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L’ exception Images en Dermatologie • Vol. VII • n o 3 • mai-juin 2014 85 Cas clinique Lupus subaigu et tatouages Subacute lupus erythematosus and tattoos N. Kluger (Departments of dermatology, allergology and venereology, Institute of clinical medicine, Skin and Allergy Hospital, Helsinki University Central Hospital, Finlande) L a survenue de lésions de lupus érythémateux discoïde ou subaigu sur des tatouages est connue depuis les années 1940. Nous rapportons un nouveau cas de ce phénomène qui reste rare, chez un patient de 38 ans. Observation Un homme de 38 ans, suivi pour un lupus cutané depuis 2007, était adressé pour une poussée de lésions cutanées évoluant depuis près d’un mois. Les lésions, survenues après une exposition solaire, étaient érythémateuses à bordure annulaire ou poly- cycliques à centre clair du tronc, du dos et de la racine des membres. On notait par ailleurs une lésion annulaire similaire localisée sur un tatouage noir du bras gauche, réalisé dans un salon professionnel 5 ans plus tôt. Le patient n’avait jamais eu ce type de lésions jusqu’à présent. Le reste de l’examen clinique était sans particularité. Les examens biologiques retrouvaient une leucopénie à 3 800/mm 3 , avec une lymphopénie à 800/mm 3 et des anticorps anti-antigènes nucléaires solubles Ro/SSA positifs de façon isolée (42 U/ml, N < 7). Le reste des examens, dont la fonction rénale, la protéinurie des 24 heures, le complément total CH50, les fractions C3 et C4, était normal. Devant l’anamnèse, l’aspect clinique des lésions, la présence d’anticorps anti-SSA circulants, le diagnostic de lupus cutané subaigu, avec une localisation secondaire sur tatouage par phénomène de Koebner, était posé. Le patient était mis sous antipaludéens de synthèse (hydroxychloroquine) et dermocorticoïdes. Discussion La survenue de lésions de lupus érythémateux discoïde sur des tatouages est connue depuis les années 1940 (1). Les lésions sur tatouage débutent parfois de façon aspé- cifique, sous la forme d’une “irritation” du tatouage (Hall 1943, Madden 1949, Rook et Thomas 1951 [1]). Ces lésions peuvent être isolées, associées d’emblée à d’autres lésions lupiques ou apparaître secondairement sur le tatouage. L’aspect sémiologique reste le plus souvent typique, avec des lésions érythémateuses, papuleuses ou en plaques, prurigineuses, avec des dilatations folliculaires et des clous kératosiques en surface. Les lésions sont parfois photodéclenchées et photodistribuées (Madden 1949, Lubeck et Epstein 1952 [1, 2]). L’histologie confirme le diagnostic. Six cas de lupus discoïde ont été rapportés jusqu’à présent. La principale explication physiopatho- logique est celle d’un phénomène isomorphique de Koebner, rapporté lors du lupus discoïde, notamment lors d’une injection intramusculaire ou de cicatrices de brûlures (3, 4). Cependant, le développement quasi systématique des lésions aux dépens de tatouages rouges et en zones photo-exposées a fait discuter le rôle du pigment. Dans les années 1950, les pigments utilisés pour obtenir une pigmentation rouge com- prenaient le cinabre (ou sulfate de mercure), le sélénide de cadmium et la terre de Sienne. Le mercure pourrait avoir eu un rôle photosensibilisant, mais la composition des encres change et des cas ont été rapportés avec d’autres couleurs. Si ces réactions semblent survenir principalement sur des lésions de lupus discoïde, des cas de lupus subaigu ont également été rapportés, comme dans notre observation (tableau) [5, 6]. Lupus subaigu • Tatouage • Phénomène de Koebner • Cicatrice. Subacute lupus • Tattoo • Koebner phenomenon • Scar. L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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L’ exception

Images en Dermatologie • Vol. VII • no 3 • mai-juin 201485

Cas clinique

Lupus subaigu et tatouagesSubacute lupus erythematosus and tattoosN. Kluger (Departments of dermatology, allergology and venereology, Institute of clinicalmedicine, Skin and Allergy Hospital, Helsinki University Central Hospital, Finlande)

L a survenue de lésions de lupus érythémateux discoïde ou subaigu sur des tatouages est connue depuis les années 1940. Nous rapportons un nouveau cas de ce phénomène qui reste rare, chez un patient de 38 ans.

