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ÉCONOMIES LOCALES À RETENIR Relativement faible à l’échelle nationale, le taux de défaillance d’entreprises affecte majoritairement des entreprises de petites tailles, ce qui réduit son impact sur l’emploi. Le taux de défaillance d’entreprise varie relativement peu d’une strate d’intercommunalités à l’autre même s’il tend à croître légèrement avec la taille des intercommunalités. Le taux de création d’établissements demeure plus élevé dans les strates d’intercommunalités les plus denses que dans les moins peuplées. Les intercommunalités qui affichent les plus fortes dynamiques de renouvellement de leur tissu d’entreprises ne sont pas toujours celles qui affichent les meilleures performances au regard de la progression de leur stock d’établissements et de la création d’emploi. Il n’y a pas de corrélation systématique entre la capacité de renouvellement des tissus productifs intercommunaux et leur dynamique de développement économique. DE L’AdCF LES NOTES NUMÉRO 05 MAI 2020 Avec le soutien de Renouvellement des tissus d’entreprises et création d’emploi : quelle corrélation ? Cette cinquième note sur le profil des tissus productifs des inter- communalités s’intéresse à leur processus de recomposition. La question posée ici est de savoir si la vitesse de renouvellement des établissements au sein des territoires exerce ou non une influence significative sur la dynamique des créations d’emploi et du stock d’entreprises. Pourquoi prêter une attention particulière à cette problématique ? Parce que depuis les travaux pionniers de Joseph Schumpeter, les économistes tendent à considérer que la dynamique d’innovation imprimée par les entrepreneurs constitue le principal levier de la croissance économique sur le long terme. À court terme, il est clair que le mouvement d’innovation peut produire une très forte déstabilisation des activités économiques préexistantes, accélérer leur obsolescence et menacer des entreprises historiques (cf. Kodak avec l’arrivée du numérique). L’arrivée de nouvelles activités plus performantes peut provoquer la destruction des plus anciennes, devenues moins compétitives. Ce mouvement, désigné sous le terme de « destruction créatrice », peut avoir localement des effets tout à fait négatifs sur les créations d’emploi 1 . C’est ce qu’il est proposé d’évaluer dans le cadre de cette note. Ces analyses doivent permettre aux décideurs locaux de mieux qualifier leur écosystème économique local, pour en évaluer la résilience et l’agilité au regard des mutations économiques. Cette approche est une aide à la décision pour orienter, par exemple, des politiques ciblées d’accompagnement de la création d’entreprises ou une prospective économique locale (anticipation et accompagnement des mutations économiques, gestion prévisionnelle et territo- rialisée de l’emploi et des compétences, soutien à des actions de recherche…). 1 Trois motifs peuvent être avancés, et peuvent se combiner, pour expliquer les effets néfastes de la destruction créatrice sur l’emploi : les créations d’emploi se font moins rapidement que les destructions (ce qui est fréquent en période de basse conjoncture), les nouveaux secteurs émergents sont pauvres en emplois (c’est par exemple le cas du secteur du numérique aujourd’hui) et les nouvelles compétences nécessaires sont difficiles à acquérir rapidement pour les chômeurs exclus de leurs anciennes activités (il y a alors inadéquation entre le niveau de compétence disponible et les besoins des entreprises).

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ÉCONOMIES LOCALES

À RETENIRRelativement faible à l’échelle

nationale, le taux de défaillance d’entreprises affecte

majoritairement des entreprises de petites tailles, ce qui réduit son

impact sur l’emploi.

Le taux de défaillance d’entreprise varie relativement peu d’une strate d’intercommunalités à l’autre même s’il tend à croître légèrement avec la

taille des intercommunalités.

Le taux de création d’établissements demeure plus

élevé dans les strates d’intercommunalités les plus denses

que dans les moins peuplées.

Les intercommunalités qui affichent les plus fortes dynamiques de

renouvellement de leur tissu d’entreprises ne sont pas toujours celles qui affichent les meilleures

performances au regard de la progression de leur stock

d’établissements et de la création d’emploi.

Il n’y a pas de corrélation systématique entre la capacité de

renouvellement des tissus productifs intercommunaux et leur dynamique

de développement économique.

