquo symbolique entre un indice sensible et lrsquoinformation qursquoil apporte par

laquo imagination raquo Le symbole a une orientation de lrsquoindice vers le sens en outre eacutetant seacuteriel il

peut ne pas se limiter agrave deux eacutetapes En revanche le signe est recentreacute sur lui-mecircme donc

strictement duel chaque face renvoyant agrave lrsquoautre qui lui fournit le critegravere de ses deacutelimitations

Le signe est laquo clos immanent raquo et biface

Le principe drsquoanalysehellip

laquo hellipcreacuteant le mecircme intelligiblehellip raquo La structure phonologique eacutetant structure abstraite au

mecircme titre que la structure seacutemiologique relegraveve aussi de laquo lrsquointelligible raquo et non du sensible

sonore Le phonegraveme ne srsquoentend pas il se comprend dans ce qursquoon entend Lrsquoaphasie

phonologique le montre bien ce nrsquoest un trouble ni de la perception ni de la prononciation

mais bien de la maicirctrise des deacutelimitations abstraites entre phonegravemes

laquo hellipne saurait eacuteconomiquement en ordonner les manifestations raquo cette critique renvoie agrave

la base du raisonnement quantitatif des theacuteories des niveaux raisonnement qui hieacuterarchise le

niveau des phonegravemes le niveau des mots voire le niveau des phrases gracircce agrave une

quarantaine de phonegravemes on peut construire laquo eacuteconomiquement raquo des milliers de mots avec

lesquels on peut construire eacuteconomiquement une infiniteacute de phrases JG privileacutegie dans son

explication le fait qursquoun mecircme principe de fonctionnement deacutefinit les deux faces

Les deux axes drsquoanalyse Apport des aphasies

laquo Trouble de similariteacute et trouble de contiguiumlteacute raquo 1526-7 Dans ce paragraphe JG reacutecuse

les deacutefinitions proposeacutees par Roman Jakobson dans laquo deux aspects du langage et deux types

drsquoaphasies raquo in Essais de linguistique geacuteneacuterale (laquo Nous lrsquoavons vu raquo reacutefegravere au propos tenu en

104 laquo les processus explicites de seacutelection et de preacutedication raquo)

laquo Lrsquointersection des deux capaciteacutes en lesquelles pathologiquement se reacutesout la

grammaire raquo 153 Seule la pathologie parce qursquoelle affecte seacutelectivement tel axe en

libros Sententiarum cum centilogio theologico livre II Variante laquo Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem raquo (il ne faut pas multiplier les entiteacutes sans neacutecessiteacute)

Discours et meacutethode 39

preacuteservant lrsquoautre laquo reacutesout raquo (= deacutecompose en ses parties) une grammaire qui fonctionne

globalement chez le normal

[Notre modegravele permet de lever la] laquo contradiction raquo qui consiste agrave qualifier laquo drsquoincoheacuterent raquo

lrsquoaphasique de Wernicke et laquo drsquoagrammatical raquo lrsquoaphasique de Broca 153 JG relegraveve ici

lrsquoincoheacuterence de la terminologie traditionnelle Pour lui la grammaire est atteinte dans les

deux aphasies Mais le Broca est autrement a-grammatique que le Wernicke et il ne srsquoagit pas

dans le cas du Wernicke drsquoune incoheacuterence seacutemantique mais drsquoune non-maicirctrise des limites

diffeacuterentielles qui donnent une identiteacute aux mots ou aux phonegravemes

laquo Dans le jargon et pour sen tenir au signifieacute la paradigmatique aboutit en labsence de

traitement lexical agrave fleacutechir le vocabulaire raquo Reacutesumeacute eacuteclair drsquoun bilan complexe drsquoobservations

drsquoaphasiques de Wernicke seacutemiologiques La thegravese est que le preacutetendu laquo jargon raquo ne

srsquoexplique que si lrsquoon se place agrave lrsquointersection des axes (des diffeacuterences et des seacuteparations) en

faisant la part de ce qui est perdu et de ce qui est conserveacute Ex de parler Wernicke [image

drsquoune lampe] laquo La pa la hope la lampe la bope la rope raquo Le malade conserve la maicirctrise de la

laquo dimension raquo qursquoa un nom ou un verbe comme le montre lrsquoarticle Mais dans cette laquo boicircte raquo

il deacutecline (il laquo fleacutechit raquo) une varieacuteteacute drsquoessais aleacuteatoires parce qursquoil ne situe pas lexicalement ce

qursquoil tente drsquoidentifier mais peut seulement srsquoappuyer sur une situation qursquoil tente de conce-

voir Dans la suite de lrsquoouvrage la partie grammaticale (laquo Structure et signification raquo) deacutefinira

plus preacuteciseacutement la diffeacuterence suggeacutereacutee ici entre le laquo lexique raquo (grammatical) et le laquo vocabu-

laire raquo (seacutemantique)

laquo [Chez le Broca] la syntaxe en labsence de traitement textuel de la phrase pousse la

redondance jusquagrave la steacutereacuteotypie raquo 1536-8 Il srsquoagit ici de lrsquoaphasie de Broca Il faut alors

inverser lrsquoexplication Lrsquoaphasique de Broca conserve la capaciteacute agrave distinguer une information

grammaticale drsquoune autre Mais il ne peut pas deacutevelopper son propos en une construction qui

met en relation plusieurs constituants noms et verbes La syntaxe normale met en jeu les

deux axes Une relation syntaxique suppose au moins deux laquo mots raquo par exemple un nom et

un verbe Cependant il nrsquoy a syntagme que si chaque partie est contrainte par lrsquoautre si bien

qursquoen construisant lrsquoun on connaicirct en partie la forme que doit avoir lrsquoautre Crsquoest ce que JG

appelle la laquo redondance raquo fondatrice de la syntaxe Ex laquo Les vacances arriveront raquo Il srsquoagit

drsquoune relation dite de laquo sujet raquo La relation impose au verbe final la preacutesence conjointe drsquoun

nom (agrave lrsquoexclusion drsquoun adverbe) et elle impose au nom anteacuteceacutedent la preacutesence drsquoune forme

verbale telle que le preacutefixe (laquo Elles- raquo) disparaicirct ainsi que lrsquoobligation drsquoune terminaison

plurielle du verbe (laquo -ont raquo) accordeacutee au nom Le preacutefixe laquo elles- raquo qui indique la personne

est obligatoire lorsque le verbe est dit tout seul et il subsiste lorsque lrsquoon juxtapose un nom et

un verbe laquo Les vacances elles arriveront raquo JG pousse alors agrave la limite ce principe de

redondance si ce qursquoon dit une fois ne peut plus que se reproduire tel quel il nrsquoy a plus de

deacuteveloppement drsquoune information multiple mais une reacutepeacutetition appeleacutee laquo steacutereacuteotypie raquo

Comme chez le malade princeps de Paul Broca M Leborgne qui ne pouvait plus que dire

laquo Tantanhellip tantanhellip tantan raquo

laquo Cela revenait agrave fonder dans un second degreacute de lautoformalisation et non plus dans la

seule intuition la possibiliteacute den admettre tant dans latteinte que dans la reacutecupeacuteration raquo

1538-10 Lire laquo en (admettre) = laquo (admettre) que subsiste de la forme grammaticale raquo JG

explique que lrsquoon continue drsquoobserver de lrsquolaquo autoformalisation raquo crsquoest-agrave-dire de la

grammaticaliteacute chez un aphasique Pourquoi cela Parce qursquoil y a deux axes en intersection Si

lrsquoon qualifie de laquo premier degreacute raquo la capaciteacute diffeacuterentielle et la capaciteacute segmentale on peut

40 Une lecture de Jean Gagnepain

appeler laquo second degreacute raquo ce que produit leur intersection ou plus preacuteciseacutement la laquo projec-

tion raquo drsquoune analyse sur lrsquoautre qui produit respectivement la capaciteacute de paradigme et celle

de syntagme Chaque aphasie reacutevegravele ce qursquoest chacun de ces processus par le fait mecircme que le

laquo second degreacute raquo de lrsquoaphasique est pathologique reacutesultant de lrsquointeraction drsquoune capaciteacute

intacte et drsquoune capaciteacute alteacutereacutee

Conclusion et preacutesentation du thegraveme de la 3e partie

Lrsquoanalyse laquo ne fait acception ni dehellip ni dehellip raquo 154 Le principe drsquoanalyse est le mecircme quels

que soient les phases les faces et les axes Par conseacutequent tout ce qui caracteacuterise cette ana-

lyse les deux faces et leur relation de reacuteciprociteacute ainsi que les deux axes est aussi laquo transpo-

sable raquo aux autres plans On retrouvera ces caracteacuteristiques dans les 3 autres plans Apregraves la

preacutesentation de lrsquoapport de la clinique agrave la theacuteorie du signe JG passe donc agrave lrsquoapport de la

clinique agrave la theacuteorie de lrsquooutil de la personne et de la norme Ce que nous deacutecouvrirons apregraves

une pause

Intermegravede 2 Neurones et langage

Il est leacutegitime de se demander quelle est lrsquoactualiteacute de ces observations cliniques

aujourdrsquohui compte tenu des deacuteveloppements de la neurologie contemporaine qui peut ajou-

ter agrave lrsquoobservation des leacutesions anatomiques par scanner (seules possibles en 1980) des

observations de la physiologie du cerveau non leacuteseacute ndash activiteacutes biochimiques et eacutelectriques ndash

par les techniques drsquolaquo imagerie meacutedicale raquo La psychologie dite laquo cognitive comportementa-

liste raquo utilise ces nouvelles technologies pour chercher des correacutelations entre lrsquoactiviteacute

ceacutereacutebrale et un ensemble maximum de laquo tacircches raquo humaines particuliegraveres qui toutes

srsquoappuient sur des deacutefinitions traditionnelles telles que laquo lecture de mots eacutevocation de mots

deacutenomination drsquoimages etc raquo en matiegravere de langage

Sur toutes ces questions le lecteur trouvera un historique et un bilan approfondi dans la

thegravese de Christine Le Gac 2013 Langage et cerveau Contribution de la deacutemarche

drsquoobservation clinique agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun modegravele explicatif des pheacutenomegravenes langagiers35 On

y trouvera notamment une preacutesentation critique des thegraveses cognitivistes exposeacutees par Sophie

Chomel-Guillaume Gilles Leloup et Isabelle Bernard Les aphasies-Evaluation et reacuteeacuteducation

qui tirent argument de lrsquoimagerie meacutedicale36

Une diffeacuterence fondamentale existe entre la perspective de JG et celle de ces auteurs Ces

derniers ne remettent pas en cause la notion ordinaire de langage qursquoils conccediloivent comme

un laquo code de communication raquo Il nrsquoest pas eacutetonnant qursquoagrave partir drsquoune notion aussi heacuteteacutero-

gegravene ils observent des correacutelations neuronales larges et variables Selon Christine Le Gac ils

peuvent donc conclure que laquo le langage est bien dans le cerveau mais non localiseacute raquo (p186)

Crsquoest ineacutevitable degraves lors que laquo les aphasies sont deacutefinies comme des ˮtroubles de la

communication par le langage secondaires agrave des leacutesions ceacutereacutebrales acquises entraicircnant une

rupture du code linguistiqueˮ raquo37 Au contraire JG dans ce traiteacute du laquo signe raquo remet en ques-

35 Le Gac Christine 2013 Langage et cerveau Contribution de la deacutemarche drsquoobservation clinique agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun modegravele explicatif des pheacutenomegravenes langagiers

36 Chomel-Guillaume Sophie Gilles Leloup et Isabelle Bernard 2010 Les aphasies-Evaluation et reacuteeacuteducation Paris Elsevier Masson

37 Le Gac Christine 2013 ibidem p 186 laquo Dans cette perspective le langage nrsquoa pas vraiment drsquoidentiteacute il est ˮcomplexeˮ et lrsquoon comprend bien qursquoil devienne difficile de deacutefinir preacuteciseacutement les aphasies et aussi de dresser

Discours et meacutethode 41

tion lrsquoensemble de ces notions et relie la distinction des leacutesions preacute- et post-rolandiques ndash qui

eacutevidemment existe toujours ndash non au laquo langage raquo notion qui nrsquoa plus de sens pour lui mais

tregraves speacutecifiquement agrave la distinction des capaciteacutes taxinomique et geacuteneacuterative et des deux faces

du grammatical Derriegravere le terme laquo drsquoaphasies raquo et de laquo langage raquo lrsquoune et lrsquoautre de ces

approches ne parlent pas du tout de la mecircme chose

Autrement dit la place respective des faculteacutes humaines dont celle de dire et du cerveau

est laquo inverse raquo dans lrsquoune et lrsquoautre perspective Jean Gagnepain prend le savoir meacutedical pour

ce qursquoil est (agrave son eacutepoque) et nrsquoentend pas en faire une question en revanche il remet en

cause autant que possible le savoir des sciences humaines et singuliegraverement celui des diverses

laquo linguistiques raquo Il ne srsquointeacuteresse pas agrave la leacutesion aphasique mais agrave ce que dit le malade Le

raisonnement de lrsquoaphasique est le point de deacutepart et lrsquoarriveacutee est une remise en cause du

savoir des linguistes et une mise agrave lrsquoeacutepreuve du modegravele explicatif qursquoil eacutelabore

Le cognitiviste inversement recherche la trace dans le cerveau de lrsquoexeacutecution de tacircches

deacutefinies agrave partir de notions traditionnelles non discuteacutees Ce faisant il apprend du nouveau sur

le cerveau mais il est douteux qursquoil puisse en retour mettre agrave lrsquoeacutepreuve lrsquoideacutee qursquoil se fait de ce

qursquoest le dire humain Le cognitiviste qui part drsquoune theacuteorie des niveaux les retrouve agrave

lrsquoarriveacutee Tout au plus srsquoil postule une correacutelation ou un isomorphisme entre telle localisation

(ou activiteacute physiologique) neuronale et telle tacircche il conclura agrave un eacutemiettement des faits

cognitifs deacutefinis chacun par un reacuteseau particulier de reacuteaction physiologique

Une question reste cependant ouverte peut-on deacutefinir une meacutethodologie qui relie drsquoune

part le projet glossologique de Jean Gagnepain en sciences humaines qui est hypotheacutetico-

deacuteductif agrave lrsquoexploitation de lrsquoobservation par lrsquoimagerie informatiseacutee de lrsquoancrage neuronal

de ce que dit un sujet normal Que peut-on tester ainsi

3 Apport de la clinique des aphasies agrave la compreacutehension des autres plans culturels

La deacutemarche de dissociation des plans et de preacutesentation de ces plans part chaque fois de

lrsquoobservation de malades aphasiques Le clinicien nrsquoy observe plus le trouble aphasique lui-

mecircme mais tente de rendre compte des reacutepercussions de ce trouble sur les autres aspects de

son comportement son rapport agrave lrsquooutil sa relation au soignant son rapport agrave lrsquoeacutechec ou agrave la

faute

laquo La katharsis de la forme qui le speacutecifie ne suffit pas agrave assurer la parfaite homogeacuteneacuteiteacute de

lobjet raquo 155 Phrase difficile En premiegravere analyse le pronom laquo le raquo renvoie agrave laquo objet raquo qui

lui-mecircme reacutefegravere au laquo langage raquo terme mentionneacute dans le paragraphe preacuteceacutedent ndash cf laquo dans le

cas du langage raquo 154 ndash et auquel renvoient tous les laquo le raquo de la fin de la phrase conclue par

laquo du langage ndash puisque nous en parlons raquo 155 Quant au terme de laquo catharsis raquo il signifie ici

que la meacutethode utiliseacutee vise agrave laquo clarifier raquo (grec κάθαίρω) Crsquoest en effet agrave une dissociation

clinique et critique de la notion de langage que procegravede J G Il introduit de cette faccedilon agrave la

notion geacuteneacuterale de laquo meacutediation raquo par le biais du langage

J G considegravere que sa deacutemarche intellectuelle en ce qursquoelle introduit le principe de forme

et celui de dissociation des plans et qursquoelle oblige ainsi agrave deacuteconstruire la notion traditionnelle

leurs seacutemiologies Drsquoautant que srsquoajoutent de nouveaux facteurs dont on ne sait pas vraiment srsquoils sont intrinsegraveques ou extrinsegraveques au langage qui y participent en tous cas tels la pragmatique ou le rocircle des eacutemotions raquo

42 Une lecture de Jean Gagnepain

de laquo langage raquo est une deacutemarche laquo cathartique raquo parce qursquoelle permet de laquo voir plus clair raquo et

de se libeacuterer des confusions drsquoune approche substantielle La clinique en tant qursquoelle permet

drsquoobserver cette laquo deacute-composition raquo de la forme dans la pathologie est une voie drsquoaccegraves agrave la

deacutefinition des proprieacuteteacutes de la rationaliteacute et participe de cette catharsis

Apregraves avoir montreacute que la clinique permettait de faire eacutemerger un modegravele de la rationaliteacute

laquo avec ses phases faces et axes raquo sur le plan glossologique il veut montrer que lrsquoobservation

clinique de ce qursquoon appelle usuellement laquo langage raquo permet aussi de laquo sortir raquo de ce dernier

et de donner accegraves aux autres laquo plans raquo drsquoanalyse dont le principe nrsquoest pas langagier mecircme

si le langage est concerneacute par incidence dans ces autres types de pathologies

De ce que le principe drsquoanalyse caracteacuterise le langage il ne faut pas conclure que lrsquohumain

en lrsquohomme se reacuteduise agrave cette aptitude agrave lrsquoanalyse langagiegravere ni que le langage se reacuteduise agrave la

dialectique grammatico-rheacutetorique qui le speacutecifie Ce serait accepter le laquo globalisme existentiel

dont il [le langage] nous apparaicirct concregravetement greveacute raquo 155 Le principe drsquoanalyse srsquoapplique agrave

des registres distincts de capaciteacutes La clinique le montre JG reste ici observateur du

laquo langage raquo mais il est ameneacute agrave constater lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute de ce que ce terme deacutesigne

Autrement dit le langage manifeste les quatre plans de la rationaliteacute les quatre modes

drsquoanalyse Lrsquoun de ces modes qui est au principe mecircme du fait de laquo dire raquo a eacuteteacute capteacute

seacutelectivement par lrsquoobservation des aphasies Celles-ci donnent accegraves laquo agrave la forme qui le

speacutecifie raquo Cependant les autres modes drsquoanalyse sont aussi preacutesents en tant laquo (qursquo) incidences

varieacutees raquo lrsquoaphasie a des reacutepercussions agrave la fois sur lrsquoeacutecrit si on demande au malade drsquoeacutecrire

ou de lire sur la relation qursquoest le dialogue et lrsquoaffectiviteacute Le malade est laquo handicapeacute raquo sur ces

trois plans par le seul plan ougrave se deacutefinit sa pathologie Le fait mecircme qursquoil srsquoagit alors drsquoun

handicap deacutemontre que drsquoautres aptitudes reacutesistent agrave lrsquoaphasie servent mecircme de

compensations et font que lrsquoaphasique ne perd pas lrsquoensemble des capaciteacutes culturelles

laquo Il ne saurait en ecirctre (hellip) du langage (hellip) autrement qursquoil en fut jadis de la terre de lrsquoair et

du feu raquo 155 Pour JG ces notions sont preacutescientifiques Elles laissent penser agrave lrsquoexistence de

reacutealiteacutes homogegravenes correspondant agrave chacun de ces mots Plus loin il qualifiera ce mode de

raisonnement de laquo rheacutetorique mythique raquo Les sciences de la nature ont renonceacute agrave en faire des

substances Jrsquoinvite ici le lecteur agrave lire ou relire de Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu

laquo Les livres de Chimie au cours du temps ont vu les chapitres sur le feu devenir de plus en

plus courts Et les livres modernes de Chimie sont nombreux ougrave lrsquoon chercherait en vain une

eacutetude sur le feu et sur la flamme Le feu nrsquoest plus un objet scientifique raquo (p 13)

Les sciences humaines doivent de mecircme renoncer agrave la notion de laquo langage raquo Leur

programme est de deacutefinir et de distinguer dans ce qursquoon appelle ainsi et qui correspond agrave une

expeacuterience quotidienne le type drsquoanalyse qui speacutecifie cette reacutealiteacute ndash agrave savoir la capaciteacute de

laquo dire raquo ou capaciteacute de signe - et les autres types drsquoanalyse qui le concernent laquo par

incidence raquo lrsquoOutil dans lrsquoeacutecriture la Personne dans le dialogue la Norme dans la reacuteticence agrave

parler ou le lapsus Ces trois types drsquoincidence sont deacuteveloppeacutes dans les paragraphes qui

suivent

De lrsquoeacutecriture agrave lrsquoOutil

laquo La difficulteacute de conformer au tableau les particulariteacutes de lecture et drsquoeacutecriture de nos

malades [nous a conduit agrave] poser cateacutegoriquement lautonomie de la graphie (hellip) [Crsquoeacutetait]

lrsquointroduire dans lrsquounivers technique raquo 156 - 16

Discours et meacutethode 43

Je relegraveverai surtout un aspect essentiel de la deacutemarche exposeacutee Ici JG ne laquo veacuterifie pas raquo il

part drsquoune reacutefutation pour eacutemettre une nouvelle hypothegravese Dans un premier temps au nom

du principe de simpliciteacute ndash le rasoir drsquoOckham ndash il a chercheacute agrave expliquer les troubles de la

lecture et lrsquoeacutecriture de lrsquoaphasique dans les mecircmes termes qursquoil expliquait les troubles du dire

Une telle hypothegravese eacutetait laquo falsifiable raquo il aurait pu en ecirctre autrement De fait lrsquohypothegravese

srsquoest trouveacutee reacutefuteacutee lorsque JG srsquoest heurteacute chez certains malades agrave une reacutesistance de la

reacutealiteacute observeacutee reacutesistance telle qursquoil a eacuteteacute conduit dans une autre direction celle de lrsquoactiviteacute

technique On est ici agrave la rencontre du cognitif et de lrsquoactiviteacute ce qursquoil nomme laquo le signal raquo

161 Lrsquooutil qui fabrique de la repreacutesentation artificielle du dessin par exemple fabrique des

laquo signaux raquo Crsquoest lrsquoactiviteacute laquo deacuteictique raquo (Celle qui montre et fait connaicirctre distinctement

quelque chose) Lorsque lrsquoon se met tout particuliegraverement agrave laquo fabriquer raquo du langage gracircce agrave

des traceacutes sur un support on a affaire agrave de lrsquoeacutecrit Ce qui est dit devient laquo stockable et

manipulable raquo (proprieacuteteacutes de lrsquooutil)

Dans une eacutetape suivante il a eacuteteacute conduit agrave eacutelargir ses observations agrave drsquoautres outils

laquo hellipune deacuteteacuterioration du langage ne saurait ecirctre sans reacutepercussion sur le contenu de

leacutecriture Mais sa forme ne peut ecirctre tenue pour alteacutereacutee que si le signal seul et non le signe

est concerneacute raquo 162 JG distingue deux cas (1) Les reacutepercussions du trouble aphasique sur la

maniegravere drsquoeacutecrire ou de lire du malade on conccediloit aiseacutement que le Wernicke qui ne peut

identifier un mot de faccedilon stable aura du mal agrave lire et agrave eacutecrire puisqursquoil ne sait plus quels mots

sont transcrits On dira alors qursquoil srsquoagit drsquoun trouble aphasique observeacute dans de lrsquoeacutecrit et non

pas un trouble de lrsquoaptitude agrave eacutecrire (2) Mais laquo Le signal seul est concerneacute raquo lorsque lrsquoon

observe un trouble dans lrsquoutilisation non seulement de lrsquoeacutecrit mais encore du dessin et plus

geacuteneacuteralement de tout autre outillage Crsquoest laquo lrsquoatechnie raquo 164 Crsquoest alors lrsquoopeacuteration

technique qui est en cause le laquo tour de main raquo et non plus le texte lisible lui-mecircme

laquo Lrsquoautre [= les propos sur lrsquoapraxie] teacutemoigne agrave sa faccedilon drsquoune aporie raquo 165 crsquoest-agrave-dire

drsquoune impasse drsquoune impossibiliteacute Faute drsquoune theacuteorie de lrsquooutil on ne parvient pas agrave dire

scientifiquement ce qui se passe dans les apraxies Or il est impossible de laquo voir raquo (intelligem-

ment) ce que lrsquoon nrsquoarrive pas agrave laquo dire raquo

De lrsquoeacutechange verbal agrave la Personne 166

La deacutemarche est analogue Lrsquohypothegravese drsquoune pathologie de la communication chez

lrsquoaphasique est deacutementie Lrsquoeacutechange verbal y est handicapeacute mais non deacutetruit Ceci invalide

une deacutefinition laquo fonctionnaliste raquo du langage comme laquo moyen de communication raquo du fait

qursquoune pathologie du fondement grammatical du langage nrsquoest pas une pathologie de la

relation interpersonnelle comme le serait une psychose Lrsquoimaginer serait confondre la

fonction sociale de tout comportement y compris du langage et le mode de fonctionnement

speacutecifique qui deacutefinit le langage Il faut donc proposer un autre type drsquoexplication agrave lrsquoeacutechange

verbal Pour ce faire JG remonte au principe du social objet de la sociologie

laquo Une autre analyse se fait jour affectant leacutechange verbal sans pour autant se confondre

avec lui et qui meacutediatisant ethniquement notre appartenance agrave lespegravece diffeacuterencie chez

lhomme luniformiteacute animale du cri Le modegravele sous-tendu nest linguistique que par reacutepercus-

sion Il est en fait celui de la socieacuteteacute cest-agrave-dire de ce processus de convergence qui nous fait

inlassablement transcender les divergences que culturellement nous ne pouvons cesser

dinstituer raquo 166 - 17 Premiers lineacuteaments de sociologie meacutediationniste Chez les autres

espegraveces le laquo cri raquo est celui de lrsquoespegravece avec des variations lieacutees agrave lrsquoadaptation agrave

44 Une lecture de Jean Gagnepain

lrsquoenvironnement38 Lrsquoanimal en lrsquohomme le rend aussi capable de cris drsquoattitudes et de

mimiques universellement compris comme le souligne lrsquoeacutethologie Mais celle-ci ne peut expli-

quer lrsquoanalyse qui produit des langues arbitraires et contraignantes mais aussi neacutegociables et

inscrites dans lrsquohistoire Pour ce faire il faut observer la dialectique du social dont les phases

sont ici deacutecrites sous les termes de laquo divergence convergence raquo

laquo Crsquoest bien de la personne qursquoil srsquoagit (hellip) Nous avons ducirc renoncer agrave la dichotomie de la

Langue et de la Parole qui nrsquoeacutetait plus opeacuteratoirehellip raquo 172 Ce que JG appellera laquo langue raquo

dans une theacuteorie de la Personne et non plus dans une perspective durkheimienne nrsquoest pas la

laquo langue raquo Saussurienne Le Saussure du Cours en effet selon JG ne dissocie pas clairement

ce qui est de lrsquoordre drsquoun principe drsquointellection (systegraveme de valeurs) et ce qui est de lrsquoordre

de lrsquousage Cours p 37 laquo Lrsquoeacutetude du langage comporte donc deux parties lrsquoune essentielle

a pour objet la langue qui est sociale dans son essence et indeacutependante de lrsquoindividu cette

eacutetude est uniquement psychique lrsquoautre secondaire a pour objet la partie individuelle du

langage crsquoest-agrave-dire la parole y compris la phonation elle est psycho-physique raquo Cette

formulation en dichotomie (laquo deux parties raquo) est amendeacutee par Saussure lui-mecircme en une

formulation laquo soustractive raquo laquo La langue est pour nous le langage moins la parole raquo (Cours p

112)

Intermegravede 3 Le Saussure de Jean Gagnepain

Pour la premiegravere fois dans lrsquoouvrage est repris preacuteciseacutement un couple de concepts

(laquo langue et parole raquo) qui fait directement allusion agrave lrsquoenseignement de Ferdinand de Saussure

Puisqursquoil est ici question de cet auteur deux mises au point sont neacutecessaires valables pour

lrsquoensemble du Vouloir-Dire

1) Notons drsquoabord que jamais nrsquoest mentionneacute le nom de Saussure ni le titre drsquoouvrage

Cours de linguistique geacuteneacuterale Cependant crsquoest bien ce livre qui est en arriegravere-plan lorsque

JG choisit des termes tels que laquo substance raquo 64 laquo forme raquo 283 etc laquo dichotomie de la

langue et de la parole raquo 172 laquo signe raquo (passim) laquo signifiant et signifieacute raquo 273 etc laquo la vaine et

fameuse querelle de limproprieacuteteacute et de larbitraire du signe raquo (p 187) et drsquoautres formulations

encore Toutefois qursquoil soit clair que JG donne agrave ces termes ndash mecircme srsquoils eacutevoquent le Cours ndash

un sens propre agrave la Theacuteorie de la Meacutediation un sens parfois tregraves diffeacuterent de celui que lrsquoon

peut tirer de la lecture du Cours

2) Il est tout aussi important de souligner par ailleurs que JG ne prend en compte dans Du

Vouloir-Dire que le seul Cours de linguistique geacuteneacuterale (posthume) tel qursquoil a eacuteteacute compileacute par

Charles Bally Albert Sechehaye et Albert Riedlinger et eacutediteacute par Payot en 1916 Or lrsquoeacutetude des

notes prises par les eacutetudiants aux trois anneacutees de cours qui ont servi de matiegravere premiegravere agrave cet

ouvrage collectif ainsi que la prise en compte des autres textes connus de Saussure montrent

que ce qursquoon appelle le Cours nrsquoest qursquoen partie fidegravele agrave la penseacutee de lrsquoauteur39 La structure

de lrsquoouvrage est celle des eacutediteurs un choix a eacuteteacute opeacutereacute entre les diffeacuterentes versions des

notes de cours beaucoup de passages ont eacuteteacute reformuleacutes et des propositions importantes

sont de Charles Bally et reflegravetent les positions theacuteoriques de ce dernier non celles de

38 Les eacutethologues ont pris lrsquohabitude drsquoappeler ces variations des laquo dialectes raquo ce qui est un anthropomorphisme patent

39 Voir lrsquoeacutedition critique du Cours par Rudolph Engler et les travaux de Robert Godel Reneacute Amacker et Franccedilois Rastier

Discours et meacutethode 45

Saussure Ceci eacutetant comme le rappelle Claudine Normand laquo il srsquoagit drsquoun objet historique

bien reacuteel et qui a produit des effets comme tel raquo40

JG prend donc le texte intituleacute Cours de linguistique geacuteneacuterale tel qursquoil est eacutediteacute en 1916 en

tant que texte et oppose les propositions qursquoil contient aux siennes indeacutependamment de la

question de lrsquoimputation de ce texte agrave tel ou tel auteur De maniegravere plus geacuteneacuterale on aura

remarqueacute lrsquoabsence quasi totale de noms drsquoauteurs dans Du Vouloir-Dire Cette absence

signifie drsquoabord que seules les propositions theacuteoriques inteacuteressent JG (dans le respect de leur

positionnement historique) et non les auteurs de ces propositions Par conseacutequent lorsque le

nom de Saussure sera mentionneacute dans ces Gloses on doit entendre qursquoil srsquoagit du contenu du

Cours de linguistique geacuteneacuterale eacutedition 1916

De la prise de parole agrave lrsquoeacutethique

laquo Le parfait controcircle de la grammaire la maicirctrise de lrsquoeacutecriture et de la langue laissent entier

le problegraveme de lrsquoinitiative ici de la prise de parolehellip raquo 173

JG circonscrit agrave grands traits le plan de la Norme Ici encore il part du langage pour en

sortir Il nrsquoobserve plus le langage pour lui-mecircme mais il observe dans le langage la faccedilon

dont le deacutesir fonctionne Agrave savoir dialectiquement avec un pocircle de restriction (la

laquo reacuteticence raquo) et un pocircle de satisfaction mesureacutee le laquo dis-cours raquo (= le deacutetour)

laquo hellip Les suspensions distorsions sublimations [dans la prise de parole] commencent agrave nous

faire entrevoir lrsquoexistence drsquoune analyse eacutethique du deacutesir indeacutependante de lrsquointrojection de la

Loi raquo JG envisage drsquoembleacutee eacutepisteacutemologiquement ce qui le seacutepare de la doxa contempo-

raine et de la psychanalyse Il lui importe de dissocier le principe eacutethique de leacutegitimiteacute (laquo ana-

lyse eacutethique du deacutesir raquo) du principe social de leacutegaliteacute (laquo la loi raquo) Il critique ici le concept de

laquo Sur-moi raquo comme il avait signaleacute auparavant en 85 la difficulteacute de traduire lrsquoallemand de

Freud laquo uumlber-Ich raquo La regravegle nrsquoest pas une obeacuteissance agrave une Loi drsquoailleurs agrave tort conccedilue comme

un principe transcendant la Personne Tout ceci est longuement travailleacute dans le second

volume du Vouloir-Dire

Il srsquoagit de rendre compte de maniegravere coheacuterente tant du laquo parler autistique [et du] deacutelire

paranoiumlaque (hellip) [que des] curiositeacutes dexpression de lhysteacuterique ou de lobsessionnel raquo 174

Les deux premiers tableaux sont des pathologies de la Personne (psychoses) les deux autres

des pathologies de la norme (neacutevroses) laquo Autistique raquo nrsquoest pas agrave prendre dans son sens

contemporain JG ne parle pas de lrsquoautisme ici Il prend lrsquoadjectif dans son sens eacutetymologique

(autos = laquo lui-mecircme raquo pronom reacutefleacutechi) pour deacutesigner le parler du schizophregravene

JG conclut en 175-6 par une sorte de tableau terminologique synoptique des quatre plans

de meacutediation Sa deacutemarche est deacutefinie comme laquo une reacutefraction qui fait de la logique de la

technique de lethnique de leacutethique autant de faccedilons autonomes quoiquinterfeacuterentes decirctre

homme raquo 175 Jouant sur le preacutefixe laquo concom- raquo il parle drsquoaptitude respectivement agrave laquo la

conscience la conduite la condition et le comportement raquo En somme la culture apparaicirct

comme laquo une rationaliteacute eacuteclateacutee raquo

Il prend soin de rappeler la neacutecessiteacute explicative de prendre en compte le laquo moment raquo de la

dialectique qursquoest la nature laquo il nrsquoest pas vrai que lrsquounivers [hors meacutediation] soit amorphe raquo

et reacutepegravete par ailleurs que pour lui la Raison ne se reacuteduit pas au laquo raisonnement raquo (logique)

40 Claudine Normand 1995 laquo La coupure saussurienne raquo LINX 7 Saussure aujourdrsquohui

46 Une lecture de Jean Gagnepain

Relevons aussi que la seacuterie laquo limproprieacuteteacute le loisir larbitraire et lauto-castration raquo 176

deacutesigne les observations tests qui renvoient au pocircle implicite drsquoanalyse qui provoque la dialec-

tique La neacutegativiteacute structurale du signe srsquoeacuteprouve agrave lrsquoimproprieacuteteacute relative de ce que lrsquoon dit

celle de lrsquooutil agrave la dispense de labeur qursquoil implique celle de la personne agrave la possibiliteacute pour

toute relation drsquoecirctre rompue celle enfin de la norme agrave lrsquoexpeacuterience de lrsquoexigence et du

renoncement La seacuterie correspondante laquo la penseacutee le travail lhistoire et la liberteacute raquo 176

deacutesigne la reacutesultante explicite du pocircle de reacuteinvestissement Lrsquoensemble de ces termes

constitue le vocabulaire de base de la theacuteorie de la meacutediation

PANORAMA DE LA THEacuteORIE DE LA MEacuteDIATION

Cette partie conclusive montre lrsquoampleur du projet qursquoest la theacuteorie de la meacutediation La

theacuteorie de la meacutediation nrsquoest pas une linguistique mais une anthropologie une laquo theacuteorie de la

rationaliteacute raquo sous ses quatre aspects drsquoeacutegale importance 181

La dialectique Nature Culture

laquo [La] culture (hellip) cette reacutealiteacute qui distincte agrave la fois de lrsquohypostase et de la matiegravere

deacutepasse en nous la nature mais lrsquoinclut raquo 181 Thegraveme de la dialectique Ainsi laquo hypostasier raquo

(du grec laquo placer agrave la base au principe raquo) la notion de laquo Raison raquo ou celle de laquo culture raquo serait

faire de ces concepts qui deacutecoulent drsquoun raisonnement des entiteacutes homogegravenes et deacutefinitives

des laquo essences raquo Lrsquohypostase des concepts est caracteacuteristique de laquo lrsquoideacutealisme raquo La

dialectique exclut toute hypostase Communeacutement la notion de laquo langage raquo est une

hypostase on fait exister un concept sur le mode drsquoune chose

laquo La culture inclut la nature raquo JG rappelle que le premier moment de la dialectique est

drsquoordre naturel Voici un exemple dans lrsquoordre du Dire le phonegraveme srsquoabstrait des contraintes

de la phonation et de la perception des bruits mais il en part La preuve en est que le reacutesultat

de cette dialectique est la laquo prononciation raquo qui ne peut se reacutealiser que dans du prononccedilable

biologiquement On eacuteprouve ici le deacuteficit terminologique de la tradition non dialectique y

compris des linguistiques depuis Saussure lorsqursquoelles se contentent de distinguer

laquo phonegraveme raquo et laquo son raquo et que ce dernier terme meacutelange des faits de lrsquoordre de la physique et

de la biologie La prise en compte de la dialectique impose drsquoobserver trois moments la

laquo phonie raquo biologiquement contrainte le laquo phonegraveme raquo structural deacutelimiteacute par le critegravere de la

pertinence et la laquo prononciation raquo phoneacutetique qui laquo reacutealise raquo relativement le phonegraveme dans

de la phonie sans qursquoil srsquoagisse agrave proprement parler ni du geste articulatoire ni drsquoun percept

auditif biologiquement ou physiquement deacutefinis

Les quatre aspects de la rationaliteacute

laquo Lrsquoanthropologie (hellip) pour ne les envisager ici que du seul point de vue du savoirhellip raquo 182

Lire ainsi laquo lrsquoanthropologie nrsquoenvisage le langage lrsquoart la socieacuteteacute le droit que du seul point de

vue explicatif raquo comme le reacutesume le suffixe laquo -logie raquo du terme anthropologie laquo Savoir raquo dans

cette introduction a pour synonyme laquo connaissance raquo Dans le second tome dans le cadre

drsquoune sociolinguistique JG appellera laquo doxa raquo la capitalisation sociale soumise agrave dispute et

compromis de ce qursquoon a compris par le langage Pour lrsquoheure laquo savoir raquo est de lrsquoordre de la

Discours et meacutethode 47

cognition JG eacutenonce que la deacutemarche scientifique relegraveve comme tout ce qui est dit du plan

du dire

laquo Lrsquoanthropologiehellip nrsquoexclut nullement les perspectives alterneacutees drsquoune anthropotropie

drsquoune anthroponomie drsquoune anthropodiceacuteethinspraquo Lrsquohumain en lrsquohomme ne se reacuteduit pas agrave

laquo lrsquohomme de paroles raquo En tant qursquoil artificialise son existence il est capable drsquoanthropo-

tropie il fabrique un habitat au lieu drsquooccuper un terrier il fabrique de lrsquoeacutecrit ce qui lui

permet de dire tout en se taisant etc En outre lrsquohistoire teacutemoigne drsquoune anthropo-nomie (Agrave

rapprocher du terme courant de laquo veacutecu raquo) Enfin la sagesse comme la transgression teacutemoi-

gnent drsquoune anthropo-diceacutee JG srsquoinspire ici des termes grecs laquo trόpos raquo pris dans le sens de

laquo tour (de main) maniegravere (de faire) laquo nomόs raquo aire controcircleacutee socialement et laquo diacutekecirc raquo la

regravegle le droit

Sciences fondamentales et sciences appliqueacutees Le recoupement des plans

laquo Telle qursquoest [lrsquoanthropologie] elle nous contraint agrave une classification nouvelle des sciences

qui ne soit plus fonction de leur plus ou moins grande geacuteneacuteraliteacute mais du degreacute de formalisa-

tion de leur objet (hellip) Il srsquoagit alors de distinguer des laquo sciences fondamentales de la culture raquo

et des laquo sciences humaines appliqueacutees raquo 182 Selon la deacutefinition suivante

Les laquo sciences fondamentales de la culturehellip traitent respectivement sous le nom de

glossologie dergologie de sociologie et daxiologie des seules meacutediations speacutecifiques raquo Il faut

distinguer cette laquo teacutetralogie raquo fondamentale des laquo sciences humaines appliqueacutees dont lrsquoobjet

(outre qursquoil participe de deux regravegnes) hieacuterarchiquement les recompose en vertuhellip drsquoun reacutealisme

qui refuse de poser dans lrsquoecirctre des modaliteacutes que lrsquoinvestigation seulement nous contraint agrave

seacuteparer raquo Envisageons tour agrave tour ces deux types de sciences de lrsquohumain

Je signale drsquoembleacutee que la modeacutelisation de ces laquo sciences appliqueacutees raquo entraicircne une

inflation terminologique assez redoutable du fait que le modegravele doit deacutenommer distinctement

une articulation entre deux ordres de faits culturels en interaction Il me revient de vous guider

dans la manipulation de ce laquo Rubikrsquos cube raquo meacutediationniste degraves lors que lrsquoauteur lui-mecircme

laquo laisse au lecteur le soi drsquoinfeacuterer lui-mecircme lrsquoorganisation raquo 191 Je vous preacuteviens toutefois du

risque de laquo feacutetichisme raquo nominaliste que preacutesente lrsquoexercice tout en vous rappelant en

contrepartie qursquoon ne peut se passer en matiegravere de science drsquoune formulation rigoureuse fucirct-

elle hypotheacutetique laquo Il nest de science qui ne vise agrave la speacutecialisation et ne cherche agrave traduire

au moyen de sa terminologie lunivociteacute de ses concepts raquo 45 Il srsquoensuit que les gloses qui

suivent seront exceptionnellement longues Le tableau de Mendeleiumlev eacutevoqueacute (invoqueacute ) en

192 ne livre pas non plus aiseacutement sa porteacutee explicative

Plus tard JG critiquera le choix du terme laquo appliqueacute raquo pour deacutesigner lrsquoeacutetude drsquoune articula-

tion de plans culturels soulignant que toute science est drsquoun eacutegal degreacute drsquoabstraction41

Les sciences fondamentales laquo hellip sous le nom de glossologie dergologie de sociologie et

daxiologie raquo 182

Dans ce quatuor terminologique seul le terme laquo sociologie raquo est drsquousage geacuteneacuteral Qursquoen

est-il des autres et des raisons de ce choix Commenccedilons par le dernier Le terme

laquo axiologie raquo est emprunteacute agrave des philosophes qui lui donnent comme objet lrsquoeacutetude des

41 Seacuteminaire du 7 mai 1987 laquo la fin du cogito 1egravere partie theacuteorie et pratique raquo

48 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo valeurs morales raquo42 Le terme dans la theacuteorie de la meacutediation deacutesigne lrsquoeacutetude de la

dialectique entre ce qui sera appeleacute laquo eacutethique raquo (de la reacuteglementation) et ce qui sera appeleacute

laquo morale raquo (de la satisfaction) Par conseacutequent aucun de ces deux termes ne pouvait ecirctre

utiliseacute pour lrsquoensemble des deux Il en va de mecircme du terme laquo ergologie raquo (Cf le grec

laquo ergon raquo le travail) Il deacutesigne dans le modegravele la dialectique de la laquo technique raquo et de

lrsquo laquo industrie raquo

Le premier terme laquo glossologie raquo est exemplaire du dilemme terminologique auquel est

confronteacute tout deacutecouvreur Il y a deux maniegraveres de deacutenommer le nouveau Soit on conserve le

terme ancien et on srsquoefforce de lui imposer un sens nouveau Crsquoest le cas du mot laquo eacutetoile raquo qui

a un autre sens pour lrsquoastrophysicien que pour le profane Crsquoest aussi le cas de laquo grammaire raquo

qui change de sens dans les phrases laquo grammaire pour la classe de 6e raquo et laquo grammaire

geacuteneacuterative raquo Telle est aussi lrsquooption de Jean-Claude Milner qui dans Introduction agrave une science

du langage ch12 leacutegitime les termes de laquo langage raquo et de laquo linguistique raquo agrave la condition

expresse drsquoen reacutevolutionner le sens dans une direction en partie semblable agrave celle de JG en

ce que ce terme doit reacutesumer un ensemble de laquo proprieacuteteacutes raquo speacutecifiques

Soit on monte dans le grenier agrave grec refaire du nouveau avec du vieux Crsquoest ainsi que

Charles-Emmanuel Seacutedillot a bricoleacute pour Pasteur en 1878 le terme laquo microbe raquo (Eacutemile

Benveniste rappelait qursquoil nrsquoest jamais attesteacute en grec classique et qursquoil nrsquoaurait pu signifier

que laquo qui a une courte vie raquo) On marque ainsi dans les termes la rupture seacutemantique que lrsquoon

entend proposer Lagrave ougrave les laquo linguistes raquo continuent de parler de langage JG suivant en cela

Saussure jette aux oubliettes cette notion preacutescientifique comme drsquoautres lrsquoont fait pour

celles de feu ou drsquoeacutether Drsquoougrave la notion de laquo signe raquo Comment maintenant nommer cette

science du laquo signe raquo principe logique speacutecificateur de ce qursquoon appelle langage En toute

rigueur le seul terme adeacutequat eucirct eacuteteacute celui de laquo logologie raquo (La suite de la lecture du Vouloir-

Dire le deacutemontre amplement) JG nrsquoa pas oseacute revecirctir le costume du logologue Son choix final

a eacuteteacute deacutetermineacute par une raison non plus proprement theacuteorique mais sociologique agrave savoir le

devoir de marquer sa reconnaissance envers Louis Hjelmslev qui face au mecircme problegraveme

avait opteacute pour le terme laquo glosseacutematique raquo Le changement de suffixe laquo -logie raquo inscrit

deacutesormais le terme dans le cadre des sciences Le choix du preacutefixe laquo glosso- raquo nrsquoest pas non

plus eacutetymologique et JG assume ici le fait que nous ne parlons plus le grec ancien qui dans

une sorte de dissociation des plans seacuteparait bien la logique du laquo logos raquo et lrsquousage social

qursquoeacutetait la laquo glossa γλῶσσα raquo ou laquo glotta γλῶττα raquo agrave savoir lrsquoidiome Le franccedilais dit

laquo polyglotte raquo Les autres linguistes contemporains nrsquoutilisent ce preacutefixe qursquoen

sociolinguistique laquo Petit traiteacute de glossophagie raquo de Louis-Jean Calvet

Les sciences appliqueacutees laquo Lrsquoobjet [des sciences humaines appliqueacutees] (hellip) participe de deux

regravegneshellip [et] hieacuterarchiquement les recomposehellip raquo 182

Prenons lrsquoexemple du langage deacuteveloppeacute en 183 La laquo glossologie raquo est une science

fondamentale elle eacutetudie le fonctionnement dialectique du Signe qui speacutecifie le langage En

revanche la laquo sociolinguistique raquo est une science appliqueacutee elle laquo participe de deux regravegnes raquo

celui de la sociologie et celui de la glossologie puisqursquoelle est le chapitre de la sociologie qui

eacutetudie comment le langage participe et contribue agrave la vie sociale agrave travers des langues et des

42 En France le terme apparaicirct chez Paul Lapie Logique de la volonteacute 1902 (Paul Lapie sociologue et peacutedagogue meacuterite un deacutetour du lecteur) En Allemagne le terme apparaicirct chez Wilhem Windelband (cf Uumlber Willensfreiheit 1904)

Discours et meacutethode 49

deacuteclarations Et elle les laquo recompose hieacuterarchiquement raquo puisque le plan fondamental est de

lrsquoordre de la Personne tandis que le plan laquo applicatif raquo (ou laquo incident raquo) est celui du Signe sur

lequel porte le fonctionnement social

laquo hellip en vertu drsquoun reacutealisme qui refuse de poser dans lrsquoecirctre des modaliteacutes que lrsquoinvestigation

seulement nous contraint agrave seacuteparer raquo 182

Cette preacutecaution meacutethodologique vise agrave eacuteviter le malentendu suivant Il ne faut pas

comprendre que les sciences appliqueacutees sont des sciences qui srsquoajoutent aux sciences

fondamentales Leur reacutepartition ne tient pas agrave une multiplication drsquoordres de deacuteterminismes

culturels lesquels restent quatre dans le modegravele Ainsi SOCIOLINGUISTIQUE et SOCIOARTISTIQUE

relegravevent de la mecircme deacutemarche sociologique Il srsquoagit drsquoeacutetudier comment ce que lrsquoon dit et ce

que lrsquoon fabrique participent et contribuent agrave la vie sociale Leur diffeacuterence est de lrsquoordre des

laquo modaliteacuteshellip drsquoinvestigation raquo Autrement dit il srsquoagit de diffeacuterents terrains drsquoobservation des

faits sociaux Ceci appelle agrave mes yeux deux remarques

La premiegravere est de bien comprendre que ces terrains laquo drsquoapplication raquo sont eux-mecircmes

deacutefinis comme des plans culturels Pour lrsquoauteur il nrsquoest pas question drsquoappeler laquo sciences

appliqueacutees raquo la liste interminable des laquo sociologies du sport des animaux familiers des meacute-

dias des vacances de la plage raquo des laquo sociologies urbaine rurale rurbaine etc raquo tous

domaines disciplinaires recevables du point de vue de la division du travail Mais la sociologie

ne peut se laquo modaliser raquo que sous les espegraveces de trois sciences appliqueacutees inteacuteressant les trois

autres plans soit une SOCIOLINGUISTIQUE (des langues) une SOCIOARTISTIQUE (des styles drsquoœuvres

par ex) et une SOCIOCRITIQUE (lrsquoeacutetude de la neacutegociation sociale des normes drsquoune leacutegislation

par ex) Chaque plan fondamental peut ainsi entrer en relation dialectique avec les trois

autres plans qui lui sont incidents

La seconde remarque consiste agrave prendre la mesure de la contribution de ces perspectives

applicatives pour la modeacutelisation de la laquo performance raquo sur chacun des plans de meacutediation

Prenons le cas de la sociologie Traiter ses voisins avec des mots ou avec des armes telle est la

diffeacuterence entre la diplomatie et la guerre Lrsquoeacutetude de la premiegravere srsquoinscrit dans un programme

de SOCIOLINGUISTIQUE sous le nom courant de laquo poleacutemique raquo Lrsquoeacutetude de la seconde relegraveve

drsquoune SOCIOARTISTIQUE qui analyse quels eacuteveacutenements sont produits par les outils On appreacuteciera

la diffeacuterence de leurs objets respectifs au nom du laquo reacutealisme raquo en confrontant lrsquoaphorisme de

Carl von Clausewitz ndash laquo La guerre nrsquoest que la simple continuation de la politique par drsquoautres

moyens raquo De la guerre 1832 ndash avec un regard sur les monuments aux morts de nos villages et drsquoailleurs ou avec les eacuteveacutenements parisiens de feacutevrier et novembre 2015 Le principe social

de conflit est certes constant mais les laquo performances raquo sociales ne sont pas les mecircmes

Regardons maintenant la faccedilon dont la terminologie est construite Cela facilitera la lecture

de la suite Sur ce point formel on observera la diffeacuterence de construction suivante entre la

deacutenomination des sciences fondamentales et celle des sciences appliqueacutees

- Observons la laquo morphologie raquo du nom des premiegraveres laquo glossologie ergologie sociologie

axiologie raquo Le suffixe laquo -logie raquo constant dit qursquoil srsquoagit de science dont le fondement est

toujours la capaciteacute de signe Le deacutebut du nom variable dit quel est lrsquoobjet du propos explica-

tif tenu cet objet distingue chacun des quatre plans fondamentaux de meacutediation Autrement

dit chacune des sciences est un laquo champ seacutemantique raquo grammaticalement formuleacute

- Srsquoagissant maintenant des sciences appliqueacutees la terminologie se preacutesente diffeacuteremment

Il sagit toujours de sciences mais la terminologie ne le formule plus directement Elle formule

50 Une lecture de Jean Gagnepain

en deux parties quel est lrsquoobjet complexe dont cette science appliqueacutee traite agrave savoir

lrsquoarticulation laquo hieacuterarchique raquo entre le plan laquo fondamental raquo dont on observe la dialectique et

le plan laquo incident raquo laquo applicatif raquo qui est un secteur particulier drsquoexpeacuterience humaine sur

lequel srsquoexerce la dialectique du plan laquo fondamental raquo Lrsquoordre adopteacute par le terme est alors

laquo plan fondamental + plan incident raquo comme le montre le terme de laquo socio-linguistique raquo Le

suffixe montre que lrsquoon a affaire encore agrave du langage mais celui-ci nrsquoest qursquoun des domaines

particuliers ougrave lrsquoon observe de la Loi sociale Le suffixe marque donc le plan incident tandis

que le preacutefixe marque le plan deacuteterminant Il srsquoagit de sociologie observant du social dans le

langage et non de laquo linguistique raquo dans le sens traditionnel du terme terme qui renvoie agrave une

corporation disciplinaire et non agrave une science La suite va servir de travaux pratiques

laquo hellipagrave la suite de la polyseacutemie le silence le malentendu le mensonge acquiegraverent

scientifiquement un statut raquo 183

(1) La polyseacutemie est un fait performantiel inheacuterent agrave la dialectique grammatico-rheacutetorique

Son laquo statut raquo est deacuteclareacute drsquoores et deacutejagrave laquo acquis raquo au sein de la glossologie Les trois autres

pheacutenomegravenes relegravevent des sciences appliqueacutees

(2) Par laquo silence raquo JG entend ici le fait que lrsquoeacutecrit est laquo silencieux raquo alors mecircme qursquoil

permet un accegraves au langage Ce laquo silence raquo est une proprieacuteteacute de la graphie et un aspect de ce

principe de laquo loisir raquo qui deacutefinit la technique On peut aussi fabriquer du langage artificiel

bruiteacute gracircce agrave lrsquoenregistrement sonore Mais lagrave encore le locuteur une fois le fichier enregis-

treacute peut se taire et pourtant redire son message indeacutefiniment via son lecteur de fichier Ces

deux observations voisines relegravevent de lrsquoERGOLINGUISTIQUE dont traite le chapitre laquo Parole et

eacutecriture raquo de la 2e partie de ce tome I du Vouloir-Dire

(3) Le laquo malentendu raquo ou plutocirct laquo lrsquoautrement entendu raquo ndash car le concept nrsquoimplique aucun

jugement ndash est un fait SOCIOLINGUISTIQUE puisqursquoil srsquoagit drsquoune proprieacuteteacute de lrsquoeacutechange verbal

(Celui-ci inclut laquo Agrave bon entendeurhellip raquo)

(4) Le laquo mensonge raquo est un fait de discours ougrave srsquoexprime un interdit de dire Crsquoest un fait

AXIOLINGUISTIQUE

La laquo psycholinguistique raquo 184 disparaicirct du tableau en raison du flou de la notion de

laquo psychologie raquo Tout comme la laquo linguistique geacuteneacuterale raquo en tant que laquo programme commun raquo

entre courants linguistiques ou domaines de langues observeacutees On est en 1980 Franccedilois

Mitterrand sera eacutelu en 1981 sur un tel programme de gouvernement passeacute entre le Parti

Socialiste le Parti Communiste et le Parti de Centre Gauche

laquo Pantonyme raquo 1848 = En seacutemantique on appelle ainsi un concept geacuteneacuteral dit aussi

laquo hyperonyme raquo par rapport agrave un concept speacutecifique dit laquo idionyme raquo Dans la theacuteorie de la

meacutediation laquo rationaliteacute signe grammaire syntaxe subordination raquo forment une eacutechelle

de concepts du plus geacuteneacuteral au plus speacutecifique Cf infra p210

laquo Lrsquoeacutetude speacutecialiseacutee des dichotomies parallegraveles [agrave celle de la glossologie] (hellip) raquo 185

On peut ici se reporter au Plan de lrsquoensemble du Vouloir-Dire en deacutebut du 1er tome La

notion de laquo dichotomie raquo renvoie agrave la bipolariteacute de toute dialectique neacutegativiteacute neacutegation de

la neacutegativiteacute autrement dit agrave lrsquoinstance et agrave la performance Elle oblige dans la theacuteorie du

signe agrave distinguer entre laquo signification raquo et laquo deacutesignation raquo Analogiquement lrsquoergologie (2e

partie de ce tome) traitera de lrsquoinstance de la laquo production raquo et de la performance

Discours et meacutethode 51

laquo industrielle raquo la sociologie de lrsquoinstance de laquo lrsquoInstitution raquo et de la performance des

laquo contrats raquo lrsquoaxiologie de lrsquoinstance du laquo noloir raquo eacutethique et de la performance de la

laquo licence raquo morale (Terminologie du Plan dans cette eacutedition) Il srsquoagit lagrave drsquoun programme

drsquoeacutetude de la dialectique de chacun des plans de meacutediation crsquoest-agrave-dire du programme de

chacune des laquo sciences fondamentales raquo

laquo hellipse doublehellip de ce qursquoon nommera deacutesormais une artistique une ceacutenotique une

critiquehellip raquo 191

Lrsquoanthropologie peut aussi observer dans des laquo sciences appliqueacutees raquo comment les autres

plans se recoupent lrsquoun des plans eacutetant lrsquoordre fondamental et lrsquoautre le plan laquo incident raquo sur

lequel porte lrsquoanalyse fondamentale Ce passage eacutevoque les sciences appliqueacutees qui articulent

drsquoautres plans de meacutediation que celui du signe Agrave savoir laquo une artistique une ceacutenotique une

critique raquo tous termes qui nrsquoapparaicirctront par la suite qursquoen position de laquo suffixe raquo deacutesignant le

plan incident agrave un plan fondamental preacutefixeacute qui lui continue de porter le nom des plans de

meacutediation agrave savoir laquo ergo- socio- axio- raquo

Ainsi la SOCIOARTISTIQUE deacutesigne la contribution des produits techniques agrave lrsquohistoire Crsquoest

donc une partie de la sociologie celle qui est laquo appliqueacutee raquo agrave lrsquoart On peut maintenant envisa-

ger agrave titre drsquoexemple la science appliqueacutee inverse (cf LrsquoOutil 164218) lrsquoERGOCENOTIQUE est

lrsquoeacutetude de la maniegravere dont on peut artificialiser du social En cela crsquoest un chapitre de

lrsquoergologie celle qui est laquo appliqueacutee raquo au social JG ailleurs y range les laquo ingeacutenieurs de

lrsquohistoire raquo Le laquo mur raquo de Berlin ou celui de Palestine sont des œuvres qui performativement

fabriquent des eacuteveacutenements historiques et des statuts sociaux Les conditions techniques de

leur fabrication varient en fonction de lrsquoutilisation sociale que lrsquoon projette Un chacircteau fort

pourvu de meurtriegraveres deviendra quelques siegravecles plus tard un chacircteau Renaissance apregraves

deacutemontage du pont-levis et percement de fenecirctres Enfin pour compleacuteter le panorama

suggeacutereacute la SOCIOCRITIQUE eacutevoqueacutee plus haut est la maniegravere dont le rapport des hommes agrave

lrsquoeacutethique se transforme historiquement ordre de faits qui inteacuteresse aussi le sociologue

laquo Sciences et disciplines raquo 192 Les disciplines sont les cadres professionnels qui

conventionnellement et poleacutemiquement se disputent et se reacutepartissent les meacutetiers du

savoir Tandis que les sciences ont une viseacutee purement explicative Il ne srsquoagit pas

drsquoentiteacutes seacutepareacutees Tout raisonnement scientifique a un statut social disciplinaire

laquo Le cadre suggeacutereacutehellip conduit agrave dresser linventaire fini des eacuteleacutements dont tout fait humain

en leacutetat de notre examen se compose Non certeshellip que pour nous la culture seacutepuise dans

lintelligence quainsi lon en obtient mais parce que decirctre forme nempecircche point quelle ne

se formule et que sinterdire de privileacutegier le bavard ne revient nullement agrave chercher au nom de

linteacuterecirct que lon porte au veacutecu le meilleur exeacutegegravete dans le plus beau des cas raquo 192

Justification de la deacutemarche scientifique Sa relativiteacute La culture caracteacuterise lrsquohumain sous

tous ses aspects elle nrsquoest pas reacuteductible agrave la recherche drsquoune explication Cependant crsquoest

ecirctre humain que de chercher ce qursquoest cette laquo forme raquo qui nous humanise Et cela passe

obligatoirement par des laquo formulations raquo et des raisonnements langagiers Il ne faut pas

attendre de la reacutealiteacute qursquoelle laquo dise raquo drsquoelle-mecircme ce qui la cause Le cas laquo veacutecu raquo ne deacutelivre

pas lui-mecircme lrsquoexplication de ce qui srsquoest passeacute Donc le beau cas nrsquoest pas le

laquo meilleur exeacutegegravete raquo lire ici le grec execircgecirctecircs = celui qui explique Le bavard nrsquoest pas pour

autant glossologue le citoyen nrsquoest pas pour autant historien ou sociologue le sage nrsquoest pas

pour autant axiologue

52 Une lecture de Jean Gagnepain

La theacuteorie de la meacutediation une anagnose et une dieacutegegravese de lrsquohumain

laquo helliple titre de cet ouvragehellip [ne deacutefinit pas rigoureusement son propos] raquo 193 Agrave savoir

laquo Du vouloir-dire raquo La preacutesence du mot laquo dire raquo teacutemoigne du fait que pour des raisons

professionnelles JG entre dans lrsquoeacutetude de lrsquohumain par le biais du langage parce que crsquoest

son domaine disciplinaire de recherche dans la reacutepartition sociale du travail

laquo Le langage simultaneacutement se fait [dans cet ouvrage] exemple et theacuteorie drsquoinstances et de

performances dont lrsquoanagnose et la dieacutegegravese reflegravetent eacutepisteacutemologiquement les caractegraveres

Lrsquoune alternativement extrait lrsquoautre meacutethodologiquement deacutecrit cet unique ressort de

lrsquohominisation baptiseacute par nous meacutediation (hellip) raquo 193

En grec laquo anagnocircsis raquo veut dire laquo prise de connaissance [-gnocircsis] (drsquoun texte) en remon-

tant |ana-]raquo et particuliegraverement laquo lecture raquo Dans les Actes des Apocirctres il deacutesigne la lecture agrave

haute voix de la Thora agrave la synagogue Le terme laquo dieacutegegravese raquo (diecircgecircsis) deacutesigne le deacuteveloppe-

ment drsquoun reacutecit le deacuteroulement de la parole dans le temps

JG glosait lui-mecircme ces deux termes agrave propos de la notion de laquo science raquo dans son

Seacuteminaire du 5 mai 1977 laquo La science nrsquoest ni formalisation ni description elle est explication

crsquoest-agrave-dire une dialectique verbale qui suppose dans lrsquoordre du savoir comme dans lrsquoordre de

la totaliteacute de la raison deux phases que jrsquoappelle ‟anagnoserdquo raquo et ‟dieacutegegraveserdquo Je mets

lrsquoanagnose du cocircteacute de la formalisation la dieacutegegravese du cocircteacute de la description Il srsquoagit des

moments dialectiques drsquoune seule et mecircme explication raquo43

Revenons au texte Le preacutesent ouvrage en tant qursquoessai drsquoexplication scientifique preacutesente

les mecircmes proprieacuteteacutes rationnelles que lrsquoobjet dont il traite Il en laquo reflegravete les caractegraveres raquo agrave

savoir la dialectique et ses deux phases Le langage en tant qursquoobjet de lrsquoouvrage est un

laquo exemple raquo dont on laquo extrait raquo la raison dialectique Il nrsquoest pas le seul noter le pluriel agrave

laquo instances et performances raquo Et le langage est aussi la meacutediation par laquelle passe toute

explication qui est laquo theacuteorie raquo ici drsquoune dialectique entre instance et performance Le langage

est donc envisageacute successivement comme objet et comme theacuteorie explicative ndash

laquo meacutetalangage raquo diraient certains Par du langage on tente drsquoexpliquer ce qursquoest le langage de

sorte qursquoil a laquo simultaneacutement raquo un double statut

Lrsquolaquo anagnose raquo est donc le regard analytique laquo formalisant raquo de lrsquoanthropologue qui

prend le langage en laquo exemple raquo de reacutealiteacute humaine et en laquo extrait raquo laquo les caractegraveres raquo de la

meacutediation par le test hypotheacutetico-deacuteductif notamment par la dissociation des plans Le

langage ainsi est reacuteveacutelateur de la meacutediation structurale et la neacutegation de celle-ci par reacuteanalyse

ainsi que de la complexiteacute de la raison laquo unique ressort de lrsquohominisation raquo

La laquo dieacutegegravese raquo est donc le processus de deacuteveloppement laquo meacutethodologique raquo de lrsquoexposeacute de

la dialectique de la rationaliteacute humaine Du Vouloir Dire est lrsquoexemple mecircme drsquoune laquo dieacutegegravese raquo

laquo [Cet unique ressort de lrsquohominisation la meacutediation]hellipqui drsquoun chapitre agrave lrsquoautre se

lit drsquoabord en filigrane avant drsquoecirctre globalement repris sous lrsquoangle de ses avatars ou des

opeacuterations qursquoil induit raquo 1937

laquo hellipen filigrane raquo Par la suite JG traitera seacutelectivement et successivement de chaque

laquo plan raquo Le principe de meacutediation qui est le plus geacuteneacuterique sera deacutesormais agrave lrsquoarriegravere-plan En

43 Seacuteminaires laquo Le sens raquo (1976-1977) 5 mai 1977 laquo Les limites de la connaissance raquo 3egraveme partie laquo De la science comme dialectique raquo

Discours et meacutethode 53

distinguant par cette meacutetaphore de papetier laquo le filigrane raquo de laquo lrsquoimage raquo JG veut souligner

que le principe mecircme de laquo meacutediation raquo est lrsquolaquo unique ressort de lrsquohominisation raquo Lrsquoobligation

de deacutevelopper laquo drsquoun chapitre agrave lrsquoautre raquo lrsquoexposeacute de la glossologie de lrsquoergologie de la

sociologie et de lrsquoaxiologie du fait de la dissociation des plans ne doit pas remettre en cause

lrsquouniteacute fondamentale du principe de meacutediation La rationaliteacute est une (Si jrsquoose dire en toute

improprieacuteteacute laquo Credo in unam rationem raquo)

laquo helliprepris sous langle de ses avatars ou des opeacuterations quil induit raquo Il sera repris lorsque

JG traitera de sciences laquo appliqueacutees raquo et dans le 3e volume de laquo gueacuterir former sauver

lrsquohomme raquo 193

Da Capo

[Le projet] laquo auquel lacircge qui vient nous convie raquo laquo le jeu raquo [des sciences humaines] est

lrsquoenjeu de laquo notre temps raquo 194 Reprise da capo du premier paragraphe de lrsquoouvrage

laquo lrsquoavenir verra dans ces derniegraveres la grande deacutecouverte de notre temps raquo 33

Les autres sciences continuent leur analyse de lrsquounivers physique et biologique mais le

preacutesent ouvrage invite agrave analyser laquo lrsquo‟analyseurrdquo mecircme qui nous en donne la capaciteacute raquo 194

Thegraveme de la circulariteacute des sciences humaines Lrsquohomme analyse lrsquohomme pour deacutecouvrir qursquoil

est la source de toute analyse Il fait lrsquoanalyse de ce qursquoest la capaciteacute drsquoanalyse44

Lrsquoexposeacute des quatre laquo plans raquo de la rationaliteacute humaine commencera par lrsquoeacutetude de la

capaciteacute de laquo signe raquo qui est au fondement du langage Cette eacutetude se divisera en deux parties

et traitera successivement de lrsquoaptitude humaine agrave la laquo signification raquo ou pocircle laquo grammatical raquo

de la dialectique du dire et de lrsquoaptitude conjointe agrave la laquo deacutesignation raquo ou pocircle laquo rheacutetorique raquo

de la mecircme dialectique du dire

44 Ferdinand de Saussure montre dans ses notes qursquoil eacutetait tregraves conscient de ce fait dans sa propre perspective laquo Il y aura un jour un livre speacutecial et tregraves inteacuteressant agrave eacutecrire sur le rocircle du mot comme principal perturbateur de la science des mots raquo (N 13 = 32858) Citeacute par Reneacute Amacker 1995 laquo Saussure ‟ heacuteracliteacuteen rdquo eacutepisteacutemologie constructiviste et reacuteflexiviteacute de la theacuteorie linguistique raquo LINX 7

Structure et signification 55

DU SIGNE

Introduction

Cette introduction agrave la theacuteorie du Signe - lrsquoaptitude agrave laquo dire raquo qui est au fondement du

langage - est centreacutee sur le thegraveme de la dialectique qui est une proprieacuteteacute de porteacutee

anthropologique Crsquoest pourquoi le modegravele exposeacute preacutesente deux parties drsquoeacutegale importance

qui correspondent chacune agrave un pocircle de la dialectique le pocircle de neacutegativiteacute la laquo signification

(grammaticale) raquo et le pocircle de neacutegation de la neacutegativiteacute la laquo deacutesignation (rheacutetorique) raquo

laquo Il nrsquoest pour nous de signe que verbalhellip raquo 231 Cette restriction est importante parce

qursquoeacutethologues et seacutemioticiens utilisent ce terme agrave propos de tout type drsquoinformation

laquo La grammaire (hellip) ne saurait ecirctre [ni] une sorte de cadre a priori de lrsquoentendement (hellip) [ni]

reacuteductible aux proceacutedures drsquoanalysehellip raquo hellip proposeacutees par les linguistiques formalistes Lrsquoordre

du laquo verbal raquo se reconnaicirct agrave lrsquoexistence drsquoune grammaticaliteacute immanente qursquoil srsquoagit

drsquoexpliciter

ndash Par laquo cadre a priori de lrsquoentendement raquo JG ne me semble pas se reacutefeacuterer directement agrave

Kant (1re partie de la Critique de la raison pure) en deacutepit de la formule bien kantienne Rappe-

lons que Kant ne srsquoest pas inteacuteresseacute au langage agrave proprement parler Jean Giot (communica-

tion) me rappelle qursquoErnst Cassirer observe quelque part que Johann von Herder le deacuteplorait

JG pense plus largement agrave lrsquoensemble des theacuteories philosophiques qui posent que le langage

est fondeacute sur des cateacutegories geacuteneacuterales de penseacutee notamment au courant de Port-Royal45

ndash laquo hellipni reacuteductible aux proceacutedures drsquoanalysehellip raquo Allusion agrave la Grammaire geacuteneacuterative et

transformationnelle de Noam Chomsky et plus geacuteneacuteralement agrave tout formalisme

JG eacutenonce en 232 le caractegravere dialectique de lrsquoaptitude qui est au fondement du langage

et qursquoil appelle la capaciteacute de laquo signe raquo autrement dit lrsquoaptitude de tout humain agrave laquo dire raquo

Dans un tel modegravele la Grammaire est le pocircle de la laquo neacutegation raquo de la rupture drsquoavec la

relation immeacutediate agrave lrsquoexpeacuterience de sa contestation par les mots Pour autant ce pocircle ne

peut pas ecirctre isoleacute de son antagoniste le pocircle qursquoil appelle Rheacutetorique par lequel le locuteur

remet en cause cette rupture et aboutit au message explicite celui qui se donne agrave comprendre

et vise agrave rendre compte de lrsquoexpeacuterience agrave laquelle le dire se confronte

laquo Parler nest point dire des choses mais sengager agrave leur propos dans cette dialectique du

savoir qui signifiant ce quelle deacutesigne le fait eacutemerger au concept raquo 233 Cette formulation

introductrice meacuterite une attention particuliegravere

- Notons drsquoembleacutee que le terme laquo savoir raquo eacutequivaut ici agrave laquo connaicirctre raquo qursquoil renvoie agrave la

cognition et non agrave la capitalisation sociale des connaissances Dans le second tome consacreacute agrave

la Personne le terme sera utiliseacute dans le cadre drsquoune sociolinguistique et associeacute au terme de

laquo doxa raquo laquo Bien que le savoir soit langage il est en tant que langue leacutecho de nos accords et

de nos meacutesententes raquo (DVD II De la Personne 16214)

45 Antoine Arnauld et Claude Lancelot 1660 Grammaire geacuteneacuterale et raisonneacutee Antoine Arnauld et Pierre Nicole 1662 La logique ou lrsquoart de penser

56 Une lecture de Jean Gagnepain

- Il me semble aussi possible drsquoajouter agrave lrsquoallusion agrave lrsquoincidence laquo signifiant de qursquoelle deacute-

signe raquo une allusion agrave lrsquoopeacuteration de reacutefeacuterence laquo et deacutesignant ce qursquoelle signifie raquo Lrsquoessentiel

de la formulation est dans le caractegravere dialectique des deux pocircles de production du dire

- Fondamentalement cette proposition eacutenonce au nom de la dialectique une conception

non positiviste de la connaissance Lrsquoexpression laquo des choses raquo renvoie au postulat drsquoune reacutea-

liteacute qui est laquo non amorphe raquo (reacutealiteacute non laquo en soi raquo mais pour le vivant qursquoest lrsquohomme) laquo hellip

sil nest pas vrai que lunivers sans elle [La Raison humaine] soit amorphe (hellip) raquo 175 et infra

laquo Il nest pas vrai que la nature soit comme on le dit amorphe et continue raquo 251 Ceci eacutetant

ce qursquoon en connaicirct reacutesulte de la meacutediation du signe productrice de laquo concepts raquo

JG explicite par une terminologie speacutecifique la dialectique du laquo Dire raquo 233 Deacutesormais il

parlera de laquo signification raquo pour les faits grammaticaux et de laquo deacutesignation raquo pour les faits de

rheacutetorique 236 Le signe signifie grammaticalement et deacutesigne rheacutetoriquement

Sans attendre le chapitre consacreacute agrave la deacutesignation arrecirctons-nous un instant sur le terme

laquo deacutesignation raquo Il est impeacuteratif de se deacuteprendre agrave son propos du sens le plus commun celui

qui relie laquo deacutesigner raquo agrave lrsquoacte de pointer une chose du doigt ce qui renvoie agrave une conception

nomenclaturiste et ontologique du signe Ontologique parce que lrsquoon postule ainsi lrsquoexistence

de choses distinctes sans se demander ce qui humainement leur donne existence distincte ndash

ne serait-ce que lrsquoaptitude biologique agrave la perception qui produit une saillance sur un fond

Nomenclaturiste parce que lrsquoon postule alors qursquoun catalogue de mots peut correspondre agrave

cette diversiteacute de choses et qursquoil suffit de faire le bon choix Comme toujours chez JG il faut

prendre en compte tant le fait qursquoil propose non un concept mais un couple de concepts ndash

laquo signification deacutesignation raquo que le fait que ce couple renvoie agrave lrsquoantagonisme des pocircles

drsquoune dialectique Par conseacutequent il faut lire laquo deacute -signation raquo ndash agrave deacutefaut de laquo deacute-

signification raquo ndash parce qursquoil srsquoagit du renversement de la neacutegativiteacute formelle en neacutegation de

cette neacutegativiteacute laquo Crsquoest ce moment de neacutegation de la neacutegativiteacute que jrsquoessaie drsquoexprimer par deacute-

signation crsquoest-agrave-dire au fond [le fait] de nier la signification drsquoy eacutechapper raquo46 Seacuteminaire du

27 novembre 1975 Comme il le dit plus loin la signification produit de la structure formelle et

la deacutesignation est laquo structurante raquo laquo La rheacutetorique est structurante cest-agrave-dire reconstruit le

monde sur le modegravele dune grammaire raquo 673

En outre JG deacutedouble dans ce paragraphe 233 la terminologie en fonction de lrsquoexistence

de ce qursquoil appellera laquo les deux faces raquo du signe Il reprend ici la terminologie saussurienne du

laquo signifiant raquo et du laquo signifieacute raquo tout en transformant de faccedilon importante ces concepts

comme nous le verrons Il y a donc deux aspects agrave la grammaire la phonologie et la

seacutemiologie et deux aspects agrave la rheacutetorique (respectivement) la phoneacutetique et la seacutemantique

Noter au passage que dans une telle disposition des concepts cette laquo seacutemiologie raquo strictement

grammaticale nrsquoa plus rien agrave voir avec la seacutemiologie du Cours ni avec celle des seacutemioticiens du

XXe siegravecle

Formulation corollaire sur une face existe la dialectique entre lrsquoinstance phonologique et

la performance phoneacutetique et sur lrsquoautre la dialectique entre lrsquoinstance seacutemiologique et la

performance seacutemantique Cf le scheacutema de la page 24 du livre

Lrsquoauteur insiste sur la prise en compte de la rheacutetorique car laquo Lrsquoanalyse [grammaticale] ne

suffit pas raquo pour expliquer ce qui est dit 234 La rheacutetorique est en interface avec la laquo situa-

tion raquo Cette interaction est deacutefinie par la conjonction de plusieurs aspects qursquoil appellera plus

46 Seacuteminaire du 27 novembre 1975 laquo Signification et deacutesignation raquo

Structure et signification 57

loin des laquo paramegravetres raquo (de la situation) Il en eacutevoque ici trois 234 Tout laquo message raquo (ce qui

est dit) teacutemoigne drsquoune recherche qui est contrainte agrave la fois par la laquo source raquo (sa provenance)

par la laquo cible raquo du message adresseacute et par lrsquoobjet deacutesigneacute (laquo de quoi il est question raquo)

Lrsquoensemble constitue laquo la conjoncture raquo

laquo Il y a ce que la langue veut dire en nous il y a ce que nous voulons dire par elle raquo 235 En

ce deacutebut drsquoouvrage JG choisit drsquoutiliser des termes usuels laquo langue vouloir dire raquo termes

auxquels il donnera un autre sens par la suite Il ne faut donc pas accorder un sens socio-

logique au terme laquo langue raquo mais seulement le sens de laquo systegraveme grammatical raquo ndash on nrsquoest

pas loin de la notion de laquo langue raquo promue par Saussure De mecircme laquo vouloir dire raquo est

seulement synonyme ici de laquo faire sens ecirctre intelligible raquo sans rapport avec lrsquoaxiologie du

vouloir et du laquo noloir raquo deacuteveloppeacutee dans le 2e tome Le rapprochement srsquoimpose avec le titre

de lrsquoouvrage laquo Du vouloir Dire raquo Personnellement je pense qursquoil srsquoagit drsquoun anglicisme

teacutemoin de son long seacutejour en milieu anglophone Crsquoest selon moi le calque franccedilais drsquoun laquo On

Meaning raquo que le terme laquo signification raquo ne pouvait traduire puisque JG voulait donner une

porteacutee anthropologique geacuteneacuterale agrave son projet Par comparaison lrsquoouvrage de K Ogden amp IA

Richards The meaning of meaning (1923) reste un livre de linguistique

laquo hellip [Grammaire et Rheacutetorique] Ce dont lrsquoeacutecole traditionnelle faisait chronologiquement des

cycleshellip raquo 235 Lrsquoeacutecole reacutepartissait en deux cycles lrsquoeacutetude de la grammaire et lrsquoeacutetude de la

reacutedaction argumenteacutee Allusion agrave une appellation ancienne des classes de franccedilais du 2d

degreacute De la 6egrave agrave la 3egrave lrsquoeacutelegraveve eacutetait en classe de laquo grammaire raquo et de la 2de agrave la Terminale il

eacutetait en classe de laquo rheacutetorique raquo Deux agreacutegations diffeacuterentes leur correspondaient ndash eacutetant

entendu que lrsquoeacutetude du franccedilais nrsquoeacutetait pas dissocieacutee de celles du latin et du grec lrsquoagreacutegation

de laquo grammaire raquo eacutetait censeacutee former des professeurs du 1er cycle (actuels collegraveges) et celle

de laquo lettres raquo des professeurs du 2d cycle (actuels lyceacutees)

Il srsquoagit ici laquo hellipnon drsquoun systegraveme abusivement identifieacute agrave un code et drsquoun corpus historique-

ment tenu pour fini raquo Le rapprochement entre laquo systegraveme raquo et laquo code raquo renvoie agrave la typologie

des laquo fonctions raquo du langage proposeacutee par Roman Jakobson dans le chapitre laquo linguistique et

poeacutetique raquo de ses Essais de linguistique geacuteneacuterale 214-218 (Article de 1960 eacuted franccedilaise

1963) JG reproche agrave cette conception du langage drsquoecirctre fixiste et drsquoordre sociologique le

code comme le corpus y sont preacutedeacutetermineacutes et conventionnels

laquo [Le couple Grammaire et Rheacutetorique] devient contradiction fondamentalehellip ndash sur la base

drsquoune eacutegale creacuteativiteacute ndash de deux principes drsquoorganisation dont lrsquoun purement logique est de soi

catachregravese lrsquoautre conjonctural exigence simultaneacutee de congruence et drsquounivociteacute raquo 235

Voyons quelle est cette double creacuteativiteacute et quels sont ces deux laquo principes

drsquoorganisation raquo lrsquoun laquo purement logique raquo lrsquoautre laquo conjonctural raquo Le seacuteminaire du 4 deacute-

cembre 1975 nous propose la premiegravere reacuteponse suivante laquo Les deux processus se trouvent

eacutegalement creacuteatifs Crsquoest ce que jrsquoexprime par ‟tout le signifiablerdquo et ‟tout le concevablerdquo raquo47

Le laquo signifiable raquo est lrsquoinfiniteacute de ce que lrsquoon peut dire grammaticalement le laquo concevable raquo

lrsquoinfiniteacute de ce que lrsquoon peut concevoir qui ne se reacuteduit pas agrave ce que lrsquoon comprend et ne se

confond pas avec agrave ce que lrsquoon comprend dans un eacutetat historique du savoir

Lrsquoassociation entre creacuteativiteacute grammaticale et laquo catachregravese raquo ainsi qursquoentre creacuteativiteacute

rheacutetorique et laquo congruence raquo peuvent ecirctre deacuteveloppeacutees de la faccedilon suivante

47 Seacuteminaire du 4 deacutecembre 1975 laquo Les principes drsquoorganisation et le corpus raquo

58 Une lecture de Jean Gagnepain

a - Envisageons la creacuteativiteacute du principe drsquoorganisation laquo purement logique raquo Le pocircle

grammatical du signe serait laquo creacuteatif raquo parce qursquoil est en soi laquo catachregravese raquo 235 Qursquoest-ce agrave

dire JG formule ainsi une proprieacuteteacute du grammatical sous tous ses aspects (phonologique

lexical syntaxique) cependant pour simplifier ici lrsquoexplication je ne retiendrai que lrsquoaspect

lexical mecircme si je suis conscient que cette restriction introduit un biais tellement il est diffi-

cile de renoncer agrave cet arriegravere-plan ontologique qui ferait du langage une relation entre laquo des

mots raquo et laquo des choses raquo Gardons constamment agrave lrsquoesprit le principe eacutenonceacute anteacuterieurement

laquo point de choses agrave dire preacuteexistant agrave notre faccedilon drsquoen parler raquo 64 ainsi que laquo parler nrsquoest

point dire des choses raquo 233 Dans ce domaine lexical JG veut dire par laquo catachregravese raquo qursquoun

mot ndash crsquoest-agrave-dire une valeur structurale (dans lrsquoacception saussurienne du terme) deacutefinie

neacutegativement par ses frontiegraveres avec les autres valeurs dans le systegraveme ndash offre une potentia-

liteacute de sens et non un sens fixe Le mot est laquo impropre raquo source de polyseacutemie conceptuelle

Bien plus mecircme lorsque celle-ci est leveacutee le mot reste vague puisqursquoil est une abstraction

formelle Ainsi le mot laquo une table raquo fait abstraction des cadres des expeacuteriences culturelles ndash

techniques et sociales notamment ndash dans lesquels il sera de fait rheacutetoriquement eacutenonceacute laquo la

table de multiplication la table agrave repasser du raisin de table la meilleure table de la reacutegion raquo

(Polyseacutemie) Mecircme relieacute agrave une situation deacutefinie techniquement et socialement (table agrave

repasser et non une autre sorte de table) le mot laquo table raquo ne dit rien de la dimension ou du

poids de lrsquoobjet qursquoil deacutesigne ni de son style il reste laquo vague raquo Le terme de laquo catachregravese raquo est

agrave entendre comme cette aptitude drsquoun mot agrave rester identique agrave lui-mecircme quand bien mecircme

son sens varie

Cette creacuteativiteacute peut srsquoeacuteprouver dans le fait qursquoune variante seacutemantique peut toujours

apparaicirctre notamment par le raisonnement meacutetaphorique ou meacutetonymique dans le cadre

invariant de lrsquoidentiteacute grammaticale laquo Son voilier est scotcheacute pregraves des Accedilores raquo (Cf infra la

deacutefinition de la meacutetaphore et de la meacutetonymie en 801-2 1003 et 1042) La rheacutetorique nrsquoest

laquo structurante raquo que parce que lrsquoabstraction grammaticale permet cette creacuteativiteacute La part de

laquo creacuteativiteacute raquo de la dialectique est laquo agrave eacutegaliteacute raquo dans ses deux pocircles

Autre maniegravere compleacutementaire de comprendre Parce qursquoil reacutepond agrave un principe organisa-

teur speacutecifique lrsquoordre du grammatical (qui inclut le lexique) laquo a ses raisons que la raison

seacutemantique ne connaicirct pas raquo le mot laquo creacutee raquo de lrsquoidentiteacute lagrave ougrave lrsquoon peut comprendre

seacutemantiquement de la diversiteacute Le mot laquo opeacuteration raquo ne dit grammaticalement que lui-mecircme

et nrsquoest deacutefini que par lrsquoexistence des autres mots du lexique alors qursquoon ne peut pas

confondre en situation une opeacuteration chirurgicale et une opeacuteration matheacutematique ou

militaire

Le terme de laquo catachregravese raquo 235 nrsquoest pas agrave prendre dans son sens eacutetymologique normatif

celui de laquo sens inapproprieacute raquo (chez Aristote puis Ciceacuteron) mais comme synonyme

laquo drsquoabstraction raquo un mecircme mot peut prendre des sens varieacutes et de toute maniegravere il neacuteglige

des aspects objectifs de la situation Pour JG comme pour Saussure il nrsquoy a pas de laquo sens

propre raquo (principal) et de laquo sens figureacute raquo (deacuteduit) mais une aptitude du mot agrave geacuteneacuterer des

sens Tout mot laquo figure raquo parce qursquoil constitue une identiteacute dans son ordre speacutecifique (le

grammatical) et qursquoil est donc laquo impropre raquo par contradiction avec la production des concepts

b - Lrsquoautre creacuteativiteacute est celle laquo conjoncturelle raquo de la rheacutetorique Elle est le corollaire et

lrsquoinversion de la premiegravere Le sens drsquoun message est laquo ouvert raquo agrave la creacuteativiteacute de lrsquointellection

qui en situation produit de la distinction et de lrsquoidentiteacute seacutemantique La construction du

raisonnement est une recherche relative de laquo congruence raquo (de la moindre reacutesistance de la

Structure et signification 59

situation au concept que lrsquoon produit) et drsquolaquo univociteacute raquo (le mot prend ce sens-lagrave et non un

autre) La rheacutetorique produit en permanence des laquo effets de reacuteel raquo nouveaux Jrsquoen trouve un

eacutecho dans ce propos de Wilhem von Humboldt laquo [Die Sprache] est le champ englobant [der

Inbegriff] de tout le pensable Crsquoest pourquoi elle est appeleacutee agrave faire agrave partir de moyens finis

un usage infini puisqursquoaussi bien crsquoest une seule et mecircme force qui produit agrave la fois la penseacutee

et la langue raquo (Introduction agrave lrsquoœuvre sur le kavi p 246)

Je vous propose un exemple de maniegravere agrave exercer nous-mecircmes cette creacuteativiteacute concep-

tuelle qursquoest la glose explicative face aux laquo mots raquo proposeacutes ici Soit donc ce conseil en

cuisine laquo Laisse freacutemir mais pas bouillir surveille les bulles raquo Chacun des mots est poly-

seacutemique dans le lexique mais se transforme ici en concepts par lesquels le locuteur produit

une connaissance deacutefinie de lrsquoexpeacuterience humaine qursquoil vit excluant qursquoil srsquoagisse de bulle

papale de freacutemissement drsquohorreur de gardien de prison ou de bouilleurs de cru

Soulignons encore une fois (cf 64 et 233) que cette conception du sens nrsquoest pas

laquo nomenclaturiste raquo qursquoelle ne considegravere pas les mots comme un laquo reflet raquo de choses viseacutees

En effet si reacutealiste que paraisse le propos crsquoest bien le locuteur qui construit les choix et les

raisonnements en se confrontant dans cet exemple agrave une laquo saillance raquo gestaltique visuelle

humaine associeacutee agrave une maicirctrise technique drsquoun outillage bref agrave lrsquoobservation de la surface

de lrsquoeau dans la casserole observation qursquoil transforme en concepts (laquo freacutemissement raquo versus

laquo bouillonnement raquo) par le langage agrave travers un choix lexical Cette conception du sens nrsquoest

pas non plus laquo ontologique raquo parce qursquoon ne pose pas laquo drsquoecirctres raquo en soi pas laquo drsquoecirctre

bouillon raquo mais une laquo conjoncture raquo (ou laquo situation raquo) humaine entrant dans la dialectique

langagiegravere

En outre il faut se garder de reacuteduite le message agrave ses laquo substantifs raquo agrave ce que lrsquoon appelle

parfois ses laquo lexegravemes raquo Tout syntaxe incluse doit ecirctre pris en compte dans cette ideacutee de

creacuteativiteacute Ainsi lrsquoimpeacuteratif verbal devient laquo conseil raquo (eacuteventuellement) en fonction drsquoune

expeacuterience veacutecue circonstancielle qui nrsquoest pas preacutesente ici mais qui a motiveacute le message Le

choix de laquo x mais pas y raquo compte aussi qui creacutee conceptuellement un antagonisme Enfin

qursquoest-ce que laquo laisser raquo (dans cette phrase) sinon une construction conceptuelle particuliegravere

qui tente drsquoidentifier sur son mode propre une opeacuteration technique drsquoailleurs neacutegative (ne

rien faire jusqursquoagrave un certain moment)

laquo Parce que tout message est un compromis de ce qursquoon peut deacuteduire des regravegles et de ce

que lrsquoexpeacuterience nous dit (hellip) raquo 236 final JG reformule ainsi la dialectique du dire

Je crois bon de noter le terme drsquolaquo expeacuterience raquo terme repris en 662 et que lrsquoon retrouvera

dans le chapitre suivant ndash 734 1071 1073 1113 etc ndash et qursquoil convient drsquoassocier agrave celui

de laquo situation raquo ndash 134 365 582 693 etc ndash car mieux que les termes laquo monde raquo ndash 673

732 851 etc ndash et laquo univers raquo ndash 75 194 823 etc ils montrent la relation de JG agrave la

pheacutenomeacutenologie JG utilise rarement le terme laquo la reacutealiteacute raquo dans ce sens 1084 1172

Apport terminologique le signe est laquo signification raquo par son pocircle grammatical et

laquo deacutesignation raquo par son pocircle rheacutetorique Par exemple lrsquoeacuteleacutement que la grammaire appelle laquo le

pluriel raquo (drsquoun nom) a une signification unique par opposition au laquo singulier raquo mais il prend

des deacutesignations diffeacuterentes selon le raisonnement seacutemantique que lrsquoon tient laquo Des tables raquo

peut deacutesigner une pluraliteacute comptable de tables ou des varieacuteteacutes qualitatives de tables

laquo hellipau lieu drsquoen fairehellip les degreacutes drsquoune seule et mecircme eacutechelle de grammaticaliteacute raquo 236

Reacutefeacuterence critique aux analyses finalistes par laquo niveaux raquo qui partent du niveau infeacuterieur du

60 Une lecture de Jean Gagnepain

son et du laquo phonegraveme raquo et deacutebouchent sur le niveau supeacuterieur du sens et de la laquo seacutemantique raquo

La theacuteorie laquo texte-sens raquo drsquoIgor A Melʹčuk en est un exemple contemporain

Leacutegende du scheacutema des composantes du signe p24

Il faut bien admettre qursquoil est techniquement impossible de dessiner un modegravele dialectique

dans une figure agrave deux dimensions Une telle figure est extrecircmement reacuteductrice Prenons-la

pour ce qursquoelle est une introduction

Lrsquoenchaicircnement vertical de petits cercles (sant seacute) est repris du Cours de Saussure (et col-

legravegues eacutedition 1916) Toutefois par la suite JG exposera une conception tregraves diffeacuterente des

laquo faces raquo du signe Il fera une distinction claire entre la laquo deacutenotation raquo (le laquo signifiant raquo du

scheacutema) qui est le critegravere qui cautionne le signifieacute et lrsquoordre geacuteneacuteral du signifiant qursquoest la

phonologie On sait en effet que Saussure entendait par son scheacutema illustrer la solidariteacute des

faces du signe mais il y a en termes drsquoanalyse un deacuteseacutequilibre entre les deux notions En

effet alors que le signifieacute pouvait ecirctre consideacutereacute comme une laquo valeur raquo eacuteleacutementaire ce qursquoil

appelle signifiant ne constitue pas pour autant une laquo valeur raquo phonologique eacuteleacutementaire Les

exemples du cours le montrent bien Le laquo signifieacute raquo laquo sœur raquo est eacuteleacutementaire tandis que laquo la

suite de sons s ndashouml ndash r raquo non eacuteleacutementaire laquo lui sert de signifiant raquo Cours p100

Par ailleurs la mise entre parenthegraveses de (son) et (sens) est lagrave pour alerter le lecteur sur le

fait qursquoil faut distinguer entre laquo son raquo et phoneacutetique et entre laquo sens raquo et seacutemantique laquo Son raquo

et laquo sens raquo prendront un statut hors du signe Cf supra 151 et infra 252 265 273 Phoneacute-

tique et seacutemantique forment le pocircle performantiel du signe

Il faut aussi lire que le terme laquo rheacutetorique raquo deacutesigne lrsquointeacuterieur du plus grand ovale et que le

terme laquo grammaire raquo deacutesigne lrsquointeacuterieur du plus petit ovale tandis que laquo signe raquo deacutesigne

lrsquoensemble que forment la rheacutetorique et de la grammaire

STRUCTURE ET SIGNIFICATION

Ce chapitre expose le modegravele grammatical glossologique sous trois aspects Le signe est

dialectique il est biface il est biaxial JG y deacuteveloppe le pocircle laquo instantiel raquo implicite de la

dialectique du dire qursquoest la grammaire Le chapitre suivant laquo Pour un traiteacute de la deacutesigna-

tion raquo deacuteveloppera le pocircle laquo performantiel raquo de la dialectique visant agrave lrsquoexplicitation pocircle

qursquoil appelle laquo rheacutetorique raquo

- Preacutesentation de la grammaire comme pocircle drsquoune dialectique dont le moment antagoniste

et fondamental est la situation qursquoelle analyse (laquo lrsquounivers raquo) Le thegraveme de la dialectique est

dominant dans le deacutebut de lrsquoexposeacute pages 25-27 et restera une preacuteoccupation constante de

lrsquoauteur dans lrsquoexposeacute de son modegravele lui-mecircme traiteacute dans les deux sections suivantes qui

privileacutegient le thegraveme de lrsquoanalyse

- Preacutesentation des deux laquo faces raquo du grammatical et de leur fondement commun

lrsquoimproprieacuteteacute Eacutetude de leur relation de deacutefinition reacuteciproque (section signifieacute et signifiant) 25-

34

Structure et signification 61

- Preacutesentation des deux laquo axes raquo drsquoanalyse (section Identiteacute et uniteacute) 34-48 suivie de

lrsquoexamen des interrelations entre ces deux axes (section similariteacute et compleacutementariteacute) 48-66

Propos introductif

La distinction introduite ici entre Gestalt et forme (structurale) est tregraves importante JG

refuse la dichotomie trop simple de la laquo forme raquo et de la laquo substance raquo au nom de la

dialectique Il serait selon lui inexact de concevoir la premiegravere comme discontinue et donc

analysable et la seconde comme un continuum qui serait seulement mesurable par la projec-

tion arbitraire et conventionnelle drsquoun systegraveme logique et technique de deacutecompte et de calcul

Il reacutecuse aussi la thegravese des laquo degreacutes raquo drsquoabstraction que posent les eacutethologistes qui jouant de

la polyseacutemie du terme laquo abstraction raquo preacutetendent en observer jusque chez les abeilles et en

concluent que lrsquohumain nrsquoest capable que de la mecircme abstraction en plus compliqueacutee

Soulignons que lrsquoeacutevocation de laquo la nature raquo ndash laquo Il nest pas vrai que la nature soit comme on

le dit amorphe et continue raquo 251 ndash ne renvoie pas agrave un laquo univers raquo autonomiseacute La suite du

propos ndash laquo hellip du moins le vivant y introduit-il des contourshellip raquo ndash montre qursquoil srsquoagit drsquoune

laquo nature humaine raquo autrement dit du monde pour lrsquoespegravece vivante qursquoest lrsquohomme du monde

auquel sa biologie lui donne accegraves et dont il fait lui-mecircme partie On remarquera au passage

la double caracteacuterisation de ces contours la nature nrsquoest ni laquo amorphe raquo ni laquo continue raquo JG

introduit agrave travers cette distinction la biaxialiteacute dans le vivant de lrsquohomme les laquo contours raquo

sont qualitatifs et quantitatifs En clinique Cleacutement de Guibert et coll (2003)48 distinguent

ainsi dans les agnosies visuelles des laquo troubles qualitatifs de la discrimination raquo (pertes des

caracteacuteristiques) de lrsquoobjet perccedilu et des laquo troubles quantitatifs de la deacutelimitation raquo de lrsquoobjet

Cette conception de la nature eacutetait deacutejagrave expliciteacutee en 1975 dans le seacuteminaire laquo Sens et

intelligibiliteacute raquo49 laquo (hellip) La nature des choses inclut notre rapport agrave elle La nature nrsquoexiste pas

en soi elle nrsquoexiste que pour les gens qui srsquoy trouvent et en particulier notre rapport aux choses

nrsquoest pas le mecircme que celui de lrsquoanimal Nous ne saisissons jamais les choses en elles-mecircmes

nous ne les saisissons que dans leur rapport agrave nous et le rapport agrave elles fait partie de la naturehellip

(hellip) Nous prenons pour des choses ce que la nature deacutecoupe gestaltiquement pour nous (hellip)

Dans notre vie nous participons au statut de cette reacutealiteacute La nature nrsquoest pas agrave lrsquoexteacuterieur de

nous nous sommes pleinement dans la nature Crsquoest agrave ccedila que ressortit lrsquoobjet perccedilu (hellip)

Preacuteciseacutement lrsquoobjet nrsquoest pas la chose il est la chose en tant qursquoelle est perccedilue Il est la chose

en tant que gnosiquement nous avons rapport agrave elle Deacutejagrave dans ce sens-lagrave parler drsquoobjet sup-

pose un eacutequilibre reacutealiseacute entre le vivant et son environnement raquo

laquo Le discret reacutesulte chez lhomme - et cest lagrave sa culture - dune non-coiumlncidence et non dune

invention raquo 251 La formulation peut precircter agrave confusion et doit ecirctre compleacuteteacutee par drsquoautres

propositions du texte Isoleacutee elle permettrait drsquoentendre que la gestalt (contraste fond-forme

notamment) et la forme (culturelle) ont la mecircme deacutefinition agrave ceci pregraves que la culture ne

mettrait pas les discontinuiteacutes au mecircme endroit Il faut donc rappeler que pour JG la gestalt

est une mise en contraste laquo positive raquo un effet de laquo saillance raquo tandis que la structure

constitue des discontinuiteacutes laquo neacutegatives raquo (dans le sens saussurien du terme) La gestalt peut

ecirctre une laquo figure raquo isolable tandis que la structure est une totaliteacute ougrave tout se tient Pour

autant la structure est pocircle drsquoune dialectique crsquoest-agrave-dire la neacutegation de la positiviteacute

naturelle par les frontiegraveres qursquoelle installe laquo Aufhebung raquo

48 laquo Biaxialiteacute saussurienne et biaxialiteacute gestaltique Arguments cliniques raquo in Teacutetralogiques 15 p227

49 Seacuteminaire du 27 novembre 1975 laquo sens et intelligibiliteacute raquo

62 Une lecture de Jean Gagnepain

SIGNIFIANT et SIGNIFIEacute

1- Du symbole au signe

Reacutesumeacute Le caractegravere dialectique du signe implique que lrsquoon srsquointeacuteresse agrave la base naturelle

sur laquelle srsquoinstaure cette dialectique

JG eacutenumegravere en 252 les trois degreacutes de complexiteacute de la cognition naturelle chez lrsquohomme

Le biologiste distingue la laquo sensation raquo ou laquo estheacutesie raquo (ex je vois) et la perception ou

laquo gnosie raquo (ex jrsquoaperccedilois) En effet tout ce qui est dans le champ visuel auditif olfactif etc

nrsquoest pas construit en percept JG appelle le percept laquo objet raquo de mecircme qursquoil parlera pour le

geste de laquo trajet raquo (puis de laquo sujet raquo et de laquo projet raquo agrave propos du corps et de lrsquoaffectiviteacute) Il

reacuteactive drsquoailleurs en cela le latin laquo ob-jectum raquo de maniegravere agrave lutter contre une positivation du

concept drsquoobjet et agrave rappeler qursquoil srsquoagit deacutejagrave drsquoune relation entre une fonction gnosique et la

reacutealiteacute En outre il est important de noter degraves maintenant que ce concept ndash laquo lrsquoobjet1 raquo

naturel ndash devra plus loin ecirctre soigneusement distingueacute du concept seacutemantique drsquolaquo objet2 raquo

culturel tel que deacutefini notamment en 1084 laquo Il nrsquoest drsquoobjet que construit Construit

srsquoentend avec des mots (hellip) raquo

En troisiegraveme degreacute de la laquo conscience animale raquo JG appelle ensuite laquo imaginaire raquo 252

lrsquoinformation de type laquo aliquid stat pro aliquo raquo crsquoest-agrave-dire laquo un indice mis pour un sens raquo

Une maniegravere drsquoillustrer cela est la notion de laquo trace raquo lrsquoempreinte au sol (aperccedilue) conduit agrave

imaginer le passage de quelqursquoun JG insiste sur le fait que le sens infeacutereacute drsquoun indice peut agrave

son tour ecirctre lrsquoindice drsquoun autre sens tel que dans notre exemple le sens laquo passage de

quelqursquoun raquo devienne lrsquoindice de lrsquoinformation tout aussi imaginaire laquo la maison plus loin est

occupeacutee raquo etc Le laquo symbole raquo est laquo seacuteriel raquo 253 Toutefois tout exposeacute drsquoexemple laquo humain raquo

est biaiseacute par le fait qursquoen le formulant on montre qursquoil est toujours transformeacute par le langage

en raisonnement conceptuel Par ailleurs lrsquoexemple des laquo cris raquo humains montre que dans le

symbole laquo le sens raquo associeacute agrave lrsquoindice (perceptible) srsquoil est une laquo information raquo (un fait

cognitif) ne preacutejuge pas du statut de cette information statut naturel ou culturel et qui peut

relever de nrsquoimporte quel autre plan Un cri humain tel que le son nasal aspireacute bouche fermeacutee

transcrit laquo hum raquo (qui nrsquoest pas nrsquoimporte quel son) informe drsquoun doute (qui est un fait

axiologique) et redoubleacute peut ecirctre associeacute agrave une approbation (dans une transaction)

laquo hellip agrave lrsquoencontre des plus remuants de nos contemporainshellip raquo 253 JG critique dans la fin

de ce paragraphe la confusion contemporaine du terme laquo symbole raquo et du terme laquo signe raquo Il

semble viser tregraves large depuis laquo le symbolique raquo de Jacques Lacan50 et dans drsquoautres sens le

mecircme terme chez Pierre Bourdieu51 et autres sociologues

Ce que les eacutethologues appellent improprement laquo langage animal raquo devient dans le modegravele

laquo aptitude au symbole raquo qursquoon lrsquoobserve dans la nature ou pousseacute agrave ses limites dans le

dressage 254 et 261 JG souligne que par anthropomorphisme lrsquoobservateur appreacutecie le

reacutesultat chez lrsquoanimal agrave lrsquoabsence drsquoerreur ou drsquointerpreacutetation Lrsquoabeille trouve toujours le lieu

de la cueillette en fonction de la laquo danse raquo de ses congeacutenegraveres Crsquoest tout le contraire du

langage qui est laquo impropre raquo et lieu drsquointerpreacutetation permanente

50 Cf entre autres P Juignet 2003 Cliniques meacutediterraneacuteennes httpswwwcairninforevue-cliniques-mediterraneennes-2003-2-page-131htm

51 Cf httpsfrwikipediaorgwikiCapital_symbolique

Structure et signification 63

Cependant dans le symbole laquo La reacuteduction de la substance que suppose la seacuteriation nrsquoa

rien drsquoune veacuteritable abstraction raquo 262 Tant lrsquoindice que le sens associeacute sont des faits positifs

(gestaltiques) et non des eacuteleacutements drsquoune structure ougrave la valeur de chacun est deacutefinie par sa

frontiegravere avec les autres valeurs Reprenons lrsquoexemple du cri humain transcrit laquo hum raquo (son

nasal aspireacute bouche fermeacutee) Un tel cri nrsquoest pas lrsquoeacutequivalent du phonegraveme nasal m dont la

deacutefinition deacutecoule du critegravere de pertinence qui le distingue des autres phonegravemes dans la

structure phonologique (Voir infra) De mecircme une chose est de dire grammaticalement laquo Jrsquoen

ai marre raquo une autre est de pousser le cri laquo expiration prolongeacutee bilabiale arrondie raquo associeacute agrave

une mimique particuliegravere grossiegraverement transcrit laquo Pouuuhellip raquo Le cri est positif srsquoagissant des

phonegravemes laquo il nrsquoy a que des diffeacuterences sans termes positifs raquo (Saussure Cours p 166) Est

veacuteritablement abstrait ce qui est dit laquo lagrave seulement commence la meacutediation raquo 262

En 263 le propos articule deux thegraveses 1re proposition Il nrsquoy a pas de hieacuterarchie entre les

faces du signe entre du laquo sensible raquo et de laquo lrsquointelligible raquo Et cela vaut agrave la fois pour la

grammaire et pour la rheacutetorique JG considegravere que les deux faces du signe relegravevent laquo de

lrsquointelligible raquo et il appelle laquo intellection raquo lrsquoaptitude humaine au signe qui va au-delagrave de la

laquo cognition raquo animale

2e proposition laquo Leur relation tout en srsquoy retrouvant ne se fondant plus dans le signehellip raquo

Autrement dit la relation des faces trouve son fondement dans le symbole et se retrouve

dans le signe qui est laquo lrsquoarticulation du symbole raquo Il y a lieu cependant de nuancer le laquo srsquoy

retrouvant raquo parce qursquoil y a passage drsquoun ordre agrave un autre de sorte que la relation change de

statut Je comprends ainsi la suite la distinction entre phonologie et seacutemiologie a un

fondement grammatical car il srsquoagit laquo drsquoarticulation raquo (drsquoun fait de structure) toutefois les

proprieacuteteacutes de chaque face sont les mecircmes Ceci est deacuteveloppeacute sur le thegraveme du laquo paralleacutelisme raquo

264

Bregraveve reacutefeacuterence agrave la clinique en 265 Le signe peut ecirctre qualifieacute laquo de seacutemiophone raquo par

opposition au symbole qui est laquo ideacuteosone raquo et les aphasies preacutesentent une figure pathologique

intermeacutediaire Lrsquoauteur oppose ici les termes laquo seacutemio- raquo et laquo ideacuteo- raquo le premier est grammati-

cal et renvoie agrave la face laquo seacutemiologique raquo du signe (lrsquoordre du signifieacute) tandis que le second

renvoie au laquo sens raquo dans le symbole Corollaire laquo phono- raquo et laquo sono- raquo renvoient respective-

ment agrave la face grammaticale laquo phonologique raquo du signe (lrsquoordre du signifiant) et agrave lrsquoindice

laquo sonore raquo dans le symbole

On peut eacuteprouver ici une difficulteacute de compreacutehension due agrave ce qursquoon a affaire agrave une

preacutesentation dichotomique qui deacutecoule de lrsquoopposition faite entre symbole et signe ce

dernier eacutetant reacuteduit ici au grammatical Il faut en outre bien veiller agrave ne pas confondre ces

notions de laquo son raquo et de laquo sens raquo avec les notions de rheacutetorique correspondantes lesquelles

ne sont pas grammaticales mais relegravevent cependant de la dialectique du signe Ainsi le

phonegraveme se reacutealise non pas en laquo son - indice raquo mais en laquo prononciation raquo et le mot se reacutealise

non pas en laquo sens - symbolique raquo mais en laquo concept raquo Pour ma part je continuerai agrave utiliser le

terme laquo sens raquo pour deacutesigner un fait seacutemantique

Autrement dit la grammaire rend capable de laquo seacutemiophone raquo tandis que le symbole est un

laquo ideacuteosone raquo (Je souligne ce qui a un statut grammatical)

laquo Lrsquoaphasiologie nous contraint agrave poserhellip ces intermeacutediaireshellip que sont lrsquoIdeacuteophone et le

Seacutemiosone raquo 265 Il srsquoagit donc de deux reacutealiteacutes teacuteratologiques Comprendre ici que dans

lrsquoaphasie de type seacutemiologique la maladie eacutetablirait une relation directe entre un enchaicircne-

ment grammatical de phonegravemes et une information de type symbolique dans lrsquoaxe drsquoanalyse

64 Une lecture de Jean Gagnepain

atteint par la maladie Autrement dit la persistance de la structure des phonegravemes encadre

encore de laquo lrsquoideacuteo-logie raquo (si jrsquoose dire) par deacuteficience de la laquo seacutemio-logie raquo sur cet axe

Reacuteciproquement dans une aphasie de type phonologique la structure seacutemiologique intacte ne

se marquerait plus par des phonegravemes sinon partiellement mais par une eacutemission sonore

Remarque Lrsquoutilisation du terme laquo imaginaire raquo agrave propos du symbole fait penser au triplet

terminologique kantien laquo sensibiliteacute imagination entendement raquo Le rapprochement que je

fais est avant tout terminologique

Essai drsquoexplication eacutepisteacutemologique du fait que laquo le son lrsquoemporte toujours sur le sens raquo

266 - 271-2 Cet eacutetat des lieux correspond plutocirct agrave la situation de la linguistique des anneacutees

1950-60 et non agrave la grammaire traditionnelle (laquelle traite de textes eacutecrits et ne srsquointeacuteresse

ni aux phonegravemes ni aux prononciations) ni agrave la grammaire geacuteneacuterative qui privileacutegie la syntaxe

[Pour traiter de sens on fait appel aux disciplines] laquo hellipdont lrsquoenseignement par sa deacutemis-

sion [celle du linguiste] devenait respectivement variante de lrsquoorthoeacutepie raquo 271

Lrsquoenseignement du sens mis relativement agrave lrsquoeacutecart ou en reacuteserve par la linguistique structu-

rale demeurait lrsquoapanage des enseignants dont la perspective est normative Agrave lrsquoeacuteducation agrave

la bonne prononciation (orthoeacutepie) correspond lrsquoeacuteducation agrave la bonne rheacutetorique (ortho-

seacutemantique) et agrave lrsquoorthographe

Il reste au linguiste le domaine de la logique dont teacutemoigne le laquo Succegraves raquo contemporain des

laquo noeacutetiques raquo [chez les litteacuteraires] 271 Du grec laquo noesis raquo (penseacutee) Le terme est utiliseacute en

philosophie et dans divers courants linguistiques JG en 1980 fait probablement reacutefeacuterence agrave

Luis-Jorge Prieto (Eacutetudes de linguistique et de seacutemiologie geacuteneacuterales ndash voir Google books) ou aux

ouvrages drsquoEric Buyssens

Succegraves aussi chez les litteacuteraires des laquo Pleacutereacutematiques raquo JG critique ici lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral pour

lrsquoanalyse du contenu pour le laquo plein raquo (πλήρόω remplir) alors qursquoil srsquoagit selon lui drsquoanalyser

le laquo vide raquo relatif de la valeur la laquo keacutenocircse raquo (κενόω laquo vider raquo) Pour meacutemoire le terme reacutefegravere

drsquoabord agrave lrsquoopposition dans les textes du Nouveau Testament et agrave propos de lrsquoIncarnation

entre les notions de laquo keacutenocircse raquo vide et de laquo pleacuterocircse raquo pleacutenitude (πλήρωμα) Cette antinomie

appliqueacutee agrave la linguistique deacutesigne lrsquoopposition entre forme et contenu Louis Hjelmslev (1971

1973) pour sa part opposait le laquo plan ceacuteneacutematique raquo (de lrsquoexpression en phonegravemes) au laquo plan

pleacutereacutematique raquo (du contenu en mots) dans le domaine grammatical JG appelle

laquo Pleacutereacutematiques raquo les divers courants en seacutemantique et en analyse seacutemantique des textes qui

srsquoinspirent de lrsquoœuvre de Louis Hjelmslev

Succegraves enfin des laquo seacutemiotiques raquo Le terme est anglo-saxon ndash lrsquoInternational Association for

Semiotic Studies est fondeacutee en 1969 Dites aussi laquo seacutemiologies raquo en Europe (Saussure

Hjelmslev) Les chefs de file agrave cette eacutepoque ont eacuteteacute Roland Barthes et Algirdas Greimas

[Srsquoagissant de lrsquoeacutetude de la phonationhellip] laquo pas question de lrsquoexclure drsquoune linguistique (hellip)

ougrave lrsquoorthophoniehellip a plus de titre agrave figurer que la kineacutesitheacuterapie raquo 272 Eacutetant entendu que la

laquo linguistique raquo est deacutefinie comme une discipline appliqueacutee on peut comprendre qursquoun

laquo exercice raquo langagier tel que proposeacute par lrsquoorthophoniste qui joue sur le controcircle de la

prononciation est plus approprieacute que la kineacutesitheacuterapie du moins dans lrsquoideacutee commune qursquoon

srsquoen fait travail sur les mouvements du dos et des membres (Je laisse deviner la limite de ce

raisonnement)

Lrsquo laquo eacutetude auxiliaire raquo eacutevoqueacutee en 273 deacutesigne celle de la phonation

Structure et signification 65

laquo Le son nrsquoentre dans le langage que comme reacutefeacuterence au mecircme degreacute que le sens raquo 273

Dialectiquement la meacutediation srsquoappuie sur un principe drsquolaquo expeacuterience humaine raquo qui est

contraignant Il lrsquoest sous deux aspects Le son avec ses contraintes spatio-temporelles

drsquoeacutemission et de diffusion Le laquo sens1 raquo eacutegalement qui est lrsquoexpeacuterience veacutecue et imagineacutee

Attention il srsquoagit drsquoun laquo sens1 raquo non seacutemantique drsquoune information qui ne relegraveve pas du

raisonnement conceptuel que produit le langage (Voir supra la notion de laquo symbole raquo 253) Le

terme de laquo reacutefeacuterence raquo deacutesigne le fait de reacutefeacuterer crsquoest-agrave-dire la laquo viseacutee raquo par laquelle le

locuteur remet rheacutetoriquement en cause les deacutelimitations grammaticales en les confrontant agrave

une conjoncture Le son est deacuteterminant dans la prononciation du fait qursquoil oblige dialectique-

ment agrave donner en retour un contenu au phonegraveme qui est pure abstraction Chez JG la

laquo reacutefeacuterence raquo est un laquo nom drsquoaction raquo52

laquo Signifiant et signifieacute ne sont point deux domaines distincts raquo 651 Ceci explique la formule

de la phrase preacuteceacutedente laquo hellip lrsquoisomorphisme [est un] essai deacutesespeacutereacute pour assigner agrave la

meacutethode ce qui ne ressortithellip qursquoagrave lrsquohistoirehellip raquo [= La seacuteparation des deux domaines srsquoexplique

en termes drsquoeacutetapes dans lrsquohistoire des sciences du langage ougrave lrsquoeacutetude des sons a preacuteceacutedeacute

lrsquoabord du sens]

La theacuteorie de laquo lrsquoisomorphisme raquo (entre lrsquoordre des phonegravemes et celui des mots) que JG

imagine ici pour la reacutecuser eacutenoncerait que ce sont des types distincts de reacutealiteacute JG semble

imaginer que la thegravese de lrsquoisomorphisme conduit agrave mener drsquoabord une analyse du son pour

ensuite et dans cet ordre transposer lrsquoanalyse au domaine du sens Srsquoil est fait reacutefeacuterence agrave

Louis Hjelmslev il faut toutefois rappeler la complexiteacute de la theacuteorisation de ce dernier sur ce

point Drsquoun cocircteacute sa seacutemiotique geacuteneacuterale est hieacuterarchisante (seacutemiotiques non deacutenotatives et

seacutemiotiques deacutenotatives dont le langage) et sa theacuteorie du signe hieacuterarchise trois paliers

drsquoanalyse (phonologie grammaire lexicologie) De lrsquoautre srsquoagissant de ce qursquoil appelle laquo la

forme de lrsquoexpression raquo et laquo la forme du contenu raquo (correspondant respectivement au

signifiant et au signifieacute saussurien) il affirme que laquo tous les deux doivent ecirctre analyseacutes en

mecircme temps raquo (Hjelmslev 1928 Principes de grammaire geacuteneacuterale p88 et 1943

Proleacutegomegravenes)

2- De lrsquoimproprieacuteteacute

En introduction un exposeacute geacuteneacuteral traite en commun des deux faces de la grammaticaliteacute

Apregraves quoi JG envisage successivement lrsquoimproprieacuteteacute en phonologie (21) puis en seacutemiologie

(22)

Introduction

Mise au point terminologique

[Il faut] laquo hellipse reacutesigner agrave induire [la seacutemiologie] des marques gracircce auxquelles le signifieacute

srsquoavegravere mateacuteriellement deacutenoteacute raquo 275 Le pocircle grammatical de la dialectique du dire se divise

en deux laquo faces raquo face phonologique (traiteacutee plus loin) et face seacutemiologique Les faits

seacutemiologiques sont structuraux et ne coiumlncident pas avec les concepts objets privileacutegieacutes par

52 laquo La reacutefeacuterence et lrsquoincidence sont les deux relations antagonistes du signe soit agrave la structure qui le fonde soit agrave la conjoncture dans laquelle il se reacuteinvestit raquo Seacuteminaire du 8 janvier 1976 laquo La redeacutefinition de la proprieacuteteacute raquo

66 Une lecture de Jean Gagnepain

les theacuteories dites laquo mentalistes raquo autrement dit seacutemantiques Eacutetant structuraux les faits

seacutemiologiques sont deacutefinis par leur laquo forme raquo qui distingue chaque fait de tous les autres

Cette forme neacutecessite pour ecirctre deacutefinie la prise en compte de lrsquoautre face du grammatical car

elle repose sur les seacutequences de phonegravemes La laquo deacutenotation raquo 275 (terme geacuteneacuteral) est le

critegravere qui permet gracircce aux phonegravemes de comprendre agrave quel eacuteleacutement seacutemiologique on a

affaire Ce critegravere demande que lrsquoon observe des laquo marques raquo (faites de phonegravemes) qui

permettent lrsquoanalyse seacutemiologique Parfois simplement et directement le terme laquo scalpel raquo et

le terme laquo bistouri raquo sont distincts de par la composition tregraves diffeacuterente de la seacutequence de

phonegravemes qui les laquo deacutenote raquo De mecircme pour laquo je raquo et laquo tu raquo qui distinguent deux personnes

verbales Parfois la frontiegravere est marqueacutee de faccedilon plus complexe lorsqursquoun mecircme eacuteleacutement

est deacutenoteacute par un ensemble de marques diverses en raison de lrsquointerfeacuterence drsquoune deuxiegraveme

information ainsi laquo œil raquo et laquo yeux raquo sont repeacutereacutes comme un mecircme eacuteleacutement lexical distinct

des autres eacuteleacutements mais leur marque est diffeacuterente parce qursquoau mecircme endroit figure aussi la

distinction entre le singulier et le pluriel Dans tous les cas il y a un laquo calcul raquo automatique de

distinction entre des mots qui repose sur lrsquoexistence de phonegravemes

Lrsquoapport de lrsquoobservation clinique

Allusion est faite agrave la proceacutedure expeacuterimentale mise au point par Hubert Guyard dans le

cadre de la TdM dite des laquo GEI raquo (Grammaires eacuteleacutementaires induites) qui sont des laquo micro-

systegravemes raquo 281 (Cf Hubert Guyard 1987 pour un exposeacute deacutetailleacute) Il srsquoagit de tester en quoi

consiste le raisonnement grammatical particulier drsquoun aphasique et ce qursquoest sa laquo logique raquo agrave

lui Mecircme si les donneacutees reacutesultant des tests apparaissent comme un ensemble drsquo laquo erreurs raquo

pour lrsquoobservateur elles teacutemoignent cependant drsquoune coheacuterence particuliegravere qursquoil faut

identifier pour comprendre ce que sont les aphasies et par lagrave ce que sont les processus

grammaticaux

Il faut prendre comme des traits drsquoironie les formules laquo Crsquoest dire le creacutedit qursquoon doit faire agrave

tant drsquoingeacutenieux calculs de distances par rapport au standard de la prononciation des

maladeshellip raquo et laquo lrsquointeacuterecirct qui peut srsquoattacher agrave telle eacutetude de lrsquoagrammatisme issuehellip de

lrsquoinventaire ponctuel de ses manqueshellip raquo 282 JG critique ici de maniegravere radicale la perspec-

tive la plus commune en matiegravere drsquoobservation des aphasies Celle-ci consiste agrave mesurer le

nombre de laquo fautes raquo supposeacutees faites par le malade par rapport agrave ce que dirait sans

laquo fautes raquo un locuteur normal Et ceci tant sur la face phonologique que seacutemiologique (notion

laquo drsquoagrammatisme raquo) Pour JG cette attitude ne reacutevegravele rien de ce qursquoest le fonctionnement

interne du langage aphasique Celui-ci conserve une part de coheacuterence reposant sur laquo des

aptitudes conserveacutees raquo qui compensent en partie les aptitudes deacutetruites par la leacutesion de sorte

que lrsquoaphasique restructure ce qursquoil dit autrement que le normal

laquo Il nrsquoexistehellip aucune autre faccedilon de dissocier cliniquement la forme de la substancehellip raquo

283 La seule faccedilon de dissocier cliniquement le grammatical (qui est une forme) de la

reacutefeacuterence agrave quoi renvoie le langage est de rechercher laquo les aptitudes manifestement

conserveacutees raquo de lrsquoaphasique par contraste avec celles qui sont deacutetruites Ceci repose sur la

deacutemarche hypotheacutetico-deacuteductive agrave la base des tests

Les formulations laquo hellip filtragehellip modegravelehellip restrictionhellip en deccedilagravehellip raquo 283 deacutesignent le principe

drsquoimproprieacuteteacute

laquo hellipQursquoon cesse drsquoopposer [au modegravele] la ˮrichesseˮ drsquoun contenu qui avant drsquoecirctre ainsi

formaliseacute ne saurait srsquoeacutevaluer raquo 283 Rappel que le principe de confrontation agrave lrsquoexpeacuterience

Structure et signification 67

dite laquo reacutefeacuterence raquo nrsquoest qursquoun principe laquo global raquo On ne peut pas eacutevaluer ce laquo contenu raquo

(compter ou deacutefinir laquo des choses raquo) sans prendre en compte les aptitudes mentales qui

fournissent un mode de deacutecoupage et de deacutecompte seacutemantique de lrsquoexpeacuterience

21 - Lrsquoimproprieacuteteacute du point de vue phonologique

laquo hellip on pourrait en principe eacutelaborer du signifiant agrave partir drsquoautre chose que le son raquo 284

Crsquoest une reacutealiteacute pour ladite laquo langue des signes raquo des sourds qui repose sur une analyse

structurale drsquoune information naturelle visuo-gestuelle percept visuel pour celui qui reccediloit

motriciteacute gestuelle de tout le haut du corps pour celui qui eacutemet Tandis que crsquoest une reacutealiteacute

audio-orale chez lrsquoentendant percept auditif pour celui qui reccediloit motriciteacute gestuelle de la

seule zone vocale pour celui qui eacutemet JG demande ici de ne pas prendre au mot les termes

laquo phonegravemes raquo et laquo phonologie raquo Un phonegraveme nrsquoest ni oral ni gestuel crsquoest une forme structu-

rale qui srsquoabstrait soit drsquoun geste vu soit drsquoun son entendu gracircce agrave la capaciteacute de signe Dans

tous les cas il se comprend

Simple prise en compte en 285-7 des deacuteveloppements possibles des perspectives autres

que la sienne telles que la typologie linguistique et la phoneacutetique psycho-acoustique qui

traite du percept entendu et non plus de la physiologie de la bouche ou du larynx dans la

phonation JG rappelle aussi qursquoil nrsquoy a aucun finalisme langagier dans lrsquoanatomie ou la

physiologie de la zone ORL (Formulation orale en amphi la luette sert autant agrave empecirccher les

petits pois de remonter lors de la deacuteglutition qursquoagrave deacutelimiter lrsquooraliteacute et la nasaliteacute)

Il eacutevoque lrsquo laquo immense varieacuteteacute et lrsquoinfinie complexiteacute raquo 291 de ce que peut produire une

voix dans les limites de ce qui peut ecirctre audible Dimensions respectivement qualitative et

quantitative du produit vocal Attention cette formulation doit rester compatible avec la

proposition de la page preacuteceacutedente laquo richesse drsquoun contenu qui avant drsquoecirctre ainsi formaliseacute

ne saurait srsquoeacutevaluer raquo 283 On peut cependant mesurer en dureacutee et en caracteacuteristiques un

signal acoustique et on peut caracteacuteriser et deacutelimiter une gestalt Cf laquo Il nest pas vrai que la

nature soit comme on le dit amorphe et continue raquo 251 Or un percept est de lrsquoordre de la

gestalt

Suit une explication anatomo-physiologique et explication sociologique ironique du fait que

tout systegraveme phonologique tourne autour drsquoune quarantaine drsquoeacuteleacutements alors que la voix

peut varier agrave lrsquoinfini

- Explication anatomo-physiologique courante la laquo dissymeacutetrie des organes raquo 2923 Ex la

distance entre le palais et la macircchoire infeacuterieure lorsque la bouche est ouverte est eacutevidem-

ment plus grande agrave lrsquoarriegravere immeacutediat des dents qursquoau niveau du palais mou Il y a donc plus

de varieacuteteacute de sons possibles eacutemis agrave lrsquoavant qursquoagrave lrsquoarriegravere (laquo localisation raquo) en fonction de

lrsquoouverture de la bouche (laquo aperture raquo) De sorte que toutes les combinatoires entre degreacutes

drsquoouverture et localisations ne sont pas physiologiquement possibles

- Explication sociologique courante une laquo Teilung der Erde raquo 2926 Titre drsquoun poegraveme de

Friedrich von Schiller laquo Le partage du monde raquo (par Zeus)53 Lrsquoideacutee ici est que lrsquohumaniteacute en

son entier disposerait drsquoun riche stock de sons laquo en avant-premiegravere raquo mais que chaque civilisa-

tion en retiendrait une partie Les Arabes riches en gosier et les Anglais en dentales Une

version geacuteneacutetique de ce mythe est encore abondamment diffuseacutee agrave propos du langage

53 Voir le commentaire de ce poegraveme par Jean-Luc Lamotte sur le site wwwtheorie-mediationnetproposequite

68 Une lecture de Jean Gagnepain

enfantin Un enfant commencerait par ecirctre capable drsquoeacutemettre et distinguer une infiniteacute de

sons pour ensuite ne plus pouvoir eacutemettre ou reconnaicirctre que les seuls sons qursquoil entend dans

la (ou les) socieacuteteacute(s) ougrave il vit

Deacutetail laquo Le tcheacutetchegravene le tchouvache le mordve raquo 293 Il srsquoagit de langues parleacutees dans la

zone de lrsquoOural et du Caucase Le tcheacutetchegravene (groupe Nakh) Le Tchouvache (type laquo turc raquo) Les

langues mordves sont laquo finno-ouraliennes raquo JG en a entendu parler chez Eacutemile Benveniste

qui a travailleacute sur ces langues

Le principe de structure explique en soi la limitation phonologique Lrsquoaptitude phono-

logique est un laquo Phonomegravetrehellip [agrave] graduation discregravete raquo 293 en ce qursquoelle effectue une

analyse qualitative des caracteacuteristiques phonologiques appeleacutees laquo traits pertinents raquo En

outre elle est un laquo Phonotomehellip [qui permet la] reacuteductibiliteacute des seacutequences agrave un nombre fini

de segments raquo agrave savoir lrsquoanalyse quantitative qui assigne un deacutebut et une fin phonologique agrave

chaque phonegraveme Tout ce qui est agrave lrsquointeacuterieur reste un quelle que soit la complexiteacute

apparente de la prononciation comme dans les laquo diphtongues raquo

Compte-rendu rapide et humoristique de lrsquoideacutee drsquoeacutequilibre ou drsquoeacuteconomie structurale en

294 Cela nrsquoexplique pas pourquoi une quarantaine de phonegravemes suffisent plutocirct que quatre

ou deux cents mais seulement en quoi consiste lrsquoeacutequilibrage interne du systegraveme Il prend pour

exemple la localisation des consonnes opposant la langue arabe agrave la langue anglaise qui

exploiterait le trait laquo reacutetracteacute raquo prononceacute les legravevres tireacutees vers lrsquoarriegravere

laquo Ce dernier [le systegraveme phonologique] ne peut qursquoecirctre complethellip raquo 295 Ce thegraveme est

saussurien un systegraveme forme un tout ougrave chaque eacuteleacutement est solidaire des autres (Voir infra

451 la critique du laquo clos et de lrsquoouvert raquo

Le raisonnement critique qui suit est plutocirct sociolinguistique Lrsquoethnocentrisme conduit agrave

refuser de donner le statut de phonegraveme agrave ce qui paraicirct eacutetrange au lieu drsquoaffronter la structure

eacutetrangegravere en tant que structure en comprenant ougrave se trouvent les limites pertinentes entre

les phonegravemes Ainsi il ne srsquoagit pas pour nous franccedilais drsquoajouter un laquo ton raquo meacutelodique agrave de la

parole pour parler chinois ni pour un chinois de parler laquo plat raquo en enlevant laquo la musique raquo

pour parler franccedilais Il srsquoagit de maicirctriser des frontiegraveres entre phonegravemes

laquo Obstacle neacutecessaire raquo [que cette difficulteacute agrave repeacuterer les limites phonologiques dans une

langue eacutetrangegravere] 296 Lrsquoargument fait transition avec le thegraveme preacuteceacutedent de lrsquoapprentissage

drsquoune langue eacutetrangegravere Le reacuteameacutenagement des deacutelimitations entre les traits pertinents est un

obstacle drsquoun point de vue sociolinguistique Mais drsquoun point de vue grammatical la structure

est un fait constitutif laquo neacutecessaire raquo comme lrsquoest une laquo loi raquo deacuteterminante Nrsquoy deacuteroge que

lrsquoaphasique qui laquo jargonne raquo

Suivent deux variations sur le thegraveme de lrsquoimproprieacuteteacute du grammatical phonologique Il

convient de rapprocher drsquoune part laquo polyphonie raquo et laquo phonomegravetre raquo 301 et drsquoautre part

laquo neacutegligence de la varieacuteteacute des reacutealisations [=des prononciations] raquo Ces formules deacutesignent la

dimension qualitative (laquo taxinomique raquo) de la structure Il faut ensuite rapprocher drsquoautre part

laquo polyphtonguie phonotome raquo et laquo traitement simultaneacute de lrsquointerne complexiteacute des

segments raquo Il srsquoagit cette fois de la dimension quantitative (laquo geacuteneacuterative raquo) de la structure

Seules comptent les frontiegraveres deacutefinies selon le critegravere de pertinence qui est interne agrave la

grammaire Ne comptent pas en revanche les variations de la prononciation en fonction des

situations Ne serait-ce que la force de la voix Que lrsquoon chuchote ou que lrsquoon crie laquo Flucircte raquo il

Structure et signification 69

y a en permanence ces 4 phonegravemes-lagrave f l y t qui ont chacun leur place dans la structure

phonologique

22 - Lrsquoimproprieacuteteacute du point de vue seacutemiologique

JG passe agrave lrsquoautre face du grammatical celle du laquo signifieacute raquo et de la seacutemiologie Celle-ci est

envisageacutee selon les deux axes de lrsquoanalyse comme aptitude agrave la laquo polyseacutemie raquo qualitative et

comme aptitude agrave la laquo polyrheacutemie raquo quantitative

laquo hellip Il est aussi vain drsquoespeacuterer faire lrsquoinventaire des choses agrave dire preacutealablement au langage

(hellip) Tout deacutepend du seacutemiomegravetre et du seacutemiotome dont nous disposons raquo 302 Suivant en cela

la critique que fait le Cours p 97-98 de lrsquoideacutee drsquoun langage laquo nomenclature raquo (laquo une liste de

termes correspondant agrave autant de choses raquo) JG affirme nettement qursquoil nrsquoexiste pas de

choses pourvues drsquoune identiteacute et drsquoune uniteacute en soi dans lrsquoordre du laquo monde raquo indeacutependam-

ment de la relation de lrsquohomme naturel et culturel agrave ce principe de reacutealiteacute agrave cette

laquo expeacuterience raquo dont il fait drsquoailleurs partie La notion de laquo seacutemiomegravetre raquo reacutesume le principe de

diffeacuterenciation qualitative et celle de laquo seacutemiotome raquo celui de segmentation quantitative

laquo hellip Tout deacutepend du seacutemiomegravetre et du seacutemiotome dont nous disposons et si peu de ce que

nous savons quagrave peine est-on linguistiquement surpris de se retrouver sur la lune raquo 302

Mecircme face agrave de lrsquoinconnu on projette toujours et drsquoabord sur lui la grille lexicale dont on

dispose Il est ainsi toujours possible de dire quelque chose en toute situation laquo Atterrir raquo

nrsquoest pas techniquement la mecircme opeacuteration qursquolaquo alunir raquo cependant la formation du verbe

est la mecircme Le bon sens grammatical conduit agrave continuer agrave dire laquo atterrir raquo sur tout autre

astre pour srsquoeacuteviter des problegravemes de deacuterivation tels qursquolaquo amarsir et asaturnir raquo On ne

deacutenomme lrsquoinconnu factuel qursquoagrave partir du connu lexical au risque de lrsquoerreur Lrsquohippopotame

nrsquoest pas un cheval et lrsquoornithorynque nrsquoest pas un oiseau comme lrsquoeacutetymologie le laisse

penser mais peu importe la laquo catachregravese raquo inheacuterente au fonctionnement du signe permet de

penser le nouveau avec du vieux Disposant du verbe laquo to drone raquo (bourdonner vrombir)

lrsquoanglais nrsquoa eu aucun mal agrave baptiser le drone On nrsquoest donc jamais en panne de

deacutenomination

laquo Prisonniers en quelque sorte de nous-mecircmes nous devons de comprendre agrave notre

inaptitude agrave contempler nous ne pensons qursquoavec des mots raquo 302 Lrsquoecirctre de culture

(dialectique) recouvre lrsquoecirctre de nature et vient le transformer On notera le choix de

lrsquoopposition des termes laquo contempler raquo et laquo penser raquo Le premier par rapport au second

suggegravere un rapport non analytique au monde

Lrsquoauteur explore alors le principe drsquoidentiteacute seacutemiologique JG ne peut proposer ici qursquoune

suggestion parce que le principe de dialectique interdit de donner une deacutefinition positive en

termes de laquo sens raquo (seacutemantique) agrave ce fait purement diffeacuterentiel qursquoest le laquo signifieacute raquo Le texte

est sur ce point embarrasseacute puisqursquoen place de laquo signifieacute raquo est mis entre guillemets laquo le vrai

sens raquo en reacutefeacuterence (ironique) agrave ce que chercherait vainement tout dictionnaire laquo le vrai

sens nrsquoest ni le plus ancien ni mecircme le plus freacutequenthellip raquo mais laquo hellip il est celui implicite dont

tous les autres explicitement se deacuteduisent et qui les met seacutemiologiquement en rapport si

diverse que soit parfois leur seacutemantique raquo 304

Les exemples proposeacutes montrent bien cette difficulteacute Quelle laquo constance de la relation raquo

trouver aux divers sens de laquo bureau raquo 304 Si lrsquoon pense agrave laquo en rapport agrave un travail

impliquant de lrsquoeacutecrit raquo on nrsquoaura qursquoun trait seacutemantique geacuteneacuterique de la potentialiteacute de sens

70 Une lecture de Jean Gagnepain

du terme laquo bureau raquo mais pas ce qui le distingue drsquoautres termes comme laquo journal raquo ou

laquo livre raquo eacutegalement deacuteductibles du mecircme trait geacuteneacuterique On ne peut qursquoecirctre renvoyeacute agrave sa

forme est laquo bureau raquo ce qui ne se dit pas selon une autre forme Que la deacutemarche ne puisse

ecirctre que relative ne doit pas conduire agrave srsquoen priver Les exemples du grec laquo nomόs raquo agrave relier au

trait laquo controcircle raquo 304 ou du latin laquo legere raquo 311 agrave relier au trait laquo reconnaicirctre deacutelimiter raquo

sont instructifs parce qursquoils empecircchent de reacuteduire laquo la valeur raquo geacuteneacuterale drsquoun terme agrave un seul

des effets de sens que le locuteur produit en situation Si lrsquoon transpose cela en topographie

ce serait confondre une surface ndash deacutelimiteacutee par son peacuterimegravetre ndash avec un point particulier de

cette surface ou encore avec une laquo totalisation raquo de points particuliers en lrsquooccurrence

lrsquoinventaire des sens dans le dictionnaire laquo Le signifieacute nest ni compromis ni totalisation raquo

312 Dans les deux cas la deacutemarche serait positivante

Un deacutetail laquo Lrsquoindicationhellip drsquoordre leacutegal qui nous a valu ‟lexrdquo et son contraire ‟religiordquo raquo

311 JG renvoie ici non pas agrave lrsquoeacutetymologie suggeacutereacutee par Ciceacuteron (et geacuteneacuteralement reprise) qui

associe laquo religio raquo au verbe laquo religare raquo (relier) mais agrave celle de Lucregravece qui lie laquo religio raquo agrave

laquo relegere raquo et donc agrave laquo lex raquo Cf Jean Gagnepain (1994) Leccedilons drsquointroduction agrave la theacuteorie de

la meacutediation 168 laquo Lucregravece vous dit ldquomihi lex estrdquo il y a pour moi indication de faire telle ou

telle chose Et le contraire srsquoil y a pour moi contre-indication agrave faire telle ou telle chose alors

crsquoest ldquomihi religio estrdquo Religio veut dire ldquocontre-indicationrdquo Vous comprenez le rapport du

religieux et du moral car cette contre-indication est devenue ldquojrsquoai scrupule agraverdquo Vous comprenez

le caractegravere moralisateur du concept de religion dans nos pays raquo54 Nietzsche eacutetait aussi de cet

avis (Reacutefeacuterences dans le Dictionnaire eacutetymologique de la langue latine drsquo Ernout amp Meillet)

laquo Un mecircme billet peut servir agrave divers achatshellip [Mais on ne peut lrsquoeacutechanger] qursquoen piegraveces

preacutevues agrave cet effet raquo 313 Meacutetaphore de la valeur structurale envisageacutee selon les deux axes

de la qualiteacute et de la quantiteacute laquo Si parler crsquoest eacutequivoquer il va de soi que ce nrsquoest pas non plus

dire une seule chose agrave la fois raquo 313 La 1re partie eacutevoque la polyseacutemie La seconde eacutevoque la

polyrheacutemie en tant que reacuteameacutenagement grammatical de la quantiteacute Ainsi la formule verbale

laquo Il le lui reacuteinstallera raquo peut ecirctre compareacutee agrave un billet qui syntheacutetise des informations qui

peuvent ecirctre laquo monnayeacutees raquo sous reacuteserve de disposer du potentiel grammatical neacutecessaire

tel que laquo Pierre va installer agrave nouveau le logiciel de Jacques raquo En disant le seul verbe on dit

tout cela laquo agrave la fois raquo Le concept laquo drsquoimproprieacuteteacute raquo reacutesume cette possibiliteacute de laquo pouvoir tout

dire raquo mais dans le cadre de la grammaire et inversement de pouvoir laquo dire autrement raquo par

synonymie ou peacuteriphrase crsquoest un laquo principe raquo du signe par conseacutequent observable laquo en

toute langue raquo 314

3- Pertinence et deacutenotation 31

JG expose ici les deux critegraveres conjoints et reacuteciproques qui permettent de repeacuterer les

limites structurales sur chacune des deux faces du grammatical La solidariteacute entre les faces est

telle que chaque face apporte sa caution agrave lrsquoautre tout en ayant une configuration diffeacuterente

54 1er Chant du De natura rerum v62-66 laquo Humana ante oculos foede cum uita iaceret In terris oppressa gravi sub religione quaelig caput a caeligli regionibus ostendebat horribili super aspectu mortalibus instans raquo (Alors que la vie humaine gisait sur terre aux yeux de tous honteusement eacutecraseacutee sous le lourd poids de la religionhellip) Explications suppleacutementaires sur la Toile agrave laquo Lucregravece Relligio raquo (avec 2 laquo ll raquo) notamment sur le site laquo trigofacilecomhellip philosophie0901-relligio raquo

Structure et signification 71

Il traite au passage divers problegravemes rangeacutes habituellement sous la rubrique de la

laquo morphologie raquo

Preacutesentation des deux critegraveres Celui laquo bien connu raquo de Pertinence Celui laquo symeacutetrique raquo

de Deacutenotation

La laquo pertinence raquo 315 est le critegravere qui permet de repeacuterer les deacutelimitations en phonologie

Un assez large consensus existe sur ce point (Cf Wikipeacutedia laquo phonologie raquo pour les non-

linguistes)

La laquo deacutenotation raquo 315 est le critegravere qui permet de repeacuterer les deacutelimitations en seacutemiologie

Le terme pris en ce sens est propre agrave JG Drsquoougrave lrsquoessai de justification qui suit laquo Le mot

pratiquement eacutetant librehellip raquo En fait il ne lrsquoest pas et chez nrsquoimporte qui drsquoautre il signifie

toute autre chose En philosophie du langage il est lrsquoobjet de discussions interminables (Frege

Carnap etc) En linguistique aussi voir lrsquoarticle laquo deacutenotation raquo (Robert Sctrick) dans

lrsquoEncyclopaeligdia Universalis Dans tous les cas grossiegraverement on appelle deacutenotation

lrsquoinformation seacutemantique objective qursquoapporte un mot par opposition aux laquo connotations raquo

cateacutegorie fourre-tout qui renvoie aux informations drsquoordre sociologique (usage prestigieux ou

familier) et surtout axiologique (valeur peacutejorative ou meacuteliorative) que lrsquoon peut associer agrave un

terme Ainsi JG eacutevoqua un jour le problegraveme qui srsquoeacutetait poseacute en 1969 au Preacutesident de la toute

nouvelle laquo Universiteacute de Haute-Bretagne raquo Professeur de latin le tout nouveau Preacutesident eut

agrave imaginer le sceau de celle-ci Autour drsquoune monnaie gauloise des Riedones devait figurer la

traduction en latin du nom de lrsquoinstitution (Lettres obligent) Le lexique du latin exigeait la

formule laquo Sigillum Universitatis Britanniaelig Superioris raquo laquo superior raquo comme on parle de

cours laquo supeacuterieur raquo et de cours laquo infeacuterieur raquo drsquoun fleuve et du deacutepartement de laquo Loire

Infeacuterieure raquo jusque dans les anneacutees 1960 Deacutenotativement exact le choix de laquo superior raquo

risquait cependant de froisser des susceptibiliteacutes en raison de la laquo connotation raquo du couple

laquo infeacuterieur supeacuterieur raquo car elle induisait agrave consideacuterer lrsquoUniversiteacute voisine de Brest en Basse-

Bretagne comme laquo Universitas Britanniaelig Inferioris raquo Ces derniers drsquoailleurs ont troqueacute leur

bassesse pour lrsquoappellation laquo Bretagne Occidentale raquo Victime de la connotation le Preacutesident

latiniste en a eacuteteacute reacuteduit agrave opter pour laquo Britanniaelig altioris raquo plus opaque pour un francophone

Heureuse ignorance commune laquo Altus raquo signifie en latin lrsquoeacuteloignement agrave la verticale drsquoun point

par rapport au locuteur vers le bas comme vers le haut laquo Haute raquo pour une montagne un

immeublehellip et pour un personnage laquo Altus Caeligsar raquo et laquo profond raquo pour un puits un ravin

ou une penseacutee Ceci eacutetant le comparatif laquo altior raquo veut aussi dire laquo excellent supeacuterieur raquo ce

qui peut agrave nouveau laisser agrave penser (Le choix de laquo Britannia raquo au lieu de laquo Armorica raquo tout

aussi discutable relegraveve drsquoun autre deacutebat) La TdM rend compte de cela dans sa partie

sociolinguistique et axiolinguistique

Conclusion le sens donneacute agrave laquo deacutenotation raquo par JG fait partie de son idiolecte Il faut

penser le terme agrave partir de la meacutetaphore de la laquo note raquo comme preuve mateacuterielle drsquoun fait

laquo crsquoest noteacute raquo Crsquoest le sens du latin laquo denotare raquo signaler et laquo denotatio raquo indication jusqursquoagrave

ce que la logique srsquoen empare

Pertinence et deacutenotation fonctionnent en miroir lrsquoune de lrsquoautre 3155-8 Ce principe drsquoune

laquo symeacutetrie raquo est antinomique drsquoun modegravele qui enchaicircne des niveaux en fonction de la

laquo longueur raquo apparente des faits du phonegraveme agrave la phrase et en fonction drsquoune finaliteacute qui

serait le sens et pire encore laquo drsquoune eacuteventuelle fonction de communication raquo cet alibi qui

confond le plan du dire et celui de la Personne Le fonctionnalisme drsquoAndreacute Martinet est ici

viseacute

72 Une lecture de Jean Gagnepain

31 - Statut de la pertinence en glossologie

Ce statut est mis en perspective face agrave deux theacuteorisations courantes mais antagonistes agrave

savoir le fonctionnalisme eacutevoqueacute preacuteceacutedemment et le laquo distributionnalisme raquo ameacutericain 31-

32

Est ici critiqueacute un ensemble de theacuteories ameacutericaines (Leonard Bloomfield Zellig Harris)

apparues dans le contexte du behaviorisme theacuteories qui envisagent lrsquoobservation des formes

grammaticales indeacutependamment de leur sens en reacuteaction agrave ce que ces auteurs appellent laquo le

mentalisme raquo JG dans la ligne de lrsquoEacutecole de Prague deacutefinit les phonegravemes en fonction de leur

contribution agrave deacutelimiter des eacuteleacutements laquo significatifs raquo ceux de la face seacutemiologique du

grammatical (lexique morphologie syntaxe) et non pas sur critegravere seacutemantique En somme

JG refuse drsquoun cocircteacute laquo lrsquoextrapolation raquo 316 qui lie le phonologique agrave travers des laquo niveaux raquo

au sens et agrave la communication (fonctionnalisme) Lrsquoautre refus repose sur la diffeacuterence faite en

glossologie entre laquo sens raquo et laquo valeur seacutemiologique raquo Cette diffeacuterence nrsquoest pas faite par le

distributionnalisme pour qui le refus du laquo sens raquo aboutit agrave reacuteduire le phonologique agrave une

observation du son prononceacute

Pour lrsquoauteur le signifiant trouve son critegravere de deacutefinition dans le seul signifieacute (la structure

des valeurs significatives) et non pas dans le sens ou dans le son laquo Le son nrsquoa drsquoautre fonction

que de contribuer agrave diffeacuterencier ou agrave segmenter du signifieacute et crsquoest dans la mesure ougrave il y

parvient seulement qursquoil srsquoanalyse et que nous le disons pertinent raquo 31-32 Il convient

drsquoextraire de cette formulation le seul raisonnement qui vise agrave deacutefinir le critegravere de pertinence

JG veut dire que le son en lui-mecircme nrsquoest pas ce qui compte grammaticalement Crsquoest dans la

seule mesure ougrave ce qui apparaicirct comme une variation sonore provoque automatiquement une

diffeacuterence ou une seacuteparation dans lrsquoordre du signifieacute quelles qursquoelles soient que lrsquoon sait qursquoil

srsquoagit de laquo fonction raquo et que lrsquoon a affaire agrave un fait phonologique et non pas agrave un fait de

prononciation ou agrave un fait strictement acoustique Autrement dit la diffeacuterence phonologique

entre l et R est prouveacutee si et seulement si le passage de lrsquoun agrave lrsquoautre provoque une

diffeacuterence sur la face laquo seacutemiologique raquo (lexicale morphologique syntaxique) ougrave que ce soit

dans cette structure Ce qui est le cas en franccedilais laquo Longrond empilerempirer pliprix

altisteartiste pour poule raquo etc Mais ce qui nrsquoest pas le cas en japonais

Je souligne que le critegravere phonologique de pertinence est testeacute sur la structure du signifieacute

la structure laquo seacutemiologique raquo qui regroupe lexique morphologie et syntaxe et non pas sur de

la diffeacuterence seacutemantique Or cette confusion entre laquo sens raquo et laquo signifieacute raquo est preacutesente dans les

manuels de linguistique Jrsquoen donne des exemples dans laquo Le critegravere du grammatical raquo55

Morteza Mahmoudian (La Linguistique) eacutecrit successivement laquo La pierre de touche est le

signifieacute raquo (p104) puis laquo Si s est un phonegraveme distinct de int en franccedilais crsquoest que le sens de

sien est diffeacuterent de celui de chien raquo (p116) De mecircme Patrick Guelpa Introduction agrave lrsquoanalyse

linguistique (p76-77) ldquolaquo (Le phonegraveme est) la plus petite uniteacute sonore distinctive de sens raquo Or

aucun phonologue ne va rechercher une frontiegravere phonologique entre laquo fraise raquo et laquo fraise raquo

sous preacutetexte que lrsquoon a parleacute successivement drsquoun fruit et drsquoun outil La diffeacuterence

seacutemantique ne compte pas en phonologie Inversement il arrive que des laquo paronymes raquo tels

qursquolaquo expansion raquo et laquo extension raquo deviennent synonymes agrave lrsquoinstar de ce meacutedecin qui affirme

que laquo le marcheacute des drogues de synthegravese est en extension raquo hellip ou en laquo expansion raquo Cette

55 Jean-Yves Urien 1999 laquo Le critegravere du grammatical raquo p 42-44 in Langage clinique eacutepisteacutemologie Jean Giot et Jean-Claude Schotte (Eacuteds) De Boeck

Structure et signification 73

laquo convergence synonymique raquo (voir infra 865) nrsquoautorise pas agrave reacutefuter lrsquoexistence drsquoun trait

pertinent entre p et t Lrsquoidentiteacute seacutemantique ne compte pas non plus En grammaire on

regravegle ses comptes en face agrave face

Agrave strictement parler la formulation utiliseacutee ndash laquo du son pertinent raquo - est adeacutequate au deacutepart

du raisonnement mais ne lrsquoest plus agrave lrsquoarriveacutee Le point de vue faisant lrsquoobjet degraves lors qursquoil y a

pertinence le laquo son raquo cesse drsquoen ecirctre et lrsquoon observe du laquo signifiant raquo agrave savoir du trait

qualitatif ou du phonegraveme quantitatif

32 - Statut de la deacutenotation en glossologie

Proposition reacuteciproque de la preacuteceacutedente laquo Il nrsquoest drsquoautre marque du sens que dans le

signifiant qui le mateacuterialise raquo 322 On sait que lrsquoon a affaire agrave un fait grammatical

seacutemiologique ndash par exemple un eacuteleacutement du lexique ou bien un cas nominal ou un aspect

verbal ou encore une relation syntaxique comme la notion de laquo compleacutement drsquoobjet raquo ndash

seulement si lrsquoon peut observer une marque distincte de ce fait marque qui est composeacutee de

phonegravemes Ainsi tout simplement je puis prouver lrsquoexistence drsquoune opposition drsquoun singulier

et drsquoun pluriel en franccedilais par lrsquoobservation du changement vocalique de laquo la (porte) raquo en laquo les

(portes) raquo Telle est la marque de ce laquo signifieacute raquo de nombre Le critegravere de deacutenotation en

seacutemiologie consiste agrave observer des marques La formule laquo marque du sens raquo est une

approximation pour laquo marque du signifieacute raquo puisque degraves lors qursquoil y a deacutelimitation par de la

marque on a affaire agrave du signifieacute et non plus agrave du sens

Allusion est faite aux laquo figures raquo et laquo segravemes raquo en laquo noologie raquo 322 Ce dernier terme

(science de la penseacutee) est agrave peu pregraves synonyme de seacutemantique Le premier terme (laquo figures raquo)

est tireacute de la glosseacutematique de Louis Hjelmslev qui appelle ainsi les traits seacutemantiques

internes agrave un signifieacute et qui composent celui-ci Cependant il apparaicirct que chez Louis

Hjelmslev (1943 Proleacutegomegravenes) les figures ressortissent agrave la laquo forme du contenu raquo et non agrave sa

laquo substance raquo et reposent sur lrsquoobservation de marques Le second terme fait reacutefeacuterence agrave la

seacutemantique de Bernard Pottier qui propose une analyse de tout eacuteleacutement lexical en

caracteacuteristiques qursquoil appelle laquo segravemes raquo Ses exemples significativement portent sur des

appellations drsquoobjets techniques qui sont en tant que tels deacutejagrave drsquoordre structural Tel

lrsquoexemple de laquo fauteuil raquo qui comporterait les traits laquo avec bras + dossier raquo par opposition agrave

laquo chaise raquo et agrave laquo tabouret raquo Selon JG le critegravere de deacutelimitation des laquo segravemes raquo reposerait ici

sur lrsquoordre technique de lrsquoexpeacuterience deacutesigneacutee plutocirct que sur la structure du lexique lui-mecircme

(Cf infra 453)

Mise au point terminologique Il faut relier les termes laquo Pertinence et Fonction raquo qui

concernent la phonologie et les termes laquo Deacutenotation et Marque raquo qui concernent la

seacutemiologie Les premiers termes de chaque couple laquo Pertinence raquo et laquo Deacutenotation raquo

nomment le critegravere lui-mecircme Les deux termes finaux laquo Fonction raquo et laquo Marque raquo sont

meacutethodologiques Appliquer le critegravere de pertinence consiste agrave observer si une variation de

son a une laquo fonction raquo (est laquo fonctionnelle raquo) agrave observer si elle provoque un passage de limite

sur lrsquoautre face du grammatical Appliquer le critegravere de deacutenotation consiste agrave observer si la

limite seacutemiologique eacutetudieacutee repose sur une laquo marque raquo crsquoest-agrave-dire si elle est garantie par une

diffeacuterence quelconque entre seacutequences de phonegravemes

Ces critegraveres ont deux proprieacuteteacutes corollaires la reacuteciprociteacute (laquo mutualiteacute raquo) et

laquo lrsquoautonomie raquo Reacuteciprociteacute 323 parce que les deux faces sont solidaires de sorte qursquoil nrsquoy a

74 Une lecture de Jean Gagnepain

pas de pertinence phonologique sans prise en compte du signifieacute et pas de marque

seacutemiologique sans prise en compte du signifiant Autonomie parce que laquo marque et fonction

ressortissent au seul domaine que formellement elles instaurent raquo 323 La marque (composeacutee

de phonegravemes) ressortit agrave la seule seacutemiologie et ne concerne que le seacutemiologue car elle

nrsquoapporte aucune information drsquoordre phonologique La fonction (qui fait appel agrave des paires

minimales de mots) ressortit agrave la seule phonologie et ne concerne que le phonologue car elle

nrsquoapporte aucune information drsquoordre seacutemiologique La derniegravere proposition deacuteveloppe la

notion laquo drsquoautonomie raquo des faces et eacutenonce le thegraveme des paragraphes suivants laquo crsquoest un pur

hasard raquo srsquoil arrive qursquoune marque et une fonction laquo coiumlncident raquo 323

Les deux faces du signe ne sont pas isomorphes Le critegravere formel nrsquoest pas circulaire

Les paragraphes 323-4 exposent un ensemble drsquoobservations qui montrent que la

grammaire nrsquoest pas fondeacutee sur une correspondance terme agrave terme entre eacuteleacutements

phonologiques et eacuteleacutements seacutemiologiques telle que ideacutealement un phonegraveme supposerait un

mot et deux phonegravemes deux mots et reacuteciproquement Si tel eacutetait le cas le raisonnement qui

vise agrave deacutefinir le signifiant par le signifieacute (pertinence) et le signifieacute par le signifiant (deacutenotation)

serait circulaire et tautologique Supposons que lrsquoon puisse geacuteneacuteraliser le raisonnement

suivant Premier temps les phonegravemes p et b sont diffeacuterents parce que leur

commutation provoque le passage du mot laquo pont raquo au mot laquo bon raquo (critegravere de pertinence)

Second temps les mots laquo pont raquo et laquo bon raquo sont diffeacuterents parce qursquoils sont marqueacutes

distinctement par les phonegravemes p et b La circulariteacute semble eacutevidente Lors du premier

temps jrsquoai preacutesupposeacute eacutetablie la diffeacuterence entre les deux mots puisque je mrsquoappuie sur cette

diffeacuterence de mots pour prouver la diffeacuterence de phonegravemes Or cette diffeacuterence nrsquoest prouveacutee

que dans le second temps par eacutevocation de cette mecircme diffeacuterence de phonegravemes

Lrsquoobjection ne repose pourtant que sur une erreur meacutethodologique grossiegravere pour

prouver cette diffeacuterence entre p et b il faut en bonne meacutethode chercher non un seul

couple mais un ensemble de couples de mots preacutesentant cette diffeacuterence donc un ensemble

de mots qui eux-mecircmes soient deacutefinis aussi par drsquoautres phonegravemes que ceux-lagrave On coupe

ainsi lrsquoeffet de circulariteacute Ces deux phonegravemes ne distinguent pas que ces deux mots-lagrave mais

aussi laquo port bord appris abri trompe trombe raquo etc qui nrsquoont rien agrave faire ensemble en

tant que mots Il fallait utiliser lrsquoensemble de la seacuterie pour la deacutemonstration Reacuteciproquement

ces mots et les autres sont distingueacutes par drsquoautres phonegravemes que p ou b agrave commencer

par leurs voyelles laquo pont pan pain paix pis pou banc bain etc raquo Toute combinaison

eacutetant virtuellement possible apparaicirct parmi elles un cas apparent de laquo coiumlncidence raquo entre

phonegraveme et mot celui ougrave un mot est deacutefini par un seul phonegraveme le plus souvent une voyelle

laquo Ougrave Et Hein on en y ait agrave eu auhellip raquo laquo Cest un pur hasard sil arrive quelles coiumlncident raquo

323 La notion de laquo coiumlncidence raquo est mecircme contestable en toute rigueur theacuteorique car la

marque et la fonction restent des critegraveres distincts ce que montre en particulier lrsquohomophonie

de ces exemples que lrsquoon peut en partie repeacuterer par le biais de lrsquoeacutecrit laquo ougrave ou houe houx raquo

laquo ait est haie raquo laquo Ocirc Oh au eau haut raquo etc56

Ce principe de non-correspondance terme agrave terme eacutetait drsquoailleurs le fondement chez

Saussure de la thegravese de laquo lrsquoarbitraire de la relation entre signifiant et signifieacute raquo Un eacuteleacutement

seacutemiologique peut ecirctre marqueacute par un deux n phonegravemes de deacutefinition impreacutevisible et

inversement un phonegraveme peut ecirctre observeacute dans des eacuteleacutements seacutemiologiques de statut

56 Jrsquoai deacuteveloppeacute en deacutetail cette deacutemonstration dans La Trame drsquoune langue p73-75

Structure et signification 75

impreacutevisible Par conseacutequent lrsquoinformation phonologique laquo p nrsquoest pas b raquo ne nous

apprend rien sur ce que sont les mots dont la marque comporte ces phonegravemes Les informa-

tions laquo occlusive labiale sourde orale raquo qui constituent un p ne nous apprennent rien sur

ce que sont les mots laquo pont paire apregraves racircpe etc raquo qui le contiennent De mecircme

lrsquoinformation seacutemiologique laquo singulier pluriel raquo dans laquo lahellip leshellip raquo ne nous apprend rien sur

ce que sont les phonegravemes a et ε A fortiori lorsqursquoil y a coiumlncidence le phonegraveme u (par

exemple) ne nous apprend rien sur ce qursquoest seacutemiologiquement laquo Ougrave raquo et ce dernier mot ne

nous apprend rien sur ce qursquoest phonologiquement un u Crsquoest ce que va deacutevelopper JG

dans les paragraphes suivants

La figure ici examineacutee peut en fait ecirctre eacutelargie agrave lrsquoensemble de ce qursquoon appelle en phono-

logie laquo les paires minimales raquo (de mots) car elles sont qualitativement laquo minimales raquo sur les

deux faces du grammatical Une diffeacuterence de mots (laquo lahellip leshellip raquo) y est mise en relation avec

une diffeacuterence de phonegravemes (a et ε ) Il y a laquo alternance raquo des deux cocircteacutes 324 On peut

penser aussi aux temps primitifs du verbe anglais (laquo drink drank drunk raquo) ou allemand

JG pousse alors agrave sa limite la thegravese de la non-coiumlncidence entre eacuteleacutements des deux faces

en recherchant les cas ougrave laquo moins drsquoun segment [phonologique] raquo ndash moins drsquoun phonegraveme

crsquoest-agrave-dire laquo un trait agrave lui seul raquo ndash peut laquo convoyer une valeur raquo seacutemiologique segraveme

diffeacuterentiel ou uniteacute mot 324 Il illustre cela par un exemple drsquoalternance entre deux qualiteacutes

de voyelles (le turc) et un exemple drsquoalternance entre deux qualiteacutes de consonnes (le breton)

laquo Lharmonie vocalique du turc raquo 324 Je doute de la pertinence de cette reacutefeacuterence Il me

semble plus probable que lrsquoalternance vocalique de la marque des morphegravemes (suffixeacutes) qui

deacutepend de lrsquoidentiteacute vocalique de la marque du radical (initial) creacutee des allomorphes de ces

morphegravemes et non des morphegravemes distincts Si jrsquoen crois Louis Bazin laquo Avec le suffixe ndashdik

de nom verbal suivi du suffixe complexe -ler-i de 3e personne du pluriel on a hellip raquo [selon la

voyelle de la derniegravere syllabe du radical par exemple] laquo bil-dik-leri (ce qursquoils savent) goumlr-duumlk-

leri (ce qursquoils doivent) tut-tuk-larɩ (ce qursquoils tiennent) raquo 57

laquo Les mutations consonantiques du breton raquo 324 De fait le genre et le nombre nominal

peuvent ecirctre marqueacutes par une simple opposition de trait (sourdsonore ou bien occlusif

fricatif) Ainsi le genre du nom est marqueacute par la consonne initiale du radical derriegravere lrsquoarticle

Les radicaux laquo bourk raquo (masculin fr laquo bourg raquo) et laquo bro raquo (feacuteminin fr laquo pays raquo) commencent

par b mais derriegravere lrsquoarticle leur genre est manifesteacute par le maintien de lrsquoocclusive pour le

masculin et le passage agrave la fricative correspondante pour le feacuteminin laquo ar bourk raquo masc (le

bourg) et laquo ar vro raquo feacutem (le pays) De mecircme avec lrsquoalternance laquo sourde sonore raquo le nom

laquo an ti raquo (la maison) est marqueacute comme masculin et laquo an doenn raquo (le toit) est marqueacute comme

feacuteminin agrave lrsquoinverse des mots franccedilais correspondants Crsquoest donc la possibiliteacute drsquoune

alternance qui marque le feacuteminin tandis que le maintien de la mecircme consonne sans

alternance possible marque le masculin Le masculin est laquo invariable raquo et le feacuteminin

laquo variable raquo selon que le nom est preacutefixeacute ou non par son article

JG ajoute agrave ces cas tregraves communs le cas particulier et encore tregraves discuteacute de

laquo lrsquointonation raquo 324 Sa position semble la suivante une opposition de scheacutema intonatif

constituerait un trait pertinent phonologique qui contrairement au cas geacuteneacuteral ne serait pas

deacutelimiteacute dans sa dureacutee agrave la quantiteacute drsquoun seul phonegraveme ndash comme crsquoest le cas pour le ton en

chinois ndash mais porterait sur une partie de la seacutequence phonique Du point de vue seacutemio-

57 Louis Bazin Introduction agrave lrsquoeacutetude pratique de la langue turque p 19-20

76 Une lecture de Jean Gagnepain

logique ce trait pertinent marquerait une distinction Lrsquoexemple prototype (simplifieacutehellip et

controverseacute) est lrsquointonation montante drsquoune forme interrogative lorsque la personne verbale

reste anteacuteposeacutee laquo Tu viens raquo (monteacutee de la voix sur le verbe) Andreacute Martinet eacutetait opposeacute

agrave cette analyse (Le terme laquo monegraveme raquo 324 deacutesigne lrsquoeacuteleacutement de laquo1re articulation raquo

(seacutemiologique) dans le fonctionnalisme drsquoAndreacute Martinet)

Critique de la laquo morphonologie raquo

Le passage suivant 325 traite drsquoune notion utiliseacutee par de nombreuses eacutecoles

linguistiques agrave savoir lrsquoideacutee qursquoentre la phonologie et la laquo grammaire raquo existerait un domaine

intermeacutediaire appeleacute laquo laquo La morphonologie raquo JG critique successivement deux sens donneacutes agrave

ce terme

Dans la laquo tradition raquo drsquoabord Quelle tradition eacutevoque-t-il Le terme a eacuteteacute introduit au sein

de lrsquoEacutecole de Prague par Troubetzkoy en 1929 comme une reacuteduction du terme laquo morpho-

phonologie raquo Ce domaine visait agrave eacutetudier les variantes de marques des eacuteleacutements

grammaticaux appeleacutees freacutequemment laquo allomorphes raquo Voyez les nombreuses maniegraveres de

marquer en anglais lrsquoopposition laquo preacutesent preacuteteacuterit raquo Pour JG lrsquoappellation elle-mecircme

laquo faussait la perspective raquo parce que pour lui cette eacutetude relegraveve uniquement de la seacutemio-

logie et non pas drsquoune sorte drsquoeacutetage supeacuterieur de la phonologie Par ailleurs il reproche au

terme lui-mecircme de nrsquoeacutevoquer que la relation entre phonegravemes et laquo morphegravemes raquo alors que les

phonegravemes servent tout autant agrave marquer du lexique ou de la syntaxe (Cet argument est

deacuteveloppeacute dans le paragraphe suivant)

laquo Son sens contemporain raquo semble ecirctre celui que lui donne la grammaire geacuteneacuterative depuis

Chomsky (1965) Aspects of the theory of syntax Mais le terme y est redevenu

laquo morphophonology raquo une des composantes de la grammaire chaque composante eacutetant

relieacutee agrave une autre par des regravegles Pour JG cela laquo ruine raquo la perspective en ce sens que lrsquoon

creacutee un laquo niveau raquo de plus en mecircme temps que lrsquoon positive agrave la fois la syntaxe (en amont) et

la phonologie (en aval) laquelle est reacuteduite agrave un inventaire positif de caracteacuteristiques acous-

tiques On y a perdu des pans agrave ses yeux essentiels de la linguistique europeacuteenne la notion

de laquo valeur raquo (Saussure) et la notion de faces quelle qursquoen soit la version telle la glosseacute-

matique de Louis Hjelmslev qui distingue laquo le plan de lrsquoexpression raquo et laquo le plan du contenu raquo58

Suit une analyse glossologique de la relation entre les deux faces doublement caracteacuteriseacutee

par la reacuteciprociteacute et par la non-coiumlncidence Lrsquoexemple choisi laquo vient vienne

chien chienne raquo montre lrsquoautonomie de chaque analyse phonologiquement on a un seul

fait lrsquoopposition drsquoune nasale ɛ et de la seacutequence εn tandis que seacutemiologiquement on a

affaire agrave deux faits sans relation (indicatif subjonctif masculin feacuteminin) Le fait phono-

logique ne permet pas de preacutevoir ce que sont ces deux faits seacutemiologiques Reacuteciproquement

lrsquoexemple laquo loup raquo = lu illustrerait ce que jrsquoappelle personnellement le principe laquo drsquoopaciteacute raquo

de chaque face vis-agrave-vis de lrsquoautre Lrsquoanalyse drsquoune face neacutecessite un critegravere qui fait appel agrave

lrsquoexistence globale de lrsquoautre face mais nrsquoapprend rien de plus preacutecis sur cette autre face

Les couples de mots laquo Rue ruse soupe pouce raquo 325 sont aussi des paires minimales

Lrsquoauteur veut dire qursquoil ne faut pas limiter la recherche de paires minimales (de mots)

phonologiquement pertinentes aux seules commutations aux seuls eacutechanges de trait agrave un

58 Jean-Claude Milner proche de laquo lrsquoeacutecole de Cambridge raquo (la grammaire geacuteneacuterative) formule cette diffeacuterence ainsi laquo Pourquoi limiter les niveaux drsquoarticulation agrave deux Le langage en veacuteriteacute nrsquoest pas doublement articuleacute il lrsquoest de maniegravere multiple raquo Introduction agrave une science du langage p 643

Structure et signification 77

endroit de la chaicircne La paire laquo Rue ruse raquo ndash ry versus ryz ajout drsquoun phonegraveme ndash peut

servir agrave montrer la limite segmentale du y et la paire laquo soupe pouce raquo ndash interversion des

consonnes ndash celle du u

Apregraves avoir montreacute que la laquo morphonologie raquo empecircche la modeacutelisation de la phonologie

JG montre que la morphologie scolaire classique empecircche la modeacutelisation de la seacutemiologie

1er argument 326 Comme son nom lrsquoindique (laquo morph- raquo) toute lrsquoeacutetude des marques des

formes grammaticales y est imputeacutee agrave la morphologie (en gros aux conjugaisons et deacuteclinai-

sons) On deacutetourne lrsquoanalyste de la recherche des marqueurs de relation syntaxique Cela

empecircche aussi drsquoobserver lrsquoexistence drsquoune double valeur et morphologique et syntaxique de

certaines formes On reacutecite par exemple le subjonctif laquo Que je vienne etc raquo en oubliant que

la conjonction peut aussi ecirctre le marqueur syntaxique drsquoune relation de subordination avec un

autre verbe du contexte laquo Je souhaite qursquoil vienne raquo ou laquo Qursquoil vienne mrsquoindiffegravere raquo)

2e argument 3264-8 Faute de prendre le terme laquo morphologie raquo dans le sens de

laquo (seacutemio)logie des formes structurales raquo on reacuteduit la morphologie agrave lrsquoexamen des seacutequences

de phonegravemes que lrsquoon observe Crsquoest ignorer que la morphologie en est une abstraction qui

construit des paradigmes en neacutegligeant ces variantes Ex le fonctionnement paradigmatique

du verbe franccedilais ne se superpose pas aux groupes traditionnels de verbes (1er et 2e groupe 3e

groupe fourre-tout) De mecircme lrsquoopposition nominale du nombre en breton est simple et nrsquoa

pas agrave prendre en compte les variantes de la marque du pluriel des amis = mignon-ed des

maisons = ti-ez des bateaux = bag-ougrave etc

Typologie laquo des modes de deacutenotation raquo

JG dresse une typologie des maniegraveres de marquer un fait seacutemiologique

Lrsquoaffixation 331 repose sur la juxtaposition des marques Le ceacutelegravebre laquo anti-con-stitu-tionn-

elle-ment raquo en est un prototype

Lrsquoamalgame existe lorsque deux informations grammaticales figurent ensemble au mecircme

endroit laquo viens vins raquo (vjɛ vɛ) teacutemoigne agrave la fois de lrsquoopposition du preacutesent et du passeacute

simple du verbe laquo venir raquo mais aussi qursquoil srsquoagit de ce verbe et non drsquoun autre lorsqursquoon les

oppose agrave laquo tiens raquo ou agrave laquo tins raquo et enfin que le verbe est agrave une personne du singulier par

diffeacuterence avec laquo viennent raquo ou laquo vinrent raquo (Le terme laquo imbrication raquo (du texte) fait partie de

lrsquoidiolecte de JG Celui drsquoamalgame est tregraves communeacutement utiliseacute)

Lrsquoabsence significative marque une information grammaticale par un silence qui entre en

opposition avec une marque construite avec des phonegravemes Lrsquoimpeacuteratif laquo Viens raquo est marqueacute

par lrsquoabsence du preacutefixe laquo tu- raquo qui caracteacuterise lrsquoindicatif

De toute faccedilon laquo Le signifiant comme tel nrsquo(y) est pour rien raquo Ce ne sont pas les proprieacuteteacutes

des phonegravemes en tant que telles (ecirctre nasal occlusif etc) qui comptent pour lrsquoanalyse

seacutemiologique Il faut mener cette derniegravere analyse selon sa meacutethode propre en cherchant de

la marque sans prendre en compte en quoi consiste phonologiquement cette marque Les

lineacuteaments de la structure phonologique sont laquo invisibles raquo pour le seacutemiologue et reacuteciproque-

ment les lineacuteaments de la structure seacutemiologique sont laquo invisibles raquo pour le phonologue

Principe drsquoopaciteacute mutuelle des deux faces du grammatical

laquo Lrsquohomophonie est si souvent un faux problegraveme raquo 332 Ce cas de figure montre bien que

les eacuteleacutements seacutemiologiques ne peuvent se deacutefinir qursquoen testant leurs limites en srsquoappuyant sur

la marque de ceux-ci Ainsi la forme laquo je suis raquo nrsquoest qursquoun laquo point drsquointersection raquo entre deux

78 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo lignes raquo de variantes (dites laquo allomorphes raquo) de la marque distinctive de deux verbes (1)

laquo ecirctre raquo aux multiples variantes laquo suis est sommes sont ser- sois fu- etc raquo dit

laquo irreacutegulier raquo de ce fait et (2) laquo suivre raquo verbe reacutegulier dont le radical nrsquoa que deux variantes

laquo sui- suiv- raquo Il suffit donc de changer de personne pour lever lrsquohomophonie laquo tu es (un

ami) tu suis (un ami) raquo En classe de latin de 6e le professeur nous faisait remarquer qursquoil eacutetait

plus judicieux de traduire laquo Je suis un acircne raquo par laquo asinum sequor raquo plutocirct que par laquo asinus

sum raquo (Au futur laquo je suivrai un acircne raquo plutocirct que laquo je serai un acircne raquo) laquo Souvent raquo est justifieacute

car il y a des cas limite ougrave le fonctionnement de la structure grammaticale laisse lrsquoanalyse dans

lrsquoembarras Soit laquo Un reacutegime raquo (politique de bananes) Diversiteacute de sens ou homophonie

Aucune diffeacuterence de distribution grammaticale ne permet drsquoen deacutecider On sait qursquoil srsquoagit de

la rencontre en franccedilais drsquoun terme drsquoorigine latine et drsquoun autre drsquoorigine ameacuterindienne via

lrsquoespagnol Pour laquo ancre encre raquo on a le seul argument du deacuteriveacute laquo encrier raquo (laquo ancrier raquo) en

faveur de lrsquohomophonie

La marque nrsquoest affecteacutee laquo hellipni par la varieacuteteacute [de ses allomorphes]hellipni par le nombre [de ses

partiels]hellip raquo 333-4 JG envisage deux cas de figure ougrave lrsquoidentiteacute grammaticale est agrave abstraire

soit drsquoune diversiteacute soit drsquoune multipliciteacute de seacutequences de phonegravemes qui en constituent la

marque

Dans le premier cas de figure celui de lrsquoallomorphisme 333 une valeur seacutemiologique est

marqueacutee par un ensemble de variantes diverses (quant aux phonegravemes qui supportent la

marque) Ce cas de figure est laquo qualitatif raquo et joue sur le contraste identiteacutediversiteacute En voici

un exemple tregraves simple pour meacutemoire je sais qursquoun verbe franccedilais est agrave lrsquoinfinitif en regardant

sa terminaison Or celle-ci varie selon la classe du verbe laquo march-er fin-ir sav-oir raquo etc La

valeur laquo infinitif raquo est identique mais elle est marqueacutee par une liste drsquoallomorphes

Le laquo marquage discontinu raquo 334 est un second cas de figure laquo quantitatif raquo cette fois

puisque la formule laquo discontinuiteacute de ses partiels raquo signifie qursquoune valeur seacutemiologique unique

peut ecirctre marqueacutee en plusieurs endroits du mecircme mot Penser tout simplement agrave la neacutegation

du franccedilais marqueacutee conjointement par laquo ne-hellip-pas raquo Ou bien au participe de lrsquoallemand

laquo geholfen raquo (aideacute) repeacutereacute agrave la fois par le preacutefixe le suffixe et la voyelle du radical diffeacuterente

de lrsquoinfinitif laquo helfen raquo

Reprenons les exemples proposeacutes

Lrsquoallomorphisme Lrsquoexemple anglais laquo men et books raquo 333 allomorphes de la marque du

pluriel nominal en anglais

Les exemples bretons et franccedilais JG tente drsquoabstraire la marque du pluriel de ses

variantes (de ses allomorphes) Il traite alors drsquoun type drsquoallomorphes qui ont en commun de

preacutesenter lrsquoajout drsquoune syllabe ndash breton laquo mercrsquoh raquo (fille) laquo mercrsquohed raquo (filles) ndash ou drsquoune

consonne ndash franccedilais laquo gros grosse raquo gro gros Plus preacuteciseacutement lrsquoallomorphisme reacuteside

dans le fait que le suffixe de pluriel a diverses variantes en fonction du radical laquo bag-ougrave raquo (des

bateaux) taol-iougrave raquo (des tables) de mecircme que le feacuteminin de lrsquoadjectif franccedilais repose sur une

consonne qui caracteacuterise chaque adjectif (laquo grand grande petit petite etc) et existe degraves

qursquoil y a un suffixe (laquo eacutepais gt eacutepaisseur grand gt grandeur etcraquo) Deacuteveloppons

En 3338 JG qualifie drsquolaquo imparisyllabisme raquo les faits bretons suivant Pierre Treacutepos Le

pluriel Breton 1956 Annales de Bretagne p21 laquo Ce sont [dit ce dernier] des pluriels suffixaux

ou imparisyllabiques raquo par opposition aux laquo pluriels internes raquo qui procegravedent par alternance

vocalique (laquo un askorn eskern raquo un des os) En latin et en grec le terme deacutesigne une

Structure et signification 79

diffeacuterence du nombre de syllabes entre le nominatif et les autres cas du singulier Le concept

est ici eacutetendu agrave drsquoautres oppositions

Exemple de la notion de laquo singulatif raquo en breton 333 Le collectif laquo al logod raquo les souris

(comme lrsquoanglais laquo the sheep raquo les moutons) devient laquo al logodenn raquo la souris laquo Hypothegravese

vaine raquo au lieu de consideacuterer que le collectif est marqueacute par le seul radical et le singulatif par

le suffixe laquo -enn raquo JG propose drsquoy voir un cas drsquoimparisyllabisme ougrave la forme dissyllabique

marque le collectif et la forme trisyllabique le singulatif JG exploite ici sa lecture de lrsquoouvrage

de Pierre Treacutepos Le pluriel breton

laquo hellipicihellip raquo 3339 renvoie agrave lrsquoexemple du franccedilais Lire le feacuteminin de lrsquoadjectif franccedilais est

laquo deacutenoteacute raquo par laquo lrsquoeacutelargissement consonantique drsquoun radical historiquement polymorphe raquo Une

partie des adjectifs du franccedilais est formeacutee de radicaux qui ont un allomorphe court termineacute

par une voyelle lorsqursquoil nrsquoy a pas de suffixe ndash exemple le masculin laquo gros raquo gro ndash et un

second allomorphe agrave finale consonantique qui peut certes marquer le feacuteminin mais plus

geacuteneacuteralement marquer la preacutesence drsquoun suffixe Ainsi le s qui termine le feacuteminin laquo grosse raquo

gros se retrouve dans les deacuteriveacutes laquo gross-ir raquo ou gross-issement raquo Il en va de mecircme pour le

d du feacuteminin laquo grande raquo gRɑd eacutegalement preacutesent dans le verbe laquo grand-ir raquo et le nom

laquo grand-eur raquo De sorte qursquoil serait inexact de comprendre la preacutesence de cette consonne en

fin de radical comme une marque exclusive du feacuteminin Ceci vaut pour lrsquoexemple breton Du

nom laquo ur vercrsquoh mercrsquohed raquo (une fille des filles) on peut deacuteriver le verbe laquo mercrsquoh-et-a raquo

(courir les filles) ougrave la seconde syllabe nrsquoest plus un allomorphe du pluriel mais lrsquoallomorphe

obligatoire (en 2 syllabes) drsquoun radical laquo imparisyllabique raquo qui permet le suffixe laquo -a raquo (aller agrave

la recherche de) Idem pour laquo krentildeketa raquo aller agrave la pecircche aux crabes ou laquo kaocrsquohkezeka raquo

ramasser le long des chemins le crottin de cheval

Le marquage discontinu (drsquoun eacuteleacutement seacutemiologique) 334 JG aborde sous la formule laquo le

problegraveme du mot raquo un thegraveme qui sera deacuteveloppeacute dans le chapitre suivant consacreacute agrave la

biaxialiteacute du signe Lrsquoexemple de laquo il-fut raquo signifie que contrairement agrave la tradition le

laquo verbe raquo ne se reacuteduit pas agrave son radical (lexegraveme) Le preacutefixe de personne laquo il- raquo fait partie

inteacutegrante du verbe de mecircme que la neacutegation et le morphegraveme attributif dans laquo Il ne le fut

pas raquo Lrsquohistoire du latin au franccedilais ndash et lrsquoorthographe ndash ont laquo mateacuteriellement seacutepareacute raquo le

radical (le laquo lexegraveme raquo) et la personne verbale qui eacutetait suffixeacutee en latin laquo fui-t raquo laquo Mots-

outils raquo il ne srsquoagit pas de mots mais de fragments du mot Ils laquo permettent au lexegraveme de

srsquoactualiser raquo ils sont neacutecessaires pour que le mot existe dans sa totaliteacute et puisse ecirctre

autonome laquo Lrsquoinseacuteparabiliteacute [nrsquoest pas un critegravere pour deacutelimiter un mot] raquo Propos paradoxal

puisqursquoil fonde lrsquouniteacute du mot sur la laquo solidariteacute des fragments raquo Dans ce contexte ougrave il eacutevoque

lrsquousage graphique de deacutenombrer les mots selon les espaces typographiques il veut probable-

ment dire que lrsquoinseacuteparabiliteacute graphique nrsquoest pas une condition neacutecessaire pour deacutelimiter un

mot comme le montre lrsquoexemple laquo il fut raquo preacutesenteacute Plus largement on ne peut pas se

contenter drsquoobserver qursquoun affixe peut ecirctre seacutepareacute mateacuteriellement drsquoun autre ou drsquoun radical

par un autre mot pour en conclure qursquoil srsquoagit drsquoun second mot Ainsi le deacuteterminant nominal

en franccedilais peut ecirctre seacutepareacute du radical par un adjectif dans un syntagme laquo ce grand

chapeau raquo le deacuteterminant nrsquoen reste pas moins un preacutefixe du lexegraveme final La marque du mot

se distribue sur lrsquoensemble de ses parties constituantes

80 Une lecture de Jean Gagnepain

Analogie laquo arbitraire relatif raquo laquo motivation raquo

JG eacutevoque la reacuteduction de lrsquoallomorphisme par laquo lrsquoanalogie raquo laquo Lrsquoheacuteteacuteroclitisme se reacuteduit raquo

335 Il observe une tendance agrave opter pour des formes moins allomorphiques (= irreacuteguliegraveres)

laquo Eacutemotionner raquo tend agrave remplacer laquo eacutemouvoir raquo et laquo solutionner raquo laquo reacutesoudre raquo Tous les

neacuteologismes verbaux du franccedilais se regraveglent analogiquement sur la conjugaison en laquo -er raquo et

non sur les autres on deacuteclarera laquo googlelis-er raquo quelqursquoun et non le laquo googlelis-ir raquo ou le

laquo googlelis-oir raquo

Lrsquoaspect quantitatif de la simplification des variantes est traiteacute en 342-3 laquo La fusionhellip raquo

soude les fragments du mot Ainsi laquo maintenant raquo (en tenant la main) ou laquo lieutenant raquo (tenant

lieu de) sont aujourdrsquohui des lexegravemes simples Tout comme laquo doreacutenavant nonobstant etc raquo

JG compare de ce point de vue le franccedilais qui augmente ses lexegravemes aux langues

germaniques qui procegravedent par affixation ou composition Comparer laquo un manuel raquo et laquo Ein

Lehrbuch raquo ou bien laquo nager piscine eacutetrille boueacutee raquo et laquo to swimm swimming pool swimming

crab swimming ring raquo laquo chambre et bureau raquo agrave laquo bedroom and study room raquo

Le thegraveme de la laquo Motivationhellip raquo 344 et de lrsquoarbitraire est relieacute au propos preacuteceacutedent parce

que lrsquoon dit parfois que la relation entre laquo piscine raquo et laquo nager raquo serait formellement

laquo arbitraire raquo du fait de la dispariteacute des phonegravemes qui composent leur marque tandis que

serait laquo motiveacutee raquo la relation entre laquo to swim raquo et laquo swimming pool raquo du fait de lrsquoeacuteleacutement

commun JG fait ainsi allusion au passage du Cours de Saussure ougrave ce dernier parle de

laquo motivation relative raquo et drsquo laquo arbitraire relatif raquo agrave propos notamment de la deacuterivation et

envisage mecircme laquo tout ce qui a trait agrave la langue comme systegraveme raquo comme laquo la limitation de

lrsquoarbitraire raquo (p 182) Cette perspective a eacuteteacute systeacutematiseacutee par le courant de la linguistique

initieacute par Gustave Guillaume qui a tenteacute drsquoexplorer toute forme de motivation dans la relation

entre phonegravemes et mots

Toutefois on sait que le Cours utilise le terme drsquoarbitraire dans deux sens diffeacuterents (au

moins) Lrsquoun est speacutecifique crsquoest lrsquoarbitraire entre signifiant et signifieacute rien de ce qui caracteacute-

rise les phonegravemes de laquo chat raquo ne permet de deacuteduire ce qursquoen est le signifieacute ou comme le dit

JG Les deux phonegravemes du mot laquo loup raquo nrsquoeacutevoquent pas plus respectivement la tecircte que la

queue 325 Ici crsquoest la relation entre les deux faces qui serait dite laquo immotiveacutee raquo ou

laquo arbitraire raquo Lrsquoautre sens est plus geacuteneacuteral Le signe lui-mecircme serait arbitraire parce que rien

ne preacutedispose le bœuf agrave srsquoappeler laquo bœuf raquo plutocirct que laquo ox raquo (Selon lrsquoeacutedition premiegravere du

Cours p 100) Bref le couple laquo arbitraire ndash motivation raquo dans sa geacuteneacuteraliteacute precircte agrave toutes

sortes de jeux et combats de mots

JG propose une autre configuration terminologique Chaque face est laquo motiveacutee raquo en ce

sens que le principe mecircme de structure et de laquo raison raquo est antinomique de celui drsquoarbitraire

ou drsquoimmotivation lorsque ces concepts sont synonymes drsquoaleacuteatoire et de chaotique Chacune

laquo teacutemoigne drsquoune si parfaite logique raquo 344 La laquo motivation raquo renvoie degraves lors au caractegravere

contraignant et reacutegulier de toute structure agrave ses laquo raisons internes raquo Par conseacutequent le

terme ne doit pas srsquoappliquer agrave la relation entre les deux faces pas plus drsquoailleurs que celui

drsquoarbitraire La relation entre les deux faces laquo isomorphes raquo est alors seulement qualifieacutee drsquo

laquo insurmontable eacutecart raquo Et chez JG le concept drsquoarbitraire relegraveve uniquement de la

sociologie de la Personne (tome 2 du Vouloir-Dire) (laquo Toute consideacuteration sociologique mise agrave

part raquo)

Structure et signification 81

Lrsquoapport de la clinique des aphasies

JG aborde lrsquoaspect clinique du thegraveme de lrsquointerrelation des deux faces du grammatical

345 Il met en contraste deux types drsquoaphasie de Wernicke

ndash Dans lrsquoaphasie de Wernicke phonologique (dite de laquo conduction raquo) le malade laquo dispose

de la marque raquo seacutemiologique et a perdu la laquo fonction raquo phonologique Il a du mal agrave reacutepeacuteter les

donneacutees parce qursquoil ne controcircle plus les caracteacuteristiques des phonegravemes qursquoon lui propose Il

fera des paraphasies Ex Deacutenomination drsquoun domino laquo [Comment ccedila srsquoappelle ] hellip A cinq de

teacute a a fasatadeacute (hellip) Donsan anafadeacute (hellip) Atacheacutezatideacute (hellip) raquo59 Toutefois parce qursquoil comprend

qursquoil srsquoagit de la laquo carte drsquoidentiteacute raquo drsquoun mot lrsquoaphasique peut tenter de paraphraser les

donneacutees

ndash Un aphasique de Wernicke seacutemiologique a un autre raisonnement grammatical le

malade laquo chez qui persiste la fonction raquo phonologique mais pas laquo la marque raquo seacutemiologique

peut reacutepeacuteter les donneacutees comme une pure seacutequence de phonegravemes agrave la faccedilon des logatomes

alors que cette seacutequence ne fait plus laquo marque raquo de tel ou tel mot de sorte qursquoil est lexicale-

ment perdu laquo Un gant de caoutchouc est appeleacute ‟une culotte de beacutebeacuterdquo une pantoufle ‟un

porte-monnaierdquo le meacutedecin est deacutesigneacute comme ‟un avocatrdquo ‟un contremaicirctrerdquo ou ‟un

patron de barrdquo raquo60

IDENTITEacute ET UNITEacute

JG aborde le thegraveme de la biaxialiteacute du dire Diffeacuterenciation qualitative et segmentation

quantitative Apregraves une preacutesentation geacuteneacuterale de la distinction des deux axes pages 34-35 Il

traite le sujet en 3 sections Lrsquoaxe drsquoanalyse en identiteacutes sur chaque face laquo traits raquo phono-

logiques et laquo segravemes raquo seacutemiologiques Lrsquoaxe drsquoanalyse en uniteacutes sur chaque face

laquo phonegravemes raquo et laquo mots raquo Il preacutesente enfin les problegravemes theacuteoriques poseacutes par les notions de

capaciteacute taxinomique (responsable des diffeacuterences) et de capaciteacute geacuteneacuterative (responsable de

la segmentation)

1- Traits et Segravemes

11 - Preacutesentation des deux axes de lrsquoanalyse

Synthegravese terminologique Le mecircme et lrsquoautre Ce couple de termes est ambivalent 346

Soit lrsquoeacutenonceacute laquo Crsquoest le mecircme Non crsquoest un autre raquo

- Ou bien on considegravere comme laquo mecircme raquo ce qui est identique et laquo autre raquo ce qui est

diffeacuterent Axe des identiteacutes des oppositions deacutefinies par diffeacuterence Axe dit parfois laquo vertical raquo

par meacutetaphore de lrsquoordonneacutee

- Ou bien on considegravere comme laquo Mecircme raquo une uniteacute et comme laquo autre raquo ce qui est

suppleacutementaire multiple Axe des uniteacutes des contrastes deacutefinis par segmentation Axe dit

parfois laquo horizontal raquo par meacutetaphore de lrsquoabscisse et de la ligne drsquoeacutecriture

59 Proposeacute par Olivier Sabouraud 1995 Le langage et ses maux Paris Odile Jacob p115

60 Olivier Sabouraud ibidem p 167

82 Une lecture de Jean Gagnepain

JG illustrait volontiers en cours lrsquo laquo ambiguiumlteacute raquo 353 de ces termes par les deux exemples

suivants Au restaurant laquo Donnez-moi un autre verre raquo peut ecirctre compris soit laquo Changez

mon verre raquo soit laquo Ajoutez-moi un verre raquo Et laquo Toutes les sœurs du couvent avaient le

mecircme mouchoir raquo peut signifier laquo le mecircme modegravele raquo ou laquo Un seul pour toutes raquo

En 351-2 le thegraveme de la biaxialiteacute est mis en relation avec celui de la dialectique Il srsquoagit ici

de grammaire pocircle premier de la meacutediation par rapport agrave la rheacutetorique laquelle est

laquo lrsquoexploitation qursquoon en fait raquo 351 Par conseacutequent Roman Jakobson avait tort agrave propos

drsquoaphasie de parler des axes en termes de laquo seacutelection raquo et de laquo combinatoire raquo car ces

aptitudes sont rheacutetoriques Elles supposent au preacutealable drsquoune part du laquo preacuteseacutelectionneacute raquo

autrement dit de la diversiteacute sans laquelle il nrsquoy a pas de choix et drsquoautre part du

laquo preacuteconstruit raquo autrement dit des uniteacutes dont on ne peut plus seacuteparer les fragments 352

En 353 allusion est faite aux courants respectivement distributionnalistes et geacuteneacuteratifs qui

font laquo preacutevaloir raquo un axe Les premiers privileacutegient lrsquoeacutetude des oppositions les seconds celle

des uniteacutes et de leurs relations JG donne ensuite agrave propos du latin et en les mettant en

contraste le sens de laquo reacutepeacutetition quantitative du mecircme raquo agrave idem (comme en franccedilais

aujourdrsquohui) et le sens drsquo laquo identiteacute distinctive raquo agrave ipse (que lrsquoon retrouve en philosophie dans

lrsquolaquo ipseacuteiteacute raquo) De mecircme et par contraste alius deacutesigne la preacutesence drsquoune pluraliteacute de faits

(laquo encore un autre raquo) tandis qualter suppose le remplacement drsquoun fait par un fait diffeacuterent

comme dans le franccedilais laquo alternative raquo En latin classique laquo alter raquo deacutesigne lrsquoautre de deux

comme dans le franccedilais laquo alternative raquo tandis que laquo alius raquo deacutesigne lrsquoautre parmi plusieurs

sans preacutecision de nombre61

Trois proprieacuteteacutes importantes deacutecoulent de lrsquoexistence des deux axes drsquoanalyse 354

(1) laquo Leur intersection raquo Tout fait de langage comporte un aspect qualitatif et un aspect

quantitatif Dans la meacutetaphore topographique des axes on peut donc dire que ceux-ci sont en

intersection

(2) Les deux analyses laquo se conditionnent mutuellement raquo ce thegraveme sera deacuteveloppeacute

ulteacuterieurement sous la rubrique laquo 3 Similariteacute et compleacutementariteacute raquo

(3) Elles laquo srsquoeacutequivalent rarement raquo Cela srsquoobserve de deux maniegraveres

(a) laquo Lopposable nest pas automatiquement contrastable raquo signifie qursquoagrave une uniteacute

autonome ne correspond que rarement une seule identiteacute Risquons en exemple drsquoune

coiumlncidence le cas de lrsquointerjection laquo Zut raquo en seacutemiologie (parce qursquoelle ne comporte ni

preacutefixe ni suffixe) et celui du phonegraveme l en phonologie (parce qursquoil se distingue de tous les

autres par le seul trait appeleacute laquo lateacuteral raquo)

(b) laquo Le contrastable nest [pas automatiquement] opposable (hellip) raquo Allusion au processus

de syntaxe ougrave comme en teacutemoigne lrsquoaccord une identiteacute se retrouve dans plusieurs mots

laquo des vacances inteacuteressantes nous attendent raquo Par ailleurs le mot teacutemoigne drsquoune laquo solidariteacute

des choix raquo 354 le terme laquo solidariteacute raquo renvoie agrave la quantiteacute (Tout ce qui est solidaire est un

les fragments drsquoun vase casseacute forment encore le modegravele de lrsquouniteacute qursquoest le vase) Le terme

laquo choix raquo renvoie agrave la qualiteacute Un exemple de syntagme correacutelatif tel que laquo Crsquoest plus grave

qursquoon ne le croit raquo montre que les eacuteleacutements souligneacutes si divers qursquoils soient contribuent

mutuellement agrave la deacutelimitation et agrave lrsquoidentification de cette construction Drsquoougrave la meacutetaphore

61 Reneacute Jongen 1993 dans Quand dire crsquoest dire p35-38 analyse le systegraveme de lrsquoallemand laquo Die selbe Frage Die gleiche Frage raquo et laquo Eine andere Frage Eine weitere Frage raquo Il signale aussi les laquo chevauchements raquo en contexte crsquoest-agrave-dire les convergences synonymiques entre ces termes

Structure et signification 83

du laquo plat raquo cuisineacute qui est un mais composeacute drsquoingreacutedients varieacutes que lrsquoon ne peut plus rendre

autonomes les uns des autres

Dans son Cours Saussure qualifiait la logique du laquo ou bien raquo de rapport laquo in absentia raquo et

celle du laquo et puis raquo de rapport laquo in praeligsentia raquo Pour JG tout est laquo in absentia raquo (relatif agrave une

absence) en grammaire 355 en ce sens que le modegravele de construction de lrsquouniteacute segmentale

(un nom un verbe) ou celui drsquoun syntagme est un cadre tout aussi abstrait que le reacutepertoire

des diffeacuterences

laquo Lrsquouniteacute faisceau structuralement deacutetermineacute drsquoidentiteacutes raquo 356 Comprendre laquo deacutetermineacute raquo

selon lrsquoordre de la quantiteacute Pour parler comme Raymond Devos un laquo bout raquo (lrsquouniteacute) crsquoest ce

qui est entre deux laquo bouts raquo les extreacutemiteacutes qui sont les laquo terminus raquo deacutebut et fin de lrsquouniteacute

laquo Deacute-terminer raquo crsquoest seacuteparer lrsquoun de ce qui serait suppleacutementaire Ex simple laquo Venez raquo

nrsquoest qursquoun verbe qui solidarise plusieurs informations grammaticales Chacune preacutesuppose

un ensemble de possibiliteacutes le suffixe oppose 3 personnes laquo Viens venons venez raquo le mode

impeacuteratif srsquooppose agrave lrsquoindicatif selon qursquoest preacutesent ou absent le preacutefixe de personne laquo Vous

venez raquo Enfin le radical laquo ven(ir) raquo est extrait drsquoun ensemble de possibles tels que

laquo Rest(ez) Eacutecout(ez) Etcraquo De mecircme le phonegraveme est-il selon lrsquoexpression de Roman

Jakobson laquo un faisceau de traits pertinents raquo (a bundle of distinctive features)

laquo Lrsquouniteacute [nrsquoaurait] jamais veacuteritablement fait question raquo 356 Suit un paradoxe beaucoup

de phonologues srsquoaccordent sur lrsquoexistence et sur la deacutefinition de lrsquouniteacute laquo phonegraveme raquo tandis

qursquoaucun grammairien nrsquoest drsquoaccord avec le voisin sur lrsquoexistence et la deacutefinition drsquoune uniteacute

laquo mot raquo au point que lrsquoon srsquoaccorderait sur lrsquoabandon drsquoun tel concept dans le modegravele Le

terme est banni drsquoailleurs par beaucoup Les laquo naiumlfs raquo seraient les grammairiens scolaires pour

qui un laquo mot raquo est un ensemble de lettres que lrsquoon peut lier entre deux intervalles Lrsquoun le

phonegraveme serait une eacutevidence lrsquoautre le mot une chimegravere qursquoil conviendrait drsquooublier

laquo La relation [entre identiteacutes et uniteacutes nrsquoeacutetant pas de lrsquoordre] de la simple combinatoire ne

saurait srsquoappreacutecier en coucirct raquo 356 Il srsquoagit de la maniegravere de concevoir la relation sur une face

entre trait et phonegraveme et sur lrsquoautre entre segraveme (morphegraveme dans drsquoautres eacutecoles) et mot

(groupe ou syntagme dans drsquoautres eacutecoles) Cette relation est penseacutee en termes de

combinatoire dans les theacuteories laquo agrave niveaux raquo on combinerait des traits en phonegravemes ceux-ci

en morphegravemes ces derniers en syntagmes minimaux ou laquo Groupes raquo ndash le GN GV etc et

finalement en constructions syntaxiques Dans un tel modegravele le coucirct en information

augmente avec la complexiteacute de lrsquoenchaicircnement Une modeacutelisation en faces et axes tous

ressortissant au mecircme principe de structure est incompatible avec un modegravele combinatoire

12 - Identiteacute phonologique et identiteacute seacutemiologique

Lrsquoauteur propose de laquo helliptraiter ensemble des premiers raquo agrave savoir du trait phonologique et

du segraveme seacutemiologique (Nous entendons) laquo hellipillustrer le paralleacutelisme de la relation qursquoils

entretiennent avec leur contenu respectif raquo 361 agrave savoir le paralleacutelisme de la relation entre

grammaire (forme) et rheacutetorique (contenu) La relation entre segraveme et effet de sens seacuteman-

tique et la relation entre trait et prononciation phoneacutetique sont analogues

laquo hellip [Trait et segraveme] ne repreacutesentent pas la totaliteacute [respectivement du son pertinent et du

sens deacutenoteacute] mais leur diffeacuterence dans le seul axe des identiteacutes raquo Lrsquoexplication ici deacuteveloppeacutee

ne traite que de diffeacuterenciation tel que le laquo son raquo par la pertinence devient laquo trait raquo et le

laquo sens raquo par la deacutenotation devient laquo segraveme raquo tandis qursquoest renvoyeacutee agrave plus tard lrsquoeacutetude de la

84 Une lecture de Jean Gagnepain

segmentation ougrave le laquo son raquo par la pertinence devient laquo phonegraveme raquo et le laquo sens raquo par la

deacutenotation devient laquo mot raquo crsquoest-agrave-dire segment seacutemiologique dans la deacutefinition qursquoen

propose JG

Pour des raisons de plan geacuteneacuteral drsquoexposeacute lrsquoauteur est ici contraint de juxtaposer un

concept rheacutetorique lrsquoideacutee de laquo contenu raquo qui renvoie agrave la performance du dire et les deux

concepts qui constituent le symbole le laquo son raquo et le laquo sens raquo Il met en contraste symbole et

grammaire

Opposition entre grammaire et rheacutetorique 362 (1) En grammaire chaque trait chaque

segraveme est laquo le tout moins le reste raquo crsquoest-agrave-dire une laquo valeur deacutefinie neacutegativement raquo (Saussure)

Ce sont des laquo cadres de variations raquo Le cadre est grammatical crsquoest un reacuteseau de limites (2)

La rheacutetorique creacutee un laquo effet de reacutealisation raquo relative de ce qui est dit tend vers une positiva-

tion et introduit une variation seacutemantique et phoneacutetique On ne peut donc laquo privileacutegier raquo

aucun choix pour trouver la deacutefinition de lrsquoidentiteacute grammaticale puisque celle-ci neacuteglige ces

variations

Le fait qursquoun modegravele linguistique utilise pour deacutefinir des faits grammaticaux une

terminologie laquo phoneacutetique raquo et laquo seacutemantique raquo est probleacutematique 363 Par exemple un

phonologue parle de trait laquo sonore raquo ou laquo nasal raquo et en morphologie on parle de morphegraveme

de laquo futur raquo ou de morphegraveme laquo personnel raquo Il est neacutecessaire de redonner un statut structural

aux concepts que ces termes deacutenomment Noter les guillemets mis agrave laquo phoneacutetique raquo et agrave

laquo seacutemantique raquo termes agrave prendre ici dans leur acception traditionnelle et non comme

composantes de la rheacutetorique du dire Cette remarque est donc un rappel du principe de

neacutegativiteacute

Suit une critique de la notion de laquo marqueacute non marqueacute raquo Beaucoup de modegraveles linguis-

tiques hieacuterarchisent les deux versants de cette opposition en geacuteneacuteral en termes de laquo coucirct

drsquoinformation raquo ou de probabiliteacute drsquoemploi On dira que le t sourd est non-marqueacute parce

qursquoil ne neacutecessite pas lrsquoeffort articulatoire qursquoest la vibration des cordes vocales au contraire

du d qui les fait vibrer et que lrsquoon deacuteclare laquo marqueacute raquo On dira aussi qursquoen franccedilais le

masculin de lrsquoadjectif est non-marqueacute par rapport au feacuteminin lorsque le second neacutecessite une

consonne finale drwa - drwat kur - kurt Ce deacutetail renvoie agrave un deacutebat theacuteorique

fondamental le silence peut-il ecirctre porteur drsquoune information grammaticale lorsqursquoil entre

dans une opposition avec la preacutesence laquo mateacuterielle raquo Lrsquoabsence peut-elle ecirctre significative

Dans la perspective saussurienne de la valeur purement relative la reacuteponse est oui On dit

autant quand on dit t en laissant au repos les cordes vocales que lorsque lrsquoon dit d en les

faisant vibrer mais lrsquoon dit autre chose De mecircme on dit autant quand on dit lrsquoimpeacuteratif laquo Oslash-

Viens raquo en omettant le preacutefixe laquo tu- raquo que lorsqursquoon eacutenonce lrsquoindicatif mais lrsquoon dit autre

chose En revanche pour beaucoup de theacuteories (le fonctionnalisme par exemple) le silence

nrsquoest rien du tout et la notion laquo drsquoabsence significative raquo serait un laquo formalisme raquo Il srsquoensuit

que la notion de laquo mot raquo telle qursquoelle est eacutenonceacutee par la glossologie de Jean Gagnepain y est

radicalement reacutecuseacutee comme formaliste

Statut des notions de laquo polyseacutemie raquo et de laquo polyphonie raquo 364 Ainsi que le suffixe le

montre ces formulations relegravevent drsquoune approche rheacutetorique performantielle Seul le

phoneacuteticien peut observer la variation qui lrsquoamegravene agrave parler de laquo poly - raquo (phonie) par rapport agrave

lrsquoinvariant phonologique Idem pour laquo poly- raquo (seacutemie) qui suppose que lrsquoon mette le mot

identique sous le regard du seacutemanticien qui en observe les divers sens Lrsquoobservation de cette

variation ne peut se faire que dans le cadre invariant drsquoun mecircme eacuteleacutement grammatical La

Structure et signification 85

variation est toujours variation du mecircme La formulation complegravete ici est donc laquo polyphonie

du trait raquo et laquo polyseacutemie du segraveme raquo Chaque partie de la formulation complegravete renvoie agrave un

pocircle de la dialectique Lrsquoimproprieacuteteacute quelle que soit la face sur laquelle elle srsquoexerce laquo reacutesulte

de leur conflit raquo 3646 autrement de la dialectique

JG eacutevoque maintenant le cas ougrave la structure introduit de la diffeacuterence lagrave ougrave lrsquoeacutevidence qui

est une association de laquo naturel raquo et laquo drsquohabitude raquo pourrait laisser croire agrave un fait identique

laquo [Lrsquoidentiteacute est] inversement source de diffeacuterence lagrave ougrave la nature dont lhabitude en cela se

fait complice manifestement les confond raquo 365 Soit par exemple le fait drsquoentendre chez

plusieurs personnes laquo le mecircme son raquo Une mecircme reacutealiteacute acoustique est-elle pour autant une

mecircme reacutealiteacute phonologique La reacuteponse est non Deacutemonstration

Le texte en 366 propose lrsquoexemple du ton en Orient Comme il ne srsquoagit phonologique-

ment que de diffeacuterences la mecircme hauteur acoustique (un la3) peut ecirctre compris comme le

ton bas drsquoune personne qui prononce le ton haut une quinte au-dessus et inversement

comme le ton haut de celle qui prononce le ton bas une quinte en dessous (Identiteacute phonique

mais diversiteacute phonologique)

Lrsquoexemple le plus souvent eacutevoqueacute est celui de la longueur vocalique dans les langues qui

opposent une bregraveve et une longue Le latin oppose legit laquo il lit raquo agrave legit laquo il a fini de lire raquo

On comprend que ce nrsquoest pas la longueur mesurable en fractions de seconde qui compte

mais la diffeacuterence de dureacutee De sorte qursquoun [e] drsquoune demi-seconde peut ecirctre compris comme

une longue en deacutebit rapide et comme une bregraveve en deacutebit lent en fonction du contexte

phonologique

Lrsquoexemple franccedilais du texte 366 se situe sur lrsquoaxe de la quantiteacute et sur lrsquoautre face du

grammatical Il illustre le mecircme processus de convergence Le mecircme objet peut ecirctre

deacutenommeacute par un seul mot (laquo sel raquo laquo Paris raquo) ou par ses peacuteriphrases synonymes (laquo chlorure de

sodium raquo laquo capitale de la France raquo) La simpliciteacute de ce que le locuteur conccediloit ne preacutejuge pas

de la simpliciteacute ou de la complexiteacute de la formulation grammaticale dont il dispose

Diffeacuterence et proportion

laquo Traits et segravemes ne sont que lrsquoeacutegaliteacute drsquoun rapport une proportion raquo 367 Lrsquoauteur entend

par le deacuteveloppement qui suit lever lrsquoambiguiumlteacute de la notion laquo drsquoeacutegaliteacute drsquoun rapport raquo car

cette notion peut aussi renvoyer aux laquo analogies raquo internes au systegraveme phonologique ou

seacutemiologique dont il nrsquoest pas question ici

Il ne donne pas drsquoexemple de proportion dans ce premier sens qursquoil entend exclure tel

qursquoun exemple de laquo correacutelation phonologique raquo parce que le concept est exposeacute plus loin en

tant que fait drsquointeraction entre axes entre laquo segment raquo quantitatif et laquo traits raquo (constituants)

qualitatifs (Pour meacutemoire et par anticipation p t k sont des consonnes diffeacuterentes par leur

localisation mais forment la laquo seacuterie raquo similaire des occlusives sourdes tandis que b d g sont

similaires en tant qursquoocclusives sonores) Mecircme chose pour le correspondant seacutemiologique ou

laquo paradigme raquo examineacute plus tard

Dans le passage preacutesent dans une premiegravere seacuterie drsquoexemples il appelle laquo eacutegaliteacute drsquoun

rapport raquo une proportion entre les faits phonologiques eux-mecircmes crsquoest-agrave-dire entre traits

Autrement dit le seul fait qursquoest la diffeacuterence qui les deacutefinit Bref laquo eacutegaliteacute raquo me semble ecirctre

synonyme ici de laquo constance raquo Celle-ci en effet pourrait ecirctre troubleacutee par la prise en compte

des variations phoneacutetiques non pertinentes Or cette variation ne compte pas pour le phono-

86 Une lecture de Jean Gagnepain

logue Seul compte la diffeacuterence pertinente qui reste constamment laquo eacutegale agrave elle-mecircme raquo

quelle que soit la prononciation de chacun des phonegravemes diffeacuterencieacutes Crsquoest pourquoi il

preacutecise laquo chez nous raquo 371 autrement dit dans une structure phonologique deacutefinie (ici

observable en franccedilais) Le trait apical du t est en permanence distinct du trait labial du p

ou du trait palatal du k comme le prouve la seacuterie pertinente laquo tout pou cou raquo (etc) Ceci

eacutetant ce t phonologiquement identique agrave lui-mecircme peut ecirctre prononceacute de faccedilon variable

par un contact du bout de la langue agrave lrsquoavant de la bouche dans le cas de laquo ti(ssu) raquo et plus agrave

lrsquoarriegravere dans le cas de laquo tour raquo en raison drsquoune anticipation de la prononciation de la voyelle

qui le suit Point de deacutetail laquo cacumen raquo veut dire laquo pointe raquo en latin synonyme de laquo apex raquo

Ici lrsquoauteur distingue par les trois termes laquo dental alveacuteolaire cacuminal raquo une varieacuteteacute de

pression du bout de la langue sur la voucircte palatale drsquoavant vers lrsquoarriegravere Chaque seuil compte

pour une diffeacuterence quelle que soit la varieacuteteacute possible des prononciations dans le cadre de

chaque identiteacute Autre exemple (en franccedilais) la proportion entre r et l est celle drsquoun trait

phonologique celle drsquoune laquo eacutegale proportion raquo alors que la prononciation phoneacutetique du r

entre le laquo rat raquo des villes et le laquo rat raquo des champs (Gallo Bourguignon ou Gersois) est tregraves

grande tandis que celle du l varie peu et en fonction de la voyelle qui suit selon qursquoelle est

reacutetracteacutee ou arrondie Cette observation phoneacutetique ne compte pas pour le phonologue pour

qui un trait est toujours et seulement un trait un rapport eacutegal agrave une diffeacuterence

Lrsquoargument de laquo lrsquoeacutegaliteacute drsquoun rapport raquo vaut aussi sur lrsquoautre face du grammatical Quelle

que soit lrsquoampleur de la polyseacutemie possible des segravemes seule la diffeacuterence entre segravemes

compte et compte toujours pour une Ainsi laquo fille raquo couvre en franccedilais agrave la fois le champ

seacutemantique de laquo girl raquo et de laquo daughter raquo tandis que laquo garccedilon raquo est lexicalement distingueacute de

laquo fils raquo Il nrsquoy a pas lieu pour autant de distinguer deux segravemes dans laquo fille raquo selon le contexte ni

une addition de segravemes (sexe + filiation)

Lrsquoauteur illustre la thegravese preacuteceacutedente par des exemples de laquo variantes combinatoires raquo en

laquo distribution dite compleacutementaire raquo 372 En allemand une consonne identique termine les

deux mots laquo dich raquo (toi (accusatif)) et laquo Doch raquo (Si ) Cependant celle-ci se prononce de

maniegravere diffeacuterente selon qursquoelle suit une voyelle drsquoavant i ou drsquoarriegravere o u a laquo Dich raquo se

prononce [diccedil] (constrictive sourde palatale) et laquo doch raquo se prononce [dɔx] (constrictive

sourde veacutelaire) Le locuteur nrsquoa jamais le choix entre ces deux prononciations cette variation

nrsquoest donc pas pertinente Le phonologue dira que ce phonegraveme a deux prononciations

phoneacutetiques deux laquo allophones raquo laquo en distribution compleacutementaire raquo

En seacutemiologie de mecircme une valeur identique peut donner lieu agrave deux effets de sens

diffeacuterents laquo en fonction de lrsquoentourage raquo de cette valeur Le texte fait allusion aux laquo aspects

verbaux raquo 372 Preacutecisons cela par un exemple Il nrsquoy a pas lieu en franccedilais de distinguer entre

un laquo aspect permanent raquo et un laquo aspect ponctuel raquo dans laquo Elle travaille raquo car le verbe reste

identique Ces deux aspects sont des laquo variantes contextuelles raquo du mecircme segraveme puisque crsquoest

le contexte et la situation qui provoquera cette diffeacuterence seacutemantique entre laquo Elle travaille

dans lrsquoimmobilier raquo (Elle a un emploi permanent) et laquo Elle travaille depuis 8h ce matin raquo (Elle

est au travail) Lrsquoanglais et le breton au contraire obligent agrave choisir entre deux formes

grammaticales laquo She works raquo laquo Labourat a ra-hi raquo et laquo She is working raquo laquo Emantilde-hi o

labourat raquo

Structure et signification 87

La laquo neutralisation raquo

La notion de neutralisation fait partie du savoir de base en phonologie 373-4 Elle est

reprise pour une part ici Toutefois la comparaison de ce passage avec la reprise de la notion

en 603 montre que JG souhaite restreindre la porteacutee de celle-ci Il parle alors de

laquo lrsquoextension agrave mon avis malencontreuse du principe de soi paradigmatiquehellip de la

neutralisation raquo

Il srsquoagit ici de la position drsquoun phonegraveme dans la seacutequence qui construit un mot Soit

lrsquoexemple allemand citeacute lrsquoopposition entre consonne sourde et sonore existe agrave lrsquoinitiale drsquoun

mot mais pas en finale Elle est donc dite laquo neutraliseacutee raquo au profit du trait sourd Les deux

noms laquo das Rad raquo (la roue) et laquo der Rat raquo (le Conseil) se disent tous les deux rαː t (et au

pluriel respectivement laquo die Raumlde raquo (les roues) et laquo die Raumlte raquo (les assembleacutees)

Lrsquoexemple breton est analogue Une opposition existe entre les phonegravemes t et d

attesteacutee par exemple agrave lrsquoinitiale dans les mots laquo Tour dour raquo (clocher eau) Mais devant un

silence en finale de mot et de phrase une occlusive ne peut ecirctre que sourde alors qursquoelle peut

ecirctre sonore en liaison avec la voyelle initiale du mot qui suit ou drsquoun suffixe va zat (Mon

pegravere ) et va zad e (Crsquoest mon pegravere) ou ɔn tadu (Nos ancecirctres) On ne peut pas pour

autant conclure agrave lrsquoexistence de deux allophones drsquoun mecircme trait en distribution compleacutemen-

taire puisque lrsquoopposition existe bien agrave lrsquoinitiale

Le cas des voyelles centrales du franccedilais est diffeacuterent sur ce point62 Lrsquoopposition drsquoaperture

disparaicirct au profit drsquoun seul des traits Deux cas de figure existent

- Alors que lrsquoopposition voyelle mi-fermeacutee mi-ouverte existe dans une syllabe

laquo (consonne) + voyelle raquo ((C) + V) elle disparaicirct au profit exclusif du trait mi-ouvert dans une

syllabe de type ((C) +V +C) termineacutee par une consonne63 On a ainsi laquo et ait reacute raie eacuteteacute

eacutetait raquo mais seulement laquo aide aire raide reine recircve eacutether raquo

- La neutralisation est inverse pour les deux autres seacuteries ( oslash - œ et o - ᴐ Cette fois

lrsquoopposition voyelle mi-fermeacutee mi-ouverte nrsquoexiste que dans une syllabe de type ((C) + V +C)

agrave consonne finale On observe peu de paires minimales dans le premier cas laquo veule ndash

veulent raquo ou laquo jeucircne ndash jeune raquo mais la voyelle oslash existe aussi dans laquo pleutre feutre meute

meule neutre neume raquo etc Dans le second cas la liste des oppositions est plus large

laquo haute ndash hotte arocircme ndash agrave Rome cocircte ndash cotte fauche ndash Foch faune ndash phone lrsquoaube ndash

lobe Paule ndash Paul saule ndash sol saute ndash sotte etc raquo Ceci nrsquoest vrai que pour une partie des

dialectes du franccedilaishellip dont le mien Dans les deux cas lrsquoopposition est totalement neutraliseacutee

en syllabe termineacutee par une voyelle ((C) + V) au profit cette fois du trait mi-fermeacute

laquo Eux ceux jeu veux peu nœudhellip raquo64 Et laquo Ocirc eau heaume faux lot peau seau hellip raquo

Il faut donc envisager de diversifier lrsquoanalyse de ce qursquoon appelle une neutralisation Quoi

qursquoil en soit pour signaler cette diffeacuterence de statut du phonegraveme dans un contexte particulier

62 On appelle ainsi les seacuteries e - ε (theacute - taie) oslash - œ (veule - veulent jeucircne - jeune [rare]) o - ᴐ (paume pomme) Dans chaque seacuterie on observe un trait drsquoaperture laquo mi-fermeacute mi-ouvert raquo

63 Une syllabe C+V est dite laquo syllabe ouverte raquo et une syllabe C+V+C est dite laquo syllabe fermeacutee raquo Ces qualificatifs prennent un autre sens lorsqursquoils caracteacuterisent lrsquoouverture de la bouche (aperture)

64 Le statut de la voyelle [ ә ] vient compliquer la situation Comparons par exemple laquo nœud raquo et laquo ne raquo laquo ceux raquo et laquo se raquo laquo jeu raquo et laquo je raquo Identique phoneacutetiquement agrave œ quant agrave lrsquoaperture et la localisation la voyelle [ ә ] en est distincte par la longueur (laquo bregraveve raquo) chez les locuteurs qui font cette opposition et toujours par le fait qursquoelle peut disparaicirctre dans le contexte plus large laquo je ne sais pas raquo peut devenir laquo je nrsquosais pas raquo laquo on se reverra raquo devient laquo on srsquoreverra raquo ou laquo on se rrsquoverra raquo et laquo jrsquoaccepte raquo contraste avec laquo jeu accepteacute raquo Plus loin en 39 46 JG soutient qursquoil ne srsquoagit pas drsquoun phonegraveme mais drsquoune aide phoneacutetique agrave la syllabation

88 Une lecture de Jean Gagnepain

les phonologues lrsquoappellent laquo archiphonegraveme raquo et preacuteconisent drsquoutiliser une majuscule pour le

noter (N-S Troubetzkoy Principes de phonologie p81)

Tous ces cas relegravevent de la deacutefinition diffeacuterentielle du trait au sein du phonegraveme Nous

verrons plus loin (en 603) que JG renvoie certains cas de laquo neutralisation raquo agrave un fait de

laquo syntaxe phonologique raquo appeleacute alors concateacutenation

JG propose ensuite des exemples analogues en seacutemiologie Les deux auxiliaires du franccedilais

laquo ecirctre raquo et laquo avoir raquo sont en opposition pour les verbes (transitifs) qui admettent une forme

passive laquo il a attendu raquo laquo il est attendu raquo Cette opposition disparaicirct pour les verbes intransi-

tifs dont la forme composeacutee utilise soit laquo avoir raquo (la majoriteacute) laquo il a dormi raquo soit laquo ecirctre raquo laquo il

est venu raquo

laquo Archiphonegraveme raquo et laquo Seacutemegraveme raquo

Critique de deacutetail des termes laquo archiphonegraveme raquo (Troubetzkoy) et laquo seacutemegraveme raquo en 381

Comment comprendre la critique du premier de ces termes selon laquelle laquo ce nest

quindirectement du phonegraveme quil sagit raquo 381 Pour JG le laquo phonegraveme raquo est seulement un

segment une quantiteacute puisque le modegravele est biaxial Or le problegraveme concerne une reacuteduction

au sein drsquoun registre de traits diffeacuterentiels sur lrsquoautre axe Par conseacutequent le concept en cause

renvoie agrave un problegraveme plus complexe qursquoon ne le croit associant laquo directement raquo une

question de trait et laquo indirectement raquo une question de phonegraveme JG en reparle en 5342 de

mecircme qursquoil reprend la question de la neutralisation en 603 Il semble qursquoil en fasse un fait de

correacutelation phonologique Lrsquohypothegravese drsquoun fait de concateacutenation nrsquoest pas non plus agrave exclure

Par ailleurs la formulation laquo on ne saurait dans une gamme en les regroupant sous le nom

darchiphonegraveme isoler les degreacutes phoneacutetiquement concerneacutes raquo 381 deacutepasse mon entende-

ment La justification structurale de ce concept chez Troubetzkoy reacutesidait preacuteciseacutement dans le

fait qursquoun mecircme fait phoneacutetique ([e] par exemple) nrsquoa pas la mecircme deacutefinition phonologique

selon qursquoil peut ou non srsquoopposer agrave un autre phonegraveme Le ɛ de laquo raie raquo Rɛ qui entre en

opposition avec le e de laquo reacute raquo nrsquoa pas le mecircme statut que le E de laquo recircve raquo rEv puisque

rev est agrammatical Lrsquoutilisation de la majuscule a donc preacuteciseacutement pour but de ne plus

laquo isoler les degreacutes phoneacutetiques raquo puisqursquoils nrsquoont plus alors de statut phonologique

Le second terme laquo seacutemegraveme raquo 381 semble reacutefeacuterer au modegravele de Bernard Pottier repris sur

ce point par Franccedilois Rastier Cependant la terminologie de ces derniers est en fait diffeacuterente

Le laquo seacutemegraveme raquo deacutesigne le contenu seacutemantique total et speacutecifique drsquoun eacuteleacutement lexical

contenu composeacute de laquo segravemes raquo qui en sont les caracteacuteristiques seacutemantiques minimales Ainsi

le seacutemegraveme qui deacutefinit le terme laquo chaise raquo est composeacute des laquo segravemes raquo laquo pour asseoir une seule

personne sur pieds avec dossier raquo par opposition lexicale avec les termes laquo lit banc pouf

tabouret fauteuil raquo Lrsquoallusion de Jean Gagnepain correspond plutocirct au terme

laquo archiseacutemegraveme raquo puisqursquoil deacutesigne un laquo hyperonyme raquo (dit laquo pantonyme raquo chez JG) tel que

laquo mobilier raquo qui regroupe lrsquoensemble des termes (deacutefinis par leur seacutemegraveme) drsquoun mecircme champ

seacutemantique

Critique du laquo binarisme raquo chez Jakobson

La critique qui suit du binarisme (laquo Rien ne le fonde dans les faits raquo 382) vise le modegravele

phonologique de Roman Jakobson Ce dernier caracteacuterise lrsquoensemble des phonegravemes selon un

catalogue drsquooppositions binaires hieacuterarchiseacutees speacutecifiques (sonore + sonore -) ou geacuteneacuteriques

(compact diffus) Une seacuterie ternaire ou plus est inconcevable telle que (traits) laquo labial

Structure et signification 89

dental palatal veacutelaire uvulaire raquo Il soutiendra dans Langage enfantin et aphasie que

lrsquoeacutemergence au langage chez lrsquoenfant se fait selon des eacutetapes correspondant aux paliers

hieacuterarchiseacutes de son modegravele phonologique et que lrsquoatteinte du langage dans lrsquoaphasie fait le

chemin inverse Les observations sur les aphasies meneacutees par Olivier Sabouraud et Jean

Gagnepain deacutementent cette hypothegravese Ce dernier nuance sa critique (laquo Sans doute est-il

vraihellip raquo 3836) en preacutecisant qursquoelle ne vaut que pour lrsquoordre de la structure et non pour celle

de la performance ougrave la notion de degreacute de complexiteacute retrouve son inteacuterecirct explicatif

Une formalisation incorporeacutee et non projeteacutee

Traits et segravemes laquo sont raquo une formalisation sui generis 384 Rappel est fait du principe de

laquo formalisation incorporeacutee raquo Le grammairien explicite et expose une formalisation qui est

inheacuterente agrave lrsquoobjet grammatical Drsquoougrave la critique de termes tels qursquolaquo Alphabet phoneacutetique

international raquo termes qui laissent penser qursquoexisterait un stock total de phonegravemes pour

lrsquohumaniteacute dans lesquels chaque langue puiserait Cet inventaire deacutetruit la notion mecircme de

phonegraveme puisqursquoelle les deacutefinit positivement en termes articulatoires comme eacutetant des sons

sans tenir compte du critegravere de pertinence qui dans chaque structure permet de dire qursquoil

srsquoagit drsquoun phonegraveme Il faudrait ecirctre naiumlf (ou positiviste) pour croire que lrsquoon a affaire au

mecircme phonegraveme lorsque lrsquoon eacutecrit en API avec le mecircme graphegraveme e le mot franccedilais re

laquo reacute raquo et le mot espagnol ser laquo ecirctre raquo Crsquoest inexact parce que le e franccedilais est deacutelimiteacute par

un ɛ (raie) alors que le e castillan ne lrsquoest que par i et a De mecircme un inventaire

universel des ideacutees humaines pantopique panchronique et panstratique est une speacuteculation

tout aussi absurde agrave la fois parce qursquoelle postule une position de connaissance transcendante

et parce qursquoelle suppose que lrsquoon peut deacutefinir chaque laquo ideacutee raquo comme indeacutependante des

autres stockable et manipulable comme chaque grain de sable drsquoune plage ideacuteale

2- Phonegravemes et mots

La segmentation grammaticale 38-39 Problegravemes de segmentation phonologique 39-41

Problegravemes de segmentation seacutemiologique 41-43

21 - Preacutesentation de la notion drsquouniteacute grammaticale

laquo Les traits et les segravemes sauf pathologiquement napparaissent que cristalliseacutes (hellip) dans des

phonegravemes et des mots raquo laquo Nous ne disons pas ldquocombineacutesrdquohellip raquo 385 Ce point est important car

il distingue la glossologie des theacuteories distributionnalistes et du fonctionnalisme drsquoAndreacute

Martinet Pour ces derniers une identiteacute est aussi une uniteacute lrsquoidentiteacute est appeleacutee

laquo monegraveme raquo par Andreacute Martinet Dans laquo deacute-crypt-er raquo il y aurait trois uniteacutesidentiteacutes

laquo combineacutees syntaxiquement raquo Dans la perspective glossologique laquo deacutecrypter raquo relegraveve

laquo drsquoune inteacutegrale simpliciteacute raquo celle drsquoun verbe unique Lrsquoobservation de la possibiliteacute de varier

lrsquoexemple en laquo deacute-crypt-ons raquo ou en laquo il-le-deacutecrypte-ra raquo relegraveve de lrsquoautre axe de la capaciteacute agrave

changer des segravemes sans que le cadre de lrsquouniteacute verbale change

Par la formule laquoEacutetablir la faccedilon dont sont deacutetermineacutes les segments raquo 391 JG reformule la

notion drsquouniteacute Lrsquouniteacute est un laquo segment raquo qui peut ecirctre seacutepareacute du contexte Elle a un deacutebut et

une fin qui en sont les deux laquo termes raquo Entre les deux laquo bouts raquo de lrsquouniteacute toutes les

informations sont solidaires

90 Une lecture de Jean Gagnepain

Le sect 392 deacuteveloppe la notion de laquo mot ndash segment raquo Il convient de prendre pour une

boutade lrsquoeacutevocation drsquoun phonegraveme laquo patate raquo mecircme srsquoil existe des triphtongues et des glides

en [jaw]) Boutade aussi que le mot laquo pas-prisonnier-mais raquo quoique les langues agglutinantes

puissent fournir des exemples de mots beaucoup plus complexes Louis Bazin dans son

Introduction agrave lrsquoeacutetude pratique de la langue turque65 donne en premier exemple le laquo mot raquo

laquo Tuumlrk-le-ş-tir-e-me-dik-ler-im-iz-den-mi-sin-iz raquo laquo Ecirctes-vous de ceux que nous nrsquoavons pas pu

turquifier raquo Exemple malicieux eu eacutegard au sort reacuteserveacute aux Kurdes et aux Armeacuteniens

laquo Il faudrait qursquoils [traits ou segravemes] fussent agrave la fois implicitement segmentables et non

point seulement explicitement segmenteacutes raquo Je comprends la formule comme un commentaire

du fait que le segment est un eacuteleacutement minimal Il ne suffit pas au phonologue de seacuteparer

laquo patate raquo de ce qui le preacutecegravede et le suit (dans laquo jrsquoaime les patates sauteacutees raquo) pour en conclure

que crsquoest une uniteacute en lrsquooccurrence un seul phonegraveme Crsquoest agrave la grammaire implicite drsquoen

deacutecider Or lrsquoapplication du critegravere de pertinence montre que lrsquoon peut encore segmenter

lrsquoexemple en 5 phonegravemes p+a+t+a+t Ceci eacutetant ni le p ni le a ni le t ne peuvent plus

ecirctre eux-mecircmes redeacutecoupeacutes Aucun des traits que contient le p nrsquoest lui-mecircme

laquo segmentable raquo crsquoest-agrave-dire seacuteparable des autres traits

laquo Il faudrait pour parler de laquo synthegravese raquo que les classes drsquoopposition qui respectivement les

deacutefinissent preacuteexistassent agrave la rupture qui les creacutee raquo est une reacuteflexion critique sur une formula-

tion de type distributionnaliste telle que laquo un mot un phonegraveme syntheacutetise (combine) des

classes drsquooppositions raquo Envisageons le cas du mot Dans une telle perspective chaque classe

est elle-mecircme consideacutereacutee comme une uniteacute et a un statut segmental Par exemple laquo il-arrive-

ra raquo syntheacutetiserait les classes laquo Personne Lexegraveme Temps raquo Il nrsquoy a plus alors de biaxialiteacute

puisque tout fait est agrave la fois identiteacute et uniteacute selon le critegravere de lrsquoopposition dans une seule

dimension taxinomique Certes cela correspond agrave une sorte drsquoeacutevidence contre laquelle JG

lutte ici Pour JG la classe de laquo temps raquo ne preacuteexiste pas agrave la structure du segment verbal

lequel est deacutelimiteacute par la laquo rupture raquo drsquoavec le contexte ndash ce qui est hors du verbe et par le

programme drsquoinformations dont il est rempli et qui constitue son laquo inteacutegrale simpliciteacute raquo dans

le sens ougrave laquo un raquo verbe crsquoest tout cela et rien que cela Au contraire la notion critiqueacutee de

laquo synthegravese raquo suppose une multipliciteacute premiegravere de classes qui serait ensuite reacuteduite par une

syntaxe JG objecte agrave cela qursquoon ne peut concevoir une multipliciteacute de classes que si chacune

peut ecirctre produite grammaticalement de maniegravere autonome ce qui nrsquoest pas le cas Dans

lrsquoexemple laquo Il arrivera raquo il est impossible au locuteur de ne dire que laquo Il- raquo ou laquo -ra raquo de

mecircme que laquo Arrive raquo dit plus que le lexegraveme puisqursquoil ne peut ecirctre compris que comme un

impeacuteratif de 2e personne du singulier soit tout un verbe Tout ceci est transposable agrave la

phonologie

laquo La pluridimensionnaliteacute freacutequemment eacutevoqueacutee nrsquoest point un donneacute naturel mais le

reacutesultat drsquoune neacutegativiteacute culturelle envisageacutee cette fois sous lrsquoangle drsquoune reacuteduction des

contrastes raquo 393

Cette tendance agrave autonomiser les classes (de segravemes ou de traits) reacutesulte drsquoune approche

naturaliste des faits culturels On envisage les traits comme des paramegravetres physiologiques et

de ce point de vue on peut observer de maniegravere autonome la vibration des cordes vocales et

son arrecirct ou la bascule de la luette Parallegravelement on peut envisager la diffeacuterence entre nom

laquo comptable raquo (des cailloux) et nom laquo massif raquo (de lrsquoair) agrave partir de lrsquoexpeacuterience naturelle (agrave

65 Louis Bazin 1968 Introduction agrave lrsquoeacutetude pratique de la langue turque p17

Structure et signification 91

vrai dire aussi accultureacutee par la technique voire par le social dans le cas de la cateacutegorie de

personne) JG soutient que la pluridimensionnaliteacute dans lrsquoordre du dire grammatical (classes

de traits et de segravemes) reacutesulte du principe mecircme qursquoil appelle laquo capaciteacute geacuteneacuterative raquo Celle-ci

impose au dit une segmentation en uniteacutes ougrave chaque uniteacute solidarise des informations heacuteteacutero-

gegravenes Le verbe annule le laquo contraste raquo entre personne aspect lexegraveme et temps en obligeant

agrave construire drsquoun seul tenant laquo je ne lrsquoai pas recircveacute raquo Le phonegraveme annule le laquo contraste raquo entre

la localisation le voisement et la nasaliteacute en solidarisant lrsquoensemble de ces paramegravetres Le

propos est tregraves preacuteciseacutement centreacute sur la dialectique laquo nature ndash culture raquo et sur le thegraveme de la

neacutegativiteacute de lrsquoinstance La grammaire dans sa dimension segmentale laquo nie raquo lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute

de lrsquoexpeacuterience humaine en obligeant par exemple le verbe agrave formuler simultaneacutement ce qui

est dit agrave qui crsquoest imputeacute et dans quelles circonstances Dialectiquement cette neacutegativiteacute

peut toujours ecirctre redistribueacutee rheacutetoriquement par des reformulations laquo Il srsquoagit de moi ce

nrsquoeacutetait pas un recircve raquo etc sans pour autant sortir de lrsquoimplacable programme segmental

qursquoimpose la grammaire

[Ne pas confondre dans les notions de traits ou de segravemeshellip] laquo helliple processus qui par

substitution les instaure et celui qui tout aussi grammatical les distribue raquo 393 Autrement

dit lorsque lrsquoon parle drsquoune classe de traits (les occlusives) ou de segravemes (le nombre) il faut

faire abstraction du fait qursquoen mecircme temps mais en raison drsquoun autre principe grammatical ce

fait a un statut segmental et contribue agrave construire lrsquouniteacute phonegraveme ou lrsquouniteacute mot JG pro-

pose (ailleurs) de parler de laquo partiels raquo drsquouniteacute crsquoest-agrave-dire de fragments drsquoun segment 414

laquo Lrsquoagrammatismehellip du Brocahellip raquo [teacutemoigne de] laquo la dissolution de lrsquouniteacute raquo 393 Le

premier exemple proposeacute est seacutemiologique Un Broca peut produire aussi bien laquo ils

promenadent raquo que laquo promener raquo pour laquo ils se promegravenent raquo Dans les deux cas le programme

segmental du verbe nrsquoest pas respecteacute dans le cadre de ce test soit parce qursquoil y a un trop

(-nadent) soit parce qursquoil nrsquoy a pas assez (la personne) Idem pour lrsquoexemple phonologique

preacutesenteacute Soulignons que ce nrsquoest pas lrsquoeacutecart au normal qui importe mais que crsquoest

lrsquoinconstance et lrsquoinseacutecuriteacute des essais du malade qui reacutevegravelent la disparition drsquoun principe de

coheacuterence grammaticale

22 - Problegravemes de segmentation phonologique

Problegravemes varieacutes

Les consonnes laquo latentes raquo 394 Il srsquoagit des liaisons obligatoires ou facultatives entre

mots laquo Les enfants ndashz- obeacuteissants Un bon -n- eacutelegraveve raquo Phonologiquement le phonegraveme est lagrave

ou pas Le problegraveme est donc que lrsquoon creacutee par cette notion de laquo latence raquo un faux problegraveme

phonologique Passons du cocircteacute de la seacutemiologie et de la marque du laquo mot raquo Lrsquoalternance

entre ɑfɑ et ɑfɑz bɔ et bɔn est agrave analyser agrave la fois comme un fait drsquoallomorphisme

du mecircme mot et dans le cas preacutesent comme une marque syntaxique de la relation entre le

nom et lrsquoadjectif

laquo La voyelle ‟ muette rdquo [noteacutee [ə] en API] ne saurait ecirctre recenseacutee raquo 394 Elle nrsquoa pas de

statut phonologique mais reste une reacutealiteacute phoneacutetique qui permet drsquoassurer la syllabation

JG pense ici agrave la laquo loi des 3 consonnes raquo de Maurice Grammont (1894) qui eacutenonce en

substance et pour le franccedilais non-meacuteridional que le dit [ə] laquo caduc raquo eacutevite la difficulteacute agrave

prononcer une seacutequence de trois consonnes Le [ə] srsquointercale entre la 2egrave et la 3egrave consonne

vendredi [vɑdʁədi] autrement [otʁəmɑ] contredance [kɔtʁədɑs] Autre cas deacutelicat Que

92 Une lecture de Jean Gagnepain

signifie pour lrsquoauteur la formule laquo Se fonder pour lrsquoassigner fucirct-ce modestement agrave la

structure sur des couples comme ‟ lrsquoecirctrerdquo et‟ le hecirctre rdquo voire ‟ dorsrdquo et ‟ dehorsrdquohellip raquo Est-ce

une concession Ou bien la solution proposeacutee serait-elle de ne pas accorder de statut

phonologique du tout au [ə] lequel servirait ici phoneacutetiquement agrave permettre au l ou au d

initial drsquoecirctre syllabique devant une seconde syllabe agrave initiale vocalique ou encore au l drsquoecirctre

syllabiseacute en finale de verbe dans le cas de laquo prends-le raquo

En revanche lrsquoauteur propose de faire du laquo hiatus raquo un phonegraveme 394 Conseacutequemment

paye - pays [pɛj - pɛ_i] ou abeille ndash abbaye [ab ɛj ndash abe_i] resteraient des paires minimales

phonologiques distingueacutees par un phonegraveme en plus ou en moins le hiatus Et les

prononciations [j] et [i] deux variantes contextuelles drsquoun mecircme phonegraveme i Cependant il

faut prendre en compte des oppositions telles que laquo pieu pneu preuxhellip raquo ou laquo yeux nœud

peu ceuxhellip raquo laquo cailler caler carreacutehellip raquo et traiter de la diffeacuterence entre i et j en termes de

syllabes

La thegravese de la laquo simpliciteacute raquo du phonegraveme eacutenonceacutee en 402 deacutecoule de la distinction des

deux axes un phonegraveme est un minimum segmental quelle que soit la complexiteacute apparente

de ce qui le constitue Car cette complexiteacute nrsquoest pas une multipliciteacute mais un fait de

diffeacuterenciation qui relegraveve de lrsquoautre axe Drsquoougrave le deacuteveloppement qui suit en 403-4 qui vise agrave

lever lrsquoambiguiumlteacute des termes traditionnels laquo polyphtonguie diphtongue raquo qui donnent un

statut phonologique agrave de la variation phoneacutetique interne agrave lrsquouniteacute

Le paragraphe 403 alerte sur lrsquoillusion drsquoune complexiteacute phonologique induite par

lrsquoeacutecriture Lrsquoalphabet latin eacutetant appliqueacute agrave lrsquoeacutecriture de lrsquoanglais il est freacutequent qursquoun

phonegraveme vocalique unique mais diphtongueacute (un laquo glide raquo) soit noteacute par une seacutequence de

deux lettres un laquo digramme raquo laquo house how buy boy oil raquo

Il faut laquo clairement distinguer les longues et les geacutemineacutees raquo 404 Le problegraveme est inverse de

celui de la diphtongaison dans le cas de la geacutemination consonantique le geste articulatoire

est unique et consiste agrave augmenter la pression de lrsquoocclusion donc la dureacutee de production de

celle-ci Mais le fait que cela se produise agrave une frontiegravere syllabique fait laquo comprendre raquo qursquoil y

a un redoublement de la consonne Crsquoest donc un fait phonologique agrave la condition toutefois

qursquoil y ait une opposition pertinente avec une consonne unique On cite couramment des

exemples du Sarde ou lrsquoexemple italien Le mot italien fata eacutecrit laquo fata raquo ougrave le premier a

est phoneacutetiquement long [faːta] est le mot laquo feacutee raquo Il forme une paire minimale phonologique

avec fatta eacutecrit laquo fatta raquo qui est le participe passeacute du verbe laquo faire raquo ougrave le premier a est

phoneacutetiquement bref et ougrave la partie consonantique est longue [fatːta] Les deux mots ont

deux syllabes mais la structure interne est quantitativement diffeacuterente laquo fata raquo CV+CV et

laquo fatta raquo CVC+CV Il y a un phonegraveme de plus dans le second mot Et du point de vue syllabique

la geacutemineacutee inclut une coupe syllabique une simple longue non

Critique de la notion de laquo variantes cumulatives raquo

JG a raison de se meacutefier laquo des migrations de lrsquoeacutecriture raquo car le redoublement ortho-

graphique drsquoune consonne ne transcrit pas toujours une suite de deux phonegravemes Il cite le cas

de lrsquoallemand laquo der Roggen raquo (le seigle) et laquo der Rogen raquo (la laitance drsquoun poisson) 405

Lrsquoeacutecriture note ici en reacutealiteacute la deacutefinition de la voyelle qui preacutecegravede [rɔgən roːgən] De mecircme

en franccedilais lrsquoaccent circonflexe distingue laquo notre raquo [nɔtʁ] et laquo (le) nocirctre raquo [noːtʁ] la premiegravere

voyelle est phoneacutetiquement ouverte et bregraveve et la seconde fermeacutee et longue Or les deux

variations de prononciation ndash aperture et longueur ndash vont toujours de pair Par conseacutequent

Structure et signification 93

une deacutefinition purement phonologique de leur opposition doit neacutegliger cette dualiteacute de

paramegravetres phoneacutetiques et consideacuterer que crsquoest lrsquoensemble des deux qui compte La notation

en API choisit drsquoeacutecrire le seul paramegravetre de lrsquoaperture ( ᴐ ouvert versus o fermeacute) mais

ce nrsquoest qursquoune simplification typographique La notion de laquo variantes cumulatives raquo 405 est

donc un laquo faux problegraveme raquo parce que phonologiquement la deacutefinition du trait qui distingue

o et ᴐ fait abstraction de sa composition phoneacutetique articulatoire Crsquoest vrai en allemand

comme en franccedilais et ceci indeacutependamment de la maniegravere dont on graphie lrsquoopposition

Nrsquooublions jamais qursquoune graphie nrsquoest qursquoun bricolage JG en conclut que le choix de lrsquoun ou

de lrsquoautre paramegravetre est arbitraire 405 Le problegraveme ne tient qursquoau fait que lrsquoon continue agrave

utiliser un vocabulaire phoneacutetique pour deacutefinir un fait laquo psychique raquo abstrait

Lorsque lrsquoon classe les consonnes drsquoune langue on utilise le plus souvent un tableau agrave

double entreacutee 412 Horizontalement on range les phonegravemes en fonction de leur localisation

(depuis laquo labial raquo agrave lrsquoavant jusque laquo uvulaire raquo agrave lrsquoarriegravere) ce sont les laquo seacuteries raquo Verticale-

ment on les classe en fonction de leur aperture les occlusives en haut puis les constrictives ndash

laquo fricatives raquo dans le texte ndash etc Ce sont les laquo ordres raquo (Jrsquoai laisseacute de cocircteacute les autres traits

possibles celui de sonoriteacute et celui de nasaliteacute) Prenons pour simplifier lrsquoexposeacute le sous-

ensemble des 6 consonnes suivantes p t k f s ʃ toutes sourdes et orales que lrsquoon trouve

dans les mots suivants laquo pou tout cou fou sous chou raquo Une description phoneacutetique

sommaire donnera respectivement [p] occlusive bilabiale [t] occlusive dentale [k] occlusive

veacutelaire [f] constrictive labiodentale [s] constrictive sifflante [ ʃ ] constrictive chuintante Le

premier terme donne lrsquoaperture lrsquoair est bloqueacute chez les occlusives un filet drsquoair peut passer

chez les constrictives Percussions contre vents Le second terme les localise Or une

description phonologique nrsquoa besoin que drsquoun seul terme pourvu qursquoil signifie une diffeacuterence

pertinente Il y a donc deux possibiliteacutes de tableaux

ndash Constatant que chaque phonegraveme a une localisation distincte ndash crsquoest le second terme ndash on

peut proposer un tableau de six seacuteries sur un seul ordre (Option drsquoAndreacute Martinet) La diffeacute-

rence drsquoaperture nrsquoest plus prise en compte La deacutefinition repose deacutesormais sur un seul mot

p f t s ʃ k

bilabiale Labiodentale dentale sifflante chuintante veacutelaire

ndash On peut aussi abstraire 3 seacuteries et conserver les deux ordres Solution adopteacutee assez

couramment La deacutefinition repose alors sur deux mots

anteacuterieure moyenne posteacuterieure

occlusive p t k

constrictive f s ʃ

Le p devient alors une laquo occlusive anteacuterieure raquo Il est inutile structuralement de preacuteciser

laquo bilabiale raquo puisque la diffeacuterence entre laquo bilabiale raquo et laquo labiodentale raquo (le f ) serait

redondante

laquo Lessentiel est quil ne figure pas deux entreacutees pour une au bilan raquo 412 Jrsquoajouterai

seulement qursquoil ne srsquoagit pas pour un phonologue drsquoun choix entre caracteacuteristiques phoneacute-

94 Une lecture de Jean Gagnepain

tiques parce que la signification du terme retenu dans chacun des tableaux change ainsi

dans la premiegravere solution le terme laquo bilabiale raquo qui deacutefinit le p deacutesigne le fait purement

mental qui permet au locuteur de distinguer automatiquement laquo port eacutepais type raquo de laquo fort

effet tif raquo Par cette laquo meacutetaphore raquo positive de la jonction des legravevres on deacutesigne en fait un

trait neacutegatif Seule la meacutemoire gagne agrave ce type drsquoappellation jugeacutee preacutefeacuterable agrave une notation

algeacutebrique telle que celle proposeacutee jadis par Otto Jespersen laquo On peut ainsi analyser la

voyelle contenue dans le mot anglais full comme α3b β γ4j δ0 ε1 raquo (La syntaxe analytique

p15)

Statut de la pause en phonologie

La question est moins claire qursquoil nrsquoy paraicirct Ainsi les pauses auraient une laquo influence sur

lrsquoeacuteconomie du signifiant raquo mais seulement laquo en relation avec la marque autrement dit avec le

signifieacute raquo 413 Je propose la lecture suivante Le silence est deacutemarcatif puisqursquoil preacutecegravede un

deacutebut et qursquoil suit une fin Mais crsquoest une portion de laquo mot raquo (dans le sens banal du terme) Le

phonologue a besoin de laquo paires de mots raquo deacutelimiteacutees par des pauses pour deacutefinir ses traits

pertinents Cependant le laquo minimal raquo qursquoil recherche est de lrsquoordre du phonegraveme et non du

mot

23 - Problegravemes de segmentation seacutemiologique

JG reformule et deacuteveloppe dans ce passage 414 ce qursquoimplique la notion drsquouniteacute seacutemio-

logique Celle-ci est testeacutee par laquo la non-segmentabiliteacute seacutemiologique de la marque raquo Les

informations dites ensemble sont les laquo partiels raquo programmeacutes de lrsquouniteacute les laquo fragments raquo du

segment On observe dans de nombreuses langues une tendance agrave laquo la fusion raquo mateacuterielle des

fragments Comparativement le grec moderne juxtapose en deux fragments dans le pro-

gramme nominal lrsquoinformation laquo deacutefini raquo et laquo personnel raquo laquo I mitera sashellip raquo ou encore le

deacutefini et le deacutemonstratif laquo afto to vivlio raquo tandis que le franccedilais laquo fusionne raquo les deux

informations au mecircme endroit laquo Votre megravere ce livre raquo Ce qursquoon appelle un amalgame

Suit (fin de 414 et 415) un ensemble de cas de figure ougrave des laquo regravegles de concateacutenation raquo

(drsquoenchaicircnement) de phonegravemes laquo garantissent raquo la segmentation seacutemiologique en deviennent

la marque laquo le garant du cadre qursquoindirectement leur impose le signifieacute raquo 414 Dans le verbe

franccedilais les diverses informations de personne sont disposeacutees dans un ordre fixe qui srsquoavegravere

redoutable pour lrsquoapprenant chinois laquo je-les-lui donne je-lui-en donne je te le dis je le lui

dis raquo Tout cela se dit ensemble dans le cadre du programme verbal du laquo ragoucirct raquo verbal

comme le dit JG

Je ne vais pas ici illustrer chaque cas eacutevoqueacute seulement celui des laquo jointures raquo 415 si je

trouve sur un bout de papier deacutechireacute eacutecrit en breton laquo crsquohi raquo (xi chien) je sais que manque

un preacutefixe deacuteterminant laquo ar - raquo (le) entre autres sinon ce serait laquo ki raquo La mutation de la

consonne initiale du radical marque segmentalement la solidariteacute dans le nom du deacuteterminant

et du lexegraveme et laquo dessine les frontiegraveres raquo du nom Lrsquoeacutevocation des laquo liaisons raquo est un rappel du

thegraveme des laquo consonnes latentes raquo traiteacute en 394 Le rocircle de lrsquoeffacement ou de la preacutesence de

la liaison apparaicirct dans lrsquoopposition syntaxique de lrsquoadjectif eacutepithegravete et du participe preacutesent en

apposition laquo Les enfants ndashz-obeacuteissants raquo et laquo Les enfants_obeacuteissant au maicirctre

srsquoarrecirctegraverent raquo On peut aussi eacutevoquer les faits drsquoeacutelision Dans le cadre du mot verbal le preacutefixe

laquo si- raquo perd sa voyelle devant le morphegraveme laquo -il- raquo qui le suit laquo Srsquoil vienthellip raquo Cet indice

laquo renforce la coheacutesion du mot raquo 415 tandis que le laquo i raquo reacuteapparaicirct notamment en cas

Structure et signification 95

drsquoinclusion syntaxique drsquoun nom commenccedilant par un laquo i raquo laquo Si_Isabelle vient raquo Lrsquoimpossibiliteacute

de lrsquoeacutelision marque alors que laquo si- raquo et laquo Isabelle raquo nrsquoappartiennent pas au mecircme mot

Le terme de laquo syntagme autonome raquo 421 appartient au modegravele fonctionnaliste drsquoAndreacute

Martinet Ce dernier a eacutevidemment observeacute les contraintes de solidariteacute ici traiteacutees mais toute

solidariteacute y compris celle des affixes les plus solidaires de la conjugaison (laquo Je-re-viend-r-ai raquo)

est pour lui une affaire de syntaxe parce qursquoil teacutelescope identiteacute et uniteacute ndash le laquo monegraveme raquo

eacutetant agrave la fois lrsquoune et lrsquoautre Il lui faut par conseacutequent ensuite distinguer entre des degreacutes de

relation syntaxique agrave commencer par le laquo syntagme autonome raquo que serait un nom ou un

verbe

laquo Dans un chat gris [lrsquoanalyse traditionnelle] pose un mecircme rapport avec chat aussi bien de

un que de gris raquo 422 Il convient de rapprocher cet exemple de son deacuteveloppement en 424

Pour la tradition il y a lagrave trois mots le substantif eacutetant deacutetermineacute par lrsquoarticle et qualifieacute par

lrsquoadjectif Eucirct-on dit laquo ce chat gris raquo que lrsquoon eucirct eu affaire agrave deux laquo adjectifs raquo compleacutetant le

substantif On trouve drsquoailleurs cette eacutegaliteacute de rapport dans la composition du GN des

programmes scolaires actuels (Noter que ce nrsquoest plus exact pour la Grammaire Geacuteneacuterative

qui postule une hieacuterarchie Det et N forment le GN et N est compleacuteteacute par Adj) JG propose

une autre segmentation avec lrsquoargument suivant Le deacuteterminant (Le- un- ce- etc) est un

preacutefixe obligatoire en ce sens que mecircme si on lrsquoomet ndash en disant laquo Chat raquo ou bien

laquo lumiegravere raquo ndash on apporte une information celle drsquoun vocatif et drsquoune non deacutetermination

Lrsquoadjectif en revanche est agrave consideacuterer comme un laquo mot raquo de plus On ne peut pas en faire un

suffixe du nom parce que sa suppression nrsquoimplique pas lrsquoabsence de lrsquoinformation que sa

preacutesence apportait laquo Rien qursquoon le dise ou non nrsquoempecircche le chat drsquoecirctre gris raquo 424 Si je me

contente de dire laquo un chat raquo je ne dis pas qursquoil est laquo non gris raquo Ce mot certes ne peut se dire

seul (laquo gris raquo) mais cela srsquoexplique parce que lrsquoadjectif au-delagrave de son statut segmental

implique grammaticalement une relation syntaxique avec son contexte (nominal pour

lrsquoeacutepithegravese verbal pour lrsquoattribution)

laquo La polyrheacutemie (hellip) exclut lrsquoexistence de rhegravemes raquo 422 Jeu sur le sens du grec ῥῆμα

laquo rhegraveme raquo qui signifie laquo mot raquo Rappelons que le terme laquo polyseacutemie raquo ne veut pas dire

laquo plusieurs segravemes raquo mais diversiteacute de sens drsquoun mecircme laquo segraveme raquo Analogiquement JG utilise

le terme laquo polyrheacutemie raquo pour signifier qursquoun seul laquo mot raquo en raison de sa construction interne

en raison de sa laquo pluridimentionaliteacute raquo oblige agrave penser ensemble de multiples informations

sans que chacune drsquoentre elles soit un laquo rhegraveme raquo agrave elle seule

laquo Aucun mot nrsquoest complexe encore qursquoil porte implicitement en lui le modegravele des

peacuteriphrases qursquoexplicitement il engendre raquo 422 La nuance apporteacutee tient agrave un jeu sur la

laquo complexiteacute raquo Le mot est laquo simple raquo en tant que segment autonomisable mais lrsquoinformation

qursquoil solidarise peut ecirctre deacuteveloppeacutee par le locuteur en une laquo peacuteriphrase raquo composeacutee de

plusieurs mots Le verbe laquo Je-leur-en-ai-donneacute raquo peut ecirctre deacuteveloppeacute dans un syntagme qui

redouble ou remplace chacun des infixes de personne internes au verbe laquo Moi jrsquoai donneacute des

cerises agrave mes voisins raquo On apporte ainsi agrave la fois une redondance (Moi) et les preacutecisions

drsquoinformations incluses dans les mots suppleacutementaires Le verbe est ici le laquo modegravele reacuteduit raquo (agrave

un segment) drsquoune structure seacutemantique deacutetaillant un agent un objet et un destinataire

Reformulations et nouveaux exemples sur le thegraveme de la segmentation en 423-4 Je laisse

le lecteur veacuterifier la coheacuterence de lrsquoanalyse proposeacutee sont des mots laquo cheval-ier raquo laquo preacute-

texte raquo laquo si-lrsquoon-en-juge raquo laquo agrave-sa-mine raquo 424 (Les deux derniers mots manifestent par ailleurs

une relation syntaxique mais crsquoest une autre histoire)

96 Une lecture de Jean Gagnepain

Ces exemples sont lrsquooccasion pour moi de faire le point sur le statut en glossologie de

laquo lrsquoabsence significative raquo eacutevoqueacute ici agrave travers le concept de laquo degreacute zeacutero raquo dans une classe

consideacutereacutee ici segmentalement comme un partiel du mot 424 Pour JG le programme

drsquoinformations grammaticales contenu dans le verbe au preacutesent laquo il-chante_ raquo comprend un

suffixe flexionnel de personne et de temps marqueacute par un laquo zeacutero raquo il- ʃatildet-Oslash Il eacutetend le

concept agrave la deacuterivation nominale en opposant laquo le change_ raquo et laquo le changeur raquo laquo cheval_ raquo et

laquo chevalier raquo laquo _texte raquo et laquo preacutetexte raquo Tout en avertissant du laquo double eacutecueil raquo 423

consistant soit agrave inclure trop de fragments dans le segment ou inversement agrave en laquo omettre raquo

parce qursquoils sont laquo mateacuteriellement absents raquo comme crsquoest le cas ici

Sur ce point la plupart des linguistiques de son temps et drsquoapregraves ont laquo fait la chasse aux

zeacuteros raquo (Alain Lemareacutechal Zeacutero(s) PUF 1997) Pour le fonctionnaliste aussi laquo Zeacutero crsquoest

ldquorienrdquo raquo (Jeanne Martinet 1979) La diffeacuterence des approches est ici profonde car crsquoest la

notion de laquo valeur raquo et celle de laquo neacutegativiteacute raquo saussurienne qui est en cause Pour le

fonctionnalisme (et consorts) le message est une combinaison de monegravemes laquo positifs raquo Donc

de ce point de vue lorsque lrsquoon dit laquo le changeur raquo on ajoute une information suppleacutementaire

et facultative agrave laquo le change raquo

Regardons maintenant de pregraves le raisonnement de JG quand il oppose laquo le change le

chang-eur raquo et laquo le chat le chat gris raquo Il pose qursquoen disant laquo le change_ raquo on dit que lrsquoon

exclut de dire laquo le changeur raquo de mecircme qursquoen disant laquo il chante_ raquo on exclut de dire laquo il

chantait raquo et qursquoune telle exclusion a une valeur grammaticale qui compte comme partie

inteacutegrante de lrsquouniteacute nominale ou verbale Ceci nrsquoest pas le cas pour le nom laquo le chat raquo qui

nrsquoexclut pas qursquoil soit laquo gris raquo et dont on ne dit rien de la couleur Agrave lrsquoapproche positiviste

srsquooppose une approche proprement structurale Positions irreacuteconciliables Cela dit JG doit

trouver comment limiter cette invocation du laquo zeacutero raquo dans la deacuterivation lorsque cette derniegravere

permet une multitude de preacutefixes et de suffixes comme dans le fameux laquo anti-con-stitu-tion-

nel-lement raquo

Remarque Le terme laquo Coalescence raquo 424 est plutocirct utiliseacute en phoneacutetique avec la mecircme

ideacutee appliqueacute au grec ancien il deacutesigne la reacuteduction agrave une voyelle longue de deux voyelles en

hiatus

Autres problegravemes 431 Il faut rapprocher les exemples laquo agrave-la-poste raquo (un mot) laquo devant la-

poste raquo (deux mots) du commentaire laquo Lrsquoon se garderahellip drsquoidentifierhellip sous la trompeuse

rubrique de preacuteposition ce qui nrsquoest qursquoun preacutefixe nominal et ce qui fonctionnant comme

adverbe est agrave consideacuterer comme un mot raquo66 432 La solution nrsquoest pas si simple ici fondeacutee sur

la seule observation que laquo devant raquo peut se dire seul mais pas laquo agrave- raquo On ne peut pas exclure

ailleurs un fait drsquohomophonie entre fragment et segment comme dans le cas de lrsquoindeacutefini et

du numeacuteral laquo un raquo ougrave il est preacutefixe nominal dans laquo (je vois) un-chat raquo et numeacuteral autonomi-

sable dans laquo Jrsquoen vois undeux peubeaucoup) raquo

Cela dit de faccedilon geacuteneacuterale lrsquoadverbe doit ecirctre distingueacute segmentalement de la preacuteposition

comme un mot doit lrsquoecirctre drsquoun fragment de mot

66 La question de la preacuteposition en tant que laquo morphegraveme casuel raquo inteacutegreacute au nom preacuteoccupait deacutejagrave Joseph Vendryes (qui fut le maicirctre de JG) dans Le Langage introduction linguistique agrave lrsquohistoire 1921 laquo Ces particules qursquoon appelle preacutepositions et conjonctions raquo p 137 laquo Aussi disons-nous aujourdrsquohui ldquode la sœur agrave la sœurrdquo tandis que les Latins disaient ldquosororis sororirdquo raquo p195

Structure et signification 97

3- Capaciteacute taxinomique et capaciteacute geacuteneacuterative

Introduction Reacutesumeacute terminologique Sur la face grammaticale phonologique la capaciteacute

taxinomique creacutee le registre des traits et la capaciteacute geacuteneacuterative la chaicircne des phonegravemes Sur

lrsquoautre face on a respectivement le lexique constitueacute de segravemes et le texte constitueacute de mots

434 Il faut toujours se souvenir que sont ainsi deacutenommeacutees des aptitudes agrave raisonner

structuralement il ne srsquoagit pas de laquo stock ou recueil de sons ou de sens attesteacutes raquo 443

31 - La capaciteacute taxinomique

Dans le cadre de la dissociation des plans et de la dialectique

JG part drsquoune critique de Saussure (vulgariseacute) sur le thegraveme de la distinction des plans 442

On sait que in fine Saussure fonde laquo la langue raquo dans le social dont relegraveve aussi la notion

drsquoarbitraire dans un des sens que ce terme prend dans lrsquoeacutedition premiegravere du Cours Ainsi p

100 on lit qursquoil serait arbitraire de dire laquo bœuf raquo plutocirct que laquo Ox raquo On sait ce qursquoil en a eacuteteacute agrave

Strasbourg-Straszligburg quelques anneacutees apregraves entre 1914 et 1918 Pour JG le propos du

Cours se trompe de plan explicatif La laquo deacutecouverte raquo saussurienne qui importe est celle de la

laquo valeur neacutegative raquo et du laquo systegraveme raquo qui en reacutesulte Or ces notions sont drsquoune autre nature

que ce qui fonde le social Aussi le laquo signe raquo est-il non pas laquo arbitraire raquo mais laquo impropre raquo

Crsquoest lrsquousage social du signe en langues qui est relativement arbitraire (dans une dialectique

entre idiome arbitraire et communication laquo coercitive raquo) JG rappelle ensuite que toute

langue est drsquoabord du signe ndash en tant que logos et du grammatical reacutegi par la capaciteacute

taxinomique JG laisse ici totalement de cocircteacute le fait que Saussure appelle aussi laquo arbitraire raquo

la relation entre signifieacute et signifiant dans sa theacuteorie de la valeur (Cours p 101)67 et en fait en

ce sens une proprieacuteteacute du signe de mecircme que la notion de laquo motivation relative raquo doit lui ecirctre

associeacutee)

Suit une critique drsquoun autre ordre il importe de ne pas confondre la grammaire implicite et

la rheacutetorique explicite qui est laquo le fait du locuteur raquo 442 Allusion critique agrave Roman Jakobson

qui lie lexique et laquo seacutelection raquo alors que pour JG cette derniegravere est le moment second de la

dialectique La rheacutetorique preacutesuppose en effet lrsquoensemble des distinctions laquo deacutefinitoires raquo qui

constituent le lexique Ceci vaut aussi pour le registre phonologique des traits qui est agrave distin-

guer de la seacutelection des laquo reacutealisations phoneacutetiques raquo

Lrsquoauteur continue en 443 drsquoarticuler une reacuteflexion sur une double neacutecessiteacute faire

abstraction de la perspective sociolinguistique ndash question de plans faire abstraction de la

performance et du substrat naturel des faits grammaticaux ndash question de pocircles de la

dialectique

Ainsi nrsquoexplique-t-on pas le trait phonologique qui caracteacuterise le r en deacutecrivant le geste

articulatoire qui permet de le prononcer [ʁ] (laquo vibrante raquo veacutelaire) On nrsquoexplique pas non plus

la valeur seacutemiologique du segraveme laquo tu(er) raquo en racontant reacutetrospectivement lrsquohistoire de ce mot

faite de transmission et de malentendus Le fait est que pour nous le radical de laquo tu-er tu-

erie raquo (thegraveme de la mort) est seacutemiologiquement distinct de celui de laquo tut-elle tut-eur tut-

eacutelaire raquo (thegraveme de la protection) Le latin populaire laquo tutare raquo signifiait laquo proteacuteger raquo et il eacutetait

67 laquo Nous voulons dire qursquoil [le signifiant] est immotiveacute crsquoest-agrave-dire arbitraire par rapport au signifieacute avec lequel il nrsquoa aucune attache naturelle dans la reacutealiteacute raquo Cours p 101

98 Une lecture de Jean Gagnepain

utiliseacute dans lrsquoexpression laquo tutare ignem raquo crsquoest-agrave-dire faute drsquoallumettes laquo conserver raquo les

braises du soir jusqursquoau lendemain en les recouvrant de cendres Cette association de

laquo proteacuteger raquo et de laquo eacuteteindre raquo est alors passeacutee en latin meacutedieacuteval agrave laquo tutare candelam raquo

(eacuteteindre la chandelle) En ancien franccedilais laquo tuer raquo appliqueacute agrave lrsquohomme devient laquo ocircter la vie agrave

qqn raquo (On dit encore aujourdrsquohui laquo Il srsquoest eacuteteint raquo)68

La fin du paragraphe 443 traite le thegraveme de la creacuteativiteacute inheacuterente agrave la dialectique du signe

La capaciteacute taxinomique nrsquoest pas une laquo meacutemoire raquo On est loin du laquo lexique mental raquo des

cognitivistes Toutefois crsquoest bien une laquo preacutegnancehellip contraignante raquo crsquoest-agrave-dire un cadre de

distinctions qui oblige le locuteur agrave laquo forger sans cesse du concevable raquo agrave partir du lexique

disponible (et du prononccedilable agrave partir du registre) Lrsquoexemple final est une boutade il souligne

qursquoavec un lexique reacuteduit (et il est toujours laquo reacuteduit raquo puisque fini) on peut produire de la

varieacuteteacute seacutemantique en fonction de la situation

Lexique Le clos et lrsquoouvert Problegraveme de dissociation

laquo Rien ne permethellip de dichotomiserhellip les classes au nom du clos et de lrsquoouvert Or tout est

lrsquoun et lrsquoautre agrave la fois raquo 451 Traitant ici de seacutemiologie JG critique une ideacutee largement

reacutepandue dans les manuels de linguistique On y enseigne qursquoil faut distinguer dans une langue

deux sortes drsquoeacuteleacutements lexicaux Drsquoun cocircteacute laquo les lexegravemes raquo (veau vache cochon couveacutee

etc) qui sont en grand nombre et dont la liste est laquo ouverte raquo (sans limite fixe) La preuve

invoqueacutee est que chaque dictionnaire deacutelimite arbitrairement le nombre des mots qursquoil

reacutepertorie et qursquoil est impossible de dire combien de lexegravemes composent le franccedilais ou le

latin Et de lrsquoautre laquo les morphegravemes raquo (le je -ier re-) qui sont en petit nombre et dont la liste

est laquo fermeacutee raquo La preuve en serait que tous les dictionnaires srsquoaccordent sur leur nombre

La confusion est ici patente entre plan glossologique (proprement cognitif) et plan socio-

logique (deacuteterminant la langue) Elle aboutit agrave confondre deux oppositions celle logique qui

existe entre le laquo fini raquo et laquo lrsquoinfini raquo ou laquo lrsquoindeacutefini raquo et celle sociologique qui existe entre le

laquo clos raquo (attesteacute) et laquo lrsquoouvert raquo (en renouvellement) Grammaticalement toute classe est finie

(et deacutefinie) Le locuteur ne fonctionne pas dans le cadre drsquoensembles logiquement infinis et

seul lrsquoaphasique de Wernicke est confronteacute agrave de lrsquoindeacutefinition Sociolinguistiquement on est

devant la dialectique historique du clos et de lrsquoouvert aussi bien pour les morphegravemes que

pour les lexegravemes et pour tout autre usage non langagier Claude Leacutevi-Strauss le disait ainsi

laquo On eacutechange des mots des biens et des femmes raquo (lesquels doivent drsquoabord ecirctre laquo agrave soi raquo) Il

y a lagrave Clocircture pour autant que lrsquoon reconnaisse ce qui est de chez soi et ce qui vient de chez

drsquoautres On le voit dans ces eacutenonceacutes humoristiques qui meacutelangent deux langues ndash et on le sait

bien le laquo Score ar mitemps ne reflete ket fisionomie ar match raquo drsquoun bretonnant ou le

laquo Demerden Sie sich raquo drsquoun francophone Et Ouverture agrave lrsquohistoire crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoemprunt et

agrave la transformation permanente et mutuelle des langues en contact Ceci nrsquoest pas contredit

par lrsquoobservation que les laquo lexegravemes raquo se renouvellent vite tandis que le systegraveme des modes et

des temps verbaux se transforme lentement Tout est une affaire de transaction Lrsquousage des

lexegravemes se renouvelle agrave proportion que ceux-ci deacutesignent des objets soumis agrave transaction

commerciale (T-shirt) et agrave innovation technique (e-pad drone) mais on parle de laquo table raquo de

laquo pegravere et megravere raquo et lrsquoon dit laquo Dame raquo en franccedilais depuis un bon milleacutenaire Quant aux

morphegravemes ils nrsquoeacutechappent pas non plus aux transactions langagiegraveres Que lrsquoon pense agrave

lrsquousage geacuteneacuteraliseacute de lrsquoimparfait et du plus-que-parfait chez les journalistes traducteurs

68 Cf Jean Gagnepain Seacuteminaire du 4 novembre 1976

Structure et signification 99

permanents du preterit anglais laquo La petite fille (hellip) eacutetait morte le 19 juin 2013 agrave Mont-legraves-

Vignobles (hellip)69 raquo Le systegraveme verbal du franccedilais se transforme agrave lrsquoeacutechelle des lustres agrave tout le

moins du siegravecle

Le deacutebat sur le laquo clos raquo et laquo lrsquoouvert raquo a servi aussi de critique fondamentale au concept

saussurien de laquo valeur raquo et de laquo systegraveme raquo70

Premiegravere observation en 452 qui fait transition avec ce qui preacutecegravede On ne retrouve pas

en phonologie lrsquoeacutequivalent de lrsquoeacutecart entre morphegravemes et lexegravemes parce qursquoaucun

laquo registre raquo de trait ne laquo beacuteneacuteficie drsquoune appreacuteciable preacutevalence raquo JG revient un instant sur la

question des variantes cumulatives (cf ci-dessus les tableaux lieacutes agrave la page 41) et explique la

preacutefeacuterence pour une analyse des consonnes orales en 6 seacuteries drsquoun seul ordre drsquoaperture

plutocirct que 3 seacuteries sur 2 ordres par la prise en compte de laquo la classe de traits deacutejagrave la plus

diffeacuterencieacutee raquo 452 Suit le thegraveme de lrsquoeacutecart quantitatif entre registre des traits et lexique des

segravemes Soit en substance 4527-11 laquo Le gigantisme du lexique est plus theacuteorique que

pratique et reacutesulte le plus souvent drsquoun syncreacutetisme sociolinguistique raquo En effet la question

nrsquoest pas drsquoordre glossologique mais sociologique Dans la partie sociologique du Vouloir-Dire

laquo La Personne raquo JG utilisera le terme de laquo vernaculaire raquo et non plus celui de lexique car il

srsquoagit drsquousages Logiquement le locuteur ne dispose que drsquoun nombre fini de segravemes moins

que ce que contient le dictionnaire et il dispose aussi de certains qui nrsquoy sont pas Le nombre

des items recueillis dans un dictionnaire est une question de politique linguistique Le Gaffiot

latin-franccedilais (1720 pages) juxtapose Plaute et Saint Aldhelmus serviteur du roi saxon Albert

et le Bailly grec-franccedilais (2227 pages) cite Homegravere Heacuteraclite les Pegraveres de lrsquoEacuteglise et les

theacuteologiens jusqursquoau VIIe siegravecle Ils teacutemoignent ainsi de lrsquoideacutee que se faisaient les eacuterudits du

19e siegravecle de la culture classique agrave transmettre agrave leurs contemporains Crsquoest aussi pourquoi des

termes eacuterotiques manqueraient dans le premier (pruderie corrigeacutee dans la nouvelle eacutedition de

Pierre Flobert) et des termes techniques dans le second Les dictionnaires anglo-ameacutericains

sont plus gros que leurs correspondants franccedilais parce que les premiers integravegrent tous les

doublons issus de la double source germanique et latine (freedom liberty privacy) ainsi que

la fracture plus reacutecente entre Old world et New world (automn fall bloke guy lorry truck

underground subway holidays vacation etc)

JG invite ensuite 453 agrave ne pas confondre le principe taxinomique de lexique qui est

unique avec la multipliciteacute des champs conceptuels que la rheacutetorique produit Lrsquoorganisation

laquo encyclopeacutedique raquo des champs de concepts nrsquoexplique pas le lexique crsquoest au contraire le

lexique qui fonde le caractegravere structureacute des champs Agrave cette confusion des phases de la

dialectique du dire srsquoajoute une laquo eacutequivoque raquo suppleacutementaire la confusion des plans

45310 Elle peut preacutesenter deux aspects compleacutementaires Le logocentrisme drsquoabord qui au

69 Le Dauphineacute libeacutereacute 14 avril 2016

70 Exemples laquo Le vocabulaire nrsquoest pas rigidement systeacutematiseacute comme le sont les phonegravemes et les formes grammaticales on peut y ajouter agrave tout moment un nombre illimiteacute drsquoeacuteleacutements toujours nouveaux des mots aussi bien que des sens raquo Stephen Ullmann 1952 Preacutecis de seacutemantique franccedilaise Berne A Francke

laquo Lrsquoimage saussurienne du jeu drsquoeacutechecs repreacutesente de ce fait une analogie trompeuse puisqursquoelle nous renvoie agrave une seacuterie de signes limiteacutee alors que la langue constitue en fait une seacuterie ouverte raquo Christophe Rico 2005 laquo Le signe ‟domaine fermeacuterdquo Saussure et le Cours de linguistique geacuteneacuterale cent ans apregraves raquo in Poeacutetique ndeg144 p387-411 sect81

Last not least Saussure lui-mecircme laquo Lrsquoinstrument lexicologique eacutetant composeacute de casiers isoleacutes lrsquoinstrument grammatical eacutetant comme une chaicircne formeacutee drsquoanneaux unis entre eux ougrave une uniteacute fait appel agrave lrsquoautre raquo in Rudolph Engler Ferdinand de Saussure Cours de linguistique geacuteneacuterale eacutedition critique III C 305 ndeg2119 E (Citeacute par Christophe Rico 2005)

100 Une lecture de Jean Gagnepain

lieu drsquoenvisager structures ergologiques ou sociales dans leur ordre propre ne les envisage

qursquoagrave travers la maniegravere dont on en parle Ainsi Roland Barthes envisage-t-il la mode agrave travers le

discours tenu sur elle Par ailleurs les seacutemanticiens et lexicologues privileacutegient les laquo champs raquo

lexicaux qui deacutesignent des outils ou des relations sociales La seacuterie des laquo chaise fauteuil pouf

sofa etc raquo (chez Bernard Pottier) et celle des noms de parenteacute en sont les prototypes Selon

JG on transformerait en proprieacuteteacute lexicale ce qui est une proprieacuteteacute de lrsquoart ou de la socieacuteteacute

Signalons au passage que Franccedilois Rastier dans sa Seacutemantique interpreacutetative reacutefute cette

critique en preacutecisant que lrsquoanalyse seacutemique (seacutemantique) ne prend en compte que la maniegravere

dont des diffeacuterences formelles de mots (le lexique) prennent en compte ces structures non

langagiegraveres agrave la diffeacuterence drsquoune analyse proprement technique qui inteacutegrerait des

diffeacuterences entre mateacuteriaux exploiteacutes et modes de fabrication71

laquo En brefhellip raquo il faut abandonner lrsquoespoir de comprendre ce qursquoest le principe grammatical

de taxinomie agrave partir des inventaires informatiques tant des laquo acceptions raquo que des

paramegravetres phonatoires produits par lrsquoinformatique 454 et 461

Remarque sur laquo simulation de la parole raquo 461 Le succegraves deacutesormais acquis et toujours

relatif en 2016 de la simulation de la parole ndash mais non du langage ndash reacutesulte drsquoune ingeacutenierie

autre que celle qui est ici eacutevoqueacutee en 1981 par JG Mais il srsquoagit toujours drsquoune simulation

relative aux exigences espeacutereacutees deacutefinies par un cahier des charges Et il ne srsquoagit pas du

langage Il convient ici de ne pas confondre le point de vue des ingeacutenieurs et la fantasmagorie

mythologique et magique vulgariseacutee par la presse people de la science et par les meacutedias

32 - La capaciteacute geacuteneacuterative

La reacutefeacuterence agrave Noam Chomsky est eacutevidente en 462-3 Le deacutesaccord avec la grammaire

geacuteneacuterative porte sur le fait que pour JG la geacuteneacuterativiteacute est ce laquo principe de deacutenombrement raquo

463 fondamental qui explique le segment eacuteleacutementaire phonegraveme ou mot La syntaxe pour sa

part srsquoexplique par lrsquointeraction des deux axes et non sur un seul axe En outre la geacuteneacuterativiteacute

est inheacuterente au grammatical et ne se deacutefinit pas par les repreacutesentations graphiques

algorithmiques qui selon Chomsky permettent de tester la grammaticaliteacute

La laquo chaicircne raquo mode drsquoexistence des phonegravemes et le laquo texte raquo mode drsquoexistence des mots

se deacutefinissent grammaticalement comme laquo hellipdes maillons dont les sutures reacutesistent agrave

lrsquoeacutepithegravese par ougrave tente rheacutetoriquement de les dissimiler le locuteur raquo 4641-8 Le thegraveme de la

laquo reacutesistance raquo rappelle le caractegravere dialectique du dire le grammatical ne srsquoeacuteprouve que

comme la laquo neacutegation raquo de la positivation relative que tente le diseur Le terme laquo eacutepithegravese raquo est

agrave prendre dans le sens de laquo mise ensemble raquo Ceci vaut agrave la fois pour la geacuteneacuteration des

phonegravemes et pour celle des mots Le locuteur ne tient pas un deacutecompte des phonegravemes et des

mots Il syllabise phoneacutetiquement sans avoir agrave prendre conscience des phonegravemes qursquoil

construit et il preacutedique seacutemantiquement sans prendre conscience du nombre des mots qui

composent son propos On se souvient comment en 422 lrsquoauteur deacutefend lrsquoanalyse en deux

segments de laquo le-chat gris raquo lagrave ougrave le locuteur rheacutetoricien fait du dernier mot une

laquo eacutepithegravete raquo lieacutee au nom preacuteceacutedent ad-jectiveacutee en congruence avec une situation ougrave la

couleur est lieacutee au chat contrairement au sourire de celui du Cheshire

71 laquo Convenons de seacuteparer les qualiteacutes in re des qualiteacutes in voce qui peuvent elles ecirctre deacutefinies comme des uniteacutes linguistiques nommeacutees segravemes Et crsquoest preacuteciseacutement parce que les segravemes ne sont pas par deacutefinition des traits reacutefeacuterentiels que lrsquoon peut identifier et inventorier les segravemes drsquoun seacutemegraveme dans un contexte donneacute raquo Franccedilois Rastier 1987 Seacutemantique interpreacutetative Paris PUF p 23

Structure et signification 101

laquo Lrsquoeacutevolution [des sons et des sens ne reacutesulte pas drsquoune] reacuteduction des contrastes raquo 464

Retour agrave la linguistique laquo historique raquo On y parle souvent drsquoune laquo loi du moindre effort raquo voire

drsquousure du temps variante du principe drsquoentropie agrave propos de transformations telle celle du

mot grec savant laquo Episcopos raquo (surveillant) 4 syllabes devenu laquo eacutevecircque raquo 2 syllabes face agrave

laquo eacutepiscopal raquo Le latin laquo hospitale raquo devient laquo ostel raquo puis laquo hocirctel raquo laquo useacute raquo par le peuple et

devient laquo hocircpital (ordre) hospitalier raquo moins laquo useacute raquo par les clercs laquo Aqua raquo devient o

(eau) si bien qursquoil faut reacutegeacuteneacuterer lrsquoancecirctre pour deacuteriver laquo aqueux aquatique raquo etc Rien lagrave qui

puisse choquer un dialecticien Cela nrsquoenlegraveve rien au principe glossologique qui fonctionne

constamment sur une chaicircne de phonegravemes discrets crsquoest-agrave-dire sur des laquo contrastes raquo

Lrsquoanalyse segmentale en grammaire ne repose pas sur la laquo coupe syllabique raquo ni sur les

laquo termes de la proposition raquo 464 Pour JG syllabe et preacutedication sont des principes

rheacutetoriques qui redistribuent dialectiquement la segmentation grammaticale phonologique

et seacutemiologique Chomsky a donc tort de mettre au deacutepart de la syntaxe le scheacutema

aristoteacutelicien du sujet (upokeiacutemenon) et du preacutedicat (kategoriacutea) reformuleacute sous la

terminologie de la phrase canonique en (SN+SV) Crsquoest mettre agrave la base de la grammaire un fait

de seacutemantique En glossologie est grammatical le fait que le locuteur puisse geacuteneacuterer une

seacutequence de multiples mots pour formuler lrsquouniteacute seacutemantique qursquoest le preacutedicat De mecircme

qursquoil peut geacuteneacuterer une seacutequence de phonegravemes agrave lrsquointeacuterieur drsquoune mecircme syllabe

Lrsquoensemble des arguments critiques preacutesenteacutes en 472 agrave 481 vise agrave justifier lrsquoutilisation

particuliegravere agrave JG du terme de laquo texte raquo par contraste avec le sens litteacuteraire de ce mot JG

inverse la relation entre laquo texte raquo et laquo production langagiegravere raquo Pour les litteacuteraires le texte est

laquo le plus haut niveau drsquoune combinatoire raquo 473 rheacutetorique commenccedilant par les mots puis les

phrases Dans son modegravele JG entend donner au concept de laquo texte raquo la place de laquo principe raquo

grammatical Le principe de texte est laquo la capaciteacute de compter raquo 474 en mots Crsquoest lrsquoaptitude

geacuteneacuterale agrave laquo composer raquo 481 autrement dit agrave segmenter Et crsquoest parce qursquoon est capable de

deacutelimiter segmentalement son dire que a fortiori on peut composer seacutemantiquement du

texte (litteacuteraire) Quelle que soit la complexiteacute du message y compris lorsqursquoil ne comporte

qursquoun eacuteleacutement lrsquoaptitude au laquo texte raquo assure au locuteur la maicirctrise automatique de la

quantiteacute grammaticale

Lrsquoaphasique de Broca 473 au contraire ne controcircle plus la dimension de lrsquouniteacute mot Au

stade de la steacutereacuteotypie il ne peut plus que reacutepeacuteter du mecircme laquo tantan tantan raquo Le terme

laquo agrammatisme raquo agrave ce propos est laquo tregraves mal choisi raquo dans la mesure ougrave le malade conserve la

capaciteacute taxinomique et peut par exemple distinguer sans heacutesitation un laquo ticket raquo et un

laquo billet raquo laquo Lrsquoabus de concateacutenation ou de syntaxe raquo srsquoobserve de la faccedilon suivante Un Broca

phonologique dira laquo papinapapeur raquo pour laquo machine agrave vapeur raquo en laquo perseacuteveacuterant raquo agrave dire le

mecircme trait sur une totaliteacute qursquoil ne segmente plus en raison drsquoun trouble de la correacutelation (Cf

infra 534) laquo Lrsquoabus de syntaxe raquo srsquoobserve chez un Broca seacutemiologique dans le fait qursquoil

laquo accorde raquo en genre et nombre une suite drsquoinformations grammaticales qursquoon lui donne sans

se soucier de les construire selon la matrice segmentale du nom ou du verbe Dans laquo Il garccedilon

est gentil un raquo tout est accordeacute au masculin singulier mais on nrsquoy trouve pas le laquo texte raquo

construit ainsi laquo Le garccedilon est gentil lui raquo (Cf infra p106)

laquo Lingeacutenieux geacutenotexte de nos modernes poeacutetico-seacutemioticiens raquo 472 fait allusion agrave

lrsquoopposition entre laquo pheacutenotexte raquo et laquo geacutenotexte raquo chez Julia Kristeva tandis que lrsquoideacutee de

laquo pluraliteacute des lectures raquo renvoie au concept laquo drsquointertextualiteacute raquo lieacute agrave celui de laquo polyphonie raquo

chez Mikhaiumll Bakhtine

102 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo Lrsquoerreur est la mecircme inverseacutee chez tant qui de nos jours tregraves geacuteneacuteralement les

confondent que celle qui consistait agrave identifier pour ce qui est de la taxinomie la grammaire

et la morphologie raquo 474 De quelle confusion srsquoagit-il En quoi consiste cette inversion Qui la

commet Je suggegravere la lecture suivante Une analogie est eacutetablie entre une confusion opeacutereacutee

sur la taxinomie et la confusion inverse opeacutereacutee sur la geacuteneacuterativiteacute La premiegravere est le fait de la

grammaire traditionnelle et consistait agrave reacuteduire le principe du grammatical aux faits de

morphologie La seconde serait le fait des seacutemioticiens qui confondraient la geacuteneacuterativiteacute avec

laquo la suite reacuteelle ou postuleacutee des suites raquo 473 crsquoest-agrave-dire la rheacutetorique drsquoun message

Reacuteduction agrave ce qui est laquo mateacuteriel raquo dans un cas reacuteduction agrave une formalisation logique dans

lrsquoautre

laquo Comme nos Le Troadec et sous le double empire de la logique et de la mode saisis par le

deacutelire de la formalisation raquo 474 Possible allusion malicieuse au titre drsquoune comeacutedie de Jules

Romains Monsieur Le Trouhadec saisi par la deacutebauche (1923) qui traite eacutevidemment drsquoun

tout autre sujet

laquo Anteacuterieure aux faccedilons dont nous avons traditionnellement et surtout explicitement de la

saisir dans les langues la grammaire ne saurait entre elles les hieacuterarchiser Inheacuterente au

langage elle ne comporte pas de degreacutes raquo 475 Lecture laquo Anteacuterieure aux faccedilons dont nous

avons de saisir la geacuteneacuterativiteacute la grammaire ne saurait hieacuterarchiser laquo le nombre ni lrsquoordre des

segments raquo en fonction des faccedilons drsquoobserver explicitement cette geacuteneacuterativiteacute laquo Inheacuterente au

langage raquo la geacuteneacuterativiteacute laquo ne comporte pas de degreacutes raquo En effet il srsquoagit de laquo lrsquoaptitude raquo

geacuteneacuterale agrave laquo composer raquo en segments Ces derniers laquo nrsquoexistent que pour nous raquo 481 et non

plus pour lrsquoaphasique de Broca mecircme si apparemment celui-ci produit ce qui semble une

phrase entiegravere Preacuteciseacutement elle est pour lui entiegravere et non composeacutee de segments

La conclusion traite du pocircle grammatical du signe source de la segmentation et de la

diffeacuterenciation 482-4

JG met en contraste en 482 sa conception structurale de la segmentation avec une

conception positive de la quantiteacute Pour lui la capaciteacute geacuteneacuterative assure une maicirctrise de

frontiegraveres qui deacutecoupent des laquo valeurs raquo (quantitatives) laquo neacutegatives raquo ougrave la valeur de lrsquoune

srsquoarrecircte lagrave ougrave commence celle de lrsquoautre Dans une conception positiviste existent laquo des uniteacutes

preacuteformeacutees raquo des entiteacutes dont on ignore le principe de deacutelimitation et qui ensuite se combi-

nent Changeant drsquoaxe lrsquoauteur fait ensuite une critique analogue drsquoune conception positiviste

des identiteacutes (traits et segravemes) envisageacutees comme des entiteacutes laquo universelles raquo

Le sect 483 ouvre un deacutebat sur la prise en compte drsquoun laquo corpus raquo ensemble de performances

effectives recenseacutees versus celle drsquoun laquo potentiel raquo de performances Le laquo conccedilu raquo effectif

contre le laquo concevable raquo (Ou le laquo prononceacute raquo phoneacutetique effectif recenseacute versus le laquo pronon-

ccedilable raquo) On sait que Noam Chomsky a choisi la seconde meacutethode car elle seule rend compte

de la laquo creacuteativiteacute raquo du langage source drsquoeacutenonceacutes grammaticalement coheacuterents encore jamais

attesteacutes La grammaire geacuteneacuterative teste la limite entre eacutenonceacute grammatical et eacutenonceacute non

grammatical JG est en partie du cocircteacute de Chomsky sur ce point Cependant il formule ici une

position theacuteorique autre la creacuteativiteacute chomskienne est une potentialiteacute performantielle alors

que JG tente de penser le principe grammatical en opposition dialectique avec la perfor-

mance Drsquoougrave la critique laquo Eucirct-on mis bout agrave bout la totaliteacute du savoir concevable on ne

saurait de lagrave passer directement au signifiable raquo 483 En effet ce dernier ndash grammatical ndash est

la capaciteacute antagoniste du concevable (seacutemantique) et en est la condition preacutealable et

