Collection Repères

13

Transcript of Collection Repères

Page 1: Collection Repères
Page 2: Collection Repères

Collection Repères animée par Jean-Paul Piriou,

avec la collaboration de Annick Guilloux,

Hervé Hamon et Michel Wieviorka

Page 3: Collection Repères
Page 4: Collection Repères

Wladimir Andreff

LES MULTINATIONALES nouvelle édition

É d i t i o n s L a D é c o u v e r t e 1, place Paul-Painlevé, Paris V

1990

Page 5: Collection Repères

LISTE DES ABRÉVIATIONS UTILISÉES

BMN : banque multinationale. DIT : division internationale du travail. IDE : investissement direct étranger. MN : multinationale (firme). (N)OEI : (nouvel) ordre économique international. NPI : nouveaux pays industriels. PD : pays développés, à économie de marché. PMA : pays moins avancés. PME : petites et moyennes entreprises. PPI : principaux pays investisseurs à l'étranger. PVD : pays en développement. RD : recherche-développement. ZF : zones franches.

Si vous désirez être tenu régulièrement informé de nos paru- tions, il vous suffit d'envoyer vos nom et adresse aux Editions La Découverte, 1, place Paul-Painlevé, 75005 Paris. Vous recevrez gratuitement notre bulletin trimestriel A la Découverte.

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de repro- duire intégralement ou partiellement, par photocopie ou tout autre moyen, le présent ouvrage sans autorisation de l'éditeur ou du Centre français du copyright (6 bis, rue Gabriel-Laumain, 75010 Paris).

© Éditions La Découverte, Paris, 1987, 1990. ISBN 2-7071-1688-2

Page 6: Collection Repères

I n t r o d u c t i o n : le v i l l a g e m o n d i a l

Un téléviseur Thomson, assorti du magnétoscope JVC, diffuse l'image, retransmise par ABC, du match opposant une équipe aux maillots Adidas à celle parrainée par Agfa- color. Fin de match : prendrez-vous un Coca-Cola ou un Schweppes ? Merci, plutôt du chocolat Nestlé. Huit multi- nationales (MN) de sept pays passent en quelques minutes dans votre vie quotidienne. Un village planétaire en est le cadre tant les MN pénètrent la consommation et les loisirs. Demain, sur votre Yamaha, vous irez au bureau, chez Sand- vik, pour taper avec votre Olivetti, reliée à l'ordinateur Sie- mens, les instructions pour un investissement aux Pays-Bas. L'usine mondiale, voici votre lieu de travail avec l'interna- tionalisation de la production. Votre salaire viré en compte BNP, le dépenserez-vous en achetant des devises pour vos vacances à l'étranger ? Avec les banques multinationales, le circuit se referme. Sur vous. Vous êtes citoyen du monde ou cerné par les MN, selon vos opinions.

Ce vécu résulte d'un siècle d'expansion des MN (chap. I). Toujours plus diversifiées, elles gagnent les sphères qui leur échappent encore (chap. II). Accompagnées de leurs ban- ques, elles ont une souplesse de financement ; l'endettement international en découle (chap. III).

Une évaluation des MN n'est jamais neutre. Tout propos sert ou contrarie leurs intérêts, sciemment ou non. Un institut de recherche sur les MN prétendait à la neutralité grâce à ses

Page 7: Collection Repères

analyses nuancées : il était financé par une MN suisse pour améliorer l'image des MN dans l'opinion ! Une telle préten- tion est étrangère à ce livre. Son ambition se borne à éviter un trop facile dogmatisme pro- ou anti-MN. Qu'est-ce à dire ?

Les années soixante furent riches en propos laudatifs sur la capacité des MN à diffuser le progrès, l'industrie, la tech- nique, l'art de la gestion, la culture et la démocratie. Jusqu'aux points les plus reculés du globe. Quelques scan- dales et coups d'État, où des MN furent impliquées, portè- rent au zénith les discours anti-impérialistes et syndicaux des années soixante-dix. Accusant les MN de tous les maux de

l'économie mondiale et de la crise, ces discours appelaient à lutter contre les MN. Attention ! Ce manichéisme, d'ail- leurs désuet, est un piège. Dogmatisme et cohérence coha- bitent mal : c'est la révélation des années quatre-vingt. Il y a quelque contradiction à dénoncer les forts profits des MN tout en les tenant pour des fauteurs de crise. Les attaques verbales les plus dures sont souvent l'alibi d'une pratique conciliante. Songeons à la violence des critiques du syndica- liste Levinson, élu ensuite au Conseil de surveillance de Du Pont-Allemagne. Ou à la concurrence entre pays en dévelop- pement pour attirer les MN par-delà leurs déclarations agres- sives à la tribune de l'ONU. Et combien d'électeurs de gauche pensaient avoir voté en 1981 pour que la France s'ouvre comme jamais à l'entrée des MN étrangères ?