Observation

Un homme de 38 ans, suivi pour un lupus cutané depuis 2007, était adressé pour une poussée de lésions cutanées évoluant depuis près d’un mois. Les lésions, survenues après une exposition solaire, étaient érythémateuses à bordure annulaire ou poly-cycliques à centre clair du tronc, du dos et de la racine des membres. On notait par ailleurs une lésion annulaire similaire localisée sur un tatouage noir du bras gauche, réalisé dans un salon professionnel 5 ans plus tôt. Le patient n’avait jamais eu ce type de lésions jusqu’à présent. Le reste de l’examen clinique était sans particularité. Les examens biologiques retrouvaient une leucopénie à 3 800/mm3, avec une lymphopénie à 800/mm3 et des anticorps anti-antigènes nucléaires solubles Ro/SSA positifs de façon isolée (42 U/ml, N < 7). Le reste des examens, dont la fonction rénale, la protéinurie des 24 heures, le complément total CH50, les fractions C3 et C4, était normal. Devant l’anamnèse, l’aspect clinique des lésions, la présence d’anticorps anti-SSA circulants, le diagnostic de lupus cutané subaigu, avec une localisation secondaire sur tatouage par phénomène de Koebner, était posé. Le patient était mis sous antipaludéens de synthèse (hydroxychloroquine) et dermocorticoïdes.

Discussion

La survenue de lésions de lupus érythémateux discoïde sur des tatouages est connue depuis les années 1940 (1). Les lésions sur tatouage débutent parfois de façon aspé-cifi que, sous la forme d’une “irritation” du tatouage (Hall 1943, Madden 1949, Rook et Thomas 1951 [1]). Ces lésions peuvent être isolées, associées d’emblée à d’autres lésions lupiques ou apparaître secondairement sur le tatouage. L’aspect sémiologique reste le plus souvent typique, avec des lésions érythémateuses, papuleuses ou en plaques, prurigineuses, avec des dilatations folliculaires et des clous kératosiques en surface. Les lésions sont parfois photodéclenchées et photodistribuées (Madden 1949, Lubeck et Epstein 1952 [1, 2]). L’histologie confi rme le diagnostic. Six cas de lupus discoïde ont été rapportés jusqu’à présent. La principale explication physiopatho-logique est celle d’un phénomène isomorphique de Koebner, rapporté lors du lupus discoïde, notamment lors d’une injection intramusculaire ou de cicatrices de brûlures (3, 4). Cependant, le développement quasi systématique des lésions aux dépens de tatouages rouges et en zones photo-exposées a fait discuter le rôle du pigment. Dans les années 1950, les pigments utilisés pour obtenir une pigmentation rouge com-prenaient le cinabre (ou sulfate de mercure), le sélénide de cadmium et la terre de Sienne. Le mercure pourrait avoir eu un rôle photosensibilisant, mais la composition des encres change et des cas ont été rapportés avec d’autres couleurs. Si ces réactions semblent survenir principalement sur des lésions de lupus discoïde, des cas de lupus subaigu ont également été rapportés, comme dans notre observation (tableau) [5, 6].

Lupus subaigu • Tatouage • Phénomène de Koebner • Cicatrice.

Subacute lupus • Tattoo • Koebner phenomenon • Scar.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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Cas clinique

Bien sûr, on ne peut formellement éliminer la localisation fortuite d’une plaque lupique sur un tatouage, surtout quand on observe une lésion isolée sur tatouage, et, ce, d’autant que la mode du tatouage se généralise dans la population actuelle. Néanmoins, dans notre expérience, et comme cela peut se voir dans certaines publications (7, 8), le phénomène de Koebner sur tatouage est rarement “complet”, la dermatose pouvant ne se localiser que sur certaines zones du dessin, comme cela est illustré chez 2 autres patients (figures 1 et 2). Notons que 2 autres équipes ont rapporté des cas de réactions sur tatouage où l’histologie montrait un pattern “lupus-like” sans dire s’il s’agissait finalement d’authentiques lupus cutanés ou de réactions allergiques à une encre (9, 10).