DE L’AdCFLES NOTES NUMÉRO

05MAI 2020

Avec le soutien de

Renouvellement des tissus d’entreprises et création d’emploi : quelle corrélation ?Cette cinquième note sur le profil des tissus productifs des inter-communalités s’intéresse à leur processus de recomposition. La question posée ici est de savoir si la vitesse de renouvellement des établissements au sein des territoires exerce ou non une influence significative sur la dynamique des créations d’emploi et du stock d’entreprises.

Pourquoi prêter une attention particulière à cette problématique ? Parce que depuis les travaux pionniers de Joseph Schumpeter, les économistes tendent à considérer que la dynamique d’innovation imprimée par les entrepreneurs constitue le principal levier de la croissance économique sur le long terme. À court terme, il est clair que le mouvement d’innovation peut produire une très forte déstabilisation des activités économiques préexistantes, accélérer leur obsolescence et menacer des entreprises historiques (cf. Kodak avec l’arrivée du numérique). L’arrivée de nouvelles activités plus performantes peut provoquer la destruction des plus anciennes, devenues moins compétitives. Ce mouvement, désigné sous le terme de « destruction créatrice », peut avoir localement des effets tout à fait négatifs sur les créations d’emploi1. C’est ce qu’il est proposé d’évaluer dans le cadre de cette note.

Ces analyses doivent permettre aux décideurs locaux de mieux qualifier leur écosystème économique local, pour en évaluer la résilience et l’agilité au regard des mutations économiques. Cette approche est une aide à la décision pour orienter, par exemple, des politiques ciblées d’accompagnement de la création d’entreprises ou une prospective économique locale (anticipation et accompagnement des mutations économiques, gestion prévisionnelle et territo-rialisée de l’emploi et des compétences, soutien à des actions de recherche…).

1 Trois motifs peuvent être avancés, et peuvent se combiner, pour expliquer les effets néfastes de la destruction créatrice sur l’emploi : les créations d’emploi se font moins rapidement que les destructions (ce qui est fréquent en période de basse conjoncture), les nouveaux secteurs émergents sont pauvres en emplois (c’est par exemple le cas du secteur du numérique aujourd’hui) et les nouvelles compétences nécessaires sont difficiles à acquérir rapidement pour les chômeurs exclus de leurs anciennes activités (il y a alors inadéquation entre le niveau de compétence disponible et les besoins des entreprises).

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La destruction d’activité : une approche par les défaillances d’entreprises

Il est important de bien analyser et comprendre les mouvements qui affectent les transformations des établissements implantés de manière pérenne au sein d’un territoire.

Pour autant, il n’est pas toujours aisé de mesurer les processus de destruction d’activités et d’entreprises. Nous souffrons en effet d’un réel déficit de don-nées statistiques sur la question, surtout pour les mobiliser à un niveau territorial fin comme celui des intercommunalités. Nous disposons cependant des informations relatives aux défaillances d’entreprises (notion dont il faut rappeler qu’elle est plus restrictive que celles de disparition ou de des-truction ; cf. encadré méthodo-logique).

En 2016, la Banque de France recensait un peu plus de 63 000 défaillances d’entreprises en France. Rapporté au stock d’en-treprises, le taux de défaillance annuel était de 1,3 % (c’est-à-dire 1,3 défaillance pour 100 entre-prises). Ce chiffre apparaît d’au-tant plus faible que, comme le révèle une étude du cabinet Altarès3, les défaillances affectent principalement les petites entreprises, ce qui réduit leur impact en termes d’em-plois. Le nombre de ces défail-lances a connu une très forte réduction entre 2015 et 2016, sans équivalent depuis la crise de 2008 (« grande récession »). Pour autant, le nombre de défaillances enregistré en 2016 excède encore de très loin le volume observé en 2007, der-nière année avant l’entrée dans la décennie de crise ouverte en 2008 (51 000 défaillances en 2007 contre 58 000 en 2016). →

2 Schéma issu du rapport de Denis Carré et Nadine Levratto « Les entreprises du secteur compétitif dans les territoires. Les déterminants de la croissance », juin 2013, rapport téléchargeable sur le site de l’AdCF https://www.adcf.org/contenu-article?num_article=1617&num_thematique=4

3 « 1er trimestre 2017 : défaillances et sauvegardes d’entreprises en France » - Altares, 4 mai 2017.