Structure et signification 103

premiegravere Pourquoi Parce que tout seacutemantisme preacutesuppose une formulation grammaticale

qui obeacuteit agrave une contrainte segmentale sui generis

Drsquoougrave la formule surprenante au premier abord mais qursquoil faut comprendre agrave travers lrsquoideacutee

de dialectique Le signifiable est laquo au principe drsquoune double creacuteativiteacute que sa propre creacuteativiteacute

contredit raquo 483 Lrsquoaptitude au grammatical est laquo creacuteative raquo comme premier pocircle de la

dialectique la grammaire creacutee de la segmentation laquo relative et neacutegative raquo lagrave ougrave il nrsquoy en a pas

objectivement (exemple canonique du continuum perceptif de la couleur) ainsi que lagrave ougrave la

gestalt perceptive distingue positivement des objets par contraste ou saillance La grammaire

creacutee par-lagrave ses propres dimensions formelles ndash celle du nom celle du verbe ndash mecircme lorsque

sont viseacutes des objets culturels (techniques ou sociaux) humainement structureacutes Cette

creacuteativiteacute est elle-mecircme contredite par la creacuteativiteacute seacutemantique qui redistribue les

deacutelimitations grammaticales pour aboutir au concevable Double creacuteativiteacute donc dans une

dialectique bipolaire Cf supra 235 le mecircme thegraveme drsquoune laquo eacutegale creacuteativiteacute raquo entre les deux

pocircles

Cette dualiteacute est reformuleacutee par laquo si lrsquoon peut signifier lrsquoinconcevable la reacuteciproque nrsquoest

pas vraie raquo 484 JG veut drsquoabord dire que lrsquoon ne peut concevoir qursquoen formulant

grammaticalement On ne peut pas concevoir ce qui nrsquoest pas pris dans lrsquoordre de la significa-

tion grammaticale Sans formulation on nrsquoa que du silence En revanche on ne peut pas

eacutechapper agrave la dialectique en signifiant (grammaticalement) sans production drsquoune

conceptualisation fucirct-elle mythique Ce qui paraicirct laquo inconcevable raquo (parce que jamais encore

conccedilu) devient alors concevable

JG aborde alors le thegraveme ndash le topos ndash du laquo Peut-on tout dire raquo Sa reacuteponse est double (1)

laquo Oui raquo du strict point de vue glossologique du laquo dire raquo (2) Cependant la rationaliteacute humaine

nrsquoest pas que logique Les autres plans de rationaliteacute peuvent introduire des biais Reprenons

ces deux aspects du problegraveme

(1) La grammaire eacutetant structure est close logiquement sans que cela implique lrsquoexistence

(ontologique) de ce qui est dit laquo Elle rend exprimable et compreacutehensible lrsquointeacutegraliteacutehellip du

deacuteductible raquo 484 On ne peut sortir de son humaniteacute cognitive on dit touthellip agrave la maniegravere dont

on peut grammaticalement le dire la grammaire laquo nrsquoayant drsquoautres limites qursquoelle-mecircme raquo

(2) Les restrictions apparentes observeacutees reacutesulteraient du fait que lrsquoon confond alors les

plans de deacuteterminations du langage Ces restrictions tiendraient agrave un biais sociologique ou

axiologique

Raison sociologique drsquoabord laquo Il est rare qursquoune langue soit grammaticalement

homogegravene raquo 484 (laquo Jamais raquo serait plus adeacutequat que laquo il est rare raquo Pense-t-il agrave lrsquoesperanto )

Aucune langue ne peut ecirctre homogegravene tout simplement parce que les gens qui lui donnent

existence sont eux-mecircmes socialement heacuteteacuterogegravenes Ce qursquoon appelle laquo une langue raquo reacutepond

agrave un critegravere arbitraire celui de la reconnaissance par les interlocuteurs du fait que ce qui est

dit laquo leur appartient raquo mecircme srsquoils savent qursquoen partie eux-mecircmes ne parlent pas ainsi que

crsquoest lrsquousage de lrsquoeacutecole ou de lrsquoAcadeacutemie et mecircme srsquoils savent que cela vient drsquoailleurs

Nrsquooublions pas drsquoautre part que JG integravegre le lexique agrave la notion geacuteneacuterale de grammaire Il

srsquoensuit que les laquo francophones raquo ne partagent pas lrsquoensemble du lexique reacuteuni dans le Treacutesor

de la langue franccedilaise (eacutediteacute par le CNRS) ni lrsquoensemble des raisonnements grammaticaux

proposeacutes par la Grammaire Grevisse Il en va de mecircme pour les reacuteseaux seacutemantiques et pour

les raisonnements laquo logiques raquo Dans le cadre de son meacutetier le scientifique tient un type de

raisonnement tregraves particulier qui diffegravere du raisonnement tenu au comptoir de cafeacute Juger tel

104 Une lecture de Jean Gagnepain

ou tel vocabulaire pauvre ou riche nrsquoest que lrsquoeffet drsquoune projection drsquoun milieu sur un autre

On a assez preacutetendu que le lexique de Racine eacutetait aussi laquo pauvre raquo quantitativement que celui

drsquoun immigreacute de fraicircche date ou qursquoau sortir de la meacutethode Assimil Mais lrsquoexpeacuterience humaine

des personnages du premier ne comprend pas le passage par un aeacuteroport et celle des seconds

lrsquoexpression permanente des affres de la passion Un paysan herboriste de par son veacutecu est

plus riche en vocabulaire et en champs conceptuels dans son rapport agrave la flore que le citadin

pour qui tout ce qui nrsquoest pas vendu en boutique est mauvaise herbe Ceci eacutetant la grammaire

est une aptitude agrave laquo tout raquo dire et lrsquoeacutepreuve du non-dit ne reacutesulte que de la comparaison

entre ce que dit lrsquoun et ce que dit lrsquoautre Ce sont Lavoisier puis Mendeleiumlev puis Max Planck

qui font prendre conscience qursquoAristote laquo nrsquoarrivait pas raquo agrave dire ce que sont les masses

atomiques et les particules

Les restrictions peuvent aussi dit JG ecirctre laquo axiologiques raquo 48410 Allusion aux tabous et

plus geacuteneacuteralement au tempeacuterament axiologique des gens entre les taiseux et les pipelets les

beacutegueules et les eacutegrillards La normativiteacute qui touche le langage fait que non seulement laquo on

nrsquoen parle pas raquo (performance) mais eacutegalement qursquoon ne dispose pas laquo des mots pour le dire raquo

(instance)

En somme quel que soit son ancrage sociohistorique et son rapport agrave lrsquoinconscient le

principe glossologique reste le mecircme et offre un potentiel de dire complet Tout ceci est une

laquo anticipation raquo de larges deacuteveloppements exposeacutes dans le tome 2 du Vouloir-Dire

SIMILARITEacute ET COMPLEacuteMENTARITEacute LES RELATIONS ENTRE LES DEUX AXES

Introduction 48-49 Correacutelation et paradigme 50 Concateacutenation et syntagme 55 Reacutefeacuterence

et incidence 66 On remarquera que pour chaque axe JG expose agrave eacutegaliteacute les faits

phonologiques et seacutemiologiques Son approche en cela diffegravere complegravetement des traditions

qui traitent de maniegravere seacutepareacutee de phonologie de lexicologie voire de morphologie et de

syntaxe

Introduction geacuteneacuterale au thegraveme de la laquo projection raquo drsquoun axe sur lrsquoautre

Les deux premiers paragraphes 48-49 ne me paraissent vraiment intelligibles que si lrsquoon a

compris dans quelle perspective JG aborde les notions de paradigme et de syntaxe Retenons

seulement quelques repegraveres terminologiques par lesquels il entend se distinguer des

linguistiques de son temps et de la tradition grammaticale Il doit ecirctre clair aussi que le propos

vaut pour les deux faces du grammatical mecircme si les exemples traiteacutes concernent ici la face

seacutemiologique plus abordable que la face phonologique

Vers une deacutefinition restrictive de la similariteacute et de la compleacutementariteacute

Il lui importe drsquoune part de distinguer laquo syntaxe raquo et laquo contexte raquo et drsquoautre part

laquo paradigme raquo et laquo syllexique raquo Autrement dit il entend deacutefinir le paradigme sans aucune

reacutefeacuterence agrave la syntaxe et reacuteciproquement deacutefinir la syntaxe sans reacutefeacuterence au paradigme Car

lrsquoun et lrsquoautre ne preacutesupposent que lrsquoexistence des uniteacutes et des identiteacutes dont ils sont

lrsquointeraction

Structure et signification 105

Il introduit le premier point ndash laquo Le contexte ne saurait tenir lieu de syntaxe raquo 492 ndash en

demandant drsquoabstraire la deacutefinition drsquoune laquo relation (syntaxique) raquo de la variation des types de

mots laquelle est un fait de paradigme qui vient interfeacuterer et qui diversifie les laquo contextes raquo

drsquoun mecircme syntagme Par exemple la deacutefinition de la laquo subordination raquo qursquoil donnera plus loin

est la mecircme pour un contexte de verbes ou de noms alors que la tradition restreint ce

concept agrave une relation entre verbes au nom du postulat selon lequel le verbe est porteur de la

proposition et selon lequel la subordination ne relie que des propositions Pour JG il y a

subordination dans les deux eacutenonceacutes qursquoil cite en exemple crsquoest-agrave-dire aussi bien dans

laquo lrsquoamour de la chasse raquo (N+N) ou laquo il aime la chasse raquo (V+N) que dans laquo il aime chasser raquo ou

laquo je deacuteteste qursquoil chasse raquo (V + V)

Dans le second point il constate de faccedilon critique que lrsquoon passe agrave cocircteacute du processus de

paradigme si lrsquoon considegravere comme tel tout ce qui peut se substituer agrave un endroit donneacute drsquoun

texte syntaxiquement construit et qursquoil appelle laquo syllexique raquo 492 Lrsquoexemple le plus simple de

ce deacutefaut se trouve dans les versions eacutedulcoreacutees de la grammaire geacuteneacuterative passeacutees dans les

manuels scolaires et qui enseignent qursquoest un GN (groupe nominal) tout ce qui est supposeacute

laquo sujet raquo du verbe placeacute immeacutediatement devant lui Ainsi devant le radical laquo _-mange (hellip) raquo

serait sujet du verbe aussi bien laquo je- tu- il- raquo que laquo Pierre Pierre et Paul la vache le gars qui

vient drsquoarriver etc raquo Tout ce qui est agrave cet endroit laquo agrave gauche raquo du radical verbal est

consideacutereacute abusivement comme constituant laquo un paradigme raquo

Deux laquo conditions raquo restreignent la deacutefinition de la similariteacute (laquo ressemblance raquo) et de la

compleacutementariteacute (laquo en rapport raquo) grammaticales

Lrsquoune est renvoyeacutee agrave plus tard apregraves une bregraveve preacutesentation il importe de laquo ne pas

confondre la marque avec le mateacuteriau raquo 493 comme de deacuteclarer par exemple que la seule

seacutequence laquo que -raquo signale la subordination alors que la marque en est plus diverse

Lrsquoautre restriction est deacuteveloppeacutee et rappelle qursquoun fait de grammaire ne peut pas

srsquoappuyer sur des faits de seacutemantique 493 laquo La forme seule est imputable agrave la structure raquo

(grammaticale) 494 Il refuse de consideacuterer comme une diffeacuterence grammaticale ce qui est un

fait de polyseacutemie seacutemantique Lrsquoexemple laquo Meurtre drsquoenfant raquo est une variante de la fameuse

laquo peur des ennemis raquo chez Chomsky Lrsquoexemple preacuteceacutedent ndash enseignement ndash renvoie au Cours

de Saussure (p173-174) lequel appelle laquo rapports associatifs raquo tour agrave tour des faits de flexion

ou de deacuterivation dans laquo enseignement enseigner enseignons raquo et laquo la seule analogie des

signifieacutes raquo (plus exactement des concepts) dans laquo enseignement instruction apprentissage

instruction raquo

La notion de laquo projection raquo

Suit une reformulation des deux notions en question 4948 La syntaxe laquo donne une

profondeur au texte raquo en lrsquoordonnant en y deacuteterminant laquo des boucles raquo tandis que le

paradigme laquo donne une profondeur au lexique raquo en creacuteant des cateacutegories laquo des sous-

ensembles raquo Le principe est celui laquo drsquoune projection mutuelle des deux axes raquo Afin de

poursuivre le propos theacuteorique je traiterai plus tard du sect 495 qui preacutesente lrsquoaspect clinique

du propos

Plus loin en 501 JG eacutenonce que la laquo projection raquo reacutesulte du laquo deacutedoublement des opeacutera-

tions drsquoanalyse raquo On peut comprendre simplement que lrsquoanalyse taxinomique et lrsquoanalyse

geacuteneacuterative eacutetant diffeacuterentes mais toujours conjointes peuvent preacutesenter les deux cas de

fonctionnement suivants Dans le premier on ajoute des mots sans changer de segraveme ndash

106 Une lecture de Jean Gagnepain

deacutefinition tregraves simplifieacutee de la syntaxe Dans le second on change de segraveme sans ajouter de

mot ndash deacutefinition tregraves simplifieacutee du paradigme Autrement dit lrsquoimage de la laquo projection

mutuelle raquo (drsquoun axe sur lrsquoautre) introduit une alternative

Soit le principe de segmentation vient laquo se projeter raquo sur le principe de diffeacuterenciation et

produire un effet de reacuteorganisation Crsquoest le paradigme Ainsi lrsquouniteacute segmentale qursquoest un

verbe constitue un cadre contraignant qui reacuteduit la diversiteacute des possibles et exclut ce qui ne

peut pas ecirctre verbal Si jrsquoenvisage lrsquoensemble des variations lexicales possibles au sein du seul

verbe laquo je viens raquo je sais que je ne puis y positionner ni laquo mon raquo ni laquo ce raquo informations qui ne

concernent que le nom Le cadre de lrsquouniteacute reacuteduit le divers Lrsquoimage de la laquo profondeur raquo

correspond ici agrave celle du laquo tableau raquo (de conjugaison ou de deacuteclinaison) qui est deacutefini

horizontalement par la dimension segmentale et verticalement par lrsquoensemble des diffeacuterences

entrant dans ce cadre

Soit lrsquoinverse Le principe de diffeacuterenciation vient se laquo projeter raquo sur celui de segmentation

et interagir avec lui Ainsi le syntagme Observons lrsquoaccord en nombre du nom et du verbe

dans la relation syntaxique de sujet dans la seacutequence de mots laquo Bon Michel les enfants

dorment silence raquo Lrsquoaccord contribue agrave solidariser ces deux mots et eux seuls en rejetant

dans un exteacuterieur les autres segments preacutesents Lrsquoidentification de ces deux mots par lrsquoaccord

produit une reacuteduction du multiple Les deux (mots) ne comptent deacutesormais plus que pour un

(syntagme) Lrsquoimage de la laquo profondeur raquo correspond alors agrave lrsquoeffet de parenthegravesage qui

deacutelimite le syntagme et que lrsquoon retrouve dans les arborescences ou les inteacutegrations de

boicirctes

Lrsquoapport de la clinique des aphasies

Lrsquoobservation des aphasies permet de deacutemontrer qursquoil srsquoagit lagrave non drsquoune formalisation

issue de lrsquoimaginaire topographique mais drsquoun mode de fonctionnement inheacuterent au

psychisme humain observable et testable Retour agrave la page 49

laquo Surprises raquo 495 JG renouvelle ici profondeacutement lrsquohypothegravese de Roman Jakobson qui

deacutefinissait lrsquoaphasie de Wernicke comme laquo un trouble des associations raquo et celle de Broca

comme laquo un trouble des contiguiumlteacutes raquo confondant comme Saussure drsquoune part le principe de

diffeacuterence et celui de paradigme sous le nom drsquoaxe associatif et drsquoautre part le principe de

segmentation et celui de syntaxe sous le nom drsquoaxe laquo syntagmatique raquo Or les observations

montrent que le Wernicke seacutemiologique produit des laquo paradigmes raquo sur le modegravele des limites

segmentales qursquoil continue agrave controcircler Toutefois ce sont des paradigmes dans lesquels les

diffeacuterences ne sont plus controcircleacutees Hubert Guyard Lrsquoexplication en aphasiologie t I 41 en

propose un exemple sur le thegraveme du genre Modegravele donneacute laquo un lion - une lionne raquo Produc-

tions du malade laquo un papillon ndash une papillonne un dindon ndash une dindonne un eacutetalon ndash une

eacutetalonne raquo De son cocircteacute le Broca seacutemiologique (dit laquo agrammatique raquo) produit des accords

syntaxiques qui teacutemoignent drsquoun controcircle de diffeacuterences (telles que le nombre ou le genre)

mais ces diffeacuterences sont implanteacutees de maniegravere aleacuteatoire sur des seacutequences de laquo fragments raquo

qui ne sont plus construits en mots Sur le modegravele drsquoune suite drsquoeacutetiquettes laquo La fille est

gentille elle raquo le Broca peut produite la seacutequence drsquoeacutetiquettes suivantes laquo Il garccedilon est gentil

un raquo (Dans la liste des eacutetiquettes figurent notamment laquo le la il elle lui un une gentil

gentille raquo) Le malade est guideacute par le repegravere visuel du nombre des eacutetiquettes mais le

programme du mot verbal et celui du pronom nrsquoest plus maicirctriseacute En revanche il ne se trompe

Structure et signification 107

pas dans lrsquoaccord du masculin singulier et maicirctrise la transposition du feacuteminin (modegravele) au

masculin (Hubert Guyard ibidem 138)

De ces observations cliniques deacutecoule la thegravese paradoxale suivante laquo Morphologie et

syntaxe [nrsquoont pas] leur source au lieu de leur manifestation raquo 495 La morphologie (des

paradigmes) srsquoobserve dans un ensemble de variations (conjugaisons et deacuteclinaisons en

particulier) mais elle a sa source dans le cadre du mot qui en assure les limites La syntaxe

srsquoobserve dans une suite de plusieurs mots mais elle a sa source dans la persistance drsquoune

information grammaticale identique qui deacutelimite le syntagme

laquo Entre lrsquoidentiteacute et la diversiteacute absolues la similariteacute [tend] agrave la tautologie par le biais de

lrsquoeacutequipollence raquo La similariteacute preacutesente dans la seacuterie laquo Qursquoil vienne Tu nrsquoes pas venu

Viendrez-vous raquo (une conjugaison verbale) est un calcul de diffeacuterences et drsquoidentiteacutes

seacutemiques dans le cadre deacutelimiteacute du mot verbal La relation de similariteacute a ainsi deux bornes

lrsquoidentiteacute totale et la diversiteacute totale Dans un tel cadre en effet la comparaison de laquo Il est

venu Il est venu raquo ougrave tout est identique est une laquo tautologie raquo qui sort du paradigme

Inversement le rapprochement de laquo le nuage raquo et de laquo prochainement raquo ne preacutesente rien de

plus que le rapprochement drsquoun mot (nominal) et drsquoun autre mot (adverbial) sans relation

paradigmatique (Eacutequipollence = eacutequivalence)

laquo [Entre] lrsquouniteacute et la pluraliteacute la compleacutementariteacute [est] une exploitation de la redondance

culminant pathologiquement dans la steacutereacuteotypie raquo La relation syntaxique est aussi entre deux

bornes Une seacutequence de plusieurs propos sans redondance grammaticalement contrainte

nrsquoest pas un syntagme laquo Il arrive Nous ne bougeons pas Tu te tais raquo Pourtant on peut

imaginer une coheacuterence seacutemantique agrave cette suite en compleacutetant des infeacuterences Lrsquoaphasique

de Broca teacutemoigne de la limite inverse qui est la stricte reacutepeacutetition du mecircme En teacutemoigne la

steacutereacuteotypie rendue ceacutelegravebre par Monsieur Leborgne dit laquo Tantan raquo du fait que ses propos se

limitaient agrave la seule reacutepeacutetition de cette seacutequence

1- Correacutelation et paradigme

Dans cette section (agrave partir de 502) lrsquoauteur restreint son propos agrave la projection de lrsquoaxe

geacuteneacuteratif sur lrsquoaxe taxinomique Le premier axe vient restreindre lrsquoensemble des diffeacuterences

possibles a priori dans le second et y deacutelimite les sous-ensembles de similariteacutes deacutenommeacutees

laquo correacutelations raquo en phonologie et laquo paradigmes raquo en seacutemiologie

11 Le paradigme en seacutemiologie

La distinction entre eacuteleacutements et ensemble drsquoeacuteleacutements en rapport est abordeacutee par le biais

drsquoune remarque terminologique Le terme courant de laquo classe raquo dit-il 502 est ambivalent

puisqursquoil peut deacutesigner soit des eacuteleacutements (traits ou segravemes) dans leur ensemble soit le sous-

ensemble de ceux qui sont laquo reclassifieacutes raquo au sein de correacutelations ou de paradigmes deacutefinis par

le cadre drsquoune uniteacute respectivement drsquoun seul phonegraveme ou drsquoun seul mot JG speacutecialise les

termes laquo cateacutegories raquo et laquo cateacutegorisation raquo en ce second sens

La porteacutee du terme laquo cateacutegorie raquo 503 reste allusive dans ce texte Une reformulation

(risqueacutee) est neacutecessaire et donne Une laquo cateacutegorie raquo est un sous-ensemble deacutetermineacute par des

laquo classificateurs raquo Lrsquoinventaire de ces classificateurs nrsquoest pas speacutecifique parce qursquoil relegraveve

aussi drsquoune analyse taxinomique (comme les segravemes et les traits) Il faut donc rendre ce propos

108 Une lecture de Jean Gagnepain

compatible avec cet autre la source du paradigme est la projection de lrsquoanalyse geacuteneacuterative

Lrsquohypothegravese la plus probable est que les laquo cateacutegories raquo en question (nombre genre aspect

etc) sont envisageacutees en tant qursquoelles contribuent agrave la constitution de lrsquouniteacute mot laquo cateacutegorie

nominale raquo par exemple pour le genre laquo cateacutegorie verbale raquo pour lrsquoaspect Envisageons

lrsquoopposition ternaire laquo locuteur interlocuteur tiers raquo Elle devient laquo cateacutegorie raquo grammaticale

de laquo personne verbale raquo dans le programme du mot verbal en position de preacutefixe laquo je- tu-

ilelle- raquo Elle devient laquo cateacutegorie raquo de personne nominale sous une autre forme laquo mon- ton-

son- raquo Les laquo classificateurs raquo relegravevent donc drsquoune analyse taxinomique car crsquoest elle qui

produit les identiteacutes toutefois ils ont leur source et leur deacutelimitation dans le modegravele de

lrsquouniteacute du mot Il srsquoagit toujours de laquo diffeacuterences raquo mais contraintes cette fois par le segment

Distinguer en 504 deux thegravemes Lrsquoun est suggeacutereacute par la meacutetaphore acoustique laquo laisser

dans lrsquoombre les liens de lrsquoharmonique et du fondamental raquo et sera expliciteacute plus tard dans la

deacutefinition idiolectale proposeacutee du couple laquo lexegraveme ndash morphegraveme raquo Lrsquoautre thegraveme est celui de la

neacutecessaire distinction du signe et de la langue La notion classique de laquo langues classifica-

toires raquo renvoie agrave ce fait majeur qursquoest laquo le genre raquo nominal Lrsquoanglais nrsquoen a pas en dehors du

domaine de la personne Le franccedilais en a deux et lrsquoallemand trois Les langues bantoues ou

Gour (etc) drsquoAfrique environ une douzaine et le Mandarin une cinquantaine Le preacutefixe de

genre qui cateacutegorise ainsi le nom est une proprieacuteteacute du lexegraveme qui se trouve ainsi laquo re-classeacute raquo

Lrsquoensemble des lexegravemes du franccedilais est donc redeacutecoupeacute en deux sous-ensembles Dans le cas

de lrsquoopposition laquo le page la page le manche la manche raquo on a affaire agrave une variante de

marquage de lrsquoopposition lexicale qui ne porte plus sur le radical mais sur la diffeacuterence du

preacutefixe On peut parler dans ce cas drsquoun fait drsquohomophonie avec le genre car il srsquoagit ici de

deux noms grammaticalement diffeacuterents et exclusifs lrsquoun de lrsquoautre par le preacutefixe

Corollairement on peut aussi dire que laquo le- raquo et laquo la- raquo amalgament les informations drsquoun

deacuteterminant et une information lexicale Or de maniegravere geacuteneacuterale un genre est assigneacute agrave la

grande majoriteacute des lexegravemes

Il ne faut pas confondre langue et langage et laquo imputer au principe lui-mecircme de la reacuteparti-

tion les restrictions issues du sens ou de lrsquousage rien grammaticalement nrsquoexige qursquoen franccedilais

‟la lunerdquo et ‟la sourisrdquo soient feacuteminins et ‟le soleilrdquo et ‟le ratrdquo soient masculins raquo 504

Preacutecisons ce point JG ne renvoie pas agrave lrsquohistoire le fait qursquoil y ait une classification des noms

par genres crsquoest bien pour lui un fait grammatical Mais crsquoest lrsquohistoire qui en fait et deacutefait la

reacutepartition Crsquoest elle qui fait que lrsquoon a rangeacute laquo lune raquo et laquo souris raquo drsquoun cocircteacute et laquo soleil raquo ou

laquo rat raquo de lrsquoautre que laquo la Mort raquo est repreacutesenteacutee en femme et lrsquoAnkou breton en homme et

qursquoune sentinelle eacutepousera un mannequin dans le costume inverse du genre de leur

deacutenomination

Cela dit preacutecisons ce qui caracteacuterise la cateacutegorie de laquo genre raquo par rapport aux autres

cateacutegories Ces derniegraveres preacutesentent des oppositions (singulier pluriel pour le nombre)

indeacutependantes du lexegraveme auquel elles sont associeacutees dans le mot Du nombre le locuteur

peut certes tirer dialectiquement une information seacutemantique en rheacutetorique Mais du genre il

ne tire rien drsquoautre qursquoun fait grammatical le lexique est laquo cateacutegoriseacute raquo diviseacute agrave nouveau en

raison drsquoune opposition purement grammaticale les noms en laquo le- raquo et les noms en laquo la- raquo Le

verbe est eacutegalement concerneacute par le genre En effet si je dis laquo Regarde-la raquo je sais

grammaticalement que ce qui est dit se reacutefegravere agrave un nom classeacute feacuteminin qursquoil soit un nom

propre (laquo Marie raquo et non laquo Pierre raquo) ou un nom commun (laquo ta figure raquo et non laquo ton visage raquo)

Structure et signification 109

On observe ici que le genre se retrouve dans la structure verbale sous la forme des

laquo morphegravemes raquo dits laquo de 3e personne raquo laquo il(s) elle(s)- -le--la- raquo

JG preacutecise en 505 que sa deacutefinition de la cateacutegorisation range la deacuterivation et la flexion

sous le mecircme processus Les relations laquo dent-iste raquo et laquo dent-ier raquo ou laquo chante chant-ons

chant-ez raquo (radical invariant + suffixe varieacute) drsquoune part et laquo dent-ier sucr-ier plomb-ier raquo ou

laquo chant-ez attend-ez regard-ez raquo (radical varieacute + suffixe invariant) drsquoautre part preacutesentent

toutes laquo une reacuteduction de la diffeacuterence raquo puisqursquoune partie de lrsquouniteacute demeure tandis qursquoune

autre varie Dans le paradigme on applique la logique de lrsquoidentification ndash agrave savoir laquo Est-ce

diffeacuterent raquo ndash non plus au segraveme mais au mot

Deacutefinition de la flexion et de la deacuterivation

JG introduit ces notions en rappelant que les lexicographes associent agrave chaque entreacutee

drsquoun mot la famille de ses deacuteriveacutes mais ne mentionnent pas leur flexion (Sauf irreacutegulariteacute) Et

dans une perspective historique 511 la tradition laquo dans une perspective geacuteneacutetiquehellip

privileacutegiait la ‟racinerdquo ou le ‟radicalrdquo raquo et qualifiait laquo drsquoinversion raquo la plus rare laquo troncation raquo

face agrave la plus courante laquo accreacutetion raquo De quoi srsquoagit-il Partons des termes laquo troncation raquo et

laquo accreacutetion raquo Lrsquolaquo accreacutetion raquo (dans divers domaines) deacutesigne lrsquoaccroissement drsquoun corps par

agglomeacuteration de matiegravere En lrsquooccurrence dans la deacuterivation un laquo mot tout simple raquo semble

se deacutevelopper par adjonction de preacutefixes et suffixes laquo humide humidifier humidificateur

deacuteshumidificateur raquo Ouvrons un Dictionnaire historique (celui drsquoAlain Rey) Il nous dit que

laquo porter raquo est attesteacute degraves les premiers textes en roman (du latin laquo portare raquo) laquo Portable raquo est

dateacute 1278 et laquo portatif raquo 1328 laquo importer raquo 1369 et laquo importation raquo 1734 La laquo racine raquo appa-

raicirct donc comme le principe drsquoun deacuteveloppement par adjonction de morphegravemes Drsquoougrave la

surprise des lexicographes de constater qursquoagrave lrsquoinverse laquo meacutetro raquo (grec μήτηρ laquo megravere raquo) reacutesulte

de la reacuteduction de laquo transport meacutetropolitain raquo et laquo une auto raquo (grec laquo tout seul raquo) celle de

laquo veacutehicule automobile raquo72 Dans tous ces cas un preacutefixe a surveacutecu Ce peut ecirctre aussi un

suffixe laquo bus raquo ne conserve que la fin de laquo omni-bus raquo marque du datif pluriel latin de

laquo omnis raquo laquo veacutehicule omnibus veacutehicule pour tous raquo Preacutefixes ou suffixes ont eacuteteacute laquo promus raquo

au rang de radicaux les anciens radicaux ayant disparu On a donc parleacute de laquo troncation raquo

JG propose alors 512 une conception ineacutedite de lrsquoopposition entre flexion et deacuterivation

assortie drsquoune redeacutefinition des termes de laquo morphegraveme raquo et laquo lexegraveme raquo

Rappel Le raisonnement se place toujours dans le cadre drsquoun mot unique ni plus (pas une

seacutequence de mots) ni moins (pas une classe de segravemes en soi) Donc il est exclu drsquoimaginer le

pseudo-paradigme laquo Il arrive Pierre arrive Le facteur du quartier arrive raquo etc car il srsquoagit lagrave

drsquoun laquo syllexique raquo Pas de paradigme dans laquo montonson raquo etc car il srsquoagit drsquoune classe de

segravemes

Dans cet exposeacute deux critegraveres distinguent les deux processus La deacuterivation est laquo non

hieacuterarchique raquo et laquo la substitution [ y ] est non limiteacutee raquo ceci eacutetant ducirc agrave lrsquoindiffeacuterence au

laquo type raquo (Crsquoest la premiegravere fois que cette notion de laquo type raquo apparaicirct dans le texte) La flexion

au contraire est laquo hieacuterarchique raquo et laquo la substitution [ y ] est limiteacutee raquo du fait que laquo le type

reste constant raquo 512 La difficulteacute du passage est double comment relier cette notion de

laquo hieacuterarchie raquo (ou non) agrave celle de contrainte (ou non) du type Et que signifie lrsquoideacutee que la

substitution nrsquoest pas limiteacutee dans la deacuterivation Il faut degraves maintenant avoir en tecircte que

72 Les ameacutericains appellent [ lsquometrәˌdiː ] eacutecrit (laquo maicirctre drsquo raquo) le laquo maicirctre drsquohocirctel raquo drsquoun restaurant

110 Une lecture de Jean Gagnepain

traitant plus loin de syntaxe JG consideacuterera que la coordination est lrsquoanalogue de la deacuteriva-

tion et la subordination lrsquoanalogue de la flexion eacutetant entendu que lrsquoon inverse la

laquo projection raquo drsquoun axe sur lrsquoautre (Ce point sera deacuteveloppeacute plus loin)

La flexion

Qursquoappelle-t-il hieacuterarchie 512 Crsquoest dit-il celle qui existe entre laquo le lexegraveme raquo (au

singulier) et laquo les morphegravemes raquo dans le rapport de flexion exclusivement Attention le sens

de ces termes nrsquoa plus rien agrave voir avec ce qursquoon en dit partout ailleurs Le laquo lexegraveme raquo est laquo la

base abstraite raquo dont toutes les variables dans le mecircme paradigme flexionnel sont

laquo globalement et indiffeacuteremment raquo les laquo repreacutesentants raquo Il est utile de faire le rapprochement

avec laquo les liens du fondamental et de ses harmoniques raquo 504 ainsi que plus loin le rappel que

mecircme ce que laquo les ancienshellip envisageaient sous le nom [de paradigme] (hellip) nrsquoeacutetait pas la seule

commutabiliteacute des deacutesinences mais incluait celle du radical qui rendait lrsquoensemble

exemplaire raquo 5137-8 En somme encore aujourdrsquohui lorsque lrsquoon deacutesigne un verbe par sa

laquo forme de mention raquo ndash lrsquoinfinitif en franccedilais ndash on renvoie bien agrave lrsquoensemble du cadre verbal y

compris les variations du radical agrave travers le choix de lrsquoexemple qursquoest la forme infinitive Soit

laquo Venez raquo La tradition dit que laquo ven- raquo est le lexegraveme et laquo -ez raquo un morphegraveme Pour JG le

laquo lexegraveme raquo crsquoest laquo le verbe venir raquo matrice de lrsquoensemble des laquo morphegravemes raquo qui sont chaque

forme de sa conjugaison

Peut-on aussi envisager la lecture suivante Le terme laquo lexegraveme raquo deacutesigne lrsquoensemble du

paradigme dont toute occurrence est un cas de flexion Cela inclut non seulement pour le

verbe ce qursquoon appelle la conjugaison qui est une variation des infixes autour drsquoun radical

constant mais aussi un ensemble ougrave seul le radical varierait Seraient en relation de paradigme

flexionnel laquo Il le voit il le cherche il le timbre il lrsquoassoit etc raquo tandis que laquo Il en rit il en parle

etc raquo formeraient un autre sous-ensemble Les laquo morphegravemes raquo seraient laquo les avatars chaque

fois complets drsquoune mecircme uniteacute raquo 512 crsquoest-agrave-dire chacun des choix ndash non plus drsquoun segraveme ndash

mais drsquoune quelconque laquo facette raquo relevant du paradigme flexionnel Ainsi laquo Agrave table raquo et laquo nos

voisins raquo seraient deux des nombreux laquo morphegravemes raquo produits sur la base du laquo lexegraveme raquo

nominal La hieacuterarchie en question serait celle qui existe entre une laquo matrice raquo 522 et chacune

des laquo variations raquo qursquoelle permet Cette interpreacutetation se trouve conforteacutee par la formule

suivante 533 laquo Tout type instaure une reacuteduction de variation Posons que le lexegraveme diverse-

ment srsquoy transforme selon un proceacutedeacute qui ne saurait qursquoecirctre grammaticalement effaceacute raquo [dans

le cas des formes dites laquo invariables raquo] Autrement dit alors que la tradition postule une

laquo hieacuterarchie raquo lexicale entre le radical (appeleacute lexegraveme) et ses affixes (appeleacutes morphegravemes) la

glossologie pose une hieacuterarchie entre le laquo type raquo cadre homogegravene du paradigme flexionnel et

chaque segraveme dont lrsquohomogeacuteneacuteiteacute nrsquoest que diffeacuterentielle

La deacuterivation

JG ne lui consacre que trois lignes laquo Il y a deacuterivation quand lrsquoun quelconque des

constituants drsquoune uniteacute devient lrsquoinvariant drsquoune substitution non limiteacutee de segravemes

apparentant des mots sans creacuteer synchroniquement aucune hieacuterarchie entre eux raquo 512 Que

peut-on infeacuterer de cette seule phrase Constitue un tel paradigme lrsquoensemble des variations

seacutemiques produites dans le cadre drsquoun seul mot dont lrsquoun des segravemes demeure invariant sans

limites imposeacutees par le type Une telle formulation demeure impreacutecise Certes on imagine

bien la seacuterie laquo Nous vivons la vie vital deacutevitaliser vitaliteacute vitalisme (vitamine ) deacutevitalisa-

Structure et signification 111

tion ils revivent raquo exemple ougrave jrsquoai volontairement meacutelangeacute les proceacutedeacutes de deacuterivation dits

laquo conversion (ou laquo deacuterivation impropre raquo) parasyntheacutetisme deacuterivation trans-typique ou intra-

typique raquo afin de mrsquoen tenir agrave la thegravese de la laquo non hieacuterarchie raquo

JG ne semble pas tenir compte ici du fait que les relations deacuterivationnelles sont chaque

fois restreintes agrave des sous-ensembles de classes Prenons comme invariant dans un mot le

suffixe laquo -ier raquo Le paradigme comprendra laquo doigtier plombier cerisier raquo et laquo chemisier raquo mais

pas laquo nez-ier raquo (malgreacute le deacuteguisement en Cyrano ou en Pinocchio) ni laquo livr-ier raquo Prenons

inversement comme invariant laquo argent raquo ou laquo or raquo le premier est en relation avec laquo argenter

argenterie argenture argentin raquo le second avec laquo orpailleur orfegravevre raquo mais si lrsquoon peut dire

laquo dorer dorure raquo (et non laquo orer aurer orerie aurerie raquo) en revanche laquo dorerie

dorin raquo sont impossibles Mecircme si lrsquoon inclut dans le mecircme paradigme tout ce qui est

potentiellement laquo deacuteductible raquo et en usage restreint comme laquo la bravitude raquo sachant que laquo la

productiviteacute deacutepasse infiniment la production raquo 522 il est bien hasardeux drsquoenvisager une

substitution illimiteacutee en ce domaine Envisageait-il comme tout agrave lrsquoheure pour le genre de

renvoyer la raison de ces restrictions agrave la langue et agrave son histoire Ou bien encore agrave la

performance rheacutetorique Ne faudrait-il pas prendre une position identique pour la reacutepartition

des noms en genre Dans son enseignement oral de glossologie cependant JG incluait le

principe de cette reacutepartition des morphegravemes relative agrave des sous-ensembles de radicaux dans la

deacutefinition de la deacuterivation par rapport agrave la flexion

JG eacutevoque en 514 la relation ancienne faite entre les variations paradigmatiques et la

distinction philosophique de la laquo substance raquo et des laquo accidents raquo ainsi que dans la

Grammaire Transformationnelle sa transposition technique en la recherche drsquoun mateacuteriau

laquo matrice raquo de tous les autres par transformations ndash la pierre philosophale Tout cela relegraveverait

drsquoun raisonnement laquo mythique raquo (dans le sens que JG donne agrave ce terme) fondeacute sur le

fonctionnement langagier lui-mecircme Le rapprochement eacutevident de la notion grammaticale de

laquo deacuteclinaison raquo et celle de laquo clinamen raquo dans la physique atomiste de Deacutemocrite puis de

Lucregravece va dans le mecircme sens Logos et cosmos vont de pair

Rappel est fait du caractegravere exclusivement formel de la deacutefinition du paradigme 515 agrave 522

laquo Lrsquoon deacutebat sans finhellip des relationshellip du genre et drsquoune sexualiteacute que sous couvert

drsquoanimisme tel comparatiste nrsquoheacutesitait pas agrave hypostasier raquo 51 5 Ce propos reste drsquoactualiteacute

degraves que le nom renvoie au domaine personnel notamment des professions73 De quel

comparatiste srsquoagit-il Je nrsquoai pas pu lrsquoidentifier Eacutevoquerait-il certains articles drsquoAntoine

Meillet dont (en 1920) laquo Les noms du feu et de lrsquoeau et la question du genre raquo Meacutemoires de la

Socieacuteteacute de Linguistique 22 Ce dernier y deacuteveloppe lrsquohypothegravese drsquoune laquo motivation raquo du genre

en indo-europeacuteen mais crsquoest drsquoabord sur le thegraveme de lrsquoopposition laquo animeacute inanimeacute raquo Et

Meillet collegravegue de Mauss et de Leacutevy-Bruhl se garde bien de toute hypostase

Crsquoest dans la grammaire laquo la franche distinction du nom et du verbe raquo 521 qui incite le

locuteur (occidental) agrave seacuteparer sa conception de lrsquoespace (ex laquo ici le lointain raquo) de celle du

temps (ex laquo maintenant le passeacute raquo) Le vietnamien associe eacutetroitement le passeacute et ce qui est

devant soi parce que crsquoest ce que lrsquoon peut voir ou se remeacutemorer et associe le futur et ce qui

est derriegravere soi parce que crsquoest ce que lrsquoon ne peut pas voir ni se remeacutemorer

73 Reacutecreacute Les gens drsquoinfluence nrsquoacceptent plus qursquoun genre grammatical laisse inconnu le sexe de la personne qui exerce une profession Crsquoest clairement contradictoire avec le principe mecircme du service professionnel qui est hors sexe Curieusement alors que lrsquoon ne tolegravere plus laquo qursquoun professeur raquo ou laquo qursquoun notaire raquo deacutesigne une femme on tolegravere qursquo laquo une sentinelle raquo soit un homme dans une armeacutee drsquoailleurs ougrave cette fonction devient eacutepicegravene

112 Une lecture de Jean Gagnepain

Comment deacutefinir la valeur des cateacutegories au sein des laquo paradigmes seacuterielshellip et

transformationnels raquo 522 Il srsquoagit respectivement de la deacuterivation (non hieacuterarchique) et de

la flexion Quoique plus communeacutement on qualifie la deacuterivation trans-typique de

laquo transformation raquo de Nom en Verbe etc Par laquo Suppleacutetisme raquo il faut entendre laquo production

drsquoune forme par analogie raquo laquo Solutionner raquo preacutevaut sur laquo reacutesoudre raquo et on peut envisager de

laquo deacutesarkoiumlser raquo ou de laquo resarkoiumlser raquo la Droite tout comme on peut acheter du film laquo micro-

ondable raquo

laquo Notre conception de lrsquouniteacute restreint lrsquoeacuteventail possible des types au profit de celui des

cateacutegories dont la constellation les fonde raquo 523 En effet le nom en glossologie laquo absorbe raquo

certains types traditionnels lrsquoadjectif et certains pronoms tandis que le verbe absorbe le

pronom personnel Le nombre des types tend vers deux Inversement ces anciennes parties

du discours deviennent des cateacutegories internes aux types lrsquoarticle dans le nom le pronom

personnel et la conjonction dans le verbe Restent lrsquoadverbe (lui-mecircme bien heacuteteacuterogegravene dans

la tradition) et lrsquointerjection

JG eacutevoque divers problegravemes de morphologie successivement du verbe puis du nom 524

et 531 Le laquo passif raquo 524 est pour lui une question de syntaxe de mecircme que les formes

modales (pouvoir + Verbe devoir + Verbe etc) Concernant le nom lrsquoauteur considegravere comme

laquo deacuteclinaison raquo nominale lrsquoensemble des deacuteterminants et leur accorde le statut drsquoenclitiques

Il en va de mecircme des preacutepositions qursquoil faut comprendre dans lrsquoopposition qursquoelles

forment avec leur absence significative (Cf supra 431 pour la distinction entre preacuteposition et

adverbe) Drsquoougrave la distinction suivante qui srsquoimpose alors laquo crsquoest agrave tort que certains parlent agrave

propos [des preacutepositions] drsquoindicateurs de relation confondant (hellip) emboicirctement contextuel et

compleacutementariteacute syntaxique raquo 524 Est viseacute ici le fonctionnalisme (eacutecole drsquoAndreacute Martinet)

La preacuteposition a deux statuts Elle a un statut dans le paradigme elle offre une alternative

laquo preacutesence absence raquo au sein du mot La phrase laquo Sur ta cravate raquo apporte une information

autre que laquo Ta cravate raquo Autre et non pas suppleacutementaire Cf supra 424 Le choix de la

preacuteposition plutocirct que son absence relegraveve alors de la rheacutetorique Lrsquoeffet seacutemantique est celui

drsquoun laquo emboicirctement contextuel raquo qui articule ce qui est dit agrave la situation ou au contexte

(laquo ndash Ougrave ccedila la tache ndash Sur ta cravate raquo)

Second statut la forme preacutepositionnelle joue un rocircle dans une relation syntaxique de

subordination telle que laquo La maison sur la colline raquo ou laquo Regarde sur la table raquo ougrave la preacuteposi-

tion est obligatoire et ougrave son absence inversement marque une relation syntaxique

diffeacuterente laquo Regarde la table raquo La forme preacutepositionnelle ou non du nom est alors

compleacutementaire de contraintes sur lrsquoautre constituant du syntagme

laquo Le problegraveme franccedilais du partitif raquo 531 eacutevoque probablement lrsquohomophonie suivante

entre les deux laquo de- raquo du franccedilais laquo De1 raquo peut ecirctre une preacuteposition On observera sa

contribution agrave la syntaxe dans laquo Je te parle de lrsquoeau je me souviens de lrsquoinflation raquo Par

ailleurs laquo de2 raquo peut ecirctre un deacuteterminant des noms laquo massifs raquo laquo je bois de lrsquoeau raquo lesquels

peuvent eux-mecircmes ecirctre preacutepositionnels laquo je le meacutelange avec de lrsquoeau raquo Lrsquoeacutenonceacute laquo Elle sort

de lrsquoeau raquo est homophonique grammaticalement et par conseacutequent ambivalent seacutemanti-

quement Ou bien laquo Elle quitte la riviegravere raquo (laquo de1 raquo preacuteposition) ou bien laquo Elle met dehors une

provision drsquoeau raquo (laquo de2 raquo deacuteterminant)

Structure et signification 113

Lrsquoeacutenonceacute laquo Elle en sort raquo preacutesente une homophonie analogue Il srsquoagit de morphegravemes

diffeacuterents dans laquo Jrsquoen viens jrsquoen parle je mrsquoen souviens raquo (verbes intransitifs directs) et dans

laquo jrsquoen bois raquo (verbe transitif direct)

laquo Lrsquoinvariable raquo 532 renvoie agrave la deacutefinition de lrsquoadverbe ou agrave lrsquointerjection analyseacutee plus

loin sous la rubrique laquo figement raquo en 613-4

Rappel de la notion de lexegraveme et explication de lrsquoutilisation de ce terme par la tradition

comme synonyme de radical laquo porteur des affixes raquo 533 Lrsquoinfinitif du Broca seacutemiologique est

de fait un laquo figement raquo pathologique parce que le malade ne peut plus laquo rassembler raquo les

affixes du verbe dans un seul et mecircme segment

12 - La correacutelation en phonologie

Sur la face phonologique de la grammaire la projection de lrsquouniteacute (le phonegraveme) sur la

capaciteacute agrave diffeacuterencier des traits produit ces sous-ensembles que sont les correacutelations

JG fait reacutefeacuterence en 534 au parler de lrsquoaphasique de Broca phonologique chez qui on

observe la laquo tendance systeacutematique raquo agrave produire une consonne sourde agrave lrsquoinitiale des mots

laquo cateau kimie raquo et lrsquoanticipation drsquoun trait dans la seacutequence Ainsi le p de la fin de

laquo vapeur raquo entraicircne tel malade drsquoAlajouanine agrave dire laquo papinapapeur raquo pour laquo machine agrave

vapeur raquo et rominet pour laquo robinet raquo (Hubert Guyard) (Olivier Sabouraud ibidem p232-

233) Lrsquoaphasique de Broca preacutesente une atteinte du principe de correacutelation phonologique qui

lrsquoempecircche de construire ensemble tous les traits pertinents constitutifs drsquoun phonegraveme Si bien

qursquoapparaissent des sortes drsquolaquo archiphonegravemes raquo pathologiques lagrave ougrave le normal dispose

laquo drsquoune flexion raquo en traits

Un laquo archiphonegraveme raquo 534 est une uniteacute phonologique qui reacutesulte drsquoune laquo neutralisation raquo

dans certaines positions drsquoune distinction entre deux phonegravemes pertinente par ailleurs (Voir

supra 374 381) Lrsquoun au moins des traits pertinents est exclu dans ces positions devant

consonne ou en position finale en particulier (Cf Nikolaiuml-Sergueiumlevitch Troubetzkoy Principes

de phonologie 1949 p 81-8274) En franccedilais par exemple existe une opposition entre la

voyelle e fermeacutee et la voyelle ε mi-ouverte opposition attesteacutee dans les paires

minimales laquo feacutee fait reacute raie raquo Toutefois lorsque la voyelle est suivie drsquoune consonne

(syllabe dite laquo fermeacutee raquo) seul le phonegraveme ε est possible laquo fecircte renne raquo [fεt fet] [rεn

ren] Le phonologue entend donc distinguer le phonegraveme e qui srsquooppose agrave ε et lrsquoarchi-

phonegraveme E qui a une deacutefinition plus large (en tant qursquoil reste distinct de i et de a ) et

doit par conseacutequent ecirctre noteacute diffeacuteremment La notation fEt rEn signale que le fait nrsquoest

pas drsquoordre phoneacutetique mais reacutesulte drsquoune regravegle phonologique

laquo Oppositions eacutequipollentes ou privatives raquo75 534 Un registre phonologique est constitueacute

drsquooppositions eacutequipollentes srsquoil est fondeacute sur des caracteacuteristiques distinctes qui ne sont pas les

degreacutes drsquoune mecircme caracteacuteristique Ce peut ecirctre une opposition de localisation dans une

laquo seacuterie raquo Ainsi en franccedilais laquo faon sans champ raquo ou laquo cafeacute casser cacher raquo diffeacuterent par

les trois phonegravemes f (labiodental) s (sifflant) et ʃ (chuintant) qui sont dites en opposi-

tion eacutequipollente De mecircme pour l et r (lateacuterale et vibrante) En revanche lrsquoopposition

74 P 81 laquo Dans la position de neutralisation un des termes de lrsquoopposition devient donc le repreacutesentant de laquo lrsquoarchiphonegraveme raquo de cette opposition par laquo archiphonegraveme raquo nous entendons lrsquoensemble des particulariteacutes distinctives qui sont communes aux deux phonegravemes raquo

75 Termes repris aussi agrave Troubetzkoy ibidem p 76-80

114 Une lecture de Jean Gagnepain

entre i e ε a repose sur des degreacutes drsquoouverture de la bouche On parle dans ce cas

drsquooppositions laquo graduelles raquo Troisiegraveme cas un registre phonologique est constitueacute

drsquooppositions privatives srsquoil est formeacute drsquoune couple (et pas plus) ougrave lrsquoun possegravede une

caracteacuteristique qui manque agrave lrsquoautre Crsquoest le cas de lrsquoopposition consonne laquo sourde sonore raquo

ougrave la vibration des cordes vocales manque agrave la sourde ainsi que de lrsquoopposition laquo oral nasal raquo

puisque le phonegraveme laquo oral raquo est dit manquer de laquo nasaliteacute raquo par deacutefinition Cette typologie est

bien discutable et bien discuteacutee parce qursquoelle repose sur une approche physio-acoustique des

faits Phonologiquement toute opposition a le mecircme statut que lui confegravere le critegravere de

pertinence

JG recherche en 535 - 54 lrsquoeacutequivalent phonologique des laquo types raquo de mots qui sont deacutefi-

nis par reacutefeacuterence agrave leur laquo lexegraveme raquo Il envisage que lrsquoaperture ou la localisation fonctionnent

comme cadres drsquoune diversification analogue aux laquo morphegravemes raquo Lrsquoidentiteacute drsquoaperture ou de

localisation permettrait le regroupement de phonegravemes qui par ailleurs se distinguent par

lrsquoopposition laquo sourde ndash sonore raquo ou par drsquoautres traits mais seraient laquo similaires raquo de par le

trait commun agrave lrsquoensemble De mecircme que le laquo radical raquo sert dans la formule laquo le verbe avoir raquo

de laquo point de vue raquo global sur lrsquoensemble du paradigme verbal le trait laquo occlusif raquo peut offrir

un panorama sur tous les phonegravemes qui comportent ce trait et qui par ailleurs ont une

localisation et une sonoriteacute diverses ptk bdg Tous les traits nrsquoont pas une eacutegale

vocation agrave produire un effet de laquo type raquo et JG cherche ainsi lrsquoanalogue agrave la bipolarisation du

nom et du verbe Lrsquohypothegravese proposeacutee ici reste geacuteneacuterale et elle est preacutesenteacutee selon une

typologie agrave deux dimensions qui ressemble agrave un triangle il srsquoagirait drsquoune reacutepartition verticale

entre laquo sommet et base raquo 541 crsquoest-agrave-dire entre trait consonantique occlusif (le plus fermeacute)

et trait vocalique le plus ouvert depuis p bilabial ou k veacutelaire jusqursquoagrave ɑ associeacutee agrave

une reacutepartition horizontale (laquo centre extreacutemiteacutes raquo) Or la bouche grande ouverte laquo Aaaaa raquo

ne permet pas de varier une seacuterie de localisations autant que la bouche fermeacutee (la seacuterie des

occlusives) On obtient donc une construction mentale triangulaire dont la pointe du bas est

occupeacutee par ɑ la pointe gauche du haut par p et la pointe droite par k En seacuteparant la

zone du haut et la zone du bas on pense immeacutediatement agrave la typologie geacuteneacuterale des

laquo voyelles raquo et des laquo consonnes raquo JG rejette cependant cette terminologie usuelle parce que

la distinction renvoie aussi agrave la syllabation qui est pour lui un fait de rheacutetorique (La con-sonne

sonne autour de la voy-elle dit la tradition) Cependant lrsquoideacutee est avanceacutee drsquoun regroupement

des phonegravemes en laquo constellations de cateacutegories raquo (de traits pertinents) selon un raisonnement

analogique qui pousse lrsquoauteur agrave rechercher une eacuteconomie maximale de concepts explicatifs

en grammaire

laquo Phonegraveme hors correacutelation raquo 542 On qualifie ainsi en franccedilais le l et le R parce

qursquoils se distinguent de lrsquoensemble des autres phonegravemes par un seul trait pertinent Le l est

dit laquo lateacuteral raquo et cela suffit agrave le distinguer de tous les autres phonegravemes Par ailleurs il peut

ecirctre reacutealiseacute en divers points de localisation ecirctre sourd ou sonore selon les environnements

sans que cela soit pertinent Il en va de mecircme pour le R dit (pour simplifier) laquo vibrant raquo

dont il existe de multiples variantes

laquo [De mecircme doutons-nous de lrsquohypothegravese de] trous dans le systegraveme raquo Lrsquoexemple est la

laquo nasale palatale raquo Le propos geacuteneacuteral est clair mais le choix de lrsquoexemple proposeacute reste pour

moi eacutenigmatique Le terme laquo nasale palatale raquo deacutesigne le ɲ de laquo agneau baigner regravegne

digne signe etc raquo Ce phonegraveme selon Eacutedouard et Jean Bourciez (Phoneacutetique franccedilaise 1967)

entre dans le systegraveme du bas latin degraves le 2egrave siegravecle et se maintient en franccedilais dans une seacuterie

Structure et signification 115

de trois nasales ( m anteacuterieure n moyenne ɲ posteacuterieure) en correacutelation avec les 3

seacuteries occlusives ( p t k ) de mecircme deacutefinition Incidemment la reacuteduction de la seacutequence n +

j en ɲ dans laquo montagne vigne etc raquo ainsi que les variantes de prononciation de

laquo panier raquo ou de laquo faineacuteant raquo (rimant ou non avec laquo pas nieacute fait neacuteant raquo) ne me semblent pas

relever du problegraveme souleveacute Peut-ecirctre est-ce une allusion agrave la reconnaissance tardive (au

XIXe) par les grammairiens du franccedilais de la nasale veacutelaire ŋ qui est preacutesente dans la

laquo version raquo franccedilaise des mots anglais laquo camping pressing etc raquo Cependant son inteacutegration

dans le systegraveme porte agrave 4 la seacuterie des nasales en y introduisant un trait nouveau de

localisation laquo palatal veacutelaire raquo qui nrsquoexiste ni dans la seacuterie des occlusives ni dans celle des

spirantes

13 Propos conclusif sur la similariteacute

De lrsquoarbitraire

Propos connexe sur le thegraveme de lrsquoarbitraire 543 Allusion probable au texte du Cours de

Saussure ou aux vulgarisations approximatives de ce thegraveme Selon la lettre du Cours (p101) le

signifiant laquo est immotiveacute crsquoest-agrave-dire arbitraire par rapport au signifieacute avec lequel il nrsquoa

aucune attache naturelle dans la reacutealiteacute raquo Pour JG la notion drsquoarbitraire est purement

sociologique elle nrsquoest pas une proprieacuteteacute du signe mais une proprieacuteteacute du social Les gens font

un usage en partie arbitraire du langage comme de lrsquooutillage et la norme Il y a un arbitraire

de la langue comme il y a un arbitraire du costume des recettes de cuisine ou des interdits Il

faut et il suffit de voyager pour lrsquoeacuteprouver Toutefois nrsquooublions jamais que lrsquoarbitraire est

toujours et seulement un pocircle dans une dialectique de la personne qui passe son laquo histoire raquo agrave

tenter drsquoy mettre une neacutecessiteacute comment peut-on ecirctre Persan Breton etc Par conseacutequent

naturaliser en particulier les correacutelations et les paradigmes comme autant drsquouniversaux

fondeacutes en nature crsquoest commettre une double erreur crsquoest confondre le plan du dire et celui

du social et crsquoest sortir de la dialectique entre nature et culture En somme ni laquo arbitraire raquo ni

laquo naturel raquo le principe de cateacutegorisation est strictement glossologique et grammatical

Appel est fait 544 agrave consideacuterer la structure grammaticale elle-mecircme et non le

reacuteinvestissement de la correacutelation en prononciation ou celui du paradigme en relations entre

concepts

Les types de mots

JG justifie en 545 - 55 la reacuteduction du nombre des types de mots au couple Verbe et Nom

(avec en annexe lrsquoadverbe autonome et les interjections) Sont inteacutegreacutes agrave cette opposition

drsquoune part laquo le pronom raquo (dit laquo fort raquo autonome tel que laquo Moi Ceux-ci raquo etc) et

laquo lrsquoadjectif raquo et drsquoautre part lrsquoarticle et les pronoms personnels dits laquo faibles raquo tels laquo je les

leur (donne) raquo Je propose le redeacutecoupage et la paraphrase suivants de la premiegravere phrase

545 laquo Une telle restauration agrave nouveaux frais de lrsquoantique laquo morphologie raquo deacutecoule de

notre conception du mot Peut-ecirctre srsquoeacutetonnera-t-on que [notre conception du paradigme]

semble exclure de son sein [crsquoest-agrave-dire de son inventaire des cateacutegories certains] types et

[certains] segravemes raquo

Deacuteveloppons Sont exclues certaines laquo parties du discours raquo reconnues par la tradition et

qui peuvent ecirctre reacuteparties en deux cas de figure Drsquoune part sont exclus certains laquo types raquo

comme le laquo pronom raquo (possessif ou deacutemonstratif entre autres) parce qursquoils sont des variantes

116 Une lecture de Jean Gagnepain

du type nominal Drsquoautre part sont aussi exclues certaines cateacutegories seacutemiques telles que

laquo lrsquoarticle raquo ou laquo le pronom personnel sujet (je tu ilhellip) raquo parce qursquoelles ne sont que des

laquo segravemes raquo des affixes appartenant respectivement au type nominal et au type verbal

Commenccedilons par le second cas De telles informations (je tu ilhellip) ne peuvent ecirctre dites de

faccedilon autonome En teacutemoigne lrsquoanecdote du confeacuterencier ameacutericain qui cherche dans

lrsquoauditoire un francophone laquo Qui parle franccedilais parmi vous raquohellip Une main se legraveve et lrsquoon

entend laquo Je raquo Ce preacutetendu francophone se discreacuteditait en ignorant la diffeacuterence entre laquo Je- raquo

preacutefixe verbal non autonome et laquo Moi raquo pronom autonome Par conseacutequent le statut de ces

enclitiques laquo ressortit manifestement agrave la constitution de lrsquouniteacute raquo En tant que classes ils

contribuent au paradigme au sein du nom (pour lrsquoarticle) ou du verbe (pour les affixes et

enclitiques personnels)

Le premier cas est illustreacute par celui du pronom au sens propre du terme le pro-nom Le

propos est deacuteveloppeacute dans la phrase suivante qursquoil convient aussi de redeacutecouper en deux

parties avant de les commenter

5514-9 laquo Loin de faire partie [de la liste des types] ces cas repreacutesententhellip la contrepartie

des sous-ensembles que grammaticalement ils annulent raquo Et laquo Cette proceacutedure grammaticale

drsquoannulation des sous-ensembles est largement meacuteconnue [Elle inteacuteresse drsquoune autre faccedilon la

syntaxe Tout cela] justifie un deacuteveloppement particulier raquo (ulteacuterieur)

Que peut signifier la premiegravere partie Les vrais pro-noms tels que laquo Eux celui-ci le sien raquo

relegravevent du paradigme de type nominal et preacutesentent la particulariteacute laquo drsquoannuler

grammaticalement raquo la position occupeacutee par le radical dans le segment nominal et donc

lrsquoensemble des choix que cette position permet Cela correspond agrave ce que la grammaire

geacuteneacuterative appelle les laquo SN sans nom raquo Ainsi le paradigme nominal permet la laquo transforma-

tion raquo de laquo ce tableau-ci raquo en laquo ce-lui-ci raquo ou reacuteciproquement Les enclitiques flexionnels du

verbe tels que laquo Il leur en donne raquo vont encore plus loin dans laquo lrsquoannulation raquo puisqursquoils

permettent de reprendre dans un seul mot laquo verbal raquo lrsquoinformation contenue dans des uniteacutes

nominales qursquoils dispensent de dire laquo Il srsquoagit de mon grand-pegravere Il srsquoagit de ses voisins Il

srsquoagit de cerises raquo On voit en quoi cela peut concerner la syntaxe qui opegravere dans la construc-

tion laquo Mon grand-pegravere donne des cerises agrave ses voisins raquo Jrsquoanticipe ici sur des deacuteveloppements

pages 61 ndash 65 sur le thegraveme de lrsquoeffacement grammatical

Dernier rappel du caractegravere exclusivement grammatical du fondement des relations de

similariteacute (paradigmes et correacutelations) 552 Il nrsquoest pas question drsquoaccepter une cateacutegorie

paradigmatique de laquo deacuteontique raquo Ce concept selon la boutade de JG nrsquoa aucun pouvoir

explicatif et ne deacutesigne qursquoun des sens possibles du verbe laquo devoir raquo

2- Concateacutenation et syntagme

Transition et Deacutefinition du propos

Transition La notion de projection est rappeleacutee agrave partir de la notion de similariteacute 553 JG

repart de cette notion qursquoil vient de deacutevelopper dans la section preacuteceacutedente Il rappelle qursquoil

srsquoagit drsquoun processus grammatical tel que lrsquoon prend comme point de deacutepart et de repegravere

constant laquo lrsquouniteacute raquo qui est le produit de lrsquoanalyse sur lrsquoaxe laquo geacuteneacuteratif raquo On prend donc

comme constante laquo un seul mot raquo ou laquo un seul phonegraveme raquo Ceci eacutetant on applique agrave cette

uniteacute la logique de lrsquoautre axe celle de la diffeacuterenciation Plus loin JG preacutesentera les relations

Structure et signification 117

de similariteacute comme laquo la variabiliteacute interne de lrsquoun raquo 564 laquo Uniteacute peux-tu te diffeacuterencier raquo

La reacuteponse est laquo Oui mais relativement raquo Phonegraveme p quels sont tes cousins t et k

assureacutement mais pas ɑ Agrave cette deacutefinition est associeacutee une autre proposition la projection

qui cateacutegorise et qui creacutee le paradigme laquo ne change rien au statut oppositionnel des traits ou

des segravemes raquo 553 Autrement dit un paradigme nrsquoest pas un laquo super segraveme raquo et une correacutelation

nrsquoest pas un laquo super trait raquo qui annuleraient des diffeacuterenciations Celles-ci persistent comme

le montre le fait que lrsquoon peut conjuguer et deacutecliner les diffeacuterences au sein de ce qui est laquo un raquo

paradigme Ce rappel deacutetailleacute eacutetait neacutecessaire pour faire apparaicirctre la stricte analogie de

lrsquoautre projection dont il va maintenant ecirctre question

Propos Le preacutesent alineacutea expose donc la laquo projection inverse raquo 553 Ce processus prend

cette fois comme repegravere constant laquo lrsquoidentiteacute raquo que controcircle lrsquoaxe laquo taxinomique raquo et

lrsquoapplique agrave lrsquoautre axe celui de la segmentation et de la deacutemultiplication Plus loin JG

preacutesentera les relations de compleacutementariteacute comme laquo la subdivisibiliteacute de lrsquoidentique raquo 564

Autrement dit on applique agrave lrsquoidentiteacute une logique quantitative laquo Identiteacute peux-tu te

deacutemultiplier raquo La reacuteponse est laquo Oui mais relativement dans les limites drsquoun syntagme raquo

Soit lrsquoexemple syntaxique suivant ougrave deux verbes sont en relation laquo Il suffira qursquoil

vienne raquo On remarque tout de suite que le premier verbe est agrave la forme laquo impersonnelle raquo de

sorte que laquo Ils suffiront qursquoils viennent Elle suffira qursquoelle vienne raquo ne sont pas possibles ici

alors que ces formes du 1er verbe sont possibles lorsqursquoil est seul Une laquo identiteacute raquo srsquoimpose

qui est due agrave la preacutesence du second verbe Or celui-ci est eacutegalement contraint drsquoecirctre au

subjonctif (laquo Il suffira qursquoil vient qursquoil viendra raquo) et cette restriction est bien causeacutee par la

preacutesence du premier verbe Crsquoest pourquoi JG parle de laquo mutuelle compleacutementariteacute raquo agrave pro-

pos de cette relation Dans cette perspective la laquo contrainte raquo en question interdit des

diffeacuterences donc laquo identifie raquo ce que lrsquoon multiplie Si le laquo il-V1 raquo est impersonnel srsquoil

appartient agrave une sous-classe de radicaux qui fonctionnent ainsi alors du mecircme coup laquo V2 raquo est

au subjonctif Reacuteciproquement si sur un bout de papier deacutechireacute je lis laquo (hellip) qursquoil vienne raquo et

que je me dis qursquoil manque un mot au deacutebut je sais que ce mot nrsquoest pas agrave une forme indiffeacute-

rente Tout nrsquoest plus possible en amont qursquoil srsquoagisse drsquoun nom laquo Le fait qursquoil vienne La

reacutealiteacute qursquoil vienne raquo ou drsquoun verbe comme ici laquo Il dormira qursquoil vienne raquo Jrsquoai choisi cet

exemple pour montrer qursquoil ne faut pas infeacuterer de la formule laquo subdivisibiliteacute de lrsquoidentique raquo

564 que la syntaxe se limite agrave la reacutepeacutetition du mecircme segraveme sur plusieurs mots telle qursquoon

lrsquoobserve dans un accord laquo Le cheval boit les chevaux boivent raquo Le terme laquo identique raquo

reacutesume un processus geacuteneacuteral drsquoidentification par restriction de diffeacuterences

Comme preacuteceacutedemment JG preacutecise que cette projection srsquoexerce laquo sans alteacuterer le carac-

tegravere exclusivement contrastif des phonegravemes ou des mots raquo 553 puisque ndash dit-il ndash laquo ils nrsquoen

deviennent pas pour cela plus obligatoires raquo Autrement dit lrsquoordination nrsquoannule pas la

segmentation Une concateacutenation de deux phonegravemes nrsquoest pas un laquo super phonegraveme raquo et un

syntagme nrsquoest pas un laquo super mot raquo Dans lrsquoexemple laquo Il suffira qursquoil vienne raquo il y a bien

encore deux verbes et non un seul La preuve en est qursquoil reste toujours possible de les

formuler dans deux eacutenonceacutes grammaticalement distincts quoique seacutemantiquement relieacutes laquo Il

vient Cela suffira raquo Ougrave lrsquoon voit que lrsquoon peut formuler les verbes laquo suffire raquo ou laquo venir raquo

indeacutependamment lrsquoun de lrsquoautre

118 Une lecture de Jean Gagnepain

21 Le syntagme

Lrsquoexpression laquo Lrsquoordre des mots [deacutefinit exactement ce qursquoest la syntaxe] raquo 554 est elle-

mecircme un jeu de mots en ce sens qursquoelle renvoie aux termes laquo ordination raquo et laquo ordonner (les

mots) raquo synonymes laquo drsquointeacutegration raquo et de laquo compleacutementariteacute raquo Celle-ci laquo introduit un rang

dans le texte raquo y creacutee laquo des sous-ensembles raquo que sont les syntagmes Par laquo ordre des mots raquo

il ne faut donc pas entendre laquo disposition des mots dans un certain ordre raquo mecircme si la

disposition peut ecirctre un marqueur syntaxique parmi drsquoautres

Distinguer la geacuteneacuterativiteacute (axe) et la syntaxe (projection)

laquo La geacuteneacuterativiteacute procegravede du mot [et non de la syntaxe] raquo 555 La proposition ici exposeacutee

est assez subtile et elle est deacuteveloppeacutee sur deux paragraphes Elle vise encore agrave distinguer

theacuteoriquement le principe premier qursquoest la biaxialiteacute ndash diffeacuterenciation et segmentation ndash et le

processus de projection drsquoun axe sur lrsquoautre lequel est bien eacutevidemment logiquement second

puisqursquoil preacutesuppose et deacutecoule de lrsquoexistence de deux axes Qursquoil soit clair pour autant que

pour JG biaxialiteacute et projection constituent en permanence la capaciteacute de grammaire sans

hieacuterarchie entre elles Cette thegravese vise aussi eacutepisteacutemologiquement agrave critiquer les theacuteories

dominantes qui reacuteduisent drsquoune part laquo la paradigmatique raquo au laquo classement raquo (c-agrave-d agrave la

diffeacuterenciation) et laquo la syntaxe raquo au laquo deacutenombrement des mots raquo (c-agrave-d au processus de

segmentation) Voyons chacun des deux aspects

Du point de vue glossologique le laquo classementhellip apparaicirct inheacuterent agrave notre conception du

segraveme raquo Le concept de laquo classement raquo est ici voisin de celui de laquo taxinomie raquo et de

laquo diffeacuterenciation raquo qui repreacutesente un laquo effort du locuteur raquo en ce que ce dernier doit constam-

ment maicirctriser lrsquoensemble des diffeacuterences Au contraire la constitution de relations

laquo paradigmatiques raquo laquo reacuteduit lrsquoeffort du locuteur raquo 5552-3 De fait cela signifie que degraves lors

que des choix sont faits dans le cadre drsquoun programme nominal (deacuteclinaison) ou dans celui

drsquoun programme verbal (conjugaison) le locuteur nrsquoa plus agrave laquo tout choisir raquo agrave tout moment Le

petit test didactique du papier deacutechireacute ou maculeacute le montre Si sur celui-ci nrsquoest lisible que

laquo viendr raquo la reconstitution du mot est relativement aiseacutee Et mecircme si lrsquoon ne deacutechiffre

que laquo je les lui raquo lrsquoeffort nrsquoest pas total puisqursquoon doit imaginer en finale un lexegraveme

transitif direct et indirect tel que laquo donne lit etc raquo ce qui exclut laquo dort reste vais etc raquo

Ce raisonnement est transposeacute sur lrsquoautre axe lrsquoaxe geacuteneacuteratif et la projection sur lui de

lrsquoaxe taxinomique (laquo De mecircme la geacuteneacuterativiteacutehellip raquo) Lrsquoallusion agrave Noam Chomsky est ici eacutevidente

Celui-ci assimile laquo geacuteneacuterativiteacute raquo et laquo syntaxe raquo et impute le constat de la laquo creacuteativiteacute raquo

(logique) du langage agrave la syntaxe Pour JG qui distingue le principe de segmentation (qursquoil

appelle aussi laquo geacuteneacuterativiteacute raquo) et le type de projection qursquoest la syntaxe (projection de lrsquoaxe

taxinomique sur lrsquoaxe geacuteneacuteratif) au contraire la syntaxe laquo restreinthellip la part de creacuteativiteacute raquo

puisque les laquo identifications raquo qursquoelle produit laquo hypothegravequent lrsquoavenir du message raquo 555 La

creacuteativiteacute du texte tient au fait que je puis me contenter de construire grammaticalement le

syntagme laquo La queue du chat raquo mais que je puis aussi continuer indeacutefiniment agrave laquo geacuteneacuterer raquo du

texte srsquoil srsquoagit en amont laquo de la couleur des poils du bout de la queuehellip raquo et en aval laquo hellipdu

chat de la cousine du voisin du boulanger raquo La creacuteativiteacute reacuteside ici seulement dans le

deacutenombrement des mots et non pas dans la construction syntaxique de la relation dite de

laquo compleacutement de nom raquo laquelle mrsquointerdit de commencer aucun des noms par autre chose

que le preacutefixe laquo de- raquo On peut ajouter agrave cela lrsquoargument de la saturation syntaxique si je

construis une relation sujet (laquo Le chat boit raquo) je sais que si jrsquoajoute des mots ils ne pourront

Structure et signification 119

plus ecirctre construits selon cette mecircme relation de subordination avec le mecircme verbe En

somme le texte laquo creacutee raquo tandis que la syntaxe reacuteduit la creacuteation en augmentant la preacutevisibi-

liteacute de chaque construction

En 561 JG conclut cette argumentation consideacuterant laquo contradictoire raquo drsquoassocier

laquo syntaxe raquo et laquo geacuteneacuterativiteacute raquo (Chomsky) pour la raison deacuteveloppeacutee anteacuterieurement laquo le

principe raquo de segmentation se trouve laquo abusivement deacuteplaceacute raquo vers la syntaxe qui nrsquoest pas un

laquo principe raquo (dans le mecircme sens que preacuteceacutedemment peut lrsquoecirctre un laquo axe raquo) La compleacutementa-

riteacute tout comme la similariteacute est une certaine conjonction des deux principes axiaux

Suit une critique corollaire de la laquo syntaxe raquo traditionnelle (laquo comme autrefois raquo) et

laquo distributionnaliste raquo du fait que pour eux laquo les relations srsquoidentifient (hellip) avec les construc-

tions des types concerneacutes raquo Conclusion laquo il nrsquoest jamais syntaxe que de mots raquo Deacuteveloppons

La tradition distingue entre drsquoune part la laquo phrase simple raquo faite drsquoune proposition centreacutee

sur un verbe et drsquoautre part la laquo phrase complexe raquo qui preacutesente plusieurs propositions

centreacutees exclusivement sur des verbes On voit bien que le critegravere est alors morphologique

puisqursquoil repose sur la preacutesence de verbes Dans le premier cas on eacutetudie la relation drsquoun

verbe avec ce qui nrsquoen est pas un ndash le laquo sujet du verbe raquo pour commencer puis ses

compleacutements Dans lrsquoautre cas on eacutetudie la relation entre plusieurs verbes On part toujours

drsquoune notion morphologique (nom verbe) et lrsquoon conccediloit ce qui est une relation comme un

laquo suppleacutement raquo deacutetermineacute par les caracteacuteristiques morphologiques de lrsquoeacuteleacutement dit

laquo principal raquo Cela conduit agrave seacuteparer radicalement la relation de laquo compleacutement drsquoobjet direct raquo

(verbo-nominale) dans laquo jrsquoattends sa venue raquo et la relation dite laquo compleacutetive raquo dans laquo Jrsquoattends

qursquoil vienne raquo alors qursquoil y a lagrave une relation syntaxique identique dans deux variantes

morphologiques contextuelles Il en va de mecircme de la relation sujet qui naguegravere agrave lrsquoeacutecole

relevait soit de lrsquoanalyse laquo grammaticale raquo si elle concernait un nom et un verbe laquo sa venue

me surprend raquo soit de lrsquoanalyse laquo logique raquo si elle concernait deux verbes laquo Qursquoil vienne me

surprend raquo ou laquo Qursquoil parle est peu probable raquo Par ailleurs la notion de sujet est radicalement

seacutepareacutee de celle de compleacutement au nom du principe seacutemantique aristoteacutelicien du rapport

laquo sujet-preacutedicat raquo Mecircme chose pour la notion laquo drsquoattribut raquo Or drsquoun point de vue strictement

syntaxique on a affaire dans tous ces cas agrave de la subordination Noter par ailleurs que la

grammaire geacuteneacuterative continue la tradition Bref cette tradition masque lrsquoanalyse des

relations syntaxiques drsquoune part derriegravere la seacutemantique de la preacutedication et des

laquo circonstances raquo drsquoautre part derriegravere la morphologie des types de mots et parfois derriegravere

les deux Crsquoest le cas du principe chomskyen qui conccediloit la phrase canonique (P) sur le mode

du preacutedicat aristoteacutelicien associant exclusivement deux notions en reacutealiteacute morphologiques le

(SN) et le (SV)

Deacutefinition de la syntaxe

Le passage 562-3 contient la deacutefinition du laquo syntagme raquo la plus explicite Un syntagme

integravegre les uniteacutes ndash il en faut au moins deux puisqursquoil srsquoagit drsquoune relation ndash laquo de mecircme rang raquo

autrement dit incluses dans un laquo parenthegravesage raquo selon le critegravere creacuteeacute par le processus de

projection de lrsquoautre axe agrave savoir laquo la simultaneacuteiteacute du choix de certains de leurs segravemes raquo

Prenons lrsquoexemple du syntagme laquo compleacutement drsquoobjet direct raquo (sans viser agrave une deacutefinition

complegravete de ce dernier) laquo Je regarde la mer raquo Constatons qursquoil y a ici deux laquo mots raquo (deux

segments) Il srsquoagit drsquoun verbe et drsquoun nom En tant que mots ils ne se reacuteduisent pas agrave la forme

dans laquelle ils apparaissent ici puisque celle-ci inclut les contraintes syntaxiques Virtuelle-

120 Une lecture de Jean Gagnepain

ment et seacutepareacutement le verbe et le nom pourraient ecirctre autres Rappelons aussi que lorsque

JG parle de laquo simultaneacuteiteacute du choix raquo pour simplifier sa formulation il inclut toute reacuteduction

par la relation syntaxique des oppositions possibles hors de cette relation Quelles sont ces

contraintes dans lrsquoexemple preacutesenteacute ici

Il srsquoagit drsquoun cocircteacute dans le verbe de lrsquoobligation de choisir un radical dit laquo transitif direct raquo

crsquoest-agrave-dire appartenant agrave un verbe qui contient dans son programme un infixe de type

laquo lelalesen raquo tel que laquo Je le vois Jrsquoen veux Je les attends raquo La preuve que la restriction

dans le verbe est bien due agrave la relation avec le nom qui le suit est apporteacutee par le fait qursquoil est

incoheacuterent de construire laquo Je marche la mer raquo

Il srsquoagit correacutelativement de lrsquoobligation de construire le nom laquo directement raquo sans

preacuteposition Certes laquo Je regarde vers la mer raquo est syntaxiquement coheacuterent mais ce nrsquoest plus

une relation qui restreint le verbe de la mecircme maniegravere (laquo Je marche vers la mer raquo devient

possible) ce qui prouve que lrsquoon a affaire agrave un autre type de syntagme

Lrsquoexplication oblige ici agrave exposer successivement lrsquoune et lrsquoautre contrainte mais il est clair

que celles-ci sont simultaneacutees parce que mutuellement neacutecessaires Lrsquoordre effectif dans le

temps du message ne compte pas Le syntagme pose dans un mecircme temps logique agrave la fois

lrsquoimpossibiliteacute de la preacuteposition nominale et lrsquoobligation de formuler un verbe transitif

compatible

Quelques aspects des contraintes syntaxiques

La fin du paragraphe ainsi que le paragraphe suivant deacutetaillent quelques aspects des

contraintes syntaxiques

laquo Lrsquoaccord raquo 562 nrsquoest que lrsquoune de ces restrictions Il porte par exemple sur le nombre

(laquo Le train arrivera les trains arriveront raquo) et peut se mateacuterialiser soit par une reacutepeacutetition (du

genre dans laquo les petites chiennes raquo) soit par une mise en facteur commun du segraveme concerneacute

laquo Dans la cuisine et __la chambre raquo ougrave le second constituant de la coordination est aussi

preacutepositionnel que le premier laquo dans- raquo valant pour lrsquoensemble Le terme de laquo une quelconque

concomitance raquo nrsquoa pour fonction dans ce passage que de geacuteneacuteraliser le propos

La formulation laquo [La syntaxe creacutee deshellip] rapports drsquouniteacute partielle raquo 5629 est une faciliteacute

de langage quelque peu eacutequivoque Souvenons-nous que la syntaxe srsquoexerce laquo sans alteacuterer le

caractegravere exclusivement contrastif (hellip) des mots raquo 553 qursquoelle ne reacuteduit pas le nombre des

mots du texte mais qursquoelle instaure une mise entre parenthegraveses drsquoun ensemble de mots sur le

critegravere drsquoune identification relative Le syntagme nrsquoest donc pas une laquo uniteacute supeacuterieure raquo

parce que le processus qui lrsquoinstaure nrsquoest pas de lrsquoordre de la segmentation mais de celui de

lrsquoidentification Ceci est clairement formuleacute dans cette nouvelle deacutefinition de la syntaxe en

563 laquo ce regravegne du mecircme sur plus drsquoun par ougrave lrsquoidentiteacute srsquoenrichit au-delagrave du choix qursquoelle

repreacutesente de la somme de ceux qursquoelle implique raquo Soit une phrase dite laquo agrave verbes-ponts raquo

dont sont friands les journalistes et les politiques laquo Voyez ce chocircmage dont on sait agrave quel

point la conjoncture eacuteconomique nous oblige agrave admettre qursquoil est difficile de le reacuteduirehellip raquo On

voit bien lagrave qursquoest formuleacutee dans le mecircme temps logique une laquo carte drsquoidentiteacute raquo en genre

(masculin) et nombre (singulier) entre le deacutebut et la fin du message une laquo boucle raquo qui atteste

drsquoune relation syntaxique deacutefinie Lrsquoidentification est source drsquoune reacuteduction du multiple en

creacuteant cette nouvelle deacutelimitation qursquoest celle de la relation syntaxique Lrsquoidentiteacute devient la

source drsquoun nouveau repeacuterage segmental Drsquoougrave la formulation deacutejagrave commenteacutee la syntaxe est

une projection de lrsquoaxe taxinomique sur lrsquoaxe geacuteneacuteratif

Structure et signification 121

Deux remarques me paraissent srsquoimposer au passage

- On mesure ici toute la diffeacuterence entre un modegravele biaxial et un modegravele laquo distributionna-

liste raquo ou laquo geacuteneacuteratif raquo qui nrsquoopegravere que par subdivisions ou embranchements ougrave des uniteacutes

supeacuterieures regroupent des uniteacutes infeacuterieures (Cf par exemple Les laquo boicirctes raquo gigognes de

Hockett ou les arbres chomskyens)

- Les termes laquo mecircme identiteacute choix raquo ne deacutesignent pas une opeacuteration mentale positive car

il srsquoagit toujours de faits structuraux Le fait syntaxique est purement neacutegatif et relatif Il

consiste agrave restreindre des possibles seacutemiques agrave exclure un ensemble de possibles lexicaux

permis par la taxinomie dans le cadre drsquoune relation entre plusieurs mots Il y a quantiteacute de

maniegraveres de reacutealiser ces restrictions Lrsquoaccord est lrsquoune drsquoentre elles Mais lrsquoaccord au pluriel

du nom et du verbe dans laquo les chevaux boivent raquo reacuteside dans lrsquoexclusion du singulier et non

pas dans laquo le choix du pluriel raquo pour chacun des termes puisque preacuteciseacutement il nrsquoy a plus de

choix Compte alors ce qui devient impossible compte cette reacuteduction du champ des

possibles et non ce que lrsquoon voit du message

JG examine ensuite les notions de laquo reacutegime raquo et de laquo co-reacutefeacuterence raquo 563 auxquelles on

peut associer en grammaire geacuteneacuterative celles de laquo government and binding raquo76 qui sont deux

aspects de la syntaxe compleacutementaires et souvent associeacutes Pour faire simple prenons

lrsquoexemple drsquoune proposition relative telle que laquo Lrsquohomme qui rit raquo Le fait que le verbe en

relation avec le nom soit conjonctif (le pronom relatif contient une conjonction) relegraveve du

laquo reacutegime raquo Le fait que le pronom laquo qui raquo renvoie agrave laquo lrsquohomme raquo relegraveve de la laquo coreacutefeacuterence raquo

JG admet que ces concepts ne laquo sont pas si loin de cerner ce regravegne du mecircme sur plus

drsquoun raquo Il eacutemet cependant les deux critiques suivantes

1 ndash La notion traditionnelle de laquo reacutegime raquo 563 est critiquable en ce qursquoelle suppose que la

relation syntaxique est une relation de laquo deacutependance raquo entre (classiquement) un eacuteleacutement

principal et un eacuteleacutement compleacutement Dans laquo la maison de mon voisin raquo il y a dit-on le nom et

le compleacutement du nom de mecircme que dans laquo Le facteur vient raquo le nom est laquo sujet du verbe raquo

Ce disant on ne deacutefinit jamais la relation syntaxique en tant que relation entre deux ou

plusieurs constituants Imaginons que lrsquoon relie les deux mots par laquo un fil raquo (la relation) La

grammaire traditionnelle ne deacutefinit jamais quel est ce fil en tant que tel mais qualifie

seulement de laquo compleacutement sujet attribut etc raquo lrsquoun des deux eacuteleacutements de la relation agrave un

bout du fil

Au contraire JG srsquointeacuteresse agrave la relation elle-mecircme Une relation syntaxique est une

relation drsquointerdeacutependance mutuelle entre les eacuteleacutements compleacutementaires qui constituent le

syntagme La preuve est dans la marque de cette relation Dans laquo La chambre du fils raquo on

observe que le nom initial est compleacutementaire du second au fait que la preacutesence du second

neacutecessite que ce soit un nom et pas un verbe ou un adverbe Tandis que lrsquoon observe que le

nom final est compleacutementaire du premier au fait qursquoil neacutecessite la preacuteposition laquo de raquo De

mecircme pourrait-on dire que le verbe est aussi compleacutementaire du nom anteacuteceacutedent dans laquo le

facteur arrive raquo en testant qursquoil doit ecirctre formuleacute sans preacutefixe personnel et qursquoil est accordeacute en

personne et en nombre (laquo Il arrive le facteur raquo est une autre construction dite laquo deacutetacheacutee raquo

et laquo Le facteur viennent raquo est exclu) Crsquoest pourquoi pour en revenir au laquo fil raquo de tout agrave

lrsquoheure il importe de deacutenommer la relation elle-mecircme ndash le fil ndash et non de qualifier lrsquoun

seulement des termes ndash ce qui est un bout du fil Il importe de parler par exemple de

76 Traduction commune gouvernement et liage analogue ici de reacutegime et coreacutefeacuterence

122 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo relation sujet raquo entre le verbe et le nom dans laquo Pierre arrive raquo ou entre un verbe et un autre

dans laquo Qursquoil vienne mrsquoindiffegravere raquo et de parler de laquo syntagme impersonnel raquo pour laquo Il existe des

exceptions raquo ou laquo Il arrive qursquoil se trompe raquo

2 ndash La notion de laquo co-reacutefeacuterence raquo est critiqueacutee en 563 parce qursquoelle est appliqueacutee

indiffeacuteremment agrave des cas ougrave la relation est grammaticale et agrave drsquoautres ougrave elle est seacutemantique

Mettons en contraste les deux phrases suivantes (1) Lorsque les frites sont chaudes on nous

les apporte (2) Lorsque sont chaudes les frites que lrsquoon nous apportehellip Dans les deux cas on

pense que lrsquoon apporte des frites Il y a laquo coreacutefeacuterence raquo entre laquo frites raquo et laquo apporter raquo par

lrsquointermeacutediaire de laquo les raquo dans un cas et du relatif laquo que raquo dans lrsquoautre Cependant il y a une

diffeacuterence En (2) la contrainte est grammaticale parce que la construction en laquo que-V transitif

direct raquo est obligatoire Impossible de remplacer laquo on apporte raquo par laquo on vient raquo ni de

remplacer laquo que raquo par laquo qui raquo laquo Que- raquo ne peut renvoyer qursquoagrave laquo les frites raquo son anteacuteceacutedent En

revanche en (1) la contrainte nrsquoest qursquoapparente et deacutepend uniquement du raisonnement

seacutemantique que lrsquoon tient en situation Imaginons que lrsquoon ait parleacute drsquoassiettes dans la phrase

preacuteceacutedente Rien nrsquoempecircche plus de comprendre (1) comme laquo lorsque les frites sont

chaudes on nous apporte les assiettes raquo Et rien nrsquoempecircche de dire laquo Quand les frites sont

chaudes on vient raquo ni laquo hellip on lrsquoapporte raquo en reacutefeacuterence au sel qui va avec Il est donc preacutefeacute-

rable drsquoappeler distinctement la laquo co-reacutefeacuterence raquo seacutemantique et laquo lrsquoanaphore raquo grammaticale

Lrsquoexemple proposeacute par JG (le juge oublie le pegravere) est drsquoun autre niveau 563 Il renvoie agrave

Tite-Live Histoire romaine livre II 4-5 Brutus connu de tous aujourdrsquohui comme lrsquoassassin de

son pegravere adoptif Jules Ceacutesar srsquoest refait une vertu comme Consul de Rome Il condamne agrave

mort ses deux fils Titus et Tibeacuterius qursquoil soupccedilonne de participer agrave une conjuration contre le

consulat au profit des Tarquins Juge de ses propres fils Brutus choisit lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de

Rome LrsquoHistoire permet de comprendre que laquo le pegravere raquo et laquo le juge raquo deacutesignent la mecircme

personne Rien de grammatical nrsquoy oblige Il y a coreacutefeacuterence (agrave Brutus) mais il nrsquoy a pas

drsquoanaphore

Coordination et subordination

Lrsquoauteur entend soutenir lrsquoanalogie suivante la coordination est agrave la deacuterivation ce que la

subordination est agrave la flexion 564 Lrsquoideacutee est que le processus geacuteneacuteral de projection drsquoun axe

sur lrsquoautre doit produire les mecircmes effets quelle que soit lrsquoorientation de la projection On

doit retrouver dans la syntaxe laquo subdivisibiliteacute de lrsquoidentique raquo ce que lrsquoon a observeacute dans le

paradigme laquo variabiliteacute interne de lrsquoun raquo Examinons les arguments avanceacutes

La coordination et la deacuterivation sont lrsquoune et lrsquoautre laquo seacuterielles raquo et laquo reacuteversibles le plus

souvent raquo 565 Elles laquo nrsquoinstaurent aucune hieacuterarchie raquo entre les mots laquo apparenteacutes raquo

(paradigme) ou laquo groupeacutes raquo (syntagme) Reprenons lrsquoexemple de la deacuterivation laquo Nous vivons

la vie vital deacutevitaliser vitaliteacute vitalisme deacutevitalisation ils revivent raquo Dans la perspective

proposeacutee il nrsquoy a pas lieu drsquointroduire un ordre hieacuterarchique entre ces mots On peut les

preacutesenter dans un autre ordre (reacuteversibiliteacute) et le nombre des deacuteriveacutes deacutepend du choix du

segraveme identique ndash ici un radical sous trois allomorphes -vi- -viv -vit- En cela un tel

paradigme est une seacuterie et non un systegraveme casuel preacutedeacutetermineacute par le type de mot comme

crsquoest le cas pour le nombre ou le temps dans la flexion

De mecircme observe-t-on qursquoun syntagme de coordination tel que laquo le chat la belette et le

petit lapin raquo est reacuteversible puisqursquoon peut en permuter les constituants et dire laquo Le petit lapin

le chat et la belette raquo Il est aussi seacuteriel en ce que la regravegle syntaxique ne preacutevoit pas le nombre

Structure et signification 123

de ses constituants puisqursquoon peut y ajouter ou en retrancher autant de noms que lrsquoon

souhaite au-delagrave de deux Le laquo et raquo final nrsquoest pas obligatoire et peut signaler seacutemantique-

ment la fin de la seacuterie choisie par le locuteur La coordination est laquo non conclusive raquo Enfin la

coordination nrsquoest pas laquo hieacuterarchique raquo parce que les contraintes qui la fondent sont similaires

sur chacun des constituants qui apportent leur eacutegale contribution au syntagme

Il en va tout autrement de la subordination 571 ougrave le syntagme est appeleacute laquo schegraveme raquo

ainsi que de la flexion eacutetudieacutee preacuteceacutedemment et qui se deacuteploie dans la limite de laquo types raquo (cf

565) Une telle relation est laquo conclusive raquo parce qursquoelle repose sur un jeu de contraintes

mutuelles reacuteciproques et distinctes entre les termes qui la constituent Les exemples qui

suivent le montreront

Ici existe une laquo hieacuterarchie raquo entre les mots de la relation laquo soit apparenteacutes raquo (flexion) laquo soit

groupeacutes raquo (subordination) 565 Le terme de laquo hieacuterarchie raquo est immeacutediatement redeacutefini

tellement il incite agrave revenir agrave la syntaxe de laquo deacutependance raquo entre un supeacuterieur principal

subordonnant et un infeacuterieur compleacutement subordonneacute ce que JG appelle

laquo lrsquoassujettissement orienteacute des membres du syntagme raquo Le laquo schegraveme raquo en effet est la

relation elle-mecircme deacutefinie par la contribution reacuteciproque de ses constituants appeleacutes

laquo facteurs raquo de la relation 5724 (Le terme fait penser agrave la laquo mise en facteur commun raquo de

lrsquoalgegravebre) La hieacuterarchie alors est entre le syntagme de subordination lui-mecircme et les mots du

texte

La relation syntaxique par subordination est appeleacutee laquo thegraveme raquo 571 tout comme la relation

paradigmatique par flexion est appeleacutee laquo lexegraveme raquo Ce laquo thegraveme raquo creacutee une mise entre paren-

thegraveses de facteurs frappeacutes de restrictions compleacutementaires et dissemblables celles qui

affectent lrsquoun eacutetant distinctes de celles qui affectent lrsquoautre Ces facteurs sont appeleacutes

laquo parenthegravemes raquo et correspondent aux laquo morphegravemes raquo dans le paradigme Il faut accepter que

cette terminologie soit la conclusion de deacutefinitions qursquoelle ne fait que fixer et mettre de cocircteacute

tout sens donneacute agrave ces termes dans les diverses linguistiques usuelles La diffeacuterence

conceptuelle entre laquo schegraveme raquo et laquo thegraveme raquo est assez subtile comme lrsquoeacutetait celle entre

laquo flexion raquo et laquo lexegraveme raquo puisque toutes deacutesignent la relation qui deacutecoule de la projection des

axes Il semble que laquo schegraveme raquo soit strictement synonyme de subordination tandis que

laquo thegraveme raquo inclut lrsquoexistence des laquo parenthegravemes raquo (ou facteurs) qursquoil identifie De mecircme que le

rapport laquo lexegraveme ndash morphegravemes raquo deacutefinit la flexion le rapport laquo thegraveme ndash parenthegravemes raquo deacutefinit

le schegraveme

Cette relation confegravere agrave la parenthegravese elle-mecircme le laquo thegraveme raquo un laquo rang raquo supeacuterieur dans

le texte agrave chacun des mots qui composent segmentalement ce texte La hieacuterarchie qui

caracteacuterise la subordination deacutesigne alors laquo la commune alleacutegeance raquo des parenthegravemes au

thegraveme laquo dont ils sont ensemble le deacuteveloppement raquo

Le syntagme comme relation reacuteciproque

Lrsquoessentiel est de comprendre qursquoest proposeacute un nouvel objet qui est la relation laquo les

relations non les facteurs sont en cause raquo 572 Il nrsquoy a plus place ici pour laquo le compleacutement de

nom lrsquoattribut du sujet la proposition subordonneacutee ou relative raquo sinon agrave titre de transaction

entre savoirs comme le laquo chlore raquo (khlocircros vert-jaune) deacutesigne aujourdrsquohui lrsquoatome ndeg17

laquo Cl raquo

Il srsquoensuit qursquoil ne faut pas deacutefinir un lien de subordination par la preacutesence laquo mateacuterielle raquo

drsquoune laquo conjonction raquo ou drsquoune laquo preacuteposition raquo dans lrsquoun des laquo facteurs raquo de la relation 572

124 Une lecture de Jean Gagnepain

Lrsquoallusion au breton fait reacutefeacuterence agrave la relation de compleacutement du nom mais lrsquoideacutee avanceacutee

dans le texte drsquoune laquo inversion raquo du lieu de la contrainte nrsquoest agrave mon avis qursquoune illusion due

agrave la projection du franccedilais77 Lagrave ougrave le franccedilais dit laquo La maison du boucher raquo ougrave le grammairien

voit la marque du statut de laquo compleacutement raquo dans la preacutesence de la preacuteposition laquo de raquo devant

le second nom le breton agrave partir des noms laquo an ti raquo (la maison) et laquo ar crsquohiger raquo (le boucher)

formera la relation laquo _Ti ar crsquohiger raquo (la maison du boucher la boucherie) Par projection du

franccedilais on peut croire que le premier nom est contraint puisqursquoil doit perdre son article et

que le second nrsquoest pas contraint puisqursquoil le conserve Or ce premier nom est consideacutereacute par la

tradition comme laquo principal raquo De lagrave vient lrsquoideacutee drsquoune laquo inversion raquo paradoxale telle que crsquoest

lrsquoeacuteleacutement subordonnant qui subirait une contrainte et lui seul Ceci est inexact parce que

lrsquoexamen de la relation montre que les deux noms sont contraints reacuteciproquement et

diffeacuteremment Degraves lors que le premier nom doit ecirctre sans article le second doit ecirctre sans

preacuteposition laquo ti evit ar crsquohiger raquo (maison pour le boucher) est agrammatical Degraves lors que le

second nom est poseacute laquo directement raquo le premier perd tout preacutefixe Il ne perd pas pour autant

sa deacutetermination puisqursquoil reste un nom deacutefini La preuve Il peut construire encore un autre

syntagme avec le verbe laquo emantilde raquo (ecirctre quelque part) lequel exige de son partenaire qursquoil soit

deacutefini laquo Emantilde ti ar crsquohiger dirazout raquo (la boucherie se trouve devant toi) Cette derniegravere

exigence est elle-mecircme prouveacutee par le test suivant Le syntagme nominal laquo Ur prenestr eus an

ti raquo (Une fenecirctre de la maison) ougrave le premier nom est indeacutefini ne peut pas ecirctre construit avec

laquo Emantilde raquo laquo Emantilde ur prenestr eus an ti (war an talbenn) raquo laquo Une fenecirctre de la maison donne

(sur la faccedilade) raquo Une autre construction est requise laquo Ur prenestr eus an ti a zo war an

talbenn raquo78

Tout ceci est transposable agrave laquo lrsquoeacutetat construit raquo des langues seacutemitiques classiques Soit

lrsquoheacutebreu (registre soutenu) Ha-bayt (la) maison Ha-sefer (le) livre gt _Bet ha-sefer laquo la maison

du livre = lrsquoeacutecole raquo Idem en arabe classique _Bayt al fellah laquo la maison du paysan raquo Dans

tous les cas laquo les deux se trouvent affecteacutes raquo 572 comme il se doit si la relation est deacutefinie

comme laquo ce regravegne du mecircme sur plus drsquoun raquo 563 Cet exemple de compleacutementariteacute entre noms

illustre tregraves clairement les proprieacuteteacutes de la subordination la relation y est laquo conclusive raquo

puisqursquoelle ne peut concerner que deux mots Elle est irreacuteversible puisque la disposition des

deux facteurs est fixeacutee Les contraintes y sont laquo reacuteciproques raquo puisque les contraintes sur un

mot sont correacutelatives des contraintes sur lrsquoautre Et il est essentiel drsquoajouter que les

contraintes sont laquo dissemblables raquo en ce sens qursquoelles affectent des points distincts de chaque

facteur du mecircme syntagme Le contraste est clair avec la coordination qui est non conclusive

reacuteversible et marqueacute par des contraintes similaires

laquo La domination y reacutesulte au contraire de la reacutesorption toujours possible du syntagme en

une sorte de mot des mots qui reacutesume en lui pour ainsi dire la totaliteacute de sa preacutesence au

texte raquo 5727-10 Cette proposition est suivie de lrsquoeacutevocation du laquo privilegravege raquo accordeacute

traditionnellement au verbe

Sachant que laquo reacutesorber raquo signifie laquo faire disparaicirctre par reacuteduction du nombre raquo la formule

laquo la reacutesorption du syntagme raquo preacutesente une difficulteacute de compreacutehension analogue agrave la

fameuse laquo peur de lrsquoennemi raquo On ne parle pas ici de reacutesorber le syntagme en autre chose

77 Cf Jean-Yves Urien 1992 laquo Le deacutemonstratif dans la syntaxe du nom raquo in Klask ndeg2 Rennes Les PUR p105-129

78 Ceci montre au passage que ce nrsquoest pas le sens de laquo emantilde raquo laquo se trouver quelque part raquo qui deacutefinit grammaticalement ce verbe ce sont ses proprieacuteteacutes formelles telles que cette contrainte de deacutefinition Cf Jean-Yves Urien La trame drsquoune langue p 105-108

Structure et signification 125

Crsquoest le syntagme qui laquo reacutesorbe raquo en lui la multipliciteacute des mots qursquoil solidarise La syntaxe

provoque un changement de compte puisque les mots tout en restant des uniteacutes laquo ne

comptent plus raquo au regard de la deacutelimitation syntaxique dite laquo thegraveme raquo instaureacutee par la

projection de lrsquoidentiteacute qui en reacuteunit les laquo facteurs raquo deacutenommeacutes laquo parenthegravemes raquo Autrement

dit le thegraveme laquo domine raquo ses parenthegravemes Crsquoest en ce sens que le syntagme laquo reacutesume raquo

grammaticalement une seacutequence de mots et qursquoil opegravere une laquo contraction de texte raquo 573 agrave

ne pas confondre avec une contraction ou un reacutesumeacute seacutemantique drsquoeacutenonceacute

laquo Le sens seul non la grammaire exige que ‟servus domini laboratrdquo [Lrsquoesclave du maicirctre

travaille] se ramegravene agrave ‟servusrdquo plutocirct qursquoagrave ‟dominus laboratrdquo [Le maicirctre travaille] raquo 574 Voici

deux lectures de ce passage elliptique

Seacutemantiquement laquo servus raquo agrave lui seul peut reacutesumer le propos tenu si le locuteur entend

preacuteciser qui travaille et que le reste reprend une information deacutejagrave dite Mais ce nrsquoest pas une

exigence puisque toujours seacutemantiquement on peut aussi ramener lrsquoinformation au seul fait

qursquoil travaille Hors situation et contexte crsquoest indeacutecidable Quoi qursquoil en soit il ne srsquoagit pas lagrave

drsquoune analyse syntaxique Certes on peut aussi syntaxiquement produire laquo dominus laborat raquo

mais il faut pour cela constituer un autre laquo thegraveme raquo (syntagme) agrave partir de deux de ces mots

en respectant la contrainte qui exige du nom drsquoecirctre au cas nominatif et non plus au cas geacutenitif

comme dans le laquo thegraveme raquo (syntagme) laquo servus domini raquo [Lrsquoesclave du maicirctre]

Autre lecture (personnelle) syntaxique JG se trompe car il est incontestable que la

grammaire exige que laquo servus domini laborat raquo se simplifie syntaxiquement en laquo servus

laborat raquo et en laquo servus domini raquo et non pas en laquo dominus laborat raquo Quant au sens il

laquo nrsquoexige raquo rien puisqursquoil deacutepend de la laquo congruence raquo rechercheacutee par le locuteur en fonction

de la situation

Les deux exemples qui suivent laquo Le cheval blanc raquo et laquo Il faut qursquoil vienne raquo 574 illustrent agrave

la fois la notion de reacuteciprociteacute des contraintes et agrave la preacuteeacuteminence de la syntaxe sur le sens

Dans le premier cas la tradition dit que lrsquoadjectif eacutepithegravete srsquoaccorde en genre et nombre avec

le nom On doit ajouter au nom du principe de reacuteciprociteacute que laquo blanc raquo (parce qursquoil exclut

laquo blanche raquo) demande que lrsquoautre mot soit un nom masculin Il y a bien contrainte des deux

cocircteacutes Dans le second cas au fait que le verbe laquo il faut raquo demande un partenaire au subjonctif

correspond le fait que le subjonctif implique que le verbe anteacuteceacutedent sera lui aussi contraint

laquo Il fauthellip raquo mais pas laquo Il saithellip raquo ni laquo Il dorthellip raquo Paraphrase du texte laquo Refuser drsquoinverser la

proposition serait reconnaicirctre que le sens preacutecegravede la relation alors que le sens deacutecoule de la

relation (formelle et reacuteciproque) raquo

La tradition veut que laquo le cheval raquo dans le cas de laquo le cheval blanc raquo et laquo il faut raquo dans celui

de laquo Il faut qursquoil vienne raquo soient les eacuteleacutements laquo principaux raquo auxquels srsquoajoutent des compleacute-

ments (adjectif compleacutetive) qui peuvent ecirctre supprimeacutes La raison invoqueacutee est que crsquoest

lrsquoeacuteleacutement dit laquo principal raquo qui laquo requiert le moins de transformation raquo 574 JG objecte en

substance que ce nrsquoest pas une question de plus ou de moins et que chaque parenthegraveme

contribue agrave sa maniegravere agrave construire le thegraveme Suit une conseacutequence seacutemantique Le syntagme

laquo le cheval blanc raquo peut seacutemantiquement en situation ou contexte se reacutesumer aussi bien par

le nom laquo le blanc raquo que par le nom laquo le cheval raquo et laquo Il faut qursquoil vienne raquo se reacutesumer aussi bien

par laquo il viendra raquo que par laquo Il le faut raquo Il est possible de reacutesumer laquo Pierre regarde la teacuteleacute raquo par

laquo Pierre raquo si crsquoest lrsquoinformation attendue lui et pas un autre On ne peut donc srsquoappuyer pour

deacutefinir ce qursquoest la relation syntaxique sur lrsquoideacutee qursquoest principal ce qui reacutesume le mieux le

126 Une lecture de Jean Gagnepain

propos Le faire est tenir un raisonnement circulaire on a postuleacute a priori que la construction

syntaxique coiumlncidait avec le raisonnement seacutemantique

JG en 575 alerte sur une laquo meacuteprise raquo concernant la notion de laquo reacutegime raquo ou celle

eacutequivalente de laquo porteacutee drsquoun choix raquo parce que laquo hellip la restriction qui srsquoensuit passe agrave tort pour

une neutralisation raquo

Rappelons au preacutealable que le terme laquo reacutegime raquo deacutesigne le plus souvent dans une langue agrave

deacuteclinaison les cas autres que le nominatif En ancien franccedilais le cas laquo reacutegime raquo srsquooppose au

cas laquo sujet raquo Plus geacuteneacuteralement il deacutesigne le nom avec preacuteposition dit aussi laquo indirect raquo

Ce terme de laquo neutralisation raquo mis en cause ici vient de la phonologie (cf 374-5) et

deacutesigne une reacuteduction drsquooppositions phonologiques dans un contexte deacutefini (En allemand

lrsquoopposition des consonnes t d disparaicirct en finale de mot au profit du t) JG semble en

faire un fait de correacutelation phonologique ce qui correspond en seacutemiologie au paradigme et

non agrave la syntaxe

Voyons ougrave serait la laquo meacuteprise raquo

laquo Le terme [reacutegime] ne gagne rien agrave sortir des frontiegraveres de la morphologie raquo 575 Le

systegraveme casuel preacutepositionnel ou conjonctif est drsquoabord agrave comprendre dans le cadre du mot

dans une systeacutematique drsquooppositions telles que laquo direct ndash indirect raquo

(Ne pas croire que) laquo crsquoest par eux-mecircmes raquo que les cas reacutegime marquent une relation

syntaxique 581 Lrsquoauteur critique ici la tendance agrave positiver une contrainte syntaxique Le

subjonctif nrsquoest pas en lui-mecircme preuve drsquoune subordination en deacutepit de lrsquoeacutetymologie du

terme laquo subjungere raquo attacher dessous subordonner Outre que crsquoest lrsquoensemble des

contraintes mutuelles qui deacutefinissent une relation syntaxique donneacutee il faut garder agrave lrsquoideacutee

qursquoune contrainte est une restriction on lrsquoeacuteprouve agrave lrsquoimpossibiliteacute de varier ce qui pourrait

lrsquoecirctre hors syntaxe Ce nrsquoest pas la preacutesence du subjonctif en soi qui compte mais

lrsquoimpossibiliteacute drsquoun autre mode Idem pour le cas geacutenitif en latin laquo Servus domini raquo (Lrsquoesclave

du maicirctre) preacutesente une relation syntaxique de laquo compleacutement de nom raquo du fait de lrsquoimpossi-

biliteacute de dire laquo Servus dominum raquo (accusatif) tandis que laquo Servus domino raquo (esclave pour un

maicirctre) ou laquo Servus dominus raquo (nominatif)79 seraient des syntagmes autres Ce nrsquoest donc pas

la preacutesence en soi du geacutenitif qui creacutee la relation syntaxique De mecircme la marque de relation

syntaxique de laquo sujet raquo en franccedilais contient outre lrsquoaccord en personne et nombre

lrsquoexclusion pour le nom du cas preacutepositionnel laquo La porte srsquoouvre raquo exclut laquo SurDe la porte

srsquoouvre raquo Remarquer au passage que la relation de sujet est ici consideacutereacutee comme une

laquo relation de compleacutement raquo entre un verbe et un autre mot

Un changement est possible laquo au prix drsquoune anacoluthe raquo 581 Ce terme deacutesigne une

rupture de construction dans la phrase Observons lrsquoopposition entre la relation sujet laquo Pierre

attendra raquo et le deacutetachement laquo Pierre il attendra raquo Cette derniegravere phrase rompt la relation

sujet laquelle interdit une forme nominale en laquo Quant agrave N raquo laquo Quant agrave Pierre attendra raquo

alors que la construction deacutetacheacutee rend sa liberteacute au nom et permet la variation laquo Pierre il

attendra Quant agrave Pierre il attendra raquo

laquo De vertes ideacutees dorment furieusement raquo 582 JG comme Noam Chomsky (1957

Structures syntaxiques eacuted fr p17) auquel il emprunte cet exemple considegravere qursquoun eacutenonceacute

seacutemantiquement peu probable peut cependant ecirctre grammatical Lucien Tesniegravere (Eacuteleacutements

79 laquo Lrsquoesclave maicirctre raquo Cf lrsquoopeacutera La serva padrona de Pergolegravese pour le sens

Structure et signification 127

de syntaxe structurale eacuted posthume 1959 p41) avait aussi poseacute cette diffeacuterence en propo-

sant la phrase laquo Le silence verteacutebral indispose la voile licite raquo La diffeacuterence avec eux est que

pour JG tout eacutenonceacute grammaticalement structureacute est susceptible de provoquer un raisonne-

ment qui le rend laquo compreacutehensible raquo quitte agrave imaginer le monde qui va avec Des concours ont

drsquoailleurs eacuteteacute lanceacutes aux USA pour eacutelire la paraphrase la plus vraisemblable de lrsquoeacutenonceacute de

Chomsky et une compilation des reacutesultats est accessible sur la Toile

Les exemples de jeux de mots qui suivent montrent que diverses constructions syntaxiques

peuvent preacutesenter des cas drsquohomophonie et qursquoil ne faut pas mettre au compte de la syntaxe

ce qui est une relation seacutemantique Soit laquo La maicirctresse drsquoeacutecole enrhumeacutee raquo Rien dans la

deacutefinition de la relation laquo drsquoeacutepithegravese raquo ne permet ici de savoir lequel des deux noms est en

relation avec lrsquoadjectif final Deux analyses syntaxiques sont possibles Il faut srsquoen tenir lagrave du

point de vue de la grammaire Ceci eacutetant seacutemantiquement on peut concevoir qursquoune eacutecole ndash

crsquoest-agrave-dire lrsquoensemble de ses eacutelegraveves ndash soit enrhumeacutee de mecircme que laquo lrsquoeacutecole raquo peut aller agrave la

piscine tous les mardis (Cas de meacutetonymie en rheacutetorique classique) Lrsquoexemple laquo Flying

plane raquo (laquo Niveau de vol raquo ou laquo avion en vol raquo et pourquoi pas laquo rabot volant raquo laquo platane

volant raquo) joue sur lrsquohomophonie du nom laquo plane raquo

laquo Lrsquoamour de sa femme raquo (ou laquo la peur des ennemis raquo laquo un meurtre drsquoenfant raquo etc) est

mis en contraste avec laquo le livre de Jean raquo (etc) 582 Pour JG la structure syntaxique est la

mecircme dans tous ces exemples et elle est indiffeacuterente aux varieacuteteacutes drsquoinfeacuterence seacutemantique

lieacutees aux termes en preacutesence (Cf Reneacute Jongen Quand Dire Crsquoest Dire p133-134)

Syntagme et contextes syntaxiques un exemple en grec classique

Agrave travers les exemples pris au grec classique preacutesenteacutes en 583 JG montre qursquoune relation

de subordination relegraveve drsquoun modegravele abstrait et peut se preacutesenter dans des contextes

morphologiques diffeacuterents Il faut donc abstraire la laquo formule raquo syntaxique des diffeacuterences

entre les types qursquoelle integravegre nominal ou verbal

La comparaison est ici eacutetablie entre une premiegravere seacuterie de trois exemples (a b c) que lrsquoon

deacutefinit classiquement comme des laquo syntagmes verbaux raquo parce qursquoils contiennent un verbe et

un compleacutement et une seconde seacuterie eacutegalement de trois exemples (arsquo brsquo crsquo) de laquo syntagme

nominaux raquo parce qursquoils relient un nom et un adjectif Le but est de montrer lrsquoidentiteacute

syntaxique de chacun des trois syntagmes drsquoune seacuterie avec chacun des trois syntagmes de

lrsquoautre seacuterie (Soit a = arsquo b = brsquo c = crsquo) Autrement dit in fine un syntagme identique peut se

preacutesenter sous deux variantes (SV = V + N) et (SN = N + Adj)80

La premiegravere seacuterie relie un verbe laquo arkhō raquo (commander) et un nom laquo ē khora raquo (le pays)

Les deux premiers exemples sont citeacutes drsquoapregraves le contexte suivant laquo Le Satrape organisehellip raquo

Ils peuvent ecirctre traduits respectivement par laquo le pays qursquoil commande raquo (relative dite

laquo deacuteterminative raquo) et laquo le pays qursquoil commande raquo (relative dite laquo explicative raquo) Le troisiegraveme

exemple peut ecirctre dit seul et signifie laquo Il gouverne le pays raquo

a - Le premier syntagme est laquo hēs arkhei khōrās raquo [Conj relative geacuten feacutem sg + Verbe 3egrave p

preacutesent + Nom geacuten feacutem sg] Mot agrave mot laquo auquel + il commande + pays raquo Soit laquo Le Satrape

organise le pays qursquoil commande raquo

80 Pour faciliter la lecture je deacuterogerai aux neacuteologismes proposeacutes (en thegraveme et parenthegravemes) et utiliserai la terminologie classique

128 Une lecture de Jean Gagnepain

On y observe que la deacutetermination nominale (geacutenitif + feacuteminin) se trouve agrave la fois dans le

laquo relatif raquo initial et dans le nom final associeacute tandis que le verbe est enclaveacute entre les deux

Seacutemantiquement parlant ce premier exemple est une relative dite laquo deacuteterminative raquo crsquoest-agrave-

dire laquo appellative raquo parmi les pays on seacutelectionne celui qui a eacuteteacute conquis par le Satrape agrave

lrsquoexclusion des autres Le raisonnement consiste agrave choisir une appellation On peut dire aussi

que le verbe est ici laquo eacutepithegravete raquo comme dans la paraphrase laquo les pays conquis raquo

b - Le second syntagme est laquo tēn khōrān hēs arkhei raquo [Deacuteterminant acc sg + Nom acc sg +

Conj relative geacuten feacutem sg + Verbe 3egrave p preacutesent] Mot agrave mot laquo le pays auquel il commande raquo

Il preacutesente lrsquoordre Nom anteacuteceacutedent + verbe final Le sens est ici laquo (Le Satrape organise) le

pays dont il est le chef raquo

Ce second exemple pose le concept de laquo pays raquo deacutefini et dit de celui-ci qursquoil a eacuteteacute conquis

crsquoest une relative dite laquo explicative raquo qui propose une expansion seacutemantique Mais lrsquoensemble

est lui-mecircme mis en perspective par la relation de laquo compleacutement drsquoobjet raquo que le nom

constitue avec le verbe du contexte anteacuterieur laquo (Le Satrape) ndash Il organise raquo comme le marque

le cas accusatif du nom

On pourrait mettre en contraste la diffeacuterence seacutemantique entre ces deux constructions par

les paraphrases suivantes laquo parmi tous les pays celui qursquoil commande raquo et laquo Ce pays qursquoil

commande raquo

c - Le troisiegraveme syntagme peut ecirctre dit seul contrairement aux deux autres laquo tēs khōrās

arkhei raquo [Deacuteterminant geacuten Sg + Nom geacuten Sg + Verbe 3egrave p preacutesent] Mot agrave mot laquo Au pays il

commande raquo Crsquoest une relation verbe + compleacutement et la disposition inverse est possible

laquo arkhei tēs khōrās raquo Seacutemantiquement le verbe est preacutedicatif

La seconde seacuterie est parallegravele

a - Le premier syntagme laquo o spoudaios mathētēs raquo (mot agrave mot) laquo le ndash attentif ndash eacutelegraveve raquo (au

cas nominatif ici) se comprend seacutemantiquement comme une eacutepithegravese laquo deacuteterminative raquo

laquo appellative raquo parmi les eacutelegraveves il srsquoagit de celui qui est studieux Lrsquoadjectif laquo deacuteterminatif raquo

est inclus entre le deacuteterminant et le nom comme le verbe lrsquoeacutetait entre la deacutetermination (du

relatif) et le nom dans la premiegravere seacuterie

b - Le second syntagme laquo o mathētēs o spoudaios raquo (mot agrave mot) laquo lrsquoeacutelegraveve + lrsquoattentif raquo

reacutepegravete (accorde) le deacuteterminant dans les deux mots Il se comprend seacutemantiquement comme

une eacutepithegravese laquo explicative raquo il srsquoagit encore drsquoune eacutepithegravese mais on dit de lrsquoeacutelegraveve qursquoil est

attentif ndash et non distrait laquo Lrsquoeacutelegraveve studieux raquo Lrsquoanalogie est claire avec la premiegravere seacuterie

Ces deux syntagmes pourraient srsquoarticuler avec un verbe dans une relation de sujet par

exemple (ougrave le cas nominatif serait en accord avec un verbe) laquo o spoudaios mathētēs o

mathētēs o spoudaios hellipanamenei raquo laquo lrsquoeacutelegraveve attentif lrsquoeacutelegraveve attentif hellippatiente raquo

c - Le troisiegraveme syntagme laquo o mathētēs spoudaios raquo au contraire de deux premiers nrsquoest

plus une eacutepithegravese mais une attribution crsquoest-agrave-dire une preacutedication phrastique On a affaire agrave

une laquo phrase nominale raquo laquo Lrsquoeacutelegraveve est studieux raquo Lrsquoabsence de deacutetermination du second mot

et la disposition (N + Adj) marquent la relation attributive sans que le verbe laquo ecirctre raquo soit

neacutecessaire encore qursquoil soit bien eacutevidemment possible laquo o mathētēs esti spoudaios raquo

Comparer cela avec la disposition respective en franccedilais de laquo Ce deacutelicieux gacircteau deacutelicieux

ce gacircteau raquo

Structure et signification 129

NB Les Seacuteminaires du 13 et du 20 feacutevrier 1975 ont servi de terrain drsquoessai aux propositions

de ce passage et je mrsquoen suis inspireacute pour ces deacuteveloppements

Conclusion laquo Le cateacutegorique raquo (le type des mots concerneacutes) laquo nrsquoest nullement en

questionhellip mais seulement lrsquoordinal raquo (la relation syntaxique) 584 Du point de vue

seacutemantique on observe aussi qursquoun verbe peut ecirctre eacutepithegravete et non preacutedicatif et qursquoun nom

peut ecirctre preacutedicatif (laquo attribut raquo) et non eacutepithegravete Par conseacutequent il faut revoir la terminologie

traditionnelle qui reacuteserve agrave lrsquoadjectif ou au nom les termes laquo eacutepithegravete attribut raquo et reacuteserve au

verbe le terme laquo preacutedicatif raquo

laquo Le cateacutegorique nrsquoest nullement en question ni les modaliteacutes drsquoinclusion mais seulement

lrsquoordinal et les degreacutes drsquointeacutegration raquo 584 La preacutecision suggeacutereacutee et ici souligneacutee (laquo modaliteacutes raquo

et laquo degreacutes raquo) ainsi que les exemples proposeacutes eacutenoncent que certains syntagmes

inteacutegreraient plus de contraintes que drsquoautres Le raisonnement est analogique Il y a plus de

similariteacute formelle ndash plus drsquoinclusion au sein du paradigme ndash entre les verbes laquo je viens raquo et

laquo tu viens raquo qursquoentre laquo je viens raquo et laquo puisqursquoils ne sont pas venus raquo De mecircme il y a un

moindre degreacute drsquointeacutegration syntaxique entre les verbes dans laquo il va et vient raquo que dans laquo il va

venir raquo parce que ce dernier exemple met en facteur commun lrsquoensemble des affixes

Lrsquoinfinitif y est la marque non drsquoune absence drsquoinformation de temps et de personne mais la

marque du partage de lrsquoensemble des informations entre les deux verbes

Syntaxe et types morphologiques

La structure syntaxique drsquoune phrase nrsquoa laquo rien drsquoun classement et tout drsquoune stratifica-

tion raquo 591 Paraphrase de la notion de laquo rang raquo

laquo On a cru pouvoir brader [les types] raquo Prenons le cas de la grammaire geacuteneacuterative (vulgari-

seacutee) qui deacutecregravete que la phrase canonique relie un syntagme nominal (SN) et un syntagme

verbal (SV) Outre que cela conduit agrave consideacuterer que dans laquo Je parle raquo le preacutefixe verbal laquo je- raquo

serait un syntagme nominal cela conduit aussi agrave consideacuterer que dans la phrase laquo Qursquoil vienne

me deacuterange raquo le verbe anteacuteceacutedent est aussi syntaxiquement parlant un syntagme nominal du

seul fait qursquoil constitue aussi une relation sujet (On se tire drsquoaffaire ensuite avec la notion de

laquo transformation raquo) Le modegravele glossologique distingue ici la laquo formule raquo syntaxique agrave savoir la

relation sujet et la variation de marque de cette relation sujet en ce que laquo le rang se deacutenote

en chaque mot selon son type raquo Morphologiquement le laquo Que- raquo marque le deacutebut du verbe

et laquo Qursquoil vienne raquo reste un verbe Syntaxiquement le mecircme laquo Que- raquo marque lrsquointeacutegration du

verbe initial dans une relation qui demande la forme subjonctive tandis que le verbe final perd

tout preacutefixe personnel et est accordeacute agrave la 3e personne du singulier

Les meacutetaphores laquo Passer de la substance raquo (le statut morphologique) laquo au processus raquo

(syntaxique) et laquo Passer de la matiegravere agrave lrsquoeacutenergie raquo renvoient agrave lrsquoideacutee critique deacuteveloppeacutee par

la grammaire geacuteneacuterative selon laquelle la tradition morphologique serait laquo fixiste raquo comme

toute laquo taxonomie raquo et devrait laisser la place agrave une grammaire geacuteneacuterative laquo dynamique raquo

laquo Ecirctre raquo drsquoun cocircteacute laquo geacuteneacuterer raquo de lrsquoautre

laquo Le mecircme tao comporte deux principes raquo Analogie assez relacirccheacutee entre drsquoune part laquo le Yin

et le Yang raquo et de lrsquoautre les relations paradigmatiques et les relations syntaxiques

laquo Nul de lrsquoindeacutependance ne saurait conclure agrave son greacute agrave la contradiction raquo Dans le modegravele

glossologique les deux projectiviteacutes agrave la source des paradigmes et des syntagmes sont

distinctes La grammaire geacuteneacuterative (vulgariseacutee par Nicolas Ruwet par exemple) semble

130 Une lecture de Jean Gagnepain

consideacuterer que la laquo grammaire taxinomique raquo de la tradition (et de la concurrence) est deacutefiniti-

vement laquo deacutepasseacutee raquo et rendue caduque par la nouvelle laquo grammaire geacuteneacuterative raquo

laquo Aussi bien cette conception procegravede-t-elle dun reacutealisme qui reacutepugne agrave la fois agrave penser quil

y ait lieu de parler deacuteleacutements sinon comme anteacuterieurs agrave lopeacuteration qui les joint et que tout en

matiegravere danalyse soit envisageable de deux faccedilons ou si lon veut serve concurremment agrave

deux fins raquo 592

Soit La conception laquo reacutealiste raquo (positiviste) de la grammaire (qursquoa la grammaire geacuteneacuterative)

laquo reacutepugne agrave penser quehellip raquo et srsquooppose agrave la glossologie qui laquo accepte de penser quehellip raquo La

suite deacuteveloppe deux points drsquoopposition

- La glossologie accepte de laquo parler drsquoeacuteleacutements raquo en matiegravere de relation au sein du

paradigme comme au sein du syntagme Qursquoest-ce que cela veut dire Il y a ici un jeu sur le

terme drsquoeacuteleacutement JG distingue lrsquoeacuteleacutement fondamental lrsquoidentiteacute et lrsquouniteacute et ce qui constitue

une relation dans un paradigme ou un syntagme Il reacutefegravere ainsi aux laquo morphegravemes raquo qui sont

laquo joints raquo selon la similariteacute dans laquo lrsquoopeacuteration raquo qursquoest le paradigme Et il reacutefegravere aux

laquo parenthegravemes raquo les laquo facteurs raquo qui sont laquo joints raquo selon la compleacutementariteacute dans

laquo lrsquoopeacuteration raquo qursquoest le syntagme

- La glossologie accepte aussi laquo que tout en matiegravere danalyse soit envisageable de deux

faccedilons ou si lon veut serve concurremment agrave deux fins raquo Selon le processus en cause

paradigmatique ou syntaxique ce qui apparaicirct comme la mecircme chose au reacutealiste a un statut

distinct La terminologie traditionnelle des cas laquo reacutealiste raquo est donc ambivalente Ce qursquoon

appelle uniformeacutement laquo geacutenitif raquo doit ecirctre deacutefini distinctement soit comme marque drsquoune

relation paradigmatique (le laquo partitif raquo par rapport agrave une deacutetermination nominale autre) soit

comme marque drsquoune inteacutegration syntaxique dans la relation de compleacutement de nom ou de

compleacutement de verbe transitif

laquo Plus drsquoun srsquoest cru autoriseacute agrave condamner la redondance dont teacutemoigne lrsquoaccord raquo 592 En

theacuteorie de lrsquoinformation selon le modegravele probabiliste de Claude Shannon et Warren Weaver

(1949) la redondance est lieacutee agrave lrsquoentropie drsquoun systegraveme crsquoest-agrave-dire agrave ce qui dans le systegraveme

ne produit pas drsquoinformation Ideacutealement et en particulier pour un ingeacutenieur des

teacuteleacutecommunications il apparaicirct laquo eacuteconomique raquo (y compris en dollars) de ne pas transmettre

la redondance En revanche drsquoun point de vue toujours technique et eacuteconomique la

redondance contribue agrave la fiabiliteacute drsquoun systegraveme srsquoil est deacutegradeacute par des laquo bruits raquo Je nrsquoai pas

retrouveacute les laquo plus drsquoun raquo qui auraient appliqueacute agrave la grammaire une telle laquo condamnation raquo

Jean Dubois lie grammaire et theacuteorie de lrsquoinformation dans Grammaire structurale du franccedilais

Nom et Pronom (1965) et deacuteveloppe agrave plusieurs reprises le thegraveme de la laquo redondance raquo mais

crsquoest pour en souligner lrsquoimportance (p 50) laquo Si la redondance a pour fonction essentielle

drsquoassurer lrsquoinformation elle a aussi pour fonction secondaire drsquoaffirmer la coheacutesion des

diverses parties ou constituants de lrsquoeacutenonceacute crsquoest-agrave-dire de renforcer la jonction du syntagme

nominal et du syntagme verbal dont la concateacutenation est la condition premiegravere de lrsquoexistence

formelle de lrsquoeacutenonceacute raquo

La thegravese de JG est plus preacutecise Pour lui la syntaxe est un processus de redondance en ce

qursquoil reprend une mecircme information sur plusieurs mots Cependant il srsquoagit drsquoune redondance

laquo abstraite raquo et non mateacuterielle parce qursquoune relation syntaxique laquo exprime raquo cette laquo reacutepeacutetition

du mecircme sur plusieurs raquo selon deux variantes de la marque Comparons par exemple le

franccedilais qui marque la relation drsquoeacutepithegravese par lrsquoeffacement de lrsquoarticle du second constituant

laquo la belle musique raquo et lrsquoheacutebreu (ou lrsquoarabe) qui reacutepegravete lrsquoarticle laquo ha-musiqa ha-jafa raquo De

Structure et signification 131

mecircme comparons au franccedilais cet eacutenonceacute Bassaaacute (langue Bantou du Cameroun) ougrave chaque

eacuteleacutement reacutepegravete son classificateur laquo Quatre nouveaux soldats srsquoen vont chantant raquo laquo bi-

sonda bi-mondo bi-na bi-nke bi-nlongue raquo81

Syntaxe et effacement

Le propos de 593 ndash 601 illustre la deacutefinition de la syntaxe rappeleacutee dans le paragraphe

preacuteceacutedent par un domaine particulier de relation syntaxique celui de laquo lrsquoanaphore raquo en tant

que mise en facteur commun du mecircme segraveme sur plusieurs mots ou laquo factorisation raquo Ce

concept est ensuite relieacute agrave celui plus geacuteneacuteral laquo drsquoeffacement raquo grammatical qui sera le thegraveme

principal du chapitre suivant JG anticipe ce nouveau thegraveme pour mieux lrsquoarticuler au propos

syntaxique preacutesent

La grammaire en elle-mecircme en tant que moment dialectique de neacutegativiteacute produit agrave la

fois de lrsquoabsence de deacutefinition et de lrsquoabsence drsquoassertion eacutetant entendu que laquo deacutefinition raquo et

laquo assertion raquo renvoient au raisonnement rheacutetorique moment dialectique de positivation du

dire et cela sur chacun des axes La grammaire au contraire tend agrave laquo nier raquo Singuliegraverement la

laquo redondance raquo formelle en syntaxe le montre bien au lieu de produire une forme inteacutegrale-

ment nouvelle chaque fois que lrsquoon ajoute un mot pour apporter un maximum drsquoinformation

comme le ferait un informaticien le locuteur grammairien laquo srsquoempecircche raquo drsquoapporter de

lrsquoinformation en redisant la mecircme forme Voilagrave bien un mode de laquo contra-diction raquo dialectique

un pocircle de laquo non-sens raquo

Ce thegraveme est agrave venir Pour lrsquoheure la neacutegativiteacute grammaticale est dite laquo eacuteconomiser raquo de

lrsquoinformation JG en propose divers exemples

Dans le cas de la relation syntaxique ndash projection du mecircme sur du plusieurs ndash lrsquoeffacement

(ou factorisation) marque selon les syntagmes soit laquo le manque de deacutefinition raquo soit laquo le

manque drsquoassertion raquo selon lrsquoaxe envisageacute 5937-8

Comme exemple de laquo manque drsquoassertion raquo on peut extraire du texte laquo la conjonctive raquo

qui en formulant un seul syntagme laquo Il faut venir raquo fait lrsquoeacuteconomie de deux assertions

formuleacutees dans une suite de deux verbes laquoVenez Il le faut thinspraquo La diffeacuterence est la mecircme pour

la relative laquo explicative raquo crsquoest-agrave-dire laquo preacutedicative raquo parce qursquoelle met en arriegravere-plan de la

preacutedication phrastique une assertion et non plus une deacutetermination laquo Il prit le pain qursquoil

rompit raquo plutocirct que laquo Il prit le pain Il le rompit raquo

Comme exemple de laquo manque de deacutefinition raquo on peut extraire du texte la relation

laquo drsquoadjectivation raquo qui met en facteur commun la deacutetermination nominale laquo Sur le petit raquo est

grammatical et rheacutetoriquement adeacutequat si je sais deacutejagrave agrave quoi je me reacutefegravere Dans le syntagme

laquo Sur le petit meuble raquo preacuteposition et deacuteterminant sont partageacutes entre les deux

laquo parenthegravemes raquo de ce schegraveme De sorte qursquoil est impossible de savoir dans laquo le pauvre

malade raquo lequel est adjectif de lrsquoautre sinon par le raisonnement seacutemantique

laquo [Faire apparaicirctre] lrsquoauthentique [identiteacute de] statut structural raquo entre relatives et

conjonctives 59313 Le paralleacutelisme proposeacute est entre ces deux constructions qui preacutesentent

toutes les deux un laquo manque drsquoassertion raquo du fait de la subordination laquo Il prit le pain qursquoil

rompit raquo et laquo cucurrit ut ceciderit raquo (Il courut si bien qursquoil est tombeacute)

81 Dans Ireacuteneacutee-Gilles Nyemb Analyse syntaxique du Bassaaacute Meacutemoire de maicirctrise de Sciences du langage (non publieacute)

132 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo Lrsquoellipse des constituants ‟personnelsrdquo de notre verbe [est] la seule leacutegitimiteacute grammati-

cale de la transitiviteacute raquo 593-601 Lrsquoideacutee est deacutejagrave dans la notion laquo drsquoactance raquo chez Lucien

Tesniegravere Les relations syntaxiques de type laquo anaphorique raquo sont marqueacutees par deux

contraintes conjointes Lrsquoune est lieacutee agrave lrsquoappartenance du radical du verbe agrave tel ou tel sous-

groupe Lrsquoautre agrave la preacutesence drsquoun second mot reacutegi et parfois accordeacute Prenons lrsquoexemple du

franccedilais

ndash La plupart des verbes preacutesentent une opposition de personne de type laquo jetuil) raquo

effaceacutee dans une relation transitive dite laquo sujet raquo Mais ce nrsquoest pas le cas de laquo Il pleut raquo ougrave

laquo il raquo est invariable

ndash Un sous-ensemble de verbes preacutesente une opposition de personne de type

laquo leluilesse raquo effaceacutee dans une relation transitive dite laquo objet direct raquo laquo Il le faut raquo peut se

deacutevelopper dans le syntagme laquo Il faut qursquoils viennent raquo et laquo Il les attend raquo en laquo Il attend ses

enfants raquo Mais ce nrsquoest plus vrai de laquo il dort raquo

ndash Idem pour la relation dite laquo drsquoobjet indirect raquo qui integravegre un verbe qui admet en outre

une opposition de personnes de type laquo luileur raquo telle que laquo Il les lui donne raquo Dans laquo Il les

donne agrave ses voisins raquo lrsquoeffacement du morphegraveme laquo lui raquo dans le verbe srsquoaccompagne de

lrsquoobligation de la preacuteposition dans le nom

Dans tous ces cas on observe une laquo ellipse raquo drsquoinformations deacutesormais valables pour

lrsquoensemble du syntagme laquo Un cas limite la forme de composition raquo 601 Exemple laquo un navire

eacutecole raquo masculin alors que laquo une eacutecole raquo est feacuteminin

Il existe aussi des cas ougrave laquo certaines variations cateacutegoriellement sont appeleacutees ordinale-

ment sont exclues raquo Deux domaines drsquoobservation sont eacutevoqueacutes Jrsquoy ajoute des exemples

- Lrsquoaccord laquo avec le plus rapprocheacute raquo en latin 601 Soit cette phrase de Jules Ceacutesar dans La

guerre des Gaules I 26 laquo Orgetorigis filia atque unus e filiis captus est (La fille dOrgeacutetorix et

un de ses fils y tombegraverent en notre pouvoir) raquo Le verbe est au singulier et son participe est au

masculin singulier en accord avec le seul terme laquo unus raquo et non avec les deux noms coordon-

neacutes laquo filia atque unus raquo

- La relation de sujet en breton 601 Agrave la 3e personne le pluriel du verbe comporte un

suffixe laquo Ne gouskont ket raquo (ilselles ne dorment pas) Le singulier du verbe preacutesente un

suffixe zeacutero laquo Ne gousk_ ket raquo (Ilelle ne dort pas) La relation de sujet entre un nom et un

verbe affirmatif montre lrsquoabsence de suffixe dans tous les cas laquo Ar vugale a gousk_ kalz Ar

bugel-mantilde a gousk_ kalz raquo (Les enfants dorment beaucoup Cet enfant dort beaucoup) De lagrave

la tradition conclut agrave la regravegle le verbe est toujours laquo au singulier raquo Noter cependant qursquoen

latin il srsquoagit drsquoune possibiliteacute alors qursquoen breton il srsquoagit drsquoune contrainte syntaxique stricte La

thegravese soutenue vaut donc avant tout pour le cas breton Le pluriel est laquo cateacutegoriellement

appeleacute raquo lorsque le verbe est seul du point de vue de son paradigme puisque le pluriel peut

toujours ecirctre choisi Il est laquo appeleacute raquo lorsque le contexte invite agrave ce choix laquo Sell ta ouzh ar

vugale Kousket a reont mat raquo laquo Regarde donc les enfants Ils dorment bien raquo (le verbe breton

affirmatif est auxilieacute lorsqursquoil est initial) La tradition a le tort drsquoen rester lagrave et de ne pas

comprendre que lrsquoabsence a une autre signification en matiegravere de syntaxe Le nombre est

laquo ordinalement exclu raquo par la relation syntaxique laquo Kousket a ra_ kalz ar vugale ar bugel raquo

(Les enfants dorment beaucoup Lrsquoenfant dort beaucoup) Lrsquoabsence de suffixe nrsquoest ni un

pluriel ni un singulier mais un effacement qui identifie le verbe et le nom du contexte

Structure et signification 133

laquo Y lire lindice de luniteacute supeacuterieure dun thegraveme dont nous avons dit quil fixait pour la tota-

liteacute du schegraveme le rang occupeacute dans le texte raquo 601 Le verbe efface le suffixe de personne

comme marque de lrsquoexistence de la relation sujet le laquo thegraveme raquo qui est ce qui vaut pour

lrsquoensemble du syntagme Ce nrsquoest plus une information propre agrave chaque mot du texte La

formulation laquo uniteacute supeacuterieure raquo appelle une remarque analogue agrave celle de laquo uniteacute partielle raquo

en 562 puisque la syntaxe laquo nrsquoaltegravere pas le caractegravere exclusivement contrastif (hellip) des mots raquo

553 Le terme laquo uniteacute supeacuterieure raquo est ici synonyme de laquo relation raquo relation qui seule alors

laquo compte raquo Le laquo rang raquo ne se rapporte qursquoagrave des relations et non agrave des eacuteleacutements

22 - La concateacutenation

Jean Gagnepain change de laquo face du signe raquo et passe agrave la phonologie Quelle est laquo la

syntaxe raquo des phonegravemes

Il lrsquoappelle laquo concateacutenation raquo 602 et recense les observations qui en phonologie structu-

rale ou en phoneacutetique plus traditionnelle peuvent offrir des pistes agrave lrsquoobservateur Je ne

retiendrai ici qursquoun cas celui de la notion laquo drsquoassimilation raquo en rappelant la deacutefinition

classique telle qursquoelle est exposeacutee notamment dans lrsquoarticle laquo Assimilation (phoneacutetique) raquo de

Wikipeacutedia Sous ce terme sont deacutecrits le plus souvent des pheacutenomegravenes phoneacutetiques lieacutes par

exemple agrave des diffeacuterences de deacutebit de la voix Le passage de laquo je ne sais pas raquo agrave laquo chais pas raquo

celui pour laquo lave-toi raquo de lavtwa agrave laftwa Ce nrsquoest pas de cela que parle JG sous le

concept de concateacutenation mais bien plutocirct de faits phonologiques obligatoires tels que au

sein du mecircme mot lrsquoimpossibiliteacute drsquoenchaicircner une consonne sonore et une sourde ou

lrsquoinverse (z+p z+t z+k ou bien k+z g+s On aura seulement drsquoune part disponible

et malgreacute lrsquoorthographe apsorbe (absorber) et syptil (subtil) La lettre laquo x raquo note soit ks

dans vɛkse (vexer) soit laquogz dans ɛɡzamɛ (examen) JG signale immeacutediatement la diffi-

culteacute agrave interpreacuteter ce genre drsquoobservations pour diverses raisons

Il faut drsquoabord bien distinguer entre un fait de phonologie laquo les lois du signifiant raquo 603 et

un fait de laquo morphonologie raquo terme qui deacutesigne la maniegravere dont la marque exploite les

phonegravemes pour laquo deacutenoter raquo les eacuteleacutements et les relations seacutemiologiques Prenons pour exemple

la mutation consonantique en breton qui est un cas de sandhi82 Soit un radical qui commence

par k tel laquo ki raquo (chien) Observons que derriegravere lrsquoarticle laquo ar raquo (le) la consonne doit ecirctre x

laquo Ar crsquohi raquo Srsquoil srsquoagissait drsquoun fait de concateacutenation phonologique il devrait ecirctre impossible de

trouver en breton une seacutequence R+k ce qui est deacutementi par les mots laquo ur park ur merk

arkaiumlk raquo (un champ une marque archaiumlque) En fait la restriction nrsquoapparaicirct qursquoau contact du

deacuteterminant et du radical et marque seacutemiologiquement leur solidariteacute dans le mot Il ne srsquoagit

donc pas lagrave drsquoun fait de concateacutenation phonologique mais drsquoun fait de seacutemiologie Ceci peut

ecirctre eacutetendu agrave lrsquoensemble des faits de mutation en breton qui ont un rocircle de marque lexicale

textuelle morphologique ou syntaxique

Autre distinction il faut laisser de cocircteacute les laquo restrictions idiomatiques aleacuteatoires raquo 603

telles que laquo Je ne sais pas je sais pas jrsquosais pas chais pas raquo pour ne garder que les laquo exclusions

grammaticalement exigeacutees raquo Toutefois celle qui est proposeacutee en fin de paragraphe continue

de poser ce mecircme problegraveme dire que le phonegraveme R agrave lrsquoinitiale drsquoun mot ne peut pas ecirctre

82 On appelle laquo sandhi raquo lrsquoensemble des alternances de traits agrave lrsquoinitiale ou agrave la finale drsquoun mot dues au contexte Le terme est emprunteacute agrave la tradition indienne La laquo liaison raquo en franccedilais est un laquo sandhi raquo de la consonne finale du mot laquo six raquo sis sis acircnes sizɑn six livres si_livr Les laquo mutations raquo dans les langues celtiques sont des laquo sandhi raquo de la consonne initiale du mot

134 Une lecture de Jean Gagnepain

suivi drsquoun phonegraveme de mecircme ou de moindre aperture (agrave savoir en gros une autre consonne)

demande que lrsquoon preacutecise que laquo agrave lrsquoinitiale raquo signifie soit laquo apregraves silence raquo (le plus souvent en

deacutebut de phrase) soit laquo agrave lrsquointeacuterieur drsquoun radical raquo Il faut en effet tenir compte de seacutequences

telles que laquo au rrsquotour en rrsquotard au rrsquovoir etc raquo ougrave la solidariteacute entre preacuteposition et radical

permet cette laquo fusion raquo Peut-on dire laquo Rrsquoviens Rrsquodis-moi ccedila raquo Quoi qursquoil en soit aucun

radical du franccedilais ne permet cette seacutequence contrairement au tchegraveque ougrave le r peut ecirctre

suivi drsquoune consonne comme lrsquoatteste la ville de Brno

Ce paragraphe 603 inclut l7 un deacutebat sur le concept de neutralisation (Cf 374-5 et

575) JG y voit un processus laquo paradigmatique raquo phonologique crsquoest-agrave-dire un fait de

correacutelation Or la tradition linguistique deacutefinit constamment la neutralisation comme une

reacuteduction drsquooppositions phonologiques due agrave la preacutesence drsquoun autre phonegraveme dans le

contexte Ceci correspond donc plutocirct agrave la deacutefinition de la concateacutenation Par exemple dans

un contexte (C)VC (syllabe dite fermeacutee) lrsquoopposition e ɛ chez les francophones qui la

pratiquent nrsquoest plus possible Face aux paires minimales laquo et est neacute naicirct raquo ou laquo theacute taie raquo

on ne peut dire laquo egravere aise nerf nef neige terre tecircte tel raquo qursquoavec le ɛ ouvert La

seacutequence (C) e C est exclue Autrement dit la preacutevisibiliteacute de la voyelle est augmenteacutee du

fait de la consonne suivante laquo creacuteant par lagrave une redondance raquo 603 Il est donc leacutegitime

drsquoavancer lrsquohypothegravese que les faits de neutralisation soient des faits de concateacutenation

Un laquo cluster raquo 603 est une seacutequence de plusieurs consonnes au sein du mecircme mot comme

dans stRikt ou wɛstfRɑs (Ouest-France) Crsquoest le lieu de restrictions importantes

notamment sur le trait de sonoriteacute

Appendice au propos de 604 La phonologie geacuteneacuterative ne peut eacuteviter ni laquo la premiegravere des

confusions raquo agrave savoir la diffeacuterence entre une concateacutenation phonologique (la neutralisation

dans la terminologie praguoise) et un fait de laquo morphologie raquo (cf la mutation consonantique

en breton) ni la seconde confusion entre fait phonologique et fait phoneacutetique

En conclusion 605 et 611 rappel est fait de la contradiction entre grammaire et

rheacutetorique entre laquo signification raquo et laquo contenu raquo entre laquo signifieacute raquo et laquo sens raquo et de la

preacutevalence de la premiegravere laquelle laquo fonde raquo la seconde Dans une phrase latine 611 telle que

laquo Dicunt Catullum Claudiam amare raquo mot agrave mot laquo Ils disent Catulle Claudia aimer raquo que lrsquoon

peut traduire soit par laquo Ils disent que Claudia aime Catulle raquo soit par laquo Ils disent que Catulle

aime Claudia raquo les deux noms doivent ecirctre agrave lrsquoaccusatif lrsquoun en raison de sa relation de sujet

avec un infinitif lui-mecircme en relation de compleacutement avec le verbe anteacuteceacutedent lrsquoautre en

raison de sa relation de compleacutement avec lrsquoinfinitif La construction est donc

grammaticalement ambivalente Mais crsquoest une donneacutee premiegravere du fait que tout

raisonnement est neacutecessairement formuleacute

3- Reacutefeacuterence et Incidence

Cette partie conclusive du chapitre consacreacute agrave la similariteacute et agrave la compleacutementariteacute ne

modifie pas lrsquoarchitecture du modegravele du paradigme et du syntagme laquelle est fondeacutee sur la

projectiviteacute des deux axes drsquoanalyse Elle propose une approche compleacutementaire de ces

processus en se centrant sur la notion de dialectique entre grammaire et rheacutetorique apregraves

avoir privileacutegieacute preacuteceacutedemment une approche analytique

Structure et signification 135

Preacutesentation du thegraveme Effacement eacutevidement et ellipse

Il est indispensable de relier la fin de la partie preacuteceacutedente et le deacutebut de celle-ci

laquo Or la signification est nous lavons dit fonction non du contenu dans lequel elle sinvestit

mais de notre aptitude agrave le nier et le signifieacute toujours inversement proportionnel au sens [hellip]

Il est indeacuteniable en effet que la grammaire culmine dans la signification du zeacutero et que

toute langue en mecircme temps quelle nous permet agrave la fois de dire ce que cest et de dire que

cest nous offre avec la possibiliteacute de gommer ses oppositions et ses contrastes le moyen de

ne nommer rien ni personne et deacutenoncer sans asseacuterer Cest ce que nous appelons leffacement

du segraveme ou du mot (hellip) raquo 611-2

Si ce rappel de la neacutegativiteacute du grammatical en tant que pocircle dialectique complegravete un

exposeacute sur la morphologie et la syntaxe crsquoest pour une raison profonde Il srsquoagit selon moi

drsquoeacuteviter que lrsquoexposeacute de la grammaticaliteacute en termes analytiques drsquoeacuteleacutements et de relations ne

conduise agrave une laquo hypostase raquo de la structure agrave un formalisme Il lui importe donc de parler

aussi de la structure selon lrsquoapproche dialectique drsquoeacuteprouver que la grammaire est un

processus de neacutegation formelle du contenu (laquo notre aptitude agrave la nier raquo)

Drsquoougrave le titre Reacutefeacuterence et incidence 612 Les deux termes sont ainsi deacutefinis laquo La reacutefeacuterence

et lrsquoincidence sont les deux relations antagonistes du signe soit agrave la structure qui le fonde soit

agrave la conjoncture dans laquelle il se reacuteinvestit raquo Seacuteminaire du 8 janvier 1976 (Et plus loin 633)

Il srsquoensuit une difficulteacute de lecture chaque fois que le raisonnement grammatical srsquoappuie sur

lrsquoobservation drsquoune reacutepercussion seacutemantique

Il srsquoagit pour JG drsquoobserver comment tant la cateacutegorisation paradigmatique que

lrsquoordination syntaxique procegravedent par laquo effacement raquo La grammaire se donne ainsi les moyens

drsquoeffacer les eacuteleacutements qursquoelle creacutee et drsquoaugmenter laquo lrsquoimproprieacuteteacute raquo le vide de contenu srsquoil

lrsquoon se place du point de vue de la reacutefeacuterence La fin du texte donne un indice compleacutementaire

de compreacutehension en 652 laquo Le signe du zeacutero peut par autoformulation se faire ainsi signe de

signe raquo [parce que] laquo la neacuteguentropie est sa loi raquo La neacutegativiteacute grammaticale peut donc

srsquoobserver dans laquo lrsquoeffacement du segraveme raquo lorsqursquoelle laquo gomme ses oppositions raquo sur lrsquoaxe

taxinomique ou dans laquo lrsquoeffacement du mot raquo lorsqursquoelle laquo gomme ses contrastes raquo sur lrsquoaxe

geacuteneacuteratif On laquo dit raquo alors du laquo zeacutero raquo de lrsquoabsence JG parlera aussi laquo drsquoeacutevidement raquo ou

laquo drsquoindeacutefinition raquo 641 dans le premier cas et laquo drsquoellipse raquo ou laquo drsquoincompleacutetude raquo dans le

second 624

Qursquoobserve-t-on agrave lrsquoappui de ces thegraveses

ndash Premier cas de figure laquo lrsquoeacutevidement raquo Il y a des constructions grammaticales ougrave lrsquoon laquo dit

ce que crsquoest raquo et qui produisent une laquo appellation raquo et drsquoautres ougrave un effacement grammatical

aboutit agrave dire laquo rien raquo agrave laquo ne nommer rien ni personne raquo 612 Processus de laquo non-

appellation raquo 623 Pour orienter le regard risquons un exemple sur un cas preacutesenteacute plus loin

Opposons laquo Le livreur passera raquo et laquo Qui passera raquo Dans le premier message la grammaire

du nom livre une information deacuteduite du lexegraveme on laquo dit que crsquoesthellip raquo un livreur agrave lrsquoexclusion

de tout autre lexegraveme laquo le facteur la Justice la migraine raquo etc Dans le second message la

grammaire du pronom suspend le choix du lexegraveme Cette information est laquo eacutevideacutee raquo Lorsque

le vide est combleacute par une information extraite de la situation lrsquoeacutevidement est alors eacuteprouveacute

comme un eacutevidement laquo reacutefeacuterentiel raquo et crsquoest un fait de morphologie nominale appeleacute

laquo pronom raquo Ce serait le cas de laquo Lui raquo deacutesignant quelqursquoun En revanche si je dis laquo Ouvre vite

au livreur qui passera raquo le mecircme laquo qui raquo reste dans le verbe vide de valeur lexeacutematique mais

136 Une lecture de Jean Gagnepain

retrouve celle-ci par laquo incidence raquo intragrammaticale dans la relation syntaxique entre le nom

anteacuteceacutedent et le verbe

ndash Second cas de figure laquo lrsquoellipse raquo Sur lrsquoaxe geacuteneacuteratif on peut seacutemantiquement

laquo asseacuterer raquo son eacutenonceacute et laquo dire que crsquoest raquo (ou laquo que ce nrsquoest pas raquo) Mais lrsquoeffacement

grammatical peut aussi aboutir agrave laquo eacutenoncer sans asseacuterer raquo 612 agrave de ne rien dire agrave suspendre

la preacutedication Processus de laquo non-assertion raquo 623 NB laquo Asseacuterer raquo est une variante de

laquo asserter raquo faire une assertion

Un exemple laquo Le livreur passera raquo (assertion) et laquo Le livreur passera-t-il raquo La forme

interrogative suspend lrsquoassertion Selon la situation une assertion affirmative ou interrogative

pourra ecirctre apporteacutee par la suite laquo par reacutefeacuterence raquo soit par reacutepeacutetition du verbe affirmatif soit

simplement par laquo Oui Non raquo Affaire encore de morphologie du verbe Le mecircme proceacutedeacute ndash la

postposition du morphegraveme personnel ndash peut aussi ecirctre exploiteacute laquo par incidence raquo interne agrave la

grammaire dans la construction correacutelative suivante laquo Passerait-il que je refuserais de le rece-

voir raquo Le premier verbe retrouverait son pouvoir drsquoassertion dans la succession de propos

suivante laquo Quand bien mecircme il passerait Dans ce cas je refuserai de le recevoir raquo

Jrsquoespegravere que ces quelques observations liminaires permettent drsquoobjectiver ne serait-ce

qursquoun cas particulier du processus double drsquoeacutevidement et drsquoellipse que lrsquoon retrouve agrave la fois

dans la morphologie et dans la syntaxe

Revenons au texte

Le processus geacuteneacuteral drsquoeffacement dit-il relegraveve de la neacutegativiteacute du grammatical de la

laquo signification du zeacutero raquo Il peut ecirctre marqueacute de toutes les maniegraveres La preacutecision apporteacutee ndash

laquo Le plus souvent par un chiffre raquo 612 ndash veut dire que la marque peut en ecirctre explicite Le zeacutero

en question nrsquoest qursquooccasionnellement une absence mateacuterielle de phonegraveme mais il est

toujours un effacement que lrsquoon peut repeacuterer par lrsquoun quelconque des laquo modes de

deacutenotation raquo Ainsi lrsquoeffacement de lrsquoassertion qui caracteacuterise la subordination peut ecirctre

marqueacute (notamment) par la conjonction laquo que- raquo agrave lrsquoinitiale du verbe conjonctif mais aussi par

une inversion du morphegraveme personnel dans lrsquoincise (laquo Attendez dit-il raquo) ou par le

laquo figement raquo dans lrsquoinfinitif (laquo Il souhaite venir raquo)

JG prend ensuite la preacutecaution de distinguer les termes laquo effacement raquo et laquo absence raquo

mateacuterielle de phonegraveme Il faut en effet se meacutefier drsquoune polyseacutemie possible du terme laquo zeacutero raquo

Il traite dans ce chapitre sous le nom drsquolaquo effacement raquo drsquoun processus geacuteneacuteral alors que

laquo lrsquoabsence significative raquo nrsquoest qursquoun des proceacutedeacutes de deacutenotation par lequel un fait

seacutemiologique peut ecirctre marqueacute quel qursquoil soit Ce peut ecirctre lrsquoindeacutefini pluriel de lrsquoanglais

laquo _Birds raquo par rapport au singulier laquo A bird raquo ou lrsquoabsence drsquoun morphegraveme dans le verbe due agrave

une relation syntaxique

Les deux figures de lrsquoeacutevidement

Le figement eacutevidement morpheacutematique

JG deacuteveloppe ce thegraveme en commenccedilant par un ensemble de cas ougrave cette signification du

zeacutero consiste en un laquo figement raquo du paradigme autrement dit un laquo eacutevidement morpheacutema-

tique raquo Lagrave ougrave la tradition voit un cas particulier du paradigme ndash cas de deacuteclinaison ou mode

verbal JG voit une suspension grammaticale de la variation creacuteant un laquo invariant raquo Vocatif

nominal impeacuteratif ou infinitif verbal preacutesenteraient des degreacutes drsquoinvariance Par exemple le

Structure et signification 137

vocatif latin serait agrave seacuteparer du systegraveme casuel Il signifie lrsquoeffacement de la flexion Crsquoest

freacutequemment le thegraveme la forme figeacutee du nom (Seacuteminaire du 6 mars 1975)

laquo Freacutequente collusion avec les formes de composition raquo 613 Soit laquo Des chauffe-biberons

des coupe-vent un pare-choc raquo (homophonie avec lrsquoimpeacuteratif) Ou encore laquo Du vouloir-dire

lrsquoecirctre-ensemble raquo Ou encore avec un indice particulier drsquoinvariabiliteacute le (-o-) de laquo lrsquoindo-

europeacuteen raquo

Autre exemple de cas de signification du zeacutero lrsquoadverbe dont le statut est alors opposeacute agrave

celui de lrsquoadjectif 614 Lrsquoadverbe comme lrsquoadjectif est laquo ad-joint raquo mais il est invariable Ce

figement peut ecirctre marqueacute par un suffixe (laquo agreacuteablement raquo) ou pas laquo (payer) cher raquo ou

requeacuterir un radical particulier (laquo ainsi raquo) Toutefois dans les deux premiers cas lrsquoadverbe

conserve avec lrsquoadjectif la possibiliteacute drsquoune laquo gradation raquo laquo tregraves plus moins etc raquo

laquo Lenclave lenclise ou linfixation ressortissent en somme au mecircme processus raquo 614 JG

pousse au bout son raisonnement sur lrsquoannulation des informations morpheacutematiques

Lrsquoenclave (ou incise) relegraveve encore drsquoun processus syntaxique laquo Je viendrai grommela-t-il si

tu lrsquoexiges thinspraquo Lrsquoenclise et lrsquoinfixation soudent morphologiquement les informations grammati-

cales au sein drsquoun seul et mecircme segment JG reprend une distinction classique par degreacutes de

solidariteacutes des informations entre enclitiques (laquo Pierre les leur donne raquo) et infixes Il est

probable qursquoil pense plus geacuteneacuteralement agrave laquo lrsquoaffixation raquo de preacutefixes et de suffixes Les

grammaires classiques appellent laquo infixes raquo les rares exemples ougrave une marque est inseacutereacutee au

milieu drsquoun radical pour marquer une opposition morphologique latin laquo vici raquo (parfait jrsquoai

vaincu) et laquo vinco raquo (preacutesent je vaincs) grec laquo eacutelǎbon raquo (aoriste jrsquoai pris) et laquo lambaacutenō raquo

(preacutesent je prends) Marc Wilmet parle drsquoinfixe dans des cas comme laquo cri-aill-er pleuv-in-er raquo

JG pense ici entre autres au contraste typologique du latin et du franccedilais Les preacutefixes

nominaux du franccedilais dits laquo articles raquo ainsi que les preacutefixes personnels verbaux peuvent ecirctre

confronteacutes aux pronoms deacutemonstratifs ou personnels du latin laquo ego je- ille le- et il- raquo De

mecircme alors qursquoAugustin disait laquo Venire habet raquo 83 (il a agrave venir) nous avons incorporeacute

lrsquoauxiliaire laquo avoir raquo agrave la fin du verbe laquo Il viendra raquo Au lieu de juxtaposer les informations en

autant de formes autonomes la grammaire fusionne lrsquoensemble

La suppleacuteance eacutevidement lexeacutematique

Statut du pronom Une correacutelation et une diffeacuterence existent au sein de lrsquoeacutevidement entre

laquo lrsquoeffacement morpheacutematique de la transformation raquo (le figement) et la laquo pronomination raquo

forme de laquo suppleacuteance raquo 615 Dans le premier cas ce sont les morphegravemes qui sont effaceacutes

dans le paradigme Dans le cas des pronoms crsquoest le lexegraveme qui est effaceacute La grammaire

geacuteneacuterative parle agrave leur propos de laquo GN sans Nom raquo (sans tecircte nominale) laquo Ne deacutenommant

rien (il) est apte agrave deacutesignerhellip la totaliteacute des items du type concerneacute raquo 621 Ainsi laquo le leur raquo

contrairement agrave laquo leur travail raquo est un laquo leur x raquo ougrave laquo x raquo est nrsquoimporte quel lexegraveme classeacute

masculin dans le contexte ou en situation Autrement dit la laquo suppleacuteance raquo est un eacutevidement

lexeacutematique de la transformation

Cependant les pronoms sont divers et proposent laquo une gamme drsquoeacutevanescence raquo 621 Le

deacutemonstratif lui-mecircme nrsquoest veacuteritablement laquo pronom raquo que lorsqursquoil conserve des morphegravemes

du type nominal laquo celui-ci celle-ci ceux-cilagrave raquo Il renvoie alors au contexte anteacuterieur ndash il est

83 Augustin eacutecrit agrave propos du Royaume de Dieu laquo Petant aut non petant venire habet raquo (Quon lappelle ou non il viendra) Citeacute par Michel Breacuteal Essai de seacutemantique science des significations Paris Hachette 1897 p28

138 Une lecture de Jean Gagnepain

seacutemantiquement anaphorique ndash ou posteacuterieur ndash il est seacutemantiquement cataphorique ndash ou

bien encore il renvoie agrave la situation elle-mecircme laquo Precircte-moi celui-ci raquo (masc) suppose que les

interlocuteurs connaissent la deacutenomination de la seacuterie drsquoobjets que lrsquoon deacutesigne agrave savoir des

laquo veacutelos raquo (masc) et non des laquo bicyclettes raquo (feacutem) Crsquoest le nom qui compte et non son sens Le

pronom deacutesigne lrsquoobjet en fonction de la maniegravere dont on le deacutenomme Talleyrand deacutesignait

dans ses courriers priveacutes les trois membres du Consulat (Bonaparte Cambaceacuteregraves Lebrun

1800-1804) respectivement et meacutechamment par les deacutemonstratifs latins laquo Hic haeligc hoc raquo84

Si lrsquoon en vient agrave effacer lrsquoensemble des morphegravemes nominaux on obtient un laquo pro-x raquo ougrave x

est nom ou verbe laquo Il va venir ndash Cela mrsquoeacutetonnerait thinspraquo Enfin laquo regarde-moi donc ccedila raquo ne

preacutejuge drsquoaucune formulation susceptible de dire ce qui se passe laquo Montrer raquo (deixis)

laquo dispense drsquoappeler raquo 621hellip ou drsquoeacutenoncer (Cf la notion de laquo pro-verbe raquo ci-dessous)

laquo Il nrsquoest pronom qursquoindeacutefini raquo 622 La formule est eacutevidemment agrave prendre dans le sens ougrave

lrsquoindeacutefinition tient au manque creacuteeacute par lrsquoeffacement du lexegraveme

laquo Seule lrsquooccasionhellip ou la reacuteflexiviteacute sature [le pronom (indeacutefini)] raquo Lrsquoopposition entre

laquo occasion raquo et laquo reacuteflexiviteacute raquo est agrave mettre en rapport avec lrsquoopposition entre laquo situation raquo et

laquo contexte raquo laquo Lrsquooccasion raquo reacutefegravere agrave la situation laquo laquo Range-moi ccedila thinspraquo La laquo reacuteflexiviteacute raquo est

celle de lrsquoanaphore de la relation au contexte anteacuterieur ou posteacuterieur de ce laquo renvoi raquo du

laquo Pro-x raquo au laquo x raquo nominal qui en est la cible laquo Un fusible ccedila se remplace thinspraquo

De la suppleacuteance agrave lrsquoellipse 623

Le deacutebut de ce paragraphe articule le propos preacuteceacutedent sur la suppleacuteance et celui sur

lrsquoellipse du fait de lrsquoambivalence des constructions Je rappelle que la suppleacuteance relegraveve de la

laquo non-appellation raquo tandis que lrsquoellipse produit une laquo non-assertion raquo

laquo On parle rarement de proverbes Ce nest pas quils nexistent pas mais outre que le

franccedilais na pas - ou plus - leacutequivalent dI do pour dire yes et quils ny sont pratiquement

repreacutesenteacutes que par ces articles verbaux si mal interpreacuteteacutes quon baptise des auxiliaires

leffacement du type correspondant porte moins en raison de sa speacutecialisation eacutenonciative sur

la teneur des segravemes que sur la preacutesence du mot de telle sorte que ce nest plus de

non-appellation mais bien de non-assertion quil sagit raquo

Le propos est nuanceacute Certes on passe du type nominal au type verbal mais ce dernier

nrsquoest pas pour autant sans laquo teneur en segravemes raquo donc susceptible de suppleacuteance Il reste qursquoil

laquo eacutenonce raquo qursquoil laquo asserte raquo Les deux aspects existent conjointement Toute la question est

drsquoobserver distinctement ces deux processus

La notion de laquo proverbe raquo proposeacutee au deacutepart par analogie avec les laquo pro-noms raquo ainsi que

celle drsquoauxiliaire me paraicirct relever tantocirct de la suppleacuteance et tantocirct de lrsquoellipse selon les faits

que lrsquoon examine Lrsquoexemple anglais proposeacute peut drsquoabord ecirctre compris dans une stricte

analogie avec un pronom Agrave mon sens le cas du laquo pro-verbe raquo faire celui de laquo I do I donrsquot raquo

ou du breton laquo Kousket a ra ndashGra Ne ra ket raquo (Dort-il ndashIl fait Il ne fait pas ) ou

encore du Gallo laquo Si fait Non fait raquo relegraveve de la suppleacuteance car lrsquoassertion est la mecircme dans

la reprise pleine que dans la reprise par le pro-verbe Le franccedilais peut faire de mecircme dans une

reprise telle que laquo Il a promis drsquoeacutecrire et il le fera Il peint et il le fait bien raquo Nous allons voir

que ce nrsquoest pas vrai des laquo auxiliaires - articles verbaux raquo

84 Agrave peu pregraves laquo Lui Elle Ccedila raquo Le laquo Hic raquo en question devenu Napoleacuteon qualifiera ainsi Talleyrand laquo Vous ecirctes de la merde dans un bas de soie raquo 28 janvier 1809 Saint-Cloud

Structure et signification 139

Auparavant et agrave partir drsquoexemples voisins on peut observer que le passage agrave la forme

interrogative de ces mecircme pro-verbes produit un effet drsquoellipse drsquoune assertion deacutejagrave poseacute

anteacuterieurement Franccedilais laquo Il faudrait qursquoil creuse nrsquoest-ce pas hellipmais le fera-t-il raquo

Anglais laquo Now letrsquos get on shall we raquo

En franccedilais standard on suppleacutee par un adverbe agrave la formulation drsquoun verbe dans la

construction laquo Je pense que oui non si raquo En effet la construction laquo compleacutetive raquo implique

un second laquo que-Verbe raquo et exclut un nom laquo Je pense que la table raquo Ces trois adverbes en

tant que tels sont deacutepourvus de tout lexegraveme et de toute information typique du verbe (temps

aspect) Il y a bien effacement du type et laquo ellipse raquo de la quasi-totaliteacute de ce que programme

un verbehellip sauf preacuteciseacutement de sa fonction assertive

Lrsquoauxiliariteacute interne au verbe

En revanche dans lrsquoauxiliariteacute de temps ou drsquoaspect - laquo Jrsquoai dormi je nrsquoai pas dormi je suis

sorti je ne suis pas sorti raquo - lrsquoassertion nrsquoest plus celle de lrsquoauxiliaire pro-verbe mais celle du

verbe tout entier Ici crsquoest bien laquo la preacutesence du mot raquo qui est en cause Il srsquoagit alors de laquo ces

articles verbaux si mal interpreacuteteacutes qursquoon baptise des auxiliaires raquo 6233-4 Examinons la

composition du verbe franccedilais Le fait est que les auxiliaires laquo avoir raquo et laquo ecirctre raquo sont des

morphegravemes flexionnels en franccedilais qui marquent les temps dits laquo composeacutes raquo par opposition

aux temps dits laquo simples raquo (Je suis venu jrsquoai attendu) Le programme verbal au lieu drsquoecirctre

construit autour drsquoun centre lexeacutematique par des preacutefixes et des suffixes morpheacutematiques est

alors construit en deux parties la premiegravere distribue les morphegravemes autour drsquoun centre vide

lrsquoauxiliaire et la seconde le participe formule le lexegraveme Autrement dit le laquo -av -raquo de laquo Nous

av-ons compris raquo dit qursquoil ne faut plus chercher agrave cet endroit le lexegraveme qui eacutetait preacutesent dans

laquo Nous compren-ons raquo parce qursquoil est formuleacute plus loin dans le programme du verbe De son

cocircteacute le laquo -is raquo de laquo nous avons compris raquo dit qursquoil ne faut plus chercher agrave cet endroit la

personne verbale parce qursquoelle a deacutejagrave eacuteteacute donneacutee dans la premiegravere partie du programme

Donc dans un certain sens dans les auxiliaires franccedilais comme dans les auxiliaires en laquo faire raquo

de lrsquoanglais ou du breton on peut parler de laquo pro-verbes raquo ou plus exactement de laquo pro - raquo

radical verbal La diffeacuterence avec le pronom est que celui-ci est un mot agrave lui seul tandis que

lrsquoauxiliaire verbal est un partiel de verbe un pro-radical qui renvoie au radical au sein du

mecircme mot Crsquoest le mode de construction lui-mecircme qui porte lrsquoinformation temporelle ou

aspectuelle dite laquo composeacutee raquo dans son opposition globale agrave la forme simple correspondante

Comparer le franccedilais laquo je viens je suis venu raquo au latin laquo venio veni raquo Et crsquoest la totaliteacute du

mot auxilieacute qui porte lrsquoassertion et non lrsquoauxiliaire lui-mecircme Lrsquoauxiliaire nrsquoa plus de valeur

assertive

Le contraste entre le verbe anglais et le verbe breton est inteacuteressant sur ce point Le verbe

anglais simple contemporain ne peut qursquoecirctre assertif laquo I know raquo Toute forme de non-

assertion neacutegative ou interrogative passe par lrsquoauxiliaire laquo do raquo laquo I donrsquot know do you thinspraquo

Crsquoest lrsquoinverse en breton Le verbe est simple srsquoil est neacutegatif laquo Nrsquoouzon ket raquo (Je ne sais pas)

tandis que la forme affirmative demande lrsquoauxiliaire laquo faire raquo laquo Gouzout agrave ran raquo mot agrave mot

laquo savoir- je fais raquo (On interroge selon des formulations diverses)85 Le point important dans

cette comparaison est qursquoil importe peu que lrsquoauxiliaire construise la forme affirmative

85 Deacuteveloppements dans Jean-Yves Urien 1990 laquo Fonction appellative et preacutedicative de lrsquoauxiliariteacute verbale en breton raquo in Lrsquoauxiliaire en question Travaux linguistiques du Cerlico vol2 Rennes Les PUR p67-94

140 Une lecture de Jean Gagnepain

(breton) ou une forme non affirmative seul le contraste compte Jrsquoen conclurai personnelle-

ment que ce type de fait ne concerne que la marque de la construction du mot verbal

laquo simple raquo ou laquo composeacutee raquo et non le processus drsquoeffacement traiteacute dans ce passage

Les modes verbaux

Le processus de laquo non-assertion raquo apparaicirct clairement lorsque lrsquoon met en perspective les

modes du verbe par rapport agrave la forme indicative On peut comprendre alors cette ideacutee de

laquo non-assertion raquo de deux maniegraveres compleacutementaires drsquoabord au niveau de la formulation

drsquoun verbe seul ensuite au niveau de la syntaxe

Lrsquoeffacement (relatif) peut concerner le verbe seul 623 Le mode interrogatif suspend

lrsquoassertion Lrsquoimpeacuteratif et lrsquoinfinitif (hors syntaxe) signifient une injonction qui situe le propos

hors de lrsquoexactitude ou de lrsquoinexactitude Ceci peut ecirctre testeacute agrave travers lrsquoopposition des

seacutequences suivantes Une information laquo Il est arriveacute ndash Crsquoest exact raquo versus une injonction

laquo Attendez -Crsquoest exact raquo ou laquo Attendre -Crsquoest exact thinspraquo La reacuteponse sera alors drsquoun autre

ordre que lrsquoassertion laquo Drsquoaccord Pas drsquoaccord thinspraquo

Lrsquoeffacement du type verbal peut aussi ecirctre syntaxiquement relatif agrave un verbe compleacutemen-

taire dans les constructions laquo correacutelatives raquo telles que laquo Viendrait-il que je lrsquoaccueillerais raquo

laquo Venez et on vous accueillera raquo86

Les laquo opeacuterateurs de discours raquo et les laquo adverbes pronominaux raquo

Il me semble plus clair drsquoinscrire ce passage dans la perspective plus large exposeacutee dans le

paragraphe 4 qui le suit On y traite de tout un ensemble de formes grammaticales qui

accompagnent lrsquoassertion elle-mecircme la sortent de son isolement et la relativisent Entrent

dans ce cadre laquo lrsquoexpression grammaticale raquo de lrsquoaffirmation et le renforcement rheacutetorique de

celle-ci par des formules laquo asseacuteveacuteratives raquo 624 Il srsquoagit grammaticalement drsquoadverbes laquo Il

fait vraiment froid raquo laquo Absolument raquo ou laquo Naturellement raquo au lieu de laquo Oui raquo Jrsquoajouterai

qursquoun auxiliaire peut aussi avoir cette fonction asseacuteveacuterative Crsquoest vrai aussi bien du laquo do raquo

anglais dans laquo Il do protest raquo que de lrsquoauxiliaire laquo Bezrsquo raquo (ecirctre) du breton laquo Bezrsquo e crsquohellan raquo

(Je le peux vraiment ) laquo Bezrsquo e weler ivez bagou all raquo (On voit bien aussi dautres

bateaux)87

Il srsquoagit aussi de toutes les formulations argumentatives y compris celles laquo de la contesta-

tion raquo laquo Donc cependant pourtant pas seulement etc raquo voire laquo Naturellement il faut aussi

tenir compte dehellip raquo Ce dernier exemple rejoint lrsquoideacutee de laquo double jeu raquo eacutevoqueacutee par JG

62311 Sont prises en compte ici toutes les maniegraveres de relativiser lrsquoassertion (interrogation

exclamation) jusqursquoagrave la nier Lrsquoexemple de lrsquointerrogation est deacuteveloppeacute dans le paragraphe 4

suivant

Lrsquoallusion agrave lrsquoexistence drsquolaquo adverbes pronominaux raquo 62312 est plus deacutelicate agrave comprendre

Pour autant que le franccedilais soit concerneacute la terminologie utiliseacutee deacutesigne traditionnellement

les morphegravemes laquo -en- raquo et laquo -y- raquo dans la morphologie du verbe preacutesents dans laquo Il en reste il

y arrive raquo JG preacutecise qursquoil traite ici de la seule laquo non-assertion raquo et attire donc lrsquoattention sur

86 Cette relation syntaxique a eacuteteacute eacutetudieacutee de maniegravere approfondie par Suzanne Allaire dans Le modegravele syntaxique des systegravemes correacutelatifs

87 Jean-Yves Urien 1990 laquo Fonction appellative et preacutedicative de lrsquoauxiliariteacute verbale en breton raquo in Lrsquoauxiliaire en question Travaux linguistiques du Cerlico vol2 Rennes Les PUR p67-94

Structure et signification 141

le verbe en raison ndash dit-il ndash de laquo la speacutecialisation eacutenonciative raquo de ce type 623 La difficulteacute

tient agrave ce que JG fait le va-et-vient entre concepts grammaticaux (les types) et concepts

seacutemantiques au nom de la dialectique La grammaire est pour lui une contre rheacutetorique Elle

nrsquoest pas un vide de sens mais un processus drsquoeacutevidement du sens Cf supra 72 laquo Dans une

conception dialectique plein et vide ne se deacutefinissent que par leur contradiction mutuelle

Aucune nrsquoa la prioriteacute sur lrsquoautre raquo88 Sinon on risque drsquohypostasier la forme grammaticale

Ce questionnement me paraicirct neacutecessaire lorsque lrsquoon observe le statut des laquo adverbes

pronominaux raquo (ou laquo pronoms adverbiaux raquo ) En effet laquo -en - raquo et laquo -y - raquo infixes verbaux

peuvent ecirctre aussi bien laquo pro-noms raquo marque de laquo non-appellation raquo que laquo pro-verbes raquo

marque de laquo non-assertion raquo Jrsquoentends ainsi que ces morphegravemes marquent au sein du verbe

la possibiliteacute drsquoune relation syntaxique ou drsquoune anaphore contextuelle soit avec un nom soit

avec un verbe

Lrsquoeacutenonceacute suivant montre cette ambivalence laquo Jrsquoy arrive raquo Observons ce verbe dans le

contexte drsquoun reacutecit laquo Il me donne rendez-vous agrave Nevers Jrsquoy arrive Il nrsquoest pas lagrave raquo On

comprend ici que laquo -y- raquo integravegre dans le verbe lrsquoinformation que dit le mot nominal laquo agrave

Nevers raquo La grammaire creacutee donc une laquo non-appellation raquo du fait que lrsquoon ne dit pas quel est

le lieu mais que seacutemantiquement on le sait quand mecircme par ailleurs Observons-le

maintenant dans cet autre contexte laquo Je recule Jrsquoy arrive avec difficulteacute raquo Le morphegraveme

laquo -y- raquo repreacutesente dans le verbe lrsquoassertion preacuteceacutedente Le syntagme correspondant serait

laquo Jrsquoarrive agrave reculer raquo Dit seul laquo Jrsquoy arrive raquo dispense de lrsquoassertion lieacutee agrave un verbe En ce sens

crsquoest un laquo pro-verbe raquo On a ici grammaticalement une laquo non-assertion raquo du fait lrsquoon ne dit

pas ce qui srsquoest passeacute mecircme si seacutemantiquement on le sait par ailleurs En ce qui concerne le

morphegraveme laquo -en- raquo on peut penser agrave laquo Jrsquoai arrecircteacute tout de suite Je mrsquoen souviens bien raquo Dis

seul laquo Je mrsquoen souviens bien raquo peut repreacutesenter dans le verbe un eacutenonceacute geacuteneacuterique qursquoil

preacutesuppose

laquo Leur absence se trouve chez nous deacutenoter lrsquoautonomie raquo (du verbe) 623 Ceci est peut-

ecirctre un essai de rendre compte de la diffeacuterence entre laquo Je travaille raquo et laquo jrsquoy travaille raquo

Toutefois la deacutefinition du mot uniteacute autonome deacutefendue par JG oblige agrave consideacuterer que

lrsquoune et lrsquoautre de ces formulations sont laquo drsquoune inteacutegrale simpliciteacute raquo grammaticale tout

autant que laquo Je crois raquo et laquo Je le crois raquo Il est remarquable que le sens du lexegraveme soit

eacuteventuellement affecteacute par la preacutesence du morphegraveme

La mention de lrsquoadverbe laquo naturellement raquo autorise agrave penser que JG ne limite pas son

analyse agrave lrsquoexamen des morphegravemes verbaux laquo -en--y- raquo Le mecircme processus est envisageable

dans la relation drsquoun verbe agrave un compleacutement immeacutediat comme on peut lrsquoobserver dans ce que

les germanistes appellent aussi laquo adverbes pronominaux raquo Alld laquo dafuumlr raquo anglais laquo therefor raquo

(pour cela) neacuteerlandais laquo daarmee hiermee ermee raquo (avec ceci cela) Alld laquo Ich bitte dich

darum (Je trsquoen prie) laquo Der brief liegt nicht mehr darin raquo (La lettre nrsquoy est plus) Comme pour le

franccedilais laquo Jrsquoy viens raquo laquo Jrsquoen parle raquo ces formulations ancrent lrsquoassertion dans un contexte

ou une situation Lrsquoexemple du neacuteerlandais et en partie de lrsquoallemand montrent que ces

formules peuvent entrer dans une authentique construction syntaxique de subordination

Ainsi est-il obligatoire en neacuteerlandais de formuler dans la proposition principale un laquo adverbe

pronominal raquo cataphorique correacutelatif pour eacutenoncer qursquoelle nrsquoest pas indeacutependante mais

qursquoelle est lieacutee agrave une subordonneacutee laquo De lerares is ervan overtuigd dat je de les niet hebt

88 Seacuteminaire du 5 mai 1977 laquo Les limites de la connaissance raquo

142 Une lecture de Jean Gagnepain

gestudeerd raquo89 (Mot agrave mot laquo Le professeur est de ceci convaincu que tu nas pas eacutetudieacute ta

leccedilon raquo) Lrsquoideacutee geacuteneacuterale serait donc que la preacutesence de ces formules relie lrsquoassertion verbale

au contexte ou agrave la situation tandis que leur absence laquo deacutenote lrsquoautonomie raquo de lrsquoassertion et

lrsquoisole 62312 En revanche la preacutesence drsquoun adverbe argumentatif tel que laquo pourtanthellip raquo

implique que lrsquoassertion nrsquoest pas isoleacutee et qursquoelle est relieacutee agrave une autre assertion dans un

raisonnement

Le double statut de la neacutegation et de lrsquointerrogation grammaticale

Pour JG la diffeacuterence traditionnelle faite entre interrogation ou neacutegation partielle et

interrogation ou neacutegation totale est une premiegravere prise de conscience de laquo La biaxialiteacute de la

Verneinung raquo 631 Cependant la terminologie employeacutee (laquo total partiel raquo) ne permettait pas

laquo drsquoen saisir le principe raquo 625 En effet lrsquoideacutee que lrsquoune concerne toute la phrase et lrsquoautre un

seul des mots de cette phrase a une porteacutee explicative quasi nulle On suppose seulement

qursquoune phrase est une addition de plusieurs mots car on ne peut mettre en relation quantita-

tive une partie et un tout que srsquoil srsquoagit de concepts de mecircme statut Sinon on additionne des

torchons et des serviettes comme on le dit vulgairement Crsquoest pourquoi seule lrsquoanalyse de

cette opposition en termes de biaxialiteacute apporte une veacuteritable explication

Lrsquoutilisation ici du terme allemand (Verneinung) pour laquo (deacute)neacutegation raquo me semble avoir

pour fonction drsquoeacutetendre le thegraveme agrave lrsquoensemble des faccedilons de ne pas asserter au-delagrave de la

forme grammaticale de la neacutegation puisqursquoil est aussi question ici de lrsquointerrogation Le terme

allemand inclut lrsquoideacutee de laquo deacuteni raquo de laquo refus raquo un thegraveme important pour Freud

Le thegraveme de la laquo biaxialiteacute raquo renvoie agrave la diffeacuterence entre la logique qualitative de

lrsquoappellation et celle quantitative de lrsquoassertion JG part de la phrase laquo Petrus venit heri

domum raquo (Pierre est venu hier agrave la maison)

Dans la premiegravere seacuterie drsquoexemples interrogation et neacutegation sont laquo appellatives raquo parce

qursquoelles remettent en question le choix rheacutetorique drsquoun lexegraveme Lrsquointerrogative suspend le

choix des noms et de lrsquoadverbe laquo Quis Qui raquo laquo Quando Quand raquo laquo Quo Ougrave raquo tandis

que lrsquoadverbe ou le pronom neacutegatif annule lrsquohypothegravese drsquoun choix laquo Nullus Personne raquo

laquo Nunquam Jamais raquo laquo Nusquam Nulle partthinspraquo

Interrogation et neacutegation peuvent ecirctre aussi laquo preacutedicatives raquo et porter sur lrsquoassertion elle-

mecircme laquo Venit-ne raquo (Est-il venu ) et laquo Non venit raquo (Il nrsquoest pas venu)

On mesure ici le progregraves de lrsquoanalyse par rapport agrave la terminologie traditionnelle qui ne fait

que distinguer laquo lrsquointerrogation partielle raquo et laquo lrsquointerrogation totale raquo sans remonter aux

processus fondamentaux de la biaxialiteacute

En latin laquo la tendance agrave la cristallisationhellip raquo 631 nrsquoavait pas abouti La laquo cristallisation raquo

eacutevoqueacutee ici renvoie agrave la tendance agrave lier verbe et assertion et nom et appellation JG rappelle

ici que la biaxialiteacute de laquo lrsquoeffacement raquo ne recouvre pas lrsquoopposition des types morphologiques

nom et verbe Il y a de lrsquoappellation dans le verbe et on peut preacutediquer avec un nom

Cette dichotomie deacuteborde lrsquoopposition du verbe et du nom laquo comme le prouve la

privation raquo 631 Il existe en effet une neacutegation nominale et adjectivale morphologiquement

marqueacutee par des preacutefixes laquo in- deacute- non- raquo dits laquo privatifs raquo laquo Injustice inaction impossible

deacuteraison non-assistance non-retour raquo

89 Source httpwwwnlfacilecomadverbes-pronominaux-neerlandais_2_26264htm

Structure et signification 143

JG montre alors que la notion laquo drsquoeffacement raquo grammatical permet de relier des faits

traditionnellement disperseacutes 632 En latin respectivement la neacutegation laquo non raquo lrsquoexplication

laquo enim raquo (laquo en effet raquo) et lrsquointerrogation laquo -ne raquo

Seacuteries du latin (1) laquo nam raquo (en effet) laquo num raquo (Est-ce que ) laquo nempe raquo (Nrsquoest-ce pas ) et

(2) laquo ndashdam raquo (Quidam quelqursquoun) laquo dum raquo (pendant que) laquo ndashdem raquo (idem le mecircme)

laquo Leurs eacutequivalents attiques raquo laquo γάρ raquo (en effet) laquo ᾗ raquo (par ougrave comme) laquo ὅτε raquo (lorsque

puisque) laquo ὅταν raquo (aussi souvent que)

Autre remarque en 633 il ne faut pas sous preacutetexte drsquohistoire laquo reacutepartir [de maniegravere]

fortuite les modes de saturation raquo selon qursquoon les envisage sous lrsquoangle seacutemantique de la

laquo reacutefeacuterence raquo ou sous lrsquoangle grammatical de laquo lrsquoincidence raquo Rappel La reacutefeacuterence est laquo le

rapport du signe agrave la conjoncture raquo crsquoest-agrave-dire la rheacutetorique ici la seacutemantique Lrsquoincidence est

laquo le rapport du signe agrave la structure raquo crsquoest-agrave-dire la grammaire ici la seacutemiologie (en particulier

la syntaxe) Chacun des laquo modes de saturation raquo peut ecirctre envisageacute selon ces deux points de

vue Ce thegraveme est traiteacute dans les paragraphes qui suivent 634-5

Figures de la correacutelation

Les termes traditionnels laquo ad-jectif sub-jonctif ad-verbe raquo 634 privileacutegient lrsquoaspect

grammatical laquo incidental raquo de ces faits On souligne la relation syntaxique qursquoils construisent

avec un autre mot (eacutepithegravese attribution subordination etc dans la tradition)

Il faut donc rappeler leur fonction drsquoeffacement de la reacutefeacuterence Sans doute JG pense-t-il

au sens qursquoils prennent hors syntaxe lorsqursquoils sont formuleacutes seuls laquo Superbe Qursquoil vienne

Probablement thinspraquo Chacun de ces trois mots laquo sature raquo une assertion Lrsquoauteur deacuteveloppe

ensuite le double aspect grammatical et rheacutetorique de lrsquoensemble laquo interrogatif raquo et laquo relatif-

conjonctif raquo 634 Drsquoun cocircteacute on a la relation seacutemantique entre question et reacuteponse et de

lrsquoautre celle syntaxique de la subordination correacutelative Les mecircmes formes sont utiliseacutees en

hittite laquo Lequel Celui-lagrave raquo et laquo Quel N + V1 celui-lagrave + V2 raquo ou bien laquo Quand Alors raquo et

laquo Quand + V1 alors + V2 raquo Agrave la reprise drsquoune partie de la forme entre pronom interrogatif et

reacuteponse (latin Quid Id ) correspond une correacutelation syntaxique

Le latin est agrave nouveau convoqueacute agrave travers une construction deacuteroutante pour lrsquoeacutelegraveve franco-

phone du lyceacutee classique Il srsquoagit de la laquo regravegle raquo90 laquo Quam quisque norit artem in hac se

exerceat raquo (Ciceacuteron) 635 laquo Que chacun srsquoexerce dans lrsquoart qursquoil connaicirct raquo Mot agrave mot

laquo Lequel1 chacun connaicirct art1 ndash dans celui-ci1 qursquoil srsquoexerce raquo laquo Lequel raquo renvoie agrave laquo art raquo et

laquo chacun raquo renvoie agrave la 3e personne des verbes Lrsquoanalyse traditionnelle parle alors de

laquo prolepse raquo du nom laquo ars raquo agrave lrsquointeacuterieur de la relative (et au cas du relatif) ce qui diffegravere de la

construction calque du franccedilais qui serait laquo Quisque se exerceat in (hac) arte quam noritraquo

laquo Que chacun srsquoexerce dans (cet) art qursquoil connaicirct raquo Le nom laquo arte raquo serait agrave lrsquoablatif compleacute-

ment du verbe principal laquo se exerceat raquo et anteacuteceacutedent de la relative Le deacutemonstratif laquo hac raquo

est alors redondant Lrsquoanalyse de JG respecte les faits du latin srsquoappuie sur la structure du

hittite pour deacutemontrer qursquoil srsquoagit drsquoune structure correacutelative laquo Quam raquo et laquo hac raquo marquent

une relation drsquoanaphore grammaticale (feacuteminin singulier) dans leur relation au nom laquo ars raquo et

marquent aussi la dispariteacute (relatif en laquo qu- raquo deacutemonstratif) qui caracteacuterise la subordination

entre les deux verbes laquo Quel art chacun connaicirct qursquoil srsquoy exerce raquo Le syntagme final reprend

90 Pont aux acircnes du potache latiniste drsquoautrefois Redoutable regravegle 146 de la Grammaire latine de lrsquoabbeacute H Petitmangin (1912 ) Toujours disponible dans les bonnes librairies

144 Une lecture de Jean Gagnepain

par un anaphorique (laquo in hac raquo) une information nominale contenue dans le syntagme initial

(laquo quam raquo) Il nrsquoest plus question drsquoun laquo anteacuteceacutedent raquo ni drsquoune laquo relative raquo (dans le sens

traditionnel de ces termes)

La conclusion en 641-2 explicite la notion de laquo diaphore raquo ndash laquo anaphore et cataphore raquo La

terminologie (se reporter agrave ce qui preacutecegravede ou agrave ce qui suit) dit le fait incidental auquel

correspond laquo lrsquoeacutevidement reacutefeacuterentiel raquo par laquo indeacutefinition ou ellipse raquo 641 Il ne reste en effet

dans la forme grammaticale des pronoms relatifs ou encore dans celle des morphegravemes

personnels du verbe que lrsquoinformation minimale qui permet la relation avec leur laquo cible raquo

nominale dans le contexte Dans laquo Lrsquohomme qui rit raquo laquo qui raquo ne reacutefegravere agrave rien de la situation il

est laquo vide raquo de reacutefeacuterence au profit du nom avec lequel il est en relation syntaxique de

subordination

Il est important de laquo placer sous sa rubrique [celle de lrsquoeacutevidement reacutefeacuterentiel] la totaliteacute des

donneacutees raquo et de ne pas reacuteduire agrave laquo qui raquo (conjonctif anaphorique) et laquo que raquo (conjonctif non

anaphorique) les marques de subordination JG fait ici allusion aux Eacuteleacutements de la grammaire

latine de lrsquoabbeacute Lhomond ceacutelegravebre peacutedagogue du 18e siegravecle Cet ouvrage a eacuteteacute constamment

reacuteeacutediteacute au 19e siegravecle et a aussi servi de modegravele aux grammaires franccedilaises scolaires

Suit en 642 une seacuterie de reacutefeacuterences agrave des langues dont je vais donner des exemples

- La relative allemande utilise les deacuteterminants nominaux (et deacutemonstratifs) laquo der die

das raquo comme anaphoriques laquo Der Mann der lacht raquo (Lrsquohomme qui rit)

- En grec ancien le pronom relatif et le pronom deacutemonstratif ne diffegraverent que par le preacutefixe

laquo αὐτ raquo qui caracteacuterise le second et srsquoapparentent au deacuteterminant nominal deacutefini

Au nominatif Relatif ὅς ἥ ὅ Deacutemonstratif αὐτός αὐτή αὐτό Article deacutefini ὁ ἡ τὸ

Agrave lrsquoaccusatif Relatif ὅν ἥν ὅ Deacutemonstratif αὐτόν αὐτήν αὐτό Article deacutefini τὸν τὴν τὸ

- Langues celtiques On peut citer le pronom emphatique du breton litteacuteraire et cleacuterical

laquo pe-hini raquo (lequel) composeacute de lrsquointerrogatif laquo pe- raquo et du deacuteterminant laquo hini raquo (un) que lrsquoon

trouvait dans le deacutebut du Notre-Pegravere laquo Hon Tad pehini zo en nentildev raquo

- Le franccedilais laquo lequel raquo combine aussi deacuteterminant et conjonctif en qu- identique agrave

lrsquointerrogatif

Lrsquoeacutetude du statut du laquo ne raquo dit laquo expleacutetif raquo 643 fait reacutefeacuterence au Grand Œuvre de lrsquooncle

Jacques Damourette et du neveu Eacutedouard Pichon alliance drsquoun grammairien et drsquoun psycho-

logue agrave savoir Des mots agrave la penseacutee Essai de grammaire de la langue franccedilaise 8 vol 1911-

1940 (4552 pages) Ces auteurs observent que dans lrsquoeacutenonceacute laquo Je crains qursquoun songe ne

mrsquoabuse raquo (Racine Phegravedre II 2) le laquo ne raquo nrsquoest pas neacutegatif contrairement agrave son statut dans cet

autre eacutenonceacute laquo Je crains qursquoil ne vienne pas raquo Ils donnent une interpreacutetation psychologique agrave

ce laquo ne raquo ce dernier marquerait une laquo discordance raquo entre le deacutesir inconscient du locuteur (de

ne pas laquo ecirctre abuseacute raquo) et la possibiliteacute contraire qursquoimplique le verbe (drsquolaquo ecirctre abuseacute raquo) JG en

propose une analyse tout autre il y voit un fait syntaxique drsquoanaphore laquo Anaphore raquo est peut-

ecirctre pris dans le sens plus large de laquo morphegraveme correacutelatif raquo laquo Ne raquo reprend syntaxiquement

lrsquoinformation laquo hypothegravese raquo contenue dans le contexte verbal ougrave le verbe 1 fait partie drsquoune

liste restreinte et ougrave le verbe 2 doit ecirctre au subjonctif La forme laquo hellipne-V2 raquo est alors un

partiel de la marque du syntagme La preacutesence de cette marque dans les systegravemes correacutelatifs

est bien plus large que ce cas Suzanne Allaire en 1977 en fait une eacutetude approfondie dans Le

modegravele syntaxique des systegravemes correacutelatifs (1982 eacuted Service de reproduction des thegraveses Lille

Structure et signification 145

III) En teacutemoigne par exemple dans le syntagme comparatif la construction laquo Lrsquoaffaire est plus

compliqueacutee qursquoon ne le croyait raquo (ibidem p253) Il faut prendre aussi en compte lrsquoopposition

entre laquo avant qursquoil ne vienne raquo hypotheacutetique puisqursquoorienteacute vers le futur et laquo apregraves qursquoil est

venu raquo factuel puisque passeacute En somme ce laquo -ne- raquo nrsquoest pas grammaticalement laquo expleacutetif raquo

puisqursquoil participe drsquoune formulation qui introduit une redondance syntaxique dans lrsquoeacutenonceacute

Il est neacutecessaire par ailleurs dit-il en 643 de laquo poserhellip la parfaite eacutegaliteacute du rapport raquo

entre le laquo -le- raquo de lrsquoeacutenonceacute laquo je viens tu le sais raquo (parataxe de deux eacutenonceacutes relieacutes par une

anaphore marqueacutee par laquo -le- raquo) et la conjonction laquo que- raquo de laquo tu sais que je viens raquo Dans

cette seconde relation syntaxique conjonctive un laquo que-V2 raquo est lieacute agrave un V1 ougrave laquo -le- raquo est

effaceacute laquo Tu (le) sais que je viens raquo JG propose donc drsquoeacutetudier agrave partir du premier eacutenonceacute

laquo une syntaxe de la ˮcopulationˮ parallegravele en tout point agrave celle de la ˮconjonctionˮ raquo

laquo Lrsquohomotaxie en est la preuve raquo 643 Constatant que JG est le seul agrave utiliser ce terme en

grammaire ndash ce qui lui vaut drsquoecirctre en tecircte de liste des reacutefeacuterences sur Google ndash il faut srsquoen

tenir au sens dans ce contexte (Huxley a utiliseacute le terme en paleacuteontologie ce qui nrsquoaide

guegravere) Contrairement agrave laquo lrsquoallotaxie raquo qui suggegravere un jeu de contraintes diverses

laquo lrsquohomotaxie raquo repose sur une identiteacute de contraintes autrement dit sur la reacutepeacutetition formelle

du mecircme laquo Je te plumerai les pattes et les ailes et la tecirctehellip alouette alouette raquo Les

exemples proposeacutes suggegraverent qursquoil oppose ainsi deux modes de marquage de la relation de

subordination laquo lrsquoallotaxie raquo qui utiliserait le contraste entre laquo V1 raquo et laquo que-V2 raquo (laquo Tu sais

que je viens raquo) et laquo lrsquohomotaxie raquo qui utiliserait la relation drsquoanaphore laquo V1 + le-V2 raquo ougrave

laquo -le- raquo = V1 (laquo Je viens tu le sais raquo)

Autre sens possible Lrsquohomotaxie est une homophonie syntaxique Dans lrsquoeacutenonceacute latin citeacute

preacuteceacutedemment laquo Dicunt Catullum Claudiam amare raquo 611 chacun des deux accusatifs peut

contribuer agrave construire une relation de compleacutement respectivement avec lrsquoun ou lrsquoautre verbe

Lrsquoun des accusatifs fait partie de la marque de la relation de compleacutement drsquoobjet direct qui

relie lrsquoun des noms et le verbe final laquo amare raquo (soit laquo aimer Catulle raquo soit laquo aimer Claude raquo)

Lrsquoautre accusatif fait partie de la marque de la relation de laquo compleacutetive infinitive raquo qui relie le

premier verbe et le syntagme laquo sujet raquo construit entre lrsquoun des noms et le verbe final agrave

lrsquoinfinitif Il y a donc deux analyses compleacutementaires possibles mot agrave mot laquo Ils disent ndash Catulle

aimer Claude raquo ou bien laquo Ils disent ndash Claude aimer Catulle raquo

laquo Sa theacuteorie se trouve mise en cause raquo 643 Il srsquoagit de la theacuteorie de la laquo copulation raquo Un

certain nombre de contextes consideacutereacutes comme des suites laquo drsquoindeacutependantes raquo contiennent

une forme de syntaxe par relation anaphorique ou correacutelative telle la seacutequence laquo Je viens tu

le sais raquo Ou mecircme laquo Je viens tu sais raquo qui est une relation de subordination et non la juxta-

position de deux verbes

Indeacutefinition et ellipse Relative et conjonctive

La suite 644 livre des preacutecisions sur la notion laquo drsquoincidence raquo Premier point

laquo lrsquoeffacement raquo en syntaxe peut concerner laquo le segraveme raquo ndash crsquoest laquo lrsquoindeacutefinition raquo dans la

relative ndash ou laquo le mot raquo ndash crsquoest laquo lrsquoellipse raquo dans la conjonctive Comment comprendre ces

formulations

JG reprend ici la terminologie traditionnelle laquo La relative raquo 644 est alors cette portion de

texte qui commence par le pronom relatif Soit laquo hellip qui rit raquo dans lrsquoeacutenonceacute laquo lrsquohomme qui rit raquo

Contrairement agrave laquo il rit raquo on ne peut plus deacutefinir laquo le sujet raquo en renvoyant agrave la situation Pierre

et non Paul Le laquo qui raquo creacutee une laquo indeacutefinition raquo un laquo eacutevidement incidental raquo qui est reacutesolu par

146 Une lecture de Jean Gagnepain

le renvoi anaphorique au nom laquo anteacuteceacutedent raquo Lrsquoindeacutefinition y est grammaticalement

laquo lexicale raquo crsquoest une laquo suppleacuteance raquo pronominale Et elle est seacutemantiquement

laquo appellative raquo comme dans lrsquointerrogation laquo Qui raquo Cela dit le syntagme relatif preacutesente

aussi une laquo ellipse raquo (effacement) de lrsquoassertion comme le reconnaicirct lrsquoauteur dans la phrase

suivante

laquo La conjonctive raquo peut ecirctre de mecircme illustreacutee par laquo hellipque tu viendras raquo Il faut comprendre

ici qursquoil y a laquo ellipse raquo de lrsquoassertion Contrairement agrave laquo tu viendras raquo qui dit que lrsquoeacutenonceacute est

complet laquo hellip que tu viendras raquo devient agrave lui seul laquo elliptique raquo et reporte la compleacutetude sur la

relation syntaxique toute entiegravere laquo Je sais que tu viendras raquo On a effaceacute une laquo quantiteacute raquo

drsquoinformation et non plus une laquo qualiteacute raquo Lrsquoeffacement par ellipse est grammaticalement

laquo textuel raquo et laquo efface raquo une assertion

laquo Lerreur est dans lune et lautre de parler de proposition car lassertion dans la premiegravere

nest quindirectement concerneacutee et son annulation dans la seconde rend grammaticalement le

verbe impreacutedicable raquo 644 (La premiegravere = la relative la seconde = la conjonctive)

Le propos sera repris plus tard par laquo Rien nest plus faux que la fameuse regravegle des eacutecolacirctres

autant de verbes autant de propositions raquo 924

JG deacutefinit la proposition dans le cadre de sa seacutemantique comme le preacutedicat assertif que

produit la totaliteacute drsquoune construction phrastique Dans la subordination conjonctive en

laquo hellipque-V2) le verbe est laquo directement raquo marqueacute grammaticalement comme impreacutedicable et

lrsquoassertion est reporteacutee sur lrsquoensemble du syntagme Tandis qursquoagrave propos de la subordination

relative JG hieacuterarchise deux faits syntaxiques imbriqueacutes lrsquoun dans lrsquoautre Le premier fait

speacutecifie la relative parmi les modes de subordination agrave savoir lrsquoanaphore entre le relatif et son

anteacuteceacutedent ce qui est un effacement de la deacutetermination Le second fait qualifieacute ici

laquo drsquoindirect raquo 644 est geacuteneacuterique il srsquoagit aussi drsquoune subordination de sorte que lrsquoassertion y

est aussi reporteacutee sur lrsquoensemble du syntagme La laquo relative raquo teacutemoigne donc agrave la fois drsquoune

laquo indeacutefinition raquo et drsquoune laquo ellipse raquo

laquo [Le verbehellip] fucirct-il rheacutetoriquement preacutediqueacute (hellip) comme le tour attributif le montre raquo Il

srsquoagit de constructions telles que laquo Jrsquoai rencontreacute Pierre qui se promenait raquo laquo Voici le train qui

arrive raquo Elles sont aussi appeleacutees laquo propositions relatives preacutedicatives raquo Le raisonnement

implique en effet que lrsquoon asserte que laquo Pierre se promenait raquo et que laquo le train arrivait raquo

Grammaticalement non preacutedicable le second verbe constitue cependant une relation seacuteman-

tique de preacutedication avec le nom qui le preacutecegravede Cela dit on remarquera que la laquo cible raquo du

pronom relatif peut ecirctre un morphegraveme du verbe principal et non pas un nom laquo Je lrsquoai rencon-

treacute qui se promenait Le voici qui arrive raquo Ceci est impossible dans le cas des autres relatives

Lrsquoeacutenonceacute laquo Regarde le train qui arrive raquo est ambivalent Soit on conccediloit laquo Regarde-le qui

arrive raquo (relative attributive) soit on conccediloit laquo Regarde parmi les trains celui qui arrive raquo

(relative laquo deacuteterminative raquo laquo appellative raquo) On ne peut plus paraphraser ce second raisonne-

ment par laquo Regarde-le qui arrive raquo qui est uniquement laquo attributif raquo Le fait qursquoil y ait dans ce

cas une relation entre deux verbes lieacutes par une relation anaphorique entre un morphegraveme

personnel du premier et le preacutefixe relatif du second augmente la solidariteacute seacutemantique de

lrsquoensemble comme le montrent aussi les paraphrases laquo Regarde-le arriver regarde lrsquoarriveacutee du

train raquo Noter aussi que lrsquoon retrouve une relation preacutedicative analogue lorsque lrsquoattribut est

un adjectif laquo Jrsquoaime les prunes noires raquo si lrsquoon entend laquo Je les aime noires raquo

Structure et signification 147

Ces preacutecisions ont pour but de laquo dissiper des malentendus raquo 644 En effet dans ces

deacuteveloppements sur lrsquoincidence JG fait un va-et-vient constant entre syntaxe et seacutemantique

Il rappelle ainsi qursquoil nrsquoy a pas de coiumlncidence entre les deux

Observation du processus laquo drsquoeffacement grammatical raquo dans le paradigme

Deux seacuteries de faits sont eacutevoqueacutees

Premier thegraveme laquo La pronomination ou la proverbation de lrsquoadverbe et de la preacuteposition raquo

651 Je supposerai ici qursquoil faut prendre les termes laquo adverbe raquo et laquo preacuteposition raquo dans leur

deacutefinition traditionnelle Apregraves divers essais de lecture et le constat que lrsquohypotheacutetique laquo

proverbation de la preacuteposition raquo me laissait perplexe je risque une recherche de trois cas La

pronomination de la preacuteposition la pronomination de lrsquoadverbe et sa proverbation

En quel sens peut-on dire que lrsquoon a affaire agrave la laquo pronomination de la preacuteposition raquo On a

vu que la pronomination est un cas drsquoeffacement grammatical parce qursquoil laquo fait le vide raquo du

lexegraveme tout en restant une modaliteacute du type nominal En toute hypothegravese les preacutepositions

seules tiendraient lieu de nom dans les structures ougrave elles sont en relation syntaxique avec un

verbe laquo Je viendrai avec raquo laquo Je suis contre raquo ougrave lrsquoon fait lrsquoeacuteconomie de la totaliteacute du nom (La

limite est eacutevidemment probleacutematique avec lrsquoadverbe laquo Depuis il marche raquo)

La laquo pronomination de lrsquoadverbe raquo quant agrave elle est deacutejagrave eacutevoqueacutee par JG en 623 lorsqursquoil

reprend agrave la tradition lrsquoappellation laquo adverbes pronominaux raquo pour deacutesigner les enclitiques

verbaux laquo en raquo et laquo y raquo Nous avons observeacute plus haut qursquoeffectivement ces morphegravemes

peuvent fonctionner comme des suppleacuteants du nom srsquoils reprennent dans le verbe

lrsquoinformation contenue dans un nom du contexte autrement lorsqursquoils ont une fonction

seacutemantique anaphorique ou cataphorique Soit laquo Tu eacutetais agrave Marseille Jrsquoen viens raquo laquo Jrsquoy ai

veacutecu agrave Marseille raquo

Enfin la proverbation de lrsquoadverbe peut ecirctre observeacutee au moins dans deux types de cas

selon lrsquoextension que lrsquoon donne au terme laquo adverbe raquo qui lrsquoon sait est bien polyseacutemique

Rappelons que le terme laquo proverbe raquo est utiliseacute par JG dans un sens tregraves particulier en 623-4

Le critegravere invoqueacute est que les formes en question teacutemoignent laquo drsquoun effacement du type raquo (Je

comprends que lrsquoeffacement peut ecirctre relatif comme dans le cas alors invoqueacute de lrsquoimpeacuteratif)

Le laquo proverbe raquo tel qursquoil est maintenant envisageacute est un cas de suppleacuteance du verbe par un

autre type de mot De quelle maniegravere lrsquoadverbe peut-il rentrer dans ce cadre

- Drsquoune part on peut reprendre ici lrsquoexemple des enclitiques verbaux laquo en y raquo puisque

ceux-ci peuvent aussi fonctionner comme des laquo pro-verbes raquo dans le sens ougrave ils dispensent de

la formulation drsquoun verbe lorsqursquoils renvoient agrave une assertion formuleacutee par un verbe dans le

contexte Soit laquo Jrsquoai couru je mrsquoen souviens bien raquo ou laquo Jrsquoessaie de dormir je nrsquoy arrive

pas raquo

- Drsquoautre part on peut imaginer que JG envisage le cas de lrsquoemploi des adverbes laquo oui

non si raquo dans un eacutenonceacute compleacutetif tel que laquo Je crois que oui que non que si raquo ougrave la

conjonction laquo que- raquo montre qursquoils entrent clairement dans le modegravele verbal (Voir supra 623)

Peut-on aussi envisager le cas de lrsquoadverbe dit laquo drsquoeacutenonciation raquo laquo franchement tu as tort raquo

Second thegraveme laquo lrsquoarticulation raquo et laquo lrsquoauxiliation raquo sont laquo en abscisse raquo (en morphologie)

laquo lrsquoexact eacutequivalent de ce qursquoest lrsquoanaphore en ordonneacutee raquo (en syntaxe) 6515-6 Glosons

drsquoabord la relation eacutetablie entre anaphore et auxiliaires De mecircme que lrsquoeacuteleacutement anaphorique

est une laquo reacuteduction raquo quantitative drsquoinformation puisqursquoil a pour cible un autre mot avec

lequel il constitue une relation syntaxique de mecircme en morphologie lrsquoauxiliaire au sein du

148 Une lecture de Jean Gagnepain

mot verbal est une laquo reacuteduction raquo qualitative drsquoinformation puisqursquoil est vide de lexegraveme et

construit le verbe conjointement avec un laquo participe raquo purement lexeacutematique Par exemple

les deux formes du paradigme verbal laquo il gagne raquo et laquo il a gagneacute raquo ne sont lrsquoune et lrsquoautre qursquoun

seul verbe La forme composeacutee se caracteacuterise par le fait que la partie laquo auxiliante raquo laquo Il a- raquo

preacutesente un effacement incidental (grammatical) du lexegraveme compenseacute par la partie

laquo auxilieacutee raquo qui nrsquoest elle que lexeacutematique et qui complegravete le verbe Cf 623

Lrsquoeacutevocation de laquo lrsquoarticulation raquo me semble un passage agrave la limite du raisonnement Posons

en preacutealable que laquo articulation raquo renvoie agrave laquo articles raquo crsquoest-agrave-dire aux deacuteterminants

nominaux En effet si lrsquoon veut rester dans le cadre du raisonnement paradigmatique on ne

peut observer le correspondant nominal de lrsquoauxiliation que dans la relation entre article et

adjectif dans la structure dite laquo adjectif nominaliseacute raquo laquo (je veux) le grandla grande raquo On peut

analyser ce mot comme une forme laquo auxilieacutee raquo de nom En effet ce nrsquoest pas un syntagme

mais un mot unique ougrave lrsquoarticle et un eacuteventuel suffixe regroupent lrsquoensemble de la deacutetermina-

tion y compris le genre tandis que laquo lrsquoadjectif raquo fournit le lexegraveme Notons en effet que le

genre de lrsquoadjectif nrsquoest pas celui de son lexegraveme ndash ce dernier nrsquoeacutetant pas classeacute a priori comme

lrsquoest le lexegraveme nominal ndash mais celui drsquoun autre nom du contexte ou de la situation et qui est

grammaticalement effaceacute

Conclusion Effacement et dialectique

Conclusion du thegraveme du processus de laquo lrsquoeffacement incidental raquo 652-3 et 66 et

deacuteveloppement selon lrsquoaxe taxinomique 652-3 puis geacuteneacuteratif 66

JG relie agrave nouveau le thegraveme de lrsquoeffacement agrave celui du laquo vide raquo dans la dialectique qui est

une proprieacuteteacute geacuteneacuterale et essentielle agrave la rationaliteacute humaine Une neacutegativiteacute qualitative fonde

la diffeacuterenciation laquo le discret raquo et une neacutegativiteacute quantitative fonde laquo le nombre raquo la

segmentation qui permet le deacutenombrement 652

laquo Pas drsquoexceptionshellip(en grammaire) raquo laquo Les limites agrave la productiviteacute de ses tableaux (les

paradigmes) et de ses regravegles (les syntagmes) sont toujours exogegravenes raquo (agrave la grammaticaliteacute)

652 Ces restrictions observeacutees dans la performance du dire ont deux causes possibles La

premiegravere relegraveve de la rheacutetorique qui se heurte agrave la conjoncture Lrsquoeacutenonceacute laquo Mettez-moi une

eacutelectriciteacute de cocircteacute pas deux raquo est grammaticalement coheacuterent mais il oblige agrave un

raisonnement seacutemantique quasiment mythique parce que le concept laquo drsquoeacutelectriciteacute raquo comme

celui laquo drsquoair raquo ou laquo drsquoeau raquo est non comptable selon notre expeacuterience ordinaire Il faut donc

penser via la polyseacutemie agrave la seacutelection drsquoun type drsquoeacutelectriciteacute parmi drsquoautres deacutefi agrave

lrsquoobjectiviteacute Alors que laquo laquo Mettez-moi un air de cocircteacute pas deux raquo fait immeacutediatement penser agrave

la seacutelection drsquoune meacutelodie par un chanteur Affaire donc de vraisemblance laquo de contenu raquo

drsquoexpeacuterience humaine

Il en va de mecircme du cocircteacute de la productiviteacute des enchaicircnements de syntagmes qursquoil srsquoagisse

de la reacutecursiviteacute dans la subordination ou de seacuterialiteacute dans la coordination ou des deux agrave la

fois Passeacute un certain degreacute de complexiteacute le locuteur laquo perd le fil raquo de son raisonnement Les

linguistes se sont longtemps reacutejouis du laquo Chomskybot raquo montage parodique drsquoextraits de

confeacuterences (reacuteelles ou inventeacutees) de Noam Chomsky Le ldquoro-Botrdquo crsquoest lrsquoautre comme le

prouve pour moi certaines phrases du texte que je glose et pour voushellip mon propre texte

Affaire drsquoautres plans surtout Socio-historique drsquoabord Lrsquoenfant qui dit laquo vous disez vous

faisez raquo grammaticalise ce que la langue historiquement empecircche en privileacutegiant des restes

de latin Et si nous disons laquo la queue du loup raquo et laquo agrave la queue leu leu raquo crsquoest parce qursquousage

Structure et signification 149

drsquoOc (loup) et drsquoOiumll (leu) ont dialectiquement produit ce laquo ragoucirct raquo 421 appeleacute franccedilais

Lrsquoaxiologie par ailleurs gecircne le rapprochement pourtant paradigmatique qui devrait

permettre de qualifier de laquo souteneur raquo quiconque laquo soutient raquo quelqursquoun alors que celui qui

laquo reprend raquo une entreprise peut deacutecemment ecirctre nommeacute laquo repreneur raquo Et Marina Yaguello

srsquoindignait de ce que les laquo gouvernantes raquo soient moins bien payeacutees que les laquo gouvernants raquo91

laquo Les analogistes et les anomalistes raquo ne combattaient pas laquo sur le mecircme preacute raquo 652

Rappel drsquoune vieille querelle entre philosophes grecs de lrsquoeacutepoque helleacutenistique Au 1er siegravecle

av J-C lrsquoeacutecole de Pergame observant les nombreuses laquo exceptions raquo grammaticales soutient

que cette derniegravere nrsquoest qursquoun ensemble arbitraire drsquousages et que les mots nrsquoexistent que

laquo par convention θέσει σὺν δίκη raquo Ce sont les laquo anomalistes raquo Leurs adversaires agrave

Alexandrie (Aristarque entre autres) mettent au contraire en avant la systeacutematique des

cateacutegories les laquo paradigmes raquo (les modegraveles) deacuteclinaisons et conjugaisons et y voient lrsquoeffet

drsquoune loi geacuteneacuterale Ils soutiennent que les mots existent laquo par nature φύσει raquo Ce sont les

laquo analogistes raquo Les premiers sont les preacutecurseurs drsquoune sociolinguistique reacuteductionniste

tandis que les autres reacuteduisent le langage agrave sa logique interne Un tel antagonisme est steacuterile

puisque lrsquohumain est agrave la fois logique capable de signe et social capable par reacutepercussion de

langue

Le thegraveme est finalement repris et diversifieacute selon les deux axes de lrsquoanalyse puis deacuteveloppeacute

selon lrsquoaxe taxinomique 653 Thegraveme de laquo lrsquoimmanence du grammatical raquo laquo Il ne renvoie

jamais qursquoagrave lui-mecircme raquo

laquo Tautologie et redondance en sont curieusement le principe et la fin raquo Formulation

paradoxale que lrsquoon comprendra agrave travers les deacuteveloppements qui suivent Le terme de laquo fin raquo

est ambigu (volontairement ) Drsquoune certaine maniegravere les aphasies peuvent ecirctre consideacutereacutees

comme la laquo fin raquo de la grammaticaliteacute En effet la steacutereacuteotypie du Broca est une redondance

dont le malade ne peut sortir tandis que le jargon du Wernicke est une tautologie tout autant

incontrocirclable Plus vraisemblablement en un autre sens du terme laquo fin raquo JG rappelle que la

dialectique du signe fait que lrsquoon peut observer paradoxalement la tautologie et la redondance

agrave la fois dans le principe grammatical et dans la laquo viseacutee raquo rheacutetorique comme le montrera la

suite

laquo On ne saurait parler ni acceacuteder au signe si le chat neacutetait pas un chat et quon ne pouvait

se reacutepeacuteter raquo 653 Le propos ici ne concerne que le principe drsquoidentiteacute Le test mecircme de ce

principe reacuteside dans lrsquoassurance que le mot laquo chat raquo en tant que mot reste toujours le mecircme

mot lorsqursquoon le reacutepegravete ou surtout lorsque quelqursquoun drsquoautre le reacutepegravete y compris lorsque

lrsquoacircge le sexe ou lrsquoaccent de cet autre fait qursquoen reacutealiteacute il nrsquoa pas eacutemis la mecircme seacutequence

sonore plus grave ou aigueuml plus lente ou rapide Rappelez-vous le dialogue entre Archibald

Soper eacutevecircque de Bedford et le botaniste Irwin Molyneux dans Drocircle de drame de Marcel

Carneacute (1937)

laquo - Oui vous regardez votre couteau et vous dicirctes bizarre bizarre Alors je croyais que

- Moi jai dit bizarre bizarre comme cest eacutetrange Pourquoi aurais-je dit bizarre bizarre

- Je vous assure mon cher cousin que vous avez dit bizarre bizarre

- Moi jai dit bizarre comme cest bizarre raquo

91 Marina Yaguello 1981 Alice au pays du langage Le Seuil

150 Une lecture de Jean Gagnepain

Lrsquoaphasique de Wernicke au contraire est incapable devant lrsquoimage drsquoun chat de pouvoir

redire laquo un chat raquo mecircme si drsquoaventure il deacutenomme ainsi ce qursquoil voit Il nrsquoest plus sucircr de

lrsquoidentiteacute de ce mot

JG relegraveve tout de suite le paradoxe du signe puisqursquoon peut tout aussi bien eacutenoncer que le

mot laquo chat raquo est polyseacutemique et que lrsquoon peut laquo jouer agrave chat raquo tandis que le feacutelin en question

peut aussi ecirctre appeleacute un laquo matou raquo Rien du reacuteel nrsquoa de nom a priori laquo Lrsquohomogeacuteneacuteiteacute raquo du

concept est laquo toujours aleacuteatoire raquo voire laquo deacutesespeacutereacutee raquo 653 En ce sens un laquo chat raquo

seacutemantiquement nrsquoest pas simplement un laquo chat raquo et pas seulement laquo un chat raquo laquo Des

gloses raquo des laquo descriptions raquo et des laquo explications raquo sont laquo toujours possibles raquo Le preacutesent

texte en fait foi

Et pourtant le mot laquo chat raquo impose son identiteacute deacutefinie neacutegativement par sa diffeacuterence

avec drsquoautres identiteacutes Le fait grammatical est le principe causal du dire laquo le segraveme ‟srsquoil

causerdquo nrsquoest pas causeacute et transcende une explication dont il deacutetient (hellip) le dernier mot raquo

65311-13 Le raisonnement dialectique est antinomique du raisonnement reacutecursif agrave lrsquoinfini

Enlevez le mot et le sens nrsquoest plus possible parce qursquoil en deacutecoule On ne connaicirct qursquoagrave

proportion de ce que lrsquoon peut grammaticalement formuler Srsquoil y a bien un principe agrave retenir

dans le modegravele dialectique qursquoest la glossologie crsquoest bien celui-lagrave la grammaire est au

fondement du dire

Rappel final du principe drsquouniteacute et de segmentation Le propos ndash laquo broum broum raquo pris

comme parangon de preacutedication 661 - est aussi une boutade Mais il rappelle que lrsquoenfant

accegravede au grammatical aussi tregraves tocirct sous lrsquoaspect de la coupe preacutedicative y compris parfois

sous lrsquoapparence drsquoune reacutepeacutetition

Le paragraphe final assure la transition entre les deux parties de ce traiteacute de glossologie

Dialectique oblige il faut passer de la grammaire agrave la rheacutetorique

laquo Lrsquoexpeacuterience en le remettant rheacutetoriquement en cause ne change rien au principe drsquoun

logos tirant paradoxalement sa compreacutehensibiliteacute du non-sens [sous le double aspect]hellip raquo

662

Noter le terme drsquolaquo expeacuterience raquo deacutejagrave utiliseacute en 236 que lrsquoon retrouvera dans le chapitre

suivant associeacute agrave celui de laquo situation raquo Ce qui par ailleurs est aussi appeleacute laquo le monde raquo ou

laquo lrsquounivers raquo est une reacutealiteacute humaine comme lrsquoeacutetablit la pheacutenomeacutenologie depuis Husserl et

autrement lrsquoeacutethologie

Jrsquoexpliciterai seulement le thegraveme du laquo double aspect raquo - parce que biaxial - du laquo non-sens raquo

qursquoest la neacutegativiteacute grammaticale

1 ndash laquo hellip [sous lrsquoaspect] de lindiffeacuterenciation de ses variantes raquo

En seacutemiologie ougrave la grammaire est un processus de laquo non-sens raquo Ce qui dans le chapitre

suivant apparaicirctra comme la variation seacutemantique deacutecoule toujours drsquoune identiteacute lexicale

indiffeacuterente agrave ses effets de sens La grammaticaliteacute reacutepond agrave un principe de laquo neacutegligence raquo Ce

que lrsquoon entend par laquo opeacuterations raquo renvoie agrave des expeacuteriences humaines tregraves diverses telles

qursquoune addition qursquoune appendicectomie qursquoune campagne militaire Le grammairien se doit

de laquo neacutegliger raquo cette diversiteacute parce que tout cela se dit laquo opeacuterations raquo une forme identique

dont lrsquoidentiteacute nrsquoest fondeacutee que sur sa diffeacuterence avec les autres termes du lexique La

glossologie de JG est en cela dans la ligneacutee de Saussure un appel agrave laquo objectiver de

Structure et signification 151

lrsquoinvisible raquo agrave reacutesister agrave la pression du laquo sens raquo explicite pour remonter vers le laquo non-sens raquo

qursquoest la forme implicite

En phonologie ougrave la grammaire est un processus de laquo non-son raquo La variation phoneacutetique

des prononciations deacutecoule toujours drsquoune identiteacute phonologique indiffeacuterente agrave ces variations

Dit avec ou sans dentier pipe au bec ou non laquo Ougrave raquo reste toujours phonologiquement le

mecircme u mecircme si lrsquoon a alteacutereacute quelques formants acoustiques au passage de lrsquoair Et cette

identiteacute est elle-mecircme fondeacutee sur sa position laquo neacutegative et relative raquo dans la structure

phonologique

2 ndash laquo hellip [et sous lrsquoaspect] de lrsquoinsegmentabiliteacute de ses parties raquo Il en va de mecircme sur lrsquoaxe

de la quantiteacute 662

En seacutemiologie On peut penser seacutepareacutement le nombre et le genre du nom laquo les opeacutera-

tions raquo mais ces parties sont des fragments inseacuteparables dans ce segment nominal En

syntaxe on eacuteprouvera aussi la compleacutementariteacute des contraintes formelles qui disperseacutees sur

les constituants du syntagme forment de faccedilon indissociable la relation syntaxique laquo Ce nrsquoest

pas si difficile qursquoon le croit raquo

En phonologie enfin on peut seacuteparer phoneacutetiquement dans un [m] le paramegravetre

physiologique de lrsquoocclusion des legravevres et celui de lrsquoouverture de la luette mais ces parties

sont inseacuteparables dans lrsquouniteacute qursquoest le phonegraveme m

laquo M de la Palice eucirct eacuteteacute en glossologie notre maicirctre neacutetait que le signe dit dans le

mecircme temps quil se dit quil nest dialectiquement instance sans performance ni nulle

part de raison pure ou de verbe non incarneacute raquo 662

Ougrave lrsquoon voit cousiner Jacques II de Chabannes neacute agrave Lapalisse Emmanuel Kant et Jean

lrsquoEacutevangeacuteliste (laquo et le Verbe srsquoest fait chair raquo) au nom de la dialectique

De la deacutesignation 153

POUR UN TRAITEacute DE LA DEacuteSIGNATION

Nous voici agrave la charniegravere entre les deux approches de la dialectique du signe Apregraves avoir

traiteacute de grammaire JG commence son exposeacute du pocircle de la rheacutetorique par cet avertisse-

ment laquo En passant agrave la rheacutetorique apregraves cette premiegravere exploration de la grammaire nous

quittons lombre pour la lumiegravere sans pour autant croyons-nous acceacuteder plus aiseacutement agrave la

clarteacute raquo 671 Dans mon propre effort de clarification je vous propose dans lrsquoINTERMEgraveDE qui

suit de faire le point agrave ce moment pivot sur ce que je pourrais appeler laquo la theacuteorie de la

connaissance raquo de JG selon la formule usuelle en philosophie Cela me paraicirct neacutecessaire pour

la suite de la lecture mecircme si ce thegraveme a deacutejagrave eacuteteacute abordeacute preacuteceacutedemment agrave lrsquooccasion de

formulations du texte y reacutefeacuterant92 et bien qursquoil soit eacutevidemment gloseacute par la suite

Intermegravede 4 connaicirctre

On aura en effet sans doute deacutejagrave observeacute et on ne pourra pas manquer drsquoobserver par la

suite que certaines formulations proposeacutees par JG pour deacutefinir le processus de connaissance

qursquoest le signe peuvent ecirctre comprises comme inconciliables entre elles Cela apparaicirct en

particulier agrave lrsquoexamen de mots isoleacutes tels que laquo le monde raquo laquo les choses raquo laquo la situation raquo

laquo lrsquoexpeacuterience raquo laquo lrsquoadaptation raquo laquo lrsquoadeacutequation raquo laquo le deacuteterminisme raquo ou agrave lrsquoexamen de

propos isoleacutes de leur contexte large Le risque de contresens et de malentendu est accentueacute

dans le preacutesent ouvrage par le fait que je reacutefegravere agrave des citations et non au texte dans son

inteacutegraliteacute en raison de la reacuteglementation sur les droits drsquoauteur

Partons drsquoun tel effet de contraste entre des citations courtes Certaines ont deacutejagrave eacuteteacute

commenteacutees en particulier 64 les secondes sont agrave venir

A - 64 laquo Point de choses agrave dire preacuteexistant agrave notre faccedilon drsquoen parler raquo ou 673 laquo On

srsquoeacutegare en assimilant la reacutefeacuterence agrave lrsquoobjet car si la grammaire est structure la rheacutetorique est

structurante crsquoest-agrave-dire reconstruit le monde sur le modegravele drsquoune grammaire raquo ou encore

1084 laquo hellipil nest scientifiquement dobjet que construit Construit sentend avec des

motshellip raquo ainsi que laquo La seacutemantique se deacutefinit non par la transparence du message aux

choses mais par loccasion quelles nous donnent de remanier synonymiquement ou

autonymiquement une seacutemiologie raquo De LrsquoOutil 2344

B - 1063 [Nous appelons science] laquo hellipici non un corps de doctrine mais justement cette

modaliteacute de leacutenonceacute qui ne se distingue du mythe que par la faccedilon dont quel quen soit le

paramegravetre sy reacuteduit leacutecart des mots et des choses sur la base dun reacuteameacutenagement systeacutema-

tique des premiers raquo ou 1143 laquo Si le ‟logosrdquo est eacuteminemment action du langage sur lui-mecircme

en fonction de lordre des choses le ‟muthosrdquo au contraire est action du langage sur les

choses dans le but de les conformer agrave ce quil dithellip raquo

Si lrsquoon isolait en B les seules formules laquo reacuteduire lrsquoeacutecart des mots et des choses raquo et laquo lrsquoordre

des choses raquo on serait en droit de se demander si JG nrsquoen revient pas un instant agrave lrsquoideacutee

ancienne drsquoun langage laquo nomenclature raquo sur fond laquo drsquoontologisme raquo Pourtant lrsquoensemble des

92 Notamment 6 41 et 2 73 233 agrave 6 23 5 251 3022

154 Une lecture de Jean Gagnepain

propos de type A formuleacutes agrave des moments clefs de lrsquoouvrage montre clairement qursquoil nrsquoen est

rien et que les principes eacutenonceacutes en A deacutefinissent bien le fond de la penseacutee de lrsquoauteur

Que lrsquoarbre ne cache pas la forecirct Cet ouvrage heacuterite explicitement de lrsquoessentiel de

lrsquoenseignement de Saussure pour qui la theacuteorie de la valeur est antinomique drsquoune conception

reacutefeacuterentialiste Il heacuterite tout aussi reacuteellement de Husserl93 Freud Cassirer ou Bachelard sur

ces principes

Il faut donc reacutefleacutechir agrave ce qui motive cet eacuteventail de formulations de la question du sens Jrsquoy

vois trois raisons

- Cette impression peut drsquoabord reacutesulter de ce que lrsquoon ne prend pas suffisamment en

compte le contexte large drsquoougrave lrsquoon extrait ces termes Il y a en particulier laquo choses raquo et

laquo choses raquo selon les contextes On peut ainsi comprendre la formule laquo lrsquoordre des choses raquo non

comme le postulat drsquoun ordre inheacuterent agrave une reacutealiteacute exteacuterieure au langage un ordre preacutetendu

analytique comme le suggegravere ce pluriel laquo les choses raquo mais comme lrsquoordre que le langage

introduit dans la reacutealiteacute (ou si lrsquoon veut laquo dans de la chose raquo) en la laquo deacuteterminant raquo de telle

sorte que laquo les choses raquo ou pour mieux dire laquo les concepts raquo voire laquo les faits raquo en sont le

produit laquo hellipLe sens nest point dans les choses mais seulement dans le processus gracircce auquel

lhomme intelligent leur confegravere lintelligibiliteacute raquo 734 formule reprise drsquoun Seacuteminaire laquo Crsquoest

parce que nous sommes capables drsquoanalyse donc drsquointelligibiliteacute que nous confeacuterons agrave

lrsquounivers dans lequel nous sommes cette mecircme intelligibiliteacute raquo94

- Cette variation entre propositions peut aussi deacutecouler de la prise en compte du laquo reacutecep-

teur raquo auquel le propos est adresseacute agrave un moment donneacute de lrsquoexposeacute Les propos sur le thegraveme

de lrsquoadeacutequation relegravevent de ces faciliteacutes de langage qui font que lrsquoon est conduit dans un souci

de concision et de simplification agrave reprendre des formules reacuteductrices qui nrsquoont pas la profon-

deur theacuteorique du reste du propos tenu Tout professeur peut en teacutemoigner Crsquoest le cas me

semble-t-il du poncif laquo les mots et les choses raquo Rappelons que Foucault publie en 1966 Les

mots et les choses sans pour autant qursquoon le considegravere comme un continuateur de la doctrine

thomiste ndash laquo veritas est adaeligquatio rei et intellectus raquo (la veacuteriteacute est la correspondance de la

penseacutee et des choses) ndash ni du laquo reacutealisme raquo naiumlf critiqueacute par Gaston Bachelard Et que penser

de Saussure quand il deacuteclare laquo Toute deacutefinition faite agrave propos drsquoun mot est vaine crsquoest une

mauvaise meacutethode que de partir des mots pour deacutefinir les choses raquo (Cours p31) ougrave les

laquo choses raquo en question sont en fait les laquo notions raquo de laquo Sprache Rede raquo (Alld) et de laquo sermo et

lingua raquo (Latin) Doit-on renoncer agrave dire qursquoen parlant on cherche laquo agrave deacutefinir les choses raquo

Doit-on suspecter de reacutealisme naiumlf la formule laquo la terre tourne autour du soleil raquo au motif

qursquoun astrophysicien peut estimer qursquoil srsquoagit drsquoune simplification Ce serait faire fi de la relati-

viteacute du sens de ces termes On aura deacutejagrave bien compris agrave la lecture de la partie consacreacutee agrave la

signification que pour JG le signe nrsquoest pas un laquo tas de mots raquo et que par conseacutequent nrsquoexiste

pas non plus laquo un tas de choses raquo Je pense par ailleurs que lrsquoimage de laquo la reconstruction raquo

673 preacutevaut quant au fond sur celle de laquo la reacuteduction drsquoun eacutecart raquo 1063 mais que les

formules varient selon le type et la densiteacute drsquoinformation theacuteorique que lrsquoauteur veut faire

93 Cf le seacuteminaire du 7 mai 1987 laquo La fin du Cogito raquo en partie consacreacute agrave une confrontation entre la Theacuteorie de la meacutediation et lrsquoœuvre de Husserl Cependant la distance est grande avec lrsquoadheacuterence au veacutecu et la reacuteduction de la connaissance agrave la perception (humaine) procircneacutees par Maurice Merleau-Ponty laquo Le reacuteel est un tissu solide (hellip) il nrsquoattend pas notre jugement raquo In La pheacutenomeacutenologie de la perception avant-propos pV (citeacute par Jean-Claude Schotte La raison eacuteclateacutee p 289)

94 Seacuteminaire du 8 janvier 1976

De la deacutesignation 155

passer agrave tel ou tel moment de son exposeacute Il y a un temps pour laquo un cachet raquo un autre pour

laquo de lrsquoaspirine raquo et un autre encore pour laquo de lrsquoacide aceacutetylsalicylique raquo

- Cela dit ces consideacuterations rheacutetoriques ne suffisent pas selon moi agrave expliquer ces

diffeacuterences de raisonnement Rentre aussi en ligne de compte sa conception de lrsquohomme

nature et culture telle qursquoil en a eacuteprouveacute la complexiteacute agrave travers la clinique

Par expeacuterience de clinicien jrsquoentends lrsquoobservation des agnosies (observation directe ou par

lrsquointermeacutediaire des thegraveses qursquoil a dirigeacutees) Elles ne sont pas eacutevoqueacutees dans lrsquoouvrage mais

dans son expeacuterience elles font contraste avec les aphasies95 En teacutemoignent dans le Vouloir-

Dire le thegraveme de la gestalt et celui de lrsquoancrage de la culture dans la biologie Nous lrsquoavons vu

degraves la page 251 laquo Il nest pas vrai que la nature soit comme on le dit amorphe et continue

du moins le vivant y introduit-il des contours qui preacutealablement linforment et auxquels nous

reacuteservons le nom de Gestalt pour la mieux dissocier dune forme qui trouve en elle son ressort

et ne sen distingue que parce quelle la nie Le discret reacutesulte chez lhomme - et cest lagrave sa

culture - dune non-coiumlncidence et non dune invention raquo Dans la mecircme page il deacutefinit

laquo lrsquoobjet raquo comme laquo la chose en tant qursquoelle est perccedilue raquo (gestaltiquement) On remarquera ce

thegraveme laquo des contours raquo qui rappelle que lrsquohomme culturel laquo baigne raquo dans un monde tout

aussi (quoiqursquoautrement) humain qursquoil construit par son aptitude naturelle agrave laquo lrsquoobjet raquo perccedilu

et au laquo symbole raquo Je renvoie ici aux formulations ulteacuterieures de Cleacutement de Guibert Gilles

Clerval et Hubert Guyard96 laquo Le monde naturellement traiteacute nrsquoest pas amorphehellip [Citation

eacutevidente du Vouloir-Dire] hellip il est deacutejagrave ‟organiseacuterdquo Si ce nrsquoest donc pas la preacutesence drsquoune

organisation ou drsquoune deacutefinition qui signe la speacutecificiteacute culturelle cette derniegravere reacuteside bien

dans le mode drsquoorganisation ou de deacutefinition structure vs configuration raquo La distinction

terminologique finale a deux fonctions souligner drsquoune part que le monde de la gestalt nrsquoest

pas un monde analyseacute proposer drsquoautre part des termes ndash laquo configuration configureacute raquo ndash qui

reacuteduisent en partie le vague de la notion de laquo choses raquo et la polyseacutemie du pluriel ainsi formuleacute

(Cf supra les gloses de la p 25 du texte)

Il y a laquo choses raquo et laquo choses raquo encore drsquoune autre maniegravere qui est en arriegravere-plan de la

notion de laquo monde raquo chez JG lequel utilise aussi la notion drsquo laquo expeacuterience raquo Ce laquo monde raquo

ainsi reconstruit sur le mode de lrsquoanalyse par la rheacutetorique nrsquoest pas seulement celui de la

gestalt naturelle de lrsquohomme Lrsquohumain vit aussi humainement dans un bain de structure

technique sociale et axiologique donc de laquo non-confusion raquo qui compte dans la

laquo reconstruction raquo conceptuelle

Le cas de la laquo douleur raquo est exemplaire comme lrsquoanalyse Hubert Guyard laquo Lrsquohomme ne

fait pas que ressentir la douleur il la creacutee agrave sa propre image et lui confegravere les caracteacuteristiques

rationnelles qui le speacutecifient en tant qursquohomme (hellip) La douleur devient humaine parce qursquoelle

est meacutediatiseacutee par le filtre des mots avec lesquels on cherche agrave la penser mais aussi par le

filtre des moleacutecules et des dispositifs techniques par lesquels on cherche agrave la traiter ainsi que

par le filtre des meacutetiers qui tentent de la prendre en charge et enfin avec le filtre des

exigences morales avec lesquels on tente de lrsquoendurer raquo97

En somme ce monde loin drsquoecirctre un monde en soi est un monde drsquoembleacutee humaniseacute

naturellement et culturellement Je crois que les notions drsquo laquo expeacuterience raquo et de laquo situation raquo

95 Sur ce contraste voir Hubert Guyard et Jean-Yves Urien (2006) laquo Des troubles du langage agrave la pluraliteacute des raisons raquo in Le Deacutebat mai-juin 2006 Paris Gallimard

96 In laquo Biaxialiteacute saussurienne et biaxialiteacute gestaltique Arguments cliniques raquo Teacutetralogiques 15 (2003) p226

97 Hubert Guyard 2009 La plainte douloureuse Rennes Presses Universitaire de Rennes p15

156 Une lecture de Jean Gagnepain

que le lecteur rencontrera dans la partie qui suit integravegrent ce principe selon lequel lrsquohomme ne

peut pas sortir de sa condition Ces laquo choses-lagrave raquo ne peuvent ecirctre que les nocirctres elles ne sont

que ce que nous en faisons agrave la mesure agrave la fois de notre nature et des meacutediateurs culturels

Plusieurs passages de ses Seacuteminaires insistent sur ce point

Dans son Seacuteminaire du 15 janvier 1987 La preuve par neuf JG disait ceci laquo Quand on

parle du monde on ne le saisira jamais comme il est comment est-il Est-il mecircme Ce quon

saisit cest comment nous lhumanisons Autrement dit on ne saisit ni lhomme ni le monde

mais on saisit dans la maniegravere mecircme de le connaicirctre la maniegravere dont lhomme contribue par

le langage au-delagrave du percept agrave lhumaniser en concept Cest ce que jappelle le caractegravere

abstrait-concret du concept parce que vous navez lexpeacuterience ni de labstraction ni du concret

Vous ne pouvez pas saisir le concret indeacutependamment du langage Lrsquoabstrait si vous croyez le

saisir cest parce que vous reacuteifiez les vocables et que le vocable devenant chose vous sombrez

dans le formalisme Mais on ne peut ecirctre ni formaliste ni reacutealiste cest une acircnerie doublement

substantialiste raquo

De mecircme le 18 deacutecembre 1987 il deacuteclarait laquo refuser tout substantialisme drsquoougrave qursquoil vienne

On ne peut opposer lrsquohomme et les choses raquo Et dans le seacuteminaire du 7 mai 1987 La fin du

Cogito laquo Au fond lrsquohomme ne peut atteindre que de la rationaliteacute Drsquoune part parce qursquoil est

raison et deacutefini comme tel en tant qursquohomme et drsquoautre part parce que le reste ne lui devient

accessible qursquoagrave condition drsquoecirctre par lui rationaliseacute (hellip) On ne peut plus opposer comme deux

substances lrsquohomme drsquoun cocircteacute et le reste de lrsquounivers de lrsquoautre On en peut plus opposer agrave

lrsquohomme dont la rationaliteacute speacutecifie les sciences humaines ce qursquoon appelle partout une reacutealiteacute

ndash agrave laquelle lui-mecircme ne cesse drsquoappartenir ndash mais une reacutealiteacute encore une fois qui ne lui est

accessible que transformeacutee en raison de ce que nous avons appeleacute son nominalisme son

artificialisme son leacutegalisme son finalisme (hellip) Ce qursquoon atteint crsquoest uniquement de la

meacutediation crsquoest-agrave-dire de la relation raquo98

Ce deacuteveloppement nrsquoeacutepuise pas le deacutebat notamment sur le thegraveme de la laquo construction raquo

versus de laquo la reacuteduction drsquoeacutecart raquo de laquo lrsquoadeacutequation raquo de la laquo viseacutee raquo de laquo lrsquoeacutecart et la coiumlnci-

dence raquo Pour moi il nrsquoy a pas antinomie entre ces approches seulement variation de

lrsquoeacuteclairage en partie lieacutee agrave lrsquoimaginaire topologique de la dialectique deacutejagrave preacutesent drsquoailleurs

dans la varieacuteteacute de sens de la laquo Aufhebung raquo chez Hegel Comment pourrait-on reacuteduire une

pareille probleacutematique agrave une seule formulation

Revenons au texte

98 Jacques Laisis formule pour sa part ce principe agrave travers lrsquoopposition du laquo reacuteel raquo et de la laquo Reacutealiteacute raquo

laquo Heacuteritiegravere en cela de la reacutevolution Kantienne la glossologie renverse notre rapport au reacuteel Loin qursquoil nous soit exteacuterieur et opposable comme traditionnellement lrsquoeacutetait lrsquoobjet au sujet le reacuteel est toujours notre œuvre en ce qursquoil nrsquoest pour nous qursquoen tant qursquoil est ‟a priori cateacutegoriseacute par un entendementrdquo Ce reacuteel toujours anthropomorphique puisqursquoil porte neacutecessairement la marque anthropomorphique de son instauration ici verbale ne saurait se confondre avec une Reacutealiteacute qui serait laquo en soi raquo mais dont on ne saurait rien dire sauf agrave lrsquoinstaurer deacutejagrave

dans un reacuteel De la ‟Reacutealiteacuterdquo lrsquoon ne saurait rien dire sinon neacutegativement qursquoelle reacutesiste agrave notre formulation

qursquoelle ne se reacutesout pas dans la formulation de notre reacuteel De la reacutesistance on peut toujours faire lrsquoexpeacuterience qui est une eacutepreuve Agrave lrsquoinverse du reacuteel qui parce qursquoil est cateacutegoriellement analyseacute se formule en ‟chose rdquo la reacutealiteacute nrsquoest jamais positivement quelque chose mais toujours neacutegativement pur principe en lrsquooccurrence de contradiction raquo 1991 Apport meacutethodologique de la linguistique structurale agrave la clinique (neurologique et psychiatrique) Thegravese de doctorat dEacutetat Rennes 2 (non publieacutee) p68

De la deacutesignation 157

INTRODUCTION

Le Titre Je rappelle que le terme de laquo deacutesignation raquo est agrave comprendre comme le principe

de laquo neacutegation raquo de la laquo neacutegativiteacute raquo provoqueacutee par le principe de laquo signification raquo (grammati-

cale) Il faut lire autant laquo deacute-signation raquo et non pas laquo pointage drsquoun objet avec le doigt raquo

mecircme meacutetaphoriquement Il nrsquoy a rien laquo au bout raquo il y a ndash et ce nrsquoest pas rien ndash de

lrsquoexpeacuterience humaine qui vient agrave la fois provoquer la deacutesignation et lui reacutesister (Cf supra 233

et lrsquointermegravede 4 qui preacutecegravede)

En 671-2 JG impute le moindre deacuteveloppement drsquoune theacuteorie de la performance en

linguistique (seacutemantique et phoneacutetique) au fait que le structuralisme a traiteacute de maniegravere

laquo approfondie raquo de la forme grammaticale (de laquo lrsquoinstance raquo) sans laquo eacutequivalents raquo (du cocircteacute de

la laquo performance raquo) laquo par suite de la reacutesistance initiale des litteacuteraires raquo 671 Pour JG en 1982

lrsquoapproche litteacuteraire du sens reste trop verbale et relegravegue le reste au rang de laquo sous-lecture raquo

laquo Crsquoest toujours de lecture qursquoil srsquoagit et leurs actants nrsquoont drsquoautres drames que verbaux raquo

672

JG en vient agrave lrsquoessentiel la neacutecessiteacute drsquoune perspective dialectique 673-4

En 673 il fait correspondre lrsquoallemand laquo Sinn Bedeutung raquo agrave lrsquoopposition respectivement

entre laquo signification raquo grammaticale et laquo sens raquo seacutemantique (ou laquo reacutefeacuterence raquo rapport du signe

agrave la conjoncture) toutes notions deacutefinies dans le chapitre preacuteceacutedent99 Il ne faut cependant

pas chercher agrave mettre en totale correspondance ces termes avec leur usage en logique ou en

philosophie du langage Lrsquoarticle originel de Frege (1892) qui porte ce nom est geacuteneacuteralement

traduit par les termes laquo sens reacutefeacuterence raquo ou laquo sens deacutenotation raquo Traduction anglaise On

sense and reference

laquo Le reacuteinvestissement nrsquoannule pas lrsquoanalyse mais la reacuteameacutenage en fonction de la conjonc-

ture Il nrsquoest point autrement dit positivation veacuteritable mais dialectiquement neacutegation de la

neacutegativiteacute le principe lui-mecircme reste inchangeacute raquo (hellip) laquo Cest pourquoi justement lon seacutegare

en assimilant la reacutefeacuterence agrave lobjet car si la grammaire est structure la rheacutetorique est

structurante crsquoest-agrave-dire reconstruit le monde sur le modegravele drsquoune grammaire raquo 673 Cf Les

Huit leccedilons (2010 p 83) laquo Passer au concept nrsquoest pas sortir de lrsquoambiguiumlteacute mais contester

celle que nous impose la grammaire raquo Le signe est ainsi dans sa totaliteacute analyse ndash le principe

en reste laquo inchangeacute raquo ndash mais il est analyse de deux maniegraveres antagonistes La seacutemantique en

particulier nrsquoest pas une nomenclature reproduisant dans des concepts un agencement a

priori du monde en laquo choses raquo elle nrsquoest pas le reflet drsquoune ontologie La seacutemantique est une

intelligibiliteacute langagiegravere drsquoun principe de reacutealiteacute agrave laquelle elle se confronte une intelligibiliteacute

fondeacutee sur un raisonnement analytique Pour le dire encore autrement la rheacutetorique ne

laquo repreacutesente pas raquo le monde en cherchant une sorte de transposition laquo de choses raquo dans le

message elle construit une conception laquo structurante raquo du monde Certes JG dit ici qursquoelle le

laquo reconstruit raquo formule ougrave le preacutefixe laquo re- raquo precircte agrave une interpreacutetation laquo reacutefeacuterentialisme raquo si

lrsquoon pense agrave une transposition drsquoune construction vers une autre Cependant cette lecture est

vigoureusement deacutementie agrave plusieurs reprises notamment par la proposition laquo Parler crsquoest

causer raquo (dans le sens drsquointroduire du deacuteterminisme) 1071 ou par ce refus de laquo lrsquoillusion drsquoun

99 Seacuteminaire du 4 deacutecembre 1975 laquo Entre forme grammaticale et proprieacuteteacute rheacutetorique il y a un peu le mecircme rapport pour ceux qui ont fait de la logique que Frege met entre Sinn et Bedeutung Le Sinn qui rend le message compreacutehensible et la Bedeutung qui rend le message appreacutehendable raquo PJ p 40

158 Une lecture de Jean Gagnepain

univers dicible avant mecircme qursquoil ne soit dit raquo 823 Cette prise de position contre toute forme

de positivisme est reacutecurrente 734 851 944 1071 1144 1244 1861 etc100

Le passage laquo lrsquoon srsquoeacutegare en assimilant la reacutefeacuterence agrave lrsquoobjet raquo 673 srsquoadresse donc au

positivisme logique en philosophie du langage Cette formulation peut ecirctre lrsquooccasion de faire

le point sur la notion de laquo reacutefeacuterence raquo dans le Vouloir-Dire Preacuteceacutedemment JG deacutefinissait

celle-ci comme le laquo rapport du signe agrave la conjoncture raquo 633 par opposition agrave laquo lrsquoincidence raquo

rapport du signe agrave la structure grammaticale Deux points sont agrave souligner Il srsquoagit du

processus de raisonnement lui-mecircme et non pas du reacutesultat du raisonnement 101 Et surtout

le preacutesent paragraphe montre que ce laquo rapport raquo est une confrontation en ce que la

conjoncture reacutesiste agrave lrsquoessai drsquointelligibiliteacute creacuteeacute par le signe jusqursquoagrave produire un effet relatif de

laquo proprieacuteteacute raquo crsquoest-agrave-dire de laquo congruence raquo (ou de moindre incongruiteacute)

laquo Ni formalisme ni positivisme une theacuteorie complegravete et correcte du signe inclut de

plein droit comme srsquoidentifiant agrave lrsquoune de ses phases une theacuteorie du concept raquo 681 La

diffeacuterence est donc profonde avec la notion de signe dans le Cours du moins dans la

lecture qursquoen fait JG le laquo signe raquo saussurien y est vu comme un fait de laquo langue raquo

laquelle srsquooppose agrave la laquo parole raquo dans une dichotomie et non une dialectique laquo hellipla trop

ceacutelegravebre - et statique - dichotomie de la Langue et de la Parole raquo 1282 et 172 Noter que

JG ignore la formulation laquo soustractive raquo de cette opposition laquo La langue est pour nous

le langage moins la parole raquo (Cours p112) mais cette variante reste dans la ligne du

laquo statisme raquo saussurien La diffeacuterence est aussi radicale drsquoavec le positivisme logique

Enfin laquo concept raquo est agrave entendre comme laquo processus mental de conceptualisation raquo

laquo La meacuteprise est flagrante de ceux quihellip raquo hellip confondent grammaire et rheacutetorique en

particulier seacutemiologie et seacutemantique 682 JG observe cette confusion dans deux courants

- laquo Traditionnellement raquo Meacutelange de grammaire ndash par laquelle laquo nous creacuteons lrsquoeacutequivociteacute raquo

crsquoest-agrave-dire lrsquoimproprieacuteteacute et de rheacutetorique ndash par laquelle laquo nous levons lrsquoeacutequivociteacute raquo en

produisant la prononciation et le sens par confrontation agrave la situation

- laquo Ceux qui de nos jours identifient instance et compeacutetencehellip raquo 682 Il srsquoagit de la

grammaire geacuteneacuterative Chomsky oppose les concepts de laquo compeacutetence raquo et de laquo perfor-

mance raquo JG soutient ici que lrsquoun et lrsquoautre de ces concepts neacutegligent lrsquoimproprieacuteteacute grammati-

cale en laquo excluant lrsquoerreur raquo On se souvient dans le chapitre preacuteceacutedent de lrsquoallusion agrave laquo la

peur de lrsquoennemi raquo traiteacute par la grammaire geacuteneacuterative comme relevant de deux structures

grammaticales sous-jacentes selon le sens donneacute agrave cette formulation JG critiquait en cela la

circulariteacute de la deacutemarche laquelle part de la diffeacuterence ressentie explicitement par le

locuteur pour modeacuteliser deux relations syntaxiques implicites distinctes censeacutees expliquer

elles-mecircmes la diffeacuterence de sens Le sens explique la syntaxe qui explique le sens Agrave cela

srsquoajoute la critique de laquo lrsquoethnocentrisme raquo de la grammaire geacuteneacuterative accuseacutee en

permanence de projeter la structure de lrsquoanglais sur lrsquoensemble des autres langues

100 Jean Gagnepain avait gloseacute la formulation laquo reconstruire le monde raquo dans un Seacuteminaire anteacuterieur le 18 novembre 1976 laquo Pour un statut de lrsquohypostase raquo 2egraveme partie laquo la reacutealiteacute du mythe raquo en lui preacutefeacuterant laquo hellip un monde raquo laquo On a deacutenatureacute ma phrase ou du moins ma penseacutee en disant ‟ le monde rdquo Cette deacutenaturation rend ma phrase fausse mais elle reste vraie si lrsquoon prend soin de reacutetablir ‟ un rdquo raquo Lrsquoargument eacutetait de prendre en compte agrave eacutegaliteacute la rheacutetorique mythique et la rheacutetorique scientifique (Cf infra) Pour lrsquoinstant lrsquoarticle laquo un raquo accentue lrsquoideacutee que laquo ce monde raquo connaissable ne preacuteexiste pas au dire mais qursquoil en reacutesulte et qursquoil en possegravede la relativiteacute

101 Cf Lrsquoopposition laquo energeia ergon raquo chez Humboldt ou encore laquo noegravese noegraveme raquo chez Husserl Voir infra 69 4-5

De la deacutesignation 159

On invoque laquo Port-Royal raquo on pourrait invoquer le laquo Port-au-foin car lrsquohumanisme affleure

degraves que lrsquoon fait du sens un preacutealable du langage raquo 682

Le premier terme fait allusion au fait que Chomsky se reacuteclame du rationalisme classique de

Descartes et de la Grammaire Geacuteneacuterale dite de Port-Royal Sociolinguistiquement parlant ces

grammaires traitent du latin et du franccedilais des eacutelites de lrsquoeacutepoque Le second terme est attacheacute

par la culture scolaire agrave une anecdote tireacutee de la Vie de Franccedilois de Malherbe (1555-1628) par

Racan selon laquelle laquo quand on luy demandoit son advis de quelque mots franccedilois il

renvoyoit ordinairement aux crocheteurs du port-au-Foin amp disoit que crsquoestoit ses maistres

pour le Langage raquo (p 41) Les crocheteurs en question eacutetant les portefaix drsquoun ancien port

parisien (Ceux qui laquo faisaient gregraveve raquo Quai de la Gregraveve jusqursquoagrave ce que la loi reacutevolutionnaire de

Le Chapelier en juin 1797 le leur interdise)

JG veut dire dans ce passage qursquoil importe peu lorsque lrsquoon prend une perspective seacuteman-

tique que lrsquoon se reacutefegravere agrave lrsquousage de la noblesse ou agrave celle du petit peuple Les principes du

langage y sont identiques mecircme srsquoil y a des degreacutes en termes de preacutecision et de compleacutetude

seacutemantique Autrement dit le laquo meacutetalangage raquo speacutecialiseacute du linguiste et le raisonnement banal

tenu par laquo lrsquousager raquo relegravevent des mecircmes principes seacutemantiques

En outre la formule laquo lrsquoon fait du sens un preacutealable du langage raquo reacutepegravete la critique

constante du positivisme laquo point de choses agrave dire preacuteexistant agrave notre faccedilon den parler raquo 64

et laquo parler nrsquoest point dire des choses raquo 233 Ce qursquoon appelle laquo sens raquo est toujours un laquo effet

de sens raquo un raisonnement laquo effectueacute raquo selon le mode de fonctionnement dialectique et

analytique du signe

Le sect 683 poursuit ce thegraveme de la laquo circulariteacute anthropologique raquo sous son aspect seacuteman-

tique Nous sommes laquo agrave la fois juge et partie raquo puisque le linguiste traite seacutemantiquement de

lrsquoobjet seacutemantique Sa performance langagiegravere a pour objet la performance langagiegravere laquo Nous

sommes tous sciemment rheacutetoriciens raquo

laquo Si science nrsquoest pas conscience elle nrsquoest pas pure logique non plus Il faut pour la

construire en corriger inductivement les excegraveshellip raquo laquo Logique raquo Srsquoagit-il de la logique formelle

ou de la forme grammaticale Dans le premier cas laquo les excegraves raquo sont ceux du formalisme

dans le second il srsquoagirait du risque de raisonnement laquo mythique raquo induit par les formes

grammaticales (Les jeux de mots Cf infra la notion de seacutemantique mythique) La reacutefeacuterence agrave

laquo lrsquoinduction raquo rappelle que la science laquo se confronte raquo agrave de lrsquoexpeacuterience 1071 point de

reacutesistance dans le traitement dialectique qursquoest le dire et dont le sens est le produit

REacuteFEacuteRENCE ET PROPRIEacuteTEacute

Les trois sections de cette partie (p68-84) ont pour objet de deacutefinir le pocircle de la dialectique

du dire appeleacute rheacutetorique

1- Les paramegravetres du message La rheacutetorique concerne la relation du signe agrave la situation

relation appeleacutee laquo reacutefeacuterence raquo Il srsquoagit de prendre en compte les divers aspects de cette

relation en termes de paramegravetres JG positionne ici son modegravele par rapport agrave la theacuteorie des

laquo fonctions du langage raquo de Roman Jakobson

2 ndash Du formel au stochastique En quoi la rheacutetorique est-elle un pocircle de la dialectique du

dire

160 Une lecture de Jean Gagnepain

3 ndash Theacuteorie des tropes La rheacutetorique un processus de construction de proprieacuteteacute Cette

proposition est incompatible avec la tradition des laquo tropes raquo et des laquo figures raquo qui postulent

un point de repegravere (le sens laquo propre raquo) dont srsquoeacutecartent des laquo sens figureacutes raquo selon une

typologie des tropes

1 - Les paramegravetres du message

laquo Lrsquousage que nous faisons du termehellip raquo 684 Il srsquoagit du terme laquo rheacutetorique raquo dans la

formule conclusive du paragraphe preacuteceacutedent et par-delagrave le titre de lrsquoalineacutea laquo Nous sommes

tous des rheacutetoriciens raquo JG veut souligner en reprenant ce terme scolaire qursquoil entend se

deacutegager de cet heacuteritage laquo Rheacutetorique raquo et laquo Grammaire raquo nomment ici les deux pocircles de

lrsquoaptitude mentale de laquo signe raquo qui fonde le langage

laquo Double rupturehellip Lrsquoune concerne la ‟praxisrdquohellip lrsquoautre dans lrsquoappreacutehension du ‟pragmardquo le

privilegravege [accordeacute agrave] lrsquoobjethellip raquo

Le premier problegraveme traiteacute concerne la dissociation des plans singuliegraverement la distinction

dans la parole entre laquo lrsquoacte social raquo et le raisonnement logique Lrsquoacte social est une

laquo praxis raquo dans le sens que Marx et la pragmatique donnent agrave ce terme praxis dont lrsquoanalyse

relegraveve de la sociolinguistique Le raisonnement logique lui est proprement rheacutetorique il en

sera question dans les deux paragraphes suivants et il concerne la seule intelligibiliteacute

langagiegravere du laquo pragma raquo agrave savoir de lrsquoexpeacuterience (Du grec laquo πρᾱγμα raquo ce que lrsquoon fait ou

chose) JG donne constamment agrave ce terme un sens logique (742 1055 1121) et en mecircme

temps dynamique Cette premiegravere deacutemarche de dissociation et de speacutecification du fait

rheacutetorique est neacutecessaire pour aborder le second problegraveme

La seconde deacutemarche consiste agrave prendre en compte lrsquoensemble des contraintes qui

deacuteterminent les messages sans se limiter agrave la seule contrainte objective 693 etc

Reprise du thegraveme de la dissociation par une critique de lrsquoapproche scolaire des textes 685

agrave 692 JG joue ici sur le mot laquo rheacutetorique raquo car celle dont il parle ici est celle des traiteacutes

drsquoeacuteloquence et non celle qursquoil deacutefinit comme une proprieacuteteacute de tout locuteur En classe donc

les morceaux sont choisis selon des restrictions agrave la fois seacutemantiques techniques socio-

logiques et axiologiques Il faut donc drsquoune part eacutelargir le champ de lrsquoobservation agrave tout ce

qursquoest capable de produire un locuteur et drsquoautre part ne pas confondre les divers points de

vue explicatifs des productions langagiegraveres

- aspect seacutemantique laquo Ces messages closhellip [produisent] comme une impression drsquoabsolu raquo

Or ce nrsquoest qursquoune petite partie des messages possibles

- aspect technique Privilegravege accordeacute aux eacutecrits sur lrsquooraliteacute

- aspect sociologique laquo Promouvoir le parler drsquoune eacutelite raquo laquo Persuader insidieusement au

lecteur que toute rheacutetorique exigeait du geacutenie raquo 691

- aspect axiologique Privilegravege accordeacute aux laquo chefs-drsquoœuvre raquo Or la rheacutetorique eacutetant

proprieacuteteacute du langage deacutetermine tout message puisqursquoelle en est le mode de production Pour

la reconnaicirctre il fait dissocier laquo langage et beau langage raquo 692

Reprise ensuite du thegraveme de la multipliciteacute des paramegravetres de lrsquoopeacuteration de reacutefeacuterence

Refus de ne concevoir de proprieacuteteacute au message laquo qursquoobjective raquo laquo Quiconque se soucie

drsquoinformationhellip sait que lrsquoobjet nommeacute nrsquoest qursquoun eacuteleacutement de la situation raquo 693 Si lrsquoon se

De la deacutesignation 161

souvient que laquo parler nrsquoest point dire des choses raquo 233 on peut conclure qursquoil faut entendre

que laquo lrsquoobjet raquo en question est le concept qui reacutesulte de lrsquoopeacuteration seacutemantique de deacutenomina-

tion Quant agrave la laquo situation raquo il faut la comprendre non comme un laquo eacutetat de fait raquo mais

comme le produit humain de sa preacutesence au monde (Cf lrsquointermegravede 4)

Transition avec le thegraveme de la dissociation pour cela il faut renoncer agrave laquo appreacutecier le bon

le faux le contresens raquo en un mot il faut renoncer au laquo jugement raquo

Typologie des paramegravetres du message

JG propose alors une typologie des laquo facteurshellip qui de lrsquoexteacuterieur motivent [le

rheacutetoricien] raquo 694 Quatre laquo paramegravetres raquo 695 sans hieacuterarchie entre eux laquo interfegraverent sans

se confondre raquo Leur laquo syncrasie raquo constitue le laquo contenu raquo du message

Il srsquoagit de lrsquoobjet de lrsquoeacutemetteur du reacutecepteur-destinataire et enfin du vecteur et laquo des

circonstances spatiotemporelles raquo

La notion de laquo facteurs raquo ou laquo paramegravetres raquo de la situation est singuliegraverement eacuteclaireacutee

beaucoup plus loin dans lrsquoouvrage agrave propos de la dialectique de lrsquooutil Voici ce passage

duquel on peut soustraire la reacutefeacuterence agrave la production technique laquo [Il faut reacutesister agrave]hellip la

vieille tentation dores et deacutejagrave deacutenonceacutee pour ce qui est de la glossologie et consistant

finalement agrave confondre avec lunivers positif de la Gestalt lunivers structuralement investi Les

facteurs de la situation ne sont tels quen vertu du mouvement de reacutefeacuterence ou dadaptation

qui dialectiquement les instaure sans preacutejuger au demeurant des faccedilons dont [la production

comme] la deacutesignation sefforce[nt] de reacuteduire explicitement leacutecart et que nous nommons des

viseacutees dautres aussi des fonctions raquo De LrsquoOutil 1773

Ainsi crsquoest la dialectique qui laquo instaure raquo les laquo facteurs raquo de la situation qui finalement

confegravere statut de laquo situation raquo agrave la preacutesence au monde de lrsquohumain mais aussi constitue

lrsquoirreacuteductible laquo eacutecart raquo entre celle-ci et la connaissance qursquoil y met par le signe En parlant de

laquo mouvement de reacutefeacuterence ou drsquoadaptation raquo JG speacutecifie que la laquo viseacutee raquo rheacutetorique est une

activiteacute mentale un raisonnement et non pas la reacuteception passive drsquoune information exteacute-

rieure Plus tard il consacrera une partie du seacuteminaire du 7 mai 1987 ndash laquo La fin du cogito raquo ndash agrave

Husserl qursquoil tient pour laquo responsable de la fin du cogito raquo et lrsquoinitiateur drsquoune autre

conception de la connaissance Il y rappelle la distinction que celui-ci introduit entre laquo noegravese raquo

(laquo un processus raquo dit JG) et laquo noegraveme raquo (laquo une reacutesultante raquo) Il rapproche la notion de

laquo reacuteinvestissement raquo de celle de laquo Zuruumlck zu den Sachenselbst raquo retour aux choses elles-

mecircmes tout en critiquant le laquo -selbst raquo Enfin il souligne la distinction faite entre laquo Objeckt raquo

et laquo Gegenstein raquo Il est donc leacutegitime de rapprocher cette notion de laquo viseacutee raquo de la laquo viseacutee

intentionnelle raquo des Recherches logiques Le franccedilais traduit par laquo viseacutee raquo le terme allemand

Meinung chez Husserl (laquo In einem Meinungsstrahl raquo en un seul rayon-de-viseacutee Meacuteditations

carteacutesiennes 477) ce qui montre qursquoil srsquoagit bien pour cet auteur drsquoun fait seacutemantique Paul-

Eacutemile Geoffroy dans une confeacuterence laquo Le cercle et lrsquoamplificateur Hermeacuteneutique et

signification raquo (sur la Toile) propose comme synonyme laquo Ce vouloir-dire raquo Cela dit JG se

seacutepare de Husserl drsquoabord par le thegraveme de la dialectique car il considegravere que le thegraveme

husserlien de la laquo Wesenschau raquo (1er livre) et celui plus tard formuleacute en laquo Zuruumlck zu den

Sachenselbst raquo sont conccedilus comme laquo une inversion raquo de sa theacuteorisation et non comme les

deux phases drsquoune dialectique

162 Une lecture de Jean Gagnepain

Gagnepain Buumlhler et Jakobson paramegravetres et non fonctions

JG positionne ensuite sa typologie par rapport agrave celle bien connue de Roman Jakobson102

qui elle-mecircme remaniait celle de Karl Buumlhler et par rapport laquo aux linguistes raquo qui srsquoen sont

inspireacutes 695

Il rappelle la typologie des laquo fonctions du langage raquo chez Jakobson La perspective de celui-

ci est fonctionnaliste en ce qursquoil tente de reacutepondre agrave la question laquo Agrave quoi sert le langage raquo

ce qui nrsquoest pas du tout le propos de JG Roman Jakobson distingue six fonctions les trois

premiegraveres eacutetant reprises de Karl Buumlhler 103 et reacuteinterpreacuteteacutees fonctions reacutefeacuterentielle

expressive conative phatique meacutetalinguistique et poeacutetique (Voir Wikipeacutedia ou autres

encyclopeacutedies pour une deacutefinition sommaire) JG met de cocircteacute les deux derniegraveres dans ce

passage pour en faire la critique ulteacuterieurement Les quatre premiegraveres sont profondeacutement

remises en question dans le cadre de la TdM en raison de la dissociation des plans et du carac-

tegravere dialectique de la rationaliteacute

laquo Nous parlons de paramegravetres [et non pas] de fonctionshellip pour trois raisons 695

- laquo Tout est reacutefeacuterence raquo En disant cela JG a deacutejagrave anticipeacute du laquo tout raquo dont il traite dans ce

chapitre agrave savoir restrictivement de rheacutetorique Contrairement agrave Jakobson JG ne pense pas

que le langage soit un objet scientifique homogegravene et il eacutetudie ici la seule capaciteacute de signe Il

faut donc opposer aux laquo fonctions du langage raquo les laquo paramegravetres rheacutetoriques du message raquo La

notion de laquo reacutefeacuterence raquo deacutesigne alors lrsquoensemble des aspects de la mise en relation du

message grammatical avec la situation dont reacutesulte lrsquoinformation phoneacutetique et seacutemantique

Cf 633 laquo la reacutefeacuterence ou rapport du signe agrave la conjoncture raquo laquo Reacutefeacuterence raquo est un nom

drsquoaction qui deacutefinit le raisonnement seacutemantique lui-mecircme Elle ne preacuteexiste pas au fait de dire

mais en est un aspect Ce dernier point est fondamental

- laquo Il est dangereux drsquoopposer le messagehellip agrave lui-mecircme raquo Ce serait une forme de finalisme

Le finalisme juge dans quelle mesure un moyen (le langage) parvient agrave une fin ou des fins

notamment de lrsquoordre de la relation interpersonnelle et de lrsquoaffectiviteacute On opposerait alors le

moyen et les objectifs Et lrsquoon passerait ainsi agrave cocircteacute de lrsquoexplication du fonctionnement interne

et dialectique du signe

- La 3e controverse est double et concerne la confusion des plans dans le modegravele de

Roman Jakobson laquo Nous nous refusons agrave confondrehellip ce qui est inheacuterent agrave la deacutesignationhellip

avechellip raquo 7011

1- laquo hellipUn scheacutema de la communication qui reacuteduit le sens agrave lrsquousage raquo

2- laquo hellipCette exeacutegegravese du discours quihellip lrsquoidentifie agrave lrsquointention raquo

1- La premiegravere divergence porte sur la confusion faite entre signe et langue la langue eacutetant

lrsquousage social que la Personne fait du signe Chez Jakobson la langue est prise en compte agrave la

fois et en partie par les laquo fonctions expressive conative et phatique raquo Par ces trois concepts

il traite de lrsquoeacutechange entre interlocuteurs crsquoest-agrave-dire drsquoun acte social (tout en y meacutelangeant

des faits de lrsquoordre de lrsquoaffectiviteacute et des faits naturels) Lorsqursquoil parle sous le terme de

laquo fonction expressive raquo de la part du message laquo centreacutee sur le destinateur raquo et sous le terme

de laquo fonction conative raquo de la part laquo centreacutee sur le destinataire raquo il a bien compris qursquoil a

affaire agrave une relation humaine et que les deux partenaires du dialogue sont co-responsables

102 Roman Jakobson 1963 Essais de linguistique geacuteneacuterale

103 Karl Buumlhler 1934 Sprachtheorie 2009 Trad Didier Samain Theacuteorie du langage Agone

De la deacutesignation 163

de cette relation Par la fonction laquo expressive raquo lrsquointerlocuteur tend ndash dit-Jakobson ndash agrave laquo se

montrer tel qursquoil est raquo et par la fonction laquo conative raquo il atteste de la preacutesence de linterlocu-

teur dans la deacuteclaration il le reconnaicirct comme responsable cest-agrave-dire au sens litteacuteral

comme susceptible de lui reacutepondre

On retrouve cet aspect de la relation dans la laquo fonction phatique raquo Toute conversation

montre qursquoune part de ce qui est dit consiste agrave proposer maintenir et clore la relation sociale

et le service mutuel qursquoelle rend laquo Dites vous mrsquoeacutecoutez Bon bonhellip Vous voyez nrsquoest-ce

pas Restons-en lagrave raquo Toutefois Jakobson tend agrave reacuteduire cet effort agrave laquo veacuterifier si le circuit

existe raquo en faisant interfeacuterer le biais technique du teacuteleacutephone De ce fait il ne peut comprendre

le statut proprement social de ce fait et ne peut le relier aux deux autres laquo fonctions raquo de

faccedilon agrave faire des trois un tout Baruch Spinoza pour qui la laquo conation raquo est au fondement de

lrsquoecirctre est plus pertinent puisque laquo persister (dans lrsquoecirctre) raquo crsquoest constamment le construire

dans de la relation et dans de lrsquohistoire

2- Ces mecircmes laquo fonctions raquo mecirclent agrave de la sociolinguistique une axiolinguistique sommaire

notamment la fonction laquo expressive raquo Jakobson en dit ceci laquo Elle tend agrave donner limpression

dune certaine eacutemotion vraie ou feinte cest pourquoi la deacutenomination de fonction

‟eacutemotiverdquo proposeacutee par Anton Marty (1908)104 sest reacuteveacuteleacutee preacutefeacuterable agrave ‟fonction eacutemotion-

nellerdquo La couche purement eacutemotive dans la langue est preacutesenteacutee par les interjections raquo En

outre tout ce que Jakobson range sous les fonctions conative et phatique teacutemoigne aussi

drsquoune part laquo drsquoeacutemotiviteacute raquo et de discours interpreacutetable De sorte que la distinction entre

expression conation et contact phatique nrsquoa plus de raison drsquoecirctre dans ce registre de

lrsquoaffectiviteacute et de laquo lrsquointention raquo Le laquo Bonhellip bonhellip raquo au teacuteleacutephone est autant un fait axio-

logique de reacuteticence agrave dire qursquoun fait sociologique de maintien (phatique) du contrat

interlocutif ou de concession (conative) dialogique

JG refuse donc de confondre la deacutesignation avec laquo hellip[cette exeacutegegravese du discours qui] par le

locutoire lrsquoillocutoire et le perlocutoire [lrsquoidentifie agrave lrsquointention] raquo 701 Cette terminologie

nrsquoappartient pas agrave lrsquoexposeacute princeps de Jakobson mais aux linguistes du courant pragmatique

dans la ligneacutee de John Austin (Quand dire crsquoest faire 1962) qui srsquointeacuteressent aux effets

performatifs des deacuteclarations crsquoest-agrave-dire au fait que les deacuteclarations constituent ou produi-

sent des eacuteveacutenements et qursquoelles sont autoreacutealisatrices Un tel point de vue meacutelange les

principes de leacutegaliteacute et de leacutegitimiteacute laquo La force illocutoire raquo renvoie agrave la fois au pouvoir que le

destinateur est en mesure drsquoexercer sur son interlocuteur en fonction de leur position respec-

tive dans la socieacuteteacute mais aussi agrave lrsquointention associeacutee agrave ce passage agrave lrsquoacte Il en va de mecircme

pour laquo la force perlocutoire raquo qui correspond au degreacute et agrave la maniegravere dont lrsquointerlocuteur est

affecteacute par ce qursquoeacutenonce lrsquoeacutenonciateur Obligations sociales et norme axiologique sont confon-

dues Lrsquoanalyse de ces deux concepts par leurs vulgarisateurs est particuliegraverement confuse et

diverse Austin distinguait le laquo in saying raquo illocutoire lorsque lrsquoacte est inheacuterent agrave sa formula-

tion (laquo Je te le promets raquo) et le laquo by saying raquo perlocutoire lorsque lrsquoacte dont on parle

pourrait ecirctre accompli autrement (laquo Asseyez-vous donc raquo plutocirct qursquoun geste drsquoinvite) Seule

est claire la dissociation par rapport agrave lrsquoaspect laquo locutoire raquo de ce qui est dit encore que

certains commentateurs (les philosophes) soumettent le locutoire aux laquo conditions de veacuteriteacute raquo

de la logique formelle et du calcul des preacutedicats La rheacutetorique de JG est tregraves diffeacuterente

104 Anton Marty 1908 Untersuchungen zur Grundlegung der allgemeinen Grammatik und Sprachphilosophie Halle

164 Une lecture de Jean Gagnepain

Application didactique

La premiegravere illustration que fait JG de son parameacutetrage de la rheacutetorique en 702 nrsquoest pas

non plus exempte drsquoincidences axiologiques puisque lrsquoexemple choisi est une laquo appreacuteciation raquo

drsquoun devoir scolaire Certes la part de laquo lrsquoobjet raquo y devient le laquo sujet traiteacute raquo ce qui est

axiologiquement neutre Mais la part de laquo lrsquoeacutemetteur raquo est laquo ce qursquoil y reacutevegravele raquo de lui-mecircme

celle du destinataire est laquo le souci raquo que le locuteur manifeste drsquoautrui et la part du vecteur le

laquo profit raquo tireacute de la place et du deacutelai impartis agrave la locution Plus loin il srsquoagit drsquoecirctre laquo astu-

cieux raquo de laquo srsquoeacutevertuer agrave plaire raquo et drsquoeacutequilibrer coucirct et beacuteneacutefice Ou encore laquo On ne saurait

dans lrsquoabsolu appreacutecierhellip le coucirct et leacuteconomie du message raquo 704 Il est bien difficile de se

deacutefaire de lrsquoambivalence des termes du franccedilais bien souvent deacutenonceacutee par lrsquoauteur on

laquo appreacutecie raquo tantocirct une distance tantocirct le plat du jour

Cette surdeacutetermination mise agrave part JG a bien agrave lrsquoesprit la quadruple laquo caracteacuterisation raquo de

ce qui est dit Je vais la reformuler maintenant dans des termes qui sont en partie les miens et

qui essaient drsquoecirctre exempts drsquoeffet de sens socio- ou axio-logique Soit lrsquoobjet du message

lrsquoinformation livreacutee sur la laquo source raquo et sur la laquo cible raquo de lrsquoinformation et la prise en compte

des circonstances de sa formulation Ceci est clairement exposeacute par la suite laquo Tout est affaire

drsquoopportuniteacute crsquoest-agrave-dire de moyens de faire au mieux passer de lrsquoinformation raquo 703 Et lrsquoon

peut paraphraser la formule du 704 par laquo on ne saurait dans labsolu hellipcaracteacuteriser le degreacute de

proprieacuteteacute du message mais seulement en faisant entrer en ligne de compte lensemble dune

situation raquo degraves lors qursquoil srsquoagit laquo de deacutepouiller le mot de lambiguiumlteacute qui laliegravene et tirer de la

conjoncture tout lenseignement quelle permet raquo 711 Le principe de dialectique oblige agrave

deacutefinir laquo lrsquoenseignement raquo en question (lrsquoinformation) comme ce qui reacutesulte du deacutepassement

de la contradiction entre grammaire et situation Il ne srsquoagit pas de lrsquoextraction drsquoune

information deacutejagrave lagrave dans la conjoncture comme on extrait un meacutetal de la roche qui le contient

laquo Lrsquoentraicircnement [agrave la production drsquoeacutenonceacutes devrait porter] sur lrsquointerversion systeacutematique

et consciente des paramegravetres raquo 704 Le terme laquo entraicircnement raquo est agrave prendre comme

synonyme laquo drsquoexercices raquo de production drsquoeacutenonceacutes qui plus est laquo en langue raquo dans un cadre

scolaire (reacutedaction dissertation reacutesumeacute de texte etc) En effet Il est hors de porteacutee de

lrsquohumain laquo drsquoameacuteliorer raquo la dialectique du signe puisque fondamentalement la rheacutetorique

comme la grammaire est une aptitude mentale de lrsquohumain Le terme laquo interversion raquo me

paraicirct ambivalent Drsquoune certaine faccedilon JG rejoint ici Roman Jakobson sur lrsquoideacutee qursquoon ne

peut gagner sur tous les tableaux mais qursquoil faut srsquoexercer agrave varier chacun des paramegravetres Et il

renvoie au thegraveme de la dialectique en eacutenonccedilant la neacutecessiteacute de faire porter sur chaque para-

megravetre lrsquoexercice de reacuteinvestissement rheacutetorique de ce qui a eacuteteacute eacutevideacute grammaticalement

laquo [Cela] ne saurait porter ni sur lrsquoaccroissement des connaissances ni sur lrsquoexploitation dehellip

lrsquoinvention raquo La critique porte encore sur la reacuteduction du message agrave lrsquoexposeacute de son laquo objet raquo

et sur le manque drsquointeacuterecirct porteacute aux autres paramegravetres Lrsquoinvention en question est

lrsquolaquo Inventio raquo premiegravere des cinq parties de la rheacutetorique classique qui consiste agrave produire

lrsquoensemble des informations susceptibles de devenir des arguments avant dans la

laquo Dispositio raquo de construire le plan de lrsquoexposeacute (Le jeune Ciceacuteron eacutecrivit un laquo De inventione

oratoria raquo)

Rheacutetorique et stylistique

Poursuite du thegraveme de la dissociation laquo La source toujours actuelle du problegraveme reacuteside

dans la confusion des plans raquo 705 JG considegravere ici la dissociation entre glossologie et

De la deacutesignation 165

sociolinguistique La rheacutetorique nrsquoest pas la stylistique cette derniegravere ndash dans sa deacutefinition la

plus traditionnelle et scolaire ndash traitant la maniegravere dont un texte teacutemoigne drsquoun auteur et

contribue agrave son devenir drsquoauteur Plus geacuteneacuteralement une analyse rheacutetorique est agrave distinguer

drsquoune analyse sociolinguistique caracteacuterisant lrsquousage comme idiolectal ou banal deacutefinissant

des genres et des laquo niveaux de langue raquo Agrave cet endroit JG rend compte de la difficulteacute

eacutevidente de son modegravele parameacutetrique comment deacutefinir en termes proprement glosso-

logiques ce qursquoest laquo lrsquoeacutemetteur et le reacutecepteur raquo 694 Il ne srsquoagit pas en effet drsquoun fait

technique comme le laisse penser la meacutetaphore du teacuteleacutephone qui fait passer un signal drsquoun

lieu agrave un autre Comment aussi abstraire ces notions rheacutetoriques de tout contenu socio-

logique (La meacutetaphore de laquo la source raquo et de la laquo cible raquo est tout aussi technique mais me

semble moins precircter au raisonnement mythique que celle de la teacuteleacutephonie)

NB La laquo diaschise raquo 705 deacutesigne dans la sociologie de la TdM lrsquoaptitude de la personne agrave

lrsquoalteacuteriteacute agrave srsquoidentifier en se distinguant de tout autre Elle est au principe des langues

laquo La strateacutegie du propos adresseacute raquo 705 dit-il nrsquoest pas laquo du mecircme ordre raquo que laquo celle de

lrsquoentretien raquo La premiegravere est une pure question de qualiteacute et de quantiteacute drsquoinformation

formuleacutee (phoneacutetique dans lrsquoeacutelocution et seacutemantique dans le raisonnement) tandis que la

seconde est une dialectique interpersonnelle laquo Leacutemetteurhellip nimplique ni la personne ni le

style il nest que lorigine du message dont le reacutecepteur mdash quil soit ou non capable dy

reacutepondre mdash est la cible raquo (LrsquoOutil 17731) Dans la partie sociologique de lrsquoouvrage (De la

Personne) un des chapitres srsquointitule laquo Idiome et entretien raquo termes qui deacutesignent chacun des

deux pocircles de la communication langagiegravere

laquo La caracteacuteriologie du locuteur nrsquoest pas du mecircme ordre que sa contribution agrave lrsquoeacutevolution

du parler raquo 705 Lagrave encore il ne faut retenir dans ce paramegravetre que lrsquoinformation produite et

faire abstraction du fait que cette derniegravere est (peu ou prou) un eacuteveacutenement (drsquoautres disent un

laquo acte raquo de langage) qui entre dans lrsquohistoire de la langue

laquo Lrsquoideacutee srsquoimpose qursquoil nrsquoest que des seacutemantiques raquo 705 Chaque composition entre poids

respectifs des paramegravetres reacutesulte drsquoune strateacutegie particuliegravere qui justifie ce pluriel Ce propos

sert de conclusion au thegraveme de la varieacuteteacute des paramegravetres de la rheacutetorique

La section suivante 712 reprend les thegravemes de la dialectique et celui ndash critique ndash de

lrsquoinsuffisante prise en compte de la situation et des effets de contexte dans les phrases ou les

textes proposeacutes par lrsquoenseignement Les preacutesentes gloses preacutesentent un risque identique jrsquoen

suis bien conscient

laquo hellip la proprieacuteteacute qui le fait concept nen sera pas moins dialectiquement tenue pour compo-

sante essentielle de la deacutefinition du signe raquo Reformulation de lrsquoeacutegale importance des deux

pocircles de la dialectique

La rheacutetorique phoneacutetique

JG aborde la rheacutetorique sur sa face phoneacutetique en 71 agrave 721-2 Il faut laquo reacutehabiliter la

phoneacutetique confondue qursquoelle eacutetait avec la phonation raquo 715 laquo Reacuteinvestissement drsquoune

phonologie [la phoneacutetique] loin de [la] preacuteceacuteder [en] fournit la contrepartie raquo En la matiegravere

laquo la physiologie raquo constitue une partie de la conjoncture sur laquelle srsquoexerce la dialectique qui

aboutit agrave la prononciation phoneacutetique La dissymeacutetrie des organes par laquelle on explique le

fait que toute combinatoire theacuteorique entre localisation et aperture consonantique ne peut

ecirctre reacutealiseacutee phoneacutetiquement est laquo lrsquoeacutequivalent de lrsquoadeacutequation agrave lrsquoobjet raquo 721 en

166 Une lecture de Jean Gagnepain

seacutemantique Les autres paramegravetres sont aussi preacutesents La voix informe sur lrsquoidentiteacute du

locuteur srsquoadapte agrave lrsquointerlocuteur et aux circonstances spatiotemporelles

Autre souci de lrsquoauteur en 722 distinguer dans cette variation de la voix ce qui a un statut

proprement rheacutetorique laquo qui ressortit agrave lrsquoeacutemetteur raquo et ce qui teacutemoigne sociolinguistiquement

laquo de lrsquoidiolecte de la personne raquo Il faut toujours avoir agrave lrsquoesprit que la dissociation des plans est

un raisonnement explicatif et prendre garde agrave ce piegravege du positivisme qui consiste agrave croire

que le mecircme laquo fait concret raquo (la voix que jrsquoentends) reacutesulte drsquoune cause unique On se souvien-

dra de Saussure qui disait laquo Bien loin que lrsquoobjet preacutecegravede le point de vue on dirait que crsquoest

le point de vue qui creacutee lrsquoobjet raquo (Cours p 23) En lrsquooccurrence le fait rheacutetorique nrsquoest pas le

fait sociologique quand bien mecircme on les observerait agrave lrsquooccasion drsquoune mecircme parole eacutemise

par une mecircme personne agrave un moment donneacute

JG critique pour finir laquo lrsquoortho-phonie raquo peacutedagogique (parallegravele agrave lrsquoorthographe) positiviste

et naturaliste qui deacutecrit les phonegravemes comme des sons 722 Et il rappelle que lrsquoAPI

(alphabet phoneacutetique international) est un systegraveme de transcription laquo hybride raquo qui meacutelange

phonegravemes et reacutealisations phoneacutetiques et deacutecrit les uns et les autres avec le vocabulaire de

lrsquoanatomophysiologie

2 - Du formel au stochastique

Trois thegravemes principaux srsquoarticulent dans cette recherche de deacutefinition glossologique de ce

qursquoest le reacuteinvestissement rheacutetorique Celui de la dialectique en premier lieu Celui de la

dissociation des plans et de la neacutecessaire reacuteduction meacutethodologique du regard vers le seul

plan du signe Celui enfin des paramegravetres multiples de la reacutefeacuterence Cet entrecroisement des

propositions est ducirc au fait que JG entend se deacutegager de la tradition et des courants

contemporains qui preacuteciseacutement confondent les plans et montrent une tendance affirmeacutee au

positivisme tendance lieacutee agrave une reacuteduction du concept agrave la seule objectiviteacute

Corpus

La premiegravere eacutetape de cette discussion part de la notion de laquo corpus raquo 723 agrave 732 JG est

precirct agrave reprendre le terme mais il le subvertit en fonction de deux des trois thegravemes rappeleacutes ci-

dessus Dans la tradition crsquoest un recueil laquo fini raquo de laquo messages historiquement attesteacutes raquo et

laquo recueillis raquo Il y a lagrave deux erreurs agrave corriger

Drsquoune part il faut laquo se refuser agrave mecircler le manifeste du langage avec le manifeste de la

langue raquo 731 et briser laquo avec la sociolinguistique raquo Autrement dit lrsquoobjet de la rheacutetorique

dans le donneacute langagier nrsquoest pas ce dont il teacutemoigne ni sa contribution agrave lrsquohistoire

Drsquoautre part et lagrave est lrsquoessentiel laquo le corpus nrsquoest jamais recueilli mais construit raquo 732 car

laquo crsquoest de processus qursquoil srsquoagit raquo processus laquo gracircce auquel lrsquohomme intelligent confegravere [aux

choses] lrsquointelligibiliteacute raquo (dans le cas du concept) 734 Il faut comprendre me semble-t-il que

le terme de laquo corpus raquo deacutesigne une aptitude agrave concevoir la situation en la construisant En cela

il nrsquoest pas fini Il srsquoagit de reconnaicirctre dans le message observable parce qursquoexplicite le

processus (phoneacutetique et seacutemantique) qui lrsquoa produit et qui peut en produire une infiniteacute

drsquoautres

Ceci explique incidemment pourquoi JG deacuteclare que laquo notre conception du corpus ougrave

sexplicite le langage seacutecartehellip de lopinion tant de ses deacutefenseurs que de ses deacutetracteurs dont

De la deacutesignation 167

le conflit repose sur un eacutenorme malentendu raquo 723 Il reacutecuse les partisans de lrsquoanalyse drsquoun

corpus apriorique et fini avec le mecircme argument que Chomsky agrave savoir que le langage est fait

drsquoaptitudes agrave produire une infiniteacute de messages Et il reacutecuse aussi ce dernier qui nrsquoest pas

dialecticien parce qursquoil positive la notion de laquo performance raquo en la reacuteduisant agrave lrsquoeffectif

produit par la grammaticaliteacute tandis que pour JG la rheacutetorique est une phase de la

dialectique du signe et donc un ensemble de processus abstraits La rheacutetorique est le

processus qui permet de produire de lrsquointelligibiliteacute et non le produit final lui-mecircme

Autrement dit le donneacute langagier (un message) nrsquoest pas pour JG une performance crsquoest le

lieu ougrave lrsquoon peut observer et tester lrsquoaptitude au signe et donc au mecircme titre le processus de

rheacutetorique que celui de grammaire Il nrsquoy a pas un laquo concret raquo performantiel drsquoun cocircteacute et un

laquo lrsquoabstrait raquo instantiel de lrsquoautre Explicite ne veut pas dire concret laquo Le concevablehellip est la

seule deacutefinition du concept raquo 724 et laquo tout sens est potentialiteacute raquo 761105

