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Culture Coréenne N o 73 Automne/Hiver 2006

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CultureCoréenneNo73 Automne/Hiver 2006

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Événement littéraire

Dossierspécial«CoréeauCœur»

Actualité

N o 73 Automne/Hiver 2006

Sommaire

Rain, à la conquête du monde

Enorme succès en 2006 de deux films coréens

Journées de découvertede la littérature coréenne

Prix Culturel France - Corée 2005

Interview

Nouveautés

Lee Young Hee, “première styliste du hanbok exportée”

VoyagesLe Festival des lanternes de lotus,1600 ans de tradition

Les dernières parutions de l’année 2006

Directeur de la publication : Mo Chul-MinComité éditorial : Georges Arsenijevic, Jeong Eun-Jin,

Park Jeong-Yoon, Kim Young-AeOnt participé à ce numéro : Chérif Khaznadar,

Bernard Point, Pierre Cambon,Philippe Verrièle et Jean-Louis Perrier

Conception et graphisme : Lee Joung Gen

« Corée au Cœur », le fossé est enfin comblé !

Spectacles

Le Bourgeois de Molièreet la tentation chamanique

Lune partagée

Parures, fards et onguentsdans la Corée ancienne

ExpositionsSuites coréennes

Editorial2

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« Traditions millénaires de Corée »Deux représentations de ce spectacle ontété données les 16 et 17 décembre 2006,Salle Pleyel, par la troupe du prestigieuxInstitut national coréen de musique et dedanse traditionnelles. Présenté en clôturede la célébration « Corée au Cœur », cemagnifique spectacle musical et choré-graphique a remporté un très gros succèsauprès du public français et coréen venu ennombre.

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Editorial

Je suis fier de vous présenter ce numéro 73 qui marquel’aboutissement d’une réflexion entreprise il y a quelquesmois déjà dans le but d’améliorer la qualité de notre revue« Culture Coréenne ». En effet, nous avons voulu rendrecelle-ci à la fois plus attrayante, plus agréable à lire, plusintéressante et reflétant davantage la diversité de la culturecoréenne, notamment pour ce qui est de ses aspects lesplus contemporains.Pour ce faire, nous avons créé un Comité éditorial au seinduquel on discute désormais collégialement du contenurédactionnel, de la présentation et du design, l’équipe étanten outre renforcée par un nouveau graphiste. Notre Comitéest donc heureux de vous présenter cette nouvelle formule,plus aérée, plus illustrée, et qui comprend, comme vouspourrez le constater des rubriques nouvelles -dossierspécial thématique, actualité, interviews, voyages- quistructureront désormais la revue et en constitueront lacharpente. Notre nouvelle formule restera néanmoinsflexible puisqu’elle pourra aussi éventuellement, àl’avenir, s’enrichir de rubriques nouvelles.Le rythme de publication adopté dorénavant est de deuxnuméros par an, « automne-hiver » et « printemps-été »,chaque numéro (semestriel) comptant toutefois, par rapportà l’ancienne formule, quatre pages supplémentaires.Comme vous le savez, l’année 2006 a été marquée par le120e anniversaire des relations diplomatiques entre laFrance et la Corée, « Corée au Cœur ». Elle a été particu-lièrement riche en événements culturels multiples et variésqui se sont déroulés un peu partout dans l’Hexagone et quiont, de par leur nombre (plus de 120 manifestationsorganisées), leur diversité (expositions, arts du spectacle,cinéma, événements littéraires, etc) et leur impact médiatique(plus de 300 articles dans la presse française) contribué,comme jamais auparavant, à faire connaître en Francenotre pays et sa culture.

Il est donc naturel que nous ayons décidé de consacrerdans ce numéro, en cette fin d’année 2006, un dossierspécial aux manifestations du 120e anniversaire, d’autantque toute l’équipe du Centre Culturel Coréen y a beaucouptravaillé. Vous trouverez ainsi dans ce dossier, outre un articlebilan, « panoramique », signé par M. Chérif Khaznadar,Président d’honneur du Comité d’organisation de « CoréeauCœur », cinq autres articles consacrés à desmanifestationsphares, qui furent remarquables et remarquées, représentativesde la diversité du programme et du succès remporté par« Corée au Cœur ».J’espère de tout cœur que vous apprécierez la nouvelleformule que nous avons spécialement concoctée pour vouset que « Culture Coréenne », qui fête cette année ses 25 ans(N°1 paru en décembre 1981), continuera à être plus quejamais, pour ses lecteurs, une précieuse source d’informationssur la Corée et sa culture.Enfin, je profite de l’occasion qui m’est donnée pour vousadresser, à tous, mes vœux les plus sincères et les pluschaleureux pour une excellente année 2007, en espérantque cette année nouvelle sera placée sous le signe de laréussite et de la joie pour vous-même et tous ceux qui voussont chers.

Chers amis lecteurs,

MO Chul-MinDirecteur de la publication

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« CCoorrééee aauu CCœœuurr »

Célébrer l’anniversaire de l’établissement de relationsdiplomatiques entre deux pays n’est pas chose courante.Lorsqu’elle a, par hasard, lieu, cette célébration prendgénéralement la forme d’une réception, d’un cocktail, d’undîner officiel, l’un ou l’autre agrémenté de discours officiels.C’est la première fois qu’en France une telle célébration setransforme en un événement culturel d’une exceptionnelleampleur. «Corée au Cœur» -car c’est ainsi que s’estdésignée cette manifestation- est devenue plus qu’une«saison», une véritable «Année de la Corée» en France.

Rappelons que c’est en juin 1886 qu’a été signé le premiertraité diplomatique entre la France et la Corée, 2006 enmarque donc le cent vingtième anniversaire et lorsque l’onsait qu’en Corée le soixantième anniversaire est unévénement important dans la vie non seulement desindividus, mais aussi de la nation, l’on ne s’étonnera pasque célébrer deux fois soixante ans est doublementimportant. Aussi, dresser le bilan de cette célébration quise devait d’être à la hauteur de l’événement n’est pas choseaisée tant ont été nombreuses et diverses les manifestationsqui ont jalonné l’année 2006 non seulement à Paris maisdans plus de trente grandes villes de France et quelquesdizaines de bourgades. Conçue, à l’origine, autour d’une vingtaine d’événementsphares cette «Année» s’est, comme boule de neige,enrichie jour après jour d’initiatives nouvelles quiélargissaient considérablement son champ d’action et lespublics auxquels elle était destinée. C’est ainsi qu’àl’arrivée plus de cent vingt manifestations majeures ontpermis à quelque cent cinquante mille personnes (et sansdoute beaucoup plus car il n’a pas été possible de compterles visiteurs des expositions qui étaient à entrée libre) dedécouvrir pour certaines ou de mieux connaître, pourd’autres, les multiples facettes et les trésors, qu’ils soientpatrimoniaux ou de création contemporaine, de la culturecoréenne.

Par Chérif KhaznadarPrésident d’honneur du Comité d’organisation de « Corée au Cœur », 120e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Corée

LLee ffoosssséé eesstt eennff iinn ccoommbblléé !!

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Arrivée des invités lors du spectacle commémoratif officiel « Korean Fantasy »,qui s’est déroulé le 8 juin 2006 à l’Opéra royal du château de Versailles. Au pre-mier plan et au milieu, Mme Han Myeong Sook, Premier ministre de la Répu-blique de Corée. Au premier plan à gauche, M. Thierry Breton, ministre françaisde l’Economie, des Finances et de l’Industrie.

« La prière », danse évoquant un rituel chamanique, au programme du très beauspectacle « Korean Fantasy » donné par la troupe du Théâtre national de Corée,à l’Opéra royal de Versailles.

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La troupe du Théâtre national de Corée a assuré l’ouverturede «Corée au Cœur» à l’Opéra de Versailles, et celle del’Institut national coréen de musiques et danses tradition-nelles l’a prestigieusement clôturée à la salle Pleyel àParis. Nombre de concerts de musique classique, de mu-sique traditionnelle, de musique contemporaine, de rituels,de pièces de théâtre, de créations chorégraphiques, despectacles de rue, ont permis une approche des formesspectaculaires coréennes, complétant ainsi les connais-sances essentiellement cinématographiques que l’on pou-vait en avoir en France. Le cinéma n’a d’ailleurs pas étéabsent de la fête avec une dizaine de festivals, tout commela littérature et la poésie à travers lectures, colloques etrencontres. Plusieurs expositions patrimoniales, de créa-tion plastique contemporaine, de calligraphie, de photo-graphies, de différentes formes d’art et d’artisanat, maisaussi de mode, de design, de cosmétiques, ont occupémusées et galeries privées, espaces culturels et centresd’art. La Corée a été exceptionnellement présente avec desévénements grand public et touristiques dans maintesexpositions, foires, forums, semaines culturelles, salons,fêtes et festivals. Bien évidemment, les aspects scienti-fiques, économiques et diplomatiques n’étaient pas absentsde la fête et ont pu être abordés au cours de conférences,forums, séminaires, colloques et journées spécialisées.Cette énumération des genres et types de programmes quifurent proposés au cours de l’année m’évite de citer l’unou l’autre des événements car il faudrait les citer tous tantils étaient de qualité et qu’ils ont touché le public qu’ilsont rassemblé.

Pour terminer je voudrais exprimerici l’émotion qui est la mienneface au succès de cette célébrationet à l’intérêt qu’a manifesté lepublic français pour la culturecoréenne. Quel chemin parcourudepuis les premiers spectacles dethéâtre, de musique, de dansecoréens que nous présentions il y atrente ans au Festival des ArtsTraditionnels de Rennes, ou depuiscette nuit de Pansori en novembre1982 à la Maison des Cultures duMonde au cours de laquelle unecentaine de personnes découvri-rent cet art du récit et du chant.Déjà, à cette époque, le CentreCulturel Coréen à Paris était lepartenaire de telles entreprises.Ses directeurs successifs ont inlas-sablement œuvré à combler lefossé qui existait entre la culture

coréenne et les publics de France et si, aujourd’hui, «Coréeau Cœur» a été, avec son immense succès, le couronne-ment de toute cette action, c’est bien grâce à l’action del’équipe du Centre Culturel sous la direction de MonsieurMo Chul-Min. Qu’ils en soient ici grandement félicités etdoublement remerciés car ils nous ont permis de toucherdu doigt, de sentir, de ressentir, de connaître peut-être, ceconcept, indéfinissable en français parce que spécifi-quement coréen, du Môt qui est grâce, beauté, élégance,distinction.

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Réception officielle après le spectacle « Traditions millénaires de Corée », présenté le16 décembre Salle Pleyel, en clôture de la célébration « Corée au Cœur ».

« Corée au Cœur », campagne d’affichage dans le métro parisien.

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Cette exposition, qui fut, dans le domaine des arts plastiques, lʼun desévénements phares de « Corée au Cœur », célébration du 120e anniversairedes relations diplomatiques entre la France et la Corée, a eu lieu à Paris, auPassage de Retz, du 1er au 24 juin 2006.

