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L'acqua come vettore di comprensione

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  • 291 Journal des anthropologues n 132-133, 2013

    LEAU COMME VECTEUR DE COMPRHENSION DES TRANSFORMATIONS SOCIALES ET

    RELIGIEUSES DUN QUARTIER PRIPHERIQUE DU SUD-EST DU MEXIQUE (CHIAPAS)

    Carine CHAVAROCHETTE*

    Ltat du Chiapas est lun des plus pauvres et des plus indignes1 du Mexique. Sur une population totale de plus de quatre millions de personnes, plus dun quart est considr indigne par le gouvernement (recensement national de 20052). Les principales sources de revenus de ces habitants proviennent de lagriculture et de llevage. La socit chiapanque se compose en majorit dagriculteurs mayas et mtis3 bnficiaires de terres collectives

    * CREDA CNRS - UMR 7227 28 rue Saint-Guillaume, 75007 Paris. Courriel : [email protected] 1 Au Mexique comme dans les autres pays dAmrique latine, indgena indigne est le terme couramment employ pour dsigner la population que nous qualifions en France d indienne . Dans ce texte, nous employons les deux termes sans que lun ou lautre soit pjoratif afin dviter les rptitions. 2 Depuis 2000, les recensements au Mexique se fondent sur la dclaration dtre locuteur dune langue indigne et plus rcemment sur une dclaration dauto-adscription. 3 La catgorie mtis concerne la majorit de la population mexicaine. Le terme gnrique maya en rfrence au dsignant linguistique des populations qualifie des groupes indignes vivant principalement dans les tats mexicains du Chiapas et du Yucatan (dautres rsident au Belize et au Guatemala). lintrieur de cet ensemble, des sous-groupes existent. Ils sont dsigns par le nom de leur groupe ethnique ; dans le cas du Chiapas,

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    (ejidatarios)4, de petits propritaires ainsi que de grands propritaires, souvent leveurs. Comme dans toute civilisation agraire, ces personnes entretiennent des relations privilgies avec leau. Des divinits telluriques comme des saints catholiques sont vnrs afin de favoriser les prcipitations atmosphriques annuelles et le renouvellement des sources locales. Le tissu industriel est faible et le secteur tertiaire limit quelques services et au tourisme.

    Depuis la fin du XXe sicle, cette rgion est marque par de profondes mutations sociales (migration, urbanisation) et politiques (libralisme, dsengagement de ltat, insurrection nozapatiste, militarisation) qui ont provoqu la transformation des structures familiales et foncires. San Cristbal de Las Casas (SCLC) est lancienne capitale coloniale rgionale, actuellement troisime ville de ltat du Chiapas, laquelle connat une explosion urbaine depuis les annes 1970 : 166 460 habitants en 2005 contre 25 700 en 19705. Une croissance exponentielle alimente en partie par les expulsions religieuses (populations mayas vangliques expulses par les traditionalistes catholiques) et lexode rural (fragmentation des parcelles de terres disponibles).

    Cet article interroge linertie des autorits municipales, de ladministration publique devant la cration de systme dadduction deau indpendant, grs par les habitants, dans les quartiers priphriques des grands centres urbains. Contrler cette ressource cache en ralit des antagonismes agraires, sociaux, religieux et donc politiques, instrumentaliss par les acteurs. Les enjeux immdiats (accs et contrle de leau) ont gnr de nouvelles clbrations prs des sources locales et des systmes dadduction. Cette recherche questionne ces pratiques indites en sappuyant sur

    par exemple, ce sont les vocables Tzeltal, Tzotzil, Tojolabal ou Chol qui dsignent les personnes. 4 Lejido est une terre appartenant ltat et affecte en usufruit une collectivit paysanne. Jusquen 1992, ce droit tait inalinable. 5 Source : Institut national mexicain de statistiques et de gographie (INEGI).

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    des populations mayas-tzotzil et mtisses installes en zone rurbaine de San Cristbal afin de montrer en quoi leau est enjeu de pouvoir.

    Des enqutes de terrain ralises en 2011 auprs de marachers tzotzil et mtis dune commune priphrique de la ville de SCLC ont permis la comprhension et lanalyse des pratiques rituelles tant lgard des divinits des sources, les dueos del agua ou matres de leau , que du nouveau matriel assurant la distribution de leau.

    partir de ltude des croyances et des rituels locaux lgard de leau, comment des populations indiennes et non indiennes, acteurs de la mondialisation, ancrent leurs territoires politiques et religieux. Quel partage de leau est institu entre la divinit et ltre humain, quelles hirarchisations sociales sont rvles travers les productions symboliques ? Nous examinerons tout dabord les effets de la rforme nationale de leau sur les terres du volcan Huitepec. Puis nous prsenterons la gestion de leau des agriculteurs organiques de Santa Anita Huitepec, indiens tzotzil (groupe ethnique dont la langue ponyme appartient une subdivision de la famille linguistique maya) et mtis (descendants dIndiens et dEuropens). Enfin, nous analyserons les crmonies sattachant neutraliser les divinits des sources, ralises par ces personnes. Leau, un acteur multi-scalaire

    Rforme de la gestion de leau

    Ltat mexicain du Chiapas concentre de forts taux de pauvret et de marginalisation et les services publics y sont peu nombreux. Bien que cette rgion se rvle stratgique dun point de vue gopolitique (nombreux cours deau et rserves aquifres), ltat y a restreint ses investissements. En 2000, 42% des foyers indignes ne disposaient pas de leau courante (sans parler deau potable qui est un problme rcurrent) et 70% ne bnficiaient pas de services de traitement des eaux uses (Pea, 2004).