Stochastique

Le titre de cette section parle de laquo stochastique raquo Il nous oblige agrave examiner attentivement

le reacuteseau des termes proposeacutes qui sont parfois synonymes parfois en opposition entre eux

Mais ils visent tous agrave sortir la rheacutetorique de lrsquoapproche sociolinguistique et du positivisme 724

Lrsquoauteur souligne lrsquoeacutequivoque du terme laquo probabiliteacute raquo et deacuteclare qursquoil ne srsquoagit pas de

laquo statistique raquo mais de laquo stochastique ou si lrsquoon preacutefegravere drsquoinduction cest-agrave-dire dhypothegravese

du sujet parlant sur lensemble de la conjoncture raquo La grammaire (ou laquo signifiable raquo) est

deacuteductive et la rheacutetorique (ou laquo concevable raquo) est hypotheacutetico-deacuteductive Essayons drsquoy voir

plus clair

- Probabiliteacute et stochastique Un calcul de probabiliteacute repose sur des eacuteveacutenements deacutefinis et

preacutevisibles en raison drsquoune connaissance anteacuterieure Ainsi fonctionne la meacuteteacuteo qui projette

sur lrsquoavenir proche un laquo corpus raquo immense mais fini de donneacutees JG nous amegravene au contraire

agrave envisager par quels processus abstraits le langage peut produire du toujours nouveau

deacutependant des contraintes variables et aleacuteatoires de la situation Drsquoougrave sa preacutefeacuterence pour la

notion de laquo stochastique raquo qui est lrsquoeacutetude des processus aleacuteatoires tels qursquoen physique le

mouvement brownien ou la meacutecanique des fluides

En outre JG impute agrave la Personne capable drsquohistoire la capitalisation et la reacutecapitulation

des eacuteveacutenements neacutecessaires agrave la deacutemarche probabiliste Sa laquo stochastique raquo en revanche ne

concerne que de lrsquoinformation

- Hypotheacutetico-deacuteduction 724 Par ailleurs il faut reconnaicirctre qursquoen raison drsquoun lourd passeacute

philosophique le couple laquo deacuteduction ndash induction raquo est drsquoune polyseacutemie deacutesespeacuterante (Allez

donc voir agrave la reacutecreacute la page laquo discussion raquo de lrsquoarticle laquo Deacuteduction et induction raquo de Wikipeacute-

dia ) Certes JG nous eacutepargne laquo lrsquoanalytique et le syntheacutetique raquo mais il nous preacutesente tout

de mecircme comme synonymes lrsquoinduction et lrsquohypotheacutetico-deacuteduction Jrsquooserai dire en tant que

lecteur que ces termes ne deviennent des concepts qursquoa posteriori des deacuteveloppements qui

les suivent et dont ils constituent un essai de reacutesumeacute et de deacutefinition

Le raisonnement seacutemantique constitue une laquo hypothegravese sur la situation raquo en ce sens que

mecircme srsquoil remet en cause lrsquoimproprieacuteteacute grammaticale ce nrsquoest qursquoune viseacutee relative et

105 Je me risquerai ici agrave reprendre lrsquoimage peacutedagogique du laquo jeu drsquoeacutechecs raquo utiliseacutee par Saussure dans le Cours p 43 pour un autre propos Par rapport aux laquo regravegles du jeu raquo la performance pour JG ne serait pas chacune desparties diverses mais la potentialiteacute infinie des strateacutegies et tactiques de jeu (Lrsquoimage ne rend cependant pas compte de la dialectique du dire)

168 Une lecture de Jean Gagnepain

constructive La deacutesignation la plus simple ndash celle que je propose ici mecircme laquo Ceci est une

suite de lettres raquo ndash ne dit rien drsquoautre et de plus que ce qui est conccedilu comme eacutetant une suite et

comme eacutetant une lettre Ce nrsquoest qursquoune laquo hypothegravese raquo sur ce qursquoest le laquo ceci raquo que jrsquoai

deacutesigneacute Si JG preacutecise qursquoil srsquoagit laquo drsquohypotheacutetico-deacuteduction raquo crsquoest pour rendre compte dans

un seul mot composeacute de ce qui caracteacuterise une phase de la dialectique la rheacutetorique est

laquo hypotheacutetique raquo en regard de la situation agrave laquelle on se confronte et qui est laquo au principe raquo

de la dialectique mais elle nrsquoest que le renversement (le reacuteinvestissement) de la grammaire ndash

laquo le formel raquo ndash dont elle est laquo deacuteduite raquo laquo Rheacutetorique ou grammaire lrsquoon nrsquoopegravere jamais que

sur des mots raquo dit-il plus loin 752 Lrsquoideacutee de deacuteductibiliteacute rend compte du caractegravere structural

de la grammaire que lrsquoon retrouve dans la rheacutetorique mais selon un autre laquo mode

drsquoorganisation raquo 753

La performance rheacutetorique construit un monde intelligible

On retrouve la notion drsquoinduction en 732 laquo Chaque paramegravetrehellip [est] lrsquoinducteurhellip drsquoun

point de vue sur le monde qui le deacuteterminant agrave sa faccedilon le neacutecessite sans ecirctre lui-mecircme

neacutecessaire raquo Admettons que laquo le raquo soit laquo le monde raquo et que laquo lui-mecircme raquo soit laquo le point de

vue raquo Que comprendre Relisons la phrase agrave rebours

- Drsquoune part (fin de phrase) le laquo point de vue raquo induit par laquo chaque paramegravetre raquo de la

reacutefeacuterence ne preacutesente pas laquo lui-mecircme raquo de caractegravere de laquo neacutecessiteacute raquo Cela signifie pour moi

que ce point de vue que creacutee la rheacutetorique pocircle drsquoune dialectique ancreacutee dans la situation

nrsquoest pas deacutetermineacute dans lrsquoabsolu par cette situation On ne peut jamais observer qursquoagrave telle

situation particuliegravere hic et nunc doive neacutecessairement correspondre une faccedilon de la dire La

rheacutetorique est en cela laquo hypotheacutetico-deacuteductive raquo

- En revanche le point de vue parce qursquoil consiste en une recherche de congruence

laquo deacutetermine raquo le monde laquo prouve raquo agrave sa faccedilon que lrsquoon ne dit pas nrsquoimporte quoi de nrsquoimporte

quoi et ndash corollaire obligeacute ou preacutesupposeacute ndash prouve aussi que le monde nrsquoest pas nrsquoimporte

quoi en ce qursquoil reacutesiste agrave un raisonnement aleacuteatoire Le dire laquo neacutecessite raquo le monde Crsquoest ce

qui fait que la rheacutetorique est laquo inductrice raquo On est proche ici de lrsquoeacutetymon latin laquo in-ducere raquo

laquo introduire raquo Chaque paramegravetre oriente les processus analytiques de la rheacutetorique (laquo deacutecou-

pages et choix raquo) vers une relative intelligibiliteacute de la situation Un principe drsquoexpeacuterience en

tant que premier moment de la dialectique langagiegravere mais laquo deacuteclineacute raquo sous forme de

variables parameacutetreacutees fait que toute conceptualisation est une hypothegravese laquo orienteacutee raquo La

rheacutetorique est donc laquo deacuteterminante raquo ndash JG dira aussi laquo causale raquo ndash sans ecirctre absolument

laquo deacutetermineacutee raquo

Si lrsquoon prend en compte la double dimension du dire sa biaxialiteacute on comprend alors les

affirmations suivantes assorties drsquoune neacutecessaire nuance laquo De lagrave vient quau-delagrave de la

controverse philosophique des reacutealistes et des nominalistes lon peut ndash en purifiant bien

entendu les termes de ce quils ont usuellement d᾽objectif ndash glossologiquement affirmer que

toute appellation est ineacuteluctablement theacuteorie et toute assertion vraie ou fausse une loi raquo

7328 Tout message a une porteacutee qui deacutepasse lrsquoimmeacutediateteacute de ce qui a eacuteteacute dit Le conccedilu

nrsquoest que lrsquoexemple du concevable crsquoest-agrave-dire drsquoune potentialiteacute qui prend la dimension

drsquoune loi (causale) Lrsquoincise laquo vraie ou fausse raquo me paraicirct une concession bien imprudente au

point de vue axiologique des logiciens Tout ce chapitre montre qursquoil ne srsquoagit pas en

rheacutetorique de juger du vrai et du faux

De la deacutesignation 169

laquo Il fallaithellip retrouver lrsquohomogeacuteneacuteiteacute dialectique drsquoune double creacuteativiteacutehellip qui nous fournit le

moyen drsquoeacutechapper drsquoune part au soleacutecisme de lrsquoautre agrave lrsquoincongruiteacute raquo 733

Le thegraveme de laquo lrsquohomogeacuteneacuteiteacute dialectique raquo renvoie au principe unique drsquoanalyse qui se

retrouve dans chacun des pocircles de la dialectique Celui de la laquo double creacuteativiteacute raquo eacutetend

lrsquoargumentation preacuteceacutedente agrave la dialectique du signe en son entier Les termes laquo soleacutecisme raquo et

laquo incongruiteacute raquo nrsquoont ici de sens ni sociolinguistique ni normatif mais seulement informatif Le

premier concerne la grammaire le second la rheacutetorique

La rheacutetorique est laquo creacuteative raquo parce qursquoelle renouvelle sans fin lrsquointelligibiliteacute hypotheacutetico-

deacuteductive du monde Productrice drsquoune intelligibiliteacute de la situation autrement dit de

laquo congruence raquo elle permet par ses choix et deacuteveloppements drsquoeacutechapper agrave lrsquoincongruiteacute qui

ferait que nrsquoimporte quoi pourrait ecirctre dit de nrsquoimporte quoi sans controcircle Cela ne signifie pas

pour autant que JG ignore que lrsquoon puisse dire de lrsquoimaginaire du fictif et de lrsquoimpossible car

il ne srsquoagit pas de laquo congruence raquo conventionnelle partageacutee mais drsquoun principe de coheacuterence

seacutemantique controcircleacutee Est laquo congruent raquo ce qui est laquo concevable raquo et non seulement ce qui

est conventionnellement laquo reacutealiste raquo Le laquo sourire du chat sans chat raquo cher agrave Lewis Carroll nrsquoest

pas incongru dans lrsquoordre du langage puisqursquoil est intelligible

La grammaire est laquo creacuteative raquo dans le cadre des contraintes de la structure Elle permet

drsquoeacutechapper au laquo soleacutecisme raquo deacutefini ici comme une forme qui eacutechappe (partiellement) agrave

lrsquoanalyse En ce sens la forme verbale laquo vous faisez raquo certes laquo eacutetrangegravere raquo au franccedilais acadeacute-

mique nrsquoest pas un soleacutecisme puisqursquoelle est logiquement deacuteductible de la conjugaison du

verbe Cf 582 agrave propos de laquo colourless green ideas sleep furiously raquo laquo hellipil suffit pour quun

eacutenonceacute soit de ce point de vue compreacutehensible quil soit - acceptable ou non - bien formeacute raquo

Tout jugement mis agrave part seul lrsquoaphasique teacutemoigne du soleacutecisme

Le paragraphe 734 clocirct lrsquoexposeacute introduit par la notion de laquo corpus raquo en eacutenonccedilant

laquo qursquoaucun de nos propos nrsquoest plat raquo La platitude est ici une autre meacutetaphore de la clocircture et

du positivisme du laquo conccedilu raquo Quant au laquo concevable raquo il peut srsquoobserver sur chacun des deux

axes dans laquo la phrase raquo comme dans le laquo vocabulaire raquo

- Dans le premier cas le propos ne se limite pas agrave la proposition effective mais nrsquoest qursquoun

laquo eacutechantillon raquo des laquo deacuteveloppements eacuteventuels raquo 753 Le sens du propos est aussi deacutefini par

lrsquoensemble des preacutesuppositions et des implications potentielles Cf infra 883

- Dans lrsquoautre laquo le vocabulaire disponible raquo renvoie au-delagrave du concept choisi agrave lrsquoensemble

des concepts exclus tant les concepts jugeacutes trop geacuteneacuteriques ou trop speacutecifiques en lrsquooccasion

que ceux qui sont envisageables mais sont reacutefuteacutes comme inadeacutequats Si je dis voir laquo un

chat raquo crsquoest que je juge que ce vocable est conjoncturellement adeacutequat et qursquoil serait

incongru de parler plutocirct drsquoune laquo chose raquo drsquoun laquo chaton raquo (mecircme si crsquoen est un) ou drsquoun

laquo zegravebre raquo Le vocabulaire est deacutelimiteacute en situation par lrsquoensemble des concepts (porteacutes

eacutevidemment par un lexique degraves lors qursquoils sont dits) entre lesquels le locuteur choisit le plus

apte agrave la construction du sens Le vocabulaire est lrsquoinventaire des choix possibles et comprend

le vocable choisi et les vocables exclus Par lagrave mecircme il informe sur lrsquoeacutemetteur du message (laquo la

compeacutetence de celui qui srsquoexprime raquo) 734 en mecircme temps que sur son objet

JG preacutecise ailleurs que laquo le lexique nrsquoest pas le vocabulaire raquo 442 que le second est le

reacuteinvestissement rheacutetorique du premier qui en est la base formelle Plus loin en 883 Il fera

comprendre la distinction entre lexique (des segravemes) au singulier et vocabulaires (des

vocables) au pluriel en eacutevoquant le fait que le dictionnaire range alphabeacutetiquement ses

170 Une lecture de Jean Gagnepain

entreacutees tandis que les glossaires encyclopeacutediques rangent des ensembles de vocabulaires en

fonction de domaines conceptuels Incidemment il semble que JG utilise le terme

laquo concept raquo lorsqursquoil nrsquoa pas agrave distinguer entre les axes et distingue entre laquo vocabulaire raquo et

laquo phrase raquo lorsqursquoil choisit de faire cette distinction axiale Cela dit le vocable est clairement

un laquo concept raquo

laquo Lrsquoexpeacuterience est indispensable au langage et quoique le mot fromage nrsquoait point de

goucircthellip il ne peut srsquoaccomplir comme signe que si le fromage en a On nen saurait conclure

pour autant agrave quelque fundamentum in re car le sens nest point dans les choses mais

seulement dans le processus gracircce auquel lhomme intelligent leur confegravere lintelligibiliteacute raquo

734 JG reprend par cet exemple un laquo topos raquo probablement ancien qui a transiteacute par JJ

Rousseau (LrsquoEacutemile Livre 2) puis Bertrand Russell (laquo Personne ne peut comprendre le mot

fromage agrave moins qursquoil ait une connaissance non linguistique du fromage raquo) et repris par Roman

Jakobson dans un article sur la traduction Le vocable laquo fromage raquo comprend non seulement ce

choix mais aussi la constellation des vocables exclus qui contribue agrave lrsquointelligibiliteacute de ce

vocable La seconde phrase vient corriger ce que la premiegravere peut suggeacuterer de retour agrave la

thegravese reacutealiste du signe laquo nomenclature raquo Le goucirct du fromage en question est en lrsquooccurrence

une laquo expeacuterience raquo humaine qui ne devient laquo goucirct du fromage raquo qursquoen tant que concept

formuleacute deacutesignation qui tente de dire ce qui srsquoest passeacute entre le gigot et la poire et qui est

deacutenommeacute ici laquo expeacuterience raquo Il serait aventureux de postuler que nrsquoa drsquoexistence humaine que

le seul raisonnement laquo le goucirct du fromage raquo et non ce qui srsquoest passeacute ce jour-lagrave entre le gigot

et la poire car crsquoest bien ce qui srsquoest passeacute agrave ce moment-lagrave qui explique qursquoaient eacuteteacute exclus

drsquoautres possibles tels que laquo le goucirct de la brouette la sonnette du fromage etc raquo consideacutereacutes

comme incongrus Et pourtant tout ce qursquoon en sait crsquoest bien qursquoil srsquoagit laquo du goucirct du

fromage raquo crsquoest-agrave-dire ce qursquoon en dit Cf 732 le refus de se mecircler agrave la laquo controverse philo-

sophique des reacutealistes et des nominalistes raquo NB La formule laquo fondamentum in re raquo (fonde-

ment dans la chose) se trouve notamment chez Thomas drsquoAquin (1er livre de Commentaire sur

les sentences)

Le paragraphe 735 assure une transition entre le thegraveme du laquo corpus raquo et celui du laquo texte raquo

laquo Si le corpus de soi ne nous livre pas la grammaire crsquoest quil conteste justement la priori

quil lui doit au nom de celui quelle lui permet deacutelaborer raquo Lire laquo hellipcrsquoest que le corpus

conteste lrsquoa priori qursquoil doit agrave la grammaire au nom de lrsquoa priori que cette grammaire lui

permet drsquoeacutelaborer raquo Si laquo a priori raquo est ici appliqueacute aux deux phases de la dialectique crsquoest

pour renforcer lrsquoideacutee que le signe en sa totaliteacute est aptitude mentale analytique abstraite

Deacuteveloppons

La grammaire est qualifieacutee ici laquo drsquoa priori raquo parce qursquoelle constitue une structure speacutecifique

et permanente Cette thegravese est celle de lrsquoimmanence du grammatical Cependant il faut aussi

se souvenir que la grammaire nrsquoest pas un en-soi mais un pocircle dans une dialectique La fin de

la proposition eacutenonce que la rheacutetorique est capable laquo drsquoeacutelaborer un autre a priori raquo Je

comprends que dialectiquement la rheacutetorique tout en reacuteameacutenageant les deacutelimitations

grammaticales produit un raisonnement qui est encore de lrsquoordre de lrsquoabstrait en deacutecalage

par rapport agrave lrsquoexpeacuterience agrave laquelle il se heurte et qursquoil construit Le terme laquo a priori raquo ne

renvoie pas agrave une anteacuterioriteacute mais agrave la laquo preacutecession logique raquo 36 du principe deacuteterminant ici

la bipolariteacute de la dialectique Lrsquoa priori grammatical et lrsquoa priori rheacutetorique se contestent

mutuellement et crsquoest cette contradiction qui les constitue comme un laquo a priori raquo lrsquoun par

De la deacutesignation 171

rapport agrave lrsquoautre (Chez Kant lrsquoa priori deacutesigne la connaissance indeacutependante de lrsquoexpeacuterience

par opposition avec lrsquoa posteriori Il ne srsquoagit pas de cela ici)

On rejoint ici les paragraphes 733-4 lrsquoexpeacuterience est certes laquo indispensable raquo mais le

laquo point de vue raquo qui reacutesulte de la confrontation entre signe et expeacuterience reste hypotheacutetique

et proprement analytique La rheacutetorique est le reacute-investissement de la grammaire dans la

situation non plus laquo forme raquo mais laquo reacute-forme raquo 735 JG joue ici sur le mot laquo forme raquo drsquoabord

pris dans son sens speacutecifique en grammaire et repris dans le sens plus geacuteneacuterique drsquoanalyse

Comme la grammaire la rheacutetorique est laquo analyse raquo non plus de forme mais laquo de contenu raquo

Aspect quantitatif de la performance le texte

Le thegraveme de la laquo lecture de texte raquo 742 est une seconde eacutetape dans cette eacutetude de la

rheacutetorique et peut ecirctre reformuleacute en laquo analyse de contenu raquo 735 laquo Analyse raquo parce que lrsquoon

rend compte drsquoune systeacutematique puisque la performance est une phase du signe Et

laquo contenu raquo parce qursquoil srsquoagit de comprendre quels aspects de la conjoncture laquo catalysent raquo la

performance (cf infra laquo La reacutefeacuterence est seulement catalyse raquo 744) Lrsquoexemple pris de lrsquoeacutetude

du Misanthrope de Moliegravere 742 renvoie aux quatre paramegravetres de la performance Lrsquoobjet

laquo la fideacuteliteacute de la peinture raquo La source laquo le souffre-douleur des Diafoirus et des Beacutejart raquo La

cible laquo les goucircts du parterre raquo Les conditions spatio-temporelles ndash en lrsquooccurrence les

contraintes techniques laquo le meacutetier de lrsquohomme de theacuteacirctre raquo

Un tel programme situe laquo le message raquo sur le seul plan glossologique comme fait de dire

car il dissocie cette analyse des autres plans qui interfegraverent dans la reacutealiteacute appeleacutee communeacute-

ment laquo piegravece de theacuteacirctre raquo Celle-ci nrsquoest pas qursquoun message Techniquement crsquoest un

laquo ouvrage raquo mis en scegravene Sociolinguistiquement crsquoest un exemple de genre professionnelle-

ment et historiquement convenu Axiologiquement lrsquoœuvre theacuteacirctrale est un laquo suffrage raquo une

expression qui reacutepond agrave une intention106 et qui a un retentissement affectif sur le spectateur

On reacutesume traditionnellement cet effet par la notion de laquo catharsis raquo de laquo purgation des

passions raquo Quant agrave la comeacutedie elle corrige les mœurs en riant laquo castigat ridendo mores raquo107

JG reproche aux laquo seacutemioticiens raquo en 743 de confondre ces plans explicatifs Crsquoest oublier

que le laquo pheacutenomegravene raquo (rheacutetorique) laquo est drsquoabord commentaire avant drsquoecirctre sous drsquoautres

angles lui-mecircme commenteacute raquo On peut certes commenter une œuvre drsquoun point de vue

sociologique ou axiologique mais il faut drsquoabord la consideacuterer en tant que fait seacutemantique et

que crsquoest cela lrsquoobjet du glossologue Et il reproche agrave lrsquoinstitution universitaire de seacuteparer dans

deux disciplines (laquo philologie raquo et laquo litteacuterature raquo agrave lrsquoeacutepoque) lrsquoeacutetude des deux pocircles de la

dialectique du dire La grammaire srsquoen trouve laquo reacuteifieacutee raquo

Nouvelle formulation du caractegravere dialectique du signe 744 et 751-2 La laquo performance raquo

est lrsquoinversion la laquo neacutegation raquo de la neacutegativiteacute grammaticale qui la fonde

On trouvera donc dans la seacutemantique les proprieacuteteacutes drsquoune analyse Ce que reacutesume la

formule finale laquo rheacutetorique ou grammairehellip lrsquoon nrsquoopegravere jamais que sur des mots raquo 752 Par

conseacutequent des notions non langagiegraveres telles que les laquo personnes raquo les laquo personnages raquo et

les laquo fonctions raquo (dont le statut ressortit agrave la sociologie proprement dite) ne peuvent ecirctre des

106 Le terme laquo suffrage raquo est choisi par JG en axiologie pour deacutesigner laquo la transgression autoriseacutee raquo la deacutecision leacutegitime (DVD II 255)

107 Le poegravete Jean-Baptiste Santeul proposa cette devise agrave lrsquoacteur Dominique lrsquoArlequin de la Comeacutedie Italienne de Paris vers 1680 Elle figure au fronton de lrsquohocirctel de Bourgogne agrave Paris

172 Une lecture de Jean Gagnepain

principes explicatifs de la rheacutetorique Seule compte la maniegravere dont ces faits sont pris dans la

dialectique langagiegravere

La rheacutetorique est une reacute-analyse

Suit un deacuteveloppement de deux caracteacuteristiques de la rheacutetorique Comme la grammaire

celle-ci est organiseacutee selon les proprieacuteteacutes de lrsquoanalyse en deux faces et deux axes Mais le

laquo mode drsquoorganisation raquo 753 change Tout ce qui est grammatical ndash diffeacuterenciation en segravemes

et segmentation en mots ndash y est laquo remanieacute raquo selon un critegravere de laquo coheacuterence raquo Cette laquo coheacute-

rence raquo produite laquo nrsquoest plus dans la structure qui lrsquoinstaure mais dans la situation agrave laquelle le

message se reacutefegravere raquo Pour que cette formulation soit compatible avec la thegravese selon laquelle

crsquoest le signe lui-mecircme qui introduit de lrsquointelligibiliteacute dans le reacuteel il faut comprendre qursquoune

laquo heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute raquo du reacuteel (et non une coheacuterence apriorique) vient se confronter agrave lrsquoactiviteacute

langagiegravere de causaliteacute et srsquoeacuteprouve dans cette possibiliteacute de produire de la coheacuterence seacuteman-

tique Lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute postuleacutee ndash cf laquo Il nest pas vrai que la nature soit comme on le dit

amorphe et continue raquo 251 ndash devient par le langage relativement connaissable dans du

message coheacuterent Nrsquooublions pas que cette nature est toujours laquo pheacutenomeacutenologiquement

humaine raquo et nrsquooublions pas non plus que nous passons notre temps agrave parler de nos actes et

de nos relations sociales de notre activiteacute technique et de nos deacutecisions morales crsquoest-agrave-dire

de faits culturels sur les autres plans Le langage est alors confronteacute agrave de lrsquoexpeacuterience par

ailleurs culturelle et analyseacutee

Ce qui srsquoappreacutecie est alors laquo la qualiteacute et la quantiteacute de lrsquoinformation raquo apporteacutee La figure

de lrsquoellipse laquo Paris dimanche 18h30 raquo 753 montre que le mot ne compte plus seulement pour

lui-mecircme mais que la proprieacuteteacute du message integravegre un ensemble drsquoinfeacuterences lieacutees agrave la

situation en tant qursquoelle est dite En cela nous le verrons plus loin les notions classiques de

figure et drsquoellipse sont illusoires Celui qui dit laquo cela ainsi en situation raquo (laquo hic sic nunc raquo)

produit du sens laquo propre raquo approprieacute agrave la conjoncture

Je regrouperai ici une paraphrase de la mecircme thegravese ainsi proposeacutee 763 laquo le sens

rheacutetorique nrsquoest rien de plus que lrsquoensemble des opeacuterations par lesquelles explicitement il se

fait (hellip) Crsquoest exclusivement agrave leur inventaire que le rheacutetoricien devra se consacrerhellip raquo La

notion drsquoopeacuteration annonce lrsquoexposeacute du modegravele biaxial qui suivra

JG porte en 754 un bref regard sur le versant clinique de la thegravese Chez lrsquoaphasique le

deacuteficit grammatical produit un effet de preacutegnance de la situation Le Wernicke est

laquo monoseacutemique raquo dans le sens ougrave il ne peut plus srsquoappuyer sur une structure lexicale pour

seacutelectionner ce qui peut ecirctre synonyme et rejeter ce qui ne peut pas lrsquoecirctre par rapport agrave ce

qursquoil cherche deacutesespeacutereacutement agrave deacutesigner Il postule qursquoexiste un mot pour dire ce qursquoil vise agrave

dire Ce mot lui eacutechappe et il le poursuit agrave travers son laquo jargon raquo Le Broca est

laquo monorheacutemique raquo parce que condamneacute agrave tout dire en un seul mot Toutefois la persistance

du fonctionnement de lrsquoautre axe permet agrave lrsquoun et agrave lrsquoautre une rheacutetorique compensatoire qui

consiste en des peacuteriphrases sans fin chez le Wernicke et en la recherche de preacutecision chez le

Broca

Lrsquoensemble 762-4 privileacutegie le thegraveme de la dissociation des plans neacutecessaire agrave une juste

deacutefinition de la rheacutetorique De nouveau JG fait la chasse aux concepts implicitement

sociologiques dans les theacuteories du reacutecit Celles-ci laquo disent agrave propos du message autre chose et

plus qursquoil ne dit raquo 763 Il souligne ensuite la difficulteacute de cette dissociation Cela eacutetait deacutejagrave vrai

en grammaire ougrave il est difficile par exemple de distinguer le principe diffeacuterentiel de

De la deacutesignation 173

laquo lexique raquo et lrsquousage social de celui-ci qursquoil appelle laquo vernaculaire raquo 764 Crsquoest aussi vrai de la

rheacutetorique ougrave il importe de laquo deacutemecircler les faits propres agrave la deacutesignation de ceux qui touchent

sociologiquement parlant agrave lorganisation conventionnelle du savoir raquo Par ailleurs la laquo seacuteman-

tique universelle raquo preacutetendument laquo synchronique raquo nrsquoest en reacutealiteacute qursquoun catalogue drsquoideacutees

reccedilues agrave une certaine eacutepoque dans une certaine reacutegion et pour un certain milieu autrement

dit une ideacuteologie socialement inscrite une laquo doxa raquo

La laquo mutation raquo du sens

Il faut laquo distinguerhellip (a) lrsquoinvestissement de la structure tant (b1) de ses eacutetats que (b2) du

processus mecircme de leur mutation raquo 771 (a) La rheacutetorique a les proprieacuteteacutes de la structure et

son organisation reacuteameacutenage les deacutelimitations grammaticales en fonction de la situation agrave

laquelle le locuteur se confronte (b1) Ici laquo lrsquoeacutetat raquo seacutemantique deacutesigne ce qursquoune communauteacute

de penseacutee accepte comme sens relativement agrave drsquoautres communauteacutes et transitoirement

dans une relation dialectique agrave (b2) laquo le processus de mutation raquo du sens Lrsquoensemble (b1 et

b2) renvoie respectivement agrave lrsquoeacutevocation des deux angles drsquoapproche de la seacutemantique et de la

phoneacutetique traditionnelles laquo lrsquoangle moderne de lrsquoacception raquo et laquo lrsquoeacutetymologie du passeacute raquo

qui sont deux aspects de lrsquousage Ce thegraveme sera deacuteveloppeacute dans le second tome du Vouloir-

Dire De la Personne ch laquo Langage et interlocution raquo Seul (a) relegraveve de la glossologie

Essayons drsquoabord de regrouper les formulations qui constituent le propos de la page 772-4

Sachant que lrsquoeacutetude de la seacutemantique consiste agrave observer un laquo ensemble drsquoopeacuterations raquo qui

construit le sens laquo lrsquoopeacuteration raquo en cause consiste agrave laquo tirer le meilleur parti raquo du laquo divorce raquo

qursquoest la contradiction entre situation et structure grammaticale Il srsquoagit donc de

laquo lrsquoinvestissement raquo de la structure dans la situation conjoncturelle partie inteacutegrante de la

dialectique du dire La rheacutetorique est une laquo eacuteconomiehellip indispensable agrave lrsquoappreacutehension du

message raquo Crsquoest drsquoun processus qursquoil srsquoagit qui donne lieu agrave de multiples laquo proceacutedeacutes raquo

qualifieacutes au passage de laquo tours raquo

Sont eacutevoqueacutes les cas multiples de cette laquo eacuteconomie raquo qursquoest la relation entre situation et

formulation Le classement sommaire en laquo rapprochements eacuteliminations configurations raquo

(selon les deux axes) renvoie au thegraveme des figures exposeacute plus loin Est eacutevoqueacute le cas ougrave laquo le

sens reacuteagit sur la forme raquo

- Il srsquoagit en particulier de lrsquoaccord avec le sens dit laquo ad sensum raquo en latin laquo kata synesin raquo

en grec 773 ou ici un meacutelange des deux Ainsi le terme laquo la moitieacute raquo est grammaticalement

au singulier mais la situation deacutesigneacutee lorsqursquoelle est conccedilue comme multiple pousse agrave

mettre le verbe au pluriel lorsque lrsquoon dit laquo La moitieacute sont resteacutees raquo (Srsquoil srsquoagit de

spectateurs et non drsquoun gacircteau coupeacute en deux)

- Par ailleurs lrsquoassociation drsquoideacutees entre drsquoune part lrsquoouverture et la fermeture des magasins

et de lrsquoautre les jours de travail et le dimanche provoque le rapprochement entre laquo ouvrable raquo

et laquo ouvert raquo 774 dans laquo jour ouvrable raquo et lrsquoeacutelimination de la relation de laquo ouvrable raquo agrave

laquo ouvrier ouvrage œuvre raquo ainsi qursquoaux verbes laquo ouvrer raquo (qui figure dans le Dictionnaire

universel drsquoAntoine Furetiegravere) et laquo œuvrer raquo

- Dernier exemple de cette laquo eacuteconomie raquo lrsquoimpact de la situation sur laquo lrsquoideacutee que lrsquoon se

fait raquo de la relation preacutedicative explique la varieacuteteacute des effets de sens de cette relation 773

Une simple liste drsquoeacutenonceacutes tels que laquo Pierre srsquoest casseacute une dent Pierre a casseacute sa courroie

drsquoalternateur Pierre sent le tabac Lrsquoessence deacutegraisse les pinceaux raquo montre lrsquoapproximation

174 Une lecture de Jean Gagnepain

des classifications de la notion de laquo sujet raquo en laquo agent patient lieu du procegraves raquo La varieacuteteacute des

laquo proceacutedeacutes raquo ne doit pas faire oublier lrsquoidentiteacute du laquo processus raquo rheacutetorique 774

Cette eacutelaboration relative drsquoune intelligibiliteacute seacutemantique entre structure et conjoncture

concerne les deux axes Sans parvenir agrave laquo lrsquoeacutetiquetage raquo (qualitatif) ni agrave la laquo globaliteacute raquo

(quantitative) 772 elle vise agrave laquo lrsquohomogeacuteneacuteiteacute conjoncturelle (qualitative) du vocabulaire raquo et agrave

la laquo connexion seacutemantique (quantitative) de la phrase raquo 774

- Qualitativement la nomenclature est impossible puisqursquoil nrsquoy a pas de connaissances

distinctes108 preacutealables agrave eacutetiqueter mais seulement la construction drsquoidentiteacutes et de distinc-

tions conceptuelles Lrsquoidentiteacute conceptuelle reacutepond au principe laquo drsquohomogeacuteneacuteiteacute raquo JG

anticipe ici de la deacutefinition qursquoil en donnera plus loin sous le nom de laquo vocable raquo comme

laquo convergence synonymique raquo de segravemes en 864 Le raisonnement est toujours dialectique

ledit laquo vocabulaire raquo nrsquoest pas ce capital de laquo mots raquo recenseacute par le dictionnaire en langue le

laquo vocabulaire raquo est le processus mental drsquohomogeacuteneacuteisation qui permet au locuteur de neacutegliger

lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute formelle des segravemes Pour faire simple eacutevoquons le fait selon la situation de

neacutegliger la diffeacuterence lexicale entre laquo terre raquo et laquo cocircte raquo lorsque lrsquoon dit depuis le bateau laquo La

terre est agrave tribord raquo et celle entre laquo terre raquo et laquo sol raquo lorsque lrsquoon dit laquo pose-le par terre raquo

Dans les deux cas on opegravere une laquo convergence synonymique raquo de deux segravemes dont on deacutegage

un concept

- Le raisonnement de JG est aussi dialectique lorsqursquoil se place du point de vue de la quan-

titeacute et oppose lrsquoimpossible laquo globaliteacute raquo et la possible laquo connexion seacutemantique de la phrase raquo

Quantitativement rien de la situation ne peut ecirctre globalement isoleacute attendu qursquoil nrsquoexiste

pas de fait isolable a priori de lrsquointellection seacutemantique Celle-ci est un processus de

laquo connexion raquo en tant que neacutegation de la neacutegativiteacute grammaticale instauratrice drsquoune

segmentation formelle Lrsquoauteur anticipe sur la preacutesentation de la notion de laquo terme de

proposition raquo en 922 Pour faire simple encore il srsquoagit du fait drsquointerconnecter des mots

grammaticalement multiples pour eacutenoncer laquo Il procegravede demain agrave la premiegravere ouverture au

public de la piscine raquo et qui sera compris comme la simple assertion drsquoune laquo inauguration raquo

Lrsquoapport de la clinique

JJ eacutevoque alors deux passages agrave la limite de la dialectique du signe liant pathologies et

exploitation litteacuteraire de ces limites 781-2

La premiegravere limite relegraveve de la preacutegnance de la grammaire Imaginons un raisonnement

seacutemantique que ne controcirclerait plus la prise en compte de la situation Certains malades

neurologiques appeleacutes par JG laquo schizophases raquo 781 produisent sans controcircle possible ce qui

est abondamment exploiteacute dans les jeux de mots (Boris Vian Raymond Devos en furent des

virtuoses) Une description en est faite dans O Sabouraud Ed Sanquer et J Gagnepain

laquo Reacuteflexions sur la schizophasie Essai drsquoanalyse linguistique drsquoune observation raquo in Congregraves de

psychiatrie et de neurologie de langue franccedilaise Grenoble septembre 1966 Paris Masson

p210-219 JG en preacutesente plusieurs exemples dans laquo Huit leccedilons drsquointroduction agrave la theacuteorie

de la meacutediation raquo p 68-71 Il convient de rapporter cette hypothegravese au propos tenu

preacuteceacutedemment laquo [La rheacutetorique] nrsquoa point de pathologie propre raquo 723 JG voulait dire que la

pathologie du dire affecte la dialectique elle-mecircme sous deux aspects dissolution de son

108 Eacutetant entendu que lrsquoon laquo distingue raquo ici laquo distinction raquo analytique et laquo contours configurations raquo gestaltiques Cf lrsquointermegravede 4

De la deacutesignation 175

principe grammatical (aphasies) ou preacutegnance du grammatical (schizophasie) En ce sens il nrsquoy

a de pathologie que de la grammaticaliteacute

La seconde limite relegraveve de la preacutegnance de la situation lorsque celle-ci donne lrsquoillusion de

la suffisance drsquoun seul et mecircme terme laquo On conviendra qursquoil est (hellip) des situations si

‟parlantesrdquo que le signifieacute srsquoannule au terme dans le sens raquo 782 Suit lrsquoexemple de Ionesco qui

dans La leccedilon fait dire au mot laquo chat raquo laquo aussi bien chaise que marteau raquo laquo Pour y deacutesigner

les choses un seul mot chat [] toi chat moi chat raquo (Acte 1) Dans lrsquoactualiteacute une

formule telle que laquo Crsquoest la crise raquo semble en elle-mecircme et agrave elle seule dire ce qursquoil en est de

la situation Ainsi en va-t-il de toute laquo eacutevidence raquo

La dialectique du signe est ainsi reformuleacutee 783 laquo Le signe dune part quoiquil y tende

nest jamais pur de tout contenu mais parce quil nexiste dautre part quen raison du fait

quil le nie il neacutepuise jamais la repreacutesentation et ne deacutesigne que par figures raquo Le signe ne se

reacuteduit pas au grammatical Une telle reacuteduction formaliste serait dit-il plus loin laquo prendre les

mots pour des choses raquo 803 La grammaire nrsquoest qursquoun pocircle drsquoune dialectique qui comprend

son inversion rheacutetorique qui confegravere du contenu agrave la forme Reacuteciproquement la grammaire

en tant qursquoelle nie le contenu fait que la rheacutetorique qui nrsquoen est que lrsquoinversion maintient

une rupture radicale avec la repreacutesentation laquo ineacutepuisable raquo dont elle ne peut qursquoen construire

une connaissance analytique qui reste laquo figureacutee raquo Lrsquoexpression laquo Il ne deacutesigne que par

figures raquo justifieacutee par lrsquoimproprieacuteteacute fondamentale de la grammaire introduit le thegraveme suivant

celui des laquo tropes raquo

3 - Theacuteorie des tropes

Les rheacutetoriques classiques utilisent selon les eacutepoques et en fonction des theacuteorisations le

terme laquo trope raquo drsquoorigine grecque (laquo trόpos raquo direction agrave prendre et maniegravere de dire et

laquo treacutepein raquo tourner qqch vers se diriger vers) le terme laquo figure raquo drsquoorigine latine (laquo figura raquo)

ou les termes laquo tours tournures raquo JG nrsquoutilisera jamais la formule laquo figures de style raquo parce

que la notion de laquo style raquo relegraveve pour lui de la sociologie

Remarque Les traiteacutes dits de laquo rheacutetorique raquo des laquo figures raquo ou des laquo tropes raquo sont

extrecircmement divers depuis la Rheacutetorique agrave Heacuterennius (anonyme 1er siegravecle av J-C) Ciceacuteron ou

Quintilien (1er s apr JC) puis Dumarsais (1730) et Pierre Fontanier (1821) jusqursquoau moderne

Groupe micro (1970) Les classifications et deacutefinitions des figures y sont donc tregraves heacuteteacuterogegravenes JG

semble se reacutefeacuterer en geacuteneacuteral aux anciens ainsi qursquoagrave Dumarsais et agrave Fontanier

La perspective de JG est toujours dialectique 784 amp 79 La grammaire est la source des

laquo tropes raquo Crsquoest en effet parce que tout eacuteleacutement seacutemiologique est impropre et qursquoil est apte agrave

prendre des sens divers que lrsquoon peut parler de laquo trope raquo Dans ce contexte laquo trope raquo est

synonyme de polyseacutemie potentielle Crsquoest pourquoi la seacutemantique en est la contestation en ce

qursquoelle produit de la proprieacuteteacute relative Notons bien que la proprieacuteteacute est dite laquo incondition-

nelle raquo 791 et qursquoelle vaut eacutegalement pour tout ce que la laquo rheacutetorique raquo classique appelle laquo

meacutetaphore raquo comme lrsquoindique plus loin le choix de la formule laquo la faucille drsquoor raquo (Booz

endormi Victor Hugo) choix qui est jugeacute par JG aussi adeacutequat que laquo la lune raquo en fonction des

paramegravetres de la situation ougrave le message est dit

Il srsquoagit donc pour JG drsquoexpliquer et de critiquer la thegravese classique de la laquo figure-eacutecart raquo

792 agrave 802 En reacutesumeacute la tradition pense certaines relations seacutemantiques entre deux concepts

176 Une lecture de Jean Gagnepain

infeacutereacutes drsquoune mecircme forme comme laquo un eacutecart raquo entre un sens laquo propre raquo qui sert de reacutefeacuterence

et un sens laquo figureacute raquo 792 Pierre Fontanier (Manuel classique pour leacutetude des tropes ou

Eleacutemens de la science du sens des mots 1821) semble le premier agrave theacuteoriser cette conception

de la figure-eacutecart Il faut savoir que cet ouvrage a servi de manuel en classes de rheacutetorique des

lyceacutees durant tout le XIXe siegravecle Au contraire JG considegravere que lrsquoon est en laquo pleine

‟relativiteacuterdquo raquo 802 que tout message eacutelabore de la proprieacuteteacute qursquoil est donc toujours

conjoncturellement laquo propre raquo et en mecircme temps qursquoil reste aussi laquo figure raquo en tant que

formulation issue drsquoune structure grammaticale impropre toujours susceptible de prendre

drsquoautres valeurs seacutemantiques109

Avant de gloser cette critique de la laquo figure-eacutecart raquo je propose drsquoexpliciter cette diffeacuterence

de point de vue par le contraste de deux exemples La tradition fait une diffeacuterence lieacutee au

privilegravege accordeacute agrave lrsquoobjectiviteacute entre les deux observations seacutemantiques suivantes

- Entre laquo cleacute agrave molette cleacute de valise cleacute de voucircte raquo la tradition ne voit geacuteneacuteralement pas de

laquo figures raquo Sous le terme laquocleacute raquo on conccediloit lrsquoexistence drsquoun proceacutedeacute de blocage ce qui donne

lieu agrave un effet de polyseacutemie en fonction de la faccedilon dont sont distingueacutees seacutemantiquement des

variations techniques Lrsquoidentiteacute du champ technique induit un effet de similariteacute entre ces

concepts Pour nous aujourdrsquohui il est impossible de consideacuterer quel serait le sens laquo propre raquo

de ce terme et quels seraient les sens laquo figureacutes raquo qui srsquoen seraient laquo eacutecarteacutes raquo Il y a certes un

effet de laquo prototypie raquo si lrsquoon demande agrave quelqursquoun hors situation ce qursquoest laquo une cleacute raquo et un

tel proceacutedeacute pousse au raisonnement mythique mais la hieacuterarchie des reacuteponses induites est

une affaire drsquousage social ou de probabiliteacute drsquoutilisation La tradition prend ce type de

deacutesignation comme repegravere seacutemantique comme une sorte de deacutesignation laquo directe raquo

- Il en va autrement des exemples qui vont suivre qui relegravevent pour la tradition drsquoun

raisonnement seacutemantique plus complexe consideacutereacute comme un laquo eacutecart raquo par rapport au type

preacuteceacutedent

Soit laquo Bouillir ou mourir raquo laquo Le mois du blanc raquo ou encore laquo La provenccedilale a mis les

bouts raquo drsquoune part Soit drsquoautre part laquo Avoir le droit de distiller de lrsquoalcool ou faire faillite raquo

(pancarte dans une manifestation de distillateurs drsquoeau-de-vie) laquo le mois de promotion du

linge de maison raquo et pour le dernier exemple laquo le client qui avait commandeacute la crecircpe tomate

eacutechalotes est parti sans payer raquo La tradition consideacuterera les premiers eacutenonceacutes comme des

sens laquo figureacutes raquo (meacutetaphoriques etou meacutetonymiques) deacuteriveacutes des seconds Crsquoest cette

relation orienteacutee qui permet de parler de laquo tournure raquo et il nrsquoy a de laquo sens figureacute raquo que par

rapport agrave un point de repegravere constant laquo le sens propre raquo postuleacute tel Crsquoest ce postulat que JG

critique

Pour lui dans les circonstances en question la conjonction de la source (le bouilleur de cru)

et du vecteur (une pancarte) fait que le choix le plus laquo propre raquo agrave concevoir la revendication

prise en compte est le simple verbe laquo bouillir raquo et non une deacutefinition du meacutetier de distillateur

De mecircme le serveur de la crecircperie obtient ainsi un raisonnement optimal compte tenu de

lrsquoinformation que partagent la source et la cible du message dans la circonstance en question

ougrave laquo la table 12 vient de se vider raquo La premiegravere formulation nrsquoest donc pas plus la meacutetonymie

de la seconde que la seconde nrsquoest la peacuteriphrase de la premiegravere Les deux formulations

doivent ecirctre appreacutecieacutees seacutemantiquement en fonction de la conjoncture de leur eacutelaboration

109 Dans son Seacuteminaire du 16 deacutecembre 1971 JG mettait cette thegravese en relation avec celle de Jacques Lacan tout langage est dessaisissement

De la deacutesignation 177

Preacutecisons que cette critique de la notion laquo drsquoeacutecart raquo entre propre et figureacute nrsquoimplique pas le

refus drsquoune typologie des raisonnements seacutemantiques et de certaines distinctions proposeacutees

par les rheacutetoriques classiques agrave commencer par la distinction entre meacutetaphore et meacutetonymie

Lrsquoouvrage expose dans sa section suivante laquo les meacutecanismes de lrsquoeacutenonceacute raquo un tableau des

raisonnements seacutemantiques un tableau des diverses voies laquo drsquoaccegraves agrave la proprieacuteteacute raquo 794

fondeacute sur la biaxialiteacute en tant que la rheacutetorique est lrsquoinversion de la grammaire

Venons-en aux gloses

Thegraveme de la dissociation des plans

La premiegravere critique faite agrave la notion laquo drsquoeacutecart raquo agrave la laquo norme raquo concerne la confusion

maintenue entre le fait seacutemantique lui-mecircme qui est de lrsquoordre de lrsquoinformation et un fait de

socieacuteteacute ou encore un fait drsquoordre axiologique La tradition a besoin chaque fois drsquoun point

fixe pour appreacutecier cet eacutecart 792

En tant que distance sociale il srsquoagit de laquo deacuteviance raquo ou de laquo non-conformisme raquo par

rapport agrave un laquo standard raquo En tant que distance axiologique il srsquoagit de laquo transgression raquo par

rapport agrave un laquo canon raquo En grec laquo κανών raquo signifie laquo modegravele principe raquo et laquo canon raquo en latin

veut dire laquo regravegle raquo ndash tige en bois comme conduite morale ndash crsquoest-agrave-dire le laquo droit raquo par rapport

au laquo tord(u)tort raquo Noter agrave propos de la formulation heacuteteacuterogegravene laquo hellipaxiolinguistiquement

dinfraction raquo que par la suite lrsquoauteur opposera constamment et rigoureusement

laquo lrsquoinfraction agrave lrsquousage social raquo et laquo la transgression de la regravegle eacutethique raquo La tradition meacutelange

donc sens usage (du sens) et bon usage (du sens)

laquo La figure sorte dopposition de Sa Majesteacute ou si lon veut de fou du roi raquo 7929

Cette allusion renvoie agrave la conjonction de lrsquoaxiologie et de la sociologie La tradition voit

dans la figure agrave la fois un positionnement laquo paradoxal raquo et un trait drsquoesprit Le mot drsquoesprit

sera deacutefini dans le tome 2 du Vouloir-Dire comme ce qursquoon srsquoautorise agrave dire par deacutepassement

dialectique de la contradiction entre pulsion et deacutecence crsquoest-agrave-dire comme un fait de

rationnement eacutethique Cette habilitation est surdeacutetermineacutee par la relation sociale qui en fait

une habilitation convenue ou inconvenante La tradition conccediloit la figure comme une

laquo toleacuterance raquo dont reacutesulte un plaisir celui de laquo lrsquoornement raquo celui de la deacutecoration drsquoun

concept de base qui serait lui sociologiquement banal et axiologiquement neutre

Thegraveme de lrsquoessentialisme

Le point de deacutepart de lrsquoargument est logique Il est fait reacutefeacuterence agrave la hieacuterarchie en philo-

sophie eacutetablie entre (sommairement dit) ce qui fait que laquo la chose est neacutecessairement poseacutee raquo

(Spinoza110) ndash son laquo essence raquo et les laquo accidents raquo qui en sont les proprieacuteteacutes telles la couleur

ou la forme de ladite chose La notion de laquo sens propre raquo est ici critiqueacutee en ce qursquoelle suppose

qursquoexistent des choses deacutefinies des essences positives des substances dont le sens non figureacute

serait la repreacutesentation directe On rejoint le thegraveme de la nomenclature Il nrsquoy a rien de tel

dans la theacuteorie du signe de JG laquo Point de choses agrave dire preacuteexistant agrave notre faccedilon den

parler raquo 64 Aucun point fixe et surtout fixeacute par une ontologie Il dira plus loin que laquo Lrsquoeacutecart

110 Spinoza Eacutethique II deacutef2 laquo Je dis appartenir agrave lrsquoessence drsquoune chose ce dont la preacutesence pose neacutecessairement la chose et dont la suppression supprime neacutecessairement la chose ou encore ce sans quoi la chose et inversement ce qui sans la chose ne peut ecirctre ni se concevoir raquo Trad Fr Bernard Pautrat (Seuil)

178 Une lecture de Jean Gagnepain

eacutetant partout il nrsquoesthellipnulle part raquo 794 qursquo laquo il faut admettre qursquoil nrsquoest plus nulle part de

jalon raquo 813 et que laquo lrsquoon est en pleine ‟relativiteacuterdquo raquo 802

laquo La figure raquo en rheacutetorique eacutequivaut agrave laquo lrsquooblique raquo en grammaire 793 Ce qui est oblique

srsquooppose agrave ce qui est droit La tradition atomiste drsquoEacutepicure explique lrsquoexistence des corps

physiques dans lrsquounivers par une deacuteviation une inclinaison le laquo clinamen raquo de la chute

laquo droite raquo des atomes Mecircme chose dans les mots Il y aurait leur forme essentielle (leur

substance) et leur laquo deacuteclinaison raquo marqueacutee par le cas qui les termine - leurs laquo avatars raquo en

quelque sorte Le mot est laquo droit raquo et ses variations sont laquo obliques raquo selon ses relations avec

le contexte En ancien franccedilais on opposera le cas laquo sujet raquo lorsque le nom est isoleacute au cas

laquo reacutegime raquo ou laquo oblique raquo qui est marqueacute par un suffixe lorsque le nom est laquo reacutegi raquo par un

autre Les patronymes laquo Le Bret Le Breton raquo teacutemoignent de cette diffeacuterence de mecircme qursquolaquo un

gars un garccedilon Sire et Seigneur raquo

laquo Ici racine lagrave objet raquo 793 Traditionnellement en grammaire on dit que la laquo racine raquo se

deacutecline en rheacutetorique le sens propre qui est fondeacute sur la seule objectiviteacute dans lrsquoindiffeacuterence

aux autres paramegravetres de la situation laquo se figure raquo

laquo Lrsquohumanisme est fonciegraverement pessimiste raquo Le thegraveme de lrsquoeacutecart entre essence et accident

a pour eacutecho axiologique laquo drsquoun cocircteacutehellip lrsquous et lrsquoabushellip en synchronie raquo et laquo de lrsquoautrehellip

lrsquoeacutevolutionhellip en diachronie raquo Tous les deux sont marqueacutes par la culpabiliteacute laquo Le peacutecheacute est

drsquoorigine raquo pour qui lrsquohistoire nrsquoest qursquoune seacuterie de catastrophes depuis lrsquoexpulsion du paradis

Variations sur le thegraveme de la Figure

Thegraveme La figure nrsquoest pas une distance agrave un point de repegravere fixe Le locuteur creacutee son

propre repegravere dans sa recherche de la proprieacuteteacute laquelle est toujours relative et fonction de

tous les paramegravetres de la situation laquo Lrsquoeacutecart eacutetant partout il nrsquoesthellipnulle part raquo 794 Ce qui

paraicirct comme un trope laquo voie deacutetourneacutee raquo par reacuteduction agrave lrsquoobjectiviteacute peut ecirctre la voie

laquo drsquoaccegraves agrave la proprieacuteteacute raquo lorsqursquoun autre paramegravetre preacutevaut laquo On est en bref en pleine

relativiteacute raquo 802

Variations JG deacuteveloppe lrsquoargumentation agrave partir drsquoune typologie ancienne (depuis la

Rheacutetorique agrave Heacuterennius anonyme 1ers Ave J-C) qui distingue entre laquo les figures de penseacutee raquo

et laquo les figures de mots raquo Freud reprendra la distinction dans Le mot drsquoesprit et ses relations

avec lrsquoinconscient La notion de laquo figures de construction raquo est preacutesente chez Pierre Fontanier

laquo Les figures de penseacutee raquo

Lrsquoexemple de laquo lrsquoironie raquo Il importe ici de faire abstraction de lrsquoeupheacutemisme preacutesent dans

ce type de message car cet aspect relegraveve de lrsquoaxiologie Du strict point de vue cognitif le

propos ironique suppose une laquo compliciteacute raquo drsquoinformation non dite entre source et cible et

repose sur cette omission drsquoinformation objectale 795 Ainsi qualifier une prison

laquo drsquoappartement drsquoune extrecircme fraicirccheur raquo (Voltaire Candide ch6) repose logiquement sur

la connaissance implicite par les locuteurs de ce qursquoest une prison

laquo Litote et hyperbole raquo laquo ellipse et peacuterissologie raquo 795 Le premier couple de termes relegraveve

de la qualiteacute (deacuteficitaire ou excessive) de lrsquoinformation formuleacutee Le second de la quantiteacute

(deacuteficitaire ou excessive) drsquoinformation formuleacutee (laquo Peacuterissologie raquo du grec περισσολογία

superflu περισσός qui deacutepasse la mesure)

laquo Lrsquoexageacuteration raquo laquo hellip On a vu de ses yeux vu comme des asticots dans le fromage des

poules dans le poulailler raquo 795 Il nrsquoy a pas de pleacuteonasme en soi mais seulement en fonction

De la deacutesignation 179

des circonstances Certes il y a tregraves geacuteneacuteralement des poules dans un poulailler et lrsquoinfor-

mation saillante serait drsquoobserver que celui-ci est vide Cependant cet eacutenonceacute en forme de

boutade devient une information approprieacutee dans une situation ougrave il est devenu improbable

de voir le poulailler occupeacute Il nrsquoest pas difficile drsquoimaginer pareille situation apregraves une

catastrophe censeacutee avoir provoqueacute la fuite de tous les animaux On apporte ici la nouvelle que

les poules sont paradoxalement agrave leur place Il nrsquoy a donc pas laquo drsquoeacutechelle absolue de

grandeur raquo (de lrsquoinformation) car seule la relation reacutefeacuterentielle entre le locuteur et la situation

deacutetermine la construction de la proprieacuteteacute

laquo Les figures de mots raquo

laquo Les deux aspects si connus de la synecdoque que sont la meacutetaphore et la meacutetonymie raquo

801 Cette classification (nulle part reprise) est singuliegravere Depuis Pierre Fontanier la

synecdoque est deacutefinie comme un cas particulier de meacutetonymie et non lrsquoinverse Peut-ecirctre

lrsquoauteur donne-t-il ici agrave ce terme son sens eacutetymologique qui est assez geacuteneacuterique pour ecirctre

appliqueacute agrave toute figure de mots Anatole Bailly (Dict grec franccedilais) commente συνεκδοχή par

laquo figure de mots qui consiste agrave employer un terme en un sens plus compreacutehensif p ex en

prenant un singulier collectivement pour un pluriel raquo En ce sens le lieu commun laquo le Franccedilais

est racircleur raquo serait aussi une synecdoque

La laquo faucille drsquoor raquo (dans le champ des eacutetoiles) 802 est en termes classiques exemplaire de

la meacutetaphore en tant que mode drsquoadeacutequation seacutemantique laquo Je suis en Lettres raquo est un

exemple de meacutetonymie (de synecdoque pour certains auteurs) en tant que reacuteduction drsquoun

enchaicircnement de concepts ndash La Faculteacute des Lettres ndash agrave un seul de ses composants

Ces raisonnements sont les plus adeacutequats possibles en fonction de la source du message et

ils sont donc aussi laquo reacutealistes raquo que la description objective qui privileacutegie un autre paramegravetre

de la situation

laquo On ne peut ni proscrire les figureshellip ni entre elles les traduire raquo 802 Pour JG la raison

de la figure est grammaticale Elle est la formulation grammaticale (mot ou construction de

mots) au fondement du laquo parcours raquo de sens qursquoest la figure

Mise en perspective de la theacuteorie des tropes avec la theacuteorie glossologique

La rheacutetorique est ici deacutefinie comme laquo inversion raquo de la grammaire laquo Crsquoest du mecircme univers

qursquoil srsquoagit raquo celui du laquo signe raquo qui est lrsquoensemble (double) des processus qui lrsquoinstaurent (la

grammaire) et de ceux qui laquo les contestant srsquoen inspirent raquo (la rheacutetorique) 803

Il est par conseacutequent neacutecessaire de construire le modegravele de la rheacutetorique sur celui de la

grammaire De lagrave une critique des modegraveles laquo logiques raquo fondeacutes sur une formalisation 804

Lrsquoarticle laquo liste des figures de style raquo de Wikipeacutedia adopte un tel classement en addition

suppression deacuteplacement et substitution

Autrement dit il nrsquoy a pour JG que des laquo figures de grammaire raquo

Faces pocircles axes en rheacutetorique

Le texte est tregraves bref sur le thegraveme des laquo faces raquo du signe 8122-4 Il signale une relation

entre une rheacutetorique phoneacutetique et lrsquoappellation classique de laquo figures de diction raquo

laquo Composantes incidentale et reacutefeacuterentielle du signe raquo et laquo figures de mots figures de

penseacutee raquo 812 Voir la partie grammaticale laquo La reacutefeacuterence ou rapport du signe agrave la conjonc-

ture Lincidence cest-agrave-dire le rapport du signe agrave la structure raquo 633 Il srsquoagit toujours de

180 Une lecture de Jean Gagnepain

rheacutetorique mais dans le cas de la figure de laquo penseacutee raquo on observait le raisonnement seacuteman-

tique dans sa relation agrave la conjoncture tandis que dans le cas de la figure de laquo mots raquo on

observait le raisonnement seacutemantique dans sa relation au mot qui le formule

Les laquo figures de grammaire et de construction raquo 812 concernent la morphologie (des

paradigmes) et les champs conceptuels et les laquo figures de construction raquo concernent la

syntaxe et les relations drsquoinfeacuterence (drsquoexpansion) La deacutefinition des termes laquo champ raquo et

laquo expansion raquo est lrsquoobjet drsquoune section ulteacuterieure

La biaxialiteacute Il srsquoagit drsquoune laquo proprieacuteteacute fondamentale de lrsquoanalysehellip de toute rationaliteacute raquo

812 On peut donc reacutepartir les figures selon deux types de raisonnement Suit une liste de

couples de raisonnements dont lrsquoun relegraveve de la laquo ressemblance raquo de lrsquoalternative de sens qui

est son aspect qualitatif et lrsquoautre de la laquo contiguiumlteacute raquo de sens qui est son aspect quantitatif

Le but de ce passage est de montrer qursquoune perspective descriptiviste qui aboutit agrave la liste des

tropes dans la rheacutetorique classique empecircche de comprendre que tous deacutecoulent des deux

processus analytiques que sont lrsquoaxe de la qualiteacute et lrsquoaxe de la quantiteacute

Je propose ici des exemples de chacune des laquo figures raquo dont le nom est indiqueacute dans le

texte JG emprunte cet inventaire agrave la rheacutetorique ancienne (Quintilien) ou classique

(Fontanier) Attention seul le raisonnement seacutemantique compte ici et il faut faire abstraction

de lrsquointention axiologique qui motive la figure telle que lrsquoeupheacutemie ou le mot drsquoesprit Le

premier raisonnement de chaque couple porte sur les caracteacuteristiques (la qualiteacute) de

lrsquoinformation le second repose sur la quantiteacute drsquoinformation

Meacutetaphore laquo Lrsquoeacutecume des jours raquo = les faits divers

Meacutetonymie laquo Il nrsquoy a plus de batterie raquo = plus de courant dans la batterie

Enallage (Neacuteron deacuteclare agrave Narcisse ) laquo Neacuteron est amoureux raquo (Substitution de personne

verbale = laquo Je suishellip raquo) Grec ἐναλλαγή (interversion)

Hypallage laquo Le deacutesordre blond de ses cheveux raquo (Marguerite Duras Moderato cantabile)

laquo Ibant1 obscuri2 sola1 sub nocte2 per umbram raquo laquo Ils allaient1 obscurs2 dans la nuit2 solitaire1

agrave travers lrsquoombrehellip raquo (Virgile Eacuteneacuteide VI268 visite aux Enfers drsquoEacuteneacutee et de la Sybille) laquo La

bouche pleine drsquoombre et les yeux pleins de cris raquo Anna de Noailles Jeunesse Transfert drsquoune

caracteacuterisation drsquoun terme sur un autre terme contigu Grec ὑπαλλαγή (eacutechange)

Zeugma laquo Elle eacutetait enfermeacutee dans sa chambre et dans sa surditeacute raquo Un mecircme mot prend

alternativement deux sens dans la mecircme laquo construction raquo Gr ζεῦγμα zeugma joug lien

Antanaclase laquo Le cœur a ses raisons que la raison ne connaicirct point raquo Un mecircme mot prend

successivement deux sens dans la mecircme construction Gr anti + anaklasis (contre + eacutecho

reacutepeacutetition drsquoun son) Lrsquoopposition en termes drsquoaxes ne tient que si lrsquoon restreint cette figure agrave

lrsquoantanaclase dite laquo classique raquo ougrave le terme laquo figureacute raquo est reacutepeacuteteacute avec un sens diffeacuterent chaque

fois

Certains auteurs mettent aussi sous cette rubrique des raisonnements ougrave un terme prend

alternativement deux sens en raison du contexte mais ougrave il est en relation avec un antonyme

comme dans laquo Crsquoeacutetait sale1 au sens2 propre1-2 raquo Dans la classification de JG un tel raisonne-

ment relegraveverait du zeugma

Antiphrase laquo Crsquoest du propre raquo Choix du concept contraire de celui qui serait objective-

ment adeacutequat

Oxymoron laquo La clarteacute sombre des reacuteverbegraveres raquo (Baudelaire) laquo Hacircte-toi lentement raquo

Juxtaposition de deux concepts antinomiques Gr ὀξύμωρος oxuacutemōros de ὀξύς laquo aigu

De la deacutesignation 181

spirituel raquo et de μωρός laquo niais raquo Le terme est lui-mecircme une laquo figure raquo qui remplace un

concept (laquo antinomie raquo) par un exemple de celui-ci

laquo La Verdichtung et la Verschiebung raquo 812 Condensation et deacuteplacement Ces termes sont

choisis par Freud dans Lrsquointerpreacutetation des recircves pour distinguer les deux maniegraveres dont le

deacutesir inconscient se manifeste dans le recircve Soit par superposition drsquoimages soit par passage

drsquoun thegraveme agrave un autre

Hors classement biaxial certaines figures laquo semblent ressortir au jeu de mots raquo 813

Lrsquoalliteacuteration et la paronomase la gradation et lrsquoantithegravese le paralleacutelisme le chiasme

et lrsquoinversion laquo Nous verrons ulteacuterieurement raquo quelle est la contribution de ces figures au

laquo polymorphisme raquo de la rheacutetorique 821 Lrsquoouvrage nrsquoeacutetant pas un roman policier je

deacutevoile le renvoi Il est fait allusion ici agrave la seacutemantique poeacutetique qui avec les rheacutetoriques

mythique et scientifique laquo cause raquo ces messages et explique leur proprieacuteteacute

La laquo Paronomase raquo rapprochement seacutemantique fondeacute sur la proximiteacute formelle de deux

mots laquo Traduttore traditore raquo laquo comparaison nrsquoest pas raison raquo etc

Le laquo Chiasme raquo Disposition des termes selon le motif ABBA laquo Crsquoest bonnet blanc et blanc

bonnet raquo laquo Le roulis aeacuterien des nuages de mer raquo (Vigny avec une hypallage en prime) Gr

χιασμός (khiasmoacutes) disposition en croix

Figure exemplaire de la dialectique grammaire rheacutetorique lrsquoantonomase

LrsquoAntonomase laquo Le mot par lequel on la deacutesigne a ceci de particulier qursquoen mecircme temps

qursquoagrave ce processus il se reacutefeacuterait agrave la fois ndash et ceci degraves lrsquoorigine ndash agrave la fonction pronominale ainsi

qursquoagrave ce qursquoaujourdrsquohui nous appelons rheacutetoriquement lrsquoantonymie raquo 822 Paraphrase le

terme drsquoantonomase deacutesigne une laquo figure raquo et relegraveve donc du processus de laquo figure raquo mais il

laquo reacutefegravere raquo plus largement agrave la fonction pronominale et agrave la relation seacutemantique des contraires

Essayons de deacutemecircler tout cela

1 - La figure dite laquo antonomase raquo Le dictionnaire Grec-franccedilais drsquoAnatole Bailly nous

eacuteclaire sur ce point parce que JG prend en compte lrsquoensemble des sens de ce terme tous

types drsquoouvrage inclus Il srsquoagit agrave la fois du verbe laquo ἀντονομάζω raquo (antonomadzocirc) mot agrave mot

laquo deacutenommer + contre en face agrave la place raquo et de son deacuteriveacute nominal laquo ἀντονομασἰα raquo

(antonomasia) Le verbe peut prendre comme sens 1- Appeler drsquoun nom diffeacuterent et (en

arithmeacutetique) deacutesigner par une deacutenomination contraire 2 - Deacutesigner par un pronom Le nom

laquo antonomasia raquo est speacutecialiseacute en rheacutetorique classique avec le sens plus restrictif de concevoir

un objet par une eacutepithegravete ou un nom patronymique Bailly propose comme exemple le fait de

nommer Agamemnon laquo lrsquoAtride raquo du nom de la ligneacutee drsquoAtreacutee (lrsquointreacutepide) Mais il a aussi

ailleurs le sens de laquo pronom raquo et de laquo deacutenomination contraire raquo (ex chez Nicomaque de

Gerasa matheacutematicien -2egraveme siegravecle) Un exemple en est donneacute par le proverbe latin laquo Lucus a

non lucendo raquoEn contexte laquo la forecirct srsquoappelle ‟ lucus rdquo (= bois sombre) parce que la lumiegravere

nrsquoy peacutenegravetre pas raquo (Fausse eacutetymologie fondeacutee sur le rapprochement de laquo lucus raquo bois sacreacute et

laquo lucere raquo briller) Lieu commun commenteacute par Quintilien111

111 Quintilien De institutione oratoria I 6 34 laquo Etiamne a contrariis aliqua sinemus trahi ut lucus quia umbra opacus parum luceathellip raquo Cf eacutedition (abreacutegeacutee par Jean Racine) de Ch Fierville 1980 Paris Firmin-Didot p 103-104 eacutedition numeacuterique sur httpwwwarchiveorgstreamdeinstitutioneo00quinpagen9mode2up

Ce lieu commun est repris par Donat Varron Isidore de Seacuteville Lord Byron etc laquo canis a non canendo raquo (chien parce qursquoil ne chante pas) laquo Et dictae sunt kata antifrasin quod nul cant sicut lucus a non lucendo raquo laquo Belllum a

182 Une lecture de Jean Gagnepain

On comprend donc que JG laquo reacuteactive raquo la valeur seacutemiologique du mot lui redonne toutes

ses potentialiteacutes de sens dans le but de souligner la relation qursquoil peut y avoir entre les trois

mouvements seacutemantiques suivants la relation entre laquo individu raquo (ou laquo particulier raquo) et

laquo espegravece raquo la relation entre speacutecifique et geacuteneacuterique et la relation entre contraires Dans tous

les cas on oppose au nom un laquo contre-nom raquo une alternative agrave ce nom disons-le autrement

une laquo contra-diction raquo

2 ndash Antonomase et antonymie Relevons tout drsquoabord que les termes laquo antonomase raquo et

laquo antonymie raquo sont tous les deux construits sur les eacuteleacutements laquo anti raquo et laquo onoma raquo le preacutefixe

prenant un sens geacuteneacuterique dans le premier terme (antonomase) et un sens restrictif dans le

second (antonymie) Pour JG le rapprochement illustre laquo comment la contradiction rheacuteto-

rique naicirct dialectiquement de la neacutegation grammaticale raquo 822 De mecircme que la grammaire

permet de dire formellement le contradictoire logique (fertileinfertile) de mecircme en raison

du principe commun drsquoanalyse la rheacutetorique permet de produire une contradiction entre

concepts que ce soit sur la base du choix entre deux lexegravemes (fertilesteacuterile) ou que ce soit

par la figure sur la base du mecircme lexegraveme dans lrsquoantiphrase laquo Crsquoest malin raquo

Cela dit au nom du principe de neacutegativiteacute JG va plus loin et rappelle laquo lrsquoeacutetroit rapport de

la neacutegation grammaticale avec la suppleacuteance et notamment avec la pronomination raquo 822

3 ndash Antonomase et pronomination Dans la perspective de JG exposeacutee dans la partie

grammaticale du livre la laquo pronomination raquo est une varieacuteteacute de suppleacuteance et une laquo variation

de lrsquoabsence raquo 862 une faccedilon grammaticale de ne pas dire tout en disant quand mecircme agrave

travers les relations paradigmatiques (reconstitution du lexegraveme manquant) ou syntaxiques

(anaphore) Cette dialectique de la neacutegativiteacute et de son deacutepassement srsquoobserve en seacuteman-

tique laquo La rheacutetorique en reacuteameacutenageant la grammairehellip la reproduit agrave sa maniegravere raquo 822

Ainsi en va-t-il de lrsquoantonomase dans la rheacutetorique antique Dire laquo LrsquoAfricain raquo pour

deacutesigner Scipion crsquoest bien un refus en situation de reacutefeacuterer agrave lrsquoindividu logique en le

deacutesignant par une classe plus ou moins geacuteneacuterique ou speacutecifique Il y a des millions drsquoAfricains agrave

cette eacutepoque mais crsquoest du seul Scipion qursquoil srsquoagit Il en va de mecircme pour moi lorsque jrsquoeacutecris

ici laquo lrsquoauteur raquo (du Vouloir-Dire) puisque srsquoil y a des millions drsquoauteurs il nrsquoy a bien en

situation qursquoun seul Jean Gagnepain pour mes lecteurs comme pour moi

Crsquoest pourquoi cette antonomase nrsquoest qursquoun cas particulier drsquoun processus

laquo drsquoeffacement raquo de sens (et non plus cette fois drsquoun effacement de la forme grammaticale)

drsquoun processus laquo drsquoindeacutetermination raquo seacutemantique dont teacutemoignent agrave la limite laquo les trucs les

choses et les machins raquo 822 En situation le terme geacuteneacuterique peut suffire agrave expliciter une

information que lrsquoon ne juge pas neacutecessaire de speacutecifier tout comme lrsquoantonyme peut porter

paradoxalement son contraire Comme pour tout pronom lrsquoagencement du sens repose sur la

compleacutementariteacute de lrsquoinformation apporteacutee et drsquoinformations implicites parce que deacutejagrave

partageacutees par le locuteur et celui agrave qui il srsquoadresse

JG reparlera de ce concept drsquoantonomase dans son seacuteminaire du 21 mai 1987 dans un

passage intituleacute laquo Quand dire crsquoest taire raquo ougrave il revient sur le thegraveme de la neacutegativiteacute

structurale laquo Les Grecs ont donneacute au pronom le nom drsquo laquo antonomase raquo qui a le sens de

pronom et contraire Crsquoest profondeacutement la mecircme chose car le pronom crsquoest la maniegravere de ne

nulla re bella raquo (guerre parce qursquoelle nrsquoest pas belle) laquo lupus a non lupendo raquo (loup parce qursquoil ne pleure pas) Source Google books

De la deacutesignation 183

pas dire la chose Que ce soit ne pas nommer ou dire le contraire de ce qursquoon nomme crsquoest

srsquoopposer agrave la deacutenomination raquo

4 - Compleacutement sur lrsquoantonomase dans la rheacutetorique classique

La notion drsquoantonomase est constamment et strictement deacutefinie par les rheacutetoriciens

depuis la Rheacutetorique agrave Heacuterennius (1ers Ave J-C) comme un raisonnement qui substitue un

nom commun agrave un nom propre Chez les Antiques (Quintilien en particulier) on ne deacutenomme

ainsi que la seule formulation drsquoun nom commun deacutefini ou drsquoun syntagme deacutefini pour deacutesigner

une personne Soit encore aujourdrsquohui laquo Le Sauveur raquo (Jeacutesus-Christ) laquo Le Grand Timonier raquo

(Mao) ou laquo La Dame de fer raquo (Mrs Thatcher)

Du Marsais et Fontanier eacutetendent le concept agrave la relation inverse dont teacutemoignerait

laquo Crsquoest un Don Juan raquo (un seacuteducteur) ou laquo Fais pas ton Kevin raquo (Cours de reacutecreacuteation 2015

laquo Ne te conduis pas comme un beacutebeacute raquo) Certains puristes contemporains critiquent

lrsquoextension du terme agrave des cas ougrave le locuteur ignore la relation Peu de gens aujourdrsquohui savent

qursquolaquo eacutegeacuterie raquo et laquo meacutegegravere raquo font reacutefeacuterence respectivement agrave une Nymphe et agrave une Furie De

mecircme pour laquo un baregraveme raquo (Franccedilois Barregraveme) laquo un calepin raquo (Calepino) ou bien pour laquo un

fax raquo laquo du scotch raquo laquo du placoplatre raquo qui sont des noms de marque Il ne peut selon ces

puristes ecirctre question drsquoantonomase que pour les locuteurs savants qui font le rapproche-

ment (Cf Nelly Flaux 2000 laquo Nouvelles remarques sur lrsquoantonomase raquo)

On constate donc que JG adopte vis-agrave-vis de la notion drsquoantonomase lrsquoattitude inverse Au

lieu de veiller agrave ce que le terme ne srsquoeacutetende pas au-delagrave drsquoun sens bien particulier que lui

confegravere la corporation des litteacuteraires il srsquointeacuteresse au processus geacuteneacuteral de dynamique du sens

qui caracteacuterise la dialectique du signe dont teacutemoigne la paronomase

La laquo figure raquo reconsideacutereacutee dans le cadre de la dialectique du signe

Il convient drsquointeacutegrer au propos tenu la fin du paragraphe preacuteceacutedent qui fait transition

laquo La voie nous est indiqueacutee deacutesormais drsquoune eacutetude moins concerneacutee par les transpositions que

par lrsquoeacutelaboration du concept raquo 822 Lrsquoopposition entre laquo transpositions raquo et laquo eacutelaboration raquo

renvoie agrave lrsquoopposition drsquoune conception du sens statique et topologique voire positiviste que

repreacutesentent les rheacutetoriques classiques et drsquoune conception dialectique relativiste et dyna-

mique que repreacutesente la glossologie De ce point de vue dans la rheacutetorique classique les

relations de sens sont des positions assigneacutees aux sens cette rheacutetorique pose en repegravere fixe

un sens laquo propre raquo et (trans-)positionne les laquo figures raquo selon une typologie logique Dans la

rheacutetorique glossologique il nrsquoy a plus de point fixe seule fonctionne la contestation dialec-

tique des formes grammaticales par une laquo eacutelaboration raquo de laquo distances raquo entre concepts (sous

la double logique des axes) dans lrsquoeacutelaboration drsquoun raisonnement en fonction drsquoune situation

La notion de laquo figure raquo repose sur une laquo double illusion celle dun univers dicible avant

mecircme quil ne soit dit celle dun locuteur modelant de lexteacuterieur un langage auquel il neucirct

pas dabord contribueacute raquo 823 La premiegravere illusion est celle du positivisme la reacutealiteacute nous

fournirait drsquoelle-mecircme des faits deacutelimiteacutes que lrsquoon nrsquoaurait plus qursquoagrave deacutesigner soit directe-

ment par le sens laquo propre raquo repeacutereacute comme tel par lrsquoattitude laquo objective raquo du locuteur soit

indirectement par le sens laquo figureacute raquo Une laquo faucille raquo ne peut provenir que de chez Jardiland et

celle de Booz nrsquoest qursquoune fantasmagorie de recircveur Le mecircme exemple peut illustrer la

seconde illusion Le rheacutetoricien tout agrave la modeacutelisation de ses positions conceptuelles

explicites oublie quelle est la source implicite de la variation de sens agrave savoir la grammaire

qursquoil porte en lui en lrsquooccurrence la structure lexicale qui fait que constamment laquo faucille raquo

184 Une lecture de Jean Gagnepain

reste laquo faucille raquo Quel que soit le raisonnement produit par le locuteur il teacutemoigne de la

laquo contribution raquo de celui-ci au fonctionnement dialectique du signe

laquo Or la regravegle culturellement dune part ne deacutepend pas des aleacuteas de la partie mais ne se

reacutealise dautre part que dans laccomplissement du jeu raquo 823 JG reprend ici lrsquoanalogie avec

le jeu pour opposer dialectiquement lrsquoimplicite (la regravegle) et lrsquoexplicite (la tactique de jeu)

Autrement dit pas de rheacutetorique sans la grammaire dont elle est le reacuteameacutenagement ni de

grammaire sans la rheacutetorique qui aboutit au message explicite

laquo En refusant didentifier [la figure] agrave lobjet de la rheacutetorique nous prenons [la figure]

glossologiquement pour ce quelle est non point image mais ombre de la caverne indice dun

monde agrave construire et qui nest autre que celui du sens raquo 831 JG redit que la laquo figure raquo

srsquoexplique par la grammaire tandis que la rheacutetorique tend agrave la reacuteduire Le signe est laquo poly-

seacutemique raquo de par sa forme potentialiteacute drsquoun sens toujours autre laquo agrave construire raquo dans sa

confrontation agrave la situation Cette thegravese sera agrave nouveau formuleacutee de la maniegravere la plus claire

qui soit agrave la fin de ce passage 844 laquo la rheacutetorique naicirct de la mort de limage et de labandon

du ‟sens figureacuterdquo raquo Le thegraveme de la laquo construction raquo reacutepegravete la thegravese fondamentale reacutesumeacutee par

la formule laquo parler nest point deacutemarquer mais causer lunivers raquo De LrsquoOutil 1861

Des meacutefaits de la notion laquo drsquoimage raquo dans les traductions drsquoHomegravere

Le passage suivant 832 agrave 844 propose une critique de la notion laquo drsquoimage raquo variante de

lrsquoideacutee de figure Lrsquoauteur lrsquoillustre longuement de deux exemples qui confrontent texte grec et

traduction franccedilaise de deux passages de lrsquoIliade drsquoHomegravere

Deux passages drsquoune traduction classique de lrsquoIliade drsquoHomegravere lui donnent lrsquooccasion

drsquoillustrer cet antagonisme dialectique entre une grammaire qui est dans son principe

laquo puissance raquo abstraite de figures et une rheacutetorique qui vise agrave laquo la mort de lrsquoimage raquo

JG critique la traduction du passage ϒ 249 de lrsquoIliade ougrave Achille et Eacuteneacutee eacutechangent des

injures avant de se combattre 833 Le grec laquo () epeon de polus nomos entha kai entha raquo

devient laquo hellipforme dans un sens comme dans lautre un riche fonds de mots raquo ainsi commenteacute

par le traducteur laquo Litt ‟Un pacircturage de motsrdquo Lexpression a eacuteteacute reprise par Heacutesiode Le

pacircturage nomos chez un peuple de bergers tel que celui dont la langue de leacutepopeacutee a

conserveacute tant de souvenirs cest comme la bien vu Eustathe leacuteleacutement principal de la richesse

le fonds mecircme du paysan Les heacuteros homeacuteriques se flattent davoir pour se disputer et

sinjurier un ‟riche fonds de motsrdquo raquo JG oppose agrave ce raisonnement au nom de la valeur

lexicale du nom laquo nomos raquo laquo le controcircle raquo une traduction congruente agrave la situation de

combat celle de laquo porteacutee raquo (drsquoune arme) sans aller chercher le concept de laquo pacircturage raquo (agrave la

porteacutee du troupeau) Il propose donc la formulation suivante laquo les mots de part et dautre

sont armes agrave longue porteacutee raquo (suivi de) laquo Tacirctons plutocirct des javelines raquo

Mecircme formulation laquo imageacutee raquo dans la traduction de ψ177 ougrave Achille allume le bucirccher de

Patrocle 833 Le grec laquo en de puros menos heke sidereon ophra nemoito raquo est traduit par laquo Il

deacutechaicircne enfin leacutelan implacable du feu pour que du tout il fasse sa pacircture raquo Ici aussi le

traducteur neacuteglige les potentialiteacutes de sens deacuteductibles de la notion de laquo zone controcircleacutee raquo et

opte agrave nouveau pour le thegraveme du laquo pacircturage raquo en postulant qursquoHomegravere poegravete se devait de

laquo mettre de la pastorale dans les mots raquo 834 Pour JG la rheacutetorique est une laquo anti

grammaire raquo et donc une lutte contre la figure la congruence incite par conseacutequent agrave dire

tout simplement laquo y portacirct un fer rougi jusquagrave ce que le feu pricirct raquo

De la deacutesignation 185

Le fond de la deacutemonstration reste bien cette ideacutee que le locuteur eacutelabore un raisonnement

approprieacute sur la base de valeurs seacutemiologiques abstraites En revanche lrsquoimage reacutesulte drsquoun

effet de laquo prototypie raquo qui conduit agrave penser que tel ou tel effet de sens est primordial et qursquoil

peut servir agrave mesurer la distance entre lui et ce que lrsquoon a dit dans divers contextes Le concept

drsquoimage nrsquoest alors qursquoune illusion qui procegravede drsquoun refus de comprendre selon quelles

contraintes le raisonnement tenu est approprieacute et quel cheminement seacutemantique il suit pour

parvenir agrave cette proprieacuteteacute En lrsquooccurrence le verbe grec laquo neacutemein raquo porteur de la valeur

lexicale de laquo controcircle raquo peut prendre des sens varieacutes en fonction du contexte et de la situation

tout comme le sens de laquo bureau raquo varie selon qursquoil est laquo en bois raquo laquo en deacutesordre raquo ou

laquo deacutemissionnaire raquo

JG preacutecise 842 que la traduction ndash qui est une transaction ndash donne agrave cette illusion

seacutemantique le statut de laquo narcissisme raquo cette projection de soi sur lrsquoautre qui est lrsquoeacutecart de

lrsquoecirctre correspondant agrave lrsquoeacutecart logique postuleacute dans la laquo figure raquo On ne comprend

(cognitivement) quel est le sens laquo propre raquo de la faucille de Booz qursquoen renonccedilant agrave croire que

la faucille acheteacutee dans une jardinerie en est lrsquoancrage seacutemantique primordial On ne

comprend (socialement) ce qursquoest laquo to abuse raquo pour un anglophone qursquoen quittant lrsquoancrage

dans lrsquousage franccedilais qui fait que lrsquoon peut laquo abuser raquo du foie gras agrave Noeumll Les laquo foulons raquo ne

laquo dansent raquo que pour qui ignore ce qursquoest cette opeacuteration technique propre aux vignerons et

aux tanneurs De mecircme les laquo danseurs raquo de par le monde ne peuvent ecirctre pris pour des

laquo foulons raquo que par un touriste prisonnier de laquo lrsquoimage de soi raquo

JG reprend en 843 le thegraveme de la causaliteacute et de son rapport au dire La tradition litteacuteraire

repose selon lui sur une base positiviste laquo les choses eacutetant tenues pour ce qursquoelles sont raquo Le

langage ne jouerait donc aucun rocircle deacuteterminant dans leur deacutefinition Degraves lors les mots les

reflegravetent et dans une perspective drsquoagreacutement les ornent de figures La lune est la lune et la

laquo faucille drsquoor raquo sa transfiguration laquo estheacutetique raquo Pour lrsquoauteur au contraire le langage

(comme signe) est causal Crsquoest lui qui dans son rapport dialectique au principe drsquoexpeacuterience

creacutee de la deacutefinition et de lrsquoexplication laquo Le problegraveme raquo est donc de comprendre laquo par quels

moyens le message est lui-mecircme ‟causeacuterdquo raquo Le propos fait eacutecho agrave une formule finale de la

partie grammaticale 653 laquo le segraveme [la grammaire en geacuteneacuteral] srsquoil ‟causerdquo nrsquoest pas lui-

mecircme causeacute et transcende une explication dont il deacutetient (hellip) le dernier mot raquo Cette

alternance de lrsquoactif au passif ne se comprend qursquoagrave travers une conception dialectique La

forme grammaticale constitue un principe sui generis en raison de sa structure formelle de

son ordre propre drsquoanalyse Ce principe nrsquoest pas deacutetermineacute par ce que pourtant il vise Le

message qui en reacutesulte en tant que produit agrave la fois de la grammaire et de la rheacutetorique est

doublement laquo causeacute raquo de maniegravere eacutegalement analytique (laquo systeacutematique raquo 843) et

contraignante (laquo rigoureuse raquo) Il est doublement causeacute drsquoune part par laquo les moyens raquo (la

structure grammaticale) qui ont servi agrave le formaliser et drsquoautre part par laquo les moyens raquo de la

rheacutetorique qui se confronte agrave la situation

laquo La rheacutetorique naicirct de la mort de limage et de labandon du ‟sens figureacuterdquo raquo Le recircve et la

suggestion sont agrave situer laquo dans la perspective plus vaste dune congruence geacuteneacuteraliseacutee qui se

moque des archeacutetypes et dans le conflit total qui loppose agrave la catachregravese nadmet aucun

point mort ou pour lexprimer autrement aucun degreacute zeacutero raquo 844

JG oppose ici le pocircle grammatical du signe principe de laquo catachregravese raquo au pocircle rheacutetorique

principe de laquo congruence raquo

186 Une lecture de Jean Gagnepain

La catachregravese autre nom de laquo lrsquoimproprieacuteteacute raquo (voir 235) est cette aptitude de tout fait

grammatical agrave rester identique agrave lui-mecircme quand son sens varie ce qui ouvre la possibiliteacute

permanente agrave produire un sens nouveau en fonction de la reacutefeacuterence Par lagrave il est principe de

laquo figure raquo Source de laquo non-sens raquo de laquo neacutegligence du sens raquo le grammatical est en cela en

conflit total mais dialectiquement deacutepasseacute avec la rheacutetorique qui le conteste en se confron-

tant agrave la situation

La congruence (ce qui fait que lrsquoon eacutechappe agrave laquo lrsquoincongruiteacute raquo) est laquo geacuteneacuteraliseacutee raquo Quelle

que soit la deacutemarche rheacutetorique le locuteur eacutelabore de la proprieacuteteacute selon des caracteacuteristiques

analytiques qui confegraverent au message sa coheacuterence aussi bien dans le cas ougrave ce dernier peut

ecirctre soumis agrave une eacutepreuve de falsification que dans le cas ougrave il construit un monde purement

imaginaire

Cette eacutelaboration nrsquoa pas de laquo degreacutes raquo fondeacutes sur la distance du sens drsquoun message par

rapport agrave un point de reacutefeacuterence le sens dit laquo propre raquo drsquoun mot deacutefini par des laquo archeacutetypes raquo

Un tel laquo prototype raquo peut ecirctre la conceptualisation drsquoun fait naturel laquo le pied raquo par rapport agrave

tout autre ordre de fait conccedilu laquo Le voilagrave au pied du mur Prendre son pied raquo Renoncer agrave cet

effet drsquoancrage rend possible de prendre en compte la laquo suggestion raquo ou le fait de dire ses

recircves car on situe alors le sens toujours relativement propre par rapport au reacuteseau des

autres sens selon un modegravele des raisonnements seacutemantiques laquo les meacutecanismes de lrsquoeacutenonceacute raquo

dont lrsquoexposeacute va suivre

Conclusion

Le paragraphe conclusif 845 amp 851 comprend 3 parties

- Thegraveme de la dissociation des plans Le langage est par ailleurs langue et discours mais il

srsquoagit ici drsquoautonomiser lrsquoobservation de la rheacutetorique qui relegraveve purement de la glossologie

- Thegraveme de la dialectique Il faut accepter la difficulteacute inheacuterente agrave laquo lrsquoambivalence dialec-

tique raquo Les reacutesultats de lrsquoeacutetude en seront laquo mouvants et concregravetement diffus raquo car il srsquoagit de

la relation du signe au laquo monde dans lequel le langage srsquoinvestit raquo Le laquo monde raquo

(laquo lrsquoexpeacuterience raquo) devient laquo sans srsquoy reacuteduire raquo un laquo cosmos qui ne devient compreacutehensible que

parce que drsquoabord il est dit raquo par la meacutediation du dire laquo Le verbe srsquoy fait cause et la raison

neacutecessiteacute raquo Le dire introduit dans lrsquounivers un principe drsquointelligibiliteacute

- Thegraveme de lrsquoanalyse Ce terme annonce la partie suivante consacreacutee agrave lrsquoexamen des

processus de la rheacutetorique Ces derniers sont aussi de lrsquoordre de lrsquoanalyse comme lrsquoeacutetait la

grammaire que ces processus contestent La rheacutetorique est une autre analyse mais encore

une analyse de sorte que lrsquoon peut y observer des eacuteleacutements et des relations ainsi que les

effets de la distinction des deux faces du grammatical et ceux de la biaxialiteacute

Il me paraicirct important de preacuteciser drsquoembleacutee ce propos sur lrsquoanalyse en anticipant sur son

deacuteveloppement dans le texte (en 982) Puisque la relation entre grammaire et rheacutetorique est

dialectique laquo cest toujours (hellip) de la grammaire quil faut partir pour reacuteameacutenager lanalyse raquo

Par conseacutequent chacun des types de fait seacutemantique exposeacute dans laquo Les meacutecanismes de

lrsquoeacutenonceacute raquo est le reacuteameacutenagement du type de fait correspondant en grammaire Nous verrons

ainsi que le laquo lexique raquo grammatical se transforme en laquo nomenclature raquo seacutemantique qursquoil faut

comprendre le laquo champ seacutemantique raquo comme un reacuteameacutenagement du laquo paradigme raquo

grammatical et laquo lrsquoexpansion raquo seacutemantique comme la contrepartie du laquo syntagme raquo Chaque

De la deacutesignation 187

partie constitutive de la seacutemantique et de la phoneacutetique doit ecirctre comprise comme la neacutegation

de la partie seacutemiologique et phonologique correspondante

LES MEacuteCANISMES DE LrsquoEacuteNONCEacute

Le propos se reacutepartit en trois sections en raison de la biaxialiteacute axe taxinomique axe

geacuteneacuteratif projection drsquoun axe sur lrsquoautre Lrsquoanalyse est chaque fois meneacutee sur lrsquoune et lrsquoautre

face du signe tour agrave tour en phoneacutetique et en seacutemantique

1 - Eacutepel et nomenclature Lrsquoidentiteacute phoneacutetique et lrsquoidentiteacute seacutemantique

2 - Syllabe et proposition Lrsquouniteacute phoneacutetique et lrsquouniteacute seacutemantique

3 - Du champ et de lrsquoexpansion Le reacuteinvestissement seacutemantique du paradigme et le

reacuteinvestissement seacutemantique de la syntaxe

1 - Eacutepel phoneacutetique et nomenclature seacutemantique

Introduction et plan drsquoexposeacute

La rheacutetorique est double phoneacutetique et seacutemantique puisque reacuteinvestissement dans la

situation du signifiant phonologique et du signifieacute seacutemiologique

La rheacutetorique seacutemantique plus deacuteveloppeacutee que lrsquoautre nrsquoest pas lrsquoeacutetude de la situation en

elle-mecircme mais lrsquoeacutetude de la maniegravere dont on conccediloit ce qursquoelle est JG donne agrave cette apti-

tude rheacutetorique le nom laquo drsquoeacutenonciation raquo 852 Ce dernier terme a en glossologie un sens

diffeacuterent de celui qursquoil a dans les laquo theacuteories de lrsquoeacutenonciation raquo qui opposent eacutenonceacute et

eacutenonciation et dont lrsquoobjet relegraveverait pour une part de la sociolinguistique Les theacuteories de

laquo lrsquoeacutenonciation raquo traitent en grande partie de lrsquoacte social par lequel la personne produit de

lrsquoeacuteveacutenement en laquo faisant des deacuteclarations raquo Dire en effet nrsquoest pas deacuteclarer la

laquo deacuteclaration raquo est lrsquoimpact interlocutif de ce qui est dit En glossologie le terme

laquo eacutenonciation raquo deacutesigne restrictivement un raisonnement seacutemantique (Que ce mot rime avec

laquo prononciation raquo nrsquoest pas pour rien dans le choix de ce terme) En outre il va de soi que ce

thegraveme de lrsquoeacutenonciation nrsquoest pas ici un domaine disciplinaire mais lrsquoeacutetude drsquoun pocircle drsquoune

dialectique qui fait de celle-ci lrsquoenvers de la grammaire

La rheacutetorique phoneacutetique ne doit pas ecirctre neacutegligeacutee et elle nrsquoest pas lrsquoeacutetude naturaliste de

la voix ou de la perception auditive mais laquo lrsquoeacutetude de la prononciation raquo 853 lrsquoavenir de la

phoneacutetique nrsquoest pas laquo laborantin raquo Son avenir nrsquoest pas non plus laquo estheacutetique raquo parce que la

phoneacutetique nrsquoest pas normative (recherche de la bonne prononciation) mais explicative

Allusion au poegraveme laquo Les colchiques raquo dans Alcools drsquoApollinaire 853

laquo Ils cueillent les colchiques qui sont comme des megraveres

Filles de leurs filles raquo

On ne devient parent qursquoagrave la suite de lrsquoengendrement de lrsquoenfant La megravere ne preacuteexiste pas

agrave la naissance de son enfant Le passage du statut de femme agrave celui de megravere reacutesulte de la

nouvelle geacuteneacuteration Paradoxalement lrsquoenfant laquo engendre raquo le parent De mecircme la phoneacute-

tique (la prononciation) ne preacuteexiste pas agrave lrsquoexistence de la phonologie Le passage du statut

188 Une lecture de Jean Gagnepain

de fait laquo phonique raquo (naturel) agrave celui de fait laquo phoneacutetique raquo (culturel) reacutesulte de la faculteacute

dialectique de signe La phoneacutetique marque le deacutepassement de la contradiction existant entre

la structure phonologique et la phonie

La fin du paragraphe propose un plan drsquoeacutetude analogue agrave celui de la partie grammaticale

puisque laquo la rheacutetorique refond systeacutematiquement la grammaire raquo 853 Lrsquoauteur restreint

toutefois le propos agrave la face seacutemantique La laquo nomenclature raquo seacutemantique relegraveve de la capaciteacute

taxinomique et correspond au laquo lexique raquo en seacutemiologie dont lrsquoeacuteleacutement est lrsquoidentiteacute appeleacutee

laquo segraveme raquo La laquo proposition raquo seacutemantique relegraveve de la capaciteacute geacuteneacuterative et correspond au

laquo texte raquo en seacutemiologie dont lrsquoeacuteleacutement est lrsquouniteacute contrastive appeleacutee laquo mot raquo Le laquo champ raquo

seacutemantique correspond au laquo paradigme raquo et laquo lrsquoexpansion raquo au laquo syntagme raquo (Voir le scheacutema

p 126)

11 La Nomenclature seacutemantique 854 agrave 902

Ce domaine eacutetait en retrait des preacuteoccupations des linguistes agrave lrsquoeacutepoque de la reacutedaction de

lrsquoouvrage 854 La premiegravere raison tenait agrave la promotion des eacutetudes de syntaxe La

geacuteneacuterativiteacute inteacuteressait plus que la taxinomie ce qui pour lrsquoauteur eacutetait accorder un privilegravege

agrave un axe sur lrsquoautre La seconde raison tient aux pocircles de la dialectique langagiegravere La peacuteriode

structuraliste a insisteacute sur lrsquoabstraction grammaticale comme en teacutemoigne le Cours on

observe dans laquo la langue raquo non pas une laquo nomenclature liste de termes correspondant agrave

autant de choses raquo (p 97) non un ensemble laquo drsquoideacutees donneacutees drsquoavance raquo (p 162) mais laquo des

valeurs eacutemanant du systegraveme raquo JG ne propose eacutevidemment pas un retour agrave une conception

positiviste de la deacutesignation parce que le terme laquo nomenclature raquo prend un tout autre sens

dans sa seacutemantique il appelle ainsi un mode de raisonnement dialectique qui laquo construit raquo

lrsquointelligibiliteacute laquo qualitative raquo de lrsquoexpeacuterience en produisant de lrsquoidentiteacute conceptuelle et donc

des distinctions conceptuelles

Lrsquoauteur propose ensuite un reacuteseau terminologique en srsquoappuyant sur le contraste entre

grammaire et rheacutetorique 862 Lrsquoidentiteacute devient laquo conceptuelle raquo la taxinomie devient

laquo appellation raquo et permet de raisonner en laquo vocabulaire raquo (composeacute de laquo vocables raquo) face au

lexique des segravemes

JG legraveve aussi lrsquoambiguiumlteacute du terme courant de laquo choix raquo en posant drsquoun cocircteacute le principe

grammatical de laquo distinctiviteacute raquo et de lrsquoautre le processus seacutemantique de laquo seacutelection raquo du

vocable le plus agrave mecircme de construire lrsquoinformation rechercheacutee par laquo exclusion raquo effective des

vocables qui le sont moins Pour choisir laquo his friend raquo en excluant laquo her friend raquo il faut bien

que je dispose lexicalement de ces deux termes formellement distincts En franccedilais je ne peux

pas apporter la mecircme information en disant laquo son ami raquo Le laquo virtuel raquo grammatical devient

lrsquolaquo actuel raquo rheacutetorique

laquo hellipSi le signe en lanalysant nie lobjet il nen reste pas moins quil le nomme hellipLe choix du

locuteur nest plus seulement deacutefinitoire il deacutecide entre le virtuel et lactuel et son refus fait

exister Nommer en somme de ce point de vue cest creacuteer raquo 8628

La fin de la phrase preacutecise son deacutebut et particuliegraverement la notion de laquo nomenclature raquo

(encore un nom drsquoaction) synonyme ici de laquo deacutenomination raquo laquo Nommer crsquoest creacuteer raquo coupe

court agrave toute lecture laquo nomenclaturiste raquo ou laquo reacutealiste raquo Dans le laquo reacutealisme raquo (commun ou

scolastique) le choix drsquoun mot le met en correspondance avec une chose en-soi deacutejagrave distincte

drsquoautres choses Pour JG qui parle ici non du principe de reacutealiteacute mais de ce qursquoon peut

De la deacutesignation 189

humainement en connaicirctre crsquoest le choix actuel correacutelatif de lrsquoexclusion du reste qui fait

exister comme laquo reacutealiteacute connue raquo ce que lrsquoon deacutenomme La deacutenomination fait exister de la

distinction parce qursquoelle est un processus drsquoanalyse Remarque lrsquoincise laquo en lrsquoanalysant raquo fait

reacutefeacuterence agrave la grammaire La rheacutetorique est tout autant processus analytique laquo Si la

grammaire est structure la rheacutetorique est structurante raquo 673

Lrsquohomme est associeacute agrave la creacuteation dans la Genegravese par la deacutesignation des espegraveces 862 JG

reviendra ulteacuterieurement sur le pouvoir du signe de faire laquo exister raquo les choses sur le mode du

concept et non sur un mode ontologique laquo Parler nest point deacutemarquer mais causer

lunivers raquo (LrsquoOutil 18612)

laquo Le formuler donne aussi consistance au neacuteant raquo 862 Deux lectures me semblent

possibles 1) [‟lerdquo = dire laquo pas cela raquo] Lrsquoespace de ce que lrsquoon a choisi de dire dessine aussi son

exteacuterieur qui est non dit quoique virtuellement dicible Dire que la terre tourne implique qursquoil

pourrait en ecirctre autrement 2) [‟lerdquo = dire laquo le neacuteant raquo] Formuler de la neacutegativiteacute ou de

lrsquoabsence crsquoest lui confeacuterer le statut proprement seacutemantique de concept Dire laquo rien raquo nrsquoest

pas ne rien dire

Lrsquoeacutenonceacute ne doit donc pas ecirctre reacuteduit agrave la production drsquoune preacutedication comme le laissent

croire certaines linguistiques contemporaines Lrsquoeacutenonceacute est constitueacute agrave la fois drsquooppositions

conceptuelles (le vocable) et de contrastes conceptuels (la preacutedication) 863

La synonymie caracteacuteristique du vocable et de lrsquoappellation

Dans une perspective dialectique un pocircle est toujours deacutefini en termes de neacutegation de

lrsquoautre pocircle Le sens eacutetant toujours sous-tendu par du grammatical le vocable conceptuel est

deacutefini comme un raisonnement qui remet en cause les diffeacuterences lexicales Grammaticale-

ment le segraveme nie les effets de sens en laquo neacutegligeant raquo leur varieacuteteacute au nom de lrsquoidentiteacute de sa

forme deacutelimiteacutee par les autres segravemes Seacutemantiquement agrave lrsquoinverse lrsquoeffet de sens est deacutefini

non comme une laquo entiteacute raquo mais comme un effet de laquo convergence raquo de ce qui laquo mecircme

diffeacuterencieacute [lexicalement] nrsquoest pas exclu raquo 864 Jrsquoinsiste sur lrsquoideacutee que le terme laquo syn-

onymie raquo ne fait que reacutesumer le processus de raisonnement qursquoest laquo la convergence

synonymique raquo Seule est possible une tentative relative de convergence et non la production

de synonymes positifs dans lrsquoabsolu La limite de cette convergence est la non laquo alteacuteration de

lrsquoidentiteacute du concept raquo 865 en fonction de laquo lrsquoobjet raquo et des autres paramegravetres de la situation

qui sont laquo lrsquooccasion raquo de cette convergence Cette deacutefinition est paraphraseacutee plus loin 874

laquo Il convient de tenir pour [le mecircme vocable synonymique] et quel qursquoen soit le statut

grammatical tout ce qui dans la mecircme conjoncture a la mecircme reacutefeacuterence ou deacuteclenche agrave peu

pregraves le mecircme comportement raquo (La fin de la formulation est assez vague et va probablement

au-delagrave de la convergence de laquo Aiumle raquo et de laquo Ouille raquo)

Cet effort de deacutefinition du processus de synonymie est accompagneacute de commentaires

portant sur divers aspects probleacutematiques

Quel statut accorder agrave la relation entre laquo trogne gueule visagehellip raquo 872 JG demande

que lrsquoon ne confonde pas la laquo synonymie raquo avec laquo cette concordance reacutesultant

sociolinguistiquement de linterfeacuterence des niveaux de langue et qui met entre ‟trogne

portrait bobine bille gueulerdquo et ‟visagerdquo la mecircme relation que creacutee la traduction mais dans

une autre dimension entre ‟Madchenrdquo et ‟girlrdquo et ‟fillerdquo et ‟ragazzardquo raquo Cette eacutevocation de la

distinction des plans invite agrave traiter le problegraveme en termes de points de vue Lrsquousage social

donne un statut agrave lrsquoeacutetrangeteacute ou agrave la laquo concordance raquo entre ‟fillerdquo et ‟ragazzardquo entre ‟trognerdquo

190 Une lecture de Jean Gagnepain

et ‟visagerdquo et pour certains entre laquo bicyclette raquo et laquo veacutelo raquo laquo clore raquo et laquo fermer raquo voire

inversement pour Voltaire agrave la non-convergence de laquo en revanche raquo et de laquo par contre raquo112

Crsquoest une affaire de distance sociale Il faut la distinguer du raisonnement seacutemantique qui

conduit le locuteur agrave les associer dans une laquo convergence raquo productrice drsquoun mecircme concept

Selon moi cela permet de rendre compte du laquo code switching raquo ou de lrsquoemprunt momentaneacute

de connivence si freacutequent entre bilingues laquo Il tenait agrave sa liberteacute sa laquo privacy raquo nrsquoest-ce pas

(hellip) Il fait son cirque son show raquo113 Dans cet exemple le locuteur seacutemantiquement propose

une convergence synonymique En mecircme temps du point de vue sociolinguistique il sait bien

qursquoil a eacutechangeacute momentaneacutement dans un effet de langue autre Les deux ordres de faits sont agrave

la fois distincts et en intersection Lrsquoeacutecrit note ici par le jeu des guillemets le fait proprement

sociolinguistique il nrsquoempecircche que le raisonnement tenu est lui homogegravene

Il faut joindre agrave ce point la remarque de la page 874 la convergence synonymique ne se

limite pas au laquo reacutepertoire acadeacutemique des doublets raquo autrement dit agrave la liste fournie par un

dictionnaire Crsquoest le raisonnement tenu en situation qui la deacutelimite indeacutependamment du

statut en langue des eacuteleacutements convergents

Le vocable ne respecte pas les limites grammaticales laquo Le cadre de lrsquoeacutequivalence peut selon

lrsquooccasion ecirctre infeacuterieur eacutegal ou supeacuterieur au mot raquo 873 Phrase agrave relier agrave celle-ci laquo Tout

vocable [est apte] agrave srsquoauto-expliquer en vertu drsquoune authentique analyse componentielle raquo

882 (Lrsquoexpression laquo Analyse componentielle raquo en elle-mecircme est tregraves geacuteneacuterique et quasiment

pleacuteonastique deacutecomposition drsquoun fait complexe en ses composants internes ndash

laquo components raquo en anglais)

Ainsi le dictionnaire (en tant qursquoil laquo dit raquo) lorsqursquoil propose la deacutefinition drsquoun sens drsquoun mot

eacutenonce une convergence synonymique entre un terme seul et une peacuteriphrase laquo Urne Boicircte

dont le couvercle est muni drsquoune fente ougrave lrsquoon deacutepose des bulletins de vote raquo On trouve la

reacuteciproque dans les deacutefinitions de mots croiseacutes (en 3 lettres) laquo Processus biologique mortel

sexuellement transmissible raquo laquo Vie raquo Alors que le segraveme srsquoexplique laquo tautologiquement raquo par

lrsquoidentiteacute de sa forme 653 ndash un chat est un chat ndash le vocable laquo srsquoexplique raquo tient sa deacutefinition

de la convergence synonymique quelle qursquoen soit la formulation grammaticale elliptique ou

peacuteriphrastique Lrsquoexemple final 873 illustre lrsquoeacutequivalence synonymique drsquoune structure

coordonnante et subordonnante par ailleurs analysable sur lrsquoautre axe comme une structure

preacutedicative eacutequivalente

JG rappelle le deacutebat sur la synonymie parmi les linguistes symptocircme de lrsquoaperception de

la dialectique du signe 874 Si lrsquoon est davantage sensible agrave la forme grammaticale on niera

lrsquoexistence de la synonymie au nom de la diffeacuterence formelle (Quelque part une bicyclette

nrsquoest pas un veacutelo ) Inversement si lrsquoon met lrsquoaccent sur laquo lrsquoindeacuteniable ‟analogierdquo des

emplois raquo on reconnaicirctra leur existence Ce deacutesaccord ne tient qursquoagrave une positivation soit de la

112 Avec lrsquoargument suivant laquo Par contre raquo est en usage dans le milieu bancaire et laquo en revanche raquo chez les nobles Voltaire choisit la seconde formulation Crsquoest la dimension ldquodiastratiquerdquo de la langue par rapport agrave sa dimension ldquodiatopiquerdquo ou ldquodiachroniquerdquo

113 Idem ldquoHe wouldnrsquot have to manufacture an entreacutee to the conversation with his fatherrdquo Elisabeth George (2003) A place of hiding p 339 Agrave distinguer de ldquoHis tone said fait accomplirdquo (ibidem p187) ougrave il nrsquoy a pas pour un anglophone drsquoeffet de changement de langue de code-switching (Comme je viens de le faire) Le code switching peut aussi rappeler une situation de bilinguisme laquo Crsquoest interdit verboten de loger quelqursquoun dans une cabane Et crsquoest encore plus verboten de loger un jeune homme la nuit raquo Griseacutelidis Reacuteal Le noir est une couleur 1989 Eacuteditions drsquoen bas p56

De la deacutesignation 191

grammaire soit du sens Drsquoougrave lrsquoimportance de preacutefeacuterer la notion de laquo convergence

synonymique raquo agrave celle de laquo mots synonymes raquo

laquo Il va de soi qursquoon ne saurait fonder sur eux [les synonymes] la grammaire (hellip) et la

signification reste bien au contraire le seul ‟algorithmerdquo envisageable de la paraphrase raquo 874

Ce propos rappelle la preacuteseacuteance de la neacutegativiteacute sur son reacuteinvestissement JG semble faire

converger ici laquo peacuteriphrase raquo et laquo paraphrase raquo Ce dernier terme nrsquoest preacutesent que trois fois

dans le texte et il est distingueacute en 941 de laquo lrsquoinfeacuterence raquo qui en est le correspondant

quantitatif

Le locuteur normal laquo controcircle le fonctionnement raquo [de la synonymie] laquo en lrsquoadaptant sans

cesse agrave la situation raquo 881 Sur lrsquoemploi des concepts laquo drsquoadaptation raquo lire mon laquo inter-

megravede 4 raquo Cette faciliteacute drsquoexposeacute srsquoinscrit dans un cadre theacuteorique dialectique La laquo situation raquo

est cette variable humainement veacutecue cette laquo expeacuterience raquo contraignante qui conditionne la

dialectique du dire et donc la constitution du sens selon les proprieacuteteacutes drsquoune analyse

La perte du laquo controcircle raquo de la synonymie peut reacutesulter de deux tableaux pathologiques

Soit par preacutegnance pathologique de la grammaire (schizophasie) laquo Il nrsquoy a point [alors] de

synonymie raquo puisque toute diffeacuterence de mots est laquo reacutealiseacutee raquo comme une distinction concep-

tuelle Crsquoest le passage agrave la limite de la rheacutetorique mythique ndash qui elle est controcircleacutee par le

locuteur ndash et qui fait remarquer plaisamment qursquoon ne saurait prendre un laquo ascenseur raquo pour

descendre puisque ce nrsquoest pas un laquo descenseur raquo qursquoon ne peut pas pendre un blouson agrave un

laquo porte-manteau raquo et que la panthegravere et le leacuteopard sont deux espegraveces diffeacuterentes de feacutelins

(Panthera Pardus)

Inversement lrsquoaphasique de Wernicke laquo en a trop raquo ou plus exactement ne peut plus

exclure de segravemes et se restreindre agrave choisir les seuls qui convergent dans le concept viseacute en

raison du brouillage lexical qui lrsquoempecircche drsquoecirctre sucircr que tel mot est bien distinct de tel autre

[Le locuteur controcircle le fonctionnement de la convergence synonymique] laquo Crsquoest par lagrave et

par lagrave seulement qursquoil focalise pour ainsi dire le concept et transforme sur lrsquoaxe ougrave nous

sommes lrsquoideacuteation naturelle en penseacutee raquo 881 Lrsquoideacutee drsquoun laquo controcircle raquo par le locuteur en

situation de laquo lrsquoopeacuteration raquo mentale qursquoest la synonymie lrsquoimage de la laquo focalisation raquo la

notion de laquo transformation raquo enfin permettent de parer la tendance agrave positiver cette

synonymie et interdit drsquoen revenir agrave une conception ontologique du sens comme mise en

correspondance de concepts et de choses La laquo penseacutee raquo est ici le raisonnement conceptuel

qui de lrsquoordre du seul langage La synonymie est une opeacuteration mentale de laquo convergence raquo

variant en fonction de lrsquoexpeacuterience du locuteur

Le vocable dans la lexicographie

Lrsquoauteur observe la varieacuteteacute des ouvrages de lexicographie notamment le partage entre le

dictionnaire qui inventorie les mots et expose la polyseacutemie de chacun et les glossaires (ou

encyclopeacutedies) qui inventorient les laquo mots ou locutions raquo 883 en fonction drsquoune theacutematique

ou bien encore les essais de combiner les deux Cette varieacuteteacute teacutemoigne drsquoun laquo embarras raquo

dont seule une conception dialectique du dire permet de sortir Le premier ouvrage reacutepond agrave

la question laquo Quels sont les sens de ce mot raquo Le second ouvrage reacutepond agrave la question

laquo Comment appeler ceci raquo Beaucoup de modegraveles linguistiques114 depuis le deacutebut du XXe

114 Alain Rey Le Lexique images et modegraveles 1977 p 16 laquo Ce sont les linguistes allemands (Franz Dornseiff Karl Vossler puis Leo Weisgerber) qui ont imposeacute cette opposition [entre onomasiologie et seacutemasiologie] pour attaquer

192 Une lecture de Jean Gagnepain

siegravecle opposent ainsi la perspective laquo seacutemasiologique raquo celle du dictionnaire agrave la perspective

laquo onomasiologique raquo celle de lrsquoencyclopeacutedie

laquo Pour commode quelle soit lexpression habituelle de sens des ‟motsrdquo est donc

particuliegraverement inadeacutequate attendu que sils en sont rheacutetoriquement porteurs ce nest pas

par eux-mecircmes mais comme membres de leacutenonceacute raquo 883 Cette observation est importante

dans la mesure ougrave la tradition lexicologique part geacuteneacuteralement de mots isoleacutes Pour JG le

concept reacutesulte de lrsquointeraction de tout ce qui constitue lrsquoeacutenonceacute et ne peut pas ecirctre deacutefini agrave

partir drsquoun mot isoleacute Il srsquoagit lagrave en outre non de la phrase ou de la proposition mais de

laquo lrsquoeacutenonceacute raquo crsquoest-agrave-dire du cours du propos tenu qui comprend des anaphores des

preacutesupposeacutes et des implications Crsquoest cet ensemble qui produit de la synonymie (entre autres

effets de sens) et la renouvelle en permanence Il arrive drsquoailleurs que la mecircme formulation

entre successivement dans deux effets de sens distincts par reacutetroaction ndash laquo Le theacuteacirctre a

remplaceacute mon cachet par un comprimeacute raquo disait Raimu ndash ou par reacutepeacutetition ndash laquo Je suis contre

les femmes tout contre raquo disait Sacha Guitry Dans le premier exemple un premier concept

est construit agrave partir de la relation entre laquo theacuteacirctre raquo et laquo cachet raquo (chacun des mots

contribuant agrave la deacutefinition seacutemantique de lrsquoautre) et une seconde convergence synonymique

est eacutetablie entre laquo cachet raquo et laquo comprimeacute raquo Dans le second exemple un premier effet de

sens est provoqueacute par le raisonnement laquo ecirctre contre raquo versus laquo ecirctre pour raquo puis transformeacute

par la construction laquo tout contre raquo (antanaclase) Le sens est donc la reacutesultante de lrsquointeraction

de tout ce qui compose lrsquoeacutenonceacute et non la somme de chacun de ses composants

Notant qursquoen lexicologie lrsquoeacutetude de la polyseacutemie preacutevaut sur celle de la synonymie JG

eacutevoque le controcircle du sens dans le domaine de la traduction 884 laquo Lrsquohypothegravese de la

‟Wortdeckerdquo a fait comprendre la neacutecessiteacute dun eacutegal controcircle pour une bonne interpreacutetation

des ‟faits de languerdquo et des ‟faits de civilisationrdquo raquo

Jost Trier promoteur des laquo champs seacutemantiques raquo (laquo die Wortfelder raquo) en 1931 considegravere

que ces derniers se reacutepartissent de faccedilon compleacutementaire comme une sorte de mosaiumlque une

laquo Wortdecke raquo (laquo nappe tapis de mots raquo dans sa terminologie) Lrsquoexploitation de cette ideacutee

repose couramment sur le contraste entre langues pour faire apparaicirctre le caractegravere structureacute

de chacune Ainsi la deacutenomination de la parenteacute en anglais et en franccedilais fait apparaicirctre que

pour deacutesigner en anglais lrsquoensemble de la fratrie de quelqursquoun on peut dire simplement laquo my

siblings raquo ce qui est impossible en franccedilais qui ne peut dire que laquo mes fregraveres et sœurs raquo (et

variantes de nombre) JG part de ce thegraveme des champs conceptuels pour rappeler dans une

perspective cette fois dialectique que la compreacutehension de ce que veulent dire les mots va de

pair avec celle des particulariteacutes de lrsquoexpeacuterience humaine des gens Il srsquoagit en effet drsquoune

transaction sur du laquo dit raquo Or laquo la rheacutetorique est structurante crsquoest-agrave-dire reconstruit le monde

sur le modegravele drsquoune grammaire raquo 673 Lrsquoideacutee drsquoun laquo eacutegal controcircle raquo entre faits de langue et de

civilisation se fonde en glossologie sur la relation dialectique et indissociable des laquo faccedilons de

penser raquo et des laquo faccedilons de formuler raquo Crsquoest aussi pourquoi il soutiendra que traduire nrsquoest

pas dire la mecircme chose autrement mais dire laquo autre chose autrement raquo et que la transaction

y est autant une transaction de laquo mentaliteacutes raquo que de formulations

(hellip) leacutetude des significations faite en partant du signe ndash seacutemasiologie et deacutefendre leacutetude des deacutenominations ndash onomasiologie Ces deux termes deacutesignant les deux aspects meacutethodologiques dune mecircme discipline la seacutemantique me paraissent indispensables raquo

De la deacutesignation 193

Onomasiologie onomastique anthroponymie (nom propre) Pour une theacuteorie de lrsquoappellation

laquo On constate un singulier glissement de nos jours de la ‟seacutemantiquerdquo vers une sorte de

seacutemiologie non formelle agrave nos yeux encore quextraordinairement formaliseacutee raquo 892 JG voit

dans les seacutemantiques qui lui sont contemporaines un basculement de la perspective

laquo onomasiologique raquo vers la perspective laquo seacutemasiologique raquo (deacutesigneacutee ici par le terme

laquo seacutemiologie raquo) La premiegravere part drsquoune situation et srsquointeacuteresse au raisonnement qui reacutepond agrave

la question laquo Comment ccedila srsquoappelle raquo et la seconde part drsquoune formulation et srsquointeacuteresse au

raisonnement qui reacutepond agrave la question laquo Qursquoest-ce que cela veut dire raquo Mes gloses sont

donc en grande partie des raisonnements seacutemasiologiques

Il srsquoagit en particulier de la seacutemantique de Bernard Pottier et drsquoautres seacutemantiques

componentielles qui analysent le lexique en classes de laquo segravemes raquo On part drsquoun reacuteseau de

mots dont les sens semblent apparenteacutes un champ seacutemantique (laquo pied accoudoir dossier

etc raquo) pour tenter de comprendre ce qui distingue chaque appellation des autres Pour cela

on met ce reacuteseau en relation avec ce qursquoil deacutesigne On utilisera lrsquoobservation des meubles drsquoun

salon bourgeois pour faire le modegravele des caracteacuteristiques seacutemantiques qui composent le sens

de ce qursquoon appelle un fauteuil un canapeacute et un pouf nombre de places assises preacutesence ou

non de pieds de dossier et de bras En cela (mais surtout pour des raisons de reacuteduction didac-

tique) on se place dans une perspective nomenclaturiste qui met en correspondance une

organisation lexicale et une organisation technique en neacutegligeant le fait que le reacuteseau de

concepts que lrsquoon obtient est une construction mentale qui varie selon le point de vue que lrsquoon

adopte sur ce dont on parle La laquo situation raquo de celui qui distingue un dossier et un bras dans

un fauteuil est fort diffeacuterente de laquo la situation raquo dans laquelle se place lrsquoeacutebeacuteniste (qui repegravere la

continuiteacute et la discontinuiteacute des morceaux de bois qui composent le fauteuil) ou le tapissier

qui va dire encore autrement ce qursquoest son fauteuil

La seacutemantique glossologique refuse drsquoautonomiser ces deux perspectives et drsquoen privileacutegier

une puisqursquoelle explique sous le nom laquo drsquoappellation raquo la relation dialectique productrice de

sens entre le mot et la situation elle-mecircme conjoncture humaine

Par ailleurs 893 JG regrette que la perspective onomasiologique soit reacuteduite agrave lrsquoeacutetude de

lrsquoonomastique celle des noms de lieu et de personne Cette reacuteduction suppose la seacuteparation

critiquable entre seacutemantique du nom commun et seacutemantique du nom propre Toute appella-

tion construit une identification seacutemantique toujours relative et si le nom propre est supposeacute

parvenir agrave une laquo identiteacute raquo absolue en arguant du fait qursquoil deacutesigne un laquo individu logique raquo

(Mme de Clegraveves ou Nicolas Sarkozy) crsquoest en raison drsquoune surdeacutetermination sociologique

laquo elle tient agrave notre rapport sociologique au senshellip Elle a pour source leur statut juridique raquo

Crsquoest la personne en nous et non le locuteur que nous sommes qui dans un acte de langage

lie le nom propre agrave lrsquoecirctre qursquoil deacutenomme Il srsquoagit drsquoune laquo proprieacuteteacute priveacutee ou publique raquo Il

importe ici de distinguer deux sens du mot laquo proprieacuteteacute raquo celui drsquoappropriation sociale et celui

de production de preacutecision et de suffisance seacutemantique relatives

Lrsquoapparente laquo dispariteacute raquo seacutemantique 893 entre nom commun et nom propre ne tient pas

agrave une diffeacuterence dans leurs transformations historiques respectives puisque laquo ‟Lefegravevrerdquo sort

du forgeron et ‟le foierdquo en roman probablement drsquoune recette de cuisine raquo JG veut dire que

toutes les transformations historiques des appellations suivent les mecircmes lois et qursquoun va-et-

vient srsquoopegravere constamment entre appellation drsquoobjets et appellation de personnes et de lieux

Beaucoup de noms de famille sont des noms de meacutetiers et le laquo fegravevre raquo (latin laquo faber raquo) ou le

194 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo goff raquo (en Bretagne) fut forgeron Quant au laquo foie raquo que lrsquoon relie au latin populaire

laquo figatum raquo (de figues) calqueacute sur le grec laquo (hecircpar) sukocircton raquo (foie de figues) il intrigue

lrsquoeacutetymologiste Comment passe-t-on de la figue au foie Deux hypothegraveses sont avanceacutees on

nourrissait les oies avec des figues et crsquoest ce foie gras lagrave qui avait la meilleure reacuteputation

Peut-ecirctre aimait-on aussi preacutesenter le foie gras accompagneacute de figues La recette est toujours

actuelle

Le processus en question ndash commun agrave lrsquoensemble du vocabulaire ndash est celui de lrsquoappellation

894 JG regrette que le cas du nom propre ait renforceacute lrsquoideacutee fausse que le nom est le laquo label

de lrsquoobjet raquo (dans une nomenclature) et non laquo la classe rheacutetorique des faccedilons de le deacutesigner raquo

que reacutesume le concept de laquo convergence synonymique raquo Il preacutecise que cette deacutefinition vaut

aussi pour le fonctionnement seacutemantique des noms propres et que les laquo hypocoristiques raquo ndash

laquo Jeanneton raquo agrave lrsquoadresse drsquoune laquo Jeanne raquo laquo Deacutedeacute raquo alternant avec laquo Andreacute raquo ndash et les

laquo surnoms raquo ndash laquo Jacques Mesrine raquo dit laquo Porte-avions raquo en raison de lrsquoartillerie qursquoil portait sur

lui ndash sont en laquo interaction synonymique raquo 115

12 La seacutelection phoneacutetique lrsquoeacutepel

Terminologie La seacutemantique reacuteinvestit du laquo signifieacute diffeacuterencieacute raquo 902 la phoneacutetique

reacuteinvestit du laquo signifiant raquo diffeacuterencieacute La seacutelection appellative (ou laquo nomenclature raquo)

transforme le laquo sens raquo (celui qui relegraveve de laquo lrsquoideacuteation raquo et qui existe dans la relation symbo-

lique son-sens) en concept (le sens seacutemantique) via le segraveme seacutemiologique De mecircme donc

qursquoil y a laquo sens et sens raquo il y a laquo son et son raquo La seacutelection qursquoest la laquo diction raquo transforme le

son phonique perccedilu qui relegraveve de la laquo phonation raquo en laquo eacutepel raquo phoneacutetique via le trait

phonologique 903

JG entreprend de dialectiser ce que les linguistiques classiques conccediloivent comme une

dichotomie entre phonegraveme et son entre phonologie et phoneacutetique (acoustique ou articula-

toire) 904 laquo Il y a place pour un intermeacutediaire raquo qui ait une deacutefinition culturelle et non plus

naturelle Il appartient agrave une theacuteorie de la performance phoneacutetique de le faire qui deacutefinisse la

phoneacutetique comme lrsquoopeacuteration mentale partie inteacutegrante du signe qui tente de deacutepasser la

contradiction radicale du phonegraveme et du son Le son nrsquoa pas de proprieacuteteacutes analytiques en

identiteacutes et uniteacutes langagiegraveres mecircme dans son eacutelaboration psycho-physiologique qursquoest

lrsquoeacutelocution En revanche la prononciation (la diction) a ces proprieacuteteacutes car il nrsquoy a prononcia-

tion que de phonegravemes quand bien mecircme les deacutelimitations ne sont plus les mecircmes JG tente

de deacutefinir ici ce qursquoest une identiteacute phoneacutetique sous le terme laquo drsquoeacutepel raquo

Risquons un exemple liminaire simple Si je pousse un cri apregraves avoir heurteacute du pied un

obstacle jrsquoeacutemets un laquo son raquo (un bruit pour un acousticien) deacutelimiteacute par la physiologie des

organes phonatoires Ce peut ecirctre le bruit provoqueacute par une brusque aspiration drsquoair (assorti

drsquoune grimace) Mais si je dis laquo Aiumle raquo je prononce les phonegravemes aj en un [lsquoaːj] qui a une

identiteacute sonore Il est remarquable qursquoil soit possible de transcrire ces identiteacutes phoneacutetiques

par un alphabet mecircme approximatif Crsquoest bien la preuve qursquoune analyse est agrave lrsquoœuvre En

revanche le cri lui-mecircme ne peut pas ecirctre transcrit il est enregistrable et il peut ecirctre deacutecrit

par les mesures des caracteacuteristiques acoustiques et articulatoires qui le deacutefinissent

115 Voir sur le blog httpjmaurefreefrsurnomssurnomshtml la liste des surnoms donneacutes par Freacutedeacuteric Dard agrave ses personnages liste tireacutee du Dictionnaire San-Antonio eacuteditions laquo Fleuve Noir raquo

De la deacutesignation 195

Une des difficulteacutes de ce passage reacuteside dans le fait que JG souhaite exposer la seule

dimension qualitative distinctive de la phoneacutetique en faisant abstraction de sa dimension

quantitative Or il srsquoagit drsquoune reacutealisation de sorte qursquoil nrsquoest pas possible de donner un

exemple drsquoeacutepel qui ne soit en mecircme temps pris dans une uniteacute de prononciation Parce qursquoil

srsquoagit toujours drsquoune reacutealiteacute analytique Il faut encore faire un effort drsquoanalyse et srsquoimposer de

nrsquoobserver que lrsquoeacutepel deacutefini restrictivement comme la reacutealisation choisie par rapport aux

reacutealisations virtuelles exclues en faisant abstraction du fait que sa prononciation reacutesulte

toujours drsquoun phonegraveme phonologique et qursquoelle entre forceacutement dans le cadre drsquoune syllabe

phoneacutetique JG est bien conscient du problegraveme puisqursquoil dit en fin drsquoexposeacute laquo Il fallait bien

explorer dabord la faccedilon dont nous eacutelaborons les facteurs mecircme si tout cela se passe en

simultaneacute avant de proceacutederhellip agrave lexamen des opeacuterationshellip raquo agrave savoir celles qui relegravevent de

lrsquoaxe de la quantiteacute 912

JG appuie lrsquoexposeacute de cette diffeacuterence sur lrsquoobservation des pathologies Paralysies et

apraxies dysarthries et dyspheacutemies affectent la motriciteacute articulatoire laquo le controcircle des

mouvements raquo 904 Cependant ces deacutesordres nrsquoaffectent pas la seule prononciation des

phonegravemes ici en particulier (dans lrsquoeacutepel) la seacutelection drsquoun des allophones drsquoun trait Ces

deacutesordres moteurs affectent tout bruit susurrement bruissement clabaudage grognement

geacutemissement raclement roucoulade chuchotement et autres cris qursquoil est physiologique-

ment possible drsquoeacutemettre de maniegravere controcircleacutee dans quelque but que ce soit y compris

symbolique Il ne srsquoagit pas pour autant drsquoeacutepel phoneacutetique car encore une fois il nrsquoy a

prononciation que de phonegravemes de mecircme que toute nomenclature est formuleacutee dans un

lexique En somme ces pathologies de la phonation ne sont pas des pathologies de la

prononciation des pathologies de la rheacutetorique phoneacutetique

On est au cœur ici dit-il laquo du fameux problegraveme de la relative importance pour ce qui est de

lrsquoanalyse de la forme et de la substance du son raquo 904 JG critique au passage la formulation

du Cours qui pour ancrer le signe dans le psychisme associait laquo image acoustique voire

musculaire au concept raquo Il fallait distinguer entre laquo substance raquo et laquo reacutesultat performantiel de

la restructuration de lrsquoinstance raquo Observons cependant que Saussure lui-mecircme la critique et

propose la notion de laquo signifiant raquo pour ecirctre coheacuterent avec le principe de laquo valeur raquo

Il ne faut pas confondre cette phoneacutetique avec laquo cette eacuteconomie diffuse de lrsquointonation ou

du rythme [codifieacutee dans les langues] qui sont glossologiquement agrave la deacutenotation ce que la

seacutemantique est agrave la seacutemiologie raquo 904 Cette phrase propose une analogie assez deacutelicate agrave

positionner Il ne peut pas ecirctre question ici du critegravere de pertinence le correspondant de la

deacutenotation dans le modegravele Que peut bien signifier lrsquoideacutee drsquoun reacuteinvestissement rheacutetorique de

la laquo deacutenotation raquo terme qui deacutesigne un critegravere Le terme laquo eacuteconomie raquo suggegravere lrsquoeffort

rheacutetorique qui rend lrsquointonation et le rythme adeacutequats agrave la situation (laquo pertinents raquo dans le

sens commun du terme) et contribue agrave la compreacutehension seacutemantique de lrsquoeacutenonceacute Toutefois

cette lecture entre en contradiction avec lrsquoeacutevocation drsquoun fait non phoneacutetique Je laisse donc

ouverte la lecture de ce passage (La reprise allusive de ce thegraveme en laquo lrsquoeacuteconomiehellip des pauses

et des tons raquo 932 nrsquoeacuteclaire pas lrsquoanalogie)

Lrsquoeacutepel est laquo homorganique raquo 90-91 Au couple laquo polyseacutemie raquo du segraveme laquo synonymie raquo du

vocable JG oppose la laquo polyphonie raquo du trait et laquo lrsquohomorganie raquo de la reacutealisation phoneacute-

tique du trait qursquoil appelle lrsquoeacutepel On comprend qursquoil ait ducirc eacuteviter le terme laquo symphonie raquo bien

occupeacute par ailleurs ou celui de laquo convergence symphonique raquo Lrsquoideacutee est que lrsquoidentiteacute phoneacute-

tique nrsquoest pas un son particulier mais lrsquoensemble des sons drsquointensiteacute de dureacutee et de timbre

196 Une lecture de Jean Gagnepain

varieacutes qui sont compatibles laquo homologues raquo pour constituer un mecircme allophone seacutelectionneacute

excluant les autres allophones du mecircme trait Le test de la reacutepeacutetition consciente drsquoun

phonegraveme par un locuteur peut ecirctre un critegravere de repeacuterage de cette laquo homorganie raquo On peut

reacutepeacuteter [kə] voire [krsquo] sans vocalisation associeacutee Mais cela ne garantit pas lrsquoidentiteacute phonique

des reacutealisations successives en dureacutee en aspiration ou en tension en particulier Malgreacute tout

pour le locuteur il srsquoagit bien drsquoune mecircme prononciation drsquoune identiteacute phoneacutetique

JG fait ensuite appel agrave lrsquoobservation des graphies pour justifier lrsquoeacutepel Pour montrer que

lrsquoeacutepel nrsquoest pas le trait phonologique mais la maniegravere dont on le prononce il srsquoappuie en

particulier sur le fait qursquoagrave lrsquoeacutecole une consonne srsquoeacutepelle dans le cadre drsquoune syllabe [ be ɛf ʒi

kɑ ] Ces traditions teacutemoignent dit-il laquo drsquoune mecircme conscience du langage raquo 911 Elles

conservent ainsi laquo lrsquoempreinte du meacutecanisme de diction raquo 912 comme lrsquoonomastique

teacutemoigne du meacutecanisme de la nomenclature (Cf 954 pour lrsquoaspect syllabique)

laquo Il fallait bienhellip explorer les facteurshellip avant de proceacuteder agrave lrsquoexamen des opeacuterationshellip raquo

912 Il oppose par ces termes lrsquoaxe des identiteacutes dont il vient de parler agrave lrsquoaxe des uniteacutes

objet de la section qui va suivre

2 - Syllabe et proposition

Terminologie Le texte est la structuration grammaticale quantitative du dire et la

proposition en est laquo la restructuration eacutenonciative raquo 913 Rappelons que laquo eacutenonciatif raquo signifie

ici laquo qui a pour reacutesultat lrsquoeacutenonceacute raquo quant agrave la quantiteacute Ce concept est strictement de lrsquoordre

de la cognition et fait abstraction de lrsquousage interlocutif qui en est fait et qui relegraveve de la

sociolinguistique

Agrave lrsquoappellation diffeacuterentielle correspond lrsquoassertion contrastive Preacutedication et proposition

sont synonymes La preacutedication seacutemantique est agrave la segmentation seacutemiologique ce que la

seacutelection seacutemantique (ou appellation) est agrave la diffeacuterenciation seacutemiologique La segmentation

est contrastive (A Martinet utilisait le terme laquo deacutemarcative raquo) et la preacutedication est

laquo deacuteterminante raquo 922

21 Preacutedication et terme

Est introduite ici la notion de laquo TERME raquo de la preacutedication Attention La phrase qui deacutefinit la

preacutedication 9223-6 contient un propos principal et une incise Le propos rapproche le modegravele

de celui drsquoAristote lrsquoincise en modifie consideacuterablement le sens Dans tous les cas il faut

rapprocher laquo terme raquo de son sens latin de laquo borne raquo laquo deacutelimitation raquo (termen) et oublier le

sens franccedilais du deacuteriveacute laquo terminer raquo ou des expressions telles que laquo mettre un terme agrave raquo

- Le propos la preacutedication laquo deacutecoupe en deux membres ou termes ndash [incise] ndash le noyau de

tout eacutenonceacute Cest ce quon exprime en parlant de coupe preacutedicative (hellip) Ces termeshellip ne

peuvent ecirctre que deux Ce sont respectivement le thegraveme et le propos des logiciens raquo JG les

renomme laquo terme substantif raquo et laquo terme preacutedicatif raquo

- Lrsquoincise laquo [deux termes] ndash dont lun bien entendu peut eacuteventuellement ecirctre absent

lorsque le message est centreacute sur autre chose que lobjet ndash raquo

Reprenons et deacuteveloppons ces deux parties

De la deacutesignation 197

Le propos 9223-11 Aristote disait laquo Jrsquoappelle terme [(horos) ὃρος] ce en quoi se reacutesout

la preacutemisse [(protasis) ἡ πρότασις] agrave savoir le preacutedicat (to kategravegoroύmenon) et le sujet dont il

est affirmeacute (tὸ κathacuteοὗ κaτegravegοreῖtai) raquo (Premiers analytiques116) Aristote appelle aussi laquo tὸ

ὑpοkeiacutemenon raquo ce sur quoi porte une assertion (litteacuteralement ce qui est en dessous) et que

lrsquoon appelle traditionnellement le laquo sujet raquo On peut opposer agrave cette traduction classique celle

reacutecente de MP Duminil qui traduit laquo ὑpokeiacutemenon raquo par laquo substrat raquo pour redonner du sens

agrave un laquo sujet raquo qui nrsquoest plus aujourdrsquohui relieacute agrave laquo sub-jacere raquo (Il gicirct en dessous) JG propose

pour sa part de traduire par laquo substantif raquo (sub-stare)

Cette conception est reprise par les classiques par exemple par Arnault (Antoine) et

Lancelot (Claude) Grammaire geacuteneacuterale et raisonneacutee Paris 1660 Ed Michel Foucault II 1 p

22-24 laquo Toute proposition enferme neacutecessairement deux termes lrsquoun appeleacute sujet qui est ce

dont on affirme comme terre amp lrsquoautre appeleacute attribut qui est ce qursquoon affirme comme

ronde amp de plus la liaison entre ces deux termes est raquo De maniegravere explicite chez Arnault et

Lancelot lrsquouniteacute qursquoest la proposition est envisageacutee comme un ensemble qui relie deux parties

obligatoires de statut compleacutementaire La notion de laquo coupe preacutedicative raquo 9226 ne signifie

que cette diffeacuterence de statut

Lrsquoincise 9224-6 Lrsquoun des termes peut relever du non-dit lorsque le locuteur en situation

donne agrave lrsquoinformation le statut drsquoinformation infeacutereacutee de ce qui est formuleacute Information

implicite mais neacuteanmoins impliqueacutee donc constitueacutee par le propos du locuteur Crsquoest le plus

souvent le cas du terme laquo substantif raquo comme dans laquo il pleut il ne pleut pas raquo ougrave ce qui est

asserteacute lrsquoest agrave propos de la situation meacuteteacuteorologique que vit le locuteur sans qursquoil soit

approprieacute de le formuler mais que lrsquoon conccediloit cependant Inversement on peut attirer

lrsquoattention de quelqursquoun sur un fait sans qursquoil soit opportun de formuler quelle assertion lui est

lieacutee laquo Tes chaussettes raquo selon lrsquooccasion sont laquo agrave ranger raquo ou laquo agrave remonter raquo (etc) par tacite

implication Le partage preacutealable drsquoune information entre eacutemetteur et reacutecepteur (source et

cible) est deacuteterminant dans le choix de ne formuler qursquoun seul des termes Ainsi laquo Le facteur

arrive raquo devient laquo Le facteur raquo si lrsquoinformation porte sur lrsquoidentiteacute du visiteur et laquo Il arrive raquo

si lrsquoon attend cette personne et que le propos porte sur le moment de lrsquoeacuteveacutenement Et la

totaliteacute laquo Le facteur arrive raquo peut aussi nrsquoecirctre qursquoun seul terme preacutedicatif srsquoil apporte une

information sur ce qui se passe en reacuteponse agrave laquo Quoi de neuf raquo (Cf Moliegravere lrsquoEacutecole des

femmes laquo Le petit chat est mort raquo)

Suivant Mickael Herrmann il est important ici de preacuteciser que laquo ce nrsquoest pas la situation qui

suppleacutee au langage en occupant un espace extralinguistique raquo 117 car la rheacutetorique est indiffeacute-

rente au laquo statut existentiel raquo de ce agrave quoi elle reacutefegravere laquo Indeacutependamment drsquoune eacuteventuelle

diffeacuterence existentielle (mais lrsquoontologie nrsquoa pas sa place en glossologie) les deux termes agrave

deacutefaut drsquoecirctre eacutegalement preacutesents participent eacutegalement agrave une pluraliteacute ce qui revient agrave dire

116 Aristote Premiers analytiques I 1 24a 7 Traduction de Jules Tricot Vrin 1936 Pour le texte grec voir httpremacleorgbloodwolfphilosophesAristoteanalyt1htm Eacutedition bilingue traduction de Jules Bartheacuteleacutemy Saint-Hilaire 1879 laquo Ὅρον δὲ καλῶ εἰς ὃν διαλύεται ἡ πρότασις οἷον τό τε κατηγορούμενον καὶ τὸ καθacute οὗ κατηγορεῖταιhellip raquo On remarquera que la notion de laquo sujet raquo nrsquoest pas ici explicite le texte disant seulement laquo ce sur quoi il y a attribution raquo Une glose du traducteur preacutecise laquo qursquoAlexandre drsquoAphrodise fait remarquer que le mot laquo terme raquo laquo O ὃρος raquo (borne limite) pris en se sens eacutetait inconnu du temps dAristote et que voilagrave pourquoi lauteur dit agrave la premiegravere personne jappelle etc cest une expression nouvelle quil creacutee agrave son usage raquo Remarquer qursquoAristote choisit le terme laquo preacutemisse raquo (protasis) comme synonyme de proposition parce qursquoil entend exposer ce qursquoest un syllogisme dont la laquo preacutemisse raquo constitue le premier moment

117 Mickael Herrmann laquo La proprieacuteteacute de la proposition raquo (2006) Teacutetralogiques 17 Description et Explication dans les sciences humaines p 27

198 Une lecture de Jean Gagnepain

qursquoils comptent lrsquoun et lrsquoautre raquo Ce point de vue est agrave relier fondamentalement agrave lrsquoideacutee que le

terme est essentiellement une deacutelimitation quantitative

Il srsquoagit lagrave drsquoune diffeacuterence profonde drsquoavec la conception aristoteacutelicienne Pour J G la

laquo coupe raquo preacutedicative est ce qui segmente quantitativement ce qui seacutepare lrsquouniteacute conceptuelle

qursquoest le preacutedicat de ce qui est rejeteacute agrave lrsquoarriegravere-plan mecircme formuleacute et qui est son substantif

partie constitutive de la preacutedication Fondamentalement la coupe laquo deacutecoupe raquo lrsquouniteacute plus

qursquoelle ne relie une information premiegravere agrave une autre La position de JG est expliciteacutee plus

loin 932 laquo Crsquoest dans la mesure mecircme ougrave le virtuel fait autant que lrsquoactuel partie de la

nomenclature que le substantif avec le preacutedicat fait eacutegalement partie de la proposition raquo Dans

une perspective structurale ougrave toute frontiegravere est relative lrsquoexclu deacutelimite le choisi et

lrsquoinformation non formuleacutee (le substantif) deacutelimite ce qui est asserteacute118

Preacutedication et grammaire Divers cas de figure de leur non-correspondance

Autre point important Lrsquoanalyse grammaticale et la preacutedication nrsquoont pas les mecircmes

deacutelimitations La seconde reacuteorganise la premiegravere Dialectique oblige

- Preacutedication et types de mots Le nom comme le verbe peuvent prendre le statut de terme

substantif comme de terme preacutedicatif La tradition et la grammaire geacuteneacuterative opegraverent une

reacuteduction en privileacutegiant lrsquoexemple canonique P = SN + SV ougrave le nom est substantif et le verbe

preacutedicatif Dans laquo Qui dort dicircne raquo 923 le premier verbe est substantif par contraste avec le

second et dans laquo Un palais cet hocirctel raquo le premier nom est preacutedicatif en contraste avec le

second On remarquera dans ce dernier exemple que le statut respectif des deux noms

deacutecoule en partie du contraste entre les deacuteterminants Comparer agrave laquo Ce palais un hocirctel raquo

(substantif + preacutedicatif)

- Preacutedication et syntaxe

(1) laquo Rien nrsquoest plus faux que la fameuse regravegle des eacutecolacirctres ‟autant de verbes autant de

propositionsrdquo raquo 924 Autrement dit il y a une contradiction agrave parler de laquo proposition

subordonneacutee raquo en ce sens que la subordination marque le verbe dit laquo subordonneacute raquo comme

laquo non preacutedicable raquo et lrsquointegravegre agrave la proposition que sous-tend le syntagme de rang supeacuterieur

(2) La notion classique de laquo sujet raquo (du verbe) est ambigueuml Il existe de fait une relation

syntaxique bien deacutefinie que lrsquoon peut deacutenommer laquo relation sujet raquo mais elle peut relier deux

verbes aussi bien qursquoun nom et un verbe (laquo Qursquoil vienne me surprend Sa venue me

surprend raquo) En lrsquooccurrence laquo la preacutedication seacutepare les membres drsquoun syntagme raquo 925 Elle

peut cependant inversement regrouper dans le mecircme terme une articulation de syntagmes

comme en teacutemoigne toute phrase complexe Les syntagmes qui sont partie inteacutegrante du

mecircme terme sont alors en relation laquo drsquoeacutepithegravese raquo Dans laquo Le petit bout de la queue du chat

nous eacutelectrise raquo le premier terme est syntaxiquement construit par une succession de

laquo compleacutements de noms raquo sans que cela nrsquoentraicircne une complexiteacute propositionnelle

laquo Lrsquoeacutepithegravese ne fait pas acception de lrsquoorganisation syntaxique [des mots] raquo signifie qursquoelle ne

tient pas compte de cette organisation

118 Mickael Herrmann ibidem p 23-28 On y trouvera un approfondissement de cette glose tant du point de vue de la dialectique que de celui de la neacutecessaire dissociation des plans Sur le premier point il rappelle lrsquoimportance de lrsquoeacutelargissement de la notion de laquo reacutefeacuterence raquo par JG laquo la reacutefeacuterence est seulement catalyse et le paragramme [hellip] toujours et neacutecessairement dans la phrase raquo 744 Cette thegravese interdit de reacuteduire la deacutesignation agrave une objectivation

De la deacutesignation 199

Certains titres de journaux permettent un raisonnement tour agrave tour eacutepitheacutetique et attribu-

tif de la mecircme formulation laquo Le bateau eacutecole de lrsquoeffort raquo (Titre associeacute agrave une photo du Bel

Espoir bateau du Pegravere Jaouen) Y a-t-il coupe preacutedicative entre deux termes laquo Le bateau

(est une) eacutecole de lrsquoeffort raquo Ou bien ici un seul terme laquo Le bateau-eacutecole de lrsquoeffort raquo Dans

ce cas compte tenu de lrsquoinformation photographique on asserte laquo que crsquoest raquo en mecircme

temps que sur lrsquoautre axe on laquo dit ce que crsquoest raquo (appellation)

Enfin laquo agrave elle seule lrsquoautonomie grammaticale ne garantit pas ipso facto celle du concept

dans la proposition raquo 931 Ce propos se comprend comme une faccedilon de redire la diffeacuterence de

statut entre lrsquoune et lrsquoautre des analyses et introduit le paragraphe suivant (Peut-on lire

laquo concept raquo = laquo terme raquo ) JG envisage ici le cas ougrave plusieurs mots composent un seul terme

laquo [La proposition] est une et indeacutependantehellip et lrsquoeacuteconomiehellip des pauses et des tons peut

toujours seacutemantiquement faire lrsquouniteacute de lrsquoeacutenonceacute le plus parataxique raquo 932 Ougrave observer ce

cas Pourquoi pas dans Djinns de Victor Hugo laquo Murs ville Et port Asile De mort Mer

grise Ougrave brise La brise [Tout dort] raquo Cela pour le terme substantif si lrsquoon conccediloit que

laquo (tout) dort raquo en est lrsquoassertion

laquo Lrsquoarsis et la thesis raquo 963 Ces termes viennent de la musique et deacutesignent degraves lrsquoantiquiteacute

le fait de battre la mesure en alternant la leveacutee du pied (arsis) et sa pression sur le sol (thesis)

Ils sont aussi appliqueacutes agrave la scansion poeacutetique exeacutecuteacutee par une alternance de dureacutee et

drsquoeacuteleacutevation du ton de la voix On retrouve la mecircme ideacutee inverseacutee dans lrsquoopposition en art

oratoire de la laquo protase raquo partie ougrave lrsquoorateur eacutelegraveve la voix jusqursquoau sommet de la tension

appeleacute laquo lrsquoacmeacute raquo et de laquo lrsquoapodose raquo partie ougrave lrsquoorateur deacutetend sa diction JG reprend ici ces

traditions pour souligner que la preacutedication produit une analyse qui deacutecoupe le raisonnement

seacutemantique et il la compare agrave laquo lrsquoegravere raquo qui en histoire peacuteriodise lagrave ougrave laquo la genegravese nrsquoest que

progression lineacuteaire raquo Le franccedilais nrsquoappelle-t-il pas laquo peacuteriode raquo agrave la fois la phrase complexe et

une partie significative de lrsquohistoire

laquo Le problegraveme du preacutedicat psychologique raquo 933 [nrsquoa pas lieu drsquoecirctre] Cette notion est due agrave

Herman Paul (en 1886) qui appelle ainsi laquo le membre drsquoune proposition par lequel on exprime

agrave propos drsquoun objet quelconque ce que lrsquoon tient agrave dire raquo Dans laquo le facteur vient drsquoarriver raquo il

consideacutererait comme preacutedicat laquo Le facteur raquo dans une circonstance ougrave crsquoest bien la qualiteacute du

visiteur attendu qui porte lrsquoinformation pour lrsquoeacutemetteur du message qui aurait pu se

contenter de dire laquo Le facteur raquo Il entrait ainsi en contradiction avec la conception classique

de la preacutedication qui alignait la relation seacutemantique laquo sujet preacutedicat raquo sur la relation syntaxique

du nom et du verbe JG lui donne raison agrave ceci pregraves qursquoil nrsquoy a pas lieu selon lui de

particulariser un preacutedicat laquo psychologique raquo Ce dont Paul rendait compte crsquoest seulement du

fait que le paramegravetre de lrsquoeacutemetteur ou du reacutecepteur pouvait ecirctre plus important que lrsquoobjet

dans le message119

La laquo grammaticalisation de la copule raquo 933 Le terme mecircme de laquo copule raquo ne date que du

18e siegravecle en grammaire Aristote laquo dans la tradition de lrsquoEacutecole raquo conccediloit la relation entre

sujet et preacutedicat pour elle-mecircme crsquoest-agrave-dire la coupe preacutedicative le preacutedicat est laquo ce qui est

affirmeacute raquo (du sujet) La deacutefinition ne dit rien de la maniegravere dont la coupe est formuleacutee Celle-ci

deacutecoule du seul contraste des termes dans laquo Curieux ce raisonnement raquo elle peut ecirctre

exprimeacutee par lrsquointonation ou formuleacutee par le verbe laquo ecirctre raquo dans laquo Ce raisonnement est

119 Le concept de laquo preacutedicat psychologique raquo sera deacuteveloppeacute par Charles Bally dans Linguistique geacuteneacuterale et linguistique franccedilaise Paris E Leroux 1932

200 Une lecture de Jean Gagnepain

curieux raquo En somme une mecircme preacutedication peut ecirctre dite de faccedilon diverse Il se trouve que

dans beaucoup de langues occidentales le verbe laquo ecirctre raquo formule le contraste notamment

dans les propositions geacuteneacuterales laquo la terre est ronde raquo laquo La mesure est le bien suprecircme raquo etc

Ce nrsquoest pas vrai en russe ni en arabe et le dernier exemple traduisait le laquo Metron to

beltiston raquo chanteacute par le chœur des vieillards de lrsquoAgamemnon drsquoEschyle120 devenu adage

Pour JG cette laquo affiniteacute raquo entre coupe preacutedicative et verbe laquo ecirctre raquo laquo ne saurait ecirctre tenue

pour capitale raquo En effet ces contrastes entre laquo usages raquo sociolinguistiques portent sur un

autre plan et ne doivent donc ecirctre consideacutereacutes que drsquoun point de vue proprement

glossologique comme du dire structureacute

Le terme est laquo autonymique raquo

Le terme est laquo autonymique raquo comme le vocable est laquo synonymique raquo 934 agrave 942 Agrave la

laquo convergence synonymique raquo qualitative correspond la laquo concurrence autonymique raquo

quantitative 934 De multiples mots laquo concourent raquo agrave constituer lrsquouniteacute du terme

propositionnel

laquo Lrsquoanalyse dont nous parlons par exeacuteregraveses et syneacuteregraveses alterneacutees y deacutecoupe des uniteacutes

dont la binariteacute fondamentale reproduit sans srsquoy limiter celle du mot raquo 934

Le grec oppose laquo ἐξαιρέω raquo laquo ocircter retrancher raquo agrave laquo συναιρέω raquo laquo prendre ensemble raquo Soit

ici laquo Exeacuteregravese raquo deacutecoupe et laquo syneacuteregravese raquo regroupement Deux interpreacutetations sont possibles

Dans ce contexte JG semble opposer la coupe qui deacutelimite le terme agrave lrsquoinformation interne

du terme agrave savoir laquo tout ce qui mecircme segmenteacute nrsquoest pas deacutetermineacute raquo Ailleurs dans le

Seacuteminaire (bien anteacuterieur) du 13 mars 1975 ces deux deacutenominations sont proposeacutees dans le

sens suivant lrsquoexeacuteregravese consiste agrave formuler la preacutedication par un mot marqueacute comme

laquo elliptique raquo mot qui permet laquo drsquoeacutenoncer sans asseacuterer raquo (Cf aussi 612) tel lrsquoinfinitif dans

laquo Attendre raquo laquo parce que lrsquoon ne tient pas agrave preacuteciser lrsquoensemble de la structure du mot (hellip)

Infinitif ou impeacuteratif sont le verbe en exeacuteregravese raquo Par deacuteduction la syneacuteregravese serait le fait de

formuler la preacutedication agrave travers une construction syntaxique

La notion de laquo binariteacute raquo est agrave rapprocher de 932 laquo le virtuel fait autant que lrsquoactuel partie

de la nomenclature que le substantif avec le preacutedicat fait eacutegalement partie de la proposition raquo

Tout eacuteleacutement est relatif agrave un autre

laquo Lrsquoautonymie raquo 934 caracteacuterise le terme Elle signifie la laquo concurrence raquo (la syneacuteregravese)

de tout ce qui mecircme segmenteacute (formuleacute en plusieurs mots) nrsquoest pas deacutetermineacute (deacute-

termineacute) crsquoest-agrave-dire seacutepareacute (exeacuteregravese) par une coupe preacutedicative raquo La formule

laquo lrsquoautonyme est la matrice des distributions seacutemiologiquement possibles sans rupture de

lrsquouniteacute du concept raquo 935 transpose agrave lrsquoaxe de la quantiteacute la deacutefinition qualitative de la

synonymie comme laquo la classe des substitutions seacutemiologiquement possibles sans alteacutera-

tion de lidentiteacute du concept raquo 865 Proposition corollaire une telle matrice de textes est

autonymique sur le critegravere de leur laquo eacutegaliteacute eacutenonciative raquo 935121

120 laquo Μέτρον το βέλτιστον raquo Vers 378 dans le texte eacutetabli par Paul Mazon Eschyle Les Belles Lettres 1920 Variante du texte ὑπὲρ τὸ βέλτιστον

121 Cf Mickael Herrmann laquo La proprieacuteteacute de la proposition raquo (2006) Teacutetralogiques 17 Description et Explication dans les sciences humaines p21 laquo La deacutefinition du terme substantif (ce dont on parle) ne se confond pas avec une appellation qui dit ce que crsquoest raquo Je nrsquoen infeacutererai cependant pas qursquolaquo on ne peut agrave la fois nommer et eacutenoncer raquo

De la deacutesignation 201

Ni la synonymie ni lrsquoautonymie nrsquoont de limites grammaticales pour deux raisons Du fait

drsquoabord de la grammaire qursquoelles contestent 941 laquo Chaque segraveme ou mot a respectivement

ses valences raquo crsquoest-agrave-dire ses potentialiteacutes de relations paradigmatiques ou syntaxiques qui

peuvent deacuteterminer la synonymie ou lrsquoautonymie qui en sera deacuteduite Du fait ensuite de la

viseacutee rheacutetorique orienteacutee vers la variable reacutefeacuterentielle conjoncturelle qui relativise toute

eacutelaboration de la proprieacuteteacute laquo Il nrsquoest pas seacutemantiquement plus de limite agrave lrsquoinfeacuterence qursquoagrave la

paraphrase raquo La laquo paraphrase raquo fait reacutefeacuterence agrave la laquo convergence synonymique raquo et

laquo lrsquoinfeacuterence raquo agrave la laquo concurrence raquo de toute lrsquoinformation inteacutegreacutee dans le terme

La logique reacuteduit laquo lrsquoinfeacuterence raquo agrave la non-contradiction des eacutenonceacutes en se fondant positi-

vement (et axiologiquement) sur la relation agrave un laquo objet reacuteel raquo preacuteexistant au langage Quoi

qursquoil en soit de la polyseacutemie importante de ce terme dans la multitude des courants de la

logique JG entend lui donner le sens plus geacuteneacuterique de raisonnement complexe formant un

tout seacutemantique deacutefinition qui sera preacuteciseacutee plus loin par le concept laquo drsquoexpansion raquo 101-104

Mickael Herrmann deacuteveloppe ce point important agrave propos de la notion de laquo preacutedicat

drsquoexistence raquo dans laquo La proprieacuteteacute de la proposition raquo (2006) Teacutetralogiques 17 Description et

Explication dans les sciences humaines p18-19 Il souligne en insistant sur le caractegravere dialec-

tique du dire que ce que lrsquoon infegravere est toujours de lrsquoordre de la conceptualisation

scientifique ou mythique peu importe La diffeacuterence est grande avec la logique qui agrave la fois

par positivisme et par confusion de plans disqualifie (axiologiquement comme laquo faux raquo) un

eacutenonceacute tel que laquo Lrsquoactuel roi de France est chauve raquo122 au motif que factuellement la France

est une Reacutepublique laquo [Lrsquoargument] repose sur le postulat drsquoun objet existant indeacutependam-

ment de la faccedilon dont nous le disons Pour le glossologue au contraire concevoir crsquoest faire

exister (ou causer) par la penseacutee en faccedilonnant soit les mots sur les choses soit les choses sur

les mots raquo (p19)

La sociologie (en lrsquooccurrence la sociolinguistique et toute observation de laquo langue raquo) reacuteduit

lrsquoautonymie au laquo clicheacute raquo ou laquo lexie raquo crsquoest-agrave-dire agrave tous les cas ougrave le sens de la totaliteacute de la

formule nrsquoest pas lrsquoaddition du sens de chacun de ses constituants comme dans laquo une chauve-

souris raquo et laquo de la poudre aux yeux raquo 942 Le problegraveme de ces exemples est qursquoils sont

eacutevidemment drsquoabord compris sous lrsquoangle de la synonymie (laquo poudre aux yeux illusion raquo)

alors qursquoils doivent aussi ecirctre envisageacutes sous lrsquoangle de lrsquouniteacute du propos tenu La critique en

est double La mecircme formule peut cesser drsquoecirctre autonymique si lrsquoon laquo deacutemonte raquo ce qui est

soudeacute par lrsquousage et que lrsquoon place une coupe preacutedicative dans laquo de la poudre aux yeux raquo

srsquoil srsquoagit de conseil en maquillage De plus le critegravere du rendement en langue du figement de

lrsquoexpression nrsquoest pas ici en cause parce que crsquoest le locuteur qui constitue lrsquouniteacute seacutemantique

La concurrence autonymique fait partie de laquo notre pouvoir drsquoexpliquer raquo

Lrsquoinfeacuterence qui produit lrsquoautonymie srsquoobserve dans laquo cette propension du terme agrave se

deacutecomposer raquo qui constitue avec la synonymie laquo notre pouvoir drsquoexpliquer raquo 943 Le raisonne-

ment est alors porteacute par laquo cette abondance verbale qui (hellip) sans porter atteinte agrave la coheacutesion

du propos [fait surgir le raisonnement] de la redondance inheacuterente agrave lrsquouniteacute grammaticale raquo

Souvenons-nous que le mot est de soi laquo redondant raquo il ne dit pas plus que lui-mecircme comme

en teacutemoigne la reacutepeacutetition Cf 153 et 495 laquo lrsquoexploitation de la redondance culmine

mais qursquoil srsquoagit de deux modes distincts de raisonnement donc de deux objets distincts drsquoanalyse le terme et le vocable

122 Exemple pris par Bertrand Russell et discuteacute par Oswald Ducrot 1972 Dire et ne pas dire Paris Hermann p38

202 Une lecture de Jean Gagnepain

pathologiquement dans la steacutereacuteotypie raquo de lrsquoaphasique de Broca De mecircme le segraveme est-il

laquo tautologique raquo (Cf 653)

Le pleacuteonasme lorsqursquoil se fait laquo justification raquo comme dans laquo la prioriteacute des prioriteacutes raquo 944

laquo les professionnels de la profession raquo laquo crsquoest un fauteuil de chez fauteuil raquo me paraicirct ressortir

de ce que JG appellera plus loin laquo la viseacutee seacutemantique mythique raquo qui produit de la proprieacuteteacute

tout autant que la viseacutee laquo scientifique raquo celle qui fournit spontaneacutement et parfois inducircment

les exemples en seacutemantique De la complexiteacute de la formulation grammaticale on conclut agrave la

complexiteacute du raisonnement Ce raisonnement nrsquoapparaicirct alors paradoxal que si on le met en

contraste avec le raisonnement scientifique puisqursquoil ne fait pas progresser le propos

JG conclut cette preacutesentation du laquo terme autonymique raquo en notant que ce concept est

occulteacute en seacutemantique par celui de synonymie tout comme lrsquoest en grammaire le concept de

laquo mot raquo dans le sens du moins que lui donne la glossologie 951

22 Theacuteorie de la syllabe

Lrsquoexposeacute du modegravele suit son principe drsquoanalogie Lrsquoanalyse qualitative et lrsquoanalyse quantita-

tive ont en rheacutetorique les mecircmes effets sur chaque face qursquoen grammaire degraves lors que la

rheacutetorique nrsquoest que la contestation de la grammaire Sur lrsquoaxe de la qualiteacute la reacutealisation

seacutemantique du segraveme eacutetait le vocable lrsquoeffet de sens tandis que la reacutealisation phoneacutetique du

trait eacutetait lrsquoeacutepel crsquoest-agrave-dire ce qui caracteacuterise qualitativement une prononciation et que JG

appelle aussi plus haut la laquo diction raquo Sur lrsquoaxe de la quantiteacute la reacutealisation seacutemantique du mot

est le terme de proposition qui conteste le mot et est indiffeacuterent au nombre de mots qui le

construisent (Scheacutema p126) Il reste agrave deacutefinir la quatriegraveme proportionnelle comment

deacutenommer lrsquoaptitude du locuteur agrave produire et comprendre lrsquouniteacute minimale phoneacutetique

indiffeacuterente au nombre de phonegravemes qui la construisent JG propose drsquoappeler cette

aptitude laquo syllabation raquo 952 et son produit le laquo chaicircnon syllabique raquo 953 (et scheacutema p126)

Lrsquoexposeacute articule trois thegravemes Celui de la dialectique dont la signification grammaticale et

la deacutesignation rheacutetorique sont les deux pocircles conjointement neacutegation de la phonation

naturelle et neacutegation de cette neacutegation Celui de lrsquoanalogie entre les deux aspects de la

rheacutetorique respectivement seacutemantique et phoneacutetique Enfin celui de la deacutefinition de ce

qursquoest une uniteacute rheacutetorique Agrave ces regroupements theacutematiques il faudra ajouter quelques

gloses de deacutetail de formulations

Thegraveme de la dialectique

Thegraveme laquo Prononciation et eacutenonciationhellip contribuent ensemble agrave une deacutesignation si lieacutee

elle-mecircme agrave la signification qursquoelles forment entre elles une dialectique dont nos capaciteacutes

phonatoires et ideacuteatoires constituent le premier moment raquo 974

La forme critique du deacuteveloppement de lrsquoexposeacute relegraveve du laquo nihellipnihellip raquo La syllabation ne

srsquoexplique pas en termes drsquoanatomo-physiologie pas plus qursquoelle ne relegraveve de la phonologie

Double eacutecueil agrave eacuteviter

Ni laquo eacuteconomie de souffle raquo 955 laquo tension croissante et deacutecroissante de la seacutequence raquo 981

laquo dichotomie de lrsquoexplosif et de lrsquoimplosif raquo 953 Mecircme si ces paramegravetres physiologiques sont

contraignants ils ne deacutefinissent pas la syllabe

Ni calque de la structure grammaticale et de la chaicircne des phonegravemes Ce second point est

argumenteacute de diffeacuterentes maniegraveres

De la deacutesignation 203

Lrsquoauteur critique la tendance agrave analyser la syllabe en termes de seacutequences de Consonnes et

de Voyelles elles-mecircmes deacutefinies comme phonegravemes drsquoaperture diffeacuterente et il fait le

rapprochement avec lrsquoassimilation des termes de proposition au mot nominal et au mot

verbal qui est tout aussi courante et critiquable Le prototype de syllabe laquo C+V raquo observeacute dans

laquo patati-patata raquo est tout aussi reacuteducteur que le prototype de proposition laquo SN+SV raquo Ce

dernier ne rend pas compte de laquo Debout les gars raquo et le premier ne rend pas compte de

laquo ptose raquo ou de laquo strict raquo ni du statut des laquo sonantes raquo

Le terme laquo sonante raquo 954 fait reacutefeacuterence agrave la tradition des eacutetudes indo-europeacuteennes dont

le Cours de Saussure (p86-88) Ce concept tente de reacutesumer un problegraveme qui peut ecirctre

envisageacute de deux maniegraveres Si lrsquoon part de la notion de laquo sommet de syllabe raquo et que lrsquoon

recherche quel type de phonegraveme peut remplir ce rocircle on trouve en plus des voyelles certaines

consonnes (mais pas toutes) Inversement si lrsquoon part de phonegravemes tels que l k m n on

observe que certaines de leurs reacutealisations peuvent remplir le rocircle de laquo sommet de syllabe raquo

Ainsi en anglais britannique les phonegravemes l ou n sont des laquo sonantes raquo dans la seconde

syllabe des mots laquo bottle raquo [ˈbotl] (bouteille) ou laquo token raquo [ˈtəʊkn] en prononciation rapide

Ou la finale drsquoinfinitif de lrsquoallemand laquo trinken raquo [ˈtʀɪŋkn] (boire) en prononciation rapide (En

API on signale drsquoun point la limite entre deux syllabes) Cela signifie que lrsquoon ne peut pas

assigner agrave de tels phonegravemes une seule fonction syllabique ni agrave lrsquoinverse associer telle fonction

syllabique agrave un ensemble strict de phonegravemes Le chaicircnon syllabique est la reacutesultante drsquoune

dialectique entre contraintes phoniques et structure phonologique Une solution

terminologique simple existe au problegraveme des sonantes il consiste agrave deacutefinir comme

laquo voyelle raquo ce qui fonctionne comme sommet (ou noyau) de syllabe

Autre argument critique propre agrave distinguer phonologie et rheacutetorique phoneacutetique 962

laquo Lon ne saurait du fait que [syllabe et proposition] contiennent un nombre entier de

phonegravemes et de mots conclure que ces derniers sont agrave consideacuterer comme des sous-multiples

respectifs de lune et de lautre Ce sont reacutealiteacutes dun autre ordre deux analyses dont le

principe est identique tregraves rarement les reacutesultats raquo Ceci est une critique de theacuteories des

niveaux qui considegraverent que la notion de phrase (ou de proposition) est grammaticale ainsi

que celle de syllabe dans une cascade de deacutelimitations qui part de la phrase passe par le mot

lui-mecircme deacutecomposable en syllabes pour aboutir au trait distinctif en toute ignorance de

distinction de pocircles drsquoaxes et de faces Pour JG proposition seacutemantique et texte seacutemio-

logique de mecircme que syllabe phoneacutetique et chaicircne phonologique sont en opposition dialec-

tique La rheacutetorique reacuteorganise la grammaire Il est eacutevident agrave lrsquoobservateur que le mot nrsquoest

pas un sous-multiple de la proposition puisque celle-ci peut ecirctre construite aussi bien avec un

seul qursquoavec plusieurs de ceux-lagrave tout comme une syllabe peut ecirctre formuleacutee par un seul

phonegraveme aussi bien que par plusieurs

Il ne faut cependant pas oublier complegravetement le socle laquo naturel raquo de la dialectique lui-

mecircme accultureacute en langue qui explique qursquoun laquo cluster raquo syllabique entourant le noyau est

limiteacute par des habitudes articulatoires qui expliquent en partie la rareteacute de seacutequences telles

que laquo CCVCCC raquo de laquo Spectre raquo ou laquo CVCCCC raquo de laquo dextre raquo (6 phonegravemes) en franccedilais Ces

limites laquo drsquohabitus raquo sont tregraves variables drsquoune langue agrave lrsquoautre Le tahitien est connu pour

nrsquoaccepter que des syllabes de construction V ou CV Agrave lrsquoinverse on peut prononcer en arabe

tunisien [tktbu] (Vous eacutecrivez) et en Berbegravere Imalaun [ffrxttxsnt] (Je le leur ai cacheacute) selon

Jean-Pierre Angoujard 1997 Theacuteorie de la syllabe (Jrsquoignore ce qui est Voyelle crsquoest-agrave-dire

sommet de syllabe dans ces cas) Et tout tchegraveque saura prononcer avec un [r] vocalique

204 Une lecture de Jean Gagnepain

puisqursquoen sommet de syllabe laquo Strč prst skrz krk raquo [strtʃ prst skrs krk] laquo Enfonce le doigt dans

la gorge raquo selon le Guide du Routard

Rappelons au passage que le raisonnement humain a aussi ses limites qui rendent quasi

inintelligibles les constructions reacutecursives proposeacutees en deacutefi aux linguisteshellip ou reacutealiseacutees par

les bureaucrates par lrsquoartifice de lrsquoeacutecriture telle cette Directive faceacutetieuse du Parlement du

Land de Mecklembourg-Pomeacuteranie occidentale en 1999

laquo Rindfleischetikettierungsueberwachungsaufgabenuebertragungsgesetz raquo123

Thegraveme de lrsquoanalogie de la seacutemantique et de la phoneacutetique

Soit les deux faces de la deacutesignation la proposition est lrsquoaptitude agrave eacutenoncer par uniteacutes la

syllabation est lrsquoaptitude agrave prononcer par uniteacutes

laquo Ce nrsquoest point sortir du sujet que de passer maintenant de la proposition agrave la syllabation

(hellip) car ce que lrsquoune est agrave la nomenclature lrsquoautre lrsquoest agrave (hellip) la diction raquo 952 Attention ce

raisonnement analogique additionne un changement drsquoaxe et de faces au sein de la rheacuteto-

rique Il srsquoagit de changer drsquoaxe drsquoanalyse nomenclature et diction (deacutejagrave traiteacutees) relegravevent de

lrsquoanalyse qualitative tandis que proposition et syllabation relegravevent de la segmentation En

outre une fois le passage fait du qualitatif vers le quantitatif lrsquoexposeacute propose de changer de

faces et de passer de la seacutemantique (proposition) agrave la phoneacutetique (syllabation) Ce raisonne-

ment ne saurait eacutechapper agrave un amateur de Rubikrsquos cube

Idem 971 laquo fonder la theacuteorie de la syllabe (hellip) non sur la phonation mais sur celle [la theacuteo-

rie] dont la symeacutetrie puisse efficacement lrsquoeacuteclairer je veux dire de la proposition raquo Idem 974

JG applique ici une meacutethode qursquoil deacuteveloppera en 982 le raisonnement analogique ne

consiste pas agrave deacutecalquer directement sur la syllabation ce que lrsquoon a observeacute sur la proposi-

tion laquo Crsquoest toujours de la grammaire qursquoil faut partir pour reacuteameacutenager lrsquoanalyse raquo Chaque

type de fait rheacutetorique est le reacuteinvestissement drsquoun type de fait de mecircme ordre du point de

vue des axes et des faces du grammatical Le terme propositionnel est la contrepartie seacuteman-

tique du mot et le chaicircnon syllabique celle du phonegraveme Idem en 971 la syllabe est

laquo reacuteameacutenagement phoneacutetique du signifiant raquo

En somme srsquoil est juste de dire que la syllabe fonctionne comme la proposition crsquoest parce

que la syllabe est au phonegraveme ce que la proposition est au mot La preacuteoccupation est de ne

pas penser grammaire et rheacutetorique comme deux composantes indeacutependantes (mecircme reacutegies

par le principe drsquoanalyse) mais de les penser dialectiquement La rheacutetorique nrsquoest que rupture

de la rupture que la grammaire installe drsquoavec les contraintes naturelles Si je puis me

permettre une analogie avec la structure de la parenteacute (qui sera partheacutenogeacuteneacutetique pour les

besoins de la cause) je dirais que syllabe et proposition ne sont pas seulement des laquo enfants

de mecircme geacuteneacuteration raquo (rheacutetorique) mais drsquoabord des laquo cousines raquo parce qursquoissues de deux

megraveres sœurs (dans la famille grammaire) Le lien megravere-fille est agrave envisager avant la seule

ressemblance due agrave lrsquoacircge (Agrave quoi il faut inteacutegrer le theacuteoregraveme dit laquo des Colchiques raquo eacutenonceacute en

853 laquo la megravere est fille de sa fille raquo car la dialectique nrsquoest pas une succession drsquoeacutetapes) Je

reviendrai plus loin sur ce point important agrave propos du champ et surtout de lrsquoexpansion

123 Reacutecreacute Soit laquo loi sur le transfert des obligations de surveillance de leacutetiquetage de la viande bovine raquo Ladite loi a eacuteteacute abrogeacutee en mai 2013 Mais il reste aux germanophones laquo Die Donaudampfschifffahrtsgesellschaftskapitaenswitwe raquo Quant aux francophones qursquoils se rappellent laquo lrsquohippocampeacuteleacutephantocameacutelos raquo cher au Cyrano (drsquoEdmond Rostand) qui laquo dut avoir sous le front tant de chair sur tant drsquoos raquo et le veacutelo du savant Cosinus laquo lrsquoanemeacutelectroreculcoupeventombrosopedaliparacloucycle raquo

De la deacutesignation 205

c - Thegraveme de lrsquoanalyse et de la recherche de lrsquouniteacute phoneacutetique

Comment analyser le correspondant syllabique de la coupe preacutedicative La deacutefinition de la

laquo coupe syllabique raquo 952 deacutecoule du principe de structure selon lequel la deacutefinition drsquoun

eacuteleacutement structural sa limite prend en compte ce qui lui est exteacuterieur lui fait frontiegravere et

participe de la structure Ce principe me paraicirct autoriser le lecteur agrave prendre dans un sens

geacuteneacuterique applicable aux deux axes de la phoneacutetique lrsquoopposition entre laquo virtuel raquo et laquo actuel raquo

preacuteceacutedemment eacutevoqueacutee lors de lrsquoexposeacute sur la proposition 932 Ma position srsquoappuie sur la

thegravese laquo Tout est absent en grammaire y compris la coexistence des segments raquo 355 formuleacutee

en reacutefutation de lrsquoopposition saussurienne drsquoun axe des laquo rapports in absentia raquo et drsquoun axe

des laquo rapport in praeligsentia raquo En rheacutetorique lrsquoanalyse produit donc de la limite entre du

laquo virtuel raquo et de laquo lrsquoactuel raquo qualitatif ou quantitatif Si lrsquoon accepte cette terminologie il faut

alors parvenir agrave formuler distinctement ce qursquoest du virtuel qualitatif rejeteacute par le choix mais

deacutelimitant le choix et du virtuel quantitatif laquo mis en arriegravere-plan raquo mais deacutelimitant lrsquoactuel

par contraste

JG tente de srsquoappuyer ici sur lrsquoanalogie entre proposition et syllabe Il eacutenonccedilait plus haut

que si lrsquouniteacute seacutemantique est pour lui lrsquoensemble du substantif et du preacutedicat crsquoest dans le

sens ougrave le terme preacutedicatif contraste avec le terme substantif 932 Ce dernier mecircme dit

grammaticalement et porteur de vocable nrsquoest que le virtuel hors assertion qui fait que le

preacutedicat est le propos actuel tenu De mecircme maintenant la laquo coupe syllabique raquo nrsquoest pas

laquo entre syllabes conseacutecutives raquo drsquoun mot Elle est laquo agrave lrsquoakmeacute de lrsquoarsis et de la thesis constitutifs

ensemble de la syllabe raquo 952 JG reprend ici des termes deacutejagrave utiliseacutes p9325 agrave propos de la

coupe preacutedicative et y adjoint lrsquoideacutee de lrsquoacmeacute (du grec ἀκμή) lrsquoideacutee laquo drsquoapogeacutee raquo pour

suggeacuterer la coupe syllabique et qui semble correspondre agrave ce que lrsquoon appelle ailleurs

laquo sommet de syllabe raquo et plus reacutecemment laquo noyau de syllabe raquo

En toute rigueur logique il faut bien distinguer entre les deux notions suivantes Drsquoune part

le deacutecoupage en propositions ou en syllabes et de lrsquoautre la deacutefinition des laquo termes raquo par la

coupe preacutedicative (le laquo substantif raquo et le laquo preacutedicat raquo) ou la deacutefinition des laquo chaicircnons raquo par la

coupe syllabique Il suggegravere que laquo les appeler consonne et voyelle serait agrave la rigueur

eacutetymologiquement satisfaisant raquo (sous reacuteserve de critiques qui vont suivre) 953 Le tableau

reacutecapitulatif (p 126) met en regard de laquo mot raquo le laquo terme de proposition raquo (et non la proposi-

tion) et met en regard de laquo phonegraveme raquo le laquo chaicircnon syllabique raquo (et non la syllabe) Pour

autant JG continue de parler de laquo syllabes conseacutecutives raquo semblant enteacuteriner lrsquoexistence de

lrsquouniteacute syllabique Drsquoun point de vue analytique il nrsquoy a pas lagrave pour moi de contradiction degraves

lors que crsquoest la limite qui creacutee lrsquoeacuteleacutement Parler laquo drsquoassertion raquo (de preacutedicat) suppose la limite

avec un substantif et parler de chaicircnon vocalique suppose la limite avec de la consonne Agrave

cette difficulteacute srsquoen ajoute une autre Si lrsquoon conccediloit facilement ce qursquoest du virtuel en matiegravere

de raisonnement seacutemantique ndash le terme substantif hors assertion ndash il plus difficile de fonder

en observation ce qursquoest une laquo arsis raquo (la leveacutee du pied) en matiegravere de chaicircnon parce que tout

chaicircnon est prononceacute Drsquoautant que le deacuteveloppement qui suit 953 reacutefute le recours aux

observations de la division entre la partie laquo explosive raquo et laquo implosive raquo de la syllabe

laquo Nous ne retiendrons pas raquo le critegravere de la laquo dichotomie de lrsquoexplosif et de lrsquoimplosif pour

caracteacuteriser les deux chaicircnons raquo sorte de laquo climax et anticlimax des apertures raquo 953 La raison

invoqueacutee est elliptique ce serait une explication laquo meacutecaniste raquo Elle est deacuteveloppeacutee plus loin

961 laquo la performance [preacutesente] les caracteacuteristiques de lrsquoinstance qui la fonde et non des

meacutecanismes qui la mettent en œuvre raquo Et aussi en 981 laquo Nous ne croyons pas plus agrave la

206 Une lecture de Jean Gagnepain

tension croissante et deacutecroissante de la seacutequence quagrave la structure logique de la phrase mais agrave

une explication speacutecifiquement glossologique en loccurrence rheacutetorique de lune et de lautre

Il nest pour ce qui preacutesentement nous concerne de science humaine quagrave ce prix raquo

Fondamentalement JG est dans la deacutemarche drsquoune coupure eacutepisteacutemologique il faut conce-

voir une nouvelle phoneacutetique qui soit une science humaine parce que pour lui la rheacutetorique

phoneacutetique est un fait drsquoanalyse alors que la phoneacutetique articulatoire mesure de la variation

dans le continuum sonore et articulatoire (pression dureacutee tonaliteacute)

Noter pour le deacutetail que chez Saussure la dichotomie invoqueacutee est utiliseacutee avant tout pour

repeacuterer le passage drsquoune syllabe agrave une autre laquo Si dans une chaicircne de sons on passe drsquoune

implosion agrave une explosion on obtient un effet particulier qui est lrsquoindice de la frontiegravere de

syllabe raquo Cours p 86 Observons agrave ce propos que pour Saussure il ne srsquoagit pas de laquo faits

physiologiques raquo mais drsquoun critegravere formel pour lrsquoanalyse en coupes et sommets (Cf Jacques

Coursil Le syllabaire saussurien p76-88)

La terminologie de ce passage demande quelques rappels de phoneacutetique articulatoire JG

nrsquoa pas connaissance agrave lrsquoeacutepoque des theacuteories dites non lineacuteaires (ou ne les accepte pas) qui

deacutecomposent la syllabe selon une arborescence binaire Celle-ci deacutecoupe une attaque et une

rime elle-mecircme deacutecomposable en noyau et coda par analogie au fameux algorithme P rarr (SN)

+ (SV) SV rarr (V + SN) Les termes laquo explosif raquo et laquo implosif raquo sont appliqueacutes en phoneacutetique aux

consonnes dans le cadre de la syllabe Une consonne est explosive en deacutebut de syllabe et

implosive en fin de syllabe Ce peut ecirctre la mecircme consonne comme dans laquo rare raquo ou laquo pape raquo

Par conseacutequent dans la suite dissyllabique laquo aspect raquo le [s] est implosif en coda de premiegravere

syllabe et le [p] explosif en attaque de deuxiegraveme syllabe La diffeacuterence est de lrsquoordre de la

tension musculaire et pour le reacutecepteur de lrsquoordre de la distinctiviteacute (Saussure parlait de

laquo saillance pour lrsquooreille raquo Cours p 83) Dans laquo squelette raquo et laquo ptose raquo 953 les deux

consonnes initiales sont explosives Ces exemples illustrent la non-coiumlncidence entre phonegraveme

et chaicircnon syllabique puisqursquoun chaicircnon peut ecirctre construit avec plusieurs phonegravemes ce que

lrsquoon appelle un cluster

(Dans la prononciation des consonnes) laquo ‟beacuterdquo nrsquoest pas au fond le repreacutesentant du

phonegraveme mais lrsquoeacutequivalent de ‟crsquoest brdquo raquo 954 Cet exemple illustre agrave la fois les trois thegravemes

dissocieacutes Il montre que si le but viseacute est drsquoeacutenoncer un phonegraveme la reacutealisation consiste en

lrsquoarticulation phoneacutetique de deux chaicircnons En cela la vocalisation est analogue agrave la copule

qui dans laquo Cette tarte est un reacutegal raquo actualise la coupe qui existe dans laquo Un reacutegal cette

tarte raquo On peut en effet prononcer un b sans le vocaliser comme on peut faire une proposi-

tion nominale mais on peut aussi expliciter la proposition (par le verbe laquo ecirctre raquo) et la syllabe

par la voyelle Attention cependant agrave ne pas prendre lrsquoexemple du texte comme celui de la

verbalisation drsquoune lettre puisque tel est lrsquousage scolaire de cette syllabe Il ne srsquoagit pas de

cela ici Il srsquoagit de lrsquoessai laquo en meacutetalangage raquo de prononcer un phonegraveme donc quantitative-

ment de le syllaber (Cf 911 pour lrsquoaspect qualitatif dit laquo eacutepel raquo)

laquo Le plus geacuteneacuteralement un certain nombre de phonegravemes se d istribuent sur chacun des

chaicircnons le mecircme alors comptant pour deux et la ‟politique politiciennerdquo ayant dans la

geacutemineacutee sa reacuteplique raquo 963 Lrsquoincise laquo le mecircme comptant pour deux raquo peut ecirctre comprise

de deux maniegraveres

Soit comme compleacutetant le deacutebut du propos Le mecircme chaicircnon est construit avec deux

phonegravemes ou plus (Cf aussi 973) Pour le franccedilais et dans lrsquoordre de complexiteacute (2) laquo pas raquo

De la deacutesignation 207

CV (3) laquo part raquo CVC laquo cri raquo CCV ou laquo harpe raquo VCC (4) laquo liste raquo CVCC laquo trappe raquo CCVC (5)

laquo scribe raquo CCCVC laquo tringle raquo CCVCC (6) laquo spectre raquo CCVCCC NB laquo tringle raquo en franccedilais est

monosyllabique tandis que laquo single raquo en anglais [ʹsɪŋ-gl] avec un [l] reacutetroflexe est

dissyllabique

Soit comme introduisant le cas eacutevoqueacute de la laquo geacutemination raquo Un exemple Comment

distingue-t-on laquo Elle a attendu raquo de laquo Elle lrsquoa attendu raquo Dans le premier exemple en

prononciation lente l est prononceacute court et appartient agrave une seule syllabe [ɛlaatɑdy] ou

[ɛlaatɑdy] Dans le second l est prononceacute long et tendu de sorte qursquoil est compris comme

reacuteparti entre la fin de la premiegravere syllabe et le deacutebut de la seconde [ɛllaatɑdy] On a donc

un mecircme (phonegraveme) laquo comptant pour deux raquo (chaicircnons) On peut aussi consideacuterer qursquoil y a

dans cet exemple deux phonegravemes qui sont reacutealiseacutes dans la continuiteacute l l = [l ] ce qui ne

change rien au fait syllabique On remarquera dans le mecircme exemple que la seacutequence des

deux voyelles a a dans laquo a a(ttendu) raquo peut ecirctre prononceacute sans hiatus drsquoun seul tenant et

que cette reacutealisation continue [a ] se reacutepartit en deux chaicircnons syllabiques En franccedilais la

geacutemination est rarement pertinente elle est le plus souvent un fait drsquoaccent drsquoinsistance

laquo Terrible raquo peut ecirctre prononceacute avec une premiegravere syllabe vocalique (dite laquo ouverte raquo CV) soit

[ˈtɛʁibl] le laquo r raquo commenccedilant la seconde syllabe Si lrsquoon veut insister on prononcera un [ʁ ]

long qui se reacutepartira entre la finale consonantique de la premiegravere syllabe (dite alors

laquo fermeacutee raquo CVC) et le deacutebut de la seconde syllabe soit [ˈtɛʁʁibl] ougrave la notation drsquoun double

[ʁ] nrsquoest qursquoun artifice pour noter que ce [ʁ ] a une double fonction syllabique

Gloses de deacutetail

Le texte contient une critique (allusive) de lrsquolaquo abusive extension de lrsquousage fait actuellement

du concept de prosodie raquo en 972 repris ensuite sous le terme de laquo modulation raquo JG refuse

drsquointeacutegrer agrave la phonologie lrsquoeacutetude des variations de la voix en hauteur dureacutee et intensiteacute

variation dite laquo suprasegmentale raquo lorsqursquoelle concerne lrsquoensemble du message prononceacute

Dans cet ensemble JG deacutenie un statut grammatical agrave ce qursquoil appelle laquo la modulation raquo (de la

voix) ou laquo emphase raquo tout en lui reconnaissant une laquo contribution qualitative au vouloir dire

total de lrsquoeacutenonceacute raquo La difficulteacute non deacutetailleacutee ici est de deacutefinir la limite de ce qui a statut

phonologique ou non limite qui varie selon les langues (Voir la phonologie du japonais ou du

sueacutedois sur ce point)

On peut relier agrave ce thegraveme lrsquoeacutevocation de lrsquoinvention de laquo pseudo-uniteacutes toujours plus larges

culminant (hellip) dans le groupe accentuel ou le scheacutema drsquointonation raquo 964 Sont remis en cause

ici les modegraveles qui multiplient laquo les niveaux hieacuterarchiques raquo alors que la glossologie est un

modegravele en axes et projection entre axes On a vu par exemple en grammaire que la syntaxe

nrsquoeacutetait pas une uniteacute supeacuterieure au mot mais un fait de projection drsquoun axe sur lrsquoautre

Analogiquement il faut srsquoattendre agrave retrouver cette complexiteacute dans le reacuteinvestissement

phoneacutetique ce qui implique de renoncer agrave expliquer ces problegravemes en termes de laquo poupeacutees

gigognes raquo

3 ndash Du champ et de lrsquoexpansion

Le dernier paragraphe de la section preacuteceacutedente 982 deacutefinit la thegravese ici exposeacutee et la regravegle

meacutethodologique qui sera suivie

208 Une lecture de Jean Gagnepain

- Le principe laquo Cest toujours (hellip) de la grammaire quil faut partir pour reacuteameacutenager lana-

lyse raquo Pourquoi Lrsquoexistence des faits rheacutetoriques laquo nrsquoest que dialectique raquo 982 Chaque type

de fait seacutemantique eacuteleacutement ou relation entre eacuteleacutements est la contrepartie drsquoun type de fait

grammatical analogue quant aux faces et aux axes

- Lrsquoerreur agrave eacuteviter De maniegravere geacuteneacuterale laquo Les identiteacutes et uniteacutes [rheacutetoriques] ne sauraient

agrave leur tour devenir elles-mecircmes la base dautres opeacuterations raquo Deacuteveloppons En phoneacutetique on

ne peut pas partir de lrsquoeacutepel pour comprendre ce qursquoest une zone phoneacutetique ni de la syllabe

pour comprendre ce qursquoest un environnement Et en matiegravere de seacutemantique qui nous occupe

ici on ne peut pas partir du vocable pour comprendre ce qursquoest un champ ni de la proposition

pour comprendre ce qursquoest une expansion Pourquoi Le texte propose les arguments

suivants qui deacutecoulent tous du principe eacutenonceacute plus haut

Que signifie la formule laquo [Le champ] nrsquoopegravere pas sur des synonymes raquo 982 Probablement

qursquoil ne faut pas consideacuterer qursquoil y a drsquoabord des laquo vocables raquo et qursquoensuite on trouve entre

eux des similariteacutes La deacutelimitation des synonymes est un raisonnement indeacutependant de la

deacutelimitation des champs seacutemantiques La premiegravere analyse nrsquoest pas lrsquoeacutetape preacutealable de la

seconde

Que signifie maintenant la formule laquo [lrsquoexpansion] nrsquoopegravere pas sur des autonymes raquo Qursquoil

nrsquoy a pas drsquoabord des termes (des preacutedicats ) et qursquoensuite on trouve entre eux des

compleacutementariteacutes La deacutelimitation des propositions est une opeacuteration indeacutependante de la

deacutelimitation des relations drsquoexpansion La premiegravere analyse nrsquoest pas lrsquoeacutetape preacutealable de la

seconde

- La bonne meacutethode Elle consiste agrave deacutefinir le champ comme lrsquoantagoniste dialectique du

paradigme comme laquo la cateacutegorisation seacutemantique des segravemes raquo JG dira plus loin que laquo les

segravemes srsquoy disposent en systegravemes raquo sur critegravere seacutemantique 983 Elle consiste de mecircme agrave deacutefinir

lrsquoexpansion comme lrsquoantagoniste dialectique du syntagme comme laquo lordination seacutemantique

des mots raquo 982 Je reviendrai sur ce point agrave propos de lrsquoexpansion

En somme laquo le champ et lrsquoexpansion (hellip) et leurs correspondants phoneacutetiques contestent

directement paradigme et syntagme voire correacutelation et concateacutenation raquo 98213 Lrsquoexposeacute

fera donc le va-et-vient entre grammaire et rheacutetorique

31 Le champ seacutemantique et la zone phoneacutetique

Le paragraphe introductif 983 vise agrave positionner la glossologie par rapport aux diverses

theacuteories qui traitent de ce thegraveme agrave travers des terminologies diverses Agrave la suite de la theacuteorie

des laquo Wortfelde raquo de Jost Trier (1931) apparaissent en allemand des variantes telles

laquo Sinnbezirk lexikalisches Feld Bedeutungsfeld Begriffsfeld semantisches Feld raquo JG parle de

laquo Wortdecke raquo 984 Lrsquoanglais dit aussi laquo field of meaning domain raquo

Lrsquoauteur tient agrave en redeacutefinir strictement la porteacutee laquo cette reacuteorganisation seacutemantique des

segravemes qui recateacutegorise le paradigme raquo 983 Par conseacutequent lrsquoimage du laquo reacuteseau raquo de

concepts est trop large parce qursquoelle fait aussi penser agrave une laquo mutualiteacute raquo crsquoest-agrave-dire agrave une

compleacutementariteacute quantitative entre concepts en relation laquelle ressortirait agrave lrsquoexpansion

Pour la mecircme raison il faut laisser de cocircteacute les faits de laquo restrictions seacutelectives raquo disons

grossiegraverement le fait qursquoapregraves laquo le perron dehellip raquo il soit plus probable de trouver laquo hellip la

maison raquo que laquo hellipla fourchette raquo Ce dernier choix reste certes possible au prix drsquoun

raisonnement tortueux mais qui relegraveve de la compleacutementariteacute conceptuelle donc de

De la deacutesignation 209

lrsquoexpansion Autrement dit laquo les cateacutegories seacutemantiques ne sauraient reacutesulter drsquoun simple

syllexique raquo 983 La notion de laquo syllexique raquo a eacuteteacute deacutefinie en 492 comme laquo lrsquoinventaire des

substituts possibles dun segment syntaxiquement deacutelimiteacute du texte raquo Par exemple tout ce qui

peut ecirctre substitueacute agrave laquo Le camionhellip raquo dans laquo Le camion avance raquo crsquoest-agrave-dire laquo Ma montrehellip

le travailhellip Paulhellip Celui qui est precirct etc raquo

Le champ lui concerne laquo exclusivement raquo un rapport de laquo similariteacute raquo seacutemantique 983

autrement dit laquo lrsquoidentiteacute partielle du concept raquo JG calque sa terminologie sur celle de la

grammaire parce qursquoil srsquoagit de proprieacuteteacutes geacuteneacuterales de toute analyse

Il anticipe en 98310 sur une distinction dans le champ seacutemantique analogue agrave la distinc-

tion de la flexion et de la deacuterivation dans le paradigme Enfin tout en preacutecisant que ces

relations par laquo inclusion raquo peuvent varier en fonction des paramegravetres de la situation il avertit

que les exemples proposeacutes concerneront laquo par faciliteacute raquo le paramegravetre de laquo lrsquoobjet raquo 983

De la tradition aristoteacutelicienne agrave la glossologie

JG reconnaicirct lrsquoheacuteritage aristoteacutelicien preacutecisant au passage que la laquo science raquo de ce dernier

laquo nrsquoest rien drsquoautre qursquoune extrapolation du langage raquo 984 Eacutemile Benveniste le disait deacutejagrave agrave

propos des Cateacutegories laquo Cest ce quon peut dire qui deacutelimite et organise ce quon peut

penser La langue fournit la configuration fondamentale des proprieacuteteacutes reconnues par lesprit

aux choses raquo 1966 Problegravemes de linguistique geacuteneacuterale 1 p 63-74 Voir plus loin la notion de

laquo rheacutetorique scientifique raquo

Rappel est fait de la theacuteorie du geacuteneacuterique et du speacutecifique Il srsquoagit de laquo la subsomption des

espegraveces et des genres (hellip) raquo 991 (La subsomption consiste agrave faire entrer un individu dans une

espegravece ou une espegravece dans un genre)

La fin de la phrase est importante (La science aristoteacutelicienne eacutetait fondeacutee sur la

subsomption des espegraveces) laquo (hellip) et sur la double exclusion de son sein de ce qui neacutetait plus

nommable par excegraves de particularisme ou philosophiquement de geacuteneacuteraliteacute raquo 991 Les

exemples proposeacutes ndash laquo Meacutedor raquo et laquo lrsquoecirctre raquo ndash preacutesentent un paradoxe agrave strictement parler il

est contradictoire de nommer ce qui nrsquoest pas nommable Par conseacutequent laquo Meacutedor raquo (nom

propre) et laquo ecirctre raquo repreacutesentent une limite du nommable Laquelle

Tout en haut de lrsquoeacutechelle laquo Ecirctre raquo est un pur preacutedicat drsquoexistence dans la dimension de la

quantiteacute et dans lrsquoordre de la nomenclature il repreacutesente le cas limite du principe de

geacuteneacutericiteacute Le locuteur nrsquoa drsquoalternative qursquoentre une tautologie laquo lrsquoecirctre est lrsquoecirctre raquo et la

recherche drsquoun sous-ensemble de cet ensemble laquo Lrsquoanimal est un ecirctre raquo

Tout en bas de lrsquoeacutechelle JG donne en exemple non pas une espegravece mais un particulier un

laquo individu logique raquo laquo Meacutedor raquo et lrsquoon aura affaire plus loin agrave laquo Madrid raquo laquo Napoleacuteon raquo et

laquo Bokassa raquo Lagrave encore le locuteur nrsquoa drsquoalternative qursquoentre la tautologie laquo Meacutedor est

Meacutedor raquo et lrsquoappartenance de cet individu agrave lrsquoespegravece la plus speacutecifique laquo Meacutedor est un

caniche raquo (On peut compleacuteter ce point de vue par la lecture de 1113 infra)

Remarque Probablement pour simplifier sa preacutesentation du concept de champ JG

oppose au laquo geacuteneacuteral raquo le laquo particulier raquo et non le speacutecifique 991 Il identifie ainsi concept

particulier et concept speacutecifique contrairement agrave la theacuteorie des ensembles aux

taxonomies (en biologie) et aux seacutemantiques de la deacutetermination Voici un bref rappel de

cette distinction

210 Une lecture de Jean Gagnepain

La theacuteorie des ensembles mecircme dans sa version scolaire la plus simplifieacutee distingue

lrsquoappartenance drsquoun eacuteleacutement agrave un ensemble ndash (x isin A) lrsquoeacuteleacutement x appartient agrave lrsquoensemble A et

lrsquoinclusion drsquoun sous-ensemble dans un ensemble ndash (A sube B) Par ailleurs le texte en proposant

laquo Meacutedor chien mammifegravere animal ecirctre raquo eacutevoque la taxonomie biologiste (ou taxinomie lrsquoun

et lrsquoautre ou lrsquoun ou lrsquoautre se dit ou se disent) Celle-ci distingue fondamentalement lrsquoindividu

Meacutedor et lrsquoespegravece chien agrave laquelle il appartient espegravece elle-mecircme dans un rapport drsquoinclusion

(et non drsquoappartenance) respectivement agrave un genre une famille un ordre une classe un

embranchement un regravegne un domainehellip du monde vivant

Ceci rappeleacute le fait est que le langage permet aussi bien de dire un concept particulier (un

individu) qursquoun concept speacutecifique aussi bien laquo Meacutedor raquo que laquo caniche raquo En outre la

deacutetermination nominale contribue agrave concevoir lrsquoun ou lrsquoautre y compris agrave partir du mecircme

deacuteterminant Selon le contexte et la situation dans laquo [regarde] le moineau raquo on deacutesigne un

individu et dans laquo Le moineau [a des vertegravebres] raquo on deacutesigne une classe speacutecifique Enfin

comme le montrent les eacutequivalences synonymiques proposeacutees on peut produire un sens

particulier par synonymie aussi bien avec un nom propre qursquoavec un deacuteterminant deacutemonstra-

tif laquo Dieu raquo et laquo celui quihellip raquo 992 et qui plus est aussi bien avec un nom propre qursquoavec un

deacuteterminant deacutefini laquo Madrid raquo et laquo La capitalehellip raquo 1002 (Pour J G la laquo peacuteriphrase raquo est

synonymique 873)

Par conseacutequent JG entend traiter laquo drsquoinclusion raquo mais ce concept est pour lui geacuteneacuterique

et inclut celui drsquoappartenance

Lrsquoeacutechelle de geacuteneacutericiteacute

Le paragraphe 992 propose une terminologie de lrsquoeacutechelle de geacuteneacutericiteacute Il appelle

laquo pantonyme raquo ce que la plupart des seacutemantiques appellent laquo hyperonyme raquo laquo idionyme raquo ce

qui est appeleacute ailleurs laquo hyponyme raquo et laquo isonymes raquo les concepts de mecircme compreacutehension

Puisque le champ fonctionne sur le mecircme mode de laquo lrsquoinclusion raquo que le paradigme une

analogie est proposeacutee en 993 entre la diffeacuterence laquo lexegraveme ndash morphegraveme raquo (cf 512-3) et la

diffeacuterence laquo pantonyme ndash idionyme raquo En grammaire lorsque jrsquoeacutevoque le verbe laquo finir raquo je

deacutesigne par ce laquo lexegraveme raquo lrsquoensemble des cas qursquoil inclut ses laquo morphegravemes raquo parmi lesquels

lrsquoinfinitif En seacutemantique lorsque jrsquoeacutevoque le concept drsquooiseau jrsquoinclus le rossignol et le cormo-

ran ses idionymes (et isonymes entre eux)

laquo Lrsquoerreur agrave ne pas commettrehellip raquo 993-1001 serait de confondre grammaire et rheacutetorique

champ (relation entre concepts) et polyseacutemie (relation entre segraveme grammatical et concepts)

laquo hellipsans en poser le fondement raquo La grammaire est au fondement de la rheacutetorique qui en est

laquo lrsquoinversion raquo La hieacuterarchie des laquo ecirctres raquo est fondeacutee non positivement sur lrsquoexpeacuterience mais

sur la dialectique du signe sur ses proprieacuteteacutes analytiques dont lrsquoaptitude agrave laquo lrsquoinclusion raquo La

critique est reprise plus loin 1004 laquo les pantonymes [sont] trop vite pris pour des universaux raquo

Simplifions la notion laquo drsquoaliment raquo serait un pantonyme parce que la neacutecessiteacute de se nourrir

est de fait un universel biologique Pour JG le pantonyme est un fait seacutemantique qui reacutesulte

drsquoun raisonnement relatif selon un processus de laquo similariteacute raquo qui est lrsquoanalogue inverseacute du

paradigme dont il laquo procegravede raquo

La meacutetaphore

laquo Des bouleversements internes raquo 1002 existent dans les champs laquo Lrsquoorganisation des

concepts [est] toujours mouvante raquo Cela permet de donner une nouvelle deacutefinition agrave la

De la deacutesignation 211

laquo figure raquo Cette derniegravere nrsquoest plus un eacutecart par rapport agrave un repegravere constant mais le reacutesultat

drsquoune comparaison entre raisonnements conjoncturels et relatifs

laquo Lrsquoorganisation toujours mouvante des concepts raquo est illustreacutee ainsi laquo Sil est vrai que

Madrid de lautre cocircteacute des Pyreacuteneacutees peut devenir du nocirctre la capitale de lEspagne il ne lest

pas moins que lidionyme de lun peut ecirctre le pantonyme de lautre et reacuteciproquement raquo 1002

Je rappelle que JG considegravere les noms propres de lieux comme des idionymes par rapport agrave

des noms geacuteneacuteriques tels que laquo capitale raquo ou laquo ville raquo puisque tout particulier est consideacutereacute

comme un speacutecifique Je propose donc la lecture suivante Lrsquoappellation laquo capitale raquo nrsquoest pas

un pantonyme en soi Son statut dans lrsquoordre de la laquo similariteacute raquo deacutepend drsquoun raisonnement

Un Espagnol peut dire laquo La capitale raquo en deacutesignant Madrid Crsquoest pour lui un idionyme En

revanche un franccedilais qui voudrait deacutesigner cette mecircme ville de Madrid consideacutererait laquo la

capitale raquo comme un pantonyme neacutecessitant un compleacutement speacutecificateur laquo de lrsquoEspagne raquo

Le mecircme raisonnement est repris et compleacuteteacute par son inverse 1003 Lrsquoauteur met en

contraste laquo lrsquoemploi du pantonyme pour lrsquoidionyme raquo et son contraire laquo la pantonymisation de

lrsquoidionyme raquo Ce second mode de raisonnement deacutefinit la laquo meacutetaphore raquo 1003

- La premiegravere formule ndash laquo lrsquoemploi du pantonyme pour lrsquoidionyme raquo ndash eacutequivaut agrave

laquo Lrsquoidionymisation du pantonyme raquo Soit lrsquoexemple de laquo La capitale raquo dit par un franccedilais

deacutesignant Paris puisque pour lui la capitale ne peut ecirctre que Paris Ou ces autres exemples

laquo Pose les fruits sur la table raquo dans une situation ougrave il nrsquoy a que des pommes laquo La pauvre

becircte raquo dit devant le chat et laquo Pousse le meuble raquo dit devant un gueacuteridon (Ces exemples

integravegrent dans le raisonnement le rocircle du deacuteterminant deacutefini) La remarque laquo Parler de fruit

quand on le mange ne neacuteantise pas le fait que le fruit soit une pomme raquo 1003 preacutecise que lrsquoon

ne cesse pas drsquoecirctre congruent lorsque lrsquoon tient un tel raisonnement JG considegravere cela

comme une laquo figure raquo banale et non reacutepertorieacutee Contrairement agrave son inversion

- La seconde formule ndash laquo la pantonymisation de lrsquoidionyme raquo ndash ou laquo emploi de lrsquoidionyme

pour concevoir le pantonyme raquo crsquoest la meacutetaphore laquo Dire Napoleacuteon pour deacutesigner lex-

empereur de Centrafrique ne neacuteantise pas Bokassa raquo 1003 Que comprendre Partons de la

phrase laquo Napoleacuteon deacutechu raquo en titre drsquoun article de journal franccedilais du 22 septembre 1979

commentant la chute du dictateur de Centre Afrique survenue la veille On a compris que

dans ce contexte le vocable laquo Napoleacuteon raquo est synonyme d laquo Empereur meacutegalomaniaque

archeacutetype drsquoEmpereur raquo En cela crsquoest un pantonyme par rapport agrave la multitude des situations

concerneacutees Mais il y a cependant laquo bouleversement interne raquo 1002 parce que lrsquoon a produit

un concept laquo Napoleacuteon raquo qui serait idionymique pour un franccedilais qui parlerait de Bonaparte

On nrsquoen reste pas moins adeacutequat et cela nrsquoempecircche pas le journaliste drsquoappeler plus loin

Bokassa par son nom (On trouvera une autre formulation de ce raisonnement dans Reneacute

Jongen 1993 Quand dire crsquoest dire p 142) Le processus teacutemoigne de laquo lorganisation toujours

mouvante des concepts raquo 1002

Lrsquoexemple classique de la laquo faucille drsquoor dans le champ des eacutetoiles raquo peut-il ecirctre inteacutegreacute agrave

une telle deacutefinition Essayons le raisonnement suivant Dans un raisonnement purement

idionymique laquo une faucille drsquoor raquo crsquoest une faucille en or un outil particulier et le croissant de

lune est un quartier de lune dans le domaine seacutemantique de lrsquoastronomie populaire De

mecircme un laquo champ raquo est cultiveacute etc Le locuteur le sait bien Deacutesignant la lune la formule

meacutetaphorique laquo faucille drsquoor raquo reste cependant adeacutequate en tant qursquoelle conccediloit une

caracteacuteristique geacuteneacuterique laquo une forme et une brillance raquo observable dans des situations

diverses Deacutesignant le ciel le choix alternatif de laquo champ raquo reste congruent en tant que

212 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo surface raquo du point de vue du locuteur qui raisonne ainsi En drsquoautres termes tout ce qui est

laquo courbe et brillant raquo est dit une laquo faucille drsquoor raquo et tout ce qui est laquo surface raquo est dit un

laquo champ raquo Le plus speacutecifique vient concevoir le plus geacuteneacuterique

Une telle deacutefinition de la meacutetaphore la situe dans lrsquoordre de la seacutelection conceptuelle

puisqursquoelle consiste en une substitution drsquoun segraveme agrave un autre qui entraicircne une sorte

drsquoinversion de la laquo hieacuterarchie raquo des genres et espegraveces JG se situe en cela du cocircteacute de la

meacutetaphore laquo seacutelection raquo conceptuelle plutocirct que du cocircteacute de laquo lrsquoanalogie seacutemantique raquo ou de la

laquo comparaison elliptique raquo plus traditionnelle dans le deacutebat sur cette notion Rappelons ce

qui justifie cette diffeacuterence

Une analogie explicite la similariteacute entre deux concepts Une telle relation est reacuteciproque

si A ressemble agrave B alors B ressemble agrave A Il srsquoensuit qursquoune analogie peut ecirctre parcourue dans

les deux sens si laquo La branchie est le poumon du poisson raquo alors il faut admettre que laquo Le

poumon est la branchie du chien raquo Le premier eacutenonceacute est le plus courant en raison drsquoun

anthropomorphisme qui nous rend familier le poumon Le second eacutenonceacute cesse drsquoecirctre

incongru dans la bouche de Bob lrsquoEacuteponge enseignant la biologie agrave des poissons Les deux

concepts laquo poumon branchie raquo expliciteacutes lexicalement conservent leur position

drsquohyponymes (idionymes) dans le champ par rapport agrave leur hypernonyme (pantonyme)

laquo organe de la respiration raquo On peut faire le va-et-vient entre les deux en proceacutedant par

deacuteplacement

Le raisonnement meacutetaphorique est diffeacuterent sur ce point Il procegravede par remplacement du

concept laquo cible raquo (le croissant la voute ceacuteleste) par le concept laquo source raquo (la faucille le

champ) ce qui suppose bien entendu la substitution lexicale qui supporte grammaticalement

ces concepts Le raisonnement est dissymeacutetrique il nrsquoest pas reacuteciproque laquo Le champ des

eacutetoiles raquo nrsquoimplique pas que lrsquoon conccediloive en mecircme temps qursquoen retour les bleacutes que lrsquoon

observe se deacuteploient sur laquo une voucircte ceacuteleste raquo laquo La faucille drsquoor raquo dans le ciel nrsquoimplique pas

que lrsquoon conccediloive reacuteciproquement que le moissonneur utilise laquo un quartier de lune raquo Cela

nrsquointerdit pas de faire une autre meacutetaphore inversant source et cible et de dire laquo Le croissant

du moissonneur a coucheacute les bleacutes raquo ou laquo le ciel ougrave scintillent les eacutepis raquo au risque tout de

mecircme de lrsquoincongruiteacute mais crsquoest au locuteur de lrsquoappreacutecier

En reacutesumeacute le laquo bouleversement interne raquo suggeacutereacute en 1002 est de lrsquoordre de la substitution

dans le cas de la meacutetaphore et non de lrsquoordre du deacuteplacement comme lrsquoest lrsquoanalogie

Deux parties de porteacutee geacuteneacuterale concluent le propos en 1004 Lrsquoune conclut le thegraveme

de la varieacuteteacute des relations de laquo similariteacute conceptuelle raquo en reacuteaction contre la tendance agrave

figer ces relations dans ce que proposent les encyclopeacutedies Cette tendance est due agrave la

confusion faite entre signe et langue entre sens et doxa Lrsquoautre partie du paragraphe

redit que le champ et le paradigme sont analogues en tant que producteur de

laquo similariteacutes raquo mais qursquoil ne faut pas pour autant confondre la forme grammaticale et le

reacuteameacutenagement seacutemantique Drsquoougrave la critique du terme de laquo lexicologie raquo Un champ nrsquoest

pas un parcours de relations laquo lexicales raquo entre segravemes lesquels sont des formes

grammaticales mais laquo la cateacutegorisation seacutemantique des segravemes raquo 98212

La zone phoneacutetique

Essai de deacutefinition de laquo lrsquoeacutequivalent phoneacutetique du champ raquo 1012

De la deacutesignation 213

Les laquo universaux phonologiques raquo 1013 des laquo binaristes raquo font allusion agrave Roman Jakobson

puis agrave la phonologie geacuteneacuterative qui postulent lrsquoexistence drsquoun stock universel de caracteacuteris-

tiques psychoacoustiques ou articulatoires dans lequel chaque langue puiserait en les

retenant ou en les refusant Roman Jakobson et Morris Halle en 1956 dans Fundamentals of

language proposaient la grille suivante reprise en 1963 dans les Essais de linguistique geacuteneacute-

rale laquo vocalique non-vocalique consonantiquenon-consonantique compact diffus tendu

lacircche voiseacute non-voiseacute nasal oral discontinu continu strident mat bloqueacute non-

bloqueacute grave aigu beacutemoliseacute non-beacutemoliseacute dieacuteseacute non-dieacuteseacute) 1963 p 128-130 JG en

mentionne une variante et retient qursquoagrave condition de ne pas en faire des caracteacuteristiques

physiologiques on peut y voir laquo lrsquoesquisse raquo drsquoun tableau de caracteacuteristiques laquo geacuteneacuteriques raquo

(analogues aux pantonymes) dont les prononciations correspondraient aux laquo idionymes raquo On

y repeacutererait laquo le jeu dun processus tregraves exactement phoneacutetique dinclusion systeacutematique des

traits en tous points comparable agrave la preacuteceacutedente inclusion seacutemantique raquo 1013 Cependant il

refuse de voir dans la hieacuterarchie que Roman Jakobson introduit entre ces paramegravetres selon

des laquo lois drsquoimplication raquo (1963 p 139) un modegravele drsquoingression crsquoest-agrave-dire drsquoeacutemergence au

langage chez lrsquoenfant un modegravele tel que laquo lrsquoenfant distingue entre dentale et labiale avant de

distinguer palatale et veacutelaire raquo (1963 p 140) ou encore un modegravele de reacutegression crsquoest-agrave-dire

de deacutesinteacutegration dans les aphasies La clinique des aphasies deacuteveloppeacutee par JG et Olivier

Sabouraud deacutement cette derniegravere hypothegravese

Passant de lrsquoapproche articulatoire agrave lrsquoapproche acoustique il suggegravere que de tels

paramegravetres geacuteneacuteriques seraient des laquo zones raquo laquo ougrave se reacutesoudrait la contradiction des

correacutelations [phonologiques] et des formants [acoustiques] raquo 1014 En tout eacutetat de cause il srsquoagirait drsquoun laquo deacutepassement raquo de cette contradiction Le terme laquo formant raquo a-t-il ici sa deacutefini-

tion stricte de laquo saillance raquo (renforcement en amplitude) drsquoharmoniques provoqueacutee par les

reacutesonateurs (pharynx et bouche) et variables dans les voyelles en fonction des consonnes de

lrsquoenvironnement Ou bien a-t-il un sens plus large de laquo caracteacuteristique acoustique raquo

Lrsquoallusion agrave lrsquoaphasie de Broca peut ecirctre deacuteveloppeacutee de la maniegravere suivante 1014 Le

caractegravere laquo systeacutematique des erreurs raquo est connu notamment lrsquoassourdissement des sonores

laquo Ces patients privileacutegient des syllabes ou des types de chaicircnes sonores raquo eacutecrivait en reacutesumeacute

Olivier Sabouraud (1995 Le langage et ses maux p272) Hubert Guyard (1987 Le concept

drsquoexplication en aphasiologie tome 2 laquo les figures phoneacutetiques raquo p588-646) deacuteveloppe

lrsquoexplication en opposant les strateacutegies phoneacutetiques des Broca agrave celles des Wernicke Ses

observations montrent chez le Broca un laquo figement raquo de la zone articulatoire qui oblige le

malade soit agrave persister dans une mecircme reacutealisation soit agrave changer complegravetement de zone

Lorsque tel malade (ibidem p592) parvient agrave introduire le s initial de laquo spectacle raquo il ne peut

produire que [spɛst stask] laquo Cette strateacutegie ‟ deacutecoupe rdquo la seacutequence en ‟ aires dinfluence rdquo

dun ou de plusieurs traits Ces aires souvent figeacutees peuvent devenir relativement

reacuteameacutenageables mais de proche en proche par dissimilation de ce qui a eacuteteacute assimileacute

auparavant ou inversement raquo (p 593) Lrsquoaphasique de Wernicke phonologique (appeleacute

laquo aphasique de conduction raquo par les neurologues) propose une strateacutegie inverse Au lieu de la

rigiditeacute on observe chez lui une recherche aleacuteatoire des traits au sein drsquoune zone Lrsquoimage du

REVEIL est deacutefinie comme laquo un rezœrhellip un revwarhelliprevarhellip revwarhellipvɛrhellip un revɛrhellip un revirhellip un

revɛrhellip rovirhellip revœrhellip revwarhellip rɛzhellip raquo laquo La zone constitue une totaliteacute mouvante un espace

de confusions agrave geacuteomeacutetrie variable raquo raquo (ibidem p 619-620) Autrement dit un certain

controcircle phoneacutetique de la zone lui sert agrave compenser la perte de maicirctrise des traits

phonologiques

214 Une lecture de Jean Gagnepain

32 Lrsquoexpansion seacutemantique et lrsquoenvironnement phoneacutetique

Lrsquoexpansion seacutemantique

La syntaxe fonde lrsquoexpansion en ce que la seconde reproduit dans lrsquoordre de la

conceptualisation ce qui se passait dans lrsquoordre grammatical de la forme agrave savoir des relations

dites laquo drsquointeacutegration raquo 1015 ou de laquo compleacutementariteacute raquo 1016 Rappelons-en le principe De

lrsquoidentiteacute se projette sur de la multipliciteacute et creacutee entre les multiples eacuteleacutements concerneacutes une

solidariteacute qui les rend mutuellement compleacutementaires Une preacutevisibiliteacute de lrsquoun agrave lrsquoautre des

eacuteleacutements srsquoinstalle Dans lrsquoordre de la grammaire cette compleacutementariteacute est formelle laquo Une

petite eacuteglise raquo preacutesente un accord en nombre et genre

Dans lrsquoordre de la seacutemantique la compleacutementariteacute est conceptuelle et deacutepend de la situa-

tion laquo Lrsquoeacuteglise et sa crypte le chai et sa cave raquo (plutocirct que laquo Lrsquoeacuteglise et sa cave raquo etc) La

relation est mutuelle comme le prouve le test suivant Deux raisonnements compleacutementaires

sont possibles agrave partir de la construction laquo Il a peint un plafond raquo Lrsquoun est plus eacutevident que

lrsquoautre (enduire de peinture un support) mais lrsquoautre apparaicirctra si je complegravete par laquo Il a peint

un plafond sur la porte raquo (dessiner lrsquoimage de quelque chose) On observera que le sens de

laquo peindre raquo a changeacute en raison de sa relation aux deux autres concepts Il ne srsquoagit donc pas

drsquoune addition drsquoinformations mais drsquoune inteacutegration relative drsquoeacuteleacutements les uns dans les

autres

JG insiste pour ne pas confondre les deux ordres drsquoanalyse Ainsi laquo la coheacutesion seacutemantique

ne peut ecirctre tenue pour un syntagme raquo 1016 et lrsquoon ne doit pas laquo imputer agrave la grammaire des

relations qui ne se justifient que par le sens raquo 1021 Enfin cette formule conclusive

laquo Lrsquoexpansion creacutee ses propres rapports ougrave la forme nrsquointervient pas raquo 1023

Agrave ce moment de la deacutefinition de lrsquoexpansion il me paraicirct neacutecessaire de revenir sur un point

plus geacuteneacuteral exposeacute anteacuterieurement Rappelons que lrsquoexpansion est laquo lordination seacutemantique

des mots raquo et qursquoelle laquo nrsquoopegravere pas sur des autonymes raquo 982 sachant que lrsquoautonymie deacutefinit

le terme propositionnel Ceci explique que lrsquoexposeacute qui suit propose des exemples drsquoexpansion

aussi bien agrave lrsquointeacuterieur drsquoun terme entre eacuteleacutements laquo eacutepitheacutetiques raquo agrave cet eacutegard comme dans

lrsquoexemple laquo donner des ailes aux oiseaux raquo 1033 qursquoentre eacuteleacutements qui sont des preacutedicats

distincts comme dans lrsquoexemple laquo Il est parti je sors raquo 1024 Le thegraveme de la laquo coreacutefeacuterence raquo

1031 eacutevoquant la relation distante entre laquo Fabricehellip Notre heacuteroshellip Notre amihellip raquo dans un

roman le montre aussi Bref le repeacuterage des relations drsquoexpansion est en cela indeacutependant du

deacutecoupage en termes propositionnels Venons-en agrave lrsquoeacuteventail des aspects de lrsquoexpansion

Le premier des exemples proposeacutes laquo des fleurs sur la table agrave minuit raquo 1021 est agrave analyser

de deux maniegraveres distinctes Grammaticalement on observe une laquo asyndegravese raquo (absence de

liaison) Des mots sont juxtaposeacutes Seacutemantiquement on observe des infeacuterences de lieu et de

temps

JG greffe sur cet exemple un propos grammatical incident Lrsquoasyndegravese serait agrave la syntaxe

ce que lrsquoadverbe est agrave la morphologie Deacuteveloppons cette analogie Lrsquoadverbe du fait de son

invariabiliteacute donc de lrsquoannulation drsquoinformations morpheacutematiques 614 teacutemoigne drsquoun

laquo eacutevidement raquo dans lrsquoordre du paradigme donc drsquoune restriction des possibiliteacutes de cette

similariteacute dont teacutemoigne pleinement la flexion deacuteployeacutee dans le verbe ou le nom De mecircme

une seacutequence de mots nominaux preacutepositionnels telle que laquo dans un pot sur la table sur le

cocircteacute agrave la lumiegravere raquo preacutesente un laquo effacement raquo des possibiliteacutes de solidariteacute syntaxique entre

De la deacutesignation 215

ces eacuteleacutements dont teacutemoigneraient drsquoautres constructions syntaxiques On parle alors parfois

de laquo parataxe raquo Cet effet de juxtaposition nrsquoempecircche pas la laquo coheacutesion seacutemantique raquo de

lrsquoensemble

Les exemples qui suivent 1021 constituent des ambiguiumlteacutes seacutemantiques Lagrave encore il faut

bien distinguer entre les deux types drsquoanalyse Je vois pour ma part dans certains de ces

exemples des cas drsquohomophonie syntaxique car il est possible de distinguer deux construc-

tions dans laquo je peins les yeux noirs raquo et laquo je vois le carreacute blanc raquo selon que lrsquoon peut (a) ou non

(b) simplifier la structure en laquo Je les peins noirs raquo et laquo je le vois blanc raquo Le fait drsquoarticuler agrave une

relation attributive (a) une relation objectale creacutee ici un ensemble qui par homophonie peut

aussi ecirctre reacuteanalyseacute grammaticalement (b) comme une relation eacutepitheacutetique avec pour conseacute-

quence une ambivalence seacutemantique Certes homophonie et improprieacuteteacute (drsquoune forme

deacutefinie) nrsquoont pas la mecircme deacutefinition grammaticale cependant elles laissent pareillement au

locuteur le travail seacutemantique de laquo rendre agrave Ceacutesar ce qui est agrave Ceacutesar raquo 1022 en fonction de

laquo lrsquoexpeacuterience raquo et de la laquo vraisemblance qui vient agrave sa rescousse raquo

Une nouvelle seacuterie drsquoexemples 1024 eacutelargit le propos en sortant du cadre formel drsquoune

seule relation syntaxique dans le but de mieux montrer la non-coiumlncidence de lrsquoexpansion et

de la syntaxe

La formule laquo Subordonneacutee agrave valeur coordonnante raquo 1024 releveacutee dans la tradition

teacutemoigne ainsi drsquoune confusion entre structure syntaxique et expansion La phrase laquo Agrave peine

eacutetions-nous arriveacutes et il nous fallut repartir raquo ou laquo hellipqursquoil nous falluthellip est un exemple de

subordination syntaxique mecircme si lrsquoon narre ainsi une suite de deux eacuteveacutenements124

Pour le concept drsquo laquo Homotaxie raquo 1031 se reacutefeacuterer agrave 643

JG oppose laquo lrsquoanaphore raquo grammaticale et la laquo coreacutefeacuterence raquo seacutemantique qui ne repose

que sur le rapport agrave la situation 1031 Cf 563 Il faut bien connaicirctre et Pierre et son chien

pour comprendre laquo Pierre deacuteteste son chien il lrsquoa mordu raquo Qui a mordu qui Lrsquoexemple

drsquoune reprise drsquoun nom de personnage en laquo Notre heacuteroshellipnotre amihellip raquo 1031 montre que

lrsquoexpansion est indeacutependante non seulement de la structure syntaxique mais encore du

deacutecoupage seacutemantique en propositions

En quoi consiste cette laquo circulariteacute raquo de lrsquoexplication traditionnelle que JG repegravere agrave propos

de lrsquoopposition laquo expansion ndash syntaxe raquo apregraves lrsquoavoir releveacutee dans lrsquoopposition laquo champ ndash

paradigme raquo 1032 Elle consiste agrave laquo prendre raquo des faits seacutemantiques laquo pour base raquo dans le but

drsquoexpliquer la grammaire alors que crsquoest laquo au deacutemarquage de la seule grammaire que la rheacuteto-

rique elle-mecircme doit de les avoir constitueacutes [ces faits seacutemantiques] raquo Si lrsquoon confond forme et

sens on explique alors la forme par le sens qui elle-mecircme srsquoexplique par la forme JG

envisage ici ce qursquoon appelle geacuteneacuteralement les laquo relations actantielles raquo qui avec les relations

laquo meacuteronymiques raquo constituent lrsquoensemble des relations drsquoexpansion

JG nrsquoentre pas ici dans ce deacutetail typologique et utilise lrsquoune ou lrsquoautre de ces deux cateacutego-

ries selon ce qursquoil veut deacutemontrer Les relations drsquoexpansion laquo meacuteronymiques raquo (dites aussi

laquo partitives raquo125) concernent les parties drsquoun tout Elles sont hieacuterarchiques On trouve ce mode

124 Ces syntagmes sont eacutetudieacutes en deacutetail par Suzanne Allaire 1977 Le modegravele syntaxique des systegravemes correacutelatifs p 36-44 et 471-496 Sa conclusion est la mecircme laquo Partir de lrsquoordre conceptuel pour formuler les regraveglesgrammaticales comme le veut la proceacutedure transformationnelle crsquoest fonder le principe de la grammaire sur la capaciteacute logique qursquoelle nous donne et nier le principe mecircme de lrsquoexplication du donneacute qui ne peut ecirctre que dans lrsquoimmanence de la forme raquo (p 471 note 1)

125 Ou encore laquo meacuterologiques raquo ou encore laquo meacuteronomiques raquo Du grec μέρος (meacuteros) laquo partie raquo

216 Une lecture de Jean Gagnepain

de raisonnement appliqueacute agrave tout ce qursquoon juge opportun de deacutecomposer et de recomposer

seacutemantiquement Citons en exemple les relations laquo organiques raquo les organes du corps les

piegraveces drsquoun meacutecanisme les parties drsquoune institution Les relations laquo seacutequentielles raquo les eacutetapes

drsquoun processus les eacutepisodes drsquoun eacuteveacutenement Les relations laquo topologiques raquo la structuration

drsquoun espace etc JG eacutevoque les relations laquo spatio-temporelles raquo Le test de la preacutedication en

laquo ecirctre raquo permet de distinguer une relation de geacuteneacutericiteacute dans un champ drsquoune relation

drsquoexpansion meacuteronymique Ainsi la relation laquo index doigt raquo est de lrsquoordre du champ dans un

raisonnement ougrave laquo lrsquoindex est un doigt raquo En revanche la relation laquo index main raquo est de

lrsquoordre de lrsquoexpansion dans un raisonnement qui conccediloit laquo lrsquoindex de la main raquo

Les relations actantielles laquo drsquoagent et de patient raquo laquo de sujet ou drsquoobjet raquo 1032 ou encore

de cause ou drsquoeffet se deacutefinissent comme des expansions Il faut les distinguer des relations

syntaxiques deacutefinies par des contraintes formelles

Les rangs drsquointeacutegration seacutemantique

Poursuivant lrsquoanalogie entre syntaxe et champ JG preacutecise en 1033 que de mecircme que la

relation syntaxique est une relation mutuelle et non pas une relation de deacutependance entre un

principal et un compleacutement de mecircme la relation drsquoexpansion est-elle une relation de

laquo compreacutehension raquo seacutemantique Suit une seacuterie drsquoexemples de relations meacuteronymiques et une

proposition terminologique agrave la relation laquo thegraveme parenthegravemes raquo du schegraveme syntaxique

correspond la relation entre laquo inteacutegrant raquo ou laquo holonyme raquo et laquo inteacutegreacute raquo ou laquo hyponyme raquo

(plus communeacutement appeleacute laquo meacuteronyme raquo) 1042 Soit par exemple laquo fleuve source raquo

puisque la source est partie inteacutegrante du fleuve Les laquo prosonymes raquo de lrsquoexpansion viennent

correspondre aux laquo isonymes raquo dans le champ (supra 992) par exemple laquo source meacuteandres

embouchure raquo en tant que parties constituantes drsquoun fleuve Bref les meacuteronymes drsquoun

holonyme sont prosonymes entre eux

Suivant une deacutefinition tregraves claire de lrsquoexpansion en 1034 une critique formuleacutee est

adresseacutee par lrsquoauteur agrave laquo lrsquoanalyse componentielle raquo Cette formulation renvoie drsquoordinaire agrave la

seacutemantique proposeacutee par Bernard Pottier (1974) ou aux deacuteveloppements proposeacutes par

Franccedilois Rastier (1974) Or leurs analyses en laquo seacutemegravemes et segravemes raquo dont le principe remonte

agrave Louis Hjelmslev envisagent lrsquoensemble de la seacutemantique et non restrictivement les relations

drsquoexpansion (traiteacutees sous le thegraveme de laquo lrsquoisotopie raquo chez Franccedilois Rastier 1987) de sorte que

ces courants pourraient aiseacutement plaider le non-lieu La critique concerne donc plutocirct les

courants qui fondent la syntaxe sur un scheacutema abstrait drsquoexpansions laquo actancielles raquo scheacutema

dit laquo profond raquo agrave partir duquel on geacutenegravere des paraphrases Grammaires transformationnelles

(courant Chomskyen ou Harrissien Jean Dubois en France)

La meacutetonymie

1042 Apregraves un exposeacute terminologique (commenteacute plus haut) JG cherche dans le

domaine de lrsquoexpansion ce qui correspondrait agrave la meacutetaphore dans le champ deacutefinie par lui

preacuteceacutedemment comme laquo La pantonymisation de lrsquoidionyme raquo 1003 agrave savoir lrsquoemploi drsquoun

idionyme pour concevoir un pantonyme Autrement dit il cherche une deacutefinition analogue de

ce que lrsquoon appelle communeacutement laquo meacutetonymie raquo Il srsquoagit donc drsquoune laquo holonymisation de

lrsquohyponyme raquo

Reprenons les deux aspects inverses de ce jeu de laquo figure raquo qui est un deacuteplacement

conceptuel et non un eacutecart par rapport agrave un repegravere

De la deacutesignation 217

- La formule du texte ndash laquo reacutesumer par un holonyme une seacutequence drsquohyponymes raquo 1042 ndash

demande pour ecirctre comprise le rappel qursquoil nrsquoy a pas pour lrsquoauteur drsquoholonyme en soi mais

seulement dans une relation avec des hyponymes (des meacuteronymes) Sinon toute deacutesignation

pourrait y correspondre puisqursquoon peut toujours trouver de la complexiteacute dans quoi que ce

soit Ce cas de laquo figure raquo ne peut correspondre qursquoagrave la situation ougrave se preacutesente lrsquoalternative

entre le reacutesumeacute et le deacuteveloppement et ougrave le locuteur juge plus congruent drsquoopter pour le

reacutesumeacute Reprenons donc lrsquoanalogie stricte avec le choix du laquo bouleversement conceptuel raquo

qursquoeacutetait laquo lrsquoemploi drsquoun pantonyme pour un idionyme raquo du fruit pour la pomme Soit ici

lrsquoemploi drsquoun holonyme plutocirct que de lrsquohyponyme correspondant pour une exactitude

eacutequivalente Par exemple laquo Mon veacutelo ne marche plus raquo (alors que lrsquoon voit bien que seule la

chaicircne est concerneacutee) ou bien laquo Le repas est servi raquo (indiquant la soupe qui le deacutebute) Il suffit

de dire le laquo tout raquo pour deacutesigner la laquo partie raquo

- Lrsquoinverse est la meacutetonymie 1042 ou emploi drsquoun hyponyme (drsquoun meacuteronyme) plutocirct que

drsquoun holonyme pour une exactitude eacutequivalente laquo Beethoven est agrave droite de Bach raquo pour

indiquer la position respective sur un rayon de bibliothegraveque des disques contenant de la

musique de ces auteurs laquo Il srsquoest fait porter pacircle raquo (malade) laquo Il preacutefegravere le filet raquo (pour

deacutesigner la position preacutefeacutereacutee drsquoun joueur de tennis en double ou drsquoun joueur de volley)

laquo Aujourdrsquohui je passe du brun au blanc raquo ce vendeur passait du rayon du mateacuteriel hi-fi ainsi

qualifieacute par la profession au rayon de lrsquoeacutelectromeacutenager

Il srsquoagit non drsquoun laquo eacutecart raquo par rapport agrave une deacutesignation standard mais drsquoune laquo eacuteconomie

(hellip) drsquoune eacutenonciation visant agrave satisfaire au mieux les besoins de lrsquoinformation raquo 1042

Lrsquoenvironnement phoneacutetique

Agrave la concateacutenation phonologique correspond laquo la pression articulatoire de lenvironnement

seacutequentiel (hellip) Ces accommodations soit agrave distance soit contigueumls des phonegravemes agrave leur

entouragehellip raquo 1043

Divers types de pheacutenomegravenes sont eacutevoqueacutes

- laquo la reacutepartition des temps faibles de la phonation raquo On imagine facilement ce type de

reacutegulation

- laquo La promotion alterneacutee (hellip) de telles ou telles de leurs variantes cumulatives [drsquoun

phonegraveme] lrsquoopposition de force par exemple prenant occasionnellement le relais en franccedilais

de celle de sonoriteacute raquo (Noter que le terme de laquo variantes cumulatives raquo est propre agrave Jean

Gagnepain) Lrsquoarticle laquo tension consonantique raquo de Wikipeacutedia preacutesente simplement le

problegraveme Je reacutesume La tension articulatoire (forte douce) nrsquoest pas un trait pertinent en

franccedilais mais une telle diffeacuterence accompagne une opposition pertinente de voisement

(sourde sonore) et lrsquoon observe que les consonnes sourdes sont le plus souvent reacutealiseacutees

fortes et les sonores douces Cette diffeacuterence de tension peut alors preacuteserver la distinction

des deux seacuteries dans des contextes phoneacutetiques ougrave lopposition de voisement est neutraliseacutee

laquo Dans une prononciation soigneacutee du franccedilais le d assourdi de meacutedecin ne se confond pas

avec un t (hellip) car il reste une douce tandis que t est une forte On peut alors opposer meacutedecin

[medsɛ] et pegravete-sec [pɛtsɛk] raquo126 (Le petit rond souscrit note le deacutevoisement du [d] crsquoest-agrave-

dire lrsquoabsence de vibration des cordes vocales lrsquoAPI nrsquoayant pas preacutevu de notation speacutecifique

pour la tension consonantique)

126 Wikipedia laquo tension phoneacutetique raquo

218 Une lecture de Jean Gagnepain

En voici un autre exemple En franccedilais les consonnes constrictives et sonores (deux traits

pertinents) v z ʒ se prononcent le plus souvent longues sans que ce soit pertinent Crsquoest

une variante cumulative du trait de sonoriteacute Mais une telle prononciation est

phoneacutetiquement anticipeacutee par un allongement de la voyelle preacuteceacutedente sans que ce soit non

plus pertinent pour cette voyelle En revanche lrsquoallongement ne se fait pas si la constrictive est

sourde (seacutequence voyelle + constrictive sourde f s ʃ ) Comparer laquo vif raquo (bregraveve) et laquo vive raquo

(longue) laquo bis raquo et laquo bise raquo laquo race raquo et laquo rase raquo laquo bouche raquo et laquo bouge raquo Le fait

drsquoenvironnement est dans la seacutequence laquo long + long raquo ou laquo bref + bref raquo

On peut aussi penser aux variantes combinatoires Le trait de sonoriteacute nrsquoest pas pertinent

pour le phonegraveme l mais il est prononceacute sonore dans un environnement sonore laquo bible raquo et

sourd dans un environnement sourd laquo peuple raquo

- laquo Crsquoest dans ce cadre (hellip) qursquoeacuteventuellement srsquoopegraverent les permutations les meacutetathegraveses

les haplologies raquo 1051

Meacutetathegraveses Il srsquoagit de variations de prononciation par permutation telles que

laquo infractus raquo au lieu de laquo infarctus raquo de la diffeacuterence entre laquo fromage raquo et laquo fourme raquo avec

variation de position du [r] Le Gallo de lrsquoOuest de la France dit laquo berbis raquo et laquo berouette raquo lagrave

ougrave le franccedilais dit laquo brebis raquo et laquo brouette raquo

Haplologies (reacuteduction agrave lrsquouniteacute de phonegravemes reacutepeacuteteacutes) On comprend qursquoen prononciation

rapide la succession de deux voyelles dans laquo Jrsquoy irai raquo se reacuteduise agrave [ ʒiːʁɛ ] ou laquo Ni ici raquo agrave [ niːsi]

Conclusion

laquo Lrsquoarrecirct raquo de la dialectique ou bien laquo compromet la grammaire raquo et laquo exagegravere raquo les

meacutecanismes performantiels ndash crsquoest lrsquoaphasie ou bien la laquo reacuteifie raquo et laquo suspend lrsquoaction raquo de ces

meacutecanismes performantiels ndash crsquoest la schizophasie 1052

Transition et preacutesentation des laquo viseacutees performantielles raquo 1054 Le modegravele doit rendre

compte du fait qursquoil existe laquo diverses faccedilons raquo de phoneacutetiser et laquo surtout raquo de seacutemantiser de

rendre neacutecessaire le message par rapport agrave la situation en somme de laquo causer raquo

SENS ET CAUSALITEacute

Avant tout commentaire et dans le prolongement de mes laquo intermegravedes 1 et 4 raquo faisons le

point sur la conception de la laquo seacutemantique raquo ici preacutesenteacutee Jrsquoai deacutejagrave averti le lecteur de

lrsquooscillation de la position de JG au moins dans la formulation entre deux conceptions de la

connaissance Lrsquoune parle drsquoun locuteur qui cherche une laquo proprieacuteteacutehellip visant agrave la coiumlncidence

du verbe et du dit raquo 1061 La distinction est faite entre laquo du dit raquo et (laquo ce qursquoil y a agrave dire raquo) ce

qui interdit drsquoen faire une thegravese reacutealiste Lrsquoautre propose laquo drsquoexaminer meacutethodiquement les

processus qui tout en gardant le caractegravere de lanalyse que dialectiquement ils contestent nen

parviennent pas moins agrave faire du monde dans lequel le langage gracircce agrave eux sinvestit un

cosmos qui sans sy reacuteduire ne devient compreacutehensible que par ce que dabord il est dit le

verbe en bref sy faisant cause et la raison neacutecessiteacute raquo 851 On croirait mais agrave tort

(remarquer les incises) une thegravese laquo constructiviste raquo

Cette partie du texte montrera en permanence cette alternance Jrsquoai deacutejagrave suggeacutereacute que le

souci didactique lrsquoexpliquait en partie jrsquoen vois une preuve dans le fait que la theacuteorie de laquo la

De la deacutesignation 219

reacuteduction de lrsquoeacutecart raquo est formuleacutee comme telle au deacutebut de la deacutemonstration et deacutecoule du

principe de dialectique et que la theacuteorie de laquo lrsquoeacutelaboration raquo drsquoune laquo causaliteacute raquo lrsquoest en fin de

deacutemonstrationhellip et dans le titre ndash Sens et causaliteacute ndash qui reacutecapitule le parcours Comme si

lrsquoauteur partait de la conception la plus simple de la dialectique pour aboutir agrave la conception la

plus sophistiqueacutee

Pour autant il serait inexact de rapporter chacune de ces deux formulations agrave leur expres-

sion prototypique en philosophie Pourquoi Parce que ni la position thomiste de

laquo lrsquoadaeligquatio mentis et rei raquo ni la position de lrsquoautocreacuteation du sens ne sont des dialectiques

Nulle part nrsquoy est soutenu un principe de contradiction de laquo neacutegation de la neacutegativiteacute raquo entre

grammaire et seacutemantique Le mot y est lrsquoenveloppe du sens La notion drsquoeacutenonceacute y est homo-

gegravene et la seacutemantique un domaine autonome fait de mots-senseacutes ou drsquoeacutenonceacutes-senseacutes

Or pour JG la raison est dialectique de sorte que les deux faccedilons de preacutesenter la

question de la performance ne sont plus antinomiques mais sont deux angles drsquoapproche de

la dialectique du signe Certes les termes laquo viseacutee raquo laquo recherche de proprieacuteteacute raquo laquo investisse-

ment raquo voire laquo adaptation raquo formulent sa conception du signe mais il faut toujours les

comprendre dans une perspective geacuteneacuterale dialectique celle drsquoune grammaire neacutegation et

drsquoune rheacutetorique neacutegation de cette neacutegation Il faut aussi toujours inteacutegrer lrsquoideacutee que la

neacutegation est laquo neacutegation de raquo de ce laquo reacuteel - expeacuterience humaine raquo dont on ne peut refouler

lrsquoexistence et auquel on est fondamentalement confronteacute y compris et tout particuliegraverement

dans le cas des pathologies En drsquoautres termes laquo lrsquoinvestissement dans la conjoncture raquo 1062

signifie que la neacutegation ne peut ecirctre totale que la conjoncture est contraignante que la

dialectique du signe doit impeacuterativement inteacutegrer ce principe de reacutesistance de sorte que le

signe transforme cette contrainte en raisonnement intelligible transforme la conjoncture en

conjecture Meacuteditez cette boutade de lrsquoeacutecrivain de science-fiction Philip K Dick laquo La reacutealiteacute

cest ce qui refuse de disparaicirctre quand on cesse dy croire raquo

Introduction

Les faccedilons de causer sont multiples et sont toutes des maniegraveres de laquo causer raquo crsquoest-agrave-dire

drsquointroduire de lrsquointelligibiliteacute dans lrsquoexpeacuterience humaine JG les modeacutelise en forme de

laquo triptyque raquo Il srsquoagit dans ses termes de laquo la science du mythe et du poegraveme raquo ndash et il eacutevoque

les cateacutegories anciennes de laquo logos muthos et epos [ou] poiesis raquo 1061 Une variation

terminologique propose drsquoappeler respectivement laquo fonctions meacutetalinguistique

meacutetaphysique et prosodique raquo ces types de laquo causaliteacute raquo 1062 Comme toujours il importe de

mettre de cocircteacute lrsquoideacutee commune que lrsquoon se fait de ces notions puisqursquoelles ne sont ni

dialectiques ni deacuteconstruites dans la perspective de plans distincts dans la doxa ordinaire

Il faut ici remarquer que le titre de ce chapitre ndash Sens et causaliteacute ndash reacuteduit lrsquoobservation des

viseacutees rheacutetoriques au seul reacuteinvestissement du signifieacute crsquoest-agrave-dire agrave la seule seacutemantique On

ne trouvera pas par la suite drsquoexposeacute distinguant entre une laquo phoneacutetique raquo scientifique

mythique et poeacutetique Cette exclusion reste implicite

JG donne de ces seacutemantiques une deacutefinition geacuteneacuterale par oppositions tout en soulignant

qursquoil srsquoagit laquo de modes eacutequivalents drsquoinvestissement du signe dans la conjoncture raquo

Rheacutetorique scientifique et mythique sont laquo exocentriques raquo contrairement agrave la rheacutetorique

poeacutetique deacutefinie comme laquo endocentrique raquo 1061 Le premier terme veut dire que la viseacutee

rheacutetorique est orienteacutee vers lrsquoexpeacuterience conjoncturelle le signe se confronte agrave autre chose

que lui-mecircme Le second que la rheacutetorique vise agrave expliciter les proprieacuteteacutes analytiques du

220 Une lecture de Jean Gagnepain

signe le signe se confronte agrave lui-mecircme Dans tous les cas le locuteur eacutelabore de la

laquo causaliteacute raquo laquo confegravere raquo de lrsquointelligibiliteacute de sorte qursquoil faut comprendre la laquo viseacutee raquo comme

une confrontation ougrave lrsquoun des facteurs laquo motive raquo et laquo neacutecessite raquo tendanciellement lrsquoautre

Deacuteveloppons

Science et mythe laquo confegraverent sens au pragma raquo (agrave la conjoncture) selon une alternative

1055 Dans la perspective scientifique on adapte laquo lrsquounivers des mots agrave lrsquounivers des choses raquo

1055 Propos reformulable en laquo le locuteur eacutelabore son raisonnement en fonction drsquoune

contrainte eacuteprouveacutee dans de lrsquoexpeacuterience raquo

Dans la perspective mythique on laquo reacuteduit raquo le laquo pragma raquo (ce qui existe) laquo au langage lui-

mecircme employeacute pour le dire raquo 1061 Propos reformulable en laquo le locuteur eacutelabore son

intelligibiliteacute de la situation en fonction des formes grammaticales raquo Il y a une eacutegale recherche

de proprieacuteteacute dans les deux cas

La rheacutetorique poeacutetique en revanche est laquo endocentrique raquo En cela elle est laquo intransitive raquo

ce qui implique que les autres sont laquo transitives raquo127 Crsquoest le langage lui-mecircme qui devient

conjoncture laquo motivation raquo de la rheacutetorique Dit autrement le poegraveme creacutee un monde

langagier agrave partir de sa propre matiegravere tandis que science et mythe creacuteent ce monde langagier

par confrontation avec un exteacuterieur Mecircme drsquoailleurs lorsqursquoil cherche agrave parler de lui-mecircme

lorsqursquoil srsquoobjective comme dans le cas de la glossologie128

Quelle qursquoen soit la modaliteacute la rheacutetorique est toujours une production de laquo proprieacuteteacutehellip

visant agrave la coiumlncidence du verbe et du dit raquo 1061 Notons qursquoil ne srsquoagit plus de mots et de

choses car ce qui est laquo dit raquo ne lrsquoest qursquoen raison du fait qursquoil a eacuteteacute dit

1 ndash Science Le raisonnement seacutemantique scientifique

Apregraves avoir rappeleacute la reacuteduction ordinaire de la notion de signe agrave la seule seacutemantique

scientifique JG entreprend de donner agrave ce terme une deacutefinition strictement glossologique

1063 par une deacutemarche de dissociation des plans En effet ce que drsquoordinaire on appelle

science teacutemoigne des quatre registres de la culture Il faut donc laquo lrsquoeacutepurer raquo 1063 tour agrave tour

du fait qursquoelle se preacutesente techniquement dans de lrsquoeacutecrit qursquoelle est leacutegaliseacutee dans des

disciplines acadeacutemiques et qursquoelle est soumise axiologiquement agrave un jugement critique qui

transforme lrsquoadeacutequation en veacuteriteacute et lrsquoinadeacutequation en erreur

Il souligne la confusion faite entre laquo science et sciences raquo crsquoest-agrave-dire (dans ce contexte)

entre drsquoune part le raisonnement seacutemantique scientifique singulier en tant que modaliteacute

rheacutetorique et que laquo lrsquoon porte irreacutemeacutediablement en soi raquo 1192 et drsquoautre part les divisions

disciplinaires Celles-ci reacutesultent des luttes de pouvoir entre professionnels laquo travailleurs de la

preuve raquo comme disait Gaston Bachelard129 dans les socieacuteteacutes qui distinguent un service du

savoir parmi drsquoautres services Abstraction est faite ici de la leacutegitimation qui motive ces deacutesac-

cords et ces consensus

127 La notion de transitiviteacute prend ici son sens matheacutematique ce qui permet ou non de reporter une relation drsquoun eacuteleacutement vers un autre

128 Cf Jean-Claude Schotte 1997 La raison eacuteclateacutee p 159 [La viseacutee endocentrique] laquo creacutee un monde au lieu drsquoen recreacuteer un qui existe en dehors drsquoelle raquo

129 Gaston Bachelard 1949 Le rationalisme appliqueacute ch 3 Rationalisme et corrationalisme lunion des travailleurs de la preuve Paris PUF

De la deacutesignation 221

De mecircme souligne-t-il la confusion geacuteneacuteraliseacutee entre le raisonnement seacutemantique scienti-

fique qui cherche agrave distinguer le congruent de lrsquoincongru en modelant ses formulations en

fonction de la reacutesistance de lrsquoexpeacuterience et la motivation ou le jugement axiologique qui

cherche agrave discriminer le vrai ndash que lrsquoon srsquoautorise du faux ndash que lrsquoon srsquointerdit (laquo Le souci de la

veacuteriteacute raquo 1063) En somme ordinairement la science est supposeacutee dire du vrai universel alors

que ce que JG appelle science nrsquoest deacutefini que dans lrsquoordre du dire Sa speacutecificiteacute est drsquoordre

glossologique et se deacutefinit au sein de la rheacutetorique

Avertissement Par ailleurs du strict point de vue glossologique la suite du propos

montrera que JG privileacutegie dans les exemples qursquoil choisit les raisonnements complexes et

preacutecis de ce que lrsquoon appelle drsquoordinaire laquo de la science raquo (celle des laquo savants raquo) plutocirct que les

raisonnements les plus quotidiens Le lecteur peut avoir lrsquoimpression dans ce cas que lrsquoauteur

oublie sa thegravese principale et qursquoil reacuteduit le raisonnement seacutemantique (que laquo lrsquoon porte

irreacutemeacutediablement en soi raquo 1192) agrave laquo la science raquo et laquo aux sciences raquo dont traitent agrave juste titre

les eacutepisteacutemologues parmi lesquels JG entend drsquoailleurs figurer (Voir le titre de lrsquoouvrage) Le

texte de fait oscille entre ces deux sens du mot laquo science raquo Cependant le fait de choisir

comme lieu drsquoobservation ce que disent les savants plutocirct que ce que chacun dit chez soi ou

au cafeacute nrsquoimplique pas que lrsquoon preacutesuppose une diffeacuterence entre les raisonnements tenus par

les uns et par les autres autre que des degreacutes de complexiteacute ou de preacutecision des propos tenus

agrave partir de la mecircme aptitude au raisonnement seacutemantique Ce choix des exemples est

probablement explicable par lrsquoun des aspects du projet de JG deacutefinir en particulier ce que

sont les laquo sciences humaines raquo et singuliegraverement laquo la theacuteorie de la meacutediation raquo qursquoil entend

bien ecirctre un projet scientifique tout en soutenant que toute locution est en partie scienti-

fique et par conseacutequent laquo theacuteorique raquo

Heacuteritage et positions

laquo Il y a eu lOrganon et la ‟logiquerdquo dont on sait quelle prend sa source dans la grammaire

et dont en retour la mutation de linheacuterence agrave leacutequation preacutefigurait agrave sa faccedilon celle de la

taxinomie agrave la geacuteneacuterativiteacute raquo 1064

Voici quelques repegraveres concernant ce passage allusif (Merci agrave Gilles Clerval pour son eacuteclai-

rage philosophique)

- laquo Il y a eu lOrganon et la ‟logiquerdquohellip raquo Le second terme preacutecise-t-il le premier

LrsquoOrganonhellip (laquo instrument raquo en grec) est une compilation de traiteacutes de logique drsquoAristote

Srsquoagit-il drsquoajouter au corpus aristoteacutelicien lrsquoensemble des logiques ulteacuterieures en particulier

celle de Port-Royal

- laquo La mutation de lrsquoinheacuterence agrave lrsquoeacutequation raquo laquo Lrsquoinheacuterence raquo renvoie agrave lrsquoideacutee drsquoune qualiteacute

intrinsegraveque drsquoun objet agrave ses caracteacuteristiques distinctives dans lrsquoordre de la taxinomie Drsquoun

point de vue ontologique est laquo inheacuterent raquo agrave un laquo ecirctre raquo lrsquoensemble de ses proprieacuteteacutes

essentielles Par contraste JG suggegravere ici que laquo lrsquoeacutequation raquo suppose un deacuteveloppement

numeacuterique et serait de lrsquoordre de la geacuteneacuterativiteacute

Il fait comprendre ces deux termes comme des reacutesumeacutes scheacutematiques de courants

logiques de doxas diverses observables dans lrsquohistoire Dans cette perspective on peut envisa-

ger la thegravese drsquoun basculement au XIXe siegravecle entre drsquoune part un privilegravege accordeacute agrave

lrsquoinheacuterence agrave lrsquoinclusion conceptuelle drsquoAristote agrave Port-Royal jusqursquoagrave Leibniz en partie et

drsquoautre part lrsquoattention accordeacutee agrave la logique des relations depuis notamment George Boole

222 Une lecture de Jean Gagnepain

Cette laquo mutation raquo a son correspondant en linguistique dans le passage conflictuel de la

laquo linguistique raquo dite laquo taxinomique raquo agrave la linguistique dite laquo geacuteneacuterative raquo courants auxquels

JG fait allusion agrave diverses reprises

Ceci eacutetant on peut toujours nuancer une telle opposition Aucun modegravele matheacutematique ou

logique nrsquoa pu modeacuteliser un seul axe drsquoanalyse agrave quelque eacutepoque que ce soit Ainsi lrsquoexposeacute

du syllogisme dans les Analytiques drsquoAristote peut ecirctre compris agrave la fois en termes

drsquoinheacuterence et en termes de deacuteploiement de plusieurs preacutedicats Sans doute JG veut-il dire

que tel ou tel modegravele tend agrave privileacutegier lrsquoexposeacute de tel ou tel axe En ce sens le lecteur peut

prendre au sens strict le terme laquo eacutequation raquo et mettre en perspective par exemple le traiteacute

des Cateacutegories drsquoAristote et le traiteacute drsquoAlkawrizmi ndash Al-jebra-ucirc-al-mucircqabala (Bagdad IXe

siegravecle) De cet illustre matheacutematicien nous viennent les termes laquo algorithme raquo et laquo algegravebre raquo

Selon Daniel Sibony (Les trois monotheacuteismes 1992 p50-52) laquo jabr raquo appartient au vocabulaire

de la meacutedecine et veut dire laquo rabouter raquo les deux parties drsquoun os casseacute et laquo mucircqabala raquo

signifie laquo mettre face agrave face raquo (les deux termes de lrsquoeacutequation) Deux meacutetaphores quantitatives

De mecircme lrsquoopposition entre laquo grammaire taxinomique raquo et laquo grammaire geacuteneacuterative raquo repose-

t-elle sur des degreacutes drsquoimportance relative accordeacutee agrave chacun des deux axes de lrsquoanalyse

Remarque Si lrsquoon donne aux termes laquo taxinomie raquo et laquo geacuteneacuterativiteacute raquo le sens qursquoils

prennent dans le modegravele glossologique la notion de laquo mutation raquo est inintelligible puisque

dans le cadre de la TdM taxinomie et geacuteneacuterativiteacute sont deux aptitudes cognitives logiquement

simultaneacutees

laquo Il y a eu la ‟langue bien faiterdquo dont lrsquointuition trouve un eacutecho dans ‟lrsquoeacutenonceacute bien

formeacuterdquohellip raquo 1064 laquo La ‟langue bien faiterdquo raquo Condillac Logique 1780 laquo Les ideacutees abstraites ne

sont donc que des deacutenominations (hellip) Or si nous ne raisonnons quavec le secours de ces

deacutenominations cest une nouvelle preuve que nous ne raisonnons bien ou mal que parce que

notre langue est bien ou mal faite raquo laquo Lrsquoeacutenonceacute bien formeacute raquo est une formule courante chez les

logiciens

Dernier positionnement historique 1065 laquo Sortir de la contradiction des ‟reinerdquo et des

‟empirische Begrifferdquo raquo (concepts purs et concepts empiriques) Reacutefeacuterence est faite ici agrave

Emmanuel Kant qui oppose les laquo concepts purs de lrsquoentendement raquo aux laquo concepts

empiriques raquo

- Cf la Logique (1800) cours eacutediteacute par des eacutelegraveves I sect3 laquo le concept est soit empirique soit

pur (vel empiricus vel intellectualis) [] Le concept empirique provient des sens par comparai-

son des objets de lexpeacuterience et ne reccediloit de lentendement que la forme de la geacuteneacuteraliteacute raquo

(Merci agrave Gilles Clerval pour cette reacutefeacuterence et ces eacuteclaircissements)

- Cf Critique de la raison pure traduction Barni revue par Archambault laquo Le concept est

soit empirique soit pur et le concept pur en tant quil a sa source uniquement dans lentende-

ment (non dans une simple image de la sensibiliteacute) sappelle notion raquo (hellip) laquo Nous donnerons agrave

ces concepts suivant le langage drsquoAristote le nom de cateacutegorieshellip raquo Exemples de cateacutegories

la quantiteacute la qualiteacute etc

JG pour sa part raisonne dialectiquement ce qui le conduit en jouant sur les mots de

lrsquoallemand agrave refuser comme Kant laquo drsquoimputer agrave la situation une intelligibiliteacute raquo 1071 attendu

que crsquoest le signe qui laquo octroie en srsquoy confrontant raquo cette intelligibiliteacute agrave la situation En

revanche il refuse lrsquoideacutee de concepts laquo purs raquo puisque tout concept reacutesulte drsquoune

laquo confrontation raquo avec lrsquoexpeacuterience

De la deacutesignation 223

Deacutefinition de la seacutemantique scientifique

Dans le paragraphe 1071 particuliegraverement important JG tire les conclusions de ce bilan

et propose une deacutefinition de la modaliteacute seacutemantique scientifique (ou laquo science raquo) Il relie

langage science la question du deacuteterminisme et celle de lrsquoexplication et introduit le concept

de laquo meacutetalangage raquo qui sera deacuteveloppeacute dans le paragraphe suivant Cette formulation dense

eacutenonce une thegravese fondamentale de JG et une position deacutefinie dans le champ de

lrsquoeacutepisteacutemologie des sciences

Il me paraicirct neacutecessaire ici de citer la phrase entiegravere

laquo La science nest pas comme certains lont cru le remaniement dun langage qui ne saurait

lui preacuteexister mais bel et bien le langage en tant quagrave lexpeacuterience lui-mecircme spontaneacutement se

remanie creacuteant du mecircme coup dans les choses un deacuteterminisme dont les caractegraveres reflegravetent

ceux du meacutetalangage auxquels ils doivent dexister raquo

Voyons drsquoabord la rectification du deacutebut laquo La science nrsquoest pas (hellip) le remaniement drsquoun

langage qui ne saurait lui preacuteexisterhellip raquo Je comprends ceci il ne peut pas y avoir drsquoabord un

langage sans production de science puis un laquo remaniement raquo du langage permettant la

science La science en tant que viseacutee seacutemantique est une proprieacuteteacute de fonctionnement

langagier Les laquo moments raquo de la dialectique ne sont pas des laquo eacutetapes raquo telles que la

grammaire pourrait preacuteexister agrave la rheacutetorique ou lrsquoinverse (Le physicien parle aussi du

laquo moment raquo drsquoune force) Lrsquoensemble de la dialectique neacutegation-de et neacutegation de la

neacutegation-de est un principe de fonctionnement mental (Ougrave le laquo -de raquo integravegre lrsquoexpeacuterience

dans la dialectique)

Examinons attentivement la suite Il srsquoagit ici non drsquoune deacutefinition du langage mais

restrictivement drsquoune deacutefinition de la seacutemantique scientifique (en reacutesumeacute laquo la science raquo)

comme le prouve la formulation laquo La science [est] le langage en tant qursquoagrave lrsquoexpeacuterience lui-

mecircme spontaneacutement se remanie raquo Dans la dialectique du signe il ne faut jamais oublier le

premier moment agrave savoir le laquo principe de reacutealiteacute raquo appeleacute ici laquo expeacuterience raquo qui est un

principe de reacutesistance au dire une eacutepreuve humaine qui contraint le dire agrave se laquo remanier raquo

seacutemantiquement Essayons de clarifier la position de JG qui nrsquoest ni positiviste ni ideacutealiste

dans sa version laquo nominaliste raquo

En tant que scientifique de lrsquohumain la chose en soi ne lrsquointeacuteresse pas non plus que le

postulat drsquoun univers en soi neacutecessaire plutocirct que hasardeux Compte humainement cette

aptitude langagiegravere agrave la science aptitude agrave laquo causer raquo agrave laquo creacuteer dans les choses un deacutetermi-

nisme raquo par le raisonnement scientifique qui laquo remanie raquo le langage en fonction de

lrsquoexpeacuterience Dire scientifiquement crsquoest laquo expliquer raquo mecircme si ce nrsquoest pas la seule maniegravere

de dire 1071 Je soulignerai qursquoici crsquoest lrsquoexpeacuterience qui contraint le raisonnement qui en

deacutetermine les eacutenonceacutes En raison de cette dialectique de la connaissance dont lrsquohomme ne

peut se deacutepartir lrsquounivers nrsquoest plus ce laquo Tout qui est raquo dont on ne peut qursquoadmettre

lrsquoexistence globale Le langage permet de concevoir que lrsquounivers srsquoarticule en laquo caractegraveres qui

reflegravetent raquo les proprieacuteteacutes analytiques du langage La laquo neacutecessiteacute raquo (selon le terme de Jacques

Monod) revecirct des laquo caractegraveres raquo crsquoest-agrave-dire qursquoelle se diversifie et se complexifie agrave la mesure

langagiegravere de la seacutemantique scientifique laquelle est contrainte par lrsquoeacutepreuve de la

confrontation agrave lrsquoexpeacuterience

224 Une lecture de Jean Gagnepain

La science une rheacutetorique laquo meacutetalinguistique raquo

JG rappelle alors que le chapitre preacuteceacutedent intituleacute laquo les proceacutedeacutes rheacutetoriques raquo eacutetait

centreacute laquo par commoditeacute raquo 1072 et laquo par souci de clarteacute raquo 1055 sur cette modaliteacute

scientifique Vocable terme champ et expansion ont eacuteteacute preacutesenteacutes avec des exemples de

raisonnement scientifique le plus souvent objectif Srsquoil est rappeleacute qursquo laquo un rossignol est

neacutecessairement un oiseau raquo 993 crsquoest en raison drsquoune laquo neacutecessiteacute raquo qui ne relegraveve pas des

seules proprieacuteteacutes grammaticales de ces deux mots Certes tous les deux sont classeacutes

masculins mais laquo un poisson raquo aussi Cette autre laquo neacutecessiteacute raquo est seacutemantique reacutesulte de la

confrontation agrave de lrsquoexpeacuterience et produit de la congruence Le mecircme principe de congruence

pourrait provoquer aussi laquo neacutecessairement raquo la convergence synonymique de laquo un rossignol raquo

avec laquo un passe-partout raquo (en serrurerie) avec laquo un article invendable raquo ou avec le teacutenor Alain

Vanzo agrave la fin de lrsquoair laquo Je crois entendre encore raquo des Pecirccheurs de perles de Bizet130

En ce deacutebut de paragraphe il preacutecise aussi un point de terminologie Il lui importe de

donner au terme laquo meacutetalangage raquo un sens geacuteneacuterique synonyme de raisonnement

scientifique Le terme est ainsi en eacutetroite relation avec son antagoniste ndash laquo meacutetaphysique raquo ndash

qui caracteacuterise le raisonnement mythique Attention le preacutefixe laquo Meacuteta- raquo est ici pris dans son

sens de laquo transformation mutation raquo celui qursquoil a dans laquo meacutetamorphose meacutetabolisme

meacutetastase raquo131 Est meacutetalinguistique le raisonnement qui reacuteorganise les mots en fonction de

lrsquoexpeacuterience tandis qursquoest meacutetaphysique le raisonnement qui transforme la connaissance de

lrsquoexpeacuterience (laquo physis raquo) en fonction des mots

Rappelons que ce preacutefixe prend un autre sens celui de laquo degreacute supeacuterieur raquo dans

laquo meacutetadonneacutees raquo et en linguistique dans la notion de laquo fonction meacutetalinguistique raquo chez

Roman Jakobson qui appelle ainsi le cas particulier ougrave laquo le code lui-mecircme devient objet du

message raquo132 Ce thegraveme a eacuteteacute deacuteveloppeacute dans le travail approfondi de Josette Rey-Debove (Le

meacutetalangage 1978) Est meacutetalinguistique en ce sens tout message qui prend pour objet le

langage lui-mecircme Cela ne se limite pas aux messages relevant de la grammaire ainsi

laquo ‟Chevauxrdquo est un nom pluriel raquo cela inclut le raisonnement suivant Question de la poule

ou de lœuf lequel est venu dabord ndash Reacuteponse la poule Question de lœuf ou de la poule

lequel est venu dabord ndash Reacuteponse lœuf Le locuteur joue ici sur la meacutetonymie laquo œuf poule

= le mot œuf le mot poule raquo et fait converger laquo venir raquo et laquo positionneacute dans la phrase raquo

Les modaliteacutes de cette transformation

JG deacuteveloppe alors en quoi la seacutemantique scientifique est une laquo explication raquo Une

formule plus loin reacutesume le propos 1073 laquo le pouvoir des mots tienthellip au savoir qui srsquoy

condense raquo Si lrsquoon deacutegage la formule de sa porteacutee sociologique il reste que le message

seacutemantiquement laquo explique raquo du fait qursquoil laquo condense raquo de la connaissance En cela il est

laquo meacutetalangage raquo ou pourrait-on dire laquo meacutetamorphose raquo dans lrsquoordre de lrsquoanalyse

130 Pour la reacutecreacute httpswwwyoutubecomwatchv=MGmxAHVbijI En revanche Mick Jagger serait incongru

131 Dans son Seacuteminaire du 18 11 1976 JG preacutecisait que cette notion de laquo transformation raquo nrsquoeacutetait pas agrave prendre dans un sens historique (tel que le latin laquo tabula raquo devient laquo table raquo) mais dans celui de laquo modulation raquo de la formulation par seacutelection et construction phrastique laquo Formuler suppose la possibiliteacute de re-formuler crsquoest-agrave-dire drsquoexpliquer autrement raquo

132 La source de cette acception est dans le sens de laquo au-dessus de raquo donneacute agrave laquo laquo meacutetaphysique raquo par contresens lagrave ougrave les eacutepigones drsquoAristote voulaient seulement dire que la compilation de textes qursquoils avaient appeleacutee de ce nom eacutetait agrave lire laquo apregraves la Physique raquo de lrsquoauteur laquo meta ta phusika raquo

De la deacutesignation 225

Le texte en deacuteveloppe les modaliteacutes agrave partir de la distinction des deux axes de lrsquoanalyse et

des projections drsquoaxes 1072 laquo La synonymie du vocable et lrsquoautonomie du terme sont la base

drsquoune explication qui ne nous apparaicirct comme simultaneacutement subsomptive et reacutesomptive quen

vertu dune rheacutetorique traitant spontaneacutement ressemblance et contiguiumlteacute comme extension

dun geacuteneacuterique compreacutehension dun principal raquo Si lrsquoon se souvient que laquo causer raquo crsquoest

laquo expliquer raquo laquo lrsquoexplication raquo se trouve aussi bien dans le reacuteameacutenagement rheacutetorique du

segraveme et du mot que dans celui du paradigme et du syntagme Soit quatre aspects agrave

lrsquoexplication qursquoil convient drsquoenvisager

1 - Commenccedilons par le segraveme Comment se transforme-t-il en vocable synonymique dans le

raisonnement scientifique Les mots laquo srsquoadaptent aux choses raquo parce qursquoune reacutesistance de la

reacutefeacuterence contraint lrsquoobservateur ou lrsquoexpeacuterimentateur agrave cesser de distinguer entre des mots

tels que laquo finir raquo et laquo terminer raquo ou laquo panthegravere raquo et laquo leacuteopard raquo pour produire une identiteacute

conceptuelle un mecircme vocable synonymique Cette reacutesistance peut inversement le conduire agrave

renoncer agrave appeler drsquoun mot identique ce qui srsquoeacuteprouve comme de la diversiteacute et lrsquoobliger agrave

distinguer entre les vocables laquo une planegravete une eacutetoile une galaxie raquo laquo une meacuteteacuteorite un

avion raquo pour deacutesigner distinctement ce qui brille dans le ciel la nuit et que lrsquoon a drsquoabord

appeleacute laquo eacutetoile raquo

2 - Il en va de mecircme sur lrsquoaxe de la quantiteacute Comment le laquo terme raquo propositionnel est-il

produit Selon la conjoncture en preacutediquant simplement ce que lrsquoon conccediloit comme simple

quel que soit le nombre de mots qursquoil faut pour le dire laquo Une machine agrave laver la vaisselle raquo (ici

un preacutedicat drsquoexistence) ou bien inversement en deacutecomposant en plusieurs propos ce que

lrsquoon renonce agrave consideacuterer comme simple Il en va ainsi de lrsquoeffort rheacutetorique que je deacuteploie en

ce moment agrave propos de lrsquoexplication via une proceacutedure technique de traitement de texte dont

il me serait bien difficile de deacutecrire les multiples eacutetapes en une seule phrase On rejoint ici le

sens le plus commun du terme laquo expliquer raquo deacuteplier deacuteployer

Voilagrave pour le rappel des deux eacuteleacutements Revenons aux deacuteveloppements du texte

3 - En quoi le laquo champ raquo peut-il ecirctre scientifiquement explicatif Il lrsquoest dans la mesure ougrave

le raisonnement se fait laquo subsomptif raquo La subsomption est en logique le fait de mettre en

relation le particulier et le geacuteneacuteral JG parlait auparavant laquo drsquoinclusion raquo Le raisonnement

scientifique tire sa congruence du fait que les laquo ressemblances raquo saisies par lrsquoobservateur ou

lrsquoexpeacuterimentateur sont traiteacutees seacutemantiquement comme laquo extension drsquoun geacuteneacuterique raquo Le

mammifegravere laquo srsquoeacutetend raquo agrave lrsquoornithorynque (en deacutepit de son nom neacuteo-grec ndash oiseau-bec) et agrave la

baleine et le crustaceacute laquo srsquoeacutetend raquo au cafard Autrement dit lrsquoexplication creacutee des champs en

prenant pour critegravere de ses inclusions ce qui reacutesiste dans lrsquoexpeacuterience agrave la fois au particulier et

au geacuteneacuterique Le concept de laquo Tout raquo peut ecirctre speacutecifieacute et celui de laquo ccedila raquo peut ecirctre inclus Il

me semble clair que la notion de laquo subsomption raquo deacutesigne ici meacutetaphoriquement (idionyme

pour pantonyme) lrsquoensemble des raisonnements par similariteacute

4 - Lrsquoexplication est laquo reacutesomptive raquo lorsqursquoelle creacutee des relations drsquoexpansion en eacutetant

contrainte agrave le faire par la reacutesistance de lrsquoexpeacuterience La seacutemantique laquo universitaire raquo

nrsquoapplique ce qualificatif qursquoagrave lrsquoanaphore et en donne une deacutefinition tregraves restrictive une

laquo anaphore raquo est dite laquo reacutesomptive raquo si elle reprend et reacutesume le contenu drsquoune proposition

preacuteceacutedente Par exemple dans un journal apregraves avoir deacutecrit une eacutepreuve sportive si lrsquoon

continue par laquo Leur victoirehellip raquo pour redire en un mot ce qui avait eacuteteacute raconteacute En 1072 ce

terme deacutesigne lrsquoensemble des raisonnements par expansion Le raisonnement scientifique tire

alors sa congruence du fait que les laquo contiguiumlteacutes raquo saisies par lrsquoobservateur ou

226 Une lecture de Jean Gagnepain

lrsquoexpeacuterimentateur sont traiteacutees seacutemantiquement comme laquo compreacutehension drsquoun principal raquo

Dans le raisonnement par expansion concevoir une totaliteacute implique que lrsquoon conccediloive la

compleacutementariteacute des parties et reacuteciproquement Si je choisis laquo le Menu raquo au restaurant je

laquo mrsquoexplique raquo ce qui va successivement mrsquoecirctre proposeacute De mecircme devant la mention

laquo dessert raquo je sais qursquoil srsquoagit drsquoun plat final dans une suite de plats

Puisque le langage est laquo source de toute connaissance raquo [srsquoimpose lrsquoideacutee que] laquo il suffit de

nommer pour comprendre et drsquoaffirmer pour deacutemontrer raquo 1072 JG expose ici me semble-t-

il ce qursquoest le passage agrave la limite du raisonnement scientifique La formulation est paradoxale

car quelle que soit la maniegravere de raisonner srsquoil est laquo neacutecessaire raquo de nommer et drsquoaffirmer en

revanche ce nrsquoest jamais suffisant en raison du premier moment constitutif de toute

dialectique On nomme et on affirme toujours par confrontation Ces verbes sont donc

transitifs Nrsquooublions pas en outre que JG traite ici drsquoune modaliteacute laquo exocentrique raquo de la

seacutemantique

Comment comprendre alors ce laquo Il suffithellip raquo Il veut selon moi faire remarquer que

lrsquoinadeacutequation ou lrsquoinexactitude drsquoun message nrsquoapparaissent que par opposition avec un

raisonnement alternatif Sans ce contraste ce qui est dit est congruent pour le locuteur Un

raisonnement peut ecirctre scientifique dans une certaine conjoncture et ecirctre deacutementi par un

autre raisonnement Toute conjecture est relative et non absolue Le raisonnement qui

conduit agrave distinguer entre laquo une ceacutephaleacutee raquo et laquo un mal de tecircte raquo est relativement scientifique

srsquoil repose sur la prise en compte drsquoaspects distincts de lrsquoexpeacuterience ndash distinction imaginaire

observeacutee ou expeacuterimenteacutee peu importe ndash mecircme si un autre raisonnement montre que cette

diffeacuterence est inadeacutequate En revanche srsquoil repose sur la prise en compte de la diffeacuterence des

mots il srsquoagit drsquoun raisonnement mythique Il y a quelques anneacutees une eacutemission de radio (laquo Le

teacuteleacutephone sonne raquo sur France-Inter) eacutetait consacreacutee au mal-ecirctre de nos compatriotes Un

auditeur pose aux psychiatres preacutesents la question suivante laquo Quelle diffeacuterence faites-vous

entre lrsquoangoisse et lrsquoanxieacuteteacute raquo Reacuteponse drsquoune psychiatre laquo Il nrsquoy en a pas drsquoailleurs les

Anglais disent toujours ‟anxietyrdquo raquo Raisonnement scientifique ou mythique Impossible de

trancher sans laquo explication raquo suppleacutementaire mais le raisonnement a consisteacute agrave opposer une

identiteacute de mot agrave une diffeacuterence de mots sans invoquer drsquoexpeacuterience clinique

Retour agrave la dissociation des plans

laquo On saperccediloit que le pouvoir des mots agrave tort ou agrave raison tient au savoir qui sy condense

et que ladage vaut moins par lexpeacuterience quil conserve que par lexpeacuterimentation illusoire

quil fournit Entre la bonne et la fausse monnaie rien de ce point de vue ne permet de faire le

tri raquo 1073 Pour comprendre il faut courir agrave la conclusion laquo La sciencehellip ne trouve pas ses

critegraveres sur le plan ougrave elle se constitue raquo 1084

Ce paragraphe invite agrave travers une critique des mœurs agrave abstraire la prise en compte du

raisonnement seacutemantique de ce qui vient drsquoordinaire le surdeacuteterminer agrave savoir la question

axiologique du vrai et du faux et celle sociologique du consensus et du deacutesaccord Ce passage

me semble bien eacutequivoque et illustre en cela le thegraveme mecircme dont il traite science ou

mythe En effet faut-il ou non donner aux termes laquo pouvoir raquo et laquo savoir raquo le sens strictement

sociologique qursquoils ont dans la TdM Optons pour cette hypothegravese de lecture Auquel cas il nrsquoy

a pas de laquo pouvoir des mots raquo et le message ne laquo condense raquo pas du laquo savoir raquo mais de la

connaissance Ce sont les gens qui se donnent du pouvoir agrave travers leurs deacuteclarations Ces

derniegraveres sont un savoir dont le contenu est langagier fait de messages qui eux

De la deacutesignation 227

laquo condensent raquo du raisonnement Passant de la seacutemantique agrave la sociologie JG deacuteveloppe ici le

thegraveme de lrsquoargument drsquoautoriteacute en dissociant drsquoun cocircteacute le plan sociologique et de lrsquoautre une

seacutemantique normative composite de glossologie et drsquoaxiologie Il parle de laquo la bonne et la

fausse monnaie raquo de laquo preuve raquo et de laquo creacutedit raquo de laquo charlatan raquo bref de justification

La diffeacuterence entre savant et charlatan laquo nrsquoest pas dans le langage ougrave la theacuteorie se formule

eucirct-elle mecircme preacutevu les conditions de sa falsifiabiliteacute raquo 1073 Il me semble qursquoici le propos se

deacuteplace doublement et qursquoil est doublement ambigu

Drsquoune part je pourrais y repeacuterer un glissement drsquoun propos sur lrsquoaptitude agrave la rheacutetorique

scientifique que tout locuteur possegravede en tant que proprieacuteteacute du langage agrave un propos sur la

laquo science raquo des laquo scientifiques raquo dans le sens commun donneacute agrave ces termes Agrave preuve de ce

glissement lrsquoeacutevocation de laquo nos sciences raquo en 1073 Il faut donc que le lecteur fasse lrsquoeffort de

se deacuteprendre de ce sens commun et de prendre le propos dans sa plus grande geacuteneacuteraliteacute de

lrsquoappliquer agrave tout le monde et en permanence puisque tout locuteur est theacuteoricien et en cela

laquo savant raquo (Cf supra mon laquo Avertissement raquo lieacute au sect 1063)

Drsquoautre part on passe du thegraveme de la deacutefinition de ce qursquoest la seacutemantique scientifique

vers le thegraveme de ce qursquoest un laquo modegravele raquo scientifique Bref on passe de la glossologie agrave

lrsquoaxiologie En effet je ne comprends ce passage qursquoen inteacutegrant la reacuteflexion proposeacutee

ulteacuterieurement laquo La sciencehellip ne trouve pas ses critegraveres sur le plan ougrave elle se constitue raquo

1084 Lagrave encore on est tenteacute de penser qursquoil srsquoagit des laquo modegraveles raquo des laquo Sciences raquo dans le

sens commun du terme y compris de laquo theacuteories raquo telles que la laquo Theacuteorie de la meacutediation raquo On

voit immeacutediatement en quoi ce serait critiquable La position de JG preacutesenterait en effet le

paradoxe suivant tout locuteur fait de la science sans le savoir comme M Jourdain

cependant seul Jean Gagnepain peut deacutefinir ce qursquoest une science humaine Il y aurait donc

science et Science modegravele et Modegravele Nrsquoest-on laquo charlatan raquo que par transgression de la

meacutethodologie laquo scientifique raquo des laquo Sciences raquo telles qursquoon les reconnaicirct communeacutement (Le

prototype en est la pseudo deacutecouverte de laquo Rayons N raquo par Reneacute Blondlot en 1903-1904) Ou

bien tout un chacun nrsquoest-il pas potentiellement laquo charlatan raquo plutocirct que laquo savant raquo en raison

de son aptitude permanente agrave normer axiolinguistiquement ce qursquoil dit et donc agrave laquo transgres-

ser raquo les regravegles qursquoil se donne

Faisons un instant creacutedit de coheacuterence agrave lrsquoauteur et acceptons qursquoen matiegravere drsquoaxiologie

son propos soit aussi geacuteneacuteral qursquoen matiegravere de seacutemantique agrave savoir qursquoil explicite ici ce qui se

passe chez tout ecirctre humain agrave la fois diseur et juge de son dire Nrsquooublions pas drsquoautre part

que son propos est drsquoabord de soutenir que le couple laquo savant ndash charlatan raquo que la notion

mecircme de laquo veacuteriteacute raquo opposeacutee agrave celle drsquoerreur que le couple laquo vrai ndash faux raquo ne sont pas des

notions de seacutemantique mais drsquoaxiolinguistique car il srsquoagit de critegraveres de jugement JG

introduit ici la diffeacuterence entre laquo critegraveres raquo axiologiques du dire et deacutefinition de la seacutemantique

scientifique sur le plan proprement glossologique laquo ougrave elle se constitue raquo La diffeacuterence

envisageacutee ici entre savant et charlatan est de lrsquoordre du jugement meacutethodologique dont il faut

expliciter les laquo critegraveres raquo appeleacutes ici laquo conditions raquo et que lrsquoon pourrait aussi appeler

laquo exigences raquo Rappelons que laquo critegravere raquo et laquo critique raquo sont apparenteacutes

Revenons agrave la fin de la phrase laquo hellipeucirct-elle preacutevu les conditions de sa falsifiabiliteacute raquo 1073

Eacutevidemment le terme fait penser agrave la thegravese de Karl Popper Il est toutefois encore possible drsquoy

voir une ambiguiumlteacute et de lire que lrsquoauteur impute agrave tout humain lrsquoaptitude axiologique agrave

laquo preacutevoir de telles conditions raquo dans la vie la plus quotidienne Je puis annoncer par un eacutenonceacute

228 Une lecture de Jean Gagnepain

aussi falsifiable qursquoun theacuteoregraveme einsteinien que laquo les nouilles sont cuites raquo sous condition drsquoy

avoir goucircteacute

Discours de la meacutethode

La phrase qui suit met fin agrave lrsquoambiguiumlteacutehellip et au creacutedit que jrsquoai precircteacute agrave lrsquoauteur laquo [La diffeacute-

rence du savant et du charlatan]hellip reacuteside seulement dans le protocole pour nous clinique de sa

veacuterification dans la transposabiliteacute analogique et non meacutetaphorisante de ses modegraveles dans

son aptitude agrave changer la pratique dont elle [la theacuteorie] est issue raquo 1081

Il ne srsquoagit plus ici de laquo lrsquoaptitude seacutemantique scientifique raquo de tout locuteur mais

restrictivement du cas promu par lrsquoauteur de ce que peut produire cette aptitude Crsquoest aussi

un exposeacute des restrictions meacutethodologiques et des exigences fortes qui leacutegitiment les

laquo Sciences de lrsquohomme raquo dans un contexte historique donneacute Est ici deacutefinie une sorte laquo drsquoideacuteal

scientifique raquo par rapport agrave lrsquoensemble varieacute des productions de seacutemantique scientifique filtreacute

par lrsquoensemble varieacute des jugements porteacutes au quotidien

Le raccourci de la citation peut faire apparaicirctre comme une provocation ou un pur

fantasme lrsquoassociation entre laquo savant raquo et laquo modegravele ideacuteal raquo qui rejette tout reacuteel (theacuteorie de la

meacutediation comprise telle qursquoelle est) du cocircteacute du charlatanisme Est-ce bien raisonnable

Cela dit examinons cette meacutethodologie

Premiegravere condition axiolinguistique laquo Elle reacuteside seulement dans le protocole pour nous

clinique de sa veacuterification raquo Admettons Cependant ce protocole de veacuterification clinique

nrsquoest autre qursquoune laquo condition de la falsifiabiliteacute raquo des hypothegraveses caracteacuteristique de la TdM

Elle est restrictive parce qursquoelle porte sur le cas preacutecis de laquo lrsquoexpeacuterimentation raquo sur de lrsquohumain

pathologique et non sur de lrsquoobservation ou du test de ce que dit le normal La lecture de

lrsquoouvrage montre pourtant que lrsquoexposeacute des concepts de la glossologie repose abondamment

sur ce qui se dit hors pathologie sans vergogne particuliegravere Retour du reacuteel

Voyons maintenant les deux autres conditions qui deacutefinissent cet ideacuteal

La seconde condition (lrsquoanalogie) peut ecirctre exposeacutee en termes de seacutemantique Si lrsquoon

soutient lrsquohypothegravese geacuteneacuterique de la laquo Meacutediation raquo celle de lrsquouniteacute de la raison mecircme

laquo eacuteclateacutee raquo en plans alors le modegravele doit laquo dresser lrsquoinventaire fini des eacuteleacutements dont tout fait

humain en lrsquoeacutetat de notre examen se compose raquo 192 Ce principe de geacuteneacuteraliteacute drsquoexhaus-

tiviteacute et de coheacuterence croiseacute avec celui de dissociation des plans de meacutediation entraicircne

axiologiquement lrsquoexigence drsquoun raisonnement analogique en champs et expansions

Agrave noter que lrsquoauteur distingue entre analogie et meacutetaphore Le raisonnement analogique

respecte les diffeacuterences entre idionymes qui sont rapprocheacutes dans le champ conceptuel par

leur relation agrave leur pantonyme (hyperonyme) Par exemple laquo Signe outil personne et

norme raquo sont des laquo isonymes raquo en position drsquoidionymes par rapport agrave leur pantonyme

laquo culture raquo mais ne se confondent pas Par opposition la meacutetaphore tend agrave reporter les

proprieacuteteacutes drsquoun concept sur un autre donc agrave occulter ce qui les distingue Parler du laquo Peuple

singe raquo (1989 film G Vienne et J-Y Collet) ou de la laquo deacutemocratie des abeilles raquo (Jean Claude

Ameisen Sur les eacutepaules de Darwin tome 2 p116) crsquoest transformer un idionyme (ici une

speacutecificiteacute de lrsquoespegravece humaine) en pantonyme relatif (une proprieacuteteacute de lrsquoensemble des

animaux) En cela crsquoest un choix seacutemantique congruent ou incongru et non une comparaison

Cf 1003 laquo la pantonymisation de lrsquoidionyme raquo

De la deacutesignation 229

La troisiegraveme exigence (pratique) 1081 peut aussi se lire seacutemantiquement en faisant

abstraction de lrsquoineacutevitable aspect social et technique que recouvre le terme laquo pratique raquo

Theacuteorie et pratique renvoient ici agrave la dynamique du raisonnement scientifique qui remanie ses

propositions en fonction de lrsquoexpeacuterimentation (clinique) La pratique nrsquoest pas pour JG

lrsquoapplication drsquoune theacuteorie preacuteexistante Il reproche souvent aux neurologues de chercher chez

lrsquoaphasique les regravegles de grammaire qursquoils ont apprises agrave lrsquoeacutecole ce qui ne renouvelle ni la

grammaire ni la compreacutehension de ce qursquoest une aphasie La pratique expeacuterimentale est le

raisonnement mecircme qui contraint agrave chercher ce qui dans lrsquoexpeacuterience reacutesiste agrave une hypothegravese

ce qui conduit agrave preacutefeacuterer une hypothegravese agrave une autre agrave confronter infirmation et confirmation

toujours relatives et in fine agrave laquo remanier agrave lrsquoexpeacuterience raquo ce qui est dit 1071 dans une

eacutelaboration de la congruence dite laquo proprieacuteteacute raquo Voir aussi en 1121 le jeu de mots proposeacute

entre laquo pratique raquo et laquo pragma raquo

INTERMEgraveDE 5 Excursion clinique

Agrave ce moment preacutecis du texte ougrave il est question drsquoexpeacuterience clinique il me paraicirct opportun

de preacutesenter un exemple de ce qursquoest laquo pratiquement raquo cette expeacuterience en tant

qursquoexpeacuterience seacutemantique Le faire en quelques paragraphes est une gageure pour de mul-

tiples raisons Entre autres raisons parce que seule la convergence de multiples tests permet

de confirmer une hypothegravese et aussi parce que chaque test consiste agrave observer dans la dureacutee

la dynamique des reacuteponses successives apporteacutees aux questions poseacutees Voici cependant un

essai baseacute sur les donneacutees de la thegravese drsquoHubert Guyard Le concept drsquoexplication en

aphasiologie Rennes 1987 (citeacutee ici dans la reacuteeacutedition de 2009)

Si lrsquoon srsquoen tient agrave une deacutefinition laquo scolaire raquo de la syntaxe agrave savoir laquo les regravegles qui reacutegissent

les relations entre les mots dans la proposition ou la phrase raquo on observera que tous les

aphasiques font des laquo erreurs raquo de syntaxe qursquoils soient de type Broca ou Wernicke

Cependant on peut en tenant compte de la conception biaxiale du grammatical montrer agrave

lrsquoaide de tests qursquoil ne srsquoagit pas laquo drsquoerreurs raquo mais de raisonnement grammaticaux

systeacutematiques et pathologiques que le raisonnement grammatical pathologique du Broca

nrsquoest pas le mecircme que celui du Wernicke et surtout que lrsquoon peut deacutefinir ces raisonnements

Le clinicien laquo seacutemanticien raquo est alors confronteacute agrave une laquo incongruiteacute raquo relative dans son propos

initial qui le conduit dans la perspective drsquoune seacutemantique de type scientifique agrave redeacutefinir la

notion de syntaxe Je vais tenter drsquoen donner un exemple aussi bref que possible agrave partir de la

notion laquo drsquoaccord raquo (en nombre genre etc)

- Voici ce que produit par eacutecrit un aphasique de Wernicke lorsqursquoon lui demande de

compleacuteter les eacutenonceacutes suivants avec laquo Il raquo ou laquo Elle raquo

LE GARCcedilON CRIE ET [ hellip ] ARRIVE EN LARMES LA FILLE CRIE ET [ hellip ] ARRIVE EN LARMES LE GARCcedilON CRIE

ET [ hellip ] ARRIVE UN ACCIDENT LA FILLE CRIE ET [ hellip ] ARRIVE UN ACCIDENT

Reacuteponses du malade Le garccedilon crie et il arrive en larmes La fille crie et elle arrive en

larmes Le garccedilon crie et il arrive un accident La fille crie et elle arrive un accident

Idem pour Le garccedilon il lui arrive de prendre le train La fille elle lui arrive drsquoeacutetendre le

linge Ou Le garccedilon dort il faut que le garccedilon dorme La fille dort elle faut que la fille

dorme (p 113)

230 Une lecture de Jean Gagnepain

Le malade est ici pieacutegeacute par le deacutebut du raisonnement Il redit agrave lrsquoidentique son choix de

laquo il raquo ou de laquo elle raquo sans tenir compte du fait que seul laquo il raquo srsquoimpose dans la construction

impersonnelle En revanche il construit sans problegraveme tout verbe avec son preacutefixe personnel

- Voici maintenant ce que produit par eacutecrit un aphasique de Broca dans un test similaire

ougrave lrsquoon passe drsquoun masculin agrave un feacuteminin

LE BOUCHER EST CONSCIENCIEUX LUI gt LA BOUCHERE EST CONSCIENCIEUSE [ hellip ]

Reacuteponses LA BOUCHERE EST CONSCIENCIEUSE la LA BOUCHERE EST CONSCIENCIEUSE une (p 138)

La difficulteacute pour ce malade nrsquoest pas du mecircme ordre que pour le preacuteceacutedent Le genre est

ici aussi reacutepeacuteteacute mais le malade est insensible agrave lrsquoincompleacutetude grammaticale de lrsquoarticle Le