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Suites coréennesPar Bernard Point Critique d'art

Passage de Retz du 1er au 24 juin 2006.

Vernissage de l’exposition. De gauche à droite : M. Ju Chul-Ki, ambassadeur de Corée en France (2e), Mme Kim Airyung, commissaire de l’exposition(3e), Mme Bang Hai Ja (4e) et M. Mo Chul-Min, directeur du Centre Culturel Coréen (7e). Au premier plan : sculpture de Yoon-Hee.

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Mon parcours dans cette expositionjustement titrée, commence dans un“monde sans obstacles” rêvé idéalementpar RHEE Seund Ja. Tout de suite, jesurvole des tracés urbains réinventés parl’artiste. Pourtant, contrairement au pland’une ville, cette peinture inscrit desformes géométriques sans suite, commeflottant à l’intérieur de l’espace clos de latoile. C’est le début du sens même de lapeinture.

Alors, dans un esprit de suite, RHEESeund Ja m’offre une lecture méditativedes “Yin et Yang”, peinture composéecomme une suite musicale faite de piècesde même tonalité, accrochées à l’horizon-tale vibratoire qui la traverse.

Enfin, elle donne suite àcette contemplation enproposant de grandestraversées de firma-ment, laissant s’envolerdes suites répétitives deformes simples commedes signes de possession.

Pour faire suite à cetenvol, BANG Hai Jadonne à contempler une“lumière de l’univers”,mais cette fois para-doxalement… à mespieds ! Un grand cerclegéotextile imprégné depigments naturels rayonnede lumière sourde etprofonde. Mon regardbaissé à la suite de cettecontemplation silen-cieuse, va se releverpour mieux s’imprégnerdes “lumières de lapaix” grands cylindressuspendus, toujoursilluminés de pigmentscolorés, qui dans leursuite me laissent circulerau sein de cet espacelumineux habité de poésie et de spiritualité.

Par la suite, je vais quitter provisoirementle domaine de la peinture pour me retrouverface à l’univers photographique de

TCHINE Yu-Yeung.Des assemblagesconstitués de suitesde rectangles colorés,quelquefois inter-rompus horizontale-ment ou verticalement,créent des sortes defenêtres ouvertes surdes abstractions pay-sagères. Car si l’imagese trouble, c’est parceque l’artiste lave sonsupport photogra-phique de l’humi-dité de l’aquarelle.Un travail sur ordi-nateur donne lieu àdes tirages numé-riques permettantdes changementsd’échelle, qui à lasuite les uns des

autres, occupent partiellement le mur, enrévélant par leur composition le vide quiles sépare, et contradictoirement l’humusfertile qui les soude.

Poursuivant mon cheminement dans lasuite des salles du passage de Retz, jeretrouve l’œuvre de YOON-HEE que jeconnais depuis longtemps. Sous laverrière, une grande vasque attire mon re-gard vers le sol. Cette masse de métal, ré-cupérée d’une fonderie et choisie parl’artiste pour son “silence”, me parlecomme la suite naturelle de la volonté del’homme de dompter la nature. YOON-HEE prend en compte la fusion de miné-raux, met en situation leurs restes, et dansla suite des actes industriels, ne garded’eux que ce qui n’est pas utilisable parl’industrie. Les suites de ces actes, de cesinstallations, deviennent encore témoinsdes métamorphoses signifiant la naturemême de l’art.

Tout en continuant de lire avec suite lesœuvres fortement marquées au sol, je re-viens maintenant au mur avec les toilesde HAN Soonja. Je retrouve alors lamême suite dans les idées qui me faisait

Han Myung-Ok “Aquarium”, 1990, clous, fil, sacs plastiques et eau. 300 x 400 cm

Yun Aiyoung, “Jardin secret”, installation vidéo et son, 2001.

Bang Hai Ja, “Lumière de l’univers”, 2002, pigments naturels sur géotextile, diamètre 220 cm.

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apprécier ces œuvres lors de mes visitesdans l’atelier. Encore une fois, je me plaisà discerner les apparitions ou disparitionsde cercles colorés qui osent se superposer,se renforcer, s’additionner ou s’effacer àla suite les uns des autres. Les peinturesde HAN Soonja, semblent très lentements’allumer, puis s’éteindre sobrement, sanseffet spécial, seulement par suite desaccords chromatiques entre couleurs debase et formes réduites au cercle. Aucunevirtuosité gratuite et tourbillonnante, maisune longue suite de déclinaisons entrevide et absence, grâce à la présencefondamentale de la peinture.Il me faut alors gravir un escalier pourdécouvrir une œuvre nouvelle de HANMyung-Ok qui vient à la suite de nom-breux travaux sur l’écoulement du temps.J’ai accompagné cette œuvre depuis unedizaine d’années, et aujourd’hui, je longeavec bonheur cette “muraille de riz” quisouligne ma pensée et allonge en moicette notion du temps gagné… ou perdu ?

J’attends la suite des évènements encontemplant cet “aquarium” composéd’une multitude’ de sacs plastiquescontenant de l’eau. Suspendus à des fils,ils pèsent du poids de leur immatérialitéliquide et se présentent comme une suite,à la fois impénétrable et fragile de par lamultitude de fils qui les suspendent. Letemps s’écoule encore, mais il peut couleraccidentellement, car dans l’œuvre deHAN Myung-Ok, cette médiationapparemment sereine l’est d’autant plusqu’elle peut tragiquement basculer.

YUN Aiyoung vient à la suite de cettepromenade réelle et mentale en proposant,par ses installations mêlant la magie de

fibres optiques à la vidéo,un parcours hors du temps.Pourtant, le corps, trèsprésent, suit les méandresd’une divagation entreréalité et fantasme.

Des photographies, souventtirées des vidéos, par leurimmobilité marquent desétapes de repos. Des arrêtssur image jalonnent cesinstallations mouvantes etcréent ainsi de suite, gravitélente et mouvement fébrile.

Pour avoir connu dansd’autres circonstances cetravail, je conforte ici mon plaisir d’attendreune suite d’évènements à venir, que YUNAiyoung semble toujours promettre dansses “jardins secrets”.

Il me reste maintenant à achever le che-min respectueux de l’ordre établi par lecatalogue de ces « Suites coréennes » enterminant par KOO Jeong-A.

C’est sur le mur tout de suite, que l’artisteécrit en utilisant une peinture en bombe.Je ne peux que décrypter cette suite demots espiègles par une lecture decaractère ludique, en attendant la suite auprochain numéro.

C’est ainsi que mon cheminement dans lepassage de Retz, en compagnie de la suitede huit artistes coréennes, se termineplaisamment avec l’assurance decontinuer à suivre la démarche à venir deces femmes en attendant une suite (sans)fin.

Enfin, globalement, me reste le souvenird’une exposition qui a réussi à me fairesuivre ces démarches différentes d’un art

au féminin, mais également à m’accom-pagner dans la continuité d’une décou-verte d’une culture “coréenne au coeur”à pénétrer. Je retiens de ces “Suitescoréennes”, l’aptitude de ces artistes àsignaler leur identité en marquant intime-ment les lieux proposés dans les suites duPassages de Retz et, par ailleurs, à seretrouver toutes à leur manière dans lacréation d’espaces intérieurs. Subsiste enmoi, la présence forte d’attitudes créativescontemporaines, qui n’ont cette richesseque parce qu’elles sont nées au coeurd’un même pays, mais se donnent à voirici, dans l’identité de complexes dialoguesdiversifiés, préfigurant pour certaines,leurs évolutions à venir... à suivre.

Han Soonja, “Tension, balance”, 2001, acrylique sur toile, 200 x 200 cm.

Koo Jeong-A, “Babakoo”, installation in situ avecvoitures miniatures de taille d’environ 25 x 15 cm(vue partielle).

Tchine Yu-Yeung, “Approcher - le fleuve Han”, 2005, photo, acryliqueimpression jet d’encre sur papier, 350 x 1271 cm.Rhee Seund Ja, “Chemin des antipodes”, 1989,

acrylique sur toile, 200 x 200 cm.

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Par Pierre Cambon,

Conservateur en Chef, Musée National des Arts Asiatiques - Guimet

Photo : Lee Joung Gen

Parures, fards et onguents dans la Corée ancienne

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Célébrer à Paris le 120ème anniversaire desrelations diplomatiques entre France etCorée par une exposition sur l’art de laparure de la Corée ancienne, l’idée étaitpar définition bienvenue puisqu’en Francecomme en Corée la beauté féminine, lesouci de la mettre en valeur, sont unevaleur bien ancrée dans les deux tradi-tions. Au « Pays du matin clair », les plusanciens portraits de beautés coréennesilluminent de fraîcheur et de grâce lestombes Goguryeo, de la matrone de latombe d’Anak datée de 357 aux silhou-ettes élégantes et graciles qui ornentSusanri et frappent par leur costume d’unextrême classicisme et d’une modernité

bien souvent étonnante – jupes longues etboléro ajustés à la taille, aux couleurs sim-ples qui jouent sur le noir, le blanc ou bienle rouge. A l’époque Goryeo, l’écho desdames du temps jadis comme aurait ditFrançois Villon, sous d’autres latitudes, estsi fort qu’il se poursuit sous la périodesuivante sous forme de peintures, de por-traits féminins, et le céladon qui voit sonapogée décline alors toute une série depetits pots à onguents aux formes arrondies,de compte-goutte délicatement ornés, sousla couverte à la couleur bleu-vert, d’undécor de fleurs minutieusement gravégrâce à la technique typiquement coréenneque l’on appelle sanggam. L’approche estloin de celle du céladon chinois qui privilégiela perfection de matière et de forme selonl’idéal en usage dans l’empire du milieu etque François Jullien résume si joliment,« l’éloge de la fadeur ». Ici, l’ambiance est

Centre Culturel Coréen à Paris, du 11 au 23 Septembre 2006.Collections du Coreana Cosmetics Museum

