De l’Union Méditerranéenne à l’Union pour la Méditerranée...

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Mémoire, Septembre 2008 Sommet de Paris pour la Méditerranée, 13 Juillet 2008 De l’Union Méditerranéenne à l’Union pour la Méditerranée : quelles limites, quel avenir? Maëlle PELISSON Sous la direction de Mr Filali OSMAN, Maître de Conférences à l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon/Université Lumière Lyon soutenu le 05 septembre 2008

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Mémoire, Septembre 2008Sommet de Paris pour la Méditerranée, 13 Juillet 2008

De l’Union Méditerranéenne à l’Union pourla Méditerranée : quelles limites, quelavenir?

Maëlle PELISSONSous la direction de Mr Filali OSMAN, Maître de Conférencesà l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon/Université Lumière Lyon

soutenu le 05 septembre 2008

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Table des matièresDémarche . . 4Introduction . . 6I Un projet contraire aux objectifs et intérêts de l'UE . . 9

A - L'Union Méditerranéenne versus processus de Barcelone . . 91/ Des objectifs similaires . . 92/ Face à un processus à l'agonie, peut-on vraiment parler de concurrence ? . . 11

B - L'Union Méditerranéenne, facteur de division au sein de l'Union Européenne . . 141/ UM comme facteur d'émiettement de la Politique Commune Européenne . . 142/ Une division des acteurs européens . . 17

II L’Union pour la Méditerranée : l’échec de la nécessaire adaptation aux enjeux d'unpartenariat efficace et égalitaire . . 20

A - Tirer les leçons de Barcelone . . 201/ Un unilatéralisme du nord qui irrite les partenaires du sud . . 202/ L'impossible compromis, la nécessaire rupture . . 23

B - Un partenariat euro-méditerranéen est possible . . 251/ Les quatres aspects nécessaires au partenariat . . 262/ Pour un Conseil de la Méditerranée . . 26

III Le Sommet de Paris ou la consécration de l’Union pour la Méditerranée . . 29A - Le succès diplomatique du Sommet de Paris . . 29

1/ Sommet de Paris : rupture ou prolongation de Barcelone ? . . 302/ La mise en place de projets régionaux concrets et ambitieux . . 32

B - Quand le Sud impose ses conditions . . 331/ Un enthousiasme affiché . . 332/ Le succès de l’Union pour la Méditerranée conditionné à la volonté politique duSud . . 35

Conclusion . . 42Bibliographie . . 43

Ouvrages . . 43Sites . . 43Articles . . 43Conférences . . 44Discours et déclarations officielles . . 45Travaux universitaires . . 45Documents officiels . . 45

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De l’Union Méditerranéenne à l’Union pour la Méditerranée : quelles limites, quel avenir?

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Démarche

J'ai décidé pour ce mémoire de m'intéresser à un sujet d'actualité qui passionne les médiasdepuis plus d'un an maintenant, c'est-à-dire le projet d'Union pour la Méditerranée duPrésident français Nicolas Sarkozy. Ce sujet est en parfaite cohésion avec ce séminaire.En effet, il permet une approche transversale entre le passé et les acquis du partenariatEuro-Méditerranéen et son avenir. L'intérêt que soulève ce sujet s'illustre par les positionstranchées et les débats enflammés qui ont lieu autour de l'enjeu que représente laMéditerranée pour l'Europe d’aujourd'hui. Au moment où l'Europe est en train d'adopterun nouveau traité pour une relance institutionnelle qui a pour objectif une plus grandeintégration politique de l'Europe, il me semble intéressant de voir comment cette volontéde mettre en place une politique étrangère européenne va s'appliquer en méditerranée.De plus le projet d'une Union en Méditerranéenne suscitant un réel débat tant en Europequ’au Sud de la Méditerranée, il me semble pertinent d'analyser les atouts et les limites desdifférents projets, de voir en quoi le projet est tiraillé entre volonté de dépasser le processusde Barcelone et de marquer une véritable rupture avec les traditions euro-méditerranéenneset volonté conservatrice de rester dans le schéma de Barcelone.

La difficulté essentielle de ce sujet est qu'il touche à une actualité brûlante. Il y adonc des faits nouveaux, des revirements, des déclarations presque quotidiennes, ce quicomplique le travail d'analyse et de recherche. Le sujet étant hautement politisé, d'autantplus de par la personnalité controversée du Président français Nicolas Sarkozy, il m'adonc fallu prendre garde de ne pas tomber dans des argumentaires partisans, ni dansdes critiques superficielles et directement tournées vers Nicolas Sarkozy en tant quepersonne et non chef de l'exécutif français. J'ai donc essayé de me placer au-dessus detout à priori politique et partisan afin de dresser une critique objective du projet d'UnionMéditerranéenne. De par ces caractéristiques, ce sujet ne possède pas une littératureabondante. J'ai dû en effet m'aider de nombreuses revues de presse, mais surtout afind'éviter les interprétations parfois déformées, peu fiables ou engagées des journalistes etobservateurs, j'ai beaucoup travaillé à partir de déclarations ou discours officiels d’hommespolitiques ou experts impliqués dans le processus. Afin d'avoir des informations pour rédigerce mémoire, j'ai suivi les conférences organisées par l'IEP d'Aix en Provence dans le cadredes "rencontres méditerranéennes". Le thème de la journée de conférence était cette année"La faisabilité d'une Union Méditerranéenne" Trois questions principales ont été abordées :

∙ Quelle pédagogie pour quelle Union Méditerranéenne ?∙ Les enjeux sociaux, culturels et économiques de l’Union Méditerranéenne.∙ Les perspectives d’une Union Méditerranéenne ou les enjeux géostratégiques de la

zone.

Ces conférences m'ont donc beaucoup aidée à structurer mon travail et ont été une

importante source d'information. N'ayant malheureusement pu assister au Forum de Paris 1

, je me suis beaucoup aidée des retranscriptions de conférences et débats. J'ai cependantparticipé au débat en ligne avec Bertrand Badie, professeur à SciencePo Paris sur lethème : L'Union de la Méditerranée, concorde ou conflit? organisé par le monde.fr le 15

1 http://www.forumdeparis.org/

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Démarche

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avril 2008. De plus le jeudi 17 avril 2008 j'ai assisté au Forum de Passages 2 "Réinventer laMéditerranée" organisé avec le Ministère des Affaires Etrangères et Européennes à l'InstitutHongrois à Paris. Les conférences, certes très enrichissantes, ne se rapportaient cependantpas beaucoup à mon sujet, puisqu'elles traitaient de thèmes plus spécifiques comme ledéveloppement durable ou la culture et civilisation.

Afin de rédiger ce mémoire, j’aurais voulu rencontrer Joëlle Le Morzellec. Sa qualitéde directrice et fondatrice du Centre de Recherche sur l'Europe et le Monde contemporain(CREMOC) ainsi que sa spécialisation sur les conflits du Proche-Orient et les relationsentre l'Europe et le Moyen-Orient auraient pu être très bénéfiques à cette réflexion surl'Union Méditerranéenne en tant que remède au partenariat Euromed. Je pense qu'ilaurait également pu être très intéressant de contacter Béatrice Patrie, dont j'ai lu et citéplusieurs articles dans mon travail. Députée européenne, elle est également présidente dela commission interparlementaire pour l'Egypte, la Jordanie, le Liban et la Syrie. RencontrerEmmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) auraitpu être instructeur vu sa position engagée sur le projet de l'Union Méditerranéenne queje présenterai lors de la réflexion. Cependant étant actuellement en Inde à New Delhi,je n’ai pas pu les rencontrer. J’ai toutefois été en contact direct avec la CommissionEuropéenne et notamment ses délégations à Alger, Tunis, le Caire, Tel Aviv et Rabat quiont pu me fournir une documentation importante malgré les contraintes géographiques. J’aidonc suivi la presse locale afin d’avoir une vision de la perception du projet d’Union pourla Méditerranée dans ces pays partenaires du Sud. J’ai également rencontré Dr AswiniK. Mohapatra ,universitaire indien spécialiste du maghreb et Moyen Orient, à New Delhi.Ayant organisé un séminaire international sur « L’Inde et la Région Méditerranéenne »3 le18-20 mars 2008, et s’étant récemment rendu a Paris afin de rencontrer des représentantsdu Ministère des Affaires Etrangères français ainsi que des think-tanks indépendants, MrMohapatra a pu me fournir bon nombre d’informations.

Ce mémoire traite donc du projet d'Union en Méditerranée. Malgré la contrainte dusujet d'actualité, j'ai décidé de centrer mon étude sur les différentes formes du projetd'Union en Méditerranée qui se sont succédées, c'est-à-dire dans un premier temps leprojet d’Union Méditerranéenne, transformée en Union pour la Méditerranée à la suite du"compromis de Hanovre" pour être finalisé sous le nom de Processus de Barcelone : l’Unionpour la Méditerranée au Sommet de Paris du 13 Juillet 2008. Il me semble que chaqueprojet ayant sa propre signification politique. En effet alors que le projet initial de NicolasSarkozy en marquant une rupture, pose le constat de l’échec du processus de Barcelone,il soulève un nombre de questions auxquelles il me semble crucial de répondre. L’Unionpour la Méditerranée, dénaturant le projet sarkozyste se transforme en un prolongementde processus de Barcelone. Né des pressions allemandes, ce projet illustre les rivalités depouvoir entre les Etats membres de l’Union Européenne. Finalement la formule retenue àParis en juillet illustre les tractations et les compromis qui ont été mis en œuvre pour parvenira un projet auquel 43 Etats ont adhéré. Je traiterai des trois projets avec le processusde Barcelone en toile de fond. Ainsi ce mémoire se veut être une critique approfondie dece projet, analysant la faisabilité d’une Union en Méditerranée pour mettre en place unepolitique euro-méditerranéenne active et efficace.

2 www.passages-forum.fr3 Programme du séminaire en annexe

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Introduction

Au fil de la construction européenne, il semble que la France se soit détournée de laMéditerranée afin d'orienter son avenir vers le continent. Ainsi comme l'a déclaré JacquesAttali dans sa conférence inaugurale du Forum de Paris : "La Méditerranée est si présente, eten même temps si absente, puisque la France a choisi, malgré son destin, malgré sa positiongéographique, d'oublier la Méditerranée (…) pour se construire comme une puissancecontinentale, monumentale, sédentaire, oubliant ses racines maritimes, nomades, agiles,

qui étaient à l'origine méditerranéennes." 4 Ainsi selon Jacques Attali, la Méditerranée se

doit de devenir une préoccupation majeure de la France, ainsi que de l'Union Européenne.Cette mer autrefois symbole de l'héritage commun et de la naissance des grandescivilisations est aujourd'hui le symbole des inégalités, intolérances et tragédies du monde.En effet en se détournant de sa perspective méditerranéenne, la France et les autres paysde la rive nord ont transformé la Méditerranée d'un pont en un fossé. La situation est graveet un partenariat efficace entre les deux rives semble plus que jamais indispensable afin deréduire des inégalités qui menacent de devenir irréversibles.

L'absence de partenariat a causé beaucoup de mal. La part économique mondiale

méditerranéenne qui atteignait les 20% au XIXème siècle, a chuté à 11% aujourd'hui. 5

Ce chiffre illustre la perte d'influence croissante de cette zone pourtant dynamique dans lepassé. Les guerres et les violences y sont récurrentes. La démocratie, pourtant en essordans le reste du monde, peine à s'instaurer. Des différends comme les conflits israélo-palestiniens ou gréco-turcs illustrent la recrudescence de ces violences. Les écarts entre lenord et le sud s'intensifient donc en ce qui concerne le respect des libertés fondamentales.Ainsi, lentement se développe entre les deux rives une incompréhension, un mépris, uneintolérance qui engendre une peur et bloque donc toute tentative de partenariat. Ainsi, "la

Méditerranée est plus une utopie pour l’avenir qu’une réalité pour le passé." 6

Cette absence de relations a laissé le sud livré à la pauvreté et l'oppression, augmentantainsi les inégalités et les rancoeurs entre les deux rives et créant un climat de chocdes civilisations au sens d'Huntington. De ce fait, bien que vital pour le sud, un réelpartenariat est également indispensable pour le nord afin de stabiliser une région enproie aux conflits armés, au sous développement et aux carences démocratiques. Pourreprendre les mots de Jacques Attali, sans ce partenariat "la Méditerranée, c'est une bombeà retardement sous nos pieds". En effet, les inégalités nord-sud, déjà criantes, continuerontde s'aggraver rendant alors toute coopération impensable. Si l'Europe ne se retourne pasvers la Méditerranée, les pays de la rive sud fuiront leur héritage méditerranéen pour setourner vers d'autres pôles d'influence tels que les Etats-Unis ou la Chine, réduisant ainsi

le Soft power de l'Europe au sens de Joseph Nye. 7 D'autre part la Méditerranée constitue

4 Jacques Attali, Conférence inaugurale, Forum de Paris, 28/03/20085 Jacques Attali, Conférence inaugurale, Forum de Paris, 28/03/20086 Jacques Attali, Conférence inaugurale, Forum de Paris, 28/03/20087 Joseph Nye, Soft Power, 2004

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Introduction

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un "test de crédibilité" 8 pour l'Union Européenne en matière de politique étrangère.

Cherchant à s'affirmer comme une puissance politique face à la puissance américaine,l'Union Européenne se doit de relever ce défi.

Ce n'est donc pas un choix mais une nécessité d'agir à laquelle est confrontéel'Europe d'aujourd'hui. Nécessité dont le degré d'importance a déjà été acquis par l'UnionEuropéenne, puisqu'il y a plus de 10 ans de cela, les quinze ministres des Affairesétrangères des quinze États membres de l'UE et de douze pays tiers méditerranéens(Algérie, Chypre, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie etAutorité palestinienne) se réunissaient à Barcelone. La Conférence du 27 et 28 novembre1995 concrétisait l’établissement d’un nouveau cadre pour les relations entre l’UnionEuropéenne et les pays du bassin méditerranéen dans la perspective d'un projet departenariat. Posant le principe d’association étroite entre une coopération sur des aspectséconomiques et de sécurité et une coopération avec une dimension sociale, humaine etculturelle, la déclaration fût adoptée à l’unanimité. Symbole fort d'une volonté des paysde coopérer tous ensemble et de dépasser le bilatéralisme classique qui caractérisaitles relations entre les pays européens et les pays méditerranéens, le point faible de ceprocessus est justement qu'il ne dépassera pas le stade de symbole. En effet de nombreuxobservateurs français et européens s'accordent sur le fait que ce "processus de Barcelone"a été un échec. En effet trop centré sur des négociations politiques, le processus est né dansun contexte d'optimisme au Proche-Orient, mis à mal depuis. De plus, comme le souligneHubert Védrine ce processus est fondé sur l'octroi par le Nord au Sud, ne sachant ainsi créer

la dynamique nécessaire à une telle ambition. Cet essoufflement s'illustre lors du 10ème

anniversaire de la Conférence de Barcelone où seuls quelques chefs d'Etats du Sud se sont

déplacés. 9 La nécessité de mettre en place une nouvelle union apparaît donc évidente.

Les autres institutions existantes dans la région ne sont que partielles ou sectorielles. Aussibien le Forum méditerranéen que les trois Dialogues : 5 + 5, OTAN – Méditerranée et OSCE–, Méditerranée. Toutes ces institutions ont leur fonction et leur légitimité, mais cela montrequ’il n’existe pas d’institution centrale ni de stratégie transrégionale en Méditerranée.

C'est donc dans ce contexte de stagnation et de campagne électorale que NicolasSarkozy a remis le dossier méditerranéen sur la table. C'est à Toulon le 7 février 2007qu'il présente son projet d'Union Méditerranéenne, évoquant la nécessité d'un tel projet :« L’avenir de l’Europe est au sud. Le rêve européen a besoin du rêve méditerranéen ».10 Sarkozy tirant les leçons de l'échec de Barcelone propose alors un projet ambitieux,ayant pour objectif de dynamiser les relations entre les deux rives en mettant en placeun réel partenariat. "Il ne s’agit pas de faire seulement du bassin méditerranéen un pontentre le Nord et le Sud. Il s’agit d’en faire un foyer de paix, de culture, de démocratie,de développement durable d’où naîtra dans le creuset des siècles et des civilisations le

destin commun de l’Europe, du Moyen-Orient et de l’Afrique." 11 Nicolas Sarkozy part du

constat que le partenariat EuroMed comprenait trop d'acteurs ayant des intérêts divergents.Il propose donc une Union plus restreinte, sur le modèle de l'Union Européenne, qui necomprendrait que les Etats riverains de la Méditerranée, ayant ainsi des forts intérêts à

8 Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe9 Hubert Védrine, Les enjeux du Forum de Paris 2008, Forum de Paris10 Nicolas Sarkozy, Discours de Toulon, 7 février 200711 Nicolas Sarkozy, Discours de Toulon, 7 février 2007

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cette union. L'union devrait donc regrouper les pays de "l'anneau méditerranéen", c'est-à-dire 11 pays du sud, Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Palestine,Syrie, Tunisie et Turquie, ainsi que 7 pays de nord, France, Chypre, Grèce, Italie, Malte,Portugal et Espagne. Nicolas Sarkozy balaie donc d'un revers de main les 12 années departenariat centrées sur Barcelone afin de mettre en place un ambitieux projet. Cette Unionse baserait sur la création d’un Conseil de la Méditerranée à l’image du Conseil de l’Europe.Elle disposerait d’un Secrétaire général faisant fonction de porte-parole, d’un budget propre,de politiques communes d’intérêt régional en matière agricole, financière, énergétique, ainsique dans les domaines du développement durable, de l’eau, de la santé, de l’éducation, dutourisme, du co-développement…

Cependant, depuis son évocation dans le discours de Toulon, ce projet n’a éveilléque doute et incrédulité. Les prises de positions contre cette Union se sont multipliées,les divisions au sein de l'Union Européenne se sont affirmées, des compromis se sontconstitués, au point que l'on entend souvent que le projet d'Union Méditerranéenne estun projet "mort-né". Malgré les divisions, les revirements et les compromis, il me sembleerroné de parler de projet mort-né. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy parlent eux-mêmesde compromis temporaire. De même Janez Jansa, premier ministre slovène, présidenten exercice de l’UE déclarait après le dernier Conseil européen de Bruxelles "Nousreconnaissons le besoin d’améliorer le processus de Barcelone. Comment faire cela enpratique? Cela n’a pas été décidé au cours de ce Conseil européen". Il semble donc que leprojet initial d'Union pour la méditerranée ne soit pas encore tombé aux oubliettes, le projetcontinue à se dessiner, à s'enrichir de propositions qui fleurissent chaque jour sous cettenouvelle impulsion. Nicolas Sarkozy a en effet jeté un pavé dans la marre, ravivant l'intérêtporté au partenariat EuroMed. Depuis son annonce lors de la campagne électorale, le projeta beaucoup évolué au gré des accords et des compromis et a pris plusieurs formes.