    La loi du 2 dcembre 1992 appele encore Loi des eaux natio-nales a rglement lextraction des eaux souterraines et celle des eaux de surfaces. Elle est applique par la Commission nationale de leau (CNA), lautorit comptente charge dadministrer les

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    ressources hydrauliques du Mexique, en vue de prserver et con-trler sa qualit . Toutefois de nombreuses actions sont dcides selon une vieille pratique de clientlisme lectoral ; cest le cas au Chiapas. La rforme de concentration de la gestion de leau (amor-ce ds la Constitution mexicaine de 1917 puis reconsidre partir de 1992) amenuise le rle dcisionnel des populations indignes mais aussi leur droit dusage (en fonction des us et coutumes), sur les fleuves, les lacs ou encore les puits (Pea, op. cit.). Les droits daccs leau potable ne sont plus codifis par lusage mais par des lois. Selon larticle 20, la CNA est la seule instance pouvoir accorder les concessions dusage de leau aux propritaires des terrains qui en font la demande ; dmarche administrative qui est ignore de la majorit des habitants tzotzil, laquelle gre leau selon la conception dun bien commun. Ltat mexicain demeure le seul et unique propritaire des nappes aquifres, pourtant les pratiques locales ne distinguent pas cette double proprit, celle de la terre et de leau se confondant. Deux conceptions saffrontent : pour ltat, travers la CNA, leau est le bien inalinable de la nation (mme en priode nolibrale), pour les Tzotzil llment minral est la pos-session du matre de leau (de la source) mais en sont les dtenteurs le propritaire du terrain6 (et donc de cette source) et la communaut, dpositaire de la souverainet sur cette eau qui dcide de son usage. Cette lgislation du partage des eaux entrane galement des relations conflictuelles. Ainsi, dans les villages indiens du Chiapas, couper leau savre tre un moyen dexpulser les personnes ne partageant pas les mmes convictions religieuses. Ainsi dans diffrents villages tzotzil, des catholiques ont pu dtourner leau, interdire lusage et laccs aux vangliques dun puits communautaire ou dune source. Sous cette pression villageoise, ces derniers ont d abandonner leurs maisons et leurs terres et sont venus se rfugier en priphrie de San Cristbal. Le conflit autour de leau peut ainsi tre linstrumentalisation de luttes religieuses et de pouvoir (Burguete Cal y Mayor, 2000).

    6 Il sagit ici dun petit propritaire priv non dun ejidatario.

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    Les terres fertiles du volcan Huitepec : un lieu de diversit ethnique et sociale

    Les terres fertiles du volcan Huitepec sont niches sur les hauteurs de la ville de San Cristobal de Las Casas. Cinq hameaux (administrs par cette dernire) y sont regroups sous le nom dune localit nomme Los Alcanfores. Santa Anita Huitepec est lun deux, situ sur les terres basses du volcan Huitepec plus de 2 000 mtres daltitude. Daprs les recensements municipaux de 2007, Santa Anita Huitepec se compose de 20 familles, soit plus de 250 habitants. Les cinq hameaux regroupent environ 3 000 habitants. Santa Anita est compose de populations originaires descendants danciens ouvriers agricoles (peones) des grands domaines de culture et dlevage (finca) qui jusquau dbut du XXe sicle (avant la rforme agraire) occupaient les terres du volcan et de nouveaux arrivants (expulss vangliques).

    Les populations, contrairement dautres villages tzotzil voisins, ne disposent pas de titres ancestraux sur leur terre, elles occupent souvent des terres nationales ; certaines familles quant elles ont pu ds les annes 1980 acheter des lots de terrains aux propritaires des fincas. Paralllement, des habitants du centre-ville ont ds les annes 1970 et plus particulirement dans les annes 1980 fait construire des rsidences secondaires sur les terres basses du volcan. Ainsi diffrents types doccupation de lespace coexistent. La spculation immobilire sur ces terres sest intensifie dans les annes 2000 et plus fortement depuis 2007 avec la cration de la rserve cologique dans la zone nord du volcan. Do lintrt accord llment minral dans la zone. Celle-ci attire actuellement des urbains la recherche de ruralit mais sur des terres situes dix minutes en voiture du centre-ville.

    Depuis 1986, une rserve prive de 155 hectares a t cre et est gre par le collectif PRONATURA A. C. (Association civile internationale de dfense de la biodiversit et de sa protection). Depuis mars 2007, 102 hectares de terre ont t dclars par une loi fdrale de ltat du Chiapas rserve cologique du Huitepec. Situe au nord de Santa Anita Huitepec, cette zone est protge et

