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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XVI - n ° 5 - septembre-octobre 2013 | 233 ACTUALITÉ THÉRAPEUTIQUE Les MICI au congrès de gastroentérologie américain (Digestive Disease Week) IBD at the DDW X. Roblin* * Service de gastroentérologie, CHU de Saint-Étienne. C ette année, le congrès américain a rapporté de nombreuses communications sur le moni- toring des biomarqueurs dans la prise en charge des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) et sur les complications potentielles de nos traitements. Des études de phases II et III ont rapporté les données sur de nouvelles molécules (védolizumab, étrolizumab) : des messages très utiles pour notre pratique clinique présente et future. Nouvelles molécules Védolizumab Le védolizumab est un anticorps monoclonal admi- nistré par voie intraveineuse (i.v.) ciblant l’intégrine α4β7, très spécifique de l’intestin (à la différence de l’intégrine α4, plus ubiquitaire et ciblée par le natali- zumab). L’année dernière à la DDW, la molécule avait montré son efficacité en termes de rémission clinique et de cicatrisation muqueuse dans la rectocolite hémorragique (RCH) par rapport à un placebo, tant en induction qu’en entretien (étude GEMINI 1) chez les patients en échec ou non aux anti-TNF. Afin d’établir l’efficacité du védolizumab dans le traitement de la maladie de Crohn (MC) modérée à sévère (Crohn’s Disease Activity Index [CDAI] = 220 à 400) dans les cas où les anti-TNF n’ont pas été tolérés ou ont échoué, un grand essai de phase III (l’étude GEMINI II) contre placebo a été mené, à la fois en induction et en entretien. Cet essai d’induction avait pour objectif de démontrer la supé- riorité du védolizumab sur le placebo en termes de rémission à S6, et les résultats avaient été présentés au congrès de l’European Crohn’s and Colitis Organi- sation (ECCO) récemment. Trois cent quinze malades ont été inclus, selon une randomisation 1 :1 ; 158 ont reçu du védolizumab (300 mg à S0, S2 et S6) et 157, le placebo. Si le taux de rémission clinique à S6, critère d’analyse principal, était comparable dans les 2 groupes, à S10, le védolizumab était supérieur au placebo en ce qui concerne la rémission clinique, ce qui suggère que le délai d’évaluation (6 semaines) était sans doute trop court pour juger de l’efficacité maximale du védolizumab dans la MC. Il faut ajouter par ailleurs que les cas inclus dans cette étude étaient sévères, en impasse thérapeutique, à plusieurs anti- TNF pour certains. À la DDW, les auteurs ont regardé son efficacité en traitement d’entretien (1). Même si les taux de rémission clinique soutenue (rémission mesurée à plusieurs visites tout au long de l’étude) étaient identiques à ceux du placebo, les taux de rémis- sion clinique sans corticoïdes à 1 an et la réduction de la dose de corticoïdes étaient en faveur du bras védolizumab. Ainsi, les taux de rémission clinique sans corticoïdes à 1 an étaient significativement plus élevés sous védolizumab, quelle que soit la dose, que sous placebo (védolizumab 300 mg i.v. toutes les 8 semaines [p = 0,015 contre placebo] et védolizumab 300 mg i.v. toutes les 4 semaines [p = 0,045 contre placebo]). Les taux de réduction des corticoïdes par rapport à S6 étaient de 27,8 % sous placebo et de 66,2-69,4 % sous védolizumab. Les données de tolérance recueillies dans les essais GEMINI I et GEMINI II (2) ont été présentées en détail. Les principaux effets indésirables graves étaient liés à une exacerbation de la maladie.

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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVI - n° 5 - septembre-octobre 2013 | 233

ACTUALITÉTHÉRAPEUTIQUE

Les MICI au congrès de gastroentérologie américain(Digestive Disease Week)IBD at the DDW

X. Roblin*

* Service de gastroentérologie, CHU de Saint-Étienne.