La question qui se pose alors est de savoir dans quelle mesure ce projet sarkozyste estune innovation qui va faire sortir le partenariat Euromed de son état végétatif et dynamiserla coopération nord-sud méditerranéenne. Surtout, face à la polémique qu'entraîne ceprojet, quels sont les défauts et les limites de l'Union Méditerranéenne ? Quels sont lesapports de l’Union pour la Méditerranée ? Daniel Riot parlait de "beau projet mal dessiné".Nous essayerons donc dans ce mémoire d'analyser les critiques qui ont été portées auxdifférentes phases du projet afin de voir si elles sont légitimes. On peut aussi se demandersi l'Union pour la Méditerranéenne, en tant que bouée de secours pour un partenariat Euro-méditerranéen en perdition, a tiré le bilan le l'échec du processus de Barcelone et apportedonc des solutions permettant de mettre en place un réel partenariat entre les rives de laMéditerranée.

Pour répondre à cet ensemble de questions, nous étudierons tout d'abord dans quellemesure le projet d'Union pour la Méditerranée est conciliable avec les objectifs et intérêts del'Union Européenne. Dans un deuxième temps, nous présenterons une analyse critique duprojet d’Union pour la Méditerranée né du compromis de Hanovre et verrons les adaptationsnécessaires afin que le projet ne se heurte aux mêmes écueils que le partenariat Euromedet connaisse ainsi un avenir plus prometteur. Nous tirerons finalement le bilan du Sommetde Paris du 13 juillet de 2008.

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I Un projet contraire aux objectifs et intérêts de l'UE

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I Un projet contraire aux objectifs etintérêts de l'UE

Le projet d'Union de la Méditerranée concentre les tensions. Défendu ou critiqué, ce projetne laisse pas indifférent. Nous allons donc analyser comment ce projet se combine avecl'Union Européenne. En un sens, de nombreuses dispositions semblent contraires auxobjectifs de l'Union Européenne. Ainsi il est souvent reproché au projet de faire directementconcurrence au "Processus de Barcelone". De plus le projet peut apparaître commecontraire aux intérêts de l'Union Européenne en étant un facteur de division au sein del'Union.

A - L'Union Méditerranéenne versus processus deBarcelone

Il est donc important d'analyser dans quelle mesure les critiques présentant le projet d'Unionde la Méditerranée comme une concurrence directe au partenariat Euromed sont fondées.

1/ Des objectifs similairesUne des plus vives critiques qui est portée au projet de Nicolas Sarkozy est que cetteUnion entre en concurrence directe avec le Processus de Barcelone, rendant ce partenariatobsolète. Il est vrai que les initiateurs de ce projet affirment vouloir développer une Union quis'instaure comme une rupture avec les initiatives passées. Ils veulent exploiter la nouvelledynamique pour mettre en place une institution qui se démarque des précédentes actions.Nicolas Sarkozy lui même déclarait lors de sa visite à Tanger : "Dans l'esprit de la France,l'Union de la Méditerranée ne se confond pas avec le processus euro-méditerranéen".Cependant, il faut garder à l'esprit que cette volonté de fonder quelque chose de nouveaune signifie pas forcément un anéantissement de ce qui existe déjà. Ainsi Nicolas Sarkozyrajoute que: "L'Union de la méditerranée dans l'esprit de la France n'a pas vocation à sesubstituer à toutes les initiatives, à tous les projets qui existent déjà, mais elle a vocationà leur donner un nouveau souffle, un nouvel élan. Elle a vocation à faire converger vers

un même but, à fédérer toutes les idées, toutes les énergies, tous les moyens." 12 Cette

vision est reprise par d'autres chefs de gouvernement qui ont adhéré au projet, tel queJosé Luis Zapatero qui confirme que le projet doit être vu davantage comme une évolutiondu Processus de Barcelone que comme une concurrence : "L’Union pour la Méditerranée

représente une nouvelle étape, une nouvelle incitation, une nouvelle direction" 13

12 Nicolas Sarkozy, Discours de Tanger, 23/10/200713 José Luis Zapatero, Appel de Rome pour l'Union de la Méditerranée, Rome, 20/12/2007

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De l’Union Méditerranéenne à l’Union pour la Méditerranée : quelles limites, quel avenir?

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Cependant, malgré ces déclarations officielles qui affirment que l'Union n'a pas pourobjet de se substituer aux procédures de coopération déjà existantes, si on analyse les deuxpartenariats, il est facile de constater que de nombreux objectifs sont similaires, ce qui laissecraindre un empiétement important de l'Union sur les prérogatives du partenariat Euromed.

En effet en analysant les déclarations, il est clair que les deux initiatives ont les mêmesobjectifs généraux. En effet on peut lire dans la Déclaration de Barcelone adoptée lorsde la conférence euro-méditerranéenne des 27-28 novembre 1995: " Les participants à laConférence euro-méditerranéenne de Barcelone soulignent l'importance stratégique de laMéditerranée et leur volonté de donner à leurs relations futures une dimension nouvelle,fondée sur une coopération globale et solidaire, qui soit à la hauteur de la nature privilégiéedes liens forgés par le voisinage et l'histoire". Ainsi il est amusant de souligner la similitudeentre le lexique utilisé afin de décrire le partenariat Euromed et celui utilisé par NicolasSarkozy pour présenter son projet: "Je crois en la Méditerranée comme un espace desolidarité et de coopération, c’est le développement solidaire".

Les critiques craignant une concurrence directe se justifient si on analyse les missionsdu partenariat Euromed et les objectifs de l'Union de la Méditerranée. En effet NicolasSarkozy explique que l'Union pour la Méditerranée doit permettre la mise en placed'une "zone de libre échange négociée et régulée". Or le volet économique et financierdu partenariat Euromed a pour objectif principal la mise en place d'une zone de libreéchange : "La zone de libre-échange sera réalisée à travers les nouveaux accordseuro-méditerranéens et des accords de libre-échange entre les partenaires de l'Unioneuropéenne. Les participants ont retenu l'année 2010 comme date objectif pour instaurerprogressivement cette zone qui couvrira l'essentiel des échanges dans le respect des

obligations découlant de l'OMC." 14 Le volet 1 prévoit "d’accélérer le rythme d'un

développement socio-économique durable" 15 alors que l'Union pour la Méditerranée

prévoit de "résoudre le problème du sous-développement". 16

Le projet d'Union semble également concurrencer les prérogatives du processus deBarcelone au niveau du deuxième volet politique et de sécurité. En effet, les signatairesde la déclaration de Barcelone se sont engagés à participer activement au processus afin"d'établir un espace commun de paix et de stabilité" et cela en "renforçant leur coopérationpour prévenir et combattre le terrorisme (…), en luttant ensemble contre l'expansion et ladiversification de la criminalité organisée et combattre le fléau de la drogue dans tous sesaspects". Cet objectif est repris dans le projet d'Union où Nicolas Sarkozy propose que"le quatrième pilier de l’Union pourrait consister dans la mise en place d’une coopérationintégrée pour lutter ensemble contre la corruption, le crime organisé et le terrorisme adosséeà un espace judiciaire commun".

En outre, en voulant développer une Union qui favoriserait la compréhension et lerespect des peuples des deux rives, la concurrence est également réelle au niveau dutroisième volet social, culturel et humain. L'Union devrait mettre en place une "politiquede civilisation" permettant un échange culturel afin de faire face à la crise d'identité età l'incompréhension et l'intolérance croissante entre les deux rives. Mais cet objectif estégalement l'enjeu principal d'organismes mis en place dans le cadre du troisième pilierdu processus de Barcelone. En effet dans le cadre du partenariat dans les domaines

14 Déclaration de Barcelone, Barcelone, 27-28 novembre 199515 Déclaration de Barcelone, Barcelone, 27-28 novembre 199516 Nicolas Sarkozy, Discours de Tanger, 23/10/2007

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I Un projet contraire aux objectifs et intérêts de l'UE

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social, culturel et humain, ayant pour but le rapprochement et la compréhension entreleurs peuples, ainsi que l'amélioration de la perception mutuelle a été créé la FondationAnna Lindt. Selon la charte de la fondation inaugurée en 2005, «il est nécessaire d'établirune structure qui soit à même de promouvoir la définition et la réalisation cohérentede projets servant le dialogue entre les cultures et favorisant une coopération culturellerenforcée. Il est nécessaire de définir, développer et promouvoir des zones de convergenceculturelle entre les pays et les peuples de la région méditerranéenne avec notammentpour objectif d'éviter les stéréotypes, ainsi que d’entretenir un dialogue étroit et régulierentre les cercles culturels souvent tenus à l'écart des principaux échanges culturels et

diplomatiques» 17 . Comment peut s'intégrer la "politique de civilisation" de l'Union de laMéditerranée dans ce cadre déjà bien fourni, sans faire de concurrence, ni être relégué austatut de doublon? De même l'Union devrait avoir "une politique commune de protection etde mise en valeur du patrimoine". Mais quel sera alors le rôle d'Euromed Héritage, lancéen 1997 et dont les priorités sont de mettre l'accent sur le patrimoine méditerranéen, defavoriser un tourisme de qualité, d'échanger des compétences et d’assurer une assistancetechnique, tout particulièrement dans le domaine de la conservation du patrimoine ainsi quede proposer une formation menant à des qualifications et à des métiers liés au patrimoine.

Toutefois, le projet d'Union de la Méditerranée présente de nouveaux aspects decoopération tels qu'une coopération dans le domaine de l'énergie ou une coopération dansle gestion de l'eau. Le projet met aussi un point d'honneur sur un domaine qui reste peudéveloppé dans le processus de Barcelone : l'écologie. Nicolas Sarkozy se fait l'apôtredu développement durable en proposant que "l'écologie constitue le deuxième pilier despolitiques communes à tous les pays méditerranéens". De plus toute l'ambition du projetréside dans le co-développement qui devrait se substituer au commerce et faire en sorteque les pays de sud ne soient plus de simples sous-traitants de l'Europe. Cette notion innovepuisqu'il est souvent reproché au processus de Barcelone d'être plus une coopération qu'unréel partenariat où les protagonistes sont traités à pied d'égalité.

Ainsi, bien que l'Union de la Méditerranée présente des innovations par rapport aupartenariat Euromed, il semble que les objectifs des deux initiatives sont grandementsimilaires, ce qui confirme le risque qu'une fois instaurée l'Union de la Méditerranée écrasele processus de Barcelone, le vidant de toute sa substance. S'il est donc vrai que lesprérogatives du partenariat Euromed risquent d'être fortement diminuées, faut-il pour autantcritiquer l'Union de la Méditerranée sous prétexte qu'elle va concurrencer les organismesdéjà établis mais inefficace? La réelle question pourrait être : y a t-il vraiment matière à faireconcurrence ? En effet de nombreux observateurs présentent le processus de Barcelonecomme une initiative unique et ambitieuse qui n'a pu atteindre les objectifs qu'elle s'étaitfixés. Une montagne diplomatique qui aurait accouché d'une souris mort-née. De ce fait,l'Union de la Méditerranée concurrencerait le partenariat Euromed sur des objectifs que detoute façon le partenariat n'a pas les moyens d'atteindre. L'Union reprend donc les objectifsd'un processus à l'agonie avec des moyens nouveaux.

2/ Face à un processus à l'agonie, peut-on vraiment parler deconcurrence ?

Les autorités européennes se vantent du succès et de l'efficacité du processus deBarcelone. On peut ainsi lire sur le site France Diplomatie " Dix ans après son lancement,

17 Charte Fondation Anna Lindt

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De l’Union Méditerranéenne à l’Union pour la Méditerranée : quelles limites, quel avenir?

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le bilan du processus de Barcelone est aujourd’hui globalement positif." De même JavierSolana, haut représentant de l’Union européenne pour la Politique étrangère et de sécuritécommune, affirmait encore en 2005 que le processus de Barcelone était un facteur deréforme dans les pays du Sud. Il présentait le partenariat comme "le meilleur moyenpour lutter contre les maux modernes que sont le trafic d’être humain et le terrorisme". Ilassurait également que l’Europe peut soutenir le processus de paix israélo-palestinien viale processus de Barcelone en aidant les Palestiniens à réformer l’Autorité palestinienne.Malgré ses positions officielles, les observateurs s'accordent sur le fait que le processus deBarcelone est loin d'avoir tenu ses promesses. Bien que le partenariat ait réussi à formaliserles relations entre l'Union Européenne et ses voisins méditerranéens, il est difficile d’enétablir l’impact et le bilan général reste négatif. Au niveau politique il semble clair que leprocessus de démocratisation est encore loin d'aboutir et les conflits loin de s'être résolus,s'aggravent et semble s'enliser. Aucun véritable dialogue sécuritaire n’a été mis en placeet la peur d’une victoire des Islamistes lors des élections paralyse les efforts européens depromotion des mouvements d’opposition régionaux et d’élections libres.

Au niveau économique, la part de pays MEDA dans les échanges de l'Europe del'Ouest a stagné depuis 10 ans et le commerce se fait encore largement sur des structuresbilatérales. Les entreprises européennes n'investissent que très peu sur les territoires despartenaires du sud, découragés par un climat défavorable et une fragmentation du marché.Ainsi, seuls 2% des investissements directs étrangers (IDE) au niveau européen sontdestinés au bassin méditerranéen. Le Sud n’a pas augmenté sa part dans les importseuropéens, stagnant a 6%. Malgré le fait que les pays du Sud ont réduit leurs tarifsglobaux, ils ne se sont pas vu offrir en retour l’accès au marche agraire européen et sonttoujours confrontés à des taxes exorbitantes pour accéder sur le marché européen avec desproduits agricoles. Au niveau social et culturel, le partenariat n'a pas réussi à obtenir unevisibilité suffisante ni à toucher les sociétés civiles qui restent très étrangères au processus.Ce défaut du partenariat a été reconnu avec l’instauration en 2003 de « Euromed Non-governmental Platform » dans le cadre du Forum civil Euromed. Ces mécanismes doiventcependant encore gagner en transparence. Ainsi ce rendez-vous raté que constitue lepartenariat Euromed a entraîné une méfiance croissante auprès des partenaires de la rivesud déçus face aux promesses non tenues du nord. Quant au nord, il s'est instauré unclimat de réticence face à des pays du sud où les réformes structurelles sont jugées troplentes et timides. Loin d'avoir amélioré les relations euro-méditerranéennes, le processus aamplifié l'incompréhension réciproque. Les causes de cet échec sont multiples et certainessont inhérentes au processus.

Une des premières raisons qui semble expliquer en partie ce manque de résultatest la multiplication des acteurs qui ont peu d'intérêt en commun autant au sud qu'aunord. En effet la déclaration de Barcelone a été signée dans un contexte d'optimismeenvers le conflit israélo-palestinien qui depuis s'est largement détérioré. Il y a un manquecruel de cohésion entre les pays de sud, qui ne sont pas incités à collaborer entre eux.Ainsi à titre d'exemple, le commerce intra-régional représente seulement 5% du volumed’échange des douze partenaires méditerranéens. De même au niveau européen, tousles Etats participant au processus de Barcelone n'avaient pas les mêmes objectifs, lamême vision, les mêmes intérêts. Le processus de Barcelone souffre donc d'une politiqueétrangère commune européenne encore balbutiante où les Etats membre en cas de crisepeinent à adopter une position commune. Ainsi des pays comme le Royaume-Uni ayantdes relations moins importantes avec les pays sud méditerranéens a eu tendance à vouloirlimiter les actions au sein du processus comme l'illustre la position anglaise quand TonyBlair exerçait la présidence de l'Union. Il n'a en effet pas hésité à présenter le processus

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de Barcelone comme un processus au point mort et a donc incité l'Union Européenne àlimiter sa coopération avec la rive sud de la Méditerranée à une coopération économiqueet avant tout sécuritaire.

Cette persistance des logiques nationales en Europe et ces disparités entre les paysméditerranéens se transcrivent par un manque de volonté politique de la part de dirigeantsqui va être nuisible au partenariat. En effet dix ans après le lancement enthousiaste dupartenariat, son anniversaire a été amèrement célébré. Seul deux chefs d'Etat des payspartenaires du sud ont fait le déplacement. Cette anecdote met en exergue l'essoufflementdu processus et le manque d'implication politique des partenaires. Au niveau européen lemanque de volonté politique peut s'expliquer par un déplacement du centre de gravité dusud à l'est. En effet, avec l'élargissement à l'Est, l'intérêt politique de la Méditerranée adiminué, poussant les pays européens à négliger leurs engagements de 1995. Entre 2000et 2006, les pays de l'est ont reçu une aide financière dix fois plus conséquente que lespays du sud. Le partenariat euro-méditerranéen a été en quelque sorte sacrifié en faveurd'autres objectifs, comme l'intégration des 10 nouveaux membres, considérée par l'Europecomme plus prioritaire. Cette apathie politique de l'Europe s'explique aussi par le fait quele processus a été pris en otage par des conflits rendant impossible toute négociation etcoopération multilatérale. En effet, la détérioration de la situation au Moyen-Orient ainsi quela persistance du conflit israélo-palestinien explique également la stagnation des objectifsdu processus. Après les attentats du 11 septembre, les pays européens ont alors placé lalutte contre le terrorisme au sommet de leurs priorités, laissant encore une fois de côté leursengagements. Ainsi comme le déclare Béatrice Patrie, députée européenne, "il est tempsde reconnaître que ces politiques ont d’abord eu pour principal agenda de répondre auxpeurs sécuritaires de l’Europe. En effet, la menace que la pauvreté et la marginalisationdes pays du Sud faisaient peser sur la stabilité et la tranquillité des pays du Nord fut l’unedes principales causes du lancement du processus. L’idée de réduire les écarts entre lesdeux rives aurait pu conduire à une stratégie «gagnant-gagnant». Or celle-ci fut entièrement

mise au service d’impératifs de «sécurité commune» - en réalité la sécurité de l’Europe" 18

Cette obsession sécuritaire a donc décrédibilisé la loyauté des partenaires européens auxyeux des pays du sud. L'agenda méditerranéen de l'Europe s'est en effet borné par unelutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, le combat contre les trafics de drogue oula non-prolifération nucléaire, chimique et biologique, questions essentielles, mais laissantde côté le développement économique ainsi que la construction de démocraties pluralistes.Béatrice Hibou ajoute: "la Méditerranée n’intéresse l’Europe que pour mieux s’en protéger".Cette stratégie sécuritaire ne pouvait donc déboucher sur aucun résultat positif.

