Trouillard Parmenide Proclo

download Trouillard Parmenide Proclo

of 19

description

ouvre essentielle

Transcript of Trouillard Parmenide Proclo

  • Le "Parmnide" de Platon et son interprtationnoplatonicienne

    Autor(en): Trouillard, Jean

    Objekttyp: Article

    Zeitschrift: Revue de thologie et de philosophie

    Band (Jahr): 23 (1973)

    Heft 2

    Persistenter Link: http://dx.doi.org/10.5169/seals-381009

    PDF erstellt am: 07.09.2014

    NutzungsbedingungenMit dem Zugriff auf den vorliegenden Inhalt gelten die Nutzungsbedingungen als akzeptiert.Die ETH-Bibliothek ist Anbieterin der digitalisierten Zeitschriften. Sie besitzt keine Urheberrechte anden Inhalten der Zeitschriften. Die Rechte liegen in der Regel bei den Herausgebern.Die angebotenen Dokumente stehen fr nicht-kommerzielle Zwecke in Lehre und Forschung sowie frdie private Nutzung frei zur Verfgung. Einzelne Dateien oder Ausdrucke aus diesem Angebot knnenzusammen mit diesen Nutzungshinweisen und unter deren Einhaltung weitergegeben werden.Das Verffentlichen von Bildern in Print- und Online-Publikationen ist nur mit vorheriger Genehmigungder Rechteinhaber erlaubt. Die Speicherung von Teilen des elektronischen Angebots auf anderenServern bedarf ebenfalls des schriftlichen Einverstndnisses der Rechteinhaber.

    HaftungsausschlussAlle Angaben erfolgen ohne Gewhr fr Vollstndigkeit oder Richtigkeit. Es wird keine Haftungbernommen fr Schden durch die Verwendung von Informationen aus diesem Online-Angebot oderdurch das Fehlen von Informationen. Dies gilt auch fr Inhalte Dritter, die ber dieses Angebotzugnglich sind.

    Ein Dienst der ETH-BibliothekETH Zrich, Rmistrasse 101, 8092 Zrich, Schweiz, www.library.ethz.ch

    http://retro.seals.ch

  • LE PARMENIDE DE PLATON ET SONINTERPRTATION NOPLATONICIENNE

    Le noplatonisme succde au moyen platonisme le jour o lesplatoniciens se mettent chercher dans le Parmenide le secret de laphilosophie de Platon. Ce moment, semble-t-U, c'est Plotin avec sathorie des 3 un 1. Mais Plotin n'a pas compos un commentairesystmatique du Parmenide. Il y a puis une inspiration fondamentale,mais diffuse. Porphyre, en revanche, avait rdig un commentairedont il reste quelques fragments, runis par Kroll et reconnus parPierre Hadot2. Chez Proclos nous trouvons un commentaire suivides deux parties du Parmenide. Malheureusement il s'arrte la finde la premire hypothse. Il faut le complter l'aide des indicationsqu'il contient sur les autres hypothses et que confirme un ouvragepostrieur de Proclos, la Thologie platonicienne (voir le premiervolume publi aux Belles Lettres avec une copieuse introduction,par Saffrey et Westerink). Nous avons de Damascios un commentairecomplet de la deuxime partie du Parmenide, donc des neuf hypothses. Ouvrage prcieux, qui manifeste une vive conscience desproblmes que suscite l'interprtation noplatonicienne.

    Certains interprtes anciens se sont proccups de donner duParmenide un sous-titre qui enchane ses deux parties : des ides , de l'tre , des principes . Mais les noplatonicens ont soulignque le problme de Tun domine le dialogue entier, puisque les idesy apparaissent comme des puissances d'unification. Ce qui fait dire Proclos : Le Parmenide tudie bien les principes et tous les ordresde l'Etre, mais en tant qu'ils sont illumins, unifis et difis par l'Un.Car l'Un diffuse l'unit comme le sole sa clart. Le Parmenide considre toutes choses du point de vue de V Un. C'est pourquoi, selon Jamblique et Proclos, ce dialogue est le centre de la mtaphysique de Platon,de mme que le Time rsume sa phUosophie de la nature 3.

    1 Ennades, V, 1, 8.* Cf. Porphyre et Victorinus, 2 vol., Etudes augustiniennes 1969.3 Cf. Proclos : In Parmenidem, Cousin, 1864, 641-642.

  • 84 JEAN TROUILLARD

    La prsentation du dialogue est deux fois indirecte. Cphale enrapporte le rcit tel qu'il le tient d'Antiphon, grand amateur dechevaux, qui lui-mme l'avait appris par cur d'aprs la narrationde Pythodore. C'est chez celui-ci qu'aurait eu lieu jadis un entretienentre Parmenide, g environ de 65 ans, son disciple Zenon, ayant peu prs 40 ans, Socrate alors tout jeune, Aristote (non le disciple dePlaton, mais celui qui devait devenir l'un des Trente), et une nombreuse compagnie. Entretien vraisemblable, mais non ncessairementhistorique.

    Parmenide et Zenon d'Ele (sur la cte ouest de l'Italie entreNaples et Reggio) sont venus Athnes l'occasion des grandesPanathnes. Socrate vient les rejoindre chez Pythodore, pour entendrede Zenon la lecture d'une uvre de jeunesse qu'il crivit pour dfendrela thse de l'cole d'Ele : unit et continuit de l'tre. On lui vola lemanuscrit et il fut contraint de le publier.

    Le dialogue va se distribuer en deux parties : La premire estla discussion de la thorie des ides qui fait suite la lecture deZenon. La deuxime est la prsentation de la mthode dialectiquerecommande par Parmenide.

    Premire partieLa Thorie des Ides

    Platon ne fait aucun expos de l'ouvrage de Zenon. Contenait-U,entre autres choses, les fameux arguments polmiques contre lemouvement Tout de suite aprs sa lecture, Socrate prend la parole.

    En somme, ce que tu veux dmontrer, Zenon, c'est l'impossibuitdu multiple. S'il y a pluralit, les tres sont la fois semblables etdissemblables, ce qui te semble absurde et ruineux pour l'hypothse.Tu parais d'abord dire autre chose que ton matre. Mais en raUtParmenide soutient que le Tout est un, et toi qu'il n'est pas multiple.Cela revient au mme.