Cette année, le congrès américain a rapporté de nombreuses communications sur le moni-toring des biomarqueurs dans la prise en

charge des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) et sur les complications potentielles de nos traitements. Des études de phases II et III ont rapporté les données sur de nouvelles molécules (védolizumab, étrolizumab) : des messages très utiles pour notre pratique clinique présente et future.

Nouvelles molécules

Védolizumab

Le védolizumab est un anticorps monoclonal admi-nistré par voie intraveineuse (i.v.) ciblant l’intégrine α4β7, très spécifique de l’intestin (à la différence de l’intégrine α4, plus ubiquitaire et ciblée par le natali-zumab). L’année dernière à la DDW, la molécule avait montré son efficacité en termes de rémission clinique et de cicatrisation muqueuse dans la rectocolite hémorragique (RCH) par rapport à un placebo, tant en induction qu’en entretien (étude GEMINI 1) chez les patients en échec ou non aux anti-TNF.Afin d’établir l’efficacité du védolizumab dans le traitement de la maladie de Crohn (MC) modérée à sévère (Crohn’s Disease Activity Index [CDAI] = 220 à 400) dans les cas où les anti-TNF n’ont pas été tolérés ou ont échoué, un grand essai de phase III (l’étude GEMINI II) contre placebo a été mené, à la fois en induction et en entretien. Cet essai d’induction avait pour objectif de démontrer la supé-riorité du védolizumab sur le placebo en termes de rémission à S6, et les résultats avaient été présentés

au congrès de l’European Crohn’s and Colitis Organi-sation (ECCO) récemment. Trois cent quinze malades ont été inclus, selon une randomisation 1 :1 ; 158 ont reçu du védolizumab (300 mg à S0, S2 et S6) et 157, le placebo. Si le taux de rémission clinique à S6, critère d’analyse principal, était comparable dans les 2 groupes, à S10, le védolizumab était supérieur au placebo en ce qui concerne la rémission clinique, ce qui suggère que le délai d’évaluation (6 semaines) était sans doute trop court pour juger de l’efficacité maximale du védolizumab dans la MC. Il faut ajouter par ailleurs que les cas inclus dans cette étude étaient sévères, en impasse thérapeutique, à plusieurs anti-TNF pour certains.À la DDW, les auteurs ont regardé son efficacité en traitement d’entretien (1). Même si les taux de rémission clinique soutenue (rémission mesurée à plusieurs visites tout au long de l’étude) étaient identiques à ceux du placebo, les taux de rémis-sion clinique sans corticoïdes à 1 an et la réduction de la dose de corticoïdes étaient en faveur du bras védolizumab. Ainsi, les taux de rémission clinique sans corticoïdes à 1 an étaient significativement plus élevés sous védolizumab, quelle que soit la dose, que sous placebo (védolizumab 300 mg i.v. toutes les 8 semaines [p = 0,015 contre placebo] et védolizumab 300 mg i.v. toutes les 4 semaines [p = 0,045 contre placebo]). Les taux de réduction des corticoïdes par rapport à S6 étaient de 27,8 % sous placebo et de 66,2-69,4 % sous védolizumab.Les données de tolérance recueillies dans les essais GEMINI I et GEMINI II (2) ont été présentées en détail.Les principaux effets indésirables graves étaient liés à une exacerbation de la maladie.

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Parmi les données présentées, il faut remarquer un taux plus élevé d’infections dans la MC dans le groupe védolizumab, plus particulièrement d’abcès anaux chez des malades ayant une MC compliquée de fistule anale, et un taux plus élevé d’infections respiratoires (données globales), essentiellement à type d’infections oto-rhino-laryngologiques (ORL).Aucun cas de leucoencéphalite multifocale progres-sive (LEMP) n’a été identifié, en dépit d’un dépistage spécifique, mais le suivi est court (1 an). Un cas de tuberculose est survenu chez un malade recruté en Inde. Chez des malades exposés au védolizumab, 5 décès ont été rapportés : 1 suicide, 2 accidents cardiovasculaires chez des malades ayant des comor-bidités, 1 choc septique et 1 péritonite à la suite d’une perforation coloscopique.Dans l’ensemble, le profil de tolérance du védo-lizumab chez les 1 434 malades traités dans ces 2 essais apparaît satisfaisant. Des données à plus grande échelle permettront de mieux caractériser les effets indésirables du védolizumab, notamment en ce qui concerne les infections ORL et les abcès anaux, ainsi que le risque de LEMP à plus long terme, mais aucune alerte actuelle majeure n’est rapportée.