Se fier aux seuls discours induit en erreur dans l'évalua- tion des MN. Qui donc a intérêt à faire passer dans l'opi- nion l'idée que les MN sont en crise ? Je me suis maintes fois étonné que des pourfendeurs de MN affirment qu'elles sont menacées par la crise. Car il est avantageux pour ces firmes de dire qu'elles ont des difficultés... comme tout le monde. Plus encore de créer une ambiance de crise favorable à leurs projets de restructuration ; cette ambiance précipite et sim- plifie la décision, confiait un dirigeant de MN. Quand il faut négocier des licenciements, un gel des salaires ou une ferme- ture d'usine avec le gouvernement et les syndicats d'un pays hôte, invoquer la crise est une bonne stratégie, voire un

Page 8: Collection Repères

alibi pour les MN. Galbraith a écrit un jour : « La seule défense raisonnable des MN est de dire la vérité, de recon- naître qu'elles ont du pouvoir. » C'est aussi le fondement de toute appréciation correcte de l'activité des MN.

Le pouvoir des MN entre en jeu dans leurs relations avec les États (chap. IV). Bien que les économistes placent rare- ment le pouvoir au cœur de leurs explications théoriques de l'expansion des MN (chap. v), ce facteur est indispensable pour comprendre comment elles ont traversé la crise sans trop de dommage (chap. VI). Mieux : en augmentant leur emprise sur l'économie mondiale et en restant rentables. Les MN hors la crise [21] jettent les bases d'une économie vrai- ment mondiale. Le monde au quotidien, voici la réalité nou- velle à laquelle chaque citoyen et chaque État doivent s'adapter. Un capitalisme mondial d'États nous attend à la sortie de la crise.

* Les chiffres entre crochets renvoient à la bibliographie. Les abréviations utilisées dans ce livre sont explicitées p. 5.

Page 9: Collection Repères

I / Un siècle de multinationales

Le développement des MN n'est pas un phénomène récent. La date de leur apparition dans l'histoire est liée à la défi- nition que l'on donne des MN. Or, toute définition des MN est chaque jour plus friable en vertu même de leur dévelop- pement de plus en plus diversifié. Les tendances actuelles de ce développement sont la prépondérance des États-Unis, la montée des MN japonaises, la concentration accrue des IDE sur les PD et leur déploiement vers le secteur tertiaire. De ces tendances, on peut dégager les principales stratégies d'expansion des MN conduisant à une typologie qui se subs- titue à une définition unique et incontestée de la MN.

1. La définition des multinationales

Les définitions des MN sont nombreuses et non conver- gentes. Elles émanent des propos des dirigeants des MN, des juristes et des organismes internationaux, et des travaux uni- versitaires en économie internationale, en économie indus- trielle et en gestion de l'entreprise. Elles reposent sur des critères aussi divers que l'existence de l'IDE, le nombre de pays d'implantation accueillant les filiales, la stratégie de la firme, sa taille, la nationalité des propriétaires du capital, le pourcentage du chiffre d'affaires (ou des effectifs employés)

Page 10: Collection Repères

à l'étranger dans le chiffre d'affaires (l'emploi) total de la firme... J'arrête ici cet inventaire à la Prévert.

Une définition célèbre est due à Vernon : est MN une

grande firme ayant des filiales industrielles dans six pays étrangers au moins. Bâtie sur le modèle des MN américai- nes, cette définition est arbitraire et périmée. Pourquoi six et pas dix, ou deux pays étrangers ? Pourquoi les activités non industrielles à l'étranger ne sont-elles pas prises en compte alors qu'elles sont aujourd'hui les plus dynamiques ? Une grande part de la réalité des MN échappe aux définitions les plus connues. Adieu Vernon, bonjour Michalet [4] ; une MN est « une entreprise (ou un groupe), le plus souvent de grande taille, qui, à partir d'une base nationale, a implanté à l'étranger plusieurs filiales dans plusieurs pays, avec une stratégie et une organisation conçues à l'échelle mondiale ». La définition s'élargit. L'idée de base nationale permet de distinguer les MN américaines, les MN japonaises, les MN françaises selon leur pays d'origine. Plusieurs filiales et plu- sieurs pays, c'est souple et commode pour comparer des fir- mes plus ou moins multinationalisées. La définition n'est pas pour autant parfaite. Une seule MN a une organisation vrai- ment mondiale depuis longtemps : IBM. Et les autres ? La grande taille ne caractérise pas les multiples PME qui devien- nent des MN à présent. L'implantation de filiales corres- pond, dit Michalet, à un IDE ; mais l'évaluation de l'IDE est pleine de pièges (voir encadré). Pour qui a besoin de cer- titudes, il faut retenir la définition de Michalet, source de confort intellectuel... jusqu'au chapitre II. Après, il vaudra mieux convenir que la définition des MN est un problème, en permanente évolution avec l'histoire des MN.