    Tu as raison, Socrate, si tu regardes le contenu de mon tude. Maistu te mprends sur l'intention. Ce n'est pas l'ambition de la maturit,mais l'ardeur batailleuse de la jeunesse qui Ta inspire. Les adversairesde Parmenide essayaient de montrer que Tunit de l'tre entranedes consquences contradictoires. Je rpUque que la pluralit del'tre produit des corollaires encore plus absurdes. Je rends les coupsavec usure.

    Soit, Zenon ; mais ton argumentation aurait t beaucoup plusconvaincante si tu avais pris soin de distinguer pluralit sensible etpluraht inteUigible. Car, que les objets empiriques soient la foissemblables et dissemblables, un et multiples, pleins de contrastes et

  • LE PARMENIDE DE PLATON 85

    d'ambiguts, cela n'a rien de scandaleux. On pourrait t'objecterqu'ils sont tels parce qu'ils participent l'ide de ressemblance et celle de dissemblance, celle d'unit et celle de multiplicit, maisque chacune de ces ides reste pure en elle-mme. Si, au contraire, turussis montrer que la ressemblance en tant que telle est dissemblance, que l'unit en tant que telle est multipUcit, alors tu aurastabli une thse de grande porte. Socrate invite donc Zenon passerdu mlange par aventure la connexion ncessaire.

    Que l'on commence par distinguer et mettre part, en leur ralitpropre, les formes telles que ressemblance, dissemblance, pluraht,unit, repos, mouvement et toutes essences pareiUes ; qu'on lesdmontre ensuite capables entre soi de se mlanger et de se sparer,c'est alors, Zenon, que je serais merveill, ravi. Ton argumentationest conduite mon sens avec une belle et mle vigueur. Mais aveccombien plus de plaisir encore, je le rpte, j'applaudirais qui sauraitnous montrer les mmes oppositions s'entrelaant en mille maniresau sein des formes mmes... (129 e - 130 a).

    Le problme pos est donc celui de la communication des ides. Ildomine les deux parties du dialogue.

    ... La fusion des sensibles et de l'intelUgible se comprendra finalement par la fusion des inteUigibles les uns avec les autres. Le mondesensible ne peut tre compris que si l'on admet le mlange des idesentre elles. Ici encore, nous voyons un lien troit entre les deux partiesdu dialogue. Il n'y aura en fin de compte plus rien qui soit part, saufpeut-tre l'un, la fois pos et ni par la premire hypothse, et unnant qui peut encore moins tre pens que cet un. 1

    Parmenide intervient alors. Il flicite Socrate d'avoir pos correctement le problme. Mais il va s'appUquer lui en montrer les difficults. Socrate admet-il une pluralit d'ides participes par lesobjets sensibles et distinctes de leurs participants Y a-t-il une ressemblance pure et une ressemblance empirique qui en serait la participation En est-il de mme pour l'un, le multiple, le beau, le bien

    Je l'admets, rpond Socrate Mais quand Parmenide passe desobjets les plus universels et les plus nobles de plus particulierscomme l'homme, le feu, l'eau, le cheveu, la boue, la crasse, Socratedevient hsitant.

    C'est que tu es jeune encore, conclut Parmenide, et encore imparfaitement saisi par la phUosophie. Quand tu lui appartiendras totalement, tu ne mpriseras rien et tu n'accorderas aucune importanceaux prjugs des hommes.

    Mais, puisqu'il faut admettre des ides de toutes choses, commentconcevoir leurs relations avec les objets sensibles

    1 Jean Wahl : Etude sur le Parmenide de Platon, Paris, 1926, p. 23.

  • 86 JEAN TROUILLARD

    Premier problme : Comment une forme peut-eUe tre participepar des objets multiples et discontinus, tout en demeurant une ettotale en elle-mme Ne va-t-elle pas se distendre comme un voUequi est tendu sur plusieurs individus Chacun n'est couvert que parune partie du voile. Et si chaque individu ne possde qu'une partiede la forme, comment l'unit de l'ide rsistera-t-elle ce partagePeut-on partager la grandeur ou l'galit Comment un objet serait-ilgal par une partie de l'galit

    Deuxime problme : Les objets qu'on appeUe grands sont nommstels en tant qu'Us possdent un caractre unique qui est la grandeur.Mais ce caractre semble appartenir par excellence la grandeur pure,et il est le point commun entre celle-ci et ses participants. Voil doncune nouveUe ide de la grandeur, celle qui fait un lien entre la grandeurpure et les objets grands, ne faut-U pas un nouveau principe d'unitou une nouveUe ide de la grandeur Et ainsi de suite indfiniment.C'est l'argument dit du troisime homme , signal par Aristote .Platon n'ignorait pas l'objection.

    CeUe-ci, comme la prcdente, suppose que l'ide est un objet quifait nombre avec les objets empiriques. Dans ce cas, elle ne fait queredoubler et multipUer sans fin le monde empirique, tout en luirestant extrieure. Tel est le platonisme vulgaire, qui repose sur uneinterprtation littrale d'une certaine imagerie, frquente dans lespremiers dialogues. Il faut la corriger en comprenant que l'ide n'estpas objet, mais objectivante. EUe est ce par quoi les objets sont tels.L'ide de grandeur, dit Proclos, est un pouvoir de dpassement etde distance2. L'ide n'est donc pas ce qu'eUe raUse, sinon mtaphoriquement et titre causal. L'ide de grandeur n'est pas grande,celle de triangle n'est pas triangulaire. L'ide de justice est la normed'une mesure irraUsable, mais qui anime et juge toutes les actionsdites justes. Nicolas de Cuse dira que l'ide est une rgle et une limiteidale.

    Troisime problme : Il y aurait peut-tre, suggre Socrate, unefaon de concilier l'unit de l'ide et la pluraht des objets participants. L'ide serait une dans la pense et multiple dans les objets Parmenide rpond que la pense qui ne serait pas pense d'une unitrelle serait totalement vide. L'ide ne peut tre un simple mode subjectif, mais doit avoir une essence.