Étrolizumab

L’étrolizumab est un anticorps monoclonal sous-cutané ciblant la sous-unité β7 des intégrines α4-β7 et αE-β7.Un essai d’induction en phase II/III (3) contre placebo a été conduit afin d’établir l’efficacité de l’étroli-zumab dans le traitement de la RCH modérée à sévère – excluant les formes graves. Cet essai d’in-duction avait pour objectif de démontrer la supé-riorité de l’étrolizumab sur le placebo en ce qui concerne la rémission à S10 (objectif principal), ainsi que la rémission endoscopique complète, définie par un sous-score Mayo de 0 (objectif secondaire). Cent vingt-quatre malades ont été randomisés en 3 bras : 41 ont reçu 100 mg d’étrolizumab par mois par voie sous-cutanée, 40 ont reçu une dose de charge de 420 mg d’étrolizumab à S0, suivie de 300 mg à S0, S4 et S8 par voie sous-cutanée, et 43 ont reçu un placebo.Le taux de rémission clinique à S10 était significative-ment plus élevé sous étrolizumab à dose plus faible (20 %, versus 0 % sous placebo). La différence était à la limite de la significativité avec le plus fort dosage (10 %, versus 0 % sous placebo). Les différences étaient plus nettes dans le sous-groupe de malades naïfs pour les anti-TNF avec des taux de rémission

de 44 % sous étrolizumab 100 mg et de 0 % sous placebo (p = 0,007). Les auteurs ne retrouvaient pas de différence significative quant à l’obtention d’une cicatrisation muqueuse entre les 3 bras à S10. La tolérance du traitement, et plus particulièrement des injections sous-cutanées, étaient jugées satis-faisantes (4 malades ayant reçu le plus fort dosage ont présenté une réaction locale minime). Devant ces résultats positifs, une grande étude de phase III s’impose. Il est étonnant que dans ce travail l’effet placebo soit nul, quel que soit le critère analysé !

Immunosuppresseurs et anti-TNFDans une méta-analyse (4), les auteurs ont observé l’effet de la poursuite d’un traitement immunosup-presseur concomitant en cours à l’inclusion sur l’effi-cacité et la tolérance des anti-TNF dans la MC dans les essais randomisés contrôlés pour chacun des 3 anti-TNF. Point important, l’essai SONIC, par défi-nition, a été exclu de l’analyse, et toutes les données individuelles ont été collectées après avoir contacté directement les industriels. Un traitement immuno-suppresseur concomitant n’a aucun impact sur l’ada-limumab et le certolizumab, alors qu’il améliore l’efficacité et la tolérance de l’infliximab (odds-ratio [OR] : 1,79). Ces données pourraient changer notre pratique clinique étant donné les réserves émises à l’heure actuelle sur le profil de tolérance de l’asso-ciation immunosuppresseur + anti-TNF et notam-ment sur le risque de lymphome. Un point faible : ces études pivots ont toujours un suivi global de 1 an. Il serait intéressant de voir si ces résultats se confirment sur des durées plus longues.

