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HAL Id: hal-01527209 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01527209 Submitted on 24 May 2017 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Dépenses publiques et croissance : effets macro-économiques et spécificités régionales Sylvie Charlot To cite this version: Sylvie Charlot. Dépenses publiques et croissance : effets macro-économiques et spécificités régionales. [Rapport de recherche] Laboratoire d’analyse et de techniques économiques(LATEC). 1996, 19 p., ref. bib. : 2 p. hal-01527209

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Submitted on 24 May 2017

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Dépenses publiques et croissance : effetsmacro-économiques et spécificités régionales

Sylvie Charlot

To cite this version:Sylvie Charlot. Dépenses publiques et croissance : effets macro-économiques et spécificités régionales.[Rapport de recherche] Laboratoire d’analyse et de techniques économiques(LATEC). 1996, 19 p., ref.bib. : 2 p. �hal-01527209�

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LABORATOIRE D'ANALYSE

ET DE TECHNIQUES ÉCONOMIQUES U.R.A. 342 C.N.R.S.

DOCUMENT de TRAVAIL

UNIVERSITE DE BOURGOGNE

FACULTE DE SCIENCE ECONOMIQUE ET DE GESTION

4, boulevard Gabriel - 21000 DIJON - Tél. 80395430 - Fax 80395648

ISSN : 0292-2002

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n° 9615

Dépenses publiques et croissance : effets macro-économiques et spécificités régionales

Sylvie CHARLOT

décembre 1996

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DEPENSES PUBLIQUES ET CROISSANCE :

EFFETS MACRO ECONOMIQUES ET SPECIFICITES REGIONALES*

Sylvie CHARLOTn

Mots clés : croissance endogène, croissance régionale, dépenses publiques, infrastructures.

Référence JEL : RI 10, H540.

Résumé : Ce document de travail s’intéresse aux liens entre dépenses publiques et croissance

économique d’une région. Les effets des dépenses publiques sur la croissance sont d'abord abordés

dans le cadre général de la macro-économie, par le biais des modèles de croissance endogène et de la

théorie kaldorienne du développement, puis les spécificités régionales sont prises en compte.

L'analyse est centrée sur les extemalités que produisent les dépenses publiques et sur leurs aspects

locaux. On s'intéresse, en particulier, aux extemalités régionales engendrées par les infrastructures de

transport et communication et aux relations entre ces extemalités et les économies d'agglomération.

Ce travail suscite une interrogation concernant les conséquences de l'intervention de l'Etat sur les

chemins de croissance des régions et sur la convergence (divergence) de la richesse de ces mêmes

régions.

Abstract : this working paper considers the links between public expenditures and economic growth

of a region. To begin with, the impacts of public expenditures on growth are analysed in a

macroeconomic framework, using endogenous growth models and the kaldorian development theory.

Then, regional specificities are taken into account. The analysis focuses on externalities produced by

public expenditures and on their local aspects. In particular, one considers the regional externalities

produced by transport and communication infrastructures and relationship between these externalities

and agglomération economies. This work acrouses a question about the consequences of state

intervention on regional growth paths and on convergence (divergence) of regional wealth.

* Ce document a fait l’objet d ’une communication au Séminaire DELTA, organisé à l’institut de Géographie de Louvain La Neuve, les 28 et 29 mai 1996.* INRA-ESR, ENESAD, BP 1607, F-21036 DIJON CEDEX

[email protected]* Je remercie C. Baumont, J. M. Huriot et B. Schmitt pour leurs relectures et conseils.

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IN T R O D U C T IO N 1

La question du développement inégal des régions est une des préoccupations de la Communauté

Européenne et des dirigeants de notre pays ; les débats et plans d'action successifs concernant

l'aménagement du territoire peuvent témoigner de cet intérêt (Jayet, Puig et Thisse, 1996). Dans cette

configuration, le débat sur le rôle de l'Etat, dans la sphère économique et sociale, en particulier à

travers l'offre de services publics, est relancé. Il semble effectivement que, si les mécanismes

d'ajustements économiques "naturels" ne jouent pas pour répartir également les activités sur le

territoire, l'Etat et les collectivités locales soient les acteurs les plus à même d'agir. Aussi est-il

nécessaire de s'interroger sur le rôle que le financement de tels ou tels types de dépenses publiques

peut jouer dans le développement d'une économie spatialisée.

Les analyses macro-économiques de la croissance offrent une première approche des effets des

dépenses publiques sur l'évolution de la richesse d'une économie. Par exemple, les modèles de

croissance endogène, en mettant en avant les extemalités de technologie pour expliquer les

phénomènes de croissance (Lucas, 1988 ; Artus et Kaabi, 1993), s'intéressent en particulier aux rôles

que jouent les dépenses publiques comme facteur d'accroissement de la productivité des facteurs

privés et donc comme moteur du développement. Dans ces travaux, la nature des extemalités

produites par ces dépenses reste encore assez vague, la nature des dépenses publiques étant elle-

même peu claire. De plus, ces analyses restent effectuées à l'échelon national et ne prennent pas en

considération les spécificités de la croissance régionale.

Les économistes régionaux se sont également penchés sur la question du rôle des dépenses

publiques dans le développement, à travers leurs analyses des dynamiques locales et régionales. Ils

s’attachent, plus précisément, à comprendre et évaluer les mécanismes de localisation des activités

(Krugman, 1991) et aux mobilités des facteurs. En raison de l’attention portée à l’espace, dans ce

champ d'analyse, les dépenses en infrastructures de transport et communication, leurs conséquences

sur les distances entre agents et les coûts de transport y constituent le centre d’intérêt principal

(Martin et Rogers, 1995).

Il semble que, dans le but de rapprocher les travaux macro-économiques et régionaux sur le

rôle de dépenses publiques, il soit nécessaire de préciser les termes et les concepts utilisés, et la

nature des extemalités produites. Nous détaillerons donc cette question dans un premier point, en

définissant les termes employés, en nous interrogeant sur la nécessité d'un secteur public, et sur les

extemalités que l'on peut attribuer aux services publics.