Cette inertie est confirmée par un manque cruel de moyens financiers. En effet lecaractère peu efficace et trop modeste du programme MEDA visant à réduire la fractureéconomique dans les deux rives explique que l'écart de niveau nord-sud n'ait pas diminué.Il semble nécessaire d'illustrer cette position par quelques chiffres. Entre 1995 et 2000,l'Union européenne à travers le MEDA I a engagé 3435 Millions d'euros pour la régionméditerranéenne.

Or, faute d’efficacité dans les procédures de décaissement seul 25% de sesengagements ont été payés. Même si ce ratio entre l’engagement et le paiement s’estamélioré au cours des dernières années, notamment avec MEDA II, les financementsrestent limités. A titre de comparaison le budget annuel de l'Union Européenne est de 126,5milliards d'euros dont 5% sont destinés à encourager le développement durable, la paix et

18 Béatrice Patrie, députée européenne socialiste, présidente de la Délégation interparlementaire pour les relations avec lespays du Maghreb et membre de l’assemblée parlementaire Euromed, 26 mars 2008

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la sécurité dans le monde. Ainsi l'Union Européenne a investi 367 millions par an sur la

période 1995-2005 19 dans le processus de Barcelone, soit 5,8% de son budget en matière

d'aides extérieures et 0,3% de son budget total. Certes cette aide n'est pas négligeable etest bien accueillie par ces économies en crise structurelle. Toutefois ces chiffres montrentla place que tient le partenariat Euromed dans la politique étrangère commune de l'UnionEuropéenne et met en exergue le manque de volonté politique dont souffre le processusde Barcelone.

Ainsi face à ce constat d'échec il semble difficile de soutenir la thèse que l'Unionpour la Méditerranée va concurrencer le processus de Barcelone. Certes, dans sonprojet Nicolas Sarkozy reprend les objectifs affichés de partenariat Euromed mais ilprésente des moyens novateurs pour les atteindre. Ainsi selon la thèse d'Emmanuel Dupuy,l'Union méditerranéenne n'est en rien une concurrence au processus de Barcelone maisune complémentarité. Il argumente qu'il y a une multiplication d'initiatives concernant laMéditerranée et que ces initiatives au lieu de se concurrencer s'enrichissent, se renforcentles unes les autres et toutes participent à la construction d'une coopération solide entre les

deux rives telles des "briques constitutives". 20 Ces briques sont le «dialogue 5+5» institué

par le traité de Marrakech en 1989 et relancé en 2001 qui réunit 5 pays méditerranéensde l’Union Européenne (Portugal, Espagne, France, Italie, Malte) et 5 Etats de l’Union duMaghreb Arabe (Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie) et permet le dialogueinformel entre l’Europe du Sud et le Maghreb; le processus de Barcelone; les accordsd’association bilatéraux liant l’UE aux pays de la rive sud de la Méditerranée; ainsi quelaPolitique Européenne de Voisinage créée en mai avec l'élargissement à l'est. L'Union pourla Méditerranée serait donc une nouvelle étape à cette construction, une avancée pour la

politique étrangère commune de l'Europe qui semble encore faire défaut. Cependant,le projet d'Union de la Méditerranée est la cible de nombreuses critiques qui le présententcomme un facteur de division au sein de l'Union Européenne.

B - L'Union Méditerranéenne, facteur de division ausein de l'Union Européenne

Le projet d'Union méditerranéenne est-il contraire aux intérêts de l'Union Européenne? Met-il en danger la cohésion des Etats membres ?

1/ UM comme facteur d'émiettement de la Politique CommuneEuropéenne

Si chaque État membre de l’Union européenne (UE) conserve une entière souverainetéen matière de politique étrangère, le traité de Maastricht a institutionnalisé une politiqueétrangère et de sécurité commune (PESC). Son objectif est de coordonner les politiquesétrangères des États membres de l’Union européenne afin que l'Union puisse autant que

19 Les notes d’alerte du CIHEAM N°22 – 11 décembre 200620 Emmanuel Dupuy et Karim SADER, La Politique Européenne en Méditerranée : « Plus que le libre-échange et moins que

l’adhésion » - Qu’en est-il aujourd’hui ? Un rappel des enjeux et des limites de la coopération

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possible parler d'une seule voix face à la communauté internationale. C’est également dansce sens qu’a été mis en place en 2004 la politique Européenne de voisinage afin que l’UEpuisse avoir une position commune face aux nouveaux voisins pour éviter l'émergencede nouvelles lignes de division et renforcer la stabilité, la prospérité et la sécurité de larégion. Cette volonté de l'Union d'acquérir une plus forte légitimité internationale et ainside s'imposer comme une puissance politique a été confirmée par le traité de Lisbonne. Letraité prévoit en effet la création d’un poste de ministre des Affaires étrangères de l’Unionafin accroître la visibilité de l’Union sur la scène internationale. Les déconvenues de cettepolitique étrangère commune au moment de la guerre en Irak (2003), où les pays européensmenant des politiques antagonistes avaient révélé le manque d'unité et l'incapacité del'Union à adopter une position commune. De nouveau, de nombreux analystes craignentune nouvelle déliquescence de la politique étrangère commune en présentant l'Union de laMéditerranée comme un nouveau facteur de division.

En effet la proposition de Nicolas Sarkozy pourrait mettre en danger la cohérence dela politique de l’Union Européenne, notamment en ce qui concerne la Politique Européennede Voisinage avec la Méditerranée. La mise en place de l’Union de la Méditerranée risquede produire des contradictions dans des domaines tels que les droits de l’Homme. Celapourrait résulter en une dispersion injustifiée des efforts politiques et financiers. Il est en effettrès peu clair dans le projet du Président français de savoir qui sélectionnerait les projetsà financer et quels seraient les critères de sélection. Le projet d’Union de la Méditerranéerendrait donc plus floue l’action de l’Union Européenne, diminuant la visibilité des actionsentreprises. Le Président Slovène Janez Jansa a déclaré devant le Parlement Européen :« Nous n’avons pas besoin d’une duplication des institutions qui rentreraient en compétitionavec les institutions de l’Union Européenne et qui couvriraient une partie de l’Union et unepartie de son voisinage »21

Une des particularités de l'Union Méditerranéenne est de former une union avec unnombre de protagonistes plus réduit afin d'éviter les divergences d'intérêts internes auprocessus, de favoriser les échanges et les compromis. L'optique de Nicolas Sarkozy estde dire que les pays latins de l'Europe, de par leur position géographique, ont un plus grandintérêt à coopérer avec les pays sud méditerranéens. Le fait de mettre en place une unionne comprenant que la France, Chypre, la Grèce, l'Italie, Malte, le Portugal et l'Espagnecomprend un risque de mettre en place une Europe à deux vitesses, créant une démarcationentre les pays "membres" et les pays "non-membres", aiguisant les rivalités, mettant àmal la solidarité et l'unité communautaire. L'essence même de l'Union Méditerranée est denature à mettre en danger cette unité. L'idée de Nicolas Sarkozy est de faire un contrepoidsà l'Europe du Nord qui vante l'économie de marché et veut un univers le plus ouvertpossible. Comme les intérêts économiques cimentent les pays d'Europe du Nord, NicolasSarkozy invente le concept d'Europe du Sud plus favorable à une intégration politique et

qui se regrouperait autour de l'enjeu méditerranéen. 22 On peut donc craindre une fracture

interne à l'Europe qui rendrait d'autant plus difficile les compromis et la mise en placed'une diplomatie à une tête. La quintessence de l'Union Européenne étant le compromis,la convergence des intérêts en vertu de la recherche de l'intérêt commun, rendre lesdivergences visibles et les institutionnaliser à travers l'Union Méditerranéenne risque decauser d'importants dommages à l'Union Européenne. En effet en incluant seulement lespays géographiquement proches de la Méditerranée, les grandes puissances européennestelles que l'Allemagne ou la Grande-Bretagne risquent de se sentir exclues, comme l'a

21 Janez Jansa, discours devant le Parlement Européen, 17 Janvier 200822 Chems Eddine CHITOUR, L'Union Méditerrannéenne : Une utopie morte- née

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montré la réaction de l'Allemagne à l'annonce du projet. Ces Etats risquent donc d'être tentésde renouer avec leurs vieilles alliances naturelles, c'est-à-dire les pays de l'Est et la Russiepour l'Allemagne et le Commonwealth pour la Grande-Bretagne. Si chaque Etat membrese renferme sur ses propres intérêts nationaux, se détournant de l'intérêt communautaire,ce serait alors le futur de l'intégration politique européenne qui serait en danger. Ainsi cescritiques sont reprises par les institutions européennes qui se sentent menacées par ceprojet introduisant des dissensions dans l'unité communautaire. Ainsi, Martin Schulz, chefdu parti socialiste au Parlement Européen déclarait: "Si l'Union Méditerranéenne crée ladivision au sein de l'Union Méditerranéenne, ce sera dommageable". Les Eurodéputésont donc lancé une pétition contre le projet de Nicolas Sarkozy estimant que "l'UnionMéditerranéenne risque de diviser l'UE". Le projet d'Union Méditerranéenne fait donc coulerde l'encre en Europe. On lui reproche également d'établir une concurrence directe à l'UnionEuropéenne. L'Union Méditerranéenne ressemble beaucoup à l'UE par sa structure etses fonctions. Il s'agit d'utiliser la méthode Jean Monnet qui a impulsé la constructionEuropéenne, c'est-à-dire mettre en place une intégration économique qui débouchera surune intégration politique. En outre, ses défenseurs ne manquent pas une occasion pourcomparer les deux institutions. Jean-Pierre Jouvet, secrétaire d'Etat chargé des affaireseuropéennes, explique que dans le cadre de l'Union Méditerranéenne "nous voulons utiliserl'approche qui a prévalu au niveau européen, c'est-à-dire encourager le développementéconomique pour aller vers plus de paix". De même Nicolas Sarkozy déclarait le soir deson élection "Ce qui a été fait pour l'Union de l'Europe, il y a 60 ans, nous allons le

faire aujourd'hui pour l'Union Méditerranéenne." 23 Ces comparaisons effraient et agacent,

d'autant plus comme le souligne Angela Merkel, que pour se faire l'Union Méditerranéenneserait créée avec des fonds européens alors que 75% des pays de l'UE n'y sont pas admis.Certes, si l'établissement de l'Union Méditerranée en créant une diversité des positionsdiplomatiques entraîne un risque de division et réduit les chances de parvenir à établirune véritable politique étrangère commune où l'Europe pourrait s'affirmer sur la scèneinternationale face à la puissance américaine, il faut nuancer cette menace.

En effet, la diversité existe déjà, elle est même consacrée par les traités. Le traitéd'Amsterdam instaure en 1999 la possibilité de mettre en place des coopérations renforcées.C'est la possibilité offerte à un nombre limité d'Etats membres qui souhaitent pousser plusloin leur intégration de développer une politique commune entre eux. Si une CoopérationRenforcée n'a encore jamais été instaurée, le traité de Nice en assouplit les modalités.Ainsi, l'Union Méditerranéenne, institution regroupant un nombre restreint de pays membresvoulant pousser plus loin l'intégration politique et économique avec des pays tiers, peut êtreconsidérée comme une première en matière de Coopération Renforcée. De ce fait, loin deconcurrencer l'Union Européenne, elle dynamisera la relance institutionnelle. Cependant ladifférence majeure entre une Coopération Renforcée et l'Union Méditerranéenne est qu'unecoopération renforcée est ouverte à tous les Etats membres et ceux n'y participant paspeuvent la rallier à tout moment du processus : "Lors de leur instauration, les coopérationsrenforcées sont ouvertes à tous les États membres. Elles le sont également à tout moment."24 A l'inverse l'Union Méditerranéenne est créée pour un nombre déterminé de pays, choisissur des critères géographiques seulement, mettant donc automatiquement à l'écart lesautres pays, quelque soit leurs intérêts, volonté ou motivation. De plus selon l'article 43 dutraité de Nice une Coopération Renforcée comprend un minimum de huit, alors que le projetd'Union de la Méditerranée n'inclut que sept Etats membres.

23 Discours de Nicolas Sarkozy, 7 mai 200724 Article 43b du Traité de Nice

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La position selon laquelle l'Union Méditerranéenne rendrait difficile la mise en placed'une politique étrangère commune et qu'il faut donc poursuivre le processus de Barcelone,seul représentant de l'unité de l'Union Européenne, est critiquable puisque le cadre juridiquedu processus de Barcelone lui même est l'expression des divergences entre les payseuropéens. On peut en effet parler d'un effet patchwork du processus de Barcelone. Il y aune multiplication des accords bilatéraux externes au processus. De plus comme le souligneHubert Védrine et le cercle des économistes, on voit se développer la multiplication desgroupes informels de négociation qui eux aussi à leur manière concurrencent l'unité etla politique étrangère commune. De plus le caractère multidimensionnel du processus secaractérise par une approche sectorielle, non globalisée et fragmentée. Il y a effectivementune multitude de traités, d'organismes, d'institutions, tels que la Fondation Anna Lindt,Euromed héritage, qui rendent diffuse la position de l'Union Européenne dans le cadre duprocessus de Barcelone.

Il est donc vrai, en un sens, que l'Union Méditerranéenne ne va pas œuvrer pourune plus grande cohésion au sein de l'UE et ne va pas favoriser le développementd'une politique étrangère commune, mais il semble exagéré de dire qu'elle va empirer lasituation car comme nous venons de la voir, il y a déjà une grande diversité de centres dedécisions, d'acteurs et d'accords. L'Union Méditerranéenne pourrait permettre au contrairede simplifier.

2/ Une division des acteurs européensCependant, ce qui me semble évident c'est que la méthode utilisée par le Président françaispour imposer son projet - d’abord annoncer le projet pour ensuite chercher des supports etdes moyens pour le mettre en place - entraîne des frictions au niveau européen qui vontrendre difficile la mise en place de l'Union Méditerranéenne, créer des clans entre les Etatsmembres et contribuer à isoler la France.

Le projet d’ Union Méditerranéenne est en effet largement perçu en Europe comme unprojet français, répondant aux besoins français. Le projet a été présenté lors de la campagneélectorale française alors que Nicolas Sarkozy avait besoin de former un consensus afinde gagner les voix des immigrés d’origine méditerranéenne. De plus le projet d’UnionMéditerranéenne est interprété comme un effort français pour raviver la politique étrangèrefrançaise endormie dans le bassin méditerranéen. Sous la Présidence de Jacques Chirac,la diplomatie française s’était en effet éloignée de la Méditerranée, préférant supporter lesprojets européens et les politiques communes. Il y a de plus un risque que le succès dela politique européenne de voisinage crée une dépendance des pays du Sud à l’UnionEuropéenne et notamment à la Commission, qui distribue et gère les programmes d’aide etdéveloppement. Dans un cas pareil, la France perdrait une part importante de son influencehistorique sur les pays du Maghreb. Dans cette optique, le projet d’Union Méditerranéenneest vu comme une opportunité pour la France de raviver sa politique méditerranéenneainsi que de garantir un retour aux valeurs de politique étrangère élémentaires, puiséesdans le gaullisme, qui permettrait à la France de maintenir son influence dans la région.Suivant cette ligne de pensée, de nombreux acteurs européens voient dans la propositionde Nicolas Sarkozy un moyen pour restaurer le leadership français en Europe. Justifiée parla désillusion du processus de Barcelone qui a atteint une impasse avec les attentats du11 Septembre et l’élargissement de l’Union Européenne, l’Union Méditerranéenne est doncvue comme une tentative française de retrouver le prestige perdu sur la scène européenneà la suite des résultats négatifs au référendum de 2004.

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Face à cette interprétation, les réactions des partenaires européens sont mitigées etdivisées. Certains des pays inclus dans l'Union Méditerranéenne ont apporté leur soutienau projet de Nicolas Sarkozy. Ainsi Romano Prodi déclarait: "le fait que Nicolas Sarkozy aitdans sa première déclaration dit Europe et la Méditerranée est très positif". Ainsi les deuxchefs de gouvernement italien et espagnol ont soutenu le projet d'Union Méditerranéennedans une déclaration commune à Rome en décembre 2007, l'appel de Rome pour laMéditerranée. "Convaincus du fait que la Méditerranée, creuset de culture et de civilisation,doit reprendre son rôle de zone de paix, de prospérité, de tolérance, le Président de laRépublique Française, le Président du Conseil de Ministres de l’Italie et le Président duGouvernement de l’Espagne se sont réunis à Rome le 20 décembre 2007 pour réfléchir

ensemble aux lignes directrices du projet d’Union pour la Méditerranée." 25

Cependant, depuis son arrivée au pouvoir Nicolas Sarkozy ne suscite pas que desentiments de soutien. Il agace, irrite les dirigeants européens. Malgré ce soutien, leprojet doit faire face à de fortes réticences de la part des pays exclus. Certains commel'Allemagne se sont opposés frontalement à un projet qu'elle juge unilatéral et contraire auxengagements de Barcelone, d'autres comme la Grande-Bretagne observent le silence tropcontents de ne pas avoir à s'exposer.