    Quatrime problme : Socrate propose une autre solution. Lesides sont des exemplaires, et les objets qui y participent sont descopies ou des images Dans ce cas, objecte Parmenide, l'objet copietant semblable son exemplaire, celui-ci se trouve semblable son

    1 Met. I, 990 b 15.2 In Parmenid., IV, 854, 12, 13.

  • LE PARMENIDE DE PLATON 87

    semblable (sophisme de fausse rciproque). Tous les deux participentdonc l'ide de semblable, et, puisque ces trois termes se ressemblent, une nouvelle ide de semblable, et ainsi indfiniment. Nous retombons dans l'argument du troisime homme.

    Cinquime problme : Les ides n'existent que par leurs mutueUesconnexions dans leur ordre d'ides (ce que dmontrera le Sophiste).Mais les objets sensibles n'existent galement que par leurs relationsrciproques sur leur plan empirique. Ds lors n'avons-nous pas deuxordres strictement parallles, dont chacun est bien li en lui-mme,mais ne dbouche nuUement sur l'autre L'esclave empirique estl'esclave d'un matre empirique, et l'ide de l'esclave est esclave del'ide du matre. La science de chez nous est science de la vrit dechez nous, mais non de la vrit-essence. Seule la connaissance puresera capable d'atteindre les ides pures, comme le beau et le bien purs.Mais eUe ne saisira pas le beau ni le bien humains. La divinit ignoreratout ce qui se passe chez nous, et nous ne saurons jamais rien deschoses divines.

    Cette objection s'enferme dans des reprsentations gographiques :monde sensible, ciel intelligible. En ralit, selon Platon, il n'y a pasde monde sensible, mais seulement une perspective qui tient toutesa consistance des ides raUsatrices. Si ceUes-ci n'taient prsentesen nous et dans les choses, nous n'aurions mme pas de connaissanceempirique, et les choses seraient pur chaos.

    De teUes objections sont spcieuses, conclut Parmenide, etchanger la conviction de celui qui les fait est extraordinairementdifficile. Ce serait dj un esprit richement dou, celui qui on pourrait faire comprendre qu'il y a de chaque raht dtermine un genreet une existence en soi et par soi. Quels dons plus merveilleux encoreil faudrait pour en faire la dcouverte, pour tre capable de l'enseigner d'autres, pour en avoir auparavant prouv tous les dtails par unecritique adquate (135 ab).

    Mais, imagine, Socrate, qu'on renonce aux ides, on n'aura plusalors o tourner sa pense , et on dissoudra entirement la puissancede la dialectique. Si tu n'as pu rsoudre ces problmes, c'est que tu estrop jeune et insuffisamment exerc (135 cd).

    Platon laisse donc entendre qu'il n'ignore pas les problmes soulevs par sa thorie des ides et par la prsentation mythique et potiquequ'il en a souvent donne. Il prend ses distances vis--vis du platonisme scolaire qui se forme dj autour de lui. Mais s'il y a chez luivolution, il n'y a pas rupture. Ces problmes pour lui sont rels, ilsne sont nullement dcisifs. Un esprit suffisamment dou les surmontera en multipliant les exercices dialectiques. Platon parle d' exercices , parce que d'aprs lui il n'y aura jamais sur ce sujet d'expossatisfaisant. Il faut aUumer l'intuition.

  • JEAN TROUILLARD

    Cette gymnastique dialectique que tu nous recommandes, Parmenide, demande alors Socrate, en quoi consiste-t-elle au juste

    Tu en as un modle en Zenon, Socrate. Mais il faut pousser plusloin l'examen. Il faut d'abord mettre en hypothse l'existence d'uneide et tudier ce qui en rsulte. Puis il faut mettre en hypothsel'inexistence de cette mme ide et considrer les consquences, pourl'ide elle-mme et pour les autres termes, en eux-mmes et dans leursrapports mutuels.

    Exemple : S'U y a pluralit (c'tait l'hypothse de Zenon), qu'enrsulte-t-il et pour cette pluraht et pour l'un Pour cette plurahtpar rapport elle-mme et par rapport l'un Pour l'un par rapport soi et par rapport aux plusieurs S'il n'y a pas pluralit ques'ensuit-U etc.

    On fera le mme examen pour l'un, la ressemblance, la dissemblance, le mouvement, le repos, etc.

    Il s'agit, en somme, de vrifier une thse par ses consquences, etainsi de l'approfondir et d'en prouver la fcondit. C'est donc uneanalyse prpare par une synthse, une dmarche rgressive usantd'une dmarche progressive. On peut y voir l'exercice le plus completde la dialectique platonicienne.

    Mthode diffice, observe Socrate. Pourquoi Parmenide ne nousla prsenterait-il pas lui-mme sur une hypothse de son choix Tousles assistants joignent leurs prires celle de Socrate, et Parmenidene croit pas pouvoir se drober.

    ... Je sens en moi comme une grande crainte songer commentil me faudra, si vieux, traverser la nage un si rude et si vaste ocande discours (137 a). Mais il faut vous faire plaisir et jouer ce jeulourd de ralit (irpaTUOTeuiior) iraiiv ira(Zeiv) (137 b).

    Tel est le sens que suggre Proclos, puisqu'il exclut avant tout quece jeu soit une simple gymnastique logique sans me et vide deralits (mvv twv irporruuTuiv) . Il s'agit d'une dcouverte mtaphysique ouverte sur une mystique. Les raisonnements doiventdployer les intuitions, et celles-ci doivent dlivrer, travers leursconflits, une concidence antrieure et gnratrice, qui affleure dansra{

  • LE PARMENIDE DE PLATON 89

    Que choisir comme hypothse Ne voulez-vous pas, demandeParmenide, que je commence par moi-mme et par ma propre hypothse (137 b).

    Parmenide s'identifie sa propre hypothse (l'unit de l'tre)comme s'il tait le pote et le prophte de Tunit. Et curieusement,en suivant la logique de cette position, il y dclera des antinomiesinsolubles et sera amen la dpasser. Il proposera donc lui-mmeune refonte de l'latisme.