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    contrle par les habitants zapatistes7 de lun des hameaux qui empchent toutes personnes, dont leurs voisins, de cueillir baies ou champignons, de couper et de transporter du bois de chauffage et surtout dutiliser leau des rivires pour le lavage du linge et les points deau de la rserve pour irriguer les terres agricoles8. Les habitants de Santa Anita de par leur situation gographique loigne et la prsence de nombreuses sources sur leurs terrains ne sont pas en conflit avec leurs voisins zapatistes. En revanche, des popula-tions proches de la rserve le sont pour laccs et lusage de leau. Ces tensions tmoignent en ralit dantagonismes politiques entre le hameau zapatiste soutenu par les autorits fdrales (du Parti de la rvolution dmocratique, PRD) et les autres hameaux soutenus par le maire (du Parti rvolutionnaire institutionnel, PRI) de SCLC9. Entre janvier et juillet 2008, la tension est monte dun cran, avec dune part une surveillance accrue de la rserve par les zapatistes et des vigiles extrieurs au Huitepec (sympathisants zapatistes natio-naux et trangers) et dautre part, avec lempoisonnement dune source de la rserve que la municipalit de SCLC qualifie dacte de

    7 Le 1er janvier 1994, alors que le trait de libre-change nord-amricain entrait en vigueur, linsurrection arme des zapatistes (en rfrence lun des hros de la Rvolution mexicaine de 1910, Zapata) clata au grand jour San Cristbal de Las Casas. Des Indiens, pour la plupart guids par lemblmatique sous-commandant Marcos, sinsurgrent contre les conditions de vie dont ils taient victimes et clamaient leur exclusion de la socit nationale. Aujourdhui encore, des Indiens du Chiapas se revendiquent zapatistes, et dautres personnes mexicaines ou trangres rsidant au Chiapas notamment continuent de soutenir ce mouvement mouvement souvent nomm nozapatiste pour viter toute confusion. 8 Les zapatistes en tant que gardiens de la rserve et de sa biodiversit surveillent les points deau lintrieur de cette zone ; ils refusent toute tentative dinstallation de tuyaux de drainage entre la rserve et les habitations ou les parcelles cultives situes lextrieur. 9 Le PRI, parti social-dmocrate issu de la Rvolution mexicaine, a gouvern le Mexique de manire ininterrompue pendant 70 ans. Le PRD est n en 1988 dune scission avec le PRI, il se situe aujourdhui la gauche de celui-ci.

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    provocation, dont elle suspecte les zapatistes dtre les auteurs10. En effet, cette zone est un lieu de captation des eaux de pluies pour SCLC (80% de ses rserves en eau) et les nappes aquifres permet-tent une partie de son alimentation en eau potable. La loi garantissant la protection de ce site sinscrit dans une politique plus large de protection de lenvironnement autour de la zone urbaine. Ainsi lalimentation en eau de la ville de SCLC dpend de la bonne gestion cologique des zapatistes et des populations du Huitepec, ville et priphrie rurbaine sont ainsi interdpendantes lune de lautre. Les usages sociaux de leau Santa Ana Huitepec

    Figure 1. Village de Santa Anita Huitepec surplombant la ville de San Cristobal de Las Casas, 2011 Carine Chavarochette

    Cultures marachres rurbaines

    Des populations tzotzil et mtisses exploitent des terres en zone rurbaine de San Cristobal de Las Casas. Les familles tzotzil

    10 Cette source a bien t contamine mais par un herbicide utilis par tous les agriculteurs de la zone (Zarate Toledo, 2008).

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    vivent Santa Ana Huitepec et y cultivent leurs parcelles ; celles mtisses vivent San Cristobal mais cultivent leurs parcelles situes Santa Anita. Lagriculture est leur activit conomique principale. Il ne sagit pas dune production daliments de base (mas, haricots noirs, caf) destine au march extrieur, ni dune agriculture dautosubsistance mais dune agriculture diversifie, marachre, labellise organique et destine en priorit au march biologique du centre-ville et dont le surplus est destin au march dit conventionnel situ en dehors du centre historique et non labellis.

    En 2005, un rseau de producteurs et de consommateurs responsables pour une alimentation saine et rapproche a cr une labellisation culture certifie bio et un march bio dans le centre-ville de SCLC, le tianguis11, sous linitiative dun groupe de femmes non indiennes (mexicaines originaires ou non du Chiapas, diplmes pour la plupart du suprieur) souvent mres de jeunes enfants qui refusaient de les alimenter par des lgumes et des fruits cultivs et contamins par les eaux noires (uses) et les engrais chimiques. Elles ont donc dcid de promouvoir un march et une agriculture organique respectueuse de la terre. Pour mener cette entreprise, ces femmes ont cherch de petits producteurs organiques proches de la ville. En 2007, lassociation sest organise pour une relation directe entre producteur et consommateur , et a rejoint le rseau mexicain de tianguis et marchs organiques. Aujourdhui plus de 100 familles responsables , 12 producteurs ainsi que des fromagers, des artisans en cosmtique et un caf-restaurant ont rejoint cette association.

    Les organisatrices du tianguis ne grent pas seulement le march hebdomadaire, elles visitent rgulirement les diffrents marachers associs, vrifiant ainsi les techniques agricoles employes. Il sagit ici dune certification participative directe ralise par les membres de lassociation, cest--dire les familles consommatrices et non par un organisme tiers, ce qui peut faire

    11 Tianguis est un mexicanisme driv du nahuatl tianquiztl, qui signifie march en plein air .

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    lobjet de critiques12. Lune des vrifications principales est de contrler leau darrosage afin que celle-ci provienne bien dune source et non deaux uses comme cela est le cas pour dautres productions marachres de la priphrie de SCLC. Cette production agricole certifie ncessite quotidiennement de leau et ne peut se satisfaire uniquement de leau de pluie contenue notamment dans des rservoirs en plastique ou en ciment et des rservoirs naturels (ojo de aguas). De plus, cette certification de produits non traditionnels permet de valoriser et de protger un territoire confront la spculation immobilire, la mise en place dune rserve cologique, la diminution des terres collectives au profit de la privatisation des parcelles.