Ces réticences et cet agacement face à la politique française a pris un échoparticulièrement important en Europe. Jean Claude Junker, président de l'Eurogroupe,affirme que la France ne fait rien pour essayer de redresser ses finances publiques et quece fait devient un véritable problème. Les Allemands critiquent l'hostilité caricaturale de laFrance face à la BCE. À cela s'ajoute le soutien ostensible à l'éventuelle candidature de l'ex-chef de gouvernement britannique, Tony Blair à la future présidence de l'Union Européenne.Toutes ces positions sont perçues par les partenaires européens comme une volonté deprovocation à laquelle s'ajoute le projet d'Union Méditerranéenne présenté unilatéralementpar Nicolas Sarkozy, sans négociations préalables avec les partenaires.

L'Union Méditerranéenne a donc entraîné une ferme opposition de l'Allemagneprovoquant un conflit ouvert avec la France. Le sujet a en effet cristallisé les divergencesentre les deux puissances européennes, tandem historique de la construction européenne.C’est effectivement l’Allemagne qui s’est montrée la plus critique face à ce projet. Lachancelière allemande Angela Merkel a fait part de son hostilité à une « Union en miniaturequi pourrait avoir à terme un effet explosif incroyable, libérer des différences régionalesvoire entraîner des risques de désintégration de l’Union européenne». En effet, alors quel’initiative française se fonde sur le principe que la région Méditerranéenne a ses problèmesspécifiques et qu’elle doit donc se doter d’une institution distincte de ce qui existe déjàainsi que d’une stratégie proprement méditerranéenne, l’Allemagne part du principe que lapolitique étrangère européenne est un tout et que le partenariat euro-méditerranéen doitrester l’instrument central pour établir la politique régionale. Angela Merkel évoque contre leprojet du Président français deux arguments que nous avons déjà présentés dans les partiesprécédentes. Celui de la solidarité des initiatives européennes, selon laquelle un projet doitêtre obligatoirement avalisé par les 27 Etats membres. Elle affirme que ce qui a lieu enMéditerranée concerne autant les Européens du Nord que ceux du Sud. Elle se demandeen effet quelle aurait été la réaction française si l'Allemagne avait présenté un projet d'Unionentre les pays du Nord et la Russie et l’Ukraine sans la participation de la France. Ledeuxième argument est celui de la solidarité financière. Si les pays du Sud utilisent des fondscommunautaires pour mettre en place une Union, d’autres voudront faire de même avec parexemple des pays situés à l’est de l’Union européenne. Ainsi petit à petit les relations franco-

25 Appel de Rome pour l'Union de la Méditerranée, Rome, 20/12/2007

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allemandes se sont détériorées, si bien que le sommet franco-allemand qui devait avoir lieule 3 mars a été reporté, ce qui montre l'importance de la discorde. Nicolas Sarkozy, fidèle àson style, a présenté son projet comme une initiative française sans négociations préalablesavec les partenaires. Placés devant le fait accompli, les partenaires européens ont doncvu dans ce projet une envie du président de faire cavalier seul et de tirer la couvertureméditerranéenne à lui afin de profiter seul des avantages. Cet unilatéralisme français esttrès peu apprécié à Bruxelles et dans les autres Etats membres où l'on a l'impression quele président français est prêt à vendre les "acquis européens" pour des intérêts nationauxet une gloire interne. Angela Merkel aurait ainsi qualifié Nicolas Sarkozy de chef d'Etat"hyperactif et vantard". Le risque de cette attitude est de provoquer une résurgence desméfiances historiques entre les partenaires européens. De plus la France risque de s'isoleret donc de perdre son influence et de sa crédibilité sur la scène européenne. Michel Barnierdéclarait "la France n'est pas grande quand elle est seule".

Ainsi si le "sarkozysme européen" risque de diviser diplomatiquement l'Europe, il mesemble que l'intégration européenne est trop forte et trop établie pour être mise à mal parun simple projet. Certes, Nicolas Sarkozy a jeté un froid sur les relations diplomatiqueset donné l'image d'une France agissant unilatéralement, sans égard pour les intérêtscommunautaires, ce qui confirme aux européens l'image qu'ils avaient de la France quiavait voté Non à la Constitution en 2004. Cependant les rouages diplomatiques fonctionnentencore et il me semble que ce sont plus l'influence et la légitimité de la France qui sont enjeu, plutôt que l'unité communautaire. En ce qui concerne la diplomatie à une tête, il est vraique l'Union Méditerranéenne ne va pas dans ce sens, mais l'union politique est encore loind'être construite et le projet sarkozyste n'est qu'une embûche parmi tant d'autres et il mesemble exagéré de le blâmer comme seul responsable.

De ce fait, les deux critiques que nous avons étudiées, concurrence au processus deBarcelone et danger pour la politique étrangère commune, mettent en avant un déficit del'Union Européenne à établir un réel partenariat avec les pays méditerranéens ou à parlerd'une seule voix sur la scène internationale. Le projet d'Union Méditerranéenne fait doncressortir les dysfonctionnements de l'Europe en proposant une alternative qui vise à lesrégler en les contournant. Afin d'y parvenir, il est nécessaire à l'Union Méditerranéenned'analyser les causes de l'échec du processus de Barcelone et de s'y adapter pour ne pastrébucher sur les mêmes obstacles.

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II L’Union pour la Méditerranée : l’échecde la nécessaire adaptation aux enjeuxd'un partenariat efficace et égalitaire

Cette deuxième partie sera consacrée à une analyse critique de l’Union pour la Méditerranéeaux améliorations qu'il faudrait apporter au projet d'Union Méditerranéenne pour qu'il soitviable et efficace. Nous verrons pour cela dans quelle mesure Nicolas Sarkozy et sesconseillers ont, en mon sens, échoué à analyser les erreurs du Partenariat Euromedpour se lancer tête baissée dans un projet qui va se buter aux mêmes écueils que sonprédécesseur. Je ferai finalement une synthèse des propositions qui foisonnent face aunouveau dynamisme instauré par ce projet afin de présenter un projet pour une nouvelleentente et fraternité entre les deux rives méditerranéennes.

A - Tirer les leçons de BarceloneJe défendrai dans cette partie la thèse selon laquelle, le projet d'Union Méditerranéenne n'apas tiré toutes les leçons de la faillite du processus de Barcelone. S'il est vrai que ce projetprésente des éléments indiscutablement novateurs qui pourraient dynamiser le partenariat,il n'a pas assez pris en compte d'autres éléments qui risquent de conduire à sa dénégation.

1/ Un unilatéralisme du nord qui irrite les partenaires du sudL'idée essentielle du projet d'Union Méditerranéenne est de rassembler un nombre plusrestreint d'Etats, partageant les mêmes intérêts, afin d'établir un partenariat plus profitable àtous les acteurs. C'est pour cela qu'à la place d'intégrer les 27 pays de l'Union Européenneseuls 7 y sont conviés. Si ce raisonnement fonctionne pour le Nord qu'en est-il pour leSud ? Seules les caractéristiques des pays du Nord ont été prises en compte, quid deceux de Sud ? Les pays sud méditerranéens sont loin d'avoir des intérêts communs. Ilsne parviennent déjà pas à avoir des rapports pacifiques alors comment espérer qu'ilscoopèrent dans une organisation ayant pour credo l'intérêt général ? Le conflit israélo-palestinien est loin d'être réglé, les tensions entre le Maroc et l'Algérie en ce qui concernele Sahara occidental deviennent un enjeu global, les négociations concernant l'occupationturque d'une partie de Chypres sont bloquées. Comment peut fonctionner une union où tantde conflits opposent ses membres ? Lors de la signature de la CECA en 1951, bien quel'Allemagne et la France aient eues des relations conflictuelles ayant mené à trois guerresdont deux mondiales en moins d'un demi-siècle, les deux pays avaient des aspirationspacifiques et étaient prêts à des compromis. Il ne me semble pas que la situation soitla même aujourd'hui en Méditerranée. La proposition de Nicolas Sarkozy comprend lacréation d’un secrétariat et d’une Co-Présidence. Est-ce qu’un Etat arabe acceptera d’être

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II L’Union pour la Méditerranée : l’échec de la nécessaire adaptation aux enjeux d'un partenariatefficace et égalitaire

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représenté par un co-Président Israélien, et vice et versa ? L’Union Méditerranéenne,comme le partenariat Euro-Med, risque d’être pris en otage par le conflit Israélo-Palestinien.

En outre tous les pays de la rive sud de la Méditerranée sont arabes et musulmans.Or comme le souligne Claude Imbert, le soucis premier de ces pays est "la souffrance du

peuple palestinien, le marécage irakien". 26 De par cette absence de vision partagée, ce

manque d'unité, d'intérêts communs et surtout de volonté politique de la part des pays duSud, l'Union Méditerranéenne risque de souffrir des mêmes maux qui ont mené le processusde Barcelone à sa perte. Le défaut du projet sarkozyste est donc d'être trop tourné vers leNord et de ne pas s'être intéressé assez aux spécificités des partenaires du Sud.

De même, le projet s'expose à être plombé par sa trop forte unilatéralité. Il y aen effet un important décalage entre les déclarations officielles et les actes. Comme lereconnaît volontiers Nicolas Sarkozy, le processus de Barcelone a été pénalisé par sastructure non-égalitaire. Selon Hervé De Charrette, le processus de Barcelone "était devenu

le lieu où les Européens donnaient des leçons et dictaient leurs conditions." 27 Nicolas

Sarkozy invoque donc comme principe fondamental de la future Union Méditerranéennele co-développement: "faire de la Méditerranée le plus grand laboratoire du monde du co-

développement". 28 Le processus de Barcelone, qui comme l'a souligné Jacques Attali "se

fonde sur l'octroi par le Nord du Sud" 29 se voit opposé à l'Union de la Méditerranéequi doit se fonder sur un réel rapport d'égalité entre les pays du Sud et ceux du Nord. Leprocessus de Barcelone ne "laisse pas de place à un véritable partenariat", une grandepartie des initiatives au sein du partenariat sont lancées unilatéralement par la CommissionEuropéenne et visent à développer les intérêts des pays européens, restant sourde auxdemandes des partenaires du Sud. Selon Nicolas Sarkozy "le défi de la Méditerranée c’estcelui du co-développement (…) sur lequel pourrait reposer une Union Méditerranéenne. Le

co-développement, c’est le développement solidaire au lieu d’être antagoniste." 30 Il invite

donc les partenaires à mettre en place une Union où les membres seraient à pied d'égalité,"où le développement se décide ensemble et se maîtrise ensemble, où la libre circulationdes hommes se construit ensemble et se maîtrise ensemble, où la sécurité s'organise

ensemble et se garantit ensemble". 31 Il appelle donc à une transformation radicale du

processus, passant à une logique d'aide à une logique de partenariat.Cependant malgré ces belles déclarations, la présentation même du projet dévoile

le caractère unilatéral du Nord au Sud de l'Union Méditerranéenne. En effet, la France aannoncé unilatéralement sa volonté de mettre en place cette Union lors du discours deToulon en février 2007. Les partenaires du Sud n'ont pas été consultés avant, comme sileur avis importait peu et que toute proposition provenant des pays européens était bonneà accepter sans avoir à la négocier. Cette prétention française illustre bien que la notion"d'égalité" n'est pas encore à l'ordre du jour. De plus l'Union Méditerranéenne donne lieu à de

26 Editorial de Claude Imbert, Le point du 1er novembre 200727 Hervé De Charette, Sauvons l'Union Méditerranéenne, 29 février 200828 Discours de Tanger29 Forum de Paris, Conférence inaugurale, Jacques Attali, 28 mars 200830 Discours de Toulon31 Discours de Tanger

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De l’Union Méditerranéenne à l’Union pour la Méditerranée : quelles limites, quel avenir?

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vifs échanges entre les pays du Nord. Les chefs d'Etats européens annoncent leur accord,leur mécontentement, se rencontrent, font des déclarations communes, négocient, trouventdes compromis, mais les pays du Sud sont exclus de toute cette agitation européenne. Leuraccord, pourtant loin d'être évident, semble acquis par les pays européens. Nicolas Sarkozydéclarait à Tanger "La France le veut. Le Maroc le veut. Je sais qu'au fond d'eux même tousles peuples de la Méditerranéenne le veulent", comme s'il avait autorité pour engager cespays tiers. Comme l'évoque le titre d'un article du Journal Chrétien, "le Nord cogite, le Sud

attend" 32 . Les pays de Sud ne semblent donc pas avoir leur mot à dire.

De plus les discours des responsables politiques européens sont encore trèspaternalistes et moralisateurs. Par exemple dans son discours de Toulon, Nicolas Sarkozya déclaré: "La planète ne sera pas sauvée seulement parce que les pays riches ferontdes efforts". Ce message moralisateur institue un rapport inégalitaire en faveur des payseuropéens qui sont là pour enseigner la bonne conduite aux "pays pauvres".

De plus, les pays européens imposent les domaines gérés par l'Union Méditerranéensans concertation avec leurs partenaires. Dans son projet, Nicolas Sarkozy avait présentéquatre piliers: l'immigration, l'écologie, le développement économique, le terrorisme. Ilsemble évident que ces sujets sont une préoccupation européenne et non pas celle despays méditerranéens du sud. Le projet n'a donc pas tiré les leçons de processus deBarcelone où les Etats du Sud s'étaient détournés du partenariat, ne trouvant pas leurintérêt dans la politique sécuritaire de l'Union Européenne. Ainsi Nicolas Sarkozy "souhaite

qu'une convention soit élaborée (…) afin de faciliter les reconduites à la frontière" 33 ,

mais il occulte les sujets qui intéressent vraiment ces partenaires, comme par exempleun meilleur accès au marché européen pour leurs produits agricoles, une politique devisa moins restrictive, une aide au développement plus effective, plus forte implicationde l'Union Européenne dans la résolution de la question palestinienne… On note dansce sens que le volet économique est peu abordé par le président puisque les accordsd'association sont nettement avantageux pour la France Mais de telles mesures, contrairesaux intérêts des pays européens, ne sont bien évidemment pas sur l'agenda de l'UnionMéditerranéenne. Mohand Amokrane Cherifi, expert consultant international exprime sesdoutes sur la crédibilité du projet "entachée par les propos du Président français surl’immigration choisie, son récent discours sur l’Afrique, son refus de se confronter aupassé colonial, sa volonté de renforcer le volet sécuritaire, sa position sur le statut duSahara occidental et son approche atlantiste du conflit du Moyen Orient." Cette unilatéralitéfrançaise et européenne est donc perçue comme une forme d’hégémonie économique,politique et culturelle du Nord sur les pays du Sud de la Méditerranée. Comme le souligneBichara Khader, "L'Europe fait souvent les choses pour les autres mais rarement avec les

autres" 34 De plus ces pays sont conscients d'être un enjeu stratégique pour l'Europe et

pour les Etats-Unis. Ils ont donc l'impression d'être l'objet d'une lutte d'influence, sorte deguerre néocoloniale entre les deux puissances. Ils placent donc l'Union Méditerranéenne àpied d'égalité avec le projet américain de "Grand Moyen-Orient", c'est-à-dire deux projetsmis en place par les pays riches, dans l'intérêt des pays riches. Il semble donc nécessaire,avant d’instaurer un nouveau partenariat de mettre en place un véritable dialogue afin de

32 Le Journal Chrétien du 11 mars 2008: Union pour la Méditerranée: le Nord cogite, le Sud attend"33 Discours de Toulon34 Conférence-débat "Quelles institutions pour quelle union?", Forum de Paris 2008, intervention de Bichara Khader, directeur

du centre d'Etudes et Recherches sur le Monde Arabe Contemporain.

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dépasser le profond clivage des cultures. Les pays arabes et musulmans du sud ont lesentiment d’être stigmatisés par le Nord, d’autant plus après les attentats du 11 septembre2001. A part les questions sécuritaires, le Sud ne croit pas que les partenaires du Nordn’aient d’autres intérêts qui vont plus loin que la sphère économique. L’Europe a en effetdémenti toute intention honorable de dialogue interculturel et d’honnête partenariat. Cestentatives ont toujours été perçues comme des couvertures pour une plus grande expansionéconomique. L’Europe a projeté dans la région l’image d’une supériorité hégémonique.

C'est donc un vent de scepticisme qui provient de la rive sud de la Méditerranée.La Turquie a décliné l'invitation. Confrontée à la rude opposition de Nicolas Sarkozyà l'entrée de la Turquie au sein de l'union européenne, la Turquie a interprété l'UnionMéditerranéenne comme un lot de consolation. Nicolas Sarkozy n'a pas cessé de martelerl'importance qu'aurait la Turquie dans l'Union, comme pour faire passer la pilule. "C’est dansla perspective de cette Union Méditerranéenne qu’il nous faut envisager les relations del’Europe et de la Turquie. Car l’Europe ne peut pas s’étendre indéfiniment. (…) La Turquien’a pas sa place dans l’Union Européenne parce qu’elle n’est pas un pays européen. Mais laTurquie est un grand pays méditerranéen avec lequel l’Europe méditerranéenne peut faireavancer l’unité de la Méditerranée. C’est la grande ambition commune que je veux proposer

à la Turquie." 35 Cette offre considérée au rabais par la Turquie expose la vision européenne

des pays du sud de la Méditerranée. Abdullah Gül, actuel président Turc, à l'époque ministredes affaires étrangères déclarait alors "La coopération dans le bassin méditerranéen et lacoopération au sein de l'UE sont deux choses différentes. La Turquie est un pays qui aouvert des négociations avec l'UE et qui est engagé dans un processus de négociations".La Turquie ne compte donc pas se satisfaire de cette Union Méditerranéenne." Eriger desobstacles dans ce processus de négociations signifierait ne pas respecter les signatureset les engagements passés. Je ne le conçois pas", a-t-il ajouté. Les Turcs semblent doncpeu à même à vouloir participer à une Union "inconsistante" que les médias turcs qualifientdéjà de "Club Med". D'autres pays du sud méditerranéen ont exprimé leurs réticences. LaLibye a également refusé l'invitation et a déclaré que le projet sarkozyste était "une armequi détruirait l'unité des pays du Maghreb". L'Algérie s'est prononcée "ni pour, ni contre". Demême de nombreux représentants ont critiqué le manque de précision du projet et refusentdonc de se prononcer. Ce manque d'enthousiasme manifeste l'unilatéralité européenne etlaisse donc craindre à l'Union Méditerranéenne le même sort qu'au processus de Barcelone.