Broca ne raisonne pas en termes de nom ou de verbe laquo complet raquo construit avec les preacutefixes

ou les suffixes requis et il est insensible agrave la diffeacuterence de dimension entre des pronoms

autonomisables tel que laquo Moi elle eux raquo et des articles nominaux laquo la- une- raquo ou des

preacutefixes verbaux tels que laquo Je- Ils- raquo (laquo Elle raquo eacutetant ambivalent)

Seule la construction meacutethodique de tests fait apparaicirctre distinctement la laquo double raison raquo

de la syntaxe drsquoune part la neacutecessiteacute de maicirctriser laquo la dimension des mots raquo en relation et

drsquoautre part la neacutecessiteacute de maicirctriser les diffeacuterences affecteacutees par la relation

Le raisonnement du Broca montre qursquoil y a laquo mot raquo et laquo mot raquo que de ce point de vue

laquo Elle raquo nrsquoest pas laquo la- raquo et (dans drsquoautres tests) que laquo Lui raquo (pronom) nrsquoest pas laquo il- raquo (preacutefixe

verbal) Certes le Broca laquo combine raquo mais il ne construit plus ses uniteacutes selon un programme

grammatical deacutelimiteacute

Le raisonnement du Wernicke montre qursquoil y a laquo genre raquo et laquo genre raquo et que de ce point de

vue le laquo il raquo de laquo ilelle arrive agrave gagner raquo nrsquoest pas le laquo il raquo de laquo il arrive qursquoilelle gagne raquo

Certes le Wernicke laquo choisit raquo mais il ne maicirctrise plus le cadre grammatical qui permet une

opposition ou qui en annule la possibiliteacute

Ainsi se trouve testeacutee en termes de capaciteacutes inheacuterentes au locuteur la diffeacuterence des deux

axes drsquoanalyse et une deacutefinition plus approfondie de la syntaxe (Voir supra les gloses des

pages 55-60 du Vouloir-Dire)

Reprenons maintenant le cours de lrsquoouvrage

La seacutemantique scientifique est un mode de raisonnement permanent chez tout locuteur

La notion courante de science est trop restrictive 1082 Dissociation des plans oblige il faut

abstraire la seacutemantique de son eacuteventuel traitement technique (laquo algegravebre raquo) ainsi que du fait

que la division du travail produit des laquo travailleurs de la preuve raquo (Gaston Bachelard) dans

certaines socieacuteteacutes (laquo eacutesoteacuterisme professionnel raquo) En effet chez tout le monde et en

permanence laquo la mise en situation du signe raquo transforme les laquo pheacutenomegravenes raquo en laquo substances

et en procegraves raquo conceptuels selon deux axes

Meacutetalangage et aphasie 1082 JG contredit ici la position de Roman Jakobson qui

deacuteclarait que laquo lrsquoaphasie peut souvent se deacutefinir par la perte de lrsquoaptitude aux opeacuterations meacuteta-

linguistiques raquo dans son article laquo Linguistique et poeacutetique raquo in Essais de linguistique geacuteneacuterale

De la deacutesignation 231

Lrsquoobservation deacutement ce propos Lrsquoaphasique de Wernicke tente de compenser son indeacutecision

lexicale en explorant un champ conceptuel (Hubert Guyard Thegravese t1 p 187)

Observateur Qursquoest-ce que crsquoest qursquoun bol

Malade Un bol crsquoest un machin pour boire un cafeacute dedans un bo un seau pas un seau

un pot pas un pot Ahhellip

Lrsquoaphasique a parfaitement conscience de ce qursquoest un exercice linguistique et srsquoy precircte

volontiers Le problegraveme est qursquoil objective qursquoil cherche du vocable synonymique et du terme

agrave partir drsquoune grammaire laquo dimidieacutee raquo (reacuteduite de moitieacute) ougrave le lexique est aleacuteatoire

Toute explication est verbale

laquo La science [nrsquoest pas] caracteacuteriseacutee par lrsquoobjectiviteacute raquo 1084 Ceci est dit en preacutevision de

lrsquointeacutegration de la gnose mystique agrave la seacutemantique scientifique Il veut seulement dire que la

conjoncture ne se reacuteduit pas agrave de lrsquoobjet tel qursquoon conccediloit ce dernier ordinairement souvent

reacuteduit agrave du laquo perccedilu raquo

laquo hellip ni par lrsquouniversaliteacute drsquoun savoir raquo parce que le savoir est la capitalisation sociale de la

connaissance Une proprieacuteteacute du social ne peut expliquer une proprieacuteteacute du dire JG critique ici

lrsquoideacutee bien ancreacutee selon laquelle a raison scientifiquement celui avec lequel tout le monde est

drsquoaccord Ce que deacutement toute deacutecouverte scientifique en ce qursquoelle introduit une rupture

drsquoavec la doxa preacuteceacutedente Galileacutee et Einstein ont commenceacute par ecirctre bien seuls La proposi-

tion inverse serait tout aussi speacutecieuse qui preacutetendrait que lrsquoon aurait raison agrave proportion de

sa marginaliteacute Il importe ici de dissocier les deux plans mythe et science sur un plan

subjectiviteacute et universaliteacute sur un autre

laquo La sciencehellip ne peut comme telle srsquoopposer agrave la gnose raquo Pourquoi Lrsquoune et lrsquoautre

laquo srsquoaccordent agrave contester raquo laquo de toute faccedilon rationnellement raquo lrsquoexpeacuterience Lrsquoune le fait

laquo inductivement raquo et lrsquoautre laquo transcendantalement raquo 1084 Eacutevidemment tout deacutepend de que

le lecteur entendra par laquo gnose raquo tellement la polyseacutemie de ce terme est grande Consideacuterons

qursquoil srsquoagit pour quelqursquoun de dire ce qursquoest son expeacuterience mystique de sa relation au

transcendant quelle qursquoelle soit car il est vrai que lrsquoon peut parler de tout et que mystique ou

pas lrsquoexpeacuterience contraint le message qui en rend compte La gnose qui est dite est en cela

distincte de la laquo contemplation existentielle raquo eacutevoqueacutee plus loin en 1113

laquo Contester raquo lrsquoexpeacuteriencehellip laquo srsquoy conformer nrsquoimplique pas qursquoon la positivehellip ni qursquoon

lrsquoideacutealise raquo Ce passage reformule la dialectique du dire dans sa version scientifique 1084 On

observe ici la convergence de laquo contester raquo et de laquo se conformer agrave raquo la rheacutetorique est dans la

dialectique des deux

laquo hellipCe mode de seacutemantisation par la transparence quil vise de la structure agrave leacutegard de la

conjoncture tend agrave neacuteantiser les conditions de sa preacutesence et agrave subordonner le signe au perccedilu

Il reste que le concept ne sy reacuteduit pas et quil nest scientifiquement dobjet que construit

Construit sentend avec des motshellip raquo 1084

Le deacutebut du propos rend compte du laquo reacutealisme naiumlf raquo de tout locuteur ordinaire qui

lorsqursquoil cause nrsquoa pas agrave prendre conscience de ce que crsquoest que laquo causer raquo La fin du propos

vient contester cette illusion au nom de la dialectique

laquo Il nrsquoest drsquoobjet que construit Construit srsquoentend avec des mots et crsquoest pourquoihellip on ne

saurait fucirct-ce du veacutecu de lrsquohomme espeacuterer drsquoautre explication que verbale raquo 1084

232 Une lecture de Jean Gagnepain

Sur le deacutebut voir les Intermegravedes 1 et 4 proposeacutes preacuteceacutedemment Jrsquoy entends un eacutecho

drsquoErnst Cassirer laquo Toute connaissance theacuteorique prend son point de deacutepart dans un monde

deacutejagrave formeacute par le langage ne vit drsquoabord avec les objets qursquoen fonction de la maniegravere dont le

langage les conduit agrave ellehellip raquo Langage et mythe 1973 Eacuted de Minuit p 39

Au laquo perccedilu raquo JG ajoute le laquo veacutecu raquo Srsquoy confronter ne constitue pas en soi une explication

laquelle est produite par la seule laquo verbalisation raquo de lrsquoexpeacuterience Sur un autre plan trans-

mettre agrave lrsquoapprenti une proceacutedure technique en lrsquoeffectuant et en controcirclant des essais est

diffeacuterent de lrsquoexpliquer

Je rappelle au passage lrsquoambivalence du terme laquo objet raquo dans la terminologie du Vouloir-

dire Il y a laquo lrsquoobjet1 raquo naturel deacutefini en 252 laquo Lobjet pour nous nest point la chose mais

exclusivement la chose en tant quelle est perccedilue cest-agrave-dire en tant quun double meacutecanisme

estheacutesique et gnosique eacutelabore la synthegravese des donneacutees eacutemanant seacutelectivement de notre

sensorialiteacute Eacuteleacutement de la repreacutesentation il est rarement celui de la connaissance raquo Cet

objet1-lagrave est agrave la porteacutee drsquoautres espegraveces et il nrsquoest connaissable qursquoen devenant cet autre

laquo objet2 raquo seacutemantiquement laquo construit raquo par le langage En retour il va de soi que lrsquoon peut

laquo objectiver2 raquo tout autre chose que de laquo lrsquoobjet1 raquo singuliegraverement le laquo veacutecu raquo ici eacutevoqueacute

Le paragraphe 1085 - 1091 reformule la deacutefinition de la seacutemantique scientifique Il

oppose agrave la formule de Nicolas Boileau dans LrsquoArt poeacutetique (1674)hellip

Avant donc que deacutecrire apprenez agrave penser

Selon que notre ideacutee est plus ou moins obscure

Lexpression la suit ou moins nette ou plus pure

Ce que lon conccediloit bien seacutenonce clairement

Et les mots pour le dire arrivent aiseacutement

hellip son inversion laquo lrsquoon ne conccediloit rien tant qursquoon nrsquoa pas de mots pour le dire raquo Quoique

les mots ne suffisent pas cependant toute science est laquo recherche de langage raquo Il oppose

donc laquo jouer raquo (mythiquement) sur les mots agrave laquo travailler raquo (scientifiquement) sur les mots

laquo Le mot deacutenonce le miracle au terme drsquoune deacutemarche agrave la fois reacutesolutive et

discursive raquo 1092 Opposer ici laquo miracle raquo et laquo explication raquo Les adjectifs finaux

renvoient aux deux axes la science distingue en construisant lrsquoadeacutequation et elle

deacuteveloppe en construisant lrsquoexactitude ndash ni trop ni trop peu de raisonnement

laquo Preacutetendre distinguer dans les pheacutenomegravenes un principe de leacutegaliteacute drsquoun principe de

causaliteacute raquo [est trop subtil] 1092 La suite eacuteclaire ce passage laquo la chose nrsquoest en lrsquooccurrence

rien de plus que le nom qursquoon lui donne et la cause rien drsquoautre qursquoun terme de proposition raquo

Il y a un brin de provocation dans cette derniegravere formulation oublieuse de la dialectique et

lrsquoautoabsolution qui suit nrsquoy change rien laquo ce nrsquoest pas sombrer dans le nominalismehellip raquo JG

oppose ici le laquo pheacutenomegravene raquo (relevant du principe de reacutealiteacute) et la laquo chose raquo synonyme ici de

vocable obtenu par synonymie reacutesultat drsquoune deacutenomination De mecircme lrsquoexplication est-elle

subordonneacutee agrave la preacutedication et agrave son analyse en laquo termes raquo Drsquoougrave le rapprochement avec la

notion de laquo deacuteterminisme raquo JG srsquointeacuteresse ici au raisonnement et agrave la causaliteacute que celui-ci

produit Insistant sur le rocircle de la preacutedication il associe lrsquoexplication par modegravele et celle par

origine apregraves avoir en deacutebut drsquoouvrage soutenu que lrsquoon nrsquoexplique que par modegravele et que

lrsquoexplication par lrsquoorigine preacutesuppose un modegravele (Il est clair que Louis XIV ne laquo succegravede raquo agrave

De la deacutesignation 233

Louis XIII qursquoen raison du modegravele sociologique qui deacutefinit une laquo succession raquo patrilineacuteaire

primogeacutenitale macircle Hors de ce modegravele il nrsquoy a pas de laquo faits successifs raquo

On retrouve Protagoras en fin de paragraphe laquo Πάντων χρημάτων μέτρον ἄνθρωπὸς

ἐστιν raquo laquo Lrsquohomme est la mesure de toute chose raquo (Platon le Theacuteeacutetegravete 178b) Et cette mesure

est langagiegravere laquo Quel que soit lrsquoinfini il est toujours agrave notre eacutechelle dans la mesure en effet ougrave

ce que le langage nrsquoatteint pas scientifiquement nrsquoexiste pas raquo 1092 Il ne srsquoagit pas de nier le

principe de reacutealiteacute de nier que celle-ci excegravede toute connaissance mais de faire du signe laquo la

source et la fin de la science raquo 1102 La science est un mode de raisonnement

Science et formalisation

Le long paragraphe 1093 conclut en son deacutebut le thegraveme preacuteceacutedent et deacuteveloppe ensuite

une critique drsquoune forme de logocentrisme qursquoil repegravere dans la notion ordinaire de laquo science raquo

lorsque lrsquoon fait reposer la deacutefinition de cette derniegravere sur lrsquoappui que lui donnent lrsquoeacutecrit et la

formalisation scripturale Deacuteveloppons

Le deacutebut la rheacutetorique scientifique repose sur une laquo analyse raquo meacutetalinguistique et celle-ci

est commune aussi bien agrave la chimie la plus preacutecise ndash qui deacutefinit la vitamine B1 comme chlorure

daminomeacutethylpyrimidinyl-hydroxy-eacutethylmeacutethy-thiazolium ndash qursquoau laquo What ‟itrdquo means raquo

drsquoAlice au pays des Merveilles qui pose une question drsquoune grande geacuteneacuteraliteacute 1093

Suit une critique du laquo moindre souci drsquoexpeacuterimentation raquo en sciences humaines Ces

derniegraveres privileacutegient les artefacts de lrsquoeacutecrit comme les laquo regravegles de reacuteeacutecriture raquo 1101 et les

laquo algorithmes raquo JG nrsquoen fait pas une critique radicale puisqursquolaquo on peut srsquoen servir raquo Mais on

peut aussi se donner une laquo illusion drsquoexactitude raquo en prenant lrsquoartefact pour lrsquoobjet lui-mecircme

laquo ce qursquoon deacutesigne deacutesormais crsquoest le chiffre et non plus le concept raquo Tel serait le cas si en

lisant laquo H2O raquo on ne retenait que la formule et non la deacutefinition de la moleacutecule que cette

formule reacutesume laquo E=mc2 raquo nrsquoest un raisonnement scientifique qursquoagrave proportion de la

connaissance que lrsquoon a de ce qursquoest lrsquoeacutenergie la masse et de ce que recouvre la constante

matheacutematique eacutecrite laquo c raquo Faute de quoi laquo cette univociteacute tout artificielle nous trompe raquo

1102

laquo La science hellip est essentiellement bavarde ou nrsquoest pas (hellip) Lrsquourgence est () drsquoinventer les

proceacutedures destineacutees agrave fonder la pertinence de la glose (hellip) Si la manipulation modifie

indiscutablement les conditions de lrsquoobservation crsquoest en lui et par lui [c-agrave-d le langage] que

srsquoeacutetablit la preuve raquo 1102 Thegraveme de lrsquoexpeacuterimentation Paraphrases de la deacutefinition de la

rheacutetorique scientifique Ceci justifie que lrsquoon appelle laquo science raquo tout raisonnement seacuteman-

tique deacutefini comme laquo le deacutepassement verbal de lrsquoimaginaire qui remet le langage en causehellipraquo

Il semble qursquoici le terme laquo preuve raquo nrsquoait pas un sens axiologique mais seulement logique

celui de contrainte guidant lrsquoeacutelaboration de lrsquointelligibiliteacute

Porteacutee de la rheacutetorique scientifique La question des paramegravetres de la situation La neacutecessaire dissociation des plans

Ces paragraphes 1103 agrave 1111 deacutefinissent la porteacutee seacutemantique de la viseacutee scientifique

puis dressent un inventaire de ce qui laquo limite les preacutetentions de [ce] mode de connaissancehellip

[la science] raquo 1112

234 Une lecture de Jean Gagnepain

JG rappelle que la reacutefeacuterence viseacutee par la rheacutetorique se diversifie en quatre paramegravetres et

qursquoil faut prendre en compte ndash outre lrsquoobjet ndash lrsquoeacutemetteur le reacutecepteur et le vecteur 1103 Cf

p 68-72 Les paramegravetres du message Or la science ordinaire sous la notion drsquoobjectiviteacute

reacuteduit la reacutefeacuterence agrave lrsquoobjet Mais laquo la viseacutee qui deacutetermine lrsquounivers promeut aussi notre

conscience ndash nous ne parlons pas de sujet ndash au centre du monde et des choses ainsi drsquoailleurs

que lrsquoautre agrave qui lrsquoon srsquoadresse sans que lrsquoeacutechange soit neacutecessairement concerneacute raquo

Le refus de parler de laquo sujet raquo tient agrave ce que le terme relegraveve pour lui du plan de lrsquoecirctre natu-

rel et social dont il traite dans le volume II (La Personne) Crsquoest pourquoi il preacutefegravere le terme de

laquo notre conscience raquo pour deacutesigner le locuteur en tant que tel

Rappelons ce que JG entend par promotion du laquo locuteur raquo Il est commode de srsquoappuyer

sur la terminologie suivante On est toujours glossologiquement un laquo locuteur raquo qui laquo dit raquo et

dans le mecircme temps sociolinguistiquement un laquo interlocuteur raquo en relation avec drsquoautres

interlocuteurs En tant que locuteur on laquo dit raquo en tant qursquointerlocuteur on laquo deacuteclare raquo de

maniegravere responsable JG parle ici de lrsquoinformation que le locuteur livre de lui-mecircme et non

de lrsquoeffet laquo pragmatique raquo que produit la prise de position de lrsquointerlocuteur dans sa relation agrave

lrsquoautre (ou aux autres) interlocuteur(s)

Je prends le risque de placer ici en exemple une partie de ce que les logiciens appellent laquo la

modaliteacute eacutepisteacutemique raquo et qui consiste pour le locuteur source du message agrave moduler le

degreacute et le type de prise de conscience du raisonnement qursquoil tient ou agrave deacutecrire quelle est son

implication dans ce qursquoil dit Soit le contraste entre laquo La mer recule semble reculer raquo et laquo Je

sais quehellip Jrsquoobserve clairement quehellip Il me semble quehellip la mer recule raquo Le second eacutenonceacute

explicite la preacutesence du locuteur et son implication dans le propos tenu (Abstraction faite de

la prise de position voire du jugement critique qui surdeacutetermine cette information)

Agrave propos du paramegravetre du laquo reacutecepteur raquo de la cible du message JG parlait du laquo souci raquo

que lrsquoon manifeste pour celui-ci en 702 Un exemple peut en ecirctre la prise en compte par la

source de lrsquoinformation qursquoelle suppose exister chez la cible On observe alors dans le message

soit une ellipse soit inversement une reformulation On reformule pour expliciter la synony-

mie du vocable lorsque lrsquoon sait qursquoil srsquoagit drsquoune information nouvelle pour la cible Inverse-

ment on omet de lrsquoinformation lorsque lrsquoon sait qursquoelle est deacutejagrave lagrave du cocircteacute de la cible Dans les

deux cas lrsquoadeacutequation agrave lrsquoobjet reste eacutegale

Deux remarques critiques suivent en 1111

Dans les critiques geacuteneacuteralement faites au laquo rationalisme raquo il faut retenir selon JG laquo une

restriction abusive de la diversiteacute des paramegravetres raquohellip au seul objet Crsquoest-agrave-dire que lrsquoon oublie

que le message scientifique est aussi relatif agrave lrsquoeacutemetteur et au reacutecepteur ainsi qursquoaux condi-

tions pratiques de sa production

Suit une critique du laquo scientisme raquo Le reproche qui lui est adresseacute est de consideacuterer que

dans lrsquoattitude laquo scientiste raquo laquo la logique lrsquoemporte sur les autres rationaliteacutes raquo On sait que

pour le scientiste la connaissance scientifique est supposeacutee pouvoir reacutesoudre tous les

problegravemes que lrsquohomme se pose dans le domaine de la morale de la politique et en

particulier pouvoir se substituer agrave la religion JG donne en exemple une liste de cas laquo On a

trop longtemps confonduhellip raquo

- laquo Linguistique et langage raquo Le scientisme finalement promeut les laquo savants raquo JG

commence donc par faire acte drsquohumiliteacute Il ne faut pas espeacuterer du linguiste qursquoil reacutesolve des

De la deacutesignation 235

problegravemes de laquo langue raquo lesquels sont drsquoordre sociologique de graphie en ce qursquoil srsquoagit de

technologie ni drsquoecirctre lrsquoarbitre normatif du bon ou du beau langage ou de lrsquoorthographe

- laquo Morale et science des mœurshellip travail et enseignement en IUT raquo Dans les deux cas une

reacutealiteacute culturelle non langagiegravere est abordeacutee agrave travers la connaissance qursquoon en a et

confondue avec elle

- laquo Geschehen et Geschichte raquo laquo Das Geschehen raquo crsquoest lrsquoeacuteveacutenement ce qui se passe et qui

compte pour les gens Ex laquo hellip uumlber das Geschehen in der Unternehmung umfassend

informiert zu sein raquo laquo hellip drsquoecirctre informeacutes de (tout) ce qui se passe dans lrsquoentreprise raquo Crsquoest

donc lrsquohistoire veacutecue des gens laquo Die Geschichte raquo crsquoest le reacutecit historique construit par

lrsquohistorien qui dit ce qursquoil connaicirct de ce qui srsquoest passeacute

Le recoupement de la rheacutetorique scientifique par les autres plans

Le deacutebut de 1112 traite des surdeacuteterminations de la rheacutetorique scientifique par les autres

plans Culturellement parlant tous plans confondus la rheacutetorique (comme tout fait de dire)

entre comme contenu dans la dialectique des autres meacutediations

Au plan technique (laquo ergologique raquo dans la terminologie de la TdM) le message devient

laquo deacuteictiquement un produit raquo et suppose laquo une lecture raquo Lrsquoexplication scientifique en effet se

fixe la plupart du temps dans lrsquoartefact qursquoest lrsquoeacutecrit qui permet en particulier de condenser

lrsquoinformation dans des formules et surtout permet le calcul JG reviendra longuement sur ce

point dans la seconde partie du Vouloir Dire laquo LrsquoOutil raquo Il appellera laquo industrie deacuteictique raquo la

fabrication technique drsquoun fait de conscience Ce fait peut ecirctre naturel le parfum est une

odeur fabriqueacutee et le clignotant fabrique un indice visuel drsquoougrave part une information symbo-

lique (Voir Philippe Bruneau amp Pierre-Yves Balut 1997 Artistique et Archeacuteologie Presses de

Paris-Sorbonne sect94) Lorsqursquoil srsquoagit de signe lrsquoartefact est lrsquoeacutecrit

Au plan sociologique celui de la Personne le message devient laquo seacutemiotiquement un eacutetat raquo

et suppose une laquo interpreacutetation raquo En quel sens JG entend par laquo seacutemiotique raquo le traitement

social de toute information crsquoest-agrave-dire la dialectique de son appropriation et de son eacutechange

Cette information peut ecirctre symbolique on laquo seacutemiotise raquo son deacutesaccord en France par une

rotation horizontale rapide de la tecircte Un tel geste sera compris comme un accord en Gregravece

contemporaine Lrsquoaccord en France se gesticule de haut en bas En Gregravece on signale son

deacutesaccord en rejetant brusquement la tecircte en arriegravere Lorsque lrsquoinformation est langagiegravere on

a affaire agrave un fait de langue agrave un laquo eacutetat raquo (toujours transitoire dans une histoire) Il y a

toujours un laquo eacutetat de la science raquo source de dissension et de consensus relatifs Le terme

laquo interpreacutetation raquo a ici le sens purement sociologique qursquoil a dans laquo interpreacutetariat interpregravete raquo

Crsquoest une transaction Le touriste franccedilais qui deacutecouvre la Gregravece (pour en revenir agrave lui) doit

transiger avec ce qursquoil entend laquo Ναι (Negrave) raquo crsquoest Oui et laquo όχι [ɔccedili] raquo crsquoest Non On transige

tout autant sur la deacutefinition de la laquo masse raquo en physique sur celle de la laquo moleacutecule raquo en

chimie et aussi bien eacutevidemment sur celle du laquo langage raquo

Au plan axiologique (eacutethico-moral) le message devient laquo apophantiquement un axiome raquo

et suppose une laquo exeacutegegravese raquo Lagrave encore JG anticipe sur des deacutefinitions deacuteveloppeacutees dans le

second tome de son traiteacute Le terme laquo apophantique raquo est emprunteacute au grec ἀποϕαίνω

apophaino laquo mettre au jour raquo et aussi laquo deacutemontrer apporter la preuve raquo Il reacutesume le fait que

tout raisonnement est aussi humainement contraint par un jugement permanent qui en fait un

laquo dis-cours raquo plein de laquo deacutetours raquo entre laquo raison et tort raquo entre essais et erreurs entre le vrai

236 Une lecture de Jean Gagnepain

et le faux Le terme laquo axiome raquo nrsquoest pas pris dans son sens matheacutematique et garde le sens

grec du preacutefixe ἀξιο- axio- laquo qui est jugeacute digne raquo ici qui est jugeacute vrai plutocirct que faux sens

que lrsquoon retrouve dans le terme geacuteneacuterique laquo axiologie raquo Lrsquoaxiome en ce sens nrsquoest pas un

point de deacutepart mais la part constante de jugement que tout humain porte sur le processus

drsquoeacutenonciation de son message parce qursquoil est capable de norme On comprend alors que la

laquo meacutethode raquo (μέθοδος meacutethodos la recherche le chemin vers un but) soit une laquo exeacutegegravese raquo

Ce terme est aussi pris dans un sens plus geacuteneacuterique que drsquoordinaire Le nom ἐξήγησις

eksecircgecircsis deacuterive du verbe ἐξηγέομαι eksecircgeacuteomai laquo mener hors de diriger mener agrave son

terme raquo Il srsquoagit drsquoune laquo extraction raquo drsquoun cheminement vers une leacutegitimiteacute relative vers cet

apaisement lesteacute de scrupules et vers cette satisfaction lesteacutee de renoncements que lrsquoon

appelle laquo reacutesultat raquo parce qursquoils reacutesultent de ce cheminement

Drsquoougrave la formule conclusive laquo lrsquoeacutevidence y reacutesultehellip drsquoune extrecircme simplification raquo 1112 Le

terme laquo eacutevidence raquo cumule ici son sens franccedilais et anglais (de laquo preuve raquo) Souvenir aussi de

Gaston Bachelard laquo le simple est toujours le simplifieacute il ne saurait ecirctre penseacute correctement

quen tant quil apparaicirct comme le produit dun processus de simplification raquo Le nouvel esprit

scientifique 1949 p139

La fin du paragraphe eacutevoque la limite du raisonnement scientifique dans sa relation au fait

religieux pris en tant que fait de conscience laquo Ce mode de connaissance [la science] parti du

langage reste dans le langage et ne peut en conseacutequence dire ni contredire lrsquoineffable dont le

verbe est la condition mais le fondement mystiquement dans la foi raquo 1112

- Anthropologiquement lrsquoabsolu transcendant nrsquoest accessible qursquoagrave travers les proprieacuteteacutes

meacutediatrices de la culture dont celles du Signe en ce qui concerne la connaissance de cet

absolu Qursquoon Lrsquoappelle drsquoun nom (Dieu Allah) drsquoun surnom (Adonaiuml Dominus) ou qursquoon use

de subterfuges drsquoeacutecriture comme le fait la tradition juive avec le teacutetragramme YHWH (יהוה) de

toute faccedilon on en parle Le laquo verbe raquo est donc laquo la condition raquo de toute theacuteo-logie qursquoelle soit

savante ou ordinaire

- Cependant lrsquoexpeacuterience en question nrsquooffrant aucune reacutesistance agrave lrsquoobservation ou agrave

lrsquoexpeacuterimentation pas plus clinique qursquoautre ndash ce que reacutesume la notion de laquo transcendance raquo ndash

le raisonnement scientifique fait de reacutefutations (laquo contredire raquo) et de confirmations (laquo dire raquo)

relatives nrsquoa pas prise sur un tel objet On y croit ou pas

Selon ma lecture la fin de la phrase signifie que le laquo fondement raquo du fait religieux relegraveve du

plan axiologique parce qursquoil repose sur cette laquo confiance raquo qursquoest laquo la foi raquo forme de satisfac-

tion leacutegitime plutocirct que de renoncement et qui porte par recoupement de plans sur lrsquoecirctre

transcendant et sur sa deacutenomination On laquo ose raquo ou on laquo nrsquoose pas raquo y croire Dit autrement

on laquo ose raquo ou on laquo nrsquoose pas raquo ne pas y croire ce qui revient au mecircme Croyance scepticisme

increacuteduliteacute sont des faits eacutethico-moraux

Crsquoest ainsi que je legraveve le paradoxe apparent de la notion laquo drsquoineffable raquo Il ne faut pas

lrsquoentendre comme laquo ce dont on ne peut pas parler raquo puisque manifestement on peut en

parler Chez JG le concept est axiologique (cf DVD II p255) comme celui de laquo fable raquo et de

laquo fabulation raquo Lrsquoineffable est en dehors de la laquo meacutethode raquo scientifique parce que cette

derniegravere juge entre erreur et veacuteriteacute en soumettant ce jugement agrave des restrictions La premiegravere

de ces restrictions est la possibiliteacute de lrsquoobservation etou de lrsquoexpeacuterimentation

Cela dit qursquoil soit clair que ce qursquoon appelle laquo religion raquo ne se reacuteduit pas pour lrsquoauteur agrave un

fait axiologique En tant que fait humain il a un statut sur chacun des plans Ceci est largement

De la deacutesignation 237

deacuteveloppeacute dans le troisiegraveme tome du Vouloir-Dire ainsi que dans Raison de plus raison de

moins Propos de meacutedecine et de theacuteologie 2005 eacuteditions du Cerf

Le langage laquo fait surgir raquo la penseacutee et laquo lui assigne un terme raquo

Poursuite de lrsquoideacutee que lrsquohomme ne peut sortir de son humaniteacute et qursquoen particulier

laquo crsquoest un recircve promeacutetheacuteen et qui nrsquoa point drsquoissue que de preacutetendre humainement exceacuteder le

langage raquo 1113 Comme fait de langage la science est une dialectique entre deux

laquo frontiegraveres raquo Lrsquoune est la grammaire le verbe eacutevoqueacute preacuteceacutedemment lrsquoautre laquo lrsquoexpeacuterience

concregravete ou veacutecue bref la contemplation existentielle raquo 1113 On peut vivre une expeacuterience

sans en parler mais on se situe alors en dehors de la rheacutetorique Cette reacuteflexion fait eacutecho agrave

302 laquo Prisonniers en quelque sorte de nous-mecircmes nous devons de comprendre agrave notre

inaptitude agrave contempler nous ne pensons quavec des mots raquo Certes on peut contempler

mais en renonccedilant agrave comprendre On mesure ici la distance drsquoavec la pheacutenomeacutenologie Il y

aurait lieu de confronter les notions de laquo veacutecu raquo et de fait laquo existentiel raquo dans ce contexte

avec les notions de laquo Lebenswelt raquo ou de laquo Dasein raquo chez les pheacutenomeacutenologues Cf les

Seacuteminaires de 1986-87 laquo Les quatre veacuteriteacutes raquo

laquo En deacutepit des revendications issues de la praxis de lrsquoanalyse et de lrsquohermeacuteneutique raquo

1113 Reacutefeacuterence au marxisme agrave la psychanalyse et agrave une certaine philosophie La critique est

peut-ecirctre agrave mettre en relation avec la reacuteflexion sur le scientisme qualifieacute plus haut de

confusion entre plans Lrsquoideacutee est que le marxisme consideacutererait la praxis comme une

explication (scientifique) alors que pour JG la praxis est une conduite sociale Quant agrave

laquo lrsquoanalyse raquo en deacutepit du mot elle est un processus de transformation axiologique et non une

explication Enfin laquo lrsquohermeacuteneutique raquo est pour JG laquo ce qui nous permet danalyser non plus le

texte du message ni le plan de la composition mais tregraves exactement la seule intentionnaliteacute

du propos raquo DVD II 260211 Autrement dit lrsquohermeacuteneutique rend manifeste lrsquointention

latente ce qui est un laquo travail raquo sur le deacutesir et non une explication

Suit un nouveau commentaire sur la laquo frontiegravere raquo qursquoest le principe de reacutealiteacute 1113 laquo Ce

nrsquoest pas que lrsquoobjet (hellip) dans sa reacutealiteacute nous eacutechappe puisqursquoil est tregraves exactement ce

catalyseur du message qui en fait un meacutetalangage raquo Lrsquoobjet (objet1) est bien de lrsquoordre de la

laquo reacutealiteacute raquo mais non comme un en-soi Il nrsquoest objet1 laquo reacuteel raquo qursquoen tant que premier moment

humain drsquoune dialectique qui agrave travers la grammaire le transforme en message Il est

laquo catalyseur raquo parce que moment neacutecessaire pour que la laquo reacuteaction raquo du dire produise du

raisonnement conceptuel Ce dernier est scientifique dans la mesure ougrave ce reacuteel humain

provoque du laquo meacutetalangage raquo dans le dire provoque catalyse le remaniement des mots qui

creacutee le sens

[Ce nrsquoest pas que] laquo ni que lrsquoeacutepisteacutemegrave soit par essence speacuteculative puisqursquoil srsquoagit toujours

de rheacutetorique raquo En DVD II 15517 JG deacutefinit lrsquoeacutepisteacutemegrave comme laquo le principe raquo de reacutepartition

des connaissances Il eacutevoque donc ce qursquoil appelle plus loin laquo les sciences fondamentales raquo

dans leur plus grande geacuteneacuteraliteacute par opposition agrave la speacutecification que demande lrsquoadeacutequation agrave

la situation Bref qursquoun concept soit geacuteneacuterique ndash culture meacutediation dialectique ndash ou

speacutecifique ndash laquo entolome livide raquo ndash il reacutesulte du mecircme type de raisonnement

Ce passage rappelle cet autre plus haut qui eacutevoquait laquo la double exclusion [de la science]

de ce qui neacutetait plus nommable par excegraves de particularisme ou philosophiquement de geacuteneacutera-

liteacute raquo 991 Dans ces cas-lagrave on se situe hors raisonnement

238 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo Crsquoest au sens strict du terme la quadrature du cercle que de preacutetendre authentiquement

lrsquoappliquer raquo 1113 (La science) Lrsquoimage de la laquo quadrature raquo renvoie agrave la dissociation des

quatre plans Lrsquoimage du cercle figure le principe de reacutealiteacute Il est impossible drsquoobtenir la

laquo coiumlncidence raquo des deux par un passage agrave la limite de la speacutecification pas plus qursquoil nrsquoest

possible par un passage agrave la limite de la geacuteneacuteraliteacute de passer du laquo verbe raquo relatif et

dialectique au laquo Verbe raquo absolu qui qualifie le divin

La science fait glossologique donc analytique

Ce paragraphe 1114 reformule deux aspects de la science

1) Son fondement est dans le langage qui lui donne sa deacutefinition et donc sa limite laquo Crsquoest

bien sur ce plan le langage qui la1 faisant surgir assigne aussi un terme agrave la penseacutee1 raquo (laquo la =

penseacutee raquo) laquo Sur ce plan raquo est une preacutecaution conceptuelle Le terme courant de laquo penseacutee raquo

peut aussi renvoyer aux autres plans notamment agrave la position intellectuelle Il srsquoagit ici du

raisonnement en tant que tel

2) Par conseacutequent la science est analytique laquo Son ideacuteal est repreacutesenteacute par les

mathecircmata raquo La science laquo deacutecoupe le pheacutenomegravene raquo 1121 et laquo se deacuteveloppe et se capitalise

meacutethodiquement dans la successiviteacute des temps raquo JG abandonne un instant la dissociation

des plans en associant une proprieacuteteacute du signe et une proprieacuteteacute de la personne (qui fait

histoire) Crsquoest pour mieux opposer la science au mythe qui est laquo panchronie reacuteveacuteleacutee raquo et au

poegraveme qui est laquo peacuteriodiciteacute chanteacutee raquo 1114 Il me semble que cette formulation est agrave

confronter dans le Vouloir-Dire II La Personne aux notions de laquo viseacutees synchronique anachro-

nique et chorale raquo appliqueacutees agrave la doxa Du strict point de vue glossologique JG veut dire que

la dialectique de la rheacutetorique scientifique conduit selon lrsquoimage qursquoil emploie agrave rendre de

plus en plus fines laquo les mailles du reacuteseau raquo et ceci indeacutefiniment

Ce passage inclut une reacuteflexion sur la notion de laquo pratique raquo laquo Elle serait trop souvent drsquoun

autre plan raquo 1121 En effet lrsquoideacutee de pratique renvoie communeacutement aux techniques

drsquoobservation et drsquoexpeacuterimentation et aux conditions socioprofessionnelles de lrsquoexercice de la

science Cela dit il y a pour JG un aspect proprement glossologique dans la notion de

pratique laquo La science est pratique elle-mecircme par deacutefinition dans la mesure ougrave ses messages

ressortissent agrave ce que nous avons nommeacute le ‟pragmardquo raquo Faisons la part du mythe et de la

science dans cette formulation Un soupccedilon de mythe La proposition laquo la science est

pratique raquo semble en effet justifieacutee par la ressemblance des mots laquo pratique raquo et laquo pragma raquo

Ce dernier terme est mentionneacute une fois en 684 dans son sens grec originel laquo ce qui existe la

situation raquo Cependant le raisonnement est bien de type scientifique dans la mesure ougrave il

invite agrave faire prendre conscience drsquoune polyseacutemie du terme laquo pratique raquo et agrave obliger le lecteur

agrave prendre ce terme dans un sens logique (et non technique ou sociologique) la rheacutetorique

scientifique consiste agrave se confronter agrave lrsquoexpeacuterience (laquo pragma raquo) pour laquo reacuteameacutenager

systeacutematiquement les mots raquo 1063 puisque le laquo pragma raquo laquo est tregraves exactement ce catalyseur

du message qui en fait un meacutetalangage raquo 1113 JG donne ici agrave laquo pratique raquo le sens de laquo qui

prend en compte le pragma raquo Cette fois-ci le grec est mis de cocircteacute laquo praktikos raquo efficace est

lieacute morphologiquement agrave laquo πρἀττειν raquo (prattein) accomplir achever et non agrave laquo pragma raquo

De la deacutesignation 239

Dans les deux derniers paragraphes 1122-3 JG envisage le terme de laquo science raquo tantocirct

dans son sens strictement glossologique de raisonnement rheacutetorique tantocirct dans son sens

commun

Anticipant ainsi sur son traiteacute sociologique de la Personne JG distingue entre la capaciteacute

qursquoest la rheacutetorique scientifique et laquo la science en totaliteacute raquo 1123 qursquoil envisage alors sous

son aspect social de laquo capital symbolique raquo (comme lrsquoappelle Pierre Bourdieu) qui reacutesulte des

laquo conditions drsquoaccegraves raquo 1122 agrave lrsquoexercice de cette capaciteacute dans un laquo systegraveme drsquoensei-

gnement raquo

Du point de vue proprement logique laquo tout locuteur est savant raquo et la science est laquo une

capaciteacute eacutegalement reacutepandue raquo 1122 Du point de vue sociologique le systegraveme social et son

systegraveme drsquoenseignement introduisent une laquo gradation raquo dans lrsquoexploitation et lrsquoexercice de

cette capaciteacute La tonaliteacute de ce passage est critique et reprend la notion marxienne

drsquoideacuteologie qui est la leacutegitimation par le discours de lrsquoappropriation drsquoune pratique par un

groupe au deacutetriment drsquoun autre groupe Je donne ici agrave laquo discours raquo le sens que lui donne la

TdM en axiologie Crsquoest pourquoi aussi JG utilise le terme de laquo stratagegraveme raquo qui est pour lui

axiologique La notion de laquo degreacutes drsquoabstraction raquo sert en cela laquo le pouvoir discreacutetionnaire des

clercs raquo

JG deacuteveloppe en conclusion la diffeacuterence entre ces deux sens du mot laquo science raquo Le sens

ordinaire est ainsi redeacutefini laquo la science en sa totaliteacutehellip cristallisehellip raquo 1123 (hellip) lrsquoensemble des

laquo rationaliteacutes raquo culturelles Drsquoougrave le passage en revue des quatre plans de meacutediation La

transmission de laquo la science raquo relegraveve non seulement de laquo lrsquoenseignement raquo qui propose de

srsquoexercer au raisonnement scientifique mais aussi de laquo lrsquoapprentissage raquo qui consiste agrave

srsquoexercer aux technologies degraves lors que la laquo science en sa totaliteacute raquo est une laquo techno-science raquo

dans sa deacutemarche drsquoobservation et drsquoexpeacuterimentation outilleacutees Du point de vue sociologique

crsquoest laquo lrsquoinstruction raquo qui compte puisqursquoelle constitue laquo le capital raquo de connaissances et de

pratiques scientifiques qui fait le savant Axiologiquement enfin laquo lrsquoeacuteducation raquo envisage la

science sous lrsquoangle de la laquo rigueur raquo meacutethodologique 1123 Au passage JG reproche agrave

laquo lrsquoenseignement raquo son laquo psittacisme raquo autrement dit un mode de transmission restreint agrave

lrsquoexposeacute de connaissances au deacutetriment de lrsquoexercice agrave la rheacutetorique scientifique qui est

drsquoabord un mode de raisonnement seacutemantique

Le thegraveme du savoir reconnu est eacutevoqueacute agrave travers une phrase de Humpy Dumpty un person-

nage de Lewis Caroll (Through the looking glass) 1123

‟- When I use a word Humpty Dumpty said in rather a scornful tone it means

just what I choose it to mean mdash neither more nor less

- The question is said Alice whether you can make words mean so many different

things

- The question is said Humpty Dumpty which is to be master mdash thats allrdquo

Humpty Dumpy transforme la question logique drsquoAlice en sa version sociologique On passe

du langage dans sa composante seacutemantique agrave la langue dans sa composante doxique On

passe laquo du sens agrave lrsquoacception raquo 1123 et il srsquoagit de savoir agrave qui ce sens appartient et qui a le

pouvoir de faire de son dire une deacuteclaration qui compte pour autrui

Conclusion Distinguer rheacutetorique scientifique et laquo la science raquo telle qursquoon lrsquoentend drsquoordinaire

240 Une lecture de Jean Gagnepain

2 ndash Mythe Le raisonnement seacutemantique mythique

Des mythes au raisonnement mythique

Dans le paragraphe preacuteceacutedent JG affirmait son objectif de laquo reacutetablir lrsquoeacutequilibre raquo entre les

trois raisonnements que permet la seacutemantique et de deacutemontrer que le discreacutedit jeteacute sur le

mythe eacutetait laquo un fait de civilisation raquo 1124 Il srsquoagit donc maintenant drsquoenvisager laquo lrsquoessence raquo

1131 crsquoest-agrave-dire le laquo principe drsquoorganisation raquo du mythe en faisant abstraction du jugement

que porte sur laquo les mythes raquo heacuteriteacutes du passeacute une civilisation qui reacuteduit laquo lrsquoacircge de la raison raquo agrave

la seule science

Le mythe est traditionnellement consideacutereacute comme une laquo penseacutee ludique sauvage ou

folle raquo crsquoest-agrave-dire lieacutee aux trois varieacuteteacutes supposeacutees de non-civilisation lrsquoenfant le sauvage et

le fou Lrsquoenfant est supposeacute jouer sur les mots sans fonder son choix sur lrsquoobjectiviteacute de la

reacutefeacuterence et lrsquoon est sauvage par laquo antiquiteacute ou exotisme raquo tandis que le fou laquo deacutelire raquo

JG expose les deux difficulteacutes auxquelles sont exposeacutes les ethnologues et les philologues

classiques La premiegravere tient agrave lrsquoessence mecircme du mythe dont le contenu nrsquoest laquo ni de lrsquoordre

de lrsquoobservable ni du deacutemontrable raquo 1132 Autrement dit la meacutethode scientifique eacutetant ici

radicalement impuissante agrave expliquer le mythographe se tournerait vers laquo lrsquoeacutevheacutemeacuterisme raquo

Eacutevheacutemegravere auteur grec du 4e siegravecle av J-C consideacuterait les dieux grecs comme des hommes de

pouvoir autrefois diviniseacutes apregraves leur mort De cette maniegravere le mythologue peut ramener laquo la

fantaisie raquo mythique agrave une reacutealiteacute historique et ainsi laquo deacutemystifier raquo le mythe de Romulus et

Remus ou de Gilgamesh En reacutesorbant le mythe dans la science on passe agrave cocircteacute de la question

de la nature mecircme du mythe laquo Lrsquoimage raquo (Ptoleacutemeacutee Philadelphe sous les traits drsquoun dieu)

laquo est lrsquoalibi de lrsquohypostase raquo Cela eacutetant il srsquoagit maintenant de deacutefinir ce qursquoest un

raisonnement qui recourt agrave laquo lrsquohypostase raquo plutocirct qursquoagrave laquo lrsquohypothegravese raquo

La seconde difficulteacute est affaire de plan de meacutediation On fait du mythe un objet de

sciences sociales On cherche laquo ses fonctions raquo sociales on tente drsquoen faire lrsquohistoire Or

lrsquohistorien sait bien que le raisonnement par lrsquoorigine est reacutecursif agrave lrsquoinfini et que laquo la source raquo

des sources est inaccessible Les ethnologues peuvent ignorer la dialectique grammatico-

rheacutetorique et tendre agrave penser que le sens peut ecirctre envisageacute indeacutependamment des mots qui le

structurent Ils ne sont pas assez laquo sensibles au mode de repreacutesentation raquo (la grammaire) 1132

dans des langues qursquoils ne maicirctrisent pas Pire encore les langues de formation du mythe sont

carreacutement disparues de sorte que le mythe nrsquoest connu qursquoagrave travers des traductions Le mythe

est laquo un savoir deacuteplaceacute raquo 1132

Remarque On peut illustrer lrsquoargument du laquo savoir deacuteplaceacute raquo par le processus

extrecircmement freacutequent qui fait qursquoun raisonnement scientifique se transforme en

raisonnement mythique agrave lrsquooccasion drsquoun changement de langue et drsquoune traduction La

toponymie foisonne drsquoexemples de ce type Un bretonnant en deacutepit de lrsquoorthographe

franciseacutee reconnaicirct dans les nombreux laquo croissants raquo qui figurent sur les cartes un laquo kroaz-

hent raquo une croiseacutee de chemins un carrefour Le toponyme est pour lui une deacutesignation

laquo scientifique raquo Mais que va imaginer un francophone qui veut motiver le terme de

laquo croissant raquo Le cas de laquo Ker Sauce raquo est encore plus reacuteveacutelateur Le francophone srsquoen tiendra

agrave lrsquoarbitraire ou tiendra un raisonnement mythique source de plaisanteries Le bretonnant

aussi en partie En effet pour lui laquo ker Saoz raquo crsquoest le village laquo des Anglais raquo (Bro Saoz

lrsquoAngleterre) Il y a une part de mythe dans ce raisonnement dans la mesure ougrave il nie la

De la deacutesignation 241

polyseacutemie de laquo Saoz raquo car il y a saxon et saxon En effet il srsquoagit parfois de lieux ougrave se sont

jadis fixeacutes drsquoanciens combattants laquo saxons raquo (de Germanie) de lrsquoarmeacutee romaine et non des

Grands-bretons Lrsquoappellation scientifique drsquoavant devient lrsquoappellation mythique drsquoapregraves au

greacute des transformations de langue au greacute des laquo savoirs deacuteplaceacutes raquo

JG fait remarquer que le type de mythe appeleacute laquo toteacutemisme raquo 1133 est imputeacute aux seules

civilisations ougrave lonomastique teacutemoigne encore drsquoune langue disparue qui avait eacuteteacute agrave la base

du raisonnement mythique agrave expliquer On sait par exemple que beaucoup de noms de fleuves

et de montagnes en France renvoient au gaulois voire probablement agrave des langues parleacutees

anteacuterieurement agrave lrsquoacculturation celtique On peut alors faire la relation entre les mots et les

mythes

laquo Illusion drsquooptique raquo en somme que de confondre le raisonnement et le corpus des

penseacutees qursquoil permet Ainsi le raisonnement scientifique nrsquoest pas reacuteductible aux laquo sciences raquo

de ces derniers siegravecles Une pareille illusion conduirait agrave preacutetendre que la science est occiden-

tale De mecircme le raisonnement mythique nrsquoest pas reacuteductible laquo aux mythes raquo discreacutediteacutes

chez nous mais reconnus ailleurs

Drsquoougrave lrsquoeacutenonceacute de la thegravese le mythe est une faccedilon de dire chez tout humain 1142

laquo Lrsquohistoire nrsquoa jamais veacuterifieacute la loi des trois eacutetats raquo Selon Auguste Comte toute connais-

sance humaine passerait successivement par trois modes drsquoexplication sans reacutegression

possible theacuteologique meacutetaphysique et positif

laquo Mythe et science sont toujours synchroniques entre eux dans un rapport mutuel de

compleacutementariteacute raquo (en tant que raisonnements seacutemantiques) Cette proposition est impor-

tante parce qursquoelle conduit agrave rechercher dans ce qursquoon appelle drsquoordinaire laquo de la science raquo

une part de raisonnement mythique et dans ce qursquoon appelle drsquoordinaire un laquo mythe raquo une

part de raisonnement scientifique

Deacutefinition contrastive du mythe par rapport agrave la science

Dans les deux cas le raisonnement est guideacute par une laquo neacutecessiteacute raquo et non par le hasard

Dans les deux cas on expose la preuve de ce que lrsquoon dit Seul diffegravere le critegravere du choix et de

la combinatoire de ce qui fera le message 1143-4

Scientifiquement la situation oriente lrsquoeacutelaboration du raisonnement sa neacutecessiteacute est

rechercheacutee dans lrsquointerface avec la situation Mythiquement les mots orientent cette eacutelabora-

tion sa neacutecessiteacute est rechercheacutee dans les configurations grammaticales 1143

Ainsi le nom pour un latin est neacutecessairement un preacutesage puisque laquo nomen raquo est proche

de laquo omen raquo 1144 Le bonheur doit ecirctre le contraire de lrsquoangoisse puisque laquo augusta raquo est en

opposition minimale avec laquo angusta raquo Le raisonnement mythique laquo projette raquo les mots sur

lrsquoexpeacuterience et en dessine le paysage seacutemantique laquo Projection raquo contre laquo induction raquo de la

reacutefeacuterence dit JG en 1143

JG parsemant son texte de paraphrases de deacutefinition du mythe jrsquoinclus ici deux autres

formulations contrastives de ce raisonnement

laquo On meacuteconnaicirct ainsi luniteacute profonde de cette alternative essentiellement eacutetiologique qui

veut que le puits vienne au seau si le seau ne va pas au puits et que lagrave ougrave par le signe aucun

objet nest formuleacute la forme elle-mecircme sobjective en se donnant un contenu qui fait culturelle-

ment partie de la reacutealiteacute raquo 1172

242 Une lecture de Jean Gagnepain

Et laquo Il y a mythe quand le mot suggegravere le concept dans lequel en retour il sincorpore raquo

1173

Il nrsquoy a pas rupture de la dialectique du dire comme chez le schizophase pour qui les mots

valent pour eux-mecircmes Le raisonnement mythique produit dialectiquement de la reacutefeacuterence

comme la science il cherche aussi agrave ecirctre adeacutequat et exact La science eacutetait laquo meacuteta-

linguistique raquo en ce qursquoelle reacuteorganisait (laquo meacuteta- raquo) le grammatical agrave lrsquoeacutepreuve de lrsquoexpeacuterience

le mythe est laquo meacutetaphysique raquo 1144 en ce qursquoil reacuteorganise lrsquoexpeacuterience (laquo physis raquo) agrave lrsquoeacutepreuve

des mots Le preacutefixe est choisi pour rappeler le caractegravere dialectique du raisonnement

laquo Le mythe nrsquoadmet pas plus [le merveilleux] que [ne le fait] la science Il ne lrsquoexplique pas Il

le fonde raquo 1144 Le merveilleux est tenu pour illusoire laquo mirage raquo Au contraire le mythe

donne au merveilleux le statut de neacutecessiteacute en le fondant sur lrsquoexistence des formes

grammaticales qui en fournissent la preuve La reacutealiteacute prend les contours drsquoune formulation

Il y a donc deux versions de la neacutecessiteacute le deacuteterminisme et le fatalisme Ce dernier terme

(agrave rapprocher du laquo fatum raquo latin) est justifieacute par le fait que laquo [le mythe] soumet le monde aux

lois internes du langage raquo Agrave la laquo formulation raquo qui srsquoappuie sur lrsquoexpeacuterience pour remanier la

grammaire srsquooppose laquo lrsquoeacutevocation raquo qui srsquoappuie sur les mots pour remanier lrsquoexpeacuterience

Autre diffeacuterence significative Eacutetant laquo hypostatique raquo le mythe ne nous apprend rien

drsquoautre que ce que les mots disent en tant qursquoidentiteacutes et uniteacutes En cela il nrsquoest pas

laquo heuristique raquo Suit lrsquoeacutevocation drsquoune conseacutequence sociolinguistique La seacutemantique

scientifique permet de deacutevelopper et de laquo capitaliser raquo de la connaissance 11147 alors que le

mythe laquo se reacutevegravele comme un oracle raquo 1144

laquo Lrsquounique ‟muthosrdquo raquo srsquooppose au laquo provignement des mots en ‟ndashlogierdquo raquo 1144 Lrsquoordre

culturel du signe est un dans son principe tandis que la conjoncture est infiniment varieacutee La

seacutemantique scientifique se heurte agrave cette varieacuteteacute de lrsquoexpeacuterience drsquoougrave la diversiteacute des champs

scientifiques Agrave commencer par les quatre plans de meacutediation Inversement le raisonnement

mythique ne peut qursquoecirctre homogegravene puisqursquoil tire sa neacutecessiteacute du seul ordre du signe Il est

irreacutefutable laquo infalsifiable raquo

laquo Le professeur se fait prophegravete raquo 1144 JG joue ici sur la proximiteacute des termes (ce qui est

agrave mon sens la partie mythique de son propos) Le mot laquo prophegravete raquo est sans doute ici pris

litteacuteralement agrave partir du grec προφήτης prophếtecircs ougrave -phếtecircs raquo est apparenteacute agrave φημί phecircmi

laquo je dis raquo On peut lrsquoentendre comme celui qui laquo met en avant raquo (pro-) le dire (phaacutenai laquo dire raquo)

celui qui se fonde sur les mots Il ne srsquoagit pas du propheacutetisme biblique Lrsquoopposition avec le

laquo professeur raquo procegravede drsquoun lieu commun ideacutealement le professeur explique des connais-

sances reacutefutables mecircme si une partie de son enseignement est mythique

JG soulegraveve en 1145 amp 1151 la question de la prise en compte par le raisonnement

mythique des paramegravetres de la situation Sur ce point le mythe se distingue de la science

laquo Lrsquoobjet raquo dit-il nrsquoest pas seul concerneacute mais comme la conjoncture est identifieacutee agrave la struc-

ture grammaticale laquo lrsquoeacutemetteur et le reacutecepteur communient dans la participation drsquoun savoir raquo

1145 qui a son propre cadre spatio-temporel de sorte que les propos mythiques ne peuvent

varier en fonction des paramegravetres de la situation (En revanche lrsquointerlocution persiste

puisqursquoon deacutebat des mythes autant que de la science)

De la deacutesignation 243

Problegravemes de meacutethode Est-il possible drsquoacceacuteder au mythe par le biais du rite (eacutecriture du mythe) ou de lrsquoanalyse de ses fonctions

JG deacuteveloppe une difficulteacute exposeacutee plus haut On peut la deacutefinir en introduction sous la

forme drsquoun syllogisme (1) laquo Le mythe nrsquoa de sens que le signifieacute de la langue dans laquelle il

srsquoest initialement exprimeacute raquo 1152 (2) Or cette langue est la plupart du temps inaccessible de

sorte que le mythe apparaicirct aujourdrsquohui formuleacute dans des traductions crsquoest laquo un savoir

deacuteplaceacute raquo 1132 (3) Donc on ne peut remonter agrave sa signification qursquoindirectement par le biais

des autres plans de meacutediation agrave savoir drsquoune part agrave travers la technique lorsque le mythe a

eacuteteacute fabriqueacute dans des laquo rites raquo dont lrsquousage srsquoest maintenu et drsquoautre part agrave travers lrsquoanalyse

des usages sociaux eux-mecircmes dans la mesure ougrave le mythe y remplit une laquo fonction raquo

Avant de deacutevelopper seacutepareacutement ces deux points je propose drsquoeacuteclaircir la deacutefinition de

deux termes ndash deacuteictique et seacutemiotique ndash qui concernent les plans technique et sociologique

exposeacutes plus loin dans le Vouloir-Dire

laquo Nous entendons par [eacutecriture du mythe] lrsquoensemble des rites gracircce auxquels deacuteictique-

ment en mecircme temps que seacutemiotiquement il srsquoinscrit dans la conduite et le veacutecu drsquoune

socieacuteteacute raquo 1152 Dans la TdM la laquo deacuteictique raquo appartient au vocabulaire de la technologie et

deacutesigne le traitement technique de lrsquoinformation qursquoil srsquoagisse par exemple de la production

de couleurs peintes de sons par des instruments ou de la transcription en lettres de diffeacuterents

phonegravemes dans lrsquoeacutecriture dite laquo phonographique raquo La manipulation rituelle de lrsquoostensoir

eacutevoqueacutee plus loin en fait partie Cet outillage forme lrsquoensemble des laquo signaux raquo (Voir 161

supra et (dans LrsquoOutil) 1552 laquo lrsquoimmense classe deacuteictique des signaux raquo) Ceci eacutetant par

recoupement des plans le rite prend aussi le statut drsquousage social et devient en cela un fait

laquo seacutemiotique raquo Dans la TdM ce terme est mis entre guillemets lorsqursquoil fait reacutefeacuterence aux

courants litteacuteraires ainsi deacutenommeacutes (et constamment critiqueacutes par lrsquoauteur) sans guillemets

dans le texte la laquo seacutemiotique raquo appartient au vocabulaire de la sociologie et deacutesigne laquo tout

eacutechange verbal ou non drsquoinformation raquo (DVD II La Personne 98) y compris drsquoune information

elle-mecircme techniciseacutee comme lrsquoest le rite Autrement dit puisque tout fait de langage a

socialement statut de langue tout raisonnement mythique qursquoil soit ou non ritualiseacute est

observeacute dans un cadre social deacutelimiteacute

Mythe et rite

laquo Algegravebre et science raquo et laquo rite et mythe raquo 1153 sont mis en parallegravele Leur confusion est agrave

critiquer dans les deux cas laquo Algegravebre et rite raquo sont de lrsquoordre de la technique laquo science et

mythe raquo de lrsquoordre du dire mais en lrsquooccurrence la technique peut aussi bien artificialiser de la

science en algegravebre que du mythe en rite Attention agrave enlever ici au rite son sens sociologique

de pratique conventionnelle pour nrsquoenvisager que la proceacutedure de fabrication drsquoun

appareillage et son mode drsquoemploi Ceci inclut la circulation de personnages ou de danseurs

sur la surface drsquoune scegravene profane ou sacreacutee

Lrsquoexemple proposeacute de lrsquoencens est clair La fabrication et lrsquoutilisation du dispositif encens ndash

encensoir reacutealise sur le mode technique le mot heacutebreu zākar en neacutegligeant sa polyseacutemie et en

identifiant seacutemantiquement laquo sentir et se rappeler raquo (Cf Zakarie זכריה laquo Dieu se souvient raquo

nom drsquoun prophegravete messianique de la Bible)

Le second exemple celui du laquo pied de nez raquo preacutesuppose que ce type de geste ait un statut

technique JG assimile drsquoailleurs la danse agrave de lrsquoeacutecrit De toute maniegravere il srsquoagit de reacutealiser

244 Une lecture de Jean Gagnepain

une mesure technique appeleacutee laquo pied raquo ou laquo pied romain raquo en Europe (environ 30 cm) En

lrsquoespegravece on le mime en allongeant le nez agrave lrsquoaide de la main doigts eacutecarteacutes Le raisonnement

mythique reacuteside dans la reacutealisation du mot laquo pied raquo lui-mecircme en mimant ensemble les deux

sens de ce mot Le mecircme mime pourrait drsquoailleurs srsquoajuster scientifiquement agrave la mesure plus

preacuteciseacutement obtenue agrave lrsquoaide drsquoun outillage (corde ou regravegle)

La leacutegende de la fondation de Rome preacutesente eacutegalement un cas clair de mythe fixeacute par un

rite Il srsquoagit de la statue de la louve nourriciegravere qui fixe dans le bronze la premiegravere enfance des

deux fregraveres abandonneacutes et recueillis dit le reacutecit par un berger et sa femme par ailleurs

prostitueacutee Le mythe tient agrave ce que le mot latin laquo lupa raquo veut dire agrave la fois laquo louve raquo et

laquo prostitueacutee raquo (Cf lupanar) Nrsquoaurait-on plus de reacutecit et seulement le vestige archeacuteologique

que le raisonnement mythique sur le mot laquo lupa raquo agrave partir de la statue fucirct devenu in-

accessible Idem peut-ecirctre pour le nom de laquo Rome raquo qui teacutelescoperait laquo Romulus raquo

laquo rumon raquo (fleuve en Eacutetrusque) et laquo ruma raquo (colline en Osque)

Mythe et fonction sociale 1154

Certains abordent le mythe agrave travers lrsquoanalyse de sa fonction sociale Fondamentalement la

critique est analogue agrave celle du laquo fonctionnalisme raquo en linguistique on confond le fonctionne-

ment et la fonction laquo ce que crsquoest raquo avec laquo agrave quoi crsquoest utile raquo

La critique en deux parties concerne les deux maniegraveres drsquoaborder lrsquohistoire le raisonne-

ment par lrsquoorigine et le raisonnement par le modegravele archeacutetypal Le laquo primitif raquo drsquoun cocircteacute le

laquo primordial raquo de lrsquoautre Lrsquoun et lrsquoautre raisonnement font une interpreacutetation pseudo-scienti-

fique des documents faute de comprendre le mode de fonctionnement speacutecifique du mythe

La premiegravere partie preacutesente chacune des deux perspectives explicatives

1 - On vise laquo agrave lire dans le mythehellip la preacutehistoire de nos socieacuteteacutes raquo 1154 Ceci relegraveve de

lrsquoexplication par lrsquoorigine Autrement dit on traite le mythe comme une leacutegende laquelle est

un reacutecit qui relegraveve de la seacutemantique scientifique mecircme si on le considegravere comme reacutefuteacute

Rex et Pontifex 1154 les deux termes sont en opposition Selon Ciceacuteron le premier est lieacute

agrave laquo regere raquo diriger en ligne droite ndash radical laquo reg- raquo qui deacutesigne la ligne droite et la deacutelimita-

tion133 Cf laquo regravegle raquo en franccedilais Le Rex deacutelimite Le Pontifex chef du clergeacute romain ndash litteacuterale-

ment laquo qui fait le pont raquo selon Varron ndash autorise le passage Le raisonnement mythique134

identifie derriegravere le verbe laquo facere raquo (faire) ndash comme en franccedilais pour le verbe laquo pouvoir raquo ndash le

fabriquant du pont et le Precirctre qui leacutegalement et leacutegitimement autorise le passage La

distinction modale de laquo I can I must I may raquo qui dissocie lrsquoOutil la Personne et la Norme

disparaicirct

2 - On vise laquo agrave lire dans le mythehellip les aspirations primordiales de lrsquohumaniteacute raquo Ceci relegraveve

de lrsquoexplication par le modegravele par lrsquoarcheacutetype Adam (ha-adam dans Geacuten 2-7) crsquoest dans une

certaine interpreacutetation laquo le terreux raquo (le laquo glegravebeux raquo dans la traduction de Chouraqui) tout

comme le latin laquo homo raquo est lieacute au mot laquo humus raquo (dans drsquoautres genegraveses aussi) Consideacuterer

qursquoAdam laquo assume solitairement raquo la faute serait occulter le mythe au profit de la leacutegende

(historiciste) JG interpregravete le reacutecit biblique de la consommation du fruit (de la terre) comme

un mythe qui formule agrave travers le mot Adam laquo terre homme raquo lrsquoeacutemergence agrave la dimension

axiologique de lrsquohumain ndash la laquo norme raquo dans DVD II ndash sous lrsquoaspect de la dialectique entre

133 Ernout Alfred amp Meillet Antoine 1932 dictionnaire eacutetymologique de la langue latine p567

134 Celui de Varron selon le Ernout amp Meillet laquo Pontifex raquo p 521

De la deacutesignation 245

culpabiliteacute et reacutemission (pardon) laquo le peacutecheacute inheacuterent agrave notre condition raquo Bien entendu il

srsquoagit drsquoune projection du modegravele de JG sur le texte biblique

La seconde partie formule les objections laquo Il est aussi faux (1) drsquoune parthellip que drsquoautre part

(2) raquo 1154

1 ndash Il est faux laquo hellip drsquoimaginer drsquoune part pour ce qui touche agrave lrsquoactualiteacute des institutions

qursquoil soit plus reacuteveacutelateur que la langue raquo

Le laquo il raquo est ici impersonnel et la paraphrase en serait laquo il nrsquoy a rien de plus reacuteveacutelateur que

la langue pour comprendre ce que sont les institutions raquo Il ne srsquoagit pas drsquoune concurrence

entre langage et vestiges mais de la tendance agrave tenir tout raisonnement pour un raisonne-

ment scientifique en meacuteconnaissant lrsquoambivalence du sens

Remarquons par ailleurs qursquoil nrsquoy a pas dans cette formulation de confusion entre

laquo langue raquo (usage social) et laquo langage raquo Lrsquoauteur veut bien dire que crsquoest dans le laquo signe raquo (le

principe glossologique du langage) qursquoil faut chercher le fondement du mythe Mais comme il

propose un exemple (laquo le soleil se couche raquo) pris en franccedilais contemporain il passe par le

terme laquo langue raquo pour parler du langage Le mecircme usage langagier peut ecirctre laquo raisonneacute raquo de

maniegravere scientifique ou mythique Les deux coexistent Scientifiquement on assume tregraves bien

la polyseacutemie du verbe laquo se coucher raquo dans la formulation laquo le soleil se couche raquo mecircme si

mythiquement et par anthropomorphisme on peut aussi srsquoimaginer qursquoil va dormir Ce nrsquoest

donc pas lrsquousage de la formule qui compte pour distinguer science et mythe mais bien le

raisonnement lui-mecircme tenu sur la formule

2 - Il est tout aussi faux laquo hellipde prendre drsquoautre part de tregraves anciens eacutechanges pour un

brevet drsquouniversaliteacute raquo Critique de la theacuteorie des archeacutetypes qui nie le changement dans une

deacutemarche anachronique Le raisonnement mythique est alors le support drsquoune politique

(sociolinguistique) conservatrice dans le temps ou heacutegeacutemonique dans lrsquoespace

laquo Les mentaliteacutes sont autant le fruit de croyances que drsquoeacutevidences partageacutees raquo Conseacute-

quence de la dissociation entre le plan du signe et celui de la personne La laquo croyance raquo est ici

associeacutee au raisonnement mythique et laquo lrsquoeacutevidence raquo au raisonnement scientifique Lrsquoune et

lrsquoautre entrent eacutegalement dans la dialectique du consensus relatif et de la dissension On

accepte aussi bien ce qui ne donne pas lieu agrave explication ndash pull agrave col ouvert ou agrave col rouleacute

ceinture ou bretelles ainsi que le mythe ndash qursquoun fait soumis agrave reacutefutation Dialectiquement on

se dispute drsquoailleurs sur lrsquoun et sur lrsquoautre et il y a une histoire du symbolisme des couleurs

une histoire des raisonnements mythiques comme il y a une histoire de la physique

Le paragraphe suivant 1155 deacuteveloppe la thegravese principale le mythe est un fait de

seacutemantique qursquoil faut observer agrave travers les raisonnements tenus Crsquoest pourquoi JG

propose quelques exemples de repeacuterage du mythe agrave travers les discours de justification

de ce qui du point de vue scientifique inverse nrsquoen a pas Commentaires des grands

textes hindouistes135 sagas laquo miroueumlrs raquo JG oppose ici implicitement le commentaire

(mythique) agrave la glose (scientifique) En 1102 JG parlait de laquo fonder la pertinence de la

glose raquo dans le cadre drsquoune seacutemantique scientifique La glose est scientifique pour autant

qursquoelle propose de la convergence synonymique (ou laquo paraphrase raquo) et du deacuteveloppe-

ment laquo autonymique raquo comme lrsquoest une deacutefinition Pour sa part laquo Le mythe (hellip) apparaicirct

toujours commenteacute raquo JG entend ici la manœuvre discursive (et socialement ideacuteologique)

135 laquo Les brāhmana du Vig-Veda les Gātha de lrsquoAvesta raquo 115 53

246 Une lecture de Jean Gagnepain

qui consiste agrave laquo justifier des conceptions venues drsquoailleurs et dont la raison nrsquoeacutetait plus

directement accessible raquo 1161

Le genre litteacuteraire des laquo miroirs raquo (laquo specula raquo pour les œuvres en latin) 1161 relegraveve en

geacuteneacuteral de lrsquoeacutedification morale dont le ceacutelegravebre laquo Mirouer des simples ames anienties et qui

seulement demourent en vouloir et desir damour raquo de Marguerite Porete (1219 copie du

XVe) Bien entendu la seacutemantique mythique y domine Certains ouvrages ont un caractegravere

encyclopeacutedique tel le mirouer du monde de Gossuin de Metz (XIIIe eacutediteacute en 1517)136

Suit une distinction suggestive La distinction entre laquo homme raquo et laquo nature raquo se retrouve

dans les mythes qui sont laquo deacutejagrave heacuteroiumlques ou cosmiques agrave ceci pregraves qursquoils nrsquoexpliquent pas raquo

1161 JG reacutesume cette opposition par le couple laquo toteacutemisme animisme raquo le totem eacutetant ici

supposer concevoir mythiquement lrsquohumain tandis que laquo lrsquoanimisme raquo concevrait mythique-

ment la nature

laquo Le mecircme processus qui engendre les eacuteponymes engendre aussi les numina raquo laquo Eacuteponyme raquo

1161 (epi+onoma sur+nom laquo qui donne son nom agrave raquo) Lrsquoeacuteponymie identifie un personnage

et une reacutealiteacute telle qursquoune œuvre ou un lieu laquo Saint-Eacutetienne raquo est agrave la fois une ville et un saint

eacuteponyme Les laquo numina raquo sont chez les Latins une variante drsquoanimisme qui considegravere comme

diviniteacute tout ce qui importe dans la nature Augustin en donne une liste dans La citeacute de Dieu IV

VIII La pluie par exemple est un laquo numen raquo (une puissance divine) On appelle ainsi ensuite

des noms de personne mais le mot ne trompe pas et atteste du raisonnement mythique

Flora Pomona Feronia (feris = sauvage) Silvanus Tout le vocabulaire agraire srsquoy retrouve137

laquo Le fer est fils du ciel au mecircme titre que le dieu raquo Le deacutebut (le fer) renvoie au mythe de

Promeacutetheacutee le Titan qui vole le feu de lrsquoOlympe agrave Heacutephaiumlstos le dieu forgeron (Platon

Protagoras 320-321) La fin (le dieu) reacutefegravere au nom de Zeus laquo ciel raquo de la famille de dyew

en indo-europeacuteen qui a donneacute laquo dies raquo le jour en latin La relation de paterniteacute est renverseacutee

dans le nom de laquo Jupiter raquo qui est composeacute de (1) laquo Ju- raquo qui correspond agrave Zeus laquo ciel raquo et de

(2) laquo -piter raquo pegravere

Mythe et religion Mythique et mystique

Le thegraveme geacuteneacuteral est repris agrave propos ici des pantheacuteons laquo la mythologie [est] conceptuelle-

ment une modaliteacute [du langage] raquo 1162 Une preuve en est notamment dans les noms de

dieux dans laquo lrsquoeacutecho de la flexion ou de la deacuterivation des mots par lesquels on les a drsquoabord

deacutesigneacutes raquo Lrsquoexemple du nom laquo Zeus raquo selon lrsquointerpreacutetation de Platon est proposeacute plus loin

en 1163

Cela dit JG demande de faire la distinction suivante on ne peut pas laquo de la prosopopeacutee

conclure agrave la theacuteologie raquo 1162 La premiegravere est un raisonnement mythique la seconde est la

maniegravere dont lrsquohumain pense le transcendant

laquo Prosocircpon raquo crsquoest laquo le visage raquo et laquo poiein raquo crsquoest laquo faire raquo La prosopopeacutee consiste agrave faire

parler comme une personne ce qui nrsquoest pas une personne Ce peut ecirctre un bateau (laquo Comme

je descendais des Fleuves impassibles raquo Rimbaud Le bateau ivre) ou une entiteacute humaine

(laquo Nous Peuple des Eacutetats-Unis raquo Constitution de 1787) Le terme est pris ici dans un sens plus

136 Voir Chantal Connochie-Bourgne laquo Pourquoi et comment reacuteeacutecrire une encyclopeacutedie Deux reacutedactions de lrsquoImage du Monde raquo (de Gossuin de Metz) in Encyclopeacutedies meacutedieacutevales PUR 2004 p 143-154

137 Cf lrsquoadage laquo nomina [sunt] numina raquo (les paroles ont une puissance divine)

De la deacutesignation 247

large puisque laquo la Qualiteacute de la Vie raquo est consideacutereacutee comme une prosopopeacutee 1162 Niant le

vague et la polyseacutemie la prosopopeacutee donne au concept lrsquoidentiteacute homogegravene du mot et

lrsquoassimile agrave lrsquoidentiteacute constitutive de la personne La laquo carte drsquoidentiteacute raquo est la mecircme pour la

personne et le nom Une telle reacuteduction est mythique

Ce raisonnement mythique qursquoest la prosopopeacutee est agrave distinguer de la recherche laquo du

transcendant raquo parce que la recherche theacuteologique mobilise le raisonnement drsquoune maniegravere

particuliegravere En effet dans ce cas laquo le verbe [nrsquoest que] la condition [drsquoaccegraves agrave] lrsquoineffable

[dont] la fondation [est] mystiquement dans la foi raquo laquelle foi relegraveve du plan axiologique

comme il a eacuteteacute dit preacuteceacutedemment en 1112 Ce point est deacuteveloppeacute dans une phrase dense

que je vais longuement commenter

laquo Le ‟mystegravererdquo ougrave les anciens cherchaient le transcendant ne se reacuteduisait pas plus agrave ce poly-

theacuteisme ndash fucirct-il syncreacutetique ndash qui comptait mythiquement presque autant de dieux que de noms

que ne se reacuteduit dans la tradition biblique agrave la science un monotheacuteisme tirant dun mecircme

ensemble de deacutesignations la litanie synonymique dun seul Dieu sans visage et quon ne nomme

pas raquo 11629 Et il ajoute que confondre laquo mystique raquo et laquo mythique raquo est laquo simpliste raquo Voir

aussi en 1112 la preacuteceacutedente eacutevocation de la diffeacuterence entre science et mystique

La laquo reacuteduction raquo eacutevoqueacutee ici me paraicirct ambivalente

- On peut comprendre qursquoil faut clairement distinguer laquo mystique raquo et laquo rheacutetorique raquo 1162

la premiegravere eacutetant au fondement du religieux et lrsquoautre en eacutetant laquo la voie drsquoaccegraves raquo JG pense

ici avant tout agrave ne pas ramener lrsquoexpeacuterience religieuse humaine agrave une affaire de raisonnement

La laquo reacuteduction raquo ainsi critiqueacutee est alors celle drsquoune confusion des plans Quel que soit le

raisonnement tenu par les religieux qursquoil soit de type scientifique ou mythique il nrsquoest

laquo mystegravere raquo et laquo mystique raquo que sur le plan axiologique dont relegraveve la foi 1112 la laquo fondation

[de lrsquoineffable] est dans la foi raquo Revenons sur cette notion de laquo mystique raquo Glossologique-

ment tout raisonnement eacutelabore un objet hypotheacutetique Or lrsquoabsolu transcendant eacutechappe agrave

toute observation et donc agrave lrsquoeacutepreuve de la confirmation ou de la reacutefutation Mais il eacutechappe

aussi agrave lrsquoexplication mythique fondeacutee sur le mot lui-mecircme En cela quoique laquo dicible raquo

puisqursquoon en parle lrsquoabsolu transcendant est laquo ineffable raquo et une fois poseacute comme concept

relegraveve axiologiquement de la foi Je comprends alors la notion de laquo mystique raquo comme cette

attitude humaine qui pense la transcendance la vit et srsquoy confie Lrsquoexpeacuterience humaine du

transcendant existe au mecircme titre dans le polytheacuteisme et le monotheacuteisme qui diffegraverent sur le

plan du langage par la maniegravere drsquoen parler Plus preacuteciseacutement ils diffegraverent en partie crsquoest le

second sens de cette laquo reacuteduction raquo JG reviendra briegravevement sur ce point dans ses Huit leccedilons

drsquointroduction agrave la theacuteorie de la meacutediation p 247 laquo Dans ces mythes il faut dissocier la part

de la mythologie et celle du pheacutenomegravene religieux agrave ces eacutepoques il y avait aussi les Mystegraveres Il

nrsquoy avait pas que Zeus Heacutera et toute la ribambelle de lrsquoOlympe La religion grecque la vraie

maniegravere de vivre crsquoeacutetaient les mystegraveres drsquoEacuteleusis reacuteserveacutes aux initieacutes apregraves une longue

formation Agrave Rome crsquoeacutetait pareil Lisez Ciceacuteron qui ne croyait absolument pas aux dieux ce qui

ne lrsquoempecircchait pas drsquoecirctre un esprit religieux raquo

- On peut aussi comprendre que la reacuteduction en question concerne la voie drsquoaccegraves

langagiegravere au laquo mystegravere raquo Degraves lors qursquoon ne peut sortir humainement du langage lrsquoaccegraves au

laquo mystegravere raquo se fait agrave travers lrsquoensemble de la rheacutetorique conjointement mythique et scienti-

fique Par conseacutequent il ne faut pas laquo reacuteduire raquo les theacuteologies polytheacuteistes au raisonnement

mythique sous lequel il se preacutesente de la maniegravere la plus spectaculaire dans leurs pantheacuteons

et il ne faut pas reacuteduire non plus les theacuteologies monotheacuteistes au raisonnement scientifique

248 Une lecture de Jean Gagnepain

sous lequel il se preacutesente par contraste avec les preacuteceacutedentes dans la laquo convergence synony-

mique raquo du vocabulaire divin Crsquoest cet aspect qui est ici deacuteveloppeacute agrave travers des exemples

- Lrsquoobservation du mythe dans la theacuteologie polytheacuteiste a eacuteteacute illustreacutee plus haut notamment

agrave travers les laquo numina raquo des Latins Les Grecs voyaient aussi autour drsquoeux le ciel (ouranos) la

terre (gegravea) la riviegravere (numphegrave) et ressentaient le temps passer (chronos) ils en ont fait des

dieux souvent sous le mecircme mot Lrsquoallusion au laquo syncreacutetisme raquo rappelle combien les

pantheacuteons sont heacuteteacuterogegravenes comme lrsquoest aussi aujourdrsquohui le calendrier des saints Cela dit

JG nrsquoexclue pas que le croyant grec considegravere les laquo ambrotoiuml raquo (les immortels) comme les

avatars drsquoune condition transcendante et leurs noms comme les synonymes drsquoun mecircme

concept (Cf La citation des Huit leccedilons ci-dessus)

- JG soutient que la conceptualisation drsquoun laquo Dieu sans visage et sans nom raquo 1162 relegraveve

du raisonnement scientifique en tirant argument du fait qursquoil est qualifieacute dans la Bible et ndash

ajouterai-je ndash dans lrsquoIslam drsquoune litanie de deacutesignations synonymiques Il est clair que

lrsquoexpression laquo litanie synonymique drsquoun seul Dieu raquo renvoie agrave la notion de laquo convergence

synonymique raquo laquelle est assigneacutee au raisonnement scientifique JG affirmera cateacutegorique-

ment plus loin en 1173 que laquo le mythe exclut le synonyme raquo Voyons maintenant ce qursquoest

cette laquo litanie raquo et ce qui la neacutecessite

laquo Un seul Dieu sans visage et qursquoon ne nomme pas raquo Autant de caracteacuteristiques de lrsquoabsolu

transcendant ainsi relativement deacutefini par neacutegation de deux traits symboliques de la relativiteacute

de lrsquohumain la personne se distingue par ses traits et par son nom Une telle neacutegation est

aussi la source de deux problegravemes Comment parler du transcendant En contournant le

tabou langagier Comment le repreacutesenter Par des stratagegravemes notamment par la

sacralisation de lieux

laquo Dieu sans visage raquo lrsquoactualiteacute nous rappelle peacuteriodiquement et dramatiquement agrave quoi

megravene la chasse que font les iconoclastes de tous poils aux preacutetendues laquo idoles raquo laquo Dieu sans

nom raquo Ce nrsquoest strictement exact que pour le judaiumlsme (Aux speacutecialistes de dire depuis quelle

peacuteriode et dans quelle mesure) Le terme seacutemitique que lrsquoon traduit par Dieu laquo El raquo se

retrouve dans tout le Moyen-Orient antique Il est traduit en geacuteneacuteral par laquo il est raquo On le trouve

dans le pantheacuteon Ougaritique il commence celui drsquolaquo El(ohim) raquo (avec un pluriel qualifieacute de

laquo majesteacute raquo mais qui pourrait ecirctre un stratagegraveme pour contourner le tabou) et plus

reacutecemment de All(ah) Le judaiumlsme recourt agrave un stratagegraveme eacutecrit pour deacutenommer Dieu mais le

teacutetragramme YHWH יהוה (quatre consonnes non vocaliseacutees) est lui-mecircme issu de la racine

du verbe laquo ecirctre raquo On srsquointerdit de prononcer le mot lui-mecircme et on eacutenonce agrave sa (HYH) היה

place le nom laquo Adonaiuml raquo (Seigneur) lors du culte ou tout simplement laquo Ha-Shem raquo (Le Nom)

Une bonne meacuteteacuteo agrave la teacuteleacutevision israeacutelienne est commenteacutee par laquo Barukh ha-shem raquo (beacuteni soit

le nom eacutequivalent de laquo Dieu merci raquo) Le contraste est frappant avec le laquo InchrsquoAllah raquo des

musulmans Et il est aussi parfois laquo antiquiseacute raquo les scribes de Qumran lrsquoeacutecrivent en caractegraveres

anciens dans des textes en eacutecriture dite assyrienne ou carreacutee crsquoest-agrave-dire arameacuteenne Le

contraste entre le traceacute archaiumlque et le traceacute contemporain du scribe est un stratagegraveme de

plus de reacuteaffirmation de lrsquointerdit

Lrsquointerdit sur le nom impose cette laquo litanie synonymique raquo tireacutee laquo drsquoun ensemble de

deacutesignations raquo qui sont autant drsquoattributs Dans la Bible laquo El Shaddaiuml raquo (El des montagnes) laquoEl

Roiuml raquo (qui voit) laquo Sabaoth raquo (des armeacutees) etc La tradition juive ulteacuterieure veut que sept noms

de Dieu dans la Bible ne puissent ecirctre laquo effaceacutes raquo y compris par le scribe en train de les eacutecrire

Ces appellations se multiplient dans la poeacutesie synagogale et la liturgie Lrsquoislam quant agrave lui

De la deacutesignation 249

eacutenonce avec une extrecircme emphase le nom laquo Allah raquo Cela nrsquoempecircche pas les ouleacutemas

drsquoadmettre 99 noms de Dieu (Le Tout Miseacutericordieux lrsquoEacuteternel La Lumiegravere LrsquoArbitre Le

Premier Le Dernier etc) Lrsquoimportant du point de vue de JG est qursquoil srsquoagit drsquoune

laquo convergence synonymique raquo crsquoest-agrave-dire drsquoun raisonnement laquo scientifique raquo car on

preacutesuppose toujours que lrsquoon conccediloit ainsi une identiteacute quelle que soit la formulation choisie

Ceci eacutetant la croyance ou la non-croyance en ce qui eacutechappe en lrsquooccurrence agrave toute

laquo falsifiabiliteacute raquo relegraveve du plan axiologique

De la banaliteacute du raisonnement mythique

On trouve en 1163 une gamme varieacutee drsquoexemples de raisonnements mythiques qui montre

leur banaliteacute Du plus prestigieux ndash lrsquoeacutetymologie de Zeus chez Platon ndash au calembour enfantin

- Platon dans Le Cratyle 369a fait dire agrave Socrate que le nom de Zeus eacutequivaut lui-mecircme agrave

une deacutefinition qui fait voir laquo la nature du Dieu raquo laquo Ce nom eacutequivaut agrave tout un discours et il a

eacuteteacute diviseacute en deux parties dont on emploie tantocirct lrsquoune tantocirct lrsquoautre les uns lrsquoappelant Ζῆνα

les autres Δία reacuteunis ces deux noms expriment la nature du Dieu et telle est comme nous

lrsquoavons dit la fonction que les noms doivent remplir En effet la vraie cause de la vie τοῦ ζῇν

pour nous et pour tout ce qui existe est le maicirctre et le roi de toutes choses Il est donc tregraves

juste drsquoappeler ce Dieu celui par lequel διrsquo ὅν il est donneacute agrave chacun de vivre ζῇν mais ce

nom qui est un a eacuteteacute diviseacute en deux ainsi que je lrsquoai dit raquo (Trad Victor Cousin) Ainsi selon

Platon le nom (onoma) en tant que forme porte le sens (logos) vrai ou faux Le jeu sur la

morphologie est ici explicite mythiquement Platon joue sur deux variantes du nom Zeus

(Ζῆνα Zegravena agrave lrsquoaccusatif dans le texte) est rapprocheacute de laquo vivre ζῇν raquo (Zegraven) et la variante de

lrsquoaccusatif Δία (Diacutea) est rapprocheacutee de la preacuteposition causale laquo diaacute raquo Noter le deacuteplacement

de lrsquoaccent vocalique laquo La forme elle-mecircme srsquoobjective en se donnant un contenu raquo 1172

- Exemples en Bretagne 1163 En breton laquo Sant raquo veut dire laquo Saint raquo Lrsquohomophone

signifiant laquo Valleacutee raquo nrsquoest plus en usage138 laquo Becherel-Zant-Logod raquo est un nom de village sur

la commune de Plestin (Cocirctes drsquoArmor) et laquo San(t) Derwenn raquo est aussi un nom de village Soit

laquo Sainte Souris raquo et laquo Saint Checircne raquo au lieu de laquo la valleacutee aux souris la valleacutee des checircnes raquo De

mecircme pour laquo Saint Dreacute raquo (La valleacutee ougrave il y a du sable laquo treah raquo en vannetais) Et Saint Andreacute

(Andreo) est invoqueacute contre la coqueluche laquo an dreo raquo (Quimper) Etc

Le concept mythique dont la deacutefinition est ici rappeleacutee laquo fait partie culturellement de la

reacutealiteacute raquo 1172 Et cette information en tant que savoir fait histoire chez les gens Suit une

liste drsquoexemples dont celui des conseacutequences sur le diagnostic en psychopathologie du mythe

de laquo lrsquohysteacuterie raquo feacuteminine

Mythe et meacutecanismes de lrsquoeacutenonceacute

JG entre en 1173 dans le deacutetail des proceacutedeacutes de la rheacutetorique mythique Il lui suffit

drsquoinverser ceux de la rheacutetorique scientifique exposeacutes anteacuterieurement En somme le mythe

laquo fait systegraveme de tout rapport raquo quel que soit lrsquoaxe drsquoanalyse

laquo Biffures fourbis fibrilles frecircle bruit raquo 1173 sont les sous-titres des 4 volumes de laquo La

regravegle du jeu raquo 1948-1976 autobiographie de Michel Leiris

138 Pierre Treacutepos laquo Les saints bretons dans la toponymie raquo Annales de Bretagne 1954 vol61

250 Une lecture de Jean Gagnepain

- Qualitativement le mythe laquo exclut le synonyme puisque tout segraveme seacutepareacutement

srsquohypostasie raquo 1173 En voici un exemple pris agrave Darwin citeacute par Jean-Claude Ameisen139

laquo longtemps avant que lrsquohomme existe le sol eacutetait reacuteguliegraverement laboureacute par les vers raquo

Commentaire de Jean-Claude Ameisen (p128) laquo Lrsquohomme nrsquoa pas non plus inventeacute

lrsquoagriculture aurait pu eacutecrire Darwin raquo Le raisonnement scientifique implique que lrsquoon puisse

lever la polyseacutemie potentielle des termes laquo labourer raquo et laquo agriculture raquo par des synonymes140

Soit par un autre mot si le lexique le permet soit par une paraphrase synonymique On dira

ainsi plus scientifiquement que le lombric laquo se nourrit drsquohumus raquo et non qursquoil laquo laboure raquo

Cette convergence synonymique interdit drsquoinclure le mode drsquoalimentation du lombric dans le

champ des activiteacutes agricoles Cela dit Jean-Claude Ameisen a raison mythiquement degraves lors

qursquoil met la preuve dans le mot (Idem pour le choix du terme laquo invention raquo)

- Quantitativement laquo il ignore lrsquoautonyme raquo 1173 Lrsquoauteur appelle ainsi la possibiliteacute

permanente de reformuler un laquo terme raquo de proposition (uniteacute seacutemantique) en variant la

quantiteacute des mots qui le composent Ce que lrsquoon deacuteveloppe peut ecirctre reacutesumeacute et inversement

Reprenons notre exemple Scientifiquement le biologiste contemporain peut comprendre

le propos laquo le ver de terre laboure raquo mais agrave condition de pouvoir le reformuler en laquo le

lombric avale de lrsquohumus le broie dans un geacutesier en digegravere les eacuteleacutements nutritifs pour son

espegravece et lrsquoexcregravete raquo En revanche mythiquement le labour reste tout simplement du labour

puisqursquoon lrsquoappelle ainsi Et faute drsquoexplication on peut en infeacuterer que le lombric et lrsquohomme

sont deux agriculteurs Or je doute fortement que Jean-Claude Ameisen connaisse un paysan

qui procegravede comme le lombric et quoique modeste jardinier je refuse drsquoen passer par lagrave pour

faire pousser mes petits pois

Le mythe laquo ignore aussi lrsquoautonyme par ougrave le centaure scientifiquement se deacutemonte raquo

1173 Lrsquoexemple proposeacute par JG me paraicirct une boutade Son raisonnement me semble ecirctre

le suivant Le nom laquo un centaure raquo induit agrave penser agrave un animal unique par raisonnement

mythique Une des leacutegendes imagine qursquoil srsquoagit de la reacuteaction de populations grecques

archaiumlques (les Acheacuteens) ignorant lrsquoeacutequitation agrave la vue des premiers cavaliers immigrants (les

Doriens) La science en revanche conduirait agrave observer qursquoun cavalier agrave un moment donneacute

descend de son cheval Bref que cela se deacutemonte Le raisonnement scientifique impose de

laquo reacutefuter raquo lrsquohypothegravese de lrsquoanimal centaure pour lui substituer lrsquohypothegravese du complexe

laquo cheval monteacute par un cavalier raquo qui constitue alors avec le mot laquo un centaure raquo une uniteacute

autonymique

Propositions corollaires des preacuteceacutedentes Le mythe laquo exploite systeacutematiquement la

polyseacutemie et la polyrheacutemie raquo 1174

1 - Lrsquoexploitation de la laquo polyseacutemie raquo Faisons le point sur cette notion car ce concept

condense les deux phases de la dialectique du dire JG parle agrave plusieurs reprises de laquo la

polyseacutemie du segraveme raquo 364 864 905 Rappelons la relation eacutetroite du concept de

laquo polyseacutemie raquo et du concept drsquo laquo improprieacuteteacute raquo grammaticale qui est laquo eacutevidement de sens raquo

Le concept de laquo polyseacutemie raquo implique lrsquoimproprieacuteteacute dont elle deacutecoule rheacutetoriquement Si lrsquoon

139 Jean Claude Ameisen 2013 Sur les eacutepaules de Darwin tome 2 Je trsquooffrirai des spectacles admirables (Eacuted France-Inter LLL)

140 Cf Jean-Claude Schotte 1997 La raison eacuteclateacutee p 258 laquo Un lecteur qui ne synonymise pas rend le reacuteel intelligible verbalement mais par la seule hypostase du vide diffeacuterentiel raquo Et p 259 laquo Cette identiteacute proteacuteique est si eacutetonnante qursquoelle nrsquoest intelligible que si lrsquoon y voit les avatars de la mecircme chose raquo Pour Jean-Claude Ameisen lombric et homme sont des laquo avatars raquo du vivant

De la deacutesignation 251

peut parler de la polyseacutemie de la preacuteposition laquo de raquo ou du suffixe drsquoimparfait crsquoest en raison

de lrsquoidentiteacute du terme qui cadre cette varieacuteteacute et en est la condition neacutecessaire car la valeur

drsquoun segraveme nrsquoest pas lrsquoaddition de ses sens mais sa diffeacuterence formelle drsquoavec les autres segravemes

JG veut dire ici que la seacutemantique mythique reacuteunit les effets de sens drsquoun mot leur

imagine une relation dans la reacutealiteacute et les pense comme lrsquointeacuterieur partageacute de la surface

seacutemantique du mecircme mot JG dit agrave juste titre que le mythe laquo combine raquo (laquo lrsquoopeacuteration

bancaire avec lrsquoopeacuteration chirurgicale raquo) 1174 Ainsi en va-t-il aussi de laquo lrsquoagriculture raquo chez

Jean-Claude Ameisen pour qui le lombric et lrsquohomme ont en partage cette pratique postuleacutee

homogegravene Et plus loin dans lrsquoouvrage de la laquo deacutemocratie des abeilles raquo p116 avec la caution

de Thucydide au motif que lrsquoabeille pourrait prendre laquo une deacutecision agrave partir drsquoun deacutebat

contradictoire qui fait basculer lrsquoensemble de la collectiviteacute vers ce choix majoritaire qui

devient le choix adopteacute par tous raquo Bref laquo Nous deacutecouvrons [dans la ruche] ce que nous

croyons avoir inventeacute raquo [en Gregravece ]) Et pourtant aucun Atheacutenien agrave ma connaissance nrsquoa

jamais confondu sa participation agrave lrsquoecclesia et lrsquoexploitation de sa ruche Mais un tel

discernement ne compte pas pour qui seul compte le pouvoir identificateur du mot Par

conseacutequent il me semble possible drsquoaffirmer que laquo lrsquoexploitation raquo que fait le mythe de la

polyseacutemie consiste agrave la laquo nier raquo tout comme il nie la synonymie qui lrsquoexplicite

La seacutemantique scientifique fait lrsquoinverse Elle accepte au nom de lrsquoobservation que les sens

drsquoun mecircme mot soient des sens diffeacuterents agrave la seule condition que les reacutealiteacutes qursquoelles pensent

soient dissemblables La fraise des bois nrsquoest pas celle du meacutetallurgiste ni celle porteacutee par

Henri IV et si jrsquoaccepte agrave Noeumll de manger une laquo crotte raquo en chocolat crsquoest en connaissance

(scientifique) de cause

Les exemples du texte renvoient drsquoabord au domaine humain eacutevoquant laquo les avatars et

meacutetamorphoses raquo des personnages mythiques La personne dont lrsquouniteacute est garantie par le

nom peut varier ses apparences Drsquoautres exemples eacutevoquent ensuite le domaine de la nature

agrave travers la theacuteorie du laquo principe de correspondance raquo ou encore de laquo sympathie raquo

2 - Lrsquoexploitation de la laquo polyrheacutemie raquo 1181 laquo explique le caractegravere aphoristique de ces

mots-phrases dont la litteacuterariteacute commande lrsquoefficaciteacutehellip raquo Il srsquoagit des diverses variantes de

paronomase laquo Nomen omen raquo laquo Nomina numina raquo laquo Traduttore traditore raquo laquo Summum

jus summa injuria raquo laquo Ever forgive never forget raquo laquo comparaison nrsquoest pas raison raquo et peut-

ecirctre aussi laquo Fermeacute pour cause drsquoouverture raquo laquo Deacutefense de courir sous peine de poursuites raquo

etc Cela revient agrave laquo ignorer lrsquoautonyme raquo 1173 Le part du raisonnement qui est mythique

tient au figement (relatif) de la formulation et repose sur la partie reacutepeacutetitive Le mot tend agrave

coiumlncider en quantiteacute avec la phrase qui ne peut plus se deacutevelopper ni srsquoexpliquer Il faut que

cela soit dit ainsi ni plus ni moins

laquo hellipCes mots-phraseshellip qui theacuteologiquement opposent au dogme lrsquoheacutesychasme raquo 1181

Lrsquoheacutesychasme (du grec ἡσυχία hesychia laquo la tranquilliteacute raquo) est une doctrine du premier

monachisme oriental (Jean Cassien - Ioannis Kassianos deacutebut du 5e siegravecle) qui en particulier

procircne la laquo priegravere monologique raquo Celle-ci consiste agrave reacutepeacuteter en continu une formule de priegravere

Diadoque de Photiceacute professait ceci laquo Il faut donner [agrave lrsquointellect] le ‟Seigneur Jeacutesusrdquo comme

la seule occupation qui reacuteponde entiegraverement agrave son but raquo (Cent chapitres spirituels ndeg59) Les

mantras en sont un autre exemple dont le laquo Are Krishna raquo de lrsquohindouisme ou le laquo Aom-ma-ni-

pegrave-meacute-houng raquo du bouddhisme tibeacutetain ougrave chaque syllabe formule lrsquoune des six grandes

vertus laquo Lrsquoexploitation de la polyrheacutemie raquo est ici flagrante Ce figement du dire est

lrsquoantagoniste de la dogmatique qui procegravede par explication du dogme (agrave fin de justification)

252 Une lecture de Jean Gagnepain

On sait quels torrents de paroles et drsquoeacutecrits la simple formule laquo filioque procedit raquo du

laquo Credo raquo chreacutetien a susciteacutes

La fin de cette partie est orienteacutee vers le repeacuterage des mythes quotidiens par une

laquo observation preacutecise et toujours cas par cas raquo 1182 du laquo meacutecanisme de lrsquohypostase raquo

1191 des mots dans les langues

Le vocabulaire politique est en premiegravere ligne laquo bourgeoisie raquo laquo libeacuteralisme avanceacute raquo etc

1182 Ajoutons que les formulations du type de laquo La France attend la reprise le Peuple

souffre la Jeunesse nrsquoy croit plus etc raquo sont mythiques dans la mesure ougrave au lieu de faire

prendre conscience drsquoune polyseacutemie ou drsquoune reacutefeacuterence vague elles creacuteent une image

drsquohomogeacuteneacuteiteacute fictive drsquoun point de vue scientifique mais bien reacuteelle du point de vue

mythique

Trois conseils sont alors donneacutes pour comprendre le mythe chacun sur un plan de

meacutediation 1182 Glossologique accepter que logiquement le mythe soit le reacutesultat drsquoun

raisonnement et non une sorte laquo drsquoideacutee de lrsquohomme raquo a priori laquo preacuteexistante [agrave lrsquohomme] lui-

mecircme raquo Axiologique distinguer le raisonnement de sa laquo motivation raquo sur le plan du deacutesir

Sociologique laquo Dissocier enfin du mythe lrsquoideacuteologie raquo JG anticipe ici sur une reacuteflexion meneacutee

dans le deuxiegraveme tome la Personne Il met alors en opposition laquo lrsquoideacuteologie raquo qui est ana-

chronique crsquoest-agrave-dire reacutesistance agrave la transformation et laquo lrsquoeacutepisteacutemologie raquo qui vise agrave laquo syn-

chroniser raquo le savoir agrave le transformer par une confrontation avec drsquoautres cadres theacuteoriques

Or ce couple de concepts sociologiques (de lrsquoordre du savoir de la doxa) doit ecirctre croiseacute avec

le couple laquo science ndash mythe raquo qui lui est drsquoordre logique de lrsquoordre de la connaissance JG

prend en exemple de savoir laquo ideacuteologique raquo laquo la science de lrsquoeacutevidence raquo autrement dit le

positivisme des faits et vise en particulier le cognitivisme lorsque ce dernier utilise y compris

dans des protocoles expeacuterimentaux les concepts de laquo mot raquo ou de laquo son du langage raquo tels que

les construit le savoir scolaire (ignorant lrsquoapport de Saussure) Pour lui il srsquoagit drsquoune

laquo ideacuteologie raquo au regard du savoir laquo eacutepisteacutemologique raquo qui consiste agrave reconnaicirctre que lrsquohumain

(culturel) demande laquo une science du paradoxe raquo autrement dit un modegravele explicatif dialec-

tique Inversement lrsquoauteur admet que laquo les sciences humaines raquo soient largement mythiques

et pleines de raisonnements hypostatiques toutefois elles sont des savoirs laquo eacutepisteacutemologi-

ques raquo parce qursquoelles acceptent de laquo remettre en cause la faccedilon de poser raquo les questions 1192

JG observe cependant une diffeacuterence sur ce point entre sciences de la nature et sciences

de la culture 1183 Lrsquoexpeacuterimentation dans les premiegraveres laquo permet de fairehellip progressive-

ment et non moins deacutecisivement la part entre de lrsquoeacutevocation [mythique] et de la formulation

[scientifique] raquo Ce nrsquoest pas le cas dans les secondes en raison de lrsquoabsence drsquoexpeacuterimentation

comparable

Dans les sciences humaines laquo le mythe et la science sont drsquoeacutegale efficaciteacute raquo en raison de

ce qursquoil appelle ailleurs laquo la circulariteacute anthropologique raquo Puisque lrsquohomme observe de

lrsquohomme laquo il fait aussi les regravegles du jeu raquo 1184 et laquo lrsquoobjectiviteacute nous inclut raquo Crsquoest tout le

problegraveme de la laquo falsifiabiliteacute raquo des tests Lrsquoexemple est proposeacute de la psychanalyse qui selon

lrsquoauteur parle laquo drsquoalieacutenation et drsquoanalyse raquo lagrave ougrave lrsquoon parlait de laquo possession et drsquoexorcisme raquo

De la deacutesignation 253

et laquo de transfert raquo lagrave ougrave lrsquoon disait laquo intercession raquo On aurait seulement laquo changeacute les mots

hypostasieacutes raquo 1191 141

Derniegravere leccedilon 1192 Mythe et science ne sont pas des eacutetapes successives mais des

modes de raisonnement laquo On srsquoest trop vite cru sorti des limbes alors qursquoon les porte

irreacutemeacutediablement en soi raquo (laquo Limbes raquo a ici son sens latin ndash laquo limbi raquo laquo bordures raquo et non

son sens theacuteologique)

Un combat laquo intime raquo se livre laquo le combat que le langage se livre incessamment agrave lui-

mecircme plutocirct que mythiquement aux choses raquo 1192 Je propose la lecture suivante

- Le premier laquo combat raquo renvoie agrave la proposition la science est laquo meacutetalinguistique raquo 1062

elle est laquo meacutetalangage raquo 1071 Rappelons que laquo meacuteta- raquo signifie ici laquo transformation de raquo En

effet la science oblige le vocabulaire et la phraseacuteologie agrave se reacuteameacutenager en raison de la

situation Les eacuteleacutements et relations grammaticales srsquoy transforment en eacuteleacutements et relations

conceptuelles

- Le second combat renvoie agrave la proposition le mythe est laquo meacutetaphysique raquo 1062 puisque

la conception du reacuteel srsquoeacutelabore et est transformeacutee en fonction de la maniegravere dont la

grammaire srsquoorganise

laquo La rheacutetorique nrsquoy gagne rien mais la science axiomatiquement agrave coup sucircr qui ne saurait

lrsquoemporter qursquoaux deacutepens ndash historiques ndash de son adversaire raquo 1192 Cette phrase dissocie trois

aspects de laquo la science raquo logique (aspect qui la fonde) axiologique et sociologique Science et

mythe en tant que modaliteacutes logiques sont des proprieacuteteacutes constantes de lrsquohumain En tant

qursquoaptitudes elles laquo ne gagnent rien raquo lorsque le savoir scientifique domine le savoir

mythique et reacuteciproquement Crsquoest du point de vue de la norme meacutethodologique qursquoun gain

ou une perte peuvent ecirctre jugeacutes Et les diverses meacutethodologies en deacutebat srsquoinscrivent dans une

histoire

laquo Mythe ou science le verbe coupe reacutesolument les ailes agrave tout essor transcendental raquo 1193

Cette derniegravere phrase fait profession drsquoimmanence agrave travers la figure du prisonnier deacutejagrave

invoqueacute en 302 laquo Prisonniers en quelque sorte de nous-mecircmes nous devons de comprendre agrave

notre inaptitude agrave contempler nous ne pensons quavec des mots raquo Le verbe est la cause agrave la

fois de la science et du mythe comme il lrsquoest aussi du poegraveme dont il va ecirctre question par la

suite Paraphrase de 1062 laquo hellip la science le mythe et le poegraveme [sont]hellip autant de varieacuteteacutes

drsquoune seule et mecircme causaliteacute raquo

3 ndash Poegraveme La seacutemantique endocentrique

Deacutefinitions varieacutees sous forme de triplets

laquo Lrsquoestheacutetiquehellip comme nous lrsquoentendons nrsquoa rien drsquoun jeu gratuit Elle est une tierce forme

de neacutecessiteacute raquo 1194 Le lecteur est inviteacute agrave bien faire la diffeacuterence entre les deacutefinitions

classiques (et varieacutees) de ce terme et le sens qursquoil a dans la theacuteorie de la meacutediation Il ne srsquoagit

pas de laquo sensibiliteacute raquo comme lrsquoeacutetymologie le suggegravere ni de rapport agrave la beauteacute Le terme

laquo estheacutetique raquo deacutesigne de faccedilon geacuteneacuterique un type de performance crsquoest-agrave-dire un type de

141 On trouvera aussi un ensemble drsquoanalyses preacutecises de raisonnements mythiques dans des textes de statut laquo scientifique raquo dans la thegravese de Jacques Laisis Apport meacutethodologique de la linguistique structurale agrave la clinique ch2 laquo Mythe et science raquo p 93-100

254 Une lecture de Jean Gagnepain

reacuteinvestissement de la structure dans la conjoncture et ceci sur chacun des plans ici sur celui

du dire Ce passage traite speacutecifiquement de lrsquoestheacutetique poeacutetique La suite du Vouloir-Dire fait

eacutetat de lrsquoestheacutetique plastique (dans lrsquoOutil) chorale (de la Personne) et heacuteroiumlque (de la

Norme)

Il faut souligner agrave nouveau que lrsquoextension donneacutee ici au terme poegraveme ne correspond pas agrave

ce que lrsquoon appelle drsquoordinaire laquo poegraveme raquo pas plus que les termes science et mythe ne

correspondaient agrave ce que lrsquoon entend drsquoordinaire par lagrave Il y a donc des œuvres qualifieacutees de

laquo poegravemes raquo qui ne relegravevent pas de la seacutemantique poeacutetique tandis qursquoinversement la seacuteman-

tique poeacutetique est preacutesente dans des œuvres qui ne sont pas consideacutereacutees comme des poegravemes

En outre il ne srsquoagit pas ici de classer des messages mais de repeacuterer dans le message ce qui

relegraveve respectivement de la seacutemantique poeacutetique mythique et scientifique trois modaliteacutes qui

srsquoy trouvent agrave des degreacutes divers Aucun de ces raisonnements nrsquoest exclusif des autres (Voir ci-

dessous en particulier 1222 et 1233)

Le raisonnement poeacutetique est une laquo tierce forme de neacutecessiteacute raquo 1194 en ce qursquoil produit

une reacutegulariteacute et non de lrsquoaleacuteatoire et en ce qursquoil produit de lrsquoanalyse et non de la saillance

tout comme le raisonnement scientifique et mythique

laquo Elle [la poeacutesie comme estheacutetique du dire] nrsquoest point lrsquoornement mais lrsquoinversion drsquoune

pratique ougrave le message autoreacutefeacuterenceacute se deacutesigne lui-mecircme et cessant de la dire se fait en

somme conjoncture puisqursquoau lieu drsquoecirctre un ecirctre-pour il est et nrsquoa pas drsquoautre fin raquo 1194

Nous avons deacutejagrave rencontreacute le jeu de mots fait entre laquo pratique raquo et laquo pragma raquo en 1121

Science et mythe relegravevent drsquoun raisonnement laquo pratique raquo parce qursquoils visent le laquo pragma raquo agrave

savoir la situation soit pour ameacutenager les mots en concepts en fonction du reacuteel soit pour

imaginer conceptuellement le reacuteel en fonction des mots Les deux sont laquo exocentriques raquo La

rheacutetorique poeacutetique au lieu de se tourner vers le pragma inverse la viseacutee en se retournant

vers la grammaire et en laquo lrsquoexhibant raquo (disait Roman Jakobson) Le message qui en reacutesulte est

ainsi laquo autoreacutefeacuterenceacute raquo au lieu de reacutefeacuterencier Au lieu de se confronter agrave la conjoncture il laquo se

deacutesigne lui-mecircme raquo comme eacutetant conjoncture Il est laquo endocentrique raquo 1061

laquo Elle [la poeacutesie comme estheacutetique du dire] nrsquoest point lrsquoornementhellip raquo 1194 Ce deacutebut de

phrase fait eacutecho agrave la conclusion proposeacutee par Roman Jakobson agrave son article laquo linguistique et

poeacutetique raquo (in Essais de linguistique geacuteneacuterale) laquo La poeacutesie ne consiste pas agrave ajouter des

ornements rheacutetoriques elle implique une reacuteeacutevaluation totale du discours et de toutes ses

composantes quelles qursquoelles soient raquo p 248

laquo Le poegraveme est authentiquement ‟opus additum naturaerdquo raquo crsquoest-agrave-dire laquo une œuvre

ajouteacutee agrave la nature raquo (Lrsquoexpression est de Duns Scott reprise par Saint Thomas) 1201

Suit 1202 une seacutequence de formules ternaires qui situent le poegraveme par rapport au couple

que forment la science et le mythe Conformiteacute agrave laquo ce qui srsquoeacutevoque raquo par le mot (mythe) ou agrave

ce qui laquo se formule raquo par le mot (science) drsquoun cocircteacute et conformiteacute du mot agrave un autre mot du

contexte laquo qui lrsquoincante raquo (poegraveme) La neacutecessiteacute scientifique eacutetait laquo deacuteterministe raquo et la neacuteces-

siteacute mythique laquo fataliste raquo la neacutecessiteacute poeacutetique est dans son laquo rythme raquo (incantatoire)

- laquo That it should not mean but be raquo 1202 (Archibald MacLeish poegravete ameacutericain du deacutebut

du XXe siegravecle ‟Ars poeticardquo 1926) Le message poeacutetique est autosuffisant

- laquo Le ‟Sinnrdquo nrsquoest pas en questionhellip seulement la ‟Bedeutungrdquo raquo 1202 Sur cette

opposition voir 673 La laquo Bedeutung raquo est laquo la reacutefeacuterence raquo laquo le rapport du signe agrave la

De la deacutesignation 255

conjoncture raquo tandis que le laquo Sinn raquo est la laquo signification raquo ou laquo valeur raquo grammaticale chez

JG ou encore laquo lrsquoincidence raquo ou rapport du signe agrave la structure en 633

Autres triplets

- 1202 laquo Le motif raquo poeacutetique est immanent (endocentrique) tandis que laquo lrsquoideacutee raquo scienti-

fique et laquo lrsquohypostase raquo mythique (exocentriques) sont tourneacutees vers la conjoncture

- 1202 La laquo causaliteacute raquo poeacutetique se preacutesente dans le temps comme une laquo peacuteriodiciteacute raquo (un

laquo rythme raquo) alors que la causaliteacute scientifique se preacutesente comme une laquo successiviteacute raquo qui

permet un deacuteploiement drsquoinformations et que la causaliteacute mythique est laquo panchronique raquo

hors de la temporaliteacute qursquointroduit la conjoncture

- 1203 La viseacutee poeacutetique est laquo prosodique raquo (laquo pros-odos raquo) et non laquo meacutetalinguistique raquo

(science) ou laquo meacutetaphysique raquo (mythe) Cf 1062 Les deux derniegraveres laquo reacuteameacutenagent raquo

respectivement la grammaire et lrsquoexpeacuterience La premiegravere est une marche rythmeacutee une

laquo procession raquo

On a vu JG critiquer en 971-2 laquo labusive extension de lusage du concept de prosodie raquo

Rappelons qursquoelle laquo palliait raquo la reacuteduction des faits phoneacutetiques agrave une laquo taxinomie raquo

drsquooppositions Il propose donc de retirer le terme du vocabulaire de la phoneacutetique pour

lrsquoutiliser ici agrave meilleur escient

Seacutemantique poeacutetique en soustraire le recoupement des autres plans

Suit une double critique de la place faite agrave la poeacutesie dans la rheacutetorique classique Drsquoune

part la notion de poeacutesie nrsquoy est pas laquo deacuteconstruite raquo selon les plans de meacutediation et lrsquoon y

mecircle des consideacuterations sociologiques (de genres) agrave des consideacuterations axiologiques de plaisir

et de sublimation La suite de lrsquoexposeacute reviendra sur ce point Drsquoautre part du strict point de

vue logique les traiteacutes de poeacutetique eacutenumegraverent des processus sans saisir le principe mecircme de

la construction laquo prosodique raquo endocentrique

Il faut donc deacuteconstruire la notion de poeacutesie par laquo soustraction raquo des aspects axiologiques

que la tradition met en avant Une concession est faite laquo le poegraveme peut ecirctre eacutegalement un

discours et sublimer des obsessions raquo 1204 Certes mais ceci est vrai de tout fait langagier

mythique ou scientifique compris de sorte que cette discursiviteacute nrsquoexplique pas ce qui speacutecifie

la seacutemantique poeacutetique parmi les laquo faccedilons de causer raquo La laquo motivation raquo est axiologique

tandis que le laquo motif raquo (dont le laquo rythme raquo) est proprement logique Enfin la poeacutesie est tout

autant rigoureuse exigeante laquo seacutevegraverement reacutegleacutee raquo qursquoun traiteacute scientifique ou qursquoun jeu de

mots mythique Exit la notion de laquo liberteacute raquo ou de laquo licence raquo poeacutetique 1211 qui nrsquoest qursquoune

illusion due agrave ce que lrsquoon prend comme point de reacutefeacuterence la rigueur meacutethodologique de la

seacutemantique scientifique objective La comparaison la plus juste est agrave faire avec les construc-

tions laquo endocentriques raquo des autres plans dont la laquo fonctionnaliteacute plastique raquo preacutesenteacutee dans

la theacuteorie de lrsquoOutil illustreacutee ici par lrsquoeacutevocation de laquo lrsquoartiste esclave de son geste raquo et de la

rigueur de la laquo la danse raquo

JG poursuit son travail de speacutecification de la seacutemantique poeacutetique par de nouvelles

soustractions En effet laquo on a pris [le poegraveme] pour ce qursquoil nrsquoeacutetait pas raquo 1212 En particulier en

lui reconnaissant des fonctions elle serait laquo narrative raquo ou laquo didactique raquo laquo engageacutee raquo ou

laquo lyrique raquo Rien de cela ne deacutefinit le poegraveme quoique de telles fonctions puissent neacutecessiter le

message par surcroicirct de faccedilon scientifique ou mythique du point de vue glossologique et

puissent ressortir par ailleurs agrave la socio ou agrave lrsquoaxiolinguistique

256 Une lecture de Jean Gagnepain

Viseacutee poeacutetique et paramegravetres du message

laquo Lrsquoauteur avec son œuvre entretient une relation contraire agrave celle de lrsquoeacutemetteur et du

pragma raquo 1212 On remarquera le changement de vocabulaire Srsquoagissant de science on

pouvait observer la part de lrsquoeacutemetteur dans le raisonnement exocentrique en relation avec le

laquo pragma raquo qursquoest la conjoncture Srsquoagissant du poegraveme comme on lrsquoa vu plus haut 1194 crsquoest

le message lui-mecircme laquo autoreacutefeacuterenceacute raquo qui devient pragma Un tel message est donc

deacutenommeacute laquo œuvre raquo et lrsquoeacutemetteur devient laquo auteur raquo Ce dernier terme nrsquoest pas pris ici dans

un sens sociologique mais comme synonyme de laquo creacuteateur raquo de lrsquoœuvre puisque crsquoest dans le

laquo rythme raquo mecircme des mots qursquoil puise la neacutecessiteacute qui aboutit au poegraveme sans qursquoil y ait

confrontation avec lrsquoextralinguistique

laquo Attendu qursquoelle [lrsquoœuvre] eacutechappe aux conditions de sa genegravese loin qursquoil [lrsquoauteur] y

trouve son eacutepiphanie crsquoest drsquoelle qursquoil tient ce qursquoil est raquo 1212 Lrsquoœuvre eacutechappe agrave ce qui de la

situation est deacuteterminant dans la science ou le mythe quel qursquoen soit le paramegravetre Par conseacute-

quent alors que lrsquoeacutemetteur se manifeste dans son message ndash laquo eacutepiphanie raquo du grec

επιφάνεια epiphaneia veut dire laquo manifestation raquo (de φαίνω phaiumlno laquo faire voir raquo) ndash crsquoest

lrsquoœuvre qui lui donne le statut drsquoauteur Autrement dit alors que lrsquoeacutemetteur laquo produit raquo le

message crsquoest lrsquoœuvre qui laquo produit raquo lrsquoauteur

laquo Objet reacutecepteur vecteurhellip nrsquoy interviennent qursquoen tant que preacutetextes agrave variations raquo 1212

Les paramegravetres ne sont plus des modaliteacutes drsquoinformation mais comptent poeacutetiquement srsquoils

sont parties prenantes des configurations formelles qui creacuteent le laquo motif raquo du poegraveme

Poeacutetique et axes

La laquo neacutecessiteacute raquo poeacutetique a jusqursquoici eacuteteacute deacutefinie dans les termes suivants le message

preacutesente un laquo motif raquo laquo un rythme raquo laquo une peacuteriodiciteacute raquo JG ajoute maintenant qursquoelle se

repegravere agrave la preacutesence drsquoun laquo megravetre raquo et drsquoune laquo rime raquo 1213 On reconnaicirct lagrave les deux axes de

lrsquoanalyse quantitative et qualitative Le terme de laquo rime raquo peut ecirctre pris dans son sens

classique ou dans laquo son acception drsquoorigine raquo plus large Il est probable que lrsquoauteur accepte ici

lrsquoeacutetymologie qui relie laquo rime raquo agrave laquo rythme raquo Walther von Wartburg le conteste dans son

Dictionnaire eacutetymologique de la langue franccedilaise et propose une relation au francique laquo rim raquo

seacuterie tandis que Pierre Guiraud dans Dictionnaire des eacutetymologies obscures renvoie au latin

laquo rimare raquo rechercher Ce qui importe agrave JG est que laquo le vers et la strophe raquo soient deacutefinis par

laquo une reacutecurrence raquo 1213 faute de quoi crsquoest laquo la mort du poegraveme raquo Telle est laquo lrsquoindispensable

cleacute raquo Par conseacutequent un message qualifieacute de laquo poegraveme en prose raquo qui ne preacutesenterait aucune

sorte de reacutecurrence ne relegraveverait pas de la seacutemantique poeacutetique quelle que soit laquo lrsquoeacutemotion raquo

qursquoil suscite en tant que laquo reflet drsquoun eacutetat drsquoacircme raquo Lagrave nrsquoest pas le poegraveme mais dans laquo sa

composition raquo

Poeacutetique et faces du signe

La thegravese preacutesenteacutee ici est en apparence surprenante JG soutient ici que laquo la prosodie raquo est

une fonction purement seacutemantique laquo et la scansion un mode drsquoeacutenonciation raquo et non pas de

prononciation 1214 Le poegraveme est ainsi totalement une seacutemantique laquo Le poegraveme se situe agrave

lrsquoinstar de la science et du mythe sur la mecircme face du signe raquo 1221

Paradoxe puisque la tradition relie le plus souvent agrave la phoneacutetique les pheacutenomegravenes de

reacutecurrence de motifs drsquoaccentuation de seacutequences syllabiques (ou vers) deacutelimiteacutees de reacutepeacuteti-

tion de phonegravemes (internes ou finaux aux vers) et drsquoalliteacuteration On srsquoattendait agrave ce que JG

De la deacutesignation 257

recherche la viseacutee endocentrique sur les deux faces du signe dans une phoneacutetique poeacutetique

associeacutee agrave une seacutemantique poeacutetique Or on a deacutejagrave remarqueacute que ce traiteacute de rheacutetorique ne

distingue pas entre diverses laquo modaliteacutes phoneacutetiques raquo Rien nrsquoest dit en particulier drsquoune

modaliteacute exocentrique mythique qui identifierait la prononciation au phonegraveme au meacutepris de

la polyphonie On pourrait cependant soutenir que crsquoest lrsquoattitude la plus commune celle qui

parle de laquo sons du langage raquo en srsquoimaginant que tout ce qui est compris comme a est

toujours prononceacute [a]

JG soutient que tous les faits de phonologie peuvent ecirctre concerneacutes mais que ce nrsquoest pas

en tant que tels mais en tant que laquo marques raquo des segravemes et des mots 1214 Dans le poegraveme le

reacuteameacutenagement seacutemantique aboutit agrave la rime et au vers La reacutecurrence de la rime en fin de

vers doit faire penser laquo agrave la synonymie raquo et non agrave de laquo lrsquohomeacuteophonie raquo (phoneacutetique) 1221 et

laquo la ceacutesure raquo meacutediane est la figure endocentrique de la coupe preacutedicative reacutefeacuterentielle qui fait

des laquo heacutemistiches raquo un motif laquo isochrone raquo En somme ce qui apparaicirct comme phoneacutetique est

la caution formelle apporteacutee par les phonegravemes agrave cette seacutemiologie qui laquo srsquoexhibe raquo en seacuteman-

tique

Il srsquoagit donc de faire la part dans un message qualifieacute de laquo poegraveme raquo de ce qui ressortit agrave la

seacutemantique poeacutetique et agrave la seacutemantique scientifique En effet laquo lrsquoun des systegravemes de

conceptualisationhellip nrsquoexclut pas lrsquoautre raquo 1222 et laquo tous les degreacutes de contamination sont

possibles entre le motif [poeacutetique] et lrsquoideacutee [scientifique] raquo Une laquo harmonie raquo peut ecirctre

rechercheacutee entre les deux Le terme laquo harmonie raquo ne peut pas renvoyer agrave la prosodie elle-

mecircme puisqursquoil est appliqueacute agrave la relation entre science et poegraveme dans le message Il srsquoagit

plutocirct de lrsquoappreacuteciation ou du jugement axiologique porteacute sur le reacutesultat (Je ne parle pas de

laquo jugement estheacutetique raquo puisque pour JG lrsquoestheacutetique est exclusivement la performance

endocentrique quel que soit le plan)

On ne doit pas laquo espeacuterer fonder la poeacutesie dans la paronomase raquo 1222 Rappel la

laquo paronomase raquo est deacutefinie comme un rapprochement seacutemantique de mots fondeacute sur la

proximiteacute de la seacutequence des phonegravemes qui les marquent comme dans laquo Tradutore

tradittore raquo Il semble que lrsquoauteur fasse reacutefeacuterence agrave Roman Jakobson qui dans laquo Linguistique

et poeacutetique raquo ch XI des Essais de linguistique geacuteneacuterale preacutesente son observation de la

laquo fonction poeacutetique raquo avec des exemples tels que laquo I like Ike raquo laquo lrsquoaffreux Alfred raquo p219 et

laquo The pallid bust of Pallas raquo p239 Le principe de laquo congruence raquo 1222 auquel JG fait allusion

renvoie agrave lrsquoassociation eacutetroite qursquoobserve Roman Jakobson entre phonegravemes et sens

laquo lrsquoeacutequivalence des sons projeteacutee sur la seacutequence comme son principe constitutif implique

ineacutevitablement lrsquoeacutequivalence seacutemantique raquo p235

Essayons de clarifier ce propos qui paraicirct distinct de celui tenu plus haut en 1221

laquo Certains raquo croient que la paronomase fonde la poeacutesie parce qursquoils laquo ne voient du phonegraveme

au plus long eacutenonceacute quune diffeacuterence de complexiteacute et dans le signifieacute quun ‟contenurdquo dont

la deacutesignation devenait elle-mecircme arbitraire raquo 1222 Il srsquoagit des theacuteories de laquo niveaux raquo dont

Jakobson srsquoinspire et la fin de la phrase typiquement saussurienne fait comprendre que JG

parle ici de la seacutemantique laquo ordinaire raquo non poeacutetique La poeacutesie au contraire laquo inverse raquo

laquo lrsquoarbitraire raquo de la relation laquo forme ndash sens raquo et cherche une laquo congruence raquo crsquoest-agrave-dire une

motivation entre la forme du mot et son sens Ainsi laquo Ike raquo de par son preacutenom est-il associeacute agrave

lrsquoamour (to like) Attention agrave bien faire ici la diffeacuterence entre le raisonnement mythique qui

constitue lrsquoassociation en reacutealiteacute et le raisonnement poeacutetique qui preacutesente lrsquoassociation pour

elle-mecircme

258 Une lecture de Jean Gagnepain

Pour JG ce serait un retour agrave la laquo phoneacutetique impressive raquo de Maurice Grammont 12227

Celui-ci dans laquo Onomatopeacutees et mots expressifs raquo (1901) puis dans le chapitre laquo phoneacutetique

impressive raquo de son Traiteacute de phoneacutetique (1933) attribue des laquo valeurs impressives raquo aux

eacuteleacutements phoneacutetiques ndash voyelles laquo aigueumls eacuteclatantes sombres voileacutees raquo ndash et leur donne un

pouvoir eacutevocateur Les voyelles laquo eacuteclatantes raquo (a o) conviendraient agrave ce qui est majestueux

(laquo gloire colosse raquo) et les nasales exprimeraient laquo la lenteur la langueur la nonchalance raquo

Les exemples qui suivent montrent la combinaison du laquo motif raquo (poeacutetique) et de laquo lrsquoideacutee raquo

(scientifique) dans le message 1222 Lrsquoun et lrsquoautre reacuteameacutenagent la grammaire Agrave la

congruence poeacutetique de laquo Bidasse raquo et de laquo Arras raquo correspond la congruence scientifique

drsquoArras et de Valenciennes deux villes voisines du nord de la France (Reacutefeacuterence agrave la chanson

de Louis Bousquet 1913 laquo Avec lrsquoami Bidasse On nrsquose quitte jamais Attendu qursquoon est

Tous deux natifs drsquoArras Chef-lieu du Pas-drsquoCalais raquo) La notion de vocable est deacutefinie en 864

et celui drsquoautonyme en 934

JG note la possibiliteacute du recoupement entre laquo lrsquoictus raquo et laquo lrsquoemphase raquo 1222 Lrsquoictus en

meacutetrique greacuteco-latine est le temps fort drsquoun scheacutema rythmique Soit pour le deacutebut de

lrsquoEacuteneacuteide aacuterma viruacutemque canoacute qui correspond non agrave lrsquoaccentuation de la prose mais agrave celle

du rythme dactylique En vers franccedilais classique cet ictus porte sur la rime ou la ceacutesure

Lrsquoemphase elle concerne lrsquoeacuteleacutement seacutemantiquement mis en relief Il y a recoupement des

deux dans laquo Jirai par la forecirct jirai par la montagne raquo (Victor Hugo laquo Demain degraves lrsquoaube raquo)

et dispersion des accents dans laquo Les grands jets deau sveltes parmi les marbres raquo (Verlaine

laquo Clair de lune raquo)

Lrsquoexemple de Max Jacob laquo agrave Paris sur un cheval gris agrave Nevers sur un cheval vert agrave Issoire

sur un cheval noir raquo fait coiumlncider dit JG laquo non pas le son et le sens raquo mais laquo deux sens raquo Lrsquoun

est scientifique (les vocables de villes et de couleurs) lrsquoautre est prosodique les rimes

internes et le respect du megravetre de chaque vers reacutealiseacute par la marque des mots Jean Giot me

signale que Max Jacob puis sans doute Marcel Aymeacute avec sa jument verte se trompent (ou

feignent de se tromper) sur la robe du cheval qui peut ecirctre dite laquo vair raquo142 comme la fourrure

de la chaussure de Cendrillon

Le poegraveme est fondeacute sur laquo une procession des messages raquo (un rythme terme agrave relier agrave

laquo prosodie raquo) 1223 La reacutecurrence ne peut se comprendre que dans un rapport de similariteacute

laquo Le message se reacutepegravete raquo Crsquoest la fin laquo Sur un cheval vert raquo qui creacutee laquo reacutetrospectivement raquo le

deacutebut laquo Agrave Nevers raquo comme partie constitutive du motif poeacutetique Dans cet exemple la

reacutecurrence est explicite Dans les exemples suivants elle est implicite (laquo en filigrane raquo) et

suppose la meacutemoire drsquoun message anteacuterieur laquo Je vous salue ma France raquo fait motif avec laquo Je

vous salue Marie raquo tout comme cette parodie drsquoun chansonnier agrave lrsquooccasion drsquoune gregraveve des

eacuteboueurs laquo Je vous salis ma rue raquo (contrepegraveterie) De mecircme laquo Jrsquoai trois parrains sur cette

estrade raquo fait motif avec le deacutebut de la chanson de Pierre Dupont et Charles Gounod 1846

laquo Les bœufs raquo laquo Jai deux grands bœufs dans mon eacutetable Deux grands bœufs blancs marqueacutes

de roux raquo

Afin de mieux deacutefinir le concept de seacutemantique poeacutetique (ou laquo prosodie raquo) JG laquo lrsquoidentifie

peu ou prou agrave celui de compositionhellip autre nom de lrsquoisotopie raquo 1231 (Isotopie mecircme ndash lieu

Le terme deacutesigne en seacutemantique depuis Algirdas Julien Greimas la poursuite drsquoun thegraveme

142 En ancien franccedilais laquo Un vair destrier raquo (Eneacuteas 6915) laquo Mon palefroi ver anselez raquo (Erec 1410) fabliau laquo Le vair Palefroi raquo Huon-le-roi fin 13egraveme Le sens est laquo gris-pommeleacute raquo

De la deacutesignation 259

seacutemantique dans le cours drsquoun texte) JG donne en exemple la preacutesence du laquo refrain raquo 1231

dans la chanson et toute forme de composition preacutesentant des reprises y compris dans le

sceacutenario drsquoun film

Il srsquoensuit que les concepts de litteacuterature et de poeacutetique ne sont qursquoen intersection Il est

inexact de faire de lrsquoestheacutetique poeacutetique le critegravere de la laquo litteacuterariteacute raquo censeacutee speacutecifier le texte

litteacuteraire car la litteacuterature laquo deacuteborde largement le poeacutetique raquo 1232 Inversement de mecircme

que nous sommes tous rheacutetoriciens et que ce nrsquoest pas lrsquoapanage du maicirctre de lyceacutee de mecircme

sommes-nous tous capables de prosodie crsquoest-agrave-dire de laquo preacuteoccupations estheacutetiques raquo

mecircleacutees au mythe et agrave la science dans nos propos Outre le slogan JG eacutevoque la composition

mecircme du Vouloir-Dire souvent ternaire

Conclusion reacutecapitulative La raison poeacutetique

Science mythe et poegraveme sont des modegraveles de fonctionnement rheacutetorique Tout message

peut se laquo neacutecessiter raquo logiquement selon un dosage des trois Nrsquoen retenir qursquoun serait une

laquo catharsis eacutetiologique raquo 1233 Le terme laquo catharsis raquo est axiologique et renvoie ici agrave la fois agrave

une exigence extrecircme et agrave un renoncement aussi extrecircme Comment laquo srsquoempecirccher raquo en effet

dans un poegraveme de parler de quelque chose et comment empecirccher le lecteur de remettre la

chose que lrsquoon srsquoeacutetait donneacute tant de mal agrave eacuteviter On tomberait dans laquo lrsquoeacutetiologie raquo

pathologique ou plutocirct dans le phantasme

laquo La geste raquo 1233 est lrsquoeacutepopeacutee antique ou meacutedieacutevale reacuteciteacutee par cœur Elle est poegraveme

dans la mesure ougrave laquo les propositions srsquoy commensurent raquo en une meacutetrique elle peut aussi ecirctre

associeacutee agrave une plastique technique (la danse) mais elle ne cesse pas pour autant drsquoecirctre un

reacutecit scientifique ou mythique en tant que laquo la chronique raquo drsquoeacuteveacutenements Autre exemple La

laquo preacutesence raquo des perles chez Jeacuterocircme Bosch peut avoir des laquo causes raquo multiples figurative

(laquo industrie empirique raquo dans la partie LrsquoOutil de lrsquoouvrage) et manifestation drsquoune intention

axiologique Mais il ne faut pas confondre laquo la preacutesence et la cause raquo 1233

Le rappel de la neacutecessaire dissociation des plans 1241-2 se porte ici sur la diffeacuterence entre

laquo le plan speacutecifique de lrsquoœuvre raquo 1242 (celui du Signe) et le traitement de lrsquoœuvre par les

plans sociologique et axiologique

Plan sociologique Le propos fait eacutecho (poeacutetique ) aux propos anteacuterieurs sur la science et

sur le mythe laquo deacutegager la science des sciences raquo et deacutegager laquo le mythe des mythes raquo 1131 Il

srsquoagit maintenant de deacutegager laquo la poeacutesie raquo des laquo anthologies de poegravemes raquo 1241 La

laquo reacutecurrence raquo en tant que telle est poeacutetique tandis que sa standardisation dans un genre

relegraveve du laquo contrat social raquo (DVD tome II 2) Suit une liste de concepts qui relegravevent non de la

poeacutetique mais de laquo lrsquoattribution raquo de lrsquoœuvre agrave quelqursquoun et de son laquo appartenance raquo (agrave un

lieu une eacutepoque un milieu) 1241 la signature et les pastiches lrsquoeacutecole litteacuteraire le marcheacute

(lrsquooffre eacuteditoriale et la demande du lectorat) Tout cela vaut aussi pour la science et pour le

mythe qui prennent en compte laquo le pragma raquo

Plan axiologique Neacutecessaire dissociation aussi entre la rheacutetorique laquo plan speacutecifique de

lrsquoœuvre raquo et de laquo lrsquointention raquo de lrsquoœuvre qui relegraveve de lrsquoaxiologie 1242 Il faut distinguer

lrsquoanalyse de lrsquoœuvre de la laquo critique raquo de lrsquoœuvre Classiquement on y cherchait lrsquoeacutemotion laquo le

cœur raquo la psychanalyse lacanienne parle aujourdrsquohui de chaicircne signifiante qui se faufile dans

le discours laquo en capiton raquo comme le fil qui compartimente lrsquoeacutedredon ou le fauteuil

Chesterfield

260 Une lecture de Jean Gagnepain

Deux rappels conclusifs composent 1243 Le poegraveme est laquo rigoureusement rationnel raquo

Srsquoagissant de son partage on ne peut traduire que ce qui le fait tel agrave savoir laquo son rythme raquo

Derniers rappels en 1244 Lrsquoobjectif du propos eacutetait de laquo rassembler raquo science mythe et

poegraveme comme laquo drsquoeacutegales faccedilons de ‟causerrdquo raquo Enfin il ne faut jamais oublier qursquoil srsquoagit de

reacutealiteacutes dialectiques de la reacutesultante toujours relative drsquoun deacutepassement de contradictions

quitte agrave assumer un sentiment de relatif laquo eacutechec raquo laquo Eacutechouer [agrave positiver] crsquoest penser raquo

1251

Deux remarques finales sur le thegraveme laquo Sens et Causaliteacute raquo

Cette trilogie me semble appeler un commentaire drsquoordre critique ou au moins un appel agrave

preacutecaution Le fait de deacutenommer laquo science mythe et poegraveme raquo les trois modaliteacutes de raisonne-

ment preacutesente un risque important de confusion Il faut bien comprendre qursquoelles sont

conceptuellement le reacutesumeacute du seul ensemble des deacuteveloppements qursquoelles preacutesentent

accompagnent et reacutecapitulent Rien drsquoautre et surtout pas ce que ces mecircmes termes signifient

dans drsquoautres modegraveles En tant que parties constituantes drsquoun modegravele elles ont un statut de

laquo reacuteduction raquo au point de vue explicatif adopteacute Ceci valait deacutejagrave pour des notions telles que

laquo texte raquo ou laquo signe raquo et pour bien drsquoautres

Il ne faut donc pas en attendre plus que ce qursquoelles peuvent apporter Quiconque

srsquointeacuteresse agrave laquo la poeacutesie raquo jugera extrecircmement reacuteducteur le propos tenu dans ce chapitre Il

serait cependant injuste de le consideacuterer comme laquo reacuteductionniste raquo degraves lors qursquoil est claire-

ment annonceacute en 1194 que le projet nrsquoeacutetait pas de rendre compte de ce qursquoon appelle

laquo poeacutesie raquo pas plus que de ce qursquoon appelle laquo science raquo 1063 ou laquo mythe raquo 1131 Un tel

programme serait mecircme reacutecuseacute radicalement tout comme celui de rendre compte du

laquo langage raquo puisque le projet de lrsquoauteur est de deacutementir lrsquohomogeacuteneacuteiteacute de ce que ces termes

preacutetendent deacutesigner

Certes degraves lors que ce modegravele preacutetend capter la totaliteacute de ce qursquoest le raisonnement

humain sous ces trois espegraveces se pose le problegraveme de la limite entre reacuteduction et

reacuteductionnisme Mais un tel problegraveme vaut quel que soit le modegravele

Il y a lieu aussi drsquoecirctre attentif aux passages subreptices de la science aux sciences du mythe

aux mythes quoi qursquoen dise lrsquoauteur Ceci est un effet probablement ineacutevitable de lrsquoexposeacute

laquo drsquoexemples raquo lesquels sont toujours totalement humains De mecircme que les faits propre-

ment grammaticaux (phonologiques syntaxiques etc) sont preacutesenteacutes agrave travers des exemples

qui sont par ailleurs et en mecircme temps toujours des faits sociologiques (des faits de langue)

de mecircme les raisonnements ne peuvent ecirctre preacutesenteacutes qursquoagrave travers des exemples qui sont par

ailleurs et toujours situeacutes et dateacutes Crsquoest au lecteur de srsquoabstraire de cet effet globalisant de

consideacuterer comme non pertinent le fait sociohistorique pour ne prendre en compte que le

seul type de fait qui relegraveve du plan examineacute celui du raisonnement

De la deacutesignation 261

CONCLUSIONS

Commentaire du tableau de la page 126

Au commentaire tregraves clair de lrsquoauteur 1271 jrsquoajouterai la remarque suivante

Lrsquoartefact correspondant agrave la projection drsquoun axe sur lrsquoautre eacutetait difficile agrave inteacutegrer dans le

tableau Si donc le terme laquo cateacutegorisation raquo et son synonyme laquo similariteacute raquo ont eacuteteacute placeacutes sous

le genre laquo geacuteneacuterativiteacute raquo et dans la colonne de gauche qui voisine avec celle de

laquo lrsquoordination raquo crsquoest pour situer la deacutefinition de la correacutelation et du paradigme comme

laquo projection de lrsquouniteacute sur lrsquoidentiteacute raquo crsquoest-agrave-dire laquo diversification de lrsquouniteacute raquo Inversement la

position de laquo lrsquoordination raquo et de son synonyme laquo la compleacutementariteacute raquo sous le genre

laquo taxinomie raquo rappelle qursquoil srsquoagit de la laquo projection de lrsquoidentiteacute sur lrsquouniteacute raquo crsquoest-agrave-dire du

processus laquo drsquoidentification de la pluraliteacute raquo Chaque fois le terme geacuteneacuterique rappelle quelle

est la source de la projection Cette preacutesentation rend visible la position theacuteorique laquo heacuteteacutero-

doxe raquo de la glossologie puisque la syntaxe y devient un fait dont le principe est taxinomique

et le paradigme un fait de principe geacuteneacuteratif On est loin des preacutetendus laquo axes paradigmatique

et syntagmatique raquo des Introductions agrave la linguistique

En somme

De la meacutethode

JG reacutecapitule la triple exigence de sa meacutethode 1272 Son anthropologie dont lrsquoobjet est la

culture est une seacutemantique scientifique agrave proportion de laquo sa veacuterifiabiliteacute raquo de sa

laquo transposabiliteacute raquo et de son laquo applicabiliteacute raquo Le premier critegravere renvoie agrave la mise agrave lrsquoeacutepreuve

des hypothegraveses le second agrave la porteacutee laquo analogique raquo de ces hypothegraveses drsquoun plan de

meacutediation agrave un autre le troisiegraveme agrave la collaboration des divers laquo meacutetiers raquo (terme socio-

logique) qui peuvent contribuer aux deux critegraveres preacuteceacutedents

La formulation suivante me paraicirct neacutecessiter une paraphrase laquo Lrsquoingeacutenieur en matiegravere de

langagehellip [est] une dimension du savant dont la speacuteculation ne se justifie que par la

transformation des meacutetiers dont la demande historiquement est issue raquo 1272 Qursquoest-ce agrave

dire Le concept de laquo savant raquo est agrave situer ndash me semble-t-il ndash par recoupement du plan

sociologique et du plan glossologique Dans la division des meacutetiers le savant est au service du

laquo savoir raquo de la capitalisation de la connaissance Le laquo savant raquo ndash celui qui produit et

communique laquo de la cause raquo plutocirct que des leacutegumes ou des voitures y compris celui qui

laquo speacutecule raquo laquo puisqursquoil nrsquoy a de science qursquoabstraite raquo ndash nrsquoa de leacutegitimiteacute (laquo ne se justifie raquo) que

srsquoil reacuteussit agrave transformer laquo les meacutetiers raquo crsquoest-agrave-dire agrave jouer un rocircle social drsquoagent

laquo eacutepisteacutemologique raquo et non laquo ideacuteologique raquo dans le sens que JG donne agrave ces termes dans sa

theacuteorie de la Personne On voyage ici drsquoun plan agrave lrsquoautre La laquo cause raquo (plan 1) a pour

laquo justification raquo (plan 4) sa laquo praxis raquo (plan 3) Le sous-titre mecircme de lrsquoouvrage laquo Traiteacute

drsquoeacutepisteacutemologie des sciences humaines raquo permet de le penser si lrsquoon donne agrave

laquo lrsquoeacutepisteacutemologie raquo reacutetrospectivement le sens que lui donne la Theacuteorie de la Meacutediation

laquo hellipdont la demande historiquement est issue raquo 1272 Lrsquooffre suscite la demande Si

laquo lrsquoingeacutenieur du langage raquo ne propose pas de renouvellement dans son service drsquoexplication il

nrsquoy a pas non plus de renouvellement de la demande

262 Une lecture de Jean Gagnepain

La dialectique toujours

Reformulation finale drsquoune thegravese anthropologique essentielle agrave la theacuteorie de la meacutediation

la culture quel que soit le plan est dialectique 1273

Une remarque incidente vient preacuteceacuteder le deacuteveloppement JG met en retrait un aspect du

Signe mis particuliegraverement en avant par Ferdinand de Saussure la dualiteacute des faces du signe

que dans ses brouillons il appelait laquo la double essence du langage raquo JG vise ici la version agrave

succegraves (bien diffeacuterente du Cours) proposeacutee par Andreacute Martinet celle de la laquo double articula-

tion raquo Or cette dualiteacute est selon JG deacutejagrave observable dans le symbole accessible agrave drsquoautres

espegraveces (mais il srsquoagit drsquoune seacuteriation) de sorte que ce qui speacutecifie lrsquoaptitude humaine au signe

crsquoest laquo lrsquoimmanence raquo du critegravere reacuteciproque de deacutefinition (laquo symeacutetrie raquo) des structures

phonologiques et seacutemiologiques agrave savoir la pertinence et la deacutenotation

Le reste retravaille la formulation du cœur de ce qursquoest une dialectique

- Il ne srsquoagit pas drsquoune contradiction binaire drsquoun antagonisme duel (signifieacute-sens ou

signifiant-son) comme le laisse penser la distinction laquo de la Langue et de la Parole raquo 1282 si

neacutecessaire qursquoait eacuteteacute cette proposition agrave lrsquoeacutepoque de Saussure

- Il srsquoagit drsquoun modegravele explicatif ternaire car le deacutepassement drsquoune contradiction exige qursquoil

y ait laquo un tremplin raquo agrave la fois laquo anteacuterieur raquo au pocircle de neacutegativiteacute et laquo posteacuterieur raquo agrave celui-ci

doublement irreacuteductible agrave lrsquoeacutetablissement de la contradiction formelle et au deacutepassement de

celle-ci La culture atteste ainsi laquo drsquoune authentique trichotomie raquo 1282 (Rappel) Jrsquoai deacutejagrave

souligneacute agrave propos de 1071 que les laquo moments raquo de la dialectique ne sont pas des laquo eacutetapes raquo

successives telles que pour le locuteur il y aurait drsquoabord de la reacutealiteacute puis de la grammaire et

enfin de la rheacutetorique La meacutetaphore temporelle de mecircme que la meacutetaphore spatiale des

laquo positions raquo et des laquo pocircles raquo drsquoun inteacuterieur et drsquoun exteacuterieur ou encore la meacutetaphore

dynamique du laquo tremplin raquo ou de la tension ne sont que des raisonnements dont la

convergence synonymique contribue agrave concevoir ce qursquoest ce fait humain speacutecifique qursquoest la

dialectique logique Crsquoest tout aussi vrai des laquo faces raquo et des laquo axes raquo qui dans le modegravele ne

sont pas des notions topologiques Ceci eacutetant laquo Il nest scientifiquement dobjet que construit

Construit sentend avec des mots raquo 1084 Les plus congruents restent ceux de

laquo contradiction raquo de laquo neacutegation-de raquo laquo drsquoambiguiumlteacute raquo 1273 parce qursquoil srsquoagit de concepts

speacutecifiques dans le champ conceptuel de la logique Encore faut-il admettre qursquoils ne cessent

drsquoecirctre mythiques que si lrsquoon accepte de les faire entrer dans des reacuteseaux de convergence

synonymique et de deacuteveloppement autonymique

JG entend par lagrave reacutefuter deux propositions non dialectiques couramment soutenues

- Lrsquoune fait du sens (conceptuel) et surtout en phoneacutetique du laquo son raquo (prononceacute) des faits

exteacuterieurs au signe La glossologie deacutemontre que la deacutesignation sous ses deux aspects seacuteman-

tique et phoneacutetique laquo fait partie inteacutegrante du signe raquo 1281

- laquo Le biologique raquo est agrave prendre en compte dans une explication de la culture comme

laquo tremplin raquo 1281 parce que laquo par lui dans le vivant la raison est justement ou nrsquoest pas raquo

Autrement dit pour deux raisons Drsquoune part parce qursquoil est le laquo conditionnement raquo (et la

condition preacutealable) agrave la culture et drsquoautre part parce que la culture est un ordre particulier

drsquoaptitude biologique

Drsquoougrave le refrain final sur la laquo trichotomie raquo qursquoest laquo la culture raquo en geacuteneacuteral et laquo le signe raquo en

particulier 1282 Jrsquoattire agrave nouveau lrsquoattention sur le suffixe laquo -tomie raquo Il prend ici le sens de

De la deacutesignation 263

laquo neacutegativiteacute raquo de laquo rupture raquo de laquo contradiction raquo et non celui de limite entre deux lieux

topologiques

laquo La forme raquo (ou instance) laquo nrsquoest qursquoun pocircle de contradiction drsquoune reacutealiteacute qui ne srsquoy reacuteduit

pas en ceci qursquoelle [= cette reacutealiteacute] laquo incluthellip son tremplin biologique raquo ainsi que laquo la perfor-

mance raquo comme laquo le terme toujours provisoire de son investissement raquo 1281

Je comprends le laquo elle raquo comme reacutefeacuterant non pas agrave laquo la forme raquo ni agrave ce qursquoil appelle laquo la

situation raquo mais agrave ce laquo fait humain raquo qursquoest laquo le signe raquo Lrsquoobjet inteacutegral de ce chapitre sur la

capaciteacute humaine de laquo signe raquo est constitueacute par lrsquoeacutetude de ces trois laquo positions raquo en relation de

contradiction et de contradiction de la contradiction

Cependant le propos eacutetant geacuteneacuteral il est possible de comprendre plus geacuteneacuteralement laquo une

reacutealiteacute raquo comme le synonyme de laquo meacutediation raquo ou de laquo culture raquo Le propos en effet vaut

aussi pour lrsquoOutil la Personne et la Norme

CODA page 276

Par delagrave la deuxiegraveme partie du Vouloir-Dire tome 1 consacreacutee agrave la theacuteorie de lrsquoOutil je

crois coheacuterent avec mon propos de lire aussi et de gloser cette page finale intituleacutee

laquo Conclusion en matiegravere drsquointroduction raquo en raison de sa fonction de transition entre les deux

parties constitutives de cette Teacutetralogie

Le premier paragraphe reprend le thegraveme de la laquo deacuteconstruction meacutethodique en divers plans

de reacutealiteacute raquo 2762 en reacuteponse de tous ceux qui laquo se font philosophiquement les gardiens du

cheveu que nous coupons cliniquement en quatre raquo 2761 en reacuteponse notamment aux

reacuteductionnismes que repreacutesentent aux yeux de lrsquoauteur tant la psychanalyse que le marxisme

lesquels laquo ramegravenent le tout raquo (de lrsquohumain) laquo au seul principe raquo qursquoils promeuvent

Le second paragraphe eacutetant programmatif je ne ferai qursquoy renvoyer et inviter agrave la lecture

du tome 2

Le troisiegraveme paragraphe eacutenonce une derniegravere fois le principe essentiel qursquoest la dialectique

laquo De tous les vivants nous sommes seuls agrave nous contester ou mieux agrave nier en nous pour

lrsquoacculturer la nature raquo 2763

laquo In cauda [coda]hellip nodus raquo143 Degraves lors que lrsquoexposeacute se deacuteplace sur les autres plans le

statut de que JG appelle ici laquo interfeacuterence raquo des plans se pose Ce problegraveme a deacutejagrave eacuteteacute

preacutesenteacute dans lrsquoIntroduction sous le thegraveme des laquo sciences appliqueacutees raquo 182 agrave 192 passage

auquel je renvoie Il est repris ici dans la formulation suivante qui demande une certaine

attention [Nous acculturons la nature] laquo selon quatre modaliteacutes dont lrsquointerfeacuterence ainsi que

ce premier volume nous permet deacutejagrave de lrsquoapercevoir nrsquoest peut-ecirctre eu eacutegard aux relations

traiteacutees des faces des axes et des phases qursquoun autre aspect de la reacuteflexiviteacute drsquoune seule et

mecircme analyse dont lrsquoaptitude dialectiquement nous distinguehellip raquo 27633 Le nœud en

question se situe preacuteciseacutement dans la notion de laquo reacuteflexiviteacute raquo Le terme est utiliseacute quatre fois

dans ce tome chaque fois dans des contextes diffeacuterents avec des sens varieacutes agrave propos de

lrsquoimmanence (66) du pronom (622) du meacutetalangage (1082) et ici agrave propos des interactions

143 Je parodie Ciceacuteron laquo dum hic nodus expediatur raquo laquo jusqursquoagrave ce que cette difficulteacute soit trancheacutee raquo (Epistulae ad Atticum 521)

264 Une lecture de Jean Gagnepain

entre plans qui ont en commun de teacutemoigner de lrsquoaptitude humaine agrave lrsquoanalyse et agrave la

dialectique144

La lecture la plus simple est la suivante La raison teacutetramorphe serait laquo reacuteflexive raquo dans le

sens ougrave ses proprieacuteteacutes la dialectique (phases) et lrsquoanalyse (en faces et axes se laquo reacutefleacutechit raquo se

diffracte se distribue se retrouve de maniegravere analogue sur chaque plan Toutefois cette

paraphrase ne prend pas complegravetement en compte le thegraveme de lrsquointerfeacuterence (ou

recoupement) des plans

Puis-je risquer cette autre lecture La reacuteflexiviteacute de la culture tiendrait au fait que la

dialectique eacutetant permanente le traitement dialectique drsquoun plan par un autre produit une

sorte drsquoeffet de miroir chaque plan peut se reacutefleacutechir dans une autre puisqursquoon ne sort jamais

de la culture Ainsi faire de la socio-logie crsquoest exercer la dialectique glosso-logique du dire

Mais ce dire se construit agrave propos drsquoune reacutealiteacute humaine elle-mecircme dialectique celle de la

personne capable drsquoinstituer et de contracter capable laquo drsquoethniciteacute raquo et de laquo politique raquo

capable dit-il en fin de phrase laquo drsquoabsence raquo et laquo drsquoacte de proprieacuteteacute raquo Reacuteciproquement

vivre dialectiquement en socieacuteteacute crsquoest entre autres deacuteclarer prendre position et dialoguer agrave

travers une logique elle-mecircme dialectique en jouant conjointement de la grammaire et de la

rheacutetorique On ne quitte pas la dialectique Dans tous les cas on rend compte dialectiquement

drsquoune dialectique Lrsquohomme se pense dialectiquement (signe oblige) comme dialectique agrave tous

eacutegards (quel que soit le plan) JG reprenait volontiers le mot de Pascal laquo nous sommes

embarqueacutes raquo145 pour souligner qursquoil nous est impossible de sortir de notre humaniteacute pour

mieux lrsquoobserver

144 Dans le tome 2 le terme fait reacutefeacuterence agrave la pheacutenomeacutenologie laquo hellip nrsquoen deacuteplaise aux pheacutenomeacutenologues lrsquohomme nrsquoest pas reacuteflexivement un ldquo ecirctre des lointains Prime mais plutocirct du reculhellip raquo DVD II217 Allusion agrave laquo Lrsquohomme est un ecirctre du lointain Et crsquoest seulement de cette distance primordiale que dans sa transcendance il eacutetablit par rapport agrave tous les eacutetants que grandit en lui la veacuteritable proximiteacute agrave lrsquoeacutegard des choses raquo Heidegger 1928 Metaphysische Anfangsgruumlnde der Logik p285)

145 laquo Nous sommes embarqueacutes raquo titre du 1er chapitre de Mes Parlements (1994) p17

Pour conclure 265

POUR CONCLURE MON PARCOURS

Cette lecture nrsquoest qursquoune eacutetape dans un voyage intellectuel puisqursquoelle ne concerne que la

seule premiegravere partie drsquoun exposeacute laquo teacutetralogique raquo de la Theacuteorie de la Meacutediation qui couvre

deux volumes En cela elle est ineacutevitablement partielle voire biaiseacutee de deux maniegraveres

compleacutementaires

Drsquoune part les concepts fondamentaux de la theacuteorie ndash laquo structure neacutegativiteacute dialectique raquo

etc ndash qui ont une porteacutee anthropologique ne trouveront leur deacutefinition complegravete qursquoagrave

lrsquoexamen de lrsquoensemble des aspects de la rationaliteacute qursquoils tentent drsquoexpliquer Le risque est de

les reacuteduire agrave leur seule porteacutee glossologique ce qui serait contradictoire avec le projet mecircme

de Jean Gagnepain tel que finalement rappeleacute en conclusion du second tome laquo Il devient

clair je pense au terme de ce long parcours (hellip) qursquoil srsquoagissait moins drsquoun essai de traitement

exhaustif du Vouloir-dire que du deuil meneacute par eacutetapes de ce qui nrsquoa ducirc drsquoecirctre traditionnelle-

ment tenu pour objet [le langage] qursquoau privilegravege philosophico-religieux drsquoun Verbe que

lrsquoHumanisme nous a transmishellip raquo DVD 2 2811 Seule une lecture de lrsquoensemble compte et

permet une transformation reacutetrospective de la conception que lrsquoon srsquoeacutetait faite de ces

concepts lors de cette premiegravere eacutetape

Drsquoautre part les concepts proprement glossologiques ne trouvent eacutegalement leur deacutefinition

que dans leur confrontation avec les autres plans de meacutediation Ainsi la compreacutehension des

faits de langue dans la perspective de la theacuteorie de la Personne est-elle neacutecessaire pour faire

ce travail de laquo deuil raquo (eacutevoqueacute plus haut par Jean Gagnepain) des concepts classiques de

laquo mot raquo de laquo texte raquo voire de laquo sens raquo et de laquo grammaire raquo et pour approfondir leur statut

proprement glossologique en corrigeant lrsquoideacutee que lrsquoon srsquoen eacutetait faite jusque-lagrave

Ce raisonnement peut bien entendu ecirctre inverseacute Nombre de lecteurs sont attireacutes drsquoabord

par la dimension sociologique ou eacutethique du projet de Theacuteorie de la Meacutediation et beaucoup

moins pour des subtiliteacutes grammaticales La grammaire nrsquoest pas en tecircte des appeacutetences et

seacuteductions contemporaines Et pourtant Du Vouloir-Dire deacutemontre que non seulement on ne

peut pas se passer drsquoune eacutetude approfondie du Dire puisque Dire est Humain mais encore

que cette eacutetude ouvre des perspectives heuristiques sur lrsquoensemble de ce qui nous fait

Humain ne serait-ce qursquoen raison de lrsquoexistence des aphasies et de la clinique qui leur est lieacutee

Je soulignerai pour terminer la porteacutee eacutepisteacutemologique de la thegravese de la dissociation des

plans et de celle de la dialectique dans la deacutefinition qui en est exposeacutee La premiegravere thegravese se

positionne frontalement contre lrsquoideacuteologie dominante contemporaine qui reacuteduit les sciences

de la culture aux laquo sciences sociales raquo et lrsquohumain agrave son historiciteacute agrave ses positions et actes

sociaux et agrave ses actes eacuteconomiques (selon le point de vue partiel de chaque discipline) La

seconde thegravese se positionne tout aussi radicalement contre lrsquoideacuteologie naturaliste contempo-

raine qui reacuteduit lrsquohumain agrave son conditionnement neuronal et dont le nouveau scientisme

peut aller dans la laquo presse people raquo de ladite science jusqursquoaux phantasmes deacutelirants du

transhumanisme En mecircme temps mais avec un bien moindre enjeu la theacuteorie de la

meacutediation srsquoinscrit en faux contre ceux philosophes qui postulent qursquoun ecirctre libre ne peut pas

srsquoexpliquer

266 Une lecture de Jean Gagnepain

Le preacutesent modegravele explicatif du laquo dire raquo si incomplet qursquoil soit impose agrave quiconque accepte

de se deacutegager des puissances disciplinaires sources autant drsquoaveuglements que drsquoeacuteclairages

novateurs de srsquoouvrir agrave la complexiteacute paradoxale de la Raison En mecircme temps Jean

Gagnepain dit aussi tregraves clairement que ce modegravele comme tout autre est un fait de dire en

partie scientifique et en partie mythique qursquoen tant que prise de position il srsquoinscrit dans un

deacutebat producteur de contradiction relative et qursquoen tant que laquo meacutethode raquo il est axio-

logiquement critiquable Je nrsquooublie pas non plus que cette theacuteorie de la meacutediation est

exposeacutee dans un livre et que donc tout commence par une lecture

Tel est bien lrsquoespoir qui mrsquoa motiveacute agrave eacutecrire ces commentaires montrer que cette eacutetape de

gloses eacutetait neacutecessaire et inviter agrave la lecture de cet ouvrage Puisse le lecteur poursuivre son

chemin laquo Der Weg ist das Ziel raquo aurait dit Maicirctre Kong revu par Goethe Bonne route

Index des concepts 267

INDEX des CONCEPTS

La numeacuterotation renvoie aux pages drsquo Une Lecture

Absence significative 77 84 96 112 136

Anagnose et dieacutegegravese 51-52

Anaphore cataphore 122 131 138 141 143 144 145 146 147 182 192 215 226

Anthropologie 1 13 15 27 28 30 46 47 51 261

Anthropobiologie 13 15 30

Aphasies (de Broca et de Wernicke) 26 29 33-43 81 91 101 106-107 113 149 172

191 202 213 Interm 5 229-230

Apophantique 236

Arbitraire et Motivation 44 45 74 80 97 115

Assertion 131 136 138-143 145-147 168 196-197 199 205 Voir Preacutedication

Axes biaxialiteacute

de la grammaire 23-26 38 69 81 104 passim

De la rheacutetorique 169 172 174 179 180 208 225 Interm 5 229 256

Axiologie axiologique 47 49 104 160 164 169 171 177 220 227 228 236 237

239 244 247 252 255 259

Biologie biologique 15 19 27 30-31 61 Interm 4 155

Breton 75 77-79 86-87 94 108 123-124 132 133 138-139 140 144 178 240

249

Catachregravese 57-58 69 186

Cause causer causaliteacute 2 15 19 150 157 184-185 186 189 218-219 223 225

232 253 255 260 261

Cible (= reacutecepteur paramegravetre) 57 138 144 146 164 165 171 176 178 212 234

Clinique 27-32 Interm 2 40-41 41 61 63 66 81 106 155 172 174 213 228

Interm 5 229

Clos et ouvert 98-99

Concateacutenation (phonologique) 88 94 101 116 133-134 208 217

Concept concevable 35 158 167 189 191 199 200 221 222 229 231 242

Congruence incongruiteacute 57 158 166 169 186 212 224 229 257-258

Contexte et syllexique 104-105 109 209

Coordination 109 120 122-123 148

Coreacutefeacuterence 121 122 214 215

Correacutelation (phonologique) 85 107 113-114

Correacutelation (syntaxe) 143

Creacuteativiteacute (en glossologie) 57-58

Culture 4 6 9 11 15 19 20 Rem 30 32 45 46 47 51 61 69 91 Interm 4

155 252 262-263 264

Deacuteictique deixis 43 138 235 243

Deacutenotation 36 60 66 70-79

Deacutesignation 55-56 59 153 162 262

Deacuteterminisme 19 157 223 233 242

Dialectique

268 Une lecture de Jean Gagnepain

de la Rationaliteacute 9-10 13-19 20 32 46 262-263

du Signe 10 12 26 51-52 55-56 69 Interm 4 153-156 157-159 165 175 182

186 262

de la Personne 19-20 43-44

Dieacutegegravese voir Anagnose

Diffeacuterenciation 24 26 81 106 118

Effacement 116 131 134-136 145 146-147 148

Ellipse (grammaire) 131 134 135 138 145-146 (Rheacutetorique) 172 178 234

Eacutemetteur (paramegravetre du message) 161 164-166 169 197 199 234 256

Eacutepithegravese 100 125 128-129

Eacutevidement 17 134-137 140 144 145 214 250

Exocentrique endocentrique (seacutemantique) 220 226 253-257

Expeacuterience 12 18 28 31-32 55 59 65 67 91 150 153 155-156 157 160 168

170-171 186 191 215 220 223-224 226 229 231 236 237 238 241-242 247

Explicite - implicite 13-14 20-22 26 27 30 34-35 38 45 55 69 90 95 97 150

166-167 172 184 234

Expliquer explication 1 13 17 28 31 190 201 223 225 240 251 265

Faces

(En grammaire) 34 35-38 56 60 63 65 70-81

(En rheacutetorique) 179 204 256 262 263

Figures tropes eacutecart 175-181 183-186 211 217

Flexion et deacuterivation 96 105 109-112 122-123

Fonction (en phonologie) 72-74

Fondamental Appliqueacute (Sciences) 47-51

Formalisation incorporeacutee 1 13 32 89

Geacuteneacuterativiteacute 23 24 100-102 118

Gestalt 32-33 61

Glossologie 25 47-48 72 150 209

Grammaire 21-25 38-39 48 55-57 102-104 134-135 153 157 158 168 175 208

Graphie 42 50 93

Grec 2 37 48 70 94 96 127-128 144 184-185 235 236 242 248 251 256

Hypostase 22 46 135 240 252 255

Identiteacute Voir Diffeacuterenciation et Taxinomie

Imaginaire 38 62 64 233

Improprieacuteteacute (de la grammaire) 3-4 7 22-23 34 Interm 3 44 45 65 69 135 158

168 175 186 215 251

Incidence Voir Reacutefeacuterence

Inclusion (glossologie) 25 584 209-210 213 222 225

Infeacuterence 180 191 201

Instance et Performance 7-9 17-18 50 52 151 158 206 263

Inteacutegration (glossologie) 24 25 117 129 214 216

Isomorphisme 36 41 65 74 80

Index des concepts 269

Latin 2 10 38 62 70 71 78 79 82 85 97 101 110 136 137 139 142 143

144 177 181-182 194 196 244 256

Marque (mode de deacutenotation) 36-37 73 74 75 77-78 81 91 94 105 121 124 129

133 136 144 145 258

Meacutediation Interm 1 10-11 27 46-47 51-53 passim

Meacutetalangage meacutetalinguistique 219 224 231 233 237 253

Meacutetaphore 177 179 211-212 228-229

Meacutetaphysique 224 253 255

Meacutetonymie 179 216-217 224

Mot (Uniteacute seacutemiologique) 89-91 94-96

Motivation Voir Arbitraire

Mythe seacutemantique mythique 219-220 240-253

Nature 4 13 15 19 30 32 45 46 56 61 115 Interm 4 155 172 263

Neacutegativiteacute 9 16-18 25 33 45 50 55-56 84 90 91 96 97 102 131 135 148

150 157 182-183 191 219 262 265

Nomenclature (Saussure) 10 69 Interm 4 153 157 170 174 177

Nomenclature (glossologie seacutemantique) 187 -188 198 204

Objet1 (percept naturel) 61 62 232

Objet2 (paramegravetre) objectivation 57 62 Interm4 153-156 160-161 164 171 189

196 199 209 231-232 234 237 241-242 256

Objet de science 13 17 42 48-49 162

Origine Origination 1-3 12 233 240 244

Paradigme 25 104-109 115 136 146-147 208 210 261

Paramegravetres du message 57 160-164

Paraphrase 191 201

Peacuteriphrase 70 85 95 191 210

Personne (Theacuteorie de la) 2 5 6-7 43-44 261

Performance Voir Instance

Pertinence (phonologique) 36 68 70-73 83-84

Phases (de la dialectique) = pocircles 16 40 52 170 263 264 voir Dialectique

Pheacutenomeacutenologie Interm 1 10 14 59 150 Interm 4 153-156 172 237

Phonegraveme (uniteacute phonologique) 89 91-92

Phonologie 56 60 63 67 71 94 107 113 194 203

Poegraveme seacutemantique poeacutetique 253-260

Pocircles (de la dialectique) = phases) 16 26 56 58 179 188 202 262 voir Dialectique

Polyrheacutemie (du mot) 69 70 95 251

Polyseacutemie (du segraveme) 50 58 69 95 250-251

Positivisme 7 9 158 166 183

Pragma 160 220 238 254 256

Praxis 19 160 237 261

Preacutedication preacutediquer 26 101 119 128-129 131 136 142 146 174 196-201 205

216 233 257

270 Une lecture de Jean Gagnepain

Projection projectiviteacute (drsquoun axe sur lrsquoautre) 24-25 39 104-106 107 113 116-118 122

187 225 261

Proprieacuteteacute (seacutemantique) 158 164 165 175 178 201 202 219 220 229

Prosodie 255 258 259

Rationaliteacute eacuteclateacutee 45

Reacutealiteacute (principe de) 18 69 156 Rem 189 219 223 232 233 237 238 242 249

Reacutecepteur (paramegravetre du message) 161 165 197 199 234 242 256

Reacuteel 11 28 Rem 154 Rem 156 Rem 250 254

Reacutefeacuterence et Incidence 12 65 Rem 135 143 153 158 162 171 180 234 254

Reacuteinvestissement 17-18 157 161 165 187

Rheacutetorique 18 33 38 42 50 53 55-59 150 153 157 160 164 166-169 172-174

186 204 219-220 234 249 259

Seacutelection 26 82 97 188 196

Schegraveme thegraveme parenthegravemes (syntaxe) 123 132

Science seacutemantique scientifique 4 220-240 247 253 passim

Segmentation segment 24 26 69 81 89 91 94 118 196 204

Segraveme (identiteacute seacutemiologique) 81 83-86 118 135

Seacutemiologie 56 69-70 107-113

Seacutemiotique (TdM) 235 243

Sens1 (dans le symbole) 62-63

Sens2 (rheacutetorique) 62 157-159 166-171 184 214 218-220 243 258

Signification 12 17 34 50 53 55-56 59 60 103 157 191 202

Signification du zeacutero 134-137

Source (= eacutemetteur paramegravetre) 164 171 176 178 179 197 213 234

Structure 22 32-33 35 37-38 60-61 63-64 68 135 143 157 173 205 231

Subordination 104-105 122-133 143-146 198 215

Substance 9 11 66 129 156 177 195 231

Syllabe 87 92 101 202-207

Syllexique Voir Contexte

Symbole 33 34 37-38 62-64 84 262

Syntaxe syntagme 104-107 116-133 143-146

Taxinomie 24 68 97-100 102 187-196

Texte 97 100-101 105 117 124 132

Trait (phonologique) 68 73-75 85-88 93 99 114

Types de mots 115-116

Uniteacute Voir Segmentation et Geacuteneacuterativiteacute

Vecteur (paramegravetre du message) 161 164 176 234 256

Veacuterification reacutefutation falsification 28 32 42 227-228 236 242 249 252

Zeacutero 96 132 134-137 186

Index des auteurs 271

INDEX des AUTEURS

La numeacuterotation renvoie aux pages drsquo Une Lecture

ALKAWRIZMI 222

ALLAIRE Suzanne 140 Note 144 215 Note

AMACKER Reneacute (1975) 44 Note (1995) 53 Note

AMEISEN Jean Claude 229 250 251

ANGOUJARD Jean-Pierre 204

ANONYME Rheacutetorique agrave Heacuterennius 175

ARISTARQUE 149

ARISTOTE 6 9 10 33 Note 197 199 221-222 224 Note

ARNAULT Antoine amp LANCELOT Claude 6 197

ARNAULT Antoine amp NICOLE Pierre 6 38

AUGUSTIN DrsquoHIPPONE 137 et Note 246

AUSTIN John 163

BACHELARD Gaston (1934) 28 (1938a) 8 (1938b) 42 (1940) 11 Interm 1 28 (1949) 221 230

BAILLY Anatole 99 179 181

BALLY Charles 44 199

BARTHES Roland 4

BAZIN Louis 75 90

BEAUD Laurence 31

BENVENISTE Eacutemile 48 209

BIBLE 242 243 244 245 247 248

BOILEAU Nicolas 232

BLOOMFIELD Leonard 72

BOURCIEZ Eacutedouard et Jean 114

BRACKELAIRE Jean-Luc 13

BREacuteAL Michel 137 Note

BREacuteAL Michel et BAILLY Anatole 6

BRUNEAU Philippe amp BALUT Pierre-Yves 235

BUumlHLER Karl 162

BUYSSENS Eacuteric 64

CADIOT Pierre et LEBAS Franck 12

CALVET Louis-Jean 48

CARNEacute Marcel 149

CAROLL Lewis 239

272 Une lecture de Jean Gagnepain

CASSIRER Ernst 10 Interm 1 55 154 232

CICEacuteRON 70 164 244 247

CHOMEL-GUILLAUME Sophie LELOUP Gilles et BERNARD Isabelle 40 Interm 2

CHOMSKY Noam (1957) 6-7 22-23 35 55 76 100-102 105 118-119 126-127 148 158-

159 167 216

CLERVAL Gilles 155 Interm 4 221-222

CONDILLAC (Eacutetienne BONNOT de) 222

CONNOCHIE-BOURGNE Chantal 246 Note

COURSIL Jacques 206

COUSIN Victor 14

DAMOURETTE Jacques et PICHON Eacutedouard 144

DE GUIBERT Cleacutement CLERVAL Gilles et GUYARD Hubert 61 155 Interm 4

DICK Philip K 219

DSM 8

DUBOIS Jean 130 216

DUFFAU Hughes 35 Note

DUVAL-GOMBERT Attie amp LE GAC-PRIME Christine 32

ENGLER Rudolph 5 Note 44 Note 99 Note

ERNOUT Alfred amp MEILLET Antoine 70 244 Note

ESCHYLE 200 et Note

EUCLIDE 27 Note

FLAUX Nelly 183

FONTANIER Pierre 175-176 178-180 183

FREGE Gottlob (1892) 71 157

FREUD Sigmund 21 45 178 181

FURETIERE Antoine 173

GABORIEAU Patrice et BEAUD Laurence 31

GAFFIOT Feacutelix 99

GAGNEPAIN Jean (Seacuteminaires 1975-1987) 2 5 11 Interm1 12 13 17 47 52 56 57 61

65 Note 98 Note 128 135 136 141 Note 154-156 Interm 4 157 Note 158 Note 161

176 Note 183 200 224 Note 237

(1981 DVD I LrsquoOutil) 161 235 259 (1985 Psychiatrie fr) 29 Note (1991 DVD II) 3 91 55

171 Note 234 236-238 243 244 259 264 Note 265 (1994 Mes Parlements) 264 Note

(1995 DVD III) 19 Note (2005 Raison de plushellip) 237 (2010 Huit leccedilonshellip) 157 175 247

GEOFFROY Paul-Eacutemile 161

GILLIEacuteRON Jules 29 Note

GODEL Robert 44 Note

Index des auteurs 273

GRAMMONT Maurice 91

GUELPA Patrick 72

GUILLAUME Gustave 80

GUIRAUD Pierre 256

GUYARD Hubert 65 106 113 155 Interm 4 213 229 Interm 5 231

GUYARD Hubert et URIEN Jean-Yves 155 Note

HARRIS Zellig 72 216

HEIDEGGER Martin 264

HERRMANN Mickael 197 198 Note 200 Note 201

HJELMSLEV Louis 48 64-65 73 76 216

HOCKETT Charles Francis 121

HOMEgraveRE 184

HUMBOLDT Wilhem 10 Interm 1 59 158 Note

HUSSERL Edmund 10 Interm 1 150 154 Interm 4 158 Note 161

IONESCO Eugegravene 175

JACKSON John Hughlings 34

JAKOBSON Roman 26 38 57 82-83 88 97 106 159 162-164 170 224 231 254 257

JAKOBSON Roman et HALLE Morris 213

JANET Pierre 21

JESPERSEN Otto 94

JONGEN Reneacute 33 82 Note 127 211

KANT Emmanuel 10 Interm 1 55 64 151 171 222-223

LAISIS Jacques (1991) 18 Note 156 Note Interm 4 253 Note (1994) 11 Note (1996) 13 Note

LAMOTTE Jean-Luc 20 Note 67 Note

LE GAC Christine 32 Note 40 Interm 2

LEIRIS Michel 250

LEMAREacuteCHAL Alain 96

LEROI-GOURHAN Andreacute 11 Note

LHOMOND (Abbeacute) 144

LUCREgraveCE 70

MACLEISH Archibald 254

MAHMOUDIAN Morteza 72

MARTINET Andreacute 37 71 76 89 93 95 112 196 262

MARTINET Jeanne 96

MARTY Anton 163

MARX Karl 15 16 Note 19-20 27 160 237 239

274 Une lecture de Jean Gagnepain

MEILLET Antoine 111

MELʹČUK Igor A 60

MERLEAU-PONTY Maurice 154 Note Interm 4

MILNER Jean-Claude 48 76 Note

MONTAGUE 11 Interm 1

MUSIL Robert 33

NORMAND Claudine 44 Interm 3

NYEMB Ireacuteneacutee-Gilles 131 Note

OCKHAM Guillaume (drsquo) 37 Note 42

OGDEN Charles Kay amp RICHARDS Ivor Armstrong 57

PASCAL Blaise 4

PAUL Herman 199

PLATON 233 246 249

POPPER Karl 28 228

POTTIER Bernard 73 88 100 193 216

PRIETO Luis-Jorge 64

QUENTEL Jean-Claude 21 Note

QUINTILIEN 175 180 182-183

RACAN (Honorat de Bueil dit Marquis de Racan) 159

RASTIER Franccedilois (1974) 216 (1987) 88 100 216

REY Alain (1977) 192 (1992) 109

REY-DEBOVE Josette 224

RICOEUR Paul 12

RICO Christophe 99 Notes

RUWET Nicolas 23 129

SABOURAUD Olivier 29 37 Note 81 Note 89 113 213

SABOURAUD Olivier SANQUER Ed et GAGNEPAIN Jean 174

SAUSSURE Ferdinand (de) (1916 Cours) 4 Note 6 9 12 22 25 27 34-35 44-45 Interm 3

48 57 58 60 74 76 80 83 97 99 Notes 105 106 115 154 Interm 4 166 167

Note 195 203 206 262 (1968-1974 Notes publieacutees par R Engler) 5 Note 53 Note

SHANNON Claude Elwood et WEAVER Warren 130

SCHOTTE Jean-Claude 32 Note 154 Interm 4 Note 220 Note 250 Note

SIBONY Daniel 222

SPINOZA 163 177

TESNIEgraveRE Lucien 126 131

THOMAS DrsquoAQUIN 10 170 219

Index des auteurs 275

THORA 52 248-249

TITE-LIVE 122

TREPOS Pierre (1954) 249 (1956) 78-79

TRIER Jost 192 208

TROUBETZKOY Nicolaiuml-S 76 87-88 113

ULLMANN Stephen 99 Note

URIEN Jean-Yves (1981) 16 Note (1989) 16 Note 74 Note 124 Note (1990) 139-140 Notes

(1992) 124 Note (1999) 72 Note (2006) et GUYARD Hubert 155 Note

VARRON 182 Note 244 Note

VENDRYES Joseph 96 Note

VIENNE G et COLLET J-Y 229

WARTBURG Walther (von) 256

WILMET Marc 137

WIERZBICKA Anna 11 Interm 1

YAGUELLO Marina 149

Bibliographie 277

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  • COUVERTURE
    • Pour citer cet ouvrage
      • EN GUISE DrsquoAVANT-PROPOS
      • UNE LECTURE de Jean GAGNEPAIN
        • GLOSES
        • INTRODUCTION GEacuteNEacuteRALE - DISCOURS ET MEacuteTHODE
          • UN NOUVEAU TYPE DE SCIENTIFICITEacute
            • Une neacutecessaire reacuteorganisation complegravete du savoir
            • Critique du logocentrisme
            • Critique de lrsquoillusion technique
            • Critique du positivisme Formalisation instance et performance
            • Critique du positivisme Vers une conception dialectique de la culture
              • POUR UNE ANTHROPOLOGIE DIALECTIQUE
                • La rationaliteacute est dialectique
                • Le mateacuterialisme historique
                • La psychanalyse
                • La linguistique structurale
                • Les laquo axes raquo de lrsquoanalyse Eacutebauche critique du modegravele glossologique
                  • Quelques formulations particuliegraveres appellent une glose
                  • Preacutesentation des deux laquo axes raquo de lrsquoanalyse Taxinomie et geacuteneacuterativiteacute
                  • Approfondissement de la theacuteorie de la biaxialiteacute
                  • Relation entre dialectique et biaxialiteacute
                      • POUR UNE ANTHROPOLOGIE CLINIQUE
                        • Justification de la perspective clinique
                          • Le pouvoir heuristique de la clinique
                          • De la nature
                            • Lrsquoapport des aphasies
                              • La dialectique et la bipolariteacute
                              • La distinction des deux faces
                              • Les deux axes drsquoanalyse
                                • Apport de la clinique des aphasies agrave la compreacutehension des autres plans culturels
                                  • De lrsquoeacutecriture agrave lrsquoOutil
                                  • De lrsquoeacutechange verbal agrave la Personne
                                  • De la prise de parole agrave lrsquoeacutethique
                                      • PANORAMA DE LA THEacuteORIE DE LA MEacuteDIATION
                                        • La dialectique Nature Culture
                                        • Les quatre aspects de la rationaliteacute
                                        • Sciences fondamentales et sciences appliqueacutees Le recoupement des plans
                                          • Les sciences fondamentales
                                          • Les sciences appliqueacutees
                                            • La theacuteorie de la meacutediation une anagnose et une dieacutegegravese de lrsquohumain
                                            • Da Capo
                                                • DU SIGNE
                                                  • STRUCTURE ET SIGNIFICATION
                                                    • SIGNIFIANT et SIGNIFIEacute
                                                      • Du symbole au signe
                                                      • De lrsquoimproprieacuteteacute
                                                        • Introduction
                                                          • Mise au point terminologique
                                                          • Lrsquoapport de lrsquoobservation clinique
                                                            • Lrsquoimproprieacuteteacute du point de vue phonologique
                                                            • Lrsquoimproprieacuteteacute du point de vue seacutemiologique
                                                              • Pertinence et deacutenotation
                                                                • Statut de la pertinence en glossologie
                                                                • Statut de la deacutenotation en glossologie
                                                                  • Les deux faces du signe ne sont pas isomorphes Le critegravere formel nrsquoest pas circulaire
                                                                  • Critique de la laquo morphonologie raquo
                                                                  • Typologie laquo des modes de deacutenotation raquo
                                                                  • Analogie laquo arbitraire relatif raquo laquo motivation raquo
                                                                  • Lrsquoapport de la clinique des aphasies
                                                                    • IDENTITEacute ET UNITEacute
                                                                      • Traits et Segravemes
                                                                        • Preacutesentation des deux axes de lrsquoanalyse
                                                                        • Identiteacute phonologique et identiteacute seacutemiologique
                                                                          • Diffeacuterence et proportion
                                                                          • La laquo neutralisation raquo
                                                                          • laquo Archiphonegraveme raquo et laquo Seacutemegraveme raquo
                                                                          • Critique du laquo binarisme raquo chez Jakobson
                                                                          • Une formalisation incorporeacutee et non projeteacutee
                                                                              • Phonegravemes et mots
                                                                                • Preacutesentation de la notion drsquouniteacute grammaticale
                                                                                • Problegravemes de segmentation phonologique
                                                                                  • Problegravemes varieacutes
                                                                                  • Critique de la notion de laquo variantes cumulatives raquo
                                                                                  • Statut de la pause en phonologie
                                                                                    • Problegravemes de segmentation seacutemiologique
                                                                                      • Capaciteacute taxinomique et capaciteacute geacuteneacuterative
                                                                                        • La capaciteacute taxinomique
                                                                                          • Dans le cadre de la dissociation des plans et de la dialectique
                                                                                          • Lexique Le clos et lrsquoouvert Problegraveme de dissociation
                                                                                            • La capaciteacute geacuteneacuterative
                                                                                                • SIMILARITEacute ET COMPLEacuteMENTARITEacute - LES RELATIONS ENTRE LES DEUX AXES
                                                                                                  • Introduction geacuteneacuterale
                                                                                                    • Vers une deacutefinition restrictive de la similariteacute et de la compleacutementariteacute
                                                                                                    • La notion de laquo projection raquo
                                                                                                    • Lrsquoapport de la clinique des aphasies
                                                                                                      • Correacutelation et paradigme
                                                                                                        • Le paradigme en seacutemiologie
                                                                                                          • Deacutefinition de la flexion et de la deacuterivation
                                                                                                          • La flexion
                                                                                                          • La deacuterivation
                                                                                                            • La correacutelation en phonologie
                                                                                                            • Propos conclusif sur la similariteacute
                                                                                                              • De lrsquoarbitraire
                                                                                                              • Les types de mots
                                                                                                                  • Concateacutenation et syntagme
                                                                                                                    • Transition et Deacutefinition du propos
                                                                                                                    • Le syntagme
                                                                                                                      • Syntagme et contextes syntaxiques un exemple en grec classique
                                                                                                                      • Distinguer la geacuteneacuterativiteacute (axe) et la syntaxe (projection
                                                                                                                      • Deacutefinition de la syntaxe
                                                                                                                      • Quelques aspects des contraintes syntaxiques
                                                                                                                      • Coordination et subordination
                                                                                                                      • Le syntagme comme relation reacuteciproque
                                                                                                                      • Syntaxe et types morphologiques
                                                                                                                      • Syntaxe et effacement
                                                                                                                        • La concateacutenation
                                                                                                                          • Reacutefeacuterence et Incidence
                                                                                                                            • Preacutesentation du thegraveme Effacement eacutevidement et ellipse
                                                                                                                            • Les deux figures de lrsquoeacutevidement
                                                                                                                              • Le figement eacutevidement morpheacutematique
                                                                                                                              • La suppleacuteance eacutevidement lexeacutematique
                                                                                                                              • De la suppleacuteance agrave lrsquoellipse
                                                                                                                              • Lrsquoauxiliariteacute interne au verbe
                                                                                                                              • Les modes verbaux
                                                                                                                              • Les laquo opeacuterateurs de discours raquo et les laquo adverbes pronominaux raquo
                                                                                                                                • Le double statut de la neacutegation et de lrsquointerrogation grammaticale
                                                                                                                                • Figures de la correacutelation
                                                                                                                                • Indeacutefinition et ellipse Relative et conjonctive
                                                                                                                                • Observation du processus laquo drsquoeffacement grammatical raquo dans le paradigme
                                                                                                                                • Conclusion Effacement et dialectique
                                                                                                                                  • POUR UN TRAITEacute DE LA DEacuteSIGNATION
                                                                                                                                    • INTRODUCTION
                                                                                                                                    • LES MEacuteCANISMES DE LrsquoEacuteNONCEacute
                                                                                                                                      • Eacutepel phoneacutetique et nomenclature seacutemantique
                                                                                                                                        • La Nomenclature seacutemantique
                                                                                                                                          • La synonymie caracteacuteristique du vocable et de lrsquoappellation
                                                                                                                                          • Le vocable dans la lexicographie
                                                                                                                                          • Onomasiologie onomastique anthroponymie (nom propre) Pour une theacuteorie de lrsquoappellation
                                                                                                                                            • La seacutelection phoneacutetique lrsquoeacutepel
                                                                                                                                              • Syllabe et proposition
                                                                                                                                                • Preacutedication et terme
                                                                                                                                                  • Le propos
                                                                                                                                                  • Lrsquoincise
                                                                                                                                                  • Preacutedication et grammaire Divers cas de figure de leur non-correspondance
                                                                                                                                                    • Preacutedication et types de mots
                                                                                                                                                    • Preacutedication et syntaxe
                                                                                                                                                      • Le terme est laquo autonymique raquo
                                                                                                                                                      • La concurrence autonymique fait partie de laquo notre pouvoir drsquoexpliquer raquo
                                                                                                                                                        • Theacuteorie de la syllabe
                                                                                                                                                          • Thegraveme de la dialectique
                                                                                                                                                          • Thegraveme de lrsquoanalogie de la seacutemantique et de la phoneacutetique
                                                                                                                                                          • Thegraveme de lrsquoanalyse et de la recherche de lrsquouniteacute phoneacutetique
                                                                                                                                                          • Gloses de deacutetail
                                                                                                                                                              • Du champ et de lrsquoexpansion
                                                                                                                                                                • Le champ seacutemantique et la zone phoneacutetique
                                                                                                                                                                  • De la tradition aristoteacutelicienne agrave la glossologie
                                                                                                                                                                  • Lrsquoeacutechelle de geacuteneacutericiteacute
                                                                                                                                                                  • La meacutetaphore
                                                                                                                                                                  • La zone phoneacutetique
                                                                                                                                                                    • Lrsquoexpansion seacutemantique et lrsquoenvironnement phoneacutetique
                                                                                                                                                                      • Lrsquoexpansion seacutemantique
                                                                                                                                                                      • Les rangs drsquointeacutegration seacutemantique
                                                                                                                                                                      • La meacutetonymie
                                                                                                                                                                      • Lrsquoenvironnement phoneacutetique
                                                                                                                                                                      • Conclusion
                                                                                                                                                                        • REacuteFEacuteRENCE ET PROPRIEacuteTEacute
                                                                                                                                                                          • Les paramegravetres du message
                                                                                                                                                                            • Typologie des paramegravetres du message
                                                                                                                                                                            • Gagnepain Buhler et Jakobson paramegravetres et non fonctions
                                                                                                                                                                            • Application didactique
                                                                                                                                                                            • Rheacutetorique et stylistique
                                                                                                                                                                            • La rheacutetorique phoneacutetique
                                                                                                                                                                              • Du formel au stochastique
                                                                                                                                                                                • Corpus
                                                                                                                                                                                • Stochastique
                                                                                                                                                                                  • Probabiliteacute et stochastique
                                                                                                                                                                                  • Hypotheacutetico-deacuteduction
                                                                                                                                                                                    • La performance rheacutetorique construit un monde intelligible
                                                                                                                                                                                    • Aspect quantitatif de la performance le texte
                                                                                                                                                                                    • La rheacutetorique est une reacute-analyse
                                                                                                                                                                                    • La laquo mutation raquo du sens
                                                                                                                                                                                    • Lrsquoapport de la clinique
                                                                                                                                                                                      • Theacuteorie des tropes
                                                                                                                                                                                      • Thegraveme de la dissociation des plans
                                                                                                                                                                                      • Thegraveme de lrsquoessentialisme
                                                                                                                                                                                      • Variations sur le thegraveme de la Figure
                                                                                                                                                                                      • laquo Les figures de mots raquo
                                                                                                                                                                                      • Mise en perspective de la theacuteorie des tropes avec la theacuteorie glossologique
                                                                                                                                                                                        • Faces pocircles axes en rheacutetorique
                                                                                                                                                                                        • Figure exemplaire de la dialectique grammaire rheacutetorique lrsquoantonomase
                                                                                                                                                                                          • La figure dite laquo antonomase raquo
                                                                                                                                                                                          • Antonomase et antonymie
                                                                                                                                                                                          • Antonomase et pronomination
                                                                                                                                                                                          • Compleacutement sur lrsquoantonomase dans la rheacutetorique classique
                                                                                                                                                                                              • La laquo figure raquo reconsideacutereacutee dans le cadre de la dialectique du signe
                                                                                                                                                                                              • Des meacutefaits de la notion laquo drsquoimage raquo dans les traductions drsquoHomegravere
                                                                                                                                                                                              • Conclusion
                                                                                                                                                                                                • LES MEacuteCANISMES DE LrsquoEacuteNONCEacute
                                                                                                                                                                                                  • Eacutepel phoneacutetique et nomenclature seacutemantique
                                                                                                                                                                                                    • La Nomenclature seacutemantique
                                                                                                                                                                                                      • La synonymie caracteacuteristique du vocable et de lrsquoappellation
                                                                                                                                                                                                      • Le vocable dans la lexicographie
                                                                                                                                                                                                      • Onomasiologie onomastique anthroponymie (nom propre) Pour une theacuteorie de lrsquoappellation
                                                                                                                                                                                                        • La seacutelection phoneacutetique lrsquoeacutepel
                                                                                                                                                                                                          • Syllabe et proposition
                                                                                                                                                                                                            • Preacutedication et terme
                                                                                                                                                                                                              • Le propos
                                                                                                                                                                                                              • Lrsquoincise
                                                                                                                                                                                                              • Preacutedication et grammaire Divers cas de figure de leur non-correspondance
                                                                                                                                                                                                                • Preacutedication et types de mots
                                                                                                                                                                                                                • Preacutedication et syntaxe
                                                                                                                                                                                                                  • Le terme est laquo autonymique raquo
                                                                                                                                                                                                                  • La concurrence autonymique fait partie de laquo notre pouvoir drsquoexpliquer raquo
                                                                                                                                                                                                                    • Theacuteorie de la syllabe
                                                                                                                                                                                                                      • Thegraveme de la dialectique
                                                                                                                                                                                                                      • Thegraveme de lrsquoanalogie de la seacutemantique et de la phoneacutetique
                                                                                                                                                                                                                      • Thegraveme de lrsquoanalyse et de la recherche de lrsquouniteacute phoneacutetique
                                                                                                                                                                                                                      • Gloses de deacutetail
                                                                                                                                                                                                                          • Du champ et de lrsquoexpansion
                                                                                                                                                                                                                            • Le champ seacutemantique et la zone phoneacutetique
                                                                                                                                                                                                                              • De la tradition aristoteacutelicienne agrave la glossologie
                                                                                                                                                                                                                              • Lrsquoeacutechelle de geacuteneacutericiteacute
                                                                                                                                                                                                                              • La meacutetaphore
                                                                                                                                                                                                                              • La zone phoneacutetique
                                                                                                                                                                                                                                • Lrsquoexpansion seacutemantique et lrsquoenvironnement phoneacutetique
                                                                                                                                                                                                                                  • Lrsquoexpansion seacutemantique
                                                                                                                                                                                                                                  • Les rangs drsquointeacutegration seacutemantique
                                                                                                                                                                                                                                  • La meacutetonymie
                                                                                                                                                                                                                                  • Lrsquoenvironnement phoneacutetique
                                                                                                                                                                                                                                  • Conclusion
                                                                                                                                                                                                                                    • SENS ET CAUSALITEacute
                                                                                                                                                                                                                                      • Science Le raisonnement seacutemantique scientifique
                                                                                                                                                                                                                                        • Heacuteritage et positions
                                                                                                                                                                                                                                        • Deacutefinition de la seacutemantique scientifique
                                                                                                                                                                                                                                          • La science une rheacutetorique laquo meacutetalinguistique raquo
                                                                                                                                                                                                                                          • Les modaliteacutes de cette transformation
                                                                                                                                                                                                                                            • Retour agrave la dissociation des plans
                                                                                                                                                                                                                                            • Discours de la meacutethode
                                                                                                                                                                                                                                            • La seacutemantique scientifique est un mode de raisonnement permanent chez tout locuteur
                                                                                                                                                                                                                                            • Toute explication est verbale
                                                                                                                                                                                                                                            • Science et formalisation
                                                                                                                                                                                                                                            • Porteacutee de la rheacutetorique scientifique La question des paramegravetres de la situation La neacutecessaire dissociation des plans
                                                                                                                                                                                                                                            • Le recoupement de la rheacutetorique scientifique par les autres plans
                                                                                                                                                                                                                                            • Le langage laquo fait surgir raquo la penseacutee et laquo lui assigne un terme raquo
                                                                                                                                                                                                                                            • La science fait glossologique donc analytique
                                                                                                                                                                                                                                            • Conclusion Distinguer rheacutetorique scientifique et laquo la science raquo telleqursquoon lrsquoentend drsquoordinaire
                                                                                                                                                                                                                                              • Mythe Le raisonnement seacutemantique mythique
                                                                                                                                                                                                                                                • Des mythes au raisonnement mythique
                                                                                                                                                                                                                                                • Deacutefinition contrastive du mythe par rapport agrave la science
                                                                                                                                                                                                                                                • Problegravemes de meacutethode Est-il possible drsquoacceacuteder au mythe par le biais du rite (eacutecriture du mythe) ou de lrsquoanalyse de ses fonctions
                                                                                                                                                                                                                                                  • Mythe et rite
                                                                                                                                                                                                                                                  • Mythe et fonction sociale
                                                                                                                                                                                                                                                    • Mythe et religion Mythique et mystique
                                                                                                                                                                                                                                                    • De la banaliteacute du raisonnement mythique
                                                                                                                                                                                                                                                    • Mythe et meacutecanismes de lrsquoeacutenonceacute
                                                                                                                                                                                                                                                      • Lrsquoexploitation de la laquo polyseacutemie raquo
                                                                                                                                                                                                                                                      • Lrsquoexploitation de la laquo polyrheacutemie raquo
                                                                                                                                                                                                                                                          • Poegraveme La seacutemantique endocentrique
                                                                                                                                                                                                                                                            • Deacutefinitions varieacutees sous forme de triplets
                                                                                                                                                                                                                                                            • Seacutemantique poeacutetique en soustraire le recoupement des autres plans
                                                                                                                                                                                                                                                            • Viseacutee poeacutetique et paramegravetres du message
                                                                                                                                                                                                                                                            • Poeacutetique et axes
                                                                                                                                                                                                                                                            • Poeacutetique et faces du signe
                                                                                                                                                                                                                                                            • Conclusion reacutecapitulative La raison poeacutetique
                                                                                                                                                                                                                                                              • Deux remarques finales sur le thegraveme laquo Sens et Causaliteacute raquo
                                                                                                                                                                                                                                                                • CONCLUSIONS
                                                                                                                                                                                                                                                                • POUR CONCLURE MON PARCOURS
                                                                                                                                                                                                                                                                • INDEX des CONCEPTS
                                                                                                                                                                                                                                                                • INDEX des AUTEURS
                                                                                                                                                                                                                                                                • BIBLIOGRAPHIE
Page 2: Pour citer cet ouvrage

EN GUISE DrsquoAVANT-PROPOS

LrsquoInstitut Jean Gagnepain est heureux drsquoaccueillir sur son site cette

laquo LECTURE raquo copieuse et minutieuse que nous propose Jean-Yves Urien et

drsquoen assurer la publication et agrave la diffusion

En srsquoattachant par ce travail consideacuterable agrave lrsquohermeacuteneutique du

premier chapitre de laquo DU VOULOIR DIRE I raquo consacreacute par Jean Gagnepain

au SIGNE Jean-Yves Urien nous permet de saisir lrsquoimportance princeps de la

theacuteorie du Signe au regard de lrsquoensemble de la Theacuteorie de la Meacutediation

Gracircce agrave ses eacuteclairages ses explicitations en nous exposant aussi les

points drsquoachoppement les interrogations et les difficulteacutes Jean-Yves Urien

nous conduit vers une compreacutehension plus eacuteclaireacutee et plus fine de la

reacuteflexion fondatrice de Jean Gagnepain ce faisant il en deacutemontre lextraordinaire puissance heuristique tout en nous fournissant les moyens deacutelaborer les outils conceptuels neacutecessaires agrave lrsquoapprofondissement et au deacutepassement mdash que le bon maicirctre a souvent appeleacute de ses vœux mdash de

lrsquoapproche meacutediationniste des pheacutenomegravenes humains telle qursquoil nous lrsquoa

laisseacutee

Par la publication et la diffusion de cette laquo Lecture raquo de Jean-Yves Urien

lrsquoInstitut Jean Gagnepain entend inaugurer une collection qui sous le titre

de laquo QUADRATIO raquo aura pour vocation drsquoaccueillir des textes ayant pour

objectif drsquoexposer de poursuivre drsquoapprofondir voire de subvertir mdash

naturellement dans le cadre eacutepisteacutemologique deacutefini par Jean Gagnepain mdash

lrsquoanthropologie meacutediationniste

Bonne laquo Lecture raquo donc

Pierre Jubanvice-preacutesident de lrsquoInstitut Jean Gagnepain

Jean-Yves Urien

UNE LECTURE de Jean GAGNEPAIN

Du Vouloir Dire I

Du Signe

laquo Encore que lrsquoimproprieacuteteacute soit agrave la source du langage elle ne saurait en

aucun cas ecirctre le but de lrsquousager et ce nrsquoest point raisonner agrave mon goucirct

que de filer interminablement la meacutetaphore au lieu de tendre agrave deacutefinir en

quoi chaque secteur est distinct Il nest de science qui ne vise agrave la speacutecialisa-

tion et ne cherche agrave traduire au moyen de sa terminologie lunivociteacute de

ses concepts raquo

Du Vouloir Dire Du Signe p 4-5

I

GLOSES

Le preacutesent texte de gloses se propose drsquoaider le lecteur agrave mieux comprendre lrsquoœuvre de

Jean Gagnepain

Du Vouloir-Dire est reacuteputeacute difficile agrave lire et le temps qui passe (plus de 30 ans) ajoute une

difficulteacute agrave la compreacutehension des reacutefeacuterences et des allusions aux ideacutees des anneacutees 1970

souvent implicites Jrsquoentends bien que certains eacuteprouvent moins de difficulteacute que drsquoautres agrave le

lire Je sais aussi que drsquoautres encore ont pour principe de refuser tout travail de glose

Pourtant le genre concerne lrsquoensemble des eacutecrits y compris lrsquoensemble du domaine

scientifique Le fameux laquo tableau de Mendeleiumlev raquo nrsquoest rien sans de multiples deacuteveloppe-

ments explicatifs

Je propose donc ici un ensemble de commentaires de termes de phrases ou de para-

graphes au fil de la lecture de la premiegravere partie de lrsquoouvrage Certains commentaires sont des

paraphrases drsquoeacutenonceacutes preacutesentant des renvois multiples de pronoms ndash Jean Gagnepain aime

les anaphores et les cataphores Drsquoautres paraphrases redistribuent en plusieurs eacutenonceacutes une

laquo peacuteriode raquo qui rappellera agrave certains lrsquoeacuteloquence drsquoun Ciceacuteron Drsquoautres commentaires tentent

drsquoexpliciter des reacutefeacuterences agrave des auteurs resteacutes ici anonymes ou agrave des thegraveses resteacutees

implicites Les psychologues cliniciens sont enclins agrave croire que tous les lecteurs savent repeacuterer

leur Lacan et les linguistes leur Hjelmslev ou leur Chomsky Voire Enfin des termes tels

qursquolaquo isomorphisme anthropodiceacutee anagnose dieacutegegravese heacutesychasme raquo ne sont pas drsquousage

courant pas davantage des formulations telles que laquo Si le signe du zeacutero peut par

autoformulation se faire ainsi signe de signe crsquoest qursquoil participe en quelque sorte de son

essence et que la neacuteguentropie est sa loi raquo p65 sect2

Invitation agrave la lecture et aide agrave la lecture de lrsquoœuvre de Jean Gagnepain avant tout ce

texte est aussi une eacutebauche de commentaire eacutepisteacutemologique du fait qursquoil est ameneacute agrave situer

la Theacuteorie de la meacutediation (la laquo TdM raquo) par rapport agrave drsquoautres approches Il sera assorti de

quelques laquo intermegravedes raquo sur des thegravemes particuliegraverement deacutelicats

Pour autant il ne propose pas une analyse critique approfondie et syntheacutetique Lrsquoouvrage

meacuterite certes un tel projet Ces commentaires srsquoils parviennent agrave expliciter les propositions de

lrsquoauteur veulent ecirctre une eacutetape preacutealable et une invitation agrave un tel bilan critique Cela dit on

ne peut preacutejuger de mes accords ou deacutesaccords avec les postulats et hypothegraveses preacutesenteacutes

dans le livre en dehors des passages ougrave je prends explicitement position

Il va de soi mais mieux vaut le dire que ces Gloses ne sont laquo agrave consommer raquo qursquoen

preacutesence du texte inteacutegral du Vouloir-Dire faute de quoi la promenade drsquoarbre en arbre risque

de cacher la forecirct Je ne me suis drsquoailleurs arrecircteacute que devant ceux qui me faisaient difficulteacute

Certaines propositions dont la formulation est particuliegraverement claire dans lrsquoouvrage peuvent

donc nrsquoavoir pas eacuteteacute commenteacutees Je me suis toutefois efforceacute de proposer un reacutesumeacute de

lrsquoargumentation tout au long de ma lecture

Ce va-et-vient certes exigeant est la condition de la compreacutehension de mes propos

Ineacutevitablement une suite de gloses fausse la perspective geacuteneacuterale drsquoun propos systeacutematique

Le risque est grand drsquoeacutedulcorer ce que lrsquoon reacutesume et de surestimer lrsquoimportance du deacutetail

que lrsquoon se doit de deacutevelopper pour une raison de forme (un mot laquo savant raquo) plus que de fond

Sans compter les malentendus et les contresens

II

Il ne mrsquoeacutetait pas possible de distinguer systeacutematiquement par la typographie ce qui est

paraphrase du texte de ce qui en est une explication personnelle une correction ou un

deacuteveloppement Les exemples traiteacutes sont geacuteneacuteralement de moi sauf reacutefeacuterence faite au texte

et citation en italiques de lrsquoexemple Cette difficulteacute est inheacuterente au genre Je laisse donc le

lecteur appreacutecier la diffeacuterence dans la confrontation de la source et de la glose

Ma profonde reconnaissance va aux deux relecteurs qui chapitre apregraves chapitre ont non

seulement releveacute mes errements les plus manifestes ou les mieux cacheacutes mais mrsquoont aussi

suggeacutereacute nombre drsquoeacuteclaircissements Sans leur disponibiliteacute leur expertise leur perspicaciteacute

leur indulgence et leur gentillesse ce projet nrsquoaurait pu aboutir

Merci en premier lieu agrave Suzanne Allaire Parce qursquoelle a veacutecu directement la peacuteriode

drsquoeacutelaboration par Jean Gagnepain de la glossologie et y a contribueacute et parce qursquoelle mrsquoa

donneacute de son temps pour partager ces concepts elle mrsquoa permis drsquoapprofondir ma com-

preacutehension de la theacuteorie du signe notamment du principe de laquo neacutegativiteacute raquo qui est lrsquoun des

fondements de la theacuteorie de la meacutediation mais aussi de bien drsquoautres points En outre ses

compeacutetences profondes drsquohelleacuteniste et de latiniste mrsquoont eacuteteacute une aide indispensable pour

affronter le texte moi qui nrsquoai guegravere retenu de mon Gradus ad Parnassum que les Fables

drsquoEacutesope et la Guerre des Gaules

Merci aussi agrave Jean Giot depuis Namur et Paris Son aide mrsquoa eacuteteacute preacutecieuse tout

particuliegraverement dans le domaine de la seacutemantique et nos eacutechanges eacutepistolaires ont eacuteteacute pour

moi particuliegraverement enrichissants

Par ailleurs merci agrave tous ceux qui mrsquoont aideacute sur des points preacutecis de fond comme de

forme parmi lesquels Laurence Baud Pierre Corbel Gilles Clerval Gildas Hamel Michael

Herrmann Marc Legrand et Jean-Claude Schotte Merci agrave Pierre Juban agrave double titre pour son

aide eacuteditoriale indispensable et pour son rocircle essentiel dans lrsquoInstitut Jean Gagnepain qui

accueille ce texte Merci enfin agrave Madame Jeanne Gagnepain et agrave Monsieur Bruno Gagnepain

au sein de lrsquoInstitut

Je tiens aussi agrave exprimer ma profonde gratitude envers tous mes collegravegues eacutequipiers de

longue date en Sciences du Langage agrave lrsquoUniversiteacute de Haute-Bretagne Rennes 2 sans qui je ne

pourrais pas penser ce que jrsquoexpose ici Attie Duval Jacques Laisis et Jean-Claude Quentel Agrave

ces derniers jrsquoassocie notre regretteacute Hubert Guyard

Quant agrave Jean Gagnepain en Personne ce retour agrave lrsquoenvoyeur est ma forme de

reconnaissance

Cela dit cette lecture est mienne celle drsquoun moi en devenir et proposeacutee agrave drsquoautres

lecteurs Les deacutebats que jrsquoespegravere susciter font partie de cette transaction qursquoest la lecture et

contribueront au capital dans nos histoires

laquo Les livres les plus utiles sont ceux dont les lecteurs font eux-mecircmes la moitieacute ils eacutetendent

les penseacutees dont on leur preacutesente le germe raquo

Voltaire Dictionnaire philosophique (Preacuteface)

III

Leacutegende

Les reacutefeacuterences au texte du Vouloir-Dire sont noteacutees par une seacutequence

laquo PageParagraphe raquo et parfois laquo PageParagrapheLigne raquo renvoyant au passage du

Vouloir-Dire correspondant Par exemple 416 deacutesigne un passage qui commence agrave la

6e ligne du 1er paragraphe de la page 4 La reacutefeacuterence agrave des pages entiegraveres est noteacutee 4

(une seule page) ou 4-7 (pages 4 agrave 7)

Un laquo clic (gauche) raquo sur ces reacutefeacuterences signaleacutees par laquo une petite main index

pointeacute raquo donne accegraves au corps du texte du Vouloir-Dire par un lien hypertexte Le

passage citeacute apparaicirct en haut de page drsquoeacutecran

Lorsqursquoune reacutefeacuterence ne comporte pas de lien cherchez le lien le plus proche

renvoyant au mecircme paragraphe

En cliquant dans Du Vouloir Dire sur un passage lieacute signaleacute par la petite main index

pointeacute et un fond gris on est renvoyeacute agrave sa glose dans la premiegravere partie Celle-ci

apparaicirct en haut de page Si la citation est commenteacutee agrave plusieurs reprises le lien

renvoie au commentaire le plus deacutetailleacute La fonction laquo recherche raquo (ctrl+f) permet de

retrouver lrsquoensemble des autres passages

En outre les reacutefeacuterences agrave des ouvrages disponibles sur la Toile ont fait lrsquoobjet de liens

hypertexte

Toute citation du texte du Vouloir-Dire est en italiques et correspond aux passages

lieacutes dans lrsquoouvrage Les exemples entre guillemets en caractegraveres droits sont de moi ou

drsquoautres auteurs dont le nom est mentionneacute

Jrsquoai repris lrsquoensemble des titres qui figurent dans le Sommaire p VII du Vouloir-Dire

et je les ai compleacuteteacutes de titres intermeacutediaires personnels chaque fois que je lrsquoai jugeacute utile

agrave la lisibiliteacute de mes commentaires On retrouvera le sommaire de laquo Une Lecturehellip raquo

dans le panneau des signets qui permet eacutegalement la navigation dans le texte

Le nom de Jean Gagnepain sera abreacutegeacute en JG Theacuteorie de la Meacutediation en TdM et

Du Vouloir-Dire en DVD

Modes de lecture

Si vous souhaitez disposer cocircte agrave cocircte sur votre eacutecran laquo Une lecturehellip raquo et laquo Du

Vouloir-Dire I Du Signe raquo proceacutedez de la maniegravere suivante avec Adobe Acrobat Reader

(gratuit) Certains lecteurs de fichiers pdf ne permettent pas cette manœuvre

- Vous pouvez teacuteleacutecharger les deux textes sur le site wwwinstitut-jean-gagnepainfr

Dans un premier temps le lecteur de fichier laquo pdf raquo proposera deux onglets crsquoest-agrave-dire

un choix entre les deux textes En cliquant laquo fenecirctre raquo dans le bandeau supeacuterieur puis

laquo nouvelle fenecirctre raquo les deux textes apparaicirctront dans deux fenecirctres indeacutependantes

- Si vous nrsquoavez teacuteleacutechargeacute que le fichier laquo Une lecturehellip + Le signe raquo suivez la mecircme

meacutethode laquo Nouvelle fenecirctre raquo ouvrira une copie du fichier Vous pourrez faire

apparaicirctre la partie laquo Du Signe raquo sur lrsquoune des fenecirctres et la partie laquo Une lecturehellip raquo sur

lrsquoautre Les liens hypertextes fonctionneront sur chacune des deux fenecirctres de faccedilon

indeacutependante

Ce texte est lisible sur toute tablette qui reconnaicirct un fichier laquo pdf raquo Dans ce cas

laquo la petite main raquo peut ne pas apparaicirctre mais un contact du doigt ou du stylet

deacuteclenchera le lien hypertexte

Discours et meacutethode 1

INTRODUCTION GEacuteNEacuteRALE

DISCOURS ET MEacuteTHODE

On le verra tregraves vite lrsquoanthropologie qui est deacuteveloppeacutee dans cet ouvrage repose sur le

principe de Raison Crsquoest pourquoi je vois dans ce titre un clin drsquoœil agrave lrsquoopuscule ceacutelegravebre de

Descartes le Discours de la meacutethode Certes il ne srsquoagit aucunement ici drsquoun nouveau

laquo carteacutesianisme raquo mais comme le dit avec esprit la quatriegraveme de couverture drsquoun laquo neacuteo-

quarteacutesianisme raquo attendu que la rationaliteacute humaine y est dissocieacutee en quatre plans

Cependant crsquoest bien de laquo meacutethode raquo dont il est question ici au sens eacutetymologique du terme

un laquo cheminement raquo En effet cette introduction propose un itineacuteraire intellectuel agrave la fois

eacutepisteacutemologique ndash qui prend position dans un deacutebat entre savoirs et critique ndash qui explicite la

leacutegitimiteacute de ses options

Le chemin est parcouru en trois eacutetapes Je propose les titres suivants 1 Un nouveau type

de scientificiteacute 2 Pour une anthropologie dialectique 3 Pour une anthropologie clinique

1 UN NOUVEAU TYPE DE SCIENTIFICITEacute

Jean-Gagnepain situe son projet dans les savoirs contemporains Lrsquoouvrage a eacuteteacute reacutedigeacute au

deacutebut des anneacutees 1980 mais il conclut un long travail de recherches dont teacutemoignent les

seacuteminaires hebdomadaires des anneacutees 1970

- Neacutecessiteacute de reacuteorganiser le savoir pour deacutepasser lrsquoantagonisme entre perspective histo-

rique et perspective scientifique 3-4

- Critique du logocentrisme de la laquo seacutemiologie raquo 43

- Critique de lrsquoillusion technique qui preacutetend que la machine explique lrsquohumain 52

En conclusion Jean-Gagnepain oppose au laquo neacuteopositivisme raquo 63 de ses contemporainshellip

hellip une anthropologie qui prend en compte le fait que la laquo formalisation raquo chez lrsquohomme

est laquo incorporeacutee raquo 65

Une neacutecessaire reacuteorganisation complegravete du savoir

Lrsquoauteur dans ce deacutebut drsquoouvrage affirme la neacutecessiteacute drsquoune reacuteorganisation complegravete du

savoir Il commence par remettre en question un antagonisme traditionnel entre deux

approches de lrsquohumain celle de laquo lrsquohistoire raquo et celle de laquo la science raquo

laquo hellipSrsquoil est vrai qursquoexpliquer crsquoest toujours rattacher lrsquooccurrence au principe et qursquoon peut

par-lagrave deacutesigner aussi bien lanteacuteceacutedence chronologique de lorigine que la preacutecession logique du

modegravele gracircce auxquels il eacutechappe agrave la contingence en mecircme temps quagrave la singulariteacute on ne

saurait manquer drsquoapercevoir qursquoentre les deux types drsquoexplication une sorte de clivage srsquoeacutetait

pratiquement opeacutereacute qui (hellip) opposait la science agrave lrsquohistoire raquo 36

2 Une lecture de Jean Gagnepain

Reconstituons le jeu des anaphores laquo par-lagrave raquo renvoie agrave laquo principe raquo de mecircme que

laquo (auxquels) il (eacutechappe) raquo laquo Auxquels raquo renvoie agrave lrsquoalternative des deux types de principes

explicatifs que sont (1) laquo lrsquoorigine raquo (chronologique) et (2) laquo le modegravele raquo (logique)

On lira donc laquo On peut deacutesigner par principe aussi bien lrsquoorigine que le modegravele Gracircce au

rattachement de lrsquooccurrence agrave lrsquoorigine lrsquoexplication eacutechappe agrave la contingence et gracircce au

rattachement de lrsquooccurrence au modegravele lrsquoexplication eacutechappe agrave la singulariteacute raquo

laquo Contingence raquo et laquo singulariteacute raquo 36 reformulent le terme laquo occurrence raquo pris dans le sens

de laquo fait circonstanciel raquo et renvoient le premier agrave la variation de lrsquoobservable selon le temps

lrsquoespace et le milieu et le second agrave lrsquoexpeacuterience particuliegravere ce dont srsquoabstrait le principe

explicatif On eacutechappe agrave la laquo contingence raquo gracircce agrave laquo lrsquoanteacuteceacutedence chronologique raquo qui re-

cherche le commencement et agrave la laquo singulariteacute raquo gracircce agrave laquo la preacutecession logique raquo qui re-

cherche le geacuteneacuteral

Cela dit par la suite Jean Gagnepain essaiera de convaincre lrsquohistorien et le philologue que

seul le laquo modegravele raquo est explicatif qursquoil faut revoir la question de laquo lrsquoorigine raquo que le terme

laquo principe raquo ne doit ecirctre compris que comme le synonyme de laquo cause raquo Ce faisant on exclut le

sophisme ancien laquo Post hoc propter hoc raquo (laquo Agrave la suite de cela donc agrave cause de cela raquo) qui

identifiait la relation avant ndash apregraves et la relation de cause agrave conseacutequence En effet dans la

partie qui traite de la Personne (DVD 2) JG soutient que seule la sociologie (en tant que theacuteo-

rie de la Personne et non pas en tant que discipline) a un pouvoir explicatif pour rendre

compte du devenir humain parce qursquoelle cherche de la laquo cause raquo crsquoest-agrave-dire une relation

entre geacuteneacuteral et speacutecifique agrave travers une modeacutelisation logique drsquoun objet qui lui est social La

notion de laquo cause raquo est bien au cœur de la deacutemarche de lrsquohistorien mais pour celui-ci le

terme ne prend son sens que par rapport agrave un modegravele Cest pourquoi lrsquohistorien doit chercher

la sociologie qui fonde la conception qursquoil a de laquo lrsquoeacuteveacutenement raquo

Lorsque Jean Gagnepain eacutenonce laquo On peut deacutesigner par-lagrave [lagrave = un principe explicatif] (hellip)

lrsquoanteacuteceacutedence chronologique de lrsquoorigine raquo on peut se demander si ce laquo On raquo comprend

lrsquoauteur Il me semble qursquoil expose ici un laquo lieu commun raquo celui qui donne une eacutegale valeur

explicative aux deux deacutemarches comme deux maniegraveres de trouver du laquo principe raquo Autrement

dit Jean Gagnepain joue sur lrsquoambivalence du terme laquo principe raquo que lrsquoon peut entendre

comme laquo ce qui est au commencement raquo ou laquo ce qui est au fondement causal raquo Il a releveacute agrave

de multiples reprises dans ses Seacuteminaires cette ambivalence du grec laquo arkhegrave raquo que lrsquoon re-

trouve en franccedilais dans la diffeacuterence entre laquo archeacuteologie raquo drsquoun cocircteacute et laquo archeacutetype raquo de

lrsquoautre Le latin laquo principium raquo est tout aussi ambivalent comparez le franccedilais laquo le premier

jour du mois raquo et laquo le Premier ministre raquo Rappelez-vous enfin le prologue de lrsquoEacutevangile de

Jean laquo Egraven arkheacute egraven o logos In principio erat verbum raquo JG renvoyait aussi agrave la diffeacuterence en

allemand de laquo Ur- raquo (au deacutepart) et de laquo Grund- raquo (au fondement)

Optant pour le modegravele en sciences humaines il demande que le terme laquo origine raquo prenne

un autre sens et ne soit pas compris comme laquo le deacutebut drsquoun enchaicircnement de faits dans le

temps raquo enchaicircnement reacutecursif agrave lrsquoinfini agrave moins de srsquoarrecircter au Pegravere Adam De mecircme faut-il

lever lrsquoambiguiumlteacute de la notion de laquo chronologie raquo parce que le lecteur (agrave ce deacutebut) peut penser

au temps physique ou biologique Or lrsquohistoire dans la theacuteorie de la Personne nrsquoest pas de cet

ordre La proposition preacutesente est donc provisoire Elle fait reacutefeacuterence agrave une doxa qursquoil criti-

quera

Ainsi dans le seacuteminaire du 20 novembre 1986 laquo les 4 veacuteriteacutes raquo deacuteclare-t-il laquo Le principe

drsquoorigination fait formellement de lrsquoorigine un modegravele comme les autres Autrefois je racontais

Discours et meacutethode 3

qursquoil y avait deux explications ndash par modegravele et par origine (Jrsquoai mecircme mis cela dans la premiegravere

page du Vouloir-Dire parce que cela me facilitait didactiquement lrsquoexposeacute) Mais les sciences

humaines ne rendent plus cela valable dans la mesure ougrave (mais je ne pouvais le dire avant de

lrsquoavoir deacutemontreacute) lrsquoorigine ndash en tant que principe drsquoorigination ndash est un modegravele entre les

autres raquo Ou encore dans le tome II du Vouloir-Dire laquo Lrsquoexplication par lrsquoorigine ne saurait

srsquoopposer agrave lrsquoexplication par modegravele degraves lors que lrsquoorigine est modegravele et que tel un procegraves

lrsquoeacuteveacutenement lui-mecircme est instruit raquo DVD II 33212

En somme laquo Lhumain seul autrement dit appartenait aux archivistes dans un monde livreacute

agrave des expeacuterimentateurs raquo 36 Lrsquoauteur reacutesume ici la diffeacuterence de perspective intellectuelle

supposeacutee exister entre la tradition des laquo humaniteacutes raquo (faculteacute des Lettres) et celle des

laquo sciences raquo Les premiers archivent chronologiquement des documents Ils postulent la laquo li-

berteacute raquo des actes humains et recherchent les laquo intentions raquo de ces actes Or ils vivent dans un

univers de savoir ougrave domine la deacutemarche scientifique fondeacutee sur la meacutethode expeacuterimentale

pour tout ce qui touche agrave la matiegravere et agrave la vie une meacutethode qui repose sur le principe de

causaliteacute donc sur des deacuteterminismes

Partant de lagrave lrsquoauteur pose directement le problegraveme des sciences humaines soutient que

lrsquoon doit prendre le terme de laquo sciences raquo au seacuterieux agrave ce propos crsquoest-agrave-dire que lrsquoon doit

tenter drsquoappliquer agrave lrsquohumain la perspective scientifique

laquo La suspicion dans laquelle on tient [les sciences humaines] et la quasi-clandestiniteacute que

linstitution ndash sinon la presse ndash leur impose ne sont point dues (hellip) au fait que les consideacuterations

de systegraveme aient tendance agrave y preacutevaloir sur celle de devenir (hellip) Agrave la mutation profonde

qursquoelles impliquent on preacutefegravere par inertie le compromis raquo 41 La preacutevalence en cause ici fait

reacutefeacuterence au mouvement structuraliste (ex Leacutevi-Strauss) Ce courant propose un regard

systeacutematisant sur lrsquohumain qui remet en question une tradition drsquoeacutetudes historiques

laquo Suspicion raquo laquo quasi-clandestiniteacute raquo sont des termes agrave remettre dans le contexte de 1980

laquo Toutes nrsquoadoptent pas la mecircme attitude sur ce point raquo 41 JG nuance ici le fait que laquo les

consideacuterations de systegraveme aient tendance agrave preacutevaloir sur celles du devenir raquo autrement dit

lrsquoaccent mis deacutesormais sur la laquo synchronie raquo plutocirct que sur la laquo diachronie raquo

Lrsquoimage laquo [Crsquoest deacuteplacer] agrave mi-temps les eacutequipes [sans changer les regravegles du jeu] raquo 42

deacuteveloppe lrsquoideacutee du laquo compromis par inertie raquo Certes les scientifiques prennent conscience

drsquoune part des raisons et effets sociaux de leur activiteacute et drsquoautre part du caractegravere humain de

la science Certes inversement les litteacuteraires sont attireacutes par lrsquoanalyse quantitative des

donneacutees Cependant JG y voit une simple inversion des attitudes y voit des scientifiques

jouant aux lettreacutes et des lettreacutes jouant aux scientifiques La contradiction des deux deacutemarches

nrsquoest pas deacutepasseacutee elle se maintient chacune important dans son propre champ une petite

partie de lrsquoautre

Critique du logocentrisme

Cette forme de reacuteductionnisme assimile tout fait humain agrave un fait de langage en se fondant

sur le fait que toute connaissance passe par un laquo discours raquo sur la reacutealiteacute

Jean Gagnepain part de lrsquoabus drsquoutilisation du terme laquo signification raquo auquel on donne

tellement de sens heacuteteacuterogegravenes qursquoil devient laquo le plus vide de ce qursquoil voudrait suggeacuterer raquo 45

Drsquoougrave le rappel drsquoun des principes de la meacutethode scientifique agrave savoir la rigueur seacutemantique

laquo Encore que lrsquoimproprieacuteteacute soit agrave la source du langage elle ne saurait en aucun cas ecirctre le but

4 Une lecture de Jean Gagnepain

de lrsquousager et ce nrsquoest point raisonner agrave mon goucirct que de filer interminablement la

meacutetaphore au lieu de tendre agrave deacutefinir en quoi chaque secteur est distinct Il nest de science qui

ne vise agrave la speacutecialisation et ne cherche agrave traduire au moyen de sa terminologie lunivociteacute de

ses concepts raquo 4-5

Il srsquoagit donc de deacutelimiter rigoureusement ce que sont les laquo ordres raquo geacuteneacuteraux de faits et

deacutefinir en particulier le vaste champ de la culture Il srsquoagit aussi de dissocier au sein de ce

dernier ce qursquoil appellera les laquo plans raquo de rationaliteacute sans les confondre ces quatre registres

qui sont analogues au sein de lrsquoordre et distincts en tant que plans Ces laquo plans raquo qursquoannonce

le plan du Vouloir Dire laquo Le signe lrsquooutil la personne la norme raquo Notons tout de suite que

JG utilisera comme synonymes stricts les termes laquo culture rationaliteacute raison raquo selon les

contextes

Faute de dissociation on pratique un reacuteductionnisme et le logocentrisme en est un qui

preacutetend laquo Reacuteduire la culture au sens raquo 51 La deacutemarche de dissociation que propose lrsquoauteur

est preacuteciseacutee par la formule suivante laquo hellipSans doute les faits invoqueacutes sont-ils bien au sens

pascalien de mecircme ordre mais leur analogie nrsquoautorise pas agrave les confondrehellip raquo

Les faits en question ce sont les faits humains aussi divers que le fait de parler de faire la

vaisselle de commercer et de jeucircner Or la laquo seacutemiologie raquo ramegravene tous ces faits agrave des faits de

laquo discours raquo ce que JG qualifie de laquo narcissisme raquo 51 laquo Sous le preacutetexte que tout ce qui est

verbe est nocirctre [les seacutemiologues] ont allegravegrement infeacutereacute que tout ce qui eacutetait nocirctre eacutetait verbe

et que les lois de lrsquounivers srsquoidentifiaient agrave leurs propres discours raquo 43

La notion laquo drsquoordre raquo en 51 est inspireacutee de Blaise Pascal Penseacutees L 308 Br 793 mais

adapteacutee par JG agrave sa propre probleacutematique Pascal eacutecrivait

laquo La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des

esprits agrave la chariteacute car elle est surnaturelle (hellip) La grandeur de la sagesse qui est nulle sinon

de Dieu est invisible aux charnels et aux gens drsquoesprit Ce sont trois ordres diffeacuterents de genre

() Tous les corps le firmament les eacutetoiles la terre et ses royaumes ne valent pas le moindre

des esprits Car il connaicirct tout cela et soi et les corps rien (hellip) De tous les corps ensemble on

ne saurait faire reacuteussir une petite penseacutee Cela est impossible et drsquoun autre ordre De tous les

corps et les esprits on nrsquoen saurait tirer un mouvement de vraie chariteacute cela est impossible et

drsquoun autre ordre surnaturel raquo

JG pense pour sa part agrave une cateacutegorisation scientifique en laquo Nature Culture raquo Ainsi

lorsque Roland Barthes traite en termes de laquo discours raquo autrement dit de rheacutetorique le fait

social qursquoest la mode ou le fait laquo ergologique raquo (technique) qursquoest le vecirctement il reste dans le

mecircme ordre celui de la culture celui de la rationaliteacute mais il confond les plans de rationaliteacute

Il rapporte des faits fabriqueacutes et eacutechangeacutes agrave la maniegravere dont on en parle1 Il reacuteduit le fait social

et le fait technique agrave la mesure du Dire2 Ce faisant il megravene ce type de raisonnement que JG

appellera laquo seacutemantique mythique raquo La seacutemantique mythique imagine une reacutealiteacute agrave la mesure

des mots par lesquels on tente de la comprendre JG lui trouve pour critegravere le passage de

1 Roland Barthes 1967 Systegraveme de la mode Le Seuil Lrsquoauteur analyse la maniegravere dont la presse traite de la mode

2 Jrsquoutiliserai deacutesormais le plus souvent le terme laquo dire raquo comme nom drsquoaction plutocirct que celui de laquo signe raquo pour deacutesigner lrsquoaptitude humaine geacuteneacuterale qui est au fondement du langage laquo Signe raquo est pour Jean Gagnepain un hommage agrave Ferdinand de Saussure Nous verrons combien le sens qursquoil lui donne est diffeacuterent de celui du Cours Notez pour lrsquoinstant qursquoil ne lrsquoutilise jamais comme synonyme de laquo un mot raquo et qursquoil ne dit jamais laquo un (des) signe(s) raquo Or le franccedilais dispose du terme laquo dire raquo qui cadre tregraves exactement avec lrsquoobjet geacuteneacuteral que deacutefinit et analyse Jean Gagnepain dans son traiteacute laquo Du signe raquo

Discours et meacutethode 5

laquo lrsquoanalogie raquo agrave la laquo confusion raquo 51 La formule laquo Reacuteduire la culture au sens raquo 51 souligne que

le reacuteductionnisme repose sur un abus des mots3

Le terme de laquo Narcissisme raquo qursquoil applique au logocentrisme renvoie agrave un mode drsquoecirctre de la

Personne Logiquement la critique porte ici sur la laquo circulariteacute raquo du raisonnement

logocentrique Oralement et sur le registre technique JG dira souvent dans ses Seacuteminaires

que lrsquoon confond alors laquo ses lunettes raquo avec la reacutealiteacute qui leur est exteacuterieure

Critique de lrsquoillusion technique

La critique porte drsquoabord sur lrsquoeacutethologie Il est illusoire de faire des animaux laquo nos maicirctres

en eacuteloquence en civisme en ingeacuteniositeacute raquo 52 On reconnaicirct lagrave respectivement les plans du

Dire de la Personne et de lrsquoOutil

Le progregraves technologique est illustreacute par lrsquoexploration de la lune laquo Cyrano srsquoest fait

Armstrong raquo Savinien de Cyrano de Bergerac eacutecrit au milieu du XVIIe laquo LrsquoAutre Monde ou Les

Eacutetats et les Empires de la lune raquo et de cette speacuteculation on est passeacute au voyage effectif

drsquoApollon 11 qui permit agrave Neil Armstrong de poser le pied sur la lune le 21 juillet 1969

laquo hellipapregraves srsquoecirctre acquis la maicirctrise de lefficience [les ingeacutenieurs] sont avec la cyberneacutetique

en passe de srsquoassurer celle de la finaliteacute raquo 52 Lrsquoefficience deacutesigne les performances de la

technique telles que la conquecircte de lrsquoespace La finaliteacute renvoie au processus de projet qui

repose sur des deacutecisions Le terme laquo cyberneacutetique raquo a chez JG le sens eacutetymologique de

laquo choix pour aller dans une direction raquo (Cf laquo gouvernail raquo et laquo gouvernement raquo) Le concept

est axiologique4 La cyberneacutetique en ce sens fabrique de la deacutecision (ou de lrsquoaide agrave la

deacutecision)

Sur ce point histoire et science cessent drsquoecirctre ennemies pour devenir complices

laquo Lrsquohistoire et la science (hellip) srsquoaccordent agrave crier ensemble haro sur le mecircme baudet raquo agrave savoir

les sciences humaines 53 Ces derniegraveres viennent troubler la reacutepartition acadeacutemique entre

des laquo humaniteacutes raquo non scientifiques et des laquo sciences raquo qui considegraverent lrsquohumain comme

inaccessible parce que ses comportements sont censeacutes reacutesulter du libre arbitre et non de la

neacutecessiteacute laquo On cria haro sur le baudet raquo figure dans la fable laquo Les animaux malades de la

peste raquo de Jean de La Fontaine Fables Livre VII I Crsquoest une variante du thegraveme du bouc

eacutemissaire

JG propose alors un parcours disciplinaire de lrsquointroduction des meacutethodes quantita-

tives et informatiques dans les sciences humaines

Il commence par la linguistique ougrave la perspective historique a eacuteteacute suivie drsquoune perspective

formalisante Il rapproche ainsi la linguistique historique et la grammaire geacuteneacuterative laquo hellipLa

transformation logique [a succeacutedeacute agrave] leacutevolution diachronique les algorithmes des geacuteneacuteratistes

3 Agrave titre drsquoexemple introductif voici une Note de Ferdinand de Saussure qui attire lrsquoattention sur un tel raisonnement laquo [hellip] il nrsquoarrive jamais qursquoune langue succegravede agrave une autre par exemple que le franccedilais succegravede au latin [hellip] cette succession imaginaire de deux choses vient uniquement de ce qursquoil nous plaicirct de donner deux noms successifs au mecircme idiome et par conseacutequent drsquoen faire arbitrairement deux choses seacutepareacutees dans le temps Sans doute lrsquoinfluence qursquoexercent sur notre esprit deux noms successifs de ce genre est tellement deacutecisive et tellement ineacutebranlable indeacuteracinable que je ne songe pas je vous lrsquoavoue franchement agrave deacutetruire votre preacutejugeacute en quelques jours par deux ou trois remarques de ma part raquo (N 13 = 32852 Eacutedition critique du Cours par Rudolph Engler)

4 Deacutefinition de ce terme en 182

6 Une lecture de Jean Gagnepain

[ont succeacutedeacute aux] asteacuterisques des geacuteneacuteticiens (hellip) Tel a cru pouvoir se poser en prophegravetehellip raquo

54

Drsquoun cocircteacute la Grammaire Geacuteneacuterative et Transformationnelle de Noam Chomsky (modegraveles

1960-70) propose des algorithmes agrave commencer par la formalisation eacuteleacutementaire du type

S rarr NP + VP crsquoest-agrave-dire laquo Phrase se reacuteeacutecrit en Syntagme nominal + Syntagme verbal)

De lrsquoautre cocircteacute la tradition de la linguistique diachronique note par un asteacuterisque une

forme ancienne non documenteacutee reconstruite par analogie avec drsquoautres seacuteries

drsquoenchaicircnements de formes attesteacutees Ainsi agrave partir de laquo fregravere brother etc raquo et au-delagrave de

laquo frater raquo (latin) ou du vieil armeacutenien laquo ełbayr raquo va-t-on reconstituer une racine indo-

europeacuteenne laquo bʰreacuteh₂tēr raquo (Cf Michel Breacuteal et Anatole Bailly Dictionnaire eacutetymologique latin

Hachette Paris 1885 p105)

La grammaire geacuteneacuterative a laquo recycleacute raquo agrave sa maniegravere lrsquoasteacuterisque comme signe typogra-

phique drsquoun eacutenonceacute deacutefini comme laquo agrammatical raquo Est deacuteclareacute tel tout eacutenonceacute qui nrsquoest pas

deacuteductible de lrsquoalgorithme qui modeacutelise les eacutenonceacutes grammaticaux Lrsquoeacutenonceacute laquo Je les leur

dors raquo serait preacuteceacutedeacute drsquoun asteacuterisque parce qursquoil est agrammatical laquo dormir raquo eacutetant un verbe

intransitif En revanche laquo Je les leur donne raquo est grammatical laquo donner raquo eacutetant un verbe

transitif

Dans les deux perspectives historique ou geacuteneacuterative lrsquoasteacuterisque deacutesigne du laquo non

attesteacute raquo Mais il y a lagrave deux maniegraveres drsquo laquo (at)tester raquo Pour le geacuteneacuteticien il srsquoagit drsquoun

testament documenteacute pour le geacuteneacuterativiste il srsquoagit drsquoun test expeacuterimenteacute

laquo Tel a cru pouvoir se poser en prophegravetehellip raquo Noam Chomsky auteur notamment de

Cartesian linguistics en 1966 Son ouvrage srsquoappuie en fait sur la Grammaire de Port-Royal et

non pas sur la conception du langage chez Descartes Les critiques de lrsquoouvrage ont eacuteteacute una-

nimes sur ce point

laquo En restaurant [Port-Royal Chomsky]helliprassure raquo 54 JG suggegravere ici une reacutetrospective des

approches du langage La Grammaire (drsquoArnault et Lancelot dite de Port-Royal) agrave laquelle il

importe drsquoassocier la Logique (drsquoArnault et Nicole) repreacutesente un courant rationaliste Elle est

de lrsquoordre du laquo modegravele raquo (et non de lrsquohistoire de la langue) mais elle modeacutelise des laquo ideacutees raquo et

des laquo raisonnements raquo et non des formes Au XIXe la grammaire historique suit une autre

deacutemarche Au XXe Saussure propose une perspective drsquoeacutetude agrave la fois modeacutelisatrice (notion

de laquo systegraveme de valeurs raquo) et laquo formelle raquo (laquo la langue est une forme et non une substance raquo)

qui entre en contradiction avec les deux perspectives preacuteceacutedentes Chomsky quant agrave lui en

revient au rationalisme logique de Port-Royal voire en partie agrave Aristote puisque la regravegle de

base laquo P rarr SN + SV raquo est une preacutesentation laquo algeacutebrique raquo de lrsquoanalyse de toute proposition en

laquo sujet et preacutedicat raquo (Soit laquo toute phrase peut ecirctre reacuteeacutecrite comme composeacutee drsquoun syntagme

nominal et drsquoun syntagme verbal raquo) La grammaire scolaire a donc trouveacute chez Chomsky une

reformulation de ce qursquoelle a toujours enseigneacute En revanche le courant laquo structuraliste raquo a

eacuteteacute plutocirct mal veacutecu par le monde des inspecteurs en raison de son caractegravere iconoclaste

Drsquoautres disciplines sont aussi concerneacutees par le passage agrave la modeacutelisation ou agrave la

quantification des faits culturels Lrsquoarcheacuteologie et la sociologie en particulier laquo Le socio-

logue [statisticien]hellip tend agrave condamnerhellipcette reacutesistance agrave lidentification des personnes

par ougrave le groupe humain eacutechappe justement agrave la greacutegariteacute raquo 54 Thegraveme essentiel de la

sociologie meacutediationniste la Personne se deacutefinit par une dialectique fondeacutee sur un

principe laquo drsquoalteacuteriteacute raquo drsquoirreacuteductibiliteacute de soi agrave tout autre principe qui lrsquooblige agrave passer

Discours et meacutethode 7

des contrats pour constituer des communauteacutes toujours relatives et historiques Les

autres espegraveces animales en revanche sont laquo greacutegaires raquo car tout individu y est constam-

ment le congeacutenegravere des autres individus Lrsquoanimal srsquoagregravege en troupeau lrsquohomme se

deacutefinit par son impossibiliteacute agrave ne constituer qursquoun troupeau

Il faut noter au passage lrsquoambivalence seacutemantique en franccedilais du verbe laquo identifier raquo Ici

laquo lrsquoidentification des personnes raquo a pour synonyme laquo le fait que plusieurs personnes soient

identiques les unes aux autres raquo crsquoest-agrave-dire le fait qursquoon les considegravere comme des individus

semblables au sein de lrsquoespegravece comme le sont les congeacutenegraveres dans un groupe animal Ce sens

est rare chez JG Le sens inverse preacutevaut geacuteneacuteralement laquo Identifier raquo un fait consiste avant

tout agrave trouver la caracteacuteristique qui le distingue de tout autre fait Lrsquoidentification est au

principe de lrsquoanalyse qualitative (dite laquo taxinomique raquo ou diffeacuterentielle) et fonde laquo lrsquoidentiteacute raquo

Telle est bien par exemple la fonction distinctive de notre laquo carte drsquoidentiteacute raquo Dans ce second

sens lrsquoauteur aurait aussi bien pu parler de tendance agrave condamner laquo cette identification des

personnes par ougrave le groupe eacutechappe agrave la greacutegariteacute raquo Mais en deacutebut drsquoouvrage avant une

explicitation du principe drsquoidentiteacute le risque de malentendu eucirct eacuteteacute fort

JG termine lrsquoeacutevocation de lrsquoadoption des techniques de quantification des donneacutees par

lrsquoensemble des disciplines des sciences humaines en eacutevoquant lrsquoeacuteconomie libeacuterale et les

sciences juridiques Ce mouvement serait couronneacute par laquo helliplannexion de notre domaine raquo 55

agrave savoir lrsquoannexion de laquo la linguistique raquo par Chomsky ou par diverses formes de linguistiques

quantitatives Toutefois le rapprochement de lrsquoœuvre de Chomsky et des courants quantitati-

vistes nrsquoest justifieacute que si lrsquoon considegravere comme JG que tous relegravevent drsquoune approche positi-

viste de laquo la forme raquo contrairement agrave lrsquoenseignement de Saussure dont se reacuteclame JG Celui-

ci parlera plus loin de laquo neacuteopositivisme foncier raquo 63

Critique du positivisme Formalisation instance et performance

JG admet que lrsquoapplication de la formalisation aux faits de culture est leacutegitime lorsqursquoelle

met laquo la performance agrave la porteacutee des automates raquo 61 Autrement dit cela ne regarde que les

ingeacutenieurs Cependant une telle deacutemarche ne peut produire un modegravele explicatif de

laquo lrsquoinstance raquo laquo Crsquoest se fourvoyer que de preacutetendre deacutechiffrer [dans la] performance

lrsquoinstance agrave laquelle nous devons drsquoen ecirctre capables [c-agrave-d de performance] raquo Est introduit

dans cette formulation un couple de concepts fondamental dans la TdM Par INSTANCE il faut

entendre lrsquoaptitude geacuteneacuterale qui speacutecifie tout comportement culturel Ainsi tout ce qui est dit

lrsquoest agrave travers une aptitude agrave maintenir des diffeacuterences entre des laquo mots raquo abstraits dont le

sens peut varier selon les situations dans lesquelles on les choisit laquo Lrsquoimproprieacuteteacute du signe raquo

est de lrsquoordre de lrsquoinstance abstraite Par PERFORMANCE il faut entendre lrsquoaptitude geacuteneacuterale agrave

produire des comportements culturels en situation comme par exemple de tenir un propos

senseacute Le terme laquo performance raquo a un sens proche du sens anglais agrave ceci pregraves qursquoil ne srsquoagit

pas de lrsquoexeacutecution effective de tel ou tel fait culturel mais de lrsquoaptitude permanente agrave

lrsquoeffectuer Sommairement non telle ou telle exeacutecution drsquoune œuvre par un pianiste mais lrsquoart

de lrsquoexeacutecution drsquoune œuvre par ce pianiste

JG eacutemet deux critiques dans ce propos

- Lrsquoune porte sur la diffeacuterence laquo instance ndash performance raquo On ne peut pas comprendre ce

qursquoest une instance si lrsquoon reacuteduit lrsquoobservation agrave une analyse statistique de comportements

effectifs crsquoest-agrave-dire agrave des laquo performances raquo (au sens anglais du terme)

8 Une lecture de Jean Gagnepain

- Lrsquoautre critique porte sur la meacuteconnaissance du biais inheacuterent agrave la technologie

Lrsquoautomate ne peut pas ecirctre laquo la cause raquo de lrsquohumain degraves lors que crsquoest lrsquohumain qui est laquo la

cause raquo de lrsquoautomate Autrement dit laquo lrsquoautomate raquo ne peut pas nous apprendre ce qursquoest un

homme puisque crsquoest parce qursquoon est un humain deacutetenteur de cette laquo instance raquo qursquoest la

culture qursquoon est capable de fabriquer cette laquo performance raquo qursquoest un automate (Cela dit il

est possible drsquoanalyser en quoi un automate est un artefact afin de comprendre ce qursquoest

lrsquoaptitude humaine agrave fabriquer des artefacts La 2e partie du Vouloir-Dire laquo lrsquoOutil raquo est consa-

creacutee agrave ce thegraveme)

JG en propose un exemple laquo Autant chercher dans lrsquoastronautique (hellip) lrsquoexplication du vol

de lrsquooiseau raquo 61 JG envisage ici lrsquoastronautique et la balistique en tant que techniques de

laquo vol raquo artificiel Du fait que lrsquoon invente gracircce agrave lrsquoinstance de lrsquoOutil des proceacutedeacutes de vol on

ne peut pas preacutetendre avoir expliqueacute le comportement biologique de lrsquooiseau qui vole Ni

lrsquoinverse Noter qursquoil y a dans cet exemple une diffeacuterence drsquoordre ndash entre biologie et culture ndash

alors que preacuteceacutedemment la critique portait sur une diffeacuterence entre plans culturels lrsquoartifice

ne peut pas expliquer ce qui nrsquoest pas artificiel et qui est neacuteanmoins culturel agrave savoir le

langage ou les faits sociaux

[On ne gagne rien agrave] laquo helliplaisser le matheacutematicien sous preacutetexte de les reacutesoudre poser en

fait nos problegravemes raquo 62 Poser un problegraveme agrave travers le biais drsquoun artifice technique nrsquoest pas

une bonne maniegravere de poser le problegraveme dans son ordre propre Ce propos est drsquoactualiteacute

lorsque lrsquoon observe que la gestion des personnels en entreprise se fait via des donneacutees

chiffreacutees sur des ordinateurs au meacutepris des relations interpersonnelles Idem pour lrsquousage

meacutedical du DSM5 catalogue des laquo troubles mentaux raquo fondeacute sur lrsquoanalyse statistique facto-

rielle des correspondances entre comportements manifestes Idem pour lrsquoeacuteconomie artificielle

des logiciels de prise de deacutecision automatique ces algorithmes qui se deacuteclenchent en fonction

drsquoeffets de seuil et qui ignorant les reacutealiteacutes eacuteconomiques produisent des effets pervers

Conclusion Ce type drsquoapplication de la formalisation aux sciences humaines traduit laquo une

sorte de neacuteopositivisme foncier raquo puisque lrsquoon prend laquo les donneacutees pour des choses raquo En outre

il constitue un raisonnement circulaire puisque lrsquoon prend laquo pour postulats ce qursquoil srsquoagit de

deacutemontrer raquo 633-4 Deacutenombrer par exemple le nombre de laquo mots raquo eacutecrits diffeacuterents dans

lrsquoœuvre drsquoun auteur ou encore opposer lrsquoideacutee de laquo lexique raquo sur le seul critegravere quantitatif de la

liste des mots agrave celle de laquo syntaxe raquo fondeacutee sur des regravegles statistiques de preacutesence de tel mot agrave

cocircteacute de tel autre crsquoest prendre ces concepts pour des eacutevidences laquo positives raquo sans y voir de

problegraveme agrave reacutesoudre Qursquoest-ce en effet qursquoun laquo mot raquo Quelle capaciteacute mentale rend capable

de lexique et de syntaxe Et comment deacutefinir ces termes Gaston Bachelard est sur le bureau

lorsque ce paragraphe est eacutecrit laquo Toute connaissance est une reacuteponse agrave une question Sil ny

a pas eu de question il ne peut y avoir de connaissance scientifique Rien ne va de soi Rien

nest donneacute Tout est construit raquo (La formation de lrsquoesprit scientifique p 16)

Critique du positivisme Vers une conception dialectique de la culture

Cette formulation amegravene lrsquoauteur au cœur mecircme de sa conception de la culture et de la

rationaliteacute agrave savoir une conception dialectique non positiviste et non ontologique Cette posi-

5 Diagnostic and Statistical manual of Mental disorders Ce manuel de lrsquoAssociation Ameacutericaine de Psychiatrie tend agrave srsquoimposer en Europe sous la pression des cognitivismes Wikipeacutedia en fait une preacutesentation simple et en preacutesente les limites ainsi que les critiques qui lui sont opposeacutees JG aurait probablement souscrit agrave lrsquoavis de la revue Prescrireorg sept 2010t30 laquo DSM-V Au fou raquo teacuteleacutechargeable

Discours et meacutethode 9

tion mainte fois deacuteveloppeacutee par la suite est ici exposeacutee dans une formule lapidaire qui

demande une glose deacuteveloppeacutee

laquo Il nest point en effet de substance dans notre cas qui soit en deccedilagrave de ses varieacuteteacutes non

plus quau-delagrave de ses meacutetamorphoses raquo 64

Lrsquoessentiel du propos est bien drsquoaffirmer que dans lrsquoordre de lrsquohumain rien nrsquoest de lrsquoordre

de la substance positive En effet lrsquoaptitude agrave la rationaliteacute introduit dans tous les comporte-

ments une analyse (lrsquoinstance) principe de laquo dessaisissement raquo de la reacutealiteacute analyse elle-

mecircme redeacutefinie par la performance

Je vais deacutevelopper chacune des deux parties du raisonnement (laquo en-deccedilagrave au-delagrave raquo)

1egravere partie laquo Il nest point de substance qui soit en deccedilagrave de ses varieacuteteacutes

Le choix des termes laquo substance raquo et laquo varieacuteteacutes raquo me semble reacutefeacuterer plus agrave Saussure qursquoagrave

Aristote Rappelons qursquoAristote oppose lrsquolaquo ousia raquo fondement permanent de ce qui est aux

laquo kategoria raquo ses varieacuteteacutes Ferdinand de Saussure de son cocircteacute dit laquo La langue est une forme

et non une substance raquo JG oppose ici la substance positive et la forme qui est laquo systegraveme et

neacutegative raquo (Saussure) Chez Saussure tout fait de laquo langue raquo ndash disons pour simplifier laquo tout

mot raquo ndash est laquo neacutegatif raquo en ce sens qursquoil est deacutefini non par ce qursquoil veut dire ou par la faccedilon dont

on le prononce ndash ce serait sa substance mais par les limites qui le distinguent des autres

reacutealiteacutes du systegraveme lrsquoeacuteleacutement est ce que les autres ne sont pas

Dans la perspective positiviste le langage est un ensemble de laquo choses dites raquo que lrsquoon

pourrait envisager et deacutenommer isoleacutement sans prendre en compte leur appartenance agrave un

systegraveme Le catalogue de mots qursquoest le dictionnaire irait de soi De mecircme on pourrait dire

que la voyelle laquo a raquo srsquoappelle (srsquoeacutepelle) laquo a raquo et peut ecirctre deacutecrite par une certaine configuration

de la bouche Il suffirait de dire laquo a raquo puis de srsquoeacutecouter et de deacutecrire le bruit que lrsquoon a fait

pour comprendre ce qursquoest le phonegraveme a Un linguiste (un phonologue) ne procegravede pas

ainsi Pour lui le phonegraveme a ne peut ecirctre compris que par la deacutefinition de ses frontiegraveres avec

les autres phonegravemes de la structure phonologique Par conseacutequent dans le cadre de la varieacuteteacute

de franccedilais qui distingue laquo patte raquo pat de laquo pacircte raquo pɑt il nrsquoexiste pas de voyelle laquo a raquo mais

deux phonegravemes distincts a et ɑ

Le fait drsquoaffirmer lrsquoexistence drsquoune laquo forme raquo (instance neacutegative et structurale) nrsquoest cepen-

dant pas un laquo formalisme raquo exclusif parce que cette forme est laquo transformeacutee raquo dialectique-

ment dans une performance observable qui est une laquo positivation raquo et non plus une positiviteacute

Le phonegraveme abstrait a srsquoobserve prononceacute de faccedilon audible par le locuteur chaque fois qursquoil

parle crsquoest une laquo reacutealisation raquo du phonegraveme mais pas une substance En effet le locuteur

comprend qursquoil srsquoagit du phonegraveme a en tant que tel et non pas drsquoun son banal non langagier

acoustiquement semblable

La globaliteacute de la laquo substance raquo est remplaceacutee par le pluriel des laquo varieacuteteacutes raquo qui

drsquoailleurs nrsquoen sont pas agrave proprement parler puisque lrsquoon a affaire agrave des eacuteleacutements deacutefinis

dans une structure sui generis Cette proposition geacuteneacuterique est alors deacuteclineacutee sur divers

plans

Sur le plan de la cognition Il nrsquoy a donc pas de laquo choses raquo distinctes preacutealables agrave la faculteacute

de dire qui permet de les concevoir distinctement 64 laquo Point de choses agrave dire preacuteexistant agrave

notre faccedilon drsquoen parler raquo Cette proposition deacutecoule du theacuteoregraveme saussurien le langage nrsquoest

pas une laquo nomenclature raquo Elle srsquooppose radicalement agrave la tradition scolastique qui conccediloit le

10 Une lecture de Jean Gagnepain

langage comme une mise en adeacutequation des mots et des choses (des pheacutenomegravenes) une

laquo adaeligquatio rei et intellectus raquo (Isaac Israeli puis Thomas drsquoAquin6) Attention cependant agrave ce

faux ami qursquoest le latin laquo adaeligquatio raquo Le verbe laquo ad-aeligquere raquo veut dire laquo rendre eacutegal faire se

correspondre raquo Cf laquo eacutequation raquo en algegravebre Crsquoest autre chose qursquoune mise en relation La

Grammaire Geacuteneacuterale de lrsquoacircge classique (Port-Royal) posera ainsi qursquoun Nom eacutegale un objet un

Verbe un acte un adjectif la qualiteacute drsquoun objet et un adverbe la qualiteacute drsquoun acte (notamment

les circonstances de lrsquoacte) Le langage serait alors le reflet de la penseacutee La conception scolaire

du langage en garde des restes et le laquo substantif raquo ou le laquo qualificatif raquo font encore eacutecho agrave

Aristote

Dans ces deux variantes de reacutealisme des choses existent dans une reacutealiteacute indeacutependam-

ment de lrsquoexistence de lrsquohomme dans cette reacutealiteacute

Pour JG au contraire le langage est le principe qui constitue de ce qui est humainement

reacuteellement connaissable Il est laquo formateur raquo du reacuteel et non laquo reproducteur raquo du reacuteel pour

reprendre une formule drsquoErnst Cassirer Envisageons un instant laquo lrsquoarcheacuteologie du savoir raquo de

JG sur ce thegraveme

Intermegravede 1

Le renversement remonte agrave Wilhem von Humboldt (quoique ce dernier lrsquoenvisageacirct dans

une perspective laquo diachronique raquo confondant langue et langage) [La langue est] laquo le moyen

sinon absolu du moins sensible par lequel lrsquohomme donne forme en mecircme temps agrave lui-mecircme

et au monde ou plutocirct devient conscient de lui-mecircme en projetant un monde hors de lui raquo

Introduction agrave lrsquoœuvre sur le kavi et autres essais p17 laquo La langue est lrsquoorgane constitutif de

la penseacutee raquo Ibidem p 53 Ou encore laquo hellip Car [elle] est la contrepartie drsquoun domaine infini et

veacuteritablement illimiteacute le champ englobant [der Inbegriff] de tout le pensable raquo ibidem p

183

Via Kant (La critique de la raison pure) la notion de laquo chose raquo est repenseacutee par la

pheacutenomeacutenologie de Husserl et aussi par Ernst Cassirer (1923) Philosophie des formes symbo-

liques Consideacuterez par ex t1 p18 ce propos de porteacutee anthropologique laquo Toutes les

grandes fonctions spirituelles partagent avec la connaissance la proprieacuteteacute fondamentale decirctre

habiteacutees par une force originairement formatrice et non pas simplement reproductrice Loin

de se borner agrave exprimer passivement la pure preacutesence des pheacutenomegravenes une telle fonction lui

confegravere par la vertu autonome de leacutenergie spirituelle qui se trouve en elle une certaine

laquo signification raquo une valeur particuliegravere dideacutealiteacute Cela est aussi vrai de lart que de la connais-

sance de la penseacutee mythique que de la religion le monde dimages dans lequel vit chacune

de ces fonctions spirituelles nest jamais le simple reflet dun donneacute empirique il est au

contraire produit par la fonction correspondante suivant un principe original Il convient donc

de voir en elles non pas les diffeacuterentes maniegraveres quaurait un reacuteel-en-soi de se reacuteveacuteler agrave

lesprit mais bien les diverses voies que suit lesprit dans son processus dobjectivation cest-

agrave-dire dans sa reacuteveacutelation agrave lui-mecircme raquo Le lecteur de cet ouvrage de Cassirer notera aussi

lrsquoutilisation pertinente de lrsquoopposition laquo immeacutediat meacutediat raquo ougrave le concept de laquo meacutediation raquo

repose toujours sur lrsquoideacutee de rupture Agrave ce titre Cassirer est une des sources du choix par JG

de la formule laquo theacuteorie de la meacutediation raquo En revanche il observera aussi que Cassirer qui

6 laquo (hellip) et sic dicit Isaaac quod veritas est adaeligquatio rei et intellectus raquo Quaeligstiones disputataelig de veritate questio 1 articulus 1 Respondeo sect7 Thomas cite Isaac Israeli ben Salomon philosophe neacuteoplatonicien et meacutedecin eacutegyptien installeacute agrave Kairouan (fin IXegraveme ndash deacutebut Xegraveme) et auteur du laquo Livre des deacutefinitions raquo

Discours et meacutethode 11

teacutemoigne drsquoune connaissance approfondie de la linguistique historique ne fait pas reacutefeacuterence agrave

Ferdinand de Saussure

Jrsquoy ajouterai lrsquoœuvre de Gaston Bachelard critique radical du positivisme dans les sciences

de la matiegravere et dialecticien laquo Les veacuteritables substances chimiques sont des produits de la

technique plutocirct que des corps trouveacutes dans la reacutealiteacute Cela suffit pour deacutesigner le reacuteel en

chimie comme une reacutealisation Cette reacutealisation suppose une rationalisation preacutealable drsquoallure

kantienne (hellip) raquo La philosophie du non p53

Ceci nrsquoest qursquoun reacutesumeacute grossier et incomplet de la laquo geacuteneacutealogie raquo de la position de JG

Celui-ci reprend ce thegraveme fondamental dans la partie consacreacutee au signe Il consacrera plus

tard en 1986-87 une anneacutee de seacuteminaires au positionnement de la theacuteorie de la meacutediation

dans lrsquohistoire de la philosophie sous le titre laquo Les quatre veacuteriteacutes raquo

Jrsquoajouterai qursquoil srsquoagit aussi drsquoune prise de position contre toutes les laquo seacutemantiques

universelles raquo qui preacutetendent faire un inventaire laquo drsquoideacutees universelles raquo On pense agrave Leibniz

et agrave une tradition constante jusqursquoagrave Montague (1970)7 et Anna Wierzbicka aujourdrsquohui8

Voilagrave pour sa laquo theacuteorie de la connaissance raquo La culture ne se reacuteduit pas pour autant agrave la

production humaine de connaissance La mecircme dialectique rationnelle vaut sur drsquoautres plans

Sur le plan de la technique Le propos laquo pas de fonctions anteacuterieures agrave leur exercice raquo 64

bien que geacuteneacuterique peut faire allusion plus particuliegraverement au plan de la technique Dans la

perspective de JG il nrsquoy a pas de laquo pluie raquo pour une vache de lrsquoeau lui tombe dessus La

laquo pluie raquo est distinctivement le reacutesultat de lrsquoinvention humaine des techniques drsquoabri pour se

proteacuteger de lrsquoeau grotte toiture et parapluie9 On peut aussi faire de ce propos une lecture

sociologique Il nrsquoy a pas de laquo service raquo preacutealable agrave la division professionnelle du travail qui

donne au service une deacutefinition relative

Sur le plan de lrsquoaffectiviteacute Le terme laquo besoins raquo dans laquo [point de] besoins qui ne procegravedent

de notre aptitude agrave les satisfaire raquo 64 implique que lrsquoon distingue ce qui relegraveve de la

physiologie et ce qui relegraveve de la recherche de la satisfaction axiologique

2e partie laquo Il nest point de substance (hellip) au-delagrave de ses meacutetamorphoses raquo Proposition

corollaire de la preacuteceacutedente Lrsquoaboutissement de la dialectique agrave savoir le concept (dit) lrsquooutil

(utiliseacute) le contrat ou lrsquoeacuteveacutenement (transigeacute) la satisfaction (mesureacutee par une restriction)

nrsquoest pas une nouvelle substance Elle nrsquoest pas un reacutesultat fixe (positif) Tout est susceptible

de reacuteameacutenagement du fait que toute reacutealiteacute humaine reacutesulte drsquoune dialectique Le concept

peut ecirctre modifieacute ndash preacuteciseacute ou geacuteneacuteraliseacute deacuteveloppeacute ou reacutesumeacute ndash par des reformulations

7 Le terme laquo Grammaire de Montague raquo reacutesume un ensemble de 3 articles (1970-73) dont laquo Universal grammar raquo Theoria 36 (1970) 373ndash398 fondeacute sur une approche logique de la seacutemantique

8 Cf 1993 laquo La quecircte des primitifs seacutemantiques 1965-1992 raquo Langue franccedilaise 98 pp 9-23 Ou What Did Jesus Mean Explaining the Sermon on the Mount and the Parables in simple and universal human concepts (2001) New York Oxford University Press Ou (2006) laquo Sens et grammaire universelle Theacuteorie et constats empiriques raquo Cahiers Ferdinand de Saussure ndeg59 p 151-172 Lrsquoauteur limite agrave 60 sa liste de concepts primitifs universels laquo voir dire vouloir penser bouger faire moi nehellippas quelque chose etc raquo agrave partir desquelles il serait possible de formuler une deacutefinition synonymique de nrsquoimporte quel mot dans nrsquoimporte quelle langue lrsquoexemple proposeacute eacutetant laquo Die Schadenfreude raquo

9 Dit autrement par Jacques Laisis 1994 laquo On est toujours pris dans une circulariteacute [anthropologique] Crsquoest ce qui fait si jrsquoose dire tourner Leroi-Gourhan en bourrique Puisque tentant deacutesespeacutereacutement drsquoexpliquer les proprieacuteteacutes meacutecanologiques de lrsquooutillage par je ne sais quelles proprieacuteteacutes a priori de la matiegravere il est obligeacute en petites notes de reconnaicirctre que la matiegravere nrsquoa jamais que les proprieacuteteacutes que lui confegravere une meacutecanologie raquo laquo Quels ldquo Discours de la meacutethode rdquo pour les sciences humaines raquo in Anthropo-logiques 6 Peeters p 5-13

12 Une lecture de Jean Gagnepain

Aucune parole nrsquoest finale aucune parole nrsquoest premiegravere Toute reacutealiteacute technique a une effica-

citeacute relative et peut ecirctre reacuteameacutenageacutee Tout contrat peut ecirctre rompu ou reacuteviseacute Toute satisfac-

tion est provisoire et relative Rien drsquohumain nrsquoest substantiel Crsquoest vrai sur chacun des plans

La premiegravere partie de la formulation ndash laquo Point de choses agrave dire preacuteexistant agrave notre faccedilon

drsquoen parler raquo 64 ndash est fondamentale pour comprendre la conception qursquoa JG du Dire Comme

Saussure JG propose une theacuteorie du signe non ontologique et non nomenclaturiste

Jrsquoai utiliseacute le terme de laquo nomenclature raquo dans le sens que Saussure donnait agrave ce terme dans

son Cours p97 laquo une liste de termes correspondant agrave autant de choses raquo JG utilisera le

terme plus loin dans sa Seacutemantique pour deacutesigner lrsquoaptitude par la synonymie agrave distinguer un

concept drsquoun autre Dire que sa theacuteorie nrsquoest pas laquo reacutefeacuterentialiste raquo demande aussi que lrsquoon

preacutecise bien dans quel cadre theacuteorique le terme est utiliseacute Ainsi JG donne plus loin un statut

agrave la notion de laquo reacutefeacuterence raquo dans la dialectique du signe En ce sens sa theacuteorie de la laquo perfor-

mance raquo est laquo reacutefeacuterentielle raquo en tant qursquoelle nrsquoaccepte pas laquo lrsquoimmanentisme raquo drsquoun signe

coupeacute de toute expeacuterience Il a entendu la critique que faisait Paul Ricœur du Cours de

Saussure dans La meacutetaphore vive (Paris Seuil 1975 p159) passage ougrave Ricœur reproche agrave

Saussure de reacuteduire le signe agrave de la laquo signification raquo deacutefinie par la relation entre laquo signifiant et

signifieacute raquo laquo Le discours par sa fonction de reacutefeacuterence met bel et bien les signes en rapport

avec les choses la deacutenotation est une relation signe-chose alors que la signification est une

relation signifiant-signifieacute raquo (On notera lrsquoutilisation du terme laquo choses raquo par un Ricœur qursquoon

ne peut soupccedilonner de reacutealisme naiumlf) JG utilise le terme laquo deacutesignation raquo plutocirct que

laquo deacutenotation raquo sur ce thegraveme Pour autant il nrsquoest pas laquo reacutefeacuterentialiste raquo dans le sens que la

philosophie analytique donne agrave ce terme10 Seule la dialectique du signe produit ce que nous

consideacuterons comme des choses distinctes et qui sont humainement des concepts formuleacutes

JG reprend dans le paragraphe suivant 65 lrsquoopposition traditionnelle entre la perspective

historique et la perspective drsquoobservation des faits humains agrave quoi correspond en linguistique

lrsquoopposition de la laquo diachronie raquo agrave la laquo synchronie raquo Elle est ici formuleacutee comme lrsquoopposition

des laquo pegraveres raquo et des laquo œuvres raquo Je propose drsquoexaminer seacutepareacutement les deux aspects de ce

raisonnement

1) laquo helliplrsquohomme nrsquoest pas fils de ses pegravereshellip il est source de ses sources raquo 65 Agrave la relation

geacuteneacutealogique vectorielle orienteacutee dans le temps JG substitue le laquo principe drsquoorigination raquo

Tout ecirctre humain est porteur drsquoune capaciteacute agrave constituer agrave partir de lui de la reacutetrospective et

de la prospective Crsquoest lrsquohistorien contemporain qui constitue et peacuteriodise le passeacute agrave sa

mesure et relie cette reacutetrospective agrave lrsquoavenir qursquoil projette en fonction de ce qursquoil considegravere

comme un laquo eacuteveacutenement raquo Crsquoest lrsquoUniversiteacute reacutepublicaine franccedilaise qui constitue les usages

langagiers meacutedieacutevaux en laquo ancien raquo puis laquo moyen raquo franccedilais Ce thegraveme est deacuteveloppeacute dans le

seacuteminaire sur laquo le premier Homme raquo (1984-85) lequel est chacun de nous Lrsquohomme est donc

la source de ce qursquoil appellera sa source son origine Crsquoest aussi pourquoi le laquo paleacuteontologue raquo

(disons Yves Coppens) deacutepend de lrsquoanthropologue puisque le premier ne peut distinguer un

vestige humain drsquoun vestige non humain qursquoen fonction des critegraveres drsquohumaniteacute que lui

propose lrsquoanthropologie drsquoaujourdrsquohui laquo Dites-moi ce que vous entendez par laquo humain raquo et je

vous dirai si ccedila en est raquo Et non lrsquoinverse

10 On trouvera un eacutecho des deacutebats sur le reacutefeacuterentialisme en seacutemantique dans Pierre Cadiot et Franck Lebas 2003 laquo La constitution extrinsegraveque du reacutefeacuterent preacutesentation raquo in Langages ndeg150 La perspective soutenue se reacutefegravere agrave la pheacutenomeacutenologie

Discours et meacutethode 13

2) laquo Lrsquohomme nrsquoest pas fils de ses œuvreshellip Il est modegravele de ses modegraveles raquo 65 La phrase

peut ecirctre prise dans un sens restreint faisant reacutefeacuterence agrave Homo Faber Ce nrsquoest pas le produit

technique qui creacutee lrsquohumain crsquoest lrsquohumain qui creacutee le produit technique Toute creacuteation est agrave

la mesure de lrsquohumain qui lrsquoa creacuteeacutee La phrase a cependant une porteacutee anthropologique geacuteneacute-

rale car elle est aussi vraie des aspects cognitifs relationnels et affectifs de lrsquohumain

laquo Celui qui preacutetend lexpliquer ne saurait construire de forme quil ne lait dabord

reacuteveacuteleacutee raquo 65 Lorsque lrsquoobjet eacutetudieacute est de lrsquohumain il srsquoagit de capter lrsquoaptitude humaine

inheacuterente au comportement eacutetudieacute Il ne srsquoagit pas de projeter sur elle une formalisation exteacute-

rieure Crsquoest ce que reacutesume la formule laquo formalisation incorporeacutee raquo Dans ce passage

lrsquoadjectif laquo incorporeacute raquo est seulement synonyme laquo drsquoimmanent raquo laquo drsquoinheacuterent raquo agrave lrsquoaptitude

humaine agrave la culture En voici une glose de Jean-Luc Brackelaire laquo (hellip) La sociologie est une

science humaine crsquoest-agrave-dire une science qui a un objet speacutecifique dont le caractegravere deacutefini-

toire est lrsquoautoformalisation ou encore un mode de la rationaliteacute Lrsquohomme est une rationaliteacute

incorporeacutee raquo11 La formule peut aussi prendre un autre sens lorsqursquoelle est relieacutee agrave la dialec-

tique entre nature et culture Voir infra laquo Les fonctions supeacuterieures ou mentales ne sont pas

seacuteparables du corps du seul fait qursquoelles nous distinguent de lrsquoanimal raquo 123 Ou encore ce

passage du Vouloir-Dire tome 3 p 29 laquo Je tiens que les faculteacutes qui impliquent dialectique-

ment en nous les fonctions animales sont toutes eacutegalement humaines raquo Lrsquoaccent mis sur la

dialectique entre laquo fonctions raquo naturelles et laquo faculteacutes raquo culturelles permet agrave JG de soutenir

que ces derniegraveres sont des aptitudes distinctes des premiegraveres mais tout autant laquo incorpo-

reacutees raquo en tant que deacutetermineacutees par le cortex Il nrsquoy a jamais eu de laquo dualisme raquo dans la penseacutee

de JG qui dans des seacuteminaires ulteacuterieurs en viendra agrave parler laquo drsquoanthropobiologie raquo

laquo Lrsquoanthropologiehellip [promeut]hellip moins des sciences nouvelles quun type diffeacuterent de

scientificiteacute raquo 65 JG distingue ici drsquoun cocircteacute les sciences de la nature ougrave lrsquohumain

capable drsquoanalyse grammatico-seacutemantique conceptualise par le langage des objets

naturels qui ne preacutesentent pas ce type de fonctionnement et de lrsquoautre cocircteacute les sciences

de la culture ougrave lrsquohumain analyse des faits qui sont eux -mecircmes analytiques On y fait

lrsquoanalyse explicite drsquoune analyse implicite qursquoil faut laquo reacuteveacuteler raquo Il srsquoensuit qursquoon ne peut

simplement eacutetendre agrave la culture les meacutethodes qui ont fait leurs preuves agrave propos de la

nature12

2 POUR UNE ANTHROPOLOGIE DIALECTIQUE

La rationaliteacute est dialectique Cela implique la reconnaissance drsquoune instance laquo implicite raquo

1 Lrsquoimplicite dans le marxisme Examen critique

2 Lrsquoimplicite dans la psychanalyse Examen critique

11 Jean-Luc Brackelaire 1991 laquo Le corps en personnehellip agrave la frontiegravere naturelle de la sociologie raquo in Anthropo-logiques 3 Peeters Louvain-la-neuve coll BCILL p 145

12 Sans oublier pour autant que toute science est laquo humaine raquo degraves lors que seul lrsquohumain peut faire de la science par son langage Lire Jacques Laisis Introduction agrave la sociolinguistique et agrave lrsquoaxiolinguistique p3 laquo Œuvres humaines les sciences (de la nature aussi bien) sont donc neacutecessairement parce que laquo projectivement raquo anthropomorphes en ce sens qursquoon y retrouve toujours la trace mecircme implicite des opeacuterations laquo humaines raquo dont elles reacutesultent raquo

14 Une lecture de Jean Gagnepain

3 Lrsquoimplicite dans la linguistique structurale Examen critique

La rationaliteacute est dialectique Exposeacute du thegraveme

laquo Qui dit immanence ne dit pas reacuteflexiviteacute raquo 66 Il semble que JG se reacutefegravere au sens

philosophique de la laquo reacuteflexiviteacute raquo (et non agrave son sens en matheacutematiques) Un jugement

laquo reacuteflexif raquo est un jugement qui reacutesulte drsquoune prise de conscience de soi laquo dans lequel nous

nous rendons compte de ce que nous savions deacutejagrave raquo (Victor Cousin 1840) Quelque chose

comme le laquo gnocircthi seauton raquo socratique comme une introspection une sorte drsquoexamen de

conscience (Notons au passage que celui-ci ne serait pas laquo freudien raquo) Un tel implicite serait

donc du mecircme ordre que lrsquoexplicite Lrsquoideacutee laquo drsquoimmanence raquo preacutesenteacutee par JG est autre et est

agrave rattacher agrave lrsquoideacutee de dialectique ougrave lrsquoimplicite entre en contradiction avec lrsquoexplicite

laquo Janus est lrsquoemblegraveme et le paradoxe la loi du monde agrave double fondhellip raquo (Il srsquoagit du monde

de lrsquohumain)

laquo Janus raquo dieu agrave tecircte agrave double face chez les Latins est le dieu des seuils (exteacuterieur ndash

inteacuterieur) et du changement drsquoanneacutee (drsquoougrave laquo janvier raquo) laquo Paradoxe raquo ce concept introduit le

concept de laquo dialectique raquo Le terme est agrave prendre dans son sens logique laquo sens contraire au

sens le plus eacutevident et apparent raquo Il est paradoxal pour un observateur terrestre de dire que la

terre tourne autour du soleil puisqursquoil est eacutevident que le soleil se deacuteplace dans le ciel en

contournant la terre ougrave se situe cet observateur Le terme peut aussi ecirctre pris dans son sens

sociologique et eacutetymologique laquo para-doxa raquo ce qui choque lrsquoopinion laquo ortho-doxe raquo

laquo hellipVisage priveacute de chair dont les traits nont dautre deacutefinition que celle de leurs rapports

mutuels raquo 66 Lrsquoimplicite humain est vide de substance comme la maille du filet qui nrsquoexiste

que par sa deacutelimitation fabriqueacutee par le fil qui constitue solidairement lrsquoensemble des mailles

[Le psychisme] 66 laquo hellippour ne point laisser decirctre aussi ce que nous le faisonshellip raquo

Paraphrase laquo lrsquoexplicite existe aussi comme reacutesultante de la dialectique qui est notre œuvre

et dont lrsquoimplicite est le pocircle de contradiction raquo laquo hellipnrsquoen apparaicirct pas moins deacutesormais comme

intrinsegravequement ambigu raquo Soit (rappel) lrsquohumain eacutetant deacutefini par la rationaliteacute celle-ci est

immanente elle est laquo notre œuvre ce qui nous fait nous-mecircmes raquo et ne peut donc pas ecirctre

expliqueacutee par un principe exteacuterieur agrave elle-mecircme (principe transcendant)

laquo Lrsquoailleurs ainsi creacuteeacute est pheacutenomeacutenologiquement notre œuvre mais non pas seulement agrave

notre insu Il reacutesultehellip de la distance et de la relation [entre nature et culture]hellip dont la

synthegravese sur tous les plans nous constitue raquo 71 La dialectique est une proprieacuteteacute de la

rationaliteacute (la culture) en geacuteneacuteral et pas seulement de notre cognition plan ougrave srsquoopposent

dialectiquement laquo conscience raquo ou laquo su raquo et laquo inconscience raquo ou laquo insu raquo Elle caracteacuterise aussi

notre activiteacute outilleacutee notre ecirctre social ainsi que notre deacutesir ougrave compte laquo lrsquoinconscient raquo de la

psychanalyse qui nrsquoest pas une affaire de connaissance mais drsquoaffectiviteacute

laquo hellipdistance et relationhellip raquo Lrsquoantagonisme de ces deux concepts reacutesume de maniegravere simpli-

fieacutee ce qursquoest la dialectique la contradiction met agrave distance les points de contradiction tandis

que le deacutepassement de la contradiction les met en relation Je vous propose lrsquoimage (tech-

nique) de la porte Partant drsquoun espace naturel sa construction introduit une contradiction

parce qursquoelle seacutepare du fait qursquoelle suppose un mur dans lequel elle srsquoinscrit et qursquoelle

deacutelimite un inteacuterieur et un exteacuterieur Toutefois agrave la diffeacuterence du mur la porte relie parce

qursquoelle est mobile et srsquoouvrant permet le passage Lrsquoouverture de la porte donne un exemple

de ce qursquoest le laquo deacutepassement drsquoune contradiction raquo puisque la seacuteparation de lrsquointerne et de

Discours et meacutethode 15

lrsquoexterne (la contradiction) nrsquoest pas annuleacutee pour autant comme elle le serait par la destruc-

tion de lrsquoensemble construit La contradiction est laquo deacutepasseacutee raquo par un meacutecanisme qui permet

la maicirctrise du passage entre inteacuterieur et exteacuterieur

laquo hellipde ces deux univers de nature auquel nous appartenonshellip et de culture que nous

engendrons raquo 71

Lrsquounivers de nature celui de la physique et de la biologie y compris de la biologie

laquo animale raquo propre agrave lrsquoespegravece homo sapiens avec sa sensorialiteacute et sa motriciteacute particuliegraveres

ou sa meacutemoire particuliegraverement eacutetendue et son eacutemotiviteacute speacutecifique Attention sur ce point

Dans cette introduction et en premiegravere analyse JG utilise lrsquoopposition laquo nature ndash culture raquo et

parfois les adjectifs laquo biologique ndash anthropologique raquo Dans une analyse approfondie il insis-

tera sur le fait que pour lui la culture (la rationaliteacute) est une aptitude biologique particuliegravere agrave

notre espegravece dont lrsquoexplication reacuteclame un modegravele (les sciences de lrsquohomme) autre que le

modegravele biologique geacuteneacuteral qui explique les aptitudes dites laquo naturelles raquo Lrsquoanthropologie

deviendra une anthropo-biologie En outre il faut bien avoir conscience qursquoune opposition

conceptuelle formuleacutee par un couple de termes (nature-culture) ne rend pas totalement

compte du caractegravere dialectique de la culture Crsquoest une simplification neacutecessaire agrave un certain

moment de lrsquoexposeacute

Lrsquounivers de culture laquo hellipque nous engendrons raquo JG oppose ici laquo appartenir raquo (agrave la nature)

et laquo engendrer raquo (la culture) Lrsquoideacutee est que ce qui nous deacutetermine naturellement est expli-

cable par des lois qui srsquoappliquent aussi agrave drsquoautres espegraveces tandis que la rationaliteacute demande

une explication laquo sui generis raquo speacutecifique Certes notre bipeacutedie est anatomiquement et

physiologiquement caracteacuteristique de notre espegravece et diffeacuterente de celle du chimpanzeacute (qui

peut faire quelques pas) de lrsquoours ou de la poule mais il suffit pour lrsquoexpliquer de concevoir ce

que sont les lois geacuteneacuterales de la meacutecanique et celles de lrsquohistologie et des autres domaines de

la biologie Ce recours agrave un modegravele biologique plus geacuteneacuteral nrsquoest plus possible pour

comprendre ce qursquoest un phonegraveme ce qursquoest revendiquer ou pardonner et mecircme pour com-

prendre tout simplement en quoi laquo la deacutemarche raquo de quelqursquoun se distingue de laquo la marche raquo

La formule laquo que nous engendrons raquo peut ecirctre compleacuteteacutee par laquo qui nous engendre raquo

lrsquohomme est agrave lui-mecircme sa propre laquo cause raquo du fait que la rationaliteacute le constitue

laquo hellipdont la synthegravese sur tous les plans nous constitue raquo Le verbe laquo nous constitue raquo para-

phrase laquo que nous engendrons raquo laquo Les plans raquo introduit le propos suivant qui distingue les

quatre registres de la rationaliteacute cognitif (laquo savoir raquo) technique (laquo pouvoir raquo au sens de

lrsquoanglais laquo can raquo) eacutethique (laquo vouloir raquo) et enfin social (laquo paraicirctre raquo)

Ces quatre termes entendent deacutesigner ce qui apparaicirct comme le reacutesultat explicite que

lrsquohomme peut atteindre Il sait des choses il fabrique des choses il veut et obtient des

succegraves et il se donne des apparences sociales Se contenter de constater cela serait ecirctre

aveugle agrave la dialectique qui explique ces laquo performances raquo Or dialectiquement ce qui semble

un laquo fait raquo est la reacutesultante du deacutepassement drsquoune contradiction Il faut donc apprendre agrave

repeacuterer cette contradiction laquelle tend agrave disparaicirctre dans cette reacutesultante Il faut aussi

apprendre agrave eacuteviter de confondre un processus de positivation et une positiviteacute

Crsquoest ce qursquoeacutenonce laquo Si par [lrsquounivers de culture lrsquohomme est] eacutetranger en partie agrave son

propre savoir il lrsquoest aussi dans une eacutegale proportion agrave son pouvoir agrave son vouloir [et agrave] son

paraicirctrehellip raquo 71 Marx a deacuteveloppeacute le thegraveme de la diffeacuterence entre laquo conscience raquo et laquo ecirctre

16 Une lecture de Jean Gagnepain

social raquo dans un texte ceacutelegravebre13 et agrave travers la notion drsquoideacuteologie Voilagrave pour laquo son paraicirctre raquo

Freud dans un texte eacutegalement ceacutelegravebre14 laquo se propose de montrer au moi qursquoil nrsquoest

seulement pas maicirctre dans sa propre maison qursquoil en est reacuteduit agrave se contenter de

renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe en dehors de sa conscience dans

sa vie psychique raquo Voilagrave pour laquo son vouloir raquo

Eacutetranger aussi laquo agrave son propre savoir raquo La laquo contrainte de Langacker raquo en donne un bon

exemple Soit la seacuterie des quatre phrases suivantes 1 laquo Quand Beacuteru chante il est de bonne

humeur raquo 2 laquo Quand il chante Beacuteru est de bonne humeur raquo 3 laquo Beacuteru chante quand il est de

bonne humeur raquo 4 laquo Il chante quand Beacuteru est de bonne humeur raquo

(On a croiseacute deux oppositions celle du pronom et du nom et celle de la disposition entre

principale et subordonneacutee) Demandez-vous qui est deacutesigneacute par laquo il raquo dans chacune de ces

phrases Une dissymeacutetrie apparaicirct agrave la seule reacuteflexion Dans les trois premiegraveres phrases laquo il raquo

peut ecirctre Beacuteruhellip ou quelqursquoun drsquoautre San Antonio par exemple Mais dans la derniegravere phrase

laquo il raquo ne peut plus reacutefeacuterer agrave Beacuteru Grammaticalement parlant crsquoest le second eacutenonceacute qui est

paradoxal la possibiliteacute pour un pronom dans la laquo subordonneacutee raquo de renvoyer agrave un nom

posteacuterieur dans la laquo principale raquo tient agrave une proprieacuteteacute de la subordination15 Rien de ce

fonctionnement nrsquoapparaicirct agrave la conscience du locuteur

Meacutetaphore vestimentaire de la dialectique en 72 Celle-ci est laquo hellipnotre combat raquo car il est

impossible de reacuteduire lrsquohumain agrave ce principe de neacutegativiteacute qursquoest lrsquoinstance (laquo se mettre agrave nu raquo)

ni de le reacuteduire agrave ses performances (laquo ses vecirctements raquo) Lrsquoexemple du laquo costume raquo (en tant que

marqueur social) est suggestif Toute personne est irreacuteductible au costume qursquoelle porte

laquo hellipla neacutegativiteacute inscrite en nous par la culture nrsquoa drsquoexistence que parce qursquoelle se nie raquo

72 JG explicite ici directement le processus de dialectique Neacutegativiteacute et neacutegation de la

neacutegativiteacute ne sont pas deux eacutetapes successives mais deux laquo pocircles raquo qui se donnent existence

mutuellement Lrsquoimage de la laquo tension raquo peut aider agrave figurer cela La tension drsquoune corde nrsquoest

pas la corde La tension nrsquoexiste que si deux forces antagonistes srsquoexercent aux deux bouts De

mecircme la neacutegativiteacute nrsquoest pas un bout de la corde et sa neacutegation lrsquoautre bout La dialectique

crsquoest la tension elle-mecircme appeleacutee laquo contradiction raquo Lrsquoimage a ses limites mais elle peut

aider dans une premiegravere approche de ce concept redoutable Elle est preacutesente dans la deacutefini-

tion courante de la dialectique en termes de laquo pocircles raquo Noter que JG utilise aussi le terme de

laquo phases raquo (de la dialectique)

Pour JG existe une preacutecession logique de la neacutegativiteacute dans la notion de dialectique en ce

sens que crsquoest parce que la rationaliteacute humaine introduit de la neacutegativiteacute que srsquoensuit

neacutecessairement la neacutegation de la neacutegativiteacute laquo Si lrsquoon est conseacutequent avec le concept de dialec-

tique il nrsquoy a pas de doute que les deux phases ne sont nullement isomorphes mais que tout

deacutepend de la preacutesence ou de lrsquoabsence de la premiegravere qui logiquement fonde la seconde Ce

caractegravere second et non autonome de toute performance je lrsquoai agrave maintes reprises signaleacute lrsquoan

passeacute quand nous avons deacutefini la performance comme une restructuration en insistant sur

13 Karl Marx 1857 Preacuteface agrave lrsquoIntroduction agrave la critique de lrsquoeacuteconomie politique laquo Le mode de production de la vie mateacuterielle conditionne le processus de vie social politique et intellectuel en geacuteneacuteral Ce nrsquoest pas la conscience des hommes qui deacutetermine leur ecirctre crsquoest inversement leur ecirctre social qui deacutetermine leur conscience raquo

14 Sigmund Freud Introduction agrave la psychanalyse 1916 II chap 18 p266 (eacuted Petite bibliothegraveque Payot)

15 Voir la deacutemonstration (reacutesumeacutee) dans Jean-Yves Urien La trame drsquoune langue p 161-163 (et approfondie) dans Jean-Yves Urien Le schegraveme syntaxique et sa marque tome 1 p 103-105

Discours et meacutethode 17

lrsquoidentiteacute profonde des processus inheacuterents agrave lrsquoinstance comme agrave la performance raquo16 De mecircme

agrave propos du signe laquo Partageacute entre la structure qui le deacutefinit et la conjoncture agrave laquelle il est

conceptuellement ordonneacute le signe ne se deacutedouble pas La phase qui le reacuteinvestit nrsquoajoute rien

agrave la premiegravere crsquoest la premiegravere qui est fondatrice qui est logiquement anteacuterieure (hellip) cette

premiegravere phase consistant agrave nier la positiviteacute de la repreacutesentation Mais lrsquoautre phase dialec-

tique consistant en la neacutegation drsquoune neacutegativiteacute ne creacutee rien au contraire puisqursquoelle tend agrave

deacutetruire le signe qursquoelle reacuteinvestit raquo17 Cela dit lrsquoauteur critique lrsquoideacutee drsquoune laquo prioriteacute raquo drsquoun

pocircle sur lrsquoautre comme en teacutemoigne ce passage drsquoun autre Seacuteminaire sur le sens Agrave lrsquoobjection

drsquoun collegravegue ainsi reformuleacutee ndash laquo Vous parlez drsquoeacutevidement structural agrave partir de quel

plein raquo ndash il reacutepondait laquo Srsquoil fallait partir du plein qursquoil y ait une prioriteacute du plein sur le vide

voilagrave la conception non dialectique de lrsquoaffaire Pour nous dans une conception dialectique le

plein et le vide ne se deacutefinissent que par leur contradiction mutuelle Aucune nrsquoa la prioriteacute sur

lrsquoautre raquo18 Le deacutebat tient agrave mon sens drsquoabord au choix rapide du terme laquo plein raquo

dialectiquement il nrsquoy a ni plein ni vide mais laquo eacutevidement raquo et laquo reacuteinvestissement raquo De

mecircme agrave propos du signe laquo Surtout ne pensez pas la signification comme preacuteceacutedant la

deacutesignation dans le moindre acte de langage les deux processus se jouent en mecircme temps

Crsquoest-agrave-dire qursquoils sont continuellement en conflit raquo19

laquo Ce nest pas lhomme en soi qui peut ecirctre lobjet de nos sciences humaines mais

lhomme en tant preacuteciseacutement quil se conteste raquo 72 Si lrsquoon chercher agrave laquo expliquer raquo ndash but

de la deacutemarche scientifique on ne peut srsquoen tenir au fait laquo en soi raquo que les hommes

existent et qursquoils sont humains Il faut rechercher ce qui rend lrsquohomme humain une fois

exploreacutees ses caracteacuteristiques biologiques drsquoespegravece La thegravese de JG est que lrsquohumain en

lrsquohomme reacutesulte de la rationaliteacute laquelle est dialectique

Celle-ci est un double mouvement laquo Alieacutenation raquo lrsquohumain est toujours autre que ce qursquoil

paraicirct (neacutegativiteacute) laquo Appropriation raquo il tend contradictoirement agrave apparaicirctre Ainsi sociale-

ment il faut qursquoil soit laquo boulanger parent joueur de foot etc raquo ce qui est manifeste mais il

est aussi autre que cela (alieacutenation) et source de tout cela La suite de lrsquoouvrage montre qursquoil

en est de mecircme dans lrsquoordre du langage et dans celui de la technique

laquo Lrsquoinstance par elle-mecircme neacuteantisante drsquoune analyse qui est dans le monde et de bien des

faccedilons agrave lrsquoorigine du discret nrsquoest en aucun cas seacuteparable de la performance qui positivement

lrsquoy reacuteinvestit et ajoutant nos lois agrave ses lois nous permet de le transformer raquo 73 Paragraphe

redoutablehellip mais capital

JG reformule ici ce qursquoil entend par laquo dialectique raquo comme proprieacuteteacute de lrsquohumain La diffi-

culteacute augmente dans cette formulation parce que jusqursquoici la preacutesentation simplifieacutee de la

dialectique ne semblait prendre en compte qursquoun antagonisme binaire (laquo instance

performance raquo) Deacutesormais la phrase met en jeu trois laquo positions raquo conceptuelles aussi appe-

leacutees laquo moments raquo repeacuterables aux termes (1) laquo instance raquo (2) laquo (analyse dans) le monde raquo (3)

laquo performance raquo La dialectique en effet pose un laquo point de deacutepart raquo ou agrave mieux dire un

16 Seacuteminaire du 27 novembre 1975 laquo Signification et deacutesignation raquo

17 Seacuteminaire du 8 janvier 1976 laquo Signification et deacutesignation raquo

18 Seacuteminaire du 5 mai 1977 laquo Les limites de la connaissance raquo

19 Seacuteminaire du 4 deacutecembre 1975

18 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo point de reacutesistance raquo que nie le pocircle de neacutegativiteacute Crsquoest le principe de reacutealiteacute appeleacute ici laquo le

monde raquo et ailleurs laquo lrsquoexpeacuterience raquo (236 par exemple)20

Exemple lexical le mot laquo le ciel raquo en tant que mot nie lrsquoespace lumineux naturel que je vois

en levant le nez de lrsquoeacutecran et que jrsquoisole par son contraste avec les bords de la fenecirctre qui le

cadrent Le mot est drsquoun autre ordre que la situation agrave laquelle on le confronte Il a ses raisons

propres (lexicales en premiegravere analyse) laquo Il aliegravene raquo la reacutealiteacute en la captant il la transforme en

ecirctre de raison On a donc drsquoune part ce point de reacutefeacuterence qui est dans cet exemple une

reacutealiteacute perceptive ndash une laquo gestalt raquo et drsquoautre part sa neacutegation langagiegravere humaine Ceci eacutetant

le mot nrsquoa drsquoexistence humaine qursquoen tant qursquoil permet de geacuteneacuterer du sens (du seacutemantisme)