    Figure 2. Ojo de agua ou rservoir naturel, 2011 Carine Chavarochette

    12 Sur le site de lassociation en juin 2012, les organisateurs prcisaient quils effectuaient maintenant des visites bi-mensuelles sur les parcelles afin de sassurer que les lgumes vendus sur les tals du march taient bien issus dune agriculture biologique. Site consult en juin 2012 : redcomidasanaycercana.codigosur.net.

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    Le cas de deux familles marachres

    Les terres du hameau de Santa Ana Huitepec sont voisines de celles de lancien grand domaine foncier Esquipulas. Ces parcelles disposent toutes dun systme dirrigation de surface, les sources tant trs nombreuses contrairement aux hameaux situs prs de la rserve cologique. Cette localit aux marges de lespace urbain de SCLC est partie intgrante de la municipalit ; nanmoins, elle ne bnficie pas encore de traitement des eaux uses. Linfrastructure hydraulique du hameau se rsume un systme de captation de leau potable la source et aux vingt tuyaux qui y sont relis desservant ainsi les vingt familles rsidant dans la localit.

    Figure 3. Les cultures marachres de Santa Anita Huitepec, 2011 Carine Chavarochette

    Des entretiens semi-directifs entrepris auprs de marachers

    permettent de dgager deux tendances. Lexemple de deux familles de marachers met en vidence ces diffrences.

    Les deux familles soulignent quelles ont initi ou dvelopp la culture biologique depuis 2007, soit depuis la cration de la rserve naturelle du Huitepec et que leurs parcelles comportent des sources. La premire est une famille tzotzil (seuls les grands-parents

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    matrisent encore cette langue maya), trois gnrations cohabitent sur le mme habitat et se consacrent la culture de salades, radis, fines herbes, oignons, tomates, etc., lgumes destins au march bio tianguis de la ville de SCLC. Cette famille propritaire de ses terres et bnficiaire de plusieurs sources se revendique descendante dune famille douvriers agricoles de lancien domaine. La majeure partie de la production est coule les mercredis, samedis et dimanches sur ce march, le surplus est occasionnellement vendu sur lautre march de la ville. Un jeune couple, Flora et Santiago, gre depuis trois ans cette production. Lui cultive une parcelle familiale attenante la maison et travaille plusieurs demi-journes par semaine sur les terres dun tatsunien install depuis plus de quarante ans au Chiapas, propritaire dun restaurant et dune boulangerie-ptisserie organiques dans le centre-ville. Ce dernier a initi trs tt la culture marachre biologique sur ses terres et produit galement ses propres semences. son contact, Santiago sest initi aux techniques dites organiques (emploi dengrais naturels, utilisation de semences certifies sans OGM, etc.). Ce savoir-faire, il la ensuite appliqu sur sa parcelle. La culture de mas, de haricot noir notamment, a t amoindrie au profit de lgumes rclams par les consommateurs Mexicains originaires de San Cristobal, Mexicains originaires dautres tats et trangers rsidant dans cette ville, diplms de lenseignement suprieur. Flora quant elle, seconde son mari sur la parcelle de terrain et se charge de vendre leur production sur le march bio.

    La seconde famille est compose de trois gnrations galement et se dfinit mtisse. la diffrence de la premire, elle ne rside pas en zone rurbaine mais dans le quartier de Fatima SCLC. Seule la mre Daniela comprend et sexprime en tzotzil elle a t leve dans une proprit de la rgion de Los Altos o les employs de ses grands-parents ne sexprimaient quen tzotzil. Son mari possde un hectare de terre sur les hauteurs de Santa Anita Huitepec, quil cultive depuis une dizaine dannes. Ils affirment quils ont toujours fait du bio, sans le savoir et coulent leur production marachre au tianguis trois fois par semaine et sur le march conventionnel de la ville o de nombreuses clientes sont

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    tzotzil. La matrise de cette langue lui permet de conserver chaque semaine la mme clientle. Les enfants (scolariss) vendent, quant eux, salades, choux, radis, tomates, fines herbes, etc., sur le march bio trois jours par semaine.

    Le commerce de leau

    Dans la conception tzotzil, leau doit tre partage puisquelle nest la possession de personne sinon des divinits telluriques. La lgislation mexicaine remet en cause ce principe et lexistence mme de la loi entrane des conflits entre usagers. Pour les Tzotzil participer lentretien des sources et leur clbration justifie le droit dusage de leau. Ces actes en eux-mmes concdent un droit juridique qui va lencontre de la lgislation mexicaine.

