Souvenirs de Kenji Mizoguchi: Yoshikata Yoda

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Reminiscences of the Japanese film maker by one of his greatest screenwriters.Translated into French

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Dans la même collection :

Breaking The Waves (scénario), Lars von Trier

Les Yeux verts, Marguerite Duras

Le Cinéma selon Jean-Pierre Melville, Entretiens avec Rui Nogueira

La Rampe, Serge Daney

Le Cinéma selon André Malraux, Denis Marion

Comme une autobiographie, Akira Kurosawa

Lost Highway (scénario), David Lynch et Barry Gifford

Réflexions sur mon métier, Cari Th. Dreyer

y aura tHl de la neige à Noël ? (scénario), Sandrine Veysset

En couverture, Kenji Mizoguchi, photo coll. Cahiers du cinéma.

Conception graphique : Atalante.

© Cahiers du cinéma - 1997 Première édition en langue française dans les Cahiers du cinéma entre juin 1965 et novembre 1968, n° 166-67, 169, 172, 174, 181, 186, 192, 206 reprise dans le numéro hors-série des Cahiers du cinéma, septembre 1978 : * Kenji Mizoguchi *, sous la direction de Jean Narboni. © Filmographie : Tony Rains ISBN: 286642-182-5 ISSN : 1275-2517

Toute reproduction intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans la présente publication (ou le présent ouvrage), faite sans autorisation de l'éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d'une part, les reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d'autre part, les ana­lyses et courtes durions justifiées par le caractère scientifique ou d'information de l'œuvre dans laquelle elles sont incorporées (loi du 11 mars 1957 -an. 40 et 41 et code pénal art. 425). Toutefois, des photocopies peuvent être réalisées avec l'autorisation de l'éditeur. Celle-ci pourra être obte­nue auprès du centre Français du Copyright, 6 bis, rue Gabriel-Laumain, 75010, auquel « Les Éditions de l'Étoile * ont donné mandat pour les représenter auprès des utilisateurs.

Yoshikata Yoda

Souvenirs de

Kenji Mizoguchi Traduit du japonais par Koichi Yamada, Bernard Béraud et André Moulin Filmographie établie par Tony Rayns

Préface de Jean Douchet

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Préface Mizoguchi : La réflexion du désir

Jean Douchet

La partie la plus importante de ce qui reste de l'œuvre de Kenji Mizoguchi, soit une trentaine de films, a été tour­née après la guerre. Dans les derniers films muets et les pre­miers films parlants, on constate que Mizoguchi maîtrise déjà tous les éléments de son écriture sur lesquels il va tra­vailler et traite les schèmes qu'il amplifiera par la suite. Ce n'est pas un cinéaste qui s'est amélioré au fil de sa car­rière. D'emblée, il possédait le génie et du cadre et des scènes. Surtout, Mizoguchi manifeste un souci passionné de réa­lisme lié - relié plus exactement - au mélodrame, lequel a tendance à entraîner ce réalisme vers quelque chose de natu­raliste, un peu en retrait ou au-delà du réel. C'est là où l'on mesure l'apport de Yoshikata Yoda, le scénariste attitré de Mizoguchi à partir de 1936 : d'un seul coup, c'est le réel qui va dominer et non plus la situation ou une certaine idée de réalisme.

Yoda apporte, en effet, à un Mizoguchi qui se cherche et s'essaie dans les films d'époque « Meiji », le désir de travailler d'abord les sujets contemporains. De voir le monde tel qu'il est. D'en peindre les rapports sociaux, la lutte des classes et le rôle de l'argent. Tokyoite exilé à Kyoto, Mizoguchi 4

trouve en Yoshikata Yoda celui qui lui permet d'approfon­dir cette voie du réalisme vers laquelle il s'oriente dès la fin des années vingt Le scénariste-romancier connaît comme sa poche les quartiers les plus retirés du triangle Kyoto-Osaka-Kobé, théâtres principaux de l'œuvre à venir. Si les rapports entre les deux hommes sont d'une telle complicité de pensée, c'est aussi qu'ils sont l'un et l'autre issus de la même famille sociale et affective. Yoda est originaire d'un milieu pauvre. Il a lui aussi une santé fragile, et ses souf­frances régulières jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans l'ont empê­ché de connaître les femmes. Comme Mizoguchi, Yoda est également une conscience sociale et militante (employé de banque, il est arrêté en 1928 pour « sympathies com­munistes »). Leur longue collaboration sera animée par cette certitude que le cinéma est une forme du combat politique. Non en ce qu'il dénonce les problèmes sociaux mais parce qu'il permet de brosser avec exactitude le portrait de l'Homme et sa réalité.

Dès lors, Mizoguchi voit en Yoda le partenaire idéal à la conception d'une œuvre qui aurait l'ampleur de celles des grands romanciers réalistes du XIXe siècle (Balzac, Dickens et Dostoïevski) auxquels le cinéaste se réfère lors des séances d'écriture. Le mélodrame reste le véhicule privilégié de leurs préoccupations sociales. Au scénariste d'arpenter la réa­lité et d'organiser la dramaturgie. À lui de mêler la crudité du réalisme au lyrisme du mélodrame. Telle est la tâche de Yoda : trouver dans le récit le point d'équilibre entre le réel et l'émotion, la cruauté et le sentiment, la description brutale et la beauté, quitte à recommencer jusqu'à dix fois le scénario tant qu'aux yeux du cinéaste cette justesse n'est pas atteinte. La fidélité au mélodrame permet à Mizoguchi de ne pas se contenter de peindre les événements de l'ex­térieur mais d'en révéler l'écho, l'impact et la résonance, dans l'intimité du personnage qui les subit. De représen-5

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ter simultanément le dehors et le dedans, le monde exté­rieur et le monde intérieur. D'où la difficulté du travail de Yoda de satisfaire l'exigence absolue de Mizoguchi. Il doit en plus s'effacer complètement derrière les obsessions du cinéaste et renoncer à ses velléités de romancier (Mizoguchi lui reproche à plusieurs reprises son style trop littéraire; ses dialogues à lire, non à sentir). Ce retranchement de soi est ce qui frappe le plus chez Yoda. Je l'avais d'ailleurs ren­contré lors de la grande rétrospective consacrée à Mizoguchi lors du festival de Venise en 1980. Discret, élégant, mince, son extrême courtoisie et son autorité naturelle impres­sionnaient. Pour évoquer le plus grand des cinéastes, le fes­tival crut bon de n'accorder que deux heures et demie de colloque que Yoda occupa seul, racontant sa collabora­tion avec Mizoguchi, son obligation d'imaginer les scènes qu'il voulait, sans jamais mettre sa personnalité en avant.

À partir de 1936, il s'agit donc pour Mizoguchi de tra­vailler sur un matériau social qu'il a déjà répertorié mais auquel il a insufflé trop de romantisme. H observe la situa­tion de la femme qui, à ses yeux, symbolise l'injustice fon­damentale de la société. Ses deux films, L'Élégie d'Osaka et Les Sœurs de Gion sont, à cet égard, exceptionnels. La situa­tion politique et la montée au pouvoir des militaristes per­turbent l'évolution de l'œuvre. Quand Mizoguchi tourne le Conte des chrysanthèmes tardifs, H se réfugie derrière le monde du théâtre et atténue, apparemment, l'importance de la femme. Mais, de 1938 à 1941, il nous manque quatre films, aujourd'hui disparus, qui permettraient de comprendre com­ment il s'adapte à la situation, avant d'être obligé de tour­ner des films à la gloire des hommes. D supporte visiblement très mal l'apologie du mythe masculin, la glorification des guerriers Samouraïs qu'impose la dictature militaire. D s'en­ferme alors dans l'art pour l'art. Les plus beaux films de Mizoguchi, plastiquement parlant, sont ceux du temps de 6

guerre mais cette beauté formelle porte toujours chez lui, apporte, devrait-on dire, l'idée de mort. Cet esthétisme for­cené, qui semble avoir influencé Kurosawa, est une façon de manifester contre cette idéologie, sans compter qu'il ne peut se passer des femmes et trouve mille et une ruses pour en placer une dans ces films de samouraïs dont elles sont nor­malement bannies. Arrive la fin de la guerre. Il tourne La Victoire du sexe féminin en 1946, sorte de manifeste apte à plaire aux féministes les plus acharnées. Ce n'est pas un grand film mais son intérêt vient d'un sentiment d'urgence : Mizoguchi a besoin de crier l'injustice du monde en dénon­çant celle qui frappe les femmes. C'est une manière de lut­ter contre la valorisation du masculin qu'a imposée le régime militaire. La même année, dans des conditions politiques liées à l'Occupation américaine, Mizoguchi tourne Cinq Femmes autour d'Utamaro. Le recul historique d'un siècle et demi lui permet de confesser ce qu'il vient de ressentir. On se souvient de cène scène inventée par Yoda : Utamaro, dont les peintures de femmes choquent le pouvoir politique, est condamné à avoir les mains ligotées dans le dos pendant un mois. Dès que la peine est purgée et qu'on le libère, Utamaro se précipite sur une feuille de papier, saisit un fusain et dessine fiévreusement, furieusement, une femme. Portrait de Mizoguchi à peine déguisé, et qui manifeste comme une urgence son besoin de crier sa propre révolte en prenant totalement parti pour celle de la femme.

Dans L'Amour de l'actrice Sumako, il s'agit d'une femme qui se libère à la fin du XIXe siècle, d'une actrice qui va évi­demment jouer Carmen, avec tout ce que le personnage a pu représenter de par le monde d'idées subversives sur la femme libre qui exprime, chose impensable et tabou jusque-là, son droit au désir. Si nous sommes amusés de voir Carmen devenir japonaise, Mizoguchi savait à quel point son per­sonnage pouvait être scandaleux, même en 1947, pour la 7

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société japonaise. Avec Les Femmes de la nuit, Mizoguchi a visiblement reçu le choc néo-réaliste et la référence à Rossellini y est assez flagrante. Ces Femmes de la nuit sont évidemment déjà des prostituées qui vivent dans des conditions épou­vantables. Mizoguchi les montre et dépeint leur univers pour faire - la censure est encore très présente - non un vrai film de combat mais en tout cas un film d'amour. Mais il n'ar­rive pas à trouver l'équilibre qu'il cherche. Mizoguchi a tou­jours eu un problème avec le potentiel mélodramatique des situations qu'il met en scène. Tant qu'il n'arrive pas à réduire le mélodramatique, sans pour autant le faire dispa­raître et tout en gardant sa force émotionnelle, tant qu'il ne parvient pas à contrôler le réalisme et le naturalisme qui lui sert de vêtement, il n'est pas à l'aise. À partir de 1950, il parvient à surmonter cette difficulté, et c'est alors la série des chefs-d'œuvre où ne subsiste aucune impureté, parfait équilibre entre le souci de réalité et le caractère émotionnel du mélodrame, avec ses possibilités d'exagération qu'il n'aban­donne pas, osant parfois aborder des situations excessives proches de l'inspiration d'Abel Gance ou de King Vidor, plus appuyées que celles des films de John Ford. Ainsi Le Destin de Madame Yuki, qui ouvre la série des chefs-d'œuvre : l'idée de cette femme amoureuse sexuellement d'un mari qu'elle méprise souverainement et qui la dégoûte morale­ment et socialement, mais par lequel elle est physiquement attirée de manière irrésistible, crée une situation d'une vio­lence étonnante, dont Mizoguchi tire toutes les conséquences, et d'abord sociales. Ce qui est prodigieux, c'est qu'une fois qu'il a réussi à maîtriser ces situations - qu'il demande à ses scénaristes d'imaginer, ne voulant pas le faire lui-même -Mizoguchi peut faire craquer toutes les hypocrisies de la société. Et c'est par là que le discours passe, non pas par la forme du combat, et c'est pour cela qu'il ne sera jamais un militant militantiste, ce que lui reprochaient les gens de

gauche, mais par l'intensité, la vérité du portrait qui oblige à regarder comment fonctionne le monde. S'il ne pouvait pas disposer du matériau que constituent ces situations vio­lentes et mélodramatiques, Mizoguchi ne pouvait y parve­nir. D y était parvenu une première fois dans les deux films de 1936. Il lui faut attendre 1950, et une certaine libérali­sation du politique, pour reprendre sa recherche et sa démarche. C'est à partir de ce moment-là que va se poser à lui le problème de l'expression même de cette situation. On connaît l'exemple célèbre, la mort de Yang Kwei-Fei, scène dont il mettra trois jours à trouver la solution : quatre plans stupides, une robe qui traîne à terre, deux boucles d'oreille qui tombent sur le sol, des mules abandonnées sur la terre, ce que n'importe quel faiseur de clip ou de pub pourrait trouver. Et soudain ces plans se chargent d'une intensité et d'une violence émotionnelle, dévoilant la révolte cachée de la situation, le désintéressement sublime de la femme aimante face à la petitesse misérablement intéres­sée de son seigneur et maître. Mizoguchi nous entraîne au cœur même de l'idée et de sa force affective. La pensée, par un pouvoir souverain d'abstraction, transfigure ces quatre plans. C'est à mon avis là où se situe son génie : le fait d'al­ler toujours au bout de la situation. Quand on regarde La Rue de la honte, c'est une accumulation de situations mélo­dramatiques aberrantes. Et ça fonctionne comme le plus authentique reportage en direct qu'on ait jamais fait. Quand Mizoguchi disait qu'avec ce film il commençait à comprendre ce qu'on pouvait obtenir du cinématographe, c'est bien dans ce sens-là qu'il faut comprendre son travail : en aucun cas gommer le mélodrame mais, au contraire, l'accentuer pour en faire surgir la vérité. C'est là où il se démarque de Gance ou de Vidor qui jouent l'émotion pour l'émotion et l'in­tensifient intemporellement, la détachent du réel, alors que lui se sert de l'émotion pour dévoiler le réel.

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Dans sa dernière époque, Mizoguchi semble travailler en série. Les trois premiers films des années cinquante, Le Destin de Madame Yuki, Mademoiselle Oyu et La Dame de Musashino, forment une trilogie consacrée à la situation de la femme à l'époque contemporaine. Ce sont des situa­tions de vies de femmes plutôt bourgeoises et bovarystes qui mettent aussi en scène l'amour de l'homme pour ce type de femmes qu'on n'arrive pas vraiment à cerner, ces femmes de l'ondoyant. Ce sont vraiment des films qui fonctionnent ensemble, les uns par rapport aux autres, et il faut les voir l'un après l'autre. Vient ensuite une série de films sur l'an­cien temps, avec La Vie d'O'Haru, Les Contes de la lune vague et L'Intendant Sansho qu'il faut aussi voir ensemble, comme il faut voir la trilogie passionnante que constituent Les Musiciens de Gion, La Femme dont on parle et La Rue de la honte. Les Musiciens de Gion est consacré à l'image de la Geisha, une idée fausse idéalisée censée incarner la femme japonaise idéale face à sa réalité qui est celle de la prosti­tution de luxe. La Femme dont on parle est consacré aux demi-geishas, prostituées de Kyoto qui jouent à la geisha auprès de clients peu regardants. Dans le dernier, les personnages sont directement des putes de Tokyo, condition ultime de l'exploitation de la femme. Les Amants crucifiés, L'Impératrice Yang Kwei-Fei et Le Héros sacrilège font éclater le mensonge du rôle social octroyé à la femme qui ne résiste pas à la vérité d'elle-même que la femme revendique. Révolte du droit au désir dans Les Amants crucifiés. Soumission absolue de son propre désir à celui de l'homme dans L'Impératrice Yang Kwei-Fei. Préférence affichée pour le rôle de courtisane contre celui d'épouse-mère dans Le Héros sacrilège. Mizoguchi ne tourne pas un film après l'autre mais il a une idée secrète qui chemine de film en film, comme on le voit à travers l'en­trelacs de ces quatre trilogies.

Mizoguchi est un cinéaste du désir, lequel est toujours 10

violent dans ses films. Son cinéma, donc sa manière de filmer, sera lui aussi soumis à la loi impérieuse du désir. La base, c'est l'œil de la caméra qui filme avec un angle de vision que Mizoguchi identifie à celui du spectateur. Une ligne droite, partant de cet angle de vision, sera prise comme axe du désir et de son agressivité, donc de l'action. L'autre ligne sera l'axe défensif face au désir, l'axe du repli sur soi, donc de la contemplation. Le V de l'angle de vision devient sur l'écran le V qui sert de dispositif à la mise en scène. Très souvent il ferme le V qui a été ouvert par la caméra, en sorte que si l'on dessinait une figure de cette combinaison, cela formerait un losange. Dans le V visible sur l'écran, un axe, celui de l'agressivité du désir, est occupé par le masculin, l'autre est destiné à la femme qui cherche à se protéger de l'attaque. C'est la ligne de défense. Mizoguchi joue l'effet de miroir qu'il filme d'ailleurs en tant que tel et de manière très violente dans Les Musiciens de Gion. L'homme regarde intensément dans le miroir la femme qu'il désire et celle-ci se retourne sur elle-même, accomplit un mouvement à quatre-vingt-dix degrés pour tenter d'échapper à ce regard. Il est évident que la femme est l'objet central du désir et, à ce titre, elle doit obéir aux lois du masculin qui a fait le monde à son propre usage, en vue de sa propre jouissance. Comme ce n'est pas un rapport direct mais un rapport de réflexion, il est évident que l'homme ne regarde pas la femme mais le désir qu'il a d'elle. D'où l'importance chez Mizoguchi du travail sur tous les éléments de la féminité, et en parti­culier la manière dont, dès qu'un homme désire une femme, il fait disparaître le visage de cette femme pour ne nous lais­ser voir que l'étoffe d'un kimono, un geste, une attitude, bref une image fétichisée, érotisée du désir masculin. La femme n'existe plus en tant qu'être, elle n'est qu'un moyen de représenter et d'accentuer le désir de l'homme, elle devient une marchandise, un objet dont on peut disposer à sa guise, i l

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Cela concerne aussi le domaine politique et économique : à tous les niveaux, le masculin réduit et assujettit tout à son désir. Mais celui-ci débouche sur une contradiction dont la femme est le témoin et l'agent. Elle provoque le trouble puisque le désir toujours changeant l'empêche d'être elle-même, la rend en permanence fuyante, ondoyante, insai­sissable donc encore plus désirable. Il est extrêmement intéressant de voir que Mademoiselle Oyu, qui est pour moi le Vertigo de Mizoguchi, avec la scène finale sous la lune qui renvoie directement à L'Aurore de Murnau au point qu'on peut se demander si Mizoguchi ne s'en est pas souvenu, ne dit pas autre chose : on n'aime pas une femme. On est tel­lement troublé par son sexe dont on n'accepte pas la réalité qu'il faut le rêver et accéder à sa réalité dans une sorte de vertige quasi inconscient. Mademoiselle Oyu est très expli­cite sur le désir chez Mizoguchi. Cette représentation de la femme en tant que désir pose clairement la question de ce que l'homme désire vraiment dans la femme. C'est cette espèce de perdition du masculin dans le féminin que Mademoiselle Oyu manifeste. Mais c'est très net aussi dans Le Destin de Madame Yuki et La Dame de Mushashino, film qui, par ailleurs, met en jeu la fin d'une époque et le début de l'ère moderne avec Tokyo dont la campagne environ­nante s'apprête à devenir la banlieue.

Parler de modernité à propos de Mizoguchi n'est pas vraiment à propos car il appartient aux très grands clas­siques. C'est comme si on parlait de modernité chez Chaplin ou Renoir. Parce qu'ils sont de grands classiques contem­porains, ils portent nécessairement une part de modernité. Comme Dreyer. La modernité d'un cinéaste comme Mizoguchi vient de ce qu'il n'a de cesse de faire surgir le vrai du réel, en jouant évidemment sur tous les réels, c'est-à-dire le réel-même, le symbolique et l'imaginaire. Tous ses films reposent sur ces trois données et font l'expérience 12

de leur contradiction. Ses personnages cherchent à se réfu­gier dans l'imaginaire, donc dans le rêve et la beauté, ils sont perdants par rapport au réel du monde. Mais ce réel est celui de l'argent, et l'argent est une fausse valeur. La valeur authentique, intime, est complètement sacrifiée et bafouée. Mizoguchi ne fait que constater qu'une réalité fausse l'em­porte au nom de la réalité sur la réalité vraie. C'est là où son cinéma est vraiment politique, engagé. Par là sa pensée recoupe quelques traits de la modernité. En particulier sur l'art de l'ellipse, sur ce qui doit être retenu d'un plan et ce qui doit en être éliminé. (On sait l'admiration que Mizoguchi portait à Lubitsch.) Par exemple, il ne travaille jamais un raccord en continuité. Tous les plans sont sépa­rés par une coupe franche, qui fait rupture et qui ne fonc­tionne pas en rupture, à la différence du montage d'Ozu qui joue, lui, l'effet visuel de rupture. Pourtant, la plupart des ruptures de Mizoguchi sont dix fois plus frappantes que celles d'Ozu. En cela, il va dans le même sens que Fritz Lang. C'est que l'un et l'autre montrent le désir en tant que projection, donc chaque plan nouveau perturbe et ren­chérit cette projection. Simplement Mizoguchi échappe au caractère obsessionnel qui caractérise le cinéma de Lang et sa systématique de la logique de causalité. Mizoguchi conserve la nécessité causale du projecuf. Puisqu'il travaille sur les deux axes, l'axe agressif de l'action et l'axe réflexif de la contemplation, on est placé dans la position d'une vision totale où l'on assiste à l'événement et où l'on éprouve ce que ressentent les personnages par rapport à ce choc évé­nementiel. Dans ce travail, il y a projection constante d'une pensée qui dépasse de très loin la simple action ou la simple contemplation. On est tellement mis au centre de l'œil de la caméra d'où part l'angle de vision que l'on change de plans avec une sensation de continuité, y compris au niveau narratif, alors que les ruptures sont incroyables. Dans aucun 13

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film on ne trouvera jamais un plan qui raccorde - dans le sens que l'on donne à la notion de raccord en théorie du montage - avec un autre plan. Mizoguchi se permet parfois des audaces stupéfiantes. Pour mémoire, celle des Contes de la lune vague : le potier rentre chez lui, croit retrouver sa femme et soudain on découvre qu'elle n'est pas, ne sera jamais plus au foyer. Un pur travail sur l'espace, transfor­mer un espace réel en un espace mental, et ce par un jeu de coupes. Cette modernité, Mizoguchi ne la donne ni à voir, ni à admirer, ce que l'on peut reprocher quelquefois à Ozu. Chez Mizoguchi, tout est ellipse, rien n'apparaît comme un procédé. Il filme la pure idée de l'action et de la contem­plation, jamais la chose, toujours l'idée de la chose. C'est aussi pourquoi il a réussi à éliminer le danger des situations trop mélodramatiques, ce qui est flagrant dans La Rue de la honte. Le souci du réel banalise la situation extrême de cha­cune des femmes. La précipitation des catastrophes vers la fin du film semble obéir à la loi normale des séries, fus­sent-elles noires. Mizoguchi est le seul cinéaste à avoir mon­tré comment ses personnages se comportaient sexuellement, dans La Rue de la honte, par des détails précis, quasiment cliniques, on sait comment chaque femme fait l'amour et quel est son rapport au sexe. Même Renoir n'est pas aussi précis. Le travail sur le temps est également lié à la notion de modernité de Mizoguchi. Certes il travaille le temps qua­litatif, en particulier dans cette façon de faire durer le plan pour ressentir l'intensité qualitative de l'émotion vécue mais, en même temps, il le fait durer de manière à en faire du temps réel. La durée du plan devient, seconde après seconde, quantitative.

Mizoguchi est un cinéaste de la cruauté, comme Renoir. Ils veulent tous deux constamment mettre en évidence la vérité dans le tissu complexe du réel, constitué d'illusions, de mensonges et de conscience aiguë. Leur démarche 14

cherche à faire surgir ces moments de vérité qui sont des moments de déchirures forcément cruels. Ce sont des cinéastes qui veulent comprendre le réel sans idée précon­çue : voir exactement ce qui est, sans aucune illusion. Mizoguchi fut un pauvre. Il sait ce que c'est que d'être exploité. Il prend le parti des exploités. Il fait un cinéma politique, mais il refuse d'en faire un cinéma de combat. Dans L'Intendant Sansho, il émet l'idée qu'on ne peut pas révolutionner le monde, on peut juste, juste un tout petit peu, révolutionner. Tel est pour lui le rôle et la mission de l'artiste. C'est la grande différence avec Brecht qui croit au pouvoir militant de la représentation. Mizoguchi sait que cette idée fait partie des illusions et que la seule chose qui soit importante est de faire prendre conscience de la façon la plus minime, comme le personnage de Zushio dans L'Intendant Sansho qui fait un acte politique inutile parce qu'il sait que cet acte fera accéder à une prise de conscience qui, si minime soit-elle, apportera une petite amélioration dans l'évolution du monde. Touche après touche, Mizoguchi rejoint aussi les grandes options politiques du cinéma du xx* siècle, en particulier celles du cinéma soviétique. Comme Eisenstein, Mizoguchi refuse le happy-end. Pour lui ce qui est important, c'est que le sort des personnages se ter­mine sur l'écran d'une façon malheureuse afin que la sen­sibilité du public se révolte contre cette infortune. C'est à la fois profondément pessimiste sur la possibilité d'amé­liorer l'homme et profondément optimiste puisqu'une goutte d'eau dans la mer peut, si demain on y ajoute une autre goutte, modifier l'histoire universelle.

J .D.

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Yoshikata Yodafut le scénariste de tous les grands films de Mizoguchi à partir de 1936 : L'Élégie d'Osaka, Les Sœurs de Gion, Les Femmes de la nuit. Mademoiselle Oyu, La Vie d'O Haru, femme galante, Les Contes de la lune vague après la pluie, L'Intendant Sansho, La Femme dont on parle, Les Amants crucifiés, L'Impératrice Yang Kwei-fei, Le Héros sacrilège, La Rue de la Honte... Yoda est né à f&oto en 1909, dix ans après Mizoguchi. En 1930 il entra, comme scénariste, à la Nikkatsu, la première compagnie du cinéma japonais. À la suite de différentes circonstances, il travailla avec les compagnies Daiichi Eiga, Shinko Kmema et Daiei En 1948, il est devenu scénariste indé­pendant : ainsi a-t-il été le compagnon de route de Mizoguchi et du cinéma japonais, du moins depuis leur véritable départ. Chronique d'un homme de cinéma, les textes qui survent sont un recueil de souvenirs personnels, de documents précieux, et de réflexions sur Mizoguchi et le cinéma japonais en général. Yoda, qui a vécu près de vingt ans aux côtés du cinéaste, raconte, comme en un roman-fleuve ou sur un rouleau de peintures japonaises, l'histoire de Mizoguchi, sorte de documentaire sur l'homme et son art : ses rêves, ses joies, ses peines, sa vision des choses, son style, sa vie... On trouvera dans ces textes l'amour (et la révolte) d'un fils pour son père, le respect (et le défi) d'un disciple pour son maître, l'admiration (et la critique) d'un cinéphile pour son cinéaste favori, l'enthousiasme d'un collaborateur à l'égard d'un patron vénéré, bref l'attitude parfaite et nécessaire d'un scénariste vis-à-vis de son metteur en scène. Le texte est écrit sous forme de lettre; en effet Yoshi­kata Yoda avait couché ses souvenirs sur papier à la demande du rédacteur en chef de la revue Japonaise Eiga Geijutsu. (Plus tard, il a réuni ces textes dans un livre publié au Japon sous le titre La vie et l'œuvre de Kenji Mizoguchi.) Il est empli de tournures et d'expres­sions parfois un peu trop spécifiques delà « poétique » nationale : déli­catesse, subtilité, naïveté, en même temps que certaines exagérations illo­giques.

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Souvenirs de Kenji Mizoguchi

Yoshikata Yoda

Monsieur le Rédacteur en Chef. Vous m'avez demandé d'écrire quelques mots sur Kenji

Mizogucm, ce qui me fait réellement grand plaisir. Depuis sa mort, cinq ans ont passé et en août prochain aura lieu l'anniversaire de sa disparition. De jour en jour, je ne puis m'empêcher de penser à ce qu'il a laissé de grand au cinéma japonais.

Après sa mort, le festival de Venise a organisé une rétros­pective en son honneur, qui fut la seconde après celle dédiée à Charles Chaplin. Cette année encore, le festival de Cannes doit consacrer un hommage à Mizoguchi, orga­nisé et présenté par M. André Cayatte. Et je suis extrê­mement heureux de savoir que les jeunes cinéastes de la Nouvelle Vague s'intéressent aux recherches sur Mizoguchi.

Je ne suis pas certain de pouvoir pénétrer la substance de son art, mais, ayant côtoyé Mizoguchi et travaillé avec lui pendant vingt ans, j'ai accumulé beaucoup de souve-17

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nirs que je voudrais écrire et, espérant que cela pourra contribuer aux recherches sur son art et sur sa person­nalité, je me suis persuadé d'accepter votre demande.

Or, j'ai réfléchi sur la façon de présenter Mizoguchi ; d'autres que moi ont déjà publié des biographies et je ne me sens pas de taille à en faire une autre, et compiler des documents chronologiques ne correspond pas non plus à mes intentions. Après maintes réflexions, je me suis permis de développer mon article dans la mesure où j'ai eu des contacts avec lui, et je vous demande d'accepter que cet article soit écrit sous la forme d'une lettre à vous adressée, parce que cela me gêne d'écrire sérieusement un tel article.

En me demandant, tard dans la nuit, par quoi j'allais commencer, j 'ai entendu « Mizo-san » (comme ses amis l'appelaient) me dire : « Tu es toujours là à gaspiller ton temps pour des choses comme ça ! Tu ferais mieux de pen­ser à écrire un bon scénario. Ne perds pas ton temps. Laisse tomber. Les jeunes vont te dépasser. » J'ai alors répondu, effrayé et discret comme s'il m'engueulait : « Je voudrais quand même laisser quelque chose à votre sujet ». « Mizoguchi, peu importe, il faut le dépasser, comprends-tu? - Mais c'est impossible - Quoi! Si tu n'arrives pas à réaliser ce que je n'ai pu faire, tu ne mérites pas de vivre. Il faut surpasser Mizoguchi. À écrire ces brouillons, c'est foutu. Tu sais bien qu'en ce moment, le monde du cinéma est terrible ! Penses-y, ne te laisse pas aller ».

Je crois le voir marcher, irrité, redressant l'épaule droite avec arrogance, tournant autour du bureau. En effet, Mizo-san n'a jamais écrit de « brouillons » pour les revues et les journaux. S'il demeure des écrits signés de Kenji Mizoguchi, ils ont été élaborés à sa place par ses assistants - metteurs en scène, soit M. Terakado, soit M. Takagi et, à la fin de sa vie, par M. Kyuichi Tsuji. Lorsqu'il me reprochait d'écrire 18

des brouillons ou des poèmes, je ripostais : « J'ai mes idées ». Alors Mizoguchi répliquait : « Eh bien ! ne continue plus à écrire mes scénarios. Je n'ai pas le temps de goûter le bon temps avec toi. Je te demande de consacrer toute ta pas­sion à la création cinématographique, et à m'aider. »

fl n'aimait pas non plus répondre aux journalistes dans les interviews, et c'était toujours nous - les régisseurs ou moi - qui répondions à sa place.

Il ne manifestait aucun intérêt particulier pour autre chose que pour son travail. Il avait horreur du jeu. À l'époque de la compagnie Daiichi Eiga, je crois, il avait acheté un appareil « Leica » qu'il tripota pendant un cer­tain temps, mais sans chercher, semblait-il, à faire des « photos d'art ». Il s'en débarrassa rapidement. À propos de photos, voici une autre histoire. Lorsque j'ai accom­pagné Mizo-san au Festival de Venise pour la présentation de Ugetsu Monogatari (Les Contes de la Lune Vague après la Pluie), j'ai pris beaucoup de photos de lui. Cela lui déplai­sait : « C'est un travail d'amateur que de prendre des pho­tos, et en faisant trop confiance à l'objectif, on appauvrit sa façon de voir. Moi, je mets tout dans ma tête. Arrête. » Et comme je lui répondais que je voulais conserver des souvenirs, car je ne viendrais pas souvent en cet endroit, il me dit : « C'est sans importance. Ce n'est que du sen­timentalisme de mauvais goût. » « Ne voulez-vous pas les montrer à votre famille et à vos amis, à votre retour? » « Je me fous des autres. Pour moi, ça suffit. »

Il ne voulait pas se laisser photographier. Je me suis donné beaucoup de mal pour prendre des photos de lui, en cachette. D sembla finalement s'y résigner, me consi­dérant comme une sorte d'enfant pénible, mais, de retour au Japon, une fois les diapositives développées, il est venu spécialement chez moi, en compagnie de Kinuyo Tanaka, pour me demander de les lui montrer. « Elles sont bonnes », 19

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me dit-il. Bien entendu, j 'en étais contrarié. Peut-être disait-il cela parce qu'il y avait de bonnes photos de Kinuyo Tanaka, à qui il voulait faire plaisir.

Un de ses meilleurs amis disait : « Mizo-san n'aime pas être photographié parce qu'il est astigmate ». J'en doute. Certains disent que Mizo-san n'aimait pas écrire parce qu'il écrivait mal, mais ce n'était pas tout à fait cela non plus. Je pense plutôt qu'il était timide et embarrassé, et que, d'autre part, il ne s'intéressait qu'à son métier. À l'âge de quarante ans, il sembla s'intéresser aux statues de pierre et au jardinage, et à cinquante ans, il se passionnait pour les assiettes et les jarres anciennes. S'il lui arrivait de se laisser rouler par un antiquaire, il savait s'en amuser, et cela ne le préoccupait pas. « Il faut que tout soit utile au travail, disait-il, à part cela, collectionner des antiquités ne serait guère passionnant ».

Je me souviens qu'un jour, il m'a dit : « N'as-tu jamais été séduit par une belle jarre ? Toi, non. Toi, tu n'as pas ce sens-là. Il faut savoir céder à l'enchantement des objets artisanaux. Enfin, es-tu capable d'être ému par quelque chose ? » J'ai répondu : « Oui, bien sûr. » Il a répliqué : « Non, non, je ne crois pas. Toi, tu es un type froid, je le sais bien. Moi, quand je regarde une belle jarre, je ne puis m'empêcher d'en être charmé jusqu'au point de rester à l'admirer tard dans la nuit ». Là, j'ai perdu un point. Car, en effet, jusqu'alors, je ne m'étais guère intéressé à la beauté des jarres. J'avais même une sorte d'hostilité irraisonnée contre ce genre de beauté. À ces mots de Mizo-san, j'ai repensé à mon attitude, et je me suis un peu reproché de ne pas accorder d'attention aux objets. Cependant, est-il vrai que Mizo-san était ravi par la contemplation d'une belle jarre? Ne s'efforçait-il pas plutôt de se montrer ravi? Ne s'agissait-il pas là d'une confession voilée? Bien sûr, il possédait le don de discerner la beauté, mais son sens esthé-20

tique était si rigoureux que Mizo-san ne pouvait pas s'y abandonner comme à une ivresse. À la fin de sa vie, il s'in­téressait à l'écriture au pinceau. « C'est très amusant. Je te donnerai une calligraphie. On écrit avec un bambou. C'est de bon goût, le bambou », me disait-il. Mais je sus par sa femme que, lorsqu'il était de bonne humeur, il buvait du saké, il étalait par terre un grand nombre de feuilles de papier, les couvrait de signes, et déclarait que cela ne lui plaisait pas. Il les déchirait et les jetait. Il ne reste donc presque pas de calligraphies de Mizoguchi. Un jour, il est arrivé chez moi, de très bonne humeur, en criant : « Je t'ap­porte une de mes calligraphies. Enfin, j'ai réussi à faire ce que je voulais ». Il accrocha son œuvre au mur et me demanda, mi-gêné, mi-fier de lui, ce que j'en pensais. Cette calligraphie signifiait : « S'il vient un visiteur, ayons le regard clair ». Mizo-san voulait dire par là, je pense, que face à toute chose, qu'il s'agisse d'une personne ou d'un évé­nement, il convenait de ne pas se tromper, et de l'envi­sager avec un regard lucide. Cette calligraphie, définissant l'attitude de Mizo-san, est devenue fort précieuse, car c'est la seule qui nous reste, et sa femme aimerait bien la pos­séder.

Il réagissait de même face à son œuvre. Il ne retournait jamais voir ses films, après la première projection, à moins d'y être contraint. Il disait : « Ce qu'on a créé, ce n'est que du vent, de la merde, ce n'est que de la chiasse. Après m'être efforcé avec beaucoup de peine de produire quelque chose, cela ne m'intéresse plus. Il est détestable, celui qui se satisfait de contempler sa propre chiasse ».

Il aimait beaucoup, d'autre part, cette phrase du Zen : « À l'origine, l'homme n'a rien ». « L'homme n'a rien à l'origine, répétait-il, et je n'ai besoin de rien. Je méprise ceux qui s'attachent à leur propriété. Je n'ai pas besoin de maison, et si j 'en avais une, je la vendrais. Je n'ai besoin ni 21

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de parents, ni d'épouses, ni d'enfants. Toi aussi, tu dois penser ainsi. » Cependant, il faisait agrandir sa maison, et s'intéressait au jardinage.

En somme, il se répétait : « Travail, travail ! », en s'ef-forçant de concentrer sa passion et son énergie sur la créa-non cinématographique, semblant craindre l'éparpillement de son enthousiasme. On disait de lui qu'il était un bour­reau de travail, mais cette expression toute faite est loin de rendre compte de son véritable caractère. Quand Mizoguchi créait, il était d'une part emporté par un désir violent, proche de la folie, et d'autre part, il offrait l'image pitoyable d'un démon affamé qui courtisait le Travail. Je pense que, chez Mizoguchi, il y avait un combat mortel, digne des enfers, entre la noblesse cruelle d'un esprit dia­bolique qui demeurait insatisfait jusqu'à la réalisation totale de son but, et la laideur d'un mendiant traqué, apeuré et affamé, à la recherche d'un grain de riz. Il y avait en lui à la fois un ermite sensible à l'instabilité de la vie et, en même temps, un spectre plein de désirs inassouvis.

Mizo-san, certains matins, était plein de colère et d'en­vie à l'égard des gens qui, après avoir économisé de l'ar­gent, pouvaient s'acheter une voiture, et le soir, furieux de sa colère du matin, il avait pitié de ces gens-là, et il buvait du saké pour se consoler, en se disant que seul dans la vie compte le travail. Ce faisant, il se reprochait la paresse qui le faisait s'adonner à l'alcool. Et il se frappait le crâne, de toutes ses forces, en se répétant ; « Idiot, idiot ! » En se disant qu'il ne fallait pas céder à la direction de la Compagnie, ni se laisser dépasser par les jeunes, il exci­tait sa volonté de combat, et il raidissait tout son corps. Il n'était jamais ce que l'on appelle un grand homme, ou un monstre. Au fond, il était un faible. Et c'est pour sur­monter cette faiblesse qu'il s'efforçait de devenir fort et grand. Il était en lutte perpétuelle contre les contradic-22

rions qui le hantaient. Et il relevait orgueilleusement son épaule droite. M. Matsutaro Kawaguchi, qui fut l'un de ses camarades de classe, disait que c'était une habitude qu'il avait depuis l'enfance. A cette époque-là, Mizoguchi appartenait à la seule classe mixte de son école, et les gar­çons de cette classe étaient tous faibles physiquement : les autres garçons les traitaient avec mépris comme s'ils étaient des petites filles. « Mizoguchi était un enfant très gentil. On ne pouvait pas l'imaginer méchant ou violent », a dit M. Kawaguchi dans une émission de la N.H.K (Télévision Nationale). Si ce garçon, aimable et timide, relevait déjà son épaule droite, c'est que, luttant contre son complexe d'infériorité, il montrait à ses camarades sa résistance au mépris, et il serrait les dents. Il ne fallait pas qu'il s'aban­donne à la faiblesse : cette décision ne l'a jamais quitté. Il voulait essayer de forger sa personnalité, parfois avec des intentions morales ou religieuses. Mais aussitôt après, reniant cette attitude, il voulait faire semblant d'être impla­cable. On savait très bien qu'il devenait violent lorsqu'il était ivre : dans sa jeunesse, quand il buvait du saké, il fai­sait exprès de renverser la table, et il décoiffait les gei­shas en compagnie desquelles il buvait. Ce n'était jamais, je crois, par méchanceté. En effet, Mizo-san était un homme qui voulait toujours vivre honnêtement, sincère­ment, et en homme.

Je me souviens, comme si c'était hier, que pour parfaire mes scénarios, je secouais mon faible corps, en songeant, presque désespérément, à tous les obstacles qu'il me faudrait franchir, et qui me seraient posés par Mizo-san. « Aie plus de force, creuse plus profondément. Il faut saisir l 'homme, non pas dans quelques-uns de ses aspects superficiels, mais dans sa totalité. Il nous faut savoir qu'il nous manque, à nous autres, Japonais, toutes les visions idéologiques : la vision de la vie, la vision de 23

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l'univers... » Totalement découragé par ces paroles de Mizo-san, et me désolant moi-même de la faiblesse de mon cerveau, j'essayais d'écrire, sans jamais être sûr de moi. Le téléphone sonnait : « Mizoguchi à l'appareil! Merci de la peine que tu te donnes. Ça marche? - Eh bien... je fais des efforts. - Tu fais des efforts, bon. Mais ça ne suffit pas. On attend. Pour moi comme pour la Compagnie, chaque minute coûte cher, chaque seconde est une perte. - Je sais bien. J'essaie de finir ça très vite. - Ce n'est pas bien de finir ça très vite. Cela ne sert à rien si c'est un texte qu'il faut refaire ensuite. Je veux scénario et découpage prêts pour demain. -Je comprends, je comprends. Je le ferai. - Je te le demande. Appelle-moi chaque fois que tu en auras besoin. Je suis toujours prêt à venir chez toi. Mais, allons, tu peux te débrouiller tout seul, ça n'est pas tellement difficile. Consacre beaucoup de temps à ton travail, la Compagnie l'acceptera. Écris-moi quelque chose de bon. » Après m'être libéré de cette torture téléphonique, je me remettais à mon bureau, et continuais mon travail avec presque un sentiment de haine : « On va voir. Je le ferai... ». Je ne garde que des souvenirs pénibles de mon travail avec Mizoguchi.

