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IDÉES x ÉLOGE DE LA SIMPLICITÉ par Jean-Pierre Kahane Parti communiste français 7 tarif normal - 5 tarif étudiant, chômeur, faibles revenus - 10 tarif de soutien SCIENCE x LES ONDES GRAVITATIONNELLES ENFIN DÉVOILÉES par Édouard Brézin TRAVAIL x PORTUGAL : LA LUTTE POUR MAINTENIR TAP par Miguel Viegas ENVIRONNEMENT ET SOCIÉTÉ x LE LOUP, PRÉDATEUR ET BOUC ÉMISSAIRE par Jean-Claude Cheinet N o 12 AVRIL-MAI-JUIN 2016 7 DOSSIER x LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUE

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IDÉES xÉLOGE DE LA SIMPLICITÉpar Jean-Pierre Kahane

Parti communiste français

7€ tarif norm

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10€ tarif

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SCIENCE xLES ONDES GRAVITATIONNELLESENFIN DÉVOILÉESpar Édouard Brézin

TRAVAIL xPORTUGAL : LA LUTTEPOUR MAINTENIR TAP par Miguel Viegas

ENVIRONNEMENTET SOCIÉTÉ xLE LOUP, PRÉDATEURET BOUC ÉMISSAIREpar Jean-Claude Cheinet

No 12 AVRIL-MAI-JUIN 2016 7 €

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LE TRAVAIL À L’HEUREDU NUMÉRIQUE

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SOMMAIRE2 AVRIL-MAI-JUIN 2016

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016

ÉDITO Une loi pour revaloriser le travail Jean-François Bolzinger ....................................................................................................3

IDÉES Éloge de la simplicité Jean-Pierre Kahane..................................................................................................................................4

DOSSIER : LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUEUn peu plus à perdre que nos chaînes, toujours un monde à gagner Sébastien Elka ................................................................ 9Salariat, entreprise, valeur : du nouveau dans les enjeux de la lutte Sophie Binet .................................................................... 10La productivité du violoniste Pierre Rimbert .......................................................................................................................................13Le logiciel libre municipal, la mairie de Fontaine Nicolas Vivant .................................................................................................. 14Droit du travail et numérique Conjuguer le futur au passé? Anne Rivière ................................................................................... 16Uber, pointe émergée du capitalisme de plates-formes Yann Le Pollotec .................................................................................. 18Ubérisation et création de valeur Frédéric Boccara .......................................................................................................................... 21Les plates-formes bousculent l’équilibre entre travail reconnu et travail implicite Antonio Casilli .......................................... 23L’enseignement à l’heure du numérique Marine Roussillon ........................................................................................................... 25Fiscalité connectée pour dépasser le capitalisme financier et réguler le capitalisme cognitif Julien Cantoni ...................... 28Robots : du réel au possible, limites actuelles Olivier Masson ....................................................................................................... 31Intelligence artificielle, le défi démocratique Ivan Lavallée .......................................................................................................... 33

BRÈVES ............................................................................................................................................................................................ 36

SCIENCES Liberté, Égalité, Fraternité : hommage à André Brahic Aurélie Biancarelli-Lopes ........................................................ 38

VIDÉOS............................................................................................................................................................................................ 39

SCIENCE ET TECHNOLOGIEPHYSIQUE LIGO-Virgo : les ondes gravitationnelles enfin dévoilées Édouard Brézin ................................................................. 40

GÉNÉTIQUE Échangeons-nous des gènes avec les vers de terre ? Clément Gilbert .................................................................... 42

LU DANS LA PRESSE Il n’y a pas de « révolution » transhumaniste, seulement une idéologie Franck Damour ...................... 45

TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIEEUROPE Portugal. La lutte pour maintenir TAP au service du développement du pays Miguel Viegas ................................. 46

ENTREPRISE Industries, technologies et rapports sociaux Louis Mazuy ....................................................................................... 48

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉBIODIVERSITÉ Le loup, prédateur et bouc émissaire Jean-Claude Cheinet ...................................................................................... 50

SÛRETÉ L’usine ALTEO : un long combat pour produire propre Aurélie Biancarelli-Lopes et Luc Foulquier...................................... 52

LIVRES .............................................................................................................................................................................................. 54

GÉOPOLITIQUE Missile chinois versus porte-avions états-unien : les dessous technologiques Nicolas Martin ...................... 56

POLITIQUE Retour sur le congrès du PCF : clarté, exigence et perspectives politiques Luc Foulquier ....................................... 57

POLITIQUE Du côté du PCF et des progressistes... .......................................................................................................................... 58

ENSEIGEMENT SUPÉRIEUR ET RECHERCHE Abolir la division sociale du travail : un enjeu féministe Marie Jay ........................... 59

Photos : P51 Rigaud (Alpes-Maritimes) - La transhumance au village.- June 1994 - Own work-AuthorJean-Pol GRANDMONT ● P26 © M.E.N.E.S.R./X.R.Pictures ● P32 © Xavier Caré / Wikimedia Commons / CC-BY-SA-4.0

Progressistes • Tél. 01 40 40 11 59 • Directeurs de la publication : Jean-François Bolzinger, Jean-Pierre Kahane • Rédacteur en chef : Amar Bellal •Rédacteurs en chef adjoints : Aurélie Biancarelli-Lopes, Sébastien Elka • Coordinatrice de rédaction : Lise Toussaint • Responsable des rubriques : Ivan Lavallée,Anne Rivière, Jean-Claude Cheinet, Malou Jacob, Brèves : Emmanuel Berland • Vidéos et documentaires : Celia Sanchez • Livres : Delphine Miquel • Politique :Shirley Wirden • Diffusion et développement : Hugo Pompougnac • Comptabilité et abonnements : Françoise Varoucas • Rédacteur-réviseur : Jaime Prat-CoronaComité de rédaction : Jean-Noël Aqua, Geoffrey Bodenhausen, Aléa Bruido, Jean-Claude Cauvin, Bruno Chaudret, Marie-Françoise Courel, Simon Descargues, MarionFontaine, Gabriel Laumosne, Michel Limousin, George Matti, Simone Mazauric, Hugo Pompougnac, Evariste Sanchez-Palencia, Pierre Serra, Françoise VaroucasConception graphique et maquette : Frédo Coyère. Expert associé : Luc Foulquier

Conseil de rédaction : (Président : Ivan Lavallée • Membres : Hervé Bramy, Bruno Chaudret, Xavier Compain, Yves Dimicoli, Jean-Luc Gibelin, Valérie Goncalves,Jacky Hénin, Marie-José Kotlicki, Yann Le Pollotec, Nicolas Marchand, Anne Mesliand, Alain Obadia, Marine Roussillon, Francis Wurtz)

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AVRIL-MAI-JUIN 2016 Progressistes

ÉDITORIAL

a loi El Khomri a été abusivement renom-mée « loi travail ». Depuis la mi-février, ladiffusion de son contenu a provoqué une

énorme « révolte de gauche sous un gouverne-ment de gauche ».Ce mouvement atypique conjugue depuis le départdes initiatives sur les réseaux sociaux et des mobi-lisations de terrain. Démarrage par une pétitioncitoyenne numérique #Loi travail : non merci ! quirecueille 1,3 million de signatures, diffusions viralesdes vidéos de youtubeurs sur le vécu au travail(#OnVautMieuxQueÇa), puissantes journées syn-dicales de grèves et de manifestations, débats Nuitdebout sur les places, interpellation des parle-mentaires par les réseaux sociaux et par rassem-blements, nouvel enchaînement de grèves et blocages de production, votations citoyennes…Une autre conjugaison, moins facile à opérer maispolitiquement déterminante, se produit entresocial et sociétal, entre mouvement de la sociétécivile et syndicalisme. Contrairement à l’Espagneou à la Grèce, où la jonction ne s’est pas faite – cequi limite le rapport de forces –, la dynamiquefrançaise peut porter loin en matière de contenualternatif et de renouveau dans la manière de fairede la politique.

Le dynamitage du Code du travail par l’inversionde la hiérarchie des normes fait primer les accordsd’entreprise, dérogatoires, sur la loi. Il ne peut qu’en-traîner une mise en concurrence effrénée des entre-prises dans une course au moins-disant social etune perversion de la négociation collective.L’utilisation du 49-3 à l’Assemblée nationale estsymbolique de ce que la loi veut imposer danschaque entreprise : les pleins pouvoirs à l’em-ployeur, autrement dit aux actionnaires.

Le rejet de la loi est d’autant plus fort que lesmesures qu’elle contient sont aux antipodes dece qui pourrait figurer dans une loi de réhabilita-tion et de revalorisation du travail. Les salariésappellent de leurs vœux une loi qui comporte despoints d’appui, des incitations, des réglementa-tions et régulations, des protections permettant

d’imprimer une dynamique de définanciarisationde l’entreprise et du mode de gestion qui lui estassocié.La revalorisation du travail et, par suite, l’effica-cité économique passent par des mesures de recon-naissance pour les salariés, acteurs principaux del’entreprise : reconnaissance des qualificationsdans le salaire et les responsabilités, reconnais-sance de la technicité, égalité professionnelle entrefemmes et hommes.

Il y a lieu de progresser dans la démocratie au tra-vail en ouvrant des droits d’expression et d’inter-vention effectifs, individuels et collectifs, via lesinstitutions représentatives du personnel. Desdroits d’alerte, de refus et de proposition au regardde l’éthique professionnelle doivent être garantiscollectivement.Tout doit être fait pour que les choix stratégiqueset de gestion ne soient plus enfermés dans le carcan de la rentabilité financière à court termemais intègrent en permanence les aspects sociaux,économiques et environnementaux.De tels axes donneraient à coup sûr une tout autreloi que la copie gouvernementale actuelle. Elleaiderait à réconcilier la recherche de sens dans letravail avec une finalité de l’entreprise maîtriséepar la communauté de travail, et non plus par lesactionnaires comme aujourd’hui.Une telle loi rendrait à sa manière une part essen-tielle du pouvoir aux salariés et au peuple. C’estsans doute la raison qui explique l’acharnementdu Medef et du gouvernement à s’opposer politi-quement à l’exigence d’annulation de la loi El Khomri, qui est majoritaire dans le monde dutravail comme dans la population, et jusque dansla représentation nationale.

À l’heure de la révolution numérique, promou-voir dans le sens des intérêts des travailleurs etdes créateurs d’autres formes d’emploi, de travail,la maîtrise de l’entreprise conçue comme com-munauté de travail, une sécurité sociale profes-sionnelle relève d’une bataille politique d’ampleurqui explique la violence de l’affrontement. n

JEAN-FRANÇOIS BOLZINGER,

CODIRECTEUR DEPROGRESSISTES

Une loi pour revaloriser le travail

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Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016

L’idée de simplicité, ici visitée et réhabilité à travers plusieurs exem-ples : des mathématiques à la biologie en passant par la physiqueet le rôle de la lutte des classes dans l’histoire.

PAR JEAN-PIERRE KAHANE*,

es choses ne sont jamaissimples. Il est bon que,depuis plus de trente

ans, on insiste sur la nécessitéde les mettre en relation, de lesarticuler et de tirer du tout autrechose que la juxtaposition deschoses séparées. C’est la vogueet le succès des théories de lacomplexité. Dans la foulée, toutce qui est simple apparaît sim-pliste et périmé ; le vocabulairesavant met en avant le non-linéaire, le non-différentiable,le non-déterministe, et lesmoyens d’information y fontlargement écho.Donc il est temps de faire l’étudeet l’éloge de la simplicité. Jecommence et j’achèverai parce que je connais le mieux, maisje m’en écarterai aussi.

L’EXEMPLE DES MATHÉMATIQUESLa simplicité est l’essence desmathématiques, c’est leur forceet leur faiblesse. La simplicités’incarne dans les définitions.Ainsi, une sphère est définie parson centre et son rayon, rien deplus simple. Mais c’est une sim-plicité bien audacieuse : qui ajamais vu le centre d’un ballonsphérique ? C’est une simpli-cité bien utile: les merveilleusespropriétés des sphères en décou-lent et elles intéressent toutesles sciences de la nature, de l’as-tronomie à la biochimie. C’estla vertu et la force des mathé-matiques que de dégager le sim-ple et d’en tirer beaucoup. Leprocessus de création desconcepts est un sujet intéres-sant. Ils ne sont pas donnésd’avance, ils se dégagent d’unefoule d’observations et de résul-tats, et ils s’imposent par leurgénéralité et leur puissance. J’ai

vu, au cours de ma carrière demathématicien, des conceptsde grande importance prendreforme et s’imposer maintenantcomme points de départ. Ilssont simples à exprimer, maisce sont des produits de l’his-toire et ils ont la force d’élixirsfortement distillés ; il faut tra-vailler pour les digérer.Pourquoi est-ce une faiblesse ?Depuis Platon s’est développéel’idée que les mathématiquessont en prise avec une réalitésupérieure, dont notre réalité

quotidienne n’est qu’une pâleréplique ou une sorte de réali-sation mal fichue.Il est alors tentant d’essayer deréduire la réalité ambiante àcette réalité idéale. C’est uneméprise, je n’ai pas besoin dem’étendre sur les dégâts.À bien regarder, les abstractionsauxquelles procèdent toutes lessciences ont ce caractère com-mun: elles sont des produits del’histoire et elles sont simples.J’insiste: simple ne veut pas direfacile à comprendre. Au contraire:la simplicité est le caractère desbons points de départ. Et lesbons points de départ sont ceuxqui permettent de voir loin etd’aller loin.C’est une question fondamen-tale dans la pédagogie de toutes

les sciences: les abstractions sontfondamentales, et elles ne pren-nent tout leur sens qu’en les nour-rissant de tout ce dont elles sontabstraites, et de tout ce qu’ellespermettent de découvrir.Au surplus, dans les sciencesde l’homme et de la société, etmême en mathématiques, il ya des points de vue différents,donc, formellement, des sim-plifications qui se contredisent.Exemples bien connus : la mé -canique de Newton et celled’Einstein ; la géométrie eucli-dienne et les géométries noneuclidiennes. Ici le matérialismebon enfant est bienvenu : cen’est pas la réalité qui s’effrite,c’est notre regard qui en décou-vre différents aspects.

L’HISTOIRE ET LA LUTTE DES CLASSESJe vais m’aventurer en terrainglissant. Voici une assertion sim-ple : la lutte des classes est lemoteur de l’histoire. Le lecteurde Progressistes reconnaît sansdoute l’idée exprimée par Marxet Engels dans le Manifeste duparti communiste. Est-ce unesimplification correcte? fausse?dangereuse ? une trahison de lanature même de l’histoire? Toutpeut se soutenir et a été sou-tenu. D’ailleurs, il y a vingt ans,Marx était mort, seuls quelquesattardés parlaient de la lutte desclasses puisque le capitalismeavait gagné la mise… et pourtoujours. Aujourd’hui Marxrevient, mais l’histoire de notretemps apparaît bien trop com-plexe pour être analysée à par-tir du seul moteur de la luttedes classes. Quid de demain ?On voit déjà apparaître commedes évidences la solidarité declasse de ceux qui possèdent,outre les moyens de productionet d’échange, l’ensemble des

systèmes d’information et decommunication. On voit, enFrance même, se développerune justice de classe au béné-fice de la classe dominante. Laconscience de classe est soi-gneusement entretenue dansla classe dominante, elle est enattente de constitution dansl’ensemble des salariés et desexploités.La lutte des classes ne rend pascompte immédiatement d’au-tres facteurs ni des aléas de l’his-toire, mais c’est un bon guidepour les hiérarchiser. C’est unrepère solide, quoique mou-vant, pour s’orienter dans lemonde contemporain. Du moinsen ai-je personnellement l’ex-périence.

L’IMPORTANCE DES REPÈRESAprès m’être aventuré en ter-rain glissant, je veux revenir surce besoin que nous avons derepères à la fois solides et évo-lutifs. Les nouvelles connais-sances s’accumulent, chacunde nous n’en assimile qu’uneinfime partie. Mais l’humanitédans son ensemble ne doit pasles laisser perdre. Il faut doncqu’elles circulent par échange,communication, débat, miseen commun. Et pour que lesgens communiquent, il n’estpas besoin qu’ils aient une tein-ture de tout, mais ils doiventavoir en commun quelquesgrands moyens et quelquesgrands repères. Les moyens –la langue, l’écriture, l’informa-tique et les télécommunications– sont en plein bouleversement,et leur appropriation collectiveest à l’ordre du jour. Le présentnuméro de Progressistes en estla preuve. Quid des repères ?C’est une question à explorer,me semble-t-il. On l’esquivequand on parle de programmes

Éloge de la simplicité

IDÉES4

J’insiste : simple neveut pas dire facile à comprendre. Aucontraire : la simplicitéest le caractère desbons points de départ.Et les bons points dedépart sont ceux quipermettent de voir loinet d’aller loin.

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AVRIL-MAI-JUIN 2016 Progressistes

d’enseignement. Or tous lesprogrammes contiennent desrepères implicites.On organise les connaissan cesde façon que se crée une cul-ture commune, une façon com-mune de voir les choses.Regardez comment évoluentles programmes d’histoire, degéographie, de français ; ceuxd’il y a un siècle avaient leurlogique, l’histoire de France, laconquête du monde, les trésorsde la langue; ceux d’aujourd’huisont imprégnés des problèmesde notre temps et de leur tur-bulence. Dans tous les domainesdu savoir se sont constituéesdes disciplines qui portent surla réalité des regards différentset structurent la pensée. En gros,ces disciplines nous fournis-sent des repères solides. Maisl’accumulation des connais-sances a tendance à les faireéclater, à atomiser les savoirset quelquefois à les supprimer.Nous avons besoin de lignesdirectrices simples, c’est la fonc-tion des repères.

LA BIOLOGIEL’exemple de la biologie s’im-pose: en un siècle, elle a com-plètement changé de visage. Monsouvenir d’élève de troisième en1940 était que le cœur de la bio-logie était Pasteur et la vaccina-tion; d’ailleurs, le cours affichaitl’intention, il s’appelait « hygiène ».Quel sera le souvenir des élèvesd’aujourd’hui ? De quelle cul-ture commune « SVT » est-il lesigle? La vie, la Terre, la multi-tude des découvertes des sciencesà leur propos?Il me semble qu’en biologie unrepère central est la théorie del’évolution. Elle s’articule for-tement à toutes les branches dela biologie, et en particulier à labiologie moléculaire, qui l’aremarquablement confirmée.Elle est l’objet d’un combatdevant le créationnisme, quirend compte de tout et n’ex-plique rien. Elle est fondamen-talement simple, même si sonélaboration a été un travail gigan-tesque et qu’elle est – heureu-sement – incomplète. Elle

explique la vie par l’histoire dela vie, cela me paraît être le cadred’une réflexion d’ensemble surla biologie et la mise en com-mun des connaissances spécia-lisées.La transposition aux sciencesde la Terre et de l’Univers s’im-pose. La géologie est insépara-ble de l’histoire de la Terre, etl’astrophysique nous fait voirl’Univers à travers son histoire.La plongée dans l’histoire de laTerre et dans celle de l’Universest non seulement une splen-dide percée scientifique, maisaussi un moyen d’acculturationde masse extrêmement efficace.

LA PHYSIQUEDans le foisonnement dessciences physiques, il est bienaudacieux de proposer un petitnombre de repères. Je vais pour-tant m’y essayer. Je me borne àdeux approches, la mécaniqueet la théorie atomique. La méca-nique de Newton repose sur lagravitation universelle, qui està la fois merveilleusement sim-ple et totalement incompré-hensible. Toujours est-il qu’ellerend compte du mouvementdes planètes comme de la chutedes corps, qu’elle crée la dyna-mique du point matériel et qu’elleentre dans la conscience com-mune avec, en France, Voltaireet la marquise du Châtelet. Sessuccès en astronomie sont fou-droyants, les mathématiquess’en emparent, c’est le modèlede la pensée scientifique. Etpuis, crac, la dynamique dupoint matériel ne rend pascompte de ce qui se passe auniveau des atomes. Grand désar-roi : il est impossible d’accédersimultanément à la position età la vitesse d’une particule, etcette observation, étayée parun théorème indiscutable, riched’admirables développementsultérieurs avec la physique quan-tique, se fait connaître sous lenom de « relation d’incertitude »,alors que rien n’est plus certain.La nature n’obéit pas aux loisque nous lui avons assignées :c’est donc, dit-on, qu’elle estfondamentalement indétermi-

niste, et c’est l’indéterminismequi entre aujourd’hui dans laconscience commune, aumoment où l’on détermine lesconstantes de la physique avecune précision inégalée.Sans abandonner la mécaniquede Newton, nous avons avec lanaissance et le développementde la théorie atomique un boncontrepoids. C’était une idéede Paul Langevin qu’il fallaitl’enseigner très tôt, et nous avonseu en France un grand retard àce sujet. Or le simple tableaude Mendeleïev, qui présente leséléments selon leurs proprié-tés et leurs poids atomiques, estun excellent point de départpour toute la chimie, et mêmepour la physique quantique(ainsi à bien regarder, la rela-

tion e = mc2 se voit sur cetableau). Dans le domaine ato-mique et subatomique, la méca-nique du point matériel est ino-pérante, la nature est plus richeque tous les repères que nousnous donnons pour l’étudier.

RETOUR AUXMATHÉMATIQUES: LE CAS DES FRACTALESJe reviens, pour terminer, auxmathématiques. J’ai dit que leursimplicité était leur essence, etpour les élèves comme pournous, les mathématiciens, ellessont au contraire incroyable-ment riches et touffues. Elless’élaborent sans cesse à partirde ce qu’elles ont déjà construit,comme à partir de tout ce quileur vient de l’extérieur. Je mebornerai à un exemple : la nais-sance et l’explosion des frac-tales. Le terme et la notion sontdus à Benoît Mandelbrot. Maisles premiers exemples ont été,au XIXe siècle, des objets étranges,auxquels Mandelbrot a donnéde jolis noms : la poussière, le

flocon de neige, l’escalier dudiable ; certains n’y voyaientque des anomalies sans portée,d’autres pressentaient leur rôleà venir. La répétition d’opéra-tions très simples a fait surgiraisément de tels objets avec lesordinateurs, le « chaos déter-ministe » naissait de l’itérationde la transformation non linéairela plus banale. Le météorolo-giste Lorenz attirait l’attention

sur l’imprévisibilité de certainsphénomènes naturels, l’« effetpapillon » sur des tornades àvenir, et il proposait l’étude detrajectoires apparemment trèscompliquées. Mandelbrot décou-vrait que la nature fournit abon-damment des exemples d’unegéométrie nouvelle, intégrantces anomalies. Et au-delà desexemples s’est constituée uneétude, celle de la régularité desfractales, et un nouveau déter-minisme, celui non plus d’unetrajectoire mais d’un vasteensemble de trajectoires.Domestiquée, la notion de frac-tale devient simple : la fractaleest un objet qui ne change pasd’aspect quand on le zoome.

La sphère, les fractales, c’est unpeu court pour avoir une vuede la simplicité porteuse d’uncontenu intéressant. Mais monéloge de la simplicité se devaitd’apparaître un peu simple.

*JEAN-PIERRE KAHANE est membre de l’Académie des sciences.

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L’accumulation des connaissances a tendance à lesfaire éclater, à atomiser les savoirs et quelquefois àles supprimer. Nous avons besoin de lignes directricessimples, c’est la fonction des repères.

Le chou romanesco, un exemple de fractale naturelle.

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Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016

REPAS GASTRONOMICO-SCIENTIFIQUE DE PROGRESSISTESJEUDI 8 SEPTEMBRE • 19H30FÊTE DE L’HUMA • STAND DE LA HAUTE-GARONNE

Nouvelle édition du repas de la revue Progressistes, le jeudi 8 septembre 19 heures à la Fête de l’Huma, avecde nombreuses personnalités du monde scientifique et du travail, l’occasion d’aller plus loin que la simple lecture de leurs articles dans la revue : les rencontrer !

DISCUSSION LIBRE À PARTIR DE 19 HEURESCette année, pour introduire le repas de la revue Progressistes, un invité bien connu de tous ceuxqui s’intéressent aux sciences et aux technologies : Sylvestre Huet, journaliste scientifique quitient maintenant son célèbre blog {Science2} sur le site du journal le Monde, débattra avec nous,lors de l’apéro, autour de la question : Quelle transition énergétique pour un gouvernement deFront populaire ? (Le blog de Sylvestre Huet : http://huet.blog.lemonde.fr/)

Sylvestre Huet, journaliste scientifique.

DÉDICACES SUR PLACE AU STAND DE LA HAUTE-GARONNE (avant le repas)

INSCRIVEZ-VOUS AU REPAS : [email protected]

99%PIERRE LAURENT, Cherche-Midi, 136 p.

À la différence de tous les livrespolitiques du moment, celui-ci dit« nous » et non « je »… Ils’attache donc au besoin d’unité et de réinvestissement populairedans la politique. On y retrouvedes éléments d’analyse, de projet,la question de l’engagement, de laFrance et du PCF. Contrairement àce qu’on a pu lire dans certainsmédias, les questions soulevéesvont au-delà de 2017.

Environnement et énergieAMAR BELLAL(préface Jean-Pierre Kahane)Éditions Le Temps des Cerises

Ce livre est un pari. Celui derecenser les principalesinterrogations des citoyensentendues dans plus d’unecentaine de débats publics etd’y répondre sans détour, sanstabous, en nous attaquantfrontalement aux objections lesplus sérieuses qui circulent surle modèle énergétique français.

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No 11 LE PROGRÈS AU FÉMININLes femmes dans le monde du travail etdans les métiers de la science, sous l’an-gle des combats féministes qui contribuentau projet d’émancipation humaine. Vous ytrouverez des textes d’Hélène Langevin, deCatherine Vidal, Maryse Dumas, LaurenceCohen, Caroline Bardot… Dans ce numéro,une rubrique spéciale « Après la COP21 »et le point de vue de Sébastien Balibar,membre de l’Académie des sciences, ainsiqu’une contribution de Nicolas Gauvrit surles biais en psychologie.

No 10 UN PÔLE PUBLIC DU MÉDICAMENTAprès le gâchis industriel de l’entrepriseSanofi, sortir les médicaments du marchéet développer une filière industrielle s’im-pose. Ce dossier aborde aussi la néces-saire maîtrise publique du stockage de don-nées (big data) dans ce secteur. Il met enlumière les liens entre révolution numériqueet nouvelles industrialisations, sous la plumede Marie-José Kotlicki, mais également laproblématique du stockage des déchetsnucléaires grâce à Francis Sorin

No 9 COP21 (LES VRAIS DÉFIS)Humanité, planète, communisme et écolo-gie, même combat. Il va falloir prendre desmesures drastiques pour limiter le réchauf-fement climatique, mais il est lié au systèmede production et d’échange qui l’a créé. Quelssont les leviers sur lesquels agir ? On liraaussi dans ce numéro « La lutte contre lechangement climatique passe par la bataillepour l’égalité » ; « L’écologie, une disciplinescientifique et un métier », d’Alain Paganoun article de Sophie Binet « Ouvrir le débaten grand avec le monde du travail » et aussi« Races et racisme » d’Axel Khan.

No 8 AGRICULTURESIl va s’agir de nourrir 11 milliards d’hu-mains. L’agriculture est au cœur de la ques-tion écologique. Nourrir les humains oufaire du profit ? Quelles conséquences ?De grands noms, comme Michel Griffonou Aurélie Trouvé, avancent des points devue novateurs. On lira aussi : « “Big pharma”et logiques financières », « Pour une poli-tique industrielle européenne : le cas del’énergie », et encore « Du “devoir de mau-vaise humeur” à la “défense du bien public” »par Yves Bréchet, de l’Académie des sciences.

No 7 ÉNERGIES RENOUVELABLESQuelle place dans le mix énergétique àvenir pour les énergies dites renouvela-bles ? Le scénario de l’ADEME est passéau crible, et le problème des matériauxrares, lié, est abordé. Claude Aufort, HervéNifenecker signent ces points de vue. Lasûreté industrielle et la technologie desréacteurs nucléaires à sels fondus, ainsique les dynamiques libérales du numé-rique, parmi d’autres, sont également abor-dées par Jean-Pierre Demailly, ainsi qu’uneréflexion d’Evariste Sanchez Palencia, tousdeux de l’Académie des sciences.

No 6 ÉCONOMIE CIRCULAIRERecyclage des déchets, produits agricoles,écoconception : la nécessité sociale et éco-logique d’une économie circulaire est évi-dente. Le système capitaliste s’épuise enpillant les ressources de la planète, le dos-sier de ce numéro balaye le greenwashing,éclaire le débat et évite les confusions.Les structures cristallines permettent d’abor-der les liens entre recherche et politique,les comètes sont au programme, et l’artaussi, avec des articles signés Jean-NoëlAqua, Jacques Crovisier ou Bernard Roué.

No 5 RÉVOLUTION NUMÉRIQUEBig data, loi renseignement, explosion desmoyens de communication, de stockagede données et des nouvelles technologies,puissance de calcul et super-ordinateurfrançais : la révolution sera aussi numé-rique. Les enjeux de classe sur le travail etl’emploi sont mis en évidence. Ce numérodresse un tableau des enjeux dans le mondenumérique. Génome et éthique, mesure dela Terre au millimètre près, culture durisque… sont proposés à la réflexion par,entre autres, Patrick Gaudray, JonathanChenal, Gérald Bronner.

No 4 EUROPE ET COOPÉRATIONSL’Europe et ses coopérations, actuelles età forger. Regards critiques et propositionsse croisent pour un éclairage précieux surles possibles et les contradictions euro-péennes : gaz de schiste, nucléaire, impassedu low cost en matière aéronautique oubien encore les pistes de la révolution àmener. Cryptologie, histoire du mouvementbrownien, risques industriels ; thèmes trai-tés dans ce numéro sous les plumes deSofiane Ben Amor, Jean-Pierre Kahane,Jean-Pierre Cheinet, notamment.

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AVRIL-MAI-JUIN 2016 Progressistes

PAR SÉBASTIEN ELKA*,

our John Doe, des Panama Papers, « la prochaine révolu-tion sera numérique ». Mais il est loin d’être le seul à pro-phétiser l’imminence d’une e-Révolution. Connectés de

tous les pays, nous serions sur le point de hacker le capitalismepour rebooter la société à partir du logiciel libre de la générationY… Fini le fétichisme obsolète de la propriété privée, Internet estparmi nous ! Sauf que pour d’autres ce numérique made in USAsonnerait au contraire l’imminence de l’apocalypse. Crise systé-mique, chômage technologique de masse, NSA partout, publi-cité neuronale, le citoyen-consommateur noyé dans les eaux gla-cées du calcul globalisé. Retour au meilleur des mondes, bienvenudans la matrice ! Vraies ou fausses, ces prophéties en miroir ontsurtout un effet sédatif : face à l’ampleur de l’événement, les brasnous tombent.Communistes, nous sommes héritiers d’une tradition de lecturede l’histoire par ses tensions dialectiques. De quoi garder la têtefroide : notre monde vit une violente transition dont le numé-rique est l’une des clés, mais c’est la manière dont nous nousemparons des possibles qui donnera forme au monde nouveau.Si l’état d’une société – disait-on – s’évalue à l’aune de ses rap-ports de production, de la manière dont elle produit et échange,et donc du développement de ses forces productives, notre rôlehistorique est bien de comprendre et faire comprendre ce qui sejoue dans notre appareil technique et de nous organiser pour youvrir des voies de progrès.C’est l’enjeu au fond de la loi « travail », qui tape au cœur de l’ins-titution centrale d’un siècle et demi de civilisation industrielle :l’emploi salarié. Une institution minée par quarante ans de régres-sion néolibérale, mais qui fait face aussi à la montée d’aspira-tions nouvelles. Car si les luttes ont construit un salariat protec-

teur, celui-ci n’en reste pas moins un asservissement. Le travailorganisé demeure le cœur battant d’une société avancée, mais àl’heure des réseaux numériques – on l’entend dans tous les cor-tèges de ce printemps – l’horizon est à l’autonomie, à la créati-vité, au temps libéré.Le capital en joue bien sûr, qui entend s’appuyer sur le mythe del’individu tout-puissant pour réduire l’humain à un autoentre-preneur sans conscience de sa misère solitaire et défaire métho-diquement l’édifice social construit par les luttes. Mais résister,c’est créer et nous ne pouvons pas nous borner à défendre les acquisde l’ancien monde : il faut reprendre le travail d’imagination.Communistes, nous voulons être dans le mouvement du réel etfigurer au premier rang des bâtisseurs de formes sociales et ins-titutionnelles renouvelées. Or, nous l’avons bien constaté enconstruisant ce dossier, nos générations numériques, nourriesd’une conscience du monde plus large et mieux partagée quejamais, foisonnent d’avant-gardes pour explorer des voies nou-velles : généralisation du régime des intermittents dans une éco-nomie de la contribution, droits attachés à la personne plutôtqu’au contrat de travail, revenu universel, salaire à vie, sécuritéd’emploi et de formation… Toutes les pistes ne sont pas à suivresans doute. Mais nous avons notre boussole progressiste et l’atoutd’une histoire riche, tantôt glorieuse et tantôt amère, pour savoir– par-delà les effets de manche des prophètes – travailler au corpsla complexité du réel, dissiper les écrans de fumée et construireplus solidement que par le passé les fondations d’une humanitéplus humaine. n

LE TRAVAIL À L’HEUREDU NUMÉRIQUE

UN PEU PLUS À PERDRE QUE NOS CHAÎNES, TOUJOURS UN MONDE À GAGNER

P

SÉBASTIEN ELKA est rédacteur

en chef adjoint de Progressistes.

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Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016

Économie du low cost et chômage de masse ou horizontalité émancipatrice d’une économie du partage? Ilest difficile d’anticiper les impacts sociaux de la révolution numérique, si dépendants du rapport de forcesentre capital et travail. Depuis deux ans, l’UGICT-CGT a fait de ces questions autour du numérique une prio-rité de réflexion et d’action syndicale.

SALARIAT, ENTREPRISE, VALEUR: DU NOUVEAU DANS LES ENJEUX DE LA LUTTE

PAR SOPHIE BINET*,

e salariat que nous connais-sons s’est constitué avec l’en-treprise moderne à la fin du

XIXe siècle, dans le mouvement de laseconde révolution industrielle. Onpasse alors d’une organisation dutravail reposant sur la location ponc-tuelle de la force de travail de tra-vailleurs payés à la tâche à celle d’uncollectif productif pérenne danslequel la division organisée du tra-vail mobilise la capacité de créationdu collectif et permet des gains deproductivité. Le lien de subordina-tion – qui donne à l’employeur unpouvoir d’organisation et de contrôle– est, au fil des luttes, équilibré pardes droits collectifs de représenta-tion, une protection sociale, un Étatsocial. Travail et redistribution desrichesses sont liés.Cet équilibre est aujourd’hui boule-versé par la révolution numérique,qui, comme toute révolution indus-trielle, impacte les modes de pro-duction et l’organisation du travail.Et qui fragilise en particulier le cadrede l’entreprise et les mécanismes derépartition des richesses.

FRAGMENTATION DE L’ENTREPRISE,ATOMISATION DU SALARIATÀ partir des années 1970, le mouve-ment de financiarisation réduit peuà peu l’entreprise à la seule fonctionde production de valeur financière.Pour ce faire, on minimise les coûtsen centrant l’entreprise sur son « cœurde métier », en la spécialisant, enayant recours à la filialisation, à lasous-traitance, aux prestataires exté-rieurs. Au sein du même collectif detravail se côtoient alors des salariésen CDI, en CDD, en intérim, dépen-dants du donneur d’ordre ou sous-traitants, Français ou étrangers déta-chés, stagiaires et seniors poussésvers la sortie pour être réemployés

comme autoentrepreneurs. L’exempledes entreprises de service numé-rique1 est édifiant : à l’avant-gardede la financiarisation, elles ont pros-péré sur une sous-traitance infor-matique dont elles sont maintenantles donneurs d’ordre, supervisantdes sous-traitants étrangers à quielles confient des tâches intellec-tuelles, mais parcellisées et taylo-risées comme dans la productionmatérielle.

Cette fragmentation s’opère dans uncadre globalisé, émancipé par lenumérique des frontières spatiales,jamais loin d’une vision néocolo-niale qui privilégie la délocalisationdes activités de production polluantes,dangereuses, difficiles… tout en tirant

parti de l’élévation mondiale duniveau de qualification. L’éclatementde l’entreprise s’accompagne doncd’un dumping social mondial, quitire vers le bas, droits et garantiescollectives et fragmente le salariat.

