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Les juridictions constitutionnelles africaines et les crises électorales

Stéphane BolleMaître de conférences HDR en droit public à l’Université Paul Valéry – Montpellier III

Membre du CERCOP*Membre associé du CERDRADI, équipe du GRECCAP**

Auteur du blog « La Constitution en Afrique »***

À chaque élection, une démocratie émergente d’Afrique francophone a rendez-vous avec elle-même ; et sa cour ou son Conseil constitutionnel passe une redoutable épreuve de vérité.

Nul n’ignore que, dans les pays qui ont connu la troisième vague de démo-cratisation, dans la décennie 1990 1, la tenue d’élections libres, fi ables et transparentes pose d’incommensurables difficultés techniques de tous ordres 2 ; que l’acte électoral interroge dans des sociétés où sévissent la pauvreté et l’analphabétisme ; que l’organisation d’un scrutin pluraliste appa-raît comme un leurre, partout où l’alternance démocratique est compromise

* Centre d’études et de recherches comparatives constitutionnelles et politiques (Université Montpellier I).** Centre d’études et de recherches sur les droits africains et sur le développement institu-tionnel des pays en développement, membre du groupement de recherches comparatives en droit administratif, constitutionnel et politique (Université Montesquieu – Bordeaux IV).*** http://www.la-constitution-en-afrique.org/

1. En la matière, l’ouvrage de référence reste L’Afrique en transition vers le pluralisme poli-tique, Gérard CONAC (dir.), Paris, Economica, 1993.2. Voir la synthèse de Jean DU BOIS DE GAUDUSSON, « Les élections à l’épreuve de l’Afrique », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 13/2002, p. 139 et s.

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et par la manipulation des textes, et par des fraudes massives 3 ; et qu’une élection disputée est l’occasion d’abondants contentieux, politiques et juri-diques 4, quand elle ne provoque pas des violences, quand elle ne dégénère pas en guerre civile.

C’est dans un tel contexte que chaque cour ou conseil, qui cumule les attri-butions de juge constitutionnel et de juge électoral, doit offi cier ; qu’il doit s’assurer du respect de principes cardinaux, également reconnus en droit international 5 ; qu’il doit garantir l’expression libre et inaltérée du suffrage ; et qu’il lui faut trancher les contentieux, sans pouvoir satisfaire toutes les parties 6. Partout dans le monde, « Cette mission des Cours est importante dans la mesure où la régularité et la sincérité des élections politiques sont une des conditions du maintien de la croyance en la vertu du processus de désignation des représentants du peuple et, en conséquence, de l’élection comme fondement démocratique de la légitimité. Mais elle est aussi délicate en ce que le contrôle porte sur une matière sensible, pour les élus comme les électeurs, impliquant pour le juge d’entrer dans une appréciation des infl uences possibles des différents faits de campagne électorale sur le vote des citoyens » 7. En Afrique francophone, la mission s’avère particulièrement ingrate : en période d’apprentissage des rites démocratiques, dire le droit élec-toral, ce singulier et ésotérique « droit du pouvoir » 8, c’est toujours s’expose r à l’accusation de partialité et d’inféodation aux autorités 9 ; c’est souvent

3. La question a été récemment abordée lors de la conférence internationale « Les défi s de l’alternance démocratique », Cotonou, 23-25 février 2009, dont les actes sont consultables à l’adresse internet http://www.idh-benin.org/conf_communications.html.4. Cette distinction est mise en exergue, s’agissant des candidatures, par Ata Messan AJAVON, « Rapport introductif », in Aspects du contentieux électoral en Afrique. Actes du séminaire de Cotonou, 11-12 novembre 1998, Paris, Organisation Internationale de la Francophonie, 2000, p. 131 et s.5. Les principes en cause sont exposés par Guy S. GOODWIN-GILL, Élections libres et régu-lières, nouvelle édition augmentée, Genève, Union interparlementaire, 2006, 233 p.6. Bien entendu, la cour ou le Conseil constitutionnel ne statue que sur les recours recevables, une exigence procédurale pas toujours aisée à satisfaire et qui, lorsqu’elle n’est pas remplie, cause rancœurs et frustrations. Voir, pour un aperçu général, L’accès au juge constitutionnel : modalités et procédures, actes du 2e congrès de l’Association des cours constitutionnelles des pays ayant en partage l’usage du français, Libreville (Gabon), 14-15 septembre 2000, ACCPUF, décembre 2000.7. Dominique ROUSSEAU, La justice constitutionnelle en Europe, Paris, Montchrestien, 1993, pp. 122-123.8. David IKOGHOU-MENSAH, Le droit des élections au Gabon, Libreville, Raponda-Walker, 2005, p. 90.9. Le soupçon n’est pas toujours dénué de fondement. Et il faut convenir avec Albert BOURGI, « Ombres et lumières des processus de démocratisation en Afrique sub-saharienne », in Bilan des Conférences nationales et autres processus de transition démocratique. Cotonou (Bénin), 19-23 février 2000, Paris, Organisation Internationale de la Francophonie, 2000, p. 335, que

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cristallise r les maux de tout un processus électoral ; c’est parfois prendre des risques pour sa sécurité 10, voire pour sa vie 11 ; c’est toujours déplaire aux déten-teurs du pouvoir, aux candidats au pouvoir et/ou à une frange de l’électorat.

La mission des juridictions constitutionnelles africaines constitue une vraie gageure, voire devient impossible, lorsqu’elle est rapportée à la probléma-tique des crises électorales 12. Pour reprendre les termes de référence du congrès, on entendra ici par crise électorale toute situation de désordre, de perturbation, de dérangement, de dysfonctionnement qui, s’introduisant dans le système politique, a ou aurait de graves incidences sur le déroulement du jeu électoral pluraliste. Il appartient évidemment à chaque cour ou conseil, dans l’exercice de ses compétences et dans la limite de celles-ci, de rétablir l’ordre démocratique, de faire cesser la perturbation ou le dérangement dont cet ordre est l’objet, de corriger tout dysfonctionnement de l’administration du suffrage, bref d’épargner au pays une crise majeure. Mais il faut compter avec les multiples contraintes qui pèsent sur la juridiction constitutionnelle et, en particulier, avec des contraintes juridiques. Le juge – la chose est rare-ment comprise par l’électeur, acceptée par le candidat, reconnue par le faiseur d’opinion, voire par l’analyste – n’a pas tout pouvoir sur une crise électo-rale, virtuelle ou réelle : il ne saurait s’ériger en constituant ou en législateur pour combler les lacunes des textes, les réécrire, les purger de dispositions iniques, car la Constitution oblige son gardien et la loi oblige son serviteur 13. Si le droit des élections est largement ce que le juge dit qu’il est, l’interprète ne peut, sans dommage, choisir n’importe quelle interprétation, car sa légiti-mité dépend de la « reconnaissance de sa jurisprudence par la communauté

« L’absence de contre-pouvoir juridictionnel a souvent ouvert la voie à une « légalisation » des fraudes électorales et à une instrumentalisation à outrance des textes constitutionnels par les pouvoirs exécutifs. Or, sans justice indépendante, il n’y a point de salut pour la démocratie, pur le respect de l’égalité devant la loi et pour la garantie des libertés ».10. Au Bénin, en 1996, alors que Nicéphore Soglo, le Président sortant, refusait d’admettre sa défaite, les membres de la Cour constitutionnelle ont reçu des menaces de mort et le domicile de l’un d’entre eux, Maurice Ahanhanzo Glélé, a été mitraillé.11. Le vice-président du Conseil constitutionnel du Sénégal, Me Babacar Sèye, a été ainsi assassiné le 15 mai 1993, dans un climat politique très tendu, après la totalisation offi cielle des résultats d’élections législatives controversées. Le fi lm des événements a été rapporté par Abdou Latif COULIBALY, Sénégal. Affaire Me Sèye : un meurtre sur commande, Paris, L’Harmattan, 2006.12. Pour une monographie nationale, voir Andrianaivo Ravelona RAJAONA, « Le juge, les urnes et la rue. Figures judiciaires et variations juridiques autour de la crise politique malgache (janvier-juin 2002) », Revue Juridique et Politique – 2003 – n° 4, p. 391 et s.13. Jean-Claude MASCLET, « Rapport de synthèse », in Aspects du contentieux électoral en Afrique, op. cit., pp. 217-218, note l’impasse dans laquelle peut se trouver le juge électoral, tout en s’interrogeant sur la possibilité d’un dépassement par le recours au droit international.

