De la production du sens dans le proverbe. Analyse linguistique ...

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HAL Id: tel-00293416 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00293416 Submitted on 4 Jul 2008 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. De la production du sens dans le proverbe. Analyse linguistique contrastive d’un corpus de proverbes contenant des praxèmes corporels en français et en vietnamien Thi Huong Nguyen To cite this version: Thi Huong Nguyen. De la production du sens dans le proverbe. Analyse linguistique contrastive d’un corpus de proverbes contenant des praxèmes corporels en français et en vietnamien. Linguistique. Université Paul Valéry - Montpellier III, 2008. Français. <tel-00293416>

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    Submitted on 4 Jul 2008

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

    Larchive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestine au dpt et la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publis ou non,manant des tablissements denseignement et derecherche franais ou trangers, des laboratoirespublics ou privs.

    De la production du sens dans le proverbe. Analyselinguistique contrastive dun corpus de proverbes

    contenant des praxmes corporels en franais et envietnamien

    Thi Huong Nguyen

    To cite this version:Thi Huong Nguyen. De la production du sens dans le proverbe. Analyse linguistique contrastive duncorpus de proverbes contenant des praxmes corporels en franais et en vietnamien. Linguistique.Universit Paul Valry - Montpellier III, 2008. Franais.

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  • 1

    UNIVERSITE PAUL-VALERY MONTPELLIER III Arts Lettres Langues Sciences Humaines & Sociales

    Dpartement des Sciences du Langage

    U.F.R I. Lettres Arts Philosophie Linguistique

    DOCTORAT DE L UNIVERSITE PAUL-VALERY MONTPELLIER III

    Discipline : Sciences du langage

    THESE

    Prsente et soutenue publiquement par

    Thi Huong NGUYEN

    DE LA PRODUCTION DU SENS DANS LE PROVERBE

    ANALYSE LINGUISTIQUE CONTRASTIVE DUN CORPUS DE

    PROVERBES CONTENANT DES PRAXEMES CORPORELS

    EN FRANAIS ET EN VIETNAMIEN

    Sous la direction de M. le Professeur Jacques BRES

    TOME I

    MEMBRES DU JURY :

    Mme Jeanne-Marie BARBERIS Professeur de lUniversit Paul-Valry, Montpellier III

    M. Jacques BRES Professeur de lUniversit Paul-Valry, Montpellier III

    M. Georges KLEIBER Professeur de lUniversit Marc Bloch, Strasbourg

    Mme Xuyn LE THI-VU XUAN Matre de confrences de lUniversit Denis Diderot, Paris VII

    Mme Laurence ROSIER Professeur de lUniversit Libre de Bruxelles

    Juin 2008

  • 3

    Remerciements

    Mes remerciements vont en premier lieu mon directeur de thse Jacques Bres, en qui jai

    trouv un matre comprhensif, humain, toujours disponible. Sa rigueur intellectuelle, ses corrections,

    ses conseils, ses critiques ont beaucoup apport mon travail. Tout ce travail naurait abouti sans ses

    encouragements et son soutien constants. Jexprime ici toute ma reconnaissance un matre qui a su

    me montrer ce qutait la recherche.

    Je tiens remercier Mme Jeanne-Marie Barbris, M. Georges Kleiber, Mme Xuyen Le Thi-Vu

    Xuan et Mme Laurence Rosier davoir accept de lire ce travail et de faire partie des membres du jury.

    Jai une dette particulire envers Jean-Marie et Marie-Christine Prieur. Lui, pour ses conseils

    pratiques et scientifiques, pour sa gnrosit immense ; et elle, pour le soutien affectif et amical.

    Jadresse mes remerciements mes professeurs Th Kim Lin et V Hu Thy pour laide

    prcieuse quils mapportent depuis mes annes universitaires, pour leur confiance et pour leurs

    encouragements.

    Je tiens remercier chaleureusement Jacqueline Laingui pour son soutien moral et affectif,

    pour sa prsence dans les moments difficiles de ma vie, et surtout pour sa connaissance profonde du

    proverbe franais. Elle a non seulement entrepris la lourde tche de relecture, mais aussi ma fait part

    de ses remarques trs prcieuses dont jai tenu le plus grand compte. Je la remercie de tout cur pour

    tout ce quelle a fait et t pour moi durant tout ce travail.

    Je remercie galement Adeline, Jana, Aurlie, Sphora, Jocelyne, qui, cette occasion et

    dautres, mont apport un soutien particulier.

    Un grand merci Ksenija qui sest montre une lectrice et une correctrice infatigable. Ce texte

    doit beaucoup son sens aigu de lobservation.

    Je remercie tout spcialement mes amis-frres Dng, n, V, Duy qui ont pris part ce travail,

    directement en maidant dans des travaux techniques, parfois si pnibles, ou indirectement, en

    allgeant mes tches quotidiennes.

    Jadresse un merci affectueux mes parents et mes deux petits frres pour leur amour

    profond et leur soutien inconditionnel.

    Un immense merci mes beaux-parents et mon beau-frre Phan Huy Dng, ma belle-sur

    inh Th Kim Chi, dont la confiance et la gnrosit mont t fort prcieuses.

    Je tiens remercier mon mari pour son soutien et sa patience.

    A la mmoire de ma grande-mre qui ne pouvait pas attendre jusqu mon retour et qui nous a

    quitts rcemment.

    Et cette thse, je la ddie mon fils, mme sil nen a peut-tre pas besoin.

  • 4

  • 5

    Sommaire

    TOME I

    Remerciements ......................................................................................................................... 3

    Sommaire .................................................................................................................................. 5

    Table des figures ....................................................................................................................... 9

    Table des tableaux .................................................................................................................. 11

    Abrviations et Symboles ....................................................................................................... 13

    INTRODUCTION .................................................................................................................. 15

    Premire partie ....................................................................................................................... 23

    STATUT ET CARACTERISTIQUES DU PROVERBE ................................................... 23

    Chapitre 1. Le proverbe en tant que genre du discours .................................................... 27

    1.1. Discours et genre du discours ..................................................................................... 27

    1.2. Le proverbe en tant que genre du discours ............................................................... 31

    Chapitre 2. Le proverbe et les autres genres phrasologiques ........................................... 35

    2.1. Distinction entre proverbe vietnamien et formes apparentes ............................... 36

    2.2. Distinction entre proverbe franais et genres apparents ....................................... 52

    Chapitre 3. Caractristiques du proverbe ........................................................................... 61

    3.1. Structure binaire ......................................................................................................... 61

    3.2. Rime et rythme ............................................................................................................ 65

    3.3. Symtrie des mots dun mme champ lexical ........................................................... 68

    3.4. Autonomie smantique, syntaxique et pragmatique ................................................ 70

    3.5. Mtaphoricit ............................................................................................................... 73

    3.6. Restriction aux hommes .............................................................................................. 75

    3.7. Gnricit ..................................................................................................................... 76

    3.8. Origine populaire ........................................................................................................ 79

    Chapitre 4. Corpus dtude : constitution et description ................................................... 85

    4.1. Constitution du corpus ................................................................................................ 85

    4.2. Description du corpus ................................................................................................. 85

    Deuxime partie .................................................................................................................... 101

    ETUDE CONTRASTIVE DE LACTUALISATION DU NOM DANS LE GROUPE DE

    PROVERBES FRANAIS ET VIETNAMIENS CONTENANT DES PRAXEMES

    CORPORELS ....................................................................................................................... 101

  • 6

    Chapitre 5. Autour de la notion dactualisation ................................................................ 107

    5.1. Actualisation dans la perspective de la psychomcanique du langage ................. 107

    5.2. Actualisation comme notion clef de la praxmatique ............................................ 113

    5.3. Actualisation et typologie des langues ..................................................................... 120

    Chapitre 6. Actualisation du nom dans le groupe de proverbes franais contenant des

    praxmes corporels .............................................................................................................. 131

    6.1. Dterminant en tant quactualisateur du nom ....................................................... 131

    6.2. Quelques notions lies lactualisation nominale .................................................. 140

    6.3. Actualisation du nom dans le groupe de proverbes franais contenant des

    praxmes corporels .......................................................................................................... 146

    Chapitre 7. Actualisation du nom dans le groupe de proverbes vietnamiens contenant

    des praxmes corporels. Etude contrastive avec le proverbe franais ............................ 217

    7.1. Quelques particularits du vietnamien ................................................................... 218

    7.2. Actualisation du nom dans le groupe de proverbes vietnamiens contenant des

    praxmes corporels .......................................................................................................... 240

    Troisime partie .................................................................................................................... 283

    ETUDE CONTRASTIVE DE LACTUALISATION DU VERBE DANS LE GROUPE

    DE PROVERBES FRANAIS ET VIETNAMIENS CONTENANT DES PRAXEMES

    CORPORELS ....................................................................................................................... 283

    Chapitre 8. Actualisation du verbe dans le groupe de proverbes franais contenant des

    praxmes corporels .............................................................................................................. 287

    8.1. Temps-aspect-mode comme paradigme explicatif de lactualisation verbale .... 287

    8.2. Actualisation du verbe dans le groupe de proverbes franais contenant des

    praxmes corporels .......................................................................................................... 305

    Chapitre 9. Actualisation du verbe dans le groupe de proverbes vietnamiens contenant

    des praxmes corporels. Etude contrastive avec le proverbe franais ........................... 373

    9.1. Verbe et expression du temps et de laspect en vietnamien ................................... 374

    9.2. Actualisation du verbe dans le groupe de proverbes vietnamiens contenant des

    praxmes corporels .......................................................................................................... 391

    CONCLUSION ..................................................................................................................... 429

    Bibliographie ......................................................................................................................... 445

    Index ...................................................................................................................................... 459

    Table des matires ................................................................................................................ 461

  • 7

    TOME II CORPUS

    Sommaire .............................................................................................................................. 469

    Abrviations .......................................................................................................................... 473

    Annexe 1 ................................................................................................................................ 477

    Corpus de proverbes franais contenant des praxmes corporels .................................. 477

    1.1. Dterminant zro ...................................................................................................... 486

    1.2. Dterminant dfini .................................................................................................... 490