NOUVEAU STATUT DE L’ENTREPRISELe numérique amplifie la financia-risation de l’entreprise en accélérantla mobilité du capital : entre 2008et 2013, le trading haute fréquence afait passer la durée moyenne de déten-tion d’une action de 2 mois à22 secondes ! La globalisation finan-cière et l’accélération des échangesgrâce au numérique ont permis laconstitution de transnationales pluspuissantes que bien des États et quiemploient – directement ou via filialeset sous-traitance – le quart des tra-vailleurs de la planète.Dans ce contexte, ramener, commeprétend le faire le projet de loi ElKhomri, la définition des droits etnormes sociales au niveau de l’en-treprise est anachronique. Parle-t-on de ces sociétés anonymes quichangent de propriétaire en moyennetoutes les 22 secondes ? Ou l’entre-prise est-elle la communauté de tra-vail, entité productrice de biens oude services et, à ce titre, responsa-ble vis-à-vis de la société entière ? Ily a urgence, comme nous y invitentArnaud Hatchuel et Blanche Segrestin2,à adopter une nouvelle définition del’entreprise comme « société à objetsocial étendu » qui intégrerait desobjectifs économiques (développe-ment à long terme des capacités d’in-novation), sociaux et environnemen-taux. Et cela dans un périmètre étenducouvrant l’ensemble des acteurs par-ticipant à la production, quels quesoient leurs statuts, niveau de sous-traitance ou lieu géographique. Cettevoie permettrait d’imposer une vraieresponsabilité sociale du donneur

Les travailleurs dits « indépendants » sontsouvent soumis à un contrôle strict du donneurd’ordre, qui impose le coût des prestations, définitdes codes (vestimentaires, charte client…) et peut du jour au lendemain éjecter le travailleurde la plate-forme.

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d’ordre, d’imposer l’application desmeilleures normes environnemen-tales, sociales et sanitaires, indépen-damment du lieu de production, etde sortir des logiques de dumpingpour harmoniser par le haut les droitsde l’ensemble des travailleurs.

NOUVEAU STATUT DU TRAVAIL SALARIÉCette définition étendue de l’entre-prise doit être associée à une défi-nition étendue du salariat. Au pré-texte de la nouvelle autonomie destravailleurs qu’elle permet, la révo-lution numérique est instrumenta-lisée pour casser les protections liéesau salariat. Les plates-formes (Uber,Deliveroo…) – improprement qua-lifiées de « collaboratives » – fontreposer leur prospérité sur le recoursà des travailleurs dits « indépen-dants », mais loin de l’être effective-ment. Travaillant de façon autonome,ils sont souvent soumis à un contrôlestrict du donneur d’ordre, qui imposele coût des prestations, définit descodes (vestimentaires, charte client…)et peut du jour au lendemain éjec-ter le travailleur de la plate-forme.Or ce contrôle est bien ce qui défi-nit le lien de subordination et fondel’argumentaire du juge pour requa-lifier des contrats commerciaux encontrats de travail. Pour d’autres tra-vailleurs plus qualifiés, cette subor-dination peut n’être pas tant liée aucontrôle de l’employeur qu’à la dépen-dance économique. Ainsi, le Conseilnational du numérique relève « l’aug-mentation du nombre de travailleursjuridiquement indépendants maiséconomiquement dépendants »3.Au travers du projet de nouveau sta-tut du travail salarié, la CGT a pourobjectif que les droits et protectionsdes salariés ne soient plus une contre-partie contractuelle au lien de sub -ordination direct mais une contre-partie générale de la dépendanceéconomique, au niveau interprofes-sionnel. Il s’agit donc d’une défini-tion élargie du salariat, qui reposesur la garantie d’une protection sociale(continuité du revenu en cas de perted’activité, de retraite ou de forma-tion), d’un même accès à la forma-tion professionnelle, de droits col-lectifs de représentation, d’expressionet d’organisation, et de dispositionsgarantissant le repos, la santé et la

sécurité. L’objectif étant d’empêcherla multiplicité des statuts d’être uti-lisée pour mettre en concurrence lestravailleurs, tout en reconnaissantl’autonomie au travail en tant quecomposante essentielle du droit du travail.Cette notion d’autonomie n’a faitson entrée que très tardivement dansle Code du travail, associée à un modedérogatoire de décompte du tempsde travail, le forfait jour. Pourtant,l’autonomie, la capacité d’inventionet de créativité sont au cœur de larévolution numérique et seront, bienavant le prix du travail, l’élément cléde la compétitivité des entreprises.Car si le numérique – au travers dela géolocalisation, du reporting, del’évaluation individuelle générali-sée4, de nouvelles formes de taylo-risation et de standardisation du tra-vail – s’affirme aujourd’hui commefacteur d’aliénation et de contrôledes salariés, il porte aussi un poten-tiel d’horizontalité, de travail centrésur les projets communs et l’affir-mation de nouveaux droits d’expres-sion et d’intervention ancrés dansle collectif de travail.

LA VALEUR DÉCONNECTÉE DE LA PRODUCTIONLes formes mêmes du capitalismesont bouleversées par le numérique.Les capitalisations boursières desGAFA (Google, Apple, Facebook,Amazon) – complètement décon-nectées de leur valeur sociale – révè-lent une dynamique nouvelle de valo-risation du capital, fondée non plussur l’investissement et les capacitésproductives mais sur l’économie desdonnées et sur le nombre d’utilisa-teurs du service. Uber ne possèdeaucun véhicule, n’a pratiquementaucun salarié, investit peu, génèrepeu d’innovation… mais capte lavaleur générée par d’autres, à l’imagede ce que font Google ou Facebook.Le capitalisme de plate-forme reposesur l’écart entre un nombre infimede salariés et une masse d’utilisa-

teurs qui produisent des données etdes informations d’usage dont lepotentiel économique est accaparépar la plate-forme. Cela lui permetde contourner les protections socialesconstruites par les luttes autour dusalariat, ainsi que de pratiquer l’« opti-misation » fiscale à grande échelle.Une mutation en cours du capita-lisme, qui porte une nouvelle phasede concentration des richesses per-mise par le contournement des outilsde redistribution liés au travail et àla fiscalité.Mais cette ubérisation masque unehorizontalité croissante des modes

de communication, d’organisationcomme de production, l’essor d’uneéconomie des usages primant surl’idéologie propriétaire et les possi-bilités de désintermédiation et decontournement des banques, de lagrande distribution, des média etautres. Contradictions montantessur lesquelles il est possible deconstruire du progrès humain.Ainsi, si mes données et/ou mesusages du Net génèrent une valeuréconomique, est-ce pour autant dutravail ? Cette question ouvre pourl’UGICT-CGT le débat sur le revenuuniversel ou revenu de base, termesporteurs d’options discutables, avecpar exemple le risque d’une substi-tution de la protection sociale parun filet de sécurité minimaliste –mais qui représente un enjeu de

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Le numérique amplifie lafinanciarisation de l’entreprise en accélérant la mobilité du capital : entre 2008 et 2013, le trading haute fréquence a fait passer ladurée moyenne de détention d’une action de 2 mois à 22 secondes !

“ “L’accélération deséchanges grâce aunumérique a permisla constitution de puissantestransnationales, quiemploient le quartdes travailleurs de la planète.

Adopter une nouvelle définition de l’entreprise comme « société à objet socialétendu » qui intégrerait des objectifs économiques(développement à long terme des capacitésd’innovation), sociaux et environnementaux. “ “

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Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016

DOSSIER12 LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUE

reconnaissance de la contributionde chacun à la marche de la sociétéautant que de répartition des richessespermettant de financer des systèmesde protection sociale dignes duXXIe siècle.De même – et c’est une actualisa-tion de la vieille question de l’appro-priation collective des moyens deproduction –, les données informa-tionnelles issues d’une productioncollective doivent être reconnuescomme des « communs » dont ilimporte de garantir la neutralité etla gratuité d’accès, dont l’usage doitassurer une protection de la vie pri-vée et contribuer au financementdes services publics et de la protec-tion sociale.Enfin, les nouveaux services numé-riques permettent l’essor d’une éco-nomie du partage qui interroge lecontenu de la croissance sur la based’une définition des richesses cen-trée sur l’utilité sociale plutôt quesur la valeur d’échange. Une occa-sion de répondre au défi environ -nemental et à la raréfaction des ressources.Alors, financiarisation, chômage demasse et destruction de la planèteou horizontalité, partage et retourdurable au progrès social ? À l’heuredu numérique, la lutte des classesest plus que jamais d’actualité ! n

*SOPHIE BINET est secrétaire généraleadjointe de l’Union générale des ingénieurs,cadres et techniciens (UGICT), CGT.

1. Anciennement SS2I, sociétés de servicesen ingénierie informatique2. Arnaud Hatchuel et Blanche Segrestin,Refonder l’entreprise, Seuil, 2012.3. Conseil national du numérique, rapport« Travail, emploi, numérique : les nouvellestrajectoires », janvier 2016, p. 113.4. Évaluation vécue comme arbitraire etopaque par une majorité des cadres… quisavent de quoi ils parlent puisqu’ils sontsouvent à la fois évalués et évaluateurs.

LE MILLEFEUILLE LOGICIELSans s’entendre sur un modèle unique, les spécialistesdu logiciel industriel raisonnent schématiquement encouches logicielles qui se superposent et interagis-sent, historiquement assez peu. Au plus près de l’ac-tion de production, on trouve ainsi, classiquement, lacouche des automatismes et logiciels de pilotage dela commande numérique des machines-outils (méca-nismes de déplacement et rotation, commande de lalubrification, mesures…). Puis vient la couche d’inté-gration et de pilotage en « temps réel » de l’ensembledes machines et équipements de la chaîne de mon-tage dans un système de supervision et contrôle com-mande, que l’on nomme généralement SCADA (super-visory control and data acquisition). Viennent ensuiteles logiciels de suivi de l’exécution de la production,les MES (manufacturing execution system), qui per-mettent de localiser les produits, pièces et lots dansla chaîne, de connaître l’état des différents équipe-ments. Et enfin les logiciels de planification des res-sources de l’entreprise (ERP [enterprise ressource plan-ning]), utilisés pour gérer les stocks, les commandes,les approvisionnements, etc.

MISE À PLAT OU CONTRÔLE DIRECT?Derrière ces hiérarchies théoriques, une séparation despouvoirs assez étanche entre le monde de la produc-tion – du côté des couches les plus basses et avec unpilotage en temps réel, au fil de la production – et celuides bureaux et gestionnaires, à la tête desquels lesdirections des systèmes d’information (DSI) si forte-ment montées en puissance dans les années 1990,sur une logique plus séquentielle. Sauf que les der-nières étapes de la convergence numérique sont entrain de faire éclater ce cloisonnement.Les protocoles de communication numérique, filaire etde plus en plus sans fil, commencent à être capables

de faire travailler ensemble les différents systèmesopérant dans des couches différentes et sur des rythmesdifférents, en temps réel ou au moment du clic. Le fan-tasme de transversalité qui s’affirme dans tous lesgrands plans d’Usine du futur, d’Usine digitale ou deSmart Factory (« usine intelligente ») est celui del’Internet des Objets industriels, où toutes les machines,produits, opérateurs seront connectés dans un seulgrand réseau d’usine, d’entreprise, et même dans l’en-treprise « étendue » intégrant sous-traitants et fournis-seurs, sous la direction d’un grand Big Brother respon-sable de tout le numérique de l’entreprise. Un fantasmequi tient tout autant d’un nouvel âge « cognitif » desTemps modernes de Chaplin que d’une libération mas-sive de temps et d’autonomie humaine.

FUTUR 4.0 ET DÉBAT PUBLICQuoi qu’il en soit, ces intégrations devront d’abord pas-ser par le test de la cybersécurité, faute de quoi lesaffaires de piratage et de guerre électronique dont onentend parler çà et là risquent bien de prendre une toutautre ampleur. Un domaine dans lequel la rechercheet l’industrie françaises excellent, mais qui dépendaussi très fortement des normes et réglementationsmises en place.Début 2015, l’Allemagne annonçait l’adoption du for-mat OPC UA comme protocole de communication uniquepour son industrie, une décision décisive pour enfincommencer à donner une réalité à son très visible plan« Industrie 4.0 ». Hasard ou coïncidence, à peine troissemaines plus tard, Emmanuel Macron dévoilait le planfrançais « Industrie du futur », avec des ambitions com-parables. Dans la course à l’usine numérique, la Francen’est pas en retard, elle a même toutes les cartes enmain pour être au rang des pionniers. Est-ce souhai-table? À quelles conditions? Il appartiendrait au débatpublic d’en décider. Encore faudrait-il qu’il ait lieu.

LE LOGICIEL DANS L’USINE, CONVERGENCES ET FRAGILITÉS

ÉCRIVEZ-NOUS À [email protected]

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Le logiciel est entré dans l’usine avec la carte perforée servant à program-mer les motifs des métiers à tisser. Désormais omniprésent, il nousamène aujourd’hui à un tournant.

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AVRIL-MAI-JUIN 2016 Progressistes

LA PRODUCTIVITÉ DU VIOLONISTE

PIERRE RIMBERT*,

e cas qui nous sert d’intro-duction revient à dire, dansle langage peu mélodieux de

l’économie, que la productivité stagnedans le secteur de la musique de chambre. Entre ce Mozart etaujourd’hui, le temps de travail néces-saire à la confection d’un métronomes’est effondré : la productivité manu-facturière, elle, a crû sans cesse. Etcomme le salaire des artistes n’estpas resté bloqué depuis le règne deFrédéric II, le coût des performancesartistiques augmente plus vite quecelui des produits fabriqués en usine.Ce mécanisme décrit au milieu desannées 1960 par deux jeunes écono-mistes de Princeton, William Baumolet William Bowen, prend le nom de« maladie des coûts » (cost disease).Un demi-siècle plus tard, ce malronge de nombreux domaines, dontceux de l’éducation et de la santé.Puisque « la quantité de travail requisepour produire ces services est diffi-cile à réduire », explique Baumol dansun ouvrage consacré à l’actualité desa trouvaille1, leurs coûts de produc-tion s’élèvent donc régulièrementpar rapport à ceux des secteurs faci-lement automatisables. Aux États-Unis, entre 1978 et 2008, le prix desservices hospitaliers a augmenté(hors inflation) trois fois plus quel’ensemble de l’économie; et les fraisde scolarité dans l’enseignementsupérieur, deux fois et demie.La maladie des coûts affecte lesdomaines les plus divers : biblio-thèques, services juridiques, servicessociaux, poste, sécurité, nettoyagedes rues et ramassage des ordures,restauration, justice, police de quar-tier, réparations diverses. Point com-mun : une résistance à l’automati-sation, car ces métiers exigent uncontact humain prolongé et/ou uneattention particulière portée à chaquecas. La qualité du service en dépend.« Qui tenterait d’accélérer le travaildes chirurgiens, des enseignants oudes musiciens aurait de bonnes chances

sation du « tour de main » ouvrier etcelle des emplois de contact stan-dardisés, la robotisation du travailintellectuel est en marche. Générateursautomatiques de textes, analysesinformatiques de jurisprudence, dia -gnostiqueurs médicaux numériquesreliés à des bases de données, aide

à la décision, cours en ligne,etc., pourraient accroîtrela productivité dans les ser-vices, détruire beaucoupd’emplois et créer quelquesmilliardaires. C’est l’optionlibérale.Toutefois, la maladie descoûts pourrait induire sa pro-pre médication en poussant

le régime économique à excéder sesconditions de survie. Selon Baumol,les dépenses de santé représentaient5 % du produit intérieur brut (PIB)états-unien en 1960 ; en 2012, 18 %. Àce rythme, la santé représenterait 62 %du PIB des États-Unis en 2105. Certes,ce pays est un cas extrême, et l’on douteà bon droit d’extrapolations aussi har-dies. Mais en complétant cette éva-luation par celle des autres activitéstouchées par la maladie des coûts, ondistingue une tendance : à mesure queles gains de productivité érodent laquantité de travail nécessaire à la fabri-cation des biens industriels, la valeurdes productions humaines dérive deplus en plus des services gourmandsen travail humain, lesquels se situentsouvent dans le domaine public et del’intérêt général.C’est là le point décisif : le déplace-ment du centre de gravité de la valeurvers les services collectifs annonceune intensification des conflits d’ap-propriation qui les entourent.Impatients de les aiguiller sur la voiede la productivité afin d’en diminuerles coûts, industriels et gouvernantsconjuguent déjà leurs efforts. Pourles forces sociales désireuses de rebâ-tir de véritables services communset de promouvoir la facette émanci-patrice de la technologie, le terrainde bataille est tout désigné. n

*PIERRE RIMBERT est rédacteur au Monde diplomatique.

1. William Baumol, The Cost Disease. WhyComputers Get Cheaper and Health CareDoesn’t, Yale University Press, New Haven,2012. Les citations ainsi que de nombreuxexemples en sont tirés.

d’obtenir une opération bâclée, desélèves mal formés ou un très étrangespectacle », note Baumol.Si aucun administrateur musical n’aencore songé à éliminer un violonpour doper la productivité d’un qua-tuor, les pouvoirs publics transpo-sent à leur manière cette idée« géniale » à d’autres domaines. Quandl’austérité tient lieu de pensée-réflexe,compressions d’effectifs, obligationd’abréger le temps passé avec chaqueusager et baisses relatives de salairefrappent prioritairement l’école, l’hôpital et les services sociaux.« L’inquiétante morale de l’histoire,écrit Baumol, est que parmi les pro-ductions les plus vulnérables à lamaladie des coûts se trouvent cer-tains des attributs les plus vitaux dessociétés civilisées. » Symétriquement,les secteurs à productivité croissanteappartiennent au monde de l’entre-prise privée. En choisissant d’alté-rer les activités indispensables à lavie collective pour en baisser le coût,les dirigeants effectuent un choix declasse : plus dépendants que les richesdes services collectifs, les pauvressubissent davantage les conséquencesde leur dépérissement.

La conjonction de l’obsession aus-téritaire et d’innovations technolo-giques susceptibles d’entraîner deshausses de productivité place lespouvoirs publics à un point de bifur-cation : continuer à soigner la « mala-die de Baumol » en poussant tou-jours plus loin la détérioration desservices vitaux ou accepter la haussede leurs coûts non plus comme unemalédiction comptable mais commela juste rémunération d’un bienfait.Pour l’heure, tout paraît porter lapremière option. Après la mécani-

Exécuter une pièce de Mozart à Vienne en 1785 ou, deux siè-cles plus tard, au Carnegie Hall de New York nécessite lamême quantité de travail pour les virtuoses.

«Qui tenterait d’accélérer le travail deschirurgiens, des enseignants ou des musiciensaurait de bonnes chances d’obtenir uneopération bâclée, des élèves mal formés ou un très étrange spectacle», note Baumol “ “

Si aucunadministrateurmusical n’a encoresongé à éliminer un violon pourdoper laproductivité d’un quatuor, les pouvoirs publicstransposent à leurmanière cette idée« géniale » àd’autres domaines.

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DOSSIER14 LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUE

LE LOGICIEL LIBRE MUNICIPAL, LA MAIRIE DE FONTAINE

PAR NICOLAS VIVANT*,

2001, DÉBUT D’UNE ODYSSÉEDès le départ, en 2001, la motivationpremière des élus de Fontaine estpolitique : les valeurs de l’open sourceet du logiciel libre rejoignent dansune large mesure celles du servicepublic communal (travail commu-nautaire, service de l’intérêt géné-ral, transparence et coûts maîtrisés).La deuxième raison est plus tech-nique : parce qu’ils reposent sur desstandards ouverts et partagés, leslogiciels libres permettent de garan-tir l’indépendance du système, safiabilité et une meilleure sécurité.Dans une collectivité, le rôle des ser-vices est de se mettre au service duprojet politique de la majorité enplace. Le programme municipal estdonc décliné en orientations danschacun des secteurs. Le responsa-ble informatique s’assure de la cohé-rence et du bon fonctionnement dusystème d’information, et met enœuvre les modalités techniques deréalisation d’un projet politique dontle conseil municipal est le garant.Quand, après presque vingt annéesde carrière dans le privé, et notam-

forcée et qu’un véritable change-ment culturel ne peut s’opérer qu’avecl’adhésion des utilisateurs.Inciter et prêcher par l’exemple serontles deux piliers d’un changementsans contrainte.Les formations bureautiques sontrevues. Plutôt que de former simple-ment nos utilisateurs à l’utilisationd’OpenOffice (en cours d’abandonau profit de LibreOffice), nous leurdonnons les moyens d’être acteursde la transition en les formant à lamigration de Microsoft Office versOpenOffice.

Internet Explorer – qui est un logi-ciel propriétaire de Microsoft – étanttechniquement en retard, MozillaFirefox (logiciel libre) devient sansdifficulté majeure l’unique naviga-teur recommandé. Thunderbird étantdéjà le client de messagerie par défaut,la plupart de nos PC tournent bien-tôt avec une majorité de logicielslibres. Certains des logiciels profes-sionnels n’étant compatibles qu’avecla suite Microsoft Office, quelquesutilisateurs conservent la suite bureau-tique propriétaire. Mais ils sont mino-ritaires, et le logiciel libre devient larègle, les logiciels non libres étantl’exception. Cela dit, Windows restedominant.

ÉCONOMIES ET COMPÉTENCEÀ partir de 2014, les baisses de dota-tion de l’État affectent durement lescollectivités territoriales. Forcées des’adapter, elles sont à la recherchede solutions permettant de réaliserdes économies tout en préservant,autant que possible, la qualité duservice public. Le logiciel libre estune des pistes permettant à la direc-tion des systèmes d’information decontribuer à l’effort général.Un ordinateur portable acheté sanssystème d’exploitation peut coûterjusqu’à 30 % moins cher que le même

ment dans des multinationales états-uniennes (HP, Motorola…), je prendsla direction du service informatiquede Fontaine je ne connais rien, oupresque, des logiciels libres. Certes,j’ai entendu parler d’Apache, ce pro-gramme qui permet à la grande majo-rité des serveurs Web de fonction-ner, et de Firefox, qui est en train àl’époque de dépasser Internet Explorer,mais c’est à peu près tout.Dans le service, mes prédécesseurset l’équipe ont déjà franchi plusieursétapes importantes : la quasi-tota-lité des applications de gestion del’infrastructure (messagerie, agendapartagé, annuaire informatique, ser-veur de fichiers, etc.) reposent surdes logiciels libres.

INCITER ET PRÊCHER PAR L’EXEMPLEJe découvre un environnement éton-namment stable, robuste et qui n’arien à envier, en termes de fonction-nalités, à ce que j’ai pu connaîtreauparavant. Côté bureautique, lamigration de Microsoft Office versOpenOffice est entamée, mais peineà aboutir. Je réalise qu’on ne peutpas « libérer » l’informatique à marche

Depuis quinze ans, les élus de la mairie de Fontaine, enIsère, portent le passage au logiciel libre comme une orienta-tion importante de l’action municipale. Le directeur des sys-tèmes d’information de la ville retrace l’histoire de ce patienteffort, riche d’enseignements.

L’ordinateur du maire de la ville de Fontaine,récemmentpassé sousLinux.

Au-delà de sa parfaite conformité avec les valeurs qui fondent le service public, le logiciel libre est donc une véritable opportunitépour nos communes. “ “

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efforts de formation et la qualité deservice doit être la même pour Linuxque pour Windows. Il nous faut doncune interface simple à appréhenderet parfaitement intégrée dans notresystème d’information (gestion desprofils en itinérance, authentifica-tion par l’annuaire informatique,accès facile aux disques partagés,etc.). Plusieurs mois sont nécessairesà l’équipe pour atteindre ces objec-tifs et une première version de Linuxpeut être proposée en septembre 2014.Pendant trois mois, nous réalisonsun test avec vingt utilisateurs. Ladirection générale et les élus sont

intégrés dans cette phase. Cela nouspermet de parfaire notre interfaceet de vérifier que tout fonctionnecorrectement. Les résultats sont posi-tifs, et nous n’enregistrons pas dedemande de retour en arrière. Dejanvier à juin 2015, nous proposonsun plan de volontariat. En plus despostes déjà installés, une trentained’agents se portent volontaires pourmigrer vers Linux. À cette étape du

projet, 10 % des agents municipauxutilisent des machines 100 % libres,et tout se passe bien.

70 % DU PARC SOUS LINUX EN 2018En août 2015, l’adjoint à l’éducationnous demande d’entamer la migra-tion sous Linux des PC des écolesmaternelles et primaires de la ville.Sur les dix-sept écoles de la com-mune, plusieurs se portent volon-taires pour un test. Nous entamonsle processus de migration d’une écolepilote en décembre. Selon nos pré-visions, la migration de toutes lesécoles devrait prendre trois ans.Parallèlement, nous entamons unetroisième phase d’incitation : nousproposons systématiquement Linuxpour les postes neufs en déploie-ment. Windows peut être conservési l’utilisateur en fait la demande. Sitout se passe selon les prévisions,70 % de notre parc informatiquedevrait tourner sous Linux en 2018.

UNE EXPÉRIENCE GÉNÉRALISABLEÀ D’AUTRES COMMUNES ?Plusieurs écueils se présentent auxcollectivités qui décident de faire ce choix.L’absence de compétences en interne :l’intérêt économique n’est réel quesi l’absence de coûts de licence n’estpas compensée par l’achat de pres-tations de mise en œuvre et de main-tenance. La présence de personnesformées est donc indispensable, etcela passe par une attention parti-culière apportée au recrutement età la formation des agents du serviceinformatique.L’hétérogénéité du système d’infor-mation : par exemple, migrer desmachines vers Linux alors que lessystèmes d’impression et de copiene sont pas compatibles serait unegrave erreur. La prise en compte del’ensemble des éléments de l’infra-structure est donc indispensable.

équipement livré avec Windows. Lescoûts de licences, exorbitants (250 €par poste pour la suite MicrosoftOffice, par exemple), disparaissent.Plus stables dans le temps, lesmachines sont renouvelées moinssouvent. L’ouverture et la transpa-rence propres aux logiciels libres per-mettent au service informatique defonctionner en autonomie presquecomplète : l’augmentation du nom-bre de logiciels libres utilisés à Fontaineva de pair avec une baisse du nom-bre de contrats de prestation et uneimportante montée en compétencesde l’équipe. Au-delà de sa parfaiteconformité avec les valeurs qui fon-dent le service public, le logiciel libreest donc une véritable opportunitépour nos communes.

UN DÉPLOIEMENT SYSTÉMATIQUE ET BIENVEILLANTEn 2014, une nouvelle version deUbuntu, la célèbre distribution deLinux pour les postes clients, voit lejour : la 14.04 LTS. Les changements,au niveau de l’interface graphique,sont étonnants. L’ergonomie, la faci-lité d’installation et de maintenanceet la gestion des pilotes ont fait desprogrès considérables. Dans la mêmepériode, la version 8 de Windows estproposée sur les ordinateurs neufs.D’un côté, un système d’exploita-tion libre et gratuit en pleine pro-gression ; de l’autre, un produit quidéçoit et effraie la plupart de nos uti-lisateurs. Une fenêtre d’opportunitése présente, et nous décidons de fran-chir le pas du changement de sys-tème d’exploitation.

Les décideurs (élus, direction géné-rale, cabinet) étant à l’initiative dumouvement, leur soutien, indispen-sable, est acquis. Le service informa-tique, en charge de la réalisationconcrète, est volontaire et les com-pétences nécessaires sont indiscu-tablement présentes. Reste à mettreen œuvre une stratégie systématiquemais bienveillante, prenant en comptele contexte général (des utilisateursgénéralement formés aux logicielspropriétaires) tout en ne transigeantpas sur l’objectif.Trois conditions s’imposent d’em-blée : l’interface graphique doit êtreau moins aussi simple que Windows,elle ne doit pas nécessiter de lourds

Loin d’être un choix seulement idéologique,le logiciel libre est en train de devenir une véritable alternative pragmatique. “

VOCABULAIRELOGICIEL LIBRE : logiciel dont l’utilisation, l’étude, la modification et la duplication en vuede sa diffusion sont permises, techniquement et légalement. Ce afin de garantir certaineslibertés induites, dont le contrôle du programme par l’utilisateur et la possibilité de partageentre individus. (Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Logiciel_libre/ )

LOGICIEL PROPRIÉTAIRE : par opposition, logiciel non utilisable et/ou modifiable librement,généralement développé et commercialisé à des fins lucratives

Le pingouin Tux,mascotte de Linux.

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DOSSIER16

La sous-estimation du changementculturel que cela représente : la plu-part des utilisateurs sont formés àWindows (avec des disparités deniveau) parce que c’est le systèmed’exploitation dont elles disposentà la maison. Changer de logiciel estune remise en cause d’un certainnombre de compétences acquises,parfois avec difficulté.Les contraintes de calendrier : la priseen compte des écueils mentionnésci-dessus nécessite du temps. Le pas-sage au libre doit donc se faire dansla durée, et peut ne pas être compa-tible avec le « temps politique » (unchangement de majorité peut induireun changement de direction et réduireà néant l’avancement du projet).

ALORS POURQUOI FAIRE L’EFFORT?Pour une plus grande indépendancefinancière : à l’heure où la locationde logiciels directement accessiblesen ligne est en train de devenir la

règle, l’utilisation de logiciels instal-lés en interne permet de n’être passoumis aux augmentations de tarifs,aux rachats des éditeurs par d’au-tres, à d’éventuelles cessations d’activité…Pour une vision plus sociale1 de lafonction informatique : la communeinvestit sur les compétences internes,la formation et la qualité du maté-riel plutôt que de supporter de lourdscoûts de licences et contrats de main-tenance, et ce faisant ramène lesinvestissements du privé vers le public.Pour une utilisation des donnéescompatible avec nos valeurs : nosoutils et nos données sont ceux dela collectivité. Les remettre entre lesmains du privé, c’est prendre le risquede les voir utilisés dans une optiqueexclusivement financière et pas for-cément compatible avec l’intérêtgénéral.Pour une plus grande coopérationentre structures publiques : la notionde partage et d’entraide est au cœur

du libre. De nombreux projets decollaboration existent (entre la villede Grenoble et Fontaine sur le pro-jet des écoles, par exemple) et per-mettent de confronter problèmes etbonnes idées.

Les collectivités qui ont fait le choixdu logiciel libre et de Linux1 sont tou-jours prêtes à aider les collectivitésqui voudraient franchir le pas. Loind’être un choix seulement idéolo-gique, le logiciel libre est en train dedevenir une véritable alternativepragmatique. n

*NICOLAS VIVANT est directeur des servicesinformatiques de la mairie de Fontaine (Isère)et membre de l’Observatoire zététique.

1. Liste consultable surhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_adop-tants_de_GNU/Linux/.

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LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUE

DROIT DU TRAVAIL ET NUMÉRIQUE CONJUGUER LE FUTUR AU PASSÉ?

PAR ANNE RIVIÈRE*,

ans les années 1890-1920,des centaines de milliersd’hommes et, surtout, de

femmes travaillaient chez eux, dansle textile et la confection, pour dessalaires de famine.Ce travail dissimulé était prôné commeidoine pour les femmes, une mystifi-cation qui ménageait la susceptibilitésociale, pour laquelle le travail officiel,moins mal payé, était le seul référent.Le contrôle du travail des femmes,comme celui des enfants, de jour oude nuit, s’arrêtait à la porte du domi-cile. Et du moment qu’il n’était pasvisible, tous les abus étaient permis.

contrat de travail – au profit d’uneprivatisation moyenâgeuse de l’éla-boration d’un droit sur mesure.Rappelons que ce projet nie le prin-cipe d’un ordre social de protectiondu salarié, principe qui garantit l’ap-plication, en cas de conflit, des normesles plus favorables à celui-ci : pres-criptions de l’OIT, Constitution, lois,décrets, contrat de travail, balaya-bles par des « accords » léonins, fon-dés sur un chantage à l’emploi (exem-ple type en est le référendum imposéaux salariés de l’usine Smart, enMoselle).

L’impact de la transition numériqueest convoqué à l’appui de ces tenta-tives grossières et inconstitution-nelles, alors que le rapport Mettling,déposé en septembre 2015, tradui-sait des préoccupations louables surle sujet, axées sur la vie quotidienneau travail.

Des années de lutte furent néces-saires pour imposer des lois assor-ties de moyens pour les appliquerafin d’abolir cette servitude.Aujourd’hui, avec une pareille inten-sité et s’appuyant sur les médias, leMedef et des « experts » œuvrent àune autre mystification : à coups derapports convergents, ils cherchentà imposer l’idée que le Code du tra-vail serait obsolète, et donc qu’ilconvient de dissoudre les moyensde l’appliquer.Un sommet a été atteint avec le pro-jet de loi El Khomri, assorti du refusde reconnaître au Parlement la com-pétence pour légiférer et réguler lerapport de subordination – base du

Le déploiement de la révolution numérique va-t-il aider àadapter le travail à l’humain ou poursuivre et accentuer lesravages du capitalisme en démantelant le droit spécifique dutravail et la protection sociale ?

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d’accidents cardiaques et d’AVC, dontplus de 100 000 imputables à ce quise passe au travail, à force de stresset de sous-effectifs.La concurrence forcenée, généra-trice de « standards » et de décom-position des métiers et des qualifi-cations, c’est aussi l’ère du travailurgent, interrompu, mal fait, alorsmême que l’on prétend s’intéresserau « client ».Le numérique est pourvoyeur de cesdéconstructions. Les salariés en sontpeu protégés, même si la CNIL a pré-cisé ce qui était tolérable : pointage,contrôle et surveillance informa-tique des gestes, paroles ou cadences,caméras sur les lieux de travail, pucesRFID en open space, géolocalisationsdiverses, soumission aux ordres dela machine, parfois hurlés dans uncasque, artificialisations des procé-dures… censées éviter des « risques ».Le salarié, autonome pour ce quin’est pas prévu dans les process, per-met au travail de se faire, mais il estesclavagé par ses objectifs, qu’il finitpar intérioriser. À l’extrême, plus illes atteint, plus il est soupçonnéd’avoir une charge insuffisante, selonles énoncés pervers de certains cabi-nets de conseil.Une logique totalitaire s’installe avecun numérique au service de ratioset normes de rentabilité imposés parles banques et techniques de bench-mark. Après avoir cassé les collec-tifs de travail, elle appelle un nou-veau Code du travail pensé par lessalariés, et non par les détenteurs decapitaux.Selon 46 % des directeurs de res-sources humaines, la productivitéelle-même est compromise par l’in-suffisance généralisée des effectifs,reconnaissait le Figaro en date du14 février 2014 – et la situation nes’est pas améliorée depuis. Cet aveuconfondant est la toile de fond réelledu discours sur la future disparition« numérique » de millions d’emploispropulsé par une étude états-uniennerécente (préparation au TAFTA ?).Si le numérique promet des flux deprofitabilité jamais atteints, avec desmises de capitaux très faibles, descompressions de temps et de dis-tances fabuleuses, entre autres, c’està cause du retard pris par les nou-velles régulations sociales à construire,retard qui favorise la rente du renard

notion de subordination ; la dimi-nution apparente des tâches phy-siques, loin d’être généralisée, s’ac-compagne de l’augmentation intensede la charge mentale du travail etd’une mise en concurrence aiguëdes entreprises et des salariés entreeux – avec la tertiarisation – et degros dégâts. D’où de fines analysesd’un contrat de travail mutant, quasicommercial, entre « égaux » !Ce discours ne doit pas faire illusion.Il pourrait bien être renversé par sesdestinataires même.