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juridique et politique » 14. Par ailleurs, la capacité d’intervention d’une cour ou d’un Conseil constitutionnel est évidemment tributaire de la nature et de l’ampleur de la crise électorale à affronter : le traitement juridictionnel d’une très grave crise, coûteuse en vies humaines, est chimérique, tandis que celui d’une crise de faible ou moyenne intensité portant, par exemple, sur la prise en considération des irrégularités commises dans quelques bureaux de vote ou circonscriptions, n’est pas hors de portée. À condition de ne pas attendre du juge ce qu’il ne peut apporter…

À la lumière des considérations qui précèdent, la présente communication s’attachera à mettre au jour le rôle que les juridictions constitutionnelles africaines jouent, peuvent et doivent jouer, en matière de crise électo-rale. Le regard du constitutionnaliste se portera sur des arrêts ou décisions caractéristiques, souvent voués aux gémonies, pour examiner la politique jurisprudentielle, pacifi catrice ou belliciste 15, suivie par les unes et les autres. Le commentateur sera conduit à séparer le bon grain de l’ivraie, à identifi er, d’une part, les « bonnes » sentences à inscrire à l’actif du patrimoine jurispru-dentiel africain francophone – une forme d’hommage que l’on oublie trop fréquemment de rendre aux juges -, d’autre part, les sentences « liées » ou impropres – celles qui focalisent l’attention des contempteurs des juges –, qu’il faudrait proscrire ou pour le moins réviser. Ce travail d’évaluation critique et de valorisation des jurisprudences positives sera mené sans parti pris, à l’aune des engagements souscrits par les pays africains, tant au niveau régional qu’au niveau universel, dans des traités, ratifi és 16 ou en instance de ratifi cation 17, ou dans des déclarations 18.

14. Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, 7e édit., Paris, Montchrestien, 2006, p. 512.15. Selon la modélisation proposée par Stéphane BOLLE, « La paix par la Constitution en Afrique ? La part du juge constitutionnel », communication au Colloque Religions, violence politique et paix en Afrique, de l’Académie Alioune Blondin Beye pour la Paix, Cotonou, 19, 20 et 21 juillet 2004, http://www.la-constitution-en-afrique.org/article-15510033.html.16. En Afrique de l’Ouest, il est désormais habituel de dénoncer, sur la scène politique et non en justice, l’incompatibilité d’une modifi cation des règles constitutionnelles et législatives du jeu électoral avec le Protocole de la CEDEAO A/SP1/12/01 du 21 décembre 2001 sur la démo-cratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des confl its, de maintien de la paix et de la sécurité, plus particulièrement la violation de l’article 2 1. dudit protocole.17. La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, adoptée par la huitième session ordinaire de la conférence de l’Union Africaine tenue le 30 janvier 2007 à Addis Abeba n’a pas encore été ratifi ée par les vingt-cinq pays signataires.18. Comme la déclaration de Bamako, faîte le 3 novembre 2000, en conclusion du Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espac e francophone, ou la déclaration universelle sur la démocratie, adoptée sans vote par le Conseil inter-parlementaire de l’Union interparlementaire, lors de sa 161e session, au Caire, le 16 septembre 1997.

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Il sera montré que la contribution des juridictions constitutionnelles afri-caines à la prévention (1) et à la résolution (2) des crises électorales peut décevoir, dans certains cas, ou combler, sous certaines conditions, l’attente d’une « pacifi cation des relations politiques par un arbitrage rationnel et objectif » 19.

1. La prévention des crises électorales

L’intervention en amont d’une cour ou d’un Conseil constitutionnel, que ce soit par le règlement approprié de confl its préélectoraux ou par une judicieuse régulation des premières étapes du processus électoral, peut éviter la surve-nance d’une crise. Mais si, selon l’adage, « il vaut mieux prévenir que guérir », la correction à la source des anomalies exige que les décisions, contentieuses ou administratives, de la juridiction soient respectables et respectées. Cette double condition est diffi cile à remplir, avant une élection qui déchaîne les passions – topiquement, celle du Président de la République -, lorsque le consensus minimal sur les règles du jeu et leur mise en œuvre fait défaut, alors que sont mal intériorisés par les différents protagonistes la légitimité, les attri-butions et méthodes de travail de chaque institution, et que l’indépendance de la cour ou du Conseil constitutionnel est systématiquement mise en cause.

Contingente, perfectible mais en progrès 20, la prévention juridictionnelle des crises électorales emprunte tantôt le canal du contrôle de constitutionnalité de la loi (1.1), tantôt celui de son application (2.1).

1.1. Le contrôle de la loi

C’est d’abord en qualité de juge de la constitutionnalité des lois qu’une cour ou un conseil peut prévenir de dangereux confl its ou la tenue d’une élection irrégulière 21. La validation d’un choix hardi du législateur, comme celle de l’institution d’une autorité électorale indépendante de l’exécutif 22, est des plus

19. Constance GREWE et Hélène RUIZ FABRI, Droits constitutionnels européens, Paris, PUF, 1995, p. 67.20. D’après, l’Organisation Internationale de la Francophonie, Rapport sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone 2008, Délégation à la paix, à la démocratie et aux droits de l’homme, p. 64.21. C’est ce qu’affi rme fort justement Gilles BADET, Cour constitutionnelle et régularité des élections au Bénin, Cotonou, Friedrich Ebert Stiftung, 2000, p. 50.22. La Cour constitutionnelle du Bénin, dans sa célébrissime décision DCC 34-94 du 23 décembre 1994, a donné l’exemple. Elle a jugé que la Commission Électorale Nationale Autonome (CENA) « s’analyse comme une autorité administrative, autonome et indépendante

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indiquées. Mais c’est surtout sur le terrain de la sanction des vices de consti-tutionnalité, externe et interne, que le juge est très attendu, pour tempérer les excès de la « loi » de la majorité, nonobstant l’absence d’un devoir consti-tutionnel de légiférer loyalement 23. La censure de certaines lois sur-mesure atteste de la fécondité des jurisprudences constitutionnelles africaines fran-cophones en la matière. Seulement, il y a certainement lieu de questionner le régime du contrôle a priori de la loi pour améliorer la prévention juridiction-nelle des crises électorales.

Le pouvoir succombe trop fréquemment à la tentation de légiférer pour faire l’élection. Le code électoral se trouve alors surchargé de règles, parmi lesquelles des dispositions rédhibitoires propres à fausser la compétition et l’expression du suffrage. Cette sorte de délinquance normative transgresse la pétition de principe libérale sur laquelle viennent de s’accorder les États africains, à savoir la nécessité de « Promouvoir la tenue régulière d’élec-tions transparentes, libres et justes afi n d’institutionnaliser une autorité et un gouvernement légitimes ainsi que les changements démocratiques de gouvernement » 24. Dénoncée non sans virulence par l’oppositi on en général et par ses victimes désignées en particulier, la législation de guerre élec-torale sera contestée devant la juridiction constitutionnelle, chaque fois qu’une fraction qualifi ée de la représentation nationale y aura un intérêt politique. Régulièrement déclenché, le contrôle de constitutionnalité n’est pas la panacée, car, souvent, la Constitution, par ses silences, reconnaît au législateur un très large pouvoir d’appréciation et de décision, que vient écorner, dans quelques pays, une directive très/trop générale 25. Certains erre-ments du législateur, qui auraient pu entraîner des crises électorales, ont été,

du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ; que la création de la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA), en tant qu’autorité administrative et indépendante, est liée à la recherche d’une formule permettant d’isoler, dans l’Administration de l’État, un organe disposant d’une réelle autonomie par rapport au gouvernement, aux départements ministériels et au parlement, pour l’exercice d’attributions concernant le domaine sensible des libertés publiques en particulier des élections honnêtes, régulières, libres et transparentes ».23. Voir Stéphane BOLLE, « Obligations constitutionnelles et légales des gouvernants et autres responsables politiques nationaux : gouvernement, assemblée nationale et institu-tions de l’État », communication à la conférence internationale Les défi s de l’alternance démocratique, Cotonou, 23-25 février 2009, p. 12 et s., consultable à l’adresse suivante : http://www.idh-benin.org/communications/BOLLE-Defis_alternance_democratique_Obligations_constitutionnelles.pdf24. Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, art. 2 3.25. Au Burkina Faso (Constit. 11 juin 1991, art. 41), en République du Congo (Constit. 20 janvier 2002, art. 64 al.2) et au Mali (Constit. 25 février 1992, art. 33 al. 1) « la loi prévoit les dispositions requises pour que les élections [présidentielles] soient libres, transparentes et régulières ». Au Burundi (Constit. 18 mars 2005, art. 87), le code électoral détermine « les modalités pratiques » d’élections ayant les mêmes qualités.

