sciences agronomiques Montpellier · Un grand merci à mon époux, Sanjay, pour son soutien, son...
Transcript of sciences agronomiques Montpellier · Un grand merci à mon époux, Sanjay, pour son soutien, son...
Délivré par le
Centre international d’études supérieures en
sciences agronomiques
Montpellier
Préparée au sein de l’école doctorale :
Economie et Gestion de Montpellier – ED 231
Laboratoire : UMR 1110 MOISA
Spécialité : Sciences de Gestion
Présentée par Brinda RAMASAWMY
Soutenue le 27 Février 2014 devant le jury composé de
Intérêt du travail institutionnel dans les dynamiques de
filières agricoles
Le cas de l’île Maurice
M. Karim Messeghem, Professeur, Universite de Montpellier 1 Examinateur/Président du
Jury
M. Bernard Leca, Professeur, Université Paris - Dauphine Rapporteur
M. Didier Chabaud, Professeur, Université d’Avignon et des Pays de
Vaucluse
Rapporteur
M. Jean Louis Rastoin, Professeur Emérites, Montpellier SupAgro Examinateur
M. Ronan Le Velly, Maître de conférences, Montpellier SupAgro Examinateur
Mme. Fatiha Fort, Professeur, Montpellier SupAgro Directrice de thèse
i
A mes parents, Permal et Meenachee, avec vos 50 ans et plus de vie commune, vous représentez les ‘piliers institutionnels’ de ma vie…règles, valeurs, cultures et
traditions
A Mirish et Sanjay
A mes fidèles amis à quatre pattes (Brownie, Cookie, Maisha, Smoky et Sizzlar)
A mes ancêtres dravidiens du Sud de l’Inde, qui m’ont transmis la force mentale et la sagesse des ‘kshatriya’ (guerriers), ce qui fait de moi ce que je suis aujourd’hui…
ii
Un jour, l’âne d’un fermier tomba dans un puits. L’animal gémissait pitoyablement
pendant des heures, et le fermier se demandait quoi faire.
Finalement, il décida que l’animal était trop vieux et que le puits devait disparaître de
toute façon, et qu’il n’était donc pas rentable de récupérer l’âne.
Il invita tous ses voisins à venir et l’aider. Tous se saisissent d’une pelle et commencent
à enterrer le puits.
Au début, l’âne réalisa ce qui se produisait et se mit à crier terriblement. Puis, au bout
de quelques secondes, à la stupéfaction de chacun, il se tut. Quelques pelletées plus
tard, le fermier regarda finalement dans le fond du puits fut très étonné de ce qu’il vit.
Avec chaque pelletée de terre qui tombait sur lui, l’âne faisait quelque chose de
stupéfiant. Il se secouait pour enlever la terre de son dos et montait dessus. Pendant
que les voisins du fermier continuaient à pelleter sur l’animal, il se secouait et montait
dessus...
Bientôt, à la grande surprise de chacun, l’âne sortit hors du puits et se mit à trotter !
La vie peut parfois essayer de nous engloutir de toutes sortes de problèmes. La
solution pour s’en sortir et d’avancer. Chacun de nos ennuis est une pierre qui permet
de progresser. Nous pouvons sortir des puits les plus profonds en nous souvenant de
cette histoire.
Une thèse de doctorat étant aussi un parcours initiatique en philosophie, je me suis
laissée guider par cette fable philosophique durant ces cinq années de thèse : pendant
mes moments de doutes, pendant mes moments de faiblesses, pendant que j’essayais
de réconcilier vie personnelle, vie professionnelle et vie de thésarde…
A toutes les femmes du monde entier qui ont le courage de leurs convictions et qui se battent
malgré l’adversité. Je vous salue bien bas…
REMERCIEMENTS
iii
Tout commença lors d’une conférence que j’avais organisée à l’université de Maurice en
2007. J’y rencontrai Fatiha Fort pour la première fois, et de cette rencontre naquit l’idée
d’une thèse qui débuta fin 2008.
En premier lieu, je tiens à remercier Jean Louis Rastoin, et Fatiha Fort d’avoir cru en moi
et d’avoir soutenu ma candidature comme doctorante au sein de l’Unité Mixte de
Recherche Marchés, Organisations, Institutions, et Stratégies d’Acteurs (l’UMR MOISA) à
Montpellier SupAgro. Je les remercie pour leurs critiques constructives tout au long de ce
travail. Un merci particulier à Fatiha qui a assuré la direction de cette thèse à partir de la
deuxième année en 2009, pour m’avoir soutenu et m’avoir fait avancer dans mes
réflexions et dans la valorisation des résultats.
Je remercie les membres du jury, les rapporteurs M. Bernard Leca et M. Didier Chabaud
ainsi que les examinateurs, M. Jean Louis Rastoin et M. Karim Messeghem d’avoir accepté
de participer à l’évaluation de ce travail.
Je remercie également les membres de mon comité de thèse pour leurs conseils avisés sur
l’avancement de la thèse : Denis Loeillet et Ludovic Temple (CIRAD), Johny Egg (INRA
Montpellier), et Leïla Temri (Montpellier SupAgro).
A l’île Maurice, je souhaite remercier mon employeur, l’université de Maurice, pour
m’avoir autorisé à m’investir pendant cinq ans dans ce travail de thèse. Un grand merci à
l’Ambassade de France à l’île Maurice en partenariat avec l’état mauricien pour le
financement de la thèse à travers le Ministère des Affaires Etrangères Française. Je
remercie aussi toutes les personnes enquêtées sur le terrain à l’ile Maurice pour avoir pris
de leur temps afin de répondre à mes questions : les membres des institutions publiques
(un merci particulier aux personnels de l’Agricultural Research and Extension Unit
(AREU) qui ont accepté de me recevoir plusieurs fois et ont facilité les enquêtes auprès
des acteurs de la filière légumes frais); les membres des institutions agricoles privées (en
particulier Jean Cyril Monty, Jocelyn Kwok, Gopal Pillay, Raïfa Bundhun) ; les centrales
d’achat des supermarchés ; les membres et bureau d’association de producteurs de
légumes ; les mandataires dans les marchés de gros ; et enfin les producteurs (sucriers et
maraîchers) pour leur accueil toujours chaleureux et leur confiance.
Je remercie le personnel de l’EGIDE à Montpellier, l’organisme qui a géré ma bourse de
thèse en France, pour leur accueil et leur soutien, en particulier les personnes qui se sont
chargées de mon dossier : Catherine, Tiphaine et Florian.
L’expérience doctorale c’est aussi un partage quotidien autant sur le plan humain que sur
le plan professionnel. Je remercie ainsi les membres du personnel administratifs et
scientifiques de l’UMR MOISA ainsi que de l’UMR voisine, LAMETA de m’avoir
toujours accueilli avec le sourire. Un grand merci à mes amis doctorants et ex doctorants
REMERCIEMENTS
iv
Marianne, Fanny, Elodie, Manuel, Iciar et Romina pour tout ce que l’on a partagé. Merci à
l’équipe REGAAL, notamment Selma Tozanli, Paule Moustier et Foued Cheriet pour
leurs apports à mes réflexions théoriques et empiriques. Je remercie l’équipe
administrative du bâtiment 26, Cédric (toujours présent pour un dépannage informatique
express), Christian, Michael, Naïma, Saloua (pour avoir partagé des séances de danse
orientale et des fou rires), sans oublier Christophe (‘Ninou’) du personnel d’entretien des
bureaux pour ses mots d’encouragements quotidiens. Un grand merci aussi à toute
l’équipe du centre de documentation, Pierre Bartoli (Caroline, Jean-Walter, Isabelle,
Laurent et Gabrielle) pour leur accueil et leur efficacité.
Le parcours d’une thèse ne peut se faire sans le soutien des proches- amis et familles.
Merci à mes amis : Mala, et Shane, Ile Maurice ; Roberto, Université de Hambourg ; et
Nicolas Balas, Université Montpellier 1- pour leurs encouragements en tant que
chercheurs et académiciens. Merci à Kurt, mon ‘guru’ spirituel et mon indicateur de
zenitude. Merci à ma famille : Mes parents (pour leur soutien indéfectible ; pour avoir cru
en moi et m’avoir toujours encouragé dans mes études depuis ma petite enfance) ; mes
frères (Umesha et Menon), beaux-frères, belles-sœurs, ma ‘petite sœur’, Anouchka ; mes
cousins; ma famille d’accueil en France (Margaret et Jean à Marseille ; Maligai et Gérard à
Paris ; Vikash et Vaishali à Paris, et Christine, Marc, Alex, Olivier et Anouk à
Montpellier) ; et tous les autres qui ont fait de mon séjour à Montpellier une expérience de
vie inoubliable (Daniel de la Résidence SupAgro; et Soraya pour ses bons petits plats
Malgache).
Merci à toutes les personnes suivantes pour la relecture attentive du manuscrit : Fatiha,
Sanjay, et Reena.
Un grand merci à mon époux, Sanjay, pour son soutien, son amour, sa confiance, et son
apport inestimable dans la révision et la mise en page de mon document de thèse.
En dernier lieu, je remercie mon fils, Mirish, qui a été à mes côtés tout au long de cette
thèse, et qui m’a continuellement motivé du haut de ses 9 ans. J’espère en retour avoir pu
‘institutionnaliser’ en lui les valeurs du travail bien fait et la motivation de toujours aller
jusqu’au bout de ses rêves.
A toutes ces personnes et à celles et ceux que j’ai pu involontairement oublier, ce serait un
C R I M E de ne pas dire……………..M E R C I !
Brinda
Décembre 2013
SOMMAIRE
v
INTRODUCTION GENERALE ........................................................................................................... 1
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME .............. 14
CHAPITRE 1 : LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES ... 16
SECTION 1 : Les premières perspectives institutionnalistes ..................................................... 17
SECTION 2 : Le néo-institutionnalisme dans les études organisationnelles ............................. 22
SECTION 3 : La sociologie néo-institutionnelle et le concept d’entrepreneur institutionnel ... 49
SECTION 4 : Le travail institutionnel dans les études organisationnelles ................................. 69
SECTION 5: Le néo-institutionnalisme et l’analyse de filières agricoles ................................... 79
SECTION 6 : Proposition d’un modèle conceptuel .................................................................... 89
CONCLUSION DU CHAPITRE 1 ......................................................................................................... 93
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES ..... 95
SECTION 1 : La genèse du secteur agricole mauricien .............................................................. 96
SECTION 2 : Le succès de la filière canne à sucre .................................................................... 118
SECTION 3 : Notre champ organisationnel-la filière légumes ................................................. 134
CONCLUSION DU CHAPITRE 2 ........................................................................................................ 142
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE ............................................................................ 144
SECTION 1 : Terrain exploratoire du champ organisationnel : Résultats et apports .............. 145
SECTION 2 : Elaboration des propositions de recherche ........................................................ 157
CONCLUSION DU CHAPITRE 3 ........................................................................................................ 166
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE ....................................................................................... 168
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS ................................................................... 172
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE .............................................................................. 174
SECTION 1 : Positionnement épistémologique et design de la recherche .............................. 175
SECTION 2: Sélections des études de cas et collecte des données ........................................ 186
SECTION 3 : Analyse des données des études de cas .............................................................. 189
SECTION 4 : Critères de fiabilité et validité de la recherche ................................................... 193
CONCLUSION DU CHAPITRE 4 ........................................................................................................ 197
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS ......................................................... 199
SECTION 1 : Méso analyse du champ organisationnel ............................................................ 200
SECTION 2 : Micro-analyse des logiques institutionnelles au niveau des acteurs .................. 214
SECTION 3 : Identification des types et formes de travail institutionnel ................................ 246
SECTION 4 : Les résultats des études de cas ........................................................................... 252
CONCLUSION DU CHAPITRE 5 ........................................................................................................ 265
CHAPITRE 6 : DISCUSSION........................................................................................................ 267
SECTION 1 : Les déterminants et les conséquences du travail institutionnel ......................... 268
SECTION 2 : La validation des propositions de recherche ....................................................... 279
CONCLUSION DE LA DISCUSSION ................................................................................................ 283
CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................ 285
SOMMAIRE
vi
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ............................................................................................... 293
LISTE DES TABLEAUX INSERES DANS LE TEXTE ............................................................................ 307
LISTE DES FIGURES INSEREES DANS LE TEXTE .............................................................................. 309
LISTE DES ABREVIATIONS ........................................................................................................... 311
TABLE DES MATIERES ................................................................................................................ 313
ANNEXES................................................................................................................................... 320
INTRODUCTION GENERALE
INTRODUCTION GENERALE
1
INTRODUCTION GENERALE
Le sucre représente une denrée importante dans les transactions agricoles internationales: La
production mondiale de sucre, d’après l’organisation internationale du sucre (ISO1), en valeur
brute pour la campagne 2012/2013, était de l’ordre de 183,8 millions de tonnes avec une
consommation mondiale de 170,1 millions de tonnes (FranceAgriMer, 2012). Les estimations
de production pour la campagne 2013/2014 sont prévues à la baisse avec une production
mondiale de 180,8 millions de tonnes, et une consommation mondiale à la hausse qui devrait
s’élever à 176,3 millions de tonnes (FranceAgriMer, 2013). Le marché mondial du sucre est
approvisionné par les principaux pays producteurs et exportateurs, à hauteur d’environ 80%
de sucre de canne (le Brésil, l’Inde, la Thaïlande et l’Australie) et 20% de sucre de betterave
(la France, l’Allemagne, et l’Ex-URSS).