LIBÉRER L’« ENTREPRISE » DU SALARIAT… OU L’INVERSE ?L’entreprise n’existe pas en droit.Derrière le mot, il y a les détenteursde capitaux, qui peuvent la détruirequasi impunément et poursuivreleur quête de profit en laissant choirceux qui les ont enrichis par leur tra-vail quotidien.Le contexte social de la révolutionnumérique ne peut être omis parl’entreprise « agile » : les effets de lacrise de 2008 persistent, avec desdizaines de licenciements, des misesen inaptitude, des petites mortssociales, des ruptures provoquées,dites « conventionnelles » entre« égaux ». Ce sont là autant de coûtssocialisés, à travers l’assurance chô-mage et l’assurance maladie, et lesimpositions des salariés qui ne peu-vent rien dissimuler, à l’inverse despropriétaires siphonnant des mil-liards à l’abri des paradis fiscaux.L’aspiration à un autre vécu du tra-vail est immense, tout comme lebesoin de nouvelles protectionslégales, élargies.La généralisation du lean a portéatteinte à la santé des salariés avecl’explosion des risques dits psycho-sociaux et de burn-out : plus de 3 mil-lions de salariés exposés ! Les méde-cins s’inquiètent du nombre

LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE :MYTHES ET RÉALITÉSSelon la grille de lecture du Medef etd’Emmanuel Macron, la transitionnumérique justifierait de revisitertout l’édifice protecteur du travail,y compris la notion de salariat, lequelne serait plus que l’apanage d’unepetite caste éclairée et dirigeante. Orle salariat concerne 93 % des actifs,soit 17,5 millions de personnes, stig-matisées en un contrepoint perversdu sort de 6 millions de chômeurs…Et les praticiens au contact des réa-lités sociales le disent : le droit du tra-vail, c’est finalement le droit au tra-vail. Il y a faute de la République à nepas assurer le respect de ce droit fon-damental, inscrit dans le Préambulede la Constitution de 1946 auquelrenvoie celui de la Constitution de1958. Cette faute est le terreau detoutes les ubérisations et autres formesde travail en low cost émergentes.La convocation impérieuse et dés-incarnée du numérique, et des busi-ness models à adapter d’urgence,autoriserait à annihiler des acquissociaux centenaires. La magie dunumérique transformerait des iné-gaux en pairs, chevaliers de la tableronde, nets de cotisations sociales,dégagés des questions vulgaires d’ho-raires de travail et d’astreintes.

« Au grand festin du numérique, serez-vous à table ou dans l’assiette ? »,titrait l’université Medef du numé-rique en mars 2016. Le retard dunumérique français, hors l’aéronau-tique et le spatial, était criant. Lestravailleurs du numérique le savent,eux dont la vie est devenue infernaleavec l’introduction en Bourse desgrandes SS2I (sociétés de services eningénierie informatique) : le salariédétaché en mission, autonome, auraitune obligation de résultat et non plusde moyens, incompatible avec la

Selon E. Macron, la transition numériquejustifierait de revisiter tout l’édifice protecteur du travail, y compris la notion de salariat, lequelne serait plus que l’apanage d’une petite casteéclairée et dirigeante. Or le salariat concerne 93 % des actifs, soit 17,5 millions de personnes,stigmatisées en un contrepoint pervers du sort de 6 millions de chômeurs…

“ “La diminution apparente des tâches physiques, loin d’êtregénéralisée, s’accompagne de l’augmentation intense de la charge mentale du travail.

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libre dans le poulailler malmené partant d’années de chômage, de gri-gnotage des droits et de précarisa-tion : jeunes, vieux, femmes.Le rapport Mettling s’est concentrésur trois thèmes sensibles : le tempset la charge de travail, le droit à ladéconnexion, les nouvelles formesd’emploi. Ces choix sont méritoires.Derrière la question du temps de tra-vail se cachent d’autres probléma-tiques, notamment la notion de duréehebdomadaire légale du travail, quidérange depuis les 35 heures, et lacharge de travail : l’employeur doit la contrôler et respecter les temps de repos.

LES QUESTIONS CENTRALES :TEMPS DE TRAVAIL ET SALAIRESLe rapport relève l’intensification dutravail par usage non maîtrisé desoutils numériques : flux d’informa-tions, empiétements sur la vie per-sonnelle, virtualisation des relationsprofessionnelles, situations anxio-gènes incitant les salariés à resterconnectés en permanence, et « subor-donnés » hors entreprise (à ce pro-

pos, la CGT a lancé une campagnepour la déconnexion). Un consen-sus, hélas insuffisant, émerge pourde « bonnes pratiques ».Mais la question du temps de tra-vail, base historique du droit du tra-vail, est posée sous un angle inac-ceptable : il est récusé commeinstrument de mesure de la chargede travail ! Il ne serait plus pertinentde compter les heures accomplies,ni de les rétribuer ! Le rapport pré-conise une négociation pour uneévaluation « raisonnable » de la chargede travail. Quel crédit accorder à cettepréconisation quand près d’un mil-liard d’heures supplémentaires nesont ni déclarées ni payées, ce dontles salariés ne parlent que devant lesprud’hommes lorsqu’ils contestentleur licenciement ?Les 35 heures sont visées : il s’agit detravailler plus pour le même salaire,de convertir des heures supplémen-taires en heures de formation ou

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DOSSIER18 LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUE

autres ficelles sans bourse délier. Ensomme, donc, de : baisser les salaires.

DU MARCHÉ DU TRAVAIL AUMARCHÉ DES TRAVAILLEURS?Désir d’autonomie, poids du chômagemassif favorisent ce qu’on appelle« nouvelles formes de travail ».Pour « concilier » travail et vie defamille, le risque d’extension d’un tra-vail où l’on ne compte plus ses heuresréapparaît : travail à domicile, forfaitsjours, travaux à la tâche. Ainsi desinformaticiens détachés chez le client,des plates-formes ubérisées et autresfaux indépendants: ouvriers du bâti-ment mus en autoentrepreneurs, portage salarial, pour gommer la dis-tinction salarié/indépendant.

UN CODE POUR LE TRAVAIL, PAS POUR LE CAPITALLa transformation numérique appelledes changements majeurs, à l’opposéde ce que le système capitaliste a com-mencé à imposer. Dans ce systèmeconcurrentiel, il s’agit, pour commen-cer, d’étendre la protection du sala-riat aux situations de dépendanceséconomiques, d’intégrer la protectionsociale et le droit du travail. Et, aprèsrévision des systèmes de sous-trai-tance et d’ingénierie du profit et dufinancement, une autre conceptionde l’entreprise devrait se faire jour etêtre mise en œuvre, au service de tous,pour réduire le temps de travail.n

*ANNE RIVIÈRE, membre du comité de rédaction de Progressistes, est juriste.

Dans les années 1890-1920, des centaines de milliersd’hommes et, surtout, de femmes travaillaient chez eux,pour des salaires de famine, à l’image des autoentrepreneursubérisés du XXIe siècle.

Pour « concilier » travail et vie de famille,le risque d’extension d’un travail où l’on necompte plus ses heures réapparaît : travail àdomicile, forfaits-jours, travaux à la tâche. Ainsi, des informaticiens détachés chez le client,des plates-formes ubérisées et autres fauxindépendants.

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UBER, POINTE ÉMERGÉE DU CAPITALISME DE PLATES-FORMES

PAR YANN LE POLLOTEC*,

es propriétés mobilières etimmobilières des capitalistessont résiduelles en regard de

la capitalisation boursière, du chif-fre d’affaires. Le nombre de salariés

est infime par rapport aux profits1.Ces capitalistes détiennent pour seulevéritable « richesse » des plates-formes accessibles via Internet, c’est-à-dire un algorithme permettantd’échanger des biens et des servicesà l’échelle planétaire à partir de l’ex-

ploitation de grands volumes d’in-formation. Ce qui implique la pos-session ou la location de « fermes »de serveurs pour stocker en massedes données.Ce capitalisme n’appartient pas aumonde de l’économie de contribu-

Une nouvelle forme de capitalisme se développe à l’échelle planétaire : le capitalisme de plates-formes. Ce capitalisme se caractérise par autre chose que la propriété privée de moyens de production et d’échange classique.

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Conducteurs detaxi manifestantcontre la « loitravail » le 14 juin2016 à Paris.

tion et de partage, il en est au contrairele parasite et le prédateur.

TROIS TYPES DE MODÈLESLe capitalisme de plates-formes se décline en trois grands types demodèles.Le premier type fait profit de l’acca-parement de la vente des informa-tions et données que les utilisateursfournissent gratuitement en échangedu service qu’elles offrent. C’est lemodèle de Google et de Facebook.Le second type vit en prélevant unecommission en pourcentage sur leséchanges de service que les plates-formes proposent (Ebay, Booking,ou des plates-formes de financementparticipatif non éthiques).Le troisième type propose des bienset services en échange d’une trans-action financière ; Uber, AmazonMechanical Turk, Foule Factory,AirBnb sont parmi les plus représen-tatives de ces entreprises de cour-tage mondial de travail. Par exem-ple, les tarifs sont déterminésautomatiquement par Uber, qui prend20 % de commission sur le prix de lacourse, commission colossale. Lechauffeur n’est pas un salarié d’Ubermais un contractant. Uber compteplus de 160000 chauffeurs-contrac-tants dans le monde pour à peine2000 salariés, dont aucun n’est chauf-feur. Uber n’a aucune obligationenvers lui si ce n’est l’intermédia-tion. Le chauffeur ne bénéficie d’au-cune protection sociale. Il fournit lesmoyens de production : voiture,

revenus, mais à la merci du déclas-sement en cas d’émergence d’unetechnologie disruptive ;– un socle pérenne de salariés, maisen diminution sensible en particu-lier pour les CDI, nécessaire au fonc-tionnement de grandes et moyennesentreprises traditionnelles, de cer-tains segments de l’industrie, desservices publics ou des institutions.Ce socle de salariés se retrouve prisen étau entre le développement mas-sif et rapide de la robotique, de l’auto -mation et sa déstructuration par l’externalisation.– un nombre en très forte croissancede « contractants indépendants »,« d’entrepreneurs de soi » dans unesituation de totale précarité et for-mant un nouveau prolétariat qu’onqualifie déjà de net-prolétariat4, exploi-tés par le capitalisme de plates-formes.En raison de la faiblesse endémiquedu niveau des salaires, nombre desalariés complètent déjà leurs reve-nus en exerçant une activité de contrac-tants en sus de leur emploi (c’est lecas de nombre de chauffeur d’Uber).

Les démagogues de droite et d’ex-trême droite, le Medef mais aussi lesocial-libéralisme auront beau jeud’opposer le nouveau prolétariat descontractants aux « privilèges » (sic)pourtant sans cesse rognés du sala-riat traditionnel, d’autant que le nom-bre de salariés en CDI se rétracte surles classes d’âge au-dessus de 35 anset sur les hommes alors que le net-prolétariat se développe en prioritédans la jeunesse et chez les femmes.Pour le PCF, comme pour toutes lesorganisations de progrès social, lepiège serait, sous couvert de refusercette division du monde du travail,d’apparaître comme défendant uni-quement le socle salarial tradition-nel. L’une des priorités du PCF doitêtre de contribuer à ce que ce net-prolétariat de contractants s’orga-nise pour gagner des droits et de laprotection sociale, comme les dockerssurent s’organiser pour gagner le sta-tut de 1947 face aux aconiers.

NET-PROLÉTARIATLe net-prolétariat a déjà commencéà s’organiser, comme en témoignel’exis tence par exemple de Coopanameen France, une « mutuelle de travailassocié » qui offre un cadre concret

smartphone, GPS. Il est en situationde précarité totale, entièrementdépendant à tout instant de l’offreet de la demande. Il est « entrepre-neur de lui-même », pour reprendrel’expression de Michel Foucault carac-térisant le néolibéralisme.Le contractant d’Uber est dans unesituation équivalente à celle du dockervis-à-vis des aconiers avant le statutde 1947.

Avec le développement du capita-lisme de plates-formes, la situationde contractants va se généraliserdans tous les domaines de la vie éco-nomique, principalement dans lesservices, mais aussi dans l’industrie.

NOUVELLE STRUCTURATION DU MONDE DU TRAVAILAinsi le monde travail est-il en trainde se structurer en se divisant entrois blocs :– une minorité d’« innovateurs créa-tifs » : entrepreneurs et employés destart-up, contractants indépendants« d’élite » (sic), sorte de précaires deluxe de la course à l’innovation capi-taliste, ayant de hauts niveaux de

Pour le PCF, comme pour toutes lesorganisations de progrès social, le piège seraitd’apparaître comme défendant uniquement le socle salarial traditionnel. L’une des priorités du PCF doit être de contribuer à ce que ce net-prolétariat de contractants s’organise.

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de sécurité emploi et formation. AuxÉtats-Unis, on voit aussi naître desinitiatives, comme Freelancers Union,qui inventent des formes de mutua-lisme entre travailleurs indépendantsafin d’accéder à une forme de sécu-rité sociale, à un système de retraiteou à des assurances en cas de baissed’activité. En Californie, les chauf-feurs d’Uber ont engagé une classaction et ont gagné la requalificationde leur contrat Uber en contrat detravail de salarié.Les réseaux et les tiers lieux devien-nent le champ de bataille de cettelutte des classes. Cette lutte passepar les réseaux sociaux, les vidéosvirales, la pratique du hack et le déve-loppement de modèles alternatifs.Elle implique un investissement intel-ligent de ces nouveaux espaces desocialisation et de rencontres quesont les tiers lieux : espaces de cowork -ing, fab-labs, hackerspaces, jardinspartagés et autres habitats partagés,« entreprises ouvertes », maker space.

LES DONNÉES, SOURCE DE VALEURUber, Bnb, Google ne seraient riensans les informations, les donnéesque les usagers leur fournissent gra-tuitement. Même avec le plus effi-cace des algorithmes, une plate-forme numérique vide n’a aucunevaleur. Les performances du moteurde recherche de Google doivent beau-coup aux trois milliards de requêtesquotidiennes que font ses utilisa-teurs. Ce sont les utilisateurs-contri-buteurs qui font la réputation et lesuccès d’une plate-forme, en faisantconnaître son existence de manièreréticulaire et virale.Uber n’investit pas dans les trans-ports, ni Airbnb dans l’hôtellerie etle bâtiment, Google ne crée pas d’in-formation, pas plus que Youtube netourne de vidéo ; ils ne payent pra-tiquement pas d’impôt ni cotisationssociales. Leur fonctionnement estfondé sur le morcellement du tra-vail, la mise en concurrence sauvageet planétaire des individus. C’est lemodèle du « passager clandestin »où on profite, sans y contribuer, d’in-frastructures déjà existantes et detravailleurs déjà formés.Aux XIXe et XXe siècles, le capitalismese nourrissait de l’accaparement dela richesse produite par les salariés ;

qu’elles mettent légitimement enopen data pour éviter qu’elles soientprivatisées ou pillées sans contre-parties par les firmes du capitalismede plates-formes. Les États doiventlever l’impôt sur les firmes du capi-talisme de plates-formes en les impo-sant proportionnellement aux nom-bres de clics qu’elles génèrent.D’où la nécessité de coopératives dedonnées, où les contributeurs seraient,dans un cadre collectif et démocra-tique, propriétaires ou coproprié-taires de leurs données et du revenuqu’elles peuvent générer. Comme l’amontré le chercheur Trebor Scholz,créateur du concept de digital labor,à partir des exemples de LaZooZ etde Fairmondo.À Séoul, la municipalité de gauchea interdit Uber, pour installer unecoopérative citoyenne municipalenumérique gérant les déplacementsindividuels urbains. La réappropria-tion des communs était aussi au cœurde la victoire de la liste « Barceloneen commun » et du projet Fab City12

de cette ville.Ainsi, les institutions, de la communeà l’ONU, se doivent de favoriser, d’ai-der, de jouer le rôle d’incubateur detelles plates-formes coopérativesplutôt que soutenir le modèle desstart-up, gâchis de ressourceshumaines et financières au servicede la réussite d’une minorité et deprojets à l’utilité sociale souvent discutable.

Une lutte à mort est engagée entrele capitalisme de plates-formes quiveut s’approprier tous les communset les partisans d’une économie dela contribution fondée sur les com-muns et un dépassement émanci-pateur du salariat, le PCF, ses mili-tants et ses élus ne peuvent resterétrangers à ce combat. n

*YANN LE POLLOTEC est responsable de la commission Révolution numérique du CN du PCF.

le capitalisme de plates-formes duXXIe siècle s’empare du bien com-mun numérique, le privatise et enredistribue, au mieux, des miettesaux contributeurs.

Il ne s’agit pas de remettre en causela nécessité de plates-formes et leurutilité publique. On a besoin demoteurs de recherche universels, departage et de mise en commun del’information et des savoirs, de finan-cement. La question est de remettreà la disposition de tous ce communaccessible via les plates-formes, enassurant sa préservation, son déve-loppement et la rémunération so -ciale de ceux qui participent de saproduction.

UN NOUVEAU TERRAIN DE LA LUTTE DES CLASSESIl ne s’agit pas non plus de nier ledésir de liberté et d’indépendanceni le refus de toute hiérarchie autreque celle de la compétence qui ani-ment toute une jeunesse qualifiéeet qui la poussent à fuir l’entrepriseet toute forme d’organisation pyra-midale. Mais l’émancipation de l’ex-ploitation salariale que portent lescontradictions entre le développe-ment de la révolution numérique etle capitalisme, et qui déboucheraitsur la société de libres producteursassociés que Marx appelait de sesvœux, ne peut s’incarner par des« entrepreneurs de soi » travaillantsous la dictature du libre marchérégulé par le capitalisme de plates-formes.C’est un nouveau terrain à part entièrede lutte des classes, où les usagers-contributeurs doivent s’unir pourcréer des plates-formes participa-tives, des coopératives de donnéesopérant avec des logiciels libres, paropposition aux actuelles plates-formes capitalistes et propriétaires.Les institutions publiques doiventaussi veiller à protéger les données

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Avec le développement du capitalismede plates-formes, la situation de contractantsva se généraliser dans tous les domaines de lavie économique, principalement dans lesservices, mais aussi dans l’industrie.“ “

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C’est un nouveau terrain à part entièrede lutte des classes où les usagers-contributeurs doivent s’unir pour créer desplates-formes participatives, des coopérativesde données opérant avec des logiciels libres paropposition aux actuelles plates-formescapitalistes et propriétaires.

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allant jusqu’aux informations « natu-relles » personnelles et sociales. Latechnologie permet le monopole deces données et permet de les sépa-rer de leur support naturel. Les règlesjuridiques autorisent l’aliénation dece monopole et sa mise en valeuréconomique. À l’inverse, certaines

villes interdisent la captation des don-nées de trafic et de circulation : elleest confiée à un service public.Il y a là un parallèle avec le breve-tage du vivant, interdit en France (onne peut breveter que la façon d’iso-ler un gène).Ce n’est pas le monopole en soi nil’agent naturel qui créent de la valeur.Mais l’agent naturel peut démulti-plier l’efficacité du travail humain,c’est-à-dire qu’il le rend plus pro-ductif de valeur pour la même dépensede travail. Et le monopole est la basede légitimation pour prélever unepart de plus-value, une rente, surl’ensemble de la valeur sociale créée.Ainsi, il n’y pas plus de valeur créée,mais on en prélève plus.

Secundo, le traitement informatiquedes données de localisation, de dépla-cements et de demande de trans-port, via un logiciel. Là, nous avonsun produit du travail humain – lelogiciel – et nous avons aussi la mobi-lisation des données naturelles (agentsnaturels) comme une matière pre-mière qu’utilise le logiciel; nous avonsenfin le monopole du logiciel par lespatrons d’Uber, apporteurs de capi-taux, monopole qui par les règlesjuridiques liées aux rapports de pro-duction capitalistes permet à Uberd’exercer le rôle de commandementsur les conducteurs, et pas seule-ment de coordonnateur. C’est d’unecertaine façon le couple monopoledes informations naturelles/ contrôledu logiciel qui sert de base de légiti-mation à la prise de rente sur la valeurcréée.

Mais d’où vient la valeur créée ? Dutravail des conducteurs de voiture.C’est ce travail qui crée la valeur ajou-tée. C’est sur cette valeur ajoutée quesont prélevés – et répartis – les reve-nus des conducteurs et le profitd’Uber.Par rapport aux entreprises de taxis« classiques », une partie moindreva aux conducteurs, une partie plusimportante va à Uber. Comme Uber

UBÉRISATION ET CRÉATION DE VALEURLe fonctionnement de la plate-forme Uber, et plus généralement de l’intermédiation opérée par les plates-formes numériques offrant des services, repose en termes renouvelés le problème de la valeur.

Ce qui permet la marchandisation etjustifie l’appropriation du profit, sous forme derente, c’est le monopole de la chose et soncaractère aliénable. Ce n’est pas parce qu’unechose a un prix qu’elle a une valeur.“ “

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PAR FRÉDÉRIC BOCCARA*,

e qui permet la marchandi-sation et justifie l’appropria-tion du profit, sous forme de

rente, c’est le monopole de la choseet son caractère aliénable. Ce n’estpas parce qu’une chose a un prixqu’elle a une valeur. Il suffit qu’elleait une valeur d’usage et qu’elle soitmonopolisable et aliénable, on peutalors mettre en valeur « ce monopolepour en tirer un profit sur la base dela production capitaliste ». Le mono-pole sur les données sert de supportpour s’approprier la plus-value géné-rée par un travail effectué dans lecadre de la production capitaliste(transports de personnes, pour Uber).

CE QUI EST NOUVEAU DANS UBER ET SEMBLABLESPrimo, le monopole sur des choses« naturelles », non produites, rendupossible par la technologie (mono-pole sur les données naturelles ethumaines de déplacement, d’encom-brement et de localisation). Il y a làmarchandisation poussée de la nature,

C

LA VALEUR SELON MARXChez Marx, c’est la marchandise qui est première, etc’est à partir d’elle qu’il effectue l’analyse de lavaleur. C’est dire si des évolutions de la forme mar-chandise et des conditions de marchandisation sontdéterminantes.Pour lui, le travail et la nature sont producteurs devaleurs d’usage, et c’est de valeur que le travail estseul producteur. Marx distingue – dans une unité dia-lectique et contradictoire – la valeur d’usage (déter-minée par l’utilisation que l’on peut faire d’une mar-chandise et liée à ses propriétés concrètes) et lavaleur (déterminée par le temps de travail sociale-ment nécessaire pour produire la marchandise dansune formation sociale et à un moment donné) ; lavaleur d’échange est le troisième terme (souventconfondu avec la valeur « tout court ») de cettecontradiction, c’est un rapport d’échange. Enfin, lesvaleurs correspondent à une réalité « essentielle »,une sorte de « moyenne idéale », qu’il distingue desexpressions en prix (prix de marché, prix de produc-tion, etc.), qui correspondent à la réalité dite « phé-noménale », c’est-à-dire proche de la réalité directe-ment appréhendée.

Si une chose (produit, service, bien naturel non produit…) a un prix, ce prix détermine son « pouvoird’échange », même si cette chose n’a pas de valeur(c’est-à-dire n’est pas un produit du travail).Autrement dit, la réalité phénoménale est premièreet, d’une certaine façon causale, le prix est une réa-lité qui s’impose, même s’il ne correspond pas tou-jours à une valeur. Ainsi, en une formulation plusmoderne, la monnaie est « active ». En conséquence, le prix spéculatif d’une matière pre-mière (ou d’un titre financier, ou d’un bien naturelcomme un terrain nu, une chute d’eau…) s’impose etjoue « réellement », même si ce prix correspond àune valeur qui est pour partie « du vent » ; mais lavaleur totale de ce qui est produit compte aussi : le pouvoir d’échange de ce prix va donc devoir êtreprélevé sur le produit total, global de la société. Maiscela ne joue qu’en moyenne et dans la durée, et doncne s’exerce pas dans les limites d’une année don-née : on peut avoir pendant un certain temps (dans laréalité phénoménale) une dépense plus élevée que le total des valeurs (inflation) puis il faudra une« correction » plus ou moins catastrophique…

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avance a priori à peine plus de capi-tal qu’une entreprise de taxis clas-sique, son taux de profit est nette-ment plus élevé. Dans les deux cas,les moyens de travail des conduc-teurs (leur véhicule) ne fonctionnentpas comme du capital, ou alorscomme du capital très dévalorisé :leur valeur est avancée par les conduc-teurs qui ont à se rembourser sur lerevenu issu de leur travail, après avoirversé une somme fixée à Uber, etdonc après avoir assuré le taux deprofit d’Uber. En revanche, le conduc-teur n’a pas de licence à payer à l’État,du moins pour l’heure.

CONDUIRE C’EST TRAVAILLERIl y a dans Uber une petite partie detravail non productif. Dans le casd’une compagnie de taxis habituelle,c’est le travail des administratifs etemployés qui coordonnent l’activité,plus les comptables, etc. Dans le casd’Uber s’y ajoute la rémunérationdu travail de création du logiciel (etsa maintenance éventuelle, voire lapose de capteurs urbains), logicielqui n’est pas en soi une marchan-dise. C’est un travail qui n’est pasdirectement productif, même s’ilpermet d’améliorer l’efficacité del’activité.Le fonctionnement d’Uber c’est grossomodo, d’un côté, des conducteursde véhicule qui effectuent des coursesà la demande et, de l’autre, un em -ployeur capitaliste qui perçoit unerémunération sur le travail effectuépar ces conducteurs et les coordonne. Les travailleurs prétendument indé-pendants d’Uber sont en fait des tra-vailleurs très dépendants. Ils avan-cent en outre une partie des moyensde production en lieu et place ducapitaliste Uber. En effet :– ils reçoivent une rémunération

qui dépend du travail qu’ils ont effectué;– ils reversent un loyer à Uber ;– les moyens matériels de produc-tion qu’ils avancent (leur véhicule)ne constituent pas du « capital » ausens marxiste (une valeur qui se meten valeur en cherchant son supplé-ment à un certain taux) ;– la valeur du travail réalisé par unconducteur peut tenir compte de laqualité du produit fourni (ici un ser-vice), et donc de la voiture utilisée :avec une voiture de luxe, la coursesera certes plus chère qu’avec unevoiture quelconque, mais dans tousles cas la rémunération que le conduc-teur reçoit n’est pas indexée sur lavaleur des moyens d’activité et deproduction qu’il a avancé (la voi-ture). C’est pourquoi ces moyensmatériels ne constituent pas du capi-tal au sens de Marx.

Qu’est-ce qui est nouveau ? La cap-tation d’information et l’optimisa-tion, ainsi que les avances néces-saires pour mettre au point le« logiciel ».Deux questions se posent, en termesde transformation sociale : Commentest répartie la valeur créée ? La baseactuelle de répartition vers les patronsd’Uber en raison de leur monopoleest-elle acceptable et efficace ?Les informations naturelles et per-sonnelles : leur captation peut éven-

tuellement être acceptée. Doit-onaccepter la marchandisation de cesinformations et qu’une rente demonopole soit prélevée ? Cela poseune question de service public et deconsidérer ces biens naturels et cesinformations comme des biens com-muns. L’entretien de ces biens com-muns peut avoir un coût qui reste àfinancer.Dans le cas de Blablacar, en revanche,il n’y a pas de rente de monopole. Larémunération est censée permettrel’organisation du système et sa main-tenance. Ça reste bien sûr à vérifieret les règles tâtonnent pour qu’il ensoit ainsi, mais tel est le principe.

LES COÛTS ASSOCIÉSDans le cas d’une multinationaleavec des produits à fort contenu infor-mationnel, on peut distinguer deuxtypes de coûts : les coûts globaux(recherche et développement [R&D],mise au point, etc.) et les coûts locauxdes facteurs de production (travail,capital). En effet, la R&D pour faireun médicament a un coût qui consti-tue une avance globale, avant d’avoirproduit (ou amélioré) le médica-ment, l’avion, etc. Si ces recherchesdébouchent sur la fabrication duproduit, alors il va falloir rembour-ser cette dépense, en prenant sur lavente des produits. La valeur du pro-duit reste déterminée par la quan-tité de travail socialement nécessairepour le produire. En revanche, il vafalloir rembourser les dépenses deR&D. Ces dépenses fonctionnent defaçon originale : une fois débouchésur la création des informations adé-quates (la mise au point de la for-mule du médicament), elles consti-tuent un coût fixe lié aux dépensespassées et qui n’augmente pas avecla quantité de médicament fabri-

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Le fonctionnement d’Uber c’est grossomodo, d’un côté, des conducteurs de véhiculequi effectuent des courses à la demande et, de l’autre, un employeur capitaliste qui perçoitune rémunération sur le travail effectué par ces conducteurs et les coordonne.

“ “Mais d’où vient la valeur créée? Du travail desconducteurs de voiture. C’est ce travail qui crée la valeur ajoutée. C’est sur cettevaleur ajoutée que sont prélevés – et répartis – les revenus desconducteurs et le profit d’Uber.

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quée. En effet, alors que pour pro-duire plus du même médicament ilfaut plus de travail vivant, plus dematière première, voire plus demachines (travail mort), il ne fautpas plus de formule. Elle se partageindéfiniment, mais elle est soumiseà obsolescence. Ainsi, plus la quan-tité fabriquée – et vendue – augmente,plus le coût fixe de R&D est étalé surune large échelle, et donc, au contrairedes autres coûts, le prélèvement uni-taire de R&D à faire sur chaque pro-duit devient de plus en plus faible –jusqu’à tendre vers zéro – s’il ne fal-lait pas prévoir aussi un prélèvementpour la R&D supplémentaire des pro-duits à venir ainsi que des amélio-rations. C’est une incitation nouvelleau développement de multinatio-nales sur une échelle mondiale, dépas-sant le cadre trop étroit des mono-poles publics nationaux. Mais celapose en réalité la question de mul-tinationalisations à l’échelle mon-diale (ou internationale), c’est-à-direde partages internationaux publics(et non privés) sous forme de mul-tinationales non privées.Le coût décrit est un coût global pourdeux raisons. Une raison fonction-

nelle, qui vient d’être exposée : cecoût s’étale globalement sur tous lesproduits fabriqués (comme la R&Dd’un même médicament), et une rai-son géographique qui tient au faitque l’information constitue un fac-teur non localisé, global en ce sens,qui peut être mobilisé dans le mondeentier, pour peu qu’un réseau decommunication existe (comme unréseau mondial des filiales d’unemultinationale). Ce coût vient alorsmodifier le jeu de la concurrenceentre les pays : le coût global va êtredépensé vers le siège de la filiale(salaires des chercheurs, par exem-ple) mais va servir à fabriquer loca-lement les produits dans le mondeentier ainsi qu’à abaisser le coût defabrication de ces produits, tout par-ticulièrement en rendant plus effi-cace le travail productif vivant. Laconcurrence va opposer les coûtslocaux entre eux : par exemple lescoûts en France aux coûts dans lespays de délocalisation du Sud, pourpeser au maximum sur les coûts enFrance; alors que ces coûts en Franceont une importante partie globalequi contribue à l’efficacité au Sud,dans les unités de fabrication, et que

ces coûts doivent être étalés sur l’en-semble de la production. Tout celapermet non pas de réhausser lessalaires au Sud mais d’augmenter leprofit, comme une rente prise surles dépenses informationnelles, ouplutôt justifiée par ces dépenses, vianotamment le jeu des prix de trans-fert internes aux multinationales,qui permettent de localiser cetterente dans des lieux bien choisis (lesparadis fiscaux, par exemple).

Avec la révolution informationnelle,les transferts pourraient devenir fon-damentaux, s’opposant aux échangeset à la marchandisation systéma-tique et systémique, tout cela en vuede partages efficaces, vers des bienscommuns de toute l’humanité. Demême serait à l’ordre du jour un bas-culement tout aussi révolutionnairevers des critères de développementdes personnes et de leurs capacités(y compris les travailleurs, mais aussiau-delà même des travailleurs). n

*FRÉDÉRIC BOCCARA est économiste,membre de la commission économique du PCF.

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LES PLATES-FORMES BOUSCULENT L’ÉQUILIBRE ENTRE TRAVAIL RECONNU ET TRAVAIL IMPLICITE

révèlent sa valeur sociale, dont elless’emploient à accaparer le potentieléconomique. L’important est que cetravail implicite, très éclaté, large-ment gratuit ou au mieux sous-éva-lué, se situe hors du cadre des pro-tections du travail, exploitable avectrès peu de contraintes légales et fis-cales. D’où le succès ces dernièresannées de la logique d’externalisa-tion et de crowdsourcing (« sous-trai-tance à la foule »), qui relève d’unmodèle très libéral. Le chauffeurUber, complètement soumis fonc-tionnellement à la plate-forme, est

et acheteurs. En faisant cela, ellesformalisent et systématisent – sui-vant une logique algorithmique –des interactions hu maines qui jusque- là restaient largement invisibles. Ellesrévèlent ce que j’appelle le travailimplicite, d’innombrables petites etgrandes tâches qui ne relèvent pasformellement du travail salarié etqui pourtant résultent bien d’un tra-vail humain et permettent à la sociétéde fonctionner. En s’imposant commeintermédiaires indispensables de cetravail implicite, des plates-formescomme Google, Amazon ou Airbnb

ENTRETIEN AVEC ANTONIO CASILLI,

Progressistes : Comme sociologue desréseaux numériques, est-ce que vousconsidérez que le numérique forme unesphère à part dans notre société?

Il y a continuité en -tre technologie etsociété. Les plates-formes numériquesconstituent des

« écosystèmes » autour de leurs ser-vices, coordonnent et mettent enrelation des acteurs divers, consom-mateurs et producteurs, fournisseurs

Sociologue et chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales, Antonio Casilli nouslivre ses réflexions sur la manière dont le capitalisme de plates-formes en train de se déployerpeut changer notre rapport au travail, à l’organisation du collectif, au politique.

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nominalement indépendant, entre-preneur de lui-même. Il porte lerisque et doit gérer seul son éven-tuelle évolution et les aléas de sonparcours personnel, sans aucun filetde sécurité mis en place par la plate-forme.

Progressistes: Qu’est-ce qui fait que celafonctionne ?Ces travailleurs sont pris dans unesorte d’ivresse volontariste, soigneu-sement entretenue. C’est la volontéde chacun qui est convoquée, la moti-vation personnelle, avec un flouautour des incitations réelles. Uneapplication numérique est avant toutun design aguichant, un beau jeuqui attire les clics et capte l’atten-tion de son utilisateur. Parfois lesplates-formes proposent une rému-nération, bien sûr, mais elles jouentaussi beaucoup de la ludification1,de l’effet de communauté, de petitsavantages et récompenses. On estloin de la reconnaissance acquisepar le travail salarié.

Progressistes: Tout cela est très sombre.On entend pourtant aussi beaucoup dediscours très positifs sur le numérique.Doit-on faire un choix entre les prophètesdu grand soir du tout-numérique et ceuxde l’Uber-apocalypse ?Les deux positions sont biaisées. Jepréfère me placer dans un possibi-lisme critique pour le numérique,mais en étant lucide sur les condi-tions de son déploiement. Je prendsmes distances avec ceux qui prédi-sent le grand remplacement deshumains par les machines, un clas-sique que l’on entend depuis des siè-cles. Comme la spécificité du capi-talisme de plates-formes est debousculer le ratio entre travail reconnuet travail implicite, la mesure change,et il est difficile de dire si le volumetotal de travail réel baisse. Il y auratoujours une place pour des opéra-teurs humains dans n’importe quelsystème technique.

En fait, c’est la forme des relationsde travail qui est en train d’évoluer,avec une « tâcheronisation » de l’ac-tivité, un retour du travail à la tâche.Au-delà des cas bien connus d’Uberou Airbnb, le cas emblématique dece mouvement de fond est AmazonMechanical Turk, une sorte de boursedu microtravail qui met en relationoffreurs et demandeurs de tout petitsboulots numériques, souvent d’unesimplicité et d’une banalité extrêmes,aux rémunérations très faibles. Untravail de clic qui ne demande riende créatif et dont la finalité réelle estla mise au point par la plate-formede systèmes automatisés équiva-lents, que l’on nommera – un peuvite – une « intelligence artificielle ».Dans ce mouvement, c’est tout notresystème civilisationnel qui est enpéril, avec des protections qui sau-tent et de nouvelles formes d’exploi-tation qui apparaissent.

Progressistes: Si le travail reste alors quel’emploi est à ce point fragilisé, est-ceque l’on va vers un dépassement du salariat ?C’est une vieille question du mou-vement ouvrier. Dans des mouve-ments comme le postopéraïsme ita-lien, le refus du travail se voulait unacte politique, pour se soustraire àla contrainte d’augmenter la valeurdu capital et de diminuer la valeurde la vie. Il en reste sans doute quelquechose. Les plates-formes s’implan-tent d’ailleurs volontiers sur ce ter-reau-là, en faisant tout pour que lestâches qu’elles invitent à accomplirn’apparaissent pas comme du tra-vail, de manière à obtenir l’adhésionet l’engagement qui leur permettentde coloniser notre temps de vie.

