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    MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT

    COUR (CHAMBRE)

    AFFAIRE ASHINGDANE c. ROYAUME-UNI

    (Requte no 8225/78)

    ARRT

    STRASBOURG

    28 mai 1985

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    En laffaire Ashingdane ,

    La Cour europenne des Droits de lHomme, constitue, conformment larticle 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de lHommeet des Liberts fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes deson rglement, en une chambre compose des juges dont le nom suit:

    MM. G. WIARDA,prsident,Thr VILHJLMSSON,

    Mme D. BINDSCHEDLER-ROBERT,MM. G. LAGERGREN,

    L.-E. PETTITI,B. WALSH,

    Sir Vincent EVANS,ainsi que de MM. M.-A. Eissen,greffier, et H. Petzold,greffier adjoint,Aprs en avoir dlibr en chambre du conseil les 30 novembre 1984 et 26

    avril 1985,Rend larrt que voici, adopt cette dernire date:

    PROCEDURE

    1. Laffaire a t dfre la Cour par la Commission europenne desDroits de lHomme ("la Commission") le 14 octobre 1983, dans le dlai de

    trois mois ouvert par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de laConvention. A son origine se trouve une requte (no 8225/78) dirige contrele Royaume-Uni de Grande-Bretagne et dIrlande du Nord et dont unressortissant de cet tat, M. Leonard John Ashingdane, avait saisi laCommission le 26 octobre 1977 en vertu de larticle 25 (art. 25).

    La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art.48) ainsi qu la dclaration britannique de reconnaissance de la juridictionobligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour but dobtenir unedcision sur le point de savoir si les faits de la cause rvlent, de la part deltat dfendeur, un manquement aux obligations lui incombant aux termesdes articles 5, par. 1 et 4 et 6 par. 1 (art. 5-1, art. 5-4, art. 6-1).

    2. En rponse linvitation prescrite par larticle 33 par. 3 d) durglement, le requrant a exprim le dsir de participer linstance pendantedevant la Cour et a dsign son conseil (article 30).

    3. La chambre de sept juges constituer comprenait de plein droit SirVincent Evans, juge lu de nationalit britannique (article 43 de laConvention) (art. 43), et M. G. Wiarda, prsident de la Cour (article 21 par. 3 Note du greffier: L'affaire porte le n 14/1983/70/106. Les deux premiers chiffresdsignent son rang dans l'anne d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste dessaisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requtes initiales ( la Commission)correspondantes.

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    b) du rglement). Le 27 octobre 1983, celui-ci en a dsign par tirage au sortles cinq autres membres, savoir MM. Thr Vilhjlmsson, D. Evrigenis, G.

    Lagergren, L.-E. Pettiti et B. Walsh, en prsence du greffier. Ultrieurement,Mme D. Bindschedler-Robert, juge supplant, a remplac M. Evrigenis,empch (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du rglement).

    4. Ayant assum la prsidence de la chambre (article 21 par. 5), M.Wiarda a recueilli par lintermdiaire du greffier lopinion de lagent dugouvernement du Royaume-Uni ("le Gouvernement"), du dlgu de laCommission et du conseil du requrant sur la ncessit dune procdure crite(article 37 par. 1). Par la suite, et conformment aux ordonnances etdirectives du prsident de la Chambre, le greffier a reu

    - le 30 mars 1984, les mmoires respectifs du Gouvernement et durequrant;

    - le 5 avril, un addendum au second dentre eux;- le 14 novembre, trois pices produites par la Commission;- le 4 janvier 1985, un nouveau mmoire du requrant, consacr

    exclusivement lapplication ventuelle de larticle 50 (art. 50) de laConvention;

    - le 2 fvrier, les commentaires du Gouvernement sur ce dernierdocument.

    Les 15 mai 1984 et 6 mars 1985, le secrtaire de la Commission a informle greffier que le dlgu nentendait pas sexprimer par crit sur lesquestions en litige.

    5. Par une lettre arrive le 20 janvier 1984, le conseil de la partierequrante dans une cause semblable pendante devant la Commission(requte no 9490/81, Kynaston c. Royaume-Uni) a sollicit, en vertu delarticle 37 par. 2 du rglement, lautorisation de prsenter des observationscrites pour le compte de son client. Le 24 fvrier, le prsident a dcid de ne

    pas la lui accorder.6. Le 25 mai, en revanche, il a rserv une suite favorable une demande

    analogue qui manait de MIND (Association nationale pour la sant mentale,organisation tablie en Angleterre et au Pays de Galles). Il a cependant

    prcis que les observations dposer devraient se limiter certains pointstroitement lis avec laffaire Ashingdane. Aprs plusieurs prorogations du

    dlai consenti lorigine, elles sont parvenues au greffe le 30 octobre.7. Le 6 juillet, le prsident a fix au 29 novembre la date douverture dela procdure orale aprs avoir consult agent du Gouvernement, dlgu de laCommission et conseil du requrant par lintermdiaire du greffier (article38).

    8. Les dbats se sont drouls en public le jour dit, au Palais des Droitsde lHomme Strasbourg. La Cour avait tenu immdiatement auparavant unerunion prparatoire.

    Ont comparu:- pour le Gouvernement

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    Mme A. GLOVER, jurisconsulte,ministre des Affaires trangres et du Commonwealth,

    agent,M. M. BAKER, avocat, conseil,Mme L. REILLY, Senior Legal Assistant,

    ministre de la Sant et de la Scurit sociale,M. B. HARRISON, Assistant Secretary,

    ministre de la Sant et de la Scurit sociale conseillers;- pour la CommissionM. B. KIERNAN, dlgu;

    - pour le requrantM. J. MACDONALD, Q.C.,M. O. THOROLD, avocat, conseils,

    M. S. GROSZ, solicitor.La Cour a entendu en leurs plaidoiries, ainsi quen leurs rponses ses

    questions, M. Baker pour le Gouvernement, M. Kiernan pour la Commissionet M. Macdonald pour le requrant.

    9. Le Gouvernement a produit une pice le 11 janvier 1985.

    FAITS

    A. Les circonstances de lespce

    10. Le requrant, M. Leonard John Ashingdane, est un citoyenbritannique n en 1929. Le 23 novembre 1970, un tribunal de Rochester(Kent, Angleterre) le reconnut coupable de conduite dangereuse duneautomobile et de dtention illgale (en quatre occasions) darmes feu. Ilressortait de rapports mdicaux que lintress souffrait de troubles mentaux(schizophrnie paranode) justifiant, par leur caractre ou leur ampleur, son

    placement forc dans un hpital psychiatrique. En vertu de larticle 60 de laloi de 1959 sur la sant mentale ("la loi de 1959"), le tribunal rendit uneordonnance dinternement assortie, en application de larticle 65 et pour unedure indtermine, de restrictions la libration de lintress (paragraphe26 ci-dessous).

    11. Aprs un bref sjour en prison, le requrant fut enferm dabord lhpital psychiatrique local dOakwood, Maidstone (Kent). Il sen vada

    par deux fois, la suite de quoi on estima que les installations de cettablissement ne permettaient pas de lempcher de senfuir. Le 13 avril1971, on le transfra donc lhpital de Broadmoor, hpital "spcial" destinaux malades dont le traitement doit se drouler dans des conditions de

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    scurit renforce en raison de leur dangerosit ou de leur propension laviolence ou la dlinquance (paragraphe 25 in fine ci-dessous).

    12. A quatre reprises entre avril 1971 et octobre 1978, une commissionde contrle psychiatrique (paragraphe 29 ci-dessous) tudia le cas de M.Ashingdane et exprima lopinion que lon ne pouvait ni largir ni transfrerce dernier. Le ministre de lIntrieur, responsable du sort du requrant daprsla loi de 1959 (paragraphe 26 ci-dessous), suivit ce conseil.

    De son ct, le mdecin traitant adressa priodiquement des rapports auministre des Affaires sociales et en deux occasions au moins pendant cette

    priode des praticiens indpendants examinrent lintress sa propredemande. Selon tous ces documents mdicaux, sil demeurait dtenu cest

    parce quil souffrait de schizophrnie paranode, bnficiait Broadmoor dela mdication et de la surveillance voulues, navait ni la volont ni la capacit

    de cooprer son traitement et risquait de se rvler dangereux si on lerelchait.

    13. Le 31 octobre 1978, le Dr Maguire, psychiatre lgiste consultant quitait lhpital de Broadmoor le mdecin traitant de M. Ashingdane, signalaque celui-ci "avait cess de constituer une menace" et pouvait tre soigndans un hpital ouvert. La probabilit de le voir devenir violent avait diminuau point quil ne simposait plus de le garder dans le milieu de scuritrenforce de Broadmoor, bien que son tat continut dexiger un traitementdans un hpital. Le Dr Maguire recommanda donc son transfert Oakwood.Le requrant fut aussi examin par le Dr Sherry, psychiatre consultant lhpital dOakwood, qui souscrivit cet avis.

    En dcembre 1978, le ministre des Affaires sociales approuva larecommandation du Dr Maguire en vertu de la rglementation applicable(paragraphe 27 ci-dessous). Le 1er mars 1979, le ministre de lIntrieurconsentit lenvoi du patient dans un hpital psychiatrique local (article 65

    par. 3 c) de la loi de 1959 - paragraphe 27 ci-dessous), condition que lontrouvt une place vacante adquate.