TAUX DE DÉFAILLANCE D’ENTREPRISES EN 2016 ET ÉVOLUTION DES DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES PAR STRATE DÉMOGRAPHIQUE D’INTERCOMMUNALITÉ ENTRE 2008 ET 2016

Taux de défaillance

2016Évolution 2008-2016 Évolution 2015-2016

Moins de 20 000 habitants

1,1 % -35 -0,8 % -478 -9,7 %

De 20 000 à 50 000 habitants

1,3 % 874 9,8 % -1 042 -9,6 %

De 50 000 à 100 000 habitants

1,4 % 478 5,9 % -870 -9,2 %

De 100 000 à 200 000 habitants

1,4 % 312 3,9 % -834 -9,1 %

De 200 000 à 500 000 habitants

1,4 % 650 6,4 % -1 047 -8,9 %

Plus de 500 000 habitants

1,2 % 464 3,0 % -545 -3,3 %

France 1,3 % 2 479 4,5 % -4 977 -7,9 %

Source : Banque de France et Insee - Répertoire des entreprises et des établissements Lecture : En France, le taux de défaillances des entreprises reste relativement faible au regard de l’ensemble du parc (1,3 % pour l’année 2016). Le nombre, en valeur absolue, des défaillances recensées au cours de l’année 2016 est supérieur de 2 479 unités à l’année 2008, soit une croissance de 4,5 % des défaillances. Dans la strate des intercommunalités de 20 000 à 50 000 habitants, la croissance en valeur absolue des défaillances est de 874, soit une hausse de 9,8 %. Entre 2015 et 2016, un mouvement d’amélioration de l’économie était néanmoins constaté avec une réduction significative des défaillances d’une année l’autre (-7,9 % au niveau national). Les défaillances restaient pour autant supérieures à 2008.

Avertissement : on notera une légère différence entre le total France et le cumul des différentes strates d’intercommunalités en raison d’un certain nombre de défaillances non géo-localisées qui ne peuvent être rattachées à des strates.

Les défaillances affectent principalement les petites entreprises, ce qui réduit leur impact sur l’emploi.

PERFORMANCES LOCALES ET CHANGEMENTS DU TISSU PRODUCTIF2

Source : Denis Carré et Nadine Levratto, Economix (CNRS), 2012

VARIATION DE L’EMPLOI

POSITIVE

NÉGATIVE

CRÉATIONS EX-NIHILO

DISPARITIONS

RELOCALISATIONS

DÉLOCALISATIONS

NOUVEAUX ENTRANTS

CROISSANCE DES FIRMES

EN PRÉSENCE

ÉTIOLEMENT DES FIRMES

EN PRÉSENCE

FERMETURES ET FAILLITES (DE SITES)

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L’approche par strates d’inter-communalités nous apprend que les taux de défaillance varient en moyenne assez peu d’une strate à l’autre, le taux minimal étant de 1,1 % dans les intercommunalités de moins de 20 000 habitants, contre un taux maximal situé à 1,4 % dans celles de plus de 500 000 habi-tants. En analyse dynamique, l’approche par strate révèle que :– entre 2008 et 2016, toutes les

strates démographiques ont enregistré une progression soutenue du nombre de défaillances, à l’exception de la strate des intercom-munalités de moins de 20 000 habitants (légère baisse). Alors que les inter-communalités de 20 000 à 50 000 habitants ont subi les plus fortes augmentations des défaillances, les plus peuplées (plus de 500 000 habitants) ont été moins impactées ;

– entre 2015 et 2016, toutes les strates d’intercommunalités ont profité d’une décrue rapide du nombre de défail-lances, ce qui atteste d’une amélioration réelle de la conjoncture favorable à l’en-semble des strates ;

– le mouvement de reprise semble plus prononcé dans les strates de petites inter-communalités que dans les grandes.

À l’échelle resserrée des inter-communalités, les taux de défaillance apparaissent dans l’ensemble plutôt modérés. Ils s’élèvent, au maximum, à un taux de 3,2 % pour la commu-nauté de communes du Dunois ou de 3,1 % pour la commu-nauté du Romorantinais et du Monestois et la communauté de la Marche Occitane – Val d’Anglin… Les disparités ter-ritoriales s’avèrent relative-ment faibles, même si sept intercommunalités n’enregis-traient aucune défaillance en 2016 et seulement 104 affi-chaient un taux de défaillance supérieur à 2 %.