    1.3. Dterminant indfini ................................................................................................ 494

    1.4. Dterminant possessif ............................................................................................... 495

    1.5. Dterminant Tout ...................................................................................................... 496

    1.6. Procs tats ................................................................................................................ 497

    1.7. Procs activits .......................................................................................................... 501

    1.8. Procs accomplissements ......................................................................................... 503

    1.9. Procs ralisations instantanes .............................................................................. 504

    1.10. Prsent ..................................................................................................................... 505

    1.11. Pass compos ......................................................................................................... 511

    1.12. Futur ........................................................................................................................ 512

    1.13. Conditionnel prsent .............................................................................................. 513

    1.14. Phrase nominale ...................................................................................................... 514

    1.15. Phrase imprative ................................................................................................... 516

    1.16. Phrase impersonnelle ............................................................................................. 517

    Annexe 2 ................................................................................................................................ 518

    Corpus de proverbes vietnamiens contenant des praxmes corporels ............................ 518

    2.1. Traduction franaise des proverbes vietnamiens .................................................. 527

    2.2. SN corporel nu .......................................................................................................... 555

    2.3. Adjoint + SN corporel .............................................................................................. 561

    2.4. SN corporel + Adjoint .............................................................................................. 564

    2.5. SN comptable + SN corporel ................................................................................... 565

    2.6. Procs tats ................................................................................................................ 566

    2.7. Procs activits .......................................................................................................... 574

    2.8. Procs accomplissements ......................................................................................... 578

  • 9

    Table des figures

    Figure 1. Schme guillaumien du systme de larticle ........................................................... 141

    Figure 2. Reprsentation linaire du systme de larticle selon Valin ................................... 142

    Figure 3. Classification des mots vietnamiens ....................................................................... 226

    Figure 4. La reprsentation linaire du temps ........................................................................ 292

    Figure 5. Modle S.R.E. de Reichenbach .............................................................................. 292

    Figure 6. La reprsentation du procs en phases .................................................................... 298

    Figure 7. Les types de procs selon Vetters (1996) et Bres & Barcel (2006) ...................... 302

  • 11

    Table des tableaux

    Tableau 1. Systme des dterminants dans la langue ............................................................. 133

    Tableau 2. Classement des dterminants dans le proverbe franais....................................... 147

    Tableau 3. Parties corporelles dans la langue et dans le proverbe ......................................... 188

    Tableau 4. Classement des SN corporels dans le proverbe vietnamien ................................. 242

    Tableau 5. Formes simples et formes composes dans le systme verbal franais ............... 299

    Tableau 6. Aspect lexical : variante terminologique .............................................................. 301

    Tableau 7. Proprits des procs tliques et des procs atliques .......................................... 305

    Tableau 8. Classement des types de procs dans le proverbe franais .................................. 308

    Tableau 9. Classement des temps verbaux dans le proverbe franais .................................... 326

    Tableau 10. Comparaison des formes linguistiques entre lancien corpus et le corpus de travail

    ........................................................................................................................................ 327

    Tableau 11. Modlisation de lactualisation nominale et verbale selon la praxmatique ...... 371

    Tableau 12. Classement des types de procs dans le proverbe vietnamien ........................... 393

    Tableau 13. Rcapitulation des outils de lactualisation nominale et verbale dans le proverbe

    ........................................................................................................................................ 428

  • 13

    Abrviations et Symboles

    SN : Syntagme nominal

    SV : Syntagme verbal

    PAR : Particule

    PAR EXC : Particule exclamative

    DEI : Dictique

    QUA : Quantitatif

    ? : nonc litigieux

    * : nonc irrecevable ou impossible

  • 15

    INTRODUCTION

  • 16

  • 17

    Lorigine de ce travail de recherche se trouve dans la rencontre dintrts personnels

    dune part, et dintrts scientifiques dautre part.

    Un souvenir denfance est ancr dans notre mmoire. La scne se passait lors dune

    soire familiale, ct du feu. Nous ne nous souvenons plus de quoi on parlait ce soir-l, mais

    nous nous souvenons nettement de nos clats de rire lorsque notre grand-mre a dit ce

    proverbe :

    B m tin con c, b m c con tin

    parent/ fe/ enfant/ hibou/ parent/ hibou/ enfant/ fe

    Les enfants et les parents ne se ressemblent pas

    Cest le premier proverbe que nous avons entendu et qui a attir notre attention par ses

    images drles. Depuis, nous avons fait attention au langage de notre grand-mre et nous avons

    remarqu quelle utilisait frquemment des proverbes dans les conversations quotidiennes,

    beaucoup plus souvent que nos parents. Une fois, elle nous a surprise par lusage dun

    proverbe qui tait destin au voleur de sa poule :

    Tri qu bo n cho gy rng

    ciel/ vengeance divine/ manger/ soupe de riz/ casser/ dent

    La vengeance divine cause des consquences terribles

    Notre grand-mre a utilis un proverbe qui convenait parfaitement la situation de

    perte de la poule. Ce proverbe, nous le trouvions impressionnant par sa richesse informative.

    Tri qu bo Ciel/ vengeance divine est un ordre moral des Vietnamiens : quand on fait du

    mal, on doit subir la vengeance du Ciel. La vengeance du Ciel est terrible au point que n

    cho gy rng manger/ soupe de riz/ casser/ dent, cest--dire que mme si lon mange la

    soupe de riz (qui est si liquide quon na pas besoin dutiliser les dents en mangeant), on

    risque de se casser les dents. A travers des images simples, proches de la vie de tous les jours,

    le proverbe exprime un sens trs profond. Nous avons constat la force illocutoire du proverbe

    dans la communication humaine. Un proverbe bien plac dans lchange verbal peut avoir des

    effets intressants. Nous avons galement remarqu un paradoxe : les vieillards illettrs

    connaissent et utilisent plus de proverbes que les jeunes, lettrs. Cela a pour origine lattitude

    des jeunes qui considrent le proverbe comme un langage de grands-mres. Quant nous,

    nous pensons que la connaissance du proverbe reflte le niveau linguistique et lexprience

    dun individu. Chaque personne enrichit son fonds de proverbes en mme temps quelle

    multiplie ses expriences de vie. Les proverbes nous ont toujours impressionne par leurs

    formes simples mais ils peuvent faire cho une grande diversit de situations, de jugements.

    Nous nous sommes aussi tonne quune telle exactitude dans limage saccompagne dune

  • 18

    telle souplesse dans linterprtation. Il sagit l dune parole commune mais quil faut savoir

    prononcer au moment favorable. Nous avons voulu comprendre do vient cette force

    nigmatique.

    Cette envie de dcouvrir lnigme proverbiale nous a incite choisir le proverbe

    comme objet dtude lors de la ralisation du mmoire de Master de Sciences du langage au

    Vietnam1. Puis, arrive en France, nous avons voulu faire une tude comparative des

    proverbes franais et vietnamiens dans le but de comprendre le mcanisme proverbial dans

    une langue si diffrente de la ntre. En effet, lorsquon tudie le proverbe dans une

    perspective contrastive, on est face un double phnomne : la fois, celui de la

    ressemblance et celui de la dissemblance, celui de luniversalit et celui de la spcificit

    culturelle, celui de la proximit et celui de la distance. Dans le mmoire de D.E.A. de

    Sciences du langage2, en appui sur un corpus de proverbes franais et vietnamiens contenant

    des mots indiquant les parties du corps humain, nous navons abord que des convergences

    des proverbes franais et vietnamiens concernant les proprits caractristiques dfinitoires du

    discours proverbial. Cela a servi de base pour que nous puissions nous lancer dans une thse

    contrastive de longue haleine. Pour mieux rendre compte de la spcificit des proverbes

    franais et vietnamiens, nous avons largi notre corpus de 122 278 proverbes tirs de

    dictionnaires divers : dictionnaires de proverbes, dictionnaires de langue dans les deux

    langues.

    Chaque fois quon nous demande sur quoi nous travaillons, notre rponse suscite le

    mme rflexe chez les interrogateurs : ah, cest intressant mais difficile. Pourquoi intressant

    et pourquoi difficile ? Nous pouvons expliciter ce que les gens pensent. Intressant parce que

    le proverbe est un lieu de rencontre de la langue et de la culture, donc ltude du proverbe

    semble propice nous renseigner sur les pratiques discursives et sur les valeurs culturelles.

    Difficile parce que le proverbe est toujours une nigme dont le sens est opaque et que si lon

    vient dune autre culture, on doit avoir du mal le comprendre. Telles sont les ides reues

    des Franais et elles ont certainement une part de vrit. Parfois, nous ne sommes pas

    parvenue dcoder le sens dun proverbe. Nous avons demand de laide auprs de trois

    types de locuteurs : travailleur manuel, professeur de collge retrait, professeur duniversit

    et parfois, leurs rponses ne nous ont pas satisfaite. Quelquefois, nous avions limpression que

    nous comprenions mieux queux. Cela nous a donn lespoir de poursuivre une tude qui

    1 Mmoire de Master : Caractristiques smantiques du proverbe vietnamien (1999).

    2 Mmoire de D.E.A. : Analyse linguistique des proverbes (Corpus vietnamien et franais) (2003).

  • 19

    semble difficile pour nous. Cela a galement montr que lon peut pleinement sappuyer sur

    les connaissances de la structuration du proverbe pour comprendre un proverbe dune autre

    langue. Dans le champ parmique, il existe de nombreuses ides reues ou une srie de

    vulgates si lon utilise lexpression dAnscombre (2003). Nous en mentionnons quelques-

    unes : la structure du proverbe est anormale ; le sens du proverbe est opaque ; les proverbes

    sont des expressions figes. Ces ides reues ont pour origine labsence dune tude srieuse

    du proverbe. Afin de ne pas tomber dans une telle facilit dides reues, il nous faut mener

    une tude du proverbe en nous appuyant sur les faits de langue authentiques. Cest pourquoi

    nous avons dcid de nous servir de la notion dactualisation telle quelle est propose par

    Guillaume et les praxmaticiens pour notre tude contrastive des proverbes franais et

    vietnamiens, notion qui sous-tend une transition dynamique de la langue au discours, notion

    qui rend compte la fois de loprateur de discours quest le sujet parlant et des oprateurs de

    langue que sont les smantmes lexicaux. Faire travailler la notion dactualisation dans le

    domaine proverbial nous permet dobtenir des conclusions fiables car elles sont vraiment

    appuyes sur les faits de langue et sur les faits de discours.