2. L'histoire des multinationales

En 1914, on estime à plus de 14 milliards de dollars le stock des IDE dans le monde. Dans ce total, les IDE anglais, avec 6,5 milliards, font du Royaume-Uni le premier des PPI. [9]. L'implantation de filiales à l'étranger a commencé

Page 11: Collection Repères

L A DIFFICILE MESURE DE L'INVESTISSEMENT

DIRECT ÉTRANGER

a) Les flux d'IDE dans le monde sont souvent mesurés en dollars. Après 1971, cette mesure est affectée par les fluctuations de la valeur du dollar. Si l'IDE français s'élève de 4 milliards de francs courants en 1971 à 17 milliards de francs courants en 1984 pendant que le dollar passe de 5 à 8 francs, sa valeur en dollars croît de 800 millions à 2,1 milliards (taux de croissance annuel : 7,8 %). Si le dollar était resté à 5 francs, l'IDE aurait crû de 800 millions à 3,4 milliards en dollars (taux de croissance annuel : 11,8 %). Pour les pays dont les monnaies se déprécient par rap- port au dollar, la valeur des IDE exprimée en dollars sous-estime leur croissance. Le contraire vaut pour les pays dont les monnaies s'apprécient par rapport au dollar.

b) Les sorties de capitaux enregistrées au titre de l'IDE dans les balan- ces de paiement donnent une vision tronquée de l'IDE effectivement réa- lisé. L'IDE croît aussi, sans sortie de capitaux, grâce au réinvestissement des profits des filiales étrangères et à leur appel aux marchés financiers étrangers et internationaux. Les sorties de capitaux représentaient 24 % du flux de l'IDE américain en 1968 et 8 % en 1980 ; la part des profits réinvestis par les filiales respectivement 23 % et 41 %, les autres finan- cements 53 % et 51 %. Pour les MN anglaises les profits réinvestis font 55 à 60 % de l'IDE. Les sorties de capitaux (flux statistiquement mieux connus) sont une sous-estimation de la croissance des actifs détenus par les MN à l'étranger.

c) Les évaluations fondées sur les stocks d'IDE, et leur variation, sont plus adéquates. Mais plus rarement publiées, sauf aux États-Unis. Elles exigent la définition d'un seuil de contrôle des actifs à l'étranger pour dis- tinguer l'IDE de l'investissement de portefeuille. Ce seuil est fixé à 20 % du capital de la filiale en France, à 10 % aux États-Unis, chaque orga- nisme international ayant sa propre définition de ce seuil. Il peut suffire de moins que 10 % du capital d'une entreprise étrangère pour la contrô- ler. Les MN tendent de plus en plus à contrôler des sociétés étrangères sans apport de capital, en devenant leur fournisseur exclusif de techno- logie ou leur client unique, soit un contrôle avec 0 % du capital. Les stocks estimés d'IDE minorent la présence des MN à l'étranger.

d) Dans les statistiques sur les MN, l'usage est de ne pas additionner les chiffres concernant leur IDE et ceux relatifs à leurs investissements dans leur pays d'origine. On ne retient de l'expansion des MN que la par- tie qui se déroule à l'étranger. La vision du poids des MN dans l'écono- mie mondiale s'en trouve atténuée, puisque la plupart des MN ont au moins autant d'actifs et d'investissements dans leur pays d'origine qu'à l'étranger. Une MN française, même en France, reste une MN et se com- porte comme telle.

e) Pour dresser un panorama complet des MN, il faut puiser à diffé- rentes sources statistiques dont les publications sont inégalement fréquen- tes. Cela explique que certaines données présentées dans ce livre s'arrêtent en 1988, d'autres à des dates antérieures, en particulier pour les données relatives aux stocks d'IDE.

Page 12: Collection Repères

ve r s le m i l i e u d u X I X siècle e t s ' e s t a c c é l é r é e a p r è s 1875. L a

p é r i o d e 1875 -1895 a v u d e n o m b r e u s e s f i r m e s e u r o p é e n n e s

e t a m é r i c a i n e s e n t r e p r e n d r e l e u r p r e m i e r I D E , n o t a m m e n t

S i e m e n s , H o e c h s t , C i b a , N e s t l é , S o l v a y , S a i n t - G o b a i n , E r i c s -

s o n , W e s t i n g h o u s e , K o d a k , T e x a c o [1].