2/ L'impossible compromis, la nécessaire ruptureFace à la crise diplomatique qui menaçait entre la France et l'Allemagne, Nicolas Sarkozyet Angela Merkel semblent avoir trouvé un terrain d'entente le 3 mars dernier lorsd'une rencontre à Hanovre. Le chef d'Etat français a plié et accepté le compromis.La rencontre s’est soldéepar une européanisation de la proposition française, l'UnionMéditerranéenne devenant l'Union pour la Méditerranée. Le glissement sémantique n'estpas neutre, il illustre le passage d'une union politique à une union de projets. L'Union pourla Méditerranée s'éloigne donc symboliquement d'une organisation qui se rapprocheraitde l'Union Européenne. De plus, selon le projet, tous les pays européens seront associésau processus, mais ils ne seront pas à pied d'égalité, comme tient à le souligner NicolasSarkozy. En effet l'Union pour la Méditerranée sera dotée d'une coprésidence exercée parun pays du sud et un pays du nord et ne pourra au nord être exercée que par un Etat riverainde la Méditerranée. Nicolas Sarkozy précise dans une conférence de presse suivant la

35 Discours de Toulon

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rencontre franco-allemande "qu'une structure de direction légère et opérationnelle donneracorps à ce partenariat". Dans ce cadre, les chefs d'Etat et de gouvernement se réunironttous les deux ans, "les décisions seront prises ensemble. Tous les pays membres de l'Union

pourront participer au processus." 36 La nouvelle Union devrait mettre l'accent sur cinq

domaines: l'approvisionnement énergétique, la pollution de la Méditerranée, surveillance dutrafic maritime, programme d'échange Erasmus, création d'une communauté scientifique.

Cependant de nombreux éléments laissent douter de l'effectivité de ce compromis.Nicolas Sarkozy parle d'un " arrangement provisoire". En outre Franck-Walter Steinmeier,ministre des affaires étrangères allemand, a déclaré qu'il doutait de ce compromis et qu'il neconfirmait pas la présence de son pays lors du premier sommet UE-pays de la Méditerranéeà Paris le 13 juillet prochain. En effet à la suite de la rencontre franco-allemande du 3 mars,François Fillon et le gouvernement allemand faisaient déjà des déclarations discordantes.François Fillon déclarait sur Europe 1 "le compromis s'appuie sur une structure déjàexistante, l'Union de la Baltique. (…) Nous avons dit aux Allemands : vous serez associésà tout ce qui sera organisé dans ce cadre-là, mais reconnaissez que la France et les pays

riverains de la Méditerranée ont un rôle particulier à jouer". 37 Un porte parole allemand a

aussitôt réagi, déclarant que ce qui a été convenu à Hanovre "n'a rien à voir avec le Conseildes Etats de la Baltique".

Cet accord franco-allemand semble ne pas tirer les leçons de l'échec du processusde Barcelone. La valeur ajoutée du projet d'Union Méditerranéenne était d'instaurer unevéritable rupture dans la tradition de coopération entre les deux rives de la Méditerranée.Le projet ambitieux tirait un trait sur la faillite de Barcelone afin de donner une impulsionnouvelle à un nouveau partenariat. Le compromis du 3 mars semble avoir vidé le projetde sa substance, transformant la rupture en une injection de vitamines au processus deBarcelone. En effet, le compromis établit une sorte de "Barcelone plus" qui ne ressembleplus en rien à l'ambitieuse Union Méditerranéenne. Dans une communication du 20 mai2008, la Commission Européenne analyse la décision du Conseil européen du 13 mars.Le projet compte désormais 44 membres. La présidence française sera remplacée audeuxième semestre de 2008 au profit du futur président de l’Union européenne qui, selonle traité de Lisbonne, lui succédera dès janvier 2009 pour deux ans et demi38. L'innovation,qui consistait à n'inclure que les pays riverains de la Méditerranée afin d'éviter les difficilesnégociations dues à un nombre important de partenaires a été balayée d'un revers de mainallemand. On retombe donc dans une coopération grand format, presque similaire en toutpoint au processus de Barcelone. Comme l'annonce Vincent Hervouët "à 47 participants,il faut une grande table. L'enfant n'est pas encore né mais on a l'impression que le bébé

est obèse". 39 L'Allemagne reconnaît d'ailleurs volontiers que l'Union pour la Méditerranée

est une "continuation plus intensive du Processus de Barcelone avec un nom nouveau".Les leçons de l'expérience de Barcelone n'ont donc pas été tirées et l'Union pour la

Méditerranée, en instaurant un "Barcelone 2ème génération", est un concentré des mêmeserreurs.

36 Conférence de presse du 3 mars 200837 Interview du Premier Ministre, François FILLON à Europe 1, «L’invité» de Jean-Pierre Elkabbach, 4 mars 200838 A la suite du NON Irlandais lors du Référendum pour ratifier le Traité de Lisbonne, le traité ne rentrera sûrement pas en

vigueur comme prévu en janvier 2009.39 Conférence-débat "Qui a besoin d'une Union pour la Méditerranée ?", Forum de Paris 2008

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La Commission Européenne, qui comme nous l’avons déjà vu est restée très méfianteface au projet français serait plus favorable à une Union qui resterait dans le cadre del’Union Européenne. Mais solution intra-communautaire, comme le souhaiterait égalementl'Allemagne est-elle possible ?

Il existe en droit communautaire des instruments juridiques qui pourraient rendrepossible une Union pour la Méditerranée incluse dans l'Union Européenne. Ainsi, lacoopération renforcée pourrait être envisagée, mais comme nous l'avons vu, une tellehypothèse est juridiquement difficilement envisageable puisque de nombreux élémentsn'entrent pas dans le cadre d'une coopération renforcée.

On pense alors à une Politique Européenne de Voisinage. Ce nouvel instrumenteuropéen développé en 2004 s’applique aux voisins immédiats, terrestres ou maritimes del'Union. Le but de cette politique dans le cadre d'une Union élargie est d'éviter l'émergencede nouvelles lignes de division entre l'UE élargie et les nouveaux voisins afin de renforcerla prospérité, la stabilité et la sécurité à ses frontières. "L'UE propose à nos voisins unerelation privilégiée, basée sur un engagement mutuel en faveur de valeurs communes(démocratie et droits de l'homme, la règle de droit, la bonne gouvernance, les principesd'économie de marché et le développement durable). La PEV va au-delà des relations

existantes pour offrir une relation politique et une intégration économique plus poussées." 40

Dans le cadre de la Méditerranée il faudrait donc mettre en place une "Grande PEV". Etantintégrée dans l'Union Européenne, cette Grande PEV aurait l'avantage de faire participerde manière égalitaire tous les pays européens qui décideraient d'un accord commun lespriorités du partenariat. Elle devrait englober le processus de Barcelone et développerdes volets régionaux (Machrek, Maghreb…) afin de permettre l'établissement de politiquesplus ciblées. Il semble que c'est la seule solution "euro-compatible" qui obtiendrait lesoutien de la Commission qui défend depuis longtemps l'établissement d'une zone de libre-échange économique en périphérie de l'Union Européenne. Cette solution permettrait deregrouper dans un cadre juridique unique toutes les initiatives méditerranéennes. Celaéviterait des confusions et concurrences inutiles comme le soulignent les chercheurs duCEPS qui dénoncent l'Union Méditerranéenne comme une "confusion supplémentaire" depart le fait que "les principaux instruments commerciaux, d'aide, de gestion des frontières,d'immigration et visas, de gestion des crises, figurent déjà parmi les compétences de l'Union

Européenne". 41 Cependant, une solution communautaire n'exclut pas les limites que nous

avions énoncées auparavant, c'est-à-dire, le problème de gestion d'un partenariat à 37et une subordination des pays du Sud. Je pense donc que dans l'intérêt du partenariatEuro-méditerranéen une solution en marge de l'Union Européenne, bien que liée à elle, estnécessaire.

B - Un partenariat euro-méditerranéen est possibleAinsi si la solution retenue à Hanovre n’est pas satisfaisante, quels sont les éléments quidevraient être présents pour un partenariat rénové, actif et efficace ? Cette partie fait donc

40 Définition de la Politique Européenne de Voisinage, site de l'Union Europénne : http://ec.europa.eu41 Michael Emerso et Nathalie Tocci in A little clarification, please, on the 'Union of the Mediterranean' Center for European

Policy Studies, 08/06/07

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une synthèse personnelle afin de proposer un projet de partenariat qui prend en compte lescritiques émises contre le projet d'Union Méditerranéenne ainsi que les éléments à éviterafin de ne pas rencontrer les mêmes difficultés que le processus de Barcelone.

1/ Les quatres aspects nécessaires au partenariatLa spécificité méditerranéenne comprend quatre préoccupations. Dans un premier temps,un rééquilibrage économique. La réduction du fossé économique et technologique qui plusque jamais sépare les deux rives doit être comblé. Le deuxième aspect est stratégique. Eneffet, une stratégie méditerranéenne ne peut passer que part le développement économiquesans assurer au préalable un contexte de paix et de sécurité. Comme l’histoire l’a prouvé,les réalisations financées grâce aux fonds européens en Palestine à Gaza ont été détruitespar les forces armées israéliennes au lendemain de l’investiture du gouvernement d’ArielSharon en mars 2001. La paix et la sécurité, qui ne se réduisent pas à une coopérationpolicière et antiterroriste, doivent donc être partie intégrante de la stratégie régionale. Letroisième aspect est la gouvernance et le développement politique, c’est a dire la miseen place d’actions afin de généraliser les régimes démocratiques ainsi que le respect deslibertés et des droits de l’homme et une promotion active de la société civile. Finalement,l’aspect écologique doit également être pris en compte par des projets tels que la dépollutionde la mer, la lutte contre la pénurie d’eau et la désertification. Ainsi, contrairement à desagences sectorielles se limitant à un ou deux champs d’action, la Méditerranée a besoind’une institution s’affirmant union qui intègre l’ensemble des quatre pôles. Ainsi, il me sembleque le compromis proposant une Union pour la Méditerranée ne me semble pas pertinentpour sortir de l'inertie qui s'est installée dans les relations euro-méditerranéenne.

2/ Pour un Conseil de la Méditerranée

Il faut un projet plus ambitieux qui soit acceptable pour les partenaires autant européensque sud-méditerranéens. Je rejoins donc Daniel Riot qui présente le projet comme un

"rêve trop beau pour être gâché par un manque d'esprit communautaire" 42 . Il faut

donc faire preuve de souplesse sur la forme face aux exigences des partenaires afinde préserver l'essence du projet d'Union Méditerranéenne. Ainsi afin de rendre ce projet

acceptable, il me semble judicieux de suivre les conseils de Hervé De Charette 43 . Le nomd'Union Méditerranéenne en lui même pose un problème, trop proche de la notion d'UnionEuropéenne, il implique l'idée d'une intégration politique sur le modèle de l'UE alors quece n'est pas l'esprit du projet. Il faudrait donc préférer une détermination comme "Conseilde la Méditerranée". Cela montrerait que cette union se fait sur le modèle du Conseil desEtats de la Baltique, institution crée en 1992 où les pays riverains de la Baltique coopèrententre eux avec la Commission Européenne et où les Etats non riverains tels que le Franceont un statut d'observateur. Suivre ce modèle est judicieux, car c'est l'illustration qu'il estpossible de mettre en place une coopération efficace entre un nombre restreint de pays,partageant des intérêts communs, en harmonie avec les intérêts communautaires. Celacouperait également l'herbe sous le pied de l'Allemagne qui pourrait difficilement contesterune telle organisation du fait qu'elle fait elle-même partie d'une, similaire. Cela permettrait

42 Daniel Riot in Union Méditerranéenne: "Mater nostrum" pour "Mare nostrum"? 19/11/200743 Hervé De Charette, Sauvons l'Union Méditerranéenne, 29 février 2008

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donc d'accommoder les exigences communautaires avec les exigences d'un partenariatinfluent.

De plus, cette organisation méditerranéenne devrait à mon sens avoir des institutionsefficaces mais légères. Une structure trop bureaucratique casserait le dynamisme et seraittrop lourd à mettre en place. Il ne faut donc pas abandonner pour autant le processusde Barcelone, ni le concevoir sur le mode de la concurrence. Il semble judicieux deconsidérer les deux initiatives comme le propose Hervé de Charette, comme des "poupéesrusses". Les pays riverains, membres du Conseil, apporterait la "capacité d'impulsion"nécessaire pour un partenariat dynamique et entreprenant. Mais cette impulsion doit êtreassociée à la "capacité d'action" de l'Union Européenne qui est déjà dotée des structures(budgétaires, commerciales…) pour rendre le partenariat réactif et compétent. C'est-à-direque les pays riverains déterminent et formulent les programmes d'action et l'UE dans lecadre du processus de Barcelone les met en œuvre. Cela permettrait de concilier lesdemandes allemandes et de la Commission de continuer dans le cadre de Barcelone, touten permettant une dynamique et une meilleure cohésion entre les acteurs méditerranéens.Ainsi, dans ce cadre, il faudrait que les chefs d'Etats méditerranéens se réunissentrégulièrement dans le cadre de ce qu'Emmanuel Dupuy appelle "G-Med" conçu sur le modedu G8, où les chefs d'Etat donneraient les grandes impulsions politiques. Sur le mêmemodèle que le Conseil Européen, ce pourrait être des réunions informelles, des "discussionsau coin du feu" comme le disait Valéry Giscard d'Estaing, visant à rapprocher les chefsd'Etat, développer une meilleure cohésion et ainsi faciliter les compromis et la volontépolitique.

Ainsi, s'il est nécessaire de faire un effort sur la forme pour avoir l'approbation despartenaires européens, il est indispensable de faire un pas vers les pays du sud pourqu'ils acceptent de participer à l'aventure. En effet sans la Libye ou la Turquie, l'initiativesera amputée d'une partie de son ampleur. Il faut donc que les pays du Sud y trouventleur compte et n'aient pas l'impression d'une initiative néocolonialiste de l'Europe. Il estnécessaire d’instaurer la co-décision nord-sud dans la procédure décisionnelle. En outre,il faut mettre en place des chantiers prioritaires dans les domaines qui les intéressent,notamment dans le domaine de l'agriculture. De même au niveau économique, les payseuropéens doivent être prêts à renégocier les ACR qui sont largement à leur avantage. Deplus ce projet méditerranéen doit être clairement dissocié du processus d'adhésion de laTurquie à l'Union Européenne et ne doit en aucun cas interférer sur les négociations. Ainsicette initiative devra être "une locomotive pour la Méditerranée et non une charrette en tirant

quelques pays seulement." 44

Le quatrième point nécessaire à un partenariat Euro-méditerranéen est de mettre enavant l'économie. Selon moi, l'Union Méditerranéenne se fera par l'économie, tout commel'Union Européenne. La situation politique dans la région est trop tendue et une coopérationbasée sur le politique ferait échouer le partenariat, comme le processus de Barcelone.L'économie est donc le vecteur à privilégier. De même, il faut prendre garde à ne pas tropmettre en avant les aspects sécuritaires qui cristallisent les craintes et les incompréhensionset stigmatiseraient alors les peurs et les conflits au lieu de promouvoir la coopération. Ilfaut donc créer un espace de prospérité économique dans un premier temps pour pouvoirensuite aborder les questions politiques et sécuritaires. Ainsi si la politique est certesindispensable au partenariat, elle ne peut en constituer le moteur. Il faudra cependantimpliquer la société civile plus que ne le prévoit l'Union de la Méditerranée. En effet, laconstitution d'une Union par le haut entre des Etats qui ne partagent pas tous les mêmes

44 Conférence "Quelles institutions, pour quelle union ?", Forum de Paris 2008, intervention de Bichara Khader

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De l’Union Méditerranéenne à l’Union pour la Méditerranée : quelles limites, quel avenir?

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valeurs en matière de démocratie ou de respect des droits de l’homme risque de donnerl'impression que les pays européens cautionnent ces régimes autoritaires, et ainsi risquentde couvrir leurs pratiques liberticides et de ce fait de retarder l’émancipation de leurssociétés. C'est pourquoi une participation des populations et des acteurs de la société civilesemble indispensable.

Finalement il reste à régler la question du financement. Il me semble indispensable, afind'établir un partenariat qui ne repose pas sur une logique d'assistance ni de dépendance,que ce Conseil de la Méditerranée soit financé par le Nord et par le Sud. La propositionde Jean-Louis Guigou de mettre en place une Banque Méditerranéenne d'Investissement(BMI) selon le modèle de la Banque Européenne d'Investissement est intéressante afin definancer les projets méditerranéens.