    14. Cependant, lAutorit sanitaire de la circonscription du Kent, servicede tutelle de lhpital dOakwood, refusa dy accueillir M. Ashingdane et leministre des Affaires sociales dordonner le transfert (article 99 de la loi de1959 - paragraphe 27 in fine ci-dessous). En effet, depuis 1975 les deux

    sections du syndicat des infirmiers dOakwood (la Confederation of HealthService Employees) combattaient absolument ladmission des maladesdlinquants assujettis des ordonnances restrictives au titre de larticle 65 dela loi de 1959 (paragraphe 26 ci-dessous). Leurs adhrents estimaient que lemanque de moyens les empchait de pourvoir de manire suffisante autraitement, la radaptation et la scurit de tels malades dans le milieuouvert dOakwood (paragraphe 24 ci-dessous). LAutorit sanitaire avaitaverti le ministre des Affaires sociales quaccepter le requrant sans laccorddes infirmiers dclencherait probablement une grve qui pourrait nuire lasant et au bien-tre des autres malades sans pour autant servir les intrts de

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    M. Ashingdane. Elle avait aussi indiqu que pareille mesure compromettraitles chances de voir le personnel renoncer son attitude ngative et que diriger

    lintress vers un hpital diffrent pourrait non seulement y provoquer desperturbations, mais aussi aggraver les rapports entre partenaires sociaux Oakwood mme.

    Aucune possibilit dhbergement ne put tre dcouverte dans un hpitalautre quOakwood; le patient demeura donc Broadmoor.

    Auparavant, le ministre de la Sant et de la Scurit sociale avait procd une enqute sur la ncessit de maintenir en loccurrence les restrictionsvises larticle 65. Le 19 fvrier 1979, le Dr Maguire, en sa qualit demdecin traitant, dclara quil ne fallait pas les lever tant que M. Ashingdanenaurait pas fait preuve, dans un tablissement psychiatrique classique et

    pendant un temps raisonnable, de stabilit et mme de progrs.

    15. Le 23 aot 1979, une commission de contrle psychiatriquerexamina le dossier de lintress. Elle jugea indispensable de maintenir cedernier sous une surveillance directe, pour faire en sorte quil continut de

    prendre ses mdicaments; elle reconnut cependant que son tat stait assezamlior pour justifier un transfert dans un hpital local. Le 17 septembre1979, le ministre de lIntrieur renouvela son accord de principe. Durant cette

    priode, lAutorit sanitaire locale seffora en vain de persuader le personnelinfirmier dOakwood de revenir sur son refus daccueillir des patients soumis restrictions.

    16. En aot 1979, le requrant, aprs avoir obtenu lassistance judiciaire,avait saisi la High Court pour contester la lgalit de la prolongation de soninternement Broadmoor. A lorigine il lui demandait notamment:

    i. de dclarer que le ministre de la Sant et de la Scurit sociale,poursuivi en tant que reprsentant du ministre des Affaires sociales, avaitlobligation lgale de lui fournir un hbergement hospitalier Oakwood oudans un autre hpital local appropri;

    ii. de dclarer que le ministre et lAutorit sanitaire de la circonscriptiondu Kent avaient excd leurs pouvoirs en refusant de ladmettre Oakwooden raison de lopposition du syndicat;

    iii. de dclarer que les secrtaires et autres adhrents des deux sectionssyndicales de lhpital dOakwood enfreignaient la loi en amenant ou incitant

    le ministre et lAutorit sanitaire locale mconnatre leurs obligationslgales;iv. de leur interdire dagir de la sorte.En mars 1980, il modifia lacte introductif dinstance: il y ajouta

    lallgation selon laquelle les membres du syndicat violaient la loi enmenaant de quitter lhpital si lui y entrait; il rclama en outre desinjonctions et dommages-intrts raison de ce comportement.

    17. Le 21 dcembre 1979, le juge Dillon raya laffaire du rle pour autantquelle mettait en cause les secrtaires des sections syndicales, assigns titre

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    personnel et en qualit de reprsentants des adhrents; il dfrait ainsi leurdemande et se fondait sur larticle 141 de la loi de 1959:

    "1. Nul ne peut faire lobjet (...), du chef dune mesure rpute prise en vertu de laprsente loi (...), de poursuites civiles (...) dont il et t passible sans le prsentarticle, que si ladite mesure se trouvait entache de mauvaise foi ou de ngligence.

    2. Du chef de pareille mesure, aucune action civile (...) ne peut tre intente contrequelquun devant une juridiction quelconque sans laccord de la High Court; celle-cine le donne quune fois convaincue de lexistence dun motif valable de taxer demauvaise foi ou de ngligence la personne poursuivre.

    3. (...)."

    A la demande du ministre de la Sant et de la Scurit sociale ainsi que

    de lAutorit sanitaire de la circonscription, le juge Foster rendit le 15 janvier1980 une ordonnance analogue dans linstance pendante contre eux.18. Le requrant attaqua les deux dcisions. Le 18 fvrier 1980, la cour

    dappel unanime a) repoussa le recours form contre lordonnance du jugeFoster, relative au ministre et lAutorit sanitaire, et b) accueillit celui quivisait lordonnance du juge Dillon, concernant les secrtaires du syndicat.

    Lord Justice Bridge sexprima le premier. Le demandeur, souligna-t-il,navait pas sollicit lautorisation de la High Court et ne taxait aucun desdfendeurs de mauvaise foi ni de ngligence. Il fallait donc dterminer si lesmesures gnratrices, selon lui, de responsabilit relevaient de limmunit de

    juridiction accorde par le paragraphe 1 de larticle 141, parce que rputes

    prises en vertu de la loi de 1959.a) Quant au premier recours, Lord Justice Bridge carta le principalargument de M. Ashingdane: il dclara que si une autorit comptente agit, de

    bonne foi, de la manire convenable ses yeux pour sacquitter de sesresponsabilits lgales, la circonstance quelle a pu agir lencontre de la loiau point de porter atteinte aux buts mmes de celle-ci, ne saurait amener conclure que les mesures initiales, adoptes de bonne foi, ne sont pas rputes

    prises en vertu de la loi. Larticle 141 par. 1 de la loi de 1959 posait un critresubjectif et non objectif: "si une personne agit honntement dans le dessein deremplir, de son mieux ses fonctions ou obligations lgales, il me semblequelle est cense agir en vertu de la loi". Sans doute M. Ashingdane

    allguait-il un manquement lobligation, prvue larticle 3 de la loi de1977 sur le Service national de sant, de lui fournir un hbergementhospitalier rpondant toutes les conditions raisonnables (paragraphe 25 ci-dessous), mais lacte essentiel gnrateur, daprs lui, de responsabilitconsistait dans le refus de le transfrer, lequel bnficiait de la protection delarticle 141. Appliquant la jurisprudence Pountney v. Griffiths (AppealCases, 1976, p. 314, et All England Law Reports, 1975, vol. 2, p. 881), LordJustice Bridge ajouta: "Larticle 141 ne cre pas une immunit personnelleque lon puisse lever; il fixe la comptence de la Cour une limite qui ne sy

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    prte pas." Aussi se pronona-t-il en faveur du rejet du recours; Lords JusticeCumming-Bruce et Brightman marqurent leur accord avec lui.

    b) Quant laction intente contre les secrtaires des sections syndicales,Lord Justice Bridge, aprs examen de larrt relatif laffaire Pountney v.Griffiths (ibidem), estima quune dcision du personnel infirmier interdisantladmission de toute une catgorie de malades ne rentrait pas, mme adopteen toute bonne foi, dans les pouvoirs que la loi de 1959 confre expressmentou tacitement audit personnel: celle-ci nautorisait pas les infirmiers prendredes dcisions de politique gnrale. Les agissements des secrtaires dusyndicat ne bnficiaient donc pas de la protection de larticle 141, de sortequil fallait rapporter lordonnance de radiation du rle rendue par le jugeDillon. Lords Justice Cumming-Bruce et Brightman se rallirent cetteconclusion.

    19. La cour dappel nacorda pas aux parties lautorisation de saisir laChambre des Lords. Les secrtaires des sections syndicales la demandrentalors cette dernire, mais elle la leur refusa le 7 mai 1980. Pour finir, lerequrant se dsista de son action contre eux (paragraphe 23 ci-dessous).

    20. Pendant cette procdure, ltat du requrant donna lieu plusieursrapports. Ainsi, le Dr Maguire crivait le 19 octobre 1979:

    "i. Un transfert de Broadmoor dans un hpital psychiatrique local, aux fins depoursuite du traitement et de radaptation, constitue mon avis une tape essentiellevers la gurison du plaignant (M. Ashingdane).

    ii. La dception que lui a inspire son rejet par lhpital dOakwood a fait de lui un

    homme tendu et irritable. Chose plus grave, lune de ses ides fixes consistait jadis penser que les autorits hospitalires le perscutaient en continuant le dtenirillgalement. Elle a disparu lorsquil eut acquis un peu de discernement, mais je crainsque la prolongation illgitime de son internement ici ne la relance au point de

    prcipiter une rechute complte.

    iii. Son tat mental actuel demeure assez stable et me parat se prter un transfert lhpital dOakwood."

    En janvier 1980 le Dr Sherry, de lhpital dOakwood, examina derechefM. Ashingdane. Dans son rapport du 10 mars 1980, il confirma le diagnosticde schizophrnie paranode et crut pouvoir constater une lgre dtriorationde ltat mental de lintress par rapport lanne prcdente. Il formulalopinion suivante:

    "Sans tre franchement psychotique, cet homme reste paranoaque et jai lesentiment que son internement prolong Broadmoor nuit son tat mental, endautres termes renforce sa paranoa. Ses dmls interminables avec la High Court ne

    peuvent quempirer sa paranoa et rtrcir encore son optique."

    Selon le Dr Sherry, le patient ne se trouvait pas en mesure de retournervivre dans la socit, mais on devait pouvoir lhberger dans un hpital

    psychiatrique ordinaire dot dun pavillon ferm. On naurait sans doute pas

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    besoin de le garder plus dun an dans un tel pavillon. Le mdecin se disaitpersuad quOakwood conviendrait en loccurrence.

    21. Jusquen septembre 1980, lAutorit sanitaire de la circonscription sedclara hors dtat daccepter M. Ashingdane Oakwood en raison delopposition du syndicat ladmission des malades viss larticle 65. Le 4septembre 1980, en revanche, elle annona la conclusion dun accord

    permettant daccueillir le requrant; il comportait le recrutement de personnelsupplmentaire pour assurer le fonctionnement des installations ncessairesau traitement des patients assujettis des restrictions.