Dans une seconde partie, nous nous situerons dans une perspective spatiale. Nous analyserons

les liens existant entre dépenses publiques, localisation des activités et croissance régionale. Puis

1 Nous présentons ici une réflexion préalable à l’élaboration d’une problématique concernant l’étude des liens entre intervention publique et croissance des régions. Les travaux de recherches à venir tireront les principales conséquences de ces réflexions.

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nous présenterons les spécificités spatiales des infrastructures de transport et communication et leurs

conséquences sur le développement d’espaces restreints tels la région et les espaces ruraux.

1. DEPENSES PUBLIQUES ET CROISSANCE

A l’heure où le secteur public est contraint à un double objectif de rentabilité et de couverture

du territoire national, il importe de pouvoir mesurer son impact économique et de le mettre en

relation avec les coûts de production de tels services. Une évaluation par le marché de l’efficacité des

services offerts serait incohérente, puisque par définition la valeur de ces services publics n’est pas

fixée de façon marchande.

La théorie du bien-être nous apprend que l’équilibre concurrentiel peut être sous-optimal, en

raison de la présence d’extemalités. Ces extemalités sont, dans ce cadre, issues de l’existence de

biens publics. On peut se demander si les services offerts par les acteurs publics constituent des biens

publics et s’ils produisent des extemalités. Il s’agit de préciser le type de services publics offerts, leur

degré de rivalité et d’exclusion et les extemalités qui en découlent.

Après une revue de la littérature sur dépenses publiques et croissance, il nous a semblé que

régnait une certaine imprécision des concepts dans ce domaine. C’est pourquoi, une re-définition de

ces concepts et des rapports qui les régissent sera effectuée, avant de rappeler les principes de

l’analyse économique en présence d’extemalités, et de préciser les extemalités que créent les services

publics, dans un contexte macro-économique.

1.1. Concepts et définitions

Le terme de dépenses publiques est un terme générique pour désigner l'ensemble des

ressources de l'Etat qui sont réintroduites dans le circuit économique. On considère généralement que

ces dépenses sont totalement financées par l'imposition, que l'Etat ne s'endette pas. Les dépenses

publiques sont réparties en investissements en capital public et en dépenses courantes permettant de

fournir des services publics.

Les investissements publics représentent donc une partie des dépenses publiques et permettent

d’accumuler un stock de capital public. Ce dernier peut constituer une infrastructure, c’est-à-dire le

support matériel d’un réseau. Le terme d’infrastructure publique est souvent employé dans la

littérature pour désigner le capital public qui n’est pas utilisé pour la production d’éducation, de

recherche-développement ou de santé. On y retrouve généralement la voirie, le réseau ferroviaire, les

canalisations ou les supports de réseau de communication. L’idée d’infrastructure est donc

concomitante à celle de réseau. On peut décrire le réseau comme étant un ensemble d’infrastructures

physiques au moyen desquelles sont offerts des services. Les infrastructures publiques sont donc la

part du capital public constituant un réseau et permettant d’offrir certains services. La fiscalité qui

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finance les investissements en capital public et les dépenses courantes a une contrepartie : la

production de services publics. Au sein de ces services publics, il faut distinguer les services publics

payants de ceux qui sont offerts gratuitement. Les premiers sont dits publics car le même service est

offert partout, au même tarif (Poste, EDF-GDF) et les déficits que la production de ces services peut

entraîner sont parfois comblés par l’Etat (SNCF).

Les services publics gratuits peuvent être classés en deux catégories. La première concerne les

services publics dont l’utilisation par un individu n’exclut pas l’utilisation par d’autres individus et la

quantité de services offerts ne décroît pas avec le nombre d’individus qui les utilisent. Ils sont non-

exclusifs et se rapprochent du bien public pur tel qu’il est défini par Samuelson. Ce type de services

est rare, la plupart des services publics gratuits appartiennent à la seconde catégorie, c ’est-à-dire les

services publics gratuits sujets à encombrement. En effet, la qualité de services tels la voirie,

l’éducation ou la santé va diminuer avec l’augmentation du nombre d’usagers.

On peut résumer les relations entre dépenses publiques, investissements publics, capital public,

infrastructures publiques et services publics par le schéma suivant :

Des dépenses publiques aux services publics

Les relations entre ces termes et les concepts auxquels ils se rattachent ne sont généralement

pas définis. Ce manque de précision peut causer certaines confusions. Par exemple, on confond

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souvent les infrastructures et le service qu’elles offrent. Les services fournis aux agents sont

également souvent mesurés par la dépense qu’ils nécessitent, alors que cet amalgame impose des

hypothèses non négligeables. Par exemple, Barro (1990) considère que le gouvernement achète des

services directement dans le secteur privé. Il affirme que cela revient à considérer que l’Etat

rémunère des facteurs pour produire ces services, si les secteurs public et privé ont la même fonction

de production puisque, dans ces conditions, il y a concordance entre dépenses et services publics.

En définissant les notions utilisées et les relations qui les régissent, on met en évidence les

hypothèses sous-jacentes à l’association des concepts. Cela permet également d’avoir une meilleure

compréhension des effets de telle ou telle catégorie de dépenses publiques sur la croissance, et

d’utiliser les termes à bon escient. Toutefois, lorsque nous ferons référence à une analyse déjà

effectuée, nous utiliserons la terminologie similaire à celle de l’auteur.