L’économie mondiale du sucre s’est longtemps caractérisée par un degré élevé d’intervention
gouvernementale aussi bien sur les marchés intérieurs qu’au niveau international. Ainsi, la
formation des prix du sucre sur le marché mondial a fortement été influencée par les régimes
spéciaux et les arrangements préférentiels. Le groupe des états d’Afrique, des Caraïbes, et du
Pacifique (ACP), bénéficiaires du protocole sucre (issu de la convention de Lomé de 1975 à
1999 suivi de l’Accord de Cotonou en 2000), a ainsi eu droit à un quota à l’exportation à un
prix préférentiel fixe dérivé des cours de soutien payés aux producteurs betteraviers
européens. Ce régime préférentiel européen a assuré aux états ACP, pendant près de quarante
ans, des prix supérieurs au cours mondial du sucre, et des systèmes de quotas protégeant les
pays exportateurs ACP de la concurrence internationale.
Cependant l’avancée de la mondialisation et de la libéralisation du commerce international a
entraîné dans son sillage la nécessité de réformer les règles internationales du commerce des
biens et des services. C’est ainsi que l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce
(GATT2), mis en œuvre en 1948 pour favoriser le libre-échange entre les pays membres, va
déboucher en 1995 sur la création de l’organisation Mondiale du Commerce (OMC), dont la
tâche est la réforme des échanges mondiaux suite aux négociations du cycle d’Uruguay. En
1 ISO : International Sugar Organization
2 GATT : General Agreement on Tariff and Trade
INTRODUCTION GENERALE
2
parallèle, un accord particulier, sur les échanges de produits agricoles, obligera les pays
membres de l’OMC à faciliter l’accès de leur marché intérieur et à réduire les aides
gouvernementales au secteur agricole.
Suite aux changements explicités ci-dessus, des accords, tels que l’OCM sucre (Organisation
Commune du Marché) mis en place en 1968 par l’Union Européenne (UE) dans le cadre de sa
politique agricole commune, deviennent incompatibles avec les règlements de l’OMC. C’est
ainsi que les grands pays producteurs sucriers tels que le Brésil, la Thaïlande et l’Australie
dénoncent l’OCM sucre auprès de l’OMC pour contraindre l’UE à mettre fin aux subventions
à ses producteurs betteraviers, et au protocole sucre qui bénéficie aux producteurs de sucre de
canne appartenant au groupe ACP. De ce fait la réforme du protocole sucre entre l’UE et les
états ACP est amorcée en 2006 pour prendre fin en 2009. Les producteurs ACP de sucre de
canne subissent ainsi une baisse du prix subventionné du sucre de 36%. En contrepartie, l’UE
met cependant en place des mesures d’accompagnement financières pour aider les pays
producteurs ACP à réformer leur filière sucrière.
La perte des tarifs préférentiels de l’Union Européenne est un choc exogène qui force les pays
ACP à remettre en question leur secteur agricole. L’application des règlements de l’OMC
pour la libéralisation du commerce international, n’a fait que renforcer les barrières à
l’exportation surtout pour les petits états insulaires en développement (PEID)3 qui n’ont pas
suffisamment de ressources face aux gros pays exportateurs agricoles. Dans un souci
d’améliorer la productivité de leurs secteurs agricoles, ces pays doivent rendre les systèmes de
productions agricoles plus efficaces et baisser les coûts de production, et aussi envisager des
diversifications agricoles dans d’autres activités plus rémunératrices.
Parmi les petits états insulaires dans le groupe ACP, l’île Maurice (Maurice, désormais) a
joué un rôle important car elle était le principal exportateur de sucre, avec 43 pour cent des
exportations totales (Wohlgenant, 1999). Cependant après la réforme du protocole sucre par
l’UE, les quotas d’exportation de sucre des pays ACP, ont été revu et au fil des années
3 Désignation officielle des Nations Unies qui regroupent actuellement 39 petits États insulaires et 12 petits
territoires insulaires selon trois zones géographiques : les Caraïbes, le Pacifique et la région dites AIMS pour
Afrique, Océan Indien, Méditerranée et mer de Chine méridionale
INTRODUCTION GENERALE
3
Maurice s’est retrouvé avec 23% du quota ACP en 2010-2011 et 18% en 2011-2012
(EuropeanCommission, 2013).
La filière sucre est étroitement associée à l’histoire de Maurice, et constitue un des piliers
économiques du pays. La filière sucre mauricienne, longtemps bénéficiaire du
protectionnisme européen, se retrouve ainsi menacée par la mondialisation avec un manque à
gagner de 782 millions d’euros pour la période 2006 à 2015 (MOAF, 2006).
Au vu de l’importance des conséquences que représente la réforme du protocole sucre ACP-
UE pour l’agriculture et l’économie de Maurice, nous nous sommes intéressées à ce contexte,
que nous préciserons dans la section suivante, pour construire notre objet de recherche.
I-1 Le contexte de la recherche
Maurice est un petit état insulaire avec peu de ressources en termes de terres agricoles pour
pouvoir concurrencer des grands pays producteurs de sucre tels que l’Australie ou le Brésil.
Maurice est même comparée par Grégoire et Théry (2007) au «petit poucet» face à «l’ogre»
(le Brésil) dans sa lutte pour négocier une place sur le marché international du sucre. La
réforme du protocole sucre, un choc exogène pour les producteurs sucriers mauriciens, a
remis en question les objectifs de la filière canne à sucre mauricienne, et a engendré une
profonde restructuration de cette filière avec de nombreux projets de diversification agricoles
et non agricoles. Une des stratégies de diversification de certains gros producteurs sucriers,
acteurs clés de cette filière, est la production intensive et hautement mécanisée de légumes
pour le marché mauricien, ce qui entraîne en conséquence des changements importants dans
la filière locale des légumes.
Le constat de départ est que la réforme du protocole sucre ACP-EU a des effets directs sur la
filière canne à sucre, et indirects sur la filière légumes. Historiquement, ce sont deux filières
qui opèrent chacune dans un cadre institutionnel différent forgé à travers les décennies par les
acteurs avec des règles d’appartenance et de conduite, des valeurs et des croyances, et des
normes propres à chaque filière. Ces deux filières ont certes des liens historiques et une
certaine perméabilité mais fonctionnent de manières très distinctes avec des produits et des
marchés différents. Cependant quand la filière légumes est investie par des nouveaux entrants
INTRODUCTION GENERALE
4
de la filière canne à sucre avec de nouvelles techniques de production et de nouveaux circuits
de distribution, il y a une remise en question des pratiques, des règles, des normes, et des
valeurs de la filière légumes autant par les nouveaux entrants que par la réaction des acteurs
en place.
Inscrits dans ce contexte, nous nous intéressons surtout à comprendre de quelle façon les
acteurs qui décident d’investir une autre filière peuvent agir sur les institutions existantes, et
comment dans ce processus de changement institutionnel il y a un déclenchement en parallèle
de réactions stratégiques institutionnelles individuelles ou collectives parmi les acteurs en
place.
En effet, les changements observés ne concernent pas uniquement des aspects économiques et
stratégiques des acteurs de la filière mais affectent profondément le mode de fonctionnement
des institutions de la filière légumes.
Pour comprendre comment les acteurs peuvent influencer le cadre institutionnel dans lequel
ils évoluent, nous avons utilisé comme grille de lecture l’application de la théorie néo-
institutionnelle dans les études organisationnelles, et plus particulièrement le courant de la
sociologie néo-institutionnelle pour construire notre cadre de référence théorique comme
décrit dans la section suivante.
I-2 Le cadre de référence théorique de la recherche
Les travaux utilisant les premières perspectives institutionnelles dans la sociologie ont été très
présents depuis la fin du 19e siècle débutant avec les travaux d’Herbert Spencer qui avancent
que la société est un système organique qui évolue dans le temps en s’adaptant à son contexte
ou environnement grâce à ses «organes» qui sont structurés comme des sous-systèmes
institutionnels (Scott, 2008).
D’après Campbell (2004) « Les institutions sont constituées de règles formelles et
informelles, de mécanismes de surveillance et d’application, et de cadres de références qui
définissent le contexte où les individus, les organisations, les états entres autres opèrent et
interagissent. » Les institutions sont aussi conceptualisées comme un construit social qui
INTRODUCTION GENERALE
5
forme les préférences et détermine ce que les acteurs peuvent définir comme actions légitimes
(Berger et Luckmann, 1967). Une fois les institutions créées, elles servent à canaliser et à
réguler les conflits et de ce fait donnent une forme de stabilité à la société.
Les institutions peuvent être très stables, mais cependant elles peuvent aussi changer
radicalement ou de façon incrémentale. Les institutions sont typiquement conceptualisées
comme « les règles du jeu » (North, 1990). Ainsi des chocs exogènes sur les institutions
introduisent des changements dans les règles formelles et informelles qui affectent les
acteurs/organisations, aussi appelés « les joueurs » (North, 1990). Les chocs exogènes à un
niveau macro peuvent aussi remettre en cause les institutions d’un secteur (niveau méso) et
forcer les acteurs qui y évoluent à faire des choix stratégiques (Peng, 2003).
La littérature nous indique que «le néo-institutionnalisme dans l’analyse organisationnelle se
distingue par son caractère sociologique.» (DiMaggio et Powell, 1991). Il y a ainsi un rejet du
modèle de l’acteur rationnel, l’accent mis sur les institutions comme variables indépendantes,
l’utilisation d’explications culturelles et cognitives, et l’utilisation d’unités d’analyse supra-
individuelles. Nous avons ainsi utilisé la sociologie néo-institutionnelle comme grille de
lecture pour comprendre le processus du changement institutionnel qui s’opère dans la filière
légumes à Maurice, et les effets sur les acteurs/organisations y opérant.
Le courant de la sociologie néo-institutionnelle s’est imposé à partir de la fin des années 1970
comme l’un des courants majeurs pour étudier les relations inter organisationnelles. Portée
par des auteurs qui ont étudié les processus de légitimation (Meyer et Rowan, 1977); les
comportements d’imitations inter organisationnels (DiMaggio et Powell, 1983); et la diffusion
des pratiques parmi les organisations (Tolbert et Zucker, 1983), la sociologie néo
institutionnelle (SNI), dans les années 1980, a fait du mimétisme inter organisationnel son
objet d’analyse et son explication de la plupart des comportements inter organisationnels
(Leca, 2006).
En prenant la perspective des chercheurs institutionnalistes au sein des études
organisationnelles, qui se sont orientés vers les aspects normatifs et cognitifs des institutions
(Meyer et Rowan, 1977, Zucker, 1977, DiMaggio et Powell, 1983, Tolbert et Zucker, 1983),
nous constatons que l’accent est mis sur les causes de l’institutionnalisation dans les
organisations, et les mécanismes qui aident les organisations à acquérir une légitimité en se
INTRODUCTION GENERALE
6
conformant aux normes et aux exigences de l’environnement institutionnel. Ces travaux ont
montré les comportements stables et répétitifs des organisations pour se conformer à des
activités légitimées des organisations même en présence de pressions institutionnelles
externes (DiMaggio et Powell, 1983, Tolbert et Zucker, 1983, Oliver, 1988). Cet accent sur le
processus de légitimation, de conformité des organisations à leur environnement
institutionnel, et de stabilité a mis de côté les recherches sur les facteurs qui poussent les
organisations à défier, rejeter ou abandonner les pratiques institutionnalisées (Oliver, 1992).
C’est ainsi qu’Oliver (1992) définit le processus de désinstitutionalisation comme la dé-
légitimation d’une pratique établie face aux défis que doivent affronter les organisations, ou
face à l’incapacité des organisations à reproduire des actions légitimes ou prises pour
acquises. Les antécédents de la désinstitutionalisation sont, pour Oliver (1992), des pressions
politiques, fonctionnelles et sociales qui affectent à la fois les organisations à un niveau
micro, et l’environnement institutionnel où évoluent les organisations à un niveau méso. Les
changements qui affectent l’environnement institutionnel peuvent être de nature exogène,
comme l’arrivée de nouveaux entrants avec leur propres logiques institutionnelles (Scott et
al., 2000, Thornton, 2004), ou de nature endogène, comme les disparités entre
l’environnement macro et micro en réaction à des changements au niveau local (Sewell, 1992,
Dacin et al., 2002).
Une des limites de la SNI étant l’absence d’une théorie de l’action autant au niveau des
acteurs individuels que des organisations, cette limite est adressée vers la fin des années 1980
par des auteurs tels que DiMaggio (1988); Holm (1995); Fligstein (1997); Rao (1998) ;
Beckert (1999); Garud et al.(2002); Maguire et al. (2004), pour expliquer le processus de
changement institutionnel causé par des facteurs endogènes au champ organisationnel. Cela
donne lieu à une approche étendue de la SNI (Hoffman et Ventresca, 2002) qui réintègre
l’action stratégique pour rendre compte des capacités des acteurs à agir sur leur
environnement institutionnel.
Toutefois en réintroduisant l’acteur dans le cadre néo-institutionnaliste, les auteurs se sont vus
confrontés au paradoxe de l’agent encastré comme formulé par Holm (1995) : «Comment les
agents peuvent-ils changer des institutions si leurs actions, leurs intentions et leur rationalité
sont toutes conditionnées précisément par ces institutions qu’ils veulent changer ? » Pour
répondre à ce paradoxe, les auteurs de la SNI étendue ont suggéré deux réponses. La première
réponse est celle de Beckert (1999) qui parle du désencastrement de l’acteur de son
INTRODUCTION GENERALE
7
environnement institutionnel « en prenant du recul » pour réduire les pressions
institutionnelles et redonner à l’acteur des choix stratégiques. La deuxième réponse se fonde
sur la notion de logique institutionnelle (Friedland et Alford, 1991). Les logiques
institutionnelles incluent des présuppositions, des croyances et des règles qui aident les
acteurs à s’organiser et à donner un sens à la réalité sociale (Friedland et Alford, 1991,
Thornton et Ocasio, 1999). La présence de logiques institutionnelles contradictoires ou
complémentaires dans l’environnement institutionnel crée des incohérences et des tensions et
constitue aussi une source de choix stratégiques pour les acteurs (Friedland et Alford, 1991).