La cartographie du taux de défaillances à l’échelle des intercommunalités donne ainsi à voir deux grands types d’espaces géographiques :– des espaces de faible densité

(Massif central, Occitanie septentrionale, Bourgogne, Corse), mais aussi des terri-toires alpins ou ultra-marins marqués par de faibles taux de défaillance d’entreprises ;

– les autres composantes du territoire national, particu-lièrement le long du littoral méditerranéen (de Perpi-gnan à Marseille), en Nor-mandie et dans les Hauts- de-France, marquées par des taux de défaillance plus significatifs.

La carte de l’évolution des défaillances d’entreprises entre 2008 et 2016 confirme que la « grande récession » consécu-tive à la crise de 2008 a fragilisé la majorité des tissus productifs locaux. Pour autant, de nom-breux territoires ont connu une

réduction du nombre de défail-lances durant la période, à rebours de la tendance géné-rale. Ce phénomène s’observe de manière particulièrement visible dans la partie centrale et septentrionale de l’Aquitaine, en Bretagne, dans certains bas-sins du Massif central et du grand quart nord-est (notam-ment en Franche-Comté et en Lorraine). 525 communautés ont ainsi bénéficié d’une baisse des défaillances durant cette période.

À partir de 2015 et 2016, le vent de la reprise profite à la majo-rité des intercommunalités, mais un nombre important subit encore leur progression (437 intercommunalités). Cer-tains bassins du nord de l’Oc-citanie (Lozère, Aveyron) et du grand quart nord-est (Grand Est, Bourgogne-Franche Comté) sont marqués par une progres-sion de leurs défaillances d’en-treprises durant cette période de sortie de crise, comme avec un effet différé.

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Les dynamiques de création d’entreprises : une géographie familière

Au terme de cette première analyse du processus de « destruction » des entreprises, il est opportun de mesurer les dynamiques des créations d’établissements afin de les confronter.

L’analyse des intercommunalités par strate démographique fait apparaître, si l’on retient les moyennes, que les taux de créa-tion d’établissements tendent plutôt à croître avec la densité de population des intercommu-nalités. Pour autant, la progres-sion des taux de création, entre 2008 et 2015, n’est pas parallèle à la densité démographique comme le met en exergue le fait que les trois strates d’intercom-munalités de moins de 100 000 habitants ont enregistré une progression de leurs taux de création bien supérieure aux intercommunalités de la strate 100 000 - 200 000 habitants. Les intercommunalités les plus peu-plées (métropoles de plus de 500 000 habitants) sont en revanche celles qui ont enregis-tré les plus fortes augmentations durant cette période.

La cartographie des taux de création d’établissements demeure particulièrement dis-criminante. D’un côté, elle met en avant des grands ensembles territoriaux très dynamiques marqués par des taux élevés de création d’établissements. Ces « blocs » se situent en Île-de-France, autour des métro-poles de Bordeaux, Toulouse, Lille et Lyon, le long du sillon

rhodanien et sur la façade méditerranéenne. Par contraste, on identifie de vastes espaces marqués par de faibles taux de création ; espaces qui se situent très majoritairement dans le Massif central et ses prolonge-ments au sein de la « diagonale aride », au sein de l’ancienne

région Basse-Normandie (mis à part la région de la commu-nauté urbaine de Caen) jusque dans les départements de la Mayenne et de la Sarthe ainsi qu’en Savoie. La cartographie des taux de création d’établis-sements se rapproche de fait assez fortement de celle qui

porte sur la dynamique du stock d’établissements4. Ce qui indique, de manière assez pré-visible, que la création d’éta-blissements et l’évolution du stock d’établissements demeurent étroitement liés5, malgré l’interférence des défail-lances.

TAUX DE CRÉATION D’ÉTABLISSEMENTS EN 2015 ET ÉVOLUTION DU NOMBRE DE CRÉATIONS D’ÉTABLISSEMENTS ENTRE 2008 ET 2015

Intercommunalités Taux de création 2015 Évolution 2008-2015

De moins de 20 000 habitants 10,3 13 451 41,7 %

De 20 000 à 50 000 habitants 11,0 30 259 48,3 %

De 50 000 à 100 000 habitants 11,1 23 083 41,1 %

De 100 000 à 200 000 habitants 11,3 19 526 35,0 %

De 200 000 à 500 000 habitants 12,4 35 379 50,0 %

De plus de 500 000 habitants 13,4 78 907 68,2 %

Ensemble (France) 11,9 200 605 51,0 %

Source : Insee - Répertoire des entreprises et des établissements

4 Pour une analyse détaillée de la dynamique des tissus d’entreprises, cf. AdCF, Économies locales, « Entreprises : la dynamique des tissus d’établissements à l’échelle des intercommunalités », Les Notes de l’AdCF, février 2019.