    Au Vietnam comme en France, les proverbes ont t longtemps ngligs par les

    linguistes car ils sont considrs comme objet dtude du folklore, lequel est rfractaire

    toute approche linguistique. En France, ces dernires annes, ltude des proverbes sest

    considrablement renouvele, surtout chez les smanticiens. On peut citer, titre dexemple :

    Kleiber (1989a/1994, 1999a, 2000, 2002), Anscombre (1994, 2000, 2003), Conenna (1998,

    2000, 2002), Tamba (2000). La raison pour laquelle les proverbes suscitent un regain dintrt

    chez les smanticiens est due, selon Anscombre [] aux rcents dveloppements

    concernant les phnomnes de strotypie et de gnricit (2003 : 159). Nanmoins, si tous

    les linguistes saccordent pour reconnatre le caractre gnrique du proverbe, ils ne sont pas

    toujours daccord sur la conception de la gnricit. Kleiber (1989a/1994, 1999a, 2000)

    entend fonder une dfinition smantique du proverbe qui repose sur son double statut de

    dnomination et de phrase gnrique : [] les proverbes sont des dnominations

    phrastiques de niveau gnrique [.. .] (2000 : 42). Vizetti et Cadiot (2006) tentent de

    dgager un modle de gnricit figurale des proverbes, ce modle est [.. .] centr sur un

    concept de motif proverbial conu comme pivot de transpositions oprant la charnire entre

    les diverses strates du sens, comprises elles-mmes comme des phases dans une dynamique

    de constitution (p. 6). Pour Tamba (2000), la gnricit se comprend dabord sur un mode

    schmatique, de facture grammaticale.

  • 20

    En nous situant dans la praxmatique, nous nous servirons du concept dactualisation,

    un des concepts fondamentaux de cette linguistique, pour rendre compte du phnomne de la

    gnricit proverbiale. Nous voulons comprendre comment le proverbe construit la gnricit

    par le processus de lactualisation nominale et verbale. Cette dmarche constitue un aspect

    novateur de notre recherche car, notre connaissance, il ny a aucune tude qui parte de ce

    point de vue.

    La gnricit proverbiale est un des universaux des langues, ce qui nous parat

    intressant pour une tude contrastive dans des langues trs loignes sur le plan typologique

    comme le franais, langue flexionnelle, et le vietnamien, langue isolante. Nous sommes

    convaincue que ce que les langues ont en commun, cest leur capacit dexprimer les mmes

    contenus de sens, et les langues se diffrencient par leur mcanisme dexpressions qui est

    dpendant des moyens linguistiques offerts par chaque langue. La comparaison entre le

    franais et le vietnamien sappuie sur la gnricit qui est un point commun du proverbe dans

    les deux langues, mais la difficult vient de ce que ce contenu smantique nest pas structur

    par les mmes formes. Par ltude de lactualisation nominale et verbale dans le proverbe,

    nous voulons, dans un premier temps, dgager les convergences et les divergences dans la

    manire de lactualisation du nom et du verbe, en mettant en rapport le type dactualisation

    avec la production du sens gnrique du proverbe et, dans un second temps, expliquer la

    raison de ces convergences et divergences. Nous sommes consciente quil nexiste aucune

    description typologique qui peut prtendre sappliquer tous les aspects dune langue ou dun

    groupe de langues et, pour viter lembarras des contre-exemples surgis en cours danalyse,

    nous nous proposons de dgager des tendances dominantes de chaque langue mais non des

    lois universelles. Notre difficult saccrot de ce que, avant nous, il nexiste aucune tude

    contrastive portant sur ce sujet. Au cours de llaboration de ce travail de thse, nous nous

    sommes essentiellement appuye sur les propositions de Guillaume (1919/1975), de Kleiber

    (1985, 1989a, 1990, 1994, 2000), de CAO Xun Ho (1991, 1998, 2003, 2005) pour ltude

    de lactualisation du nom et de Bres (1999a, 2001c, 2005a, 2006) pour ltude de

    lactualisation du verbe dans les proverbes franais et vietnamiens.

    Nous avons dcid dorganiser ce travail de recherche en trois grandes parties. La

    partie introductive a pour but de dfinir notre objet dtude, le proverbe, en tant que genre du

    discours. Nous commenons, dans le premier chapitre, par valuer les critres pour

    caractriser le statut du genre du discours du proverbe et nous claircissons ces critres en

    distinguant le proverbe des formes apparentes et en relevant les caractristiques dfinitoires

    prototypiques du genre proverbial dans les deux chapitres qui suivent. Le quatrime chapitre

  • 21

    est consacr la prsentation de notre corpus dtude : nous explicitons notre mthode de

    constitution du corpus et la raison du choix dun tel corpus.

    Dans la deuxime partie, nous proposons, dans un premier temps, de prsenter la

    thorie de lactualisation selon la perspective de la psychomcanique et de la praxmatique, et

    de prciser notre choix thorique et mthodologique. Dans les deux chapitres qui suivent

    (chapitre 6 et chapitre 7), nous proposons une tude contrastive dtaille de lactualisation

    nominale dans le proverbe franais et dans le proverbe vietnamien.

    La troisime partie compose des deux derniers chapitres vise entreprendre une

    description comparative du proverbe franais et vietnamien dans la dimension de

    lactualisation verbale.

    Pour chacune de ces deux dernires parties, nous analysons les marqueurs de

    lactualisation du nom et du verbe en prenant appui sur le corpus, trait de faon exhaustive.

  • 22

  • 23

    Premire partie

    STATUT ET CARACTERISTIQUES DU PROVERBE

  • 24

  • 25

    Les proverbes sont prsents dans toutes les langues. Mais quest-ce que le proverbe ?

    Les locuteurs natifs, tout en ignorant les critres dfinitoires du proverbe, peuvent reconnatre

    un proverbe grce leur intuition qui reconnat quelques proprits dfinitoires saillantes

    telles que le rythme, la rime, le contenu spirituel et moral, etc. Les linguistes, sans se

    contenter de cette intuition qui est parfois douteuse, cherchent dfinir le proverbe en

    tudiant ses caractristiques, son mode de fonctionnement smantique, syntaxique et

    argumentatif. Le proverbe fait lobjet de nombre darticles et douvrages qui visent le

    positionner en tant quunit linguistique. Le problme de la dfinition du proverbe ne se situe

    pas au centre de notre proccupation scientifique car notre objectif principal dans ce travail de

    thse est de montrer comment se construit la gnricit dans le proverbe franais et dans le

    proverbe vietnamien par le processus de lactualisation nominale et de lactualisation verbale.

    Nanmoins, prenant en compte la ncessit dune dtermination de lobjet dtude, nous

    consacrons cette partie introductive dfinir le statut et les proprits du proverbe.

    Dans un premier temps, nous cherchons dterminer le statut linguistique du proverbe

    en tant que genre du discours. Caractriser le proverbe en tant que genre du discours permet

    de le traiter comme unit de discours mais non de langue. Ensuite, pour mieux reconnatre le

    statut du proverbe, nous le distinguons des autres genres du discours proches tels que le

    dicton, la maxime, la sentence, le slogan et la comptine pour le proverbe franais, et thnh

    ng (locution) et la chanson populaire pour le proverbe vietnamien. Enfin, nous montrons une

    liste de critres de reconnaissance du proverbe en relevant les caractristiques dfinitoires

    prototypiques du genre proverbial. La mise en regard des deux langues vietnamienne et

    franaise fait apparatre de faon nette des proprits communes du genre de discours

    proverbial dune part et des caractristiques propres chaque langue dautre part.

  • 27

    Chapitre 1. Le proverbe en tant que genre du discours

    1.1. Discours et genre du discours

    1.1.1. Discours

    1.1.1.1. Discours, langue et parole

    Dans le champ des sciences du langage, on peut distinguer trois sens du mot discours :

    - exercice individuel de la facult du langage

    - tout nonc linguistique observable

    - nonc mis en relation avec ses conditions de production

    Pour mieux comprendre la notion de discours, il faut la distinguer des deux autres

    notions corrlatives que sont la langue et la parole.

    Lopposition entre langue et parole est lopposition fondamentale tablie par Saussure.

    La langue est considre par Saussure comme un systme de signes qui est commun aux

    membres dun groupe humain. La parole est lusage de ce systme par les sujets parlants. Si la

    langue apparat comme un code commun lensemble des individus appartenant une mme

    communaut linguistique, la parole, au contraire, est la manire personnelle dutiliser ce code.

    Ainsi, dans la conception saussurienne, la parole se distingue de la langue comme ce qui est

    individuel se distingue de ce qui est social, comme ce qui est concret se distingue de ce qui est

    abstrait. Dans ce sens, la notion de parole, par rapport au discours, se rapproche des deux

    premiers sens de ce dernier. La dfinition saussurienne de la parole nie la dimension sociale

    qui est en effet une proprit inhrente de la parole. La parole est la fois individuelle et

    sociale sinscrivant dans des types de discours qui sont structurs par des paramtres sociaux.

    Les tudes linguistiques prouvent lexistence dun ensemble de rgles, de rituels et de

    conventions qui gouvernent la production de la parole. La notion de parole au sens saussurien

    savrait inadquate pour ltude des faits linguistiques dans leur dimension sociale. Do le

    terme de parole est remplac par le terme discours qui permet de mettre en relation faits

    linguistiques et faits sociaux. Lopposition entre langue et parole devient lopposition entre

    langue et discours.