Progressistes: Mais alors, quelles sont lesréponses possibles ?Je vois se dessiner trois pistes. La pre-mière consiste à inventer un « sala-riat élargi », qui englobe ces formesd’activités. C’est ce que demandentaujourd’hui les chauffeurs d’Uberen grève en France, aux États-Uniset ailleurs, comme d’ailleurs les contri-buteurs d’autres plates-formes quientrent dans des logiques de recoursjuridiques collectifs (class actions)contre Google ou les grands médiasnumériques. Ces travailleurs veu-lent être reconnus comme tels, avecles droits associés. On les comprendbien sûr, mais cette voie est une faussepiste. Trop en contradiction avec lamécanique de ces plates-formes,leurs revendications ont peu dechance d’aboutir.La deuxième piste consisterait à créerdes statuts flexibles qui reconnais-sent des droits « portatifs » alimen-tés au fil des travaux réalisés. C’estla logique du compte personnel d’ac-tivité du projet de loi El Khomri, etpour certains travailleurs bien insé-rés dans le système – des sublimesaurait-on dit au XIXe siècle – cela don-nera sans doute un modèle de noma-disme heureux assez attrayant. Maisle déferlement des plates-formesdessine moins ce scénario qu’unmonde du travail peuplé de tâche-rons du clic comme ceux que l’onvoit apparaître dans les déjà nom-breuses click farms du Bangladeshou des Philippines. Un modèle trèspauvre à cotisations très faibles, inca-pable de fournir un niveau élevé deprotection sociale.Reste la piste, à laquelle je crois beau-coup plus, d’un revenu de base quireconnaisse le travail implicite, éclaté

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Il y aura toujours une place pour desopérateurs humains dans n’importe quel systèmetechnique. En fait, c’est la forme des relations de travail qui est en train d’évoluer, avec une« tâcheronisation » de l’activité, un retour du travail à la tâche.

“ “«Je prends mesdistances avecceux qui prédisentle grandremplacement des humains par les machines,un classique quel’on entend depuis des siècles.»

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Page 25: DOSSIER LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUE...No 12 AVRIL-MAI-JUIN 2016 7 € DOSSIER x LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUE REVUE PROGRESSISTE N 12-DEF_progressistes 27/06/2016

mais socialement utile, auquel nouscontribuons tous. Et qui organise larémunération de ce travail par la dis-tribution d’un revenu qui permettede vivre, indépendamment de l’em-ploi et de sa rémunération. Il ne s’agitpas, entendons-nous bien, d’unelogique de rémunération du clic, etdonc d’acceptation de l’aliénation.Le revenu de base doit permettre lareconnaissance du travail implicite,de son importance, et libérer dutemps sur lequel on puisse choisirson activité, et donc échapper autantà la parasubordination à ces plates-formes qu’à la subordination clas-sique du salariat.

Progressistes: Comment s’organiser pourporter un projet de ce type ?Il y a aujourd’hui beaucoup de col-lectifs informels qui se créent par labase autour de ces enjeux, des gensconcernés par ces plates-formes quis’organisent pour les surveiller, décor-tiquer leurs pratiques et contrer leursabus. Les syndicats commencentaussi à s’y pencher, surtout aux États-Unis où, par exemple, des chauffeursUber ont rejoint les Teamsters, l’undes plus anciens syndicats du pays.IG Metall en Allemagne vient de lan-cer la plate-forme FairCrowdWork.orgpour que les travailleurs du numé-rique puissent partager de l’infor-mation sur leur rémunération etconditions de travail, disposer deconseils sur leurs droits, évaluer lesplates-formes et s’organiser. En France,on n’en est qu’à la réflexion mais elleest actuellement très vive, comme à

la CGT au niveau de l’UGICT avec leservice expérimental T3r1, réseau decoopératives numériques au servicede l’action syndicale. Et il y a aussiune question de rapport Nord-Sud,car la plupart des click farms sontaujourd’hui en Asie ou en Afrique.

Progressistes: Et au niveau des mouve-ments hacker et autres « activistes » duNet ?Ils continuent de jouer un rôle essen-tiel dans le développement de cesoutils et actions. Bien sûr, connais-sant très bien le fonctionnement duréseau et les subtilités du numérique,ils sont plus proches des sublimesque des tâcherons, une élite qui peutse sentir au-dessus de la mêlée. Maispour autant ils n’échappent pas auxdifficultés, et les autres ont besoind’eux et de leur compétence tech-nique pour construire des alterna-tives. Il faut créer des ponts.Ce n’est d’ailleurs pas spécifique aux« hackers », qui est un terme piégé.Tous les métiers créatifs, qui s’en sor-tent pour l’instant moins mal queles autres, sont concernés et doiventpouvoir être mobilisés.

Progressistes: Vous ne dites rien des forcespolitiques. Les partis seraient hors course?

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Tout le monde essaie de parler denumérique, et les partis convention-nels cherchent à appréhender lesphénomènes sociaux grâce à leursoutils théoriques. À droite comme àgauche, un nombre croissant de for-mations politiques doivent aussi leursuccès aux mobilisations sur la Toile :des partis comme Syriza ou Podemos,mais aussi UKIP en Grande-Bretagneou Cinq Étoiles en Italie. Certainsprennent à bras-le-corps des sujetscomme les communs ou les libertésen ligne, et rencontrent vite des asso-ciations qui ont un coup d’avancesur ces enjeux. Des « partis pirates »se sont constitués à partir de mou-vements en ligne, mais on y trouvede tout, de l’ultralibéralisme à l’anar-cho-communisme. La question n’estpas de tout réinventer à partir dunumérique mais, surtout, de voiravec quelles forces politiques cesmouvements animés par des travail-leurs du numérique peuvent inter-agir et s’agglomérer. Pour un particomme le PCF, il s’agit sans doutedéjà de sortir de ses réflexes bienancrés, de faire évoluer sa vision dutravail, de reposer la question dupartage de la valeur, de reconnaî-tre et de comprendre ces sujets pourtrouver comment accompagner lesrevendications. n

Entretien réalisé par SÉBASTIEN ELKA.

1. Ludification : pratique consistant à donner les formes d’un jeu à des activités « sérieuses ».

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Ces travailleurs sont pris dans une sorted’ivresse volontariste, soigneusement entretenue.C’est la volonté de chacun qui est convoquée, la motivation personnelle, avec un flou autourdes incitations réelles. “ “

L’ENSEIGNEMENT À L’HEURE DU NUMÉRIQUEgnement d’informatique pour appren-dre aux jeunes à manipuler des outilsnouveaux, voire leur en donner lamaîtrise ? Faut-il plutôt permettre àtous les jeunes de s’approprier unepensée complexe, pour les préparerà vivre dans une société de plus enplus façonnée par les savoirs ?

LA PÉDAGOGIE NUMÉRIQUE:BAGUETTE MAGIQUE?Au ministère de l’Éducation, l’en-gouement pour le numérique repose

PAR MARINE ROUSSILLON*,

aut-il utiliser le numériquepour motiver les élèves, cesdigital natives, bien plus capa-

bles de réussir si on leur met un ordi-nateur entre les mains que si on leurconfie une feuille de papier et unstylo? Faut-il mettre en place un ensei-

La révolution numérique doit changer l’école. Mais en quoi ?Les injonctions sont multiples, et pas toujours cohérentes.

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Page 26: DOSSIER LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUE...No 12 AVRIL-MAI-JUIN 2016 7 € DOSSIER x LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUE REVUE PROGRESSISTE N 12-DEF_progressistes 27/06/2016

sur un présupposé pédagogique :l’utilisation du numérique à l’écolepermettrait de réduire les inégalitésscolaires, parce que les élèves d’au-jourd’hui seraient nés avec les nou-velles technologies et naturellementdoués pour les utiliser ; ces techno-logies rendraient l’enseignementplus attractif. Si l’on en croit le rap-port du Conseil national du numé-rique d’octobre 20141, le numérique« rend l’école désirable », « les Moocs,les serious games (jeux sérieux), lesapplications interactives remotiventles élèves en difficulté ».Est-il bien sérieux de prôner le numé-rique à tout va quand les ordinateurs

sont rares, souvent anciens et malentretenus? quand l’État se défaussede la responsabilité d’équiper lesélèves et les enseignants sur les col-lectivités locales, sans pour autantleur donner les moyens de le faire ?Pour que le numérique entre à l’école,pour tous et partout, il faudra d’abordrésoudre le problème de l’équipe-ment et de sa maintenance, et ce àl’échelle nationale. L’équipement nefait pas tout. Les nouvelles techno-logies ne sont pas spontanémentporteuses de réussite scolaire, d’éga-lité ou d’émancipation.L’accès aux technologies ne signifiepas appropriation. Savoir utiliser unemessagerie et un compte Facebookpour échanger avec ses amis, savoirutiliser Internet pour ses loisirs n’im-

plique pas que l’on sache utiliser cestechnologies pour apprendre. Sil’école n’apprend pas aux élèves àrechercher, à construire et à diffuserdes connaissances, si elle se contentede les mettre devant un ordinateuren pariant sur leurs capacités « natu-relles », alors elle ne peut qu’accroî-tre les inégalités entre ceux qui auront« appris à apprendre » dans leurfamille et les autres. Un enseigne-ment qui repose sur des prérequisconsidérés comme « naturels » pro-duit des inégalités. Pour être égali-taire, l’enseignement doit prendreen charge tout ce qui est nécessaireà la réussite des élèves.

Peut-être l’usage des nouvelles tech-nologies remotive-t-il certains élèves;c’est le cas de tout ce qui vient bous-culer la routine des enseignements.Cette remotivation peut-elle pour

autant s’inscrire dans la durée ? Onpeut en douter et supposer avec PaulDevin2 qu’un usage régulier la feraitdisparaître.Quand bien même ces technologiesrendraient les élèves plus « motivés »

dans la durée, on sait bien que l’échecscolaire n’est pas un problème de moti-vation ! C’est l’expérience de l’échec,la difficulté à saisir le sens des acti-vités qui démotive, et non l’inverse.Or l’utilisation des nouvelles tech-nologies telle que prônée par le minis-tère contribue à brouiller le sens desactivités. Elle introduit une confu-sion entre le support et le contenudes apprentissages. Attend-on demoi que je produise une vidéo amu-sante ou que j’aie compris une règlede mathématiques? que je gagne mapartie ou que je connaisse mon coursd’histoire? L’usage irréfléchi des nou-velles technologies comme nouveaux– et donc meilleurs – médias d’ap-prentissage risque d’approfondir lesmalentendus sur l’objectif des acti-vités scolaires, le sens de ce qui sepasse à l’école, qui sont la véritablecause des difficultés des élèves, eten particulier des élèves issus desclasses populaires. Un tel usage péda-gogique des nouvelles technologiesrisque d’accroître les inégalités socialesde réussite scolaire.La valorisation actuelle du numé-rique à l’école rejoint les injonctionsà l’interdisciplinarité et s’inscrit dansla continuité des réformes des rythmesscolaires et du collège. Ces réformesreposent sur l’idée que le problèmede l’école c’est l’ennui des élèves, etnon pas les inégalités sociales. Ellesveulent y remédier en proposant auxélèves des activités diversifiées etadaptées à leurs « goûts », c’est-à-dire plus proches de ce qu’ils sontdéjà capables de faire. En prônant l’adaptation aux capa-cités des élèves, ces politiques natu-ralisent les inégalités. La mission del’école n’est pas de conforter chacundans ce qu’il sait déjà faire mais d’ap-prendre à chacun, par la rencontreavec les autres, à sortir de soi, et deconstruire ainsi une culture com-mune à tous.

Y A-T-IL ENCORE BESOIN DE L’ÉCOLE?Les technologies du numérique nechangent pas seulement les pratiquespédagogiques: elles permettent aussil’apparition et la croissance rapided’un marché mondial de l’éduca-tion, qui entre en concurrence avecle service public d’éducation natio-nale et le transforme.

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L’équipement ne fait pas tout. Les nouvelles technologies ne sont passpontanément porteuses de réussite scolaire,d’égalité ou d’émancipation.“ “

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Page 27: DOSSIER LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUE...No 12 AVRIL-MAI-JUIN 2016 7 € DOSSIER x LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUE REVUE PROGRESSISTE N 12-DEF_progressistes 27/06/2016

Des entreprises proposent des ser-vices divers, depuis le corrigé de devoirjusqu’aux cours en ligne, en passantpar les exercices d’autoévaluation etles forums de discussion. Aux classessurchargées ces entreprises oppo-sent une formation individualisée,une offre personnalisée qui reposesur l’analyse de données personnelles

et l’adaptative learning. Alors que lemétier d’enseignant est en crise, ellesrecourent à des scientifiques recon-nus et cherchent des « maîtres » dansle monde entier. L’école n’est pasimperméable à l’enseignement quise développe en dehors d’elle. Lesuniversités développent l’enseigne-ment à distance, les MOOC (massiveopen online course, soit des cours enligne ouverts et massifs).

Dans l’enseignement secondaire etprimaire, la mode est à la « classeinversée » : l’enseignant produit des« capsules » (vidéos, diaporamas,animations) que l’élève regarde chezlui avant la classe, puis le temps decours est utilisé pour des activitésqui permettent à l’enseignant de dif-férencier son approche en fonctiondes besoins de chacun. Ces trans-formations confondent accès à l’in-formation et apprentissage. Rendreles musées gratuits, ouvrir des théâ-tres en banlieue n’a pas suffi à démo-cratiser la culture. Il en est de mêmede l’information : l’accès n’est pasl’appropriation. Il faut apprendre àse poser des questions, à rechercheret critiquer des informations, àconstruire des savoirs. L’urgence està développer la recherche en didac-tique et à refonder la formation ini-tiale et continue des enseignants.L’utilisation des nouvelles techno-logies et la pression du marché ten-dent à accroître la confusion entrele temps scolaire et le temps horsécole. L’externalisation des appren-tissages est facteur d’inégalités : letemps scolaire est le même pour

tous (ou à peu près, l’autonomiecroissante des établissements etl’individualisation des parcoursminant ce principe d’égalité) ; letemps hors école, lui, n’est pas éga-lement disponible, selon qu’on doitle consacrer à un emploi salarié(c’est le cas de plus en plus delycéens), à aider sa famille… ouqu’on peut en disposer ; selon aussiqu’on a une chambre à soi ou qu’ondoit partager l’espace et l’ordina-teur avec le reste de la famille. Cetteconfusion des temps est un facteurde dégradation des conditions detravail et de vie. Le travail envahitle temps libre et la vie familiale, tantpour les élèves que pour leurs parentset pour les enseignants.Plutôt que d’externaliser les appren-tissages, il faut affirmer que l’écoledoit se faire à l’école ; et pour que cesoit possible, allonger le temps sco-laire : une scolarité obligatoire pro-longée de 3 à 18 ans, le droit à l’écoledès l’âge de 2 ans et le rétablisse-ment de la demi-journée d’école sup-primée en primaire sont nécessairespour permettre à tous les élèves des’approprier des savoirs plus com-plexes. Quant aux enseignants, ilsont besoin de temps de formation,d’échanges, de travail collectif pré-vus dans leur service.Enfin, la personnalisation est cen-sée permettre de répondre aux dif-ficultés de chacun. C’est ignorer l’importance du collectif, de la socia-lisation, dans l’apprentissage : c’estdans la rencontre avec l’autre, dansl’échange, que l’on sort de soi, quel’on devient capable de s’approprierdu nouveau et de progresser. C’estaussi dans l’échange et le partageque se construit la culture communesi nécessaire à la démocratie.

POUR UNE ÉCOLE DE L’ÉGALITÉ ET DE L’ÉMANCIPATIONL’école qui est en train de se construireest de plus en plus inégalitaire et demoins en moins émancipatrice. Lesnouvelles technologies y sont desfacteurs d’isolement: l’isolement desélèves dans des parcours « person-nalisés » se traduira bientôt par l’iso-lement des salariés, qui ne pourrontpas s’appuyer sur des qualificationscommunes, et par celui des citoyens,dépourvus de la culture communenécessaire au débat. L’augmentation

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Quand bien même ces technologiesrendraient les élèves plus « motivés » dans ladurée, on sait bien que l’échec scolaire n’est pasun problème de motivation ! C’est l’expériencede l’échec, la difficulté à saisir le sens desactivités qui démotive, et non l’inverse.

“ “

ACCORD MICROSOFT-ÉDUCATION NATIONALE

L’équipement des établissements scolaires est unequestion centrale. Il y faut des ordinateurs. Or c’estl’austérité. Le ministère de tutelle a trouvé la solution :un accord avec Microsoft. La multinationale états-unienne donne 13 millions d’euros pour le plan numé-rique à l’école. Elle formera les cadres de l’éducationnationale et les enseignants à l’utilisation des techno-logies qu’elle produit, mettra à disposition des établis-sements son cloud, une plate-forme de « jeu sérieux »permettant d’apprendre à coder, et un réseau socialinterne sécurisé et privé. Pour éviter de financer le plannumérique à l’école, l’État le sous-traite à une entre-prise privée.Avec cet accord, l’État franchit une nouvelle étape dansla marchandisation de l’éducation. Il fait entrer dansl’école une entreprise privée, qui aura une influencesur les contenus de l’enseignement et les pratiquespédagogiques, et qui pourra utiliser le service publicpour faire la promotion de ses produits.Travailler dans l’écosystème Microsoft à l’école obligeà faire de même à la maison, sous peine de perdre dutravail et des informations à chaque transfert. L’accordentre l’éducation nationale et Microsoft prive les ensei-gnants et les élèves de la maîtrise de leur travail et deleur liberté de choix.Cet accord offre à Microsoft l’accès à de précieuses

données, que le ministère n’a pas été capable jusqu’àprésent de collecter et d’analyser. Ces informationssont essentielles à l’efficacité d’un service public d’édu-cation qui aurait les moyens humains et techniques derécolter et de traiter ces données, de les rendre publiquespour améliorer la réussite des élèves, non seulementen France mais partout dans le monde. Au lieu de cela,est favorisée la privatisation de ces informations et ledéveloppement d’un marché mondial de l’éducation,qui la fragilise.Enfin, cet accord s’inscrit dans un usage utilitariste etaliénant du numérique à l’école. Il prévoit de formerenseignants et élèves comme de simples usagers del’outil numérique, mais pas comme de possibles créa-teurs. Les codes utilisés par Microsoft restent secrets.Cette démarche est en contradiction avec l’objectifd’émancipation que devrait se donner l’école. C’estaussi un formidable gaspillage. L’éducation nationale,ses milliers d’enseignants et d’élèves forment un col-lectif animé des mêmes objectifs, confronté à des pro-blèmes comparables, capable d’inventer des outils nou-veaux pour les résoudre, les partager et les faire évoluer.Il est regrettable que le ministère ne se saisisse pasde cette richesse, comme il pourrait le faire en élabo-rant un environnement numérique propre à l’éducationnationale.

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du travail de recherche, de produc-tion, de diffusion des savoirs s’ac-compagne d’une externalisation dece travail, qui empêche sa reconnais-sance: le travail envahit tous les tempsde la vie, et en même temps devientinvisible. Les usages scolaires desnouvelles technologies qui sont entrain de se développer habituent lesélèves à les manipuler, sans leur per-mettre de les maîtriser réellement.Cette école veut adapter les élèvesau monde numérique, mais elle ne leur donne pas les moyens de letransformer.Les outils du numérique donnentaux savoirs et à la créativité une placede plus en plus importante dans lacréation de valeur ajoutée, dans letravail et la démocratie; ils font appa-raître les logiques de partage et demise en commun comme plus effi-caces que les logiques de privatisa-tion et de marchandisation. Pourpermettre à tous les adultes de demainde vivre libres dans ce monde façonnépar des savoirs complexes, pour lesrendre capables d’agir pour le trans-former, c’est toute l’école qu’il fautchanger.Les transformations nécessaires nepeuvent pas se résumer à l’équipe-ment des établissements en maté-riel informatique ou à l’apprentis-sage du code : il faut une nouvellephase de démocratisation scolairepermettant à tous les jeunes de maî-

triser des savoirs plus complexes etdébouchant sur une augmentationdu niveau de connaissances, de créa-tivité et de qualification dans toutela société.Dans cette perspective, ajouter l’ap-prentissage du code ou l’enseigne-ment de l’informatique à la longueliste de ce que l’école devrait trans-mettre est contre-productif. L’écolene peut pas tout à la fois apprendreà lire, à écrire, à compter, à coder, àparler anglais, à conduire, à être unbon citoyen… Il est nécessaire desortir de cette logique d’accumula-tion de compétences déconnectéesdes savoirs. Une telle logique ne per-met ni l’égalité (les enseignants, parmanque de temps, doivent trop sou-vent choisir entre tout enseigner etenseigner à tous) ni l’émancipation(l’apprentissage de compétencesmorcelées ne permet pas de vérita-ble maîtrise). Les programmes doi-

vent être repensés dans une logiqueculturelle d’approfondissement, per-mettant une véritable maîtrise dessavoirs et des savoir-faire qui leursont associés.

LA TECHNOLOGIE, UNE CULTUREDans cette culture commune ambi-tieuse construite par l’école, la culture technologique doit enfin trou-ver toute sa place. Il ne s’agit pas tantd’enseigner le code, ou le bon usagede tel ou tel autre outil, que de met-tre en place un enseignement cohé-rent de la construction historique etanthropologique des techniques quifaçonnent notre quotidien. Seuleune telle démarche culturelle rendpossible une véritable maîtrise desnouvelles technologies : elle formenon seulement des usagers compé-tents, mais des travailleurs et descitoyens capables de contribuer auprogrès technique, de le critiquer,de l’orienter. n

*MARINE ROUSSILLON est membre du comité exécutif du PCF en charge des questions d’éducation.

1. Jules Ferry 3.0, « Bâtir une école créativeet juste dans un monde numérique »(www.cnnumerique.fr/education2).2. Inspecteur général et secrétaire général du SNPI-FSU, auteur de l’article « Les leurresde la classe inversée »(http://www.neoprofs.org/t99276-paul-devin-les-leurres-de-la-classe-inversee-et-autres-sujets-de-discussion).

Il faut une nouvellephase de démocratisationscolaire permettant à tous les jeunes de maîtriser des savoirs plus complexes et débouchant sur uneaugmentation du niveau de connaissances, de créativité et de qualificationdans toute la société.

“ “FISCALITÉ CONNECTÉE POUR DÉPASSER LE CAPITALISMEFINANCIER ET RÉGULER LE CAPITALISME COGNITIF

lation du capital le système comp-table a été radicalement transforméet, ce faisant, contribuait à asseoirla domination du mode d’accumu-lation émergeant1.Il démontre que le pouvoir des com-merçants des croisades se renforçaen élaborant et généralisant le prin-cipe de la partie double en compta-bilité, puis celui des industriels en

développant la comptabilité indus-trielle, et enfin celui des financierspar la normalisation internationalecomptable.Mais qu’en est-il au moment où YannMoulier-Boutang annonce la nou-velle grande transformation du capi-talisme « cognitif » ?Selon le classement Forbes 2016 desplus grandes fortunes du monde,

PAR JULIEN CANTONI*,

e système d’information finan-cier international que nousutilisons s’avère inadapté face

aux modifications profondes de notremodèle de production et de com-munication.Marc Nikitin a démontré qu’à chaquemodification historique d’accumu-

Pour discuter de fiscalité sérieusement, il faut d’abord étudier la cohérence du système d’information finan-cier qui l’environne. En effet, sans cela on se trouve pris au piège d’une fiscalité de principe toujours trahiepar les faits permettant de lui échapper.

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trois parmi les cinq premières et sixparmi les dix premières sont issuesdes TIC2. Le mouvement d’installa-tion du capitalisme cognitif semblebien en marche sans que le systèmed’information comptable et finan-cier se soit profondément remis encause, entraînant ainsi une évasionfiscale massive.Pour y faire enfin face, le G20 a mêmemandaté, dans le cadre du projetBEPS (base erosion and profit shif-ting), l’OCDE pour refondre le sys-tème de coopération fiscale à l’échellede la planète.

Ce projet démontre que, plus qu’in-nover en matière purement fiscale,c’est le processus de transparencefinancière d’un nouveau mode deproduction et la collecte de l’impôtqui sont interrogés face à l’émer-gence du numérique et des traite-ments informatisés massifs.La production périodique des comptessociaux et consolidés certifiée pardes commissaires aux comptes, quia su instaurer un climat de confianceéconomique, n’est plus suffisante.Les scandales d’Enron, Parmalat, lacrise des subprimes, les bulles inter-net l’attestent.

Il est temps de construire un sys-tème d’information comptable, fis-cal et financier connecté pour régu-ler et dépasser le capitalisme cognitif.

LES PREMIÈRES PISTESLe premier des chantiers vise à éten-dre les ambitions d’actions déjà àl’œuvre.Un amendement au projet de loi definances pour 20163 a été adopté ennovembre 2015 afin d’obliger lesentreprises établissant des comptesconsolidés et réalisant plus de 750 mil-lions d’euros de chiffre d’affaires àproduire « une déclaration compor-tant la répartition pays par pays desbénéfices du groupe et des agrégatséconomiques, comptables et fiscaux,ainsi que des informations sur la loca-

lisation et l’activité des entités le consti-tuant ». Cette retranscription en droitfrançais de la mesure no 13 du pro-jet BEPS est une première avancée,applicable depuis le 1er janvier 2016,mais reste limitée par le plafonne-ment à 100 000 € de l’amende en casde manquement et par le caractèrenon public de cette déclaration.Au-delà de cette mesure, le rapportBEPS entend notamment « releverles défis fiscaux posés par l’économienumérique », « limiter les cas de dou-ble non-imposition », et bien d’au-tres mesures qu’il semble urgent demettre en place. En effet, commentpeut-on imaginer ouvrir les donnéespubliques comme le prévoit le pro-jet de loi « pour une république numé-rique », renforçant les modèles éco-nomiques des multinationales et lesdérives dénoncées dans le rapportBEPS, sans demander justement,sans plus attendre, que la transpa-rence fiscale soit de rigueur ?C’est en ce sens que nous avionscontribué à cette loi en proposant lamise en œuvre d’une licence publiqueà réciprocité renforcée pour les grandesentreprises4 subordonnant aux condi-tions de transparence fiscale et dupaiement d’une redevance progres-sive l’accès à la donnée publique.

POUR UNE COMPTABILITÉCONTRIBUTIVE ET UNE FISCALITÉCONNECTÉEPlusieurs mesures fiscales adaptéesà l’économie numérique ont déjà étéformulées, notamment dans le rap-port Colin-Collin5, pour éviter l’éva-sion fiscale et trouver des solutionsconnectées et agiles de collecte fiscale.Ce rapport allait dans le sens du rap-port BEPS afin de pouvoir relocali-ser les bases fiscales sur les lieux oùla valeur a été réellement créée, leplus souvent par des utilisateurs « tra-vaillant gratuitement » dans le cadrede plates-formes collaboratives.Le rapport propose notamment de« déterminer la quote-part du béné-

fice des sociétés concernées imputa-ble à l’activité de leurs utilisateurssur le territoire ».

Le rapport va plus loin et proposeune innovation qui semble adaptéeaux enjeux de la révolution numé-rique en proposant d’adosser unefiscalité « sur la matière première dontse nourrit l’économie numérique » :les données et l’exploitation régu-lière et systématique qui en est faite.La base de cette taxe aurait un carac-tère incitatif en définissant un « tarifunitaire par utilisateur suivi » quiserait dégressif en fonction d’un com-portement conforme de la plate-forme ou de l’entreprise qui exploiteles données.Cette proposition a de multiplesavantages tant au plan de sa simpli-cité, de sa capacité de mise en œuvre,de sa modularité que de son poten-tiel de collecte. Pour autant, on nepeut que s’interroger sur le fait qu’un« travail gratuit » ne bénéficie qu’àl’opérateur et à l’État.Nous le voyons, nous sommes audébut d’une refonte du système comp-table, fiscal et financier qui conduitcomme le souligne le rapport Colin-Collin à assurer un « dépassement dela théorie de la firme ».

Aussi, nous préconisons que les entre-prises qui réalisent « un suivi régu-lier et systématique de leurs utili -sateurs » soient contraintes deredistribuer équitablement la valeuraux contributeurs ou, à tout le moins,de favoriser par des politiquespubliques les entreprises qui le feraientspontanément.Pour cela, nous avons déjà recom-mandé la mise en place d’une licenceglobale à réciprocité renforcée sur leprofit des plates-formes, ou dividendecontributif 6. Cette proposition, quenous ne détaillerons pas ici, s’appuiesur :– une comptabilité contributive per-mettant d’attribuer des points auxcontributeurs via une monnaie decompte interne à la plate-forme ;– une gouvernance ouverte par uncomité des parties prenantes de lavaleur économique permettant auxdifférentes communautés de la plate-forme de négocier, de coconcevoiret de coadministrer les règles derépartition de la valeur ;

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Selon leclassementForbes 2016 des plus grandesfortunes dumonde, troisparmi les cinqpremières et sixparmi les dixpremières sontissues des TIC.

Le mouvement d’installation du capitalisme cognitif semble bien en marchesans que le système d’information comptable etfinancier se soit profondément remis en causeentraînant ainsi une évasion fiscale massive.“ “

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– la définition d’un seuil d’équité éco-nomique permettant d’identifier larémunération de la plate-forme etle surprofit à répartir en fonction dela comptabilité des contributions.Au-delà de l’évidence qu’un travailgratuit mérite une rétribution, cettedisposition permet de relocaliser fis-calement de fait la valeur auprès de« contribuables/contributeurs » sansnécessairement légiférer.

Au final, le dividende contributif n’estque la transposition aux contribu-teurs des plates-formes de la parti-cipation aux résultats des salariés.Le comité des parties prenantes n’estque l’extension du comité d’entre-prise et de l’unité économique etsociale à l’échelle des plates-formes.Ainsi, une comptabilité des flux desécosystèmes numériques doit deve-nir le socle d’une fiscalité connec-tée et d’un partage de la valeur.

LES AUTRES APPLICATIONSCONCRÈTES POTENTIELLESEn matière de TVA, nous avions pro-posé de moduler le taux de TVA selonun bonus/malus déterminé en fonc-tion de l’empreinte écologique desproduits vendus et de leur mode dedistribution (distance, mode de trans-port…). Ce mécanisme cherche à

inciter/décourager les comporte-ments en fonction de la cohérenceplus ou moins grande entre les lieuxde production, de distribution et deconsommation.Nous avons démontré que cette modu-larité écologique de la TVA est tout àfait envisageable grâce aux moyenstechnologiques actuels, et surtout si,comme le rappelle le rapport Colin-Collin, ce dispositif était déployé pro-gressivement, comme ce fut le caslors de la création de la TVA7. Ce dis-positif aurait en plus le mérite d’ac-compagner la mutation profonde dumodèle de production que nousconnaissons, promettant une relo-calisation de l’économie, grâce notam-ment à la miniaturisation des machinesindustrielles numériques.De façon plus immédiate, la mise enplace d’une fiscalité agile et anti -spéculative sur les acquisitions etlocations immobilières s’appuyantsur un open data déjà opérationnelau cœur des services de l’État pour-rait ainsi se déployer rapidement et ap porter des bénéfices sociauxconsidérables.

En effet, Jacques Friggit, en collec-tant les données du marché immo-bilier remontées par le réseau desnotaires, des services fiscaux, de

l’INSEE, assure un suivi départemen-talisé du coût de l’immobilier ramenéau revenu moyen local. Il a permisde mettre en évidence la spécula-tion immobilière issue de la crise dessubprimes, qui n’a toujours pas étérésorbée en France. Son travail démon-tre que le marché immobilier fran-çais, mais aussi international, oscilletraditionnellement dans un tunneld’équité, dit le « tunnel de Friggit ».Or, depuis 1999, les prix de l’immo-bilier se sont écartés violemment dutunnel et se maintiennent, précari-sant ainsi les non-accédants ou lesprimo-accédants. Une fiscalité pro-gressive dissuadant de s’écarter dutunnel pourrait aisément être miseen place, tant la collecte des don-nées est déjà structurée.

RÉÉQUILIBRER LES RAPPORTS DES FORCESPour conclure, à l’heure où la vie pri-vée des citoyens est scrutée à des finssécuritaires, voire autoritaires, met-tant ainsi à mal la neutralité du Web,à celle où les États s’espionnent lesuns les autres sans vergogne de façonmassive et connectée, à celle où lesplates-formes suivent en temps réelleurs contributeurs pour les évaluersans jamais l’être elles-mêmes, nepas agir ne serait que confirmer l’es-prit de la loi El Khomri : aux puis-sants, conservatismes, protectionset opportunités ; aux fragiles, flexi-bilités, risques et restrictions. n

*JULIEN CANTONI est cofondateur de Spuntera et de la Peer-to-PeerFoundation France.

1. Marc Nikitin, la Naissance de lacomptabilité industrielle en France, Gestion et management, université Paris Dauphine(Paris-IX), 1992, p. 46 (https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00649637v2).2. TIC : techniques de l’information et de la communication.3. http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3096C/AN/1095.asp4. http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/la-republique-numerique-d-axelle-lemaire-resistera-t-elle-a-la-logique-exclusive-du-profit_1725659.html5. http://www.economie.gouv.fr/files/rapport-fiscalite-du-numerique_2013.pdf6. https://medium.com/@cantonijulien/le-platform-cooperativism-pour-faire-émerger-une-économie-collaborative-sociale-solidaire-et-fcb1f2c4e7be#.hrayqi87c7. Rapport Colin-Collin, p. 1.

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DOSSIER

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Plusieurs mesures fiscales adaptées à l’économie numérique ont déjà été formulées,notamment dans le rapport Colin-Collin, pouréviter l’évasion fiscale et trouver des solutionsconnectées et agiles de collecte fiscale.“ “

La mise en place d’une fiscalité agile etantispéculative sur les acquisitions et locationsimmobilières s’appuyant sur un open data déjàopérationnel au cœur des services de l’Étatpourrait se déployer rapidement et apporter des bénéfices sociaux considérables.

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Paris, quai deBercy : le ministèrede l’Économie etdes Finances.

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ROBOTS : DU RÉEL AU POSSIBLE, LIMITES ACTUELLES

PAR OLIVIER MASSON*,

tilisés depuis longtemps, lesrobots industriels, davan-tage assimilables à des auto-

mates évolués, ne prennent en comptequ’un nombre limité de variablesassociées directement à leur tâche.Les robots industriels continuentd’évoluer pour devenir de plus enplus performants et sont, aujourd’hui,capables de prendre des décisionsafin de gérer contraintes et obsta-cles pouvant survenir. Toutefois, cesrobots ne sont pas conçus pour pren-dre des décisions complexes niconstruire une représentation deleur environnement.

LES ROBOTS, OBJETS ET VECTEURS DE RECHERCHEOn détermine trois grandes classesde travaux pris en charge par les sec-teurs de recherche scientifique ettechnique :– améliorer la connaissance de l’êtrehumain, c’est-à-dire mieux com-prendre le raisonnement humain etle décortiquer pour le faire imiterpar des robots ;– utiliser les robots comme outilsscientifiques. Les robots, entière-ment programmables peuvent mani-fester des comportements sociale-ment neutres, inhibant toute émissiond’indices sociaux non verbaux échap-pant au contrôle des humains. C’estun apport intéressant pour les sciencessociales ;– améliorer les interfaces d’interac-tion et de communication entrehumains et robots afin de permet-tre à ceux-ci d’assurer de nouveauxservices, professionnels et domes-tiques. Ce dernier point a pour consé-quence d’accélérer le progrès tech-nologique visant à intégrer les robotsau sein de la société.Certains événements contribuent àrendre plus claire cette évolution.Ainsi, chaque année se tient le salonInnoRobo, un salon européen quiexpose les dernières avancées en

électronique, au questionnement del’utilisateur sur des informationsconcernant un événement, le robotne répond pas directement maisrelance l’utilisateur par un question-nement reformulé, afin de l’inciterà utiliser le bon cheminement pourrestituer la réponse. De nombreuxtravaux démontrent l’importance dece type d’imitation constructive dansl’apprentissage et le développementde l’enfant, ainsi que dans l’accom-pagnement des patients atteints detroubles dégénératifs.Les secteurs de la robotique com-mencent ainsi à se structurer entermes de disciplines de mieux enmieux définies en fonction des objec-tifs à atteindre.

Les prouesses actuelles sont parfoissurprenantes. À titre d’exemple,AlphaGo, l’intelligence artificielle(IA) créée par Google, a récemmentvaincu l’un des plus grands cham-pions mondiaux de jeu de go, LeeSedol. Or le jeu de go est l’un desseuls jeux de réflexion dans lequell’espace problème n’est jamais clai-rement défini, et donc l’IA doit fairepreuve d’une capacité d’apprentis-sage bien supérieure à celle requisepour les échecs. Les nuances du jeude go sont aussi illimitées dans laforme : pour corser le tout l’IA devraaussi reconnaître l’agencement deformes (non prédéfinies, donc nonfacilement programmables) pour endéduire l’état du jeu. Ce dernier pointconstitue aussi un défi majeur pourl’intelligence artificielle.