    22. Le 15 septembre 1980, le Dr Maguire signala de nouveau quunebonne radaptation exigeait la poursuite de linternement de M. Ashingdaneen raison "de son manque de discernement et de la longueur de son sjour entablissement". Le mdecin estimait le maintien en dtention "ncessaire dans

    lintrt de la sant ou de la scurit du malade et de la protection dautrui".23. Les ministres de lIntrieur et des Affaires sociales ayant consenti

    tous deux au transfert, le patient fut admis Oakwood le 1er octobre 1980.Peu aprs, il se dsista de son action contre les secrtaires des sectionssyndicales.

    Dans une lettre du 3 juin 1981, le Dr Maguire prcisa quen dpit de sescraintes antrieures (paragraphe 20 ci-dessus), "le requrant tait rest assezstable pendant la priode" ayant prcd le transfert.

    24. Les diffrences entre les rgimes et environnements respectifs deBroadmoor et dOakwood, tels que les a connus le requrant, peuvent sersumer ainsi:

    A lhpital de Broadmoor, la scurit constitue une proccupationmajeure. Locaux et terrains sont entours dun haut mur denceinte dot dun

    portail fermant clef. Chacun des btiments se trouve constamment ferm; ily existe frquemment un dispositif supplmentaire de scurit et des fentressont munies de barreaux. Aucun malade ne sort de son pavillon sans escorte moins de bnficier dun statut privilgi (paroled status) que na jamaisobtenu M. Ashingdane. Celui-ci travaillait dans les jardins potagers; pendantla journe, il jouissait dune libert relative dans ce vaste espace en plein air.Les visites sous escorte, par exemple des parents, ne sont en pratiqueautorises qu titre exceptionnel et pour des raisons humanitaires; elles se

    produisent peu souvent, surtout parce quil ny a pas assez de personnel pouraccompagner les malades. Pendant son sjour Broadmoor de 1971 1980,le requrant fit une visite sa mre, sous escorte, et se rendit de mme unefois dans la localit dont relve lhpital. En raison de lassez grandloignement de Broadmoor et des difficults de liaison avec lextrieur, lesfamilles nont que des possibilits limites dy aller voir les malades. De plus,ces visites, au moins lpoque de la dtention du requrant, se droulaientrarement sans tmoin.

    Quant aux hpitaux psychiatriques ordinaires, comme Oakwood, ilshbergent des malades, volontaires et non volontaires, tous soumis au mme

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    rgime ou presque. Situ au coeur de la ville de Maidstone, lhpitaldOakwood est aisment accessible par les moyens de transport publics. Il ne

    possde pas de mur denceinte et ni lentre principale ni la salle daccueil nesont fermes clef. Comme le Dr Sherry lavait prconis (paragraphe 20 ci-dessus), M. Ashingdane fut dabord plac dans un pavillon ferm destin seize malades, hommes et femmes, et verrouill au moins la nuit. Il ny avait

    pas de dispositif spcial de scurit, mais un personnel nombreux. Pendantcette priode initiale, le requrant accomplit Oakwood un travail semblable celui quon lui avait confi Brodmoor, mais en subissant une surveillancemoins stricte et pour finir sans en subir aucune. A partir de dcembre 1980,on le laissa circuler deux heures par jour, sans escorte, dans les jardins delhpital. Au cours de lt 1981, on le transfra dans une section ouverte.Depuis lors, des visites rgulires et sans escorte sa famille sont devenues

    un lment de sa vie Oakwood. En novembre 1984, il rentrait chez luichaque fin de semaine du jeudi au dimanche et pouvait quitter lhpital saguise du lundi au mercredi condition seulement dy retourner pour la nuit.

    B. Droit et pratique internes applicables

    25. A lpoque des faits, linternement des personnes souffrant detroubles mentaux, et en particulier la dtention des patients poursuivis au

    pnal, obissait principalement, en Angleterre et au pays de Galles, la loi de1959. Celle-ci a t pour la plus grande part abroge et remplace en 1983 par

    la loi de 1983 sur la sant mentale ("la loi de 1983" - voir par exemple lesparagraphes 29 et 30 ci-dessous).Diverses dispositions gnrales figurent aussi dans la loi de 1977 sur le

    Service national de sant ("la loi de 1977"). Ainsi, larticle 3 oblige leministre des Affaires sociales fournir, en Angleterre et au pays de Galles,les installations hospitalires "quil estime ncessaires pour rpondre tousles besoins raisonnables". Larticle 4 lastreint en outre crer et entretenirdes "hpitaux spciaux" pour les personnes atteintes de troubles mentaux"qui, son avis, ont besoin dun traitement dans des conditions de scurit

    particulires cause de leur dangerosit ou de leur propension la violenceou la dlinquance".

    26. Larticle 60 par. 1 de la loi de 1959 habilitait les juridictions pnales dcider, le cas chant, quune personne reconnue coupable dune infractionsubirait un traitement mdical au lieu dune peine. Elles pouvaient ainsi, souscertaines conditions concernant notamment les expertises mdicales, autoriser

    par une "ordonnance dinternement" (hospital order) ladmission force et ladtention de lintress dans un hpital psychiatrique (pour plus de dtails,voir larrt X c. Royaume-Uni du 5 novembre 1981, srie A no 46, p. 7, par.10). Daprs larticle 65 par. 1, elles pouvaient assortir pareille ordonnance,

    pour une priode illimite ou dtermine, de restrictions spciales llargissement des intresss. Avant de rendre une telle "ordonnance

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    restrictive" (restriction order), elles devaient sassurer, eu gard la nature delinfraction, aux antcdents du dlinquant et au risque de rcidive en cas de

    libration, que la mesure simposait pour la protection du public. Une foisprononce une ordonnance restrictive, le patient - mais non son traitement -relevait de lautorit du ministre de lIntrieur.

    27. Le transfert des malades mentaux dun tablissement dans un autredpend de la direction des hpitaux, savoir le ministre des Affaires socialessil sagit dun hpital spcial.

    A lpoque, le ministre pouvait lautoriser sil tait convaincu que desdispositions avaient t prises pour admettre le dlinquant malade lhpitaldaccueil dans les vingt-huit jours (articles 41 de la loi de 1959 et 13 durglement de 1960 sur la sant mentale (hpitaux et tutelle)). Quant auxmalades assujettis des restrictions (en vertu dune ordonnance restrictive),

    larticle 65 par. 3 c) de la loi subordonnait leur transfert au consentement duministre de lIntrieur.

    Toutefois, larticle 99 de la loi de 1959 habilitait le ministre ordonner letransfert partir dun hpital spcial sans avoir la certitude que lesdispositions susmentionnes avaient t adoptes.

    28. En pratique, selon deux rapports (rapport provisoire, de 1974, de laCommission sur les dlinquants alins, prside par Lord Butler, et rapportde recherche sur les hpitaux spciaux, no 16 de 1980, tabli par Susan Dell etfinanc par le ministre de la Sant et de la Scurit sociale) les hpitauxspciaux prouvent depuis quelques annes de plus en plus de difficults transfrer dans des hpitaux psychiatriques ordinaires les malades considrscomme ne prsentant plus de danger; pour ne pas accueillir de tels malades,les hpitaux ordinaires invoquent surtout le manque de place, lescaractristiques des malades, le refus oppos par le personnel infirmier et ledfaut dinstallations adquates, en particulier labsence dun quartier descurit ou dun pavillon ferm.

    29. Des commissions de contrle psychiatrique peuvent procderpriodiquement un nouvel examen du cas des malades assujettis desrestrictions. A lpoque, elles avaient pour tche de conseiller le ministre delIntrieur sur lopportunit de prolonger la dtention et le traitement (article66 par. 6 et 7 de la loi de 1959 - pour plus de prcisions, voir larrt X c.

    Royaume-Uni prcit, srie A no

    46, p. 8, par. 13 et 14). Elles ont vu leurstatut juridique et leurs prrogatives notablement modifis par la loi de 1983,dont les articles pertinents sont entrs en vigueur le 30 septembre 1983. En

    particulier, larticle 73 leur attribue dsormais le pouvoir dordonner, dansdes circonstances appropries, llargissement de pareil malade avec ou sansconditions.

    30. Selon le droit anglais de la responsabilit civile extracontractuelle,"linfraction une loi peut donner ouverture une action appele dordinaireaction pour manquement une obligation lgale" (Clerk and Lindsell onTorts, 15e dition, 1982, par. 1/99, p. 59). Cependant, il nen va ainsi que si la

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    loi en cause a cr dans le chef de la personne concerne un intrt que leParlement a voulu protger par une action en responsabilit, et il faut ltudier

    pour savoir contre quels types de conduite (intentionnelle, accidentelle ou parngligence) elle entend le protger.

    Pour les malades interns en vertu de la loi de 1959, le droit dintenter uneaction civile relative leur dtention nexistait que sous rserve desconditions et de limmunit prvues larticle 141 (paragraphe 17 ci-dessus).

    Larticle 139 de la loi de 1983 a remplac cette disposition. Il est entr envigueur le 30 septembre 1983, donc aprs les faits de la cause. Dsormais, la

    protection quil offre ne vaut pas pour les poursuites diriges contre leministre des Affaires sociales ou les autorits sanitaires. Dans les autres cas ilsupprime lobligation, pour une personne demandant lautorisation dengagerune action civile, de convaincre le juge de lexistence dun "motif valable"

    darguer de la mauvaise foi ou de la ngligence; seule subsiste la ncessit desolliciter lautorisation.

    PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

    31. M. Ashingdane a saisi la Commission le 26 octobre 1977 (requte no

    8225/78). Dans ses observations ultrieures, il se plaignait surtout davoir drester dans un hpital spcial doctobre 1978 octobre 1980, bien que jugapte tre envoy dans un hpital psychiatrique ordinaire, et de ne pas avoir

    russi contester en justice la lgalit du refus oppos par les autoritscomptentes son transfert. Sur le premier point il invoquait larticle 5 par. 1(art. 5-1) de la Convention, sur le second les articles 5 par. 4 et 6 par. 1 (art.5-4, art. 6-1).