En cela le choix du mot teacutemoigne drsquoune confrontation agrave une situation particuliegravere En disant

laquo [Je regarde] le ciel raquo dans une certaine situation et par exclusion des autres mots possibles

je fais comprendre que je deacutesigne lrsquoatmosphegravere terrestre telle que je la conccedilois et non autre

chose Dans un autre contexte ce pourrait ecirctre un concept religieux ou pictural Je nie ainsi la

neacutegativiteacute du mot en le reliant agrave de lrsquoexpeacuterience Crsquoest le second laquo pocircle raquo de la dialectique

appeleacute dans la phrase eacutetudieacutee laquo reacuteinvestissement raquo parce qursquoil reacuteinvestit laquo lrsquoinstance raquo en la

confrontant laquo au monde raquo transformant de la neacutegation en laquo positivation raquo laquelle est la

neacutegation de la neacutegativiteacute et non pas une positiviteacute substantielle Dans mon exemple le

concept de laquo ciel raquo ne coiumlncide pas avec ce qursquoil cherche agrave dire Dans ce cas preacutecis je ne fais

que concevoir ce laquo ciel raquo en le distinguant des laquo arbres raquo de la laquo haie raquo et de la laquo fenecirctre raquo

sous mon regard Rien de plushellip sauf agrave en dire plus Cette confrontation suffit agrave eacuteliminer le

sens religieux et celui de voucircte (de lit de grotte) mais ne peut que reacuteduire tregraves relativement

son improprieacuteteacute Lrsquoeacutenonceacute laquo Je regarde le ciel raquo en ces circonstances ne dit pas srsquoil fait jour ou

nuit si je mrsquointeacuteresse agrave sa luminositeacute agrave des nuages ou agrave des eacutetoiles ou si jrsquoy vois laquo le temps

qursquoil fait raquo Ce raisonnement ne peut se preacuteciser qursquoagrave proportion du deacuteveloppement de la

formulation Plus geacuteneacuteralement le physicien sait bien que le terme laquo ciel raquo est vague lieacute agrave la

position terrestre du locuteur et scientifiquement inutile

En reacutesumeacute la dialectique preacutesente trois laquo moments raquo drsquoougrave une terminologie agrave trois termes

tels que laquo monde mot concept raquo et deux laquo phases raquo ou laquo pocircles raquo deacutenommeacutes laquo instance ndash

performance raquo ou laquo grammaire ndash rheacutetorique raquo pour cet exemple

Jrsquoai choisi un exemple lexical tregraves reacuteducteur alors que JG se place dans lrsquoordre geacuteneacuteral de

la culture La culture laquo ajoute nos lois raquo un pluriel notamment parce qursquoelles sont doubles

puisqursquoil y a bipolariteacute instance et reacuteinvestissement de lrsquoinstance Elle les laquo ajoute raquo aux lois de

la nature Eacutevidemment il y a une grande part drsquoapproximation et drsquoimproprieacuteteacute dans une telle

formulation Crsquoest ineacutevitable Ainsi laquo ajoute raquo 73 est en deacutecalage avec lrsquoideacutee de laquo transforma-

tion raquo sans compter le fait que pour lrsquoauteur crsquoest le dire humain qui introduit de la causaliteacute

dans la reacutealiteacute Cf infra le chapitre laquo Sens et causaliteacute raquo 105-125

Drsquoautres points demandent explicitation compte tenu de ce qursquoon lira par la suite JG

parle ici drsquoune laquo analyse agrave lrsquoorigine du discret (dans le monde) raquo 73 Que veut-il dire

Peut-on entendre par laquo analyse raquo la performance elle-mecircme La formule laquo Lrsquoinstance [est]

par elle-mecircme neacuteantisante drsquoune analyse qui est dans le monde raquo contredit cette lecture

20 Jacques Laisis recourt volontiers au terme laquo le pheacutenomeacutenal raquo afin de ne pas preacutejuger drsquoune quelconque configuration de ce qui nrsquoest qursquoun principe de reacutesistance au dire En effet le pluriel de termes comme laquo les pheacutenomegravenes raquo ou laquo les choses raquo est deacutejagrave de trop puisque crsquoest le dire qui introduit diversiteacute ou pluraliteacute dans le raisonnement conceptuel Apport meacutethodologique de la linguistique structurale agrave la clinique p 93 et passim

Discours et meacutethode 19

puisque la notion de laquo monde raquo deacutepasse le cadre de lrsquohomme Retenons donc que drsquoune faccedilon

singuliegravere dans son œuvre ndash introduction oblige ndash JG utilise les termes laquo analyse raquo

laquo discret raquo et laquo ses lois raquo pour deacutesigner le fait que lrsquounivers nrsquoest pas laquo amorphe raquo (infra 175)

Par ailleurs et par la suite JG utilisera toujours le concept laquo drsquoanalyse raquo pour deacutesigner

lrsquoaptitude de lrsquohumain agrave structurer ses comportements y compris sur le pocircle performantiel Il

opposera par exemple les faits naturels que lrsquoon peut mesurer et les faits humains que lrsquoon

peut analyser Il soutiendra constamment que crsquoest lrsquohumain qui en laquo causant raquo (en mots)

laquo cause raquo le monde et y introduit une intelligibiliteacute agrave la mesure de cette capaciteacute drsquoanalyse que

lui donne la culture laquo Le signe cause lrsquounivers raquo (851 944 1071 1244 De lrsquoOutil 1861

2045 2722) Il dira plus loin que la seacutemantique scientifique laquo creacutee un deacuteterminisme dans les

choses raquo 1071 Il substituera le terme laquo cause raquo agrave celui de laquo loi raquo pour reacuteserver au second

terme son sens laquo leacutegal raquo sociologique (dura lex sed lex)

Toutefois en mecircme temps est affirmeacute plus loin laquo (qursquo) il nest pas vrai que lunivers sans [la

culture] soit amorphe raquo 175 ou qursquolaquo Il nest pas vrai que la nature soit comme on le dit

amorphe et continue raquo 251 Sans quoi il nrsquoy aurait pas de reacutesistance du laquo monde raquo au

raisonnement

laquo hellip (Une analyse qui est dans le monde) et de bien des faccedilons (agrave lrsquoorigine du discret) raquo 73

JG suggegravere par laquo de bien des faccedilons raquo que le rapport agrave la nature nrsquoest pas seulement une

question de connaissance Il exposera un tableau des pathologies laquo naturelles raquo sur les quatre

aspects de la biologie Ainsi troubles sensoriels moteurs du soma de lrsquoaffect Dans chacun

des domaines il y a des effets de seuils naturels (qursquoil qualifie de laquo discret raquo ici)21

laquo Nous permet de le transformer raquo [laquo le raquo = le monde] Le verbe laquo transformer raquo nrsquoest pas agrave

prendre seulement dans son sens technique La rationaliteacute humanise la reacutealiteacute relativement

Elle fait qursquoelle devient connue (par la conceptualisation) artificialiseacutee entre dans de lrsquohistoire

et est soumise agrave de la norme

laquo Un mecircme souci drsquoeacutetablir les critegraveres drsquoune rationaliteacute sous-jacente caracteacuterisehellip trois

eacutecoles de penseacuteehellip raquo 74 noteacute 1

JG rassemble ici Marxisme Psychanalyse et Linguistique geacuteneacuterale en raison drsquoune thegravese

qui leur serait commune lrsquohumain se caracteacuterise par une rationaliteacute sous-jacente Suivent

deux critiques (introduites par laquo on deacuteplorerahellip raquo 74) (1) Cette compleacutementariteacute aurait eacuteteacute

nieacutee par les geacuteneacuterations suivant les fondateurs chaque courant de penseacutee isolant des autres

son approche particuliegravere de lrsquohumain (2) Ils auraient confondu les principes et ce qui

reacutepondait agrave la laquo conjoncture raquo dans laquelle ces theacuteories ont eacuteteacute conccedilues

1 Le mateacuterialisme historique 75

JG y voit une premiegravere tentative de relier histoire et science Il a en effet laquo puissamment

deacutemontreacute quon ne saurait impuneacutement tenir lhomme pour lobservateur essentiel et passif

dun univers objectiveacute que loin decirctre en un mot ce que la nature la fait il est aussi et

speacutecifiquement ce que par sa culture il se fait raquo 75 JG insiste sur lrsquoimportance de la notion de

laquo praxis raquo Par laquo praxis raquo le marxisme soutient qursquoune theacuteorie fait partie de lrsquoexpeacuterience

sociale veacutecue et que crsquoest donc une activiteacute qui a des effets historiques En drsquoautres termes

une theacuteorie est laquo performative raquo JG lie ensuite mateacuterialisme historique et mateacuterialisme

21 Un tel tableau figure dans Du Vouloir-Dire t3 Ch1 Gueacuterir lrsquohomme p63 Le tableau reacutecapitule une nosologie exposeacutee p 21agrave p27 (laquo Lrsquohomme cortical raquo et laquo Corps et biens raquo)

20 Une lecture de Jean Gagnepain

dialectique pour eacutenoncer une critique du marxisme Ce dernier reacuteduirait lrsquohumain agrave sa dimen-

sion sociohistorique Il ne peut donc expliquer laquo inteacutegralement raquo lrsquohomme Ce point est deacuteve-

loppeacute Le passage laquo La dialectique est la piegravece maicirctresse drsquoune reacuteflexion agrave laquelle personnelle-

ment je souscris raquo 81 est important une fois corrigeacute par le paragraphe suivant qui pose un

laquo usage eacutelargi raquo du concept (agrave lrsquoensemble des faits de culture) La TdM est une anthropologie

dialectique et pas seulement une sociologie dialectique

laquo hellipnotre usagehellip eacutelargit [la notion de dialectique] raquo 82 Pour la TdM la dialectique est une

proprieacuteteacute geacuteneacuterale de la rationaliteacute laquo Signe raquo (langagier) Outil et Norme (eacutethique) raquo

fonctionnent aussi dialectiquement que la laquo Personne raquo

Autre critique du marxisme en 83 Reacuteduire lrsquoexistence de laquo classes raquo agrave lrsquoexistence des

exploiteurs implique lrsquoideacuteal que par la reacutevolution puisse exister une socieacuteteacute sans classes JG

donne au contraire agrave lrsquoideacutee de laquo classification raquo un sens geacuteneacuteral (laquo ontologique raquo) qui en fait

une proprieacuteteacute du social Le conflit de classe distingue lrsquohistoire (humaine) de la vie biologique

(JG opposera en ce sens les deux termes allemands die Gesellschaft la socieacuteteacute et die

Gemeinschaft la communauteacute ou la laquo greacutegariteacute raquo biologique 54)22

2 La psychanalyse 84

En reacutesumeacute lrsquoexamen critique de lrsquoapport et des errements de la psychanalyse porte

principalement sur deux points Drsquoun cocircteacute JG reconnaicirct que la notion drsquoinconscient ouvre la

voie agrave une conception dialectique de lrsquohumain fondeacutee sur la contradiction drsquoun implicite et

drsquoun explicite De lrsquoautre il reproche agrave la psychanalyse un reste de confusion entre le plan de la

laquo repreacutesentation raquo (de la connaissance) et celui du traitement humain du deacutesir dont

teacutemoigne drsquoailleurs en franccedilais lrsquoambiguiumlteacute du terme laquo conscience raquo laquo Je suis bien conscient

de cela Quel inconscient raquo versus laquo Je suis en paix avec ma conscience raquo Voyons les deacutetails

de lrsquoargumentation

De quel laquo glissement raquo analogue srsquoagit-il lorsque lrsquoon passe du marxisme agrave ce que soutien-

nent laquo nombre de fervents de la psychanalyse raquo Il srsquoagit de la confusion faite entre un

processus constitutif de la culture humaine et certaines de ses manifestations observeacutees dans

un cadre professionnel Selon JG certains confondraient lrsquoaptitude humaine permanente au

laquo rationnement raquo (ici deacutesigneacute par la figure extrecircme de laquo lrsquoascegravese raquo) avec son deacuteregraveglement

pathologique qursquoest laquo lrsquoinhibition raquo 84 Ce principe de laquo rationnement raquo (titre de chapitre dans

le tome II) ndash terme au demeurant choisi par lrsquoauteur pour sa relation avec le terme laquo raison raquo ndash

est rapprocheacute de la notion lacanienne de laquo castration raquo laquo gracircce agrave laquelle le deacutesir se fait libre

arbitre raquo 84 On devine ici ce que sera le modegravele drsquoaxiologie dialectique proposeacute dans le tome

II du Vouloir-Dire Le rationnement dit aussi laquo manque raquo 91 repreacutesente le pocircle drsquoinstance

neacutegative drsquoune satisfaction librement choisie qui en est le pocircle performantiel dans la

dialectique du deacutesir humain Un tel laquo glissement raquo est la cause du recours agrave cette notion de

laquo surmoi raquo qui deacuteplace lrsquoinstance fondamentale du deacutesir vers une sorte de superstructure

22 Ce bilan du marxisme et de lrsquoheacutegeacutelianisme se trouve clairement reacutesumeacute par Jean-Luc Lamotte dans son Introduction agrave la theacuteorie de la meacutediation en deux propositions p20-21 (1) laquo [La theacuteorie de la meacutediation dissocie] lrsquohistoire et la penseacutee Car si Hegel a identifieacute lrsquohistoire agrave la penseacutee on peut dire que Marx a identifieacute la penseacutee agrave lrsquohistoire raquo (2) [Jean Gagnepain] laquo refuse de restreindre lrsquoapplication de la dialectique au domaine du devenir (hellip) et lui donne son maximum de pouvoir explicatif en le transposant du plan (hellip) drsquoune succession agrave celui (hellip) drsquoune contradiction de la nature et de la culture (alors que chez Hegel comme chez Marx ndash du moins le Marx du mateacuterialisme dialectique ndash nature et culture eacutetaient parfaitement homogegravenes) raquo

Discours et meacutethode 21

gendarme de la bonne conduite ou Jiminy le cricket agrave la Walt Disney Erreur de plan

soutiendra-t-il plus loin pour lui le surmoi nrsquoest pas laquo lrsquointrojection de la Loi raquo 173 La loi

relegraveve de lrsquoaptitude au social le laquo surmoi raquo relegraveve de la reacutegulation du deacutesir

La recherche de laquo lrsquoauthenticiteacute raquo 84 est un fantasme puisque celle-ci ne peut ecirctre

atteinte sans deacuteshumanisation Cette critique fait eacutecho agrave lrsquoimage de laquo Janus raquo on ne sort pas

de la dialectique sans sortir de lrsquohumaniteacute

La difficulteacute de comprendre laquo les relations du je du moi et du ccedila raquo tient surtout de laquo notre

impuissance grammaticale agrave les formuler clairement en franccedilais raquo 85 Ainsi la notion invoqueacutee

ici de laquo surmoi raquo est-elle un contresens puisque Freud en allemand dit laquo uumlber-Ich raquo (au

nominatif et non agrave lrsquoaccusatif) Il ne srsquoagit donc pas drsquoun processus qui surplombe un laquo moi raquo

dans une laquo dimension interindividuelle raquo mais un processus interne au principe axiologique de

reacutegulation du deacutesir

Le propos de JG est ici critique et srsquoadresse surtout aux lacaniens Pour lui

laquo lrsquoinconscient raquo nrsquoest pas une affaire de cognition comme le suggegravere le couple laquo conscience ndash

inconscient raquo mais renvoie agrave la reacutegulation des affects au plan de la norme (du droit) et non

au plan du signe (du dire) Cf laquo par-lagrave se maintient la vieille confusion du savoir et de la

morale raquo 92 En teacutemoignent le privilegravege attacheacute agrave la verbalisation dans la cure 91 et laquo le flirt raquo

terminologique avec la linguistique qui teacutemoigne drsquoun laquo hellipmalentendu sur le signehellip raquo

Allusion notamment agrave lrsquoutilisation par Jacques Lacan des termes laquo signifiant raquo et laquo signifieacute raquo

qui nrsquoont strictement plus rien de saussurien ou agrave celle des notions de laquo meacutetaphore raquo et de

laquo meacutetonymie mal comprise raquo

Lrsquoallusion au laquo pansexualisme raquo freudien rappelle que la theacuteorie de Freud reflegravete les usages

(drsquointerdits) de la socieacuteteacute de son eacutepoque

Cela dit JG reconnaicirct comme un laquo apport raquo essentiel de la psychanalyse lrsquoideacutee drsquoune

distinction radicale entre latent et manifeste cette laquo Spaltung raquo (clivage) 93 notion qursquoil

reprend dans la dialectique de lrsquoimplicite et de lrsquoexplicite en en faisant un principe de

contradiction et de laquo neacutegativiteacute raquo laquo Spaltung raquo signifie en allemand laquo seacuteparation clivage raquo

Freud traduit ainsi en allemand la notion de laquo double conscience raquo apprise chez Pierre Janet

Cf la notion de laquo manque raquo eacutevoqueacutee plus haut en 91

laquo Un ordre [=la culture] qursquoon a seulement eu tort drsquoappeler ‟symboliquerdquo raquo 93 JG reacutecuse

le terme qui selon lui reacuteduit la rationaliteacute au domaine de la repreacutesentation Il critiquera

constamment lrsquoutilisation extensive et geacuteneacuterique des termes laquo symbolique raquo et laquo signe raquo par

lrsquoensemble des courants structuralistes par la sociologie bourdieusienne ainsi que par Jacques

Lacan23

3 La linguistique structurale 94

La linguistique relegraveve des sciences humaines degraves lors que lrsquoon reconnaicirct dans la grammaire

laquo cette capaciteacute drsquoanalyse que tout locuteur porte en soi raquo 94 ce laquo principe drsquointelligibiliteacute raquo

propre agrave lrsquohomme dont il faut comprendre le mode de fonctionnement

Les laquo attaques raquo le laquo procegraves raquo 95 dont fait lrsquoobjet la linguistique structurale font probable-

ment allusion agrave lrsquoopposition universitaire entre laquo linguistique geacuteneacuterale raquo et laquo linguistique

23 On trouvera une mise en perspective approfondie de la Theacuteorie de la meacutediation avec lrsquoœuvre de Freud et celle de Lacan dans lrsquoouvrage de Jean-Claude Quentel 2007 Les fondements des sciences humaines Eacuteditions Eacuteregraves

22 Une lecture de Jean Gagnepain

historique raquo laquo En passant du pointillisme agrave la structure les linguistes opeacuteraient une conversion

eacutepisteacutemologique exemplaire raquo 95 JG rappelle ici la tendance des laquo philologues raquo agrave privileacutegier

lrsquoeacutetude laquo diachronique raquo de mots isoleacutes Or le linguiste dans son laquo champ raquo speacutecifique (le

laquo signe raquo) eacutetudie une aptitude geacuteneacuterale de lrsquohumain laquo hors du temps raquo et surtout un systegraveme

ougrave laquo la valeur de nrsquoimporte quel terme est deacutetermineacutee par ce qui lrsquoentoure raquo Saussure Cours

p 160 Il faut cependant que lrsquohistorien comprenne que la faculteacute de signe nrsquoest pas toute la

culture et que drsquoune autre faculteacute celle de personne procegravede lrsquohistoire en geacuteneacuteral et les

langues par reacutepercussion

JG envisage ensuite le courant dominant en linguistique agrave lrsquoeacutepoque de la reacutedaction de son

ouvrage agrave savoir la laquo grammaire geacuteneacuterative raquo promue par Noam Chomsky Deux critiques

principales sont preacutesenteacutees

(1) La premiegravere erreur (capitale) de la grammaire geacuteneacuterative serait son formalisme Elle

projetterait sur la reacutealiteacute langagiegravere un algorithme matheacutematique et graphique (les laquo regravegles raquo

et les laquo arbres raquo) imagineacute pour capter au mieux la diffeacuterence entre ce qui est grammatical ou

agrammatical Cette erreur aurait pour conseacutequence ineacutevitable de nier le caractegravere dialectique

de lrsquoopposition entre implicite et explicite traiteacutee ici comme une diffeacuterence entre une

laquo profondeur raquo imagineacutee par la formalisation et une laquo surface raquo effectivement dire par le

locuteur

JG relegraveve drsquoabord laquo helliplrsquoerreur capitale consistant agrave prendre le Pireacutee pour un hommehellip raquo

101 Cette meacutetaphore est reprise de la Fable de Jean de la Fontaine laquo le singe et le dauphin raquo

(Livre IV fable 7) qui raille ceux qui parlent beaucoup de ce qursquoils ignorent laquo qui caquetant

au plus dru Parlent de tout et nrsquoont rien vu raquo La grammaire geacuteneacuterative en assimilant

structure profonde et modegravele implicite prend lrsquoabstraction qursquoopegravere le grammairien pour

lrsquoabstraction qui caracteacuterise la capaciteacute de grammaire sous-jacente au dire Grave ceacuteciteacute selon

J G car le rocircle que srsquoadjuge le grammairien lorsqursquoil deacuteduit lrsquoimplicite de lrsquoexplicite le rend

degraves lors incapable de comprendre que dans le deacutejagrave-lagrave de la grammaire laquo in-siste raquo (disait JG)

cette analyse dont lrsquoanteacuteceacutedence logique permet seule drsquoacceacuteder agrave une explication du dire La

critique est ensuite reformuleacutee

laquohellip et prendre ce qui nrsquoest qursquoun pocircle de contradiction pour un niveau plus subtil et quasi

hypostasieacute (hellip) drsquoabstractionhellip raquo Le terme laquo compeacutetence raquo que lrsquoon trouve dans la phrase

suivante oriente encore le lecteur vers une critique de la grammaire geacuteneacuterative qui

laquo positive raquo ce qursquoelle appelle laquo la structure profonde raquo censeacutee expliquer la structure

grammaticale Elle transformerait ainsi un laquo pocircle raquo (de la dialectique) en hypostase

laquo Lrsquoailleurshellip devient un autre monde successivement chiffre ou matrice du nocirctrehellip raquo Il

srsquoagit de la structure profonde chez Chomsky qui laquo geacutenegravere raquo le message langagier Et laquo le

nocirctre raquo crsquoest le langage reacuteel opposeacute agrave la fiction matheacutematique de la grammaire geacuteneacuterative

Lorsqursquoun message preacutesente une ambiguiumlteacute (ex laquo La peur des ennemis raquo) celle-ci imagine

deux structures laquo profondes raquo distinctes laquo les ennemis ont eu peur raquo ou laquo quelqursquoun a eu

peur des ennemis raquo Elle nie ainsi lrsquoimproprieacuteteacute qui caracteacuterise le grammatical Ce faisant la

grammaire geacuteneacuterative se rend aveugle au principe drsquoabstraction grammaticale On ne peut

donc laquo reacuteduire lrsquoeacutequivociteacute sans ruiner avec elle les fondements de la penseacutee raquo Pour JG en

revanche lrsquoimproprieacuteteacute est constante et fondamentale On ne peut la reacuteduire que dialectique-

ment par le choix seacutemantique drsquoun eacutenonceacute approprieacute agrave la situation (Dans lrsquoexemple par lrsquoune

ou lrsquoautre des paraphrases verbales que nous avons proposeacutees)

Discours et meacutethode 23

On voit finalement que la critique du formalisme chomskien est double Il empecircche de

comprendre que le principe drsquoimproprieacuteteacute grammaticale est une proprieacuteteacute immanente du

dire ce faisant il empecircche de comprendre la dialectique du dire

(2) La seconde erreur porte plus preacuteciseacutement sur la notion laquo drsquoaxes raquo de lrsquoanalyse

grammaticale laquo Drsquoautreshellip [privileacutegient] la geacuteneacuterativiteacute raquo 102 Il srsquoagit encore de la grammaire

geacuteneacuterative mais dans la preacutesentation qursquoen a faite en 1967 Nicolas Ruwet dans Introduction agrave

la grammaire geacuteneacuterative Ce dernier considegravere comme deacutepasseacutee la linguistique structurale en

ce qursquoelle lui paraicirct privileacutegier lrsquoeacutetude des oppositions celle de la morphologie et des

paradigmes Nicolas Ruwet critique cette linguistique qursquoil qualifie de laquo taxinomique raquo Il vise

la philologie classique la grammaire scolaire mais aussi la laquo valeur raquo saussurienne et leur

oppose la grammaire laquo geacuteneacuterative raquo qui se consacre agrave lrsquoeacutetude de la syntaxe JG lui reproche

laquo drsquoabjurer raquo la notion de structure parce qursquoil la reacuteduit agrave celle de taxinomie Il lui reproche

autrement dit de jeter le beacutebeacute avec lrsquoeau du bain Il proposera dans son modegravele glossologique

drsquoaccorder une eacutegale attention agrave la taxinomie et agrave la geacuteneacuterativiteacute (deacutesormais autrement

deacutefinies) qui sont deux dimensions (deux axes) de la structure Il est important de noter ici

que la laquo geacuteneacuterativiteacute raquo chomskyenne ne correspond pas agrave ce que Jean Gagnepain appellera

laquo capaciteacute geacuteneacuterative raquo dans son propre modegravele grammatical

Les laquo axes raquo de lrsquoanalyse Eacutebauche critique du modegravele glossologique

Les paragraphes suivants deacuteveloppent la critique preacuteceacutedente concernant les axes drsquoanalyse

La comparaison de la grammaire traditionnelle et de la grammaire geacuteneacuterative fait de cette

derniegravere laquo une convulsion du mecircme art raquo 103 Crsquoest surtout pour JG une premiegravere occasion

drsquoexposer les lineacuteaments de son modegravele drsquoanalyse grammaticale

1 - Tout drsquoabord quelques formulations particuliegraveres appellent une glose

laquo La verticaliteacute des tables hellip fait place agrave lrsquohorizontaliteacute des formuleshellip raquo 103 Ce passage

confronte la grammaire traditionnelle scolaire qui privileacutegie la morphologie et les

laquo tableaux raquo et la grammaire geacuteneacuterative de Chomsky qui privileacutegie lrsquoeacutetude de la phrase et de

ce qursquoelle appelle sa laquo syntaxe raquo Il srsquoagit lagrave drsquoun laquo deacuteplacement raquo drsquointeacuterecirct (En reacutealiteacute chacune

de ces deux eacutecoles traite de ces deux dimensions)

laquo Linteacuterecirct des classes reacutepertorieacutees lemportait sur celui dune simple et lineacuteaire construc-

tion raquo JG rappelle qursquoune grammaire traditionnelle privileacutegie lrsquoeacutetude des conjugaisons et

deacuteclinaisons et y ajoute une eacutetude des laquo fonctions raquo syntaxiques par un inventaire des

constructions dans la phrase

laquo La preacutevalence des regravegles et des cycles nous ramegravene au traditionnel inventaire des parties

du discours raquo 103 laquo Cycles raquo Il srsquoagit du principe de reacutecursiviteacute chez Chomsky Cet auteur

(dans le modegravele standard) reprend une classification traditionnelle en distinguant des

laquo cateacutegories syntaxiques majeures raquo Nom Verbe Adjectif Preacuteposition qui sont les laquo tecirctes raquo

(angl Head) des syntagmes de base (angl Phrases) NP VP AP PP

laquo Le perfectum le cegravede agrave lrsquoinfectumhellip raquo Perfectum aspect accompli Formes verbales qui

signifient que lrsquoaction est termineacutee Infectum aspect inaccompli Formes verbales qui

signifient que lrsquoaction nrsquoest pas termineacutee Je risque donc la lecture suivante La grammaire

traditionnelle et la linguistique structurale ont privileacutegieacute lrsquoeacutetude de corpus crsquoest-agrave-dire de

propos tenus attesteacutes dans des documents laquo perfecta acta raquo La grammaire geacuteneacuterative pour

sa part teste chez les locuteurs la limite entre les phrases grammaticalement coheacuterentes et

24 Une lecture de Jean Gagnepain

celles qui sont incoheacuterentes (dites agrammaticales) Ces phrases sont potentiellement infini-

ment varieacutees et non tireacutees de documents deacutejagrave produits laquo infecta acta raquo Le corpus fini

devient enquecircte en devenir le testament devient test renouvelable

laquo hellipou le classique encore au baroque raquo 103 Le style classique est eacutevoqueacute en tant qursquoil

privileacutegie la stabiliteacute crsquoest le cas du corpus deacutefinitivement eacutetabli selon JG Stabiliteacute eacutegalement

ndash ou plutocirct conservatisme ndash de la terminologie et des meacutethodes drsquoanalyse Le style baroque

en tant qursquoil privileacutegie le mouvement ce serait le cas du test constamment inventeacute et

renouveleacute au fur et agrave mesure de lrsquoeacutelaboration du modegravele Ce peut ecirctre aussi une reacutefeacuterence au

fait que la grammaire geacuteneacuterative a remanieacute en permanence et profondeacutement ses modegraveles et

qursquoelle se diversifie en de multiples courants

2 ndash Preacutesentation des deux laquo axes raquo de lrsquoanalyse Taxinomie et geacuteneacuterativiteacute

laquo On conccediloit mal dailleurs que le choix puisse simposer dune syntaxe des types ou dune

morphologie des schegravemes (hellip) Taxinomie et geacuteneacuterativiteacute [sont des] capaciteacutes indissociables du

langage raquo 104

JG opegravere la conjonction de deux ideacutees

(1re ideacutee) La grammaire geacuteneacuterative ainsi que la grammaire traditionnelle hieacuterarchisent les

deux aspects de la grammaticaliteacute que JG appelle laquo les deux axes raquo Drsquoune part lrsquoaxe de la

segmentation qui permet la successiviteacute du multiple lrsquoaxe du laquo et puis raquo Drsquoautre part lrsquoaxe de

la diffeacuterenciation qui permet les choix lrsquoaxe de laquo ou bien raquo La grammaire geacuteneacuterative reacuteduit le

grammatical au seul premier axe sous le nom de geacuteneacuterativiteacute La grammaire traditionnelle

reacuteduit le grammatical agrave lrsquoautre lrsquoaxe de la diffeacuterenciation dont teacutemoignent les classes

(2e ideacutee) Cependant lrsquoobservation oblige aussi bien la grammaire geacuteneacuterative que la gram-

maire scolaire agrave trouver un artifice pour prendre en compte lrsquoautre axe en le ramenant agrave celui

qursquoils ont privileacutegieacute (laquo hellipfacteurs deacutefinis preacutealablement sur lrsquoautre raquo) La grammaire geacuteneacuterative

tenterait de modeacuteliser une laquo syntaxe des types raquo en classifiant les laquo Syntactic Phrases raquo selon

le type de leur laquo tecircte raquo et en les deacutenommant laquo Noun Phrase Verb Phrase etc raquo Autrement

dit cette grammaire devient en cela laquo taxinomique raquo La grammaire traditionnelle ferait de

mecircme autrement Par exemple elle postule que toute proposition contient un verbe fondant

ainsi un fait de syntaxe sur une base morphologique Et surtout elle envisage toute relation

syntaxique comme une fonction comme la relation entre un laquo compleacutement raquo (suppleacutemen-

taire) et un laquo principal raquo (compleacuteteacute) Ainsi parlera-t-on du laquo sujet du verbe raquo du laquo compleacute-

ment du nom raquo Toute relation est assigneacutee agrave une cateacutegorie morphologique agrave la base de la

fonction On seacuteparera dans les grammaires le chapitre de laquo la syntaxe du verbe raquo de celui de

laquo la syntaxe du nom raquo Au contraire JG deacutemontrera qursquoune relation syntaxique (un

laquo schegraveme raquo) reacutesulte de contraintes mutuelles La relation de laquo sujet raquo nrsquoest ni dans le verbe ni

dans le nom elle est deacutefinie par lrsquoensemble des contraintes que chaque partie prenante fait

peser sur lrsquoautre En outre il montrera qursquoun mecircme processus syntaxique tel que la

subordination est identique qursquoil srsquoinvestisse sur du nom ou du verbe

3 ndash Approfondissement de la theacuteorie de la biaxialiteacute De la laquo non-coiumlncidence raquo des deux

types drsquoanalyses deacutecoule leur laquo projection raquo Qursquoest-ce agrave dire

laquo Il sagit des coordonneacutees dune seule et mecircme analyse creacuteatrice agrave la fois de diffeacuterence et

de segmentation dont la non-coiumlncidence en retour fonde par projection aussi bien linclusion

logique que linteacutegration raquo 104

Discours et meacutethode 25

Cette formulation reacutesume tout le programme de travail en quoi consiste la theacuteorie du fait

de laquo dire raquo la theacuteorie du laquo signe raquo appeleacute plus loin laquo glossologie raquo Drsquoougrave la difficulteacute voire

lrsquoimpossibiliteacute de comprendre cette proposition en se limitant agrave lrsquoinformation minimale qursquoelle

apporte en ce deacutebut drsquoouvrage Je pourrais ajouter laquo Renoncez agrave comprendre maintenant il

vous suffit de lire la 1re partie du livre p 34 agrave 66 et drsquoy revenir ensuite raquo Cette proposition

eacutetant applicable agrave toute difficulteacute de lecture de cette introduction elle est contradictoire avec

le parti que jrsquoai pris de la gloser Si vous deacutesapprouvez mon obstination fermez cette partie Agrave

cellecelui qui est resteacute(e) je propose un bref deacuteveloppement qui ne dispense pas de lire la

suite Jrsquoutiliserai quelques exemples grammaticaux dans la terminologie scolaire

Le deacutebut preacutesente les laquo deux axes raquo comme deux aspects de la capaciteacute de grammaire qui

est aptitude agrave maicirctriser de lrsquoanalyse crsquoest-agrave-dire des deacutelimitations (diffeacuterentielles ou segmen-

tales) relatives des laquo valeurs raquo dans le sens que Saussure donne agrave ce terme

laquo Dans la langue il nrsquoy a que des diffeacuterences sans termes positifs raquo (Cours p 166) laquo des

valeurs eacutemanant du systegraveme (hellip) [termes] purement diffeacuterentiels deacutefinis non pas

positivement par leur contenu mais neacutegativement par leurs rapports aux autres termes du

systegraveme raquo (Cours p 162) Noter seulement que JG pense les laquo valeurs raquo selon deux aspects

analyse de la qualiteacute (productrice drsquoidentiteacutes diffeacuterentielles) et analyse de la quantiteacute (produc-

trice drsquouniteacutes segmentales)

Il convient maintenant de deacutefinir chacun des termes qui caracteacuterisent ce modegravele biaxial

laquo non-coiumlncidence projection inclusion et inteacutegration raquo 1048-9

laquo Non-coiumlncidence et projection raquo Identiteacute diffeacuterentielle et uniteacute segmentale ne se

correspondent pas Ainsi si je dis dans un simple appel agrave lrsquoattention laquo la porte raquo jrsquoeacutenonce

une structure nominale simple ndash du point de vue de la quantiteacute puisque tout nom suppose un

preacutefixe deacuteterminant Cependant je dis en mecircme temps plusieurs informations Outre la

distinction laquo porte fenecirctre hellip raquo il y a la classe laquo feacuteminin raquo qui est incluse dans la deacutefinition du

nom et que marque le laquo la- raquo et aussi un singulier puisque je ne nrsquoai pas dit laquo les portes raquo

Comme tout ce qui est dit inclut agrave la fois lrsquoaspect qualitatif et quantitatif une interaction se

produit entre les deux appeleacutee laquo projection drsquoun axe sur lrsquoautre raquo JG fait allusion ici agrave deux

meacutecanismes grammaticaux connus auxquels il apporte ici une (bregraveve) explication Pour en

parler rapidement je vous propose lrsquoimage topologique de laquo la surface raquo puisqursquoune surface

pour ecirctre dessineacutee exploite les deux dimensions drsquoune feuille la verticale et lrsquohorizontale

Premier meacutecanisme laquo lrsquoinclusion raquo Un paradigme (conjugaison verbale ou deacuteclinaison

nominale) est une laquo projection raquo une laquo surface raquo deacutefinie quantitativement par la limite drsquoune

uniteacute et qualitativement par le deacuteploiement de diffeacuterences Ainsi lorsque lrsquoeacutecolier apprend

laquo le verbe avoir raquo il sait qursquoil ne doit pas prendre en compte un sujet ou un compleacutement mais

seulement ce qui fait ce verbe Crsquoest-agrave-dire pas seulement strictement laquo avoir raquo mais

qualitativement lrsquoensemble de la conjugaison de ce verbe qui inclut une information

laquo pronominale raquo (en reacutealiteacute un preacutefixe) et une information de temps et de mode Il va donc

apprendre laquo jrsquoai tu as il ahellip raquo ou bien laquo nous avons nous avions nous aurons hellip raquo

Autrement dit un ensemble de diffeacuterences laquo incluses raquo dans le cadre bien deacutelimiteacute drsquoune seule

uniteacute celle drsquoun seul verbe La conjugaison drsquoun verbe est un paradigme

Second meacutecanisme laquo lrsquointeacutegration raquo Une relation syntaxique est une surface deacutefinie par

deux conditions Quantitativement il faut une pluraliteacute drsquouniteacutes Exemple Pour qursquoil y ait

compleacutement drsquoobjet direct (cod) il faut agrave la fois un verbe et un nom compleacutement

Qualitativement il faut qursquoune caracteacuteristique permette de preacutevoir la forme que va prendre

26 Une lecture de Jean Gagnepain

chacune des uniteacutes ainsi relieacutees Dans lrsquoexemple laquo Il regarde le ciel raquo le verbe devra ecirctre

laquo transitif raquo car laquo Il va le ciel raquo est exclu Cette restriction laisse preacutevoir la possibiliteacute drsquoun

laquo cod raquo degraves que le verbe est dit Drsquoautre part on observe que le nom qui suit le verbe nrsquoa pas

de preacuteposition et que cela permet la preacutesence drsquoun verbe transitif devant lui A contrario si je

dis laquo hellipdans le ciel raquo je puis quand mecircme commencer la phrase par laquo il regarde raquo mais ce

nrsquoest plus une relation de cod La forme de chaque partie du syntagme permet laquo drsquoidentifier raquo

en partie ce qursquoest lrsquoautre une classe restreinte de verbe + lrsquoexclusion de la preacuteposition

nominale

4 ndash Relation entre dialectique et biaxialiteacute

laquo Neacutevoquer (hellip) que les processus explicites de seacutelection et de preacutedication cest teacutelescoper

inducircment les deux pocircles de cette dialectique simultaneacutee de lidentique et de lun qui nrsquoest en

aucune faccedilon lrsquoapanage du langage mais dont culturellement limportance risque fort de re-

mettre en cause lantagonisme issu de larpentage et abusivement entretenu depuis lors du

nombre et de la qualiteacute raquo 104

JG relie dans sa critique deux thegravemes de son modegravele theacuteorique Le thegraveme de la dialec-

tique drsquoune part et celui de la biaxialiteacute et de la projectiviteacute drsquoun axe sur lrsquoautre drsquoautre part

La tradition et les linguistiques contemporaines laquo teacutelescopent raquo les pocircles de la dialectique

Comment En nrsquoenvisageant sous le nom de laquo seacutelection raquo et de laquo preacutedication raquo que le seul

reacutesultat de la dialectique agrave savoir le raisonnement seacutemantique Ces processus pour JG ne

prennent en compte que laquo la rheacutetorique raquo En effet observer que le locuteur laquo choisit raquo tel

mot plutocirct que tel autre qursquoil choisit laquo la porte raquo plutocirct que laquo la fenecirctre raquo parce qursquoil

entend parler de ceci plutocirct que de cela crsquoest oublier qursquoun tel choix nrsquoest possible que laquo srsquoil y

a le choix raquo que si lrsquoon laquo sait raquo implicitement que ces deux mots sont diffeacuterents Sans diffeacute-

rence pas de choix La seacutelection acte seacutemantique preacutesuppose la maicirctrise drsquoune diffeacuterencia-

tion lexicale La seacutelection est seconde et la diffeacuterenciation est premiegravere De mecircme laquo la

preacutedication raquo terme par lequel JG deacutesigne ici le fait de tenir un propos dans une phrase

construite suppose la maicirctrise de la dimension des termes mecircmes que lrsquoon met en relation

pour tenir ce propos La laquo preacutedication raquo seacutemantique preacutesuppose lrsquoaptitude agrave la laquo segmenta-

tion raquo en uniteacutes grammaticales JG vise en particulier Roman Jakobson pour qui la

laquo seacutelection raquo et la laquo combinaison raquo eacutetaient les deux laquo aspects raquo principaux du langage et qui

expliquait ainsi les deux types drsquoaphasies nommeacutees laquo de Wernicke raquo et laquo de Broca raquo par les

neurologues Cf laquo deux aspects du langage et deux types drsquoaphasies raquo in Essais de linguistique

geacuteneacuterale Eacuted de Minuit 1963

laquo Cette dialectique simultaneacutee de lrsquoidentique et de lrsquoun raquo La dialectique nrsquoest pas entre la

qualiteacute et la quantiteacute Simultaneacutement existe une dialectique dans lrsquoordre de la qualiteacute entre

diffeacuterenciation et choix et dans lrsquoordre de la quantiteacute entre segmentation et combinaison

laquo hellip qui nrsquoest aucunement lrsquoapanage du langage raquo Qursquoon interpregravete ce passage comme

concernant la dialectique la biaxialiteacute ou les deux peu importe JG annonce ici que lrsquoon peut

trouver leur eacutequivalent en ergologie en sociologie et en axiologie Il srsquoagit de proprieacuteteacutes de la

culture observeacutees ici dans le langage

[Lrsquoantagonisme du nombre et de la qualiteacute] laquo issu de lrsquoarpentage raquo Ce rappel de lrsquoorigine

technique en Eacutegypte et en Gregravece de lrsquoarithmeacutetique et de la geacuteomeacutetrie reste pour moi trop

rapide pour qursquoon puisse en deacutegager une leccedilon consistante Srsquoil est fait allusion ici agrave la doxa

ordinaire il est vrai que bien des discussions se fondent sur un tel antagonisme On parle par

Discours et meacutethode 27

exemple drsquoune sociologie laquo qualitative raquo opposeacutee agrave une sociologie laquo quantitative raquo Peut-on

pour autant parler laquo drsquoantagonisme raquo au sein des matheacutematiques entre qualiteacute et quantiteacute et

lrsquoimputer aux applications techniques Certes les matheacutematiques comme toutes les sciences

ont toujours eacuteteacute lieacutees agrave des objectifs drsquoapplications civiles et militaires parmi lesquels

lrsquoarpentage neacutecessaire pour deacutefinir la proprieacuteteacute et lrsquoimpocirct degraves la plus haute antiquiteacute notam-

ment dans la valleacutee du Nil ougrave les crues du fleuve effacent tous les ans les limites des champs

Cela dit tout deacutepend du sens que lrsquoon donne au concept de laquo qualiteacute raquo Je vais supposer que

JG ne lrsquoentend pas dans son sens aristoteacutelicien (dans le traiteacute des laquo Cateacutegories raquo) mais agrave la

suite de Saussure comme laquo valeur distinctive deacutefinie par exclusion raquo De ce point de vue le

principe drsquoidentiteacute et drsquoexclusion est preacutesent degraves le deacutebut des matheacutematiques En effet la

topologie la plus simple demande que lrsquoon repegravere des positions On deacutenomme distinctement

chacun des sommets drsquoun triangle de maniegravere agrave ne pas les confondre24 Entre le nombre et la

qualiteacute il y a une coexistence permanente et une compleacutementariteacute

JG reacutecapitule en conclusion quelles sont les trois disciplines universitaires qui enseignent

les trois doctrines traiteacutees preacuteceacutedemment 111 Ces disciplines sont respectivement la

sociologie la psychologie et la linguistique Celles-ci utilisent une terminologie distincte

respectivement laquo superstructure sublimation connotation raquo pour deacutesigner les divers aspects

drsquoun processus humain unique pour lrsquoauteur laquo lrsquoimplicite raquo La laquo superstructure raquo fait partie du

vocabulaire du marxisme la laquo sublimation raquo de celui du freudisme la laquo connotation raquo de celui

du structuralisme linguistique et litteacuteraire Cela montre que des enjeux de pouvoir masquent la

reacutealiteacute scientifique

La theacuteorie de la meacutediation conteste dans son ensemble la reacutepartition disciplinaire en usage

dans lrsquouniversiteacute 112 Celle-ci dit-il laquo ajoute des sciences agrave des sciences raquo pour reacutesoudre des

conflits de meacutetiers laquo sciences de lrsquoeacuteducation sciences de lrsquoinformation et de la communica-

tion raquo Le modegravele meacutediationniste est lui aussi complexe notamment par les distinctions des

quatre plans de la rationaliteacute mais cette complexiteacute se deacuteveloppe en fonction des raisons

internes agrave la reacuteflexion theacuteorique qursquoelle propose et agrave sa mise agrave lrsquoeacutepreuve expeacuterimentale par la

clinique Il srsquoagit drsquoune complexiteacute agrave base drsquoexplication scientifique et non pas agrave base de

reacutepartition de services disciplinaires laquo (hellip) la complexiteacute [de la theacuteorie] ny saurait reacutesulter que

de sa propre scissipariteacute raquo 112 Ce que JG appelle laquo science raquo est restrictivement une

deacutemarche de connaissance explicative qui doit ecirctre distingueacutee de son inscription sociale dans

une histoire de la division des services De mecircme que le Dire qursquoil appelle laquo signe raquo est agrave

dissocier de son inscription sociale dans de la langue

3 POUR UNE ANTHROPOLOGIE CLINIQUE

1 Justification de la perspective clinique Statut de la biologie 11-13

2 Apport de lrsquoeacutetude des aphasies agrave lrsquoanthropologie 13-15

24 Ouvrez httpeuclidesfrbibliothequeeuclideelementslivre_1 La Proposition V du 1er livre des Eacuteleacutements drsquoEuclide commence ainsi laquo Soit le triangle isocegravele ABΓ ayant le cocircteacute AB eacutegal au cocircteacute AΓ raquo Le point A ne peut pas ecirctre interchangeacute avec le point B ou avec le point Γ (pour autant que le triangle ne soit pas eacutequilateacuteral ) Les appellations des points sont exclusives les unes des autres

28 Une lecture de Jean Gagnepain

3 La laquo transposabiliteacute raquo du modegravele Comment lrsquoobservation clinique a conduit agrave une theacuteorie

de lrsquooutil via et par-delagrave la question de lrsquoeacutecriture chez les aphasiques puis agrave une theacuteorie de la

personne via et par-delagrave la question de lrsquointerlocution entre malade et theacuterapeute et enfin agrave

une theacuteorie de la norme via et par-delagrave la question de lrsquoinitiative de parole 15-17

Le paragraphe introductif preacutesente le plan laquo (hellip) La preuve y reacutesulte en mecircme temps que

de lexpeacuterience qui seacutelectivement la veacuterifie de la transposabiliteacute des modegraveleshellipqursquoelle

construit raquo 114 Il est deacuteveloppeacute en trois parties (1) examen du statut de lrsquoexpeacuterimentation

en sciences humaines (2) preacutesentation de lrsquoexpeacuterience laquo probante raquo de lrsquoaphasie (3)

transposition aux autres registres de la rationaliteacute

Un deacutetail de cette phrase laquo veacuterifie raquo Il ne faut pas srsquoarrecircter agrave ce terme discreacutediteacute par la

perspective proposeacutee par Karl Popper promoteur du critegravere de laquo reacutefutabiliteacute raquo (anglais

laquo falsifiability raquo) lequel critegravere est une variante de la notion de laquo rectification raquo chez Gaston

Bachelard25 Le deacuteveloppement de ce que recouvre chez JG la notion de laquo clinique raquo montre

qursquoil srsquoagit bien de mettre agrave lrsquoeacutepreuve de tester et de soumettre des hypothegraveses agrave une

possible reacutefutation (Cf infra 156 la preacutesentation de la reacutefutation qui a conduit agrave la theacuteorie

de lrsquooutil) Lrsquoadverbe laquo seacutelectivement raquo indique drsquoailleurs que la reacutefutation procegravede par

seacutelection ndash exclusion drsquohypothegraveses

1 Justification de la perspective clinique

laquo Je tiens quil nest en matiegravere de culture dautre expeacuterience que clinique raquo 115 Cette

proposition est caracteacuteristique de lrsquoanthropologie clinique Son caractegravere restrictif invite

eacutevidemment agrave des deacutebats Cependant comme la thegravese est reprise et preacuteciseacutee plus bas en 131

je commenterai agrave ce moment-lagrave lrsquoensemble des propositions

laquo Non quagrave mes yeux le praticien soit larbitre obligeacute de nos dissensions intestines raquo Noter le

terme laquo praticien raquo 115 JG distingue en effet le rocircle du theacuterapeute qui est de soigner et le

rocircle du clinicien qui est drsquoexpliquer lrsquohumain agrave partir de ses pathologies Agrave ses yeux

cependant le clinicien est lrsquoarbitre des divergences theacuteoriques en sciences humaines

Le fil du propos de cet ouvrage preacutesente des nœuds on lrsquoa deacutejagrave constateacute Voici un essai de

deacutenouement de celui qui suit

laquo Le neurologue soucieux pour eacutetayer son diagnostic de prendre le langage comme on

prend par ailleurs ou la tempeacuterature ou la tension le psychiatre qui lui envie les leacutesions

nosographiquement seacutecurisantes de la moelle eacutepiniegravere ou du cortex sont de leur cocircteacute et par

formation peu enclins agrave reconnaicirctre la speacutecificiteacute dune pathologie ougrave dune part le malade

est agrave consideacuterer agrave la fois comme la serrure et la cleacute ougrave la raison nest plus seulement induite

mais produite ougrave le symptocircme nest interpreacutetable que parce quimplicitement interpreacuteteacute ougrave

le mecircme trouble dautre part change daspect selon le trouble auquel il advient quil soit

associeacute ougrave en vertu du jeu quasi teacuteratologique des compensations dans le cadre de leacutecono-

mie geacuteneacuterale des fonctions la carence ou la deacuteteacuterioration sont masqueacutees par la reacutesistance

25 laquo Scientifiquement on pense le vrai comme rectification historique dune longue erreur on pense lexpeacuterience comme rectification de lillusion commune et premiegravere raquo Bachelard Le nouvel esprit scientifique p 177

Dans La philosophie du Non p9 Bachelard deacutefinit la philosophie de la connaissance scientifique laquo comme la conscience drsquoun esprit qui se fonde en travaillant sur lrsquoinconnu en cherchant dans le reacuteel ce qui contredit des connaissances anteacuterieures (hellip) Lrsquoexpeacuterience nouvelle dit non agrave lrsquoexpeacuterience ancienne (hellip) Mais ce non nrsquoest jamais deacutefinitif pour un esprit qui sait dialectiser ses principes constituer en soi-mecircme des nouvelles espegraveces drsquoeacutevidences (hellip) raquo

Discours et meacutethode 29

que suscite chez le patient soit lintoxication provenant des capaciteacutes quil conserve soit le

blocage au stade preacutealablement atteint ougrave enfin et surtout lobjectiviteacute semble remise en

cause dun observateur qui simplique au risque bien connu de trahir ce quil traduit dun fait

que le pheacutenomegravene reacutevegravele moins quil ne le nie raquo 115 agrave 121

1re partie 1154-9 Le neurologue et le psychiatre sont laquo peu enclins agrave reconnaicirctre la

speacutecificiteacute dune pathologiehellip [culturelle] raquo pour plusieurs raisons

Le neurologue ne prend en compte la parole du patient qursquoau titre de symptocircme parmi

drsquoautres Mais il peut srsquoappuyer sur un tableau de leacutesions pour eacutetablir son diagnostic ce qui

nrsquoest pas le cas du psychiatre

2e partie 115 agrave 121 Deacuteveloppement du thegraveme de la laquo speacutecificiteacute raquo des pathologies de la

culture La seacuterie de laquo ougrave raquo eacutenumegravere les deacutefis auxquels sont confronteacutes tant le neurologue que

le psychiatre

- Le malade est laquo serrure et clef raquo 1159 Ce thegraveme est abondamment deacuteveloppeacute par JG agrave

propos de lrsquoaphasie Il ne srsquoagit pas de mesurer la distance entre ce que dit quelqursquoun de

normal (la clef de reacutefeacuterence) et ce que dit un aphasique (la serrure agrave ouvrir) mais de tester ce

qursquoest le raisonnement grammatical particulier de lrsquoaphasique laquo La raison nest plus seulement

induite mais produite raquo le clinicien nrsquoa pas agrave projeter sur le malade sa rationaliteacute de normal

mais agrave comprendre quel raisonnement particulier lrsquoaphasique produit

- laquo le symptocircme nest interpreacutetable que parce quimplicitement interpreacuteteacute raquo La compreacutehen-

sion de ce qursquoon observe suppose une hypothegravese sur ce qursquoest le fonctionnement aphasique

Or son raisonnement est laquo inconscient raquo et est inaccessible agrave lrsquoobservation directe Plutocirct que

drsquoaccumuler des donneacutees immeacutediatement observables il faut tester des hypothegraveses sur le

mode de fonctionnement pathologique de lrsquoaphasique

- Trouble et trouble laquo associeacute raquo 11512 Un exemple suivra agrave propos de lrsquoeacutecriture Une

incoheacuterence apparemment semblable dans lrsquoeacutecriture ne sera pas expliqueacutee de la mecircme

maniegravere lorsqursquoelle est associeacutee agrave un tableau drsquoaphasie et lorsqursquoelle est associeacutee agrave des

incoheacuterences dans la manipulation de divers outils crsquoest-agrave-dire dans le cadre drsquoune atechnie

Ailleurs JG insistera sur le fait que lrsquoobservation du seul langage ne suffit pas agrave diffeacuterencier la

fabulation (neacutevrotique) et le deacutelire (psychotique)26

- Thegraveme des laquo compensations raquo et des laquo reacutesistances raquo 1211-4 Ainsi un aphasique de

Wernicke tentera de compenser son manque de maicirctrise des diffeacuterences lexicales en ayant

recours agrave des peacuteriphrases (Abeille) laquo Crsquoest un oiseauhellip un oiseau de chez noushellip un oiseau agrave

miel quoi raquo Olivier Sabouraud Le langage et ses maux p 9527

- Thegraveme de laquo lrsquoobjectiviteacute raquo en sciences humaines 1214 Lrsquohumain tente drsquoobjectiver de

lrsquohumain Ce thegraveme est bien connu en sociologie le sociologue ne cesse pas drsquoecirctre un acteur

social sa preacutesence elle-mecircme dans un groupe peut modifier les relations agrave lrsquointeacuterieur du

groupe et biaiser son analyse Crsquoest aussi vrai sur les autres plans de la rationaliteacute y compris du

test aupregraves des aphasiques Le test laquo reacutevegravele raquo en partie la maniegravere de raisonner de

lrsquoobservateur et laquo nie raquo en cela ce qui speacutecifie le raisonnement du malade Cet effet de

projection est agrave prendre en compte

26 Jean Gagnepain 1985 laquo Clinique du deacutelire clinique de la fabulation raquo La psychiatrie franccedilaise

27 Cette personne eacutetait originaire du Val de Loire reacutegion ougrave lrsquoon deacutenomme lrsquoabeille laquo mouche agrave miel raquo ou laquo avette raquo Cf Jules Gillieacuteron 1918 Geacuteneacutealogie des mots qui deacutesignent lrsquoabeille

30 Une lecture de Jean Gagnepain

On peut aussi comprendre en termes de dialectique entre implicite et explicite la formule

laquo Le pheacutenomegravene reacutevegravele moins [le fait] qursquoil ne le nie raquo Le pheacutenomegravene directement constateacute en

lrsquooccurrence la parole de lrsquoaphasique en recherche de sens laquo nie raquo par les compensations qursquoil

preacutesente le trouble de la grammaire implicite qui est le laquo fait raquo que le clinicien cherche agrave

circonscrire

Suit la critique drsquoune attitude qui consisterait agrave additionner de la neurologie et de la linguis-

tique (des langues par ex) sans les remettre en cause sans comprendre que la speacutecificiteacute des

sciences humaines oblige agrave revoir la deacutemarche de lrsquoune et de lrsquoautre 122 Il ne srsquoagit pas de

mettre la linguistique dans le prolongement de la neurologie en croyant au laquo caractegravere uni-

voque de la relation de la culture et de lrsquoactiviteacute neuronale raquo 123 comme si la premiegravere eacutetait

un chapitre suppleacutementaire de la biologie classique (Voir plus loin notre Intermegravede 2)

laquo Les fonctions supeacuterieures ou mentales ne sont pas seacuteparables du corps du seul fait

qursquoelles nous distinguent de lrsquoanimal raquo 123 Cette phrase formule clairement le fait que la

theacuteorie de la meacutediation nrsquoest pas une anthropologie dualiste En ce sens elle nrsquoest pas

carteacutesienne JG utilisera ailleurs (et plus tard) le terme drsquoanthropo-biologie Ceci est un point

important agrave comprendre car lrsquoopposition laquo nature culture raquo pourrait laisser penser agrave tort agrave

un dualisme Pour JG la culture est une aptitude particuliegravere que permet la biologie de notre

espegravece agrave savoir lrsquoaptitude agrave la rationaliteacute Cette derniegravere est biologiquement conditionneacutee

Pour autant sa singulariteacute reacutesumeacutee par ce terme de laquo rationaliteacute raquo demande une

modeacutelisation diffeacuterente de celle que la biologie classique a eacutelaboreacutee pour expliquer les

fonctions et comportements y compris chez homo sapiens

JG forme lrsquohypothegravese que la neurologie agrave venir (nous sommes en 1980) permettra de

trouver laquo le conditionnement ceacutereacutebral raquo des pathologies psychiatriques 1233-7 La recherche

de la laquo localisation raquo recherche anatomique nrsquoest qursquoun aspect de la neurologie laquelle est

aussi une recherche de la laquo physiologie raquo du cerveau de sa biochimie et biophysique

(eacutelectrique) JG utilisait lrsquoexpression familiegravere suivante laquo On nrsquoest jamais malade que de sa

viande raquo Seule laquo helliplrsquoignorance raquo (de ce type de faits jusqursquoagrave preacutesent) relegravegue psychoses et

neacutevroses dans un laquo splendide isolement raquo

Je reviens sur la fin de la phrase laquo Les fonctions dites supeacuterieures ou mentales ne sont point

seacuteparables du corps du seul fait qursquoelles nous distinguent de lrsquoanimal raquo Attention au

contresens JG ne veut pas dire que lrsquohomme nrsquoest pas un animal Homo sapiens est un

animal parmi drsquoautres Il veut dire qursquoil est preacuteciseacutement laquo speacutecifieacute raquo de deux faccedilons Drsquoune

part conformeacutement agrave la notion biologique drsquoespegravece par des comportements particuliers qui

sont explicables par la biologie geacuteneacuterale de lrsquoanimaliteacute nous avons une gueule et un squelette

particuliers (anatomie) et une physiologie particuliegravere y compris de la perception de la

praxie de la meacutemoire ou de lrsquoaffect Et drsquoautre part Homo sapiens est laquo speacutecifieacute raquo par un

type laquo drsquoaptitude geacuteneacuterale raquo de laquo faculteacute raquo qui demande un autre mode drsquoexplication

irreacuteductible au preacuteceacutedent la rationaliteacute (ou culture) elle-mecircme eacuteclateacutee en quatre registres

JG se conforme agrave tort ou agrave raison agrave une terminologie courante qui distingue laquo lrsquoanimal raquo et

laquo lrsquohomme raquo Dans ces gloses je veille pour ma part agrave utiliser agrave propos de laquo lrsquohomme raquo (espegravece

animale) le terme laquo humain raquo pour deacutesigner ce qui relegraveve de la culture Il y a dans lrsquohomme de

Discours et meacutethode 31

laquo lrsquohumain raquo objet des sciences de la culture et aussi de lrsquoanimaliteacute speacutecifique objet de la

biologie de lrsquohomme28

laquo La psychologie de ce point de vue nest quun mythe ou dans le meilleur des cas un

chapitre mdash ducirct-il la bouleverser mdash de la biologie raquo 123

Ambiguiumlteacute du terme laquo psychologie raquo Entendu dans un sens eacutetymologique comme laquo science

de lrsquoesprit raquo et dans un cadre dualiste (philosophique) qui seacutepare radicalement corps et

laquo esprit raquo crsquoest un mythe Dans une perspective moniste lrsquoobligation qursquoa la psychologie de

rendre compte de sa relation agrave la biologie demande un renouvellement de la deacutefinition mecircme

de la biologie Cette reacutevolution conceptuelle nrsquoest pas faite selon JG puisque la biologie tend

toujours agrave ramener la culture agrave ce qursquoelle comprend des fonctions naturelles donc agrave en nier la

speacutecificiteacute Ceci inclut eacutevidemment lrsquoeacutethologie et ce qursquoon appelle aujourdrsquohui laquo les sciences

cognitives raquo

Apregraves avoir traiteacute de lrsquoattitude des biologistes et des meacutedecins JG porte un regard critique

sur les diverses laquo psychotheacuterapies raquo 124

laquo Ihomeacuteotheacuterapie raquo 124 Le terme prend un sens particulier agrave lrsquoauteur fondeacute sur le grec

laquo homoios raquo (semblable) laquo Lrsquoexcegraves raquo (de ce qursquoil appelle laquo la faune parameacutedicale raquo) consiste agrave

eacutetendre abusivement au champ des theacuterapies la porteacutee de lrsquoexplication laquo litteacuteraire raquo Jacques

Lacan est ici viseacute Autrefois on imputait familiegraverement agrave la lune une influence morbide On

aurait seulement changeacute drsquoimaginaire et de formulation Les laquo Nuits raquo 124 sont un groupe de

quatre poegravemes drsquoAlfred de Musset

laquo Entendons-noushellip raquo 125 et 131 JG preacutecise ce qui distingue le theacuterapeute et

laquo lrsquoanthropologue clinicien raquo Lrsquoun traite la maladie laquo le meacutedecin sera toujours le seul

theacuterapeute raquo Lrsquoautre cherche agrave expliquer Il faut toujours garder en meacutemoire que la clinique

est pour Jean Gagnepain un lieu et une meacutethode drsquoexplication exclusivement sans aucune

preacuteoccupation theacuterapeutique

laquo De celui que nous proposonshellip il devra rester le garant raquo 131 Paraphrase laquo Le

theacuterapeute devra rester le garant du modegravele mecircme srsquoil nrsquoen est pas lrsquoauteur raquo lequel auteur

reste Jean Gagnepain

Le pouvoir heuristique de la clinique

Je regroupe maintenant trois propos centreacutes sur le thegraveme du pouvoir heuristique particulier

de la clinique 131

laquo Notre postulat est] de nadmettre et de nimputer au systegraveme dautres dissociations que

celles qui sont pathologiquement veacuterifiables raquo Crsquoest laquo seulement le trouble du fonctionnement

qui permet gracircce agrave lrsquoexamen drsquoen seacuteparer les processus raquo Ainsi que plus haut laquo Je tiens quil

nest en matiegravere de culture dautre expeacuterience que clinique raquo 115

Ces trois propos ont en commun drsquoecirctre restrictifs dans le but manifeste de souligner

lrsquoapport privileacutegieacute de la clinique agrave lrsquoanthropologie et lrsquooriginaliteacute de la TdM Cependant il ne

28 Cf Patrice Gaborieau et Laurence Beaud 2016 laquo Lrsquoarbre qui cache la forecirct De lrsquoorigine du langage agrave la speacutecificiteacute de lrsquohumain raquo Teacutetralogiques ndeg21 Existe-t-il un seuil de lrsquohumain p135-169 Numeacutero teacuteleacutechargeable sur httpwwwressourcesuniv-rennes2frciaphstetralogiques

32 Une lecture de Jean Gagnepain

faut pas non plus y voir une sorte de slogan geacuteneacuteral sur le mode laquo Hors de la clinique point de

salut raquo29

En effet JG parle ici laquo drsquoexpeacuterience raquo en un sens particulier Nrsquooublions pas que la culture

est pour lui laquo une formalisation incorporeacutee raquo 65 Il veut donc dire que seule la pathologie

laquo deacutecoupe raquo la reacutealiteacute culturelle normalement veacutecue globalement La pathologie est seacutelective

elle nrsquoaffecte lrsquohumain que partiellement Et crsquoest le seul moyen selon lrsquoauteur drsquoobserver une

dissociation factuelle des processus culturels 131 Tout le travail consiste agrave savoir en quoi

consiste ce deacutecoupage

Cela dit toute mise agrave lrsquoeacutepreuve drsquoune hypothegravese sur un comportement culturel ne relegraveve

pas de ce qursquoil entend ici par laquo expeacuterience raquo Les sciences humaines ne se reacuteduisent pas agrave cette

laquo expeacuterience raquo clinique JG lui-mecircme ne se prive pas drsquoavoir abondamment recours dans sa

theacuteorie du signe agrave lrsquoobservation du fonctionnement normal Ici peut srsquoouvrir un deacutebat dans

lequel je nrsquoentrerai pas sur ce qursquoon entend par laquo meacutethode expeacuterimentale raquo en sciences

humaines et plus geacuteneacuteralement sur la relation entre laquo explication raquo et meacutethode

expeacuterimentale

Trois deacutetails du texte demandent attention en 131

- Le terme laquo dissociations raquo est ici geacuteneacuterique et ne deacutesigne pas seulement la dissociation

des quatre plans de meacutediation que propose le modegravele Il renvoie agrave lrsquoensemble des processus

culturels tels que les laquo phases axes et faces raquo qui seront preacutesenteacutes par la suite

- Le terme laquo postulat raquo a le sens drsquohypothegravese geacuteneacuterale servant de fondement au modegravele ici

agrave sa meacutethodologie mais qui relegraveve du critegravere de reacutefutabiliteacute comme toute hypothegravese

- Ceci mrsquoamegravene au terme laquo veacuterifiables raquo JG utilise le terme de laquo veacuterification clinique raquo agrave

propos de la mise agrave lrsquoeacutepreuve de ses hypothegraveses Voir supra le commentaire de 114 Les

eacutetudes cliniques meneacutees dans le cadre de la TdM proposent une meacutethodologie qui preacutesente

une alternative entre confirmation et reacutefutation drsquoune hypothegravese dans une dynamique

constante entre theacuteorie et tests30

De la nature

laquo hellipIl serait artificiel de preacutetendre abstraire la dialectique [culturelle] de la nature qui en est

bel et bien le premier moment raquo 132 Il srsquoagit de deacutefinir le statut de la nature (biologique)

dans la dialectique La dialectique de la culture part du laquo premier moment raquo qursquoest la nature

(laquo Empyreacutee raquo = domicile des dieux) Encore une fois il est important de ne pas donner au

terme laquo moment raquo le sens laquo drsquoeacutetapes raquo mais celui de position dans la dialectique

laquo Crsquoest lagrave [dans sa nature] que lrsquohumain srsquoarticule que le seuil ou non se franchit dune

Gestalt ou totaliteacute positive eacuteventuellement traitable par seacuteriation agrave la structure qui deacutefinie sur

la seule base doppositions et de contrastes na dautre statut que formel raquo

Lire ainsi expliquer lrsquohumain suppose le laquo franchissement dlsquoun seuil raquo le passage drsquoun ordre

drsquoexplication agrave un autre entre drsquoune part lrsquoaptitude naturelle agrave la laquo Gestalt raquo et drsquoautre part

29 En amorce de deacutebat lire Jean-Claude Schotte La raison eacuteclateacutee laquo Il arrive agrave certains penseurs de preacutetendre qursquoune anthropologie ne peut ecirctre scientifique qursquoagrave la seule condition drsquoecirctre clinique (hellip) Personnellement nous ne deacutefendrons pas cette convictionhellip raquo p70 laquo Le recours agrave la clinique nrsquoest pas une garantie de scientificiteacute car la penseacutee clinique nrsquoest qursquoune penseacutee elle peut ecirctre scientifique comme elle peut ecirctre mythique raquo p 86

30 Sur la meacutethodologie de lrsquoapproche clinique et sa neacutecessaire dynamique on lira avec profit Attie Duval-Gombert amp Christine Le Gac-Prime 1997 laquo Du modegravele Theacuteorie et clinique La neacutecessiteacute de leur reacuteciprociteacute raquo Teacutetralogiques 11 Souffrance et discours Rennes Les PUR p 173-190

Discours et meacutethode 33

lrsquoaptitude culturelle agrave la laquo structure raquo Le terme de laquo Gestalt raquo fait penser ineacutevitablement au

sens que lui donne la psychologie de la perception agrave savoir la capaciteacute cognitive agrave percevoir

une laquo entiteacute raquo comme une laquo globaliteacute raquo deacutelimiteacutee par son contraste avec un laquo fond raquo Jrsquoeacutevite ici

le terme de laquo forme raquo agrave cause de la suite Mais JG lrsquoassocie au laquo semeion raquo aristoteacutelicien qui

implique un indice et un meacutecanisme drsquoinfeacuterence31 Le terme laquo positif raquo est le terme important

Cette positiviteacute est laquo traitable par seacuteriation raquo 132 Lrsquoauteur anticipe ici la notion de symbole

ougrave une laquo entiteacute raquo gestaltique perccedilue agrave un moment donneacute renvoie par association ou contiguiumlteacute

agrave une autre entiteacute non perccedilue (infra 252) La fumeacutee visible au loin fait penser au feu mecircme

invisible laquo Aliquid stat pro aliquo raquo dit-on depuis lrsquoAntiquiteacute (mais comme une deacutefinition du

laquo signe raquo ndash lagrave est lrsquoerreur)

laquo La structure deacutefinie sur la seule base drsquooppositions et contrastes nrsquoa de statut que

formel raquo La structure est purement constitueacutee drsquoeacuteleacutements deacutefinis laquo neacutegativement raquo les uns par

rapport aux autres (Saussure) Le terme de laquo neacutegativiteacute raquo signifie que crsquoest la deacutelimitation qui

creacutee lrsquoeacuteleacutement et non lrsquoentiteacute globale comme dans un fait de gestalt Soit la meacutetaphore du

filet crsquoest le fil qui fait la maille Celle-ci est un espace vide et neacuteanmoins deacutefini Attention

aussi agrave la polyseacutemie du terme de laquo forme raquo qui est ailleurs la traduction usuelle de laquo Gestalt raquo

La laquo forme raquo gestaltique est un contenu global homogegravene laquo saillant raquo par rapport agrave un fond

La laquo forme raquo structurale est un cadre de deacutelimitations vide en son inteacuterieur

laquo La collaboration dun partenaire sans qui le passeacute la montreacute nous serions condamneacutes agrave

la dichotomie raquo 132 Le partenaire est le biologiste voire le laquo psychologue raquo de la Gestalt ou

le pheacutenomeacutenologue Sans la prise en compte du fait biologique comme premier moment de la

dialectique culturelle on serait conduit agrave ne concevoir qursquoun dualisme laquo corps ndash esprit raquo ou

laquo nature ndash culture raquo ce dont teacutemoigne lrsquohistoire de la philosophie

2 Lrsquoapport des aphasies

JG refuse de distinguer laquo une linguistique pour ainsi dire ‟sans qualiteacutesrdquo raquo drsquoune

laquo ‟neurolinguistiquerdquo qui se contenterait de lrsquoexploiter raquo 133 Pour lui la seule laquo linguistique raquo

ou plus exactement la laquo glossologie raquo doit ecirctre clinique

Une linguistique laquo Sans qualiteacutes raquo JG reprend ici le titre de lrsquoouvrage de Robert Musil (Der

Mann ohne Eigenschaften) comme synonyme drsquoune laquo linguistique geacuteneacuterale raquo voueacutee agrave la

theacuteorisation des langues

Une neurolinguistique laquo hellipqui se contenterait de lexploiter raquo Critique drsquoune

neurolinguistique qui emprunterait un modegravele issu de la linguistique geacuteneacuterale (des langues)

pour tenter drsquoobserver le comportement aphasique sans remettre en question un tel modegravele

et tout particuliegraverement la confusion constante entre le plan du logos et celui du social

laquo Point de theacuteorie sans pratique et reacuteciproquementhellipthinspraquo Tout systegraveme laquo helliptire ses

deacutecouvertes de sa propre rigueur raquo JG met en balance les deux aspects de la deacutemarche

scientifique Drsquoun cocircteacute neacutecessiteacute drsquoune pratique et de lrsquoautre neacutecessiteacute drsquoun modegravele

theacuteorique rigoureusement coheacuterent

Dans la suite du texte sous le nom de laquo bilan raquo 134 JG expose successivement drsquoun

point de vue clinique les grandes articulations de sa theacuteorie du signe qui vise agrave expliquer laquo ce

que Dire veut dire raquo (Cf Quand dire crsquoest dire titre de lrsquoouvrage de Reneacute Jongen De Book

31 Aristote Organon Peri Hermeneias (De lrsquoInterpreacutetation) 16a 4

34 Une lecture de Jean Gagnepain

1994) Agrave savoir la dialectique (la bipolariteacute grammaire rheacutetorique) lrsquoexistence et la relation

entre deux laquo faces raquo du grammatical (distinction issue des concepts de laquo signifieacute et de

signifiant raquo chez Saussure) et la distinction entre deux axes drsquoanalyse analyse diffeacuterentielle et

segmentale

laquo Le constathellip que lrsquoaphasique nrsquoest point muet nrsquoavait jamais trouveacute qursquoune pseudo-

explication dans la dissociation automatico-volontaire raquo 134 Il srsquoagit drsquoune observation

classique un malade peut produire un propos laquo coheacuterent pour lrsquoobservateur raquo srsquoil est eacutemis

spontaneacutement mais pas en reacuteponse agrave une question Tel aphasique de Wernicke ne peut

reacutepondre agrave la question laquo Comment srsquoappelle votre mari raquo puis se tourne vers lui et lui dit

laquo Mon pauvre Jean je ne trouve mecircme plus ton nom raquo La laquo dissociation raquo en question reacutesume

lrsquoobservation et John Hughlings Jackson qui lrsquoa promue pensait que ce paradoxe eacutetait heuris-

tique parce qursquoil montrait le contraste entre un fait pathologique cacheacute et la reacutesistance au

trouble sous la forme drsquoautomatismes JG y voit une laquo pseudo-explication raquo sans doute en ne

srsquoattachant qursquoagrave la formule elle-mecircme

La dialectique et la bipolariteacute Apport des aphasies

laquo Si la faculteacute (hellip) qui reste au malade drsquoeacutemettre et drsquoentendre du son voire drsquoy faire

globalement correspondre un sens nrsquoest point (hellip) inaccessible agrave lrsquoanimal elle suffit [au

malade] pour qursquoon puisse continuer en situation agrave deacutesigner ce qursquoon ne signifie plus raquo 134

Lrsquoaphasique conserve lrsquoaptitude naturelle agrave infeacuterer drsquoun son ou drsquoun geste une autre informa-

tion que JG appelle laquo symbole raquo Donc il se peut que la situation lui permette drsquoassocier

laquo verre raquo agrave lrsquoobjet sans que cela soit pour lui un laquo mot raquo mais seulement un symbole Ce qui

en revanche fera deacutefaut agrave lrsquoaphasique crsquoest la possibiliteacute de jouer de la polyseacutemie du mot

laquo verre raquo hors situation car la maicirctrise de lrsquoimproprieacuteteacute grammaticale lui fait deacutefaut

Cela dit ce passage introductif preacutesente certaines approximations corrigeacutees par la suite

Premiegravere approximation Le deacutebut de la phrase deacutecrit la relation naturelle dans le symbole

entre ce que JG appellera plus loin laquo lrsquoindice raquo et son laquo sens raquo (146 151 252 et sq) Le

terme laquo sens raquo ne relegraveve pas ici de la laquo seacutemantique raquo crsquoest-agrave-dire de la laquo deacutesignation raquo dans la

dialectique du signe ou du laquo sens raquo conceptuel tel qursquoon lrsquoentend drsquoordinaire Ce passage ne

retrouve sa coheacuterence que si lrsquoon rend le terme laquo deacutesigner raquo synonyme de laquo pointer du

doigt raquo Le malade fait preuve de symbolisme et non de signification Seconde approximation

JG observe par ailleurs que lrsquoaphasique nrsquoest atteint que dans une partie de la grammaire

selon qursquoil est de type Broca ou Wernicke et que cela lui permet de compenser Par

conseacutequent tout aphasique est capable drsquoun raisonnement seacutemantique (tronqueacute) sur la base

de ce qui lui reste de grammaire Crsquoest cette seacutemantique qui est deacutefinie plus loin comme la

capaciteacute culturelle de laquo deacutesignation raquo et non la capaciteacute naturelle de symbole Par ailleurs le

fait que les observations portent en geacuteneacuteral sur des images drsquoobjets fabriqueacutes standardiseacutes est

agrave prendre en compte La performance du malade est faciliteacutee du fait qursquoil conserve intacte sa

laquo saisie raquo des structures techniques et des conventions

Lrsquoaphasique laquo hellipperd justement lrsquoimproprieacuteteacute gracircce agrave laquelle il la classe ou lengendre raquo

142 Paraphrase laquo Gracircce agrave lrsquoimproprieacuteteacute le signe classe et engendre ce qursquoil dit raquo Crsquoest-agrave-

dire La capaciteacute de laquo dire raquo de par la capaciteacute drsquoanalyse implicite (la grammaire) transforme

lrsquoexpeacuterience en abstraction Ce qui est dit est deacutelimiteacute qualitativement par ce qui pourrait ecirctre

dit autrement le concept reacutesulte drsquoun classement Et tout propos est deacutelimiteacute quantitative-

ment par ce qui le seacutepare de ce qui pourrait ecirctre dit en plus lrsquoeacutenonceacute reacutesulte drsquoun

Discours et meacutethode 35

engendrement Le laquo ou raquo drsquoalternative est lagrave pour rappeler que lrsquoune des aphasies affecte

seacutelectivement laquo le classement raquo et lrsquoautre seacutelectivement laquo lrsquoengendrement raquo Ce dernier

terme calque lrsquoanglais laquo to generate raquo populariseacute par Noam Chomsky

laquo Ce nest point le stockage ou la reacutepeacutetition qui chez lui sont atteints non plus que laptitude

agrave hieacuterarchiser concepts ou propositions mais bien celle danalyser cest-agrave-dire de structurer

des mots raquo 143 JG eacutenumegravere des proprieacuteteacutes du message lieu notamment du raisonnement

seacutemantique Lrsquoaphasique reste capable drsquoun tel raisonnement qui est de lrsquoordre de lrsquoexplicite

Ce qui est perdu dans lrsquoaphasie est de lrsquoordre de la structure formelle des laquo mots raquo (ou des

phonegravemes) Une telle formulation dans sa geacuteneacuteraliteacute peut sembler contradictoire avec la

thegravese de la dialectique en ce sens que toute seacutemantique suppose une grammaticaliteacute et

reacuteciproquement Lrsquoobservation est cependant exacte parce que lrsquoaphasique ne perd qursquoune

partie de la grammaticaliteacute et compense la perte drsquoun des axes drsquoanalyse par lrsquoanalyse qui

reste intacte

La distinction des deux faces Apport des aphasies

laquo Encore quehellip raquo 144 JG parle dans ce passage de la distinction entre aphasie phono-

logique et aphasie seacutemiologique Ces deux termes distinguent ce que Saussure appelait les

deux laquo faces du signe raquo meacutetaphore imageacutee du recto et du verso drsquoune piegravece de monnaie ou

drsquoune feuille de papier En termes scolaires actuels il y aurait drsquoun cocircteacute la structure des

phonegravemes et de lrsquoautre ce que lrsquoon regroupe sous les appellations de lexique morphologie et

syntaxe agrave savoir dans le vocabulaire de la glossologie lrsquoensemble des faits grammaticaux

laquo seacutemiologiques raquo

Lrsquoallusion agrave la distinction classique laquo aphasies sensorielle ou motrice raquo est quelque peu

surprenante puisqursquoelle est plutocirct synonyme drsquoaphasie de Wernicke et drsquoaphasie de Broca

dans la litteacuterature neurologique La premiegravere est lieacutee agrave des leacutesions du lobe temporal proche

des zones auditives et des zones parieacutetales laquo postrolandiques raquo qui controcirclent la sensorialiteacute

La seconde est lieacutee agrave des leacutesions du lobe frontal en immeacutediate proximiteacute de la zone frontale

laquo preacuterolandique raquo responsable de la motriciteacute Par ailleurs une observation drsquoaphasiques

superficielle mais trompeuse montre que le Wernicke est bavard et le Broca taciturne Pour

JG tout cela ne relegraveve pas de lrsquoexplication des processus en cause

Jrsquoai eacutecrit volontairement laquo est lieacutee raquo dans cette reacutefeacuterence rapide agrave la neurologie de lrsquoeacutepoque

de lrsquoouvrage JG pour sa part srsquoappuie sur lrsquoobservation de ce qui est dit et non pas sur des

localisations ceacutereacutebrales qui sont lrsquoaffaire des neurologues Les neurologues actuels deacuteclarent

volontiers abandonner le laquo localisationnisme raquo et mettent en avant lrsquoorganisation en reacuteseau

des systegravemes neuronaux ainsi que la plasticiteacute neuronale voire lrsquoimportance sous-estimeacutee des

cellules gliales On peut au contraire soutenir que lrsquoengouement pour lrsquoimagerie ceacutereacutebrale est

une nouvelle forme de localisationnisme exacerbeacute32 Au lieu de localiser des zones on localise

des circuits (Voir infra lrsquointermegravede 2)

[On a souvent qualifieacute] laquo hellipdrsquoimmanencehellip raquo [la relation entre les deux faces du grammati-

cal] Saussure a insisteacute sur le fait que le fonctionnement du signe (du grammatical) eacutetait

interne laquo sui generis raquo Crsquoest pourquoi il a proposeacute deux neacuteologismes celui de laquo signifiant raquo

pour bien montrer qursquoil ne srsquoagit pas de son et celui de laquo signifieacute raquo parce qursquoil ne srsquoagit pas

32 Cf Hugues Duffau 2016 Lrsquoerreur de Broca Exploration drsquoun cerveau eacuteveilleacute eacuted Michel Lafon Encore faut-il faire la part de la provocation ou de la fausse eacutevidence dans le titre de cet ouvrage deacutemarqueacute de Lrsquoerreur de Descartes drsquoAntonio Damasio en 1995 Un jour viendra ougrave quelqursquoun drsquoautre eacutecrira laquo Lrsquoerreur de Duffau raquo

36 Une lecture de Jean Gagnepain

de sens On ne peut expliquer ni lrsquoun ni lrsquoautre par un critegravere externe agrave leur interaction Le

signifiant srsquoexplique par le signifieacute et le signifieacute par le signifiant Crsquoest pourquoi JG preacutefegravere le

terme de laquo reacuteciprociteacute raquo sans reacutecuser la notion drsquoimmanence (Une explication plus deacutetailleacutee

montrera comment on eacutechappe agrave la circulariteacute apparente du raisonnement)

laquo Ni le son ni le sens ne se deacutefinissant sur la base de leur contenu il faut bien que

chacun drsquoentre eux trouve dans lrsquoautre son critegraverehellip raquo 145 JG veut dire qursquoil parle du

signifiant (et non de son) et du signifieacute (et non de sens symbolique) crsquoest-agrave-dire de faits

grammaticaux Chaque face du grammatical laquo trouve dans lrsquoautre son critegravere raquo Il est bien

difficile de commenter rapidement ce passage qui reacutesume lrsquoexposeacute des pages 31-34 Je

propose ici un exemple pour chaque face Un bon peintre sait qursquoil faut appliquer

plusieurs couches de peinture Voici la premiegravere dans cette couleur Il y en aura drsquoautres

apregraves repos

(1) Une distinction de lrsquoordre du signifieacute est laquo gageacutee authentifieacutee raquo gracircce au critegravere de

DENOTATION qui consiste agrave repeacuterer un changement correacutelatif de phonegravemes je sais que le

couple laquo Je lui parle je leur parle raquo oppose un singulier agrave un pluriel parce que je constate le

changement correacutelatif des deux derniers phonegravemes (l)ɥi en (l)œr de ces morphegravemes

indicateurs par ailleurs de la 3e personne

(2) Une distinction de lrsquoordre du signifiant est laquo gageacutee authentifieacutee raquo par le critegravere de

PERTINENCE qui consiste agrave repeacuterer un changement correacutelatif de laquo mots raquo (qursquoil srsquoagisse de

lexique de morphologie ou de syntaxe) je sais que le phonegraveme a est distinct du phonegraveme

ε parce que je constate que le passage de lrsquoun agrave lrsquoautre provoque systeacutematiquement les

changements de laquo mots raquo suivants laquo rat raie il viendra il viendrait il en a il en est raquo etc

laquo (hellip) Il devient aiseacute par-lagrave dexpliquer la saisie alterneacutee de la marque tantocirct comme vecteur

du segraveme tantocirct comme la chaicircne de ses constituants raquo 145 Ex kanalize peut ecirctre envisageacute

(laquo saisi raquo) soit comme le laquo garant raquo de lrsquoidentiteacute du verbe laquo canaliser raquo au nom du critegravere de

deacutenotation soit comme lrsquoenchaicircnement de 8 phonegravemes dont il faudrait prouver la deacutefinition

par le critegravere de pertinence ce que ne permet pas cette seule observation Agrave strictement

parler ou bien on saisit laquo la marque raquo qui nrsquoexiste qursquoen tant que gage drsquoun eacuteleacutement ndash point

de vue du seacutemiologue ndash ou bien on saisit une laquo chaicircne raquo de phonegravemes crsquoest-agrave-dire une

multipliciteacute drsquoeacuteleacutements ndash point de vue du phonologue laquo Lrsquoalternative raquo tient agrave la solidariteacute des

deux faces ce qui est marque est fait de phonegravemes et le phonegraveme nrsquoest tel qursquoen raison de sa

laquo pertinence raquo

laquo On y verra largument qui permet deacutechapper aussi bien agrave lisomorphisme quagrave la double

articulation raquo 145

laquo hellipeacutechapper agrave lrsquoisomorphisme raquo il y a laquo isomorphisme raquo entre deux ordres diffeacuterents de

faits systeacutematiques quand ils preacutesentent tous les deux un paralleacutelisme dans leurs relations Il y

a isomorphisme dans le systegraveme coloreacute des feux de circulation agrave la triade de couleurs laquo vert ndash

orange ndash rouge raquo correspond respectivement la triade des injonctions laquo passage ndash attention ndash

arrecirct raquo En voici maintenant un exemple grammatical Certaines laquo paires minimales raquo (de mots)

utiliseacutees pour prouver une diffeacuterence de phonegravemes apparaissent comme un fait

drsquoisomorphisme en ce sens qursquoagrave une opposition eacuteleacutementaire phonologique correspond une

opposition eacuteleacutementaire seacutemiologique Ex lrsquoopposition u ne oslash est prouveacutee par la paire de

mots simples laquo houx raquo ne laquo œufs raquo et reacuteciproquement la diffeacuterence entre ces deux mots est

prouveacutee par la diffeacuterence de ces seuls deux phonegravemes Toutefois ceci est une deacutemonstration

Discours et meacutethode 37

trompeuse parce qursquoincomplegravete En effet ce nrsquoest qursquoun cas particulier non geacuteneacuteralisable et

jrsquoai artificiellement neacutegligeacute les homophones (Ou ougrave eux) Sinon le lexique ne comporterait

que des mots drsquoun seul phonegraveme soit en tout quelques dizaines de mots seulement

Lrsquoabsence drsquoisomorphisme entre phonologie et seacutemiologie est prouveacutee par les milliers

drsquoeacuteleacutements seacutemiologiques morphegravemes et lexegravemes qui sont construits avec plusieurs

phonegravemes deux dans laquo nous nœud sous ceux raquo une consonne srsquoajoutant pour construire

la marque du mot et plus bien entendu

laquo hellipeacutechapper agrave la double articulation raquo 145 Reacutefeacuterence est faite ici singuliegraverement agrave la

theacuteorie grammaticale drsquoAndreacute Martinet qui hieacuterarchise chacune des deux structures en

question Reacutefeacuterence est faite aussi plus geacuteneacuteralement agrave toute theacuteorie en laquo niveaux raquo

drsquoanalyse En laquo linguistique fonctionnaliste raquo (Andreacute Martinet) lrsquoanalyse possible en

laquo monegravemes raquo qui sont les eacutequivalents approximatifs des laquo segravemes raquo de JG ou identiteacutes

minimales seacutemiologiques sont pour cet auteur un premier niveau drsquoanalyse et lrsquoanalyse en

phonegravemes un second niveau Cette ideacutee repose sur le simple constat de la dimension

observable des eacuteleacutements envisageacutes Un mot est geacuteneacuteralement construit avec plusieurs

phonegravemes un phonegraveme est plus rarement le lieu drsquoimplantation de plusieurs laquo monegravemes

segravemes raquo Ce fait existe cependant on lrsquoappelle laquo amalgame raquo laquo a raquo dans laquo il en a raquo fusionne

plusieurs informations il srsquoagit (1) du verbe laquo avoir raquo et pas drsquoun autre (2) du preacutesent et pas

du futur laquo aura raquo (3) de la 3e personne (ne de laquo ai raquo) (4) drsquoun singulier de la personne (ne de

laquo ont raquo)

La position de JG est diffeacuterente et srsquoappuie sur deux arguments Drsquoune part il fait obser-

ver que le principe drsquoanalyse est le mecircme dans les deux cas et que chaque analyse requiert

eacutegalement un principe drsquoabstraction Ce sont donc deux aspects de la dialectique du signe

drsquoeacutegale importance Drsquoautre part il fait observer que chaque structure fournit agrave lrsquoautre le

moyen drsquoexister De cette reacuteciprociteacute entre faces JG conclut agrave une eacutegale importance et agrave

lrsquoinutiliteacute explicative de la notion de laquo niveau raquo au-delagrave des apparences

Ne perdons pas de vue la teneur du propos de JG Il fait ici un bilan de lrsquoapport pour la

linguistique de lrsquoexplication des aphasies En derniegravere instance ce qui agrave ses yeux deacutement une

hieacuterarchisation des deux faces en deux niveaux crsquoest le fait que lrsquoon ne peut pas hieacuterarchiser

une aphasie phonologique et une aphasie seacutemiologique Il srsquoagit de deux tableaux cliniques

distincts La premiegravere lorsqursquoil srsquoagit drsquoune aphasie de Wernicke a aussi eacuteteacute distingueacutee

classiquement sous le nom laquo drsquoaphasie de conduction raquo JG et O Sabouraud la deacutefinissent

comme une aphasie de Wernicke phonologique33

La dualiteacute des faces du signe srsquoorigine dans la dualiteacute du symbole 146 - 15 JG

reprend ici une deacutefinition meacutedieacutevale du symbole (classiquement toujours appeleacute

laquo signum raquo) laquo Aliquid stat pro aliquo raquo (Quelque chose est mis pour autre chose) Les

Grecs appelaient laquo suacutembolon raquo divers signaux de reconnaissance comme par exemple

un jeton casseacute en deux dont chaque partie eacutetait conserveacutee par deux familles ou deux

hocirctes en teacutemoignage drsquoamitieacute Le jeton devient laquo lrsquoindice raquo de ce lien social qui est son

laquo sens raquo La tradition philosophique remonte notamment agrave Guillaume drsquoOckham 34 et

33 Cf O Sabouraud Le langage et ses maux 114-128 138-139 etc

34 Moine franciscain philosophe et theacuteologien consideacutereacute comme repreacutesentant de lrsquoeacutecole scolastique nominaliste laquo Le rasoir drsquoOckham raquo est resteacute ceacutelegravebre et reacutefegravere agrave la proposition suivante (1319) laquo Pluralitas non est ponenda sine necessitate raquo (Une pluraliteacute ne doit pas ecirctre poseacutee sans neacutecessiteacute) In Quaestiones et decisiones in quatuor

38 Une lecture de Jean Gagnepain

passe par la Logique de Port-Royal (Arnault amp Nicole) laquo Car la mecircme chose pouvant ecirctre

en mecircme temps amp chose amp signe peut cacher comme chose ce quelle deacutecouvre comme

signe Ainsi la cendre chaude cache le feu comme chose amp le deacutecouvre comme signe thinspraquo

Roman Jakobson y fait reacutefeacuterence dans ses Essais de linguistique geacuteneacuterale p 162 Mais

contrairement agrave cette tradition qui en fait une proprieacuteteacute du signe (theacuteorie de la

laquo suppositio raquo du latin laquo sup-ponere raquo laquo mettre agrave la place de raquo) JG en fait une capaciteacute

cognitive naturelle accessible agrave drsquoautres espegraveces Crsquoest drsquoailleurs ainsi qursquoil rend compte

des performances des primates savants Attention donc agrave la terminologie y compris au

terme laquo sens raquo JG nrsquoutilise par la suite le terme laquo sens raquo qursquoen dehors du langage

comme synonyme de laquo direction viseacutee raquo que comporte le symbole Du texte de Port-

Royal JG ne retient que la fin lrsquohomme est capable laquo drsquoeacutevider raquo la vision de la cendre

(ce que JG appelle laquo lrsquoindice raquo) pour en infeacuterer la preacutesence du feu (ce qursquoil appelle laquo le

sens raquo) Ailleurs JG parlera du symbole comme de la capaciteacute laquo drsquoimaginaire raquo 252 sans

pour autant limiter cela agrave de la vision

laquo Crsquoest le principe mecircme de lrsquoarticulation [=analyse] qui lrsquoinstaure [le signe]hellip raquo 151 Crsquoest le

principe drsquoanalyse creacuteant une relation dialectique entre implicite et explicite grammaire et

rheacutetorique qui fait passer du symbole au signe (et donc au langage) et non pas la relation

laquo vectorielle raquo symbolique entre un indice sensible et lrsquoinformation qursquoil apporte par

laquo imagination raquo Le symbole a une orientation de lrsquoindice vers le sens en outre eacutetant seacuteriel il

peut ne pas se limiter agrave deux eacutetapes En revanche le signe est recentreacute sur lui-mecircme donc

strictement duel chaque face renvoyant agrave lrsquoautre qui lui fournit le critegravere de ses deacutelimitations

Le signe est laquo clos immanent raquo et biface

Le principe drsquoanalysehellip

laquo hellipcreacuteant le mecircme intelligiblehellip raquo La structure phonologique eacutetant structure abstraite au

mecircme titre que la structure seacutemiologique relegraveve aussi de laquo lrsquointelligible raquo et non du sensible

sonore Le phonegraveme ne srsquoentend pas il se comprend dans ce qursquoon entend Lrsquoaphasie

phonologique le montre bien ce nrsquoest un trouble ni de la perception ni de la prononciation

mais bien de la maicirctrise des deacutelimitations abstraites entre phonegravemes

laquo hellipne saurait eacuteconomiquement en ordonner les manifestations raquo cette critique renvoie agrave

la base du raisonnement quantitatif des theacuteories des niveaux raisonnement qui hieacuterarchise le

niveau des phonegravemes le niveau des mots voire le niveau des phrases gracircce agrave une

quarantaine de phonegravemes on peut construire laquo eacuteconomiquement raquo des milliers de mots avec

lesquels on peut construire eacuteconomiquement une infiniteacute de phrases JG privileacutegie dans son

explication le fait qursquoun mecircme principe de fonctionnement deacutefinit les deux faces

Les deux axes drsquoanalyse Apport des aphasies

laquo Trouble de similariteacute et trouble de contiguiumlteacute raquo 1526-7 Dans ce paragraphe JG reacutecuse

les deacutefinitions proposeacutees par Roman Jakobson dans laquo deux aspects du langage et deux types

drsquoaphasies raquo in Essais de linguistique geacuteneacuterale (laquo Nous lrsquoavons vu raquo reacutefegravere au propos tenu en

104 laquo les processus explicites de seacutelection et de preacutedication raquo)

laquo Lrsquointersection des deux capaciteacutes en lesquelles pathologiquement se reacutesout la

grammaire raquo 153 Seule la pathologie parce qursquoelle affecte seacutelectivement tel axe en

libros Sententiarum cum centilogio theologico livre II Variante laquo Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem raquo (il ne faut pas multiplier les entiteacutes sans neacutecessiteacute)

Discours et meacutethode 39

preacuteservant lrsquoautre laquo reacutesout raquo (= deacutecompose en ses parties) une grammaire qui fonctionne

globalement chez le normal

[Notre modegravele permet de lever la] laquo contradiction raquo qui consiste agrave qualifier laquo drsquoincoheacuterent raquo

lrsquoaphasique de Wernicke et laquo drsquoagrammatical raquo lrsquoaphasique de Broca 153 JG relegraveve ici

lrsquoincoheacuterence de la terminologie traditionnelle Pour lui la grammaire est atteinte dans les

deux aphasies Mais le Broca est autrement a-grammatique que le Wernicke et il ne srsquoagit pas

dans le cas du Wernicke drsquoune incoheacuterence seacutemantique mais drsquoune non-maicirctrise des limites

diffeacuterentielles qui donnent une identiteacute aux mots ou aux phonegravemes

laquo Dans le jargon et pour sen tenir au signifieacute la paradigmatique aboutit en labsence de

traitement lexical agrave fleacutechir le vocabulaire raquo Reacutesumeacute eacuteclair drsquoun bilan complexe drsquoobservations

drsquoaphasiques de Wernicke seacutemiologiques La thegravese est que le preacutetendu laquo jargon raquo ne

srsquoexplique que si lrsquoon se place agrave lrsquointersection des axes (des diffeacuterences et des seacuteparations) en

faisant la part de ce qui est perdu et de ce qui est conserveacute Ex de parler Wernicke [image

drsquoune lampe] laquo La pa la hope la lampe la bope la rope raquo Le malade conserve la maicirctrise de la

laquo dimension raquo qursquoa un nom ou un verbe comme le montre lrsquoarticle Mais dans cette laquo boicircte raquo

il deacutecline (il laquo fleacutechit raquo) une varieacuteteacute drsquoessais aleacuteatoires parce qursquoil ne situe pas lexicalement ce

qursquoil tente drsquoidentifier mais peut seulement srsquoappuyer sur une situation qursquoil tente de conce-

voir Dans la suite de lrsquoouvrage la partie grammaticale (laquo Structure et signification raquo) deacutefinira

plus preacuteciseacutement la diffeacuterence suggeacutereacutee ici entre le laquo lexique raquo (grammatical) et le laquo vocabu-

laire raquo (seacutemantique)

laquo [Chez le Broca] la syntaxe en labsence de traitement textuel de la phrase pousse la

redondance jusquagrave la steacutereacuteotypie raquo 1536-8 Il srsquoagit ici de lrsquoaphasie de Broca Il faut alors

inverser lrsquoexplication Lrsquoaphasique de Broca conserve la capaciteacute agrave distinguer une information

grammaticale drsquoune autre Mais il ne peut pas deacutevelopper son propos en une construction qui

met en relation plusieurs constituants noms et verbes La syntaxe normale met en jeu les

deux axes Une relation syntaxique suppose au moins deux laquo mots raquo par exemple un nom et

un verbe Cependant il nrsquoy a syntagme que si chaque partie est contrainte par lrsquoautre si bien

qursquoen construisant lrsquoun on connaicirct en partie la forme que doit avoir lrsquoautre Crsquoest ce que JG

appelle la laquo redondance raquo fondatrice de la syntaxe Ex laquo Les vacances arriveront raquo Il srsquoagit

drsquoune relation dite de laquo sujet raquo La relation impose au verbe final la preacutesence conjointe drsquoun

nom (agrave lrsquoexclusion drsquoun adverbe) et elle impose au nom anteacuteceacutedent la preacutesence drsquoune forme

verbale telle que le preacutefixe (laquo Elles- raquo) disparaicirct ainsi que lrsquoobligation drsquoune terminaison

plurielle du verbe (laquo -ont raquo) accordeacutee au nom Le preacutefixe laquo elles- raquo qui indique la personne

est obligatoire lorsque le verbe est dit tout seul et il subsiste lorsque lrsquoon juxtapose un nom et

un verbe laquo Les vacances elles arriveront raquo JG pousse alors agrave la limite ce principe de

redondance si ce qursquoon dit une fois ne peut plus que se reproduire tel quel il nrsquoy a plus de

deacuteveloppement drsquoune information multiple mais une reacutepeacutetition appeleacutee laquo steacutereacuteotypie raquo

Comme chez le malade princeps de Paul Broca M Leborgne qui ne pouvait plus que dire

laquo Tantanhellip tantanhellip tantan raquo

laquo Cela revenait agrave fonder dans un second degreacute de lautoformalisation et non plus dans la

seule intuition la possibiliteacute den admettre tant dans latteinte que dans la reacutecupeacuteration raquo

1538-10 Lire laquo en (admettre) = laquo (admettre) que subsiste de la forme grammaticale raquo JG

explique que lrsquoon continue drsquoobserver de lrsquolaquo autoformalisation raquo crsquoest-agrave-dire de la

grammaticaliteacute chez un aphasique Pourquoi cela Parce qursquoil y a deux axes en intersection Si

lrsquoon qualifie de laquo premier degreacute raquo la capaciteacute diffeacuterentielle et la capaciteacute segmentale on peut

40 Une lecture de Jean Gagnepain

appeler laquo second degreacute raquo ce que produit leur intersection ou plus preacuteciseacutement la laquo projec-

tion raquo drsquoune analyse sur lrsquoautre qui produit respectivement la capaciteacute de paradigme et celle

de syntagme Chaque aphasie reacutevegravele ce qursquoest chacun de ces processus par le fait mecircme que le

laquo second degreacute raquo de lrsquoaphasique est pathologique reacutesultant de lrsquointeraction drsquoune capaciteacute

intacte et drsquoune capaciteacute alteacutereacutee

Conclusion et preacutesentation du thegraveme de la 3e partie

Lrsquoanalyse laquo ne fait acception ni dehellip ni dehellip raquo 154 Le principe drsquoanalyse est le mecircme quels

que soient les phases les faces et les axes Par conseacutequent tout ce qui caracteacuterise cette ana-

lyse les deux faces et leur relation de reacuteciprociteacute ainsi que les deux axes est aussi laquo transpo-

sable raquo aux autres plans On retrouvera ces caracteacuteristiques dans les 3 autres plans Apregraves la

preacutesentation de lrsquoapport de la clinique agrave la theacuteorie du signe JG passe donc agrave lrsquoapport de la

clinique agrave la theacuteorie de lrsquooutil de la personne et de la norme Ce que nous deacutecouvrirons apregraves

une pause

Intermegravede 2 Neurones et langage

Il est leacutegitime de se demander quelle est lrsquoactualiteacute de ces observations cliniques

aujourdrsquohui compte tenu des deacuteveloppements de la neurologie contemporaine qui peut ajou-

ter agrave lrsquoobservation des leacutesions anatomiques par scanner (seules possibles en 1980) des

observations de la physiologie du cerveau non leacuteseacute ndash activiteacutes biochimiques et eacutelectriques ndash

par les techniques drsquolaquo imagerie meacutedicale raquo La psychologie dite laquo cognitive comportementa-

liste raquo utilise ces nouvelles technologies pour chercher des correacutelations entre lrsquoactiviteacute

ceacutereacutebrale et un ensemble maximum de laquo tacircches raquo humaines particuliegraveres qui toutes

srsquoappuient sur des deacutefinitions traditionnelles telles que laquo lecture de mots eacutevocation de mots

deacutenomination drsquoimages etc raquo en matiegravere de langage

Sur toutes ces questions le lecteur trouvera un historique et un bilan approfondi dans la

thegravese de Christine Le Gac 2013 Langage et cerveau Contribution de la deacutemarche

drsquoobservation clinique agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun modegravele explicatif des pheacutenomegravenes langagiers35 On

y trouvera notamment une preacutesentation critique des thegraveses cognitivistes exposeacutees par Sophie

Chomel-Guillaume Gilles Leloup et Isabelle Bernard Les aphasies-Evaluation et reacuteeacuteducation

qui tirent argument de lrsquoimagerie meacutedicale36

Une diffeacuterence fondamentale existe entre la perspective de JG et celle de ces auteurs Ces

derniers ne remettent pas en cause la notion ordinaire de langage qursquoils conccediloivent comme

un laquo code de communication raquo Il nrsquoest pas eacutetonnant qursquoagrave partir drsquoune notion aussi heacuteteacutero-

gegravene ils observent des correacutelations neuronales larges et variables Selon Christine Le Gac ils

peuvent donc conclure que laquo le langage est bien dans le cerveau mais non localiseacute raquo (p186)

Crsquoest ineacutevitable degraves lors que laquo les aphasies sont deacutefinies comme des ˮtroubles de la

communication par le langage secondaires agrave des leacutesions ceacutereacutebrales acquises entraicircnant une

rupture du code linguistiqueˮ raquo37 Au contraire JG dans ce traiteacute du laquo signe raquo remet en ques-

35 Le Gac Christine 2013 Langage et cerveau Contribution de la deacutemarche drsquoobservation clinique agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun modegravele explicatif des pheacutenomegravenes langagiers

36 Chomel-Guillaume Sophie Gilles Leloup et Isabelle Bernard 2010 Les aphasies-Evaluation et reacuteeacuteducation Paris Elsevier Masson

37 Le Gac Christine 2013 ibidem p 186 laquo Dans cette perspective le langage nrsquoa pas vraiment drsquoidentiteacute il est ˮcomplexeˮ et lrsquoon comprend bien qursquoil devienne difficile de deacutefinir preacuteciseacutement les aphasies et aussi de dresser

Discours et meacutethode 41

tion lrsquoensemble de ces notions et relie la distinction des leacutesions preacute- et post-rolandiques ndash qui

eacutevidemment existe toujours ndash non au laquo langage raquo notion qui nrsquoa plus de sens pour lui mais

tregraves speacutecifiquement agrave la distinction des capaciteacutes taxinomique et geacuteneacuterative et des deux faces

du grammatical Derriegravere le terme laquo drsquoaphasies raquo et de laquo langage raquo lrsquoune et lrsquoautre de ces

approches ne parlent pas du tout de la mecircme chose

Autrement dit la place respective des faculteacutes humaines dont celle de dire et du cerveau

est laquo inverse raquo dans lrsquoune et lrsquoautre perspective Jean Gagnepain prend le savoir meacutedical pour

ce qursquoil est (agrave son eacutepoque) et nrsquoentend pas en faire une question en revanche il remet en

cause autant que possible le savoir des sciences humaines et singuliegraverement celui des diverses

laquo linguistiques raquo Il ne srsquointeacuteresse pas agrave la leacutesion aphasique mais agrave ce que dit le malade Le

raisonnement de lrsquoaphasique est le point de deacutepart et lrsquoarriveacutee est une remise en cause du

savoir des linguistes et une mise agrave lrsquoeacutepreuve du modegravele explicatif qursquoil eacutelabore

Le cognitiviste inversement recherche la trace dans le cerveau de lrsquoexeacutecution de tacircches

deacutefinies agrave partir de notions traditionnelles non discuteacutees Ce faisant il apprend du nouveau sur

le cerveau mais il est douteux qursquoil puisse en retour mettre agrave lrsquoeacutepreuve lrsquoideacutee qursquoil se fait de ce

qursquoest le dire humain Le cognitiviste qui part drsquoune theacuteorie des niveaux les retrouve agrave

lrsquoarriveacutee Tout au plus srsquoil postule une correacutelation ou un isomorphisme entre telle localisation

(ou activiteacute physiologique) neuronale et telle tacircche il conclura agrave un eacutemiettement des faits

cognitifs deacutefinis chacun par un reacuteseau particulier de reacuteaction physiologique

Une question reste cependant ouverte peut-on deacutefinir une meacutethodologie qui relie drsquoune

part le projet glossologique de Jean Gagnepain en sciences humaines qui est hypotheacutetico-

deacuteductif agrave lrsquoexploitation de lrsquoobservation par lrsquoimagerie informatiseacutee de lrsquoancrage neuronal

de ce que dit un sujet normal Que peut-on tester ainsi

3 Apport de la clinique des aphasies agrave la compreacutehension des autres plans culturels

La deacutemarche de dissociation des plans et de preacutesentation de ces plans part chaque fois de

lrsquoobservation de malades aphasiques Le clinicien nrsquoy observe plus le trouble aphasique lui-

mecircme mais tente de rendre compte des reacutepercussions de ce trouble sur les autres aspects de

son comportement son rapport agrave lrsquooutil sa relation au soignant son rapport agrave lrsquoeacutechec ou agrave la

faute

laquo La katharsis de la forme qui le speacutecifie ne suffit pas agrave assurer la parfaite homogeacuteneacuteiteacute de

lobjet raquo 155 Phrase difficile En premiegravere analyse le pronom laquo le raquo renvoie agrave laquo objet raquo qui

lui-mecircme reacutefegravere au laquo langage raquo terme mentionneacute dans le paragraphe preacuteceacutedent ndash cf laquo dans le

cas du langage raquo 154 ndash et auquel renvoient tous les laquo le raquo de la fin de la phrase conclue par

laquo du langage ndash puisque nous en parlons raquo 155 Quant au terme de laquo catharsis raquo il signifie ici

que la meacutethode utiliseacutee vise agrave laquo clarifier raquo (grec κάθαίρω) Crsquoest en effet agrave une dissociation

clinique et critique de la notion de langage que procegravede J G Il introduit de cette faccedilon agrave la

notion geacuteneacuterale de laquo meacutediation raquo par le biais du langage

J G considegravere que sa deacutemarche intellectuelle en ce qursquoelle introduit le principe de forme

et celui de dissociation des plans et qursquoelle oblige ainsi agrave deacuteconstruire la notion traditionnelle

leurs seacutemiologies Drsquoautant que srsquoajoutent de nouveaux facteurs dont on ne sait pas vraiment srsquoils sont intrinsegraveques ou extrinsegraveques au langage qui y participent en tous cas tels la pragmatique ou le rocircle des eacutemotions raquo

42 Une lecture de Jean Gagnepain

de laquo langage raquo est une deacutemarche laquo cathartique raquo parce qursquoelle permet de laquo voir plus clair raquo et

de se libeacuterer des confusions drsquoune approche substantielle La clinique en tant qursquoelle permet

drsquoobserver cette laquo deacute-composition raquo de la forme dans la pathologie est une voie drsquoaccegraves agrave la

deacutefinition des proprieacuteteacutes de la rationaliteacute et participe de cette catharsis

Apregraves avoir montreacute que la clinique permettait de faire eacutemerger un modegravele de la rationaliteacute

laquo avec ses phases faces et axes raquo sur le plan glossologique il veut montrer que lrsquoobservation

clinique de ce qursquoon appelle usuellement laquo langage raquo permet aussi de laquo sortir raquo de ce dernier

et de donner accegraves aux autres laquo plans raquo drsquoanalyse dont le principe nrsquoest pas langagier mecircme

si le langage est concerneacute par incidence dans ces autres types de pathologies

De ce que le principe drsquoanalyse caracteacuterise le langage il ne faut pas conclure que lrsquohumain

en lrsquohomme se reacuteduise agrave cette aptitude agrave lrsquoanalyse langagiegravere ni que le langage se reacuteduise agrave la

dialectique grammatico-rheacutetorique qui le speacutecifie Ce serait accepter le laquo globalisme existentiel

dont il [le langage] nous apparaicirct concregravetement greveacute raquo 155 Le principe drsquoanalyse srsquoapplique agrave

des registres distincts de capaciteacutes La clinique le montre JG reste ici observateur du

laquo langage raquo mais il est ameneacute agrave constater lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute de ce que ce terme deacutesigne

Autrement dit le langage manifeste les quatre plans de la rationaliteacute les quatre modes

drsquoanalyse Lrsquoun de ces modes qui est au principe mecircme du fait de laquo dire raquo a eacuteteacute capteacute

seacutelectivement par lrsquoobservation des aphasies Celles-ci donnent accegraves laquo agrave la forme qui le

speacutecifie raquo Cependant les autres modes drsquoanalyse sont aussi preacutesents en tant laquo (qursquo) incidences

varieacutees raquo lrsquoaphasie a des reacutepercussions agrave la fois sur lrsquoeacutecrit si on demande au malade drsquoeacutecrire

ou de lire sur la relation qursquoest le dialogue et lrsquoaffectiviteacute Le malade est laquo handicapeacute raquo sur ces

trois plans par le seul plan ougrave se deacutefinit sa pathologie Le fait mecircme qursquoil srsquoagit alors drsquoun

handicap deacutemontre que drsquoautres aptitudes reacutesistent agrave lrsquoaphasie servent mecircme de

compensations et font que lrsquoaphasique ne perd pas lrsquoensemble des capaciteacutes culturelles

laquo Il ne saurait en ecirctre (hellip) du langage (hellip) autrement qursquoil en fut jadis de la terre de lrsquoair et

du feu raquo 155 Pour JG ces notions sont preacutescientifiques Elles laissent penser agrave lrsquoexistence de

reacutealiteacutes homogegravenes correspondant agrave chacun de ces mots Plus loin il qualifiera ce mode de

raisonnement de laquo rheacutetorique mythique raquo Les sciences de la nature ont renonceacute agrave en faire des

substances Jrsquoinvite ici le lecteur agrave lire ou relire de Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu

laquo Les livres de Chimie au cours du temps ont vu les chapitres sur le feu devenir de plus en

plus courts Et les livres modernes de Chimie sont nombreux ougrave lrsquoon chercherait en vain une

eacutetude sur le feu et sur la flamme Le feu nrsquoest plus un objet scientifique raquo (p 13)

Les sciences humaines doivent de mecircme renoncer agrave la notion de laquo langage raquo Leur

programme est de deacutefinir et de distinguer dans ce qursquoon appelle ainsi et qui correspond agrave une

expeacuterience quotidienne le type drsquoanalyse qui speacutecifie cette reacutealiteacute ndash agrave savoir la capaciteacute de

laquo dire raquo ou capaciteacute de signe - et les autres types drsquoanalyse qui le concernent laquo par

incidence raquo lrsquoOutil dans lrsquoeacutecriture la Personne dans le dialogue la Norme dans la reacuteticence agrave

parler ou le lapsus Ces trois types drsquoincidence sont deacuteveloppeacutes dans les paragraphes qui

suivent

De lrsquoeacutecriture agrave lrsquoOutil

laquo La difficulteacute de conformer au tableau les particulariteacutes de lecture et drsquoeacutecriture de nos

malades [nous a conduit agrave] poser cateacutegoriquement lautonomie de la graphie (hellip) [Crsquoeacutetait]

lrsquointroduire dans lrsquounivers technique raquo 156 - 16

Discours et meacutethode 43

Je relegraveverai surtout un aspect essentiel de la deacutemarche exposeacutee Ici JG ne laquo veacuterifie pas raquo il

part drsquoune reacutefutation pour eacutemettre une nouvelle hypothegravese Dans un premier temps au nom

du principe de simpliciteacute ndash le rasoir drsquoOckham ndash il a chercheacute agrave expliquer les troubles de la

lecture et lrsquoeacutecriture de lrsquoaphasique dans les mecircmes termes qursquoil expliquait les troubles du dire

Une telle hypothegravese eacutetait laquo falsifiable raquo il aurait pu en ecirctre autrement De fait lrsquohypothegravese

srsquoest trouveacutee reacutefuteacutee lorsque JG srsquoest heurteacute chez certains malades agrave une reacutesistance de la

reacutealiteacute observeacutee reacutesistance telle qursquoil a eacuteteacute conduit dans une autre direction celle de lrsquoactiviteacute

technique On est ici agrave la rencontre du cognitif et de lrsquoactiviteacute ce qursquoil nomme laquo le signal raquo

161 Lrsquooutil qui fabrique de la repreacutesentation artificielle du dessin par exemple fabrique des

laquo signaux raquo Crsquoest lrsquoactiviteacute laquo deacuteictique raquo (Celle qui montre et fait connaicirctre distinctement

quelque chose) Lorsque lrsquoon se met tout particuliegraverement agrave laquo fabriquer raquo du langage gracircce agrave

des traceacutes sur un support on a affaire agrave de lrsquoeacutecrit Ce qui est dit devient laquo stockable et

manipulable raquo (proprieacuteteacutes de lrsquooutil)

Dans une eacutetape suivante il a eacuteteacute conduit agrave eacutelargir ses observations agrave drsquoautres outils

laquo hellipune deacuteteacuterioration du langage ne saurait ecirctre sans reacutepercussion sur le contenu de

leacutecriture Mais sa forme ne peut ecirctre tenue pour alteacutereacutee que si le signal seul et non le signe

est concerneacute raquo 162 JG distingue deux cas (1) Les reacutepercussions du trouble aphasique sur la

maniegravere drsquoeacutecrire ou de lire du malade on conccediloit aiseacutement que le Wernicke qui ne peut

identifier un mot de faccedilon stable aura du mal agrave lire et agrave eacutecrire puisqursquoil ne sait plus quels mots

sont transcrits On dira alors qursquoil srsquoagit drsquoun trouble aphasique observeacute dans de lrsquoeacutecrit et non

pas un trouble de lrsquoaptitude agrave eacutecrire (2) Mais laquo Le signal seul est concerneacute raquo lorsque lrsquoon

observe un trouble dans lrsquoutilisation non seulement de lrsquoeacutecrit mais encore du dessin et plus

geacuteneacuteralement de tout autre outillage Crsquoest laquo lrsquoatechnie raquo 164 Crsquoest alors lrsquoopeacuteration

technique qui est en cause le laquo tour de main raquo et non plus le texte lisible lui-mecircme

laquo Lrsquoautre [= les propos sur lrsquoapraxie] teacutemoigne agrave sa faccedilon drsquoune aporie raquo 165 crsquoest-agrave-dire

drsquoune impasse drsquoune impossibiliteacute Faute drsquoune theacuteorie de lrsquooutil on ne parvient pas agrave dire

scientifiquement ce qui se passe dans les apraxies Or il est impossible de laquo voir raquo (intelligem-

ment) ce que lrsquoon nrsquoarrive pas agrave laquo dire raquo

De lrsquoeacutechange verbal agrave la Personne 166

La deacutemarche est analogue Lrsquohypothegravese drsquoune pathologie de la communication chez

lrsquoaphasique est deacutementie Lrsquoeacutechange verbal y est handicapeacute mais non deacutetruit Ceci invalide

une deacutefinition laquo fonctionnaliste raquo du langage comme laquo moyen de communication raquo du fait

qursquoune pathologie du fondement grammatical du langage nrsquoest pas une pathologie de la

relation interpersonnelle comme le serait une psychose Lrsquoimaginer serait confondre la

fonction sociale de tout comportement y compris du langage et le mode de fonctionnement

speacutecifique qui deacutefinit le langage Il faut donc proposer un autre type drsquoexplication agrave lrsquoeacutechange

verbal Pour ce faire JG remonte au principe du social objet de la sociologie

laquo Une autre analyse se fait jour affectant leacutechange verbal sans pour autant se confondre

avec lui et qui meacutediatisant ethniquement notre appartenance agrave lespegravece diffeacuterencie chez

lhomme luniformiteacute animale du cri Le modegravele sous-tendu nest linguistique que par reacutepercus-

sion Il est en fait celui de la socieacuteteacute cest-agrave-dire de ce processus de convergence qui nous fait

inlassablement transcender les divergences que culturellement nous ne pouvons cesser

dinstituer raquo 166 - 17 Premiers lineacuteaments de sociologie meacutediationniste Chez les autres

espegraveces le laquo cri raquo est celui de lrsquoespegravece avec des variations lieacutees agrave lrsquoadaptation agrave

44 Une lecture de Jean Gagnepain

lrsquoenvironnement38 Lrsquoanimal en lrsquohomme le rend aussi capable de cris drsquoattitudes et de

mimiques universellement compris comme le souligne lrsquoeacutethologie Mais celle-ci ne peut expli-

quer lrsquoanalyse qui produit des langues arbitraires et contraignantes mais aussi neacutegociables et

inscrites dans lrsquohistoire Pour ce faire il faut observer la dialectique du social dont les phases

sont ici deacutecrites sous les termes de laquo divergence convergence raquo

laquo Crsquoest bien de la personne qursquoil srsquoagit (hellip) Nous avons ducirc renoncer agrave la dichotomie de la

Langue et de la Parole qui nrsquoeacutetait plus opeacuteratoirehellip raquo 172 Ce que JG appellera laquo langue raquo

dans une theacuteorie de la Personne et non plus dans une perspective durkheimienne nrsquoest pas la

laquo langue raquo Saussurienne Le Saussure du Cours en effet selon JG ne dissocie pas clairement

ce qui est de lrsquoordre drsquoun principe drsquointellection (systegraveme de valeurs) et ce qui est de lrsquoordre

de lrsquousage Cours p 37 laquo Lrsquoeacutetude du langage comporte donc deux parties lrsquoune essentielle

a pour objet la langue qui est sociale dans son essence et indeacutependante de lrsquoindividu cette

eacutetude est uniquement psychique lrsquoautre secondaire a pour objet la partie individuelle du

langage crsquoest-agrave-dire la parole y compris la phonation elle est psycho-physique raquo Cette

formulation en dichotomie (laquo deux parties raquo) est amendeacutee par Saussure lui-mecircme en une

formulation laquo soustractive raquo laquo La langue est pour nous le langage moins la parole raquo (Cours p

112)

Intermegravede 3 Le Saussure de Jean Gagnepain

Pour la premiegravere fois dans lrsquoouvrage est repris preacuteciseacutement un couple de concepts

(laquo langue et parole raquo) qui fait directement allusion agrave lrsquoenseignement de Ferdinand de Saussure

Puisqursquoil est ici question de cet auteur deux mises au point sont neacutecessaires valables pour

lrsquoensemble du Vouloir-Dire

1) Notons drsquoabord que jamais nrsquoest mentionneacute le nom de Saussure ni le titre drsquoouvrage

Cours de linguistique geacuteneacuterale Cependant crsquoest bien ce livre qui est en arriegravere-plan lorsque

JG choisit des termes tels que laquo substance raquo 64 laquo forme raquo 283 etc laquo dichotomie de la

langue et de la parole raquo 172 laquo signe raquo (passim) laquo signifiant et signifieacute raquo 273 etc laquo la vaine et

fameuse querelle de limproprieacuteteacute et de larbitraire du signe raquo (p 187) et drsquoautres formulations

encore Toutefois qursquoil soit clair que JG donne agrave ces termes ndash mecircme srsquoils eacutevoquent le Cours ndash

un sens propre agrave la Theacuteorie de la Meacutediation un sens parfois tregraves diffeacuterent de celui que lrsquoon

peut tirer de la lecture du Cours

2) Il est tout aussi important de souligner par ailleurs que JG ne prend en compte dans Du

Vouloir-Dire que le seul Cours de linguistique geacuteneacuterale (posthume) tel qursquoil a eacuteteacute compileacute par

Charles Bally Albert Sechehaye et Albert Riedlinger et eacutediteacute par Payot en 1916 Or lrsquoeacutetude des

notes prises par les eacutetudiants aux trois anneacutees de cours qui ont servi de matiegravere premiegravere agrave cet

ouvrage collectif ainsi que la prise en compte des autres textes connus de Saussure montrent

que ce qursquoon appelle le Cours nrsquoest qursquoen partie fidegravele agrave la penseacutee de lrsquoauteur39 La structure

de lrsquoouvrage est celle des eacutediteurs un choix a eacuteteacute opeacutereacute entre les diffeacuterentes versions des

notes de cours beaucoup de passages ont eacuteteacute reformuleacutes et des propositions importantes

sont de Charles Bally et reflegravetent les positions theacuteoriques de ce dernier non celles de

38 Les eacutethologues ont pris lrsquohabitude drsquoappeler ces variations des laquo dialectes raquo ce qui est un anthropomorphisme patent

39 Voir lrsquoeacutedition critique du Cours par Rudolph Engler et les travaux de Robert Godel Reneacute Amacker et Franccedilois Rastier

Discours et meacutethode 45

Saussure Ceci eacutetant comme le rappelle Claudine Normand laquo il srsquoagit drsquoun objet historique

bien reacuteel et qui a produit des effets comme tel raquo40

JG prend donc le texte intituleacute Cours de linguistique geacuteneacuterale tel qursquoil est eacutediteacute en 1916 en

tant que texte et oppose les propositions qursquoil contient aux siennes indeacutependamment de la

question de lrsquoimputation de ce texte agrave tel ou tel auteur De maniegravere plus geacuteneacuterale on aura

remarqueacute lrsquoabsence quasi totale de noms drsquoauteurs dans Du Vouloir-Dire Cette absence

signifie drsquoabord que seules les propositions theacuteoriques inteacuteressent JG (dans le respect de leur

positionnement historique) et non les auteurs de ces propositions Par conseacutequent lorsque le

nom de Saussure sera mentionneacute dans ces Gloses on doit entendre qursquoil srsquoagit du contenu du

Cours de linguistique geacuteneacuterale eacutedition 1916

De la prise de parole agrave lrsquoeacutethique

laquo Le parfait controcircle de la grammaire la maicirctrise de lrsquoeacutecriture et de la langue laissent entier

le problegraveme de lrsquoinitiative ici de la prise de parolehellip raquo 173

JG circonscrit agrave grands traits le plan de la Norme Ici encore il part du langage pour en

sortir Il nrsquoobserve plus le langage pour lui-mecircme mais il observe dans le langage la faccedilon

dont le deacutesir fonctionne Agrave savoir dialectiquement avec un pocircle de restriction (la

laquo reacuteticence raquo) et un pocircle de satisfaction mesureacutee le laquo dis-cours raquo (= le deacutetour)

laquo hellip Les suspensions distorsions sublimations [dans la prise de parole] commencent agrave nous

faire entrevoir lrsquoexistence drsquoune analyse eacutethique du deacutesir indeacutependante de lrsquointrojection de la

Loi raquo JG envisage drsquoembleacutee eacutepisteacutemologiquement ce qui le seacutepare de la doxa contempo-

raine et de la psychanalyse Il lui importe de dissocier le principe eacutethique de leacutegitimiteacute (laquo ana-

lyse eacutethique du deacutesir raquo) du principe social de leacutegaliteacute (laquo la loi raquo) Il critique ici le concept de

laquo Sur-moi raquo comme il avait signaleacute auparavant en 85 la difficulteacute de traduire lrsquoallemand de

Freud laquo uumlber-Ich raquo La regravegle nrsquoest pas une obeacuteissance agrave une Loi drsquoailleurs agrave tort conccedilue comme

un principe transcendant la Personne Tout ceci est longuement travailleacute dans le second

volume du Vouloir-Dire

Il srsquoagit de rendre compte de maniegravere coheacuterente tant du laquo parler autistique [et du] deacutelire

paranoiumlaque (hellip) [que des] curiositeacutes dexpression de lhysteacuterique ou de lobsessionnel raquo 174

Les deux premiers tableaux sont des pathologies de la Personne (psychoses) les deux autres

des pathologies de la norme (neacutevroses) laquo Autistique raquo nrsquoest pas agrave prendre dans son sens

contemporain JG ne parle pas de lrsquoautisme ici Il prend lrsquoadjectif dans son sens eacutetymologique

(autos = laquo lui-mecircme raquo pronom reacutefleacutechi) pour deacutesigner le parler du schizophregravene

JG conclut en 175-6 par une sorte de tableau terminologique synoptique des quatre plans

de meacutediation Sa deacutemarche est deacutefinie comme laquo une reacutefraction qui fait de la logique de la

technique de lethnique de leacutethique autant de faccedilons autonomes quoiquinterfeacuterentes decirctre

homme raquo 175 Jouant sur le preacutefixe laquo concom- raquo il parle drsquoaptitude respectivement agrave laquo la

conscience la conduite la condition et le comportement raquo En somme la culture apparaicirct

comme laquo une rationaliteacute eacuteclateacutee raquo

Il prend soin de rappeler la neacutecessiteacute explicative de prendre en compte le laquo moment raquo de la

dialectique qursquoest la nature laquo il nrsquoest pas vrai que lrsquounivers [hors meacutediation] soit amorphe raquo

et reacutepegravete par ailleurs que pour lui la Raison ne se reacuteduit pas au laquo raisonnement raquo (logique)

40 Claudine Normand 1995 laquo La coupure saussurienne raquo LINX 7 Saussure aujourdrsquohui

46 Une lecture de Jean Gagnepain

Relevons aussi que la seacuterie laquo limproprieacuteteacute le loisir larbitraire et lauto-castration raquo 176

deacutesigne les observations tests qui renvoient au pocircle implicite drsquoanalyse qui provoque la dialec-

tique La neacutegativiteacute structurale du signe srsquoeacuteprouve agrave lrsquoimproprieacuteteacute relative de ce que lrsquoon dit

celle de lrsquooutil agrave la dispense de labeur qursquoil implique celle de la personne agrave la possibiliteacute pour

toute relation drsquoecirctre rompue celle enfin de la norme agrave lrsquoexpeacuterience de lrsquoexigence et du

renoncement La seacuterie correspondante laquo la penseacutee le travail lhistoire et la liberteacute raquo 176

deacutesigne la reacutesultante explicite du pocircle de reacuteinvestissement Lrsquoensemble de ces termes

constitue le vocabulaire de base de la theacuteorie de la meacutediation

PANORAMA DE LA THEacuteORIE DE LA MEacuteDIATION

Cette partie conclusive montre lrsquoampleur du projet qursquoest la theacuteorie de la meacutediation La

theacuteorie de la meacutediation nrsquoest pas une linguistique mais une anthropologie une laquo theacuteorie de la

rationaliteacute raquo sous ses quatre aspects drsquoeacutegale importance 181

La dialectique Nature Culture

laquo [La] culture (hellip) cette reacutealiteacute qui distincte agrave la fois de lrsquohypostase et de la matiegravere

deacutepasse en nous la nature mais lrsquoinclut raquo 181 Thegraveme de la dialectique Ainsi laquo hypostasier raquo

(du grec laquo placer agrave la base au principe raquo) la notion de laquo Raison raquo ou celle de laquo culture raquo serait

faire de ces concepts qui deacutecoulent drsquoun raisonnement des entiteacutes homogegravenes et deacutefinitives

des laquo essences raquo Lrsquohypostase des concepts est caracteacuteristique de laquo lrsquoideacutealisme raquo La

dialectique exclut toute hypostase Communeacutement la notion de laquo langage raquo est une

hypostase on fait exister un concept sur le mode drsquoune chose

laquo La culture inclut la nature raquo JG rappelle que le premier moment de la dialectique est

drsquoordre naturel Voici un exemple dans lrsquoordre du Dire le phonegraveme srsquoabstrait des contraintes

de la phonation et de la perception des bruits mais il en part La preuve en est que le reacutesultat

de cette dialectique est la laquo prononciation raquo qui ne peut se reacutealiser que dans du prononccedilable

biologiquement On eacuteprouve ici le deacuteficit terminologique de la tradition non dialectique y

compris des linguistiques depuis Saussure lorsqursquoelles se contentent de distinguer

laquo phonegraveme raquo et laquo son raquo et que ce dernier terme meacutelange des faits de lrsquoordre de la physique et

de la biologie La prise en compte de la dialectique impose drsquoobserver trois moments la

laquo phonie raquo biologiquement contrainte le laquo phonegraveme raquo structural deacutelimiteacute par le critegravere de la

pertinence et la laquo prononciation raquo phoneacutetique qui laquo reacutealise raquo relativement le phonegraveme dans

de la phonie sans qursquoil srsquoagisse agrave proprement parler ni du geste articulatoire ni drsquoun percept

auditif biologiquement ou physiquement deacutefinis

Les quatre aspects de la rationaliteacute

laquo Lrsquoanthropologie (hellip) pour ne les envisager ici que du seul point de vue du savoirhellip raquo 182

Lire ainsi laquo lrsquoanthropologie nrsquoenvisage le langage lrsquoart la socieacuteteacute le droit que du seul point de

vue explicatif raquo comme le reacutesume le suffixe laquo -logie raquo du terme anthropologie laquo Savoir raquo dans

cette introduction a pour synonyme laquo connaissance raquo Dans le second tome dans le cadre

drsquoune sociolinguistique JG appellera laquo doxa raquo la capitalisation sociale soumise agrave dispute et

compromis de ce qursquoon a compris par le langage Pour lrsquoheure laquo savoir raquo est de lrsquoordre de la

Discours et meacutethode 47

cognition JG eacutenonce que la deacutemarche scientifique relegraveve comme tout ce qui est dit du plan

du dire

laquo Lrsquoanthropologiehellip nrsquoexclut nullement les perspectives alterneacutees drsquoune anthropotropie

drsquoune anthroponomie drsquoune anthropodiceacuteethinspraquo Lrsquohumain en lrsquohomme ne se reacuteduit pas agrave

laquo lrsquohomme de paroles raquo En tant qursquoil artificialise son existence il est capable drsquoanthropo-

tropie il fabrique un habitat au lieu drsquooccuper un terrier il fabrique de lrsquoeacutecrit ce qui lui

permet de dire tout en se taisant etc En outre lrsquohistoire teacutemoigne drsquoune anthropo-nomie (Agrave

rapprocher du terme courant de laquo veacutecu raquo) Enfin la sagesse comme la transgression teacutemoi-

gnent drsquoune anthropo-diceacutee JG srsquoinspire ici des termes grecs laquo trόpos raquo pris dans le sens de

laquo tour (de main) maniegravere (de faire) laquo nomόs raquo aire controcircleacutee socialement et laquo diacutekecirc raquo la

regravegle le droit

Sciences fondamentales et sciences appliqueacutees Le recoupement des plans

laquo Telle qursquoest [lrsquoanthropologie] elle nous contraint agrave une classification nouvelle des sciences

qui ne soit plus fonction de leur plus ou moins grande geacuteneacuteraliteacute mais du degreacute de formalisa-

tion de leur objet (hellip) Il srsquoagit alors de distinguer des laquo sciences fondamentales de la culture raquo

et des laquo sciences humaines appliqueacutees raquo 182 Selon la deacutefinition suivante

Les laquo sciences fondamentales de la culturehellip traitent respectivement sous le nom de

glossologie dergologie de sociologie et daxiologie des seules meacutediations speacutecifiques raquo Il faut

distinguer cette laquo teacutetralogie raquo fondamentale des laquo sciences humaines appliqueacutees dont lrsquoobjet

(outre qursquoil participe de deux regravegnes) hieacuterarchiquement les recompose en vertuhellip drsquoun reacutealisme

qui refuse de poser dans lrsquoecirctre des modaliteacutes que lrsquoinvestigation seulement nous contraint agrave

seacuteparer raquo Envisageons tour agrave tour ces deux types de sciences de lrsquohumain

Je signale drsquoembleacutee que la modeacutelisation de ces laquo sciences appliqueacutees raquo entraicircne une

inflation terminologique assez redoutable du fait que le modegravele doit deacutenommer distinctement

une articulation entre deux ordres de faits culturels en interaction Il me revient de vous guider

dans la manipulation de ce laquo Rubikrsquos cube raquo meacutediationniste degraves lors que lrsquoauteur lui-mecircme

laquo laisse au lecteur le soi drsquoinfeacuterer lui-mecircme lrsquoorganisation raquo 191 Je vous preacuteviens toutefois du

risque de laquo feacutetichisme raquo nominaliste que preacutesente lrsquoexercice tout en vous rappelant en

contrepartie qursquoon ne peut se passer en matiegravere de science drsquoune formulation rigoureuse fucirct-

elle hypotheacutetique laquo Il nest de science qui ne vise agrave la speacutecialisation et ne cherche agrave traduire

au moyen de sa terminologie lunivociteacute de ses concepts raquo 45 Il srsquoensuit que les gloses qui

suivent seront exceptionnellement longues Le tableau de Mendeleiumlev eacutevoqueacute (invoqueacute ) en

192 ne livre pas non plus aiseacutement sa porteacutee explicative

Plus tard JG critiquera le choix du terme laquo appliqueacute raquo pour deacutesigner lrsquoeacutetude drsquoune articula-

tion de plans culturels soulignant que toute science est drsquoun eacutegal degreacute drsquoabstraction41

Les sciences fondamentales laquo hellip sous le nom de glossologie dergologie de sociologie et

daxiologie raquo 182

Dans ce quatuor terminologique seul le terme laquo sociologie raquo est drsquousage geacuteneacuteral Qursquoen

est-il des autres et des raisons de ce choix Commenccedilons par le dernier Le terme

laquo axiologie raquo est emprunteacute agrave des philosophes qui lui donnent comme objet lrsquoeacutetude des

41 Seacuteminaire du 7 mai 1987 laquo la fin du cogito 1egravere partie theacuteorie et pratique raquo

48 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo valeurs morales raquo42 Le terme dans la theacuteorie de la meacutediation deacutesigne lrsquoeacutetude de la

dialectique entre ce qui sera appeleacute laquo eacutethique raquo (de la reacuteglementation) et ce qui sera appeleacute

laquo morale raquo (de la satisfaction) Par conseacutequent aucun de ces deux termes ne pouvait ecirctre

utiliseacute pour lrsquoensemble des deux Il en va de mecircme du terme laquo ergologie raquo (Cf le grec

laquo ergon raquo le travail) Il deacutesigne dans le modegravele la dialectique de la laquo technique raquo et de

lrsquo laquo industrie raquo

Le premier terme laquo glossologie raquo est exemplaire du dilemme terminologique auquel est

confronteacute tout deacutecouvreur Il y a deux maniegraveres de deacutenommer le nouveau Soit on conserve le

terme ancien et on srsquoefforce de lui imposer un sens nouveau Crsquoest le cas du mot laquo eacutetoile raquo qui

a un autre sens pour lrsquoastrophysicien que pour le profane Crsquoest aussi le cas de laquo grammaire raquo

qui change de sens dans les phrases laquo grammaire pour la classe de 6e raquo et laquo grammaire

geacuteneacuterative raquo Telle est aussi lrsquooption de Jean-Claude Milner qui dans Introduction agrave une science

du langage ch12 leacutegitime les termes de laquo langage raquo et de laquo linguistique raquo agrave la condition

expresse drsquoen reacutevolutionner le sens dans une direction en partie semblable agrave celle de JG en

ce que ce terme doit reacutesumer un ensemble de laquo proprieacuteteacutes raquo speacutecifiques

Soit on monte dans le grenier agrave grec refaire du nouveau avec du vieux Crsquoest ainsi que

Charles-Emmanuel Seacutedillot a bricoleacute pour Pasteur en 1878 le terme laquo microbe raquo (Eacutemile

Benveniste rappelait qursquoil nrsquoest jamais attesteacute en grec classique et qursquoil nrsquoaurait pu signifier

que laquo qui a une courte vie raquo) On marque ainsi dans les termes la rupture seacutemantique que lrsquoon

entend proposer Lagrave ougrave les laquo linguistes raquo continuent de parler de langage JG suivant en cela

Saussure jette aux oubliettes cette notion preacutescientifique comme drsquoautres lrsquoont fait pour

celles de feu ou drsquoeacutether Drsquoougrave la notion de laquo signe raquo Comment maintenant nommer cette

science du laquo signe raquo principe logique speacutecificateur de ce qursquoon appelle langage En toute

rigueur le seul terme adeacutequat eucirct eacuteteacute celui de laquo logologie raquo (La suite de la lecture du Vouloir-

Dire le deacutemontre amplement) JG nrsquoa pas oseacute revecirctir le costume du logologue Son choix final

a eacuteteacute deacutetermineacute par une raison non plus proprement theacuteorique mais sociologique agrave savoir le

devoir de marquer sa reconnaissance envers Louis Hjelmslev qui face au mecircme problegraveme

avait opteacute pour le terme laquo glosseacutematique raquo Le changement de suffixe laquo -logie raquo inscrit

deacutesormais le terme dans le cadre des sciences Le choix du preacutefixe laquo glosso- raquo nrsquoest pas non

plus eacutetymologique et JG assume ici le fait que nous ne parlons plus le grec ancien qui dans

une sorte de dissociation des plans seacuteparait bien la logique du laquo logos raquo et lrsquousage social

qursquoeacutetait la laquo glossa γλῶσσα raquo ou laquo glotta γλῶττα raquo agrave savoir lrsquoidiome Le franccedilais dit

laquo polyglotte raquo Les autres linguistes contemporains nrsquoutilisent ce preacutefixe qursquoen

sociolinguistique laquo Petit traiteacute de glossophagie raquo de Louis-Jean Calvet

Les sciences appliqueacutees laquo Lrsquoobjet [des sciences humaines appliqueacutees] (hellip) participe de deux

regravegneshellip [et] hieacuterarchiquement les recomposehellip raquo 182

Prenons lrsquoexemple du langage deacuteveloppeacute en 183 La laquo glossologie raquo est une science

fondamentale elle eacutetudie le fonctionnement dialectique du Signe qui speacutecifie le langage En

revanche la laquo sociolinguistique raquo est une science appliqueacutee elle laquo participe de deux regravegnes raquo

celui de la sociologie et celui de la glossologie puisqursquoelle est le chapitre de la sociologie qui

eacutetudie comment le langage participe et contribue agrave la vie sociale agrave travers des langues et des

42 En France le terme apparaicirct chez Paul Lapie Logique de la volonteacute 1902 (Paul Lapie sociologue et peacutedagogue meacuterite un deacutetour du lecteur) En Allemagne le terme apparaicirct chez Wilhem Windelband (cf Uumlber Willensfreiheit 1904)

Discours et meacutethode 49

deacuteclarations Et elle les laquo recompose hieacuterarchiquement raquo puisque le plan fondamental est de

lrsquoordre de la Personne tandis que le plan laquo applicatif raquo (ou laquo incident raquo) est celui du Signe sur

lequel porte le fonctionnement social

laquo hellip en vertu drsquoun reacutealisme qui refuse de poser dans lrsquoecirctre des modaliteacutes que lrsquoinvestigation

seulement nous contraint agrave seacuteparer raquo 182

Cette preacutecaution meacutethodologique vise agrave eacuteviter le malentendu suivant Il ne faut pas

comprendre que les sciences appliqueacutees sont des sciences qui srsquoajoutent aux sciences

fondamentales Leur reacutepartition ne tient pas agrave une multiplication drsquoordres de deacuteterminismes

culturels lesquels restent quatre dans le modegravele Ainsi SOCIOLINGUISTIQUE et SOCIOARTISTIQUE

relegravevent de la mecircme deacutemarche sociologique Il srsquoagit drsquoeacutetudier comment ce que lrsquoon dit et ce

que lrsquoon fabrique participent et contribuent agrave la vie sociale Leur diffeacuterence est de lrsquoordre des

laquo modaliteacuteshellip drsquoinvestigation raquo Autrement dit il srsquoagit de diffeacuterents terrains drsquoobservation des

faits sociaux Ceci appelle agrave mes yeux deux remarques

La premiegravere est de bien comprendre que ces terrains laquo drsquoapplication raquo sont eux-mecircmes

deacutefinis comme des plans culturels Pour lrsquoauteur il nrsquoest pas question drsquoappeler laquo sciences

appliqueacutees raquo la liste interminable des laquo sociologies du sport des animaux familiers des meacute-

dias des vacances de la plage raquo des laquo sociologies urbaine rurale rurbaine etc raquo tous

domaines disciplinaires recevables du point de vue de la division du travail Mais la sociologie

ne peut se laquo modaliser raquo que sous les espegraveces de trois sciences appliqueacutees inteacuteressant les trois

autres plans soit une SOCIOLINGUISTIQUE (des langues) une SOCIOARTISTIQUE (des styles drsquoœuvres

par ex) et une SOCIOCRITIQUE (lrsquoeacutetude de la neacutegociation sociale des normes drsquoune leacutegislation

par ex) Chaque plan fondamental peut ainsi entrer en relation dialectique avec les trois

autres plans qui lui sont incidents

La seconde remarque consiste agrave prendre la mesure de la contribution de ces perspectives

applicatives pour la modeacutelisation de la laquo performance raquo sur chacun des plans de meacutediation

Prenons le cas de la sociologie Traiter ses voisins avec des mots ou avec des armes telle est la

diffeacuterence entre la diplomatie et la guerre Lrsquoeacutetude de la premiegravere srsquoinscrit dans un programme

de SOCIOLINGUISTIQUE sous le nom courant de laquo poleacutemique raquo Lrsquoeacutetude de la seconde relegraveve

drsquoune SOCIOARTISTIQUE qui analyse quels eacuteveacutenements sont produits par les outils On appreacuteciera

la diffeacuterence de leurs objets respectifs au nom du laquo reacutealisme raquo en confrontant lrsquoaphorisme de

Carl von Clausewitz ndash laquo La guerre nrsquoest que la simple continuation de la politique par drsquoautres

moyens raquo De la guerre 1832 ndash avec un regard sur les monuments aux morts de nos villages et drsquoailleurs ou avec les eacuteveacutenements parisiens de feacutevrier et novembre 2015 Le principe social

de conflit est certes constant mais les laquo performances raquo sociales ne sont pas les mecircmes

Regardons maintenant la faccedilon dont la terminologie est construite Cela facilitera la lecture

de la suite Sur ce point formel on observera la diffeacuterence de construction suivante entre la

deacutenomination des sciences fondamentales et celle des sciences appliqueacutees

- Observons la laquo morphologie raquo du nom des premiegraveres laquo glossologie ergologie sociologie

axiologie raquo Le suffixe laquo -logie raquo constant dit qursquoil srsquoagit de science dont le fondement est

toujours la capaciteacute de signe Le deacutebut du nom variable dit quel est lrsquoobjet du propos explica-

tif tenu cet objet distingue chacun des quatre plans fondamentaux de meacutediation Autrement

dit chacune des sciences est un laquo champ seacutemantique raquo grammaticalement formuleacute

- Srsquoagissant maintenant des sciences appliqueacutees la terminologie se preacutesente diffeacuteremment

Il sagit toujours de sciences mais la terminologie ne le formule plus directement Elle formule

50 Une lecture de Jean Gagnepain

en deux parties quel est lrsquoobjet complexe dont cette science appliqueacutee traite agrave savoir

lrsquoarticulation laquo hieacuterarchique raquo entre le plan laquo fondamental raquo dont on observe la dialectique et

le plan laquo incident raquo laquo applicatif raquo qui est un secteur particulier drsquoexpeacuterience humaine sur

lequel srsquoexerce la dialectique du plan laquo fondamental raquo Lrsquoordre adopteacute par le terme est alors

laquo plan fondamental + plan incident raquo comme le montre le terme de laquo socio-linguistique raquo Le

suffixe montre que lrsquoon a affaire encore agrave du langage mais celui-ci nrsquoest qursquoun des domaines

particuliers ougrave lrsquoon observe de la Loi sociale Le suffixe marque donc le plan incident tandis

que le preacutefixe marque le plan deacuteterminant Il srsquoagit de sociologie observant du social dans le

langage et non de laquo linguistique raquo dans le sens traditionnel du terme terme qui renvoie agrave une

corporation disciplinaire et non agrave une science La suite va servir de travaux pratiques

laquo hellipagrave la suite de la polyseacutemie le silence le malentendu le mensonge acquiegraverent

scientifiquement un statut raquo 183

(1) La polyseacutemie est un fait performantiel inheacuterent agrave la dialectique grammatico-rheacutetorique

Son laquo statut raquo est deacuteclareacute drsquoores et deacutejagrave laquo acquis raquo au sein de la glossologie Les trois autres

pheacutenomegravenes relegravevent des sciences appliqueacutees

(2) Par laquo silence raquo JG entend ici le fait que lrsquoeacutecrit est laquo silencieux raquo alors mecircme qursquoil

permet un accegraves au langage Ce laquo silence raquo est une proprieacuteteacute de la graphie et un aspect de ce

principe de laquo loisir raquo qui deacutefinit la technique On peut aussi fabriquer du langage artificiel

bruiteacute gracircce agrave lrsquoenregistrement sonore Mais lagrave encore le locuteur une fois le fichier enregis-

treacute peut se taire et pourtant redire son message indeacutefiniment via son lecteur de fichier Ces

deux observations voisines relegravevent de lrsquoERGOLINGUISTIQUE dont traite le chapitre laquo Parole et

eacutecriture raquo de la 2e partie de ce tome I du Vouloir-Dire

(3) Le laquo malentendu raquo ou plutocirct laquo lrsquoautrement entendu raquo ndash car le concept nrsquoimplique aucun

jugement ndash est un fait SOCIOLINGUISTIQUE puisqursquoil srsquoagit drsquoune proprieacuteteacute de lrsquoeacutechange verbal

(Celui-ci inclut laquo Agrave bon entendeurhellip raquo)

(4) Le laquo mensonge raquo est un fait de discours ougrave srsquoexprime un interdit de dire Crsquoest un fait

AXIOLINGUISTIQUE

La laquo psycholinguistique raquo 184 disparaicirct du tableau en raison du flou de la notion de

laquo psychologie raquo Tout comme la laquo linguistique geacuteneacuterale raquo en tant que laquo programme commun raquo

entre courants linguistiques ou domaines de langues observeacutees On est en 1980 Franccedilois

Mitterrand sera eacutelu en 1981 sur un tel programme de gouvernement passeacute entre le Parti

Socialiste le Parti Communiste et le Parti de Centre Gauche

laquo Pantonyme raquo 1848 = En seacutemantique on appelle ainsi un concept geacuteneacuteral dit aussi

laquo hyperonyme raquo par rapport agrave un concept speacutecifique dit laquo idionyme raquo Dans la theacuteorie de la

meacutediation laquo rationaliteacute signe grammaire syntaxe subordination raquo forment une eacutechelle

de concepts du plus geacuteneacuteral au plus speacutecifique Cf infra p210

laquo Lrsquoeacutetude speacutecialiseacutee des dichotomies parallegraveles [agrave celle de la glossologie] (hellip) raquo 185

On peut ici se reporter au Plan de lrsquoensemble du Vouloir-Dire en deacutebut du 1er tome La

notion de laquo dichotomie raquo renvoie agrave la bipolariteacute de toute dialectique neacutegativiteacute neacutegation de

la neacutegativiteacute autrement dit agrave lrsquoinstance et agrave la performance Elle oblige dans la theacuteorie du

signe agrave distinguer entre laquo signification raquo et laquo deacutesignation raquo Analogiquement lrsquoergologie (2e

partie de ce tome) traitera de lrsquoinstance de la laquo production raquo et de la performance

Discours et meacutethode 51

laquo industrielle raquo la sociologie de lrsquoinstance de laquo lrsquoInstitution raquo et de la performance des

laquo contrats raquo lrsquoaxiologie de lrsquoinstance du laquo noloir raquo eacutethique et de la performance de la

laquo licence raquo morale (Terminologie du Plan dans cette eacutedition) Il srsquoagit lagrave drsquoun programme

drsquoeacutetude de la dialectique de chacun des plans de meacutediation crsquoest-agrave-dire du programme de

chacune des laquo sciences fondamentales raquo

laquo hellipse doublehellip de ce qursquoon nommera deacutesormais une artistique une ceacutenotique une

critiquehellip raquo 191

Lrsquoanthropologie peut aussi observer dans des laquo sciences appliqueacutees raquo comment les autres

plans se recoupent lrsquoun des plans eacutetant lrsquoordre fondamental et lrsquoautre le plan laquo incident raquo sur

lequel porte lrsquoanalyse fondamentale Ce passage eacutevoque les sciences appliqueacutees qui articulent

drsquoautres plans de meacutediation que celui du signe Agrave savoir laquo une artistique une ceacutenotique une

critique raquo tous termes qui nrsquoapparaicirctront par la suite qursquoen position de laquo suffixe raquo deacutesignant le

plan incident agrave un plan fondamental preacutefixeacute qui lui continue de porter le nom des plans de

meacutediation agrave savoir laquo ergo- socio- axio- raquo

Ainsi la SOCIOARTISTIQUE deacutesigne la contribution des produits techniques agrave lrsquohistoire Crsquoest

donc une partie de la sociologie celle qui est laquo appliqueacutee raquo agrave lrsquoart On peut maintenant envisa-

ger agrave titre drsquoexemple la science appliqueacutee inverse (cf LrsquoOutil 164218) lrsquoERGOCENOTIQUE est

lrsquoeacutetude de la maniegravere dont on peut artificialiser du social En cela crsquoest un chapitre de

lrsquoergologie celle qui est laquo appliqueacutee raquo au social JG ailleurs y range les laquo ingeacutenieurs de

lrsquohistoire raquo Le laquo mur raquo de Berlin ou celui de Palestine sont des œuvres qui performativement

fabriquent des eacuteveacutenements historiques et des statuts sociaux Les conditions techniques de

leur fabrication varient en fonction de lrsquoutilisation sociale que lrsquoon projette Un chacircteau fort

pourvu de meurtriegraveres deviendra quelques siegravecles plus tard un chacircteau Renaissance apregraves

deacutemontage du pont-levis et percement de fenecirctres Enfin pour compleacuteter le panorama

suggeacutereacute la SOCIOCRITIQUE eacutevoqueacutee plus haut est la maniegravere dont le rapport des hommes agrave

lrsquoeacutethique se transforme historiquement ordre de faits qui inteacuteresse aussi le sociologue

laquo Sciences et disciplines raquo 192 Les disciplines sont les cadres professionnels qui

conventionnellement et poleacutemiquement se disputent et se reacutepartissent les meacutetiers du

savoir Tandis que les sciences ont une viseacutee purement explicative Il ne srsquoagit pas

drsquoentiteacutes seacutepareacutees Tout raisonnement scientifique a un statut social disciplinaire

laquo Le cadre suggeacutereacutehellip conduit agrave dresser linventaire fini des eacuteleacutements dont tout fait humain

en leacutetat de notre examen se compose Non certeshellip que pour nous la culture seacutepuise dans

lintelligence quainsi lon en obtient mais parce que decirctre forme nempecircche point quelle ne

se formule et que sinterdire de privileacutegier le bavard ne revient nullement agrave chercher au nom de

linteacuterecirct que lon porte au veacutecu le meilleur exeacutegegravete dans le plus beau des cas raquo 192

Justification de la deacutemarche scientifique Sa relativiteacute La culture caracteacuterise lrsquohumain sous

tous ses aspects elle nrsquoest pas reacuteductible agrave la recherche drsquoune explication Cependant crsquoest

ecirctre humain que de chercher ce qursquoest cette laquo forme raquo qui nous humanise Et cela passe

obligatoirement par des laquo formulations raquo et des raisonnements langagiers Il ne faut pas

attendre de la reacutealiteacute qursquoelle laquo dise raquo drsquoelle-mecircme ce qui la cause Le cas laquo veacutecu raquo ne deacutelivre

pas lui-mecircme lrsquoexplication de ce qui srsquoest passeacute Donc le beau cas nrsquoest pas le

laquo meilleur exeacutegegravete raquo lire ici le grec execircgecirctecircs = celui qui explique Le bavard nrsquoest pas pour

autant glossologue le citoyen nrsquoest pas pour autant historien ou sociologue le sage nrsquoest pas

pour autant axiologue

52 Une lecture de Jean Gagnepain

La theacuteorie de la meacutediation une anagnose et une dieacutegegravese de lrsquohumain

laquo helliple titre de cet ouvragehellip [ne deacutefinit pas rigoureusement son propos] raquo 193 Agrave savoir

laquo Du vouloir-dire raquo La preacutesence du mot laquo dire raquo teacutemoigne du fait que pour des raisons

professionnelles JG entre dans lrsquoeacutetude de lrsquohumain par le biais du langage parce que crsquoest

son domaine disciplinaire de recherche dans la reacutepartition sociale du travail

laquo Le langage simultaneacutement se fait [dans cet ouvrage] exemple et theacuteorie drsquoinstances et de

performances dont lrsquoanagnose et la dieacutegegravese reflegravetent eacutepisteacutemologiquement les caractegraveres

Lrsquoune alternativement extrait lrsquoautre meacutethodologiquement deacutecrit cet unique ressort de

lrsquohominisation baptiseacute par nous meacutediation (hellip) raquo 193

En grec laquo anagnocircsis raquo veut dire laquo prise de connaissance [-gnocircsis] (drsquoun texte) en remon-

tant |ana-]raquo et particuliegraverement laquo lecture raquo Dans les Actes des Apocirctres il deacutesigne la lecture agrave

haute voix de la Thora agrave la synagogue Le terme laquo dieacutegegravese raquo (diecircgecircsis) deacutesigne le deacuteveloppe-

ment drsquoun reacutecit le deacuteroulement de la parole dans le temps

JG glosait lui-mecircme ces deux termes agrave propos de la notion de laquo science raquo dans son

Seacuteminaire du 5 mai 1977 laquo La science nrsquoest ni formalisation ni description elle est explication

crsquoest-agrave-dire une dialectique verbale qui suppose dans lrsquoordre du savoir comme dans lrsquoordre de

la totaliteacute de la raison deux phases que jrsquoappelle ‟anagnoserdquo raquo et ‟dieacutegegraveserdquo Je mets

lrsquoanagnose du cocircteacute de la formalisation la dieacutegegravese du cocircteacute de la description Il srsquoagit des

moments dialectiques drsquoune seule et mecircme explication raquo43

Revenons au texte Le preacutesent ouvrage en tant qursquoessai drsquoexplication scientifique preacutesente

les mecircmes proprieacuteteacutes rationnelles que lrsquoobjet dont il traite Il en laquo reflegravete les caractegraveres raquo agrave

savoir la dialectique et ses deux phases Le langage en tant qursquoobjet de lrsquoouvrage est un

laquo exemple raquo dont on laquo extrait raquo la raison dialectique Il nrsquoest pas le seul noter le pluriel agrave

laquo instances et performances raquo Et le langage est aussi la meacutediation par laquelle passe toute

explication qui est laquo theacuteorie raquo ici drsquoune dialectique entre instance et performance Le langage

est donc envisageacute successivement comme objet et comme theacuteorie explicative ndash

laquo meacutetalangage raquo diraient certains Par du langage on tente drsquoexpliquer ce qursquoest le langage de

sorte qursquoil a laquo simultaneacutement raquo un double statut

Lrsquolaquo anagnose raquo est donc le regard analytique laquo formalisant raquo de lrsquoanthropologue qui

prend le langage en laquo exemple raquo de reacutealiteacute humaine et en laquo extrait raquo laquo les caractegraveres raquo de la

meacutediation par le test hypotheacutetico-deacuteductif notamment par la dissociation des plans Le

langage ainsi est reacuteveacutelateur de la meacutediation structurale et la neacutegation de celle-ci par reacuteanalyse

ainsi que de la complexiteacute de la raison laquo unique ressort de lrsquohominisation raquo

La laquo dieacutegegravese raquo est donc le processus de deacuteveloppement laquo meacutethodologique raquo de lrsquoexposeacute de

la dialectique de la rationaliteacute humaine Du Vouloir Dire est lrsquoexemple mecircme drsquoune laquo dieacutegegravese raquo

laquo [Cet unique ressort de lrsquohominisation la meacutediation]hellipqui drsquoun chapitre agrave lrsquoautre se

lit drsquoabord en filigrane avant drsquoecirctre globalement repris sous lrsquoangle de ses avatars ou des

opeacuterations qursquoil induit raquo 1937

laquo hellipen filigrane raquo Par la suite JG traitera seacutelectivement et successivement de chaque

laquo plan raquo Le principe de meacutediation qui est le plus geacuteneacuterique sera deacutesormais agrave lrsquoarriegravere-plan En

43 Seacuteminaires laquo Le sens raquo (1976-1977) 5 mai 1977 laquo Les limites de la connaissance raquo 3egraveme partie laquo De la science comme dialectique raquo

Discours et meacutethode 53

distinguant par cette meacutetaphore de papetier laquo le filigrane raquo de laquo lrsquoimage raquo JG veut souligner

que le principe mecircme de laquo meacutediation raquo est lrsquolaquo unique ressort de lrsquohominisation raquo Lrsquoobligation

de deacutevelopper laquo drsquoun chapitre agrave lrsquoautre raquo lrsquoexposeacute de la glossologie de lrsquoergologie de la

sociologie et de lrsquoaxiologie du fait de la dissociation des plans ne doit pas remettre en cause

lrsquouniteacute fondamentale du principe de meacutediation La rationaliteacute est une (Si jrsquoose dire en toute

improprieacuteteacute laquo Credo in unam rationem raquo)

laquo helliprepris sous langle de ses avatars ou des opeacuterations quil induit raquo Il sera repris lorsque

JG traitera de sciences laquo appliqueacutees raquo et dans le 3e volume de laquo gueacuterir former sauver

lrsquohomme raquo 193

Da Capo

[Le projet] laquo auquel lacircge qui vient nous convie raquo laquo le jeu raquo [des sciences humaines] est

lrsquoenjeu de laquo notre temps raquo 194 Reprise da capo du premier paragraphe de lrsquoouvrage

laquo lrsquoavenir verra dans ces derniegraveres la grande deacutecouverte de notre temps raquo 33

Les autres sciences continuent leur analyse de lrsquounivers physique et biologique mais le

preacutesent ouvrage invite agrave analyser laquo lrsquo‟analyseurrdquo mecircme qui nous en donne la capaciteacute raquo 194

Thegraveme de la circulariteacute des sciences humaines Lrsquohomme analyse lrsquohomme pour deacutecouvrir qursquoil

est la source de toute analyse Il fait lrsquoanalyse de ce qursquoest la capaciteacute drsquoanalyse44

Lrsquoexposeacute des quatre laquo plans raquo de la rationaliteacute humaine commencera par lrsquoeacutetude de la

capaciteacute de laquo signe raquo qui est au fondement du langage Cette eacutetude se divisera en deux parties

et traitera successivement de lrsquoaptitude humaine agrave la laquo signification raquo ou pocircle laquo grammatical raquo

de la dialectique du dire et de lrsquoaptitude conjointe agrave la laquo deacutesignation raquo ou pocircle laquo rheacutetorique raquo

de la mecircme dialectique du dire

44 Ferdinand de Saussure montre dans ses notes qursquoil eacutetait tregraves conscient de ce fait dans sa propre perspective laquo Il y aura un jour un livre speacutecial et tregraves inteacuteressant agrave eacutecrire sur le rocircle du mot comme principal perturbateur de la science des mots raquo (N 13 = 32858) Citeacute par Reneacute Amacker 1995 laquo Saussure ‟ heacuteracliteacuteen rdquo eacutepisteacutemologie constructiviste et reacuteflexiviteacute de la theacuteorie linguistique raquo LINX 7

Structure et signification 55

DU SIGNE

Introduction

Cette introduction agrave la theacuteorie du Signe - lrsquoaptitude agrave laquo dire raquo qui est au fondement du

langage - est centreacutee sur le thegraveme de la dialectique qui est une proprieacuteteacute de porteacutee

anthropologique Crsquoest pourquoi le modegravele exposeacute preacutesente deux parties drsquoeacutegale importance

qui correspondent chacune agrave un pocircle de la dialectique le pocircle de neacutegativiteacute la laquo signification

(grammaticale) raquo et le pocircle de neacutegation de la neacutegativiteacute la laquo deacutesignation (rheacutetorique) raquo

laquo Il nrsquoest pour nous de signe que verbalhellip raquo 231 Cette restriction est importante parce

qursquoeacutethologues et seacutemioticiens utilisent ce terme agrave propos de tout type drsquoinformation

laquo La grammaire (hellip) ne saurait ecirctre [ni] une sorte de cadre a priori de lrsquoentendement (hellip) [ni]

reacuteductible aux proceacutedures drsquoanalysehellip raquo hellip proposeacutees par les linguistiques formalistes Lrsquoordre

du laquo verbal raquo se reconnaicirct agrave lrsquoexistence drsquoune grammaticaliteacute immanente qursquoil srsquoagit

drsquoexpliciter

ndash Par laquo cadre a priori de lrsquoentendement raquo JG ne me semble pas se reacutefeacuterer directement agrave

Kant (1re partie de la Critique de la raison pure) en deacutepit de la formule bien kantienne Rappe-

lons que Kant ne srsquoest pas inteacuteresseacute au langage agrave proprement parler Jean Giot (communica-

tion) me rappelle qursquoErnst Cassirer observe quelque part que Johann von Herder le deacuteplorait

JG pense plus largement agrave lrsquoensemble des theacuteories philosophiques qui posent que le langage

est fondeacute sur des cateacutegories geacuteneacuterales de penseacutee notamment au courant de Port-Royal45

ndash laquo hellipni reacuteductible aux proceacutedures drsquoanalysehellip raquo Allusion agrave la Grammaire geacuteneacuterative et

transformationnelle de Noam Chomsky et plus geacuteneacuteralement agrave tout formalisme

JG eacutenonce en 232 le caractegravere dialectique de lrsquoaptitude qui est au fondement du langage

et qursquoil appelle la capaciteacute de laquo signe raquo autrement dit lrsquoaptitude de tout humain agrave laquo dire raquo

Dans un tel modegravele la Grammaire est le pocircle de la laquo neacutegation raquo de la rupture drsquoavec la

relation immeacutediate agrave lrsquoexpeacuterience de sa contestation par les mots Pour autant ce pocircle ne

peut pas ecirctre isoleacute de son antagoniste le pocircle qursquoil appelle Rheacutetorique par lequel le locuteur

remet en cause cette rupture et aboutit au message explicite celui qui se donne agrave comprendre

et vise agrave rendre compte de lrsquoexpeacuterience agrave laquelle le dire se confronte

laquo Parler nest point dire des choses mais sengager agrave leur propos dans cette dialectique du

savoir qui signifiant ce quelle deacutesigne le fait eacutemerger au concept raquo 233 Cette formulation

introductrice meacuterite une attention particuliegravere

- Notons drsquoembleacutee que le terme laquo savoir raquo eacutequivaut ici agrave laquo connaicirctre raquo qursquoil renvoie agrave la

cognition et non agrave la capitalisation sociale des connaissances Dans le second tome consacreacute agrave

la Personne le terme sera utiliseacute dans le cadre drsquoune sociolinguistique et associeacute au terme de

laquo doxa raquo laquo Bien que le savoir soit langage il est en tant que langue leacutecho de nos accords et

de nos meacutesententes raquo (DVD II De la Personne 16214)

45 Antoine Arnauld et Claude Lancelot 1660 Grammaire geacuteneacuterale et raisonneacutee Antoine Arnauld et Pierre Nicole 1662 La logique ou lrsquoart de penser

56 Une lecture de Jean Gagnepain

- Il me semble aussi possible drsquoajouter agrave lrsquoallusion agrave lrsquoincidence laquo signifiant de qursquoelle deacute-

signe raquo une allusion agrave lrsquoopeacuteration de reacutefeacuterence laquo et deacutesignant ce qursquoelle signifie raquo Lrsquoessentiel

de la formulation est dans le caractegravere dialectique des deux pocircles de production du dire

- Fondamentalement cette proposition eacutenonce au nom de la dialectique une conception

non positiviste de la connaissance Lrsquoexpression laquo des choses raquo renvoie au postulat drsquoune reacutea-

liteacute qui est laquo non amorphe raquo (reacutealiteacute non laquo en soi raquo mais pour le vivant qursquoest lrsquohomme) laquo hellip

sil nest pas vrai que lunivers sans elle [La Raison humaine] soit amorphe (hellip) raquo 175 et infra

laquo Il nest pas vrai que la nature soit comme on le dit amorphe et continue raquo 251 Ceci eacutetant

ce qursquoon en connaicirct reacutesulte de la meacutediation du signe productrice de laquo concepts raquo

JG explicite par une terminologie speacutecifique la dialectique du laquo Dire raquo 233 Deacutesormais il

parlera de laquo signification raquo pour les faits grammaticaux et de laquo deacutesignation raquo pour les faits de

rheacutetorique 236 Le signe signifie grammaticalement et deacutesigne rheacutetoriquement

Sans attendre le chapitre consacreacute agrave la deacutesignation arrecirctons-nous un instant sur le terme

laquo deacutesignation raquo Il est impeacuteratif de se deacuteprendre agrave son propos du sens le plus commun celui

qui relie laquo deacutesigner raquo agrave lrsquoacte de pointer une chose du doigt ce qui renvoie agrave une conception

nomenclaturiste et ontologique du signe Ontologique parce que lrsquoon postule ainsi lrsquoexistence

de choses distinctes sans se demander ce qui humainement leur donne existence distincte ndash

ne serait-ce que lrsquoaptitude biologique agrave la perception qui produit une saillance sur un fond

Nomenclaturiste parce que lrsquoon postule alors qursquoun catalogue de mots peut correspondre agrave

cette diversiteacute de choses et qursquoil suffit de faire le bon choix Comme toujours chez JG il faut

prendre en compte tant le fait qursquoil propose non un concept mais un couple de concepts ndash

laquo signification deacutesignation raquo que le fait que ce couple renvoie agrave lrsquoantagonisme des pocircles

drsquoune dialectique Par conseacutequent il faut lire laquo deacute -signation raquo ndash agrave deacutefaut de laquo deacute-

signification raquo ndash parce qursquoil srsquoagit du renversement de la neacutegativiteacute formelle en neacutegation de

cette neacutegativiteacute laquo Crsquoest ce moment de neacutegation de la neacutegativiteacute que jrsquoessaie drsquoexprimer par deacute-

signation crsquoest-agrave-dire au fond [le fait] de nier la signification drsquoy eacutechapper raquo46 Seacuteminaire du

27 novembre 1975 Comme il le dit plus loin la signification produit de la structure formelle et

la deacutesignation est laquo structurante raquo laquo La rheacutetorique est structurante cest-agrave-dire reconstruit le

monde sur le modegravele dune grammaire raquo 673

En outre JG deacutedouble dans ce paragraphe 233 la terminologie en fonction de lrsquoexistence

de ce qursquoil appellera laquo les deux faces raquo du signe Il reprend ici la terminologie saussurienne du

laquo signifiant raquo et du laquo signifieacute raquo tout en transformant de faccedilon importante ces concepts

comme nous le verrons Il y a donc deux aspects agrave la grammaire la phonologie et la

seacutemiologie et deux aspects agrave la rheacutetorique (respectivement) la phoneacutetique et la seacutemantique

Noter au passage que dans une telle disposition des concepts cette laquo seacutemiologie raquo strictement

grammaticale nrsquoa plus rien agrave voir avec la seacutemiologie du Cours ni avec celle des seacutemioticiens du

XXe siegravecle

Formulation corollaire sur une face existe la dialectique entre lrsquoinstance phonologique et

la performance phoneacutetique et sur lrsquoautre la dialectique entre lrsquoinstance seacutemiologique et la

performance seacutemantique Cf le scheacutema de la page 24 du livre

Lrsquoauteur insiste sur la prise en compte de la rheacutetorique car laquo Lrsquoanalyse [grammaticale] ne

suffit pas raquo pour expliquer ce qui est dit 234 La rheacutetorique est en interface avec la laquo situa-

tion raquo Cette interaction est deacutefinie par la conjonction de plusieurs aspects qursquoil appellera plus

46 Seacuteminaire du 27 novembre 1975 laquo Signification et deacutesignation raquo

Structure et signification 57

loin des laquo paramegravetres raquo (de la situation) Il en eacutevoque ici trois 234 Tout laquo message raquo (ce qui

est dit) teacutemoigne drsquoune recherche qui est contrainte agrave la fois par la laquo source raquo (sa provenance)

par la laquo cible raquo du message adresseacute et par lrsquoobjet deacutesigneacute (laquo de quoi il est question raquo)

Lrsquoensemble constitue laquo la conjoncture raquo

laquo Il y a ce que la langue veut dire en nous il y a ce que nous voulons dire par elle raquo 235 En

ce deacutebut drsquoouvrage JG choisit drsquoutiliser des termes usuels laquo langue vouloir dire raquo termes

auxquels il donnera un autre sens par la suite Il ne faut donc pas accorder un sens socio-

logique au terme laquo langue raquo mais seulement le sens de laquo systegraveme grammatical raquo ndash on nrsquoest

pas loin de la notion de laquo langue raquo promue par Saussure De mecircme laquo vouloir dire raquo est

seulement synonyme ici de laquo faire sens ecirctre intelligible raquo sans rapport avec lrsquoaxiologie du

vouloir et du laquo noloir raquo deacuteveloppeacutee dans le 2e tome Le rapprochement srsquoimpose avec le titre

de lrsquoouvrage laquo Du vouloir Dire raquo Personnellement je pense qursquoil srsquoagit drsquoun anglicisme

teacutemoin de son long seacutejour en milieu anglophone Crsquoest selon moi le calque franccedilais drsquoun laquo On

Meaning raquo que le terme laquo signification raquo ne pouvait traduire puisque JG voulait donner une

porteacutee anthropologique geacuteneacuterale agrave son projet Par comparaison lrsquoouvrage de K Ogden amp IA

Richards The meaning of meaning (1923) reste un livre de linguistique

laquo hellip [Grammaire et Rheacutetorique] Ce dont lrsquoeacutecole traditionnelle faisait chronologiquement des

cycleshellip raquo 235 Lrsquoeacutecole reacutepartissait en deux cycles lrsquoeacutetude de la grammaire et lrsquoeacutetude de la

reacutedaction argumenteacutee Allusion agrave une appellation ancienne des classes de franccedilais du 2d

degreacute De la 6egrave agrave la 3egrave lrsquoeacutelegraveve eacutetait en classe de laquo grammaire raquo et de la 2de agrave la Terminale il

eacutetait en classe de laquo rheacutetorique raquo Deux agreacutegations diffeacuterentes leur correspondaient ndash eacutetant

entendu que lrsquoeacutetude du franccedilais nrsquoeacutetait pas dissocieacutee de celles du latin et du grec lrsquoagreacutegation

de laquo grammaire raquo eacutetait censeacutee former des professeurs du 1er cycle (actuels collegraveges) et celle

de laquo lettres raquo des professeurs du 2d cycle (actuels lyceacutees)

Il srsquoagit ici laquo hellipnon drsquoun systegraveme abusivement identifieacute agrave un code et drsquoun corpus historique-

ment tenu pour fini raquo Le rapprochement entre laquo systegraveme raquo et laquo code raquo renvoie agrave la typologie

des laquo fonctions raquo du langage proposeacutee par Roman Jakobson dans le chapitre laquo linguistique et

poeacutetique raquo de ses Essais de linguistique geacuteneacuterale 214-218 (Article de 1960 eacuted franccedilaise

1963) JG reproche agrave cette conception du langage drsquoecirctre fixiste et drsquoordre sociologique le

code comme le corpus y sont preacutedeacutetermineacutes et conventionnels

laquo [Le couple Grammaire et Rheacutetorique] devient contradiction fondamentalehellip ndash sur la base

drsquoune eacutegale creacuteativiteacute ndash de deux principes drsquoorganisation dont lrsquoun purement logique est de soi

catachregravese lrsquoautre conjonctural exigence simultaneacutee de congruence et drsquounivociteacute raquo 235

Voyons quelle est cette double creacuteativiteacute et quels sont ces deux laquo principes

drsquoorganisation raquo lrsquoun laquo purement logique raquo lrsquoautre laquo conjonctural raquo Le seacuteminaire du 4 deacute-

cembre 1975 nous propose la premiegravere reacuteponse suivante laquo Les deux processus se trouvent

eacutegalement creacuteatifs Crsquoest ce que jrsquoexprime par ‟tout le signifiablerdquo et ‟tout le concevablerdquo raquo47

Le laquo signifiable raquo est lrsquoinfiniteacute de ce que lrsquoon peut dire grammaticalement le laquo concevable raquo

lrsquoinfiniteacute de ce que lrsquoon peut concevoir qui ne se reacuteduit pas agrave ce que lrsquoon comprend et ne se

confond pas avec agrave ce que lrsquoon comprend dans un eacutetat historique du savoir

Lrsquoassociation entre creacuteativiteacute grammaticale et laquo catachregravese raquo ainsi qursquoentre creacuteativiteacute

rheacutetorique et laquo congruence raquo peuvent ecirctre deacuteveloppeacutees de la faccedilon suivante

47 Seacuteminaire du 4 deacutecembre 1975 laquo Les principes drsquoorganisation et le corpus raquo

58 Une lecture de Jean Gagnepain

a - Envisageons la creacuteativiteacute du principe drsquoorganisation laquo purement logique raquo Le pocircle

grammatical du signe serait laquo creacuteatif raquo parce qursquoil est en soi laquo catachregravese raquo 235 Qursquoest-ce agrave

dire JG formule ainsi une proprieacuteteacute du grammatical sous tous ses aspects (phonologique

lexical syntaxique) cependant pour simplifier ici lrsquoexplication je ne retiendrai que lrsquoaspect

lexical mecircme si je suis conscient que cette restriction introduit un biais tellement il est diffi-

cile de renoncer agrave cet arriegravere-plan ontologique qui ferait du langage une relation entre laquo des

mots raquo et laquo des choses raquo Gardons constamment agrave lrsquoesprit le principe eacutenonceacute anteacuterieurement

laquo point de choses agrave dire preacuteexistant agrave notre faccedilon drsquoen parler raquo 64 ainsi que laquo parler nrsquoest

point dire des choses raquo 233 Dans ce domaine lexical JG veut dire par laquo catachregravese raquo qursquoun

mot ndash crsquoest-agrave-dire une valeur structurale (dans lrsquoacception saussurienne du terme) deacutefinie

neacutegativement par ses frontiegraveres avec les autres valeurs dans le systegraveme ndash offre une potentia-

liteacute de sens et non un sens fixe Le mot est laquo impropre raquo source de polyseacutemie conceptuelle

Bien plus mecircme lorsque celle-ci est leveacutee le mot reste vague puisqursquoil est une abstraction

formelle Ainsi le mot laquo une table raquo fait abstraction des cadres des expeacuteriences culturelles ndash

techniques et sociales notamment ndash dans lesquels il sera de fait rheacutetoriquement eacutenonceacute laquo la

table de multiplication la table agrave repasser du raisin de table la meilleure table de la reacutegion raquo

(Polyseacutemie) Mecircme relieacute agrave une situation deacutefinie techniquement et socialement (table agrave

repasser et non une autre sorte de table) le mot laquo table raquo ne dit rien de la dimension ou du

poids de lrsquoobjet qursquoil deacutesigne ni de son style il reste laquo vague raquo Le terme de laquo catachregravese raquo est

agrave entendre comme cette aptitude drsquoun mot agrave rester identique agrave lui-mecircme quand bien mecircme

son sens varie

Cette creacuteativiteacute peut srsquoeacuteprouver dans le fait qursquoune variante seacutemantique peut toujours

apparaicirctre notamment par le raisonnement meacutetaphorique ou meacutetonymique dans le cadre

invariant de lrsquoidentiteacute grammaticale laquo Son voilier est scotcheacute pregraves des Accedilores raquo (Cf infra la

deacutefinition de la meacutetaphore et de la meacutetonymie en 801-2 1003 et 1042) La rheacutetorique nrsquoest

laquo structurante raquo que parce que lrsquoabstraction grammaticale permet cette creacuteativiteacute La part de

laquo creacuteativiteacute raquo de la dialectique est laquo agrave eacutegaliteacute raquo dans ses deux pocircles

Autre maniegravere compleacutementaire de comprendre Parce qursquoil reacutepond agrave un principe organisa-

teur speacutecifique lrsquoordre du grammatical (qui inclut le lexique) laquo a ses raisons que la raison

seacutemantique ne connaicirct pas raquo le mot laquo creacutee raquo de lrsquoidentiteacute lagrave ougrave lrsquoon peut comprendre

seacutemantiquement de la diversiteacute Le mot laquo opeacuteration raquo ne dit grammaticalement que lui-mecircme

et nrsquoest deacutefini que par lrsquoexistence des autres mots du lexique alors qursquoon ne peut pas

confondre en situation une opeacuteration chirurgicale et une opeacuteration matheacutematique ou

militaire

Le terme de laquo catachregravese raquo 235 nrsquoest pas agrave prendre dans son sens eacutetymologique normatif

celui de laquo sens inapproprieacute raquo (chez Aristote puis Ciceacuteron) mais comme synonyme

laquo drsquoabstraction raquo un mecircme mot peut prendre des sens varieacutes et de toute maniegravere il neacuteglige

des aspects objectifs de la situation Pour JG comme pour Saussure il nrsquoy a pas de laquo sens

propre raquo (principal) et de laquo sens figureacute raquo (deacuteduit) mais une aptitude du mot agrave geacuteneacuterer des

sens Tout mot laquo figure raquo parce qursquoil constitue une identiteacute dans son ordre speacutecifique (le

grammatical) et qursquoil est donc laquo impropre raquo par contradiction avec la production des concepts

b - Lrsquoautre creacuteativiteacute est celle laquo conjoncturelle raquo de la rheacutetorique Elle est le corollaire et

lrsquoinversion de la premiegravere Le sens drsquoun message est laquo ouvert raquo agrave la creacuteativiteacute de lrsquointellection

qui en situation produit de la distinction et de lrsquoidentiteacute seacutemantique La construction du

raisonnement est une recherche relative de laquo congruence raquo (de la moindre reacutesistance de la

Structure et signification 59

situation au concept que lrsquoon produit) et drsquolaquo univociteacute raquo (le mot prend ce sens-lagrave et non un

autre) La rheacutetorique produit en permanence des laquo effets de reacuteel raquo nouveaux Jrsquoen trouve un

eacutecho dans ce propos de Wilhem von Humboldt laquo [Die Sprache] est le champ englobant [der

Inbegriff] de tout le pensable Crsquoest pourquoi elle est appeleacutee agrave faire agrave partir de moyens finis

un usage infini puisqursquoaussi bien crsquoest une seule et mecircme force qui produit agrave la fois la penseacutee

et la langue raquo (Introduction agrave lrsquoœuvre sur le kavi p 246)

Je vous propose un exemple de maniegravere agrave exercer nous-mecircmes cette creacuteativiteacute concep-

tuelle qursquoest la glose explicative face aux laquo mots raquo proposeacutes ici Soit donc ce conseil en

cuisine laquo Laisse freacutemir mais pas bouillir surveille les bulles raquo Chacun des mots est poly-

seacutemique dans le lexique mais se transforme ici en concepts par lesquels le locuteur produit

une connaissance deacutefinie de lrsquoexpeacuterience humaine qursquoil vit excluant qursquoil srsquoagisse de bulle

papale de freacutemissement drsquohorreur de gardien de prison ou de bouilleurs de cru

Soulignons encore une fois (cf 64 et 233) que cette conception du sens nrsquoest pas

laquo nomenclaturiste raquo qursquoelle ne considegravere pas les mots comme un laquo reflet raquo de choses viseacutees

En effet si reacutealiste que paraisse le propos crsquoest bien le locuteur qui construit les choix et les

raisonnements en se confrontant dans cet exemple agrave une laquo saillance raquo gestaltique visuelle

humaine associeacutee agrave une maicirctrise technique drsquoun outillage bref agrave lrsquoobservation de la surface

de lrsquoeau dans la casserole observation qursquoil transforme en concepts (laquo freacutemissement raquo versus

laquo bouillonnement raquo) par le langage agrave travers un choix lexical Cette conception du sens nrsquoest

pas non plus laquo ontologique raquo parce qursquoon ne pose pas laquo drsquoecirctres raquo en soi pas laquo drsquoecirctre

bouillon raquo mais une laquo conjoncture raquo (ou laquo situation raquo) humaine entrant dans la dialectique

langagiegravere

En outre il faut se garder de reacuteduite le message agrave ses laquo substantifs raquo agrave ce que lrsquoon appelle

parfois ses laquo lexegravemes raquo Tout syntaxe incluse doit ecirctre pris en compte dans cette ideacutee de

creacuteativiteacute Ainsi lrsquoimpeacuteratif verbal devient laquo conseil raquo (eacuteventuellement) en fonction drsquoune

expeacuterience veacutecue circonstancielle qui nrsquoest pas preacutesente ici mais qui a motiveacute le message Le

choix de laquo x mais pas y raquo compte aussi qui creacutee conceptuellement un antagonisme Enfin

qursquoest-ce que laquo laisser raquo (dans cette phrase) sinon une construction conceptuelle particuliegravere

qui tente drsquoidentifier sur son mode propre une opeacuteration technique drsquoailleurs neacutegative (ne

rien faire jusqursquoagrave un certain moment)

laquo Parce que tout message est un compromis de ce qursquoon peut deacuteduire des regravegles et de ce

que lrsquoexpeacuterience nous dit (hellip) raquo 236 final JG reformule ainsi la dialectique du dire

Je crois bon de noter le terme drsquolaquo expeacuterience raquo terme repris en 662 et que lrsquoon retrouvera

dans le chapitre suivant ndash 734 1071 1073 1113 etc ndash et qursquoil convient drsquoassocier agrave celui

de laquo situation raquo ndash 134 365 582 693 etc ndash car mieux que les termes laquo monde raquo ndash 673

732 851 etc ndash et laquo univers raquo ndash 75 194 823 etc ils montrent la relation de JG agrave la

pheacutenomeacutenologie JG utilise rarement le terme laquo la reacutealiteacute raquo dans ce sens 1084 1172

Apport terminologique le signe est laquo signification raquo par son pocircle grammatical et

laquo deacutesignation raquo par son pocircle rheacutetorique Par exemple lrsquoeacuteleacutement que la grammaire appelle laquo le

pluriel raquo (drsquoun nom) a une signification unique par opposition au laquo singulier raquo mais il prend

des deacutesignations diffeacuterentes selon le raisonnement seacutemantique que lrsquoon tient laquo Des tables raquo

peut deacutesigner une pluraliteacute comptable de tables ou des varieacuteteacutes qualitatives de tables

laquo hellipau lieu drsquoen fairehellip les degreacutes drsquoune seule et mecircme eacutechelle de grammaticaliteacute raquo 236

Reacutefeacuterence critique aux analyses finalistes par laquo niveaux raquo qui partent du niveau infeacuterieur du

60 Une lecture de Jean Gagnepain

son et du laquo phonegraveme raquo et deacutebouchent sur le niveau supeacuterieur du sens et de la laquo seacutemantique raquo

La theacuteorie laquo texte-sens raquo drsquoIgor A Melʹčuk en est un exemple contemporain

Leacutegende du scheacutema des composantes du signe p24

Il faut bien admettre qursquoil est techniquement impossible de dessiner un modegravele dialectique

dans une figure agrave deux dimensions Une telle figure est extrecircmement reacuteductrice Prenons-la

pour ce qursquoelle est une introduction

Lrsquoenchaicircnement vertical de petits cercles (sant seacute) est repris du Cours de Saussure (et col-

legravegues eacutedition 1916) Toutefois par la suite JG exposera une conception tregraves diffeacuterente des

laquo faces raquo du signe Il fera une distinction claire entre la laquo deacutenotation raquo (le laquo signifiant raquo du

scheacutema) qui est le critegravere qui cautionne le signifieacute et lrsquoordre geacuteneacuteral du signifiant qursquoest la

phonologie On sait en effet que Saussure entendait par son scheacutema illustrer la solidariteacute des

faces du signe mais il y a en termes drsquoanalyse un deacuteseacutequilibre entre les deux notions En

effet alors que le signifieacute pouvait ecirctre consideacutereacute comme une laquo valeur raquo eacuteleacutementaire ce qursquoil

appelle signifiant ne constitue pas pour autant une laquo valeur raquo phonologique eacuteleacutementaire Les

exemples du cours le montrent bien Le laquo signifieacute raquo laquo sœur raquo est eacuteleacutementaire tandis que laquo la

suite de sons s ndashouml ndash r raquo non eacuteleacutementaire laquo lui sert de signifiant raquo Cours p100

Par ailleurs la mise entre parenthegraveses de (son) et (sens) est lagrave pour alerter le lecteur sur le

fait qursquoil faut distinguer entre laquo son raquo et phoneacutetique et entre laquo sens raquo et seacutemantique laquo Son raquo

et laquo sens raquo prendront un statut hors du signe Cf supra 151 et infra 252 265 273 Phoneacute-

tique et seacutemantique forment le pocircle performantiel du signe

Il faut aussi lire que le terme laquo rheacutetorique raquo deacutesigne lrsquointeacuterieur du plus grand ovale et que le

terme laquo grammaire raquo deacutesigne lrsquointeacuterieur du plus petit ovale tandis que laquo signe raquo deacutesigne

lrsquoensemble que forment la rheacutetorique et de la grammaire

STRUCTURE ET SIGNIFICATION

Ce chapitre expose le modegravele grammatical glossologique sous trois aspects Le signe est

dialectique il est biface il est biaxial JG y deacuteveloppe le pocircle laquo instantiel raquo implicite de la

dialectique du dire qursquoest la grammaire Le chapitre suivant laquo Pour un traiteacute de la deacutesigna-

tion raquo deacuteveloppera le pocircle laquo performantiel raquo de la dialectique visant agrave lrsquoexplicitation pocircle

qursquoil appelle laquo rheacutetorique raquo

- Preacutesentation de la grammaire comme pocircle drsquoune dialectique dont le moment antagoniste

et fondamental est la situation qursquoelle analyse (laquo lrsquounivers raquo) Le thegraveme de la dialectique est

dominant dans le deacutebut de lrsquoexposeacute pages 25-27 et restera une preacuteoccupation constante de

lrsquoauteur dans lrsquoexposeacute de son modegravele lui-mecircme traiteacute dans les deux sections suivantes qui

privileacutegient le thegraveme de lrsquoanalyse

- Preacutesentation des deux laquo faces raquo du grammatical et de leur fondement commun

lrsquoimproprieacuteteacute Eacutetude de leur relation de deacutefinition reacuteciproque (section signifieacute et signifiant) 25-

34

Structure et signification 61

- Preacutesentation des deux laquo axes raquo drsquoanalyse (section Identiteacute et uniteacute) 34-48 suivie de

lrsquoexamen des interrelations entre ces deux axes (section similariteacute et compleacutementariteacute) 48-66

Propos introductif

La distinction introduite ici entre Gestalt et forme (structurale) est tregraves importante JG

refuse la dichotomie trop simple de la laquo forme raquo et de la laquo substance raquo au nom de la

dialectique Il serait selon lui inexact de concevoir la premiegravere comme discontinue et donc

analysable et la seconde comme un continuum qui serait seulement mesurable par la projec-

tion arbitraire et conventionnelle drsquoun systegraveme logique et technique de deacutecompte et de calcul

Il reacutecuse aussi la thegravese des laquo degreacutes raquo drsquoabstraction que posent les eacutethologistes qui jouant de

la polyseacutemie du terme laquo abstraction raquo preacutetendent en observer jusque chez les abeilles et en

concluent que lrsquohumain nrsquoest capable que de la mecircme abstraction en plus compliqueacutee

Soulignons que lrsquoeacutevocation de laquo la nature raquo ndash laquo Il nest pas vrai que la nature soit comme on

le dit amorphe et continue raquo 251 ndash ne renvoie pas agrave un laquo univers raquo autonomiseacute La suite du

propos ndash laquo hellip du moins le vivant y introduit-il des contourshellip raquo ndash montre qursquoil srsquoagit drsquoune

laquo nature humaine raquo autrement dit du monde pour lrsquoespegravece vivante qursquoest lrsquohomme du monde

auquel sa biologie lui donne accegraves et dont il fait lui-mecircme partie On remarquera au passage

la double caracteacuterisation de ces contours la nature nrsquoest ni laquo amorphe raquo ni laquo continue raquo JG

introduit agrave travers cette distinction la biaxialiteacute dans le vivant de lrsquohomme les laquo contours raquo

sont qualitatifs et quantitatifs En clinique Cleacutement de Guibert et coll (2003)48 distinguent

ainsi dans les agnosies visuelles des laquo troubles qualitatifs de la discrimination raquo (pertes des

caracteacuteristiques) de lrsquoobjet perccedilu et des laquo troubles quantitatifs de la deacutelimitation raquo de lrsquoobjet

Cette conception de la nature eacutetait deacutejagrave expliciteacutee en 1975 dans le seacuteminaire laquo Sens et

intelligibiliteacute raquo49 laquo (hellip) La nature des choses inclut notre rapport agrave elle La nature nrsquoexiste pas

en soi elle nrsquoexiste que pour les gens qui srsquoy trouvent et en particulier notre rapport aux choses

nrsquoest pas le mecircme que celui de lrsquoanimal Nous ne saisissons jamais les choses en elles-mecircmes

nous ne les saisissons que dans leur rapport agrave nous et le rapport agrave elles fait partie de la naturehellip

(hellip) Nous prenons pour des choses ce que la nature deacutecoupe gestaltiquement pour nous (hellip)

Dans notre vie nous participons au statut de cette reacutealiteacute La nature nrsquoest pas agrave lrsquoexteacuterieur de

nous nous sommes pleinement dans la nature Crsquoest agrave ccedila que ressortit lrsquoobjet perccedilu (hellip)

Preacuteciseacutement lrsquoobjet nrsquoest pas la chose il est la chose en tant qursquoelle est perccedilue Il est la chose

en tant que gnosiquement nous avons rapport agrave elle Deacutejagrave dans ce sens-lagrave parler drsquoobjet sup-

pose un eacutequilibre reacutealiseacute entre le vivant et son environnement raquo

laquo Le discret reacutesulte chez lhomme - et cest lagrave sa culture - dune non-coiumlncidence et non dune

invention raquo 251 La formulation peut precircter agrave confusion et doit ecirctre compleacuteteacutee par drsquoautres

propositions du texte Isoleacutee elle permettrait drsquoentendre que la gestalt (contraste fond-forme

notamment) et la forme (culturelle) ont la mecircme deacutefinition agrave ceci pregraves que la culture ne

mettrait pas les discontinuiteacutes au mecircme endroit Il faut donc rappeler que pour JG la gestalt

est une mise en contraste laquo positive raquo un effet de laquo saillance raquo tandis que la structure

constitue des discontinuiteacutes laquo neacutegatives raquo (dans le sens saussurien du terme) La gestalt peut

ecirctre une laquo figure raquo isolable tandis que la structure est une totaliteacute ougrave tout se tient Pour

autant la structure est pocircle drsquoune dialectique crsquoest-agrave-dire la neacutegation de la positiviteacute

naturelle par les frontiegraveres qursquoelle installe laquo Aufhebung raquo

48 laquo Biaxialiteacute saussurienne et biaxialiteacute gestaltique Arguments cliniques raquo in Teacutetralogiques 15 p227

49 Seacuteminaire du 27 novembre 1975 laquo sens et intelligibiliteacute raquo

62 Une lecture de Jean Gagnepain

SIGNIFIANT et SIGNIFIEacute

1- Du symbole au signe

Reacutesumeacute Le caractegravere dialectique du signe implique que lrsquoon srsquointeacuteresse agrave la base naturelle

sur laquelle srsquoinstaure cette dialectique

JG eacutenumegravere en 252 les trois degreacutes de complexiteacute de la cognition naturelle chez lrsquohomme

Le biologiste distingue la laquo sensation raquo ou laquo estheacutesie raquo (ex je vois) et la perception ou

laquo gnosie raquo (ex jrsquoaperccedilois) En effet tout ce qui est dans le champ visuel auditif olfactif etc

nrsquoest pas construit en percept JG appelle le percept laquo objet raquo de mecircme qursquoil parlera pour le

geste de laquo trajet raquo (puis de laquo sujet raquo et de laquo projet raquo agrave propos du corps et de lrsquoaffectiviteacute) Il

reacuteactive drsquoailleurs en cela le latin laquo ob-jectum raquo de maniegravere agrave lutter contre une positivation du

concept drsquoobjet et agrave rappeler qursquoil srsquoagit deacutejagrave drsquoune relation entre une fonction gnosique et la

reacutealiteacute En outre il est important de noter degraves maintenant que ce concept ndash laquo lrsquoobjet1 raquo

naturel ndash devra plus loin ecirctre soigneusement distingueacute du concept seacutemantique drsquolaquo objet2 raquo

culturel tel que deacutefini notamment en 1084 laquo Il nrsquoest drsquoobjet que construit Construit

srsquoentend avec des mots (hellip) raquo

En troisiegraveme degreacute de la laquo conscience animale raquo JG appelle ensuite laquo imaginaire raquo 252

lrsquoinformation de type laquo aliquid stat pro aliquo raquo crsquoest-agrave-dire laquo un indice mis pour un sens raquo

Une maniegravere drsquoillustrer cela est la notion de laquo trace raquo lrsquoempreinte au sol (aperccedilue) conduit agrave

imaginer le passage de quelqursquoun JG insiste sur le fait que le sens infeacutereacute drsquoun indice peut agrave

son tour ecirctre lrsquoindice drsquoun autre sens tel que dans notre exemple le sens laquo passage de

quelqursquoun raquo devienne lrsquoindice de lrsquoinformation tout aussi imaginaire laquo la maison plus loin est

occupeacutee raquo etc Le laquo symbole raquo est laquo seacuteriel raquo 253 Toutefois tout exposeacute drsquoexemple laquo humain raquo

est biaiseacute par le fait qursquoen le formulant on montre qursquoil est toujours transformeacute par le langage

en raisonnement conceptuel Par ailleurs lrsquoexemple des laquo cris raquo humains montre que dans le

symbole laquo le sens raquo associeacute agrave lrsquoindice (perceptible) srsquoil est une laquo information raquo (un fait

cognitif) ne preacutejuge pas du statut de cette information statut naturel ou culturel et qui peut

relever de nrsquoimporte quel autre plan Un cri humain tel que le son nasal aspireacute bouche fermeacutee

transcrit laquo hum raquo (qui nrsquoest pas nrsquoimporte quel son) informe drsquoun doute (qui est un fait

axiologique) et redoubleacute peut ecirctre associeacute agrave une approbation (dans une transaction)

laquo hellip agrave lrsquoencontre des plus remuants de nos contemporainshellip raquo 253 JG critique dans la fin

de ce paragraphe la confusion contemporaine du terme laquo symbole raquo et du terme laquo signe raquo Il

semble viser tregraves large depuis laquo le symbolique raquo de Jacques Lacan50 et dans drsquoautres sens le

mecircme terme chez Pierre Bourdieu51 et autres sociologues

Ce que les eacutethologues appellent improprement laquo langage animal raquo devient dans le modegravele

laquo aptitude au symbole raquo qursquoon lrsquoobserve dans la nature ou pousseacute agrave ses limites dans le

dressage 254 et 261 JG souligne que par anthropomorphisme lrsquoobservateur appreacutecie le

reacutesultat chez lrsquoanimal agrave lrsquoabsence drsquoerreur ou drsquointerpreacutetation Lrsquoabeille trouve toujours le lieu

de la cueillette en fonction de la laquo danse raquo de ses congeacutenegraveres Crsquoest tout le contraire du

langage qui est laquo impropre raquo et lieu drsquointerpreacutetation permanente

50 Cf entre autres P Juignet 2003 Cliniques meacutediterraneacuteennes httpswwwcairninforevue-cliniques-mediterraneennes-2003-2-page-131htm

51 Cf httpsfrwikipediaorgwikiCapital_symbolique

Structure et signification 63

Cependant dans le symbole laquo La reacuteduction de la substance que suppose la seacuteriation nrsquoa

rien drsquoune veacuteritable abstraction raquo 262 Tant lrsquoindice que le sens associeacute sont des faits positifs

(gestaltiques) et non des eacuteleacutements drsquoune structure ougrave la valeur de chacun est deacutefinie par sa

frontiegravere avec les autres valeurs Reprenons lrsquoexemple du cri humain transcrit laquo hum raquo (son

nasal aspireacute bouche fermeacutee) Un tel cri nrsquoest pas lrsquoeacutequivalent du phonegraveme nasal m dont la

deacutefinition deacutecoule du critegravere de pertinence qui le distingue des autres phonegravemes dans la

structure phonologique (Voir infra) De mecircme une chose est de dire grammaticalement laquo Jrsquoen

ai marre raquo une autre est de pousser le cri laquo expiration prolongeacutee bilabiale arrondie raquo associeacute agrave

une mimique particuliegravere grossiegraverement transcrit laquo Pouuuhellip raquo Le cri est positif srsquoagissant des

phonegravemes laquo il nrsquoy a que des diffeacuterences sans termes positifs raquo (Saussure Cours p 166) Est

veacuteritablement abstrait ce qui est dit laquo lagrave seulement commence la meacutediation raquo 262

En 263 le propos articule deux thegraveses 1re proposition Il nrsquoy a pas de hieacuterarchie entre les

faces du signe entre du laquo sensible raquo et de laquo lrsquointelligible raquo Et cela vaut agrave la fois pour la

grammaire et pour la rheacutetorique JG considegravere que les deux faces du signe relegravevent laquo de

lrsquointelligible raquo et il appelle laquo intellection raquo lrsquoaptitude humaine au signe qui va au-delagrave de la

laquo cognition raquo animale

2e proposition laquo Leur relation tout en srsquoy retrouvant ne se fondant plus dans le signehellip raquo

Autrement dit la relation des faces trouve son fondement dans le symbole et se retrouve

dans le signe qui est laquo lrsquoarticulation du symbole raquo Il y a lieu cependant de nuancer le laquo srsquoy

retrouvant raquo parce qursquoil y a passage drsquoun ordre agrave un autre de sorte que la relation change de

statut Je comprends ainsi la suite la distinction entre phonologie et seacutemiologie a un

fondement grammatical car il srsquoagit laquo drsquoarticulation raquo (drsquoun fait de structure) toutefois les

proprieacuteteacutes de chaque face sont les mecircmes Ceci est deacuteveloppeacute sur le thegraveme du laquo paralleacutelisme raquo

264

Bregraveve reacutefeacuterence agrave la clinique en 265 Le signe peut ecirctre qualifieacute laquo de seacutemiophone raquo par

opposition au symbole qui est laquo ideacuteosone raquo et les aphasies preacutesentent une figure pathologique

intermeacutediaire Lrsquoauteur oppose ici les termes laquo seacutemio- raquo et laquo ideacuteo- raquo le premier est grammati-

cal et renvoie agrave la face laquo seacutemiologique raquo du signe (lrsquoordre du signifieacute) tandis que le second

renvoie au laquo sens raquo dans le symbole Corollaire laquo phono- raquo et laquo sono- raquo renvoient respective-

ment agrave la face grammaticale laquo phonologique raquo du signe (lrsquoordre du signifiant) et agrave lrsquoindice

laquo sonore raquo dans le symbole

On peut eacuteprouver ici une difficulteacute de compreacutehension due agrave ce qursquoon a affaire agrave une

preacutesentation dichotomique qui deacutecoule de lrsquoopposition faite entre symbole et signe ce

dernier eacutetant reacuteduit ici au grammatical Il faut en outre bien veiller agrave ne pas confondre ces

notions de laquo son raquo et de laquo sens raquo avec les notions de rheacutetorique correspondantes lesquelles

ne sont pas grammaticales mais relegravevent cependant de la dialectique du signe Ainsi le

phonegraveme se reacutealise non pas en laquo son - indice raquo mais en laquo prononciation raquo et le mot se reacutealise

non pas en laquo sens - symbolique raquo mais en laquo concept raquo Pour ma part je continuerai agrave utiliser le

terme laquo sens raquo pour deacutesigner un fait seacutemantique

Autrement dit la grammaire rend capable de laquo seacutemiophone raquo tandis que le symbole est un

laquo ideacuteosone raquo (Je souligne ce qui a un statut grammatical)

laquo Lrsquoaphasiologie nous contraint agrave poserhellip ces intermeacutediaireshellip que sont lrsquoIdeacuteophone et le

Seacutemiosone raquo 265 Il srsquoagit donc de deux reacutealiteacutes teacuteratologiques Comprendre ici que dans

lrsquoaphasie de type seacutemiologique la maladie eacutetablirait une relation directe entre un enchaicircne-

ment grammatical de phonegravemes et une information de type symbolique dans lrsquoaxe drsquoanalyse

64 Une lecture de Jean Gagnepain

atteint par la maladie Autrement dit la persistance de la structure des phonegravemes encadre

encore de laquo lrsquoideacuteo-logie raquo (si jrsquoose dire) par deacuteficience de la laquo seacutemio-logie raquo sur cet axe

Reacuteciproquement dans une aphasie de type phonologique la structure seacutemiologique intacte ne

se marquerait plus par des phonegravemes sinon partiellement mais par une eacutemission sonore

Remarque Lrsquoutilisation du terme laquo imaginaire raquo agrave propos du symbole fait penser au triplet

terminologique kantien laquo sensibiliteacute imagination entendement raquo Le rapprochement que je

fais est avant tout terminologique

Essai drsquoexplication eacutepisteacutemologique du fait que laquo le son lrsquoemporte toujours sur le sens raquo

266 - 271-2 Cet eacutetat des lieux correspond plutocirct agrave la situation de la linguistique des anneacutees

1950-60 et non agrave la grammaire traditionnelle (laquelle traite de textes eacutecrits et ne srsquointeacuteresse

ni aux phonegravemes ni aux prononciations) ni agrave la grammaire geacuteneacuterative qui privileacutegie la syntaxe

[Pour traiter de sens on fait appel aux disciplines] laquo hellipdont lrsquoenseignement par sa deacutemis-

sion [celle du linguiste] devenait respectivement variante de lrsquoorthoeacutepie raquo 271

Lrsquoenseignement du sens mis relativement agrave lrsquoeacutecart ou en reacuteserve par la linguistique structu-

rale demeurait lrsquoapanage des enseignants dont la perspective est normative Agrave lrsquoeacuteducation agrave

la bonne prononciation (orthoeacutepie) correspond lrsquoeacuteducation agrave la bonne rheacutetorique (ortho-

seacutemantique) et agrave lrsquoorthographe

Il reste au linguiste le domaine de la logique dont teacutemoigne le laquo Succegraves raquo contemporain des

laquo noeacutetiques raquo [chez les litteacuteraires] 271 Du grec laquo noesis raquo (penseacutee) Le terme est utiliseacute en

philosophie et dans divers courants linguistiques JG en 1980 fait probablement reacutefeacuterence agrave

Luis-Jorge Prieto (Eacutetudes de linguistique et de seacutemiologie geacuteneacuterales ndash voir Google books) ou aux

ouvrages drsquoEric Buyssens

Succegraves aussi chez les litteacuteraires des laquo Pleacutereacutematiques raquo JG critique ici lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral pour

lrsquoanalyse du contenu pour le laquo plein raquo (πλήρόω remplir) alors qursquoil srsquoagit selon lui drsquoanalyser

le laquo vide raquo relatif de la valeur la laquo keacutenocircse raquo (κενόω laquo vider raquo) Pour meacutemoire le terme reacutefegravere

drsquoabord agrave lrsquoopposition dans les textes du Nouveau Testament et agrave propos de lrsquoIncarnation

entre les notions de laquo keacutenocircse raquo vide et de laquo pleacuterocircse raquo pleacutenitude (πλήρωμα) Cette antinomie

appliqueacutee agrave la linguistique deacutesigne lrsquoopposition entre forme et contenu Louis Hjelmslev (1971

1973) pour sa part opposait le laquo plan ceacuteneacutematique raquo (de lrsquoexpression en phonegravemes) au laquo plan

pleacutereacutematique raquo (du contenu en mots) dans le domaine grammatical JG appelle

laquo Pleacutereacutematiques raquo les divers courants en seacutemantique et en analyse seacutemantique des textes qui

srsquoinspirent de lrsquoœuvre de Louis Hjelmslev

Succegraves enfin des laquo seacutemiotiques raquo Le terme est anglo-saxon ndash lrsquoInternational Association for

Semiotic Studies est fondeacutee en 1969 Dites aussi laquo seacutemiologies raquo en Europe (Saussure

Hjelmslev) Les chefs de file agrave cette eacutepoque ont eacuteteacute Roland Barthes et Algirdas Greimas

[Srsquoagissant de lrsquoeacutetude de la phonationhellip] laquo pas question de lrsquoexclure drsquoune linguistique (hellip)

ougrave lrsquoorthophoniehellip a plus de titre agrave figurer que la kineacutesitheacuterapie raquo 272 Eacutetant entendu que la

laquo linguistique raquo est deacutefinie comme une discipline appliqueacutee on peut comprendre qursquoun

laquo exercice raquo langagier tel que proposeacute par lrsquoorthophoniste qui joue sur le controcircle de la

prononciation est plus approprieacute que la kineacutesitheacuterapie du moins dans lrsquoideacutee commune qursquoon

srsquoen fait travail sur les mouvements du dos et des membres (Je laisse deviner la limite de ce

raisonnement)

Lrsquo laquo eacutetude auxiliaire raquo eacutevoqueacutee en 273 deacutesigne celle de la phonation

Structure et signification 65

laquo Le son nrsquoentre dans le langage que comme reacutefeacuterence au mecircme degreacute que le sens raquo 273

Dialectiquement la meacutediation srsquoappuie sur un principe drsquolaquo expeacuterience humaine raquo qui est

contraignant Il lrsquoest sous deux aspects Le son avec ses contraintes spatio-temporelles

drsquoeacutemission et de diffusion Le laquo sens1 raquo eacutegalement qui est lrsquoexpeacuterience veacutecue et imagineacutee

Attention il srsquoagit drsquoun laquo sens1 raquo non seacutemantique drsquoune information qui ne relegraveve pas du

raisonnement conceptuel que produit le langage (Voir supra la notion de laquo symbole raquo 253) Le

terme de laquo reacutefeacuterence raquo deacutesigne le fait de reacutefeacuterer crsquoest-agrave-dire la laquo viseacutee raquo par laquelle le

locuteur remet rheacutetoriquement en cause les deacutelimitations grammaticales en les confrontant agrave

une conjoncture Le son est deacuteterminant dans la prononciation du fait qursquoil oblige dialectique-

ment agrave donner en retour un contenu au phonegraveme qui est pure abstraction Chez JG la

laquo reacutefeacuterence raquo est un laquo nom drsquoaction raquo52

laquo Signifiant et signifieacute ne sont point deux domaines distincts raquo 651 Ceci explique la formule

de la phrase preacuteceacutedente laquo hellip lrsquoisomorphisme [est un] essai deacutesespeacutereacute pour assigner agrave la

meacutethode ce qui ne ressortithellip qursquoagrave lrsquohistoirehellip raquo [= La seacuteparation des deux domaines srsquoexplique

en termes drsquoeacutetapes dans lrsquohistoire des sciences du langage ougrave lrsquoeacutetude des sons a preacuteceacutedeacute

lrsquoabord du sens]

La theacuteorie de laquo lrsquoisomorphisme raquo (entre lrsquoordre des phonegravemes et celui des mots) que JG

imagine ici pour la reacutecuser eacutenoncerait que ce sont des types distincts de reacutealiteacute JG semble

imaginer que la thegravese de lrsquoisomorphisme conduit agrave mener drsquoabord une analyse du son pour

ensuite et dans cet ordre transposer lrsquoanalyse au domaine du sens Srsquoil est fait reacutefeacuterence agrave

Louis Hjelmslev il faut toutefois rappeler la complexiteacute de la theacuteorisation de ce dernier sur ce

point Drsquoun cocircteacute sa seacutemiotique geacuteneacuterale est hieacuterarchisante (seacutemiotiques non deacutenotatives et

seacutemiotiques deacutenotatives dont le langage) et sa theacuteorie du signe hieacuterarchise trois paliers

drsquoanalyse (phonologie grammaire lexicologie) De lrsquoautre srsquoagissant de ce qursquoil appelle laquo la

forme de lrsquoexpression raquo et laquo la forme du contenu raquo (correspondant respectivement au

signifiant et au signifieacute saussurien) il affirme que laquo tous les deux doivent ecirctre analyseacutes en

mecircme temps raquo (Hjelmslev 1928 Principes de grammaire geacuteneacuterale p88 et 1943

Proleacutegomegravenes)

2- De lrsquoimproprieacuteteacute

En introduction un exposeacute geacuteneacuteral traite en commun des deux faces de la grammaticaliteacute

Apregraves quoi JG envisage successivement lrsquoimproprieacuteteacute en phonologie (21) puis en seacutemiologie

(22)

Introduction

Mise au point terminologique

[Il faut] laquo hellipse reacutesigner agrave induire [la seacutemiologie] des marques gracircce auxquelles le signifieacute

srsquoavegravere mateacuteriellement deacutenoteacute raquo 275 Le pocircle grammatical de la dialectique du dire se divise

en deux laquo faces raquo face phonologique (traiteacutee plus loin) et face seacutemiologique Les faits

seacutemiologiques sont structuraux et ne coiumlncident pas avec les concepts objets privileacutegieacutes par

52 laquo La reacutefeacuterence et lrsquoincidence sont les deux relations antagonistes du signe soit agrave la structure qui le fonde soit agrave la conjoncture dans laquelle il se reacuteinvestit raquo Seacuteminaire du 8 janvier 1976 laquo La redeacutefinition de la proprieacuteteacute raquo

66 Une lecture de Jean Gagnepain

les theacuteories dites laquo mentalistes raquo autrement dit seacutemantiques Eacutetant structuraux les faits

seacutemiologiques sont deacutefinis par leur laquo forme raquo qui distingue chaque fait de tous les autres

Cette forme neacutecessite pour ecirctre deacutefinie la prise en compte de lrsquoautre face du grammatical car

elle repose sur les seacutequences de phonegravemes La laquo deacutenotation raquo 275 (terme geacuteneacuteral) est le

critegravere qui permet gracircce aux phonegravemes de comprendre agrave quel eacuteleacutement seacutemiologique on a

affaire Ce critegravere demande que lrsquoon observe des laquo marques raquo (faites de phonegravemes) qui

permettent lrsquoanalyse seacutemiologique Parfois simplement et directement le terme laquo scalpel raquo et

le terme laquo bistouri raquo sont distincts de par la composition tregraves diffeacuterente de la seacutequence de

phonegravemes qui les laquo deacutenote raquo De mecircme pour laquo je raquo et laquo tu raquo qui distinguent deux personnes

verbales Parfois la frontiegravere est marqueacutee de faccedilon plus complexe lorsqursquoun mecircme eacuteleacutement

est deacutenoteacute par un ensemble de marques diverses en raison de lrsquointerfeacuterence drsquoune deuxiegraveme

information ainsi laquo œil raquo et laquo yeux raquo sont repeacutereacutes comme un mecircme eacuteleacutement lexical distinct

des autres eacuteleacutements mais leur marque est diffeacuterente parce qursquoau mecircme endroit figure aussi la

distinction entre le singulier et le pluriel Dans tous les cas il y a un laquo calcul raquo automatique de

distinction entre des mots qui repose sur lrsquoexistence de phonegravemes

Lrsquoapport de lrsquoobservation clinique

Allusion est faite agrave la proceacutedure expeacuterimentale mise au point par Hubert Guyard dans le

cadre de la TdM dite des laquo GEI raquo (Grammaires eacuteleacutementaires induites) qui sont des laquo micro-

systegravemes raquo 281 (Cf Hubert Guyard 1987 pour un exposeacute deacutetailleacute) Il srsquoagit de tester en quoi

consiste le raisonnement grammatical particulier drsquoun aphasique et ce qursquoest sa laquo logique raquo agrave

lui Mecircme si les donneacutees reacutesultant des tests apparaissent comme un ensemble drsquo laquo erreurs raquo

pour lrsquoobservateur elles teacutemoignent cependant drsquoune coheacuterence particuliegravere qursquoil faut

identifier pour comprendre ce que sont les aphasies et par lagrave ce que sont les processus

grammaticaux

Il faut prendre comme des traits drsquoironie les formules laquo Crsquoest dire le creacutedit qursquoon doit faire agrave

tant drsquoingeacutenieux calculs de distances par rapport au standard de la prononciation des

maladeshellip raquo et laquo lrsquointeacuterecirct qui peut srsquoattacher agrave telle eacutetude de lrsquoagrammatisme issuehellip de

lrsquoinventaire ponctuel de ses manqueshellip raquo 282 JG critique ici de maniegravere radicale la perspec-

tive la plus commune en matiegravere drsquoobservation des aphasies Celle-ci consiste agrave mesurer le

nombre de laquo fautes raquo supposeacutees faites par le malade par rapport agrave ce que dirait sans

laquo fautes raquo un locuteur normal Et ceci tant sur la face phonologique que seacutemiologique (notion

laquo drsquoagrammatisme raquo) Pour JG cette attitude ne reacutevegravele rien de ce qursquoest le fonctionnement

interne du langage aphasique Celui-ci conserve une part de coheacuterence reposant sur laquo des

aptitudes conserveacutees raquo qui compensent en partie les aptitudes deacutetruites par la leacutesion de sorte

que lrsquoaphasique restructure ce qursquoil dit autrement que le normal

laquo Il nrsquoexistehellip aucune autre faccedilon de dissocier cliniquement la forme de la substancehellip raquo

283 La seule faccedilon de dissocier cliniquement le grammatical (qui est une forme) de la

reacutefeacuterence agrave quoi renvoie le langage est de rechercher laquo les aptitudes manifestement

conserveacutees raquo de lrsquoaphasique par contraste avec celles qui sont deacutetruites Ceci repose sur la

deacutemarche hypotheacutetico-deacuteductive agrave la base des tests

Les formulations laquo hellip filtragehellip modegravelehellip restrictionhellip en deccedilagravehellip raquo 283 deacutesignent le principe

drsquoimproprieacuteteacute

laquo hellipQursquoon cesse drsquoopposer [au modegravele] la ˮrichesseˮ drsquoun contenu qui avant drsquoecirctre ainsi

formaliseacute ne saurait srsquoeacutevaluer raquo 283 Rappel que le principe de confrontation agrave lrsquoexpeacuterience

Structure et signification 67

dite laquo reacutefeacuterence raquo nrsquoest qursquoun principe laquo global raquo On ne peut pas eacutevaluer ce laquo contenu raquo

(compter ou deacutefinir laquo des choses raquo) sans prendre en compte les aptitudes mentales qui

fournissent un mode de deacutecoupage et de deacutecompte seacutemantique de lrsquoexpeacuterience

21 - Lrsquoimproprieacuteteacute du point de vue phonologique

laquo hellip on pourrait en principe eacutelaborer du signifiant agrave partir drsquoautre chose que le son raquo 284

Crsquoest une reacutealiteacute pour ladite laquo langue des signes raquo des sourds qui repose sur une analyse

structurale drsquoune information naturelle visuo-gestuelle percept visuel pour celui qui reccediloit

motriciteacute gestuelle de tout le haut du corps pour celui qui eacutemet Tandis que crsquoest une reacutealiteacute

audio-orale chez lrsquoentendant percept auditif pour celui qui reccediloit motriciteacute gestuelle de la

seule zone vocale pour celui qui eacutemet JG demande ici de ne pas prendre au mot les termes

laquo phonegravemes raquo et laquo phonologie raquo Un phonegraveme nrsquoest ni oral ni gestuel crsquoest une forme structu-

rale qui srsquoabstrait soit drsquoun geste vu soit drsquoun son entendu gracircce agrave la capaciteacute de signe Dans

tous les cas il se comprend

Simple prise en compte en 285-7 des deacuteveloppements possibles des perspectives autres

que la sienne telles que la typologie linguistique et la phoneacutetique psycho-acoustique qui

traite du percept entendu et non plus de la physiologie de la bouche ou du larynx dans la

phonation JG rappelle aussi qursquoil nrsquoy a aucun finalisme langagier dans lrsquoanatomie ou la

physiologie de la zone ORL (Formulation orale en amphi la luette sert autant agrave empecirccher les

petits pois de remonter lors de la deacuteglutition qursquoagrave deacutelimiter lrsquooraliteacute et la nasaliteacute)

Il eacutevoque lrsquo laquo immense varieacuteteacute et lrsquoinfinie complexiteacute raquo 291 de ce que peut produire une

voix dans les limites de ce qui peut ecirctre audible Dimensions respectivement qualitative et

quantitative du produit vocal Attention cette formulation doit rester compatible avec la

proposition de la page preacuteceacutedente laquo richesse drsquoun contenu qui avant drsquoecirctre ainsi formaliseacute

ne saurait srsquoeacutevaluer raquo 283 On peut cependant mesurer en dureacutee et en caracteacuteristiques un

signal acoustique et on peut caracteacuteriser et deacutelimiter une gestalt Cf laquo Il nest pas vrai que la

nature soit comme on le dit amorphe et continue raquo 251 Or un percept est de lrsquoordre de la

gestalt

Suit une explication anatomo-physiologique et explication sociologique ironique du fait que

tout systegraveme phonologique tourne autour drsquoune quarantaine drsquoeacuteleacutements alors que la voix

peut varier agrave lrsquoinfini

- Explication anatomo-physiologique courante la laquo dissymeacutetrie des organes raquo 2923 Ex la

distance entre le palais et la macircchoire infeacuterieure lorsque la bouche est ouverte est eacutevidem-

ment plus grande agrave lrsquoarriegravere immeacutediat des dents qursquoau niveau du palais mou Il y a donc plus

de varieacuteteacute de sons possibles eacutemis agrave lrsquoavant qursquoagrave lrsquoarriegravere (laquo localisation raquo) en fonction de

lrsquoouverture de la bouche (laquo aperture raquo) De sorte que toutes les combinatoires entre degreacutes

drsquoouverture et localisations ne sont pas physiologiquement possibles

- Explication sociologique courante une laquo Teilung der Erde raquo 2926 Titre drsquoun poegraveme de

Friedrich von Schiller laquo Le partage du monde raquo (par Zeus)53 Lrsquoideacutee ici est que lrsquohumaniteacute en

son entier disposerait drsquoun riche stock de sons laquo en avant-premiegravere raquo mais que chaque civilisa-

tion en retiendrait une partie Les Arabes riches en gosier et les Anglais en dentales Une

version geacuteneacutetique de ce mythe est encore abondamment diffuseacutee agrave propos du langage

53 Voir le commentaire de ce poegraveme par Jean-Luc Lamotte sur le site wwwtheorie-mediationnetproposequite

68 Une lecture de Jean Gagnepain

enfantin Un enfant commencerait par ecirctre capable drsquoeacutemettre et distinguer une infiniteacute de

sons pour ensuite ne plus pouvoir eacutemettre ou reconnaicirctre que les seuls sons qursquoil entend dans

la (ou les) socieacuteteacute(s) ougrave il vit

Deacutetail laquo Le tcheacutetchegravene le tchouvache le mordve raquo 293 Il srsquoagit de langues parleacutees dans la

zone de lrsquoOural et du Caucase Le tcheacutetchegravene (groupe Nakh) Le Tchouvache (type laquo turc raquo) Les

langues mordves sont laquo finno-ouraliennes raquo JG en a entendu parler chez Eacutemile Benveniste

qui a travailleacute sur ces langues

Le principe de structure explique en soi la limitation phonologique Lrsquoaptitude phono-

logique est un laquo Phonomegravetrehellip [agrave] graduation discregravete raquo 293 en ce qursquoelle effectue une

analyse qualitative des caracteacuteristiques phonologiques appeleacutees laquo traits pertinents raquo En

outre elle est un laquo Phonotomehellip [qui permet la] reacuteductibiliteacute des seacutequences agrave un nombre fini

de segments raquo agrave savoir lrsquoanalyse quantitative qui assigne un deacutebut et une fin phonologique agrave

chaque phonegraveme Tout ce qui est agrave lrsquointeacuterieur reste un quelle que soit la complexiteacute

apparente de la prononciation comme dans les laquo diphtongues raquo

Compte-rendu rapide et humoristique de lrsquoideacutee drsquoeacutequilibre ou drsquoeacuteconomie structurale en

294 Cela nrsquoexplique pas pourquoi une quarantaine de phonegravemes suffisent plutocirct que quatre

ou deux cents mais seulement en quoi consiste lrsquoeacutequilibrage interne du systegraveme Il prend pour

exemple la localisation des consonnes opposant la langue arabe agrave la langue anglaise qui

exploiterait le trait laquo reacutetracteacute raquo prononceacute les legravevres tireacutees vers lrsquoarriegravere

laquo Ce dernier [le systegraveme phonologique] ne peut qursquoecirctre complethellip raquo 295 Ce thegraveme est

saussurien un systegraveme forme un tout ougrave chaque eacuteleacutement est solidaire des autres (Voir infra

451 la critique du laquo clos et de lrsquoouvert raquo

Le raisonnement critique qui suit est plutocirct sociolinguistique Lrsquoethnocentrisme conduit agrave

refuser de donner le statut de phonegraveme agrave ce qui paraicirct eacutetrange au lieu drsquoaffronter la structure

eacutetrangegravere en tant que structure en comprenant ougrave se trouvent les limites pertinentes entre

les phonegravemes Ainsi il ne srsquoagit pas pour nous franccedilais drsquoajouter un laquo ton raquo meacutelodique agrave de la

parole pour parler chinois ni pour un chinois de parler laquo plat raquo en enlevant laquo la musique raquo

pour parler franccedilais Il srsquoagit de maicirctriser des frontiegraveres entre phonegravemes

laquo Obstacle neacutecessaire raquo [que cette difficulteacute agrave repeacuterer les limites phonologiques dans une

langue eacutetrangegravere] 296 Lrsquoargument fait transition avec le thegraveme preacuteceacutedent de lrsquoapprentissage

drsquoune langue eacutetrangegravere Le reacuteameacutenagement des deacutelimitations entre les traits pertinents est un

obstacle drsquoun point de vue sociolinguistique Mais drsquoun point de vue grammatical la structure

est un fait constitutif laquo neacutecessaire raquo comme lrsquoest une laquo loi raquo deacuteterminante Nrsquoy deacuteroge que

lrsquoaphasique qui laquo jargonne raquo

Suivent deux variations sur le thegraveme de lrsquoimproprieacuteteacute du grammatical phonologique Il

convient de rapprocher drsquoune part laquo polyphonie raquo et laquo phonomegravetre raquo 301 et drsquoautre part

laquo neacutegligence de la varieacuteteacute des reacutealisations [=des prononciations] raquo Ces formules deacutesignent la

dimension qualitative (laquo taxinomique raquo) de la structure Il faut ensuite rapprocher drsquoautre part

laquo polyphtonguie phonotome raquo et laquo traitement simultaneacute de lrsquointerne complexiteacute des

segments raquo Il srsquoagit cette fois de la dimension quantitative (laquo geacuteneacuterative raquo) de la structure

Seules comptent les frontiegraveres deacutefinies selon le critegravere de pertinence qui est interne agrave la

grammaire Ne comptent pas en revanche les variations de la prononciation en fonction des

situations Ne serait-ce que la force de la voix Que lrsquoon chuchote ou que lrsquoon crie laquo Flucircte raquo il

Structure et signification 69

y a en permanence ces 4 phonegravemes-lagrave f l y t qui ont chacun leur place dans la structure

phonologique

22 - Lrsquoimproprieacuteteacute du point de vue seacutemiologique

JG passe agrave lrsquoautre face du grammatical celle du laquo signifieacute raquo et de la seacutemiologie Celle-ci est

envisageacutee selon les deux axes de lrsquoanalyse comme aptitude agrave la laquo polyseacutemie raquo qualitative et

comme aptitude agrave la laquo polyrheacutemie raquo quantitative

laquo hellip Il est aussi vain drsquoespeacuterer faire lrsquoinventaire des choses agrave dire preacutealablement au langage

(hellip) Tout deacutepend du seacutemiomegravetre et du seacutemiotome dont nous disposons raquo 302 Suivant en cela

la critique que fait le Cours p 97-98 de lrsquoideacutee drsquoun langage laquo nomenclature raquo (laquo une liste de

termes correspondant agrave autant de choses raquo) JG affirme nettement qursquoil nrsquoexiste pas de

choses pourvues drsquoune identiteacute et drsquoune uniteacute en soi dans lrsquoordre du laquo monde raquo indeacutependam-

ment de la relation de lrsquohomme naturel et culturel agrave ce principe de reacutealiteacute agrave cette

laquo expeacuterience raquo dont il fait drsquoailleurs partie La notion de laquo seacutemiomegravetre raquo reacutesume le principe de

diffeacuterenciation qualitative et celle de laquo seacutemiotome raquo celui de segmentation quantitative

laquo hellip Tout deacutepend du seacutemiomegravetre et du seacutemiotome dont nous disposons et si peu de ce que

nous savons quagrave peine est-on linguistiquement surpris de se retrouver sur la lune raquo 302

Mecircme face agrave de lrsquoinconnu on projette toujours et drsquoabord sur lui la grille lexicale dont on

dispose Il est ainsi toujours possible de dire quelque chose en toute situation laquo Atterrir raquo

nrsquoest pas techniquement la mecircme opeacuteration qursquolaquo alunir raquo cependant la formation du verbe

est la mecircme Le bon sens grammatical conduit agrave continuer agrave dire laquo atterrir raquo sur tout autre

astre pour srsquoeacuteviter des problegravemes de deacuterivation tels qursquolaquo amarsir et asaturnir raquo On ne

deacutenomme lrsquoinconnu factuel qursquoagrave partir du connu lexical au risque de lrsquoerreur Lrsquohippopotame

nrsquoest pas un cheval et lrsquoornithorynque nrsquoest pas un oiseau comme lrsquoeacutetymologie le laisse

penser mais peu importe la laquo catachregravese raquo inheacuterente au fonctionnement du signe permet de

penser le nouveau avec du vieux Disposant du verbe laquo to drone raquo (bourdonner vrombir)

lrsquoanglais nrsquoa eu aucun mal agrave baptiser le drone On nrsquoest donc jamais en panne de

deacutenomination

laquo Prisonniers en quelque sorte de nous-mecircmes nous devons de comprendre agrave notre

inaptitude agrave contempler nous ne pensons qursquoavec des mots raquo 302 Lrsquoecirctre de culture

(dialectique) recouvre lrsquoecirctre de nature et vient le transformer On notera le choix de

lrsquoopposition des termes laquo contempler raquo et laquo penser raquo Le premier par rapport au second

suggegravere un rapport non analytique au monde

Lrsquoauteur explore alors le principe drsquoidentiteacute seacutemiologique JG ne peut proposer ici qursquoune

suggestion parce que le principe de dialectique interdit de donner une deacutefinition positive en

termes de laquo sens raquo (seacutemantique) agrave ce fait purement diffeacuterentiel qursquoest le laquo signifieacute raquo Le texte

est sur ce point embarrasseacute puisqursquoen place de laquo signifieacute raquo est mis entre guillemets laquo le vrai

sens raquo en reacutefeacuterence (ironique) agrave ce que chercherait vainement tout dictionnaire laquo le vrai

sens nrsquoest ni le plus ancien ni mecircme le plus freacutequenthellip raquo mais laquo hellip il est celui implicite dont

tous les autres explicitement se deacuteduisent et qui les met seacutemiologiquement en rapport si

diverse que soit parfois leur seacutemantique raquo 304

Les exemples proposeacutes montrent bien cette difficulteacute Quelle laquo constance de la relation raquo

trouver aux divers sens de laquo bureau raquo 304 Si lrsquoon pense agrave laquo en rapport agrave un travail

impliquant de lrsquoeacutecrit raquo on nrsquoaura qursquoun trait seacutemantique geacuteneacuterique de la potentialiteacute de sens

70 Une lecture de Jean Gagnepain

du terme laquo bureau raquo mais pas ce qui le distingue drsquoautres termes comme laquo journal raquo ou

laquo livre raquo eacutegalement deacuteductibles du mecircme trait geacuteneacuterique On ne peut qursquoecirctre renvoyeacute agrave sa

forme est laquo bureau raquo ce qui ne se dit pas selon une autre forme Que la deacutemarche ne puisse

ecirctre que relative ne doit pas conduire agrave srsquoen priver Les exemples du grec laquo nomόs raquo agrave relier au

trait laquo controcircle raquo 304 ou du latin laquo legere raquo 311 agrave relier au trait laquo reconnaicirctre deacutelimiter raquo

sont instructifs parce qursquoils empecircchent de reacuteduire laquo la valeur raquo geacuteneacuterale drsquoun terme agrave un seul

des effets de sens que le locuteur produit en situation Si lrsquoon transpose cela en topographie

ce serait confondre une surface ndash deacutelimiteacutee par son peacuterimegravetre ndash avec un point particulier de

cette surface ou encore avec une laquo totalisation raquo de points particuliers en lrsquooccurrence

lrsquoinventaire des sens dans le dictionnaire laquo Le signifieacute nest ni compromis ni totalisation raquo

312 Dans les deux cas la deacutemarche serait positivante

Un deacutetail laquo Lrsquoindicationhellip drsquoordre leacutegal qui nous a valu ‟lexrdquo et son contraire ‟religiordquo raquo

311 JG renvoie ici non pas agrave lrsquoeacutetymologie suggeacutereacutee par Ciceacuteron (et geacuteneacuteralement reprise) qui

associe laquo religio raquo au verbe laquo religare raquo (relier) mais agrave celle de Lucregravece qui lie laquo religio raquo agrave

laquo relegere raquo et donc agrave laquo lex raquo Cf Jean Gagnepain (1994) Leccedilons drsquointroduction agrave la theacuteorie de

la meacutediation 168 laquo Lucregravece vous dit ldquomihi lex estrdquo il y a pour moi indication de faire telle ou

telle chose Et le contraire srsquoil y a pour moi contre-indication agrave faire telle ou telle chose alors

crsquoest ldquomihi religio estrdquo Religio veut dire ldquocontre-indicationrdquo Vous comprenez le rapport du

religieux et du moral car cette contre-indication est devenue ldquojrsquoai scrupule agraverdquo Vous comprenez

le caractegravere moralisateur du concept de religion dans nos pays raquo54 Nietzsche eacutetait aussi de cet

avis (Reacutefeacuterences dans le Dictionnaire eacutetymologique de la langue latine drsquo Ernout amp Meillet)

laquo Un mecircme billet peut servir agrave divers achatshellip [Mais on ne peut lrsquoeacutechanger] qursquoen piegraveces

preacutevues agrave cet effet raquo 313 Meacutetaphore de la valeur structurale envisageacutee selon les deux axes

de la qualiteacute et de la quantiteacute laquo Si parler crsquoest eacutequivoquer il va de soi que ce nrsquoest pas non plus

dire une seule chose agrave la fois raquo 313 La 1re partie eacutevoque la polyseacutemie La seconde eacutevoque la

polyrheacutemie en tant que reacuteameacutenagement grammatical de la quantiteacute Ainsi la formule verbale

laquo Il le lui reacuteinstallera raquo peut ecirctre compareacutee agrave un billet qui syntheacutetise des informations qui

peuvent ecirctre laquo monnayeacutees raquo sous reacuteserve de disposer du potentiel grammatical neacutecessaire

tel que laquo Pierre va installer agrave nouveau le logiciel de Jacques raquo En disant le seul verbe on dit

tout cela laquo agrave la fois raquo Le concept laquo drsquoimproprieacuteteacute raquo reacutesume cette possibiliteacute de laquo pouvoir tout

dire raquo mais dans le cadre de la grammaire et inversement de pouvoir laquo dire autrement raquo par

synonymie ou peacuteriphrase crsquoest un laquo principe raquo du signe par conseacutequent observable laquo en

toute langue raquo 314

3- Pertinence et deacutenotation 31

JG expose ici les deux critegraveres conjoints et reacuteciproques qui permettent de repeacuterer les

limites structurales sur chacune des deux faces du grammatical La solidariteacute entre les faces est

telle que chaque face apporte sa caution agrave lrsquoautre tout en ayant une configuration diffeacuterente

54 1er Chant du De natura rerum v62-66 laquo Humana ante oculos foede cum uita iaceret In terris oppressa gravi sub religione quaelig caput a caeligli regionibus ostendebat horribili super aspectu mortalibus instans raquo (Alors que la vie humaine gisait sur terre aux yeux de tous honteusement eacutecraseacutee sous le lourd poids de la religionhellip) Explications suppleacutementaires sur la Toile agrave laquo Lucregravece Relligio raquo (avec 2 laquo ll raquo) notamment sur le site laquo trigofacilecomhellip philosophie0901-relligio raquo

Structure et signification 71

Il traite au passage divers problegravemes rangeacutes habituellement sous la rubrique de la

laquo morphologie raquo

Preacutesentation des deux critegraveres Celui laquo bien connu raquo de Pertinence Celui laquo symeacutetrique raquo

de Deacutenotation

La laquo pertinence raquo 315 est le critegravere qui permet de repeacuterer les deacutelimitations en phonologie

Un assez large consensus existe sur ce point (Cf Wikipeacutedia laquo phonologie raquo pour les non-

linguistes)

La laquo deacutenotation raquo 315 est le critegravere qui permet de repeacuterer les deacutelimitations en seacutemiologie

Le terme pris en ce sens est propre agrave JG Drsquoougrave lrsquoessai de justification qui suit laquo Le mot

pratiquement eacutetant librehellip raquo En fait il ne lrsquoest pas et chez nrsquoimporte qui drsquoautre il signifie

toute autre chose En philosophie du langage il est lrsquoobjet de discussions interminables (Frege

Carnap etc) En linguistique aussi voir lrsquoarticle laquo deacutenotation raquo (Robert Sctrick) dans

lrsquoEncyclopaeligdia Universalis Dans tous les cas grossiegraverement on appelle deacutenotation

lrsquoinformation seacutemantique objective qursquoapporte un mot par opposition aux laquo connotations raquo

cateacutegorie fourre-tout qui renvoie aux informations drsquoordre sociologique (usage prestigieux ou

familier) et surtout axiologique (valeur peacutejorative ou meacuteliorative) que lrsquoon peut associer agrave un

terme Ainsi JG eacutevoqua un jour le problegraveme qui srsquoeacutetait poseacute en 1969 au Preacutesident de la toute

nouvelle laquo Universiteacute de Haute-Bretagne raquo Professeur de latin le tout nouveau Preacutesident eut

agrave imaginer le sceau de celle-ci Autour drsquoune monnaie gauloise des Riedones devait figurer la

traduction en latin du nom de lrsquoinstitution (Lettres obligent) Le lexique du latin exigeait la

formule laquo Sigillum Universitatis Britanniaelig Superioris raquo laquo superior raquo comme on parle de

cours laquo supeacuterieur raquo et de cours laquo infeacuterieur raquo drsquoun fleuve et du deacutepartement de laquo Loire

Infeacuterieure raquo jusque dans les anneacutees 1960 Deacutenotativement exact le choix de laquo superior raquo

risquait cependant de froisser des susceptibiliteacutes en raison de la laquo connotation raquo du couple

laquo infeacuterieur supeacuterieur raquo car elle induisait agrave consideacuterer lrsquoUniversiteacute voisine de Brest en Basse-

Bretagne comme laquo Universitas Britanniaelig Inferioris raquo Ces derniers drsquoailleurs ont troqueacute leur

bassesse pour lrsquoappellation laquo Bretagne Occidentale raquo Victime de la connotation le Preacutesident

latiniste en a eacuteteacute reacuteduit agrave opter pour laquo Britanniaelig altioris raquo plus opaque pour un francophone

Heureuse ignorance commune laquo Altus raquo signifie en latin lrsquoeacuteloignement agrave la verticale drsquoun point

par rapport au locuteur vers le bas comme vers le haut laquo Haute raquo pour une montagne un

immeublehellip et pour un personnage laquo Altus Caeligsar raquo et laquo profond raquo pour un puits un ravin

ou une penseacutee Ceci eacutetant le comparatif laquo altior raquo veut aussi dire laquo excellent supeacuterieur raquo ce

qui peut agrave nouveau laisser agrave penser (Le choix de laquo Britannia raquo au lieu de laquo Armorica raquo tout

aussi discutable relegraveve drsquoun autre deacutebat) La TdM rend compte de cela dans sa partie

sociolinguistique et axiolinguistique

Conclusion le sens donneacute agrave laquo deacutenotation raquo par JG fait partie de son idiolecte Il faut

penser le terme agrave partir de la meacutetaphore de la laquo note raquo comme preuve mateacuterielle drsquoun fait

laquo crsquoest noteacute raquo Crsquoest le sens du latin laquo denotare raquo signaler et laquo denotatio raquo indication jusqursquoagrave

ce que la logique srsquoen empare

Pertinence et deacutenotation fonctionnent en miroir lrsquoune de lrsquoautre 3155-8 Ce principe drsquoune

laquo symeacutetrie raquo est antinomique drsquoun modegravele qui enchaicircne des niveaux en fonction de la

laquo longueur raquo apparente des faits du phonegraveme agrave la phrase et en fonction drsquoune finaliteacute qui

serait le sens et pire encore laquo drsquoune eacuteventuelle fonction de communication raquo cet alibi qui

confond le plan du dire et celui de la Personne Le fonctionnalisme drsquoAndreacute Martinet est ici

viseacute

72 Une lecture de Jean Gagnepain

31 - Statut de la pertinence en glossologie

Ce statut est mis en perspective face agrave deux theacuteorisations courantes mais antagonistes agrave

savoir le fonctionnalisme eacutevoqueacute preacuteceacutedemment et le laquo distributionnalisme raquo ameacutericain 31-

32

Est ici critiqueacute un ensemble de theacuteories ameacutericaines (Leonard Bloomfield Zellig Harris)

apparues dans le contexte du behaviorisme theacuteories qui envisagent lrsquoobservation des formes

grammaticales indeacutependamment de leur sens en reacuteaction agrave ce que ces auteurs appellent laquo le

mentalisme raquo JG dans la ligne de lrsquoEacutecole de Prague deacutefinit les phonegravemes en fonction de leur

contribution agrave deacutelimiter des eacuteleacutements laquo significatifs raquo ceux de la face seacutemiologique du

grammatical (lexique morphologie syntaxe) et non pas sur critegravere seacutemantique En somme

JG refuse drsquoun cocircteacute laquo lrsquoextrapolation raquo 316 qui lie le phonologique agrave travers des laquo niveaux raquo

au sens et agrave la communication (fonctionnalisme) Lrsquoautre refus repose sur la diffeacuterence faite en

glossologie entre laquo sens raquo et laquo valeur seacutemiologique raquo Cette diffeacuterence nrsquoest pas faite par le

distributionnalisme pour qui le refus du laquo sens raquo aboutit agrave reacuteduire le phonologique agrave une

observation du son prononceacute

Pour lrsquoauteur le signifiant trouve son critegravere de deacutefinition dans le seul signifieacute (la structure

des valeurs significatives) et non pas dans le sens ou dans le son laquo Le son nrsquoa drsquoautre fonction

que de contribuer agrave diffeacuterencier ou agrave segmenter du signifieacute et crsquoest dans la mesure ougrave il y

parvient seulement qursquoil srsquoanalyse et que nous le disons pertinent raquo 31-32 Il convient

drsquoextraire de cette formulation le seul raisonnement qui vise agrave deacutefinir le critegravere de pertinence

JG veut dire que le son en lui-mecircme nrsquoest pas ce qui compte grammaticalement Crsquoest dans la

seule mesure ougrave ce qui apparaicirct comme une variation sonore provoque automatiquement une

diffeacuterence ou une seacuteparation dans lrsquoordre du signifieacute quelles qursquoelles soient que lrsquoon sait qursquoil

srsquoagit de laquo fonction raquo et que lrsquoon a affaire agrave un fait phonologique et non pas agrave un fait de

prononciation ou agrave un fait strictement acoustique Autrement dit la diffeacuterence phonologique

entre l et R est prouveacutee si et seulement si le passage de lrsquoun agrave lrsquoautre provoque une

diffeacuterence sur la face laquo seacutemiologique raquo (lexicale morphologique syntaxique) ougrave que ce soit

dans cette structure Ce qui est le cas en franccedilais laquo Longrond empilerempirer pliprix

altisteartiste pour poule raquo etc Mais ce qui nrsquoest pas le cas en japonais

Je souligne que le critegravere phonologique de pertinence est testeacute sur la structure du signifieacute

la structure laquo seacutemiologique raquo qui regroupe lexique morphologie et syntaxe et non pas sur de

la diffeacuterence seacutemantique Or cette confusion entre laquo sens raquo et laquo signifieacute raquo est preacutesente dans les

manuels de linguistique Jrsquoen donne des exemples dans laquo Le critegravere du grammatical raquo55

Morteza Mahmoudian (La Linguistique) eacutecrit successivement laquo La pierre de touche est le

signifieacute raquo (p104) puis laquo Si s est un phonegraveme distinct de int en franccedilais crsquoest que le sens de

sien est diffeacuterent de celui de chien raquo (p116) De mecircme Patrick Guelpa Introduction agrave lrsquoanalyse

linguistique (p76-77) ldquolaquo (Le phonegraveme est) la plus petite uniteacute sonore distinctive de sens raquo Or

aucun phonologue ne va rechercher une frontiegravere phonologique entre laquo fraise raquo et laquo fraise raquo

sous preacutetexte que lrsquoon a parleacute successivement drsquoun fruit et drsquoun outil La diffeacuterence

seacutemantique ne compte pas en phonologie Inversement il arrive que des laquo paronymes raquo tels

qursquolaquo expansion raquo et laquo extension raquo deviennent synonymes agrave lrsquoinstar de ce meacutedecin qui affirme

que laquo le marcheacute des drogues de synthegravese est en extension raquo hellip ou en laquo expansion raquo Cette

55 Jean-Yves Urien 1999 laquo Le critegravere du grammatical raquo p 42-44 in Langage clinique eacutepisteacutemologie Jean Giot et Jean-Claude Schotte (Eacuteds) De Boeck

Structure et signification 73

laquo convergence synonymique raquo (voir infra 865) nrsquoautorise pas agrave reacutefuter lrsquoexistence drsquoun trait

pertinent entre p et t Lrsquoidentiteacute seacutemantique ne compte pas non plus En grammaire on

regravegle ses comptes en face agrave face

Agrave strictement parler la formulation utiliseacutee ndash laquo du son pertinent raquo - est adeacutequate au deacutepart

du raisonnement mais ne lrsquoest plus agrave lrsquoarriveacutee Le point de vue faisant lrsquoobjet degraves lors qursquoil y a

pertinence le laquo son raquo cesse drsquoen ecirctre et lrsquoon observe du laquo signifiant raquo agrave savoir du trait

qualitatif ou du phonegraveme quantitatif

32 - Statut de la deacutenotation en glossologie

Proposition reacuteciproque de la preacuteceacutedente laquo Il nrsquoest drsquoautre marque du sens que dans le

signifiant qui le mateacuterialise raquo 322 On sait que lrsquoon a affaire agrave un fait grammatical

seacutemiologique ndash par exemple un eacuteleacutement du lexique ou bien un cas nominal ou un aspect

verbal ou encore une relation syntaxique comme la notion de laquo compleacutement drsquoobjet raquo ndash

seulement si lrsquoon peut observer une marque distincte de ce fait marque qui est composeacutee de

phonegravemes Ainsi tout simplement je puis prouver lrsquoexistence drsquoune opposition drsquoun singulier

et drsquoun pluriel en franccedilais par lrsquoobservation du changement vocalique de laquo la (porte) raquo en laquo les

(portes) raquo Telle est la marque de ce laquo signifieacute raquo de nombre Le critegravere de deacutenotation en

seacutemiologie consiste agrave observer des marques La formule laquo marque du sens raquo est une

approximation pour laquo marque du signifieacute raquo puisque degraves lors qursquoil y a deacutelimitation par de la

marque on a affaire agrave du signifieacute et non plus agrave du sens

Allusion est faite aux laquo figures raquo et laquo segravemes raquo en laquo noologie raquo 322 Ce dernier terme

(science de la penseacutee) est agrave peu pregraves synonyme de seacutemantique Le premier terme (laquo figures raquo)

est tireacute de la glosseacutematique de Louis Hjelmslev qui appelle ainsi les traits seacutemantiques

internes agrave un signifieacute et qui composent celui-ci Cependant il apparaicirct que chez Louis

Hjelmslev (1943 Proleacutegomegravenes) les figures ressortissent agrave la laquo forme du contenu raquo et non agrave sa

laquo substance raquo et reposent sur lrsquoobservation de marques Le second terme fait reacutefeacuterence agrave la

seacutemantique de Bernard Pottier qui propose une analyse de tout eacuteleacutement lexical en

caracteacuteristiques qursquoil appelle laquo segravemes raquo Ses exemples significativement portent sur des

appellations drsquoobjets techniques qui sont en tant que tels deacutejagrave drsquoordre structural Tel

lrsquoexemple de laquo fauteuil raquo qui comporterait les traits laquo avec bras + dossier raquo par opposition agrave

laquo chaise raquo et agrave laquo tabouret raquo Selon JG le critegravere de deacutelimitation des laquo segravemes raquo reposerait ici

sur lrsquoordre technique de lrsquoexpeacuterience deacutesigneacutee plutocirct que sur la structure du lexique lui-mecircme

(Cf infra 453)

Mise au point terminologique Il faut relier les termes laquo Pertinence et Fonction raquo qui

concernent la phonologie et les termes laquo Deacutenotation et Marque raquo qui concernent la

seacutemiologie Les premiers termes de chaque couple laquo Pertinence raquo et laquo Deacutenotation raquo

nomment le critegravere lui-mecircme Les deux termes finaux laquo Fonction raquo et laquo Marque raquo sont

meacutethodologiques Appliquer le critegravere de pertinence consiste agrave observer si une variation de

son a une laquo fonction raquo (est laquo fonctionnelle raquo) agrave observer si elle provoque un passage de limite

sur lrsquoautre face du grammatical Appliquer le critegravere de deacutenotation consiste agrave observer si la

limite seacutemiologique eacutetudieacutee repose sur une laquo marque raquo crsquoest-agrave-dire si elle est garantie par une

diffeacuterence quelconque entre seacutequences de phonegravemes

Ces critegraveres ont deux proprieacuteteacutes corollaires la reacuteciprociteacute (laquo mutualiteacute raquo) et

laquo lrsquoautonomie raquo Reacuteciprociteacute 323 parce que les deux faces sont solidaires de sorte qursquoil nrsquoy a

74 Une lecture de Jean Gagnepain

pas de pertinence phonologique sans prise en compte du signifieacute et pas de marque

seacutemiologique sans prise en compte du signifiant Autonomie parce que laquo marque et fonction

ressortissent au seul domaine que formellement elles instaurent raquo 323 La marque (composeacutee

de phonegravemes) ressortit agrave la seule seacutemiologie et ne concerne que le seacutemiologue car elle

nrsquoapporte aucune information drsquoordre phonologique La fonction (qui fait appel agrave des paires

minimales de mots) ressortit agrave la seule phonologie et ne concerne que le phonologue car elle

nrsquoapporte aucune information drsquoordre seacutemiologique La derniegravere proposition deacuteveloppe la

notion laquo drsquoautonomie raquo des faces et eacutenonce le thegraveme des paragraphes suivants laquo crsquoest un pur

hasard raquo srsquoil arrive qursquoune marque et une fonction laquo coiumlncident raquo 323

Les deux faces du signe ne sont pas isomorphes Le critegravere formel nrsquoest pas circulaire

Les paragraphes 323-4 exposent un ensemble drsquoobservations qui montrent que la

grammaire nrsquoest pas fondeacutee sur une correspondance terme agrave terme entre eacuteleacutements

phonologiques et eacuteleacutements seacutemiologiques telle que ideacutealement un phonegraveme supposerait un

mot et deux phonegravemes deux mots et reacuteciproquement Si tel eacutetait le cas le raisonnement qui

vise agrave deacutefinir le signifiant par le signifieacute (pertinence) et le signifieacute par le signifiant (deacutenotation)

serait circulaire et tautologique Supposons que lrsquoon puisse geacuteneacuteraliser le raisonnement

suivant Premier temps les phonegravemes p et b sont diffeacuterents parce que leur

commutation provoque le passage du mot laquo pont raquo au mot laquo bon raquo (critegravere de pertinence)

Second temps les mots laquo pont raquo et laquo bon raquo sont diffeacuterents parce qursquoils sont marqueacutes

distinctement par les phonegravemes p et b La circulariteacute semble eacutevidente Lors du premier

temps jrsquoai preacutesupposeacute eacutetablie la diffeacuterence entre les deux mots puisque je mrsquoappuie sur cette

diffeacuterence de mots pour prouver la diffeacuterence de phonegravemes Or cette diffeacuterence nrsquoest prouveacutee

que dans le second temps par eacutevocation de cette mecircme diffeacuterence de phonegravemes

Lrsquoobjection ne repose pourtant que sur une erreur meacutethodologique grossiegravere pour

prouver cette diffeacuterence entre p et b il faut en bonne meacutethode chercher non un seul

couple mais un ensemble de couples de mots preacutesentant cette diffeacuterence donc un ensemble

de mots qui eux-mecircmes soient deacutefinis aussi par drsquoautres phonegravemes que ceux-lagrave On coupe

ainsi lrsquoeffet de circulariteacute Ces deux phonegravemes ne distinguent pas que ces deux mots-lagrave mais

aussi laquo port bord appris abri trompe trombe raquo etc qui nrsquoont rien agrave faire ensemble en

tant que mots Il fallait utiliser lrsquoensemble de la seacuterie pour la deacutemonstration Reacuteciproquement

ces mots et les autres sont distingueacutes par drsquoautres phonegravemes que p ou b agrave commencer

par leurs voyelles laquo pont pan pain paix pis pou banc bain etc raquo Toute combinaison

eacutetant virtuellement possible apparaicirct parmi elles un cas apparent de laquo coiumlncidence raquo entre

phonegraveme et mot celui ougrave un mot est deacutefini par un seul phonegraveme le plus souvent une voyelle

laquo Ougrave Et Hein on en y ait agrave eu auhellip raquo laquo Cest un pur hasard sil arrive quelles coiumlncident raquo

323 La notion de laquo coiumlncidence raquo est mecircme contestable en toute rigueur theacuteorique car la

marque et la fonction restent des critegraveres distincts ce que montre en particulier lrsquohomophonie

de ces exemples que lrsquoon peut en partie repeacuterer par le biais de lrsquoeacutecrit laquo ougrave ou houe houx raquo

laquo ait est haie raquo laquo Ocirc Oh au eau haut raquo etc56

Ce principe de non-correspondance terme agrave terme eacutetait drsquoailleurs le fondement chez

Saussure de la thegravese de laquo lrsquoarbitraire de la relation entre signifiant et signifieacute raquo Un eacuteleacutement

seacutemiologique peut ecirctre marqueacute par un deux n phonegravemes de deacutefinition impreacutevisible et

inversement un phonegraveme peut ecirctre observeacute dans des eacuteleacutements seacutemiologiques de statut

56 Jrsquoai deacuteveloppeacute en deacutetail cette deacutemonstration dans La Trame drsquoune langue p73-75

Structure et signification 75

impreacutevisible Par conseacutequent lrsquoinformation phonologique laquo p nrsquoest pas b raquo ne nous

apprend rien sur ce que sont les mots dont la marque comporte ces phonegravemes Les informa-

tions laquo occlusive labiale sourde orale raquo qui constituent un p ne nous apprennent rien sur

ce que sont les mots laquo pont paire apregraves racircpe etc raquo qui le contiennent De mecircme

lrsquoinformation seacutemiologique laquo singulier pluriel raquo dans laquo lahellip leshellip raquo ne nous apprend rien sur

ce que sont les phonegravemes a et ε A fortiori lorsqursquoil y a coiumlncidence le phonegraveme u (par

exemple) ne nous apprend rien sur ce qursquoest seacutemiologiquement laquo Ougrave raquo et ce dernier mot ne

nous apprend rien sur ce qursquoest phonologiquement un u Crsquoest ce que va deacutevelopper JG

dans les paragraphes suivants

La figure ici examineacutee peut en fait ecirctre eacutelargie agrave lrsquoensemble de ce qursquoon appelle en phono-

logie laquo les paires minimales raquo (de mots) car elles sont qualitativement laquo minimales raquo sur les

deux faces du grammatical Une diffeacuterence de mots (laquo lahellip leshellip raquo) y est mise en relation avec

une diffeacuterence de phonegravemes (a et ε ) Il y a laquo alternance raquo des deux cocircteacutes 324 On peut

penser aussi aux temps primitifs du verbe anglais (laquo drink drank drunk raquo) ou allemand

JG pousse alors agrave sa limite la thegravese de la non-coiumlncidence entre eacuteleacutements des deux faces

en recherchant les cas ougrave laquo moins drsquoun segment [phonologique] raquo ndash moins drsquoun phonegraveme

crsquoest-agrave-dire laquo un trait agrave lui seul raquo ndash peut laquo convoyer une valeur raquo seacutemiologique segraveme

diffeacuterentiel ou uniteacute mot 324 Il illustre cela par un exemple drsquoalternance entre deux qualiteacutes

de voyelles (le turc) et un exemple drsquoalternance entre deux qualiteacutes de consonnes (le breton)

laquo Lharmonie vocalique du turc raquo 324 Je doute de la pertinence de cette reacutefeacuterence Il me

semble plus probable que lrsquoalternance vocalique de la marque des morphegravemes (suffixeacutes) qui

deacutepend de lrsquoidentiteacute vocalique de la marque du radical (initial) creacutee des allomorphes de ces

morphegravemes et non des morphegravemes distincts Si jrsquoen crois Louis Bazin laquo Avec le suffixe ndashdik

de nom verbal suivi du suffixe complexe -ler-i de 3e personne du pluriel on a hellip raquo [selon la

voyelle de la derniegravere syllabe du radical par exemple] laquo bil-dik-leri (ce qursquoils savent) goumlr-duumlk-

leri (ce qursquoils doivent) tut-tuk-larɩ (ce qursquoils tiennent) raquo 57

laquo Les mutations consonantiques du breton raquo 324 De fait le genre et le nombre nominal

peuvent ecirctre marqueacutes par une simple opposition de trait (sourdsonore ou bien occlusif

fricatif) Ainsi le genre du nom est marqueacute par la consonne initiale du radical derriegravere lrsquoarticle

Les radicaux laquo bourk raquo (masculin fr laquo bourg raquo) et laquo bro raquo (feacuteminin fr laquo pays raquo) commencent

par b mais derriegravere lrsquoarticle leur genre est manifesteacute par le maintien de lrsquoocclusive pour le

masculin et le passage agrave la fricative correspondante pour le feacuteminin laquo ar bourk raquo masc (le

bourg) et laquo ar vro raquo feacutem (le pays) De mecircme avec lrsquoalternance laquo sourde sonore raquo le nom

laquo an ti raquo (la maison) est marqueacute comme masculin et laquo an doenn raquo (le toit) est marqueacute comme

feacuteminin agrave lrsquoinverse des mots franccedilais correspondants Crsquoest donc la possibiliteacute drsquoune

alternance qui marque le feacuteminin tandis que le maintien de la mecircme consonne sans

alternance possible marque le masculin Le masculin est laquo invariable raquo et le feacuteminin

laquo variable raquo selon que le nom est preacutefixeacute ou non par son article

JG ajoute agrave ces cas tregraves communs le cas particulier et encore tregraves discuteacute de

laquo lrsquointonation raquo 324 Sa position semble la suivante une opposition de scheacutema intonatif

constituerait un trait pertinent phonologique qui contrairement au cas geacuteneacuteral ne serait pas

deacutelimiteacute dans sa dureacutee agrave la quantiteacute drsquoun seul phonegraveme ndash comme crsquoest le cas pour le ton en

chinois ndash mais porterait sur une partie de la seacutequence phonique Du point de vue seacutemio-

57 Louis Bazin Introduction agrave lrsquoeacutetude pratique de la langue turque p 19-20

76 Une lecture de Jean Gagnepain

logique ce trait pertinent marquerait une distinction Lrsquoexemple prototype (simplifieacutehellip et

controverseacute) est lrsquointonation montante drsquoune forme interrogative lorsque la personne verbale

reste anteacuteposeacutee laquo Tu viens raquo (monteacutee de la voix sur le verbe) Andreacute Martinet eacutetait opposeacute

agrave cette analyse (Le terme laquo monegraveme raquo 324 deacutesigne lrsquoeacuteleacutement de laquo1re articulation raquo

(seacutemiologique) dans le fonctionnalisme drsquoAndreacute Martinet)

Critique de la laquo morphonologie raquo

Le passage suivant 325 traite drsquoune notion utiliseacutee par de nombreuses eacutecoles

linguistiques agrave savoir lrsquoideacutee qursquoentre la phonologie et la laquo grammaire raquo existerait un domaine

intermeacutediaire appeleacute laquo laquo La morphonologie raquo JG critique successivement deux sens donneacutes agrave

ce terme

Dans la laquo tradition raquo drsquoabord Quelle tradition eacutevoque-t-il Le terme a eacuteteacute introduit au sein

de lrsquoEacutecole de Prague par Troubetzkoy en 1929 comme une reacuteduction du terme laquo morpho-

phonologie raquo Ce domaine visait agrave eacutetudier les variantes de marques des eacuteleacutements

grammaticaux appeleacutees freacutequemment laquo allomorphes raquo Voyez les nombreuses maniegraveres de

marquer en anglais lrsquoopposition laquo preacutesent preacuteteacuterit raquo Pour JG lrsquoappellation elle-mecircme

laquo faussait la perspective raquo parce que pour lui cette eacutetude relegraveve uniquement de la seacutemio-

logie et non pas drsquoune sorte drsquoeacutetage supeacuterieur de la phonologie Par ailleurs il reproche au

terme lui-mecircme de nrsquoeacutevoquer que la relation entre phonegravemes et laquo morphegravemes raquo alors que les

phonegravemes servent tout autant agrave marquer du lexique ou de la syntaxe (Cet argument est

deacuteveloppeacute dans le paragraphe suivant)

laquo Son sens contemporain raquo semble ecirctre celui que lui donne la grammaire geacuteneacuterative depuis

Chomsky (1965) Aspects of the theory of syntax Mais le terme y est redevenu

laquo morphophonology raquo une des composantes de la grammaire chaque composante eacutetant

relieacutee agrave une autre par des regravegles Pour JG cela laquo ruine raquo la perspective en ce sens que lrsquoon

creacutee un laquo niveau raquo de plus en mecircme temps que lrsquoon positive agrave la fois la syntaxe (en amont) et

la phonologie (en aval) laquelle est reacuteduite agrave un inventaire positif de caracteacuteristiques acous-

tiques On y a perdu des pans agrave ses yeux essentiels de la linguistique europeacuteenne la notion

de laquo valeur raquo (Saussure) et la notion de faces quelle qursquoen soit la version telle la glosseacute-

matique de Louis Hjelmslev qui distingue laquo le plan de lrsquoexpression raquo et laquo le plan du contenu raquo58

Suit une analyse glossologique de la relation entre les deux faces doublement caracteacuteriseacutee

par la reacuteciprociteacute et par la non-coiumlncidence Lrsquoexemple choisi laquo vient vienne

chien chienne raquo montre lrsquoautonomie de chaque analyse phonologiquement on a un seul

fait lrsquoopposition drsquoune nasale ɛ et de la seacutequence εn tandis que seacutemiologiquement on a

affaire agrave deux faits sans relation (indicatif subjonctif masculin feacuteminin) Le fait phono-

logique ne permet pas de preacutevoir ce que sont ces deux faits seacutemiologiques Reacuteciproquement

lrsquoexemple laquo loup raquo = lu illustrerait ce que jrsquoappelle personnellement le principe laquo drsquoopaciteacute raquo

de chaque face vis-agrave-vis de lrsquoautre Lrsquoanalyse drsquoune face neacutecessite un critegravere qui fait appel agrave

lrsquoexistence globale de lrsquoautre face mais nrsquoapprend rien de plus preacutecis sur cette autre face

Les couples de mots laquo Rue ruse soupe pouce raquo 325 sont aussi des paires minimales

Lrsquoauteur veut dire qursquoil ne faut pas limiter la recherche de paires minimales (de mots)

phonologiquement pertinentes aux seules commutations aux seuls eacutechanges de trait agrave un

58 Jean-Claude Milner proche de laquo lrsquoeacutecole de Cambridge raquo (la grammaire geacuteneacuterative) formule cette diffeacuterence ainsi laquo Pourquoi limiter les niveaux drsquoarticulation agrave deux Le langage en veacuteriteacute nrsquoest pas doublement articuleacute il lrsquoest de maniegravere multiple raquo Introduction agrave une science du langage p 643

Structure et signification 77

endroit de la chaicircne La paire laquo Rue ruse raquo ndash ry versus ryz ajout drsquoun phonegraveme ndash peut

servir agrave montrer la limite segmentale du y et la paire laquo soupe pouce raquo ndash interversion des

consonnes ndash celle du u

Apregraves avoir montreacute que la laquo morphonologie raquo empecircche la modeacutelisation de la phonologie

JG montre que la morphologie scolaire classique empecircche la modeacutelisation de la seacutemiologie

1er argument 326 Comme son nom lrsquoindique (laquo morph- raquo) toute lrsquoeacutetude des marques des

formes grammaticales y est imputeacutee agrave la morphologie (en gros aux conjugaisons et deacuteclinai-

sons) On deacutetourne lrsquoanalyste de la recherche des marqueurs de relation syntaxique Cela

empecircche aussi drsquoobserver lrsquoexistence drsquoune double valeur et morphologique et syntaxique de

certaines formes On reacutecite par exemple le subjonctif laquo Que je vienne etc raquo en oubliant que

la conjonction peut aussi ecirctre le marqueur syntaxique drsquoune relation de subordination avec un

autre verbe du contexte laquo Je souhaite qursquoil vienne raquo ou laquo Qursquoil vienne mrsquoindiffegravere raquo)

2e argument 3264-8 Faute de prendre le terme laquo morphologie raquo dans le sens de

laquo (seacutemio)logie des formes structurales raquo on reacuteduit la morphologie agrave lrsquoexamen des seacutequences

de phonegravemes que lrsquoon observe Crsquoest ignorer que la morphologie en est une abstraction qui

construit des paradigmes en neacutegligeant ces variantes Ex le fonctionnement paradigmatique

du verbe franccedilais ne se superpose pas aux groupes traditionnels de verbes (1er et 2e groupe 3e

groupe fourre-tout) De mecircme lrsquoopposition nominale du nombre en breton est simple et nrsquoa

pas agrave prendre en compte les variantes de la marque du pluriel des amis = mignon-ed des

maisons = ti-ez des bateaux = bag-ougrave etc

Typologie laquo des modes de deacutenotation raquo

JG dresse une typologie des maniegraveres de marquer un fait seacutemiologique

Lrsquoaffixation 331 repose sur la juxtaposition des marques Le ceacutelegravebre laquo anti-con-stitu-tionn-

elle-ment raquo en est un prototype

Lrsquoamalgame existe lorsque deux informations grammaticales figurent ensemble au mecircme

endroit laquo viens vins raquo (vjɛ vɛ) teacutemoigne agrave la fois de lrsquoopposition du preacutesent et du passeacute

simple du verbe laquo venir raquo mais aussi qursquoil srsquoagit de ce verbe et non drsquoun autre lorsqursquoon les

oppose agrave laquo tiens raquo ou agrave laquo tins raquo et enfin que le verbe est agrave une personne du singulier par

diffeacuterence avec laquo viennent raquo ou laquo vinrent raquo (Le terme laquo imbrication raquo (du texte) fait partie de

lrsquoidiolecte de JG Celui drsquoamalgame est tregraves communeacutement utiliseacute)

Lrsquoabsence significative marque une information grammaticale par un silence qui entre en

opposition avec une marque construite avec des phonegravemes Lrsquoimpeacuteratif laquo Viens raquo est marqueacute

par lrsquoabsence du preacutefixe laquo tu- raquo qui caracteacuterise lrsquoindicatif

De toute faccedilon laquo Le signifiant comme tel nrsquo(y) est pour rien raquo Ce ne sont pas les proprieacuteteacutes

des phonegravemes en tant que telles (ecirctre nasal occlusif etc) qui comptent pour lrsquoanalyse

seacutemiologique Il faut mener cette derniegravere analyse selon sa meacutethode propre en cherchant de

la marque sans prendre en compte en quoi consiste phonologiquement cette marque Les

lineacuteaments de la structure phonologique sont laquo invisibles raquo pour le seacutemiologue et reacuteciproque-

ment les lineacuteaments de la structure seacutemiologique sont laquo invisibles raquo pour le phonologue

Principe drsquoopaciteacute mutuelle des deux faces du grammatical

laquo Lrsquohomophonie est si souvent un faux problegraveme raquo 332 Ce cas de figure montre bien que

les eacuteleacutements seacutemiologiques ne peuvent se deacutefinir qursquoen testant leurs limites en srsquoappuyant sur

la marque de ceux-ci Ainsi la forme laquo je suis raquo nrsquoest qursquoun laquo point drsquointersection raquo entre deux

78 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo lignes raquo de variantes (dites laquo allomorphes raquo) de la marque distinctive de deux verbes (1)

laquo ecirctre raquo aux multiples variantes laquo suis est sommes sont ser- sois fu- etc raquo dit

laquo irreacutegulier raquo de ce fait et (2) laquo suivre raquo verbe reacutegulier dont le radical nrsquoa que deux variantes

laquo sui- suiv- raquo Il suffit donc de changer de personne pour lever lrsquohomophonie laquo tu es (un

ami) tu suis (un ami) raquo En classe de latin de 6e le professeur nous faisait remarquer qursquoil eacutetait

plus judicieux de traduire laquo Je suis un acircne raquo par laquo asinum sequor raquo plutocirct que par laquo asinus

sum raquo (Au futur laquo je suivrai un acircne raquo plutocirct que laquo je serai un acircne raquo) laquo Souvent raquo est justifieacute

car il y a des cas limite ougrave le fonctionnement de la structure grammaticale laisse lrsquoanalyse dans

lrsquoembarras Soit laquo Un reacutegime raquo (politique de bananes) Diversiteacute de sens ou homophonie

Aucune diffeacuterence de distribution grammaticale ne permet drsquoen deacutecider On sait qursquoil srsquoagit de

la rencontre en franccedilais drsquoun terme drsquoorigine latine et drsquoun autre drsquoorigine ameacuterindienne via

lrsquoespagnol Pour laquo ancre encre raquo on a le seul argument du deacuteriveacute laquo encrier raquo (laquo ancrier raquo) en

faveur de lrsquohomophonie

La marque nrsquoest affecteacutee laquo hellipni par la varieacuteteacute [de ses allomorphes]hellipni par le nombre [de ses

partiels]hellip raquo 333-4 JG envisage deux cas de figure ougrave lrsquoidentiteacute grammaticale est agrave abstraire

soit drsquoune diversiteacute soit drsquoune multipliciteacute de seacutequences de phonegravemes qui en constituent la

marque

Dans le premier cas de figure celui de lrsquoallomorphisme 333 une valeur seacutemiologique est

marqueacutee par un ensemble de variantes diverses (quant aux phonegravemes qui supportent la

marque) Ce cas de figure est laquo qualitatif raquo et joue sur le contraste identiteacutediversiteacute En voici

un exemple tregraves simple pour meacutemoire je sais qursquoun verbe franccedilais est agrave lrsquoinfinitif en regardant

sa terminaison Or celle-ci varie selon la classe du verbe laquo march-er fin-ir sav-oir raquo etc La

valeur laquo infinitif raquo est identique mais elle est marqueacutee par une liste drsquoallomorphes

Le laquo marquage discontinu raquo 334 est un second cas de figure laquo quantitatif raquo cette fois

puisque la formule laquo discontinuiteacute de ses partiels raquo signifie qursquoune valeur seacutemiologique unique

peut ecirctre marqueacutee en plusieurs endroits du mecircme mot Penser tout simplement agrave la neacutegation

du franccedilais marqueacutee conjointement par laquo ne-hellip-pas raquo Ou bien au participe de lrsquoallemand

laquo geholfen raquo (aideacute) repeacutereacute agrave la fois par le preacutefixe le suffixe et la voyelle du radical diffeacuterente

de lrsquoinfinitif laquo helfen raquo

Reprenons les exemples proposeacutes

Lrsquoallomorphisme Lrsquoexemple anglais laquo men et books raquo 333 allomorphes de la marque du

pluriel nominal en anglais

Les exemples bretons et franccedilais JG tente drsquoabstraire la marque du pluriel de ses

variantes (de ses allomorphes) Il traite alors drsquoun type drsquoallomorphes qui ont en commun de

preacutesenter lrsquoajout drsquoune syllabe ndash breton laquo mercrsquoh raquo (fille) laquo mercrsquohed raquo (filles) ndash ou drsquoune

consonne ndash franccedilais laquo gros grosse raquo gro gros Plus preacuteciseacutement lrsquoallomorphisme reacuteside

dans le fait que le suffixe de pluriel a diverses variantes en fonction du radical laquo bag-ougrave raquo (des

bateaux) taol-iougrave raquo (des tables) de mecircme que le feacuteminin de lrsquoadjectif franccedilais repose sur une

consonne qui caracteacuterise chaque adjectif (laquo grand grande petit petite etc) et existe degraves

qursquoil y a un suffixe (laquo eacutepais gt eacutepaisseur grand gt grandeur etcraquo) Deacuteveloppons

En 3338 JG qualifie drsquolaquo imparisyllabisme raquo les faits bretons suivant Pierre Treacutepos Le

pluriel Breton 1956 Annales de Bretagne p21 laquo Ce sont [dit ce dernier] des pluriels suffixaux

ou imparisyllabiques raquo par opposition aux laquo pluriels internes raquo qui procegravedent par alternance

vocalique (laquo un askorn eskern raquo un des os) En latin et en grec le terme deacutesigne une

Structure et signification 79

diffeacuterence du nombre de syllabes entre le nominatif et les autres cas du singulier Le concept

est ici eacutetendu agrave drsquoautres oppositions

Exemple de la notion de laquo singulatif raquo en breton 333 Le collectif laquo al logod raquo les souris

(comme lrsquoanglais laquo the sheep raquo les moutons) devient laquo al logodenn raquo la souris laquo Hypothegravese

vaine raquo au lieu de consideacuterer que le collectif est marqueacute par le seul radical et le singulatif par

le suffixe laquo -enn raquo JG propose drsquoy voir un cas drsquoimparisyllabisme ougrave la forme dissyllabique

marque le collectif et la forme trisyllabique le singulatif JG exploite ici sa lecture de lrsquoouvrage

de Pierre Treacutepos Le pluriel breton

laquo hellipicihellip raquo 3339 renvoie agrave lrsquoexemple du franccedilais Lire le feacuteminin de lrsquoadjectif franccedilais est

laquo deacutenoteacute raquo par laquo lrsquoeacutelargissement consonantique drsquoun radical historiquement polymorphe raquo Une

partie des adjectifs du franccedilais est formeacutee de radicaux qui ont un allomorphe court termineacute

par une voyelle lorsqursquoil nrsquoy a pas de suffixe ndash exemple le masculin laquo gros raquo gro ndash et un

second allomorphe agrave finale consonantique qui peut certes marquer le feacuteminin mais plus

geacuteneacuteralement marquer la preacutesence drsquoun suffixe Ainsi le s qui termine le feacuteminin laquo grosse raquo

gros se retrouve dans les deacuteriveacutes laquo gross-ir raquo ou gross-issement raquo Il en va de mecircme pour le

d du feacuteminin laquo grande raquo gRɑd eacutegalement preacutesent dans le verbe laquo grand-ir raquo et le nom

laquo grand-eur raquo De sorte qursquoil serait inexact de comprendre la preacutesence de cette consonne en

fin de radical comme une marque exclusive du feacuteminin Ceci vaut pour lrsquoexemple breton Du

nom laquo ur vercrsquoh mercrsquohed raquo (une fille des filles) on peut deacuteriver le verbe laquo mercrsquoh-et-a raquo

(courir les filles) ougrave la seconde syllabe nrsquoest plus un allomorphe du pluriel mais lrsquoallomorphe

obligatoire (en 2 syllabes) drsquoun radical laquo imparisyllabique raquo qui permet le suffixe laquo -a raquo (aller agrave

la recherche de) Idem pour laquo krentildeketa raquo aller agrave la pecircche aux crabes ou laquo kaocrsquohkezeka raquo

ramasser le long des chemins le crottin de cheval

Le marquage discontinu (drsquoun eacuteleacutement seacutemiologique) 334 JG aborde sous la formule laquo le

problegraveme du mot raquo un thegraveme qui sera deacuteveloppeacute dans le chapitre suivant consacreacute agrave la

biaxialiteacute du signe Lrsquoexemple de laquo il-fut raquo signifie que contrairement agrave la tradition le

laquo verbe raquo ne se reacuteduit pas agrave son radical (lexegraveme) Le preacutefixe de personne laquo il- raquo fait partie

inteacutegrante du verbe de mecircme que la neacutegation et le morphegraveme attributif dans laquo Il ne le fut

pas raquo Lrsquohistoire du latin au franccedilais ndash et lrsquoorthographe ndash ont laquo mateacuteriellement seacutepareacute raquo le

radical (le laquo lexegraveme raquo) et la personne verbale qui eacutetait suffixeacutee en latin laquo fui-t raquo laquo Mots-

outils raquo il ne srsquoagit pas de mots mais de fragments du mot Ils laquo permettent au lexegraveme de

srsquoactualiser raquo ils sont neacutecessaires pour que le mot existe dans sa totaliteacute et puisse ecirctre

autonome laquo Lrsquoinseacuteparabiliteacute [nrsquoest pas un critegravere pour deacutelimiter un mot] raquo Propos paradoxal

puisqursquoil fonde lrsquouniteacute du mot sur la laquo solidariteacute des fragments raquo Dans ce contexte ougrave il eacutevoque

lrsquousage graphique de deacutenombrer les mots selon les espaces typographiques il veut probable-

ment dire que lrsquoinseacuteparabiliteacute graphique nrsquoest pas une condition neacutecessaire pour deacutelimiter un

mot comme le montre lrsquoexemple laquo il fut raquo preacutesenteacute Plus largement on ne peut pas se

contenter drsquoobserver qursquoun affixe peut ecirctre seacutepareacute mateacuteriellement drsquoun autre ou drsquoun radical

par un autre mot pour en conclure qursquoil srsquoagit drsquoun second mot Ainsi le deacuteterminant nominal

en franccedilais peut ecirctre seacutepareacute du radical par un adjectif dans un syntagme laquo ce grand

chapeau raquo le deacuteterminant nrsquoen reste pas moins un preacutefixe du lexegraveme final La marque du mot

se distribue sur lrsquoensemble de ses parties constituantes

80 Une lecture de Jean Gagnepain

Analogie laquo arbitraire relatif raquo laquo motivation raquo

JG eacutevoque la reacuteduction de lrsquoallomorphisme par laquo lrsquoanalogie raquo laquo Lrsquoheacuteteacuteroclitisme se reacuteduit raquo

335 Il observe une tendance agrave opter pour des formes moins allomorphiques (= irreacuteguliegraveres)

laquo Eacutemotionner raquo tend agrave remplacer laquo eacutemouvoir raquo et laquo solutionner raquo laquo reacutesoudre raquo Tous les

neacuteologismes verbaux du franccedilais se regraveglent analogiquement sur la conjugaison en laquo -er raquo et

non sur les autres on deacuteclarera laquo googlelis-er raquo quelqursquoun et non le laquo googlelis-ir raquo ou le

laquo googlelis-oir raquo

Lrsquoaspect quantitatif de la simplification des variantes est traiteacute en 342-3 laquo La fusionhellip raquo

soude les fragments du mot Ainsi laquo maintenant raquo (en tenant la main) ou laquo lieutenant raquo (tenant

lieu de) sont aujourdrsquohui des lexegravemes simples Tout comme laquo doreacutenavant nonobstant etc raquo

JG compare de ce point de vue le franccedilais qui augmente ses lexegravemes aux langues

germaniques qui procegravedent par affixation ou composition Comparer laquo un manuel raquo et laquo Ein

Lehrbuch raquo ou bien laquo nager piscine eacutetrille boueacutee raquo et laquo to swimm swimming pool swimming

crab swimming ring raquo laquo chambre et bureau raquo agrave laquo bedroom and study room raquo

Le thegraveme de la laquo Motivationhellip raquo 344 et de lrsquoarbitraire est relieacute au propos preacuteceacutedent parce

que lrsquoon dit parfois que la relation entre laquo piscine raquo et laquo nager raquo serait formellement

laquo arbitraire raquo du fait de la dispariteacute des phonegravemes qui composent leur marque tandis que

serait laquo motiveacutee raquo la relation entre laquo to swim raquo et laquo swimming pool raquo du fait de lrsquoeacuteleacutement

commun JG fait ainsi allusion au passage du Cours de Saussure ougrave ce dernier parle de

laquo motivation relative raquo et drsquo laquo arbitraire relatif raquo agrave propos notamment de la deacuterivation et

envisage mecircme laquo tout ce qui a trait agrave la langue comme systegraveme raquo comme laquo la limitation de

lrsquoarbitraire raquo (p 182) Cette perspective a eacuteteacute systeacutematiseacutee par le courant de la linguistique

initieacute par Gustave Guillaume qui a tenteacute drsquoexplorer toute forme de motivation dans la relation

entre phonegravemes et mots

Toutefois on sait que le Cours utilise le terme drsquoarbitraire dans deux sens diffeacuterents (au

moins) Lrsquoun est speacutecifique crsquoest lrsquoarbitraire entre signifiant et signifieacute rien de ce qui caracteacute-

rise les phonegravemes de laquo chat raquo ne permet de deacuteduire ce qursquoen est le signifieacute ou comme le dit

JG Les deux phonegravemes du mot laquo loup raquo nrsquoeacutevoquent pas plus respectivement la tecircte que la

queue 325 Ici crsquoest la relation entre les deux faces qui serait dite laquo immotiveacutee raquo ou

laquo arbitraire raquo Lrsquoautre sens est plus geacuteneacuteral Le signe lui-mecircme serait arbitraire parce que rien

ne preacutedispose le bœuf agrave srsquoappeler laquo bœuf raquo plutocirct que laquo ox raquo (Selon lrsquoeacutedition premiegravere du

Cours p 100) Bref le couple laquo arbitraire ndash motivation raquo dans sa geacuteneacuteraliteacute precircte agrave toutes

sortes de jeux et combats de mots

JG propose une autre configuration terminologique Chaque face est laquo motiveacutee raquo en ce

sens que le principe mecircme de structure et de laquo raison raquo est antinomique de celui drsquoarbitraire

ou drsquoimmotivation lorsque ces concepts sont synonymes drsquoaleacuteatoire et de chaotique Chacune

laquo teacutemoigne drsquoune si parfaite logique raquo 344 La laquo motivation raquo renvoie degraves lors au caractegravere

contraignant et reacutegulier de toute structure agrave ses laquo raisons internes raquo Par conseacutequent le

terme ne doit pas srsquoappliquer agrave la relation entre les deux faces pas plus drsquoailleurs que celui

drsquoarbitraire La relation entre les deux faces laquo isomorphes raquo est alors seulement qualifieacutee drsquo

laquo insurmontable eacutecart raquo Et chez JG le concept drsquoarbitraire relegraveve uniquement de la

sociologie de la Personne (tome 2 du Vouloir-Dire) (laquo Toute consideacuteration sociologique mise agrave

part raquo)

Structure et signification 81

Lrsquoapport de la clinique des aphasies

JG aborde lrsquoaspect clinique du thegraveme de lrsquointerrelation des deux faces du grammatical

345 Il met en contraste deux types drsquoaphasie de Wernicke

ndash Dans lrsquoaphasie de Wernicke phonologique (dite de laquo conduction raquo) le malade laquo dispose

de la marque raquo seacutemiologique et a perdu la laquo fonction raquo phonologique Il a du mal agrave reacutepeacuteter les

donneacutees parce qursquoil ne controcircle plus les caracteacuteristiques des phonegravemes qursquoon lui propose Il

fera des paraphasies Ex Deacutenomination drsquoun domino laquo [Comment ccedila srsquoappelle ] hellip A cinq de

teacute a a fasatadeacute (hellip) Donsan anafadeacute (hellip) Atacheacutezatideacute (hellip) raquo59 Toutefois parce qursquoil comprend

qursquoil srsquoagit de la laquo carte drsquoidentiteacute raquo drsquoun mot lrsquoaphasique peut tenter de paraphraser les

donneacutees

ndash Un aphasique de Wernicke seacutemiologique a un autre raisonnement grammatical le

malade laquo chez qui persiste la fonction raquo phonologique mais pas laquo la marque raquo seacutemiologique

peut reacutepeacuteter les donneacutees comme une pure seacutequence de phonegravemes agrave la faccedilon des logatomes

alors que cette seacutequence ne fait plus laquo marque raquo de tel ou tel mot de sorte qursquoil est lexicale-

ment perdu laquo Un gant de caoutchouc est appeleacute ‟une culotte de beacutebeacuterdquo une pantoufle ‟un

porte-monnaierdquo le meacutedecin est deacutesigneacute comme ‟un avocatrdquo ‟un contremaicirctrerdquo ou ‟un

patron de barrdquo raquo60

IDENTITEacute ET UNITEacute

JG aborde le thegraveme de la biaxialiteacute du dire Diffeacuterenciation qualitative et segmentation

quantitative Apregraves une preacutesentation geacuteneacuterale de la distinction des deux axes pages 34-35 Il

traite le sujet en 3 sections Lrsquoaxe drsquoanalyse en identiteacutes sur chaque face laquo traits raquo phono-

logiques et laquo segravemes raquo seacutemiologiques Lrsquoaxe drsquoanalyse en uniteacutes sur chaque face

laquo phonegravemes raquo et laquo mots raquo Il preacutesente enfin les problegravemes theacuteoriques poseacutes par les notions de

capaciteacute taxinomique (responsable des diffeacuterences) et de capaciteacute geacuteneacuterative (responsable de

la segmentation)

1- Traits et Segravemes

11 - Preacutesentation des deux axes de lrsquoanalyse

Synthegravese terminologique Le mecircme et lrsquoautre Ce couple de termes est ambivalent 346

Soit lrsquoeacutenonceacute laquo Crsquoest le mecircme Non crsquoest un autre raquo

- Ou bien on considegravere comme laquo mecircme raquo ce qui est identique et laquo autre raquo ce qui est

diffeacuterent Axe des identiteacutes des oppositions deacutefinies par diffeacuterence Axe dit parfois laquo vertical raquo

par meacutetaphore de lrsquoordonneacutee

- Ou bien on considegravere comme laquo Mecircme raquo une uniteacute et comme laquo autre raquo ce qui est

suppleacutementaire multiple Axe des uniteacutes des contrastes deacutefinis par segmentation Axe dit

parfois laquo horizontal raquo par meacutetaphore de lrsquoabscisse et de la ligne drsquoeacutecriture

59 Proposeacute par Olivier Sabouraud 1995 Le langage et ses maux Paris Odile Jacob p115

60 Olivier Sabouraud ibidem p 167

82 Une lecture de Jean Gagnepain

JG illustrait volontiers en cours lrsquo laquo ambiguiumlteacute raquo 353 de ces termes par les deux exemples

suivants Au restaurant laquo Donnez-moi un autre verre raquo peut ecirctre compris soit laquo Changez

mon verre raquo soit laquo Ajoutez-moi un verre raquo Et laquo Toutes les sœurs du couvent avaient le

mecircme mouchoir raquo peut signifier laquo le mecircme modegravele raquo ou laquo Un seul pour toutes raquo

En 351-2 le thegraveme de la biaxialiteacute est mis en relation avec celui de la dialectique Il srsquoagit ici

de grammaire pocircle premier de la meacutediation par rapport agrave la rheacutetorique laquelle est

laquo lrsquoexploitation qursquoon en fait raquo 351 Par conseacutequent Roman Jakobson avait tort agrave propos

drsquoaphasie de parler des axes en termes de laquo seacutelection raquo et de laquo combinatoire raquo car ces

aptitudes sont rheacutetoriques Elles supposent au preacutealable drsquoune part du laquo preacuteseacutelectionneacute raquo

autrement dit de la diversiteacute sans laquelle il nrsquoy a pas de choix et drsquoautre part du

laquo preacuteconstruit raquo autrement dit des uniteacutes dont on ne peut plus seacuteparer les fragments 352

En 353 allusion est faite aux courants respectivement distributionnalistes et geacuteneacuteratifs qui

font laquo preacutevaloir raquo un axe Les premiers privileacutegient lrsquoeacutetude des oppositions les seconds celle

des uniteacutes et de leurs relations JG donne ensuite agrave propos du latin et en les mettant en

contraste le sens de laquo reacutepeacutetition quantitative du mecircme raquo agrave idem (comme en franccedilais

aujourdrsquohui) et le sens drsquo laquo identiteacute distinctive raquo agrave ipse (que lrsquoon retrouve en philosophie dans

lrsquolaquo ipseacuteiteacute raquo) De mecircme et par contraste alius deacutesigne la preacutesence drsquoune pluraliteacute de faits

(laquo encore un autre raquo) tandis qualter suppose le remplacement drsquoun fait par un fait diffeacuterent

comme dans le franccedilais laquo alternative raquo En latin classique laquo alter raquo deacutesigne lrsquoautre de deux

comme dans le franccedilais laquo alternative raquo tandis que laquo alius raquo deacutesigne lrsquoautre parmi plusieurs

sans preacutecision de nombre61

Trois proprieacuteteacutes importantes deacutecoulent de lrsquoexistence des deux axes drsquoanalyse 354

(1) laquo Leur intersection raquo Tout fait de langage comporte un aspect qualitatif et un aspect

quantitatif Dans la meacutetaphore topographique des axes on peut donc dire que ceux-ci sont en

intersection

(2) Les deux analyses laquo se conditionnent mutuellement raquo ce thegraveme sera deacuteveloppeacute

ulteacuterieurement sous la rubrique laquo 3 Similariteacute et compleacutementariteacute raquo

(3) Elles laquo srsquoeacutequivalent rarement raquo Cela srsquoobserve de deux maniegraveres

(a) laquo Lopposable nest pas automatiquement contrastable raquo signifie qursquoagrave une uniteacute

autonome ne correspond que rarement une seule identiteacute Risquons en exemple drsquoune

coiumlncidence le cas de lrsquointerjection laquo Zut raquo en seacutemiologie (parce qursquoelle ne comporte ni

preacutefixe ni suffixe) et celui du phonegraveme l en phonologie (parce qursquoil se distingue de tous les

autres par le seul trait appeleacute laquo lateacuteral raquo)

(b) laquo Le contrastable nest [pas automatiquement] opposable (hellip) raquo Allusion au processus

de syntaxe ougrave comme en teacutemoigne lrsquoaccord une identiteacute se retrouve dans plusieurs mots

laquo des vacances inteacuteressantes nous attendent raquo Par ailleurs le mot teacutemoigne drsquoune laquo solidariteacute

des choix raquo 354 le terme laquo solidariteacute raquo renvoie agrave la quantiteacute (Tout ce qui est solidaire est un

les fragments drsquoun vase casseacute forment encore le modegravele de lrsquouniteacute qursquoest le vase) Le terme

laquo choix raquo renvoie agrave la qualiteacute Un exemple de syntagme correacutelatif tel que laquo Crsquoest plus grave

qursquoon ne le croit raquo montre que les eacuteleacutements souligneacutes si divers qursquoils soient contribuent

mutuellement agrave la deacutelimitation et agrave lrsquoidentification de cette construction Drsquoougrave la meacutetaphore