  • 28

    1.1.1.2. Langue, acte de langage et discours

    Dans la thorie de Guillaume, la distinction entre langue et discours joue un rle

    fondamental. Lauteur cherche articuler dynamiquement lopposition langue/ discours en

    introduisant entre ces derniers le terme dacte de langage. La langue, pour Guillaume, est une

    puissance dont lexistence est virtuelle et non observable directement. Le discours est de

    lordre de lexpression dont lexistence est effective et il ny a que lui qui est accessible

    lobservation directe. La langue est une donne permanente qui exclut toute momentanit et

    le discours en est une exploitation momentane. Entre la langue et le discours, Guillaume

    pose lacte de langage qui permet de passer de la langue au discours. Lacte de langage est un

    acte transitionnel de la puissance que reprsente la langue leffet quest le discours. Aux

    yeux de Guillaume, la transition de la langue au discours effectue par lacte de langage est

    considre comme un processus, un mouvement et non comme une opposition. Lacte de

    langage est un rapport dactualisation fondamental qui associe la langue et le discours dans le

    langage.

    Notre objet dtude quest le proverbe doit tre apprhend dans le discours. Le

    proverbe est un produit collectif, une pratique sociale qui est rgi par des normes, i.e. des lois

    du discours proverbial concernant la production et lacceptation du proverbe : il doit tre

    facile mmoriser, il doit aborder les problmes qui touchent de prs des utilisateurs, etc. En

    change verbal, le proverbe nest pas neutre mais il comporte des aspects expressifs, i.e. il est

    choisi par la vise discursive du locuteur dans le but dobtenir un certain effet pragmatique sur

    des destinataires, sur la situation de communication. Nous approfondissons ce propos dans la

    section 1.2.1.

    1.1.2. Genres du discours

    1.1.2.1. Caractristiques des genres du discours

    Si le discours est conu comme des pratiques, des processus langagiers conditionns

    par les activits humaines, il est incontestable quil existe plusieurs sortes de discours. Cest

    pour cette raison que Bakhtine a introduit la notion de genres du discours. Le concept de

    genre appliqu la diversit des discours trouve une double assise thorique dans la

    rhtorique grco-latine et dans la thorie des genres littraires mais cest Bakhtine, avec son

    article Les genres du discours , crit dans les annes 50 du 20e sicle et publi en 1979 (en

    1984 pour sa traduction en franais), qui a fait merger les genres du discours comme outil

    linguistique.

  • 29

    Quand nous parlons, nous parlons dans une langue mais aussi dans un genre de

    discours. Le locuteur fait lexprience immdiate du langage travers les genres du discours,

    comme le dit Bakhtine : Les formes de langue et les formes types dnoncs, cest--dire les

    genres du discours, sintroduisent dans notre exprience et dans notre conscience

    conjointement et sans que leur corrlation troite soit rompue (1953/1984 : 285). Les genres

    du discours sont lis aux diffrents domaines de lactivit humaine. Selon Bres (in Dtrie et

    al. 2001 : 130), les genres du discours se caractrisent notamment par les proprits

    suivantes :

    - multiplicit

    Les genres du discours sont partout et nombreux. Cette caractristique des genres du

    discours est lie leur provenance : lactivit humaine est inpuisable et chaque sphre de

    cette activit produit, au fur et mesure de son dveloppement et de sa complexification, des

    genres toujours plus complexes et nombreux.

    - htrognit

    Les genres du discours ne sont pas homognes en ce qui concerne la taille, le contenu

    de sens, le mode de structuration, etc. Un genre peut tre court comme un proverbe ou trs

    long comme un roman. Les mcanismes structurants changent dun genre lautre. Cest

    cause de cette htrognit que les genres du discours ne peuvent jamais tre entirement

    dfinis par un ensemble donn dunits et de rgles linguistiques.

    - variabilit des contraintes que les genres du discours imposent

    Un genre se dfinit par les trois lments suivants : le contenu thmatique, le style et la

    structure. Ces trois facteurs constituent un modle de genre que le sujet parlant doit adopter et

    respecter dans son activit langagire. Nanmoins, le degr dintensit des contraintes varie

    dun genre lautre. A ct des genres qui sont fortement standardiss dans des rituels tels

    que les condolances, les prires, la messe, il en est dautres qui laissent plus de libert au

    sujet parlant dans sa crativit tels que la conversation familiale, le journal intime, le roman.

    - mode dtre

    Cette caractristique concerne le mode dacquisition des genres du discours chez le

    sujet parlant. Si certains genres tels que lexpos scientifique, la dissertation, genres oratoires

    qui exigent de ceux qui y participent quils doivent avoir des connaissances spcifiques, la

    plupart dentre eux sacquirent simultanment lapprentissage de la langue de faon

    implicite, le sujet parlant pouvant parfaitement les matriser tout en ignorant jusqu leur

    existence thorique (Bres in Dtrie et al. 2001 : 130). Les genres tels que la conversation

    familire, le compliment, lexcuse sapprennent par imprgnation.

  • 30

    Ainsi, les genres du discours sont la fois stables et labiles. Ils sont stables parce

    quils disposent de normes, de rgles qui font leur identit et qui les distinguent des autres

    genres du discours. Ils sont labiles par leur taille, leur mode de structuration, leur niveau

    dintensit des contraintes, leur mode dtre, etc.

    1.1.2.2. Genres du discours et types du discours

    Certains auteurs emploient indiffremment les termes genres du discours et type

    du discours mais la tendance dominante est plutt de les distinguer.

    Les types du discours sont associs de vastes secteurs de lactivit sociale, autrement

    dit, les diffrentes sphres de lactivit sociale produisent des types de discours identifiables

    par certains traits spcifiques. Par exemple, lactivit religieuse produit un ensemble de

    discours qui ont des lments en commun lgard de la thmatique, du style, etc.

    Lidentification des types de discours se fait en fonction des lieux de production et de

    circulation. Par exemple, le discours publicitaire est interdit lEglise. Lidentification des

    genres du discours se fait galement par le langage utilis (type du discours philosophique :

    langage hyper norm ; type du discours conversationnel : langage moins norm) et par le but

    pragmatique assign (types du discours religieux : faire croire ; type du discours politique :

    convaincre).

    Comme les genres du discours, les types du discours sont nombreux, voire

    innombrables autant quil y a dactivits humaines. Comme les genres du discours, le

    dveloppement dune nouvelle sphre dactivit entrane la circulation dun nouveau type de

    discours. Par exemple, lapparition de la tlvision entrane la cration du type de discours

    tlvisuel et de nombreux genres du discours associs : reportage, talk-show, jeu tlvis, etc.

    Paralllement, la disparition dune sphre dactivit humaine entrane la disparition dun type

    du discours ou des genres du discours. Par exemple : lpoque actuelle, linexistence de

    lactivit dans laquelle un pote passe dun village lautre pour raconter des histoires

    entrane la disparition du genre de discours dpope. Les types du discours et les genres du

    discours reprsentent plusieurs points communs mais il ny a pas de recouvrement. Chaque

    type a ses genres. Par exemple, le type de discours religieux a des genres : prire, messe,

    psaume, etc. Certains genres peuvent tre prsents dans plusieurs types : le genre du discours

    reportage peut apparatre dans le type du discours tlvisuel, dans le type du discours

    journalistique.

  • 31

    Aprs avoir donn une dfinition du discours, du genre du discours en relevant leurs

    caractristiques et en les distinguant des autres termes corrlatifs, nous montrons, dans ce qui

    suit, notre point de vue sur notre objet dtude, le proverbe, en tant que genre du discours.

    1.2. Le proverbe en tant que genre du discours

    1.2.1. Le proverbe relve-t-il de la langue ou du discours ?

    Rpondre cette question permet de prciser notre point de vue en ce qui concerne la

    faon de concevoir et dapprhender le proverbe.

    On peut donner plusieurs arguments pour justifier le statut du proverbe comme unit

    de langue. Nous en proposons ici quelques-uns.

    Les proverbes sont prconstruits, ils sont des expressions toutes faites, ils font partie

    du code de langue et ils appartiennent au stock lexical.

    Le deuxime argument est li au premier. On peut regrouper les proverbes en

    rpertoire au format de dictionnaire. Cela prouve que le proverbe appartient la langue car on

    peut lister les units de langues dans les recueils mais il est impossible de faire linventaire

    des units discursives.

    Un autre argument, qui a frquemment t signal, concerne la non actualisation des

    lments lexicaux, savoir labsence de rfrence actuelle et labsence de modifications

    structurelles. Par exemple, dans le proverbe La barbe ne fait pas lhomme, les SN la barbe et

    lhomme ne rfrent pas une personne concrte. Le proverbe Bon cur ne peut mentir

    naccepte pas la modification Mon cur ne peut mentir. Le proverbe Ce que les yeux ne

    voient pas ne fait pas mal au coeur ne peut pas tre modifi par Ce que les yeux ne voyaient

    pas ne faisait pas mal au cur.

    On peut invoquer un argument li lacquisition des proverbes. Les proverbes

    possdent formellement laspect dune phrase mais ils doivent tre appris en bloc et par cur.

    La moiti dun proverbe nest plus un proverbe. Cet lment cognitif a son origine dans la

    perception que le proverbe est une unit constitutive du lexique.

    Nous ne faisons pas partie des partisans de lhypothse selon laquelle le proverbe

    appartient la langue. Pour nous, le proverbe appartient bel et bien au discours. Voici nos

    arguments pour lgitimer le statut de lunit de discours du proverbe.

    Le premier argument concerne la manire dactualisation du proverbe. Le proverbe

    appartient au discours car il y est n : il porte des marques dnonciation. Dans le proverbe, on

    constate un systme dactualisateurs du nom et du verbe qui sont les dterminants dfini,

  • 32

    indfini, possessif et les morphmes de personne, de temps et daspect. Dans le proverbe La

    barbe ne fait pas lhomme, le SN la barbe ne renvoie pas une barbe concrte mais la barbe

    avec toutes les proprits suffisamment et ncessairement pour lidentifier. Le SN lhomme ne

    rfre pas une personne particulire mais lhomme reprsentatif de tous les hommes sans

    penser aux diffrences individuelles. Le verbe faire conjugu au prsent de lindicatif dnote

    une rfrence temporelle indtermine. Ainsi, on ne peut pas dire que les SN la barbe,

    lhomme sont non actualiss mais ils actualisent de leur manire. Les proverbes possdent leur

    propre mode dactualisation.

    Le deuxime argument est dordre rhtorique et pragmatique. Les mtaphores et les

    effets de style quon trouve abondamment dans le proverbe sont crs par et dans le discours.