Cette diversité de références institutionnelles peut aussi aider les acteurs à s’inspirer de
pratiques dans d’autres champs organisationnels pour changer les règles du jeu (Seo et Creed,
2002). Ces deux réponses au paradoxe de l’agent encastré permettent d’envisager un
changement institutionnel de nature endogène provoqué par des acteurs agissant comme des
entrepreneurs institutionnels.
Le thème de l’entrepreneuriat institutionnel a donné lieu à de nombreux travaux depuis la fin
des années 1980. Nous nous intéressons particulièrement aux apports de ce cadre conceptuel
car il permet une micro-analyse au niveau du champ organisationnel, comme celui de la filière
légumes qui nous intéresse dans cette recherche. L’entrepreneur institutionnel est défini
comme un acteur qui crée ou transpose des pratiques, des croyances ou des modèles et fait en
sorte que les autres acteurs adhèrent à ces nouvelles pratiques et les acceptent comme des
normes (Fligstein, 1997, Zimmerman et Ziet, 2002). Le but des entrepreneurs institutionnels
est d’instaurer ou de changer les règles du jeu. Ils interviennent principalement dans des
champs organisationnels émergents où il y a le développement d’une nouvelle activité, et les
entrepreneurs institutionnels fixent les règles du jeu et légitiment l’activité auprès des parties
prenantes (Aldrich et Fiol, 1994, Zimmerman et Ziet, 2002). Ils interviennent aussi dans des
champs en crise lorsque les institutions en place ne peuvent faire face aux nouvelles exigences
technologiques, légales, économiques ou sociales (Fligstein, 1997). Avec le concept de
l’entrepreneur institutionnel, le changement institutionnel peut être considéré comme un but
stratégique, le champ organisationnel comme une arène sociale et politique et un espace
d’action stratégique pour les acteurs qui y évoluent (Leca, 2006).
Cependant de récentes études ont critiqué le concept de l’entrepreneur institutionnel. Weik,
(2011) évoque un biais individualiste et managérial envers les institutions avec des
entrepreneurs institutionnels qui « créent ou détruisent des institutions de la même façon et
INTRODUCTION GENERALE
8
pour les mêmes raisons qu’ils fondent des entreprises. » D’autres critiques ont aussi noté le
fait que l’entrepreneur institutionnel est perçu comme un acteur héroïque alors que très peu
d’attention est portée dans la littérature aux efforts collectifs de tous les acteurs, aux échecs, et
aux interdépendances (Lawrence et Suddaby, 2006). Ainsi Lawrence et Suddaby (2006)
introduisent le concept du travail institutionnel qui permet de remettre en perspective les
efforts collectifs de tous les acteurs qui évoluent dans un champ organisationnel pour créer,
déstabiliser ou maintenir les règles institutionnelles. L’approche du travail institutionnel
permet ainsi de dépasser la vision de l’entrepreneur institutionnel et de rendre compte des
activités multiples des différents acteurs vis-à-vis des institutions. En poursuivant leurs
travaux, Lawrence, Suddaby et Leca (2009b) invitent à délimiter plus précisément les
contours de l’approche du travail institutionnel à travers les notions de pratique,
d’intentionnalité, et de l’effort associé au travail des acteurs. Ces auteurs appellent aussi les
chercheurs à se concentrer sur les activités des acteurs impliqués dans le travail institutionnel
plutôt que sur les résultats.
Lawrence et Suddaby (2006) distinguent trois grands types de travail institutionnel : la
création, le maintien et la déstabilisation institutionnelle. En premier lieu, la création
institutionnelle en se basant sur la notion de l’entrepreneuriat institutionnel a reçu le plus
d’attention de la part des chercheurs en organisations. Ce type de travail institutionnel
correspond à la mise en place et à la légitimation de nouvelles règles institutionnelles, de
nouvelles pratiques et de nouveaux standards. En second lieu, les acteurs en place dans un
champ organisationnel doivent, sous certaines conditions, déployer des efforts considérables
pour maintenir les institutions face aux nouveaux entrants dans les organisations ou dans le
champ organisationnel ; face aux changements technologiques ou démographiques ; ou face à
l’évolution du champ organisationnel dans des directions nouvelles et inattendues (Lawrence
et Suddaby, 2006). En dernier lieu, la déstabilisation des institutions nous ramène aux acteurs,
qui souhaitant un changement dans les institutions existantes, doivent convaincre les autres
acteurs du champ organisationnel de se détourner de ces institutions. Il peut y avoir par
exemple, « une remise en cause des croyances, et des fondements moraux et coercitifs des
institutions » (Ben Slimane et Leca, 2010). Les institutions peuvent être déstabilisées) par
l’action individuelle ou collective des acteurs si leurs intérêts ne se trouvent pas dans les
arrangements institutionnels existants (DiMaggio, 1991).
INTRODUCTION GENERALE
9
Les apports des travaux sur les logiques institutionnelles, l’entrepreneuriat institutionnel et le
travail institutionnel nous servent ainsi de cadre de référence théorique pour analyser et
comprendre les conséquences d’un choc exogène sur les stratégies institutionnelles des
acteurs d’un secteur d’activité qui, dans notre recherche, peuvent être soit les nouveaux
entrants sucriers ou les acteurs « traditionnels » (en place) de la filière légumes à Maurice.
Cette problématique peut être décomposée en trois questions de recherche principales :
Quels sont les facteurs qui déterminent le choix du type de travail institutionnel?
Quelles sont les conditions objectives et subjectives qui permettent aux acteurs
(nouveaux entrants ou en place) d’agir sur les logiques institutionnelles existantes
dans un champ organisationnel ?
Quelles sont les différentes formes de travail institutionnel qui sont utilisées pour
créer, maintenir, ou déstabiliser des institutions ?
Pour répondre à ces questions de recherche, nous avons choisi une démarche de recherche
abductive basée sur des allers retours entre la théorie et le terrain que nous présentons dans la
section suivante.
I-3 La démarche méthodologique de la recherche
La revue de la littérature de la SNI nous permet de construire des grilles de lecture que nous
adapterons à notre champ d’investigation.
Ainsi, l’objet de notre recherche est de traiter de l’apport du travail institutionnel et de ses
conséquences sur les institutions d’une filière agricole.
La thèse défendue dans ce travail de recherche est que le travail institutionnel
offre une perspective sociologique intéressante pour étudier les acteurs d’une filière,
ce qui ajoute une autre dimension en permettant une micro-analyse des dynamiques
de filières agricoles.
INTRODUCTION GENERALE
10
Une étude exploratoire de notre champ de recherche, la filière légumes, nous permettra de
mieux identifier les acteurs clés, nouveaux entrants et acteurs en place, et d’affiner notre
problématique générale. Nous nous intéresserons ensuite à ces acteurs clés pour comprendre
leurs actions et réactions face aux changements dans leur champ organisationnel, déclenchés
par l’arrivée des nouveaux entrants.
Nous préciserons ensuite les propositions de recherche et mettrons en place une méthodologie
adaptée pour tester la validité de nos propositions de recherche.
Notre recherche utilisera principalement des méthodes qualitatives (analyse de discours et
entretiens avec les acteurs et études de cas).
I-4 Intérêts de cette recherche
Sur le plan académique, notre recherche propose d’utiliser la SNI pour analyser les
comportements stratégiques dans une filière agricole. Il s’agit là d’une originalité majeure car
les nombreux travaux qui concernent le secteur agricole ont généralement mobilisé
l’économie néo-institutionnelle pour les analyses de filière, ou les analyse de chaîne de valeur
et l’économie néo-institutionnelle. Notre ambition est de montrer que l’utilisation de la
perspective institutionnelle dans une analyse de filière, à travers la sociologie néo-
institutionnelle étendue, apportera des éclairages plus larges sur les aspects sociologiques et
humains des comportements des acteurs/organisations.
Sur le plan managérial, notre recherche apportera des éléments de réflexion et d’action pour
les professionnels (sucriers et de la filière légumes) et surtout pour l’orientation des politiques
publiques de soutien. La perspective institutionnelle au sein des études organisationnelles
permet aux praticiens de comprendre que les institutions ne sont pas stables, et que les
acteurs/organisations peuvent agir intentionnellement de façon individuelle ou collective,
pour les changer en fonction de leurs intérêts.
INTRODUCTION GENERALE
11
I-5 Plan de la thèse
Afin de répondre à notre problématique de recherche, cette thèse s’articule autour de deux
parties : la première partie présentera l’ancrage théorique, le contexte de la recherche, et les
propositions de recherche ; et la deuxième partie abordera la démarche méthodologique ;
l’analyse des résultats et la discussion des résultats.
La première partie, divisée en trois chapitres, justifiera le cadre conceptuel retenu et
contextualisera la problématique. Le chapitre 1 présentera les apports de la sociologie néo-
institutionnelle en soulignant les concepts clés qui en font sa richesse : les institutions, le
champ organisationnel, les logiques institutionnelles, la communauté d’acteurs, le
changement institutionnel, les conditions favorisant l’émergence d’entrepreneurs
institutionnels et le travail institutionnel. Les apports du cadre théorique nous permettront
d’élaborer un modèle conceptuel. Le chapitre 2 exposera le contexte de la recherche et
présentera les deux filières canne à sucre et légumes à Maurice. Nous examinerons le cadre
institutionnel de chacune des deux filières en mettant l’accent sur les pratiques
institutionnalisées existantes. Nous analyserons ensuite les évolutions dans les deux filières en
termes de chocs exogènes et endogènes. Le chapitre 3 exposera l’étude exploratoire et ses
apports à la formulation des propositions de recherche.
La deuxième partie présentera en premier lieu notre posture épistémologique, et justifiera le
design de la recherche ; et en deuxième lieu présentera les résultats et la discussion. Le
chapitre 4 présentera une revue de littérature autour des méthodologies qualitatives. Il définira
aussi le cadre d’analyse choisi pour répondre à notre problématique, ainsi que la stratégie de
recherche et le protocole de l’étude empirique. Le chapitre 5 exposera les résultats empiriques
de nos enquêtes qualitatives et le test de nos propositions de recherche. Le chapitre 6 portera
sur les discussions des résultats à la lumière de la littérature et des développements
empiriques observés.
Enfin la conclusion générale présentera une synthèse des principaux résultats obtenus dans le
cadre de notre recherche, et identifiera les apports, les limites et les prolongements de la
recherche.
INTRODUCTION GENERALE
12
La figure 1.0 présente la structure générale de la thèse.
Figure1 1.0 : Structure générale de la thèse
Ad
du
ctio
n
Introduction Générale
Première partie:
L’ancrage théorique
et la contextualisation du problème
Chapitre 1:
Les apports de la sociologie néo institutionnelle
à l’analyse de filières agricoles
Chapitre 2 :
Le contexte de la
recherche :
Les filières canne à
sucre et légumes
mauriciennes
Chapitre 3 :
Les propositions de
recherche
Conclusion de la partie théorique et contextuelle
Résumé d’un cadre d’analyse de l’apport des
logiques institutionnelles et du travail
institutionnel dans une analyse de filière
Deuxième partie:
Méthodologie et Résultats
Chapitre 4:
Méthodologie de recherche
Chapitre 5 :
Les résultats des enquêtes et études de cas
Chapitre 6 :
Discussion
Conclusion Générale
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
Chapitre 1:
Les apports de la sociologie néo institutionnelle
à l’analyse de filières agricoles
PREMIERE PARTIE:
L’ANCRAGE THEORIQUE ET
LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
Chapitre 2 :
Le contexte de la recherche :
Les filières canne à sucre et légumes mauriciennes
Chapitre 3 : Les propositions de recherche
Conclusion de la partie théorique et contextuelle
Résumé d’un cadre d’analyse de l’apport des logiques institutionnelles
et du travail institutionnel dans une analyse de filière
14
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
Cette première partie de la thèse construit notre objet de recherche, qui porte sur les
interactions entre institutions et acteurs, et que nous proposons d’investir à l’île Maurice.
Le choix de l’île Maurice comme cadre d’étude se justifie par le fait que le cas d’un petit
état insulaire faisant face à une restructuration de ses filières agricoles du à des
changements à un niveau macro économique et global, n’est pas un cas isolé mais le cas
d’autres pays du Sud.
La première partie de la thèse est divisée en trois chapitres :
Le chapitre 1 mobilisera le référentiel théorique suite aux questions de recherches
définies dans l’introduction générale. Le cadre théorique mobilisé sera la sociologie néo
institutionnelle étendue et ses concepts clés tels que les logiques institutionnelles, et le
travail institutionnel qui nous permettront de mieux comprendre la relation récursive entre
les institutions et les acteurs/organisations, de conceptualiser notre problématique et
d’avancer un modèle conceptuel.
Le chapitre 2 contextualisera la problématique générale et donnera tout d’abord une
description des filières sucre et légumes par rapport à leurs cadres institutionnels
respectifs, et l’organisation des filières. L’importance du protocole sucre pour la filière
sucre sera ensuite souligné ainsi que les conséquences directes et indirectes de sa réforme
pour les filières sucre et légumes respectivement. L’objectif de ce chapitre sera de donner
les éléments qui ont structuré les environnements institutionnels des deux filières pour
pouvoir expliquer le travail institutionnel des acteurs concernés.