Mizoguchi est né le 16 mai 1898 à Tokyo. Il avait une sœur aînée, et un frère cadet. Son père, Zentaro Mizoguchi, charpentier-menuisier, était un bonhomme fruste et peu sociable. Et la famille était très pauvre, à l'époque où Mizoguchi commença à aller à l'école primaire. D'après ce que rapporte M. Matsutaro Kawaguchi, il n'y avait alors que des écoles privées. Et la première école communale ne s'établit qu'à la seconde année d'études de Mizoguchi. Mizoguchi et Kawaguchi, je l'ai déjà dit, étaient compa­gnons de classe. L'année suivante, une autre école com­munale fut construite près de chez Kawaguchi, et les deux 24

amis durent se séparer. Durant de longues années, ils ne se fréquentèrent plus.

Après la guerre, un soir, alors que nous préparions le scénario de Yoru no Onnatachi (Les Femmes de la nuit -1948), Mizo-san m'emmena à Yoshiwara, le quartier des plaisirs, afin d'étudier sur place le mode de vie des filles travaillant dans les maisons closes. En rentrant, il m'a dit : « Ma famille habitait un peu plus loin. Nous vivions dans une misère terrible. Mon père était le type même de P« edokko » (habitant de Tokyo) qui se nourrissait de grands rêves et échouait souvent. Il pensait pouvoir ne pas demeu­rer éternellement un simple charpentier. En réfléchis­sant au sujet de la guerre russo-japonaise (1904-1905), il eut une idée : celle de fabriquer des manteaux de caout­chouc pour les soldats. Je ne sais comment il s'est débrouillé afin de trouver assez d'argent pour mettre cette affaire sur pied. Effectivement, il avait eu une bonne idée. Mais, hélas, trop tard ! Il était sur le point de vendre ces manteaux, lorsque la guerre s'est terminée. Hein! Qu'en penses-tu? » Et Mizo-san s'efforçait de sourire, un peu gêné. Une fois la guerre terminée, son père s'est mis à fabriquer des lanières, en utilisant les manteaux désormais inutilisables. Il en vendit un certain nombre, mais ne parvint pas à com­bler son déficit. Sa maison fut saisie. Mizo-san m'a confié qu'il se souvenait d'avoir pris des repas, avec sa famille, assis sur un unique tatami (sorte de natte de paille, de 2 m sur 1 m), dans la maison vide.

Sa famille ne pouvant plus l'envoyer à l'école supérieure, Mizo-san, comme il aimait la peinture, s'en alla faire son apprentissage chez un dessinateur de yukata (kimono d'été). Songea-t-il à devenir peintre? Il commença à fréquenter l'Institut des Hautes Etudes Picturales Occidentales à Tokyo. À 17 ans, il perdit sa mère. Sa grande sœur l'en­voya à Nagoya (ville portuaire, l'une des principales du 25

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Japon, très commerçante), afin qu'il puisse y chercher un métier. Mais, à peine venait-il d'arriver à la gare de Nagoya que, changeant de quai, il reprenait le train pour Tokyo. Il avait ce côté égoïste, indifférent à autrui, ne pou­vant supporter quelque chose qu'il n'aimait pas, refu­sant ce qu'il venait à peine d'obtenir. Mais je pense que ses actes manifestaient bien autre chose qu'un simple égoïsme ou qu'une pure fantaisie. Bien sûr, à l'époque de son voyage à Nagoya, il était tout jeune, et sans doute quelque peu écervelé. Cependant, il devait avoir bien réflé­chi avant d'accepter de partir pour cette ville. S'il avait été plus fort et plus résolu, il n'aurait pas repris le train et se serait accommodé d'une situation provisoire.

D voulait, malgré tout, trouver un métier convenable, et s'étant présenté à l'examen d'un journal de Kobe (un des centres de la civilisation du Kansaï, région sud-ouest), il fut engagé comme dessinateur d'affiches. C'était en 1918, il avait dix-neuf ans. Parallèlement à son métier de des­sinateur, il participait aux activités du service politico-social du journal. Comme le dit M. Matsuo Kishi dans sa biographie de Mizoguchi, il a dû voir de près le mouve­ment socialiste-chrétien organisé par l'écrivain Toyohiko Kagawa dans les bas-fonds de Kobe. La même année, la révolution d'Octobre éclata en Russie, et, au mois d'août 1919, eurent lieu, un peu partout au Japon, les fameuses « émeutes du riz ». M. Kishi dit que Mizoguchi avait alors la nostalgie de Tokyo, ce qui signifie, je pense, que cette agitation sociale le laissait impassible.

D resta un an à Kobe, et, quittant un jour le journal sans en avoir demandé l'autorisation, il retourna à Tokyo, vêtu, le plus naturellement du monde, des habits d'un de ses camarades de pension.

Il menait à Tokyo une vie instable, visitant le musée d'Uéno, fréquentant les petits théâtres populaires, entrant 26

au hasard dans les établissements de bains publics, qu'il aimait bien. Deux ans durant, cette vie de vagabondage enrichit son esprit, puis il entra à la Compagnie de films Nikkatsu. À cette époque, le cinéma était considéré comme un métier de voyous, aussi fut-il difficile à Mizoguchi de faire admettre à sa sœur et à son père le fait d'aller travailler aux studios de Mukojima. On raconte que Mizoguchi est entré à la Nikkatsu grâce à un acteur de cette compagnie, qui venait prendre des leçons de biwa (sorte de luth) chez un de leurs amis communs. Cet acteur, nommé Tomioka, le mit en contact avec un jeune meneur en scène, Osamu Wakayama, qui le recommanda à la direction de la Compagnie. Ainsi commença la carrière d'un grand cinéaste. C'était en juin 1921. Mizoguchi avait vingt-trois ans.

M. Kishi dit que Mizoguchi voulait tout d'abord deve­nir acteur, ce qui m'étonne. Jamais je n'ai entendu Mizo-san en parler. Il est vrai qu'alors l'autorité d'un metteur en scène était contestée, et que faire du cinéma signifiait tout bonnement faire l'acteur. Quoi qu'il en soit, Mizoguchi débuta comme assistant de Tadashi Oguchi. Le rôle d'un assistant-metteur en scène n'était pas encore défini. Ce dernier s'occupait surtout des relations avec l'équipe pen­dant le tournage. « Il vient de neiger. Or, nous devons pré­cisément tourner des plans de neige. Je cours à droite et à gauche pour essayer de réunir toute l'équipe. Personne n'est là. Quand, enfin, j 'ai pu réunir tout le monde, il n'y a plus de neige... C'était toujours comme ça... », me disait Mizoguchi.

Je me permets maintenant de citer un paragraphe de la biographie de Mizoguchi par M. Kishi :

« À cette époque, les films « Shimpa » (on appelait « Kyugeki » - école ancienne - les films historiques, et « Shimpa » - école nouvelle - les films modernes) de Mukojima étaient des films mélodramatiques et pleurni-27

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chards, accompagnés par un orchestre, et pompeusement expliqués par un benshi (commentateur), qui connais­sait autant de succès que les vedettes. Parmi celles-ci, le succès de Teinosuke Kinugasa en tant qu'« Oyama » (acteur spécialisé dans les rôles féminins) était considérable. Mais, face à un nouveau mouvement du cinéma dramatique (en 1920, deux nouvelles compagnies de films, Taisho Katsudo et Shochiku, furent créées ; elles utilisaient de véritables actrices à la place des Oyama), les studios de Mukojima ne pouvaient plus se confiner dans ce genre. Ils créèrent une troisième section et utilisèrent également des actrices. Cela était fort ambitieux, mais ne marcha guère. La troi­sième section fut supprimée. L'importance des Oyama demeurait comme un cancer. Pour tenter de la détruire, la direction de la-Nikkatsu congédia, au printemps 1922, dix-huit Oyama, dont Teinosuke Kinugasa. À la suite de ces bouleversements, Mizoguchi, brusquement, fut nommé metteur en scène. Il avait vingt-quatre ans. Son premier film fut Ai ni Yomigaeru Hi (Le Jour où revit l'amour), et l'interprète en était Takeo Oguri, Oyama qui remplaçait Kinugasa. Le film ressemblait déjà aux films à thèse qui allaient devenir à la mode un peu plus tard, et il fut mutilé par la censure. Mizoguchi était jeune, et n'avait peur de rien. Il ne tenait aucun compte du rôle des « benshi », et attachait beaucoup d'importance aux intertitres. Plusieurs fois, les « benshi » manifestèrent leur colère à son égard, et tentèrent de le faire congédier.

Le caractère de Mizo-san apparaît ici très clairement. H manifesta toute sa vie cet esprit d'initiative, défiant les forces qui s'opposaient à lui. D'après lui, son film fut cen­suré à cause de scènes où l'on voyait des paysans se révol­ter contre les riches. Pour maintenir la cohérence de l'histoire, il a essayé de relier entre eux les morceaux du film épargnés par la censure, en introduisant différents 28

effets de biwa (luth japonais) : ainsi le film est-il devenu une histoire de biwa.

À cette époque-là, Mizo-san était très influencé par les œuvres du metteur en scène Kensaku Suzuki qui, bien qu'ap­partenant au « Shimpa », avaient su créer un style réaliste.

À la suite de Ai ni Yomigaeru Hi, il a réalisé Furusato (Le Pays natal, en 1923). En 1923, il a tourné : Seishun no Yumeji (Rêves de jeunesse), Joen no Chimata (La Ville de flamme et de passion), Haizan no Uta wa Kanashi (Triste est la chanson des vaincus) ,813 , Chi to Rei (Le Sang et l'âme), Kiri no Minato (Le Port des brumes), Yoru (La Nuit), Haikyo no Naka (Dans les ruines). Au mois de septembre de la même année eut lieu un grand tremblement de terre dans la plaine de Tokyo. Le studio de Mukojima ne fut pas détruit, mais la Nikkatsu déménagea à Kyoto, où Mizoguchi partit avec elle.

J'étais alors étudiant à l'École supérieure de commerce de Kyoto. Mon père est mort lorsque j'avais onze ans, mon grand frère a été mobilisé peu après. Ma famille travaillait dans la teinturerie, branche que ma mère a abandonnée pour tenir une pâtisserie. Tout en allant à l'école, j'aidais ma mère, et j'assistais à des rencontres poétiques. Près de chez moi se trouvait le studio de la Nikkatsu. C'était un grand bâtiment tout en verre, car les équipements d'éclai­rages étaient encore rares. Les toits de verre permettaient de profiter au maximum de la lumière naturelle.

Lorsque j'étais écolier, j'avais vu quelques films étran­gers, tels que Zigomar, Les Gants rouges, etc. mais je n'ai­mais pas tellement le cinéma. Quand j'avais quatorze ans, une équipe de cinéastes était venue, dans la cour de mon école, tourner des plans du film Daichi wa Hohoemu (Le Sourire de notre terre, 1925). La vedette en était Eiji Nakano. Je regardais le travail de l'équipe avec indifférence, et je ne me doutais pas que ce type debout, à côté de la caméra, 29

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avec une casquette, qui se donnait de grands airs, serait le maître de la moitié de ma vie. En effet, Mizo-san tournait ce film à la place de Minora Murata, qui était tombé malade. Je me permets de citer un autre paragraphe de la biogra­phie de M. Kishi, rendant compte de l'activité de Mizoguchi depuis son arrivée à Kyoto : « Pour Mizoguchi, un grand ennemi apparût : Minora Murata. Formé par Kaoru Osanai, premier homme du théâtre moderne japonais, il fonda une revue artistique, participa aux activités de l'Association Artistique du Cinéma, puis, entrant à la Compagnie Shochiku, il réalisa des films tels que Rojo no Reikon (Ames sur la route, 1921). On le considérait comme un jeune met­teur en scène plein d'avenir qui se consacrait au dévelop­pement du mouvement cinématographique. Puis, après être entré à la Nikkatsu, il y réalisa successivement trois chefs-d'œuvre influencés par l'esprit du théâtre moderne : Omitsu to Seizaburo (Omitsu et Seizaburo, 1923), Seisaku no Tsuma (La Femme de Seisaka, 1924), Osumi to Haha (O'sumi et sa mère, 1924).

A la même époque, plusieurs amis se réunissaient sou­vent chez Mizoguchi, encore célibataire, pour discuter d'art et parler de leurs rêves cinématographiques. Parmi eux, il y avait Eitaro Tokida, disciple du romancier Junichiro Tanizaki (auteur du roman « Les Quatre sœurs », et de Mademoiselle Oyu, de Mizoguchi), qui s'efforçait d'écrire un scénario d'après un des recueils de contes de Tanizaki, pour le metteur en scène Kensaku Suzuki. Mizoguchi admirait depuis quelques temps le mouvement du théâtre moderne organisé par Kaoru Osanai, et, au contact de ces amis, il se prit à reconsidérer ce qu'il avait fait jusqu'alors. Cette réflexion provoqua chez lui une première crise.

Mizoguchi réalisa : Toge no Uta (Le Chant du col, 1923), adaptation d'une pièce de théâtre irlandaise, Kanashiki Hakuchi (Le Triste Idiot, 1924), d'après une idée originale, 30

Gendai no Joo (La Reine des Temps modernes, 1924), sur un scénario de Minora Murata, film assez plat qu'il fit parce qu'on lui accorda une vedette, Josei ma Tsuyoshi (Les Femmes sont fortes, 1924), basé sur un fait-divers réel. Après tous ces films sans grande originalité, il a faitjw Kyo (Le Monde ici-bas, 1924), en travaillant avec Kaoru Osanai, qui avait écrit un livre à l'intention de Denmei Suzuki, nouvel acteur de la Nikkatsu. Mizoguchi était assez satisfait de la réali­sation de ce film, malheureusement accueilli par des cri­tiques hostiles et partiales. C'est à ce moment-là que Mizo-san a de nouveau rencontré, dix ans après leur sépa­ration, son ancien camarade de classe, Matsutaro Kawaguchi, qui travaillait alors à la Société Platon sous la direction de Kaoru Osanai. Heureux de leurs retrouvailles, ils s'étaient promis de travailler ensemble. Deux ans plus tard, Mizoguchi réalisait Kyoren no Onna Shisho (L'Amour fou d'une maîtresse de chant, 1926), sur un scénario de Matsutaro Kawaguchi. Pour les films qui suivent, je vais simplement citer ce que Mizo-san lui-même en a dit, dans une interview accordée à la revue « Kinema Jumpo ». (Cf., pour le texte complet de cette interview : « Mes films », Cahiers du cinéma n° 95.)

« Samidare Zoshi (Conte de la pluie fine, 1924) - C'était une pièce du « Shimpa ». On m'a reproché d'avoir traité de l'amour d'un bonze et d'une femme, et d'avoir attenté à la dignité religieuse. On était sévère, à cette époque.

Musen Fusen (Pas d'argent, pas de combat, 1924) - Ce titre est une expression chinoise qui signifie : « pas d'ar­gent, pas de guerre ». C'était une satire de la guerre, d'après une idée du caricaturiste Ippei Okamoto. Le film est sorti à Kyoto, mais il a été interdit dans les autres villes. Moi, je pensais avoir fait de la caricature.

Gakuso o Idete (Après les années d'étude, 1925) - Ce n'est pas de moi, je crois. » (On dit que ce film fait partie de 31

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sa filmographie, mais je ne crois pas non plus que Mizo-san l'ait réalisé, car il n'aimait pas du tout l'école.)

Ensuite, vient Daichi wa Hohoemu, au tournage duquel j'ai assisté, dans la cour de mon école.

En l'année 1925, se produisit pour Mizo-san un évé­nement inoubliable. À peine venait-il de se marier, qu'une de ses maîtresses, folle de jalousie, le blessait avec un couteau. Je ne sais pas très bien comment cela s'est passé quant aux détails. Peut-être s'étaient-ils disputés. Tandis qu'il était en train de se déshabiller, au bain public, la femme se précipita sur lui en brandissant son arme. Il essaya de fuir, mais fut blessé dans le dos. Les jour­naux parlèrent du scandale. Mizo-san refusa toujours de me montrer son dos. Un jour, enfin, il me le montra, et me dit : « Les femmes sont terribles ». Il avait encore une cicatrice assez large et assez profonde. L'autre jour, l'opérateur Kazuo Miyagawa m'a dit : « Il ne voulait pas non plus me montrer son dos, mais un jour, en me le montrant, il m'a confessé qu'il avait véritablement eu peur de la figure de cette fille : « Elle avait un visage effrayant ».

Cet événement a profondément marqué Mizoguchi. Ce sang qu'il a versé ne lui a-t-il pas permis de comprendre un des visages les plus évidents de la femme ? Cette cica­trice était pour lui comme la source d'une poésie lyrique sur les femmes, vive et fraîche. Désormais, le lyrisme et la beauté propres au génie de Mizoguchi allaient pouvoir s'épanouir. Il y a deux grands courants dans l'œuvre de Mizoguchi, l'un répondant à une tendance, disons, roman­tique, fort lyrique et esthétique, et l'autre réaliste, natu­raliste plutôt. La première tendance, fantaisiste, n'est jamais purement romantique, étant donné que Mizoguchi ne par­vient pas à repousser la réalité ou à s'en échapper, et que, chez lui, le sens critique l'emporte toujours sur le culte 32

absolu de l'esthétique. La seconde tendance, réaliste, est guettée par un certain naturalisme. Je veux dire par là que, faute d'une volonté positive de reconstruction de la réa­lité, elle se contente de dévoiler faussetés et mensonges, et garde un côté lyrique qui ne la préserve pas toujours de la naïveté. Ces deux tendances, réagissant très sensible­ment aux évolutions sociales, alternent, s'approfondissent, et se provoquent réciproquement chez Mizoguchi ; et, lorsque ce dernier parvint à surmonter la crise et la confu­sion qui le menaçaient juste après la guerre, elles se fon­dirent en une sorte d'unité et de maturité parfaites. Cette alternance incessante de deux styles est chose rare chez un metteur en scène. Tous les grands cinéastes raffinent et épurent leur style, dès leurs débuts. Mais Mizo-san était toujours « à cheval » sur deux styles différents. C'est pour cela, d'ailleurs, qu'on l'accusait souvent d'insincérité et de confusion.

Pourquoi ce phénomène ? Parce qu'il avait les dents longues, disent certains. Oui, c'était vrai. Les autres disent que c'était à cause de l'habileté sociale de Mizo-san, qui savait réagir à temps aux changements de situation, et en profiter. À la rigueur. On dit encore que c'était à cause de son complexe. Peut-être. Mais, à mon sens, Mizo-san avait peur de s'immobiliser mollement dans un style défi­nitif, et s'efforçait plutôt de rester toujours naturel. J'ai beaucoup regretté qu'on ait très peu signalé sa sincérité : au lieu d'essayer de plaire, il tentait de suivre les change­ments sociaux, afin que son travail corresponde à son temps. Et, à travers cette apparente instabilité, il restait toujours fidèle à un même sentiment : la compassion pour les persécutés, surtout à l'égard des femmes, symboles des créatures handicapées et maltraitées. Pour exprimer un tel sentiment, faut-il être roublard et ambitieux? S'il semblait trop rusé, c'est que, voulant profondément s'exprimer 33

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comme il l'entendait, il prenait des mesures de concilia­tion pour échapper aux pressions. N'était-ce pas là la sagesse d'un prisonnier sachant attendre le jour de sa libé­ration?

Si l'on pense ainsi, les deux styles qui se partagent l'œuvre de Mizo-san ne sont pas, en réalité, opposés ni contradictoires. Et peut-être n'y avait-il chez lui qu'un seul style?

Ce n'est qu'à partir de Kami-Ning Yo Hant no Sasayaki (Le Murmure printanier d'une poupée de papier, 1926) qu'a commencé d'apparaître ce que l'on peut appeler le style lyrique de Mizoguchi. Cet excellent film, interprété par l'actrice Yoko Umemura, contait l'amour et le mariage d'une jeune fille, en contrepoint de la disparition des petites industries dévorées par le développement du capitalisme. Après avoir tourné des films relativement médiocres, tels que Kaikoku Danji (Les Enfants du pays maritime, 1926), Kane (L'Argent, 1926), Koon (Gratitude envers L'Empereur, 1927), JihiShincho (Cœur aimable, 1927), il réalise, en 1929, Nihon Bashi (Le Pont Nihon), d'après le roman de Kyoka Izumi, écrivain romantique et fantastique, film qui montre bien tout le lyrisme de Mizoguchi. D tourne ensuite Tokyo Koshinkyoku (La Marche de Tokyo), profitant de la mode des films basés sur la vogue d'une chanson popu­laire : le film et la chanson connurent un succès extraor­dinaire.

Puis, brusquement, il se tourne vers un genre com­plètement différent, avec Tokai Kokyogaku (La Symphonie de la grande ville, 1929), sur un scénario écrit par un groupe d'écrivains prolétaires : Teppei Kataoka, Rokuro Asahara, Fusao Hayashi, Saburo Okada. C'était l'année où les films de gauche, les films « à thèse », étaient à la mode : il y avait Ikeru Ningyo (La Poupée vivante, 1929) de Tomu Uchida, d'après le roman de Teppei Kataoka, Zannin Zamba Ken 34

(Le Sabre pourfendeur d'hommes et de chevaux, 1929) de Daisuke Ito, Kasahari Kenpo (Epée et parapluie, 1929,) de Kichiro Tsuji... Tokai Kokyogaku était fondé sur le contraste entre la classe dirigeante, riche et oisive, et la classe ouvrière, pauvre et délaissée.

En 1930, Shigeyoshi Suzuki a tourné Naniga Kanojo o So Sasetaka (Qu 'est-ce qui l'a poussée à faire cela ?),Yutaka Abe Josei San (Eloges du sexe féminin), Tomotaka Tazaka Kono Haha o Miyo (Regardez cette mère). En mai de la même année, je suis entré à la Nikkatsu, dans la section des scé­narios; et je ne pouvais demeurer indifférent à la tendance socialiste d'alors.

En 1927, j'étais sorti de l'École Supérieure de Commerce de Kyoto, et j'avais commencé à travailler dans une banque. C'était juste après la grande crise économique, mais je menais une existence paisible, inconscient de la gravité de la situation politique. J'ai fait à ce moment-là la connaissance d'un cinéaste amateur, qui réalisait des films en 9,5 mm, et c'est avec lui que j'ai commencé à fréquenter le Ciné-Club de Kyogoku, organisé par M. Shotaro Sumi, patron d'un grand cinéma. Je me suis amusé à jouer dans de petits films de M. Koichiro Ohashi, et je me suis même présenté à un concours d'acteurs dirigé par Minoru Murata, metteur en scène à la Nikkatsu. Mais tout cela n'était guère sérieux.

J'écrivais aussi des petits poèmes sentimentaux pour la revue de Soji Momota, « Les Chênes ». Influencé par « De l'Athéisme », de Feuerbach, j 'ai tout de suite cessé de fréquenter l'église (j'étais chrétien). J'ai même, une fois, jeté des pétards dans une église en criant : « La religion est de l'opium !» En 1928, je présidais chez moi des réunions de recherche sur les sciences sociales, je lisais en cachette des journaux socialistes, je recommandais aux gens de par­ticiper à des réunions d'ouvriers. Le 30 mars 1929, la police 35

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a fait irruption dans la banque, et cinq ou six employés ont été arrêtés. Me suspectant d'être membre du Parti Communiste, on m'a embarqué moi aussi, on m'a posé des tas de questions, et j'ai été torturé. Pour la première fois de ma vie, j'ai éprouvé de la haine.

Par ailleurs, j'écrivais pour moi-même des brouillons de scénarios, je peignais des tableaux. Un jour, en 1930, muni d'un mot de recommandation d'un ami d'un de mes supérieurs de l'École, je me présentai au directeur des Studios de la Nikkatsu, et je fus admis sur le champ dans la section des scénarios.

Je prends ici la liberté de vous parler un peu de la Compagnie Nikkatsu. En 1897, un certain M. Katsutaro Inahata, qui avait séjourné à Paris pour y étudier les tein­tureries françaises, en rapporta au Japon le « cinémato­graphe » de Lumière, et donna le premier spectacle de projections dans un théâtre d'Osaka. (D'autre part, en mars 1897, dans la salle de Kanda, à Tokyo, on donna le premier spectacle cinématographique du procédé Vitascope. En japonais, cela s'appelait « Katsudô Shashin » : photographie animée). Ce M. Inahata transmit à la Société commerciale Yokota toutes les affaires dont il s'occupait, et sur ces bases se fonda une nouvelle Société : Nippon Katsudô Shashin Gaisha (Compagnie Cinématographique Japonaise) qui est à l'origine de la Nikkatsu. Peu après, on construisit des studios à Kyoto et à Mukojima (Tokyo). Pour les spectacles de tout genre, le monde des affaires jouait un rôle primordial. Dès ses débuts, le cinéma eut recours à divers groupes commerciaux, soit pour se pro­curer du matériel, soit pour financer la figuration. La Nikkatsu, elle aussi, avait affaire à l'un des groupes les plus importants de Kyoto, Senbongumi (Groupe des mille) qui exerçait son influence partout, et plus particulièrement dans toutes les entreprises de constructions de bois. 36

Quelques-uns des membres du groupe Senbongumi for­maient un groupe anarchiste, la Bande du Sang, connue à l'époque dans tout le Japon.

La direction de la Nikkatsu était donc plus ou moins patronnée par le groupe Senbongumi, et les gens qui tra­vaillaient sur les plateaux en étaient tous membres. Parmi eux, il y avait M. Masaichi Nagata, le Président actuel de la Diaei qui, à ce moment-là, s'occupait du bureau des renseignements au studio de Kyoto. Il régnait donc dans le studio une certaine atmosphère sauvage, un sens féodal de la solidarité, un code moral de gangsters, qu'il fallait absolument respecter.

Peu après, je suis devenu assistant de Minoru Murata. J'avais peur de demander aux machinistes et aux électri­ciens de bien vouloir venir sur le plateau : « Je m'excuse, mais voudriez-vous venir sur le plateau? - Pour quoi faire? - Pour que le tournage puisse commencer. - Le metteur en scène est là? - Pas encore, mais... - Espèce d'idiot, tu viendras m'appeler lorsqu'il sera là ! » C'était toujours la même chose. Car à cette époque, les acteurs comme les techniciens étaient tous plus ou moins des voyous, des gens du « milieu ». Ils se querellaient souvent entre eux. Les jeunes acteurs emmenaient les assistants metteurs en scène derrière le plateau, et les frappaient sans raison. Un opé­rateur, particulièrement méfiant, ne se séparait jamais, même en tournant, de son couteau. Dans une telle ambiance, il fallait vraiment qu'un metteur en scène ait beaucoup de courage et de persévérance, pour obtenir quelque chose de bon. Mizoguchi n'avait alors que trente ans mais, déjà, son autorité était célèbre : il demanda un jour d'abattre le mur d'un bâtiment, pour construire un décor; une autre fois, sur le coup de minuit, ayant faim, il exigea un pied de pieuvre salé ! Une fois, un accessoi­riste, pourtant très aimable de nature, mais à bout de 37

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patience, courut après Mizoguchi en brandissant un mar­teau et en hurlant : « Je vais te tuer, je vais te ruer! »

Le milieu du cinéma était une sorte de guilde. Les apprentissages étaient nécessaires. Avant d'écrire des scé­narios, il me fallut faire un stage sur le plateau. Puis, j'ai été script. La façon de noter les scènes n'était pas encore codifiée : il me fallait trouver par moi-même la meilleure méthode pour prendre des notes. On ne devient un bon scénariste qu'en travaillant sur un plateau, disait-on.

Les deux films que Mizoguchi a réalisés en 1931 - Tôjin Okichi (O'kichi l'étrangère) et Shikamo Karera wa Yuku (Us avancent malgré tout) - durant l'année où éclata l'inci­dent de Mandchourie, constituent les fondements de son art. Après avoir tourné Toki no Ujigami (Le Dieu-gardien du Temps) en 1932, il quitte la Nikkatsu pour entrer à la Shinko Kinema ; il réalise Manmo Kenkoku no Reimei (L'Aube de la fondation de la Mandchourie). En 1933, il tourne Taki no Shiraito (Le Fil blanc de la cascade), film qui marque l'apogée de sa période muette. Dans Iojin Okichi et Shikamo Karera wa Yuku, Mizoguchi a fixé les fonde­ments de son réalisme naturaliste : dans le premier de ces films notamment, le fameux procédé du plan-séquence était déjà en cours d'élaboration. Sur la naissance de ce procédé, je nourris l'opinion suivante : il y avait alors deux courants fondamentaux dans la « cinématurgie ». L'un vou­lait trouver l'unité de la construction scénique au niveau du plan, l'autre au niveau de la séquence. Les films his­toriques exceptés, la Shochiku représentait la première tendance et la Nikkatsu la seconde. Les films de la pre­mière tendance décrivaient en détail la vie quotidienne, et ceux de la seconde tendance exprimaient surtout des idées, étaient plutôt des films idéologiques et sociaux.

C'est à ce moment-là qu'à la demande de M. Minoru Murata, je fréquentai les cinémas, avec mes collègues, pour 38

analyser le découpage des films étrangers, en notant en détail les gros plans, les plans américains, les plans éloi­gnés, etc. J'ai étudié ainsi les découpages de It Happened One Night, de Frank Capra, de Undertuorld et de 77K; Docks ofNew York de Josef von Sternberg, de À nous la liberté de René Clair, de Love Parade d'Ernst Lubitsch : M. Murata m'a fait trouver des scènes communes à tous ces films et, les analysant, il les classait en scènes d'ex­position, scènes d'intérêt, événements brusques, évolu­tion négative, apogée, périgée, conclusion. D m'a demandé de considérer cela comme les éléments de base de la construction d'un scénario. Tous les metteurs en scène pensaient plus ou moins construire un scénario de cette façon, et Mizoguchi aussi. L'école de la Nikkatsu attachait plus d'importance à la composition dramatique d'un film qu'à sa beauté. Des films russes, tels que Tempête sur l'Asie, sortirent alors au Japon, et l'on traduisit les théories d'Eisenstein et de Poudovkine sur le montage : tous les jeunes s'en entichèrent.

En ce qui concerne l'origine du plan-séquence, un autre élément est à prendre en considération : le problème du titrage des films muets. Les intertitres servant à expliquer l'évolution d'une situation n'étaient pas un obstacle à la construction d'un film. Mais en ce qui concerne les conver­sations, les lettres blanches sur fond noir interrompaient fâcheusement le mouvement de l'action. Mizoguchi, ainsi que tous les autres metteurs en scène, pensaient pouvoir éviter cet inconvénient, et préserver l'unité du film. Pour cela, il fallait ou bien diminuer dans la mesure du possible la fréquence des intertitres, ou bien en raccourcir les phrases. Or, les expressions d'un visage peuvent suggérer, par exemple, la psychologie d'un personnage, tandis que les intertitres, même courts et fréquents, ne peuvent évi­ter d'interrompre la continuité d'une action. Certains vou-39

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laient adopter le système des titres en surimpression, mais, à la différence des films étrangers, cela manquait de viva­cité : c'était irréalisable. Ce problème préoccupait beau­coup Mizoguchi. Le réalisme qu'il recherchait dépendait essentiellement de la continuité de l'action et des gestes des personnages. Il voulait rejeter catégoriquement tous les artifices de l'enchaînement d'un plan à un autre. Il reje­tait, autrement dit, les artifices du muet. Il ne pouvait se réaliser pleinement que par le film parlant.

« As-tu remarqué, me dit-il un jour, que très souvent on tournait en gros plan une clochette secouée par le vent? Or, il ne faut jamais chercher à rendre par un gros plan une atmosphère lyrique ou poétique. Sauf lorsqu'il s'agit de montrer un détail nécessaire à la compréhen­sion d'une situation, les gros plans de petits détails n'ont aucun sens. Il suffit que dans tout le film, il y ait une ambiance lyrique ».

Il est vrai que si Mizo-san attachait une grande impor­tance aux personnages, il détestait par ailleurs détailler un film plan par plan. Il voulait tout saisir sur le vif, sous un angle naturel, sans recherche artificielle. En ce sens, sa personnalité était à l'opposé de celle de Yasujiro Ozu. L'un voulait se conformer et s'accorder à ce qu'il montrait, alors que l'autre, plutôt, voulait se l'approprier, et le faire concor­der avec sa conception. Mizoguchi retrouvait la statique par la dynamique, alors qu'Ozu trouvait la statique dans la statique même. Je crois très bien comprendre pourquoi Mizo-san admirait les œuvres d'Ozu, et pourquoi elles lui déplaisaient en même temps.

Lorsque je vis pour la première fois Shikamo Karera 10a Yuku dans la salle de projection, je me dis, avec une grande émotion, que c'était là le genre de films auxquels j'avais toujours rêvé. Je rêvais d'écrire des films épais de crasse réaliste. Je voulais faire du Maupassant, du Molière, et 40

Junichiro Tanizaki était mon auteur favori. Mais, à sa sor­tie, le film fut incroyablement censuré.

1931 : Incident de Mandchourie. Réalisation du pre­mier film parlant : Madame to Nyobo (Mon amie et mon épouse), de Heinosuke Gosho. Création de la compagnie Shinko Kinema.

1932 : Incident de Shanghai. Fondation de l'État fan­toche de Mandchourie. Prise de pouvoir des militaires (15 mai). Création de l'Union fasciste japonaise. La P.C.L. s'associe avec la Nikkatsu. Manifestations des « benshis » (commentateurs) contre l'adoption des films parlants.

1933 : Le Japon se retire de la Société des Nations. Production indépendante de la P.C.L. Ouverture du stu­dio de la J.O. La Nikkatsu s'associe avec la Western.

1934 : Démission complète du cabinet Saito. Ouverture à la circulation du tunnel Tanna et du métro de Tokyo entre Shinbashi et Akasaka. Création du prix littéraire Ryunosuke Akutagawa et du prix Sanjugo Naoki. Généralisation du parlant dans tout le cinéma japonais.

Cependant, des troubles se produisirent à la Nikkatsu, et après Mizoguchi, Minoru Murata quitta la Compagnie. De jeunes scénaristes, tels que Ushihara Kiyohiko, Murakami Tokusaburo entrent à la Nikkatsu, ce qui occa­sionne de nouveaux troubles dans le département des scé­narios. On construit un nouveau studio à Tamagawa (Tokyo) et les gros capitalistes qui jusqu'alors avaient investi dans l'industrie cinématographique, se mettent à ratio­naliser leurs entreprises. Avec le parlant, le cinéma cesse d'être artisanal pour se moderniser. Jusqu'alors, la pro­duction était plus importante que la distribution et l'ex­ploitation, mais cela devient l'inverse. Des hommes d'affaires, sans aucun lien avec le monde cinématogra­phique, prennent la direction de la Nikkatsu, et réorga­nisent la distribution et l'exploitation. 41

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Cette révolution gêne considérablement l'initiative des metteurs en scène qui jusqu'alors pouvaient créer libre­ment, sans aucune ingérence de l'administration de la com­pagnie.

En 1934, je devais quitter le studio de Kyoto pour aller travailler au nouveau studio de Tamagawa (Tokyo), mais, tandis que je faisais mes préparatifs, j'attrapai une pleu­résie, et je dus m'aliter. M. Masaichi Nagata, directeur des services du planning, me força à démissionner. Durant ma maladie, M. Nagata créa la Compagnie Daiichi Eiga, avec Mizoguchi et d'autres. Je souffrais de me sentir abandonné. Tous mes amis croyaient que ma fin était proche. Malgré tout, j'allai voir Machi no Irezumimono {Le Tatoué de la ville, 1935), de Sadao Yamanaka, soutenu par ma mère. Le film m'a tellement ému que j'ai été pris d'une crise. Ma mère m'a dit : « Quelqu'un d'aussi faible que toi ne parvien­dra jamais à réaliser un si beau film ». Je lui ai répondu : « Mais si, tu verras, j 'y arriverai !...»

Taki no Shiraito {Le Fil blanc de la cascade, 1933) fut le second film de Mizoguchi d'après Kyoka Izumi. Après ce film, il réalisa toute une série de « Meiji-mono » (ayant pour cadre l'ère Meiji) -.Jimpu-ren {Vents sacrés, 1933), Aizo Toge {Le Col de l'Amour et de la Haine, 1934), et après être entré à la Daiichi Eiga, Orizuru Osen {O'sen aux cigognes de papier, 1934), Maria no Oyuki {O'yukila Vierge, 1935), et Gubijin So {Les Coquelicots, 1935). Il dira lui-même par la suite : « Ça ne marchait pas ». Il me semble aussi que ces films, empreints d'une certaine exagération lyrique ne révélaient pas avec suffisamment de force et de vivacité la réalité, au contraire de Shikamo Karera wa Yuku. Pour ma part, j'étais convalescent; le moindre travail suffisait à me fatiguer, et me donnait la fièvre. Mais, ne supportant plus le sen­timent d'être abandonné par le cinéma, je décidai d'aller voir M. Kenichiro Hara, de la Daiichi Eiga, pour étudier 42

la possibilité d'être réengagé par la compagnie. Il me dit d'aller voir Mizoguchi, et me promit de lui téléphoner en ma faveur. Vers mars 1935, j'osai rendre visite au cinéaste, qui demeurait en face du temple Ninna-ji, à Kyoto. Je tremblais de peur. Pour la première fois, j 'al­lais parler intimement avec lui. Je n'espérais qu'une seule chose : qu'il me recommandât à la Daiichi Eiga. Il me dit simplement de lui rédiger un scénario-découpage. Il me donna une revue littéraire, et en m'indiquant une nou­velle d'un certain Saburo Okada, « Mieko », il me dit : « Veux-tu m'écrire quelque chose d'après cette nouvelle quelque chose qui se passe à Osaka? »

À cette époque, Mizoguchi, poussé par son goût des antiquités, disposait des statues de pierre dans son jardin, admirait des théières patinées, et recherchait dans les mar­chés aux puces des vieilleries telles que des vêtements tis­sés à la main. Mme Mizoguchi s'en plaignait. Agé d'à peine quarante ans, il se donnait volontiers l'air d'un vieux sage.

La nouvelle « Mieko » contait à peu près l'histoire d'une jeune hôtesse de bar, nommée Mieko, qui menait par le bout du nez trois hommes à la fois. J'eus l'idée d'en tirer une histoire où, pendant les scènes d'amour, on ne par­lerait que d'argent. Mon premier jet me fut renvoyé par Mizoguchi, qui m'objecta que cela ne touchait en rien aux problèmes réels de l'existence. La seule chose qui trouva grâce à ses yeux était un dialogue écrit en Kansai-ben (accent de Kansai, région sud-ouest du Japon, autour de Kyoto et d'Osaka), langage qui servait, par son intonation particulière, à mettre en relief le côté mesquin et obstiné du caractère humain. « D faut décrire l'homme, mettre en images l'odeur du corps humain », me dit Mizoguchi. « Décris-moi des types implacables, égoïstes, radins, sen­suels, cruels... il n'y a que des hommes dégueulasses ici-bas ! » 43

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Il ne m'avait jamais rien dit de concret au sujet du scé­nario. Il me dit simplement : « Ça ne va pas. Ce que tu écris est trop enfantin. Tu n'es même pas capable de décrire un homme adulte! Ça m'embête... », et voilà tout. Un petit fox-terrier courait, énervé, autour de Mizoguchi, énervé lui aussi. « Regarde, c'est ça qu'il me faut, le truc qui étincelle dans le jardin. » Je n'y comprenais rien. Je jetai un regard dans le jardin où une statue de pierre, enso­leillée, réfléchissait un rayon aigu et pénétrant. Je compris alors qu'il voulait parler de cette sorte de sensibilité aiguë, rigoureuse, pénétrante... Plus tard, il m'attaqua par un autre biais : « As-tu lu KafuNagai? » (Un des plus grands écrivains contemporains du réalisme populaire japonais.) « Tu ne l'as jamais lu? D faut lire ça. Connais-tu Saikaku? » « Je suis désolé, non... » « Ce n'est pas possible, toi qui es du Kansai, tu ne connais pas Saikaku ! Alors, tu ne connais rien. C'est vraiment embêtant. Il faut d'abord lire Saikaku. Après, on verra ». C'était toujours ainsi. Une fois, me sen­tant trop mal, j'eus la faiblesse de me reposer un instant chez lui. De retour chez nous, une pauvre petite parfu­merie, je me mis à écrire, en entendant tousser sans arrêt ma grande sœur, malade elle aussi, et alitée. L'été venait de finir, nous étions en automne. J'avais déjà rédigé plus de dix fois mon texte pour Mizoguchi, qui n'en était tou­jours pas satisfait. Un jour, HaruoTakayanagi scénariste de la Nikkatsu, vint me voir. « Tu es encore là? », me dit-il. Il me prit en pitié, et me donna courage et conseils. J'ajoutai donc à mon texte les fruits de ses conseils. Mizoguchi, furieux, se mit à hurler : « Il ne faut jamais écouter personne. C'est ton texte à toi que je veux ». Quelques années plus tard, Kaneto Shindo, qui était alors assistant-décorateur, me prit comme modèle pour faire le portrait d'un pauvre scénariste dans son premier film, Aisai Monogatari {L'Histoire d'une épouse bien aimée, 1951). Après 44

les dernières retouches que j'apportai à mon texte, Mizoguchi me dit : « Eh bien ! Il serait impossible d'exiger davantage de toi. Tant pis ! » J'apportai le scénario à la Daiichi Eiga, et le lus devant MM. Masaichi Nagata et Matsutaro Kawaguchi. Ils le trouvèrent intéressant et lui donnèrent pour titre Naniwa Erejii (L'Élégie d'Osaka). Quelques jours plus tard, Mme Mizoguchi me fit parve­nir dix yen. Fou de joie, je me précipitai sans attendre dans un restaurant de luxe, et, pour la première fois de ma vie, je mangeai de l'anguille. Je me sentais riche et noble. Il faisait beau et doux, ce jour-là. Le tournage ne com­mença qu'en hiver. Malgré la neige, je me rendais au stu­dio, m'aidant d'une canne, me reposant deux ou trois fois en chemin. Même une fois le tournage commencé, Mizoguchi me fit encore modifier le scénario, la fin sur­tout, et il apportait souvent des retouches aux dialogues, en dirigeant les comédiens. Enfin, le film fut achevé. Nous allâmes à la première, au cinéma Shochiku. Ma vieille mère qui m'accompagnait, regardait l'écran en retenant son souffle, elle semblait le dévorer. C'était un film magni­fique. Après la projection, tout le monde était ému, et l'équipe du film aussi. Certains, enthousiasmés, allèrent discuter dans un bar, en face du cinéma. Moi, je déam­bulai au hasard, dans les rues, jusque tard dans la nuit, avec mon ami Takayanagi, en répétant : « Quel beau film ! Quel chef-d'œuvre ! » Naniwa Erejii marqua donc mes débuts de scénariste, j'y avais mis le meilleur de moi-même, et c'était l'origine de ma collaboration avec Mizo-san, qui devait durer une vingtaine d'années : voilà pourquoi je me suis permis de raconter ces souvenirs avec une certaine sentimentalité.