5 Attention : si le lien entre taux de création d’établissements et l’évolution du nombre d’établissements apparaît clair (le coefficient de détermination, R², est égal à 0,36 entre le taux de création 2015 et le taux de croissance 2008-2015), il ne traduit cependant pas une relation absolue entre les deux, suggérant que le facteur création ne peut expliquer à lui seul l’évolution du nombre d’établissements sur une période donnée à cette échelle géographique.

La « grande récession »

consécutive à la crise de 2008 a fragilisé la

majorité des tissus productifs locaux.

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La « destruction créatrice » : une approche sous forme de typologie

Il s’avère malheureusement impossible, faute des données statistiques nécessaires, de construire un indice spécifique de « destruction créatrice » à l’échelle des territoires intercommunaux.

En revanche, il est envisa-geable de s’en approcher en croisant ses deux dimensions constitutives, le taux de créa-tion d’établissements d’un côté (pour la dimension « créa-tion ») et le taux de défaillance de l’autre (pour la dimension « destruction »). En procédant de la sorte, il est possible de dresser une typologie qui répartit en quatre grandes catégories les territoires inter-communaux :– les intercommunalités

marquées par un taux de défaillance supérieur à la moyenne et un taux de créa-tion inférieur. Ce sont les intercommunalités dites en déprise économique. Frap-pées par une destruction plus intense qu’en moyenne de leur tissu d’entreprises, elles pâtissent également d’un faible niveau d’appari-tion de nouvelles unités de production. Le renouvelle-ment du tissu productif semble en l’espèce insuffi-sant et plutôt dominé par les destructions. Au nombre de 438, ce profil d’intercommu-nalités se retrouve à peu près partout, de manière diffuse, sur le territoire national ; même si on constate sa forte présence dans le nord et le grand quart nord-est, en Nor-mandie et en Centre-Val-de-Loire ;

– les intercommunalités caractérisées par de faibles taux de défaillance et de création. Ces intercommu-nalités sont incontestable-ment marquées par un faible niveau de renouvellement de leur tissu d’entreprises

mais ce dernier reste solide. Regroupant 514 intercom-munalités, ce groupe est le plus important. Les inter-communalités qui en font partie se retrouvent elles aussi dans la quasi-totalité du territoire national, mais sont rares ou absentes dans la partie septentrionale et littorale de l’Aquitaine, en Île-de-France, sur la façade méditerranéenne et dans les Hauts-de-France ;

– les intercommunalités mar-quées par un taux de créa-tion élevé et un taux de défaillance faible. Leur niveau de renouvellement est modéré, porté davantage par

l’apparition de nouvelles unités productives que par la disparition des anciens éta-blissements. Ce sont les tissus d’entreprises dynamiques et préservés. Au nombre de 176, les intercommunalités de cette catégorie demeurent plutôt concentrées dans cer-taines aires et régions spéci-fiques comme l’Aquitaine, l’Île-de-France (sur sa frange ouest) et certaines aires métropolitaines (environs de Nancy et Metz, Nantes, Bor-deaux, Toulouse, Montpellier, Marseille, Nice et Lyon) ;

– enfin, les intercommunalités qui combinent des taux élevés de défaillance et de

création. Cette configuration très particulière traduit un fort renouvellement du tissu d’entreprises qui est impu-table à la fois aux créations et aux destructions. Au nombre de 138, les intercom-munalités de cette catégorie sont marquées par un tissu d’entreprises en renouvelle-ment. Ce profil est plutôt rare. Les intercommunalités concernées se répartissent de manière relativement concentrée dans la partie orientale de l’Île-de-France et sur le pourtour méditerra-néen. Plusieurs métropoles en font partie (Lille, Aix-Mar-seille…).

Renouvellement des tissus d’entreprises et dynamique économique : une relation non systématique

Une question essentielle reste à se poser. Le processus de destruction créatrice exerce-t-il une influence déterminante sur l’évolution du stock d’entreprises et du volume d’emplois des intercommunalités ?