1.2. Externalité, optimum social et intervention de PE tat

Le financement total ou partiel de services par l’Etat pose la question de sa nécessité

économique, en dehors de sa justification sociale. La production de ces services coûte très cher à la

société, en particulier aux entreprises qui voient leurs profits amputés de lourdes taxes, et aux

ménages dont le pouvoir d’achat et la capacité à épargner diminuent avec l’augmentation du taux

d’imposition. Si ces services sont nécessaires aux agents, le marché devrait être à même de fournir

les mêmes services à un coût identique, voire inférieur. Si les mécanismes de marché sont efficaces,

l’Etat n’a aucune raison d’intervenir dans la production de services.

Mais le marché a ses limites. L’existence d’extemalité en est une principale. L’extemalité est,

par définition, ce qui ne transite pas directement par le marché, ce qui agit sur l’utilité d’un agent

sans que celui-ci l’ait intégré dans son calcul économique et sans que ce gain, ou cette perte, marginal

ne soit compensé (Baumol et Oates, 1975). Comme le souligne L. Thiébaut (1992) «l'intérêt de ce

concept est de ne pas oublier dans le raisonnement des phénomènes qui se déroulent hors du

fonctionnement du marché, tout en ayant un coût social » (p. 81). A l’échelle macro-économique, les

effets externes entraînent une dissociation entre avantages (coûts) individuels et avantages (coûts)

sociaux, cette dissociation entraînant à son tour un écart entre équilibre concurrentiel et optimum

social, au sens de Pareto. Dans ces conditions, l’Etat peut être amené à intervenir, afin de réduire les

externalités négatives, par exemple en taxant les pollueurs, et d’accroître les externalités positives.

Les modèles de croissance endogène tiennent compte de ces externalités positives dans l’analyse de

l’évolution de long terme des taux de croissance des économies. Les premiers modèles se sont centrés

sur la connaissance (Römer, 1986, 1990) et la formation (Lucas, 1988), puis les dépenses publiques

au sens large ont été évoquées (Barro, 1990 ; Artus et Kaabi, 1993). Ces derniers travaux mettent en

avant la nécessité de la production par 1 ’Etat de certains services source d’externalités. Le rôle

économique de l’Etat est alors clair : produire des services qui vont accroître la productivité (Barro,

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1990) et/ou accroître l’utilité des ménages (Artus et Kaabi, 1993), sans être directement financés par

les agents mais par une taxe, et permettre à l’économie de se positionner sur une trajectoire de

croissance optimale.

Dans ces modèles l’existence de services publics trouve sa justification dans le concept

d’extemalité. Mais comme nous l’avons précisé ci-dessus les dépenses publiques sont source de

multitudes de services très différents les uns des autres. De plus, ces services n’ont pas tous les

caractéristiques de biens publics, fondant pour l’essentiel la notion d’externalité dans les modèles de

croissance endogène. Une discussion sur les effets externes que peut éventuellement produire chaque

type de service public permet de clarifier leurs effets macro-économiques mais également régionaux.

Grâce à une description détaillée des effets externes produits par chacun de ces services, il est

possible d’effectuer un arbitrage plus rigoureux entre l’imposition nécessaire à leur production et les

gains sociaux qu’ils procurent.

1.3. Services publics et externalités

Dans cette partie, nous préciserons pourquoi les services publics sont des biens susceptibles de

créer des externalités positives, c’est-à-dire de quelle manière ils agissent sur l’utilité des agents tout

en ne causant pas de coûts supplémentaires. Nous préciserons donc les conditions pour que les

services publics soient des biens supports d’extemalités technologiques et quelles sont les

externalités technologiques et pécuniaires qu’ils procurent.

1.3.1. Les services publics comme bien support d ’externalités technologiques

Nous distinguerons deux grandes catégories de biens ou services supports d’effets externes

technologiques : les biens joints et les biens collectifs (Catin, 1985). Les biens joints sont issus de la

production ou la consommation privée des agents. L'extemalité peut alors être considérée comme un

surplus social de l'investissement même des entreprises ou des ménages. Lorsque les agents

investissent, ils génèrçnt, en plus de leurs gains directs, un bien collectif, dont les autres entreprises

et/ou ménages pourront tirer avantage. C’est par exemple l’extemalité de connaissance étudiée par

Romer (1986,1990) générée par le fait même de produire. C’est également le capital humain social de

Lucas (1988) qui n’est autre que la somme des stocks de capital humain individuels, conséquents aux

décisions des salariés de se former.

Les services publics, tels qu’ils ont été décrits, ne peuvent rentrer dans cette catégorie

puisqu’ils dépendent d’une décision intentionnelle de production émanant de l’Etat ou des

collectivités locales. Ils rentrent dans la seconde catégorie de bien support : les biens à composante

collective ou biens mixtes. Barro (1990) suppose que l’ensemble des services publics offerts sont des

biens publics purs, non-exclusifs et non-rivaux. Or, la plupart des services publics n’ont pas ces

caractéristiques ; certains sont payants et les autres sont souvent sujets à congestion.

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Concernant les services publics gratuits, Barro et Sala-I-Martin (1992) proposent une

formalisation où les services publics sont source d’extemalité et qui tient compte des effets de

congestion. Dans ce cas, les dépenses publiques, en tant que facteur de production, sont rapportées à

la production totale. Leur effet sur la productivité totale diminue avec le nombre d’utilisateurs.

Même s’ils sont sujets à encombrement, les services offerts gratuitement peuvent être support

d’extemalité technologique, s’ils ont un effet sur l’utilité des agents ; ils ne sont pas directement

financés par les agents, et n’ont pas de valeur marchande.

Le cas des services publics payants est plus ambigu. Ils excluent certains consommateurs

potentiels par leur prix. Toutefois, le prix des services publics est fixé arbitrairement, hors processus

de marché, et reste le même pour tous les agents, quels que soient leur revenu, la forme de leur

fonction de demande, leur localisation... Le prix n’est plus un signal et le coût marginal de

l’utilisation de ces services n’est plus égal à son gain marginal. Il peut donc y avoir extemalité

(positive ou négative) et dissociation entre équilibre concurrentiel et optimum.