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néanmoins, anéantis par le juge, garant et interprète libéral des comman-dements exprès du constituant. Ainsi, au Bénin, la Cour constitutionnelle a jugé, à deux reprises, que la loi ne pouvait ajouter à la Constitution, en créant une condition d’éligibilité à la présidence de la République : en 1996, c’est l’amendement Tévoédjrè-Ladikpo, obligeant chaque candidat à fournir la preuve de sa renonciation à toute nationalité autre que celle du Bénin et visant, entre autres, à disqualifi er Nicéphore Soglo, le Président en exercice, également de nationalité française, qui a été censuré 26 ; en 2005, c’est un texte durcissant la condition de résidence au moment des élections et susceptible d’éliminer de la compétition Yayi Boni, fonctionnaire international, élu triom-phalement l’année suivante, qui a été invalidé 27. La Cour constitutionnelle du Mali, quant à elle, a affi ché un libéralisme de bon aloi, dans un remarquable arrêt de 1996 28, déclarant contraires à la Constitution de nombreuses dispo-sitions de la loi électorale. À cette occasion, elle a enjoint au législateur de mieux préciser la composition de la CENI (Commission Électorale Nationale Indépendante), au motif que « les règles et les principes doivent s’énoncer clairement de façon à constituer des normes juridiques sans équivoque ». La Cour a rejeté le monopole des partis politiques pour la présentation des candidatures, un monopole contraire à l’exercice de la souveraineté nationale, considérant que « dans un système de démocratie pluraliste, les candidatures … sont libres… ; … l’adhésion d’un citoyen à un parti est libre ; … par consé-quent la mise en œuvre des droits politiques d’un citoyen n’est pas fonction et ne saurait être fonction de son adhésion à un parti ; … les partis concou-rent c’est-à-dire participent à l’expression du suffrage, donc ne peuvent être les seuls à concourir à l’expression du suffrage ». Elle a également opposé au législateur le principe à valeur constitutionnelle de la liberté de candida-ture pour annuler l’exigence de « la signature de cinquante élus locaux dans chaque région [qui] peut revenir dans certaines conditions et dans certaines régions à limiter le nombre de candidats à la Présidence de la République ». Et, au nom du « principe d’égalité des électeurs » et de son corollaire « le principe d’indivisibilité du corps électoral », la Cour malienne a encore récusé la juxtaposition, à la même échelle territoriale, de deux modes de scrutin pour l’élection des députés à l’Assemblée Nationale, l’un, majoritaire pour les circonscriptions de un à trois sièges, l’autre, proportionnel dans les circonscriptions de plus de trois sièges. Mais cette ultime censure est en sursis

26. Cour constitutionnelle du Bénin, Décision DCC 96-002 du 5 janvier 1996. La censure de ce texte est d’autant plus remarquable qu’à l’initiative de l’opposition radicale l’Assem-blée Nationale avait adopté la clause, le 22 septembre 1995, par 72 voix pour, 1 contre et 6 abstentions.27. Cour constitutionnelle du Bénin, Décision DCC 05-069 des 26 et 27 juillet 2005.28. Cour constitutionnelle du Mali, Arrêt CC 96-003 du 25 octobre 1996.

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car, après la tentative avortée de 2001, le comité Daba Diawara a invité, en 2008 29, le pouvoir de révision à casser l’arrêt de la Cour. Autre illustration : au Togo, au printemps dernier, la Cour constitutionnelle 30 a partiellement invalidé une loi modifi cative du code électoral adoptée par le seul parti présidentiel, malgré la logique consensualiste de l’Accord politique global de 2006. Saluée par l’opposition, la décision a vidé de son venin la modifi cation de la durée du mandat de la CENI, en considérant qu’elle ne vaut que pour l’avenir et ne peut faire renaître la CENI des législatives de 2007 ; surtout, elle a déclaré nul et non avenu un nouvel article du Code électoral voté par l’Assemblée Nationale en session extraordinaire, alors qu’il ne fi gurait pas à l’ordre du jour limitatif de celle-ci. Seulement, la sanction d’un tel vice de procédure risque fort d’être provisoire, puisque le parti présidentiel législateur peut parfaitement reprendre l’ouvrage, sans avoir juridiquement à obtenir l’accord des autres partis.

C’est dire que la prévention juridictionnelle des crises électorales par le contrôle de la loi ne constitue pas un rempart infranchissable. La Constitution qui lie le juge peut réduire à peau de chagrin son pouvoir d’infl échir la norme par l’interprétation, voir l’en priver purement et simplement. Par exemple, on ne saurait faire grief au Conseil constitutionnel du Sénégal d’avoir, en 1998 31, décliné sa compétence pour apprécier la constitutionnalité d’un article de loi organique réglant la nomination par le Président de la République d’une partie des sénateurs, dès lors que la prérogative en cause, dérogeant au principe constitutionnel de la souveraineté populaire, découlait expressément d’une loi de révision constitutionnelle 32. La couverture juridique que le législateur constitutionnel offre fréquemment au législateur infra-constitutionnel conduit certains juristes libéraux à se demander si le juge de la loi ne devrait pas faire appel au droit international des élections 33. Pour séduisante qu’elle puisse paraître, la solution suscite interrogations et réserves. Sa faisabilité est sujette à caution, car l’intégration dans le bloc de constitutionnalité, déjà hypertrophié

29. Comité d’experts de la Mission de Réfl exion sur la Consolidation de la Démocratie au Mali présidé par Daba Diawara, Pour la consolidation de la démocratie au Mali, Rapport au Président de la République, septembre 2008, pp. 30-31.30. Il s’agit d’une décision du 9 avril 2009, dont de larges extraits sont consultables à l’adresse suivante http://www.republicoftogo.com/central.php?o=5&s=1&d=3&i=359431. Conseil constitutionnel du Sénégal, Décision n° 3/C/98 du 9 mars 1998.32. À ce titre, les observations sur cette décision, in Les décisions et avis du Conseil constitu-tionnel du Sénégal, Ismaïla Madior FALL (dir.), Dakar, CREDILA, 2008, p. 194, fustigeant « le confort douteux de l’incompétence », sont fort critiquables.33. Jean-Claude MASCLET, « Rapport de synthèse », in Aspects du contentieux électoral en Afrique. Actes du séminaire de Cotonou, 11-12 novembre 1998, Paris, Organisation Internationale de la Francophonie, 2000, p. 218.

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dans sa variante africaine 34, de normes universelles ou régionales, pas toujours stabilisées, compliquerait substantiellement la tâche du juge constitutionnel. L’utilité de la solution peut être mise en doute, car l’inconventionnalité des législations électorales nationales est plus souvent affi rmée péremptoirement – au travers d’une lecture tendancieuse des formules vagues et générales des textes – que démontrée rigoureusement – en prenant appui sur la jurispru-dence, plutôt timide, des instances internationales. Enfi n, n’est-il pas curieux que l’on attende du juge constitutionnel qu’il écarte la Constitution, qui serait rongée par tous les vices, au profi t du droit international, paré de toutes les vertus ? Ne serait-il pas davantage logique que, le cas échéant, la Constitution soit démocratiquement revue et corrigée dans un sens résolument libéral, pour que la juridiction constitutionnelle puisse disposer d’un outil davantage effi -cace de prévention des crises électorales ?

Lorsque les ressources du contrôle de la loi sont inaccessibles ou épuisées, l’application – encore plus contrainte – de la loi par le juge peut venir apaiser – ou aiguiser – des tensions préjudiciables à la tenue d’élections libres, fi ables et transparentes.

1.2. L’application de la loiÀ chaque cour ou Conseil constitutionnel africain francophone a été attribué, sur le modèle français, le règlement du contentieux de toutes les élections nationales et, s’agissant de l’élection présidentielle, l’établissement de la liste des candidats et la surveillance des opérations préliminaires. C’est dans l’exercice de ces lourdes responsabilités que le juge applique la loi électorale – qui inclut, au sens large, la Constitution et les textes réglementaires – et cette application peut concourir à désamorcer une crise ou, au contraire, en être à l’origine. Seul sera évoqué ici le contentieux des candidatures, une question sensible si l’en est, abondamment traitée par le constituant et/ou le législa-teur, et qui place le juge dans une situation particulièrement inconfortable. Si certaines interprétations du droit d’être élu apparaissent particulièrement contestables, d’autres sont louables ou convenables, quand bien même elles seraient contestées ou incomprises.

Il arrive qu’une juridiction constitutionnelle, en méconnaissance fl agrante du principe du libre choix des gouvernants par les gouvernés, opère une sorte de tri sélectif entre les postulants à un mandat électif : des candida-tures « offi cielles », dont la régularité est discutable, sont validées, tandis

34. Voir, sur ce point, les communications de Stéphane BOLLE, « Le bloc de constitutionna-lité au Bénin et au Gabon », IVe Congrès Français de Droit Constitutionnel, Aix-en-Provence, 10, 11 et 12 juin 1999, et « Des constitutions « made in » Afrique », VIe Congrès Français de Droit Constitutionnel, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005.

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que des candidatures d’opposants sont invalidées sur des critères subjectifs et déraisonnables 35, contenus dans les textes ou dégagés par leur interprète. L’exemple le plus caricatural est certainement l’arrêt rendu le 6 octobre 2000 par la Cour Suprême de Côte d’Ivoire 36, après le remaniement de sa chambre constitutionnelle : elle y a jugé inaptes à concourir 13 des 18 postulants à l’élection présidentielle 37, en particulier pour « ivoirité » douteuse 38 ou pour des soupçons pesant sur leur moralité et leur grande probité 39. Le juge des candidatures a explicitement admis avoir retenu une interprétation « au-delà du droit » des multiples clauses d’élimination fi gurant dans la Constitution du 1er août 2000 40, une interprétation manifestement conforme à l’intention