Naniwa Erejii était un chef-d'œuvre empreint d'une cer­taine maladresse, je veux dire par-là que le scénario en était imparfait, mais jamais je n'avais vu un film dont 45

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l'image ait été aussi forte, aussi pleine de tension. On peut dire que ce film marque l'avènement du réalisme dans le cinéma japonais. Pour la première fois également, l'accent du Kansai, qui jusque-là n'avait jamais été employé qu'à des fins futiles ou caricaturales, devint un langage authen­tique.

La même année, il y eut un coup d'Etat fasciste. Après l'incident de Mandchourie, les relations entre le Japon et la Chine se refroidirent, se tendirent. On exaltait le patriotisme impérialiste, on se méfiait du libéralisme. Ce qui explique que ce film, qui mettait en relief, de façon implacable et réaliste, un aspect essentiel de la société, ne passa pas inaperçu de la censure. Mizoguchi m'appela chez lui : « Toi, tu as sans doute écrit une grande chose ! » me dit-il « Pourquoi, répondis-je, que se passe-t-il? - Pourquoi? Parce qu'il faut que j'aille en prison ! - Le film a des ennuis ? - La copie est saisie par la censure... » Je fus surpris, et j'eus le cœur gros en pensant que le film ne sortirait pas. L'assistant Takagi était là, buvant de la bière. « Le minis­tère de l'Intérieur doit nous convoquer. Il faut s'attendre à tout », dit-il. « Mais à cause de la censure, ce n'est pas une raison pour craindre... » commençai-je. Mizoguchi me coupa la parole. « Tais-toi. Tu n'y connais rien. La cen­sure est liée directement à la police. Ils n'ont qu'à pres­ser un bouton pour que les flics arrivent ! - Mais, n'y a-t-il pas un moyen quelconque de nous entendre avec... -Aucun ! Jamais ! », répliqua Mizoguchi, et il partit pour Tokyo. Tout le monde se réunit au studio, en attendant le verdict de la censure. Combien je fus heureux d'apprendre qu'il était favorable ! Mizoguchi revint de Tokyo. Je le retrouvai au studio, affalé dans un fauteuil, l'air arrogant, le menton relevé. Je lui dis : « Félicitations ! Vous avez bien travaillé ! » Au lieu de me répondre, il déclara fièrement : « La censure, c'est de l'enfantillage. Elle n'y connaît rien! » 46

M. Takagi, qui avait accompagné Mizoguchi à Tokyo, devait me raconter plus tard : « Maintenant, il crâne. Mais au moment d'entrer dans le bureau de la censure, il était vert de peur. Il m'a poussé devant lui, j'ai tout fait, et pen­dant ce temps, il est resté debout dans le couloir. Lorsque je suis revenu lui dire que l'affaire semblait s'arranger, il s'est redressé d'un air orgueilleux, et il est entré dans le bureau ». Je me représentai Mizo-san dans cette situa­tion cocasse, et nous nous mîmes à rigoler.

Comme je l'ai déjà dit, Mizoguchi s'efforçait tout le temps de paraître fort, mais c'était pour dissimuler sa fai­blesse. Oui, c'était un homme faible et plein d'énergie, qui ne voulait jamais s'avouer vaincu. De toute façon, ce film a aidé Mizoguchi à surmonter ses propres difficultés. Malheureusement, la Daiichi Eiga traversait alors une crise financière, et le film, sorti sans aucune publicité, n'eut pas de succès public. Mais c'était sans aucun doute un film fort et violent. Je dois parler à ce propos de Isuzu Yamada, qui fut la vedette du film. Elle travaillait avec Mizoguchi depuis Aizo Toge (1934). Elle se maria avec l'acteur Ichiro Tsukita, et elle eut un enfant. À cette époque, le mariage entre vedettes était mal vu du public. Le service de publi­cité voulait le garder secret. De plus, le fait d'avoir un enfant, suffisait à mettre fin à une carrière, même de pre­mier plan. Pour conserver sa situation, Isuzu Yamada se consacra entièrement à son rôle de Nanitua Erejii, premier film où elle joua après la naissance de son enfant. Et elle fut magnifique, dotant son interprétation d'une énergie à l'image du film lui-même.

Je me permets ici de vous citer un passage des souve­nirs de M. Koichi Takagi sur Mizoguchi («Jidai Eiga », numéro d'octobre 1956). (Voir également l'interview de M. Takagi dans les Cahiers du cinéma n° 158). « Le tour­nage de Naniwa Erejii débuta au mois de décembre. J'étais 47

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assistant, et jamais je ne me suis autant querellé avec Mizoguchi que pendant la réalisation de ce film. D'ailleurs, nos disputes l'amusaient beaucoup. Voici une anecdote : il s'agissait de tourner un plan où l'héroïne pénétrait dans une maison située au-delà d'un étang. J'avais trouvé à l'ex­trémité de cet étang une avancée de terre où il était fort commode d'installer la caméra. Mizoguchi voulait un autre emplacement, situé au beau milieu de l'étang. La distance n'était pas la même, et de plus nous ne connaissions pas la profondeur de l'étang. Je déclarais donc qu'il me sem­blait impossible de tourner là où il voulait. 11 ne m'écouta pas. Toute l'équipe attendait, transie de froid. Dans un esprit de conciliation, je dis : "Attendons demain, on construira là-bas une sorte de praticable et on pourra tour­ner" Mizoguchi.se mit en colère : "Espèce d'idiot! demain est demain!" Il a insisté pour que nous entrions dans l'eau glacée, et sur le champ. Nous n'étions pas équipés pour cela, et nous ne pouvions mesurer la profondeur. Furieux moi aussi, j'ai fait une scène à Mizoguchi, en criant : "Aujourd'hui, on arrête!" "Quoi, s'écria-t-il, tu es assis­tant et c'est toi qui commandes !" Ce jour-là, nous avons arrêté le tournage. Le lendemain, Mizoguchi m'envoyait repérer d'autres extérieurs et, profitant de mon absence, il alla tourner là-bas, en mettant toute l'équipe dans l'eau. Tout le monde en revint crotté et boueux. Mizoguchi était très content. Il me dit : "Tu as vu ? On est entrés dans l'eau... " Je n'ai pas pu m'empêcher de rire. »

Cet épisode rend parfaitement compte du tempérament de Mizoguchi, têtu, obstiné, et guidé par une logique très personnelle. Peut-être que dans ce cas précis, l'angle choisi par M. Takagi était meilleur que le sien. Mais Mizo-san n'aimait pas la facilité, il pensait que la difficulté aigui­sait les facultés de création. Même pour le choix d'un acces­soire minime, il ne se déclarait jamais satisfait du premier 48

coup. Il aimait provoquer une tension d'énergie, une condensation d'ardeur, une cristallisation des forces de chacun en « allant jusqu'au bout ». Tous ceux qui ont travaillé avec lui ont connu des expériences semblables.

Il paraît que M. Seikichi Terakado, qui était son pre­mier assistant depuis l'époque de la Shinko Kinema, lui donnait de bons conseils. Il était très malin. Il lisait tous les livres que Mizoguchi voulait lire, il prenait toujours les devants, et se réjouissait fort de voir que Mizo-san en était vexé. Savant, érudit, spécialiste des littératures anciennes, il était aussi sensible aux nouvelles tendances et aux idées modernes. C'est par son intermédiaire que le décorateur Hiroshi Mizutani fut amené à collaborer avec Mizoguchi. Je crois que des gens comme MM. Terakado, Takagi, Mizutani, ont été de bon conseil pour aider Mizoguchi à sortir de l'ornière des « Meiji-mono ». Tous ensemble, ils fréquentaient le quartier de Gion.

Après Naniwa Erejii, Mizoguchi voulut donc montrer la vie des geishas de Gion. Gion était divisé en deux : Kobu (le haut Gion) et Otsubu (le bas Gion). Le Kôbu était le quartier des Maiko (geisha de luxe) et l'Otsubu celui des « filles ». Nous avons choisi comme décor l'Otsubu, le quar­tier des désirs. Je commençai à fréquenter Gion pour étu­dier la vie des geisha. Ignorant le fond de leur vie, je les trouvais sympathiques. Mizoguchi ne me donna aucune ligne générale pour l'écriture du scénario, il me dit sim­plement qu'il lui fallait une opposition entre deux sœurs, ou entre une mère et une fille. Or, j'ignorais tout de Gion. J'avais déjà vingt-neuf ans, mais à cause de ma santé défec­tueuse, je n'avais eu jusqu'alors aucune expérience avec les filles. Par l'intermédiaire du patron de mon grand frère, qui travaillait chez un gros marchand de tissus, j'ai pu visi­ter une « maison » du quartier. La patronne, à qui j'ex­pliquai le but de ma démarche, me considéra avec pitié : 49

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« Cela ne me dérange pas que vous veniez chez moi. Mais je me demande s'il suffira que vous observiez pour com­prendre! » Découragé, je voulus abandonner. Mais, poussé par une soudaine audace, je décidai de fréquenter la mai­son tous les jours, avec un « bento » (repas dans une gamelle), pour ne pas avoir à sortir de toute la journée, et je notais scrupuleusement tous les détails que je pou­vais observer. Quel sans-gêne, quand j'y pense ! Comment les filles ont-elles bien pu supporter cet espèce d'étu­diant assez louche, curieux, voyeur, espionnant toutes leurs conversations? On vient montrer de belles étoffes à une jeune geisha. Câline, enjôleuse, elle prie le marchand de lui en donner une... Je note ses réactions. Un homme barbu, assez âgé, arrive, portant un grand sac noir. C'est un médecin. Mais il n'y a pas de malades dans la mai­son. Je comprends, pour la première fois de ma vie, qu'il y a un contrôle hebdomadaire de la santé des geisha... Je prends des notes. On téléphone. Une jolie maiko répond, contrefaisant sa voix d'une manière incroyablement douce. Posant sa main sur l'appareil, elle s'adresse à la patronne : « Il m'invite à dîner. Que faire? - As-tu envie de le voir? - Non, maman, il est ignoble ! - Alors, refuse ». La petite maiko reprend l'appareil : « Mon chéri, comprends-moi, je suis malade, j'ai de la fièvre. Pardonne-moi. Non, non, surtout ne sois pas fâché... Je suis triste, tu sais, je pense à toi... » Je note tout. J'écris : voilà comment une maiko ment. Au bout de trois jours, je quittai la maison, assez mal à l'aise. Malgré toutes mes notes, je n'avais aucune idée de la vie des geisha. J'eus un grand entretien avec Mizo-san, habitué de Gion. Et je commençai à écrire mon scénario. C'était l'histoire de deux geisha, deux sœurs. L'aînée est une femme « traditionnelle », à la morale sur­année, et la cadette, qui méprise le côté sentimental de sa sœur, veut se servir des hommes pour en obtenir le maxi-50

mum. Après avoir compulsé toute la liste d'inscription des geisha de l'Otsubu, je choisis pour cette dernière le nom d'Omocha («jouet »), pensant que cela rendait bien compte de son destin, elle qui était le jouet des hommes. Conflits moraux entre les deux sœurs, épisode où Omocha met à la porte l'amant-parasite de sa sœur, épisode de la ven­geance d'un jeune marchand d'étoffes trahi par Omocha - tout cela plut assez à Mizoguchi. Il me dit de fouiller encore davantage les rapports entre les personnages. Je me sentais très libre en écrivant le scénario et le découpage, à cause du dialecte que j'employais, le Kyoto-ben (dialecte de Kyoto), qui était mon propre langage. Après trois retouches apportées au scénario, le tournage put com­mencer. Seuls ce Gion no Kyodai (Les Sœurs de Gion, 1936), Aien Kyo (L'Impasse de l'Amour et de la Haine, 1937) et Saikaku Ichidai Onna (La Vie d'O Haru femme galante, 1952) ont été récrits par moi seulement trois ou quatre fois! Mais, en tournant, Mizoguchi improvisait beaucoup. Il inventa, notamment, bien des détails comiques : dia­logues, gestes, costumes, décors...

Pour ce film également, Mizoguchi voulait que la fin soit forte. Moi, je tenais à ma fin initiale : couchée dans un lit d'hôpital, Omocha dit à sa grande sœur : « Ma sœur, recouvre-moi avec le drap, j'ai froid ». Mizoguchi ayant refusé cela, j'ajoutai la grande tirade où Omocha maudit la société qui contraint les femmes à dépendre des hommes. À la sortie du film, cette fin fut considérée par la critique comme quelque peu excessive. Cependant, c'était le pre­mier film qui dévoilait implacablement le monde des gei­sha (le film était même plus tragique que la réalité). M. M., président du syndicat de l'Otsubu de Gion, collabora au film et nous permettant de tourner où nous voulions : il pensait que nous ferions de la publicité pour l'Otsubu. Au cours de la projection privée, il se mit en colère. Mizoguchi, 51

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apeuré, prit la fuite par la porte de derrière. Plus tard, dans le journal de Gion, un groupe de geisha supérieures pro­testa contre le film, en déclarant que leur existence n'était pas aussi indigne que nous l'avions montrée. Elles décré­tèrent en outre que l'équipe du film ne franchirait plus jamais le Grand Pont par lequel on pénètre à Gion.

Gion no Kyodai fut classé premier des meilleurs films de 1936 par la revue « Kinema Jumpo », et Naniwa Erejii, troi­sième. Gion no Kyodai était en effet mieux construit que Naniwa Erejii, mais je persiste à préférer ce dernier, qui me semble plus fort, et plus aigu dans sa critique de la société.

Voici une drôle d'histoire à propos de Gion no Kyodai : Omocha, l'héroïne du film, était jetée hors d'une voiture en marche par un homme qu'elle avait bafoué, et elle était conduite à l'hôpital, les pieds bandés. Or, quelques mois après le film, malgré l'interdit de séjour qui nous frappait, j'eus le courage d'aller visiter une maison de l'Otsubu. J'y avais rendez-vous avec une geisha nommée Omocha. J'avais pris son nom sans autorisation, je voulais donc lui demander pardon, et j'étais aussi très curieux de confron­ter le personnage qui portait le même nom que mon héroïne avec cette dernière. C'était une jeune femme, élé­gante et belle, et quelle ne fut pas ma surprise en voyant qu'elle avait les pieds bandés ! Je sentis mes cheveux se hérisser sur mon crâne. Elle me raconta qu'en se baignant dans la Mer Intérieure, elle avait été attaqué par un requin. Mlle Omocha me prit mon beau briquet pour se venger de l'utilisation abusive que j'avais fait de son nom. On me raconta par la suite qu'elle avait fait un beau mariage.

Après Gion no Kyodai, ma grande sœur, atteinte d'une grave maladie, mourut, et la Daiichi Eiga se disloqua. La plupart des employés passèrent à la Shinko Kinema et le président, M. Masaichi Nagata, fut nommé directeur 52

du studio de Kyoto. Notre rêve d'une liberté totale pour la production cinématographique se trouva ainsi anéanti. La production indépendante, si elle n'a pas son propre réseau d'exploitation, ne peut jamais se développer. À cette époque toutes les salles étaient contrôlées par deux grandes compagnies : la Shochiku et la Nikkatsu. Un film pro­duit en dehors d'elles ne pouvait se vendre qu'à un prix très bas, ne gênant pas leurs intérêts. Avec une bonne publi­cité, Naniwa Erejii et Gion no Kyodai auraient pu avoir du succès. Mais ils sortirent à Pimproviste, sans aucune publicité, dans une ou deux petites salles seulement. Cette façon de traiter nos films me mit en colère, mais cette façon d'agir était coutumière à la Shochiku. Encore aujourd'hui les films de production indépendante ne rencontrent que des difficultés. Auto-production, auto-distribution, auto­exploitation - voilà des idées de « production indépen­dante », mais sans aucun résultat. Nous aurions dû nous rendre compte plus tôt qu'une salle de cinéma n'était pas le seul endroit où l'on peut projeter un film. Cependant, le public cinématographique de cette époque était très res­treint. Construire des cinémas d'exclusivité était donc le plus sûr moyen commercial. Pour faciliter leur exploita­tion, les compagnies s'étaient liées au « milieu », au lieu de résister à sa pression. Cette légèreté d'esprit empêcha le développement libre du cinéma japonais : une société de films était un véritable commerce. On prenait le cinéma -et encore aujourd'hui - pour un spectacle futile, un diver­tissement de foire. Il était donc tout à fait normal que les grands capitaux n'attachent aucune importance à l'in­dustrie cinématographique naissante. Ce ne fut qu'après la naissance du cinéma parlant qu'ils commencèrent à s'in­téresser à l'investissement dans le cinéma.

En 1937, l'année qui suivit la dissolution de la Daiichi Eiga, la compagnie Toho fut fondée. Ce fut un grand évé-53

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nement qui changea beaucoup la situation du cinéma japonais; non seulement parce qu'elle apparut dès sa nais­sance comme une société pourvue d'un grand circuit de production, de distribution et d'exploitation, mais plus encore parce que, pour la première fois dans le cinéma japonais, elle géra ses intérêts rationnellement, avec un sens de l'organisation très moderne. Je crois que c'est pour avoir pressenti le poids des exigences de cette adminis­tration rationnelle que Mizoguchi refusa l'invitation de la Toho. De 1936 à 1937, le cinéma japonais sut réaliser son âge d'or.

Après Naniwa Erejii et Gion no Kyodai, pour accom­plir un triptyque de Kansai (région sud-ouest du Japon -Kyoto et Osaka), Mizoguchi eut l'idée d'un scénario -d'après le recueil des pièces de théâtre de Yukiko Miyaké « Le Rôle de la Mère » - racontant la vie d'une famille du Kansai dont la mère est étrangère. Mais il n'alla pas jusqu'au bout de son projet; je n'étais pas sûr, moi non plus, d'en faire un bon scénario. La Shinko Kinema, elle, nous demanda de faire quelque chose de populaire. Avec la participation de M. Matsutaro Kawaguchi, qui était venu à Kyoto, nous discutâmes dans un petit « ryokan » (hôtel à la japonaise) pour trouver une idée. Je voulais écrire l'histoire d'un couple d'artistes (un duo de femmes équivalant à un duo de chansonniers) : une mère et sa fille. M. Kawaguchi n'était pas d'accord. D voulait plutôt adap­ter « Résurrection » de Tolstoï. « Le roman n'est pas mal, mais l'adapter serait difficile » dit Mizoguchi. Alors M. Kawaguchi me dit : « Ne peux-tu pas adapter ton idée des deux artistes à « Résurrection »? L'inspiration me gagna. Je me mis tout de suite à rédiger un scénario. On ne peut sans doute pas imaginer que le point de départ d'Aien Kyo {L'Impasse de l'amour et de la haine) soit « Résurrection » de Tolstoï. 54

Au point culminant de la grande période du cinéma japonais, nous nous retrouvâmes soudain en guerre :

1937. Juillet : début de l'Incident Chinois (ou guerre sino-japonaise). Novembre : « La Marche des Patriotes » est composée. Décembre : Nankin se rend. 1938. Mars : Le système d'achat des vêtements par tickets commence. Mai : La Manifestation ouvrière du 1e r Mai est interdite à jamais. Création de la Loi du Contrôle des industries importantes.

1939. Fondation de la loi du Cinéma.

Le cinéma fut considéré comme une industrie inutile; la fabrication des pellicules et de tout le matériel cinéma­tographique fut contrôlée, et les cinéastes contraints de concéder à la politique nationale.

Après Aien Kyo, Mizoguchi déménagea à Tokyo et y tourna Aa Furusato (Ah! Pays natal, 1938) avec Fumiko Yamaji qui était la vedette d'Aien Kyo. C'était une belle actrice, mais, à vrai dire, elle jouait très mal. Mais sous la direction de Mizoguchi, elle était incroyablement vivante. C'était en effet un génial manieur d'actrices. D n'avait pour­tant jamais utilisé une novice ou une actrice inconnue. Le plus souvent, il se servait d'actrices qui avaient déjà pas mal d'expérience. Ce n'est pas qu'il fût incapable de for­mer une actrice novice, mais il était trop timide et avait trop peur de rater son film. Il savait donc mieux exploiter les talents que découvrir et lancer des actrices inconnues.

Avec Mizoguchi, les actrices se révélaient sous un jour neuf. Prenons le cas de Kyoko Kagawa, vedette de Sansho Dayu (L'Intendant Sansho, 1954). À peine l'eût-il rencon­trée, lors de la première réunion de l'équipe du film, qu'il lui montra la photo d'une statue de femme en bois, datant de l'ère Heian (vra-rx' siècles). « Voilà le modèle d'Anju 55

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que tu incarneras, dit-il à Kyoko Kagawa stupéfaite, va donc voir dès demain cette statue au temple. Pour ce qui est du caractère et de la situation du personnage, le direc­teur de production Tsuji et le scénariste Yoda t'expli­queront. Mais pénètre-toi de ton rôle d'après la seule image de cette statue. Puis étudie bien la peinture et l'architec­ture de la période Heian. On te conduira ensuite dans des temples et des musées. Lis des livres sur l'économie et l'es­clavage à cette époque... » Certains diront en se moquant : « Pour jouer le rôle d'Anju dans Sansho Dayu, ce n'est pas la peine de lire l'histoire de l'esclavage. La lecture ne déve­loppera jamais le jeu ! C'est là un exemple de la pédante­rie vulgaire de Mizoguchi ». Mizoguchi, avec le caractère farouche d'un « edokko » typique (fils de Tokyo), détestait cette sorte de pédanterie vulgaire, mais il croyait qu'il fal­lait absolument que toute l'équipe assimile la base sociale et idéologique d'un film avant le tournage. Cette atti­tude exerça une grande influence sur l'esprit de ses actrices. Mizoguchi leur demandait de s'imprégner de l'essence des personnages qu'elles devaient incarner et de vivre ceux-ci totalement. Saisir toutes les nuances futures du jeu, s'app­roprier une telle culture esthétique ne pouvait faire l'ob­jet d'un jour, mais il disait qu'il le fallait. « Il faut savoir et goûter au superlatif tout ce qui est supérieur » disait-il. Il nous demandait même l'impossible. Et ce faisant, il refusait de nous aider, pour que nous puissions y arriver par nous-mêmes.

Chacun devait s'efforcer de chercher un chemin - le meilleur chemin - pour atteindre le but de Mizoguchi. Chacun devait essayer lui-même, avec sa propre force, de vivre et de créer. Une actrice arrive ainsi à trouver son che­min, devient sûre d'elle-même. Même si elle n'atteint pas la perfection, elle sait mesurer le prix de ses efforts. Voilà le secret du surpassement qu'on constate chez les actrices 56

de Mizoguchi. Mizoguchi détestait les trucs, les « entre­chats » habiles et aimait avant tout la sincérité et l'hon­nêteté, même empreintes de maladresse. Toutes les vanités, toutes les préciosités, tous les déguisements de sentiments lui répugnaient. Il avait en pitié les actrices qui s'expri­maient de façon stéréotypée. Il voulait les déshabiller, les « mettre à poil », les dévoiler, les disloquer jusqu'à mon­trer leur cœur à nu et leur chair à sang, sans craindre la laideur. Cette attitude passait pour sadique, mais elle par­tait, en vérité, d'un esprit cruellement humain. Mizoguchi avait un discernement très subtil. S'il devinait un certain talent chez une actrice, il cherchait sans pitié à l'extérioriser. Dans ce cas, il préférait qu'elle ait du « tempérament » plu­tôt qu'un esprit docile. Il assistait ainsi à la création d'un style, résultat de la confrontation de ce « tempérament » avec ses propres idées. Il n'était pas insensible aux raffi­nements et à l'élégance. Il détestait la vulgarité « paysanne ». Mais il aimait avant tout l'énergie sauvage et la ténacité puisées dans cette force « paysanne ».

L'esprit de Mizoguchi était rempli de contradictions. Mais en même temps, toutes ces contradictions fortifiaient son génie créateur. D voulait tenir ce pari impossible : arri­ver au raffinement de la beauté à partir de forces élémen­taires. Et cela stimula l'évolution des actrices. Mizoguchi les fouettait implacablement comme un démon avide de sang, mais, ce faisant, il se martyrisait lui-même. Il vou­lait d'abord de la logique et ensuite un grand élan qui dépasse la logique. C'était crier : « Vole ! » devant une maquette d'avion. L'avion s'envole, mais il explose quelque part dans le ciel... et Mizoguchi voulait que cette explo­sion soit la plus violente possible. Toutes les actrices pleu­rèrent de douleur sous le fouet de Mizoguchi : Yoko Umemura, Isuzu Yamada, et surtout Fumiko Yamaji qui avait été, jusqu'alors gâtée comme une princesse par le 57

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cinéma. Cette dernière fit des progrès manifestes dans son jeu. Dans Aa Furusato (1938), elle se révéla encore meilleure que dans Aien Kyo (1937). En 1938, Mizoguchi réalisa malgré lui Roci no Uta (Le Chant de la caserne), film exaltant le patriotisme national. Il ne m'avait même pas demandé d'écrire le scénario. Ce fut M. Shuichi Hatamoto qui l'écrivit. Mizoguchi ne se passionna pas pour ce tra­vail. Ce n'était sûrement pas dans un tel film qu'il pouvait révéler les absurdités et les injustices de la société. Il souf­frit, une crise envahit son esprit. Il ne voulait plus conti­nuer d'assumer cette collaboration passive à la politique nationale. Or on n'acceptait que des films édifiants et mora­lisateurs. Dans ces difficultés, il trouva une issue : se réfu­gier dans ce mode lyrique et esthétique, qu'il avait déjà pratiqué. Ce fut le triptyque du Geido (métier des comé­diens). Le premier film de ce triptyque était Zangiku Monogatari (Conte des chrysanthèmes tardifs, 1939).

Dans la revue « Kinema Jumpo » (numéro 80, jan­vier 1954), Mizoguchi dit à propos de Roci no Uta; « Après Aa Furusato, un certain Rokusha a été nommé directeur du studio, et c'est lui qui m'a forcé à faire ce film-là. N'est-ce pas pour ça qu'il a été congédié? Moi aussi, j'ai eu envie de partir... » (En effet il passera à la Shochiku pour tra­vailler au studio de Shimogamo). Il ne dénigrait pas sys­tématiquement la guerre, mais il savait simplement que cela ne correspondait pas à son tempérament et à sa sen­sibilité. Dans cet univers uniforme et impersonnel, il savait qu'il n'arriverait jamais à décrire « l'humain ». Un monde sombre et vague, pauvre et avide, impitoyable et aride, une humanité plongée dans le clair-obscur de l'enfer - voilà l'univers qu'il recherchait.

Pour mettre en images cet univers infernal, Mizoguchi avait besoin d'opérateurs spéciaux. À l'époque de la Nikkatsu, il travaillait presque toujours avec l'opérateur 58

Tatsuyuki Yokota, parfois avec Jinichiro Aoshima qui était l'opérateur favori de M. Minora Murata. La palette de leurs images offrait toutes les nuances des teintes foncées. Puis, à la Shinko Kinema, après avoir travaillé avec Shigeru Miki pour Taki no Shiraito (1933), Mizoguchi connut Minora Miki. À partir de Gion Matsuri {La Fête à Gion, 1933), celui-ci travailla avec Mizoguchi coup sur coup dans les films : Jimpu Ren (1933), Orisuru Ozen (1934), Maria no O-yuki (1935), Gubijinso (1935), Naniwa Erejii (1936), Gion no Kyodai (1936), jusqu'à Aien Kyo (1937).

Miki Minora était un opérateur de la première géné­ration du cinéma japonais, un de ses plus grands pion­niers. H était connu comme le grand opérateur de tous les chefs-d'œuvre que fit le metteur en scène Masahiro Makino, avec, comme scénariste, Itaro Yamagami. Citons Ronin Gai (Le Quartier des Ronins, 1928-1929) et Kubi no Za (Le Prix de la tête, 1929). Le climat des films de Yamagami-Makino était en effet nuancé comme une nuit vaguement éclairée par une lune nébuleuse. Le clair-obscur poétique des images de Minora Miki n'altéra pas les intentions réa­listes de Mizoguchi. Dans Naniwa Erejii et Gion no Kyodai, sa caméra montre tous les détails anecdotiques des rues, des maisons et des mœurs Kansai. Cette conception réa­liste qui laisse deviner jusqu'à l'odeur du corps humain, contribue sans aucun doute à la qualité immortelle de ces chefs-d'œuvre. Kazuo Miyagawa me disait qu'à l'époque de transition du muet au parlant, ce clair-obscur poétique était à la mode. « En fait, pensait-il, ce clair-obscur poé­tisant servait la réalisation des films historiques, parce que les petits détails n'étaient pas visibles - c'est pratique ! - et qu'il était facile de produire soit un effet lyrique, soit un effet réaliste... ». Mais M. Miki m'a dit : « Je suis d'une autre génération que celle de M. Miyagawa. J'ai appris la technique de la caméra avec les gens qui ont commencé 59

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à crier que le cinéma était le septième art. J'ai étudié notamment la prise de vue en voyant les films de Griffith photographiés par Billy Bitzer. C'est lui qui a créé la prise de vues cinématographique en la distinguant de la prise de vues photographique ». Il n'est pas difficile d'imaginer l'étroite collaboration de Bitzer avec Griffith pour l'in­vention du gros plan, du montage parallèle, du plan éloi­gné, de la fermeture et de l'ouverture au fondu. Voici un exemple de ce qu'il a fait dans ses films. D'abord un fond noir, ensuite un point de lumière - c'est le feu d'une allumette. La caméra commence à bouger lentement jus­qu'à cadrer un paysage lumineux... et on comprend qu'il s'agit du bas d'un viaduc de chemin de fer. Ce clair-obs­cur poétique n'était-il donc pas une des grandes techniques d'expression pour manifester que le cinéma possède sa propre beauté artistique?

De toute façon, dans les prises de vues de M. Minora Mikd, il y avait quelque chose de mouillé, de brumeux, et en même temps, une atmosphère tendue, sèche, sans larmes. On avait aussi l'impression qu'un joli pétale de fleur flottait à la surface d'un canal boueux, au milieu des ordures, et que sur ce pétale étincelait une goutte de rosée. Grâce à ce style d'une sensibilité aiguë et vibrante, Minora Miki savait très bien fondre en une synthèse harmonieuse des éléments hétérogènes. Ce double caractère à la fois acharné dans sa création d'une atmosphère et pénétré du parfum sauvage de la réalité fonde à juste titre le style de Mizoguchi.

À l'avènement du parlant, la direction et l'adminis­tration de l'industrie cinématographique se modernisaient. La fondation de la compagnie Toho fut représentative de cette réforme. Le service de planning joua un rôle capi­tal. Jusqu'alors c'était le metteur en scène lui-même qui proposait un projet de film que le délégué du met-60

teur en scène étudiait avec la direction de la société. Mais le service de planning instaura son monopole. Cependant Mizoguchi sut très bien exploiter ce système pour rejeter toute responsabilité. Zangiku Monogatari fut réalisé au moment où M. Yoneda de la Shinko Kinema fut délé­gué au studio de Kyoto de la Shochiku pour s'occuper du planning. Dans l'autre studio de la Shochiku (studio de Shimogamo), se distinguaient des réalisateurs tels que Teinosuke Kinugasa, Kintaro Inoue, Taizo Fuyujima, Kosaku Akiyama, Minora Inuzuka, Eisaku Furuno. Le studio de Shimogamo avait déjà son propre style - un style d'un romantisme élégant qui caractérisait des films comme : Futatsu Doro (Les Lanternes amoureuses, 1933), Koina no Ginpei (1933), Osaka Natsu no fin (Combat estival Osaka, 1937) de Teinosuke Kinugasa. Le studio de Shimogamo était la concrétisation parfaite des aspirations de « l'Union du Cinéma Kinugasa » qui s'était consacrée à la promo­tion des films indépendants à partir de Kurutta Ichi Peiji (Une page folk, 1926) de Kinugasa. Autour de celui-ci, des jeunes gens se réunissaient pour étudier le cinéma : Eijirô Tôno (acteur), Ryûichirô Yagi (scénariste), Hisao Itoya (directeur de production et de planning). Ils avaient tous des idées plus ou moins de gauche. Ces jeunes gens entrè­rent les uns après les autres à la Shochiku et s'occupè­rent de tous les ennuis de Mizoguchi avec la direction de la compagnie. Pour Zangiku Monogatari, ce fut d'abord M. Yoneda qui prit contact avec Mizoguchi.

Mizoguchi : « Qu'est-ce que vous voulez que je tourne? Yoneda : Ce que vous voulez. M. : J'ai trop de projets. C'est donc à vous de décider. Y. : Bon ! Voulez-vous donc tourner ce que nous vous

proposerons? M. : Bien sûr, si cela est intéressant. Je veux bien étu­

dier vos projets. Eh bien! Que dois-je faire? Je serais ennuyé 61

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que vous ne vous décidiez pas immédiatement. Je serais condamné à mourir de misère.

if .- Mourir de misère? Vous plaisantez! M. : Je parle sérieusement, Monsieur! Y : Si les choses étaient ainsi, vous n'auriez devant vous

qu'un squelette ! M. : De toute façon, décidez-vous rapidement. Si la

compagnie voulait me payer dès aujourd'hui, j'attendrais, mais...

Y. : Je réponds de mon planning. Mais, vous aussi, vous devez prendre la responsabilité de nous proposer un pro­jet.

M. : Que pensez-vous d'un projet de film avec un acteur de Shimpa ou de Kabuki?

Y. : D'accord. -M. : Tirons parti au maximum des avantages de la

Shochiku, qui a sous sa dépendance tout le Kabuki. Y : Qui voulez-vous comme acteur de Kabuki? M. : Rokudai-me (le sixième héritier du nom de Shotaro

Hanayagi), son jeu, plein de finesse et de subtilité, est incon­testablement admirable. Il est souvent un peu trop pré­tentieux, mais c'est bien si ses prétentions sont artistiques. C'est qu'il est le sixième héritier de ce nom.

Y : Qu'attendez-vous donc de lui? M. : Tout. Cela sera intéressant, mais peut-être impos­

sible. D ne voudra sans doute pas. Le cinéma, il s'en fout... C'est surtout grâce aux précieux efforts de M. Matsutaro

Kawaguchi qui conduisait alors les premiers pas du théâtre « Shimpa », que la réalisation cinématographique de Zangiku Monogatari, qui avait connu un grand succès à la scène, fut réussie. Mizoguchi insista auprès de Shotaro Hanayagi pour qu'il joue un rôle masculin. Hanayagi était en effet spécialisé dans les rôles féminins (Oyama). Il était déjà assez âgé. D semblait douteux aux yeux de tous qu'il puisse 62

jouer au cinéma le rôle de Kikunosuke Onoe, jeune héros de vingt ans, bien qu'il l'ait déjà fait au théâtre.

L'opérateur Minoru Miki fit un bout d'essai de Hanayagi, costumé et maquillé, qui ne se révéla guère convainquant. Mizoguchi proposa alors de le filmer en plans éloignés. Il était courant de tourner avec un objec­tif de cinquante millimètres, mais Mizoguchi voulait exploiter au maximum ce procédé : employer systéma­tiquement un objectif à grand angle. Minoru Miki, ins­piré, lui donna son accord sur-le-champ. Le but de Mizoguchi était de tourner de longs plans généraux au grand angle, pour faire vivre l'espace théâtral et permettre ainsi à Shôtarô Hanayagi de jouer naturellement. C'est ainsi qu'il inventa son procédé du « one scène one eut » (plan séquence). À ce propos, Minoru Miki m'a dit l'autre jour : « Si j'avais hésité quand Mizo-san m'a demandé s'il était possible de tourner de longs plans généraux avec le grand angulaire, il y aurait renoncé facilement. En réa­lité j'avais prévu tout de suite les difficultés que cela com­portait. Par exemple, dans un long travelling latéral, une colonne ou tout objet vertical apparaîtra déformé. De même, le point est net, mais la notion d'espace est faus­sée. Voilà les dangers de ce procédé. Mais je n'en ai rien dit à Mizo-san. Je lui ai simplement répondu que j'allais consulter le décorateur Mizutani... »

Ce procédé permit à Mizoguchi de cristalliser le maxi­mum d'énergie dans sa mise en scène. Plus exactement, pour qu'une telle conception du tournage soit possible, durant de longues séquences, les acteurs devaient pré­server jusqu'au bout la tension de leur jeu. Il me semblait que Mizoguchi avait bien réfléchi à tout cela.

J'ai eu beaucoup de difficultés pour écrire le scénario. Le roman original de Shofu Muramatsu était très court. J'essayai de développer mon scénario d'après l'adaptation 63

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scénique de Sanichi Iwaya. Pour cela je dus lire le plus de documents possibles. Mizoguchi m'avait donné des livres sur la vie de Kikugoro Onoe, sur l'histoire du Kabuki, sur les mœurs et la vie des acteurs, etc. Il me fallait beau­coup de temps pour arriver à traduire la conception du découpage qu'avait Mizoguchi. En faisant trop attention à sa vision scénique, j'aboutissais à un découpage, insi­pide, une chronique sans vie. Il voulait une construction plus architecturée, plus ouverte. Je regrette de n'avoir pas pu lui donner entière satisfaction.

En attendant que Shotaro Hanayagi termine sa sai­son théâtrale, Mizoguchi commença le tournage par quelques séquences avec Otoku, l'héroïne aimée par Kikunosuke Onoe. Zangiku Monogatari, plus qu'une chro­nique de la jeunesse d'Onoe, est la triste histoire de l'amour tragique d'Otoku. Une actrice, Mlle K... avait été choisie par la compagnie pour le rôle d'Otoku. Elle avait une beauté douce et mélancolique qui convenait à son rôle mais elle était trop habituée au tournage discontinu pour arriver à jouer comme sur scène. Mizoguchi ne donnait aucune indication concrète pour corriger le jeu des acteurs.

En 1945, à la fin de la guerre, Mizoguchi réalisa Miyamoto Musashi Bijomaru (L'Excellente Épée Bijo-maru), dont il parle ainsi dans la revue « Kinema Jumpo » : « J'ai fait ce film dans le bouleversement de la fin de la guerre. On ne pouvait tourner que ce genre de films. De plus, je l'ai réalisé en vingt jours. À l'époque, tout le monde était mobilisé. Moi, je me dérobai sous le prétexte de continuer à tourner, même ce genre de film. Et nous nous sommes ainsi bien débrouillés, Yasujiro Ozu et moi ! Quant à'Meitô Bijo-maru, ce fut la même chose, je n'ai rien à ajouter. »

On Ut plus loin, à propos de Josei no Short (La Victoire du sexe féminin, 1946) : « La guerre finie, il n'y avait plus de metteurs en scène au studio d'Ofuma (Shochiku). On 64

m'a demandé de venir y tourner un film dont Kaneto Shindo avait déjà fait le scénario, en collaboration avec Kogo Noda. J'étais d'accord, mais, au même moment, je fus nommé président du syndicat des employés de la Shochiku. Il m'était alors impossible de continuer le tour­nage. En outre, quoique président du syndicat, j'étais contre la grève ! En fin de compte, j'ai démissionné. C'est à ce moment-là qu'est morte Michiko Kuwano (vedette de Josei no Shori) ».

Imaginez Mizoguchi président de syndicat ! Ce grand timide, incroyablement gêné quand il devait faire un dis­cours en public, et qui, relevant fièrement le menton, n'ar­rivait à murmurer que des paroles inaudibles ! Dans son discours d'inauguration, il disait sèchement : « Maintenant, c'est moi qui commande, êtes-vous prêts à me suivre? » L'étonnement fut général. Puis il abandonna son poste, en pensant, paraît-il, à ses propres intérêts : il ne voulait pas avoir d'ennuis avec la direction de la compagnie.

En décembre 1945, la loi du Syndicat des Travailleurs fut promulguée, et sous l'ordre du G.H.Q. (le quartier général de l'armée U.S.) des syndicats s'organisèrent par­tout, en particulier aux compagnies Daiei et Shochiku. Le G.H.Q. se méfiait du communisme. On était à la veille de la fameuse grande grève générale du cinéma de Kyoto. Le 1er février, le G.H.Q. interdit la grève. Peu après, nous reçûmes de lui des ordres défendant strictement d'exal­ter la féodalité dans les Jidai-geki (films historiques de cape et d'épée) et d'utiliser un sabre ! La production des Jidai-geki fut ainsi arrêtée, puisque leurs héros, qui jus­qu'alors brandissaient leurs épées avec bravoure et panache au nez des scélérats, ne pouvaient plus agiter qu'un gros bâton avec un air féroce. Cela devenait sans intérêt, et l'on ne parvint pas à trouver le moyen de faire des films historiques « démocratiques » qui attaquaient l'esprit féo-65

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dal. C'est à cette époque qu'on a lancé la mode des films historiques à « suspense » et mystère... D'autre part, après l'abrogation de la censure du ministère des Affaires inté­rieures, une nouvelle censure (Eirin) fut organisée sous le contrôle du G.H.Q., qui autorisa en revanche les scènes d'amour. Sur le champ, on en profita pour faire des films erotiques. C'est ainsi que l'on mit sur pieds Utamaro o Meguru Gonin no Onna (Cinq femmes autour d'Utamaro, 1946). Le roman de M. Kanji Kunieda mettait en scène des personnages libres, de façon très erotique.