Il s’agit maintenant de déterminer l’impact que ces services publics ont sur l’utilité des agents

et donc la croissance.

1.3.2. Services publics et externalités

Meade (1952) considère que le capital public a deux rôles dans la sphère économique : il peut

être un facteur de production non-rémunéré mais, aussi, une variable d’environnement qui contribue

à augmenter la productivité du capital privé et du travail. Ceci peut être traduit en termes

d’externalités. Les services publics sont à la base de deux grandes catégories d'extemalités

technologiques.

Ils sont tout d’abord source d’extemalités technologiques directes. Ils sont en effet des facteurs

de production non-rémunérés (Barro, 1990) ou rémunérés à un taux inférieur à leur productivité

marginale. Les services tels l’utilisation de réseaux électriques ou de canalisations rentrent dans la

fonction de production des entreprises sans engendrer de coût supplémentaire.

Outre cette externalité directe, les services publics engendrent des externalités technologiques

indirectes. L’existence de services de transport et communication, même s’ils sont payants, améliore

la circulation des sources de progrès technique comme les innovations, la connaissance... Les

produits joints de la production circuleront plus rapidement entre les agents, si les infrastructures sont

développées. Les infrastructures de transport et communication constituent un support de

transmission des externalités directes procurées par le capital humain, les innovations, le progrès

technique... Elles favorisent donc les externalités de "spillover" (Artus et Kaabi, 1993) et développent

les organisations de type réseaux.

Que l’externalité soit directe ou indirecte, les services publics sont complémentaires aux

facteurs privés dans le sens où ils vont accroître la productivité du capital privé et du travail, et

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améliorer les combinaisons productives. Ils peuvent accroître le nombre de combinaisons productives

possibles et modifier les complémentarités et/ou substitutions existant entre les autres facteurs. Par

exemple, dans l'analyse de la croissance de Kaldor (1959), la substitution entre travail et capital n'est

pas élevée, pour un processus donné, mais varie avec les infrastructures qui transforment ce

processus de production.

L'offre publique de services aux entreprises permet également d'obtenir des gains par

l’allongement du détour de production qui stimule la division du travail et la spécialisation des tâches

(Kaldor, 1970). Il s'agit également d'effets que les agents ne contrôlent pas individuellement et qui

vont pourtant accroître leur utilité future, en transformant la structure des coûts de production. Ces

effets peuvent être décrits en termes d'externalités pécuniaires.

Un certain nombre de travaux empiriques cherchent à mesurer les effets des services publics

dans le système économique. Ashauer (1989) affirme que la faiblesse de l’offre de services publics,

dans les années 1970 aux Etats-Unis, est cruciale dans l’explication du déclin du taux de croissance

de la productivité. Sa méthodologie a été remise en cause, mais d ’autres travaux concernant

différentes nations confirment l’impact plus ou moins direct des dépenses publiques sur la

productivité. Femald (1990), Rubin (1991), Ford et Prorret (1991) contestent l’absence de contrôle

du biais de simultanéité, c’est-à-dire du double sens de la relation dépenses-publiques-revenus, par

Ashaeur, mais aboutissent au même résultat. Munell (1992) trouve que le capital public a un effet

significatif et positif sur la croissance de l’emploi. Artus (1991) montre que le niveau des dépenses

publiques a un effet sur la Recherche-Développement et sur le taux de croissance du PIB, en France.

Declercq (1996) conclut, après une étude par branches sectorielles portant sur la période 1952-1989,

que « le capital public a un impact sur l ’évolution du coût variable des entreprises des branches

marchandes non financières de l ’économie française».

Finalement, les infrastructures de services publics ont des effets sur le développement

économique qui peuvent être appréhendés par le biais de la notion d’extemalité. A partir de ce

constat, les modèles de croissance endogène montrent comment les dépenses publiques peuvent jouer

sur les trajectoires de croissance d’une économie. L’équilibre est sous-optimal si les dépenses

publiques n’atteignent pas un certain niveau. Les dépenses publiques sont donc des instruments de

politique économique importants. Pour un pays en développement, un niveau d’investissements trop

faible peut accentuer les écarts initiaux de revenu entre l’économie et le reste du monde et créer des

effets d’hystérésis. Une économie ayant de faibles capacités productives initiales et ne bénéficiant

pas d’externalités positives ne peut combler son retard. Elle risque de tomber dans une «trappe de

sous-développement » (D’Autume-Michel, 1993), de se positionner sur une trajectoire de croissance

irrémédiablement faible. Dans ces conditions, la convergence des taux de croissance des nations n’est

plus assurée comme elle l’était dans les modèles néoclassiques traditionnels de croissance (Solow,

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1956) et d ’économie internationale. Cette absence de convergence des trajectoires de croissance est,

pour partie, expliquée par la répartition inégale des stocks de capital public dans le monde.

De la même façon, le capital public n’étant pas également réparti sur le territoire d’une même

nation, on peut s’interroger sur son rôle dans les dynamiques de croissance des régions. Cette

démarche peut être très fructueuse puisqu’elle précise les effets de la répartition inégale des dépenses

publiques de la nation sur la croissance et peut avoir des implications politiques directes (Declerq,

1996). Une telle approche permet d’évaluer les effets des politiques d’investissements locales et des

politiques d’aménagement du territoire sur les niveaux de croissance des régions et leur vitesse de

convergence.

Toutefois, si les modèles de croissance endogène fournissent des éléments d’analyse pour

étudier les dynamiques régionales, ils ne sont pas suffisants. Les économies régionales possèdent des

caractéristiques qui leur sont propres et que les modèles de croissance macro-économiques ne

prennent pas en considération (Baumont, 1994). Une description des effets des dépenses publiques

sur la croissance des régions doit tenir compte de ces spécificités.