61 Reneacute Jongen 1993 dans Quand dire crsquoest dire p35-38 analyse le systegraveme de lrsquoallemand laquo Die selbe Frage Die gleiche Frage raquo et laquo Eine andere Frage Eine weitere Frage raquo Il signale aussi les laquo chevauchements raquo en contexte crsquoest-agrave-dire les convergences synonymiques entre ces termes

Structure et signification 83

du laquo plat raquo cuisineacute qui est un mais composeacute drsquoingreacutedients varieacutes que lrsquoon ne peut plus rendre

autonomes les uns des autres

Dans son Cours Saussure qualifiait la logique du laquo ou bien raquo de rapport laquo in absentia raquo et

celle du laquo et puis raquo de rapport laquo in praeligsentia raquo Pour JG tout est laquo in absentia raquo (relatif agrave une

absence) en grammaire 355 en ce sens que le modegravele de construction de lrsquouniteacute segmentale

(un nom un verbe) ou celui drsquoun syntagme est un cadre tout aussi abstrait que le reacutepertoire

des diffeacuterences

laquo Lrsquouniteacute faisceau structuralement deacutetermineacute drsquoidentiteacutes raquo 356 Comprendre laquo deacutetermineacute raquo

selon lrsquoordre de la quantiteacute Pour parler comme Raymond Devos un laquo bout raquo (lrsquouniteacute) crsquoest ce

qui est entre deux laquo bouts raquo les extreacutemiteacutes qui sont les laquo terminus raquo deacutebut et fin de lrsquouniteacute

laquo Deacute-terminer raquo crsquoest seacuteparer lrsquoun de ce qui serait suppleacutementaire Ex simple laquo Venez raquo

nrsquoest qursquoun verbe qui solidarise plusieurs informations grammaticales Chacune preacutesuppose

un ensemble de possibiliteacutes le suffixe oppose 3 personnes laquo Viens venons venez raquo le mode

impeacuteratif srsquooppose agrave lrsquoindicatif selon qursquoest preacutesent ou absent le preacutefixe de personne laquo Vous

venez raquo Enfin le radical laquo ven(ir) raquo est extrait drsquoun ensemble de possibles tels que

laquo Rest(ez) Eacutecout(ez) Etcraquo De mecircme le phonegraveme est-il selon lrsquoexpression de Roman

Jakobson laquo un faisceau de traits pertinents raquo (a bundle of distinctive features)

laquo Lrsquouniteacute [nrsquoaurait] jamais veacuteritablement fait question raquo 356 Suit un paradoxe beaucoup

de phonologues srsquoaccordent sur lrsquoexistence et sur la deacutefinition de lrsquouniteacute laquo phonegraveme raquo tandis

qursquoaucun grammairien nrsquoest drsquoaccord avec le voisin sur lrsquoexistence et la deacutefinition drsquoune uniteacute

laquo mot raquo au point que lrsquoon srsquoaccorderait sur lrsquoabandon drsquoun tel concept dans le modegravele Le

terme est banni drsquoailleurs par beaucoup Les laquo naiumlfs raquo seraient les grammairiens scolaires pour

qui un laquo mot raquo est un ensemble de lettres que lrsquoon peut lier entre deux intervalles Lrsquoun le

phonegraveme serait une eacutevidence lrsquoautre le mot une chimegravere qursquoil conviendrait drsquooublier

laquo La relation [entre identiteacutes et uniteacutes nrsquoeacutetant pas de lrsquoordre] de la simple combinatoire ne

saurait srsquoappreacutecier en coucirct raquo 356 Il srsquoagit de la maniegravere de concevoir la relation sur une face

entre trait et phonegraveme et sur lrsquoautre entre segraveme (morphegraveme dans drsquoautres eacutecoles) et mot

(groupe ou syntagme dans drsquoautres eacutecoles) Cette relation est penseacutee en termes de

combinatoire dans les theacuteories laquo agrave niveaux raquo on combinerait des traits en phonegravemes ceux-ci

en morphegravemes ces derniers en syntagmes minimaux ou laquo Groupes raquo ndash le GN GV etc et

finalement en constructions syntaxiques Dans un tel modegravele le coucirct en information

augmente avec la complexiteacute de lrsquoenchaicircnement Une modeacutelisation en faces et axes tous

ressortissant au mecircme principe de structure est incompatible avec un modegravele combinatoire

12 - Identiteacute phonologique et identiteacute seacutemiologique

Lrsquoauteur propose de laquo helliptraiter ensemble des premiers raquo agrave savoir du trait phonologique et

du segraveme seacutemiologique (Nous entendons) laquo hellipillustrer le paralleacutelisme de la relation qursquoils

entretiennent avec leur contenu respectif raquo 361 agrave savoir le paralleacutelisme de la relation entre

grammaire (forme) et rheacutetorique (contenu) La relation entre segraveme et effet de sens seacuteman-

tique et la relation entre trait et prononciation phoneacutetique sont analogues

laquo hellip [Trait et segraveme] ne repreacutesentent pas la totaliteacute [respectivement du son pertinent et du

sens deacutenoteacute] mais leur diffeacuterence dans le seul axe des identiteacutes raquo Lrsquoexplication ici deacuteveloppeacutee

ne traite que de diffeacuterenciation tel que le laquo son raquo par la pertinence devient laquo trait raquo et le

laquo sens raquo par la deacutenotation devient laquo segraveme raquo tandis qursquoest renvoyeacutee agrave plus tard lrsquoeacutetude de la

84 Une lecture de Jean Gagnepain

segmentation ougrave le laquo son raquo par la pertinence devient laquo phonegraveme raquo et le laquo sens raquo par la

deacutenotation devient laquo mot raquo crsquoest-agrave-dire segment seacutemiologique dans la deacutefinition qursquoen

propose JG

Pour des raisons de plan geacuteneacuteral drsquoexposeacute lrsquoauteur est ici contraint de juxtaposer un

concept rheacutetorique lrsquoideacutee de laquo contenu raquo qui renvoie agrave la performance du dire et les deux

concepts qui constituent le symbole le laquo son raquo et le laquo sens raquo Il met en contraste symbole et

grammaire

Opposition entre grammaire et rheacutetorique 362 (1) En grammaire chaque trait chaque

segraveme est laquo le tout moins le reste raquo crsquoest-agrave-dire une laquo valeur deacutefinie neacutegativement raquo (Saussure)

Ce sont des laquo cadres de variations raquo Le cadre est grammatical crsquoest un reacuteseau de limites (2)

La rheacutetorique creacutee un laquo effet de reacutealisation raquo relative de ce qui est dit tend vers une positiva-

tion et introduit une variation seacutemantique et phoneacutetique On ne peut donc laquo privileacutegier raquo

aucun choix pour trouver la deacutefinition de lrsquoidentiteacute grammaticale puisque celle-ci neacuteglige ces

variations

Le fait qursquoun modegravele linguistique utilise pour deacutefinir des faits grammaticaux une

terminologie laquo phoneacutetique raquo et laquo seacutemantique raquo est probleacutematique 363 Par exemple un

phonologue parle de trait laquo sonore raquo ou laquo nasal raquo et en morphologie on parle de morphegraveme

de laquo futur raquo ou de morphegraveme laquo personnel raquo Il est neacutecessaire de redonner un statut structural

aux concepts que ces termes deacutenomment Noter les guillemets mis agrave laquo phoneacutetique raquo et agrave

laquo seacutemantique raquo termes agrave prendre ici dans leur acception traditionnelle et non comme

composantes de la rheacutetorique du dire Cette remarque est donc un rappel du principe de

neacutegativiteacute

Suit une critique de la notion de laquo marqueacute non marqueacute raquo Beaucoup de modegraveles linguis-

tiques hieacuterarchisent les deux versants de cette opposition en geacuteneacuteral en termes de laquo coucirct

drsquoinformation raquo ou de probabiliteacute drsquoemploi On dira que le t sourd est non-marqueacute parce

qursquoil ne neacutecessite pas lrsquoeffort articulatoire qursquoest la vibration des cordes vocales au contraire

du d qui les fait vibrer et que lrsquoon deacuteclare laquo marqueacute raquo On dira aussi qursquoen franccedilais le

masculin de lrsquoadjectif est non-marqueacute par rapport au feacuteminin lorsque le second neacutecessite une

consonne finale drwa - drwat kur - kurt Ce deacutetail renvoie agrave un deacutebat theacuteorique

fondamental le silence peut-il ecirctre porteur drsquoune information grammaticale lorsqursquoil entre

dans une opposition avec la preacutesence laquo mateacuterielle raquo Lrsquoabsence peut-elle ecirctre significative

Dans la perspective saussurienne de la valeur purement relative la reacuteponse est oui On dit

autant quand on dit t en laissant au repos les cordes vocales que lorsque lrsquoon dit d en les

faisant vibrer mais lrsquoon dit autre chose De mecircme on dit autant quand on dit lrsquoimpeacuteratif laquo Oslash-

Viens raquo en omettant le preacutefixe laquo tu- raquo que lorsqursquoon eacutenonce lrsquoindicatif mais lrsquoon dit autre

chose En revanche pour beaucoup de theacuteories (le fonctionnalisme par exemple) le silence

nrsquoest rien du tout et la notion laquo drsquoabsence significative raquo serait un laquo formalisme raquo Il srsquoensuit

que la notion de laquo mot raquo telle qursquoelle est eacutenonceacutee par la glossologie de Jean Gagnepain y est

radicalement reacutecuseacutee comme formaliste

Statut des notions de laquo polyseacutemie raquo et de laquo polyphonie raquo 364 Ainsi que le suffixe le

montre ces formulations relegravevent drsquoune approche rheacutetorique performantielle Seul le

phoneacuteticien peut observer la variation qui lrsquoamegravene agrave parler de laquo poly - raquo (phonie) par rapport agrave

lrsquoinvariant phonologique Idem pour laquo poly- raquo (seacutemie) qui suppose que lrsquoon mette le mot

identique sous le regard du seacutemanticien qui en observe les divers sens Lrsquoobservation de cette

variation ne peut se faire que dans le cadre invariant drsquoun mecircme eacuteleacutement grammatical La

Structure et signification 85

variation est toujours variation du mecircme La formulation complegravete ici est donc laquo polyphonie

du trait raquo et laquo polyseacutemie du segraveme raquo Chaque partie de la formulation complegravete renvoie agrave un

pocircle de la dialectique Lrsquoimproprieacuteteacute quelle que soit la face sur laquelle elle srsquoexerce laquo reacutesulte

de leur conflit raquo 3646 autrement de la dialectique

JG eacutevoque maintenant le cas ougrave la structure introduit de la diffeacuterence lagrave ougrave lrsquoeacutevidence qui

est une association de laquo naturel raquo et laquo drsquohabitude raquo pourrait laisser croire agrave un fait identique

laquo [Lrsquoidentiteacute est] inversement source de diffeacuterence lagrave ougrave la nature dont lhabitude en cela se

fait complice manifestement les confond raquo 365 Soit par exemple le fait drsquoentendre chez

plusieurs personnes laquo le mecircme son raquo Une mecircme reacutealiteacute acoustique est-elle pour autant une

mecircme reacutealiteacute phonologique La reacuteponse est non Deacutemonstration

Le texte en 366 propose lrsquoexemple du ton en Orient Comme il ne srsquoagit phonologique-

ment que de diffeacuterences la mecircme hauteur acoustique (un la3) peut ecirctre compris comme le

ton bas drsquoune personne qui prononce le ton haut une quinte au-dessus et inversement

comme le ton haut de celle qui prononce le ton bas une quinte en dessous (Identiteacute phonique

mais diversiteacute phonologique)

Lrsquoexemple le plus souvent eacutevoqueacute est celui de la longueur vocalique dans les langues qui

opposent une bregraveve et une longue Le latin oppose legit laquo il lit raquo agrave legit laquo il a fini de lire raquo

On comprend que ce nrsquoest pas la longueur mesurable en fractions de seconde qui compte

mais la diffeacuterence de dureacutee De sorte qursquoun [e] drsquoune demi-seconde peut ecirctre compris comme

une longue en deacutebit rapide et comme une bregraveve en deacutebit lent en fonction du contexte

phonologique

Lrsquoexemple franccedilais du texte 366 se situe sur lrsquoaxe de la quantiteacute et sur lrsquoautre face du

grammatical Il illustre le mecircme processus de convergence Le mecircme objet peut ecirctre

deacutenommeacute par un seul mot (laquo sel raquo laquo Paris raquo) ou par ses peacuteriphrases synonymes (laquo chlorure de

sodium raquo laquo capitale de la France raquo) La simpliciteacute de ce que le locuteur conccediloit ne preacutejuge pas

de la simpliciteacute ou de la complexiteacute de la formulation grammaticale dont il dispose

Diffeacuterence et proportion

laquo Traits et segravemes ne sont que lrsquoeacutegaliteacute drsquoun rapport une proportion raquo 367 Lrsquoauteur entend

par le deacuteveloppement qui suit lever lrsquoambiguiumlteacute de la notion laquo drsquoeacutegaliteacute drsquoun rapport raquo car

cette notion peut aussi renvoyer aux laquo analogies raquo internes au systegraveme phonologique ou

seacutemiologique dont il nrsquoest pas question ici

Il ne donne pas drsquoexemple de proportion dans ce premier sens qursquoil entend exclure tel

qursquoun exemple de laquo correacutelation phonologique raquo parce que le concept est exposeacute plus loin en

tant que fait drsquointeraction entre axes entre laquo segment raquo quantitatif et laquo traits raquo (constituants)

qualitatifs (Pour meacutemoire et par anticipation p t k sont des consonnes diffeacuterentes par leur

localisation mais forment la laquo seacuterie raquo similaire des occlusives sourdes tandis que b d g sont

similaires en tant qursquoocclusives sonores) Mecircme chose pour le correspondant seacutemiologique ou

laquo paradigme raquo examineacute plus tard

Dans le passage preacutesent dans une premiegravere seacuterie drsquoexemples il appelle laquo eacutegaliteacute drsquoun

rapport raquo une proportion entre les faits phonologiques eux-mecircmes crsquoest-agrave-dire entre traits

Autrement dit le seul fait qursquoest la diffeacuterence qui les deacutefinit Bref laquo eacutegaliteacute raquo me semble ecirctre

synonyme ici de laquo constance raquo Celle-ci en effet pourrait ecirctre troubleacutee par la prise en compte

des variations phoneacutetiques non pertinentes Or cette variation ne compte pas pour le phono-

86 Une lecture de Jean Gagnepain

logue Seul compte la diffeacuterence pertinente qui reste constamment laquo eacutegale agrave elle-mecircme raquo

quelle que soit la prononciation de chacun des phonegravemes diffeacuterencieacutes Crsquoest pourquoi il

preacutecise laquo chez nous raquo 371 autrement dit dans une structure phonologique deacutefinie (ici

observable en franccedilais) Le trait apical du t est en permanence distinct du trait labial du p

ou du trait palatal du k comme le prouve la seacuterie pertinente laquo tout pou cou raquo (etc) Ceci

eacutetant ce t phonologiquement identique agrave lui-mecircme peut ecirctre prononceacute de faccedilon variable

par un contact du bout de la langue agrave lrsquoavant de la bouche dans le cas de laquo ti(ssu) raquo et plus agrave

lrsquoarriegravere dans le cas de laquo tour raquo en raison drsquoune anticipation de la prononciation de la voyelle

qui le suit Point de deacutetail laquo cacumen raquo veut dire laquo pointe raquo en latin synonyme de laquo apex raquo

Ici lrsquoauteur distingue par les trois termes laquo dental alveacuteolaire cacuminal raquo une varieacuteteacute de

pression du bout de la langue sur la voucircte palatale drsquoavant vers lrsquoarriegravere Chaque seuil compte

pour une diffeacuterence quelle que soit la varieacuteteacute possible des prononciations dans le cadre de

chaque identiteacute Autre exemple (en franccedilais) la proportion entre r et l est celle drsquoun trait

phonologique celle drsquoune laquo eacutegale proportion raquo alors que la prononciation phoneacutetique du r

entre le laquo rat raquo des villes et le laquo rat raquo des champs (Gallo Bourguignon ou Gersois) est tregraves

grande tandis que celle du l varie peu et en fonction de la voyelle qui suit selon qursquoelle est

reacutetracteacutee ou arrondie Cette observation phoneacutetique ne compte pas pour le phonologue pour

qui un trait est toujours et seulement un trait un rapport eacutegal agrave une diffeacuterence

Lrsquoargument de laquo lrsquoeacutegaliteacute drsquoun rapport raquo vaut aussi sur lrsquoautre face du grammatical Quelle

que soit lrsquoampleur de la polyseacutemie possible des segravemes seule la diffeacuterence entre segravemes

compte et compte toujours pour une Ainsi laquo fille raquo couvre en franccedilais agrave la fois le champ

seacutemantique de laquo girl raquo et de laquo daughter raquo tandis que laquo garccedilon raquo est lexicalement distingueacute de

laquo fils raquo Il nrsquoy a pas lieu pour autant de distinguer deux segravemes dans laquo fille raquo selon le contexte ni

une addition de segravemes (sexe + filiation)

Lrsquoauteur illustre la thegravese preacuteceacutedente par des exemples de laquo variantes combinatoires raquo en

laquo distribution dite compleacutementaire raquo 372 En allemand une consonne identique termine les

deux mots laquo dich raquo (toi (accusatif)) et laquo Doch raquo (Si ) Cependant celle-ci se prononce de

maniegravere diffeacuterente selon qursquoelle suit une voyelle drsquoavant i ou drsquoarriegravere o u a laquo Dich raquo se

prononce [diccedil] (constrictive sourde palatale) et laquo doch raquo se prononce [dɔx] (constrictive

sourde veacutelaire) Le locuteur nrsquoa jamais le choix entre ces deux prononciations cette variation

nrsquoest donc pas pertinente Le phonologue dira que ce phonegraveme a deux prononciations

phoneacutetiques deux laquo allophones raquo laquo en distribution compleacutementaire raquo

En seacutemiologie de mecircme une valeur identique peut donner lieu agrave deux effets de sens

diffeacuterents laquo en fonction de lrsquoentourage raquo de cette valeur Le texte fait allusion aux laquo aspects

verbaux raquo 372 Preacutecisons cela par un exemple Il nrsquoy a pas lieu en franccedilais de distinguer entre

un laquo aspect permanent raquo et un laquo aspect ponctuel raquo dans laquo Elle travaille raquo car le verbe reste

identique Ces deux aspects sont des laquo variantes contextuelles raquo du mecircme segraveme puisque crsquoest

le contexte et la situation qui provoquera cette diffeacuterence seacutemantique entre laquo Elle travaille

dans lrsquoimmobilier raquo (Elle a un emploi permanent) et laquo Elle travaille depuis 8h ce matin raquo (Elle

est au travail) Lrsquoanglais et le breton au contraire obligent agrave choisir entre deux formes

grammaticales laquo She works raquo laquo Labourat a ra-hi raquo et laquo She is working raquo laquo Emantilde-hi o

labourat raquo

Structure et signification 87

La laquo neutralisation raquo

La notion de neutralisation fait partie du savoir de base en phonologie 373-4 Elle est

reprise pour une part ici Toutefois la comparaison de ce passage avec la reprise de la notion

en 603 montre que JG souhaite restreindre la porteacutee de celle-ci Il parle alors de

laquo lrsquoextension agrave mon avis malencontreuse du principe de soi paradigmatiquehellip de la

neutralisation raquo

Il srsquoagit ici de la position drsquoun phonegraveme dans la seacutequence qui construit un mot Soit

lrsquoexemple allemand citeacute lrsquoopposition entre consonne sourde et sonore existe agrave lrsquoinitiale drsquoun

mot mais pas en finale Elle est donc dite laquo neutraliseacutee raquo au profit du trait sourd Les deux

noms laquo das Rad raquo (la roue) et laquo der Rat raquo (le Conseil) se disent tous les deux rαː t (et au

pluriel respectivement laquo die Raumlde raquo (les roues) et laquo die Raumlte raquo (les assembleacutees)

Lrsquoexemple breton est analogue Une opposition existe entre les phonegravemes t et d

attesteacutee par exemple agrave lrsquoinitiale dans les mots laquo Tour dour raquo (clocher eau) Mais devant un

silence en finale de mot et de phrase une occlusive ne peut ecirctre que sourde alors qursquoelle peut

ecirctre sonore en liaison avec la voyelle initiale du mot qui suit ou drsquoun suffixe va zat (Mon

pegravere ) et va zad e (Crsquoest mon pegravere) ou ɔn tadu (Nos ancecirctres) On ne peut pas pour

autant conclure agrave lrsquoexistence de deux allophones drsquoun mecircme trait en distribution compleacutemen-

taire puisque lrsquoopposition existe bien agrave lrsquoinitiale

Le cas des voyelles centrales du franccedilais est diffeacuterent sur ce point62 Lrsquoopposition drsquoaperture

disparaicirct au profit drsquoun seul des traits Deux cas de figure existent

- Alors que lrsquoopposition voyelle mi-fermeacutee mi-ouverte existe dans une syllabe

laquo (consonne) + voyelle raquo ((C) + V) elle disparaicirct au profit exclusif du trait mi-ouvert dans une

syllabe de type ((C) +V +C) termineacutee par une consonne63 On a ainsi laquo et ait reacute raie eacuteteacute

eacutetait raquo mais seulement laquo aide aire raide reine recircve eacutether raquo

- La neutralisation est inverse pour les deux autres seacuteries ( oslash - œ et o - ᴐ Cette fois

lrsquoopposition voyelle mi-fermeacutee mi-ouverte nrsquoexiste que dans une syllabe de type ((C) + V +C)

agrave consonne finale On observe peu de paires minimales dans le premier cas laquo veule ndash

veulent raquo ou laquo jeucircne ndash jeune raquo mais la voyelle oslash existe aussi dans laquo pleutre feutre meute

meule neutre neume raquo etc Dans le second cas la liste des oppositions est plus large

laquo haute ndash hotte arocircme ndash agrave Rome cocircte ndash cotte fauche ndash Foch faune ndash phone lrsquoaube ndash

lobe Paule ndash Paul saule ndash sol saute ndash sotte etc raquo Ceci nrsquoest vrai que pour une partie des

dialectes du franccedilaishellip dont le mien Dans les deux cas lrsquoopposition est totalement neutraliseacutee

en syllabe termineacutee par une voyelle ((C) + V) au profit cette fois du trait mi-fermeacute

laquo Eux ceux jeu veux peu nœudhellip raquo64 Et laquo Ocirc eau heaume faux lot peau seau hellip raquo

Il faut donc envisager de diversifier lrsquoanalyse de ce qursquoon appelle une neutralisation Quoi

qursquoil en soit pour signaler cette diffeacuterence de statut du phonegraveme dans un contexte particulier

62 On appelle ainsi les seacuteries e - ε (theacute - taie) oslash - œ (veule - veulent jeucircne - jeune [rare]) o - ᴐ (paume pomme) Dans chaque seacuterie on observe un trait drsquoaperture laquo mi-fermeacute mi-ouvert raquo

63 Une syllabe C+V est dite laquo syllabe ouverte raquo et une syllabe C+V+C est dite laquo syllabe fermeacutee raquo Ces qualificatifs prennent un autre sens lorsqursquoils caracteacuterisent lrsquoouverture de la bouche (aperture)

64 Le statut de la voyelle [ ә ] vient compliquer la situation Comparons par exemple laquo nœud raquo et laquo ne raquo laquo ceux raquo et laquo se raquo laquo jeu raquo et laquo je raquo Identique phoneacutetiquement agrave œ quant agrave lrsquoaperture et la localisation la voyelle [ ә ] en est distincte par la longueur (laquo bregraveve raquo) chez les locuteurs qui font cette opposition et toujours par le fait qursquoelle peut disparaicirctre dans le contexte plus large laquo je ne sais pas raquo peut devenir laquo je nrsquosais pas raquo laquo on se reverra raquo devient laquo on srsquoreverra raquo ou laquo on se rrsquoverra raquo et laquo jrsquoaccepte raquo contraste avec laquo jeu accepteacute raquo Plus loin en 39 46 JG soutient qursquoil ne srsquoagit pas drsquoun phonegraveme mais drsquoune aide phoneacutetique agrave la syllabation

88 Une lecture de Jean Gagnepain

les phonologues lrsquoappellent laquo archiphonegraveme raquo et preacuteconisent drsquoutiliser une majuscule pour le

noter (N-S Troubetzkoy Principes de phonologie p81)

Tous ces cas relegravevent de la deacutefinition diffeacuterentielle du trait au sein du phonegraveme Nous

verrons plus loin (en 603) que JG renvoie certains cas de laquo neutralisation raquo agrave un fait de

laquo syntaxe phonologique raquo appeleacute alors concateacutenation

JG propose ensuite des exemples analogues en seacutemiologie Les deux auxiliaires du franccedilais

laquo ecirctre raquo et laquo avoir raquo sont en opposition pour les verbes (transitifs) qui admettent une forme

passive laquo il a attendu raquo laquo il est attendu raquo Cette opposition disparaicirct pour les verbes intransi-

tifs dont la forme composeacutee utilise soit laquo avoir raquo (la majoriteacute) laquo il a dormi raquo soit laquo ecirctre raquo laquo il

est venu raquo

laquo Archiphonegraveme raquo et laquo Seacutemegraveme raquo

Critique de deacutetail des termes laquo archiphonegraveme raquo (Troubetzkoy) et laquo seacutemegraveme raquo en 381

Comment comprendre la critique du premier de ces termes selon laquelle laquo ce nest

quindirectement du phonegraveme quil sagit raquo 381 Pour JG le laquo phonegraveme raquo est seulement un

segment une quantiteacute puisque le modegravele est biaxial Or le problegraveme concerne une reacuteduction

au sein drsquoun registre de traits diffeacuterentiels sur lrsquoautre axe Par conseacutequent le concept en cause

renvoie agrave un problegraveme plus complexe qursquoon ne le croit associant laquo directement raquo une

question de trait et laquo indirectement raquo une question de phonegraveme JG en reparle en 5342 de

mecircme qursquoil reprend la question de la neutralisation en 603 Il semble qursquoil en fasse un fait de

correacutelation phonologique Lrsquohypothegravese drsquoun fait de concateacutenation nrsquoest pas non plus agrave exclure

Par ailleurs la formulation laquo on ne saurait dans une gamme en les regroupant sous le nom

darchiphonegraveme isoler les degreacutes phoneacutetiquement concerneacutes raquo 381 deacutepasse mon entende-

ment La justification structurale de ce concept chez Troubetzkoy reacutesidait preacuteciseacutement dans le

fait qursquoun mecircme fait phoneacutetique ([e] par exemple) nrsquoa pas la mecircme deacutefinition phonologique

selon qursquoil peut ou non srsquoopposer agrave un autre phonegraveme Le ɛ de laquo raie raquo Rɛ qui entre en

opposition avec le e de laquo reacute raquo nrsquoa pas le mecircme statut que le E de laquo recircve raquo rEv puisque

rev est agrammatical Lrsquoutilisation de la majuscule a donc preacuteciseacutement pour but de ne plus

laquo isoler les degreacutes phoneacutetiques raquo puisqursquoils nrsquoont plus alors de statut phonologique

Le second terme laquo seacutemegraveme raquo 381 semble reacutefeacuterer au modegravele de Bernard Pottier repris sur

ce point par Franccedilois Rastier Cependant la terminologie de ces derniers est en fait diffeacuterente

Le laquo seacutemegraveme raquo deacutesigne le contenu seacutemantique total et speacutecifique drsquoun eacuteleacutement lexical

contenu composeacute de laquo segravemes raquo qui en sont les caracteacuteristiques seacutemantiques minimales Ainsi

le seacutemegraveme qui deacutefinit le terme laquo chaise raquo est composeacute des laquo segravemes raquo laquo pour asseoir une seule

personne sur pieds avec dossier raquo par opposition lexicale avec les termes laquo lit banc pouf

tabouret fauteuil raquo Lrsquoallusion de Jean Gagnepain correspond plutocirct au terme

laquo archiseacutemegraveme raquo puisqursquoil deacutesigne un laquo hyperonyme raquo (dit laquo pantonyme raquo chez JG) tel que

laquo mobilier raquo qui regroupe lrsquoensemble des termes (deacutefinis par leur seacutemegraveme) drsquoun mecircme champ

seacutemantique

Critique du laquo binarisme raquo chez Jakobson

La critique qui suit du binarisme (laquo Rien ne le fonde dans les faits raquo 382) vise le modegravele

phonologique de Roman Jakobson Ce dernier caracteacuterise lrsquoensemble des phonegravemes selon un

catalogue drsquooppositions binaires hieacuterarchiseacutees speacutecifiques (sonore + sonore -) ou geacuteneacuteriques

(compact diffus) Une seacuterie ternaire ou plus est inconcevable telle que (traits) laquo labial

Structure et signification 89

dental palatal veacutelaire uvulaire raquo Il soutiendra dans Langage enfantin et aphasie que

lrsquoeacutemergence au langage chez lrsquoenfant se fait selon des eacutetapes correspondant aux paliers

hieacuterarchiseacutes de son modegravele phonologique et que lrsquoatteinte du langage dans lrsquoaphasie fait le

chemin inverse Les observations sur les aphasies meneacutees par Olivier Sabouraud et Jean

Gagnepain deacutementent cette hypothegravese Ce dernier nuance sa critique (laquo Sans doute est-il

vraihellip raquo 3836) en preacutecisant qursquoelle ne vaut que pour lrsquoordre de la structure et non pour celle

de la performance ougrave la notion de degreacute de complexiteacute retrouve son inteacuterecirct explicatif

Une formalisation incorporeacutee et non projeteacutee

Traits et segravemes laquo sont raquo une formalisation sui generis 384 Rappel est fait du principe de

laquo formalisation incorporeacutee raquo Le grammairien explicite et expose une formalisation qui est

inheacuterente agrave lrsquoobjet grammatical Drsquoougrave la critique de termes tels qursquolaquo Alphabet phoneacutetique

international raquo termes qui laissent penser qursquoexisterait un stock total de phonegravemes pour

lrsquohumaniteacute dans lesquels chaque langue puiserait Cet inventaire deacutetruit la notion mecircme de

phonegraveme puisqursquoelle les deacutefinit positivement en termes articulatoires comme eacutetant des sons

sans tenir compte du critegravere de pertinence qui dans chaque structure permet de dire qursquoil

srsquoagit drsquoun phonegraveme Il faudrait ecirctre naiumlf (ou positiviste) pour croire que lrsquoon a affaire au

mecircme phonegraveme lorsque lrsquoon eacutecrit en API avec le mecircme graphegraveme e le mot franccedilais re

laquo reacute raquo et le mot espagnol ser laquo ecirctre raquo Crsquoest inexact parce que le e franccedilais est deacutelimiteacute par

un ɛ (raie) alors que le e castillan ne lrsquoest que par i et a De mecircme un inventaire

universel des ideacutees humaines pantopique panchronique et panstratique est une speacuteculation

tout aussi absurde agrave la fois parce qursquoelle postule une position de connaissance transcendante

et parce qursquoelle suppose que lrsquoon peut deacutefinir chaque laquo ideacutee raquo comme indeacutependante des

autres stockable et manipulable comme chaque grain de sable drsquoune plage ideacuteale

2- Phonegravemes et mots

La segmentation grammaticale 38-39 Problegravemes de segmentation phonologique 39-41

Problegravemes de segmentation seacutemiologique 41-43

21 - Preacutesentation de la notion drsquouniteacute grammaticale

laquo Les traits et les segravemes sauf pathologiquement napparaissent que cristalliseacutes (hellip) dans des

phonegravemes et des mots raquo laquo Nous ne disons pas ldquocombineacutesrdquohellip raquo 385 Ce point est important car

il distingue la glossologie des theacuteories distributionnalistes et du fonctionnalisme drsquoAndreacute

Martinet Pour ces derniers une identiteacute est aussi une uniteacute lrsquoidentiteacute est appeleacutee

laquo monegraveme raquo par Andreacute Martinet Dans laquo deacute-crypt-er raquo il y aurait trois uniteacutesidentiteacutes

laquo combineacutees syntaxiquement raquo Dans la perspective glossologique laquo deacutecrypter raquo relegraveve

laquo drsquoune inteacutegrale simpliciteacute raquo celle drsquoun verbe unique Lrsquoobservation de la possibiliteacute de varier

lrsquoexemple en laquo deacute-crypt-ons raquo ou en laquo il-le-deacutecrypte-ra raquo relegraveve de lrsquoautre axe de la capaciteacute agrave

changer des segravemes sans que le cadre de lrsquouniteacute verbale change

Par la formule laquoEacutetablir la faccedilon dont sont deacutetermineacutes les segments raquo 391 JG reformule la

notion drsquouniteacute Lrsquouniteacute est un laquo segment raquo qui peut ecirctre seacutepareacute du contexte Elle a un deacutebut et

une fin qui en sont les deux laquo termes raquo Entre les deux laquo bouts raquo de lrsquouniteacute toutes les

informations sont solidaires

90 Une lecture de Jean Gagnepain

Le sect 392 deacuteveloppe la notion de laquo mot ndash segment raquo Il convient de prendre pour une

boutade lrsquoeacutevocation drsquoun phonegraveme laquo patate raquo mecircme srsquoil existe des triphtongues et des glides

en [jaw]) Boutade aussi que le mot laquo pas-prisonnier-mais raquo quoique les langues agglutinantes

puissent fournir des exemples de mots beaucoup plus complexes Louis Bazin dans son

Introduction agrave lrsquoeacutetude pratique de la langue turque65 donne en premier exemple le laquo mot raquo

laquo Tuumlrk-le-ş-tir-e-me-dik-ler-im-iz-den-mi-sin-iz raquo laquo Ecirctes-vous de ceux que nous nrsquoavons pas pu

turquifier raquo Exemple malicieux eu eacutegard au sort reacuteserveacute aux Kurdes et aux Armeacuteniens

laquo Il faudrait qursquoils [traits ou segravemes] fussent agrave la fois implicitement segmentables et non

point seulement explicitement segmenteacutes raquo Je comprends la formule comme un commentaire

du fait que le segment est un eacuteleacutement minimal Il ne suffit pas au phonologue de seacuteparer

laquo patate raquo de ce qui le preacutecegravede et le suit (dans laquo jrsquoaime les patates sauteacutees raquo) pour en conclure

que crsquoest une uniteacute en lrsquooccurrence un seul phonegraveme Crsquoest agrave la grammaire implicite drsquoen

deacutecider Or lrsquoapplication du critegravere de pertinence montre que lrsquoon peut encore segmenter

lrsquoexemple en 5 phonegravemes p+a+t+a+t Ceci eacutetant ni le p ni le a ni le t ne peuvent plus

ecirctre eux-mecircmes redeacutecoupeacutes Aucun des traits que contient le p nrsquoest lui-mecircme

laquo segmentable raquo crsquoest-agrave-dire seacuteparable des autres traits

laquo Il faudrait pour parler de laquo synthegravese raquo que les classes drsquoopposition qui respectivement les

deacutefinissent preacuteexistassent agrave la rupture qui les creacutee raquo est une reacuteflexion critique sur une formula-

tion de type distributionnaliste telle que laquo un mot un phonegraveme syntheacutetise (combine) des

classes drsquooppositions raquo Envisageons le cas du mot Dans une telle perspective chaque classe

est elle-mecircme consideacutereacutee comme une uniteacute et a un statut segmental Par exemple laquo il-arrive-

ra raquo syntheacutetiserait les classes laquo Personne Lexegraveme Temps raquo Il nrsquoy a plus alors de biaxialiteacute

puisque tout fait est agrave la fois identiteacute et uniteacute selon le critegravere de lrsquoopposition dans une seule

dimension taxinomique Certes cela correspond agrave une sorte drsquoeacutevidence contre laquelle JG

lutte ici Pour JG la classe de laquo temps raquo ne preacuteexiste pas agrave la structure du segment verbal

lequel est deacutelimiteacute par la laquo rupture raquo drsquoavec le contexte ndash ce qui est hors du verbe et par le

programme drsquoinformations dont il est rempli et qui constitue son laquo inteacutegrale simpliciteacute raquo dans

le sens ougrave laquo un raquo verbe crsquoest tout cela et rien que cela Au contraire la notion critiqueacutee de

laquo synthegravese raquo suppose une multipliciteacute premiegravere de classes qui serait ensuite reacuteduite par une

syntaxe JG objecte agrave cela qursquoon ne peut concevoir une multipliciteacute de classes que si chacune

peut ecirctre produite grammaticalement de maniegravere autonome ce qui nrsquoest pas le cas Dans

lrsquoexemple laquo Il arrivera raquo il est impossible au locuteur de ne dire que laquo Il- raquo ou laquo -ra raquo de

mecircme que laquo Arrive raquo dit plus que le lexegraveme puisqursquoil ne peut ecirctre compris que comme un

impeacuteratif de 2e personne du singulier soit tout un verbe Tout ceci est transposable agrave la

phonologie

laquo La pluridimensionnaliteacute freacutequemment eacutevoqueacutee nrsquoest point un donneacute naturel mais le

reacutesultat drsquoune neacutegativiteacute culturelle envisageacutee cette fois sous lrsquoangle drsquoune reacuteduction des

contrastes raquo 393

Cette tendance agrave autonomiser les classes (de segravemes ou de traits) reacutesulte drsquoune approche

naturaliste des faits culturels On envisage les traits comme des paramegravetres physiologiques et

de ce point de vue on peut observer de maniegravere autonome la vibration des cordes vocales et

son arrecirct ou la bascule de la luette Parallegravelement on peut envisager la diffeacuterence entre nom

laquo comptable raquo (des cailloux) et nom laquo massif raquo (de lrsquoair) agrave partir de lrsquoexpeacuterience naturelle (agrave

65 Louis Bazin 1968 Introduction agrave lrsquoeacutetude pratique de la langue turque p17

Structure et signification 91

vrai dire aussi accultureacutee par la technique voire par le social dans le cas de la cateacutegorie de

personne) JG soutient que la pluridimensionnaliteacute dans lrsquoordre du dire grammatical (classes

de traits et de segravemes) reacutesulte du principe mecircme qursquoil appelle laquo capaciteacute geacuteneacuterative raquo Celle-ci

impose au dit une segmentation en uniteacutes ougrave chaque uniteacute solidarise des informations heacuteteacutero-

gegravenes Le verbe annule le laquo contraste raquo entre personne aspect lexegraveme et temps en obligeant

agrave construire drsquoun seul tenant laquo je ne lrsquoai pas recircveacute raquo Le phonegraveme annule le laquo contraste raquo entre

la localisation le voisement et la nasaliteacute en solidarisant lrsquoensemble de ces paramegravetres Le

propos est tregraves preacuteciseacutement centreacute sur la dialectique laquo nature ndash culture raquo et sur le thegraveme de la

neacutegativiteacute de lrsquoinstance La grammaire dans sa dimension segmentale laquo nie raquo lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute

de lrsquoexpeacuterience humaine en obligeant par exemple le verbe agrave formuler simultaneacutement ce qui

est dit agrave qui crsquoest imputeacute et dans quelles circonstances Dialectiquement cette neacutegativiteacute

peut toujours ecirctre redistribueacutee rheacutetoriquement par des reformulations laquo Il srsquoagit de moi ce

nrsquoeacutetait pas un recircve raquo etc sans pour autant sortir de lrsquoimplacable programme segmental

qursquoimpose la grammaire

[Ne pas confondre dans les notions de traits ou de segravemeshellip] laquo helliple processus qui par

substitution les instaure et celui qui tout aussi grammatical les distribue raquo 393 Autrement

dit lorsque lrsquoon parle drsquoune classe de traits (les occlusives) ou de segravemes (le nombre) il faut

faire abstraction du fait qursquoen mecircme temps mais en raison drsquoun autre principe grammatical ce

fait a un statut segmental et contribue agrave construire lrsquouniteacute phonegraveme ou lrsquouniteacute mot JG pro-

pose (ailleurs) de parler de laquo partiels raquo drsquouniteacute crsquoest-agrave-dire de fragments drsquoun segment 414

laquo Lrsquoagrammatismehellip du Brocahellip raquo [teacutemoigne de] laquo la dissolution de lrsquouniteacute raquo 393 Le

premier exemple proposeacute est seacutemiologique Un Broca peut produire aussi bien laquo ils

promenadent raquo que laquo promener raquo pour laquo ils se promegravenent raquo Dans les deux cas le programme

segmental du verbe nrsquoest pas respecteacute dans le cadre de ce test soit parce qursquoil y a un trop

(-nadent) soit parce qursquoil nrsquoy a pas assez (la personne) Idem pour lrsquoexemple phonologique

preacutesenteacute Soulignons que ce nrsquoest pas lrsquoeacutecart au normal qui importe mais que crsquoest

lrsquoinconstance et lrsquoinseacutecuriteacute des essais du malade qui reacutevegravelent la disparition drsquoun principe de

coheacuterence grammaticale

22 - Problegravemes de segmentation phonologique

Problegravemes varieacutes

Les consonnes laquo latentes raquo 394 Il srsquoagit des liaisons obligatoires ou facultatives entre

mots laquo Les enfants ndashz- obeacuteissants Un bon -n- eacutelegraveve raquo Phonologiquement le phonegraveme est lagrave

ou pas Le problegraveme est donc que lrsquoon creacutee par cette notion de laquo latence raquo un faux problegraveme

phonologique Passons du cocircteacute de la seacutemiologie et de la marque du laquo mot raquo Lrsquoalternance

entre ɑfɑ et ɑfɑz bɔ et bɔn est agrave analyser agrave la fois comme un fait drsquoallomorphisme

du mecircme mot et dans le cas preacutesent comme une marque syntaxique de la relation entre le

nom et lrsquoadjectif

laquo La voyelle ‟ muette rdquo [noteacutee [ə] en API] ne saurait ecirctre recenseacutee raquo 394 Elle nrsquoa pas de

statut phonologique mais reste une reacutealiteacute phoneacutetique qui permet drsquoassurer la syllabation

JG pense ici agrave la laquo loi des 3 consonnes raquo de Maurice Grammont (1894) qui eacutenonce en

substance et pour le franccedilais non-meacuteridional que le dit [ə] laquo caduc raquo eacutevite la difficulteacute agrave

prononcer une seacutequence de trois consonnes Le [ə] srsquointercale entre la 2egrave et la 3egrave consonne

vendredi [vɑdʁədi] autrement [otʁəmɑ] contredance [kɔtʁədɑs] Autre cas deacutelicat Que

92 Une lecture de Jean Gagnepain

signifie pour lrsquoauteur la formule laquo Se fonder pour lrsquoassigner fucirct-ce modestement agrave la

structure sur des couples comme ‟ lrsquoecirctrerdquo et‟ le hecirctre rdquo voire ‟ dorsrdquo et ‟ dehorsrdquohellip raquo Est-ce

une concession Ou bien la solution proposeacutee serait-elle de ne pas accorder de statut

phonologique du tout au [ə] lequel servirait ici phoneacutetiquement agrave permettre au l ou au d

initial drsquoecirctre syllabique devant une seconde syllabe agrave initiale vocalique ou encore au l drsquoecirctre

syllabiseacute en finale de verbe dans le cas de laquo prends-le raquo

En revanche lrsquoauteur propose de faire du laquo hiatus raquo un phonegraveme 394 Conseacutequemment

paye - pays [pɛj - pɛ_i] ou abeille ndash abbaye [ab ɛj ndash abe_i] resteraient des paires minimales

phonologiques distingueacutees par un phonegraveme en plus ou en moins le hiatus Et les

prononciations [j] et [i] deux variantes contextuelles drsquoun mecircme phonegraveme i Cependant il

faut prendre en compte des oppositions telles que laquo pieu pneu preuxhellip raquo ou laquo yeux nœud

peu ceuxhellip raquo laquo cailler caler carreacutehellip raquo et traiter de la diffeacuterence entre i et j en termes de

syllabes

La thegravese de la laquo simpliciteacute raquo du phonegraveme eacutenonceacutee en 402 deacutecoule de la distinction des

deux axes un phonegraveme est un minimum segmental quelle que soit la complexiteacute apparente

de ce qui le constitue Car cette complexiteacute nrsquoest pas une multipliciteacute mais un fait de

diffeacuterenciation qui relegraveve de lrsquoautre axe Drsquoougrave le deacuteveloppement qui suit en 403-4 qui vise agrave

lever lrsquoambiguiumlteacute des termes traditionnels laquo polyphtonguie diphtongue raquo qui donnent un

statut phonologique agrave de la variation phoneacutetique interne agrave lrsquouniteacute

Le paragraphe 403 alerte sur lrsquoillusion drsquoune complexiteacute phonologique induite par

lrsquoeacutecriture Lrsquoalphabet latin eacutetant appliqueacute agrave lrsquoeacutecriture de lrsquoanglais il est freacutequent qursquoun

phonegraveme vocalique unique mais diphtongueacute (un laquo glide raquo) soit noteacute par une seacutequence de

deux lettres un laquo digramme raquo laquo house how buy boy oil raquo

Il faut laquo clairement distinguer les longues et les geacutemineacutees raquo 404 Le problegraveme est inverse de

celui de la diphtongaison dans le cas de la geacutemination consonantique le geste articulatoire

est unique et consiste agrave augmenter la pression de lrsquoocclusion donc la dureacutee de production de

celle-ci Mais le fait que cela se produise agrave une frontiegravere syllabique fait laquo comprendre raquo qursquoil y

a un redoublement de la consonne Crsquoest donc un fait phonologique agrave la condition toutefois

qursquoil y ait une opposition pertinente avec une consonne unique On cite couramment des

exemples du Sarde ou lrsquoexemple italien Le mot italien fata eacutecrit laquo fata raquo ougrave le premier a

est phoneacutetiquement long [faːta] est le mot laquo feacutee raquo Il forme une paire minimale phonologique

avec fatta eacutecrit laquo fatta raquo qui est le participe passeacute du verbe laquo faire raquo ougrave le premier a est

phoneacutetiquement bref et ougrave la partie consonantique est longue [fatːta] Les deux mots ont

deux syllabes mais la structure interne est quantitativement diffeacuterente laquo fata raquo CV+CV et

laquo fatta raquo CVC+CV Il y a un phonegraveme de plus dans le second mot Et du point de vue syllabique

la geacutemineacutee inclut une coupe syllabique une simple longue non

Critique de la notion de laquo variantes cumulatives raquo

JG a raison de se meacutefier laquo des migrations de lrsquoeacutecriture raquo car le redoublement ortho-

graphique drsquoune consonne ne transcrit pas toujours une suite de deux phonegravemes Il cite le cas

de lrsquoallemand laquo der Roggen raquo (le seigle) et laquo der Rogen raquo (la laitance drsquoun poisson) 405

Lrsquoeacutecriture note ici en reacutealiteacute la deacutefinition de la voyelle qui preacutecegravede [rɔgən roːgən] De mecircme

en franccedilais lrsquoaccent circonflexe distingue laquo notre raquo [nɔtʁ] et laquo (le) nocirctre raquo [noːtʁ] la premiegravere

voyelle est phoneacutetiquement ouverte et bregraveve et la seconde fermeacutee et longue Or les deux

variations de prononciation ndash aperture et longueur ndash vont toujours de pair Par conseacutequent

Structure et signification 93

une deacutefinition purement phonologique de leur opposition doit neacutegliger cette dualiteacute de

paramegravetres phoneacutetiques et consideacuterer que crsquoest lrsquoensemble des deux qui compte La notation

en API choisit drsquoeacutecrire le seul paramegravetre de lrsquoaperture ( ᴐ ouvert versus o fermeacute) mais

ce nrsquoest qursquoune simplification typographique La notion de laquo variantes cumulatives raquo 405 est

donc un laquo faux problegraveme raquo parce que phonologiquement la deacutefinition du trait qui distingue

o et ᴐ fait abstraction de sa composition phoneacutetique articulatoire Crsquoest vrai en allemand

comme en franccedilais et ceci indeacutependamment de la maniegravere dont on graphie lrsquoopposition

Nrsquooublions jamais qursquoune graphie nrsquoest qursquoun bricolage JG en conclut que le choix de lrsquoun ou

de lrsquoautre paramegravetre est arbitraire 405 Le problegraveme ne tient qursquoau fait que lrsquoon continue agrave

utiliser un vocabulaire phoneacutetique pour deacutefinir un fait laquo psychique raquo abstrait

Lorsque lrsquoon classe les consonnes drsquoune langue on utilise le plus souvent un tableau agrave

double entreacutee 412 Horizontalement on range les phonegravemes en fonction de leur localisation

(depuis laquo labial raquo agrave lrsquoavant jusque laquo uvulaire raquo agrave lrsquoarriegravere) ce sont les laquo seacuteries raquo Verticale-

ment on les classe en fonction de leur aperture les occlusives en haut puis les constrictives ndash

laquo fricatives raquo dans le texte ndash etc Ce sont les laquo ordres raquo (Jrsquoai laisseacute de cocircteacute les autres traits

possibles celui de sonoriteacute et celui de nasaliteacute) Prenons pour simplifier lrsquoexposeacute le sous-

ensemble des 6 consonnes suivantes p t k f s ʃ toutes sourdes et orales que lrsquoon trouve

dans les mots suivants laquo pou tout cou fou sous chou raquo Une description phoneacutetique

sommaire donnera respectivement [p] occlusive bilabiale [t] occlusive dentale [k] occlusive

veacutelaire [f] constrictive labiodentale [s] constrictive sifflante [ ʃ ] constrictive chuintante Le

premier terme donne lrsquoaperture lrsquoair est bloqueacute chez les occlusives un filet drsquoair peut passer

chez les constrictives Percussions contre vents Le second terme les localise Or une

description phonologique nrsquoa besoin que drsquoun seul terme pourvu qursquoil signifie une diffeacuterence

pertinente Il y a donc deux possibiliteacutes de tableaux

ndash Constatant que chaque phonegraveme a une localisation distincte ndash crsquoest le second terme ndash on

peut proposer un tableau de six seacuteries sur un seul ordre (Option drsquoAndreacute Martinet) La diffeacute-

rence drsquoaperture nrsquoest plus prise en compte La deacutefinition repose deacutesormais sur un seul mot

p f t s ʃ k

bilabiale Labiodentale dentale sifflante chuintante veacutelaire

ndash On peut aussi abstraire 3 seacuteries et conserver les deux ordres Solution adopteacutee assez

couramment La deacutefinition repose alors sur deux mots

anteacuterieure moyenne posteacuterieure

occlusive p t k

constrictive f s ʃ

Le p devient alors une laquo occlusive anteacuterieure raquo Il est inutile structuralement de preacuteciser

laquo bilabiale raquo puisque la diffeacuterence entre laquo bilabiale raquo et laquo labiodentale raquo (le f ) serait

redondante

laquo Lessentiel est quil ne figure pas deux entreacutees pour une au bilan raquo 412 Jrsquoajouterai

seulement qursquoil ne srsquoagit pas pour un phonologue drsquoun choix entre caracteacuteristiques phoneacute-

94 Une lecture de Jean Gagnepain

tiques parce que la signification du terme retenu dans chacun des tableaux change ainsi

dans la premiegravere solution le terme laquo bilabiale raquo qui deacutefinit le p deacutesigne le fait purement

mental qui permet au locuteur de distinguer automatiquement laquo port eacutepais type raquo de laquo fort

effet tif raquo Par cette laquo meacutetaphore raquo positive de la jonction des legravevres on deacutesigne en fait un

trait neacutegatif Seule la meacutemoire gagne agrave ce type drsquoappellation jugeacutee preacutefeacuterable agrave une notation

algeacutebrique telle que celle proposeacutee jadis par Otto Jespersen laquo On peut ainsi analyser la

voyelle contenue dans le mot anglais full comme α3b β γ4j δ0 ε1 raquo (La syntaxe analytique

p15)

Statut de la pause en phonologie

La question est moins claire qursquoil nrsquoy paraicirct Ainsi les pauses auraient une laquo influence sur

lrsquoeacuteconomie du signifiant raquo mais seulement laquo en relation avec la marque autrement dit avec le

signifieacute raquo 413 Je propose la lecture suivante Le silence est deacutemarcatif puisqursquoil preacutecegravede un

deacutebut et qursquoil suit une fin Mais crsquoest une portion de laquo mot raquo (dans le sens banal du terme) Le

phonologue a besoin de laquo paires de mots raquo deacutelimiteacutees par des pauses pour deacutefinir ses traits

pertinents Cependant le laquo minimal raquo qursquoil recherche est de lrsquoordre du phonegraveme et non du

mot

23 - Problegravemes de segmentation seacutemiologique

JG reformule et deacuteveloppe dans ce passage 414 ce qursquoimplique la notion drsquouniteacute seacutemio-

logique Celle-ci est testeacutee par laquo la non-segmentabiliteacute seacutemiologique de la marque raquo Les

informations dites ensemble sont les laquo partiels raquo programmeacutes de lrsquouniteacute les laquo fragments raquo du

segment On observe dans de nombreuses langues une tendance agrave laquo la fusion raquo mateacuterielle des

fragments Comparativement le grec moderne juxtapose en deux fragments dans le pro-

gramme nominal lrsquoinformation laquo deacutefini raquo et laquo personnel raquo laquo I mitera sashellip raquo ou encore le

deacutefini et le deacutemonstratif laquo afto to vivlio raquo tandis que le franccedilais laquo fusionne raquo les deux

informations au mecircme endroit laquo Votre megravere ce livre raquo Ce qursquoon appelle un amalgame

Suit (fin de 414 et 415) un ensemble de cas de figure ougrave des laquo regravegles de concateacutenation raquo

(drsquoenchaicircnement) de phonegravemes laquo garantissent raquo la segmentation seacutemiologique en deviennent

la marque laquo le garant du cadre qursquoindirectement leur impose le signifieacute raquo 414 Dans le verbe

franccedilais les diverses informations de personne sont disposeacutees dans un ordre fixe qui srsquoavegravere

redoutable pour lrsquoapprenant chinois laquo je-les-lui donne je-lui-en donne je te le dis je le lui

dis raquo Tout cela se dit ensemble dans le cadre du programme verbal du laquo ragoucirct raquo verbal

comme le dit JG

Je ne vais pas ici illustrer chaque cas eacutevoqueacute seulement celui des laquo jointures raquo 415 si je

trouve sur un bout de papier deacutechireacute eacutecrit en breton laquo crsquohi raquo (xi chien) je sais que manque

un preacutefixe deacuteterminant laquo ar - raquo (le) entre autres sinon ce serait laquo ki raquo La mutation de la

consonne initiale du radical marque segmentalement la solidariteacute dans le nom du deacuteterminant

et du lexegraveme et laquo dessine les frontiegraveres raquo du nom Lrsquoeacutevocation des laquo liaisons raquo est un rappel du

thegraveme des laquo consonnes latentes raquo traiteacute en 394 Le rocircle de lrsquoeffacement ou de la preacutesence de

la liaison apparaicirct dans lrsquoopposition syntaxique de lrsquoadjectif eacutepithegravete et du participe preacutesent en

apposition laquo Les enfants ndashz-obeacuteissants raquo et laquo Les enfants_obeacuteissant au maicirctre

srsquoarrecirctegraverent raquo On peut aussi eacutevoquer les faits drsquoeacutelision Dans le cadre du mot verbal le preacutefixe

laquo si- raquo perd sa voyelle devant le morphegraveme laquo -il- raquo qui le suit laquo Srsquoil vienthellip raquo Cet indice

laquo renforce la coheacutesion du mot raquo 415 tandis que le laquo i raquo reacuteapparaicirct notamment en cas

Structure et signification 95

drsquoinclusion syntaxique drsquoun nom commenccedilant par un laquo i raquo laquo Si_Isabelle vient raquo Lrsquoimpossibiliteacute

de lrsquoeacutelision marque alors que laquo si- raquo et laquo Isabelle raquo nrsquoappartiennent pas au mecircme mot

Le terme de laquo syntagme autonome raquo 421 appartient au modegravele fonctionnaliste drsquoAndreacute

Martinet Ce dernier a eacutevidemment observeacute les contraintes de solidariteacute ici traiteacutees mais toute

solidariteacute y compris celle des affixes les plus solidaires de la conjugaison (laquo Je-re-viend-r-ai raquo)

est pour lui une affaire de syntaxe parce qursquoil teacutelescope identiteacute et uniteacute ndash le laquo monegraveme raquo

eacutetant agrave la fois lrsquoune et lrsquoautre Il lui faut par conseacutequent ensuite distinguer entre des degreacutes de

relation syntaxique agrave commencer par le laquo syntagme autonome raquo que serait un nom ou un

verbe

laquo Dans un chat gris [lrsquoanalyse traditionnelle] pose un mecircme rapport avec chat aussi bien de

un que de gris raquo 422 Il convient de rapprocher cet exemple de son deacuteveloppement en 424

Pour la tradition il y a lagrave trois mots le substantif eacutetant deacutetermineacute par lrsquoarticle et qualifieacute par

lrsquoadjectif Eucirct-on dit laquo ce chat gris raquo que lrsquoon eucirct eu affaire agrave deux laquo adjectifs raquo compleacutetant le

substantif On trouve drsquoailleurs cette eacutegaliteacute de rapport dans la composition du GN des

programmes scolaires actuels (Noter que ce nrsquoest plus exact pour la Grammaire Geacuteneacuterative

qui postule une hieacuterarchie Det et N forment le GN et N est compleacuteteacute par Adj) JG propose

une autre segmentation avec lrsquoargument suivant Le deacuteterminant (Le- un- ce- etc) est un

preacutefixe obligatoire en ce sens que mecircme si on lrsquoomet ndash en disant laquo Chat raquo ou bien

laquo lumiegravere raquo ndash on apporte une information celle drsquoun vocatif et drsquoune non deacutetermination

Lrsquoadjectif en revanche est agrave consideacuterer comme un laquo mot raquo de plus On ne peut pas en faire un

suffixe du nom parce que sa suppression nrsquoimplique pas lrsquoabsence de lrsquoinformation que sa

preacutesence apportait laquo Rien qursquoon le dise ou non nrsquoempecircche le chat drsquoecirctre gris raquo 424 Si je me

contente de dire laquo un chat raquo je ne dis pas qursquoil est laquo non gris raquo Ce mot certes ne peut se dire

seul (laquo gris raquo) mais cela srsquoexplique parce que lrsquoadjectif au-delagrave de son statut segmental

implique grammaticalement une relation syntaxique avec son contexte (nominal pour

lrsquoeacutepithegravese verbal pour lrsquoattribution)

laquo La polyrheacutemie (hellip) exclut lrsquoexistence de rhegravemes raquo 422 Jeu sur le sens du grec ῥῆμα

laquo rhegraveme raquo qui signifie laquo mot raquo Rappelons que le terme laquo polyseacutemie raquo ne veut pas dire

laquo plusieurs segravemes raquo mais diversiteacute de sens drsquoun mecircme laquo segraveme raquo Analogiquement JG utilise

le terme laquo polyrheacutemie raquo pour signifier qursquoun seul laquo mot raquo en raison de sa construction interne

en raison de sa laquo pluridimentionaliteacute raquo oblige agrave penser ensemble de multiples informations

sans que chacune drsquoentre elles soit un laquo rhegraveme raquo agrave elle seule

laquo Aucun mot nrsquoest complexe encore qursquoil porte implicitement en lui le modegravele des

peacuteriphrases qursquoexplicitement il engendre raquo 422 La nuance apporteacutee tient agrave un jeu sur la

laquo complexiteacute raquo Le mot est laquo simple raquo en tant que segment autonomisable mais lrsquoinformation

qursquoil solidarise peut ecirctre deacuteveloppeacutee par le locuteur en une laquo peacuteriphrase raquo composeacutee de

plusieurs mots Le verbe laquo Je-leur-en-ai-donneacute raquo peut ecirctre deacuteveloppeacute dans un syntagme qui

redouble ou remplace chacun des infixes de personne internes au verbe laquo Moi jrsquoai donneacute des

cerises agrave mes voisins raquo On apporte ainsi agrave la fois une redondance (Moi) et les preacutecisions

drsquoinformations incluses dans les mots suppleacutementaires Le verbe est ici le laquo modegravele reacuteduit raquo (agrave

un segment) drsquoune structure seacutemantique deacutetaillant un agent un objet et un destinataire

Reformulations et nouveaux exemples sur le thegraveme de la segmentation en 423-4 Je laisse

le lecteur veacuterifier la coheacuterence de lrsquoanalyse proposeacutee sont des mots laquo cheval-ier raquo laquo preacute-

texte raquo laquo si-lrsquoon-en-juge raquo laquo agrave-sa-mine raquo 424 (Les deux derniers mots manifestent par ailleurs

une relation syntaxique mais crsquoest une autre histoire)

96 Une lecture de Jean Gagnepain

Ces exemples sont lrsquooccasion pour moi de faire le point sur le statut en glossologie de

laquo lrsquoabsence significative raquo eacutevoqueacute ici agrave travers le concept de laquo degreacute zeacutero raquo dans une classe

consideacutereacutee ici segmentalement comme un partiel du mot 424 Pour JG le programme

drsquoinformations grammaticales contenu dans le verbe au preacutesent laquo il-chante_ raquo comprend un

suffixe flexionnel de personne et de temps marqueacute par un laquo zeacutero raquo il- ʃatildet-Oslash Il eacutetend le

concept agrave la deacuterivation nominale en opposant laquo le change_ raquo et laquo le changeur raquo laquo cheval_ raquo et

laquo chevalier raquo laquo _texte raquo et laquo preacutetexte raquo Tout en avertissant du laquo double eacutecueil raquo 423

consistant soit agrave inclure trop de fragments dans le segment ou inversement agrave en laquo omettre raquo

parce qursquoils sont laquo mateacuteriellement absents raquo comme crsquoest le cas ici

Sur ce point la plupart des linguistiques de son temps et drsquoapregraves ont laquo fait la chasse aux

zeacuteros raquo (Alain Lemareacutechal Zeacutero(s) PUF 1997) Pour le fonctionnaliste aussi laquo Zeacutero crsquoest

ldquorienrdquo raquo (Jeanne Martinet 1979) La diffeacuterence des approches est ici profonde car crsquoest la

notion de laquo valeur raquo et celle de laquo neacutegativiteacute raquo saussurienne qui est en cause Pour le

fonctionnalisme (et consorts) le message est une combinaison de monegravemes laquo positifs raquo Donc

de ce point de vue lorsque lrsquoon dit laquo le changeur raquo on ajoute une information suppleacutementaire

et facultative agrave laquo le change raquo

Regardons maintenant de pregraves le raisonnement de JG quand il oppose laquo le change le

chang-eur raquo et laquo le chat le chat gris raquo Il pose qursquoen disant laquo le change_ raquo on dit que lrsquoon

exclut de dire laquo le changeur raquo de mecircme qursquoen disant laquo il chante_ raquo on exclut de dire laquo il

chantait raquo et qursquoune telle exclusion a une valeur grammaticale qui compte comme partie

inteacutegrante de lrsquouniteacute nominale ou verbale Ceci nrsquoest pas le cas pour le nom laquo le chat raquo qui

nrsquoexclut pas qursquoil soit laquo gris raquo et dont on ne dit rien de la couleur Agrave lrsquoapproche positiviste

srsquooppose une approche proprement structurale Positions irreacuteconciliables Cela dit JG doit

trouver comment limiter cette invocation du laquo zeacutero raquo dans la deacuterivation lorsque cette derniegravere

permet une multitude de preacutefixes et de suffixes comme dans le fameux laquo anti-con-stitu-tion-

nel-lement raquo

Remarque Le terme laquo Coalescence raquo 424 est plutocirct utiliseacute en phoneacutetique avec la mecircme

ideacutee appliqueacute au grec ancien il deacutesigne la reacuteduction agrave une voyelle longue de deux voyelles en

hiatus

Autres problegravemes 431 Il faut rapprocher les exemples laquo agrave-la-poste raquo (un mot) laquo devant la-

poste raquo (deux mots) du commentaire laquo Lrsquoon se garderahellip drsquoidentifierhellip sous la trompeuse

rubrique de preacuteposition ce qui nrsquoest qursquoun preacutefixe nominal et ce qui fonctionnant comme

adverbe est agrave consideacuterer comme un mot raquo66 432 La solution nrsquoest pas si simple ici fondeacutee sur

la seule observation que laquo devant raquo peut se dire seul mais pas laquo agrave- raquo On ne peut pas exclure

ailleurs un fait drsquohomophonie entre fragment et segment comme dans le cas de lrsquoindeacutefini et

du numeacuteral laquo un raquo ougrave il est preacutefixe nominal dans laquo (je vois) un-chat raquo et numeacuteral autonomi-

sable dans laquo Jrsquoen vois undeux peubeaucoup) raquo

Cela dit de faccedilon geacuteneacuterale lrsquoadverbe doit ecirctre distingueacute segmentalement de la preacuteposition

comme un mot doit lrsquoecirctre drsquoun fragment de mot

66 La question de la preacuteposition en tant que laquo morphegraveme casuel raquo inteacutegreacute au nom preacuteoccupait deacutejagrave Joseph Vendryes (qui fut le maicirctre de JG) dans Le Langage introduction linguistique agrave lrsquohistoire 1921 laquo Ces particules qursquoon appelle preacutepositions et conjonctions raquo p 137 laquo Aussi disons-nous aujourdrsquohui ldquode la sœur agrave la sœurrdquo tandis que les Latins disaient ldquosororis sororirdquo raquo p195

Structure et signification 97

3- Capaciteacute taxinomique et capaciteacute geacuteneacuterative

Introduction Reacutesumeacute terminologique Sur la face grammaticale phonologique la capaciteacute

taxinomique creacutee le registre des traits et la capaciteacute geacuteneacuterative la chaicircne des phonegravemes Sur

lrsquoautre face on a respectivement le lexique constitueacute de segravemes et le texte constitueacute de mots

434 Il faut toujours se souvenir que sont ainsi deacutenommeacutees des aptitudes agrave raisonner

structuralement il ne srsquoagit pas de laquo stock ou recueil de sons ou de sens attesteacutes raquo 443

31 - La capaciteacute taxinomique

Dans le cadre de la dissociation des plans et de la dialectique

JG part drsquoune critique de Saussure (vulgariseacute) sur le thegraveme de la distinction des plans 442

On sait que in fine Saussure fonde laquo la langue raquo dans le social dont relegraveve aussi la notion

drsquoarbitraire dans un des sens que ce terme prend dans lrsquoeacutedition premiegravere du Cours Ainsi p

100 on lit qursquoil serait arbitraire de dire laquo bœuf raquo plutocirct que laquo Ox raquo On sait ce qursquoil en a eacuteteacute agrave

Strasbourg-Straszligburg quelques anneacutees apregraves entre 1914 et 1918 Pour JG le propos du

Cours se trompe de plan explicatif La laquo deacutecouverte raquo saussurienne qui importe est celle de la

laquo valeur neacutegative raquo et du laquo systegraveme raquo qui en reacutesulte Or ces notions sont drsquoune autre nature

que ce qui fonde le social Aussi le laquo signe raquo est-il non pas laquo arbitraire raquo mais laquo impropre raquo

Crsquoest lrsquousage social du signe en langues qui est relativement arbitraire (dans une dialectique

entre idiome arbitraire et communication laquo coercitive raquo) JG rappelle ensuite que toute

langue est drsquoabord du signe ndash en tant que logos et du grammatical reacutegi par la capaciteacute

taxinomique JG laisse ici totalement de cocircteacute le fait que Saussure appelle aussi laquo arbitraire raquo

la relation entre signifieacute et signifiant dans sa theacuteorie de la valeur (Cours p 101)67 et en fait en

ce sens une proprieacuteteacute du signe de mecircme que la notion de laquo motivation relative raquo doit lui ecirctre

associeacutee)

Suit une critique drsquoun autre ordre il importe de ne pas confondre la grammaire implicite et

la rheacutetorique explicite qui est laquo le fait du locuteur raquo 442 Allusion critique agrave Roman Jakobson

qui lie lexique et laquo seacutelection raquo alors que pour JG cette derniegravere est le moment second de la

dialectique La rheacutetorique preacutesuppose en effet lrsquoensemble des distinctions laquo deacutefinitoires raquo qui

constituent le lexique Ceci vaut aussi pour le registre phonologique des traits qui est agrave distin-

guer de la seacutelection des laquo reacutealisations phoneacutetiques raquo

Lrsquoauteur continue en 443 drsquoarticuler une reacuteflexion sur une double neacutecessiteacute faire

abstraction de la perspective sociolinguistique ndash question de plans faire abstraction de la

performance et du substrat naturel des faits grammaticaux ndash question de pocircles de la

dialectique

Ainsi nrsquoexplique-t-on pas le trait phonologique qui caracteacuterise le r en deacutecrivant le geste

articulatoire qui permet de le prononcer [ʁ] (laquo vibrante raquo veacutelaire) On nrsquoexplique pas non plus

la valeur seacutemiologique du segraveme laquo tu(er) raquo en racontant reacutetrospectivement lrsquohistoire de ce mot

faite de transmission et de malentendus Le fait est que pour nous le radical de laquo tu-er tu-

erie raquo (thegraveme de la mort) est seacutemiologiquement distinct de celui de laquo tut-elle tut-eur tut-

eacutelaire raquo (thegraveme de la protection) Le latin populaire laquo tutare raquo signifiait laquo proteacuteger raquo et il eacutetait

67 laquo Nous voulons dire qursquoil [le signifiant] est immotiveacute crsquoest-agrave-dire arbitraire par rapport au signifieacute avec lequel il nrsquoa aucune attache naturelle dans la reacutealiteacute raquo Cours p 101

98 Une lecture de Jean Gagnepain

utiliseacute dans lrsquoexpression laquo tutare ignem raquo crsquoest-agrave-dire faute drsquoallumettes laquo conserver raquo les

braises du soir jusqursquoau lendemain en les recouvrant de cendres Cette association de

laquo proteacuteger raquo et de laquo eacuteteindre raquo est alors passeacutee en latin meacutedieacuteval agrave laquo tutare candelam raquo

(eacuteteindre la chandelle) En ancien franccedilais laquo tuer raquo appliqueacute agrave lrsquohomme devient laquo ocircter la vie agrave

qqn raquo (On dit encore aujourdrsquohui laquo Il srsquoest eacuteteint raquo)68

La fin du paragraphe 443 traite le thegraveme de la creacuteativiteacute inheacuterente agrave la dialectique du signe

La capaciteacute taxinomique nrsquoest pas une laquo meacutemoire raquo On est loin du laquo lexique mental raquo des

cognitivistes Toutefois crsquoest bien une laquo preacutegnancehellip contraignante raquo crsquoest-agrave-dire un cadre de

distinctions qui oblige le locuteur agrave laquo forger sans cesse du concevable raquo agrave partir du lexique

disponible (et du prononccedilable agrave partir du registre) Lrsquoexemple final est une boutade il souligne

qursquoavec un lexique reacuteduit (et il est toujours laquo reacuteduit raquo puisque fini) on peut produire de la

varieacuteteacute seacutemantique en fonction de la situation

Lexique Le clos et lrsquoouvert Problegraveme de dissociation

laquo Rien ne permethellip de dichotomiserhellip les classes au nom du clos et de lrsquoouvert Or tout est

lrsquoun et lrsquoautre agrave la fois raquo 451 Traitant ici de seacutemiologie JG critique une ideacutee largement

reacutepandue dans les manuels de linguistique On y enseigne qursquoil faut distinguer dans une langue

deux sortes drsquoeacuteleacutements lexicaux Drsquoun cocircteacute laquo les lexegravemes raquo (veau vache cochon couveacutee

etc) qui sont en grand nombre et dont la liste est laquo ouverte raquo (sans limite fixe) La preuve

invoqueacutee est que chaque dictionnaire deacutelimite arbitrairement le nombre des mots qursquoil

reacutepertorie et qursquoil est impossible de dire combien de lexegravemes composent le franccedilais ou le

latin Et de lrsquoautre laquo les morphegravemes raquo (le je -ier re-) qui sont en petit nombre et dont la liste

est laquo fermeacutee raquo La preuve en serait que tous les dictionnaires srsquoaccordent sur leur nombre

La confusion est ici patente entre plan glossologique (proprement cognitif) et plan socio-

logique (deacuteterminant la langue) Elle aboutit agrave confondre deux oppositions celle logique qui

existe entre le laquo fini raquo et laquo lrsquoinfini raquo ou laquo lrsquoindeacutefini raquo et celle sociologique qui existe entre le

laquo clos raquo (attesteacute) et laquo lrsquoouvert raquo (en renouvellement) Grammaticalement toute classe est finie

(et deacutefinie) Le locuteur ne fonctionne pas dans le cadre drsquoensembles logiquement infinis et

seul lrsquoaphasique de Wernicke est confronteacute agrave de lrsquoindeacutefinition Sociolinguistiquement on est

devant la dialectique historique du clos et de lrsquoouvert aussi bien pour les morphegravemes que

pour les lexegravemes et pour tout autre usage non langagier Claude Leacutevi-Strauss le disait ainsi

laquo On eacutechange des mots des biens et des femmes raquo (lesquels doivent drsquoabord ecirctre laquo agrave soi raquo) Il

y a lagrave Clocircture pour autant que lrsquoon reconnaisse ce qui est de chez soi et ce qui vient de chez

drsquoautres On le voit dans ces eacutenonceacutes humoristiques qui meacutelangent deux langues ndash et on le sait

bien le laquo Score ar mitemps ne reflete ket fisionomie ar match raquo drsquoun bretonnant ou le

laquo Demerden Sie sich raquo drsquoun francophone Et Ouverture agrave lrsquohistoire crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoemprunt et

agrave la transformation permanente et mutuelle des langues en contact Ceci nrsquoest pas contredit

par lrsquoobservation que les laquo lexegravemes raquo se renouvellent vite tandis que le systegraveme des modes et

des temps verbaux se transforme lentement Tout est une affaire de transaction Lrsquousage des

lexegravemes se renouvelle agrave proportion que ceux-ci deacutesignent des objets soumis agrave transaction

commerciale (T-shirt) et agrave innovation technique (e-pad drone) mais on parle de laquo table raquo de

laquo pegravere et megravere raquo et lrsquoon dit laquo Dame raquo en franccedilais depuis un bon milleacutenaire Quant aux

morphegravemes ils nrsquoeacutechappent pas non plus aux transactions langagiegraveres Que lrsquoon pense agrave

lrsquousage geacuteneacuteraliseacute de lrsquoimparfait et du plus-que-parfait chez les journalistes traducteurs

68 Cf Jean Gagnepain Seacuteminaire du 4 novembre 1976

Structure et signification 99

permanents du preterit anglais laquo La petite fille (hellip) eacutetait morte le 19 juin 2013 agrave Mont-legraves-

Vignobles (hellip)69 raquo Le systegraveme verbal du franccedilais se transforme agrave lrsquoeacutechelle des lustres agrave tout le

moins du siegravecle

Le deacutebat sur le laquo clos raquo et laquo lrsquoouvert raquo a servi aussi de critique fondamentale au concept

saussurien de laquo valeur raquo et de laquo systegraveme raquo70

Premiegravere observation en 452 qui fait transition avec ce qui preacutecegravede On ne retrouve pas

en phonologie lrsquoeacutequivalent de lrsquoeacutecart entre morphegravemes et lexegravemes parce qursquoaucun

laquo registre raquo de trait ne laquo beacuteneacuteficie drsquoune appreacuteciable preacutevalence raquo JG revient un instant sur la

question des variantes cumulatives (cf ci-dessus les tableaux lieacutes agrave la page 41) et explique la

preacutefeacuterence pour une analyse des consonnes orales en 6 seacuteries drsquoun seul ordre drsquoaperture

plutocirct que 3 seacuteries sur 2 ordres par la prise en compte de laquo la classe de traits deacutejagrave la plus

diffeacuterencieacutee raquo 452 Suit le thegraveme de lrsquoeacutecart quantitatif entre registre des traits et lexique des

segravemes Soit en substance 4527-11 laquo Le gigantisme du lexique est plus theacuteorique que

pratique et reacutesulte le plus souvent drsquoun syncreacutetisme sociolinguistique raquo En effet la question

nrsquoest pas drsquoordre glossologique mais sociologique Dans la partie sociologique du Vouloir-Dire

laquo La Personne raquo JG utilisera le terme de laquo vernaculaire raquo et non plus celui de lexique car il

srsquoagit drsquousages Logiquement le locuteur ne dispose que drsquoun nombre fini de segravemes moins

que ce que contient le dictionnaire et il dispose aussi de certains qui nrsquoy sont pas Le nombre

des items recueillis dans un dictionnaire est une question de politique linguistique Le Gaffiot

latin-franccedilais (1720 pages) juxtapose Plaute et Saint Aldhelmus serviteur du roi saxon Albert

et le Bailly grec-franccedilais (2227 pages) cite Homegravere Heacuteraclite les Pegraveres de lrsquoEacuteglise et les

theacuteologiens jusqursquoau VIIe siegravecle Ils teacutemoignent ainsi de lrsquoideacutee que se faisaient les eacuterudits du

19e siegravecle de la culture classique agrave transmettre agrave leurs contemporains Crsquoest aussi pourquoi des

termes eacuterotiques manqueraient dans le premier (pruderie corrigeacutee dans la nouvelle eacutedition de

Pierre Flobert) et des termes techniques dans le second Les dictionnaires anglo-ameacutericains

sont plus gros que leurs correspondants franccedilais parce que les premiers integravegrent tous les

doublons issus de la double source germanique et latine (freedom liberty privacy) ainsi que

la fracture plus reacutecente entre Old world et New world (automn fall bloke guy lorry truck

underground subway holidays vacation etc)

JG invite ensuite 453 agrave ne pas confondre le principe taxinomique de lexique qui est

unique avec la multipliciteacute des champs conceptuels que la rheacutetorique produit Lrsquoorganisation

laquo encyclopeacutedique raquo des champs de concepts nrsquoexplique pas le lexique crsquoest au contraire le

lexique qui fonde le caractegravere structureacute des champs Agrave cette confusion des phases de la

dialectique du dire srsquoajoute une laquo eacutequivoque raquo suppleacutementaire la confusion des plans

45310 Elle peut preacutesenter deux aspects compleacutementaires Le logocentrisme drsquoabord qui au

69 Le Dauphineacute libeacutereacute 14 avril 2016

70 Exemples laquo Le vocabulaire nrsquoest pas rigidement systeacutematiseacute comme le sont les phonegravemes et les formes grammaticales on peut y ajouter agrave tout moment un nombre illimiteacute drsquoeacuteleacutements toujours nouveaux des mots aussi bien que des sens raquo Stephen Ullmann 1952 Preacutecis de seacutemantique franccedilaise Berne A Francke

laquo Lrsquoimage saussurienne du jeu drsquoeacutechecs repreacutesente de ce fait une analogie trompeuse puisqursquoelle nous renvoie agrave une seacuterie de signes limiteacutee alors que la langue constitue en fait une seacuterie ouverte raquo Christophe Rico 2005 laquo Le signe ‟domaine fermeacuterdquo Saussure et le Cours de linguistique geacuteneacuterale cent ans apregraves raquo in Poeacutetique ndeg144 p387-411 sect81

Last not least Saussure lui-mecircme laquo Lrsquoinstrument lexicologique eacutetant composeacute de casiers isoleacutes lrsquoinstrument grammatical eacutetant comme une chaicircne formeacutee drsquoanneaux unis entre eux ougrave une uniteacute fait appel agrave lrsquoautre raquo in Rudolph Engler Ferdinand de Saussure Cours de linguistique geacuteneacuterale eacutedition critique III C 305 ndeg2119 E (Citeacute par Christophe Rico 2005)

100 Une lecture de Jean Gagnepain

lieu drsquoenvisager structures ergologiques ou sociales dans leur ordre propre ne les envisage

qursquoagrave travers la maniegravere dont on en parle Ainsi Roland Barthes envisage-t-il la mode agrave travers le

discours tenu sur elle Par ailleurs les seacutemanticiens et lexicologues privileacutegient les laquo champs raquo

lexicaux qui deacutesignent des outils ou des relations sociales La seacuterie des laquo chaise fauteuil pouf

sofa etc raquo (chez Bernard Pottier) et celle des noms de parenteacute en sont les prototypes Selon

JG on transformerait en proprieacuteteacute lexicale ce qui est une proprieacuteteacute de lrsquoart ou de la socieacuteteacute

Signalons au passage que Franccedilois Rastier dans sa Seacutemantique interpreacutetative reacutefute cette

critique en preacutecisant que lrsquoanalyse seacutemique (seacutemantique) ne prend en compte que la maniegravere

dont des diffeacuterences formelles de mots (le lexique) prennent en compte ces structures non

langagiegraveres agrave la diffeacuterence drsquoune analyse proprement technique qui inteacutegrerait des

diffeacuterences entre mateacuteriaux exploiteacutes et modes de fabrication71

laquo En brefhellip raquo il faut abandonner lrsquoespoir de comprendre ce qursquoest le principe grammatical

de taxinomie agrave partir des inventaires informatiques tant des laquo acceptions raquo que des

paramegravetres phonatoires produits par lrsquoinformatique 454 et 461

Remarque sur laquo simulation de la parole raquo 461 Le succegraves deacutesormais acquis et toujours

relatif en 2016 de la simulation de la parole ndash mais non du langage ndash reacutesulte drsquoune ingeacutenierie

autre que celle qui est ici eacutevoqueacutee en 1981 par JG Mais il srsquoagit toujours drsquoune simulation

relative aux exigences espeacutereacutees deacutefinies par un cahier des charges Et il ne srsquoagit pas du

langage Il convient ici de ne pas confondre le point de vue des ingeacutenieurs et la fantasmagorie

mythologique et magique vulgariseacutee par la presse people de la science et par les meacutedias

32 - La capaciteacute geacuteneacuterative

La reacutefeacuterence agrave Noam Chomsky est eacutevidente en 462-3 Le deacutesaccord avec la grammaire

geacuteneacuterative porte sur le fait que pour JG la geacuteneacuterativiteacute est ce laquo principe de deacutenombrement raquo

463 fondamental qui explique le segment eacuteleacutementaire phonegraveme ou mot La syntaxe pour sa

part srsquoexplique par lrsquointeraction des deux axes et non sur un seul axe En outre la geacuteneacuterativiteacute

est inheacuterente au grammatical et ne se deacutefinit pas par les repreacutesentations graphiques

algorithmiques qui selon Chomsky permettent de tester la grammaticaliteacute

La laquo chaicircne raquo mode drsquoexistence des phonegravemes et le laquo texte raquo mode drsquoexistence des mots

se deacutefinissent grammaticalement comme laquo hellipdes maillons dont les sutures reacutesistent agrave

lrsquoeacutepithegravese par ougrave tente rheacutetoriquement de les dissimiler le locuteur raquo 4641-8 Le thegraveme de la

laquo reacutesistance raquo rappelle le caractegravere dialectique du dire le grammatical ne srsquoeacuteprouve que

comme la laquo neacutegation raquo de la positivation relative que tente le diseur Le terme laquo eacutepithegravese raquo est

agrave prendre dans le sens de laquo mise ensemble raquo Ceci vaut agrave la fois pour la geacuteneacuteration des

phonegravemes et pour celle des mots Le locuteur ne tient pas un deacutecompte des phonegravemes et des

mots Il syllabise phoneacutetiquement sans avoir agrave prendre conscience des phonegravemes qursquoil

construit et il preacutedique seacutemantiquement sans prendre conscience du nombre des mots qui

composent son propos On se souvient comment en 422 lrsquoauteur deacutefend lrsquoanalyse en deux

segments de laquo le-chat gris raquo lagrave ougrave le locuteur rheacutetoricien fait du dernier mot une

laquo eacutepithegravete raquo lieacutee au nom preacuteceacutedent ad-jectiveacutee en congruence avec une situation ougrave la

couleur est lieacutee au chat contrairement au sourire de celui du Cheshire

71 laquo Convenons de seacuteparer les qualiteacutes in re des qualiteacutes in voce qui peuvent elles ecirctre deacutefinies comme des uniteacutes linguistiques nommeacutees segravemes Et crsquoest preacuteciseacutement parce que les segravemes ne sont pas par deacutefinition des traits reacutefeacuterentiels que lrsquoon peut identifier et inventorier les segravemes drsquoun seacutemegraveme dans un contexte donneacute raquo Franccedilois Rastier 1987 Seacutemantique interpreacutetative Paris PUF p 23

Structure et signification 101

laquo Lrsquoeacutevolution [des sons et des sens ne reacutesulte pas drsquoune] reacuteduction des contrastes raquo 464

Retour agrave la linguistique laquo historique raquo On y parle souvent drsquoune laquo loi du moindre effort raquo voire

drsquousure du temps variante du principe drsquoentropie agrave propos de transformations telle celle du

mot grec savant laquo Episcopos raquo (surveillant) 4 syllabes devenu laquo eacutevecircque raquo 2 syllabes face agrave

laquo eacutepiscopal raquo Le latin laquo hospitale raquo devient laquo ostel raquo puis laquo hocirctel raquo laquo useacute raquo par le peuple et

devient laquo hocircpital (ordre) hospitalier raquo moins laquo useacute raquo par les clercs laquo Aqua raquo devient o

(eau) si bien qursquoil faut reacutegeacuteneacuterer lrsquoancecirctre pour deacuteriver laquo aqueux aquatique raquo etc Rien lagrave qui

puisse choquer un dialecticien Cela nrsquoenlegraveve rien au principe glossologique qui fonctionne

constamment sur une chaicircne de phonegravemes discrets crsquoest-agrave-dire sur des laquo contrastes raquo

Lrsquoanalyse segmentale en grammaire ne repose pas sur la laquo coupe syllabique raquo ni sur les

laquo termes de la proposition raquo 464 Pour JG syllabe et preacutedication sont des principes

rheacutetoriques qui redistribuent dialectiquement la segmentation grammaticale phonologique

et seacutemiologique Chomsky a donc tort de mettre au deacutepart de la syntaxe le scheacutema

aristoteacutelicien du sujet (upokeiacutemenon) et du preacutedicat (kategoriacutea) reformuleacute sous la

terminologie de la phrase canonique en (SN+SV) Crsquoest mettre agrave la base de la grammaire un fait

de seacutemantique En glossologie est grammatical le fait que le locuteur puisse geacuteneacuterer une

seacutequence de multiples mots pour formuler lrsquouniteacute seacutemantique qursquoest le preacutedicat De mecircme

qursquoil peut geacuteneacuterer une seacutequence de phonegravemes agrave lrsquointeacuterieur drsquoune mecircme syllabe

Lrsquoensemble des arguments critiques preacutesenteacutes en 472 agrave 481 vise agrave justifier lrsquoutilisation

particuliegravere agrave JG du terme de laquo texte raquo par contraste avec le sens litteacuteraire de ce mot JG

inverse la relation entre laquo texte raquo et laquo production langagiegravere raquo Pour les litteacuteraires le texte est

laquo le plus haut niveau drsquoune combinatoire raquo 473 rheacutetorique commenccedilant par les mots puis les

phrases Dans son modegravele JG entend donner au concept de laquo texte raquo la place de laquo principe raquo

grammatical Le principe de texte est laquo la capaciteacute de compter raquo 474 en mots Crsquoest lrsquoaptitude

geacuteneacuterale agrave laquo composer raquo 481 autrement dit agrave segmenter Et crsquoest parce qursquoon est capable de

deacutelimiter segmentalement son dire que a fortiori on peut composer seacutemantiquement du

texte (litteacuteraire) Quelle que soit la complexiteacute du message y compris lorsqursquoil ne comporte

qursquoun eacuteleacutement lrsquoaptitude au laquo texte raquo assure au locuteur la maicirctrise automatique de la

quantiteacute grammaticale

Lrsquoaphasique de Broca 473 au contraire ne controcircle plus la dimension de lrsquouniteacute mot Au

stade de la steacutereacuteotypie il ne peut plus que reacutepeacuteter du mecircme laquo tantan tantan raquo Le terme

laquo agrammatisme raquo agrave ce propos est laquo tregraves mal choisi raquo dans la mesure ougrave le malade conserve la

capaciteacute taxinomique et peut par exemple distinguer sans heacutesitation un laquo ticket raquo et un

laquo billet raquo laquo Lrsquoabus de concateacutenation ou de syntaxe raquo srsquoobserve de la faccedilon suivante Un Broca

phonologique dira laquo papinapapeur raquo pour laquo machine agrave vapeur raquo en laquo perseacuteveacuterant raquo agrave dire le

mecircme trait sur une totaliteacute qursquoil ne segmente plus en raison drsquoun trouble de la correacutelation (Cf

infra 534) laquo Lrsquoabus de syntaxe raquo srsquoobserve chez un Broca seacutemiologique dans le fait qursquoil

laquo accorde raquo en genre et nombre une suite drsquoinformations grammaticales qursquoon lui donne sans

se soucier de les construire selon la matrice segmentale du nom ou du verbe Dans laquo Il garccedilon

est gentil un raquo tout est accordeacute au masculin singulier mais on nrsquoy trouve pas le laquo texte raquo

construit ainsi laquo Le garccedilon est gentil lui raquo (Cf infra p106)

laquo Lingeacutenieux geacutenotexte de nos modernes poeacutetico-seacutemioticiens raquo 472 fait allusion agrave

lrsquoopposition entre laquo pheacutenotexte raquo et laquo geacutenotexte raquo chez Julia Kristeva tandis que lrsquoideacutee de

laquo pluraliteacute des lectures raquo renvoie au concept laquo drsquointertextualiteacute raquo lieacute agrave celui de laquo polyphonie raquo

chez Mikhaiumll Bakhtine

102 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo Lrsquoerreur est la mecircme inverseacutee chez tant qui de nos jours tregraves geacuteneacuteralement les

confondent que celle qui consistait agrave identifier pour ce qui est de la taxinomie la grammaire

et la morphologie raquo 474 De quelle confusion srsquoagit-il En quoi consiste cette inversion Qui la

commet Je suggegravere la lecture suivante Une analogie est eacutetablie entre une confusion opeacutereacutee

sur la taxinomie et la confusion inverse opeacutereacutee sur la geacuteneacuterativiteacute La premiegravere est le fait de la

grammaire traditionnelle et consistait agrave reacuteduire le principe du grammatical aux faits de

morphologie La seconde serait le fait des seacutemioticiens qui confondraient la geacuteneacuterativiteacute avec

laquo la suite reacuteelle ou postuleacutee des suites raquo 473 crsquoest-agrave-dire la rheacutetorique drsquoun message

Reacuteduction agrave ce qui est laquo mateacuteriel raquo dans un cas reacuteduction agrave une formalisation logique dans

lrsquoautre

laquo Comme nos Le Troadec et sous le double empire de la logique et de la mode saisis par le

deacutelire de la formalisation raquo 474 Possible allusion malicieuse au titre drsquoune comeacutedie de Jules

Romains Monsieur Le Trouhadec saisi par la deacutebauche (1923) qui traite eacutevidemment drsquoun

tout autre sujet

laquo Anteacuterieure aux faccedilons dont nous avons traditionnellement et surtout explicitement de la

saisir dans les langues la grammaire ne saurait entre elles les hieacuterarchiser Inheacuterente au

langage elle ne comporte pas de degreacutes raquo 475 Lecture laquo Anteacuterieure aux faccedilons dont nous

avons de saisir la geacuteneacuterativiteacute la grammaire ne saurait hieacuterarchiser laquo le nombre ni lrsquoordre des

segments raquo en fonction des faccedilons drsquoobserver explicitement cette geacuteneacuterativiteacute laquo Inheacuterente au

langage raquo la geacuteneacuterativiteacute laquo ne comporte pas de degreacutes raquo En effet il srsquoagit de laquo lrsquoaptitude raquo

geacuteneacuterale agrave laquo composer raquo en segments Ces derniers laquo nrsquoexistent que pour nous raquo 481 et non

plus pour lrsquoaphasique de Broca mecircme si apparemment celui-ci produit ce qui semble une

phrase entiegravere Preacuteciseacutement elle est pour lui entiegravere et non composeacutee de segments

La conclusion traite du pocircle grammatical du signe source de la segmentation et de la

diffeacuterenciation 482-4

JG met en contraste en 482 sa conception structurale de la segmentation avec une

conception positive de la quantiteacute Pour lui la capaciteacute geacuteneacuterative assure une maicirctrise de

frontiegraveres qui deacutecoupent des laquo valeurs raquo (quantitatives) laquo neacutegatives raquo ougrave la valeur de lrsquoune

srsquoarrecircte lagrave ougrave commence celle de lrsquoautre Dans une conception positiviste existent laquo des uniteacutes

preacuteformeacutees raquo des entiteacutes dont on ignore le principe de deacutelimitation et qui ensuite se combi-

nent Changeant drsquoaxe lrsquoauteur fait ensuite une critique analogue drsquoune conception positiviste

des identiteacutes (traits et segravemes) envisageacutees comme des entiteacutes laquo universelles raquo

Le sect 483 ouvre un deacutebat sur la prise en compte drsquoun laquo corpus raquo ensemble de performances

effectives recenseacutees versus celle drsquoun laquo potentiel raquo de performances Le laquo conccedilu raquo effectif

contre le laquo concevable raquo (Ou le laquo prononceacute raquo phoneacutetique effectif recenseacute versus le laquo pronon-

ccedilable raquo) On sait que Noam Chomsky a choisi la seconde meacutethode car elle seule rend compte

de la laquo creacuteativiteacute raquo du langage source drsquoeacutenonceacutes grammaticalement coheacuterents encore jamais

attesteacutes La grammaire geacuteneacuterative teste la limite entre eacutenonceacute grammatical et eacutenonceacute non

grammatical JG est en partie du cocircteacute de Chomsky sur ce point Cependant il formule ici une

position theacuteorique autre la creacuteativiteacute chomskienne est une potentialiteacute performantielle alors

que JG tente de penser le principe grammatical en opposition dialectique avec la perfor-

mance Drsquoougrave la critique laquo Eucirct-on mis bout agrave bout la totaliteacute du savoir concevable on ne

saurait de lagrave passer directement au signifiable raquo 483 En effet ce dernier ndash grammatical ndash est

la capaciteacute antagoniste du concevable (seacutemantique) et en est la condition preacutealable et

Structure et signification 103

premiegravere Pourquoi Parce que tout seacutemantisme preacutesuppose une formulation grammaticale

qui obeacuteit agrave une contrainte segmentale sui generis

Drsquoougrave la formule surprenante au premier abord mais qursquoil faut comprendre agrave travers lrsquoideacutee

de dialectique Le signifiable est laquo au principe drsquoune double creacuteativiteacute que sa propre creacuteativiteacute

contredit raquo 483 Lrsquoaptitude au grammatical est laquo creacuteative raquo comme premier pocircle de la

dialectique la grammaire creacutee de la segmentation laquo relative et neacutegative raquo lagrave ougrave il nrsquoy en a pas

objectivement (exemple canonique du continuum perceptif de la couleur) ainsi que lagrave ougrave la

gestalt perceptive distingue positivement des objets par contraste ou saillance La grammaire

creacutee par-lagrave ses propres dimensions formelles ndash celle du nom celle du verbe ndash mecircme lorsque

sont viseacutes des objets culturels (techniques ou sociaux) humainement structureacutes Cette

creacuteativiteacute est elle-mecircme contredite par la creacuteativiteacute seacutemantique qui redistribue les

deacutelimitations grammaticales pour aboutir au concevable Double creacuteativiteacute donc dans une

dialectique bipolaire Cf supra 235 le mecircme thegraveme drsquoune laquo eacutegale creacuteativiteacute raquo entre les deux

pocircles

Cette dualiteacute est reformuleacutee par laquo si lrsquoon peut signifier lrsquoinconcevable la reacuteciproque nrsquoest

pas vraie raquo 484 JG veut drsquoabord dire que lrsquoon ne peut concevoir qursquoen formulant

grammaticalement On ne peut pas concevoir ce qui nrsquoest pas pris dans lrsquoordre de la significa-

tion grammaticale Sans formulation on nrsquoa que du silence En revanche on ne peut pas

eacutechapper agrave la dialectique en signifiant (grammaticalement) sans production drsquoune

conceptualisation fucirct-elle mythique Ce qui paraicirct laquo inconcevable raquo (parce que jamais encore

conccedilu) devient alors concevable

JG aborde alors le thegraveme ndash le topos ndash du laquo Peut-on tout dire raquo Sa reacuteponse est double (1)

laquo Oui raquo du strict point de vue glossologique du laquo dire raquo (2) Cependant la rationaliteacute humaine

nrsquoest pas que logique Les autres plans de rationaliteacute peuvent introduire des biais Reprenons

ces deux aspects du problegraveme

(1) La grammaire eacutetant structure est close logiquement sans que cela implique lrsquoexistence

(ontologique) de ce qui est dit laquo Elle rend exprimable et compreacutehensible lrsquointeacutegraliteacutehellip du

deacuteductible raquo 484 On ne peut sortir de son humaniteacute cognitive on dit touthellip agrave la maniegravere dont

on peut grammaticalement le dire la grammaire laquo nrsquoayant drsquoautres limites qursquoelle-mecircme raquo

(2) Les restrictions apparentes observeacutees reacutesulteraient du fait que lrsquoon confond alors les

plans de deacuteterminations du langage Ces restrictions tiendraient agrave un biais sociologique ou

axiologique

Raison sociologique drsquoabord laquo Il est rare qursquoune langue soit grammaticalement

homogegravene raquo 484 (laquo Jamais raquo serait plus adeacutequat que laquo il est rare raquo Pense-t-il agrave lrsquoesperanto )

Aucune langue ne peut ecirctre homogegravene tout simplement parce que les gens qui lui donnent

existence sont eux-mecircmes socialement heacuteteacuterogegravenes Ce qursquoon appelle laquo une langue raquo reacutepond

agrave un critegravere arbitraire celui de la reconnaissance par les interlocuteurs du fait que ce qui est

dit laquo leur appartient raquo mecircme srsquoils savent qursquoen partie eux-mecircmes ne parlent pas ainsi que

crsquoest lrsquousage de lrsquoeacutecole ou de lrsquoAcadeacutemie et mecircme srsquoils savent que cela vient drsquoailleurs

Nrsquooublions pas drsquoautre part que JG integravegre le lexique agrave la notion geacuteneacuterale de grammaire Il

srsquoensuit que les laquo francophones raquo ne partagent pas lrsquoensemble du lexique reacuteuni dans le Treacutesor

de la langue franccedilaise (eacutediteacute par le CNRS) ni lrsquoensemble des raisonnements grammaticaux

proposeacutes par la Grammaire Grevisse Il en va de mecircme pour les reacuteseaux seacutemantiques et pour

les raisonnements laquo logiques raquo Dans le cadre de son meacutetier le scientifique tient un type de

raisonnement tregraves particulier qui diffegravere du raisonnement tenu au comptoir de cafeacute Juger tel

104 Une lecture de Jean Gagnepain

ou tel vocabulaire pauvre ou riche nrsquoest que lrsquoeffet drsquoune projection drsquoun milieu sur un autre

On a assez preacutetendu que le lexique de Racine eacutetait aussi laquo pauvre raquo quantitativement que celui

drsquoun immigreacute de fraicircche date ou qursquoau sortir de la meacutethode Assimil Mais lrsquoexpeacuterience humaine

des personnages du premier ne comprend pas le passage par un aeacuteroport et celle des seconds

lrsquoexpression permanente des affres de la passion Un paysan herboriste de par son veacutecu est

plus riche en vocabulaire et en champs conceptuels dans son rapport agrave la flore que le citadin

pour qui tout ce qui nrsquoest pas vendu en boutique est mauvaise herbe Ceci eacutetant la grammaire

est une aptitude agrave laquo tout raquo dire et lrsquoeacutepreuve du non-dit ne reacutesulte que de la comparaison

entre ce que dit lrsquoun et ce que dit lrsquoautre Ce sont Lavoisier puis Mendeleiumlev puis Max Planck

qui font prendre conscience qursquoAristote laquo nrsquoarrivait pas raquo agrave dire ce que sont les masses

atomiques et les particules

Les restrictions peuvent aussi dit JG ecirctre laquo axiologiques raquo 48410 Allusion aux tabous et

plus geacuteneacuteralement au tempeacuterament axiologique des gens entre les taiseux et les pipelets les

beacutegueules et les eacutegrillards La normativiteacute qui touche le langage fait que non seulement laquo on

nrsquoen parle pas raquo (performance) mais eacutegalement qursquoon ne dispose pas laquo des mots pour le dire raquo

(instance)

En somme quel que soit son ancrage sociohistorique et son rapport agrave lrsquoinconscient le

principe glossologique reste le mecircme et offre un potentiel de dire complet Tout ceci est une

laquo anticipation raquo de larges deacuteveloppements exposeacutes dans le tome 2 du Vouloir-Dire

SIMILARITEacute ET COMPLEacuteMENTARITEacute LES RELATIONS ENTRE LES DEUX AXES

Introduction 48-49 Correacutelation et paradigme 50 Concateacutenation et syntagme 55 Reacutefeacuterence

et incidence 66 On remarquera que pour chaque axe JG expose agrave eacutegaliteacute les faits

phonologiques et seacutemiologiques Son approche en cela diffegravere complegravetement des traditions

qui traitent de maniegravere seacutepareacutee de phonologie de lexicologie voire de morphologie et de

syntaxe

Introduction geacuteneacuterale au thegraveme de la laquo projection raquo drsquoun axe sur lrsquoautre

Les deux premiers paragraphes 48-49 ne me paraissent vraiment intelligibles que si lrsquoon a

compris dans quelle perspective JG aborde les notions de paradigme et de syntaxe Retenons

seulement quelques repegraveres terminologiques par lesquels il entend se distinguer des

linguistiques de son temps et de la tradition grammaticale Il doit ecirctre clair aussi que le propos

vaut pour les deux faces du grammatical mecircme si les exemples traiteacutes concernent ici la face

seacutemiologique plus abordable que la face phonologique

Vers une deacutefinition restrictive de la similariteacute et de la compleacutementariteacute

Il lui importe drsquoune part de distinguer laquo syntaxe raquo et laquo contexte raquo et drsquoautre part

laquo paradigme raquo et laquo syllexique raquo Autrement dit il entend deacutefinir le paradigme sans aucune

reacutefeacuterence agrave la syntaxe et reacuteciproquement deacutefinir la syntaxe sans reacutefeacuterence au paradigme Car

lrsquoun et lrsquoautre ne preacutesupposent que lrsquoexistence des uniteacutes et des identiteacutes dont ils sont

lrsquointeraction

Structure et signification 105

Il introduit le premier point ndash laquo Le contexte ne saurait tenir lieu de syntaxe raquo 492 ndash en

demandant drsquoabstraire la deacutefinition drsquoune laquo relation (syntaxique) raquo de la variation des types de

mots laquelle est un fait de paradigme qui vient interfeacuterer et qui diversifie les laquo contextes raquo

drsquoun mecircme syntagme Par exemple la deacutefinition de la laquo subordination raquo qursquoil donnera plus loin

est la mecircme pour un contexte de verbes ou de noms alors que la tradition restreint ce

concept agrave une relation entre verbes au nom du postulat selon lequel le verbe est porteur de la

proposition et selon lequel la subordination ne relie que des propositions Pour JG il y a

subordination dans les deux eacutenonceacutes qursquoil cite en exemple crsquoest-agrave-dire aussi bien dans

laquo lrsquoamour de la chasse raquo (N+N) ou laquo il aime la chasse raquo (V+N) que dans laquo il aime chasser raquo ou

laquo je deacuteteste qursquoil chasse raquo (V + V)

Dans le second point il constate de faccedilon critique que lrsquoon passe agrave cocircteacute du processus de

paradigme si lrsquoon considegravere comme tel tout ce qui peut se substituer agrave un endroit donneacute drsquoun

texte syntaxiquement construit et qursquoil appelle laquo syllexique raquo 492 Lrsquoexemple le plus simple de

ce deacutefaut se trouve dans les versions eacutedulcoreacutees de la grammaire geacuteneacuterative passeacutees dans les

manuels scolaires et qui enseignent qursquoest un GN (groupe nominal) tout ce qui est supposeacute

laquo sujet raquo du verbe placeacute immeacutediatement devant lui Ainsi devant le radical laquo _-mange (hellip) raquo

serait sujet du verbe aussi bien laquo je- tu- il- raquo que laquo Pierre Pierre et Paul la vache le gars qui

vient drsquoarriver etc raquo Tout ce qui est agrave cet endroit laquo agrave gauche raquo du radical verbal est

consideacutereacute abusivement comme constituant laquo un paradigme raquo

Deux laquo conditions raquo restreignent la deacutefinition de la similariteacute (laquo ressemblance raquo) et de la

compleacutementariteacute (laquo en rapport raquo) grammaticales

Lrsquoune est renvoyeacutee agrave plus tard apregraves une bregraveve preacutesentation il importe de laquo ne pas

confondre la marque avec le mateacuteriau raquo 493 comme de deacuteclarer par exemple que la seule

seacutequence laquo que -raquo signale la subordination alors que la marque en est plus diverse

Lrsquoautre restriction est deacuteveloppeacutee et rappelle qursquoun fait de grammaire ne peut pas

srsquoappuyer sur des faits de seacutemantique 493 laquo La forme seule est imputable agrave la structure raquo

(grammaticale) 494 Il refuse de consideacuterer comme une diffeacuterence grammaticale ce qui est un

fait de polyseacutemie seacutemantique Lrsquoexemple laquo Meurtre drsquoenfant raquo est une variante de la fameuse

laquo peur des ennemis raquo chez Chomsky Lrsquoexemple preacuteceacutedent ndash enseignement ndash renvoie au Cours

de Saussure (p173-174) lequel appelle laquo rapports associatifs raquo tour agrave tour des faits de flexion

ou de deacuterivation dans laquo enseignement enseigner enseignons raquo et laquo la seule analogie des

signifieacutes raquo (plus exactement des concepts) dans laquo enseignement instruction apprentissage

instruction raquo

La notion de laquo projection raquo

Suit une reformulation des deux notions en question 4948 La syntaxe laquo donne une

profondeur au texte raquo en lrsquoordonnant en y deacuteterminant laquo des boucles raquo tandis que le

paradigme laquo donne une profondeur au lexique raquo en creacuteant des cateacutegories laquo des sous-

ensembles raquo Le principe est celui laquo drsquoune projection mutuelle des deux axes raquo Afin de

poursuivre le propos theacuteorique je traiterai plus tard du sect 495 qui preacutesente lrsquoaspect clinique

du propos

Plus loin en 501 JG eacutenonce que la laquo projection raquo reacutesulte du laquo deacutedoublement des opeacutera-

tions drsquoanalyse raquo On peut comprendre simplement que lrsquoanalyse taxinomique et lrsquoanalyse

geacuteneacuterative eacutetant diffeacuterentes mais toujours conjointes peuvent preacutesenter les deux cas de

fonctionnement suivants Dans le premier on ajoute des mots sans changer de segraveme ndash

106 Une lecture de Jean Gagnepain

deacutefinition tregraves simplifieacutee de la syntaxe Dans le second on change de segraveme sans ajouter de

mot ndash deacutefinition tregraves simplifieacutee du paradigme Autrement dit lrsquoimage de la laquo projection

mutuelle raquo (drsquoun axe sur lrsquoautre) introduit une alternative

Soit le principe de segmentation vient laquo se projeter raquo sur le principe de diffeacuterenciation et

produire un effet de reacuteorganisation Crsquoest le paradigme Ainsi lrsquouniteacute segmentale qursquoest un

verbe constitue un cadre contraignant qui reacuteduit la diversiteacute des possibles et exclut ce qui ne

peut pas ecirctre verbal Si jrsquoenvisage lrsquoensemble des variations lexicales possibles au sein du seul

verbe laquo je viens raquo je sais que je ne puis y positionner ni laquo mon raquo ni laquo ce raquo informations qui ne

concernent que le nom Le cadre de lrsquouniteacute reacuteduit le divers Lrsquoimage de la laquo profondeur raquo

correspond ici agrave celle du laquo tableau raquo (de conjugaison ou de deacuteclinaison) qui est deacutefini

horizontalement par la dimension segmentale et verticalement par lrsquoensemble des diffeacuterences

entrant dans ce cadre

Soit lrsquoinverse Le principe de diffeacuterenciation vient se laquo projeter raquo sur celui de segmentation

et interagir avec lui Ainsi le syntagme Observons lrsquoaccord en nombre du nom et du verbe

dans la relation syntaxique de sujet dans la seacutequence de mots laquo Bon Michel les enfants

dorment silence raquo Lrsquoaccord contribue agrave solidariser ces deux mots et eux seuls en rejetant

dans un exteacuterieur les autres segments preacutesents Lrsquoidentification de ces deux mots par lrsquoaccord

produit une reacuteduction du multiple Les deux (mots) ne comptent deacutesormais plus que pour un

(syntagme) Lrsquoimage de la laquo profondeur raquo correspond alors agrave lrsquoeffet de parenthegravesage qui

deacutelimite le syntagme et que lrsquoon retrouve dans les arborescences ou les inteacutegrations de

boicirctes

Lrsquoapport de la clinique des aphasies

Lrsquoobservation des aphasies permet de deacutemontrer qursquoil srsquoagit lagrave non drsquoune formalisation

issue de lrsquoimaginaire topographique mais drsquoun mode de fonctionnement inheacuterent au

psychisme humain observable et testable Retour agrave la page 49

laquo Surprises raquo 495 JG renouvelle ici profondeacutement lrsquohypothegravese de Roman Jakobson qui

deacutefinissait lrsquoaphasie de Wernicke comme laquo un trouble des associations raquo et celle de Broca

comme laquo un trouble des contiguiumlteacutes raquo confondant comme Saussure drsquoune part le principe de

diffeacuterence et celui de paradigme sous le nom drsquoaxe associatif et drsquoautre part le principe de

segmentation et celui de syntaxe sous le nom drsquoaxe laquo syntagmatique raquo Or les observations

montrent que le Wernicke seacutemiologique produit des laquo paradigmes raquo sur le modegravele des limites

segmentales qursquoil continue agrave controcircler Toutefois ce sont des paradigmes dans lesquels les

diffeacuterences ne sont plus controcircleacutees Hubert Guyard Lrsquoexplication en aphasiologie t I 41 en

propose un exemple sur le thegraveme du genre Modegravele donneacute laquo un lion - une lionne raquo Produc-

tions du malade laquo un papillon ndash une papillonne un dindon ndash une dindonne un eacutetalon ndash une

eacutetalonne raquo De son cocircteacute le Broca seacutemiologique (dit laquo agrammatique raquo) produit des accords

syntaxiques qui teacutemoignent drsquoun controcircle de diffeacuterences (telles que le nombre ou le genre)

mais ces diffeacuterences sont implanteacutees de maniegravere aleacuteatoire sur des seacutequences de laquo fragments raquo

qui ne sont plus construits en mots Sur le modegravele drsquoune suite drsquoeacutetiquettes laquo La fille est

gentille elle raquo le Broca peut produite la seacutequence drsquoeacutetiquettes suivantes laquo Il garccedilon est gentil

un raquo (Dans la liste des eacutetiquettes figurent notamment laquo le la il elle lui un une gentil

gentille raquo) Le malade est guideacute par le repegravere visuel du nombre des eacutetiquettes mais le

programme du mot verbal et celui du pronom nrsquoest plus maicirctriseacute En revanche il ne se trompe

Structure et signification 107

pas dans lrsquoaccord du masculin singulier et maicirctrise la transposition du feacuteminin (modegravele) au

masculin (Hubert Guyard ibidem 138)

De ces observations cliniques deacutecoule la thegravese paradoxale suivante laquo Morphologie et

syntaxe [nrsquoont pas] leur source au lieu de leur manifestation raquo 495 La morphologie (des

paradigmes) srsquoobserve dans un ensemble de variations (conjugaisons et deacuteclinaisons en

particulier) mais elle a sa source dans le cadre du mot qui en assure les limites La syntaxe

srsquoobserve dans une suite de plusieurs mots mais elle a sa source dans la persistance drsquoune

information grammaticale identique qui deacutelimite le syntagme

laquo Entre lrsquoidentiteacute et la diversiteacute absolues la similariteacute [tend] agrave la tautologie par le biais de

lrsquoeacutequipollence raquo La similariteacute preacutesente dans la seacuterie laquo Qursquoil vienne Tu nrsquoes pas venu

Viendrez-vous raquo (une conjugaison verbale) est un calcul de diffeacuterences et drsquoidentiteacutes

seacutemiques dans le cadre deacutelimiteacute du mot verbal La relation de similariteacute a ainsi deux bornes

lrsquoidentiteacute totale et la diversiteacute totale Dans un tel cadre en effet la comparaison de laquo Il est

venu Il est venu raquo ougrave tout est identique est une laquo tautologie raquo qui sort du paradigme

Inversement le rapprochement de laquo le nuage raquo et de laquo prochainement raquo ne preacutesente rien de

plus que le rapprochement drsquoun mot (nominal) et drsquoun autre mot (adverbial) sans relation

paradigmatique (Eacutequipollence = eacutequivalence)

laquo [Entre] lrsquouniteacute et la pluraliteacute la compleacutementariteacute [est] une exploitation de la redondance

culminant pathologiquement dans la steacutereacuteotypie raquo La relation syntaxique est aussi entre deux

bornes Une seacutequence de plusieurs propos sans redondance grammaticalement contrainte

nrsquoest pas un syntagme laquo Il arrive Nous ne bougeons pas Tu te tais raquo Pourtant on peut

imaginer une coheacuterence seacutemantique agrave cette suite en compleacutetant des infeacuterences Lrsquoaphasique

de Broca teacutemoigne de la limite inverse qui est la stricte reacutepeacutetition du mecircme En teacutemoigne la

steacutereacuteotypie rendue ceacutelegravebre par Monsieur Leborgne dit laquo Tantan raquo du fait que ses propos se

limitaient agrave la seule reacutepeacutetition de cette seacutequence

1- Correacutelation et paradigme

Dans cette section (agrave partir de 502) lrsquoauteur restreint son propos agrave la projection de lrsquoaxe

geacuteneacuteratif sur lrsquoaxe taxinomique Le premier axe vient restreindre lrsquoensemble des diffeacuterences

possibles a priori dans le second et y deacutelimite les sous-ensembles de similariteacutes deacutenommeacutees

laquo correacutelations raquo en phonologie et laquo paradigmes raquo en seacutemiologie

11 Le paradigme en seacutemiologie

La distinction entre eacuteleacutements et ensemble drsquoeacuteleacutements en rapport est abordeacutee par le biais

drsquoune remarque terminologique Le terme courant de laquo classe raquo dit-il 502 est ambivalent

puisqursquoil peut deacutesigner soit des eacuteleacutements (traits ou segravemes) dans leur ensemble soit le sous-

ensemble de ceux qui sont laquo reclassifieacutes raquo au sein de correacutelations ou de paradigmes deacutefinis par

le cadre drsquoune uniteacute respectivement drsquoun seul phonegraveme ou drsquoun seul mot JG speacutecialise les

termes laquo cateacutegories raquo et laquo cateacutegorisation raquo en ce second sens

La porteacutee du terme laquo cateacutegorie raquo 503 reste allusive dans ce texte Une reformulation

(risqueacutee) est neacutecessaire et donne Une laquo cateacutegorie raquo est un sous-ensemble deacutetermineacute par des

laquo classificateurs raquo Lrsquoinventaire de ces classificateurs nrsquoest pas speacutecifique parce qursquoil relegraveve

aussi drsquoune analyse taxinomique (comme les segravemes et les traits) Il faut donc rendre ce propos

108 Une lecture de Jean Gagnepain

compatible avec cet autre la source du paradigme est la projection de lrsquoanalyse geacuteneacuterative

Lrsquohypothegravese la plus probable est que les laquo cateacutegories raquo en question (nombre genre aspect

etc) sont envisageacutees en tant qursquoelles contribuent agrave la constitution de lrsquouniteacute mot laquo cateacutegorie

nominale raquo par exemple pour le genre laquo cateacutegorie verbale raquo pour lrsquoaspect Envisageons

lrsquoopposition ternaire laquo locuteur interlocuteur tiers raquo Elle devient laquo cateacutegorie raquo grammaticale

de laquo personne verbale raquo dans le programme du mot verbal en position de preacutefixe laquo je- tu-

ilelle- raquo Elle devient laquo cateacutegorie raquo de personne nominale sous une autre forme laquo mon- ton-

son- raquo Les laquo classificateurs raquo relegravevent donc drsquoune analyse taxinomique car crsquoest elle qui

produit les identiteacutes toutefois ils ont leur source et leur deacutelimitation dans le modegravele de

lrsquouniteacute du mot Il srsquoagit toujours de laquo diffeacuterences raquo mais contraintes cette fois par le segment

Distinguer en 504 deux thegravemes Lrsquoun est suggeacutereacute par la meacutetaphore acoustique laquo laisser

dans lrsquoombre les liens de lrsquoharmonique et du fondamental raquo et sera expliciteacute plus tard dans la

deacutefinition idiolectale proposeacutee du couple laquo lexegraveme ndash morphegraveme raquo Lrsquoautre thegraveme est celui de la

neacutecessaire distinction du signe et de la langue La notion classique de laquo langues classifica-

toires raquo renvoie agrave ce fait majeur qursquoest laquo le genre raquo nominal Lrsquoanglais nrsquoen a pas en dehors du

domaine de la personne Le franccedilais en a deux et lrsquoallemand trois Les langues bantoues ou

Gour (etc) drsquoAfrique environ une douzaine et le Mandarin une cinquantaine Le preacutefixe de

genre qui cateacutegorise ainsi le nom est une proprieacuteteacute du lexegraveme qui se trouve ainsi laquo re-classeacute raquo

Lrsquoensemble des lexegravemes du franccedilais est donc redeacutecoupeacute en deux sous-ensembles Dans le cas

de lrsquoopposition laquo le page la page le manche la manche raquo on a affaire agrave une variante de

marquage de lrsquoopposition lexicale qui ne porte plus sur le radical mais sur la diffeacuterence du

preacutefixe On peut parler dans ce cas drsquoun fait drsquohomophonie avec le genre car il srsquoagit ici de

deux noms grammaticalement diffeacuterents et exclusifs lrsquoun de lrsquoautre par le preacutefixe

Corollairement on peut aussi dire que laquo le- raquo et laquo la- raquo amalgament les informations drsquoun

deacuteterminant et une information lexicale Or de maniegravere geacuteneacuterale un genre est assigneacute agrave la

grande majoriteacute des lexegravemes

Il ne faut pas confondre langue et langage et laquo imputer au principe lui-mecircme de la reacuteparti-

tion les restrictions issues du sens ou de lrsquousage rien grammaticalement nrsquoexige qursquoen franccedilais

‟la lunerdquo et ‟la sourisrdquo soient feacuteminins et ‟le soleilrdquo et ‟le ratrdquo soient masculins raquo 504

Preacutecisons ce point JG ne renvoie pas agrave lrsquohistoire le fait qursquoil y ait une classification des noms

par genres crsquoest bien pour lui un fait grammatical Mais crsquoest lrsquohistoire qui en fait et deacutefait la

reacutepartition Crsquoest elle qui fait que lrsquoon a rangeacute laquo lune raquo et laquo souris raquo drsquoun cocircteacute et laquo soleil raquo ou

laquo rat raquo de lrsquoautre que laquo la Mort raquo est repreacutesenteacutee en femme et lrsquoAnkou breton en homme et

qursquoune sentinelle eacutepousera un mannequin dans le costume inverse du genre de leur

deacutenomination

Cela dit preacutecisons ce qui caracteacuterise la cateacutegorie de laquo genre raquo par rapport aux autres

cateacutegories Ces derniegraveres preacutesentent des oppositions (singulier pluriel pour le nombre)

indeacutependantes du lexegraveme auquel elles sont associeacutees dans le mot Du nombre le locuteur

peut certes tirer dialectiquement une information seacutemantique en rheacutetorique Mais du genre il

ne tire rien drsquoautre qursquoun fait grammatical le lexique est laquo cateacutegoriseacute raquo diviseacute agrave nouveau en

raison drsquoune opposition purement grammaticale les noms en laquo le- raquo et les noms en laquo la- raquo Le

verbe est eacutegalement concerneacute par le genre En effet si je dis laquo Regarde-la raquo je sais

grammaticalement que ce qui est dit se reacutefegravere agrave un nom classeacute feacuteminin qursquoil soit un nom

propre (laquo Marie raquo et non laquo Pierre raquo) ou un nom commun (laquo ta figure raquo et non laquo ton visage raquo)

Structure et signification 109

On observe ici que le genre se retrouve dans la structure verbale sous la forme des

laquo morphegravemes raquo dits laquo de 3e personne raquo laquo il(s) elle(s)- -le--la- raquo

JG preacutecise en 505 que sa deacutefinition de la cateacutegorisation range la deacuterivation et la flexion

sous le mecircme processus Les relations laquo dent-iste raquo et laquo dent-ier raquo ou laquo chante chant-ons

chant-ez raquo (radical invariant + suffixe varieacute) drsquoune part et laquo dent-ier sucr-ier plomb-ier raquo ou

laquo chant-ez attend-ez regard-ez raquo (radical varieacute + suffixe invariant) drsquoautre part preacutesentent

toutes laquo une reacuteduction de la diffeacuterence raquo puisqursquoune partie de lrsquouniteacute demeure tandis qursquoune

autre varie Dans le paradigme on applique la logique de lrsquoidentification ndash agrave savoir laquo Est-ce

diffeacuterent raquo ndash non plus au segraveme mais au mot

Deacutefinition de la flexion et de la deacuterivation

JG introduit ces notions en rappelant que les lexicographes associent agrave chaque entreacutee

drsquoun mot la famille de ses deacuteriveacutes mais ne mentionnent pas leur flexion (Sauf irreacutegulariteacute) Et

dans une perspective historique 511 la tradition laquo dans une perspective geacuteneacutetiquehellip

privileacutegiait la ‟racinerdquo ou le ‟radicalrdquo raquo et qualifiait laquo drsquoinversion raquo la plus rare laquo troncation raquo

face agrave la plus courante laquo accreacutetion raquo De quoi srsquoagit-il Partons des termes laquo troncation raquo et

laquo accreacutetion raquo Lrsquolaquo accreacutetion raquo (dans divers domaines) deacutesigne lrsquoaccroissement drsquoun corps par

agglomeacuteration de matiegravere En lrsquooccurrence dans la deacuterivation un laquo mot tout simple raquo semble

se deacutevelopper par adjonction de preacutefixes et suffixes laquo humide humidifier humidificateur

deacuteshumidificateur raquo Ouvrons un Dictionnaire historique (celui drsquoAlain Rey) Il nous dit que

laquo porter raquo est attesteacute degraves les premiers textes en roman (du latin laquo portare raquo) laquo Portable raquo est

dateacute 1278 et laquo portatif raquo 1328 laquo importer raquo 1369 et laquo importation raquo 1734 La laquo racine raquo appa-

raicirct donc comme le principe drsquoun deacuteveloppement par adjonction de morphegravemes Drsquoougrave la

surprise des lexicographes de constater qursquoagrave lrsquoinverse laquo meacutetro raquo (grec μήτηρ laquo megravere raquo) reacutesulte

de la reacuteduction de laquo transport meacutetropolitain raquo et laquo une auto raquo (grec laquo tout seul raquo) celle de

laquo veacutehicule automobile raquo72 Dans tous ces cas un preacutefixe a surveacutecu Ce peut ecirctre aussi un

suffixe laquo bus raquo ne conserve que la fin de laquo omni-bus raquo marque du datif pluriel latin de

laquo omnis raquo laquo veacutehicule omnibus veacutehicule pour tous raquo Preacutefixes ou suffixes ont eacuteteacute laquo promus raquo

au rang de radicaux les anciens radicaux ayant disparu On a donc parleacute de laquo troncation raquo

JG propose alors 512 une conception ineacutedite de lrsquoopposition entre flexion et deacuterivation

assortie drsquoune redeacutefinition des termes de laquo morphegraveme raquo et laquo lexegraveme raquo

Rappel Le raisonnement se place toujours dans le cadre drsquoun mot unique ni plus (pas une

seacutequence de mots) ni moins (pas une classe de segravemes en soi) Donc il est exclu drsquoimaginer le

pseudo-paradigme laquo Il arrive Pierre arrive Le facteur du quartier arrive raquo etc car il srsquoagit lagrave

drsquoun laquo syllexique raquo Pas de paradigme dans laquo montonson raquo etc car il srsquoagit drsquoune classe de

segravemes

Dans cet exposeacute deux critegraveres distinguent les deux processus La deacuterivation est laquo non

hieacuterarchique raquo et laquo la substitution [ y ] est non limiteacutee raquo ceci eacutetant ducirc agrave lrsquoindiffeacuterence au

laquo type raquo (Crsquoest la premiegravere fois que cette notion de laquo type raquo apparaicirct dans le texte) La flexion

au contraire est laquo hieacuterarchique raquo et laquo la substitution [ y ] est limiteacutee raquo du fait que laquo le type

reste constant raquo 512 La difficulteacute du passage est double comment relier cette notion de

laquo hieacuterarchie raquo (ou non) agrave celle de contrainte (ou non) du type Et que signifie lrsquoideacutee que la

substitution nrsquoest pas limiteacutee dans la deacuterivation Il faut degraves maintenant avoir en tecircte que

72 Les ameacutericains appellent [ lsquometrәˌdiː ] eacutecrit (laquo maicirctre drsquo raquo) le laquo maicirctre drsquohocirctel raquo drsquoun restaurant

110 Une lecture de Jean Gagnepain

traitant plus loin de syntaxe JG consideacuterera que la coordination est lrsquoanalogue de la deacuteriva-

tion et la subordination lrsquoanalogue de la flexion eacutetant entendu que lrsquoon inverse la

laquo projection raquo drsquoun axe sur lrsquoautre (Ce point sera deacuteveloppeacute plus loin)

La flexion

Qursquoappelle-t-il hieacuterarchie 512 Crsquoest dit-il celle qui existe entre laquo le lexegraveme raquo (au

singulier) et laquo les morphegravemes raquo dans le rapport de flexion exclusivement Attention le sens

de ces termes nrsquoa plus rien agrave voir avec ce qursquoon en dit partout ailleurs Le laquo lexegraveme raquo est laquo la

base abstraite raquo dont toutes les variables dans le mecircme paradigme flexionnel sont

laquo globalement et indiffeacuteremment raquo les laquo repreacutesentants raquo Il est utile de faire le rapprochement

avec laquo les liens du fondamental et de ses harmoniques raquo 504 ainsi que plus loin le rappel que

mecircme ce que laquo les ancienshellip envisageaient sous le nom [de paradigme] (hellip) nrsquoeacutetait pas la seule

commutabiliteacute des deacutesinences mais incluait celle du radical qui rendait lrsquoensemble

exemplaire raquo 5137-8 En somme encore aujourdrsquohui lorsque lrsquoon deacutesigne un verbe par sa

laquo forme de mention raquo ndash lrsquoinfinitif en franccedilais ndash on renvoie bien agrave lrsquoensemble du cadre verbal y

compris les variations du radical agrave travers le choix de lrsquoexemple qursquoest la forme infinitive Soit

laquo Venez raquo La tradition dit que laquo ven- raquo est le lexegraveme et laquo -ez raquo un morphegraveme Pour JG le

laquo lexegraveme raquo crsquoest laquo le verbe venir raquo matrice de lrsquoensemble des laquo morphegravemes raquo qui sont chaque

forme de sa conjugaison

Peut-on aussi envisager la lecture suivante Le terme laquo lexegraveme raquo deacutesigne lrsquoensemble du

paradigme dont toute occurrence est un cas de flexion Cela inclut non seulement pour le

verbe ce qursquoon appelle la conjugaison qui est une variation des infixes autour drsquoun radical

constant mais aussi un ensemble ougrave seul le radical varierait Seraient en relation de paradigme

flexionnel laquo Il le voit il le cherche il le timbre il lrsquoassoit etc raquo tandis que laquo Il en rit il en parle

etc raquo formeraient un autre sous-ensemble Les laquo morphegravemes raquo seraient laquo les avatars chaque

fois complets drsquoune mecircme uniteacute raquo 512 crsquoest-agrave-dire chacun des choix ndash non plus drsquoun segraveme ndash

mais drsquoune quelconque laquo facette raquo relevant du paradigme flexionnel Ainsi laquo Agrave table raquo et laquo nos

voisins raquo seraient deux des nombreux laquo morphegravemes raquo produits sur la base du laquo lexegraveme raquo

nominal La hieacuterarchie en question serait celle qui existe entre une laquo matrice raquo 522 et chacune

des laquo variations raquo qursquoelle permet Cette interpreacutetation se trouve conforteacutee par la formule

suivante 533 laquo Tout type instaure une reacuteduction de variation Posons que le lexegraveme diverse-

ment srsquoy transforme selon un proceacutedeacute qui ne saurait qursquoecirctre grammaticalement effaceacute raquo [dans

le cas des formes dites laquo invariables raquo] Autrement dit alors que la tradition postule une

laquo hieacuterarchie raquo lexicale entre le radical (appeleacute lexegraveme) et ses affixes (appeleacutes morphegravemes) la

glossologie pose une hieacuterarchie entre le laquo type raquo cadre homogegravene du paradigme flexionnel et

chaque segraveme dont lrsquohomogeacuteneacuteiteacute nrsquoest que diffeacuterentielle

La deacuterivation

JG ne lui consacre que trois lignes laquo Il y a deacuterivation quand lrsquoun quelconque des

constituants drsquoune uniteacute devient lrsquoinvariant drsquoune substitution non limiteacutee de segravemes

apparentant des mots sans creacuteer synchroniquement aucune hieacuterarchie entre eux raquo 512 Que

peut-on infeacuterer de cette seule phrase Constitue un tel paradigme lrsquoensemble des variations

seacutemiques produites dans le cadre drsquoun seul mot dont lrsquoun des segravemes demeure invariant sans

limites imposeacutees par le type Une telle formulation demeure impreacutecise Certes on imagine

bien la seacuterie laquo Nous vivons la vie vital deacutevitaliser vitaliteacute vitalisme (vitamine ) deacutevitalisa-

Structure et signification 111

tion ils revivent raquo exemple ougrave jrsquoai volontairement meacutelangeacute les proceacutedeacutes de deacuterivation dits

laquo conversion (ou laquo deacuterivation impropre raquo) parasyntheacutetisme deacuterivation trans-typique ou intra-

typique raquo afin de mrsquoen tenir agrave la thegravese de la laquo non hieacuterarchie raquo

JG ne semble pas tenir compte ici du fait que les relations deacuterivationnelles sont chaque

fois restreintes agrave des sous-ensembles de classes Prenons comme invariant dans un mot le

suffixe laquo -ier raquo Le paradigme comprendra laquo doigtier plombier cerisier raquo et laquo chemisier raquo mais

pas laquo nez-ier raquo (malgreacute le deacuteguisement en Cyrano ou en Pinocchio) ni laquo livr-ier raquo Prenons

inversement comme invariant laquo argent raquo ou laquo or raquo le premier est en relation avec laquo argenter

argenterie argenture argentin raquo le second avec laquo orpailleur orfegravevre raquo mais si lrsquoon peut dire

laquo dorer dorure raquo (et non laquo orer aurer orerie aurerie raquo) en revanche laquo dorerie

dorin raquo sont impossibles Mecircme si lrsquoon inclut dans le mecircme paradigme tout ce qui est

potentiellement laquo deacuteductible raquo et en usage restreint comme laquo la bravitude raquo sachant que laquo la

productiviteacute deacutepasse infiniment la production raquo 522 il est bien hasardeux drsquoenvisager une

substitution illimiteacutee en ce domaine Envisageait-il comme tout agrave lrsquoheure pour le genre de

renvoyer la raison de ces restrictions agrave la langue et agrave son histoire Ou bien encore agrave la

performance rheacutetorique Ne faudrait-il pas prendre une position identique pour la reacutepartition

des noms en genre Dans son enseignement oral de glossologie cependant JG incluait le

principe de cette reacutepartition des morphegravemes relative agrave des sous-ensembles de radicaux dans la

deacutefinition de la deacuterivation par rapport agrave la flexion

JG eacutevoque en 514 la relation ancienne faite entre les variations paradigmatiques et la

distinction philosophique de la laquo substance raquo et des laquo accidents raquo ainsi que dans la

Grammaire Transformationnelle sa transposition technique en la recherche drsquoun mateacuteriau

laquo matrice raquo de tous les autres par transformations ndash la pierre philosophale Tout cela relegraveverait

drsquoun raisonnement laquo mythique raquo (dans le sens que JG donne agrave ce terme) fondeacute sur le

fonctionnement langagier lui-mecircme Le rapprochement eacutevident de la notion grammaticale de

laquo deacuteclinaison raquo et celle de laquo clinamen raquo dans la physique atomiste de Deacutemocrite puis de

Lucregravece va dans le mecircme sens Logos et cosmos vont de pair

Rappel est fait du caractegravere exclusivement formel de la deacutefinition du paradigme 515 agrave 522

laquo Lrsquoon deacutebat sans finhellip des relationshellip du genre et drsquoune sexualiteacute que sous couvert

drsquoanimisme tel comparatiste nrsquoheacutesitait pas agrave hypostasier raquo 51 5 Ce propos reste drsquoactualiteacute

degraves que le nom renvoie au domaine personnel notamment des professions73 De quel

comparatiste srsquoagit-il Je nrsquoai pas pu lrsquoidentifier Eacutevoquerait-il certains articles drsquoAntoine

Meillet dont (en 1920) laquo Les noms du feu et de lrsquoeau et la question du genre raquo Meacutemoires de la

Socieacuteteacute de Linguistique 22 Ce dernier y deacuteveloppe lrsquohypothegravese drsquoune laquo motivation raquo du genre

en indo-europeacuteen mais crsquoest drsquoabord sur le thegraveme de lrsquoopposition laquo animeacute inanimeacute raquo Et

Meillet collegravegue de Mauss et de Leacutevy-Bruhl se garde bien de toute hypostase

Crsquoest dans la grammaire laquo la franche distinction du nom et du verbe raquo 521 qui incite le

locuteur (occidental) agrave seacuteparer sa conception de lrsquoespace (ex laquo ici le lointain raquo) de celle du

temps (ex laquo maintenant le passeacute raquo) Le vietnamien associe eacutetroitement le passeacute et ce qui est

devant soi parce que crsquoest ce que lrsquoon peut voir ou se remeacutemorer et associe le futur et ce qui

est derriegravere soi parce que crsquoest ce que lrsquoon ne peut pas voir ni se remeacutemorer

73 Reacutecreacute Les gens drsquoinfluence nrsquoacceptent plus qursquoun genre grammatical laisse inconnu le sexe de la personne qui exerce une profession Crsquoest clairement contradictoire avec le principe mecircme du service professionnel qui est hors sexe Curieusement alors que lrsquoon ne tolegravere plus laquo qursquoun professeur raquo ou laquo qursquoun notaire raquo deacutesigne une femme on tolegravere qursquo laquo une sentinelle raquo soit un homme dans une armeacutee drsquoailleurs ougrave cette fonction devient eacutepicegravene

112 Une lecture de Jean Gagnepain

Comment deacutefinir la valeur des cateacutegories au sein des laquo paradigmes seacuterielshellip et

transformationnels raquo 522 Il srsquoagit respectivement de la deacuterivation (non hieacuterarchique) et de

la flexion Quoique plus communeacutement on qualifie la deacuterivation trans-typique de

laquo transformation raquo de Nom en Verbe etc Par laquo Suppleacutetisme raquo il faut entendre laquo production

drsquoune forme par analogie raquo laquo Solutionner raquo preacutevaut sur laquo reacutesoudre raquo et on peut envisager de

laquo deacutesarkoiumlser raquo ou de laquo resarkoiumlser raquo la Droite tout comme on peut acheter du film laquo micro-

ondable raquo

laquo Notre conception de lrsquouniteacute restreint lrsquoeacuteventail possible des types au profit de celui des

cateacutegories dont la constellation les fonde raquo 523 En effet le nom en glossologie laquo absorbe raquo

certains types traditionnels lrsquoadjectif et certains pronoms tandis que le verbe absorbe le

pronom personnel Le nombre des types tend vers deux Inversement ces anciennes parties

du discours deviennent des cateacutegories internes aux types lrsquoarticle dans le nom le pronom

personnel et la conjonction dans le verbe Restent lrsquoadverbe (lui-mecircme bien heacuteteacuterogegravene dans

la tradition) et lrsquointerjection

JG eacutevoque divers problegravemes de morphologie successivement du verbe puis du nom 524

et 531 Le laquo passif raquo 524 est pour lui une question de syntaxe de mecircme que les formes

modales (pouvoir + Verbe devoir + Verbe etc) Concernant le nom lrsquoauteur considegravere comme

laquo deacuteclinaison raquo nominale lrsquoensemble des deacuteterminants et leur accorde le statut drsquoenclitiques

Il en va de mecircme des preacutepositions qursquoil faut comprendre dans lrsquoopposition qursquoelles

forment avec leur absence significative (Cf supra 431 pour la distinction entre preacuteposition et

adverbe) Drsquoougrave la distinction suivante qui srsquoimpose alors laquo crsquoest agrave tort que certains parlent agrave

propos [des preacutepositions] drsquoindicateurs de relation confondant (hellip) emboicirctement contextuel et

compleacutementariteacute syntaxique raquo 524 Est viseacute ici le fonctionnalisme (eacutecole drsquoAndreacute Martinet)

La preacuteposition a deux statuts Elle a un statut dans le paradigme elle offre une alternative

laquo preacutesence absence raquo au sein du mot La phrase laquo Sur ta cravate raquo apporte une information

autre que laquo Ta cravate raquo Autre et non pas suppleacutementaire Cf supra 424 Le choix de la

preacuteposition plutocirct que son absence relegraveve alors de la rheacutetorique Lrsquoeffet seacutemantique est celui

drsquoun laquo emboicirctement contextuel raquo qui articule ce qui est dit agrave la situation ou au contexte

(laquo ndash Ougrave ccedila la tache ndash Sur ta cravate raquo)

Second statut la forme preacutepositionnelle joue un rocircle dans une relation syntaxique de

subordination telle que laquo La maison sur la colline raquo ou laquo Regarde sur la table raquo ougrave la preacuteposi-

tion est obligatoire et ougrave son absence inversement marque une relation syntaxique

diffeacuterente laquo Regarde la table raquo La forme preacutepositionnelle ou non du nom est alors

compleacutementaire de contraintes sur lrsquoautre constituant du syntagme

laquo Le problegraveme franccedilais du partitif raquo 531 eacutevoque probablement lrsquohomophonie suivante

entre les deux laquo de- raquo du franccedilais laquo De1 raquo peut ecirctre une preacuteposition On observera sa

contribution agrave la syntaxe dans laquo Je te parle de lrsquoeau je me souviens de lrsquoinflation raquo Par

ailleurs laquo de2 raquo peut ecirctre un deacuteterminant des noms laquo massifs raquo laquo je bois de lrsquoeau raquo lesquels

peuvent eux-mecircmes ecirctre preacutepositionnels laquo je le meacutelange avec de lrsquoeau raquo Lrsquoeacutenonceacute laquo Elle sort

de lrsquoeau raquo est homophonique grammaticalement et par conseacutequent ambivalent seacutemanti-

quement Ou bien laquo Elle quitte la riviegravere raquo (laquo de1 raquo preacuteposition) ou bien laquo Elle met dehors une

provision drsquoeau raquo (laquo de2 raquo deacuteterminant)

Structure et signification 113

Lrsquoeacutenonceacute laquo Elle en sort raquo preacutesente une homophonie analogue Il srsquoagit de morphegravemes

diffeacuterents dans laquo Jrsquoen viens jrsquoen parle je mrsquoen souviens raquo (verbes intransitifs directs) et dans

laquo jrsquoen bois raquo (verbe transitif direct)

laquo Lrsquoinvariable raquo 532 renvoie agrave la deacutefinition de lrsquoadverbe ou agrave lrsquointerjection analyseacutee plus

loin sous la rubrique laquo figement raquo en 613-4

Rappel de la notion de lexegraveme et explication de lrsquoutilisation de ce terme par la tradition

comme synonyme de radical laquo porteur des affixes raquo 533 Lrsquoinfinitif du Broca seacutemiologique est

de fait un laquo figement raquo pathologique parce que le malade ne peut plus laquo rassembler raquo les

affixes du verbe dans un seul et mecircme segment

12 - La correacutelation en phonologie

Sur la face phonologique de la grammaire la projection de lrsquouniteacute (le phonegraveme) sur la

capaciteacute agrave diffeacuterencier des traits produit ces sous-ensembles que sont les correacutelations

JG fait reacutefeacuterence en 534 au parler de lrsquoaphasique de Broca phonologique chez qui on

observe la laquo tendance systeacutematique raquo agrave produire une consonne sourde agrave lrsquoinitiale des mots

laquo cateau kimie raquo et lrsquoanticipation drsquoun trait dans la seacutequence Ainsi le p de la fin de

laquo vapeur raquo entraicircne tel malade drsquoAlajouanine agrave dire laquo papinapapeur raquo pour laquo machine agrave

vapeur raquo et rominet pour laquo robinet raquo (Hubert Guyard) (Olivier Sabouraud ibidem p232-

233) Lrsquoaphasique de Broca preacutesente une atteinte du principe de correacutelation phonologique qui

lrsquoempecircche de construire ensemble tous les traits pertinents constitutifs drsquoun phonegraveme Si bien

qursquoapparaissent des sortes drsquolaquo archiphonegravemes raquo pathologiques lagrave ougrave le normal dispose

laquo drsquoune flexion raquo en traits

Un laquo archiphonegraveme raquo 534 est une uniteacute phonologique qui reacutesulte drsquoune laquo neutralisation raquo

dans certaines positions drsquoune distinction entre deux phonegravemes pertinente par ailleurs (Voir

supra 374 381) Lrsquoun au moins des traits pertinents est exclu dans ces positions devant

consonne ou en position finale en particulier (Cf Nikolaiuml-Sergueiumlevitch Troubetzkoy Principes

de phonologie 1949 p 81-8274) En franccedilais par exemple existe une opposition entre la

voyelle e fermeacutee et la voyelle ε mi-ouverte opposition attesteacutee dans les paires

minimales laquo feacutee fait reacute raie raquo Toutefois lorsque la voyelle est suivie drsquoune consonne

(syllabe dite laquo fermeacutee raquo) seul le phonegraveme ε est possible laquo fecircte renne raquo [fεt fet] [rεn

ren] Le phonologue entend donc distinguer le phonegraveme e qui srsquooppose agrave ε et lrsquoarchi-

phonegraveme E qui a une deacutefinition plus large (en tant qursquoil reste distinct de i et de a ) et

doit par conseacutequent ecirctre noteacute diffeacuteremment La notation fEt rEn signale que le fait nrsquoest

pas drsquoordre phoneacutetique mais reacutesulte drsquoune regravegle phonologique

laquo Oppositions eacutequipollentes ou privatives raquo75 534 Un registre phonologique est constitueacute

drsquooppositions eacutequipollentes srsquoil est fondeacute sur des caracteacuteristiques distinctes qui ne sont pas les

degreacutes drsquoune mecircme caracteacuteristique Ce peut ecirctre une opposition de localisation dans une

laquo seacuterie raquo Ainsi en franccedilais laquo faon sans champ raquo ou laquo cafeacute casser cacher raquo diffeacuterent par

les trois phonegravemes f (labiodental) s (sifflant) et ʃ (chuintant) qui sont dites en opposi-

tion eacutequipollente De mecircme pour l et r (lateacuterale et vibrante) En revanche lrsquoopposition

74 P 81 laquo Dans la position de neutralisation un des termes de lrsquoopposition devient donc le repreacutesentant de laquo lrsquoarchiphonegraveme raquo de cette opposition par laquo archiphonegraveme raquo nous entendons lrsquoensemble des particulariteacutes distinctives qui sont communes aux deux phonegravemes raquo

75 Termes repris aussi agrave Troubetzkoy ibidem p 76-80

114 Une lecture de Jean Gagnepain

entre i e ε a repose sur des degreacutes drsquoouverture de la bouche On parle dans ce cas

drsquooppositions laquo graduelles raquo Troisiegraveme cas un registre phonologique est constitueacute

drsquooppositions privatives srsquoil est formeacute drsquoune couple (et pas plus) ougrave lrsquoun possegravede une

caracteacuteristique qui manque agrave lrsquoautre Crsquoest le cas de lrsquoopposition consonne laquo sourde sonore raquo

ougrave la vibration des cordes vocales manque agrave la sourde ainsi que de lrsquoopposition laquo oral nasal raquo

puisque le phonegraveme laquo oral raquo est dit manquer de laquo nasaliteacute raquo par deacutefinition Cette typologie est

bien discutable et bien discuteacutee parce qursquoelle repose sur une approche physio-acoustique des

faits Phonologiquement toute opposition a le mecircme statut que lui confegravere le critegravere de

pertinence

JG recherche en 535 - 54 lrsquoeacutequivalent phonologique des laquo types raquo de mots qui sont deacutefi-

nis par reacutefeacuterence agrave leur laquo lexegraveme raquo Il envisage que lrsquoaperture ou la localisation fonctionnent

comme cadres drsquoune diversification analogue aux laquo morphegravemes raquo Lrsquoidentiteacute drsquoaperture ou de

localisation permettrait le regroupement de phonegravemes qui par ailleurs se distinguent par

lrsquoopposition laquo sourde ndash sonore raquo ou par drsquoautres traits mais seraient laquo similaires raquo de par le

trait commun agrave lrsquoensemble De mecircme que le laquo radical raquo sert dans la formule laquo le verbe avoir raquo

de laquo point de vue raquo global sur lrsquoensemble du paradigme verbal le trait laquo occlusif raquo peut offrir

un panorama sur tous les phonegravemes qui comportent ce trait et qui par ailleurs ont une

localisation et une sonoriteacute diverses ptk bdg Tous les traits nrsquoont pas une eacutegale

vocation agrave produire un effet de laquo type raquo et JG cherche ainsi lrsquoanalogue agrave la bipolarisation du

nom et du verbe Lrsquohypothegravese proposeacutee ici reste geacuteneacuterale et elle est preacutesenteacutee selon une

typologie agrave deux dimensions qui ressemble agrave un triangle il srsquoagirait drsquoune reacutepartition verticale

entre laquo sommet et base raquo 541 crsquoest-agrave-dire entre trait consonantique occlusif (le plus fermeacute)

et trait vocalique le plus ouvert depuis p bilabial ou k veacutelaire jusqursquoagrave ɑ associeacutee agrave

une reacutepartition horizontale (laquo centre extreacutemiteacutes raquo) Or la bouche grande ouverte laquo Aaaaa raquo

ne permet pas de varier une seacuterie de localisations autant que la bouche fermeacutee (la seacuterie des

occlusives) On obtient donc une construction mentale triangulaire dont la pointe du bas est

occupeacutee par ɑ la pointe gauche du haut par p et la pointe droite par k En seacuteparant la

zone du haut et la zone du bas on pense immeacutediatement agrave la typologie geacuteneacuterale des

laquo voyelles raquo et des laquo consonnes raquo JG rejette cependant cette terminologie usuelle parce que

la distinction renvoie aussi agrave la syllabation qui est pour lui un fait de rheacutetorique (La con-sonne

sonne autour de la voy-elle dit la tradition) Cependant lrsquoideacutee est avanceacutee drsquoun regroupement

des phonegravemes en laquo constellations de cateacutegories raquo (de traits pertinents) selon un raisonnement

analogique qui pousse lrsquoauteur agrave rechercher une eacuteconomie maximale de concepts explicatifs

en grammaire

laquo Phonegraveme hors correacutelation raquo 542 On qualifie ainsi en franccedilais le l et le R parce

qursquoils se distinguent de lrsquoensemble des autres phonegravemes par un seul trait pertinent Le l est

dit laquo lateacuteral raquo et cela suffit agrave le distinguer de tous les autres phonegravemes Par ailleurs il peut

ecirctre reacutealiseacute en divers points de localisation ecirctre sourd ou sonore selon les environnements

sans que cela soit pertinent Il en va de mecircme pour le R dit (pour simplifier) laquo vibrant raquo

dont il existe de multiples variantes

laquo [De mecircme doutons-nous de lrsquohypothegravese de] trous dans le systegraveme raquo Lrsquoexemple est la

laquo nasale palatale raquo Le propos geacuteneacuteral est clair mais le choix de lrsquoexemple proposeacute reste pour

moi eacutenigmatique Le terme laquo nasale palatale raquo deacutesigne le ɲ de laquo agneau baigner regravegne

digne signe etc raquo Ce phonegraveme selon Eacutedouard et Jean Bourciez (Phoneacutetique franccedilaise 1967)

entre dans le systegraveme du bas latin degraves le 2egrave siegravecle et se maintient en franccedilais dans une seacuterie

Structure et signification 115

de trois nasales ( m anteacuterieure n moyenne ɲ posteacuterieure) en correacutelation avec les 3

seacuteries occlusives ( p t k ) de mecircme deacutefinition Incidemment la reacuteduction de la seacutequence n +

j en ɲ dans laquo montagne vigne etc raquo ainsi que les variantes de prononciation de

laquo panier raquo ou de laquo faineacuteant raquo (rimant ou non avec laquo pas nieacute fait neacuteant raquo) ne me semblent pas

relever du problegraveme souleveacute Peut-ecirctre est-ce une allusion agrave la reconnaissance tardive (au

XIXe) par les grammairiens du franccedilais de la nasale veacutelaire ŋ qui est preacutesente dans la

laquo version raquo franccedilaise des mots anglais laquo camping pressing etc raquo Cependant son inteacutegration

dans le systegraveme porte agrave 4 la seacuterie des nasales en y introduisant un trait nouveau de

localisation laquo palatal veacutelaire raquo qui nrsquoexiste ni dans la seacuterie des occlusives ni dans celle des

spirantes

13 Propos conclusif sur la similariteacute

De lrsquoarbitraire

Propos connexe sur le thegraveme de lrsquoarbitraire 543 Allusion probable au texte du Cours de

Saussure ou aux vulgarisations approximatives de ce thegraveme Selon la lettre du Cours (p101) le

signifiant laquo est immotiveacute crsquoest-agrave-dire arbitraire par rapport au signifieacute avec lequel il nrsquoa

aucune attache naturelle dans la reacutealiteacute raquo Pour JG la notion drsquoarbitraire est purement

sociologique elle nrsquoest pas une proprieacuteteacute du signe mais une proprieacuteteacute du social Les gens font

un usage en partie arbitraire du langage comme de lrsquooutillage et la norme Il y a un arbitraire

de la langue comme il y a un arbitraire du costume des recettes de cuisine ou des interdits Il

faut et il suffit de voyager pour lrsquoeacuteprouver Toutefois nrsquooublions jamais que lrsquoarbitraire est

toujours et seulement un pocircle dans une dialectique de la personne qui passe son laquo histoire raquo agrave

tenter drsquoy mettre une neacutecessiteacute comment peut-on ecirctre Persan Breton etc Par conseacutequent

naturaliser en particulier les correacutelations et les paradigmes comme autant drsquouniversaux

fondeacutes en nature crsquoest commettre une double erreur crsquoest confondre le plan du dire et celui

du social et crsquoest sortir de la dialectique entre nature et culture En somme ni laquo arbitraire raquo ni

laquo naturel raquo le principe de cateacutegorisation est strictement glossologique et grammatical

Appel est fait 544 agrave consideacuterer la structure grammaticale elle-mecircme et non le

reacuteinvestissement de la correacutelation en prononciation ou celui du paradigme en relations entre

concepts

Les types de mots

JG justifie en 545 - 55 la reacuteduction du nombre des types de mots au couple Verbe et Nom

(avec en annexe lrsquoadverbe autonome et les interjections) Sont inteacutegreacutes agrave cette opposition

drsquoune part laquo le pronom raquo (dit laquo fort raquo autonome tel que laquo Moi Ceux-ci raquo etc) et

laquo lrsquoadjectif raquo et drsquoautre part lrsquoarticle et les pronoms personnels dits laquo faibles raquo tels laquo je les

leur (donne) raquo Je propose le redeacutecoupage et la paraphrase suivants de la premiegravere phrase

545 laquo Une telle restauration agrave nouveaux frais de lrsquoantique laquo morphologie raquo deacutecoule de

notre conception du mot Peut-ecirctre srsquoeacutetonnera-t-on que [notre conception du paradigme]

semble exclure de son sein [crsquoest-agrave-dire de son inventaire des cateacutegories certains] types et

[certains] segravemes raquo

Deacuteveloppons Sont exclues certaines laquo parties du discours raquo reconnues par la tradition et

qui peuvent ecirctre reacuteparties en deux cas de figure Drsquoune part sont exclus certains laquo types raquo

comme le laquo pronom raquo (possessif ou deacutemonstratif entre autres) parce qursquoils sont des variantes

116 Une lecture de Jean Gagnepain

du type nominal Drsquoautre part sont aussi exclues certaines cateacutegories seacutemiques telles que

laquo lrsquoarticle raquo ou laquo le pronom personnel sujet (je tu ilhellip) raquo parce qursquoelles ne sont que des

laquo segravemes raquo des affixes appartenant respectivement au type nominal et au type verbal

Commenccedilons par le second cas De telles informations (je tu ilhellip) ne peuvent ecirctre dites de

faccedilon autonome En teacutemoigne lrsquoanecdote du confeacuterencier ameacutericain qui cherche dans

lrsquoauditoire un francophone laquo Qui parle franccedilais parmi vous raquohellip Une main se legraveve et lrsquoon

entend laquo Je raquo Ce preacutetendu francophone se discreacuteditait en ignorant la diffeacuterence entre laquo Je- raquo

preacutefixe verbal non autonome et laquo Moi raquo pronom autonome Par conseacutequent le statut de ces

enclitiques laquo ressortit manifestement agrave la constitution de lrsquouniteacute raquo En tant que classes ils

contribuent au paradigme au sein du nom (pour lrsquoarticle) ou du verbe (pour les affixes et

enclitiques personnels)

Le premier cas est illustreacute par celui du pronom au sens propre du terme le pro-nom Le

propos est deacuteveloppeacute dans la phrase suivante qursquoil convient aussi de redeacutecouper en deux

parties avant de les commenter

5514-9 laquo Loin de faire partie [de la liste des types] ces cas repreacutesententhellip la contrepartie

des sous-ensembles que grammaticalement ils annulent raquo Et laquo Cette proceacutedure grammaticale

drsquoannulation des sous-ensembles est largement meacuteconnue [Elle inteacuteresse drsquoune autre faccedilon la

syntaxe Tout cela] justifie un deacuteveloppement particulier raquo (ulteacuterieur)

Que peut signifier la premiegravere partie Les vrais pro-noms tels que laquo Eux celui-ci le sien raquo

relegravevent du paradigme de type nominal et preacutesentent la particulariteacute laquo drsquoannuler

grammaticalement raquo la position occupeacutee par le radical dans le segment nominal et donc

lrsquoensemble des choix que cette position permet Cela correspond agrave ce que la grammaire

geacuteneacuterative appelle les laquo SN sans nom raquo Ainsi le paradigme nominal permet la laquo transforma-

tion raquo de laquo ce tableau-ci raquo en laquo ce-lui-ci raquo ou reacuteciproquement Les enclitiques flexionnels du

verbe tels que laquo Il leur en donne raquo vont encore plus loin dans laquo lrsquoannulation raquo puisqursquoils

permettent de reprendre dans un seul mot laquo verbal raquo lrsquoinformation contenue dans des uniteacutes

nominales qursquoils dispensent de dire laquo Il srsquoagit de mon grand-pegravere Il srsquoagit de ses voisins Il

srsquoagit de cerises raquo On voit en quoi cela peut concerner la syntaxe qui opegravere dans la construc-

tion laquo Mon grand-pegravere donne des cerises agrave ses voisins raquo Jrsquoanticipe ici sur des deacuteveloppements

pages 61 ndash 65 sur le thegraveme de lrsquoeffacement grammatical

Dernier rappel du caractegravere exclusivement grammatical du fondement des relations de

similariteacute (paradigmes et correacutelations) 552 Il nrsquoest pas question drsquoaccepter une cateacutegorie

paradigmatique de laquo deacuteontique raquo Ce concept selon la boutade de JG nrsquoa aucun pouvoir

explicatif et ne deacutesigne qursquoun des sens possibles du verbe laquo devoir raquo

2- Concateacutenation et syntagme

Transition et Deacutefinition du propos

Transition La notion de projection est rappeleacutee agrave partir de la notion de similariteacute 553 JG

repart de cette notion qursquoil vient de deacutevelopper dans la section preacuteceacutedente Il rappelle qursquoil

srsquoagit drsquoun processus grammatical tel que lrsquoon prend comme point de deacutepart et de repegravere

constant laquo lrsquouniteacute raquo qui est le produit de lrsquoanalyse sur lrsquoaxe laquo geacuteneacuteratif raquo On prend donc

comme constante laquo un seul mot raquo ou laquo un seul phonegraveme raquo Ceci eacutetant on applique agrave cette

uniteacute la logique de lrsquoautre axe celle de la diffeacuterenciation Plus loin JG preacutesentera les relations

Structure et signification 117

de similariteacute comme laquo la variabiliteacute interne de lrsquoun raquo 564 laquo Uniteacute peux-tu te diffeacuterencier raquo

La reacuteponse est laquo Oui mais relativement raquo Phonegraveme p quels sont tes cousins t et k

assureacutement mais pas ɑ Agrave cette deacutefinition est associeacutee une autre proposition la projection

qui cateacutegorise et qui creacutee le paradigme laquo ne change rien au statut oppositionnel des traits ou

des segravemes raquo 553 Autrement dit un paradigme nrsquoest pas un laquo super segraveme raquo et une correacutelation

nrsquoest pas un laquo super trait raquo qui annuleraient des diffeacuterenciations Celles-ci persistent comme

le montre le fait que lrsquoon peut conjuguer et deacutecliner les diffeacuterences au sein de ce qui est laquo un raquo

paradigme Ce rappel deacutetailleacute eacutetait neacutecessaire pour faire apparaicirctre la stricte analogie de

lrsquoautre projection dont il va maintenant ecirctre question

Propos Le preacutesent alineacutea expose donc la laquo projection inverse raquo 553 Ce processus prend

cette fois comme repegravere constant laquo lrsquoidentiteacute raquo que controcircle lrsquoaxe laquo taxinomique raquo et

lrsquoapplique agrave lrsquoautre axe celui de la segmentation et de la deacutemultiplication Plus loin JG

preacutesentera les relations de compleacutementariteacute comme laquo la subdivisibiliteacute de lrsquoidentique raquo 564

Autrement dit on applique agrave lrsquoidentiteacute une logique quantitative laquo Identiteacute peux-tu te

deacutemultiplier raquo La reacuteponse est laquo Oui mais relativement dans les limites drsquoun syntagme raquo

Soit lrsquoexemple syntaxique suivant ougrave deux verbes sont en relation laquo Il suffira qursquoil

vienne raquo On remarque tout de suite que le premier verbe est agrave la forme laquo impersonnelle raquo de

sorte que laquo Ils suffiront qursquoils viennent Elle suffira qursquoelle vienne raquo ne sont pas possibles ici

alors que ces formes du 1er verbe sont possibles lorsqursquoil est seul Une laquo identiteacute raquo srsquoimpose

qui est due agrave la preacutesence du second verbe Or celui-ci est eacutegalement contraint drsquoecirctre au

subjonctif (laquo Il suffira qursquoil vient qursquoil viendra raquo) et cette restriction est bien causeacutee par la

preacutesence du premier verbe Crsquoest pourquoi JG parle de laquo mutuelle compleacutementariteacute raquo agrave pro-

pos de cette relation Dans cette perspective la laquo contrainte raquo en question interdit des

diffeacuterences donc laquo identifie raquo ce que lrsquoon multiplie Si le laquo il-V1 raquo est impersonnel srsquoil

appartient agrave une sous-classe de radicaux qui fonctionnent ainsi alors du mecircme coup laquo V2 raquo est

au subjonctif Reacuteciproquement si sur un bout de papier deacutechireacute je lis laquo (hellip) qursquoil vienne raquo et

que je me dis qursquoil manque un mot au deacutebut je sais que ce mot nrsquoest pas agrave une forme indiffeacute-

rente Tout nrsquoest plus possible en amont qursquoil srsquoagisse drsquoun nom laquo Le fait qursquoil vienne La

reacutealiteacute qursquoil vienne raquo ou drsquoun verbe comme ici laquo Il dormira qursquoil vienne raquo Jrsquoai choisi cet

exemple pour montrer qursquoil ne faut pas infeacuterer de la formule laquo subdivisibiliteacute de lrsquoidentique raquo

564 que la syntaxe se limite agrave la reacutepeacutetition du mecircme segraveme sur plusieurs mots telle qursquoon

lrsquoobserve dans un accord laquo Le cheval boit les chevaux boivent raquo Le terme laquo identique raquo

reacutesume un processus geacuteneacuteral drsquoidentification par restriction de diffeacuterences

Comme preacuteceacutedemment JG preacutecise que cette projection srsquoexerce laquo sans alteacuterer le carac-

tegravere exclusivement contrastif des phonegravemes ou des mots raquo 553 puisque ndash dit-il ndash laquo ils nrsquoen

deviennent pas pour cela plus obligatoires raquo Autrement dit lrsquoordination nrsquoannule pas la

segmentation Une concateacutenation de deux phonegravemes nrsquoest pas un laquo super phonegraveme raquo et un

syntagme nrsquoest pas un laquo super mot raquo Dans lrsquoexemple laquo Il suffira qursquoil vienne raquo il y a bien

encore deux verbes et non un seul La preuve en est qursquoil reste toujours possible de les

formuler dans deux eacutenonceacutes grammaticalement distincts quoique seacutemantiquement relieacutes laquo Il

vient Cela suffira raquo Ougrave lrsquoon voit que lrsquoon peut formuler les verbes laquo suffire raquo ou laquo venir raquo

indeacutependamment lrsquoun de lrsquoautre

118 Une lecture de Jean Gagnepain

21 Le syntagme

Lrsquoexpression laquo Lrsquoordre des mots [deacutefinit exactement ce qursquoest la syntaxe] raquo 554 est elle-

mecircme un jeu de mots en ce sens qursquoelle renvoie aux termes laquo ordination raquo et laquo ordonner (les

mots) raquo synonymes laquo drsquointeacutegration raquo et de laquo compleacutementariteacute raquo Celle-ci laquo introduit un rang

dans le texte raquo y creacutee laquo des sous-ensembles raquo que sont les syntagmes Par laquo ordre des mots raquo

il ne faut donc pas entendre laquo disposition des mots dans un certain ordre raquo mecircme si la

disposition peut ecirctre un marqueur syntaxique parmi drsquoautres

Distinguer la geacuteneacuterativiteacute (axe) et la syntaxe (projection)

laquo La geacuteneacuterativiteacute procegravede du mot [et non de la syntaxe] raquo 555 La proposition ici exposeacutee

est assez subtile et elle est deacuteveloppeacutee sur deux paragraphes Elle vise encore agrave distinguer

theacuteoriquement le principe premier qursquoest la biaxialiteacute ndash diffeacuterenciation et segmentation ndash et le

processus de projection drsquoun axe sur lrsquoautre lequel est bien eacutevidemment logiquement second

puisqursquoil preacutesuppose et deacutecoule de lrsquoexistence de deux axes Qursquoil soit clair pour autant que

pour JG biaxialiteacute et projection constituent en permanence la capaciteacute de grammaire sans

hieacuterarchie entre elles Cette thegravese vise aussi eacutepisteacutemologiquement agrave critiquer les theacuteories

dominantes qui reacuteduisent drsquoune part laquo la paradigmatique raquo au laquo classement raquo (c-agrave-d agrave la

diffeacuterenciation) et laquo la syntaxe raquo au laquo deacutenombrement des mots raquo (c-agrave-d au processus de

segmentation) Voyons chacun des deux aspects

Du point de vue glossologique le laquo classementhellip apparaicirct inheacuterent agrave notre conception du

segraveme raquo Le concept de laquo classement raquo est ici voisin de celui de laquo taxinomie raquo et de

laquo diffeacuterenciation raquo qui repreacutesente un laquo effort du locuteur raquo en ce que ce dernier doit constam-

ment maicirctriser lrsquoensemble des diffeacuterences Au contraire la constitution de relations

laquo paradigmatiques raquo laquo reacuteduit lrsquoeffort du locuteur raquo 5552-3 De fait cela signifie que degraves lors

que des choix sont faits dans le cadre drsquoun programme nominal (deacuteclinaison) ou dans celui

drsquoun programme verbal (conjugaison) le locuteur nrsquoa plus agrave laquo tout choisir raquo agrave tout moment Le

petit test didactique du papier deacutechireacute ou maculeacute le montre Si sur celui-ci nrsquoest lisible que

laquo viendr raquo la reconstitution du mot est relativement aiseacutee Et mecircme si lrsquoon ne deacutechiffre

que laquo je les lui raquo lrsquoeffort nrsquoest pas total puisqursquoon doit imaginer en finale un lexegraveme

transitif direct et indirect tel que laquo donne lit etc raquo ce qui exclut laquo dort reste vais etc raquo

Ce raisonnement est transposeacute sur lrsquoautre axe lrsquoaxe geacuteneacuteratif et la projection sur lui de

lrsquoaxe taxinomique (laquo De mecircme la geacuteneacuterativiteacutehellip raquo) Lrsquoallusion agrave Noam Chomsky est ici eacutevidente

Celui-ci assimile laquo geacuteneacuterativiteacute raquo et laquo syntaxe raquo et impute le constat de la laquo creacuteativiteacute raquo

(logique) du langage agrave la syntaxe Pour JG qui distingue le principe de segmentation (qursquoil

appelle aussi laquo geacuteneacuterativiteacute raquo) et le type de projection qursquoest la syntaxe (projection de lrsquoaxe

taxinomique sur lrsquoaxe geacuteneacuteratif) au contraire la syntaxe laquo restreinthellip la part de creacuteativiteacute raquo

puisque les laquo identifications raquo qursquoelle produit laquo hypothegravequent lrsquoavenir du message raquo 555 La

creacuteativiteacute du texte tient au fait que je puis me contenter de construire grammaticalement le

syntagme laquo La queue du chat raquo mais que je puis aussi continuer indeacutefiniment agrave laquo geacuteneacuterer raquo du

texte srsquoil srsquoagit en amont laquo de la couleur des poils du bout de la queuehellip raquo et en aval laquo hellipdu

chat de la cousine du voisin du boulanger raquo La creacuteativiteacute reacuteside ici seulement dans le

deacutenombrement des mots et non pas dans la construction syntaxique de la relation dite de

laquo compleacutement de nom raquo laquelle mrsquointerdit de commencer aucun des noms par autre chose

que le preacutefixe laquo de- raquo On peut ajouter agrave cela lrsquoargument de la saturation syntaxique si je

construis une relation sujet (laquo Le chat boit raquo) je sais que si jrsquoajoute des mots ils ne pourront

Structure et signification 119

plus ecirctre construits selon cette mecircme relation de subordination avec le mecircme verbe En

somme le texte laquo creacutee raquo tandis que la syntaxe reacuteduit la creacuteation en augmentant la preacutevisibi-

liteacute de chaque construction

En 561 JG conclut cette argumentation consideacuterant laquo contradictoire raquo drsquoassocier

laquo syntaxe raquo et laquo geacuteneacuterativiteacute raquo (Chomsky) pour la raison deacuteveloppeacutee anteacuterieurement laquo le

principe raquo de segmentation se trouve laquo abusivement deacuteplaceacute raquo vers la syntaxe qui nrsquoest pas un

laquo principe raquo (dans le mecircme sens que preacuteceacutedemment peut lrsquoecirctre un laquo axe raquo) La compleacutementa-

riteacute tout comme la similariteacute est une certaine conjonction des deux principes axiaux

Suit une critique corollaire de la laquo syntaxe raquo traditionnelle (laquo comme autrefois raquo) et

laquo distributionnaliste raquo du fait que pour eux laquo les relations srsquoidentifient (hellip) avec les construc-

tions des types concerneacutes raquo Conclusion laquo il nrsquoest jamais syntaxe que de mots raquo Deacuteveloppons

La tradition distingue entre drsquoune part la laquo phrase simple raquo faite drsquoune proposition centreacutee

sur un verbe et drsquoautre part la laquo phrase complexe raquo qui preacutesente plusieurs propositions

centreacutees exclusivement sur des verbes On voit bien que le critegravere est alors morphologique

puisqursquoil repose sur la preacutesence de verbes Dans le premier cas on eacutetudie la relation drsquoun

verbe avec ce qui nrsquoen est pas un ndash le laquo sujet du verbe raquo pour commencer puis ses

compleacutements Dans lrsquoautre cas on eacutetudie la relation entre plusieurs verbes On part toujours

drsquoune notion morphologique (nom verbe) et lrsquoon conccediloit ce qui est une relation comme un

laquo suppleacutement raquo deacutetermineacute par les caracteacuteristiques morphologiques de lrsquoeacuteleacutement dit

laquo principal raquo Cela conduit agrave seacuteparer radicalement la relation de laquo compleacutement drsquoobjet direct raquo

(verbo-nominale) dans laquo jrsquoattends sa venue raquo et la relation dite laquo compleacutetive raquo dans laquo Jrsquoattends

qursquoil vienne raquo alors qursquoil y a lagrave une relation syntaxique identique dans deux variantes

morphologiques contextuelles Il en va de mecircme de la relation sujet qui naguegravere agrave lrsquoeacutecole

relevait soit de lrsquoanalyse laquo grammaticale raquo si elle concernait un nom et un verbe laquo sa venue

me surprend raquo soit de lrsquoanalyse laquo logique raquo si elle concernait deux verbes laquo Qursquoil vienne me

surprend raquo ou laquo Qursquoil parle est peu probable raquo Par ailleurs la notion de sujet est radicalement

seacutepareacutee de celle de compleacutement au nom du principe seacutemantique aristoteacutelicien du rapport

laquo sujet-preacutedicat raquo Mecircme chose pour la notion laquo drsquoattribut raquo Or drsquoun point de vue strictement

syntaxique on a affaire dans tous ces cas agrave de la subordination Noter par ailleurs que la

grammaire geacuteneacuterative continue la tradition Bref cette tradition masque lrsquoanalyse des

relations syntaxiques drsquoune part derriegravere la seacutemantique de la preacutedication et des

laquo circonstances raquo drsquoautre part derriegravere la morphologie des types de mots et parfois derriegravere

les deux Crsquoest le cas du principe chomskyen qui conccediloit la phrase canonique (P) sur le mode

du preacutedicat aristoteacutelicien associant exclusivement deux notions en reacutealiteacute morphologiques le

(SN) et le (SV)

Deacutefinition de la syntaxe

Le passage 562-3 contient la deacutefinition du laquo syntagme raquo la plus explicite Un syntagme

integravegre les uniteacutes ndash il en faut au moins deux puisqursquoil srsquoagit drsquoune relation ndash laquo de mecircme rang raquo

autrement dit incluses dans un laquo parenthegravesage raquo selon le critegravere creacuteeacute par le processus de

projection de lrsquoautre axe agrave savoir laquo la simultaneacuteiteacute du choix de certains de leurs segravemes raquo

Prenons lrsquoexemple du syntagme laquo compleacutement drsquoobjet direct raquo (sans viser agrave une deacutefinition

complegravete de ce dernier) laquo Je regarde la mer raquo Constatons qursquoil y a ici deux laquo mots raquo (deux

segments) Il srsquoagit drsquoun verbe et drsquoun nom En tant que mots ils ne se reacuteduisent pas agrave la forme

dans laquelle ils apparaissent ici puisque celle-ci inclut les contraintes syntaxiques Virtuelle-

120 Une lecture de Jean Gagnepain

ment et seacutepareacutement le verbe et le nom pourraient ecirctre autres Rappelons aussi que lorsque

JG parle de laquo simultaneacuteiteacute du choix raquo pour simplifier sa formulation il inclut toute reacuteduction

par la relation syntaxique des oppositions possibles hors de cette relation Quelles sont ces

contraintes dans lrsquoexemple preacutesenteacute ici

Il srsquoagit drsquoun cocircteacute dans le verbe de lrsquoobligation de choisir un radical dit laquo transitif direct raquo

crsquoest-agrave-dire appartenant agrave un verbe qui contient dans son programme un infixe de type

laquo lelalesen raquo tel que laquo Je le vois Jrsquoen veux Je les attends raquo La preuve que la restriction

dans le verbe est bien due agrave la relation avec le nom qui le suit est apporteacutee par le fait qursquoil est

incoheacuterent de construire laquo Je marche la mer raquo

Il srsquoagit correacutelativement de lrsquoobligation de construire le nom laquo directement raquo sans

preacuteposition Certes laquo Je regarde vers la mer raquo est syntaxiquement coheacuterent mais ce nrsquoest plus

une relation qui restreint le verbe de la mecircme maniegravere (laquo Je marche vers la mer raquo devient

possible) ce qui prouve que lrsquoon a affaire agrave un autre type de syntagme

Lrsquoexplication oblige ici agrave exposer successivement lrsquoune et lrsquoautre contrainte mais il est clair

que celles-ci sont simultaneacutees parce que mutuellement neacutecessaires Lrsquoordre effectif dans le

temps du message ne compte pas Le syntagme pose dans un mecircme temps logique agrave la fois

lrsquoimpossibiliteacute de la preacuteposition nominale et lrsquoobligation de formuler un verbe transitif

compatible

Quelques aspects des contraintes syntaxiques

La fin du paragraphe ainsi que le paragraphe suivant deacutetaillent quelques aspects des

contraintes syntaxiques

laquo Lrsquoaccord raquo 562 nrsquoest que lrsquoune de ces restrictions Il porte par exemple sur le nombre

(laquo Le train arrivera les trains arriveront raquo) et peut se mateacuterialiser soit par une reacutepeacutetition (du

genre dans laquo les petites chiennes raquo) soit par une mise en facteur commun du segraveme concerneacute

laquo Dans la cuisine et __la chambre raquo ougrave le second constituant de la coordination est aussi

preacutepositionnel que le premier laquo dans- raquo valant pour lrsquoensemble Le terme de laquo une quelconque

concomitance raquo nrsquoa pour fonction dans ce passage que de geacuteneacuteraliser le propos

La formulation laquo [La syntaxe creacutee deshellip] rapports drsquouniteacute partielle raquo 5629 est une faciliteacute

de langage quelque peu eacutequivoque Souvenons-nous que la syntaxe srsquoexerce laquo sans alteacuterer le

caractegravere exclusivement contrastif (hellip) des mots raquo 553 qursquoelle ne reacuteduit pas le nombre des

mots du texte mais qursquoelle instaure une mise entre parenthegraveses drsquoun ensemble de mots sur le

critegravere drsquoune identification relative Le syntagme nrsquoest donc pas une laquo uniteacute supeacuterieure raquo

parce que le processus qui lrsquoinstaure nrsquoest pas de lrsquoordre de la segmentation mais de celui de

lrsquoidentification Ceci est clairement formuleacute dans cette nouvelle deacutefinition de la syntaxe en

563 laquo ce regravegne du mecircme sur plus drsquoun par ougrave lrsquoidentiteacute srsquoenrichit au-delagrave du choix qursquoelle

repreacutesente de la somme de ceux qursquoelle implique raquo Soit une phrase dite laquo agrave verbes-ponts raquo

dont sont friands les journalistes et les politiques laquo Voyez ce chocircmage dont on sait agrave quel

point la conjoncture eacuteconomique nous oblige agrave admettre qursquoil est difficile de le reacuteduirehellip raquo On

voit bien lagrave qursquoest formuleacutee dans le mecircme temps logique une laquo carte drsquoidentiteacute raquo en genre

(masculin) et nombre (singulier) entre le deacutebut et la fin du message une laquo boucle raquo qui atteste

drsquoune relation syntaxique deacutefinie Lrsquoidentification est source drsquoune reacuteduction du multiple en

creacuteant cette nouvelle deacutelimitation qursquoest celle de la relation syntaxique Lrsquoidentiteacute devient la

source drsquoun nouveau repeacuterage segmental Drsquoougrave la formulation deacutejagrave commenteacutee la syntaxe est

une projection de lrsquoaxe taxinomique sur lrsquoaxe geacuteneacuteratif

Structure et signification 121

Deux remarques me paraissent srsquoimposer au passage

- On mesure ici toute la diffeacuterence entre un modegravele biaxial et un modegravele laquo distributionna-

liste raquo ou laquo geacuteneacuteratif raquo qui nrsquoopegravere que par subdivisions ou embranchements ougrave des uniteacutes

supeacuterieures regroupent des uniteacutes infeacuterieures (Cf par exemple Les laquo boicirctes raquo gigognes de

Hockett ou les arbres chomskyens)

- Les termes laquo mecircme identiteacute choix raquo ne deacutesignent pas une opeacuteration mentale positive car

il srsquoagit toujours de faits structuraux Le fait syntaxique est purement neacutegatif et relatif Il

consiste agrave restreindre des possibles seacutemiques agrave exclure un ensemble de possibles lexicaux

permis par la taxinomie dans le cadre drsquoune relation entre plusieurs mots Il y a quantiteacute de

maniegraveres de reacutealiser ces restrictions Lrsquoaccord est lrsquoune drsquoentre elles Mais lrsquoaccord au pluriel

du nom et du verbe dans laquo les chevaux boivent raquo reacuteside dans lrsquoexclusion du singulier et non

pas dans laquo le choix du pluriel raquo pour chacun des termes puisque preacuteciseacutement il nrsquoy a plus de

choix Compte alors ce qui devient impossible compte cette reacuteduction du champ des

possibles et non ce que lrsquoon voit du message

JG examine ensuite les notions de laquo reacutegime raquo et de laquo co-reacutefeacuterence raquo 563 auxquelles on

peut associer en grammaire geacuteneacuterative celles de laquo government and binding raquo76 qui sont deux

aspects de la syntaxe compleacutementaires et souvent associeacutes Pour faire simple prenons

lrsquoexemple drsquoune proposition relative telle que laquo Lrsquohomme qui rit raquo Le fait que le verbe en

relation avec le nom soit conjonctif (le pronom relatif contient une conjonction) relegraveve du

laquo reacutegime raquo Le fait que le pronom laquo qui raquo renvoie agrave laquo lrsquohomme raquo relegraveve de la laquo coreacutefeacuterence raquo

JG admet que ces concepts ne laquo sont pas si loin de cerner ce regravegne du mecircme sur plus

drsquoun raquo Il eacutemet cependant les deux critiques suivantes

1 ndash La notion traditionnelle de laquo reacutegime raquo 563 est critiquable en ce qursquoelle suppose que la

relation syntaxique est une relation de laquo deacutependance raquo entre (classiquement) un eacuteleacutement

principal et un eacuteleacutement compleacutement Dans laquo la maison de mon voisin raquo il y a dit-on le nom et

le compleacutement du nom de mecircme que dans laquo Le facteur vient raquo le nom est laquo sujet du verbe raquo

Ce disant on ne deacutefinit jamais la relation syntaxique en tant que relation entre deux ou

plusieurs constituants Imaginons que lrsquoon relie les deux mots par laquo un fil raquo (la relation) La

grammaire traditionnelle ne deacutefinit jamais quel est ce fil en tant que tel mais qualifie

seulement de laquo compleacutement sujet attribut etc raquo lrsquoun des deux eacuteleacutements de la relation agrave un

bout du fil

Au contraire JG srsquointeacuteresse agrave la relation elle-mecircme Une relation syntaxique est une

relation drsquointerdeacutependance mutuelle entre les eacuteleacutements compleacutementaires qui constituent le

syntagme La preuve est dans la marque de cette relation Dans laquo La chambre du fils raquo on

observe que le nom initial est compleacutementaire du second au fait que la preacutesence du second

neacutecessite que ce soit un nom et pas un verbe ou un adverbe Tandis que lrsquoon observe que le

nom final est compleacutementaire du premier au fait qursquoil neacutecessite la preacuteposition laquo de raquo De

mecircme pourrait-on dire que le verbe est aussi compleacutementaire du nom anteacuteceacutedent dans laquo le

facteur arrive raquo en testant qursquoil doit ecirctre formuleacute sans preacutefixe personnel et qursquoil est accordeacute en

personne et en nombre (laquo Il arrive le facteur raquo est une autre construction dite laquo deacutetacheacutee raquo

et laquo Le facteur viennent raquo est exclu) Crsquoest pourquoi pour en revenir au laquo fil raquo de tout agrave

lrsquoheure il importe de deacutenommer la relation elle-mecircme ndash le fil ndash et non de qualifier lrsquoun

seulement des termes ndash ce qui est un bout du fil Il importe de parler par exemple de

76 Traduction commune gouvernement et liage analogue ici de reacutegime et coreacutefeacuterence

122 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo relation sujet raquo entre le verbe et le nom dans laquo Pierre arrive raquo ou entre un verbe et un autre

dans laquo Qursquoil vienne mrsquoindiffegravere raquo et de parler de laquo syntagme impersonnel raquo pour laquo Il existe des

exceptions raquo ou laquo Il arrive qursquoil se trompe raquo

2 ndash La notion de laquo co-reacutefeacuterence raquo est critiqueacutee en 563 parce qursquoelle est appliqueacutee

indiffeacuteremment agrave des cas ougrave la relation est grammaticale et agrave drsquoautres ougrave elle est seacutemantique

Mettons en contraste les deux phrases suivantes (1) Lorsque les frites sont chaudes on nous

les apporte (2) Lorsque sont chaudes les frites que lrsquoon nous apportehellip Dans les deux cas on

pense que lrsquoon apporte des frites Il y a laquo coreacutefeacuterence raquo entre laquo frites raquo et laquo apporter raquo par

lrsquointermeacutediaire de laquo les raquo dans un cas et du relatif laquo que raquo dans lrsquoautre Cependant il y a une

diffeacuterence En (2) la contrainte est grammaticale parce que la construction en laquo que-V transitif

direct raquo est obligatoire Impossible de remplacer laquo on apporte raquo par laquo on vient raquo ni de

remplacer laquo que raquo par laquo qui raquo laquo Que- raquo ne peut renvoyer qursquoagrave laquo les frites raquo son anteacuteceacutedent En

revanche en (1) la contrainte nrsquoest qursquoapparente et deacutepend uniquement du raisonnement

seacutemantique que lrsquoon tient en situation Imaginons que lrsquoon ait parleacute drsquoassiettes dans la phrase

preacuteceacutedente Rien nrsquoempecircche plus de comprendre (1) comme laquo lorsque les frites sont

chaudes on nous apporte les assiettes raquo Et rien nrsquoempecircche de dire laquo Quand les frites sont

chaudes on vient raquo ni laquo hellip on lrsquoapporte raquo en reacutefeacuterence au sel qui va avec Il est donc preacutefeacute-

rable drsquoappeler distinctement la laquo co-reacutefeacuterence raquo seacutemantique et laquo lrsquoanaphore raquo grammaticale

Lrsquoexemple proposeacute par JG (le juge oublie le pegravere) est drsquoun autre niveau 563 Il renvoie agrave

Tite-Live Histoire romaine livre II 4-5 Brutus connu de tous aujourdrsquohui comme lrsquoassassin de

son pegravere adoptif Jules Ceacutesar srsquoest refait une vertu comme Consul de Rome Il condamne agrave

mort ses deux fils Titus et Tibeacuterius qursquoil soupccedilonne de participer agrave une conjuration contre le

consulat au profit des Tarquins Juge de ses propres fils Brutus choisit lrsquointeacuterecirct supeacuterieur de

Rome LrsquoHistoire permet de comprendre que laquo le pegravere raquo et laquo le juge raquo deacutesignent la mecircme

personne Rien de grammatical nrsquoy oblige Il y a coreacutefeacuterence (agrave Brutus) mais il nrsquoy a pas

drsquoanaphore

Coordination et subordination

Lrsquoauteur entend soutenir lrsquoanalogie suivante la coordination est agrave la deacuterivation ce que la

subordination est agrave la flexion 564 Lrsquoideacutee est que le processus geacuteneacuteral de projection drsquoun axe

sur lrsquoautre doit produire les mecircmes effets quelle que soit lrsquoorientation de la projection On

doit retrouver dans la syntaxe laquo subdivisibiliteacute de lrsquoidentique raquo ce que lrsquoon a observeacute dans le

paradigme laquo variabiliteacute interne de lrsquoun raquo Examinons les arguments avanceacutes

La coordination et la deacuterivation sont lrsquoune et lrsquoautre laquo seacuterielles raquo et laquo reacuteversibles le plus

souvent raquo 565 Elles laquo nrsquoinstaurent aucune hieacuterarchie raquo entre les mots laquo apparenteacutes raquo

(paradigme) ou laquo groupeacutes raquo (syntagme) Reprenons lrsquoexemple de la deacuterivation laquo Nous vivons

la vie vital deacutevitaliser vitaliteacute vitalisme deacutevitalisation ils revivent raquo Dans la perspective

proposeacutee il nrsquoy a pas lieu drsquointroduire un ordre hieacuterarchique entre ces mots On peut les

preacutesenter dans un autre ordre (reacuteversibiliteacute) et le nombre des deacuteriveacutes deacutepend du choix du

segraveme identique ndash ici un radical sous trois allomorphes -vi- -viv -vit- En cela un tel

paradigme est une seacuterie et non un systegraveme casuel preacutedeacutetermineacute par le type de mot comme

crsquoest le cas pour le nombre ou le temps dans la flexion

De mecircme observe-t-on qursquoun syntagme de coordination tel que laquo le chat la belette et le

petit lapin raquo est reacuteversible puisqursquoon peut en permuter les constituants et dire laquo Le petit lapin

le chat et la belette raquo Il est aussi seacuteriel en ce que la regravegle syntaxique ne preacutevoit pas le nombre

Structure et signification 123

de ses constituants puisqursquoon peut y ajouter ou en retrancher autant de noms que lrsquoon

souhaite au-delagrave de deux Le laquo et raquo final nrsquoest pas obligatoire et peut signaler seacutemantique-

ment la fin de la seacuterie choisie par le locuteur La coordination est laquo non conclusive raquo Enfin la

coordination nrsquoest pas laquo hieacuterarchique raquo parce que les contraintes qui la fondent sont similaires

sur chacun des constituants qui apportent leur eacutegale contribution au syntagme

Il en va tout autrement de la subordination 571 ougrave le syntagme est appeleacute laquo schegraveme raquo

ainsi que de la flexion eacutetudieacutee preacuteceacutedemment et qui se deacuteploie dans la limite de laquo types raquo (cf

565) Une telle relation est laquo conclusive raquo parce qursquoelle repose sur un jeu de contraintes

mutuelles reacuteciproques et distinctes entre les termes qui la constituent Les exemples qui

suivent le montreront

Ici existe une laquo hieacuterarchie raquo entre les mots de la relation laquo soit apparenteacutes raquo (flexion) laquo soit

groupeacutes raquo (subordination) 565 Le terme de laquo hieacuterarchie raquo est immeacutediatement redeacutefini

tellement il incite agrave revenir agrave la syntaxe de laquo deacutependance raquo entre un supeacuterieur principal

subordonnant et un infeacuterieur compleacutement subordonneacute ce que JG appelle

laquo lrsquoassujettissement orienteacute des membres du syntagme raquo Le laquo schegraveme raquo en effet est la

relation elle-mecircme deacutefinie par la contribution reacuteciproque de ses constituants appeleacutes

laquo facteurs raquo de la relation 5724 (Le terme fait penser agrave la laquo mise en facteur commun raquo de

lrsquoalgegravebre) La hieacuterarchie alors est entre le syntagme de subordination lui-mecircme et les mots du

texte

La relation syntaxique par subordination est appeleacutee laquo thegraveme raquo 571 tout comme la relation

paradigmatique par flexion est appeleacutee laquo lexegraveme raquo Ce laquo thegraveme raquo creacutee une mise entre paren-

thegraveses de facteurs frappeacutes de restrictions compleacutementaires et dissemblables celles qui

affectent lrsquoun eacutetant distinctes de celles qui affectent lrsquoautre Ces facteurs sont appeleacutes

laquo parenthegravemes raquo et correspondent aux laquo morphegravemes raquo dans le paradigme Il faut accepter que

cette terminologie soit la conclusion de deacutefinitions qursquoelle ne fait que fixer et mettre de cocircteacute

tout sens donneacute agrave ces termes dans les diverses linguistiques usuelles La diffeacuterence

conceptuelle entre laquo schegraveme raquo et laquo thegraveme raquo est assez subtile comme lrsquoeacutetait celle entre

laquo flexion raquo et laquo lexegraveme raquo puisque toutes deacutesignent la relation qui deacutecoule de la projection des

axes Il semble que laquo schegraveme raquo soit strictement synonyme de subordination tandis que

laquo thegraveme raquo inclut lrsquoexistence des laquo parenthegravemes raquo (ou facteurs) qursquoil identifie De mecircme que le

rapport laquo lexegraveme ndash morphegravemes raquo deacutefinit la flexion le rapport laquo thegraveme ndash parenthegravemes raquo deacutefinit

le schegraveme

Cette relation confegravere agrave la parenthegravese elle-mecircme le laquo thegraveme raquo un laquo rang raquo supeacuterieur dans

le texte agrave chacun des mots qui composent segmentalement ce texte La hieacuterarchie qui

caracteacuterise la subordination deacutesigne alors laquo la commune alleacutegeance raquo des parenthegravemes au

thegraveme laquo dont ils sont ensemble le deacuteveloppement raquo

Le syntagme comme relation reacuteciproque

Lrsquoessentiel est de comprendre qursquoest proposeacute un nouvel objet qui est la relation laquo les

relations non les facteurs sont en cause raquo 572 Il nrsquoy a plus place ici pour laquo le compleacutement de

nom lrsquoattribut du sujet la proposition subordonneacutee ou relative raquo sinon agrave titre de transaction

entre savoirs comme le laquo chlore raquo (khlocircros vert-jaune) deacutesigne aujourdrsquohui lrsquoatome ndeg17

laquo Cl raquo

Il srsquoensuit qursquoil ne faut pas deacutefinir un lien de subordination par la preacutesence laquo mateacuterielle raquo

drsquoune laquo conjonction raquo ou drsquoune laquo preacuteposition raquo dans lrsquoun des laquo facteurs raquo de la relation 572

124 Une lecture de Jean Gagnepain

Lrsquoallusion au breton fait reacutefeacuterence agrave la relation de compleacutement du nom mais lrsquoideacutee avanceacutee

dans le texte drsquoune laquo inversion raquo du lieu de la contrainte nrsquoest agrave mon avis qursquoune illusion due

agrave la projection du franccedilais77 Lagrave ougrave le franccedilais dit laquo La maison du boucher raquo ougrave le grammairien

voit la marque du statut de laquo compleacutement raquo dans la preacutesence de la preacuteposition laquo de raquo devant

le second nom le breton agrave partir des noms laquo an ti raquo (la maison) et laquo ar crsquohiger raquo (le boucher)

formera la relation laquo _Ti ar crsquohiger raquo (la maison du boucher la boucherie) Par projection du

franccedilais on peut croire que le premier nom est contraint puisqursquoil doit perdre son article et

que le second nrsquoest pas contraint puisqursquoil le conserve Or ce premier nom est consideacutereacute par la

tradition comme laquo principal raquo De lagrave vient lrsquoideacutee drsquoune laquo inversion raquo paradoxale telle que crsquoest

lrsquoeacuteleacutement subordonnant qui subirait une contrainte et lui seul Ceci est inexact parce que

lrsquoexamen de la relation montre que les deux noms sont contraints reacuteciproquement et

diffeacuteremment Degraves lors que le premier nom doit ecirctre sans article le second doit ecirctre sans

preacuteposition laquo ti evit ar crsquohiger raquo (maison pour le boucher) est agrammatical Degraves lors que le

second nom est poseacute laquo directement raquo le premier perd tout preacutefixe Il ne perd pas pour autant

sa deacutetermination puisqursquoil reste un nom deacutefini La preuve Il peut construire encore un autre

syntagme avec le verbe laquo emantilde raquo (ecirctre quelque part) lequel exige de son partenaire qursquoil soit

deacutefini laquo Emantilde ti ar crsquohiger dirazout raquo (la boucherie se trouve devant toi) Cette derniegravere

exigence est elle-mecircme prouveacutee par le test suivant Le syntagme nominal laquo Ur prenestr eus an

ti raquo (Une fenecirctre de la maison) ougrave le premier nom est indeacutefini ne peut pas ecirctre construit avec

laquo Emantilde raquo laquo Emantilde ur prenestr eus an ti (war an talbenn) raquo laquo Une fenecirctre de la maison donne

(sur la faccedilade) raquo Une autre construction est requise laquo Ur prenestr eus an ti a zo war an

talbenn raquo78

Tout ceci est transposable agrave laquo lrsquoeacutetat construit raquo des langues seacutemitiques classiques Soit

lrsquoheacutebreu (registre soutenu) Ha-bayt (la) maison Ha-sefer (le) livre gt _Bet ha-sefer laquo la maison

du livre = lrsquoeacutecole raquo Idem en arabe classique _Bayt al fellah laquo la maison du paysan raquo Dans

tous les cas laquo les deux se trouvent affecteacutes raquo 572 comme il se doit si la relation est deacutefinie

comme laquo ce regravegne du mecircme sur plus drsquoun raquo 563 Cet exemple de compleacutementariteacute entre noms

illustre tregraves clairement les proprieacuteteacutes de la subordination la relation y est laquo conclusive raquo

puisqursquoelle ne peut concerner que deux mots Elle est irreacuteversible puisque la disposition des

deux facteurs est fixeacutee Les contraintes y sont laquo reacuteciproques raquo puisque les contraintes sur un

mot sont correacutelatives des contraintes sur lrsquoautre Et il est essentiel drsquoajouter que les

contraintes sont laquo dissemblables raquo en ce sens qursquoelles affectent des points distincts de chaque

facteur du mecircme syntagme Le contraste est clair avec la coordination qui est non conclusive

reacuteversible et marqueacute par des contraintes similaires

laquo La domination y reacutesulte au contraire de la reacutesorption toujours possible du syntagme en

une sorte de mot des mots qui reacutesume en lui pour ainsi dire la totaliteacute de sa preacutesence au

texte raquo 5727-10 Cette proposition est suivie de lrsquoeacutevocation du laquo privilegravege raquo accordeacute

traditionnellement au verbe

Sachant que laquo reacutesorber raquo signifie laquo faire disparaicirctre par reacuteduction du nombre raquo la formule

laquo la reacutesorption du syntagme raquo preacutesente une difficulteacute de compreacutehension analogue agrave la

fameuse laquo peur de lrsquoennemi raquo On ne parle pas ici de reacutesorber le syntagme en autre chose

77 Cf Jean-Yves Urien 1992 laquo Le deacutemonstratif dans la syntaxe du nom raquo in Klask ndeg2 Rennes Les PUR p105-129

78 Ceci montre au passage que ce nrsquoest pas le sens de laquo emantilde raquo laquo se trouver quelque part raquo qui deacutefinit grammaticalement ce verbe ce sont ses proprieacuteteacutes formelles telles que cette contrainte de deacutefinition Cf Jean-Yves Urien La trame drsquoune langue p 105-108

Structure et signification 125

Crsquoest le syntagme qui laquo reacutesorbe raquo en lui la multipliciteacute des mots qursquoil solidarise La syntaxe

provoque un changement de compte puisque les mots tout en restant des uniteacutes laquo ne

comptent plus raquo au regard de la deacutelimitation syntaxique dite laquo thegraveme raquo instaureacutee par la

projection de lrsquoidentiteacute qui en reacuteunit les laquo facteurs raquo deacutenommeacutes laquo parenthegravemes raquo Autrement

dit le thegraveme laquo domine raquo ses parenthegravemes Crsquoest en ce sens que le syntagme laquo reacutesume raquo

grammaticalement une seacutequence de mots et qursquoil opegravere une laquo contraction de texte raquo 573 agrave

ne pas confondre avec une contraction ou un reacutesumeacute seacutemantique drsquoeacutenonceacute

laquo Le sens seul non la grammaire exige que ‟servus domini laboratrdquo [Lrsquoesclave du maicirctre

travaille] se ramegravene agrave ‟servusrdquo plutocirct qursquoagrave ‟dominus laboratrdquo [Le maicirctre travaille] raquo 574 Voici

deux lectures de ce passage elliptique

Seacutemantiquement laquo servus raquo agrave lui seul peut reacutesumer le propos tenu si le locuteur entend

preacuteciser qui travaille et que le reste reprend une information deacutejagrave dite Mais ce nrsquoest pas une

exigence puisque toujours seacutemantiquement on peut aussi ramener lrsquoinformation au seul fait

qursquoil travaille Hors situation et contexte crsquoest indeacutecidable Quoi qursquoil en soit il ne srsquoagit pas lagrave

drsquoune analyse syntaxique Certes on peut aussi syntaxiquement produire laquo dominus laborat raquo

mais il faut pour cela constituer un autre laquo thegraveme raquo (syntagme) agrave partir de deux de ces mots

en respectant la contrainte qui exige du nom drsquoecirctre au cas nominatif et non plus au cas geacutenitif

comme dans le laquo thegraveme raquo (syntagme) laquo servus domini raquo [Lrsquoesclave du maicirctre]

Autre lecture (personnelle) syntaxique JG se trompe car il est incontestable que la

grammaire exige que laquo servus domini laborat raquo se simplifie syntaxiquement en laquo servus

laborat raquo et en laquo servus domini raquo et non pas en laquo dominus laborat raquo Quant au sens il

laquo nrsquoexige raquo rien puisqursquoil deacutepend de la laquo congruence raquo rechercheacutee par le locuteur en fonction

de la situation

Les deux exemples qui suivent laquo Le cheval blanc raquo et laquo Il faut qursquoil vienne raquo 574 illustrent agrave

la fois la notion de reacuteciprociteacute des contraintes et agrave la preacuteeacuteminence de la syntaxe sur le sens

Dans le premier cas la tradition dit que lrsquoadjectif eacutepithegravete srsquoaccorde en genre et nombre avec

le nom On doit ajouter au nom du principe de reacuteciprociteacute que laquo blanc raquo (parce qursquoil exclut

laquo blanche raquo) demande que lrsquoautre mot soit un nom masculin Il y a bien contrainte des deux

cocircteacutes Dans le second cas au fait que le verbe laquo il faut raquo demande un partenaire au subjonctif

correspond le fait que le subjonctif implique que le verbe anteacuteceacutedent sera lui aussi contraint

laquo Il fauthellip raquo mais pas laquo Il saithellip raquo ni laquo Il dorthellip raquo Paraphrase du texte laquo Refuser drsquoinverser la

proposition serait reconnaicirctre que le sens preacutecegravede la relation alors que le sens deacutecoule de la

relation (formelle et reacuteciproque) raquo

La tradition veut que laquo le cheval raquo dans le cas de laquo le cheval blanc raquo et laquo il faut raquo dans celui

de laquo Il faut qursquoil vienne raquo soient les eacuteleacutements laquo principaux raquo auxquels srsquoajoutent des compleacute-

ments (adjectif compleacutetive) qui peuvent ecirctre supprimeacutes La raison invoqueacutee est que crsquoest

lrsquoeacuteleacutement dit laquo principal raquo qui laquo requiert le moins de transformation raquo 574 JG objecte en

substance que ce nrsquoest pas une question de plus ou de moins et que chaque parenthegraveme

contribue agrave sa maniegravere agrave construire le thegraveme Suit une conseacutequence seacutemantique Le syntagme

laquo le cheval blanc raquo peut seacutemantiquement en situation ou contexte se reacutesumer aussi bien par

le nom laquo le blanc raquo que par le nom laquo le cheval raquo et laquo Il faut qursquoil vienne raquo se reacutesumer aussi bien

par laquo il viendra raquo que par laquo Il le faut raquo Il est possible de reacutesumer laquo Pierre regarde la teacuteleacute raquo par

laquo Pierre raquo si crsquoest lrsquoinformation attendue lui et pas un autre On ne peut donc srsquoappuyer pour

deacutefinir ce qursquoest la relation syntaxique sur lrsquoideacutee qursquoest principal ce qui reacutesume le mieux le

126 Une lecture de Jean Gagnepain

propos Le faire est tenir un raisonnement circulaire on a postuleacute a priori que la construction

syntaxique coiumlncidait avec le raisonnement seacutemantique

JG en 575 alerte sur une laquo meacuteprise raquo concernant la notion de laquo reacutegime raquo ou celle

eacutequivalente de laquo porteacutee drsquoun choix raquo parce que laquo hellip la restriction qui srsquoensuit passe agrave tort pour

une neutralisation raquo

Rappelons au preacutealable que le terme laquo reacutegime raquo deacutesigne le plus souvent dans une langue agrave

deacuteclinaison les cas autres que le nominatif En ancien franccedilais le cas laquo reacutegime raquo srsquooppose au

cas laquo sujet raquo Plus geacuteneacuteralement il deacutesigne le nom avec preacuteposition dit aussi laquo indirect raquo

Ce terme de laquo neutralisation raquo mis en cause ici vient de la phonologie (cf 374-5) et

deacutesigne une reacuteduction drsquooppositions phonologiques dans un contexte deacutefini (En allemand

lrsquoopposition des consonnes t d disparaicirct en finale de mot au profit du t) JG semble en

faire un fait de correacutelation phonologique ce qui correspond en seacutemiologie au paradigme et

non agrave la syntaxe

Voyons ougrave serait la laquo meacuteprise raquo

laquo Le terme [reacutegime] ne gagne rien agrave sortir des frontiegraveres de la morphologie raquo 575 Le

systegraveme casuel preacutepositionnel ou conjonctif est drsquoabord agrave comprendre dans le cadre du mot

dans une systeacutematique drsquooppositions telles que laquo direct ndash indirect raquo

(Ne pas croire que) laquo crsquoest par eux-mecircmes raquo que les cas reacutegime marquent une relation

syntaxique 581 Lrsquoauteur critique ici la tendance agrave positiver une contrainte syntaxique Le

subjonctif nrsquoest pas en lui-mecircme preuve drsquoune subordination en deacutepit de lrsquoeacutetymologie du

terme laquo subjungere raquo attacher dessous subordonner Outre que crsquoest lrsquoensemble des

contraintes mutuelles qui deacutefinissent une relation syntaxique donneacutee il faut garder agrave lrsquoideacutee

qursquoune contrainte est une restriction on lrsquoeacuteprouve agrave lrsquoimpossibiliteacute de varier ce qui pourrait

lrsquoecirctre hors syntaxe Ce nrsquoest pas la preacutesence du subjonctif en soi qui compte mais

lrsquoimpossibiliteacute drsquoun autre mode Idem pour le cas geacutenitif en latin laquo Servus domini raquo (Lrsquoesclave

du maicirctre) preacutesente une relation syntaxique de laquo compleacutement de nom raquo du fait de lrsquoimpossi-

biliteacute de dire laquo Servus dominum raquo (accusatif) tandis que laquo Servus domino raquo (esclave pour un

maicirctre) ou laquo Servus dominus raquo (nominatif)79 seraient des syntagmes autres Ce nrsquoest donc pas

la preacutesence en soi du geacutenitif qui creacutee la relation syntaxique De mecircme la marque de relation

syntaxique de laquo sujet raquo en franccedilais contient outre lrsquoaccord en personne et nombre

lrsquoexclusion pour le nom du cas preacutepositionnel laquo La porte srsquoouvre raquo exclut laquo SurDe la porte

srsquoouvre raquo Remarquer au passage que la relation de sujet est ici consideacutereacutee comme une

laquo relation de compleacutement raquo entre un verbe et un autre mot

Un changement est possible laquo au prix drsquoune anacoluthe raquo 581 Ce terme deacutesigne une

rupture de construction dans la phrase Observons lrsquoopposition entre la relation sujet laquo Pierre

attendra raquo et le deacutetachement laquo Pierre il attendra raquo Cette derniegravere phrase rompt la relation

sujet laquelle interdit une forme nominale en laquo Quant agrave N raquo laquo Quant agrave Pierre attendra raquo

alors que la construction deacutetacheacutee rend sa liberteacute au nom et permet la variation laquo Pierre il

attendra Quant agrave Pierre il attendra raquo

laquo De vertes ideacutees dorment furieusement raquo 582 JG comme Noam Chomsky (1957

Structures syntaxiques eacuted fr p17) auquel il emprunte cet exemple considegravere qursquoun eacutenonceacute

seacutemantiquement peu probable peut cependant ecirctre grammatical Lucien Tesniegravere (Eacuteleacutements

79 laquo Lrsquoesclave maicirctre raquo Cf lrsquoopeacutera La serva padrona de Pergolegravese pour le sens

Structure et signification 127

de syntaxe structurale eacuted posthume 1959 p41) avait aussi poseacute cette diffeacuterence en propo-

sant la phrase laquo Le silence verteacutebral indispose la voile licite raquo La diffeacuterence avec eux est que

pour JG tout eacutenonceacute grammaticalement structureacute est susceptible de provoquer un raisonne-

ment qui le rend laquo compreacutehensible raquo quitte agrave imaginer le monde qui va avec Des concours ont

drsquoailleurs eacuteteacute lanceacutes aux USA pour eacutelire la paraphrase la plus vraisemblable de lrsquoeacutenonceacute de

Chomsky et une compilation des reacutesultats est accessible sur la Toile

Les exemples de jeux de mots qui suivent montrent que diverses constructions syntaxiques

peuvent preacutesenter des cas drsquohomophonie et qursquoil ne faut pas mettre au compte de la syntaxe

ce qui est une relation seacutemantique Soit laquo La maicirctresse drsquoeacutecole enrhumeacutee raquo Rien dans la

deacutefinition de la relation laquo drsquoeacutepithegravese raquo ne permet ici de savoir lequel des deux noms est en

relation avec lrsquoadjectif final Deux analyses syntaxiques sont possibles Il faut srsquoen tenir lagrave du

point de vue de la grammaire Ceci eacutetant seacutemantiquement on peut concevoir qursquoune eacutecole ndash

crsquoest-agrave-dire lrsquoensemble de ses eacutelegraveves ndash soit enrhumeacutee de mecircme que laquo lrsquoeacutecole raquo peut aller agrave la

piscine tous les mardis (Cas de meacutetonymie en rheacutetorique classique) Lrsquoexemple laquo Flying

plane raquo (laquo Niveau de vol raquo ou laquo avion en vol raquo et pourquoi pas laquo rabot volant raquo laquo platane

volant raquo) joue sur lrsquohomophonie du nom laquo plane raquo

laquo Lrsquoamour de sa femme raquo (ou laquo la peur des ennemis raquo laquo un meurtre drsquoenfant raquo etc) est

mis en contraste avec laquo le livre de Jean raquo (etc) 582 Pour JG la structure syntaxique est la

mecircme dans tous ces exemples et elle est indiffeacuterente aux varieacuteteacutes drsquoinfeacuterence seacutemantique

lieacutees aux termes en preacutesence (Cf Reneacute Jongen Quand Dire Crsquoest Dire p133-134)

Syntagme et contextes syntaxiques un exemple en grec classique

Agrave travers les exemples pris au grec classique preacutesenteacutes en 583 JG montre qursquoune relation

de subordination relegraveve drsquoun modegravele abstrait et peut se preacutesenter dans des contextes

morphologiques diffeacuterents Il faut donc abstraire la laquo formule raquo syntaxique des diffeacuterences

entre les types qursquoelle integravegre nominal ou verbal

La comparaison est ici eacutetablie entre une premiegravere seacuterie de trois exemples (a b c) que lrsquoon

deacutefinit classiquement comme des laquo syntagmes verbaux raquo parce qursquoils contiennent un verbe et

un compleacutement et une seconde seacuterie eacutegalement de trois exemples (arsquo brsquo crsquo) de laquo syntagme

nominaux raquo parce qursquoils relient un nom et un adjectif Le but est de montrer lrsquoidentiteacute

syntaxique de chacun des trois syntagmes drsquoune seacuterie avec chacun des trois syntagmes de

lrsquoautre seacuterie (Soit a = arsquo b = brsquo c = crsquo) Autrement dit in fine un syntagme identique peut se

preacutesenter sous deux variantes (SV = V + N) et (SN = N + Adj)80

La premiegravere seacuterie relie un verbe laquo arkhō raquo (commander) et un nom laquo ē khora raquo (le pays)

Les deux premiers exemples sont citeacutes drsquoapregraves le contexte suivant laquo Le Satrape organisehellip raquo

Ils peuvent ecirctre traduits respectivement par laquo le pays qursquoil commande raquo (relative dite

laquo deacuteterminative raquo) et laquo le pays qursquoil commande raquo (relative dite laquo explicative raquo) Le troisiegraveme

exemple peut ecirctre dit seul et signifie laquo Il gouverne le pays raquo

a - Le premier syntagme est laquo hēs arkhei khōrās raquo [Conj relative geacuten feacutem sg + Verbe 3egrave p

preacutesent + Nom geacuten feacutem sg] Mot agrave mot laquo auquel + il commande + pays raquo Soit laquo Le Satrape

organise le pays qursquoil commande raquo

80 Pour faciliter la lecture je deacuterogerai aux neacuteologismes proposeacutes (en thegraveme et parenthegravemes) et utiliserai la terminologie classique

128 Une lecture de Jean Gagnepain

On y observe que la deacutetermination nominale (geacutenitif + feacuteminin) se trouve agrave la fois dans le

laquo relatif raquo initial et dans le nom final associeacute tandis que le verbe est enclaveacute entre les deux

Seacutemantiquement parlant ce premier exemple est une relative dite laquo deacuteterminative raquo crsquoest-agrave-

dire laquo appellative raquo parmi les pays on seacutelectionne celui qui a eacuteteacute conquis par le Satrape agrave

lrsquoexclusion des autres Le raisonnement consiste agrave choisir une appellation On peut dire aussi

que le verbe est ici laquo eacutepithegravete raquo comme dans la paraphrase laquo les pays conquis raquo

b - Le second syntagme est laquo tēn khōrān hēs arkhei raquo [Deacuteterminant acc sg + Nom acc sg +

Conj relative geacuten feacutem sg + Verbe 3egrave p preacutesent] Mot agrave mot laquo le pays auquel il commande raquo

Il preacutesente lrsquoordre Nom anteacuteceacutedent + verbe final Le sens est ici laquo (Le Satrape organise) le

pays dont il est le chef raquo

Ce second exemple pose le concept de laquo pays raquo deacutefini et dit de celui-ci qursquoil a eacuteteacute conquis

crsquoest une relative dite laquo explicative raquo qui propose une expansion seacutemantique Mais lrsquoensemble

est lui-mecircme mis en perspective par la relation de laquo compleacutement drsquoobjet raquo que le nom

constitue avec le verbe du contexte anteacuterieur laquo (Le Satrape) ndash Il organise raquo comme le marque

le cas accusatif du nom

On pourrait mettre en contraste la diffeacuterence seacutemantique entre ces deux constructions par

les paraphrases suivantes laquo parmi tous les pays celui qursquoil commande raquo et laquo Ce pays qursquoil

commande raquo

c - Le troisiegraveme syntagme peut ecirctre dit seul contrairement aux deux autres laquo tēs khōrās

arkhei raquo [Deacuteterminant geacuten Sg + Nom geacuten Sg + Verbe 3egrave p preacutesent] Mot agrave mot laquo Au pays il

commande raquo Crsquoest une relation verbe + compleacutement et la disposition inverse est possible

laquo arkhei tēs khōrās raquo Seacutemantiquement le verbe est preacutedicatif

La seconde seacuterie est parallegravele

a - Le premier syntagme laquo o spoudaios mathētēs raquo (mot agrave mot) laquo le ndash attentif ndash eacutelegraveve raquo (au

cas nominatif ici) se comprend seacutemantiquement comme une eacutepithegravese laquo deacuteterminative raquo

laquo appellative raquo parmi les eacutelegraveves il srsquoagit de celui qui est studieux Lrsquoadjectif laquo deacuteterminatif raquo

est inclus entre le deacuteterminant et le nom comme le verbe lrsquoeacutetait entre la deacutetermination (du

relatif) et le nom dans la premiegravere seacuterie

b - Le second syntagme laquo o mathētēs o spoudaios raquo (mot agrave mot) laquo lrsquoeacutelegraveve + lrsquoattentif raquo

reacutepegravete (accorde) le deacuteterminant dans les deux mots Il se comprend seacutemantiquement comme

une eacutepithegravese laquo explicative raquo il srsquoagit encore drsquoune eacutepithegravese mais on dit de lrsquoeacutelegraveve qursquoil est

attentif ndash et non distrait laquo Lrsquoeacutelegraveve studieux raquo Lrsquoanalogie est claire avec la premiegravere seacuterie

Ces deux syntagmes pourraient srsquoarticuler avec un verbe dans une relation de sujet par

exemple (ougrave le cas nominatif serait en accord avec un verbe) laquo o spoudaios mathētēs o

mathētēs o spoudaios hellipanamenei raquo laquo lrsquoeacutelegraveve attentif lrsquoeacutelegraveve attentif hellippatiente raquo

c - Le troisiegraveme syntagme laquo o mathētēs spoudaios raquo au contraire de deux premiers nrsquoest

plus une eacutepithegravese mais une attribution crsquoest-agrave-dire une preacutedication phrastique On a affaire agrave

une laquo phrase nominale raquo laquo Lrsquoeacutelegraveve est studieux raquo Lrsquoabsence de deacutetermination du second mot

et la disposition (N + Adj) marquent la relation attributive sans que le verbe laquo ecirctre raquo soit

neacutecessaire encore qursquoil soit bien eacutevidemment possible laquo o mathētēs esti spoudaios raquo

Comparer cela avec la disposition respective en franccedilais de laquo Ce deacutelicieux gacircteau deacutelicieux

ce gacircteau raquo

Structure et signification 129

NB Les Seacuteminaires du 13 et du 20 feacutevrier 1975 ont servi de terrain drsquoessai aux propositions

de ce passage et je mrsquoen suis inspireacute pour ces deacuteveloppements

Conclusion laquo Le cateacutegorique raquo (le type des mots concerneacutes) laquo nrsquoest nullement en

questionhellip mais seulement lrsquoordinal raquo (la relation syntaxique) 584 Du point de vue

seacutemantique on observe aussi qursquoun verbe peut ecirctre eacutepithegravete et non preacutedicatif et qursquoun nom

peut ecirctre preacutedicatif (laquo attribut raquo) et non eacutepithegravete Par conseacutequent il faut revoir la terminologie

traditionnelle qui reacuteserve agrave lrsquoadjectif ou au nom les termes laquo eacutepithegravete attribut raquo et reacuteserve au

verbe le terme laquo preacutedicatif raquo

laquo Le cateacutegorique nrsquoest nullement en question ni les modaliteacutes drsquoinclusion mais seulement

lrsquoordinal et les degreacutes drsquointeacutegration raquo 584 La preacutecision suggeacutereacutee et ici souligneacutee (laquo modaliteacutes raquo

et laquo degreacutes raquo) ainsi que les exemples proposeacutes eacutenoncent que certains syntagmes

inteacutegreraient plus de contraintes que drsquoautres Le raisonnement est analogique Il y a plus de

similariteacute formelle ndash plus drsquoinclusion au sein du paradigme ndash entre les verbes laquo je viens raquo et

laquo tu viens raquo qursquoentre laquo je viens raquo et laquo puisqursquoils ne sont pas venus raquo De mecircme il y a un

moindre degreacute drsquointeacutegration syntaxique entre les verbes dans laquo il va et vient raquo que dans laquo il va

venir raquo parce que ce dernier exemple met en facteur commun lrsquoensemble des affixes

Lrsquoinfinitif y est la marque non drsquoune absence drsquoinformation de temps et de personne mais la

marque du partage de lrsquoensemble des informations entre les deux verbes

Syntaxe et types morphologiques

La structure syntaxique drsquoune phrase nrsquoa laquo rien drsquoun classement et tout drsquoune stratifica-

tion raquo 591 Paraphrase de la notion de laquo rang raquo

laquo On a cru pouvoir brader [les types] raquo Prenons le cas de la grammaire geacuteneacuterative (vulgari-

seacutee) qui deacutecregravete que la phrase canonique relie un syntagme nominal (SN) et un syntagme

verbal (SV) Outre que cela conduit agrave consideacuterer que dans laquo Je parle raquo le preacutefixe verbal laquo je- raquo

serait un syntagme nominal cela conduit aussi agrave consideacuterer que dans la phrase laquo Qursquoil vienne

me deacuterange raquo le verbe anteacuteceacutedent est aussi syntaxiquement parlant un syntagme nominal du

seul fait qursquoil constitue aussi une relation sujet (On se tire drsquoaffaire ensuite avec la notion de

laquo transformation raquo) Le modegravele glossologique distingue ici la laquo formule raquo syntaxique agrave savoir la

relation sujet et la variation de marque de cette relation sujet en ce que laquo le rang se deacutenote

en chaque mot selon son type raquo Morphologiquement le laquo Que- raquo marque le deacutebut du verbe

et laquo Qursquoil vienne raquo reste un verbe Syntaxiquement le mecircme laquo Que- raquo marque lrsquointeacutegration du

verbe initial dans une relation qui demande la forme subjonctive tandis que le verbe final perd

tout preacutefixe personnel et est accordeacute agrave la 3e personne du singulier

Les meacutetaphores laquo Passer de la substance raquo (le statut morphologique) laquo au processus raquo

(syntaxique) et laquo Passer de la matiegravere agrave lrsquoeacutenergie raquo renvoient agrave lrsquoideacutee critique deacuteveloppeacutee par

la grammaire geacuteneacuterative selon laquelle la tradition morphologique serait laquo fixiste raquo comme

toute laquo taxonomie raquo et devrait laisser la place agrave une grammaire geacuteneacuterative laquo dynamique raquo

laquo Ecirctre raquo drsquoun cocircteacute laquo geacuteneacuterer raquo de lrsquoautre

laquo Le mecircme tao comporte deux principes raquo Analogie assez relacirccheacutee entre drsquoune part laquo le Yin

et le Yang raquo et de lrsquoautre les relations paradigmatiques et les relations syntaxiques

laquo Nul de lrsquoindeacutependance ne saurait conclure agrave son greacute agrave la contradiction raquo Dans le modegravele

glossologique les deux projectiviteacutes agrave la source des paradigmes et des syntagmes sont

distinctes La grammaire geacuteneacuterative (vulgariseacutee par Nicolas Ruwet par exemple) semble

130 Une lecture de Jean Gagnepain

consideacuterer que la laquo grammaire taxinomique raquo de la tradition (et de la concurrence) est deacutefiniti-

vement laquo deacutepasseacutee raquo et rendue caduque par la nouvelle laquo grammaire geacuteneacuterative raquo

laquo Aussi bien cette conception procegravede-t-elle dun reacutealisme qui reacutepugne agrave la fois agrave penser quil

y ait lieu de parler deacuteleacutements sinon comme anteacuterieurs agrave lopeacuteration qui les joint et que tout en

matiegravere danalyse soit envisageable de deux faccedilons ou si lon veut serve concurremment agrave

deux fins raquo 592

Soit La conception laquo reacutealiste raquo (positiviste) de la grammaire (qursquoa la grammaire geacuteneacuterative)

laquo reacutepugne agrave penser quehellip raquo et srsquooppose agrave la glossologie qui laquo accepte de penser quehellip raquo La

suite deacuteveloppe deux points drsquoopposition

- La glossologie accepte de laquo parler drsquoeacuteleacutements raquo en matiegravere de relation au sein du

paradigme comme au sein du syntagme Qursquoest-ce que cela veut dire Il y a ici un jeu sur le

terme drsquoeacuteleacutement JG distingue lrsquoeacuteleacutement fondamental lrsquoidentiteacute et lrsquouniteacute et ce qui constitue

une relation dans un paradigme ou un syntagme Il reacutefegravere ainsi aux laquo morphegravemes raquo qui sont

laquo joints raquo selon la similariteacute dans laquo lrsquoopeacuteration raquo qursquoest le paradigme Et il reacutefegravere aux

laquo parenthegravemes raquo les laquo facteurs raquo qui sont laquo joints raquo selon la compleacutementariteacute dans

laquo lrsquoopeacuteration raquo qursquoest le syntagme

- La glossologie accepte aussi laquo que tout en matiegravere danalyse soit envisageable de deux

faccedilons ou si lon veut serve concurremment agrave deux fins raquo Selon le processus en cause

paradigmatique ou syntaxique ce qui apparaicirct comme la mecircme chose au reacutealiste a un statut

distinct La terminologie traditionnelle des cas laquo reacutealiste raquo est donc ambivalente Ce qursquoon

appelle uniformeacutement laquo geacutenitif raquo doit ecirctre deacutefini distinctement soit comme marque drsquoune

relation paradigmatique (le laquo partitif raquo par rapport agrave une deacutetermination nominale autre) soit

comme marque drsquoune inteacutegration syntaxique dans la relation de compleacutement de nom ou de

compleacutement de verbe transitif

laquo Plus drsquoun srsquoest cru autoriseacute agrave condamner la redondance dont teacutemoigne lrsquoaccord raquo 592 En

theacuteorie de lrsquoinformation selon le modegravele probabiliste de Claude Shannon et Warren Weaver

(1949) la redondance est lieacutee agrave lrsquoentropie drsquoun systegraveme crsquoest-agrave-dire agrave ce qui dans le systegraveme

ne produit pas drsquoinformation Ideacutealement et en particulier pour un ingeacutenieur des

teacuteleacutecommunications il apparaicirct laquo eacuteconomique raquo (y compris en dollars) de ne pas transmettre

la redondance En revanche drsquoun point de vue toujours technique et eacuteconomique la

redondance contribue agrave la fiabiliteacute drsquoun systegraveme srsquoil est deacutegradeacute par des laquo bruits raquo Je nrsquoai pas

retrouveacute les laquo plus drsquoun raquo qui auraient appliqueacute agrave la grammaire une telle laquo condamnation raquo

Jean Dubois lie grammaire et theacuteorie de lrsquoinformation dans Grammaire structurale du franccedilais

Nom et Pronom (1965) et deacuteveloppe agrave plusieurs reprises le thegraveme de la laquo redondance raquo mais

crsquoest pour en souligner lrsquoimportance (p 50) laquo Si la redondance a pour fonction essentielle

drsquoassurer lrsquoinformation elle a aussi pour fonction secondaire drsquoaffirmer la coheacutesion des

diverses parties ou constituants de lrsquoeacutenonceacute crsquoest-agrave-dire de renforcer la jonction du syntagme

nominal et du syntagme verbal dont la concateacutenation est la condition premiegravere de lrsquoexistence

formelle de lrsquoeacutenonceacute raquo

La thegravese de JG est plus preacutecise Pour lui la syntaxe est un processus de redondance en ce

qursquoil reprend une mecircme information sur plusieurs mots Cependant il srsquoagit drsquoune redondance

laquo abstraite raquo et non mateacuterielle parce qursquoune relation syntaxique laquo exprime raquo cette laquo reacutepeacutetition

du mecircme sur plusieurs raquo selon deux variantes de la marque Comparons par exemple le

franccedilais qui marque la relation drsquoeacutepithegravese par lrsquoeffacement de lrsquoarticle du second constituant

laquo la belle musique raquo et lrsquoheacutebreu (ou lrsquoarabe) qui reacutepegravete lrsquoarticle laquo ha-musiqa ha-jafa raquo De

Structure et signification 131

mecircme comparons au franccedilais cet eacutenonceacute Bassaaacute (langue Bantou du Cameroun) ougrave chaque

eacuteleacutement reacutepegravete son classificateur laquo Quatre nouveaux soldats srsquoen vont chantant raquo laquo bi-

sonda bi-mondo bi-na bi-nke bi-nlongue raquo81

Syntaxe et effacement

Le propos de 593 ndash 601 illustre la deacutefinition de la syntaxe rappeleacutee dans le paragraphe

preacuteceacutedent par un domaine particulier de relation syntaxique celui de laquo lrsquoanaphore raquo en tant

que mise en facteur commun du mecircme segraveme sur plusieurs mots ou laquo factorisation raquo Ce

concept est ensuite relieacute agrave celui plus geacuteneacuteral laquo drsquoeffacement raquo grammatical qui sera le thegraveme

principal du chapitre suivant JG anticipe ce nouveau thegraveme pour mieux lrsquoarticuler au propos

syntaxique preacutesent

La grammaire en elle-mecircme en tant que moment dialectique de neacutegativiteacute produit agrave la

fois de lrsquoabsence de deacutefinition et de lrsquoabsence drsquoassertion eacutetant entendu que laquo deacutefinition raquo et

laquo assertion raquo renvoient au raisonnement rheacutetorique moment dialectique de positivation du

dire et cela sur chacun des axes La grammaire au contraire tend agrave laquo nier raquo Singuliegraverement la

laquo redondance raquo formelle en syntaxe le montre bien au lieu de produire une forme inteacutegrale-

ment nouvelle chaque fois que lrsquoon ajoute un mot pour apporter un maximum drsquoinformation

comme le ferait un informaticien le locuteur grammairien laquo srsquoempecircche raquo drsquoapporter de

lrsquoinformation en redisant la mecircme forme Voilagrave bien un mode de laquo contra-diction raquo dialectique

un pocircle de laquo non-sens raquo

Ce thegraveme est agrave venir Pour lrsquoheure la neacutegativiteacute grammaticale est dite laquo eacuteconomiser raquo de

lrsquoinformation JG en propose divers exemples

Dans le cas de la relation syntaxique ndash projection du mecircme sur du plusieurs ndash lrsquoeffacement

(ou factorisation) marque selon les syntagmes soit laquo le manque de deacutefinition raquo soit laquo le

manque drsquoassertion raquo selon lrsquoaxe envisageacute 5937-8

Comme exemple de laquo manque drsquoassertion raquo on peut extraire du texte laquo la conjonctive raquo

qui en formulant un seul syntagme laquo Il faut venir raquo fait lrsquoeacuteconomie de deux assertions

formuleacutees dans une suite de deux verbes laquoVenez Il le faut thinspraquo La diffeacuterence est la mecircme pour

la relative laquo explicative raquo crsquoest-agrave-dire laquo preacutedicative raquo parce qursquoelle met en arriegravere-plan de la

preacutedication phrastique une assertion et non plus une deacutetermination laquo Il prit le pain qursquoil

rompit raquo plutocirct que laquo Il prit le pain Il le rompit raquo

Comme exemple de laquo manque de deacutefinition raquo on peut extraire du texte la relation

laquo drsquoadjectivation raquo qui met en facteur commun la deacutetermination nominale laquo Sur le petit raquo est

grammatical et rheacutetoriquement adeacutequat si je sais deacutejagrave agrave quoi je me reacutefegravere Dans le syntagme

laquo Sur le petit meuble raquo preacuteposition et deacuteterminant sont partageacutes entre les deux

laquo parenthegravemes raquo de ce schegraveme De sorte qursquoil est impossible de savoir dans laquo le pauvre

malade raquo lequel est adjectif de lrsquoautre sinon par le raisonnement seacutemantique

laquo [Faire apparaicirctre] lrsquoauthentique [identiteacute de] statut structural raquo entre relatives et

conjonctives 59313 Le paralleacutelisme proposeacute est entre ces deux constructions qui preacutesentent

toutes les deux un laquo manque drsquoassertion raquo du fait de la subordination laquo Il prit le pain qursquoil

rompit raquo et laquo cucurrit ut ceciderit raquo (Il courut si bien qursquoil est tombeacute)

81 Dans Ireacuteneacutee-Gilles Nyemb Analyse syntaxique du Bassaaacute Meacutemoire de maicirctrise de Sciences du langage (non publieacute)

132 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo Lrsquoellipse des constituants ‟personnelsrdquo de notre verbe [est] la seule leacutegitimiteacute grammati-

cale de la transitiviteacute raquo 593-601 Lrsquoideacutee est deacutejagrave dans la notion laquo drsquoactance raquo chez Lucien

Tesniegravere Les relations syntaxiques de type laquo anaphorique raquo sont marqueacutees par deux

contraintes conjointes Lrsquoune est lieacutee agrave lrsquoappartenance du radical du verbe agrave tel ou tel sous-

groupe Lrsquoautre agrave la preacutesence drsquoun second mot reacutegi et parfois accordeacute Prenons lrsquoexemple du

franccedilais

ndash La plupart des verbes preacutesentent une opposition de personne de type laquo jetuil) raquo

effaceacutee dans une relation transitive dite laquo sujet raquo Mais ce nrsquoest pas le cas de laquo Il pleut raquo ougrave

laquo il raquo est invariable

ndash Un sous-ensemble de verbes preacutesente une opposition de personne de type

laquo leluilesse raquo effaceacutee dans une relation transitive dite laquo objet direct raquo laquo Il le faut raquo peut se

deacutevelopper dans le syntagme laquo Il faut qursquoils viennent raquo et laquo Il les attend raquo en laquo Il attend ses

enfants raquo Mais ce nrsquoest plus vrai de laquo il dort raquo

ndash Idem pour la relation dite laquo drsquoobjet indirect raquo qui integravegre un verbe qui admet en outre

une opposition de personnes de type laquo luileur raquo telle que laquo Il les lui donne raquo Dans laquo Il les

donne agrave ses voisins raquo lrsquoeffacement du morphegraveme laquo lui raquo dans le verbe srsquoaccompagne de

lrsquoobligation de la preacuteposition dans le nom

Dans tous ces cas on observe une laquo ellipse raquo drsquoinformations deacutesormais valables pour

lrsquoensemble du syntagme laquo Un cas limite la forme de composition raquo 601 Exemple laquo un navire

eacutecole raquo masculin alors que laquo une eacutecole raquo est feacuteminin

Il existe aussi des cas ougrave laquo certaines variations cateacutegoriellement sont appeleacutees ordinale-

ment sont exclues raquo Deux domaines drsquoobservation sont eacutevoqueacutes Jrsquoy ajoute des exemples

- Lrsquoaccord laquo avec le plus rapprocheacute raquo en latin 601 Soit cette phrase de Jules Ceacutesar dans La

guerre des Gaules I 26 laquo Orgetorigis filia atque unus e filiis captus est (La fille dOrgeacutetorix et

un de ses fils y tombegraverent en notre pouvoir) raquo Le verbe est au singulier et son participe est au

masculin singulier en accord avec le seul terme laquo unus raquo et non avec les deux noms coordon-

neacutes laquo filia atque unus raquo

- La relation de sujet en breton 601 Agrave la 3e personne le pluriel du verbe comporte un

suffixe laquo Ne gouskont ket raquo (ilselles ne dorment pas) Le singulier du verbe preacutesente un

suffixe zeacutero laquo Ne gousk_ ket raquo (Ilelle ne dort pas) La relation de sujet entre un nom et un

verbe affirmatif montre lrsquoabsence de suffixe dans tous les cas laquo Ar vugale a gousk_ kalz Ar

bugel-mantilde a gousk_ kalz raquo (Les enfants dorment beaucoup Cet enfant dort beaucoup) De lagrave

la tradition conclut agrave la regravegle le verbe est toujours laquo au singulier raquo Noter cependant qursquoen

latin il srsquoagit drsquoune possibiliteacute alors qursquoen breton il srsquoagit drsquoune contrainte syntaxique stricte La

thegravese soutenue vaut donc avant tout pour le cas breton Le pluriel est laquo cateacutegoriellement

appeleacute raquo lorsque le verbe est seul du point de vue de son paradigme puisque le pluriel peut

toujours ecirctre choisi Il est laquo appeleacute raquo lorsque le contexte invite agrave ce choix laquo Sell ta ouzh ar

vugale Kousket a reont mat raquo laquo Regarde donc les enfants Ils dorment bien raquo (le verbe breton

affirmatif est auxilieacute lorsqursquoil est initial) La tradition a le tort drsquoen rester lagrave et de ne pas

comprendre que lrsquoabsence a une autre signification en matiegravere de syntaxe Le nombre est

laquo ordinalement exclu raquo par la relation syntaxique laquo Kousket a ra_ kalz ar vugale ar bugel raquo

(Les enfants dorment beaucoup Lrsquoenfant dort beaucoup) Lrsquoabsence de suffixe nrsquoest ni un

pluriel ni un singulier mais un effacement qui identifie le verbe et le nom du contexte

Structure et signification 133

laquo Y lire lindice de luniteacute supeacuterieure dun thegraveme dont nous avons dit quil fixait pour la tota-

liteacute du schegraveme le rang occupeacute dans le texte raquo 601 Le verbe efface le suffixe de personne

comme marque de lrsquoexistence de la relation sujet le laquo thegraveme raquo qui est ce qui vaut pour

lrsquoensemble du syntagme Ce nrsquoest plus une information propre agrave chaque mot du texte La

formulation laquo uniteacute supeacuterieure raquo appelle une remarque analogue agrave celle de laquo uniteacute partielle raquo

en 562 puisque la syntaxe laquo nrsquoaltegravere pas le caractegravere exclusivement contrastif (hellip) des mots raquo

553 Le terme laquo uniteacute supeacuterieure raquo est ici synonyme de laquo relation raquo relation qui seule alors

laquo compte raquo Le laquo rang raquo ne se rapporte qursquoagrave des relations et non agrave des eacuteleacutements

22 - La concateacutenation

Jean Gagnepain change de laquo face du signe raquo et passe agrave la phonologie Quelle est laquo la

syntaxe raquo des phonegravemes

Il lrsquoappelle laquo concateacutenation raquo 602 et recense les observations qui en phonologie structu-

rale ou en phoneacutetique plus traditionnelle peuvent offrir des pistes agrave lrsquoobservateur Je ne

retiendrai ici qursquoun cas celui de la notion laquo drsquoassimilation raquo en rappelant la deacutefinition

classique telle qursquoelle est exposeacutee notamment dans lrsquoarticle laquo Assimilation (phoneacutetique) raquo de

Wikipeacutedia Sous ce terme sont deacutecrits le plus souvent des pheacutenomegravenes phoneacutetiques lieacutes par

exemple agrave des diffeacuterences de deacutebit de la voix Le passage de laquo je ne sais pas raquo agrave laquo chais pas raquo

celui pour laquo lave-toi raquo de lavtwa agrave laftwa Ce nrsquoest pas de cela que parle JG sous le

concept de concateacutenation mais bien plutocirct de faits phonologiques obligatoires tels que au

sein du mecircme mot lrsquoimpossibiliteacute drsquoenchaicircner une consonne sonore et une sourde ou

lrsquoinverse (z+p z+t z+k ou bien k+z g+s On aura seulement drsquoune part disponible

et malgreacute lrsquoorthographe apsorbe (absorber) et syptil (subtil) La lettre laquo x raquo note soit ks

dans vɛkse (vexer) soit laquogz dans ɛɡzamɛ (examen) JG signale immeacutediatement la diffi-

culteacute agrave interpreacuteter ce genre drsquoobservations pour diverses raisons

Il faut drsquoabord bien distinguer entre un fait de phonologie laquo les lois du signifiant raquo 603 et

un fait de laquo morphonologie raquo terme qui deacutesigne la maniegravere dont la marque exploite les

phonegravemes pour laquo deacutenoter raquo les eacuteleacutements et les relations seacutemiologiques Prenons pour exemple

la mutation consonantique en breton qui est un cas de sandhi82 Soit un radical qui commence

par k tel laquo ki raquo (chien) Observons que derriegravere lrsquoarticle laquo ar raquo (le) la consonne doit ecirctre x

laquo Ar crsquohi raquo Srsquoil srsquoagissait drsquoun fait de concateacutenation phonologique il devrait ecirctre impossible de

trouver en breton une seacutequence R+k ce qui est deacutementi par les mots laquo ur park ur merk

arkaiumlk raquo (un champ une marque archaiumlque) En fait la restriction nrsquoapparaicirct qursquoau contact du

deacuteterminant et du radical et marque seacutemiologiquement leur solidariteacute dans le mot Il ne srsquoagit

donc pas lagrave drsquoun fait de concateacutenation phonologique mais drsquoun fait de seacutemiologie Ceci peut

ecirctre eacutetendu agrave lrsquoensemble des faits de mutation en breton qui ont un rocircle de marque lexicale

textuelle morphologique ou syntaxique

Autre distinction il faut laisser de cocircteacute les laquo restrictions idiomatiques aleacuteatoires raquo 603

telles que laquo Je ne sais pas je sais pas jrsquosais pas chais pas raquo pour ne garder que les laquo exclusions

grammaticalement exigeacutees raquo Toutefois celle qui est proposeacutee en fin de paragraphe continue

de poser ce mecircme problegraveme dire que le phonegraveme R agrave lrsquoinitiale drsquoun mot ne peut pas ecirctre

82 On appelle laquo sandhi raquo lrsquoensemble des alternances de traits agrave lrsquoinitiale ou agrave la finale drsquoun mot dues au contexte Le terme est emprunteacute agrave la tradition indienne La laquo liaison raquo en franccedilais est un laquo sandhi raquo de la consonne finale du mot laquo six raquo sis sis acircnes sizɑn six livres si_livr Les laquo mutations raquo dans les langues celtiques sont des laquo sandhi raquo de la consonne initiale du mot

134 Une lecture de Jean Gagnepain

suivi drsquoun phonegraveme de mecircme ou de moindre aperture (agrave savoir en gros une autre consonne)

demande que lrsquoon preacutecise que laquo agrave lrsquoinitiale raquo signifie soit laquo apregraves silence raquo (le plus souvent en

deacutebut de phrase) soit laquo agrave lrsquointeacuterieur drsquoun radical raquo Il faut en effet tenir compte de seacutequences

telles que laquo au rrsquotour en rrsquotard au rrsquovoir etc raquo ougrave la solidariteacute entre preacuteposition et radical

permet cette laquo fusion raquo Peut-on dire laquo Rrsquoviens Rrsquodis-moi ccedila raquo Quoi qursquoil en soit aucun

radical du franccedilais ne permet cette seacutequence contrairement au tchegraveque ougrave le r peut ecirctre

suivi drsquoune consonne comme lrsquoatteste la ville de Brno

Ce paragraphe 603 inclut l7 un deacutebat sur le concept de neutralisation (Cf 374-5 et

575) JG y voit un processus laquo paradigmatique raquo phonologique crsquoest-agrave-dire un fait de

correacutelation Or la tradition linguistique deacutefinit constamment la neutralisation comme une

reacuteduction drsquooppositions phonologiques due agrave la preacutesence drsquoun autre phonegraveme dans le

contexte Ceci correspond donc plutocirct agrave la deacutefinition de la concateacutenation Par exemple dans

un contexte (C)VC (syllabe dite fermeacutee) lrsquoopposition e ɛ chez les francophones qui la

pratiquent nrsquoest plus possible Face aux paires minimales laquo et est neacute naicirct raquo ou laquo theacute taie raquo

on ne peut dire laquo egravere aise nerf nef neige terre tecircte tel raquo qursquoavec le ɛ ouvert La

seacutequence (C) e C est exclue Autrement dit la preacutevisibiliteacute de la voyelle est augmenteacutee du

fait de la consonne suivante laquo creacuteant par lagrave une redondance raquo 603 Il est donc leacutegitime

drsquoavancer lrsquohypothegravese que les faits de neutralisation soient des faits de concateacutenation

Un laquo cluster raquo 603 est une seacutequence de plusieurs consonnes au sein du mecircme mot comme

dans stRikt ou wɛstfRɑs (Ouest-France) Crsquoest le lieu de restrictions importantes

notamment sur le trait de sonoriteacute

Appendice au propos de 604 La phonologie geacuteneacuterative ne peut eacuteviter ni laquo la premiegravere des

confusions raquo agrave savoir la diffeacuterence entre une concateacutenation phonologique (la neutralisation

dans la terminologie praguoise) et un fait de laquo morphologie raquo (cf la mutation consonantique

en breton) ni la seconde confusion entre fait phonologique et fait phoneacutetique

En conclusion 605 et 611 rappel est fait de la contradiction entre grammaire et

rheacutetorique entre laquo signification raquo et laquo contenu raquo entre laquo signifieacute raquo et laquo sens raquo et de la

preacutevalence de la premiegravere laquelle laquo fonde raquo la seconde Dans une phrase latine 611 telle que

laquo Dicunt Catullum Claudiam amare raquo mot agrave mot laquo Ils disent Catulle Claudia aimer raquo que lrsquoon

peut traduire soit par laquo Ils disent que Claudia aime Catulle raquo soit par laquo Ils disent que Catulle

aime Claudia raquo les deux noms doivent ecirctre agrave lrsquoaccusatif lrsquoun en raison de sa relation de sujet

avec un infinitif lui-mecircme en relation de compleacutement avec le verbe anteacuteceacutedent lrsquoautre en

raison de sa relation de compleacutement avec lrsquoinfinitif La construction est donc

grammaticalement ambivalente Mais crsquoest une donneacutee premiegravere du fait que tout

raisonnement est neacutecessairement formuleacute

3- Reacutefeacuterence et Incidence

Cette partie conclusive du chapitre consacreacute agrave la similariteacute et agrave la compleacutementariteacute ne

modifie pas lrsquoarchitecture du modegravele du paradigme et du syntagme laquelle est fondeacutee sur la

projectiviteacute des deux axes drsquoanalyse Elle propose une approche compleacutementaire de ces

processus en se centrant sur la notion de dialectique entre grammaire et rheacutetorique apregraves

avoir privileacutegieacute preacuteceacutedemment une approche analytique

Structure et signification 135

Preacutesentation du thegraveme Effacement eacutevidement et ellipse

Il est indispensable de relier la fin de la partie preacuteceacutedente et le deacutebut de celle-ci

laquo Or la signification est nous lavons dit fonction non du contenu dans lequel elle sinvestit

mais de notre aptitude agrave le nier et le signifieacute toujours inversement proportionnel au sens [hellip]

Il est indeacuteniable en effet que la grammaire culmine dans la signification du zeacutero et que

toute langue en mecircme temps quelle nous permet agrave la fois de dire ce que cest et de dire que

cest nous offre avec la possibiliteacute de gommer ses oppositions et ses contrastes le moyen de

ne nommer rien ni personne et deacutenoncer sans asseacuterer Cest ce que nous appelons leffacement

du segraveme ou du mot (hellip) raquo 611-2

Si ce rappel de la neacutegativiteacute du grammatical en tant que pocircle dialectique complegravete un

exposeacute sur la morphologie et la syntaxe crsquoest pour une raison profonde Il srsquoagit selon moi

drsquoeacuteviter que lrsquoexposeacute de la grammaticaliteacute en termes analytiques drsquoeacuteleacutements et de relations ne

conduise agrave une laquo hypostase raquo de la structure agrave un formalisme Il lui importe donc de parler

aussi de la structure selon lrsquoapproche dialectique drsquoeacuteprouver que la grammaire est un

processus de neacutegation formelle du contenu (laquo notre aptitude agrave la nier raquo)

Drsquoougrave le titre Reacutefeacuterence et incidence 612 Les deux termes sont ainsi deacutefinis laquo La reacutefeacuterence

et lrsquoincidence sont les deux relations antagonistes du signe soit agrave la structure qui le fonde soit

agrave la conjoncture dans laquelle il se reacuteinvestit raquo Seacuteminaire du 8 janvier 1976 (Et plus loin 633)

Il srsquoensuit une difficulteacute de lecture chaque fois que le raisonnement grammatical srsquoappuie sur

lrsquoobservation drsquoune reacutepercussion seacutemantique

Il srsquoagit pour JG drsquoobserver comment tant la cateacutegorisation paradigmatique que

lrsquoordination syntaxique procegravedent par laquo effacement raquo La grammaire se donne ainsi les moyens

drsquoeffacer les eacuteleacutements qursquoelle creacutee et drsquoaugmenter laquo lrsquoimproprieacuteteacute raquo le vide de contenu srsquoil

lrsquoon se place du point de vue de la reacutefeacuterence La fin du texte donne un indice compleacutementaire

de compreacutehension en 652 laquo Le signe du zeacutero peut par autoformulation se faire ainsi signe de

signe raquo [parce que] laquo la neacuteguentropie est sa loi raquo La neacutegativiteacute grammaticale peut donc

srsquoobserver dans laquo lrsquoeffacement du segraveme raquo lorsqursquoelle laquo gomme ses oppositions raquo sur lrsquoaxe

taxinomique ou dans laquo lrsquoeffacement du mot raquo lorsqursquoelle laquo gomme ses contrastes raquo sur lrsquoaxe

geacuteneacuteratif On laquo dit raquo alors du laquo zeacutero raquo de lrsquoabsence JG parlera aussi laquo drsquoeacutevidement raquo ou

laquo drsquoindeacutefinition raquo 641 dans le premier cas et laquo drsquoellipse raquo ou laquo drsquoincompleacutetude raquo dans le

second 624

Qursquoobserve-t-on agrave lrsquoappui de ces thegraveses

ndash Premier cas de figure laquo lrsquoeacutevidement raquo Il y a des constructions grammaticales ougrave lrsquoon laquo dit

ce que crsquoest raquo et qui produisent une laquo appellation raquo et drsquoautres ougrave un effacement grammatical

aboutit agrave dire laquo rien raquo agrave laquo ne nommer rien ni personne raquo 612 Processus de laquo non-

appellation raquo 623 Pour orienter le regard risquons un exemple sur un cas preacutesenteacute plus loin

Opposons laquo Le livreur passera raquo et laquo Qui passera raquo Dans le premier message la grammaire

du nom livre une information deacuteduite du lexegraveme on laquo dit que crsquoesthellip raquo un livreur agrave lrsquoexclusion

de tout autre lexegraveme laquo le facteur la Justice la migraine raquo etc Dans le second message la

grammaire du pronom suspend le choix du lexegraveme Cette information est laquo eacutevideacutee raquo Lorsque

le vide est combleacute par une information extraite de la situation lrsquoeacutevidement est alors eacuteprouveacute

comme un eacutevidement laquo reacutefeacuterentiel raquo et crsquoest un fait de morphologie nominale appeleacute

laquo pronom raquo Ce serait le cas de laquo Lui raquo deacutesignant quelqursquoun En revanche si je dis laquo Ouvre vite

au livreur qui passera raquo le mecircme laquo qui raquo reste dans le verbe vide de valeur lexeacutematique mais

136 Une lecture de Jean Gagnepain

retrouve celle-ci par laquo incidence raquo intragrammaticale dans la relation syntaxique entre le nom

anteacuteceacutedent et le verbe

ndash Second cas de figure laquo lrsquoellipse raquo Sur lrsquoaxe geacuteneacuteratif on peut seacutemantiquement

laquo asseacuterer raquo son eacutenonceacute et laquo dire que crsquoest raquo (ou laquo que ce nrsquoest pas raquo) Mais lrsquoeffacement

grammatical peut aussi aboutir agrave laquo eacutenoncer sans asseacuterer raquo 612 agrave de ne rien dire agrave suspendre

la preacutedication Processus de laquo non-assertion raquo 623 NB laquo Asseacuterer raquo est une variante de

laquo asserter raquo faire une assertion

Un exemple laquo Le livreur passera raquo (assertion) et laquo Le livreur passera-t-il raquo La forme

interrogative suspend lrsquoassertion Selon la situation une assertion affirmative ou interrogative

pourra ecirctre apporteacutee par la suite laquo par reacutefeacuterence raquo soit par reacutepeacutetition du verbe affirmatif soit

simplement par laquo Oui Non raquo Affaire encore de morphologie du verbe Le mecircme proceacutedeacute ndash la

postposition du morphegraveme personnel ndash peut aussi ecirctre exploiteacute laquo par incidence raquo interne agrave la

grammaire dans la construction correacutelative suivante laquo Passerait-il que je refuserais de le rece-

voir raquo Le premier verbe retrouverait son pouvoir drsquoassertion dans la succession de propos

suivante laquo Quand bien mecircme il passerait Dans ce cas je refuserai de le recevoir raquo

Jrsquoespegravere que ces quelques observations liminaires permettent drsquoobjectiver ne serait-ce

qursquoun cas particulier du processus double drsquoeacutevidement et drsquoellipse que lrsquoon retrouve agrave la fois

dans la morphologie et dans la syntaxe

Revenons au texte

Le processus geacuteneacuteral drsquoeffacement dit-il relegraveve de la neacutegativiteacute du grammatical de la

laquo signification du zeacutero raquo Il peut ecirctre marqueacute de toutes les maniegraveres La preacutecision apporteacutee ndash

laquo Le plus souvent par un chiffre raquo 612 ndash veut dire que la marque peut en ecirctre explicite Le zeacutero

en question nrsquoest qursquooccasionnellement une absence mateacuterielle de phonegraveme mais il est

toujours un effacement que lrsquoon peut repeacuterer par lrsquoun quelconque des laquo modes de

deacutenotation raquo Ainsi lrsquoeffacement de lrsquoassertion qui caracteacuterise la subordination peut ecirctre

marqueacute (notamment) par la conjonction laquo que- raquo agrave lrsquoinitiale du verbe conjonctif mais aussi par

une inversion du morphegraveme personnel dans lrsquoincise (laquo Attendez dit-il raquo) ou par le

laquo figement raquo dans lrsquoinfinitif (laquo Il souhaite venir raquo)

JG prend ensuite la preacutecaution de distinguer les termes laquo effacement raquo et laquo absence raquo

mateacuterielle de phonegraveme Il faut en effet se meacutefier drsquoune polyseacutemie possible du terme laquo zeacutero raquo

Il traite dans ce chapitre sous le nom drsquolaquo effacement raquo drsquoun processus geacuteneacuteral alors que

laquo lrsquoabsence significative raquo nrsquoest qursquoun des proceacutedeacutes de deacutenotation par lequel un fait

seacutemiologique peut ecirctre marqueacute quel qursquoil soit Ce peut ecirctre lrsquoindeacutefini pluriel de lrsquoanglais

laquo _Birds raquo par rapport au singulier laquo A bird raquo ou lrsquoabsence drsquoun morphegraveme dans le verbe due agrave

une relation syntaxique

Les deux figures de lrsquoeacutevidement

Le figement eacutevidement morpheacutematique

JG deacuteveloppe ce thegraveme en commenccedilant par un ensemble de cas ougrave cette signification du

zeacutero consiste en un laquo figement raquo du paradigme autrement dit un laquo eacutevidement morpheacutema-

tique raquo Lagrave ougrave la tradition voit un cas particulier du paradigme ndash cas de deacuteclinaison ou mode

verbal JG voit une suspension grammaticale de la variation creacuteant un laquo invariant raquo Vocatif

nominal impeacuteratif ou infinitif verbal preacutesenteraient des degreacutes drsquoinvariance Par exemple le

Structure et signification 137

vocatif latin serait agrave seacuteparer du systegraveme casuel Il signifie lrsquoeffacement de la flexion Crsquoest

freacutequemment le thegraveme la forme figeacutee du nom (Seacuteminaire du 6 mars 1975)

laquo Freacutequente collusion avec les formes de composition raquo 613 Soit laquo Des chauffe-biberons

des coupe-vent un pare-choc raquo (homophonie avec lrsquoimpeacuteratif) Ou encore laquo Du vouloir-dire

lrsquoecirctre-ensemble raquo Ou encore avec un indice particulier drsquoinvariabiliteacute le (-o-) de laquo lrsquoindo-

europeacuteen raquo

Autre exemple de cas de signification du zeacutero lrsquoadverbe dont le statut est alors opposeacute agrave

celui de lrsquoadjectif 614 Lrsquoadverbe comme lrsquoadjectif est laquo ad-joint raquo mais il est invariable Ce

figement peut ecirctre marqueacute par un suffixe (laquo agreacuteablement raquo) ou pas laquo (payer) cher raquo ou

requeacuterir un radical particulier (laquo ainsi raquo) Toutefois dans les deux premiers cas lrsquoadverbe

conserve avec lrsquoadjectif la possibiliteacute drsquoune laquo gradation raquo laquo tregraves plus moins etc raquo

laquo Lenclave lenclise ou linfixation ressortissent en somme au mecircme processus raquo 614 JG

pousse au bout son raisonnement sur lrsquoannulation des informations morpheacutematiques

Lrsquoenclave (ou incise) relegraveve encore drsquoun processus syntaxique laquo Je viendrai grommela-t-il si

tu lrsquoexiges thinspraquo Lrsquoenclise et lrsquoinfixation soudent morphologiquement les informations grammati-

cales au sein drsquoun seul et mecircme segment JG reprend une distinction classique par degreacutes de

solidariteacutes des informations entre enclitiques (laquo Pierre les leur donne raquo) et infixes Il est

probable qursquoil pense plus geacuteneacuteralement agrave laquo lrsquoaffixation raquo de preacutefixes et de suffixes Les

grammaires classiques appellent laquo infixes raquo les rares exemples ougrave une marque est inseacutereacutee au

milieu drsquoun radical pour marquer une opposition morphologique latin laquo vici raquo (parfait jrsquoai

vaincu) et laquo vinco raquo (preacutesent je vaincs) grec laquo eacutelǎbon raquo (aoriste jrsquoai pris) et laquo lambaacutenō raquo

(preacutesent je prends) Marc Wilmet parle drsquoinfixe dans des cas comme laquo cri-aill-er pleuv-in-er raquo

JG pense ici entre autres au contraste typologique du latin et du franccedilais Les preacutefixes

nominaux du franccedilais dits laquo articles raquo ainsi que les preacutefixes personnels verbaux peuvent ecirctre

confronteacutes aux pronoms deacutemonstratifs ou personnels du latin laquo ego je- ille le- et il- raquo De

mecircme alors qursquoAugustin disait laquo Venire habet raquo 83 (il a agrave venir) nous avons incorporeacute

lrsquoauxiliaire laquo avoir raquo agrave la fin du verbe laquo Il viendra raquo Au lieu de juxtaposer les informations en

autant de formes autonomes la grammaire fusionne lrsquoensemble

La suppleacuteance eacutevidement lexeacutematique

Statut du pronom Une correacutelation et une diffeacuterence existent au sein de lrsquoeacutevidement entre

laquo lrsquoeffacement morpheacutematique de la transformation raquo (le figement) et la laquo pronomination raquo

forme de laquo suppleacuteance raquo 615 Dans le premier cas ce sont les morphegravemes qui sont effaceacutes

dans le paradigme Dans le cas des pronoms crsquoest le lexegraveme qui est effaceacute La grammaire

geacuteneacuterative parle agrave leur propos de laquo GN sans Nom raquo (sans tecircte nominale) laquo Ne deacutenommant

rien (il) est apte agrave deacutesignerhellip la totaliteacute des items du type concerneacute raquo 621 Ainsi laquo le leur raquo

contrairement agrave laquo leur travail raquo est un laquo leur x raquo ougrave laquo x raquo est nrsquoimporte quel lexegraveme classeacute

masculin dans le contexte ou en situation Autrement dit la laquo suppleacuteance raquo est un eacutevidement

lexeacutematique de la transformation

Cependant les pronoms sont divers et proposent laquo une gamme drsquoeacutevanescence raquo 621 Le

deacutemonstratif lui-mecircme nrsquoest veacuteritablement laquo pronom raquo que lorsqursquoil conserve des morphegravemes

du type nominal laquo celui-ci celle-ci ceux-cilagrave raquo Il renvoie alors au contexte anteacuterieur ndash il est

83 Augustin eacutecrit agrave propos du Royaume de Dieu laquo Petant aut non petant venire habet raquo (Quon lappelle ou non il viendra) Citeacute par Michel Breacuteal Essai de seacutemantique science des significations Paris Hachette 1897 p28

138 Une lecture de Jean Gagnepain

seacutemantiquement anaphorique ndash ou posteacuterieur ndash il est seacutemantiquement cataphorique ndash ou

bien encore il renvoie agrave la situation elle-mecircme laquo Precircte-moi celui-ci raquo (masc) suppose que les

interlocuteurs connaissent la deacutenomination de la seacuterie drsquoobjets que lrsquoon deacutesigne agrave savoir des

laquo veacutelos raquo (masc) et non des laquo bicyclettes raquo (feacutem) Crsquoest le nom qui compte et non son sens Le

pronom deacutesigne lrsquoobjet en fonction de la maniegravere dont on le deacutenomme Talleyrand deacutesignait

dans ses courriers priveacutes les trois membres du Consulat (Bonaparte Cambaceacuteregraves Lebrun

1800-1804) respectivement et meacutechamment par les deacutemonstratifs latins laquo Hic haeligc hoc raquo84

Si lrsquoon en vient agrave effacer lrsquoensemble des morphegravemes nominaux on obtient un laquo pro-x raquo ougrave x

est nom ou verbe laquo Il va venir ndash Cela mrsquoeacutetonnerait thinspraquo Enfin laquo regarde-moi donc ccedila raquo ne

preacutejuge drsquoaucune formulation susceptible de dire ce qui se passe laquo Montrer raquo (deixis)

laquo dispense drsquoappeler raquo 621hellip ou drsquoeacutenoncer (Cf la notion de laquo pro-verbe raquo ci-dessous)

laquo Il nrsquoest pronom qursquoindeacutefini raquo 622 La formule est eacutevidemment agrave prendre dans le sens ougrave

lrsquoindeacutefinition tient au manque creacuteeacute par lrsquoeffacement du lexegraveme

laquo Seule lrsquooccasionhellip ou la reacuteflexiviteacute sature [le pronom (indeacutefini)] raquo Lrsquoopposition entre

laquo occasion raquo et laquo reacuteflexiviteacute raquo est agrave mettre en rapport avec lrsquoopposition entre laquo situation raquo et

laquo contexte raquo laquo Lrsquooccasion raquo reacutefegravere agrave la situation laquo laquo Range-moi ccedila thinspraquo La laquo reacuteflexiviteacute raquo est

celle de lrsquoanaphore de la relation au contexte anteacuterieur ou posteacuterieur de ce laquo renvoi raquo du

laquo Pro-x raquo au laquo x raquo nominal qui en est la cible laquo Un fusible ccedila se remplace thinspraquo

De la suppleacuteance agrave lrsquoellipse 623

Le deacutebut de ce paragraphe articule le propos preacuteceacutedent sur la suppleacuteance et celui sur

lrsquoellipse du fait de lrsquoambivalence des constructions Je rappelle que la suppleacuteance relegraveve de la

laquo non-appellation raquo tandis que lrsquoellipse produit une laquo non-assertion raquo

laquo On parle rarement de proverbes Ce nest pas quils nexistent pas mais outre que le

franccedilais na pas - ou plus - leacutequivalent dI do pour dire yes et quils ny sont pratiquement

repreacutesenteacutes que par ces articles verbaux si mal interpreacuteteacutes quon baptise des auxiliaires

leffacement du type correspondant porte moins en raison de sa speacutecialisation eacutenonciative sur

la teneur des segravemes que sur la preacutesence du mot de telle sorte que ce nest plus de

non-appellation mais bien de non-assertion quil sagit raquo

Le propos est nuanceacute Certes on passe du type nominal au type verbal mais ce dernier

nrsquoest pas pour autant sans laquo teneur en segravemes raquo donc susceptible de suppleacuteance Il reste qursquoil

laquo eacutenonce raquo qursquoil laquo asserte raquo Les deux aspects existent conjointement Toute la question est

drsquoobserver distinctement ces deux processus

La notion de laquo proverbe raquo proposeacutee au deacutepart par analogie avec les laquo pro-noms raquo ainsi que

celle drsquoauxiliaire me paraicirct relever tantocirct de la suppleacuteance et tantocirct de lrsquoellipse selon les faits

que lrsquoon examine Lrsquoexemple anglais proposeacute peut drsquoabord ecirctre compris dans une stricte

analogie avec un pronom Agrave mon sens le cas du laquo pro-verbe raquo faire celui de laquo I do I donrsquot raquo

ou du breton laquo Kousket a ra ndashGra Ne ra ket raquo (Dort-il ndashIl fait Il ne fait pas ) ou

encore du Gallo laquo Si fait Non fait raquo relegraveve de la suppleacuteance car lrsquoassertion est la mecircme dans

la reprise pleine que dans la reprise par le pro-verbe Le franccedilais peut faire de mecircme dans une

reprise telle que laquo Il a promis drsquoeacutecrire et il le fera Il peint et il le fait bien raquo Nous allons voir

que ce nrsquoest pas vrai des laquo auxiliaires - articles verbaux raquo

84 Agrave peu pregraves laquo Lui Elle Ccedila raquo Le laquo Hic raquo en question devenu Napoleacuteon qualifiera ainsi Talleyrand laquo Vous ecirctes de la merde dans un bas de soie raquo 28 janvier 1809 Saint-Cloud

Structure et signification 139

Auparavant et agrave partir drsquoexemples voisins on peut observer que le passage agrave la forme

interrogative de ces mecircme pro-verbes produit un effet drsquoellipse drsquoune assertion deacutejagrave poseacute

anteacuterieurement Franccedilais laquo Il faudrait qursquoil creuse nrsquoest-ce pas hellipmais le fera-t-il raquo

Anglais laquo Now letrsquos get on shall we raquo

En franccedilais standard on suppleacutee par un adverbe agrave la formulation drsquoun verbe dans la

construction laquo Je pense que oui non si raquo En effet la construction laquo compleacutetive raquo implique

un second laquo que-Verbe raquo et exclut un nom laquo Je pense que la table raquo Ces trois adverbes en

tant que tels sont deacutepourvus de tout lexegraveme et de toute information typique du verbe (temps

aspect) Il y a bien effacement du type et laquo ellipse raquo de la quasi-totaliteacute de ce que programme

un verbehellip sauf preacuteciseacutement de sa fonction assertive

Lrsquoauxiliariteacute interne au verbe

En revanche dans lrsquoauxiliariteacute de temps ou drsquoaspect - laquo Jrsquoai dormi je nrsquoai pas dormi je suis

sorti je ne suis pas sorti raquo - lrsquoassertion nrsquoest plus celle de lrsquoauxiliaire pro-verbe mais celle du

verbe tout entier Ici crsquoest bien laquo la preacutesence du mot raquo qui est en cause Il srsquoagit alors de laquo ces

articles verbaux si mal interpreacuteteacutes qursquoon baptise des auxiliaires raquo 6233-4 Examinons la

composition du verbe franccedilais Le fait est que les auxiliaires laquo avoir raquo et laquo ecirctre raquo sont des

morphegravemes flexionnels en franccedilais qui marquent les temps dits laquo composeacutes raquo par opposition

aux temps dits laquo simples raquo (Je suis venu jrsquoai attendu) Le programme verbal au lieu drsquoecirctre

construit autour drsquoun centre lexeacutematique par des preacutefixes et des suffixes morpheacutematiques est

alors construit en deux parties la premiegravere distribue les morphegravemes autour drsquoun centre vide

lrsquoauxiliaire et la seconde le participe formule le lexegraveme Autrement dit le laquo -av -raquo de laquo Nous

av-ons compris raquo dit qursquoil ne faut plus chercher agrave cet endroit le lexegraveme qui eacutetait preacutesent dans

laquo Nous compren-ons raquo parce qursquoil est formuleacute plus loin dans le programme du verbe De son

cocircteacute le laquo -is raquo de laquo nous avons compris raquo dit qursquoil ne faut plus chercher agrave cet endroit la

personne verbale parce qursquoelle a deacutejagrave eacuteteacute donneacutee dans la premiegravere partie du programme

Donc dans un certain sens dans les auxiliaires franccedilais comme dans les auxiliaires en laquo faire raquo

de lrsquoanglais ou du breton on peut parler de laquo pro-verbes raquo ou plus exactement de laquo pro - raquo

radical verbal La diffeacuterence avec le pronom est que celui-ci est un mot agrave lui seul tandis que

lrsquoauxiliaire verbal est un partiel de verbe un pro-radical qui renvoie au radical au sein du

mecircme mot Crsquoest le mode de construction lui-mecircme qui porte lrsquoinformation temporelle ou

aspectuelle dite laquo composeacutee raquo dans son opposition globale agrave la forme simple correspondante

Comparer le franccedilais laquo je viens je suis venu raquo au latin laquo venio veni raquo Et crsquoest la totaliteacute du

mot auxilieacute qui porte lrsquoassertion et non lrsquoauxiliaire lui-mecircme Lrsquoauxiliaire nrsquoa plus de valeur

assertive

Le contraste entre le verbe anglais et le verbe breton est inteacuteressant sur ce point Le verbe

anglais simple contemporain ne peut qursquoecirctre assertif laquo I know raquo Toute forme de non-

assertion neacutegative ou interrogative passe par lrsquoauxiliaire laquo do raquo laquo I donrsquot know do you thinspraquo

Crsquoest lrsquoinverse en breton Le verbe est simple srsquoil est neacutegatif laquo Nrsquoouzon ket raquo (Je ne sais pas)

tandis que la forme affirmative demande lrsquoauxiliaire laquo faire raquo laquo Gouzout agrave ran raquo mot agrave mot

laquo savoir- je fais raquo (On interroge selon des formulations diverses)85 Le point important dans

cette comparaison est qursquoil importe peu que lrsquoauxiliaire construise la forme affirmative

85 Deacuteveloppements dans Jean-Yves Urien 1990 laquo Fonction appellative et preacutedicative de lrsquoauxiliariteacute verbale en breton raquo in Lrsquoauxiliaire en question Travaux linguistiques du Cerlico vol2 Rennes Les PUR p67-94

140 Une lecture de Jean Gagnepain

(breton) ou une forme non affirmative seul le contraste compte Jrsquoen conclurai personnelle-

ment que ce type de fait ne concerne que la marque de la construction du mot verbal

laquo simple raquo ou laquo composeacutee raquo et non le processus drsquoeffacement traiteacute dans ce passage

Les modes verbaux

Le processus de laquo non-assertion raquo apparaicirct clairement lorsque lrsquoon met en perspective les

modes du verbe par rapport agrave la forme indicative On peut comprendre alors cette ideacutee de

laquo non-assertion raquo de deux maniegraveres compleacutementaires drsquoabord au niveau de la formulation

drsquoun verbe seul ensuite au niveau de la syntaxe

Lrsquoeffacement (relatif) peut concerner le verbe seul 623 Le mode interrogatif suspend

lrsquoassertion Lrsquoimpeacuteratif et lrsquoinfinitif (hors syntaxe) signifient une injonction qui situe le propos

hors de lrsquoexactitude ou de lrsquoinexactitude Ceci peut ecirctre testeacute agrave travers lrsquoopposition des

seacutequences suivantes Une information laquo Il est arriveacute ndash Crsquoest exact raquo versus une injonction

laquo Attendez -Crsquoest exact raquo ou laquo Attendre -Crsquoest exact thinspraquo La reacuteponse sera alors drsquoun autre

ordre que lrsquoassertion laquo Drsquoaccord Pas drsquoaccord thinspraquo

Lrsquoeffacement du type verbal peut aussi ecirctre syntaxiquement relatif agrave un verbe compleacutemen-

taire dans les constructions laquo correacutelatives raquo telles que laquo Viendrait-il que je lrsquoaccueillerais raquo

laquo Venez et on vous accueillera raquo86

Les laquo opeacuterateurs de discours raquo et les laquo adverbes pronominaux raquo

Il me semble plus clair drsquoinscrire ce passage dans la perspective plus large exposeacutee dans le

paragraphe 4 qui le suit On y traite de tout un ensemble de formes grammaticales qui

accompagnent lrsquoassertion elle-mecircme la sortent de son isolement et la relativisent Entrent

dans ce cadre laquo lrsquoexpression grammaticale raquo de lrsquoaffirmation et le renforcement rheacutetorique de

celle-ci par des formules laquo asseacuteveacuteratives raquo 624 Il srsquoagit grammaticalement drsquoadverbes laquo Il

fait vraiment froid raquo laquo Absolument raquo ou laquo Naturellement raquo au lieu de laquo Oui raquo Jrsquoajouterai

qursquoun auxiliaire peut aussi avoir cette fonction asseacuteveacuterative Crsquoest vrai aussi bien du laquo do raquo

anglais dans laquo Il do protest raquo que de lrsquoauxiliaire laquo Bezrsquo raquo (ecirctre) du breton laquo Bezrsquo e crsquohellan raquo

(Je le peux vraiment ) laquo Bezrsquo e weler ivez bagou all raquo (On voit bien aussi dautres

bateaux)87

Il srsquoagit aussi de toutes les formulations argumentatives y compris celles laquo de la contesta-

tion raquo laquo Donc cependant pourtant pas seulement etc raquo voire laquo Naturellement il faut aussi

tenir compte dehellip raquo Ce dernier exemple rejoint lrsquoideacutee de laquo double jeu raquo eacutevoqueacutee par JG

62311 Sont prises en compte ici toutes les maniegraveres de relativiser lrsquoassertion (interrogation

exclamation) jusqursquoagrave la nier Lrsquoexemple de lrsquointerrogation est deacuteveloppeacute dans le paragraphe 4

suivant

Lrsquoallusion agrave lrsquoexistence drsquolaquo adverbes pronominaux raquo 62312 est plus deacutelicate agrave comprendre

Pour autant que le franccedilais soit concerneacute la terminologie utiliseacutee deacutesigne traditionnellement

les morphegravemes laquo -en- raquo et laquo -y- raquo dans la morphologie du verbe preacutesents dans laquo Il en reste il

y arrive raquo JG preacutecise qursquoil traite ici de la seule laquo non-assertion raquo et attire donc lrsquoattention sur

86 Cette relation syntaxique a eacuteteacute eacutetudieacutee de maniegravere approfondie par Suzanne Allaire dans Le modegravele syntaxique des systegravemes correacutelatifs

87 Jean-Yves Urien 1990 laquo Fonction appellative et preacutedicative de lrsquoauxiliariteacute verbale en breton raquo in Lrsquoauxiliaire en question Travaux linguistiques du Cerlico vol2 Rennes Les PUR p67-94

Structure et signification 141

le verbe en raison ndash dit-il ndash de laquo la speacutecialisation eacutenonciative raquo de ce type 623 La difficulteacute

tient agrave ce que JG fait le va-et-vient entre concepts grammaticaux (les types) et concepts

seacutemantiques au nom de la dialectique La grammaire est pour lui une contre rheacutetorique Elle

nrsquoest pas un vide de sens mais un processus drsquoeacutevidement du sens Cf supra 72 laquo Dans une

conception dialectique plein et vide ne se deacutefinissent que par leur contradiction mutuelle

Aucune nrsquoa la prioriteacute sur lrsquoautre raquo88 Sinon on risque drsquohypostasier la forme grammaticale

Ce questionnement me paraicirct neacutecessaire lorsque lrsquoon observe le statut des laquo adverbes

pronominaux raquo (ou laquo pronoms adverbiaux raquo ) En effet laquo -en - raquo et laquo -y - raquo infixes verbaux

peuvent ecirctre aussi bien laquo pro-noms raquo marque de laquo non-appellation raquo que laquo pro-verbes raquo

marque de laquo non-assertion raquo Jrsquoentends ainsi que ces morphegravemes marquent au sein du verbe

la possibiliteacute drsquoune relation syntaxique ou drsquoune anaphore contextuelle soit avec un nom soit

avec un verbe

Lrsquoeacutenonceacute suivant montre cette ambivalence laquo Jrsquoy arrive raquo Observons ce verbe dans le

contexte drsquoun reacutecit laquo Il me donne rendez-vous agrave Nevers Jrsquoy arrive Il nrsquoest pas lagrave raquo On

comprend ici que laquo -y- raquo integravegre dans le verbe lrsquoinformation que dit le mot nominal laquo agrave

Nevers raquo La grammaire creacutee donc une laquo non-appellation raquo du fait que lrsquoon ne dit pas quel est

le lieu mais que seacutemantiquement on le sait quand mecircme par ailleurs Observons-le

maintenant dans cet autre contexte laquo Je recule Jrsquoy arrive avec difficulteacute raquo Le morphegraveme

laquo -y- raquo repreacutesente dans le verbe lrsquoassertion preacuteceacutedente Le syntagme correspondant serait

laquo Jrsquoarrive agrave reculer raquo Dit seul laquo Jrsquoy arrive raquo dispense de lrsquoassertion lieacutee agrave un verbe En ce sens

crsquoest un laquo pro-verbe raquo On a ici grammaticalement une laquo non-assertion raquo du fait lrsquoon ne dit

pas ce qui srsquoest passeacute mecircme si seacutemantiquement on le sait par ailleurs En ce qui concerne le

morphegraveme laquo -en- raquo on peut penser agrave laquo Jrsquoai arrecircteacute tout de suite Je mrsquoen souviens bien raquo Dis

seul laquo Je mrsquoen souviens bien raquo peut repreacutesenter dans le verbe un eacutenonceacute geacuteneacuterique qursquoil

preacutesuppose

laquo Leur absence se trouve chez nous deacutenoter lrsquoautonomie raquo (du verbe) 623 Ceci est peut-

ecirctre un essai de rendre compte de la diffeacuterence entre laquo Je travaille raquo et laquo jrsquoy travaille raquo

Toutefois la deacutefinition du mot uniteacute autonome deacutefendue par JG oblige agrave consideacuterer que

lrsquoune et lrsquoautre de ces formulations sont laquo drsquoune inteacutegrale simpliciteacute raquo grammaticale tout

autant que laquo Je crois raquo et laquo Je le crois raquo Il est remarquable que le sens du lexegraveme soit

eacuteventuellement affecteacute par la preacutesence du morphegraveme

La mention de lrsquoadverbe laquo naturellement raquo autorise agrave penser que JG ne limite pas son

analyse agrave lrsquoexamen des morphegravemes verbaux laquo -en--y- raquo Le mecircme processus est envisageable

dans la relation drsquoun verbe agrave un compleacutement immeacutediat comme on peut lrsquoobserver dans ce que

les germanistes appellent aussi laquo adverbes pronominaux raquo Alld laquo dafuumlr raquo anglais laquo therefor raquo

(pour cela) neacuteerlandais laquo daarmee hiermee ermee raquo (avec ceci cela) Alld laquo Ich bitte dich

darum (Je trsquoen prie) laquo Der brief liegt nicht mehr darin raquo (La lettre nrsquoy est plus) Comme pour le

franccedilais laquo Jrsquoy viens raquo laquo Jrsquoen parle raquo ces formulations ancrent lrsquoassertion dans un contexte

ou une situation Lrsquoexemple du neacuteerlandais et en partie de lrsquoallemand montrent que ces

formules peuvent entrer dans une authentique construction syntaxique de subordination

Ainsi est-il obligatoire en neacuteerlandais de formuler dans la proposition principale un laquo adverbe

pronominal raquo cataphorique correacutelatif pour eacutenoncer qursquoelle nrsquoest pas indeacutependante mais

qursquoelle est lieacutee agrave une subordonneacutee laquo De lerares is ervan overtuigd dat je de les niet hebt

88 Seacuteminaire du 5 mai 1977 laquo Les limites de la connaissance raquo

142 Une lecture de Jean Gagnepain

gestudeerd raquo89 (Mot agrave mot laquo Le professeur est de ceci convaincu que tu nas pas eacutetudieacute ta

leccedilon raquo) Lrsquoideacutee geacuteneacuterale serait donc que la preacutesence de ces formules relie lrsquoassertion verbale

au contexte ou agrave la situation tandis que leur absence laquo deacutenote lrsquoautonomie raquo de lrsquoassertion et

lrsquoisole 62312 En revanche la preacutesence drsquoun adverbe argumentatif tel que laquo pourtanthellip raquo

implique que lrsquoassertion nrsquoest pas isoleacutee et qursquoelle est relieacutee agrave une autre assertion dans un

raisonnement

Le double statut de la neacutegation et de lrsquointerrogation grammaticale

Pour JG la diffeacuterence traditionnelle faite entre interrogation ou neacutegation partielle et

interrogation ou neacutegation totale est une premiegravere prise de conscience de laquo La biaxialiteacute de la

Verneinung raquo 631 Cependant la terminologie employeacutee (laquo total partiel raquo) ne permettait pas

laquo drsquoen saisir le principe raquo 625 En effet lrsquoideacutee que lrsquoune concerne toute la phrase et lrsquoautre un

seul des mots de cette phrase a une porteacutee explicative quasi nulle On suppose seulement

qursquoune phrase est une addition de plusieurs mots car on ne peut mettre en relation quantita-

tive une partie et un tout que srsquoil srsquoagit de concepts de mecircme statut Sinon on additionne des

torchons et des serviettes comme on le dit vulgairement Crsquoest pourquoi seule lrsquoanalyse de

cette opposition en termes de biaxialiteacute apporte une veacuteritable explication

Lrsquoutilisation ici du terme allemand (Verneinung) pour laquo (deacute)neacutegation raquo me semble avoir

pour fonction drsquoeacutetendre le thegraveme agrave lrsquoensemble des faccedilons de ne pas asserter au-delagrave de la

forme grammaticale de la neacutegation puisqursquoil est aussi question ici de lrsquointerrogation Le terme

allemand inclut lrsquoideacutee de laquo deacuteni raquo de laquo refus raquo un thegraveme important pour Freud

Le thegraveme de la laquo biaxialiteacute raquo renvoie agrave la diffeacuterence entre la logique qualitative de

lrsquoappellation et celle quantitative de lrsquoassertion JG part de la phrase laquo Petrus venit heri

domum raquo (Pierre est venu hier agrave la maison)

Dans la premiegravere seacuterie drsquoexemples interrogation et neacutegation sont laquo appellatives raquo parce

qursquoelles remettent en question le choix rheacutetorique drsquoun lexegraveme Lrsquointerrogative suspend le

choix des noms et de lrsquoadverbe laquo Quis Qui raquo laquo Quando Quand raquo laquo Quo Ougrave raquo tandis

que lrsquoadverbe ou le pronom neacutegatif annule lrsquohypothegravese drsquoun choix laquo Nullus Personne raquo

laquo Nunquam Jamais raquo laquo Nusquam Nulle partthinspraquo

Interrogation et neacutegation peuvent ecirctre aussi laquo preacutedicatives raquo et porter sur lrsquoassertion elle-

mecircme laquo Venit-ne raquo (Est-il venu ) et laquo Non venit raquo (Il nrsquoest pas venu)

On mesure ici le progregraves de lrsquoanalyse par rapport agrave la terminologie traditionnelle qui ne fait

que distinguer laquo lrsquointerrogation partielle raquo et laquo lrsquointerrogation totale raquo sans remonter aux

processus fondamentaux de la biaxialiteacute

En latin laquo la tendance agrave la cristallisationhellip raquo 631 nrsquoavait pas abouti La laquo cristallisation raquo

eacutevoqueacutee ici renvoie agrave la tendance agrave lier verbe et assertion et nom et appellation JG rappelle

ici que la biaxialiteacute de laquo lrsquoeffacement raquo ne recouvre pas lrsquoopposition des types morphologiques

nom et verbe Il y a de lrsquoappellation dans le verbe et on peut preacutediquer avec un nom

Cette dichotomie deacuteborde lrsquoopposition du verbe et du nom laquo comme le prouve la

privation raquo 631 Il existe en effet une neacutegation nominale et adjectivale morphologiquement

marqueacutee par des preacutefixes laquo in- deacute- non- raquo dits laquo privatifs raquo laquo Injustice inaction impossible

deacuteraison non-assistance non-retour raquo

89 Source httpwwwnlfacilecomadverbes-pronominaux-neerlandais_2_26264htm

Structure et signification 143

JG montre alors que la notion laquo drsquoeffacement raquo grammatical permet de relier des faits

traditionnellement disperseacutes 632 En latin respectivement la neacutegation laquo non raquo lrsquoexplication

laquo enim raquo (laquo en effet raquo) et lrsquointerrogation laquo -ne raquo

Seacuteries du latin (1) laquo nam raquo (en effet) laquo num raquo (Est-ce que ) laquo nempe raquo (Nrsquoest-ce pas ) et

(2) laquo ndashdam raquo (Quidam quelqursquoun) laquo dum raquo (pendant que) laquo ndashdem raquo (idem le mecircme)

laquo Leurs eacutequivalents attiques raquo laquo γάρ raquo (en effet) laquo ᾗ raquo (par ougrave comme) laquo ὅτε raquo (lorsque

puisque) laquo ὅταν raquo (aussi souvent que)

Autre remarque en 633 il ne faut pas sous preacutetexte drsquohistoire laquo reacutepartir [de maniegravere]

fortuite les modes de saturation raquo selon qursquoon les envisage sous lrsquoangle seacutemantique de la

laquo reacutefeacuterence raquo ou sous lrsquoangle grammatical de laquo lrsquoincidence raquo Rappel La reacutefeacuterence est laquo le

rapport du signe agrave la conjoncture raquo crsquoest-agrave-dire la rheacutetorique ici la seacutemantique Lrsquoincidence est

laquo le rapport du signe agrave la structure raquo crsquoest-agrave-dire la grammaire ici la seacutemiologie (en particulier

la syntaxe) Chacun des laquo modes de saturation raquo peut ecirctre envisageacute selon ces deux points de

vue Ce thegraveme est traiteacute dans les paragraphes qui suivent 634-5

Figures de la correacutelation

Les termes traditionnels laquo ad-jectif sub-jonctif ad-verbe raquo 634 privileacutegient lrsquoaspect

grammatical laquo incidental raquo de ces faits On souligne la relation syntaxique qursquoils construisent

avec un autre mot (eacutepithegravese attribution subordination etc dans la tradition)

Il faut donc rappeler leur fonction drsquoeffacement de la reacutefeacuterence Sans doute JG pense-t-il

au sens qursquoils prennent hors syntaxe lorsqursquoils sont formuleacutes seuls laquo Superbe Qursquoil vienne

Probablement thinspraquo Chacun de ces trois mots laquo sature raquo une assertion Lrsquoauteur deacuteveloppe

ensuite le double aspect grammatical et rheacutetorique de lrsquoensemble laquo interrogatif raquo et laquo relatif-

conjonctif raquo 634 Drsquoun cocircteacute on a la relation seacutemantique entre question et reacuteponse et de

lrsquoautre celle syntaxique de la subordination correacutelative Les mecircmes formes sont utiliseacutees en

hittite laquo Lequel Celui-lagrave raquo et laquo Quel N + V1 celui-lagrave + V2 raquo ou bien laquo Quand Alors raquo et

laquo Quand + V1 alors + V2 raquo Agrave la reprise drsquoune partie de la forme entre pronom interrogatif et

reacuteponse (latin Quid Id ) correspond une correacutelation syntaxique

Le latin est agrave nouveau convoqueacute agrave travers une construction deacuteroutante pour lrsquoeacutelegraveve franco-

phone du lyceacutee classique Il srsquoagit de la laquo regravegle raquo90 laquo Quam quisque norit artem in hac se

exerceat raquo (Ciceacuteron) 635 laquo Que chacun srsquoexerce dans lrsquoart qursquoil connaicirct raquo Mot agrave mot

laquo Lequel1 chacun connaicirct art1 ndash dans celui-ci1 qursquoil srsquoexerce raquo laquo Lequel raquo renvoie agrave laquo art raquo et

laquo chacun raquo renvoie agrave la 3e personne des verbes Lrsquoanalyse traditionnelle parle alors de

laquo prolepse raquo du nom laquo ars raquo agrave lrsquointeacuterieur de la relative (et au cas du relatif) ce qui diffegravere de la

construction calque du franccedilais qui serait laquo Quisque se exerceat in (hac) arte quam noritraquo

laquo Que chacun srsquoexerce dans (cet) art qursquoil connaicirct raquo Le nom laquo arte raquo serait agrave lrsquoablatif compleacute-

ment du verbe principal laquo se exerceat raquo et anteacuteceacutedent de la relative Le deacutemonstratif laquo hac raquo

est alors redondant Lrsquoanalyse de JG respecte les faits du latin srsquoappuie sur la structure du

hittite pour deacutemontrer qursquoil srsquoagit drsquoune structure correacutelative laquo Quam raquo et laquo hac raquo marquent

une relation drsquoanaphore grammaticale (feacuteminin singulier) dans leur relation au nom laquo ars raquo et

marquent aussi la dispariteacute (relatif en laquo qu- raquo deacutemonstratif) qui caracteacuterise la subordination

entre les deux verbes laquo Quel art chacun connaicirct qursquoil srsquoy exerce raquo Le syntagme final reprend

90 Pont aux acircnes du potache latiniste drsquoautrefois Redoutable regravegle 146 de la Grammaire latine de lrsquoabbeacute H Petitmangin (1912 ) Toujours disponible dans les bonnes librairies

144 Une lecture de Jean Gagnepain

par un anaphorique (laquo in hac raquo) une information nominale contenue dans le syntagme initial

(laquo quam raquo) Il nrsquoest plus question drsquoun laquo anteacuteceacutedent raquo ni drsquoune laquo relative raquo (dans le sens

traditionnel de ces termes)

La conclusion en 641-2 explicite la notion de laquo diaphore raquo ndash laquo anaphore et cataphore raquo La

terminologie (se reporter agrave ce qui preacutecegravede ou agrave ce qui suit) dit le fait incidental auquel

correspond laquo lrsquoeacutevidement reacutefeacuterentiel raquo par laquo indeacutefinition ou ellipse raquo 641 Il ne reste en effet

dans la forme grammaticale des pronoms relatifs ou encore dans celle des morphegravemes

personnels du verbe que lrsquoinformation minimale qui permet la relation avec leur laquo cible raquo

nominale dans le contexte Dans laquo Lrsquohomme qui rit raquo laquo qui raquo ne reacutefegravere agrave rien de la situation il

est laquo vide raquo de reacutefeacuterence au profit du nom avec lequel il est en relation syntaxique de

subordination

Il est important de laquo placer sous sa rubrique [celle de lrsquoeacutevidement reacutefeacuterentiel] la totaliteacute des

donneacutees raquo et de ne pas reacuteduire agrave laquo qui raquo (conjonctif anaphorique) et laquo que raquo (conjonctif non

anaphorique) les marques de subordination JG fait ici allusion aux Eacuteleacutements de la grammaire

latine de lrsquoabbeacute Lhomond ceacutelegravebre peacutedagogue du 18e siegravecle Cet ouvrage a eacuteteacute constamment

reacuteeacutediteacute au 19e siegravecle et a aussi servi de modegravele aux grammaires franccedilaises scolaires

Suit en 642 une seacuterie de reacutefeacuterences agrave des langues dont je vais donner des exemples

- La relative allemande utilise les deacuteterminants nominaux (et deacutemonstratifs) laquo der die

das raquo comme anaphoriques laquo Der Mann der lacht raquo (Lrsquohomme qui rit)

- En grec ancien le pronom relatif et le pronom deacutemonstratif ne diffegraverent que par le preacutefixe

laquo αὐτ raquo qui caracteacuterise le second et srsquoapparentent au deacuteterminant nominal deacutefini

Au nominatif Relatif ὅς ἥ ὅ Deacutemonstratif αὐτός αὐτή αὐτό Article deacutefini ὁ ἡ τὸ

Agrave lrsquoaccusatif Relatif ὅν ἥν ὅ Deacutemonstratif αὐτόν αὐτήν αὐτό Article deacutefini τὸν τὴν τὸ

- Langues celtiques On peut citer le pronom emphatique du breton litteacuteraire et cleacuterical

laquo pe-hini raquo (lequel) composeacute de lrsquointerrogatif laquo pe- raquo et du deacuteterminant laquo hini raquo (un) que lrsquoon

trouvait dans le deacutebut du Notre-Pegravere laquo Hon Tad pehini zo en nentildev raquo

- Le franccedilais laquo lequel raquo combine aussi deacuteterminant et conjonctif en qu- identique agrave

lrsquointerrogatif

Lrsquoeacutetude du statut du laquo ne raquo dit laquo expleacutetif raquo 643 fait reacutefeacuterence au Grand Œuvre de lrsquooncle

Jacques Damourette et du neveu Eacutedouard Pichon alliance drsquoun grammairien et drsquoun psycho-

logue agrave savoir Des mots agrave la penseacutee Essai de grammaire de la langue franccedilaise 8 vol 1911-

1940 (4552 pages) Ces auteurs observent que dans lrsquoeacutenonceacute laquo Je crains qursquoun songe ne

mrsquoabuse raquo (Racine Phegravedre II 2) le laquo ne raquo nrsquoest pas neacutegatif contrairement agrave son statut dans cet

autre eacutenonceacute laquo Je crains qursquoil ne vienne pas raquo Ils donnent une interpreacutetation psychologique agrave

ce laquo ne raquo ce dernier marquerait une laquo discordance raquo entre le deacutesir inconscient du locuteur (de

ne pas laquo ecirctre abuseacute raquo) et la possibiliteacute contraire qursquoimplique le verbe (drsquolaquo ecirctre abuseacute raquo) JG en

propose une analyse tout autre il y voit un fait syntaxique drsquoanaphore laquo Anaphore raquo est peut-

ecirctre pris dans le sens plus large de laquo morphegraveme correacutelatif raquo laquo Ne raquo reprend syntaxiquement

lrsquoinformation laquo hypothegravese raquo contenue dans le contexte verbal ougrave le verbe 1 fait partie drsquoune

liste restreinte et ougrave le verbe 2 doit ecirctre au subjonctif La forme laquo hellipne-V2 raquo est alors un

partiel de la marque du syntagme La preacutesence de cette marque dans les systegravemes correacutelatifs

est bien plus large que ce cas Suzanne Allaire en 1977 en fait une eacutetude approfondie dans Le

modegravele syntaxique des systegravemes correacutelatifs (1982 eacuted Service de reproduction des thegraveses Lille

Structure et signification 145

III) En teacutemoigne par exemple dans le syntagme comparatif la construction laquo Lrsquoaffaire est plus

compliqueacutee qursquoon ne le croyait raquo (ibidem p253) Il faut prendre aussi en compte lrsquoopposition

entre laquo avant qursquoil ne vienne raquo hypotheacutetique puisqursquoorienteacute vers le futur et laquo apregraves qursquoil est

venu raquo factuel puisque passeacute En somme ce laquo -ne- raquo nrsquoest pas grammaticalement laquo expleacutetif raquo

puisqursquoil participe drsquoune formulation qui introduit une redondance syntaxique dans lrsquoeacutenonceacute