    32. La Commission a retenu la requte le 5 fvrier 1982.Dans son rapport du 12 mai 1983 (article 31) (art. 31), elle exprime

    lopinion quil ny a eu en lespce violation ni des paragraphes 1 (art. 5-1)ou 4 (art. 5-4) de larticle 5 (neuf voix contre quatre) ni de larticle 6 par. 1(art. 6-1) (onze voix contre deux).

    Le texte intgral de son avis et de lopinion dissidente dont ilsaccompagne figure en annexe au prsent arrt.

    CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR

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    33. Lors des audiences du 29 novembre 1984, le Gouvernement a reprisen substance les conclusions formules dans son mmoire; elles invitaient la

    Cour"1. dcider et dclarer que la prolongation de linternement du requrant

    Broadmoor du 1er mars 1979 octobre 1980 na pas enfreint larticle 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention;

    2. dcider et dclarer que dans les circonstances de la cause, il ny a pas euviolation de larticle 5 par. 4 (art. 5-4) ni de larticle 5 par. 5 (art. 5-5) de laConvention;

    3. dcider et dclarer que les restrictions, imposes par larticle 141 par. 1 de la loide 1959 sur la sant mentale, lexercice par le requrant dune action devant les

    juridictions internes, nont pas transgress larticle 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention;

    4. prendre acte dans son arrt des modifications apportes au droit et la pratiquebritanniques relatifs la protection des actes accomplis en vertu de la loi sur la santmentale ainsi quaux prrogatives et la composition des commissions de contrle

    psychiatrique."

    34. De son ct, le requrant a confirm en substance les conclusions deson propre mmoire; il y demandait la Cour de dcider et dclarer:

    "1. que la prolongation de linternement du requrant lhpital de Broadmooraprs le 31 octobre 1978, ou subsidiairement aprs le 1er mars 1979, a viol larticle 5

    par. 1 (art. 5-1) de la Convention;

    2. quen dpit de larticle 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, le requrant na puintroduire un recours permettant un tribunal de statuer bref dlai sur la lgalit decet internement et dordonner le cas chant sa libration;

    3. que latteinte au droit daccs du requrant aux juridictions civiles a enfreintlarticle 6 (art. 6) de la Convention;

    4. que le Gouvernement doit payer au requrant, titre de satisfaction quitable, uneindemnit approprie, comprenant les dpens."

    EN DROIT

    I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE LARTICLE 5 PAR. 1 (art. 5-1)

    35. Dans la mesure o le requrant linvoque, larticle 5 par. 1 (art. 5-1)se lit ainsi:

    "Toute personne a droit la libert et la sret. Nul ne peut tre priv de sa libert,sauf dans les cas suivants et selon les voies lgales:

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    (...)

    e) sil sagit de la dtention rgulire (...) dun alin (...);(...)."

    M. Ashingdane admet que son internement a eu lieu "selon les voieslgales" et que les autorits disposaient dlments de nature les persuaderquelles avaient affaire un "alin". En revanche, il avance plusieursarguments tendant montrer que sa "dtention" ntait pas "rgulire" auregard de lalina e) du paragraphe 1 de larticle 5 (art. 5-1-e).

    A. Thse "principale" du requrant

    36. Pour son compte, lintress na cess de prtendre qu aucunmoment, mme avant 1978, ses troubles mentaux nont revtu un caractre ouune ampleur lgitimant son internement dans un hpital: son tat naurait pas

    prsent un danger manifeste et actuel pour lui-mme ou pour autrui. Sesconseils, tout en prcisant quil sagissait l de la thse "principale" de leurclient sur le terrain de larticle 5 par. 1 (art. 5-1), nont nullement dveloppce point devant la Cour.

    37. Dans sa jurisprudence, la Cour a nonc trois conditions minimales remplir pour quil y ait "dtention rgulire dun alin" au sens de larticle 5

    par. 1 e) (art. 5-1-e): sauf cas durgence, il faut avoir dmontr devantlautorit comptente, au moyen dune expertise mdicale objective,lexistence de troubles mentaux rels; ceux-ci doivent revtir un caractre ouune ampleur lgitimant linternement, lequel enfin ne peut se prolongervalablement sans la persistance de pareils troubles (voir notamment larrtWinterwerp du 24 octobre 1979, srie A no 33, p. 18, par. 39). La tche de laCour, quand elle contrle le respect de ces conditions, se borne examiner lesdcisions des autorits nationales sous langle de la Convention (voir en

    particulier larrt X c. Royaume-Uni du 5 novembre 1981, srie A no 46, p.20, par. 43 in fine).

    38. Les rapports mdicaux figurant au dossier, y compris ceux que despraticiens indpendants ont tablis la demande du requrant, fournissent les

    raisons suivantes pour linternement litigieux et son maintien: M. Ashingdanesouffrait dune schizophrnie paranode; il avait besoin de mdicaments etdune surveillance; il ne voulait ou ne pouvait cooprer un tel traitement et

    pouvait tre dangereux si on llargissait (paragraphes 10, 12, 13, 15, 20 et 22ci-dessus). Avec la Commission (paragraphe 73 du rapport), la Cour naaucun motif de douter de lobjectivit et de la solidit des avis mdicauxunanimes selon lesquels la dtention de lintress na jamais cess de se

    justifier tout au long de la priode en cause.

    B. Thses "subsidiaires" du requrant

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    39. Si ds octobre 1978 on le dclara mdicalement apte se voirtransfrer de Broadmoor, hpital "spcial", Oakwood, tablissement

    psychiatrique ordinaire le plus proche de son domicile, et si le ministre delIntrieur donna ds mars 1979 lautorisation ncessaire, le requrant ne futadmis Oakwood quen octobre 1980 (paragraphes 13 et 23 ci-dessus). Alpoque, en effet, et jusqu la conclusion dun arrangement le 4 septembre1980, le syndicat du personnel infirmier dOakwood sopposait totalement laccueil de patients dlinquants (tel M. Ashingdane) assujettis uneordonnance restrictive en vertu de larticle 65, car il estimait manquer demoyens suffisants pour soccuper de pareils malades (paragraphes 14, 21 et26 ci-dessus). De leur ct, les autorits comptentes nacceptaient pas de

    procder au transfert aussi longtemps quelles ne tomberaient pas daccordavec le syndicat.

    Les deux thses subsidiaires prsentes au nom du requrant par sesconseils portent sur les consquences du refus des autorits de le transfrerdun tablissement psychiatrique dun certain type un autre.

    1. Premire thse "subsidiaire"

    40. Selon la premire, il existait entre les hpitaux de Broadmoor etdOakwood des diffrences de nature et de conditions de vie si radicales quele choix quivalait, dans le cas du requrant, opter pour la dtention ou aucontraire pour la libert; les restrictions que M. Ashingdane subit finalement Oakwood ne constituaient que des limitations sa libert de circuler, et non

    une privation de libert. Aussi la prolongation de son internement Broadmoor aprs octobre 1978, ou pour le moins aprs mars 1979, aurait-elleperdu son caractre "rgulier" au sens de larticle 5 par. 1 e) (art. 5-1-e).

    41. Selon la jurisprudence constante de la Cour, larticle 5 par. 1 (art. 5-1) ne concerne pas les simples restrictions la libert de circuler, lesquellesrelvent de larticle 2 du Protocole no 4 (P4-2). Pour savoir si lon se trouvedevant une privation de libert, il faut partir de la situation concrte delintress et prendre en compte un ensemble de critres comme le genre, ladure, les effets et les modalits dexcution de la mesure considre (voirnotamment les arrts Engel et autres du 8 juin 1976, srie A n o 22, p. 25, par.58-59, et Guzzardi du 6 novembre 1980, srie A no 39, p. 33, par. 92). La

    distinction tablir entre privation et restriction de libert nest que de degrou dintensit, non de nature ou dessence (dernier arrt prcit, p. 33, par.93).

    42. cet gard, il existait des diffrences importantes entre Broadmoor etOakwood (paragraphe 24 ci-dessus). Le transfert de M. Ashingdane Oakwood avait un rapport troit avec un ventuel retour la libert: enloccurrence, il constituait une tape indispensable pour rintgrer un jour lasocit (paragraphe 20 ci-dessus).

    Pourtant, son arrive Oakwood en octobre 1980 le requrant fut,comme prvu ds le dpart, plac dans un pavillon ferm; il y resta dix mois

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    avant dtre envoy dans un pavillon ouvert (paragraphe 24, troisime alina,ci-dessus). Aller de Broadmoor Oakwood consistait donc passer dun

    mode dinternement psychiatrique un autre, quoique diffrent et plus libral.A Oakwood, M. Ashingdane est demeur un malade dtenu dans la mesure

    o sa libert, et pas seulement celle de circuler, a connu en fait et en droit deslimites (il na cess de se trouver assujetti une ordonnance restrictive envertu de la loi de 1959), mme sil a reu frquemment lautorisation dequitter lhpital.

    On ne saurait donc dire que la poursuite de son sjour forc Broadmoorde mars 1979 octobre 1980 ait prolong sa "dtention" un moment omdecins et administration le jugeaient apte recouvrer sa libert.

    2. Seconde thse "subsidiaire"

    43. Toujours titre subsidiaire, M. Ashingdane allgue en second lieuque son internement Broadmoor aprs octobre 1978, ou pour le moins aprsmars 1979 a enfreint la Convention quand bien mme sa dtention dans unautre tablissement, et en particulier Oakwood, aurait pu se justifier.