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délibérément intimiste et proche de lanature, avec un sens inné du décor inté-gré à la forme. Sous la Corée de Joseon,qui voit le triomphe de l’idéologie néo-confucéenne, à l’exemple des Ming, ledécor se fait désormais plus modeste, lesaccesoires plus simples, privilégiant laporcelaine blanche, même si au fil dessiècles les pièces sont rehaussées d’undécor très léger à l’aide du bleu de cobaltemprunté à la Chine, matière à l’originecoûteuse, réservée à la cour, mais quipeu à peu au 18ème siècle se démocratisedans la haute société. De cette époque,datent les feuilles d’album qu’exécuteShin Yun-bok qui apparaît comme lepeintre par excellence de l’idéal féminintypique de la Corée. Son œuvre la plusbelle, au Musée Kansong à Séoul, est unrouleau évoquant une toute jeunefemme, encore adolescente, dont lafraîcheur, la délicatesse, la douceur en-fantine sont encore magnifiés par salourde coiffure de tresse aux refletsnoirs, mais aussi par la jupe très amplequ’elle porte naturellement, le boléroétroit qui souligne la souplesse de lataille, la finesse des épaules, le fameuxhanbok caractéristique de la mode

coréenne, dont un maedup, délicatementouvragé, met en valeur l’aisance et lasimplicité. Pierre Loti dira son éton-nement plus tard de retrouver en Coréeet uniquement là, dans tout l’Extrême-Orient, une mode où les femmes portentdes jupes longues à la manière des élé-gantes de son propre pays. C’est de lapériode Joseon, qui fut l’une des pluslongues de l’histoire coréenne, que lesaccessoires conservés sont bien évidem-ment aujourd’hui souvent les plus nom-breux, les plus variés aussi, parfois lesplus spectaculaires, épingles de chignonà décor de phénix, miroirs en bronze,aux thèmes de fleurs ou bien de paysage,ou plus tard montés sur un coffret debois, peignes ornés d’écaille, d’ivoire oubien de nacre, épingles de métal auxformes géométriques… L’art del’éphémère a su laisser des traces bienau-delà des siècles, suggérant, comme unparfum qui reste dans une pièce mêmeaprès le départ de celle qui l’a porté, ununivers féminin fait de petits objets déli-cats et précieux qui a ses codes propres,comme l’avait pour sa part l’attirail dulettré avec ses pots à encre, ses pinceauxou bien ses encriers. A la partie réservéeaux hommes dans l’habitation coréenne,fait écho celle qu’occupaient les femmesselon la tradition, et ici l’éclat desmeubles en laque noir, la couleur desmaedup, des accessoires brodés, con-trastent avec la sobriété de ton et dematière d’un bureau de lettré. Mais,dans ces appartements, tout reste tou-

jours léger et proche de la nature, sansfaute de goût aucune et sans ostentation.Les accessoires liés à la parure, à l’art deplaire qui est aussi une question d’éti-quette et liée à la position de la femmedans une société d’abord confucéenne,sont l’écho de ce monde et de cet universqui malgré ses codes stricts restent d’unegrande fraîcheur, coloré, naturel, ouvertet lumineux, loin de l’esthétique japonaisequ’évoque Tanizaki dans les dernièrespages de « l’éloge de l’ombre ». C’est àcette jolie promenade à travers deuxmille ans d’histoire de la Corée que con-viait l’exposition du Centre CulturelCoréen à Paris de la collection du musée

Hwagak gyeongdae Coffret de toilette avec miroir Époque Joseon / H : 20,5 cm

Éléments entrant dans la compositiondes produits de soin pour la peau

Racines de ginseng

Haricots verts

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Coreana, première exposition de ce typeréalisée en France « Parures, fards etonguents dans la Corée ancienne ». Crééen 2001, le Coreana Cosmetics Museum,lié à la compagnie coréenne du mêmenom, illustre la vitalité des collectionsprivées qui se sont multipliées ces toutesdernières années dans toute la Corée. Iltémoigne aussi du souci de son fondateurM.Yu Sang-Ok de montrer l’éléganced’une tradition ancienne, d’un certain artde vivre qui sut toujours rester d’unegrande simplicité tout en cherchant sessources d’inspiration auprès de la nature.Dans ce « Royaume idéal » des philosophesnéo-confucéens, qui prônent la vertu et lafrugalité, l’éternel féminin n’en a pasmoins sa manière personnelle d’appréhen-der le monde. La grâce et la beauté ontleur propre langage et, par modestiemême, recourent aux charmes du parfum

et des cosmétiques – tout un arsenal com-pliqué aux allures presque de jouets d’en-fant, de flacons à huile, de pots à poudreen forme de melon, de compte-goutte audécor délicat renvoie à une alchimie minu-tieuse et précise à base de graines, deplantes ou bien de fleurs qui chacune a sespropres vertus et ses propres pouvoirs.Petits couteaux élégamment ciselés,norigae aux couleurs éclatantes, anneauxde métal ou de jade voisinent à côté dumiroir, élément essentiel de ce jardin secret.« Le superflu, chose fort nécessaire »,soutenait déjà Voltaire. Le Centre CulturelCoréen à Paris en a fait la démonstrationavec beaucoup de goût grâce cette exposi-tion des collections du Coreana CosmeticsMuseum.

Ce musée, fondé en 2001 sous l’égide de l’entreprise Coreana, l’un desleaders coréens en matière de produits de beauté, rassemble quelque5 300 pièces extrêmement variées (coffrets, miroirs, boîtes à maquillage,fards, parfums, poudres naturelles, etc.) permettant d’appréhender lavision idéale de la beauté féminine dans la Corée de l’ancien temps et demieux comprendre les « méthodes » traditionnelles utilisées par lesfemmes coréennes pour mettre en valeur leurs attraits naturels. C’est leplus important musée de ce genre en Corée. Sa collection, d’un hautintérêt historique et esthétique, comprend nombre de pièces précieusesdont les plus anciennes remontent au 5e siècle avant notre ère. Le musée,géré de façon indépendante, incarne la volonté de l’entreprise Coreana,de valoriser, de faire mieux connaître la culture cosmétique coréenne etde contribuer au développement des connaissances dans ce domaine.Pour plus de renseignements, www.spacec.co.kr

Cheongja sanggam bunhoPot à poudre à décor incisé sous couverte céladonÉpoque Goryeo / H : 5,3 cm

Cheongja sanggam mojahapBoîte à couvercle à décor incisé sous couverte céladonÉpoque Goryeo D. de la grande boîte 11,4 cm D. de la petite boîte 3,6 cm

Daehan jeguk eunje yihwamun bunhapPoudrier en argent à décor de fleur de prunierFin du X IXe siècle / D : 5,6 H : 3 cm

DonggyeongMiroir en bronze (vue de dos)Époque Goryeo / D : 21,5 cm

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Carolyn Carlson

Full Moon (Apron Castle)

La rencontre entre la compagnie coréenne ChangMu et leCentre Chorégraphique de Roubaix n’est pas seulementle croisement de deux grandes dames, Carolyn Carlson etKim Mae-Ja. Il s’est opéré, dans cette création, une trans-mission des gestuelles étonnantes entre les danseurs.

L’erreur en ce qui concerne les piècesécrites, comme ce Full Moon (ApronCastle), à quatre mains - et a fortiori pourdeux compagnies- est de chercher ce quirelève de chacun des protagonistes.Quand les créateurs sont deux figures ma-jeures comme Carolyn Carlson et KimMae-Ja, l’objet produit par la rencontreest plus important que les éléments quil’ont composé. Par exemple, les danseurs,tant il est amusant de voir à quel point leshuit membres du Centre ChorégraphiqueNational de Roubaix ont intégré le lenthiératisme de la danse coréenne et com-ment les dix interprètes de la compagnieChangMu soulignent d’inflexions inusitéesles gestes carlsonniens (le fait est patentpour les mains, jamais soignées à cepoint). Il n’est, par ailleurs, pas douteuxque la très séduisante cohérence dupropos de ce ballet a été le produit decompromis multiples entre deux créatricesdont chacune affiche plus de trente ans de

Par Philippe VerrièleCritique de danse

7,8,9 décembre 2006 à Roubaix

Photo : Bang Sung Jin

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Kim Mae-Ja

carrière féconde. D’une part Carolyn Carlson. La grandeinterprète d’Alwin Nikolais, l’un desfondateurs incontournables de la dansemoderne américaine, est arrivée enEurope au début des années 1970, avantd’être Etoile-Chorégraphe de l’opéra deParis en 1975 (à 1980) et de constituerune véritable figure séminale de la dansecontemporaine en France comme en Italieou en Finlande. De Writtings on Water àTiger in Tea House, pour ne prendre quedes exemples récents, l’univers orientalest au cœur de ses préoccupations. D’autrepart Kim Mae-Ja. A partir des dansestraditionnelles coréennes, dont elle vadevenir une spécialiste réputée, cetteactiviste passionnée va créer institutionset relais jusqu’à donner à l’art chorégra-phique une visibilité inusité. Présentepour des manifestations très grand public(jeu olympiques ou coupe du monde defootball)- ou dans des enceintes plus

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expérimentales, elle s’efforce, en particulieravec sa revue Momm (Le corps) de tisserles liens les plus solides possibles avec lacréation contemporaine. On mesure à lafois la distance entre les deux dames etaussi les chemins par lesquels elles ont pupasser pour arriver à une pièce qui n’aabsolument pas le caractère de patchworkque sa composition pouvait laisser craindre.Full Moon se compose en effet d’une piècede Kim Mae-Ja pour les danseurs du CCNet d’une pièce de Carolyn Carlson pourceux de la compagnie ChangMu, ainsi qued’un solo de chacune des deux choré-graphes qu’elles interprètent sur scène. Or,la fusion des éléments s’effectue remar-

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Les deux étoiles de la danse après le spectacle.

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quablement et s’appréhende aisément. Au tableau initial, une rampe inclinée surlaquelle les danseurs se tiennent par lamain, guirlande qu’anime à peine unrythme inexorablement tranquille. Uneforme fœtale, au centre du plateau, s’élèvealors que la corolle de silhouettes blanchesse déroule sur le plateau. On peut penser àla fameuse ouverture de l’acte trois de laBayadère tant cette apparition conduit im-médiatement à une perception de l’irréalitédu monde, ces figures féminines (car, alors,même les hommes le sont) introduisant àun monde hors du réel, mais où se résou-dront les tensions de la réalité – c’est exac-tement la fonction de «l’acte blanc » dans

le ballet romantique. L’esthétique « à laBob Wilson » (couleurs franches et froides,lignes précises jusqu’au glacé, hiératismepostural) renforce encore cette sensation detraverser « une forêt de symboles »… Lesfigures-femmes occupent l’espace dans ungrand mouvement lent, jusqu’à ce que sedéroule une manière de combat. Esthéti-quement, les duels permettent de remar-quables moments traités au ralenti, maisl’anecdote qui fonde la pièce, à savoir labataille d’Apron Castle de 1593, est tout àfait secondaire et il n’est pas besoin de maî-triser ou de chercher à connaître les subti-lités de l’histoire ancienne coréenne pourappréhender ce Full Moon. Le point debascule de l’œuvre se situe au moment oùCarlson, comme à l’appel d’une chanteusecoréenne, remonte en diagonale la scènevers deux danseurs qui scandent le rythmeen marchant. Comme s’il s’agissait demontrer que la fluidité féminine ne peuttrouver sa raison qu’avec un rythme donnépar le masculin …Ce que parviennent à montrer CarolynCarlson et Kim Mae-Ja relève de ce postu-lat de la complémentarité. La pièce se clôtavec une parfaite cohérence sur une remon-tée des interprètes par la rampe qui les avaitvu descendre, et raconte surtout l’alchimieétrange qui a présidé à sa création. Lesanecdotes et l’intérêt pour la qualité indis-cutable des deux grandes dames quandelles dansent -le solo de Kim Mae-Jasemble comme suspendu dans l’espace tantelle retient chaque mouvement- valentmoins que l’étonnant partage des gestes desdanseurs. De l’apport des danseurs coréens,il en a déjà été question et il faut un peud’attention pour mesurer à quel point ceux

du CCN de Roubaix parviennent à donnerun sens différent (la circulation d’énergie)à la rigueur du buste dans la dansecoréenne. Pour autant, la véritable histoirede Full Moon est là. Quand, dans le studio,la tension était trop forte car les efforts tropintenses, certains danseurs demandaient unarrêt en disant « I am lost in translation”,au sens littéral sans doute, mais aussimétaphorique. Car c’est à cette « translation »,qu’il faut entendre aussi au sens géométrique,que sont parvenus ces dix-huit danseurs.Ce qui reste une gageure…

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Danseurs français et coréens réunispour une superbe création.