    Et l'on trouve ainsi, esquisss dans le Parmenide, tous les traitsncessaires pour la formation d'un nouveau pome digne d'un autreParmenide, o de l'un, et mme de l'au-del de l'un, on irait vers lemultiple, dont les chants ne seraient plus spars, mais unis, commesont unies les ides.

    Deuxime partie

    Le Jeu de Parmenide

    Ce jeu ne comporte rellement qu'une seule hypothse (l'un est-ilun avec vrification ngative (si l'un n'est pas un). Mais ce thmeva se dtailler en neuf hypothses, comme un centre en plusieursrayons. Les hypothses ne s'enchanent pas en hgne droite, mais audbut de chacune on repart du centre sous un nouveau point de vue.Il n'est pas surprenant que les noplatoniciens aient vu dans ledroulement des hypothses celui des ordres de la procession (puisquechaque reprise est une manire de poser ou de nier l'un) et la rvlationde la structure du rel (chaque tre se donnant la mme constitutionque l'univers).

    Il semble bien, en effet, qu'il ne faille pas chercher la solutionpersonnelle de Platon dans une hypothse isole, comme si les autrestaient des impasses. Certains interprtes ont ainsi privilgi lapremire hypothse (l'Un ineffable), d'autres la deuxime (le mondeinteUigible), d'autres encore la quatrime (les articulations du discours).Mais c'est dcouper arbitrairement un mouvement dans un ensemblerythm. La signification doit tre cherche dans l'interconnexion detoutes les parties.

    Remarquons ensuite que les cinq premires hypothses sontpositives (avec rserve pour la troisime) et les quatre derniresngatives.

    1 Jean Wahl, op. cit., p. 82.

  • go JEAN TROUILLARD

    Or, rcapitulant les hypothses positives, Parmenide dclare : Ainsi donc, si l'un est, l'un est tout et il n'est rien la fois, que

    ce soit par rapport lui-mme ou par rapport aux autres (160 b).Et il conclut ainsi les hypothses ngatives : Donc en disant sommairement : si l'un n'est pas, rien n'est, nous

    ne dirions rien d'inexact (i66bc).Ce qui revient dire : Si l'un est, il se donne une condition anti

    thtique. Mais si l'un n'est pas, U n'y a plus de contradiction ni dequestion, puisque tout s'vanouit.

    Maintenant si nous examinons les cinq hypothses positives, nousvoyons qu'elles forment un vritable systme d'antithses queDamascios prsente ainsi :

    Telle est dans son unit la conclusion des cinq hypothses. Si l'unest, il n'est rien, comme le montrent la premire et la cinquimehypothses. Il est tout, comme le montrent la seconde et la quatrimehypothses. Enfin il est et n'est pas la fois, comme le montre latroisime, qui est le moyen terme de ce groupe de cinq. !

    Comme le remarque Chaignet 2, ces cinq hypothses s'articulentcomme les strophes d'un pome pentadique. La premire correspond la cinquime, la deuxime la quatrime, et ces deux couples sercapitulent en s'opposant dans la troisime, qui est la msode oumonade centrale.

    Ainsi l'unit n'est pas uniquement formeUe et extrieure, eUeest relle et interne.

    En voici la figure rythmique :A. B.

    C.

    B'. A'.ire hypothse (positive) : si l'un est un, que s'ensuit-il pour lui

    conclusion ngative.2e hypothse (positive) : si l'un est, que s'ensuit-il pour lui

    conclusion affirmative.3e hypothse (positive et ngative) : si l'un est et n'est pas, que

    s'ensuit-il pour lui Conclusion la fois affirmative et ngative.4e hypothse (positive) : si l'un est, que seront les autres Conclu

    sion affirmative.5e hypothse (positive) : si l'un est, que ne seront pas les autres

    Conclusion ngative.6e hypothse (ngative) : si l'un n'est pas, que s'ensuit-U pour

    lui Conclusion la fois affirmative et ngative.

    1 Dubitationes, Ruelle II, p. 289.2 Damascius. Fragment de son commentaire sur la troisime hypothse, Paris,

    Leroux, 1897, p. 14-15.

  • LE PARMENIDE DE PLATON 9I

    7e hypothse (ngative) : si l'un n'est pas, que n'est-U pasconclusion ngative.

    8e hypothse (ngative) : si l'un n'est pas, que seront les autresConclusion la fois affirmative et ngative.

    9e hypothse (ngative) : si l'un n'est pas, que ne seront pas lesautres Conclusion ngative.

    Selon les noplatoniciens, chaque hypothse positive correspond un ordre de raht, sous cette rserve que la premire hypothseaboutit au supra-rel, et la cinquime au sous-rel. Les conditionsde l'affirmation dbordent l'affirmation.

    ire hypothse : ngations par excs Un pur ou ineffable2e hypothse : affirmations exemplaires un multiple ou tout

    intelligible3e hypothse : affirmations et ngations un et multiple ou

    Tme mdiatrice4e hypothse : affirmations rflchies multiple unifi ou

    tout empirique5e hypothse : ngations par dfaut multiple pur ou

    matire pure.

    Premire hypothse (positive conclusion ngative) : si l'un est un.Parmenide va en drouler les consquences et U aboutira un

    renversement. Il dmontrera finalement que, si l'un est un, il n'estpas et n'est pas un. La position de l'unit divise cette unit et nousjette dans la pluralit. Et au dbut de l'hypothse suivante, Parmenide nous dira qu'une fois engag, ce processus de division s'tend l'infini. Mais c'est sous l'emprise de l'un qu'U se dveloppe. Car avantde se disperser, l'un devient totalit et nombre, c'est--dire unitd'une pluraUt. La deuxime hypothse exige donc l'unit que lapremire refuse. Si je pose l'un je le nie, mais si je le nie je le pose.La dialectique ne peut trouver de repos ni d'un ct ni de l'autre.

    Platon, crit Jean Wahl, opre une dissociation de ce jugementnonc par les Elates : l'Un est un. Le jugement explicite : l'Un estun implique un jugement implicite : l'Un est. Mais ces deux jugementssont diffrents ; bien plus, ils se contredisent, car si l'Un est dans leplein sens du verbe tre, il n'est pas tout fait un, puisque de la rahts'attache lui ; et si l'un est un dans le plein sens du mot un, il n'estpas compltement rel...