    Son maintien Broadmoor durant cette priode aurait t "irrgulier" auregard de larticle 5 par. 1 e) (art. 5-1-e), pour les raisons suivantes: ilmconnaissait le droit interne; comme le savaient les autorits comptentes, ilne simposait pas pour son traitement et comportait mme un srieux risque

    pour sa sant mentale; dans lenvironnement "inadquat" de Broadmoor, illimitait sa libert un degr plus haut et reportait son largissement ventuel

    une date plus lointaine que ne lexigeaient absolument les besoins de lasocit, violant ainsi le principe de proportionnalit; il tendait un but (laprservation de la paix dans les relations du travail) autre que ceux(traitement et protection de la socit) pour lesquels la Convention autorise larestriction. M. Ashingdane reconnat que nul droit un traitement donn nestgaranti en soi, mais daprs lui le pouvoir dinterner des malades mentauxconformment larticle 5 par. 1 e) (art. 5-1-e) implique, en raison de leurextrme vulnrabilit, lobligation minimale duser des moyens existants pourles garder dun danger discernable.

    A lappui de sa thse, il se rfre aux articles 17 et 18 (art. 17, art. 18):

    Article 17 (art. 17)

    "Aucune des dispositions de la (...) Convention ne peut tre interprte commeimpliquant pour un tat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de selivrer une activit ou daccomplir un acte visant la destruction des droits ou libertsreconnus dans la (...) Convention ou des limitations plus amples de ces droits etliberts que celles prvues [par la] Convention."

    Article 18 (art. 18)

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    "Les restrictions qui, aux termes de la (...) Convention, sont apportes auxdits droitset liberts ne peuvent tre appliques que dans le but pour lequel elles ont t

    prvues."

    44. La question de principe souleve par cette argumentation consiste savoir si et, dans laffirmative, jusqu quel point lexpression "dtentionrgulire dun alin" peut sinterprter comme visant non seulement lesimple fait de priver de libert des malades mentaux, mais aussi les modalitsdexcution de linternement telles que le lieu, le cadre et le rgime de celui-ci.

    Assurment, la "rgularit" dune dtention doit marquer tant ladoptionque lapplication de la mesure privative de libert. Elle suppose dabord laconformit au droit interne mais aussi, larticle 18 (art. 18) le confirme, aux

    buts des restrictions mnages par larticle 5 par. 1 (art. 5-1). Plus

    gnralement, il dcoule de lobjet mme de ce dernier quune dtentionarbitraire ne peut jamais passer pour "rgulire" (arrt Winterwerp prcit,srie A no 33, pp. 17-18, par. 39). La Cour admet en outre quil faut un certainlien entre, dune part, le motif invoqu pour la privation de libert autoriseet, de lautre, le lieu et le rgime de la dtention. En principe, la "dtention"dune personne comme malade mental ne sera "rgulire" au regard delalina e) du paragraphe 1 que si elle se droule dans un hpital, une cliniqueou un autre tablissement appropri ce habilit. Sous rserve de ce qui

    prcde, le traitement ou rgime adquats ne relvent pourtant pas, enprincipe, de larticle 5 par. 1 e) (art. 5-1-e) (arrt Winterwerp prcit, p. 21,par. 51).

    45. Aux yeux de la Cour, rien dans le dossier ne donne penser que laprivation de libert du requrant comme alin durant la priode litigieuse aitt "irrgulire" pour avoir mconnu le droit interne en vigueur (voir, mutatismutandis, larrt Winterwerp prcit, srie A no 33, pp. 18 et et 20-21, par. 40et 46-48). Comme le souligne le Gouvernement, devant les juridictionsnationales le requrant lui-mme na pas contest la base juridique de sadtention en vertu de la loi de 1959, ni rclam son largissement

    proprement parler: il a revendiqu un hbergement et un traitement dans lecadre, plus "appropri", dun hpital psychiatrique dune autre catgorie(paragraphe 16 ci-dessus).

    46. Il reste rechercher si la privation de libert incrimine tait"rgulire" au sens autonome de la Convention.47. Les diffrences de rgime entre Broadmoor et Oakwood se trouvent

    exposes plus haut (paragraphe 24). Si elles constituaient une questioncapitale pour M. Ashingdane et pour la qualit de sa vie en dtention, ellesntaient pas pour autant de nature modifier le caractre de sa privation delibert titre dalin. Dans les deux cas, il sagissait dhpitaux

    psychiatriques o, la Commission la not (paragraphes 78 et 80 du rapport),un personnel qualifi veillait constamment au traitement et la sant durequrant. Ds lors, bien que les conditions fussent plus librales Oakwood

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    et, eu gard lamlioration de ltat mental de lintress, plus propices sacomplte gurison, le lieu et les modalits de linternement nont pas cess de

    correspondre "la dtention rgulire dun alin". On ne saurait donc direquen dpit de larticle 17 (art. 17), le droit du requrant la libert et lasret ait subi des limitations plus amples que celles prvues larticle 5 par.1 e) (art. 5-1-e).

    48. En outre, il y a toujours eu un lien entre le but de linternementlitigieux et la maladie mentale de M. Ashingdane. Sans doute la causeimmdiate du retard mis transfrer celui-ci de ltablissement spcial descurit lhpital local tenait-elle aux relations de travail et non lathrapeutique, ce que la Commission juge "dplorable" (paragraphe 79 durapport), mais il ne sagissait manifestement pas dune indiffrenceconsciente pour le bien-tre de lintress. Les autorits comptentes

    sefforcrent de trouver ds que possible une solution (paragraphes 15 in fineet 21 ci-dessus). Les lments fournis la Cour donnent penser quelles ont

    probablement suivi la seule voie praticable. De toute manire, la Cour estconvaincue que le maintien en dtention du requrant na pas t entachdarbitraire, ni dcid dans un but inavou, en violation de larticle 5 par. 1 e)combin avec larticle 18 (art. 18+5-1-e).

    49. Un fait malencontreux nen demeure pas moins: M. Ashingdane asubi, humainement parlant, une injustice en devant endurer le rgime plusstrict de Broadmoor pendant dix-neuf mois de plus que ne lexigeait son tatmental. Le Gouvernement lui-mme compatit cette preuve et regrette

    beaucoup les vnements qui ont donn lieu la requte. Le problme dont laprsente affaire tire son origine - le transfert partir des hpitaux "spciaux"dAngleterre et du pays de Galles - a revtu sans conteste un caractre grave

    pour les intresss (paragraphe 28 ci-dessus). Pourtant, le tort inflig M.Ashingdane nest pas de ceux contre lesquels larticle 5 par. 1 e) (art. 5-1-e)de la Convention assure une protection.

    C. Conclusion

    50. En rsum, aucun gard il ny a eu violation de larticle 5 par. 1(art. 5-1).

    II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE LARTICLE 5 PAR. 4 (art. 5-4)

    51. Second grief de M. Ashingdane: la procdure judiciaire interne quila pu intenter ne lui aurait pas donn accs un tribunal comptent pourstatuer sur la lgalit de son maintien en dtention lhpital de Broadmooraprs octobre 1978. Il en serait rsult une infraction larticle 5 par. 4 (art.5-4), ainsi libell:

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    "Toute personne prive de sa libert par arrestation ou dtention a le droitdintroduire un recours devant un tribunal, afin quil statue bref dlai sur la lgalitde sa dtention et ordonne sa libration si la dtention est illgale."

    52. Larticle 5 par. 4 (art. 5-4) ne garantit pas le droit un examen, par lejuge, de la lgalit de tous les aspects ou modalits de la dtention (voir,mutatis mutandis, larrt X c. Royaume-Uni prcit, srie A no 46, p. 25, par.58, et larrt Van Droogenbroeck du 24 juin 1982, srie A n o 50, p. 26, par.49). La structure de larticle 5 (art. 5), quil faut lire comme un tout, montreque pour une seule et mme privation de libert le concept de "lawfulness"("rgularit", "lgalit") doit avoir le mme sens aux paragraphes 1 e) et 4(art. 5-1-e, art. 5-4) (arrt X c. Royaume-Uni prcit, p. 25, par. 57 in fine).Le recours interne disponible en vertu du paragraphe 4 doit donc permettre decontrler le respect des conditions remplir pour quil y ait, au regard du

    paragraphe 1 e) (art. 5-1-e), "dtention rgulire" dune personne pouralination mentale (ibidem, p. 25, par. 58, et paragraphe 44 ci-dessus).

    Cependant, les griefs que larticle 141 de la loi de 1959 a empch lerequrant de soulever devant les juridictions nationales (paragraphes 16-18ci-dessus) ne ressortissent pas au domaine du contrle judiciaire de la"lgalit" (lawfulness) voulu par larticle 5 par. 4 (art. 5-4). Comme la Courla dj not, lintress nattaquait pas alors la base juridique de sa dtentionen qualit dalin, au titre de la loi de 1959, ni ne rclamait sonlargissement proprement parler: il revendiquait un hbergement et untraitement dans le cadre, plus "appropri", dun hpital psychiatrique duneautre catgorie, question non rgie par le paragraphe 1 e) de larticle 5 (art. 5-1-e) (paragraphes 45 et 49 ci-dessus).

    Partant, le rejet de ses recours contre les autorits comptentes na pasenfreint larticle 5 par. 4 (art. 5-4).

    III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE LARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)

    53. M. Ashingdane se plaint de la dcision de la cour dappel qui, envertu de larticle 141 de la loi de 1959, a cart demble ses actions contre leministre de la Sant et de la Scurit sociale et lautorit sanitaire locale,lesquelles concernaient selon lui des "droits de caractre civil" au sens de

    larticle 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il en serait rsult unmanquement aux exigences de ce texte, ainsi libell:

    "Toute personne a droit ce que sa cause soit entendue quitablement,publiquement et dans un dlai raisonnable, par un tribunal indpendant et impartial,tabli par la loi, qui dcidera (...) des contestations sur ses droits et obligations decaractre civil (...)."

    54. Daprs le Gouvernement, les faits de la cause chappent lempirede larticle 6 par. 1 (art. 6-1); en particulier, les droits invoqus par lerequrant devant les juridictions anglaises ne revtiraient pas un "caractrecivil".