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III Le Sommet de Paris ou la consécration de l’Union pour la Méditerranée

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III Le Sommet de Paris ou laconsécration de l’Union pour laMéditerranée

A - Le succès diplomatique du Sommet de ParisAnnoncé depuis mars 2008, le Sommet de Paris a eu lieu au palais de l’Elysée à Paris le13 Juillet 2008 sur invitation de Nicolas Sarkozy en tant que Président du Conseil Européen(juillet a janvier 2008). Lors de ce grand rendez-vous Euro Méditerranéen, l’Union pour laMéditerranée a été officiellement lancée au cours d’une cérémonie au Grand Palais. Malgréles menaces de défection autant de la part de pays de Nord comme l’Allemagne que deceux du Sud comme l’Algérie, le Sommet a finalement regroupé 43 Chefs d’Etats et deGouvernements45. Seule la Libye manquait à l’appel. Mais son absence avait été annoncéepar

45 Etaient présents au Sommet de Paris du 13 Juillet 2008 : Nicolas SARKOZY Président du Conseil européen, M. José ManuelBARROSO Président de la Commission européenne, M. Javier SOLANA Secrétaire général du Conseil de l'Union européenne/HautReprésentant pour la politique étranger et de sécurité commune ; 43 Chef d’Etats et de Gouvernements : M. Sali BERISHA Premierministre de la République d'Albanie, M. Abdelaziz BOUTEFLIKA Président de la République algérienne démocratique et populaire,Mme Angela MERKEL Chancelier fédérale de la République fédérale d'Allemagne, M. Alfred GUSENBAUER Chancelier fédéralde l'Autriche, M. Karel DE GUCHT Ministre des affaires étrangers du Royaume de Belgique, M. Haris SILAJDŽIĆ Président de laprésidence de Bosnie-Herzégovine, M. Georgi PARVANOV Président de la République de Bulgarie, M. Demetris CHRISTOFIASPrésident de la République de Chypre, M. Stjepan MESIĆ Président de la République de Croatie, M. Anders FOGH RASMUSSENPremier ministre du Royaume de Danemark, M. Mohamed Hosni MUBARAK Président de la République arabe d'Egypte, M. José LuisRODRIGUEZ ZAPATERO Premier ministre du Royaume d'Espagne, M. Andrus ANSIP Premier ministre de la République d'Estonie,Mme Tarja HALONEN Présidente de la République de Finlande et M. Matti VANHANEN Premier ministre de la République de Finlande,Nicolas SARKOZY Président de la République française, M. Kostas KARAMANLIS Premier ministre de la République hellénique,M. Ferenc GYURCSANY Premier ministre de la République de Hongrie, M. Brian COWEN Premier ministre d'Irlande, M. EhudOLMERT Premier ministre de l'Etat d'Israël, M. Silvio BERLUSCONI Président du Conseil des ministres d’Italie, M. Nader DAHABIPremier ministre du Royaume hachémite de Jordanie, M. Valdis ZATLERS Président de la République de Lettonie, le Generali MichelSLEIMANE Président de la République libanaise, M. Gediminas KIRKILAS Premier ministre de la République de Lituanie, M. Jean-Claude JUNCKER Premier ministre du Grand-Duché de Luxembourg, M. Lawrence GONZI Premier ministre de la République deMalte, M. Sidi Mohamed OULD CHEIKH ABDALLAHI Président de la République islamique de Mauritanie, Son Altesse SérénissimeALBERT II Prince souverain de Monaco, M. Milo DJUKANOVIĆ Premier ministre du Monténégro, M. Jan Peter BALKENENDE Premierministre du Royaume des Pays-Bas, M. Lech KACZYŃSKI Président de la République de Pologne, M. José SOCRATES Premierministre de la République portugaise, M. Alexandr VONDRA Vice-premier ministre, charge des affaires européennes de la Républiquetchèque M. Traian BĂSESCU Président de la Roumanie, M. Gordon BROWN Premier ministre du Royaume-Uni de Grande-Bretagneet d'Irlande du Nord, M. Robert FICO Premier ministre de la République slovaque, M. Janez JANŠA Premier ministre de la Républiquede Slovénie, M. Fredrik REINFELDT Premier ministre du Royaume de Suède, M. Bachar AL-ASSAD Président de la Républiquearabe syrienne, M. Zine EL ABIDINE BEN ALI Président de la République tunisienne, M. Recep Tayyip ERDOGAN Premier ministre

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les déclarations virulentes du Colonel Kadhafi refusant la participation de son paysau projet d’Union pour la Méditerranéen, déclarant lors d’un Sommet Arabe le 10 juin àTripoli : «Si l'Europe veut coopérer avec nous, qu'elle le fasse avec la Ligue arabe ou l'Unionafricaine et nous ne prendrons en aucun cas le risque de déchirer l'unité arabe ou africaine.[…] Nous ne sommes ni des affamés ni des chiens pour qu'ils nous jettent des os». Malgrél’absence de la Libye, le Sommet de Paris peut être qualifié de succès politique pour NicolasSarkozy. En dépit de la pluie de critiques de la part des pays tant européens que sud-méditerranéens, il a persisté et réussi a réunir tous les partenaires. Le projet a été accueillifavorablement par l'ensemble des pays présents qui ont adopté une déclaration communefixant les modalités de fonctionnement de l’Union et détaillant les projets à mettre en place.

1/ Sommet de Paris : rupture ou prolongation de Barcelone ?D’Union Méditerranéenne à Union pour la Méditerranée, le nom officiel du projet estmaintenant «Processus de Barcelone : une Union pour la Méditerranée », rattachant unpeu plus le projet Sarkozyste au sillage d’Euro-Med, faisant presque oublier la volonté derupture du Président Français. Les références à Euro-Med sont récurrentes tout au longde la déclaration finale. On peut ainsi lire dès le deuxième paragraphe de l’introduction :«Le processus de Barcelone: une Union pour la Méditerranée, s'appuie sur la déclarationde Barcelone et les objectifs de paix, de stabilité et de sécurité qui y sont énoncés,ainsi que sur l'acquis du processus de Barcelone»46. De même, la déclaration indiqueexplicitement que la structure actuelle du processus sera conservée et que l’Union pour laMéditerranée viendra donc la compléter : «Il convient de conserver les structures actuellesdu processus de Barcelone»47. Mais plus que dans la forme, la nouvelle formule de l’Unionpour la Méditerranée est fortement similaire au Processus de Barcelone dans le fond. LaDéclaration finale reprend les mêmes principes que ceux énoncés dans la Déclarationde Barcelone de 1995 où on y parle aussi de paix au Proche-Orient, d’implication de lapopulation civile, de coopération multilatérale et sécurité régionale ou de réduction de lapauvreté. De plus, la même critique qui avait été faite au compromis de Hanovre du 3 marsdernier dans une partie précédente s’applique ici. En oubliant l’idée d’une Union à un nombreréduit d’acteurs afin de coopérer activement, risque de freiner la nouvelle Union avec lerisque d’un nouveau naufrage diplomatique. Initialement prévue à 37, les 27 membres del’Union Européenne et 10 Etats Méditerranéens, l’Union s’est encore élargie au Sommet deParis avec l’arrivée de la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, Monaco et le Monténégro : «Leprocessus de Barcelone : une Union pour la Méditerranée est heureux d'accueillir la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, Monaco et le Monténégro, qui ont accepté l'acquis du processus de

de la République de Turquie, M. Mahmoud ABBAS Président de l'Autorité palestinienne ; M. BAN KI-MOON Secrétaire généraldes Nations unies : M. Hans-Gert POTTERING Président du Parlement européen et Président de l'Assemblée parlementaire euro-mediterraneeenne ; Son Altesse cheikh Hamad bin Khalifa AL THANI Emir du Qatar, Président en exercice du Conseil de coopérationdes Etats arabes du Golfe ; M. Amr MOUSSA Secrétaire général de la Ligue des Etats arabes ; M. Jean PING Président de laCommission de l'Union africaine ; M. Habib BEN YAHIA Secrétaire général de l'Union du Maghreb arabe ; M. Ekmeleddin IHSANOGLUSecrétaire général de l'Organisation de la Conférence islamique ; M. Donald KABERUKA Président de la Banque africaine dedéveloppement ; M. Philippe MAYSTADT Président de la Banque européenne d'investissement ; M. Juan José DABOUB Directeurgénéral de la Banque mondiale ; M. Jorge SAMPAIO Haut Représentant des Nations unies pour l'Alliance des civilisations ; M. AndreAZOULAY Président de la Fondation euro-Mediterraneenne Anna Lindh pour le dialogue des cultures.46 Déclaration finale du Sommet de Paris, 13 Juillet 2008, Paris47 Déclaration finale du Sommet de Paris, 13 Juillet 2008, Paris

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Barcelone».48 Il est donc clair que sous les pressions diplomatiques des pays européens telsque l’Allemagne, il ne reste plus beaucoup de l’ambitieux projet d’Union Méditerranéenne. Ilne faut cependant pas ramener le Sommet de Paris à une simple réédition des principes deBarcelone. Car si le «Processus de Barcelone : une Union pour la Méditerranée» est moinsque l’Union Méditerranéenne, elle est plus que le Processus de Barcelone.

Il faut noter trois innovations par rapport à Barcelone. Dans un premier temps, il estclair que Nicolas Sarkozy a ravivé la flamme Euro-méditerranéenne et relancé le débat surla nécessité d’un partenariat plus actif entre les deux rives. En brisant le tabou de l’échecdu processus de Barcelone, le Président français a permis la mise en place de discussionset débats mettant la Méditerranée au centre des préoccupations européenne longtempsdétournées par les perspectives à l’Est. La première valeur ajoutée du projet «Processus deBarcelone : Union pour la Méditerranée» est donc une impulsion politique conséquente auplus haut niveau qui devrait s’institutionnaliser avec la mise en place de Sommets de chefsd'Etat et de gouvernements tous les deux ans sur le modèle des Conseils Européens.Cessommets seront concrétisés par une déclaration politique commune et une liste de projetsrégionaux concrets à lancer sur les deux années à venir. Afin de préserver cette impulsionet de créer de réels liens politiques entre les Etats membres de l’Union, les ministres desaffaires étrangères se réuniront chaque année dans l’objectif de faire le bilan des progrèsaccomplis, d'approuver de nouveaux projets et de préparer le futur Sommet.

La deuxième nouveauté est la mise en place d’une gouvernance partagée dans lecadre d’un partenariat égalitaire prônant un esprit de co-décision entre les Etats membres.Le symbole de cet esprit est la mise en place d’une une co-présidence qui sera assuréeconjointement par un pays membre de l’Union européenne et par un pays de la rive Sudde la Méditerranée. Cette co-présidence s’est déjà illustrée lors du Sommet de Paris,réunion coprésidée par le Président Français Nicolas Sarkozy et le président égyptienHosni Moubarak. L’Union devrait également posséder un secrétariat permanent composéde membres issus paritairement des pays du nord et du sud de la Méditerranée. De mêmeles réunions au sommet se tiendront alternativement dans un pays membre de l'UnionEuropéenne et dans un pays sud-méditerranéens. En ce qui concerne la Vice-présidence,Nicolas Sarkozy semble avoir cédé puisqu’à l’issue de sa rencontre avec la chancelièreallemande Angela Merkel à Hanovre en mars dernier, le Président français avait bien insistésur le principe que tous les pays européens ne seraient pas à égalité et que seuls les paysayant des frontières avec la Méditerranée pourraient aspirer à la vice-présidence. Or dansla déclaration finale, il est bien précisé que «Tous les membres de l’Union […] auront lapossibilité de participer aux coprésidences»49. C’est donc un retour en arrière par rapportau projet initial.

Finalement, l’Union pour la Méditerranée se distinguera du Processus de Barceloneen lançant de grands projets concrets et fédérateurs ayant une dimension régionale alorsque Euro-Med avait plus une volonté générale. Ces projets, ouverts à tous les partenairesqui le souhaiteront ont pour objectif d’impliquer le secteur privé en associant financementspublics et privés sans se limiter aux financements communautaires. Cependant, si l’objectifaffiché du Sommet de Paris était d’éclaircir les détails manquant sur le fonctionnement del’Union et les priorités qui vont lui être données, la déclaration finale reste très vague surles modes de financement des projets. Il est clair qu’il y a une volonté politique de dépasserla pratique du Processus de Barcelone ou l’Union Européenne était le seul financier.Selon la déclaration : «le financement provenant essentiellement des sources suivantes :

48 Déclaration finale du Sommet de Paris, 13 Juillet 2008, Paris49 Déclaration finale du Sommet de Paris, 13 Juillet 2008

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participation du secteur prive; contributions du budget de l'UE et de tous les partenaires;contributions d'autres pays, d'institutions financières internationales et d'entités régionales;facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat; l'enveloppe Euro-Med,la facilité d'investissement dans le cadre de la politique de voisinage et l'instrument decoopération transfrontalière de l'IEVP, ainsi que les autres instruments applicables auxpays visés par l'initiative, pour lesquels les règles de sélection et de procédure habituellesresteront d'application». Les participants n’ont donc rien proposé de concret en matière definancement.

2/ La mise en place de projets régionaux concrets et ambitieuxEn annexe de la déclaration, les Etats présents au Sommet de Paris ont fait la liste de sixprojets qui devront être détaillés par le futur secrétariat. Ces projets marquent les prioritésde la future Union. Il semble donc que la méthode Jean Monnet ait été retenue pour mettreen place un partenariat Euro-Méditerranéen solide et profond, c'est-à-dire commencerpar mettre en place une collaboration modeste sur un nombre de dossiers réduit et biendéterminé pour ensuite espérer que l’effet d’engrenage qui a mené l’Union Européenne là oùelle en est aujourd’hui fonctionne également en Méditerranée, transformant les partenairesnord-sud en alliés politiques et économiques. Ces projets au nombre de six concernentprincipalement l’environnement et le développement durable50. Le premier projet prévoit ladépollution de la Mer Méditerranée avec des actions visant à la protection du littoral et deszones marines. Le projet "Horizon 2020" qui avait déjà été lance lors du 10ème Sommeteuro-méditerranée en 2005 va être mis en œuvre dans le cadre nouveau de l’Union pourla Méditerranée. 43 projets de dépollution ont été identifiés pour un coût total évalué àdeux milliard d’Euros. L’objectif est de donner une visibilité politique à cette initiative afin derécolter des fonds communautaires, bancaires ou du secteur privé. Le deuxième projet estun projet visant à améliorer les transports et la connectivité entre les pays méditerranéensafin que «La Méditerranée ne soit plus une mer qui sépare, mais une mer qui unit »51. Leprojet comprend notamment un plan de développement d’autoroutes maritimes reliant laMéditerranée orientale et occidentale, une sécurisation de l’espace maritime méditerranéenpassant par une lutte contre le trafic de stupéfiants… Le troisième projet vise à créer unréseau méditerranéen de protection civile permettrant de mieux mutualiser les moyensde lutte contre les risques naturels tels que les incendie, inondations ou tremblements deterre, notamment en matière de prévention des risques. Un quatrième projet concerne unplan solaire afin de développer les énergies alternatives, de limiter les émissions de gazà effet de serre et de renforcer l'accès à l'énergie des populations isolées. Le cinquièmeprojet concerne l’éducation supérieure et la recherche. Des projets, comme la créationd’une université euro-méditerranéenne en Slovénie, devront être mis en place afin de créerun espace universitaire et de recherche méditerranéen et de réduire le déséquilibre deformation entre pays européens et pays sud-méditerranéens. Le dernier projet consiste àmettre en place une agence méditerranéenne de développement des entreprises, initiativedédiée au développement des micros, petites et moyennes entreprises. Certes, le Sommetde Paris a donné des précisions sur la nature et les objectifs de l’Union pour la Méditerranée,cependant la déclaration finale restant globalement vague, cela a donné l’opportunité auxpays de la rive sud de s’exprimer et d’imposer leurs conditions.

50 Sommet de Paris pour la Méditerranée, Dossier de Presse, Présidence française de l’Union Européenne, 13 juillet 2008.51 Déclaration finale du Sommet de Paris, 13 Juillet 2008, Paris

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B - Quand le Sud impose ses conditionsSi le Sommet de Paris peut être considéré comme un succès diplomatique, il ne scelle pasle sort de l’Union pour la Méditerranée. Les chefs d’Etats et de Gouvernements de la rivesud se sont déplacés mais n’ont pas donné leur «bon pour accord sans conditions». Il nefaut en effet pas considérer comme acquis le soutien de ce pays au projet. Le Sommetde Paris leur a enfin permis d’être intégrés au processus de négociations et leur a offertune tribune où ils ont pu s’exprimer. Chaque partenaire du Sud a une position différente.Si certains sont très favorables à l’Union comme Israël ou l’Egypte, comme l’illustre sonposte de co-président, d’autres pays tels que l’Algérie, le Maroc ou encore la Tunisie ont despositions plus mitigées et sont susceptibles de prendre une part active au projet que si leursrevendications sont écoutées et intégrées au projet. Un accord de principe de ces pays n’estpas suffisant pour assurer le fonctionnement de l’Union pour la Méditerranée. Comme nousl’a appris l’expérience du processus de Barcelone, la conjoncture méditerranéenne est telleque sans une volonté politique forte de la part de tous ses Etats membres, l’Union pour laMéditerranée est vouée au même échec que le partenariat Euro-Med.

Nous allons donc voir que certains Etats affichent un enthousiasme vif à l’idée derelancer un partenariat alors que d’autres aux aspirations déçues par la faillite de Barcelonecomptent en finir avec l’unilatéralisme Européen et faire entendre leur voix.

1/ Un enthousiasme affichéLe projet d’Union pour la Méditerranée n’a pas entraîné que des réactions négatives.Certains Etats se sont en effet réjouit d’une telle initiative. Israël fait partie de sesenthousiastes de la première heure. Sa participation au projet n’était pas évidente : seul paysnon Musulman parmi les pays sud-méditerranéens, Israël a des rapports conflictuels avecnombre de ces pays, sans parler de l’interminable conflit Israélo-Palestinien. RemerciantNicolas Sarkozy de l’avoir intégré au projet, Israël a accueilli le projet favorablement,y voyant une opportunité de combattre son isolement dans la région et de montrer sabonne volonté pour résoudre son différent avec les Autorité Palestiniennes. Toutefois,sans surprise, la question de l’implication de l’Etat Hébreu dans le projet Union pourla Méditerranée a suscité des remous au sein des pays arabes voisins. On peut ainsiy voir une des raisons pour laquelle l’Algérie n’a confirmé sa présence au Sommetde Paris qu’à la dernière minute. Le Ministre algérien des Affaires Algériennes MouradMedelci avait ainsi déclaré : «Ce n'est pas l'Union pour la Méditerranée qui doit faire lanormalisation des relations entre Israël et les pays arabes, à laquelle n'était pas parvenule processus de Barcelone».52 La question de l’implication d’Israël dans le projet s’étaitdonc présenté comme un premier obstacle à la constitution de l’Union. Mais le Sommet deParis, rassemblant les 43 chefs d’Etat et de Gouvernement, semble avoir réglé la pommede discorde entre les pays arabes et le chef de l’Etat Français bien que la déclarationfinale ait dû être changée à la dernière minute pour ne pas froisser les orgueils israéliensou palestiniens. Le Ministre des Affaires Etrangères français Bernard Kouchner a déclarélors de la conférence de presse suivant le Sommet : «Un différend israélo-palestinienest à l'origine de l'amendement à la dernière minute de la déclaration finale sur l'Unionpour la Méditerranée : le principe de créer deux États, l'un israélien, l'autre palestinien, aété retiré de la déclaration finale. » Ainsi Israël voit dans l’insistance française à ce qu’ilparticipe au projet une victoire diplomatique sur ces voisins arabes. Ainsi, le discours de

52 Union pour la Méditerranée : la présence d’Israël source de controverse , Correspondance particulière Méditerranée, 8 juin 2008

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Premier Ministre israélien Ehud Olmert à l’issue du Sommet du 13 juillet reflète bien cetteposition. Ehud Olmert s’est annoncé fier de «prendre part à la vision d’hommes courageux»qualifiant le projet d’Union pour la Méditerranée de « vision d’espoir, vision de paix et derapprochement entre les peuples de la Méditerranée».53 Dans ce discours pacificateur, lechef de gouvernement israélien, citant expressément le conflit Israélo-Palestinien, a exprimésa volonté de trouver une solution au conflit reprenant la formule amendée de la déclarationfinale: « To a cessation of violence and to peace for us and the Palestinians founded onthe vision of two states for two people: the State of Israel - the state of the Jewish people,and a Palestinian state for the Palestinian people». Israël est donc déterminé à montrer queson intégration au projet ne bloquera pas le processus politique.Ehud Olmert a égalementaffiché un volontarisme en ce qui concerne sa place dans l’Union pour la Méditerranée,proposant aux Etats participants de partager sa technologie en matière d’eau : “We mustcreate partnerships and cooperate with our neighbours on matters of water technology;we must integrate Israeli inventions which are used in many countries around the world,including in the European Union - in the Middle Eastern countries as well.” Cette déclarationmontre qu’Israël s’efforce de prouver que sa participation apportera une valeur ajoutée pourl’Union.