2. DEPENSES PUBLIQUES ET CROISSANCE REGIONALE

Le mode d ’accumulation des facteurs caractérise, pour l’essentiel, l’économie régionale. Dans

les modèles macro-économiques, la population croît à un taux constant exogène, elle suit un trend

régulier de croissance. Il s’agit d’une croissance démographique naturelle moyenne. Le capital, quant

à lui, est accumulé grâce à l’investissement (l’épargne) prélevé sur le revenu. Son taux de croissance

sera fonction de celui du revenu. Ces modèles décrivent le plus souvent une économie fermée, il n’y

a pas de mobilité des facteurs, leur accumulation est exogène ou dépend de celle du revenu de

l’économie.

L’hypothèse d’immobilité des facteurs est une limite forte de l’application brute de ces modèles

à la région. L’absence d ’analyse des transformations de l’espace que peuvent engendrer certains

investissements publics, tels les investissements en infrastructures de transport et communication,

représente une deuxième limite de l’étude des effets des dépenses publiques sur le développement

régional à l’aide de modèles macro-économiques.

2.1. Localisation des activités, dépenses publiques et croissance régionale

Au niveau inter-régional, les préférences des consommateurs, la technologie et les institutions

sont supposées semblables. Pour Ralle (1991), les différences de trajectoire des économies régionales

ne proviennent alors que des dotations initiales et des comportements des acteurs publics qui sont, en

partie, exogènes à la région. Ralle considère qu’il s’agit donc d’un terrain propice aux tests de

modèles de croissance endogène avec dépenses publiques. Or, si les facteurs évoqués agissent sans

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aucun doute, la dynamique des régions va également dépendre directement de leur attractivité, les

possibilités de mobilité des facteurs entre les régions étant grandes. Ce facteur de développement est

essentiellement fonction des opportunités de revenus supplémentaires dans chaque région et donc des

dotations initiales et des dépenses publiques. Il doit, pour autant, faire l’objet d’une analyse

particulière puisque la relation dépenses publiques-revenus joue également en sens inverse.

L’étude, dans le long terme, des économies régionales ne peut faire abstraction d’une analyse

des migrations et des (dé)localisations des entreprises. Certaines régions, en particulier celles où les

externalités sont fortes, sont plus attractives que les autres. Des modèles de localisation des activités

ont été développés par les économistes régionaux. Ces modèles mettent souvent en avant les

économies d’échelle ou d’agglomération (dans le sens de concentration d’activités). Krugman (1991),

par exemple, montre comment la main-d’oeuvre industrielle se déplace d’une région à l’autre, sans

coût de migration, en fonction du différentiel des taux de salaire, de la proportion initiale de

travailleurs dans chaque région, du coût de transport, de l’élasticité de substitution entre bien

industriel et bien agricole et du niveau d’économies d’échelle.

Les différentiels de dotation d’un facteur spécifique induisant un avantage comparatif localisé

sont également des déterminants traditionnels des dynamiques comparées de deux économies.

Grossman et Helpman (1990) décrivent ces dynamiques en présence de ressources primaires

inégalement réparties et sous hypothèse de mobilité du capital et d’immobilité du travail. Certains de

ces modèles mettent plus précisément l’accent sur l’avantage comparatif que peuvent offrir des

services locaux développés moteur de l’innovation. Par exemple, Englmann et Walz (1995)

construisent un modèle qui s’inspire de celui de Romer (1990) en introduisant la mobilité de la main-

d’oeuvre formée.

Les services publics peuvent constituer des avantages comparatifs à part entière et permettre à

la région d’attirer de nouvelles activités. Les services et infrastructures publics jouent sur la

croissance régionale de deux façons : ils produisent des externalités technologiques et pécuniaires et

engendrent une croissance nette et ils créent des avantages comparatifs qui vont attirer les agents

dans la région et amplifier les économies d’échelle. Ainsi, les infrastructures et services publics

peuvent être le catalyseur d'un processus cumulatif de développement. Ils permettent, dans un

premier temps, aux entreprises localisées sur place d'obtenir des gains de productivité, puis ces

bénéfices vont attirer d'autres firmes dans la région et générer une activité économique importante,

donnant lieu à de fortes possibilités de division des tâches, de circulation de la connaissance et de

technologies. Cette interdépendance conduit à un processus de développement auto-entretenu et

cumulatif. Murphy, Shleifer et Vishny (1989) préconisent une injection exogène de capital public

pour lancer ce processus cumulatif.

Un certain nombre de travaux empiriques ont traité ces questions. Duffy-Deno et Eberts (1991)

montrent, par exemple, que les investissements et le stock d’infrastructures publiques ont un effet

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positif significatif sur le revenu individuel par tête, dans 28 unités urbaines, de 1980 à 1984. De

même, Ralle (1991) montre que le capital public accroît la productivité du secteur privé, dans les

régions françaises, sur la période 1970-89. Des auteurs tels Eberts et Fogarty (1987) ou Munell

(1990) testent la relation entre capital ou investissements publics et investissements privés et

constatent une influence positive du capital public sur les investissements privés. Richardson (1973)

et Lever, Legler et Shapiro (1970) mettent en avant l'interdépendance entre la distribution spatiale du

capital public et les investissements privés.

Mais cette vision idéale des effets des investissements publics sur le développement local est à

nuancer. Il importe de préciser les conditions de mise en oeuvre et d’efficacité de tels investissements.

Même si la plupart des études empiriques montrent un effet positif des investissements en capital

public sur la productivité et sur la localisation des activités, il existe un débat important sur l’ampleur

de cet effet et sur la nature des investissements réellement efficaces. La difficulté à mesurer

réellement les gains obtenus par les investissements publics et la diversité des services fournis

alimentent ce débat. Les modèles macro-économiques portent plutôt sur les effets de la recherche-

développement, l’éducation, les conditions institutionnelles de mise en place d’innovations, c’est-à-

dire ce qui concerne de près ou de loin le progrès technique.