35. Les exigences internationales en la matière sont rappelés par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 25 (CCPR/C/21/Rev.1/Add.7).36. Cour Suprême de Côte d’Ivoire, Chambre constitutionnelle, Arrêt n° E 0001-2000 du 6 octobre 2000.37. Voir Epiphane ZORO-BI, Juge en Côte d’Ivoire. Désarmer la violence, Paris, Karthala, 2004, p. 117 et s.38. La Cour Suprême a fondé le rejet de la candidature d’Alassane Ouattara pour défaut « d’ivoi-rité » sur les accusations abondamment développées par ses adversaires : l’identité de sa mère ne serait pas certaine, l’acte de naissance produit « étant sérieusement entaché de doute qui en altère la valeur juridique » ; sa nationalité ivoirienne ne serait pas établie par un certifi cat de nationalité présentant un « doute sérieux quant à son contenu » et délivré « sans aucune préoc-cupation de vérifi cations préalables et sans que soient requises les instructions ministérielles exigées » ; l’utilisation d’un passeport diplomatique burkinabé à l’occasion de divers actes de la vie civile démontrerait qu’il n’aurait eu « de cesse de se réclamer de la Nationalité voltaïque ou burkinabé, avant et après son apparition en Côte d’Ivoire en 1982 ».39. La Cour Suprême a usé de son pouvoir exorbitant d’appréciation de l’exigence de bonne moralité et de grande probité. Au mépris du principe constitutionnel de la présomption d’in-nocence, elle a invalidé deux candidatures : celle de l’ancien ministre Emile Constant Bombet alors « en liberté provisoire après une brève détention préventive » pour faux et usage de faux et détournement de biens publics ; et celle de Lamine Fadika, soupçonné par le rapport confi den-tiel d’un cabinet d’audit de ne pas avoir honoré ses dettes depuis plus de 17 ans et d’avoir perçu des avantages indus sur ses sociétés. La Cour a justifi é ces exclusions par des considérants en forme d’aveux : « la morale est au-delà du droit, puisque sa perception embrasse les rayon-nages de l’éthique et de la conscience, si bien qu’elle est plus le refl et du subjectif collectif par rapport au comportement, à l’attitude, à la conduite qu’une simple résultante objective de l’action judiciaire … [Elle] ne saurait suivre les simples confi gurations des actions judiciaires, encore moins celles des résultats desdites actions parfois fonction uniquement des vicissitudes procédurales ». L’inégalité des postulants devant une telle « morale » apparaît nettement : l’arrêt du 6 octobre 2000 est muet sur la responsabilité du général Guéi dans la répression meurtrière en 1991 de la cité universitaire de Yopougon.40. Selon l’article 35 de cette Constitution, « … Le candidat à l’élection présidentielle doit être âgé de quarante ans au moins et de soixante quinze ans au plus. Il doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine. Il doit n’avoir jamais renoncé à la natio-nalité ivoirienne. Il ne doit s’être jamais prévalu d’une autre nationalité. Il doit avoir résidé en Côte d’Ivoire de façon continue pendant cinq années précédant la date des élections et avoir totalisé dix ans de présence effective. L’obligation de résidence indiquée au présent article ne

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du constituant et aux intérêts du Président-candidat. En Centrafrique, la Cour constitutionnelle de transition, avec le même zèle, a exclu en 2004 de la course à la magistrature suprême 9 des 13 rivaux du Président de la République pour les motifs les plus variés : certifi cat médical insuffi samment « explicite » ; réserves sur la régularité des pièces d’état civil versées au dossier ; absence d’arrêté de mise en disponibilité ; et, surtout, titre non valide de propriété bâtie portant sur un bien indivis, affecté d’une hypothèque bancaire ou d’une étendue inconnue 41. Cette décision a pourtant été « cassée » par le Président Bozizé qui a « repêché » trois candidats, par une simple allocution à la nation, le 4 janvier 2005, avant qu’en vertu des accords de Libreville du 22 janvier 2005, tous les postulants soient admis à compétir, tous sauf l’ex-Président Patassé poursuivi pour crimes de sang. Le juge a donc été écarté du règlement de la crise qu’il avait provoquée. Aujourd’hui, au Congo-Brazzaville, l’oppo-sition dénonce le traitement partial par la Cour constitutionnelle des dossiers de candidature à l’élection présidentielle de juillet 2009. Garante d’un droit draconien, qui verrouille l’accès à la compétition électorale 42, la Cour a

s’applique pas aux membres des représentations diplomatiques et consulaires, aux personnes désignées par l’État pour occuper un poste ou accomplir une mission à l’étranger, aux fonc-tionnaires internationaux et aux exilés politiques. Le candidat à la Présidence de la République doit présenter un état complet de bien-être physique et mental dûment constaté par un collège de trois médecins désignés par le Conseil constitutionnel sur une liste proposée par le Conseil de l’Ordre des Médecins. Ces trois médecins doivent prêter serment devant le Conseil constitu-tionnel. Il doit être de bonne moralité et d’une grande probité. Il doit déclarer son patrimoine et en justifi er l’origine. »41. Cour constitutionnelle de transition de Centrafrique, Décision du 30 décembre 2004, Le Citoyen, n° 2069-31, décembre 2004. La Cour s’est appuyée sur le Code électoral, lequel développe l’article 24 alinéas 3 et 4 de la Constitution du 27 décembre 2004 : « Ne peuvent être candidats à l’élection présidentielle que les hommes et les femmes, centrafricains d’origine, âgés de 35 ans au moins, ayant une propriété bâtie sur le territoire national et n’ayant pas fait l’objet de condamnation à une peine affl ictive ou infamante. – Ils doivent jouir de leurs droits civiques, être de bonne moralité et capables d’assurer avec lucidité et effi cacité les fonctions de leur charge ».42. Selon l’article 58 de la Constitution de la République du Congo du 20 janvier 2002, « Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République :– s’il n’est de nationalité congolaise d’origine ;– s’il ne jouit de tous ses droits civils et politiques :– s’il n’est de bonne moralité ;– s’il n’atteste d’une expérience professionnelle de quinze ans, au moins ;– s’il n’est âgé de quarante ans, au moins, et de soixante-dix ans, au plus, à la date du dépôt de sa candidature ;– s’il ne réside de façon ininterrompue sur le territoire de la République au moment du dépôt de sa candidature depuis au moins vingt-quatre mois.L’obligation de résidence sus-indiquée ne s’applique pas aux membres des représentations diplomatiques ou consulaires, aux personnes désignées par l’État pour occuper un poste ou accomplir une mission à l’étranger et aux fonctionnaires internationaux ;– s’il ne jouit d’un état de bien-être physique et mental dûment constaté par un collège de trois médecins assermentés, désignés par la Cour constitutionnelle ».

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enjoint aux postulants, après la date limite de dépôt des candidatures, de compléter leurs dossiers par un certifi cat de résidence, à se faire délivrer par l’administration locale, pour qu’elle puisse s’assurer du respect de la condi-tion constitutionnelle de 24 mois de résidence ininterrompue sur le territoire national 43. Le 18 juin 2009, la Cour a invalidé 4 des 17 candidatures reçues, l’une pour dépassement de la limite d’âge, trois autres pour non respect de la condition de résidence. Cette décision rigoriste prive de compétition le candidat du seul parti d’opposition représenté au Parlement ; elle pourrait engendrer sinon des troubles, du moins entacher la crédibilité de l’élection. Les exemples rapportés ci-dessus démontrent à souhait qu’une crise électo-rale peut naître d’une décision formaliste de la juridiction constitutionnelle, qui entérine l’ostracisme voulu par le constituant et/ou le législateur, que ce soit en appliquant la loi à la lettre ou en recourant à son esprit.

La prévention juridictionnelle des crises électorales implique donc qu’un juge impartial procède à un contrôle équitable de la régularité des candidatures, sur le fondement d’une juste loi 44. Force est de reconnaître que cette confi -guration idéale ne se rencontre pas toujours et, surtout, qu’elle ne débouche

43. Cour constitutionnelle de la République du Congo, Décision n° 002/DCC/EL/PR/09 du 14 juin 2009 relative à l’application de l’Article 58 alinéa 7 de la Constitution : « Considérant que l’obligation de résidence ininterrompue au Congo pendant 24 mois au moins est l’une des conditions de validation des candidatures, tel que cela résulte de l’article 58, alinéa 7 susmen-tionné de la constitution ;Considérant que l’article 48 de la loi électorale qui énumère les pièces constitutives des dossiers de candidature ne fournit aucune indication ni sur les modalités de preuve de la rési-dence pendant 24 mois au moins, ni sur la production d’un extrait d’acte de naissance ;Considérant que les dossiers soumis pour validation à la cour constitutionnelle ne comportent uniquement que les extraits d’actes de naissance et qu’aucune pièce n’atteste la présence de chaque intéressé de façon ininterrompue au Congo pendant 24 mois au moins au moment du dépôt de sa candidature ;Considérant que l’application de l’article 58 alinéa 7 de la constitution conduit la cour consti-tutionnelle à exiger la production à chaque candidat à l’élection du président de la République d’un certifi cat de résidence prouvant sa présence ininterrompue au Congo pendant 24 mois au moins, délivré par l’autorité administrative compétente des lieux de sa résidence ».44. Cette dernière condition apparaît tout à fait essentielle, car il est vain de reprocher à un juge de faire subir à un opposant les rigueurs de la Constitution ou de la loi, lorsque celle-ci contient manifestement des clauses d’élimination ciblées de certaines candidatures. À titre d’illus-tration, la Cour constitutionnelle du Togo, en rendant la décision n° E-002/03 du 6 mai 2003 de confi rmation du rejet de la candidature de Gilchrist Olympio, l’opposant historique, a fait une stricte application de la loi constitutionnelle du 31 décembre 2002, qui avait précisément cet objet. C’est pourquoi on ne saurait approuver Koffi KESSOUGBO, « La Cour constitu-tionnelle et la régulation de la démocratie au Togo », Revue juridique et politique, 2005-n°3, pp. 363-364, qui voit dans cette décision « L’incapacité de la Cour à dire le droit » ou qui considère la Cour « comme l’élément perturbateur du système démocratique qu’elle a pourtant fonction de réguler ».