Mizoguchi voulait le traiter du point de vue « d'Utamaro, le peintre populaire », ce qui accumulait les difficultés. Je me permets de citer ici quelques notes que j'ai écrites à l'époque pour le scénario : « Utamaro est un peintre d'es­tampes. C'est un artisan et non "un artiste de maison" au service des riches samouraï. C'est un homme fort et farouche. Il se contrôle devant les riches et les samouraï mais les méprise en lui-même. Il ne s'humilie jamais. D déteste les flatteries. C'est un homme fier. D a des idées précises sur son travail même s'il ne les expose pas publiquement.

Utamaro consacrait tous ses efforts à la peinture de la féminité. Il voulait saisir la beauté féminine dans l'éro-tisme, où elle brille de ses feux les plus éclatants et mys­térieux.

Utamaro est un peintre, un artiste populaire. Mais c'est là un jugement objectif. En avait-il lui-même conscience? Il serait absurde de penser qu'il voulait révéler la beauté au peuple. Il vivait tout simplement avec le peuple, comme le peuple.

Utamaro noyé dans le féminin. D abrège sa vie à consa­crer toute son énergie aux femmes. Mais cette vie qu'il a gaspillée avec elles, pour elles, ressuscite dans sa peinture.

Sa peinture n'était pas à l'image de ses modèles. D vou­lait peindre des portraits de femmes idéales. Il attachait 66

beaucoup plus d'importance, dans sa composition, au côté physique qu'à la description réaliste des apparences. Il voulait peindre la beauté des apparences aussi bien que la beauté physique.

Il faisait très peu de portraits d'acteurs, ce qui était à la mode.

Beaucoup d'estampes ont vieilli, sauf celles d'Utamaro. Il fit des tatouages sur une Oiran (geisha de premier

rang), en véritable artiste populaire. Il fut attiré par la beauté de sa chair, et son plaisir résidait dans le fait de peindre sur une peau vivante.

D ne pensait pas que peindre sur toile ou sur papier fut un principe strict, à respecter, et que peindre sur la peau d'une femme fût une technique méprisable et de mauvais goût. Pour lui, sa peinture vivait sur elle, avec elle : il s'agis­sait d'une véritable création. »

Voilà à peu près mes notes sur le personnage d'Utamaro, rédigées après la lecture du roman de M. Kunieda et une longue conversation avec Mizoguchi. En même temps, j'essayai de formuler ma propre pensée sur Utamaro, et cette pensée était complexe, embrouillée : là est la raison sans doute de la confusion et de la dispersion du sujet à'Utamaro...

Mais ce qui compte pour moi, c'est d'avoir voulu, presque inconsciemment, faire le portrait de Mizoguchi à travers celui d'Utamaro. Ce n'est pas une ressemblance trait pour trait, mais n'a-t-on pas le sentiment que le por­trait d'Utamaro tel que je l'ai brossé dans mes notes évoque assez bien celui de Mizoguchi?

En voici la suite : « Les cinq femmes qui entourent Utamaro sont toutes plongées dans des situations dou­loureuses, et elles aspirent à la liberté. Elles sont victimes du système féodal. Utamaro est toujours là pour écouter ces femmes, les conseiller, les aider, sympathiser avec elles. 67

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Cette sympathie est son caractère essentiel en tant qu'ar­tiste et peintre. »

Après ce film, Mizoguchi me demanda de me docu­menter sur « Les Cinq amoureuses » de Saikaku (le plus grand romancier du réalisme populaire de l'ère Edo). J'ai rédigé un synopsis en collaboration avec Hisao Itoya. Ce projet, bien qu'accepté par le G.H.Q., ne fut jamais réalisé...

Puis, nous allâmes à Tokyo pour préparer notre pro­chain film : Joyu Sumako no Koi (L'Amour de l'actrice Sumako). Nous avons rencontré M. Hideo Osada, l'au­teur du roman, Kinuyo Tanaka et Sô Yamamura, deux vedettes du film.

À la Toho, ce sujet avait déjà été traité : Joyu (L'Actrice), par Teinosuke Kinugasa, avec Isuzu Yamada. Avec Mizoguchi comme metteur en scène, la Shochiku lan­çait donc un défi à la Toho.

Le scénario de Joyu Sumako no Koi (1947) ne fut pas réussi. En général, Mizoguchi excellait à traiter ce genre de personnage de femme excentrique, comme Sumako, et je m'y intéressais aussi beaucoup. Mais la véritable difficulté était de faire le portrait de Hogetsu Shimamura, le partenaire de Sumako, grand théoricien et esthéticien. Nous n'avons pas su montrer dans une forme aboutie et rigoureuse ce qu'était l'amour entre l'acteur et le profes­seur, ce qu'était « l'amour faisant corps avec l'idéolo­gie », comme l'exprimait le professeur lui-même. De plus, il fallait décrire les circonstances de la naissance du « Shingeki » (Théâtre moderne à l'européenne) : Sumako Matsui était la première grande actrice du Shingeki, et le professeur Hogetsu Shimamura, un des plus grands dra­maturges. Nous avons donc centré le sujet sur les rapports des deux personnages, sur leur amour et leurs souffrances. Par quoi Sumako était-elle attirée chez Hogetsu? Nous 68

n'avons pas su dégager la signification de l'amour de Hogetsu, qui n'avait pas hésité à abandonner sa famille pour lui. Cela était d'autant plus gênant que Sumako avait mauvaise réputation. La compagnie voulait un mélodrame, et nous avons bêtement essayé de faire un portrait sym­pathique de Sumako, au lieu de rester fidèle à la légende de l'actrice.

Dans un ryokan (hôtel à la japonaise), muni d'un tas de documents, j'ai commencé à rédiger le scénario. Cette fois, Mizoguchi resta à mes côtés, classant des papiers, taillant des crayons, et répétant sans cesse : « Tu n'es pas trop fatigué? Tu sais que tu n'es pas très solide. Repose-toi un peu. Que veux-tu manger au déjeuner? Du tendon (riz accommodé de tempura)? C'est un peu trop lourd. Du soba peut-être (pâté de sarrasin) ? Mais le soba d'ici n'est pas bon... Ne veux-tu pas sortir un peu?... Ne te hâte pas trop de finir... Ne tarde pas trop cependant... Fais-moi un portrait intéressant de femme. Le personnage de Sumako offre de belles possibilités... Allons, du cou­rage ! Ne te laisse pas battre par la Toho. Mais à la Tôhô, c'est Eijiro Hisaita, le plus grand dramaturge du Shingeki, qui a écrit le scénario. Aussi est-ce une bataille perdue d'avance !...» Mizoguchi, sous des dehors calmes, était visi­blement très nerveux. Il m'empoisonnait, et je ne pouvais plus travailler dans ces conditions.

Le scénario de Sumako fut enfin terminé, mais nous avions trois textes. Il fallait choisir l'un d'eux. « Ça m'en­nuie, dit Mizoguchi, je n'y comprends plus rien. Faisons-les juger à Koichi Takagi... » C'est à dater de ce jour que Mizoguchi m'envoya par lettres ses opinions et ses cor­rections sur mon scénario, avec des notes marginales. En voici quelques exemples, concernant la seconde ver­sion de mon scénario.

« Changer de construction dramatique. Ce n'est pas encore 69

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assez fouillé comme dialogue. Mettre plus de sentiment dans le ton du dialogue pour le dramatiser. H faut insister sur la mala­die de Sumako pour lui attirer la sympathie du spectateur. Mais, comme, par ordre du G. H. Q. nous ne pouvons pas insister sur le fait qu 'elle pense à se suicider, nous serons obligés de cou­per cette séquence.

« S'il faut couper la scène précédente, il faut, ici, dans le texte du discours du professeur Hogetsu Shimamura, expliquer plus précisément notre but et sa pensée : non seulement la souf­france d'un homme persécuté par la vie, mais son espoir, ses ambitions, ses possibilités d'action, etc. Réfléchis. Je pense que cette scène est importante, elle doit suggérer le thème du film...

« Il faut que Sumako ait du caractère, sans pour autant en faire une femme sauvage et idiote. Faire le portrait d'une femme de 30 ans, ayant de la volonté, une certaine véhémence, mais d'une femme féminine et sympathique.

« Il faut étudier l'essence du mariage de raison. Est-ce seu­lement un mariage pour la forme?

Une jeune fille qui va à la rencontre de son conjoint doit être bien habillée. Etre parée de l'habit de cérémonie est, pour une femme, l'événement le plus important de la vie. L'entrevue (pour le mariage) dans un parc n'est pas digne. Une dame comme Mme Hogetsu n'aimerait pas cette situation banale, bonne pour des gens comme nous. Il faut que cette rencontre se fasse soit dans un salon chic, soit dans un jardin privé. Ou pendant la cérémonie du thé, pendant un concert ou dans une salle de théâtre...

Après avoir lu ton second scénario, j'ai l'impression que Kichizo Nakamura ne joue toujours pas un grand rôle dra­matique. Pour renforcer ce personnage, ne peut-on changer quelque chose sur Sumako, Hogetsu, ou dans le scénario lui-même?

« Faut-il inclure une scène de répétition de « Maison de 70

Poupée » pour montrer l'émotion intense d'une dernière repré­sentation ?... J'hésite. Pense bien à cela, monsieur le scéna­riste. »

Voilà tout Pavant-propos de Mizoguchi. Puis, il émaillait le scénario de notes : Salle de conférence de l'Université de Waseda. Un matin de la fin du printemps. Le profes­seur Hogetsu Shimamura donne un cours, les bras croi­sés, d'un air mélancolique :

Hogetsu : « On souhaite toujours que tout marche comme on veut. Mais la vie n'est pas facile. On trouve alors des raisons lâches pour éviter de résoudre ce grand problème. C'est une vie fausse. Au delà de cette solution facile, la réalité existe. Il ne faut jamais fuir la réalité, si pénible soit-elle. souhaitant toujours une meilleure vie et faisant face à la réalité, vivre une vie telle qu'elle est - c'est là, je crois, la véritable vie humaine. En ce sens, l'art est la chose la plus importante de la vie. Enfin, la vie est un chemin de persécu­tés. » (Souligné par Mizoguchi.)

Note de Mizoguchi : « Faire allusion, au début du discours du professeur, au « suicide » de Sumako et, ensuite, extraire les éléments qui représentent bien Hogetsu et qui touchent les étu­diants qui l'écoutent. Le discours de Hogetsu dans cette scène est très important dans la mesure où il est une allusion au des­tin de Hogetsu et de Sumako. »

Plus tard. Rue près de la Bungei Kyokai. Hogetsu et Sumako marchent côte à côte.

Hogetsu : « Vous êtes fatigué, non? » Sumako : « Non, Monsieur, pas du tout! » (Sumako est

l'élève de Hogetsu.) Hogetsu : « Vous êtes têtue ! » Sumako : « Mais je suis très heureuse. Travailler avec

vous, c'est, pour moi, tout à fait comme une vague qui attaque un rocher... (Souligné par Mizoguchi.) Plus je me lance contre vous, plus je me sens vivante. » 71

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Hogetsu : « C'est une qualité unique, propre à vous. Moi aussi, je me sens vivant lorsque vous vous lancez contre moi. C'est la première fois que j'ai cette sorte de senti­ment. Avec vous, mon art commence à vivre. »

Note de Mizoguchi : « Il est difficile de mettre du sentiment dans cette phrase en la prononçant. Pour bien exprimer un sen­timent, il faut répéter les mêmes mots et expressions. »

Sumako : « Vous me flattez... Oh, quel bonheur! » Note de Mizoguchi : « Il y a un trop grand décalage psy­

chologique entre les deux phrases. Il est, je crois, difficile déjouer cela. »

Hogetsu : « Ne vous laissez vaincre par personne ! » Sumako : « Jamais ! » Hogetsu : « Dans trois jours, c'est la représentation d'es­

sai. Des dramaturges, des écrivains, des hommes du Kabuki même nous observeront. »

Appartement de Sumako. Sumako entre, avec Hogetsu. Sumako : « Je m'excuse, c'est sale... » Elle allume la lampe. Hogetsu regarde l'appartement.

Chambre prosaïque, sans aucune décoration. Sumako : « C'est sale, n'est-ce pas? » Hogetsu : « Non... Cela ne ressemble pas à un appar­

tement de femme ». Sumako : « Je suis paresseuse... Je vais vous faire du thé ». Hogetsu se met à côté d'un petit bureau et prend un

livre anglais {Le Roi Lear de Shakespeare). Les pages sont pleines de mots japonais qui marquent la prononciation.

Hogetsu : « C'est l'original du Roi Learl C'est vous qui avez mis ces mots de prononciation? »

Sumako : « Oh non, Monsieur, ne regardez pas cela ! Pai beaucoup de peine à écouter le cours de M. Tsubouchi. Je ne comprends pas du tout l'anglais. Je fais semblant de le comprendre en classe, mais quelle honte... Je suis heureuse pour la première fois de ma vie, parce que j'ai 72

enfin quelqu'un comme vous qui me comprend bien... Mais c'est triste de savoir que vous êtes déjà marié ».

Sumako laisse Hogetsu la prendre dans ses bras, puis le repoussant :

Sumako : « Non, monsieur... » Hogetsu : « Je vous aime. Avec vous, je veux... » Sumako : « Laissez-moi. Allez-vous en, s'il vous plaît.

Vous êtes le maître et je suis une élève. Et vous avez une femme et des enfants... »

Hogetsu : « Si tout est détruit, ça va ! C'est mieux que tout soit détruit. C'est un destin naturel. Je vais enfin avoir le vrai bonheur avec vous. Le vrai bonheur ; comprenez-vous? »

Note de Mizoguchi : « Chercher, à la place du mot « détruit », un mot plus fort ou une expression qui fasse allu­sion au passé de Hogetsu. »

Sumako : « Allez-vous en ! Allez-vous en ! » Elle crie de moins en moins fort et, en sanglotant,

tombe... Note de Mizoguchi : «Ayant lu le texte jusqu'ici, j'ai l'im­

pression qu'il y a un peu trop de mots inutiles. Tu prends à la légère des mots importants. Je te demande de supprimer les mots peu importants, et d'insister sur les mots importants. Etudier les rapports entre le dialogue et le jeu. Ecrire un dialogue à sen­tir, non pas à lire. Etudier la façon de dialoguer. Je pense que dans ton dialogue, il n'y a que des échanges de paroles, que des questions et des réponses. Ne peux-tu pas trouver des expres­sions ou des répliques négatives? »

Je comprends trop bien combien Mizoguchi était mécontent de mon scénario. En le relisant, je suis stupé­fait moi-même de sa maladresse, et je regrette beaucoup d'avoir donné à Mizoguchi tant de peine. Je vous mon­trerai encore trois ou quatre notes intéressantes de Mizoguchi. 73

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Lorsque Shoyo Tsubouchi, son professeur, fait des reproches à Sumako, celle-ci réplique : « Jusqu'à présent, une femme qui savait se contenter de mots d'amour et qui voulait et pouvait mourir pour ces mots, était une femme belle et sympathique. Mais moi, je ne veux pas être cette espèce de lâche menteuse! Moi, je veux vivre... » À pro­pos de cette réplique de Sumako, Mizoguchi m'a écrit :

« Montrer clairement la philosophie d'une femme moderne et le caractère de Sumako, non pas dans un style de thèse, mais dans un langage de femme aimable, pour que le public puisse les accepter. »

«Je souhaite que tu arrives à bien décrire une beauté pathé­tique née des souffrances d'un Christ persécuté. Il faut ici une description infernale. Ce négatif est indispensable pour produire après un effet positif. Ecris-le bien en gaspillant plein de papier. Je me permets de te demander une autre et dernière chose : ne peux-tu donner quelque part une belle scène d'érotisme? Une scène erotique, mais pour pouvoir montrer que leur amour n'était pas impur, ni immoral. Je réfléchis moi-même, en admirant les fleurs de cerisiers de mon jardin. Amitiés. Mizoguchi. »

Il m'écrivait encore : « Montrer la vie quotidienne de ces deux amants; réfléchir à la façon poétique de décrire les pay­sages où ils voyagent. Je pense que le dialogue n 'a pas de ton. Il est en général un peu trop uni et plat. Mettre plus de senti­ment et accentuer les mots importants et significatifs. Cela déter­mine en effet le point de vue de ma mise en scène. Il faut penser à impressionner le public déjà par des mots. Encore un coup : je te prie de penser à enthousiasmer les spectateurs par une pres­sion lourde depuis le début jusqu'à la fin. »

Toutes ces notes deviennent de plus en plus violentes. Elles sont écrites sur des papiers de mauvaise qualité, grif­fonnées avec un crayon, ce qui donne une impression monstrueuse. Il paraît que Mizoguchi a toujours écrit ces notes dans la nuit, après avoir bu du saké. Mais il ne fai-74

sait aucun travail en buvant. Un jour, lorsque j'ai visité le studio, Mizoguchi tournait un plan de la partie de cano­tage. Sumako (Kinuyo Tanaka) et Hogetsu (So Yamamura) étaient dans un canot. Mizoguchi dit : « Tanaka, pense bien à Sumako en ce moment, parce qu'elle... », et, allon­geant vers Kinuyo Tanaka son index comme un bâton, il a rougi et murmuré quelque chose, en détournant sa tête couverte d'une casquette. KinuyoTanaka écoutait Mizoguchi en approchant son oreille de sa bouche.

Je n'ai rien entendu. On m'a appris plus tard que ce murmure de Mizoguchi était : « Sumako, en ce moment, a fini... ça. Elle connaît déjà ça. Étudie-le bien ! »

Je me souviens bien de cet épisode, parce qu'à cette époque, on parlait beaucoup dans le journalisme de rela­tions entre Mizoguchi et Kinuyo Tanaka. Moi, je ne sais rien de leurs rapports. Mais je crois qu'ils étaient très sérieux et très prudents, et qu'il n'y avait rien de hon­teux entre eux, comme on le disait. Je vous prie de ne pas croire que c'était un amour sénile de Mizoguchi. J'ose ajouter ces mots pour leur honneur.

Revenons en arrière. À la veille de la guerre, exactement. Zangiku Monogatari, plus qu'une chronique de la jeu­

nesse de Kikunosuke Onoe, est l'histoire de l'amour tra­gique d'Otoku. Une actrice nommée Mlle K avait été choisie par la production pour le rôle d'Otoku. Elle avait une beauté douce et mélancolique qui convenait à son rôle, mais elle était trop habituée au tournage discontinu pour arriver à jouer en plans longs, Mizoguchi ne donnait aucune indi­cation précise de jeu. Voici une anecdote à ce sujet, elle se situe au moment où l'héroïne Otoku, après avoir quitté Kikunosuke pour ne pas entraver sa carrière d'artiste, retrouve par hasard son nom dans un journal : se souvenant avec nostalgie de son ancien amant, elle erre tristement... « Toi, Otoku, tu croyais avoir complètement oublié ton 75

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amant. Tu en étais persuadée, comprends-tu? Mais tu as retrouvé son nom, et tous les sentiments oubliés resurgis­sent... alors, à toi de les exprimer! » expliquait Mizoguchi avec véhémence. Devant l'actrice, effondrée parce que ce plan avait déjà été repris plus de dix fois, Mizoguchi conti­nue : « Analyse bien la psychologie du moment et essaye de l'exprimer en l'intégrant dans un va-et-vient dialectique. » Le mot « dialectique » terrifia Mlle K., comme si elle avait été traînée devant un tribunal. « Tu n'es pas digne d'être actrice. On ne fait pas un film de cape et d'épée ! Tu joues avec Shotaro Hanayagi, le plus grand acteur de « Shinpa »...» - «Bien, Monsieur. Je vais essayer d'étudier mon rôle. » -« J'ai autre chose à faire. Le tournage n'est pas un cours d'art dramatique. » Pauvre Mlle KL, elle répéta en vain ce même plan toute la journée. Son jeu ne plut jamais à Mizoguchi. Or, la distribution du film avait déjà été publiée. On parlait de cette actrice, qui avait la chance de jouer avec le grand Hanayagi. Elle était morte de honte d'avoir dû abandonner le rôle, après ce plan manqué; si elle avait réussi à le jouer, il y avait toutes les chances pour qu'elle devienne une vedette. Mizoguchi la congédia, sans pitié, pour la remplacer par Kakuko Mori, actrice qui avait fait l'expérience éprouvante de la scène. Répondant au choix de Mizoguchi, Kakuko Mori joua admirablement le rôle d'Otoku. Mais je ne peux pas oublier cette pauvre Mlle K

La silhouette triste d'Otoku, dévouée, animée d'un amour pur, représentait aussi à mes yeux notre peuple qui avait servi la patrie avec abnégation et qui s'était fait déci­mer au champ d'honneur. À cette époque, on exaltait ces sentiments patriotiques. On fit coup sur coup des films « militaires ». Les metteurs en scène Yasujiro Ozu, Sadao Yamanaka partirent en guerre. Et ce dernier, que j'avais tant vénéré, ne revint jamais de ce désert de boue et de poussière, achevé par la maladie. 76

Après Zangiku Monogatari, M. Fuji Yahiro écrivit pour Mizoguchi un scénario sur la vie de Kazan Watanabe (savant, écrivain, peintre, sorte de socialiste de la fin de l'ère Edo). Mais la direction de la compagnie ne l'accepta pas. M. Yahiro et moi, nous avons alors voulu adapter la vie de Tomoatsu Godai, grand homme d'affaires de l'ère Meiji. Avec la collaboration de M. Hisao Itoya, qui était au courant de tout ce qui concernait l'ère Meiji, nous avons achevé un scénario. Nous choisîmes le titre de Naniwa Onna {Les Femmes de Naniwa Onna ou d'Osaka), car le héros était entouré de trois femmes. Mizoguchi fut enthou­siasmé : « C'est la vie d'un Rothschild ! » Tomoatsu Godai était un grand homme politique et un homme d'affaires. Il monta à Osaka, très jeune, pour faire une carrière poli­tique et par la suite devint un homme d'affaires important qui réussit à fonder le commerce d'Osaka. Mais, comme un fait exprès, la compagnie refusa le projet et nous demanda de faire quelque chose de plus simple, de plus « populaire », d'essayer de plaire au public féminin, en déve­loppant l'idée des trois femmes. Nous finîmes par travailler un projet sur le monde du « Jôruri » (théâtre traditionnel de marionnettes, accompagné de la musique et du réci­tatif» Gidayu »), avec l'accord de la compagnie. M. Yahiro l'abandonna, et j'écrivis le scénario seul. Toutes les diffi­cultés m'attendaient, car je n'avais aucune idée sur le « Joruri ». J'amassai tous les renseignements possibles et, en accord avec Mizoguchi, je choisis enfin comme héros Danpei Toyozawa qui, dit-on, joua du « shamisen » (ins­trument de musique japonais traditionnel, sorte de gui­tare à trois cordes) jusqu'au moment de sa mort. Sa femme, Chika-jo (ou Ochika) était l'auteur célèbre de « Tsubosaka », un chef-d'œuvre du répertoire de « Joruri ». Danpei Toyozawa, le shamisenniste, faisait un duo avec Koshijidayu qu'on appelait « la plus belle voix du siècle ». Or ce fameux 77

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duo fut rompu à cause d'une rivalité violente entre leurs femmes, Chika-jo et Taka-jo. Dans ce film, pour la pre­mière fois, Mizoguchi utilisa Kinuyo Tanaka, qui fut une Chika-jo remarquable.

Naniwa Onna fut sélectionné parmi les dix meilleurs films de l'année (1940) et obtint, comme Zangiku Monogatari, le prix décerné par le Ministre de la Culture. Je pense que le premier est sans aucun doute un des chefs-d'œuvre de Mizoguchi. Dans ce film, on m'a reproché une chose, paraît-il, invraisemblable : un montreur de marion­nettes, nommé Bunkichi, veut continuer son métier même après être devenu aveugle. Moi, je voulais par-là faire l'éloge du stoïcisme de Bunkichi, soutenu par l'amour de sa femme, Okuni. M. Monjuro Kiritake, spécialiste en « Jôruri », disait que cela manquait de vraisemblance. Mais Mizoguchi me poussa à le faire. « Qu'un aveugle puisse ou non montrer des marionnettes, ça n'a pas d'importance. Si tu veux l'écrire, écris-le. Ne te décourage pas. » J'ai une copie des notes de Mizoguchi sur Naniwa Onna :

Notes sur les personnages. - Ochika (La femme de Danpei Toyozawa) : femme qui

veut vivre une vie droite, idéale, constructive, pensant au lendemain, bonne épouse, assistante et inspiratrice de son mari.

- Otaka (La femme de Koshijidayu) : se contente d'une vie aisée, comme femme d'un artiste connu.

- Danpei Toyozawa (Le joueur de « shamisen ») : les grands artistes sont sympathiques. Ils oublient facilement la réalité pour l'idéal : c'est peut-être cet idéalisme opti­miste qui donne l'impression qu'ils sont anormaux.

- Okuni (Geisha) : femme-poupée à la mode féodale traditionnelle. Il faut en faire un beau portrait en tant que représentant une jeune femme ordinaire.

- Bunkichi (montreur de marionnettes) : Si Okuni est 78

une femme féodale au bon sens du terme, Bunkichi repré­sente le mauvais côté de cette morale féodale. Type d'homme sentimental qui ne sait pas réaliser ses rêves à cause de cette faiblesse morale.

- Koshijidayu (récitateur de « Gidayû ») : un homme, se laissant entraîner par sa femme Otaka, personne très réaliste, et qui ne sait pas rompre avec son destin. Et, en même temps, il n'est pas satisfait de son style artificiel. Un homme faible qui accepte son rôle de vedette de théâtre.

- Osumidayu (récitateur de « Gidayû ») : homme lourd, dur, sûr de lui, affirmant sans douter que l'art est la vie.

- Manho (mécène de Danpei Toyozawa) : commerçant d'Osaka typique, dilettante et protecteur d'artistes. Un homme qui s'attache trop à ses rêves artistiques, mais qui n'arrive pas à abandonner ses affaires. Un amateur d'art bien d'Osaka.

- Sumidayu (récitant de « Gidayû »), représentant la vieille génération, un homme à préjugés. Considérant la jeunesse comme une ennemie, il ne peut pas prévoir les possibilités artistiques de demain.

- Danyu (disciple de Danpei Toyozawa) : un homme sans ambition qui se contente d'être à côté de son maître, qu'il considère comme un dieu. Un rôle comique bien gentil.

- Tsudayu (récitateur de « Gidayû ») : un bon vieil homme de la vieille génération, qui sait se contenter de ce qu'il est. Un homme sage, équilibré, paisible.

Après Naniwa Onna, Mizoguchi réalisa Géidô Ichidai-Otoko (La Vie d'un acteur, 1940), troisième film du trip­tyque de « Geido » (métier de comédiens). Mizoguchi n'avait pourtant pas eu l'intention de faire un triptyque, ce n'était qu'un hasard. Comme dans le cas de Naniwa Onna, il pensa d'abord prendre comme sujet la vie de Kakiemon, le plus grand faïencier japonais, avec Kikugoro 79

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Onoe VI. Pour cela, nous nous étions pas mal renseignés sur la biographie d'un grand faïencier nommé Tôshiro. Je crois que Mizoguchi, pour sa part, avait rencontré l'acteur Kikugoro Onoe. (Dans Zangiku Monogatari, on voyait d'ailleurs le portrait de Kikugoro enfant.) Rappelons aussi, que, dans Ugetsu Monogatari (Contes de la Lune Vague après la pluie, 1953), apparaît un faïencier nommé Tôshiro. En effet, Mizoguchi avait déjà l'intention de faire le por­trait d'un faïencier. La vie d'un homme qui n'hésite pas à aller dans la montagne chercher de l'argile et du bois pour faire des porcelaines, me passionna beaucoup. - Mais à l'époque, même cela fut jugé comme un projet antimili­tariste. Nous fûmes obligés d'y renoncer. En revanche, nous avons décidé d'écrire la vie d'un grand acteur de Kabuki du Kansai, Ganjuro Nakamura. La légende de Ganjuro Nakamura le faisait passer pour un homme égoïste, ne pensant qu'à ses intérêts, habile flatteur aux airs bonhommes. Mais cela constitue justement le carac­tère même des hommes du Kansai. Mizoguchi m'a dit d'un ton ironique : « Le modèle de Ganjuro est tout près de toi, c'est toi. » Je représente en effet presque à l'excès le type du Kansai. Mais ce côté enjôleur, cet air fausse­ment bonhomme, qu'on reprochait à Ganjuro, est, chez nous, une expression de véritable politesse. Quant à l'égoïsme, il est le plus souvent fondé sur une maîtrise rai­sonnable des instincts et révèle un esprit de modération; il ne se réduit pas à un simple calcul d'intérêts. Il est d'ailleurs possible que, puisque Kansai - Kyoto est, avec Osaka, le centre du commerce, ce savoir-vivre « com­merçant » fasse naturellement partie de la mentalité des hommes du Kansai. De toute manière, les hommes du Kansai ne dévoilent pas facilement leurs sentiments. C'est une de leurs qualités que de pouvoir le faire, c'est la preuve de leur grande expérience. Il est difficile de savoir ce que 80

pensait réellement Ganjuro. Il se peut même qu'il ait été un grand misanthrope. Voilà l'argument que j'aurais pu donner à Mizoguchi, qui répétait à cette époque : « Je déteste les hommes de Kyoto ! » Mizoguchi semblait ne pas pouvoir supporter cette sorte de souplesse dans les rapports humains. Lui, était un pur « edokko », direct, sau­vage, impatient. H ne s'en intéressa que plus à Ganjuro.

Je me permets maintenant de vous citer quelques lignes de l'article que j'ai écrit à cette époque à propos de Ganjuro et du film : « Ganjuro naquit dans une maison close de luxe à Osaka (comparable en France à certains salons liber­tins), nommée « Ogiya » («La Maison de l'Eventail »). Sa mère, O'tae, était l'unique descendante de la maison. Mais il faut savoir qu'à cène époque-là (à la fin de l'ère Edo), les « filles » étaient les femmes les plus cultivées. La mai­son se vantait d'une tradition de haut lignage. Il appa­raissait donc scandaleux que la fille unique de cette maison tombât amoureuse d'un simple acteur, nommé Kakuzo Arashi (qui sera plus tard Kanjaku Nakamura), et qu'elle eût ensuite un enfant de lui. En effet, les acteurs étaient considérés comme des mendiants. O'tae et Kakuzo ne purent se marier. Ainsi, à sa naissance, Ganjuro était déjà un personnage tragique. En l'an 5 de l'ère Meiji (en 1872), le décret sur l'affranchissement des prostituées fut appli­qué et ce fut la fin de la maison « Ogiya ». A l'âge de treize ans, Ganjuro se retrouvait apprenti chez un marchand d'étoffes. Mais sa vocation d'acteur le fait s'engager dans une petite troupe de théâtre et accomplir une longue tour­née dans les provinces. Sa mère partagea ses épreuves comme pauvre actrice, mais il lui était pénible d'assister à sa déchéance, elle qui avait connu une vie de luxe et de faste. S'il adorait sa mère, il haïssait son père. Il se récon­cilia quelques années plus tard avec lui et ils jouèrent une pièce ensemble. Après la mort de son père (1877) -81

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et avant d'épouser une geisha très célèbre, nommée Tomigiku - Ganjuro avait connu une femme, nommée O'nami, avec qui il eut un fils. »

M. Matsutaro Kawaguchi fit un livre des amours de Ganjuro et O'nami. Mizoguchi trouva cette histoire un peu mièvre. Je lui proposai alors de centrer le sujet sur le conflit père-fils. Mizoguchi trouva que ce n'était pas le moment de critiquer les rapports entre père et fils. La pression du gouvernement était telle que nous aban­donnâmes cette idée. La révolte d'un fils contre son père était, autrement dit, une révolte contre la patrie...

Je travaillais à mon scénario. C'est à cette époque que je me mariai. La veille de mon mariage - et le matin même de la cérémonie - Mizoguchi me harcelait encore pour que je fignole mon scénario. Quelle cruauté ! Ce matin-là, j'avais à peine fini d'écrire que j'enfilais en vitesse mon habit de cérémonie pour arriver à l'heure... Sur la photo de mariage, à côté de M. et Mme Masaichi Nagata, Mizoguchi se tenait figé dans une attitude très digne. Tous portaient « l'habit national ». Que cela était monotone ! C'était pourtant le 2 600e anniversaire de la Fête des Chrysanthèmes, et le jour de mon mariage.

En 1941, les relations entre le Japon et les U.S.A. se tendirent brusquement. Parmi les projets de la Shochiku, il y avait la réalisation de Genroku Chushingura {La Vengeance des 47 Ronins) par Mizoguchi, d'après la célèbre pièce de Seika Mayama. Je fus chargé, avec Kenichiro Hara, d'écrire le scénario. La Shochiku annonça à grands renforts de publicité la plus belle version de Chushingura jamais réalisée !

Mizoguchi avait déjà fait plusieurs films historiques comme Tojin Okichi, Maria no Oyuki, Shimpu-Ren, mais ils ne traitaient que de la période de transition de l'ère, Edo. Genroku Chushingura (littéralement : Les Samouraï de 82

la Table Ronde de l'époque Genroku) fut donc son premier véritable film historique. (L'époque Genroku se situe au milieu de l'ère Edo, de 1688 à 1703.)

Chushingura était un sujet des plus rebattus tant au cinéma qu'au théâtre. D fallait donc le rénover. Or, Genroku Chushingura de Seika Mayama est, comme vous le savez, une longue suite de pièces, qu'avait interprétées Sadanji Ichikawa, le grand homme du Kabuki. L'œuvre de Mayama est une véritable chronique de la vie des 47 Ronins, déjà très différente des autres « Chushingura ». Mizoguchi accepta la réalisation sous deux conditions : que le film soit tiré de la pièce de Seika Mayama, et qu'il soit interprété par les acteurs de la troupe Zenshin-Za, formés en 1931 par les jeunes acteurs de Kabuki, Chojuro Kawarazaki, Kanemon Nakamura, etc.

La Shochiku voulait unChushingura plus populaire, plus spectaculaire, plus traditionnel, propre à toucher un peuple plongé dans la guerre. La pièce de Seika Mayama, plus austère, tournait autour du drame personnel du héros Kuranosuke Oishi, qui souffrait d'avoir à jouer la comé­die en attendant le jour de la vengeance. Avec un tel sujet, la Shochiku risquait un échec. En outre, Mizoguchi avait déclaré qu'il ne voulait pas faire un film à grand spectacle. Tourner de grandes scènes d'action n'était pas son fort. Il sentait sans doute que, quels que fussent ses efforts, il n'y réussirait que médiocrement. Bref, il voulait faire de son Chushingura un film dense et sobre. Mizoguchi n'était pas un touche-à-tout. Il refusait tout ce pour quoi il ne se sen­tait pas fait. Non par facilité, mais par volonté d'appro­fondir son art. Cette exigence artistique n'est-elle pas exemplaire?

De toute façon, la Shochiku (notamment M. Shirai) joua son destin sur ce film. En premier lieu, il nous fallait, comme d'habitude, réunir de nombreux documents : étu-83

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dier tous les textes biographiques existant sur les 47 Ronins, sur les mœurs de l'époque Genroku, etc. Je consultai M. Seika Mayama, je visitai les restes du château et des résidences des 47 Ronins, pendant que le décorateur Hiroshi Mizutani étudiait l'architecture du château et des hôtels de l'époque. Le seul stade de la préparation nous avait déjà presque épuisés.

C'est ainsi que Hiroshi Mizutani exécuta sur le plateau la reproduction parfaite du château Chiyoda grandeur nature, ce qui affola la Shochiku. La pièce de Seika Mayama comprend de longues tirades précieuses, décla­matoires et même pédantes. Cela ne convenait pas du tout au rythme cinématographique. De plus, la stylisation du jeu des samouraï conduisait à une action figée et à une cer­taine monotonie. Il fallait que la mise en scène insuffle de la vie à la pièce tout en respectant l'originalité de celle-ci. Mizoguchi réalisa un film admirablement vivant, souple, avec de nombreux plans-séquences. Le film était inter­prété par les acteurs de la troupe Zenshin-Za qui avaient déjà fait l'expérience du cinéma dans Machino Irezumimono de Sadao Yamanaka (Le Tatoué de la ville, 1935), Kôchiyama Sôshun de Sadao Yamanaka (Soshun Kochiyama, 1936), Matatabi Senichiya de Hiroshi Inagaki (Mille et une nuits des errances, 1936), mais ce fut là leur premier contact avec la direction sèche et rigoureuse de Mizoguchi. M. Chojuro Kawarazaki, le directeur de la Zenshin-Za, écrivit dans le bulletin de la troupe : « Kenji Mizoguchi était d'ordinaire un homme paisible et calme, mais une fois sur le plateau, il se montrait implacable et décidé comme un pharaon. Il était toujours le premier arrivé et nous attendait, assis dans son fauteuil, silencieux, le visage tendu par la concentration; on l'appelait le Dieu des enfers. Il ne prêtait aucune attention au budget des décors, faisant bâtir l'intérieur du château d'Edo en gran-84

deur naturelle, ou un temple magnifique pour un seul plan. » La Shochiku savait cependant, avec un tel sujet, persuader les ministères de l'aider à amasser les matériaux difficiles à obtenir.

Sur le plateau régnait une tension extraordinaire. Même pendant la pause entre deux plans, nous restions debout, immobiles, sans respirer, durant des heures. Nous n'avions pas une minute de répit. Comme les acteurs ne voulaient pas se reposer, le metteur en scène ne le pouvait pas non plus et restait assis dans son fauteuil, le visage toujours aussi rouge. Nous nous regardions ainsi les uns les autres dans une atmosphère tendue. Pendant huit mois, de juillet 1941 à février 1942, nous habitions Kyoto, dans des maisons louées pour le tournage du film. Nous étions alors au milieu de la guerre. Tout le monde était obligé de por­ter un « uniforme national ». Mais, prétextant le tournage, nous mettions tous des kimonos. Cela représentait pour nous une sorte d'évasion de l'atmosphère militaire, une résistance un peu ironique, et en même temps, une fuite dans l'univers esthétique.

Avec ce film, nous avons fait des études passionnantes sur les beaux-arts. Mizoguchi pouvait lui-même nous ini­tier avec ses seules connaissances. Quand nous étions libres, sur sa demande, nous allions voir des objets d'art antiques dans les musées et les temples. À la fin de l'année, la guerre du Pacifique éclata.

M. Kawarazaki continue : « Au milieu de la guerre, nous pouvions continuer à vivre grâce à Kenji Mizoguchi qui ne se consacrait qu'à ses recherches artistiques. Notre troupe, comme le film, était placée sous l'influence d'une sorte d'aura divine, loin de toute réalité. »

Les frais de tournage de Genroku Chushingura, avant même son achèvement, dépassaient déjà de beaucoup le budget prévu. Toute la direction de la production se trouva 85

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obligée de démissionner. Le film fut dans une situation difficile. C'est alors que Mizoguchi eut un grand malheur : dans la détresse générale, en pleine guerre, l'esprit de Mme Mizoguchi vacilla. Une nuit, Mizoguchi trouva sa femme priant avec transport, l'air égaré, devant le mur de la chambre. Effrayé, Mizoguchi cria en vain le nom de sa femme pour la réveiller... Malgré cela, il n'arrêta pas le tournage. A part deux ou trois amis, personne, sur le pla­teau, n'avait eu connaissance de cet événement tragique. Son visage demeurait impénétrable. Cette attitude stoïque m'a beaucoup ému. J'hésite encore à écrire tout cela, mais je le fais pour montrer à quel point Mizoguchi avait été un bourreau de travail que rien ne pouvait vaincre.

Matsuo Tajima était le frère de Mme Mizoguchi. Il tra­vaillait comme assistant-opérateur de Shigeto Miki. La pénible nouvelle lui causa un choc. Sous le coup de l'émo­tion, il s'engagea, malgré les exhortations de sa femme, Mme Fuji, et de Mizoguchi. Il ne revint jamais de l'en­fer du Pacifique, laissant une veuve et deux enfants. Mais sa sœur ne pouvait même pas deviner le drame dont elle était la cause. Y a-t-il quelque chose de plus cruel que ceci? Une fois, Mizoguchi et moi buvions verre sur verre. Devant sa tristesse, je n'ai pu retenir mes larmes. Mizoguchi a posé sa main dans mon dos et m'a dit : « Merci, tu es gentil. Les larmes n'y peuvent rien..., mais devant tes larmes, je ne peux, moi aussi, m'empêcher de pleurer... » Il sanglota. Mizoguchi recueillit par la suite la veuve et les deux orphe­lins. Je ne pouvais m'empêcher d'admirer le courage et la tendresse de Mizo-san qui avait pris tout naturellement la décision de nourrir la famille de son beau-frère. Mme Fuji, pour sa part, accepta courageusement son mal­heur, prit soin de sa belle-sœur malade avec dévouement et soutint Mizoguchi. Ainsi put-il continuer tranquille­ment son travail. 86

Le Japon élargissait alors son champ de bataille. Les hommes valides étaient mobilisés les uns après les autres. Le cinéma se trouva à court de main-d'œuvre. La pro­duction des films fut limitée. Les sociétés se trouvèrent obligées à se grouper. La fusion des trois compagnies de films : la Nikkatsu, la Shinko Kinema, et la Daito Elga donna la société Daiei. Le service de l'information et de l'Armée imposa plus que jamais un programme cinéma­tographique nationaliste. La Shochiku, elle aussi, décida un film à l'occasion du traité de paix entre le Japon et la Chine et, pour cela, choisit Mizoguchi comme metteur en scène. On demanda à Ushio Tomizawa et Yoshiharu Makino (romanciers) d'écrire un scénario original et on me confia l'adaptation cinématographique. Au début de l'été 1942, nous nous sommes réunis : Mizoguchi, Yoneda (directeur de production), Takagi (assistant), Tatsuo Sakai (assistant), Tomizawa, Makino et moi. Le 13 juillet, pour repérer les lieux, nous sommes partis pour la Chine.