    Les vingt familles ne disposent pas toutes de sources deau supplmentaires sur leur terrain. Lors des annes de scheresse et quand les rservoirs deau de pluie sont sec, certaines familles vendent leurs voisins leau de leur source, et cela en parfaite contradiction avec la conception tzotzil de leau voque ci-dessus. Certains terrains vendus des urbains ou des trangers [non Mexicains] ne possdent pas de puits naturel. Une des norurales interroge a prcis que son terrain nen comportant aucun, son approvisionnement dpend des prcipitations annuelles qui alimentent ses rservoirs. Toutefois, en priode de scheresse (en janvier 2011 par exemple), elle a d acheter plusieurs dizaines de m3 deau ses voisins tzotzil de Santa Anita, ces derniers bnficiant dune source sur leur parcelle. Ces maisons rcemment construites ne disposent pas de systme dvacuation des eaux uses ni du rseau deau courante. Les services de la ville ne sont pas encore parvenus jusquici.

    Cette habitude de grer de manire autonome les nappes aquifres, de rpartir leau entre les habitants, se heurte aux pratiques rgies par la loi. Ces usages en zone rurbaine tmoignent de la difficile et trop rapide urbanisation de la zone, des politiques de gestion limites, du non-assainissement comme de lvacuation sauvage des eaux uses qui ne sont donc pas retraites. Les communes du Huitepec bien que dpendantes de la ville de San Cristobal de Las Casas ne bnficient ni daides fdrales ni

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    municipales pour la gestion de leau potable qui par consquent demeure communautaire (dans sa conception et sa pratique) et lie aux groupes de parent patrilinaires. Leau divine

    Le matre de leau et les habitants

    La divinit tzotzil Vaxakmen a donn naissance aux puits et aux sources ; les esprits des collines appeles aussi matres de leau, secondes par les anges, attirent les pluies, se transforment en vent ou en foudre, protgent llment minral, les bois et les animaux. Pour les Tzotzil la source devient lallgorie dun seuil qui leur permet dentrer en communication avec les puissances gouvernant lunivers. Les festivits du 3 mai initiant la saison des pluies et des semences rendent hommage ces divinits. Dans le calendrier maya, cette date indique le passage la nouvelle anne et le renouvellement des autorits religieuses. Santa Anita Huitepec, Tzotzil comme non Tzotzil exercent cette charge et doivent organiser au moins une fois dans leur vie cette fte de la Santa Cruz. Si les humains ne respectent pas les rituels, les matres de leau peuvent tout moment asscher les puits et tarir les sources. Les populations mayas-tzotzil et mtisses de la rgion honorent donc chaque anne les divinits et la source. Elles sattirent sa protection et ses bienfaits pour pouvoir irriguer leurs cultures tout en assurant galement leur consommation domestique annuelle. Ces hommes et ces femmes cherchent influer sur les divinits pour rguler leur conomie de leau.

    Les bndictions destines solliciter la diminution des risques environnementaux ou utiliser des lments pour la protection du sol sarticulent la religion catholique tout en se rfrant aux divinits telluriques. Il sagit pour ces populations dagriculteurs de solliciter une pluie abondante et le non-tarissement de la source villageoise (et familiale) afin dobtenir de bonnes rcoltes, tout en demandant paralllement lquilibre et le bon fonctionnement des corps humains. Ces rituels rejoignent les ptitions de pluie (prsentes au Mexique comme en Amrique

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    latine) qui se ralisent entre les mois davril et de juin (Chavarochette, 2011).

    La fte de la Santa Cruz et la fte de la source familiale

    Leau Santa Anita est octroye par les divinits auxquelles les habitants rendent donc hommage au mois de mai de manire collective puis familiale. Elle est gre par les diffrents groupes de parent responsables de lentretien et de la construction des rservoirs, des systmes dadduction deau.

    Tous les ans, les 20 familles dagriculteurs (quelles soient catholiques ou non catholiques) clbrent ensemble la fte de la Santa Cruz (Sainte-Croix), le 3 mai. Selon un rituel rgi par des normes strictes, toutes les familles vnrent une source situe sur un terrain appartenant un non-agriculteur (un instituteur). Grce un systme dirrigation de surface divis en 20 tuyaux, cette source alimente les habitations et les parcelles cultives des 20 familles.

    Comme la signal Olivia Aubriot (2004) pour les socits paysannes npalaises, la distribution stricte de leau ne rpond pas ici un dterminisme cologique puisque llment minral est abondant dans ce lieu (contrairement dautres villages du Chiapas touchs par les scheresses). La rpartition galitaire entre les familles participe lorganisation sociale du hameau et au contrle des relations conflictuelles. La gestion collective renvoie des rapports de force au Chiapas qui, dans le contexte du soulvement zapatiste, de leurs revendications de justice sociale et dautonomie puis des rponses des gouvernements centraux et fdraux mexicains, le plus souvent lacunaires, obligent les habitants de Santa Anita Huitepec contenir les conflits politiques ventuels dont leau peut tre la cristallisation.

    Les activits (achats des vivres, prparation des aliments, des offrandes, nettoyage de la source et du terrain attenant, prires, etc.) sont rparties strictement entre les membres de ces 20 familles et entre les genres. Un rezador (prieur) tzotzil est choisi et rmunr pour cette occasion par les hommes. Cette clbration seffectue sur trois jours. Les offrandes comportent de la nourriture prpare par les femmes, des cierges, de leau-de-vie, de lencens (copal) auxquels peuvent tre ajouts des fleurs fraches et des branches de

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    pin. Les humains sadressent aux divinits dans une relation de rciprocit.