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pas nécessairement sur des sentences admises et comprises. Pour empêcher certains troubles à l’ordre public, le juge doit savoir valider une candidature rejetée à tort par l’administration, ce que les juridictions africaines savent manifestement faire. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel du Sénégal a déclaré recevable, en 1998, une liste de candidats à la députation, au motif que l’absen ce dans son dossier du récépissé du trésorier général, attestant du dépôt du cautionnement électoral, était imputable à l’administration, faute de permanence au trésor public et d’acceptation par le ministère de l’intérieur de la somme exigible, présentée avant l’heure limite de dépôt des candida-tures 45 ; que la Cour constitutionnelle du Togo a annulé, en 1999, des décisions du Ministre de l’intérieur refusant trois candidatures aux élections légis-latives, sur la base d’une interprétation erronée du délai du paiement du cautionnement électoral 46 ; ou que son homologue du Bénin a constaté, en 2003, que la Commission Électorale Nationale Autonome avait violé la loi en rejetant une demande de remplacement sur une liste de candidats d’un ancien ministre décédé… après avoir opéré le remplacement sans disposer d’un certifi cat de décès 47. Souvent mis à l’index pour ses nombreuses déci-sions d’irrecevabilité, d’incompétence ou de rejet des réclamations, souvent accusé de privilégier la lettre de la loi sur son esprit, le juge sait, parfois, faire preuve d’une grande mansuétude. À l’exemple de la Cour constitutionnelle du Gabon qui, en 1998, a retenu une candidature à l’élection présidentielle, rejetée par la Commission Nationale Électorale pour dossier incomplet, convenant que « pour des raisons indépendantes de sa volonté, le requérant [s’était] trouvé dans l’impossibilité de satisfaire aux exigences légales lui imposant d’avoir son dossier de déclaration de candidature complet à la date du 22 octobre 1998 » 48. Cependant, ce type de décisions, souvent réclamées à cor et à cri par les acteurs politiques et nombre de commentateurs, ne saurait devenir la règle, sans nuire à la clarté et à la lisibilité du droit électoral, sans créer du désordre. Par ailleurs, une décision libérale du juge, appliquant à la lettre la loi électorale, peut fort bien générer une crise au lieu de l’éviter. C’est ainsi que les cours constitutionnelles du Mali et du Bénin ont validé la postu-lation d’une personne qui avait fait appel de sa condamnation respectivement pour émission de chèque sans provision 49 et pour corruption et incitation de mineure à la débauche 50. L’admission de ce genre de candidatures, peut

45. Conseil constitutionnel du Sénégal, Décision n° 3/E/98 du 15 avril 1998.46. Cour constitutionnelle du Togo, Décision E 004/99 du 12 mars 1999.47. Cour constitutionnelle du Bénin, Décision EL 03-009 du 21 mars 2003.48. Cour constitutionnelle du Gabon, Décision n° 010/CC/98 du 29 octobre 1998.49. Cour constitutionnelle du Mali, Arrêt n° 02-139/CC-EL du 22 juin 2002.50. Cour constitutionnelle du Bénin, Décision EL 03-008 des 20 et 21 mars 2003.

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choquer les populations, attachées à la moralité de ceux qui sollicitent leur confi ance, et peut même être instrumentalisée par un rival, pour fausser la concurrence électorale et aiguiser les tensions. Un effort pédagogique constant est donc requis du juge. Cela suppose, notamment, que les motifs précis de l’éviction d’un candidat à la candidature fassent l’objet d’une large publicité, car le défaut de transparence peut laisser libre cours aux supputations les plus fantaisistes et exposer le juge à la vindicte populaire. À cet égard, le contenu de la décision établissant la liste des candidats retenus à l’élection présiden-tielle mériterait d’être repensé. En 2006, la Cour constitutionnelle du Bénin a pu, sans dommage, déclarer 51 irrecevables 3 candidatures, pour « inaptitude médicale à la fonction présidentielle », sans indiquer les affections en cause 52, l’irrecevabilité de l’une d’entre elles étant aussi prononcée pour « emblème non conforme au principe de laïcité ». Mais, dans d’autres circonstances, si des postulants sérieux venaient à être éliminés, un tel laconisme ne pourrait-il pas s’avérer dangereux pour la Cour, voire provoquer une crise électorale ? Le souci de prévention par la pédagogie, de pacifi cation du jeu politique, peut même conduire le juge à s’affranchir du droit, à trancher un conten-tieux dont il a été irrégulièrement saisi. Ce cas limite s’est produit au Mali en 2002 : après avoir déclaré irrecevable la réclamation visant la candidature à l’élection présidentielle du général Amadou Toumani Touré, la Cour consti-tutionnelle s’est prononcée, « le point de droit posé par la requête revêtant un intérêt national évident » 53.

Les juridictions constitutionnelles africaines, lorsqu’elle contrôle la loi ou l’applique, œuvrent ou peuvent œuvrer, non sans diffi cultés, à la prévention des crises électorales. Leur contribution au volet résolution de telles crises pose des problèmes encore plus grands.

2. La résolution des crises électorales

En première ligne, quand la proclamation des résultats provisoires d’un scrutin par lui ou l’administration fait débat et crée de fortes tensions, le juge de l’élection est sommé de trancher le contentieux juridique, pour désigner les qualifi és pour le second tour ou le(s) vainqueur(s) et le(s) vaincu(s). Très attendues, ses décisions, portant souvent, pour un même

51. Cour constitutionnelle du Bénin, Décision EL- P 06-004 du 27 janvier 2006.52. À ce propos, la Cour constitutionnelle, dans sa décision EL- P 06-009 du 14 février 2006, a déclaré irrecevable une requête lui demandant de vérifi er si un candidat était malade du SIDA ; le requérant prétendait qu’en cas d’élection d’une telle personne, « ce serait une très grande honte pour notre respectable et respecté pays le Bénin ».53. Cour constitutionnelle du Mali, Arrêt n° 02-133/CC-EP du 6 avril 2002.

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scrutin, sur des centaines de réclamations 54, ne peuvent que décevoir, frus-trer 55, irriter, l’une des parties en présence. En effet, puisqu’il n’existe pas d’élection exempte d’irrégularité, l’exercice obéit à une logique particulière, celle d’un « contrôle réaliste, qui ne consiste pas à censurer toutes les irrégularités mais seulement à apprécier la sincérité du scrutin, avec le souci de respecter l’expression du suffrage universel » 56. Pour opérer ce contrôle, les juridictions constitutionnelles africaines se voient reconnaître par les textes et se reconnaissent un très large pouvoir d’appréciation des faits allégués et des preuves ou commencements de preuves produits. Elles recourent, dans bien des espèces, à une technique spécifi que, le prin-cipe de l’infl uence déterminante : une irrégularité n’entraîne l’annulation de l’élection qu’à la double condition d’avoir gravement altéré la sincé-rité du scrutin et de se combiner avec un faible écart de voix séparant les concurrents. Incontournable mais critiquée et par les requérants et par une partie de la doctrine 57, la technique, d’un maniement délicat, ne permet pas toujours au juge, souvent perçu comme un acteur politique 58, parfois

54. L’encombrement des prétoires, qui varie d’un pays à l’autre selon la réglementation du droit de contestation, grève la gestion pratique du contentieux électoral. À titre d’illustrations, la Cour constitutionnelle du Mali, pour prendre son arrêt n° 02-144/CC-EL du 9 août 2002 portant proclamation des résultats défi nitifs de l’élection des députés à l’Assemblée Nationale (scrutin du 28 juillet 2002), a dû statuer sur 505 requêtes ; et la Cour Suprême de Justice de la République Démocratique du Congo, dans son arrêt R.E. 007 du 5 mai 2007 de proclamation des résultats des élections législatives du 30 juillet 2006, a donné les indications suivantes : « La Cour suprême de justice a, au titre du contentieux des résultats des élections législatives du 30 juillet 2006, enregistré 414 recours. Après leur examen quant à la forme et au fond, elle rendu 343 arrêts repartis de la manière suivante : 208 arrêts d’irrecevabilité de recours, 18 arrêts de désistement de recours, 79 arrêts de non fondement de recours, 2 arrêts les recours sans objets, 6 arrêts d’incompétence et 30 arrêts de fondement de recours par lesquels elle a opéré diverses rectifi cations matérielle, procédé aux redressements des décomptes des voix jugées nécessaires ainsi qu’à l’annulation des suffrages exprimés dans la circonscription de Befale ».55. Gilles BADET, op. cit., p. 166.56. Laurent TOUVET – Yves-Marie DOUBLET, Droit des élections, Paris, Economica, 2007, pp. 496-497.57. Voir les critiques de Bernard MALIGNER, Droit électoral, Paris, Ellipses, 2007, p. 900 et s., de Jacques ROBERT, « Le Conseil constitutionnel a-t-il démérité ? », in Mélanges Pierre Pactet, Dalloz, 2003, p. 877 et s., et de Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux consti-tutionnel, op. cit., p. 388 et s.58. Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, « Le Conseil constitutionnel, juge électoral », revue Pouvoirs, n° 105, 2003, p. 124, note fort justement que « dans le domaine électoral, le contentieux est personnifi é, des parties s’opposent et celles-ci ont généralement une appar-tenance politique clairement identifi ée. Dans ces conditions, toute validation ou invalidation d’élection est susceptible d’être interprétée comme ayant une signifi cation partisane. Mais ce qui est véritablement curieux c’est que ce sont ceux-là mêmes qui reprochent au Conseil constitutionnel de pénétrer dans la sphère politique qui le tancent lorsqu’il n’exploite pas

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attaqué au seuil du procès électoral 59, de rendre une décision respectable et respectée.