Le tableau ci-après permet d’apporter un premier élément de réponse à cette interroga-tion. Il apparaît, et de manière cohérente, que :– les intercommunali tés

dotées d’un tissu d’entre-prises en déprise, à savoir affecté d’un taux de défail-

lance élevé et d’un faible taux de création d’établis-sements, sont celles qui ont enregistré en moyenne la plus faible progression de leur stock d’établissements et subi la baisse la plus intense de leurs effectifs salarié privés ;

– les intercommunalités carac-térisées par un faible renou-vellement de leur tissu productif (faible niveau de défaillance combiné à un faible niveau de création d’établissements) sont appa-rues elles aussi relativement peu performantes depuis la

« grande récession » de 2008-2009 avec une progression de leur stock d’établissements inférieure à la tendance natio-nale et une diminution de leurs effectifs salariés privés ; →

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– sans réelle surprise, les inter-communalités dotées à la fois d’un tissu d’entreprises dynamique et préservé (taux de création élevé versus faible taux de défail-lance) sont apparues extrê-mement dynamiques tant du point de vue de la pro-gression de leur stock d’éta-blissements qu’en matière de création d’emplois ;

– enfin, et c’est un enseigne-ment important, les inter-communalités dont le tissu d’entreprises a été le plus renouvelé ont enregistré des niveaux de performances positifs mais moins signifi-catifs que pour la catégorie précédente.

Il apparaît par conséquent que le schéma théorique de la « destruction créatrice » ne soit pas totalement mobilisable pour analyser les perfor-mances locales. En tout état de cause, ce ne sont pas les intercommunalités dont les tissus d’entreprises se renou-vellent le plus qui demeurent les plus dynamiques du point de vue de la progression de l’emploi et des « stocks » d’éta-blissements. Il est possible que, compte tenu du contexte de récession puis de crise de la période observée, les effets potentiellement moteurs du processus de destruction créa-trice aient été atténués, comme nous l’évoquions en introduc-tion6.

Plus encore, une analyse au cas par cas montre très claire-ment que les tendances géné-rales et les moyennes masquent de très fortes disparités de situation, éliminant toute pos-sibilité d’établir un lien étroit et direct entre la capacité de renouvellement des tissus pro-ductifs locaux et leur dyna-mique économique.

Le tableau ci-contre et la carte qui l’accompagne mettent en évidence que tous les cas de figure coexistent. Il est par exemple possible d’identifier des intercommunalités mar-quées par des tissus d’entre-prises en déprise qui ont malgré tout enregistré une progression absolument remarquable de leurs emplois durant la crise (cf. les communautés de com-munes de la Costa Verde, du Centre Corse, de la Région de Nozay ou la communauté d’ag-glomération Durance Luberon Verdon…).

D’un autre côté, il est possible d’isoler des intercommunalités marquées par des dynamiques de renouvellement de leur tissu d’entreprises a priori très favo-rables mais qui ont pourtant enregistré des pertes d’emplois très intenses (par exemple les communautés de communes

des Portes du Berry, du Pays de Nemours, Cœur de Brenne ou du Pays de Bray…). On relèvera d’ailleurs que parmi les 176 intercommunalités appartenant à la catégorie « tissu d’entre-prises dynamique et pré-servé », elles sont presque aussi nombreuses à avoir enregistré

une réduction de leurs effectifs salariés (82 intercommunalités) qu’à avoir profité d’une progres-sion de ces derniers (94 inter-communalités).

LES IMPACTS DE LA DESTRUCTION CRÉATRICE SUR L’ÉVOLUTION DES TISSUS D’ENTREPRISES ET LES CRÉATIONS D’EMPLOI ENTRE 2008 ET 2016

Catégories d’intercommunalitésÉvolution du stock d’établissements

(2008-2015)Évolution des emplois salariés

privés (2008-2016)

Tissu d’entreprises en déprise 320 227 33,8 % -224 499 -4,2 %

Tissu d’entreprises en faible renouvellement

288 066 37,7 % -26 036 -0,9 %

Tissu d’entreprises dynamique et préservé

559 167 48,8 % 234 172 3,9 %

Tissu d’entreprises en renouvellement

299 515 45,1 % 44 917 1,2 %

Source : D’après Banque de France, Insee - Répertoire des entreprises et des établissements et Urssaf