    Dans le proverbe Maison sans flamme, corps sans me, il sagit de deux images : maison sans

    flamme et corps sans me. La symtrie des mots : maison-corps, sans-sans, flamme-me ; la

    rptition de la prposition sans, lassonance flamme-me permet dtablir expressivement la

    relation de comparaison entre deux membres du proverbe. Une maison sans flamme manque

    de vitalit, comme un corps sans me manque de vivacit. Sans flamme et sans me, la

    maison et le corps restent des enveloppes qui manquent de la profondeur qui les rend vivants.

    Et le message que le proverbe veut transmettre son utilisateur est quil faut prendre soin de

    la maison et du corps.

    Le troisime argument est en faveur dun statut discursif. Le proverbe est un nonc

    autonome et clos. Sur ce point, Anscombre crit : Un proverbe est clos dans la mesure o il

    peut lui tout seul faire lobjet dune nonciation auto-suffisante, i.e. ne requrant pas

    dnonciations antrieures et postrieures pour former un discours complet. Et un proverbe est

    autonome dans la mesure o il ne lui est pas assign de place fixe dans les discours dans

    lesquels il apparat (2000 :12). Lnonc proverbial implique un nonciateur qui dans sa

    propre voix faire entendre la voix dun autre qui est pos comme responsable de lnonc.

    Lautre est la Sagesse des Nations. Elle constitue le savoir-parler, le bien-dire, diffus par une

    figure de pense dominante, une culture du discours.

    Ce qui vient dtre dit suffit pour caractriser le proverbe comme unit de discours

    mais pas de langue. Et le proverbe constitue un genre de discours dans locan des genres du

    discours.

    1.2.2. Le proverbe en tant que genre du discours

    Considrant le proverbe comme un genre du discours, nous devons prouver que le

    proverbe est une convention prise entre deux principes complmentaires : principe didentit

  • 33

    et principe de diffrence. Par principe didentit, il faut relever les facteurs caractristiques du

    proverbe en ce qui concerne son contenu thmatique, son style et sa structure. Ces facteurs

    constituent des normes, des rgles qui permettent de dfinir le genre du discours proverbial.

    Par principe de diffrence, il faut justifier que le proverbe est un genre part entire en le

    distinguant des autres genres, notamment des genres affins. La distinction se fait galement

    par les facteurs dfinissants les genres que sont le contenu thmatique, le style et la structure.

    Dans les deux chapitres qui suivent, nous justifions que le proverbe observe ces

    principes de faon satisfaisante. Dans le chapitre 2, nous distinguons le proverbe des autres

    genres de discours apparents tels que le dicton, la maxime, laphorisme, la sentence, ladage,

    et le slogan pour le proverbe franais et thnh ng (locution) et la chanson populaire pour le

    proverbe vietnamien. Dans le chapitre 3, nous relevons les caractristiques les plus saillantes

    du proverbe vietnamien et du proverbe franais telles que : la structure binaire, le rythme, la

    rime, la symtrie des mots dun mme champ lexical, lautonomie smantique, syntaxique et

    pragmatique, la mtaphoricit, la restriction aux hommes, la gnricit et enfin lorigine

    populaire.

  • 34

  • 35

    Chapitre 2. Le proverbe et les autres genres phrasologiques

    Toute approche des proverbes se heurte une double difficult. Dune part, le terme

    de proverbe, en langue naturelle, recoupe toute une srie de notions apparentes telles que :

    dicton, maxime, adage, sentence, aphorisme, slogan, devise, etc. Dautre part, on bute

    galement sur lapparente htrognit des diverses proprits dfinitoires susceptibles dtre

    voques pour rendre compte de ces notions ou pour les opposer entre elles. En vietnamien, il

    est facile de confondre le proverbe avec des termes proches tels que thnh ng (locution) et

    ca dao (chanson populaire). Toutes les deux ont une partie qui peut facilement se confondre

    avec le proverbe. Cette confusion repose sur deux points : la forme structure de ces deux

    units et la conception des chercheurs parfois diffrente dans leurs recueils. En effet, il y a des

    proverbes qui sont structurs comme des syntagmes :

    No bng i con mt

    satit/ ventre/ faim/ NC/ yeux

    Avoir les yeux plus grands que le ventre

    et linverse, quelques locutions sont des phrases :

    Mo m v c rn

    chat/ aveugle/ choper/ poisson/ frire

    Chat aveugle attrape poisson rissol

    Il existe certains proverbes se prsentant sous le mtre de six-huit3 qui est par nature une

    forme frquente de la chanson populaire :

    My i bnh c c xng

    My i g gh m thng con chng

    PAR/ vie/ flan de riz/ avoir os/ PAR/ vie/ belle-mre/ PAR/ aimer/ enfant/ mari

    Les gteaux nont jamais dos comme les belles- mres naiment jamais lenfant de

    leur mari

    En outre, on rencontre dans les recueils de proverbes plusieurs exemples qui ont t

    considrs comme locutions ou chansons populaires et inversement, dans les recueils de

    3 Forme potique traditionnelle vietnamienne. Voir 2.1.2.

  • 36

    locutions et de chansons populaires, on trouve des noncs qui ont t considrs comme

    proverbes.

    Ce problme est galement prsent en franais. Il existe une srie de termes entourant

    le proverbe : dicton, adage, maxime, aphorisme, apophtegme, sentence, locution qui sont

    lorigine de malentendus de la part des locuteurs et voire mme des linguistes. Dans les

    recueils de proverbes ou dans les tudes sur les proverbes, on emploie indiffremment le

    proverbe et le dicton, la maxime Par exemple : la forme sentencieuse Tel pre, tel fils est

    classe parmi les aphorismes par F. Delacour, parmi les proverbes par F. Montreynaud, A.

    Pierron et F. Suzzoni (2000). A.J. Greimas (1960) considre Chose promise, chose due

    comme un dicton alors que C. Schapira (1999), G. Kleiber (2000), P. Arnaud (1992) le

    considrent comme un proverbe. A. Pierron nhsite pas ranger Les hommes prfrent les

    blondes parmi les proverbes sans justifier la raison de sa classification. Beaucoup dauteurs ne

    distinguent pas les formes sentencieuses qui sont des noncs des locutions verbales et

    adverbiales qui sont des syntagmes.

    Face ce phnomne, il nous faut dblayer le terrain terminologique entourant le

    proverbe afin de dterminer les proprits de chaque unit en gnral et du proverbe

    proprement dit. Dans le cadre de cette tude, nous distinguerons le proverbe de la locution et

    de la chanson populaire en vietnamien et du dicton et de la maxime, de laphorisme, de la

    sentence, de ladage, du slogan en franais.

    2.1. Distinction entre proverbe vietnamien et formes apparentes

    2.1.1. Proverbe et thnh ng (locution4)

    Le proverbe et thnh ng (locution) ont des traits semblables portant sur la structure et

    mme sur la signification, ainsi que sur la capacit dexpression dans la communication : tous

    deux sont des units prexistantes, prtablies, stables, solides du point de vue de la

    composante lexicale et de la forme que lon rpte telle quelle, sans possibilit dapporter

    aucun changement aux termes qui les constituent. Le proverbe et la locution conservent leur

    sens et leur identit dans tous les emplois. La plupart des proverbes et des locutions sont

    4 La traduction franaise du terme thnh ng nest pas exacte car elle ne recouvre quune partie de la

    comprhension du terme. Thnh ng nest pas un genre du discours mais une forme linguistique. Dans la langue

    vietnamienne, thnh ng (suite de mots), par ses proprits linguistiques, risque facilement de se confondre avec

    le proverbe. Il nous parat absolument ncessaire de faire une distinction proverbe/ thnh ng.

  • 37

    utiliss dans un sens mtaphorique. Cest pourquoi, la frontire entre ces deux termes nest

    pas facile dlimiter.

    Dabord, il faut laborer un systme de critres pour les diffrencier. Nous nous

    appuyons ici sur les critres que sont la forme syntaxique et la fonction smantique.

    La diffrence entre le proverbe et la locution sous le rapport de la forme syntaxique est

    de lordre du degr. Plus prcisment, le proverbe est une phrase, complte ou elliptique. La

    locution est gnralement un syntagme et elle peut sinsrer dans la phrase en jouant le rle

    dun nom, dun verbe, dun adverbe Il existe en vietnamien des proverbes dans lesquels on

    retrouve des locutions et pas de cas inverse:

    p nh tin lo phin cng xu

    belle/ comme/ fe/ soucis/ PAR/ moche

    Belle comme une fe, mais si on a des soucis, on devient moche

    Cy su cuc bm, thc y lm, khoai y b

    labourer/ profond/ piocher/ vigoureux/ paddy/ plein/ grenier/ patate/ plein/ panier

    Pein dans les champs, on aura un grenier plein de riz et un gros panier plein de

    patates

    C vay c tr mi tho lng nhau

    PAR/ emprunter/ PAR/ rendre/ PAR/ satisfait/ entrailles/ les uns les autres

    Donnant donnant est la seule faon de satisfaire les uns les autres

    Insres dans les proverbes, ces locutions jouent le rle dun mot : p nh tin (belle

    comme une fe) = trs belle, cy su quc bm (peiner dans les champs) = assiduit, c vay

    c tr (ayant une dette, il faut la payer) = net.