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Spectacle« Un marchand drapier parvenu, M.Jourdain, veut être considéré commeun gentilhomme. » Tel serait Le Bour-geois gentilhomme, résumé par LePetit Larousse. En mettant en scène lacomédie-ballet de Molière au Théâtrenational de Corée, puis à l’Opéra-Comique de Paris (dans le cadre du120ème anniversaire de l’établissementdes relations diplomatiques entre laFrance et la Corée) Eric Vigner a prisavec ce schéma des distances qui nesont pas seulement celles qui séparent

le drap occidental de la soie orientale.Monsieur Jourdain sort rajeuni, revigorépar ses immersions dans la culturecoréenne. Son personnage, trop sou-vent taillé d’un bloc, acquiert unevariété de couleurs inédite. Exit latradition italianisante, le registre desbarbons niais issus de la comédiebouffe. L’homme fait d’alphabet de-vient, via un Bosphore de fantaisie,l’ambassadeur d’une culture chez uneautre. Et retour.

Le Bourgeois de Molière et la tentation chamaniquePar Jean-Louis Perrier

Journaliste

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Sans s’inscrire pleinement comme unemétaphore du travail d’Eric Vigneravec les comédiens, chanteurs, musi-ciens, danseurs coréens (lire CultureCoréenne N°68), Le Jeu du Kwi-Jokou Le Bourgeois gentilhomme incor-pore cette dimension, tout en restantfidèle à la lettre de Molière. Le désird’ascension sociale se dilue dans ledésir de changer de culture. La fasci-nation du Bourgeois pour les manièresde cour, rejoint celle d’un Coréen d’au-

jourd’hui pour le Grand siècle français- ou celle d’un Français pour la tradi-tion coréenne. Le motif vertical de lapièce (devenir gentilhomme) est con-trebalancé par un déplacement hori-zontal vers l’autre et l’ailleurs. Lâchéen un raccourci abrupt à la Larousse,ce Monsieur Jourdain voudrait êtreconsidéré comme un Coréen.

Dès la première scène, après avoirtournoyé - figure récurrente de la miseen scène -, comme étourdi, sur leplancher laqué à l’image d’un paonfaisant la roue, Monsieur Jourdaintombe « sur le cul ». Rien de fortuitdans cette chute et cette position in-convenante, bien au contraire : il s’agitde figurer cette expression populaire

Opéra Comiquedu 20 au 30 septembre 2006

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témoignant d’un étonnement considérable. A plusieursreprises, il tombera, repliant ses jambes sur son ventre, dansune position fœtale rompue par des bras tendus vers le ciel.Monsieur Jourdain n’en revient pas d’entrevoir un mondenouveau. Cela le déséquilibre, au point de perdre con-science. Le repli au sol lui permet de reprendre ses espritstroublés par ce qu’il a vu, et qui va le rendre chaque fois unpeu plus aveugle à ce qui organisait sa vie d’avant, celle demarchand.

Quoique parvenu au moment où il n’y a plus à compter -sa fortune est à la démesure de ce qui s’amassait alors enquelques voyages heureux -, Monsieur Jourdain n’en a pasmoins conservé le carnet qui liste les plus infimes sommesprêtées. En vérité, il balance encore entre deux mondes, qui,chacun, tentent de le tirer vers lui. Prodigue un instant, il a

la liasse de billets de banque aussi souple de remise quecelui des participants à une cérémonie chamanique. Ladrel’instant suivant, il décompte en centièmes. Sans cesse,Monsieur Jourdain est ainsi ballotté d’un point à l’autre.D’une réalité à l’autre. S’il roule si souvent au sol - autrefigure importante dans la mise en scène d’Eric Vigner -,c’est parce qu’il est roulé par Dorante (interprété parl’étonnant Kim Jong-Du), mais aussi parce qu’il est tirailléentre deux états. Dans le premier, Monsieur Jourdain estmaître et père de famille, dans le second, il devient unadolescent aux prises avec de nouveaux émois. En roulantsur lui-même - telle une pièce de drap -, il inverse le coursdes ans, il retourne vers l’enfance. Ravi par ce qu’il voit, ilest ravi par une adolescence qu’accentue la grâce de l’inter-prète (Lee Sang-Jik), jamais ridicule, et toujours touchant.

Lee Sang-Jik, le Monsieur Jourdain coréen avec son maître d’armes.

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Le Bourgeois selon Eric Vigner n’aspire à la noblesse queparce qu’il aspire à devenir un autre. Et cela ne s’achète pas.Cela se gagne, autrement. Ce qu’il est convenu d’appeler la« folie » de Monsieur Jourdain - qui porte ici le personnageà une véritable dimension faustienne -, ce trouble puissantqui le rend incompréhensible à sa femme, à sa servante,mais aussi à celle qu’il prétend aimer, est cheminement versl’ailleurs d’une « vraie » vie. Laquelle se trouve moins à l’é-tage immédiatement au-dessus, qu’aux portes d’un au-delà.Alors, quoique parodique, la cérémonie qui extrait Mon-sieur Jourdain de sa condition devient plus religieuse quecivile. Il n’en sort pas anobli, mais initié. Une langue in-connue peut commencer à circuler entre ses lèvres.

La turquerie demeure dans le texte, mais, placée entreguillemets sur scène, elle offre un raccourci vers l’histoire

coréenne. Les émissaires du Grand Turc sont commechamanes, jouant sans cesse de leurs manches trop longues,en guérisseurs d’un mal qui les conduit à reconnaître Mon-sieur Jourdain comme un des leurs. En même temps qu’ils« soignent » le Bourgeois, ils permettent à sa famille de de-meurer unie dans le très terrestre réel des pommes de terremaniées par Nicole, la servante – un jeu qui relie en outrejoliment, via Eric Vigner, l’univers de Molière à celui deDuras dans Pluie d’été à Hiroshima, mis en scène au dernierFestival d’Avignon. Ainsi, le mariage de Lucile et Cléonte sedouble de celui de Monsieur Jourdain avec l’antique culturecoréenne, salué par l’harmonie régnant entre les notes deLully et les instruments traditionnels de l’Orchestrenational de Corée.

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Journées de découvertede la littérature coréenne

L’occasion était trop belle. Quatre romanciers coréens –Hwang Sok-yong, Yun Hûng-kil, Eun Hee-kyung et KimHoon – réunis pour une table ronde avec leurs homologuesfrançais – Catherine Lé pront, René de Ceccaty, Jean-MarieGustave Le Clézio et François Taillandier – et invités à s’ex-primer sur quelque chose qui est pour la plupart des écrivainscoréens plus qu’un sujet littéraire, une préoccupation quasi-ment viscérale, mais aussi un poids qui pèse sur leurconscience, sur leur plume : l’engagement social.Paradoxalement c’est un Français qui a lancé le débat, J.-M.G. Le Clézio, qui, très lu et apprécié au Pays du matin clair, a appris à aimer la Corée et sa littérature : « J’ai été frappé

par le fait que [la] révolution technique avait abouti [enCorée comme en France] à un état d’esprit qui avait crééune littérature engagée. La seule différence, c’est que laCorée a continué dans cet engagement, alors que la Francedans sa littérature a cessé d’être engagée depuis de nom-breuses années. » Ces propos ont suscité des réactions tant ducôté des Français que du côté des Coréens. Une rencontre d’écrivains coréens de sensibilités aussi di-verses n’aurait sans doute pas été concevable en Corée. Unequestion aussi fondamentale que l’engagement n’y auraitprobablement pas été abordée d’une manière aussi abrupte.

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Par Jeong Eun-Jin Docteur ès lettres, traductrice, lectrice de coréen à l’Université Paris VII

Rencontre croisée à la SGDLDe gauche à droite : Kim Hoon, Eun Hee-kyung, François Taillandier - écrivain et Président de la Société des Gens de Lettres deFrance - J.-M.G. Le Clézio, la modératrice Oriane Jeancourt, Hwang Sok-yong, Yun Hûng-kil et Catherine Lépront.

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Ce fut un moment non dépourvu d’une certaine émotion. Ona pu y discerner l’évolution de la situation de la littératurecoréenne en France où on compterait désormais quelque 200traductions. Il n’est pas rare qu’une de ces parutions soit re-marquée par la critique française et les auteurs français decette table ronde connaissaient même quelques œuvresd’écrivains coréens autres que ceux qui étaient présents. A l’occasion du 120e anniversaire des relations diplomatiquesentre la Corée et la France, la Société des Gens de Lettres deFrance a accueilli fin septembre dernier ces auteurs coréensen collaboration avec Culturesfrance, le Centre culturel co-réen et l’Institut coréen pour la traduction littéraire. Le pre-mier soir, ils ont été présentés à tour de rôle par desanimateurs français et la table ronde a eu lieu le deuxièmesoir. Par ailleurs, les écrivains ont profité de leur séjour pourrencontrer des étudiants français en coréen à l’UniversitéParis VII. Il fut en Corée un temps, après la fin de la colonisation japo-naise en 1945, où il y avait deux catégories de littérature, la« littérature de classe » et la « littérature pure », mais mêmecette dernière, symbolisée par des auteurs comme KimDong-Ri ou Hwang Sun-won, n’était finalement pas si« pure » que cela – si l’on considère par exemple l’oppositionbourreaux / victimes dans nombre de leurs textes. La guerrede Corée [1950-1953], vécue par une génération d’écrivainsayant enfin retrouvé leur langue nationale après en avoir étéprivés par les Japonais, a donné naissance à un nombre im-pressionnant de textes ; elle a d’ailleurs longtemps continuéà être un des sujets prédominants dans le paysage littérairecoréen.Par la suite, alors que même des « écrivains des années1970 », ainsi désignés non sans une certaine condescendanceteintée de jalousie pour leur soi-disant manque de consciencesociale et leur succès commercial, mettaient en scène des dé-favorisés tels que filles de bar, pauvres des grandes villes ouencore métis, ceux qui pratiquaient la « vraie littérature » selivraient à une guerre idéologique et aussi à une guerre – siconfucéenne – des noms, avec nodong munhak, littératuredes ouvriers, minjung munhak, littérature des masses popu-laires et ainsi de suite.Les quatre écrivains coréens invités à Paris ont connu cet en-vironnement littéraire, même la plus jeune d’entre eux, EunHee-kyung, qui a grandi sous le régime de la dictature : « J’aisubi la violence physique et morale qu’exerçait sur nous lasociété. Aujourd’hui encore, lorsque j’entends un coup desifflet, je sursaute, je me demande si je n’ai pas fait une bê-tise. » Pour ces écrivains, le rôle que la littérature doit jouerdans une société lui est inhérent ; ils croient encore ferme-ment en son pouvoir. A Paris, on les a souvent entendus parler de « générations »,