    Les femmes prparent la fte ddie aux matres de leau selon un rituel strict rgi par une attitude galitariste. Elles se runissent toutes quelques jours avant au march conventionnel (non biolo-gique) de San Cristobal de Las Casas afin dy acheter ensemble les aliments qui seront cuisins et consomms pendant les trois jour-nes. Elles se rpartissent quitablement les tches : cuisine, dressage des tables, service, vaisselle. Au cours de ces journes o les hommes nettoient la source et les tuyaux dirrigation, puis sous lgide du prieur tzotzil, sollicitent et remercient les divinits de leau, les femmes ne sont pas autorises participer au rituel. Elles ne peuvent quassister la prire du dernier jour. Les prires adres-ses aux matres de leau ne contiennent pas de rfrences morales ni ne transmettent de doctrines religieuses mais portent en elles un caractre sacr.

    linverse, dix jours plus tard, lors de la clbration de la source familiale, les femmes participent aux prires comme les hommes. En effet, lors de la crmonie collective, la division des tches entre hommes et femmes est trs marque. Les hommes veillent sur le matriel dadduction et sadressent directement aux divinits, les femmes sont responsables de llaboration des repas rituels et de ceux consomms par les participants ; en revanche lors de la seconde fte vers le 15 mai, les femmes tzotzil assistent aux prires et les femmes mtisses organisent la clbration.

    ct de cette clbration, chaque famille disposant dune autre source sur lun de ses terrains effectue galement, dix jours plus tard, une autre clbration ddie cette fois-ci la source fami-liale o ne participent que les membres dune mme parent. Les familles de Flora et Santiago comme de Daniela et Martin se runis-sent vers le 15 mai. Ces crmonies familiales rendent hommage llment minral mais aussi au systme dadduction et ses quipements comme les tuyaux transportant le liquide vital sur les terres ensemences. Les femmes charges de la prparation du repas familial et rituel participent aux prires encadres par un prieur tzotzil (diffrent de celui de la fte du 3 mai) que la famille

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    rmunre. Des amis peuvent tre convis alors que quinze jours auparavant les personnes ntant apparentes aucun lignage du hameau sont exclues des festivits.

    Figure 4. La croix verte symbolise chez les Mayas-Tzotzil le centre du monde, qui les fervents sollicitent labondance, Santa Anita Huitepec, 2011 Carine Chavarochette

    La famille de Flora et Santiago se runit sur les terres du pre

    de Santiago et de son oncle une cinquantaine de mtres de leur habitation. Cette source est situe sur un terrain priv appartenant aux deux frres. Il ne sagit pas ici de terres ejidales, collectives et cdes en usufruit comme cela est trs souvent le cas au Mexique. Les deux chefs de famille ont install au dbut des annes 1990 un systme de canalisation permettant dirriguer leurs terres cultives comme dapprovisionner leurs maisons en eau potable. Ils ont install deux canalisations se rpartissant ainsi quitablement la nappe aquifre. Ce systme de drainage en surface court sur plusieurs dizaines de mtres. Ils ont galement construit un rservoir en ciment pouvant capter les eaux de pluies. La dcentralisation force des comptences de ltat pousse les consommateurs urbains

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    et priurbains notamment, assumer la responsabilit financire de la gestion de leau potable. Chaque anne, les hommes de la famille entreprennent divers travaux de rfection des canalisations, voulant ainsi viter, prcisent-ils, les dperditions deau .

    Figure 5. Source et canalisation, famille de Santiago, 2011 Carine Chavarochette La prieuse des mtis

    La famille de Daniela et Martin organise galement sur son terrain, la mme date, une clbration selon des modalits trs proches. Nanmoins, cette famille mtisse qui ne saffirme ni catholique ni vanglique ne contracte pas un prieur tzotzil mais

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    une prieuse-gurisseuse qui sadresse la divinit de leau en espagnol. Les mtis minoritaires par rapport aux Tzotzil prfrent changer de langue rituelle, les fervents ne comprenant pas cette langue maya. Daniela affirme : Cest la mme prire. On leur [divinits] demande plus dabondance, quelles continuent nous donner nos petits lgumes. [] Ici comme quasiment tout le monde ne comprend pas la langue tzotzil nous recherchons plutt une prieuse qui parle espagnol. Cest la raison. Et nous leur demandons la mme chose .

    La prieuse a t contacte au march biologique parmi les membres de lassociation : Cela fait peu prs trois ans que nous lavons invite et elle est venue. Cette invitation lui a plu . Et ce sont les femmes de la famille, non les hommes, en tant quagricultrices qui ont fait la dmarche dorganiser cette clbra-tion familiale en choisissant une prieuse. Ces ftes rendues au matre de la source familiale se sont dveloppes depuis la cration de lassociation et louverture du march organique en 2005. La prieuse nest pas tzotzil et ne parle pas non plus cette langue. Elle se dfinit comme Mexicaine avant tout et respectueuse dune agriculture saine . Elle organise galement des ateliers pour prot-ger la terre et leau comme pour amliorer la production marachre.

    La prire destine aux divinits telluriques nest pas aussi belle et longue13 que celle rcite par les prieurs tzotzil mais pour Daniela elle est tout aussi efficace. La prieuse, elle-mme fille dune gurisseuse, a appris sadresser aux divinits en observant sa mre. Selon Daniela, elle prie l o lon a besoin delle, elle connat les prires adresser aux morts, aux saints catholiques, toutes les prires, oui, elle est spciale la prieuse .