Au niveau régional, les modèles de localisation (Martin et Rogers, 1995) et les études

empiriques (Johansson, 1993 ; Rietvield, 1989 ;William et Mullen, 1992) s’intéressent plus

spécifiquement aux infrastructures et en particulier aux infrastructures de transport et

communication. L’importance des coûts de transport dans l’analyse géographique des activités

économiques les place au premier plan des discussions sur les conséquences des dépenses publiques

sur le développement régional.

2.2. Infrastructures de transport et communication, et croissance des régions

Les infrastructures de transport et communication sont définies comme étant la part du capital

public qui forme un ensemble de réseaux et qui est nécessaire à l’offre de services de transport et

communication. Elles sont constituées de points d’accès et d’arcs. Les investissements publics, dans

ce secteur, peuvent se traduire par une augmentation du nombre de points d’accès, du nombre de

liaisons entre ces points, ou un accroissement de la vitesse de déplacement. Ils vont transformer la

nature et la quantité d’échanges entre les régions.

Nous avons déjà souligné que les infrastructures de transport et communication étaient à

l'origine d'extemalités indirectes particulières : les extemalités technologiques par circulation de

facteurs porteurs d'effets externes (technologie, capital humain...).

Elles ont également des conséquences spatiales spécifiques. "Les transports comportent une

dimension de plus que la plupart des autres activités : ils sont localisés dans l'espace, leur impact est

déjà géographique, avant d'être macro-économique" (Quinet, 1992, p. IX). Les infrastructures de

11

Page 15: Dépenses publiques et croissance: effets macro-économiques ...

transport et communication ont la particularité de transformer l’espace. Elles réduisent (parfois

augmentent) les distances entre les acteurs économiques et bouleversent l’organisation économique

des espaces délimités, tels les régions.

Les agents localisés dans ces espaces sont tributaires de réseaux qui se superposent sur la

région mais aussi sur l’espace-nation. Le développement de ce type d'infrastructures va modifier les

distances entre agents, par le biais d'une diminution des coûts de transport et une amélioration de la

circulation d'informations. Elles sont décisives dans la localisation des activités et le rôle que va jouer

ce type d’infrastructures sur le développement de telle ou telle région va largement dépendre de la

forme du réseau, c ’est-à-dire de l’emplacement des accès et de la façon dont ils sont reliés entre eux.

2.2.1. Infrastructures, coûts de transport et dynamiques inter-régionales

Les infrastructures de transport et communication vont diminuer les coûts de transport des

biens, des capitaux, des hommes et de l’information entre les régions. Ces infrastructures vont

permettre aux entreprises de développer leurs aires de marché, de réduire les monopoles spatiaux et

donc de renforcer les effets de la concurrence. Elles sont donc à l’origine d'externalités spatiales

(Quinet, 1992) qui vont profiter à l’ensemble de la communauté. Cependant, elles ont un effet

ambigu sur la croissance d’une région. La répartition des gains peut être défavorable aux régions les

plus faibles.

Au niveau de la région, une baisse des coûts de transport, donc des prix de vente des biens, va

augmenter, pour les entreprises, les opportunités d’exportations vers les autres régions. Mais cette

même diminution va avoir des répercussions sur les coûts et les prix des biens produits à l’extérieur.

Le développement des réseaux de transport facilite les échanges, il diminue les prix des biens à

l’exportation mais également à l’importation. Les aires de marchés s’élargissent. Les entreprises ont

d’autant plus intérêt à se localiser dans les régions possédant des avantages comparatifs et/ou des

économies d’échelle lorsque la demande des consommateurs éloignés peut être satisfaite à faibles

coûts. Pour qu’une entreprise reste dans une région il faut que les gains, obtenus par l’existence

d’avantages comparatifs ou d’économies d’échelle, soient supérieurs aux coûts supplémentaires

engendrés par le transport des biens vers les autres régions. L’impact de la baisse des coûts de

transport sur la croissance d’une région particulière est fonction de sa situation initiale et de sa

position par rapport aux autres régions. Martin et Rogers (1995) montrent comment une politique

supra-régionale de dépenses publiques en infrastructures de transport dans les régions en retard peut

avoir l’effet inverse de celui escompté : les entreprises se délocalisent vers les régions les plus

favorisées initialement.

Les effets des investissements publics dépendraient alors de la situation initiale de chaque

région. Il serait nécessaire que la région est atteint un seuil de développement pour qu’ils soient

12

Page 16: Dépenses publiques et croissance: effets macro-économiques ...

efficaces. Hansen (1965) a construit une typologie des régions allant dans ce sens. Pour lui, il existe

trois types de régions :

- les régions "congestionnées" dans lesquelles il y a une forte concentration de population,

d'activités industrielles et commerciales et un stock important d'infrastructures. Dans ces régions,

l'effet marginal positif d'investissements publics supplémentaires sera absorbé par l'effet négatif de la

pollution et la congestion supplémentaire.

- Les régions intermédiaires, où il y a abondance de main-d'oeuvre formée et de matières

premières. Les investissements publics peuvent avoir dans ce cas un effet marginal supérieur aux

coûts.

- Les régions pauvres, où le niveau de vie est faible : ce sont généralement des régions agricoles

peu développées ou possédant une industrie déclinante. Ces régions sont peu attractives pour les

entreprises et les investissements publics ont peu d'effets sur leur dynamisme.

Les tests effectués par Williams et Mullen (1992) sur 48 Etats américains, pour les années

1970, 1980 et 1986, nuancent l’hypothèse d’Hansen : les investissements publics en infrastructures

routières ont un effet stimulant sur l’ensemble des régions, même les plus « en retard ».