Mizo-san ne s'était jamais montré aussi gai que pen­dant ce voyage. D'abord, il s'obstina à emporter un sabre. On dit qu'il fit chercher une arme artisanale, excellente et noble, qui satisfaisait sa passion d'objets anciens. Il se voyait comme un personnage martial, vêtu d'un uni­forme national, avec un sabre à la main. On lui faisait sen­tir ce que son attitude avait l'exagéré ou de ridicule. Mais il n'écouta personne. Cependant, juste au moment du départ, gêné, il abandonna son sabre. Il grognait comme un enfant gâté, mécontent des conditions de voyage que l'Armée lui offrait. Grâce à un décret du Comité du Cinéma du ministère de la Culture, nous avions droit au même traitement qu'un officier supérieur. Mizo-san regimba : « Si je ne suis pas traité comme un général, je ne pars pas ! Le décret est signé par le Premier ministre ! Avec ça, j'ai au moins le droit d'être traité comme un 87

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général!... Rappelez-vous l'accueil qu'on a réservé à Kosaku Yamada (le musicien-compositeur) lorsqu'il est allé en Chine. Ça m'ennuie qu'un cinéaste soit moins considéré qu'un simple musicien ! » Nous sommes par­tis enfin. Le 13 juillet, après une heure d'avion, nous arri­vions à l'aérodrome de Shanghai. MM. Kontaibo Goro et Hazumi Tsuneo nous attendaient. C'étaient les membres de l'Union Cinématographique Sino-japonaise, qui devaient être co-producteurs du film de Mizoguchi. Shanghaï était alors occupé et contrôlé par l'armée japo­naise, mais les partisans chinois agissaient dans l'ombre. Il ne se passait pas de jour sans attentats. La nuit de notre arrivée, M. Kyuichi Tsuji est venu, en uniforme militaire, nous voir à l'hôtel. Il occupait un poste au service de l'Information de l'Armée. M. Tsuji, lorsqu'il était encore étudiant, avait écrit un grand article élogieux sur Naniwa Erejii. Il était ravi de rencontrer Mizoguchi. Mizoguchi profita de cette chance pour exposer son problème. Ainsi eut-il l'occasion de voir le chef du service de l'Information et réussit-il à se voir honoré au même titre qu'un géné­ral ! Mizoguchi en fut satisfait. Je pensais jusque-là que son attitude relevait d'un tempérament puéril, mais en y réfléchissant bien, elle me paraît, au contraire, avoir été dictée par le courage d'un homme qui voulait sauvegar­der sa dignité de cinéaste.

Pendant tout le voyage, Mizoguchi s'était comporté comme un véritable enfant : franchissant la porte d'une forteresse, par exemple, il a répondu, à la manière d'un général, au salut des soldats... Une nuit, nous avons suivi la chasse aux partisans. Comme Mizoguchi avait les jambes faibles, je lui conseillai d'abandonner cette poursuite, mais il ne m'ecouta pas. À un moment, il se tordit la cheville et tomba. M. Sakai le porta sur son dos. Arrivés à l'endroit voulu, nous passâmes la nuit à guetter les ennemis, qui ne 88

se montrèrent pas. Mizoguchi piqua une colère, comme lorsque nous n'étions pas prêts pour une scène de tour­nage : « Quelle blague, hein ! S'il ne devait rien se passer, pourquoi m'entraîner jusqu'ici! » Je lui répondis : « Estimez-vous heureux que la situation n'empire pas ! » Il parut contrit comme un enfant réprimandé. Je n'ai pas oublié l'expression de son visage.

Après un voyage dans plusieurs provinces chinoises, nous sommes retournés à Shanghai. À la gare, M. Yoneda et M. Hazumi ne nous attendaient pas. Mizoguchi était furieux. Nous avions faim. Nous sommes entrés dans un restaurant. Je voulais manger des crabes, Mizoguchi me dit que ce n'était pas la saison. Justement MM. Yoneda et Hazumi en avaient été intoxiqués et ils étaient alités. Mizoguchi me dit alors : « Il faut être idiot pour s'in­toxiquer avec des crabes. Merde ! J'en aurais mangé que je ne m'en porterais pas plus mal ! » Mortifié, il tapa du pied. N'est-il pas curieux de le voir s'emporter pour si peu de chose ? A propos, voici une autre anecdote : après la guerre, quand les thons furent contaminés par les retom­bées nucléaires de Bikini, Mizoguchi parcourait tous les restaurants de Tokyo et mangeait du thon : « Mais où sont les thons de Bikini? » disait-il. Une autre fois, il se mit en colère contre moi, disant qu'il était impardonnable de le tutoyer. Il me prit au collet et déchira ma chemise. M. Yoshiharu Makino faillit le frapper avec une chaise...

Finalement, le film sino-japonais ne se fit pas. Je crois que Mizoguchi, pour sa part, n'avait pas eu vraiment l'in­tention de faire aboutir le projet. Il y avait, d'autre part, trop de difficultés...

De la fin 1943 à 1944, Mizoguchi réalisa Danjuro Ickidai, Meito Bijomaru et Miyamoto Musashi. C'étaient des petits films très bien faits. M. Matsutaro Kawaguchi en avait écrit les scénarios. Tokyo était de plus en plus violemment 89

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bombardée. Le Japon tombait rapidement dans la détresse de la défaite... Joyu Sumako no Koi (L'Amour de l'actrice Sumako) a connu quelque succès commercial, mais Joyû (L'Actrice), de Teinosuke Kinugasa, témoignant d'un esprit neuf et moderne, était certainement meilleur que le film de Mizoguchi. Je me suis donc retrouvé comme une femme répudiée par son mari : pour son film suivant, Yoru no Onna Tachi (Les Femmes de la nuit), Mizoguchi commanda le scé­nario à M. Eijirô Hisaita qui était en effet le scénariste de Joyû. Depuis la guerre, après Osone-ke noAsa (le Matin de la famille Osone de Keisuke Kinoshita, 1946), M. Hisaita avait écrit coup sur coup plusieurs bons scénarios, et, dans le monde du théâtre, il était déjà considéré comme un dra­maturge très original. Mizoguchi m'avait souvent parlé d'une pièce de M. Hisaita : Hyakuman-nin to iedomo ware Yukan (Seul contre dix millions d'hommes). Je ne savais vrai­ment pas que M. Hisaita avait déjà commencé à écrire son scénario sous le titre de JoseiMatsuri (La Fête des Femmes). Un jour, Mizoguchi, accompagné de Hisao Itoya, direc­teur de production, est venu me voir pour s'expliquer au sujet de M. Hisaita et j 'ai alors appris la vérité. Je me suis senti triste et abandonné, mais pensant que ce que j'avais écrit ne convenait pas, je me suis résigné et n'ai rien dit, alors que Mizoguchi avait une idée derrière la tête : ayant eu connaissance du thème abordé par M. Hisaita, il avait peur que celui-ci ne trahisse sa pensée. M. Hisaita voulait écrire un mélodrame, tandis que Mizoguchi dési­rait plutôt faire une description brutale et violente du mode de vie des prostituées. Hisao Itoya, prévoyant un conflit entre le scénariste et le metteur en scène, avait sans doute conseillé à Mizoguchi de me faire collaborer au scénario comme arbitre, car Mizoguchi avait l'habitude de dire leurs quatre vérités aux gens qu'il connaissait bien, mais il était timide comme une jeune fille en face d'inconnus. « Il faut 90

que tu sois l'intermédiaire à qui Mizo-san puisse parler librement », dit Itoya. Mizoguchi ajouta : « Je te le demande personnellement ». À ces mots, je ne sus refuser. « Mais, ai-je demandé, M. Hisaita acceptera-t-il ma médiation? ». « On n'a pas encore sollicité son accord, répondit Itoya, mais on le convaincra ! ». Mais cela fut difficile, M. Hisaita pouvait difficilement accepter d'écrire un scénario origi­nal et que j'en fasse l'adaptation. Pour être franc, je pense qu'il a finalement été bien conciliant...

Lorsqu'il eut le texte en mains, Mizoguchi tint absolu­ment à compenser le côté mélodramatique par une des­cription réaliste du mode de vie des « panpan » (prostituées) au Kansai. Pour cela, j'ai visité avec lui l'Hôpital Municipal d'Osaka pour interviewer des prostituées. Lorsque nous sommes entrés dans la salle des malades, les filles ont crié : « Regardez! Ce p'tit vieux, on dit qu'il est cinéaste... est-ce possible? » - « Y rougit. Qu'il est timide! » « Eh! mon p'tit père, pourquoi es-tu venu ici? Tu veux coucher avec moi? », etc. Nous étions très confus. J'ai vu aussi ce fameux quartier de Tennôji et de Kamagasaki, centre du marché noir, appelé « le quartier des Tintamarres » ou « le quar­tier des fanfreluches ». Assis sur le trottoir, des hommes regardaient la circulation et parlaient sur les numéros des plaques minéralogiques. Si l'on croisait leurs regards aigus, ils se hérissaient, menaçants. Il est même arrivé qu'un homme, entré avec insouciance dans un heu public, en res­sorte en caleçon. De jeunes gangsters en quête d'aventures pullulaient dans ce quartier. Une nuit, invités par un maque­reau, nous sommes montés dans un bordel pour étudier les atours des prostituées, qui nous révélèrent pas mal de leurs secrets. Des filles toxicomanes, en état de manque, couraient devant nous en poussant des cris de douleurs... Lorsqu'on a tourné la scène où une prostituée, incarnée par Kinuyo Tanaka, s'évade de l'Hôpital municipal, les 91

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filles qui étaient présentes ont bruyamment protesté : « À quoi cela sert-il de s'évader? Pour une p . . . , elle est bien ingénue ». « Ce serait trop facile de s'évader ainsi, surtout pour une fille belle comme KinuyoTanaka! » « Idiote! Si nous étions vraiment belles, nous ne serions sans doute pas devenues « pan-pan »; on aurait pu dénicher un type plein aux as ! ». « Ce n'est pas notre cas ». Une fille a fait sem­blant de racoler un client : « Corne on ! C'est gratuit ! Tu es d'accord? » « Attention aux maladies! Take care! Oh my father! » « I'm sorry! Bye-Bye! ». Quel bavardage!

Voici un autre épisode du tournage de Yoru no Onna-tachi. Mizo-san, étouffé par la foule, s'efforçait de s'en dégager et, se haussant, criait : « Prêts? Allez-y! ». La caméra était pratiquement ensevelie sous cette foule compacte. La script-girl était perdue. Soudain, un vieil homme, agi­tant une grande bouteille de saké, s'est couché sur les rails prévus pour le travelling. Il refusait de partir : « Moi, je suis un ami de KinuyoTanaka! », criait-il.

M. Hisaita, apprenant tout cela, s'est plaint : « Si c'était pour tourner dans une telle pagaille, je me serais donné moins de peine ! »

Le film avait d'abord été intitulé : Teisô Chitai (Le Quartier des petites vertus). Ce fut le premier film à connaître un grand succès depuis la guerre. Yoru no Onna Tachi (1948) était en effet un film s'apparentant à la mode de « Pan-pan Mono » (Cycle de romans et de films traitant des prostituées), née avec Nikutai no Mon (La Porte de chair), le célèbre roman de Tamura Taijirô. La défaite avait engendré des mœurs sauvages, mis le corps et l'âme à nu, exacerbé la sensualité. Chacun s'apitoyait sur cette cica­trice encore fraîche, mais luttait farouchement pour sa liberté. Les thèmes de ce cycle artistique traitaient ce pro­blème social de façon tapageuse. Mizoguchi a décrit tout cela dans le style naturaliste qui lui est familier, comme le 92

prouve par exemple le succès àtShikamo Karera wa Yuku (1931). Yoru no Onna Tachi, tout en exprimant la violence de cette époque, n'a pas entièrement réussi à décrire le changement radical des mœurs issu de la guerre, tant en mal qu'en bien. Il était par trop conventionnel. Ambitionnant de montrer la tragédie des familles qui se défont, il n'aboutissait qu'à l'expression des conflits pure­ment sentimentaux entre des sœurs ou entre une mère et sa fille. Mizoguchi n'avait pas une conception très claire de ce nouvel humanisme. Certaines séquences semblaient nettement inspirées par le symbolisme occidental. Dans la dernière scène, l'héroïne est lynchée et Mizoguchi enchaîne sur un vitrail représentant la Crucifixion. Une autre raison de cet échec : le conflit qui opposait le met­teur en scène et l'opérateur (Kôhei Sugiyama). À cette époque, on découvrait le néo-réalisme italien dont le style était celui du reportage filmé, du film d'actualités et du documentaire. Roma città aperta (Rome, ville ouverte) de Roberto Rossellini en offrait un très bel exemple. Sensible à cette nouvelle tendance, Mizo-san voulait tirer profit de cet apport. Il a demandé à son opérateur de retrouver ce style dans Yoru no Onna Tachi. Or, celui-ci, semble-t-il, n'a pas bien compris ce dont il s'agissait. De plus, c'était un vieil opérateur chevronné ayant son style propre, auquel il se refusait à renoncer. Sur le plateau, nous avons assisté à des discussions violentes : « Tu n'es plus dans le coup, a dit Mizoguchi à l'opérateur, tu es trop vieux ». « Je ne suis plus dans le coup? Très bien! Toute nouveauté a ses dangers. Rien ne remplace la maturité et l'expérience. S'il en est ainsi, confiez le tournage à n'importe quel jeune opérateur! » « Gare à toi si tu m'abandonnes! »... Cette discussion s'aggrave et M. Sugiyama abandonna le tour­nage. Grâce à l'intervention des responsables de la com­pagnie, il reprit quelques jours plus tard. 93

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Après Yoru no Onna Tachi, Mizoguchi a réalisé Waga Koi via Moenu (La Flamme de Mon Amour, 1949). Je vous ai déjà dit quelque part que Hisao Itoya était très au cou­rant de l'histoire culturelle de l'ère Meiji. Il rêvait depuis longtemps au projet d'un film sur la vie de Hideko Kageyama, la grande révolutionnaire de l'ère Meiji. Kaneto Shindo avait déjà écrit un scénario sur elle. Nous avions déjà eu beaucoup de peine à camper le personnage excen­trique de Sumako dans Jovu Sumako no Koi. Hideko Kageyama, animée d'une foi révolutionnaire brûlante, était tout aussi étonnante. Or, dans le scénario de Shindo, le côté presque viril de Hideko n'était pas très accentué; il s'agissait plutôt d'une tentative lucide pour briser ses limites de femme. Mais avec un modèle comme Hideko, il était possible de faire quelque chose de plus fort. « La révolu­tion, je m'en fous », disait Shindo, mais avec Itoya, j'ai pensé qu'il fallait insister sur le climat historique lié à la vie de Hideko. J'avais noté que Hideko cherchait à se viri­liser. Elle portait, par exemple, des costumes masculins; elle partageait, avec d'autres femmes émancipées, cette théorie un peu naïve de l'égalité des sexes : il fallait vivre comme un homme. Elle avait ensuite brutalement réa­lisé qu'elle n'était qu'une femme, avec sa passion pour le révolutionnaire Kentaro Ooi, et ses revendications liber­taires s'étaient affermies; elle défendait sa cause avec luci­dité. Mais Shindo n'était pas d'accord. Mon rôle s'est borné à quelques conseils... Dans la version définitive, nous avons omis deux points très importants : 1°) Le com­portement de Hideko s'expliquait par le fait que, phy-siologiquement, elle n'avait eu la révélation de sa féminité qu'assez tard. Cette particularité aurait dû avoir des impli­cations dramatiques. Shindo refusa. Mais ainsi montrée comme une simple amoureuse, l'héroïne était banale. 2°) Pendant la fameuse affaire de la Corée, Hideko, char-94

gée d'une mission, doit partir avec une valise pleine de dynamite. Elle est arrêtée avant de s'embarquer. J'avais pensé que nous pouvions dramatiser cette séquence. Mais en pensant à la surveillance de l'armée d'occupation U.S., nous avons renoncé... Comme cela devenait banal!

La difficulté de Waga Koi via Moenu était d'exprimer cet essor révolutionnaire pour la Liberté et les Droits Civiques, belle page historique de l'ère Meiji. D'où aussi la grande difficulté de faire le portrait idéologique d'un révolution­naire comme Kentaro Ooi, le partenaire de Hideko. Après Waga koi via Moenu, Mizoguchi devait tourner Saikaku Ichidai Onna (La Vie d'O'Haru, femme galante). Mais une mésentente opposa Mizoguchi et la Shochiku. Le scéna­rio s'était enrichi, nourri de nos réflexions communes. Le refus de la Shochiku - avec laquelle Mizoguchi rompit — nous a beaucoup découragés. Nous sommes donc montés à Tokyo pour tourner Yuki Fujin Ezu (Le Destin de Madame Yuki, 1950), produit par la Shintoho, inspiré le roman de Seiichi Funabashi. Ainsi l'ai-je adapté avec son frère Kazuo Funabashi. Notre travail fut relativement facile, mais par notre faute, Yuki Fujin Ezu échoua à rendre le sensualisme romantique du texte original. Mizoguchi excellait pourtant à ce genre de choses, et, lui faisant confiance, nous nous sommes attachés seulement à exprimer l'honnêteté et la sincérité du jeune héros. Cédant au démocratisme ambiant, je n'ai pas voulu faire la part trop belle à la classe aristo­cratique, mais montrer sa chute, sa déchéance, son affa­dissement. Nous l'avons fait par le truchement d'une jeune fille pure et naïve nommée Hamako : elle admire beaucoup Madame Yuki, dont elle est la femme de chambre. Dans son regard, nous lisons peu à peu sa déception et ses désillusions. Mais notre récit était trop prosaïque.

Dans un petit hôtel de Tokyo, nous avons élaboré le scénario et le découpage, M. Axai Ryohei, superviseur, 95

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et M. Tadato Kainosho, conseiller artistique et peintre de métier, habitaient avec nous. Nous buvions du saké tous les soirs et parlions cinéma, peinture, etc. Mizo-san était furieux que personne n'ait l'air de s'intéresser à son film. Avant le tournage, il tenait toujours à ce que toute l'équipe se consacre à sa préparation. Tous les meneurs en scène sont peut-être ainsi. Mizo-san le voulait avec l'impatience et l'exigence d'un enfant gâté. Mais cela n'était possible que pour des vétérans. Et cette exigence était déplacée à la Shintôhô où il était nouveau venu. La nouvelle équipe était bien disposée en sa faveur, mais tout ne marchait pas comme il l'aurait voulu. Il se fâchait sous le moindre prétexte. L'assistant-réalisateur Seiichiro Uchikawa en était souvent victime. « Mon cher Uchikawa, ta compagnie veut-elle vraiment faire ce film? » « Bien sûr, Monsieur! » « Moi, j'en doute ». « Mais pourquoi? » « Si ta compagnie a vrai­ment l'intention de le faire, qu'elle m'en donne les moyens ! » « Mais tout est prêt ! » « Non, rien n'est prêt! » « Alors, dites-moi ce qui vous déplaît. Ce sera chose vite réparée ». La grosse voix d'Uchikawa a rabattu pour un temps le caquet à Mizo-san : « De toute façon, il faut préparer ce dont nous avons besoin. Je ne veux pas res­ter inactif ». « Mais nous faisons tout ce que nous pouvons, en suivant le programme ». « Tu crois que ce scénario convient? » « Et vous, Monsieur, qu'est-ce que vous en pensez? » « Moi? Si ta compagnie ne fait pas d'objections, je suis tout prêt à commencer le tournage ». « Le scénario, ce n'est pas mon affaire. Si vous le trouvez mauvais, vous n'avez qu'à demander aux scénaristes une correction qui vous satisfasse. C'est tout ». « Non ! Ce n'est pas tout. Je veux que toute l'équipe et toute la compagnie, tu entends bien, s'intéressent de près au scénario, en prennent bien connaissance. Sinon, je laisse tout tomber ». L'épaule levée, fumant une cigarette, Mizo-san prononçait ces mots d'une 96

voix tremblante, en se mordant les lèvres. Pour ma part, j'étais mécontent d'avoir été visé de la sorte en public... Ce genre de discussion se répéta plusieurs fois. Un soir, Mizo-san est allé assister à une réunion de l'Association des Metteurs en scène. Il est rentré dans la nuit, visible­ment très excité : « Cher Yoda, je suis un homme désho­noré ». « Mais pourquoi? » « Sais-tu que tout le monde se moque de ton scénario? On m'a même demandé ironi­quement si j'avais vraiment l'intention de tourner ça ! Tout le monde dit d'ailleurs que ce n'est pas un scénario ! » « Qui dit ça? » « Peu importe. De toute façon, c'est ennuyeux ». Mortifié, j'ai essayé de me maîtriser : « Si le scénario est mauvais, je le corrigerai ». « Non, tu ne peux pas. » « Ou, si vous voulez, corrigeons-le. » « Non! Tu ne comprends rien au cinéma. Je m'excuse, mais ne te crois pas scéna­riste. Ce serait beaucoup d'orgueil. Tu n'es pas de taille. » « Je sais que j'ai encore beaucoup à apprendre. » « C'est cela, l'ennui ! Tu peux tirer une leçon de tes erreurs et te perfectionner, mais moi, je suis en mauvaise posture. » « Alors, que faire? Si je ne suis pas digne de vous, il faut trouver quelqu'un d'autre. » « On n'a pas le temps! » Ce n'était pas la première fois qu'il me parlait ainsi, mais je ressentais chacune de ses paroles comme un coup de poi­gnard dans le ventre. J'ai su après que, ce soir-là, Yasujiro Ozu s'était moqué de lui... J'avais des discussions ora­geuses avec Mizo-san sur les rapports entre le cinéma et la littérature. Souvent, un film trahit le roman. C'était le cas de Yuki Fujin Ezu. Traduire la pureté et la sincérité d'une femme dont l'amour et le désir sont partagés entre deux hommes est chose difficile au cinéma. Malgré cela, nous nous sommes obstinés avec O-Yu-sama (1951). Dans le roman original, Ashikari de Junichiro Tanizaki, l'auteur ne s'attache pas à la description concrète de l'héroïne O-Yu-sama, sinon pour dire qu'elle a un visage de petite 97

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poupée évoquant celui d'une déesse et des petits pieds gentils. Or, pour le film, il fallait que l'actrice Tanaka Kinuyo incarne de façon très « physique » ce personnage par ailleurs intentionnellement voilé de mystère. O-Yu-sama est, dans le roman, une femme d'une douce naïveté, gentille et indifférente. Mais cette indifférence cache un esprit subtil et très éveillé. Il me fallait nouer le drame autour de Shinnosuke (l'amant), Oshizu (la femme de chambre) et O-Yu-sama elle-même. Tâche difficile que de faire accepter ce triangle au public.

Dans le roman, l'histoire est racontée par le biais d'un vieil homme que l'auteur feint d'avoir rencontré. Ses sou­venirs ont gardé Pétonnement du regard de l'enfant qu'il était alors. La construction comporte en fait trois mou­vements, trois retours dans le passé. D fallait conserver dans le film le caractère onirique du souvenir. J'ai donc insisté sur cet aspect narratif pour que cette recherche du temps enfui renforce le mystère. Mais ces fiashes-back superpo­sés furent impitoyablement refusés par M. Kawaguchi, le directeur du Studio de Kyoto de la Daiei. On risquait un échec commercial. Mais je le regrette beaucoup.

Il y avait une autre difficulté : O-Yu-sama était, dans le roman, trop statique et placide - mais on ne pouvait pas facilement démolir ce parti pris romanesque. Mizoguchi était ennuyé. De plus, Kinuyo Tanaka coïncidait mal avec l'idée que l'on pouvait se faire d'O-Yu-sama. Elle avait du caractère. Son interprétation a déformé l'image de l'héroïne et fait qu'on ne la distinguait plus tellement de Oshizu, sa femme de chambre. Elles n'étaient plus que deux amantes de Shinnosuke.

En 1951, la même année que O-Yu-sama, Mizoguchi a réalisé un autre film, d'après le célèbre « best-sel­ler » de Shohei Ooka : Musashino Fujin (La Dame de Musashino). Nous n'avons pas su assimiler ce chef-98

d'oeuvre « stendhalien ». En un mot, nous avons encore été battus par la littérature. Après Yoru no Onna Tachi, Mizoguchi revenait au film d'actualité avec Musashino Fujin, qui montrait le « gratin » d'une société d'intel­lectuels d'où étaient bannis le fard et les parfums. En effet, P« intellectuel » fascinait Mizoguchi.

En 1951, Rashomon de Akira Kurosawa, produit par la Daiei, obtint le grand prix du Festival de Venise. C'était la première fois qu'un film de fiction japonais obtenait un grand prix à l'échelle internationale. C'était un événement. À l'annonce de cette grande nouvelle, la Daiei n'a pas bronché. Elle devait pourtant lui confé­rer un grand prestige et lui apporter plus de cent mil­lions de yens... Rashomon fut mésestimé : on attribuait ce succès à une manœuvre politique, au goût de l'exo­tisme. Cette nouvelle stimula cependant Mizoguchi. Il n'admettait pas qu'un débutant comme Kurosawa le coiffe au poteau : il se ressaisit, prêt à se battre. Saikaku Ichidai Onna (La Vie d'O'Haru, femme galante, 1952) fut donc un pari. D'autre part , Kinuyo Tanaka, qui était allée en Amérique, avait vu son jeu très critiqué. Elle voulait absolument effacer cette mauvaise impres­sion. Le producteur M. Koi, lui, mit toute sa fortune dans ce film. Cette bonne volonté et cet esprit combatif étalent de précieux atouts.

Mizoguchi voulait que les échafaudages du plateau soient solidement construits et aménagés au fur et à mesure du tournage. Saikaku Ichidai Onna bénéficia d'un contrat de distribution de la Shintôhô, mais non d'un contrat de production. Ses studios nous restaient fermés. Le long de la ligne de chemin de fer Kyoto-Osaka, nous avons fini par découvrir les restes d'une vieille usine d'armement per­mettant de dresser un plateau. Il n'était évidemment pas insonorisé, ce qui n'allait pas sans ennuis. Tous les quarts 99

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d'heure, le passage d'un train ébranlait l'usine avec fracas. Nous devions profiter des intervalles de répit. Pour ne pas gaspiller ainsi notre temps et notre argent, nous avons pro­posé à Mizoguchi de post-synchroniser le film. Mais il s'est entêté. Or, la longueur des plans variait entre deux et quatre minutes : supposons qu'il faille tourner un plan de trois minutes. Son tournage nécessite une marge d'au moins deux ou trois minutes supplémentaires. Il nous fallait donc examiner la table d'horaire des trains. De plus, on enten­dait le train bien avant son passage, ce qui nous limitait sévèrement. Le tournage était constamment entrecoupé. L'opérateur était obnubilé par ces problèmes d'horaire. Mizoguchi se refusait à l'écouter : « C'est un plan impor­tant, disait-il, je ne veux pas subordonner le jeu des acteurs au passage d'un train ! »

Avant le tournage, Mizoguchi avait fait une promesse à M. Koi, le producteur : « Contrairement à ce que l'on dit, je ne suis pas maniaque. O-Yu-sama a été tourné très vite. Il en sera de même pour Saikakulckidai Onna ! M. Koi était un vieux renard et il n'avait pas pris ces paroles à la lettre. Il espérait cependant que ça irait vite. Mizoguchi retrouva ses manies : avec une minutie scrupuleuse, il s'est penché sur chaque plan pour le hausser à la perfection. Il voulait les plus beaux kimonos, inspecter les moindres détails du décor. Pauvre M. Koi ! Il faisait la navette entre Kyoto et Tokyo pour trouver l'argent nécessaire...

Le roman de Saikaku Vnax&Koshoku Ichidai Onna (Une femme de plaisir) ne raconte pas seulement la vie d'une femme. Il comporte de nombreux épisodes d'amour et d'aventures. La narratrice en est une vieille religieuse qui vit en ermite. Elle se souvient de sa jeunesse brillante, de sa déchéance. La fin du roman nous montre une pros­tituée qui entre dans un temple. Hallucinée, elle croit reconnaître le visage de ses amants dans ces statues qui la 100

regardent. J'ai condensé les divers récits autour de la vie d'une certaine femme galante nommée O'haru. Un spé­cialiste de l'ère Edo m'a dit que « Ichidai Onna » signi­fiait « La femme du siècle ». Voici comment j'ai construit le scénario :

1°) Le Palais Impérial - Transgressant les interdits de l'époque, O'haru, femme noble, fait l'amour avec un jeune samouraï de classe inférieure. L'homme est exécuté et O'haru exilée en province avec sa famille. - 2°) L'hôtel d'un seigneur - O'haru est choisie comme concubine d'un seigneur pour lui donner un héritier. Mais elle est bientôt chassée car le seigneur tombé amoureux d'elle dépérit à vue d'oeil. - 3°) Une maison close - O'haru se prostitue pour nourrir ses vieux parents. - 4°) La maison d'un gros marchand - Un marchand prend O'haru comme femme de chambre, mais la jalousie de sa femme l'oblige à la ren­voyer. - 5°) La vie conjugale - O'haru se marie avec un honnête marchand mais ce bonheur est furtif : son mari meurt accidentellement. - 6°) Le couvent - Désabusée, O'haru s'enferme dans un couvent. Tentée par un jeune amoureux, elle s'enfuit avec lui, mais on les sépare vio­lemment. - 7°) Les Bas-Fonds - Elle mendie dans les rues. Elle rencontre par hasard le jeune prince, son fils. -8°) L'hôtel du Seigneur - O'haru est recueillie par ses gens qui l'enferment dans une pièce par crainte du scandale.

À travers les malheurs d'une femme persécutée, j'ai voulu montrer l'injustice des classes féodales de l'époque. Le roman de Saikaku était implacable et féroce, et nous avons humanisé le thème. Pensant au public, Mizoguchi a situé son film aux limites du mélodrame. Son style s'apparen­tait plus à celui de Chikamatsu qu'à celui de Saikaku... Mizoguchi refusait toute facilité et exigeait les efforts même les plus vains. Lorsqu'on a voulu tourner dans le jardin du temple Kôetsu-ji de Kyoto, il a affirmé que le jardin avait 101

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certainement changé et il exigea sa reconstitution. Le déco­rateur Mizutani eut l'idée de fabriquer un faux document pour prouver qu'il n'avait pas changé. Mizoguchi s'est laissé abuser... Certains y voyaient de la fanfaronnade de sa part, mais moi, je pense qu'il voulait faire le tour de tous les pro­blèmes. Quand on le connaissait bien, on s'accommodait de ses manies. Mais sa nouvelle équipe se plaignait. Seiichiro Uchikawa, qui avait déjà été son assistant pour Yuki Fujin Ezu, se disputa violemment avec lui et quitta le plateau avant la fin. On avait alors reconstitué une petite ville. C'était une scène où O'haru s'était enfuie avec son jeune amou­reux qui avait volé l'argent de son maître et où ils se fai­saient arrêter par leurs poursuivants. Tout était prêt, quand Mizoguchi ordonna soudain qu'on déplace un peu une ran­gée de maisons. (Un ordre aussi déraisonnable révélait en fait ses hésitations.) Les machinistes se sont exécutés au prix de mille efforts. Mizoguchi demanda ensuite que l'on fasse de même pour l'autre rangée. Excédé, Uchikawa a crié : « Je suis sûr que vous avez mal préparé cette scène ! C'est malhonnête envers votre équipe ! » Mizoguchi a répli­qué : « Si tu ne veux plus travailler avec moi, va-t-en ! » « C'est ce que je vais faire ! J'écrirai un livre intitulé : Du comportement humain chez l'individu Mizoguchi ! » Je me suis avancé pour l'apaiser. D ne m'a pas écouté : « Il aurait fallu que vous protestiez le premier. J'ai osé le faire à votre place. Ce n'est pas une rancœur personnelle. Aussi laissez-moi partir »... Dernièrement, je suis allé voir Uchikawa à l'hôpital. Je fus étonné de trouver des étalages couverts de porcelaines précieuses. Peut-être était-ce en souvenir de Mizoguchi, qui était mort dans le même hôpital. Il m'a dit avec une nostalgie émue : « Je tiens peut-être cette manie du père Mizoguchi ! »

Saikaku Ichidai Onna était un film dense, puissant, pro­fondément mizoguchien. Le film fut sélectionné pour le 102

Festival de Venise. Après avoir visionné le film, nous avons coupé deux ou trois passages un peu trop prolixes. Avec The Quiet Man (L'Homme tranquille) de John Ford, le film obtint le Prix de la Mise en scène, ce qui a revigoré Mizo-san. « Je le dois à toute mon équipe », répétait-il dans sa joie. Je crois qu'il le pensait vraiment.

Après Saikaku Ichidai Onna, Mizoguchi réalisa Ugetsu Monogatari {Contes de la Lune Vague après la pluie, 1953). « Mon cher Yoda, me dit un jour Mizoguchi, je crois qu'on pourrait tirer quelque chose de très intéressant d'Ugetsu Monogatari (Contes de jadis et de naguère d'Akinari Ueda). Tu sais, j'ai déjà pensé autrefois à adapter un de ces contes, Lubricité d'un Serpent. Si on y ajoute un autre conte, Promesse aux Chrysanthèmes, et de plus un conte de Maupassant Décoré... ne serait-ce pas formidable? » Malgré ces déclarations de Mizoguchi, je n'arrivais pas à imagi­ner, réunissant ces trois contes, un scénario. Lubricité d'un Serpent décrit la transformation en femme d'un serpent désireux de séduire un jeune homme; Promesse aux Chrysanthèmes, l'histoire d'un guerrier qui, empêché de rejoindre la personne avec qui il avait rendez-vous, se tue, et, devenu fantôme, arrive à l'heure fixée; Décoré de Maupassant est l'histoire d'un petit fonctionnaire qui, obsédé par le désir d'obtenir la Légion d'honneur, ne se rend pas compte qu'il est trompé par sa femme... « Il faut centrer le scénario sur l'histoire de Promesse aux Chrysanthèmes, me dit Mizoguchi : « un homme part en guerre. Il est de retour après une longue absence et ne retrouve sa femme que pour la voir disparaître au premier matin. D apprend par la suite qu'elle est morte depuis des années... C'est une tragédie de guerre. Voilà un bon sujet. » J'ai ensuite découvert que Mizoguchi s'était trompé : en effet, l'histoire était celle d'un autre conte intitulé La Maison dans les Roseaux. Finalement nous avons construit le scé-103

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nario d'Ugetsu Monogatari à peu près comme ceci : 1) Genjuro (le héros) quitte sa famille pour aller à la capi­tale ; 2) La guerre éclate ; 3) La vie de Genjuro dans la grande ville (ici s'insère l'épisode « Lubricité d'un Serpent »); 4) Après quelques années, Genjuro rentre chez lui et retrouve le fantôme de sa femme, Miyagi, déjà morte.

Parallèlement à l'histoire de Genjuro, nous avons décrit, en adaptant le conte de Maupassant, celle de Tobei, un paysan qui, rêvant de devenir samourai, quitte sa femme pour guerroyer et qui, devenu un grand chef militaire, retrouve sa femme que la guerre avait ravalée au rang de prostituée. Avant de commencer à rédiger le scénario, Mizoguchi m'a présenté à M. Kisaku Ito, décorateur, et nous a dit qu'il fallait absolument du « fantastique » à la Dali. Dans mon premier scénario, Genjuro incarnait le désir de l'argent et Tobei, celui de la gloire. J'ai créé en outre un personnage nommé Yohei, marchand cupide qui, après avoir été tué, réapparaît : lorsqu'il se secoue en disant : « Mon corps est gelé ! », on entend les pièces d'ar­gent carillonner. C'était presque d'un fantôme réaliste de Saikaku, bien loin du « fantastique » d'Akinari. Cela a pourtant beaucoup plu à Mizoguchi. « Eh bien! C'est le chef-d'œuvre de Yoda », disait-il. Mais M. Nagata, le pré­sident de la Compagnie Daiei, a trouvé cela trop poussé. Nous avons écarté ce genre de « fantastique ». J'ai dû recommencer mon scénario. Voici les lettres qui m'ont été adressées par Mizoguchi, en commentaire à mon scé­nario d'Ugetsu Monogatari. Bien que nous nous rencon­trions tous les jours pour en discuter, Mizoguchi préférait donner son opinion par écrit pour éviter tout malentendu. De plus, il avait surtout peur que je ne l'écoute pas.

Lettre 1 « 1) Mettre avant le générique quelques phrases expli­

quant bien les rapports entre le film et le texte littéraire 104

original. À savoir : « Ce film est fait d'images que nous a inspirées le texte d'Ugetsu Monogatari. La forme du récit doit être bien différente, mais l'esprit en subsiste dans le film. Nous avons donc osé l'intituler Ugetsu Monogatari. - Fais-moi de belles phrases pour exprimer ce contexte.

« 2) Le premier sous-titre : « Lorsque la neige cesse de tomber... » est un point de vue un peu trop personnel de scénariste. Le public qui voit le film pour la première fois ne comprendra rien.

« 3) Dans le village. Les mots : « Je vais te tuer » doivent être remplacés par un geste menaçant. Dans cette scène de bataille, on pourrait faire tuer un ou deux paysans qui s'enfuient.

« 4) Dans l'arrière-cour d'une maison du village. « La bataille semble avoir commencé » : phrase qui manque de tension. Celui qui prononce cette phrase sait que la bataille a déjà commencé. Si on place ici une scène d'incendie pro­voqué par les soldats, cela donnera une impression de peur plus frappante et concrète.

5) Dans la montagne. Décrire non seulement la réac­tion des héros, mais aussi celle de tous les villageois qui ont peur de l'attaque des guerriers.

6) « Je veux faire fortune » (phrase prononcée par Genjuro) doit non seulement signifier « Je veux gagner de l'argent », mais quelque chose de plus. Phrase à étu­dier. Étudier en même temps les mots tels que « honneur », « carrière », etc., pour que le public comprenne bien l'am­bition qui pousse Tobei à partir en guerre.

7) Pour dégager l'opinion que le peuple a de la guerre, je te propose de mettre là une conversation entre paysans. Mais il ne suffit pas de leur faire dire : « C'est la guerre entre Hashiba et Shibata autour de la belle princesse O'ichi no Kata. » Il faut accentuer la brutalité, la violence de la guerre. La conversation devra avoir lieu entre tous les pay-105

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sans du village et en présence des héros, et se présenter comme une causerie quotidienne de voisins qui se ren­contrent. Je te prie de l'étudier.

8) Les violences de la guerre provoquées par ceux qui possèdent le pouvoir sous prétexte d'une mission natio­nale ou tout simplement privée, accablent le peuple de toutes sortes de souffrances matérielles et morales. Même dans cette situation misérable, le peuple doit continuer à vivre, à se nourrir. J'aimerais exprimer et souligner ce contexte comme le thème principal jusqu'à la scène de la fuite en barque. Qu'en penses-tu?

9) Dans l'arrière-cour de la maison de Genjuro. « Il faut charger le chariot avant la bataille » : un commen­taire à couper. Il suffit que l'idée de la guerre soit présente dans le dialogue. D faut supprimer toutes les phrases expli­catives de ce genre. Il y avait un dialogue semblable dans une séquence précédente. Faire attention à ne pas tuer l'atmosphère dramatique par ce genre de répétitions.

10) Sur l'embarcadère : il faut rendre sensible l'im­pression d'une fuite éperdue devant l'horreur de la guerre. Étudier la description de cène scène.

11) Dans la barque : il faut de la poésie comme celle que l'on trouve dans « Nostalgie du Pays natal » du poète Sakutaro Haglwara.

12) Étudier ce que dit Miyagi à son petit. Éviter les phrases banales et pleurnichardes qu'une mère prononce à son enfant dans les mélodrames.

13) Éviter les mots difficiles dans le dialogue et choi­sir des mots qui soient capables de nous communiquer facilement un sentiment. Le mot « Kassen » («bataille ») donne l'impression d'un terme de fonctionnaire de l'ère Meiji. Trouve-moi un autre mot plus facile plus doux.

14) L'homme qui crie : « De l'eau! de l'eau! », fais-lui donc boire du saké, faute d'eau. 106 *

15) Revenons à la scène de la fuite en barque. « Avançons ! », « Retournons ! », etc. - Éviter que tout cela soit explicatif. Il faut que les mots et les gestes correspon­dent exactement au sentiment des personnages. Je te prie donc de réétudier la composition dramatique de cette séquence sur le lac. Il faut de l'émotion, non pas un com­mentaire. Pour la seconde partie de la scène, la scène d'adieu sur la rive, faire attention de ne pas tomber dans la banalité.

16) Parfait pour la séquence de la poursuite d'Ohama. Je répète cependant une fois de plus que le sentiment dra­matique doit être exprimé au second degré, dans une dimension « architecturale » et que tous les commentaires explicatifs sont inutiles. Amitiés. »

Lettre 2 1) Je viens de relire le premier passage du scénario que

nous avons examiné la dernière fois. J'ai l'impression que les mouvements intérieurs des personnages dans la scène de la fuite en barque sur le lac ne sont pas bien expri­més. Je te prie de refaire la composition de cette séquence, à la fois dramatique et poétique.

2) Le texte du premier sous-titre, avant le générique, je le trouve un peu trop brutal, un peu trop « littérature prolétaire ».