Dosage pharmacologique des anti-TNF et de leurs anticorpsCette année, de nombreuses communications ont porté sur ce sujet. Les résultats concernant le risque postopératoire pour un patient traité par anti-TNF avant l’opération dans la MC restent discutés avec des études conflictuelles, voire des méta-analyses non superposables.L’idée de l’équipe de C.L. Lau et al. (5) était d’apprécier si les taux d’anti-TNF circulants avant le geste n’étaient pas associés à une augmentation de la morbidité post-opératoire. Dans ce travail, sur 123 patients, les taux d’anti-TNF étaient dosés par technique EMSA (Elec-trophoretic Mobility + Shift Assay), mais les auteurs ne

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rapportent pas les résultats sur les anticorps anti-TNF. Dans les résultats rapportés, plus le taux d’anti-TNF circulant était élevé avant l’opération, plus les risques de morbidité (p < 0,05), infections ou hospitalisation, étaient importants après.Les points de discussion sont les suivants : un cut-off choisi par les auteurs commun aux 3 anti-TNF. D’autre part, dans le bras anti-TNF sérique indétec-table, les auteurs ont associé des patients sous anti-TNF et des patients sans anti-TNF. Il est probable que le groupe des patients non traités par anti-TNF soit différent du groupe traité. En pratique, ce travail montre qu’il vaut mieux opérer un patient avec un taux bas d’anti-TNF et, si possible, attendre un seuil indétectable avant le geste chirurgical, si l’état du patient le permet.La reprise de l’infliximab après un arrêt prolongé de la molécule est toujours un challenge. Il est rapporté depuis longtemps un surrisque d’effets indésirables, notamment immunoallergiques, et une perte d’effi-cacité de la molécule. Dans un travail prospectif (6) mené chez 128 patients ayant arrêté l’infliximab depuis 15 mois (en médiane), une reprise avec une réinduction (3 doses) permettait d’obtenir une rémis-sion clinique dans près de 2 cas sur 3 au-delà de 4 ans, avec des effets indésirables (12 %). D’autre part, les auteurs montrent que cette possibilité peut parfaitement s’envisager chez des patients ayant auparavant perdu une réponse à l’infliximab. Les auteurs rapportent que doser rapidement les taux d’infliximab et leurs anticorps anti-infliximab (ATI) [à la deuxième et à la troisième perfusion] a un impact important. Les auteurs rapportaient, en présence d’ATI, un effondrement des taux de réponse. D’où l’absolue nécessité de traiter les patients en combo-thérapie. Enfin, des taux résiduels d’infliximab (TRI) élevés étaient associés à une réponse durable. Ainsi la reprise de l’infliximab est tout à fait concevable quelle que soit l’indication de l’arrêt, mais en combo-thérapie et en schéma d’induction. Le dosage des TRI précoces et des ATI peut prédire des résultats à moyen terme.C. Steenhold et al. (7) ont rapporté un travail évaluant 2 stratégies thérapeutiques au cours de la MC en échappement thérapeutique à l’infliximab à dose normale : 1 bras avec optimisation à l’infliximab 5 mg/kg/4 sem. et 1 bras avec une stratégie dépen-dant d’un algorithme thérapeutique en fonction des TRI et des ATI (switch en général en cas d’infliximab bas avec ATI positifs, optimisation en cas d’in-fliximab bas sans ATI, changement de classe en cas d’infliximab normal). La combothérapie n’était pas permise (ce qui constitue le point faible de l’étude).

Il s’agissait d’une étude de non-infériorité, et le nombre minimal de patients à inclure était de 100. Les auteurs n’ont pu inclure le nombre de patients prérequis, ce qui doit rendre l’analyse des données prudente. Les taux d’échec clinique étaient similaires dans les 2 stratégies, avec les limites précitées et un suivi insuffisant (12 semaines). L’analyse des coûts est en faveur des dosages de TRI et d’ATI par radio immunoassay (RIA) [p < 0,05]. Ces résultats vont dans le sens d’une étude coût/efficacité rapportée par F. Velayos (modèle de Cox) [8] montrant l’intérêt de ces dosages pour choisir notre traitement.De grandes études en cours devront confirmer ces résultats préliminaires.