Comme le signale le poste de co-président du Sommet de Paris du Président égyptienMoubarak. L’Egypte est très favorable à l’Union pour la Méditerranée. L'Égypte a toujoursaccordé un intérêt spécial dans la promotion d’une coopération euro-arabe. L’Egypte avaiten effet déjà joué un rôle central lors de la fondation du partenariat Euro-Med lancé àBarcelone. C'est dans cet état d'esprit de leader des relations «euro-arabes» que l'Égypte asoutenu le projet dès lors de son annonce par Nicolas Sarkozy, qui n’était alors que candidatà la Présidence française. De plus l'Union pour la Méditerranée revêt une grande importancepour l'Égypte. L'Europe est en effet son principal fournisseur économique, assurant plusde 60% de ses besoins. Déçu par le processus de Barcelone qui selon l’Egypte a étéincapable de satisfaire les intérêts et besoins des deux rives de la Méditerranée, le Caire arapidement été enthousiaste à une redynamisation du partenariat. Dans un premier tempsla nouvelle formule d’Union retenue après le compromis franco-allemand de Hanovre du3 mars 2008 a été froidement accueillie en Egypte. Les commentateurs égyptiens voyaitdans l'extension de l’union à toute l'Europe un risque de rétablissement de l’hégémonie del’Europe unifiée et puissante sur les pays du Sud faibles et divisés.Mais cette crainte sembleavoir été dissipée par les déclarations incessantes de Nicolas Sarkozy et la veille du Sommetde Paris, les journaux égyptiens écrivaient sur l’Union pour la Méditerranée : «L’Unionpour la Méditerranée sera fondée sur les intérêts mutuels du nord et du sud. La stabilitéet la prospérité du sud de la Méditerranée assureront la stabilité et la sécurité des payseuropéens»54. L’Egypte reste quand même prudente, prévenant la France que l’Union nesera un succès qu’à condition que l’Europe tienne sa promesse et que les États européenstraitent les pays de la rive sud comme partenaires, précisant que le projet sera un échecannoncé «s'il vise à intégrer Israël dans son environnement avant de trouver une solutionau problème palestinien et un retrait du Golan syrien et du reste du territoire libanais»55.Les journalistes égyptiens ont également critiqué le manque de coordination entre lespolitiques étrangères européennes qui sont loin d’être unies tant que les évènements auMoyen-Orient sont concernés. Certains commentateurs estiment que le défi qui s’impose à

53 Discours du Premier Ministre Israélien Ehud Olmert, 13 Juillet 2008, Paris54 Al Akhbar , Mohammed Barakat, 12 juillet 200855 Al Ahram, 14 Juillet 2008

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l'Union Européenne est de sortir de la coupe américaine et prouver qu’au delà d’une unionéconomique, elle est aussi une union politique.

2/ Le succès de l’Union pour la Méditerranée conditionné à la volontépolitique du Sud

Il est intéressant d’analyser la vision de trois Etats - l’Algérie, le Maroc et la Tunisie - pourillustrer la position ambiguë de certains pays du Sud de la Méditerranée.

L’Algérie n’a pas de position claire vis-à-vis du projet d’Union pour la Méditerranéedans la mesure où après le Sommet de Paris, l’Union est vue en Algérie comme une«suite» du processus de Barcelone qui n’a pas apporté grand-chose aux pays de larive sud. La vision discordante de l’Algérie s’était déjà perçue lors du Forum de Parisorganisé par l’Unesco le 29 Mars 2008. Le ministre français de l’Immigration et de l’identiténationale Brice Hortefeux et l’Ambassadeur d’Algérie en France Missoum Shib y étaientprésents, exprimant deux visions opposées sur le projet d’Union Méditerranéenne. BriceHortefeux avait largement axé sa présentation du projet d’Union Méditerranéenne surl’optique immigration utilisant le langage des chiffres. Reconnaissant l’échec de toutesles politiques d’intégration françaises, l’Union Méditerranéenne semble être pour lui unealternative pour réguler les flux d’immigrants provenant du sud de la Méditerranéenne. Il ad’ailleurs indiqué que la France allait signer des accords d’immigration avec le Maroc et laTunisie, semblables à ceux paraphés déjà avec de nombreux pays d’Afrique noire56. Pour lemoment, aucune discussion avec l’Algérie n’ont été mises en place du fait de sa réticence aucontenu de tels accords. Missoum Sbih a en effet critiqué la politique «d’immigration choisie»prônée par la France estimant que le fait de considérer comme essentielle la recherche parla France de la maîtrise des flux migratoires auxquelles elle est confrontée, constitue en soiune démarche qui sous-estime «la sensibilité des opinions publiques de la rive Sud de laMéditerranée, qui ont forcément une perception négative de ce message» Cela expliquele malaise de l’Algérie face au projet français d’Union Méditerranéenne, parfois analysécomme une arme «anti-immigration». A l’inverse de Brice Hortefeux, Missoum Shib semblaitavoir une approche bien différente. Basant son discours sur la dimension humaine au cœurdu projet d’Union Méditerranéenne, il a été très critique vis-à-vis de la version actuelle duprojet de l’union pour la Méditerranée. L’Ambassadeur a effectivement décrié le fait queles frontières soient ouvertes aux marchandises et aux capitaux, mais pas aux personnes.«Une approche novatrice impliquerait de ne pas parler désormais de ‘‘maîtrise concertéede flux migratoires’’, mais de la dimension humaine des rapports entre l’Europe et les paysdu Sud ; dimension qui doit être au cœur même de la problématique de l’union pour laMéditerranée»57, a-t-il expliqué dans son intervention en poursuivant: «On ne peut pas,comme le faisait le processus de Barcelone, continuer à prôner la libre circulation des biens,des capitaux et des services, et en même temps, multiplier les restrictions, donnant ainsiaux populations impliquées le sentiment d’être exclues d’un processus qui les concerneau premier chef ». Contrairement à l’optique de restreindre les flux migratoires présentéepar Brice Hortefeux, l’Ambassadeur d’Algérie a appelé à la mise en place d’un « Schengenméditerranéen » et à favoriser la préférence « euroméditerranéenne » à la préférence« communautaire ». Mr Shib a également attaqué la nouvelle formule d’Union pour laMéditerranée décidée à Hanovre par la France et l’Allemagne, critiquant le «glissement

56 Discours de Brice Hortefeux au Forum de Paris57 Intervention de Missoum Sbih, Ambassadeur d’Algérie en France au Forum de Paris

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sémantique» et qualifiant de «vague» la notion de co-développement présentée par NicolasSarkozy. «On est passé d’un projet d’union à une union de projets à géométrie variable»,a-t-il précisé, ajoutant que le projet devait être «autre chose qu’un Barcelone II». Bien quefavorable à un partenariat privilégié avec l’Union Européenne, l’ambassadeur d’Algérie necroit pas en l’aboutissement du projet de l’Union méditerranéenne tel qu’il est présentépuisqu’il ne tire pas les enseignements utiles de l’échec du processus de Barcelone. M.Sbihy voit le résultat «d’un accord exclusivement négocié entre pays européens.» En effet ilénonce « Que l’Europe cherche à conforter sa place dans l’économie méditerranéenne,à sécuriser ses approvisionnements énergétiques, à s’affirmer sur le plan régional etinternational comme un acteur majeur en Méditerranée » est compréhensible « dès lors quecette démarche vise à ramener l’axe de gravité de l’Europe vers le Sud et de permettre auxpeuples des deux rives de la Méditerranée de réaliser, ensemble, des objectifs communs,sur un pied d’égalité et dans un esprit de partenariat bien compris ». L’Ambassadeur adonc un avis très critique sur le projet d’Union pour la Méditerranée. De même les médiasAlgériens traitent ce projet avec beaucoup de réticences. Le quotidien d’Oran écrivait le30 mars 2008 « Nicolas Sarkozy a été contraint de revoir sa copie. Le président français,qui prétendait redessiner tout seul la carte de la Méditerranée, a été rappelé à l'ordre parson allié allemand, et contraint à d'importantes concessions, avant de faire avaliser sonprojet par ses partenaires de l'Union européenne. Ce qui devait constituer un programmetrès ambitieux en mesure de réaménager le flanc sud de l'Europe, a été ramené à unemodeste feuille de route destinée à compléter et améliorer le processus de Barcelone. » LePrésident algérien Bouteflika a lui aussi exprimé cette critique face au projet d’Union pourla Méditerranée. Alors qu’il avait exprimé son intérêt pour la version originale du projet, ila annoncé sa déception lors de son l'arrimage à l'Union européenne dans son ensemble.Considérant que le processus de Barcelone mené par l’UE n’a rien apporté au pays du sud,les populations souffrant de marginalisation a cause de politiques de visa sévères imposéespar Schengen et par le durcissement de lois sur l’immigration, le Président algérien soutientune Union réservée aux pays de l'UE riverains de la Méditerranée afin de casser la routinedu processus de Barcelone. C’est donc avec une position ambiguë que le Président algérienBouteflika s’est rendu au Sommet de Paris le 13 Juillet dernier. Le président Bouteflika avaitmaintenu le suspense sur son incertaine participation au sommet de lancement de l’Unionpour la Méditerranée jusqu'au dernier moment. Ce n’est que moins d’une semaine avantle rendez-vous euro méditerranéen que le chef d’État Algérien a rendu publique la positionofficielle d’Alger vis-à-vis de l’Union pour la Méditerranée, déclarant « qu’il n'y avait pasde réticences, il n'y avait que des pourparlers». Cependant ce soutien très tardif dévoileles hésitations de l’Algérie à cautionner ce processus politique. Il est vrai que la Francen’avait pas tout mis en place pour avoir le soutien de l’Algérie, lui refusant un poste ausein du secrétariat de l’Union pour la Méditerranée et ne démentissant pas les informationsfaisant état d’un partage des rôles entre le Maroc, la Tunisie et l’Égypte. Aucune indicationofficielle n’est venue rassurer les Algériens sur leur place réelle au sein de l’Union pourla Méditerranée. L’annonce de la participation de Bouteflika au Sommet de Paris laissesupposer que le Président Algérien a obtenu des assurances sur la fonction exacte del’Algérie dans le projet ainsi que certaines contreparties. Le président Bouteflika avait faitsavoir aux représentants français venus à Alger pour le convaincre de participer au sommetde Paris, que l’Algérie ne donnerait son accord qu’en présence de contreparties palpablesbénéfiques pour son économie et pour son image de pays émergent de la Méditerranée. Endehors d’une demande de repartage des rôles des pays de la rive sud dans l'organigrammedu projet, il m’ait apparu trois conditions préalables qu’Alger a été susceptible de poser pourconditionner sa participation à l’Union pour la Méditerranée.

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III Le Sommet de Paris ou la consécration de l’Union pour la Méditerranée

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La première est le règlement du dossier du Sahara occidental. Le Sahara occidental estsitué au nord-ouest de l' Afrique et est bordé par le Maroc , l' Algérie et la Mauritanie. Ancienne colonie espagnole, c’est aujourd’hui un territoire non autonome selon l' ONUqui n'a toujours pas trouvé de statut définitif sur le plan juridique. Le Sahara occidental esten proie à un conflit qui reflète la lutte de certains Sahraouis pour leur indépendanceet la rivalité hégémonique de l' Algérie et du Maroc . Le territoire est revendiqué à lafois par le Maroc et par la République Arabe Sahraouie Démocratique fondée en 1976et soutenu financièrement, militairement et diplomatiquement par l' Algérie . L’Algérierappelant le principe onusien de respect du droit des peuples a disposer d’eux mêmesappelle à l’organisation d’un référendum sous supervision de l'ONU pour déterminer soit lerattachement du peuple sahraoui au Maroc soit son indépendance. Ce dossier, devenu unenjeu global, est utilisé par l’Algérie dans ses tractations pour la France.

La deuxième condition est la question de la reconnaissance des crimes commispendant la colonisation française. Sur ce point, il faut souligner des progrès dans laposition de Paris après le tollé algérien suscité par l’adoption de la loi du 23 février 2005reconnaissant le rôle positif de la colonisation française. Les articles controversés 1 et 4avaient été décriés par l’Algérie:

Article 1 : «La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes quiont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements françaisd'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placésantérieurement sous la souveraineté française».

Article 4 : «Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de laprésence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord et accordent à l’histoire et auxsacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminenteà laquelle ils ont droit».

En réaction à cette loi, le président Bouteflika déclarait que, «pour la société algérienne,la colonisation française a été massivement une entreprise de dé-civilisation. Aussi est-ildifficile de ne pas être révolté par la loi votée par le Parlement français, le 23 février dernier,et qui représente une cécité mentale confinant au négationnisme et au révisionnisme. Sinotre pays est prêt à signer avec l’Etat français un traité de paix et d’amitié sur la basede l’égalité des nations et de la complémentarité de nos intérêts, il ne saurait en aucuncas cautionner, même par son silence, une prétendue mission civilisatrice du colonialismequi reste pour nous et pour tous les peuples colonisés de la planète l’un des plus grandscrimes contre l’humanité que l’histoire ait connus». Cette loi avait accéléré les exigencesalgériennes pour que la France reconnaisse enfin ses crimes coloniaux. Lors d’une visiteofficielle en Algérie en Juillet 2007, le Président français alors fraîchement élu avait déclaréqu’il était pour une reconnaissance des crimes commis pendant la colonisation mais qu’ilrejetait le repentir car en tant que notion religieuse, il n’a pas sa place dans des relationsd’Etat à Etat.

Enfin troisièmement, Alger a certainement conditionné sa participation au projet d’Unionpour la Méditerranée par le règlement de la question palestinienne. Il semble que l’Algérieinterprète l’intégration de l’Etat d'Israël dans le projet de l’Union pour la Méditerranée sansaucune contrepartie politique comme une remise en cause effective et graduelle de lapolitique arabe traditionnelle de la France. Face à ces exigences, se pose la question desconcessions qui ont été faites par Nicolas Sarkozy pour que finalement, à la dernière minute,Bouteflika accepte l’invitation et dise oui à l’Union pour la Méditerranée dans sa formenouvelle. Alors que le Premier Ministre israélien Ehud Olmert était également présent auSommet de Paris, le président Bouteflika a-t-il obtenu des garanties sur une implication plus

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effective de la France dans le règlement du conflit Israélo-palestinien vieux de 60 ans ?Cela semble hypothétique au vu de la position annoncée par Nicolas Sarkozy à Israël lorsde sa visite officielle en juin dernier. Le Président français avait en effet voulu marquerune rupture avec l’ancienne politique pro-arabe de Jacques Chirac et se présenter commel’ami d’Israël, déclarant : «Il y a entre Israël et la France une amitié profonde […] qui n’estpas seulement due à la vitalité de la communauté juive de France et à la vitalité de lacommunauté francophone d’Israël qui forment comme un pont entre nos deux pays. Cetteamitié est due aussi à quelque chose de plus profond. Cette amitié est due à la manière dontle judaïsme a influencé, a nourri, a enrichi la culture française, à l’inspiration que les Pèresfondateurs d’Israël ont puisée dans les valeurs de l’universalisme français».58 A l’inverse ilsemble peu probable que l’Algérie accepte une normalisation de ses relations avec Israël.

L’organisation du Sommet semble ne pas avoir apaisé la méfiance algérienne faceau projet d’Union pour la Méditerranée. Alors qu’organisé par la France, pays avec lequell’Algérie a des liens particuliers, l’Algérie s’est en effet sentie marginalisée dans ce Sommet.Les médias algériens ont dénoncé une mise à l’écart volontaire de l’Algérie par la Francedu fait du manque de soutien affiché de l’Algérie pour L’Union pour la Méditerranée. Lequotidien Le Matin tirait «L’Algérie et son président complètement marginalisés au sommetde lancement de l'Union pour la Méditerranée»59. Malgré les déclarations du chef de l’Étatfrançais qualifiant la participation du Président algérien au sommet de Paris “d’extrêmementimportante”, précisant sans toutefois donner plus d’indications que “l’Algérie joue un rôlecentral au sein de l’UMP, c’est un élément décisif du succès de ce sommet”, ce sentiment demarginalisation est dû à plusieurs éléments. Bien que l’Algérie n’ait pas voulu co-présiderle Sommet, il semble que Bouteflika ait mal digérer que ce soit son voisin le Présidentégyptien Hosni Moubarak qui soit aux côtés du Président français Nicolas Sarkozy, initiateurde ce projet. D’autre part, en marge du sommet, l’Algérie s’est sentie exclue des débats. LeSommet de Paris a été précédé d'une réunion de travail entre le chef de l'Etat français, lesPrésidents libanais Michel Sleimane et syrien Bachar al-Assad, ainsi que l'émir du Qatar,cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani. L’Algérie n’y a pas été conviée. De même Bouteflika n’apas été reçu dans les entretiens à l'Elysée alors que Nicolas Sarkozy a reçu son homologuelibanais Michel Sleimane, son homologue syrien Bachar al-Assad, l'émir du Qatar, présidenten exercice du Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe, le Premier ministre turcRecip Tayyip Erdogan, Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, ainsi qu’EhudOlmert, Premier ministre israélien. Ainsi si la présence du Président Bouteflika à Paris le13 Juillet dernier marque officiellement l’adhésion politique de l’Algérie au projet d’Unionpour la Méditerranée, l’Algérie n’est qu’un soutien fragile et la question reste : quel est leprix de se soutien ?