C’est manifestement l’autorité de la cour ou du Conseil constitutionnel, sa capacité – par défi nition limitée – à contribuer à une honorable sortie crise électorale, qui est en jeu, dans la certifi cation légale de l’expression du suffrage, soit dans la validation (2.1), soit dans l’invalidation (2.2), des résul-tats initialement proclamés.

2.1. La validation des résultats

Le juge, lorsqu’il confi rme en bloc des élections très contestées, peut renvoyer – à tort ou à raison – l’image d’une institution à la botte des gouvernants ; et ce, même si, au préalable, à l’instar du Conseil constitutionnel du Sénégal en 1993 60, il règle audacieusement une situation de blocage affectant l’établis-sement provisoire des résultats. Le sentiment de malaise, voire d’injustice, grandit chaque fois que les motifs de la décision du juge, concluant à son incompétence, à l’irrecevabilité ou au rejet de la requête, se révèlent lacu-naires, peu fondées et/ou insolites. Quelques espèces anciennes témoignent de ces travers, où le juge est apparu davantage comme un agent que comme l’arbitre de la crise électorale.

La validation des résultats peut résulter d’une sentence en la forme, qui limite drastiquement l’offi ce du juge électoral ou ruine le droit de contestation

au maximum les compétences que la Constitution lui confère. Il s’agit d’un paradoxe car de deux choses l’une : soit le Conseil est bien une juridiction indépendante et alors il faudrait effectivement que ses pouvoirs soient accrus, soit il ne l’est pas et alors ses détracteurs devraient au contraire se louer du manque d’effi cacité de son contrôle ».59. Paradoxalement, il n’est pas rare que ceux qui portent un contentieux électoral devant une juridiction constitutionnelle contestent simultanément sa légalité. Avant de se prononcer sur la forme et le fond du recours, la cour ou le conseil doit « s’autorégulariser », ce qui n’augure pas d’un dénouement serein du litige. Voir, pour un exemple récent, Cour constitutionnelle du Gabon, Décision n° 1/CC du 5 janvier 2006 : saisie par un candidat à l’élection présidentielle sur l’inconstitutionnalité de sa composition, du fait de la nomination pour un troisième mandat de cinq de ses membres, la Cour a rejeté la requête en se fondant sur la succession dans le temps des normes constitutionnelles en cause.60. Le Conseil Constitutionnel du Sénégal, dans sa décision n° 5/93 du 2 mars 1993, a eu à régler une « situation non prévue par la législation en vigueur », à savoir l’absence de proclamation provisoire des résultats de l’élection présidentielle du 21 février, du fait du blocage des travaux de la Commission nationale de recensement des votes. Le Conseil a imparti à la Commission un délai de 72 heures, « pour procéder à la proclamation provisoire prévue par la Constitution et le Code électoral », tout en indiquant que l’intervention de celle-ci serait, le cas échéant, « écartée devant le principe fondamental de la nécessité absolue du fonctionnement des institutions ». Le Conseil Constitutionnel du Sénégal, par décision n° 6/93 du 13 mars, a dû se substituer à la Commission du fait de sa « carence » ; après avoir rejeté tous les recours des candidats de l’oppo-sition comme mal fondés, il a, alors, proclamé les résultats défi nitifs de l’élection.

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des élections. C’est ainsi qu’en 1992 la Cour Suprême du Cameroun 61 a proclamé la réélection très serrée du Président sortant, après avoir considéré qu’en l’absen ce de contestation en bonne et due forme par un éligible, un parti politique ou un candidat, il ne lui appartenait ni « [d’]apprécier », ni de « sanctionner le cas échéant » les irrégularités relevées par la Commission Nationale de Recensement Général des Votes. Cette interprétation très littérale de la loi ne pouvait convaincre et rassurer : elle confi nait malen-contreusement la Cour dans une fonction d’homologation « aveugle » de résultats jugés douteux par l’opposition ; et elle donnait donc accroire qu’il était « complice » du pouvoir. Autre exemple : la Cour constitutionnelle du Gabon a épuisé le contentieux de l’élection présidentielle du 5 décembre 1993 62, en déclarant irrecevables les requêtes des opposants au Président de la République proclamé réélu. L’irrecevabilité prononcée apparaît ici comme la sanction prétorienne des agissements anticonstitutionnels des requé-rants, de la mise en place d’un régime parallèle de fait : « au lendemain de l’annon ce par le ministre de l’Administra tion du territoire des résultats du scrutin du 5 décembre 1993, le sieur Paul MBA ABESSOLE s’est autopro-clamé Président de la République gabonaise ; […] le même jour il a nommé un Premier Ministre en la personne du sieur Pierre-André KOMBILA, lequel a immédiatement formé son gouvernement ; […] il a été créé une institu-tion appelée Haut Conseil de la République dont font partie les requérants ; […] de ce fait ceux-ci se sont mis délibérément dans l’illégalité, faisant fi de l’existence de la Constitution et par conséquent des institutions réguliè-rement mises en place ». Cette décision isolée, prise dans le contexte d’une crise aiguë, était fort regrettable : dans un État de droit, le droit de contestation est ouvert à tous ceux qui remplissent les conditions légales, même aux pires délinquants, même aux ennemis du régime ; une déclaration d’irrecevabilité évite au juge l’examen des allégations des contestataires mais, en l’espèce, après son refus de sanctionner le comportement discriminatoire des médias d’État 63, le faisait passer pour le « bras armé du pouvoir » 64.

La validation des résultats peut aussi encourir la critique lorsque le juge de l’élection, se prononçant au fond, opte un rejet expéditif et/ou partial des réclamations. Au Togo, en 1993, la Cour Suprême 65 a débouté un candidat à l’élection présidentielle crédité de 1,67 % des voix, en quelques phrases

61. Cour Suprême du Cameroun, Arrêt n° 1/PR/92/93 du 23 octobre 1992.62. Cour constitutionnelle du Gabon, Décision n° 001/94/CC du 21 janvier 1994.63. Cour constitutionnelle du Gabon, Décision n° 023/93/CC du 3 décembre 1993.64. Stéphane BOLLE, « La paix par la Constitution en Afrique ? La part du juge constitu-tionnel », op. cit.65. Cour Suprême du Togo, Chambre Constitutionnelle, Arrêt n° 03 du 20 septembre 1993.

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sèches : « … eu égard aux éléments du dossier, il apparaît que dans son ensemble, la présente requête est vague et fondée sur des suppositions, faute de précision et de preuve ; … d’ailleurs, certains griefs même établis, ne sont pas de nature à infl uencer l’ensemble des résultats ». Même si la requête laissait à désirer, la réponse laconique du juge à de multiples moyens d’an-nulation n’était certainement pas du meilleur effet pour crédibiliser l’élection du premier président de la IVe République togolaise. L’analyse des griefs, quant à elle, n’est pas toujours un gage d’impartialité : la lecture des motifs d’une décision de rejet donne parfois à penser que son auteur a délibérément choisi une solution défavorable à l’opposition. La proclamation au Tchad des résultats des élections présidentielles de 2001 et législatives de 2002 66 illustre cette dénaturation : le Conseil constitutionnel s’est borné, pour l’essentiel, à constater que les plaignants n’avaient pas rapporté la preuve de leurs alléga-tions, avec comme conséquence la certifi cation péremptoire de la réélection du Président sortant et de la victoire de son parti. Des candidats « mal élus » ont donc pu échapper à toute sanction : la sincérité du suffrage se trouve mise en cause puisque « le peuple qui s’est exprimé d’une façon donnée peut se voir imposer un élu ou des élus qui ne sont pas issus de son choix réel » 67. Préoccupantes sont enfi n les hypothèses où une sentence « couvre » les manœuvres douteuses, commises par les gouvernants, en vue d’exercer une infl uence déterminante sur l’élection. Ainsi au Niger, en 1996, la Cour Suprême a jugé que le chef de l’État provisoire et candidat à l’élection prési-dentielle, avait pratiquement tout pouvoir pour gérer le processus électoral à sa convenance 68. En l’espèce, le colonel Ibrahim Maïnassara Baré avait modifi é le Code électoral, par ordonnance et en cours de crutin, ce qui ne serait « pas en soi constitutif d’une faute ou d’une fraude mais procède(rait) de l’exercice souverain des prérogatives du Conseil de salut National et du gouvernement ». La Cour Suprême a avalisé la dissolution de la Commission Electorale Nationale Indépendante, refusant de voir en elle l’expression d’un « contrat social entre les différentes candidats aux élections présidentielles ensemble avec les diverses couches de la nation nigérienne ». Elle a estimé que les requérants n’avaient pas prouvé « par des faits objectivement véri-fi ables que la création de la Commission Nationale des élections a nui à leurs intérêts ou infl ué sur la sincérité du vote ». Par ailleurs, la Cour a refusé de blâmer le gouvernement pour avoir placé en résidence surveillée les candidats de l’opposition : « cette mesure n’est intervenue qu’après la proclamation des

66. Conseil constitutionnel du Tchad, Décisions n°s…/PCC/SG/01 du 12 juin 2001 et 004/PCC/SG/02 du 18 mai 2002.67. Gilles BADET, op. cit., p. 87.68. Cour Suprême du Niger, Chambre Constitutionnelle, Arrêt n° 96-08/CH. CONS. du 27 juillet 1996.