QUESTIONS TECHNIQUES OU ÉTHIQUES?Néanmoins, les avancées techno -logiques sont encore loin d’être à lahauteur de toutes les ambitions ; etsi elles le sont dans certains cadresspécifiques, de nombreuses ques-

robotique, que ce soit dans lesdomaines de l’industrie, des secteursmédicaux ou de la robotique huma-noïde. Dans ce cadre s’est déroulél’ARSO 2015, une série de confé-rences sur les progrès en robotique.En parallèle a été constitué, par uncollectif de laboratoires de dévelop-pement et de centres d’ingénierie,le Robotics Map, un catalogue col-laboratif faisant état des innovationset entreprises selon les régions etconstituant un outil pour observerl’évolution de ces technologies et dela dynamique des acteurs qui l’ac-compagnent.

LES ROBOTS ANTHROPOMORPHESDans le secteur de la robotique huma-noïde, ou plutôt de la robotiqueanthropomorphe, il est en généralquestion de rendre les robots plus« intelligents » ou plus socialementintégrés au sein des environnementshumains. Une grande partie de larobotique imitative, que l’on nomme« robotique collaborative » (cobots),cherche des réponses sur la manièredont les robots pourraient aider leshumains.Dans tous les secteurs où la cogni-tion humaine occupe une placeimportante, comme dans l’appren-tissage, l’objectif n’est pas d’imiterpassivement les individus mais decanaliser leur raisonnement.Pour prendre l’exemple de l’agenda

Avec les transformations numériques, une branche de la robotique s’affirmeau-delà du seul champ industriel pour amener les robots à jouer un rôle plusimportant dans les sociétés humaines.

Dans le secteur de la robotiquehumanoïde, ou plutôt de la robotiqueanthropomorphe, il est en général question de rendre les robots plus « intelligents » ou plus socialement intégrés au sein des environnements humains.

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AlphaGo de Google a vaincu le champion du monde de go,Lee Sedol. Ici, l’intelligence artificielle est fondée sur unprogramme d’apprentissage, contrairement aux logiciels de jeu d’échecs fondés sur un algorithme alpha/bêta de parcours d’arborescence.

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tions techniques doivent être poséesavant d’aller plus loin.On peut se poser notamment la ques-tion de savoir comment sera géréela sécurité d’une telle technologie àl’avenir.S’il est possible de pirater un sys-tème informatique, il pourra êtrepossible de pirater un robot afin dele détourner de son but initial, celui-ci étant programmé par de l’infor-matique. De telles capacités parais-sent menaçantes si l’on considèrequ’un robot, de surcroît, à la diffé-rence de l’ordinateur, peut agir direc-tement sur l’environnement par lebiais d’une interface physique. Cesrisques seront bien sûr à relativiseren regard du progrès en matière desécurité informatique.

En outre, l’émergence des robotsautonomes pose des questionséthiques et sociales. La quête inves-tie par la robotique collaborativeconstitue un enjeu majeur actuelle-ment, notamment pour les robotsdomestiques ou évoluant dans desenvironnements de travail. Il s’agitlà de robots qui occuperont, dansune certaine mesure, un rôle social.Même si les acteurs de la disciplineconvergent vers la conclusion qu’unrobot doit être capable de compren-

dre l’être humain pour l’aider, entout cas dans un modèle précis desituation, des questions sous-jacentesdemandent davantage de réflexion.Entre autres, un robot qui aide l’hu-main, est-ce :– un robot qui se substitue à lui danscertaines tâches ?– un robot qui, en plus de compren-dre l’humain, doit lui ressembler envue de partager la même positionsociale ?– un robot qui en toute circonstancecomble les déficits de l’humain ?Ces différents points peuvent êtreposés à des niveaux différents selonles secteurs, ce qui ajoute encore àla complexité de l’enjeu.

LA LOI POUR LES ROBOTS OU POUR LES HUMAINS?Les concepteurs de robots huma-noïdes (encore expérimentaux) nesont plus les seuls garants de la fina-lité de leur produit. Ceux-ci sont dis-tribués aux laboratoires, mais aussiau grand public, et il revient aux uti-lisateurs finaux de décider (et pro-grammer!) la façon dont ils vont évo-luer dans leur environnement et quelsera leur rôle. Par conséquent, il pour-rait théoriquement exister autant detypes de robots que d’utilisateurs.Les nombreuses contraintes tech-niques d’utilisation peuvent néan-moins constituer une première bar-rière à cela. D’où la nécessité deconvenir rapidement d’un ensem-ble de lois régissant la manière d’uti-liser de tels robots. Bien que de nom-breux médias mettent l’accent surles lois qui seront applicables auxrobots eux-mêmes, il faut rappelerque ces lois devront avant tout s’ap-pliquer aux individus sur l’utilisa-tion qu’ils en feront.En psychologie cognitive, on parled’externalisation de la cognitionhumaine. Par exemple, les agendasélectroniques fournissent ce typed’externalisation. L’agenda papierdemande, quant à lui, un certain

effort d’organisation qui n’est pasautomatique. Dans un agenda élec-tronique, ces tâches sont automati-sées. Le risque de cette externalisa-tion est de dégrader progressivementla cognition des humains, qui nefourniraient plus les mêmes effortscognitifs au quotidien. Cette problé-matique est aussi étudiée au labo-ratoire CHArt1.Il en est de même pour la prise dedécision: dans les missions spatialesou militaires à haut risque employantdes robots collaborant avec deshumains, secteur dans lequel la prisede décision humaine reste un fac-teur clé, l’apport de la robotique nedoit pas se substituer à cette faculté.Dans ces secteurs où les responsa-bilités doivent être spécifiquementréparties, le robot ne doit pas oc -cuper trop de place socialement parlant.

LES ENJEUX ÉCONOMIQUES ET SOCIAUXSur les plans industriel et écono-mique, le marché de la robotiqueévolue si vite qu’il est difficile de pré-voir à l’heure actuelle quel en seral’impact. Il est possible que la situa-tion soit analogue à celle de la révo-lution industrielle ayant remplacéde nombreux travaux manuels, doncdes travailleurs, par l’action desmachines. Nous pouvons comparersur ces mêmes enjeux l’émergencede l’IA au progrès apporté il y aquelques décennies par l’informa-tique. De telles révolutions ne s’opè-

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Dans les missions spatiales oumilitaires à haut risque employant des robotscollaborant avec des humains, secteur danslequel la prise de décision humaine reste un facteur clé, l’apport de la robotique ne doit pas se substituer à cette faculté.

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la production et les services est de nature à libérer les hommes (sui generis) du travailaliéné et à ouvrir les possibles d’une sociétéqui ne soit plus basée sur l’exploitation de l’homme par l’homme.

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NAO, le robothumanoïde français développépar la sociétéAldebaran Robotics.Il est autonome etprogrammable.

L’exploration de Mars par le robotCuriosity.

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rent pas sans être accompagnées,bon gré mal gré, d’un remaniementéconomique et social de fond.Toutefois, il ne s’agit que d’une sup-position à partir de ce que l’on connaît.L’impact réel pourrait être tout à faitdifférent.La tentation du capital est bien sûrde remplacer partout les travailleurshumains par des machines, et enparticulier par des robots2. Les robotsne revendiquent pas et ne font pas

grève ; mais s’ils produisent de lavaleur d’usage, ils ne produisent pasde valeur d’échange, ils la transmet-tent seulement, seul le travail vivantproduit de la valeur.En revanche, une généralisation desrobots dans la production et les ser-vices est de nature à libérer les hommes(sui generis) du travail aliéné et àouvrir les possibles d’une société quine soit plus fondée sur l’exploitationde l’homme par l’homme.

Il appartient aux travailleurs, auxhommes et femmes en général des’emparer de ces progrès scienti-fiques et techniques pour le plusgrand bien de l’humanité. n

*OLIVIER MASSON est doctorant en cognitique.

1. Le laboratoire Cognitions humaine etartificielle (CHArt) est un laboratoire de tutellesEPHE et universités Paris-VIII, -X et -XII.2. Mais alors le taux de profit tend vers zéro.

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INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, LE DÉFI DÉMOCRATIQUE

PAR IVAN LAVALLÉE*,

e qu’on appelle intelligenceartificielle, c’est une algorith-mique mise au point pour

affronter des situations où la com-binatoire des possibles exclut les pro-cédures exhaustives. Il a donc fallumettre au point des procédures (algo-rithmes !) appropriées. C’est ainsiqu’on peut faire jouer un ordinateuraux échecs ou au go et faire en sortequ’il gagne à tous les coups alors quele nombre de parties possibles estsupérieur au nombre d’électronsdans l’Univers.Comme l’exprimait Ada comtessede Lovelace (1815-1852), premièreprogrammeuse de l’histoire :« La machine analytique1 n’a nulle-ment la prétention de créer quelquechose par elle-même. Elle peut exé-

L’air du temps médiatique est aux algorithmes et aux intelligences artificielles. Mais de quois’agit-il ? Faut-il s’en méfier ou s’en mêler ?

HAL 9000 (CARL 500 en version française) dans le film 2001, l’Odyssée del’espace de Stanley Kubrick (1968), est un personnage de fiction, supercal-culateur doté d’intelligence artificielle.

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cuter tout ce que nous saurons luiordonner d’exécuter.Elle peut suivre une analyse ; maiselle n’a pas la faculté d’imaginer desrelations analytiques ou des vérités.Son rôle est de nous aider à effectuerce que nous savons déjà dominer. »

TRADUCTION TRAHISONOn traduit allégrement artificialintelligence par intelligence artifi-cielle, bien que nul n’ait confonduIntelligence Service avec serviceintelligent.On est là devant un problème de culture, les Anglo-Saxons sont pourl’essentiel tentés par le behaviorisme,le test dit de Turing en témoigne, quijuge extérieurement de l’intelligence

d’une chose (une situation?) par l’ob-servation qu’on en peut faire. C’estune vision mécaniste du matéria-lisme. Ainsi en vient-on à parler d’ob-jets intelligents, voiture intelligente,autocuiseur intelligent…Si on définit l’intelligence commeune capacité à faire ceci ou cela, alorsles ordinateurs sont ou seront intel-ligents, car en capacité de le faire :ils peuvent agir, faire, simuler, cal-culer plus vite que tout être humain,c’est même pour ça qu’on en conçoitet en fabrique.

Un ordinateur n’a pas de désir, il netriche pas s’il n’est pas programmépour, il n’aime, ne hait, ne souffre,n’est confronté à sa mort ni ne pense,il n’a pas de généalogie, de fratrie, deprogéniture, donc pas de frustration.

UN ENJEU IDÉOLOGIQUE ET PHILOSOPHIQUELe terme « intelligence artificielle »fut créé en 1956 par John McCarthyau cours d’une conférence auDartmouth College (Hanover, NewHampshire). L’invention et l’utilisa-tion de ce terme sont caractéristiquesd’une démarche anthropomorphiquealors qu’existe le terme cybernétique,qui recouvre le même champ deconnaissances, et même au-delà.Ainsi, il n’y aurait qu’à comprendrele fonctionnement du cerveau, et àle reproduire pour fabriquer de l’in-telligence. Il s’agit là d’une démarchesurprenante pour des scientifiques :aucun avion ne vole comme unoiseau, la nature n’a pas inventé la roue.Simuler le comportement du cer-veau pour en comprendre le fonc-tionnement est une chose, espérerfaire produire à de tels simulateursde l’intelligence en est une autre.Les hommes ne sont intelligentsque parce qu’ils vivent en société,les mésaventures d’enfants aban-donnés et élevés par des animauxen témoignent. On peut assimilerl’intelligence au processus d’homi-nisation, qui est toujours en cours.

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET APPRENTISSAGEEn informatique, on utilise des algo-rithmes, et le codage de ces algo-rithmes en un langage compréhen-sible par la machine se nommeprogramme. La théorie de la com-plexité algorithmique nous apprendqu’il existe un certain nombre deproblèmes – bien sûr les plus inté-ressants – pour lesquels, quelle quesoit la puissance des ordinateurs uti-lisés, le temps de calcul nécessaireà leur résolution exacte, même s’ilssont de petite taille (une centaine devariables), est de l’ordre de quelquesmilliers de siècles. On se contentealors d’utiliser des algorithmes quidonnent de « bonnes solutions »,qu’on appelle des heuristiques2, voiredes « solutions approchées3 ».

PROBABLEMENTAPPROXIMATIVEMENT CORRECTL’une des techniques reines de l’in-telligence artificielle (IA) est l’ap-prentissage automatique, qui consisteà concevoir des algorithmes capa-bles d’apprendre à partir d’échan-tillons pris dans des bases de don-nées ou obtenus par des capteurs.C’est le principe même des systèmesévolutifs qui s’adaptent à leur envi-ronnement : ils ont un comporte-ment probablement approximati-vement correct4 pour évoluer dansle contexte des contraintes duditenvironnement, qu’il s’agisse desrègles du jeu de go apprises au furet à mesure des parties jouées ou del’évolution des espèces animales.Ce qu’il faut remarquer ici c’est le« approximativement ». C’est le faitde cette approximation qui autorisel’évolution, le progrès. Si un algo-rithme n’est pas approximatif dansun environnement changeant, iln’est plus adapté lorsque l’environ-nement change.C’est cette capacité à apprendre àpartir des informations fournies parles internautes eux-mêmes qui estmise en œuvre par les GAFA (Google,Apple, Facebook, Amazon) pour ana-lyser les comportements de chacun,en élaborer un profil commercial etproposer des services ou produitsadaptés avec une grande pertinence.Les mêmes techniques peuvent ser-vir à prévoir l’évolution de notresanté et à tenter de prévoir les com-portements humains et sociaux engénéral. La maîtrise de ces tech-niques et des outils permettant deles mettre en œuvre est un enjeu de démocratie.

ENJEU STRATÉGIQUEEn effet, si les techniques d’IA per-mettent l’élaboration d’un profilcommercial, elles peuvent égale-ment servir une organisation mal-veillante. L’évolution actuelle du libé-ralisme, le libertarianisme, va dansce sens. Le but étant de mettre aupoint des techniques comme le block-chain afin de contourner les institu-tions, États et intérêts collectifs pourréduire la société à des rapportscontractuels entre individus isolés,la société étant alors constituée d’unensemble d’individus juxtaposésregroupés dans des entre soi tribaux

C’est cette capacité à apprendre à partirdes informations fournies par les internauteseux-mêmes qui est mise en œuvre par lesGAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) pouranalyser les comportements de chacun, enélaborer un profil commercial.

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« BLOCKCHAIN»La chaîne de blocs, plus connue sous le terme anglais deblockchain, est un protocole informatique développé aumilieu de la décennie 2000-2010 autour de la monnaie vir-tuelle bitcoin par une communauté d’informaticiens sou-haitant remettre en cause le monopole des banques et mon-naies étatiques. Construit comme une mise en œuvre dela solution mathématique du consensus distribué probabi-liste ou « problème des généraux byzantins », la spécificitétechnique du blockchain est de permettre des transactionsen ligne, a priori infalsifiables, au travers d’une base dedonnées et de capacités de cryptage/décryptage distribuéesentre les ordinateurs de tous les participants au système,c’est-à-dire sans aucun contrôle centralisé, chacun étantcontrôlé par tous. Une caractéristique « révolutionnaire »pour nombre d’anarchistes et d’ultralibéraux qui n’empêchepas banques, États… et mafias de s’y intéresser de près.

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en fonction d’intérêts particuliers.Il y a un risque avéré de dominationpar des entreprises capitalistes dont,aujourd’hui, le capital est supérieurà celui de bien des États et dont lacapacité et la volonté de nuire sontextrêmement préoccupantes.De même, dès le xxe siècle les États-Unis ont pris la mesure des trans-formations en cours et de la puis-sance disruptive de ces technologiesdans leur soif de prédation et dedomination mondiale. Dès 1994, legouvernement états-unien a créé lePITAC, dont le but avoué est d’assu-rer la domination impérialiste dupays sur le monde entier5. Dans lemême mouvement, l’IA peut per-mettre de développer des forces pro-ductives susceptibles de libérer l’hu-manité des tâches ingrates ou toutau moins de les ramener à une acti-vité très marginale. Les outils four-nis par la révolution numérique peu-vent être des éléments de libération,il y faut une volonté politique et uneorganisation. Ces nouvelles forcesproductives permettent d’envisagerune production matérielle de satis-faction des besoins humains ne néces-sitant que très peu d’heures de tra-

vail aliéné, une réduction drastiquedu temps de travail à revenus aumoins constants est possible.

LA CYBER RÉVOLUTIONCe qui caractérise une révolution,c’est qu’elle bouleverse non seule-ment la façon de produire, maiségalement les rapports sociaux et

sociétaux. Ce fut le cas de la révo-lution industrielle, prolongée parla révolution scientifique et tech-nique qui n’a pas vraiment modi-fié les rapports sociaux de produc-tion ni les rapports sociétaux : elleles a amplifiés.

Ce qui caractérise aujourd’hui notresociété, c’est qu’elle forme un sys-tème unique de systèmes, vivantsou non, imbriqués, dynamiques eten interaction, en un mot, un sys-tème cybernétique. On ne peut trai-ter de la préservation de l’environ-nement sans poser la question de laproduction agricole ou des déplace-ments individuels, ou de la façon deproduire (d’où, par exemple, la voguedes circuits courts). Le problème quise pose désormais à l’humanité etqui va devenir de plus en plus pré-gnant et urgent, c’est de gérer ce sys-tème global dynamique, cyberné-tique. La cyber révolution4, dont onpeut dire qu’elle a démarré au débutdes années 2000, repose sur troispiliers : la révolution numérique etcognitique, que nous évoquons iciet qui est centrale ; la révolution bio-technologique ou encore métabio-logie, dont on perçoit les prémices5 ;et la révolution énergétique en cours6.C’est un nouveau système techno -scientifique qui se met en place etqui bouleverse l’organisation de lasociété, c’est ce qui fait révolution.Tous les éléments y sont intimement

liés, c’est en cela qu’on peut parlerd’un système cybernétique.La façon dont les hommes s’empa-reront de ces possibilités, dont s’opé-rera cette transformation, dans l’in-térêt de qui, de quelle classe, estl’enjeu actuel, l’avenir est ouvert. n

*IVAN LAVALLÉE est professeur émérited’informatique.

1. Il s’agit de l’analytical engine, la machinemécanique de Babbage, premier calculateurprogrammable… jamais achevé.2. Lesdites heuristiques se fondent sur l’expérience humaine ; elles représententune connaissance du problème.3. Lorsqu’on est capable de dire quelquechose sur la distance à la solution idéale, on parle d’« algorithmes ε-approchés ».4. Voir l’ouvrage Cyber Révolution, éd. Le Temps des Cerises, 2002.5. Pour avoir une idée de ce qui bouge dece côté-là :http://people.seas.harvard.edu/~valiant/PAC-%20Summary.pdf/.Voir aussi Gregory Chaïtin Proving Darwin :Making Biology Mathematicalhttp://vintagebooks.com ; et aussi, enfrançais, « La machine alpha : modèlegénérique pour les algorithmes naturels »(http://arxiv.org/abs/1304.5604).6. On aurait tout aussi bien pu écrire« climatique », mais si on a de l’énergie en grande quantité (décarbonée, et donc, en l’état actuel de la physique, nucléaire !), onpeut régler l’essentiel des problèmes posés.

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Une techniquereine de l’intelli-gence artificielleest l’apprentissageautomatique à par-tir d’échantillonspris dans une basede données commeFacebook.

Les outils fournis par la révolution nume ́rique permettent d’envisager une production mate ́rielle ne nécessitant que très peu d’heures de travail aliéné.

L’évolution actuelle du libéralisme, lelibertarianisme, va dans ce sens. Le but étantde mettre au point des techniques comme leblockchain afin de contourner les institutions,États et intérêts collectifs pour réduire la sociétéà des rapports contractuels entre individusisolés.

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BRÈVES36

L’ASSURANCE MALADIE SE SAISIT DES TROUBLES MUSCULO-SQUELETTIQUESLes troubles musculo-squelettiques (TMS) « résul-tent d’un déséquilibre entre les capacités fonc-tionnelles d’une personne et les exigences de lasituation de travail, notamment lorsque les pos-sibilités de récupération sont insuffisantes (hyper-sollicitation) ». Les 10 heures journalières desapprentis ou le travail de nuit repoussé dans sondécompte à partir de minuit de la loi « travail »n’arrangeront rien.Neuf fois sur dix, les TMS concernent les membressupérieurs et/ou le torse ; ils sont à l’origine de dou-leurs qui deviennent de plus en plus gênantes,incapacitantes s’ils ne sont pas soignés. Ils sontla première cause de maladies professionnellesreconnues : plus de 40000 salariés ont été indem-nisés en 2014 pour cette pathologie. Selon l’Assurancemaladie, leur nombre a augmenté de 60 % lorsde la dernière décennie. Les secteurs principale-ment concernés sont l’industrie agroalimentaire,l’automobile, la métallurgie, le BTP, la grande dis-tribution, l’aide et soins à la personne. Sur le planéconomique, leur coût annuel se chiffre à 1 mil-liard d’euros par an, sans compter les coûts indi-rects (absentéisme, perte de compétences, conten-tieux…) : 10 millions de journées de travail perdues,soit 45000 équivalents temps plein.Mais voilà, ce milliard d’euros est couvert par lescotisations des entreprises, puisque les salariés,eux, ne cotisent pas pour les maladies profes-sionnelles. C’est dans cette optique que l’Assurancemaladie va venir en aide aux PME afin de préve-nir les TMS d’origine professionnelle. On relèvera,que lorsque la santé des travailleurs rencontrecelle des caisses des PME, la réponse publiqueest là. n

CONTRE LE TABAGISME EN FRANCE, LE PAQUET NEUTREAvec la loi Santé, l’arrivée très progressive despaquets neutres s’opère. Depuis fin mai 2016,

les fabricants detabac n’ont plusle droit de pro-duire pour lemarché françaisdes paquets decigarettes telsque nous lesconnaissons.Même sort pour

les cartouches ou le tabac à rouler. Et dès janvier2017, le « neutre » sera obligatoire.S’il marque une victoire de l’État français sur leslobbies du tabac, le paquet de tabac neutre nerésout pas tous les problèmes pour lutter contrele tabagisme. Car, selon des études, c’est quandil est associé à une augmentation du prix dupaquet que le « neutre » du paquet connaît devrais succès. Mais, sur ce point-là, le gouverne-ment n’a jamais évoqué une évolution. n

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016

Trump et la COP21

Le candidat républicain à la pro-chaine élection présidentielleaux États-Unis vient de choisirson conseiller pour les ques-tions énergétiques : Kevin Cramer.À quelques mois de l’élection,Le milliardaire semble donc sepencher enfin sur la questionenvironnementale. Lors d’unentretien accordé à Reuteurs,il fustige l’accord de Paris : « Jevais regarder ça très attentive-ment. Mais, au minimum, jerenégocierai cet accord, je disbien au minimum. Et au maxi-mum, je ferai autre chose »,annonce-t-il alors que depuisla mi-mai, à Berlin, on planchesur sa mise en œuvre.Le candidat ne s’embarrasse pas de l’article 28 de l’accord conclu lors de laCOP21, qui stipule pourtant qu’une partie ne peut quitter l’accord que quatreans après son entrée en application. Sachant que l’accord n’aura force de loiqu’en 2018, dans le meilleur des cas, l’hypothétique président Trump devraattendre un éventuel second mandat pour appliquer ses choix en la matière.Les États-Uniens sont, traditionnellement, méfiants à l’égard des accords mul-tilatéraux. Mais Donald Trump semble ne pas croire un seul instant que le gou-vernement chinois respectera ses engagements climatiques. Pour mémoire,Pékin s’est engagé auprès de Washington à stabiliser ses émissions de gaz à effetde serre au cours de la prochaine décennie et à mettre en service 800 à 1000 giga-watts de capacités nucléaires et renouvelables nouvelles en quinze ans.n

La biodiversité au Parlement : un revers pour l’environnementDans le cadre de la discussion de la loi sur la biodiversité, l’Assemblée natio-nale et le Sénat ont sur deux points reculé de façon importante. En mars 2015,

les députés ont réduit à laportion congrue une taxeproposée sur l’huile depalme (la « taxe Nutella »),et ce, sous la pression del’industrie agroalimen-taire et des pays pro -ducteurs (Indonésie etMalaisie), lesquels n’igno-rent pourtant pas les effetsnéfastes sur la faune et laflore de cette exploitation.Et en mai, le Sénat a reporté

la date butoir pour l’interdiction des néonicotinoïdes, responsables de mala-dies graves chez les abeilles, et donc avec un impact sur le processus de polli-nisation. Les députés s’étaient dans un premier temps mis d’accord pour uneinterdiction à partir de 2018, au grand dam de Stéphane Le Foll, qui a mobiliséses troupes pour faire adopter dans la suite un amendement repoussant à 2020l’interdiction.Lot de consolation, la notion de « préjudice écologique » est entérinée, à moinsque la commission mixte paritaire ne l’efface lors de la présentation de la version commune Sénat-l’Assemblée nationale du texte. n

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AVRIL-MAI-JUIN 2016 Progressistes

BONNE NOUVELLE POUR L’INFO SCIENTIFIQUE

Voici quelque temps, nous appre-nions avec regret la fermeture dublog {Sciences²} de Sylvestre Huet.Quelle ne fut pas notre agréablesurprise quand, en mai 2016, leblog a rouvert, hébergé par leMonde. Bon courage, Sylvestre,

pour ce nouveau départ ! Et pour ceux qui neconnaissent pas encore ce blog qui fait la partbelle aux sciences abordées de manière péda-gogique, scientifique et actuelle, c’est par ici :http://huet.blog.lemonde.fr/.

L’IMAGE DE LA CGT,LOIN DES CLICHÉSUn sondage BVA réalisé le 28-29 avril 2016 auprès d’un échan-tillon de 1 116 personnes a de

quoi faire sourire. En effet, il fait apparaître que58 % des Français (69 % des employés et ouvriers)préféreraient que le gouvernement prenne davan-tage en compte les revendications des syndicats ;49 % des personnes interrogées font confianceaux syndicats pour agir dans l’intérêt des salariés(la proportion passe de 54 à 77 % parmi les sym-pathisants de la gauche) ; la CGT est jugée « utile »,« courageuse » et « proche des réalités du ter-rain » par, respectivement, 42 %, 39 % et 38 %des interrogés, soit une valorisation positive enprogression de 4 points par rapport à 2014.n

LE PROGRÈS AU FÉMININ, LA PREUVE PAR L’IMAGEAprès nous avoir fait rire avec Ma vie est tout à fait

fascinante, PénélopeBagieu nous régale d’unnouveau blog BD auda-

cieux et intelligent. Chaque lundi, elle nous faitdécouvrir – avec une qualité graphique qui seconfirme au fil des semaines – une femme extra-ordinaire qui, à sa manière, a changé le monde.Une autre façon d’appréhender l’histoire à traverscelles qui sont toujours restées peu ou prou dansl’ombre.Qu’elles soient artistes à succès, à l’image deJoséphine Baker, ou docteure en sciences ani-males, comme Temple Grandin, c’est toujoursavec une grande intelligence narrative que la des-sinatrice met en relief les ambitions et les com-bats de ces fortes personnalités. Évitant le piègede l’idéalisation béate, elle dépeint avant toutl’humanité de ces femmes, leur dépit face à cemonde où les inégalités ne font encore que tropla loi, et surtout leurs espoirs et leur courage. Untraitement subtil qui permet de transcender le sta-tut de modèle féminin pour le hisser à celui demodèle universel.Le lien http://lesculottees.blog.lemonde.fr/ donneaccès à son travail ; une version papier devrait voirle jour, et certains de ses lecteurs songent déjàl’offrir aussi bien à leurs filles qu’à leurs fils. Onattend avec impatience la publication librairie. n

L’aérospatial européen face à l’ubérisation

À grands coups de millions de dollars déposés sur la table, Elon Musk, P-DG etfondateur de la société états-unienne SpaceX, ne cesse de défrayer la chro-nique du monde de l’aérospatial.Récemment, le premier étage de la fusée états-unienne de SpaceX a atterri sansencombre sur une barge dans l’océan Atlantique. Et pour couronner le tout, samission – ravitailler la station spatiale internationale – a été un succès : leconcept de fusée réutilisable en est validé.SpaceX, s’appuyant sur un soutien indéfectible de la NASA et du départementde la Défense, propose ses services de lancement à des prix extrêmement agres-sifs sur le marché. Voilà l’envers du décor de la start-up spatiale : son équilibrefinancier tient à l’interprétation toute particulière – et bien connue – des règles

de concurrence « libre et non faussée » dela part des États-Uniens.Allons-nous vers une concurrence achar-née faisant la part belle aux sous-traitantsprivés ? Quid de l’Agence spatiale euro-péenne ? Serait-elle distancée face à cetteubérisation de l’espace ?Alors que l’Europe spatiale ne peut accé-der aux marchés états-uniens, SpaceX a lechamp libre pour répondre aux appels d’of-fres lancés par les institutions européennes.S’y ajoute la faiblesse de la demande publique,

qui prive de fait l’industrie spatiale européenne d’un précieux matelas de com-mandes et d’activités. Néanmoins, environ 50 % des marchés ouverts pour lafourniture de services de lancement ou la vente de satellites sont remportéspar les Européens ; le lanceur Ariane 6, prévu pour 2020 (opérationnel en 2023),aura un prix réduit de moitié par rapport à Ariane 5 et une modularité permet-tant de mettre sur orbite des satellites de toutes tailles, selon les besoins. En outre, un projet de moteur réutilisable est à l’étude par le CNES.La Commission européenne a entamé une réflexion autour de sa future stratégie spatiale pour l’Europe, ces problématiques seront sans nul doute aucœur des débats. n

Une étudiante révolutionne les batteries au lithiumMya Le Thai, étudiante à l’université de Californie, à Irvine (États-Unis), vientde faire progresser considérablement la recherche dans la longévité des batte-ries au lithium. C’est par hasard qu’elle aboutit à ce résultat.

Son laboratoire travaillait surla résistance des batteries, encherchant à implanter des nano-fils d’or directement sur les bat-teries. Problème, ces fils sonteux-mêmes très fragiles : ils ne

permettent pas d’obtenir un cycle de charge/décharge durable. Par étourde-rie, l’étudiante a enduit ces nanofils avec une couche très fine de gel de Plexiglas…qui lui restait sur les mains lors d’une précédente manipulation. Miracle ! le gela alors agi de telle sorte qu’il a protégé la batterie, permettant au cycle decharge/décharge de se répéter des centaines de milliers de fois sans altérer lacapacité de celle-ci. Cantonnées dans une fourchette de 5 000 à 7 000 cycles enmoyenne avant cette découverte fortuite, les batteries au lithium vont connaî-tre un souffle nouveau.Les applications de la trouvaille sont nombreuses, notamment pour les voi-tures électriques qui souffraient en partie d’une autonomie assez limitée. AprèsBecquerel, Pasteur ou les époux Curie, Mya Le Thai confirme le rôle du hasarddans la recherche. n

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Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016

PAR AURÉLIE,BIANCARELLI-LOPES*,

est avec une immensetristesse que nousavons appris le décès

de l’astrophysicien André Brahic.Planétologue de renomméemondiale, il a consacré une par-tie de sa carrière à l’étude desanneaux des planètes géanteset du système solaire, dont ilétait l’un des spécialistes mon-diaux. Il s’était également beau-coup investi dans la prépara-tion et l’exploitation de la missionCassini-Huygens qui exploreactuellement l’environnementde Saturne. Il est en particulierle découvreur des anneaux deNeptune et des arcs de l’un d’en-tre eux. Les anneaux de Neptunesont au nombre de cinq, dontles noms sont du centre versl’extérieur : Galle, Le Verrier,Lassell, Arago et Adams. Adamsse décompose en quatre arcs,dont les trois premiers ont étédécouverts par André Brahic,qui les baptisa Liberté, Égalitéet Fraternité, d’après la devisefrançaise héritée de la Révolution.Un quatrième arc, découvertpar la suite par l’une de ses col-laboratrices, a été nomméCourage.Ce n’est pas courant dans lemonde de l’astrophysique denommer des objets d’après desréférences politiques. Qu’à celane tienne, cela donne l’acro-nyme CLEF (une référence à la musique), ce qui a fait taire les mauvaises langues.

André était également connupour son travail de passeur descience. Passionné par son métier,il était un infatigable conteur :il pouvait passer des heures àparler de l’Univers aussi bien àdes adultes qu’à des jeunes. Il aécrit plusieurs ouvrages grandpublic, publiés chez Odile Jacob,dont le dernier, Terres d’ailleurs :à la recherche de la vie dansl’Univers, est cosigné avecBradford Smith. À tous ceux qui

s’interrogent sur la vie dansl’Univers, les deux astrophysi-ciens apportent à travers ce livremerveilleusement illustré lesdernières réponses de la science.En six chapitres, les deux cher-cheurs font le point sur lesconnaissances scientifiques dansle domaine, depuis l’origine del’Univers jusqu’aux dernièresdécouvertes sur l’origine de lavie. Du mythe à la réalité, ondécouvre l’histoire de ces ques-tions qui traversent les siècleset les civilisations.

Nous avions eu la chance de lerecevoir à l’université d’été duPCF en 2014. Il nous avait faitpart, avec son enthousiasmehabituel, des dernières nouvellesde l’Univers. Autour de magni-fiques photos, du système solaireet de sa « banlieue », de la Galaxie,de l’Univers, ce fabuleux pas-seur de science nous a fait par-tager sa passion. Dans une tem-pête de mots, d’idées, de conceptset devant un auditoire sous lecharme, pendant près de deuxheures nous avons échangéautour des questions qui onttraversé la salle, parfois naïves,parfois très pointues. Il a pris letemps de répondre à chacun enétant compréhensible de tous.Il nous a fait voyager à traversl’Univers, la Galaxie et le sys-tème. Il nous a présenté les der-niers clichés des anneaux deSaturne. Il nous a fait rêver à uneFrance où la culture scientifiqueaurait toute sa place et où larecherche ne serait pas rongéepar la bureaucratie et la pape-rasse. Il nous avait, juste aprèsla conférence, livré cette réflexion :« La moitié des chercheurs passeson temps à remplir des demandesque l’autre moitié perd beaucoupde temps à lire. »

Il nous a confié ne pas avoir letemps de se présenter aux élec-tions présidentielles, alors qu’ilavait un programme pour laFrance. Son programme peutêtre indéniablement qualifié de

progressiste : « La culture, larecherche et l’éducation ». Autourde trois axes, il construisait laFrance, mais aussi l’Europe etle monde de demain, parce quele chercheur international qu’ilétait ne pouvait pas s’arrêter auxfrontières.La culture parce qu’elle est vec-teur de paix, de compréhension,et qu’en cela elle est la base dela démocratie. La recherche parcequ’elle construit le monde dedemain ; toute la recherche, dessciences dites « dures » aux huma-nités. Et l’éducation parce qu’elleconstruit les citoyens de demain.Avec la fougue qui le caractéri-sait, il nous avait dit « Dans lesbanlieues en crise, n’envoyez pasla police, envoyez les scienti-fiques parler de science ». S’iln’avait pas eu un train à pren-dre, cette université d’été auraitbien pu tourner au colloquescientifique, pour notre plusgrand bonheur. Après la confé-rence, nous l’avons raccompa-gné jusqu’à la gare. Durant uneheure supplémentaire nousavons eu la chance d’échangerencore avec lui sur la place de

la recherche, de la science, dela culture… Fils unique d’unefamille modeste – ses ancêtresétaient mineurs –, il avait uneconscience aiguë de l’apportpositif de la science et de la technique dans le quotidien des gens.

Durant ces derniers mois, nousavons continué à échanger régu-lièrement avec lui, qui prenaitle temps de lire le dernier numérode notre revue. Il y a un an, ilnous confiait avoir vécu une viemerveilleuse et être persuadéque les forces de progrès l’em-porteront sur les obscurantismes.