Autres marqueurs

L’intérêt du dosage des 6-thioguanine nucléotides (6-TGN) est débattu. La dernière méta-analyse date de 2006 ; elle portait sur 6 études ayant inclus 500 patients. Ce travail montrait un OR de 2,5 pour un seuil de 6-TGN de 235 à 260 pmol en faveur de l’obtention d’une rémission clinique. Depuis, de nombreuses études ont été publiées, avec des résultats variables.Dans cette nouvelle méta-analyse (9) réalisée sur 17 études et plus de 2 000 patients, les résultats sont finalement comparables, avec une puissance plus importante par rapport aux résultats initiaux. Le seul facteur d’hétérogénéité est lié à la méthode. Lorsqu’on ne prend en compte que les 10 études ayant utilisé la méthode de Leenhardt, l’OR est supérieur à 3. Enfin, l’analyse dans le temps montre une grande stabilité des résultats, laissant à penser qu’il est inutile de faire dans l’avenir une nouvelle méta-analyse.

L’UCEIS : score endoscopique de la rectocolite hémorragiqueAu cours de la RCH, les facteurs prédictifs de l’évo-lution clinique, en particulier d’une colectomie, reposent sur des critères cliniques, biologiques (comme les critères de Truelove et Witts) et endos-copiques (comme les ulcérations profondes). Actuel-lement, le score UCEIS (Ulcerative Colitis Endoscopic Index of Severity) est le score de référence endos-copique pour analyser l’activité de la maladie. Mais aucun seuil prédictif de la sévérité n’est rapporté. Le but de ce travail était de rechercher une éven-tuelle corrélation entre ce score et l’évolution des

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patients : nécessité ou non d’un traitement médical de sauvetage (après échec de la corticothérapie), ou d’une colectomie. Il s’agissait d’une étude mono-centrique rétrospective, réalisée d’après un recueil de données (cliniques et endoscopiques) prospectif (10). La définition de la colite aiguë grave (CAG) reposait sur les critères de Truelove et Witts. Quatre-vingt-neuf patients ont ainsi pu être étudiés. Les critères démographiques et cliniques à l’inclusion ne différaient pas entre patients répondeurs et non répondeurs à la corticothérapie. La seule différence statistiquement significative était un score UCEIS médian plus élevé chez les non-répondeurs : 5 (3-9) versus 4 (3-7) [p = 0,005].Un score UCEIS élevé est donc associé à une moins bonne évolution chez les patients présentant une CAG. La plupart des patients ayant un score supé-rieur ou égal à 7 nécessiteront un traitement par infliximab ou ciclosporine après corticothérapie.

Traitement postopératoire de la maladie de CrohnLes résultats définitifs de l’essai POCER (10) ont été présentés. L’objectif principal était d’évaluer 2 stratégies : une se fondant sur l’endoscopie à 6 mois pour adapter le traitement médical, et une reposant sur une simple surveillance clinique avec une intervention thérapeutique uniquement en cas de symptômes. Le premier message est qu’une endoscopie à 6 mois permet d’obtenir de meilleurs taux de rémission endoscopique, stade Rutgeerts i2-4 à 18 mois, sans différence toutefois entre les 2 bras en termes de récidive clinique et de récidive endoscopique sévère i3-4. Par ailleurs, les patients étaient stratifiés d’emblée en fonction des facteurs de risque de récidive (sujets à haut risque versus sujets à faible risque). Chez les sujets à haut risque, un traitement par adalimumab [instauré d’emblée en cas d’intolérance connue aux thio-purines] était plus efficace qu’un traitement post-opératoire immédiat par azathioprine (p = 0,028). Cependant, lorsqu’on comparait le sous-groupe des patients traités d’emblée par adalimumab à celui recevant un traitement par azathioprine immédia-tement après l’opération, puis un traitement par adalimumab en cas de récidive endoscopique i2 à 6 mois, il n’y avait plus de différence entre ces 2 groupes à 18 mois. Ce travail confirme l’intérêt de la coloscopie d’évaluation en postopératoire (dès 6 mois) et d’une escalade thérapeutique rapide si nécessaire.