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résultats globaux provisoires … en tout état de cause, elle ne constitue pas un obstacle à l’exercice ou à la défense de leurs droits … ils ont du reste introduit leur première requête en date du 19 juillet 1996 alors même que la mesure n’était pas encore levée ». Loin d’apaiser les tensions provoquées par l’élection, la Cour Suprême s’est affi rmée comme le fi dèle auxiliaire du chef de l’État, interdisant même à une centrale syndicale d’exercer le droit de grève pour protester contre les agissements présidentiels 69. La solidarité entre le Président et la Cour apparaissait totale au détriment des libertés fondamen-tales, d’une paix sociale durable, bref de la judicieuse résolution d’une crise électorale de grande ampleur.

Il serait erroné de réduire les jurisprudences électorales africaines à ce genre de validations peu glorieuses. L’invalidation des résultats d’un scrutin disputé ne constitue pas, en effet, une simple hypothèse d’école ; le juge ne répugne plus à endosser ce type de décision pour qu’une crise électorale s’éteigne.

2.2. L’invalidation des résultats

Une cour ou un Conseil constitutionnel qui, dans une démocratie afri-caine émergente, refuserait, en toutes circonstances, d’user, avec rigueur et prudence, de ses pouvoirs d’invalidation, ne saurait inspirer confi ance aux électeurs et aux compétiteurs de bonne foi. Aujourd’hui – et ce depuis une douzaine d’années –, le juge de l’élection incline davantage à prendre de lourdes responsabilités, afi n que soit rétablie la vérité d’un processus élec-toral et que cessent les troubles, voire les violences, causées par les fraudes et manipulations de toutes sortes. Invalider, par application du principe de l’infl uenc e déterminante, ne revient pas forcément à décider un coûteux retour aux urnes : le juge peut « non seulement annuler des élections irrégulières mais aussi – et c’est plus singulier – réformer, c’est-à-dire réviser, rectifi er les résultats du scrutin » 70.

L’invalidation totale d’une élection est un acte grave ; parce qu’elle signe l’échec circonstanciel de la démocratisation, elle ne peut être que la sanc-tion exceptionnelle d’irrégularités majeures et massives, de fraudes de grande ampleur et/ou d’anomalie substantielles. C’est bien ainsi que l’entendent les juridictions constitutionnelles africaines. En 1995, au Bénin, le scrutin légis-latif a été annulé dans le Borgou, au motif que « les irrégularités qui y ont été commises, par leur nombre et leur gravité, retirent au scrutin tout caractère de sincérité », ainsi qu’à Cotonou, circonscription acquise au parti présidentiel, où se présentait l’épouse du Chef de l’État, en raison du « retard anormal »

69. Cour Suprême du Niger, Chambre Constitutionnelle, Arrêt n° 96-06/CH. CONS. du 16 juillet 1996.70. Bernard MALIGNER, op. cit., p. 908.

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de deux semaines accusé pour la transmission des documents électoraux 71. En 2002, au Cameroun, les élections législatives ont été totalement invalidées dans neuf circonscriptions, notamment pour « falsifi cation » des chiffres par une commission électorale et acheminement tardif de bulletins de vote d’un parti, ne comportant pas les noms des candidats offi ciellement retenus ; en 2007, les élections dans cinq circonscriptions, initialement remportées par le parti présidentiel, ont subi le même traitement. Dans certaines hypothèses, les anomalies relevées sont tellement graves que le juge n’a pas la possibilité de connaître la volonté du corps électoral. Par exemple, en 1999, au Togo, les élections législatives à Dankpen ont été annulées « nonobstant l’écart de voix existant entre les deux candidats [parce que] l’attribution de 66,1 % de suffrages exprimés rest[ait] incertaine » 72. Force est de constater que, fréquemment sollicitée par les perdants, l’annulation intégrale, à l’échelle nationale, des élections législatives et présidentielle a peu de chances d’être prononcée, même en cas de menace de crise grave ; et que le juge, pris dans la tourmente électorale, est, en partie, prisonnier d’un système qui le dépasse et l’empêche de rendre, en tout temps, la « bonne » décision. Ainsi, la Cour constitutionnelle du Mali a annulé, à bon droit, les opérations électorales des élections législatives du 13 avril 1997 sur tout l’étendue du territoire national, au motif principal qu’« aucune liste électorale » ne lui avait été « fournie pour se prononcer sur la régularité et la sincérité » desdites opérations 73. Seulement, elle a validé d’offi ce – en l’absence de toute réclamation ! – l’élec-tion présidentielle du 11 mai suivant, en ne prenant acte du retrait de 8 des 9 rivaux du Président sortant que le jour de la proclamation des résultats, où elle a considéré « comme nuls et non avenus les suffrages exprimés en leurs noms » 74. Après s’être grandie en effaçant le fi asco des législatives, la Cour constitutionnelle, par l’effet d’une crise électorale persistante, s’abîmait dans la certifi cation de la présidentielle, du plébiscite d’Alpha Oumar Konaré, avec un score de plus de 95 % des suffrages valides…

Moins spectaculaire, plus courante, la réformation des résultats d’une élec-tion a l’avantage, en restituant l’exacte expression chiffrée du suffrage, de ne pas anéantir tout le processus électoral. Les juridictions constitutionnelles africaines retiennent une conception extensive de leur pouvoir de changer la proclamation primitive du verdict des urnes, à partir de documents électoraux qu’elles revoient et corrigent, sur réclamations et/ou par elles-mêmes. Cette

71. Cour constitutionnelle du Bénin, Proclamation des résultats des élections législatives du 28 mars 1995 (16 avril 1995).72. Cour constitutionnelle du Togo, Décision E 012/99 du 8 avril 1999.73. Cour constitutionnelle du Mali, Arrêt EL 97-046 CC du 25 avril 1997.74. Cour constitutionnelle du Mali, Proclamation des résultats des élections présidentielles du 11 mi 1997 (24 mai 1997).

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conception s’exprime généralement par des formules du type « Après avoir, en sa qualité de garante de la régularité des élections législatives, opéré diverses rectifi cations matérielles et procédé aux redressements jugés néces-saires et aux annulations des votes au niveau de certains bureaux » 75. Mais, il est regrettable que le juge de l’élection ne prenne pas toujours la peine de détailler, dans le corps même de sa décision, les vices qu’il a relevés et sanctionnés, circonscription par circonscription, bureau de vote par bureau de vote 76 ; et qu’il se borne, trop souvent, à dresser une liste générale – souvent très impressionnante – de violations substantielles du droit électoral 77, sans

75. Cour constitutionnelle du Bénin, Proclamation des résultats des élections législatives du 28 mars 1995 (16 avril 1995).76. La Haute Cour constitutionnelle de Madagascar opte, traditionnellement, dans ses arrêts exemplaires, pour une formule moins contraignante mais plus satisfaisante : elle distingue, dans les motifs, les opérations de contrôle matériel des votes de celles du contrôle de légalité ; elle récapitule scrupuleusement ses conclusions, dans le dispositif, qui indique le nombre de bureaux de vote où sont annulées les opérations électorales, la liste desdits bureaux fi gurant en annexe.77. Voir, par exemple, Cour constitutionnelle du Bénin, Proclamation des résultats des élections législatives du 31 mars 2007 (7 avril 2007) : « Après avoir, en sa qualité de juge souverain de la validité des élections législatives, opéré diverses rectifi cations matérielles et procédé aux redressements nécessaires ainsi qu’à des annulations de suffrages au niveau de certains bureaux de vote ;[…] il a été observé lors des opérations de vote un retard dans l’acheminement du matériel électoral, un retard à divers degrés dans l’ouverture des bureaux de vote, mais rattrapé sur 1'heure de clôture du scrutin, la rupture momentanée ou non des bulletins de vote entraînant une perturbation du scrutin ; […] les dysfonctionnements ainsi constatés dans l’organisation des opérations de vote n’ont cependant pas entaché le bon déroulement des dépouillements ;[…] il résulte néanmoins de l’examen de l’ensemble des documents électoraux que dans plusieurs bureaux de vote des irrégularités ont été commises en violation des dispositions visées plus haut, notamment :– absence des procès-verbaux de déroulement du scrutin et/ou des feuilles de dépouillement ;– établissement des procès-verbaux de déroulement du scrutin et/ou des feuilles de dépouille-ment avec ratures et surcharges ;– contradiction entre les mentions portées sur les procès-verbaux et les feuilles de dépouillement ;– défaut de décomptes des voix au moyen de pictogrammes et/ou décomptes fantaisistes des voix en diminution ou en augmentation sur les feuilles de dépouillement ;– discordance entre le nombre de suffrages exprimés et le nombre des votants avec intention manifeste de fraude ;– votes de mineurs ;– tentative de bourrage d’urne ;– absence d’isoloirs réglementaires compensée par l’installation d’isoloirs de fortune ;– défaut d’annexion des bulletins nuls aux documents électoraux ;– pression sur les électeurs ;– défaut de mention d’identifi cation des bureaux de vote ;[…]toutes ces irrégularités commises en violation de la Constitution et des lois électorales ne sont pas de nature à compromettre la régularité, la sincérité et la transparence du scrutin ».