Nous avons perdu un ami, unhumaniste, un progressiste, unscientifique et un passeur descience lumineux. C’est en s’ins-pirant de son exemple que lesprogressistes lui rendront lemeilleur des hommages. n

*AURÉLIE BIANCARELLI-LOPES,membre du comité de rédaction de Progressistes, est docteur en sciences des matériaux et nanosciences.

Liberté, Égalité, Fraternité : hommage à André Brahic

SCIENCES38

C’

André Brahic en conférence sur le système solaire et les origines de la viedans l’Univers lors de l’université d’été du PCF de 2014. En arrière-planSaturne, ses anneaux sont vus à contre-jour le Soleil étant masqué par la planète (photo prise le 15 septembre 2006 par la sonde Cassini).

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Le Grand Mystère des mathématiquesDocumentaire (52 min). Réal. : Dan McCabeet Richard Reisz. Prod. : WGBH International,Nova.« Si les mathématiques expliquent aussibien la réalité, c’est parce qu’au fond la réa-lité n’est que mathématique. » Mais qu’estce que les mathématiques ? Quel lien ont-elles avec le monde qui nous entoure et enquoi permettent-elles de mieux compren-dre l’Univers ? Que le monde ait des carac-téristiques mathématiques ou qu’il soitmathématique, que ces dernières le décri-vent ou le constituent, une chose est cer-taine : il existe un lien entre le monde phy-sique et les mathématiques. n

Volkswagen, heurs et malheurs d’un géant de l’automobileDocumentaire (90 min). Réal. : AchimScheunert. Prod. : Arte.

En pleine tourmente, à la suite du scan-dale de 2015 et sa fraude aux émissions depolluants, Volkswagen n’en est pas à sonpremier coup d’éclat. L’histoire de la marqueautomobile, symbole à une époque duIIIe Reich et du projet hitlérien, nous mon-tre comment la gestion de l’entreprise etla découverte du fordisme ont permis à lamarque de devenir leader européen de l’au-tomobile. Et c’est en voulant s’imposer surun marché plus florissant de 330 millionsde consommateurs que l’entreprise va man-quer à ses engagements : elle met au pointune véritable tromperie aggravée afin defaire croire à la conformité de ses moteursDiesel aux normes états-uniennes. Au-delà

du scandale industriel et de ses consé-quences financières pour l’entreprise, c’estun vrai désastre environnemental et desanté publique qui préoccupe les spécia-listes interrogés. n

Inondation, une menace planétaireDocumentaire (92 min). Réal. : Marie Mandy.Prod. : Arte France.

À l’heure où le changement climatiqueinquiète de plus en plus les scientifiqueset la société civile, l’on assiste un peu par-tout dans le monde à un véritable déchaî-nement des éléments. Bangkok en 2011,New York en 2012, Shanghai en 2013, pourne citer qu’elles, ont été la cible de violentsouragans à l’origine de terribles inonda-tions. Au-delà du facteur climatique, c’estbien l’activité humaine qui est en causedans la violence de certains phénomènesnaturels. C’est ainsi que la bétonisationpoussée à l’extrême, l’érosion des côtescomme conséquence de certaines activi-tés économiques, la non-prise en comptede l’environnement lors de constructionsont une incidence directe sur l’affaisse-ment de la terre, et partant sur l’accrois-sement des risques d’inondations. Cettesituation alarmante devrait imposer uneprise de conscience et des mesures effi-caces pour prévenir d’éventuelles catas-trophes naturelles. n

Le Défi de la pollutionlumineuseDocumentaire (52 min). Réal. : Claus U.Eckert. Prod. : Spiegel TV.

Moteur de la photosynthèse, indispensa-ble à la libération d’oxygène, et donc à lavie, la lumière détermine également notrecycle circadien, autrement dit notre hor-loge biologique. Elle a donc une influencedirecte sur la santé humaine. Mais qu’enest-il lorsque la lumière est omniprésente

et agressive ? Quelles conséquences y a-t-il alors sur la santé et l’environnement ?Des chercheurs se sont penchés sur ces

questions et ont admis des corrélationsentre la pollution lumineuse et la qualitédu sommeil de l’homme ou encore desbouleversements de l’équilibre écologique.Sans parler du gaspillage colossal d’éner-gie généré à travers le monde pour desraisons esthétiques, commerciales ou desécurité, alors que la nécessité d’utiliserdes technologies intelligentes n’est plusà prouver. n

La Guerre des grainesDocumentaire (51 min). Réal. : StenkaQuillet et Clément Montfort. Prod. : On y va !media.

Dans la jungle du capitalisme mondialisé,aucun secteur de l’économie n’est à l’abri.L’agriculture ne déroge pas à la règle. Pourtant,base même de notre alimentation, l’agri-culture devrait permettre à tout État dejouir d’une souveraineté alimentaire. EnFrance, où un catalogue recense les semencesautorisées, un tiers des semences de maïsprovient du géant Monsanto. Au total, cinqindustries de la chimie devenues produc-trices de semences contrôlent la moitié dumarché mondial des graines. Une menacepour les 7 milliards d’humains sur Terre,qui seraient condamnés, si rien ne change,à dépendre de ces multinationales pourlesquelles les profits valent plus que la viehumaine. Face au fichage et à la privatisa-tion du vivant, une résistance mondiales’organise. n

Tous ces documentaires sont disponibles en VOD (payant), en DVD, et pour certains en libreaccès (sous réserve de films libres de droits) par une simple recherche internet.

AVRIL-MAI-JUIN 2016 Progressistes

39VIDÉOS

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Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016

SCIENCE ET TECHNOLOGIE40

n PHYSIQUE

Prédites il y a cent ans par Albert Einstein et véritable arlésienne de la physiquecontemporaine, les ondes gravitationnelles ont enfin été détectées. Retour sur lerésultat d’une traque qui aura associé plus de 900 chercheurs du monde entier pendant plus de vingt ans.

PAR ÉDOUARD BRÉZIN*,

e 11 février 2016, un siè-cle exactement aprèsqu’Einstein eut réussi à

édifier une nouvelle théorie dela gravitation, connue sous lenom de relativité générale la col-laboration mondiale LIGO-Virgoa annoncé un événementmajeur : deux détecteurs situésaux États-Unis, l’un à Hanforden Louisiane, l’autre à Livingstondans l’État de Washington,avaient détecté des ondes gra-vitationnelles, l’une des prédic-tions importantes de sa théo-rie. La variation temporelle dessignaux observés permettait deconclure que ces ondes avaientété émises par la coalescencede deux trous noirs ayant cha-cun une trentaine de massessolaires, situés à 1,3 milliardd’années-lumière de nous. Cetévénement a émis sous formed’ondes gravitationnelles uneénergie équivalente à celle d’en-viron trois masses solaires !Cette découverte est une pre-mière mondiale sur plusieursplans :

– première détection terrestred’ondes de gravitation ;– première mise en évidencedirecte d’un trou noir (jusqu’àprésent, l’existence de trousnoirs, tel celui qui est au cœurde notre Voie lactée, étaitdéduite de l’observation deleurs effets sur la trajectoired’étoiles voisines) ;– première découverte de lacoalescence de deux trous noirs.La performance expérimentaleest impressionnante. Les ins-truments de mesure sont desgrands interféromètres laser :un faisceau laser est divisé endeux faisceaux qui se propa-gent dans deux directions ortho-gonales dans des bras de plu-sieurs kilomètres de long ; ils seréfléchissent sur des miroirs, etaprès de très nombreux allers-retours reviennent interférerentre eux et créer des frangesd’interférence. Le passage d’uneonde de gravitation, c’est-à-dired’une vibration de l’espace-temps, s’est traduit par unemodification infime du cheminoptique du faisceau, de l’ordredu milliardième de nanomètre

contradiction avec la relativitérestreinte, puisque si l’on faitosciller l’une des masses l’in-teraction newtonienne sur unautre corps serait immédiate.D’autres lois physiques sontelles aussi en contradictionapparente avec la relativité. C’estainsi que la loi de Coulomb, qui

donne la force de l’interactionentre deux charges électriques,est également une interactioninstantanée entre deux corpsdistants : une charge oscillanteaurait un effet immédiat sur uneautre charge distante. Mais onsavait depuis 1873, grâce auxtravaux de Maxwell, qui avaitunifié l’électricité et le magné-tisme, qu’une charge oscillantedevait produire en réalité uneonde à laquelle seront soumisesles autres charges. Cette ondese propage à la vitesse de lalumière, qui n’est elle-mêmequ’une onde électromagné-tique : la théorie de Maxwell estbien l’une des sources d’inspi-ration de la relativité. Ce n’estqu’en 1887 (après la mort deMaxwell) que Hertz réussit àcréer de telles ondes et à détec-ter leur effet distant. On sait

LIGO-Virgo : les ondes gravitationnellesenfin dévoilées

L(mille fois moins que la tailled’un simple noyau d’atome) !Elle a néanmoins pu être détec-tée par le déplacement desfranges d’interférence. Sixéquipes françaises ont parti-cipé à cette prouesse expéri-mentale qui a associé de nom-breuses équipes interna tio nales.L’interféromètre européen Virgo,situé près de Pise, en Italie, esten phase d’amélioration de sasensibilité. Lorsqu’il sera remisen service, sa jonction avec lesdeux instruments de LIGO per-mettra de localiser les sourcesd’ondes gravitationnelles.

RELATIVITÉ ET GRAVITATIONPour apprécier la significationde cette découverte, il fautremonter loin dans le passé pouren comprendre la genèse. En1905, le jeune Albert Einstein,encore inconnu, comprend qu’ilexiste une vitesse limite de pro-pagation des signaux entre deuxpoints distants. Cette vitessemaximale est celle de la lumière,environ 300 000 km/s dans levide, et reste identique pourtous les observateurs quelle quesoit la vitesse à laquelle ils sedéplacent. Cette théorie, la rela-tivité restreinte, vite suivie demultiples confirmations expé-rimentales fort précises, impli-quait nécessairement de revi-siter tous les concepts classiques,par exemple la théorie classiquede la gravitation énoncée parNewton, qui postulait une inter-action instantanée entre deuxmasses (s’attirant mutuellementavec une force qui décroîtcomme l’inverse du carré deleurs distances). Il y avait là une

Bras nord de l’interféromètre LIGO à Handford, (États-Unis).

Première détectionterrestre d’ondes degravitation, premièremise en évidencedirecte d’un trou noir,première découverte de la coalescence de deux trous noirs.

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désormais bien tout ce que nousdevons à la découverte des ondesélectromagnétiques.

La résolution par Einstein de lacontradiction entre la théoriede Newton de la gravitation etla relativité restreinte impliquel’existence d’ondes de gravita-tion. Mais la longue et difficiledémarche qu’il devait suivrejusqu’à l’article fondamentalde 1916 a bien d’autres consé-quences sur les concepts d’es-pace et de temps. Dès 1907,Einstein analyse l’équivalenceentre les deux concepts de masseintroduits par Newton : le pre-mier, l’inertie, régit l’effet d’uneforce sur l’accélération d’uncorps ; le second gouverne l’in-tensité de la force de gravita-tion à laquelle est soumis uncorps massif. Dans l’expériencede pensée qui le guidera, il sereprésente un observateur ima-ginaire dans une cabine ferméeen chute libre… pendant uncertain temps. Si l’observateurlâche un objet qu’il tenait enmain, celui-ci l’accompagnerafidèlement dans sa chute (envertu de l’équivalence entremasse inertielle et masse gra-vitationnelle) : à l’intérieur decette cabine tout se passe commes’il n’y avait plus de champ de

gravitation ! En d’autres termes,un champ de gravitation pro-duit le même effet que celuid’un système uniformémentaccéléré en l’absence de gravi-tation. Partant de cette équiva-lence, Einstein comprit qu’il fal-lait établir une théoriegéo métrique de la gravitation.Après plusieurs efforts infruc-tueux, il aboutit à une théoriecouplant intimement la matière(ou plutôt l’énergie) et l’espace,

la matière étant source de cour-bure de l’espace-temps : la pro-pagation des corps se fait ainsidans un espace et selon un tempscourbés par la matière…

QUELQUES CONSÉQUENCESDE LA NOUVELLE THÉORIEL’existence d’ondes gravitation-nelles, vibrations de la géomé-trie de l’espace-temps se pro-pageant à la vitesse maximalede la lumière, découla rapide-ment de cette nouvelle vision.Mais bien d’autres conséquences

devaient voir le jour, parmi les-quelles la déviation de la lumièrepar la matière. En effet, danscette nouvelle théorie, la lumièrese propage selon les trajets lesplus courts (les géodésiques)dans un espace qui est déformépar les masses, pouvant don-ner naissance à plusieurs phé-nomènes optiques. La premièreobservation d’une lentille gra-vitationnelle fut ainsi faite parEddington en 1919. Il observa

que, lors d’une éclipse totale deSoleil, des étoiles qu’on imagi-nait cachées par cet astre res-taient visibles grâce à l’effet decourbure des rayons lumineuxpar le Soleil ! De cette observa-tion date la célébrité mondialed’Einstein.

Mais sa relativité générale a bien d’autres conséquences.Appliquée à l’Univers dans sonensemble, elle donna naissanceà la cosmologie, qui cherche àen retracer l’histoire et le deve-nir. Attaché initialement à l’idéed’un Univers immuable, Einsteindut y renoncer lorsque l’astro-nome Edwin P. Hubble décou-vrit d’autres galaxies que la nôtre,et leur expansion qui les faits’éloigner les unes des autres :la dilatation de l’espace-tempsqu’il révéla ainsi permit deconclure que l’Univers a unehistoire !

Une autre conséquence expé-rimentale amplement vérifiéeest l’effet d’un champ de gravi-tation sur l’écoulement du temps.Les satellites artificiels qui orbi-tent autour de la Terre et ser-vent au GPS subissent moinsd’attraction gravitationnelle queles objets au sol ; ils suivent enconséquence un écoulementdu temps un peu plus rapidequ’à la surface terrestre. Sans

la compréhension de cet effetde relativité générale, le GPSserait inutilisable.Enfin, les équations d’Einsteinimpliquaient l’existence de trousnoirs, région de l’espace-tempsoù les effets gravitationnels sontsi intenses que ni particule nirayonnement ne peuvent s’enéchapper. Au centre de notregalaxie, un trou noir d’une mas -se supérieure à 4 millions defois celle du Soleil a été détecté en 1998.

ET DEMAIN ?Avec l’expérience Virgo-LIGO,il est certain qu’une nouvellevoie d’exploration de l’Universvient de s’ouvrir. De même quenaissait l’observation du ciel enradioastronomie après laSeconde Guerre mondiale, demême des observations d’ondesgravitationnelles permettrontsans doute d’avoir de nouvellesdonnées sur l’Univers primitifou, qui sait, mettront peut-êtreen évidence des phénomènesinattendus. Bientôt d’autres lon-gueurs d’onde seront exploréespar une interférométrie inter-satellitaire, c’est-à-dire à trèslongue base. Un nouveau moyende connaître l’histoire du Cosmosest né. n

*ÉDOUARD BRÉZIN est professeurémérite, École normale supérieure.

De même que naissait l’observation du ciel enradioastronomie après la Seconde Guerre mondiale,de même des observations d’ondes gravitationnellespermettront sans doute d’avoir de nouvelles donnéessur l’Univers primitif.

Salle de contrôle du site LIGO à Hanford, États-Unis.

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Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016

Des études récentes suggèrent que, en plus de transmettre leur patrimoine géné-tique à leurs descendants, les animaux pourraient échanger des gènes entre eux viales virus.

PAR CLÉMENT GILBERT*,

L’INFORMATION GÉNÉTIQUEEST TRANSMISE DEGÉNÉRATION EN GÉNÉRATIONNous avons hérité les gènes denos parents, et nous transmet-tons ces gènes à nos enfants.L’information génétique passeainsi de génération en généra-tion, de manière verticale, grâceà la reproduction sexuée. Ceprincipe de transmission estuniversel, on le retrouve cheztous les êtres vivants. Il a étéformalisé pour la première foisen 1866 par Mendel, un moinebotaniste qui étudia l’héréditéde plusieurs caractères chez lespetits pois au monastère Saint-Thomas de Brünn, en Moravie(l’actuelle ville de Brno en ré -publique Tchèque). On faitaujourd’hui souvent référenceà ses travaux en parlant des loisde Mendel, ou lois de l’héréditémendélienne, qui permettent,si on connaît la composition engènes des individus d’une géné-ration donnée, de prédire demanière statistique celle desindividus de la génération suivante.

Cent cinquante ans aprèsMendel, ces lois constituenttoujours un paradigme majeurde la biologie. Elles offrent encoreaujourd’hui une base théoriquesolide sur laquelle sont ancréesles recherches en génétique évo-lutive, dont le but est de com-

prendre comment les gènes ontchangé, ou muté, au cours del’évolution et comment cesmutations ont affecté les êtresvivants. Pourtant, des décou-vertes récentes semblent mon-trer que l’information génétiquen’est pas seulement transmiseverticalement, de parents à descendants.

TRANSFERTS DE GÈNES ENTRE ESPÈCES CHEZ LES BACTÉRIESDans certains cas, il apparaîtque des gènes ont été transfé-rés entre des organismes appar-tenant à des espèces différentes,ne pouvant donc pas se repro-duire entre eux. On parle alorsde transfert horizontal de maté-riel génétique, par opposition

à la transmission verticale deMendel.Les premiers cas de transfertshorizontaux ont été mis en évi-dence dès la fin des années 1950par une équipe japonaise tra-vaillant sur la résistance auxantibiotiques chez les bacté-

ries. Les chercheurs se sont aper-çus que, en plaçant deux espècesde bactéries dans le même milieude culture, l’une étant résistanteà un antibiotique présent dansle milieu et l’autre pas, l’espèceinitialement non résistante finis-sait par le devenir. Ils ont alorsémis l’hypothèse selon laquellele facteur de résistance avait ététransféré d’une espèce à l’au-tre. Plus tard, le développementdes techniques de séquençage

de l’ADN a permis de montrerque l’information échangée demanière horizontale entre cesespèces de bactéries était le faitd’un transfert des gènes codantdes facteurs de résistance auxantibiotiques.Aujourd’hui, on sait que lestransferts horizontaux d’ADNsont très fréquents chez les bac-téries, si bien qu’il est parfoistrès compliqué de reconstruireles liens de parenté entre les dif-férentes espèces. L’arbre généa-logique des bactéries ressem-ble d’ailleurs plutôt à un réseaudans lequel chaque espèce estconnectée génétiquement à plu-sieurs autres espèces par diffé-rents événements de transfertshorizontaux.

DES GÈNES SAUTEURS,PARASITES DES GÉNOMESLes transferts horizontaux sont-ils restreints aux bactéries ? Onl’a longtemps pensé. Jusqu’à ce

que les progrès techniques enmatière de séquençage d’ADNpermettent de séquencer rapi-dement l’ensemble des gènesd’un organisme, son génome,à des coûts très bas. Ces dix der-nières années, un très grandnombre de génomes d’orga-nismes complexes, tels que lesanimaux et les plantes, ont doncpu être séquencés et sont dés-ormais disponibles dans desbases de données publiques.

L’analyse comparée de cesgénomes a révélé plusieurs sur-prises. La première est que lamajorité des gènes contenuedans les génomes ne semblepas avoir de fonction bénéfiqueaux organismes. Au contraire,ces gènes ont la capacité de sau-ter d’un endroit à l’autre dugénome et de se multiplier, telsdes parasites génomiques. Onles appelle « éléments transpo-sables ». Ils sont présents cheztous les organismes et consti-tuent généralement la plusgrande partie des génomes. Parexemple, pas moins de la moi-tié du génome humain corres-pond à des éléments transpo-sables. Si la présence de ceséléments se révèle parfois délé-tère (certains sont responsablesde maladies génétiques), leuractivité de transposition a aussiété source de diversité et denouveauté génétique, permet-tant certainement aux espèces

Échangeons-nous des gènes avec les vers de terre ?

n GÉNÉTIQUE

SCIENCE ET TECHNOLOGIE42

Des découvertes récentes semblent montrer que l’information génétique n’est pas seulementtransmise verticalement, de parents à descendants.

On pense que les transferts entre animaux se produisent accidentellement et qu’ils pourraientêtre facilités par d’autres organismes faisant office de vecteur, tels que des virus ou d’autres parasites.

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de mieux s’adapter à leur envi-ronnement. De plus, des ana-lyses pointues de biologie molé-culaire ont récemment révéléque certaines séquences d’élé-ments transposables avaientété recyclées au cours de l’évo-lution, donnant naissance à denouveaux gènes désormais indis-pensables au bon fonctionne-ment des cellules.

TRANSFERTS HORIZONTAUXD’ADN ENTRE ESPÈCESANIMALESLa deuxième surprise émanantdes analyses génomiques estque des éléments transposablesquasi identiques ont été décou-verts dans le génome d’espècestrès éloignées, telles que des clo-portes et des mouches, desabeilles et des chauves-souris,ou même des punaises et dessinges. Les temps de divergenceau sein de ces trois couples d’es-pèces sont très anciens. Les clo-portes (crustacés) ont divergédes mouches (insectes) il y aplus de 400 millions d’années,les abeilles et les punaises(insectes) ont divergé deschauves-souris et des singes(mammifères) il y a plus de800 millions d’années. Étantdonné les taux de mutation quiont été calculés chez les insecteset les mammifères, il est impos-sible que des éléments trans-posables hérités verticalementde l’ancêtre commun de cesespèces pendant 400 ou 800 mil-lions d’années soient encoreaujourd’hui quasi identiques.La seule façon d’expliquer cepartage d’éléments transposa-bles entre espèces si éloignéesest donc d’invoquer des trans-ferts horizontaux entre cloporteset mouches, entre abeilles etchauves-souris, entre punaiseset marsupiaux. En fait, il y aaujourd’hui plus de 450 casdécrits de transferts horizon-taux d’éléments transposablesde ce type, impliquant desespèces d’animaux. Les élé-ments transférés horizontale-ment se sont parfois multipliésen plusieurs milliers de copiesdans les génomes qu’ils ont

envahis. Les transferts horizon-taux ne touchent donc pas uni-quement les bactéries, et il nefait donc nul doute que ces trans-ferts ont eu un impact impor-tant sur l’évolution des animaux.

COMMENT DES GÈNESPEUVENT ÊTRE TRANSMISENTRE UNE PUNAISE ET UN SINGE ?Ces découvertes impliquent uneremise en question au moinspartielle du paradigme de l’hé-rédité mendélienne de l’infor-mation génétique. Cela signi-fie-t-il que, en plus des gènesque nous avons reçus de nosparents, nous pouvons recevoirdes gènes provenant d’autresindividus, que ce soit des indi-vidus de notre propre espèceou bien appartenant à d’autresespèces ? Avant de répondre àcette question, il apparaît cru-cial de mieux comprendre com-ment des séquences d’ADN(gènes ou éléments transposa-bles) peuvent traverser la bar-rière des espèces, en caractéri-sant les mécanismesmoléculaires permettant lestransferts horizontaux.À première vue, il est difficilede concevoir que de l’ADN d’uneespèce animale (une punaisepar exemple) puisse être trans-féré dans le génome d’une autreespèce animale (un singe parexemple) tant les étapes impli-quant un tel transfert sont nom-breuses et paraissent improba-bles. De plus, contrairementaux bactéries qui possèdent des

plasmides et des agents de trans-fert de gènes, aucun mécanismespécifiquement dédié au trans-fert horizontal n’est connu chezles animaux. En fait, on penseque les transferts entre animauxse produisent accidentellementet qu’ils pourraient être facili-tés par d’autres organismes fai-sant office de vecteur, tels quedes virus ou d’autres parasites.Les virus sont infectieux, ils sontsouvent transmis horizontale-ment entre espèces animales,et ils ont la capacité d’injecterleur génome dans les cellulesde leurs hôtes afin d’en pren-dre le contrôle. On peut doncimaginer que, lors d’une infec-tion virale, un gène (ou un élé-ment transposable) de l’hôteinfecté soit intégré dans legénome du virus, que ce virussoit transmis à un autre orga-nisme hôte et que le gène del’hôte précédent porté par levirus saute du génome viral au

génome de l’hôte nouvellementinfecté. Il n’existe cependanttoujours pas de preuve expéri-mentale formelle qu’un tel trans-fert horizontal (via l’intermé-diaire d’un virus) soit possible.Plusieurs travaux soutiennentpourtant cette hypothèse. Uneétude très récente a, par exem-ple, montré que lorsque deschenilles de deux espèces depapillons étaient infectées parun virus de la famille desBaculoviridae un grand nom-bre d’éléments transposablespouvaient sauter du génomedes chenilles et s’intégrer dansles génomes viraux. Dans lanature, les chenilles s’infectenten se nourrissant soit par inges-tion de particules virales pré-sentes à la surface des végétaux,soit par cannibalisme, enconsommant directement d’au-tres chenilles affaiblies ou mortesà cause du virus. L’étude, publiéedébut 2016 a estimé que pasmoins de 5 % des virus ainsiingérés par une chenille por-tent dans leur génome au moinsun élément transposable pro-venant de la chenille précédem-ment infectée par le virus. Lespremières étapes nécessaires àun transfert horizontal entrechenilles sont donc démon-trées : un virus peut transpor-ter des éléments transposablesd’une chenille à l’autre.Si les autres étapes nécessairesà un transfert (e.g. saut de l’élé-ment transposable du génomeviral au génome de l’individunouvellement infecté) restent

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Vision 3D du virus de l’hépatite B.

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toujours à démontrer, d’autresfaisceaux d’évidence laissentpenser qu’elles se produisentdans la nature. En effet, desrecherches dans les bases dedonnées génomiques ont mon-tré que parmi les 69 élémentstransposables de chenilles inté-grés dans les génomes viraux,21 avaient été transférés hori-zontalement entre plusieursespèces d’insectes. La majoritéde ces insectes sont des papillons,dont plusieurs sont connus pourêtre infectés naturellement parles Baculoviridae. Ces observa-tions suggèrent fortement queces virus ont généré de nom-breux transferts horizontaux aucours de l’évolution des insectes.

L’HOMME REÇOIT-IL DESGÊNES D’AUTRES ESPÈCES ?La question qui se pose désor-mais est de savoir si ce type detransferts entre animal et virusest restreint aux insectes ou sides gènes ou des éléments trans-posables de mammifères peu-vent également sauter dans lesgénomes de virus les infectant.Nous-mêmes, les hommes,

sommes en permanence infec-tés par des virus, dont certainsnous sont transmis par d’au-tres animaux. Serait-il possiblequ’un virus, transmis par unmoustique, une tique ou un verde terre nous transmette à sontour un ou des gènes de ces ani-

maux ? À l’inverse, transmet-tons-nous certains de nos gènesà d’autres animaux via des virus?La comparaison de nos gèneset éléments transposables avecceux des autres animaux indiqueplutôt que la lignée humainen’a pas été récemment impli-quée dans des transferts hori-zontaux de matériel génétique.Les gènes d’animaux les plussimilaires à nos gènes sont ceux

du chimpanzé. Or cette proxi-mité génétique peut simple-ment s’expliquer par le fait quele chimpanzé est l’espèce aveclaquelle nous partageons unancêtre commun le plus récent.Le nombre de mutations sépa-rant nos gènes de ceux de cesprimates est d’ailleurs en accordavec le temps de divergence(environ 5 millions d’années)et le taux de mutation des mam-mifères. Aucune raison donc de penser que l’homme,aujourd’hui, échange des gènesavec les autres animaux via lesvirus. Mais attention, si cetteconclusion prévaut certaine-ment pour les transferts degènes touchant le génome denos cellules germinales (sper-matozoïdes et ovocytes), aucuneétude n’a cherché à savoir sides transferts de gènes pour-raient toucher nos cellulessomatiques telles que celles denotre épiderme ou de notretractus digestif, par exemple.Il n’est donc pas exclu que legénome de certaines cellulesde notre corps contienne desgènes de vers de terre, de mous-

tique… ou de notre voisin. Cesgènes ne pourraient pas avoirde conséquence à long termesur la lignée humaine, puisquenous ne transmettons pas lescellules de notre peau à nosenfants. On peut en revanchese poser la question de l’im-pact d’éventuels transferts hori-zontaux de gènes ou d’élémentstransposables étrangers dansnos cellules somatiques entermes de dérèglement cellu-laire potentiellement sourcede maladie. Détecter de telstransferts, qu’on peut tout demême supposer rares, s’avèredifficile encore aujourd’huiétant donné qu’il faudrait pou-voir obtenir le génome d’ungrand nombre de nos cellulessomatiques. Mais on peut parierque les coûts de séquençagede l’ADN vont continuer dediminuer drastiquement, ren-dant rapidement possible cetype de recherches. n

*CLÉMENT GILBERT est chargé de recherche dans l’unité Écologie et Biologie des interactions (UMRCNRS 7267, université de Poitiers).

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n GÉNÉTIQUE

SCIENCE ET TECHNOLOGIE44

ADN bactérien vu au microscope électronique (photo).

Il n’est pas exclu quele génome de certainescellules de notre corpscontienne des gènes de vers de terre, de moustique.

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e titre du dernier livre deLuc Ferry, La Révolutiontranshumaniste (Plon),

veut nous convaincre que noussommes confrontés à un défimajeur : des technologies audéveloppement rapide peuventmodifier de fond en comblenotre condition humaine, enaugmentant nos capacités phy-siques et intellectuelles, en allon-geant considérablement notreespérance de vie. Jusqu’à 300 ans,selon Luc Ferry…

Ce faisant, le philosophe reprendla vulgate transhumaniste quirassemble sous son étendarddes technologies fort disparates,en laissant entendre que cestechnologies seraient transhu-manistes en elles-mêmes. Iln’en est rien ! C’est ce que nousferons qui sera transhumaniste,posthumaniste, hyperhuma-niste, humaniste ou tout autrechose… Pour un roboticien quitravaille sur un exosquelette enfantasmant sur le transhumain,vous pouvez en compter millequi pensent avant tout à aiderune personne paralysée à semouvoir. En fait, la science etla technologie n’ont pas eubesoin du transhumanismepour se développer, et il est dou-teux qu’elles en aient besoin.Si Luc Ferry prétend que letranshumanisme est une « révo-lution » qui s’impose à nous,c’est tout simplement parcequ’il a fait sien le socle idéo -logique du transhumanisme :

la conviction qu’un allonge-ment important de la vie est àportée de main et qu’il est sou-haitable ; l’effacement de la dis-tinction entre « médecine d’aug-mentation » et « médecinethérapeutique » ; la convictionqu’un progrès technologiqueaccéléré est en passe de toutemporter, pour le meilleurcomme pour le pire. Le déve-loppement des technologiesserait, selon Luc Ferry, un mou-vement impossible à arrêter,

un « progrès mécaniquementinduit par la lutte en vue de lasurvie [et qui] n’a nul besoind’être lui-même situé au seind’un projet plus vaste, intégrédans un grand dessein qui auraitvéritablement du sens ». Cetteconception du progrès techno-logique comme un mouvementaveugle est des plus étonnanteslorsqu’on voit comment notreauteur attend de la techno logiequ’elle nous libère d’une « natureaveugle ». Chassez le démon dudéterminisme par la porte, ilrevient par la fenêtre !

Pour Luc Ferry, le systèmetechno-capitaliste actuel estnotre destinée, nous pliant à lanouvelle loi de l’histoire : « lebenchmarking ! » Il recycle ainsiles vieilles thèses du darwinismesocial qui faisait de « la luttepour la survie » la seule loi régis-sant les sociétés humaines (àrebours des positions dysgé-niques de Darwin). Il oublie au

passage que ces technologiesnaissent bel et bien de choixéconomiques et politiques : ainsila fameuse convergence NBICest-elle le fruit d’un projet éco-nomique du gouvernementaméricain permettant, à l’oréedu XXIe siècle, de surmonterl’éclatement de la bulle Internet.Ce ne sont pas des innovationstechnologiques récentes quirendent le transhumanismepossible et qui expliquent sonsuccès croissant en Amériqueet en Europe : c’est le discourstechnico-prophétique qui mobi-lise ces innovations au serviced’une cause qui n’est pas la leur.En cela, si le transhumanismeest une révolution, il sera unerévolution au service de l’or-dre établi, et non au service dela recherche scientifique et tech-

nologique, car ce discours lesenferme dans des normesvenues de l’économie. Au nomde cette prétendue « révolutiontranshumaniste », pour obte-nir des crédits, les équipes derecherche devront parler « d’aug-mentation des performances »au lieu de parler de thérapeu-tique, et si les prouesses ne sui-vent pas l’agenda transhuma-niste, les crédits iront ailleurs.La soumission de la rechercheaux normes d’efficience éco-nomique n’en sera que plusgrande car elle sera faite au nomd’une idéologie qui se pare desatours de la science.

Annoncer « la mort de la mort »ou que l’on puisse vivre bien-tôt 300 ans – nonobstant la fra-gilité des fondements scienti-fiques de la chose – relève dela même logique : soumettrela médecine à des normes deperformance. Or lutter pour lavie et lutter contre la mort, cen’est pas la même chose ! Cetteconfusion avait été levée, aveccertes beaucoup de difficultés,dans le cadre du débat contrel’acharnement hérapeutique. Là,nous ferions un retour en arrière,à une conception dépassée dela médecine toute-puissante.Faire de la vieillesse une mala-die, faire de la lutte contre lamort une priorité du dévelop-pement technique conduit àréduire l’humain à une sommede performances.

De quel humanisme voulons-nous ? Celui défendant unhomme défini avant tout parses performances ? Ou unhumanisme soucieux de latotalité de l’homme, dans sespotentialités comme dans sesfragilités, dans son aspirationà se dépasser comme dans safinitude ? Et surtout, sur quoifonder une société : sur lacourse à la puissance ou surle sentiment d’une vulnérabi-lité partagée ? n

*FRANCK DAMOUR est essayiste. Dernier livre paru : Heureux les mortels, Éditions de Corlevour, 2016.

Il n’y a pas de « révolution » transhumaniste,seulement une idéologie

n LU DANS LA PRESSE

PAR FRANCK DAMOUR* Article paru dans la Croix du 25 avril 2016 (avec l’aimable autorisation du journal).

Pour un roboticien qui travaille sur un exosquelette en fantasmant sur le transhumain, vous pouvez en compter mille qui pensent avant tout à aider une personne paralysée à se mouvoir.

Ce ne sont pas des innovations technologiques récentes qui rendent le transhumanisme possible et qui expliquent son succès croissant en Amérique et en Europe : c’est le discours technico-prophétique qui mobilise ces innovations.

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Le marché unique de l’aviation organisé par l’Union européenne via les différentesdirectives dites du « ciel unique » veut en finir avec le concept de compagnieaérienne nationale au nom d’une « saine » concurrence. Il s’agit en réalité de pour-suivre l’élimination de tous les instruments de politique économique permettant auxÉtats nationaux de conduire leurs stratégies de développement.

PAR MIGUEL VIEGAS*,

u Portugal, les travail-leurs luttent depuis desannées pour préserver

leur compagnie aérienne natio-nale, TAP Portugal, qui fut fon-dée le 14 mars 1945 sous le nomTransportes Aereos Portugueseset qui est devenue au fil du tempsla plus grande compagnieaérienne du pays ; son siège està Lisbonne.

UNE ENTREPRISE CLÉ DE L’ÉCONOMIELe Parti communiste portugaisa toujours soutenu que, bienplus qu’une banale entreprise,TAP constitue un secteur stra-tégique de l’économie portu-gaise. Le groupe est le plus grandexportateur portugais, avec plusde 2 milliards d’euros de ventesà l’étranger. Il assure plus desept mille emplois dans la com-pagnie aérienne et, avec l’en-semble de ses entreprisesannexes, plus de douze milleemplois directs ; à cela s’ajou-tent au moins dix mille emploisindirects. C’est une entreprisequi apporte chaque année à lasécurité sociale près de 100 mil-lions d’euros. Sa contributionau budget national, par le biaisdes impôts payés sur le rende-ment, représente égalementplus de 100 millions d’euros.