    Les prieurs officient en tant quagents de communication entre le monde terrestre et cleste. La place accorde la prieuse permet de signaler la place quaccorde la famille mtisse cette femme occupant par ailleurs des responsabilits au sein de lassociation du tianguis. Le destin de la famille est ainsi remis entre les mains du

    13 Expression de Daniela.

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    prieur tzotzil charg du bien-tre du hameau comme entre celles de la prieuse.

    La rciprocit entre humains et dieux se retrouve aussi entre les habitants du hameau tout comme entre les horticultrices mtisses et les organisatrices du tianguis par lintermdiaire du culte de leau. Le choix dune prieuse lie au march organique renforce linterdpendance des deux groupes mais aussi leurs liens. Les unes assurent la production puis achalandent le march bio, les autres lexistence conomique de ce march et le contrle des divinits donc de leau.

    Selon Murillo (2005) et Burguete Cal y Mayor (op. cit.), le soulvement zapatiste de 1994 a entran depuis bientt 20 ans sur le territoire tzotzil une augmentation des clbrations et des ptitions de pluies du 3 mai, o les autorits religieuses de la confrrie ne sont plus les seules participer14. Les actes rituels sont rgis par des rgles supposes traditionnelles. En fait de nouvelles rgles communautaires ont t tablies rclamant la prsence de tous. Comme Santa Anita Huitepec, elle est devenue collective et obligatoire. La volont de partager quitablement les frais entre chaque groupe de parent renvoie aux difficults et conflits engendrs dans les villages tzotzil des annes 1970-1980 o le cot financier des ftes ruinait certaines familles lorsque le chef de famille tait lu une charge religieuse. Paralllement dautres familles senrichissaient en contrlant les biens de consommation vendus cette occasion et les transports collectifs permettant aux habitants des hameaux de se dplacer. Cette perversion du systme de charge a particip la conversion de certaines personnes au protestantisme puis au pentectisme (Robledo Hernandez, 1997). De plus, lappartenance religieuse nest plus un obstacle la participation aux ptitions de pluie. En effet, Burguete Cal y Mayor (op. cit.) prcise quun changement conceptuel sest opr chez les vangliques urbains et priurbains. Les crmonies lies aux divinits telluriques et particulirement celles de leau ne sont plus

    14 La confrrie ou cofrada est une association de lacs se consacrant au culte dun saint patron.

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    perues comme des rites paens mais comme des vnements culturels tzotzil, comme une pratique culturelle parmi dautres. Pratiques culturelles que ces personnes revendiquent leur tour et auxquelles elles ne refusent plus de participer. Cette diffrenciation leur permet de ne pas entrer en contradiction avec les prceptes vangliques qui condamnent les rituels anthropomorphiques.

    Les demandes sociales et politiques zapatistes ont renforc la prsence du gouvernement mexicain au Chiapas. Cela sest traduit par une prsence militaire mais aussi dinstances publiques comme la CNA. Burguete (ibid.) prcise que lancien quilibre existant pour la rpartition collective de leau dans le territoire tzotzil sest rompu au moment o de plus en plus de sources taient ncessaires pour la construction des systmes dadduction deau potable. Il sest alors cr une situation paradoxale, dune part le gouvernement mexicain affirmait au cours du processus de paix la ncessit davancer dans la reconnaissance des droits dautonomie indigne (consquences de la ratification de la Convention 169 de lOrganisation internationale du travail) et dautre part, il introduisait en mme temps dans les villages un systme normatif fdral pour le contrle de leau, eau qui auparavant tait gre par les indignes eux-mmes.

    Dans cette tude de cas, la gestion de leau la fois hirarchise et galitaire vite les conflits politiques et religieux. Sur le plan religieux, la majorit tzotzil impose ses rituels et son prieur la collectivit mais les familles ensuite, dans le cadre des clbrations domestiques, mtisses notamment, font appel une prieuse et permettent aux femmes de participer aux oraisons. La mise en place du march organique affirme la nouvelle place des femmes mtisses et dans une moindre mesure tzotzil, au sein de leur famille et de leur hameau. Ce sont elles le plus souvent qui sont en relation avec lextrieur, valorisant la production biologique de leurs maris mais frquentant galement les consommateurs du march. Leur nouveau rle conomique sest rpercut sur leur volont dexercer leur pouvoir sur les rituels religieux et de ngocier directement avec les divinits telluriques. Le travail rmunr, lactivit commerciale indpendante lextrieur de la sphre domestique et du hameau concdent ces femmes une

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    nouvelle place au sein de leurs familles et de leur quartier. Ainsi lactivit commerciale leur permet daccder au pouvoir religieux, tape supplmentaire dans leur accession lautonomie.