L ' e x p a n s i o n d e s M N es t u n p h é n o m è n e s é c u l a i r e t a n t p a r

l a d a t e d e s o n a p p a r i t i o n q u e p a r s a c r o i s s a n c e c o n t i n u e

d u r a n t p lu s d ' u n siècle. C e t t e c o n t i n u i t é p e u t ê t re saisie , d a n s

le ca s des É t a t s - U n i s , e n r a p p o r t a n t la v a l e u r d e l e u r s t o c k

d ' I D E à cel le d u P N B a m é r i c a i n p o u r d i v e r s e s a n n é e s . L e s

p o u r c e n t a g e s o b t e n u s s o n t les s u i v a n t s :

C e s c h i f f r e s m o n t r e n t q u e l ' I D E é t a i t d é j à e n 1914 et e n

1929 r e l a t i v e m e n t a u s s i i m p o r t a n t q u ' e n 1965 o u 1982. L e

t a b l e a u 1 c o n f i r m e la c r o i s s a n c e d u r a b l e à l o n g t e r m e d e s

M N p o u r l ' e n s e m b l e d e s p a y s d ' o r i g i n e . O n y d é c è l e a u s s i

q u e l q u e s é v o l u t i o n s m a r q u a n t e s . J u s q u ' à la S e c o n d e G u e r r e

m o n d i a l e , le R o y a u m e - U n i res te le p r e m i e r des P P I , suivi des

É t a t s - U n i s e t d e l a F r a n c e . A p r è s l a g u e r r e , les M N a m é r i -

c a i n e s v i e n n e n t e n t ê t e , d e v a n t les M N a n g l a i s e s , f r a n ç a i s e s ,

h o l l a n d a i s e s e t c a n a d i e n n e s . D e p u i s 1960 , o n n o t e l a m o n -

tée des I D E a l l e m a n d s e t j a p o n a i s . L e s m ê m e s t e n d a n c e s s o n t

r é p é r a b l e s d ' a p r è s le n o m b r e d e s n o u v e l l e s f i l i a les i m p l a n -

t é e s à l ' é t r a n g e r [1]. L a c r o i s s a n c e d e s f i l i a les d e M N a m é -

r i c a i n e s es t p l u s r a p i d e d e 1914 à 1938, p u i s d e 1952 à 1967.

A p r è s c e t t e d a t e , l a c r é a t i o n d e f i l i a les es t p l u s r a p i d e p o u r

les M N j a p o n a i s e s e t e u r o p é e n n e s . E n t r e 1914 et 1938, p r è s

d e s d e u x t i e r s d e s I D E se d i r i g e n t ve r s les P V D . A p r è s

g u e r r e , les P D d e v i e n n e n t les p r i n c i p a u x p a y s h ô t e s : t r o i s

q u a r t s d e s I D E y s o n t s i t u é s d é s o r m a i s , u n q u a r t s e u l e m e n t

en P V D . S a n s d o u t e e s t - ce c e t t e r é o r i e n t a t i o n q u i f a i t c r o i r e

à b i e n d e s s p é c i a l i s t e s q u e les M N s o n t u n p h é n o m è n e n o u -

v e a u d ' a p r è s - g u e r r e , a l o r s q u ' i l c o u v r e p l u s d ' u n s ièc le d ' h i s t o i r e .

Page 13: Collection Repères

TABLEAU I. — L E STOCK DES I D E , 1 9 1 4 - 1 9 8 2

Source : Dunning dans [9] et ONU.

Une dernière observation est a priori paradoxale. Par-delà sa croissance séculaire, l'IDE s'accélère en période de crise. Sa première accélération date de 1875-1895. Les années 1873-1895 sont le théâtre de la première grave crise capita- liste, connue sous le nom de Grande Dépression. La part de l'IDE dans la formation nette de capital au Royaume-Uni s'élève de 29 % en 1875-1884 à 51 % en 1885-1894 et retombe à 21 % en 1895-1904. En Allemagne, les chiffres correspondants sont 14 %, 20 % et 10 %. L'IDE des MN croît plus vite que l'investissement des économies nationa- les en dépression. Pendant la crise des années trente, le stock des IDE américains et allemands diminue un peu entre 1929 et 1938. Cette baisse est plus que compensée par l'expansion accélérée des IDE hollandais (12 % par an), anglais, fran- çais et belges. Aux États-Unis mêmes, la chute des IDE est moindre que celle de l'activité économique intérieure,