3) S'il faut montrer la vie des villageois avant les désastres amenés par la guerre, il doit y avoir quelques plans de pay­sans aux champs, dans une rizière, ou d'artisans au tra­vail, etc. Pour suggérer l'éclatement de la guerre, on pourrait montrer une scène d'adieu avec la mère, l'épouse et les enfants.

4) La séquence 1 : un champ de bataille. La séquence 2 : des paysans au travail. - Cette composition est, de toute façon, trop schématique. Entre ces deux séquences, il n'y a pas de rapports dramatiques. L'une et l'autre sont comme l'huile et l'eau. Il y manque la tension. 107

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5) Le panoramique sur une montagne nue est expli­catif, trop symbolique. Le sanglot d'un gamin abandonné et affamé donnerait une émotion plus hallucinante.

6) Essayer de varier, dans la mesure du possible, l'émo­tion « dramatique ».

7) Pour éviter tout dialogue commentant l'action. Je pense qu'il faudrait créer une gestuelle enracinée dans le caractère profond des personnages.

8) Ayant lu ton scénario jusqu'ici, j'ai l'impression que la réaction des personnages vis-à-vis de la guerre est assez banale et un peu trop vulgaire et ridicule. »

Lettre 3 1) Je me souviens d'une histoire chinoise : tandis que

les hommes font la guerre à coups de fusil, les femmes, en les regardant avec mépris, continuent à faire la lessive. Dans cette seule phrase même, je sens de façon pittoresque une certaine profondeur dramatique et une certaine épou­vante de l'humanité.

2) Il y a différents types de personnages : les bavards, les taciturnes, les contradictoires, les polis, les hypocrites, ceux qui ont l'air intelligents malgré leur imbécillité, ceux qui ont l'air ridicules malgré leur intelligence, etc.

3) Éviter la banalité du dialogue. Le dialogue n'est pas le commentaire de l'action.

4) Le caractère de Miyagi : elle incarne non seulement l'amour conjugal et la fidélité de l'épouse, mais encore la nostalgie natale : la tombe des ancêtres, les champs trans­mis de génération en génération, le retour annuel des saisons, la vie attachée à la barre.

5) Dans la scène de la barque sur le lac, il faut plus de poésie. Le dialogue est toujours trop explicatif.

6) Mettre le plan d'une barque attaquée par les pirates dans laquelle on ne trouve qu'un cadavre. Créer l'atmo­sphère d'un calme sinistre. 108

7) La scène d'adieu sur la rive est trop bruyante, pleur­nicharde et banale.

8) Il faut que le dialogue, quoique « moderne », garde la nuance de l'époque.

9) La scène de la ville de Sakamoto est assez bien décrite, mais l'ambiance et le dialogue ne raccordent pas bien l'un à l'autre. Donner une dramatisation « architecturale ». Pour recréer l'atmosphère d'une auberge de l'époque, on pour­rait, par exemple, tourner dans un vieux temple. Le désordre doit donner l'impression réaliste de la guerre. (Cela expliquerait qu'étant donné la foule de voyageurs et de réfugiés dans la ville, on ait fait d'un temple une auberge provisoire.)

10) Tobei pourrait être incorporé parmi les samourais-guerriers en faisant sa propre publicité : « Je suis un grand bonze du Mont Hiei-zan ! » « Je suis le grand seigneur du manoir X ! », etc. À étudier.

11) Il faut essayer de trouver une ficelle astucieuse de transition entre la réalité et le symbole. Lorsque Miyagi se met à prier, l'apparition d'un bateau fantôme pourrait être l'indice de sa mort future. Qu'en penses-tu?

12) Je crois que l'apparition du fantôme de Miyagi est trop réaliste. Ne serait-il pas possible de faire appa­raître dans une atmosphère poétique un personnage « fan­tastique »? Donne-moi ton avis.

13) Si Wakasa (la princesse-fantôme) est un signe de mort, le fantôme de Miyagi est une preuve d'amour et de vie. Je voudrais expliciter davantage les différences de ces deux êtres. Penses-y.

14) N'aurais-tu pas quelques bonnes idées sur les amours d'un être vivant avec un fantôme? De mon côté, je vais me documenter. Il me semble qu'il y en a dans les pièces classiques de fantômes.

15) Comme je n'ai plus fait de films sur les fantômes 109

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depuis des années, je te demanderai de bien vouloir essayer d'obtenir des détails quant à la description, l'atmosphère, etc.

16) Au sujet du meurtre de Miyagi dans la montagne, scène qui suit celle des amours de Genjuro avec la princesse-fantôme : il faut que cette séquence soit, en contraste avec la scène précédente, plus pathétique et plus triste.

17) Il y a un dialogue-conversation, c'est-à-dire un dia­logue commentant l'action, mais à celui-ci je préfère un dialogue-drame, un dialogue « architectural ».

18) Je voudrais discuter avec toi de la « féminité » de Machiko Kyo qui exhale un parfum d'encens.

19) Si l'on veut symboliser les trois femmes de notre film par une odeur, Miyagi devrait être ce parfum ordi­naire de l'encens qui imprègne l'intérieur d'un autel sombre et humide, Ohama le parfum écœurant d'un bâton d'en­cens de mauvaise qualité qui brûle ordinairement dans les cimetières, et Wakassa, elle, symboliserait la forte odeur de l'encens qui remplit les toilettes et chambres des hôtels de passe (ceci doit être une odeur bien bizarre!).

20) La manière de présenter Yazaemon sous les traits de Méphisto sera difficile. Je vais l'étudier. Si tu as de bonnes idées à ce sujet, fais-moi les savoir. Amitiés. »

Lettre 4 « À réétudier la scène d'amour où apparaît la princesse-

fantôme. Comment la traiter? (1) d'une façon réaliste et logique? (2) d'une façon mystérieuse et donc dans un style distancié et ironique? (3) Ou bien en jouant avec le mys­tère et le réalisme?

« Mais de toute façon, on ne peut pas écarter entière­ment le réalisme dans cette scène. Tout le problème est de savoir comment éviter le décalage entre cette scène oni­rique et la trame principale des événements réels du film 110

et comment les fondre entre eux. À savoir : trouver une ficelle telle qu'un « bateau-fantôme », pour donner pro­gressivement au film une atmosphère de plus en plus étrange et mystérieuse. Comme cela est très important, je te prie de bien réfléchir. Pour le moment, moi, je n'en ai aucune idée. En discutant ensemble, cela nous viendra peut-être. Amitiés. »

Lettre 5

1) Séquence se déroulant dans un hameau de mon­tagne : comme il s'agit d'une chaumière, il me semble dif­ficile d'imaginer un corps-à-corps « au premier étage ».

2) Exprimer les sentiments de Miyagi qui, attendant avec impatience le retour de son mari, mène une vie dif­ficile et vagabonde.

3) Éviter de tomber dans l'excès de structuration de la trame, mais plutôt tâcher d'approfondir la psycholo­gie des personnages.

3) La forme du « fantastique » permet une vision sociale ironique ou satirique de l'histoire; ce qu'il est difficile de faire apparaître dans un style réaliste. Je pense qu'il est insignifiant de raconter une histoire de fantômes pour la curiosité qu'elle peut susciter en elle-même.

4) La scène où Miyagi est attaquée par les soldats affa­més et celle où Ohama est violée se ressemblent trop : dans chacune d'elles, il y a une maison et deux personnes. Regarder s'il serait possible de varier.

5) À partir d'ici, il faudrait insister davantage sur le contenu du film et sa thématique. Je te prie de mettre en valeur une certaine profondeur de réflexion, tout en res­tant fidèle à la trame du récit.

6) La scène de la vieille maison de la princesse-fantôme sera capitale dans le film parce qu'elle est la plus « dra­matique ». Il serait trop simple de divulguer là l'origine de la princesse. Je te prie de réfléchir s'il est possible d'ex-111

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primer de façon « fantastique » la psychologie de la prin­cesse. Pour satisfaire le grand public !

7) Montrer le sujet du film - la pensée de l'auteur - est, je crois, beaucoup plus important que de raconter une his­toire.

8) D y a dans ton scénario un personnage que je ne com­prends pas du tout : un certain Yoza Aradera que le Dieu de la Mort prive de la vie. Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Écarter les ficelles d'un symbolisme trop facile.

9) Il faut penser à émouvoir le grand public. Je crois que ton scénario manque de force. Je te prie d'y réfléchir. Amitiés. »

Lettre 6 1) Encore la scène de la ville de Sakamoto : je crois que

tu es trop préoccupé par le développement des événements. Je te prie de faire une description « dramatique » déter­minante.

2) Je n'accepte pas ta façon de voir l'armée arrivant dans la ville en poussant des cris de victoire. J'imagine plu­tôt une ville triste ravagée par la guerre.

3) Après avoir lu ton texte jusqu'ici, j'ai l'impression que le ton du scénario est un peu trop héroïque et mélo­dramatique. C'est une belle façon de conter, mais cela ne suffit pas. Ce qui compte, c'est l'idée - quel grand mot ! -qui est latente sous le drame. »

Lettre 7 1) La description de la maison close est trop rudimen-

taire. Pire encore l'apparition d'Ohama. Tout est trop approximatif.

2) Pour les retrouvailles de Tobei et d'Ohama dans cette maison close, je te propose de reprendre le procédé excep­tionnel que Maupassant a utilisé dans une de ses nouvelles («Le Lit 29 ») où le mari retrouvait avec étonnement sa femme alitée dans une maison de traitement réservée aux 112

prostituées. Examiner absolument le passage de cette ren­contre. C'est la bonne conscience de l'homme et sa naï­veté qu'il faut mettre en valeur. J'exagère un peu, mais voilà ce qui importe dans l'analyse de l'individu. De la sorte toute invraisemblance paraîtra naturelle. Les évé­nements dans cette scène doivent être liés l'un à l'autre. Ainsi toute la scène, aussi longue soit-elle, pourra tenir. Si tu n'arrives pas à rendre cette scène, tout ton scénario serait inutile. Cette scène sera le point culminant du drame. Il faut absolument que tu y arrives. Amitiés. »

Lettre 8 « Encore pour la scène de la maison close. Approfondir

la psychologie d'Ohama vis-à-vis de son mari Tobei pour dévoiler le côté humain de la femme (parce qu'ici, pour la première fois, elle se met en face de la tragédie humaine en tant qu'être social). Il s'agit de l'esprit de l'amour huma­nitaire. Ce que je dis est pédant, mais il faut pousser le drame jusqu'à ce point-là. (Je sais bien que tu n'as pas assez de temps, mais cela ne veut pas dire qu'il suffise de développer l'intrigue). Pour la mise en scène de ce pas­sage, je tiens absolument à ce que tu me donnes sérieu­sement ton avis. Amitiés. »

Lettre 9 « Je pense que la rencontre d'Ohama et de son frère

Genjuro n'est pas nécessaire pour montrer l'état d'âme d'Ohama après la scène de la maison close. Il faudrait cen­trer le drame sur les rapports du couple seul. Le dialogue intime entre le mari et la femme doit être plus naturel, plus vivant. Une ambiance « intimiste » - voilà ce qu'il nous faut pour nous assurer d'un effet « dramatique ».

2) Pour la scène de l'adieu au bord du lac, je maintiens qu'il faut absolument exprimer les sentiments les plus humains qui devront surgir naturellement chez Genjuro quand il se sépare de sa famille. Amitiés. » 113

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Ainsi, le film Ugetsu Monogatari, que Mizoguchi réa­lisa en 1953, est-il avant tout une complainte moraliste sur les agissements d'une humanité pervertie et mutilée par la guerre. Saikaku Ichidai Onna décrit le destin ingrat d'une femme persécutée sous le régime féodal, tandis que Ugetsu Monogatari expose la tragédie de deux couples, qui prend toute sa résonance dans une dimension sociale beaucoup plus large et complexe. L'évolution « idéolo­gique » est très nette. O'haru, l'héroïne de Saikaku Ichidai Onna, quoiqu'elle montre parfois quelque fermeté d'âme, n'est au fond qu'une victime passive au désespoir sans lendemain. Mais les deux héros d'Ugetsu Monogatari se veulent maîtres de leur destin en ce sens qu'ils pensent que le paroxysme de leur désir ouvrira sur sa réalité. Aussi acceptent-ils eux-mêmes la situation tragique. Cette conception dramatique est en effet assez rare dans l'œuvre de Mizoguchi, exception faite pour Gion no Kyodai (Les Sœurs de Gion). La guerre stimule l'instinct d'émanci­pation de ces deux hommes sous toutes les formes d'ar­rivisme. Le paysan pauvre peut rêver « dramatiquement » d'un monde profitable. La guerre comporte toujours cet élément de folie qui fait apparaître les virtualités de l'existence. La guerre n'est alors qu'une promesse illu­soire de bonheur, nourrie avec d'autant plus de convic­tion chez les pauvres gens. Ugetsu Monogatari est la chronique du rêve déçu, de l'espérance trompée. C'est, au fond, littéralement, le conte de la pluie et de la lune. S'opposent à leur conduite et à leurs désirs, leurs femmes inquiètes, qui s'efforcent de les retenir, et qui, dans leur humilité fataliste, n'envisagent point de ciel meilleur. Le seul vrai bonheur pour elles : rester ce qu'elles sont, garder ce qu'elles possèdent...

La scène finale d'Ugetsu Monogatari devait représen­ter la déréliction sans appel des personnages. Mais la 114

Compagnie Daiei voulut une fin « plus raisonnable ». C'est ainsi que Tobei sauve sa femme Ohama de la déchéance et jette son armure aux orties pour retourner avec elle au village et se reconvertir avec Genjuro à la vie paysanne. Je détestais cette conclusion parce que moralisatrice. Mizoguchi en était également mécontent. Mais il l'a fil­mée, en essayant de faire sentir que ce retour à leur pre­mière condition était inexorable.

Il se posait un problème quant au tournage proprement dit : comme Machiko Kyo devait bientôt tourner ailleurs, il fallait commencer par la scène de la princesse-fantôme. Or, cette scène était le point culminant du drame. De plus, Mizoguchi avait pour principe de tourner en continuité. Toute l'équipe avait très peur de sa réaction, mais, au grand étonnement de tous, Mizoguchi se plia volontiers aux exi­gences de la Compagnie. Nous fûmes plus déçus que sou­lagés. Mais cela ne devait pas se passer aussi simplement. Pendant le tournage, l'humeur de Mizoguchi fut exécrable. Ses exigences immotivées mirent tout le monde à la tor­ture. Dans la scène où Genjuro essaie d'écarter, d'exor­ciser l'image de la Mort qu'incarne cette princesse, l'acteur Masayuki Mori, le corps meurtri lors de répétitions vio­lentes, voulut abandonner le rôle. En outre, Mizoguchi lui avait dit : « La Mort t'obsède. Ne mange pas, maigris ! ». Comme je l'ai déjà dit, Mizoguchi s'inspira du Nô pour réaliser cette scène : le maquillage de Machiko Kyo, son costume et ses parures, son comportement (en particulier lors de son apparition dans le couloir de la maison). Lorsque la princesse découvre que Genjuro veut l'abandonner, la physionomie de Machiko Kyo évolue admirablement. Mizoguchi fit changer son maquillage plan par plan.

Mizoguchi ne pensait jamais au découpage. Il semblait ne s'intéresser qu'à créer des effets « dramatiques » et se moquait presque des raccords. La dynamique de l'image 115

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dépasse en effet tout schéma cinématographique. C'est la charge de chaque plan qui fait vivre le film.

Mizoguchi se refusait à écouter le moindre conseil venant de son équipe et cependant, il aimait que tout le monde s'oppose à lui. Cette petite guerre ne cessait pas entre Mizoguchi et son opérateur (Kazuo Miyagawa) ou son décorateur (Kisaku lto). Il est superflu de mentionner les exigences de Mizoguchi dans le domaine musical...

Ugetsu Monogatari fut sélectionné pour le festival de Venise. Mizoguchi et moi et partîmes pour la première fois en Europe. À la réception de l'Hôtel Excelsior, nous avons rencontré William Wyler. « Un vieux bonhomme ! », me dit Mizo-san, « C'est un metteur en scène très habile au « cadrage vertical ». C'est tout ce que j'ai appris de lui. » J'ai alors trébuché et marché sur les pieds de mon voisin. À peine avais-je demandé pardon qu'il s'en alla. On nous dit que c'était Marcel Carné qui venait d'arriver pour présenter Thérèse Raquin. « Il n'y a que toi pour oser piétiner le dis­ciple favori de Jacques Feyder! », plaisanta Mizoguchi. A Venise, il se comportait tout le temps comme mon propre père : « Allons ! fais attention de ne pas piétiner les clames en robe du soir! Quel scandale ce serait! », etc.

Dans le hall du Palais du Festival, Mizoguchi fut très étonné de se trouver en présence d'une grande exposi­tion rétrospective consacrée à son œuvre ainsi qu'à celle de Chaplin. Mizoguchi espérait obtenir un prix. « Je ne peux pas rentrer au Japon sans rien ! », répétait-il. La nuit, il priait même Dieu dans sa chambre d'hôtel. De toute façon, Ugetsu Monogatari obtint le Lion d'Argent. Dans le ferryboat, Mizoguchi éleva ses mains jointes vers la statue du Lion d'or de la Place San Marco, en disant : « Merci beaucoup ! Merci! » La critique des journaux italiens fut très favorable.

Pendant ce voyage à Venise, le plus grand événement pour Mizoguchi fut sans doute la première présentation 116

du Cinémascope. Après avoir vu The Robe (La Tunique, de Henry Koster), il ne cessa de parler de ce nouveau pro­cédé. En fait, je crois qu'il rêvait sérieusement de l'utili­ser bientôt. Sansho Dayu (L'Intendant Sansho), qu'il réalisa après ce voyage, était déjà, pour ainsi dire, un essai, une propédeutique au cinémascope. Par la suite, la Daiei envi­sagea de produire des films en « vistavision ». Pour cela, Mizoguchi et l'opérateur Miyagawa firent un voyage d'études aux États-Unis. Je regrette vraiment que Mizoguchi soit mort avant de faire un film pour le grand écran.

Avant de partir en Europe, Mizoguchi avait confié à M. Fuji Yahiro la rédaction du scénario de Sansho Dayu {L'Intendant Sansho). Ce projet m'étonna assez. Sansho Dayu est une nouvelle de Mori Ogaï (grand écrivain de l'ère Meiji) dont les héros sont des enfants. Or, Mizoguchi n'avait jamais fait de films dont les principaux personnages soient des enfants. D n'aimait guère les enfants. Il les détes­tait même. Je ne l'avais jamais vu sourire à un enfant. Serait-ce parce qu'il n'en avait point? Il me disait souvent : « Ne perds pas ton temps à t'occuper de tes gosses ! Un artiste ne doit pas avoir de famille, pour pouvoir réaliser son œuvre ! » Dès qu'il fut de retour, Mizoguchi demanda à M. Yahiro si le scénario était terminé. Mizoguchi ne deman­dait qu'à tourner! La récompense à'Ugetsu Monogatari^. Venise lui avait donné autant d'énergie que de confiance : « Cette fois, on ne peut plus faire n'importe quoi ! », annon­çait-il comme une menace à la direction de la Production.

Le scénario de Sansho Dayu qu'avait écrit M. Yahiro était une adaptation fort honorable, très fidèle à la nou­velle originale. » Mais Mizoguchi lança, comme je m'y attendais : « Quoi ! Une histoire de gosses ! Je veux la même histoire, mais sans enfants ! » M. Yahiro abandonna. « Yoda, je te confie cette tâche. » Comme Kyoko Kagawa fut choi-117

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sie pour le rôle d'Anju (la sœur) et Kisho Hanayagi pour le rôle de Zushio (le frère), je rebâtis l'intrigue en me confor­mant à l'image que je m'étais faite des acteurs. Ainsi, contrairement à la nouvelle d'Ogaï Mori, je fis d'Anju la petite sœur de Zushio. Le prologue de Sansho Dayu est fidèle à la nouvelle, mais la suite, dans laquelle Anju et Zushio sont adultes - ce qui constitue la majeure partie du film - est presque entièrement de ma plume. Suivant son habitude, Mizoguchi me recommandait : « Commence par étudier l'histoire de l'esclavage. Mets-toi bien au cou­rant de la fonction sociale et économique de l'esclavage. » Le conte d'Ogai Mori est extrêmement concis, abstrait, les détails anecdotiques et descriptifs ne sont qu'esquis­sés. Mon premier travail d'adaptateur fut donc de para­phraser, de détailler, de concrétiser le contenu et, plus particulièrement, de donner au drame un cadre historique. Par exemple, dans la nouvelle, la mère d'Anju et de Zushio part en voyage avec ses enfants pour retrouver son mari qui était parti il y a bien longtemps dans la préfecture de Tsukushi. Mais pourquoi le mari était-il parti là-bas? Pourquoi n'était-il pas encore de retour? L'explication n'en était pas donnée. Mizoguchi voulait que cet homme ait été exilé du fait de son désaccord avec la politique gou­vernementale : il avait provoqué la colère du Chef d'Etat qui n'admettait pas qu'un haut fonctionnaire ait ses idées sur l'égalité sociale, idées révolutionnaires, puisque ce der­nier voulait défendre la cause des paysans et des esclaves. Cette idéologie se confondait pour lui avec sa foi religieuse. Ainsi, en partant en voyage, il lègue à ses enfants une très rare statue de Bouddha... Nous avons pensé que cette statue symboliserait la foi des personnages (Anju et Zushio ont le malheur d'être vendus comme esclaves et cette infor­tune les amènera au sentiment religieux et à une réflexion sociale sur l'affranchissement des esclaves), et que cela 118

serait aussi une cheville dramatique (la mère devenue aveugle reconnaît Zushio en touchant cette statue d'or). Nous avons essayé de hausser cette fable populaire au niveau d'un drame social, en étudiant ce préféodalisme et le bouddhisme de l'époque (fin de l'ère Helan). Dans le film, Zushio réussit à affranchir les esclaves, mais sa mère reste aveugle (dans la nouvelle, les yeux de la mère se rou­vrent grâce au pouvoir miraculeux de la statue que Zushio portait). La scène du retour de Zushio vers sa mère délais­sée, dans le film, porte au sublime la détresse des cœurs et des choses. Mizoguchi n'était pas sûr de pouvoir réus­sir cette scène. Il s'était longuement demandé s'il allait conserver la scène où la mère rouvre ses yeux morts sous l'effet magique de la statue. En supprimant cette anec­dote, nous avons fait de Sansho Dayu un film triste et pes­simiste. Ce film fut présenté au Festival de Venise 1955 et remporta le Lion d'Argent.

C'est après Sansho Dayu que Mizoguchi réalisa Uwasa no Onna (La Femme dont on parle, 1954), en transposant la vie des prostituées de Shimabara (quartier célèbre des prostituées de l'ère Edo) à notre époque. J'ai l'impression que Mizoguchi y a mis plus de sentiments personnels que le sujet n'en demandait. Le projet de ce film lui était imposé par la Compagnie (Daiei), qui l'avait choisi car on le consi­dérait comme un spécialiste des mœurs des prostituées depuis Gion Bayashi (La Fête à Gion, 1953). M. Matsu-taro Kawaguchi s'occupa du scénario du film après Gion Bayashi. Masashige Narusawa et moi l'avons adapté sous les conseils de Mizoguchi. Comme d'habitude, nous avons loué une chambre à l'hôtel. Mais Mizoguchi n'était pas spécialement passionné par ce projet. Il sortait tous les soirs pour voir des films étrangers et, de retour, il nous disait seulement « bon courage ! » comme si cela ne le concernait pas. Un soir, Mizoguchi me dit : « Ce n'est pas 119

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passionnant. Tu trouves ton texte intéressant? » Et moi : « J'essaye cependant de faire quelque chose d'intéressant - Si ça ne t'intéresse pas, laisse tout tomber. - Mais c'est impossible ! » Narusawa, lui aussi, essaya de le convaincre : « Il faut finir notre travail. - Mais qu'est-ce qui peut bien t'intéresser dans cette histoire de putains? », ricana Mizoguchi. « Si vous le prenez ainsi, nous n'arriverons à rien ! », répliqua Narusawa. « Bon, bon. Je vous laisse tra­vailler », disait Mizoguchi, et il repartait. C'était chaque jour ainsi. Un soir, M. Kawaguchi vint nous voir. Mizoguchi commença à lui chercher querelle : « Quelle connerie, cène histoire-là! Le cinéma japonais se dégrade! » M. Kawaguchi, vexé, répliqua : « Alors, inutile de tourner le film ! - Mais si ! répondit Mizoguchi ironiquement, si, si ! Mais si, c'est un beau scénario. Actuellement, nous en sommes loin. » Bien qu'étant le vieil ami de Mizoguchi, il était normal que M. Kawaguchi fût vexé par ces mots. « Tout le mal que je me donne pour écrire ce scénario, s'écria M. Kawaguchi, c'est pour toi et par respect pour ton art ! » Alors Mizoguchi se fâcha lui aussi : « Il fau­drait d'abord que tu sois un grand écrivain! » M. Kawaguchi parvint à se maîtriser.

Le tournage même ne passionna jamais Mizoguchi. Mais une fois terminé, le 61m portait sa signature et je le trouvais excellent.

Après Uwasa no Onna, aucun projet ne retint l'atten­tion de Mizoguchi. Puis, il eut l'intention d'adapter une œuvre de Monzaëmon Chikamatsu (le plus grand auteur dramatique de l'ère Edo, que l'on considère comme un Shakespeare japonais. Ce sont ses pièces, écrites pour le « Joruri », théâtre de marionnettes, qui constituent presque tout le répertoire classique du « Kabuki »). Le thème de l'adultère intéressait la Production. Parmi toutes les pièces de Chikamatsu, Mizoguchi choisit « Dai Kyoshi Mukashi 120

Goyomi » qui conte la tragique histoire d'amour de deux jeunes gens de classes sociales différentes. (Le film s'ap­pela Chikamatsu Monogatari; en France : Les Amants cru­cifiés). Saikaku, dans ses Koshoku Gonin Onna (Cinq Amoureuses), avait écrit l'histoire de « Osan et Mohei » d'après un même fait divers. La société Daiei voulait que Mizoguchi tourne avec Kazuo Hasegawa, la vedette mas­culine de l'époque. Ainsi ce dernier fut-il choisi pour le rôle de Mohei (Moëmon dans le film). Pour le rôle d'Osan, l'amante de Mohei, Mizoguchi choisit sans hésitation Kyoko Kagawa qui avait joué le rôle d'Anju dans Sansho Dayu. Cette fois encore, M. Kawaguchi s'occupa du scé­nario. Comme adaptateur, je n'ai presque pas touché à son scénario qui était excellent. Mais Mizoguchi n'en était guère content et il dit à M. Kawaguchi : « Comment veux-tu que je fasse un film de cette pauvre histoire ! - Mais qu'est-ce qui ne te plaît pas? Dis-le moi », répliqua M. Kawaguchi. « Il est bien fait, ton scénario. Mais ça ne me dit rien d'en faire un film. » Et Mizoguchi n'ajouta aucune explication. M. Kawaguchi abandonna et j'y tra­vaillai à mon tour. Avec Kyuichi Tsuji, j'ai un peu modi­fié la dernière partie du scénario et surtout centré l'histoire sur les rapports entre Osan et Mohei. Pour cela, nous avons écarté momentanément Chikamatsu et suivi l'intrigue conçue par Saikaku. Le scénario de M. Kawaguchi était très fidèle à l'histoire de Chikamatsu : c'était la fatalité qui faisait de cette histoire d'amour une tragédie. Mizoguchi, lui, voulait absolument une tragédie » sociale » à l'époque féodale. Dès que notre scénario fut terminé, nous l'avons montré à Mizoguchi et à M. Kawaguchi qui allait aussi s'occuper de la régie du film.

Kawaguchi : « Ça ne te plaît toujours pas? » Mizoguchi : « Si, si. » Kawaguchi : « C'est-à-dire? »

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Mizoguchi : « C'est-à-dire... Je ne vois pas quel est le sujet. »

Tsuji : « C'est l'histoire tragique d'un amour à l'époque féodale, n'est-ce pas? »

Mizoguchi : « Ne me fais pas rire ! Où est la tragédie? Où est l'amour? Excuse-moi, mais je ne vois rien de tout cela : les deux jeunes gens s'enfuient, on les arrête, on les condamne à mort - c'est tout, n'est-ce pas? »

Tsuji : « Alors, dans ce cas, c'est la faute de Cerejiimatsu et de Saikaku. »

Kawaguchi : « Eh bien, Mizoguchi, que veux-tu que nous fassions ? »

Mizoguchi : « Rien. Vous n'y arriverez pas ! » Kawaguchi : « Ne dis pas ça. Essayons de... » Mizoguchi : « C'est inutile. » Tsuji : « Si, Monsieur, mais il faut que vous nous don­

niez quelques conseils. » Mizoguchi : « Je ne saurais pas exprimer mes idées! » Kawaguchi : « Mais cependant, tu as bien une idée pré­

cise! » Mizoguchi : « Je répète qu'il faut réfléchir à la situation

sociale des personnages ! » Tsuji, excédé, voulut tout abandonner, mais comme je

connaissais la manière de Mizo-san, j'ai essayé de cal­mer le mécontentement de mon coscénariste pour que nous nous remettions à travailler. Cette fois, je me suis attaché au portrait du héros (Moëmon). fêtais très content de mon scénario. Le président de la Daiei le trouva aussi très bien. Mizoguchi seul n'avait pas l'air content : « Ça manque d'intensité dramatique ! » Cela me démoralise complètement. « Qu'est-ce à dire ? », demanda, comme pour me défendre, le président à Mizoguchi. « Eh bien, par exemple, répondit Mizoguchi, Osan et Moëmon font l'amour dans une chambre d'hôtel après avoir décidé de 122

se suicider. C'est idiot, c'est ridicule. S'ils se sont déci­dés à mourir, il est impensable qu'ils pensent à faire l'amour! Ils prennent une petite barque dans le seul but de mourir. Et cela suffit à montrer leur état d'âme à ce moment. Ds sont maintenant au milieu du lac. Et tout d'un coup, ils ne veulent plus mourir. Non qu'ils aient peur de la mort. Mais à l'inverse des mélodrames où les quelques instants volés à la mort sont les plus doux que la vie ait jamais permis, la tentation de la mort évanouie donne le prix de l'existence aux moments futurs, c'est une véritable ouverture. On ne peut mourir ainsi, pensent les amoureux juste avant le suicide. C'est comme ça. Et c'est vraiment dramatique. »

Le scénario définitif de Chikamatsu Monogatari fut ainsi achevé après plusieurs versions. Le tournage commença, mais sur le plateau, Mizoguchi eut beaucoup de difficul­tés à manier l'acteur Kazuo Hasegawa qui se complaisait à critiquer la mise en scène de l'auteur. Mais nous fûmes bien récompensés de tous nos efforts, car ce film se révéla être un chef-d'œuvre de pureté et de noblesse.

Au printemps de 1955, Mizoguchi réalisa Yokihi (L'Impératrice Yang Kwei-Fei) en coproduction sino-japo-naise. Run Run Show de Hong Kong nous avait proposé le projet. Je rédigeai le scénario avec Tsuji Kyuichi et Masashige Narusawa. C'était la première fois que l'on fai­sait un film inspiré par l'histoire de la Chine. Mais, si Mizoguchi était un grand amateur d'objets d'art et un connaisseur de l'esthétique et des mœurs de l'époque chi­noise Tang, moi, par contre, j 'en étais totalement igno­rant. Mizoguchi m'emmena plusieurs fois visiter des musées, des temples. J'appris ainsi comment notre civili­sation de l'ère Nara avait été influencée par celle de l'ère Tang. Je fus bouleversé et ébloui par la civilisation de cette époque chinoise que j'étudiais au moyen de tous les docu-123

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ments disponibles : Complainte de la Longue Souffrance, poème de Po Tchu-Yi, ou Ballade du Luth, poème de Tou-Fou, qui racontent les amours célèbres de l'empereur Wei-Song et de Yang Kwei-Fei : la Révolte d'An-Lou-Shan; la signification historique de la Route de la Soie, de la Zone de l'Ouest : la civilisation des Igres; le rôle des eunuques, des harems; les fêtes, les mœurs chinoises, etc. Mais j'avais beaucoup de difficultés. Dans le scénario initial, pour bien mettre en relief le caractère foncièrement intrigant de Yang Kwei-Fei, je voulais insister au moins sur deux points (qui sont d'ailleurs historiquement authentiques) : 1) Yang Kwei-Fei était d'abord la femme légitime du prince Tch'iu, fils de l'empereur Wei-Song. On la promut par la suite au rang d'impératrice. 2) Impératrice parvenue, Yang Kwei-Fei ne dissimula plus : son orgueil et son égoïsme s'éta­laient en plein jour. Mais nous ne tînmes pas compte de ces éléments, d'abord pour simplifier l'intrigue, et surtout, pour faire de Yang Kwei-Fei une « héroïne » ; on en fit une femme pure et naïve que son entourage exploitait par inté­rêt. Cela me conduisit à un schéma mélodramatique. Je me sentis soudain très loin du scénario. C'est M. Kawaguchi qui fit la rédaction définitive. Yôkihi fut le premier film en couleur de Mizoguchi. Je crois qu'il avait étudié les couleurs des temples et des objets d'art de Kyoto afin de trouver la couleur exacte de son film. Après Yôkihi, Mizoguchi réalisa Shin Heike Monogatari {Le Héros sacri­lège, 1955), d'après la première partie du roman « best-sel­ler » de Eiji Yoshikawa. Ce fut son second film en couleurs, mais Mizoguchi n'attachait pas tellement d'importance aux problèmes de la couleur. C'est la Compagnie qui lui a imposé le tournage en couleurs. (Les deux films furent tournés en « Daieicolor ».) La qualité de la couleur était encore médiocre. Mizoguchi considérait la couleur au cinéma comme un élément artificiel. Je pense qu'il n'a 124

donc fait aucune recherche spécifique pour Shin Heike Monogatari. Je me souviens d'une seule anecdote à propos du tournage de ce film : il s'agissait d'une scène où le jeune héros se révolte contre la tyrannie des bonzes et tire une flèche sur le palanquin sacré. Un jour, Mizoguchi me télé­phona du village situé au pied du Mont Hieizan où l'on tournait le film.

À peine y étais-je arrivé qu'il me dit : « Cela m'ennuie vraiment de tourner cette scène. N'as-tu pas une autre idée? »

Une centaine de figurants mobilisés pour le tournage de cette scène attendaient là depuis le matin. J'ai lon­guement discuté avec Mizoguchi et j'ai finalement réussi à le convaincre de tourner la scène. Mais il n'était pas très content. D savait bien que ce genre de scène d'action n'était pas son fort.

À l'automne de la même année, Mizoguchi fut nommé directeur de la Daiei. Il avait hésité à accepter ce poste, mais il finit par être satisfait d'être ainsi accueilli par la Compagnie. C'est à peu près à la même époque que Mizoguchi reçut le Ruban Violet (qui correspond à la Légion d'honneur). Je crois que c'est ce qui a fait le plus plaisir à Mizo-san. Depuis l 'époque de Chikamatsu Monogatari, il ne se montrait plus aussi intransigeant. D se comportait comme un « bonhomme » de son âge, l'âge d'une certaine maturité... Il préparait Akasen Chitai (La Rue de la Honte). Depuis Yoru no Onna Tachi (Les Femmes de la Nuit), dont la rédaction du scénario m'avait anéanti, j'étais effarouché par ce genre de sujet. J'ai donc refusé la rédaction du scénario cYAkasen Chitai et je me suis mis à rédiger celui d'Osaka Monogatari (Chroniques d'Osaka), d'après Saikaku (Nippon Eitai Gura), que Mizoguchi devait réaliser par la suite. Mais je n'aurais jamais pensé que ce film allait être réalisé par un autre que lui... 125

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Lorsque Mizoguchi est revenu à Kyoto après avoir ter­miné Akasen Chitai à Tokyo, j'avais achevé mon scéna­rio. (Après la mort de Mizoguchi, Kimisaburo Yoshimura réalisa le film.) À la lecture, Mizoguchi me reproche d'avoir écrit un texte par trop superficiel. La vie d'un avare, sa femme qui le gruge, la naïveté pathétique de leur fille qu'ils exploitent par intérêt, la révolte de leurs fils contre l'acte inhumain de leurs parents, etc., tout cela ne constituait qu'un petit mélodrame conventionnel et, de plus, c'était une hérésie envers Saikaku ! - C'est ce que Mizoguchi m'a dit d'un ton extrêmement violent. Démoralisé, j'ai riposté faiblement : « J'ai pensé faire le portrait d'un avare... -L'avarice est un thème démodé ! C'est anachronique. C'est un sujet pour le théâtre classique », déclara sans appel Mizoguchi. « À quel sujet pensiez-vous? », lui ai-je demandé craintivement. « Connais-tu Ivan l'imbécile} - C'est une histoire russe, je crois. - Ignorant! C'est le chef-d'œuvre de Tolstoï! Tu n'as jamais lu? Tu es vraiment un drôle de type. Quel malheur d'avoir un scénariste comme toi ! » Je me tus, mortifié. J'ai repris les œuvres complètes de Tolstoï et lu Ivan l'imbécile. C'est l'histoire d'un paysan qui ne rêve qu'à devenir un grand propriétaire et réussit à posséder un immense terrain. Il marche à grands pas dans ces grands espaces et, épuisé, il meurt. Un petit mètre carré de terre suffira à l'enterrer...

J'ai dû modifier, encore plus que d'habitude, le scé­nario. La dernière version était très éloignée du portrait d'un marchand avare et même de Saikaku, car c'était une vraie tragédie « sociale ». Nous avons commencé ensuite par repérer les endroits de tournage, mais Mizoguchi avait l'air très fatigué. Il saignait souvent des gencives et consul­tait tous les jours son médecin. Je ne croyais pas que cela pût être grave. Le docteur ordonna pourtant à Mizoguchi de se reposer pendant trois mois dans une clinique. Le 126

projet d'Osaka Monogatari se trouva donc remis. Installé dans une salle de l'hôpital municipal de Kyoto qui don­nait sur la rivière Kamo-gawa, Mizoguchi semblait devoir bientôt guérir. Mais le docteur lui faisait chaque jour une transfusion. « On change tout mon sang! Ce n'est pas très agréable de penser que c'est le sang des autres qui est main­tenant dans mon corps ! », me disait-il en souriant. C'est alors que j'appris que Mizoguchi était atteint de leucémie. Le docteur me déclara qu'il ne vivrait pas plus d'un mois. Bouleversé, je faillis m'évanouir. On m'interdisait d'aller le voir, mais je ne pouvais pas me plier à cette interdiction. J'essayais en vain de maîtriser mes sentiments et je buvais tous les soirs pour oublier. Un soir, complètement ivre, je suis allé à l'hôpital. Mizoguchi m'a accueilli avec un large sourire. Ensuite, brusquement, il m'a dit d'un ton grave : « Je souffre. C'est infernal ! » Je lui ai répondu : « Ce n'est rien. Vous irez bientôt mieux... ». Mais j'étais au bord des larmes. Un instant plus tard, Mizoguchi se redressa dans son lit et il me dit d'un ton pénétré : « Je te remercie infi­niment pour tout », ce qui me bouleversa plus encore... Ce fut ma dernière entrevue avec lui.

Cet été fut anormalement chaud. Je suis allé à Tokyo pour adapter une pièce de théâtre dont la représentation était prévue pour bientôt. Le 24 août, très tôt le matin, on me réveille par téléphone. C'était un appel de Kyoto : «... Monsieur Mizoguchi est décédé ce matin, à une heure cinquante-cinq... » Je rentrai aussitôt à Kyoto par l'express. Tous ses amis avaient déjà commencé la veillée funèbre. On me montra les trois feuilles de papier sur lesquelles Mizoguchi avait griffonné l'expression de sa dernière volonté. Son écriture confuse révélait l'immense effort qu'il avait fait pour réunir ces notes : « Je viens de trou­ver la première séquence d'Osaka Monogatari... Il fait trop chaud ici. Je travaille avec difficulté... J'ai une vue d'en-127

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semble très précise de mon film, à part le dialogue. Je sou­haite que mon état ne s'aggrave pas davantage... » Et sur la dernière feuille : « Nous sommes bientôt au début de l'automne. J'aimerais recommencer le plus vite possible mon travail avec toute mon équipe. » En lisant ce texte, Kazuo Miyagawa (l'opérateur de Mizoguchi) sanglotait : « Il ne pensait qu'à son film, il voulait vraiment le faire ! » Je pleurais, moi aussi. Je n'avais jamais imaginé que Mizoguchi meure aussi jeune, à cinquante-sept ans. Il était si fort, si robuste... Le lendemain, le 30 août, nous sommes partis pour Tokyo avec les ossements de Mizoguchi et la grande cérémonie funèbre eut lieu dans le cimetière d'Aoyama. M. Nagata, le président de la Daiei, qui était un vieil ami de Mizoguchi, fit graver sur sa tombe l'épi-taphe suivante : « Le plus grand cinéaste du monde », ce qui est, je crois, pleinement justifié par l'estime que Mizoguchi a conquis dans le monde.

Mizoguchi est un cinéaste qui a vécu la préhistoire tech­nique et artistique de l'industrie cinématographique. Sa mort marque la fin d'un cinéma d'artisan... J'aurais encore beaucoup à dire sur Mizo-san, mais si je me permets de terminer ici cette évocation, c'est que je souhaite que l'audience de Mizoguchi et la connaissance de son œuvre ne cessent de s'accroître pour que d'autres suivent le chemin ouvert par ce génie du cinéma.

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Filmographie de Kenji Mizoguchi

Par Tony Rayns

La plus grande part de la filmographie a été établie à par­tir de sources directes, dont les génériques complets des films de Mizoguchi qui ont survécu. (Ces titres seront marqués d'une astérisque à mesure qu 'ils apparaîtront). C'est à partir des copies contemporaines de publications japonaises (en particulier du magazine Kinema Jumpo), d'après des scénarios publiés au Japon et d'après des recherches japonaises dans ce domaine que l'on a pu rassembler les données existantes sur de nombreux films des années vingt et trente qu'on croyait généralement perdus.