Le chapitre 3 présentera les apports du terrain exploratoire. Ce terrain exploratoire
permettra de mieux cerner la problématique de terrain et de l’affiner pour formuler les
propositions de recherche.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
Chapitre 1:
Les apports de la sociologie néo institutionnelle
à l’analyse de filières agricoles
PREMIERE PARTIE:
L’ANCRAGE THEORIQUE ET
LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
Chapitre 2 :
Le contexte de la recherche :
Les filières canne à sucre et légumes mauriciennes
Chapitre 3 : Les propositions de recherche
Conclusion de la partie théorique et contextuelle
Résumé d’un cadre d’analyse de l’apport des logiques institutionnelles
et du travail institutionnel dans une analyse de filière
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
16
Chapitre 1 : Les apports de la sociologie néo
institutionnelle à l’analyse de filières
agricoles
Introduction
Dans ce chapitre nous allons construire notre cadre de référence théorique en utilisant les
apports conceptuels de la sociologie néo-institutionnelle (SNI), dans les études
organisationnelles, ce qui nous permettra de conduire une analyse de filière avec une
perspective néo-institutionnelle. Il nous a semblé pertinent de comprendre tout d’abord
brièvement comment la perspective institutionnaliste a été incluse dans les travaux en
économie, mais aussi dans d’autres disciplines telles que la sociologie. Nous verrons ensuite
de manière plus approfondie la relation entre la théorie institutionnelle et les études
organisationnelles jusqu’à l’émergence de nouvelles approches institutionnelles dans les
années 1970. Nous nous intéresserons à une de ces approches en particulier, la sociologie néo-
institutionnelle étendue Nous utiliserons les concepts clés de cette approche pour construire
un modèle conceptuel qui nous permettra de mettre en relation les éléments qui sont
déterminants dans le processus de changement institutionnel au niveau de notre filière à être
analysée.
Ce chapitre a deux objectifs principaux : premièrement justifier le choix conceptuel de la SNI
dans une analyse de filière ; et deuxièmement utiliser les fondements de la SNI pour répondre
à notre problématique et formuler nos propositions de recherche théorique. Pour atteindre le
premier objectif nous essayerons de souligner comment la SNI peut nous aider à mieux cerner
de quelle façon les acteurs d’une filière agissent sur les institutions. La réflexivité des acteurs
et le travail institutionnel qu’ils entreprennent dans une filière pour agir sur les institutions
peut être appréhendé d’un point de vue sociologique. Ainsi la SNI peut nous aider à répondre
à notre problématique qui est de comprendre comment les acteurs peuvent agir pour causer un
changement institutionnel et quels sont les facteurs explicatifs qui permettent aux acteurs
d’agir dans un sens ou dans un autre.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
17
SECTION 1 : Les premières perspectives institutionnalistes
Cette section nous permettra de comprendre le cheminement de la perspective
institutionnaliste dans la littérature et plus spécifiquement dans deux disciplines majeures,
l’économie et la sociologie. Nous verrons ensuite comment la théorie institutionnelle s’est
associée à la théorie des organisations de par les travaux de chercheurs sur les dimensions
non-rationnelles des organisations.
1.1 Les premières perspectives institutionnalistes en économie et
sociologie
Bien que la littérature nous renvoie aux premières perspectives institutionnelles dans des
disciplines telles que l’économie, la science politique et la sociologie, nous nous intéressons
plus particulièrement aux disciplines de l’économie et de la sociologie car ces deux
disciplines ont fortement influencé par la suite les nouvelles approches institutionnelles
avancées par les sociologues et les chercheurs organisationnels (Scott, 2008).
1.1.1 Les premières perspectives institutionnelles en économie
Les plus anciens arguments institutionnels, dans la discipline de l’économie, trouvent leurs
origines en Allemagne et en Autriche vers la fin du 19e siècle à travers le Methodenstreit, le
fameux débat entre la méthode scientifique et les sciences sociales (Chavance, 2007 ; Scott,
2008). Ce débat, mené par Gustave Schmoller de l’école historique Allemande de 1900 à
1904 contre le principal défenseur de l’économie classique, Carl Menger, a pour but de
contester l’homo oeconomicus et les hypothèses simplistes dans l’économie néoclassique,
pour promouvoir des modèles beaucoup plus réalistes qui intègrent le comportement humain
(Scott, 2008). L’école historique Allemande avance que les processus économiques opèrent
dans un cadre social façonné par des forces culturelles et historiques. Les idées de l’école
historique de Schmoller sont reprises au début du 20e siècle par trois économistes
institutionnalistes américains influents: Thorstein Veblen, John Commons et Westley
Mitchell. Ces trois chercheurs, bien qu’ayant certains points de vues divergents, sont très
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
18
critiques envers les modèles économiques conventionnels pour leurs hypothèses qui ne
correspondent pas à la réalité, et le peu d’attention portée aux effets des évolutions historiques
dans la théorie économique. Selon Scott (2008), Veblen suggère que le comportement humain
dans ses relations de groupe est fortement influencé par les habitudes et les conventions ;
Commons, lui, suggère l’utilisation de la transaction, au lieu du choix individuel, comme une
unité d’analyse économique plus appropriée tout en insistant sur les règles de conduite (les
institutions) qui délimitent la poursuite des objectifs des individus et des organisations ; et
Mitchell est le pionnier dans la collecte de données empiriques pour illustrer les principes
économiques qui selon lui doivent être basées sur des faits et non pas sur des théories
abstraites et déductives. Les travaux de ces trois économistes institutionnalistes ont servi à
élaborer des disciplines telles que l’économie du travail, les relations industrielles, et
l’économie industrielle.
1.1.2 Les premières perspectives institutionnelles en sociologie
Les travaux utilisant les premières perspectives institutionnelles dans la sociologie ont été très
présents depuis la fin du 19e siècle débutant avec les travaux d’Herbert Spencer qui avancent
que la société est un système organique qui évolue dans le temps en s’adaptant à son contexte
ou environnement grâce à ses «organes» qui sont structurés comme des sous-systèmes
institutionnels (Scott, 2008). Bien que l’analogie à la biologie de Spencer ne soit pas
conservée par les sociologues des générations futures, la centralité des institutions comme un
aspect d’étude sociologique important est reconnue. Ainsi Kingsley Davis en 1949 définit les
institutions comme « une série de folklores, de mœurs et de lois entrelacés et construits autour
d’une ou plusieurs fonctions. ». Selon Scott (2008) les textes majeur(e)s en sociologie depuis
au moins un siècle ont mis l’accent sur l’importance de systèmes normatifs qui gouvernent les
différentes sphères de la société. L’importance des institutions se retrouve aussi dans les
travaux de Cooley (1956) sur l’interdépendance des individus et des institutions. Hughes
(1936), donnant suite au modèle de Cooley, identifie les éléments essentiels des institutions
comme une séries de mœurs et/ou de règles formelles, qui ne peuvent être accomplies que par
des personnes agissant de façon collective et avec des capacités complémentaires. Cependant
en dépit de tous ces travaux, la sociologie des organisations ne donne pas suffisamment
d’attention à la perspective institutionnelle durant la période 1920 à 1970 (Scott, 2008).
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
19
En retraçant l’analyse institutionnelle associée à la sociologie dans la tradition européenne, on
retrouve en premier lieu la contribution de Karl Marx, dont le travail durant les premières
décennies de la révolution industrielle, met l’accent sur la construction sociale de la réalité.
Deux autres figures majeures sont le sociologue français, Emile Durkheim et l’allemand Max
Weber. Durkheim (1895) définit les faits sociaux comme « (…) des manières d’agir, de
penser et de sentir, extérieures aux individus, et qui sont douées d’un pouvoir de coercition en
vertu duquel elles s’imposent à eux». Pour Durkheim (1895), les individus subissent à leurs
insu des pressions externes qui régissent leurs comportements dans une société. Selon
Durkheim, les institutions sont les produits d’activités conjointes et associatives qui
permettent « d’instituer » en dehors de l’être humain, des façons, initialement subjectives,
d’agir et de juger (Alexander, 1983). De son côté, les écrits de Max Weber, juriste,
sociologue, économiste, historien et philosophe allemand, qualifié d’ « homme d’une
érudition encyclopédique » par Aim (2010), ne mentionnent pas explicitement le concept
d’ « institution », mais avancent comment les règles culturelles définissent les structures et
comportements sociales (Scott, 2008). Weber développe aussi une nouvelle discipline, la
sociologie économique en adoptant les arguments institutionnalistes de l’approche historique
et comparative associée à l’économie, tout en étant d’accord avec Carl Menger sur
l’utilisation des modèles théoriques pour généraliser à partir de systèmes historiques
spécifiques. Ce faisant, Weber développe le concept d’idéaux-types qui sont produits à partir
de l’abstraction d’évènements ou de faits spécifiques et concrets, et qui peuvent guider et
instruire les chercheurs dans des études comparatives pour aider à mieux comprendre le
monde réel.
Le sociologue français Pierre Bourdieu (1971, 1973) combine les arguments de Marx et de
Durkheim en analysant le pouvoir de certains groupes à imposer leurs connaissances et leurs
conceptions de la réalité aux autres. Les travaux de Bourdieu ont influencé les chercheurs en
organisation des années 1980, en particulier sa conception de l’arène sociale, qui est reprise
par DiMaggio et Powell (1983) dans leur définition du champ organisationnel pour mieux
situer le lieu des processus institutionnels qui façonnent les organisations.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
20
Cette revue de littérature sur les premières perspectives institutionnelles dans les sciences
sociales démontre que les institutions ont été identifiées et analysées très tôt par les
chercheurs en sciences sociales. Cependant d’un autre côté, les études organisationnelles ne
trouvent leurs origines que durant la période de 1937 à 1947 (March,1965). La section
suivante est une revue de littérature sur les travaux reliant les études organisationnelles à la
théorie institutionnelle jusqu’à l’émergence des nouvelles approches institutionnelles (ou néo-
institutionnelles) vers la fin des années 1970.
1.2 La rencontre entre la théorie institutionnelle et les études
organisationnelles
Les recherches reliant les études organisationnelles et les arguments institutionnels ont
commencé au début des années 1940. En se basant sur les travaux de Max Weber sur la
bureaucratie et ses conséquences sur le comportement des organisations, des chercheurs
comme Robert Merton et Philip Selznick de l’université de Columbia ont conduit de
nombreuses recherches qui ont servi à établir la base des études organisationnelles. Selznick
(1948), influencé par les travaux de Merton (1936) sur les conséquences imprévues de
l’action intentionnelle et sur d’autres travaux de Merton sur la bureaucratie, a été une figure
de proue de l’analyse institutionnelle des organisations. Dans son papier de 1948 sur les
fondations de la théorie des organisations, Selznick insiste sur l’importance de comprendre les
dimensions non-rationnelles des organisations. Pour cet auteur, les organisations ne sont pas
seulement des structures mécanistes mises sur pied pour parvenir à des objectifs précis, mais
surtout des systèmes organiques et adaptatifs qui sont affectés par les caractéristiques sociales
de leurs participants et de l’environnement institutionnel où ils opèrent (Selznick, 1948). Dans
son livre sur le leadership dans l’administration, Selznick (1957) nous décrit
l’institutionnalisation comme un processus qui affecte une organisation sur la durée et qui
reflète l’histoire distincte de l’organisation, et la façon dont elle s’est adaptée à son
environnement. Pour Selznick (1957), l’institutionnalisation est une façon pour l’organisation
« d’insuffler des valeurs bien au-delà des besoins purement techniques de l’organisation ». Un
des étudiants de Selznick, Arthur Stinchcombe (1968) ajoute la notion de pouvoir et d’action
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
21
agentique4 en définissant l’institution comme « une structure dans laquelle les personnes,
possédant le pouvoir, s’engagent par rapport à des valeurs ou des intérêts. » Les travaux de
Merton, Selznick et Stinchcombe ont ainsi posé les fondations d’un modèle institutionnel
(Scott, 2008).
Talcott Parsons est un autre auteur majeur reliant l’institutionnalisme aux organisations. Les
travaux de Parsons (1956a, 1956b) mettent l’accent sur la « structure » des organisations qu’il
décrit en utilisant deux perspectives : la perspective culturelle-institutionnelle qui utilise les
valeurs et leurs institutionnalisations, et la perspective du rôle des participants des
organisations. Parsons examine la relation entre les organisations et leur environnement en
avançant que les organisations se légitiment par rapport aux structures normatives élargies qui
prévalent dans les sociétés (Parsons, 1956a).
Deux autres auteurs, Herbert Simon et James March, de l’école de Carnegie, ont aussi
fortement contribué à l’avancement de la théorie institutionnelle. Herbert Simon, économiste
et chercheur américain, a été le premier à parler de la rationalité limitée des individus. Simon
rencontre les limites de la rationalité dans son étude de 1945 sur la prise de décision dans une
administration, et formule le concept de rationalité limitée en 1957 par opposition à la
rationalité parfaite du modèle économique classique (Quinet, 1994). Pour Simon et March, les
valeurs, les cadres cognitifs, les règles et les routines conduisent les individus à se comporter
de façon rationnelle (Scott, 2008). Ainsi selon Simon (1997) « l’individu rationnel est, et doit
être, un individu organisé et institutionnalisé ».