    Dans la premire hypothse nous avons un jugement qui sembleanalytique, mais dont nous ne pouvons faire l'analyse sans le dtruire ;

  • 92 JEAN TROUILLARD

    dans la seconde un jugement synthtique dont nous ne pouvons fairela synthse.

    Comment la premire hypothse se retourne-t-elle contre elle-mme Il n'tait pas possible de conclure directement : si l'un est un,l'un n'est pas un. Comme le remarque Proclos, cela serait plus comiqueque convaincant2. Il fallait donc introduire des moyens termes entrele point de dpart et le point d'arrive. Et que seront ces mdiations,sinon les consquences de l'hypothse, c'est--dire les conditions del'affirmation de l'un ou les caractres de l'tre en tant qu'tre : ce qu'ilfaut accorder l'un pour le rahser 3

    Voici ces caractres ontologiques dans l'ordre que leur donne lapremire hypothse. Ils sont 24 ou davantage si on compte leurssubdivisions.

    Si l'un est un, l'un n'est pas multiple, il n'est ni tout ni partie,il n'a ni commencement ni milieu ni fin, il n'a aucune dtermination,il est sans figure gomtrique, il n'est ni dans un autre ni en soi-mme, il n'est ni repos ni mouvement, il n'est ni mme ni autre, nisemblable ni dissemblable, ni gal ni plus grand ni plus petit, ni plusvieux ni plus jeune, il ne participe ni au devenir ni au temps, enfinU n'a aucune part l'tre, et par consquent il n'est pas un.

    Dans cette longue dmonstration, les noplatoniciens soulignerontque l'intriorit ou la prsence soi-mme sont incompatibles avecla simplicit. Tout tre qui est en soi ou par soi ou agit sur soi estdouble 4. Ces interprtes s'en souviendront pour montrer que laPense de la pense d'Aristote est une dualit, et que l'Un est au delde la connaissance de soi et de la causa sui 5.

    Mais ils se demanderont avant tout d'aprs quel principe Parmenide choisit et enchane ces proprits ontologiques. Sans doute nousy retrouvons les grands genres platonicens : tout, partie, dtermination, repos, mouvement, mme, autre, semblable, dissemblable...Mais nous rencontrons aussi des caractres mathmatiques (grand,petit, gal, droit, courbe) et mme temporels (vieux, jeune) qui noussemblent de moindre valeur. Evidemment le heu et le temps ferontpartie des catgories d'Aristote. Mais cette table des catgories estempirique et destine au monde empirique. Parmenide, au contraire,a flicit Socrate de se tourner vers les pures connexions idales. Ila donc l'ambition de fournir une dduction a priori. Seulement, leParmenide de Platon doit assumer, pour le dpasser, le Parmenide

    Op. cit., p. 85, 86, 91.2 In Parmenid., VII, 1241, 25.3 In Parmenid., VI, 1086, 28 ; 1087, 6 ; VII ,1240, 15.4 138 a ; cf. Proclos : In Platonis Theologiam., Portus V 30, p. 334.i Cf. Plotin : Ennades, V, 3, 10 ; VI, 7, 41.

  • LE PARMENIDE DE PLATON 93

    historique. Prcisment plusieurs des caractres qui nous surprennentsont emprunts au fameux Pome qui identifie l'Etre, l'Un et le Tout,et le reprsente par une sphre sans commencement ni fin, soustraite la gnration, la corruption, la division, au devenir et au temps.

    D'aprs Proclos, Parmenide droule ces catgories selon la loisuivante. Il procde de l'universel au particulier. En sorte que lesngations les plus fondamentales entraneront leurs drivs par unenchanement ncessaire. Jean Wahl y voit une sorte de sorite qu'on peut ainsi retourner.

    L'Un n'est pas puisqu'il n'est pas dans le temps, il n'est pasdans le temps puisqu'il n'est ni plus vieux ni plus jeune que lui-mme,et il en est ainsi parce qu'il ne participe pas de la ressemblance et del'ingalit, jusqu' ce que en remontant la chane on arrive trouverque la raison de tout cela rside dans le fait qu'il n'est pas multiple,affirmation qui se rattache elle-mme la faon dont a t affirmel'hypothse : si l'Un est (op. cit. p. 127).

    Proclos donne un exemple d'un tel enchanement dialectique enpartant de l'unit mathmatique.

    Car la monade est secrtement multiple, tout et parties, elle enveloppe les figures (gomtriques), eUe est en elle-mme et dans unautre en tant qu'eUe est prsente tout ce qui procde d'elle, elle esten repos et en mouvement, elle demeure immuable et procde lafois, sans jamais s'carter d'elle-mme en se multipliant, et on peutlui accorder la similitude et tout le reste pareillement. Mais s'il estais de faire ressortir que toutes ces proprits sont dans la monade,il faut montrer d'abord ceux qui usent de cette comparaison quela monade est l'imitation de l'esprit, en sorte que plus forte raisonelles sont prcontenues dans l'esprit et doivent tre nies de l'Un,justement parce qu'il est au-dessus de l'esprit et de tout tre pensant.

    Ainsi la dduction des proprits de la monade figure peu prssous forme affirmative la suite des ngations dans la premire hypothse.

    On peut cependant objecter que l'ordre des ngations n'est pasen tous points dgressif. Proclos lui-mme remarque que l'tre estl'avant-dernier terme ni (le dernier tant l'unit). Or l'tre, chez lesnoplatoniciens, est moins universel que l'unit, mais plus que lemultiple, qui est l'objet de la premire ngation. D'ailleurs, dans ladeuxime hypothse, dont les affirmations progressent galement del'universel au particuher, l'tre est pos en premier lieu et tout lereste comme ses consquences. Dans sa Thologie platonicienne, quireprend son Commentaire du Parmenide, Proclos suit Tordre de la

    1 In Parmenid., VI, 1084, 12-24.

  • 94 JEAN TROUILLARD

    deuxime hypothse pour obtenir Tordre de procession, et U metl'tre en premire position.