UN PILIER DE LA SOUVERAINETÉ NATIONALESon rôle et sa contribution sontdécisifs au développement et àl’activité économique des archi-

pels des Açores et de Madère.Pour ces régions insulaires loin-taines et ultrapériphériques, letransport aérien représente uneliaison essentielle. Sur ce point-là, TAP a très tôt été un élémentfondamental pour assurer laconnexion entre ces régionsautonomes et le continent, lut-ter contre l’isolement et favo-riser la cohésion territoriale.Aujourd’hui, la compagnie conti-nue de jouer un rôle essentielpour assurer la mobilité de lacommunauté de ces deux archi-pels, dont une partie impor-tante de la population a émi-gré dans le monde entier,notamment sur le continentaméricain. Le rôle du transpor-teur aérien national doit êtreapprécié à l’aune de son impor-tance stratégique pour le déve-loppement régional et natio-nal. Privatiser TAP ne peutentraîner que de très gravesconséquences non seulementpour l’entreprise, pour ses tra-vailleurs et leurs familles, maisaussi pour les usagers qui comp-tent sur un service public essen-tiel tel que celui fourni par notrecompagnie aérienne nationale.

1998 : LE PARTI SOCIALISTETENTE DE PRIVATISER ET DE VENDRE TAPLa privatisation de TAP est unvieil objectif que les multina-tionales européennes ont tentéd’imposer à notre pays, dans lecadre d’une concentrationmonopolistique qui est en traind’être imposée aux peuplesd’Europe. C’est dans ce contexte

que nous devons interpréter lesdivers « paquets aériens » del’Union européenne qui, defaçon successive et depuis 1978,imposent la libéralisation com-plète du secteur.La première tentative de priva-tisation de la société remonteà 1998. Nous avions alors ungouvernement PS présidé parAntónio Guterres, candidatactuel au poste de secrétairegénéral de l’ONU. À l’époque,la décision de privatiser TAP etde la vendre à la société Swissairétait présentée comme unemesure urgente et inévitablepour éviter sa faillite. La mobi-lisation des travailleurs via leursdifférents syndicats, qui ont agide manière conjointe, notam-ment en organisant plusieursgrèves qui ont bloqué l’entre-prise, a permis de rejeter ce projet.Cette première victoire du peu-ple portugais a été décisive pourl’avenir de la compagnie. Il fautainsi se rappeler que si le pro-cessus de sa privatisation etintégration dans Swissair avaitabouti TAP n’existerait plusaujourd’hui. Elle aurait étédétruite dans le processus defaillite de la société helvétique,comme ce fut le cas pour la com-pagnie belge Sabena (qui, elle,a été achetée par Swissair).

2012 : ORGANISATION DU DÉPEÇAGE DE LACOMPAGNIE NATIONALELes quatre dernières années ontété caractérisées par un longprocessus de déstabilisation de

TAP, alimenté par l’ancien gou-vernement de droite PSD-CDS.Ce processus a inclus deux ten-tatives de privatisation. La pre-mière a échoué en 2012, laseconde plus tard, en fin demandat et avec les dernièresélections en vue.Le gouvernement tente en 2012une première fois de vendre TAP à l’entrepreneur GermánEfromovich. Après avoir échoué,grâce à la mobilisation des tra-

vailleurs et citoyens portugais,dans sa tentative, le gouverne-ment de droite met en placeune nouvelle stratégie. Ces qua-tre années ont été marquéespar une succession de men-songes et de chantages orches-trée par le gouvernement pouralimenter une campagne per-manente de dévaluation de TAPtout en essayant d’offrir l’en-treprise au grand capital. Eneffet, pendant son mandat, legouvernement de droite n’a pascessé de provoquer le départdu personnel qualifié, y com-pris les techniciens de manu-tention et les pilotes, dans uncontexte d’externalisation crois-sante des services. Le proces-sus de renouvellement de la

La lutte pour maintenir TAP au service du développement du pays

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Le rôle du transporteuraérien national doit êtreapprécié à l’aune de sonimportance stratégiquepour le développementrégional et national.

n EUROPE

PORTUGAL

A

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flotte a été suspendu et les condi-tions de financement ont étédélibérément aggravées, le toutdans un climat de conflitconstant entre administrationet travailleurs, contribuant ainsià une détérioration significa-tive du prestige de l’entrepriseet de sa santé financière. Ce quele gouvernement du PSD-CDSa fait à TAP et à notre pays consti-tue un véritable crime écono-mique et social aux proportionsgigantesques et avec des consé-quences dramatiques, qu’onn’est pas encore en mesure dequantifier pleinement.

2015 : COUP DE FORCE D’UNGOUVERNEMENT AUX ABOISAprès l’échec d’une premièretentative de vente de TAP, en2012, le gouvernement aannoncé la réouverture du pro-cessus de privatisation en

novembre 2015. Rappelons qu’ilétait déjà en minorité auParlement à l’issue des dernièresélections, et surtout rejeté parla majorité des nouveaux dépu-tés élus1. La privatisation devaitêtre réalisée avec la vente directede 66 % du capital de la com-pagnie aérienne : 61 % à des

il est contraint de réduire sonfonctionnement à la gestion desaffaires courantes.

LE NOUVEAUGOUVERNEMENT SOCIALISTEFAIT UN PAS EN ARRIÈRE…Dès que le nouveau gouverne-ment du Parti socialiste a prisses fonctions, à la fin de 2015,le PCP a demandé, dans le droit-fil des luttes des travailleurs,l’annulation immédiate de laprivatisation illégale de TAP etl’expulsion du groupe qui avaitrepris l’entreprise grâce au gou-vernement PSD-CDS.Malheureusement, cela n’a pasété l’option choisie par le gou-vernement socialiste. Le Partisocialiste a préféré une solu-tion intermédiaire, maintenantune participation de 50 % del’État, mais renonçant à la ges-tion de TAP, laquelle reste sousle contrôle du consortium et deDavid Neeleman. Pour le PCP,cette solution ne répond pasaux besoins du pays et ne garan-tit ni l’avenir de la TAP ni notresouveraineté nationale. Il estvrai qu’en conservant une par-ticipation majoritaire de l’Étatles possibilités de contrôle publicdes décisions prises par la direc-tion privée de TAP augmentent.Mais il est vrai aussi que le risquede destruction de TAP vient pré-cisément de sa gestion privéedans la mesure où le groupeTAP sera mis au service d’unestratégie tout à fait contraireaux besoins économiques etsociaux de notre pays, au pro-fit des intérêts de ses action-naires privés.

… MAIS LA LUTTE NE FAITQUE COMMENCERLa gestion privée de TAP cesderniers mois a été marquéepar un ensemble de décisionsstratégiques tout à fait contrairesà l’intérêt national et compor-tant des avantages évidents pourles autres compagnies deNeeleman. C’est révélateur desdangers sur lesquels le PCP aalerté tout au long du proces-sus de privatisation. Pour le PCP,l’ensemble du processus doit

être arrêté le plus tôt possible,de manière à ouvrir la voie à larésolution des questions de fond.Nous militons pour la solutiond’une gestion publique liée auxintérêts nationaux et pour lamise en œuvre de mesures visantà défendre et à améliorer le fonc-tionnement et l’opérationna-lité de TAP.Atteindre ces objectifs ne serapossible qu’avec une large mobi-lisation de tous les travailleurs.Au fil des ans, seule la lutte orga-nisée a permis de mettre enéchec les diverses tentatives deprivatisation de TAP. Ce com-bat a réuni les commissions detravailleurs, les syndicats, enparticulier le Sitava (syndicatdes travailleurs de l’aviation etdes aéroports), avec à certainsmoments la mobilisation de lapopulation en général, notam-ment via plusieurs pétitions.De nombreuses manifestationset des grèves ont eu lieu, tou-jours malgré une pressionénorme du gouvernement, quin’a pas hésité à décréter uneréquisition civile pour empê-cher les grèves. D’autres actionssont en cours, en lutte pour uneTAP 100 % publique, au servicedes travailleurs, du peuple etdu pays. n

*MIGUEL VIEGAS, membre du Particommuniste portugais (PCP), estdéputé européen membre du groupeGauche unitaire européenne-Gaucheverte nordique (GUE-NGL).

1. La coalition PSD-CDS est arrivée en première place lors des électionsd’octobre en 2014, mais sans avoir la majorité des députés à l’Assembléenationale. Sur cette base, le présidentde la République a chargé le présidentdu PSD de former un gouvernement. Ce gouvernement a été rejeté par le Parlement, ouvrant ainsi la voie à la solution actuelle, avec ungouvernement PS.2. L’effet d’aubaine consistant ici à appâter l’acheteur en lui offrant une baisse du prix, après avoir dévalué la valeur de la compagnie.

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investisseurs directs et 5 % auxemployés de TAP SGPS; les 34 %restants devant être détenus parl’État pendant deux ans. Le11 juin 2015, la vente de TAPPortugal à un consortium formépar David Neeleman (entrepre-neur américano-brésilien pro-priétaire des compagnies AzulLinhas Aéreas Brasileiras, JetBlueAirways et WestJet) et HumbertoPedrosa, entrepreneur portu-gais, a été confirmée.Sans entrer dans les détails del’opération, il est néanmoinsimportant de comprendre cer-tains éléments qui témoignentde son caractère ruineux pourl’entreprise et pour l’État. Leprocessus a été mené de façontotalement obscure, essayantd’échapper à tout contrôle poli-tique, pour aboutir à une venteà un prix d’aubaine2 de 10 mil-lions d’euros, dans un marché

qui comprend déjà des garan-ties d’État de 500 millions d’eu-ros. De plus, le PCP a mis enavant une série d’irrégularités,à commencer par le fait quecette affaire a été conduite sansaucune légitimité démocratique.En effet, quand un gouverne-ment a été rejeté par le Parlement,

Pendant son mandat, le gouvernement de droite n’a pas cessé de provoquer le départ du personnelqualifié, y compris les techniciens de manutention et les pilotes, dans un contexte d’externalisationcroissante des services.

Manifestation au Portugal des salariés de TAP.

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TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIE48

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016

PAR LOUIS MAZUY*,

LE SCHÉMA CLASSIQUE«CONCEPTION-CALCUL-FABRICATION-CONTRÔLE»Lorsque le bureau d’étudesconçoit un produit mécanique,il définit des solutions fonction-nelles, en étudie la robustesseen sélectionnant les matériauxet sous-produits en adéquationavec les fonctions visées. AuXXe siècle, les modes de vieillis-sement et de ruine des com -posants mécaniques étaientappréhendés par des règlesstandar disées à partir de castype, il était difficile de quanti-fier précisément les paramètresconduisant aux défaillances.Les critères de définition desproduits intégraient des coef-ficients de sécurité, dans la limitedes moyens de mesure et d’in-vestigation disponibles. Le retourd’expérience des défaillancesdonnait lieu à des correctionsde conception, empiriques.

LA PROGRESSION DEL’EXPERTISE SCIENTIFIQUEDANS L’INDUSTRIEÀ partir des années 1980, le cal-cul informatique devient de plusen plus performant. De façoncomplémentaire, les moyensd’investigation de l’état desmatériaux et du comportementdes machines en service pro-gressent en s’appuyant sur lesavancées des méthodologies demesures grâce à la microélec-tronique et à l’apport de l’in-formatique. La complémenta-rité entre calculs de simulationet mesures permet le dévelop-pement d’une expertise scien-

tifique au sein des grandes entre-prises. Le retour d’expérienceaccumulé par la connaissancedu comportement des compo-sants mécaniques en service etde l’histoire du vieillissementdes matériaux pose des ques-tions et de nouveaux défis à laconnaissance scientifique engénéral.

DE LA FABRICATION À LA VIE DE L’ÉQUIPEMENTAvant l’évolution en cours, lecalcul visait principalement àdéterminer les sollicitations quesubissent les composants de

machines lorsqu’elles sont enservice, et à vérifier que les maté-riaux résistent, en tenant comptede leurs propriétés généralesplus ou moins standardisées.Il est devenu possible de simu-ler par calcul les effets des opé-rations de fabrication des com-posants depuis le début del’élaboration des matériaux.Ainsi, les propriétés des maté-riaux sont connues beaucoupplus finement, et de façon spé-cifique à chaque composant.La forme d’un composant et lesprocédés de sa fabricationdeviennent des paramètres de

mieux en mieux appréhendéspour prévoir le comportementde la machine et des matériauxde ses composants pendant sadurée de vie. Ainsi, la connais-sance et la maîtrise de l’histoirede la matière du début de lafabrication d’un composantjusqu’à la fin de vie de la machinedeviennent accessibles.

REPRODUCTIBILITÉ ET CONTRÔLE EN TEMPS RÉELIl s’agit là d’un axe majeur desévolutions technologiques dansles procédés de fabrication. Sichacun des procédés de fabri-cation d’un composant a unimpact sur les propriétés desmatériaux et leurs résistanceslors du fonctionnement de lamachine, il devient essentiel demaîtriser et de contrôler chaqueopération de fabrication. Lareproductibilité des procédésde fabrication, avec peu de dis-persions d’impacts sur les maté-riaux, prend encore plus d’im-portance que dans le passé. Lestechnologies de l’imagerie etdes mesures permettent dé -sormais un contrôle en tempsréel des opérations de fabrica-tion ayant le plus d’impact surles propriétés des matériaux(comme la forge, le soudage…).Cette évolution n’est pas neu-tre pour le savoir-faire ouvrier.

SAVOIR-FAIRE OUVRIER ETCOOPÉRATION DES MÉTIERSLe savoir-faire traditionnel desouvriers résidait dans leur capa-cité à réaliser une opération defabrication avec un résultataccepté après des contrôles defin de fabrication, selon les cri-

tères de propriétés généralesdu matériau ou de dimensions.Les dispersions de l’état dumatériau au sein des compo-sants étaient mal connues. Lescoefficients de sécurité appli-qués par les ingénieurs visaientà couvrir les incertitudes résul-tant des procédés de fabrica-tion. En fait, une entrepriseétait réputée fabriquer desmachines robustes lorsque lesutilisateurs avaient fait l’expé-rience de leur bonne durée devie. Cela signifiait que la répu-tation d’une entreprise résul-tait de l’ensemble de ses savoir-faire, ouvriers, techniciens etingénieurs, sans qu’ils soientforcément identifiables avecprécision. La pratique du « secretde fabrication », présentée parles entreprises comme unmoyen de se protéger contrela concurrence, exprimait uneréalité plus large.Les ouvriers qualifiés s’effor-çaient de conserver la maîtrisede leur savoir-faire. Dans lemême temps, les services d’in-génierie et des méthodes ne dis-posaient pas des moyens demesures et de calcul suffisantpour connaître finement l’im-pact des procédés de fabrica-tion sur les propriétés des maté-riaux. Maintenant, l’opacité dessavoir-faire individualisés dessalariés qualifiés tend à êtreréduite par le renforcement desexigences de reproductibilitédes propriétés des composantsfabriqués et le contrôle en tempsréel des opérations de fabrica-tion les plus déterminantes.L’écart entre le prescrit et le réa-lisé tend à se réduire.

n ENTREPRISE

Industries, technologies et rapports sociaux

Il est devenu possible de simuler par calcul les effets des opérationsde fabrication descomposants depuis le début de l’élaborationdes matériaux.

L’évolution technologique dans les activités de fabrication et de service conduit àdes changements qui ne sont plus seulement caractérisables par une robotisationentraînant la réduction du travail manuel.

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TRANSPARENCE DES SAVOIR-FAIRE, NOUVEAU DÉFI POURLA LUTTE DES CLASSESLa capacité du monde du tra-vail à obtenir des conquêtessociales au cours du XXe siècleest généralement considéréecomme découlant d’uneconscience de classe collectivedes salariés de fabrication. Cettethèse générale tend à occulterle fait que les salariés qualifiés,ouvriers et non ouvriers (tech-niciens, ingénieurs), ont pu gagner des salaires signi -ficatifs grâce à leur maîtrised’un savoir-faire plus ou moins individualisé.Le patronat a toujours tenté dedévelopper la polyvalence entresalariés, en s’efforçant de sim-plifier et de rationaliser chaqueopération de travail, de tellesorte que sa maîtrise indivi-duelle ne puisse constituer lapossibilité d’un rapport de forcesfavorables aux salariés quali-fiés. L’évolution en cours, allantvers une transparence et unecomplémentarité des savoir-faire, bouleverse la donne.Pour préserver et obtenir desconquêtes sociales face au capi-tal, le salariat a besoin d’unenouvelle conscience de classecollective. Il s’agit de prendreen compte que la capacité deleur entreprise à produire unbien ou un service répondantaux besoins des usagers découled’un savoir-faire résultant d’unecoopération entre les métiersencore plus forte qu’aupara-vant. Avec l’individualisationdes salaires, le patronat divisele salariat et casse les disposi-tifs d’augmentation de salairesprenant en compte l’ancien-neté du salarié (gain de savoir-faire par l’expérience acquise).Les salariés qualifiés peuventde moins en moins défendreindividuellement leur carrièreen cherchant à se rendre diffi-cilement remplaçables. Lemonde du travail vit une muta-tion posant l’exigence d’uneconscience collective intermé-tiers et d’un dépassement desoppositions catégorielles, favo-risé par la complémentarité des

métiers de réalisation, decontrôle, de conception et d’ex-pertise à caractère plus ou moinsscientifique.C’est un défi majeur pour lalutte des classes capital/travail.

HISTOIRE DES MATÉRIAUX ET OBSOLESCENCEL’évolution en cours développeune connaissance approfon-die du niveau de robustesse des machines, relativement aux sollicitations qu’elles subissent,et de l’impact des divers pro-duits par leurs effets méca-niques et chimiques… On saitmieux spécifier et contrôler lesexigences à respecter par lesprocédés de fabrication, ainsique prévoir leur impact surl’usage des produits.La pratique par certaines grandesentreprises de l’obsolescenceprogrammée est maintenantidentifiée. Elle est généralementcomprise comme le choix déli-béré d’une durée de vie limitéedes produits manufacturés, lebut étant de développer le mar-ché de remplacement des pro-duits obsolètes. Si cette pratiqueest bien réelle, l’aspect nova-teur est l’amplification de lacapacité à prévoir, maîtriser etaugmenter la durée de vie deséquipements. L’enjeu de sociétéest de gagner à ce que cette capa-cité accrue soit mise au servicedes besoins de la population,avec la prise en compte des défis

de l’écologie et de la pérennitédes ressources naturelles. Lesgrandes entreprises et multi-nationales s’efforcent d’orien-ter cette capacité accrue en fonc-tion de leurs objectifs de marchéset de rentabilité. Pour les pro-duits destinés à la consomma-tion des ménages et des petitesentreprises, un secteur public

de recherche capable de réali-ser les études d’impact et devalidation doit être développéau niveau nécessaire pour fairecontrepoids aux justificationstechniques des grandes entre-prises, établies en conformitéavec leurs objectifs de marchés.L’affaire Wolkswagen confirmele besoin d’une évaluation tech-nique et scientifique au servicedu consommateur, indépen-dante des fabricants.

LA PROGRESSION DESSERVICES DANS L’INDUSTRIEL’amplification de la capacitéà prévoir, maîtriser et augmen-ter la durée de vie des équipe-ments tend à réduire la ten-dance productiviste del’industrie. Une partie desgrandes entreprises complè-tent leurs activités de produc-

tion par celles des servicesassociés aux machines et équi-pements qu’ils fournissent.Dans les activités de servicede type contrôle, réparationset rénovations des équipe-ments, la complémentarité desmétiers est en forte progres-sion en raison des évolutionstechnologiques.

Pour les activités de service, lesévolutions technologiques ontdes impacts sur les rapportssociaux de travail, similaires àceux constatés dans les activi-tés de production.Les évolutions technologiquesactuelles continuent à reconfi-gurer les rapports sociaux deproduction et dans la société,avec des contenus et formesqu’il importe d’appréhenderfinement. La politisation dumonde du travail et la relancedu projet alternatif au capita-lisme en dépendent. n

*LOUIS MAZUY est cadre d’entreprise.

Le monde du travail vit une mutation posant l’exigence d’une conscience collective intermétiers et d’un dépassement des oppositions catégorielles.

Airbus : un exemple de complémentarité des métiers de réalisation, de contrôle, de conception et d’expertise :un défi majeur pour la lutte des classes capital/travail.

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50 ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉn BIODIVERSITÉ

PAR JEAN-CLAUDE CHEINET*,

L’IMAGERIE MÉDIATIQUELa fable de La Fontaine le rendredoutable et les médias pré-sentent le retour du loup commedans un film d’épouvante.Dans la fable, le loup est cefourbe qui ne voit que sa proie ;c’est une reprise des peurs ances-trales que le loup a représen-tées, comme avec la « bête duGévaudan » ou dans le contedu Petit Chaperon rouge. Le loupsuscite la crainte, a une répu-tation de sauvagerie, d’agressi-vité opposée à celle du docilechien domestique ; il provoquedes polémiques.Périodiquement, les médiasmettent en avant, images à l’ap-

pui, moutons égorgés, trou-peaux ravagés, bergers déses-pérés ou presque ruinés… etchasseurs exaspérés et prêts àtout ou presque. En face, onprésente de gentils amis de lanature et des animaux, souventvenus de la ville voisine et quiprotestent de l’innocence de lafaune sauvage, de la défense detelle espèce, de la beauté de lanature…Nos médias fabriquent ainsi unthéâtre de jeux de rôles où ilfaut un bon et un méchant ; oncampe un « pro » face à un « anti »au prétexte d’une impartialitéde façade qui évite de réfléchirplus avant.

DISPARITION ET RETOUR: UN PEU D’HISTOIRELe loup gris commun est certesle plus gros carnivore d’Europe.Il a été très répandu, mais lespopulations rurales ont, depuisle Moyen Âge au moins, cher-ché à le décimer. Par le piégeagecomme en témoignent les mésa-ventures d’Ysengrin, mais sur-tout par empoisonnement àl’aide d’appâts munis de plantestoxiques, avant que le fusil neprenne la relève. Ils étaientencore près de 5 000 en Franceau XVIIIe siècle; mais, devant unechasse acharnée, ils ont un tempssubsisté dans des régions commele Périgord ou la Haute-Vienneavant de disparaître au débutdu XXe siècle.

C’est pourtant un animal social,plutôt craintif, chassant essen-tiellement en meute. Celle-cicomporte généralement un cou-ple avec les jeunes de l’année,voire un ou deux autres indivi-dus, acceptés par les autres, etne dépasse, semble-t-il, querarement six individus.Le loup est un prédateur effi-cace de la faune sauvage desongulés (cerfs, chevreuils, cha-mois…). Une meute vit sur unterritoire de 200 km2 environ,et on estime la populationactuelle des loups en France àenviron 300-350 individus répar-tis en une trentaine de meutes,auxquelles il faut ajouter les soli-

taires qui se déplacent et ten-dent à coloniser de nouveauxespaces.Mais les loups, décimés aucours du XIXe siècle, avaientsurvécu dans les Abruzzes, enItalie, ou en Espagne ; aussi,tout naturellement, en profi-tant de la déprise agricole, dela désertification des cam-pagnes, de la réintroductionpar l’homme d’ongulés sau-vages pour la chasse précisé-ment, ils ont regagné desespaces où ils pouvaient s’in-sérer et se nourrir facilement.Et, négligeant les frontières,les revoilà dans le Mercantourpuis dans les Alpes puis dansl’est de la France et à présent,ayant passé le Rhône, ils arri-vent dans le Massif central.Ils ont aussi profité des mesuresde protection mises en placeces dernières années : conven-tion de Berne (1979), directive« Habitats »…

LE PRÉDATEUR UTILEBien loin du mythe, les attaquesdes loups sur l’homme sontrarissimes et bien moins nom-breuses que les attaques par deschiens. Les quelques cas réper-toriés concernent des loups qui,au cours de leurs pérégrina-

tions, ont été mordus par desanimaux enragés et sont eux-mêmes atteints de la rage.Or ne remarque-t-on pas depuisquelques années, dans telle outelle région, l’essor incontrôléde certaines espèces comme leschevreuils qui ensuite ravagentdes cultures? Dès lors, leur pré-dateur naturel, le loup, peut àla fois trouver sa place dans cetteniche écologique et, par là même,contribuer à la régulation, àl’équilibre entre espèces sau-vages et agriculture-vie rurale.

ET LES TROUPEAUX?En revanche, s’ils se nourris-sent essentiellement sur la faunesauvage, les loups peuvent effec-tivement attaquer des trou-peaux. Il semble que ces attaquesse passent essentiellement auprintemps et/ou à l’automne.En fait, ces attaques concernentsurtout des grands troupeauxd’ovins qui n’ont pas de gar-diennage ou de systèmes deprotection suffisants. Dans laplupart des cas, les dispositifsd’effarouchement, les chienspatous et, surtout, la présencehumaine des aides-bergers

Qui n’a pas eu peur du loup ? Il est pourtant dans la nature, un élément de la bio -diversité, voire un symbole. Mais peut-on faire coexister la chèvre et le chou ? la pouleet le renard ? le loup et l’agneau ?

Le loup, prédateur et bouc émissaire

Une meute vit sur un territoire de 200 km2 environ. On estime la population actuelle des loups en France à300-350 individus répartis en une trentaine de meutes,auxquelles il faut ajouter les solitaires qui se déplacentet tendent à coloniser de nouveaux espaces.

Le monstre qui a désolé le Gévaudan (gravure sur cuivre,1764-1765).

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AVRIL-MAI-JUIN 2016 Progressistes

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empêchent ces attaques. Il estvrai que les animaux des trou-peaux, sentant la proximité desloups (ou des chiens à demi sau-vages), sont stressés avec desconséquences sur leur compor-tement et celui du troupeau.Chaque année, on recense prèsde 3 500 ovins tués pour les-quels la cause « loup non exclu »est admise ; ce qui reste moinsque l’ensemble des autres causesde mortalité dans les troupeaux.Certes, des indemnités sontprévues par les pouvoirs publics,mais ce palliatif dérisoire nefait ni une politique ni des gensheureux.

LA CRISE DE LA FILIÈRE OVINELes éleveurs ne subissent pasle retour du loup comme unéclair dans un ciel sans nuages,car une spirale dépressive s’estmise en place depuis longtemps.La crise qui touche notre sociétés’est traduite notamment parune baisse (de près d’un tiersselon certaines sources) de laconsommation de viande ovine;les campagnes à but diététiqueet de santé mettant en gardecontre les viandes grasses vontdans le même sens.De plus, le néolibéralisme del’UE a entraîné la baisse des bar-rières douanières, et donc lamise sur le marché intérieur desviandes ovines provenant deNouvelle-Zélande, de Grande-Bretagne, d’Irlande, où la pro-duction de viande est un sous-produit à bas prix ; de ce fait,les importations en France deces viandes représenteraientprès de la moitié de la consom-mation. Cette concurrence inter-nationale aiguë entraîne unegrande fragilité des exploita-tions d’élevage de montagne.Leur nombre a donc diminuéet l’ensemble du cheptel aussi,de près de 30 %.En revanche, les exploitants quisubsistent cherchent à résisteren augmentant le nombre detêtes de leurs troupeaux, aurisque d’être plus vulnérablesau loup. L’élevage se concentremécaniquement sur certaines

zones (vite surpâturées au détri-ment des autres éléments de labiodiversité et vite repérées parle loup) alors que d’autres sontabandonnées et retournent àla friche, à la vie sauvage. Enfin,comme pour l’ensemble du sec-teur agricole et à des degrésdivers, les subventions (horsloup) représentent souvent plusde la moitié des revenus. Maisle loup apparaît aux éleveurscomme la goutte d’eau qui fait

déborder le vase.Notons que dans un contextesocial différent, avec un coûtplus faible de la main-d’œuvre,dans des structures agraires dif-férentes aussi, des troupeauxen général plus petits et mieuxgardiennés, en Espagne ou enItalie, peuvent très bien coexis-ter avec la présence du loup.Les 1 500 loups d’Italie tuent15 fois moins de brebis que les350 loups de France.

« RÉGULER » ET SES LIMITESOn connaît mieux la façon dontvivent les loups, notammentgrâce au protocole « Prédateurs-Proies » (PPP), étude réaliséedans le Mercantour. Un pas inté-ressant a été franchi avec l’idéede régulation des populationsde loups: les gouvernants, pourménager les « pro » et les « anti »,

mais aussi pour tenter de sor-tir de ces oppositions irréduc-tibles, ont décidé une interven-tion sur le nombre des loups àtravers le plan national « Loup »2008-2012 puis 2013-2017. Cetterégulation implique l’autorisa-tion d’abattre quelques ani-maux. Des prélèvements sontainsi autorisés jusqu’au plafondde 36 loups par an, or certainsont tendance à comprendre ceseuil comme un quota normal…Cette réponse peut calmer untemps quelques opposants, maisne résout rien des difficultés dela filière ovine. Dès lors, la polé-mique et les tensions se pour-suivent, s’aggravent même,comme en témoignent les actesde braconnage (selon la presse,un 26e loup a été ainsi tué enFrance entre fin juin et fin novem-bre 2015, et c’est le 10e de l’an-née dans les Alpes-Maritimes).Alors, quid de ces politiquesqui, en ne respectant ni l’hommeni les bergers, conduisent leséleveurs à ces difficultés, voireà ces extrémités ? Pourquoi leséleveurs doivent-ils toujoursplus « tirer les prix » (vers le bas)et être si peu en estive ?

ACHETER LA PAIX SOCIALE À COUPS D’INDEMNITÉS OU CHANGER DE POLITIQUE?La contradiction entre recherchede rentabilité par de grands trou-peaux et le fait que cela les rendmoins adaptables lorsque leloup fait irruption dans cetteniche écologique reste insolu-ble dans le cadre social actuel.La contradiction entre défen-dre biodiversité et aspects envi-ronnementaux, d’une part, etmaintenir la base de produc-tion des espaces ruraux, d’au-tre part, est une constructionsociale provoquée par cet ultra-libéralisme. Le loup en est à lafois le révélateur (car prédateur

opportuniste) et la victime.La question est donc essentiel-lement économique: commentsoutenir la filière ovine ? Il y abien des aides d’État pour legardiennage et pour l’embauched’aides-bergers ; ces aides ontcertes été augmentées dans ladernière période, mais elles nesatisfont personne ; en effet,elles sont proportionnelles aunombre de têtes du troupeau,et poussent donc à ce qui faitla fragilité même de cet élevageface au loup. Les indemnitéspour brebis tuées ne sont évi-demment pas une source sta-ble de revenus ; et si elles sontnécessaires, notamment pourceux dont le troupeau a étédécimé et qui seraient ruinés,certains comptent sur ellespour survivre. Faute de poli-tique globale sur les équilibresagriculture/élevage/cadre natu-rel, la spirale dépressive n’estdonc pas enrayée, et les ten-sions perdurent.En effet, ces mesures financièresgénérales sont assez inefficaceset n’entraînent pas l’adhésiondes éleveurs ; ceux-ci sont plusattentifs à un accompagnementproche du terrain, de la vallée,avec une aide adaptée aux ques-tions concrètes touchant auloup comme à leurs conditionsde travail et aux débouchés deleurs productions. C’est dansla proximité d’une économiedifférente, plus attentive auxhommes et à l’écologie qu’auprofit immédiat que ce nouveléquilibre peut se construire.Or les importations massivesde viandes à bas prix, autori-sées, voire encouragées par l’UEau nom de la libéralisation deséchanges, sont à la base de cetteimpossibilité de coexister, decette impasse dans laquelle s’en-foncent les acteurs de terrain.La vraie défense de la biodiver-sité et des éleveurs devrait ras-sembler « anti » et « pro » dansle refus de ces politiques euro-péennes. n

*JEAN-CLAUDE CHEINET est responsable associatif et membre de la commission Écologie du PCF.

Notons que dans uncontexte social différent,avec un coût plus faiblede la main-d’œuvre,dans des structuresagraires différentesaussi, les 1500 loupsd’Italie tuent 15 foismoins de brebis que les 350 loups de France.

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PAR AURÉLIE BIANCARELLI-LOPES,ET LUC FOULQUIER*,

epuis le 1er janvier 2016,l’usine Alteo, installéeà Gardanne (Bouches-

du-Rhône) depuis 1893 et pre-mière productrice d’aluminetechnique au monde, n’est plusautorisée à rejeter les bouesrouges dans la mer Méditerranée.Depuis cette date, des voix s’élè-vent pour dénoncer l’existencede l’usine et de ses rejets. L’usinea été revendue plusieurs foisdepuis 2004 (Alcan-Rio Tintoet, auparavant, Pechiney UgineKuhlmann). Elle appartientdepuis 2012 au fonds d’inves-tissement HIG Capital. Il va sansdire que le projet industriel a

été abandonné au profit d’unelogique de rentabilité financièreet c’est bien d’ailleurs là unegrande partie du problème.

L’USINE D’ALTEO, L’ALUMINE ET LES BOUES ROUGESL’alumine est produite selon unprocédé d’extraction chimiqueappelé procédé Bayer, du nomde son inventeur. C’est à ce jourla principale méthode d’extrac-tion industrielle utilisée dansle monde, car la plus efficace ;elle induit cependant la pro-duction de boues rouges, quisont des déchets polluants. Cesboues doivent leur nom à la pré-sence d’oxydes de fer qui leurdonnent une couleur caracté-ristique. La société Pechiney,

qui exploitait l’usine à l’origine,avait obtenu en 1963 l’autori-sation de rejeter en merMéditerranée les effluents et lesrésidus de bauxite via une cana-lisation de plus de 55 km. Lazone de rejets est située à 7 kmde la côte et à une profondeurde 320 m ; les résidus se déver-sent dans le canyon deCassidaigne, profond de plusde 2 000 m, aujourd’hui englobédans le parc national desCalanques (créé par décret le18 avril 2012).

VERS UNE GESTION MAÎTRISÉE DES DÉCHETSEn 1996, dans le cadre de laconvention de Barcelone pourla protection de la mer

Méditerranée, la société Pechineys’est engagée à mettre un termeau rejet de boues rouges au31 décembre 2015. Si le modede production de l’alumine esttoujours le même, la gestiondes déchets a beaucoup évoluédepuis l’ouverture de l’usine :c’est d’abord le stockage à terredes résidus qui a été privilégié,mais il fut abandonné à causedes risques sanitaires et écolo-giques associés ; par la suite, lesrejets ont été déversés dans uncanyon en mer Méditerranéeaprès mélange avec de l’eau.Aujourd’hui, la réduction desvolumes est possible grâce àdes filtres-presses qui permet-tent de récupérer 40 % de rési-dus solides (appelés bauxaline),

pour d’autres applications dansun processus d’économie cir-culaire. En 2015, le déversementdes boues est arrêté, et l’usineAlteo ne rejette plus de déchetssolides. Avec l’interdiction des

rejets en mer, c’est le choix dustockage et de la valorisationdes déchets qui a été fait ; desétudes sont conduites dans cetobjectif, et une partie des déchetssolides est déjà valorisée, enparticulier dans le domaine dubâtiment et des travaux publics.Alteo a demandé à la préfecturede la région Provence-Alpes-Côte d’Azur une dérogation dedix ans pour mettre en œuvreles moyens nécessaires à la miseen conformité des installations.Après consultation par la pré-fecture des avis émis par les ser-vices publics et les organismesscientifiques compétents etindépendants, Alteo a obtenul’autorisation de poursuivre laproduction à condition de réglerles problèmes posés d’ici à 2021.Bien qu’il n’y ait plus de rejets

solides, les procédés de retrai-tement utilisables actuellementne permettent pas que leseffluents liquides respectentintégralement les valeurs limitesautorisées. Cela signifie en par-

ticulier que les eaux industriellesencore rejetées présentent unpH trop élevé (basique) etcontiennent des particules métal-liques ; en particulier, les concen-trations d’aluminium, de fer etd’arsenic sont supérieures àcelles autorisées par les normesenvironnementales en vigueur.C’est inacceptable. Il faut réglercette question et mettre en œuvretoutes les techniques adéquatespour obtenir de l’eau propreréutilisable dans le cycle indus-triel. Ce qui conduira à la sup-pression de la canalisation.

ALARMISME ET VOLONTÉ DE FERMETUREL’ensemble des rapports et avisémis concernant cette ques-tion, qui a fait couler beaucoupd’encre, sont publics et consul-

n SÛRETÉ

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Comment concilier la production industrielle et la préservation de l’environnement ?Une analyse de cette controverse à partir du fameux cas des « boues rouges », issuesde l’usine d’alumine Alteo, à Gardanne.

Elle induit cependant la production de boues rouges,qui sont des déchets polluants.

Si le mode de production de l’alumine est toujours le même, la gestion des déchets a beaucoup évoluédepuis l’ouverture de l’usine.

L’usine Alteo : un long combat pour produire propre

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ

PRINCIPAUX ORGANISMES SCIENTIFIQUESCONSULTÉS PAR LA PRÉFECTURE– Conseil d’administration du parc national des Calanques.– Commission d’enquête publique.– Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation,

de l’environnement et du travail (ANSES).– Conseil départemental de l’environnement et des risques

sanitaires et technologiques.– Institut de radioprotection et de sécurité nucléaire.