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    La Cour ne juge pas ncessaire de trancher la controverse, car elle conclut labsence de violation de larticle 6 par. 1 (art. 6-1) mme en le supposant

    applicable en lespce.55. Dans son arrt Golder du 21 fvrier 1975, la Cour a jug que "larticle

    6 par. 1 (art. 6-1) garantit chacun le droit ce quun tribunal connaisse detoute contestation relative ses droits et obligations de caractre civil" (srieA no 18, p. 18, par. 36). Ce "droit un tribunal", dont le droit daccsconstitue un aspect, peut tre invoqu par quiconque a des raisons srieusesdestimer illgale une ingrence dans lexercice de lun de ses droits (decaractre civil) et se plaint de navoir pas eu loccasion de soumettre pareillecontestation un tribunal rpondant aux exigences de larticle 6 par. 1 (art. 6-1) (arrts Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, srie A n o

    43, p. 20, par. 44 in fine, et Sporrong et Lnnroth du 23 septembre 1982, srie

    A no 52, p. 30, par. 81). En outre, les "contestations" vises larticle 6 par. 1(art. 6-1) peuvent porter sur lexistence mme dun "droit de caractre civil"(premier arrt cit, p. 22, par. 49 in fine).

    56. Le requrant a eu accs la High Court puis la cour dappel, maisseulement pour entendre dclarer ses actions irrecevables par le jeu de la loi(paragraphes 17 et 18 ci-dessus). Dans cette mesure, il a pu ainsi emprunterles voies de recours quoffrait le systme interne.

    57. En soi, cela ne satisfait pas ncessairement aux impratifs de larticle6 par. 1 (art. 6-1): encore faut-il constater que le degr daccs procur par lalgislation nationale suffisait pour assurer lindividu le "droit un tribunal",eu gard au principe de la "prminence du droit" dans une socitdmocratique (arrt Golder prcit, srie A no 18, pp. 16-18, par. 34-35, et

    paragraphe 92 du rapport de la Commission en lespce).Bien entendu, le droit daccs aux tribunaux nest pas absolu; il peut

    donner lieu des limitations implicitement admises car il "appelle de par sanature mme une rglementation par ltat, rglementation qui peut varierdans le temps et dans lespace en fonction des besoins et des ressources de lacommunaut et des individus" (mme arrt, p. 19, par. 38, citant celui du 23

    juillet 1968 en laffaire "linguistique belge", srie A no 6, p. 32, par. 5). Enlaborant pareille rglementation, les tats contractants jouissent dunecertaine marge dapprciation. Sil appartient la Cour de statuer en dernier

    ressort sur le respect des exigences de la Convention, elle na pas qualit poursubstituer lapprciation des autorits nationales une autre apprciation dece que pourrait tre la meilleure politique en la matire (voir, mutatismutandis, larrt Klass et autres du 6 septembre 1978, srie A no 28, p. 23,

    par. 49).Nanmoins, les limitations appliques ne sauraient restreindre laccs

    ouvert lindividu dune manire ou un point tels que le droit sen trouveatteint dans sa substance mme (arrts Golder et "linguistique belge" prcits,ibidem; voir aussi larrt Winterwerp prcit, srie A no 33, pp. 24 et 29, par.60 et 75). En outre, elles ne se concilient avec larticle 6 par. 1 (art. 6-1) que

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    si elles poursuivent un but lgitime et sil existe un rapport raisonnable deproportionnalit entre les moyens employs et le but vis.

    58. Larticle 141 de la loi de 1959 a entrav le recours de M. Ashingdaneaux juridictions internes. Daprs les lments concordants prsents laCour, il tendait pargner aux individus chargs du traitement des maladesmentaux le risque dactions en justice abusives et rptes (voir, par exemple,Pountney v. Griffiths, Chambre des Lords, Lord Simon of Glaisdale, AllEngland Law Reports, 1975, vol. 2, pp. 881 et 883).

    Si cet objectif apparat en soi lgitime quand il sagit des membres dupersonnel hospitalier, limmunit de juridiction dont le ministre de la Santet de la Scurit sociale et lautorit sanitaire locale ont joui dans lesinstances engages par M. Ashingdane mrite un examen plus attentif.

    59. Sans oublier le contexte gnral de laffaire, la Cour rappelle que

    dans une espce tirant son origine dune requte individuelle, il lui faut seborner autant que possible examiner le cas concret dont on la saisie (voirnotamment larrt Axen du 8 dcembre 1983, srie A n o 72, p. 11, par. 24).Pour apprcier la licit de la limitation impose, elle na donc point pourtche de contrler larticle 141 de la loi de 1959 en tant que tel, mais lescirconstances et modalits de son application M. Ashingdane.

    En loccurrence, la thse que le requrant souhaitait soumettre auxtribunaux anglais sappuyait sur larticle 3 de la loi de 1977, qui astreint leministre des Affaires sociales fournir les installations hospitalires voulues

    pour rpondre tous les besoins raisonnables (paragraphe 25 ci-dessus).Quand bien mme cet article confrerait des droits subjectifs (paragraphe 30ci-dessus), lobligation lgale ainsi cre, nonce en termes plutt gnraux,laisse au ministre un large pouvoir dapprciation; par nature, etindpendamment de larticle 141 de la loi de 1959, elle ne se prterait pas un contrle complet par le juge national. Larticle 141 ne restreignait pas la

    porte de larticle 3 de la loi de 1977 en soi; il aboutissait limiter lesdemandes fondes sur larticle 3 pour autant quelles avaient trait desmesures censes avoir t prises en vertu de la loi de 1959 (paragraphe 17 ci-dessus). Comme il ressort de la dcision de Lord Justice Bridge (paragraphe18 ci-dessus), la cour dappel a estim quil en allait ainsi des griefs de M.Ashingdane car lacte principal gnrateur, selon lui, de responsabilit

    consistait dans le refus de le transfrer de Broadmoor Oakwood, mesure dutype de celles que rgissent la loi de 1959 et ses rglements dapplication(paragraphe 27 ci-dessus). Quoique ds lors applicable, larticle 141nempchait quen partie dassigner en justice les autorits comptentes, duchef de pareil refus, pour manquement allgu aux exigences de larticle 3 dela loi de 1977: sous rserve de lautorisation de la High Court, il et permisdengager pareille action en arguant de la mauvaise foi ou de la ngligence(paragraphe 17 ci-dessus). Le requrant nayant rien reproch de tel auxditesautorits, sa demande a t carte.

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    Eu gard lensemble de ces circonstances, la restriction impose enlespce sur la base de larticle 141 de la loi de 1959 na pas port atteinte la

    substance mme du "droit" de M. Ashingdane " un tribunal", ni mconnu leprincipe de proportionnalit, en limitant la responsabilit ventuelle desautorits comptentes, sur le terrain de larticle 3 de la loi de 1977, aux actesaccomplis avec ngligence ou de mauvaise foi.

    Cette conclusion ne se trouve pas infirme par le fait que comme la loi de1983 a supprim limmunit de juridiction accorde jusque-l auxditesautorits (paragraphe 30 ci-dessus), lintroduction dune instance du genre decelle que souhaitait M. Ashingdane ne se heurterait plus aujourdhui unobstacle semblable.

    60. A supposer mme quil sappliqut en loccurrence, larticle 6 par. 1(art. 6-1) na donc pas t viol.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR

    1. Dit, par six voix contre une, quil ny a pas eu violation de larticle 5 par. 1(art. 5-1);

    2. Dit, lunanimit, quil ny a pas eu violation de larticle 5 par. 4 (art. 5-4);

    3. Dit, par six voix contre une, quil ny a pas eu violation de larticle 6 par. 1

    (art. 6-1).

    Rendu en franais et en anglais, puis prononc en audience publique auPalais des Droits de lHomme Strasbourg, le 28 mai 1985.

    Grard WIARDAPrsident

    Marc-Andr EISSENGreffier

    Se trouve joint au prsent arrt, conformment aux articles 51 par. 2 (art.51-2) de la Convention et 52 par. 2 du rglement, lexpos des opinionsspares suivantes:

    - opinion concordante de M. Lagergren;

    - opinion dissidente de M. Pettiti.

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    OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE LAGERGREN

    (Traduction)

    Bien que je partage lavis de la majorit de la Cour, je voudrais ajouterquelques brves remarques.

    Dans son arrt, la Cour na pas tranch la controverse relative lapplicabilit de larticle 6 par. 1 (art. 6-1) (paragraphe 54). Elle a pourtanttudi les circonstances dans lesquelles larticle 141 de la loi de 1959 a teffectivement appliqu M. Ashingdane et la manire dont il la t(paragraphe 59). A cette fin, elle a prsum que larticle 3 de la loi de 1977confre aux particuliers un "droit".

    Or mon sens lapplicabilit de larticle 6 par. 1 (art. 6-1) ne dpend pas

    du point de savoir si le droit interne considre ou prsente comme un "droitde caractre civil", ou comme un "droit" tout court, un "avantage ou intrt"revendiqu. Aux fins de larticle 6 par. 1 (art. 6-1), les deux premiersconcepts sont "autonomes"; il faut les dfinir la lumire de leur contenumatriel, de lobjet et du but de la Convention et des systmes juridiquesnationaux de tous les tats contractants. A dfaut, la question delapplicabilit de larticle 6 par. 1 (art. 6-1) pourrait recevoir une rponsediffrente selon les tats contractants pour une seule et mme situation defait; en outre, un tat dsireux dcarter les garanties de larticle 6 par. 1 (art.6-1) pourrait modifier ses catgories juridiques afin de soustraire un certaindomaine la comptence de ses juridictions. Une interprtation "autonome"des concepts de la Convention signifie en ralit une interprtation uniformersultant, pour reprendre les termes du Prambule, d"une conceptioncommune et [d] un commun respect des droits de lhomme (...)" protgs.

    De surcrot, on affirme souvent que lexistence dun "droit" prsuppose un"droit de recours". Cependant, si larticle 6 par. 1 (art. 6-1) ne valait quelorsquil y a dj un moyen de redressement, un droit de recours, son champdapplication serait plutt rduit.

    La dmarche que jai essay dexposer dans la prsente opinionpermettrait vraiment dassurer "die normative Kraft des Faktischen".