    Pourquoi Parmenide s'est-il donc cart sur ce point de Tordred'universalit dcroissante dans la premire hypothse Proclosrpond : Parce qu'il lui faUait procder du connu l'inconnu. Il nepouvait se borner dire : si l'un est un, il n'est pas et n'est pas un.Il devait, pour en arriver l, dtailler les caractres essentiels del'tre, montrer qu'aucun ne convient l'un et conclure que ce qui nerpond pas aux conditions de l'affirmation n'est pas affirmable.

    Or, remarque Proclos, partir du plus connu quand il s'agit dengations, c'est partir des plus trangres l'hypothse, qui pour cetteraison sont les plus aisment admises. Dans le domaine des affirmations, au contraire, c'est partir des plus apparentes l'hypothse,c'est--dire des plus videntes .

    De ce point de vue, l'affirmation de l'tre devait tre la premirede la deuxime hypothse et la ngation du multiple la premire dela premire hypothse. Car rien ne semble mieux convenir l'un quiest que l'tre, et l'un pur que le non-multiple. En outre, cette ngation du multiple s'imposait spontanment Parmenide qui avaitsoutenu dans son Pome que diversit et discontinuit ne sont quedes apparences. Et pour Platon, cette mme ngation avait l'avantagede faire de Parmenide un alli qui, en suivant la logique de sa thse,aUait se corriger lui-mme sans avoir l'air de s'en apercevoir. Eneffet, si on refuse toute pluralit l'un, il n'est plus une totaUt et nepeut plus tre pos, puisqu'on ne pose que des relations. L'absolu s'arrache l'tre et l'affirmation.

    La conclusion de la premire hypothse est donc intgralementngative. De l'un il n'y a ni nom ni notion ni science ni exprienceni opinion (142 a).

    Ici les interprtes se sparent. Les uns entendent une ngationpar dfaut, les autres une ngation par excs.

    Les premiers soutiennent que cette premire hypothse est unepartie nuUe, qu'elle aboutit un chec ou une impasse. Son uniquersultat serait de dissoudre une tentation, celle d'isoler les extrmes,l'un pur et le multiple pur.

    Les seconds, parmi lesquels les noplatoniciens, estiment quePlaton, loin de nous enfermer dans la dialectique, la retourne icicontre elle-mme, en fait une sorte de purification rationnelle destine dUvrer un foyer mystique, qui poindra dans la troisime hypothse. Si profonde fut chez Platon, crit Jean Wahl, Tunion du raisonnement le plus souple et le plus serr, et d'une sorte de folie divine. *

    1 In Parmenid., VI, 1088-1089.2 Op. Cit., p. 211.

  • LE PARMENIDE DE PLATON 95

    La leon de cette hypothse serait la relativit essentielle de l'ide.Platon veut mettre distance toute signification. Or il ne peut yparvenir par la ngation ordinaire qui est intrieure au discours. Langation de la premire hypothse ne doit pas s'entendre comme uneprivation, mais comme un dpassement gnrateur de l'alternativepossession privation. Quand nous disons, par exemple, que lamonade n'est pas un nombre, nous ne voulons pas dire qu'elle soitinfrieure aux nombres, mais qu'elle les engendre et les dtermine .

    Tout ce qu'on nie de l'Un procde de lui, continue Proclos. Ilfaut qu'il ne soit rien de ce que sont les tres, pour que tous procdentde lui. 2

    Une telle ngation serait double. Elle serait ngation de l'affirmation, puis ngation de la ngation. Elle dcouvrirait non le rien quis'oppose au tout comme son absence, mais le rien du tout et du rienlui-mme. Au lieu de conduire une rue bouche, elle introduirait une avenue ouverte sur l'infini. Voici les raisons qu'on donne enfaveur de cette interprtation.

    1. Gardons-nous de confondre les trois ngations platoniciennes :celle du Sophiste ou l'altrit qui est le non-tre impliqu par chaquedtermination

    celle du Philbe ou l'indtermination imphque

    par le systme total des dterminations celle du Parmenide quiretranche la fois mme et autre, dtermination et indtermination.

    2. Seule la troisime ngation dcouvre l'ineffable authentique.Car l'altrit et l'indtermination sont encore au niveau de l'inteUi-gible et de la pense. Elles ont encore un sens en tant que privations,limites ou sujets du sens. C'est Damascios, le dernier noplatoniciende l'cole d'Athnes au VIe sicle de notre re, qui a dcel le plusrigoureusement l'illusion sans cesse renaissante du langage tendant faire de l'un un attribut, poser l'ineffable et le nant eux-mmescomme des natures caches, faire de l'inconnaissable une rgiondu connaissable 3.

    3. Cette troisime ngation n'est possible que porte et prvenuepar une sorte de concidence mystique. Mais si celle-ci est donne, eUes'exprime ncessairement par ce genre de ngation. Il semble justement que Platon ait laiss entrevoir une telle prsence. Les noplatoniciens en voient des signes dans l'mergence du Bien de la Rpublique,ceUe du Beau dans le Banquet, la folie inspire du Phdre, les surprenantes dclarations de la VIIe Lettre, enfin l'Safqwi de la troisimehypothse. Mais cette communication mystique ne saurait trepisodique et surajoute dans une me platonicienne. Elle doit treantrieure, centrale et gnratrice de la pense. Il faut donc que le

    1 In Parmenid., VI, 1076, 25-29.2 Ibid., 29-32.3 Dubitationes, I, p. 10 et 56

  • g6 JEAN TROUILLARD

    dpassement suscit par la ngation soit non une sortie de soi (commele suggre le mauvais mot extase ), mais une rflexion radicalesur soi, c'est--dire sur le centre de l'me qui concide avec le centreuniversel.

    Deuxime hypothse (positive conclusion affirmative) : si l'un est.Nous revenons notre point de dpart, mais sans oublier la

    premire hypothse. Au heu de maintenir l'un dans sa puret intransigeante (l'un un), nous consentons le mlanger l'tre, pour prouvercette thse travers ses consquences.