    Pourtant, si lon ne se fie quau critre de forme syntaxique, que pourra-t-on dire des

    locutions structures comme des phrases, telles que :

    C nm trn tht

    poisson/ se coucher/ sur/ billot

    Le poisson se trouve sur le billot

    Chut sa chnh go

    souris/ tomber/ jarre/ riz

    La souris tombe dans une jarre de riz

    Mo m v c rn

    chat/ aveugle/ choper/ poisson/ frire

    Chat aveugle attrape poisson rissol

    Trng nh xui, kn thi ngc

  • 38

    tambour/ frapper/ vers laval/ trompette/ souffler/ vers lamont

    Tambour frappe un sens, trompette souffle dans lautre sens

    ou des proverbes structurs par des syntagmes :

    Da La, c Lng, nem Bng, tng Bn, nc mm Vn Vn, c r m St

    pastque/ La/ morelle/ Lng/ nem/ Bng/ sauce de soja/ Bn/ sauce de poisson/ Vn

    Vn/ anabas/ m St

    Pastque de La, morelle de Lng, nem de Bng, sauce de soja de Bn, saumure de

    poisson de Vn Vn, anabas de m St

    Gan St, mt Bng, dng Ph Lu

    foie/ St/ visage/ Bng/ taille/ Ph Lu

    Foie de St, visage de Bng, allure de Ph Lu

    Cest pourquoi, il nous faut avoir recours au critre de la fonction smantique. La

    locution est une expression constitue par lunion de plusieurs mots formant une unit

    syntaxique et lexicologique. La plupart des locutions portent en elles une valeur

    mtaphorique, leur sens est toujours figur. Ainsi, on ne peut pas dduire le sens dune

    locution en additionnant le sens de chacune de ses composantes. Son sens se situe de faon

    indpendante par rapport la signification des composants. Par exemple : le sens de la

    locution Bt chch ng ui correspond strictement la locution franaise accrocher

    languille par la queue nest pas le sens de bt (attraper) + chch (anguille) + bng (par) +

    ui (queue). Lensemble des significations des mots qui la composent laisse transparatre son

    sens : prendre les choses lenvers.

    Le proverbe est une phrase et son sens est un jugement qui a pour valeur vrai-faux, Il

    suffira dajouter que tout proverbe exprime une logique de jugement, une logique de laction

    et souvent une morale, que son attitude est gnralement acceptante par rapport au systme de

    valeurs dominant dans la socit (Rey, 2000 : XII). Le contenu du proverbe est gnral,

    comme dit Schapira Le proverbe est un nonc investi dune grande autorit, pour plusieurs

    raisons diffrentes, dont la suivante nest pas la moindre : comme son anciennet, son origine

    collective et populaire passe pour une garantie de vrit. Son acceptation par un nombre

    infini de locuteurs, pendant un long laps de temps, apparat comme le test irrfutable de la

    validit de son message (1999 : 57).

    Ainsi, la locution Mo m v c rn (Chat aveugle attrape poisson rissol) nest pas un

    nonc malgr sa forme phrastique. Son sens est lquivalent smantique du mot : chance. La

    locution Trng nh xui, kn thi ngc (Tambour frappe un sens, trompette souffle dans

  • 39

    lautre sens) a pour forme une phrase compose mais ici elle apporte un sens nominatif :

    incompatible, inconsquent.

    Le proverbe Da La, c Lng, nem Bng, tng Bn, nc mm Vn Vn, c r m

    St (Pastque de La, morelle de Lng, nem de Bng, sauce de soja de Bn, saumure de

    poisson de Vn Vn, anabas de m St) comporte des syntagmes nominaux mais ce

    proverbe exprime un jugement gnral concernant : la pastque, la morelle, la sauce de soja,

    la saumure de poisson, lanabas rattachs aux rgions : La, Lng, Bng, Bn, Vn Vn,

    m St. Ce sont les meilleures spcialits de ces rgions, prcisment, la pastque de La est

    la meilleure, la sauce de soja de Bn lest galement De mme, le proverbe :

    Chim g, c nhch, cnh cau

    oiseau/ poule/ poisson/ nom dun poisson/ paysage/ arquier

    Oiseau : poule, poisson : nhch, paysage : arquier (traduit mot mot en franais)

    est constitu par des syntagmes nominaux mais il faut interprter son sens ainsi : si on lve

    des oiseaux, il vaut mieux lever des poules (oiseaux de basse-cour) car cest le plus

    bnfique ; si on mange du poisson, le poisson de nhch est le meilleur; si on fait des

    plantations, larquier a beaucoup davantages. Ainsi, pour comprendre le sens de ces

    proverbes, il faut les mettre dans une relation implicite que seuls des membres dune mme

    communaut linguistique peuvent interprter. Tout cela soulve une interrogation : pourquoi

    est-il ncessaire de mettre les proverbes en relation en vue den interprter le sens ? Rpondre

    cette question va peut-tre donner un certain intrt la distinction entre le proverbe et la

    locution du point de vue smantique.

    Examinons la locution :

    u tt mt ti

    tte/ teint/ figure/ obscurci

    Tte teinte, figure obscurcie

    Le sens de la locution sest form grce la structure binaire : u tt / mt ti (tte teinte/

    figure obscurcie). u (tte) et mt (figure) sont des parties du corps humain, ce sont les deux

    parties qui sont en contact immdiat avec le temps et lenvironnement. Tt (teinte), ti

    (obscurcie) expriment un moment au dclin de la journe. Ainsi, le sens de cette locution est

    la pnibilit. Semblablement, le sens de la locution :

    Trn e, di ba

    sur/ enclume/ sous/ marteau

    Sur lenclume, sous le marteau

  • 40

    est form par la structure binaire : trn e / di ba (sur lenclume / sous le marteau). La

    symtrie entre trn/di (sur/sous) et e/ba (enclume/marteau) donne une signification de

    cette locution : la contrainte.

    Examinons le proverbe :

    Thng da bng, chng da mt

    tendu/ peau/ ventre/ dtendu/ peau/ yeux

    Si la peau de son ventre est tendue, celle de ses yeux est dtendue

    Le proverbe comporte deux membres. Thng da bng tendu/ peau/ ventre symbolise

    la satisfaction, chng da mt dtendu/ peau/ yeux symbolise la peine. Lassociation du sens

    entre les deux membres donne le sens du proverbe: pour tre heureux, il faut se donner du

    mal. On peut tablir des tournures linguistiques imagines pour claircir les relations entre les

    deux membres de lnonc proverbial :

    (Mun) thng da bng (phi) chng da mt

    vouloir/ tendu/ peau/ ventre/ devoir/ dtendu/ peau/ yeux

    Pour avoir la peau du ventre tendue, il faut dtendre la peau des yeux

    (V) thng da bng (nn) chng da mt

    comme/ tendu/ peau/ ventre/ cest pourquoi/ dtendu/ peau/ yeux

    Parce que la peau du ventre est tendue, celle des yeux est dtendue

    (Nu) thng da bng (th) chng da mt

    si/ tendu/ peau/ ventre/ PAR/ dtendu/ peau/ yeux

    Si la peau du ventre est tendue, celle des yeux sera dtendue

    Chaque tournure imagine produit un effet de sens diffrent. Lapplication des conjonctions :

    mun - phi, v nn, nu th donne un rsultat acceptable, ce qui prouve que le proverbe

    Thng da bng, chng da mt peut tre utilis dans les contextes avec les conjonctions ci-

    dessus actualises. Par exemple : le couple mun - phi donne au proverbe un sous-entendu

    dobligation, le couple v nn donne au proverbe un sous-entendu daffirmation, de

    confirmation et le couple nu th donne au proverbe un sous-entendu de conseil. Cependant,

    ces tests ont pour but de concrtiser des relations possibles du proverbe, de reconnatre

    visiblement ces relations. Dans lusage du proverbe, les Vietnamiens, avec leur subtilit,

    peuvent interprter immdiatement le sous-entendu que le locuteur veut y exprimer.

    Examinons les trois proverbes suivants :

    Gn la rt mt

    prs/ feu/ brlant/ visage

    Prs du feu, on se sent brlant au visage

  • 41

    n ry nga ming

    manger/ alocasia/ avoir des dmangeaisons/ bouche

    Mang de lalocasia, on a des dmangeaisons la bouche

    m rm nhm bng

    saisir/ paille/ irriter/ ventre

    Saisi de la paille, on irrite au ventre

    Les trois proverbes ont un point commun, prcisment, ils expriment une situation :

    quand on fait quelque chose, on doit supporter les consquences de ses actes. Malgr la

    diffrence dexpression, les trois proverbes vont dans le mme sens : cest la relation de cause

    effet entre un acte et sa consquence. Le contenu de ces proverbes sest form travers cette

    relation.

    Ds lors, on peut rsoudre un cas trs intressant : le processus de proverbialisation

    dune locution, autrement dit le processus qui fait quune locution transparat dans un

    proverbe.

    Le proverbe :

    Cha khi vng cong ui

    ne pas/ sortir/ cercle/ PAR/ cambrer/ queue

    Ntant pas sorti du cercle, il file, la queue en lair

    implique la locution : khi vng cong ui (Hors du cercle, cambrer la queue). Pour que cette

    locution ait un statut de proverbe, il faut lui ajouter un couple de mots : cha (pas

    encore dj). Ces deux mots transforment la locution khi vng cong ui (Hors du cercle,

    cambrer la queue) de la structure syntagmatique avec le sens : lingrat en proverbe en

    bimembre qui voque la relation de deux procs A et B dont A = cha khi vng (ne pas

    encore sortir du cercle) et B = cong ui (dj cambrer la queue), A ne change pas encore

    dtat, B en a dj chang. Ainsi, le couple de mots : cha (pas encore dj) permet

    dtablir une relation entre les deux membres de ce proverbe et le sens du proverbe est conu

    dans et par cette relation.

    De la locution qui traduit un sentiment commun dans la vie :

    ngi yu k ght

    personne/ aimer/ personne/ dtester

    Lun aime, lautre dteste

    au proverbe :

    Lm ngi yu hn nhiu k ght

    beaucoup/ personne/ aimer/ suprieur / personne/ dtester

  • 42

    Il vaut mieux avoir plusieurs amis que davoir de nombreux ennemis

    qui traduit le conseil : il vaut mieux recueillir la sympathie que lantipathie des autres, le

    processus de proverbialisation se fait par la relation comparative marque par les mots : lm

    (beaucoup) hn (suprieur ). Le procd dinsertion de la locution dans le proverbe se

    ralise selon la manire suivante : en profitant de la structure symtrique de la locution, le

    proverbe ajoute les verbes de comparaison pour inclure la locution dans un systme de

    comparaison. Ds lors, le proverbe est dot dune relation tout fait diffrente celle de la

    locution initiale.