Il est neacutecessaire par ailleurs dit-il en 643 de laquo poserhellip la parfaite eacutegaliteacute du rapport raquo

entre le laquo -le- raquo de lrsquoeacutenonceacute laquo je viens tu le sais raquo (parataxe de deux eacutenonceacutes relieacutes par une

anaphore marqueacutee par laquo -le- raquo) et la conjonction laquo que- raquo de laquo tu sais que je viens raquo Dans

cette seconde relation syntaxique conjonctive un laquo que-V2 raquo est lieacute agrave un V1 ougrave laquo -le- raquo est

effaceacute laquo Tu (le) sais que je viens raquo JG propose donc drsquoeacutetudier agrave partir du premier eacutenonceacute

laquo une syntaxe de la ˮcopulationˮ parallegravele en tout point agrave celle de la ˮconjonctionˮ raquo

laquo Lrsquohomotaxie en est la preuve raquo 643 Constatant que JG est le seul agrave utiliser ce terme en

grammaire ndash ce qui lui vaut drsquoecirctre en tecircte de liste des reacutefeacuterences sur Google ndash il faut srsquoen

tenir au sens dans ce contexte (Huxley a utiliseacute le terme en paleacuteontologie ce qui nrsquoaide

guegravere) Contrairement agrave laquo lrsquoallotaxie raquo qui suggegravere un jeu de contraintes diverses

laquo lrsquohomotaxie raquo repose sur une identiteacute de contraintes autrement dit sur la reacutepeacutetition formelle

du mecircme laquo Je te plumerai les pattes et les ailes et la tecirctehellip alouette alouette raquo Les

exemples proposeacutes suggegraverent qursquoil oppose ainsi deux modes de marquage de la relation de

subordination laquo lrsquoallotaxie raquo qui utiliserait le contraste entre laquo V1 raquo et laquo que-V2 raquo (laquo Tu sais

que je viens raquo) et laquo lrsquohomotaxie raquo qui utiliserait la relation drsquoanaphore laquo V1 + le-V2 raquo ougrave

laquo -le- raquo = V1 (laquo Je viens tu le sais raquo)

Autre sens possible Lrsquohomotaxie est une homophonie syntaxique Dans lrsquoeacutenonceacute latin citeacute

preacuteceacutedemment laquo Dicunt Catullum Claudiam amare raquo 611 chacun des deux accusatifs peut

contribuer agrave construire une relation de compleacutement respectivement avec lrsquoun ou lrsquoautre verbe

Lrsquoun des accusatifs fait partie de la marque de la relation de compleacutement drsquoobjet direct qui

relie lrsquoun des noms et le verbe final laquo amare raquo (soit laquo aimer Catulle raquo soit laquo aimer Claude raquo)

Lrsquoautre accusatif fait partie de la marque de la relation de laquo compleacutetive infinitive raquo qui relie le

premier verbe et le syntagme laquo sujet raquo construit entre lrsquoun des noms et le verbe final agrave

lrsquoinfinitif Il y a donc deux analyses compleacutementaires possibles mot agrave mot laquo Ils disent ndash Catulle

aimer Claude raquo ou bien laquo Ils disent ndash Claude aimer Catulle raquo

laquo Sa theacuteorie se trouve mise en cause raquo 643 Il srsquoagit de la theacuteorie de la laquo copulation raquo Un

certain nombre de contextes consideacutereacutes comme des suites laquo drsquoindeacutependantes raquo contiennent

une forme de syntaxe par relation anaphorique ou correacutelative telle la seacutequence laquo Je viens tu

le sais raquo Ou mecircme laquo Je viens tu sais raquo qui est une relation de subordination et non la juxta-

position de deux verbes

Indeacutefinition et ellipse Relative et conjonctive

La suite 644 livre des preacutecisions sur la notion laquo drsquoincidence raquo Premier point

laquo lrsquoeffacement raquo en syntaxe peut concerner laquo le segraveme raquo ndash crsquoest laquo lrsquoindeacutefinition raquo dans la

relative ndash ou laquo le mot raquo ndash crsquoest laquo lrsquoellipse raquo dans la conjonctive Comment comprendre ces

formulations

JG reprend ici la terminologie traditionnelle laquo La relative raquo 644 est alors cette portion de

texte qui commence par le pronom relatif Soit laquo hellip qui rit raquo dans lrsquoeacutenonceacute laquo lrsquohomme qui rit raquo

Contrairement agrave laquo il rit raquo on ne peut plus deacutefinir laquo le sujet raquo en renvoyant agrave la situation Pierre

et non Paul Le laquo qui raquo creacutee une laquo indeacutefinition raquo un laquo eacutevidement incidental raquo qui est reacutesolu par

146 Une lecture de Jean Gagnepain

le renvoi anaphorique au nom laquo anteacuteceacutedent raquo Lrsquoindeacutefinition y est grammaticalement

laquo lexicale raquo crsquoest une laquo suppleacuteance raquo pronominale Et elle est seacutemantiquement

laquo appellative raquo comme dans lrsquointerrogation laquo Qui raquo Cela dit le syntagme relatif preacutesente

aussi une laquo ellipse raquo (effacement) de lrsquoassertion comme le reconnaicirct lrsquoauteur dans la phrase

suivante

laquo La conjonctive raquo peut ecirctre de mecircme illustreacutee par laquo hellipque tu viendras raquo Il faut comprendre

ici qursquoil y a laquo ellipse raquo de lrsquoassertion Contrairement agrave laquo tu viendras raquo qui dit que lrsquoeacutenonceacute est

complet laquo hellip que tu viendras raquo devient agrave lui seul laquo elliptique raquo et reporte la compleacutetude sur la

relation syntaxique toute entiegravere laquo Je sais que tu viendras raquo On a effaceacute une laquo quantiteacute raquo

drsquoinformation et non plus une laquo qualiteacute raquo Lrsquoeffacement par ellipse est grammaticalement

laquo textuel raquo et laquo efface raquo une assertion

laquo Lerreur est dans lune et lautre de parler de proposition car lassertion dans la premiegravere

nest quindirectement concerneacutee et son annulation dans la seconde rend grammaticalement le

verbe impreacutedicable raquo 644 (La premiegravere = la relative la seconde = la conjonctive)

Le propos sera repris plus tard par laquo Rien nest plus faux que la fameuse regravegle des eacutecolacirctres

autant de verbes autant de propositions raquo 924

JG deacutefinit la proposition dans le cadre de sa seacutemantique comme le preacutedicat assertif que

produit la totaliteacute drsquoune construction phrastique Dans la subordination conjonctive en

laquo hellipque-V2) le verbe est laquo directement raquo marqueacute grammaticalement comme impreacutedicable et

lrsquoassertion est reporteacutee sur lrsquoensemble du syntagme Tandis qursquoagrave propos de la subordination

relative JG hieacuterarchise deux faits syntaxiques imbriqueacutes lrsquoun dans lrsquoautre Le premier fait

speacutecifie la relative parmi les modes de subordination agrave savoir lrsquoanaphore entre le relatif et son

anteacuteceacutedent ce qui est un effacement de la deacutetermination Le second fait qualifieacute ici

laquo drsquoindirect raquo 644 est geacuteneacuterique il srsquoagit aussi drsquoune subordination de sorte que lrsquoassertion y

est aussi reporteacutee sur lrsquoensemble du syntagme La laquo relative raquo teacutemoigne donc agrave la fois drsquoune

laquo indeacutefinition raquo et drsquoune laquo ellipse raquo

laquo [Le verbehellip] fucirct-il rheacutetoriquement preacutediqueacute (hellip) comme le tour attributif le montre raquo Il

srsquoagit de constructions telles que laquo Jrsquoai rencontreacute Pierre qui se promenait raquo laquo Voici le train qui

arrive raquo Elles sont aussi appeleacutees laquo propositions relatives preacutedicatives raquo Le raisonnement

implique en effet que lrsquoon asserte que laquo Pierre se promenait raquo et que laquo le train arrivait raquo

Grammaticalement non preacutedicable le second verbe constitue cependant une relation seacuteman-

tique de preacutedication avec le nom qui le preacutecegravede Cela dit on remarquera que la laquo cible raquo du

pronom relatif peut ecirctre un morphegraveme du verbe principal et non pas un nom laquo Je lrsquoai rencon-

treacute qui se promenait Le voici qui arrive raquo Ceci est impossible dans le cas des autres relatives

Lrsquoeacutenonceacute laquo Regarde le train qui arrive raquo est ambivalent Soit on conccediloit laquo Regarde-le qui

arrive raquo (relative attributive) soit on conccediloit laquo Regarde parmi les trains celui qui arrive raquo

(relative laquo deacuteterminative raquo laquo appellative raquo) On ne peut plus paraphraser ce second raisonne-

ment par laquo Regarde-le qui arrive raquo qui est uniquement laquo attributif raquo Le fait qursquoil y ait dans ce

cas une relation entre deux verbes lieacutes par une relation anaphorique entre un morphegraveme

personnel du premier et le preacutefixe relatif du second augmente la solidariteacute seacutemantique de

lrsquoensemble comme le montrent aussi les paraphrases laquo Regarde-le arriver regarde lrsquoarriveacutee du

train raquo Noter aussi que lrsquoon retrouve une relation preacutedicative analogue lorsque lrsquoattribut est

un adjectif laquo Jrsquoaime les prunes noires raquo si lrsquoon entend laquo Je les aime noires raquo

Structure et signification 147

Ces preacutecisions ont pour but de laquo dissiper des malentendus raquo 644 En effet dans ces

deacuteveloppements sur lrsquoincidence JG fait un va-et-vient constant entre syntaxe et seacutemantique

Il rappelle ainsi qursquoil nrsquoy a pas de coiumlncidence entre les deux

Observation du processus laquo drsquoeffacement grammatical raquo dans le paradigme

Deux seacuteries de faits sont eacutevoqueacutees

Premier thegraveme laquo La pronomination ou la proverbation de lrsquoadverbe et de la preacuteposition raquo

651 Je supposerai ici qursquoil faut prendre les termes laquo adverbe raquo et laquo preacuteposition raquo dans leur

deacutefinition traditionnelle Apregraves divers essais de lecture et le constat que lrsquohypotheacutetique laquo

proverbation de la preacuteposition raquo me laissait perplexe je risque une recherche de trois cas La

pronomination de la preacuteposition la pronomination de lrsquoadverbe et sa proverbation

En quel sens peut-on dire que lrsquoon a affaire agrave la laquo pronomination de la preacuteposition raquo On a

vu que la pronomination est un cas drsquoeffacement grammatical parce qursquoil laquo fait le vide raquo du

lexegraveme tout en restant une modaliteacute du type nominal En toute hypothegravese les preacutepositions

seules tiendraient lieu de nom dans les structures ougrave elles sont en relation syntaxique avec un

verbe laquo Je viendrai avec raquo laquo Je suis contre raquo ougrave lrsquoon fait lrsquoeacuteconomie de la totaliteacute du nom (La

limite est eacutevidemment probleacutematique avec lrsquoadverbe laquo Depuis il marche raquo)

La laquo pronomination de lrsquoadverbe raquo quant agrave elle est deacutejagrave eacutevoqueacutee par JG en 623 lorsqursquoil

reprend agrave la tradition lrsquoappellation laquo adverbes pronominaux raquo pour deacutesigner les enclitiques

verbaux laquo en raquo et laquo y raquo Nous avons observeacute plus haut qursquoeffectivement ces morphegravemes

peuvent fonctionner comme des suppleacuteants du nom srsquoils reprennent dans le verbe

lrsquoinformation contenue dans un nom du contexte autrement lorsqursquoils ont une fonction

seacutemantique anaphorique ou cataphorique Soit laquo Tu eacutetais agrave Marseille Jrsquoen viens raquo laquo Jrsquoy ai

veacutecu agrave Marseille raquo

Enfin la proverbation de lrsquoadverbe peut ecirctre observeacutee au moins dans deux types de cas

selon lrsquoextension que lrsquoon donne au terme laquo adverbe raquo qui lrsquoon sait est bien polyseacutemique

Rappelons que le terme laquo proverbe raquo est utiliseacute par JG dans un sens tregraves particulier en 623-4

Le critegravere invoqueacute est que les formes en question teacutemoignent laquo drsquoun effacement du type raquo (Je

comprends que lrsquoeffacement peut ecirctre relatif comme dans le cas alors invoqueacute de lrsquoimpeacuteratif)

Le laquo proverbe raquo tel qursquoil est maintenant envisageacute est un cas de suppleacuteance du verbe par un

autre type de mot De quelle maniegravere lrsquoadverbe peut-il rentrer dans ce cadre

- Drsquoune part on peut reprendre ici lrsquoexemple des enclitiques verbaux laquo en y raquo puisque

ceux-ci peuvent aussi fonctionner comme des laquo pro-verbes raquo dans le sens ougrave ils dispensent de

la formulation drsquoun verbe lorsqursquoils renvoient agrave une assertion formuleacutee par un verbe dans le

contexte Soit laquo Jrsquoai couru je mrsquoen souviens bien raquo ou laquo Jrsquoessaie de dormir je nrsquoy arrive

pas raquo

- Drsquoautre part on peut imaginer que JG envisage le cas de lrsquoemploi des adverbes laquo oui

non si raquo dans un eacutenonceacute compleacutetif tel que laquo Je crois que oui que non que si raquo ougrave la

conjonction laquo que- raquo montre qursquoils entrent clairement dans le modegravele verbal (Voir supra 623)

Peut-on aussi envisager le cas de lrsquoadverbe dit laquo drsquoeacutenonciation raquo laquo franchement tu as tort raquo

Second thegraveme laquo lrsquoarticulation raquo et laquo lrsquoauxiliation raquo sont laquo en abscisse raquo (en morphologie)

laquo lrsquoexact eacutequivalent de ce qursquoest lrsquoanaphore en ordonneacutee raquo (en syntaxe) 6515-6 Glosons

drsquoabord la relation eacutetablie entre anaphore et auxiliaires De mecircme que lrsquoeacuteleacutement anaphorique

est une laquo reacuteduction raquo quantitative drsquoinformation puisqursquoil a pour cible un autre mot avec

lequel il constitue une relation syntaxique de mecircme en morphologie lrsquoauxiliaire au sein du

148 Une lecture de Jean Gagnepain

mot verbal est une laquo reacuteduction raquo qualitative drsquoinformation puisqursquoil est vide de lexegraveme et

construit le verbe conjointement avec un laquo participe raquo purement lexeacutematique Par exemple

les deux formes du paradigme verbal laquo il gagne raquo et laquo il a gagneacute raquo ne sont lrsquoune et lrsquoautre qursquoun

seul verbe La forme composeacutee se caracteacuterise par le fait que la partie laquo auxiliante raquo laquo Il a- raquo

preacutesente un effacement incidental (grammatical) du lexegraveme compenseacute par la partie

laquo auxilieacutee raquo qui nrsquoest elle que lexeacutematique et qui complegravete le verbe Cf 623

Lrsquoeacutevocation de laquo lrsquoarticulation raquo me semble un passage agrave la limite du raisonnement Posons

en preacutealable que laquo articulation raquo renvoie agrave laquo articles raquo crsquoest-agrave-dire aux deacuteterminants

nominaux En effet si lrsquoon veut rester dans le cadre du raisonnement paradigmatique on ne

peut observer le correspondant nominal de lrsquoauxiliation que dans la relation entre article et

adjectif dans la structure dite laquo adjectif nominaliseacute raquo laquo (je veux) le grandla grande raquo On peut

analyser ce mot comme une forme laquo auxilieacutee raquo de nom En effet ce nrsquoest pas un syntagme

mais un mot unique ougrave lrsquoarticle et un eacuteventuel suffixe regroupent lrsquoensemble de la deacutetermina-

tion y compris le genre tandis que laquo lrsquoadjectif raquo fournit le lexegraveme Notons en effet que le

genre de lrsquoadjectif nrsquoest pas celui de son lexegraveme ndash ce dernier nrsquoeacutetant pas classeacute a priori comme

lrsquoest le lexegraveme nominal ndash mais celui drsquoun autre nom du contexte ou de la situation et qui est

grammaticalement effaceacute

Conclusion Effacement et dialectique

Conclusion du thegraveme du processus de laquo lrsquoeffacement incidental raquo 652-3 et 66 et

deacuteveloppement selon lrsquoaxe taxinomique 652-3 puis geacuteneacuteratif 66

JG relie agrave nouveau le thegraveme de lrsquoeffacement agrave celui du laquo vide raquo dans la dialectique qui est

une proprieacuteteacute geacuteneacuterale et essentielle agrave la rationaliteacute humaine Une neacutegativiteacute qualitative fonde

la diffeacuterenciation laquo le discret raquo et une neacutegativiteacute quantitative fonde laquo le nombre raquo la

segmentation qui permet le deacutenombrement 652

laquo Pas drsquoexceptionshellip(en grammaire) raquo laquo Les limites agrave la productiviteacute de ses tableaux (les

paradigmes) et de ses regravegles (les syntagmes) sont toujours exogegravenes raquo (agrave la grammaticaliteacute)

652 Ces restrictions observeacutees dans la performance du dire ont deux causes possibles La

premiegravere relegraveve de la rheacutetorique qui se heurte agrave la conjoncture Lrsquoeacutenonceacute laquo Mettez-moi une

eacutelectriciteacute de cocircteacute pas deux raquo est grammaticalement coheacuterent mais il oblige agrave un

raisonnement seacutemantique quasiment mythique parce que le concept laquo drsquoeacutelectriciteacute raquo comme

celui laquo drsquoair raquo ou laquo drsquoeau raquo est non comptable selon notre expeacuterience ordinaire Il faut donc

penser via la polyseacutemie agrave la seacutelection drsquoun type drsquoeacutelectriciteacute parmi drsquoautres deacutefi agrave

lrsquoobjectiviteacute Alors que laquo laquo Mettez-moi un air de cocircteacute pas deux raquo fait immeacutediatement penser agrave

la seacutelection drsquoune meacutelodie par un chanteur Affaire donc de vraisemblance laquo de contenu raquo

drsquoexpeacuterience humaine

Il en va de mecircme du cocircteacute de la productiviteacute des enchaicircnements de syntagmes qursquoil srsquoagisse

de la reacutecursiviteacute dans la subordination ou de seacuterialiteacute dans la coordination ou des deux agrave la

fois Passeacute un certain degreacute de complexiteacute le locuteur laquo perd le fil raquo de son raisonnement Les

linguistes se sont longtemps reacutejouis du laquo Chomskybot raquo montage parodique drsquoextraits de

confeacuterences (reacuteelles ou inventeacutees) de Noam Chomsky Le ldquoro-Botrdquo crsquoest lrsquoautre comme le

prouve pour moi certaines phrases du texte que je glose et pour voushellip mon propre texte

Affaire drsquoautres plans surtout Socio-historique drsquoabord Lrsquoenfant qui dit laquo vous disez vous

faisez raquo grammaticalise ce que la langue historiquement empecircche en privileacutegiant des restes

de latin Et si nous disons laquo la queue du loup raquo et laquo agrave la queue leu leu raquo crsquoest parce qursquousage

Structure et signification 149

drsquoOc (loup) et drsquoOiumll (leu) ont dialectiquement produit ce laquo ragoucirct raquo 421 appeleacute franccedilais

Lrsquoaxiologie par ailleurs gecircne le rapprochement pourtant paradigmatique qui devrait

permettre de qualifier de laquo souteneur raquo quiconque laquo soutient raquo quelqursquoun alors que celui qui

laquo reprend raquo une entreprise peut deacutecemment ecirctre nommeacute laquo repreneur raquo Et Marina Yaguello

srsquoindignait de ce que les laquo gouvernantes raquo soient moins bien payeacutees que les laquo gouvernants raquo91

laquo Les analogistes et les anomalistes raquo ne combattaient pas laquo sur le mecircme preacute raquo 652

Rappel drsquoune vieille querelle entre philosophes grecs de lrsquoeacutepoque helleacutenistique Au 1er siegravecle

av J-C lrsquoeacutecole de Pergame observant les nombreuses laquo exceptions raquo grammaticales soutient

que cette derniegravere nrsquoest qursquoun ensemble arbitraire drsquousages et que les mots nrsquoexistent que

laquo par convention θέσει σὺν δίκη raquo Ce sont les laquo anomalistes raquo Leurs adversaires agrave

Alexandrie (Aristarque entre autres) mettent au contraire en avant la systeacutematique des

cateacutegories les laquo paradigmes raquo (les modegraveles) deacuteclinaisons et conjugaisons et y voient lrsquoeffet

drsquoune loi geacuteneacuterale Ils soutiennent que les mots existent laquo par nature φύσει raquo Ce sont les

laquo analogistes raquo Les premiers sont les preacutecurseurs drsquoune sociolinguistique reacuteductionniste

tandis que les autres reacuteduisent le langage agrave sa logique interne Un tel antagonisme est steacuterile

puisque lrsquohumain est agrave la fois logique capable de signe et social capable par reacutepercussion de

langue

Le thegraveme est finalement repris et diversifieacute selon les deux axes de lrsquoanalyse puis deacuteveloppeacute

selon lrsquoaxe taxinomique 653 Thegraveme de laquo lrsquoimmanence du grammatical raquo laquo Il ne renvoie

jamais qursquoagrave lui-mecircme raquo

laquo Tautologie et redondance en sont curieusement le principe et la fin raquo Formulation

paradoxale que lrsquoon comprendra agrave travers les deacuteveloppements qui suivent Le terme de laquo fin raquo

est ambigu (volontairement ) Drsquoune certaine maniegravere les aphasies peuvent ecirctre consideacutereacutees

comme la laquo fin raquo de la grammaticaliteacute En effet la steacutereacuteotypie du Broca est une redondance

dont le malade ne peut sortir tandis que le jargon du Wernicke est une tautologie tout autant

incontrocirclable Plus vraisemblablement en un autre sens du terme laquo fin raquo JG rappelle que la

dialectique du signe fait que lrsquoon peut observer paradoxalement la tautologie et la redondance

agrave la fois dans le principe grammatical et dans la laquo viseacutee raquo rheacutetorique comme le montrera la

suite

laquo On ne saurait parler ni acceacuteder au signe si le chat neacutetait pas un chat et quon ne pouvait

se reacutepeacuteter raquo 653 Le propos ici ne concerne que le principe drsquoidentiteacute Le test mecircme de ce

principe reacuteside dans lrsquoassurance que le mot laquo chat raquo en tant que mot reste toujours le mecircme

mot lorsqursquoon le reacutepegravete ou surtout lorsque quelqursquoun drsquoautre le reacutepegravete y compris lorsque

lrsquoacircge le sexe ou lrsquoaccent de cet autre fait qursquoen reacutealiteacute il nrsquoa pas eacutemis la mecircme seacutequence

sonore plus grave ou aigueuml plus lente ou rapide Rappelez-vous le dialogue entre Archibald

Soper eacutevecircque de Bedford et le botaniste Irwin Molyneux dans Drocircle de drame de Marcel

Carneacute (1937)

laquo - Oui vous regardez votre couteau et vous dicirctes bizarre bizarre Alors je croyais que

- Moi jai dit bizarre bizarre comme cest eacutetrange Pourquoi aurais-je dit bizarre bizarre

- Je vous assure mon cher cousin que vous avez dit bizarre bizarre

- Moi jai dit bizarre comme cest bizarre raquo

91 Marina Yaguello 1981 Alice au pays du langage Le Seuil

150 Une lecture de Jean Gagnepain

Lrsquoaphasique de Wernicke au contraire est incapable devant lrsquoimage drsquoun chat de pouvoir

redire laquo un chat raquo mecircme si drsquoaventure il deacutenomme ainsi ce qursquoil voit Il nrsquoest plus sucircr de

lrsquoidentiteacute de ce mot

JG relegraveve tout de suite le paradoxe du signe puisqursquoon peut tout aussi bien eacutenoncer que le

mot laquo chat raquo est polyseacutemique et que lrsquoon peut laquo jouer agrave chat raquo tandis que le feacutelin en question

peut aussi ecirctre appeleacute un laquo matou raquo Rien du reacuteel nrsquoa de nom a priori laquo Lrsquohomogeacuteneacuteiteacute raquo du

concept est laquo toujours aleacuteatoire raquo voire laquo deacutesespeacutereacutee raquo 653 En ce sens un laquo chat raquo

seacutemantiquement nrsquoest pas simplement un laquo chat raquo et pas seulement laquo un chat raquo laquo Des

gloses raquo des laquo descriptions raquo et des laquo explications raquo sont laquo toujours possibles raquo Le preacutesent

texte en fait foi

Et pourtant le mot laquo chat raquo impose son identiteacute deacutefinie neacutegativement par sa diffeacuterence

avec drsquoautres identiteacutes Le fait grammatical est le principe causal du dire laquo le segraveme ‟srsquoil

causerdquo nrsquoest pas causeacute et transcende une explication dont il deacutetient (hellip) le dernier mot raquo

65311-13 Le raisonnement dialectique est antinomique du raisonnement reacutecursif agrave lrsquoinfini

Enlevez le mot et le sens nrsquoest plus possible parce qursquoil en deacutecoule On ne connaicirct qursquoagrave

proportion de ce que lrsquoon peut grammaticalement formuler Srsquoil y a bien un principe agrave retenir

dans le modegravele dialectique qursquoest la glossologie crsquoest bien celui-lagrave la grammaire est au

fondement du dire

Rappel final du principe drsquouniteacute et de segmentation Le propos ndash laquo broum broum raquo pris

comme parangon de preacutedication 661 - est aussi une boutade Mais il rappelle que lrsquoenfant

accegravede au grammatical aussi tregraves tocirct sous lrsquoaspect de la coupe preacutedicative y compris parfois

sous lrsquoapparence drsquoune reacutepeacutetition

Le paragraphe final assure la transition entre les deux parties de ce traiteacute de glossologie

Dialectique oblige il faut passer de la grammaire agrave la rheacutetorique

laquo Lrsquoexpeacuterience en le remettant rheacutetoriquement en cause ne change rien au principe drsquoun

logos tirant paradoxalement sa compreacutehensibiliteacute du non-sens [sous le double aspect]hellip raquo

662

Noter le terme drsquolaquo expeacuterience raquo deacutejagrave utiliseacute en 236 que lrsquoon retrouvera dans le chapitre

suivant associeacute agrave celui de laquo situation raquo Ce qui par ailleurs est aussi appeleacute laquo le monde raquo ou

laquo lrsquounivers raquo est une reacutealiteacute humaine comme lrsquoeacutetablit la pheacutenomeacutenologie depuis Husserl et

autrement lrsquoeacutethologie

Jrsquoexpliciterai seulement le thegraveme du laquo double aspect raquo - parce que biaxial - du laquo non-sens raquo

qursquoest la neacutegativiteacute grammaticale

1 ndash laquo hellip [sous lrsquoaspect] de lindiffeacuterenciation de ses variantes raquo

En seacutemiologie ougrave la grammaire est un processus de laquo non-sens raquo Ce qui dans le chapitre

suivant apparaicirctra comme la variation seacutemantique deacutecoule toujours drsquoune identiteacute lexicale

indiffeacuterente agrave ses effets de sens La grammaticaliteacute reacutepond agrave un principe de laquo neacutegligence raquo Ce

que lrsquoon entend par laquo opeacuterations raquo renvoie agrave des expeacuteriences humaines tregraves diverses telles

qursquoune addition qursquoune appendicectomie qursquoune campagne militaire Le grammairien se doit

de laquo neacutegliger raquo cette diversiteacute parce que tout cela se dit laquo opeacuterations raquo une forme identique

dont lrsquoidentiteacute nrsquoest fondeacutee que sur sa diffeacuterence avec les autres termes du lexique La

glossologie de JG est en cela dans la ligneacutee de Saussure un appel agrave laquo objectiver de

Structure et signification 151

lrsquoinvisible raquo agrave reacutesister agrave la pression du laquo sens raquo explicite pour remonter vers le laquo non-sens raquo

qursquoest la forme implicite

En phonologie ougrave la grammaire est un processus de laquo non-son raquo La variation phoneacutetique

des prononciations deacutecoule toujours drsquoune identiteacute phonologique indiffeacuterente agrave ces variations

Dit avec ou sans dentier pipe au bec ou non laquo Ougrave raquo reste toujours phonologiquement le

mecircme u mecircme si lrsquoon a alteacutereacute quelques formants acoustiques au passage de lrsquoair Et cette

identiteacute est elle-mecircme fondeacutee sur sa position laquo neacutegative et relative raquo dans la structure

phonologique

2 ndash laquo hellip [et sous lrsquoaspect] de lrsquoinsegmentabiliteacute de ses parties raquo Il en va de mecircme sur lrsquoaxe

de la quantiteacute 662

En seacutemiologie On peut penser seacutepareacutement le nombre et le genre du nom laquo les opeacutera-

tions raquo mais ces parties sont des fragments inseacuteparables dans ce segment nominal En

syntaxe on eacuteprouvera aussi la compleacutementariteacute des contraintes formelles qui disperseacutees sur

les constituants du syntagme forment de faccedilon indissociable la relation syntaxique laquo Ce nrsquoest

pas si difficile qursquoon le croit raquo

En phonologie enfin on peut seacuteparer phoneacutetiquement dans un [m] le paramegravetre

physiologique de lrsquoocclusion des legravevres et celui de lrsquoouverture de la luette mais ces parties

sont inseacuteparables dans lrsquouniteacute qursquoest le phonegraveme m

laquo M de la Palice eucirct eacuteteacute en glossologie notre maicirctre neacutetait que le signe dit dans le

mecircme temps quil se dit quil nest dialectiquement instance sans performance ni nulle

part de raison pure ou de verbe non incarneacute raquo 662

Ougrave lrsquoon voit cousiner Jacques II de Chabannes neacute agrave Lapalisse Emmanuel Kant et Jean

lrsquoEacutevangeacuteliste (laquo et le Verbe srsquoest fait chair raquo) au nom de la dialectique

De la deacutesignation 153

POUR UN TRAITEacute DE LA DEacuteSIGNATION

Nous voici agrave la charniegravere entre les deux approches de la dialectique du signe Apregraves avoir

traiteacute de grammaire JG commence son exposeacute du pocircle de la rheacutetorique par cet avertisse-

ment laquo En passant agrave la rheacutetorique apregraves cette premiegravere exploration de la grammaire nous

quittons lombre pour la lumiegravere sans pour autant croyons-nous acceacuteder plus aiseacutement agrave la

clarteacute raquo 671 Dans mon propre effort de clarification je vous propose dans lrsquoINTERMEgraveDE qui

suit de faire le point agrave ce moment pivot sur ce que je pourrais appeler laquo la theacuteorie de la

connaissance raquo de JG selon la formule usuelle en philosophie Cela me paraicirct neacutecessaire pour

la suite de la lecture mecircme si ce thegraveme a deacutejagrave eacuteteacute abordeacute preacuteceacutedemment agrave lrsquooccasion de

formulations du texte y reacutefeacuterant92 et bien qursquoil soit eacutevidemment gloseacute par la suite

Intermegravede 4 connaicirctre

On aura en effet sans doute deacutejagrave observeacute et on ne pourra pas manquer drsquoobserver par la

suite que certaines formulations proposeacutees par JG pour deacutefinir le processus de connaissance

qursquoest le signe peuvent ecirctre comprises comme inconciliables entre elles Cela apparaicirct en

particulier agrave lrsquoexamen de mots isoleacutes tels que laquo le monde raquo laquo les choses raquo laquo la situation raquo

laquo lrsquoexpeacuterience raquo laquo lrsquoadaptation raquo laquo lrsquoadeacutequation raquo laquo le deacuteterminisme raquo ou agrave lrsquoexamen de

propos isoleacutes de leur contexte large Le risque de contresens et de malentendu est accentueacute

dans le preacutesent ouvrage par le fait que je reacutefegravere agrave des citations et non au texte dans son

inteacutegraliteacute en raison de la reacuteglementation sur les droits drsquoauteur

Partons drsquoun tel effet de contraste entre des citations courtes Certaines ont deacutejagrave eacuteteacute

commenteacutees en particulier 64 les secondes sont agrave venir

A - 64 laquo Point de choses agrave dire preacuteexistant agrave notre faccedilon drsquoen parler raquo ou 673 laquo On

srsquoeacutegare en assimilant la reacutefeacuterence agrave lrsquoobjet car si la grammaire est structure la rheacutetorique est

structurante crsquoest-agrave-dire reconstruit le monde sur le modegravele drsquoune grammaire raquo ou encore

1084 laquo hellipil nest scientifiquement dobjet que construit Construit sentend avec des

motshellip raquo ainsi que laquo La seacutemantique se deacutefinit non par la transparence du message aux

choses mais par loccasion quelles nous donnent de remanier synonymiquement ou

autonymiquement une seacutemiologie raquo De LrsquoOutil 2344

B - 1063 [Nous appelons science] laquo hellipici non un corps de doctrine mais justement cette

modaliteacute de leacutenonceacute qui ne se distingue du mythe que par la faccedilon dont quel quen soit le

paramegravetre sy reacuteduit leacutecart des mots et des choses sur la base dun reacuteameacutenagement systeacutema-

tique des premiers raquo ou 1143 laquo Si le ‟logosrdquo est eacuteminemment action du langage sur lui-mecircme

en fonction de lordre des choses le ‟muthosrdquo au contraire est action du langage sur les

choses dans le but de les conformer agrave ce quil dithellip raquo

Si lrsquoon isolait en B les seules formules laquo reacuteduire lrsquoeacutecart des mots et des choses raquo et laquo lrsquoordre

des choses raquo on serait en droit de se demander si JG nrsquoen revient pas un instant agrave lrsquoideacutee

ancienne drsquoun langage laquo nomenclature raquo sur fond laquo drsquoontologisme raquo Pourtant lrsquoensemble des

92 Notamment 6 41 et 2 73 233 agrave 6 23 5 251 3022

154 Une lecture de Jean Gagnepain

propos de type A formuleacutes agrave des moments clefs de lrsquoouvrage montre clairement qursquoil nrsquoen est

rien et que les principes eacutenonceacutes en A deacutefinissent bien le fond de la penseacutee de lrsquoauteur

Que lrsquoarbre ne cache pas la forecirct Cet ouvrage heacuterite explicitement de lrsquoessentiel de

lrsquoenseignement de Saussure pour qui la theacuteorie de la valeur est antinomique drsquoune conception

reacutefeacuterentialiste Il heacuterite tout aussi reacuteellement de Husserl93 Freud Cassirer ou Bachelard sur

ces principes

Il faut donc reacutefleacutechir agrave ce qui motive cet eacuteventail de formulations de la question du sens Jrsquoy

vois trois raisons

- Cette impression peut drsquoabord reacutesulter de ce que lrsquoon ne prend pas suffisamment en

compte le contexte large drsquoougrave lrsquoon extrait ces termes Il y a en particulier laquo choses raquo et

laquo choses raquo selon les contextes On peut ainsi comprendre la formule laquo lrsquoordre des choses raquo non

comme le postulat drsquoun ordre inheacuterent agrave une reacutealiteacute exteacuterieure au langage un ordre preacutetendu

analytique comme le suggegravere ce pluriel laquo les choses raquo mais comme lrsquoordre que le langage

introduit dans la reacutealiteacute (ou si lrsquoon veut laquo dans de la chose raquo) en la laquo deacuteterminant raquo de telle

sorte que laquo les choses raquo ou pour mieux dire laquo les concepts raquo voire laquo les faits raquo en sont le

produit laquo hellipLe sens nest point dans les choses mais seulement dans le processus gracircce auquel

lhomme intelligent leur confegravere lintelligibiliteacute raquo 734 formule reprise drsquoun Seacuteminaire laquo Crsquoest

parce que nous sommes capables drsquoanalyse donc drsquointelligibiliteacute que nous confeacuterons agrave

lrsquounivers dans lequel nous sommes cette mecircme intelligibiliteacute raquo94

- Cette variation entre propositions peut aussi deacutecouler de la prise en compte du laquo reacutecep-

teur raquo auquel le propos est adresseacute agrave un moment donneacute de lrsquoexposeacute Les propos sur le thegraveme

de lrsquoadeacutequation relegravevent de ces faciliteacutes de langage qui font que lrsquoon est conduit dans un souci

de concision et de simplification agrave reprendre des formules reacuteductrices qui nrsquoont pas la profon-

deur theacuteorique du reste du propos tenu Tout professeur peut en teacutemoigner Crsquoest le cas me

semble-t-il du poncif laquo les mots et les choses raquo Rappelons que Foucault publie en 1966 Les

mots et les choses sans pour autant qursquoon le considegravere comme un continuateur de la doctrine

thomiste ndash laquo veritas est adaeligquatio rei et intellectus raquo (la veacuteriteacute est la correspondance de la

penseacutee et des choses) ndash ni du laquo reacutealisme raquo naiumlf critiqueacute par Gaston Bachelard Et que penser

de Saussure quand il deacuteclare laquo Toute deacutefinition faite agrave propos drsquoun mot est vaine crsquoest une

mauvaise meacutethode que de partir des mots pour deacutefinir les choses raquo (Cours p31) ougrave les

laquo choses raquo en question sont en fait les laquo notions raquo de laquo Sprache Rede raquo (Alld) et de laquo sermo et

lingua raquo (Latin) Doit-on renoncer agrave dire qursquoen parlant on cherche laquo agrave deacutefinir les choses raquo

Doit-on suspecter de reacutealisme naiumlf la formule laquo la terre tourne autour du soleil raquo au motif

qursquoun astrophysicien peut estimer qursquoil srsquoagit drsquoune simplification Ce serait faire fi de la relati-

viteacute du sens de ces termes On aura deacutejagrave bien compris agrave la lecture de la partie consacreacutee agrave la

signification que pour JG le signe nrsquoest pas un laquo tas de mots raquo et que par conseacutequent nrsquoexiste

pas non plus laquo un tas de choses raquo Je pense par ailleurs que lrsquoimage de laquo la reconstruction raquo

673 preacutevaut quant au fond sur celle de laquo la reacuteduction drsquoun eacutecart raquo 1063 mais que les

formules varient selon le type et la densiteacute drsquoinformation theacuteorique que lrsquoauteur veut faire

93 Cf le seacuteminaire du 7 mai 1987 laquo La fin du Cogito raquo en partie consacreacute agrave une confrontation entre la Theacuteorie de la meacutediation et lrsquoœuvre de Husserl Cependant la distance est grande avec lrsquoadheacuterence au veacutecu et la reacuteduction de la connaissance agrave la perception (humaine) procircneacutees par Maurice Merleau-Ponty laquo Le reacuteel est un tissu solide (hellip) il nrsquoattend pas notre jugement raquo In La pheacutenomeacutenologie de la perception avant-propos pV (citeacute par Jean-Claude Schotte La raison eacuteclateacutee p 289)

94 Seacuteminaire du 8 janvier 1976

De la deacutesignation 155

passer agrave tel ou tel moment de son exposeacute Il y a un temps pour laquo un cachet raquo un autre pour

laquo de lrsquoaspirine raquo et un autre encore pour laquo de lrsquoacide aceacutetylsalicylique raquo

- Cela dit ces consideacuterations rheacutetoriques ne suffisent pas selon moi agrave expliquer ces

diffeacuterences de raisonnement Rentre aussi en ligne de compte sa conception de lrsquohomme

nature et culture telle qursquoil en a eacuteprouveacute la complexiteacute agrave travers la clinique

Par expeacuterience de clinicien jrsquoentends lrsquoobservation des agnosies (observation directe ou par

lrsquointermeacutediaire des thegraveses qursquoil a dirigeacutees) Elles ne sont pas eacutevoqueacutees dans lrsquoouvrage mais

dans son expeacuterience elles font contraste avec les aphasies95 En teacutemoignent dans le Vouloir-

Dire le thegraveme de la gestalt et celui de lrsquoancrage de la culture dans la biologie Nous lrsquoavons vu

degraves la page 251 laquo Il nest pas vrai que la nature soit comme on le dit amorphe et continue

du moins le vivant y introduit-il des contours qui preacutealablement linforment et auxquels nous

reacuteservons le nom de Gestalt pour la mieux dissocier dune forme qui trouve en elle son ressort

et ne sen distingue que parce quelle la nie Le discret reacutesulte chez lhomme - et cest lagrave sa

culture - dune non-coiumlncidence et non dune invention raquo Dans la mecircme page il deacutefinit

laquo lrsquoobjet raquo comme laquo la chose en tant qursquoelle est perccedilue raquo (gestaltiquement) On remarquera ce

thegraveme laquo des contours raquo qui rappelle que lrsquohomme culturel laquo baigne raquo dans un monde tout

aussi (quoiqursquoautrement) humain qursquoil construit par son aptitude naturelle agrave laquo lrsquoobjet raquo perccedilu

et au laquo symbole raquo Je renvoie ici aux formulations ulteacuterieures de Cleacutement de Guibert Gilles

Clerval et Hubert Guyard96 laquo Le monde naturellement traiteacute nrsquoest pas amorphehellip [Citation

eacutevidente du Vouloir-Dire] hellip il est deacutejagrave ‟organiseacuterdquo Si ce nrsquoest donc pas la preacutesence drsquoune

organisation ou drsquoune deacutefinition qui signe la speacutecificiteacute culturelle cette derniegravere reacuteside bien

dans le mode drsquoorganisation ou de deacutefinition structure vs configuration raquo La distinction

terminologique finale a deux fonctions souligner drsquoune part que le monde de la gestalt nrsquoest

pas un monde analyseacute proposer drsquoautre part des termes ndash laquo configuration configureacute raquo ndash qui

reacuteduisent en partie le vague de la notion de laquo choses raquo et la polyseacutemie du pluriel ainsi formuleacute

(Cf supra les gloses de la p 25 du texte)

Il y a laquo choses raquo et laquo choses raquo encore drsquoune autre maniegravere qui est en arriegravere-plan de la

notion de laquo monde raquo chez JG lequel utilise aussi la notion drsquo laquo expeacuterience raquo Ce laquo monde raquo

ainsi reconstruit sur le mode de lrsquoanalyse par la rheacutetorique nrsquoest pas seulement celui de la

gestalt naturelle de lrsquohomme Lrsquohumain vit aussi humainement dans un bain de structure

technique sociale et axiologique donc de laquo non-confusion raquo qui compte dans la

laquo reconstruction raquo conceptuelle

Le cas de la laquo douleur raquo est exemplaire comme lrsquoanalyse Hubert Guyard laquo Lrsquohomme ne

fait pas que ressentir la douleur il la creacutee agrave sa propre image et lui confegravere les caracteacuteristiques

rationnelles qui le speacutecifient en tant qursquohomme (hellip) La douleur devient humaine parce qursquoelle

est meacutediatiseacutee par le filtre des mots avec lesquels on cherche agrave la penser mais aussi par le

filtre des moleacutecules et des dispositifs techniques par lesquels on cherche agrave la traiter ainsi que

par le filtre des meacutetiers qui tentent de la prendre en charge et enfin avec le filtre des

exigences morales avec lesquels on tente de lrsquoendurer raquo97

En somme ce monde loin drsquoecirctre un monde en soi est un monde drsquoembleacutee humaniseacute

naturellement et culturellement Je crois que les notions drsquo laquo expeacuterience raquo et de laquo situation raquo

95 Sur ce contraste voir Hubert Guyard et Jean-Yves Urien (2006) laquo Des troubles du langage agrave la pluraliteacute des raisons raquo in Le Deacutebat mai-juin 2006 Paris Gallimard

96 In laquo Biaxialiteacute saussurienne et biaxialiteacute gestaltique Arguments cliniques raquo Teacutetralogiques 15 (2003) p226

97 Hubert Guyard 2009 La plainte douloureuse Rennes Presses Universitaire de Rennes p15

156 Une lecture de Jean Gagnepain

que le lecteur rencontrera dans la partie qui suit integravegrent ce principe selon lequel lrsquohomme ne

peut pas sortir de sa condition Ces laquo choses-lagrave raquo ne peuvent ecirctre que les nocirctres elles ne sont

que ce que nous en faisons agrave la mesure agrave la fois de notre nature et des meacutediateurs culturels

Plusieurs passages de ses Seacuteminaires insistent sur ce point

Dans son Seacuteminaire du 15 janvier 1987 La preuve par neuf JG disait ceci laquo Quand on

parle du monde on ne le saisira jamais comme il est comment est-il Est-il mecircme Ce quon

saisit cest comment nous lhumanisons Autrement dit on ne saisit ni lhomme ni le monde

mais on saisit dans la maniegravere mecircme de le connaicirctre la maniegravere dont lhomme contribue par

le langage au-delagrave du percept agrave lhumaniser en concept Cest ce que jappelle le caractegravere

abstrait-concret du concept parce que vous navez lexpeacuterience ni de labstraction ni du concret

Vous ne pouvez pas saisir le concret indeacutependamment du langage Lrsquoabstrait si vous croyez le

saisir cest parce que vous reacuteifiez les vocables et que le vocable devenant chose vous sombrez

dans le formalisme Mais on ne peut ecirctre ni formaliste ni reacutealiste cest une acircnerie doublement

substantialiste raquo

De mecircme le 18 deacutecembre 1987 il deacuteclarait laquo refuser tout substantialisme drsquoougrave qursquoil vienne

On ne peut opposer lrsquohomme et les choses raquo Et dans le seacuteminaire du 7 mai 1987 La fin du

Cogito laquo Au fond lrsquohomme ne peut atteindre que de la rationaliteacute Drsquoune part parce qursquoil est

raison et deacutefini comme tel en tant qursquohomme et drsquoautre part parce que le reste ne lui devient

accessible qursquoagrave condition drsquoecirctre par lui rationaliseacute (hellip) On ne peut plus opposer comme deux

substances lrsquohomme drsquoun cocircteacute et le reste de lrsquounivers de lrsquoautre On en peut plus opposer agrave

lrsquohomme dont la rationaliteacute speacutecifie les sciences humaines ce qursquoon appelle partout une reacutealiteacute

ndash agrave laquelle lui-mecircme ne cesse drsquoappartenir ndash mais une reacutealiteacute encore une fois qui ne lui est

accessible que transformeacutee en raison de ce que nous avons appeleacute son nominalisme son

artificialisme son leacutegalisme son finalisme (hellip) Ce qursquoon atteint crsquoest uniquement de la

meacutediation crsquoest-agrave-dire de la relation raquo98

Ce deacuteveloppement nrsquoeacutepuise pas le deacutebat notamment sur le thegraveme de la laquo construction raquo

versus de laquo la reacuteduction drsquoeacutecart raquo de laquo lrsquoadeacutequation raquo de la laquo viseacutee raquo de laquo lrsquoeacutecart et la coiumlnci-

dence raquo Pour moi il nrsquoy a pas antinomie entre ces approches seulement variation de

lrsquoeacuteclairage en partie lieacutee agrave lrsquoimaginaire topologique de la dialectique deacutejagrave preacutesent drsquoailleurs

dans la varieacuteteacute de sens de la laquo Aufhebung raquo chez Hegel Comment pourrait-on reacuteduire une

pareille probleacutematique agrave une seule formulation

Revenons au texte

98 Jacques Laisis formule pour sa part ce principe agrave travers lrsquoopposition du laquo reacuteel raquo et de la laquo Reacutealiteacute raquo

laquo Heacuteritiegravere en cela de la reacutevolution Kantienne la glossologie renverse notre rapport au reacuteel Loin qursquoil nous soit exteacuterieur et opposable comme traditionnellement lrsquoeacutetait lrsquoobjet au sujet le reacuteel est toujours notre œuvre en ce qursquoil nrsquoest pour nous qursquoen tant qursquoil est ‟a priori cateacutegoriseacute par un entendementrdquo Ce reacuteel toujours anthropomorphique puisqursquoil porte neacutecessairement la marque anthropomorphique de son instauration ici verbale ne saurait se confondre avec une Reacutealiteacute qui serait laquo en soi raquo mais dont on ne saurait rien dire sauf agrave lrsquoinstaurer deacutejagrave

dans un reacuteel De la ‟Reacutealiteacuterdquo lrsquoon ne saurait rien dire sinon neacutegativement qursquoelle reacutesiste agrave notre formulation

qursquoelle ne se reacutesout pas dans la formulation de notre reacuteel De la reacutesistance on peut toujours faire lrsquoexpeacuterience qui est une eacutepreuve Agrave lrsquoinverse du reacuteel qui parce qursquoil est cateacutegoriellement analyseacute se formule en ‟chose rdquo la reacutealiteacute nrsquoest jamais positivement quelque chose mais toujours neacutegativement pur principe en lrsquooccurrence de contradiction raquo 1991 Apport meacutethodologique de la linguistique structurale agrave la clinique (neurologique et psychiatrique) Thegravese de doctorat dEacutetat Rennes 2 (non publieacutee) p68

De la deacutesignation 157

INTRODUCTION

Le Titre Je rappelle que le terme de laquo deacutesignation raquo est agrave comprendre comme le principe

de laquo neacutegation raquo de la laquo neacutegativiteacute raquo provoqueacutee par le principe de laquo signification raquo (grammati-

cale) Il faut lire autant laquo deacute-signation raquo et non pas laquo pointage drsquoun objet avec le doigt raquo

mecircme meacutetaphoriquement Il nrsquoy a rien laquo au bout raquo il y a ndash et ce nrsquoest pas rien ndash de

lrsquoexpeacuterience humaine qui vient agrave la fois provoquer la deacutesignation et lui reacutesister (Cf supra 233

et lrsquointermegravede 4 qui preacutecegravede)

En 671-2 JG impute le moindre deacuteveloppement drsquoune theacuteorie de la performance en

linguistique (seacutemantique et phoneacutetique) au fait que le structuralisme a traiteacute de maniegravere

laquo approfondie raquo de la forme grammaticale (de laquo lrsquoinstance raquo) sans laquo eacutequivalents raquo (du cocircteacute de

la laquo performance raquo) laquo par suite de la reacutesistance initiale des litteacuteraires raquo 671 Pour JG en 1982

lrsquoapproche litteacuteraire du sens reste trop verbale et relegravegue le reste au rang de laquo sous-lecture raquo

laquo Crsquoest toujours de lecture qursquoil srsquoagit et leurs actants nrsquoont drsquoautres drames que verbaux raquo

672

JG en vient agrave lrsquoessentiel la neacutecessiteacute drsquoune perspective dialectique 673-4

En 673 il fait correspondre lrsquoallemand laquo Sinn Bedeutung raquo agrave lrsquoopposition respectivement

entre laquo signification raquo grammaticale et laquo sens raquo seacutemantique (ou laquo reacutefeacuterence raquo rapport du signe

agrave la conjoncture) toutes notions deacutefinies dans le chapitre preacuteceacutedent99 Il ne faut cependant

pas chercher agrave mettre en totale correspondance ces termes avec leur usage en logique ou en

philosophie du langage Lrsquoarticle originel de Frege (1892) qui porte ce nom est geacuteneacuteralement

traduit par les termes laquo sens reacutefeacuterence raquo ou laquo sens deacutenotation raquo Traduction anglaise On

sense and reference

laquo Le reacuteinvestissement nrsquoannule pas lrsquoanalyse mais la reacuteameacutenage en fonction de la conjonc-

ture Il nrsquoest point autrement dit positivation veacuteritable mais dialectiquement neacutegation de la

neacutegativiteacute le principe lui-mecircme reste inchangeacute raquo (hellip) laquo Cest pourquoi justement lon seacutegare

en assimilant la reacutefeacuterence agrave lobjet car si la grammaire est structure la rheacutetorique est

structurante crsquoest-agrave-dire reconstruit le monde sur le modegravele drsquoune grammaire raquo 673 Cf Les

Huit leccedilons (2010 p 83) laquo Passer au concept nrsquoest pas sortir de lrsquoambiguiumlteacute mais contester

celle que nous impose la grammaire raquo Le signe est ainsi dans sa totaliteacute analyse ndash le principe

en reste laquo inchangeacute raquo ndash mais il est analyse de deux maniegraveres antagonistes La seacutemantique en

particulier nrsquoest pas une nomenclature reproduisant dans des concepts un agencement a

priori du monde en laquo choses raquo elle nrsquoest pas le reflet drsquoune ontologie La seacutemantique est une

intelligibiliteacute langagiegravere drsquoun principe de reacutealiteacute agrave laquelle elle se confronte une intelligibiliteacute

fondeacutee sur un raisonnement analytique Pour le dire encore autrement la rheacutetorique ne

laquo repreacutesente pas raquo le monde en cherchant une sorte de transposition laquo de choses raquo dans le

message elle construit une conception laquo structurante raquo du monde Certes JG dit ici qursquoelle le

laquo reconstruit raquo formule ougrave le preacutefixe laquo re- raquo precircte agrave une interpreacutetation laquo reacutefeacuterentialisme raquo si

lrsquoon pense agrave une transposition drsquoune construction vers une autre Cependant cette lecture est

vigoureusement deacutementie agrave plusieurs reprises notamment par la proposition laquo Parler crsquoest

causer raquo (dans le sens drsquointroduire du deacuteterminisme) 1071 ou par ce refus de laquo lrsquoillusion drsquoun

99 Seacuteminaire du 4 deacutecembre 1975 laquo Entre forme grammaticale et proprieacuteteacute rheacutetorique il y a un peu le mecircme rapport pour ceux qui ont fait de la logique que Frege met entre Sinn et Bedeutung Le Sinn qui rend le message compreacutehensible et la Bedeutung qui rend le message appreacutehendable raquo PJ p 40

158 Une lecture de Jean Gagnepain

univers dicible avant mecircme qursquoil ne soit dit raquo 823 Cette prise de position contre toute forme

de positivisme est reacutecurrente 734 851 944 1071 1144 1244 1861 etc100

Le passage laquo lrsquoon srsquoeacutegare en assimilant la reacutefeacuterence agrave lrsquoobjet raquo 673 srsquoadresse donc au

positivisme logique en philosophie du langage Cette formulation peut ecirctre lrsquooccasion de faire

le point sur la notion de laquo reacutefeacuterence raquo dans le Vouloir-Dire Preacuteceacutedemment JG deacutefinissait

celle-ci comme le laquo rapport du signe agrave la conjoncture raquo 633 par opposition agrave laquo lrsquoincidence raquo

rapport du signe agrave la structure grammaticale Deux points sont agrave souligner Il srsquoagit du

processus de raisonnement lui-mecircme et non pas du reacutesultat du raisonnement 101 Et surtout

le preacutesent paragraphe montre que ce laquo rapport raquo est une confrontation en ce que la

conjoncture reacutesiste agrave lrsquoessai drsquointelligibiliteacute creacuteeacute par le signe jusqursquoagrave produire un effet relatif de

laquo proprieacuteteacute raquo crsquoest-agrave-dire de laquo congruence raquo (ou de moindre incongruiteacute)

laquo Ni formalisme ni positivisme une theacuteorie complegravete et correcte du signe inclut de

plein droit comme srsquoidentifiant agrave lrsquoune de ses phases une theacuteorie du concept raquo 681 La

diffeacuterence est donc profonde avec la notion de signe dans le Cours du moins dans la

lecture qursquoen fait JG le laquo signe raquo saussurien y est vu comme un fait de laquo langue raquo

laquelle srsquooppose agrave la laquo parole raquo dans une dichotomie et non une dialectique laquo hellipla trop

ceacutelegravebre - et statique - dichotomie de la Langue et de la Parole raquo 1282 et 172 Noter que

JG ignore la formulation laquo soustractive raquo de cette opposition laquo La langue est pour nous

le langage moins la parole raquo (Cours p112) mais cette variante reste dans la ligne du

laquo statisme raquo saussurien La diffeacuterence est aussi radicale drsquoavec le positivisme logique

Enfin laquo concept raquo est agrave entendre comme laquo processus mental de conceptualisation raquo

laquo La meacuteprise est flagrante de ceux quihellip raquo hellip confondent grammaire et rheacutetorique en

particulier seacutemiologie et seacutemantique 682 JG observe cette confusion dans deux courants

- laquo Traditionnellement raquo Meacutelange de grammaire ndash par laquelle laquo nous creacuteons lrsquoeacutequivociteacute raquo

crsquoest-agrave-dire lrsquoimproprieacuteteacute et de rheacutetorique ndash par laquelle laquo nous levons lrsquoeacutequivociteacute raquo en

produisant la prononciation et le sens par confrontation agrave la situation

- laquo Ceux qui de nos jours identifient instance et compeacutetencehellip raquo 682 Il srsquoagit de la

grammaire geacuteneacuterative Chomsky oppose les concepts de laquo compeacutetence raquo et de laquo perfor-

mance raquo JG soutient ici que lrsquoun et lrsquoautre de ces concepts neacutegligent lrsquoimproprieacuteteacute grammati-

cale en laquo excluant lrsquoerreur raquo On se souvient dans le chapitre preacuteceacutedent de lrsquoallusion agrave laquo la

peur de lrsquoennemi raquo traiteacute par la grammaire geacuteneacuterative comme relevant de deux structures

grammaticales sous-jacentes selon le sens donneacute agrave cette formulation JG critiquait en cela la

circulariteacute de la deacutemarche laquelle part de la diffeacuterence ressentie explicitement par le

locuteur pour modeacuteliser deux relations syntaxiques implicites distinctes censeacutees expliquer

elles-mecircmes la diffeacuterence de sens Le sens explique la syntaxe qui explique le sens Agrave cela

srsquoajoute la critique de laquo lrsquoethnocentrisme raquo de la grammaire geacuteneacuterative accuseacutee en

permanence de projeter la structure de lrsquoanglais sur lrsquoensemble des autres langues

100 Jean Gagnepain avait gloseacute la formulation laquo reconstruire le monde raquo dans un Seacuteminaire anteacuterieur le 18 novembre 1976 laquo Pour un statut de lrsquohypostase raquo 2egraveme partie laquo la reacutealiteacute du mythe raquo en lui preacutefeacuterant laquo hellip un monde raquo laquo On a deacutenatureacute ma phrase ou du moins ma penseacutee en disant ‟ le monde rdquo Cette deacutenaturation rend ma phrase fausse mais elle reste vraie si lrsquoon prend soin de reacutetablir ‟ un rdquo raquo Lrsquoargument eacutetait de prendre en compte agrave eacutegaliteacute la rheacutetorique mythique et la rheacutetorique scientifique (Cf infra) Pour lrsquoinstant lrsquoarticle laquo un raquo accentue lrsquoideacutee que laquo ce monde raquo connaissable ne preacuteexiste pas au dire mais qursquoil en reacutesulte et qursquoil en possegravede la relativiteacute

101 Cf Lrsquoopposition laquo energeia ergon raquo chez Humboldt ou encore laquo noegravese noegraveme raquo chez Husserl Voir infra 69 4-5

De la deacutesignation 159

On invoque laquo Port-Royal raquo on pourrait invoquer le laquo Port-au-foin car lrsquohumanisme affleure

degraves que lrsquoon fait du sens un preacutealable du langage raquo 682

Le premier terme fait allusion au fait que Chomsky se reacuteclame du rationalisme classique de

Descartes et de la Grammaire Geacuteneacuterale dite de Port-Royal Sociolinguistiquement parlant ces

grammaires traitent du latin et du franccedilais des eacutelites de lrsquoeacutepoque Le second terme est attacheacute

par la culture scolaire agrave une anecdote tireacutee de la Vie de Franccedilois de Malherbe (1555-1628) par

Racan selon laquelle laquo quand on luy demandoit son advis de quelque mots franccedilois il

renvoyoit ordinairement aux crocheteurs du port-au-Foin amp disoit que crsquoestoit ses maistres

pour le Langage raquo (p 41) Les crocheteurs en question eacutetant les portefaix drsquoun ancien port

parisien (Ceux qui laquo faisaient gregraveve raquo Quai de la Gregraveve jusqursquoagrave ce que la loi reacutevolutionnaire de

Le Chapelier en juin 1797 le leur interdise)

JG veut dire dans ce passage qursquoil importe peu lorsque lrsquoon prend une perspective seacuteman-

tique que lrsquoon se reacutefegravere agrave lrsquousage de la noblesse ou agrave celle du petit peuple Les principes du

langage y sont identiques mecircme srsquoil y a des degreacutes en termes de preacutecision et de compleacutetude

seacutemantique Autrement dit le laquo meacutetalangage raquo speacutecialiseacute du linguiste et le raisonnement banal

tenu par laquo lrsquousager raquo relegravevent des mecircmes principes seacutemantiques

En outre la formule laquo lrsquoon fait du sens un preacutealable du langage raquo reacutepegravete la critique

constante du positivisme laquo point de choses agrave dire preacuteexistant agrave notre faccedilon den parler raquo 64

et laquo parler nrsquoest point dire des choses raquo 233 Ce qursquoon appelle laquo sens raquo est toujours un laquo effet

de sens raquo un raisonnement laquo effectueacute raquo selon le mode de fonctionnement dialectique et

analytique du signe

Le sect 683 poursuit ce thegraveme de la laquo circulariteacute anthropologique raquo sous son aspect seacuteman-

tique Nous sommes laquo agrave la fois juge et partie raquo puisque le linguiste traite seacutemantiquement de

lrsquoobjet seacutemantique Sa performance langagiegravere a pour objet la performance langagiegravere laquo Nous

sommes tous sciemment rheacutetoriciens raquo

laquo Si science nrsquoest pas conscience elle nrsquoest pas pure logique non plus Il faut pour la

construire en corriger inductivement les excegraveshellip raquo laquo Logique raquo Srsquoagit-il de la logique formelle

ou de la forme grammaticale Dans le premier cas laquo les excegraves raquo sont ceux du formalisme

dans le second il srsquoagirait du risque de raisonnement laquo mythique raquo induit par les formes

grammaticales (Les jeux de mots Cf infra la notion de seacutemantique mythique) La reacutefeacuterence agrave

laquo lrsquoinduction raquo rappelle que la science laquo se confronte raquo agrave de lrsquoexpeacuterience 1071 point de

reacutesistance dans le traitement dialectique qursquoest le dire et dont le sens est le produit

REacuteFEacuteRENCE ET PROPRIEacuteTEacute

Les trois sections de cette partie (p68-84) ont pour objet de deacutefinir le pocircle de la dialectique

du dire appeleacute rheacutetorique

1- Les paramegravetres du message La rheacutetorique concerne la relation du signe agrave la situation

relation appeleacutee laquo reacutefeacuterence raquo Il srsquoagit de prendre en compte les divers aspects de cette

relation en termes de paramegravetres JG positionne ici son modegravele par rapport agrave la theacuteorie des

laquo fonctions du langage raquo de Roman Jakobson

2 ndash Du formel au stochastique En quoi la rheacutetorique est-elle un pocircle de la dialectique du

dire

160 Une lecture de Jean Gagnepain

3 ndash Theacuteorie des tropes La rheacutetorique un processus de construction de proprieacuteteacute Cette

proposition est incompatible avec la tradition des laquo tropes raquo et des laquo figures raquo qui postulent

un point de repegravere (le sens laquo propre raquo) dont srsquoeacutecartent des laquo sens figureacutes raquo selon une

typologie des tropes

1 - Les paramegravetres du message

laquo Lrsquousage que nous faisons du termehellip raquo 684 Il srsquoagit du terme laquo rheacutetorique raquo dans la

formule conclusive du paragraphe preacuteceacutedent et par-delagrave le titre de lrsquoalineacutea laquo Nous sommes

tous des rheacutetoriciens raquo JG veut souligner en reprenant ce terme scolaire qursquoil entend se

deacutegager de cet heacuteritage laquo Rheacutetorique raquo et laquo Grammaire raquo nomment ici les deux pocircles de

lrsquoaptitude mentale de laquo signe raquo qui fonde le langage

laquo Double rupturehellip Lrsquoune concerne la ‟praxisrdquohellip lrsquoautre dans lrsquoappreacutehension du ‟pragmardquo le

privilegravege [accordeacute agrave] lrsquoobjethellip raquo

Le premier problegraveme traiteacute concerne la dissociation des plans singuliegraverement la distinction

dans la parole entre laquo lrsquoacte social raquo et le raisonnement logique Lrsquoacte social est une

laquo praxis raquo dans le sens que Marx et la pragmatique donnent agrave ce terme praxis dont lrsquoanalyse

relegraveve de la sociolinguistique Le raisonnement logique lui est proprement rheacutetorique il en

sera question dans les deux paragraphes suivants et il concerne la seule intelligibiliteacute

langagiegravere du laquo pragma raquo agrave savoir de lrsquoexpeacuterience (Du grec laquo πρᾱγμα raquo ce que lrsquoon fait ou

chose) JG donne constamment agrave ce terme un sens logique (742 1055 1121) et en mecircme

temps dynamique Cette premiegravere deacutemarche de dissociation et de speacutecification du fait

rheacutetorique est neacutecessaire pour aborder le second problegraveme

La seconde deacutemarche consiste agrave prendre en compte lrsquoensemble des contraintes qui

deacuteterminent les messages sans se limiter agrave la seule contrainte objective 693 etc

Reprise du thegraveme de la dissociation par une critique de lrsquoapproche scolaire des textes 685

agrave 692 JG joue ici sur le mot laquo rheacutetorique raquo car celle dont il parle ici est celle des traiteacutes

drsquoeacuteloquence et non celle qursquoil deacutefinit comme une proprieacuteteacute de tout locuteur En classe donc

les morceaux sont choisis selon des restrictions agrave la fois seacutemantiques techniques socio-

logiques et axiologiques Il faut donc drsquoune part eacutelargir le champ de lrsquoobservation agrave tout ce

qursquoest capable de produire un locuteur et drsquoautre part ne pas confondre les divers points de

vue explicatifs des productions langagiegraveres

- aspect seacutemantique laquo Ces messages closhellip [produisent] comme une impression drsquoabsolu raquo

Or ce nrsquoest qursquoune petite partie des messages possibles

- aspect technique Privilegravege accordeacute aux eacutecrits sur lrsquooraliteacute

- aspect sociologique laquo Promouvoir le parler drsquoune eacutelite raquo laquo Persuader insidieusement au

lecteur que toute rheacutetorique exigeait du geacutenie raquo 691

- aspect axiologique Privilegravege accordeacute aux laquo chefs-drsquoœuvre raquo Or la rheacutetorique eacutetant

proprieacuteteacute du langage deacutetermine tout message puisqursquoelle en est le mode de production Pour

la reconnaicirctre il fait dissocier laquo langage et beau langage raquo 692

Reprise ensuite du thegraveme de la multipliciteacute des paramegravetres de lrsquoopeacuteration de reacutefeacuterence

Refus de ne concevoir de proprieacuteteacute au message laquo qursquoobjective raquo laquo Quiconque se soucie

drsquoinformationhellip sait que lrsquoobjet nommeacute nrsquoest qursquoun eacuteleacutement de la situation raquo 693 Si lrsquoon se

De la deacutesignation 161

souvient que laquo parler nrsquoest point dire des choses raquo 233 on peut conclure qursquoil faut entendre

que laquo lrsquoobjet raquo en question est le concept qui reacutesulte de lrsquoopeacuteration seacutemantique de deacutenomina-

tion Quant agrave la laquo situation raquo il faut la comprendre non comme un laquo eacutetat de fait raquo mais

comme le produit humain de sa preacutesence au monde (Cf lrsquointermegravede 4)

Transition avec le thegraveme de la dissociation pour cela il faut renoncer agrave laquo appreacutecier le bon

le faux le contresens raquo en un mot il faut renoncer au laquo jugement raquo

Typologie des paramegravetres du message

JG propose alors une typologie des laquo facteurshellip qui de lrsquoexteacuterieur motivent [le

rheacutetoricien] raquo 694 Quatre laquo paramegravetres raquo 695 sans hieacuterarchie entre eux laquo interfegraverent sans

se confondre raquo Leur laquo syncrasie raquo constitue le laquo contenu raquo du message

Il srsquoagit de lrsquoobjet de lrsquoeacutemetteur du reacutecepteur-destinataire et enfin du vecteur et laquo des

circonstances spatiotemporelles raquo

La notion de laquo facteurs raquo ou laquo paramegravetres raquo de la situation est singuliegraverement eacuteclaireacutee

beaucoup plus loin dans lrsquoouvrage agrave propos de la dialectique de lrsquooutil Voici ce passage

duquel on peut soustraire la reacutefeacuterence agrave la production technique laquo [Il faut reacutesister agrave]hellip la

vieille tentation dores et deacutejagrave deacutenonceacutee pour ce qui est de la glossologie et consistant

finalement agrave confondre avec lunivers positif de la Gestalt lunivers structuralement investi Les

facteurs de la situation ne sont tels quen vertu du mouvement de reacutefeacuterence ou dadaptation

qui dialectiquement les instaure sans preacutejuger au demeurant des faccedilons dont [la production

comme] la deacutesignation sefforce[nt] de reacuteduire explicitement leacutecart et que nous nommons des

viseacutees dautres aussi des fonctions raquo De LrsquoOutil 1773

Ainsi crsquoest la dialectique qui laquo instaure raquo les laquo facteurs raquo de la situation qui finalement

confegravere statut de laquo situation raquo agrave la preacutesence au monde de lrsquohumain mais aussi constitue

lrsquoirreacuteductible laquo eacutecart raquo entre celle-ci et la connaissance qursquoil y met par le signe En parlant de

laquo mouvement de reacutefeacuterence ou drsquoadaptation raquo JG speacutecifie que la laquo viseacutee raquo rheacutetorique est une

activiteacute mentale un raisonnement et non pas la reacuteception passive drsquoune information exteacute-

rieure Plus tard il consacrera une partie du seacuteminaire du 7 mai 1987 ndash laquo La fin du cogito raquo ndash agrave

Husserl qursquoil tient pour laquo responsable de la fin du cogito raquo et lrsquoinitiateur drsquoune autre

conception de la connaissance Il y rappelle la distinction que celui-ci introduit entre laquo noegravese raquo

(laquo un processus raquo dit JG) et laquo noegraveme raquo (laquo une reacutesultante raquo) Il rapproche la notion de

laquo reacuteinvestissement raquo de celle de laquo Zuruumlck zu den Sachenselbst raquo retour aux choses elles-

mecircmes tout en critiquant le laquo -selbst raquo Enfin il souligne la distinction faite entre laquo Objeckt raquo

et laquo Gegenstein raquo Il est donc leacutegitime de rapprocher cette notion de laquo viseacutee raquo de la laquo viseacutee

intentionnelle raquo des Recherches logiques Le franccedilais traduit par laquo viseacutee raquo le terme allemand

Meinung chez Husserl (laquo In einem Meinungsstrahl raquo en un seul rayon-de-viseacutee Meacuteditations

carteacutesiennes 477) ce qui montre qursquoil srsquoagit bien pour cet auteur drsquoun fait seacutemantique Paul-

Eacutemile Geoffroy dans une confeacuterence laquo Le cercle et lrsquoamplificateur Hermeacuteneutique et

signification raquo (sur la Toile) propose comme synonyme laquo Ce vouloir-dire raquo Cela dit JG se

seacutepare de Husserl drsquoabord par le thegraveme de la dialectique car il considegravere que le thegraveme

husserlien de la laquo Wesenschau raquo (1er livre) et celui plus tard formuleacute en laquo Zuruumlck zu den

Sachenselbst raquo sont conccedilus comme laquo une inversion raquo de sa theacuteorisation et non comme les

deux phases drsquoune dialectique

162 Une lecture de Jean Gagnepain

Gagnepain Buumlhler et Jakobson paramegravetres et non fonctions

JG positionne ensuite sa typologie par rapport agrave celle bien connue de Roman Jakobson102

qui elle-mecircme remaniait celle de Karl Buumlhler et par rapport laquo aux linguistes raquo qui srsquoen sont

inspireacutes 695

Il rappelle la typologie des laquo fonctions du langage raquo chez Jakobson La perspective de celui-

ci est fonctionnaliste en ce qursquoil tente de reacutepondre agrave la question laquo Agrave quoi sert le langage raquo

ce qui nrsquoest pas du tout le propos de JG Roman Jakobson distingue six fonctions les trois

premiegraveres eacutetant reprises de Karl Buumlhler 103 et reacuteinterpreacuteteacutees fonctions reacutefeacuterentielle

expressive conative phatique meacutetalinguistique et poeacutetique (Voir Wikipeacutedia ou autres

encyclopeacutedies pour une deacutefinition sommaire) JG met de cocircteacute les deux derniegraveres dans ce

passage pour en faire la critique ulteacuterieurement Les quatre premiegraveres sont profondeacutement

remises en question dans le cadre de la TdM en raison de la dissociation des plans et du carac-

tegravere dialectique de la rationaliteacute

laquo Nous parlons de paramegravetres [et non pas] de fonctionshellip pour trois raisons 695

- laquo Tout est reacutefeacuterence raquo En disant cela JG a deacutejagrave anticipeacute du laquo tout raquo dont il traite dans ce

chapitre agrave savoir restrictivement de rheacutetorique Contrairement agrave Jakobson JG ne pense pas

que le langage soit un objet scientifique homogegravene et il eacutetudie ici la seule capaciteacute de signe Il

faut donc opposer aux laquo fonctions du langage raquo les laquo paramegravetres rheacutetoriques du message raquo La

notion de laquo reacutefeacuterence raquo deacutesigne alors lrsquoensemble des aspects de la mise en relation du

message grammatical avec la situation dont reacutesulte lrsquoinformation phoneacutetique et seacutemantique

Cf 633 laquo la reacutefeacuterence ou rapport du signe agrave la conjoncture raquo laquo Reacutefeacuterence raquo est un nom

drsquoaction qui deacutefinit le raisonnement seacutemantique lui-mecircme Elle ne preacuteexiste pas au fait de dire

mais en est un aspect Ce dernier point est fondamental

- laquo Il est dangereux drsquoopposer le messagehellip agrave lui-mecircme raquo Ce serait une forme de finalisme

Le finalisme juge dans quelle mesure un moyen (le langage) parvient agrave une fin ou des fins

notamment de lrsquoordre de la relation interpersonnelle et de lrsquoaffectiviteacute On opposerait alors le

moyen et les objectifs Et lrsquoon passerait ainsi agrave cocircteacute de lrsquoexplication du fonctionnement interne

et dialectique du signe

- La 3e controverse est double et concerne la confusion des plans dans le modegravele de

Roman Jakobson laquo Nous nous refusons agrave confondrehellip ce qui est inheacuterent agrave la deacutesignationhellip

avechellip raquo 7011

1- laquo hellipUn scheacutema de la communication qui reacuteduit le sens agrave lrsquousage raquo

2- laquo hellipCette exeacutegegravese du discours quihellip lrsquoidentifie agrave lrsquointention raquo

1- La premiegravere divergence porte sur la confusion faite entre signe et langue la langue eacutetant

lrsquousage social que la Personne fait du signe Chez Jakobson la langue est prise en compte agrave la

fois et en partie par les laquo fonctions expressive conative et phatique raquo Par ces trois concepts

il traite de lrsquoeacutechange entre interlocuteurs crsquoest-agrave-dire drsquoun acte social (tout en y meacutelangeant

des faits de lrsquoordre de lrsquoaffectiviteacute et des faits naturels) Lorsqursquoil parle sous le terme de

laquo fonction expressive raquo de la part du message laquo centreacutee sur le destinateur raquo et sous le terme

de laquo fonction conative raquo de la part laquo centreacutee sur le destinataire raquo il a bien compris qursquoil a

affaire agrave une relation humaine et que les deux partenaires du dialogue sont co-responsables

102 Roman Jakobson 1963 Essais de linguistique geacuteneacuterale

103 Karl Buumlhler 1934 Sprachtheorie 2009 Trad Didier Samain Theacuteorie du langage Agone

De la deacutesignation 163

de cette relation Par la fonction laquo expressive raquo lrsquointerlocuteur tend ndash dit-Jakobson ndash agrave laquo se

montrer tel qursquoil est raquo et par la fonction laquo conative raquo il atteste de la preacutesence de linterlocu-

teur dans la deacuteclaration il le reconnaicirct comme responsable cest-agrave-dire au sens litteacuteral

comme susceptible de lui reacutepondre

On retrouve cet aspect de la relation dans la laquo fonction phatique raquo Toute conversation

montre qursquoune part de ce qui est dit consiste agrave proposer maintenir et clore la relation sociale

et le service mutuel qursquoelle rend laquo Dites vous mrsquoeacutecoutez Bon bonhellip Vous voyez nrsquoest-ce

pas Restons-en lagrave raquo Toutefois Jakobson tend agrave reacuteduire cet effort agrave laquo veacuterifier si le circuit

existe raquo en faisant interfeacuterer le biais technique du teacuteleacutephone De ce fait il ne peut comprendre

le statut proprement social de ce fait et ne peut le relier aux deux autres laquo fonctions raquo de

faccedilon agrave faire des trois un tout Baruch Spinoza pour qui la laquo conation raquo est au fondement de

lrsquoecirctre est plus pertinent puisque laquo persister (dans lrsquoecirctre) raquo crsquoest constamment le construire

dans de la relation et dans de lrsquohistoire

2- Ces mecircmes laquo fonctions raquo mecirclent agrave de la sociolinguistique une axiolinguistique sommaire

notamment la fonction laquo expressive raquo Jakobson en dit ceci laquo Elle tend agrave donner limpression

dune certaine eacutemotion vraie ou feinte cest pourquoi la deacutenomination de fonction

‟eacutemotiverdquo proposeacutee par Anton Marty (1908)104 sest reacuteveacuteleacutee preacutefeacuterable agrave ‟fonction eacutemotion-

nellerdquo La couche purement eacutemotive dans la langue est preacutesenteacutee par les interjections raquo En

outre tout ce que Jakobson range sous les fonctions conative et phatique teacutemoigne aussi

drsquoune part laquo drsquoeacutemotiviteacute raquo et de discours interpreacutetable De sorte que la distinction entre

expression conation et contact phatique nrsquoa plus de raison drsquoecirctre dans ce registre de

lrsquoaffectiviteacute et de laquo lrsquointention raquo Le laquo Bonhellip bonhellip raquo au teacuteleacutephone est autant un fait axio-

logique de reacuteticence agrave dire qursquoun fait sociologique de maintien (phatique) du contrat

interlocutif ou de concession (conative) dialogique

JG refuse donc de confondre la deacutesignation avec laquo hellip[cette exeacutegegravese du discours qui] par le

locutoire lrsquoillocutoire et le perlocutoire [lrsquoidentifie agrave lrsquointention] raquo 701 Cette terminologie

nrsquoappartient pas agrave lrsquoexposeacute princeps de Jakobson mais aux linguistes du courant pragmatique

dans la ligneacutee de John Austin (Quand dire crsquoest faire 1962) qui srsquointeacuteressent aux effets

performatifs des deacuteclarations crsquoest-agrave-dire au fait que les deacuteclarations constituent ou produi-

sent des eacuteveacutenements et qursquoelles sont autoreacutealisatrices Un tel point de vue meacutelange les

principes de leacutegaliteacute et de leacutegitimiteacute laquo La force illocutoire raquo renvoie agrave la fois au pouvoir que le

destinateur est en mesure drsquoexercer sur son interlocuteur en fonction de leur position respec-

tive dans la socieacuteteacute mais aussi agrave lrsquointention associeacutee agrave ce passage agrave lrsquoacte Il en va de mecircme

pour laquo la force perlocutoire raquo qui correspond au degreacute et agrave la maniegravere dont lrsquointerlocuteur est

affecteacute par ce qursquoeacutenonce lrsquoeacutenonciateur Obligations sociales et norme axiologique sont confon-

dues Lrsquoanalyse de ces deux concepts par leurs vulgarisateurs est particuliegraverement confuse et

diverse Austin distinguait le laquo in saying raquo illocutoire lorsque lrsquoacte est inheacuterent agrave sa formula-

tion (laquo Je te le promets raquo) et le laquo by saying raquo perlocutoire lorsque lrsquoacte dont on parle

pourrait ecirctre accompli autrement (laquo Asseyez-vous donc raquo plutocirct qursquoun geste drsquoinvite) Seule

est claire la dissociation par rapport agrave lrsquoaspect laquo locutoire raquo de ce qui est dit encore que

certains commentateurs (les philosophes) soumettent le locutoire aux laquo conditions de veacuteriteacute raquo

de la logique formelle et du calcul des preacutedicats La rheacutetorique de JG est tregraves diffeacuterente

104 Anton Marty 1908 Untersuchungen zur Grundlegung der allgemeinen Grammatik und Sprachphilosophie Halle

164 Une lecture de Jean Gagnepain

Application didactique

La premiegravere illustration que fait JG de son parameacutetrage de la rheacutetorique en 702 nrsquoest pas

non plus exempte drsquoincidences axiologiques puisque lrsquoexemple choisi est une laquo appreacuteciation raquo

drsquoun devoir scolaire Certes la part de laquo lrsquoobjet raquo y devient le laquo sujet traiteacute raquo ce qui est

axiologiquement neutre Mais la part de laquo lrsquoeacutemetteur raquo est laquo ce qursquoil y reacutevegravele raquo de lui-mecircme

celle du destinataire est laquo le souci raquo que le locuteur manifeste drsquoautrui et la part du vecteur le

laquo profit raquo tireacute de la place et du deacutelai impartis agrave la locution Plus loin il srsquoagit drsquoecirctre laquo astu-

cieux raquo de laquo srsquoeacutevertuer agrave plaire raquo et drsquoeacutequilibrer coucirct et beacuteneacutefice Ou encore laquo On ne saurait

dans lrsquoabsolu appreacutecierhellip le coucirct et leacuteconomie du message raquo 704 Il est bien difficile de se

deacutefaire de lrsquoambivalence des termes du franccedilais bien souvent deacutenonceacutee par lrsquoauteur on

laquo appreacutecie raquo tantocirct une distance tantocirct le plat du jour

Cette surdeacutetermination mise agrave part JG a bien agrave lrsquoesprit la quadruple laquo caracteacuterisation raquo de

ce qui est dit Je vais la reformuler maintenant dans des termes qui sont en partie les miens et

qui essaient drsquoecirctre exempts drsquoeffet de sens socio- ou axio-logique Soit lrsquoobjet du message

lrsquoinformation livreacutee sur la laquo source raquo et sur la laquo cible raquo de lrsquoinformation et la prise en compte

des circonstances de sa formulation Ceci est clairement exposeacute par la suite laquo Tout est affaire

drsquoopportuniteacute crsquoest-agrave-dire de moyens de faire au mieux passer de lrsquoinformation raquo 703 Et lrsquoon

peut paraphraser la formule du 704 par laquo on ne saurait dans labsolu hellipcaracteacuteriser le degreacute de

proprieacuteteacute du message mais seulement en faisant entrer en ligne de compte lensemble dune

situation raquo degraves lors qursquoil srsquoagit laquo de deacutepouiller le mot de lambiguiumlteacute qui laliegravene et tirer de la

conjoncture tout lenseignement quelle permet raquo 711 Le principe de dialectique oblige agrave

deacutefinir laquo lrsquoenseignement raquo en question (lrsquoinformation) comme ce qui reacutesulte du deacutepassement

de la contradiction entre grammaire et situation Il ne srsquoagit pas de lrsquoextraction drsquoune

information deacutejagrave lagrave dans la conjoncture comme on extrait un meacutetal de la roche qui le contient

laquo Lrsquoentraicircnement [agrave la production drsquoeacutenonceacutes devrait porter] sur lrsquointerversion systeacutematique

et consciente des paramegravetres raquo 704 Le terme laquo entraicircnement raquo est agrave prendre comme

synonyme laquo drsquoexercices raquo de production drsquoeacutenonceacutes qui plus est laquo en langue raquo dans un cadre

scolaire (reacutedaction dissertation reacutesumeacute de texte etc) En effet Il est hors de porteacutee de

lrsquohumain laquo drsquoameacuteliorer raquo la dialectique du signe puisque fondamentalement la rheacutetorique

comme la grammaire est une aptitude mentale de lrsquohumain Le terme laquo interversion raquo me

paraicirct ambivalent Drsquoune certaine faccedilon JG rejoint ici Roman Jakobson sur lrsquoideacutee qursquoon ne

peut gagner sur tous les tableaux mais qursquoil faut srsquoexercer agrave varier chacun des paramegravetres Et il

renvoie au thegraveme de la dialectique en eacutenonccedilant la neacutecessiteacute de faire porter sur chaque para-

megravetre lrsquoexercice de reacuteinvestissement rheacutetorique de ce qui a eacuteteacute eacutevideacute grammaticalement

laquo [Cela] ne saurait porter ni sur lrsquoaccroissement des connaissances ni sur lrsquoexploitation dehellip

lrsquoinvention raquo La critique porte encore sur la reacuteduction du message agrave lrsquoexposeacute de son laquo objet raquo

et sur le manque drsquointeacuterecirct porteacute aux autres paramegravetres Lrsquoinvention en question est

lrsquolaquo Inventio raquo premiegravere des cinq parties de la rheacutetorique classique qui consiste agrave produire

lrsquoensemble des informations susceptibles de devenir des arguments avant dans la

laquo Dispositio raquo de construire le plan de lrsquoexposeacute (Le jeune Ciceacuteron eacutecrivit un laquo De inventione

oratoria raquo)

Rheacutetorique et stylistique

Poursuite du thegraveme de la dissociation laquo La source toujours actuelle du problegraveme reacuteside

dans la confusion des plans raquo 705 JG considegravere ici la dissociation entre glossologie et

De la deacutesignation 165

sociolinguistique La rheacutetorique nrsquoest pas la stylistique cette derniegravere ndash dans sa deacutefinition la

plus traditionnelle et scolaire ndash traitant la maniegravere dont un texte teacutemoigne drsquoun auteur et

contribue agrave son devenir drsquoauteur Plus geacuteneacuteralement une analyse rheacutetorique est agrave distinguer

drsquoune analyse sociolinguistique caracteacuterisant lrsquousage comme idiolectal ou banal deacutefinissant

des genres et des laquo niveaux de langue raquo Agrave cet endroit JG rend compte de la difficulteacute

eacutevidente de son modegravele parameacutetrique comment deacutefinir en termes proprement glosso-

logiques ce qursquoest laquo lrsquoeacutemetteur et le reacutecepteur raquo 694 Il ne srsquoagit pas en effet drsquoun fait

technique comme le laisse penser la meacutetaphore du teacuteleacutephone qui fait passer un signal drsquoun

lieu agrave un autre Comment aussi abstraire ces notions rheacutetoriques de tout contenu socio-

logique (La meacutetaphore de laquo la source raquo et de la laquo cible raquo est tout aussi technique mais me

semble moins precircter au raisonnement mythique que celle de la teacuteleacutephonie)

NB La laquo diaschise raquo 705 deacutesigne dans la sociologie de la TdM lrsquoaptitude de la personne agrave

lrsquoalteacuteriteacute agrave srsquoidentifier en se distinguant de tout autre Elle est au principe des langues

laquo La strateacutegie du propos adresseacute raquo 705 dit-il nrsquoest pas laquo du mecircme ordre raquo que laquo celle de

lrsquoentretien raquo La premiegravere est une pure question de qualiteacute et de quantiteacute drsquoinformation

formuleacutee (phoneacutetique dans lrsquoeacutelocution et seacutemantique dans le raisonnement) tandis que la

seconde est une dialectique interpersonnelle laquo Leacutemetteurhellip nimplique ni la personne ni le

style il nest que lorigine du message dont le reacutecepteur mdash quil soit ou non capable dy

reacutepondre mdash est la cible raquo (LrsquoOutil 17731) Dans la partie sociologique de lrsquoouvrage (De la

Personne) un des chapitres srsquointitule laquo Idiome et entretien raquo termes qui deacutesignent chacun des

deux pocircles de la communication langagiegravere

laquo La caracteacuteriologie du locuteur nrsquoest pas du mecircme ordre que sa contribution agrave lrsquoeacutevolution

du parler raquo 705 Lagrave encore il ne faut retenir dans ce paramegravetre que lrsquoinformation produite et

faire abstraction du fait que cette derniegravere est (peu ou prou) un eacuteveacutenement (drsquoautres disent un

laquo acte raquo de langage) qui entre dans lrsquohistoire de la langue

laquo Lrsquoideacutee srsquoimpose qursquoil nrsquoest que des seacutemantiques raquo 705 Chaque composition entre poids

respectifs des paramegravetres reacutesulte drsquoune strateacutegie particuliegravere qui justifie ce pluriel Ce propos

sert de conclusion au thegraveme de la varieacuteteacute des paramegravetres de la rheacutetorique

La section suivante 712 reprend les thegravemes de la dialectique et celui ndash critique ndash de

lrsquoinsuffisante prise en compte de la situation et des effets de contexte dans les phrases ou les

textes proposeacutes par lrsquoenseignement Les preacutesentes gloses preacutesentent un risque identique jrsquoen

suis bien conscient

laquo hellip la proprieacuteteacute qui le fait concept nen sera pas moins dialectiquement tenue pour compo-

sante essentielle de la deacutefinition du signe raquo Reformulation de lrsquoeacutegale importance des deux

pocircles de la dialectique

La rheacutetorique phoneacutetique

JG aborde la rheacutetorique sur sa face phoneacutetique en 71 agrave 721-2 Il faut laquo reacutehabiliter la

phoneacutetique confondue qursquoelle eacutetait avec la phonation raquo 715 laquo Reacuteinvestissement drsquoune

phonologie [la phoneacutetique] loin de [la] preacuteceacuteder [en] fournit la contrepartie raquo En la matiegravere

laquo la physiologie raquo constitue une partie de la conjoncture sur laquelle srsquoexerce la dialectique qui

aboutit agrave la prononciation phoneacutetique La dissymeacutetrie des organes par laquelle on explique le

fait que toute combinatoire theacuteorique entre localisation et aperture consonantique ne peut

ecirctre reacutealiseacutee phoneacutetiquement est laquo lrsquoeacutequivalent de lrsquoadeacutequation agrave lrsquoobjet raquo 721 en

166 Une lecture de Jean Gagnepain

seacutemantique Les autres paramegravetres sont aussi preacutesents La voix informe sur lrsquoidentiteacute du

locuteur srsquoadapte agrave lrsquointerlocuteur et aux circonstances spatiotemporelles

Autre souci de lrsquoauteur en 722 distinguer dans cette variation de la voix ce qui a un statut

proprement rheacutetorique laquo qui ressortit agrave lrsquoeacutemetteur raquo et ce qui teacutemoigne sociolinguistiquement

laquo de lrsquoidiolecte de la personne raquo Il faut toujours avoir agrave lrsquoesprit que la dissociation des plans est

un raisonnement explicatif et prendre garde agrave ce piegravege du positivisme qui consiste agrave croire

que le mecircme laquo fait concret raquo (la voix que jrsquoentends) reacutesulte drsquoune cause unique On se souvien-

dra de Saussure qui disait laquo Bien loin que lrsquoobjet preacutecegravede le point de vue on dirait que crsquoest

le point de vue qui creacutee lrsquoobjet raquo (Cours p 23) En lrsquooccurrence le fait rheacutetorique nrsquoest pas le

fait sociologique quand bien mecircme on les observerait agrave lrsquooccasion drsquoune mecircme parole eacutemise

par une mecircme personne agrave un moment donneacute

JG critique pour finir laquo lrsquoortho-phonie raquo peacutedagogique (parallegravele agrave lrsquoorthographe) positiviste

et naturaliste qui deacutecrit les phonegravemes comme des sons 722 Et il rappelle que lrsquoAPI

(alphabet phoneacutetique international) est un systegraveme de transcription laquo hybride raquo qui meacutelange

phonegravemes et reacutealisations phoneacutetiques et deacutecrit les uns et les autres avec le vocabulaire de

lrsquoanatomophysiologie

2 - Du formel au stochastique

Trois thegravemes principaux srsquoarticulent dans cette recherche de deacutefinition glossologique de ce

qursquoest le reacuteinvestissement rheacutetorique Celui de la dialectique en premier lieu Celui de la

dissociation des plans et de la neacutecessaire reacuteduction meacutethodologique du regard vers le seul

plan du signe Celui enfin des paramegravetres multiples de la reacutefeacuterence Cet entrecroisement des

propositions est ducirc au fait que JG entend se deacutegager de la tradition et des courants

contemporains qui preacuteciseacutement confondent les plans et montrent une tendance affirmeacutee au

positivisme tendance lieacutee agrave une reacuteduction du concept agrave la seule objectiviteacute

Corpus

La premiegravere eacutetape de cette discussion part de la notion de laquo corpus raquo 723 agrave 732 JG est

precirct agrave reprendre le terme mais il le subvertit en fonction de deux des trois thegravemes rappeleacutes ci-

dessus Dans la tradition crsquoest un recueil laquo fini raquo de laquo messages historiquement attesteacutes raquo et

laquo recueillis raquo Il y a lagrave deux erreurs agrave corriger

Drsquoune part il faut laquo se refuser agrave mecircler le manifeste du langage avec le manifeste de la

langue raquo 731 et briser laquo avec la sociolinguistique raquo Autrement dit lrsquoobjet de la rheacutetorique

dans le donneacute langagier nrsquoest pas ce dont il teacutemoigne ni sa contribution agrave lrsquohistoire

Drsquoautre part et lagrave est lrsquoessentiel laquo le corpus nrsquoest jamais recueilli mais construit raquo 732 car

laquo crsquoest de processus qursquoil srsquoagit raquo processus laquo gracircce auquel lrsquohomme intelligent confegravere [aux

choses] lrsquointelligibiliteacute raquo (dans le cas du concept) 734 Il faut comprendre me semble-t-il que

le terme de laquo corpus raquo deacutesigne une aptitude agrave concevoir la situation en la construisant En cela

il nrsquoest pas fini Il srsquoagit de reconnaicirctre dans le message observable parce qursquoexplicite le

processus (phoneacutetique et seacutemantique) qui lrsquoa produit et qui peut en produire une infiniteacute

drsquoautres

Ceci explique incidemment pourquoi JG deacuteclare que laquo notre conception du corpus ougrave

sexplicite le langage seacutecartehellip de lopinion tant de ses deacutefenseurs que de ses deacutetracteurs dont

De la deacutesignation 167

le conflit repose sur un eacutenorme malentendu raquo 723 Il reacutecuse les partisans de lrsquoanalyse drsquoun

corpus apriorique et fini avec le mecircme argument que Chomsky agrave savoir que le langage est fait

drsquoaptitudes agrave produire une infiniteacute de messages Et il reacutecuse aussi ce dernier qui nrsquoest pas

dialecticien parce qursquoil positive la notion de laquo performance raquo en la reacuteduisant agrave lrsquoeffectif

produit par la grammaticaliteacute tandis que pour JG la rheacutetorique est une phase de la

dialectique du signe et donc un ensemble de processus abstraits La rheacutetorique est le

processus qui permet de produire de lrsquointelligibiliteacute et non le produit final lui-mecircme

Autrement dit le donneacute langagier (un message) nrsquoest pas pour JG une performance crsquoest le

lieu ougrave lrsquoon peut observer et tester lrsquoaptitude au signe et donc au mecircme titre le processus de

rheacutetorique que celui de grammaire Il nrsquoy a pas un laquo concret raquo performantiel drsquoun cocircteacute et un

laquo lrsquoabstrait raquo instantiel de lrsquoautre Explicite ne veut pas dire concret laquo Le concevablehellip est la

seule deacutefinition du concept raquo 724 et laquo tout sens est potentialiteacute raquo 761105

Stochastique

Le titre de cette section parle de laquo stochastique raquo Il nous oblige agrave examiner attentivement

le reacuteseau des termes proposeacutes qui sont parfois synonymes parfois en opposition entre eux

Mais ils visent tous agrave sortir la rheacutetorique de lrsquoapproche sociolinguistique et du positivisme 724

Lrsquoauteur souligne lrsquoeacutequivoque du terme laquo probabiliteacute raquo et deacuteclare qursquoil ne srsquoagit pas de

laquo statistique raquo mais de laquo stochastique ou si lrsquoon preacutefegravere drsquoinduction cest-agrave-dire dhypothegravese

du sujet parlant sur lensemble de la conjoncture raquo La grammaire (ou laquo signifiable raquo) est

deacuteductive et la rheacutetorique (ou laquo concevable raquo) est hypotheacutetico-deacuteductive Essayons drsquoy voir

plus clair

- Probabiliteacute et stochastique Un calcul de probabiliteacute repose sur des eacuteveacutenements deacutefinis et

preacutevisibles en raison drsquoune connaissance anteacuterieure Ainsi fonctionne la meacuteteacuteo qui projette

sur lrsquoavenir proche un laquo corpus raquo immense mais fini de donneacutees JG nous amegravene au contraire

agrave envisager par quels processus abstraits le langage peut produire du toujours nouveau

deacutependant des contraintes variables et aleacuteatoires de la situation Drsquoougrave sa preacutefeacuterence pour la

notion de laquo stochastique raquo qui est lrsquoeacutetude des processus aleacuteatoires tels qursquoen physique le

mouvement brownien ou la meacutecanique des fluides

En outre JG impute agrave la Personne capable drsquohistoire la capitalisation et la reacutecapitulation

des eacuteveacutenements neacutecessaires agrave la deacutemarche probabiliste Sa laquo stochastique raquo en revanche ne

concerne que de lrsquoinformation

- Hypotheacutetico-deacuteduction 724 Par ailleurs il faut reconnaicirctre qursquoen raison drsquoun lourd passeacute

philosophique le couple laquo deacuteduction ndash induction raquo est drsquoune polyseacutemie deacutesespeacuterante (Allez

donc voir agrave la reacutecreacute la page laquo discussion raquo de lrsquoarticle laquo Deacuteduction et induction raquo de Wikipeacute-

dia ) Certes JG nous eacutepargne laquo lrsquoanalytique et le syntheacutetique raquo mais il nous preacutesente tout

de mecircme comme synonymes lrsquoinduction et lrsquohypotheacutetico-deacuteduction Jrsquooserai dire en tant que

lecteur que ces termes ne deviennent des concepts qursquoa posteriori des deacuteveloppements qui

les suivent et dont ils constituent un essai de reacutesumeacute et de deacutefinition

Le raisonnement seacutemantique constitue une laquo hypothegravese sur la situation raquo en ce sens que

mecircme srsquoil remet en cause lrsquoimproprieacuteteacute grammaticale ce nrsquoest qursquoune viseacutee relative et

105 Je me risquerai ici agrave reprendre lrsquoimage peacutedagogique du laquo jeu drsquoeacutechecs raquo utiliseacutee par Saussure dans le Cours p 43 pour un autre propos Par rapport aux laquo regravegles du jeu raquo la performance pour JG ne serait pas chacune desparties diverses mais la potentialiteacute infinie des strateacutegies et tactiques de jeu (Lrsquoimage ne rend cependant pas compte de la dialectique du dire)

168 Une lecture de Jean Gagnepain

constructive La deacutesignation la plus simple ndash celle que je propose ici mecircme laquo Ceci est une

suite de lettres raquo ndash ne dit rien drsquoautre et de plus que ce qui est conccedilu comme eacutetant une suite et

comme eacutetant une lettre Ce nrsquoest qursquoune laquo hypothegravese raquo sur ce qursquoest le laquo ceci raquo que jrsquoai

deacutesigneacute Si JG preacutecise qursquoil srsquoagit laquo drsquohypotheacutetico-deacuteduction raquo crsquoest pour rendre compte dans

un seul mot composeacute de ce qui caracteacuterise une phase de la dialectique la rheacutetorique est

laquo hypotheacutetique raquo en regard de la situation agrave laquelle on se confronte et qui est laquo au principe raquo

de la dialectique mais elle nrsquoest que le renversement (le reacuteinvestissement) de la grammaire ndash

laquo le formel raquo ndash dont elle est laquo deacuteduite raquo laquo Rheacutetorique ou grammaire lrsquoon nrsquoopegravere jamais que

sur des mots raquo dit-il plus loin 752 Lrsquoideacutee de deacuteductibiliteacute rend compte du caractegravere structural

de la grammaire que lrsquoon retrouve dans la rheacutetorique mais selon un autre laquo mode

drsquoorganisation raquo 753

La performance rheacutetorique construit un monde intelligible

On retrouve la notion drsquoinduction en 732 laquo Chaque paramegravetrehellip [est] lrsquoinducteurhellip drsquoun

point de vue sur le monde qui le deacuteterminant agrave sa faccedilon le neacutecessite sans ecirctre lui-mecircme

neacutecessaire raquo Admettons que laquo le raquo soit laquo le monde raquo et que laquo lui-mecircme raquo soit laquo le point de

vue raquo Que comprendre Relisons la phrase agrave rebours

- Drsquoune part (fin de phrase) le laquo point de vue raquo induit par laquo chaque paramegravetre raquo de la

reacutefeacuterence ne preacutesente pas laquo lui-mecircme raquo de caractegravere de laquo neacutecessiteacute raquo Cela signifie pour moi

que ce point de vue que creacutee la rheacutetorique pocircle drsquoune dialectique ancreacutee dans la situation

nrsquoest pas deacutetermineacute dans lrsquoabsolu par cette situation On ne peut jamais observer qursquoagrave telle

situation particuliegravere hic et nunc doive neacutecessairement correspondre une faccedilon de la dire La

rheacutetorique est en cela laquo hypotheacutetico-deacuteductive raquo

- En revanche le point de vue parce qursquoil consiste en une recherche de congruence

laquo deacutetermine raquo le monde laquo prouve raquo agrave sa faccedilon que lrsquoon ne dit pas nrsquoimporte quoi de nrsquoimporte

quoi et ndash corollaire obligeacute ou preacutesupposeacute ndash prouve aussi que le monde nrsquoest pas nrsquoimporte

quoi en ce qursquoil reacutesiste agrave un raisonnement aleacuteatoire Le dire laquo neacutecessite raquo le monde Crsquoest ce

qui fait que la rheacutetorique est laquo inductrice raquo On est proche ici de lrsquoeacutetymon latin laquo in-ducere raquo

laquo introduire raquo Chaque paramegravetre oriente les processus analytiques de la rheacutetorique (laquo deacutecou-

pages et choix raquo) vers une relative intelligibiliteacute de la situation Un principe drsquoexpeacuterience en

tant que premier moment de la dialectique langagiegravere mais laquo deacuteclineacute raquo sous forme de

variables parameacutetreacutees fait que toute conceptualisation est une hypothegravese laquo orienteacutee raquo La

rheacutetorique est donc laquo deacuteterminante raquo ndash JG dira aussi laquo causale raquo ndash sans ecirctre absolument

laquo deacutetermineacutee raquo

Si lrsquoon prend en compte la double dimension du dire sa biaxialiteacute on comprend alors les

affirmations suivantes assorties drsquoune neacutecessaire nuance laquo De lagrave vient quau-delagrave de la

controverse philosophique des reacutealistes et des nominalistes lon peut ndash en purifiant bien

entendu les termes de ce quils ont usuellement d᾽objectif ndash glossologiquement affirmer que

toute appellation est ineacuteluctablement theacuteorie et toute assertion vraie ou fausse une loi raquo

7328 Tout message a une porteacutee qui deacutepasse lrsquoimmeacutediateteacute de ce qui a eacuteteacute dit Le conccedilu

nrsquoest que lrsquoexemple du concevable crsquoest-agrave-dire drsquoune potentialiteacute qui prend la dimension

drsquoune loi (causale) Lrsquoincise laquo vraie ou fausse raquo me paraicirct une concession bien imprudente au

point de vue axiologique des logiciens Tout ce chapitre montre qursquoil ne srsquoagit pas en

rheacutetorique de juger du vrai et du faux

De la deacutesignation 169

laquo Il fallaithellip retrouver lrsquohomogeacuteneacuteiteacute dialectique drsquoune double creacuteativiteacutehellip qui nous fournit le

moyen drsquoeacutechapper drsquoune part au soleacutecisme de lrsquoautre agrave lrsquoincongruiteacute raquo 733

Le thegraveme de laquo lrsquohomogeacuteneacuteiteacute dialectique raquo renvoie au principe unique drsquoanalyse qui se

retrouve dans chacun des pocircles de la dialectique Celui de la laquo double creacuteativiteacute raquo eacutetend

lrsquoargumentation preacuteceacutedente agrave la dialectique du signe en son entier Les termes laquo soleacutecisme raquo et

laquo incongruiteacute raquo nrsquoont ici de sens ni sociolinguistique ni normatif mais seulement informatif Le

premier concerne la grammaire le second la rheacutetorique

La rheacutetorique est laquo creacuteative raquo parce qursquoelle renouvelle sans fin lrsquointelligibiliteacute hypotheacutetico-

deacuteductive du monde Productrice drsquoune intelligibiliteacute de la situation autrement dit de

laquo congruence raquo elle permet par ses choix et deacuteveloppements drsquoeacutechapper agrave lrsquoincongruiteacute qui

ferait que nrsquoimporte quoi pourrait ecirctre dit de nrsquoimporte quoi sans controcircle Cela ne signifie pas

pour autant que JG ignore que lrsquoon puisse dire de lrsquoimaginaire du fictif et de lrsquoimpossible car

il ne srsquoagit pas de laquo congruence raquo conventionnelle partageacutee mais drsquoun principe de coheacuterence

seacutemantique controcircleacutee Est laquo congruent raquo ce qui est laquo concevable raquo et non seulement ce qui

est conventionnellement laquo reacutealiste raquo Le laquo sourire du chat sans chat raquo cher agrave Lewis Carroll nrsquoest

pas incongru dans lrsquoordre du langage puisqursquoil est intelligible

La grammaire est laquo creacuteative raquo dans le cadre des contraintes de la structure Elle permet

drsquoeacutechapper au laquo soleacutecisme raquo deacutefini ici comme une forme qui eacutechappe (partiellement) agrave

lrsquoanalyse En ce sens la forme verbale laquo vous faisez raquo certes laquo eacutetrangegravere raquo au franccedilais acadeacute-

mique nrsquoest pas un soleacutecisme puisqursquoelle est logiquement deacuteductible de la conjugaison du

verbe Cf 582 agrave propos de laquo colourless green ideas sleep furiously raquo laquo hellipil suffit pour quun

eacutenonceacute soit de ce point de vue compreacutehensible quil soit - acceptable ou non - bien formeacute raquo

Tout jugement mis agrave part seul lrsquoaphasique teacutemoigne du soleacutecisme

Le paragraphe 734 clocirct lrsquoexposeacute introduit par la notion de laquo corpus raquo en eacutenonccedilant

laquo qursquoaucun de nos propos nrsquoest plat raquo La platitude est ici une autre meacutetaphore de la clocircture et

du positivisme du laquo conccedilu raquo Quant au laquo concevable raquo il peut srsquoobserver sur chacun des deux

axes dans laquo la phrase raquo comme dans le laquo vocabulaire raquo

- Dans le premier cas le propos ne se limite pas agrave la proposition effective mais nrsquoest qursquoun

laquo eacutechantillon raquo des laquo deacuteveloppements eacuteventuels raquo 753 Le sens du propos est aussi deacutefini par

lrsquoensemble des preacutesuppositions et des implications potentielles Cf infra 883

- Dans lrsquoautre laquo le vocabulaire disponible raquo renvoie au-delagrave du concept choisi agrave lrsquoensemble

des concepts exclus tant les concepts jugeacutes trop geacuteneacuteriques ou trop speacutecifiques en lrsquooccasion

que ceux qui sont envisageables mais sont reacutefuteacutes comme inadeacutequats Si je dis voir laquo un

chat raquo crsquoest que je juge que ce vocable est conjoncturellement adeacutequat et qursquoil serait

incongru de parler plutocirct drsquoune laquo chose raquo drsquoun laquo chaton raquo (mecircme si crsquoen est un) ou drsquoun

laquo zegravebre raquo Le vocabulaire est deacutelimiteacute en situation par lrsquoensemble des concepts (porteacutes

eacutevidemment par un lexique degraves lors qursquoils sont dits) entre lesquels le locuteur choisit le plus

apte agrave la construction du sens Le vocabulaire est lrsquoinventaire des choix possibles et comprend

le vocable choisi et les vocables exclus Par lagrave mecircme il informe sur lrsquoeacutemetteur du message (laquo la

compeacutetence de celui qui srsquoexprime raquo) 734 en mecircme temps que sur son objet

JG preacutecise ailleurs que laquo le lexique nrsquoest pas le vocabulaire raquo 442 que le second est le

reacuteinvestissement rheacutetorique du premier qui en est la base formelle Plus loin en 883 Il fera

comprendre la distinction entre lexique (des segravemes) au singulier et vocabulaires (des

vocables) au pluriel en eacutevoquant le fait que le dictionnaire range alphabeacutetiquement ses

170 Une lecture de Jean Gagnepain

entreacutees tandis que les glossaires encyclopeacutediques rangent des ensembles de vocabulaires en

fonction de domaines conceptuels Incidemment il semble que JG utilise le terme

laquo concept raquo lorsqursquoil nrsquoa pas agrave distinguer entre les axes et distingue entre laquo vocabulaire raquo et

laquo phrase raquo lorsqursquoil choisit de faire cette distinction axiale Cela dit le vocable est clairement

un laquo concept raquo

laquo Lrsquoexpeacuterience est indispensable au langage et quoique le mot fromage nrsquoait point de

goucircthellip il ne peut srsquoaccomplir comme signe que si le fromage en a On nen saurait conclure

pour autant agrave quelque fundamentum in re car le sens nest point dans les choses mais

seulement dans le processus gracircce auquel lhomme intelligent leur confegravere lintelligibiliteacute raquo

734 JG reprend par cet exemple un laquo topos raquo probablement ancien qui a transiteacute par JJ

Rousseau (LrsquoEacutemile Livre 2) puis Bertrand Russell (laquo Personne ne peut comprendre le mot

fromage agrave moins qursquoil ait une connaissance non linguistique du fromage raquo) et repris par Roman

Jakobson dans un article sur la traduction Le vocable laquo fromage raquo comprend non seulement ce

choix mais aussi la constellation des vocables exclus qui contribue agrave lrsquointelligibiliteacute de ce

vocable La seconde phrase vient corriger ce que la premiegravere peut suggeacuterer de retour agrave la

thegravese reacutealiste du signe laquo nomenclature raquo Le goucirct du fromage en question est en lrsquooccurrence

une laquo expeacuterience raquo humaine qui ne devient laquo goucirct du fromage raquo qursquoen tant que concept

formuleacute deacutesignation qui tente de dire ce qui srsquoest passeacute entre le gigot et la poire et qui est

deacutenommeacute ici laquo expeacuterience raquo Il serait aventureux de postuler que nrsquoa drsquoexistence humaine que

le seul raisonnement laquo le goucirct du fromage raquo et non ce qui srsquoest passeacute ce jour-lagrave entre le gigot

et la poire car crsquoest bien ce qui srsquoest passeacute agrave ce moment-lagrave qui explique qursquoaient eacuteteacute exclus

drsquoautres possibles tels que laquo le goucirct de la brouette la sonnette du fromage etc raquo consideacutereacutes

comme incongrus Et pourtant tout ce qursquoon en sait crsquoest bien qursquoil srsquoagit laquo du goucirct du

fromage raquo crsquoest-agrave-dire ce qursquoon en dit Cf 732 le refus de se mecircler agrave la laquo controverse philo-

sophique des reacutealistes et des nominalistes raquo NB La formule laquo fondamentum in re raquo (fonde-

ment dans la chose) se trouve notamment chez Thomas drsquoAquin (1er livre de Commentaire sur

les sentences)

Le paragraphe 735 assure une transition entre le thegraveme du laquo corpus raquo et celui du laquo texte raquo

laquo Si le corpus de soi ne nous livre pas la grammaire crsquoest quil conteste justement la priori

quil lui doit au nom de celui quelle lui permet deacutelaborer raquo Lire laquo hellipcrsquoest que le corpus

conteste lrsquoa priori qursquoil doit agrave la grammaire au nom de lrsquoa priori que cette grammaire lui

permet drsquoeacutelaborer raquo Si laquo a priori raquo est ici appliqueacute aux deux phases de la dialectique crsquoest

pour renforcer lrsquoideacutee que le signe en sa totaliteacute est aptitude mentale analytique abstraite

Deacuteveloppons

La grammaire est qualifieacutee ici laquo drsquoa priori raquo parce qursquoelle constitue une structure speacutecifique

et permanente Cette thegravese est celle de lrsquoimmanence du grammatical Cependant il faut aussi

se souvenir que la grammaire nrsquoest pas un en-soi mais un pocircle dans une dialectique La fin de

la proposition eacutenonce que la rheacutetorique est capable laquo drsquoeacutelaborer un autre a priori raquo Je

comprends que dialectiquement la rheacutetorique tout en reacuteameacutenageant les deacutelimitations

grammaticales produit un raisonnement qui est encore de lrsquoordre de lrsquoabstrait en deacutecalage

par rapport agrave lrsquoexpeacuterience agrave laquelle il se heurte et qursquoil construit Le terme laquo a priori raquo ne

renvoie pas agrave une anteacuterioriteacute mais agrave la laquo preacutecession logique raquo 36 du principe deacuteterminant ici

la bipolariteacute de la dialectique Lrsquoa priori grammatical et lrsquoa priori rheacutetorique se contestent

mutuellement et crsquoest cette contradiction qui les constitue comme un laquo a priori raquo lrsquoun par

De la deacutesignation 171

rapport agrave lrsquoautre (Chez Kant lrsquoa priori deacutesigne la connaissance indeacutependante de lrsquoexpeacuterience

par opposition avec lrsquoa posteriori Il ne srsquoagit pas de cela ici)

On rejoint ici les paragraphes 733-4 lrsquoexpeacuterience est certes laquo indispensable raquo mais le

laquo point de vue raquo qui reacutesulte de la confrontation entre signe et expeacuterience reste hypotheacutetique

et proprement analytique La rheacutetorique est le reacute-investissement de la grammaire dans la

situation non plus laquo forme raquo mais laquo reacute-forme raquo 735 JG joue ici sur le mot laquo forme raquo drsquoabord

pris dans son sens speacutecifique en grammaire et repris dans le sens plus geacuteneacuterique drsquoanalyse

Comme la grammaire la rheacutetorique est laquo analyse raquo non plus de forme mais laquo de contenu raquo

Aspect quantitatif de la performance le texte

Le thegraveme de la laquo lecture de texte raquo 742 est une seconde eacutetape dans cette eacutetude de la

rheacutetorique et peut ecirctre reformuleacute en laquo analyse de contenu raquo 735 laquo Analyse raquo parce que lrsquoon

rend compte drsquoune systeacutematique puisque la performance est une phase du signe Et

laquo contenu raquo parce qursquoil srsquoagit de comprendre quels aspects de la conjoncture laquo catalysent raquo la

performance (cf infra laquo La reacutefeacuterence est seulement catalyse raquo 744) Lrsquoexemple pris de lrsquoeacutetude

du Misanthrope de Moliegravere 742 renvoie aux quatre paramegravetres de la performance Lrsquoobjet

laquo la fideacuteliteacute de la peinture raquo La source laquo le souffre-douleur des Diafoirus et des Beacutejart raquo La

cible laquo les goucircts du parterre raquo Les conditions spatio-temporelles ndash en lrsquooccurrence les

contraintes techniques laquo le meacutetier de lrsquohomme de theacuteacirctre raquo

Un tel programme situe laquo le message raquo sur le seul plan glossologique comme fait de dire

car il dissocie cette analyse des autres plans qui interfegraverent dans la reacutealiteacute appeleacutee communeacute-

ment laquo piegravece de theacuteacirctre raquo Celle-ci nrsquoest pas qursquoun message Techniquement crsquoest un

laquo ouvrage raquo mis en scegravene Sociolinguistiquement crsquoest un exemple de genre professionnelle-

ment et historiquement convenu Axiologiquement lrsquoœuvre theacuteacirctrale est un laquo suffrage raquo une

expression qui reacutepond agrave une intention106 et qui a un retentissement affectif sur le spectateur

On reacutesume traditionnellement cet effet par la notion de laquo catharsis raquo de laquo purgation des

passions raquo Quant agrave la comeacutedie elle corrige les mœurs en riant laquo castigat ridendo mores raquo107

JG reproche aux laquo seacutemioticiens raquo en 743 de confondre ces plans explicatifs Crsquoest oublier

que le laquo pheacutenomegravene raquo (rheacutetorique) laquo est drsquoabord commentaire avant drsquoecirctre sous drsquoautres

angles lui-mecircme commenteacute raquo On peut certes commenter une œuvre drsquoun point de vue

sociologique ou axiologique mais il faut drsquoabord la consideacuterer en tant que fait seacutemantique et

que crsquoest cela lrsquoobjet du glossologue Et il reproche agrave lrsquoinstitution universitaire de seacuteparer dans

deux disciplines (laquo philologie raquo et laquo litteacuterature raquo agrave lrsquoeacutepoque) lrsquoeacutetude des deux pocircles de la

dialectique du dire La grammaire srsquoen trouve laquo reacuteifieacutee raquo

Nouvelle formulation du caractegravere dialectique du signe 744 et 751-2 La laquo performance raquo

est lrsquoinversion la laquo neacutegation raquo de la neacutegativiteacute grammaticale qui la fonde

On trouvera donc dans la seacutemantique les proprieacuteteacutes drsquoune analyse Ce que reacutesume la

formule finale laquo rheacutetorique ou grammairehellip lrsquoon nrsquoopegravere jamais que sur des mots raquo 752 Par

conseacutequent des notions non langagiegraveres telles que les laquo personnes raquo les laquo personnages raquo et

les laquo fonctions raquo (dont le statut ressortit agrave la sociologie proprement dite) ne peuvent ecirctre des

106 Le terme laquo suffrage raquo est choisi par JG en axiologie pour deacutesigner laquo la transgression autoriseacutee raquo la deacutecision leacutegitime (DVD II 255)

107 Le poegravete Jean-Baptiste Santeul proposa cette devise agrave lrsquoacteur Dominique lrsquoArlequin de la Comeacutedie Italienne de Paris vers 1680 Elle figure au fronton de lrsquohocirctel de Bourgogne agrave Paris

172 Une lecture de Jean Gagnepain

principes explicatifs de la rheacutetorique Seule compte la maniegravere dont ces faits sont pris dans la

dialectique langagiegravere

La rheacutetorique est une reacute-analyse

Suit un deacuteveloppement de deux caracteacuteristiques de la rheacutetorique Comme la grammaire

celle-ci est organiseacutee selon les proprieacuteteacutes de lrsquoanalyse en deux faces et deux axes Mais le

laquo mode drsquoorganisation raquo 753 change Tout ce qui est grammatical ndash diffeacuterenciation en segravemes

et segmentation en mots ndash y est laquo remanieacute raquo selon un critegravere de laquo coheacuterence raquo Cette laquo coheacute-

rence raquo produite laquo nrsquoest plus dans la structure qui lrsquoinstaure mais dans la situation agrave laquelle le

message se reacutefegravere raquo Pour que cette formulation soit compatible avec la thegravese selon laquelle

crsquoest le signe lui-mecircme qui introduit de lrsquointelligibiliteacute dans le reacuteel il faut comprendre qursquoune

laquo heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute raquo du reacuteel (et non une coheacuterence apriorique) vient se confronter agrave lrsquoactiviteacute

langagiegravere de causaliteacute et srsquoeacuteprouve dans cette possibiliteacute de produire de la coheacuterence seacuteman-

tique Lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute postuleacutee ndash cf laquo Il nest pas vrai que la nature soit comme on le dit

amorphe et continue raquo 251 ndash devient par le langage relativement connaissable dans du

message coheacuterent Nrsquooublions pas que cette nature est toujours laquo pheacutenomeacutenologiquement

humaine raquo et nrsquooublions pas non plus que nous passons notre temps agrave parler de nos actes et

de nos relations sociales de notre activiteacute technique et de nos deacutecisions morales crsquoest-agrave-dire

de faits culturels sur les autres plans Le langage est alors confronteacute agrave de lrsquoexpeacuterience par

ailleurs culturelle et analyseacutee

Ce qui srsquoappreacutecie est alors laquo la qualiteacute et la quantiteacute de lrsquoinformation raquo apporteacutee La figure

de lrsquoellipse laquo Paris dimanche 18h30 raquo 753 montre que le mot ne compte plus seulement pour

lui-mecircme mais que la proprieacuteteacute du message integravegre un ensemble drsquoinfeacuterences lieacutees agrave la

situation en tant qursquoelle est dite En cela nous le verrons plus loin les notions classiques de

figure et drsquoellipse sont illusoires Celui qui dit laquo cela ainsi en situation raquo (laquo hic sic nunc raquo)

produit du sens laquo propre raquo approprieacute agrave la conjoncture

Je regrouperai ici une paraphrase de la mecircme thegravese ainsi proposeacutee 763 laquo le sens

rheacutetorique nrsquoest rien de plus que lrsquoensemble des opeacuterations par lesquelles explicitement il se

fait (hellip) Crsquoest exclusivement agrave leur inventaire que le rheacutetoricien devra se consacrerhellip raquo La

notion drsquoopeacuteration annonce lrsquoexposeacute du modegravele biaxial qui suivra

JG porte en 754 un bref regard sur le versant clinique de la thegravese Chez lrsquoaphasique le

deacuteficit grammatical produit un effet de preacutegnance de la situation Le Wernicke est

laquo monoseacutemique raquo dans le sens ougrave il ne peut plus srsquoappuyer sur une structure lexicale pour

seacutelectionner ce qui peut ecirctre synonyme et rejeter ce qui ne peut pas lrsquoecirctre par rapport agrave ce

qursquoil cherche deacutesespeacutereacutement agrave deacutesigner Il postule qursquoexiste un mot pour dire ce qursquoil vise agrave

dire Ce mot lui eacutechappe et il le poursuit agrave travers son laquo jargon raquo Le Broca est

laquo monorheacutemique raquo parce que condamneacute agrave tout dire en un seul mot Toutefois la persistance

du fonctionnement de lrsquoautre axe permet agrave lrsquoun et agrave lrsquoautre une rheacutetorique compensatoire qui

consiste en des peacuteriphrases sans fin chez le Wernicke et en la recherche de preacutecision chez le

Broca

Lrsquoensemble 762-4 privileacutegie le thegraveme de la dissociation des plans neacutecessaire agrave une juste

deacutefinition de la rheacutetorique De nouveau JG fait la chasse aux concepts implicitement

sociologiques dans les theacuteories du reacutecit Celles-ci laquo disent agrave propos du message autre chose et

plus qursquoil ne dit raquo 763 Il souligne ensuite la difficulteacute de cette dissociation Cela eacutetait deacutejagrave vrai

en grammaire ougrave il est difficile par exemple de distinguer le principe diffeacuterentiel de

De la deacutesignation 173

laquo lexique raquo et lrsquousage social de celui-ci qursquoil appelle laquo vernaculaire raquo 764 Crsquoest aussi vrai de la

rheacutetorique ougrave il importe de laquo deacutemecircler les faits propres agrave la deacutesignation de ceux qui touchent

sociologiquement parlant agrave lorganisation conventionnelle du savoir raquo Par ailleurs la laquo seacuteman-

tique universelle raquo preacutetendument laquo synchronique raquo nrsquoest en reacutealiteacute qursquoun catalogue drsquoideacutees

reccedilues agrave une certaine eacutepoque dans une certaine reacutegion et pour un certain milieu autrement

dit une ideacuteologie socialement inscrite une laquo doxa raquo

La laquo mutation raquo du sens

Il faut laquo distinguerhellip (a) lrsquoinvestissement de la structure tant (b1) de ses eacutetats que (b2) du

processus mecircme de leur mutation raquo 771 (a) La rheacutetorique a les proprieacuteteacutes de la structure et

son organisation reacuteameacutenage les deacutelimitations grammaticales en fonction de la situation agrave

laquelle le locuteur se confronte (b1) Ici laquo lrsquoeacutetat raquo seacutemantique deacutesigne ce qursquoune communauteacute

de penseacutee accepte comme sens relativement agrave drsquoautres communauteacutes et transitoirement

dans une relation dialectique agrave (b2) laquo le processus de mutation raquo du sens Lrsquoensemble (b1 et

b2) renvoie respectivement agrave lrsquoeacutevocation des deux angles drsquoapproche de la seacutemantique et de la

phoneacutetique traditionnelles laquo lrsquoangle moderne de lrsquoacception raquo et laquo lrsquoeacutetymologie du passeacute raquo

qui sont deux aspects de lrsquousage Ce thegraveme sera deacuteveloppeacute dans le second tome du Vouloir-

Dire De la Personne ch laquo Langage et interlocution raquo Seul (a) relegraveve de la glossologie

Essayons drsquoabord de regrouper les formulations qui constituent le propos de la page 772-4

Sachant que lrsquoeacutetude de la seacutemantique consiste agrave observer un laquo ensemble drsquoopeacuterations raquo qui

construit le sens laquo lrsquoopeacuteration raquo en cause consiste agrave laquo tirer le meilleur parti raquo du laquo divorce raquo

qursquoest la contradiction entre situation et structure grammaticale Il srsquoagit donc de

laquo lrsquoinvestissement raquo de la structure dans la situation conjoncturelle partie inteacutegrante de la

dialectique du dire La rheacutetorique est une laquo eacuteconomiehellip indispensable agrave lrsquoappreacutehension du

message raquo Crsquoest drsquoun processus qursquoil srsquoagit qui donne lieu agrave de multiples laquo proceacutedeacutes raquo

qualifieacutes au passage de laquo tours raquo

Sont eacutevoqueacutes les cas multiples de cette laquo eacuteconomie raquo qursquoest la relation entre situation et

formulation Le classement sommaire en laquo rapprochements eacuteliminations configurations raquo

(selon les deux axes) renvoie au thegraveme des figures exposeacute plus loin Est eacutevoqueacute le cas ougrave laquo le

sens reacuteagit sur la forme raquo

- Il srsquoagit en particulier de lrsquoaccord avec le sens dit laquo ad sensum raquo en latin laquo kata synesin raquo

en grec 773 ou ici un meacutelange des deux Ainsi le terme laquo la moitieacute raquo est grammaticalement

au singulier mais la situation deacutesigneacutee lorsqursquoelle est conccedilue comme multiple pousse agrave

mettre le verbe au pluriel lorsque lrsquoon dit laquo La moitieacute sont resteacutees raquo (Srsquoil srsquoagit de

spectateurs et non drsquoun gacircteau coupeacute en deux)

- Par ailleurs lrsquoassociation drsquoideacutees entre drsquoune part lrsquoouverture et la fermeture des magasins

et de lrsquoautre les jours de travail et le dimanche provoque le rapprochement entre laquo ouvrable raquo

et laquo ouvert raquo 774 dans laquo jour ouvrable raquo et lrsquoeacutelimination de la relation de laquo ouvrable raquo agrave

laquo ouvrier ouvrage œuvre raquo ainsi qursquoaux verbes laquo ouvrer raquo (qui figure dans le Dictionnaire

universel drsquoAntoine Furetiegravere) et laquo œuvrer raquo

- Dernier exemple de cette laquo eacuteconomie raquo lrsquoimpact de la situation sur laquo lrsquoideacutee que lrsquoon se

fait raquo de la relation preacutedicative explique la varieacuteteacute des effets de sens de cette relation 773

Une simple liste drsquoeacutenonceacutes tels que laquo Pierre srsquoest casseacute une dent Pierre a casseacute sa courroie

drsquoalternateur Pierre sent le tabac Lrsquoessence deacutegraisse les pinceaux raquo montre lrsquoapproximation

174 Une lecture de Jean Gagnepain

des classifications de la notion de laquo sujet raquo en laquo agent patient lieu du procegraves raquo La varieacuteteacute des

laquo proceacutedeacutes raquo ne doit pas faire oublier lrsquoidentiteacute du laquo processus raquo rheacutetorique 774

Cette eacutelaboration relative drsquoune intelligibiliteacute seacutemantique entre structure et conjoncture

concerne les deux axes Sans parvenir agrave laquo lrsquoeacutetiquetage raquo (qualitatif) ni agrave la laquo globaliteacute raquo

(quantitative) 772 elle vise agrave laquo lrsquohomogeacuteneacuteiteacute conjoncturelle (qualitative) du vocabulaire raquo et agrave

la laquo connexion seacutemantique (quantitative) de la phrase raquo 774

- Qualitativement la nomenclature est impossible puisqursquoil nrsquoy a pas de connaissances

distinctes108 preacutealables agrave eacutetiqueter mais seulement la construction drsquoidentiteacutes et de distinc-

tions conceptuelles Lrsquoidentiteacute conceptuelle reacutepond au principe laquo drsquohomogeacuteneacuteiteacute raquo JG

anticipe ici de la deacutefinition qursquoil en donnera plus loin sous le nom de laquo vocable raquo comme

laquo convergence synonymique raquo de segravemes en 864 Le raisonnement est toujours dialectique

ledit laquo vocabulaire raquo nrsquoest pas ce capital de laquo mots raquo recenseacute par le dictionnaire en langue le

laquo vocabulaire raquo est le processus mental drsquohomogeacuteneacuteisation qui permet au locuteur de neacutegliger

lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute formelle des segravemes Pour faire simple eacutevoquons le fait selon la situation de

neacutegliger la diffeacuterence lexicale entre laquo terre raquo et laquo cocircte raquo lorsque lrsquoon dit depuis le bateau laquo La

terre est agrave tribord raquo et celle entre laquo terre raquo et laquo sol raquo lorsque lrsquoon dit laquo pose-le par terre raquo

Dans les deux cas on opegravere une laquo convergence synonymique raquo de deux segravemes dont on deacutegage

un concept

- Le raisonnement de JG est aussi dialectique lorsqursquoil se place du point de vue de la quan-

titeacute et oppose lrsquoimpossible laquo globaliteacute raquo et la possible laquo connexion seacutemantique de la phrase raquo

Quantitativement rien de la situation ne peut ecirctre globalement isoleacute attendu qursquoil nrsquoexiste

pas de fait isolable a priori de lrsquointellection seacutemantique Celle-ci est un processus de

laquo connexion raquo en tant que neacutegation de la neacutegativiteacute grammaticale instauratrice drsquoune

segmentation formelle Lrsquoauteur anticipe sur la preacutesentation de la notion de laquo terme de

proposition raquo en 922 Pour faire simple encore il srsquoagit du fait drsquointerconnecter des mots

grammaticalement multiples pour eacutenoncer laquo Il procegravede demain agrave la premiegravere ouverture au

public de la piscine raquo et qui sera compris comme la simple assertion drsquoune laquo inauguration raquo

Lrsquoapport de la clinique

JJ eacutevoque alors deux passages agrave la limite de la dialectique du signe liant pathologies et

exploitation litteacuteraire de ces limites 781-2

La premiegravere limite relegraveve de la preacutegnance de la grammaire Imaginons un raisonnement

seacutemantique que ne controcirclerait plus la prise en compte de la situation Certains malades

neurologiques appeleacutes par JG laquo schizophases raquo 781 produisent sans controcircle possible ce qui

est abondamment exploiteacute dans les jeux de mots (Boris Vian Raymond Devos en furent des

virtuoses) Une description en est faite dans O Sabouraud Ed Sanquer et J Gagnepain

laquo Reacuteflexions sur la schizophasie Essai drsquoanalyse linguistique drsquoune observation raquo in Congregraves de

psychiatrie et de neurologie de langue franccedilaise Grenoble septembre 1966 Paris Masson

p210-219 JG en preacutesente plusieurs exemples dans laquo Huit leccedilons drsquointroduction agrave la theacuteorie

de la meacutediation raquo p 68-71 Il convient de rapporter cette hypothegravese au propos tenu

preacuteceacutedemment laquo [La rheacutetorique] nrsquoa point de pathologie propre raquo 723 JG voulait dire que la

pathologie du dire affecte la dialectique elle-mecircme sous deux aspects dissolution de son

108 Eacutetant entendu que lrsquoon laquo distingue raquo ici laquo distinction raquo analytique et laquo contours configurations raquo gestaltiques Cf lrsquointermegravede 4

De la deacutesignation 175

principe grammatical (aphasies) ou preacutegnance du grammatical (schizophasie) En ce sens il nrsquoy

a de pathologie que de la grammaticaliteacute

La seconde limite relegraveve de la preacutegnance de la situation lorsque celle-ci donne lrsquoillusion de

la suffisance drsquoun seul et mecircme terme laquo On conviendra qursquoil est (hellip) des situations si

‟parlantesrdquo que le signifieacute srsquoannule au terme dans le sens raquo 782 Suit lrsquoexemple de Ionesco qui

dans La leccedilon fait dire au mot laquo chat raquo laquo aussi bien chaise que marteau raquo laquo Pour y deacutesigner

les choses un seul mot chat [] toi chat moi chat raquo (Acte 1) Dans lrsquoactualiteacute une

formule telle que laquo Crsquoest la crise raquo semble en elle-mecircme et agrave elle seule dire ce qursquoil en est de

la situation Ainsi en va-t-il de toute laquo eacutevidence raquo

La dialectique du signe est ainsi reformuleacutee 783 laquo Le signe dune part quoiquil y tende

nest jamais pur de tout contenu mais parce quil nexiste dautre part quen raison du fait

quil le nie il neacutepuise jamais la repreacutesentation et ne deacutesigne que par figures raquo Le signe ne se

reacuteduit pas au grammatical Une telle reacuteduction formaliste serait dit-il plus loin laquo prendre les

mots pour des choses raquo 803 La grammaire nrsquoest qursquoun pocircle drsquoune dialectique qui comprend

son inversion rheacutetorique qui confegravere du contenu agrave la forme Reacuteciproquement la grammaire

en tant qursquoelle nie le contenu fait que la rheacutetorique qui nrsquoen est que lrsquoinversion maintient

une rupture radicale avec la repreacutesentation laquo ineacutepuisable raquo dont elle ne peut qursquoen construire

une connaissance analytique qui reste laquo figureacutee raquo Lrsquoexpression laquo Il ne deacutesigne que par

figures raquo justifieacutee par lrsquoimproprieacuteteacute fondamentale de la grammaire introduit le thegraveme suivant

celui des laquo tropes raquo

3 - Theacuteorie des tropes

Les rheacutetoriques classiques utilisent selon les eacutepoques et en fonction des theacuteorisations le

terme laquo trope raquo drsquoorigine grecque (laquo trόpos raquo direction agrave prendre et maniegravere de dire et

laquo treacutepein raquo tourner qqch vers se diriger vers) le terme laquo figure raquo drsquoorigine latine (laquo figura raquo)

ou les termes laquo tours tournures raquo JG nrsquoutilisera jamais la formule laquo figures de style raquo parce

que la notion de laquo style raquo relegraveve pour lui de la sociologie

Remarque Les traiteacutes dits de laquo rheacutetorique raquo des laquo figures raquo ou des laquo tropes raquo sont

extrecircmement divers depuis la Rheacutetorique agrave Heacuterennius (anonyme 1er siegravecle av J-C) Ciceacuteron ou

Quintilien (1er s apr JC) puis Dumarsais (1730) et Pierre Fontanier (1821) jusqursquoau moderne

Groupe micro (1970) Les classifications et deacutefinitions des figures y sont donc tregraves heacuteteacuterogegravenes JG

semble se reacutefeacuterer en geacuteneacuteral aux anciens ainsi qursquoagrave Dumarsais et agrave Fontanier

La perspective de JG est toujours dialectique 784 amp 79 La grammaire est la source des

laquo tropes raquo Crsquoest en effet parce que tout eacuteleacutement seacutemiologique est impropre et qursquoil est apte agrave

prendre des sens divers que lrsquoon peut parler de laquo trope raquo Dans ce contexte laquo trope raquo est

synonyme de polyseacutemie potentielle Crsquoest pourquoi la seacutemantique en est la contestation en ce

qursquoelle produit de la proprieacuteteacute relative Notons bien que la proprieacuteteacute est dite laquo incondition-

nelle raquo 791 et qursquoelle vaut eacutegalement pour tout ce que la laquo rheacutetorique raquo classique appelle laquo

meacutetaphore raquo comme lrsquoindique plus loin le choix de la formule laquo la faucille drsquoor raquo (Booz

endormi Victor Hugo) choix qui est jugeacute par JG aussi adeacutequat que laquo la lune raquo en fonction des

paramegravetres de la situation ougrave le message est dit

Il srsquoagit donc pour JG drsquoexpliquer et de critiquer la thegravese classique de la laquo figure-eacutecart raquo

792 agrave 802 En reacutesumeacute la tradition pense certaines relations seacutemantiques entre deux concepts

176 Une lecture de Jean Gagnepain

infeacutereacutes drsquoune mecircme forme comme laquo un eacutecart raquo entre un sens laquo propre raquo qui sert de reacutefeacuterence

et un sens laquo figureacute raquo 792 Pierre Fontanier (Manuel classique pour leacutetude des tropes ou

Eleacutemens de la science du sens des mots 1821) semble le premier agrave theacuteoriser cette conception

de la figure-eacutecart Il faut savoir que cet ouvrage a servi de manuel en classes de rheacutetorique des

lyceacutees durant tout le XIXe siegravecle Au contraire JG considegravere que lrsquoon est en laquo pleine

‟relativiteacuterdquo raquo 802 que tout message eacutelabore de la proprieacuteteacute qursquoil est donc toujours

conjoncturellement laquo propre raquo et en mecircme temps qursquoil reste aussi laquo figure raquo en tant que

formulation issue drsquoune structure grammaticale impropre toujours susceptible de prendre

drsquoautres valeurs seacutemantiques109

Avant de gloser cette critique de la laquo figure-eacutecart raquo je propose drsquoexpliciter cette diffeacuterence

de point de vue par le contraste de deux exemples La tradition fait une diffeacuterence lieacutee au

privilegravege accordeacute agrave lrsquoobjectiviteacute entre les deux observations seacutemantiques suivantes

- Entre laquo cleacute agrave molette cleacute de valise cleacute de voucircte raquo la tradition ne voit geacuteneacuteralement pas de

laquo figures raquo Sous le terme laquocleacute raquo on conccediloit lrsquoexistence drsquoun proceacutedeacute de blocage ce qui donne

lieu agrave un effet de polyseacutemie en fonction de la faccedilon dont sont distingueacutees seacutemantiquement des

variations techniques Lrsquoidentiteacute du champ technique induit un effet de similariteacute entre ces

concepts Pour nous aujourdrsquohui il est impossible de consideacuterer quel serait le sens laquo propre raquo

de ce terme et quels seraient les sens laquo figureacutes raquo qui srsquoen seraient laquo eacutecarteacutes raquo Il y a certes un

effet de laquo prototypie raquo si lrsquoon demande agrave quelqursquoun hors situation ce qursquoest laquo une cleacute raquo et un

tel proceacutedeacute pousse au raisonnement mythique mais la hieacuterarchie des reacuteponses induites est

une affaire drsquousage social ou de probabiliteacute drsquoutilisation La tradition prend ce type de

deacutesignation comme repegravere seacutemantique comme une sorte de deacutesignation laquo directe raquo

- Il en va autrement des exemples qui vont suivre qui relegravevent pour la tradition drsquoun

raisonnement seacutemantique plus complexe consideacutereacute comme un laquo eacutecart raquo par rapport au type

preacuteceacutedent

Soit laquo Bouillir ou mourir raquo laquo Le mois du blanc raquo ou encore laquo La provenccedilale a mis les

bouts raquo drsquoune part Soit drsquoautre part laquo Avoir le droit de distiller de lrsquoalcool ou faire faillite raquo

(pancarte dans une manifestation de distillateurs drsquoeau-de-vie) laquo le mois de promotion du

linge de maison raquo et pour le dernier exemple laquo le client qui avait commandeacute la crecircpe tomate

eacutechalotes est parti sans payer raquo La tradition consideacuterera les premiers eacutenonceacutes comme des

sens laquo figureacutes raquo (meacutetaphoriques etou meacutetonymiques) deacuteriveacutes des seconds Crsquoest cette

relation orienteacutee qui permet de parler de laquo tournure raquo et il nrsquoy a de laquo sens figureacute raquo que par

rapport agrave un point de repegravere constant laquo le sens propre raquo postuleacute tel Crsquoest ce postulat que JG

critique

Pour lui dans les circonstances en question la conjonction de la source (le bouilleur de cru)

et du vecteur (une pancarte) fait que le choix le plus laquo propre raquo agrave concevoir la revendication

prise en compte est le simple verbe laquo bouillir raquo et non une deacutefinition du meacutetier de distillateur

De mecircme le serveur de la crecircperie obtient ainsi un raisonnement optimal compte tenu de

lrsquoinformation que partagent la source et la cible du message dans la circonstance en question

ougrave laquo la table 12 vient de se vider raquo La premiegravere formulation nrsquoest donc pas plus la meacutetonymie

de la seconde que la seconde nrsquoest la peacuteriphrase de la premiegravere Les deux formulations

doivent ecirctre appreacutecieacutees seacutemantiquement en fonction de la conjoncture de leur eacutelaboration

109 Dans son Seacuteminaire du 16 deacutecembre 1971 JG mettait cette thegravese en relation avec celle de Jacques Lacan tout langage est dessaisissement

De la deacutesignation 177

Preacutecisons que cette critique de la notion laquo drsquoeacutecart raquo entre propre et figureacute nrsquoimplique pas le

refus drsquoune typologie des raisonnements seacutemantiques et de certaines distinctions proposeacutees

par les rheacutetoriques classiques agrave commencer par la distinction entre meacutetaphore et meacutetonymie

Lrsquoouvrage expose dans sa section suivante laquo les meacutecanismes de lrsquoeacutenonceacute raquo un tableau des

raisonnements seacutemantiques un tableau des diverses voies laquo drsquoaccegraves agrave la proprieacuteteacute raquo 794

fondeacute sur la biaxialiteacute en tant que la rheacutetorique est lrsquoinversion de la grammaire

Venons-en aux gloses

Thegraveme de la dissociation des plans

La premiegravere critique faite agrave la notion laquo drsquoeacutecart raquo agrave la laquo norme raquo concerne la confusion

maintenue entre le fait seacutemantique lui-mecircme qui est de lrsquoordre de lrsquoinformation et un fait de

socieacuteteacute ou encore un fait drsquoordre axiologique La tradition a besoin chaque fois drsquoun point

fixe pour appreacutecier cet eacutecart 792

En tant que distance sociale il srsquoagit de laquo deacuteviance raquo ou de laquo non-conformisme raquo par

rapport agrave un laquo standard raquo En tant que distance axiologique il srsquoagit de laquo transgression raquo par

rapport agrave un laquo canon raquo En grec laquo κανών raquo signifie laquo modegravele principe raquo et laquo canon raquo en latin

veut dire laquo regravegle raquo ndash tige en bois comme conduite morale ndash crsquoest-agrave-dire le laquo droit raquo par rapport

au laquo tord(u)tort raquo Noter agrave propos de la formulation heacuteteacuterogegravene laquo hellipaxiolinguistiquement

dinfraction raquo que par la suite lrsquoauteur opposera constamment et rigoureusement

laquo lrsquoinfraction agrave lrsquousage social raquo et laquo la transgression de la regravegle eacutethique raquo La tradition meacutelange

donc sens usage (du sens) et bon usage (du sens)

laquo La figure sorte dopposition de Sa Majesteacute ou si lon veut de fou du roi raquo 7929

Cette allusion renvoie agrave la conjonction de lrsquoaxiologie et de la sociologie La tradition voit

dans la figure agrave la fois un positionnement laquo paradoxal raquo et un trait drsquoesprit Le mot drsquoesprit

sera deacutefini dans le tome 2 du Vouloir-Dire comme ce qursquoon srsquoautorise agrave dire par deacutepassement

dialectique de la contradiction entre pulsion et deacutecence crsquoest-agrave-dire comme un fait de

rationnement eacutethique Cette habilitation est surdeacutetermineacutee par la relation sociale qui en fait

une habilitation convenue ou inconvenante La tradition conccediloit la figure comme une

laquo toleacuterance raquo dont reacutesulte un plaisir celui de laquo lrsquoornement raquo celui de la deacutecoration drsquoun

concept de base qui serait lui sociologiquement banal et axiologiquement neutre

Thegraveme de lrsquoessentialisme

Le point de deacutepart de lrsquoargument est logique Il est fait reacutefeacuterence agrave la hieacuterarchie en philo-

sophie eacutetablie entre (sommairement dit) ce qui fait que laquo la chose est neacutecessairement poseacutee raquo

(Spinoza110) ndash son laquo essence raquo et les laquo accidents raquo qui en sont les proprieacuteteacutes telles la couleur

ou la forme de ladite chose La notion de laquo sens propre raquo est ici critiqueacutee en ce qursquoelle suppose

qursquoexistent des choses deacutefinies des essences positives des substances dont le sens non figureacute

serait la repreacutesentation directe On rejoint le thegraveme de la nomenclature Il nrsquoy a rien de tel

dans la theacuteorie du signe de JG laquo Point de choses agrave dire preacuteexistant agrave notre faccedilon den

parler raquo 64 Aucun point fixe et surtout fixeacute par une ontologie Il dira plus loin que laquo Lrsquoeacutecart

110 Spinoza Eacutethique II deacutef2 laquo Je dis appartenir agrave lrsquoessence drsquoune chose ce dont la preacutesence pose neacutecessairement la chose et dont la suppression supprime neacutecessairement la chose ou encore ce sans quoi la chose et inversement ce qui sans la chose ne peut ecirctre ni se concevoir raquo Trad Fr Bernard Pautrat (Seuil)

178 Une lecture de Jean Gagnepain

eacutetant partout il nrsquoesthellipnulle part raquo 794 qursquo laquo il faut admettre qursquoil nrsquoest plus nulle part de

jalon raquo 813 et que laquo lrsquoon est en pleine ‟relativiteacuterdquo raquo 802

laquo La figure raquo en rheacutetorique eacutequivaut agrave laquo lrsquooblique raquo en grammaire 793 Ce qui est oblique

srsquooppose agrave ce qui est droit La tradition atomiste drsquoEacutepicure explique lrsquoexistence des corps

physiques dans lrsquounivers par une deacuteviation une inclinaison le laquo clinamen raquo de la chute

laquo droite raquo des atomes Mecircme chose dans les mots Il y aurait leur forme essentielle (leur

substance) et leur laquo deacuteclinaison raquo marqueacutee par le cas qui les termine - leurs laquo avatars raquo en

quelque sorte Le mot est laquo droit raquo et ses variations sont laquo obliques raquo selon ses relations avec

le contexte En ancien franccedilais on opposera le cas laquo sujet raquo lorsque le nom est isoleacute au cas

laquo reacutegime raquo ou laquo oblique raquo qui est marqueacute par un suffixe lorsque le nom est laquo reacutegi raquo par un

autre Les patronymes laquo Le Bret Le Breton raquo teacutemoignent de cette diffeacuterence de mecircme qursquolaquo un

gars un garccedilon Sire et Seigneur raquo

laquo Ici racine lagrave objet raquo 793 Traditionnellement en grammaire on dit que la laquo racine raquo se

deacutecline en rheacutetorique le sens propre qui est fondeacute sur la seule objectiviteacute dans lrsquoindiffeacuterence

aux autres paramegravetres de la situation laquo se figure raquo

laquo Lrsquohumanisme est fonciegraverement pessimiste raquo Le thegraveme de lrsquoeacutecart entre essence et accident

a pour eacutecho axiologique laquo drsquoun cocircteacutehellip lrsquous et lrsquoabushellip en synchronie raquo et laquo de lrsquoautrehellip

lrsquoeacutevolutionhellip en diachronie raquo Tous les deux sont marqueacutes par la culpabiliteacute laquo Le peacutecheacute est

drsquoorigine raquo pour qui lrsquohistoire nrsquoest qursquoune seacuterie de catastrophes depuis lrsquoexpulsion du paradis

Variations sur le thegraveme de la Figure

Thegraveme La figure nrsquoest pas une distance agrave un point de repegravere fixe Le locuteur creacutee son

propre repegravere dans sa recherche de la proprieacuteteacute laquelle est toujours relative et fonction de

tous les paramegravetres de la situation laquo Lrsquoeacutecart eacutetant partout il nrsquoesthellipnulle part raquo 794 Ce qui

paraicirct comme un trope laquo voie deacutetourneacutee raquo par reacuteduction agrave lrsquoobjectiviteacute peut ecirctre la voie

laquo drsquoaccegraves agrave la proprieacuteteacute raquo lorsqursquoun autre paramegravetre preacutevaut laquo On est en bref en pleine

relativiteacute raquo 802

Variations JG deacuteveloppe lrsquoargumentation agrave partir drsquoune typologie ancienne (depuis la

Rheacutetorique agrave Heacuterennius anonyme 1ers Ave J-C) qui distingue entre laquo les figures de penseacutee raquo

et laquo les figures de mots raquo Freud reprendra la distinction dans Le mot drsquoesprit et ses relations

avec lrsquoinconscient La notion de laquo figures de construction raquo est preacutesente chez Pierre Fontanier

laquo Les figures de penseacutee raquo

Lrsquoexemple de laquo lrsquoironie raquo Il importe ici de faire abstraction de lrsquoeupheacutemisme preacutesent dans

ce type de message car cet aspect relegraveve de lrsquoaxiologie Du strict point de vue cognitif le

propos ironique suppose une laquo compliciteacute raquo drsquoinformation non dite entre source et cible et

repose sur cette omission drsquoinformation objectale 795 Ainsi qualifier une prison

laquo drsquoappartement drsquoune extrecircme fraicirccheur raquo (Voltaire Candide ch6) repose logiquement sur

la connaissance implicite par les locuteurs de ce qursquoest une prison

laquo Litote et hyperbole raquo laquo ellipse et peacuterissologie raquo 795 Le premier couple de termes relegraveve

de la qualiteacute (deacuteficitaire ou excessive) de lrsquoinformation formuleacutee Le second de la quantiteacute

(deacuteficitaire ou excessive) drsquoinformation formuleacutee (laquo Peacuterissologie raquo du grec περισσολογία

superflu περισσός qui deacutepasse la mesure)

laquo Lrsquoexageacuteration raquo laquo hellip On a vu de ses yeux vu comme des asticots dans le fromage des

poules dans le poulailler raquo 795 Il nrsquoy a pas de pleacuteonasme en soi mais seulement en fonction

De la deacutesignation 179

des circonstances Certes il y a tregraves geacuteneacuteralement des poules dans un poulailler et lrsquoinfor-

mation saillante serait drsquoobserver que celui-ci est vide Cependant cet eacutenonceacute en forme de

boutade devient une information approprieacutee dans une situation ougrave il est devenu improbable

de voir le poulailler occupeacute Il nrsquoest pas difficile drsquoimaginer pareille situation apregraves une

catastrophe censeacutee avoir provoqueacute la fuite de tous les animaux On apporte ici la nouvelle que

les poules sont paradoxalement agrave leur place Il nrsquoy a donc pas laquo drsquoeacutechelle absolue de

grandeur raquo (de lrsquoinformation) car seule la relation reacutefeacuterentielle entre le locuteur et la situation

deacutetermine la construction de la proprieacuteteacute

laquo Les figures de mots raquo

laquo Les deux aspects si connus de la synecdoque que sont la meacutetaphore et la meacutetonymie raquo

801 Cette classification (nulle part reprise) est singuliegravere Depuis Pierre Fontanier la

synecdoque est deacutefinie comme un cas particulier de meacutetonymie et non lrsquoinverse Peut-ecirctre

lrsquoauteur donne-t-il ici agrave ce terme son sens eacutetymologique qui est assez geacuteneacuterique pour ecirctre

appliqueacute agrave toute figure de mots Anatole Bailly (Dict grec franccedilais) commente συνεκδοχή par

laquo figure de mots qui consiste agrave employer un terme en un sens plus compreacutehensif p ex en

prenant un singulier collectivement pour un pluriel raquo En ce sens le lieu commun laquo le Franccedilais

est racircleur raquo serait aussi une synecdoque

La laquo faucille drsquoor raquo (dans le champ des eacutetoiles) 802 est en termes classiques exemplaire de

la meacutetaphore en tant que mode drsquoadeacutequation seacutemantique laquo Je suis en Lettres raquo est un

exemple de meacutetonymie (de synecdoque pour certains auteurs) en tant que reacuteduction drsquoun

enchaicircnement de concepts ndash La Faculteacute des Lettres ndash agrave un seul de ses composants

Ces raisonnements sont les plus adeacutequats possibles en fonction de la source du message et

ils sont donc aussi laquo reacutealistes raquo que la description objective qui privileacutegie un autre paramegravetre

de la situation

laquo On ne peut ni proscrire les figureshellip ni entre elles les traduire raquo 802 Pour JG la raison

de la figure est grammaticale Elle est la formulation grammaticale (mot ou construction de

mots) au fondement du laquo parcours raquo de sens qursquoest la figure

Mise en perspective de la theacuteorie des tropes avec la theacuteorie glossologique

La rheacutetorique est ici deacutefinie comme laquo inversion raquo de la grammaire laquo Crsquoest du mecircme univers

qursquoil srsquoagit raquo celui du laquo signe raquo qui est lrsquoensemble (double) des processus qui lrsquoinstaurent (la

grammaire) et de ceux qui laquo les contestant srsquoen inspirent raquo (la rheacutetorique) 803

Il est par conseacutequent neacutecessaire de construire le modegravele de la rheacutetorique sur celui de la

grammaire De lagrave une critique des modegraveles laquo logiques raquo fondeacutes sur une formalisation 804

Lrsquoarticle laquo liste des figures de style raquo de Wikipeacutedia adopte un tel classement en addition

suppression deacuteplacement et substitution

Autrement dit il nrsquoy a pour JG que des laquo figures de grammaire raquo

Faces pocircles axes en rheacutetorique

Le texte est tregraves bref sur le thegraveme des laquo faces raquo du signe 8122-4 Il signale une relation

entre une rheacutetorique phoneacutetique et lrsquoappellation classique de laquo figures de diction raquo

laquo Composantes incidentale et reacutefeacuterentielle du signe raquo et laquo figures de mots figures de

penseacutee raquo 812 Voir la partie grammaticale laquo La reacutefeacuterence ou rapport du signe agrave la conjonc-

ture Lincidence cest-agrave-dire le rapport du signe agrave la structure raquo 633 Il srsquoagit toujours de

180 Une lecture de Jean Gagnepain

rheacutetorique mais dans le cas de la figure de laquo penseacutee raquo on observait le raisonnement seacuteman-

tique dans sa relation agrave la conjoncture tandis que dans le cas de la figure de laquo mots raquo on

observait le raisonnement seacutemantique dans sa relation au mot qui le formule

Les laquo figures de grammaire et de construction raquo 812 concernent la morphologie (des

paradigmes) et les champs conceptuels et les laquo figures de construction raquo concernent la

syntaxe et les relations drsquoinfeacuterence (drsquoexpansion) La deacutefinition des termes laquo champ raquo et

laquo expansion raquo est lrsquoobjet drsquoune section ulteacuterieure

La biaxialiteacute Il srsquoagit drsquoune laquo proprieacuteteacute fondamentale de lrsquoanalysehellip de toute rationaliteacute raquo

812 On peut donc reacutepartir les figures selon deux types de raisonnement Suit une liste de

couples de raisonnements dont lrsquoun relegraveve de la laquo ressemblance raquo de lrsquoalternative de sens qui

est son aspect qualitatif et lrsquoautre de la laquo contiguiumlteacute raquo de sens qui est son aspect quantitatif

Le but de ce passage est de montrer qursquoune perspective descriptiviste qui aboutit agrave la liste des

tropes dans la rheacutetorique classique empecircche de comprendre que tous deacutecoulent des deux

processus analytiques que sont lrsquoaxe de la qualiteacute et lrsquoaxe de la quantiteacute

Je propose ici des exemples de chacune des laquo figures raquo dont le nom est indiqueacute dans le

texte JG emprunte cet inventaire agrave la rheacutetorique ancienne (Quintilien) ou classique

(Fontanier) Attention seul le raisonnement seacutemantique compte ici et il faut faire abstraction

de lrsquointention axiologique qui motive la figure telle que lrsquoeupheacutemie ou le mot drsquoesprit Le

premier raisonnement de chaque couple porte sur les caracteacuteristiques (la qualiteacute) de

lrsquoinformation le second repose sur la quantiteacute drsquoinformation

Meacutetaphore laquo Lrsquoeacutecume des jours raquo = les faits divers

Meacutetonymie laquo Il nrsquoy a plus de batterie raquo = plus de courant dans la batterie

Enallage (Neacuteron deacuteclare agrave Narcisse ) laquo Neacuteron est amoureux raquo (Substitution de personne

verbale = laquo Je suishellip raquo) Grec ἐναλλαγή (interversion)

Hypallage laquo Le deacutesordre blond de ses cheveux raquo (Marguerite Duras Moderato cantabile)

laquo Ibant1 obscuri2 sola1 sub nocte2 per umbram raquo laquo Ils allaient1 obscurs2 dans la nuit2 solitaire1

agrave travers lrsquoombrehellip raquo (Virgile Eacuteneacuteide VI268 visite aux Enfers drsquoEacuteneacutee et de la Sybille) laquo La

bouche pleine drsquoombre et les yeux pleins de cris raquo Anna de Noailles Jeunesse Transfert drsquoune

caracteacuterisation drsquoun terme sur un autre terme contigu Grec ὑπαλλαγή (eacutechange)

Zeugma laquo Elle eacutetait enfermeacutee dans sa chambre et dans sa surditeacute raquo Un mecircme mot prend

alternativement deux sens dans la mecircme laquo construction raquo Gr ζεῦγμα zeugma joug lien

Antanaclase laquo Le cœur a ses raisons que la raison ne connaicirct point raquo Un mecircme mot prend

successivement deux sens dans la mecircme construction Gr anti + anaklasis (contre + eacutecho

reacutepeacutetition drsquoun son) Lrsquoopposition en termes drsquoaxes ne tient que si lrsquoon restreint cette figure agrave

lrsquoantanaclase dite laquo classique raquo ougrave le terme laquo figureacute raquo est reacutepeacuteteacute avec un sens diffeacuterent chaque

fois

Certains auteurs mettent aussi sous cette rubrique des raisonnements ougrave un terme prend

alternativement deux sens en raison du contexte mais ougrave il est en relation avec un antonyme

comme dans laquo Crsquoeacutetait sale1 au sens2 propre1-2 raquo Dans la classification de JG un tel raisonne-

ment relegraveverait du zeugma

Antiphrase laquo Crsquoest du propre raquo Choix du concept contraire de celui qui serait objective-

ment adeacutequat

Oxymoron laquo La clarteacute sombre des reacuteverbegraveres raquo (Baudelaire) laquo Hacircte-toi lentement raquo

Juxtaposition de deux concepts antinomiques Gr ὀξύμωρος oxuacutemōros de ὀξύς laquo aigu

De la deacutesignation 181

spirituel raquo et de μωρός laquo niais raquo Le terme est lui-mecircme une laquo figure raquo qui remplace un

concept (laquo antinomie raquo) par un exemple de celui-ci

laquo La Verdichtung et la Verschiebung raquo 812 Condensation et deacuteplacement Ces termes sont

choisis par Freud dans Lrsquointerpreacutetation des recircves pour distinguer les deux maniegraveres dont le

deacutesir inconscient se manifeste dans le recircve Soit par superposition drsquoimages soit par passage

drsquoun thegraveme agrave un autre

Hors classement biaxial certaines figures laquo semblent ressortir au jeu de mots raquo 813

Lrsquoalliteacuteration et la paronomase la gradation et lrsquoantithegravese le paralleacutelisme le chiasme

et lrsquoinversion laquo Nous verrons ulteacuterieurement raquo quelle est la contribution de ces figures au

laquo polymorphisme raquo de la rheacutetorique 821 Lrsquoouvrage nrsquoeacutetant pas un roman policier je

deacutevoile le renvoi Il est fait allusion ici agrave la seacutemantique poeacutetique qui avec les rheacutetoriques

mythique et scientifique laquo cause raquo ces messages et explique leur proprieacuteteacute

La laquo Paronomase raquo rapprochement seacutemantique fondeacute sur la proximiteacute formelle de deux

mots laquo Traduttore traditore raquo laquo comparaison nrsquoest pas raison raquo etc

Le laquo Chiasme raquo Disposition des termes selon le motif ABBA laquo Crsquoest bonnet blanc et blanc

bonnet raquo laquo Le roulis aeacuterien des nuages de mer raquo (Vigny avec une hypallage en prime) Gr

χιασμός (khiasmoacutes) disposition en croix

Figure exemplaire de la dialectique grammaire rheacutetorique lrsquoantonomase

LrsquoAntonomase laquo Le mot par lequel on la deacutesigne a ceci de particulier qursquoen mecircme temps

qursquoagrave ce processus il se reacutefeacuterait agrave la fois ndash et ceci degraves lrsquoorigine ndash agrave la fonction pronominale ainsi

qursquoagrave ce qursquoaujourdrsquohui nous appelons rheacutetoriquement lrsquoantonymie raquo 822 Paraphrase le

terme drsquoantonomase deacutesigne une laquo figure raquo et relegraveve donc du processus de laquo figure raquo mais il

laquo reacutefegravere raquo plus largement agrave la fonction pronominale et agrave la relation seacutemantique des contraires

Essayons de deacutemecircler tout cela

1 - La figure dite laquo antonomase raquo Le dictionnaire Grec-franccedilais drsquoAnatole Bailly nous

eacuteclaire sur ce point parce que JG prend en compte lrsquoensemble des sens de ce terme tous

types drsquoouvrage inclus Il srsquoagit agrave la fois du verbe laquo ἀντονομάζω raquo (antonomadzocirc) mot agrave mot

laquo deacutenommer + contre en face agrave la place raquo et de son deacuteriveacute nominal laquo ἀντονομασἰα raquo

(antonomasia) Le verbe peut prendre comme sens 1- Appeler drsquoun nom diffeacuterent et (en

arithmeacutetique) deacutesigner par une deacutenomination contraire 2 - Deacutesigner par un pronom Le nom

laquo antonomasia raquo est speacutecialiseacute en rheacutetorique classique avec le sens plus restrictif de concevoir

un objet par une eacutepithegravete ou un nom patronymique Bailly propose comme exemple le fait de

nommer Agamemnon laquo lrsquoAtride raquo du nom de la ligneacutee drsquoAtreacutee (lrsquointreacutepide) Mais il a aussi

ailleurs le sens de laquo pronom raquo et de laquo deacutenomination contraire raquo (ex chez Nicomaque de

Gerasa matheacutematicien -2egraveme siegravecle) Un exemple en est donneacute par le proverbe latin laquo Lucus a

non lucendo raquoEn contexte laquo la forecirct srsquoappelle ‟ lucus rdquo (= bois sombre) parce que la lumiegravere

nrsquoy peacutenegravetre pas raquo (Fausse eacutetymologie fondeacutee sur le rapprochement de laquo lucus raquo bois sacreacute et

laquo lucere raquo briller) Lieu commun commenteacute par Quintilien111

111 Quintilien De institutione oratoria I 6 34 laquo Etiamne a contrariis aliqua sinemus trahi ut lucus quia umbra opacus parum luceathellip raquo Cf eacutedition (abreacutegeacutee par Jean Racine) de Ch Fierville 1980 Paris Firmin-Didot p 103-104 eacutedition numeacuterique sur httpwwwarchiveorgstreamdeinstitutioneo00quinpagen9mode2up

Ce lieu commun est repris par Donat Varron Isidore de Seacuteville Lord Byron etc laquo canis a non canendo raquo (chien parce qursquoil ne chante pas) laquo Et dictae sunt kata antifrasin quod nul cant sicut lucus a non lucendo raquo laquo Belllum a

182 Une lecture de Jean Gagnepain

On comprend donc que JG laquo reacuteactive raquo la valeur seacutemiologique du mot lui redonne toutes

ses potentialiteacutes de sens dans le but de souligner la relation qursquoil peut y avoir entre les trois

mouvements seacutemantiques suivants la relation entre laquo individu raquo (ou laquo particulier raquo) et

laquo espegravece raquo la relation entre speacutecifique et geacuteneacuterique et la relation entre contraires Dans tous

les cas on oppose au nom un laquo contre-nom raquo une alternative agrave ce nom disons-le autrement

une laquo contra-diction raquo

2 ndash Antonomase et antonymie Relevons tout drsquoabord que les termes laquo antonomase raquo et

laquo antonymie raquo sont tous les deux construits sur les eacuteleacutements laquo anti raquo et laquo onoma raquo le preacutefixe

prenant un sens geacuteneacuterique dans le premier terme (antonomase) et un sens restrictif dans le

second (antonymie) Pour JG le rapprochement illustre laquo comment la contradiction rheacuteto-

rique naicirct dialectiquement de la neacutegation grammaticale raquo 822 De mecircme que la grammaire

permet de dire formellement le contradictoire logique (fertileinfertile) de mecircme en raison

du principe commun drsquoanalyse la rheacutetorique permet de produire une contradiction entre

concepts que ce soit sur la base du choix entre deux lexegravemes (fertilesteacuterile) ou que ce soit

par la figure sur la base du mecircme lexegraveme dans lrsquoantiphrase laquo Crsquoest malin raquo

Cela dit au nom du principe de neacutegativiteacute JG va plus loin et rappelle laquo lrsquoeacutetroit rapport de

la neacutegation grammaticale avec la suppleacuteance et notamment avec la pronomination raquo 822

3 ndash Antonomase et pronomination Dans la perspective de JG exposeacutee dans la partie

grammaticale du livre la laquo pronomination raquo est une varieacuteteacute de suppleacuteance et une laquo variation

de lrsquoabsence raquo 862 une faccedilon grammaticale de ne pas dire tout en disant quand mecircme agrave

travers les relations paradigmatiques (reconstitution du lexegraveme manquant) ou syntaxiques

(anaphore) Cette dialectique de la neacutegativiteacute et de son deacutepassement srsquoobserve en seacuteman-

tique laquo La rheacutetorique en reacuteameacutenageant la grammairehellip la reproduit agrave sa maniegravere raquo 822

Ainsi en va-t-il de lrsquoantonomase dans la rheacutetorique antique Dire laquo LrsquoAfricain raquo pour

deacutesigner Scipion crsquoest bien un refus en situation de reacutefeacuterer agrave lrsquoindividu logique en le

deacutesignant par une classe plus ou moins geacuteneacuterique ou speacutecifique Il y a des millions drsquoAfricains agrave

cette eacutepoque mais crsquoest du seul Scipion qursquoil srsquoagit Il en va de mecircme pour moi lorsque jrsquoeacutecris

ici laquo lrsquoauteur raquo (du Vouloir-Dire) puisque srsquoil y a des millions drsquoauteurs il nrsquoy a bien en

situation qursquoun seul Jean Gagnepain pour mes lecteurs comme pour moi

Crsquoest pourquoi cette antonomase nrsquoest qursquoun cas particulier drsquoun processus

laquo drsquoeffacement raquo de sens (et non plus cette fois drsquoun effacement de la forme grammaticale)

drsquoun processus laquo drsquoindeacutetermination raquo seacutemantique dont teacutemoignent agrave la limite laquo les trucs les

choses et les machins raquo 822 En situation le terme geacuteneacuterique peut suffire agrave expliciter une

information que lrsquoon ne juge pas neacutecessaire de speacutecifier tout comme lrsquoantonyme peut porter

paradoxalement son contraire Comme pour tout pronom lrsquoagencement du sens repose sur la

compleacutementariteacute de lrsquoinformation apporteacutee et drsquoinformations implicites parce que deacutejagrave

partageacutees par le locuteur et celui agrave qui il srsquoadresse

JG reparlera de ce concept drsquoantonomase dans son seacuteminaire du 21 mai 1987 dans un

passage intituleacute laquo Quand dire crsquoest taire raquo ougrave il revient sur le thegraveme de la neacutegativiteacute

structurale laquo Les Grecs ont donneacute au pronom le nom drsquo laquo antonomase raquo qui a le sens de

pronom et contraire Crsquoest profondeacutement la mecircme chose car le pronom crsquoest la maniegravere de ne

nulla re bella raquo (guerre parce qursquoelle nrsquoest pas belle) laquo lupus a non lupendo raquo (loup parce qursquoil ne pleure pas) Source Google books

De la deacutesignation 183

pas dire la chose Que ce soit ne pas nommer ou dire le contraire de ce qursquoon nomme crsquoest

srsquoopposer agrave la deacutenomination raquo

4 - Compleacutement sur lrsquoantonomase dans la rheacutetorique classique

La notion drsquoantonomase est constamment et strictement deacutefinie par les rheacutetoriciens

depuis la Rheacutetorique agrave Heacuterennius (1ers Ave J-C) comme un raisonnement qui substitue un

nom commun agrave un nom propre Chez les Antiques (Quintilien en particulier) on ne deacutenomme

ainsi que la seule formulation drsquoun nom commun deacutefini ou drsquoun syntagme deacutefini pour deacutesigner

une personne Soit encore aujourdrsquohui laquo Le Sauveur raquo (Jeacutesus-Christ) laquo Le Grand Timonier raquo

(Mao) ou laquo La Dame de fer raquo (Mrs Thatcher)

Du Marsais et Fontanier eacutetendent le concept agrave la relation inverse dont teacutemoignerait

laquo Crsquoest un Don Juan raquo (un seacuteducteur) ou laquo Fais pas ton Kevin raquo (Cours de reacutecreacuteation 2015

laquo Ne te conduis pas comme un beacutebeacute raquo) Certains puristes contemporains critiquent

lrsquoextension du terme agrave des cas ougrave le locuteur ignore la relation Peu de gens aujourdrsquohui savent

qursquolaquo eacutegeacuterie raquo et laquo meacutegegravere raquo font reacutefeacuterence respectivement agrave une Nymphe et agrave une Furie De

mecircme pour laquo un baregraveme raquo (Franccedilois Barregraveme) laquo un calepin raquo (Calepino) ou bien pour laquo un

fax raquo laquo du scotch raquo laquo du placoplatre raquo qui sont des noms de marque Il ne peut selon ces

puristes ecirctre question drsquoantonomase que pour les locuteurs savants qui font le rapproche-

ment (Cf Nelly Flaux 2000 laquo Nouvelles remarques sur lrsquoantonomase raquo)

On constate donc que JG adopte vis-agrave-vis de la notion drsquoantonomase lrsquoattitude inverse Au

lieu de veiller agrave ce que le terme ne srsquoeacutetende pas au-delagrave drsquoun sens bien particulier que lui

confegravere la corporation des litteacuteraires il srsquointeacuteresse au processus geacuteneacuteral de dynamique du sens

qui caracteacuterise la dialectique du signe dont teacutemoigne la paronomase

La laquo figure raquo reconsideacutereacutee dans le cadre de la dialectique du signe

Il convient drsquointeacutegrer au propos tenu la fin du paragraphe preacuteceacutedent qui fait transition

laquo La voie nous est indiqueacutee deacutesormais drsquoune eacutetude moins concerneacutee par les transpositions que

par lrsquoeacutelaboration du concept raquo 822 Lrsquoopposition entre laquo transpositions raquo et laquo eacutelaboration raquo

renvoie agrave lrsquoopposition drsquoune conception du sens statique et topologique voire positiviste que

repreacutesentent les rheacutetoriques classiques et drsquoune conception dialectique relativiste et dyna-

mique que repreacutesente la glossologie De ce point de vue dans la rheacutetorique classique les

relations de sens sont des positions assigneacutees aux sens cette rheacutetorique pose en repegravere fixe

un sens laquo propre raquo et (trans-)positionne les laquo figures raquo selon une typologie logique Dans la

rheacutetorique glossologique il nrsquoy a plus de point fixe seule fonctionne la contestation dialec-

tique des formes grammaticales par une laquo eacutelaboration raquo de laquo distances raquo entre concepts (sous

la double logique des axes) dans lrsquoeacutelaboration drsquoun raisonnement en fonction drsquoune situation

La notion de laquo figure raquo repose sur une laquo double illusion celle dun univers dicible avant

mecircme quil ne soit dit celle dun locuteur modelant de lexteacuterieur un langage auquel il neucirct

pas dabord contribueacute raquo 823 La premiegravere illusion est celle du positivisme la reacutealiteacute nous

fournirait drsquoelle-mecircme des faits deacutelimiteacutes que lrsquoon nrsquoaurait plus qursquoagrave deacutesigner soit directe-

ment par le sens laquo propre raquo repeacutereacute comme tel par lrsquoattitude laquo objective raquo du locuteur soit

indirectement par le sens laquo figureacute raquo Une laquo faucille raquo ne peut provenir que de chez Jardiland et

celle de Booz nrsquoest qursquoune fantasmagorie de recircveur Le mecircme exemple peut illustrer la

seconde illusion Le rheacutetoricien tout agrave la modeacutelisation de ses positions conceptuelles

explicites oublie quelle est la source implicite de la variation de sens agrave savoir la grammaire

qursquoil porte en lui en lrsquooccurrence la structure lexicale qui fait que constamment laquo faucille raquo

184 Une lecture de Jean Gagnepain

reste laquo faucille raquo Quel que soit le raisonnement produit par le locuteur il teacutemoigne de la

laquo contribution raquo de celui-ci au fonctionnement dialectique du signe

laquo Or la regravegle culturellement dune part ne deacutepend pas des aleacuteas de la partie mais ne se

reacutealise dautre part que dans laccomplissement du jeu raquo 823 JG reprend ici lrsquoanalogie avec

le jeu pour opposer dialectiquement lrsquoimplicite (la regravegle) et lrsquoexplicite (la tactique de jeu)

Autrement dit pas de rheacutetorique sans la grammaire dont elle est le reacuteameacutenagement ni de

grammaire sans la rheacutetorique qui aboutit au message explicite

laquo En refusant didentifier [la figure] agrave lobjet de la rheacutetorique nous prenons [la figure]

glossologiquement pour ce quelle est non point image mais ombre de la caverne indice dun

monde agrave construire et qui nest autre que celui du sens raquo 831 JG redit que la laquo figure raquo

srsquoexplique par la grammaire tandis que la rheacutetorique tend agrave la reacuteduire Le signe est laquo poly-

seacutemique raquo de par sa forme potentialiteacute drsquoun sens toujours autre laquo agrave construire raquo dans sa

confrontation agrave la situation Cette thegravese sera agrave nouveau formuleacutee de la maniegravere la plus claire

qui soit agrave la fin de ce passage 844 laquo la rheacutetorique naicirct de la mort de limage et de labandon

du ‟sens figureacuterdquo raquo Le thegraveme de la laquo construction raquo reacutepegravete la thegravese fondamentale reacutesumeacutee par

la formule laquo parler nest point deacutemarquer mais causer lunivers raquo De LrsquoOutil 1861

Des meacutefaits de la notion laquo drsquoimage raquo dans les traductions drsquoHomegravere

Le passage suivant 832 agrave 844 propose une critique de la notion laquo drsquoimage raquo variante de

lrsquoideacutee de figure Lrsquoauteur lrsquoillustre longuement de deux exemples qui confrontent texte grec et

traduction franccedilaise de deux passages de lrsquoIliade drsquoHomegravere

Deux passages drsquoune traduction classique de lrsquoIliade drsquoHomegravere lui donnent lrsquooccasion

drsquoillustrer cet antagonisme dialectique entre une grammaire qui est dans son principe

laquo puissance raquo abstraite de figures et une rheacutetorique qui vise agrave laquo la mort de lrsquoimage raquo

JG critique la traduction du passage ϒ 249 de lrsquoIliade ougrave Achille et Eacuteneacutee eacutechangent des

injures avant de se combattre 833 Le grec laquo () epeon de polus nomos entha kai entha raquo

devient laquo hellipforme dans un sens comme dans lautre un riche fonds de mots raquo ainsi commenteacute

par le traducteur laquo Litt ‟Un pacircturage de motsrdquo Lexpression a eacuteteacute reprise par Heacutesiode Le

pacircturage nomos chez un peuple de bergers tel que celui dont la langue de leacutepopeacutee a

conserveacute tant de souvenirs cest comme la bien vu Eustathe leacuteleacutement principal de la richesse

le fonds mecircme du paysan Les heacuteros homeacuteriques se flattent davoir pour se disputer et

sinjurier un ‟riche fonds de motsrdquo raquo JG oppose agrave ce raisonnement au nom de la valeur

lexicale du nom laquo nomos raquo laquo le controcircle raquo une traduction congruente agrave la situation de

combat celle de laquo porteacutee raquo (drsquoune arme) sans aller chercher le concept de laquo pacircturage raquo (agrave la

porteacutee du troupeau) Il propose donc la formulation suivante laquo les mots de part et dautre

sont armes agrave longue porteacutee raquo (suivi de) laquo Tacirctons plutocirct des javelines raquo

Mecircme formulation laquo imageacutee raquo dans la traduction de ψ177 ougrave Achille allume le bucirccher de

Patrocle 833 Le grec laquo en de puros menos heke sidereon ophra nemoito raquo est traduit par laquo Il

deacutechaicircne enfin leacutelan implacable du feu pour que du tout il fasse sa pacircture raquo Ici aussi le

traducteur neacuteglige les potentialiteacutes de sens deacuteductibles de la notion de laquo zone controcircleacutee raquo et

opte agrave nouveau pour le thegraveme du laquo pacircturage raquo en postulant qursquoHomegravere poegravete se devait de

laquo mettre de la pastorale dans les mots raquo 834 Pour JG la rheacutetorique est une laquo anti

grammaire raquo et donc une lutte contre la figure la congruence incite par conseacutequent agrave dire

tout simplement laquo y portacirct un fer rougi jusquagrave ce que le feu pricirct raquo

De la deacutesignation 185

Le fond de la deacutemonstration reste bien cette ideacutee que le locuteur eacutelabore un raisonnement

approprieacute sur la base de valeurs seacutemiologiques abstraites En revanche lrsquoimage reacutesulte drsquoun

effet de laquo prototypie raquo qui conduit agrave penser que tel ou tel effet de sens est primordial et qursquoil

peut servir agrave mesurer la distance entre lui et ce que lrsquoon a dit dans divers contextes Le concept

drsquoimage nrsquoest alors qursquoune illusion qui procegravede drsquoun refus de comprendre selon quelles

contraintes le raisonnement tenu est approprieacute et quel cheminement seacutemantique il suit pour

parvenir agrave cette proprieacuteteacute En lrsquooccurrence le verbe grec laquo neacutemein raquo porteur de la valeur

lexicale de laquo controcircle raquo peut prendre des sens varieacutes en fonction du contexte et de la situation

tout comme le sens de laquo bureau raquo varie selon qursquoil est laquo en bois raquo laquo en deacutesordre raquo ou

laquo deacutemissionnaire raquo

JG preacutecise 842 que la traduction ndash qui est une transaction ndash donne agrave cette illusion

seacutemantique le statut de laquo narcissisme raquo cette projection de soi sur lrsquoautre qui est lrsquoeacutecart de

lrsquoecirctre correspondant agrave lrsquoeacutecart logique postuleacute dans la laquo figure raquo On ne comprend

(cognitivement) quel est le sens laquo propre raquo de la faucille de Booz qursquoen renonccedilant agrave croire que

la faucille acheteacutee dans une jardinerie en est lrsquoancrage seacutemantique primordial On ne

comprend (socialement) ce qursquoest laquo to abuse raquo pour un anglophone qursquoen quittant lrsquoancrage

dans lrsquousage franccedilais qui fait que lrsquoon peut laquo abuser raquo du foie gras agrave Noeumll Les laquo foulons raquo ne

laquo dansent raquo que pour qui ignore ce qursquoest cette opeacuteration technique propre aux vignerons et

aux tanneurs De mecircme les laquo danseurs raquo de par le monde ne peuvent ecirctre pris pour des

laquo foulons raquo que par un touriste prisonnier de laquo lrsquoimage de soi raquo

JG reprend en 843 le thegraveme de la causaliteacute et de son rapport au dire La tradition litteacuteraire

repose selon lui sur une base positiviste laquo les choses eacutetant tenues pour ce qursquoelles sont raquo Le

langage ne jouerait donc aucun rocircle deacuteterminant dans leur deacutefinition Degraves lors les mots les

reflegravetent et dans une perspective drsquoagreacutement les ornent de figures La lune est la lune et la

laquo faucille drsquoor raquo sa transfiguration laquo estheacutetique raquo Pour lrsquoauteur au contraire le langage

(comme signe) est causal Crsquoest lui qui dans son rapport dialectique au principe drsquoexpeacuterience

creacutee de la deacutefinition et de lrsquoexplication laquo Le problegraveme raquo est donc de comprendre laquo par quels

moyens le message est lui-mecircme ‟causeacuterdquo raquo Le propos fait eacutecho agrave une formule finale de la

partie grammaticale 653 laquo le segraveme [la grammaire en geacuteneacuteral] srsquoil ‟causerdquo nrsquoest pas lui-

mecircme causeacute et transcende une explication dont il deacutetient (hellip) le dernier mot raquo Cette

alternance de lrsquoactif au passif ne se comprend qursquoagrave travers une conception dialectique La

forme grammaticale constitue un principe sui generis en raison de sa structure formelle de

son ordre propre drsquoanalyse Ce principe nrsquoest pas deacutetermineacute par ce que pourtant il vise Le

message qui en reacutesulte en tant que produit agrave la fois de la grammaire et de la rheacutetorique est

doublement laquo causeacute raquo de maniegravere eacutegalement analytique (laquo systeacutematique raquo 843) et

contraignante (laquo rigoureuse raquo) Il est doublement causeacute drsquoune part par laquo les moyens raquo (la

structure grammaticale) qui ont servi agrave le formaliser et drsquoautre part par laquo les moyens raquo de la

rheacutetorique qui se confronte agrave la situation

laquo La rheacutetorique naicirct de la mort de limage et de labandon du ‟sens figureacuterdquo raquo Le recircve et la

suggestion sont agrave situer laquo dans la perspective plus vaste dune congruence geacuteneacuteraliseacutee qui se

moque des archeacutetypes et dans le conflit total qui loppose agrave la catachregravese nadmet aucun

point mort ou pour lexprimer autrement aucun degreacute zeacutero raquo 844

JG oppose ici le pocircle grammatical du signe principe de laquo catachregravese raquo au pocircle rheacutetorique

principe de laquo congruence raquo

186 Une lecture de Jean Gagnepain

La catachregravese autre nom de laquo lrsquoimproprieacuteteacute raquo (voir 235) est cette aptitude de tout fait

grammatical agrave rester identique agrave lui-mecircme quand son sens varie ce qui ouvre la possibiliteacute

permanente agrave produire un sens nouveau en fonction de la reacutefeacuterence Par lagrave il est principe de

laquo figure raquo Source de laquo non-sens raquo de laquo neacutegligence du sens raquo le grammatical est en cela en

conflit total mais dialectiquement deacutepasseacute avec la rheacutetorique qui le conteste en se confron-

tant agrave la situation

La congruence (ce qui fait que lrsquoon eacutechappe agrave laquo lrsquoincongruiteacute raquo) est laquo geacuteneacuteraliseacutee raquo Quelle

que soit la deacutemarche rheacutetorique le locuteur eacutelabore de la proprieacuteteacute selon des caracteacuteristiques

analytiques qui confegraverent au message sa coheacuterence aussi bien dans le cas ougrave ce dernier peut

ecirctre soumis agrave une eacutepreuve de falsification que dans le cas ougrave il construit un monde purement

imaginaire

Cette eacutelaboration nrsquoa pas de laquo degreacutes raquo fondeacutes sur la distance du sens drsquoun message par

rapport agrave un point de reacutefeacuterence le sens dit laquo propre raquo drsquoun mot deacutefini par des laquo archeacutetypes raquo

Un tel laquo prototype raquo peut ecirctre la conceptualisation drsquoun fait naturel laquo le pied raquo par rapport agrave

tout autre ordre de fait conccedilu laquo Le voilagrave au pied du mur Prendre son pied raquo Renoncer agrave cet

effet drsquoancrage rend possible de prendre en compte la laquo suggestion raquo ou le fait de dire ses

recircves car on situe alors le sens toujours relativement propre par rapport au reacuteseau des

autres sens selon un modegravele des raisonnements seacutemantiques laquo les meacutecanismes de lrsquoeacutenonceacute raquo

dont lrsquoexposeacute va suivre

Conclusion

Le paragraphe conclusif 845 amp 851 comprend 3 parties

- Thegraveme de la dissociation des plans Le langage est par ailleurs langue et discours mais il

srsquoagit ici drsquoautonomiser lrsquoobservation de la rheacutetorique qui relegraveve purement de la glossologie

- Thegraveme de la dialectique Il faut accepter la difficulteacute inheacuterente agrave laquo lrsquoambivalence dialec-

tique raquo Les reacutesultats de lrsquoeacutetude en seront laquo mouvants et concregravetement diffus raquo car il srsquoagit de

la relation du signe au laquo monde dans lequel le langage srsquoinvestit raquo Le laquo monde raquo

(laquo lrsquoexpeacuterience raquo) devient laquo sans srsquoy reacuteduire raquo un laquo cosmos qui ne devient compreacutehensible que

parce que drsquoabord il est dit raquo par la meacutediation du dire laquo Le verbe srsquoy fait cause et la raison

neacutecessiteacute raquo Le dire introduit dans lrsquounivers un principe drsquointelligibiliteacute

- Thegraveme de lrsquoanalyse Ce terme annonce la partie suivante consacreacutee agrave lrsquoexamen des

processus de la rheacutetorique Ces derniers sont aussi de lrsquoordre de lrsquoanalyse comme lrsquoeacutetait la

grammaire que ces processus contestent La rheacutetorique est une autre analyse mais encore

une analyse de sorte que lrsquoon peut y observer des eacuteleacutements et des relations ainsi que les

effets de la distinction des deux faces du grammatical et ceux de la biaxialiteacute

Il me paraicirct important de preacuteciser drsquoembleacutee ce propos sur lrsquoanalyse en anticipant sur son

deacuteveloppement dans le texte (en 982) Puisque la relation entre grammaire et rheacutetorique est

dialectique laquo cest toujours (hellip) de la grammaire quil faut partir pour reacuteameacutenager lanalyse raquo

Par conseacutequent chacun des types de fait seacutemantique exposeacute dans laquo Les meacutecanismes de

lrsquoeacutenonceacute raquo est le reacuteameacutenagement du type de fait correspondant en grammaire Nous verrons

ainsi que le laquo lexique raquo grammatical se transforme en laquo nomenclature raquo seacutemantique qursquoil faut

comprendre le laquo champ seacutemantique raquo comme un reacuteameacutenagement du laquo paradigme raquo

grammatical et laquo lrsquoexpansion raquo seacutemantique comme la contrepartie du laquo syntagme raquo Chaque

De la deacutesignation 187

partie constitutive de la seacutemantique et de la phoneacutetique doit ecirctre comprise comme la neacutegation

de la partie seacutemiologique et phonologique correspondante

LES MEacuteCANISMES DE LrsquoEacuteNONCEacute

Le propos se reacutepartit en trois sections en raison de la biaxialiteacute axe taxinomique axe

geacuteneacuteratif projection drsquoun axe sur lrsquoautre Lrsquoanalyse est chaque fois meneacutee sur lrsquoune et lrsquoautre

face du signe tour agrave tour en phoneacutetique et en seacutemantique

1 - Eacutepel et nomenclature Lrsquoidentiteacute phoneacutetique et lrsquoidentiteacute seacutemantique

2 - Syllabe et proposition Lrsquouniteacute phoneacutetique et lrsquouniteacute seacutemantique

3 - Du champ et de lrsquoexpansion Le reacuteinvestissement seacutemantique du paradigme et le

reacuteinvestissement seacutemantique de la syntaxe

1 - Eacutepel phoneacutetique et nomenclature seacutemantique

Introduction et plan drsquoexposeacute

La rheacutetorique est double phoneacutetique et seacutemantique puisque reacuteinvestissement dans la

situation du signifiant phonologique et du signifieacute seacutemiologique

La rheacutetorique seacutemantique plus deacuteveloppeacutee que lrsquoautre nrsquoest pas lrsquoeacutetude de la situation en

elle-mecircme mais lrsquoeacutetude de la maniegravere dont on conccediloit ce qursquoelle est JG donne agrave cette apti-

tude rheacutetorique le nom laquo drsquoeacutenonciation raquo 852 Ce dernier terme a en glossologie un sens

diffeacuterent de celui qursquoil a dans les laquo theacuteories de lrsquoeacutenonciation raquo qui opposent eacutenonceacute et

eacutenonciation et dont lrsquoobjet relegraveverait pour une part de la sociolinguistique Les theacuteories de

laquo lrsquoeacutenonciation raquo traitent en grande partie de lrsquoacte social par lequel la personne produit de

lrsquoeacuteveacutenement en laquo faisant des deacuteclarations raquo Dire en effet nrsquoest pas deacuteclarer la

laquo deacuteclaration raquo est lrsquoimpact interlocutif de ce qui est dit En glossologie le terme

laquo eacutenonciation raquo deacutesigne restrictivement un raisonnement seacutemantique (Que ce mot rime avec

laquo prononciation raquo nrsquoest pas pour rien dans le choix de ce terme) En outre il va de soi que ce

thegraveme de lrsquoeacutenonciation nrsquoest pas ici un domaine disciplinaire mais lrsquoeacutetude drsquoun pocircle drsquoune

dialectique qui fait de celle-ci lrsquoenvers de la grammaire

La rheacutetorique phoneacutetique ne doit pas ecirctre neacutegligeacutee et elle nrsquoest pas lrsquoeacutetude naturaliste de

la voix ou de la perception auditive mais laquo lrsquoeacutetude de la prononciation raquo 853 lrsquoavenir de la

phoneacutetique nrsquoest pas laquo laborantin raquo Son avenir nrsquoest pas non plus laquo estheacutetique raquo parce que la

phoneacutetique nrsquoest pas normative (recherche de la bonne prononciation) mais explicative

Allusion au poegraveme laquo Les colchiques raquo dans Alcools drsquoApollinaire 853

laquo Ils cueillent les colchiques qui sont comme des megraveres

Filles de leurs filles raquo

On ne devient parent qursquoagrave la suite de lrsquoengendrement de lrsquoenfant La megravere ne preacuteexiste pas

agrave la naissance de son enfant Le passage du statut de femme agrave celui de megravere reacutesulte de la

nouvelle geacuteneacuteration Paradoxalement lrsquoenfant laquo engendre raquo le parent De mecircme la phoneacute-

tique (la prononciation) ne preacuteexiste pas agrave lrsquoexistence de la phonologie Le passage du statut

188 Une lecture de Jean Gagnepain

de fait laquo phonique raquo (naturel) agrave celui de fait laquo phoneacutetique raquo (culturel) reacutesulte de la faculteacute

dialectique de signe La phoneacutetique marque le deacutepassement de la contradiction existant entre

la structure phonologique et la phonie

La fin du paragraphe propose un plan drsquoeacutetude analogue agrave celui de la partie grammaticale

puisque laquo la rheacutetorique refond systeacutematiquement la grammaire raquo 853 Lrsquoauteur restreint

toutefois le propos agrave la face seacutemantique La laquo nomenclature raquo seacutemantique relegraveve de la capaciteacute

taxinomique et correspond au laquo lexique raquo en seacutemiologie dont lrsquoeacuteleacutement est lrsquoidentiteacute appeleacutee

laquo segraveme raquo La laquo proposition raquo seacutemantique relegraveve de la capaciteacute geacuteneacuterative et correspond au

laquo texte raquo en seacutemiologie dont lrsquoeacuteleacutement est lrsquouniteacute contrastive appeleacutee laquo mot raquo Le laquo champ raquo

seacutemantique correspond au laquo paradigme raquo et laquo lrsquoexpansion raquo au laquo syntagme raquo (Voir le scheacutema

p 126)

11 La Nomenclature seacutemantique 854 agrave 902

Ce domaine eacutetait en retrait des preacuteoccupations des linguistes agrave lrsquoeacutepoque de la reacutedaction de

lrsquoouvrage 854 La premiegravere raison tenait agrave la promotion des eacutetudes de syntaxe La

geacuteneacuterativiteacute inteacuteressait plus que la taxinomie ce qui pour lrsquoauteur eacutetait accorder un privilegravege

agrave un axe sur lrsquoautre La seconde raison tient aux pocircles de la dialectique langagiegravere La peacuteriode

structuraliste a insisteacute sur lrsquoabstraction grammaticale comme en teacutemoigne le Cours on

observe dans laquo la langue raquo non pas une laquo nomenclature liste de termes correspondant agrave

autant de choses raquo (p 97) non un ensemble laquo drsquoideacutees donneacutees drsquoavance raquo (p 162) mais laquo des

valeurs eacutemanant du systegraveme raquo JG ne propose eacutevidemment pas un retour agrave une conception

positiviste de la deacutesignation parce que le terme laquo nomenclature raquo prend un tout autre sens

dans sa seacutemantique il appelle ainsi un mode de raisonnement dialectique qui laquo construit raquo

lrsquointelligibiliteacute laquo qualitative raquo de lrsquoexpeacuterience en produisant de lrsquoidentiteacute conceptuelle et donc

des distinctions conceptuelles

Lrsquoauteur propose ensuite un reacuteseau terminologique en srsquoappuyant sur le contraste entre

grammaire et rheacutetorique 862 Lrsquoidentiteacute devient laquo conceptuelle raquo la taxinomie devient

laquo appellation raquo et permet de raisonner en laquo vocabulaire raquo (composeacute de laquo vocables raquo) face au

lexique des segravemes

JG legraveve aussi lrsquoambiguiumlteacute du terme courant de laquo choix raquo en posant drsquoun cocircteacute le principe

grammatical de laquo distinctiviteacute raquo et de lrsquoautre le processus seacutemantique de laquo seacutelection raquo du

vocable le plus agrave mecircme de construire lrsquoinformation rechercheacutee par laquo exclusion raquo effective des

vocables qui le sont moins Pour choisir laquo his friend raquo en excluant laquo her friend raquo il faut bien

que je dispose lexicalement de ces deux termes formellement distincts En franccedilais je ne peux

pas apporter la mecircme information en disant laquo son ami raquo Le laquo virtuel raquo grammatical devient

lrsquolaquo actuel raquo rheacutetorique

laquo hellipSi le signe en lanalysant nie lobjet il nen reste pas moins quil le nomme hellipLe choix du

locuteur nest plus seulement deacutefinitoire il deacutecide entre le virtuel et lactuel et son refus fait

exister Nommer en somme de ce point de vue cest creacuteer raquo 8628

La fin de la phrase preacutecise son deacutebut et particuliegraverement la notion de laquo nomenclature raquo

(encore un nom drsquoaction) synonyme ici de laquo deacutenomination raquo laquo Nommer crsquoest creacuteer raquo coupe

court agrave toute lecture laquo nomenclaturiste raquo ou laquo reacutealiste raquo Dans le laquo reacutealisme raquo (commun ou

scolastique) le choix drsquoun mot le met en correspondance avec une chose en-soi deacutejagrave distincte

drsquoautres choses Pour JG qui parle ici non du principe de reacutealiteacute mais de ce qursquoon peut

De la deacutesignation 189

humainement en connaicirctre crsquoest le choix actuel correacutelatif de lrsquoexclusion du reste qui fait

exister comme laquo reacutealiteacute connue raquo ce que lrsquoon deacutenomme La deacutenomination fait exister de la

distinction parce qursquoelle est un processus drsquoanalyse Remarque lrsquoincise laquo en lrsquoanalysant raquo fait

reacutefeacuterence agrave la grammaire La rheacutetorique est tout autant processus analytique laquo Si la

grammaire est structure la rheacutetorique est structurante raquo 673

Lrsquohomme est associeacute agrave la creacuteation dans la Genegravese par la deacutesignation des espegraveces 862 JG

reviendra ulteacuterieurement sur le pouvoir du signe de faire laquo exister raquo les choses sur le mode du

concept et non sur un mode ontologique laquo Parler nest point deacutemarquer mais causer

lunivers raquo (LrsquoOutil 18612)

laquo Le formuler donne aussi consistance au neacuteant raquo 862 Deux lectures me semblent

possibles 1) [‟lerdquo = dire laquo pas cela raquo] Lrsquoespace de ce que lrsquoon a choisi de dire dessine aussi son

exteacuterieur qui est non dit quoique virtuellement dicible Dire que la terre tourne implique qursquoil

pourrait en ecirctre autrement 2) [‟lerdquo = dire laquo le neacuteant raquo] Formuler de la neacutegativiteacute ou de

lrsquoabsence crsquoest lui confeacuterer le statut proprement seacutemantique de concept Dire laquo rien raquo nrsquoest

pas ne rien dire

Lrsquoeacutenonceacute ne doit donc pas ecirctre reacuteduit agrave la production drsquoune preacutedication comme le laissent

croire certaines linguistiques contemporaines Lrsquoeacutenonceacute est constitueacute agrave la fois drsquooppositions

conceptuelles (le vocable) et de contrastes conceptuels (la preacutedication) 863

La synonymie caracteacuteristique du vocable et de lrsquoappellation

Dans une perspective dialectique un pocircle est toujours deacutefini en termes de neacutegation de

lrsquoautre pocircle Le sens eacutetant toujours sous-tendu par du grammatical le vocable conceptuel est

deacutefini comme un raisonnement qui remet en cause les diffeacuterences lexicales Grammaticale-

ment le segraveme nie les effets de sens en laquo neacutegligeant raquo leur varieacuteteacute au nom de lrsquoidentiteacute de sa

forme deacutelimiteacutee par les autres segravemes Seacutemantiquement agrave lrsquoinverse lrsquoeffet de sens est deacutefini

non comme une laquo entiteacute raquo mais comme un effet de laquo convergence raquo de ce qui laquo mecircme

diffeacuterencieacute [lexicalement] nrsquoest pas exclu raquo 864 Jrsquoinsiste sur lrsquoideacutee que le terme laquo syn-

onymie raquo ne fait que reacutesumer le processus de raisonnement qursquoest laquo la convergence

synonymique raquo Seule est possible une tentative relative de convergence et non la production

de synonymes positifs dans lrsquoabsolu La limite de cette convergence est la non laquo alteacuteration de

lrsquoidentiteacute du concept raquo 865 en fonction de laquo lrsquoobjet raquo et des autres paramegravetres de la situation

qui sont laquo lrsquooccasion raquo de cette convergence Cette deacutefinition est paraphraseacutee plus loin 874

laquo Il convient de tenir pour [le mecircme vocable synonymique] et quel qursquoen soit le statut

grammatical tout ce qui dans la mecircme conjoncture a la mecircme reacutefeacuterence ou deacuteclenche agrave peu

pregraves le mecircme comportement raquo (La fin de la formulation est assez vague et va probablement

au-delagrave de la convergence de laquo Aiumle raquo et de laquo Ouille raquo)

Cet effort de deacutefinition du processus de synonymie est accompagneacute de commentaires

portant sur divers aspects probleacutematiques

Quel statut accorder agrave la relation entre laquo trogne gueule visagehellip raquo 872 JG demande

que lrsquoon ne confonde pas la laquo synonymie raquo avec laquo cette concordance reacutesultant

sociolinguistiquement de linterfeacuterence des niveaux de langue et qui met entre ‟trogne

portrait bobine bille gueulerdquo et ‟visagerdquo la mecircme relation que creacutee la traduction mais dans

une autre dimension entre ‟Madchenrdquo et ‟girlrdquo et ‟fillerdquo et ‟ragazzardquo raquo Cette eacutevocation de la

distinction des plans invite agrave traiter le problegraveme en termes de points de vue Lrsquousage social

donne un statut agrave lrsquoeacutetrangeteacute ou agrave la laquo concordance raquo entre ‟fillerdquo et ‟ragazzardquo entre ‟trognerdquo

190 Une lecture de Jean Gagnepain

et ‟visagerdquo et pour certains entre laquo bicyclette raquo et laquo veacutelo raquo laquo clore raquo et laquo fermer raquo voire

inversement pour Voltaire agrave la non-convergence de laquo en revanche raquo et de laquo par contre raquo112

Crsquoest une affaire de distance sociale Il faut la distinguer du raisonnement seacutemantique qui

conduit le locuteur agrave les associer dans une laquo convergence raquo productrice drsquoun mecircme concept

Selon moi cela permet de rendre compte du laquo code switching raquo ou de lrsquoemprunt momentaneacute

de connivence si freacutequent entre bilingues laquo Il tenait agrave sa liberteacute sa laquo privacy raquo nrsquoest-ce pas

(hellip) Il fait son cirque son show raquo113 Dans cet exemple le locuteur seacutemantiquement propose

une convergence synonymique En mecircme temps du point de vue sociolinguistique il sait bien

qursquoil a eacutechangeacute momentaneacutement dans un effet de langue autre Les deux ordres de faits sont agrave

la fois distincts et en intersection Lrsquoeacutecrit note ici par le jeu des guillemets le fait proprement

sociolinguistique il nrsquoempecircche que le raisonnement tenu est lui homogegravene

Il faut joindre agrave ce point la remarque de la page 874 la convergence synonymique ne se

limite pas au laquo reacutepertoire acadeacutemique des doublets raquo autrement dit agrave la liste fournie par un

dictionnaire Crsquoest le raisonnement tenu en situation qui la deacutelimite indeacutependamment du

statut en langue des eacuteleacutements convergents

Le vocable ne respecte pas les limites grammaticales laquo Le cadre de lrsquoeacutequivalence peut selon

lrsquooccasion ecirctre infeacuterieur eacutegal ou supeacuterieur au mot raquo 873 Phrase agrave relier agrave celle-ci laquo Tout

vocable [est apte] agrave srsquoauto-expliquer en vertu drsquoune authentique analyse componentielle raquo

882 (Lrsquoexpression laquo Analyse componentielle raquo en elle-mecircme est tregraves geacuteneacuterique et quasiment

pleacuteonastique deacutecomposition drsquoun fait complexe en ses composants internes ndash

laquo components raquo en anglais)

Ainsi le dictionnaire (en tant qursquoil laquo dit raquo) lorsqursquoil propose la deacutefinition drsquoun sens drsquoun mot

eacutenonce une convergence synonymique entre un terme seul et une peacuteriphrase laquo Urne Boicircte

dont le couvercle est muni drsquoune fente ougrave lrsquoon deacutepose des bulletins de vote raquo On trouve la

reacuteciproque dans les deacutefinitions de mots croiseacutes (en 3 lettres) laquo Processus biologique mortel

sexuellement transmissible raquo laquo Vie raquo Alors que le segraveme srsquoexplique laquo tautologiquement raquo par

lrsquoidentiteacute de sa forme 653 ndash un chat est un chat ndash le vocable laquo srsquoexplique raquo tient sa deacutefinition

de la convergence synonymique quelle qursquoen soit la formulation grammaticale elliptique ou

peacuteriphrastique Lrsquoexemple final 873 illustre lrsquoeacutequivalence synonymique drsquoune structure

coordonnante et subordonnante par ailleurs analysable sur lrsquoautre axe comme une structure

preacutedicative eacutequivalente

JG rappelle le deacutebat sur la synonymie parmi les linguistes symptocircme de lrsquoaperception de

la dialectique du signe 874 Si lrsquoon est davantage sensible agrave la forme grammaticale on niera

lrsquoexistence de la synonymie au nom de la diffeacuterence formelle (Quelque part une bicyclette

nrsquoest pas un veacutelo ) Inversement si lrsquoon met lrsquoaccent sur laquo lrsquoindeacuteniable ‟analogierdquo des

emplois raquo on reconnaicirctra leur existence Ce deacutesaccord ne tient qursquoagrave une positivation soit de la

112 Avec lrsquoargument suivant laquo Par contre raquo est en usage dans le milieu bancaire et laquo en revanche raquo chez les nobles Voltaire choisit la seconde formulation Crsquoest la dimension ldquodiastratiquerdquo de la langue par rapport agrave sa dimension ldquodiatopiquerdquo ou ldquodiachroniquerdquo

113 Idem ldquoHe wouldnrsquot have to manufacture an entreacutee to the conversation with his fatherrdquo Elisabeth George (2003) A place of hiding p 339 Agrave distinguer de ldquoHis tone said fait accomplirdquo (ibidem p187) ougrave il nrsquoy a pas pour un anglophone drsquoeffet de changement de langue de code-switching (Comme je viens de le faire) Le code switching peut aussi rappeler une situation de bilinguisme laquo Crsquoest interdit verboten de loger quelqursquoun dans une cabane Et crsquoest encore plus verboten de loger un jeune homme la nuit raquo Griseacutelidis Reacuteal Le noir est une couleur 1989 Eacuteditions drsquoen bas p56

De la deacutesignation 191

grammaire soit du sens Drsquoougrave lrsquoimportance de preacutefeacuterer la notion de laquo convergence

synonymique raquo agrave celle de laquo mots synonymes raquo

laquo Il va de soi qursquoon ne saurait fonder sur eux [les synonymes] la grammaire (hellip) et la

signification reste bien au contraire le seul ‟algorithmerdquo envisageable de la paraphrase raquo 874

Ce propos rappelle la preacuteseacuteance de la neacutegativiteacute sur son reacuteinvestissement JG semble faire

converger ici laquo peacuteriphrase raquo et laquo paraphrase raquo Ce dernier terme nrsquoest preacutesent que trois fois

dans le texte et il est distingueacute en 941 de laquo lrsquoinfeacuterence raquo qui en est le correspondant

quantitatif

Le locuteur normal laquo controcircle le fonctionnement raquo [de la synonymie] laquo en lrsquoadaptant sans

cesse agrave la situation raquo 881 Sur lrsquoemploi des concepts laquo drsquoadaptation raquo lire mon laquo inter-

megravede 4 raquo Cette faciliteacute drsquoexposeacute srsquoinscrit dans un cadre theacuteorique dialectique La laquo situation raquo

est cette variable humainement veacutecue cette laquo expeacuterience raquo contraignante qui conditionne la

dialectique du dire et donc la constitution du sens selon les proprieacuteteacutes drsquoune analyse

La perte du laquo controcircle raquo de la synonymie peut reacutesulter de deux tableaux pathologiques

Soit par preacutegnance pathologique de la grammaire (schizophasie) laquo Il nrsquoy a point [alors] de

synonymie raquo puisque toute diffeacuterence de mots est laquo reacutealiseacutee raquo comme une distinction concep-

tuelle Crsquoest le passage agrave la limite de la rheacutetorique mythique ndash qui elle est controcircleacutee par le

locuteur ndash et qui fait remarquer plaisamment qursquoon ne saurait prendre un laquo ascenseur raquo pour

descendre puisque ce nrsquoest pas un laquo descenseur raquo qursquoon ne peut pas pendre un blouson agrave un

laquo porte-manteau raquo et que la panthegravere et le leacuteopard sont deux espegraveces diffeacuterentes de feacutelins

(Panthera Pardus)

Inversement lrsquoaphasique de Wernicke laquo en a trop raquo ou plus exactement ne peut plus

exclure de segravemes et se restreindre agrave choisir les seuls qui convergent dans le concept viseacute en

raison du brouillage lexical qui lrsquoempecircche drsquoecirctre sucircr que tel mot est bien distinct de tel autre

[Le locuteur controcircle le fonctionnement de la convergence synonymique] laquo Crsquoest par lagrave et

par lagrave seulement qursquoil focalise pour ainsi dire le concept et transforme sur lrsquoaxe ougrave nous

sommes lrsquoideacuteation naturelle en penseacutee raquo 881 Lrsquoideacutee drsquoun laquo controcircle raquo par le locuteur en

situation de laquo lrsquoopeacuteration raquo mentale qursquoest la synonymie lrsquoimage de la laquo focalisation raquo la

notion de laquo transformation raquo enfin permettent de parer la tendance agrave positiver cette

synonymie et interdit drsquoen revenir agrave une conception ontologique du sens comme mise en

correspondance de concepts et de choses La laquo penseacutee raquo est ici le raisonnement conceptuel

qui de lrsquoordre du seul langage La synonymie est une opeacuteration mentale de laquo convergence raquo

variant en fonction de lrsquoexpeacuterience du locuteur

Le vocable dans la lexicographie

Lrsquoauteur observe la varieacuteteacute des ouvrages de lexicographie notamment le partage entre le

dictionnaire qui inventorie les mots et expose la polyseacutemie de chacun et les glossaires (ou

encyclopeacutedies) qui inventorient les laquo mots ou locutions raquo 883 en fonction drsquoune theacutematique

ou bien encore les essais de combiner les deux Cette varieacuteteacute teacutemoigne drsquoun laquo embarras raquo

dont seule une conception dialectique du dire permet de sortir Le premier ouvrage reacutepond agrave

la question laquo Quels sont les sens de ce mot raquo Le second ouvrage reacutepond agrave la question

laquo Comment appeler ceci raquo Beaucoup de modegraveles linguistiques114 depuis le deacutebut du XXe

114 Alain Rey Le Lexique images et modegraveles 1977 p 16 laquo Ce sont les linguistes allemands (Franz Dornseiff Karl Vossler puis Leo Weisgerber) qui ont imposeacute cette opposition [entre onomasiologie et seacutemasiologie] pour attaquer

192 Une lecture de Jean Gagnepain

siegravecle opposent ainsi la perspective laquo seacutemasiologique raquo celle du dictionnaire agrave la perspective

laquo onomasiologique raquo celle de lrsquoencyclopeacutedie

laquo Pour commode quelle soit lexpression habituelle de sens des ‟motsrdquo est donc

particuliegraverement inadeacutequate attendu que sils en sont rheacutetoriquement porteurs ce nest pas

par eux-mecircmes mais comme membres de leacutenonceacute raquo 883 Cette observation est importante

dans la mesure ougrave la tradition lexicologique part geacuteneacuteralement de mots isoleacutes Pour JG le

concept reacutesulte de lrsquointeraction de tout ce qui constitue lrsquoeacutenonceacute et ne peut pas ecirctre deacutefini agrave

partir drsquoun mot isoleacute Il srsquoagit lagrave en outre non de la phrase ou de la proposition mais de

laquo lrsquoeacutenonceacute raquo crsquoest-agrave-dire du cours du propos tenu qui comprend des anaphores des

preacutesupposeacutes et des implications Crsquoest cet ensemble qui produit de la synonymie (entre autres

effets de sens) et la renouvelle en permanence Il arrive drsquoailleurs que la mecircme formulation

entre successivement dans deux effets de sens distincts par reacutetroaction ndash laquo Le theacuteacirctre a

remplaceacute mon cachet par un comprimeacute raquo disait Raimu ndash ou par reacutepeacutetition ndash laquo Je suis contre

les femmes tout contre raquo disait Sacha Guitry Dans le premier exemple un premier concept

est construit agrave partir de la relation entre laquo theacuteacirctre raquo et laquo cachet raquo (chacun des mots

contribuant agrave la deacutefinition seacutemantique de lrsquoautre) et une seconde convergence synonymique

est eacutetablie entre laquo cachet raquo et laquo comprimeacute raquo Dans le second exemple un premier effet de

sens est provoqueacute par le raisonnement laquo ecirctre contre raquo versus laquo ecirctre pour raquo puis transformeacute

par la construction laquo tout contre raquo (antanaclase) Le sens est donc la reacutesultante de lrsquointeraction

de tout ce qui compose lrsquoeacutenonceacute et non la somme de chacun de ses composants

Notant qursquoen lexicologie lrsquoeacutetude de la polyseacutemie preacutevaut sur celle de la synonymie JG

eacutevoque le controcircle du sens dans le domaine de la traduction 884 laquo Lrsquohypothegravese de la

‟Wortdeckerdquo a fait comprendre la neacutecessiteacute dun eacutegal controcircle pour une bonne interpreacutetation

des ‟faits de languerdquo et des ‟faits de civilisationrdquo raquo

Jost Trier promoteur des laquo champs seacutemantiques raquo (laquo die Wortfelder raquo) en 1931 considegravere

que ces derniers se reacutepartissent de faccedilon compleacutementaire comme une sorte de mosaiumlque une

laquo Wortdecke raquo (laquo nappe tapis de mots raquo dans sa terminologie) Lrsquoexploitation de cette ideacutee

repose couramment sur le contraste entre langues pour faire apparaicirctre le caractegravere structureacute

de chacune Ainsi la deacutenomination de la parenteacute en anglais et en franccedilais fait apparaicirctre que

pour deacutesigner en anglais lrsquoensemble de la fratrie de quelqursquoun on peut dire simplement laquo my

siblings raquo ce qui est impossible en franccedilais qui ne peut dire que laquo mes fregraveres et sœurs raquo (et

variantes de nombre) JG part de ce thegraveme des champs conceptuels pour rappeler dans une

perspective cette fois dialectique que la compreacutehension de ce que veulent dire les mots va de

pair avec celle des particulariteacutes de lrsquoexpeacuterience humaine des gens Il srsquoagit en effet drsquoune

transaction sur du laquo dit raquo Or laquo la rheacutetorique est structurante crsquoest-agrave-dire reconstruit le monde

sur le modegravele drsquoune grammaire raquo 673 Lrsquoideacutee drsquoun laquo eacutegal controcircle raquo entre faits de langue et de

civilisation se fonde en glossologie sur la relation dialectique et indissociable des laquo faccedilons de

penser raquo et des laquo faccedilons de formuler raquo Crsquoest aussi pourquoi il soutiendra que traduire nrsquoest

pas dire la mecircme chose autrement mais dire laquo autre chose autrement raquo et que la transaction

y est autant une transaction de laquo mentaliteacutes raquo que de formulations

(hellip) leacutetude des significations faite en partant du signe ndash seacutemasiologie et deacutefendre leacutetude des deacutenominations ndash onomasiologie Ces deux termes deacutesignant les deux aspects meacutethodologiques dune mecircme discipline la seacutemantique me paraissent indispensables raquo

De la deacutesignation 193

Onomasiologie onomastique anthroponymie (nom propre) Pour une theacuteorie de lrsquoappellation

laquo On constate un singulier glissement de nos jours de la ‟seacutemantiquerdquo vers une sorte de

seacutemiologie non formelle agrave nos yeux encore quextraordinairement formaliseacutee raquo 892 JG voit

dans les seacutemantiques qui lui sont contemporaines un basculement de la perspective

laquo onomasiologique raquo vers la perspective laquo seacutemasiologique raquo (deacutesigneacutee ici par le terme

laquo seacutemiologie raquo) La premiegravere part drsquoune situation et srsquointeacuteresse au raisonnement qui reacutepond agrave

la question laquo Comment ccedila srsquoappelle raquo et la seconde part drsquoune formulation et srsquointeacuteresse au

raisonnement qui reacutepond agrave la question laquo Qursquoest-ce que cela veut dire raquo Mes gloses sont

donc en grande partie des raisonnements seacutemasiologiques

Il srsquoagit en particulier de la seacutemantique de Bernard Pottier et drsquoautres seacutemantiques

componentielles qui analysent le lexique en classes de laquo segravemes raquo On part drsquoun reacuteseau de

mots dont les sens semblent apparenteacutes un champ seacutemantique (laquo pied accoudoir dossier

etc raquo) pour tenter de comprendre ce qui distingue chaque appellation des autres Pour cela

on met ce reacuteseau en relation avec ce qursquoil deacutesigne On utilisera lrsquoobservation des meubles drsquoun

salon bourgeois pour faire le modegravele des caracteacuteristiques seacutemantiques qui composent le sens

de ce qursquoon appelle un fauteuil un canapeacute et un pouf nombre de places assises preacutesence ou

non de pieds de dossier et de bras En cela (mais surtout pour des raisons de reacuteduction didac-

tique) on se place dans une perspective nomenclaturiste qui met en correspondance une

organisation lexicale et une organisation technique en neacutegligeant le fait que le reacuteseau de

concepts que lrsquoon obtient est une construction mentale qui varie selon le point de vue que lrsquoon

adopte sur ce dont on parle La laquo situation raquo de celui qui distingue un dossier et un bras dans

un fauteuil est fort diffeacuterente de laquo la situation raquo dans laquelle se place lrsquoeacutebeacuteniste (qui repegravere la

continuiteacute et la discontinuiteacute des morceaux de bois qui composent le fauteuil) ou le tapissier

qui va dire encore autrement ce qursquoest son fauteuil

La seacutemantique glossologique refuse drsquoautonomiser ces deux perspectives et drsquoen privileacutegier

une puisqursquoelle explique sous le nom laquo drsquoappellation raquo la relation dialectique productrice de

sens entre le mot et la situation elle-mecircme conjoncture humaine

Par ailleurs 893 JG regrette que la perspective onomasiologique soit reacuteduite agrave lrsquoeacutetude de

lrsquoonomastique celle des noms de lieu et de personne Cette reacuteduction suppose la seacuteparation

critiquable entre seacutemantique du nom commun et seacutemantique du nom propre Toute appella-

tion construit une identification seacutemantique toujours relative et si le nom propre est supposeacute

parvenir agrave une laquo identiteacute raquo absolue en arguant du fait qursquoil deacutesigne un laquo individu logique raquo

(Mme de Clegraveves ou Nicolas Sarkozy) crsquoest en raison drsquoune surdeacutetermination sociologique

laquo elle tient agrave notre rapport sociologique au senshellip Elle a pour source leur statut juridique raquo

Crsquoest la personne en nous et non le locuteur que nous sommes qui dans un acte de langage

lie le nom propre agrave lrsquoecirctre qursquoil deacutenomme Il srsquoagit drsquoune laquo proprieacuteteacute priveacutee ou publique raquo Il

importe ici de distinguer deux sens du mot laquo proprieacuteteacute raquo celui drsquoappropriation sociale et celui

de production de preacutecision et de suffisance seacutemantique relatives

Lrsquoapparente laquo dispariteacute raquo seacutemantique 893 entre nom commun et nom propre ne tient pas

agrave une diffeacuterence dans leurs transformations historiques respectives puisque laquo ‟Lefegravevrerdquo sort

du forgeron et ‟le foierdquo en roman probablement drsquoune recette de cuisine raquo JG veut dire que

toutes les transformations historiques des appellations suivent les mecircmes lois et qursquoun va-et-

vient srsquoopegravere constamment entre appellation drsquoobjets et appellation de personnes et de lieux

Beaucoup de noms de famille sont des noms de meacutetiers et le laquo fegravevre raquo (latin laquo faber raquo) ou le

194 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo goff raquo (en Bretagne) fut forgeron Quant au laquo foie raquo que lrsquoon relie au latin populaire

laquo figatum raquo (de figues) calqueacute sur le grec laquo (hecircpar) sukocircton raquo (foie de figues) il intrigue

lrsquoeacutetymologiste Comment passe-t-on de la figue au foie Deux hypothegraveses sont avanceacutees on

nourrissait les oies avec des figues et crsquoest ce foie gras lagrave qui avait la meilleure reacuteputation

Peut-ecirctre aimait-on aussi preacutesenter le foie gras accompagneacute de figues La recette est toujours

actuelle

Le processus en question ndash commun agrave lrsquoensemble du vocabulaire ndash est celui de lrsquoappellation

894 JG regrette que le cas du nom propre ait renforceacute lrsquoideacutee fausse que le nom est le laquo label

de lrsquoobjet raquo (dans une nomenclature) et non laquo la classe rheacutetorique des faccedilons de le deacutesigner raquo

que reacutesume le concept de laquo convergence synonymique raquo Il preacutecise que cette deacutefinition vaut

aussi pour le fonctionnement seacutemantique des noms propres et que les laquo hypocoristiques raquo ndash

laquo Jeanneton raquo agrave lrsquoadresse drsquoune laquo Jeanne raquo laquo Deacutedeacute raquo alternant avec laquo Andreacute raquo ndash et les

laquo surnoms raquo ndash laquo Jacques Mesrine raquo dit laquo Porte-avions raquo en raison de lrsquoartillerie qursquoil portait sur

lui ndash sont en laquo interaction synonymique raquo 115

12 La seacutelection phoneacutetique lrsquoeacutepel

Terminologie La seacutemantique reacuteinvestit du laquo signifieacute diffeacuterencieacute raquo 902 la phoneacutetique

reacuteinvestit du laquo signifiant raquo diffeacuterencieacute La seacutelection appellative (ou laquo nomenclature raquo)

transforme le laquo sens raquo (celui qui relegraveve de laquo lrsquoideacuteation raquo et qui existe dans la relation symbo-

lique son-sens) en concept (le sens seacutemantique) via le segraveme seacutemiologique De mecircme donc

qursquoil y a laquo sens et sens raquo il y a laquo son et son raquo La seacutelection qursquoest la laquo diction raquo transforme le

son phonique perccedilu qui relegraveve de la laquo phonation raquo en laquo eacutepel raquo phoneacutetique via le trait

phonologique 903

JG entreprend de dialectiser ce que les linguistiques classiques conccediloivent comme une

dichotomie entre phonegraveme et son entre phonologie et phoneacutetique (acoustique ou articula-

toire) 904 laquo Il y a place pour un intermeacutediaire raquo qui ait une deacutefinition culturelle et non plus

naturelle Il appartient agrave une theacuteorie de la performance phoneacutetique de le faire qui deacutefinisse la

phoneacutetique comme lrsquoopeacuteration mentale partie inteacutegrante du signe qui tente de deacutepasser la

contradiction radicale du phonegraveme et du son Le son nrsquoa pas de proprieacuteteacutes analytiques en

identiteacutes et uniteacutes langagiegraveres mecircme dans son eacutelaboration psycho-physiologique qursquoest

lrsquoeacutelocution En revanche la prononciation (la diction) a ces proprieacuteteacutes car il nrsquoy a prononcia-

tion que de phonegravemes quand bien mecircme les deacutelimitations ne sont plus les mecircmes JG tente

de deacutefinir ici ce qursquoest une identiteacute phoneacutetique sous le terme laquo drsquoeacutepel raquo

Risquons un exemple liminaire simple Si je pousse un cri apregraves avoir heurteacute du pied un

obstacle jrsquoeacutemets un laquo son raquo (un bruit pour un acousticien) deacutelimiteacute par la physiologie des

organes phonatoires Ce peut ecirctre le bruit provoqueacute par une brusque aspiration drsquoair (assorti

drsquoune grimace) Mais si je dis laquo Aiumle raquo je prononce les phonegravemes aj en un [lsquoaːj] qui a une

identiteacute sonore Il est remarquable qursquoil soit possible de transcrire ces identiteacutes phoneacutetiques

par un alphabet mecircme approximatif Crsquoest bien la preuve qursquoune analyse est agrave lrsquoœuvre En

revanche le cri lui-mecircme ne peut pas ecirctre transcrit il est enregistrable et il peut ecirctre deacutecrit

par les mesures des caracteacuteristiques acoustiques et articulatoires qui le deacutefinissent

115 Voir sur le blog httpjmaurefreefrsurnomssurnomshtml la liste des surnoms donneacutes par Freacutedeacuteric Dard agrave ses personnages liste tireacutee du Dictionnaire San-Antonio eacuteditions laquo Fleuve Noir raquo

De la deacutesignation 195

Une des difficulteacutes de ce passage reacuteside dans le fait que JG souhaite exposer la seule

dimension qualitative distinctive de la phoneacutetique en faisant abstraction de sa dimension

quantitative Or il srsquoagit drsquoune reacutealisation de sorte qursquoil nrsquoest pas possible de donner un

exemple drsquoeacutepel qui ne soit en mecircme temps pris dans une uniteacute de prononciation Parce qursquoil

srsquoagit toujours drsquoune reacutealiteacute analytique Il faut encore faire un effort drsquoanalyse et srsquoimposer de

nrsquoobserver que lrsquoeacutepel deacutefini restrictivement comme la reacutealisation choisie par rapport aux

reacutealisations virtuelles exclues en faisant abstraction du fait que sa prononciation reacutesulte

toujours drsquoun phonegraveme phonologique et qursquoelle entre forceacutement dans le cadre drsquoune syllabe

phoneacutetique JG est bien conscient du problegraveme puisqursquoil dit en fin drsquoexposeacute laquo Il fallait bien

explorer dabord la faccedilon dont nous eacutelaborons les facteurs mecircme si tout cela se passe en

simultaneacute avant de proceacutederhellip agrave lexamen des opeacuterationshellip raquo agrave savoir celles qui relegravevent de

lrsquoaxe de la quantiteacute 912

JG appuie lrsquoexposeacute de cette diffeacuterence sur lrsquoobservation des pathologies Paralysies et

apraxies dysarthries et dyspheacutemies affectent la motriciteacute articulatoire laquo le controcircle des

mouvements raquo 904 Cependant ces deacutesordres nrsquoaffectent pas la seule prononciation des

phonegravemes ici en particulier (dans lrsquoeacutepel) la seacutelection drsquoun des allophones drsquoun trait Ces

deacutesordres moteurs affectent tout bruit susurrement bruissement clabaudage grognement

geacutemissement raclement roucoulade chuchotement et autres cris qursquoil est physiologique-

ment possible drsquoeacutemettre de maniegravere controcircleacutee dans quelque but que ce soit y compris

symbolique Il ne srsquoagit pas pour autant drsquoeacutepel phoneacutetique car encore une fois il nrsquoy a

prononciation que de phonegravemes de mecircme que toute nomenclature est formuleacutee dans un

lexique En somme ces pathologies de la phonation ne sont pas des pathologies de la

prononciation des pathologies de la rheacutetorique phoneacutetique

On est au cœur ici dit-il laquo du fameux problegraveme de la relative importance pour ce qui est de

lrsquoanalyse de la forme et de la substance du son raquo 904 JG critique au passage la formulation

du Cours qui pour ancrer le signe dans le psychisme associait laquo image acoustique voire

musculaire au concept raquo Il fallait distinguer entre laquo substance raquo et laquo reacutesultat performantiel de

la restructuration de lrsquoinstance raquo Observons cependant que Saussure lui-mecircme la critique et

propose la notion de laquo signifiant raquo pour ecirctre coheacuterent avec le principe de laquo valeur raquo

Il ne faut pas confondre cette phoneacutetique avec laquo cette eacuteconomie diffuse de lrsquointonation ou

du rythme [codifieacutee dans les langues] qui sont glossologiquement agrave la deacutenotation ce que la

seacutemantique est agrave la seacutemiologie raquo 904 Cette phrase propose une analogie assez deacutelicate agrave

positionner Il ne peut pas ecirctre question ici du critegravere de pertinence le correspondant de la

deacutenotation dans le modegravele Que peut bien signifier lrsquoideacutee drsquoun reacuteinvestissement rheacutetorique de

la laquo deacutenotation raquo terme qui deacutesigne un critegravere Le terme laquo eacuteconomie raquo suggegravere lrsquoeffort

rheacutetorique qui rend lrsquointonation et le rythme adeacutequats agrave la situation (laquo pertinents raquo dans le

sens commun du terme) et contribue agrave la compreacutehension seacutemantique de lrsquoeacutenonceacute Toutefois

cette lecture entre en contradiction avec lrsquoeacutevocation drsquoun fait non phoneacutetique Je laisse donc

ouverte la lecture de ce passage (La reprise allusive de ce thegraveme en laquo lrsquoeacuteconomiehellip des pauses

et des tons raquo 932 nrsquoeacuteclaire pas lrsquoanalogie)

Lrsquoeacutepel est laquo homorganique raquo 90-91 Au couple laquo polyseacutemie raquo du segraveme laquo synonymie raquo du

vocable JG oppose la laquo polyphonie raquo du trait et laquo lrsquohomorganie raquo de la reacutealisation phoneacute-

tique du trait qursquoil appelle lrsquoeacutepel On comprend qursquoil ait ducirc eacuteviter le terme laquo symphonie raquo bien

occupeacute par ailleurs ou celui de laquo convergence symphonique raquo Lrsquoideacutee est que lrsquoidentiteacute phoneacute-

tique nrsquoest pas un son particulier mais lrsquoensemble des sons drsquointensiteacute de dureacutee et de timbre

196 Une lecture de Jean Gagnepain

varieacutes qui sont compatibles laquo homologues raquo pour constituer un mecircme allophone seacutelectionneacute

excluant les autres allophones du mecircme trait Le test de la reacutepeacutetition consciente drsquoun

phonegraveme par un locuteur peut ecirctre un critegravere de repeacuterage de cette laquo homorganie raquo On peut

reacutepeacuteter [kə] voire [krsquo] sans vocalisation associeacutee Mais cela ne garantit pas lrsquoidentiteacute phonique

des reacutealisations successives en dureacutee en aspiration ou en tension en particulier Malgreacute tout

pour le locuteur il srsquoagit bien drsquoune mecircme prononciation drsquoune identiteacute phoneacutetique

JG fait ensuite appel agrave lrsquoobservation des graphies pour justifier lrsquoeacutepel Pour montrer que

lrsquoeacutepel nrsquoest pas le trait phonologique mais la maniegravere dont on le prononce il srsquoappuie en

particulier sur le fait qursquoagrave lrsquoeacutecole une consonne srsquoeacutepelle dans le cadre drsquoune syllabe [ be ɛf ʒi

kɑ ] Ces traditions teacutemoignent dit-il laquo drsquoune mecircme conscience du langage raquo 911 Elles

conservent ainsi laquo lrsquoempreinte du meacutecanisme de diction raquo 912 comme lrsquoonomastique

teacutemoigne du meacutecanisme de la nomenclature (Cf 954 pour lrsquoaspect syllabique)

laquo Il fallait bienhellip explorer les facteurshellip avant de proceacuteder agrave lrsquoexamen des opeacuterationshellip raquo

912 Il oppose par ces termes lrsquoaxe des identiteacutes dont il vient de parler agrave lrsquoaxe des uniteacutes

objet de la section qui va suivre

2 - Syllabe et proposition

Terminologie Le texte est la structuration grammaticale quantitative du dire et la

proposition en est laquo la restructuration eacutenonciative raquo 913 Rappelons que laquo eacutenonciatif raquo signifie

ici laquo qui a pour reacutesultat lrsquoeacutenonceacute raquo quant agrave la quantiteacute Ce concept est strictement de lrsquoordre

de la cognition et fait abstraction de lrsquousage interlocutif qui en est fait et qui relegraveve de la

sociolinguistique

Agrave lrsquoappellation diffeacuterentielle correspond lrsquoassertion contrastive Preacutedication et proposition

sont synonymes La preacutedication seacutemantique est agrave la segmentation seacutemiologique ce que la

seacutelection seacutemantique (ou appellation) est agrave la diffeacuterenciation seacutemiologique La segmentation

est contrastive (A Martinet utilisait le terme laquo deacutemarcative raquo) et la preacutedication est

laquo deacuteterminante raquo 922

21 Preacutedication et terme

Est introduite ici la notion de laquo TERME raquo de la preacutedication Attention La phrase qui deacutefinit la

preacutedication 9223-6 contient un propos principal et une incise Le propos rapproche le modegravele

de celui drsquoAristote lrsquoincise en modifie consideacuterablement le sens Dans tous les cas il faut

rapprocher laquo terme raquo de son sens latin de laquo borne raquo laquo deacutelimitation raquo (termen) et oublier le

sens franccedilais du deacuteriveacute laquo terminer raquo ou des expressions telles que laquo mettre un terme agrave raquo

- Le propos la preacutedication laquo deacutecoupe en deux membres ou termes ndash [incise] ndash le noyau de

tout eacutenonceacute Cest ce quon exprime en parlant de coupe preacutedicative (hellip) Ces termeshellip ne

peuvent ecirctre que deux Ce sont respectivement le thegraveme et le propos des logiciens raquo JG les

renomme laquo terme substantif raquo et laquo terme preacutedicatif raquo

- Lrsquoincise laquo [deux termes] ndash dont lun bien entendu peut eacuteventuellement ecirctre absent

lorsque le message est centreacute sur autre chose que lobjet ndash raquo

Reprenons et deacuteveloppons ces deux parties

De la deacutesignation 197

Le propos 9223-11 Aristote disait laquo Jrsquoappelle terme [(horos) ὃρος] ce en quoi se reacutesout

la preacutemisse [(protasis) ἡ πρότασις] agrave savoir le preacutedicat (to kategravegoroύmenon) et le sujet dont il

est affirmeacute (tὸ κathacuteοὗ κaτegravegοreῖtai) raquo (Premiers analytiques116) Aristote appelle aussi laquo tὸ

ὑpοkeiacutemenon raquo ce sur quoi porte une assertion (litteacuteralement ce qui est en dessous) et que

lrsquoon appelle traditionnellement le laquo sujet raquo On peut opposer agrave cette traduction classique celle

reacutecente de MP Duminil qui traduit laquo ὑpokeiacutemenon raquo par laquo substrat raquo pour redonner du sens

agrave un laquo sujet raquo qui nrsquoest plus aujourdrsquohui relieacute agrave laquo sub-jacere raquo (Il gicirct en dessous) JG propose

pour sa part de traduire par laquo substantif raquo (sub-stare)

Cette conception est reprise par les classiques par exemple par Arnault (Antoine) et

Lancelot (Claude) Grammaire geacuteneacuterale et raisonneacutee Paris 1660 Ed Michel Foucault II 1 p

22-24 laquo Toute proposition enferme neacutecessairement deux termes lrsquoun appeleacute sujet qui est ce

dont on affirme comme terre amp lrsquoautre appeleacute attribut qui est ce qursquoon affirme comme

ronde amp de plus la liaison entre ces deux termes est raquo De maniegravere explicite chez Arnault et

Lancelot lrsquouniteacute qursquoest la proposition est envisageacutee comme un ensemble qui relie deux parties

obligatoires de statut compleacutementaire La notion de laquo coupe preacutedicative raquo 9226 ne signifie

que cette diffeacuterence de statut

Lrsquoincise 9224-6 Lrsquoun des termes peut relever du non-dit lorsque le locuteur en situation

donne agrave lrsquoinformation le statut drsquoinformation infeacutereacutee de ce qui est formuleacute Information

implicite mais neacuteanmoins impliqueacutee donc constitueacutee par le propos du locuteur Crsquoest le plus

souvent le cas du terme laquo substantif raquo comme dans laquo il pleut il ne pleut pas raquo ougrave ce qui est

asserteacute lrsquoest agrave propos de la situation meacuteteacuteorologique que vit le locuteur sans qursquoil soit

approprieacute de le formuler mais que lrsquoon conccediloit cependant Inversement on peut attirer

lrsquoattention de quelqursquoun sur un fait sans qursquoil soit opportun de formuler quelle assertion lui est

lieacutee laquo Tes chaussettes raquo selon lrsquooccasion sont laquo agrave ranger raquo ou laquo agrave remonter raquo (etc) par tacite

implication Le partage preacutealable drsquoune information entre eacutemetteur et reacutecepteur (source et

cible) est deacuteterminant dans le choix de ne formuler qursquoun seul des termes Ainsi laquo Le facteur

arrive raquo devient laquo Le facteur raquo si lrsquoinformation porte sur lrsquoidentiteacute du visiteur et laquo Il arrive raquo

si lrsquoon attend cette personne et que le propos porte sur le moment de lrsquoeacuteveacutenement Et la

totaliteacute laquo Le facteur arrive raquo peut aussi nrsquoecirctre qursquoun seul terme preacutedicatif srsquoil apporte une

information sur ce qui se passe en reacuteponse agrave laquo Quoi de neuf raquo (Cf Moliegravere lrsquoEacutecole des

femmes laquo Le petit chat est mort raquo)

Suivant Mickael Herrmann il est important ici de preacuteciser que laquo ce nrsquoest pas la situation qui

suppleacutee au langage en occupant un espace extralinguistique raquo 117 car la rheacutetorique est indiffeacute-

rente au laquo statut existentiel raquo de ce agrave quoi elle reacutefegravere laquo Indeacutependamment drsquoune eacuteventuelle

diffeacuterence existentielle (mais lrsquoontologie nrsquoa pas sa place en glossologie) les deux termes agrave

deacutefaut drsquoecirctre eacutegalement preacutesents participent eacutegalement agrave une pluraliteacute ce qui revient agrave dire

116 Aristote Premiers analytiques I 1 24a 7 Traduction de Jules Tricot Vrin 1936 Pour le texte grec voir httpremacleorgbloodwolfphilosophesAristoteanalyt1htm Eacutedition bilingue traduction de Jules Bartheacuteleacutemy Saint-Hilaire 1879 laquo Ὅρον δὲ καλῶ εἰς ὃν διαλύεται ἡ πρότασις οἷον τό τε κατηγορούμενον καὶ τὸ καθacute οὗ κατηγορεῖταιhellip raquo On remarquera que la notion de laquo sujet raquo nrsquoest pas ici explicite le texte disant seulement laquo ce sur quoi il y a attribution raquo Une glose du traducteur preacutecise laquo qursquoAlexandre drsquoAphrodise fait remarquer que le mot laquo terme raquo laquo O ὃρος raquo (borne limite) pris en se sens eacutetait inconnu du temps dAristote et que voilagrave pourquoi lauteur dit agrave la premiegravere personne jappelle etc cest une expression nouvelle quil creacutee agrave son usage raquo Remarquer qursquoAristote choisit le terme laquo preacutemisse raquo (protasis) comme synonyme de proposition parce qursquoil entend exposer ce qursquoest un syllogisme dont la laquo preacutemisse raquo constitue le premier moment

117 Mickael Herrmann laquo La proprieacuteteacute de la proposition raquo (2006) Teacutetralogiques 17 Description et Explication dans les sciences humaines p 27

198 Une lecture de Jean Gagnepain

qursquoils comptent lrsquoun et lrsquoautre raquo Ce point de vue est agrave relier fondamentalement agrave lrsquoideacutee que le

terme est essentiellement une deacutelimitation quantitative

Il srsquoagit lagrave drsquoune diffeacuterence profonde drsquoavec la conception aristoteacutelicienne Pour J G la

laquo coupe raquo preacutedicative est ce qui segmente quantitativement ce qui seacutepare lrsquouniteacute conceptuelle

qursquoest le preacutedicat de ce qui est rejeteacute agrave lrsquoarriegravere-plan mecircme formuleacute et qui est son substantif

partie constitutive de la preacutedication Fondamentalement la coupe laquo deacutecoupe raquo lrsquouniteacute plus

qursquoelle ne relie une information premiegravere agrave une autre La position de JG est expliciteacutee plus

loin 932 laquo Crsquoest dans la mesure mecircme ougrave le virtuel fait autant que lrsquoactuel partie de la

nomenclature que le substantif avec le preacutedicat fait eacutegalement partie de la proposition raquo Dans

une perspective structurale ougrave toute frontiegravere est relative lrsquoexclu deacutelimite le choisi et

lrsquoinformation non formuleacutee (le substantif) deacutelimite ce qui est asserteacute118

Preacutedication et grammaire Divers cas de figure de leur non-correspondance

Autre point important Lrsquoanalyse grammaticale et la preacutedication nrsquoont pas les mecircmes

deacutelimitations La seconde reacuteorganise la premiegravere Dialectique oblige

- Preacutedication et types de mots Le nom comme le verbe peuvent prendre le statut de terme

substantif comme de terme preacutedicatif La tradition et la grammaire geacuteneacuterative opegraverent une

reacuteduction en privileacutegiant lrsquoexemple canonique P = SN + SV ougrave le nom est substantif et le verbe

preacutedicatif Dans laquo Qui dort dicircne raquo 923 le premier verbe est substantif par contraste avec le

second et dans laquo Un palais cet hocirctel raquo le premier nom est preacutedicatif en contraste avec le

second On remarquera dans ce dernier exemple que le statut respectif des deux noms

deacutecoule en partie du contraste entre les deacuteterminants Comparer agrave laquo Ce palais un hocirctel raquo

(substantif + preacutedicatif)

- Preacutedication et syntaxe

(1) laquo Rien nrsquoest plus faux que la fameuse regravegle des eacutecolacirctres ‟autant de verbes autant de

propositionsrdquo raquo 924 Autrement dit il y a une contradiction agrave parler de laquo proposition

subordonneacutee raquo en ce sens que la subordination marque le verbe dit laquo subordonneacute raquo comme

laquo non preacutedicable raquo et lrsquointegravegre agrave la proposition que sous-tend le syntagme de rang supeacuterieur

(2) La notion classique de laquo sujet raquo (du verbe) est ambigueuml Il existe de fait une relation

syntaxique bien deacutefinie que lrsquoon peut deacutenommer laquo relation sujet raquo mais elle peut relier deux

verbes aussi bien qursquoun nom et un verbe (laquo Qursquoil vienne me surprend Sa venue me

surprend raquo) En lrsquooccurrence laquo la preacutedication seacutepare les membres drsquoun syntagme raquo 925 Elle

peut cependant inversement regrouper dans le mecircme terme une articulation de syntagmes

comme en teacutemoigne toute phrase complexe Les syntagmes qui sont partie inteacutegrante du

mecircme terme sont alors en relation laquo drsquoeacutepithegravese raquo Dans laquo Le petit bout de la queue du chat

nous eacutelectrise raquo le premier terme est syntaxiquement construit par une succession de

laquo compleacutements de noms raquo sans que cela nrsquoentraicircne une complexiteacute propositionnelle

laquo Lrsquoeacutepithegravese ne fait pas acception de lrsquoorganisation syntaxique [des mots] raquo signifie qursquoelle ne

tient pas compte de cette organisation

118 Mickael Herrmann ibidem p 23-28 On y trouvera un approfondissement de cette glose tant du point de vue de la dialectique que de celui de la neacutecessaire dissociation des plans Sur le premier point il rappelle lrsquoimportance de lrsquoeacutelargissement de la notion de laquo reacutefeacuterence raquo par JG laquo la reacutefeacuterence est seulement catalyse et le paragramme [hellip] toujours et neacutecessairement dans la phrase raquo 744 Cette thegravese interdit de reacuteduire la deacutesignation agrave une objectivation

De la deacutesignation 199

Certains titres de journaux permettent un raisonnement tour agrave tour eacutepitheacutetique et attribu-

tif de la mecircme formulation laquo Le bateau eacutecole de lrsquoeffort raquo (Titre associeacute agrave une photo du Bel

Espoir bateau du Pegravere Jaouen) Y a-t-il coupe preacutedicative entre deux termes laquo Le bateau

(est une) eacutecole de lrsquoeffort raquo Ou bien ici un seul terme laquo Le bateau-eacutecole de lrsquoeffort raquo Dans

ce cas compte tenu de lrsquoinformation photographique on asserte laquo que crsquoest raquo en mecircme

temps que sur lrsquoautre axe on laquo dit ce que crsquoest raquo (appellation)

Enfin laquo agrave elle seule lrsquoautonomie grammaticale ne garantit pas ipso facto celle du concept

dans la proposition raquo 931 Ce propos se comprend comme une faccedilon de redire la diffeacuterence de

statut entre lrsquoune et lrsquoautre des analyses et introduit le paragraphe suivant (Peut-on lire

laquo concept raquo = laquo terme raquo ) JG envisage ici le cas ougrave plusieurs mots composent un seul terme

laquo [La proposition] est une et indeacutependantehellip et lrsquoeacuteconomiehellip des pauses et des tons peut

toujours seacutemantiquement faire lrsquouniteacute de lrsquoeacutenonceacute le plus parataxique raquo 932 Ougrave observer ce

cas Pourquoi pas dans Djinns de Victor Hugo laquo Murs ville Et port Asile De mort Mer

grise Ougrave brise La brise [Tout dort] raquo Cela pour le terme substantif si lrsquoon conccediloit que

laquo (tout) dort raquo en est lrsquoassertion

laquo Lrsquoarsis et la thesis raquo 963 Ces termes viennent de la musique et deacutesignent degraves lrsquoantiquiteacute

le fait de battre la mesure en alternant la leveacutee du pied (arsis) et sa pression sur le sol (thesis)

Ils sont aussi appliqueacutes agrave la scansion poeacutetique exeacutecuteacutee par une alternance de dureacutee et

drsquoeacuteleacutevation du ton de la voix On retrouve la mecircme ideacutee inverseacutee dans lrsquoopposition en art

oratoire de la laquo protase raquo partie ougrave lrsquoorateur eacutelegraveve la voix jusqursquoau sommet de la tension

appeleacute laquo lrsquoacmeacute raquo et de laquo lrsquoapodose raquo partie ougrave lrsquoorateur deacutetend sa diction JG reprend ici ces

traditions pour souligner que la preacutedication produit une analyse qui deacutecoupe le raisonnement

seacutemantique et il la compare agrave laquo lrsquoegravere raquo qui en histoire peacuteriodise lagrave ougrave laquo la genegravese nrsquoest que

progression lineacuteaire raquo Le franccedilais nrsquoappelle-t-il pas laquo peacuteriode raquo agrave la fois la phrase complexe et

une partie significative de lrsquohistoire

laquo Le problegraveme du preacutedicat psychologique raquo 933 [nrsquoa pas lieu drsquoecirctre] Cette notion est due agrave

Herman Paul (en 1886) qui appelle ainsi laquo le membre drsquoune proposition par lequel on exprime

agrave propos drsquoun objet quelconque ce que lrsquoon tient agrave dire raquo Dans laquo le facteur vient drsquoarriver raquo il

consideacutererait comme preacutedicat laquo Le facteur raquo dans une circonstance ougrave crsquoest bien la qualiteacute du

visiteur attendu qui porte lrsquoinformation pour lrsquoeacutemetteur du message qui aurait pu se

contenter de dire laquo Le facteur raquo Il entrait ainsi en contradiction avec la conception classique

de la preacutedication qui alignait la relation seacutemantique laquo sujet preacutedicat raquo sur la relation syntaxique

du nom et du verbe JG lui donne raison agrave ceci pregraves qursquoil nrsquoy a pas lieu selon lui de

particulariser un preacutedicat laquo psychologique raquo Ce dont Paul rendait compte crsquoest seulement du

fait que le paramegravetre de lrsquoeacutemetteur ou du reacutecepteur pouvait ecirctre plus important que lrsquoobjet

dans le message119

La laquo grammaticalisation de la copule raquo 933 Le terme mecircme de laquo copule raquo ne date que du

18e siegravecle en grammaire Aristote laquo dans la tradition de lrsquoEacutecole raquo conccediloit la relation entre

sujet et preacutedicat pour elle-mecircme crsquoest-agrave-dire la coupe preacutedicative le preacutedicat est laquo ce qui est

affirmeacute raquo (du sujet) La deacutefinition ne dit rien de la maniegravere dont la coupe est formuleacutee Celle-ci

deacutecoule du seul contraste des termes dans laquo Curieux ce raisonnement raquo elle peut ecirctre

exprimeacutee par lrsquointonation ou formuleacutee par le verbe laquo ecirctre raquo dans laquo Ce raisonnement est

119 Le concept de laquo preacutedicat psychologique raquo sera deacuteveloppeacute par Charles Bally dans Linguistique geacuteneacuterale et linguistique franccedilaise Paris E Leroux 1932

200 Une lecture de Jean Gagnepain

curieux raquo En somme une mecircme preacutedication peut ecirctre dite de faccedilon diverse Il se trouve que

dans beaucoup de langues occidentales le verbe laquo ecirctre raquo formule le contraste notamment

dans les propositions geacuteneacuterales laquo la terre est ronde raquo laquo La mesure est le bien suprecircme raquo etc

Ce nrsquoest pas vrai en russe ni en arabe et le dernier exemple traduisait le laquo Metron to

beltiston raquo chanteacute par le chœur des vieillards de lrsquoAgamemnon drsquoEschyle120 devenu adage

Pour JG cette laquo affiniteacute raquo entre coupe preacutedicative et verbe laquo ecirctre raquo laquo ne saurait ecirctre tenue

pour capitale raquo En effet ces contrastes entre laquo usages raquo sociolinguistiques portent sur un

autre plan et ne doivent donc ecirctre consideacutereacutes que drsquoun point de vue proprement

glossologique comme du dire structureacute

Le terme est laquo autonymique raquo

Le terme est laquo autonymique raquo comme le vocable est laquo synonymique raquo 934 agrave 942 Agrave la

laquo convergence synonymique raquo qualitative correspond la laquo concurrence autonymique raquo

quantitative 934 De multiples mots laquo concourent raquo agrave constituer lrsquouniteacute du terme

propositionnel

laquo Lrsquoanalyse dont nous parlons par exeacuteregraveses et syneacuteregraveses alterneacutees y deacutecoupe des uniteacutes

dont la binariteacute fondamentale reproduit sans srsquoy limiter celle du mot raquo 934

Le grec oppose laquo ἐξαιρέω raquo laquo ocircter retrancher raquo agrave laquo συναιρέω raquo laquo prendre ensemble raquo Soit

ici laquo Exeacuteregravese raquo deacutecoupe et laquo syneacuteregravese raquo regroupement Deux interpreacutetations sont possibles

Dans ce contexte JG semble opposer la coupe qui deacutelimite le terme agrave lrsquoinformation interne

du terme agrave savoir laquo tout ce qui mecircme segmenteacute nrsquoest pas deacutetermineacute raquo Ailleurs dans le

Seacuteminaire (bien anteacuterieur) du 13 mars 1975 ces deux deacutenominations sont proposeacutees dans le

sens suivant lrsquoexeacuteregravese consiste agrave formuler la preacutedication par un mot marqueacute comme

laquo elliptique raquo mot qui permet laquo drsquoeacutenoncer sans asseacuterer raquo (Cf aussi 612) tel lrsquoinfinitif dans

laquo Attendre raquo laquo parce que lrsquoon ne tient pas agrave preacuteciser lrsquoensemble de la structure du mot (hellip)

Infinitif ou impeacuteratif sont le verbe en exeacuteregravese raquo Par deacuteduction la syneacuteregravese serait le fait de

formuler la preacutedication agrave travers une construction syntaxique

La notion de laquo binariteacute raquo est agrave rapprocher de 932 laquo le virtuel fait autant que lrsquoactuel partie

de la nomenclature que le substantif avec le preacutedicat fait eacutegalement partie de la proposition raquo

Tout eacuteleacutement est relatif agrave un autre

laquo Lrsquoautonymie raquo 934 caracteacuterise le terme Elle signifie la laquo concurrence raquo (la syneacuteregravese)

de tout ce qui mecircme segmenteacute (formuleacute en plusieurs mots) nrsquoest pas deacutetermineacute (deacute-

termineacute) crsquoest-agrave-dire seacutepareacute (exeacuteregravese) par une coupe preacutedicative raquo La formule

laquo lrsquoautonyme est la matrice des distributions seacutemiologiquement possibles sans rupture de

lrsquouniteacute du concept raquo 935 transpose agrave lrsquoaxe de la quantiteacute la deacutefinition qualitative de la

synonymie comme laquo la classe des substitutions seacutemiologiquement possibles sans alteacutera-

tion de lidentiteacute du concept raquo 865 Proposition corollaire une telle matrice de textes est

autonymique sur le critegravere de leur laquo eacutegaliteacute eacutenonciative raquo 935121

120 laquo Μέτρον το βέλτιστον raquo Vers 378 dans le texte eacutetabli par Paul Mazon Eschyle Les Belles Lettres 1920 Variante du texte ὑπὲρ τὸ βέλτιστον

121 Cf Mickael Herrmann laquo La proprieacuteteacute de la proposition raquo (2006) Teacutetralogiques 17 Description et Explication dans les sciences humaines p21 laquo La deacutefinition du terme substantif (ce dont on parle) ne se confond pas avec une appellation qui dit ce que crsquoest raquo Je nrsquoen infeacutererai cependant pas qursquolaquo on ne peut agrave la fois nommer et eacutenoncer raquo

De la deacutesignation 201

Ni la synonymie ni lrsquoautonymie nrsquoont de limites grammaticales pour deux raisons Du fait

drsquoabord de la grammaire qursquoelles contestent 941 laquo Chaque segraveme ou mot a respectivement

ses valences raquo crsquoest-agrave-dire ses potentialiteacutes de relations paradigmatiques ou syntaxiques qui

peuvent deacuteterminer la synonymie ou lrsquoautonymie qui en sera deacuteduite Du fait ensuite de la

viseacutee rheacutetorique orienteacutee vers la variable reacutefeacuterentielle conjoncturelle qui relativise toute

eacutelaboration de la proprieacuteteacute laquo Il nrsquoest pas seacutemantiquement plus de limite agrave lrsquoinfeacuterence qursquoagrave la

paraphrase raquo La laquo paraphrase raquo fait reacutefeacuterence agrave la laquo convergence synonymique raquo et

laquo lrsquoinfeacuterence raquo agrave la laquo concurrence raquo de toute lrsquoinformation inteacutegreacutee dans le terme

La logique reacuteduit laquo lrsquoinfeacuterence raquo agrave la non-contradiction des eacutenonceacutes en se fondant positi-

vement (et axiologiquement) sur la relation agrave un laquo objet reacuteel raquo preacuteexistant au langage Quoi

qursquoil en soit de la polyseacutemie importante de ce terme dans la multitude des courants de la

logique JG entend lui donner le sens plus geacuteneacuterique de raisonnement complexe formant un

tout seacutemantique deacutefinition qui sera preacuteciseacutee plus loin par le concept laquo drsquoexpansion raquo 101-104

Mickael Herrmann deacuteveloppe ce point important agrave propos de la notion de laquo preacutedicat

drsquoexistence raquo dans laquo La proprieacuteteacute de la proposition raquo (2006) Teacutetralogiques 17 Description et

Explication dans les sciences humaines p18-19 Il souligne en insistant sur le caractegravere dialec-

tique du dire que ce que lrsquoon infegravere est toujours de lrsquoordre de la conceptualisation

scientifique ou mythique peu importe La diffeacuterence est grande avec la logique qui agrave la fois

par positivisme et par confusion de plans disqualifie (axiologiquement comme laquo faux raquo) un

eacutenonceacute tel que laquo Lrsquoactuel roi de France est chauve raquo122 au motif que factuellement la France

est une Reacutepublique laquo [Lrsquoargument] repose sur le postulat drsquoun objet existant indeacutependam-

ment de la faccedilon dont nous le disons Pour le glossologue au contraire concevoir crsquoest faire

exister (ou causer) par la penseacutee en faccedilonnant soit les mots sur les choses soit les choses sur

les mots raquo (p19)

La sociologie (en lrsquooccurrence la sociolinguistique et toute observation de laquo langue raquo) reacuteduit

lrsquoautonymie au laquo clicheacute raquo ou laquo lexie raquo crsquoest-agrave-dire agrave tous les cas ougrave le sens de la totaliteacute de la

formule nrsquoest pas lrsquoaddition du sens de chacun de ses constituants comme dans laquo une chauve-

souris raquo et laquo de la poudre aux yeux raquo 942 Le problegraveme de ces exemples est qursquoils sont

eacutevidemment drsquoabord compris sous lrsquoangle de la synonymie (laquo poudre aux yeux illusion raquo)

alors qursquoils doivent aussi ecirctre envisageacutes sous lrsquoangle de lrsquouniteacute du propos tenu La critique en

est double La mecircme formule peut cesser drsquoecirctre autonymique si lrsquoon laquo deacutemonte raquo ce qui est

soudeacute par lrsquousage et que lrsquoon place une coupe preacutedicative dans laquo de la poudre aux yeux raquo

srsquoil srsquoagit de conseil en maquillage De plus le critegravere du rendement en langue du figement de

lrsquoexpression nrsquoest pas ici en cause parce que crsquoest le locuteur qui constitue lrsquouniteacute seacutemantique

La concurrence autonymique fait partie de laquo notre pouvoir drsquoexpliquer raquo

Lrsquoinfeacuterence qui produit lrsquoautonymie srsquoobserve dans laquo cette propension du terme agrave se

deacutecomposer raquo qui constitue avec la synonymie laquo notre pouvoir drsquoexpliquer raquo 943 Le raisonne-

ment est alors porteacute par laquo cette abondance verbale qui (hellip) sans porter atteinte agrave la coheacutesion

du propos [fait surgir le raisonnement] de la redondance inheacuterente agrave lrsquouniteacute grammaticale raquo

Souvenons-nous que le mot est de soi laquo redondant raquo il ne dit pas plus que lui-mecircme comme

en teacutemoigne la reacutepeacutetition Cf 153 et 495 laquo lrsquoexploitation de la redondance culmine

mais qursquoil srsquoagit de deux modes distincts de raisonnement donc de deux objets distincts drsquoanalyse le terme et le vocable

122 Exemple pris par Bertrand Russell et discuteacute par Oswald Ducrot 1972 Dire et ne pas dire Paris Hermann p38

202 Une lecture de Jean Gagnepain

pathologiquement dans la steacutereacuteotypie raquo de lrsquoaphasique de Broca De mecircme le segraveme est-il

laquo tautologique raquo (Cf 653)

Le pleacuteonasme lorsqursquoil se fait laquo justification raquo comme dans laquo la prioriteacute des prioriteacutes raquo 944

laquo les professionnels de la profession raquo laquo crsquoest un fauteuil de chez fauteuil raquo me paraicirct ressortir

de ce que JG appellera plus loin laquo la viseacutee seacutemantique mythique raquo qui produit de la proprieacuteteacute

tout autant que la viseacutee laquo scientifique raquo celle qui fournit spontaneacutement et parfois inducircment

les exemples en seacutemantique De la complexiteacute de la formulation grammaticale on conclut agrave la

complexiteacute du raisonnement Ce raisonnement nrsquoapparaicirct alors paradoxal que si on le met en

contraste avec le raisonnement scientifique puisqursquoil ne fait pas progresser le propos

JG conclut cette preacutesentation du laquo terme autonymique raquo en notant que ce concept est

occulteacute en seacutemantique par celui de synonymie tout comme lrsquoest en grammaire le concept de

laquo mot raquo dans le sens du moins que lui donne la glossologie 951

22 Theacuteorie de la syllabe

Lrsquoexposeacute du modegravele suit son principe drsquoanalogie Lrsquoanalyse qualitative et lrsquoanalyse quantita-

tive ont en rheacutetorique les mecircmes effets sur chaque face qursquoen grammaire degraves lors que la

rheacutetorique nrsquoest que la contestation de la grammaire Sur lrsquoaxe de la qualiteacute la reacutealisation

seacutemantique du segraveme eacutetait le vocable lrsquoeffet de sens tandis que la reacutealisation phoneacutetique du

trait eacutetait lrsquoeacutepel crsquoest-agrave-dire ce qui caracteacuterise qualitativement une prononciation et que JG

appelle aussi plus haut la laquo diction raquo Sur lrsquoaxe de la quantiteacute la reacutealisation seacutemantique du mot

est le terme de proposition qui conteste le mot et est indiffeacuterent au nombre de mots qui le

construisent (Scheacutema p126) Il reste agrave deacutefinir la quatriegraveme proportionnelle comment

deacutenommer lrsquoaptitude du locuteur agrave produire et comprendre lrsquouniteacute minimale phoneacutetique

indiffeacuterente au nombre de phonegravemes qui la construisent JG propose drsquoappeler cette

aptitude laquo syllabation raquo 952 et son produit le laquo chaicircnon syllabique raquo 953 (et scheacutema p126)

Lrsquoexposeacute articule trois thegravemes Celui de la dialectique dont la signification grammaticale et

la deacutesignation rheacutetorique sont les deux pocircles conjointement neacutegation de la phonation

naturelle et neacutegation de cette neacutegation Celui de lrsquoanalogie entre les deux aspects de la

rheacutetorique respectivement seacutemantique et phoneacutetique Enfin celui de la deacutefinition de ce

qursquoest une uniteacute rheacutetorique Agrave ces regroupements theacutematiques il faudra ajouter quelques

gloses de deacutetail de formulations

Thegraveme de la dialectique

Thegraveme laquo Prononciation et eacutenonciationhellip contribuent ensemble agrave une deacutesignation si lieacutee

elle-mecircme agrave la signification qursquoelles forment entre elles une dialectique dont nos capaciteacutes

phonatoires et ideacuteatoires constituent le premier moment raquo 974

La forme critique du deacuteveloppement de lrsquoexposeacute relegraveve du laquo nihellipnihellip raquo La syllabation ne

srsquoexplique pas en termes drsquoanatomo-physiologie pas plus qursquoelle ne relegraveve de la phonologie

Double eacutecueil agrave eacuteviter

Ni laquo eacuteconomie de souffle raquo 955 laquo tension croissante et deacutecroissante de la seacutequence raquo 981

laquo dichotomie de lrsquoexplosif et de lrsquoimplosif raquo 953 Mecircme si ces paramegravetres physiologiques sont

contraignants ils ne deacutefinissent pas la syllabe

Ni calque de la structure grammaticale et de la chaicircne des phonegravemes Ce second point est

argumenteacute de diffeacuterentes maniegraveres

De la deacutesignation 203

Lrsquoauteur critique la tendance agrave analyser la syllabe en termes de seacutequences de Consonnes et

de Voyelles elles-mecircmes deacutefinies comme phonegravemes drsquoaperture diffeacuterente et il fait le

rapprochement avec lrsquoassimilation des termes de proposition au mot nominal et au mot

verbal qui est tout aussi courante et critiquable Le prototype de syllabe laquo C+V raquo observeacute dans

laquo patati-patata raquo est tout aussi reacuteducteur que le prototype de proposition laquo SN+SV raquo Ce

dernier ne rend pas compte de laquo Debout les gars raquo et le premier ne rend pas compte de

laquo ptose raquo ou de laquo strict raquo ni du statut des laquo sonantes raquo

Le terme laquo sonante raquo 954 fait reacutefeacuterence agrave la tradition des eacutetudes indo-europeacuteennes dont

le Cours de Saussure (p86-88) Ce concept tente de reacutesumer un problegraveme qui peut ecirctre

envisageacute de deux maniegraveres Si lrsquoon part de la notion de laquo sommet de syllabe raquo et que lrsquoon

recherche quel type de phonegraveme peut remplir ce rocircle on trouve en plus des voyelles certaines

consonnes (mais pas toutes) Inversement si lrsquoon part de phonegravemes tels que l k m n on

observe que certaines de leurs reacutealisations peuvent remplir le rocircle de laquo sommet de syllabe raquo

Ainsi en anglais britannique les phonegravemes l ou n sont des laquo sonantes raquo dans la seconde

syllabe des mots laquo bottle raquo [ˈbotl] (bouteille) ou laquo token raquo [ˈtəʊkn] en prononciation rapide

Ou la finale drsquoinfinitif de lrsquoallemand laquo trinken raquo [ˈtʀɪŋkn] (boire) en prononciation rapide (En

API on signale drsquoun point la limite entre deux syllabes) Cela signifie que lrsquoon ne peut pas

assigner agrave de tels phonegravemes une seule fonction syllabique ni agrave lrsquoinverse associer telle fonction

syllabique agrave un ensemble strict de phonegravemes Le chaicircnon syllabique est la reacutesultante drsquoune

dialectique entre contraintes phoniques et structure phonologique Une solution

terminologique simple existe au problegraveme des sonantes il consiste agrave deacutefinir comme

laquo voyelle raquo ce qui fonctionne comme sommet (ou noyau) de syllabe

Autre argument critique propre agrave distinguer phonologie et rheacutetorique phoneacutetique 962

laquo Lon ne saurait du fait que [syllabe et proposition] contiennent un nombre entier de

phonegravemes et de mots conclure que ces derniers sont agrave consideacuterer comme des sous-multiples

respectifs de lune et de lautre Ce sont reacutealiteacutes dun autre ordre deux analyses dont le

principe est identique tregraves rarement les reacutesultats raquo Ceci est une critique de theacuteories des

niveaux qui considegraverent que la notion de phrase (ou de proposition) est grammaticale ainsi

que celle de syllabe dans une cascade de deacutelimitations qui part de la phrase passe par le mot

lui-mecircme deacutecomposable en syllabes pour aboutir au trait distinctif en toute ignorance de

distinction de pocircles drsquoaxes et de faces Pour JG proposition seacutemantique et texte seacutemio-

logique de mecircme que syllabe phoneacutetique et chaicircne phonologique sont en opposition dialec-

tique La rheacutetorique reacuteorganise la grammaire Il est eacutevident agrave lrsquoobservateur que le mot nrsquoest

pas un sous-multiple de la proposition puisque celle-ci peut ecirctre construite aussi bien avec un

seul qursquoavec plusieurs de ceux-lagrave tout comme une syllabe peut ecirctre formuleacutee par un seul

phonegraveme aussi bien que par plusieurs

Il ne faut cependant pas oublier complegravetement le socle laquo naturel raquo de la dialectique lui-

mecircme accultureacute en langue qui explique qursquoun laquo cluster raquo syllabique entourant le noyau est

limiteacute par des habitudes articulatoires qui expliquent en partie la rareteacute de seacutequences telles

que laquo CCVCCC raquo de laquo Spectre raquo ou laquo CVCCCC raquo de laquo dextre raquo (6 phonegravemes) en franccedilais Ces

limites laquo drsquohabitus raquo sont tregraves variables drsquoune langue agrave lrsquoautre Le tahitien est connu pour

nrsquoaccepter que des syllabes de construction V ou CV Agrave lrsquoinverse on peut prononcer en arabe

tunisien [tktbu] (Vous eacutecrivez) et en Berbegravere Imalaun [ffrxttxsnt] (Je le leur ai cacheacute) selon

Jean-Pierre Angoujard 1997 Theacuteorie de la syllabe (Jrsquoignore ce qui est Voyelle crsquoest-agrave-dire

sommet de syllabe dans ces cas) Et tout tchegraveque saura prononcer avec un [r] vocalique

204 Une lecture de Jean Gagnepain

puisqursquoen sommet de syllabe laquo Strč prst skrz krk raquo [strtʃ prst skrs krk] laquo Enfonce le doigt dans

la gorge raquo selon le Guide du Routard

Rappelons au passage que le raisonnement humain a aussi ses limites qui rendent quasi

inintelligibles les constructions reacutecursives proposeacutees en deacutefi aux linguisteshellip ou reacutealiseacutees par

les bureaucrates par lrsquoartifice de lrsquoeacutecriture telle cette Directive faceacutetieuse du Parlement du

Land de Mecklembourg-Pomeacuteranie occidentale en 1999

laquo Rindfleischetikettierungsueberwachungsaufgabenuebertragungsgesetz raquo123

Thegraveme de lrsquoanalogie de la seacutemantique et de la phoneacutetique

Soit les deux faces de la deacutesignation la proposition est lrsquoaptitude agrave eacutenoncer par uniteacutes la

syllabation est lrsquoaptitude agrave prononcer par uniteacutes

laquo Ce nrsquoest point sortir du sujet que de passer maintenant de la proposition agrave la syllabation

(hellip) car ce que lrsquoune est agrave la nomenclature lrsquoautre lrsquoest agrave (hellip) la diction raquo 952 Attention ce

raisonnement analogique additionne un changement drsquoaxe et de faces au sein de la rheacuteto-

rique Il srsquoagit de changer drsquoaxe drsquoanalyse nomenclature et diction (deacutejagrave traiteacutees) relegravevent de

lrsquoanalyse qualitative tandis que proposition et syllabation relegravevent de la segmentation En

outre une fois le passage fait du qualitatif vers le quantitatif lrsquoexposeacute propose de changer de

faces et de passer de la seacutemantique (proposition) agrave la phoneacutetique (syllabation) Ce raisonne-

ment ne saurait eacutechapper agrave un amateur de Rubikrsquos cube

Idem 971 laquo fonder la theacuteorie de la syllabe (hellip) non sur la phonation mais sur celle [la theacuteo-

rie] dont la symeacutetrie puisse efficacement lrsquoeacuteclairer je veux dire de la proposition raquo Idem 974

JG applique ici une meacutethode qursquoil deacuteveloppera en 982 le raisonnement analogique ne

consiste pas agrave deacutecalquer directement sur la syllabation ce que lrsquoon a observeacute sur la proposi-

tion laquo Crsquoest toujours de la grammaire qursquoil faut partir pour reacuteameacutenager lrsquoanalyse raquo Chaque

type de fait rheacutetorique est le reacuteinvestissement drsquoun type de fait de mecircme ordre du point de

vue des axes et des faces du grammatical Le terme propositionnel est la contrepartie seacuteman-

tique du mot et le chaicircnon syllabique celle du phonegraveme Idem en 971 la syllabe est

laquo reacuteameacutenagement phoneacutetique du signifiant raquo

En somme srsquoil est juste de dire que la syllabe fonctionne comme la proposition crsquoest parce

que la syllabe est au phonegraveme ce que la proposition est au mot La preacuteoccupation est de ne

pas penser grammaire et rheacutetorique comme deux composantes indeacutependantes (mecircme reacutegies

par le principe drsquoanalyse) mais de les penser dialectiquement La rheacutetorique nrsquoest que rupture

de la rupture que la grammaire installe drsquoavec les contraintes naturelles Si je puis me

permettre une analogie avec la structure de la parenteacute (qui sera partheacutenogeacuteneacutetique pour les

besoins de la cause) je dirais que syllabe et proposition ne sont pas seulement des laquo enfants

de mecircme geacuteneacuteration raquo (rheacutetorique) mais drsquoabord des laquo cousines raquo parce qursquoissues de deux

megraveres sœurs (dans la famille grammaire) Le lien megravere-fille est agrave envisager avant la seule

ressemblance due agrave lrsquoacircge (Agrave quoi il faut inteacutegrer le theacuteoregraveme dit laquo des Colchiques raquo eacutenonceacute en

853 laquo la megravere est fille de sa fille raquo car la dialectique nrsquoest pas une succession drsquoeacutetapes) Je

reviendrai plus loin sur ce point important agrave propos du champ et surtout de lrsquoexpansion

123 Reacutecreacute Soit laquo loi sur le transfert des obligations de surveillance de leacutetiquetage de la viande bovine raquo Ladite loi a eacuteteacute abrogeacutee en mai 2013 Mais il reste aux germanophones laquo Die Donaudampfschifffahrtsgesellschaftskapitaenswitwe raquo Quant aux francophones qursquoils se rappellent laquo lrsquohippocampeacuteleacutephantocameacutelos raquo cher au Cyrano (drsquoEdmond Rostand) qui laquo dut avoir sous le front tant de chair sur tant drsquoos raquo et le veacutelo du savant Cosinus laquo lrsquoanemeacutelectroreculcoupeventombrosopedaliparacloucycle raquo

De la deacutesignation 205

c - Thegraveme de lrsquoanalyse et de la recherche de lrsquouniteacute phoneacutetique

Comment analyser le correspondant syllabique de la coupe preacutedicative La deacutefinition de la

laquo coupe syllabique raquo 952 deacutecoule du principe de structure selon lequel la deacutefinition drsquoun

eacuteleacutement structural sa limite prend en compte ce qui lui est exteacuterieur lui fait frontiegravere et

participe de la structure Ce principe me paraicirct autoriser le lecteur agrave prendre dans un sens

geacuteneacuterique applicable aux deux axes de la phoneacutetique lrsquoopposition entre laquo virtuel raquo et laquo actuel raquo

preacuteceacutedemment eacutevoqueacutee lors de lrsquoexposeacute sur la proposition 932 Ma position srsquoappuie sur la

thegravese laquo Tout est absent en grammaire y compris la coexistence des segments raquo 355 formuleacutee

en reacutefutation de lrsquoopposition saussurienne drsquoun axe des laquo rapports in absentia raquo et drsquoun axe

des laquo rapport in praeligsentia raquo En rheacutetorique lrsquoanalyse produit donc de la limite entre du

laquo virtuel raquo et de laquo lrsquoactuel raquo qualitatif ou quantitatif Si lrsquoon accepte cette terminologie il faut

alors parvenir agrave formuler distinctement ce qursquoest du virtuel qualitatif rejeteacute par le choix mais

deacutelimitant le choix et du virtuel quantitatif laquo mis en arriegravere-plan raquo mais deacutelimitant lrsquoactuel

par contraste

JG tente de srsquoappuyer ici sur lrsquoanalogie entre proposition et syllabe Il eacutenonccedilait plus haut

que si lrsquouniteacute seacutemantique est pour lui lrsquoensemble du substantif et du preacutedicat crsquoest dans le

sens ougrave le terme preacutedicatif contraste avec le terme substantif 932 Ce dernier mecircme dit

grammaticalement et porteur de vocable nrsquoest que le virtuel hors assertion qui fait que le

preacutedicat est le propos actuel tenu De mecircme maintenant la laquo coupe syllabique raquo nrsquoest pas

laquo entre syllabes conseacutecutives raquo drsquoun mot Elle est laquo agrave lrsquoakmeacute de lrsquoarsis et de la thesis constitutifs

ensemble de la syllabe raquo 952 JG reprend ici des termes deacutejagrave utiliseacutes p9325 agrave propos de la

coupe preacutedicative et y adjoint lrsquoideacutee de lrsquoacmeacute (du grec ἀκμή) lrsquoideacutee laquo drsquoapogeacutee raquo pour

suggeacuterer la coupe syllabique et qui semble correspondre agrave ce que lrsquoon appelle ailleurs

laquo sommet de syllabe raquo et plus reacutecemment laquo noyau de syllabe raquo

En toute rigueur logique il faut bien distinguer entre les deux notions suivantes Drsquoune part

le deacutecoupage en propositions ou en syllabes et de lrsquoautre la deacutefinition des laquo termes raquo par la

coupe preacutedicative (le laquo substantif raquo et le laquo preacutedicat raquo) ou la deacutefinition des laquo chaicircnons raquo par la

coupe syllabique Il suggegravere que laquo les appeler consonne et voyelle serait agrave la rigueur

eacutetymologiquement satisfaisant raquo (sous reacuteserve de critiques qui vont suivre) 953 Le tableau

reacutecapitulatif (p 126) met en regard de laquo mot raquo le laquo terme de proposition raquo (et non la proposi-

tion) et met en regard de laquo phonegraveme raquo le laquo chaicircnon syllabique raquo (et non la syllabe) Pour

autant JG continue de parler de laquo syllabes conseacutecutives raquo semblant enteacuteriner lrsquoexistence de

lrsquouniteacute syllabique Drsquoun point de vue analytique il nrsquoy a pas lagrave pour moi de contradiction degraves

lors que crsquoest la limite qui creacutee lrsquoeacuteleacutement Parler laquo drsquoassertion raquo (de preacutedicat) suppose la limite

avec un substantif et parler de chaicircnon vocalique suppose la limite avec de la consonne Agrave

cette difficulteacute srsquoen ajoute une autre Si lrsquoon conccediloit facilement ce qursquoest du virtuel en matiegravere

de raisonnement seacutemantique ndash le terme substantif hors assertion ndash il plus difficile de fonder

en observation ce qursquoest une laquo arsis raquo (la leveacutee du pied) en matiegravere de chaicircnon parce que tout

chaicircnon est prononceacute Drsquoautant que le deacuteveloppement qui suit 953 reacutefute le recours aux

observations de la division entre la partie laquo explosive raquo et laquo implosive raquo de la syllabe

laquo Nous ne retiendrons pas raquo le critegravere de la laquo dichotomie de lrsquoexplosif et de lrsquoimplosif pour

caracteacuteriser les deux chaicircnons raquo sorte de laquo climax et anticlimax des apertures raquo 953 La raison

invoqueacutee est elliptique ce serait une explication laquo meacutecaniste raquo Elle est deacuteveloppeacutee plus loin

961 laquo la performance [preacutesente] les caracteacuteristiques de lrsquoinstance qui la fonde et non des

meacutecanismes qui la mettent en œuvre raquo Et aussi en 981 laquo Nous ne croyons pas plus agrave la

206 Une lecture de Jean Gagnepain

tension croissante et deacutecroissante de la seacutequence quagrave la structure logique de la phrase mais agrave

une explication speacutecifiquement glossologique en loccurrence rheacutetorique de lune et de lautre

Il nest pour ce qui preacutesentement nous concerne de science humaine quagrave ce prix raquo

Fondamentalement JG est dans la deacutemarche drsquoune coupure eacutepisteacutemologique il faut conce-

voir une nouvelle phoneacutetique qui soit une science humaine parce que pour lui la rheacutetorique

phoneacutetique est un fait drsquoanalyse alors que la phoneacutetique articulatoire mesure de la variation

dans le continuum sonore et articulatoire (pression dureacutee tonaliteacute)

Noter pour le deacutetail que chez Saussure la dichotomie invoqueacutee est utiliseacutee avant tout pour

repeacuterer le passage drsquoune syllabe agrave une autre laquo Si dans une chaicircne de sons on passe drsquoune

implosion agrave une explosion on obtient un effet particulier qui est lrsquoindice de la frontiegravere de

syllabe raquo Cours p 86 Observons agrave ce propos que pour Saussure il ne srsquoagit pas de laquo faits

physiologiques raquo mais drsquoun critegravere formel pour lrsquoanalyse en coupes et sommets (Cf Jacques

Coursil Le syllabaire saussurien p76-88)

La terminologie de ce passage demande quelques rappels de phoneacutetique articulatoire JG

nrsquoa pas connaissance agrave lrsquoeacutepoque des theacuteories dites non lineacuteaires (ou ne les accepte pas) qui

deacutecomposent la syllabe selon une arborescence binaire Celle-ci deacutecoupe une attaque et une

rime elle-mecircme deacutecomposable en noyau et coda par analogie au fameux algorithme P rarr (SN)

+ (SV) SV rarr (V + SN) Les termes laquo explosif raquo et laquo implosif raquo sont appliqueacutes en phoneacutetique aux

consonnes dans le cadre de la syllabe Une consonne est explosive en deacutebut de syllabe et

implosive en fin de syllabe Ce peut ecirctre la mecircme consonne comme dans laquo rare raquo ou laquo pape raquo

Par conseacutequent dans la suite dissyllabique laquo aspect raquo le [s] est implosif en coda de premiegravere

syllabe et le [p] explosif en attaque de deuxiegraveme syllabe La diffeacuterence est de lrsquoordre de la

tension musculaire et pour le reacutecepteur de lrsquoordre de la distinctiviteacute (Saussure parlait de

laquo saillance pour lrsquooreille raquo Cours p 83) Dans laquo squelette raquo et laquo ptose raquo 953 les deux

consonnes initiales sont explosives Ces exemples illustrent la non-coiumlncidence entre phonegraveme

et chaicircnon syllabique puisqursquoun chaicircnon peut ecirctre construit avec plusieurs phonegravemes ce que

lrsquoon appelle un cluster

(Dans la prononciation des consonnes) laquo ‟beacuterdquo nrsquoest pas au fond le repreacutesentant du

phonegraveme mais lrsquoeacutequivalent de ‟crsquoest brdquo raquo 954 Cet exemple illustre agrave la fois les trois thegravemes

dissocieacutes Il montre que si le but viseacute est drsquoeacutenoncer un phonegraveme la reacutealisation consiste en

lrsquoarticulation phoneacutetique de deux chaicircnons En cela la vocalisation est analogue agrave la copule

qui dans laquo Cette tarte est un reacutegal raquo actualise la coupe qui existe dans laquo Un reacutegal cette

tarte raquo On peut en effet prononcer un b sans le vocaliser comme on peut faire une proposi-

tion nominale mais on peut aussi expliciter la proposition (par le verbe laquo ecirctre raquo) et la syllabe

par la voyelle Attention cependant agrave ne pas prendre lrsquoexemple du texte comme celui de la

verbalisation drsquoune lettre puisque tel est lrsquousage scolaire de cette syllabe Il ne srsquoagit pas de

cela ici Il srsquoagit de lrsquoessai laquo en meacutetalangage raquo de prononcer un phonegraveme donc quantitative-

ment de le syllaber (Cf 911 pour lrsquoaspect qualitatif dit laquo eacutepel raquo)

laquo Le plus geacuteneacuteralement un certain nombre de phonegravemes se d istribuent sur chacun des

chaicircnons le mecircme alors comptant pour deux et la ‟politique politiciennerdquo ayant dans la

geacutemineacutee sa reacuteplique raquo 963 Lrsquoincise laquo le mecircme comptant pour deux raquo peut ecirctre comprise

de deux maniegraveres

Soit comme compleacutetant le deacutebut du propos Le mecircme chaicircnon est construit avec deux

phonegravemes ou plus (Cf aussi 973) Pour le franccedilais et dans lrsquoordre de complexiteacute (2) laquo pas raquo

De la deacutesignation 207

CV (3) laquo part raquo CVC laquo cri raquo CCV ou laquo harpe raquo VCC (4) laquo liste raquo CVCC laquo trappe raquo CCVC (5)

laquo scribe raquo CCCVC laquo tringle raquo CCVCC (6) laquo spectre raquo CCVCCC NB laquo tringle raquo en franccedilais est

monosyllabique tandis que laquo single raquo en anglais [ʹsɪŋ-gl] avec un [l] reacutetroflexe est

dissyllabique

Soit comme introduisant le cas eacutevoqueacute de la laquo geacutemination raquo Un exemple Comment

distingue-t-on laquo Elle a attendu raquo de laquo Elle lrsquoa attendu raquo Dans le premier exemple en

prononciation lente l est prononceacute court et appartient agrave une seule syllabe [ɛlaatɑdy] ou

[ɛlaatɑdy] Dans le second l est prononceacute long et tendu de sorte qursquoil est compris comme

reacuteparti entre la fin de la premiegravere syllabe et le deacutebut de la seconde [ɛllaatɑdy] On a donc

un mecircme (phonegraveme) laquo comptant pour deux raquo (chaicircnons) On peut aussi consideacuterer qursquoil y a

dans cet exemple deux phonegravemes qui sont reacutealiseacutes dans la continuiteacute l l = [l ] ce qui ne

change rien au fait syllabique On remarquera dans le mecircme exemple que la seacutequence des

deux voyelles a a dans laquo a a(ttendu) raquo peut ecirctre prononceacute sans hiatus drsquoun seul tenant et

que cette reacutealisation continue [a ] se reacutepartit en deux chaicircnons syllabiques En franccedilais la

geacutemination est rarement pertinente elle est le plus souvent un fait drsquoaccent drsquoinsistance

laquo Terrible raquo peut ecirctre prononceacute avec une premiegravere syllabe vocalique (dite laquo ouverte raquo CV) soit

[ˈtɛʁibl] le laquo r raquo commenccedilant la seconde syllabe Si lrsquoon veut insister on prononcera un [ʁ ]

long qui se reacutepartira entre la finale consonantique de la premiegravere syllabe (dite alors

laquo fermeacutee raquo CVC) et le deacutebut de la seconde syllabe soit [ˈtɛʁʁibl] ougrave la notation drsquoun double

[ʁ] nrsquoest qursquoun artifice pour noter que ce [ʁ ] a une double fonction syllabique

Gloses de deacutetail

Le texte contient une critique (allusive) de lrsquolaquo abusive extension de lrsquousage fait actuellement

du concept de prosodie raquo en 972 repris ensuite sous le terme de laquo modulation raquo JG refuse

drsquointeacutegrer agrave la phonologie lrsquoeacutetude des variations de la voix en hauteur dureacutee et intensiteacute

variation dite laquo suprasegmentale raquo lorsqursquoelle concerne lrsquoensemble du message prononceacute

Dans cet ensemble JG deacutenie un statut grammatical agrave ce qursquoil appelle laquo la modulation raquo (de la

voix) ou laquo emphase raquo tout en lui reconnaissant une laquo contribution qualitative au vouloir dire

total de lrsquoeacutenonceacute raquo La difficulteacute non deacutetailleacutee ici est de deacutefinir la limite de ce qui a statut

phonologique ou non limite qui varie selon les langues (Voir la phonologie du japonais ou du

sueacutedois sur ce point)

On peut relier agrave ce thegraveme lrsquoeacutevocation de lrsquoinvention de laquo pseudo-uniteacutes toujours plus larges

culminant (hellip) dans le groupe accentuel ou le scheacutema drsquointonation raquo 964 Sont remis en cause

ici les modegraveles qui multiplient laquo les niveaux hieacuterarchiques raquo alors que la glossologie est un

modegravele en axes et projection entre axes On a vu par exemple en grammaire que la syntaxe

nrsquoeacutetait pas une uniteacute supeacuterieure au mot mais un fait de projection drsquoun axe sur lrsquoautre

Analogiquement il faut srsquoattendre agrave retrouver cette complexiteacute dans le reacuteinvestissement

phoneacutetique ce qui implique de renoncer agrave expliquer ces problegravemes en termes de laquo poupeacutees

gigognes raquo

3 ndash Du champ et de lrsquoexpansion

Le dernier paragraphe de la section preacuteceacutedente 982 deacutefinit la thegravese ici exposeacutee et la regravegle

meacutethodologique qui sera suivie

208 Une lecture de Jean Gagnepain

- Le principe laquo Cest toujours (hellip) de la grammaire quil faut partir pour reacuteameacutenager lana-

lyse raquo Pourquoi Lrsquoexistence des faits rheacutetoriques laquo nrsquoest que dialectique raquo 982 Chaque type

de fait seacutemantique eacuteleacutement ou relation entre eacuteleacutements est la contrepartie drsquoun type de fait

grammatical analogue quant aux faces et aux axes

- Lrsquoerreur agrave eacuteviter De maniegravere geacuteneacuterale laquo Les identiteacutes et uniteacutes [rheacutetoriques] ne sauraient

agrave leur tour devenir elles-mecircmes la base dautres opeacuterations raquo Deacuteveloppons En phoneacutetique on

ne peut pas partir de lrsquoeacutepel pour comprendre ce qursquoest une zone phoneacutetique ni de la syllabe

pour comprendre ce qursquoest un environnement Et en matiegravere de seacutemantique qui nous occupe

ici on ne peut pas partir du vocable pour comprendre ce qursquoest un champ ni de la proposition

pour comprendre ce qursquoest une expansion Pourquoi Le texte propose les arguments

suivants qui deacutecoulent tous du principe eacutenonceacute plus haut

Que signifie la formule laquo [Le champ] nrsquoopegravere pas sur des synonymes raquo 982 Probablement

qursquoil ne faut pas consideacuterer qursquoil y a drsquoabord des laquo vocables raquo et qursquoensuite on trouve entre

eux des similariteacutes La deacutelimitation des synonymes est un raisonnement indeacutependant de la

deacutelimitation des champs seacutemantiques La premiegravere analyse nrsquoest pas lrsquoeacutetape preacutealable de la

seconde

Que signifie maintenant la formule laquo [lrsquoexpansion] nrsquoopegravere pas sur des autonymes raquo Qursquoil

nrsquoy a pas drsquoabord des termes (des preacutedicats ) et qursquoensuite on trouve entre eux des

compleacutementariteacutes La deacutelimitation des propositions est une opeacuteration indeacutependante de la

deacutelimitation des relations drsquoexpansion La premiegravere analyse nrsquoest pas lrsquoeacutetape preacutealable de la

seconde

- La bonne meacutethode Elle consiste agrave deacutefinir le champ comme lrsquoantagoniste dialectique du

paradigme comme laquo la cateacutegorisation seacutemantique des segravemes raquo JG dira plus loin que laquo les

segravemes srsquoy disposent en systegravemes raquo sur critegravere seacutemantique 983 Elle consiste de mecircme agrave deacutefinir

lrsquoexpansion comme lrsquoantagoniste dialectique du syntagme comme laquo lordination seacutemantique

des mots raquo 982 Je reviendrai sur ce point agrave propos de lrsquoexpansion

En somme laquo le champ et lrsquoexpansion (hellip) et leurs correspondants phoneacutetiques contestent

directement paradigme et syntagme voire correacutelation et concateacutenation raquo 98213 Lrsquoexposeacute

fera donc le va-et-vient entre grammaire et rheacutetorique

31 Le champ seacutemantique et la zone phoneacutetique

Le paragraphe introductif 983 vise agrave positionner la glossologie par rapport aux diverses

theacuteories qui traitent de ce thegraveme agrave travers des terminologies diverses Agrave la suite de la theacuteorie

des laquo Wortfelde raquo de Jost Trier (1931) apparaissent en allemand des variantes telles

laquo Sinnbezirk lexikalisches Feld Bedeutungsfeld Begriffsfeld semantisches Feld raquo JG parle de

laquo Wortdecke raquo 984 Lrsquoanglais dit aussi laquo field of meaning domain raquo

Lrsquoauteur tient agrave en redeacutefinir strictement la porteacutee laquo cette reacuteorganisation seacutemantique des

segravemes qui recateacutegorise le paradigme raquo 983 Par conseacutequent lrsquoimage du laquo reacuteseau raquo de

concepts est trop large parce qursquoelle fait aussi penser agrave une laquo mutualiteacute raquo crsquoest-agrave-dire agrave une

compleacutementariteacute quantitative entre concepts en relation laquelle ressortirait agrave lrsquoexpansion

Pour la mecircme raison il faut laisser de cocircteacute les faits de laquo restrictions seacutelectives raquo disons

grossiegraverement le fait qursquoapregraves laquo le perron dehellip raquo il soit plus probable de trouver laquo hellip la

maison raquo que laquo hellipla fourchette raquo Ce dernier choix reste certes possible au prix drsquoun

raisonnement tortueux mais qui relegraveve de la compleacutementariteacute conceptuelle donc de

De la deacutesignation 209

lrsquoexpansion Autrement dit laquo les cateacutegories seacutemantiques ne sauraient reacutesulter drsquoun simple

syllexique raquo 983 La notion de laquo syllexique raquo a eacuteteacute deacutefinie en 492 comme laquo lrsquoinventaire des

substituts possibles dun segment syntaxiquement deacutelimiteacute du texte raquo Par exemple tout ce qui

peut ecirctre substitueacute agrave laquo Le camionhellip raquo dans laquo Le camion avance raquo crsquoest-agrave-dire laquo Ma montrehellip

le travailhellip Paulhellip Celui qui est precirct etc raquo

Le champ lui concerne laquo exclusivement raquo un rapport de laquo similariteacute raquo seacutemantique 983

autrement dit laquo lrsquoidentiteacute partielle du concept raquo JG calque sa terminologie sur celle de la

grammaire parce qursquoil srsquoagit de proprieacuteteacutes geacuteneacuterales de toute analyse

Il anticipe en 98310 sur une distinction dans le champ seacutemantique analogue agrave la distinc-

tion de la flexion et de la deacuterivation dans le paradigme Enfin tout en preacutecisant que ces

relations par laquo inclusion raquo peuvent varier en fonction des paramegravetres de la situation il avertit

que les exemples proposeacutes concerneront laquo par faciliteacute raquo le paramegravetre de laquo lrsquoobjet raquo 983

De la tradition aristoteacutelicienne agrave la glossologie

JG reconnaicirct lrsquoheacuteritage aristoteacutelicien preacutecisant au passage que la laquo science raquo de ce dernier

laquo nrsquoest rien drsquoautre qursquoune extrapolation du langage raquo 984 Eacutemile Benveniste le disait deacutejagrave agrave

propos des Cateacutegories laquo Cest ce quon peut dire qui deacutelimite et organise ce quon peut

penser La langue fournit la configuration fondamentale des proprieacuteteacutes reconnues par lesprit

aux choses raquo 1966 Problegravemes de linguistique geacuteneacuterale 1 p 63-74 Voir plus loin la notion de

laquo rheacutetorique scientifique raquo

Rappel est fait de la theacuteorie du geacuteneacuterique et du speacutecifique Il srsquoagit de laquo la subsomption des

espegraveces et des genres (hellip) raquo 991 (La subsomption consiste agrave faire entrer un individu dans une

espegravece ou une espegravece dans un genre)

La fin de la phrase est importante (La science aristoteacutelicienne eacutetait fondeacutee sur la

subsomption des espegraveces) laquo (hellip) et sur la double exclusion de son sein de ce qui neacutetait plus

nommable par excegraves de particularisme ou philosophiquement de geacuteneacuteraliteacute raquo 991 Les

exemples proposeacutes ndash laquo Meacutedor raquo et laquo lrsquoecirctre raquo ndash preacutesentent un paradoxe agrave strictement parler il

est contradictoire de nommer ce qui nrsquoest pas nommable Par conseacutequent laquo Meacutedor raquo (nom

propre) et laquo ecirctre raquo repreacutesentent une limite du nommable Laquelle

Tout en haut de lrsquoeacutechelle laquo Ecirctre raquo est un pur preacutedicat drsquoexistence dans la dimension de la

quantiteacute et dans lrsquoordre de la nomenclature il repreacutesente le cas limite du principe de

geacuteneacutericiteacute Le locuteur nrsquoa drsquoalternative qursquoentre une tautologie laquo lrsquoecirctre est lrsquoecirctre raquo et la

recherche drsquoun sous-ensemble de cet ensemble laquo Lrsquoanimal est un ecirctre raquo