    Cette gestion sociale et symbolique de llment eau par les horticultrices renvoie aux travaux de John et Jean Comaroff (2010) sur les nouvelles formes du religieux dans les situations postcolo-niales et nolibrales. Ainsi les ingalits sociales, de distribution des biens comme des savoirs mais aussi de pouvoir et de prestige dpendraient de la capacit de chaque individu pouvoir contrler ces flux conomiques et lappui de divinits. Le glissement des rituels de demande de pluie vers des rites plus localiss lgard des sources et des rservoirs temporaires deau au Chiapas et plus parti-culirement Santa Anita Huitepec comme les pratiques collectives supplantes par des pratiques individuelles ou strictement familiales (cadre nuclaire) sinscrivent dans cette logique. Conclusion

    Leau comme langage , pour reprendre lexpression de Genevive Bdoucha (2011), permet dobserver les changements sociaux et religieux produits par les politiques nolibrales mexicaines (dveloppement de la proprit prive) et par le soulvement zapatiste. Ainsi dans le cas de la famille mtisse, la relation aux matres de leau seffectue la fois dans le cadre dune reproduction des rituels tzotzil : nettoyage de la source, repas collectif et rituel, offrande, prires, tout en sadaptant au contexte particulier du dveloppement dune agriculture saine et partage , concept aujourdhui revendiqu lchelle mondiale. La raction symbolique de ces personnes devant les changements induits par une nouvelle approche de lagriculture et du mode de consommation donne aux femmes un nouveau rle, celui dintermdiaire direct face aux puissances telluriques. Ce contrle des ressources naturelles et des dieux tmoigne de leur nouveau statut et plus gnralement du pouvoir quelles ngocient dans la socit mexicaine.

    Leau est ici un vecteur de la comprhension du politique et du religieux. Santa Anita Huitepec se superpose une autogestion

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    collective de quartier et une gestion prive, familiale, lie la proprit de la terre et aux groupes de parent. Pourtant, ce sont les instances gouvernementales et non municipales qui exercent un droit sur leau au Mexique, les nappes aquifres appartenant ltat mexicain. Santa Anita, lhabitude de grer et de rpartir de manire autonome les nappes aquifres entre les habitants se heurte aux pratiques rgies par la loi. La faiblesse des autorits municipales face lurbanisation comme celles de ladministration publique entranent des systmes dadduction deau indpendants dans les quartiers priphriques et rurbains, mis en place puis grs par les habitants. Toutefois, lors des conflits pour son accs, son contrle ou sa redistribution, les autorits municipales peuvent tre sollicites. Dans ce cas, les populations peuvent instrumentaliser des fonctionnaires ou des lus pour maintenir leur contrle sur leau et inversement tre instrumentalises par les autorits politiques lors de conflits politiques rgionaux voire nationaux.

    Laccs leau et sa gestion occasionnent de nouveaux conflits, mais son contrle nen est quun parmi dautres. Il masque dautres antagonismes : agraires, sociaux, religieux, politiques. Au final, ces tensions sociales tmoignent dune mauvaise rpartition de leau, de sa redistribution, du dsengagement de ltat mexicain et du clientlisme politique.

    Fabienne Wateau (2001 & 2002) la dj signal pour le Portugal, le partage institu de leau entre les habitants de Santa Anita Huitepec rvle une nouvelle hirarchisation sociale. Derrire les productions symboliques et lobservance des rgles strictes pendant les clbrations, les horticulteurs imposent des relations de rciprocit fondes sur les groupes de parent, marquant par l une distinction entre propritaires de sources et non propritaires. Leau partage entre tous selon les croyances et pratiques coutumires tzotzil (fte regroupant les vingt groupes de parent) signifie la diffrenciation sociale, conomique voire politique, pour les familles qui disposent de leur propre source et de revenus suffisants pour organiser cette seconde festivit signalant leur activit marachre (week-end du 15 mai). Cette richesse minrale leur

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    permet de dvelopper des productions marachres leur assurant des revenus consquents.

    Leau renouvelle les pratiques symboliques et perptue les croyances ancestrales. la fois facteur de cohsion sociale et source de conflit, leau est un mdiateur qui permet danalyser les changements sociaux, les consquences de la mise en place des certifications biologiques pour les agriculteurs indiens et mtis mexicains, le nouveau statut des femmes dans les rituels destins aux sources et lorganisation religieuse. Passeur social, leau apprhende les changements sociaux chiapanques tout en rendant compte des effets de la mondialisation.

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    de Los Alcanfores. Mmoire de matrise. Chiapas-Mexique, CIESAS/Sureste. Rsum Lurbanisation dsordonne des quartiers situs en priphrie de San Cristobal de Las Casas a entran la mise en place et la gestion par les habitants de systmes dadduction deau indpendants. travers ltude, dans un quartier, de la gestion de leau par les marachers (mayas et mtis), cet article interroge lambivalence de lobjet eau, la fois rvlateur de cohsion sociale et gnrateur de conflits dautres natures (religieux, politiques, agraires, sociaux). Par ailleurs, cette tude sintresse aux rituels

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    effectus par ces personnes, plus particulirement ceux pratiqus par les horticultrices qui en sollicitant les bienfaits du matre de leau rengocient leur place au sein de la socit. Mots-clefs : eau, Mexique, pratiques religieuses, hirarchisations sociales, agriculture organique. Summary Water as a Vehicle for Understanding Social and Religious Transformations of a Suburb Southeast of Mexico (Chiapas) The urban sprawl of neighbourhoods in the outskirts of San Cristobal de Las Casas led to the establishment and management by the inhabitants of independent water supply systems. Through the study of water management by market gardeners (Mayan and mestizo) in a neighborhood, this article examines the ambivalence of the water, as an object, revealing both social cohesion and generating different kinds of conflicts (religious, political, agrarian, social). Furthermore, this study focuses on the rituals performed by these people, particularly those practised by the horticulturists who, seeking the benefits of the Master Water , renegotiate their place within society.

    Key-words: water, Mexico, religious practices, social hierarchies, organic farming.

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