Cette section nous a permis d’établir les liens entre la théorie institutionnelle et les études
organisationnelles. Nous avons survolé les travaux théoriques et empiriques des auteurs clés
qui ont permis à l’institutionnalisme de trouver sa place dans l’étude des organisations, de
même que les concepts importants qui ont aidé à façonner la tournure et l’importance de
l’institutionnalisme pour les autres chercheurs.
4 Nous traduisons le terme ‘agency’ dans la littérature anglo-américaine en empruntant la traduction
d’action ‘agentique’ de Ben Slimane (BEN SLIMANE, K. 2007. Les Stratégies Discursives de
Légitimation du Changement Institutionnel: Le Cas du MPEG4 dans la Télévision Numérique de Terre
en France. Lille: Lille Economie et Management.). A noter que le terme ‘acteur’ a remplacé celui de
‘l’agent’ dans certains courants théoriques à partir des années 1980 pour une position de refus du
déterminisme et pour aussi expliquer que l’acteur puisse agir sur son cadre institutionnel.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
22
SECTION 2 : Le néo-institutionnalisme dans les études organisationnelles
Vers la fin des années 1970, la théorie institutionnelle connaît un renouveau dans les sciences
sociales, et est précédée du qualificatif ‘néo’ dans les travaux contemporains (DiMaggio et
Powell, 1991). Cette résurgence de la perspective institutionnelle donne lieu à de nombreux
néo-institutionnalismes dans des domaines divers et variés tels que l’économie, la théorie des
organisations, la science politique, la théorie des choix publics, l’histoire et la sociologie. Au-
delà de leurs divergences, ces différentes approches néo-institutionnelles concordent sur
quelques points: le rejet d’une conception atomistique des processus sociaux (DiMaggio et
Powell, 1991) ; l’importance des dispositifs institutionnels (DiMaggio et Powell, 1991; Rizza,
2008); l’importance des institutions pour définir un comportement homogène des individus; et
finalement les institutions vues comme le produit de l’interaction humaine (Rizza, 2008).
Dans cette section, nous examinerons brièvement la perspective du néo-institutionnalisme
dans deux disciplines, l’économie, et la sociologie des organisations. Nous voyons ensuite
comment la perspective néo institutionnelle est associée à l’étude des organisations avec un
fort biais sociologique.
1.3 Les fondations de la théorie néo institutionnelle
Le néo-institutionnalisme est selon DiMaggio et Powell (1991) « (…) une tentative pour
proposer des réponses nouvelles à de vieilles questions concernant la façon dont les choix
sociaux sont façonnés, médiatisés, canalisés par des dispositifs institutionnels ». Dans le
monde économique, le fait de concevoir les institutions comme « la simple somme de
caractéristiques individuelles » (DiMaggio et Powell, 1991), et d’accorder peu d’attention au
contexte social et à la stabilité des institutions, a eu un coût social élevé. Au sein des études
organisationnelles, la perspective institutionnelle permet de mieux rendre compte, à travers
des modèles alternatifs, de la réalité organisationnelle découlant des études empiriques
(DiMaggio et Powell, 1991).
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
23
1.3.1 Le néo institutionnalisme dans la discipline de l’économie
Le néo-institutionnalisme en économie se nourrit de plusieurs contributions, selon Langlois
(1986), telles que les travaux de Simon (1997) sur la rationalité limitée, l’analyse des coûts de
transactions et des droits de propriétés, inspirée des travaux de Coase (1937), les travaux de
Hayek (1948) de l’école Autrichienne moderne, les travaux de Schumpeter (1935) sur
l’innovation, et la théorie évolutionniste développée par Nelson et Winter (1982). Une
branche très étudiée de l’économie néo institutionnelle, l’économie des coûts de transactions,
concernée par les règles et systèmes de gouvernance, s’est développée autour des travaux de
Ronald Coase (1937). La ‘grande idée’ de Coase (1937) est de poser la question sur la nature
de la firme et son importance, de voir au-delà de la boîte noire qui représente la firme dans
l’économie néoclassique, et d’introduire de façon explicite les coûts de transactions dans
l’analyse économique. Son idée est reprise bien plus tard et développée par Williamson
(1975). Stigler (1989) reprend une autre idée de Coase, tirée de son papier de 1960 sur les
problèmes des coûts sociaux, et la formule comme le théorème de Coase. La nouvelle
économie institutionnelle (NEI) est aussi reprise par des historiens de l’économie (North,
1981); des spécialistes du droit et de l’économie (Posner, 1981), des théoriciens des jeux
(Schotter, 1981) et des économistes des organisations (Alchian et Demsetz, 1972; Nelson et
Winter, 1982; Grossman et Hart, 1987).
Comme avancée par Williamson (1985), la nouvelle économie institutionnelle se différencie
de l’économie néoclassique par rapport aux hypothèses standards et postule que l’individu a
une rationalité limitée qui est la conséquence d’une asymétrie d’information et d’une capacité
mentale limitée à utiliser les données. A cause des incertitudes et des risques dans son
environnement, l’individu perçoit des coûts de transactions dans l’acquisition d’information
dans le cadre de ses activités. De plus l’individu peut faire preuve d’opportunisme en fonction
des situations. Les travaux de Williamson se concentrent sur les effets des différentes formes
de gouvernance sur les coûts de transactions, et considèrent donc les organisations comme des
formes institutionnelles qui prennent en considération ce qu’il appelle les « conditions
environnantes » telles que les droits de propriétés, les lois, les normes et les conventions
(Scott, 2008). Cependant d’autres économistes tels que Douglass North (1990) considèrent les
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
24
institutions comme les « règles du jeu » et les organisations comme « les joueurs » qui
emploient des stratégies pour gagner.
1.3.2 Le néo institutionnalisme dans la sociologie des organisations
Les sociologues se sont basés sur différentes théories pour constituer les approches néo
institutionnelles à la sociologie des organisations telles que la théorie cognitive, la théorie de
la culture, la phénoménologie et l’ethnométhodologie (Scott, 2008). La théorie cognitive
reconnaît la participation active des individus dans la perception, l’interprétation et la
construction de sens de la réalité. La théorie de la culture avance que la connaissance
s’acquiert dans un contexte social (Scott, 2008) et que la culture se compose de structures de
sens socialement construites (Geertz, 1973). Des travaux récents ont avancé que la culture
peut participer au changement. Swidler (1986) parle du rôle de la culture pour maintenir la
continuité dans un contexte stable, mais qui agit aussi comme une boîte à outil dans laquelle
puisent les acteurs pour définir leurs lignes d’action lors des périodes de changement.
La phénoménologie, une branche de la psychologie, est utilisée par les chercheurs en études
organisationnelles pour expliquer le comportement des individus en mettant l’accent sur les
cadres cognitifs et culturels qui permettent une définition collective d’une situation et des
stratégies d’actions partagées (DiMaggio et Powell, 1991). Dans ce sens, les données telles
que le discours, les rituels, les connaissances codifiées, et les artefacts culturels (Wuthnow,
1987) aident à analyser plus facilement les différents types de comportements.
L’ethnométhodologie (Garfinkel, 1974) se réfère à l’utilisation du bon sens développé par les
acteurs pour définir leur comportements dans une arène sociale. Les travaux dans ce domaine
analysent les comportements d’acteurs dans leurs milieux de travail pour comprendre
comment ils donnent un sens commun à leurs comportements et actions.
Les travaux et les idées des sociologues organisationnelles, comme décrit ci-dessus ont servi
de base pour initier la théorie néo institutionnelle en sociologie, mais ces travaux n’émergent
en études organisationnelles que dans les années 1970 comme décrit dans la section suivante.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
25
1.3.3 Le néo institutionnalisme dans l’analyse organisationnelle
D’après Scott (2008), l’utilisation de la théorie institutionnelle, dans les études
organisationnelles, est tout simplement une évolution et une continuation de la révolution
intellectuelle qui commence dans le milieu des années 1960 et qui introduit la théorie des
systèmes ouverts dans les études organisationnelles. Au départ, c’est l’environnement
technique de l’organisation qui prime car ce dernier est considéré comme un système de
production qui transforme les intrants en extrants. Ce n’est que plus tard au milieu des années
1970 que les chercheurs s’intéressent aux forces sociales et culturelles- l’environnement
institutionnel- dans lesquelles évoluent les organisations.
Ainsi, Silverman (1971) introduit les arguments néo institutionnels dans la sociologie des
organisations en proposant une théorie de l’action de l’organisation, pour démontrer que les
perspectives des fonctionnalistes tels que Parsons et Selznick sont trop centrées sur le
caractère stable des institutions. Pour Silverman (1971), l’environnement, dans lequel opèrent
les organisations, n’est pas seulement un réservoir d’intrants et d’extrants, mais constitue
aussi une source de connaissances et d‘interprétation pour les participants dans les
organisations. Dans la même ligne de pensée, le sociologue français, Pierre Bourdieu, lui,
emploie le concept de « champ social » en référence aux arènes sociales régies par des valeurs
et des approches distinctes. Bourdieu utilise aussi le concept « d’habitus » qui se réfère à
l’internalisation par les acteurs d’expériences passées et des perceptions, et de leurs
utilisations pour structurer leurs comportements en fonction des situations (Bourdieu, 1971).
Vers la fin des années 1970, deux articles majeurs réussissent à introduire la perspective néo-
institutionnelle dans l’étude sociologique des organisations : Meyer et Rowan (1977) et
Zucker (1977) en se basant essentiellement sur les travaux de Durkheim, et de Berger et
Luckmann, donnent ainsi naissance à la sociologie néo-institutionnelle dans les études
organisationnelles comme décrites plus en détail dans la section suivante.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
26
1.4 La sociologie néo institutionnelle (SNI) dans les études
organisationnelles
La champ théorique de la sociologie néo institutionnelle (désormais SNI) dans les études
organisationnelles trouve ses fondations à la fin des années 1970, plus précisément de 1977 à
1983 à travers la publication de plusieurs papiers fondateurs tels que ceux de Meyer et
Rowan, 1977 ; Zucker, 1977 ; Zucker, 1987 ; DiMaggio et Powell, 1983 ; et Tolbert et
Zucker, 1983. L’approche ‘néo’ institutionnelle émerge par opposition au ‘vieil’
institutionnalisme de Selznick et de ses collègues bien que les deux approches rejettent les
modèles traditionnels de rationalité illimitée, et la perspective que les choix des organisations
sont contraints par leur culture et leur environnement (Powell et DiMaggio, 1991). Les deux
approches divergent sur plusieurs aspects : le vieil institutionnalisme considère l’organisation
comme l’institution, et a une perspective plus politique et localisée de l’environnement
organisationnel ; tandis que le nouvel institutionnalisme a une vue plus holiste de
l’environnement organisationnel et rejette l’aspect fonctionnaliste des organisations, en
analysant les effets des influences inter organisationnelles, de la conformité, et de la culture
sur les organisations (Powell et DiMaggio, 1991)
Les travaux des auteurs néo-institutionnalistes cités plus haut se distinguent de la théorie de la
contingence structurelle en ayant premièrement des perspectives plus larges de
l’environnement qui va au-delà des aspects techniques et économiques pour inclure des
dimensions symbolique et culturelles. En second lieu, la structure organisationnelle est perçue
de façon symbolique comme reflétant les caractéristiques de l’environnement au-delà des
préoccupations d’efficacité de l’organisation.
Dans les sections suivantes, nous examinons en détail la richesse des apports de la sociologie
néo-institutionnelle dans les études organisationnelles à travers les concepts clés tels que
l’institution, les règles institutionnelles, le champ organisationnel, l’isomorphisme, et la
légitimité. Nous voyons ensuite comment la SNI a évolué au début des années 1990 pour
répondre à des critiques sur sa perspective déterministe des institutions sur les organisations
en développant l’approche de l’entrepreneuriat institutionnel. Une décennie et demie plus
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
27
tard, des critiques sur cette dernière approche ont donné lieu à une approche étendue, celle du
travail institutionnel. Nous utiliserons les apports des deux dernières approches,
l’entrepreneuriat institutionnel et le travail institutionnel issus d’une sociologie néo-
institutionnelle étendue, pour construire notre modèle conceptuel et l’adapter à une analyse de
filière agricole.
1.4.1 La notion d’institution dans la sociologie néo-institutionnelle
Comme nous l’avons vu précédemment, la notion d’institution a longtemps été le pilier de la
théorie sociologique avec des auteurs tels que Parsons, 1951, Selznick, 1949, 1957, mais elle
a pris de l’importance dans les études sur les organisations dans les travaux de recherches de
Meyer et Rowan, 1977; Zucker, 1977, 1983 ; DiMaggio et Powell 1983; Powell et DiMaggio,
1991, entre autres.
La littérature nous offre plusieurs définitions du concept d’institution. Nous reprenons celle
de Scott (2008) qui nous semble la plus complète : « les institutions sont constituées
d’éléments régulateurs, normatifs, et culturels-cognitifs, qui associés à des activités et
ressources, donnent une stabilité et un sens à la vie sociale». La définition de Scott fait suite
aux travaux de DiMaggio et Powell (1983) qui font la distinction entre les institutions
coercitives, mimétiques et normatives. Scott (2008) poursuit ces travaux et distingue ainsi
trois types d’éléments qui soulignent l’ordre institutionnel : les éléments coercitifs
(régulateurs), les éléments normatifs, et les éléments culturels-cognitifs.
D’après Hoffman (1997), les trois éléments (ou piliers) des institutions forment un continuum
du « conscient à l’inconscient, de ce qui est régi par la loi à ce qui est pris pour acquis ».