alors que le décalage entre leurs âges n’est pas si important,leurs dates de naissance allant de 1942 à 1959. Mais chacunvoulait se situer de cette façon par rapport aux autres. Autre-ment dit, « quand on n’a pas vécu les mêmes événementshistoriques, on ne peut pas partager le même univers litté-raire ». Ceci explique la présence d’une forte conscience his-torique et sociale dans les œuvres littéraires coréennes, maisaussi la façon dont les Coréens conçoivent l’histoire de leurlittérature. On fait généralement débuter la littérature coréenne contem-poraine en 1945, date de la fin de la colonisation japonaise.Les historiens procèdent ensuite à une segmentation déci-male des années. On parle des années 1960, 1970, 1980, ainside suite, mais aussi de la littérature des années 1960, 1970,1980... Tout se passe comme si au cours de l’année 1960, parexemple, il s’était produit un phénomène changeant radica-lement la nature de la production littéraire. Ces changementscoïncident comme par hasard, à peu de choses près, avec desévénements majeurs dans l’histoire de la Corée contempo-raine. L’année 1950 correspond au déclenchement de laguerre de Corée ; 1960 à la révolte du 19 avril d’une popu-lation déçue par un pouvoir politique pro- américain cor-rompu ; 1971 au début du régime Yusin, « renouveau »,instauré par le dictateur Park Chung-hee pour renforcer lamainmise sur les citoyens ; 1980 au massacre de Gwangju oùune intervention militaire a fait des milliers de victimes civiles.En même temps que cette segmentation décimale, il faut citerla notion de génération, également très particulière en Corée,pour caractériser le rapport entre la littérature et le cours dutemps. Dans le monde littéraire comme dans la vie, il est fré-quent de distinguer les générations en fonction des événe-ments historiques. On parle ainsi de la « génération du 19avril », de la « génération d’après-guerre », de la « nouvellegénération » pour les écrivains des années 1990. Le senti-ment d’appartenance à une génération est aussi fort que celuirelatif à une région, du fait du caractère aussi tumultueux quedense des événements historiques de la période moderne, dela rapidité de l’évolution de la société et de l’intensité du rap-port entre l’histoire et la littérature.Hwang Sok-yong est un des auteurs coréens les plus traduitset les plus connus. Quatre de ses romans – Monsieur Han,L’Ombre des armes, L’Invité, Le Vieux Jardin – ont été tra-duits en français ainsi que deux recueils de nouvelles – LaRoute de Sampo, Les Terres étrangères, tous aux éditionsZulma – et chaque parution a suscité un vif intérêt parmi lescritiques français. Né en 1943 en Mandchourie où sa familleavait fui la colonisation japonaise, Hwang Sok-yong gagnele pays à la Libération et arrive à Séoul à la veille de la guerrede Corée. Il se fait remarquer pour son talent littéraire alorsqu’il est encore au lycée. Puis il produit des textes d’une

Société des Gens de Lettres de France, les 25 et 26 septembre 2006

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veine réaliste proche du reportage, s’intéressant aux condi-tions des marginaux de la société. Après avoir activementparticipé au mouvement pour la démocratisation à l’époqueoù survient la tragédie de Gwangju, il se rend à Pyongyangen 1989, bravant ainsi l’interdit énoncé par les autorités sud-coréennes. Quand il rentre au pays après s’être exilé en Al-lemagne, il est condamné à une peine de sept ans de prison,mais libéré au bout de cinq ans, en 1997, grâce à l’arrivée aupouvoir de Kim Dae-jung, une des plus grandes figures de ladissidence. Au sortir de prison, il ne cesse d’écrire comme

pour rattraper le temps perdu et son style s’évade du strictréalisme de ses débuts, ce qui l’amène par exemple à donnervie à des personnages à la fois magnifiques et complexescomme l’héroïne du Vieux Jardin. Yun Hûng-kil, né en 1942, est de la génération de HwangSok-yong, mais s’en démarque aussi bien par son écritureque par son caractère. Depuis plus de trente ans, il s’adonneà un travail solitaire qui consiste à relier ses propres souve-nirs aux croyances populaires sur fond d’histoire collective :« Je suis persuadé que la littérature a pour motivation ori-ginelle la recherche du salut ». Il y parvient avec un talentcertain et un grand sens de l’humour en dépit du caractèrecruel des situations qu’il décrit. En France, on connaît de luiLa Mousson (Autre temps), La Mère et Los Angeles d’un rê-veur (Philippe Picquier). Dans la nouvelle intitulée « LaMousson », une famille vivant sous le même toit est diviséeen deux camps, l’un mené par la grand-mère maternelle dontun fils a été tué en combattant pour le Sud et l’autre dirigé parla grand-mère paternelle dont un fils communiste est en fuite.Le conflit est inévitable entre membres de cette famille, maisles deux grand-mères finissent par se réconcilier grâce àl’apparition d’un élément chamanique, un serpent dans le-quel les deux vieilles dames reconnaissent l’incarnation dufugitif.

Yun Hûng-kil Eun Hee-kyung Kim HoonHwang Sok-yong

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En France, on ne connaît d’Eun Hee-kyung que Le Cadeaude l’oiseau (Kailash), mais depuis ses débuts en 1995, elle apublié sept livres en Corée. Elle s’intéresse essentiellementaux rapports humains et à la solitude des individus engendréepar l’hypocrisie de ces relations, le tout avec un esprit et unton de vérité tout à fait remarquables, auxquels le choix desmots et une approche sans détour ajoutent parfois une notesarcastique. Tout en représentant les écrivains des années1990, Eun se situe dans la lignée traditionnelle en ce qu’elleest attirée par des thèmes assez graves avec ou sans fond his-torique. En effet, « léger » et « expérimental », deux qualifi-catifs qui reviennent souvent quand les critiques parlent dustyle de cette génération, sont inaptes à caractériser son uni-vers romanesque.Kim Hoon, né en 1948, a fait ses débuts d’écrivain assez tard,en 1995, après une longue carrière de journaliste et de cri-tique littéraire. Son deuxième roman, Le Chant du sabre,consacré par le public et la critique en Corée, a été son pre-mier roman traduit en français (Gallimard). « Je ne suis pasun écrivain qui se préoccupe beaucoup de l’histoire ou de lasituation actuelle de sa patrie. Je suis un écrivain qui se faitvolontiers le porte-parole des individus », déclare-t-il, un rienprovocateur, devant ses confrères. Mais il n’est pas le pre-mier à ressusciter le général Yi Sun shin, le héros de sonroman, qui, au XVIe siècle, combattit vaillamment les enva-

hisseurs japonais à bord de son navire en forme de tortue, etchaque fois que cela a été fait, il ne s’agissait pas d’un choixinnocent mais en rapport avec un présent qui allait plutôtmal. Cela étant, son Yi Sun shin, avant d’être un héros, est unpersonnage dont le portrait esquissé dans un style à la foisrythmé et imagé, captive le lecteur. Dans une nouvelle inti-tulée « Hwajang », ce qui signifie à la fois « maquillage » et« crémation », qui lui a rapporté le prestigieux prix Yi Sang,Kim Hoon met en scène un homme dont l’épouse est mou-rante et qui est amoureux d’une jeune femme sur son lieu detravail, une fabrique de produits de beauté. Il crée avec mé-ticulosité un réseau complexe de signifiants dans lequel cer-tains ont cru voir un artifice, mais qui, en fait, donne matièreà une lecture d’une grande richesse.Ces rendez-vous parisiens, organisés dans le cadre de la cé-lébration “Corée au Cœur”, ont constitué pour les néophytesune excellente introduction à la littérature coréenne et pourles initiés un contact exceptionnel avec des écrivains coréensmajeurs. « Ce qui caractérise la littérature coréenne d’au-jourd’hui, c’est une diversité allant de préoccupations réa-listes profondément enracinées aux fruits de l’imaginationla plus fertile », déclarait Eun Hee-kyung en une phrase quirappelle aux lecteurs français qu’il leur reste encore beau-coup de trésors à découvrir dans cette production littérairesi originale.

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Ce qui frappe avant tout chez Rain, c’est son grand sourireangélique. Mais, il ne faut pas s’y fier, ce garçon-là a une ambi-tion redoutable et la volonté farouche de devenir la premièregrande star asiatique aux Etats-Unis. Depuis ses débuts de chan-teur, à l’âge de dix ans, il rêve de conquérir l’Amérique, ber-ceau de la pop musique d’où sont sortis tant de fabuleuxmusiciens.

Rain, qui est né à Séoul, et qui est connu en Corée sous le nomde Bi (signifiant pluie en coréen), n’est pas loin de réaliserson ambition. Après avoir conquis le public coréen, il est devenu,à vingt-trois ans, l’un des chanteurs les plus célèbres d’Asie. Eton le retrouve même dans la sélection des cent personnalités lesplus marquantes du monde, publiée en mai 2006 par le maga-zine américain Time.

Rain a réalisé, depuis 2002, trois albums, parmi lesquels « It’sRaining », qui a été un très gros succès avec plus d’un milliond’exemplaires vendus en Asie. Après la sortie de son quatrièmedisque intitulé « Rain’s World », en octobre 2006, il a entamé unetournée mondiale qui se poursuit jusqu’en mai 2007 et comprendtrente-cinq concerts dans une douzaine de pays : Japon, Vietnam,

Malaisie, Thaïlande, Hong-kong, Singapour, etc. L’un de sesconcerts les plus attendus sera certainement celui qu’il donnera auColiseum du Cesar Palace à Las Vegas, salle mythique accueillantd’immenses vedettes telles Céline Dion ou Elton John. Nul douteque ce sera là pour notre jeune star coréenne une étape essentielledans sa conquête de l’Amérique.

Avec sa voix de chanteur de charme, à la fois sensuelle et grave,son extraordinaire talent pour la danse et une alacrité communi-cative, Rain est aujourd’hui plus confiant et déterminé que jamais.D’autant qu’après quelques succès dans des feuilletons télévisés,qui lui ont valu une belle popularité auprès du public fémininasiatique, le cinéma lui fait aussi les yeux doux puisqu’il est ac-tuellement à l’affiche du film de Park Chan-wook « I’m a cyborg,but it’s OK ». C’est là son premier rôle au cinéma qui contribueraprobablement à asseoir encore davantage sa popularité et son sta-tut de star.