    La locution :

    C vay c tr

    PAR/ emprumter/ PAR/ rendre

    donnant donnant

    fait partie du proverbe :

    C vay c tr mi tho lng nhau

    PAR/ emprunter/ PAR/ rendre/ PAR/ satisfait/ entrailles/ les uns les autres

    Donnant donnant est la seule faon de satisfaire les uns les autres

    Pourquoi, lorsquon laisse tel quel c vay c tr (donnant donnant), on a toujours une

    locution, mais avec lajout mi tho lng nhau ( cette condition, on peut satisfaire les uns

    les autres), cela devient indiscutablement un proverbe ? La locution c vay c tr (donnant

    donnant) exprime un tat concret, sa signification peut tre rsume en un mot, celui de net,

    mais le proverbe C vay c tr mi tho lng nhau (Donnant donnant est la seule faon de

    satisfaire les uns les autres) est une vrit gnrale, cest une exprience de la vie. On peut

    gloser le sens du proverbe : il faut tre net en ce qui concerne largent pour conserver une

    bonne relation avec autrui. Ce proverbe montre une relation de condition et la locution c vay

    c tr joue le rle de support pour que le proverbe C vay c tr mi tho lng nhau puisse

    achever sa fondation de la relation.

    Ainsi, pour transformer une locution en une partie de proverbe, le proverbe doit la

    mettre dans une relation quelconque et cest cette relation qui permet de former le sens du

    proverbe.

    Le terme de locution qui est la traduction franaise du mot vietnamien thnh ng ne

    correspond pas rigoureusement celui du franais. La plupart des locutions vietnamiennes ont

    plusieurs caractristiques formelles communes avec le proverbe comme la structure binaire

    rythmique associe la rime ou aux assonances intrieures :

  • 43

    Locution:

    Mt xanh / nanh vng

    visage/ bleu/ canine/ jaune (se dit dun air maladif)

    K tung / ngi hng

    personne/ lancer/ personne/ recueillir (se dit dune manipulation)

    Lun lance, lautre recueille

    M trn / con vung

    mre/ ronde/ enfant/ carr (se dit dun bon accouchement)

    Proverbe :

    C vay c tr / mi tha lng nhau

    PAR/ emprunter/ PAR/ rendre/ PAR/ satisfait/ entrailles/ les uns les autres

    Donnant donnant est la seule faon de satisfaire les uns les autres

    c ng chn / ln ng u

    gagn/ ct/ pied/ empit/ ct/ tte

    Si on a concd une petite part, on sera oblig de concder davantage

    La rptition dun mme terme et / ou une syntaxe symtrique dans les deux volets

    soulignent le moule binaire de la locution et du proverbe. Cest pourquoi les locuteurs

    risquent de confondre la locution et le proverbe. La distinction entre la locution et le proverbe

    est ncessaire pour que lon puisse justifier les caractristiques de la locution ainsi que celles

    du proverbe.

    De ce qui prcde, on peut tirer une conclusion : du point de vue de la forme

    syntaxique, le proverbe diffre de la locution par son statut phrastique. La locution est

    gnralement un syntagme et celle-ci peut sinsrer dans la phrase proverbiale en jouant le

    rle dun nom, dun verbe, dun adjectif... Quant au contenu informationnel de ces deux

    formes, la locution apporte toujours un sens nominatif alors que le sens du proverbe est un

    jugement.

    2.1.2. Proverbe et ca dao (chanson populaire)

    Comme le proverbe, la chanson populaire est une cration populaire anonyme. Le trait

    le plus marquant de la chanson populaire est celui de la forme rythmique : toutes les chansons

    populaires existent en mtre de six huit (une chanson populaire comporte au moins deux

    phrases : la premire comprend six syllabes, la deuxime comprend huit syllabes ; la sixime

    syllabe de la premire phrase fait rime avec la sixime syllabe de la seconde. La chanson

  • 44

    populaire est une formule rythme typique, que lon peut chanter ou dclamer. Pour cette

    raison, on la nomme chanson populaire.

    On trouve dans quelques tudes sur les proverbes des phrases qui sont lobjet dtude

    de la recherche sur les chansons populaires :

    1. Nui ln th phi vt bo.

    Ly chng th phi np cheo cho lng

    lever/ porc/ PAR/ devoir/ retirer/ laitue deau/ prendre/ mari/ PAR/ devoir/ donner/

    droit de mariage/ / village

    Quand on nourrit des porcs, il faut retirer des laitues deau, Quand la jeune fille se

    marie, elle doit payer le droit de mariage au village

    2. Thm ng, hng ty, dng my

    Ai i i n ba ngy hng i

    noir/ est/ rose/ ouest/ beaucoup/ nuage/ qui/ PAR EXC/ attendre/ jusqu/ trois/

    jours/PAR/ partir

    Quand il fait noir lest, il fait rouge louest, il fait du vent roux, Il faut attendre

    pendant trois jours avant de partir

    3. My i bnh c c xng

    My i g gh mi thng con chng

    PAR/ vie/ flan de riz/ avoir/ os/ PAR/ vie/ belle-mre/ PAR/ aimer/ enfant/ mari

    Les gteaux nont jamais dos comme les belles- mres naiment jamais lenfant de

    leur mari

    4. Ta v ta tm ao ta

    D trong d c ao nh vn hn

    nous/ rentrer/ nous/ baigner/ tang/ nous/ malgr/ limpide/ malgr/ trouble/ tang/

    maison/ encore/ suprieur

    Rentrons nous baigner dans notre tang, Trouble ou limpide, notre tang nous vaut

    mieux

    5. Phi duyn th dnh nh keo

    Tri duyn chng chnh nh ko c vnh

    juste/ sort prdestin/ PAR/ coller/ comme/ colle/ contraire/ sort destin/ ple-mle/

    comme/ arbaltrier/ percer/ gondol

    Si deux personnes accordent leurs sorts prdestins, elles se lient comme de la colle,

    Si leurs sorts prdestins sont contraires, leur mariage est ple-mle comme un arbaltrier

    qui gondole

  • 45

    On constate que le critre de forme syntaxique et celui de fonction smantique

    appliqus pour la locution ne peuvent rsoudre exhaustivement ces cas. Si on utilise le

    premier critre, on se heurte une impasse : pour exprimer une information complte, rien

    nempche le proverbe de recourir une forme plus longue et personne ne doute que les

    phrases suivantes ne soient des proverbes :

    nh gic th nh gia sng

    ng nh ch cn mc chng m chm

    combattre/ ennemi/ PAR/ combattre/ au milieu/ fleuve/ il ne faut pas/combattre/

    endroit/ sec/ tre pig/ chausse-trape/ PAR/ sombrer

    Quand on lutte contre des envahisseurs, il faut les chasser au milieu du fleuve, Il ne

    faut pas combattre lendroit sec, sinon on risque dtre pris aux chausses-trappes et on va

    senfoncer dans leau

    mc th n ph may

    Bao nhiu st n tay th rn

    objet/ habiller/ PAR/ aller/ tailleur/ combien/ objet/ fer/ aller/ main/ NC/ forgeron

    Pour avoir des vtements, il faut aller chez le tailleur, Pour avoir des objets en fer, il

    faut aller chez le forgeron

    i lng n nm l sung

    Chng mt th ly chng chung th ng

    faim/ entrailles/ manger/ poigne/ feuille/ figuier/ mari/ unique/ PAR/ prendre/ mari/

    commun/ PAR/ refuser

    Si on a faim, on se contente dune poigne de feuilles de figuier, Si le mari est unique

    soi, on accepte, mais si cest un mari commun, on le refuse

    De plus, le mtre de six-huit nest pas la forme monopoleuse de la chanson populaire.

    Si lon sappuie sur le critre de la fonction smantique, cela ne donne rien car le proverbe et

    la chanson populaire sont des noncs qui ont des thmes communs : le travail, le mariage, la

    vie conjugale, lamour.

    Cest pour cela que, notre avis, il faut considrer ces cas comme des units

    intermdiaires entre le proverbe et la chanson populaire. Effectivement, dans les crations

    populaires et mmes dans les crations savantes, il y a un phnomne qui fait quil existe un

    mlange entre les genres. Le proverbe et la chanson populaire sont le rsultat dune cration

    collective populaire et sont transmis de gnration en gnration par voie orale, donc le

    mlange est une consquence inluctable. Nous nommerons provisoirement ceux-ci : des

    chansons populaires proverbialises ou des proverbes imitant des chansons populaires. Si

  • 46

    lon souhaite les dlimiter plus vigoureusement, on peut sy rsoudre ainsi : chercher la

    proprit la plus marquante appartenant la chanson populaire ou au proverbe, pour, par la

    suite, les classer. Si un nonc a un contenu qui vise la raison, le conseil qui cite des

    phnomnes gnraux, universels, on peut le considrer comme proverbe (noncs numrots

    1, 2, 3). Si un nonc ne vise pas simplement donner des conseils ou des jugements

    gnriques, mais que ceux-ci ne sont que des points dappui en vue de traduire des motions,

    des sentiments, on peut la considrer comme une chanson populaire (noncs numrots 4, 5).

    Une question se pose lors de notre analyse des phnomnes intermdiaires entre la

    chanson populaire et le proverbe : le proverbe est-il un discours qui a une vise potique

    comme la chanson populaire ? Pour rpondre cette question, nous allons analyser les deux cas

    suivants :

    - Le proverbe fait partie dune chanson populaire, autrement dit, la chanson populaire

    utilise le proverbe pour provoquer linspiration potique

    - Le proverbe et la chanson populaire expriment le mme contenu

    Considrons la chanson populaire suivante :

    Ra ng nht cnh hoa ri

    Hai tay bng ly : c ngi mi ta

    sortir/ rue/ ramasser/ ptale/ fleur/ tomb/ deux/ main/ porter/ vieux/ autrui/ nouveau/

    je

    Sors dans la rue, ramasse un ptale de fleur tomb par terre, Porte-le dlicatement,

    vieux pour les autres, nouveau pour moi

    Cette chanson populaire englobe le proverbe : c ngi mi ta (vieux pour les autres,

    nouveau pour moi). Ce proverbe a un sens : sestimer heureux de possder ce quun autre a

    ddaign, autrement dit : des choses dj utilises par dautres sont encore nouvelles pour soi.