    (Rfrences: arrt Golder du 21 fvrier 1975, srie A n o 18, pp. 16-18,

    paragraphes 34-36; arrt Oztrk du 21 fvrier 1984, srie A n

    o

    73, pp. 17-18,paragraphe 49; rapport de la Commission, du 17 juillet 1980, dans la requteKaplan contre Royaume-Uni, no 7598/76, paragraphes 134, 162 et 164,dcisions et rapports, volume 21, pp. 25,32-33 (1981)).

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    OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE PETTITI

    Jai vot avec mes collgues pour la non-violation de larticle 5 par. 4 (art.5-4), mais je me suis spar de leurs votes en ce qui concerne les articles 5

    par. 1 et 6 (art. 5-1, art. 6).En ce qui concerne larticle 5 par. 1 (art. 5-1), la thse du requrant tendait

    soutenir que cette disposition doit sappliquer aussi bien la dtentionquaux conditions effectives dans lesquelles le dtenu subit celle-ci.

    Pour la Cour, la privation de libert par linternement ntait certes pasarbitraire et se conformait bien la loi de 1959 et la dcision du 23novembre 1970:

    "Assurment, la "rgularit" dune dtention doit marquer tant ladoption quelapplication de la mesure privative de libert. Elle suppose dabord la conformit audroit interne mais aussi, larticle 18 (art. 18) le confirme, aux buts des restrictionsmnages par larticle 5 par. 1 (art. 5-1). Plus gnralement, il dcoule de lobjetmme de ce dernier quune dtention arbitraire ne peut jamais passer pour "rgulire"(...). La Cour admet en outre quil faut un certain lien entre, dune part, le motifinvoqu pour la privation de libert autorise et, de lautre, le lieu et le rgime de ladtention. En principe, la "dtention" dune personne comme malade mental ne sera"rgulire" au regard de lalina e) du paragraphe 1 (art. 5-1-e) que si elle se drouledans un hpital, une clinique ou un autre tablissement ce habilit. Sous rserve dece qui prcde, le traitement ou rgime adquats ne relvent pourtant pas, en principe,de larticle 5 par. 1 e) (art. 5-1-e) (...)." (paragraphe 44).

    Mais,

    "rien dans le dossier ne donne penser que la privation de libert ait t irrgulirepour avoir mconnu le droit interne applicable" (paragraphe 45).

    Selon la Cour, la privation de libert tant "rgulire" il y avait lieudexaminer au titre du paragraphe 1 e) (art. 5-1-e) si le maintien de ladtention tait rest rgulier, nonobstant le refus de transfert.

    A ses yeux, il y a toujours eu un lien entre le but de linternement litigieuxet la maladie mentale, le maintien en dtention na pas t entach darbitraireni dcid dans un but inavou.

    Cette formulation me parat soulever deux interrogations:1) dune part, la qualification de ltablissement comme tant

    "ltablissement appropri" par lautorit comptente et suivant la loi interne

    suffit-elle pour que le maintien en dtention soit considr comme "rgulier"au sens de linterprtation autonome que la Cour donne de larticle 5 par. 1(art. 5-1)?

    2) dautre part, laffirmation suivant laquelle le maintien en dtention Broadmoor tait la seule voie praticable et ntait pas entach darbitraire, nidcid dans un but inavou, suffisait-elle pour carter lapplication delarticle 5 par. 1 (art. 5-1)?

    Alors surtout quil est constant et non contest par le Gouvernement:1) que labsence de transfrement de Broadmoor Oakwood avait pour

    cause la menace de grve du syndicat du personnel soignant dOakwood qui

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    refusait ladmission des malades assujettis aux ordonnances restrictives delarticle 65 de la loi; il ne sagissait pas de lintrt des malades, mais ladcision sinspirait de considrations gouvernementales dopportunit;

    2) que le transfert Oakwood simposait, titre mdical, et quil et tbnfique pour le patient, ce qui a t ultrieurement dmontr puisque lesjour Oakwood, mme diffr au 1er octobre 1980, a contribu uneamlioration considrable de ltat de sant mentale de M. Ashingdane.

    Le diagnostic du Dr Maguire tait sans ambigut:

    "i. Un transfert de Broadmoor dans un hpital psychiatrique local, aux fins depoursuite du traitement et de radaptation, constitue (...) une tape essentielle vers lagurison du plaignant (...).

    ii. La dception que lui a inspire son rejet par lhpital dOakwood a fait de lui un

    homme tendu et irritable. Chose plus grave, lune de ses ides fixes consistait jadis penser que les autorits hospitalires le perscutaient en continuant le dtenirillgalement. Elle a disparu lorsquil eut acquis un peu de discernement, mais je crainsque la prolongation illgitime de son internement ici ne la relance au point de

    prcipiter une complte rechute.

    iii. Son tat mental actuel demeure assez stable et me parat se prter un transfert lhpital dOakwood". (paragraphe 20)

    Lavis du Dr Sherry en janvier 1980 tait concordant:

    "Sans tre franchement psychotique, cet homme reste paranoaque et jai lesentiment que son internement prolong Broadmoor nuit son tat mental, en

    dautres termes renforce sa paranoa. Ses dmls interminables avec la High Court nepeuvent quempirer sa paranoa et rtrcir encore son optique."

    Selon le Dr. Sherry, le patient ne se trouvait pas en mesure de retournervivre dans la socit, mais on devait pouvoir lhberger dans un hpital

    psychiatrique ordinaire dot dun pavillon ferm. On naurait sans doute pasbesoin de le garder plus dun an dans un tel pavillon. Le mdecin se disaitpersuad quOakwood conviendrait en loccurrence (paragraphe 20).

    Il ne mapparat pas que, face cette exigence mdicale, lautoritcomptente ait recherch toutes les voies praticables pour permettre letraitement appropri. Oakwood ntait pas le seul tablissement de lacatgorie. Au surplus, le Gouvernement est responsable de lorganisation

    sanitaire comme de ladministration pnitentiaire et ne peut se retrancherderrire une seule menace de grve ou de conflit syndical.

    Dj on peut sinterroger sur le champ dapplication de larticle 5 par. 1(art. 5-1) au sens de linterprtation autonome de la Cour: en droit commun

    pnitentiaire, pourrait-on considrer quune dtention dcide judiciairementreste rgulire si un dtenu, au lieu dtre plac dans ltablissement

    pnitentiaire correspondant suivant la loi interne la sanction prononce, setrouve plac dans un lieu de rclusion affect aux peines de rclusion

    perptuelle ou plac lintrieur de la prison et de faon permanente dans unecellule de "punition" ou de "privation sensorielle"? Tel ntait pas le cas

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    soumis la Cour; celle-ci aura peut-tre examiner un cas despce de cegenre.

    Mais en tout tat de cause, on ne saurait raisonner par analogie entredtention et internement, les problmes dordre public tant tout autres. La

    prison de droit commun a pour cause la sanction. Lenfermement dunmalade mental a pour but le traitement en vue dune gurison, en mmetemps que la protection des tiers contre les malades vraiment dangereux. Latche et le devoir de ladministration sont donc, avant tout, de concourir autraitement mdical et de rechercher les meilleurs moyens dassurer lagurison, indpendamment des ncessits de la politique syndicale. Cest

    pourquoi je considre que pendant quelques mois Broadmoor le maintien endtention a cess dtre "rgulier" au sens de larticle 5 par. 1 (art. 5-1),mme si dans le cas despce il ny a pas eu un but inavou de dtournement

    de la part de lautorit comptente, encore que larticle 5 (art. 5) nesubordonne pas la violation lexistence de pareil but. Le gouvernement

    britannique a dailleurs trs loyalement reconnu que M. Ashingdane avait tplac dans une situation grave et il a dplor ce fait laudience publique.

    En ce qui concerne larticle 6 par. 1 (art. 6-1), le rejet de la reconnaissancedun droit et obligation de caractre civil tait critiquable si on le rapprochedu contenu des demandes.

    La Cour sest place sur un autre terrain; elle ne tranche pas la controversepuisquelle conclut labsence de violation de larticle 6 par. 1 (art. 6-1),mme en supposant quil sapplique en lespce.

    A mon sens, la Cour ne pouvait adopter un raisonnement semblable celuide la Commission, puisque celle-ci rejetait lapplicabilit.

    Pour la Cour

    "Le requrant a eu accs la High Court puis la cour dappel, mais seulement pourentendre dclarer ses actions irrecevables par le jeu de la loi (...). Dans cette mesure, ila pu ainsi emprunter les voies de recours quoffrait le systme interne." (paragraphe56)

    "En soi, cela ne satisfait pas ncessairement aux impratifs de larticle 6 par. 1 (art.6-1): encore faut-il constater que le degr daccs procur par la lgislation nationalesuffisait pour assurer lindividu le "droit un tribunal", eu gard au principe de la"prminence du droit" dans une socit dmocratique (...)." (paragraphe 57)

    Pour la Cour, il ny a pas eu violation de larticle 6 par. 1 (art. 6-1). Unepremire question se posait: larticle 6 par. 1 (art. 6-1) sappliquait-il?Sagissait-il de la mise en cause de droits et obligations de caractre civil?

    Pour le requrant, son action cherchait revendiquer un droit civil au sensautonome de la Convention et non pas seulement selon la dfinition du droitinterne.

    Pour la Commission, lanalyse de la nature de laction tait la suivante:

    "Le requrant soutient que laction quil avait engage contre les autorits emportaitdcision sur une contestation relative un droit de caractre civil au sens de larticle6, par. 1 (art. 6-1). Son grief tait en substance que les dfendeurs avaient son gard

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    une obligation lgale quils navaient pas respecte, ce qui lamenait ou lamnerait subir une perte ou un dommage. A ses yeux, il est manifeste quune personne a le droit

    dintenter une action en dommages-intrts si, contrairement la loi, elle reoit untraitement ou une surveillance mdicale inappropris ou inexistants. Il en va de mmedun traitement psychiatrique. Or, en droit anglais, la mconnaissance duneobligation lgale donne naissance un droit de caractre priv.