Le jeu des répartitions d’activités entre les régions dépend des caractéristiques initiales de

chacune, en particulier de leur position, les unes par rapport aux autres. La croissance de la région

peut être reliée positivement avec le stock d’infrastructures de transport et communication qu’elle

possède si les gains nets qu’elle tire de ces infrastructures sont supérieurs à ceux que les autres

régions en tirent. La plupart des modèles s’intéressent à ces gains en termes de baisse de coûts de

transport des biens (Martin et Rogers, 1995) et de leurs conséquences sur la répartition des

entreprises. Or, si le déploiement des infrastructures de transport et communication a des effets

directs sur le coût de transport des biens, il en a aussi sur la circulation des personnes et de

l’information. Il est donc simplificateur de restreindre l’impact des infrastructures de la région à une

baisse des coûts de transport. Elles facilitent également les échanges de main-d’oeuvre, de

connaissance, de technologie... entre différentes régions. Elles amplifient les externalités que peuvent

se procurer les agents à se localiser près d’une région où les économies d’échelle sont fortes (Kubo,

1995).

Elles jouent également sur les inter-relations entre agents au sein de la région, en particulier sur

les connexions entre espaces urbains et espaces ruraux.

2.2.2. Infrastructures de transport et communication, agglomérations et espaces ruraux

Les économistes régionaux ont tendance à centrer l’analyse de la croissance des régions sur

l’émergence de villes. Par exemple, dans les modèles d’agglomération, les économies d’échelle

correspondent au stock de capital (privé) localisé dans un espace limité appelé région. Dans ce cas, il

y a analogie entre économies d’échelle et économies d’agglomération.

13

Page 17: Dépenses publiques et croissance: effets macro-économiques ...

La confusion entre le rôle des infrastructures comme moteur du développement régional et

comme catalyseur de l'urbanisation est également souvent faite. L'ambiguïté peut même aller jusqu'à

confondre infrastructures et agglomération de services. Il n'est pas rare de trouver dans la littérature

le terme d'infrastructures employé pour désigner la concentration d'activités économiques variées. De

plus, certains auteurs affirment que le rôle des infrastructures publiques dans la croissance régionale

est de fournir un degré d'urbanisation nécessaire au décollage de la région (Hansen, 1965 et

Hirschmann, 1958).

Pourtant, la région n’est pas définie exclusivement par ses villes, elle comporte également des

espaces plus ou moins agglomérés, qui ont leur place dans l’étude de son évolution.

Les infrastructures entraînent des phénomènes de dispersion, par la multiplication des points

d’accès, et de concentration autours de ces points. Les auteurs qui s'intéressent aux effets locaux des

infrastructures mettent effectivement l'accent sur les processus d'agglomération qu'elles entraînent, à

ces points d’accès. Mais s’ils sont nombreux, les activités se répartissent sur le territoire régional et

la dispersion est plus forte que la concentration.

En outre, les externalités urbaines sont fondées sur la présence d’un surplus lorsque

l’information (au sens large) circule entre agents géographiquement proches (Fujita et Thisse, 1995).

Les économies d’agglomération sont issues de la proximité entre les agents et de la bonne circulation

des biens, des individus et de l'information (Baumont et Huriot, 1996). Or si les modèles

d’agglomération tirent les conséquences d’un déploiement des infrastructures en termes de coûts de

transport des biens, ils oublient de les tirer en termes de transport des personnes et de circulation de

l’information, des connaissances, des technologies, entre les régions mais aussi à l’intérieur d’une

région. Ce type d’investissements publics va modifier les relations qu’entretiennent villes et espaces

ruraux.

Concernant le transport des personnes, en particulier les ménages, Goffette-Nagot et Schmitt

(1996), mettent l’accent sur l’introduction, plus ou moins directe de consommation de sol par les

agents dans certains modèles de localisation ou intra-urbains. La distance ne suffit pas à définir

l’espace, il faut préciser la localisation et la consommation de sol des agents. « Le corrélât de

l'introduction d'une consommation de sol par les agents est en général la prise en compte de coûts

de transport» (Goffette-Nagot et Schmitt, 1996). Ces coûts concernent essentiellement les

déplacements domicile-travail des ménages. Une forte concurrence pour l’occupation des sols en

zones urbaines constitue une force de dispersion des agents qui peut stimuler les espaces non-

agglomérés ou engendrer de nouvelles agglomérations. La tendance à la dispersion sera d’autant plus

forte que les coûts de transport seront faibles.

Ensuite, l’externalité de spillover présente dans les agglomérations repose sur la circulation de

l’information. Le déploiement de réseaux de communication dans les espaces ruraux peut permettre

aux agents de bénéficier du même type d’externalités. Les moyens de transport et communication

sont des supports de transmission des externalités, ils peuvent donc pallier le manque de proximité

14

Page 18: Dépenses publiques et croissance: effets macro-économiques ...

géographique, réduire les distances réelles qui séparent les individus. On passe d'une proximité

géographique à un concept de proximité plus large.

Enfin, avant d’être un espace en marge de la ville, le rural est un espace, avec ses activités, ses

entreprises, ses ménages et ses logiques propres, même si ces logiques sont reliées à celles de la ville

(Schmitt, 1996). On peut penser que les extemalités générales générées par les dépenses publiques

jouent sur les espaces moins densément peuplés comme elles jouent sur tout espace. Les

infrastructures représentent la partie fixe du coût global de transport, il faut un certain nombre

d’usagers pour amortir ce coût fixe. Mais si la taille et la répartition géographique des activités

conditionnent certainement l'ampleur des effets externes, le seuil à partir duquel les effets marginaux

des services publics sont supérieurs aux coûts sociaux est peut-être faible.