Souhaitons à Rain une belle carrière aux Etats-Unis et un succèsaussi grand que celui qu’il a déjà remporté en Asie. Et espéronsaussi avoir le plaisir de voir bientôt ce jeune chanteur de charmecoréen sur une scène française.

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ACTUALITÉ

Rain, à la conquête du mondePar Georges Arsenijevic et Park Jeong-Yoon

Rain,un beau jeune homme à la gueule dʼange et au succès international.

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En Corée, l’année 2006 a été marquée par la sortie de deuxfilms qui ont littéralement fait exploser le box-office.

Le premier, The king and the clown, realisé par Lee Jun-ik, estune oeuvre en costumes d’époque, évoquant l’attirance d’un roide la dynastie Joseon pour un amuseur engagé à son service, sujettabou et a priori considéré comme peu porteur dans un pays où lepublic est supposé être assez conservateur en matière de mœurs.Pourtant, sorti le 29 décembre 2005, ce film a attiré 12,6 millionsde spectateurs coréens, battant le record détenu jusque-là par lasuperproduction Frères de Sang (Taegukgi) de Kang Je-gyu avec11,7 millions d’entrées. Ce triomphe était d’autant plus inattenduque The king and the clown n’était pas une production à gros budget,que le film ne comptait aucune immense star et abordait en outreun sujet difficile.

Puis, sept mois plus tard, en plein été, on a assisté à une nouvellesurprise, énorme. Le film fantastique The Host, de Bong Joon-ho,racontant l’histoire d’un monstre surgissant de la rivière Han, apulvérisé tous les records de l’histoire du cinéma coréen atteignanten moins de six semaines 13 millions de spectateurs, recordabsolu dans un pays qui fait, rappelons-le, 48 millions d’habitants.

Gwoemul, titre coréen du film signifiant « monstre », a remportéun gigantesque succès populaire, alors que le public a, en général,tendance à considérer en Corée les films fantastiques, d’horreurou de science fiction comme faisant partie d’un genre mineur plu-tôt réservé aux enfants. Le succès de ce film s’explique, peut-être,par un savant mélange réalisé artistement par Bong Joon-ho( auteur du superbe Memories of murder que le public français apu découvrir il y a quelques années), mêlant histoire de monstreet drame familial, sur fond de satire politique burlesque relativeaux rapports de la Corée avec les Etats-Unis, sujet qui passionnetoujours les spectateurs.

L’intérêt des Coréens pour les deux films précités, pourtant trèsdifférents, démontre une fois encore que le succès est, en matièrede cinéma, souvent imprévisible. Il témoigne aussi de la grandevitalité de la production coréenne qui tend de plus en plus versune diversification des genres, actuellement en phase avec unpublic devenu plus ouvert et plus tolérant.

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Enorme succès en 2006 de deux films coréens

“The king and the clown”de Lee Jun-ik. “The Host” de Bong Joon-ho

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Prix Culturel

CHOI Mikyung et Jean-Noël JUTTETCo-traducteursChoi Mikyung a fait des études (licence et maîtrise) de langue et littérature françaisesà l'université nationale de Séoul. Diplômée en 1993 de l'École supérieure d'interprèteset traducteurs (ESIT – Paris 3), elle a ensuite (1994) obtenu un doctorat de littératureà l'université Paris 4-Sorbonne. Elle s'apprête, cette année, à soutenir à l'ESIT unethèse de doctorat en traductologie. Après avoir enseigné à l'université nationale deSéoul et à l'université Hongik (1998-1999), elle est engagée comme professeur àl'École d'interprètes de l'université Hanguk (1999-2003) ; depuis 2004, elle estprofesseur titulaire à l'École d'interprètes et de traducteurs récemment créée au seinde l'université Ewha. Elle conduit, parallèlement à ses tâches d'enseignante, unecarrière d'interprète de conférence et de traductrice.

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De gauche à droite : M. Marc Orange, Mlle Lee Byoung-jou et M. Chérif Khaznadar, membres du Comité consultatif pour le développement des échanges culturels franco-coréens, M. Jean-Noël Juttet, Mlle Choi Mikyung et M. Dong-Suk Kang, lauréats 2005, M. Ju Chul-ki, ambassadeur de Corée en France et président de l’Association PrixCulturel France-Corée et M. Mo Chul-Min directeur du Centre Culturel Coréen et Secrétaire général de l’association.

France-Corée 2005

La traditionnelle cérémonie de remise, àParis, du Prix Culturel France-Corée2005, a eu lieu cette année le 13 avril auCercle de l’Union Interalliée. Ce fut la 7e

édition de ce prix qui vient récompenserchaque année les personnalités françaisesou coréennes du monde des arts et de laculture, ou les institutions, qui se sontparticulièrement illustrées par leur actionen faveur d’une meilleure connaissanceen France de la culture coréenne.Ce prix, dont la renommée et le prestigesont désormais bien établis, était cetteannée dotée par le groupe Lafarge. Eu égard à la grande qualité des lauréatsproposés par le Comité consultatif pourle développement des échanges culturelsfranco-coréens et récompensés parl’Association Prix Culturel France-Corée-deux co-traducteurs particulièrementtalentueux et un musicien d’exception-,2005 nous paraît être une « excellentecuvée ». Voici quelques éléments debiographie et une petite présentation deslauréats de cette année.

Georges ArsenijevicAvec l’aimable collaboration des lauréats

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Prix Culturel

Professeur agrégé, Jean-NoëlJuttet, après avoir enseigné àl'université de Cotonou et à l'u-niversité de Lagos, a effectuél'essentiel de sa carrière en Ex-trême-Orient dans le cadre desprogrammes français decoopération culturelle et éducative.Sa rencontre avec la Corée duSud remonte à 1985, lorsqu'il aété affecté au Bureau d'actionlinguistique et éducative del'ambassade de France à Séoul.

Leurs premiers pas dans la carrière de traducteurs remontent à1991. À l'époque, les quelques dizaines de titres coréensdisponibles étaient loin de faire droit à la riche productionlittéraire de Corée et il était urgent de contribuer à l'enrichisse-ment du fonds coréen en français. La nouvelle, genre fécond en Corée, leur a donné l'occasion defaire leur apprentissage. Leurs premiers essais ont été publiésdans des revues en Corée (Koreana, La Revue de Corée éditéepar le bureau coréen de l'UNESCO) ou en France (CultureCoréenne éditée par le Centre Culturel Coréen).La poursuite de leur travail a étéfavorisée par la conjonction dedeux facteurs favorables ; ducôté français, leur rencontre avecZulma, jeune maison d'éditionqui s'est très vite intéressée à laCorée et a misé sur les auteurscoréens ; et, du côté coréen, lesoutien sans faille apporté parla fondation Daesan, par la fon-dation de Corée et, plus récem-ment, par l'Institut coréen de latraduction littéraire (KLTI).Grâce à leur travail, les lecteurs francophones ont pu avoir accèsà de grands classiques du XXe siècle comme Kim Yu-jong ouHwang Sun-won, ou au géant des lettres coréennes qu'estHwang Sok-yong, au jeune romancier prometteur qu'est LeeSeung-U, ou au discret mais magistral Lee Je-ha. Ils ont renduaccessible en français le pansori le plus emblématique del'héritage culturel coréen : Le chant de la fidèle Chunhyang. Ilsont aussi récemment publié Les palais royaux de Corée, traduc-tion d'un livre de Sin Yeong-hun, le grand spécialiste coréen del'architecture traditionnelle, superbement illustré de photos deKim Dae-byeok.Le Prix culturel France-Corée a été attribué à Choi Mikyung etJean-Noël Juttet pour leur contribution, à travers une dizained'ouvrages traduits, à une meilleure connaissance en France dela littérature et de l'héritage culturel coréens.

Dong-Suk KANG ViolonisteAcclamé pour son sens artistique, sa musicalité et sa virtuositéhors du commun, le violoniste Dong-Suk Kang s'est produit surles cinq continents; Dominic Gill, critique musical londonien,décrit Dong-Suk Kang, dans son ouvrage Le livre du violon,comme «l'un des plus grands violonistes du monde. Ormandy,Serkin, Menuhin, Francescatti, ainsi que d'autres musiciens émi-nents l'ont aussi consacré comme l'un des plus exceptionnelsviolonistes de sa génération.Né en Corée, Dong-Suk Kang se rend à New York en 1967 afind'étudier à la Juilliard School puis au Curtis Institute avec IvanGalamian. Après ses débuts au Kennedy Center et uneprestation sous la direction de Seiji Ozawa, il obtient des prixaux concours internationaux de Montréal, Carl Flesch à Londreset reine Elisabeth à Bruxelles.Depuis lors, il a été l'invité de nombreux grands orchestresparmi lesquels ceux de Philadelphie, Cleveland et Montréal, leRoyal Philharmonic, le London Philharmonia, les orchestresPhilharmoniques de Münich et Stuttgart, l'Orchestre Nationalde France, les orchestres de Saint-Pétersbourg, Moscou, etc. Dong-Suk Kang a joué, entre autres, sous la direction de Dutoit,Ozawa, Masur, Järvi, Menuhin, Salonen, Chung, Slatkin,Barshaï. Les plus grandes scènes du monde (Carnegie Hall,Lincoln Center, Royal AlbertHall, Théâtre des Champs-Elysées), l'ont accueilli et sesconcerts ont été retransmis à latélévision et à la radio dans ungrand nombre de pays. Ses en-registrements chez Naxos, Bis etTimpani ont reçu des critiquesélogieuses et remporté, entreautres, le Grand Prix du Disquede l'Académie Charles Cros etcelui de la Nouvelle Académiedu Disque.Depuis 1999, Dong-Suk Kang est directeur artistique de MusicAlp(Académie de Musique et Festival de Courchevel), en collabo-ration avec le pianiste Pascal Devoyon. Ces deux artistes réunis-sent autour d'eux une équipe d’excellents musiciens qui seretrouvent également chaque année pour une série de concertsen relation avec le Musée de l'Armée, au Grand Salon desInvalides (Les Lundis de MusicAlp). Dong-Suk Kang a égale-ment créé en 2003 le premier Festival MusicAlp à Séoul enCorée, réunissant des artistes exceptionnels. À travers lamusique, cette grande aventure est, pour lui, l'objet de mer-veilleux échanges artistiques et humains entre l'Asie et l'Occi-dent, et plus particulièrement entre la Corée et la France.Le Prix Culturel France-Corée 2005 a été décerné à Dong-SukKang pour sa contribution à la découverte, par le public français,des qualités artistiques des musiciens coréens.