PROFIL DES TISSUS D’ENTREPRISES DES INTERCOMMUNALITÉS ET DYNAMIQUES DE CRÉATION : DES SITUATIONS ÉMINEMMENT CONTRASTÉES

Catégories d’intercommunalitésDynamique de l’emploi salarié

privé (2008-2016)

Nombre d’intercommunalités

Évolution des emplois salariés privés (2008-2016)

Tissu d’entreprises en déprise Baisse 331 -270 624 -6,7 %

Hausse 107 46 125 3,6 %

Tissu d’entreprises en faible renouvellement

Baisse 327 -109 782 -7,8 %

Hausse 188 83 746 5,6 %

Tissu d’entreprises dynamique et préservé

Baisse 82 -38 731 -4,9 %

Hausse 94 272 903 5,3 %

Tissu d’entreprises en renouvellement

Baisse 85 -65 544 -3,9 %

Hausse 53 110 461 5,8 %

Source : D’après Banque de France, Insee - Répertoire des entreprises et des établissements et Urssaf

6 Il serait intéressant de procéder au même type d’analyse dans un contexte macro-économique plus favorable afin d’isoler l’influence de la conjoncture.

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ÉLÉMENTS DE MÉTHODEPlusieurs sources ont été mobilisées pour la rédaction de cette note :

— le fichier sur les défaillances d’entreprises diffusé par la Banque de France à partir des données publiées mensuellement par l’Insee et issues du Bulletin Officiel des Annonces Civiles et Commerciales (Bodacc). La notion de défaillance d’entreprise couvre l’ensemble des jugements prononçant soit l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire soit la liquidation judiciaire (procédures collectives) d’une entreprise. Elle ne doit pas être confondue avec la cessation d’entreprise dans la mesure où une défaillance ne débouche pas nécessairement sur une cessation et qu’une cessation d’entreprise ne passe pas nécessairement par une déclaration de défaillance. Bien que largement imparfait, cet indicateur constitue le seul susceptible de nous permettre d’appréhender le phénomène de destruction d’activité à un niveau territorial fin compte tenu des statistiques disponibles ;

— le fichier Répertoire des entreprises et des établissements (REE) développé par l’Insee pour le recensement du nombre d’entreprises et d’établissements ;

— le fichier Sequoia développé par l’Acoss (Urssaf) qui recense les emplois salariés du secteur privé.

CONCLUSION

Le ratio « nombre d’emplois sur nombre d’actifs » dans les intercommunalités : mesure des disparités territoriales

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Pilotage : Nicolas Portier, délégué général, AdCF / Olivier Crépin, conseiller économie, mobilités, AdCF

Rédaction et cartographie : Olivier Portier, OP Conseil

Coordination éditoriale : Maxime Goudezeune, AdCF

Création et réalisation : Luciole – Mai 2020

Crédits photo : © iStock / Getty Images

Le développement économique territorial n’est pas un simple processus darwinienS’il se confirme que le processus de « destruction créatrice » est de nature à exercer une influence importante sur la dynamique économique des territoires, il n’en constitue pas pour autant la variable explicative unique.

D’une part, les intercommunalités les plus performantes en termes de pro-gression de leur stock d’établissements et de créations d’emplois ne sont pas celles qui enregistrent le plus fort renouvellement de leur tissu d’entreprises. Mais, plus encore, bon nombre d’intercommunalités à fort taux de renouvel-lement connaissent des performances économiques tout à fait défavorables pendant que d’autres, dont le tissu économique se renouvelle très peu, figurent parmi les plus dynamiques.

Les déterminants de la dynamique économique ne sauraient se résumer à un facteur unique ou prépondérant. Ils résultent d’une combinaison mais aussi d’une propension à croître des entreprises et établissements existants. Le processus de « destruction créatrice » se déploie également à l’intérieur des unités existantes, par la capacité d’innovation et de repositionnement des acteurs existants. Le développement économique territorial n’est pas un simple processus darwinien.

Enfin, cette note a permis de voir que la balance des créations et défaillances d’entreprises intervenues depuis la crise de 2008 n’a pas vu la plupart des intercommunalités parvenir à reconstituer leur stock d’emplois d’avant crise. En guise d’hypothèse de travail, il est possible que ce phénomène ait été amplifié par un certain désajustement entre les nouveaux besoins en quali-fications qui émergent au sein des nouvelles activités et le profil en qualifi-cation des populations actives résidentes. C’est cette problématique qui sera placée au cœur de la prochaine note.