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que les candidats et les électeurs soient dûment informés sur leur matéria-lité et le lieu de leur commission 78. En règle générale, l’ordre de classement des élus n’est pas modifi é, à l’issue de l’opération de réformation, mais la proclamation défi nitive des résultats rectifi és, qu’elle resserre les écarts de voix ou qu’elle les creuse, peut alimenter la controverse au lieu d’y mettre fi n. À Madagascar, en 1998, le verdict de la Haute Cour constitutionnelle offi cia-lisant la défaite, d’une courte tête, d’Albert Zafy (49,3 %), Président destitué, face à Didier Ratsiraka (50,7 %), ex-Président de la République, a été plutôt bien accepté ; en revanche, en 2002, la proclamation, à l’occasion d’une très longue et grave crise électorale, de la victoire de Marc Ravalomanana a été très contestée et continue de l’être par le vaincu offi ciel, Didier Ratsiraka 79. Au Bénin, la gestion du contentieux et la proclamation des résultats de deux élections présidentielles ont durement éprouvé la Cour constitution-nelle. En 1996, pour contrecarrer le Président Nicéphore Soglo (48 %) qui refusait de reconnaître sa défaite face à Mathieu Kérékou (52 %), la Cour a décidé de publier, le 29 mars, un communiqué dénonçant les menaces du candidat battu et ses propos sur l’imminence d’une guerre civile ; l’opéra-tion a réussi, même si nombre de partisans de l’actuel maire de Cotonou considèrent toujours que la victoire leur a été volée. En 2001, c’est la réfor-mation elle-même des résultats qui a provoqué l’ire de l’opposition et a valu à la Cour constitutionnelle le sobriquet de « cour des miracles » 80. Réfutant l’avance confortable en voix offi ciellement reconnue au Président Kérékou 81, ses concurrents – Nicéphore Soglo, puis Adrien Houngbédji – se sont retirés de la compétition pour le second tour, obligeant la Cour constitutionnelle à

78. Voir, par exemple, Cour constitutionnelle du Gabon, Décision n° 31/CC du 1er décembre 2005 de proclamation des résultats de l’élection du Président de la République des 25 et 27 novembre 2005, où l’on lit « qu’à la suite de l’examen desdits documents, la Cour a procédé à diverses rectifi cations d’erreurs matérielles, procédé aux redressements qu’elle a jugés nécessaires et arrêté les résultats globaux ci-dessous ». Le contenu et l’ampleur de la réfor-mation d’offi ce échappent à tout regard extérieur. Par la suite, la Cour, par décision n° 2/CC du 5 janvier 2006, a procédé à une autre réformation, contentieuse celle-là, et fort détaillée, pour modifi er, à la marge – les résultats d’un seul bureau de vote ont été annulés – sa proclamation.79. Voir le dossier « Spécial présidentielles 2001 », sur le site de l’ACCPUF.80. La réformation s’est faite en deux temps, d’abord par la proclamation des résultats de l’élec-tion présidentielle du 4 mars 2001 de rectifi cation d’une « erreur matérielle dans le décompte des voix dans les seuls départements du Coufo et du Mono ». La seconde décision a corrigé l’omission d’une partie des suffrages, résultant de deux coupures du courant électrique dans le secteur de la salle de traitement informatique ; elle a offi cialisé un gonfl ement du nombre de suffrages exprimés (de 2 241 517 à 2 481 529) et une modifi cation des scores des principaux candidats (M. Kérékou : 1 127 100 au lieu de 1 054 920 ; N. Soglo : 672 927 au lieu de 648 749 ; A. Houngbédji : 313 186 au lieu de 301 979 ; B. Amoussou : 213 136 au lieu de 89 811).81. La demande d’annulation du scrutin du 4 mars 2001, présentée par Nicéphore Soglo, candidat arrivé en seconde position, a été rejetée par la Cour constitutionnelle, dans sa décision EL-P 01-049 du 15 mars 2001.

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régler « à chaud » une situation non prévue par les textes 82. Finalement, la Cour a été conduite à valider l’étrange réélection de Mathieu Kérékou (83 %) face à Bruno Amoussou (16 %), son ministre d’État, arrivé en quatrième posi-tion au premier tour. L’exercice du pouvoir juridictionnel de réformation, au lieu d’apporter une solution satisfaisante, acceptable par la plus grande partie de la classe politique, peut donc être le catalyseur d’une crise élec-torale. Le risque grandit considérablement lorsque le juge, après avoir fait droit à des réclamations ou procédé à des rectifi cations d’offi ce, proclame l’élection d’un autre candidat que celui désigné par la proclamation provi-soire. Le cas s’est produit en Centrafrique, en 2006 : la Cour constitutionnelle, tirant les conséquences de droit de permutations irrégulières de membres de bureaux de vote ayant entraîné, à tort, des invalidations de suffrages, a déclaré élu député de la circonscription de Boganangone, avec 53,99 % des voix, le candidat initialement crédité de 48,85 % des voix 83. La question se pose de savoir si une telle réformation, sanctionnant les manquements d’une commis-sion électorale locale, est souhaitable ou s’il ne vaudrait pas mieux suivre l’exemple du Conseil constitutionnel français, qui n’en a jamais usé « sans doute par référence à l’égard du suffrage universel » 84 ? Enfi n, si l’utilité de la réformation ne fait aucun doute, il convient de s’interroger sur la pertinence de taux offi ciels très élevés d’invalidation – jusqu’à un tiers – des suffrages recensés, que l’on a pu observer au Bénin ou au Mali : du fait de, l’annulation des résultats dans un nombre conséquent de bureaux de vote, des électeurs parfaitement honnêtes n’auront pu, à leurs corps défendant, participer effec-tivement au choix du ou des élus ; le juge, tout en apportant une réponse immédiate à certains troubles, ne s’expose-t-il pas là à précipiter une perte de sens de l’élection ?

Contribuer à résoudre une crise électorale, par la validation, l’annulation ou la réformation des résultats initiaux n’est pas, loin s’en faut, une sinécure. Les juridictions constitutionnelles africaines rencontrent bien des diffi cultés à obtenir quitus pour leur contrôle juste, sain et impartial de la régularité des élections. Les succès sont remarquables mais assez rares ; l’échec est trop souvent au rendez-vous.

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82. Voir Cour constitutionnelle du Bénin, Décisions EL-P 01-051 du 16 mars 2001, EL-P 01-053 du 17 mars 2001 et EL-P 01-054 des 17 et 18 mars 2001.83. Cour constitutionnelle de Centrafrique, Décision n° 003/CC/06 du 23 juin 2006.84. Laurent TOUVET – Yves-Marie DOUBLET, op. cit., p. 555.

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Au terme de cette étude non exhaustive, il apparaît nettement que, dans les démocraties africaines émergentes, la prévention des crises électorales – notamment via le contrôle de la loi – est davantage à la portée des juri-dictions constitutionnelles que leur résolution. Les incontestables avancées jurisprudentielles sur les deux volets ne sauraient occulter les nombreux obstacles que rencontre le juge, devant offi cier dans et pour le compte d’une société politique en voie de démocratisation, où la défi ance est de règle.

C’est une prise de conscience collective des nécessités de la civilisation démocratique qui, seule, peut permettre le franchissement prochain de ces obstacles. Pour leur part, par l’échange des expériences et la capitalisation des jurisprudences positives, les juridictions constitutionnelles africaines francophones sont en mesure de produire des efforts conséquents, qui les légi-timent en tant que censeurs et pédagogues 85, capables de faire face aux crises électorales.

Gageons qu’elles sauront œuvrer pour exaucer le vœu général, exprimé naguère par un magistrat et garde des sceaux du Bénin : « que les décisions de toutes nos juridictions, y compris de la Cour Suprême ne soient plus soupçonnées de partis pris, d’ambiguïté, de fausses notes ou de critiques pas seulement folles ni vertueuses. [...] que, dans nos juridictions, le droit seul et uniquement soit dit : « Juris dictio », car c’est de là que naît la « juris prudencia » : Frappez-vous sur le cœur et sur la tête, il en sort l’intelligence juridique » 86.

85. Pour reprendre le questionnement de Gérard CONAC, « Le juge constitutionnel en Afrique censeur ou pédagogue ? », in Les Cours Suprêmes en Afrique. II. La jurisprudence : droit constitutionnel, droit social, droit international, droit fi nancier, Gérard Conac (dir.) Paris, Economica, 1988, p. XII.86. Joseph GNONLONFOUN, Discours du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et de la Législation et des Droits de l’Homme, à l’audience solennelle de la rentrée judiciaire de la Cour Suprême (Année 1998-1999), Bulletin de droit et d’information, Spécial N° 006 et 007, p. 101.

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