Quoi qu’il en soit, les patients présentant un lupus chronique ou systémique doivent être prévenus du risque potentiel de développement de lésions sur tatouage. Si le patient ne peut être dissuadé de réaliser un tatouage, il faut déconseiller ce geste en phase active de la maladie. Enfin, les patients atteints de lupus systémique doivent prendre avis auprès de leur médecin référent, notamment en cas de prise de traitement immunosuppresseur, qui exposerait à un risque de retard de cicatrisation (cortico-thérapie à forte dose), voire à un risque infectieux (11). II

Références bibliographiques1. Beerman H, Lane RA. Tattoo; a survey of some of the literature concerning the medical complications of tattooing. Am J Med Sci 1954;227(4):444-64.2. Fields JP, Little WD Jr, Watson PE. Discoid lupus erythematosus in red tattoos. Arch Dermatol 1968;98(6):667-9. 3. Jolly M. Discoid lupus erythematosus after tattoo: Koebner phenomenon. Arthritis Rheum 2005;53(4):627. 4. Ueki H. Koebner phenomenon in lupus erythematosus with special consideration of clinical findings. Autoimmun Rev 2005;4(4):219-23.5. Canvin JM, Silver S. Case number 25: a butterfly rash. Ann Rheum Dis 2002;61(11):1030.6. La Placa M, Passarini B. Subacute cutaneous lupus erythematosus after a tattoo. Clin Exp Dermatol 2009;34(5):632-3.7. Kluger N, Debu A, Girard C, Bessis D, Guillot B. Psoriasis sur tatouage. Presse Med 2009;38(2):338-9.8. Marchell RM, Judson MA. Chronic cutaneous lesions of sarcoidosis. Clin Dermatol 2007;25(3):295-302.9. Körner R, Pföhler C, Vogt T, Müller CS. Histopathology of body art revisited - analysis and discussion of 19 cases. J Dtsch Dermatol Ges 2013;11(11):1073-80. 10. Shinohara MM, Nguyen J, Gardner J, Rosenbach M, Elenitsas R. The histopathologic spectrum of deco-rative tattoo complications. J Cutan Pathol 2012;39(12):1110-8.11. Kluger N. Tattooing and piercing: an underestimated issue for immunocompromised patients? Presse Med 2013;42(5):791-4.

Tableau. Revue des cas de lupus sur tatouages dans la littérature.

Ancienneté du tatouage

Âge et sexe lors du diagnostic

Ancienneté des lésions

lupiques avant consultation

Type de lupus

Photosensibilité Couleur du pigment

Référence

19 ans 35 ans, homme 3 ans LED NP Rouge Hall, 1943 (in [1])

6 ans 36 ans, homme 2 ans LED Oui Rouge Madden, 1949 (in [1])

7 ans 24 ans, homme 3 mois LED NP Rouge Rook 1951 (in [1])

12 ans 30 ans, homme 6 mois LED Oui Rouge Lubeck, 1952 (in [1])

15 ans 35 ans, homme NP LED Oui Rouge Fields et al., 1968 [2]

NP 33 ans, femme NP LSA NP Vert Canvin et Silver, 2002 [5]

1 an 27 ans, femme 1 semaine LED NP Pigment sombre Jolly, 2005 [3]

7 mois 29 ans, femme 6 mois LSA Non Noir La Placa et Passarini, 2009 [6] LED : lupus érythémateux discoïde ; LSA : lupus subaigu ; NP : non précisé.

Légendes

Figure 1. Papules affectant de façon éparse un tatouage de l’épaule lors d’une poussée de lupus cutané.

Figure 2. Lésions de lupus sur un tatouage sous-claviculaire chez un patient avec un lupus discoïde du visage.

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