D

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tables sur Internet. On peut ainsipointer beaucoup d’incohé-rences entre des discours trèsalarmistes et la réalité scienti-fique des faits. Si certains ontagité, par exemple, le spectrede la radioactivité, on constateque les taux de radioactivitémesurée au niveau des déchetssont légèrement supérieurs àla radioactivité naturelle du site,et cette radioactivité, mesurée,est bien inférieure à celle dessols granitiques bretons oulimousins1. De même, près dedeux cents tests réalisés

entre 1998 et 2012 montrentl’innocuité générale des rési-dus en mer. Il a été observé dansla fosse de Cassidaigne unemoindre richesse des espèceset de la population moyenneproportionnellement à la pro-fondeur. Un tel phénomène esthabituel sur la pente continen-tale et ne peut pas être attribuéà une perturbation de l’éco -système.Bien que la situation actuelleen termes d’impact sur l’envi-ronnement ne soit pas satisfai-sante, la remise en cause pardifférentes personnalités, sou-tenues par certaines associa-tions et partis politiques, de ladérogation préfectorale signi-fie ni plus ni moins la ferme-ture de l’usine, qui emploie443 salariés et environ autantde sous-traitants, sans comp-ter les emplois induits en Europe.

Le battage médiatique s’est faitsans jamais donner la paroleaux salariés de l’usine mena-cée. Beaucoup considèrent,comme le PCF et ses élus, qu’ilest possible de protéger le lit-toral méditerranéen et de pré-server une filière économiquepour maintenir l’emploi. Lorsde son déplacement à Marseilleau mois de mars 2016, SégolèneRoyal, ministre de l’Écologie, aréaffirmé de manière démago-gique son opposition au main-tien de l’activité en posant unultimatum de six mois pour la

dépollution des eaux de rejets,ce qui est la négation des pro-cédés de recherche déjà enga-gés, qui nécessitent plus detemps.

CONCILIER PROGRÈSINDUSTRIEL ET PROGRÈSÉCOLOGIQUEIl existe pourtant une solutionalternative à la fermeture. Lavoie la plus respectueuse de lasanté et de l’environnementconsiste à exiger des action-naires d’Alteo qu’ils investis-sent, d’une part, dans l’entre-tien et la modernisation del’usine et, d’autre part, dans larecherche pour développer desprocédés techniques innovantspour la mise en œuvre au plusvite d’une dépollution des eauxen toute transparence et sousle contrôle des personnes concer-nées : salariés, élus, popula-

tions, associations… Le tou-risme ne doit pas être la seuleperspective d’avenir pour l’em-ploi dans le département. Lesavoir-faire des ouvriers est unerichesse pour le développementde la région, et leur dire qu’ilsn’ont qu’à se reconvertir est lesigne d’un mépris manifeste. Ilfaut au contraire les écouter ettravailler de concert avec euxpour construire l’industrie dedemain. Un nouvel essor indus-triel est indispensable pourouvrir des perspectives de déve-loppement humain durable.L’importance de l’alumine esttelle que la production se feraà Gardanne ou ailleurs. La fer-meture du site de Gardanne nesignifierait pas la fin de l’extrac-tion de la bauxite et de la pro-duction de l’alumine. Nous nedonnons pas carte blanche auxindustriels pour polluer ni icini ailleurs ! Aux délocalisationséconomiques ne doivent pass’ajouter les délocalisations éco-logiques. Une production délo-calisée sera source de plus derisques sociaux, sanitaires, pro-fessionnels et environnemen-taux. Ces questions ne doiventpas être abordées avec un prismelocal car elles relèvent bel etbien d’enjeux humains et éco-logiques mondiaux.L’intégration des enjeux écolo-giques à nos ambitions indus-

trielles ouvre de réelles pers-pectives de transformations desindustries existantes – qui ontun fort potentiel de développe-ment –, mais aussi de produc-tions nouvelles (aéronautique,chimie verte, énergie, décons-truction navale…), de crois-sance alternative et durable(économie circulaire, plates-formes industrielles, économiesociale et solidaire, nouvellesgouvernances) avec à la clé descréations d’emplois. Le combat des communistesest celui du rassemblement pourle développement social et éco-nomique qui émancipe leshumains de la misère sociale etde leur propre exploitation touten préservant l’environnementde la course aux profits, de laprédation du capitalisme. n

*AURÉLIE BIANCARELLI-LOPESest docteur en sciences des matériaux et nanosciences,LUC FOULQUIER est ingénieur chercheur en écotoxicologie.

1. La radioactivité mesurée représente15 % de la radioactivité naturelle dessols granitiques bretons ou limousins.

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Beaucoup considèrent, comme le PCF et ses élus, qu’ilest possible de protéger le littoral méditerranéen et depréserver une filière économique pour maintenir l’emploi.

ALUMINE ?L’alumine est un composé chimique présent à l’état naturel. Lasource principale d’alumine est la bauxite. C’est un minéral qui aété découvert en 1821 près du village des Baux-de-Provence parle chimiste Pierre Berthier, qui lui donna d’abord le nom de « terredes Baux », transformé ensuite en bauxite par Henri Sainte-ClaireDeville. La bauxite est riche en alumine (Al2O3), en oxyde de fer,qui lui donne une teinte rougeâtre, et contient également dutitane. L’aluminium est donc un métal « récent » (tout juste deuxsiècles) au regard de l’histoire de la métallurgie. Plusieurs pierresprécieuses sont à base d’alumine anhydre : le rubis, la topaze oule saphir.L’alumine est exploitée industriellement pour produire l’aluminium,des matériaux réfractaires ou des céramiques. L’une des utilisa-tions les plus communes est le verre des écrans LCD (écrans d’or-dinateurs, tablettes, smartphones…). C’est de l’alumine « tech-nique » qui est produite à Gardanne, c’est-à-dire une céramique àforte valeur ajoutée pour l’industrie. La bauxite, utilisée àGardanne, provient de Guinée et transite par le port de Marseille etde Fos (darse 2).

L’usine d’alumine Alteo à Gardanne.

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LIVRES54

Dans cette traduction d’un texte de 1993, il s’agit de chercher deséléments de réponse pour comprendre le présent. Je retiendraisurtout une excellente description des mécanismes socio- économiques et psychologiques de la construction de l’idéo logiedu progrès par la classe dominante. L’auteur nous explique que« Ce lien historique entre capitalisme et production s’amenuise deplus en plus, une part croissante des investissements étant détour-née vers des sphères économiques non productives comme l’immo-bilier ou la spéculation financière […] une tendance au désinves-tissement qui laisse derrière elle un sillage de débris – usines fermées,travailleurs sans travail, villes fantômes » (p. 166) ou que « la mobi-lité a consommé la rupture entre la santé d’un groupe et la pros-périté des pays d’accueil (y compris ceux qui l’ont vu naître) »(p. 174), ainsi que « les technologies soi-disant économes en tra-vail n’ont pas été utilisées pour faire des économies de travail –épargner aux ouvriers des efforts mentaux et physiques – mais pourfaire des économies de travailleurs » (p. 179). Ces argumentationssonnent vrai et actuel.

Le reste du livre présente surtout un intérêt historique. Il est utilede connaître les luttes des briseurs de machines du XIXe siècle ;leur détermination et les dangers encourus témoignent d’unedétresse insoutenable, propre à rappeler que les évidences desdémunis ont peu à voir avec celles des nantis. On y comprendque, des deux éléments de la dialectique du capital et de la main-d’œuvre, seul le premier détenait le pouvoir de décision. Et celaconstitue une clé pour comprendre le présent. Sous l’apparencede concertation nationale, la démocratie libérale abandonne lesvéritables leviers de commande à la finance internationale qui,n’étant pas concernée par la vie des hommes et des femmes, rem-place la recherche de bien-être par une course au profit des pla-cements financiers. Cela entraîne l’exacerbation de la compéti-tivité, qui conduit au chômage pour certains et à l’augmentationde la durée hebdomadaire de travail pour les autres. Si on relisaitThomas More ? n

EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA

La Saga nucléaire. Témoignagesd’acteursNICOLE COLAS-LINHART ET ANNE PETIETL’Harmattan, 2015, 254 p.Dès la première page, les auteures annon-cent leur intention : « Présenter les pion-niers de la deuxième génération nucléaire[…] Leurs discours, leurs souvenirs, leur

vécu […] passionnants, exceptionnels et parfois surprenants. […]Leur témoignage dessine des portraits humains bien loin de la cari-cature. »Dix-huit d’entre eux – ingénieurs, chercheurs, médecins, tousacteurs historiques de la filière nucléaire française – ont acceptéde raconter leur histoire, souvent agrémentée d’anecdotes savou-reuses. Aux côtés de noms prestigieux – Marcel Boiteux, MauriceTubiana, Pierre Pellerin… – on découvre un monde porteur d’unehistoire passionnante dans laquelle Leonid Urutskoïev, parti àTchernobyl deux mois après l’accident, ou Luc Foulquier, qui acréé dans les années 1960 le premier laboratoire de radio éco logiede France, nous font entrer. Membre de la commission Écologie

Europe, état d’urgenceBRUNO ODENTLe Temps des cerises, 2016,230 p.Le projet européen est miné. Partoutprogressent des forces de régres-sion nationaliste. On le mesure enFrance au niveau atteint par leFront national. Il n’est pratique-ment plus contesté par aucunobservateur sérieux que la léthar-gie économique, le déficit démo-cratique, la paupérisation d’une

large partie des populations et le creusement des inégalités soientà l’origine du scepticisme croissant des opinions publiques àl’égard du projet européen… et du succès des joueurs de flûtenationalistes.Selon le diagnostic du prêt-à-penser relayé par les médias domi-nants, le mal viendrait de l’incapacité à respecter et/ou à faire res-pecter les normes du « modèle ordolibéral » : les critères des trai-tés de Maastricht et de Lisbonne, ceux du « pacte de stabilité » oules engagements du « traité budgétaire » adopté en 2012.Il faudrait donc renforcer encore l’« ordo », ces capacités de contrôleet de coercition d’organismes « indépendants », pour les proté-ger des vents facétieux de la démocratie et pour garantir l’admi-nistration de purges que certains dirigeants rechigneraient ourefuseraient d’appliquer. Diktat des marchés financiers et hégé-monie du « modèle allemand » sur l’Europe constituent ainsi les deux faces d’une même pièce de monnaie.Ainsi, l’ordolibéralisme ne crée pas seulement un terrain favora-ble aux joueurs de flûte européens en laminant l’emploi, les salaireset les solidarités sociales existantes dans chacun des pays, il estfondamentalement constitué de logiques de compétition et depuissance, porteuses d’une désagrégation de l’Europe. Le natio-nalisme ne nie pas le modèle, il en est une consécration.L’urgence alternative est d’autant plus forte que les besoins derapprochements et de coopération des peuples du continent n’ontjamais été aussi flagrants. Pour libérer la souveraineté populaire,étendre les droits d’intervention des salariés à l’entreprise, triom-pher de la « postdémocratie » en marche, il faut se donner lesmoyens de coopérer. n

Le Progrès sans le peupleDAVID NOBLEAgone, Marseille, 2016, 236 p.Thomas More, dans son Utopia – dontnous fêtons cette année les cinq centsans –, prônait un modèle de société où lajournée normale de travail serait de quelquetrois ou quatre heures. Cela lui semblaitparfaitement suffisant, alors qu’il ne pou-vait même pas imaginer les techniquesprodigieuses dont nous disposons, nous,

hommes et femmes aux prises avec les 35-39 heures et avec destaux de chômage abyssaux qui vident de sens le concept mêmedes sociétés. Que s’est-il passé ?

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du PCF depuis plus de quarante ans, ce dernier nous décrit avecsincérité et humour ce que furent ses premiers pas dans cettescience toute neuve et évoque les circonstances de son engage-ment politique.Un ouvrage attachant, parfois émouvant, souvent drôle. Un remar-quable travail de mémoire qui permet de se faire une idée biendifférente de celles communément répandues sur la question du nucléaire. n

ALAIN LAMBRECHTS

La troisième guerre mondiale est socialeBERNARD THIBAULTLes Éditions de l’atelier, 2016, 224 p.

Le titre de l’ouvrage quenous livre Bernard Thibaultest à lui seul un résumé dela situation mondiale carac-térisée par une guerre declasse contre tout ce quipourrait contrarier le pro-fit maximal à court terme.La défaite, au XXe siècle, del’expérience socialiste enEurope de l’Est a considé-rablement affaibli la posi-tion du prolétariat mon-dial. En Europe, les droitssociaux, arrachés de hautelutte, souvent au prix dusang, sont fréquemmentprésentés comme des pri-vilèges surannés. La ver-sion néolibérale de la mon-dialisation a fait de la

concurrence et de la compétitivité un absolu qui s’est étendu à laplanète tout entière, et à tous les domaines de la vie sociale, aumépris des besoins humains. Les dégâts de cette guerre mondialesociale sont gigantesques.Ancien secrétaire général de la CGT et actuellement membre del’OIT, l’auteur dénonce ici le culte du moindre coût, qui sacrifieles travailleurs du monde sur l’autel de la concurrence. La solu-tion ne peut être le repli sur soi nationaliste. À la mondialisationnéolibérale, à la Commission européenne qui en est un rouage,au FMI, il faut opposer la force des travailleurs qui dépasse lesfrontières par la promotion de l’égalité des êtres humains, parl’adoption en Europe et dans les divers pays du monde de normesprotectrices et élevées en termes de rémunérations et de tempsde travail.En indiquant comment ces normes et l’OIT peuvent être un levierpour faire progresser les droits sociaux partout, Bernard Thibaultouvre une perspective : les travailleurs et leurs organisations syn-dicales et politiques ont des atouts pour sortir de la guerre socialemondiale en s’unissant et en construisant un monde guidé parle respect des droits sociaux. n

IVAN LAVALLÉE

Environnement et énergieAMAR BELLALLe Temps des Cerises, 2016, 150 p.

L’introduction de ce petit livre,sous-titré Comprendre pour débat-tre et agir, indique qu’il faut faireun effort de compréhension. Dequoi s’inquiéter ? Non, ce livrese lit presque comme un roman,tant son écriture est limpide.Tout ce qu’il demande, c’est defaire l’effort de l’ouvrir.L’essentiel est composé de 13 cha-pitres, 13 clés pour comprendreavec, dans chacune de ces clés,une brève introduction suiviede questions-réponses, les ques-tions étant celles que l’on se poseou que l’on entend couramment

dès que l’on parle énergie. Et cette présentation en rend la lec-ture fluide : un peu d’attention pour la lecture des quelques pre-mières pages de chaque clé… et le suspense des réponses auxquestions !Derrière cette présentation se cache un livre remarquablementdocumenté sur l’ensemble des questions de l’énergie, qu’il s’agissedu bilan énergétique en France ou dans le monde, des déchets etpollutions, des conséquences sur la santé, du bilan carbone desdifférentes sources d’énergie, des différents scénarios préconisésen France…En le lisant, vous vous éviterez de confondre part du nucléairedans la production électrique et part du nucléaire dans la consom-mation énergétique, de confondre chauffe-eau solaire et photo-voltaïque…Environnement et Énergie est un livre qui contredit certaines idéesreçues et qui permet d’avancer dans le débat démocratique néces-saire pour lutter efficacement contre le réchauffement climatiquecar, comme le dit la citation de Louis Aragon par laquelle AmarBellal introduit sa conclusion :

« Quand les blés sont sous la grêleFou qui fait le délicatFou qui songe à ces querelles. »

L’environnement et l’énergie ont besoin que vous lisiez ce livre ! nMICHÈLE LEFLON

Revue du projet N o 58 - juin 2016

www.pcf.fr

Pour une transition énergétique réussie

www.pcf.fr

AVRIL-MAI-JUIN 2016 Progressistes

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La mise en service du Dong-Feng 21D semble en passe de redéfinir l'équilibre des forcesen mer de Chine, une zone de fortes tensions où la course à l'innovation technologiquedans l'armement n’est pas sans rappeler les heures sombres de la guerre froide.

PAR NICOLAS MARTIN*,

es rares fois où les mis-siles antinavires ontdéfrayé la chronique,

c’était pendant la guerre desMalouines, lorsque fut mis enœuvre le fameux Exocet.Pourtant, l’enjeu stratégique ettechnologique du missile anti-navire est central : celui de l’in-terdiction maritime. Et c’estpour cela que ce type de maté-riel est un serpent de mer de laguerre froide.L’enjeu d’un missile antinavire,d’un « tueur de porte-avions »,est synthétisé dans ce qualifi-catif : il s’agit de disposer d’unearme qui à moindre coût puissedétruire un porte-avions qui,lui, coûte très cher.Ce type de matériel est avanttout un défi technologique : dansle cas d’un missile à destinationd’une cible au sol, il s’agit d’en-voyer d’un point A à un point Bune charge utile, le point B étantfixe, répertorié sur des cartes oulocalisable par reconnaissance.Même au-delà de l’horizon, on

reste dans un exercice aisé avecla technologie actuelle. Mais sile point B est un rectangle de333 m sur 761 capable de se dépla-cer à plus de 30 nœuds2, le défiest plus complexe. Car il s’agitnon seulement de détecter lacible potentielle, de l’identifier,de la déterminer comme cible,de lancer l’engin, mais encorede corriger sa trajectoire en voltout en assurant une précisionsuffisante à l’impact. Il faut deplus que l’arme soit suffisam-ment rapide pour ne pas êtreparée en manœuvre ou par destirs directs défensifs3.Voyons le dispositif4 autourduquel s’articule l’utilisation

du DF-21D. Dans le domainedu ciblage, plusieurs outils : unpotentiel radar transhorizon5

permettant de détecter un échoà quelques milliers de kilomè-tres et un ensemble de satel-lites, les Yaogan VII à IX, per-mettant une localisation de lacible potentielle. Il suffit alorsde lancer le missile et de luitransmettre, pendant son vol,les changements de coordon-nées6 de la cible, en conséquencel’engin change sa trajectoire(DF-21D disposerait d’un sys-tème type MaRV7 lui permet-tant de corriger sa trajectoireen vol8).Intercepter un missile rentrantdans l’atmosphère reste possi-ble, un missile capable demanœuvrer complique l’exer-

cice. Intercepter un missilehypersonique se déplaçant àune vitesse dépassant mach 10(soit 10 fois la vitesse du son)devient très difficile, d’autantque le DF-21D a été conçu pourêtre mis en batterie depuis descamions, donc mobile, rendanttoute prévision de trajectoireimpossible.

Le DF-21D « tueur de porte-avions » est présenté commeune arme mobile qui seraitcapable de toucher une ciblemobile distante de 1 600 à2 700 km de son point de lan-cement, sous réserve toutefoisque l’ensemble de la chaînedétection-lancement-correc-tion-impact se déroule sans

entrave. Bref, tout navire croi-sant au large du territoire chinois à une distance com-prise dans cette fourchette estthéoriquement atteignable.Théoriquement, et c’est bienlà tout l’enjeu : aucun test surdes cibles mobiles ne sembleavoir été réalisé ; ce qui sou-lève de nombreuses questionsquant à l’effectivité du système.Dans tous les cas, les prouessestechnologique et de coordina-tion des systèmes sont nota-bles. Quant à l’efficacité, lapotentialité d’existence du DF-21D se suffit en partie : il s’agitde dissuader toute flotte vou-lant croiser à proximité de laChine, et, vu l’ampleur du débatsuscité par l’annonce de la miseen service du DF-21D, cet objec-tif est partiellement atteint. n

*NICOLAS MARTIN est chroniqueur sur les enjeux de défense.

1. Dimensions sommaires de l’USSNimitz. On prend arbitrairement le plus célèbre des porte-avions dans une optique de vulgarisation.2. Environ 56 km/h.3. Ce qu’ambitionne le système états-unien AEGIS.4. En gros, la kill chain, la « chaîne à tuer », l’ensemble des moyensnécessaires pour la mise en œuvrepratique de l’armement.5. Un système radar particulierpermettant de dépasser les limitestraditionnelles de la propagation des ondes radios au delà de l’horizonradar.6. Passons sur le fait que la série desmissiles DF-21 dispose d’un guidageradar actif.7. Manoeuvrable reentry vehicle.8. Volets, tuyères adaptables. Inutiled’entrer dans les détails, d’autant plusqu’ils sont en grande partie inconnus.

Missile chinois versus porte-avions états-unien :les dessous technologiques

n GÉOPOLITIQUE

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014

POLITIQUE56

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016

L’enjeu d’un missile antinavire, d’un « tueur de porte-avions », est synthétisé dans ce qualificatif : il s’agit de disposer d’une arme qui à moindre coût puissedétruire un porte-avions qui, lui, coûte très cher.

Dong-Feng 21D à la parade commémorant, en 2015, le 70e anniversaire de la capitulation japonaise.

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n RETOUR SUR LE CONGRÈS DU PCF

OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 Progressistes

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AVRIL-MAI-JUIN 2016 Progressistes

PAR LUC FOULQUIER*,

n des enjeux de cecongrès était de bienpréciser ce que nous

entendons par nouveau modede production, qui pose lesquestions de formation et derecherche, de défense et dedéveloppement des servicespublics. De grands débats sontouverts autour de l’état dumonde, des enjeux alimentaireset énergétiques, de la protec-tion et de la gestion des res-sources naturelles, du main-tien de la biodiversité… Notrerevue y contribue fortement.Le projet pour le temps du com-

mun et une émancipationhumaine face aux désastressociaux et écologiques provo-qués par la recherche obses-sionnelle du profit maximaldans le plus court terme pos-sible est essentiel.Les nouveaux moyens de pro-duction montrent la nécessitéde réduction du temps de tra-vail et de développement descapacités intellectuelles detoutes et tous. La constructionde ce monde du communappelle à inventer une sociétéde partage des savoirs et despouvoirs.Les enjeux de classe autour dela révolution numérique mon-trent que les gains de produc-tivité peuvent bénéficier à tous.

Ils posent la question de l’exis-tence du salariat lui-même, maisdévoilent comment le capitalveut privatiser la créativité etorganiser la concurrence sau-vage.

DES EXIGENCES FORTESCe monde du commun néces-site un mode de développementéconomique, social, solidaireet soutenable (le terme revêtantun sens contraire de celui queles néolibéraux donnent à « dura-ble »). C’est le rapport dialec-tique homme-nature qu’il fautmaîtriser en dehors de l’exploi-tation de l’un et de l’autre.Le travail, les savoirs, l’éduca-tion et la culture, leur partageet leur appropriation sont lesenjeux pour l’émancipationindividuelle et collective.L’exploitation des hommes pard’autres hommes conduit à ladestruction de la nature par unproductivisme aveugle, inca-pable de prendre en compte lagestion nécessaire des écosys-tèmes et leur préservation.Comment faire autrement sansse former et se cultiver en per-manence ? Comment construireune nouvelle approche de l’éco-nomique, du social, de l’état desêtres humains et de la planète ?La recherche se trouve ainsi logi-quement au cœur de la luttedes classes, car elle contribuefortement « à une consciencecritique indispensable à unevisée émancipatrice ».Il faut insister sur la richesse desdébats et des propositionsconcernant l’industrie, le déve-loppement, une croissance maî-trisée et la préservation des res-sources naturelles. Face àl’anarchie mortifère du système

capitaliste, il faut opposer uneintervention humaine coordon-née et planifiée. Les investisse-ments dans la recherche et laformation sont porteurs de miseen œuvre de nouveaux modesde production et de consom-mation. Un indice mondial dudéveloppement fondé sur leniveau d’éducation et la duréede vie en bonne santé parle bienplus que la rentabilité du capi-tal ! L’industrie doit aller de pairavec l’écologie. C’est le mêmecombat. Il ne s’agit pas de « fer-mer » les entreprises ou d’allerpolluer ailleurs mais de produireautrement pour répondre auxbesoins. La limitation du réchauf-

fement climatique à 2 °C maxi-mum implique une transitionénergétique vers la réductionmassive des énergies carbonées,tout en garantissant le droit àl’énergie. Ce défi est devant nous,« il s’agit de promouvoir un mixénergétique, 100 % public, fai-blement émetteur de CO2, arti-culé entre énergies renouvela-bles et nucléaire avec des normesinternationales contraignantesde sûreté définies ».Des défis du même ordre impli-quant une transition écologique,concernent l’agriculture et ledroit à l’alimentation, la pollu-

tion de l’air et de l’eau, les ques-tions d’environnement et desanté… À tous les niveaux, dulocal au mondial et inverse-ment, il faut promouvoir lesdroits sociaux et écologiquesainsi que la gestion multilaté-rale des biens communs.

DÉBATTRE, LUTTER POUROUVRIR UNE PERSPECTIVEPOLITIQUEVoici quelques éléments du pro-jet que les communistes pro-posent et veulent enrichir aucours d’une grande consulta-tion citoyenne. Nous voulonsconstruire « un nouveau Frontpopulaire et citoyen ». Il n’y apas « deux gauches irréconci-liables » mais une nécessitéurgente de mettre fin à cettepolitique libérale de la droite etdu gouvernement, qui peut nousconduire au pire. Il y a besoinde mobilisations, de luttes,d’écoute, de modestie et d’al-liances avec des courants trans-formateurs et réformistes.Construisons dès maintenantles projets et les candidaturespour les législatives de 2017(n’oublions pas l’importancedu nombre – hélas, en dessousdes besoins – de députés et séna-teurs Front de gauche dans lalutte contre le projet de la loi« travail »). Rassemblons-nous,écrivons ce pacte et décidonsde son contenu, viendra ensuitela désignation, par un proces-sus citoyen, d’un(e) candidat(e)qui portera ces engagementslors de l’élection présidentielle. n

*LUC FOULQUIER est ingénieur,chercheur en écologie.

1. Voir http://www.pcf.fr

Clarté, exigence et perspectives politiquesDu 2 au 5 juin s’est tenu à Aubervilliers lecongrès du Parti communiste français dontla préparation avait débuté en février1.

Il n’y a pas « deuxgauches irréconciliables »mais une nécessitéurgente de mettre fin à cette politique libéralede la droite et dugouvernement, qui peutnous conduire au pire.

La construction du monde du communappelle à inventer unesociété de partage dessavoirs et des pouvoirs.

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Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016

POLITIQUE58

Du côté du PCF et des progressistes...

En organisant ces états géné-raux, le secteur Numérique duPCF s’est lancé dans une belleaventure. C’est ce qui est ressortide la part des invité(e)s commedes participant(e)s, très divers(es),qui ont beaucoup apprécié qu’en-fin un parti politique s’intéresseà la question de la révolutionnumérique, qui plus est de façontrès large, en ne s’arrêtant pasaux seuls aspects technologiques.Certes, ces derniers sont trèsabondamment présentés, décrits

et expliqués dans les médias grand public, dont Internet, mais enoubliant d’appréhender correctement tous les enjeux accompa-gnant cette révolution.Néanmoins, de nombreux rapports officiels et beaucoup de livres,tous récents, traitent de ces questions sous des approches mul-tiples, qu’on a pu retrouver en grande partie dans l’ensemble destables rondes des deux journées qui ont été le point d’orgue decet événement, précédé par des rencontres et un argumentaireassez exhaustif.Et c’est justement peut-être là qu’il faut conclure qu’un immensetravail a été commencé, mais qui est très loin d’être achevé, surtout que la progression dans la réflexion devrait ouvrir encorede nombreuses questions nouvelles.Et il ne faut pas non plus oublier tout ce que cette révolutionnumérique peut apporter aux organisations de toutes sortes,notamment pour la formation de leurs adhérent(e)s, l’informa-tion de leurs sympathisant(e)s et des personnes concernées parleur objet.Une partie de ces questions a aussi connu des prolongementsdans la préparation du 37e Congrès du PCF, qui vient de s’ache-ver : il faut maintenant continuer ce travail de plus belle !PLUS D’INFOS : www.egrn.fr et https://www.facebook.com/revo-lutionnumeriquepcf/

« (Anti-)productivisme? »La Revue du projet no 56

Dans son numéro d’avril 2016, laRevue du projet interroge le conceptde productivisme et d’antiproduc-tivisme. Il nous est proposé de redé-finir cette notion afin de nous posi-tionner plus justement par rapportà elle, d’autant que le productivismeest un choix, à valeur prétendumentnégative, attribué aux communistes.Quelques extraits de la présentationdu numéro nous donnent les grandeslignes de la réflexion :

« Non, le capitalisme n’est pas un productivisme, il ne vise pas,en tout état de cause, à produire toujours plus ; il ne vise pas àproduire pour produire, il vise et il ne vise qu’à accroître le tauxde profit […].Il s’agit de répondre d’une façon révolutionnaire aux questions :Qui produit ? Dans quel but ? Selon quelles modalités ? En d’au-tres termes, qui décide de la production ? Pour répondre à quelsobjectifs ? Comment s’organise cette production ? Autant dequestions qui tendent à disparaître avec le mot “productivisme”et les logiques qu’il implique. »

Pôle ÉcologieDéchets : richesses et pollution

Le groupe de travail du pôle Écologiedu PCF a apporté une contributionau débat citoyen sur les déchets. Cetravail collectif propose une nouvelle– et très ambitieuse – approche poli-tique de la gestion des déchets, conju-guée à une démarche démocratiqueet de responsabilité citoyenne. Au cœurde cette brochure : relever le défi majeurd’une nouvelle approche sociétale desdéchets, laquelle place les collectivi-tés locales en première ligne. On y

découvrira également des éléments de connaissance sur dif-férents sujets, comme les techniques de traitement, les éco-organismes, l’éducation au tri…, ainsi que trois constats liés àdes projets de réalisations particulières de traitement des déchetsménagers.Enfin, les enjeux du financement et des modes de gestion sont analysés au regard des lois françaises et des directiveseuropéennes. Cette brochure plaide également pour une alter-native qui réside dans le secteur public et l’émergence d’uneéconomie circulaire.Cette plaquette de 40 pages est téléchargeable gratuitementsur le site ecologie.pcf.fr, et aussi disponible en édition papierau prix de 3 €.

États généraux de la révolutionnumérique (18-19 mars 2016)

Progressistes à la Fête de l’Huma !Votre revue animera à la Fête del’Humanité à l’espace parisien, un ate-lier d’observation du Soleil avec deuxlunettes astronomiques permettantd’admirer notre étoile en lumièreblanche et H-alpha. Si le temps le per-met, vous aurez l’occasion unique dedécouvrir les protubérances et lestaches solaires ! Nous aurons égale-ment à disposition un spectrographepermettant d’observer tout le spectre

solaire en haute définition ainsi que les raies d’absorption qui témoignentde la composition atmosphérique du Soleil. L’occasion de découvrir notrerevue et, pourquoi pas, de vous y abonner !

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PAR MARIE JAY*,

L’EXPLOITATIONDES FEMMES ETLE CAPITALISMEDans le mondeprofessionnel, les

femmes représentent 97 % desaides à domiciles ou des secré-taires, contre 20 % des ingé-nieurs en informatique, parexemple. Cela résulte d’uneségrégation genrée qui ne doitrien au hasard, ni à la nature.En effet, les femmes sont orien-tées vers des métiers qui sontdans la continuité de la sphèredomestique, dont les qualifica-tions sont peu reconnues, peurémunérées. Elles y sont pré-parées avant même leur accèsà l’enseignement supérieur parune orientation elle-même gen-rée : si elles sont majoritairesdans les instituts de soins infir-miers (90 %), elles sont large-ment minoritaires en filièresscientifiques (8 % à l’ENS). Deplus, les inégalités salarialesentre hommes et femmes res-tent de l’ordre de 31 %, en par-tie du fait des temps partielsimposés, du plafond de verre,de la non-reconnaissance decertaines qualifications, etc.À cette division sociale du tra-vail s’en ajoute une autre. Denos jours, les femmes assurentencore 80 % du travail domes-tique. Il existe une réelle exploi-tation du travail des femmes,comme le reconnaissait déjàEngels lorsqu’il affirmait que,« dans la famille, la femme estle prolétaire et l’homme est lebourgeois ». On a attribué pourfonction aux femmes de repro-duire la force de travail néces-saire au capitalisme (nourrir lestravailleurs, éduquer les enfants

futurs travailleurs…), et ce tra-vail n’est pas rémunéré. L’oncomprend dès lors mieux la rai-son pour laquelle les femmessont encouragées à rester dansla sphère domestique ou dansune continuation de celle-ci, àne pas sortir de leur « rôle »social, et partant on comprendque le capitalisme ne peut êtreaboli sans abolir son cœur, cequi lui permet de perdurer : lepatriarcat et l’exploitation desfemmes. Abolir la division dutravail et dissoudre toutes alié-nations est la seule manière decréer de nouvelles richesses etd’en finir avec l’exploitation.C’est pourquoi, comme le met-tra en avant l’UEC, notammentau moment de la Semaine duféminisme, les combats desfemmes ont un rôle majeur dansnotre lutte communiste : ellessont des forces de progrès, desforces révolutionnaires fonda-mentales.

VIOLENCES DE GENRE, UN VISAGE DU CAPITALISMEDu fait de l’exploitation desfemmes, non seulement leurtravail est accaparé, mais leurcorps lui-même est aliéné. Dansun système patriarcal, les femmesne sont pas propriétaires d’elles-mêmes. Marx l’expliquait déjàdans le Manifeste, en faisant leparallèle entre le mariage, danslequel la femme appartient àun seul homme, et la prostitu-tion, dans lequel la femme estun bien « public », une « femmepublique ». Les femmes étantconsidérées comme des instru-ments de production, commedes objets donc, elles ne s’ap-partiennent pas et n’ont pas dedroits, c’est pourquoi la culturedu viol existe, et pourquoi le

viol conjugal n’a été reconnupar jurisprudence qu’en 1990.En tant que féministes, nousdevons dénoncer toutes les vio-lences, tous ces actes d’appro-priation du corps des femmesqui font perdurer le systèmepatriarcal.En outre, le continuum de vio-lences auquel sont exposées lesfemmes a pour fonction derabaisser les femmes à un rôlede dominé, mineur dans lasociété. Ses manifestations sontmultiples et diverses : harcèle-

ment sexiste dans les transports,harcèlement sexuel à la fac ouen stages (25 % des violencessubies par les femmes ont lieusur leur lieu de travail oud’études), affichages prônantla culture du viol, violences phy-siques et sexuelles (qui touchent26 % des femmes en France).Dans les milieux scientifiques,très masculins, ces violencesont pour but de faire fuir et/oude sanctionner les femmes quine restent pas « à leur place »,qui contestent ce système d’ex-ploitation.

ACQUÉRIR DE NOUVELLESLIBERTÉS PROFESSIONNELLESLe cœur de notre lutte doit êtrel’abolition de la division du tra-vail. Les victoires féministessont des victoires qui remettenten cause la division du travailet qui, par conséquent, contri-buent à la libération de la sociétédans son intégralité.C’est la raison pour laquelle

l’UEC lutte pour de nouvelleslibertés professionnelles pourles femmes. D’abord, un cadragenational des diplômes permet-trait d’établir qu’à un niveau dequalification corresponde unniveau de rémunération : celasignifie l’égalité salariale et larevalorisation des métiers àdominante féminine, qui sontsous-payés par rapport à leurniveau de formation. Ensuite,la polytechnicité dans les filières,et notamment l’apprentissagedans toutes filières de tech-

niques d’organisation du tra-vail, permet de remettre en ques-tion la division sociale du travail.Également, il faut lutter contreles violences de genre sur lescampus, afin de permettre àtoutes les femmes de mener àbien leur parcours. Pour finir,nous mettrons en avant, lors dela Semaine du féminisme, avecle thème « les femmes font leprogrès », celles qui, malgré cesviolences, bravent les obstacleset réussissent en sciences, enécoles d’ingénieurs, partout oùles étudiantes sont minoritaires.Promouvoir ces femmes quiréussissent, c’est détruire pro-gressivement la division socialedu travail, le patriarcat, le capi-talisme. n

*MARIE JAY est coordinatrice nationale à l’UEC.

Abolir la division sociale du travail :un enjeu féministe

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AVRIL-MAI-JUIN 2016 Progressistes

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET RECHERCHE

L’Union des étudiants communistes (UEC), notamment lors de la Semaine du féminisme, met en avant les combats desfemmes ; elles sont des forces de progrès.

Les femmes sont orientées vers des métiers qui sontdans la continuité de la sphère domestique, dont les qualifications sont peu reconnues, peu rémunérées.

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