Scott (2008) décrit, dans le tableau 1.0 suivant, les différences entre les trois éléments pour
nous permettre de mieux appréhender leur contribution individuelle aux institutions. Dans un
contexte idéal, ces trois éléments pourraient être interdépendants et se renforcer mutuellement
pour contribuer à constituer une structure sociale très puissante.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
28
Tableau1 1.0 : Les trois piliers des institutions
Piliers Régulateur Normatif Culturel-cognitif
Moyen pour respecter
les piliers
Opportunisme Obligation sociale Pris pour acquis
Compréhension
partagée
Base pour établir
l’ordre
Lois Attentes
contraignantes
Schéma de
comportement
Mécanismes Coercition Normes Mimétisme
Logique Instrumentale Pertinence Orthodoxie
Indicateurs Lois
Règles
Sanctions
Certification
Accréditation
Croyances communes
Logiques d’actions
communes
Isomorphisme
Impact Peur, culpabilité/
l’innocence
Honte/honneur Certitude/Confusion
Base de légitimation Sanctionné
légalement
Gouverné par la
morale
Compréhensible
Reconnue
Soutien culturel
Source : Adapté de (Scott, 2008)
Le pilier régulateur est un élément très étudié des institutions surtout par les économistes néo
institutionnels (Williamson, 1985) et les historiens économistes (North, 1990). L’institution
coercitive impose les règles, les sanctions et le contrôle sur les activités et les comportements
des organisations. Cette forme de régulation est importante pour rendre l’institution viable, et
ce rôle de régulateur peut être joué par une tierce partie, représentée par l’état, par exemple.
Plusieurs travaux ont étudié le pilier régulateur des institutions: North et Thomas (1973)
analysent comment l’institution des droits de propriétés s’est développée dans le monde
occidental du 15e au 17
e siècle ; Williamson (1975, 1985, 1991) développe son cadre
conceptuel de marchés et de hiérarchies pour explique l’émergence de différents types de
formes organisationnelles pour réduire les coûts de transactions économiques au niveau des
entreprises.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
29
Le pilier normatif est aussi un objet d’étude de certains chercheurs, et se rapporte aux normes
qui sont nécessaires mais pas obligatoires, et qui orientent les acteurs dans leurs prises de
décisions. L’accent est sur les normes aussi bien que sur les valeurs. Scott (2008) définit les
valeurs comme « une conception de ce qui est préférable ou désirable, associé à la mise sur
pied de standards qui sont utilisés comme unités de comparaisons avec les structures et
comportements » ; et les normes comme « des spécifications de la façon de procéder ; les
normes donnent une légitimité aux moyens mis en œuvre pour atteindre des objectifs »
(DiMaggio et Powell, 1991). L’orientation de la recherche sur le pilier normatif doit beaucoup
aux travaux de Durkheim (1895) qui privilégie l’importance des institutions pour répondre
aux problèmes de vie collective. D’autres chercheurs comme March et Olsen (1989), suivant
les travaux de Durkheim, ont établi une différence entre la logique instrumentale (régulatrice)
et la logique de la conformité (normative). Les normes internalisées par les acteurs ou
imposées de l’extérieur, aident à mieux comprendre les phénomènes sociaux, politiques et
économiques (Rizza, 2008). Parmi les travaux qui ont étudié le pilier normatif des institutions,
nous retrouvons entres autres ceux de Selznick (1949) qui analysent les façons dont les
exigences procédurales sont insufflées de valeurs dans la Tennessee Valley Authority ; Roy
(1952) et Burawoy (1979) qui analysent l’institutionnalisation des cadres normatifs de
production parmi les ouvriers d’un atelier d’usinage ; et Brunsson et Jacobson (2000) qui
analysent la construction de standards par des associations professionnelles et des
organisations non-gouvernementales au niveau international.
Le pilier culturel-cognitif est la principale caractéristique distinctive de la SNI dans les études
organisationnelles (Scott, 2008). L’utilisation du terme culturel-cognitif par Scott (2008) se
réfère aux processus internes d’interprétation (cognitif) qui sont formés par les structures
culturelles externes. La conceptualisation des cultures varie car les croyances divergent
(DiMaggio, 1997). Les acteurs se conforment au pilier culturel-cognitif parce que les routines
sont prises pour acquises comme des modes de comportements acceptés, et que d’autres
formes de comportements seraient inconcevables (Scott, 2008). L’institution cognitive est
basée sur le fait que les institutions sont construites au fil du temps, ancrées sur les
expériences passées des acteurs qui reproduisent des comportements admissibles par tous.
L’institution constitue aussi un élément culturel qui donne un sens aux actions des
organisations. Quelques travaux qui examinent le pilier culturel-cognitif des institutions
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
30
incluent entres autres : Meyer (1994) qui examine le processus culturel qui favorise
l’émergence de formes organisationnelles dans divers contextes ; Dobbin (1994) qui analyse
les divers systèmes de croyances culturelles qui ont façonné les politiques sociaux derrière la
construction des systèmes ferroviaires aux Etats unis, en Angleterre, et en France ; Deephouse
(1996) et Hoffman (1997) qui utilisent l’analyse de discours et autres formes d’analyses de
contenus, au niveau du champ organisationnel pour évaluer la construction de sens dans les
banques et l’environnement corporatiste.
Les trois types piliers institutionnels donnent chacun un motif différent pour légitimer les
actions des acteurs-organisations, par exemple, en offrant une base légale, une autorisation
morale, ou un soutien culturel-cognitif.
Suchman (1995) définit la légitimité comme « une perception généralisée ou une supposition
que les actions des entités sont désirables, correctes, ou appropriées dans un système
construits de normes, valeurs, croyances et définitions. ». Les théoriciens de la dépendance
aux ressources comme Pfeffer et Salancik (1978) renforcent la dimension évaluative de la
légitimité bien qu’ils soulignent aussi l’importance de la dimension culturelle. Les néo
institutionnels, eux mettent l’accent sur la dimension cognitive bien plus que sur la dimension
évaluative. La définition de Suchman tente ainsi de réconcilier les deux perspectives. D’après
Scott (2003), la légitimité est « symbolique » et est un signe visible aux observateurs externes
de l’organisation.
Suchman (1995) distingue trois formes principales de légitimité : la légitimité pragmatique,
morale, ou cognitive. La légitimité pragmatique est basée sur les intérêts calculateurs d’une
organisation par rapport à son « audience proche » Suchman (1995). La légitimité morale se
réfère aux normes, croyances, valeurs et règles du champ organisationnel où opère
l’organisation et qui confèrent une « évaluation normative positive à l’organisation et à ses
activités » Suchman (1995). La légitimité cognitive se réfère à une construction partagée de
sens par les acteurs du champ organisationnel en prenant pour acquis certaines pratiques. Ce
type de légitimité se fait par l’échange d’information et le partage des représentations par les
acteurs.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
31
Zimmerman et Ziet (2002) offrent une analyse intéressante de la légitimité par rapport aux
nouveaux acteurs d’un champ organisationnel. Selon ces deux auteurs précités, la légitimité
est un « jugement social de ce qui est approprié, acceptable et désirable ». Mais le plus
important c’est que la légitimité est une ressource en soi qui permet à l’acteur d’avoir accès à
d’autres ressources lui donnant la possibilité d’opérer dans le CO et de survivre. Zimmerman
et Ziet (2002) proposent une typologie de stratégies, qui permettent aux acteurs en place ou
nouveaux dans un CO de manipuler leur niveau de légitimité, incluant la conformité, la
sélection, la manipulation et la création.
Le pilier régulateur légitime les organisations qui ont été établies légalement et qui opèrent en
conformité avec les lois qui prévalent. Les organisations internalisent les normes et le pilier
normatif est donc une conception morale pour déterminer la légitimité. La façon dont les
organisations se comportent face à une situation donnée les légitiment du point de vue du
pilier culturel-cognitif (Scott, 2008). Dans des systèmes sociaux stables, les trois piliers
institutionnels peuvent être alignés et offrent à ce moment, de par leurs forces combinées, des
pratiques stables (Scott, 2008).
En dehors de ces trois éléments constituants, l’institution peut être formelle ou informelle. Le
tableau 1.1 de Trouinard (2004) montre qu’il y a une complémentarité entre les deux types
d’institutions, et souligne le caractère dynamique des types d’institutions : des institutions
formelles deviennent, au fil du temps, informelles de par leur intériorisation par les acteurs
concernés. Cela nous ramène à la «construction sociale» des institutions selon Berger et
Luckmann (1967) où les pratiques des individus se conforment à des règles et des sanctions
formelles et ces pratiques deviennent graduellement des habitudes et des routines et
représentent la « réalité sociale ». Il arrive aussi que des institutions informelles deviennent
formelles comme dans le cas où les institutions émergent d’un consensus socialement
construit de façon informelle au départ.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
32
Tableau2 1.1 : Types d’institutions : Formelles et informelles
Institution Formelle
Structurelle
Institution Informelle
Cognitive
Représentation de l’institution Structures formelles organisées
autour de règles de
fonctionnement formalisées
Structures informelles
représentées par des coutumes,
des règles et pratiques
totalement intériorisées
Moteurs de l’action
individuelle
La contrainte et le contrôle L’habitude, les règles et les
valeurs partagées
Nature de la sanction
Sanction légale Sanction morale
Risque de sanction provenant
d’instances officielles
Risque de rejet, d’expulsion de
la part de la communauté
d’acteurs
Source : (Trouinard, 2004)
L’unité d’analyse des organisations avec une perspective néo-institutionnelle se situe au
niveau du champ où opère les organisations. La compréhension du concept du champ
organisationnel est donc primordiale comme décrite dans la section suivante.
1.4.2 L’unité d’analyse de la SNI : Le champ organisationnel
Dans les premiers travaux sur la SNI, l’unité centrale d’analyse est définie de différentes
façons: la sphère institutionnelle (Fligstein, 1990) ; le champ institutionnel (Meyer et Rowan,
1977; DiMaggio et Powell, 1991) ; le secteur sociétal (Scott et Meyer, 1991) ;
l’environnement institutionnel (Powell, 1991), et l’ordre sociale au niveau local (Fligstein,
2001). Ce n’est que plus tard que le terme de champ organisationnel (désormais CO) est
accepté par l’ensemble des chercheurs comme l’unité centrale d’analyse (Scott et Meyer,
1991). Le sociologue Pierre Bourdieu (1971) a contribué à l’emploi du concept de champ
organisationnel. Dans sa conception du CO, Bourdieu utilise l’analogie au jeu, et conçoit le
CO comme une arène sociale conflictuelle où les joueurs ont pour but de promouvoir leurs
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
33
intérêts, et où certains peuvent à un moment donné imposer leurs « règles du jeu » (voir
North, 1990) sur les autres.
DiMaggio et Powell (1983) définit le champ organisationnel comme « les organisations, qui
collectivement, constituent une zone reconnue de vie institutionnelle : les fournisseurs clés,
les demandeurs de ressources et de produits, les organismes de règlementation, et toutes
autres organisations produisant des produits et services similaires». Cette définition est
fondamentale dans l’utilisation de ce niveau d’analyse dans la SNI car elle permet de prendre
en considération la totalité des acteurs qui sont pertinents à l’analyse. Cependant, Hoffman
(1999) dans son étude sur les industries chimiques et pétrolières des Etats Unis face à la
question de l’environnement, avance que le champ organisationnel peut être aussi formé par
un collectif d’organisations regroupées autour d’une même problématique; et que
l’appartenance au champ peut se rapporter à une période définit dépendant de l’émergence, de
la croissance et du déclin de la problématique. Le champ organisationnel est aussi un niveau
d’analyse intermédiaire entre les organisations et la société, et de ce fait devient instrumental
dans la dissémination et la reproduction des pratiques socialement construites (Scott, 2008).
L’utilité du concept de champ organisationnel comme niveau d’analyse réside dans le fait que
ce concept regroupe un éventail diversifié d’acteurs et d’organisations travaillant dans un
domaine spécifique; met l’accent, pas seulement sur les organisations de producteurs, mais
aussi sur tous les autres acteurs (concurrents, clients, intermédiaires, organismes de
financement et de régulation entres autres); et la prise en considération des autres
organisations qui ont les mêmes caractéristiques et qui se concurrencent pour les mêmes
ressources (Scott, 2008). Ainsi selon Fligstein (2001) l’analyse au niveau du CO permet « une
théorisation à un niveau méso ». En choisissant un produit ou un marché comme un champ
organisationnel, ceci permet, en plus des processus de concurrences qui font l’objet d’analyse
économiques classiques, d’inclure une multitude d’acteurs qui interagissent avec les
organisations et produisent des relations sociales inter organisationnelles qui permettent la
survie de tous les participants (Fligstein, 2001).
Le champ organisationnel a plusieurs composants clés parmi lesquels les systèmes
relationnels, les systèmes culturels-cognitifs, les archétypes organisationnels, et les répertoires
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
34
d’action collective (Scott, 2008). Parmi les systèmes relationnels, le sous-système de
gouvernance est composé d’acteurs publics et privés qui utilisent des moyens de natures
régulatrices ou normatives pour exercer un contrôle sur les activités et les acteurs du CO. Les
systèmes culturels-cognitifs des CO ont pris de l’importance avec le travail de Friedland et
Alford (1991) sur les logiques institutionnelles. Ces derniers définissent la logique
institutionnelle comme « un ensemble de pratiques matérielles et de constructions symbolique
qui constituent les principes d’organisation et qui sont disponibles aux acteurs individuels et
les organisations pour élaborer». L’idée principale derrière les logiques institutionnelles est
que dans les sociétés développées, il y a des cadres de références multiples qui sont
différenciés dans des secteurs tels que l’économie, la politique, la religion etc. Les
organisations qui fonctionnent à un niveau méso sont donc confrontées à des logiques
multiples et souvent contradictoires (Scott, 2008). Les archétypes organisationnels définit, par
Greenwood et Hinings (1993), comme « un ensemble de structures et de systèmes qui
incarnent de façon constante un seul schéma d’interprétation » constituent des modèles de
formes organisationnelles, présents dans le CO, pour les acteurs individuels et les
organisations. En dernier lieu, un autre composant des CO, les répertoires d’actions
collectives, constituent les options disponibles pour les acteurs pour formuler leurs stratégies.