    L'un se trouve donc ralis ou hypostasi. Il en rsulte videmmentque l'un reoit tous les caractres ontologiques qu'il repoussait dansla premire hypothse. Autant de ngations dans la premire hypothse, rpte Proclos, autant d'affirmations dans la deuxime, etautant d'ordres procdants, si bien que les ngations sont gnratricesdes affirmations. La thologie ngative est la constitution d'une ontologie. Reconnatre l'ineffable dans la premire hypothse, c'est dterminer ce qu'il ne peut pas tre, mais ce que doivent tre ses drivs.Le monde intelligible est la totalit des perfections que l'Un refuse,mais pose par le refus mme. C'est parce que l'un pur n'est aucun descaractres de l'tre que l'un qui est les runit tous. Les ngationsque profrent les esprits en se rapportant leur origine sont poureux autant d'auto-constitutions.

    Alors que l'Un pur n'tait rien, l'introduction de l'tre dans l'unprovoque une effusion indfinie jusqu' puisement du possible. Ilne peut y avoir de distinction entre le possible et le rel dans unmonde o la procession s'identifie avec l'expression.

    ... Il suffit de considrer cet Un comme tant, de le mdiatisergrce l'Etre, pour qu'aussitt (avec le dclenchement de l'lmentd'infinit qu'il recle) il en rsulte toute une srie ininterrompue etinfiniment continue de combinaisons, allant des plus simples et desplus proches de Tunit parfaite jusqu'aux plus lointaines et aux pluscompliques. z

    L'un et l'tre de l'un n'tant pas identiques, l'un qui est n'est pasune simplicit, mais un tout qui exige des parties. Cette plurahtprimordiale une fois admise, il nous reste rciter, sous le registreaffirmatif, ce que nous droulions sous le mode ngatif dans la premirehypothse.

    Mais si l'un qui est est un tout compos au moins de deux parties,chacune de ces parties tant la fois un et tre va apparatre double son tour, et chacune des parties de ces parties, et cela indfiniment.Pourtant cette dualit est eUe-mme un certain mode d'unit, elle

    1 Nicolas-Isidore Boussoulas : L'Etre et la composition des mixtes dansle Philbe de Platon, Paris, 1952, p. 169.

  • LE PARMENIDE DE PLATON 97

    domine sans l'annuler sa diffrence interne, eUe possde l'unit dunombre.

    Par consquent, si l'un est, il est ncessaire qu'U soit nombre (144 a). Or il est impossible d'arrter la progression de la srie desnombres. Une fois pos le 2, les nombres se dploient l'infini. Ladualit, dira Proclos, est la matrice de toute multiplicit. C'est sansdoute la mditation de cette gnration du nombre qui a mis lesno-pythagoriciens sur le chemin d'une procession intgrale quePlaton n'a jamais nettement formule.

    L'un qui est se morcelle donc l'infini et pourtant contient sapropre division, puisque chaque partie est une et partie d'un tout quiest un. La conjonction de l'un et de l'tre dans cette deuxime hypothse (concernant l'un) et dans la quatrime (concernant les autres)ne nous mne pas au chaos, mais une suite ordonne de mixtes. Orcette formation des ides en systme de relations et cette compositionde chacune (comme les termes du langage) seront l'objet du Sophisteet du Philbe.

    La conclusion de la deuxime hypothse est exactement l'inversede celle de la premire. De cet un qui est, il y a science, opinion etexprience. On peut le nommer et l'exprimer. Il est le domaine de lapense. CeUe-ci est aveugle et rduite au silence devant l'Un pur(ire hypothse) et le multiple pur (5e hypothse), eUe se meut dansl'entre-deux, c'est--dire dans le nombre. Mais l'entre-deux supposeles extrmes, la fois ncessaires et irralisables.

    La communication des genres n'a de valeur que si le oui absoluet le non absolu existent aux deux bouts de la chane. Et mme, ilsprennent pour notre pense l'apparence l'un de l'autre, ils changentleur lumire et leur ombre, l'un au plus haut degr de son clat nousblouissant au point que nous le prenons pour une nuit, l'autre duplus sombre degr de son obscurit rayonnant peut-tre soudain del'clat le plus intense.

    Troisime hypothse (positive et ngative conclusion affirmativeet ngative) : si l'un est et n'est pas.

    Comme l'observe Damascios, nous parvenons au centre de ladialectique du Parmenide. Nous rcapitulons les deux premireshypothses et l'avance les deux dernires positives dans l'unitd'une contradiction.

    Reprenons, dit Parmenide, l'examen sous une troisime forme.Si l'un est tel que nous l'ont prouv nos dductions, d'une part un etmultiple (2e hypothse), d'autre part ni un ni multiple (ire hypothse),d'ailleurs participant au temps (fin de la 2e hypothse), n'y a-t-il pas

    1 Jean Wahl, op. cit., p. 189.

  • 98 JEAN TROUILLARD

    ncessairement pour lui, parce qu'il est un, un moment o il participe l'tre, et parce qu'il n'est pas, un moment o il ne participe point l'tre (155 e).

    La dialectique des hypothses nous a conduits, en effet, uneantinomie, qui maintenant se concentre dans un troisime un. Nousdisions : l'un n'est rien, puis l'un est tout. Plus exactement : si l'unest un, l'un n'est pas un ; mais s'il est multiple, il est un. Ainsi faut-ilrenoncer se fixer dans quelque hypothse que ce soit en croyanttenir la solution platonicienne. Il n'est possible ni de dissoudre leconflit en supprimant une de ces donnes, ni de le rsoudre en lesconciliant (comme certains interprtes ont prtendu le faire en usantde la 4e hypothse). Sans doute la pense est-elle une sorte de composition. Mais elle retrouve l'opposition des extrmes ds qu'elle essaiede se fonder.

    Dans la troisime hypothse le conflit se redouble, puisque l'unnous apparat la fois tout et rien, et ni tout ni rien. Or une contradiction ne peut exister que dans une raison discursive ou successive. Carla succession distingue et rehe, unit et oppose les incompatibles, etainsi les tabht dans leur incompatibilit. Ce qui implique un centredominateur non successif, mais en quoi il est impossible de s'enfermer. C'est pourquoi les noplatoniciens voient dans ce troisime unl'me raisonnable en tant que, soumise la mobilit du discours, elleest une dialectique vivante.