M. Regueiro et al. avaient démontré la très nette supériorité de l’infliximab sur un placebo pour prévenir une récidive postopératoire malgré un faible nombre de patients inclus, mais à court terme (n = 24). L’étude présentée à la DDW (12) porte sur le suivi à long terme, au-delà de 4 ans, de ces patients et confirme l’intérêt d’instaurer l’infliximab immédiatement après l’opération chez les patients à haut risque de récidive, et également celui de poursuivre l’infliximab au-delà de 1 an. En effet, les auteurs montrent que l’arrêt de l’infliximab était associé à une récidive très importante de la maladie sur le plan endoscopique (aucune évolutivité sous infliximab et 100 % de récidive endoscopique après l’arrêt de l’infliximab), et une évolution favorable était obtenue dans 70 % des cas après la reprise de l’infliximab.

Complications liées aux traitementsUne étude nord-américaine a rapporté, à partir d’une très large cohorte (13), les risques de lymphomes sous thiopurines. Les résultats sont très similaires aux données rapportées par CESAME : surrisque reconnu sous thiopurines (pour une durée médiane de traitement de 1,6 an), surtout après 65 ans (inci-dence de 3,9 cas pour 1 000 patients-années), et disparition de ce risque après l’arrêt de la molécule (incidence de 0,3 cas pour 1 000 patients-années). Dans la cohorte, les auteurs montraient que ce risque se normalisait quel que soit l’âge dans les 2 ans qui suivent cet arrêt thérapeutique.Le traitement des MICI du sujet âgé semble associé à un taux accru d’infection, de cancer et de décès. Le but de cette étude rétrospective (14) était de déterminer si l’âge était un facteur de risque indépendant d’infection et si les traitements des MICI (corticoïdes, immunosuppresseurs et anti-TNF) augmentaient ce risque. Le risque d’infection était multiplié par 1,5 à partir de 65 ans. L’analyse de l’effet des traitements montrait que les corti-coïdes avaient le taux d’incidence le plus élevé d’infection. Par rapport à une monothérapie par immunosuppresseurs ou par anti-TNF, ces ratios étaient accrus en cas d’association thérapeutique avec les corticoïdes. Les corticoïdes augmentent le risque infectieux chez le sujet âgé, a fortiori en cas d’association thérapeutique.Le risque de développer des tumeurs cutanées non mélaniques au cours des MICI, en particulier lorsque celles-ci sont traitées par des thiopurines,

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ACTUALITÉTHÉRAPEUTIQUE

1. Rutgeerts P, Sandborn WJ, Reinisch W et al. Sustained therapeutic benefit of vedolizumab throughout 1 year in Crohn’s disease I Gemini II, a randomized, placebo-controlled, double blind, multicenter trial. DDW 2013, Orlando, CO91.2. Colombel J.F., Sands B, Feagan B et al. Integrated safety analysis of vedolizumab for the treatment of ulcerative colitis or Crohn’s disease. DDW 2013, Orlando, CO643.3. Vermeire S, O’Byrne S, Williams M et al. Differentiation between etrolizumab and placebo in the Eucalyptus phase II randomized double blind placebo controlled induction study to evaluate efficacy and safety in patients with refractory moderate to severely active ulcerative colitis. DDW 2013, Orlando, CO159.4. Jones J, Kaplan G, Peyrin Biroulet L et al. Impact of conco-mitant immunomodulator treatment on efficacy and safety of anti TNF therapy in Crohn’s disease: a meta-analysis of placebo controlled trials with individual patient level data. DDW 2013, Orlando, CO979.5. Lau CL, Dubinsky M, Melmed GY et al. Higher preoperative serum biologic levels are associated with postoperative complications in Crohn’s disease patients. DDW 2013, Orlando, CO1011.