Tout en bas de lrsquoeacutechelle JG donne en exemple non pas une espegravece mais un particulier un

laquo individu logique raquo laquo Meacutedor raquo et lrsquoon aura affaire plus loin agrave laquo Madrid raquo laquo Napoleacuteon raquo et

laquo Bokassa raquo Lagrave encore le locuteur nrsquoa drsquoalternative qursquoentre la tautologie laquo Meacutedor est

Meacutedor raquo et lrsquoappartenance de cet individu agrave lrsquoespegravece la plus speacutecifique laquo Meacutedor est un

caniche raquo (On peut compleacuteter ce point de vue par la lecture de 1113 infra)

Remarque Probablement pour simplifier sa preacutesentation du concept de champ JG

oppose au laquo geacuteneacuteral raquo le laquo particulier raquo et non le speacutecifique 991 Il identifie ainsi concept

particulier et concept speacutecifique contrairement agrave la theacuteorie des ensembles aux

taxonomies (en biologie) et aux seacutemantiques de la deacutetermination Voici un bref rappel de

cette distinction

210 Une lecture de Jean Gagnepain

La theacuteorie des ensembles mecircme dans sa version scolaire la plus simplifieacutee distingue

lrsquoappartenance drsquoun eacuteleacutement agrave un ensemble ndash (x isin A) lrsquoeacuteleacutement x appartient agrave lrsquoensemble A et

lrsquoinclusion drsquoun sous-ensemble dans un ensemble ndash (A sube B) Par ailleurs le texte en proposant

laquo Meacutedor chien mammifegravere animal ecirctre raquo eacutevoque la taxonomie biologiste (ou taxinomie lrsquoun

et lrsquoautre ou lrsquoun ou lrsquoautre se dit ou se disent) Celle-ci distingue fondamentalement lrsquoindividu

Meacutedor et lrsquoespegravece chien agrave laquelle il appartient espegravece elle-mecircme dans un rapport drsquoinclusion

(et non drsquoappartenance) respectivement agrave un genre une famille un ordre une classe un

embranchement un regravegne un domainehellip du monde vivant

Ceci rappeleacute le fait est que le langage permet aussi bien de dire un concept particulier (un

individu) qursquoun concept speacutecifique aussi bien laquo Meacutedor raquo que laquo caniche raquo En outre la

deacutetermination nominale contribue agrave concevoir lrsquoun ou lrsquoautre y compris agrave partir du mecircme

deacuteterminant Selon le contexte et la situation dans laquo [regarde] le moineau raquo on deacutesigne un

individu et dans laquo Le moineau [a des vertegravebres] raquo on deacutesigne une classe speacutecifique Enfin

comme le montrent les eacutequivalences synonymiques proposeacutees on peut produire un sens

particulier par synonymie aussi bien avec un nom propre qursquoavec un deacuteterminant deacutemonstra-

tif laquo Dieu raquo et laquo celui quihellip raquo 992 et qui plus est aussi bien avec un nom propre qursquoavec un

deacuteterminant deacutefini laquo Madrid raquo et laquo La capitalehellip raquo 1002 (Pour J G la laquo peacuteriphrase raquo est

synonymique 873)

Par conseacutequent JG entend traiter laquo drsquoinclusion raquo mais ce concept est pour lui geacuteneacuterique

et inclut celui drsquoappartenance

Lrsquoeacutechelle de geacuteneacutericiteacute

Le paragraphe 992 propose une terminologie de lrsquoeacutechelle de geacuteneacutericiteacute Il appelle

laquo pantonyme raquo ce que la plupart des seacutemantiques appellent laquo hyperonyme raquo laquo idionyme raquo ce

qui est appeleacute ailleurs laquo hyponyme raquo et laquo isonymes raquo les concepts de mecircme compreacutehension

Puisque le champ fonctionne sur le mecircme mode de laquo lrsquoinclusion raquo que le paradigme une

analogie est proposeacutee en 993 entre la diffeacuterence laquo lexegraveme ndash morphegraveme raquo (cf 512-3) et la

diffeacuterence laquo pantonyme ndash idionyme raquo En grammaire lorsque jrsquoeacutevoque le verbe laquo finir raquo je

deacutesigne par ce laquo lexegraveme raquo lrsquoensemble des cas qursquoil inclut ses laquo morphegravemes raquo parmi lesquels

lrsquoinfinitif En seacutemantique lorsque jrsquoeacutevoque le concept drsquooiseau jrsquoinclus le rossignol et le cormo-

ran ses idionymes (et isonymes entre eux)

laquo Lrsquoerreur agrave ne pas commettrehellip raquo 993-1001 serait de confondre grammaire et rheacutetorique

champ (relation entre concepts) et polyseacutemie (relation entre segraveme grammatical et concepts)

laquo hellipsans en poser le fondement raquo La grammaire est au fondement de la rheacutetorique qui en est

laquo lrsquoinversion raquo La hieacuterarchie des laquo ecirctres raquo est fondeacutee non positivement sur lrsquoexpeacuterience mais

sur la dialectique du signe sur ses proprieacuteteacutes analytiques dont lrsquoaptitude agrave laquo lrsquoinclusion raquo La

critique est reprise plus loin 1004 laquo les pantonymes [sont] trop vite pris pour des universaux raquo

Simplifions la notion laquo drsquoaliment raquo serait un pantonyme parce que la neacutecessiteacute de se nourrir

est de fait un universel biologique Pour JG le pantonyme est un fait seacutemantique qui reacutesulte

drsquoun raisonnement relatif selon un processus de laquo similariteacute raquo qui est lrsquoanalogue inverseacute du

paradigme dont il laquo procegravede raquo

La meacutetaphore

laquo Des bouleversements internes raquo 1002 existent dans les champs laquo Lrsquoorganisation des

concepts [est] toujours mouvante raquo Cela permet de donner une nouvelle deacutefinition agrave la

De la deacutesignation 211

laquo figure raquo Cette derniegravere nrsquoest plus un eacutecart par rapport agrave un repegravere constant mais le reacutesultat

drsquoune comparaison entre raisonnements conjoncturels et relatifs

laquo Lrsquoorganisation toujours mouvante des concepts raquo est illustreacutee ainsi laquo Sil est vrai que

Madrid de lautre cocircteacute des Pyreacuteneacutees peut devenir du nocirctre la capitale de lEspagne il ne lest

pas moins que lidionyme de lun peut ecirctre le pantonyme de lautre et reacuteciproquement raquo 1002

Je rappelle que JG considegravere les noms propres de lieux comme des idionymes par rapport agrave

des noms geacuteneacuteriques tels que laquo capitale raquo ou laquo ville raquo puisque tout particulier est consideacutereacute

comme un speacutecifique Je propose donc la lecture suivante Lrsquoappellation laquo capitale raquo nrsquoest pas

un pantonyme en soi Son statut dans lrsquoordre de la laquo similariteacute raquo deacutepend drsquoun raisonnement

Un Espagnol peut dire laquo La capitale raquo en deacutesignant Madrid Crsquoest pour lui un idionyme En

revanche un franccedilais qui voudrait deacutesigner cette mecircme ville de Madrid consideacutererait laquo la

capitale raquo comme un pantonyme neacutecessitant un compleacutement speacutecificateur laquo de lrsquoEspagne raquo

Le mecircme raisonnement est repris et compleacuteteacute par son inverse 1003 Lrsquoauteur met en

contraste laquo lrsquoemploi du pantonyme pour lrsquoidionyme raquo et son contraire laquo la pantonymisation de

lrsquoidionyme raquo Ce second mode de raisonnement deacutefinit la laquo meacutetaphore raquo 1003

- La premiegravere formule ndash laquo lrsquoemploi du pantonyme pour lrsquoidionyme raquo ndash eacutequivaut agrave

laquo Lrsquoidionymisation du pantonyme raquo Soit lrsquoexemple de laquo La capitale raquo dit par un franccedilais

deacutesignant Paris puisque pour lui la capitale ne peut ecirctre que Paris Ou ces autres exemples

laquo Pose les fruits sur la table raquo dans une situation ougrave il nrsquoy a que des pommes laquo La pauvre

becircte raquo dit devant le chat et laquo Pousse le meuble raquo dit devant un gueacuteridon (Ces exemples

integravegrent dans le raisonnement le rocircle du deacuteterminant deacutefini) La remarque laquo Parler de fruit

quand on le mange ne neacuteantise pas le fait que le fruit soit une pomme raquo 1003 preacutecise que lrsquoon

ne cesse pas drsquoecirctre congruent lorsque lrsquoon tient un tel raisonnement JG considegravere cela

comme une laquo figure raquo banale et non reacutepertorieacutee Contrairement agrave son inversion

- La seconde formule ndash laquo la pantonymisation de lrsquoidionyme raquo ndash ou laquo emploi de lrsquoidionyme

pour concevoir le pantonyme raquo crsquoest la meacutetaphore laquo Dire Napoleacuteon pour deacutesigner lex-

empereur de Centrafrique ne neacuteantise pas Bokassa raquo 1003 Que comprendre Partons de la

phrase laquo Napoleacuteon deacutechu raquo en titre drsquoun article de journal franccedilais du 22 septembre 1979

commentant la chute du dictateur de Centre Afrique survenue la veille On a compris que

dans ce contexte le vocable laquo Napoleacuteon raquo est synonyme d laquo Empereur meacutegalomaniaque

archeacutetype drsquoEmpereur raquo En cela crsquoest un pantonyme par rapport agrave la multitude des situations

concerneacutees Mais il y a cependant laquo bouleversement interne raquo 1002 parce que lrsquoon a produit

un concept laquo Napoleacuteon raquo qui serait idionymique pour un franccedilais qui parlerait de Bonaparte

On nrsquoen reste pas moins adeacutequat et cela nrsquoempecircche pas le journaliste drsquoappeler plus loin

Bokassa par son nom (On trouvera une autre formulation de ce raisonnement dans Reneacute

Jongen 1993 Quand dire crsquoest dire p 142) Le processus teacutemoigne de laquo lorganisation toujours

mouvante des concepts raquo 1002

Lrsquoexemple classique de la laquo faucille drsquoor dans le champ des eacutetoiles raquo peut-il ecirctre inteacutegreacute agrave

une telle deacutefinition Essayons le raisonnement suivant Dans un raisonnement purement

idionymique laquo une faucille drsquoor raquo crsquoest une faucille en or un outil particulier et le croissant de

lune est un quartier de lune dans le domaine seacutemantique de lrsquoastronomie populaire De

mecircme un laquo champ raquo est cultiveacute etc Le locuteur le sait bien Deacutesignant la lune la formule

meacutetaphorique laquo faucille drsquoor raquo reste cependant adeacutequate en tant qursquoelle conccediloit une

caracteacuteristique geacuteneacuterique laquo une forme et une brillance raquo observable dans des situations

diverses Deacutesignant le ciel le choix alternatif de laquo champ raquo reste congruent en tant que

212 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo surface raquo du point de vue du locuteur qui raisonne ainsi En drsquoautres termes tout ce qui est

laquo courbe et brillant raquo est dit une laquo faucille drsquoor raquo et tout ce qui est laquo surface raquo est dit un

laquo champ raquo Le plus speacutecifique vient concevoir le plus geacuteneacuterique

Une telle deacutefinition de la meacutetaphore la situe dans lrsquoordre de la seacutelection conceptuelle

puisqursquoelle consiste en une substitution drsquoun segraveme agrave un autre qui entraicircne une sorte

drsquoinversion de la laquo hieacuterarchie raquo des genres et espegraveces JG se situe en cela du cocircteacute de la

meacutetaphore laquo seacutelection raquo conceptuelle plutocirct que du cocircteacute de laquo lrsquoanalogie seacutemantique raquo ou de la

laquo comparaison elliptique raquo plus traditionnelle dans le deacutebat sur cette notion Rappelons ce

qui justifie cette diffeacuterence

Une analogie explicite la similariteacute entre deux concepts Une telle relation est reacuteciproque

si A ressemble agrave B alors B ressemble agrave A Il srsquoensuit qursquoune analogie peut ecirctre parcourue dans

les deux sens si laquo La branchie est le poumon du poisson raquo alors il faut admettre que laquo Le

poumon est la branchie du chien raquo Le premier eacutenonceacute est le plus courant en raison drsquoun

anthropomorphisme qui nous rend familier le poumon Le second eacutenonceacute cesse drsquoecirctre

incongru dans la bouche de Bob lrsquoEacuteponge enseignant la biologie agrave des poissons Les deux

concepts laquo poumon branchie raquo expliciteacutes lexicalement conservent leur position

drsquohyponymes (idionymes) dans le champ par rapport agrave leur hypernonyme (pantonyme)

laquo organe de la respiration raquo On peut faire le va-et-vient entre les deux en proceacutedant par

deacuteplacement

Le raisonnement meacutetaphorique est diffeacuterent sur ce point Il procegravede par remplacement du

concept laquo cible raquo (le croissant la voute ceacuteleste) par le concept laquo source raquo (la faucille le

champ) ce qui suppose bien entendu la substitution lexicale qui supporte grammaticalement

ces concepts Le raisonnement est dissymeacutetrique il nrsquoest pas reacuteciproque laquo Le champ des

eacutetoiles raquo nrsquoimplique pas que lrsquoon conccediloive en mecircme temps qursquoen retour les bleacutes que lrsquoon

observe se deacuteploient sur laquo une voucircte ceacuteleste raquo laquo La faucille drsquoor raquo dans le ciel nrsquoimplique pas

que lrsquoon conccediloive reacuteciproquement que le moissonneur utilise laquo un quartier de lune raquo Cela

nrsquointerdit pas de faire une autre meacutetaphore inversant source et cible et de dire laquo Le croissant

du moissonneur a coucheacute les bleacutes raquo ou laquo le ciel ougrave scintillent les eacutepis raquo au risque tout de

mecircme de lrsquoincongruiteacute mais crsquoest au locuteur de lrsquoappreacutecier

En reacutesumeacute le laquo bouleversement interne raquo suggeacutereacute en 1002 est de lrsquoordre de la substitution

dans le cas de la meacutetaphore et non de lrsquoordre du deacuteplacement comme lrsquoest lrsquoanalogie

Deux parties de porteacutee geacuteneacuterale concluent le propos en 1004 Lrsquoune conclut le thegraveme

de la varieacuteteacute des relations de laquo similariteacute conceptuelle raquo en reacuteaction contre la tendance agrave

figer ces relations dans ce que proposent les encyclopeacutedies Cette tendance est due agrave la

confusion faite entre signe et langue entre sens et doxa Lrsquoautre partie du paragraphe

redit que le champ et le paradigme sont analogues en tant que producteur de

laquo similariteacutes raquo mais qursquoil ne faut pas pour autant confondre la forme grammaticale et le

reacuteameacutenagement seacutemantique Drsquoougrave la critique du terme de laquo lexicologie raquo Un champ nrsquoest

pas un parcours de relations laquo lexicales raquo entre segravemes lesquels sont des formes

grammaticales mais laquo la cateacutegorisation seacutemantique des segravemes raquo 98212

La zone phoneacutetique

Essai de deacutefinition de laquo lrsquoeacutequivalent phoneacutetique du champ raquo 1012

De la deacutesignation 213

Les laquo universaux phonologiques raquo 1013 des laquo binaristes raquo font allusion agrave Roman Jakobson

puis agrave la phonologie geacuteneacuterative qui postulent lrsquoexistence drsquoun stock universel de caracteacuteris-

tiques psychoacoustiques ou articulatoires dans lequel chaque langue puiserait en les

retenant ou en les refusant Roman Jakobson et Morris Halle en 1956 dans Fundamentals of

language proposaient la grille suivante reprise en 1963 dans les Essais de linguistique geacuteneacute-

rale laquo vocalique non-vocalique consonantiquenon-consonantique compact diffus tendu

lacircche voiseacute non-voiseacute nasal oral discontinu continu strident mat bloqueacute non-

bloqueacute grave aigu beacutemoliseacute non-beacutemoliseacute dieacuteseacute non-dieacuteseacute) 1963 p 128-130 JG en

mentionne une variante et retient qursquoagrave condition de ne pas en faire des caracteacuteristiques

physiologiques on peut y voir laquo lrsquoesquisse raquo drsquoun tableau de caracteacuteristiques laquo geacuteneacuteriques raquo

(analogues aux pantonymes) dont les prononciations correspondraient aux laquo idionymes raquo On

y repeacutererait laquo le jeu dun processus tregraves exactement phoneacutetique dinclusion systeacutematique des

traits en tous points comparable agrave la preacuteceacutedente inclusion seacutemantique raquo 1013 Cependant il

refuse de voir dans la hieacuterarchie que Roman Jakobson introduit entre ces paramegravetres selon

des laquo lois drsquoimplication raquo (1963 p 139) un modegravele drsquoingression crsquoest-agrave-dire drsquoeacutemergence au

langage chez lrsquoenfant un modegravele tel que laquo lrsquoenfant distingue entre dentale et labiale avant de

distinguer palatale et veacutelaire raquo (1963 p 140) ou encore un modegravele de reacutegression crsquoest-agrave-dire

de deacutesinteacutegration dans les aphasies La clinique des aphasies deacuteveloppeacutee par JG et Olivier

Sabouraud deacutement cette derniegravere hypothegravese

Passant de lrsquoapproche articulatoire agrave lrsquoapproche acoustique il suggegravere que de tels

paramegravetres geacuteneacuteriques seraient des laquo zones raquo laquo ougrave se reacutesoudrait la contradiction des

correacutelations [phonologiques] et des formants [acoustiques] raquo 1014 En tout eacutetat de cause il srsquoagirait drsquoun laquo deacutepassement raquo de cette contradiction Le terme laquo formant raquo a-t-il ici sa deacutefini-

tion stricte de laquo saillance raquo (renforcement en amplitude) drsquoharmoniques provoqueacutee par les

reacutesonateurs (pharynx et bouche) et variables dans les voyelles en fonction des consonnes de

lrsquoenvironnement Ou bien a-t-il un sens plus large de laquo caracteacuteristique acoustique raquo

Lrsquoallusion agrave lrsquoaphasie de Broca peut ecirctre deacuteveloppeacutee de la maniegravere suivante 1014 Le

caractegravere laquo systeacutematique des erreurs raquo est connu notamment lrsquoassourdissement des sonores

laquo Ces patients privileacutegient des syllabes ou des types de chaicircnes sonores raquo eacutecrivait en reacutesumeacute

Olivier Sabouraud (1995 Le langage et ses maux p272) Hubert Guyard (1987 Le concept

drsquoexplication en aphasiologie tome 2 laquo les figures phoneacutetiques raquo p588-646) deacuteveloppe

lrsquoexplication en opposant les strateacutegies phoneacutetiques des Broca agrave celles des Wernicke Ses

observations montrent chez le Broca un laquo figement raquo de la zone articulatoire qui oblige le

malade soit agrave persister dans une mecircme reacutealisation soit agrave changer complegravetement de zone

Lorsque tel malade (ibidem p592) parvient agrave introduire le s initial de laquo spectacle raquo il ne peut

produire que [spɛst stask] laquo Cette strateacutegie ‟ deacutecoupe rdquo la seacutequence en ‟ aires dinfluence rdquo

dun ou de plusieurs traits Ces aires souvent figeacutees peuvent devenir relativement

reacuteameacutenageables mais de proche en proche par dissimilation de ce qui a eacuteteacute assimileacute

auparavant ou inversement raquo (p 593) Lrsquoaphasique de Wernicke phonologique (appeleacute

laquo aphasique de conduction raquo par les neurologues) propose une strateacutegie inverse Au lieu de la

rigiditeacute on observe chez lui une recherche aleacuteatoire des traits au sein drsquoune zone Lrsquoimage du

REVEIL est deacutefinie comme laquo un rezœrhellip un revwarhelliprevarhellip revwarhellipvɛrhellip un revɛrhellip un revirhellip un

revɛrhellip rovirhellip revœrhellip revwarhellip rɛzhellip raquo laquo La zone constitue une totaliteacute mouvante un espace

de confusions agrave geacuteomeacutetrie variable raquo raquo (ibidem p 619-620) Autrement dit un certain

controcircle phoneacutetique de la zone lui sert agrave compenser la perte de maicirctrise des traits

phonologiques

214 Une lecture de Jean Gagnepain

32 Lrsquoexpansion seacutemantique et lrsquoenvironnement phoneacutetique

Lrsquoexpansion seacutemantique

La syntaxe fonde lrsquoexpansion en ce que la seconde reproduit dans lrsquoordre de la

conceptualisation ce qui se passait dans lrsquoordre grammatical de la forme agrave savoir des relations

dites laquo drsquointeacutegration raquo 1015 ou de laquo compleacutementariteacute raquo 1016 Rappelons-en le principe De

lrsquoidentiteacute se projette sur de la multipliciteacute et creacutee entre les multiples eacuteleacutements concerneacutes une

solidariteacute qui les rend mutuellement compleacutementaires Une preacutevisibiliteacute de lrsquoun agrave lrsquoautre des

eacuteleacutements srsquoinstalle Dans lrsquoordre de la grammaire cette compleacutementariteacute est formelle laquo Une

petite eacuteglise raquo preacutesente un accord en nombre et genre

Dans lrsquoordre de la seacutemantique la compleacutementariteacute est conceptuelle et deacutepend de la situa-

tion laquo Lrsquoeacuteglise et sa crypte le chai et sa cave raquo (plutocirct que laquo Lrsquoeacuteglise et sa cave raquo etc) La

relation est mutuelle comme le prouve le test suivant Deux raisonnements compleacutementaires

sont possibles agrave partir de la construction laquo Il a peint un plafond raquo Lrsquoun est plus eacutevident que

lrsquoautre (enduire de peinture un support) mais lrsquoautre apparaicirctra si je complegravete par laquo Il a peint

un plafond sur la porte raquo (dessiner lrsquoimage de quelque chose) On observera que le sens de

laquo peindre raquo a changeacute en raison de sa relation aux deux autres concepts Il ne srsquoagit donc pas

drsquoune addition drsquoinformations mais drsquoune inteacutegration relative drsquoeacuteleacutements les uns dans les

autres

JG insiste pour ne pas confondre les deux ordres drsquoanalyse Ainsi laquo la coheacutesion seacutemantique

ne peut ecirctre tenue pour un syntagme raquo 1016 et lrsquoon ne doit pas laquo imputer agrave la grammaire des

relations qui ne se justifient que par le sens raquo 1021 Enfin cette formule conclusive

laquo Lrsquoexpansion creacutee ses propres rapports ougrave la forme nrsquointervient pas raquo 1023

Agrave ce moment de la deacutefinition de lrsquoexpansion il me paraicirct neacutecessaire de revenir sur un point

plus geacuteneacuteral exposeacute anteacuterieurement Rappelons que lrsquoexpansion est laquo lordination seacutemantique

des mots raquo et qursquoelle laquo nrsquoopegravere pas sur des autonymes raquo 982 sachant que lrsquoautonymie deacutefinit

le terme propositionnel Ceci explique que lrsquoexposeacute qui suit propose des exemples drsquoexpansion

aussi bien agrave lrsquointeacuterieur drsquoun terme entre eacuteleacutements laquo eacutepitheacutetiques raquo agrave cet eacutegard comme dans

lrsquoexemple laquo donner des ailes aux oiseaux raquo 1033 qursquoentre eacuteleacutements qui sont des preacutedicats

distincts comme dans lrsquoexemple laquo Il est parti je sors raquo 1024 Le thegraveme de la laquo coreacutefeacuterence raquo

1031 eacutevoquant la relation distante entre laquo Fabricehellip Notre heacuteroshellip Notre amihellip raquo dans un

roman le montre aussi Bref le repeacuterage des relations drsquoexpansion est en cela indeacutependant du

deacutecoupage en termes propositionnels Venons-en agrave lrsquoeacuteventail des aspects de lrsquoexpansion

Le premier des exemples proposeacutes laquo des fleurs sur la table agrave minuit raquo 1021 est agrave analyser

de deux maniegraveres distinctes Grammaticalement on observe une laquo asyndegravese raquo (absence de

liaison) Des mots sont juxtaposeacutes Seacutemantiquement on observe des infeacuterences de lieu et de

temps

JG greffe sur cet exemple un propos grammatical incident Lrsquoasyndegravese serait agrave la syntaxe

ce que lrsquoadverbe est agrave la morphologie Deacuteveloppons cette analogie Lrsquoadverbe du fait de son

invariabiliteacute donc de lrsquoannulation drsquoinformations morpheacutematiques 614 teacutemoigne drsquoun

laquo eacutevidement raquo dans lrsquoordre du paradigme donc drsquoune restriction des possibiliteacutes de cette

similariteacute dont teacutemoigne pleinement la flexion deacuteployeacutee dans le verbe ou le nom De mecircme

une seacutequence de mots nominaux preacutepositionnels telle que laquo dans un pot sur la table sur le

cocircteacute agrave la lumiegravere raquo preacutesente un laquo effacement raquo des possibiliteacutes de solidariteacute syntaxique entre

De la deacutesignation 215

ces eacuteleacutements dont teacutemoigneraient drsquoautres constructions syntaxiques On parle alors parfois

de laquo parataxe raquo Cet effet de juxtaposition nrsquoempecircche pas la laquo coheacutesion seacutemantique raquo de

lrsquoensemble

Les exemples qui suivent 1021 constituent des ambiguiumlteacutes seacutemantiques Lagrave encore il faut

bien distinguer entre les deux types drsquoanalyse Je vois pour ma part dans certains de ces

exemples des cas drsquohomophonie syntaxique car il est possible de distinguer deux construc-

tions dans laquo je peins les yeux noirs raquo et laquo je vois le carreacute blanc raquo selon que lrsquoon peut (a) ou non

(b) simplifier la structure en laquo Je les peins noirs raquo et laquo je le vois blanc raquo Le fait drsquoarticuler agrave une

relation attributive (a) une relation objectale creacutee ici un ensemble qui par homophonie peut

aussi ecirctre reacuteanalyseacute grammaticalement (b) comme une relation eacutepitheacutetique avec pour conseacute-

quence une ambivalence seacutemantique Certes homophonie et improprieacuteteacute (drsquoune forme

deacutefinie) nrsquoont pas la mecircme deacutefinition grammaticale cependant elles laissent pareillement au

locuteur le travail seacutemantique de laquo rendre agrave Ceacutesar ce qui est agrave Ceacutesar raquo 1022 en fonction de

laquo lrsquoexpeacuterience raquo et de la laquo vraisemblance qui vient agrave sa rescousse raquo

Une nouvelle seacuterie drsquoexemples 1024 eacutelargit le propos en sortant du cadre formel drsquoune

seule relation syntaxique dans le but de mieux montrer la non-coiumlncidence de lrsquoexpansion et

de la syntaxe

La formule laquo Subordonneacutee agrave valeur coordonnante raquo 1024 releveacutee dans la tradition

teacutemoigne ainsi drsquoune confusion entre structure syntaxique et expansion La phrase laquo Agrave peine

eacutetions-nous arriveacutes et il nous fallut repartir raquo ou laquo hellipqursquoil nous falluthellip est un exemple de

subordination syntaxique mecircme si lrsquoon narre ainsi une suite de deux eacuteveacutenements124

Pour le concept drsquo laquo Homotaxie raquo 1031 se reacutefeacuterer agrave 643

JG oppose laquo lrsquoanaphore raquo grammaticale et la laquo coreacutefeacuterence raquo seacutemantique qui ne repose

que sur le rapport agrave la situation 1031 Cf 563 Il faut bien connaicirctre et Pierre et son chien

pour comprendre laquo Pierre deacuteteste son chien il lrsquoa mordu raquo Qui a mordu qui Lrsquoexemple

drsquoune reprise drsquoun nom de personnage en laquo Notre heacuteroshellipnotre amihellip raquo 1031 montre que

lrsquoexpansion est indeacutependante non seulement de la structure syntaxique mais encore du

deacutecoupage seacutemantique en propositions

En quoi consiste cette laquo circulariteacute raquo de lrsquoexplication traditionnelle que JG repegravere agrave propos

de lrsquoopposition laquo expansion ndash syntaxe raquo apregraves lrsquoavoir releveacutee dans lrsquoopposition laquo champ ndash

paradigme raquo 1032 Elle consiste agrave laquo prendre raquo des faits seacutemantiques laquo pour base raquo dans le but

drsquoexpliquer la grammaire alors que crsquoest laquo au deacutemarquage de la seule grammaire que la rheacuteto-

rique elle-mecircme doit de les avoir constitueacutes [ces faits seacutemantiques] raquo Si lrsquoon confond forme et

sens on explique alors la forme par le sens qui elle-mecircme srsquoexplique par la forme JG

envisage ici ce qursquoon appelle geacuteneacuteralement les laquo relations actantielles raquo qui avec les relations

laquo meacuteronymiques raquo constituent lrsquoensemble des relations drsquoexpansion

JG nrsquoentre pas ici dans ce deacutetail typologique et utilise lrsquoune ou lrsquoautre de ces deux cateacutego-

ries selon ce qursquoil veut deacutemontrer Les relations drsquoexpansion laquo meacuteronymiques raquo (dites aussi

laquo partitives raquo125) concernent les parties drsquoun tout Elles sont hieacuterarchiques On trouve ce mode

124 Ces syntagmes sont eacutetudieacutes en deacutetail par Suzanne Allaire 1977 Le modegravele syntaxique des systegravemes correacutelatifs p 36-44 et 471-496 Sa conclusion est la mecircme laquo Partir de lrsquoordre conceptuel pour formuler les regraveglesgrammaticales comme le veut la proceacutedure transformationnelle crsquoest fonder le principe de la grammaire sur la capaciteacute logique qursquoelle nous donne et nier le principe mecircme de lrsquoexplication du donneacute qui ne peut ecirctre que dans lrsquoimmanence de la forme raquo (p 471 note 1)

125 Ou encore laquo meacuterologiques raquo ou encore laquo meacuteronomiques raquo Du grec μέρος (meacuteros) laquo partie raquo

216 Une lecture de Jean Gagnepain

de raisonnement appliqueacute agrave tout ce qursquoon juge opportun de deacutecomposer et de recomposer

seacutemantiquement Citons en exemple les relations laquo organiques raquo les organes du corps les

piegraveces drsquoun meacutecanisme les parties drsquoune institution Les relations laquo seacutequentielles raquo les eacutetapes

drsquoun processus les eacutepisodes drsquoun eacuteveacutenement Les relations laquo topologiques raquo la structuration

drsquoun espace etc JG eacutevoque les relations laquo spatio-temporelles raquo Le test de la preacutedication en

laquo ecirctre raquo permet de distinguer une relation de geacuteneacutericiteacute dans un champ drsquoune relation

drsquoexpansion meacuteronymique Ainsi la relation laquo index doigt raquo est de lrsquoordre du champ dans un

raisonnement ougrave laquo lrsquoindex est un doigt raquo En revanche la relation laquo index main raquo est de

lrsquoordre de lrsquoexpansion dans un raisonnement qui conccediloit laquo lrsquoindex de la main raquo

Les relations actantielles laquo drsquoagent et de patient raquo laquo de sujet ou drsquoobjet raquo 1032 ou encore

de cause ou drsquoeffet se deacutefinissent comme des expansions Il faut les distinguer des relations

syntaxiques deacutefinies par des contraintes formelles

Les rangs drsquointeacutegration seacutemantique

Poursuivant lrsquoanalogie entre syntaxe et champ JG preacutecise en 1033 que de mecircme que la

relation syntaxique est une relation mutuelle et non pas une relation de deacutependance entre un

principal et un compleacutement de mecircme la relation drsquoexpansion est-elle une relation de

laquo compreacutehension raquo seacutemantique Suit une seacuterie drsquoexemples de relations meacuteronymiques et une

proposition terminologique agrave la relation laquo thegraveme parenthegravemes raquo du schegraveme syntaxique

correspond la relation entre laquo inteacutegrant raquo ou laquo holonyme raquo et laquo inteacutegreacute raquo ou laquo hyponyme raquo

(plus communeacutement appeleacute laquo meacuteronyme raquo) 1042 Soit par exemple laquo fleuve source raquo

puisque la source est partie inteacutegrante du fleuve Les laquo prosonymes raquo de lrsquoexpansion viennent

correspondre aux laquo isonymes raquo dans le champ (supra 992) par exemple laquo source meacuteandres

embouchure raquo en tant que parties constituantes drsquoun fleuve Bref les meacuteronymes drsquoun

holonyme sont prosonymes entre eux

Suivant une deacutefinition tregraves claire de lrsquoexpansion en 1034 une critique formuleacutee est

adresseacutee par lrsquoauteur agrave laquo lrsquoanalyse componentielle raquo Cette formulation renvoie drsquoordinaire agrave la

seacutemantique proposeacutee par Bernard Pottier (1974) ou aux deacuteveloppements proposeacutes par

Franccedilois Rastier (1974) Or leurs analyses en laquo seacutemegravemes et segravemes raquo dont le principe remonte

agrave Louis Hjelmslev envisagent lrsquoensemble de la seacutemantique et non restrictivement les relations

drsquoexpansion (traiteacutees sous le thegraveme de laquo lrsquoisotopie raquo chez Franccedilois Rastier 1987) de sorte que

ces courants pourraient aiseacutement plaider le non-lieu La critique concerne donc plutocirct les

courants qui fondent la syntaxe sur un scheacutema abstrait drsquoexpansions laquo actancielles raquo scheacutema

dit laquo profond raquo agrave partir duquel on geacutenegravere des paraphrases Grammaires transformationnelles

(courant Chomskyen ou Harrissien Jean Dubois en France)

La meacutetonymie

1042 Apregraves un exposeacute terminologique (commenteacute plus haut) JG cherche dans le

domaine de lrsquoexpansion ce qui correspondrait agrave la meacutetaphore dans le champ deacutefinie par lui

preacuteceacutedemment comme laquo La pantonymisation de lrsquoidionyme raquo 1003 agrave savoir lrsquoemploi drsquoun

idionyme pour concevoir un pantonyme Autrement dit il cherche une deacutefinition analogue de

ce que lrsquoon appelle communeacutement laquo meacutetonymie raquo Il srsquoagit donc drsquoune laquo holonymisation de

lrsquohyponyme raquo

Reprenons les deux aspects inverses de ce jeu de laquo figure raquo qui est un deacuteplacement

conceptuel et non un eacutecart par rapport agrave un repegravere

De la deacutesignation 217

- La formule du texte ndash laquo reacutesumer par un holonyme une seacutequence drsquohyponymes raquo 1042 ndash

demande pour ecirctre comprise le rappel qursquoil nrsquoy a pas pour lrsquoauteur drsquoholonyme en soi mais

seulement dans une relation avec des hyponymes (des meacuteronymes) Sinon toute deacutesignation

pourrait y correspondre puisqursquoon peut toujours trouver de la complexiteacute dans quoi que ce

soit Ce cas de laquo figure raquo ne peut correspondre qursquoagrave la situation ougrave se preacutesente lrsquoalternative

entre le reacutesumeacute et le deacuteveloppement et ougrave le locuteur juge plus congruent drsquoopter pour le

reacutesumeacute Reprenons donc lrsquoanalogie stricte avec le choix du laquo bouleversement conceptuel raquo

qursquoeacutetait laquo lrsquoemploi drsquoun pantonyme pour un idionyme raquo du fruit pour la pomme Soit ici

lrsquoemploi drsquoun holonyme plutocirct que de lrsquohyponyme correspondant pour une exactitude

eacutequivalente Par exemple laquo Mon veacutelo ne marche plus raquo (alors que lrsquoon voit bien que seule la

chaicircne est concerneacutee) ou bien laquo Le repas est servi raquo (indiquant la soupe qui le deacutebute) Il suffit

de dire le laquo tout raquo pour deacutesigner la laquo partie raquo

- Lrsquoinverse est la meacutetonymie 1042 ou emploi drsquoun hyponyme (drsquoun meacuteronyme) plutocirct que

drsquoun holonyme pour une exactitude eacutequivalente laquo Beethoven est agrave droite de Bach raquo pour

indiquer la position respective sur un rayon de bibliothegraveque des disques contenant de la

musique de ces auteurs laquo Il srsquoest fait porter pacircle raquo (malade) laquo Il preacutefegravere le filet raquo (pour

deacutesigner la position preacutefeacutereacutee drsquoun joueur de tennis en double ou drsquoun joueur de volley)

laquo Aujourdrsquohui je passe du brun au blanc raquo ce vendeur passait du rayon du mateacuteriel hi-fi ainsi

qualifieacute par la profession au rayon de lrsquoeacutelectromeacutenager

Il srsquoagit non drsquoun laquo eacutecart raquo par rapport agrave une deacutesignation standard mais drsquoune laquo eacuteconomie

(hellip) drsquoune eacutenonciation visant agrave satisfaire au mieux les besoins de lrsquoinformation raquo 1042

Lrsquoenvironnement phoneacutetique

Agrave la concateacutenation phonologique correspond laquo la pression articulatoire de lenvironnement

seacutequentiel (hellip) Ces accommodations soit agrave distance soit contigueumls des phonegravemes agrave leur

entouragehellip raquo 1043

Divers types de pheacutenomegravenes sont eacutevoqueacutes

- laquo la reacutepartition des temps faibles de la phonation raquo On imagine facilement ce type de

reacutegulation

- laquo La promotion alterneacutee (hellip) de telles ou telles de leurs variantes cumulatives [drsquoun

phonegraveme] lrsquoopposition de force par exemple prenant occasionnellement le relais en franccedilais

de celle de sonoriteacute raquo (Noter que le terme de laquo variantes cumulatives raquo est propre agrave Jean

Gagnepain) Lrsquoarticle laquo tension consonantique raquo de Wikipeacutedia preacutesente simplement le

problegraveme Je reacutesume La tension articulatoire (forte douce) nrsquoest pas un trait pertinent en

franccedilais mais une telle diffeacuterence accompagne une opposition pertinente de voisement

(sourde sonore) et lrsquoon observe que les consonnes sourdes sont le plus souvent reacutealiseacutees

fortes et les sonores douces Cette diffeacuterence de tension peut alors preacuteserver la distinction

des deux seacuteries dans des contextes phoneacutetiques ougrave lopposition de voisement est neutraliseacutee

laquo Dans une prononciation soigneacutee du franccedilais le d assourdi de meacutedecin ne se confond pas

avec un t (hellip) car il reste une douce tandis que t est une forte On peut alors opposer meacutedecin

[medsɛ] et pegravete-sec [pɛtsɛk] raquo126 (Le petit rond souscrit note le deacutevoisement du [d] crsquoest-agrave-

dire lrsquoabsence de vibration des cordes vocales lrsquoAPI nrsquoayant pas preacutevu de notation speacutecifique

pour la tension consonantique)

126 Wikipedia laquo tension phoneacutetique raquo

218 Une lecture de Jean Gagnepain

En voici un autre exemple En franccedilais les consonnes constrictives et sonores (deux traits

pertinents) v z ʒ se prononcent le plus souvent longues sans que ce soit pertinent Crsquoest

une variante cumulative du trait de sonoriteacute Mais une telle prononciation est

phoneacutetiquement anticipeacutee par un allongement de la voyelle preacuteceacutedente sans que ce soit non

plus pertinent pour cette voyelle En revanche lrsquoallongement ne se fait pas si la constrictive est

sourde (seacutequence voyelle + constrictive sourde f s ʃ ) Comparer laquo vif raquo (bregraveve) et laquo vive raquo

(longue) laquo bis raquo et laquo bise raquo laquo race raquo et laquo rase raquo laquo bouche raquo et laquo bouge raquo Le fait

drsquoenvironnement est dans la seacutequence laquo long + long raquo ou laquo bref + bref raquo

On peut aussi penser aux variantes combinatoires Le trait de sonoriteacute nrsquoest pas pertinent

pour le phonegraveme l mais il est prononceacute sonore dans un environnement sonore laquo bible raquo et

sourd dans un environnement sourd laquo peuple raquo

- laquo Crsquoest dans ce cadre (hellip) qursquoeacuteventuellement srsquoopegraverent les permutations les meacutetathegraveses

les haplologies raquo 1051

Meacutetathegraveses Il srsquoagit de variations de prononciation par permutation telles que

laquo infractus raquo au lieu de laquo infarctus raquo de la diffeacuterence entre laquo fromage raquo et laquo fourme raquo avec

variation de position du [r] Le Gallo de lrsquoOuest de la France dit laquo berbis raquo et laquo berouette raquo lagrave

ougrave le franccedilais dit laquo brebis raquo et laquo brouette raquo

Haplologies (reacuteduction agrave lrsquouniteacute de phonegravemes reacutepeacuteteacutes) On comprend qursquoen prononciation

rapide la succession de deux voyelles dans laquo Jrsquoy irai raquo se reacuteduise agrave [ ʒiːʁɛ ] ou laquo Ni ici raquo agrave [ niːsi]

Conclusion

laquo Lrsquoarrecirct raquo de la dialectique ou bien laquo compromet la grammaire raquo et laquo exagegravere raquo les

meacutecanismes performantiels ndash crsquoest lrsquoaphasie ou bien la laquo reacuteifie raquo et laquo suspend lrsquoaction raquo de ces

meacutecanismes performantiels ndash crsquoest la schizophasie 1052

Transition et preacutesentation des laquo viseacutees performantielles raquo 1054 Le modegravele doit rendre

compte du fait qursquoil existe laquo diverses faccedilons raquo de phoneacutetiser et laquo surtout raquo de seacutemantiser de

rendre neacutecessaire le message par rapport agrave la situation en somme de laquo causer raquo

SENS ET CAUSALITEacute

Avant tout commentaire et dans le prolongement de mes laquo intermegravedes 1 et 4 raquo faisons le

point sur la conception de la laquo seacutemantique raquo ici preacutesenteacutee Jrsquoai deacutejagrave averti le lecteur de

lrsquooscillation de la position de JG au moins dans la formulation entre deux conceptions de la

connaissance Lrsquoune parle drsquoun locuteur qui cherche une laquo proprieacuteteacutehellip visant agrave la coiumlncidence

du verbe et du dit raquo 1061 La distinction est faite entre laquo du dit raquo et (laquo ce qursquoil y a agrave dire raquo) ce

qui interdit drsquoen faire une thegravese reacutealiste Lrsquoautre propose laquo drsquoexaminer meacutethodiquement les

processus qui tout en gardant le caractegravere de lanalyse que dialectiquement ils contestent nen

parviennent pas moins agrave faire du monde dans lequel le langage gracircce agrave eux sinvestit un

cosmos qui sans sy reacuteduire ne devient compreacutehensible que par ce que dabord il est dit le

verbe en bref sy faisant cause et la raison neacutecessiteacute raquo 851 On croirait mais agrave tort

(remarquer les incises) une thegravese laquo constructiviste raquo

Cette partie du texte montrera en permanence cette alternance Jrsquoai deacutejagrave suggeacutereacute que le

souci didactique lrsquoexpliquait en partie jrsquoen vois une preuve dans le fait que la theacuteorie de laquo la

De la deacutesignation 219

reacuteduction de lrsquoeacutecart raquo est formuleacutee comme telle au deacutebut de la deacutemonstration et deacutecoule du

principe de dialectique et que la theacuteorie de laquo lrsquoeacutelaboration raquo drsquoune laquo causaliteacute raquo lrsquoest en fin de

deacutemonstrationhellip et dans le titre ndash Sens et causaliteacute ndash qui reacutecapitule le parcours Comme si

lrsquoauteur partait de la conception la plus simple de la dialectique pour aboutir agrave la conception la

plus sophistiqueacutee

Pour autant il serait inexact de rapporter chacune de ces deux formulations agrave leur expres-

sion prototypique en philosophie Pourquoi Parce que ni la position thomiste de

laquo lrsquoadaeligquatio mentis et rei raquo ni la position de lrsquoautocreacuteation du sens ne sont des dialectiques

Nulle part nrsquoy est soutenu un principe de contradiction de laquo neacutegation de la neacutegativiteacute raquo entre

grammaire et seacutemantique Le mot y est lrsquoenveloppe du sens La notion drsquoeacutenonceacute y est homo-

gegravene et la seacutemantique un domaine autonome fait de mots-senseacutes ou drsquoeacutenonceacutes-senseacutes

Or pour JG la raison est dialectique de sorte que les deux faccedilons de preacutesenter la

question de la performance ne sont plus antinomiques mais sont deux angles drsquoapproche de

la dialectique du signe Certes les termes laquo viseacutee raquo laquo recherche de proprieacuteteacute raquo laquo investisse-

ment raquo voire laquo adaptation raquo formulent sa conception du signe mais il faut toujours les

comprendre dans une perspective geacuteneacuterale dialectique celle drsquoune grammaire neacutegation et

drsquoune rheacutetorique neacutegation de cette neacutegation Il faut aussi toujours inteacutegrer lrsquoideacutee que la

neacutegation est laquo neacutegation de raquo de ce laquo reacuteel - expeacuterience humaine raquo dont on ne peut refouler

lrsquoexistence et auquel on est fondamentalement confronteacute y compris et tout particuliegraverement

dans le cas des pathologies En drsquoautres termes laquo lrsquoinvestissement dans la conjoncture raquo 1062

signifie que la neacutegation ne peut ecirctre totale que la conjoncture est contraignante que la

dialectique du signe doit impeacuterativement inteacutegrer ce principe de reacutesistance de sorte que le

signe transforme cette contrainte en raisonnement intelligible transforme la conjoncture en

conjecture Meacuteditez cette boutade de lrsquoeacutecrivain de science-fiction Philip K Dick laquo La reacutealiteacute

cest ce qui refuse de disparaicirctre quand on cesse dy croire raquo

Introduction

Les faccedilons de causer sont multiples et sont toutes des maniegraveres de laquo causer raquo crsquoest-agrave-dire

drsquointroduire de lrsquointelligibiliteacute dans lrsquoexpeacuterience humaine JG les modeacutelise en forme de

laquo triptyque raquo Il srsquoagit dans ses termes de laquo la science du mythe et du poegraveme raquo ndash et il eacutevoque

les cateacutegories anciennes de laquo logos muthos et epos [ou] poiesis raquo 1061 Une variation

terminologique propose drsquoappeler respectivement laquo fonctions meacutetalinguistique

meacutetaphysique et prosodique raquo ces types de laquo causaliteacute raquo 1062 Comme toujours il importe de

mettre de cocircteacute lrsquoideacutee commune que lrsquoon se fait de ces notions puisqursquoelles ne sont ni

dialectiques ni deacuteconstruites dans la perspective de plans distincts dans la doxa ordinaire

Il faut ici remarquer que le titre de ce chapitre ndash Sens et causaliteacute ndash reacuteduit lrsquoobservation des

viseacutees rheacutetoriques au seul reacuteinvestissement du signifieacute crsquoest-agrave-dire agrave la seule seacutemantique On

ne trouvera pas par la suite drsquoexposeacute distinguant entre une laquo phoneacutetique raquo scientifique

mythique et poeacutetique Cette exclusion reste implicite

JG donne de ces seacutemantiques une deacutefinition geacuteneacuterale par oppositions tout en soulignant

qursquoil srsquoagit laquo de modes eacutequivalents drsquoinvestissement du signe dans la conjoncture raquo

Rheacutetorique scientifique et mythique sont laquo exocentriques raquo contrairement agrave la rheacutetorique

poeacutetique deacutefinie comme laquo endocentrique raquo 1061 Le premier terme veut dire que la viseacutee

rheacutetorique est orienteacutee vers lrsquoexpeacuterience conjoncturelle le signe se confronte agrave autre chose

que lui-mecircme Le second que la rheacutetorique vise agrave expliciter les proprieacuteteacutes analytiques du

220 Une lecture de Jean Gagnepain

signe le signe se confronte agrave lui-mecircme Dans tous les cas le locuteur eacutelabore de la

laquo causaliteacute raquo laquo confegravere raquo de lrsquointelligibiliteacute de sorte qursquoil faut comprendre la laquo viseacutee raquo comme

une confrontation ougrave lrsquoun des facteurs laquo motive raquo et laquo neacutecessite raquo tendanciellement lrsquoautre

Deacuteveloppons

Science et mythe laquo confegraverent sens au pragma raquo (agrave la conjoncture) selon une alternative

1055 Dans la perspective scientifique on adapte laquo lrsquounivers des mots agrave lrsquounivers des choses raquo

1055 Propos reformulable en laquo le locuteur eacutelabore son raisonnement en fonction drsquoune

contrainte eacuteprouveacutee dans de lrsquoexpeacuterience raquo

Dans la perspective mythique on laquo reacuteduit raquo le laquo pragma raquo (ce qui existe) laquo au langage lui-

mecircme employeacute pour le dire raquo 1061 Propos reformulable en laquo le locuteur eacutelabore son

intelligibiliteacute de la situation en fonction des formes grammaticales raquo Il y a une eacutegale recherche

de proprieacuteteacute dans les deux cas

La rheacutetorique poeacutetique en revanche est laquo endocentrique raquo En cela elle est laquo intransitive raquo

ce qui implique que les autres sont laquo transitives raquo127 Crsquoest le langage lui-mecircme qui devient

conjoncture laquo motivation raquo de la rheacutetorique Dit autrement le poegraveme creacutee un monde

langagier agrave partir de sa propre matiegravere tandis que science et mythe creacuteent ce monde langagier

par confrontation avec un exteacuterieur Mecircme drsquoailleurs lorsqursquoil cherche agrave parler de lui-mecircme

lorsqursquoil srsquoobjective comme dans le cas de la glossologie128

Quelle qursquoen soit la modaliteacute la rheacutetorique est toujours une production de laquo proprieacuteteacutehellip

visant agrave la coiumlncidence du verbe et du dit raquo 1061 Notons qursquoil ne srsquoagit plus de mots et de

choses car ce qui est laquo dit raquo ne lrsquoest qursquoen raison du fait qursquoil a eacuteteacute dit

1 ndash Science Le raisonnement seacutemantique scientifique

Apregraves avoir rappeleacute la reacuteduction ordinaire de la notion de signe agrave la seule seacutemantique

scientifique JG entreprend de donner agrave ce terme une deacutefinition strictement glossologique

1063 par une deacutemarche de dissociation des plans En effet ce que drsquoordinaire on appelle

science teacutemoigne des quatre registres de la culture Il faut donc laquo lrsquoeacutepurer raquo 1063 tour agrave tour

du fait qursquoelle se preacutesente techniquement dans de lrsquoeacutecrit qursquoelle est leacutegaliseacutee dans des

disciplines acadeacutemiques et qursquoelle est soumise axiologiquement agrave un jugement critique qui

transforme lrsquoadeacutequation en veacuteriteacute et lrsquoinadeacutequation en erreur

Il souligne la confusion faite entre laquo science et sciences raquo crsquoest-agrave-dire (dans ce contexte)

entre drsquoune part le raisonnement seacutemantique scientifique singulier en tant que modaliteacute

rheacutetorique et que laquo lrsquoon porte irreacutemeacutediablement en soi raquo 1192 et drsquoautre part les divisions

disciplinaires Celles-ci reacutesultent des luttes de pouvoir entre professionnels laquo travailleurs de la

preuve raquo comme disait Gaston Bachelard129 dans les socieacuteteacutes qui distinguent un service du

savoir parmi drsquoautres services Abstraction est faite ici de la leacutegitimation qui motive ces deacutesac-

cords et ces consensus

127 La notion de transitiviteacute prend ici son sens matheacutematique ce qui permet ou non de reporter une relation drsquoun eacuteleacutement vers un autre

128 Cf Jean-Claude Schotte 1997 La raison eacuteclateacutee p 159 [La viseacutee endocentrique] laquo creacutee un monde au lieu drsquoen recreacuteer un qui existe en dehors drsquoelle raquo

129 Gaston Bachelard 1949 Le rationalisme appliqueacute ch 3 Rationalisme et corrationalisme lunion des travailleurs de la preuve Paris PUF

De la deacutesignation 221

De mecircme souligne-t-il la confusion geacuteneacuteraliseacutee entre le raisonnement seacutemantique scienti-

fique qui cherche agrave distinguer le congruent de lrsquoincongru en modelant ses formulations en

fonction de la reacutesistance de lrsquoexpeacuterience et la motivation ou le jugement axiologique qui

cherche agrave discriminer le vrai ndash que lrsquoon srsquoautorise du faux ndash que lrsquoon srsquointerdit (laquo Le souci de la

veacuteriteacute raquo 1063) En somme ordinairement la science est supposeacutee dire du vrai universel alors

que ce que JG appelle science nrsquoest deacutefini que dans lrsquoordre du dire Sa speacutecificiteacute est drsquoordre

glossologique et se deacutefinit au sein de la rheacutetorique

Avertissement Par ailleurs du strict point de vue glossologique la suite du propos

montrera que JG privileacutegie dans les exemples qursquoil choisit les raisonnements complexes et

preacutecis de ce que lrsquoon appelle drsquoordinaire laquo de la science raquo (celle des laquo savants raquo) plutocirct que les

raisonnements les plus quotidiens Le lecteur peut avoir lrsquoimpression dans ce cas que lrsquoauteur

oublie sa thegravese principale et qursquoil reacuteduit le raisonnement seacutemantique (que laquo lrsquoon porte

irreacutemeacutediablement en soi raquo 1192) agrave laquo la science raquo et laquo aux sciences raquo dont traitent agrave juste titre

les eacutepisteacutemologues parmi lesquels JG entend drsquoailleurs figurer (Voir le titre de lrsquoouvrage) Le

texte de fait oscille entre ces deux sens du mot laquo science raquo Cependant le fait de choisir

comme lieu drsquoobservation ce que disent les savants plutocirct que ce que chacun dit chez soi ou

au cafeacute nrsquoimplique pas que lrsquoon preacutesuppose une diffeacuterence entre les raisonnements tenus par

les uns et par les autres autre que des degreacutes de complexiteacute ou de preacutecision des propos tenus

agrave partir de la mecircme aptitude au raisonnement seacutemantique Ce choix des exemples est

probablement explicable par lrsquoun des aspects du projet de JG deacutefinir en particulier ce que

sont les laquo sciences humaines raquo et singuliegraverement laquo la theacuteorie de la meacutediation raquo qursquoil entend

bien ecirctre un projet scientifique tout en soutenant que toute locution est en partie scienti-

fique et par conseacutequent laquo theacuteorique raquo

Heacuteritage et positions

laquo Il y a eu lOrganon et la ‟logiquerdquo dont on sait quelle prend sa source dans la grammaire

et dont en retour la mutation de linheacuterence agrave leacutequation preacutefigurait agrave sa faccedilon celle de la

taxinomie agrave la geacuteneacuterativiteacute raquo 1064

Voici quelques repegraveres concernant ce passage allusif (Merci agrave Gilles Clerval pour son eacuteclai-

rage philosophique)

- laquo Il y a eu lOrganon et la ‟logiquerdquohellip raquo Le second terme preacutecise-t-il le premier

LrsquoOrganonhellip (laquo instrument raquo en grec) est une compilation de traiteacutes de logique drsquoAristote

Srsquoagit-il drsquoajouter au corpus aristoteacutelicien lrsquoensemble des logiques ulteacuterieures en particulier

celle de Port-Royal

- laquo La mutation de lrsquoinheacuterence agrave lrsquoeacutequation raquo laquo Lrsquoinheacuterence raquo renvoie agrave lrsquoideacutee drsquoune qualiteacute

intrinsegraveque drsquoun objet agrave ses caracteacuteristiques distinctives dans lrsquoordre de la taxinomie Drsquoun

point de vue ontologique est laquo inheacuterent raquo agrave un laquo ecirctre raquo lrsquoensemble de ses proprieacuteteacutes

essentielles Par contraste JG suggegravere ici que laquo lrsquoeacutequation raquo suppose un deacuteveloppement

numeacuterique et serait de lrsquoordre de la geacuteneacuterativiteacute

Il fait comprendre ces deux termes comme des reacutesumeacutes scheacutematiques de courants

logiques de doxas diverses observables dans lrsquohistoire Dans cette perspective on peut envisa-

ger la thegravese drsquoun basculement au XIXe siegravecle entre drsquoune part un privilegravege accordeacute agrave

lrsquoinheacuterence agrave lrsquoinclusion conceptuelle drsquoAristote agrave Port-Royal jusqursquoagrave Leibniz en partie et

drsquoautre part lrsquoattention accordeacutee agrave la logique des relations depuis notamment George Boole

222 Une lecture de Jean Gagnepain

Cette laquo mutation raquo a son correspondant en linguistique dans le passage conflictuel de la

laquo linguistique raquo dite laquo taxinomique raquo agrave la linguistique dite laquo geacuteneacuterative raquo courants auxquels

JG fait allusion agrave diverses reprises

Ceci eacutetant on peut toujours nuancer une telle opposition Aucun modegravele matheacutematique ou

logique nrsquoa pu modeacuteliser un seul axe drsquoanalyse agrave quelque eacutepoque que ce soit Ainsi lrsquoexposeacute

du syllogisme dans les Analytiques drsquoAristote peut ecirctre compris agrave la fois en termes

drsquoinheacuterence et en termes de deacuteploiement de plusieurs preacutedicats Sans doute JG veut-il dire

que tel ou tel modegravele tend agrave privileacutegier lrsquoexposeacute de tel ou tel axe En ce sens le lecteur peut

prendre au sens strict le terme laquo eacutequation raquo et mettre en perspective par exemple le traiteacute

des Cateacutegories drsquoAristote et le traiteacute drsquoAlkawrizmi ndash Al-jebra-ucirc-al-mucircqabala (Bagdad IXe

siegravecle) De cet illustre matheacutematicien nous viennent les termes laquo algorithme raquo et laquo algegravebre raquo

Selon Daniel Sibony (Les trois monotheacuteismes 1992 p50-52) laquo jabr raquo appartient au vocabulaire

de la meacutedecine et veut dire laquo rabouter raquo les deux parties drsquoun os casseacute et laquo mucircqabala raquo

signifie laquo mettre face agrave face raquo (les deux termes de lrsquoeacutequation) Deux meacutetaphores quantitatives

De mecircme lrsquoopposition entre laquo grammaire taxinomique raquo et laquo grammaire geacuteneacuterative raquo repose-

t-elle sur des degreacutes drsquoimportance relative accordeacutee agrave chacun des deux axes de lrsquoanalyse

Remarque Si lrsquoon donne aux termes laquo taxinomie raquo et laquo geacuteneacuterativiteacute raquo le sens qursquoils

prennent dans le modegravele glossologique la notion de laquo mutation raquo est inintelligible puisque

dans le cadre de la TdM taxinomie et geacuteneacuterativiteacute sont deux aptitudes cognitives logiquement

simultaneacutees

laquo Il y a eu la ‟langue bien faiterdquo dont lrsquointuition trouve un eacutecho dans ‟lrsquoeacutenonceacute bien

formeacuterdquohellip raquo 1064 laquo La ‟langue bien faiterdquo raquo Condillac Logique 1780 laquo Les ideacutees abstraites ne

sont donc que des deacutenominations (hellip) Or si nous ne raisonnons quavec le secours de ces

deacutenominations cest une nouvelle preuve que nous ne raisonnons bien ou mal que parce que

notre langue est bien ou mal faite raquo laquo Lrsquoeacutenonceacute bien formeacute raquo est une formule courante chez les

logiciens

Dernier positionnement historique 1065 laquo Sortir de la contradiction des ‟reinerdquo et des

‟empirische Begrifferdquo raquo (concepts purs et concepts empiriques) Reacutefeacuterence est faite ici agrave

Emmanuel Kant qui oppose les laquo concepts purs de lrsquoentendement raquo aux laquo concepts

empiriques raquo

- Cf la Logique (1800) cours eacutediteacute par des eacutelegraveves I sect3 laquo le concept est soit empirique soit

pur (vel empiricus vel intellectualis) [] Le concept empirique provient des sens par comparai-

son des objets de lexpeacuterience et ne reccediloit de lentendement que la forme de la geacuteneacuteraliteacute raquo

(Merci agrave Gilles Clerval pour cette reacutefeacuterence et ces eacuteclaircissements)

- Cf Critique de la raison pure traduction Barni revue par Archambault laquo Le concept est

soit empirique soit pur et le concept pur en tant quil a sa source uniquement dans lentende-

ment (non dans une simple image de la sensibiliteacute) sappelle notion raquo (hellip) laquo Nous donnerons agrave

ces concepts suivant le langage drsquoAristote le nom de cateacutegorieshellip raquo Exemples de cateacutegories

la quantiteacute la qualiteacute etc

JG pour sa part raisonne dialectiquement ce qui le conduit en jouant sur les mots de

lrsquoallemand agrave refuser comme Kant laquo drsquoimputer agrave la situation une intelligibiliteacute raquo 1071 attendu

que crsquoest le signe qui laquo octroie en srsquoy confrontant raquo cette intelligibiliteacute agrave la situation En

revanche il refuse lrsquoideacutee de concepts laquo purs raquo puisque tout concept reacutesulte drsquoune

laquo confrontation raquo avec lrsquoexpeacuterience

De la deacutesignation 223

Deacutefinition de la seacutemantique scientifique

Dans le paragraphe 1071 particuliegraverement important JG tire les conclusions de ce bilan

et propose une deacutefinition de la modaliteacute seacutemantique scientifique (ou laquo science raquo) Il relie

langage science la question du deacuteterminisme et celle de lrsquoexplication et introduit le concept

de laquo meacutetalangage raquo qui sera deacuteveloppeacute dans le paragraphe suivant Cette formulation dense

eacutenonce une thegravese fondamentale de JG et une position deacutefinie dans le champ de

lrsquoeacutepisteacutemologie des sciences

Il me paraicirct neacutecessaire ici de citer la phrase entiegravere

laquo La science nest pas comme certains lont cru le remaniement dun langage qui ne saurait

lui preacuteexister mais bel et bien le langage en tant quagrave lexpeacuterience lui-mecircme spontaneacutement se

remanie creacuteant du mecircme coup dans les choses un deacuteterminisme dont les caractegraveres reflegravetent

ceux du meacutetalangage auxquels ils doivent dexister raquo

Voyons drsquoabord la rectification du deacutebut laquo La science nrsquoest pas (hellip) le remaniement drsquoun

langage qui ne saurait lui preacuteexisterhellip raquo Je comprends ceci il ne peut pas y avoir drsquoabord un

langage sans production de science puis un laquo remaniement raquo du langage permettant la

science La science en tant que viseacutee seacutemantique est une proprieacuteteacute de fonctionnement

langagier Les laquo moments raquo de la dialectique ne sont pas des laquo eacutetapes raquo telles que la

grammaire pourrait preacuteexister agrave la rheacutetorique ou lrsquoinverse (Le physicien parle aussi du

laquo moment raquo drsquoune force) Lrsquoensemble de la dialectique neacutegation-de et neacutegation de la

neacutegation-de est un principe de fonctionnement mental (Ougrave le laquo -de raquo integravegre lrsquoexpeacuterience

dans la dialectique)

Examinons attentivement la suite Il srsquoagit ici non drsquoune deacutefinition du langage mais

restrictivement drsquoune deacutefinition de la seacutemantique scientifique (en reacutesumeacute laquo la science raquo)

comme le prouve la formulation laquo La science [est] le langage en tant qursquoagrave lrsquoexpeacuterience lui-

mecircme spontaneacutement se remanie raquo Dans la dialectique du signe il ne faut jamais oublier le

premier moment agrave savoir le laquo principe de reacutealiteacute raquo appeleacute ici laquo expeacuterience raquo qui est un

principe de reacutesistance au dire une eacutepreuve humaine qui contraint le dire agrave se laquo remanier raquo

seacutemantiquement Essayons de clarifier la position de JG qui nrsquoest ni positiviste ni ideacutealiste

dans sa version laquo nominaliste raquo

En tant que scientifique de lrsquohumain la chose en soi ne lrsquointeacuteresse pas non plus que le

postulat drsquoun univers en soi neacutecessaire plutocirct que hasardeux Compte humainement cette

aptitude langagiegravere agrave la science aptitude agrave laquo causer raquo agrave laquo creacuteer dans les choses un deacutetermi-

nisme raquo par le raisonnement scientifique qui laquo remanie raquo le langage en fonction de

lrsquoexpeacuterience Dire scientifiquement crsquoest laquo expliquer raquo mecircme si ce nrsquoest pas la seule maniegravere

de dire 1071 Je soulignerai qursquoici crsquoest lrsquoexpeacuterience qui contraint le raisonnement qui en

deacutetermine les eacutenonceacutes En raison de cette dialectique de la connaissance dont lrsquohomme ne

peut se deacutepartir lrsquounivers nrsquoest plus ce laquo Tout qui est raquo dont on ne peut qursquoadmettre

lrsquoexistence globale Le langage permet de concevoir que lrsquounivers srsquoarticule en laquo caractegraveres qui

reflegravetent raquo les proprieacuteteacutes analytiques du langage La laquo neacutecessiteacute raquo (selon le terme de Jacques

Monod) revecirct des laquo caractegraveres raquo crsquoest-agrave-dire qursquoelle se diversifie et se complexifie agrave la mesure

langagiegravere de la seacutemantique scientifique laquelle est contrainte par lrsquoeacutepreuve de la

confrontation agrave lrsquoexpeacuterience

224 Une lecture de Jean Gagnepain

La science une rheacutetorique laquo meacutetalinguistique raquo

JG rappelle alors que le chapitre preacuteceacutedent intituleacute laquo les proceacutedeacutes rheacutetoriques raquo eacutetait

centreacute laquo par commoditeacute raquo 1072 et laquo par souci de clarteacute raquo 1055 sur cette modaliteacute

scientifique Vocable terme champ et expansion ont eacuteteacute preacutesenteacutes avec des exemples de

raisonnement scientifique le plus souvent objectif Srsquoil est rappeleacute qursquo laquo un rossignol est

neacutecessairement un oiseau raquo 993 crsquoest en raison drsquoune laquo neacutecessiteacute raquo qui ne relegraveve pas des

seules proprieacuteteacutes grammaticales de ces deux mots Certes tous les deux sont classeacutes

masculins mais laquo un poisson raquo aussi Cette autre laquo neacutecessiteacute raquo est seacutemantique reacutesulte de la

confrontation agrave de lrsquoexpeacuterience et produit de la congruence Le mecircme principe de congruence

pourrait provoquer aussi laquo neacutecessairement raquo la convergence synonymique de laquo un rossignol raquo

avec laquo un passe-partout raquo (en serrurerie) avec laquo un article invendable raquo ou avec le teacutenor Alain

Vanzo agrave la fin de lrsquoair laquo Je crois entendre encore raquo des Pecirccheurs de perles de Bizet130

En ce deacutebut de paragraphe il preacutecise aussi un point de terminologie Il lui importe de

donner au terme laquo meacutetalangage raquo un sens geacuteneacuterique synonyme de raisonnement

scientifique Le terme est ainsi en eacutetroite relation avec son antagoniste ndash laquo meacutetaphysique raquo ndash

qui caracteacuterise le raisonnement mythique Attention le preacutefixe laquo Meacuteta- raquo est ici pris dans son

sens de laquo transformation mutation raquo celui qursquoil a dans laquo meacutetamorphose meacutetabolisme

meacutetastase raquo131 Est meacutetalinguistique le raisonnement qui reacuteorganise les mots en fonction de

lrsquoexpeacuterience tandis qursquoest meacutetaphysique le raisonnement qui transforme la connaissance de

lrsquoexpeacuterience (laquo physis raquo) en fonction des mots

Rappelons que ce preacutefixe prend un autre sens celui de laquo degreacute supeacuterieur raquo dans

laquo meacutetadonneacutees raquo et en linguistique dans la notion de laquo fonction meacutetalinguistique raquo chez

Roman Jakobson qui appelle ainsi le cas particulier ougrave laquo le code lui-mecircme devient objet du

message raquo132 Ce thegraveme a eacuteteacute deacuteveloppeacute dans le travail approfondi de Josette Rey-Debove (Le

meacutetalangage 1978) Est meacutetalinguistique en ce sens tout message qui prend pour objet le

langage lui-mecircme Cela ne se limite pas aux messages relevant de la grammaire ainsi

laquo ‟Chevauxrdquo est un nom pluriel raquo cela inclut le raisonnement suivant Question de la poule

ou de lœuf lequel est venu dabord ndash Reacuteponse la poule Question de lœuf ou de la poule

lequel est venu dabord ndash Reacuteponse lœuf Le locuteur joue ici sur la meacutetonymie laquo œuf poule

= le mot œuf le mot poule raquo et fait converger laquo venir raquo et laquo positionneacute dans la phrase raquo

Les modaliteacutes de cette transformation

JG deacuteveloppe alors en quoi la seacutemantique scientifique est une laquo explication raquo Une

formule plus loin reacutesume le propos 1073 laquo le pouvoir des mots tienthellip au savoir qui srsquoy

condense raquo Si lrsquoon deacutegage la formule de sa porteacutee sociologique il reste que le message

seacutemantiquement laquo explique raquo du fait qursquoil laquo condense raquo de la connaissance En cela il est

laquo meacutetalangage raquo ou pourrait-on dire laquo meacutetamorphose raquo dans lrsquoordre de lrsquoanalyse

130 Pour la reacutecreacute httpswwwyoutubecomwatchv=MGmxAHVbijI En revanche Mick Jagger serait incongru

131 Dans son Seacuteminaire du 18 11 1976 JG preacutecisait que cette notion de laquo transformation raquo nrsquoeacutetait pas agrave prendre dans un sens historique (tel que le latin laquo tabula raquo devient laquo table raquo) mais dans celui de laquo modulation raquo de la formulation par seacutelection et construction phrastique laquo Formuler suppose la possibiliteacute de re-formuler crsquoest-agrave-dire drsquoexpliquer autrement raquo

132 La source de cette acception est dans le sens de laquo au-dessus de raquo donneacute agrave laquo laquo meacutetaphysique raquo par contresens lagrave ougrave les eacutepigones drsquoAristote voulaient seulement dire que la compilation de textes qursquoils avaient appeleacutee de ce nom eacutetait agrave lire laquo apregraves la Physique raquo de lrsquoauteur laquo meta ta phusika raquo

De la deacutesignation 225

Le texte en deacuteveloppe les modaliteacutes agrave partir de la distinction des deux axes de lrsquoanalyse et

des projections drsquoaxes 1072 laquo La synonymie du vocable et lrsquoautonomie du terme sont la base

drsquoune explication qui ne nous apparaicirct comme simultaneacutement subsomptive et reacutesomptive quen

vertu dune rheacutetorique traitant spontaneacutement ressemblance et contiguiumlteacute comme extension

dun geacuteneacuterique compreacutehension dun principal raquo Si lrsquoon se souvient que laquo causer raquo crsquoest

laquo expliquer raquo laquo lrsquoexplication raquo se trouve aussi bien dans le reacuteameacutenagement rheacutetorique du

segraveme et du mot que dans celui du paradigme et du syntagme Soit quatre aspects agrave

lrsquoexplication qursquoil convient drsquoenvisager

1 - Commenccedilons par le segraveme Comment se transforme-t-il en vocable synonymique dans le

raisonnement scientifique Les mots laquo srsquoadaptent aux choses raquo parce qursquoune reacutesistance de la

reacutefeacuterence contraint lrsquoobservateur ou lrsquoexpeacuterimentateur agrave cesser de distinguer entre des mots

tels que laquo finir raquo et laquo terminer raquo ou laquo panthegravere raquo et laquo leacuteopard raquo pour produire une identiteacute

conceptuelle un mecircme vocable synonymique Cette reacutesistance peut inversement le conduire agrave

renoncer agrave appeler drsquoun mot identique ce qui srsquoeacuteprouve comme de la diversiteacute et lrsquoobliger agrave

distinguer entre les vocables laquo une planegravete une eacutetoile une galaxie raquo laquo une meacuteteacuteorite un

avion raquo pour deacutesigner distinctement ce qui brille dans le ciel la nuit et que lrsquoon a drsquoabord

appeleacute laquo eacutetoile raquo

2 - Il en va de mecircme sur lrsquoaxe de la quantiteacute Comment le laquo terme raquo propositionnel est-il

produit Selon la conjoncture en preacutediquant simplement ce que lrsquoon conccediloit comme simple

quel que soit le nombre de mots qursquoil faut pour le dire laquo Une machine agrave laver la vaisselle raquo (ici

un preacutedicat drsquoexistence) ou bien inversement en deacutecomposant en plusieurs propos ce que

lrsquoon renonce agrave consideacuterer comme simple Il en va ainsi de lrsquoeffort rheacutetorique que je deacuteploie en

ce moment agrave propos de lrsquoexplication via une proceacutedure technique de traitement de texte dont

il me serait bien difficile de deacutecrire les multiples eacutetapes en une seule phrase On rejoint ici le

sens le plus commun du terme laquo expliquer raquo deacuteplier deacuteployer

Voilagrave pour le rappel des deux eacuteleacutements Revenons aux deacuteveloppements du texte

3 - En quoi le laquo champ raquo peut-il ecirctre scientifiquement explicatif Il lrsquoest dans la mesure ougrave

le raisonnement se fait laquo subsomptif raquo La subsomption est en logique le fait de mettre en

relation le particulier et le geacuteneacuteral JG parlait auparavant laquo drsquoinclusion raquo Le raisonnement

scientifique tire sa congruence du fait que les laquo ressemblances raquo saisies par lrsquoobservateur ou

lrsquoexpeacuterimentateur sont traiteacutees seacutemantiquement comme laquo extension drsquoun geacuteneacuterique raquo Le

mammifegravere laquo srsquoeacutetend raquo agrave lrsquoornithorynque (en deacutepit de son nom neacuteo-grec ndash oiseau-bec) et agrave la

baleine et le crustaceacute laquo srsquoeacutetend raquo au cafard Autrement dit lrsquoexplication creacutee des champs en

prenant pour critegravere de ses inclusions ce qui reacutesiste dans lrsquoexpeacuterience agrave la fois au particulier et

au geacuteneacuterique Le concept de laquo Tout raquo peut ecirctre speacutecifieacute et celui de laquo ccedila raquo peut ecirctre inclus Il

me semble clair que la notion de laquo subsomption raquo deacutesigne ici meacutetaphoriquement (idionyme

pour pantonyme) lrsquoensemble des raisonnements par similariteacute

4 - Lrsquoexplication est laquo reacutesomptive raquo lorsqursquoelle creacutee des relations drsquoexpansion en eacutetant

contrainte agrave le faire par la reacutesistance de lrsquoexpeacuterience La seacutemantique laquo universitaire raquo

nrsquoapplique ce qualificatif qursquoagrave lrsquoanaphore et en donne une deacutefinition tregraves restrictive une

laquo anaphore raquo est dite laquo reacutesomptive raquo si elle reprend et reacutesume le contenu drsquoune proposition

preacuteceacutedente Par exemple dans un journal apregraves avoir deacutecrit une eacutepreuve sportive si lrsquoon

continue par laquo Leur victoirehellip raquo pour redire en un mot ce qui avait eacuteteacute raconteacute En 1072 ce

terme deacutesigne lrsquoensemble des raisonnements par expansion Le raisonnement scientifique tire

alors sa congruence du fait que les laquo contiguiumlteacutes raquo saisies par lrsquoobservateur ou

226 Une lecture de Jean Gagnepain

lrsquoexpeacuterimentateur sont traiteacutees seacutemantiquement comme laquo compreacutehension drsquoun principal raquo

Dans le raisonnement par expansion concevoir une totaliteacute implique que lrsquoon conccediloive la

compleacutementariteacute des parties et reacuteciproquement Si je choisis laquo le Menu raquo au restaurant je

laquo mrsquoexplique raquo ce qui va successivement mrsquoecirctre proposeacute De mecircme devant la mention

laquo dessert raquo je sais qursquoil srsquoagit drsquoun plat final dans une suite de plats

Puisque le langage est laquo source de toute connaissance raquo [srsquoimpose lrsquoideacutee que] laquo il suffit de

nommer pour comprendre et drsquoaffirmer pour deacutemontrer raquo 1072 JG expose ici me semble-t-

il ce qursquoest le passage agrave la limite du raisonnement scientifique La formulation est paradoxale

car quelle que soit la maniegravere de raisonner srsquoil est laquo neacutecessaire raquo de nommer et drsquoaffirmer en

revanche ce nrsquoest jamais suffisant en raison du premier moment constitutif de toute

dialectique On nomme et on affirme toujours par confrontation Ces verbes sont donc

transitifs Nrsquooublions pas en outre que JG traite ici drsquoune modaliteacute laquo exocentrique raquo de la

seacutemantique

Comment comprendre alors ce laquo Il suffithellip raquo Il veut selon moi faire remarquer que

lrsquoinadeacutequation ou lrsquoinexactitude drsquoun message nrsquoapparaissent que par opposition avec un

raisonnement alternatif Sans ce contraste ce qui est dit est congruent pour le locuteur Un

raisonnement peut ecirctre scientifique dans une certaine conjoncture et ecirctre deacutementi par un

autre raisonnement Toute conjecture est relative et non absolue Le raisonnement qui

conduit agrave distinguer entre laquo une ceacutephaleacutee raquo et laquo un mal de tecircte raquo est relativement scientifique

srsquoil repose sur la prise en compte drsquoaspects distincts de lrsquoexpeacuterience ndash distinction imaginaire

observeacutee ou expeacuterimenteacutee peu importe ndash mecircme si un autre raisonnement montre que cette

diffeacuterence est inadeacutequate En revanche srsquoil repose sur la prise en compte de la diffeacuterence des

mots il srsquoagit drsquoun raisonnement mythique Il y a quelques anneacutees une eacutemission de radio (laquo Le

teacuteleacutephone sonne raquo sur France-Inter) eacutetait consacreacutee au mal-ecirctre de nos compatriotes Un

auditeur pose aux psychiatres preacutesents la question suivante laquo Quelle diffeacuterence faites-vous

entre lrsquoangoisse et lrsquoanxieacuteteacute raquo Reacuteponse drsquoune psychiatre laquo Il nrsquoy en a pas drsquoailleurs les

Anglais disent toujours ‟anxietyrdquo raquo Raisonnement scientifique ou mythique Impossible de

trancher sans laquo explication raquo suppleacutementaire mais le raisonnement a consisteacute agrave opposer une

identiteacute de mot agrave une diffeacuterence de mots sans invoquer drsquoexpeacuterience clinique

Retour agrave la dissociation des plans

laquo On saperccediloit que le pouvoir des mots agrave tort ou agrave raison tient au savoir qui sy condense

et que ladage vaut moins par lexpeacuterience quil conserve que par lexpeacuterimentation illusoire

quil fournit Entre la bonne et la fausse monnaie rien de ce point de vue ne permet de faire le

tri raquo 1073 Pour comprendre il faut courir agrave la conclusion laquo La sciencehellip ne trouve pas ses

critegraveres sur le plan ougrave elle se constitue raquo 1084

Ce paragraphe invite agrave travers une critique des mœurs agrave abstraire la prise en compte du

raisonnement seacutemantique de ce qui vient drsquoordinaire le surdeacuteterminer agrave savoir la question

axiologique du vrai et du faux et celle sociologique du consensus et du deacutesaccord Ce passage

me semble bien eacutequivoque et illustre en cela le thegraveme mecircme dont il traite science ou

mythe En effet faut-il ou non donner aux termes laquo pouvoir raquo et laquo savoir raquo le sens strictement

sociologique qursquoils ont dans la TdM Optons pour cette hypothegravese de lecture Auquel cas il nrsquoy

a pas de laquo pouvoir des mots raquo et le message ne laquo condense raquo pas du laquo savoir raquo mais de la

connaissance Ce sont les gens qui se donnent du pouvoir agrave travers leurs deacuteclarations Ces

derniegraveres sont un savoir dont le contenu est langagier fait de messages qui eux

De la deacutesignation 227

laquo condensent raquo du raisonnement Passant de la seacutemantique agrave la sociologie JG deacuteveloppe ici le

thegraveme de lrsquoargument drsquoautoriteacute en dissociant drsquoun cocircteacute le plan sociologique et de lrsquoautre une

seacutemantique normative composite de glossologie et drsquoaxiologie Il parle de laquo la bonne et la

fausse monnaie raquo de laquo preuve raquo et de laquo creacutedit raquo de laquo charlatan raquo bref de justification

La diffeacuterence entre savant et charlatan laquo nrsquoest pas dans le langage ougrave la theacuteorie se formule

eucirct-elle mecircme preacutevu les conditions de sa falsifiabiliteacute raquo 1073 Il me semble qursquoici le propos se

deacuteplace doublement et qursquoil est doublement ambigu

Drsquoune part je pourrais y repeacuterer un glissement drsquoun propos sur lrsquoaptitude agrave la rheacutetorique

scientifique que tout locuteur possegravede en tant que proprieacuteteacute du langage agrave un propos sur la

laquo science raquo des laquo scientifiques raquo dans le sens commun donneacute agrave ces termes Agrave preuve de ce

glissement lrsquoeacutevocation de laquo nos sciences raquo en 1073 Il faut donc que le lecteur fasse lrsquoeffort de

se deacuteprendre de ce sens commun et de prendre le propos dans sa plus grande geacuteneacuteraliteacute de

lrsquoappliquer agrave tout le monde et en permanence puisque tout locuteur est theacuteoricien et en cela

laquo savant raquo (Cf supra mon laquo Avertissement raquo lieacute au sect 1063)

Drsquoautre part on passe du thegraveme de la deacutefinition de ce qursquoest la seacutemantique scientifique

vers le thegraveme de ce qursquoest un laquo modegravele raquo scientifique Bref on passe de la glossologie agrave

lrsquoaxiologie En effet je ne comprends ce passage qursquoen inteacutegrant la reacuteflexion proposeacutee

ulteacuterieurement laquo La sciencehellip ne trouve pas ses critegraveres sur le plan ougrave elle se constitue raquo

1084 Lagrave encore on est tenteacute de penser qursquoil srsquoagit des laquo modegraveles raquo des laquo Sciences raquo dans le

sens commun du terme y compris de laquo theacuteories raquo telles que la laquo Theacuteorie de la meacutediation raquo On

voit immeacutediatement en quoi ce serait critiquable La position de JG preacutesenterait en effet le

paradoxe suivant tout locuteur fait de la science sans le savoir comme M Jourdain

cependant seul Jean Gagnepain peut deacutefinir ce qursquoest une science humaine Il y aurait donc

science et Science modegravele et Modegravele Nrsquoest-on laquo charlatan raquo que par transgression de la

meacutethodologie laquo scientifique raquo des laquo Sciences raquo telles qursquoon les reconnaicirct communeacutement (Le

prototype en est la pseudo deacutecouverte de laquo Rayons N raquo par Reneacute Blondlot en 1903-1904) Ou

bien tout un chacun nrsquoest-il pas potentiellement laquo charlatan raquo plutocirct que laquo savant raquo en raison

de son aptitude permanente agrave normer axiolinguistiquement ce qursquoil dit et donc agrave laquo transgres-

ser raquo les regravegles qursquoil se donne

Faisons un instant creacutedit de coheacuterence agrave lrsquoauteur et acceptons qursquoen matiegravere drsquoaxiologie

son propos soit aussi geacuteneacuteral qursquoen matiegravere de seacutemantique agrave savoir qursquoil explicite ici ce qui se

passe chez tout ecirctre humain agrave la fois diseur et juge de son dire Nrsquooublions pas drsquoautre part

que son propos est drsquoabord de soutenir que le couple laquo savant ndash charlatan raquo que la notion

mecircme de laquo veacuteriteacute raquo opposeacutee agrave celle drsquoerreur que le couple laquo vrai ndash faux raquo ne sont pas des

notions de seacutemantique mais drsquoaxiolinguistique car il srsquoagit de critegraveres de jugement JG

introduit ici la diffeacuterence entre laquo critegraveres raquo axiologiques du dire et deacutefinition de la seacutemantique

scientifique sur le plan proprement glossologique laquo ougrave elle se constitue raquo La diffeacuterence

envisageacutee ici entre savant et charlatan est de lrsquoordre du jugement meacutethodologique dont il faut

expliciter les laquo critegraveres raquo appeleacutes ici laquo conditions raquo et que lrsquoon pourrait aussi appeler

laquo exigences raquo Rappelons que laquo critegravere raquo et laquo critique raquo sont apparenteacutes

Revenons agrave la fin de la phrase laquo hellipeucirct-elle preacutevu les conditions de sa falsifiabiliteacute raquo 1073

Eacutevidemment le terme fait penser agrave la thegravese de Karl Popper Il est toutefois encore possible drsquoy

voir une ambiguiumlteacute et de lire que lrsquoauteur impute agrave tout humain lrsquoaptitude axiologique agrave

laquo preacutevoir de telles conditions raquo dans la vie la plus quotidienne Je puis annoncer par un eacutenonceacute

228 Une lecture de Jean Gagnepain

aussi falsifiable qursquoun theacuteoregraveme einsteinien que laquo les nouilles sont cuites raquo sous condition drsquoy

avoir goucircteacute

Discours de la meacutethode

La phrase qui suit met fin agrave lrsquoambiguiumlteacutehellip et au creacutedit que jrsquoai precircteacute agrave lrsquoauteur laquo [La diffeacute-

rence du savant et du charlatan]hellip reacuteside seulement dans le protocole pour nous clinique de sa

veacuterification dans la transposabiliteacute analogique et non meacutetaphorisante de ses modegraveles dans

son aptitude agrave changer la pratique dont elle [la theacuteorie] est issue raquo 1081

Il ne srsquoagit plus ici de laquo lrsquoaptitude seacutemantique scientifique raquo de tout locuteur mais

restrictivement du cas promu par lrsquoauteur de ce que peut produire cette aptitude Crsquoest aussi

un exposeacute des restrictions meacutethodologiques et des exigences fortes qui leacutegitiment les

laquo Sciences de lrsquohomme raquo dans un contexte historique donneacute Est ici deacutefinie une sorte laquo drsquoideacuteal

scientifique raquo par rapport agrave lrsquoensemble varieacute des productions de seacutemantique scientifique filtreacute

par lrsquoensemble varieacute des jugements porteacutes au quotidien

Le raccourci de la citation peut faire apparaicirctre comme une provocation ou un pur

fantasme lrsquoassociation entre laquo savant raquo et laquo modegravele ideacuteal raquo qui rejette tout reacuteel (theacuteorie de la

meacutediation comprise telle qursquoelle est) du cocircteacute du charlatanisme Est-ce bien raisonnable

Cela dit examinons cette meacutethodologie

Premiegravere condition axiolinguistique laquo Elle reacuteside seulement dans le protocole pour nous

clinique de sa veacuterification raquo Admettons Cependant ce protocole de veacuterification clinique

nrsquoest autre qursquoune laquo condition de la falsifiabiliteacute raquo des hypothegraveses caracteacuteristique de la TdM

Elle est restrictive parce qursquoelle porte sur le cas preacutecis de laquo lrsquoexpeacuterimentation raquo sur de lrsquohumain

pathologique et non sur de lrsquoobservation ou du test de ce que dit le normal La lecture de

lrsquoouvrage montre pourtant que lrsquoexposeacute des concepts de la glossologie repose abondamment

sur ce qui se dit hors pathologie sans vergogne particuliegravere Retour du reacuteel

Voyons maintenant les deux autres conditions qui deacutefinissent cet ideacuteal

La seconde condition (lrsquoanalogie) peut ecirctre exposeacutee en termes de seacutemantique Si lrsquoon

soutient lrsquohypothegravese geacuteneacuterique de la laquo Meacutediation raquo celle de lrsquouniteacute de la raison mecircme

laquo eacuteclateacutee raquo en plans alors le modegravele doit laquo dresser lrsquoinventaire fini des eacuteleacutements dont tout fait

humain en lrsquoeacutetat de notre examen se compose raquo 192 Ce principe de geacuteneacuteraliteacute drsquoexhaus-

tiviteacute et de coheacuterence croiseacute avec celui de dissociation des plans de meacutediation entraicircne

axiologiquement lrsquoexigence drsquoun raisonnement analogique en champs et expansions

Agrave noter que lrsquoauteur distingue entre analogie et meacutetaphore Le raisonnement analogique

respecte les diffeacuterences entre idionymes qui sont rapprocheacutes dans le champ conceptuel par

leur relation agrave leur pantonyme (hyperonyme) Par exemple laquo Signe outil personne et

norme raquo sont des laquo isonymes raquo en position drsquoidionymes par rapport agrave leur pantonyme

laquo culture raquo mais ne se confondent pas Par opposition la meacutetaphore tend agrave reporter les

proprieacuteteacutes drsquoun concept sur un autre donc agrave occulter ce qui les distingue Parler du laquo Peuple

singe raquo (1989 film G Vienne et J-Y Collet) ou de la laquo deacutemocratie des abeilles raquo (Jean Claude

Ameisen Sur les eacutepaules de Darwin tome 2 p116) crsquoest transformer un idionyme (ici une

speacutecificiteacute de lrsquoespegravece humaine) en pantonyme relatif (une proprieacuteteacute de lrsquoensemble des

animaux) En cela crsquoest un choix seacutemantique congruent ou incongru et non une comparaison

Cf 1003 laquo la pantonymisation de lrsquoidionyme raquo

De la deacutesignation 229

La troisiegraveme exigence (pratique) 1081 peut aussi se lire seacutemantiquement en faisant

abstraction de lrsquoineacutevitable aspect social et technique que recouvre le terme laquo pratique raquo

Theacuteorie et pratique renvoient ici agrave la dynamique du raisonnement scientifique qui remanie ses

propositions en fonction de lrsquoexpeacuterimentation (clinique) La pratique nrsquoest pas pour JG

lrsquoapplication drsquoune theacuteorie preacuteexistante Il reproche souvent aux neurologues de chercher chez

lrsquoaphasique les regravegles de grammaire qursquoils ont apprises agrave lrsquoeacutecole ce qui ne renouvelle ni la

grammaire ni la compreacutehension de ce qursquoest une aphasie La pratique expeacuterimentale est le

raisonnement mecircme qui contraint agrave chercher ce qui dans lrsquoexpeacuterience reacutesiste agrave une hypothegravese

ce qui conduit agrave preacutefeacuterer une hypothegravese agrave une autre agrave confronter infirmation et confirmation

toujours relatives et in fine agrave laquo remanier agrave lrsquoexpeacuterience raquo ce qui est dit 1071 dans une

eacutelaboration de la congruence dite laquo proprieacuteteacute raquo Voir aussi en 1121 le jeu de mots proposeacute

entre laquo pratique raquo et laquo pragma raquo

INTERMEgraveDE 5 Excursion clinique

Agrave ce moment preacutecis du texte ougrave il est question drsquoexpeacuterience clinique il me paraicirct opportun

de preacutesenter un exemple de ce qursquoest laquo pratiquement raquo cette expeacuterience en tant

qursquoexpeacuterience seacutemantique Le faire en quelques paragraphes est une gageure pour de mul-

tiples raisons Entre autres raisons parce que seule la convergence de multiples tests permet

de confirmer une hypothegravese et aussi parce que chaque test consiste agrave observer dans la dureacutee

la dynamique des reacuteponses successives apporteacutees aux questions poseacutees Voici cependant un

essai baseacute sur les donneacutees de la thegravese drsquoHubert Guyard Le concept drsquoexplication en

aphasiologie Rennes 1987 (citeacutee ici dans la reacuteeacutedition de 2009)

Si lrsquoon srsquoen tient agrave une deacutefinition laquo scolaire raquo de la syntaxe agrave savoir laquo les regravegles qui reacutegissent

les relations entre les mots dans la proposition ou la phrase raquo on observera que tous les

aphasiques font des laquo erreurs raquo de syntaxe qursquoils soient de type Broca ou Wernicke

Cependant on peut en tenant compte de la conception biaxiale du grammatical montrer agrave

lrsquoaide de tests qursquoil ne srsquoagit pas laquo drsquoerreurs raquo mais de raisonnement grammaticaux

systeacutematiques et pathologiques que le raisonnement grammatical pathologique du Broca

nrsquoest pas le mecircme que celui du Wernicke et surtout que lrsquoon peut deacutefinir ces raisonnements

Le clinicien laquo seacutemanticien raquo est alors confronteacute agrave une laquo incongruiteacute raquo relative dans son propos

initial qui le conduit dans la perspective drsquoune seacutemantique de type scientifique agrave redeacutefinir la

notion de syntaxe Je vais tenter drsquoen donner un exemple aussi bref que possible agrave partir de la

notion laquo drsquoaccord raquo (en nombre genre etc)

- Voici ce que produit par eacutecrit un aphasique de Wernicke lorsqursquoon lui demande de

compleacuteter les eacutenonceacutes suivants avec laquo Il raquo ou laquo Elle raquo

LE GARCcedilON CRIE ET [ hellip ] ARRIVE EN LARMES LA FILLE CRIE ET [ hellip ] ARRIVE EN LARMES LE GARCcedilON CRIE

ET [ hellip ] ARRIVE UN ACCIDENT LA FILLE CRIE ET [ hellip ] ARRIVE UN ACCIDENT

Reacuteponses du malade Le garccedilon crie et il arrive en larmes La fille crie et elle arrive en

larmes Le garccedilon crie et il arrive un accident La fille crie et elle arrive un accident

Idem pour Le garccedilon il lui arrive de prendre le train La fille elle lui arrive drsquoeacutetendre le

linge Ou Le garccedilon dort il faut que le garccedilon dorme La fille dort elle faut que la fille

dorme (p 113)

230 Une lecture de Jean Gagnepain

Le malade est ici pieacutegeacute par le deacutebut du raisonnement Il redit agrave lrsquoidentique son choix de

laquo il raquo ou de laquo elle raquo sans tenir compte du fait que seul laquo il raquo srsquoimpose dans la construction

impersonnelle En revanche il construit sans problegraveme tout verbe avec son preacutefixe personnel

- Voici maintenant ce que produit par eacutecrit un aphasique de Broca dans un test similaire

ougrave lrsquoon passe drsquoun masculin agrave un feacuteminin

LE BOUCHER EST CONSCIENCIEUX LUI gt LA BOUCHERE EST CONSCIENCIEUSE [ hellip ]

Reacuteponses LA BOUCHERE EST CONSCIENCIEUSE la LA BOUCHERE EST CONSCIENCIEUSE une (p 138)

La difficulteacute pour ce malade nrsquoest pas du mecircme ordre que pour le preacuteceacutedent Le genre est

ici aussi reacutepeacuteteacute mais le malade est insensible agrave lrsquoincompleacutetude grammaticale de lrsquoarticle Le

Broca ne raisonne pas en termes de nom ou de verbe laquo complet raquo construit avec les preacutefixes

ou les suffixes requis et il est insensible agrave la diffeacuterence de dimension entre des pronoms

autonomisables tel que laquo Moi elle eux raquo et des articles nominaux laquo la- une- raquo ou des

preacutefixes verbaux tels que laquo Je- Ils- raquo (laquo Elle raquo eacutetant ambivalent)

Seule la construction meacutethodique de tests fait apparaicirctre distinctement la laquo double raison raquo

de la syntaxe drsquoune part la neacutecessiteacute de maicirctriser laquo la dimension des mots raquo en relation et

drsquoautre part la neacutecessiteacute de maicirctriser les diffeacuterences affecteacutees par la relation

Le raisonnement du Broca montre qursquoil y a laquo mot raquo et laquo mot raquo que de ce point de vue

laquo Elle raquo nrsquoest pas laquo la- raquo et (dans drsquoautres tests) que laquo Lui raquo (pronom) nrsquoest pas laquo il- raquo (preacutefixe

verbal) Certes le Broca laquo combine raquo mais il ne construit plus ses uniteacutes selon un programme

grammatical deacutelimiteacute

Le raisonnement du Wernicke montre qursquoil y a laquo genre raquo et laquo genre raquo et que de ce point de

vue le laquo il raquo de laquo ilelle arrive agrave gagner raquo nrsquoest pas le laquo il raquo de laquo il arrive qursquoilelle gagne raquo

Certes le Wernicke laquo choisit raquo mais il ne maicirctrise plus le cadre grammatical qui permet une

opposition ou qui en annule la possibiliteacute

Ainsi se trouve testeacutee en termes de capaciteacutes inheacuterentes au locuteur la diffeacuterence des deux

axes drsquoanalyse et une deacutefinition plus approfondie de la syntaxe (Voir supra les gloses des

pages 55-60 du Vouloir-Dire)

Reprenons maintenant le cours de lrsquoouvrage

La seacutemantique scientifique est un mode de raisonnement permanent chez tout locuteur

La notion courante de science est trop restrictive 1082 Dissociation des plans oblige il faut

abstraire la seacutemantique de son eacuteventuel traitement technique (laquo algegravebre raquo) ainsi que du fait

que la division du travail produit des laquo travailleurs de la preuve raquo (Gaston Bachelard) dans

certaines socieacuteteacutes (laquo eacutesoteacuterisme professionnel raquo) En effet chez tout le monde et en

permanence laquo la mise en situation du signe raquo transforme les laquo pheacutenomegravenes raquo en laquo substances

et en procegraves raquo conceptuels selon deux axes

Meacutetalangage et aphasie 1082 JG contredit ici la position de Roman Jakobson qui

deacuteclarait que laquo lrsquoaphasie peut souvent se deacutefinir par la perte de lrsquoaptitude aux opeacuterations meacuteta-

linguistiques raquo dans son article laquo Linguistique et poeacutetique raquo in Essais de linguistique geacuteneacuterale

De la deacutesignation 231

Lrsquoobservation deacutement ce propos Lrsquoaphasique de Wernicke tente de compenser son indeacutecision

lexicale en explorant un champ conceptuel (Hubert Guyard Thegravese t1 p 187)

Observateur Qursquoest-ce que crsquoest qursquoun bol

Malade Un bol crsquoest un machin pour boire un cafeacute dedans un bo un seau pas un seau

un pot pas un pot Ahhellip

Lrsquoaphasique a parfaitement conscience de ce qursquoest un exercice linguistique et srsquoy precircte

volontiers Le problegraveme est qursquoil objective qursquoil cherche du vocable synonymique et du terme

agrave partir drsquoune grammaire laquo dimidieacutee raquo (reacuteduite de moitieacute) ougrave le lexique est aleacuteatoire

Toute explication est verbale

laquo La science [nrsquoest pas] caracteacuteriseacutee par lrsquoobjectiviteacute raquo 1084 Ceci est dit en preacutevision de

lrsquointeacutegration de la gnose mystique agrave la seacutemantique scientifique Il veut seulement dire que la

conjoncture ne se reacuteduit pas agrave de lrsquoobjet tel qursquoon conccediloit ce dernier ordinairement souvent

reacuteduit agrave du laquo perccedilu raquo

laquo hellip ni par lrsquouniversaliteacute drsquoun savoir raquo parce que le savoir est la capitalisation sociale de la

connaissance Une proprieacuteteacute du social ne peut expliquer une proprieacuteteacute du dire JG critique ici

lrsquoideacutee bien ancreacutee selon laquelle a raison scientifiquement celui avec lequel tout le monde est

drsquoaccord Ce que deacutement toute deacutecouverte scientifique en ce qursquoelle introduit une rupture

drsquoavec la doxa preacuteceacutedente Galileacutee et Einstein ont commenceacute par ecirctre bien seuls La proposi-

tion inverse serait tout aussi speacutecieuse qui preacutetendrait que lrsquoon aurait raison agrave proportion de

sa marginaliteacute Il importe ici de dissocier les deux plans mythe et science sur un plan

subjectiviteacute et universaliteacute sur un autre

laquo La sciencehellip ne peut comme telle srsquoopposer agrave la gnose raquo Pourquoi Lrsquoune et lrsquoautre

laquo srsquoaccordent agrave contester raquo laquo de toute faccedilon rationnellement raquo lrsquoexpeacuterience Lrsquoune le fait

laquo inductivement raquo et lrsquoautre laquo transcendantalement raquo 1084 Eacutevidemment tout deacutepend de que

le lecteur entendra par laquo gnose raquo tellement la polyseacutemie de ce terme est grande Consideacuterons

qursquoil srsquoagit pour quelqursquoun de dire ce qursquoest son expeacuterience mystique de sa relation au

transcendant quelle qursquoelle soit car il est vrai que lrsquoon peut parler de tout et que mystique ou

pas lrsquoexpeacuterience contraint le message qui en rend compte La gnose qui est dite est en cela

distincte de la laquo contemplation existentielle raquo eacutevoqueacutee plus loin en 1113

laquo Contester raquo lrsquoexpeacuteriencehellip laquo srsquoy conformer nrsquoimplique pas qursquoon la positivehellip ni qursquoon

lrsquoideacutealise raquo Ce passage reformule la dialectique du dire dans sa version scientifique 1084 On

observe ici la convergence de laquo contester raquo et de laquo se conformer agrave raquo la rheacutetorique est dans la

dialectique des deux

laquo hellipCe mode de seacutemantisation par la transparence quil vise de la structure agrave leacutegard de la

conjoncture tend agrave neacuteantiser les conditions de sa preacutesence et agrave subordonner le signe au perccedilu

Il reste que le concept ne sy reacuteduit pas et quil nest scientifiquement dobjet que construit

Construit sentend avec des motshellip raquo 1084

Le deacutebut du propos rend compte du laquo reacutealisme naiumlf raquo de tout locuteur ordinaire qui

lorsqursquoil cause nrsquoa pas agrave prendre conscience de ce que crsquoest que laquo causer raquo La fin du propos

vient contester cette illusion au nom de la dialectique

laquo Il nrsquoest drsquoobjet que construit Construit srsquoentend avec des mots et crsquoest pourquoihellip on ne

saurait fucirct-ce du veacutecu de lrsquohomme espeacuterer drsquoautre explication que verbale raquo 1084

232 Une lecture de Jean Gagnepain

Sur le deacutebut voir les Intermegravedes 1 et 4 proposeacutes preacuteceacutedemment Jrsquoy entends un eacutecho

drsquoErnst Cassirer laquo Toute connaissance theacuteorique prend son point de deacutepart dans un monde

deacutejagrave formeacute par le langage ne vit drsquoabord avec les objets qursquoen fonction de la maniegravere dont le

langage les conduit agrave ellehellip raquo Langage et mythe 1973 Eacuted de Minuit p 39

Au laquo perccedilu raquo JG ajoute le laquo veacutecu raquo Srsquoy confronter ne constitue pas en soi une explication

laquelle est produite par la seule laquo verbalisation raquo de lrsquoexpeacuterience Sur un autre plan trans-

mettre agrave lrsquoapprenti une proceacutedure technique en lrsquoeffectuant et en controcirclant des essais est

diffeacuterent de lrsquoexpliquer

Je rappelle au passage lrsquoambivalence du terme laquo objet raquo dans la terminologie du Vouloir-

dire Il y a laquo lrsquoobjet1 raquo naturel deacutefini en 252 laquo Lobjet pour nous nest point la chose mais

exclusivement la chose en tant quelle est perccedilue cest-agrave-dire en tant quun double meacutecanisme

estheacutesique et gnosique eacutelabore la synthegravese des donneacutees eacutemanant seacutelectivement de notre

sensorialiteacute Eacuteleacutement de la repreacutesentation il est rarement celui de la connaissance raquo Cet

objet1-lagrave est agrave la porteacutee drsquoautres espegraveces et il nrsquoest connaissable qursquoen devenant cet autre

laquo objet2 raquo seacutemantiquement laquo construit raquo par le langage En retour il va de soi que lrsquoon peut

laquo objectiver2 raquo tout autre chose que de laquo lrsquoobjet1 raquo singuliegraverement le laquo veacutecu raquo ici eacutevoqueacute

Le paragraphe 1085 - 1091 reformule la deacutefinition de la seacutemantique scientifique Il

oppose agrave la formule de Nicolas Boileau dans LrsquoArt poeacutetique (1674)hellip

Avant donc que deacutecrire apprenez agrave penser

Selon que notre ideacutee est plus ou moins obscure

Lexpression la suit ou moins nette ou plus pure

Ce que lon conccediloit bien seacutenonce clairement

Et les mots pour le dire arrivent aiseacutement

hellip son inversion laquo lrsquoon ne conccediloit rien tant qursquoon nrsquoa pas de mots pour le dire raquo Quoique

les mots ne suffisent pas cependant toute science est laquo recherche de langage raquo Il oppose

donc laquo jouer raquo (mythiquement) sur les mots agrave laquo travailler raquo (scientifiquement) sur les mots

laquo Le mot deacutenonce le miracle au terme drsquoune deacutemarche agrave la fois reacutesolutive et

discursive raquo 1092 Opposer ici laquo miracle raquo et laquo explication raquo Les adjectifs finaux

renvoient aux deux axes la science distingue en construisant lrsquoadeacutequation et elle

deacuteveloppe en construisant lrsquoexactitude ndash ni trop ni trop peu de raisonnement

laquo Preacutetendre distinguer dans les pheacutenomegravenes un principe de leacutegaliteacute drsquoun principe de

causaliteacute raquo [est trop subtil] 1092 La suite eacuteclaire ce passage laquo la chose nrsquoest en lrsquooccurrence

rien de plus que le nom qursquoon lui donne et la cause rien drsquoautre qursquoun terme de proposition raquo

Il y a un brin de provocation dans cette derniegravere formulation oublieuse de la dialectique et

lrsquoautoabsolution qui suit nrsquoy change rien laquo ce nrsquoest pas sombrer dans le nominalismehellip raquo JG

oppose ici le laquo pheacutenomegravene raquo (relevant du principe de reacutealiteacute) et la laquo chose raquo synonyme ici de

vocable obtenu par synonymie reacutesultat drsquoune deacutenomination De mecircme lrsquoexplication est-elle

subordonneacutee agrave la preacutedication et agrave son analyse en laquo termes raquo Drsquoougrave le rapprochement avec la

notion de laquo deacuteterminisme raquo JG srsquointeacuteresse ici au raisonnement et agrave la causaliteacute que celui-ci

produit Insistant sur le rocircle de la preacutedication il associe lrsquoexplication par modegravele et celle par

origine apregraves avoir en deacutebut drsquoouvrage soutenu que lrsquoon nrsquoexplique que par modegravele et que

lrsquoexplication par lrsquoorigine preacutesuppose un modegravele (Il est clair que Louis XIV ne laquo succegravede raquo agrave

De la deacutesignation 233

Louis XIII qursquoen raison du modegravele sociologique qui deacutefinit une laquo succession raquo patrilineacuteaire

primogeacutenitale macircle Hors de ce modegravele il nrsquoy a pas de laquo faits successifs raquo

On retrouve Protagoras en fin de paragraphe laquo Πάντων χρημάτων μέτρον ἄνθρωπὸς

ἐστιν raquo laquo Lrsquohomme est la mesure de toute chose raquo (Platon le Theacuteeacutetegravete 178b) Et cette mesure

est langagiegravere laquo Quel que soit lrsquoinfini il est toujours agrave notre eacutechelle dans la mesure en effet ougrave

ce que le langage nrsquoatteint pas scientifiquement nrsquoexiste pas raquo 1092 Il ne srsquoagit pas de nier le

principe de reacutealiteacute de nier que celle-ci excegravede toute connaissance mais de faire du signe laquo la

source et la fin de la science raquo 1102 La science est un mode de raisonnement

Science et formalisation

Le long paragraphe 1093 conclut en son deacutebut le thegraveme preacuteceacutedent et deacuteveloppe ensuite

une critique drsquoune forme de logocentrisme qursquoil repegravere dans la notion ordinaire de laquo science raquo

lorsque lrsquoon fait reposer la deacutefinition de cette derniegravere sur lrsquoappui que lui donnent lrsquoeacutecrit et la

formalisation scripturale Deacuteveloppons

Le deacutebut la rheacutetorique scientifique repose sur une laquo analyse raquo meacutetalinguistique et celle-ci

est commune aussi bien agrave la chimie la plus preacutecise ndash qui deacutefinit la vitamine B1 comme chlorure

daminomeacutethylpyrimidinyl-hydroxy-eacutethylmeacutethy-thiazolium ndash qursquoau laquo What ‟itrdquo means raquo

drsquoAlice au pays des Merveilles qui pose une question drsquoune grande geacuteneacuteraliteacute 1093

Suit une critique du laquo moindre souci drsquoexpeacuterimentation raquo en sciences humaines Ces

derniegraveres privileacutegient les artefacts de lrsquoeacutecrit comme les laquo regravegles de reacuteeacutecriture raquo 1101 et les

laquo algorithmes raquo JG nrsquoen fait pas une critique radicale puisqursquolaquo on peut srsquoen servir raquo Mais on

peut aussi se donner une laquo illusion drsquoexactitude raquo en prenant lrsquoartefact pour lrsquoobjet lui-mecircme

laquo ce qursquoon deacutesigne deacutesormais crsquoest le chiffre et non plus le concept raquo Tel serait le cas si en

lisant laquo H2O raquo on ne retenait que la formule et non la deacutefinition de la moleacutecule que cette

formule reacutesume laquo E=mc2 raquo nrsquoest un raisonnement scientifique qursquoagrave proportion de la

connaissance que lrsquoon a de ce qursquoest lrsquoeacutenergie la masse et de ce que recouvre la constante

matheacutematique eacutecrite laquo c raquo Faute de quoi laquo cette univociteacute tout artificielle nous trompe raquo

1102

laquo La science hellip est essentiellement bavarde ou nrsquoest pas (hellip) Lrsquourgence est () drsquoinventer les

proceacutedures destineacutees agrave fonder la pertinence de la glose (hellip) Si la manipulation modifie

indiscutablement les conditions de lrsquoobservation crsquoest en lui et par lui [c-agrave-d le langage] que

srsquoeacutetablit la preuve raquo 1102 Thegraveme de lrsquoexpeacuterimentation Paraphrases de la deacutefinition de la

rheacutetorique scientifique Ceci justifie que lrsquoon appelle laquo science raquo tout raisonnement seacuteman-

tique deacutefini comme laquo le deacutepassement verbal de lrsquoimaginaire qui remet le langage en causehellipraquo

Il semble qursquoici le terme laquo preuve raquo nrsquoait pas un sens axiologique mais seulement logique

celui de contrainte guidant lrsquoeacutelaboration de lrsquointelligibiliteacute

Porteacutee de la rheacutetorique scientifique La question des paramegravetres de la situation La neacutecessaire dissociation des plans

Ces paragraphes 1103 agrave 1111 deacutefinissent la porteacutee seacutemantique de la viseacutee scientifique

puis dressent un inventaire de ce qui laquo limite les preacutetentions de [ce] mode de connaissancehellip

[la science] raquo 1112

234 Une lecture de Jean Gagnepain

JG rappelle que la reacutefeacuterence viseacutee par la rheacutetorique se diversifie en quatre paramegravetres et

qursquoil faut prendre en compte ndash outre lrsquoobjet ndash lrsquoeacutemetteur le reacutecepteur et le vecteur 1103 Cf

p 68-72 Les paramegravetres du message Or la science ordinaire sous la notion drsquoobjectiviteacute

reacuteduit la reacutefeacuterence agrave lrsquoobjet Mais laquo la viseacutee qui deacutetermine lrsquounivers promeut aussi notre

conscience ndash nous ne parlons pas de sujet ndash au centre du monde et des choses ainsi drsquoailleurs

que lrsquoautre agrave qui lrsquoon srsquoadresse sans que lrsquoeacutechange soit neacutecessairement concerneacute raquo

Le refus de parler de laquo sujet raquo tient agrave ce que le terme relegraveve pour lui du plan de lrsquoecirctre natu-

rel et social dont il traite dans le volume II (La Personne) Crsquoest pourquoi il preacutefegravere le terme de

laquo notre conscience raquo pour deacutesigner le locuteur en tant que tel

Rappelons ce que JG entend par promotion du laquo locuteur raquo Il est commode de srsquoappuyer

sur la terminologie suivante On est toujours glossologiquement un laquo locuteur raquo qui laquo dit raquo et

dans le mecircme temps sociolinguistiquement un laquo interlocuteur raquo en relation avec drsquoautres

interlocuteurs En tant que locuteur on laquo dit raquo en tant qursquointerlocuteur on laquo deacuteclare raquo de

maniegravere responsable JG parle ici de lrsquoinformation que le locuteur livre de lui-mecircme et non

de lrsquoeffet laquo pragmatique raquo que produit la prise de position de lrsquointerlocuteur dans sa relation agrave

lrsquoautre (ou aux autres) interlocuteur(s)

Je prends le risque de placer ici en exemple une partie de ce que les logiciens appellent laquo la

modaliteacute eacutepisteacutemique raquo et qui consiste pour le locuteur source du message agrave moduler le

degreacute et le type de prise de conscience du raisonnement qursquoil tient ou agrave deacutecrire quelle est son

implication dans ce qursquoil dit Soit le contraste entre laquo La mer recule semble reculer raquo et laquo Je

sais quehellip Jrsquoobserve clairement quehellip Il me semble quehellip la mer recule raquo Le second eacutenonceacute

explicite la preacutesence du locuteur et son implication dans le propos tenu (Abstraction faite de

la prise de position voire du jugement critique qui surdeacutetermine cette information)

Agrave propos du paramegravetre du laquo reacutecepteur raquo de la cible du message JG parlait du laquo souci raquo

que lrsquoon manifeste pour celui-ci en 702 Un exemple peut en ecirctre la prise en compte par la

source de lrsquoinformation qursquoelle suppose exister chez la cible On observe alors dans le message

soit une ellipse soit inversement une reformulation On reformule pour expliciter la synony-

mie du vocable lorsque lrsquoon sait qursquoil srsquoagit drsquoune information nouvelle pour la cible Inverse-

ment on omet de lrsquoinformation lorsque lrsquoon sait qursquoelle est deacutejagrave lagrave du cocircteacute de la cible Dans les

deux cas lrsquoadeacutequation agrave lrsquoobjet reste eacutegale

Deux remarques critiques suivent en 1111

Dans les critiques geacuteneacuteralement faites au laquo rationalisme raquo il faut retenir selon JG laquo une

restriction abusive de la diversiteacute des paramegravetres raquohellip au seul objet Crsquoest-agrave-dire que lrsquoon oublie

que le message scientifique est aussi relatif agrave lrsquoeacutemetteur et au reacutecepteur ainsi qursquoaux condi-

tions pratiques de sa production

Suit une critique du laquo scientisme raquo Le reproche qui lui est adresseacute est de consideacuterer que

dans lrsquoattitude laquo scientiste raquo laquo la logique lrsquoemporte sur les autres rationaliteacutes raquo On sait que

pour le scientiste la connaissance scientifique est supposeacutee pouvoir reacutesoudre tous les

problegravemes que lrsquohomme se pose dans le domaine de la morale de la politique et en

particulier pouvoir se substituer agrave la religion JG donne en exemple une liste de cas laquo On a

trop longtemps confonduhellip raquo

- laquo Linguistique et langage raquo Le scientisme finalement promeut les laquo savants raquo JG

commence donc par faire acte drsquohumiliteacute Il ne faut pas espeacuterer du linguiste qursquoil reacutesolve des

De la deacutesignation 235

problegravemes de laquo langue raquo lesquels sont drsquoordre sociologique de graphie en ce qursquoil srsquoagit de

technologie ni drsquoecirctre lrsquoarbitre normatif du bon ou du beau langage ou de lrsquoorthographe

- laquo Morale et science des mœurshellip travail et enseignement en IUT raquo Dans les deux cas une

reacutealiteacute culturelle non langagiegravere est abordeacutee agrave travers la connaissance qursquoon en a et

confondue avec elle

- laquo Geschehen et Geschichte raquo laquo Das Geschehen raquo crsquoest lrsquoeacuteveacutenement ce qui se passe et qui

compte pour les gens Ex laquo hellip uumlber das Geschehen in der Unternehmung umfassend

informiert zu sein raquo laquo hellip drsquoecirctre informeacutes de (tout) ce qui se passe dans lrsquoentreprise raquo Crsquoest

donc lrsquohistoire veacutecue des gens laquo Die Geschichte raquo crsquoest le reacutecit historique construit par

lrsquohistorien qui dit ce qursquoil connaicirct de ce qui srsquoest passeacute

Le recoupement de la rheacutetorique scientifique par les autres plans

Le deacutebut de 1112 traite des surdeacuteterminations de la rheacutetorique scientifique par les autres

plans Culturellement parlant tous plans confondus la rheacutetorique (comme tout fait de dire)

entre comme contenu dans la dialectique des autres meacutediations

Au plan technique (laquo ergologique raquo dans la terminologie de la TdM) le message devient

laquo deacuteictiquement un produit raquo et suppose laquo une lecture raquo Lrsquoexplication scientifique en effet se

fixe la plupart du temps dans lrsquoartefact qursquoest lrsquoeacutecrit qui permet en particulier de condenser

lrsquoinformation dans des formules et surtout permet le calcul JG reviendra longuement sur ce

point dans la seconde partie du Vouloir Dire laquo LrsquoOutil raquo Il appellera laquo industrie deacuteictique raquo la

fabrication technique drsquoun fait de conscience Ce fait peut ecirctre naturel le parfum est une

odeur fabriqueacutee et le clignotant fabrique un indice visuel drsquoougrave part une information symbo-

lique (Voir Philippe Bruneau amp Pierre-Yves Balut 1997 Artistique et Archeacuteologie Presses de

Paris-Sorbonne sect94) Lorsqursquoil srsquoagit de signe lrsquoartefact est lrsquoeacutecrit

Au plan sociologique celui de la Personne le message devient laquo seacutemiotiquement un eacutetat raquo

et suppose une laquo interpreacutetation raquo En quel sens JG entend par laquo seacutemiotique raquo le traitement

social de toute information crsquoest-agrave-dire la dialectique de son appropriation et de son eacutechange

Cette information peut ecirctre symbolique on laquo seacutemiotise raquo son deacutesaccord en France par une

rotation horizontale rapide de la tecircte Un tel geste sera compris comme un accord en Gregravece

contemporaine Lrsquoaccord en France se gesticule de haut en bas En Gregravece on signale son

deacutesaccord en rejetant brusquement la tecircte en arriegravere Lorsque lrsquoinformation est langagiegravere on

a affaire agrave un fait de langue agrave un laquo eacutetat raquo (toujours transitoire dans une histoire) Il y a

toujours un laquo eacutetat de la science raquo source de dissension et de consensus relatifs Le terme

laquo interpreacutetation raquo a ici le sens purement sociologique qursquoil a dans laquo interpreacutetariat interpregravete raquo

Crsquoest une transaction Le touriste franccedilais qui deacutecouvre la Gregravece (pour en revenir agrave lui) doit

transiger avec ce qursquoil entend laquo Ναι (Negrave) raquo crsquoest Oui et laquo όχι [ɔccedili] raquo crsquoest Non On transige

tout autant sur la deacutefinition de la laquo masse raquo en physique sur celle de la laquo moleacutecule raquo en

chimie et aussi bien eacutevidemment sur celle du laquo langage raquo

Au plan axiologique (eacutethico-moral) le message devient laquo apophantiquement un axiome raquo

et suppose une laquo exeacutegegravese raquo Lagrave encore JG anticipe sur des deacutefinitions deacuteveloppeacutees dans le

second tome de son traiteacute Le terme laquo apophantique raquo est emprunteacute au grec ἀποϕαίνω

apophaino laquo mettre au jour raquo et aussi laquo deacutemontrer apporter la preuve raquo Il reacutesume le fait que

tout raisonnement est aussi humainement contraint par un jugement permanent qui en fait un

laquo dis-cours raquo plein de laquo deacutetours raquo entre laquo raison et tort raquo entre essais et erreurs entre le vrai

236 Une lecture de Jean Gagnepain

et le faux Le terme laquo axiome raquo nrsquoest pas pris dans son sens matheacutematique et garde le sens

grec du preacutefixe ἀξιο- axio- laquo qui est jugeacute digne raquo ici qui est jugeacute vrai plutocirct que faux sens

que lrsquoon retrouve dans le terme geacuteneacuterique laquo axiologie raquo Lrsquoaxiome en ce sens nrsquoest pas un

point de deacutepart mais la part constante de jugement que tout humain porte sur le processus

drsquoeacutenonciation de son message parce qursquoil est capable de norme On comprend alors que la

laquo meacutethode raquo (μέθοδος meacutethodos la recherche le chemin vers un but) soit une laquo exeacutegegravese raquo

Ce terme est aussi pris dans un sens plus geacuteneacuterique que drsquoordinaire Le nom ἐξήγησις

eksecircgecircsis deacuterive du verbe ἐξηγέομαι eksecircgeacuteomai laquo mener hors de diriger mener agrave son

terme raquo Il srsquoagit drsquoune laquo extraction raquo drsquoun cheminement vers une leacutegitimiteacute relative vers cet

apaisement lesteacute de scrupules et vers cette satisfaction lesteacutee de renoncements que lrsquoon

appelle laquo reacutesultat raquo parce qursquoils reacutesultent de ce cheminement

Drsquoougrave la formule conclusive laquo lrsquoeacutevidence y reacutesultehellip drsquoune extrecircme simplification raquo 1112 Le

terme laquo eacutevidence raquo cumule ici son sens franccedilais et anglais (de laquo preuve raquo) Souvenir aussi de

Gaston Bachelard laquo le simple est toujours le simplifieacute il ne saurait ecirctre penseacute correctement

quen tant quil apparaicirct comme le produit dun processus de simplification raquo Le nouvel esprit

scientifique 1949 p139

La fin du paragraphe eacutevoque la limite du raisonnement scientifique dans sa relation au fait

religieux pris en tant que fait de conscience laquo Ce mode de connaissance [la science] parti du

langage reste dans le langage et ne peut en conseacutequence dire ni contredire lrsquoineffable dont le

verbe est la condition mais le fondement mystiquement dans la foi raquo 1112

- Anthropologiquement lrsquoabsolu transcendant nrsquoest accessible qursquoagrave travers les proprieacuteteacutes

meacutediatrices de la culture dont celles du Signe en ce qui concerne la connaissance de cet

absolu Qursquoon Lrsquoappelle drsquoun nom (Dieu Allah) drsquoun surnom (Adonaiuml Dominus) ou qursquoon use

de subterfuges drsquoeacutecriture comme le fait la tradition juive avec le teacutetragramme YHWH (יהוה) de

toute faccedilon on en parle Le laquo verbe raquo est donc laquo la condition raquo de toute theacuteo-logie qursquoelle soit

savante ou ordinaire

- Cependant lrsquoexpeacuterience en question nrsquooffrant aucune reacutesistance agrave lrsquoobservation ou agrave

lrsquoexpeacuterimentation pas plus clinique qursquoautre ndash ce que reacutesume la notion de laquo transcendance raquo ndash

le raisonnement scientifique fait de reacutefutations (laquo contredire raquo) et de confirmations (laquo dire raquo)

relatives nrsquoa pas prise sur un tel objet On y croit ou pas

Selon ma lecture la fin de la phrase signifie que le laquo fondement raquo du fait religieux relegraveve du

plan axiologique parce qursquoil repose sur cette laquo confiance raquo qursquoest laquo la foi raquo forme de satisfac-

tion leacutegitime plutocirct que de renoncement et qui porte par recoupement de plans sur lrsquoecirctre

transcendant et sur sa deacutenomination On laquo ose raquo ou on laquo nrsquoose pas raquo y croire Dit autrement

on laquo ose raquo ou on laquo nrsquoose pas raquo ne pas y croire ce qui revient au mecircme Croyance scepticisme

increacuteduliteacute sont des faits eacutethico-moraux

Crsquoest ainsi que je legraveve le paradoxe apparent de la notion laquo drsquoineffable raquo Il ne faut pas

lrsquoentendre comme laquo ce dont on ne peut pas parler raquo puisque manifestement on peut en

parler Chez JG le concept est axiologique (cf DVD II p255) comme celui de laquo fable raquo et de

laquo fabulation raquo Lrsquoineffable est en dehors de la laquo meacutethode raquo scientifique parce que cette

derniegravere juge entre erreur et veacuteriteacute en soumettant ce jugement agrave des restrictions La premiegravere

de ces restrictions est la possibiliteacute de lrsquoobservation etou de lrsquoexpeacuterimentation

Cela dit qursquoil soit clair que ce qursquoon appelle laquo religion raquo ne se reacuteduit pas pour lrsquoauteur agrave un

fait axiologique En tant que fait humain il a un statut sur chacun des plans Ceci est largement

De la deacutesignation 237

deacuteveloppeacute dans le troisiegraveme tome du Vouloir-Dire ainsi que dans Raison de plus raison de

moins Propos de meacutedecine et de theacuteologie 2005 eacuteditions du Cerf

Le langage laquo fait surgir raquo la penseacutee et laquo lui assigne un terme raquo

Poursuite de lrsquoideacutee que lrsquohomme ne peut sortir de son humaniteacute et qursquoen particulier

laquo crsquoest un recircve promeacutetheacuteen et qui nrsquoa point drsquoissue que de preacutetendre humainement exceacuteder le

langage raquo 1113 Comme fait de langage la science est une dialectique entre deux

laquo frontiegraveres raquo Lrsquoune est la grammaire le verbe eacutevoqueacute preacuteceacutedemment lrsquoautre laquo lrsquoexpeacuterience

concregravete ou veacutecue bref la contemplation existentielle raquo 1113 On peut vivre une expeacuterience

sans en parler mais on se situe alors en dehors de la rheacutetorique Cette reacuteflexion fait eacutecho agrave

302 laquo Prisonniers en quelque sorte de nous-mecircmes nous devons de comprendre agrave notre

inaptitude agrave contempler nous ne pensons quavec des mots raquo Certes on peut contempler

mais en renonccedilant agrave comprendre On mesure ici la distance drsquoavec la pheacutenomeacutenologie Il y

aurait lieu de confronter les notions de laquo veacutecu raquo et de fait laquo existentiel raquo dans ce contexte

avec les notions de laquo Lebenswelt raquo ou de laquo Dasein raquo chez les pheacutenomeacutenologues Cf les

Seacuteminaires de 1986-87 laquo Les quatre veacuteriteacutes raquo

laquo En deacutepit des revendications issues de la praxis de lrsquoanalyse et de lrsquohermeacuteneutique raquo

1113 Reacutefeacuterence au marxisme agrave la psychanalyse et agrave une certaine philosophie La critique est

peut-ecirctre agrave mettre en relation avec la reacuteflexion sur le scientisme qualifieacute plus haut de

confusion entre plans Lrsquoideacutee est que le marxisme consideacutererait la praxis comme une

explication (scientifique) alors que pour JG la praxis est une conduite sociale Quant agrave

laquo lrsquoanalyse raquo en deacutepit du mot elle est un processus de transformation axiologique et non une

explication Enfin laquo lrsquohermeacuteneutique raquo est pour JG laquo ce qui nous permet danalyser non plus le

texte du message ni le plan de la composition mais tregraves exactement la seule intentionnaliteacute

du propos raquo DVD II 260211 Autrement dit lrsquohermeacuteneutique rend manifeste lrsquointention

latente ce qui est un laquo travail raquo sur le deacutesir et non une explication

Suit un nouveau commentaire sur la laquo frontiegravere raquo qursquoest le principe de reacutealiteacute 1113 laquo Ce

nrsquoest pas que lrsquoobjet (hellip) dans sa reacutealiteacute nous eacutechappe puisqursquoil est tregraves exactement ce

catalyseur du message qui en fait un meacutetalangage raquo Lrsquoobjet (objet1) est bien de lrsquoordre de la

laquo reacutealiteacute raquo mais non comme un en-soi Il nrsquoest objet1 laquo reacuteel raquo qursquoen tant que premier moment

humain drsquoune dialectique qui agrave travers la grammaire le transforme en message Il est

laquo catalyseur raquo parce que moment neacutecessaire pour que la laquo reacuteaction raquo du dire produise du

raisonnement conceptuel Ce dernier est scientifique dans la mesure ougrave ce reacuteel humain

provoque du laquo meacutetalangage raquo dans le dire provoque catalyse le remaniement des mots qui

creacutee le sens

[Ce nrsquoest pas que] laquo ni que lrsquoeacutepisteacutemegrave soit par essence speacuteculative puisqursquoil srsquoagit toujours

de rheacutetorique raquo En DVD II 15517 JG deacutefinit lrsquoeacutepisteacutemegrave comme laquo le principe raquo de reacutepartition

des connaissances Il eacutevoque donc ce qursquoil appelle plus loin laquo les sciences fondamentales raquo

dans leur plus grande geacuteneacuteraliteacute par opposition agrave la speacutecification que demande lrsquoadeacutequation agrave

la situation Bref qursquoun concept soit geacuteneacuterique ndash culture meacutediation dialectique ndash ou

speacutecifique ndash laquo entolome livide raquo ndash il reacutesulte du mecircme type de raisonnement

Ce passage rappelle cet autre plus haut qui eacutevoquait laquo la double exclusion [de la science]

de ce qui neacutetait plus nommable par excegraves de particularisme ou philosophiquement de geacuteneacutera-

liteacute raquo 991 Dans ces cas-lagrave on se situe hors raisonnement

238 Une lecture de Jean Gagnepain

laquo Crsquoest au sens strict du terme la quadrature du cercle que de preacutetendre authentiquement

lrsquoappliquer raquo 1113 (La science) Lrsquoimage de la laquo quadrature raquo renvoie agrave la dissociation des

quatre plans Lrsquoimage du cercle figure le principe de reacutealiteacute Il est impossible drsquoobtenir la

laquo coiumlncidence raquo des deux par un passage agrave la limite de la speacutecification pas plus qursquoil nrsquoest

possible par un passage agrave la limite de la geacuteneacuteraliteacute de passer du laquo verbe raquo relatif et

dialectique au laquo Verbe raquo absolu qui qualifie le divin

La science fait glossologique donc analytique

Ce paragraphe 1114 reformule deux aspects de la science

1) Son fondement est dans le langage qui lui donne sa deacutefinition et donc sa limite laquo Crsquoest

bien sur ce plan le langage qui la1 faisant surgir assigne aussi un terme agrave la penseacutee1 raquo (laquo la =

penseacutee raquo) laquo Sur ce plan raquo est une preacutecaution conceptuelle Le terme courant de laquo penseacutee raquo

peut aussi renvoyer aux autres plans notamment agrave la position intellectuelle Il srsquoagit ici du

raisonnement en tant que tel

2) Par conseacutequent la science est analytique laquo Son ideacuteal est repreacutesenteacute par les

mathecircmata raquo La science laquo deacutecoupe le pheacutenomegravene raquo 1121 et laquo se deacuteveloppe et se capitalise

meacutethodiquement dans la successiviteacute des temps raquo JG abandonne un instant la dissociation

des plans en associant une proprieacuteteacute du signe et une proprieacuteteacute de la personne (qui fait

histoire) Crsquoest pour mieux opposer la science au mythe qui est laquo panchronie reacuteveacuteleacutee raquo et au

poegraveme qui est laquo peacuteriodiciteacute chanteacutee raquo 1114 Il me semble que cette formulation est agrave

confronter dans le Vouloir-Dire II La Personne aux notions de laquo viseacutees synchronique anachro-

nique et chorale raquo appliqueacutees agrave la doxa Du strict point de vue glossologique JG veut dire que

la dialectique de la rheacutetorique scientifique conduit selon lrsquoimage qursquoil emploie agrave rendre de

plus en plus fines laquo les mailles du reacuteseau raquo et ceci indeacutefiniment

Ce passage inclut une reacuteflexion sur la notion de laquo pratique raquo laquo Elle serait trop souvent drsquoun

autre plan raquo 1121 En effet lrsquoideacutee de pratique renvoie communeacutement aux techniques

drsquoobservation et drsquoexpeacuterimentation et aux conditions socioprofessionnelles de lrsquoexercice de la

science Cela dit il y a pour JG un aspect proprement glossologique dans la notion de

pratique laquo La science est pratique elle-mecircme par deacutefinition dans la mesure ougrave ses messages

ressortissent agrave ce que nous avons nommeacute le ‟pragmardquo raquo Faisons la part du mythe et de la

science dans cette formulation Un soupccedilon de mythe La proposition laquo la science est

pratique raquo semble en effet justifieacutee par la ressemblance des mots laquo pratique raquo et laquo pragma raquo

Ce dernier terme est mentionneacute une fois en 684 dans son sens grec originel laquo ce qui existe la

situation raquo Cependant le raisonnement est bien de type scientifique dans la mesure ougrave il

invite agrave faire prendre conscience drsquoune polyseacutemie du terme laquo pratique raquo et agrave obliger le lecteur

agrave prendre ce terme dans un sens logique (et non technique ou sociologique) la rheacutetorique

scientifique consiste agrave se confronter agrave lrsquoexpeacuterience (laquo pragma raquo) pour laquo reacuteameacutenager

systeacutematiquement les mots raquo 1063 puisque le laquo pragma raquo laquo est tregraves exactement ce catalyseur

du message qui en fait un meacutetalangage raquo 1113 JG donne ici agrave laquo pratique raquo le sens de laquo qui

prend en compte le pragma raquo Cette fois-ci le grec est mis de cocircteacute laquo praktikos raquo efficace est

lieacute morphologiquement agrave laquo πρἀττειν raquo (prattein) accomplir achever et non agrave laquo pragma raquo

De la deacutesignation 239

Dans les deux derniers paragraphes 1122-3 JG envisage le terme de laquo science raquo tantocirct

dans son sens strictement glossologique de raisonnement rheacutetorique tantocirct dans son sens

commun

Anticipant ainsi sur son traiteacute sociologique de la Personne JG distingue entre la capaciteacute

qursquoest la rheacutetorique scientifique et laquo la science en totaliteacute raquo 1123 qursquoil envisage alors sous

son aspect social de laquo capital symbolique raquo (comme lrsquoappelle Pierre Bourdieu) qui reacutesulte des

laquo conditions drsquoaccegraves raquo 1122 agrave lrsquoexercice de cette capaciteacute dans un laquo systegraveme drsquoensei-

gnement raquo

Du point de vue proprement logique laquo tout locuteur est savant raquo et la science est laquo une

capaciteacute eacutegalement reacutepandue raquo 1122 Du point de vue sociologique le systegraveme social et son

systegraveme drsquoenseignement introduisent une laquo gradation raquo dans lrsquoexploitation et lrsquoexercice de

cette capaciteacute La tonaliteacute de ce passage est critique et reprend la notion marxienne

drsquoideacuteologie qui est la leacutegitimation par le discours de lrsquoappropriation drsquoune pratique par un

groupe au deacutetriment drsquoun autre groupe Je donne ici agrave laquo discours raquo le sens que lui donne la

TdM en axiologie Crsquoest pourquoi aussi JG utilise le terme de laquo stratagegraveme raquo qui est pour lui

axiologique La notion de laquo degreacutes drsquoabstraction raquo sert en cela laquo le pouvoir discreacutetionnaire des

clercs raquo

JG deacuteveloppe en conclusion la diffeacuterence entre ces deux sens du mot laquo science raquo Le sens

ordinaire est ainsi redeacutefini laquo la science en sa totaliteacutehellip cristallisehellip raquo 1123 (hellip) lrsquoensemble des

laquo rationaliteacutes raquo culturelles Drsquoougrave le passage en revue des quatre plans de meacutediation La

transmission de laquo la science raquo relegraveve non seulement de laquo lrsquoenseignement raquo qui propose de

srsquoexercer au raisonnement scientifique mais aussi de laquo lrsquoapprentissage raquo qui consiste agrave

srsquoexercer aux technologies degraves lors que la laquo science en sa totaliteacute raquo est une laquo techno-science raquo

dans sa deacutemarche drsquoobservation et drsquoexpeacuterimentation outilleacutees Du point de vue sociologique

crsquoest laquo lrsquoinstruction raquo qui compte puisqursquoelle constitue laquo le capital raquo de connaissances et de

pratiques scientifiques qui fait le savant Axiologiquement enfin laquo lrsquoeacuteducation raquo envisage la

science sous lrsquoangle de la laquo rigueur raquo meacutethodologique 1123 Au passage JG reproche agrave

laquo lrsquoenseignement raquo son laquo psittacisme raquo autrement dit un mode de transmission restreint agrave

lrsquoexposeacute de connaissances au deacutetriment de lrsquoexercice agrave la rheacutetorique scientifique qui est

drsquoabord un mode de raisonnement seacutemantique

Le thegraveme du savoir reconnu est eacutevoqueacute agrave travers une phrase de Humpy Dumpty un person-

nage de Lewis Caroll (Through the looking glass) 1123

‟- When I use a word Humpty Dumpty said in rather a scornful tone it means

just what I choose it to mean mdash neither more nor less

- The question is said Alice whether you can make words mean so many different

things

- The question is said Humpty Dumpty which is to be master mdash thats allrdquo

Humpty Dumpy transforme la question logique drsquoAlice en sa version sociologique On passe

du langage dans sa composante seacutemantique agrave la langue dans sa composante doxique On

passe laquo du sens agrave lrsquoacception raquo 1123 et il srsquoagit de savoir agrave qui ce sens appartient et qui a le

pouvoir de faire de son dire une deacuteclaration qui compte pour autrui

Conclusion Distinguer rheacutetorique scientifique et laquo la science raquo telle qursquoon lrsquoentend drsquoordinaire

240 Une lecture de Jean Gagnepain

2 ndash Mythe Le raisonnement seacutemantique mythique

Des mythes au raisonnement mythique

Dans le paragraphe preacuteceacutedent JG affirmait son objectif de laquo reacutetablir lrsquoeacutequilibre raquo entre les

trois raisonnements que permet la seacutemantique et de deacutemontrer que le discreacutedit jeteacute sur le

mythe eacutetait laquo un fait de civilisation raquo 1124 Il srsquoagit donc maintenant drsquoenvisager laquo lrsquoessence raquo

1131 crsquoest-agrave-dire le laquo principe drsquoorganisation raquo du mythe en faisant abstraction du jugement

que porte sur laquo les mythes raquo heacuteriteacutes du passeacute une civilisation qui reacuteduit laquo lrsquoacircge de la raison raquo agrave

la seule science

Le mythe est traditionnellement consideacutereacute comme une laquo penseacutee ludique sauvage ou

folle raquo crsquoest-agrave-dire lieacutee aux trois varieacuteteacutes supposeacutees de non-civilisation lrsquoenfant le sauvage et

le fou Lrsquoenfant est supposeacute jouer sur les mots sans fonder son choix sur lrsquoobjectiviteacute de la

reacutefeacuterence et lrsquoon est sauvage par laquo antiquiteacute ou exotisme raquo tandis que le fou laquo deacutelire raquo

JG expose les deux difficulteacutes auxquelles sont exposeacutes les ethnologues et les philologues

classiques La premiegravere tient agrave lrsquoessence mecircme du mythe dont le contenu nrsquoest laquo ni de lrsquoordre

de lrsquoobservable ni du deacutemontrable raquo 1132 Autrement dit la meacutethode scientifique eacutetant ici

radicalement impuissante agrave expliquer le mythographe se tournerait vers laquo lrsquoeacutevheacutemeacuterisme raquo

Eacutevheacutemegravere auteur grec du 4e siegravecle av J-C consideacuterait les dieux grecs comme des hommes de

pouvoir autrefois diviniseacutes apregraves leur mort De cette maniegravere le mythologue peut ramener laquo la

fantaisie raquo mythique agrave une reacutealiteacute historique et ainsi laquo deacutemystifier raquo le mythe de Romulus et

Remus ou de Gilgamesh En reacutesorbant le mythe dans la science on passe agrave cocircteacute de la question

de la nature mecircme du mythe laquo Lrsquoimage raquo (Ptoleacutemeacutee Philadelphe sous les traits drsquoun dieu)

laquo est lrsquoalibi de lrsquohypostase raquo Cela eacutetant il srsquoagit maintenant de deacutefinir ce qursquoest un

raisonnement qui recourt agrave laquo lrsquohypostase raquo plutocirct qursquoagrave laquo lrsquohypothegravese raquo

La seconde difficulteacute est affaire de plan de meacutediation On fait du mythe un objet de

sciences sociales On cherche laquo ses fonctions raquo sociales on tente drsquoen faire lrsquohistoire Or

lrsquohistorien sait bien que le raisonnement par lrsquoorigine est reacutecursif agrave lrsquoinfini et que laquo la source raquo

des sources est inaccessible Les ethnologues peuvent ignorer la dialectique grammatico-

rheacutetorique et tendre agrave penser que le sens peut ecirctre envisageacute indeacutependamment des mots qui le

structurent Ils ne sont pas assez laquo sensibles au mode de repreacutesentation raquo (la grammaire) 1132

dans des langues qursquoils ne maicirctrisent pas Pire encore les langues de formation du mythe sont

carreacutement disparues de sorte que le mythe nrsquoest connu qursquoagrave travers des traductions Le mythe

est laquo un savoir deacuteplaceacute raquo 1132

Remarque On peut illustrer lrsquoargument du laquo savoir deacuteplaceacute raquo par le processus

extrecircmement freacutequent qui fait qursquoun raisonnement scientifique se transforme en

raisonnement mythique agrave lrsquooccasion drsquoun changement de langue et drsquoune traduction La

toponymie foisonne drsquoexemples de ce type Un bretonnant en deacutepit de lrsquoorthographe

franciseacutee reconnaicirct dans les nombreux laquo croissants raquo qui figurent sur les cartes un laquo kroaz-

hent raquo une croiseacutee de chemins un carrefour Le toponyme est pour lui une deacutesignation

laquo scientifique raquo Mais que va imaginer un francophone qui veut motiver le terme de

laquo croissant raquo Le cas de laquo Ker Sauce raquo est encore plus reacuteveacutelateur Le francophone srsquoen tiendra

agrave lrsquoarbitraire ou tiendra un raisonnement mythique source de plaisanteries Le bretonnant

aussi en partie En effet pour lui laquo ker Saoz raquo crsquoest le village laquo des Anglais raquo (Bro Saoz

lrsquoAngleterre) Il y a une part de mythe dans ce raisonnement dans la mesure ougrave il nie la

De la deacutesignation 241

polyseacutemie de laquo Saoz raquo car il y a saxon et saxon En effet il srsquoagit parfois de lieux ougrave se sont

jadis fixeacutes drsquoanciens combattants laquo saxons raquo (de Germanie) de lrsquoarmeacutee romaine et non des

Grands-bretons Lrsquoappellation scientifique drsquoavant devient lrsquoappellation mythique drsquoapregraves au

greacute des transformations de langue au greacute des laquo savoirs deacuteplaceacutes raquo

JG fait remarquer que le type de mythe appeleacute laquo toteacutemisme raquo 1133 est imputeacute aux seules

civilisations ougrave lonomastique teacutemoigne encore drsquoune langue disparue qui avait eacuteteacute agrave la base

du raisonnement mythique agrave expliquer On sait par exemple que beaucoup de noms de fleuves

et de montagnes en France renvoient au gaulois voire probablement agrave des langues parleacutees

anteacuterieurement agrave lrsquoacculturation celtique On peut alors faire la relation entre les mots et les

mythes

laquo Illusion drsquooptique raquo en somme que de confondre le raisonnement et le corpus des

penseacutees qursquoil permet Ainsi le raisonnement scientifique nrsquoest pas reacuteductible aux laquo sciences raquo

de ces derniers siegravecles Une pareille illusion conduirait agrave preacutetendre que la science est occiden-

tale De mecircme le raisonnement mythique nrsquoest pas reacuteductible laquo aux mythes raquo discreacutediteacutes

chez nous mais reconnus ailleurs

Drsquoougrave lrsquoeacutenonceacute de la thegravese le mythe est une faccedilon de dire chez tout humain 1142

laquo Lrsquohistoire nrsquoa jamais veacuterifieacute la loi des trois eacutetats raquo Selon Auguste Comte toute connais-

sance humaine passerait successivement par trois modes drsquoexplication sans reacutegression

possible theacuteologique meacutetaphysique et positif

laquo Mythe et science sont toujours synchroniques entre eux dans un rapport mutuel de

compleacutementariteacute raquo (en tant que raisonnements seacutemantiques) Cette proposition est impor-

tante parce qursquoelle conduit agrave rechercher dans ce qursquoon appelle drsquoordinaire laquo de la science raquo

une part de raisonnement mythique et dans ce qursquoon appelle drsquoordinaire un laquo mythe raquo une

part de raisonnement scientifique

Deacutefinition contrastive du mythe par rapport agrave la science

Dans les deux cas le raisonnement est guideacute par une laquo neacutecessiteacute raquo et non par le hasard

Dans les deux cas on expose la preuve de ce que lrsquoon dit Seul diffegravere le critegravere du choix et de

la combinatoire de ce qui fera le message 1143-4

Scientifiquement la situation oriente lrsquoeacutelaboration du raisonnement sa neacutecessiteacute est

rechercheacutee dans lrsquointerface avec la situation Mythiquement les mots orientent cette eacutelabora-

tion sa neacutecessiteacute est rechercheacutee dans les configurations grammaticales 1143

Ainsi le nom pour un latin est neacutecessairement un preacutesage puisque laquo nomen raquo est proche

de laquo omen raquo 1144 Le bonheur doit ecirctre le contraire de lrsquoangoisse puisque laquo augusta raquo est en

opposition minimale avec laquo angusta raquo Le raisonnement mythique laquo projette raquo les mots sur

lrsquoexpeacuterience et en dessine le paysage seacutemantique laquo Projection raquo contre laquo induction raquo de la

reacutefeacuterence dit JG en 1143

JG parsemant son texte de paraphrases de deacutefinition du mythe jrsquoinclus ici deux autres

formulations contrastives de ce raisonnement

laquo On meacuteconnaicirct ainsi luniteacute profonde de cette alternative essentiellement eacutetiologique qui

veut que le puits vienne au seau si le seau ne va pas au puits et que lagrave ougrave par le signe aucun

objet nest formuleacute la forme elle-mecircme sobjective en se donnant un contenu qui fait culturelle-

ment partie de la reacutealiteacute raquo 1172

242 Une lecture de Jean Gagnepain

Et laquo Il y a mythe quand le mot suggegravere le concept dans lequel en retour il sincorpore raquo

1173

Il nrsquoy a pas rupture de la dialectique du dire comme chez le schizophase pour qui les mots

valent pour eux-mecircmes Le raisonnement mythique produit dialectiquement de la reacutefeacuterence

comme la science il cherche aussi agrave ecirctre adeacutequat et exact La science eacutetait laquo meacuteta-

linguistique raquo en ce qursquoelle reacuteorganisait (laquo meacuteta- raquo) le grammatical agrave lrsquoeacutepreuve de lrsquoexpeacuterience

le mythe est laquo meacutetaphysique raquo 1144 en ce qursquoil reacuteorganise lrsquoexpeacuterience (laquo physis raquo) agrave lrsquoeacutepreuve

des mots Le preacutefixe est choisi pour rappeler le caractegravere dialectique du raisonnement

laquo Le mythe nrsquoadmet pas plus [le merveilleux] que [ne le fait] la science Il ne lrsquoexplique pas Il

le fonde raquo 1144 Le merveilleux est tenu pour illusoire laquo mirage raquo Au contraire le mythe

donne au merveilleux le statut de neacutecessiteacute en le fondant sur lrsquoexistence des formes

grammaticales qui en fournissent la preuve La reacutealiteacute prend les contours drsquoune formulation

Il y a donc deux versions de la neacutecessiteacute le deacuteterminisme et le fatalisme Ce dernier terme

(agrave rapprocher du laquo fatum raquo latin) est justifieacute par le fait que laquo [le mythe] soumet le monde aux

lois internes du langage raquo Agrave la laquo formulation raquo qui srsquoappuie sur lrsquoexpeacuterience pour remanier la

grammaire srsquooppose laquo lrsquoeacutevocation raquo qui srsquoappuie sur les mots pour remanier lrsquoexpeacuterience

Autre diffeacuterence significative Eacutetant laquo hypostatique raquo le mythe ne nous apprend rien

drsquoautre que ce que les mots disent en tant qursquoidentiteacutes et uniteacutes En cela il nrsquoest pas

laquo heuristique raquo Suit lrsquoeacutevocation drsquoune conseacutequence sociolinguistique La seacutemantique

scientifique permet de deacutevelopper et de laquo capitaliser raquo de la connaissance 11147 alors que le

mythe laquo se reacutevegravele comme un oracle raquo 1144

laquo Lrsquounique ‟muthosrdquo raquo srsquooppose au laquo provignement des mots en ‟ndashlogierdquo raquo 1144 Lrsquoordre

culturel du signe est un dans son principe tandis que la conjoncture est infiniment varieacutee La

seacutemantique scientifique se heurte agrave cette varieacuteteacute de lrsquoexpeacuterience drsquoougrave la diversiteacute des champs

scientifiques Agrave commencer par les quatre plans de meacutediation Inversement le raisonnement

mythique ne peut qursquoecirctre homogegravene puisqursquoil tire sa neacutecessiteacute du seul ordre du signe Il est

irreacutefutable laquo infalsifiable raquo

laquo Le professeur se fait prophegravete raquo 1144 JG joue ici sur la proximiteacute des termes (ce qui est

agrave mon sens la partie mythique de son propos) Le mot laquo prophegravete raquo est sans doute ici pris

litteacuteralement agrave partir du grec προφήτης prophếtecircs ougrave -phếtecircs raquo est apparenteacute agrave φημί phecircmi

laquo je dis raquo On peut lrsquoentendre comme celui qui laquo met en avant raquo (pro-) le dire (phaacutenai laquo dire raquo)

celui qui se fonde sur les mots Il ne srsquoagit pas du propheacutetisme biblique Lrsquoopposition avec le

laquo professeur raquo procegravede drsquoun lieu commun ideacutealement le professeur explique des connais-

sances reacutefutables mecircme si une partie de son enseignement est mythique

JG soulegraveve en 1145 amp 1151 la question de la prise en compte par le raisonnement

mythique des paramegravetres de la situation Sur ce point le mythe se distingue de la science

laquo Lrsquoobjet raquo dit-il nrsquoest pas seul concerneacute mais comme la conjoncture est identifieacutee agrave la struc-

ture grammaticale laquo lrsquoeacutemetteur et le reacutecepteur communient dans la participation drsquoun savoir raquo

1145 qui a son propre cadre spatio-temporel de sorte que les propos mythiques ne peuvent

varier en fonction des paramegravetres de la situation (En revanche lrsquointerlocution persiste

puisqursquoon deacutebat des mythes autant que de la science)

De la deacutesignation 243

Problegravemes de meacutethode Est-il possible drsquoacceacuteder au mythe par le biais du rite (eacutecriture du mythe) ou de lrsquoanalyse de ses fonctions

JG deacuteveloppe une difficulteacute exposeacutee plus haut On peut la deacutefinir en introduction sous la

forme drsquoun syllogisme (1) laquo Le mythe nrsquoa de sens que le signifieacute de la langue dans laquelle il

srsquoest initialement exprimeacute raquo 1152 (2) Or cette langue est la plupart du temps inaccessible de

sorte que le mythe apparaicirct aujourdrsquohui formuleacute dans des traductions crsquoest laquo un savoir

deacuteplaceacute raquo 1132 (3) Donc on ne peut remonter agrave sa signification qursquoindirectement par le biais

des autres plans de meacutediation agrave savoir drsquoune part agrave travers la technique lorsque le mythe a

eacuteteacute fabriqueacute dans des laquo rites raquo dont lrsquousage srsquoest maintenu et drsquoautre part agrave travers lrsquoanalyse

des usages sociaux eux-mecircmes dans la mesure ougrave le mythe y remplit une laquo fonction raquo

Avant de deacutevelopper seacutepareacutement ces deux points je propose drsquoeacuteclaircir la deacutefinition de

deux termes ndash deacuteictique et seacutemiotique ndash qui concernent les plans technique et sociologique

exposeacutes plus loin dans le Vouloir-Dire

laquo Nous entendons par [eacutecriture du mythe] lrsquoensemble des rites gracircce auxquels deacuteictique-

ment en mecircme temps que seacutemiotiquement il srsquoinscrit dans la conduite et le veacutecu drsquoune

socieacuteteacute raquo 1152 Dans la TdM la laquo deacuteictique raquo appartient au vocabulaire de la technologie et

deacutesigne le traitement technique de lrsquoinformation qursquoil srsquoagisse par exemple de la production

de couleurs peintes de sons par des instruments ou de la transcription en lettres de diffeacuterents

phonegravemes dans lrsquoeacutecriture dite laquo phonographique raquo La manipulation rituelle de lrsquoostensoir

eacutevoqueacutee plus loin en fait partie Cet outillage forme lrsquoensemble des laquo signaux raquo (Voir 161

supra et (dans LrsquoOutil) 1552 laquo lrsquoimmense classe deacuteictique des signaux raquo) Ceci eacutetant par

recoupement des plans le rite prend aussi le statut drsquousage social et devient en cela un fait

laquo seacutemiotique raquo Dans la TdM ce terme est mis entre guillemets lorsqursquoil fait reacutefeacuterence aux

courants litteacuteraires ainsi deacutenommeacutes (et constamment critiqueacutes par lrsquoauteur) sans guillemets

dans le texte la laquo seacutemiotique raquo appartient au vocabulaire de la sociologie et deacutesigne laquo tout

eacutechange verbal ou non drsquoinformation raquo (DVD II La Personne 98) y compris drsquoune information

elle-mecircme techniciseacutee comme lrsquoest le rite Autrement dit puisque tout fait de langage a

socialement statut de langue tout raisonnement mythique qursquoil soit ou non ritualiseacute est

observeacute dans un cadre social deacutelimiteacute

Mythe et rite

laquo Algegravebre et science raquo et laquo rite et mythe raquo 1153 sont mis en parallegravele Leur confusion est agrave

critiquer dans les deux cas laquo Algegravebre et rite raquo sont de lrsquoordre de la technique laquo science et

mythe raquo de lrsquoordre du dire mais en lrsquooccurrence la technique peut aussi bien artificialiser de la

science en algegravebre que du mythe en rite Attention agrave enlever ici au rite son sens sociologique

de pratique conventionnelle pour nrsquoenvisager que la proceacutedure de fabrication drsquoun

appareillage et son mode drsquoemploi Ceci inclut la circulation de personnages ou de danseurs

sur la surface drsquoune scegravene profane ou sacreacutee

Lrsquoexemple proposeacute de lrsquoencens est clair La fabrication et lrsquoutilisation du dispositif encens ndash

encensoir reacutealise sur le mode technique le mot heacutebreu zākar en neacutegligeant sa polyseacutemie et en

identifiant seacutemantiquement laquo sentir et se rappeler raquo (Cf Zakarie זכריה laquo Dieu se souvient raquo

nom drsquoun prophegravete messianique de la Bible)

Le second exemple celui du laquo pied de nez raquo preacutesuppose que ce type de geste ait un statut

technique JG assimile drsquoailleurs la danse agrave de lrsquoeacutecrit De toute maniegravere il srsquoagit de reacutealiser

244 Une lecture de Jean Gagnepain

une mesure technique appeleacutee laquo pied raquo ou laquo pied romain raquo en Europe (environ 30 cm) En

lrsquoespegravece on le mime en allongeant le nez agrave lrsquoaide de la main doigts eacutecarteacutes Le raisonnement

mythique reacuteside dans la reacutealisation du mot laquo pied raquo lui-mecircme en mimant ensemble les deux

sens de ce mot Le mecircme mime pourrait drsquoailleurs srsquoajuster scientifiquement agrave la mesure plus

preacuteciseacutement obtenue agrave lrsquoaide drsquoun outillage (corde ou regravegle)

La leacutegende de la fondation de Rome preacutesente eacutegalement un cas clair de mythe fixeacute par un

rite Il srsquoagit de la statue de la louve nourriciegravere qui fixe dans le bronze la premiegravere enfance des

deux fregraveres abandonneacutes et recueillis dit le reacutecit par un berger et sa femme par ailleurs

prostitueacutee Le mythe tient agrave ce que le mot latin laquo lupa raquo veut dire agrave la fois laquo louve raquo et

laquo prostitueacutee raquo (Cf lupanar) Nrsquoaurait-on plus de reacutecit et seulement le vestige archeacuteologique

que le raisonnement mythique sur le mot laquo lupa raquo agrave partir de la statue fucirct devenu in-

accessible Idem peut-ecirctre pour le nom de laquo Rome raquo qui teacutelescoperait laquo Romulus raquo

laquo rumon raquo (fleuve en Eacutetrusque) et laquo ruma raquo (colline en Osque)

Mythe et fonction sociale 1154

Certains abordent le mythe agrave travers lrsquoanalyse de sa fonction sociale Fondamentalement la

critique est analogue agrave celle du laquo fonctionnalisme raquo en linguistique on confond le fonctionne-

ment et la fonction laquo ce que crsquoest raquo avec laquo agrave quoi crsquoest utile raquo

La critique en deux parties concerne les deux maniegraveres drsquoaborder lrsquohistoire le raisonne-

ment par lrsquoorigine et le raisonnement par le modegravele archeacutetypal Le laquo primitif raquo drsquoun cocircteacute le

laquo primordial raquo de lrsquoautre Lrsquoun et lrsquoautre raisonnement font une interpreacutetation pseudo-scienti-

fique des documents faute de comprendre le mode de fonctionnement speacutecifique du mythe

La premiegravere partie preacutesente chacune des deux perspectives explicatives

1 - On vise laquo agrave lire dans le mythehellip la preacutehistoire de nos socieacuteteacutes raquo 1154 Ceci relegraveve de

lrsquoexplication par lrsquoorigine Autrement dit on traite le mythe comme une leacutegende laquelle est

un reacutecit qui relegraveve de la seacutemantique scientifique mecircme si on le considegravere comme reacutefuteacute

Rex et Pontifex 1154 les deux termes sont en opposition Selon Ciceacuteron le premier est lieacute

agrave laquo regere raquo diriger en ligne droite ndash radical laquo reg- raquo qui deacutesigne la ligne droite et la deacutelimita-

tion133 Cf laquo regravegle raquo en franccedilais Le Rex deacutelimite Le Pontifex chef du clergeacute romain ndash litteacuterale-

ment laquo qui fait le pont raquo selon Varron ndash autorise le passage Le raisonnement mythique134

identifie derriegravere le verbe laquo facere raquo (faire) ndash comme en franccedilais pour le verbe laquo pouvoir raquo ndash le

fabriquant du pont et le Precirctre qui leacutegalement et leacutegitimement autorise le passage La

distinction modale de laquo I can I must I may raquo qui dissocie lrsquoOutil la Personne et la Norme

disparaicirct

2 - On vise laquo agrave lire dans le mythehellip les aspirations primordiales de lrsquohumaniteacute raquo Ceci relegraveve

de lrsquoexplication par le modegravele par lrsquoarcheacutetype Adam (ha-adam dans Geacuten 2-7) crsquoest dans une

certaine interpreacutetation laquo le terreux raquo (le laquo glegravebeux raquo dans la traduction de Chouraqui) tout

comme le latin laquo homo raquo est lieacute au mot laquo humus raquo (dans drsquoautres genegraveses aussi) Consideacuterer

qursquoAdam laquo assume solitairement raquo la faute serait occulter le mythe au profit de la leacutegende

(historiciste) JG interpregravete le reacutecit biblique de la consommation du fruit (de la terre) comme

un mythe qui formule agrave travers le mot Adam laquo terre homme raquo lrsquoeacutemergence agrave la dimension

axiologique de lrsquohumain ndash la laquo norme raquo dans DVD II ndash sous lrsquoaspect de la dialectique entre

133 Ernout Alfred amp Meillet Antoine 1932 dictionnaire eacutetymologique de la langue latine p567

134 Celui de Varron selon le Ernout amp Meillet laquo Pontifex raquo p 521

De la deacutesignation 245

culpabiliteacute et reacutemission (pardon) laquo le peacutecheacute inheacuterent agrave notre condition raquo Bien entendu il

srsquoagit drsquoune projection du modegravele de JG sur le texte biblique

La seconde partie formule les objections laquo Il est aussi faux (1) drsquoune parthellip que drsquoautre part

(2) raquo 1154

1 ndash Il est faux laquo hellip drsquoimaginer drsquoune part pour ce qui touche agrave lrsquoactualiteacute des institutions

qursquoil soit plus reacuteveacutelateur que la langue raquo

Le laquo il raquo est ici impersonnel et la paraphrase en serait laquo il nrsquoy a rien de plus reacuteveacutelateur que

la langue pour comprendre ce que sont les institutions raquo Il ne srsquoagit pas drsquoune concurrence

entre langage et vestiges mais de la tendance agrave tenir tout raisonnement pour un raisonne-

ment scientifique en meacuteconnaissant lrsquoambivalence du sens

Remarquons par ailleurs qursquoil nrsquoy a pas dans cette formulation de confusion entre

laquo langue raquo (usage social) et laquo langage raquo Lrsquoauteur veut bien dire que crsquoest dans le laquo signe raquo (le

principe glossologique du langage) qursquoil faut chercher le fondement du mythe Mais comme il

propose un exemple (laquo le soleil se couche raquo) pris en franccedilais contemporain il passe par le

terme laquo langue raquo pour parler du langage Le mecircme usage langagier peut ecirctre laquo raisonneacute raquo de

maniegravere scientifique ou mythique Les deux coexistent Scientifiquement on assume tregraves bien

la polyseacutemie du verbe laquo se coucher raquo dans la formulation laquo le soleil se couche raquo mecircme si

mythiquement et par anthropomorphisme on peut aussi srsquoimaginer qursquoil va dormir Ce nrsquoest

donc pas lrsquousage de la formule qui compte pour distinguer science et mythe mais bien le

raisonnement lui-mecircme tenu sur la formule

2 - Il est tout aussi faux laquo hellipde prendre drsquoautre part de tregraves anciens eacutechanges pour un

brevet drsquouniversaliteacute raquo Critique de la theacuteorie des archeacutetypes qui nie le changement dans une

deacutemarche anachronique Le raisonnement mythique est alors le support drsquoune politique

(sociolinguistique) conservatrice dans le temps ou heacutegeacutemonique dans lrsquoespace

laquo Les mentaliteacutes sont autant le fruit de croyances que drsquoeacutevidences partageacutees raquo Conseacute-

quence de la dissociation entre le plan du signe et celui de la personne La laquo croyance raquo est ici

associeacutee au raisonnement mythique et laquo lrsquoeacutevidence raquo au raisonnement scientifique Lrsquoune et

lrsquoautre entrent eacutegalement dans la dialectique du consensus relatif et de la dissension On

accepte aussi bien ce qui ne donne pas lieu agrave explication ndash pull agrave col ouvert ou agrave col rouleacute

ceinture ou bretelles ainsi que le mythe ndash qursquoun fait soumis agrave reacutefutation Dialectiquement on

se dispute drsquoailleurs sur lrsquoun et sur lrsquoautre et il y a une histoire du symbolisme des couleurs

une histoire des raisonnements mythiques comme il y a une histoire de la physique

Le paragraphe suivant 1155 deacuteveloppe la thegravese principale le mythe est un fait de

seacutemantique qursquoil faut observer agrave travers les raisonnements tenus Crsquoest pourquoi JG

propose quelques exemples de repeacuterage du mythe agrave travers les discours de justification

de ce qui du point de vue scientifique inverse nrsquoen a pas Commentaires des grands

textes hindouistes135 sagas laquo miroueumlrs raquo JG oppose ici implicitement le commentaire

(mythique) agrave la glose (scientifique) En 1102 JG parlait de laquo fonder la pertinence de la

glose raquo dans le cadre drsquoune seacutemantique scientifique La glose est scientifique pour autant

qursquoelle propose de la convergence synonymique (ou laquo paraphrase raquo) et du deacuteveloppe-

ment laquo autonymique raquo comme lrsquoest une deacutefinition Pour sa part laquo Le mythe (hellip) apparaicirct

toujours commenteacute raquo JG entend ici la manœuvre discursive (et socialement ideacuteologique)

135 laquo Les brāhmana du Vig-Veda les Gātha de lrsquoAvesta raquo 115 53

246 Une lecture de Jean Gagnepain

qui consiste agrave laquo justifier des conceptions venues drsquoailleurs et dont la raison nrsquoeacutetait plus

directement accessible raquo 1161

Le genre litteacuteraire des laquo miroirs raquo (laquo specula raquo pour les œuvres en latin) 1161 relegraveve en

geacuteneacuteral de lrsquoeacutedification morale dont le ceacutelegravebre laquo Mirouer des simples ames anienties et qui

seulement demourent en vouloir et desir damour raquo de Marguerite Porete (1219 copie du

XVe) Bien entendu la seacutemantique mythique y domine Certains ouvrages ont un caractegravere

encyclopeacutedique tel le mirouer du monde de Gossuin de Metz (XIIIe eacutediteacute en 1517)136

Suit une distinction suggestive La distinction entre laquo homme raquo et laquo nature raquo se retrouve

dans les mythes qui sont laquo deacutejagrave heacuteroiumlques ou cosmiques agrave ceci pregraves qursquoils nrsquoexpliquent pas raquo

1161 JG reacutesume cette opposition par le couple laquo toteacutemisme animisme raquo le totem eacutetant ici

supposer concevoir mythiquement lrsquohumain tandis que laquo lrsquoanimisme raquo concevrait mythique-

ment la nature

laquo Le mecircme processus qui engendre les eacuteponymes engendre aussi les numina raquo laquo Eacuteponyme raquo

1161 (epi+onoma sur+nom laquo qui donne son nom agrave raquo) Lrsquoeacuteponymie identifie un personnage

et une reacutealiteacute telle qursquoune œuvre ou un lieu laquo Saint-Eacutetienne raquo est agrave la fois une ville et un saint

eacuteponyme Les laquo numina raquo sont chez les Latins une variante drsquoanimisme qui considegravere comme

diviniteacute tout ce qui importe dans la nature Augustin en donne une liste dans La citeacute de Dieu IV

VIII La pluie par exemple est un laquo numen raquo (une puissance divine) On appelle ainsi ensuite

des noms de personne mais le mot ne trompe pas et atteste du raisonnement mythique

Flora Pomona Feronia (feris = sauvage) Silvanus Tout le vocabulaire agraire srsquoy retrouve137

laquo Le fer est fils du ciel au mecircme titre que le dieu raquo Le deacutebut (le fer) renvoie au mythe de

Promeacutetheacutee le Titan qui vole le feu de lrsquoOlympe agrave Heacutephaiumlstos le dieu forgeron (Platon

Protagoras 320-321) La fin (le dieu) reacutefegravere au nom de Zeus laquo ciel raquo de la famille de dyew

en indo-europeacuteen qui a donneacute laquo dies raquo le jour en latin La relation de paterniteacute est renverseacutee

dans le nom de laquo Jupiter raquo qui est composeacute de (1) laquo Ju- raquo qui correspond agrave Zeus laquo ciel raquo et de

(2) laquo -piter raquo pegravere

Mythe et religion Mythique et mystique

Le thegraveme geacuteneacuteral est repris agrave propos ici des pantheacuteons laquo la mythologie [est] conceptuelle-

ment une modaliteacute [du langage] raquo 1162 Une preuve en est notamment dans les noms de

dieux dans laquo lrsquoeacutecho de la flexion ou de la deacuterivation des mots par lesquels on les a drsquoabord

deacutesigneacutes raquo Lrsquoexemple du nom laquo Zeus raquo selon lrsquointerpreacutetation de Platon est proposeacute plus loin

en 1163

Cela dit JG demande de faire la distinction suivante on ne peut pas laquo de la prosopopeacutee

conclure agrave la theacuteologie raquo 1162 La premiegravere est un raisonnement mythique la seconde est la

maniegravere dont lrsquohumain pense le transcendant

laquo Prosocircpon raquo crsquoest laquo le visage raquo et laquo poiein raquo crsquoest laquo faire raquo La prosopopeacutee consiste agrave faire

parler comme une personne ce qui nrsquoest pas une personne Ce peut ecirctre un bateau (laquo Comme

je descendais des Fleuves impassibles raquo Rimbaud Le bateau ivre) ou une entiteacute humaine

(laquo Nous Peuple des Eacutetats-Unis raquo Constitution de 1787) Le terme est pris ici dans un sens plus

136 Voir Chantal Connochie-Bourgne laquo Pourquoi et comment reacuteeacutecrire une encyclopeacutedie Deux reacutedactions de lrsquoImage du Monde raquo (de Gossuin de Metz) in Encyclopeacutedies meacutedieacutevales PUR 2004 p 143-154

137 Cf lrsquoadage laquo nomina [sunt] numina raquo (les paroles ont une puissance divine)

De la deacutesignation 247

large puisque laquo la Qualiteacute de la Vie raquo est consideacutereacutee comme une prosopopeacutee 1162 Niant le

vague et la polyseacutemie la prosopopeacutee donne au concept lrsquoidentiteacute homogegravene du mot et

lrsquoassimile agrave lrsquoidentiteacute constitutive de la personne La laquo carte drsquoidentiteacute raquo est la mecircme pour la

personne et le nom Une telle reacuteduction est mythique

Ce raisonnement mythique qursquoest la prosopopeacutee est agrave distinguer de la recherche laquo du

transcendant raquo parce que la recherche theacuteologique mobilise le raisonnement drsquoune maniegravere

particuliegravere En effet dans ce cas laquo le verbe [nrsquoest que] la condition [drsquoaccegraves agrave] lrsquoineffable

[dont] la fondation [est] mystiquement dans la foi raquo laquelle foi relegraveve du plan axiologique

comme il a eacuteteacute dit preacuteceacutedemment en 1112 Ce point est deacuteveloppeacute dans une phrase dense

que je vais longuement commenter

laquo Le ‟mystegravererdquo ougrave les anciens cherchaient le transcendant ne se reacuteduisait pas plus agrave ce poly-

theacuteisme ndash fucirct-il syncreacutetique ndash qui comptait mythiquement presque autant de dieux que de noms

que ne se reacuteduit dans la tradition biblique agrave la science un monotheacuteisme tirant dun mecircme

ensemble de deacutesignations la litanie synonymique dun seul Dieu sans visage et quon ne nomme

pas raquo 11629 Et il ajoute que confondre laquo mystique raquo et laquo mythique raquo est laquo simpliste raquo Voir

aussi en 1112 la preacuteceacutedente eacutevocation de la diffeacuterence entre science et mystique

La laquo reacuteduction raquo eacutevoqueacutee ici me paraicirct ambivalente

- On peut comprendre qursquoil faut clairement distinguer laquo mystique raquo et laquo rheacutetorique raquo 1162

la premiegravere eacutetant au fondement du religieux et lrsquoautre en eacutetant laquo la voie drsquoaccegraves raquo JG pense

ici avant tout agrave ne pas ramener lrsquoexpeacuterience religieuse humaine agrave une affaire de raisonnement

La laquo reacuteduction raquo ainsi critiqueacutee est alors celle drsquoune confusion des plans Quel que soit le

raisonnement tenu par les religieux qursquoil soit de type scientifique ou mythique il nrsquoest

laquo mystegravere raquo et laquo mystique raquo que sur le plan axiologique dont relegraveve la foi 1112 la laquo fondation

[de lrsquoineffable] est dans la foi raquo Revenons sur cette notion de laquo mystique raquo Glossologique-

ment tout raisonnement eacutelabore un objet hypotheacutetique Or lrsquoabsolu transcendant eacutechappe agrave

toute observation et donc agrave lrsquoeacutepreuve de la confirmation ou de la reacutefutation Mais il eacutechappe

aussi agrave lrsquoexplication mythique fondeacutee sur le mot lui-mecircme En cela quoique laquo dicible raquo

puisqursquoon en parle lrsquoabsolu transcendant est laquo ineffable raquo et une fois poseacute comme concept

relegraveve axiologiquement de la foi Je comprends alors la notion de laquo mystique raquo comme cette

attitude humaine qui pense la transcendance la vit et srsquoy confie Lrsquoexpeacuterience humaine du

transcendant existe au mecircme titre dans le polytheacuteisme et le monotheacuteisme qui diffegraverent sur le

plan du langage par la maniegravere drsquoen parler Plus preacuteciseacutement ils diffegraverent en partie crsquoest le

second sens de cette laquo reacuteduction raquo JG reviendra briegravevement sur ce point dans ses Huit leccedilons

drsquointroduction agrave la theacuteorie de la meacutediation p 247 laquo Dans ces mythes il faut dissocier la part

de la mythologie et celle du pheacutenomegravene religieux agrave ces eacutepoques il y avait aussi les Mystegraveres Il

nrsquoy avait pas que Zeus Heacutera et toute la ribambelle de lrsquoOlympe La religion grecque la vraie

maniegravere de vivre crsquoeacutetaient les mystegraveres drsquoEacuteleusis reacuteserveacutes aux initieacutes apregraves une longue

formation Agrave Rome crsquoeacutetait pareil Lisez Ciceacuteron qui ne croyait absolument pas aux dieux ce qui

ne lrsquoempecircchait pas drsquoecirctre un esprit religieux raquo

- On peut aussi comprendre que la reacuteduction en question concerne la voie drsquoaccegraves

langagiegravere au laquo mystegravere raquo Degraves lors qursquoon ne peut sortir humainement du langage lrsquoaccegraves au

laquo mystegravere raquo se fait agrave travers lrsquoensemble de la rheacutetorique conjointement mythique et scienti-

fique Par conseacutequent il ne faut pas laquo reacuteduire raquo les theacuteologies polytheacuteistes au raisonnement

mythique sous lequel il se preacutesente de la maniegravere la plus spectaculaire dans leurs pantheacuteons

et il ne faut pas reacuteduire non plus les theacuteologies monotheacuteistes au raisonnement scientifique

248 Une lecture de Jean Gagnepain

sous lequel il se preacutesente par contraste avec les preacuteceacutedentes dans la laquo convergence synony-

mique raquo du vocabulaire divin Crsquoest cet aspect qui est ici deacuteveloppeacute agrave travers des exemples

- Lrsquoobservation du mythe dans la theacuteologie polytheacuteiste a eacuteteacute illustreacutee plus haut notamment

agrave travers les laquo numina raquo des Latins Les Grecs voyaient aussi autour drsquoeux le ciel (ouranos) la

terre (gegravea) la riviegravere (numphegrave) et ressentaient le temps passer (chronos) ils en ont fait des

dieux souvent sous le mecircme mot Lrsquoallusion au laquo syncreacutetisme raquo rappelle combien les

pantheacuteons sont heacuteteacuterogegravenes comme lrsquoest aussi aujourdrsquohui le calendrier des saints Cela dit

JG nrsquoexclue pas que le croyant grec considegravere les laquo ambrotoiuml raquo (les immortels) comme les

avatars drsquoune condition transcendante et leurs noms comme les synonymes drsquoun mecircme

concept (Cf La citation des Huit leccedilons ci-dessus)

- JG soutient que la conceptualisation drsquoun laquo Dieu sans visage et sans nom raquo 1162 relegraveve

du raisonnement scientifique en tirant argument du fait qursquoil est qualifieacute dans la Bible et ndash

ajouterai-je ndash dans lrsquoIslam drsquoune litanie de deacutesignations synonymiques Il est clair que

lrsquoexpression laquo litanie synonymique drsquoun seul Dieu raquo renvoie agrave la notion de laquo convergence

synonymique raquo laquelle est assigneacutee au raisonnement scientifique JG affirmera cateacutegorique-

ment plus loin en 1173 que laquo le mythe exclut le synonyme raquo Voyons maintenant ce qursquoest

cette laquo litanie raquo et ce qui la neacutecessite

laquo Un seul Dieu sans visage et qursquoon ne nomme pas raquo Autant de caracteacuteristiques de lrsquoabsolu

transcendant ainsi relativement deacutefini par neacutegation de deux traits symboliques de la relativiteacute

de lrsquohumain la personne se distingue par ses traits et par son nom Une telle neacutegation est

aussi la source de deux problegravemes Comment parler du transcendant En contournant le

tabou langagier Comment le repreacutesenter Par des stratagegravemes notamment par la

sacralisation de lieux

laquo Dieu sans visage raquo lrsquoactualiteacute nous rappelle peacuteriodiquement et dramatiquement agrave quoi

megravene la chasse que font les iconoclastes de tous poils aux preacutetendues laquo idoles raquo laquo Dieu sans

nom raquo Ce nrsquoest strictement exact que pour le judaiumlsme (Aux speacutecialistes de dire depuis quelle

peacuteriode et dans quelle mesure) Le terme seacutemitique que lrsquoon traduit par Dieu laquo El raquo se

retrouve dans tout le Moyen-Orient antique Il est traduit en geacuteneacuteral par laquo il est raquo On le trouve

dans le pantheacuteon Ougaritique il commence celui drsquolaquo El(ohim) raquo (avec un pluriel qualifieacute de

laquo majesteacute raquo mais qui pourrait ecirctre un stratagegraveme pour contourner le tabou) et plus

reacutecemment de All(ah) Le judaiumlsme recourt agrave un stratagegraveme eacutecrit pour deacutenommer Dieu mais le

teacutetragramme YHWH יהוה (quatre consonnes non vocaliseacutees) est lui-mecircme issu de la racine

du verbe laquo ecirctre raquo On srsquointerdit de prononcer le mot lui-mecircme et on eacutenonce agrave sa (HYH) היה

place le nom laquo Adonaiuml raquo (Seigneur) lors du culte ou tout simplement laquo Ha-Shem raquo (Le Nom)

Une bonne meacuteteacuteo agrave la teacuteleacutevision israeacutelienne est commenteacutee par laquo Barukh ha-shem raquo (beacuteni soit

le nom eacutequivalent de laquo Dieu merci raquo) Le contraste est frappant avec le laquo InchrsquoAllah raquo des

musulmans Et il est aussi parfois laquo antiquiseacute raquo les scribes de Qumran lrsquoeacutecrivent en caractegraveres

anciens dans des textes en eacutecriture dite assyrienne ou carreacutee crsquoest-agrave-dire arameacuteenne Le

contraste entre le traceacute archaiumlque et le traceacute contemporain du scribe est un stratagegraveme de

plus de reacuteaffirmation de lrsquointerdit

Lrsquointerdit sur le nom impose cette laquo litanie synonymique raquo tireacutee laquo drsquoun ensemble de

deacutesignations raquo qui sont autant drsquoattributs Dans la Bible laquo El Shaddaiuml raquo (El des montagnes) laquoEl

Roiuml raquo (qui voit) laquo Sabaoth raquo (des armeacutees) etc La tradition juive ulteacuterieure veut que sept noms

de Dieu dans la Bible ne puissent ecirctre laquo effaceacutes raquo y compris par le scribe en train de les eacutecrire

Ces appellations se multiplient dans la poeacutesie synagogale et la liturgie Lrsquoislam quant agrave lui

De la deacutesignation 249

eacutenonce avec une extrecircme emphase le nom laquo Allah raquo Cela nrsquoempecircche pas les ouleacutemas

drsquoadmettre 99 noms de Dieu (Le Tout Miseacutericordieux lrsquoEacuteternel La Lumiegravere LrsquoArbitre Le

Premier Le Dernier etc) Lrsquoimportant du point de vue de JG est qursquoil srsquoagit drsquoune

laquo convergence synonymique raquo crsquoest-agrave-dire drsquoun raisonnement laquo scientifique raquo car on

preacutesuppose toujours que lrsquoon conccediloit ainsi une identiteacute quelle que soit la formulation choisie

Ceci eacutetant la croyance ou la non-croyance en ce qui eacutechappe en lrsquooccurrence agrave toute

laquo falsifiabiliteacute raquo relegraveve du plan axiologique

De la banaliteacute du raisonnement mythique

On trouve en 1163 une gamme varieacutee drsquoexemples de raisonnements mythiques qui montre

leur banaliteacute Du plus prestigieux ndash lrsquoeacutetymologie de Zeus chez Platon ndash au calembour enfantin

- Platon dans Le Cratyle 369a fait dire agrave Socrate que le nom de Zeus eacutequivaut lui-mecircme agrave

une deacutefinition qui fait voir laquo la nature du Dieu raquo laquo Ce nom eacutequivaut agrave tout un discours et il a

eacuteteacute diviseacute en deux parties dont on emploie tantocirct lrsquoune tantocirct lrsquoautre les uns lrsquoappelant Ζῆνα

les autres Δία reacuteunis ces deux noms expriment la nature du Dieu et telle est comme nous

lrsquoavons dit la fonction que les noms doivent remplir En effet la vraie cause de la vie τοῦ ζῇν

pour nous et pour tout ce qui existe est le maicirctre et le roi de toutes choses Il est donc tregraves

juste drsquoappeler ce Dieu celui par lequel διrsquo ὅν il est donneacute agrave chacun de vivre ζῇν mais ce

nom qui est un a eacuteteacute diviseacute en deux ainsi que je lrsquoai dit raquo (Trad Victor Cousin) Ainsi selon

Platon le nom (onoma) en tant que forme porte le sens (logos) vrai ou faux Le jeu sur la

morphologie est ici explicite mythiquement Platon joue sur deux variantes du nom Zeus

(Ζῆνα Zegravena agrave lrsquoaccusatif dans le texte) est rapprocheacute de laquo vivre ζῇν raquo (Zegraven) et la variante de

lrsquoaccusatif Δία (Diacutea) est rapprocheacutee de la preacuteposition causale laquo diaacute raquo Noter le deacuteplacement

de lrsquoaccent vocalique laquo La forme elle-mecircme srsquoobjective en se donnant un contenu raquo 1172

- Exemples en Bretagne 1163 En breton laquo Sant raquo veut dire laquo Saint raquo Lrsquohomophone

signifiant laquo Valleacutee raquo nrsquoest plus en usage138 laquo Becherel-Zant-Logod raquo est un nom de village sur

la commune de Plestin (Cocirctes drsquoArmor) et laquo San(t) Derwenn raquo est aussi un nom de village Soit

laquo Sainte Souris raquo et laquo Saint Checircne raquo au lieu de laquo la valleacutee aux souris la valleacutee des checircnes raquo De

mecircme pour laquo Saint Dreacute raquo (La valleacutee ougrave il y a du sable laquo treah raquo en vannetais) Et Saint Andreacute

(Andreo) est invoqueacute contre la coqueluche laquo an dreo raquo (Quimper) Etc

Le concept mythique dont la deacutefinition est ici rappeleacutee laquo fait partie culturellement de la

reacutealiteacute raquo 1172 Et cette information en tant que savoir fait histoire chez les gens Suit une

liste drsquoexemples dont celui des conseacutequences sur le diagnostic en psychopathologie du mythe

de laquo lrsquohysteacuterie raquo feacuteminine

Mythe et meacutecanismes de lrsquoeacutenonceacute

JG entre en 1173 dans le deacutetail des proceacutedeacutes de la rheacutetorique mythique Il lui suffit

drsquoinverser ceux de la rheacutetorique scientifique exposeacutes anteacuterieurement En somme le mythe

laquo fait systegraveme de tout rapport raquo quel que soit lrsquoaxe drsquoanalyse

laquo Biffures fourbis fibrilles frecircle bruit raquo 1173 sont les sous-titres des 4 volumes de laquo La

regravegle du jeu raquo 1948-1976 autobiographie de Michel Leiris

138 Pierre Treacutepos laquo Les saints bretons dans la toponymie raquo Annales de Bretagne 1954 vol61

250 Une lecture de Jean Gagnepain

- Qualitativement le mythe laquo exclut le synonyme puisque tout segraveme seacutepareacutement

srsquohypostasie raquo 1173 En voici un exemple pris agrave Darwin citeacute par Jean-Claude Ameisen139

laquo longtemps avant que lrsquohomme existe le sol eacutetait reacuteguliegraverement laboureacute par les vers raquo

Commentaire de Jean-Claude Ameisen (p128) laquo Lrsquohomme nrsquoa pas non plus inventeacute

lrsquoagriculture aurait pu eacutecrire Darwin raquo Le raisonnement scientifique implique que lrsquoon puisse

lever la polyseacutemie potentielle des termes laquo labourer raquo et laquo agriculture raquo par des synonymes140

Soit par un autre mot si le lexique le permet soit par une paraphrase synonymique On dira

ainsi plus scientifiquement que le lombric laquo se nourrit drsquohumus raquo et non qursquoil laquo laboure raquo

Cette convergence synonymique interdit drsquoinclure le mode drsquoalimentation du lombric dans le

champ des activiteacutes agricoles Cela dit Jean-Claude Ameisen a raison mythiquement degraves lors

qursquoil met la preuve dans le mot (Idem pour le choix du terme laquo invention raquo)

- Quantitativement laquo il ignore lrsquoautonyme raquo 1173 Lrsquoauteur appelle ainsi la possibiliteacute

permanente de reformuler un laquo terme raquo de proposition (uniteacute seacutemantique) en variant la

quantiteacute des mots qui le composent Ce que lrsquoon deacuteveloppe peut ecirctre reacutesumeacute et inversement

Reprenons notre exemple Scientifiquement le biologiste contemporain peut comprendre

le propos laquo le ver de terre laboure raquo mais agrave condition de pouvoir le reformuler en laquo le

lombric avale de lrsquohumus le broie dans un geacutesier en digegravere les eacuteleacutements nutritifs pour son

espegravece et lrsquoexcregravete raquo En revanche mythiquement le labour reste tout simplement du labour

puisqursquoon lrsquoappelle ainsi Et faute drsquoexplication on peut en infeacuterer que le lombric et lrsquohomme

sont deux agriculteurs Or je doute fortement que Jean-Claude Ameisen connaisse un paysan

qui procegravede comme le lombric et quoique modeste jardinier je refuse drsquoen passer par lagrave pour

faire pousser mes petits pois

Le mythe laquo ignore aussi lrsquoautonyme par ougrave le centaure scientifiquement se deacutemonte raquo

1173 Lrsquoexemple proposeacute par JG me paraicirct une boutade Son raisonnement me semble ecirctre

le suivant Le nom laquo un centaure raquo induit agrave penser agrave un animal unique par raisonnement

mythique Une des leacutegendes imagine qursquoil srsquoagit de la reacuteaction de populations grecques

archaiumlques (les Acheacuteens) ignorant lrsquoeacutequitation agrave la vue des premiers cavaliers immigrants (les

Doriens) La science en revanche conduirait agrave observer qursquoun cavalier agrave un moment donneacute

descend de son cheval Bref que cela se deacutemonte Le raisonnement scientifique impose de

laquo reacutefuter raquo lrsquohypothegravese de lrsquoanimal centaure pour lui substituer lrsquohypothegravese du complexe

laquo cheval monteacute par un cavalier raquo qui constitue alors avec le mot laquo un centaure raquo une uniteacute

autonymique

Propositions corollaires des preacuteceacutedentes Le mythe laquo exploite systeacutematiquement la

polyseacutemie et la polyrheacutemie raquo 1174

1 - Lrsquoexploitation de la laquo polyseacutemie raquo Faisons le point sur cette notion car ce concept

condense les deux phases de la dialectique du dire JG parle agrave plusieurs reprises de laquo la

polyseacutemie du segraveme raquo 364 864 905 Rappelons la relation eacutetroite du concept de

laquo polyseacutemie raquo et du concept drsquo laquo improprieacuteteacute raquo grammaticale qui est laquo eacutevidement de sens raquo

Le concept de laquo polyseacutemie raquo implique lrsquoimproprieacuteteacute dont elle deacutecoule rheacutetoriquement Si lrsquoon

139 Jean Claude Ameisen 2013 Sur les eacutepaules de Darwin tome 2 Je trsquooffrirai des spectacles admirables (Eacuted France-Inter LLL)

140 Cf Jean-Claude Schotte 1997 La raison eacuteclateacutee p 258 laquo Un lecteur qui ne synonymise pas rend le reacuteel intelligible verbalement mais par la seule hypostase du vide diffeacuterentiel raquo Et p 259 laquo Cette identiteacute proteacuteique est si eacutetonnante qursquoelle nrsquoest intelligible que si lrsquoon y voit les avatars de la mecircme chose raquo Pour Jean-Claude Ameisen lombric et homme sont des laquo avatars raquo du vivant

De la deacutesignation 251

peut parler de la polyseacutemie de la preacuteposition laquo de raquo ou du suffixe drsquoimparfait crsquoest en raison

de lrsquoidentiteacute du terme qui cadre cette varieacuteteacute et en est la condition neacutecessaire car la valeur

drsquoun segraveme nrsquoest pas lrsquoaddition de ses sens mais sa diffeacuterence formelle drsquoavec les autres segravemes

JG veut dire ici que la seacutemantique mythique reacuteunit les effets de sens drsquoun mot leur

imagine une relation dans la reacutealiteacute et les pense comme lrsquointeacuterieur partageacute de la surface

seacutemantique du mecircme mot JG dit agrave juste titre que le mythe laquo combine raquo (laquo lrsquoopeacuteration

bancaire avec lrsquoopeacuteration chirurgicale raquo) 1174 Ainsi en va-t-il aussi de laquo lrsquoagriculture raquo chez

Jean-Claude Ameisen pour qui le lombric et lrsquohomme ont en partage cette pratique postuleacutee

homogegravene Et plus loin dans lrsquoouvrage de la laquo deacutemocratie des abeilles raquo p116 avec la caution

de Thucydide au motif que lrsquoabeille pourrait prendre laquo une deacutecision agrave partir drsquoun deacutebat

contradictoire qui fait basculer lrsquoensemble de la collectiviteacute vers ce choix majoritaire qui

devient le choix adopteacute par tous raquo Bref laquo Nous deacutecouvrons [dans la ruche] ce que nous

croyons avoir inventeacute raquo [en Gregravece ]) Et pourtant aucun Atheacutenien agrave ma connaissance nrsquoa

jamais confondu sa participation agrave lrsquoecclesia et lrsquoexploitation de sa ruche Mais un tel

discernement ne compte pas pour qui seul compte le pouvoir identificateur du mot Par

conseacutequent il me semble possible drsquoaffirmer que laquo lrsquoexploitation raquo que fait le mythe de la

polyseacutemie consiste agrave la laquo nier raquo tout comme il nie la synonymie qui lrsquoexplicite

La seacutemantique scientifique fait lrsquoinverse Elle accepte au nom de lrsquoobservation que les sens

drsquoun mecircme mot soient des sens diffeacuterents agrave la seule condition que les reacutealiteacutes qursquoelles pensent

soient dissemblables La fraise des bois nrsquoest pas celle du meacutetallurgiste ni celle porteacutee par

Henri IV et si jrsquoaccepte agrave Noeumll de manger une laquo crotte raquo en chocolat crsquoest en connaissance

(scientifique) de cause

Les exemples du texte renvoient drsquoabord au domaine humain eacutevoquant laquo les avatars et

meacutetamorphoses raquo des personnages mythiques La personne dont lrsquouniteacute est garantie par le

nom peut varier ses apparences Drsquoautres exemples eacutevoquent ensuite le domaine de la nature

agrave travers la theacuteorie du laquo principe de correspondance raquo ou encore de laquo sympathie raquo

2 - Lrsquoexploitation de la laquo polyrheacutemie raquo 1181 laquo explique le caractegravere aphoristique de ces

mots-phrases dont la litteacuterariteacute commande lrsquoefficaciteacutehellip raquo Il srsquoagit des diverses variantes de

paronomase laquo Nomen omen raquo laquo Nomina numina raquo laquo Traduttore traditore raquo laquo Summum

jus summa injuria raquo laquo Ever forgive never forget raquo laquo comparaison nrsquoest pas raison raquo et peut-

ecirctre aussi laquo Fermeacute pour cause drsquoouverture raquo laquo Deacutefense de courir sous peine de poursuites raquo

etc Cela revient agrave laquo ignorer lrsquoautonyme raquo 1173 Le part du raisonnement qui est mythique

tient au figement (relatif) de la formulation et repose sur la partie reacutepeacutetitive Le mot tend agrave

coiumlncider en quantiteacute avec la phrase qui ne peut plus se deacutevelopper ni srsquoexpliquer Il faut que

cela soit dit ainsi ni plus ni moins

laquo hellipCes mots-phraseshellip qui theacuteologiquement opposent au dogme lrsquoheacutesychasme raquo 1181

Lrsquoheacutesychasme (du grec ἡσυχία hesychia laquo la tranquilliteacute raquo) est une doctrine du premier

monachisme oriental (Jean Cassien - Ioannis Kassianos deacutebut du 5e siegravecle) qui en particulier

procircne la laquo priegravere monologique raquo Celle-ci consiste agrave reacutepeacuteter en continu une formule de priegravere

Diadoque de Photiceacute professait ceci laquo Il faut donner [agrave lrsquointellect] le ‟Seigneur Jeacutesusrdquo comme

la seule occupation qui reacuteponde entiegraverement agrave son but raquo (Cent chapitres spirituels ndeg59) Les

mantras en sont un autre exemple dont le laquo Are Krishna raquo de lrsquohindouisme ou le laquo Aom-ma-ni-

pegrave-meacute-houng raquo du bouddhisme tibeacutetain ougrave chaque syllabe formule lrsquoune des six grandes

vertus laquo Lrsquoexploitation de la polyrheacutemie raquo est ici flagrante Ce figement du dire est

lrsquoantagoniste de la dogmatique qui procegravede par explication du dogme (agrave fin de justification)

252 Une lecture de Jean Gagnepain

On sait quels torrents de paroles et drsquoeacutecrits la simple formule laquo filioque procedit raquo du

laquo Credo raquo chreacutetien a susciteacutes

La fin de cette partie est orienteacutee vers le repeacuterage des mythes quotidiens par une

laquo observation preacutecise et toujours cas par cas raquo 1182 du laquo meacutecanisme de lrsquohypostase raquo

1191 des mots dans les langues

Le vocabulaire politique est en premiegravere ligne laquo bourgeoisie raquo laquo libeacuteralisme avanceacute raquo etc

1182 Ajoutons que les formulations du type de laquo La France attend la reprise le Peuple

souffre la Jeunesse nrsquoy croit plus etc raquo sont mythiques dans la mesure ougrave au lieu de faire

prendre conscience drsquoune polyseacutemie ou drsquoune reacutefeacuterence vague elles creacuteent une image

drsquohomogeacuteneacuteiteacute fictive drsquoun point de vue scientifique mais bien reacuteelle du point de vue

mythique

Trois conseils sont alors donneacutes pour comprendre le mythe chacun sur un plan de

meacutediation 1182 Glossologique accepter que logiquement le mythe soit le reacutesultat drsquoun

raisonnement et non une sorte laquo drsquoideacutee de lrsquohomme raquo a priori laquo preacuteexistante [agrave lrsquohomme] lui-

mecircme raquo Axiologique distinguer le raisonnement de sa laquo motivation raquo sur le plan du deacutesir

Sociologique laquo Dissocier enfin du mythe lrsquoideacuteologie raquo JG anticipe ici sur une reacuteflexion meneacutee

dans le deuxiegraveme tome la Personne Il met alors en opposition laquo lrsquoideacuteologie raquo qui est ana-

chronique crsquoest-agrave-dire reacutesistance agrave la transformation et laquo lrsquoeacutepisteacutemologie raquo qui vise agrave laquo syn-

chroniser raquo le savoir agrave le transformer par une confrontation avec drsquoautres cadres theacuteoriques

Or ce couple de concepts sociologiques (de lrsquoordre du savoir de la doxa) doit ecirctre croiseacute avec

le couple laquo science ndash mythe raquo qui lui est drsquoordre logique de lrsquoordre de la connaissance JG

prend en exemple de savoir laquo ideacuteologique raquo laquo la science de lrsquoeacutevidence raquo autrement dit le

positivisme des faits et vise en particulier le cognitivisme lorsque ce dernier utilise y compris

dans des protocoles expeacuterimentaux les concepts de laquo mot raquo ou de laquo son du langage raquo tels que

les construit le savoir scolaire (ignorant lrsquoapport de Saussure) Pour lui il srsquoagit drsquoune

laquo ideacuteologie raquo au regard du savoir laquo eacutepisteacutemologique raquo qui consiste agrave reconnaicirctre que lrsquohumain

(culturel) demande laquo une science du paradoxe raquo autrement dit un modegravele explicatif dialec-

tique Inversement lrsquoauteur admet que laquo les sciences humaines raquo soient largement mythiques

et pleines de raisonnements hypostatiques toutefois elles sont des savoirs laquo eacutepisteacutemologi-

ques raquo parce qursquoelles acceptent de laquo remettre en cause la faccedilon de poser raquo les questions 1192

JG observe cependant une diffeacuterence sur ce point entre sciences de la nature et sciences

de la culture 1183 Lrsquoexpeacuterimentation dans les premiegraveres laquo permet de fairehellip progressive-

ment et non moins deacutecisivement la part entre de lrsquoeacutevocation [mythique] et de la formulation

[scientifique] raquo Ce nrsquoest pas le cas dans les secondes en raison de lrsquoabsence drsquoexpeacuterimentation

comparable

Dans les sciences humaines laquo le mythe et la science sont drsquoeacutegale efficaciteacute raquo en raison de

ce qursquoil appelle ailleurs laquo la circulariteacute anthropologique raquo Puisque lrsquohomme observe de

lrsquohomme laquo il fait aussi les regravegles du jeu raquo 1184 et laquo lrsquoobjectiviteacute nous inclut raquo Crsquoest tout le

problegraveme de la laquo falsifiabiliteacute raquo des tests Lrsquoexemple est proposeacute de la psychanalyse qui selon

lrsquoauteur parle laquo drsquoalieacutenation et drsquoanalyse raquo lagrave ougrave lrsquoon parlait de laquo possession et drsquoexorcisme raquo

De la deacutesignation 253

et laquo de transfert raquo lagrave ougrave lrsquoon disait laquo intercession raquo On aurait seulement laquo changeacute les mots

hypostasieacutes raquo 1191 141

Derniegravere leccedilon 1192 Mythe et science ne sont pas des eacutetapes successives mais des

modes de raisonnement laquo On srsquoest trop vite cru sorti des limbes alors qursquoon les porte

irreacutemeacutediablement en soi raquo (laquo Limbes raquo a ici son sens latin ndash laquo limbi raquo laquo bordures raquo et non

son sens theacuteologique)

Un combat laquo intime raquo se livre laquo le combat que le langage se livre incessamment agrave lui-

mecircme plutocirct que mythiquement aux choses raquo 1192 Je propose la lecture suivante

- Le premier laquo combat raquo renvoie agrave la proposition la science est laquo meacutetalinguistique raquo 1062

elle est laquo meacutetalangage raquo 1071 Rappelons que laquo meacuteta- raquo signifie ici laquo transformation de raquo En

effet la science oblige le vocabulaire et la phraseacuteologie agrave se reacuteameacutenager en raison de la

situation Les eacuteleacutements et relations grammaticales srsquoy transforment en eacuteleacutements et relations

conceptuelles

- Le second combat renvoie agrave la proposition le mythe est laquo meacutetaphysique raquo 1062 puisque

la conception du reacuteel srsquoeacutelabore et est transformeacutee en fonction de la maniegravere dont la

grammaire srsquoorganise

laquo La rheacutetorique nrsquoy gagne rien mais la science axiomatiquement agrave coup sucircr qui ne saurait

lrsquoemporter qursquoaux deacutepens ndash historiques ndash de son adversaire raquo 1192 Cette phrase dissocie trois

aspects de laquo la science raquo logique (aspect qui la fonde) axiologique et sociologique Science et

mythe en tant que modaliteacutes logiques sont des proprieacuteteacutes constantes de lrsquohumain En tant

qursquoaptitudes elles laquo ne gagnent rien raquo lorsque le savoir scientifique domine le savoir

mythique et reacuteciproquement Crsquoest du point de vue de la norme meacutethodologique qursquoun gain

ou une perte peuvent ecirctre jugeacutes Et les diverses meacutethodologies en deacutebat srsquoinscrivent dans une

histoire

laquo Mythe ou science le verbe coupe reacutesolument les ailes agrave tout essor transcendental raquo 1193

Cette derniegravere phrase fait profession drsquoimmanence agrave travers la figure du prisonnier deacutejagrave

invoqueacute en 302 laquo Prisonniers en quelque sorte de nous-mecircmes nous devons de comprendre agrave

notre inaptitude agrave contempler nous ne pensons quavec des mots raquo Le verbe est la cause agrave la

fois de la science et du mythe comme il lrsquoest aussi du poegraveme dont il va ecirctre question par la

suite Paraphrase de 1062 laquo hellip la science le mythe et le poegraveme [sont]hellip autant de varieacuteteacutes

drsquoune seule et mecircme causaliteacute raquo

3 ndash Poegraveme La seacutemantique endocentrique

Deacutefinitions varieacutees sous forme de triplets

laquo Lrsquoestheacutetiquehellip comme nous lrsquoentendons nrsquoa rien drsquoun jeu gratuit Elle est une tierce forme

de neacutecessiteacute raquo 1194 Le lecteur est inviteacute agrave bien faire la diffeacuterence entre les deacutefinitions

classiques (et varieacutees) de ce terme et le sens qursquoil a dans la theacuteorie de la meacutediation Il ne srsquoagit

pas de laquo sensibiliteacute raquo comme lrsquoeacutetymologie le suggegravere ni de rapport agrave la beauteacute Le terme

laquo estheacutetique raquo deacutesigne de faccedilon geacuteneacuterique un type de performance crsquoest-agrave-dire un type de

141 On trouvera aussi un ensemble drsquoanalyses preacutecises de raisonnements mythiques dans des textes de statut laquo scientifique raquo dans la thegravese de Jacques Laisis Apport meacutethodologique de la linguistique structurale agrave la clinique ch2 laquo Mythe et science raquo p 93-100

254 Une lecture de Jean Gagnepain

reacuteinvestissement de la structure dans la conjoncture et ceci sur chacun des plans ici sur celui

du dire Ce passage traite speacutecifiquement de lrsquoestheacutetique poeacutetique La suite du Vouloir-Dire fait

eacutetat de lrsquoestheacutetique plastique (dans lrsquoOutil) chorale (de la Personne) et heacuteroiumlque (de la

Norme)

Il faut souligner agrave nouveau que lrsquoextension donneacutee ici au terme poegraveme ne correspond pas agrave

ce que lrsquoon appelle drsquoordinaire laquo poegraveme raquo pas plus que les termes science et mythe ne

correspondaient agrave ce que lrsquoon entend drsquoordinaire par lagrave Il y a donc des œuvres qualifieacutees de

laquo poegravemes raquo qui ne relegravevent pas de la seacutemantique poeacutetique tandis qursquoinversement la seacuteman-

tique poeacutetique est preacutesente dans des œuvres qui ne sont pas consideacutereacutees comme des poegravemes

En outre il ne srsquoagit pas ici de classer des messages mais de repeacuterer dans le message ce qui

relegraveve respectivement de la seacutemantique poeacutetique mythique et scientifique trois modaliteacutes qui

srsquoy trouvent agrave des degreacutes divers Aucun de ces raisonnements nrsquoest exclusif des autres (Voir ci-

dessous en particulier 1222 et 1233)

Le raisonnement poeacutetique est une laquo tierce forme de neacutecessiteacute raquo 1194 en ce qursquoil produit

une reacutegulariteacute et non de lrsquoaleacuteatoire et en ce qursquoil produit de lrsquoanalyse et non de la saillance

tout comme le raisonnement scientifique et mythique

laquo Elle [la poeacutesie comme estheacutetique du dire] nrsquoest point lrsquoornement mais lrsquoinversion drsquoune

pratique ougrave le message autoreacutefeacuterenceacute se deacutesigne lui-mecircme et cessant de la dire se fait en

somme conjoncture puisqursquoau lieu drsquoecirctre un ecirctre-pour il est et nrsquoa pas drsquoautre fin raquo 1194

Nous avons deacutejagrave rencontreacute le jeu de mots fait entre laquo pratique raquo et laquo pragma raquo en 1121

Science et mythe relegravevent drsquoun raisonnement laquo pratique raquo parce qursquoils visent le laquo pragma raquo agrave

savoir la situation soit pour ameacutenager les mots en concepts en fonction du reacuteel soit pour

imaginer conceptuellement le reacuteel en fonction des mots Les deux sont laquo exocentriques raquo La

rheacutetorique poeacutetique au lieu de se tourner vers le pragma inverse la viseacutee en se retournant

vers la grammaire et en laquo lrsquoexhibant raquo (disait Roman Jakobson) Le message qui en reacutesulte est

ainsi laquo autoreacutefeacuterenceacute raquo au lieu de reacutefeacuterencier Au lieu de se confronter agrave la conjoncture il laquo se

deacutesigne lui-mecircme raquo comme eacutetant conjoncture Il est laquo endocentrique raquo 1061

laquo Elle [la poeacutesie comme estheacutetique du dire] nrsquoest point lrsquoornementhellip raquo 1194 Ce deacutebut de

phrase fait eacutecho agrave la conclusion proposeacutee par Roman Jakobson agrave son article laquo linguistique et

poeacutetique raquo (in Essais de linguistique geacuteneacuterale) laquo La poeacutesie ne consiste pas agrave ajouter des

ornements rheacutetoriques elle implique une reacuteeacutevaluation totale du discours et de toutes ses

composantes quelles qursquoelles soient raquo p 248

laquo Le poegraveme est authentiquement ‟opus additum naturaerdquo raquo crsquoest-agrave-dire laquo une œuvre

ajouteacutee agrave la nature raquo (Lrsquoexpression est de Duns Scott reprise par Saint Thomas) 1201

Suit 1202 une seacutequence de formules ternaires qui situent le poegraveme par rapport au couple

que forment la science et le mythe Conformiteacute agrave laquo ce qui srsquoeacutevoque raquo par le mot (mythe) ou agrave

ce qui laquo se formule raquo par le mot (science) drsquoun cocircteacute et conformiteacute du mot agrave un autre mot du

contexte laquo qui lrsquoincante raquo (poegraveme) La neacutecessiteacute scientifique eacutetait laquo deacuteterministe raquo et la neacuteces-

siteacute mythique laquo fataliste raquo la neacutecessiteacute poeacutetique est dans son laquo rythme raquo (incantatoire)

- laquo That it should not mean but be raquo 1202 (Archibald MacLeish poegravete ameacutericain du deacutebut

du XXe siegravecle ‟Ars poeticardquo 1926) Le message poeacutetique est autosuffisant

- laquo Le ‟Sinnrdquo nrsquoest pas en questionhellip seulement la ‟Bedeutungrdquo raquo 1202 Sur cette

opposition voir 673 La laquo Bedeutung raquo est laquo la reacutefeacuterence raquo laquo le rapport du signe agrave la

De la deacutesignation 255

conjoncture raquo tandis que le laquo Sinn raquo est la laquo signification raquo ou laquo valeur raquo grammaticale chez

JG ou encore laquo lrsquoincidence raquo ou rapport du signe agrave la structure en 633

Autres triplets

- 1202 laquo Le motif raquo poeacutetique est immanent (endocentrique) tandis que laquo lrsquoideacutee raquo scienti-

fique et laquo lrsquohypostase raquo mythique (exocentriques) sont tourneacutees vers la conjoncture

- 1202 La laquo causaliteacute raquo poeacutetique se preacutesente dans le temps comme une laquo peacuteriodiciteacute raquo (un

laquo rythme raquo) alors que la causaliteacute scientifique se preacutesente comme une laquo successiviteacute raquo qui

permet un deacuteploiement drsquoinformations et que la causaliteacute mythique est laquo panchronique raquo

hors de la temporaliteacute qursquointroduit la conjoncture

- 1203 La viseacutee poeacutetique est laquo prosodique raquo (laquo pros-odos raquo) et non laquo meacutetalinguistique raquo

(science) ou laquo meacutetaphysique raquo (mythe) Cf 1062 Les deux derniegraveres laquo reacuteameacutenagent raquo

respectivement la grammaire et lrsquoexpeacuterience La premiegravere est une marche rythmeacutee une

laquo procession raquo

On a vu JG critiquer en 971-2 laquo labusive extension de lusage du concept de prosodie raquo

Rappelons qursquoelle laquo palliait raquo la reacuteduction des faits phoneacutetiques agrave une laquo taxinomie raquo

drsquooppositions Il propose donc de retirer le terme du vocabulaire de la phoneacutetique pour

lrsquoutiliser ici agrave meilleur escient

Seacutemantique poeacutetique en soustraire le recoupement des autres plans

Suit une double critique de la place faite agrave la poeacutesie dans la rheacutetorique classique Drsquoune

part la notion de poeacutesie nrsquoy est pas laquo deacuteconstruite raquo selon les plans de meacutediation et lrsquoon y

mecircle des consideacuterations sociologiques (de genres) agrave des consideacuterations axiologiques de plaisir

et de sublimation La suite de lrsquoexposeacute reviendra sur ce point Drsquoautre part du strict point de

vue logique les traiteacutes de poeacutetique eacutenumegraverent des processus sans saisir le principe mecircme de

la construction laquo prosodique raquo endocentrique

Il faut donc deacuteconstruire la notion de poeacutesie par laquo soustraction raquo des aspects axiologiques

que la tradition met en avant Une concession est faite laquo le poegraveme peut ecirctre eacutegalement un

discours et sublimer des obsessions raquo 1204 Certes mais ceci est vrai de tout fait langagier

mythique ou scientifique compris de sorte que cette discursiviteacute nrsquoexplique pas ce qui speacutecifie

la seacutemantique poeacutetique parmi les laquo faccedilons de causer raquo La laquo motivation raquo est axiologique

tandis que le laquo motif raquo (dont le laquo rythme raquo) est proprement logique Enfin la poeacutesie est tout

autant rigoureuse exigeante laquo seacutevegraverement reacutegleacutee raquo qursquoun traiteacute scientifique ou qursquoun jeu de

mots mythique Exit la notion de laquo liberteacute raquo ou de laquo licence raquo poeacutetique 1211 qui nrsquoest qursquoune

illusion due agrave ce que lrsquoon prend comme point de reacutefeacuterence la rigueur meacutethodologique de la

seacutemantique scientifique objective La comparaison la plus juste est agrave faire avec les construc-

tions laquo endocentriques raquo des autres plans dont la laquo fonctionnaliteacute plastique raquo preacutesenteacutee dans

la theacuteorie de lrsquoOutil illustreacutee ici par lrsquoeacutevocation de laquo lrsquoartiste esclave de son geste raquo et de la

rigueur de la laquo la danse raquo

JG poursuit son travail de speacutecification de la seacutemantique poeacutetique par de nouvelles

soustractions En effet laquo on a pris [le poegraveme] pour ce qursquoil nrsquoeacutetait pas raquo 1212 En particulier en

lui reconnaissant des fonctions elle serait laquo narrative raquo ou laquo didactique raquo laquo engageacutee raquo ou

laquo lyrique raquo Rien de cela ne deacutefinit le poegraveme quoique de telles fonctions puissent neacutecessiter le

message par surcroicirct de faccedilon scientifique ou mythique du point de vue glossologique et

puissent ressortir par ailleurs agrave la socio ou agrave lrsquoaxiolinguistique

256 Une lecture de Jean Gagnepain

Viseacutee poeacutetique et paramegravetres du message

laquo Lrsquoauteur avec son œuvre entretient une relation contraire agrave celle de lrsquoeacutemetteur et du

pragma raquo 1212 On remarquera le changement de vocabulaire Srsquoagissant de science on

pouvait observer la part de lrsquoeacutemetteur dans le raisonnement exocentrique en relation avec le

laquo pragma raquo qursquoest la conjoncture Srsquoagissant du poegraveme comme on lrsquoa vu plus haut 1194 crsquoest

le message lui-mecircme laquo autoreacutefeacuterenceacute raquo qui devient pragma Un tel message est donc

deacutenommeacute laquo œuvre raquo et lrsquoeacutemetteur devient laquo auteur raquo Ce dernier terme nrsquoest pas pris ici dans

un sens sociologique mais comme synonyme de laquo creacuteateur raquo de lrsquoœuvre puisque crsquoest dans le

laquo rythme raquo mecircme des mots qursquoil puise la neacutecessiteacute qui aboutit au poegraveme sans qursquoil y ait

confrontation avec lrsquoextralinguistique

laquo Attendu qursquoelle [lrsquoœuvre] eacutechappe aux conditions de sa genegravese loin qursquoil [lrsquoauteur] y

trouve son eacutepiphanie crsquoest drsquoelle qursquoil tient ce qursquoil est raquo 1212 Lrsquoœuvre eacutechappe agrave ce qui de la

situation est deacuteterminant dans la science ou le mythe quel qursquoen soit le paramegravetre Par conseacute-

quent alors que lrsquoeacutemetteur se manifeste dans son message ndash laquo eacutepiphanie raquo du grec

επιφάνεια epiphaneia veut dire laquo manifestation raquo (de φαίνω phaiumlno laquo faire voir raquo) ndash crsquoest

lrsquoœuvre qui lui donne le statut drsquoauteur Autrement dit alors que lrsquoeacutemetteur laquo produit raquo le

message crsquoest lrsquoœuvre qui laquo produit raquo lrsquoauteur

laquo Objet reacutecepteur vecteurhellip nrsquoy interviennent qursquoen tant que preacutetextes agrave variations raquo 1212

Les paramegravetres ne sont plus des modaliteacutes drsquoinformation mais comptent poeacutetiquement srsquoils

sont parties prenantes des configurations formelles qui creacuteent le laquo motif raquo du poegraveme

Poeacutetique et axes

La laquo neacutecessiteacute raquo poeacutetique a jusqursquoici eacuteteacute deacutefinie dans les termes suivants le message

preacutesente un laquo motif raquo laquo un rythme raquo laquo une peacuteriodiciteacute raquo JG ajoute maintenant qursquoelle se

repegravere agrave la preacutesence drsquoun laquo megravetre raquo et drsquoune laquo rime raquo 1213 On reconnaicirct lagrave les deux axes de

lrsquoanalyse quantitative et qualitative Le terme de laquo rime raquo peut ecirctre pris dans son sens

classique ou dans laquo son acception drsquoorigine raquo plus large Il est probable que lrsquoauteur accepte ici

lrsquoeacutetymologie qui relie laquo rime raquo agrave laquo rythme raquo Walther von Wartburg le conteste dans son

Dictionnaire eacutetymologique de la langue franccedilaise et propose une relation au francique laquo rim raquo

seacuterie tandis que Pierre Guiraud dans Dictionnaire des eacutetymologies obscures renvoie au latin

laquo rimare raquo rechercher Ce qui importe agrave JG est que laquo le vers et la strophe raquo soient deacutefinis par

laquo une reacutecurrence raquo 1213 faute de quoi crsquoest laquo la mort du poegraveme raquo Telle est laquo lrsquoindispensable

cleacute raquo Par conseacutequent un message qualifieacute de laquo poegraveme en prose raquo qui ne preacutesenterait aucune

sorte de reacutecurrence ne relegraveverait pas de la seacutemantique poeacutetique quelle que soit laquo lrsquoeacutemotion raquo

qursquoil suscite en tant que laquo reflet drsquoun eacutetat drsquoacircme raquo Lagrave nrsquoest pas le poegraveme mais dans laquo sa

composition raquo

Poeacutetique et faces du signe

La thegravese preacutesenteacutee ici est en apparence surprenante JG soutient ici que laquo la prosodie raquo est

une fonction purement seacutemantique laquo et la scansion un mode drsquoeacutenonciation raquo et non pas de

prononciation 1214 Le poegraveme est ainsi totalement une seacutemantique laquo Le poegraveme se situe agrave

lrsquoinstar de la science et du mythe sur la mecircme face du signe raquo 1221

Paradoxe puisque la tradition relie le plus souvent agrave la phoneacutetique les pheacutenomegravenes de

reacutecurrence de motifs drsquoaccentuation de seacutequences syllabiques (ou vers) deacutelimiteacutees de reacutepeacuteti-

tion de phonegravemes (internes ou finaux aux vers) et drsquoalliteacuteration On srsquoattendait agrave ce que JG

De la deacutesignation 257

recherche la viseacutee endocentrique sur les deux faces du signe dans une phoneacutetique poeacutetique

associeacutee agrave une seacutemantique poeacutetique Or on a deacutejagrave remarqueacute que ce traiteacute de rheacutetorique ne

distingue pas entre diverses laquo modaliteacutes phoneacutetiques raquo Rien nrsquoest dit en particulier drsquoune

modaliteacute exocentrique mythique qui identifierait la prononciation au phonegraveme au meacutepris de

la polyphonie On pourrait cependant soutenir que crsquoest lrsquoattitude la plus commune celle qui

parle de laquo sons du langage raquo en srsquoimaginant que tout ce qui est compris comme a est

toujours prononceacute [a]

JG soutient que tous les faits de phonologie peuvent ecirctre concerneacutes mais que ce nrsquoest pas

en tant que tels mais en tant que laquo marques raquo des segravemes et des mots 1214 Dans le poegraveme le

reacuteameacutenagement seacutemantique aboutit agrave la rime et au vers La reacutecurrence de la rime en fin de

vers doit faire penser laquo agrave la synonymie raquo et non agrave de laquo lrsquohomeacuteophonie raquo (phoneacutetique) 1221 et

laquo la ceacutesure raquo meacutediane est la figure endocentrique de la coupe preacutedicative reacutefeacuterentielle qui fait

des laquo heacutemistiches raquo un motif laquo isochrone raquo En somme ce qui apparaicirct comme phoneacutetique est

la caution formelle apporteacutee par les phonegravemes agrave cette seacutemiologie qui laquo srsquoexhibe raquo en seacuteman-

tique

Il srsquoagit donc de faire la part dans un message qualifieacute de laquo poegraveme raquo de ce qui ressortit agrave la

seacutemantique poeacutetique et agrave la seacutemantique scientifique En effet laquo lrsquoun des systegravemes de

conceptualisationhellip nrsquoexclut pas lrsquoautre raquo 1222 et laquo tous les degreacutes de contamination sont

possibles entre le motif [poeacutetique] et lrsquoideacutee [scientifique] raquo Une laquo harmonie raquo peut ecirctre

rechercheacutee entre les deux Le terme laquo harmonie raquo ne peut pas renvoyer agrave la prosodie elle-

mecircme puisqursquoil est appliqueacute agrave la relation entre science et poegraveme dans le message Il srsquoagit

plutocirct de lrsquoappreacuteciation ou du jugement axiologique porteacute sur le reacutesultat (Je ne parle pas de

laquo jugement estheacutetique raquo puisque pour JG lrsquoestheacutetique est exclusivement la performance

endocentrique quel que soit le plan)

On ne doit pas laquo espeacuterer fonder la poeacutesie dans la paronomase raquo 1222 Rappel la

laquo paronomase raquo est deacutefinie comme un rapprochement seacutemantique de mots fondeacute sur la

proximiteacute de la seacutequence des phonegravemes qui les marquent comme dans laquo Tradutore

tradittore raquo Il semble que lrsquoauteur fasse reacutefeacuterence agrave Roman Jakobson qui dans laquo Linguistique

et poeacutetique raquo ch XI des Essais de linguistique geacuteneacuterale preacutesente son observation de la

laquo fonction poeacutetique raquo avec des exemples tels que laquo I like Ike raquo laquo lrsquoaffreux Alfred raquo p219 et

laquo The pallid bust of Pallas raquo p239 Le principe de laquo congruence raquo 1222 auquel JG fait allusion

renvoie agrave lrsquoassociation eacutetroite qursquoobserve Roman Jakobson entre phonegravemes et sens

laquo lrsquoeacutequivalence des sons projeteacutee sur la seacutequence comme son principe constitutif implique

ineacutevitablement lrsquoeacutequivalence seacutemantique raquo p235

Essayons de clarifier ce propos qui paraicirct distinct de celui tenu plus haut en 1221

laquo Certains raquo croient que la paronomase fonde la poeacutesie parce qursquoils laquo ne voient du phonegraveme

au plus long eacutenonceacute quune diffeacuterence de complexiteacute et dans le signifieacute quun ‟contenurdquo dont

la deacutesignation devenait elle-mecircme arbitraire raquo 1222 Il srsquoagit des theacuteories de laquo niveaux raquo dont

Jakobson srsquoinspire et la fin de la phrase typiquement saussurienne fait comprendre que JG

parle ici de la seacutemantique laquo ordinaire raquo non poeacutetique La poeacutesie au contraire laquo inverse raquo

laquo lrsquoarbitraire raquo de la relation laquo forme ndash sens raquo et cherche une laquo congruence raquo crsquoest-agrave-dire une

motivation entre la forme du mot et son sens Ainsi laquo Ike raquo de par son preacutenom est-il associeacute agrave

lrsquoamour (to like) Attention agrave bien faire ici la diffeacuterence entre le raisonnement mythique qui

constitue lrsquoassociation en reacutealiteacute et le raisonnement poeacutetique qui preacutesente lrsquoassociation pour

elle-mecircme

258 Une lecture de Jean Gagnepain

Pour JG ce serait un retour agrave la laquo phoneacutetique impressive raquo de Maurice Grammont 12227

Celui-ci dans laquo Onomatopeacutees et mots expressifs raquo (1901) puis dans le chapitre laquo phoneacutetique

impressive raquo de son Traiteacute de phoneacutetique (1933) attribue des laquo valeurs impressives raquo aux

eacuteleacutements phoneacutetiques ndash voyelles laquo aigueumls eacuteclatantes sombres voileacutees raquo ndash et leur donne un

pouvoir eacutevocateur Les voyelles laquo eacuteclatantes raquo (a o) conviendraient agrave ce qui est majestueux

(laquo gloire colosse raquo) et les nasales exprimeraient laquo la lenteur la langueur la nonchalance raquo

Les exemples qui suivent montrent la combinaison du laquo motif raquo (poeacutetique) et de laquo lrsquoideacutee raquo

(scientifique) dans le message 1222 Lrsquoun et lrsquoautre reacuteameacutenagent la grammaire Agrave la

congruence poeacutetique de laquo Bidasse raquo et de laquo Arras raquo correspond la congruence scientifique

drsquoArras et de Valenciennes deux villes voisines du nord de la France (Reacutefeacuterence agrave la chanson

de Louis Bousquet 1913 laquo Avec lrsquoami Bidasse On nrsquose quitte jamais Attendu qursquoon est

Tous deux natifs drsquoArras Chef-lieu du Pas-drsquoCalais raquo) La notion de vocable est deacutefinie en 864

et celui drsquoautonyme en 934

JG note la possibiliteacute du recoupement entre laquo lrsquoictus raquo et laquo lrsquoemphase raquo 1222 Lrsquoictus en

meacutetrique greacuteco-latine est le temps fort drsquoun scheacutema rythmique Soit pour le deacutebut de

lrsquoEacuteneacuteide aacuterma viruacutemque canoacute qui correspond non agrave lrsquoaccentuation de la prose mais agrave celle

du rythme dactylique En vers franccedilais classique cet ictus porte sur la rime ou la ceacutesure

Lrsquoemphase elle concerne lrsquoeacuteleacutement seacutemantiquement mis en relief Il y a recoupement des

deux dans laquo Jirai par la forecirct jirai par la montagne raquo (Victor Hugo laquo Demain degraves lrsquoaube raquo)

et dispersion des accents dans laquo Les grands jets deau sveltes parmi les marbres raquo (Verlaine

laquo Clair de lune raquo)

Lrsquoexemple de Max Jacob laquo agrave Paris sur un cheval gris agrave Nevers sur un cheval vert agrave Issoire

sur un cheval noir raquo fait coiumlncider dit JG laquo non pas le son et le sens raquo mais laquo deux sens raquo Lrsquoun

est scientifique (les vocables de villes et de couleurs) lrsquoautre est prosodique les rimes

internes et le respect du megravetre de chaque vers reacutealiseacute par la marque des mots Jean Giot me

signale que Max Jacob puis sans doute Marcel Aymeacute avec sa jument verte se trompent (ou

feignent de se tromper) sur la robe du cheval qui peut ecirctre dite laquo vair raquo142 comme la fourrure

de la chaussure de Cendrillon

Le poegraveme est fondeacute sur laquo une procession des messages raquo (un rythme terme agrave relier agrave

laquo prosodie raquo) 1223 La reacutecurrence ne peut se comprendre que dans un rapport de similariteacute

laquo Le message se reacutepegravete raquo Crsquoest la fin laquo Sur un cheval vert raquo qui creacutee laquo reacutetrospectivement raquo le

deacutebut laquo Agrave Nevers raquo comme partie constitutive du motif poeacutetique Dans cet exemple la

reacutecurrence est explicite Dans les exemples suivants elle est implicite (laquo en filigrane raquo) et

suppose la meacutemoire drsquoun message anteacuterieur laquo Je vous salue ma France raquo fait motif avec laquo Je

vous salue Marie raquo tout comme cette parodie drsquoun chansonnier agrave lrsquooccasion drsquoune gregraveve des

eacuteboueurs laquo Je vous salis ma rue raquo (contrepegraveterie) De mecircme laquo Jrsquoai trois parrains sur cette

estrade raquo fait motif avec le deacutebut de la chanson de Pierre Dupont et Charles Gounod 1846

laquo Les bœufs raquo laquo Jai deux grands bœufs dans mon eacutetable Deux grands bœufs blancs marqueacutes

de roux raquo

Afin de mieux deacutefinir le concept de seacutemantique poeacutetique (ou laquo prosodie raquo) JG laquo lrsquoidentifie

peu ou prou agrave celui de compositionhellip autre nom de lrsquoisotopie raquo 1231 (Isotopie mecircme ndash lieu

Le terme deacutesigne en seacutemantique depuis Algirdas Julien Greimas la poursuite drsquoun thegraveme

142 En ancien franccedilais laquo Un vair destrier raquo (Eneacuteas 6915) laquo Mon palefroi ver anselez raquo (Erec 1410) fabliau laquo Le vair Palefroi raquo Huon-le-roi fin 13egraveme Le sens est laquo gris-pommeleacute raquo

De la deacutesignation 259

seacutemantique dans le cours drsquoun texte) JG donne en exemple la preacutesence du laquo refrain raquo 1231

dans la chanson et toute forme de composition preacutesentant des reprises y compris dans le

sceacutenario drsquoun film

Il srsquoensuit que les concepts de litteacuterature et de poeacutetique ne sont qursquoen intersection Il est

inexact de faire de lrsquoestheacutetique poeacutetique le critegravere de la laquo litteacuterariteacute raquo censeacutee speacutecifier le texte

litteacuteraire car la litteacuterature laquo deacuteborde largement le poeacutetique raquo 1232 Inversement de mecircme

que nous sommes tous rheacutetoriciens et que ce nrsquoest pas lrsquoapanage du maicirctre de lyceacutee de mecircme

sommes-nous tous capables de prosodie crsquoest-agrave-dire de laquo preacuteoccupations estheacutetiques raquo

mecircleacutees au mythe et agrave la science dans nos propos Outre le slogan JG eacutevoque la composition

mecircme du Vouloir-Dire souvent ternaire

Conclusion reacutecapitulative La raison poeacutetique

Science mythe et poegraveme sont des modegraveles de fonctionnement rheacutetorique Tout message

peut se laquo neacutecessiter raquo logiquement selon un dosage des trois Nrsquoen retenir qursquoun serait une

laquo catharsis eacutetiologique raquo 1233 Le terme laquo catharsis raquo est axiologique et renvoie ici agrave la fois agrave

une exigence extrecircme et agrave un renoncement aussi extrecircme Comment laquo srsquoempecirccher raquo en effet

dans un poegraveme de parler de quelque chose et comment empecirccher le lecteur de remettre la

chose que lrsquoon srsquoeacutetait donneacute tant de mal agrave eacuteviter On tomberait dans laquo lrsquoeacutetiologie raquo

pathologique ou plutocirct dans le phantasme

laquo La geste raquo 1233 est lrsquoeacutepopeacutee antique ou meacutedieacutevale reacuteciteacutee par cœur Elle est poegraveme

dans la mesure ougrave laquo les propositions srsquoy commensurent raquo en une meacutetrique elle peut aussi ecirctre

associeacutee agrave une plastique technique (la danse) mais elle ne cesse pas pour autant drsquoecirctre un

reacutecit scientifique ou mythique en tant que laquo la chronique raquo drsquoeacuteveacutenements Autre exemple La

laquo preacutesence raquo des perles chez Jeacuterocircme Bosch peut avoir des laquo causes raquo multiples figurative

(laquo industrie empirique raquo dans la partie LrsquoOutil de lrsquoouvrage) et manifestation drsquoune intention

axiologique Mais il ne faut pas confondre laquo la preacutesence et la cause raquo 1233

Le rappel de la neacutecessaire dissociation des plans 1241-2 se porte ici sur la diffeacuterence entre

laquo le plan speacutecifique de lrsquoœuvre raquo 1242 (celui du Signe) et le traitement de lrsquoœuvre par les

plans sociologique et axiologique

Plan sociologique Le propos fait eacutecho (poeacutetique ) aux propos anteacuterieurs sur la science et

sur le mythe laquo deacutegager la science des sciences raquo et deacutegager laquo le mythe des mythes raquo 1131 Il

srsquoagit maintenant de deacutegager laquo la poeacutesie raquo des laquo anthologies de poegravemes raquo 1241 La

laquo reacutecurrence raquo en tant que telle est poeacutetique tandis que sa standardisation dans un genre

relegraveve du laquo contrat social raquo (DVD tome II 2) Suit une liste de concepts qui relegravevent non de la

poeacutetique mais de laquo lrsquoattribution raquo de lrsquoœuvre agrave quelqursquoun et de son laquo appartenance raquo (agrave un

lieu une eacutepoque un milieu) 1241 la signature et les pastiches lrsquoeacutecole litteacuteraire le marcheacute

(lrsquooffre eacuteditoriale et la demande du lectorat) Tout cela vaut aussi pour la science et pour le

mythe qui prennent en compte laquo le pragma raquo

Plan axiologique Neacutecessaire dissociation aussi entre la rheacutetorique laquo plan speacutecifique de

lrsquoœuvre raquo et de laquo lrsquointention raquo de lrsquoœuvre qui relegraveve de lrsquoaxiologie 1242 Il faut distinguer

lrsquoanalyse de lrsquoœuvre de la laquo critique raquo de lrsquoœuvre Classiquement on y cherchait lrsquoeacutemotion laquo le

cœur raquo la psychanalyse lacanienne parle aujourdrsquohui de chaicircne signifiante qui se faufile dans

le discours laquo en capiton raquo comme le fil qui compartimente lrsquoeacutedredon ou le fauteuil

Chesterfield

260 Une lecture de Jean Gagnepain

Deux rappels conclusifs composent 1243 Le poegraveme est laquo rigoureusement rationnel raquo

Srsquoagissant de son partage on ne peut traduire que ce qui le fait tel agrave savoir laquo son rythme raquo

Derniers rappels en 1244 Lrsquoobjectif du propos eacutetait de laquo rassembler raquo science mythe et

poegraveme comme laquo drsquoeacutegales faccedilons de ‟causerrdquo raquo Enfin il ne faut jamais oublier qursquoil srsquoagit de

reacutealiteacutes dialectiques de la reacutesultante toujours relative drsquoun deacutepassement de contradictions

quitte agrave assumer un sentiment de relatif laquo eacutechec raquo laquo Eacutechouer [agrave positiver] crsquoest penser raquo

1251

Deux remarques finales sur le thegraveme laquo Sens et Causaliteacute raquo

Cette trilogie me semble appeler un commentaire drsquoordre critique ou au moins un appel agrave

preacutecaution Le fait de deacutenommer laquo science mythe et poegraveme raquo les trois modaliteacutes de raisonne-

ment preacutesente un risque important de confusion Il faut bien comprendre qursquoelles sont

conceptuellement le reacutesumeacute du seul ensemble des deacuteveloppements qursquoelles preacutesentent

accompagnent et reacutecapitulent Rien drsquoautre et surtout pas ce que ces mecircmes termes signifient

dans drsquoautres modegraveles En tant que parties constituantes drsquoun modegravele elles ont un statut de

laquo reacuteduction raquo au point de vue explicatif adopteacute Ceci valait deacutejagrave pour des notions telles que

laquo texte raquo ou laquo signe raquo et pour bien drsquoautres

Il ne faut donc pas en attendre plus que ce qursquoelles peuvent apporter Quiconque

srsquointeacuteresse agrave laquo la poeacutesie raquo jugera extrecircmement reacuteducteur le propos tenu dans ce chapitre Il

serait cependant injuste de le consideacuterer comme laquo reacuteductionniste raquo degraves lors qursquoil est claire-

ment annonceacute en 1194 que le projet nrsquoeacutetait pas de rendre compte de ce qursquoon appelle

laquo poeacutesie raquo pas plus que de ce qursquoon appelle laquo science raquo 1063 ou laquo mythe raquo 1131 Un tel

programme serait mecircme reacutecuseacute radicalement tout comme celui de rendre compte du

laquo langage raquo puisque le projet de lrsquoauteur est de deacutementir lrsquohomogeacuteneacuteiteacute de ce que ces termes

preacutetendent deacutesigner

Certes degraves lors que ce modegravele preacutetend capter la totaliteacute de ce qursquoest le raisonnement

humain sous ces trois espegraveces se pose le problegraveme de la limite entre reacuteduction et

reacuteductionnisme Mais un tel problegraveme vaut quel que soit le modegravele

Il y a lieu aussi drsquoecirctre attentif aux passages subreptices de la science aux sciences du mythe

aux mythes quoi qursquoen dise lrsquoauteur Ceci est un effet probablement ineacutevitable de lrsquoexposeacute

laquo drsquoexemples raquo lesquels sont toujours totalement humains De mecircme que les faits propre-

ment grammaticaux (phonologiques syntaxiques etc) sont preacutesenteacutes agrave travers des exemples

qui sont par ailleurs et en mecircme temps toujours des faits sociologiques (des faits de langue)

de mecircme les raisonnements ne peuvent ecirctre preacutesenteacutes qursquoagrave travers des exemples qui sont par

ailleurs et toujours situeacutes et dateacutes Crsquoest au lecteur de srsquoabstraire de cet effet globalisant de

consideacuterer comme non pertinent le fait sociohistorique pour ne prendre en compte que le

seul type de fait qui relegraveve du plan examineacute celui du raisonnement

De la deacutesignation 261

CONCLUSIONS

Commentaire du tableau de la page 126

Au commentaire tregraves clair de lrsquoauteur 1271 jrsquoajouterai la remarque suivante

Lrsquoartefact correspondant agrave la projection drsquoun axe sur lrsquoautre eacutetait difficile agrave inteacutegrer dans le

tableau Si donc le terme laquo cateacutegorisation raquo et son synonyme laquo similariteacute raquo ont eacuteteacute placeacutes sous

le genre laquo geacuteneacuterativiteacute raquo et dans la colonne de gauche qui voisine avec celle de

laquo lrsquoordination raquo crsquoest pour situer la deacutefinition de la correacutelation et du paradigme comme

laquo projection de lrsquouniteacute sur lrsquoidentiteacute raquo crsquoest-agrave-dire laquo diversification de lrsquouniteacute raquo Inversement la

position de laquo lrsquoordination raquo et de son synonyme laquo la compleacutementariteacute raquo sous le genre

laquo taxinomie raquo rappelle qursquoil srsquoagit de la laquo projection de lrsquoidentiteacute sur lrsquouniteacute raquo crsquoest-agrave-dire du

processus laquo drsquoidentification de la pluraliteacute raquo Chaque fois le terme geacuteneacuterique rappelle quelle

est la source de la projection Cette preacutesentation rend visible la position theacuteorique laquo heacuteteacutero-

doxe raquo de la glossologie puisque la syntaxe y devient un fait dont le principe est taxinomique

et le paradigme un fait de principe geacuteneacuteratif On est loin des preacutetendus laquo axes paradigmatique

et syntagmatique raquo des Introductions agrave la linguistique

En somme

De la meacutethode

JG reacutecapitule la triple exigence de sa meacutethode 1272 Son anthropologie dont lrsquoobjet est la

culture est une seacutemantique scientifique agrave proportion de laquo sa veacuterifiabiliteacute raquo de sa

laquo transposabiliteacute raquo et de son laquo applicabiliteacute raquo Le premier critegravere renvoie agrave la mise agrave lrsquoeacutepreuve

des hypothegraveses le second agrave la porteacutee laquo analogique raquo de ces hypothegraveses drsquoun plan de

meacutediation agrave un autre le troisiegraveme agrave la collaboration des divers laquo meacutetiers raquo (terme socio-

logique) qui peuvent contribuer aux deux critegraveres preacuteceacutedents

La formulation suivante me paraicirct neacutecessiter une paraphrase laquo Lrsquoingeacutenieur en matiegravere de

langagehellip [est] une dimension du savant dont la speacuteculation ne se justifie que par la

transformation des meacutetiers dont la demande historiquement est issue raquo 1272 Qursquoest-ce agrave

dire Le concept de laquo savant raquo est agrave situer ndash me semble-t-il ndash par recoupement du plan

sociologique et du plan glossologique Dans la division des meacutetiers le savant est au service du

laquo savoir raquo de la capitalisation de la connaissance Le laquo savant raquo ndash celui qui produit et

communique laquo de la cause raquo plutocirct que des leacutegumes ou des voitures y compris celui qui

laquo speacutecule raquo laquo puisqursquoil nrsquoy a de science qursquoabstraite raquo ndash nrsquoa de leacutegitimiteacute (laquo ne se justifie raquo) que

srsquoil reacuteussit agrave transformer laquo les meacutetiers raquo crsquoest-agrave-dire agrave jouer un rocircle social drsquoagent

laquo eacutepisteacutemologique raquo et non laquo ideacuteologique raquo dans le sens que JG donne agrave ces termes dans sa

theacuteorie de la Personne On voyage ici drsquoun plan agrave lrsquoautre La laquo cause raquo (plan 1) a pour

laquo justification raquo (plan 4) sa laquo praxis raquo (plan 3) Le sous-titre mecircme de lrsquoouvrage laquo Traiteacute

drsquoeacutepisteacutemologie des sciences humaines raquo permet de le penser si lrsquoon donne agrave

laquo lrsquoeacutepisteacutemologie raquo reacutetrospectivement le sens que lui donne la Theacuteorie de la Meacutediation

laquo hellipdont la demande historiquement est issue raquo 1272 Lrsquooffre suscite la demande Si

laquo lrsquoingeacutenieur du langage raquo ne propose pas de renouvellement dans son service drsquoexplication il

nrsquoy a pas non plus de renouvellement de la demande

262 Une lecture de Jean Gagnepain

La dialectique toujours

Reformulation finale drsquoune thegravese anthropologique essentielle agrave la theacuteorie de la meacutediation

la culture quel que soit le plan est dialectique 1273

Une remarque incidente vient preacuteceacuteder le deacuteveloppement JG met en retrait un aspect du

Signe mis particuliegraverement en avant par Ferdinand de Saussure la dualiteacute des faces du signe

que dans ses brouillons il appelait laquo la double essence du langage raquo JG vise ici la version agrave

succegraves (bien diffeacuterente du Cours) proposeacutee par Andreacute Martinet celle de la laquo double articula-

tion raquo Or cette dualiteacute est selon JG deacutejagrave observable dans le symbole accessible agrave drsquoautres

espegraveces (mais il srsquoagit drsquoune seacuteriation) de sorte que ce qui speacutecifie lrsquoaptitude humaine au signe

crsquoest laquo lrsquoimmanence raquo du critegravere reacuteciproque de deacutefinition (laquo symeacutetrie raquo) des structures

phonologiques et seacutemiologiques agrave savoir la pertinence et la deacutenotation

Le reste retravaille la formulation du cœur de ce qursquoest une dialectique

- Il ne srsquoagit pas drsquoune contradiction binaire drsquoun antagonisme duel (signifieacute-sens ou

signifiant-son) comme le laisse penser la distinction laquo de la Langue et de la Parole raquo 1282 si

neacutecessaire qursquoait eacuteteacute cette proposition agrave lrsquoeacutepoque de Saussure

- Il srsquoagit drsquoun modegravele explicatif ternaire car le deacutepassement drsquoune contradiction exige qursquoil

y ait laquo un tremplin raquo agrave la fois laquo anteacuterieur raquo au pocircle de neacutegativiteacute et laquo posteacuterieur raquo agrave celui-ci

doublement irreacuteductible agrave lrsquoeacutetablissement de la contradiction formelle et au deacutepassement de

celle-ci La culture atteste ainsi laquo drsquoune authentique trichotomie raquo 1282 (Rappel) Jrsquoai deacutejagrave

souligneacute agrave propos de 1071 que les laquo moments raquo de la dialectique ne sont pas des laquo eacutetapes raquo

successives telles que pour le locuteur il y aurait drsquoabord de la reacutealiteacute puis de la grammaire et

enfin de la rheacutetorique La meacutetaphore temporelle de mecircme que la meacutetaphore spatiale des

laquo positions raquo et des laquo pocircles raquo drsquoun inteacuterieur et drsquoun exteacuterieur ou encore la meacutetaphore

dynamique du laquo tremplin raquo ou de la tension ne sont que des raisonnements dont la

convergence synonymique contribue agrave concevoir ce qursquoest ce fait humain speacutecifique qursquoest la

dialectique logique Crsquoest tout aussi vrai des laquo faces raquo et des laquo axes raquo qui dans le modegravele ne

sont pas des notions topologiques Ceci eacutetant laquo Il nest scientifiquement dobjet que construit

Construit sentend avec des mots raquo 1084 Les plus congruents restent ceux de

laquo contradiction raquo de laquo neacutegation-de raquo laquo drsquoambiguiumlteacute raquo 1273 parce qursquoil srsquoagit de concepts

speacutecifiques dans le champ conceptuel de la logique Encore faut-il admettre qursquoils ne cessent

drsquoecirctre mythiques que si lrsquoon accepte de les faire entrer dans des reacuteseaux de convergence

synonymique et de deacuteveloppement autonymique

JG entend par lagrave reacutefuter deux propositions non dialectiques couramment soutenues

- Lrsquoune fait du sens (conceptuel) et surtout en phoneacutetique du laquo son raquo (prononceacute) des faits

exteacuterieurs au signe La glossologie deacutemontre que la deacutesignation sous ses deux aspects seacuteman-

tique et phoneacutetique laquo fait partie inteacutegrante du signe raquo 1281

- laquo Le biologique raquo est agrave prendre en compte dans une explication de la culture comme

laquo tremplin raquo 1281 parce que laquo par lui dans le vivant la raison est justement ou nrsquoest pas raquo

Autrement dit pour deux raisons Drsquoune part parce qursquoil est le laquo conditionnement raquo (et la

condition preacutealable) agrave la culture et drsquoautre part parce que la culture est un ordre particulier

drsquoaptitude biologique

Drsquoougrave le refrain final sur la laquo trichotomie raquo qursquoest laquo la culture raquo en geacuteneacuteral et laquo le signe raquo en

particulier 1282 Jrsquoattire agrave nouveau lrsquoattention sur le suffixe laquo -tomie raquo Il prend ici le sens de

De la deacutesignation 263

laquo neacutegativiteacute raquo de laquo rupture raquo de laquo contradiction raquo et non celui de limite entre deux lieux

topologiques

laquo La forme raquo (ou instance) laquo nrsquoest qursquoun pocircle de contradiction drsquoune reacutealiteacute qui ne srsquoy reacuteduit

pas en ceci qursquoelle [= cette reacutealiteacute] laquo incluthellip son tremplin biologique raquo ainsi que laquo la perfor-

mance raquo comme laquo le terme toujours provisoire de son investissement raquo 1281

Je comprends le laquo elle raquo comme reacutefeacuterant non pas agrave laquo la forme raquo ni agrave ce qursquoil appelle laquo la

situation raquo mais agrave ce laquo fait humain raquo qursquoest laquo le signe raquo Lrsquoobjet inteacutegral de ce chapitre sur la

capaciteacute humaine de laquo signe raquo est constitueacute par lrsquoeacutetude de ces trois laquo positions raquo en relation de

contradiction et de contradiction de la contradiction

Cependant le propos eacutetant geacuteneacuteral il est possible de comprendre plus geacuteneacuteralement laquo une

reacutealiteacute raquo comme le synonyme de laquo meacutediation raquo ou de laquo culture raquo Le propos en effet vaut

aussi pour lrsquoOutil la Personne et la Norme

CODA page 276

Par delagrave la deuxiegraveme partie du Vouloir-Dire tome 1 consacreacutee agrave la theacuteorie de lrsquoOutil je

crois coheacuterent avec mon propos de lire aussi et de gloser cette page finale intituleacutee

laquo Conclusion en matiegravere drsquointroduction raquo en raison de sa fonction de transition entre les deux

parties constitutives de cette Teacutetralogie

Le premier paragraphe reprend le thegraveme de la laquo deacuteconstruction meacutethodique en divers plans

de reacutealiteacute raquo 2762 en reacuteponse de tous ceux qui laquo se font philosophiquement les gardiens du

cheveu que nous coupons cliniquement en quatre raquo 2761 en reacuteponse notamment aux

reacuteductionnismes que repreacutesentent aux yeux de lrsquoauteur tant la psychanalyse que le marxisme

lesquels laquo ramegravenent le tout raquo (de lrsquohumain) laquo au seul principe raquo qursquoils promeuvent

Le second paragraphe eacutetant programmatif je ne ferai qursquoy renvoyer et inviter agrave la lecture

du tome 2

Le troisiegraveme paragraphe eacutenonce une derniegravere fois le principe essentiel qursquoest la dialectique

laquo De tous les vivants nous sommes seuls agrave nous contester ou mieux agrave nier en nous pour

lrsquoacculturer la nature raquo 2763

laquo In cauda [coda]hellip nodus raquo143 Degraves lors que lrsquoexposeacute se deacuteplace sur les autres plans le

statut de que JG appelle ici laquo interfeacuterence raquo des plans se pose Ce problegraveme a deacutejagrave eacuteteacute

preacutesenteacute dans lrsquoIntroduction sous le thegraveme des laquo sciences appliqueacutees raquo 182 agrave 192 passage

auquel je renvoie Il est repris ici dans la formulation suivante qui demande une certaine

attention [Nous acculturons la nature] laquo selon quatre modaliteacutes dont lrsquointerfeacuterence ainsi que

ce premier volume nous permet deacutejagrave de lrsquoapercevoir nrsquoest peut-ecirctre eu eacutegard aux relations

traiteacutees des faces des axes et des phases qursquoun autre aspect de la reacuteflexiviteacute drsquoune seule et

mecircme analyse dont lrsquoaptitude dialectiquement nous distinguehellip raquo 27633 Le nœud en

question se situe preacuteciseacutement dans la notion de laquo reacuteflexiviteacute raquo Le terme est utiliseacute quatre fois

dans ce tome chaque fois dans des contextes diffeacuterents avec des sens varieacutes agrave propos de

lrsquoimmanence (66) du pronom (622) du meacutetalangage (1082) et ici agrave propos des interactions

143 Je parodie Ciceacuteron laquo dum hic nodus expediatur raquo laquo jusqursquoagrave ce que cette difficulteacute soit trancheacutee raquo (Epistulae ad Atticum 521)

264 Une lecture de Jean Gagnepain

entre plans qui ont en commun de teacutemoigner de lrsquoaptitude humaine agrave lrsquoanalyse et agrave la

dialectique144

La lecture la plus simple est la suivante La raison teacutetramorphe serait laquo reacuteflexive raquo dans le

sens ougrave ses proprieacuteteacutes la dialectique (phases) et lrsquoanalyse (en faces et axes se laquo reacutefleacutechit raquo se

diffracte se distribue se retrouve de maniegravere analogue sur chaque plan Toutefois cette

paraphrase ne prend pas complegravetement en compte le thegraveme de lrsquointerfeacuterence (ou

recoupement) des plans

Puis-je risquer cette autre lecture La reacuteflexiviteacute de la culture tiendrait au fait que la

dialectique eacutetant permanente le traitement dialectique drsquoun plan par un autre produit une

sorte drsquoeffet de miroir chaque plan peut se reacutefleacutechir dans une autre puisqursquoon ne sort jamais

de la culture Ainsi faire de la socio-logie crsquoest exercer la dialectique glosso-logique du dire

Mais ce dire se construit agrave propos drsquoune reacutealiteacute humaine elle-mecircme dialectique celle de la

personne capable drsquoinstituer et de contracter capable laquo drsquoethniciteacute raquo et de laquo politique raquo

capable dit-il en fin de phrase laquo drsquoabsence raquo et laquo drsquoacte de proprieacuteteacute raquo Reacuteciproquement

vivre dialectiquement en socieacuteteacute crsquoest entre autres deacuteclarer prendre position et dialoguer agrave

travers une logique elle-mecircme dialectique en jouant conjointement de la grammaire et de la

rheacutetorique On ne quitte pas la dialectique Dans tous les cas on rend compte dialectiquement

drsquoune dialectique Lrsquohomme se pense dialectiquement (signe oblige) comme dialectique agrave tous

eacutegards (quel que soit le plan) JG reprenait volontiers le mot de Pascal laquo nous sommes

embarqueacutes raquo145 pour souligner qursquoil nous est impossible de sortir de notre humaniteacute pour

mieux lrsquoobserver

144 Dans le tome 2 le terme fait reacutefeacuterence agrave la pheacutenomeacutenologie laquo hellip nrsquoen deacuteplaise aux pheacutenomeacutenologues lrsquohomme nrsquoest pas reacuteflexivement un ldquo ecirctre des lointains Prime mais plutocirct du reculhellip raquo DVD II217 Allusion agrave laquo Lrsquohomme est un ecirctre du lointain Et crsquoest seulement de cette distance primordiale que dans sa transcendance il eacutetablit par rapport agrave tous les eacutetants que grandit en lui la veacuteritable proximiteacute agrave lrsquoeacutegard des choses raquo Heidegger 1928 Metaphysische Anfangsgruumlnde der Logik p285)

145 laquo Nous sommes embarqueacutes raquo titre du 1er chapitre de Mes Parlements (1994) p17

Pour conclure 265

POUR CONCLURE MON PARCOURS

Cette lecture nrsquoest qursquoune eacutetape dans un voyage intellectuel puisqursquoelle ne concerne que la

seule premiegravere partie drsquoun exposeacute laquo teacutetralogique raquo de la Theacuteorie de la Meacutediation qui couvre

deux volumes En cela elle est ineacutevitablement partielle voire biaiseacutee de deux maniegraveres

compleacutementaires

Drsquoune part les concepts fondamentaux de la theacuteorie ndash laquo structure neacutegativiteacute dialectique raquo

etc ndash qui ont une porteacutee anthropologique ne trouveront leur deacutefinition complegravete qursquoagrave

lrsquoexamen de lrsquoensemble des aspects de la rationaliteacute qursquoils tentent drsquoexpliquer Le risque est de

les reacuteduire agrave leur seule porteacutee glossologique ce qui serait contradictoire avec le projet mecircme

de Jean Gagnepain tel que finalement rappeleacute en conclusion du second tome laquo Il devient

clair je pense au terme de ce long parcours (hellip) qursquoil srsquoagissait moins drsquoun essai de traitement

exhaustif du Vouloir-dire que du deuil meneacute par eacutetapes de ce qui nrsquoa ducirc drsquoecirctre traditionnelle-

ment tenu pour objet [le langage] qursquoau privilegravege philosophico-religieux drsquoun Verbe que

lrsquoHumanisme nous a transmishellip raquo DVD 2 2811 Seule une lecture de lrsquoensemble compte et

permet une transformation reacutetrospective de la conception que lrsquoon srsquoeacutetait faite de ces

concepts lors de cette premiegravere eacutetape

Drsquoautre part les concepts proprement glossologiques ne trouvent eacutegalement leur deacutefinition

que dans leur confrontation avec les autres plans de meacutediation Ainsi la compreacutehension des

faits de langue dans la perspective de la theacuteorie de la Personne est-elle neacutecessaire pour faire

ce travail de laquo deuil raquo (eacutevoqueacute plus haut par Jean Gagnepain) des concepts classiques de

laquo mot raquo de laquo texte raquo voire de laquo sens raquo et de laquo grammaire raquo et pour approfondir leur statut

proprement glossologique en corrigeant lrsquoideacutee que lrsquoon srsquoen eacutetait faite jusque-lagrave

Ce raisonnement peut bien entendu ecirctre inverseacute Nombre de lecteurs sont attireacutes drsquoabord

par la dimension sociologique ou eacutethique du projet de Theacuteorie de la Meacutediation et beaucoup

moins pour des subtiliteacutes grammaticales La grammaire nrsquoest pas en tecircte des appeacutetences et

seacuteductions contemporaines Et pourtant Du Vouloir-Dire deacutemontre que non seulement on ne

peut pas se passer drsquoune eacutetude approfondie du Dire puisque Dire est Humain mais encore

que cette eacutetude ouvre des perspectives heuristiques sur lrsquoensemble de ce qui nous fait

Humain ne serait-ce qursquoen raison de lrsquoexistence des aphasies et de la clinique qui leur est lieacutee

Je soulignerai pour terminer la porteacutee eacutepisteacutemologique de la thegravese de la dissociation des

plans et de celle de la dialectique dans la deacutefinition qui en est exposeacutee La premiegravere thegravese se

positionne frontalement contre lrsquoideacuteologie dominante contemporaine qui reacuteduit les sciences

de la culture aux laquo sciences sociales raquo et lrsquohumain agrave son historiciteacute agrave ses positions et actes

sociaux et agrave ses actes eacuteconomiques (selon le point de vue partiel de chaque discipline) La

seconde thegravese se positionne tout aussi radicalement contre lrsquoideacuteologie naturaliste contempo-

raine qui reacuteduit lrsquohumain agrave son conditionnement neuronal et dont le nouveau scientisme

peut aller dans la laquo presse people raquo de ladite science jusqursquoaux phantasmes deacutelirants du

transhumanisme En mecircme temps mais avec un bien moindre enjeu la theacuteorie de la

meacutediation srsquoinscrit en faux contre ceux philosophes qui postulent qursquoun ecirctre libre ne peut pas

srsquoexpliquer

266 Une lecture de Jean Gagnepain

Le preacutesent modegravele explicatif du laquo dire raquo si incomplet qursquoil soit impose agrave quiconque accepte

de se deacutegager des puissances disciplinaires sources autant drsquoaveuglements que drsquoeacuteclairages

novateurs de srsquoouvrir agrave la complexiteacute paradoxale de la Raison En mecircme temps Jean

Gagnepain dit aussi tregraves clairement que ce modegravele comme tout autre est un fait de dire en

partie scientifique et en partie mythique qursquoen tant que prise de position il srsquoinscrit dans un

deacutebat producteur de contradiction relative et qursquoen tant que laquo meacutethode raquo il est axio-

logiquement critiquable Je nrsquooublie pas non plus que cette theacuteorie de la meacutediation est

exposeacutee dans un livre et que donc tout commence par une lecture

Tel est bien lrsquoespoir qui mrsquoa motiveacute agrave eacutecrire ces commentaires montrer que cette eacutetape de

gloses eacutetait neacutecessaire et inviter agrave la lecture de cet ouvrage Puisse le lecteur poursuivre son

chemin laquo Der Weg ist das Ziel raquo aurait dit Maicirctre Kong revu par Goethe Bonne route

Index des concepts 267

INDEX des CONCEPTS

La numeacuterotation renvoie aux pages drsquo Une Lecture

Absence significative 77 84 96 112 136

Anagnose et dieacutegegravese 51-52

Anaphore cataphore 122 131 138 141 143 144 145 146 147 182 192 215 226

Anthropologie 1 13 15 27 28 30 46 47 51 261

Anthropobiologie 13 15 30

Aphasies (de Broca et de Wernicke) 26 29 33-43 81 91 101 106-107 113 149 172

191 202 213 Interm 5 229-230

Apophantique 236

Arbitraire et Motivation 44 45 74 80 97 115

Assertion 131 136 138-143 145-147 168 196-197 199 205 Voir Preacutedication

Axes biaxialiteacute

de la grammaire 23-26 38 69 81 104 passim

De la rheacutetorique 169 172 174 179 180 208 225 Interm 5 229 256

Axiologie axiologique 47 49 104 160 164 169 171 177 220 227 228 236 237

239 244 247 252 255 259

Biologie biologique 15 19 27 30-31 61 Interm 4 155

Breton 75 77-79 86-87 94 108 123-124 132 133 138-139 140 144 178 240

249

Catachregravese 57-58 69 186

Cause causer causaliteacute 2 15 19 150 157 184-185 186 189 218-219 223 225

232 253 255 260 261

Cible (= reacutecepteur paramegravetre) 57 138 144 146 164 165 171 176 178 212 234

Clinique 27-32 Interm 2 40-41 41 61 63 66 81 106 155 172 174 213 228

Interm 5 229

Clos et ouvert 98-99

Concateacutenation (phonologique) 88 94 101 116 133-134 208 217

Concept concevable 35 158 167 189 191 199 200 221 222 229 231 242

Congruence incongruiteacute 57 158 166 169 186 212 224 229 257-258

Contexte et syllexique 104-105 109 209

Coordination 109 120 122-123 148

Coreacutefeacuterence 121 122 214 215

Correacutelation (phonologique) 85 107 113-114

Correacutelation (syntaxe) 143

Creacuteativiteacute (en glossologie) 57-58

Culture 4 6 9 11 15 19 20 Rem 30 32 45 46 47 51 61 69 91 Interm 4

155 252 262-263 264

Deacuteictique deixis 43 138 235 243

Deacutenotation 36 60 66 70-79

Deacutesignation 55-56 59 153 162 262

Deacuteterminisme 19 157 223 233 242

Dialectique

268 Une lecture de Jean Gagnepain

de la Rationaliteacute 9-10 13-19 20 32 46 262-263

du Signe 10 12 26 51-52 55-56 69 Interm 4 153-156 157-159 165 175 182

186 262

de la Personne 19-20 43-44

Dieacutegegravese voir Anagnose

Diffeacuterenciation 24 26 81 106 118

Effacement 116 131 134-136 145 146-147 148

Ellipse (grammaire) 131 134 135 138 145-146 (Rheacutetorique) 172 178 234

Eacutemetteur (paramegravetre du message) 161 164-166 169 197 199 234 256

Eacutepithegravese 100 125 128-129

Eacutevidement 17 134-137 140 144 145 214 250

Exocentrique endocentrique (seacutemantique) 220 226 253-257

Expeacuterience 12 18 28 31-32 55 59 65 67 91 150 153 155-156 157 160 168

170-171 186 191 215 220 223-224 226 229 231 236 237 238 241-242 247

Explicite - implicite 13-14 20-22 26 27 30 34-35 38 45 55 69 90 95 97 150

166-167 172 184 234

Expliquer explication 1 13 17 28 31 190 201 223 225 240 251 265

Faces

(En grammaire) 34 35-38 56 60 63 65 70-81

(En rheacutetorique) 179 204 256 262 263

Figures tropes eacutecart 175-181 183-186 211 217

Flexion et deacuterivation 96 105 109-112 122-123

Fonction (en phonologie) 72-74

Fondamental Appliqueacute (Sciences) 47-51

Formalisation incorporeacutee 1 13 32 89

Geacuteneacuterativiteacute 23 24 100-102 118

Gestalt 32-33 61

Glossologie 25 47-48 72 150 209

Grammaire 21-25 38-39 48 55-57 102-104 134-135 153 157 158 168 175 208

Graphie 42 50 93

Grec 2 37 48 70 94 96 127-128 144 184-185 235 236 242 248 251 256

Hypostase 22 46 135 240 252 255

Identiteacute Voir Diffeacuterenciation et Taxinomie

Imaginaire 38 62 64 233

Improprieacuteteacute (de la grammaire) 3-4 7 22-23 34 Interm 3 44 45 65 69 135 158

168 175 186 215 251

Incidence Voir Reacutefeacuterence

Inclusion (glossologie) 25 584 209-210 213 222 225

Infeacuterence 180 191 201

Instance et Performance 7-9 17-18 50 52 151 158 206 263

Inteacutegration (glossologie) 24 25 117 129 214 216

Isomorphisme 36 41 65 74 80

Index des concepts 269

Latin 2 10 38 62 70 71 78 79 82 85 97 101 110 136 137 139 142 143

144 177 181-182 194 196 244 256

Marque (mode de deacutenotation) 36-37 73 74 75 77-78 81 91 94 105 121 124 129

133 136 144 145 258

Meacutediation Interm 1 10-11 27 46-47 51-53 passim

Meacutetalangage meacutetalinguistique 219 224 231 233 237 253

Meacutetaphore 177 179 211-212 228-229

Meacutetaphysique 224 253 255

Meacutetonymie 179 216-217 224

Mot (Uniteacute seacutemiologique) 89-91 94-96

Motivation Voir Arbitraire

Mythe seacutemantique mythique 219-220 240-253

Nature 4 13 15 19 30 32 45 46 56 61 115 Interm 4 155 172 263

Neacutegativiteacute 9 16-18 25 33 45 50 55-56 84 90 91 96 97 102 131 135 148

150 157 182-183 191 219 262 265

Nomenclature (Saussure) 10 69 Interm 4 153 157 170 174 177

Nomenclature (glossologie seacutemantique) 187 -188 198 204

Objet1 (percept naturel) 61 62 232

Objet2 (paramegravetre) objectivation 57 62 Interm4 153-156 160-161 164 171 189

196 199 209 231-232 234 237 241-242 256

Objet de science 13 17 42 48-49 162

Origine Origination 1-3 12 233 240 244

Paradigme 25 104-109 115 136 146-147 208 210 261

Paramegravetres du message 57 160-164

Paraphrase 191 201

Peacuteriphrase 70 85 95 191 210

Personne (Theacuteorie de la) 2 5 6-7 43-44 261

Performance Voir Instance

Pertinence (phonologique) 36 68 70-73 83-84

Phases (de la dialectique) = pocircles 16 40 52 170 263 264 voir Dialectique

Pheacutenomeacutenologie Interm 1 10 14 59 150 Interm 4 153-156 172 237

Phonegraveme (uniteacute phonologique) 89 91-92

Phonologie 56 60 63 67 71 94 107 113 194 203

Poegraveme seacutemantique poeacutetique 253-260

Pocircles (de la dialectique) = phases) 16 26 56 58 179 188 202 262 voir Dialectique

Polyrheacutemie (du mot) 69 70 95 251

Polyseacutemie (du segraveme) 50 58 69 95 250-251

Positivisme 7 9 158 166 183

Pragma 160 220 238 254 256

Praxis 19 160 237 261

Preacutedication preacutediquer 26 101 119 128-129 131 136 142 146 174 196-201 205

216 233 257

270 Une lecture de Jean Gagnepain

Projection projectiviteacute (drsquoun axe sur lrsquoautre) 24-25 39 104-106 107 113 116-118 122

187 225 261

Proprieacuteteacute (seacutemantique) 158 164 165 175 178 201 202 219 220 229

Prosodie 255 258 259

Rationaliteacute eacuteclateacutee 45

Reacutealiteacute (principe de) 18 69 156 Rem 189 219 223 232 233 237 238 242 249

Reacutecepteur (paramegravetre du message) 161 165 197 199 234 242 256

Reacuteel 11 28 Rem 154 Rem 156 Rem 250 254

Reacutefeacuterence et Incidence 12 65 Rem 135 143 153 158 162 171 180 234 254

Reacuteinvestissement 17-18 157 161 165 187

Rheacutetorique 18 33 38 42 50 53 55-59 150 153 157 160 164 166-169 172-174

186 204 219-220 234 249 259

Seacutelection 26 82 97 188 196

Schegraveme thegraveme parenthegravemes (syntaxe) 123 132

Science seacutemantique scientifique 4 220-240 247 253 passim

Segmentation segment 24 26 69 81 89 91 94 118 196 204

Segraveme (identiteacute seacutemiologique) 81 83-86 118 135

Seacutemiologie 56 69-70 107-113

Seacutemiotique (TdM) 235 243

Sens1 (dans le symbole) 62-63

Sens2 (rheacutetorique) 62 157-159 166-171 184 214 218-220 243 258

Signification 12 17 34 50 53 55-56 59 60 103 157 191 202

Signification du zeacutero 134-137

Source (= eacutemetteur paramegravetre) 164 171 176 178 179 197 213 234

Structure 22 32-33 35 37-38 60-61 63-64 68 135 143 157 173 205 231

Subordination 104-105 122-133 143-146 198 215

Substance 9 11 66 129 156 177 195 231

Syllabe 87 92 101 202-207

Syllexique Voir Contexte

Symbole 33 34 37-38 62-64 84 262

Syntaxe syntagme 104-107 116-133 143-146

Taxinomie 24 68 97-100 102 187-196

Texte 97 100-101 105 117 124 132

Trait (phonologique) 68 73-75 85-88 93 99 114

Types de mots 115-116

Uniteacute Voir Segmentation et Geacuteneacuterativiteacute

Vecteur (paramegravetre du message) 161 164 176 234 256

Veacuterification reacutefutation falsification 28 32 42 227-228 236 242 249 252

Zeacutero 96 132 134-137 186

Index des auteurs 271

INDEX des AUTEURS

La numeacuterotation renvoie aux pages drsquo Une Lecture

ALKAWRIZMI 222

ALLAIRE Suzanne 140 Note 144 215 Note

AMACKER Reneacute (1975) 44 Note (1995) 53 Note

AMEISEN Jean Claude 229 250 251

ANGOUJARD Jean-Pierre 204

ANONYME Rheacutetorique agrave Heacuterennius 175

ARISTARQUE 149

ARISTOTE 6 9 10 33 Note 197 199 221-222 224 Note

ARNAULT Antoine amp LANCELOT Claude 6 197

ARNAULT Antoine amp NICOLE Pierre 6 38

AUGUSTIN DrsquoHIPPONE 137 et Note 246

AUSTIN John 163

BACHELARD Gaston (1934) 28 (1938a) 8 (1938b) 42 (1940) 11 Interm 1 28 (1949) 221 230

BAILLY Anatole 99 179 181

BALLY Charles 44 199

BARTHES Roland 4

BAZIN Louis 75 90

BEAUD Laurence 31

BENVENISTE Eacutemile 48 209

BIBLE 242 243 244 245 247 248

BOILEAU Nicolas 232

BLOOMFIELD Leonard 72

BOURCIEZ Eacutedouard et Jean 114

BRACKELAIRE Jean-Luc 13

BREacuteAL Michel 137 Note

BREacuteAL Michel et BAILLY Anatole 6

BRUNEAU Philippe amp BALUT Pierre-Yves 235

BUumlHLER Karl 162

BUYSSENS Eacuteric 64

CADIOT Pierre et LEBAS Franck 12

CALVET Louis-Jean 48

CARNEacute Marcel 149

CAROLL Lewis 239

272 Une lecture de Jean Gagnepain

CASSIRER Ernst 10 Interm 1 55 154 232

CICEacuteRON 70 164 244 247

CHOMEL-GUILLAUME Sophie LELOUP Gilles et BERNARD Isabelle 40 Interm 2

CHOMSKY Noam (1957) 6-7 22-23 35 55 76 100-102 105 118-119 126-127 148 158-

159 167 216

CLERVAL Gilles 155 Interm 4 221-222

CONDILLAC (Eacutetienne BONNOT de) 222

CONNOCHIE-BOURGNE Chantal 246 Note

COURSIL Jacques 206

COUSIN Victor 14

DAMOURETTE Jacques et PICHON Eacutedouard 144

DE GUIBERT Cleacutement CLERVAL Gilles et GUYARD Hubert 61 155 Interm 4

DICK Philip K 219

DSM 8

DUBOIS Jean 130 216

DUFFAU Hughes 35 Note

DUVAL-GOMBERT Attie amp LE GAC-PRIME Christine 32

ENGLER Rudolph 5 Note 44 Note 99 Note

ERNOUT Alfred amp MEILLET Antoine 70 244 Note

ESCHYLE 200 et Note

EUCLIDE 27 Note

FLAUX Nelly 183

FONTANIER Pierre 175-176 178-180 183

FREGE Gottlob (1892) 71 157

FREUD Sigmund 21 45 178 181

FURETIERE Antoine 173

GABORIEAU Patrice et BEAUD Laurence 31

GAFFIOT Feacutelix 99

GAGNEPAIN Jean (Seacuteminaires 1975-1987) 2 5 11 Interm1 12 13 17 47 52 56 57 61

65 Note 98 Note 128 135 136 141 Note 154-156 Interm 4 157 Note 158 Note 161

176 Note 183 200 224 Note 237

(1981 DVD I LrsquoOutil) 161 235 259 (1985 Psychiatrie fr) 29 Note (1991 DVD II) 3 91 55

171 Note 234 236-238 243 244 259 264 Note 265 (1994 Mes Parlements) 264 Note

(1995 DVD III) 19 Note (2005 Raison de plushellip) 237 (2010 Huit leccedilonshellip) 157 175 247

GEOFFROY Paul-Eacutemile 161

GILLIEacuteRON Jules 29 Note

GODEL Robert 44 Note

Index des auteurs 273

GRAMMONT Maurice 91

GUELPA Patrick 72

GUILLAUME Gustave 80

GUIRAUD Pierre 256

GUYARD Hubert 65 106 113 155 Interm 4 213 229 Interm 5 231

GUYARD Hubert et URIEN Jean-Yves 155 Note

HARRIS Zellig 72 216

HEIDEGGER Martin 264

HERRMANN Mickael 197 198 Note 200 Note 201

HJELMSLEV Louis 48 64-65 73 76 216

HOCKETT Charles Francis 121

HOMEgraveRE 184

HUMBOLDT Wilhem 10 Interm 1 59 158 Note

HUSSERL Edmund 10 Interm 1 150 154 Interm 4 158 Note 161

IONESCO Eugegravene 175

JACKSON John Hughlings 34

JAKOBSON Roman 26 38 57 82-83 88 97 106 159 162-164 170 224 231 254 257

JAKOBSON Roman et HALLE Morris 213

JANET Pierre 21

JESPERSEN Otto 94

JONGEN Reneacute 33 82 Note 127 211

KANT Emmanuel 10 Interm 1 55 64 151 171 222-223

LAISIS Jacques (1991) 18 Note 156 Note Interm 4 253 Note (1994) 11 Note (1996) 13 Note

LAMOTTE Jean-Luc 20 Note 67 Note

LE GAC Christine 32 Note 40 Interm 2

LEIRIS Michel 250

LEMAREacuteCHAL Alain 96

LEROI-GOURHAN Andreacute 11 Note

LHOMOND (Abbeacute) 144

LUCREgraveCE 70

MACLEISH Archibald 254

MAHMOUDIAN Morteza 72

MARTINET Andreacute 37 71 76 89 93 95 112 196 262

MARTINET Jeanne 96

MARTY Anton 163

MARX Karl 15 16 Note 19-20 27 160 237 239

274 Une lecture de Jean Gagnepain

MEILLET Antoine 111

MELʹČUK Igor A 60

MERLEAU-PONTY Maurice 154 Note Interm 4

MILNER Jean-Claude 48 76 Note

MONTAGUE 11 Interm 1

MUSIL Robert 33

NORMAND Claudine 44 Interm 3

NYEMB Ireacuteneacutee-Gilles 131 Note

OCKHAM Guillaume (drsquo) 37 Note 42

OGDEN Charles Kay amp RICHARDS Ivor Armstrong 57

PASCAL Blaise 4

PAUL Herman 199

PLATON 233 246 249

POPPER Karl 28 228

POTTIER Bernard 73 88 100 193 216

PRIETO Luis-Jorge 64

QUENTEL Jean-Claude 21 Note

QUINTILIEN 175 180 182-183

RACAN (Honorat de Bueil dit Marquis de Racan) 159

RASTIER Franccedilois (1974) 216 (1987) 88 100 216

REY Alain (1977) 192 (1992) 109

REY-DEBOVE Josette 224

RICOEUR Paul 12

RICO Christophe 99 Notes

RUWET Nicolas 23 129

SABOURAUD Olivier 29 37 Note 81 Note 89 113 213

SABOURAUD Olivier SANQUER Ed et GAGNEPAIN Jean 174

SAUSSURE Ferdinand (de) (1916 Cours) 4 Note 6 9 12 22 25 27 34-35 44-45 Interm 3

48 57 58 60 74 76 80 83 97 99 Notes 105 106 115 154 Interm 4 166 167

Note 195 203 206 262 (1968-1974 Notes publieacutees par R Engler) 5 Note 53 Note

SHANNON Claude Elwood et WEAVER Warren 130

SCHOTTE Jean-Claude 32 Note 154 Interm 4 Note 220 Note 250 Note

SIBONY Daniel 222

SPINOZA 163 177

TESNIEgraveRE Lucien 126 131

THOMAS DrsquoAQUIN 10 170 219

Index des auteurs 275

THORA 52 248-249

TITE-LIVE 122

TREPOS Pierre (1954) 249 (1956) 78-79

TRIER Jost 192 208

TROUBETZKOY Nicolaiuml-S 76 87-88 113

ULLMANN Stephen 99 Note

URIEN Jean-Yves (1981) 16 Note (1989) 16 Note 74 Note 124 Note (1990) 139-140 Notes

(1992) 124 Note (1999) 72 Note (2006) et GUYARD Hubert 155 Note

VARRON 182 Note 244 Note

VENDRYES Joseph 96 Note

VIENNE G et COLLET J-Y 229

WARTBURG Walther (von) 256

WILMET Marc 137

WIERZBICKA Anna 11 Interm 1

YAGUELLO Marina 149

Bibliographie 277

BIBLIOGRAPHIE

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  • COUVERTURE
    • Pour citer cet ouvrage
      • EN GUISE DrsquoAVANT-PROPOS
      • UNE LECTURE de Jean GAGNEPAIN
        • GLOSES
        • INTRODUCTION GEacuteNEacuteRALE - DISCOURS ET MEacuteTHODE
          • UN NOUVEAU TYPE DE SCIENTIFICITEacute
            • Une neacutecessaire reacuteorganisation complegravete du savoir
            • Critique du logocentrisme
            • Critique de lrsquoillusion technique
            • Critique du positivisme Formalisation instance et performance
            • Critique du positivisme Vers une conception dialectique de la culture
              • POUR UNE ANTHROPOLOGIE DIALECTIQUE
                • La rationaliteacute est dialectique
                • Le mateacuterialisme historique
                • La psychanalyse
                • La linguistique structurale
                • Les laquo axes raquo de lrsquoanalyse Eacutebauche critique du modegravele glossologique
                  • Quelques formulations particuliegraveres appellent une glose
                  • Preacutesentation des deux laquo axes raquo de lrsquoanalyse Taxinomie et geacuteneacuterativiteacute
                  • Approfondissement de la theacuteorie de la biaxialiteacute
                  • Relation entre dialectique et biaxialiteacute
                      • POUR UNE ANTHROPOLOGIE CLINIQUE
                        • Justification de la perspective clinique
                          • Le pouvoir heuristique de la clinique
                          • De la nature
                            • Lrsquoapport des aphasies
                              • La dialectique et la bipolariteacute
                              • La distinction des deux faces
                              • Les deux axes drsquoanalyse
                                • Apport de la clinique des aphasies agrave la compreacutehension des autres plans culturels
                                  • De lrsquoeacutecriture agrave lrsquoOutil
                                  • De lrsquoeacutechange verbal agrave la Personne
                                  • De la prise de parole agrave lrsquoeacutethique
                                      • PANORAMA DE LA THEacuteORIE DE LA MEacuteDIATION
                                        • La dialectique Nature Culture
                                        • Les quatre aspects de la rationaliteacute
                                        • Sciences fondamentales et sciences appliqueacutees Le recoupement des plans
                                          • Les sciences fondamentales
                                          • Les sciences appliqueacutees
                                            • La theacuteorie de la meacutediation une anagnose et une dieacutegegravese de lrsquohumain
                                            • Da Capo
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                                                  • STRUCTURE ET SIGNIFICATION
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                                                          • Lrsquoapport de lrsquoobservation clinique
                                                            • Lrsquoimproprieacuteteacute du point de vue phonologique
                                                            • Lrsquoimproprieacuteteacute du point de vue seacutemiologique
                                                              • Pertinence et deacutenotation
                                                                • Statut de la pertinence en glossologie
                                                                • Statut de la deacutenotation en glossologie
                                                                  • Les deux faces du signe ne sont pas isomorphes Le critegravere formel nrsquoest pas circulaire
                                                                  • Critique de la laquo morphonologie raquo
                                                                  • Typologie laquo des modes de deacutenotation raquo
                                                                  • Analogie laquo arbitraire relatif raquo laquo motivation raquo
                                                                  • Lrsquoapport de la clinique des aphasies
                                                                    • IDENTITEacute ET UNITEacute
                                                                      • Traits et Segravemes
                                                                        • Preacutesentation des deux axes de lrsquoanalyse
                                                                        • Identiteacute phonologique et identiteacute seacutemiologique
                                                                          • Diffeacuterence et proportion
                                                                          • La laquo neutralisation raquo
                                                                          • laquo Archiphonegraveme raquo et laquo Seacutemegraveme raquo
                                                                          • Critique du laquo binarisme raquo chez Jakobson
                                                                          • Une formalisation incorporeacutee et non projeteacutee
                                                                              • Phonegravemes et mots
                                                                                • Preacutesentation de la notion drsquouniteacute grammaticale
                                                                                • Problegravemes de segmentation phonologique
                                                                                  • Problegravemes varieacutes
                                                                                  • Critique de la notion de laquo variantes cumulatives raquo
                                                                                  • Statut de la pause en phonologie
                                                                                    • Problegravemes de segmentation seacutemiologique
                                                                                      • Capaciteacute taxinomique et capaciteacute geacuteneacuterative
                                                                                        • La capaciteacute taxinomique
                                                                                          • Dans le cadre de la dissociation des plans et de la dialectique
                                                                                          • Lexique Le clos et lrsquoouvert Problegraveme de dissociation
                                                                                            • La capaciteacute geacuteneacuterative
                                                                                                • SIMILARITEacute ET COMPLEacuteMENTARITEacute - LES RELATIONS ENTRE LES DEUX AXES
                                                                                                  • Introduction geacuteneacuterale
                                                                                                    • Vers une deacutefinition restrictive de la similariteacute et de la compleacutementariteacute
                                                                                                    • La notion de laquo projection raquo
                                                                                                    • Lrsquoapport de la clinique des aphasies
                                                                                                      • Correacutelation et paradigme
                                                                                                        • Le paradigme en seacutemiologie
                                                                                                          • Deacutefinition de la flexion et de la deacuterivation
                                                                                                          • La flexion
                                                                                                          • La deacuterivation
                                                                                                            • La correacutelation en phonologie
                                                                                                            • Propos conclusif sur la similariteacute
                                                                                                              • De lrsquoarbitraire
                                                                                                              • Les types de mots
                                                                                                                  • Concateacutenation et syntagme
                                                                                                                    • Transition et Deacutefinition du propos
                                                                                                                    • Le syntagme
                                                                                                                      • Syntagme et contextes syntaxiques un exemple en grec classique
                                                                                                                      • Distinguer la geacuteneacuterativiteacute (axe) et la syntaxe (projection
                                                                                                                      • Deacutefinition de la syntaxe
                                                                                                                      • Quelques aspects des contraintes syntaxiques
                                                                                                                      • Coordination et subordination
                                                                                                                      • Le syntagme comme relation reacuteciproque
                                                                                                                      • Syntaxe et types morphologiques
                                                                                                                      • Syntaxe et effacement
                                                                                                                        • La concateacutenation
                                                                                                                          • Reacutefeacuterence et Incidence
                                                                                                                            • Preacutesentation du thegraveme Effacement eacutevidement et ellipse
                                                                                                                            • Les deux figures de lrsquoeacutevidement
                                                                                                                              • Le figement eacutevidement morpheacutematique
                                                                                                                              • La suppleacuteance eacutevidement lexeacutematique
                                                                                                                              • De la suppleacuteance agrave lrsquoellipse
                                                                                                                              • Lrsquoauxiliariteacute interne au verbe
                                                                                                                              • Les modes verbaux
                                                                                                                              • Les laquo opeacuterateurs de discours raquo et les laquo adverbes pronominaux raquo
                                                                                                                                • Le double statut de la neacutegation et de lrsquointerrogation grammaticale
                                                                                                                                • Figures de la correacutelation
                                                                                                                                • Indeacutefinition et ellipse Relative et conjonctive
                                                                                                                                • Observation du processus laquo drsquoeffacement grammatical raquo dans le paradigme
                                                                                                                                • Conclusion Effacement et dialectique
                                                                                                                                  • POUR UN TRAITEacute DE LA DEacuteSIGNATION
                                                                                                                                    • INTRODUCTION
                                                                                                                                    • LES MEacuteCANISMES DE LrsquoEacuteNONCEacute
                                                                                                                                      • Eacutepel phoneacutetique et nomenclature seacutemantique
                                                                                                                                        • La Nomenclature seacutemantique
                                                                                                                                          • La synonymie caracteacuteristique du vocable et de lrsquoappellation
                                                                                                                                          • Le vocable dans la lexicographie
                                                                                                                                          • Onomasiologie onomastique anthroponymie (nom propre) Pour une theacuteorie de lrsquoappellation
                                                                                                                                            • La seacutelection phoneacutetique lrsquoeacutepel
                                                                                                                                              • Syllabe et proposition
                                                                                                                                                • Preacutedication et terme
                                                                                                                                                  • Le propos
                                                                                                                                                  • Lrsquoincise
                                                                                                                                                  • Preacutedication et grammaire Divers cas de figure de leur non-correspondance
                                                                                                                                                    • Preacutedication et types de mots
                                                                                                                                                    • Preacutedication et syntaxe
                                                                                                                                                      • Le terme est laquo autonymique raquo
                                                                                                                                                      • La concurrence autonymique fait partie de laquo notre pouvoir drsquoexpliquer raquo
                                                                                                                                                        • Theacuteorie de la syllabe
                                                                                                                                                          • Thegraveme de la dialectique
                                                                                                                                                          • Thegraveme de lrsquoanalogie de la seacutemantique et de la phoneacutetique
                                                                                                                                                          • Thegraveme de lrsquoanalyse et de la recherche de lrsquouniteacute phoneacutetique
                                                                                                                                                          • Gloses de deacutetail
                                                                                                                                                              • Du champ et de lrsquoexpansion
                                                                                                                                                                • Le champ seacutemantique et la zone phoneacutetique
                                                                                                                                                                  • De la tradition aristoteacutelicienne agrave la glossologie
                                                                                                                                                                  • Lrsquoeacutechelle de geacuteneacutericiteacute
                                                                                                                                                                  • La meacutetaphore
                                                                                                                                                                  • La zone phoneacutetique
                                                                                                                                                                    • Lrsquoexpansion seacutemantique et lrsquoenvironnement phoneacutetique
                                                                                                                                                                      • Lrsquoexpansion seacutemantique
                                                                                                                                                                      • Les rangs drsquointeacutegration seacutemantique
                                                                                                                                                                      • La meacutetonymie
                                                                                                                                                                      • Lrsquoenvironnement phoneacutetique
                                                                                                                                                                      • Conclusion
                                                                                                                                                                        • REacuteFEacuteRENCE ET PROPRIEacuteTEacute
                                                                                                                                                                          • Les paramegravetres du message
                                                                                                                                                                            • Typologie des paramegravetres du message
                                                                                                                                                                            • Gagnepain Buhler et Jakobson paramegravetres et non fonctions
                                                                                                                                                                            • Application didactique
                                                                                                                                                                            • Rheacutetorique et stylistique
                                                                                                                                                                            • La rheacutetorique phoneacutetique
                                                                                                                                                                              • Du formel au stochastique
                                                                                                                                                                                • Corpus
                                                                                                                                                                                • Stochastique
                                                                                                                                                                                  • Probabiliteacute et stochastique
                                                                                                                                                                                  • Hypotheacutetico-deacuteduction
                                                                                                                                                                                    • La performance rheacutetorique construit un monde intelligible
                                                                                                                                                                                    • Aspect quantitatif de la performance le texte
                                                                                                                                                                                    • La rheacutetorique est une reacute-analyse
                                                                                                                                                                                    • La laquo mutation raquo du sens
                                                                                                                                                                                    • Lrsquoapport de la clinique
                                                                                                                                                                                      • Theacuteorie des tropes
                                                                                                                                                                                      • Thegraveme de la dissociation des plans
                                                                                                                                                                                      • Thegraveme de lrsquoessentialisme
                                                                                                                                                                                      • Variations sur le thegraveme de la Figure
                                                                                                                                                                                      • laquo Les figures de mots raquo
                                                                                                                                                                                      • Mise en perspective de la theacuteorie des tropes avec la theacuteorie glossologique
                                                                                                                                                                                        • Faces pocircles axes en rheacutetorique
                                                                                                                                                                                        • Figure exemplaire de la dialectique grammaire rheacutetorique lrsquoantonomase
                                                                                                                                                                                          • La figure dite laquo antonomase raquo
                                                                                                                                                                                          • Antonomase et antonymie
                                                                                                                                                                                          • Antonomase et pronomination
                                                                                                                                                                                          • Compleacutement sur lrsquoantonomase dans la rheacutetorique classique
                                                                                                                                                                                              • La laquo figure raquo reconsideacutereacutee dans le cadre de la dialectique du signe
                                                                                                                                                                                              • Des meacutefaits de la notion laquo drsquoimage raquo dans les traductions drsquoHomegravere
                                                                                                                                                                                              • Conclusion
                                                                                                                                                                                                • LES MEacuteCANISMES DE LrsquoEacuteNONCEacute
                                                                                                                                                                                                  • Eacutepel phoneacutetique et nomenclature seacutemantique
                                                                                                                                                                                                    • La Nomenclature seacutemantique
                                                                                                                                                                                                      • La synonymie caracteacuteristique du vocable et de lrsquoappellation
                                                                                                                                                                                                      • Le vocable dans la lexicographie
                                                                                                                                                                                                      • Onomasiologie onomastique anthroponymie (nom propre) Pour une theacuteorie de lrsquoappellation
                                                                                                                                                                                                        • La seacutelection phoneacutetique lrsquoeacutepel
                                                                                                                                                                                                          • Syllabe et proposition
                                                                                                                                                                                                            • Preacutedication et terme
                                                                                                                                                                                                              • Le propos
                                                                                                                                                                                                              • Lrsquoincise
                                                                                                                                                                                                              • Preacutedication et grammaire Divers cas de figure de leur non-correspondance
                                                                                                                                                                                                                • Preacutedication et types de mots
                                                                                                                                                                                                                • Preacutedication et syntaxe
                                                                                                                                                                                                                  • Le terme est laquo autonymique raquo
                                                                                                                                                                                                                  • La concurrence autonymique fait partie de laquo notre pouvoir drsquoexpliquer raquo
                                                                                                                                                                                                                    • Theacuteorie de la syllabe
                                                                                                                                                                                                                      • Thegraveme de la dialectique
                                                                                                                                                                                                                      • Thegraveme de lrsquoanalogie de la seacutemantique et de la phoneacutetique
                                                                                                                                                                                                                      • Thegraveme de lrsquoanalyse et de la recherche de lrsquouniteacute phoneacutetique
                                                                                                                                                                                                                      • Gloses de deacutetail
                                                                                                                                                                                                                          • Du champ et de lrsquoexpansion
                                                                                                                                                                                                                            • Le champ seacutemantique et la zone phoneacutetique
                                                                                                                                                                                                                              • De la tradition aristoteacutelicienne agrave la glossologie
                                                                                                                                                                                                                              • Lrsquoeacutechelle de geacuteneacutericiteacute
                                                                                                                                                                                                                              • La meacutetaphore
                                                                                                                                                                                                                              • La zone phoneacutetique
                                                                                                                                                                                                                                • Lrsquoexpansion seacutemantique et lrsquoenvironnement phoneacutetique
                                                                                                                                                                                                                                  • Lrsquoexpansion seacutemantique
                                                                                                                                                                                                                                  • Les rangs drsquointeacutegration seacutemantique
                                                                                                                                                                                                                                  • La meacutetonymie
                                                                                                                                                                                                                                  • Lrsquoenvironnement phoneacutetique
                                                                                                                                                                                                                                  • Conclusion
                                                                                                                                                                                                                                    • SENS ET CAUSALITEacute
                                                                                                                                                                                                                                      • Science Le raisonnement seacutemantique scientifique
                                                                                                                                                                                                                                        • Heacuteritage et positions
                                                                                                                                                                                                                                        • Deacutefinition de la seacutemantique scientifique
                                                                                                                                                                                                                                          • La science une rheacutetorique laquo meacutetalinguistique raquo
                                                                                                                                                                                                                                          • Les modaliteacutes de cette transformation
                                                                                                                                                                                                                                            • Retour agrave la dissociation des plans
                                                                                                                                                                                                                                            • Discours de la meacutethode
                                                                                                                                                                                                                                            • La seacutemantique scientifique est un mode de raisonnement permanent chez tout locuteur
                                                                                                                                                                                                                                            • Toute explication est verbale
                                                                                                                                                                                                                                            • Science et formalisation
                                                                                                                                                                                                                                            • Porteacutee de la rheacutetorique scientifique La question des paramegravetres de la situation La neacutecessaire dissociation des plans
                                                                                                                                                                                                                                            • Le recoupement de la rheacutetorique scientifique par les autres plans
                                                                                                                                                                                                                                            • Le langage laquo fait surgir raquo la penseacutee et laquo lui assigne un terme raquo
                                                                                                                                                                                                                                            • La science fait glossologique donc analytique
                                                                                                                                                                                                                                            • Conclusion Distinguer rheacutetorique scientifique et laquo la science raquo telleqursquoon lrsquoentend drsquoordinaire
                                                                                                                                                                                                                                              • Mythe Le raisonnement seacutemantique mythique
                                                                                                                                                                                                                                                • Des mythes au raisonnement mythique
                                                                                                                                                                                                                                                • Deacutefinition contrastive du mythe par rapport agrave la science
                                                                                                                                                                                                                                                • Problegravemes de meacutethode Est-il possible drsquoacceacuteder au mythe par le biais du rite (eacutecriture du mythe) ou de lrsquoanalyse de ses fonctions
                                                                                                                                                                                                                                                  • Mythe et rite
                                                                                                                                                                                                                                                  • Mythe et fonction sociale
                                                                                                                                                                                                                                                    • Mythe et religion Mythique et mystique
                                                                                                                                                                                                                                                    • De la banaliteacute du raisonnement mythique
                                                                                                                                                                                                                                                    • Mythe et meacutecanismes de lrsquoeacutenonceacute
                                                                                                                                                                                                                                                      • Lrsquoexploitation de la laquo polyseacutemie raquo
                                                                                                                                                                                                                                                      • Lrsquoexploitation de la laquo polyrheacutemie raquo
                                                                                                                                                                                                                                                          • Poegraveme La seacutemantique endocentrique
                                                                                                                                                                                                                                                            • Deacutefinitions varieacutees sous forme de triplets
                                                                                                                                                                                                                                                            • Seacutemantique poeacutetique en soustraire le recoupement des autres plans
                                                                                                                                                                                                                                                            • Viseacutee poeacutetique et paramegravetres du message
                                                                                                                                                                                                                                                            • Poeacutetique et axes
                                                                                                                                                                                                                                                            • Poeacutetique et faces du signe
                                                                                                                                                                                                                                                            • Conclusion reacutecapitulative La raison poeacutetique
                                                                                                                                                                                                                                                              • Deux remarques finales sur le thegraveme laquo Sens et Causaliteacute raquo
                                                                                                                                                                                                                                                                • CONCLUSIONS
                                                                                                                                                                                                                                                                • POUR CONCLURE MON PARCOURS
                                                                                                                                                                                                                                                                • INDEX des CONCEPTS
                                                                                                                                                                                                                                                                • INDEX des AUTEURS
                                                                                                                                                                                                                                                                • BIBLIOGRAPHIE
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