Cependant ces répertoires sont liés par des règles, des normes, des croyances propres au
champ organisationnel. Il est intéressant de noter que les concepts d’archétypes
organisationnels et de répertoires d’action collective aident à mieux comprendre comment les
modèles culturels-cognitifs agissent en promouvant et contraignant l’action sociale à la fois.
Ainsi, les formes organisationnelles fournissent des modèles aux acteurs pour formuler leurs
stratégies ou procédures, et à la fois contraignent les acteurs à ne pas se tourner vers d’autres
formes alternatives, mais aussi donnent un soutien essentiel aux acteurs en termes
d’acceptabilité et de légitimité (Scott, 2008).
Ayant défini les principaux composants des institutions, et le niveau d’analyse de la
perspective institutionnelle dans les études organisationnelles, nous nous intéressons
maintenant à comprendre dans les sections suivantes comment les organisations se
conforment à leur environnement institutionnel (isomorphisme) ou réagissent face aux
pressions institutionnelles en s’engageant dans un processus de changement institutionnel.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
35
1.4.3 De l’isomorphisme institutionnel au changement institutionnel
Scott (2008) note trois différentes perspectives de la relation entre les organisations et les
institutions : premièrement celle de North (1990) qui utilise une analogie au jeu pour avancer
que les institutions fournissent les règles du jeu, tandis que les organisations sont les joueurs ;
deuxièmement, celle de Williamson (Williamson, 1975, 1985) qui considère que les
organisations et leurs structures et procédures sont des institutions régulatrices qui exercent
une gouvernance sur les systèmes de production et influencent les coûts de transaction ; et
troisièmement, les sociologues qui, utilisant les aspects culturels-cognitifs des institutions,
font la distinction entre les organisations et leurs environnements institutionnels en mettant
l’accent sur les liens entre les processus opérant au niveau de la société et la structure et
l’opération d’organisations individuelles. Nous utilisons la perspective des sociologues dans
notre recherche pour analyser la relation entre les acteurs/organisations et leur environnement
institutionnel. De ce fait nous voyons comment les acteurs/organisations sont en quête de
légitimité en devenant isomorphes avec leur environnement institutionnel à travers des
pressions de nature régulatrice, normative, ou culturelle-cognitive ; mais aussi comment des
chocs exogènes ou endogènes au champ organisationnel peuvent causer un changement
institutionnel et ainsi affecter la relation entre les acteurs et leur environnement.
1.4.3.1 Isomorphisme institutionnel
Pour les sociologues néo-institutionnalistes, la légitimité des organisations se situe au niveau
des aspects structurels et procéduraux des organisations. Ainsi Meyer et Rowan (1977)
avancent que « Indépendamment de leur efficience au niveau de la production, les
organisations qui opèrent dans des environnements institutionnels très élaborés et qui arrivent
à devenir isomorphes avec ces environnements, deviennent légitimes et ont accès aux
ressources dont ils ont besoin pour survivre». De ce fait, il y a isomorphisme institutionnel
lorsque des organisations, qui se trouvent dans le même champ organisationnel, se
conforment aux règles institutionnelles et présentent ainsi des caractéristiques similaires ou
des similitudes structurelles (Dacin, 1997). L’isomorphisme institutionnel favorise le succès
et la survie des organisations. Il permet aux organisations d’éviter un questionnement de leurs
conduites. Les organisations isomorphiques deviennent légitimes, et utilisent cette légitimité
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
36
pour renforcer leurs assises et assurer leur survie (Meyer et Rowan, 1977). En résumé, les
organisations sont sous l’influence des normes culturelles et sociétales qui sont déterminantes
comme facteurs de sélection. Ces normes institutionnelles motivent les organisations à
adopter des pratiques socialement acceptables, influencent les goûts et les préférences, et
délimitent les frontières des activités économiques.
L’isomorphisme des organisations est un aspect très largement étudié dans la théorie des
organisations (voir DiMaggio et Powell, 1983; Oliver, 1988 ; D'Aunno et al., 1991 ;
Haveman, 1993 ; Slack et Hinings, 1994 ; Dacin, 1997 ; Deephouse, 1999 , Davis et al.,
2000). Cependant il y a divergence d’opinion par rapport aux facteurs qui poussent les
organisations à se ressembler. DiMaggio et Powell (1983) et Powell (1991) mettent l’accent
sur l'isomorphisme institutionnel qui analyse la possibilité de convergence de comportement
entre les structures associatives, privées et publiques. Ils observent trois facteurs de
convergence d'isomorphisme: (1) l'isomorphisme normatif : la professionnalisation de la main
d'œuvre, via la standardisation des réseaux éducatifs et des critères de recrutement ; (2)
l'isomorphisme mimétique : dans un contexte d'incertitude et de rationalité limitée, les
organisations ont tendance à s'imiter les unes les autres (Haveman, 1993) ; et (3)
l'isomorphisme coercitif : la pression exercée par l'État, notamment via les financements
publics, peut à terme imposer certains comportements, favorisant ainsi la prise en compte de
normes communes. D’un autre côté, Oliver (1988) a étudié les effets de trois déterminants de
l’isomorphisme des organisations, l’écologie des populations, l’institutionnalisation, et le
choix stratégique, et a conclu à l’importance du choix stratégique comme facteur déterminant
dans la diversité aux niveaux des organisations sur une période de temps donnée. Deephouse
(1999) propose une théorie d’équilibre stratégique qui permet aux organisations d’être à la
fois compétitives en se démarquant des autres, et d’être aussi similaires aux autres
organisations pour être légitimes dans leur environnement institutionnel. En somme, Scott
(2008) avance que les organisations individuels qui ont des activités et des formes
organisationnelles culturellement acceptable, qui reçoivent un soutien des autorités normatifs,
et qui ont l’approbation des autorités légales ont plus de chance de survie que d’autres
organisations qui n’ont pas les mêmes attributs.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
37
Cependant, plus récemment, le débat sur la structuration des organisations (qui limite les
choix et les possibilités des acteurs), et la capacité d’agence des acteurs-organisations (qui
favorise les actions et choix indépendants) (DiMaggio, 1988), remet en question la stabilité ou
l’isomorphisme des organisations dans un champ organisationnel, et pousse à analyser les
facteurs qui peuvent inciter les organisations à remettre en cause, rejeter ou abandonner des
pratiques institutionnalisées (Oliver, 1992).
La remise en question de l’isomorphisme des organisations a donné lieu à de nombreux
travaux sur le changement institutionnel et les facteurs qui peuvent causer une
désinstitutionalisation.
1.4.3.2 Changement institutionnel
Pour comprendre le processus de changement institutionnel (ou déstructuration), nous nous
référons au concept de structuration de Giddens (1984) qui avance que les structures sociales
existent et se maintiennent par un processus récursif des activités qui les produisent et les
reproduisent. DiMaggio et Powell (1983) utilisent le concept de structuration de Giddens
d’une façon plus étroite en la reliant au degré et à la nature des interactions entre les
organisations au niveau du champ organisationnel. Le niveau de structuration des
organisations dans un champ organisationnel est mesuré par des indicateurs tels que le degré
d’interaction entre les organisations, l’émergence de structures inter organisationnelles de
domination et d’alliance, l’accord sur les logiques institutionnelles qui guident les activités du
champ, le degré d’isomorphisme des formes structurelles par rapport aux organisations qui
utilisent un répertoire limité d’archétypes et d’activités collectives ; et aussi une délimitation
très claire des frontières du champ. En effet, la structuration est un processus qui selon
Greenwood et al. (2002) « décrit le processus de maturité graduelle et de spécification des
rôles, des comportements, et des interactions des communautés d’organisations ». Cependant
les frontières des champs et les comportements ne sont pas fixes indéfiniment mais sont sujets
à des conflits (Holm, 1995, Scott et al., 2000) capables de causer une déstructuration.
Pour comprendre ce qui peut causer une désinstitutionalisation des pratiques d’un champ
organisationnel, il nous semble important d’abord de cerner le processus
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
38
d’institutionnalisation dont le produit final est l’institution. Selon Scott (2008), il y a trois
différentes conceptions des mécanismes qui soulignent le processus d’institutionnalisation des
systèmes sociaux. En premier lieu, les économistes institutionnels tels que North (1990) se
concentrent sur le rôle des incitations comme une force de motivation pour encourager
l’institutionnalisation basée sur le principe des rendements croissants. En deuxième lieu, les
travaux de certains chercheurs tels que Selznick (1948), ancrés sur le pilier normatif des
institutions, et qui prônent l’institutionnalisation basée sur le nombre croissant d’engagements
de la part des acteurs par rapport aux normes et aux valeurs. En troisième lieu, les travaux des
chercheurs, tels que Berger et Luckmann (1967), ancrés sur le pilier culturel-cognitif qui
prônent l’institutionnalisation basée sur l’objectification croissante des valeurs partagées par
les acteurs.
Nous trouvons l’analyse du processus d’institutionnalisation par Berger et Luckmann (1967)
particulièrement intéressante pour comprendre la construction collective des systèmes de
connaissances. Ces deux auteurs, en se basant sur la tradition philosophique de la
phénoménologie, décompose le processus d’institutionnalisation en trois phases :
l’externalisation, l’objectivation et l’internalisation. La première phase, l’externalisation,
concerne la production, dans une interaction sociale, de symboles dont la signification est
partagée par tous les participants ; la deuxième phase, est l’objectivation, pendant laquelle les
symboles produits deviennent une réalité perçue par tous les participants ; et la troisième
phase, l’internalisation, les symboles objectivés sont rendus à la conscience collective pendant
le processus de socialisation.
Les institutions sont stables mais sont aussi exposées à des changements exogènes ou
endogènes. Les changements exogènes peuvent être dus à des déstabilisations dans des
systèmes connexes ou plus larges qui encouragent le questionnement des règles et normes
existantes, causant un changement institutionnel. Bush (1987) définit le changement
institutionnel comme une altération des systèmes de valeur du champ organisationnel. Il fait
la distinction entre les valeurs de type cérémonial (normes qui motivent le choix des
privilèges, le statut des organisations, et les relations de pouvoir entre les acteurs) et celles de
type instrumentale (normes qui motivent le choix des outils et compétences pour aider dans le
processus décisionnaire des organisations).
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
39
Il y a divergence d’opinion sur le processus du changement institutionnel. Tandis que certains
néo-institutionnalistes organisationnels suggèrent que le changement institutionnel suit un
équilibre ponctué, d’autres avancent que le changement institutionnel suit un modèle
d’évolution dans le sens écologique. C'est-à-dire, les pratiques diffusées dans le CO sont
guidées par une concurrence sélective qui favorise les organisations qui arrivent à s’intégrer
au mieux dans leur niche écologique (leur champ organisationnel). Les concepts de
dépendance au sentier et de diffusion sont centraux pour les institutionnalistes
organisationnels, mais ces concepts sont critiqués (Hirsch et Lounsbury, 1997) car ils insistent
trop sur l’importance de la structuration dans le CO, et donnent peu d’importance aux rôles
des acteurs-organisations dans le processus du changement institutionnel (Campbell, 2004).
Nous décrivons ci-dessous les différentes étapes du processus de changement institutionnel en
nous basant sur le modèle avancé par Greenwood et al. (2002) (figure 1.1) qui décrit le
processus de déstructuration d’arrangements institutionnels établis causant un changement
non-isomorphique. Le modèle théorique 1 nous servira de base, et sera enrichi au fur et à
mesure de la revue de littérature pour construire notre modèle conceptuel final (voir section
1.6).
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
40
Figure2 1.1: Modèle Théorique 1: Le changement institutionnel
Source : l’auteur d’après (Greenwood et al., 2002)
· Crises sociales, ruptures
technologiques, changement de
régulation (Greenwood et al,
2002)
· Pressions politiques et
fonctionelles, Inertie ou entropie
organisationelle (Oliver, 1992)
Désinstitutionalisation
ETAPE 1
Pertubation du champ organisationnel
par:
(a) l’arrivée des nouveaux acteurs
(b) la montée en puissance d’acteurs
existants ou d’entrepreneurs
institutionnels
Secousses
Préinstitutionalisation
· Innovations
· Nouvelles pratiques adoptées de
façon indépendante au sein des
organisations
Théorisation
· Mise en evidence d’une faiblesse
au sein du CO
· Proposition d’une solution plus
appropriée que la pratique
existante
· Légitimation de la nouvelle
pratique
ETAPE 2
ETAPE 3
Diffusion
Réinstitutionalisation
Diffusion de la nouvelle pratique à
l’ensemble des acteurs du champ
organisationnel
La pratique devient un mode de
conduite légitime parmi les acteurs
ETAPE 4
ETAPE 5
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
41
Etape 1 : La désinstitutionalisation
La première étape se réfère à une secousse qui cause une désinstitutionalisation des
arrangements institutionnels existants. Plusieurs études ont considéré les facteurs qui peuvent
déclencher un changement institutionnel, tels que les pressions de nature sociale, politique,
fonctionnelle, technologique, ou régulatrice (Oliver, 1992 ; Greenwood et al., 2002), la
libéralisation des économies et la globalisation (Stern et Reardon, 2002 ; Zhao et al., 2006;
Aulakh et Kotabe, 2008), et plus récemment le rôle des entrepreneurs institutionnels
(DiMaggio, 1988 ; Beckert, 1999; Delacour, 2007, Battilana et al., 2009) entre autres.