6. Baert F, Drobne D, Ballet V et al. Trough levels and anti drug antibodies predict safety and success of restarting infliximab after a long drug holiday. DDW 2013, Orlando, CO492.7. Steenhold C, brynskov J, Thomsen O et al. Treatment of secondary infliximab failure in Crohn’s disease based on serum levels of infliximab and antibodies against infliximab: The Danish study of optimizing infliximab therapy in Crohn’s disease (Do it Crohn) randomized clinical trial. DDW 2013, Orlando, CO94.8. Velayos FS, Kahn JG, Sandborn WJ et al. A test-based strategy is more cost effective than empiric dose escalation for patients with Crohn’s disease who lose responsiveness to infliximab. Clin Gastroenterol Hepatol 2013;11(6):654-66.9. Moreau A, Laporte S, Del Tedesco E et al. Association between thiopurines metabolites levels and clinical remis-sion in IBD patients: an uptated meta-analysis. DDW 2013, Orlando, CO494, actualisé.10. Corte C.J, Fernandopulle A, Caruneanu A et al. Corre-lation between the Ulcerative Colitis Endoscopic Index of Severity (UCEIS) and outcomes in acute severe ulcerative colitis. DDW 2013, Orlando CO554.

11. De Cruz P, Kamm MA, Hamilton AL et al. Optimizing post-operative Crohn’s disease management: best drug therapy alone versus colonoscopic monitoring with treatment step up. The pocer study. DDW 2013, Orlando CO925j.

12. Regueiro M, Baidoo L, Kip KE et al. Infliximab mainte-nance beyond one year prevents postoperative Crohn’s disease recurrence: long-term follow-up from the rando-mized controlled pilot study. DDW 2013, Orlando, CO954.

13. Khan N, Koleva Y, Abbas et al. Is there any residual risk of lymphoma after stopping thiopurines? A nationwide retrospective cohort from the veterans’ affairs healthcare system. DDW 2013, Orlando, CO641.

14. Tofani C, Aberra F, Tierney A et al. Infectious compli-cations in IBD patients on immunomodulators, steroids and anti TNF therapy: is elderly age a predictor of higher complication rates? DDW 2013, Orlando CO642.

15. Singh S, Singh Nappal S, Murad M et al. Inflammatory bowel diseases is associated with an increased risk of mela-noma : a systematic review and meta-analysis. DDW 2013, Orlando PMo1252, actualisé.

Références bibliographiques

est actuellement reconnu. Cependant, les données sont plus conflictuelles concernant le risque de mélanome. Le but des auteurs était ainsi de réaliser une méta-analyse de l’ensemble des études ayant rapporté le risque de mélanome au cours des MICI (15). Il y avait une augmentation significative du risque de mélanome au cours des MICI (risque relatif [RR] : 1,39) quel qu’en soit le type. Par ailleurs, S. Singh et al. rapportent que ce risque est totalement indépendant des traitements, ce qui suggère une prédisposition au mélanome en cas de MICI. Ces données impliquent une surveil-lance cutanée de nos patients quelle que soit leur exposition thérapeutique.

Conclusion

De nouvelles molécules vont faire leur apparition dans notre arsenal thérapeutique au cours des MICI. L’avenir nous dira le positionnement stratégique de ces trai-tements. Les optimisations thérapeutiques fixes dans les MICI en échappement clinique sont en voie d’être supplantées par des stratégies à la carte reposant sur des biomarqueurs. Notre problème actuel est le non-remboursement de ces marqueurs en pratique clinique. Enfin, les données s’affinent concernant les risques thérapeutiques sous traitement avec des propositions de prise en charge ou de surveillance en fonction de l’âge, ou pour prévenir les risques de mélanome. ■

L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec MSD, Abbvie, Norgine, HAC Pharma, Ferring, Teradiag, Takeda France et Pfizer.

Article réalisé grâce au soutien institutionnel de Takeda France et rédigé dans le respect de l’indépendance scientifique et éditoriale.

Prochain numéro à paraître en décembre

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