Les utilisateurs doivent garder à l'esprit qu'il y a une incroyable difficulté inhérente à l'établissement d'une transposition authen­tique et minutieuse des patronymes japonais. Au Japon, on écrit en général les noms à l'aide d'idéogrammes chinois (Kanji), dont la plupart donnent lieu à beaucoup d'interprétations différentes. Dans la période d'avant guerre surtout, les parents japonais aiment choisir les Kanji les plus obsolètes et les plus obscurs pour écrire des noms aussi communs que "Kenji" ou "Akira". Ce qui 129

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rend presque impossible la transposition des noms japonais en alphabet romain avec certitude. Les transpositions des noms de cette filmographie ont toutes été comparées avec tous les docu­ments européens qui peuvent être consultés, mais un important élément de doute subsiste néanmoins. L'auteur serait heureux de recevoir des corrections authentifiées de toutes les traductions qu'il donne ici.

Cette filmographie a été établie grâce à l'aide de nombreux amis de Tokyo et d'ailleurs. Je tiens à remercier tout particu­lièrement Colin Pahlow, Yamaguchi Yoshinori, Okajima Hisashi et Kotohda Chieko.

Trad. Serge Grùnberg

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1922. AI NI YOMIGAERU HI (LE JOUR OÙ REVIT L'AMOUR). Mise en scène : Kenji Mizoguchi . Scénario : Osamu Wayakama. Photo : Toshimitsu Takasaka. Interprétation : Kaichi Yamamoto, Kiyoshi Mon, Shigeni Mifune, Takeo Oguri, Kasuke Koizumi, Rokuro Uesugj, Kichiji Nakamura, Satoru Shirawaka. Production : Nikkatsu, Mukojima.

1923. FURUSATO (Autre titre : KOKYO) (LE PAYS NATAL). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Kenji Mizoguchi. Photo : Yuzo Iwamura. Interprétation : Kaichi Yamamoto, Takeo Oguri, Komei Minami, Toyosaku Yoshida, Kasuke Koizumi, Kichiji Nakamura, Akiyo Miyajima. Production : Nikkatsu, Mukojima.

1923. SEISHUN NO YUMEJI (RÊVES DE JEUNESSE). Mue en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Kenji Mizoguchi, d'après un roman de Suenori Kozono. Photo : Hiroshi Watanabe. Interprétation : Hiroo Miyajima, Yoneko Sakai, Tetsuya Yoshimura, Rokuro Uesugi, Kaichi Yamamoto, Kasuke Koisumi, Harue Ichikawa. Production : Nikkatsu, Mukojima.

1923. JOEN NO CHIMATA (LA VILLE DE FLAMME ET DE PASSION ou LA RUELLE DE LA PASSION ARDENTE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Kenji Mizoguchi. Photo : Hiroshi Watanabe, Toshimitsu Takasaka. Décors : Yoshiaki Kamehara. Interprétation : Takeo Oguri, Komei Minami, Kiyoshi Mori, Yuraki Mimasu, Kichiji Nakamura. Production : Nikkatsu, Mukojima.

1923. HAIZAN NO UTA WA KANASHI (TRISTE EST LA CHANSON DES VAINCUS). Mue en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Kenji Mizoguchi, d'après le roman du même titre de Aibi Hâta. Photo : Junichiro Aoshima. Interprétation : Toyosaku Yoshida, Haruko Sawamura, Matsuko Senoo, Kyoko Mizuki, Akiyo Miyajima, Genichi Fujii. Production : Nikkatsu, Mukojima.

1923. 813-RUPIMONO (UNE AVENTURE D'ARSENE LUPIN). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Kenji Mizoguchi, d'après « Une aventure d'Arsène Lupin », de Maurice Leblanc. 131

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Photo : Toshimitsu Takasaka. Interprétation : Komei Minami, Tsuruko Segawa, Hiroshi Hoshino, Mariko Aoyama, Kunijiro Fujiwara, Toyosaku Yoshida. Production : Nikkatsu, Mukojima.

1923. CHITO REI. (LE SANG ET L'ÂME). Mue en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Kenji Mizoguchi, d'après la traduction Contes d'Hofiman par Kokuseki Oizumi. Photo : Ichiro Aoshima. Décors : Yoshiaki Kamehara. Interprétation : Chiyoko Eguchi, Ryotaro Mizushima, Harue Ichikawa, Yutaka Mimasu, Komei Minami, Yoneko Sakai. Production : Nikkatsu, Mukojima.

1923. KIRI NO MINATO. (LE PORT DES BRUMES). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Soichiro Tanaka, d'après « Anna Christie » de Eugène O'Neill. Photo : Junichiro Aoshima. Interprétation : Haruko Sawamura, Eijiro Mori, Harue Kkawa, Kaichi Yamamoto. Production : Nikkatsu, Mukojima.

1923. YORU. (LA NUIT). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Kenji Mizoguchi. La première partie du film est basée sur un roman noir américain intitulé « The Beautiful Démon »; la seconde partie est basée sur une histoire originale de Mizoguchi intitulée Yami no Sasayaki («Soupirs des ombres »). Photo : Junichiro Aoshima. Décors : Yoshiaki Kameshina. Interprétation : Koichi Katsuragi, Yoneko Sakai, Kaoru Yasuse, Harue Ichikawa, Hatsuki Takahashi, Mariko Aoyama, Hiroshi Inagaki. Production : Nikkatsu, Mukojima. x

1923. HAIKYO NO NAKA. (DANS LES RUINES). Mise en scène : Kenji Mizoguchi, d'après un roman de Gando Kasuga (selon une source : scénario et histoire originale seraient dûs à Hanabishi Kawamura). Photo : Toshimitsu Takasaka. Interprétation : Kaichi Yamamoto, Koichi Katsuragi, Kasuke Koizumi, Haruko Sawamura. Production : Nikkatsu, Mukojima.

1923. TOGE NO UTA. (LE CHANT DU COL). Mise en scène : Kenji Mizoguchi, d'après une pièce de Lady Gregory. Photo : Yoshimitsu Takasaka. Décors : Yoshiaki Kamehara. Interprétation : Kaichi Yamamoto, Yutaka Mimasu, Haruko Sawamura, Matsuko 132

Senoo, Ryotaro Mizushima, Toyosaku Yoshida. Production : Nikkatsu Daishogun, Kyoto.

1924. KANASHIKI HAKUCHI. (LE TRISTE IDIOT) Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Tatsuro Takabatake, Kenji Mizoguchi, d'après une pièce étrangère. Photo : Shohei Iwata. Décors : Yoshiaki Kamehara. Interprétation : Yoneko Sakai, Koichi Katsuragi, Kasuke Koizumi, Kaoru Wakaba, Masujiro Takagi. Production : Daishogun Nikkatsu, Kyoto.

1924. GENDAI NO JOO. (LA REINE DES TEMPS MODERNES). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Murata Minoru. Photo : Seichi Uchida. Interprétation : Yoneko Sakai, Komei Minami, Yutaka Kimasu, Kooko Chigusa, Kunijiro Fujiwara. Production : Nikkatsu, deuxième section, Kyoto.

1924. JOSEI WA TSUYOSHI. (LES FEMMES SONT FORTES). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Bungekibu Nikkatsu, d'après un événement réel et l'adaptation théâtrale shimpa qui en a été tirée. Interprétation : Yoneko Sakai, Yutaka Mimasu, Shirue Matsumoto, Matsuko Senoo, Shizuko Miyabe, Utako Suzuki, Kaichi Yamamoto. Production : Daishogun Nikkatsu, Kyoto.

1924. JIN KYO. (LE MONDE ICI-BAS ou RIEN QUE POUSSrfîRE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Kaoru Osanai, Soichiro Tanaka, d'après une pièce catalane de Angelo Jimera. Photo : Seichi Uchida. Interprétation : Denmei Suzuki, Eiji Takaji, Kumeko Urabe, Kyoko Mizuki, Junichi Kitamura, Genichi Fujii. Production : Daishogun Nikkatsu, Kyoto.

1924. SHICHIMENCHO NO YUKUE. (À LA RECHERCHE D'UNE DINDE ou DINDONS-PROVENANCE INCONNUE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto, d'après une histoire policière américaine. Photo : Seichi Uchida. Interprétation : Yutaka Mimasu, Junichi Kitamura, Kasuke Koizumi, Yoshiko Tokugawa, Hiroshi Inagaki, Eiji Takagi. Production : Daishogun Nikkatsu, Kyoto. 133

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1924. SAMIDARE SOSHI. (CONTE DE LA PLUIE FINE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Koju Yokoyama, d'après son propre roman. Photo : Seichi Uchida. Interprétation : Utako Suzuki, Teruko Katsuka, Kasuke Koizumi, Hiroshi Inagaki, Harue Ichikawa, Yutaka Mimasu, Morio Mikoshiba, Kunijiro Fujiwara. Production : Daishogun Nikkatsu, Kyoto.

1924. MUSEN FUSEN. (PAS D'ARGENT, PAS DE COMBAT). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto d'après la bande dessinée de Ippei Okamoto. Photo : Seichi Uchida. Interprétation : Kaichi Yamamoto, Kumeko Urabe, Kyoko Mizuki, Eiji Takagi. Production : Daishogun Nikkatsu, Kyoto.

1924. KANRAKU NO ONNA. (LA FEMME DE JOIE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto, d'après une histoire originale de Kenji Mizoguchi. Photo : Seichi Uchida. Interprétation : Kaichi Yamamoto, Yutaka Mimasu, Yoneko Sakai, Masao Hayashi. Production : Daishogun Nikkatsu, Kyoto.

1924. AKATSUKI NO SHI. (LA MORT À L'AUBE). Mue en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Matsuo Ito. Photo : Seichi Uchida. Interprétation : Ryotaro Mizushima, Kasuke Koizumi, Itako Suzuki, Haruko Sawamura, Shigeru Kifugi. Production : Nikkatsu Daishogun, Kyoto.

1924. ITO JUNSA NO SHI. (LA MORT DU POLICIER ITO). Mise en scène : Kenji Mizoguchi, Kensaku Suzuki, Gengo Daido, Iyokichi Konda. Photo : Seichi Uchida, Seiji Tsukakoshi, Yasugo Kiga. Interprétation : Masao Hiyashi, Tanji Sato. Production : Daishogun Nikkatsu, Kyoto. Note : Il n'est pas douteux que la Nikkatsu ait produit et distribué ce film en 1924, mais les sources japonaises sont en désaccord à ce propos. Si ce générique est correct, il doit s'agir d'un film de gangsters en quatre épisodes avec Ito comme personnage princi­pal. Une autre information attribue ce film, entièrement, à Kyomatsu Hoyosama (né en 1888 et dont la carrière s'arrête en 1932) qui était entré à la Nikkatsu comme metteur en scène peu de temps après la fondation de la compagnie en 1912. Quoi qu'il 134

en soit, le film est caractéristique des films de studios de l'époque (quickies).

1925. KYOKUBADAN NO JOO. (LA REINE DU CIRQUE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto, d'après une histoire de Tatsuro Takajima. Photo : Hitoshi Uchida. Interprétation : Denmei Suzuki, Kumeko Urabe, Yokichi Kondo, Eiji Takagi, Morio Mikoshiba, Shizuko Miyabe. Production : Nikkatsu, 2e section, Kyoto.

1925. GAKUSO O IDETE. (APRÈS LES ANNÉES D'ETUDES). Mise en scène : Kenji Mizoguchi, d'après Masanobu Nomura. Photo : Tatsuyuki Yokota. Décors : Yoshiaki Kamehara. Interprétation : Komei Minami, Aiko Takashima, Kasuke Koizumi, Yutaka Mimasu, Kiyoshi Mori, Yokichi Kondo. Production : Nikkatsu, 2e section, Kyoto.

1925. SHIRAYURI WA NAGEKU. (LA PLANTE DU LYS BLANC). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Ryunosuke Shimizu, d'après une histoire de John Galsworthy. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Yoshiko Okada, Yokichi Kondo, Eiji Takagi, Morio Mikoshiba, Kaichi Yamamoto. Production : Nikkatsu, 2e

section, Kyoto.

1925. DAICHI WA HOHOEMU. (LE SOURIRE DE NOTRE TERRE). Alise en scène : Kenji Mizoguchi (première partie), Osamu Wakayama (deuxième partie), Kensaku Suzuki. Scénario : Shuichi Hatamoto, d'après un roman de Hyakusuke Yoshida. Photo : Tatsuyuki Yokota (première partie), Seichi Uchida (deuxième par­tie), Saburo Iyasama et Yasuzo Kiga (troisième partie). Interpré­tation : Eiji Takagi, Eiji Nakano, Yoko Umemura, Yasunaga Tobojo, Yashiko Okada, Iyokichi Kondo, Yutaka Mimasu. Production : Nikkatsu, 2 e section, Kyoto.

1925. AKAIYUHI NI TERASARETE. (AU RAYON ROUGE DU SOLEIL COUCHANT). Mue en scène : Genjiro Saegusa (les trois premiers jours de tournage seulement), Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto, d'après une histoire de Takeshi 135

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Nagasaki. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Eiji Nakano, Komei Minami, Yoko Umemura, Kunio Watanabe, Yokichi Kondo, Kumako Sunada. Production : Nikkatsu, 2e section, Kyoto. Note : Trois jours après le début du tournage, Mizoguchi fut poignardé et sérieusement blessé par son ancienne maîtresse Yuriko Ichijo. Il abandonna le film qui fut terminé par Genjiro Saegusa.

1925. FURUSATO NO UTA. (LA CHANSON DU PAYS NATAL). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Ryunosuke Shimizu d'après une histoire de Choji Matsui. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Shigeru Kifugi, Mineko Tsuji, Sueko Ito, Yutaka Mimasu, Matsujiro Takagi, Shizue Matsumoto. Production : Daishogun Nikkatsu, Kyoto.

1925. NINGEN. (L'HOMME). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto, d'après un roman de Rentaro Suzuki. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Eiji Nakano, Yoshiko Okada, Harue Ichikawa, Kumeko Urabe, Eko Sakai, Eiji Takagi, Yasunaga Higasibojo, Kumako Sumada. Production : Nikkatsu Shingekibu (New Drama Section), Kyoto.

1925. GAIJO NO SUKECHI. (CROQUIS DE RUE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi et d'autres. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Yasunaga Tobojo, Yoshiko Okada, Hiroki Hoshima. Production : Nikkatsu Shingekibu, Kyoto.

1926. NOGI TAISHO TO KUMA-SAN. (HISTOIRE DU GÉNÉRAL NOGI ET DE M. KUMA). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto d'après une histoire originale de Kenji Mizoguchi. Photo : Yasugo Kiga. Décors : Yoshiaki Kamehara. Interprétation : Kaichi Yamamoto, Kasuke Koizumi, Kumeko Urabe, Harue Ichikawa, Kunio Watanabe, Kinnosuke Isogawa, Yoshiku Tokugawa. Production : Nikkatsu Shingekibu, Kyoto.

1926. DOKA-O. (LE ROI DE LA MONNAIE DE CUIVRE ou LE ROI D'UNE PIÈCE D'UN SOU). Mise en scène : Kenji Mizoguchi, d'après une histoire policière anglaise de Herman 136

Landon. Photo : Saburo Isayama. Interprétation : Enji Sato, Kayoko Saijo, Shiro Kato, Yoshiko Otani, Makito Tsukiyama, Matsuko Sensi, Seichi Bumori, Katsumi Miyaké. Production : Nikkatsu Shingekibu, Kyoto.

1926. KAMI-NING YO HARU NO SASAYAKI. (LE MUR­MURE PRENTANIER D'UNE POUPÉE DE PAPIER). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Eizo Tanaka. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Yoko Umemura, Tokihiko Okada, Koji Shima, Harue Ichikawa, Kaichi Yamamoto, Genzaburo Sasaya, Shizuko Miyabe, Mutsuko Senoo. Production : Nikkatsu Shingekibu, Kyoto.

1926. SHIN ONOGA TSUMI. (MA FAUTE, NOUVELLE VERSION). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto, d'après la pièce de Yuho Kichuki. Photo : Matao Matsuzawa. Interprétation : Kumako Sunada, Eiji Takagi, Komei Minami, Harue Ichikawa, Shizuko Miyabe, Matsuba Honoe, Shizue Matsumuto, Seiichi Tsumori. Production : Nikkatsu Shingekibu, Kyoto.

1926. KYOREN NO ONNA SHISHO. (L'AMOUR FOU D'UNE MAÎTRESSE DE CHANT). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Matsutaro Kawaguchi (d'après une pièce Nô, selon certaine source). Photo : Tatsuyuki Yokota. Décors : Yoshiaki Kamohara. Interprétation : Yoneko Sakai, Eiji Nakano, Yoshiko Okada. Production : Nikkatsu Shingekibu, Kyoto.

1926. KAIKOKU DANJI. (LES ENFANTS DU PAYS MARI­TIME). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : AkiraTakeda, Takashi Kobayashi, d'après Kajiro Yamamoto. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Tsunomi Hirose, Komako Sunada, Eiji Takagi, Toichiro Negishi, Morio Mikoshiba, Ichiro Shibayama, Mamiko Tsokiji. Production : Nikkatsu, Kyoto. (La section est Gendaigekibu, Shingekibu ou Daishogun).

1926. KANE (L'ARGENT). Le titre japonais peut aussi se lire KIN (L'OR). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Akira Takoda, Shuichi Hatamoto, d'après une idée de Kenji Mizoguchi. 137

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Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Kasuko Koizumi, Yoshiko Tokugawa, Midori Komatsu, Mikiichi Tani, Matsuko Senoo. Production : Shingekibu Nikkatsu.

1927. KO-ON. (LA FAVEUR IMPÉRIALE ou GRATITUDE ENVERS L'EMPEREUR). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interpré­tation : Harue Ichikawa, Komei Minami, Eiji Takagi, Hisako Takihara, Kaichi Yamamoto. Production : Nikkatsu, Kyoto (La sec­tion est soit Shingekibu, soit Gendaigekibu).

1927. Jffll SHINCHO. (CŒUR AIMABLE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto, d'après le roman en treize tomes de Kan Kikuchi. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Mitsuyo Hara, Eiji Nakano, Tokihiko Okada, Shizue Natsukawa, Kaichi Yamamoto. Production : Nikkatsu Shingekibu, Kyoto.

1928. HITO NI ISSHO. (LA VIE D'UN HOMME). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto, d'après la bande dessinée de Ippei Okamoto. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Kasuke Koizumi, Harue Ichikawa, Ruiko Tsushima, Isamu Kosugi, Toichiro Negishi, Shizue Natsukawa. Production : Nikkatsu Shingekibu/Gendaigekibu, Kyoto.

1928. MUSUME KAWAIYA. (QUELLE CHARMANTE FILLE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Schuichi Hatamoto, d'après une histoire de Kenji Mizoguchi. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Kasuke Koizumi, Shusaku Sugiyama, Natsue Kitahara. Production : Nikkatsu Gendaigekibu.

1929. NIHON BASHI. (LE PONT NIHON). Mise en scène : Kenji Mizoguchi, d'après le romain de Kyoka Izumi. Photo : Tatsuyuki Yokata. Interprétation : Tokihiko Okada, Yoko Umemura, Shizue Natsukawa, Yoneko Sakai, Eiji Takagi, Reiji Ichiki. Production : Nikkatsu Gendaigekibu, Kyoto.

• 1929. TOKYO KOSHIN KYOKU. (LA MARCHE DE TOKYO). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Chibikio 138

Kimura et Shuichi Hatamoto, d'après le roman de Kan Kikuchi, passé en feuilleton dans le magazine King. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Shizue Natsukawa (Michiyo, plus tard la geisha Orie), Koji Shima (Yoshiki Fujimoto), Isamu Kosugi (Yukichi Sakuma), Eiji Takagi (Fujimoto, le père de Yoshiki), Takako Irie (Sayuriko Fujimoto, la sœur de Yoshiki), Hisako Takibana (la servante Sumie, amie de Michiyo), Taeko Sakuma (Natsuko Fujimoto), Shunji Kanda (le pianiste Yamano), Reiji Kazuki (Nobuo Matsunami), Shozo Nambu G'auteur dramatique Ken Shimazu), Gunnosuke Kanahira (Saburo Kudo), Takatsugi Ito (Yasuda), Bontaro Satomi (Toshio Matsunami). Production : Nikkatsu Gendai Eiga, Kyoto.

1929. ASAHI WA KAGAYAKU. (L'ASAHI BRILLE ou LE SOLEIL LEVANT BRILLE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Chihikio Kimura, d'après une idée d'un groupe de jour­nalistes du journal « Asahi Shimbun ». Photo : Tatsuyuki Yokota et Terao Tsushima. Co-metteur-en-scène : Seiichi Ina. Interprétation : Eiji Nakano, Takako Irie, Ranko Sawa, Koju Murata, Heitaro Doi, Susumu Minobe. Production : Gendaigekibu Nikkatsu.

1929. TOKAI KOKYOGAKU. (LA SYMPHONIE DE LA GRANDE VILLE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto et Tadashi Kobayashi, d'après les écrits de Teppei Kataoka, Fusao Hayashi, Rokuro Asahara et Saburo Okada. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Isamu Kosugi, Eiji Takaji, Reiji Ichiki, Shizue Natsukawa, Takako Irie, Hisako Takihana. Production : Nikkatsu Gendaigekibu, Kyoto.

1930. FURUSATO. (LE PAYS NATAL). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Iwao Mori, Bin Kisaragi, Shuichi Hatamoto et Tadashi Kobayashi. Photo : Tatsuyuki Yokota, Yoshio Mineo. Musique : Toyoaki Tanaka, M. et Mme Shapiro. Piano joué par : Tamaki Maeda. Son : Toshio Naruo. Interprétation : Yoshie Fujiwara, Shizue Natsukawa, Isamu Kosugi, Kunio Tamura, Heitaro Doi, Hirotoshi Murata, Fujiko Hamaguchi. Production : Nikkatsu.

1930. TOJIN OKICHI. (O'KICHI, L'ETRANGERE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto, d'après un 139

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roman de Gisaburo Juichiya. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Yoko Umemura, Kaichi Tamamoto, Koji Shima, Kumeko Urabe, Hisako Takihana, Ichiro Sugai, Umpei Yokoyama. Production : Nikkatsu Gendaigekibu, Kyoto.

1931. SHIKAMO KARERA WA YUKU. (ILS AVANCENT MALGRE TOUT). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto, d'après un roman de Chiaki Shimomura. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Yoko Umemura, Tomoemon Bando, Kimeko Urabe, Masaku Sugiyama, Ichiro Sugai, Ginko Mine, Umpei Yokoyama. Production : Nikkatsu.

1932. TOKI NO UJIGAMI. (LE DIEU-GARDIEN DU TEMPS ou LES DIEUX DE NOTRE TEMPS). Mue en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shuichi Hatamoto et Tadashi Kobayashi, d'après une pièce de Kan Kikuchi. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Koji Shima, Shizue Natsukawa, Etsuji Oki, Aiko Sora. Production : Nikkatsu (Photo Chemical Laboratoires, Tokyo).

1932. MANMO KENKOKU NO REIMEI. (L'AUBE DE LA FONDATION DE LA MANDCHOURIE). Mue en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Shinko Kinema Script Department, d'après les romans de Otakichi Mikami et Mitsugo Naoki. Photo : Junichiro Aoshima, Yoshio Nakayama. Interprétation : Takako Irie, Eiji Nakano, Yasusuke Matsumuto, Ichiro Sugai, Shotaro Sera, Nobue Kosaka, Tamako Katsura. Production : Shinko Kinema/Irie-Production/Nakano-Production.

• 1933. TAKI NO SHIRAITO. (LE FIL BLANC DE LA CAS­CADE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yasunaga Higasibojo, Shinji Masuda, Kennosuke Tateoka, d'après le roman « Giketsu Kyoketsu » («Mûre virilité ») de Kyoka Izumi. Photo : Shigeru Miki. Éclairages : Tokusaburo Maruya. Décors : Shichiro Nishi. Costumes : Mitsunaga Tobojo, Shochiku Costume Department. Assistant : Takuaki Kiyosuke, Seikichi Terakado et Yoshito Ochiai, Effets aquatiques : Tenkatsu Shokyokusai. Intertitres : Nariharu Sugano. Interprétation : Takako Irie (Taki no Shiraito, alias Tomo Mizushima), Tokihiko Okada (Kin-san), Reiko Taki 140

(Nadeko), Kumeko Urabe (Ogin), Ichiro Sugai (Iwabuchi Kozo), Hironobu Murata (l'armurier de Nankin), Bontaro Miyaké (le garde Shinzo), Kozo Oizumi (Gonji), Minoru Ohara (Tanjiro), Nobuo Kosaka (l'inspecteur Takamura), Etsuzo Oki (le vieux juge), Ryuji Kawase (le veilleur de nuit). Production : Yoshizo Mogi, TakejiroTsunoda. Compagnie de production : Irie-Production, Tokyo.

1933. GION MATSURI. (LA FÊTE À GION). Mue en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Kenji Mizoguchi, d'après une histoire originale de Matsutaro Kawaguchi. Photo : Minoru Miki. Interprétation : Shizuko Mon, Tokihiko Okada, Ichiro Sugai, Sumiko Suzuki, Etsuzo Oki, Kumeko Urabe, Nobuko Kosaka, Maoyo Yamagata. Compagnie de production : Shinko Kinema, Tokyo.

1933. JIMPU-REN. (VENTS SACRÉS). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Kenji Mizoguchi, et d'après un roman de Juichiya Gisaburo. Photo : Minoru Miki. Interprétation : Takako Irie, Ryunosuke Tsukigata, Isamu Kosugi, Ichiro Sugai, Eiji Takagi, Chiyoko Awasi, Etsuko Oki, Bontaro Miyaké. Compagnie de pro­duction : Irie-Production/Shinko Kinema, Tokyo.

1934. AIZO TOGE. (LE COL DE L'AMOUR ET DE LA HAB>IE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Tatsunosuke Takashima, d'après une adaptation de Matsutaro Kawaguchi. Photo : Tatsuyuki Yokota. Interprétation : Isuzu Yamada, Daijiro Natsukawa, Denmei Suzuki, Kaichi Yamamoto, Komako Hara, Umpei Yokoyama, Kyoji Sugi. Compagnie de production : Nikkatsu Tamagawa, Tokyo.

* 1934. ORIZURU OSEN. (O'SEN AUX CIGOGNES DE PAPIER). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Tatsunosuke Takashima, d'après le roman « Baishoku Kamonanban » de Kyoka Izumi. Photo : Minoru Miki. Éclairages : Masuichi Nakanishi. Directeur artistique : Yoshiji Oguri. Effets spéciaux : Hichiro Nishi. Costumes : Sajiro Ogasa, réalisés par Matsuzakaya. Coiffures : Shigeko Ishii et Ishitaro Hakagi. Musique choisie par : Akitada Matsui. Son .-Tsuneo Sayato, Yunichi Murota, Eiichi Mikura. Assistant : Shinkichi Terakado, Koichi Takagi, Tadashi Ichiji, Tazuko Sakane. Narrateur : 141

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Akitada Matsui. Interprétation : Isuzu Yamada (Osen), Daijiro Natsukawa (Hâta Sokichi), Shin Shibata (Kumazawa), Genichi Fujii (Matsuda), Tadashi Torii (Amatani), Junichi Kitamura (Heishiro), Shizuko Takizawa (Osode), Ichiro Yoshizawa (le prêtre Fuboku), Mitsuru Tojo (Kanya), Sue Ito (la grand-mère de Sokichi), Eji Nakano (le professeur de Sokichi). Production : Masaichi Nagata. Compagnie de production : Daiichi Eiga, Kyoto.

• 1935. MARIA NO OYUKI. (O'YUKI LA VIERGE). Mue en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : TatsunosukeTakashima, Matsutaro Kawaguchi, d'après « Boule de suif » de G. de Maupassant. Photo : Shigeto Miki. Éclairages : Tatsuro Horikoshi. Montage : Junkichi Ishigi. Décors : Hichiro Nishi, Gonshiro Saito, Utaka Nishiyama. Costumes : Shojiro Kosaza. Coiffures : Shigeko Ishii et Ishitaro Hakagi. Musique choisie par : Koichi Takagi, jouée par le Chuotoki Ongaku Kyokai, dirigé par Ryuho Sakai et Kanema Yusaku. Son : Junichi Murota. Effets sonores spéciaux : Nishizu. Assistants : Saikichi Terakado, Koichi Takagi, Tomijiro Takahashi, Sakane Tazuko. Générique : Yoshiji Oguri. Interprétation : Isuzu Yamada (Oyuki), Komako Hara (Okin), Daijiro Natsukawa (Shingo Asakura), Eiji Nakano (le « prêtre »), Keiji Oizumi (le marchand de riz), Kinue Utagawa (la fille du marchand), Shin Shibata (Keishiro Yokoi), Yoko Umemura (sa femme, Michiko), Toichiro Nagishi (Gonda Hyoe), Shizuko Takizawa (Oise, sa femme), Kasuke Koizumi (Gisuke, le conducteur), Tadashi Torii (le colo­nel). Production : Masaichi Nagata. Compagnie de production : Daiichi Eiga, Kyoto.

• 1935. GUBIGIN-SO. (LES COQUELICOTS). Mue en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Haruo Takayagi et Daisuke Ito, d'après un roman de Natsume Soseki. Photo : Minoru Miki. Éclairages : Yoshinosuke Kitanishi, Tastsuko Horikoshi. Montage : Tatsuko Sakane. Décors : Hichiro Nishi, Goro Hisamitsu, Gonshiro Saito. Costumes : Shojiro Kosoza, conseillé par Nakamura Daizaburo. Coiffures : Shigeko Ishii et Ishitaro Takagi. Musique choisie par : Ryuho Sakai, Koichi Takagi. Son : Yasumi Mizuguchi, Tatsuki Murita. Assistants : Koichi Takagi, Tadashi Ichiji, Haruto Sato, Akira Sakamoto, Saikichi Terakado, Tatsuzo Sakane. Effets spé-142

ciaux : Ryunosuke Takeuchi. Générique : Yoshigi Ogure. Interpré­tation : Kuniko Miyaké (Fujio Kono), Chiyoko Okura (Sayoko Inoue), Ichiro Tsukida (Seizo Ono, le fiancé de Sayoko), Daijiro Natsukawa (Hajime Munechika, le fiancé de Fujio), Yoko Umemura (la mère de Fujio), Kazuyoshie Takeda (le frère de Fujio), Susumu Terajima Qe père d'Hajime), Ayako Nijo (la sœur d'Hajime), Yukichi Iwata (le père de Sayoko), Toichiro Negishi (Asai, l'ami de Seizo), Kasuke Koizumi (le propriétaire terrien). Production : Masaichi Nagata. Compagnie de production : Daiichi Eiga.

• 1936. NANIWA EREJII. (L'ÉLÉGIE D'OSAKA). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda, d'après la nouvelle « Mieko » de Saburo Okada. Photo : Minoru Miki. Son Hisashi Kase, Yasumi Mizuguchi. Interprétation : Isuzu Yamada (Ayako Murai), Benkei Shiganoya (Sonosuke Asai), Yoko Umemura (Sumiko Asai, la femme de Sonosuke), Kensaku Hara (Nishimura Susumu), Eitaro Shindo (Fujino Yoshizo), Seiichi Takegawa (le père d'Ayako), Chiyoko Okura (la sœur d'Ayako), Shinpachiro Asaka (le frère d'Ayako), Shizuko Takezawa (le concierge), Kuneo Tamura (le docteur Yoko), Kiyoko Okubo Qa femme du docteur), Mitsuzo Tachibana (Matsushita Fumizaburo), Takashi Shimura (l'inspecteur Goro Minegishi). Production : Masaichi Nagata. Compagnie de production : Daiichi Eiga, Kyoto.

• 1936. GION NO KYODAI. (LES SŒURS DE GION). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda. Photo : Minoru Miki. Son : Kase Hisashi. Interprétation : Yamada Isuzu (Omocha), Yoko Umemura (Umekichi), Benkei Shiganoya (Shimbei Furusawa), Kazuko Hisano (Oemi Furusawa, sa femme), Fumio Okura (Juraku-do, le « manager »), Eitaro Shindo (Sangoro Kudo), Sakurako Iwama (Omasa Kudo, sa femme), Taizo Fukami (Yasukichi Kimura), Somenosuke Hayashiya (Sadakichi), Reiko Aoi (Umeryu, la geisha). Shizuko Takizawa (Ochiyo), Mitsuzo Tachibana (Tachibana) Motome Mimasu (Ohan). Production : Masaichi Nagata. Compagnie de production : Daiichi Eiga, Kyoto.

• 1937. AIEN KYO. (L'IMPASSE DE L'AMOUR ET DE LA HAINE) Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata 143

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Yoda et Kenji Mizoguchi. Dialogues : Haruki Muzishina, d'après une histoire de Matsutaro Kawaguchi. Photo : Minoru Miki. Eclai­rages : Masao Uchida, Sadao Abe. Montage : Tazuko Sakane, Mitsuo Kondo. Directeur artistique : Hiroshi Mizutani. Décors : Sakae Kawakami et Tetsujiro Kitagawa. Costumes : Shinko Costume Department. Coiffures : Ishitaro Takagi, Kimiko Sakurai. Musique : Mizuo Ukagami. Thème de jazz : Tokyo Romance Club. Son : Akira Ando, Kentaro Nada. Effets sonores : Shohachiro Kineya. Chorégraphie : Ohara Joe. Assistants : Koichi Takagi, Tadaka Seki. Conseiller pour les scènes de théâtre : Marano Ichiro. Interprétation : Fumiko Yamaji (Ofumi), Seizaburo Kawasu (Yoshitaro Suzuki), Masao Shimizu (Kenkichi), Yutaka Mimasu (le père de Kenkichi), Kiyoe Aki (la mère de Kenkichi), Seiichi kato (l'oncle d'Ofumi), Haruo Tanaka (Hirose), Kaoru Nobe (la femme de Hirose), Kumeko Urabe (la mère adoptive), Keiji Oizumi (son mari), IchiroSugai (client à un bar en ville), Sonosuke Otomo (détective), Shuichi Okawa (voyou), Ohara Joe (Ryutokei Samatsu), Fudekoo Tanaka (Koharu Harumichiya, comédienne), Kouichi Torihashi (Kakusen Kanda, récitant de « Koudan »), Hiroshi Ueda (Shohuku Harumichiya, comédien), Ichiro Nanano (Toramatsu Tsukoku, récitant de « Naniwabuschi »), Suzuko Taki (Tachibanaya). Production : Masaichi Nagata. Compagnie de pro­duction : Shinko Kinema, Kyoto.

1938. AA FURUSATO (AH! PAYS NATAL). Mue en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda, d'après une histoire de Hideo Koide. Photo : Junichiro Aoshima. Interprétation : Fumiko Yamaji, Masao Shimizu, Kumeko Urabe, Seizaburo Kawazu, Seiichi Kato, Isamu Yamaguchi, Koichi Torishahi. Compagnie de production : Shinko Kinema, Tokyo.

1938. ROCI NO UTA. (LE CHANT DE LA CASERNE). Mue en scène : Kenji Mizugochi. Scénario : Shuichi Hatamoto. Photo : Junichiro Aoshima. Musique : Sengi Ito. Interprétation : Fumiko Yamaji, Masao Shimizu, Seizaburo Kawazu, Koichi Torihashi, Ichiro Sugai, Akira Matsudaira, Haruo Tanaka, Yaeko Utagawa. Compagnie de production : Shinko Kinema, Tokyo.

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1939. ZANGIKU MONOGATARI. (CONTE DES CHRY­SANTHÈMES TARDIFS). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda et Matsutaro Kawaguchi, d'après une nouvelle de Shofu Muramatsu et une adaptation théâtrale de cette nouvelle par Sanichi Iwaya. Photo : Shigeto Miki, Yozo Fuji. Éclai­rages : Matsujiro Nakajima. Montage : Koshi Kawahigashi. Directeur artistique : Hiroshi Mizutani. Décors : Tsunetaro Kikukawa, Dai Arawaka. Effets spéciaux : Taichi Shimizu, Shun Rokugo. Costumes : Seizo Yamaguchi, Yoshizaburo Okumura. Coiffures : Rikizo Inoue, Ishitaro Takagi, Yoshiko Kimura. Musique : Senji Ito, Shiro Fukai. Joueur de shamisen : Katsujuro Kineya. Joueur de narimono : Tamezo Mochizuki. Chanteurs en style Tokiwazu : Bunshi Tokiwazu, Bunnosuke Tokiwazu. Chanteur en style Nagauta : Sempachi Sakata. Jorurijoué par : Enjiro Toyosawa. Chorégraphie : Kikuzo Otowa. Son : Ryuichi Shikita, Fumizo Sugimoto. Assistants : Tazuko Sakane, Shozo Tahara, Taichiro Hanaoka. Recherche artistique : Sohachi Kimura, Nanboku Kema. Recherche historique : Seikichi Terakado. Générique : Jun Mochizuki. Interprétation : Shotaro Hanayagi le sixième (Kikunosuke Onoe), Kakuko Mori (Otoku), Kokichi Takada (Fukusuke Nakamura), Gonjuro Kawararaki (Kikugoro Onoe le cinquième), Yoko Umemura (Osato, sa femme), Tokusaburo Arashi (Nakamura Shikan), Kinnosuke Takamatsu (Matsusuke Onoe), Benkei Shiganoya (Motosuke, le masseur), Yoneko Mogami (Otsuru Motosuke, la fille du masseur), Ryotaro Kawanami (Dayu Eijyu), Junnosuke Hayama (Kanya Monta), Nobuko Fushimi (Eiryu, la geisha), Tamitaro Onoe (Tamizo Onoe), Hideo Nagakawa (l'oncle d'Otoku), Hisayo Nishi (la tante d'Otoku), Yoshiaki Hayanagi (Tamijiro Onoe), Komei Minami (le patron de Shinto-za), Ichiro Yuki (l'homme dans l'auberge des gei­shas), Soichi Amano (travesti de théâtre), Sumao Ishihara (le res­ponsable des geishas itinérantes), Takashi Mirota (le directeur des geishas itinérantes), Minpei Tomimoto (deuxième homme à l'au­berge), Kikuko Manaoka (geisha), Shirakawa Fujiko (geisha), Yoneko Mogami (geisha), Yoshie Nakagawa (vieille dans la mai­son de thé), Junko Kagami et Hisano Owa (servantes de Kikuigoro), Haruko Tagawa (infirmière), Kimiko Shiratae (femme lutteuse), Haruko Yanagido (patronne de la maison des geishas), Hakoto Matsushita (dresseur de singes), Akira Shima (directeur du Sumi-145

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ya), Kiyoshi Marumuto (Enzabuno) Kazuyoshi Tachibana (l'élève de Kikunosuke), Akio Isobe (le jeune homme), Eijiro Hose, Hiroshi Hanada (acteurs avec la compagnie itinérante), Atsuko Shirata, Tomiko Akimoto, Mitsue Kunihara (geishas). Production : Nobutaro Shirai. Planning: Matsutaro Kawaguchi. Compagnie de production : Shochiku, Kyoto.

1940. NANTWA ONNA. (LES FEMMES D'OSAKA). Mue en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda. Photo : Shigeto Miki. Musique : Senji Ito. Interprétation : Kotaro Bando, Kinuyo Tanaka, Yoko Umemura, Kokuchi Takata, Ryotaro Kawanami, Yoshiko Nakamura et les membres du Osaka Bunraku-za. Compagnie de production : Shochiku, Kyoto.

1941. GEIDO ICHIDAI OTOKO. (LA VIE D'UN ACTEUR). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda d'après un roman de Matsutaro Kawaguchi. Photo : Kohei Sugiyama. Musique : Senji Ito. Interprétation : Senjaku Nakamura, Yoshiko Nakamura, Koichi Takada, Minnosuke Bando, Yoko Umemura, Komako Hara, Seizaburo Kawasu, Narutoshi Hayashi. Compagnie de production : Shochiku, Kyoto.