L'absence presque totale de travaux empiriques qui s'intéressent au lien entre infrastructures et

développement économique des espaces ruraux contribue au manque d’informations sur ce sujet. Un

des rares résultats dont nous disposons montre que de tels investissements sont extrêmement

rentables (CONSAD Research Corporation, 1969). Cette étude s'intéressait aux effets des travaux

publics sur la croissance du revenu réel dans 195 petites municipalités du Missouri. Les auteurs ont

estimé que les investissements de travaux publics contribuaient à 30 % de l'augmentation du revenu

réel entre 1963 et 1966. La construction d'autoroutes, de ports maritimes, d'établissements

d'enseignement professionnel et de structures récréatives participeraient le plus à la croissance du

revenu. Ces résultats poussent à poursuivre ce genre d’étude afin de disposer de plus d’informations

concernant l’impact des politiques locales d’investissements en infrastructures dans les espaces

ruraux. Elle ne fait pas preuve de généralité, et doit être confirmée.

Etant donné le rôle déterminant qu’ont les infrastructures dans les rapports complexes qui

régnent entre fonctions urbaines et fonctions rurales, il serait judicieux de tenir compte de la structure

de la région pour étudier sa croissance. On entend par structure, le degré de ruralité et d’urbanité de

cette région et les moyens de communication mis en oeuvre entre les espaces. Les trop-pleins urbains,

en termes d’occupation des sols, peuvent être absorbés par les espaces ruraux si les infrastructures

reliant les deux types d’espaces sont importantes. Les gains obtenus par l’agglomération peuvent

également être diffusés par l’intermédiaire de demandes induites dans les espaces où se localisent les

ménages. Il faut une organisation des activités périphériques permettant d'absorber et compléter les

gains urbains. Dans ces conditions, la notion d'extemalité ne s'applique plus seulement à

l'agglomération mais à la région tout entière. S’il y a adéquation des fonctions remplies par les

espaces ruraux et celles des villes, il y a alors extemalités régionales. Celles-ci dépendent de la

connexion des différents types d’espaces et donc, pour partie, des infrastructures de transport et

communication.

15

Page 19: Dépenses publiques et croissance: effets macro-économiques ...

Le réseau de transport et communication est décisif dans les dynamiques régionales, tant à

l’échelle inter-régionale, qu’à l’échelle intra-régionale. Il transforme les échanges de biens, via le

coût de transport, mais également les échanges de main-d’oeuvre et d’informations. Son effet sur la

dynamique des régions est ambigu lorsque seule la baisse des coûts de transport est étudiée. La

circulation des agents et de l’information a, elle aussi, des conséquences sur cette dynamique.

L’analyse de l’impact sur la croissance d’une région définie, de tel ou tel investissement en

infrastructures, est alors rendue complexe.

Certains éléments conduisent à penser qu’une région qui développe ses infrastructures de

transport et communication sera gagnante. En premier lieu, les études empiriques donnent des

résultats plutôt optimistes. Ensuite, les extemalités propres à la région, en particulier la meilleure

adéquation entre fonctions urbaines et fonctions rurales, que les infrastructures facilitent, doivent être

assez importantes pour compenser les fuites conséquentes à l’ouverture du marché local.

3. CONCLUSION

Les modèles de croissance endogène, en introduisant les dépenses publiques comme facteur

explicatif des dynamiques de croissance, apportent des éléments généraux de compréhension des

effets des dépenses publiques. La notion d’extemalité y est essentielle. Un examen des différentes

catégories de services publics permet d’accepter l’hypothèse selon laquelle ils sont source

d’extemalités, plus ou moins importantes. L’intervention publique dans la sphère économique peut

alors être positive. Cependant, l’étude du rôle des dépenses publiques dans les mécanismes de

croissance doit tenir compte de deux caractéristiques capitales, au niveau régional.

En premier lieu, la région est ouverte sur le reste du monde, les facteurs de production peuvent

quitter la région ou affluer des autres régions, les barrières culturelles et institutionnelles étant plus

limitées. La région peut entrer dans un processus cumulatif de croissance qui peut être impulsé par

les dotations initiales ou par des facteurs exogènes, tels les extemalités générées par la proximité de

région riches (Kubo, 1995) ou celles générées par des investissements publics importants (Murphy,

Shleifer et Vishny, 1989).

Ensuite, les dépenses publiques en infrastructures de transport et communication transforment

l’espace et vont être essentielles pour comprendre les schémas de croissance régionaux. Elles

baissent les coûts de transport, elles favorisent l’extemalité de spillover et, au sein de la région,

développent les complémentarités entre espaces urbains et espaces ruraux.

Il semble que les services publics puissent venir compenser les faiblesses initiales de certaines

régions, faiblesses qui expliquent la divergence persistante observée entre les régions (Ralle, 1991),

malgré la forte mobilité potentielle des facteurs. L’ampleur de l’impact local des investissements

publics sur la croissance régionale reste néanmoins à préciser et à mesurer.

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Page 20: Dépenses publiques et croissance: effets macro-économiques ...

D’un point de vue théorique, les modèles de croissance endogène offrent des moyens de

formalisation intéressants puisqu’ils permettent d’étudier, en dynamique, l’impact, sur la croissance,

des dépenses publiques, prélevées sur le revenu. Ils ne considèrent, cependant, pas simultanément ces

effets et la mobilité des facteurs. Le modèle de Braun (1993) peut être une piste à explorer. Il s’agit

d’un modèle de croissance endogène avec migrations et ressources naturelles sujettes à congestion.

Les dépenses publiques, prélevées sur le revenu, pourraient y être introduites comme facteur de

développement.

Un autre type de formalisation peut également être envisagé. Le modèle de localisation de

Martin et Rogers (1995) n’envisagent les effets des dépenses publiques qu’à travers la baisse des

coûts de transport. Nous étudions la possibilité de faire jouer ces dépenses sur la productivité des

firmes localisées dans la région concernée.

Enfin, d’un point de vue empirique, les relations entre espaces ruraux et espaces urbains étant

essentielles pour étudier les dynamiques des régions, nous en tiendrons compte lorsque nous

testerons l’impact des investissements publics en infrastructures de transport et communication. Nous

chercherons également à estimer l’influence de l’accessibilité aux réseaux sur les dynamiques

régionales.

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