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Jean-Noël Juttet

Choi Mikyung Dong-Suk Kang

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Jeong Eun-Jin : Pourquoi appelez-vous lehanbok « costume de vent » ?Lee Young Hee : L’expression ne vient pasde moi. C’était le titre de mon expositionen 1996 à l’Orangerie à Paris : « le hanbok,costume de vent ». Un journaliste duMonde m’a dit que c’était une appellationqui convenait parfaitement pour décrire lespans et les rubans du hanbok flottant auvent. Jeong E.J. : Ce qui est étonnant dans lehanbok, c’est qu’un mélange de couleursradicalement différentes ou opposéespuisse produire une harmonie sublime…Lee Y.H. : Les combinaisons les plus cou-rantes sont une jupe rouge avec une vestejaune ou verte. Dans ce cas, on ajoute unrouge qui vire au noir au devant, au col dela veste et au ruban. Cette couleur a pourfonction de neutraliser les teintes vives.Dans mon travail sur le hanbok, je la consi-dère avec le gris comme les couleurs lesplus importantes. Le jaune et le rouge as-semblés peuvent donner quelque chosed’assez barbare, mais le ruban de ce rougequi vire au noir les sublime. Je me demandeencore aujourd’hui comment nos ancêtresont trouvé cette magnifique teinte. Ils l’ontdécouverte de façon empirique. Sans elle,on ne pourrait pas marier une jupe rouge etune veste multicolore sans donner une im-pression de fouillis. C’est une couleur trèsmystérieuse. Elle ne fait pas le même effetsur les habits occidentaux que sur le hanbok.Le gris donne également une harmonie à unensemble de couleurs différentes. Il a uneffet apaisant. J’ai été séduite par cette cou-leur en voyant les habits de moines boud-dhistes. Les moines comprennent les chosesde la vie, les embrassent. Le gris de leurshabits semble transmettre leur message.Bien sûr, il existe plusieurs nuances de gris,mais quand on n’arrive pas à trouver uneharmonie de couleurs, le gris nous aide sou-vent. Il s’harmonise très bien avec des cou-leurs vives. Jeong E.J. : J’ai entendu dire que vous fa-briquiez vos couleurs vous-même à partirde matières naturelles...

AA ll’’iinniittiiaattiivvee ddee llaa FFééddéérraattiioonn FFrraannççaaiissee ddee llaa CCoouuttuurree,, dduu PPrrêêtt--àà--PPoorrtteerr ddeess CCoouuttuurriieerrss eett ddeessCCrrééaatteeuurrss ddee MMooddee,, eett ddee llaa KKoorreeaa FFaasshhiioonn AAssssoocciiaattiioonn,, aaffiinn ddee ccéélléébbrreerr lleess 112200 aannss ddeess rreellaattiioonnssddiipplloommaattiiqquueess eennttrree llaa CCoorrééee eett llaa FFrraannccee,, ddiixx ggrraannddss ccoouuttuurriieerrss ddeess ddeeuuxx ppaayyss oonntt pprréésseennttéé,, llee99 ooccttoobbrree ddeerrnniieerr aauu mmuussééee BBaaccccaarraatt àà PPaarriiss,, ddaannss llee ccaaddrree ddee llaa mmaanniiffeessttaattiioonn «« MMooddee aauu CCœœuurr »»,,ddiixx ccrrééaattiioonnss eexxcclluussiivveess :: LLeeee YYoouunngg HHeeee,, HHoonngg EEuunn JJuu,, LLiiee SSaanngg BBoonngg,, MMoooonn YYoouunngg HHeeee,, WWooooYYoouunngg MMii ppoouurr llaa CCoorrééee ;; PPeetteerr DDuunnddaass ((EEmmmmaannuueell UUnnggaarroo)),, KKaarrll LLaaggeerrffeelldd ((CChhaanneell)),, IIvvaannaa OOmmaazziicc((CCéélliinnee)),, SSttéépphhaannee RRoollllaanndd ((JJeeaann--LLoouuiiss SShheerrrreerr)) eett SSoonniiaa RRyykkiieell ppoouurr llaa FFrraannccee.. IInntteerrvviieewwééee ààcceettttee ooccccaassiioonn,, LLeeee YYoouunngg HHeeee rraaccoonnttee aavveecc éémmoottiioonn sseess pprreemmiieerrss ccoonnttaaccttss aavveecc llee mmoonnddee oocc--cciiddeennttaall eenn ttaanntt qquuee «« pprreemmiièèrree ssttyylliissttee dduu hhaannbbookk eexxppoorrttééee »».. SSeess œœuuvvrreess ssuubblliimmeess,, iinnssppiirrééeess dduuccoossttuummee ttrraaddiittiioonnnneell ccoorrééeenn,, ffoonntt iirrrrééssiissttiibblleemmeenntt ppeennsseerr àà uunn pprroovveerrbbee ddee ssoonn ppaayyss :: «« LLeesshhaabbiittss ssoonntt ddeess aaiilleess »»,, ccee qquuii ssiiggnniiffiiee qquu’’uunn hhaabbiitt ppeeuutt ttrraannsscceennddeerr ll’’aappppaarreennccee ddee cceelluuii oouu cceelllleeqquuii llee ppoorrttee..

Interview Lee Young HeePropos recueillis par Jeong Eun-Jin PPrreemmiièèrree ssttyylliissttee dduu hhaannbbookk eexxppoorrttééee

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Lee Y.H. : Je prépare des échantillons decette façon, mais il n’est pas possible deteinter ainsi des centaines de milliers de mè-tres de tissu. J’envoie l’échantillon à l’usineet je demande de fabriquer la couleur la plusproche de lui possible.Par ailleurs, une fois par an, je vais au pieddu mont Jiri sous prétexte d’accompagnermes étudiants. Je leur demande de fabriquerquatre couleurs comme le gris, le violet, lemarron, le pourpre. Nous travaillons beau-coup avec un spécialiste de la teinture natu-relle. Jeong E.J. : Quelles sont ces matières na-turelles ?Lee Y.H. : Oh, il y en a au moins cent ! Ilfaut savoir que toute matière naturelleteinte. On a l’habitude d’utiliser toujours lesmêmes, mais même des épinards, des ar-moises ou des glands donnent de belles cou-leurs. La peau de l’oignon produit un trèsbeau beige. C’est la densité de la couleurqui change. Je demande toujours aux étu-diants d’essayer eux-mêmes plutôt que dese contenter de ce qu’ils ont appris dans leslivres, de tremper leurs mains dans l’eau, delaver le tissu jusqu’à épuisement, etc. C’estcomme ça qu’on comprend mieux les cou-leurs. Jeong E.J. : Le hanbok a subi une évolu-tion depuis les Trois Royaumes (Goguryeo,Baekje, Silla). Y a-t-il une période qui vousinspire particulièrement dans votre tra-vail ?Lee Y.H. : On connaît bien le hanbok del’époque Joseon, mais les costumes desTrois Royaumes sont plus proches de ceuxde notre époque. Vous pouvez le constatersi vous observez les fresques de Goguryeo.J’ai récemment organisé un défilé au magni-fique temple Haeinsa, sans doute le premierqui se soit jamais déroulé dans un templebouddhique. Je me suis inspirée des dessinsde costumes des Trois Royaumes qui m’ontparu les plus bouddhistes. En même temps,c’est très moderne !Jeong E.J. : Est-ce que, pour vous en tantque styliste, le hanbok est plus difficile ouplus facile à « travailler » que les costumesdes autres pays asiatiques ?Lee Y.H. : La différence avec les costumesjaponais ou chinois, c’est que la forme duhanbok est extrêmement variée. C’était vraidéjà à l’époque des Trois Royaumes. J’aimeparticulièrement les habits masculins,

j’aime bien habiller les femmes de vête-ments pour homme. C’est superbe ! Jeong E.J. : Quelle a été la réaction desOccidentaux la première fois que vousavez présenté vos œuvres en dehors de laCorée ?Lee Y.H. : C’était une surprise pour eux. Latélévision a montré mes œuvres en boucle.Même l’attaché de presse ne s’y attendaitpas. Jeong E.J. : Vous voulez dire que c’étaitpour eux une forme de kimono qu’ils neconnaissent pas…Lee Y.H. : Tout à fait. Les journalistes quim’ont interviewée le lendemain ont tous uti-lisé le terme kimono. Cela m’a rendue fu-rieuse. C’est à la suite de ça que j’aiorganisé l’exposition à l’Orangerie. C’est àcette occasion que les médias ont com-mencé à adopter le mot hanbok. Jeong E.J. : Cela ne fait pas si longtempsque le mouvement pour la sauvegarde dupatrimoine national est vulgarisé enCorée. A l’époque où vous avez fait vos dé-buts, les Coréens s’intéressaient plus, mesemble-t-il, à l’appropriation de la cultureoccidentale. Or dès le départ, vous avez

choisi le hanbok. Comment cela a-t-il étéaccueilli par le milieu de la mode ?Lee Y.H. : Le hanbok était totalement mé-prisé ! Il y avait une revue de mode qui éli-sait périodiquement le styliste de l’année etun jour j’ai été désignée. On m’a dit de meprésenter à tel endroit à telle date pour re-cevoir le prix. Le lendemain, j’ai à nouveauété contactée et j’ai entendu que la récom-pense avait finalement été attribuée àquelqu’un d’autre. J’ai appris plus tard quec’était parce que certains s’étaient opposésà ce que l’on attribue ce prix à une spécia-liste du hanbok, c’est-à-dire à une ringarde.Pour eux, le hanbok ne faisait pas l’objetd’un design. J’ai été estomaquée, extrême-ment déçue. C’est à partir du moment oùSéoul a été choisi pour organiser les JeuxOlympiques de 1988 que les Coréens sesont mis à vouloir remettre au grand jour laculture coréenne un peu oubliée. J’étais pra-tiquement la seule styliste du hanbok. Jeong E.J. : Vous étiez donc une pionnière.Lee Y.H. : Alors que personne ne s’intéres-sait à faire connaître le hanbok à l’étranger,je me suis sentie chargée d’une mission,celle de répandre notre culture. J’ai com-mencé à voyager et j’ai fini par me poser à

Soirée « Mode au Cœur » au musée BaccaratDe gauche à droite : Peter Dundas (Emmanuel Ungaro), Nathalie Rykiel (fille de Sonia Rykiel), IvanaOmazic (Céline), Hong Eun Ju, Stéphane Rolland (Jean-Louis Sherrer), Moon Young Hee, Lee YoungHee, Lie Sang Bong et Woo Young Mi.