1941-42. GENROKU CHUSHEMGURA. (LA VENGEANCE DES QUARANTE-SEPT RONINS). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Kenichiro Hara et Yoshikata Yoda, d'après la pièce de Seika Mayama, elle-même inspirée d'un événement histo­rique. Photo : Kohei Sugiyama. Éclairages : Suejiro Nakajima, Masao Miwa, Munesuke Nakajima. Montage : Takata Kuji. Directeur artis­tique : Hiroshi Mizutani. Continuité : Kaneto Shindo. Décors : Shun Rokugo, Matsuji Ono, Nobutaro Ogura, Sumao Matsuoka, Dai Arakawa, Hisakichi Osawa. Peintures sur les portes coulissantes : Harunobu Numai, Eigo Ito. Costumes : Ryuzo Kawada, Kisaburo Okamura. Coiffures : Ishitaro Takagi. Supervision musicale : Shiro Fukai. Musique jouée par : Kokyokugaku-dan Shin, dirigée par Kazuo Yamada. Son : Hidekata Sasaki, Fumizo Sugimoto, Koichi Tashiro. Assistants : Shoji Watanabe, Tatsuo Sakai, Taichiro Hanaoka, Kahei Ogawa. Conseiller pour les constructions Buke : Yoshikuni Okuma. Conseiller pour les autres constructions : Motoharu Fujita. Conseiller7m-146

guistique : Taizo Ehara, Conseillers historiques : Kusune Kainoso, Tsutomu Ema, Sadajiro Utumi. Conseiller pour le théâtre Nô : Takeshi Kongo. Conseiller pour l'art des jardins : Harubei Ogawa. Conseiller pour les armes : Sumio Kubo. Générique : Jun Mochizuki. Interprétation : Yoshisaburo Arashi (Takuminokami, le seigneur Asano), Manpo Mimasu (Seigneur Kira, Kozunosuke), Chojuro Kawarazaki (Kuranosuke Oishi), Shizue Yamagishi (Oriku Oishi, sa femme), Sensho Ichikawa (Matsunojo Oishi, son fils aîné), Umenosuke Nakumara (Yoshichiyo Oishi, son fils cadet), Yasuko Mitsui (Okura Oishi, sa fille), Mitsuko Muira (Yosenin, Dame Asano), Yoko Umemura (Tsubone, Dame Toda), Fumiko Yamaji (OKyo, servante de la famille Asano), Kazuko Okada (Urne, vieille femme dans la famille Asano), Isamu Kosugi (Denpachiro Tamon) Utaemon Ichikawa (Tsunatoyo Tokugawa), Shinguro Nakamura (Yoshiaya Nagakura), Kanemon Nakamura (Sukezaemon Tomimori), Joji Kaieda (Yasubei Horibe), Choemon Bando (Sozaemon Hara), Kikunosuke Ichikawa (Gengeomon Kataoka), Kunitaro Kawarazaki (Jurozaemon Isogai), Seiichi Kato Qunai Onodera), Kikunojo Segawa (Gengo Otoka), Shotaro Ichikawa (Yohe Horibe), Enji Ichikawa (Tadahichi Takebayashi), Sukezo Sukedakaya (ChuzaemonYoshida), Shinzaburo Ichikawa (Ushioda Seda), Michiyo Kyomachi (Oyu Seda, sa femme), Shoji Ichikawa (Magozaemon Seo), Tokusaburo Tsutsui (Kurobei Ono), Ryotaro Kawanami (Yasoemon Okajima), Ryu Okochi (Magodayu Okuta), Tomiemon Otoho (Gonzemon Okubo), Kiyoshi Kagawa (Ukyodayu, Seigneur Tamura), Mitsusaburo Ramon (Tokubei Iseki), Harunosuke Bando (Monzaemon Izeki, son fils), Seizaburo Kawazu (Etchumori, Seigneur Hosokawa), Tsuruzo Nakamura (Den'emon Horiuchi), Yoshito Yamaji (Yosobei Kajikawa), Masao Shimizu (Etchonokami Kato), Mieko Takamine (Omino Otomeda), Aizo Tamashima (Sozaemon Fukami), Keichi Shimada (Hakuseki Arai), Shinzo Yamazaki (Sezaemon Oishi), Iwagoro Ichikawa (Tozaemon Haymi), Kimisaburo Nakamura Quzaemon Namase), Minoru Bando (Tobei Otsuka), Ginjiro Bando (Sazaemon Kishi), Tokusaburo Arashi (Shokan Okuno), Hiroshi Ouchi (Sanpei Kayano), Rokuro Okawa (Kanroku Chikamatsu), Tetsu Tsuboi (Nagafusa Shindo), Komei Minami (Heihachiro Kondo), Haruo Inoue (Juzaemon Hisatome), Uzuru Kume (Tsushimanokami Inagaki) Uzuru, Chiyotaro Sawamura (Hisakazu Seki), Toshio Arashi 147

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(Noriya Togawa), Katsuichiro Ichikawa (Ryohaku Ishii), Sugako Takimi (UWhashi). Production : Nobutaro Shirai. Compagnie de pro­duction : Koa Eiga, Kyoto/Shochiku, Kyoto. Durée : 222 minutes. (Première partie : 100; deuxième partie : 112)

1944. DANJURO ICHIDAI. (TROIS GÉNÉRATIONS DE DANJURO). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Matsutaro Kawaguchi, d'après une histoire de Naozo Kagayama. Photo : Shigeto Milti. Musique : Akatsuki Saiki. Interprétation : Kenjuro Kawarazaki, Kotaro Bando, Kinuyo Tanaka, Toshiko Izuka. Compagnie de production : Shochiku, Kyoto.

1944. MIYAMOTO MUSASHI. (L'HISTOIRE DE MIYA-MOTO MUSASHI). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Matsutaro Kawaguchi, d'après le feuilleton de Kan Kikuchi, publié dans les numéros de guerre du journal <• Mainichi Shimbun ». Photo : Shigeto Miki. Conseiller pour les arts martiaux : Hiromase Kono. Interprétation : Chojuro Kawarazaki (Musashi Miyamoto), Kinuyo Tanaka (Shino-o Nonomiya), Yoshiguro Kijima (Genichiro Nonomiya), Ganemon Nakamura (Kojiro Sasaki). Compagnie de production : Shochiku, Kyoto.

1945. MEITO BIJOMARU. (L'EXCELLENTE ÉPÉE BIJO-MARU). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Matsutaro Kawaguchi. Photo : Shigeto Miki et Haruo Takeno. Recherche artis­tique : Kusune Kainosho. Interprétation : Shotaro Hanayagi (Kiyone Sakurai), Isuzu Yamada (Onoda Sasae), Ichijiro Oya (Kozaemon Onoda), Eijiro Yanagi (Kiyohide Yamatonokami), Kan Ishii (Kiyotsugu). Planning : Mitsuo Makino. Compagnie de production : Shochiku, Ofuna. 65 minutes.

•1945. HISSYO KA. (LE CHANT DE LA VICTOIRE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi, Masahiro Makino, Hiroshi Shimizu, Tomotaha Tazaka. Scénario : Hiroshi Shimizu, Matsuo Kishi, d'après une histoire de Tomotaha Tasaka. Photo : Shigeto Miki, Haruo Takeno, Koichi Ikuyama, Tsuyoshi Saito. Interprétation : Toutes les stars sous contrat avec Shochiku de l'époque. Compagnie de production : Shochiku Tokyo et Shochiku Ofuna 148

1946. JOSEI NO SHORI. (LA VICTOIRE DU SEXE FEMI­NIN). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Kogo Noda, Kaneto Shindo. Photo : Toshio Ubukata. Eclairages : Masao Kato. Montage : Yoshiko Sugihara. Directeur artistique : Isamu Motogi. Décors : Kazuma Kaoda et Jiro Nakamura. Costumes : Eikichi Hayashi. Maquillage : Iyono Masubuchi. Musique : Kozoaki Asai. Son : Hisao Ono. Effets sonores : Rokusaburo Saito. Interprétation : Kinuyo Tanaka (Hiroko Hosokawa), Michiko Kuwano (Michiko Kono, sa sœur aînée), Eiko Uchimura (Yukiko, sa jeune sœur), Toyoko Takahashi (Setsu, la mère d'Hiroko), Mitsuko Miura (Moto Asakura), Shin Tokudaira (Keita Yamaoka), Kappei Matsumoto (Shuichiro Kono, avocat général), Kinuko Wakamizu (Tomi, mère de Kono), Yoko Benizawa (Hisa, mère de Moto), Akiko Kazami (Tokie Ishida, collègue de Hiroko), Toshinosuke Nagao (l'avocat général Mizushima), Shinyo Nara (le juge), Shiro Osaka (un étu­diant de Yamaoka), Katsumi Kubota (le docteur), Toshiko Kono (l'infirmière), Yoshino Tani (la servante de la famille Kono). Planning : Sennosuke Tsukimori. Directeur de production : Kenichiro Yasuda. Compagnie de production Shochiku Ofuna. Durée : 84 minutes.

1946. UTAMARO O MEGURU GONIN NO ONNA. (CINQ FEMMES AUTOUR D'UTAMARO). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda, d'après le roman de Kanji Kunieda. Photo : Shigato Miki. Montage : Shintaro Miyamoto. Directeur artistique : Isamu Motoki. Musique : Hisato Osawa et Tamezo Mochizuke. Son : Hisashi Kase. Assistant : Isamu Motoki. Recherches : Kusune Kainosho. Interprétation : Minosuke Bando (Utamaro), Kinuyo Tanaka (Okita Naniwaya), Eiko Ohara (Yukie Kano), Hiroko Kawasaki (Oran), Toshiko Izuka (Dayu Tagasode), Kyoko Kusojima (Oman), Kiniko Shiratao (Oshin), Kotaro Bando (Seinosuke Koide), Shotaro Nakamura (Shozaburo), Kinnosuke Takamatsu fluzaburo Tsutaya), Junnosuke Hayama (Kyoden Santo), Masao Hori (Ikku Jippensha), Minpei Tomimoto (Takemaro Kitagawa), Tamitaro Onoe (Matsudaira Suomori), Tsukie Matsuura (Ohan), Komei Minami (Hogan Kano), Aizo Tamashima (Sobei), Kan'ichi Kato (Gonji Karakusa), Yamaguchi Katsuhisa (Kisuke), Junko Kajami (servante de la famille Kano), 149

Page 77: Souvenirs de Kenji Mizoguchi: Yoshikata Yoda

Mitsui Takegawa (Dayu Karauta), Kimie Kawakami (Matsunami), Aiko Irikawa (Shodayu). Planning:ToyokazuMurata. Compagnie de production : Shochiku, Kyoto. Durée : 94 minutes.

1947. JOYU SUMAKO NO KOI. (L'AMOUR DE L'ACTRICE SUMAKO). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda, d'après le roman « Carmen est morte », de Hideo Osada. Photo : Shigeto Miki. Éclairages : Tsuruzo Nishikawa. Montage : Shintaro Miyamoto. Directeur artistique : Isamu Motoki. Costumes : Kotaro Kato. Coiffures : Yoshiko Kimura. Musique : Hisato Osawa. Principal thème musical : Shimpei Nakayama. Son : Kaname Hashimoto. Assistant : Tatsuo Sakai, Mitsuo Okada. Conseillers pour le théâtre : Eitaro Ozawa, Koreya Senda. Conseiller historique : Seiichi Kato. Conseiller pour les coutumes de l'époque : Kusune Kainosho. Interprétation : Kinuyo Tanaka (Sumako Matsui), So Yamamura (Hogetsu Shimamura), Eijiro Tono (Shoyo Tsubouchi), Eitaro Ozawa (Kichizo Nakamura), Kikue Mori (Ichiko Shimamura), Kyoko Asagiri (Haruko Shimamura), Chieko Higashiyama (Shimpei Nakayama), Hisao Kokubota (Shimpei Nakayama), Tomoo Nagai (Hideo Osada), Saeko Watanabe (Kimiko), Kishi Teruko (Sen), Aoyama Shinsaku (Dohi Shunsho), Saeki Hideo (Togi Tetteki), Minami Mitsuaki (Kaneko Sakusui), Koreya Senda (Masanori Takeda), Jun Kuroi (Eijiro Mori), Isao Kimura (Kazuo Kikuyama), Minpei Miyamoto (Keinosuke Watari), Mitsuo Nagata (Masajiro Sawada), Masao Mikamo (Usei Akita), Torahiko Hamada (Gofu Soma), Kimie Hayashi (l'infirmière), Shigeo Shizuyama (l'homme). Producteur : Hisao Itoya Planning : Tazuko Sakane. Compagnie de production : Shochiku, Kyoto.

1948. YORU NO ONNA TACHI (LES FEMMES DE LA NUIT). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda, d'après un roman, « Joseimatsuri » (« La Fête des femmes ») de Eijiro Hisaita ; Photo : Kohei Sugiyama. Éclairages : Kenji Tanaka. Montage : Tazuko Sakane. Directeur artistique : Hiroshi Mizutani. Décors : Kiyoharu Matsuno, Sûekichi Yamaguchi. Costumes : Tsuma Nakamura. Coiffures. Yoshiko Kimura. Perruques : Kami Inoue. Musique : Hisato Osawa, jouée par Hisashi Nakazawa et l'orchestre MSC. Sakai. Son : Taro Takahashi. Assistant : Mitsuo Okada, 150

Tatsuo Sakai. Interprétation : Kinuyo Tanaka (Fusako Owada), Sanae Takasugi (Natsuko Kimijima), Tomie Tsunoda (Kumiho Owada), Heinpei tomimoto (Koji Owada, beau-frère de Fusako), Umeko Obayashi (Tokuko Owada), Mitsuo Nagata (Kenzo Kuriyama), Kenzo Tanaka (Shuichi Hirata), Kikue Mori (vendeur d'habits d'occasion), Hiroshi Aoyama (Kiyoshi Kawakita, étu­diant), Kazuko Okada (Concierge), Kumeko Urabe (mère maque-relle), Koju Murata (médecin de l'Hôpital de Namba), Fusako Maki (Police des mœurs), Aizo Tamashima (Directeur de l'Institut pour femmes Senriyama), Kanishi Kato (premier inspecteur de police), Hideo Kato (deuxième inspecteur de police), Sumi Nichikawa, Kimio Hayashi, Kimio Takegawa, Kuniko Aoi, Eiko Taki, Kiyoko Shinobu, Atsuko Okawa, Junko Hara, Noriya Murakami, Yoshiko Miyaké, Michiko Murata, Isako Araki, Yoshio Sekiya, Katsuko Shiori (les prostituées Yasuko, Kasuko, Takeko Tsugiko, Tomie, Fukuko, Tokiko, Yoshime, Shizue, Toshiko, Midori, Akemi, Shigeto, Tokio), Kazuko Aoyama (Yoshiko), Misizu Komatsu (Miki), Shizue Ikari (Hideko), Kazuko Futaba (Tomi), Miyoko Nakajima (Oharu). Producteur : Mitsushio Shimizu. Planning : Hisao Itoya. Compagnie de production : Shochiku, Kyoto. Durée : 73 minutes.

1949. WAGA KOI WA MOENU. (LA FLAMME DE MON AMOUR). Mise en scène : Kenji Mizoguchi, d'après un roman de Kogo Noda, lui-même tiré du livre « Mekake no Hanshogai » («La moitié d'une vie comme maîtresse ») de Hideko Kageyama. Photo : Koyei Sugiyama, Tomotaro Nashiki. Éclairages : Shigeo Terada, Minoru Yoshikawa. Directeur artistique : Hiroshi Mizutani, Dai Arakawa, Junichiro Osumi. Décors : Kiyoharu Matsuno, Sueyoshi Yamaguchi. Costumes : Tsuma Nakamura. Coiffures : Yoshiko Kimura. Perruques : Rikizo Inoue. Musique : Senji Ito, jouée par le Shochiku Kyoto Orchestra. Chansons : « Waga Koi wa Moenu », de GentoUehara et Kikutaro Takahashi, chantée par Ken Tsumura; « Ai no Tomoshibi », de Senji Ito et Matsumura Mataichi, chantée par Takako Sayomiya. Son : Taro Takahashi, Takeo Kawakita. Assistants : Tatsuo Sakai, Mitsuo Okada. Transparences : Shozo Kotsuji. Recherches historiques : Sunao Kai. Interprétation : Kinuyo Tanaka (Eiko Hirayama), Ichiro Sugai 151

Page 78: Souvenirs de Kenji Mizoguchi: Yoshikata Yoda

(Kentaro Omoi, le directeur du Jiyuto), Eitaro Ozawa (Ryuzo Hayase), Koreya Senda (Taisuke Itagaki, le fondateur du Jiyuto), Eijiro Tono (Hirobumi Ito, le Conseiller d'Etat), Mitsuko Mito (Chiyo), Kappei Matsumoto (Kusuo Arai, employée du Jiyuto), Mitsuo Nagata (Okajima, employée du Jiyuto), Miyaké Kuniko (Kishida Toshiko, la féministe), Masao Shimizu (Takeshi Sakazaki, éditeur), Hiroshi Aoyama (Ikeda, étudiant), Shinobu Araki (KakuHirayama, père d'Eiko), Ikuko Hirano (mère d'Eiko), Mitsuaki Minami (Directeur de la prison, Takashige Kanda), Jukichi Uno, Haruo Inoue (gardiens de la prison), Shigeo Shoyuzama (Docteur de la prison), Makoto Kobori (propriétaire du restau­rant), Tamihei Tomimoto (Commissaire de police), Hirohisa Murata (mari de Chiyo), Torahiko Hamada (Patron du Silk-mM), Kenji Izumi (Superitendant du Silk-miiï), Sadako Sawamura (Omasa, la prisonnière), Miyoko Shinobu (Tomii), Kenzo Tanaka, Hideki Kato (policiers), Akio Miyajima, Mokutaro Minakami (hommes que achètent Chiyo), Ryuji Tosa, Koji Nadada, Ichiro Katayama (partisans du Jiyuto à Okayama), Aizo Tamashima, Kan'ichi Kato, Sentaro Daito, Koji Tsuruta (supporters du Jiyuto à Tokyo), Shiro Niizuma, Fujio Sasagawa, Jiro Mori, Toru Maruno (supporters du Jiyuto à Chichibu), HisakoAraki, Kiyo Murakami, Yoshiko Sekiya, Michiko Murata, Junko Hara, Kazuko Satomi, Shizue Hiraku, Teruko Yasaka, Fumiko Yamada (employés du Silk-Milt), Kimie Kawakami, Junko Kagami, Toshimi Nishikawa, Kazuko Aoyama, Fusako Suzuki, Mitsue Takigawa, Chigusa Maki (prisonnières). Producteur: Hisao Itoya, Kiyoshi Shimazu. Directeur de production : Tomoji Kubo. Compagnie de production : Shochiku, Kyoto.

• 1950. YUKIFUJIN EZU. (LE DESTIN DE MADAME YUKI). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda et Kazuo Funabashi, d'après le roman de Seiichi Funabashi. Photo : George Ohara Qoji Ohara). Éclairages : Ko Fujimura. Montage photogra­phique : Shiro Timba. Montage : Toshio Goto. Directeur artistique : Hiroshi Mizutani. Musique : Fumio Hayasaka. Son : Masakazu Kamiya. Assistant : Haku Komori, Seiichiro Uchikawa. Conseiller artistique : Kusune Kainosho. Interprétation : Michiyo Kogure (Yuki Shinano), Eijiro Yanagi (Naoyuki, son mari), Ken Uehara (Kataya 152

Kinunaka), Yuriko Hamada (Ayako), So Yamamura (Takeoka), Yoshiko Kuga (Hamako Abe, la servante), Haruya Kato (Seitaro, l'étudiant), Kumeko Urabe (San), Shizue Natsukawa (Osune) et Haruo Tanaka. Production : Kazuo Takimura Supervision de la pro­duction : Ryohei Arai. Directeur de production : Saiya Kashima. Compagnie de production : ShintohoyTakimura Productions, Tokyo.

* 1951. O-YU-SAMA. (MADEMOISELLE OYU). Mue en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda, d'après le roman « Ashikara » («La Récolte des racines ») de Junichiro Tanizaki. Photo : Kazuo Miyagawa. Éclairages : Kenichi Okamoto. Effets spéciaux (photo) : Teizo Matsumura. Montage : Mitsuzo Miyata. Directeur artistique : Hiroshi Mizutani. Décors : Yonematsu Hayashi. Toiles peintes : Tazaburo Ota. Décorateur de plateau : Kosaburo Nakajima. Costumes : Shima Yoshizane. Maquillage : Zenya Fukuyama. Coiffures : Ritsu Hanai, Yoshiko Kimura. Musique : Fumio Hayasaka. Son : Iwao Otani. Assistant : Tan Isa. Chorégraphie : Mutsumei Shigeto. Conseiller pour les costumes : Kusune Kainosho. Conseiller pour la cérémonie du thé : Kaisen Iguchi. Musique Nô : Shogin Hagiwara. Conseiller pour le chant Nô : Kanahichi Koharu. Interprétation : Kinuyo Tanaka (Oyu Kayukawa), Nobuko Otowa (Oshizu Kayukawa), Yuji Hori (Shinnosuke), Eijiro Yanagi (Eitaro), Eitaro Shindo (Hisazaemon), Shozo Nanbu (le docteur), Kiyoko Hirai (Osumi, la tante de Shinnosuke), Reiko Kongo (Otsugi Kayukawa), Midori Komatsu (la servante de l'hôtel), Tsukie Matsuura (la vieille geisha), Yukiko Soma (le maître) d'Ikebana), Ryonosuke Higashi (le professeur), Senko Minami (le marieur), Chie Maki (le danseur), Yukio Horikita (le docteur), Fumihiko Yokoyama, Jun Fujikawa, Ryusuke Maki (les managers), Gennosuke Hisahara (l'apprenti). Production : Masaichi Nagata. Supervision de la production : Matsutaro Kawaguchi. Compagnie de produc­tion : Daiei, Kyoto.

* 1951. MUSASH3NO FUJIN. (LA DAME DE MUSASHINO). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda. Conseiller au scénario : Tsuneari Fukuda, d'après le roman de Shohei Ooka. Photo : Masao Tamai. Éclairages : Tsuruzo Nishikawa. Montage : Ryoji Bando. Directeur artistique : Takashi Matsuyama. Musique : 153

Page 79: Souvenirs de Kenji Mizoguchi: Yoshikata Yoda

Fumio Hayasaka. Son : Shoji Kageyama. Assistant : Toshiaki Hidaka. Interprétation : Kynuyo Tanaka (Michiko Akiyama), Masayuki Mon (Tadao Akiyama), Yukiko Todoroki (Tomiko Ono), So Yamamura (Eiji One), MinakoNakamura (Yukiko Ono), Akihiko Katayama (Tsutomu Miyaji), Eitaro Shindo (Shinzaburo Miyaji), Kiyoko Hirai (Tamiko Miyaji), Noriko Sengoku (servante de la famille Ono), Taizo Fukami (Kaizuka), Reiko Otani (Takako), Toyoji Shiozawa (Harue), Michiko Tsuyama (Eiko), Saegusa Anso (Yoshiko), Satoru Nishida (Narita), et Eizaburo Sakauchi, Mitsuo Matsumoto, Mitsuemon Suzuki, Hirotoshi Tsuchiya, Yaeko Izumo, Katao Kawasaki. Production : Hideo Koi. Directeur de production : Teruo Maki. Compagnie de production : Toho, Tokyo. Durée : 87 minutes.

• 1952. SAIKAKU ICHIDAI ONNA. (LA VIE D'O'HARU, FEMME GALANTE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda d'après un roman de Saikaku Ihara («La Vie d'une femme amoureuse »). Photo : Yoshimi Hirano. Eclairages : Ko Fujimura. Montage : Toshio Goto. Directeur artistique : Hiroshi Mizutani. Musique : Ichiro Saito. Shamisen joué par : Enjiro Toyosawa. Koto joué par : Masakoe Hagiwara. Accompagnement de Dayu Joruri : Gendayu Takemoto. Son : Miwa Kamiya. Assistants : Rychei Arai, Seiichiro Uchikawa. Chorégraphie : Yachiyo Inoue. Marionnettes : Monjuro Kiritake. Conseiller artistique : Isamu Yoshii. Interprétation : Kinuyo Tanaka (Oharu), Tsukie Matsura (Tomo, sa mère), Ichiro Sugai (Shinzaemon, son père), Toshiro Mifune (Katsunosuke), Masao Shimizu (Kikukoji), Eitaro Shindo (Kahei Sasaya) Sadako Sawamura (Owasa Sasaya, sa femme) Jyuckichi Uno (Yakichi Senya, le mari de Oharu), Hiroshi Oizumi (Bunkichi, l'employé de Sasaya), Toshiaki Konoe (Matsudaira Tokitaka), Toshiko Yamane (femme de Matsudaira), Eijiro Yanagi (Inaka, le faussaire), Daisuke Kato (Tazaburo Hishiya), Toranosuke Ogawa (Yatemon Isobei), Haruo Ichikawa (Iwahashi), Kikue Mori (La nonne Myokai), Yuriko Hamada (Yoshioka), Komako Hara (Takai), Shinobu Araki (Shigeeda), Yukichi Kamishiro (Kyoemon Tashiro), Hiroshi Misuno (Hisauchi Shinozaki), Eizaburo Sakauchi (le juge), Aizo Tamashima (le vieil homme), Tokamatsu (le pro­priétaire du « Kuya »), Sumao Ishihara (la tenancière du « Kuya »), 154

i I

Benkei Shigaoya (Jihei), Yaeko Izumo (Omoto), Kiyoko Hirai (Osugi), Reiko Kongo (Osen), Kyoko Kusajima (Sodegaki), Kyoko Tsuji (Nakayado), Kunitomo (Osugi), Reiko Kongo (Osen), Kyoko Kusajima (Sodegaki), Kyoko Tsuji (Nakyado), Wakako Kunitomo (le client d'Ogiya), Junko Kinugasa (la vieille mendiante), Kimie Hayashi (Oman de Maruya), Hisano Yamato (Otama de Maruya), Mitsuwaki Bungakusa (les acteurs du théâtre de marionnettes). Production : Hideo Koi. Compagnie de production : Koi produc-tions/Shintoho, Tokyo. Durée : 133 minutes.

• 1953. UGETSU MONOGATARI. (LES CONTES DE LA LUNE VAGUE APRÈS LA PLUIE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Matsutaro Kawaguchi et Yoshikata Yoda, d'après deux histoires d'Akinari Ueda («L'Auberge d'Asaji » et « La Lubricité du serpent »), tirées du recueil « Les Contes de la lune vague après la pluie ». Photo : Kazuo Miyagawa. Éclairages : Kenichi Okamoto. Montage : Mitsuji Miyata. Directeur artistique : Kisaku Ito. Costumes : Yoshimi Shima. Musique : Fumio Hayasaka, et Ichiro. Saito Musique traditionnelle : Tamekichi Mochizuki et son ensemble. Biwajoué par : Umehara. Son : Iwao Otani. Assistant : Tokuzo Tanaka. Conseiller pour les dialogues : Isamu Yoshii. Conseiller pour la poterie : Zengoro Eiraku. Chorégraphie : Kinshich Kodera. Conseiller pour les costumes et les mœurs de l'époque : Kusune Kainosho. Interprétation : Masayuki Mori (Genjuro), Kinuyo Tanaka (Miyagi), Sakae Ozawa (Tobei), Mitsuko Mito (Ohama), Machiko Kyo (La princesse Wakasa), Kikue Mori (sa gouvernante Ukon), Ryosuke Kagawa (le chef du village), Kichijiro Ueda (le marchant d'habits), Sugisaku Aoyama (le vieux prêtre), Nanbu Syozo (le prêtre shinto), Ramon Mitsusaburo (le chef des troupes Niwa), Ichisaburo Sawamura (Genichi, le fils de Genjuro). Production : Masaichi Nagata. Planning : Kyuichi Tsuji. Compagnie de production : Daiei, Kyoto. Durée : 89 minutes.

• 1953. GION BAYASH1. (LA FÊTE A GION ou LES MUSI­CIENS DE GION). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda, d'après une adaptation de Matsutaro Kawaguchi. Photo : Kazuo Miyagawa. Éclairages : Kenichi Okamoto. Montage : Mitsuzo Miyata. Directeur artistique : Kazuyoshi Koike. Décors : 155

Page 80: Souvenirs de Kenji Mizoguchi: Yoshikata Yoda

Ichizo Kajitani. Backgrounds : Seizaburo Ogura. Décorateur de pla­teau : Takejiro Nakajima. Costumes : Yoshiko Kurosawa. Maquillage : Akinori Kobayasbi. Coiffures : Tsuru Nakai. Musique : Ichiro Saito. Musique traditionnelle : Takemichi Mochizuki. Son : Iwao Otani. Assistant : Mirsuo Hirotsu. Conseiller pour les costumes : Yoshio Ueno. Interprétation : Michiyo Kogure (Miyoharu), Ayako Wakao (Eiko, puis Miyoe), Seizaburo Kawazu (Kusuda), Kanji Koshiba (Kanzaki), Eitaro Shindo (Sawamoto, père d'Eiko), Ichiro Sugai (Saeki), Haruo Tanaka (Ogawa) Sumao Ishihara (Kokichi), Benkei Shiganoya (Sukejiro), Saburo Date (Konishi), Chieko Naniwa (Okimi), Kikue Mori (la geisha « instructeur »), Tadashi Iwata (Tomisaka), Ryosuke (Sakitani), Teruko Oyoshi (Yae), Kimiko Tachibana (Kikuhara), Yoshiko Yanagi (Kaname), Midori Komatsu (Oume), Kanae Kobayasbi (le coiffeur), Keiko Konayagi (une gei­sha), Kazuko Maeda (une servante), Nobuko Tanei, Tokiko Mita, Noriko Ueda (Geishas dans le style de Kyoto), Teruko Fuji, Kyoko Misamatsu (petites filles). Production : Masaich Nagata. Planning: Kyuichi Tsuji. Directeur de production : Masatsugu Hashimoto. Compagnie de production : Daiei, Kyoto.

• 1954. SANSHO DAYU. (L'INTENDANT SANSHO). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda et Fuji Yahiro, d'après le roman de Ogai Mori. Éclairages : Okamoto Photo : Kazuo Miyagawa. Kenichi. Montage : Mitsuzo Miyata. Directeurs artis­tiques : Kisaku Ito et Shozaburo Nakajima. Décors : Uichiro Yamamoto. Costumes : Yoshio Ueno, Shimi Yoshimi. Maquillage : Akinori Kobayashi. Musique : Fumio Hayasaka. Musique tradi­tionnelle : Kanehichi Odera et Tamezo Mochizuki. Direction musi­cale : Kisaku Mizoguchi. Son : Iwao Otani. Conseiller pour les combats : Shohei Miyauchi. Assistant : Tokuzo Tanaka. Conseiller pour l'ar­chitecture ancienne : Giichi Fujiwara. Interprétation : Kinuyo Tanaka (Tamaki, puis « Nakagimi »), Yoshiaki Hanayagi (Zushio, puis « Mutsu »), Kyoko Kagawa (Anju puis « Shinobu »), Eitaro Shindo (Sansho), Akitake Kono (Taro, son fils), Masao Shimizu (Masauji, gouverneur de Tairo), Ken Mitsuda (Morozane Fujiwara, premier ministre), Kazukimi Okuni (Norimura), Chieko Naniwa (vieille femme au port de Naoe), Yoko Kosono (Kohagi), Kimiko Tachibana (Namiji), Ichiro Sugai (ministre de la justice), Teruko 156

Omi (le nouveau « Nakagimi »), Masahiko Tsugawa (Zushio jeune), Naoki Fujiwara (Zushio enfant), Keiko Enami (Anju enfant), Bontaro Akemi (Kichiji), Kikue Mori (la fille à l'autel), Ryosuke Kagawa (Ritsushi Kumotake), Kanji Koshiba (Naikudo Naito), Shinobu Araki (Sadaya), Reiko Kongo (Shiono), Shozo Nambu (Masasue Taira), Ryonosuke Azuma (le patron du bordel), Saburo Date (Kinpei), Sumao Ishiwara (Yakko), Ichiro Amano (le por­tier), Yukio Horikata Qiro), Hachiro Okuni (Saburo Miyazaki), Jun Fujiwara (Kawamaru), AWyoshi Kikuno (geôlier), Soji Shibata (l'homme de l'île de Sado), Akira Shimizu (le marchand d'es­claves), Goro Nakanishi (garde), Tokio Naka (l'homme au port de Naoe), Eiji Ishikura, Akira Shiga, Shiro Osaki (fermiers), Keiko Koyanagi, Kuziko Maeda (prostituées), Yukiko Soma (Kayano). Production : Masaichi Nagata. Planning : Kyuichi Tsuji. Directeur de production : Masatsugu Hashimoto. Compagnie de production : Daiei, Kyoto. Durée : 123 minutes.

• 1954. UWASA NO ONNA. (LA FEMME DONT ON PARLE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda et Masashige Narusawa. Photo : Kazuo Miyagawa. Éclairages : Kenichi Okamoto. Montage : Kanji Sugawara. Directeur artistique : Hiroshi Mizutani. Toiles peintes : Tazaburo Ota. Décorateur : Takejiro Nakajima. Effets spéciaux : Kyoichiro Yamamoto. Costumes : Yoshie Ueno et Ayako Hasegawa. Maquillage : Masanori Kobayashi. Coiffures : Ritsu Hanai. Musique : Toshiro Mayuzumi. Musique de Nô : Kurozaemon Katayama. Son : Iwano Otani. Assistant : Mitsuo Hirotsu. Kyogen (mime Nô) : Chuzaburo Shigeyama. Dance kamo-gawa : Yuldhime, Harusame et le Kyoto Sento Machi Geisha Group. Conseiller pour le Nô et le Kyogen : Kanehichi Odera. Interprétation : Kinuyo Tanaka (Hatsuko Mabuchi), Yoshiko Kuga (Yukiko Mabuchi), Tomoemon Otani (Kenzo Motaba, le docteur), Eitaro Shindo (Yasuichi Harada), Bontaro Miyaké (Kobayashi), Chieko Naniwa (Osaki), Haruo Tanaka (Kawamoto), HisaoToake (Yamada), MichikoAi (Aioi), Yukiko Mine (Chiyo), Yoko Wakatsugi (Tamagoto), Kimiko Tachibana (Usugumo), Teruyo Hasegawa (Kisaragi), Kazuko Omi (Onoe), Hiroshi Ueda (Takeshita), Saburo Date (Nakauchi), Sumao Ishiwara (le vendeur de kimonos), FumihikoYokoyama (Yokozawa), Kazue Tamaokie (Kodama), 157

Page 81: Souvenirs de Kenji Mizoguchi: Yoshikata Yoda

Kotaro Kawada (Takejiro), Kazuko Maeda (Yachiyo), Midori Komatsu (Okane), Kanae Kobayashi (Oharu), Sayoko Nakagimi (Oteru), Setsuko Kunieda (Oyasu), Teruko Fuji (Osono), Kyoko Hisamatsu (Oume). Producteur : Masaichi Nagata. Planning : Kyuichi Tsuji. Directeur de production : Masatsugu Hashimoto. Compagnie de production :, Kyoto Daiei.

• 1954. CHIKAMATSU MONOGATARI. (LES AMANTS CRUCIFIÉS). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda, d'après l'adaptation de Matsutaro Kawaguchi de la pièce de bunraku de Chikamatsu Monzaemon intitulée « Koi Hakke Hashiragoyomi » («L'Almanach de l'amour »). Photo : Kazuo Miyagawa. Eclairages : Kenichi Okamoto. Montage : Kanji Sugavvara. Directeur artistique : Hiroshi Mizutani. Décors : Uichiro Yamamoto et Yaichi Ebise. Costumes : Natsu Ito. Maquillages : Masanori Kobayashi. Coiffures : Ritsu Hanai. Musique : Fumio Hayasaka. Musique traditionnelle : Tamezo Mochizuki et Eijiro Toyosawa. Son : Iwao Otani. Combats réglés par : Shohei Miyauchi. Assistant : Tokuzo Tanaka. Effets de travellings : Kaoru Uno. Recherches historiques : Hosei Ueno. Interprétation : Kazuo Hasegawa (Mohei), Kyoko Kagawa (Osan), Yoko Minamida (Otama), Eitaro Shindo (Ishun), Sakae Ozawa (Sukeyemon), Ichiro Sugai (Genbei), Haruo Tanaka (Doki), Tatsuya Ishiguro (Isan), Chieko Naniwa (Oko), Hisao Toake (le chambellan Marinokoji), Shinobu Araki (le chef de la domesticité), Ryonosuke Azuma Bairyu (Akamatsu), Koichi Katsuragi (le prêtre), Hiroshi Mizuno (Kuroki, le conseiller d'Etat), Ichiro Amano (le professeur de musique aveugle), Kimiko Tachibana (Ocho), Reiko Kongo (la servante de l'auberge du bord de la rivière), Midori Komatsu (la vieille femme à l'échoppe de thé), Kanae Kobayashi (Otatsu), Sayoko Nakagami (Osono), Keiko Koyanagi (Okaya), Saburo Date (officier à Katada), Sumao Ishiwara (employé dans l'auberge), Fumihiko Yokoyama (chef du village), Jun Fujikawa (fonctionnaire du village), Kazue Tamaoki (Jushiro Umegaki), Tadashi Iwata (Chushichi), Soji Shibata (l'employé du fabricant de parchemins), Masayoshi Kikuno (chef de la société de pèlerinage), Ryuji Fukui et Hachiro Okuni (Officiers à Fushimi), Shiro Miura, Tokio Oki et Kiyoshi Kakikawa (employés). Producteur : Masaichi Nagata. Planning : Kyuichi Tsugi. Directeur 158

de production : Masatsugu Hashimoto. Compagnie de production : Daiei, Kyoto. Durée : 102 minutes.

* 1955. YOKIHI. (L'IMPÉRATRICE YANG KWEI-FEI). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda, Matsutaro Kawaguchi, Masashige Narusawa et Ch'in Tao. Photo : Kohei Sugiyama. Technicien pour la couleur : Tatsuyuki Yokota (couleurs Daiei). Directeur artistique : Hiroshi Mizutani. Musique : Fumio Hayasaka. Assistant : Yasuzo Masumura. Recherches historiques : Seko Ro. Interprétation : Machiko Kyo (Yang), Masayuki Mori (l'Empereur Hsuan Tsung), So Yamamura (le général An Lu-Shan), Sakae Ozawa (Chao, puis Yang Kuo-Chung), Eitaro Shindo (Li-Hsi Kao), Haruko Sugimura (la princesse Yen Ch'un) Yoko, Minamida (T'ao Hung), Bontaro Akemi (Hsuan-Li Ch'en), Tatsuya Ishiguro (Li Lin-Fu, premier ministre) Kinzo Shin (le chambellan), Isao Yamagata (Hsien Yang), Chieko Murata (Hua Lu), Michine Ai (Hua Hung), Noburu Kiritachi (Hua Tsui), Yukiko Murasae (Fei Ch'eng). Production : Masaichi Nagata et Shaw Run Run (Shao I-Fu). Planning : Kyuichi Tsuji. Compagnie de production : Daiei, Kyoto/Shaw Brothers, Hong-Kong.

• 1955. SHIN HEIKE MONOGATARI. (LE HÉROS SACRILEGE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Yoshikata Yoda, Masashige Narusawa et Kyuichi Tsugi, d'après le feuilleton de EijiYoshikawa publié dans l'hebdomadaire Shukan Asaki, tiré lui-même du texte du treizième siècle « Heike Monogatari ». Photo : Kazuo Miyagawa. Technicien pour la couleur: Mitsuzo Wada (cou­leurs Daiei). Directeur artistique : Hiroshi Mizutani. Musique : Fumio Hayasaka et Masaru Sato. Interprétation : Raizo Ichikawa (Taira no Kiyomori), Marutoshi Hayashi (Tokitada), Michiyo Kogure (Yasuko), Yoshiko Kuga (Tokiko), Ichijiro Oya (Taira no Tadamori), Mitsusaburo Ramon (Ryokan), Eitaro Shindo (Banboku), Ichiro Sugai (un travailleur), Eijiro Yanagi (l'Empereur Sharakawa), Koreya Senda (Yorinaga), Tatsuya Ishiguro (Tokinobu Fujiwara), Kunitaro Sawamura (Joku), Akitake Kono (Heiroku), Shunji Natsumi (l'Empereur Toba), Tamao Nakamura (Shigeko). Production : Masaichi Nagata. Compagnie de production : Daiei, Kyoto. Durée : 104 minutes.

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* 1956. AKASEN CHITAI. (LA RUE DE LA HONTE). Mise en scène : Kenji Mizoguchi. Scénario : Masashige Narusawa, basé en partie sur le roman de Yoshiko Shibaki « Susaki no Onna » («Les Femmes de Susaki »). Photo : Kazuo Miyagawa. Eclairages : Yukio Ito. Montage : Kanji Sugawara. Directeur artistique : Hiroshi Mizutani. Décors : Kiichi Ishizaki et Shigeharu Onda. Toiles peintes : Taro Kawahara. Effets spéciaux : Ichiro Kanda. Costumes : Tsuguo Toge Coiffures : Ishizaki, Shinozaki Noboru Umeka. Musique : Toshiro Mayuzumi. Son : Mitsuo Hasegawa. Effets sonores : Shojiro Hanaoka. Assistant : Yanusari Nakamura. Générique : Outei Kaneko. Dessin du paysage : Otojiro Sakane. Dessins des enseignes de néon : Shogo Kanaya. Interprétation : Machiko Kyo (Mickey), Ayako Wakao (Yasumi), Michiyo Kogure (Hanae), Aiko Mimasu (Yumeko), Kenji Sugawara (Eiko), Yasuko Kawakami (Shizuko), Eitaro Shindo (Kurazo Taya), Sadako Sawamura (Tatsuko Taya, sa femme), Bontaro Miyaké (le gardien de nuit), Daisuke Kato (le policier), Jun Tatara (le client de Yumeko), Hiroko Machida (Yorie), KumekoUrabe (Otane), Yosuke Irie (Shuichi, le fils de Yumeko), Toranosuke Ogawa (le père de Mickey), Kuninori Takado (Keisaku Kadowaki), Eiko Miyoshi (Saku Kadowaki, sa femme) et Haruo Tanaka, Hisao Toake, Osamu Maruyama, Fujio Harumoto, Kenichi Miyajima, Toshiyuki Ohara, Ohara Joe, Shiroyuki Miyajima, Kyosuke Shio, Mitsuko Takesato, Yukiko Meguro. Production : Nagata Masaichi. Planning : Hisao Ichikawa. Directeur de produc­tion : Keiichi Sakane. Compagnie de production : Daiei, Kyoto.

Achevé d'imprimer le 25 mars 1997 sur les presses de l'imprimerie Darantière,

Quetigny-France Dépôt légal : mars 1997

N" d'impression : 97-0231

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Yoshikata Yoda Souvenirs de

Yoshikata Yoda lut le scénariste de tous les grands films de Kenji Mizoguchi : Les Contes de la lune vague après la pluie, L'Intendant Sansho, Les Amants crucifiés. Le Héros sacri­lège, La Rue de la honte, et bien d'autres. A partir de 1948, et pendant prés de vingt ans, il devient le compagnon de route du cinéaste, et bientôt son ami. Son ouvrage est un recueil de souvenirs personnels, de documents précieux et de réflexions sur Mizoguchi, qui composent une sorte de documentaire sur l'homme et son art : ses rêves, ses joies, ses peines, sa vision du monde, son style, sa méthode de tra­vail, ses rapports avec ses collaborateurs, sa vie...