    Le requrant rejette largument du Gouvernement selon lequel la loi relative auService national de sant ne lui confrait aucun droit de caractre civil. Certes,lobligation qui en dcoule tait limite en fonction des ressources disponibles, mais ilest notoire que, dans son cas, les ressources ncessaires existaient bien. Le requrantrejette galement la thse du Gouvernement selon laquelle sa libert naurait pas ten cause. En effet, dans la mesure o il tait oblig, en pratique, de passer par unhpital psychiatrique local avant dtre remis en libert, le fait de ne pas le transfrerretardait sa libration finale." (dcision de la Commission sur la recevabilit - rapport,

    p. 46).

    La Commission finalement estimait que le grief formul par le requrantquant un manquement une obligation lgale ntait pas un droit civil dontla dtermination exigeait un procs quitable (rapport, paragraphe 96).

    Mais sagissait-il dun droit effectif un tribunal alors que le recours taitmanifestement vou lchec? La Commission notait que le grief tait n delincapacit et, partant, du refus du Ministre et de lAutorit sanitaire detransfrer le requrant dun hpital scurit renforce vers un asile classique cause dune action revendicative mene lpoque par le personnelsoignant. Le requrant aurait d cependant demander au pralable

    lautorisation dengager cette action, conformment larticle 141 par. 25 dela loi de 1959 sur la sant mentale. Nanmoins, la High Court et la courdappel ont clairement laiss entendre, dans leurs arrts respectifs des 15

    janvier et 28 fvrier 1980, que cette autorisation naurait pas t accordepuisque larticle 141 par. 1, prvoit que se trouve protge contre toutespoursuites la personne cense avoir agi en application de la loi de 1959, moins que la mesure conteste ait t prise de mauvaise foi ou par ngligence(rapport, paragraphe 90).

    Compte tenu de cette fin (certaine) de non-recevoir, M. Ashingdane taitvraiment priv de son moyen dobtenir rparation; sil sagissait dun droit decaractre civil, ce qui nest pas exclu par larrt de la Cour, M. Ashingdane

    pouvait alors bon droit invoquer la violation de larticle 6 (art. 6).Les requtes Dyer, no 10475/83, et Pinder, no 10096/82, examines par la

    Commission sont significatives. Le Gouvernement justifiait lexclusion, pourles requrants, de laccs un tribunal pour rclamer des dommages (au lieudune pension), en invoquant la loi interne qui tablissait labsence deresponsabilit de ltat envers les victimes militaires en service (article 10 dela loi de 1947 sur les recours contre la Couronne):

    "Under section 10, however, members of the Armed Forces and the Crown as theiremployer are exempt from liability in tort in respect of death or any injury suffered byanother member of the Armed Forces, if, at the time he suffers death or injury, he is

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    either on duty or, though not on duty, is on land, premises, ship, aircraft or vehiclebeing used for the time being for the purposes of the Armed Forces of the Crown. TheCrown is also exempt from liability for death or personal injury suffered by a memberof the Armed Forces resulting from the nature or condition of any land, premises, ship,aircraft, vehicle, equipment or supplies being used for the time being for the purposesof the Armed Forces." (dcision de la Commission sur la recevabilit dans laffaireDyer, 9 octobre 1984, paratre dans Dcisions et rapports)1

    La Commission a rejet la requte en tenant compte notamment desrapports particuliers de service existant entre les membres des forces armeset en considrant quil sagissait du domaine particulier du rgime des

    pensions. La violation de larticle 6 (art. 6) ntait pas retenue.Mais dans le cas de M. Ashingdane, il sagissait dun civil et la demande

    ne portait pas sur loctroi dune pension.

    Cest le domaine de la responsabilit objective de ltat du fait desagissements mme non fautifs de ses agents qui tait aussi au centre delaffaire Ashingdane au sens de larticle 6 (art. 6). Certes les tats membresdu Conseil de lEurope ont des lgislations et des systmes trs divers en lamatire, mais larticle 6 (art. 6) doit sappliquer au sens de linterprtationautonome lorsquil sagit notamment de droits et obligations de caractrecivil.

    Japprouve entirement le raisonnement de la Cour quand elle reconnat ltat la possibilit daccorder lgalement certaines immunits descatgories de fonctionnaires en raison de leur situation particulire et de lancessit de leur accorder une protection spcifique (infirmiers et aide-

    soignants dhpitaux psychiatriques notamment).Mais la porte de larticle 141 de la loi de 1959 tait plus vaste. Il convientde rappeler son libell:

    "1. Nul ne peut faire lobjet (...), du chef dune mesure rpute prise en vertu de laprsente loi (...), de poursuites civiles (...) dont il et t passible sans le prsentarticle, que si ladite mesure se trouvait entache de mauvaise foi ou de ngligence.

    2. Du chef de pareille mesure, aucune action civile (...) ne peut tre intente contrequelquun devant une juridiction quelconque sans laccord de la High Court; celle-cine le donne quune fois convaincue de lexistence dun motif valable de taxer demauvaise foi ou de ngligence la personne poursuivre." (paragraphe 17 de larrt)

    A la limite, le chauffeur du bus transportant les aide-soignants ou malades,auteur dun accident de circulation sans faute caractrise de sa part,

    1 Traduction du greffe: "D'aprs l'article 10 toutefois, les militaires et la Couronne en tantque leur employeur n'encourent aucune responsabilit civile extracontractuelle en cas demort ou de blessure d'un autre militaire, si au moment des faits la victime se trouve soit enservice, soit hors service mais sur un terrain, dans un local ou bord d'un bateau, d'unavion ou d'un vhicule utiliss l'poque pour les besoins des forces armes de laCouronne. Celle-ci n'encourt pas non plus de responsabilit pour la mort ou la blessure

    physique d'un militaire, due la nature ou l'tat d'un terrain, d'un local, d'un bateau, d'unavion, d'un vhicule, d'un quipement ou de fournitures utiliss l'poque pour les besoinsdes forces armes."

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    bnficiait de limmunit et les victimes ne pouvaient engager effectivementdaction en responsabilit contre ltat.

    Cet article 141 est rapprocher des textes concernant les militaires dans lalgislation du Royaume-Uni. Admettre quil peut tre ncessaire doffrir unecertaine protection contre des actions en justice inconsidres en justifiantalors une certaine immunit au profit des membres du personnel soignant,laisse entier lautre aspect du problme au regard de larticle 6 (art. 6), savoir la protection des victimes par louverture dune action en justice contreltat, en rparation de prjudices.

    Deux plans taient distinguer davantage: celui de limitations autorisespour ltat en faveur de ses agents du personnel soignant et celui du droit rparation au moyen dun procs quitable.

    Dans cette perspective, les restrictions apportes par ltat de par la loi de1959 ne respectaient pas le principe de proportionnalit, car les actions de M.Ashingdane ne constituaient ni des mesures de harclement contre le

    personnel soignant ni des procdures abusives.Lapplication de larticle 6 (art. 6) me paraissait donc devoir tre reconnue

    et sa violation constate, alors surtout que la Cour rejetait lapplication delarticle 5 par. 1 (art. 5-1). M. Ashingdane a t incontestablement victime,ainsi que la admis le Gouvernement; il avait droit, selon mon interprtation, la possibilit de voir ses actions examines effectivement au cours dun

    procs rpondant aux exigences de larticle 6 (art. 6).Loctroi de telles possibilits est dautant plus ncessaire pour les malades

    mentaux qui doivent bnficier du maximum de protection.Dans le cas despce, la crainte de voir les membres du personnel soignantdOakwood exposs des recours excessifs, abusifs, de la part de M.Ashingdane ntait pas justifie. Le comportement de M. Ashingdane na past abusif; ses recours taient srieux.

    Au cours de la procdure, le juge Bridge dclara notamment que si uneautorit comptente agit, de bonne foi, de la manire convenable ses yeux

    pour sacquitter de ses responsabilits lgales, "la circonstance quelle a puagir lencontre de la loi au point de porter atteinte aux buts mmes de celle-ci, ne saurait amener conclure que les mesures initiales, adoptes de bonnefoi, ne sont pas rputes prises en vertu de la loi." Daccord avec le juge

    Dillon, il estima que le texte de larticle 141 (1) de la loi de 1959 posait uncritre subjectif et non pas objectif. "Si une personne agit honntement, dansle dessein de remplir, de son mieux ses fonctions ou obligations lgales, il mesemble quelle est cense agir en vertu de la loi". Sans doute M. Ashingdaneallguait-il un manquement lobligation, prvue larticle 3 de la loi de1977 sur le Service national de sant, de lui fournir un hbergementhospitalier rpondant toutes les conditions raisonnables, mais lacteessentiel gnrateur, daprs lui, de responsabilit consistait dans le refus dele transfrer, lequel bnficiait de la protection de larticle 141 (paragraphe 18de larrt).

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  • 7/31/2019 Affaire Ashingdane c[1]. Royaume-uni

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    ARRT ASHINGDANE c. ROYAUME-UNIOPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE PETTITI

    Limmunit, en droit interne, tait donc largement interprte et lactesusceptible dengager la responsabilit des autorits tait galement, selon les

    juges britanniques, couvert par larticle 141.Tout recours effectif contre les agents ou contre les autorits tait donc

    ferm selon le droit interne; la lgislation britannique en 1983 a heureusementremdi cela.

    Il me parat difficile de considrer que larticle 141 ne restreignait pas laporte de larticle 3 de la loi de 1977 en soi. Les demandes de M. Ashingdanetaient multiples et non limites un seul objectif. En tout cas lacte principalgnrateur de responsabilit des autorits, indpendamment de celles desagents soignants, devait, en droit interne, trouver une voie judiciaire daccseffectif au tribunal, ce qui na pu se raliser, portant ainsi, mon avis, atteinte la substance du droit de M. Ashingdane au sens de linterprtation

    autonome de larticle 6 (art. 6).

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