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Paris. J’étais la seule à sillonner le mondeavec le hanbok. A l’époque, un voyage àl’étranger avec des costumes et des manne-quins coûtait une fortune. Les étrangerss’extasiaient devant mes œuvres. J’ai com-pris que la beauté était universelle. C’estune chose que j’ai apprise seule en voya-geant avec les habits. Les étrangers m’ontposé beaucoup de questions : comment lehanbok a-t-il été inventé ? Depuis quandexiste-t-il ? Ce cent vingtième anniversaire des rela-tions diplomatiques entre la Corée et laFrance a un sens tout particulier pour moi.Je suis venue à Paris pour la première foisen 1986, c’est-à-dire pour le centième an-niversaire. J’ai participé à la célébrationavec un autre styliste, spécialisé dans lescostumes occidentaux. Je me rappelle quenous avons fait des répétitions dans les lo-caux du Centre culturel coréen. L’événe-ment a eu lieu à l’hôtel Hilton. Il y avaitdans le programme la cérémonietraditionnelle de mariage. C’étaitsensationnel ! Je me suis occupéede tout, du concept, de la mise enscène, de la musique, etc. Avant les Jeux Olympiques, j’aiaussi fait une tournée à Washing-ton, New York, Los Angeles, etc.Mes amis me disent aujourd’huique j’ai été prophète. Je n’étaisplus très jeune, je m’approchaisde la cinquantaine. Le premierdéfilé à l’étranger a eu lieu en1983, il a attiré l’attention de lapresse américaine. Quand je suisarrivée à Paris trois ans plus tard,je suis tombée amoureuse decette ville. J’ai décidé d’y déve-lopper mes activités. J’ai com-mencé à y venir régulièrement etje me suis rendu compte qu’il yavait une certaine inspirationasiatique dans la mode occiden-tale. En même temps, j’ai étudié dansmon pays pour pouvoir moderni-ser le hanbok. Pendant ma tour-née précédant les JeuxOlympiques, j’ai souvent en-tendu dire : « Ce serait bien defaire un hanbok plus commode àporter. » Les résultats ont eu deséchos très positifs. A Paris, j’aivisité les écoles de mode renom-mées (je n’ai reçu de formationdans aucune école occidentale).

La France est célèbre pour ses vins. J’aitoujours adoré la couleur du vin rouge.J’avais envie de l’utiliser avec la couleurgrise, pour symboliser l’union entrel’Orient et l’Occident. J’ai donc fabriquépour le centième anniversaire une jupe griseun peu modernisée avec une veste bor-deaux. Jeong E.J. : Vous avez ouvert un musée àNew York pour exposer vos hanbok. Pourvous, les hanbok, sont-ils avant tout desœuvres d’art ?Lee Y.H. : Ce sont des œuvres d’art dans lamesure où je m’y consacre corps et âme ! Jefais de multiples essais et je ne fabrique unvêtement que lorsque j’ai obtenu des cou-leurs satisfaisantes. On ne prend pas n’im-porte quel jaune pour fabriquer l’habitd’une reine. Il comporte de l’or, il faut doncune couleur capable de le mettre en valeur,c’est-à-dire un peu foncée.

Jeong E.J. : Vous avez été la première àmoderniser le hanbok. Aujourd’hui leshanbok modernisés sont populaires mêmeparmi les étrangers. Mais ce vêtementreste à l’écart de la vie de tous les jourschez les Coréens qui ne le portent quedans les grandes occasions. Pensez-vousqu’il est possible qu’il soit davantage pré-sent dans le quotidien ?Lee Y.H. : Les vêtements que je conçoissont tout à fait portables au quotidien. Ils’agit de hanbok modernes. Par exemple jerétrécis la largeur de la jupe, mais jeconserve les plis ou les pans. Mais il est vraique le hanbok a une certaine classe et n’estpas conçu pour les besognes quotidiennes.C’est souvent un costume de fête. Même si,comme les moines bouddhistes, on peutmettre un pantalon et une veste longue pourtravailler. Puis les costumes coréens sonttrès adaptables – on ajuste le large pantalonavec une ficelle.

Jeong E.J. : En 2001 vous avezparticipé à un défilé de mode àPyongyang. Les Nord-Coréensportent beaucoup plus le cos-tume traditionnel.Lee Y.H. : Je suis allée à Pyon-gyang sur invitation des autori-tés nord-coréennes. J’avais trèsenvie d’y aller, j’avais le désirde les toucher à travers labeauté. Aussi avais-je envie deleur montrer à quel point le han-bok s’était développé au Sud.C’était très émouvant, on apleuré ensemble sur la scène.Cela a fait naître en moi degrands espoirs, mais depuis lasituation n’a cessé de se dégra-der. Je pensais que même si lesquerelles politiques conti-nuaient, il fallait poursuivre leséchanges culturels qui finiraientpar mener à la réunification. Jeleur avais même promis devenir donner des cours une foispar mois à l’Université Kim Il-song… Ils m’ont par la suite in-vitée plusieurs fois, maistoujours pour l’anniversaire deKim Il-song, le 15 avril. Les au-torités de Séoul ne pouvaientpas accepter.

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La créatrice Lee Young Hee, à côté delʼun de ses modéles.

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Voyages

Ce festival commémore l’anniversaire de Bouddha, qui sera célébréen 2007 le 24 mai. Durant la dynastie Goryeo (918-1392), dont lareligion nationale était le bouddhisme, la cour et le peuple fêtaientensemble l’événement en allumant des lanternes de lotus de toutescouleurs et formes dans les quatre coins du pays. Cette explosionde lumière symbolisait la lumière apportée par Bouddha aux êtresvivants. Mais, la cérémonie ne se bornait pas à être une manifesta-tion religieuse, elle s’imposait de plus en plus comme fête nationaleà laquelle tout le peuple participait. De nos jours, Séoul perpétuetous les ans cette tradition. Plus de 1000 lanternes de lotus envahis-sent les rues de Séoul, formant ainsi une superbe vague lumineuse,symbole de paix.Cette année, le festival des lanternes de lotus débutera le 9 mai avecla cérémonie de mise en lumière d’une grande lanterne dressée de-vant la mairie de Séoul pour commémorer l’Illumination de Boud-dha. Les festivités se poursuivront ensuite jusqu’au 24 mai où petitset grands seront invités à se rendre au temple Jogyesa avec deschandelles, des fleurs et de l’encens pour rendre hommage à Boud-dha. En outre, de nombreux évènements et animations seront orga-nisés pendant toute une semaine : expositions, défilés et ateliers defabrication de lanternes traditionnelles, dégustation de plats boud-dhiques, spectacle de danses traditionnelles… En Corée, il existe environ quarante types de lanternes. Elles sonttoutes fabriquées à base de papier de riz et possèdent chacune, selonla tradition, une signification particulière. Ainsi, la pastèque figure

la fertilité, la carpe la réussite, la tortue étant le symbole de la bonnesanté et de la longévité… Sources : Office national du Tourisme coréenPour plus de renseignements, www.llf.or.kr

Le Festival des lanternes de lotus, 1600 ans de tradition

Le bouddhisme, qui a fait son apparition dans la péninsule coréenne dès le 4e

siécle, a laissé en Corée une profonde empreinte sur la culture et les arts.

Le Festival des lanternes de lotus est la plus grande fête bouddhique de Corée.

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Nouveautés

Anthologie de poésie bouddhiquecoréenne réunissant pour la pre-mière fois des poésies singulièresétonnantes par leur teneur, leurforme et leur ton. Œuvres (du 13e

au 16e siècle) de bonzes retirés dansdes monastères ou des ermitages demontagne, elles sont le fait demoines-poètes d’une vive sensibilitélittéraire. Edition bilingue (Ed.Gal-limard).

« Corée » est un ouvrage collec-tif regroupant des auteursréputés de BD français (CatelMuller, Igort, GuillaumeBouzard, Hervé Tanquerelle,Vanyda et Mathieu Sapin) etcoréens (Lee Doo-ho, ParkHeung-yong, Choi Kyu-sok,Byun Ki-hyun, Chae Min, LeeHee-jae). -Ed.Casterman-

Un regard sur la bouillonnantecinématographie coréenne, desannées 1990 aux premièresheures du 21e siècle, par AdrienGombeaud, docteur en coréen etdiplômé de chinois de Langues’O,journaliste et critique de cinémaà Positif et aux Echos (Ed.L’Harmattan).

L’œuvre de Hwang Ji-U, re-connu comme un des plusgrands poètes de sa génération,s’inspire de sa propre vie et decelle des ses contemporains. Celivre est un choix de centpoèmes extraits de six recueilsde l’auteur. Ils sont traduits etprésentés par Mme Kim Bona,maître de conférences à la sec-tion d’études coréennes à l’Uni-versité Bordeaux 3 (Ed.WilliamBlake & Co. ).

Une trentaine de portraits proposéspar Benjamin Joinau et permettantde saisir les mutations de la capitalecoréenne Séoul, entre miracleéconomique, créativité artistique,tradition revisitée et enjeux urbanis-tiques (Ed. Autrement).

Etrange, délétère, pénétrante, l’at-mosphère de ce livre, proche desfilms de Kim Ki-duk, irradie unmélange déroutant d’infinie déli-catesse et de violence extrême. Ma-jeure et unique dans la littératurecoréenne contemporaine, la voix deLee Seung-U est celle de l’intran-quillité (Ed. Zulma).

Les dernières parutions de l’année 2006Livres et DVD à ne pas manquer

Livres

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Ida Daussy nous raconte avechumour, tendresse et sanslangue de bois, son extraordi-naire aventure et nous fait dé-couvrir la Corée du Sud (Ed.Jean-Claude Lattès).

DVD

Trois pièces marquantes des grandscourants du théâtre coréen moderne :l’épopée de la guerre civile avec « L’in-cendie dans la montagne » de Ch’a Pom-Sok, la fable poétique avec « Où et queserons-nous le jour de la rencontre ? »de Ch’oe In-Hun, et la satire politiqueavec « Trente jours de pique-nique » deYi Kun-Sam. -Prix 2003 de l’Institutcoréen pour la traduction littéraire- (Ed.Imago).

« Suicide Designer » de Jeon Soo-il S est Suicide Designer… Alors qu’unejeune femme met fin à ses jours, deuxfrères qui se battaient pour la con-quérir décident de comprendre lesraisons de son acte. Ils découvrirontrapidement les activités dérangeantesde S et de ses clients si particuliers…

Pak Chong-ja (Ilbong), peintrecoréenne de grand talent installée prèsdu Mont-Saint-Michel, nous livre danscet ouvrage, à travers quelque quatre-vingts reproductions de ses œuvres, savision de la Normandie, de sa végéta-tion et de ses plus beaux paysages (Ed.Ouest France).

En Corée, l’art des noeuds ornemen-taux, appelé « maedup », est issud’un savoir-faire ancestral. Dans cetouvrage inédit, Kim Sang Lan nouspropose d’apprendre à tisser lesnoeuds de base et de réaliser plus devingt créations infiniment raffinées(Ed. Fleurus)

« Blue » de Lee Junggook Une histoire d’honneur, d’amour etd’amitié, dans l’univers sans pitié desplongeurs sauveteurs.

« Marathon »de Chung Yoon-chul L’histoire vraie d’un jeune autiste pas-sionné de chocolats, de zèbres et decourse à pied.

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