    Ce fait que l'me est la troisime reprise de l'un tend montrer quejamais elle n'accde l'un par le dehors. Pour se faire me, elle doitpartir de lui et totaliser ses exigences. Elle n'a pas d'autre centre.

    Ce qui change est tout ce qu'il devient, mais aussi rien de ce qu'ildevient. S'il passe de l'immobilit au mouvement, il runit en lui cesextrmes, mais il ne peut tenir l'un et l'autre en mme temps, puisqu'il annule l'un par l'autre.

    Un donc et multiple, naissant et prissant, est-ce que sa naissance comme un n'est pas sa mort comme multiple, et sa naissancecomme multiple sa mort comme un (156 b).

    Si pour passer d'un tat l'autre, l'un doit traverser un pointsans paisseur que Parmenide appelle t ?a{cpvn : l'instantan,qu'U ne faut pas confondre avec l'instant fluent : t vOv). En cefoyer il n'est plus ce qu'il a t, mais il n'est pas encore ce qu'il sera.Car ce point, plac dans l'entre-deux (ut

  • LE PARMENIDE DE PLATON 99

    peut se donner tour tour. Damascios y voit l'ternit profonde del'me, le principe d'o part la procession et o aboutit la conversionde l'me l'intrieur d'elle-mme.

    Peut-tre vaut-il mieux dire que le premier un transcende tousles tres sous le mode ngatif, que le second procde en tous sousle mode affirmatif, enfin que le troisime un retrouve le mode ngatifpour se convertir vers ses principes. C'est pourquoi les ngationsintroduisent ce qu'il y a de meilleur dans son caractre. En outre, lamdiation de l'me exige les opposs, le divis et l'indivisible, letemporel et l'intemporel, par consquent aussi l'affirmation et langation. 1

    Notre me, selon ce mme interprte, est l'entrelacement desextrmes. Elle est le rien qui se fait tout, le tout qui se rsout enrien. Elle est l'engendr qui se substantialise, l'ternel qui se tempo-ralise, l'indivisible qui se divise.

    Car ce que Platon tend montrer, c'est que l'esprit peut allerau-del du domaine o il tait enferm jusqu'ici, que l'on peut, pourainsi dire, trouer le temps pour aller au-del du temps.

    L'instantan est le passage continuel de la premire la deuximehypothse, et de la deuxime la premire ; il est Tunit qui enfermeles concepts contradictoires, les unit par le fait que la pense vaincessamment de l'un l'autre ; ce passage, comme le dit Hartmann,doit tre repos en tant que permanence logique, il doit tre mouvementen tant qu'il entre dans une infinit de relations. Et il voit dans cetteueTccoWi quelque chose qui nous permet de deviner ce qu'est laueeSi...

    Cette conception, si elle a une signification rationnelle, a en mmetemps une signification mystique. 2

    Il fallait que l'un appart d'abord comme le plrme des ngations,puis comme celui des affirmations, pour se rvler la plnitude desoppositions. Quand la dialectique cherche se justifier, eUe se retournecontre elle-mme. Elle dcouvre alors que l'irrationnel n'est pas uncanton du rationnel, mais plutt que l'intelUgible s'inscrit sur un fondd'ineffable.

    Finalement, le Parmenide nous livre moins une thologie qu'unephilosophie de l'me. Il dploie la structure de l'me mdiation del'univers. L'me est une monade qui s'analyse en triade et en pentade.EUe s'tend d'un extrme l'autre, et elle remplit tout l'entre-deuxpar sa tension cohesive. Et la structure de l'me est l'exemplaire detoute structure.

    1 Damascios : Dubitationes, II, p. 266, 3-9.2 Jean Wahl, op. cit., p. 167, 171.

  • 100 JEAN TROUILLARD

    On peut donc bien dire que, si Platon a d'abord conu l'me partir de l'ide, il cherche maintenant comprendre l'ide traversTme.

    Jean Trouillard

    Extrait des publications de Jean Trouillard

    La purification plotinienne, Paris, Presses Universitaires de France, 1955.La procession plotinienne, Paris, Presses Universitaires de France, 1955.Proclos. Elments de thologie, traduction, introduction et notes, Paris, Aubier,

    1965-Le noplatonisme de Plotin Damascios, contribution l'Histoire de la philoso

    phie I de l'Encyclopdie de la Pliade, Paris, Gallimard, 1969.L'Un et l'Ame selon Proclos, Paris, Les Belles Lettres, 1971.

    ArticlesSur Plotin :

    La libert chez Plotin, dans Actes du IVe Congrs des Socits de philosophiede langue franaise, Neuchtel, La Baconnire, 1949, p. 353-357.

    The Logic of Attribution in Plotinus, dans International Philosophical QuarterlyI/i, 1961, p. 125-138.

    Valeur critique de la mystique plotinienne, dans Revue philosophique de Louvain,t. 59, 1961, p. 431-444-

    Plotin et le moi, dans Horizons de la personne, Paris, Les Editions ouvrires,1965. P- 59-75-

    Sur Proclos : A gir par son tre mme . Ea causalit selon Proclus, dans Revue des sciences

    religieuses, t. 32, 1958, p. 347-357-L'intelligibilit proclusienne, dans La philosophie et ses problmes (Mlanges

    Jolivet), Lyon, Vitte, i960, p. 83-97.Proousios et Pronoia chez Proclos, dans Revue des Etudes grecques, t. 73, i960,

    p. 80-87.L'Etre et l'Un, dans Les Etudes philosophiques, t. 15, i960, p. 185-196.Convergence des dfinitions de l'me chez Proclos, dans Revue des sciences philoso

    phiques et thologiques, t. 45, 1961, p. 3-20.Rminiscence et procession de l'me selon Proclos, dans Revue philosophique de

    Louvain, t. 69, 1971, p. 177-189.L'antithse fondamentale de la procession selon Proclos, dans Archives de philoso

    phie, t. 34, 1971, p. 433-449-Proclus, dans Encyclopedia Universalis.

    Sur Jamblique :Jamblique, dans Encyclopedia Universalis.

    Le "Parmnide" de Platon et son interprtation noplatonicienne