    Lorsque ce proverbe entre dans la chanson populaire, son rle change et son sens apporte

    encore un nouveau trait : vieux pour les autres, nouveau pour moi. Ce nouveau trait devient

    un point smantique ancr dans lunivers dmotions de la chanson populaire. Avec lacte hai

    tay bng ly (traduit littralement : porter le ptale de fleur tomb par terre en deux mains), la

    chanson populaire manifeste un comportement plein dhumanit envers les infortuns cnh

    hoa ri (ptales de fleur tombs) qui symbolisent des femmes gares. C ngi mi ta

    (vieux pour les autres, nouveau pour moi) a perdu son caractre intelligible, ce qui reste, ce

    sont les sonorits de lmotion ; la gnralisation: c mi (vieux nouveau), ta ngi

    (autre moi) a cd sa place une motion concrte : cest une consolation pour soi-mme,

    un dfi, une sympathie

  • 47

    Quand le proverbe :

    C v m ph lng sung

    avoir/ fruit de sycomore/ PAR/ dlaisser/ entrailles/ figue

    Ayant le fruit de sycomore, on dlaisse la figue

    sinsre dans la chanson populaire :

    C v m ph lng sung

    C cha bn Bc, miu bn ng tn

    avoir/ fruit de sycomore/ PAR/ dlaisser/ entrailles/ figue/ avoir/ pagode/ ct/ nord/

    temple/ct/ est/ se fltrir

    Ayant le fruit du sycomore, on dlaisse la figue, Ayant la pagode du Nord, on laisse le

    temple de lEst dans ltat dlabr

    Ce proverbe joue le rle de support pour que la chanson populaire puisse exprimer sa voix

    lyrique. Et le modle gnral du proverbe : c ph (avoir dlaisser), par exemple :

    C trng ph n

    La lune fait oublier la lampe

    C on ph xi

    Le cne tronqu de riz gluant fait oublier le riz gluant cuit

    C bt s tnh ph bt n

    Ayant le bol de porcelaine, on dlaisse le bol de faence

    C l lt tnh ph xng sng

    Ayant le lolot, on dlaisse le paederia

    C hoa si tnh ph hoa ngu

    Ayant le chlorantus, on dlaisse lhmrocalle

    devient un point dappui afin de dvelopper : C cha bn Bc, miu bn ng tn (Ayant

    la pagode du Nord, on laisse le temple de lEst dans ltat dlabr) qui traduit l ingratitude de

    lhomme dans la relation entre lancien, attach depuis longtemps, et le nouveau que lon

    vient davoir. Les locuteurs peroivent ce proverbe avec une impression potique.

    Il existe des cas o une chanson populaire utilise un proverbe comme inspiration

    potique :

    Th nht v di trong nh

    Th nh nh dt, th ba ra cn

    -V di th con khn

    Tru chm lm tht, ra cn chu bm

  • 48

    primo/ femme/ malavis/ dans/ maison/ secundo/ maison/ trouer/ tertio/ machette/ non

    tranchant/ femme/ malavis/ PAR/ donner naissance/ enfant/ avis/ buffle/ lambin/ beaucoup/

    chair/ machette/ non tranchant/bien/ hacher

    Primo, avoir une femme malavise

    Secundo, la maison dont le toit est trou, tertio, la machette est non tranchante

    -La femme malavise va accoucher lenfant avis

    Le buffle lambin va donner beaucoup de chairs, la machette non tranchante hache

    bien

    On peut voir ici une formule de dialogue. Cette formule napparat que dans la

    chanson populaire car elle est chante dans les endroits publics, tels que : les maisons

    communes du village, les pagodes, sur les pentes de digue, sur les berges de la rivire Les

    chansons populaires sont chantes et dclames par deux groupes. Quand lun sarrte, lautre

    continue et ainsi de suite durant leur joute oratoire. Avec cette formule de dialogue, la

    chanson populaire a renvers le sens du proverbe. Le proverbe exprime gnralement des

    phnomnes, des affaires considrs comme des vrits gnrales, les rcepteurs le reoivent

    sens unique, mais ici, la chanson populaire se sert du proverbe pour discuter , elle utilise

    les phnomnes gnraux qui tirent srement une conclusion globale primo, secundo,

    tertio pour dfendre un paradoxe appartenant la chanson populaire un discours potique

    vritable.

    Ainsi, quand le proverbe est un lment de la chanson populaire, il sagit dune

    transformation : la chanson populaire fournit un contenu dmotion au proverbe et celui-ci

    devient un point dappui important dans lunivers motionnel de la chanson populaire.

    Pour mieux voir la diffrence des effets de sens produits par le proverbe et la chanson

    populaire, nous donnons les exemples suivants :

    Proverbe :

    Chng ght th ra, m gia ght th vo

    mari/ dtester/ PAR/ sortir/ belle-mre/ dtester/ PAR/ rentrer

    Si on est dtest par le mari, on sort de la maison, Si on est dtest par la belle-mre,

    on rentre dans la maison

    Chanson populaire :

    Chng ght th em mi ru

    M chng m ght git tru n mng

    mari/ dtester/ PAR/ je/ PAR/ triste/ belle-mre/ PAR/ dtester/ abattre/ buffle/

    manger/ joie

  • 49

    Si mon mari me dteste, je serai triste, Si ma belle-mre me dteste, je vais abattre un

    buffle pour fter

    Proverbe :

    Chng d th lo, m chng d nh co m vo

    mari/ mchant/ PAR/ inquiet/ belle-mre/ mchant/ sauter cloche-pied/ PAR/ entrer

    Si le mari est mchant, on est inquiet, si la belle-mre est mchante, on entre dans la

    maison avec la joie

    Chanson populaire :

    Chng d th em mi lo

    M chng m d m b n khao

    mari/ mchant/ PAR/ je/ PAR/ inquiet/ belle-mre/ PAR/ mchant/ ventrer/ buf/

    manger/ fter

    Si mon mari est mchant, je suis inquite, Si ma belle-mre est mchante, je vais

    ventrer un buf pour fter

    On trouve deux points analogues entre les proverbes et les chansons populaires :

    - la structure binaire : chaque proverbe est divis en deux membres, chaque membre

    exprime un sens complet et il a un rapport de coordination avec lautre ; de son ct, la

    relation entre la phrase-six (premire phrase comportant 6 syllabes) et la phrase-huit

    (deuxime phrase comportant 8 syllabes) des deux chansons populaires est aussi la

    coordination.

    - le contenu de sens : les proverbes et les chansons populaires abordent la relation

    tripartie entre la femme, le mari et la belle-mre.

    Le sens de ces deux proverbes est considr comme une vrit gnrale et celle-ci peut

    sappliquer nimporte qui, nimporte quelle famille. Cest un phnomne rpandu li la

    complexit des relations familiales de la socit vietnamienne. Dans les deux chansons

    populaires, le personnage em (je) devient le sujet lyrique, chng (mari), m chng (belle-

    mre) sont lobjet pour que le personnage em (je) puisse rvler son comportement. On peut

    voir clairement le reflet de lmotion travers les mots, avec le trope demphase : m b n

    khao (ventrer un buf pour fter), git tru n mng (abattre un buffle pour fter). Cette

    relation tripartite devient concrte mais non gnrale, car em (je) est concret, chng (le mari)

    et m chng (la belle-mre) deviennent chng em (mon mari) et m chng em (ma belle-

    mre). Si le proverbe utilise un mode dexpression objectif, impersonnel, la chanson

    populaire, linverse, utilise un mode dexpression subjectif, personnel. Notons que le

    proverbe et la chanson populaire expriment le mme contenu mais leffet de sens produit par

  • 50

    chaque genre est diffrent. Cest leffet de sens du genre, autrement dit, un effet rattach au

    matriel propre dun genre qui nous permet de distinguer facilement la frontire entre les uns

    et les autres.

    On peut citer plusieurs exemples qui tmoignent de ce propos :

    Proverbe :

    o nng may nng mi, ngi nng ti nng thn

    Quand on confectionne souvent des vtements, ils sont toujours nouveaux, quand on

    va voir souvent quelquun, le contact devient de plus en plus proche

    Chanson populaire :

    Nng ma th ging nng y

    Anh nng i li, m thy nng thng

    Sil pleut souvent, le puits va tre plein rapidement, Si tu me rends souvent visite, mes

    parents auront beaucoup de sympathie pour toi

    Proverbe :

    Trc trch mnh, sau trch ngi

    Se reprocher dabord, reprocher aux autres aprs

    Chanson populaire :

    Trch ngi mt, trch ta mi

    Bi ta bc trc, cho ngi t sau

    Reproche aux autres une fois, je me reproche dix fois, comme je suis ingrat dabord,

    les autres me font mal aprs

    Proverbe :

    Thn con gi mi hai bn nc

    La condition de jeune fille comme douze quais fluviaux

    Chanson populaire :

    Lnh nh mt chic thuyn tnh

    Mi hai bn ncc bit gi mnh vo u ?

    Une barque damour qui flotte la drive au milieu du fleuve, Dans douze quais

    fluviaux parmi lesquels je peux trouver asile

    Ainsi, travers la distinction entre le proverbe et la chanson populaire, une des

    proprits du proverbe est voque : le proverbe est simultanment apte au discours potique.

    La chanson populaire vietnamienne ne ressemble pas la comptine en franais. Cette

    dernire est une chanson enfantine (chante ou parle) servant designer le joueur, la joueuse

    qui sera attribu un rle particulier dans un jeu. La chanson vietnamienne est destine aux

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    adultes, et pas aux enfants. Mais, puisque les chansons populaires sont trs riches, trs

    musicales grce aux rimes, et aux rythmes, on les emploie comme des berceuses. Des mres

    ou des grandes-mres les chantent ou les dclament pour endormir leurs enfants.

    La comptine franaise a aussi une structure potique avec une structure rythmique tout

    fait remarquable. Par rapport aux proverbes, les comptines semblent avoir des structures

    moins brves et parfois mme fort longues.

    Par exemple :

    Il tombe de leau

    Plic ploc plac

    Il tombe de leau

    Plein mon sac

    Il pleut, a mouille

    Et pas du vin

    Quel temps