Au niveau de la société civile, le Sommet de Paris a éveillé un intérêt particulieren Algérie et au lendemain de la tenue de la réunion de Paris les médias algériens ontconsacré des dossiers spéciaux à cet événement en retraçant l'historique des relations euro-méditerranéennes et publiant les avis d'experts tant locaux qu'européens. Toutefois commenous venons de le voir les avis sont plutôt pessimistes sur le devenir de ce projet. Ainsi denombreux observateurs algériens restent très sceptiques sur le projet et analysent le projetde Nicolas Sarkozy comme une tentative pour régler le conflit Israélo-palestinien : «NicolasSarkozy, chef de l’Etat français et président du Conseil européen, veut-il faire du Sommet del’Union pour la Méditerranée le cadre pour la normalisation des relations israélo-arabes ? Et

58 Discours de Nicolas Sarkozy, Israël, 23 juin 200859 Sommet de Paris : Bouteflika complètement marginalisé, Moubarak co-président, Le Matin, 12 Juillet, 2008

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faire de Paris la capitale de la paix israélo-arabe ?»60 D'autres considèrent qu'un grand floucaractérise toujours cette initiative et parlent d'Histoire d’un projet à controverses"61 et d'un"saut dans l'inconnu"62. Enfin, des commentateurs utilisent les déclarations de Mme Ferrero-Waldner pour tenter de montrer qu'il y aurait des réticences à l'Union pour la Méditerranéede la part de la Commission européenne. Ils citent notamment les propos de la Commissaireaux Relations extérieures où elle souligne que «Les fondements de cette initiative sont àchercher dans le cadre multilatéral du Processus de Barcelone qui constitue l'instrumentcentral des relations euro-méditerranéennes depuis 1995. La nouvelle initiative s'appuie surles éléments qui ont bien fonctionné dans le processus de Barcelone et envisage de lesrenforcer». La position de l’Algérie est donc peu claire, si officiellement elle a annoncé sonsoutien au projet, elle entend bien imposer ses conditions et est prête à quitter le navireméditerranéen au premier orage.

La position du Maroc n’est guère plus claire que celle de l’Algérie. Favorable au principed’Union pour la Méditerranée, Rabat entend bien ne pas se laisser imposer les règles etmontrer que son soutien n’est pas acquis. Le Maroc s’est effectivement déclaré favorableau projet d’Union pour la Méditerranée. Selon la presse marocaine, une source proche dupouvoir aurait affirmé que "Le Maroc soutient fermement ce projet et il le défendra toujourscar il s'agit d'un processus d'intégration qui sera bénéfique pour les peuples de la région". LeMaroc a en effet affiché son vif intérêt pour accueillir le secrétariat général de l'Union, postepour lequel la Tunisie et l'Espagne étaient également en compétition. Le Maroc a une placeparticulière dans le projet puisque c’est à Tanger que le Président français Nicolas Sarkozyavait jeté les bases de son projet "d'une union économique, politique et culturelle" de laMéditerranée le 23 octobre 2007 lors de sa visite d'Etat. Cependant, malgré ce soutien, le roidu Maroc Mohammed VI ne s’est pas déplacé à Paris le 13 Juillet. Il a en effet été remplacépar son frère, le prince Moulay Rachid, considéré comme le représentant personnel dusouverain marocain par le protocole royal. En invoquant pour seule excuse à sa défectiondes raisons de calendrier - "Le roi doit inaugurer une série de chantiers notamment à Oujdaet Nador, dans le nord du Maroc" a indiqué une source proche du Roi- alors que le Sommetde Paris est prévu depuis de nombreux mois, Mohammed VI a visiblement voulu signifierson mécontentement. Cette absence a surpris Paris puisque la France et le Maroc n’avaientcessé de s’envoyer des signaux encourageants au sujet de l’Union. Il semble donc queNicolas Sarkozy ait mal géré ses relations avec les deux « géants rivaux » du Maghreb, leMaroc et l'Algérie. Alors que Nicolas Sarkozy considérait le Maroc comme un allié acquisquoi qu'il arrive, il craignait par-dessus tout une défection de la part du Président AlgérienBouteflika. Paris a alors déployé tous ses efforts diplomatiques envers l’Algérie, multipliantles visites de ministres français a Alger afin de convaincre l'Algérie qu'elle est un partenaireindispensable et pilier de l’Union, froissant ainsi l’orgueil marocain. L’Algérie a en effet affichévisiblement son hostilité concernant la possibilité que Rabat abrite l'une des instances del'Union pour la Méditerranée.

Malgré l’absence du Roi au Sommet de Paris, le Maroc ne semble pas être hostileau projet en lui-même mais semble déterminé à ne pas se laisser dicter les règles du jeu.Comme l’Algérie, le Maroc semble en avoir assez de suivre les exigences des pays duNord et profite de la fragilité du projet et donc la vulnérabilité de Nicolas Sarkozy pourannoncer ses conditions. Ainsi, neuf jours après le Sommet fondateur, à l’initiative del’Institut Amadeus – think-tank marocain - une journée de travail internationale consacrée

60 Sarkozy vise-t-il la normalisation israélo-arabe?, El Watan, 13 Juillet 200861 De l’UM a l’UPM : Histoire d’un projet à controverses, L’Expression, 13 juillet 200862 43 Etats lancent à Paris l’Union pour la Méditerranée: Le saut dans l’inconnu, L’Expression, 13 juillet 2008

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au Bilan du Sommet s’est tenue au Maroc. Plusieurs acteurs majeurs de la coopérationeuro-méditerranéenne - dont André Azoulay, Conseiller du Roi Mohammed VI - , ainsique de nombreux décideurs, spécialistes,membres et anciens membres de gouvernementsmarocains et européens, se sont réunis pour analyser la « Déclaration de Paris » et mettreen exergue les apports et les insuffisances de ce nouveau cadre de partenariat entrel’Union Européenne et les pays de la rive Sud de la Méditerranée, ainsi qu’émettre desrecommandations concrètes en vue de la prochaine réunion des ministres des affairesétrangères de l’Union pour la Méditerranée en novembre 2008 à Marseille. Les conclusionsde cette journée ont été transmises aux Ministres des Affaires Etrangères de France etd’Egypte, Messieurs Bernard Kouchner et Ahmed Abou El Ghaït. On peut retenir troisexigences de la part du Maroc dans la déclaration finale de la journée de travail. Dans unpremier temps, la nature inégalitaire du processus de Barcelone a été critiquée. Les acteursmarocains ont réitérés la nécessité absolue pour l’union pour la Méditerranée d’être unpartenariat équilibré et paritaire. Afin de faciliter cette logique de partenariat et de dépasserla logique d’assistanat, trop présente dans le processus de Barcelone, les acteurs ont appeléà mettre en place une implication financière équilibrée de la part des pays du nord ainsique des pays du Sud de la Méditerranée afin de favoriser la participation et l’investissementles pays du Sud. Pour cela, la déclaration finale appelle a la création d’une Banque euro-méditerranéenne de développement ayant pour objectif une participation active du secteurprivé. Les acteurs marocains ont également expressément appelé à de pas commettre lesmêmes erreurs qu’a Barcelone et à préserver l’esprit de concertation, de cogestion et decodécision annoncé par la « déclaration de Paris », demandant à la Présidence française del’Union Européenne d’éviter la confiscation par « la bureaucratie européenne plus encline àdécider qu’à partager »63. La coprésidence de l’Union pour la Méditerranée ne doit pas selimiter uniquement aux Sommets mais à toutes les réunions, conférences et autres types derencontres qui s’inscrivent dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée. Dans un deuxièmetemps le Maroc demande à ce que l’Union pour la Méditerranée soit plus qu’une Unionéconomique qui ne servirait que les intérêts des pays du Nord. Les participants ont doncinsisté sur la nécessité d’impliquer l’ensemble des acteurs - décideurs gouvernementaux,secteur privé, société civile, et jeunesse- à l’Union et ont appelés à ce que la fondationAnna Lindh soit également partie prenante de l’architecture institutionnelle de l’Union pourla Méditerranée. L’idée d’une citoyenneté méditerranéenne a aussi été évoquée. Ayant lavolonté de ne plus se plier aux exigences de l’Europe, les intervenants ont insisté sur le faitque pour que le Maroc joue un rôle actif dans l’Union le libre échange ne doit pas s’appliquerseulement aux biens et marchandises mais également aux hommes. On retrouve là un pointd’accord avec l’Algérie qui appelle aussi à une Union plus « humaine » permettant l’adoptionde mécanismes de facilitation des visas et de mesures pouvant favoriser la migration. Lesintervenants ont également demandé la mise en place d’un projet « ERASMED » suivantle modèle européen « ERASMUS ». Finalement, les acteurs marocains ont appelé à uneUnion pour la Méditerranée dans laquelle le Maroc occuperait une place centrale, attaquantles déclarations de l’Algérie qui s’y oppose .La déclaration finale statue :

« Le siège du Secrétariat de l’Union pour la Méditerranée, doit être établi dans unpays de la rive Sud, concrétisant cette réhabilitation politique de la coopération régionaleen Méditerranée. Le choix du Maroc, pour abriter ce Siège, serait judicieux. Le Maroc, payspionnier en matière de renforcement de la démocratie dans la région, négocie actuellement

63 Le Bilan du Sommet de l’Union Pour la Méditerranée : Espoir(s) ou Déception(s)22 Juillet 2008, Wilaya de Rabat, Maroc

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un « Statut Avancé » avec l’Union Européenne, considéré comme une réponse au rythmesoutenu des réformes engagées dans le cadre de l’intégration régionale. »64.

Dans la même optique que le Maroc, la Tunisie s’est ouvertement affichée favorable àl’Union pour la Méditerranée. Le Président Ben Ali a déclaré dans une allocution en margedu Sommet de Paris «La Méditerranée ne peut et ne doit être qu’un espace de solidarité»65

Cependant, l’analyse de ce discours montre bien que la Tunisie a sa propre vision del’Union pour la Méditerranée et a pour objectif d’imposer ses priorités. En effet la totalité del‘allocution du Président Ben Ali concerne l’écologie et de développement durable :

« Nous partons de notre conviction que la dimension environnementale est d'ordrestratégique. Du haut de cette tribune, nous appelons à la nécessité de conjuguer lesefforts de l'ensemble de nos Etats pour mettre en place une politique commune qui puisseconférer à l'environnement la place stratégique qui doit être la sienne dans notre régionméditerranéenne et nous permettre de renforcer notre coopération et notre solidarité, à lafaveur de projets pratiques susceptibles de préserver le Bassin méditerranéen des gravesdangers qui le guettent. »66.

Est-ce dû à une réelle préoccupation de la Tunisie pour les questionsenvironnementales ou est-ce alors une stratégie pour limiter le champ d’action de l’Unionpour la Méditerranée au domaine très spécifique de la protection de l’environnement ? Enomettant de parler de la grande majorité des projets présentés au Sommet, le PrésidentBen Ali affiche la position de la Tunisie qui voit dans l’Union pour la Méditerranée uneagence environnementale finançant des programmes de dépollution de la Méditerranée etde protection du littoral, lui niant toute ambition politique ou économique. Cette vision estillustrée par la proposition de trois initiatives de la part de la Tunisie. Dans son allocution, lePrésident Ben Ali a ainsi proposé la création d’une « agence méditerranéenne de protectionde l’écosystème et du littoral » dont la mission serait d’assurer une coordination entredifférents projets et initiatives ; la création d’un « observatoire méditerranéen appelé àse doter d’un mécanisme d’alerte rapide » afin d’assurer la coordination des efforts desdifférentes partie en cas de divers cas d’accidents maritimes tels que marées noires ; lacréation d’un « centre méditerranéen pour le transfert technologique, tout particulièrementen matière d’énergies nouvelles et renouvelables, de dessalement de l’eau de mer et denanotechnologie. » La Tunisie essaie donc d’orienter le processus vers une coopération enfaveur de l’environnement et du développement durable, passant sous omission toutes lesautres facettes de l’Union.

Il est donc clair que si les discussions sur l’Union pour la Méditerranée sont longtempsrestées Euro-européennes et que comme nous l’avons vu dans une partie précédente, lespays du Sud ont longtemps été exclus des délibérations, le Sommet de Paris a ouvert laporte aux débats contraignant l’Europe à écouter les revendications légitimes de la part duSud et de les intégrer dans ses projets.

64 Le Bilan du Sommet de l’Union Pour la Méditerranée : Espoir(s) ou Déception(s) 22 Juillet 2008, Wilaya de Rabat, Maroc65 Allocution du Président Zine El Abidine Ben Ali Président de la République Tunisienne au Sommet de Paris , 13 juillet

2008, Paris66 Allocution du Président Zine El Abidine Ben Ali Président de la République Tunisienne au Sommet de Paris , 13 juillet

2008, Paris

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Conclusion

Que peut-on attendre du nouveau projet ? Il faut reconnaitre, qu’aujourd’hui aucune desinstitutions existantes (dialogue 5+5, OCDE, Euro-Med…), ne peut endosser les quatreexigences mentionnées au départ (rééquilibrage économique, paix et sécurité, bonnegouvernance et respect de l’écologie), ni résoudre les conflits, notamment le règlementde la question palestinienne, ni pousser à la généralisation effective de la démocratie etde l’État de droit. La valeur ajoutée du projet est donc qu’il met en place une structuresolide de coopération et d’assistance économique, développant une dynamique de projetsfédérateurs précis et affichés et qu’il constitue un engrenage pouvant entrainer un effet despill-over qui a si bien fonctionné pour l’Union Européenne. Pour synthétiser le projet d’Unionpour la Méditerranée retenu à Paris le 13 juillet possède quatre atouts: des projets sous-régionaux, une forte capacité structurante, une interpénétration culturelle Nord-Sud, ainsiqu’un caractère évolutif. Comme nous l’avons vu, le nouveau modèle réduit le déséquilibreinstitutionnel du processus de Barcelone en introduisant une part plus consistante demultilatéralisme. Le décor donc est planté et les rôles sont distribués. Cependant, le jeudes acteurs ne pourra pas échapper aux tensions et aux exigences de la réalité dans larégion. Il y a donc un risque au vu de l’enthousiasme limité de certains pays du Sud et desconflits qui se multiplient dans la région, que le mécanisme déraille et que le processusrencontre les mêmes problèmes qu’Euro-Med. Il est donc clair que ces atouts marquent unpas en avant dans l’ordre euro- Méditerranéen, représentant une alternative à la stagnationactuelle. D’autre part, face aux évolutions mondiales, l’émergence d’une entité multilatéraleunissant l’Europe et la Méditerranée semble être une réponse mieux ajustée. Il faut pourcela que les conditions pour que l’Union pour la Méditerranée s’acquitte de son agendasoit présente, c’est-à-dire que l’Europe surmonte sa faiblesse et ses divisions politiques etque les partenaires sud-méditerranéens intériorisent les conséquences de l’appartenanceà un ensemble régional. Toutefois, avec toutes les critiques qui peuvent être faites au projetd'Union pour la Méditerranéenne, il faut lui reconnaître un atout indéniable. En alimentantles polémiques, faisant les unes de journaux, nourrissant les rumeurs, le projet a apportéenfin ce qu'il manquait au processus de Barcelone, une visibilité politique. Comme nousl'avons vu, la méthode Sarkozy concernant ce projet, est très critiquable, divisant l'Europe,isolant la France, mais elle a au moins le mérite de sortir le partenariat Euro-méditerranéende l'ombre et de lui apporter la considération qu'il mérite. Ainsi, quelque soit le devenir duprojet, quelques soient les modifications apportées, il semble que l'Europe regarde enfin endirection de la Méditerranée.

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Bibliographie

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interparlementaire pour les relations avec les pays du Machreq et membre del’assemblée parlementaire Euromed : http://www.beatrice-patrie.org/accueil.php

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- CHITOUR (Chems Eddine), L'Union Méditerranéenne : Une utopie morte- née

- Imbert (Claude), Editorial, Le point du 1er novembre 2007- De Charette (Hervé), Sauvons l'Union Méditerranéenne, 29 février 2008- Le Journal Chrétien du 11 mars 2008: Union pour la Méditerranée: le Nord cogite, le

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Bibliographie

PELISSON Maelle_2008 45

- Sbih (Missoum) Forum de Paris, 28 mars 2008

Discours et déclarations officielles

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- Sarkozy (Nicolas), Discours de Tanger, 23/10/2007

- Zapatero (José Luis), Prodi (Romano), Sarkozy (Nicolas), Appel de Rome pour l'Unionde la Méditerranée, Rome, 20 décembre 2007

- Sarkozy (Nicolas), Discours du 7 mai 2007

- Fillon (François), Interview du Premier Ministre, Europe 1, « L’invité » de Jean-PierreElkabbach, 4 mars 2008

- Fillon (François), Conférence de presse, 3 mars 2008

- Olmert (Ehud) Discours du Premier Ministre Israélien, 13 Juillet 2008, Paris

- Sarkozy (Nicolas), Discours de Jérusalem, 23 juin 2008

Travaux universitaires

- Chloé Lemaire, Le volet économique du partenariat Euro-méditerranéen: un échec?,juin 2005, 92p

- Aude Thepenier, Euromed Heritage: Un programme culturel dans le processus deBarcelone, juin 2005, 145 p

Documents officiels

- Charte Fondation Anna Lindt

- Déclaration de Barcelone, Barcelone, 27-28 novembre 1995

- Traité de Nice

- Déclaration finale du Sommet de Paris, 13 Juillet 2008, Paris