Nous trouvons dans cette étape du changement institutionnel, le concept de
désinstitutionalisation défini par Oliver (1992) comme « le processus à travers lequel la
légitimité d’une pratique organisationnelle établie ou institutionnalisée se trouve érodée ».
D’après Oliver, les antécédents de la désinstitutionalisation sont des pressions fonctionnelles,
politiques et sociales en sus des pressions organisationnelles d’inertie et d’entropie. Ces
pressions mènent à la dissolution ou le rejet des institutions et s’achèvent par la
désinstitutionalisation. Les pressions fonctionnelles concernent des problèmes dans le niveau
de performance ou la valeur utilitaire des pratiques institutionnalisées. Ces pressions peuvent
être reliées à des changements dans l’environnement institutionnel tels qu’une compétition
pour des ressources (Thornton, 2002; Lounsbury, 2002; Lee et Pennings, 2002; Kraatz et
Moore, 2002). Les pressions de nature politique concernent la remise en question de la
légitimité des arrangements institutionnels existants, résultant de changements dans les
intérêts et la distribution du pouvoir qui soutiennent ces pratiques. Ces pressions politiques
peuvent être en réaction à des crises de performance, des changements dans l’environnement
institutionnel, ou à d’autres facteurs qui provoquent une remise en question de la légitimité
des pratiques institutionnelles (Holm, 1995 ; Greenwood et al., 2002; Townley, 2002) . Les
pressions sociales, comme des croyances hétérogènes ou discordantes suite à une fusion entre
organisations venant de différents champs organisationnels, par exemple, ou des changements
dans les lois ou dans les attentes sociales, peuvent aussi causer un changement institutionnel
(Zilber, 2002).
D’autres changements exogènes peuvent être dus aux nouveaux entrants qui arrivent avec
leurs logiques institutionnelles et colonisent les champs organisationnels stables existants
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
42
(Scott et al., 2000; Thornton, 2004, Ramasawmy et Fort, 2010). Delacour et Leca (2011)
évoquent, par exemple, des pressions institutionnelles normatives et mimétiques (DiMaggio et
Powell, 1983) provenant de l’action collective des acteurs du CO, et qui contribuent à
désinstitutionnaliser le salon des Beaux-arts à Paris. Les sources de changements endogènes
incluent les disparités entre l’environnement macro et micro en réaction à des changements au
niveau local ; ou de mauvaises performances par rapport aux prévisions (Sewell, 1992 ; Dacin
et al., 2002).
Il est intéressant de noter que les comportements organisationnels institutionnalisés qui sont
généralement adoptés pour des raisons sociales bien plus que pour leur efficience économique
ou technique, ne sont pas à l’abri d’un rejet par les acteurs concernés si cela va à l’encontre de
leurs intérêts économiques ou d’un point de vue technique.
Etape 2 : La préinstitutionalisation
Durant cette étape, les organisations innovent indépendamment les unes des autres en
cherchant des solutions techniques aux problèmes perçus dans leurs activités.
Etape 3 : La théorisation
L’étape de la théorisation implique le développement et la spécification de catégories
abstraites, et l’élaboration d’explications causes-effets (Greenwood et al., 2002), permettant
ainsi de simplifier les nouvelles pratiques proposées, et d’expliquer les résultats escomptés.
D’après Tolbert et Zucker (1996), l’étape de la théorisation implique deux activités majeures:
premièrement, la spécification d’une importante lacune au niveau des organisations pour
laquelle la nouvelle pratique proposée est une solution; et deuxièmement, une justification de
l’innovation, et l’alignement de cette innovation avec les normes prévalentes, ce qui lui donne
une légitimité morale.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
43
Etape 4 : La diffusion
La diffusion de la nouvelle pratique auprès des organisations se fait à travers de nombreux
mécanismes, le but étant d’objectiver la pratique pour qu’il y ait un consensus parmi les
participants.
Etape 5 : La réinstitutionalisation
La nouvelle pratique est entièrement institutionnalisée quand la densité d’adoption fournit une
légitimité cognitive à cette pratique, et que les idées deviennent prises pour acquis comme
l’arrangement institutionnel le plus approprié (Greenwood et al., 2002).
Les études sur le changement institutionnel dans les années 1980 sont particulièrement
centrées sur les changements isomorphiques convergents, et les chercheurs ont beaucoup plus
étudié les effets de contextes institutionnels particuliers sur des entreprises (Tolbert et Zucker,
1983; Meyer et al., 1988). Le premier récit de changement institutionnel conflictuel se trouve
dans les travaux de DiMaggio (1991) où il relie les concepts institutionnels au concept de
structuration de Giddens (1984). L’idée principale est que les structures donnent un contexte
pour l’action mais sont à leur tour reproduites ou changées par les choix des «acteurs bien
informés, résolus, et réfléchis » (Scott, 2008). Dès le milieu des années 1970, Anthony
Giddens (1981) insiste sur la « dualité » des structures qui sont « à la fois le médium et le
vecteur des pratiques qui constituent les systèmes sociaux ». Cela donne lieu à la théorie de la
structuration de Giddens qui implique que la notion de ‘structure’ est celle d’un processus et
se réfère donc à quelque chose de dynamique (Sewell, 1992).
Les structures contraignent et permettent à la fois l’action humaine (Giddens, 1976). Pour
rendre compte de cette action humaine, les différents auteurs s’y réfèrent comme l’action
agentique que Sewell (1992) définit comme « la capacité de l’acteur à réinterpréter et à
mobiliser un éventail de ressources en termes de schémas culturels autres que les schémas qui
constituaient les ressources au départ». Ce dernier observe que tous les êtres humains sont
capables d’action agentique, c’est à dire d’avoir des désirs, de les transformer en intentions, et
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
44
d’agir de façon créative. Nous nous intéressons dans la section suivante au rôle des acteurs
dans le changement institutionnel.
1.4.3.3 Le rôle des acteurs-organisations dans le changement
institutionnel
Une des grandes critiques de la théorie néo-institutionnelle se rapporte à l’accent mis sur
l’aspect homogène des organisations dans un CO et la persistance de normes
institutionnalisées, et surtout l’abstraction faite du rôle des acteurs-organisations dans la
poursuite de leurs intérêts (DiMaggio, 1988).
Dans les premiers travaux sur l’environnement institutionnel, les effets institutionnels sont
déterministes ou ont une perspective ‘top-down’. Cela suppose que les organisations qui
réussissent, se conforment à leurs environnements institutionnels et adoptent des
comportements isomorphiques. Cependant, cette généralité sur l’homogénéité et la passivité
des organisations est subséquemment modifiée pour reconnaître que des pressions
homogénéisatrices sont certainement présentes mais dans des champs organisationnels
délimités (DiMaggio et Powell, 1983). Plusieurs études empiriques du milieu des années 1980
illustrent le fait que « les champs organisationnels sont fragmentés et conflictuels, et
contiennent des besoins et des prescriptions concurrentiels » Scott (2008). A partir des
exemples empiriques, les chercheurs commencent à reconnaître l’importance du choix et de
l’action parmi les acteurs d’un champ organisationnel. Dans son papier fondateur de 1988 sur
l’importance des intérêts et de l’action dans la théorie institutionnel, DiMaggio fait un
plaidoyer pour un réexamen du processus d’institutionnalisation en argumentant que
« l’institutionnalisation est le produit des efforts politiques des acteurs». DiMaggio (1991)
illustre ses arguments en étudiant le champ des musées d’art aux Etats Unis, et conclut que les
professionnels stimulent le changement au niveau du CO pour construire un nouveau champ
avec une nouvelle structure et une nouvelle mission pour les musées.
Oliver (1991) renforce le concept d’action agentique dans les contextes institutionnels en
combinant les arguments de la théorie institutionnelle et de la théorie de la dépendance aux
ressources. Cela lui permet de proposer différentes réactions stratégiques des organisations
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
45
individuelles face aux pressions institutionnelles. D’après Oliver, bien que la réaction la plus
probable soit la conformité, d’autres réactions incluent le compromis, l’évitement, la défiance,
et la manipulation. Oliver a aussi identifié dans la littérature les avantages que confère le
conformisme aux acteurs d’un point de vue institutionnel. Ces avantages incluent entres
autres « plus de prestige, et de stabilité, ou légitimité, ou soutien social, ou soutien interne et
externe, ou accès aux ressources, ou attractivité pour de nouvelles ressources humaines, ou
conformité aux besoins administratifs, ou légitimité auprès de la profession, et /ou
invulnérabilité face aux questions». D’un autre côté, la perspective de dépendance aux
ressources met en avant les avantages de la non-conformité comme la capacité à prendre des
décisions autonomes, la capacité à faire face et à s’adapter aux situations contingentes, la
capacité à altérer ou contrôler son environnement par rapport aux objectifs de son entreprise.
Scott (2008) ajoute un élément collectif aux stratégies individuelles proposées par Oliver en
avançant que les réactions concertées de plusieurs organisations ont aussi le potentiel de
redéfinir les règles et les logiques institutionnelles opérant dans le champ organisationnel.
D’autres travaux prennent en considération les acteurs qui donnent une signification et
insufflent la vie aux institutions (Colomy, 1998; Beckert, 1999 ; Kostova et Roth, 2002;
Lawrence et al., 2002; Townley, 2002 ; Zilber, 2002 ; Dorado, 2005). Le concept de la
capacité d’action agentique est défini par Emirbayer et Mische (1998) comme un engagement
des acteurs construit dans le temps en utilisant leur créativité, leur expérience, et leur
jugement pour résoudre des problèmes de leur champ organisationnel. Le changement
institutionnel de source endogène, est en réaction à la capacité d’action agentique, requiert
une mobilisation de ressources, et dépend des opportunités disponibles dans le CO.
Dorado (2005) propose aussi trois profils de changement institutionnel : l’entrepreneuriat
institutionnel, l’approche convergente (partaking), et l’approche collaborative (convening)5 .
Ces trois profils opèrent dans un CO conditionné par des opportunités opaques, transparentes
ou floues.
5 Traduction de l’auteur
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
46
L’entrepreneuriat institutionnel (voir section 1.5.1) se réfère à des acteurs organisés qui
utilisent le lobbying pour mobiliser leurs ressources et le soutien des autres acteurs pour
satisfaire leurs intérêts. Ces types d’acteurs cherchent un soutien auprès d’acteurs subsidiaires
(les protecteurs) dans le but de s’unir pour acquérir le soutien et l’acceptation des autres
acteurs qui sont parties prenantes du champ organisationnel. D’après Dorado (2005), les
entrepreneurs institutionnels sont plus aptes à introduire des changements innovants dans des
champs organisationnels qui sont transparents en termes d’opportunités (Garud et al., 2002).
Cependant, la position sociale des entrepreneurs peut aussi leur permettre d’identifier des
opportunités même dans des champs organisationnels qui sont opaques ou flous.
L’approche convergente est une approche collective qui se réfère aux actions et interactions
parmi les acteurs indépendants du champ organisationnel sans un but préalablement défini,
mais qui finissent par s’accumuler au fil du temps pour déboucher sur une pratique dominante
qui cause éventuellement dans le temps un changement institutionnel. L’approche
convergente ne requiert pas l’identification d’opportunités, et selon Dorado (2005), peut se
produire donc dans n’importe quel champ organisationnel peu importe la perception des
opportunités présentes. Leblebici et al. (1991) ont analysé les cycles de changement
institutionnel dans l’industrie de la radio commerciale aux Etats Unis, et ont identifié
comment la convergence des actions indépendantes des acteurs dans le champ de la radio a
causé un changement institutionnel dans un champ où les opportunités sont transparentes.
L’approche collaborative se réfère à une collaboration entre les acteurs qui après avoir
identifié un problème social complexe dans le CO, mettent leurs ressources en commun pour
affronter le problème qui est d’un intérêt collectif. Lawrence et al. (2002) ont, par exemple,
étudié le changement institutionnel apporté par une organisation non gouvernementale (ONG)
internationale pour combattre la malnutrition infantile en créant une proto-institution qui
accélère le processus de changement institutionnel.
Le tableau 1.2 présente les trois profils de changement institutionnel proposés par Dorado
(2005)
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
47
Tableau3 1.2: Profils de changements institutionnels
Profil Mobilisation des
ressources
Type d’action Perception des acteurs des
opportunités dans le champ
organisationnel
Entrepreneuriat
institutionnel
Lobbying Stratégique Opaque, transparente, floue
Convergent Accumulation
Routine Opaque, transparente, floue
Cohérent Transparente, floue
Stratégique Transparente
Collaboratif Mises en commun Stratégique Floue
Source : (Dorado, 2005)
En utilisant le modèle théorique 1 sur le processus du changement institutionnel (Figure 1.1)
d’après Greenwood et al. (2002) et les différents profils et les déterminants du changement
institutionnels de Dorado (2005), nous construisons le modèle théorique 2 (Figure 1.2).
Ce deuxième modèle théorique nous permet d’appréhender le changement institutionnel en
analysant les déterminants (que nous développerons dans la section 3) qui affectent le type
d’action agentique qui se met en place dans un champ organisationnel.
Cette section nous a permis d’avoir un aperçu de la contribution des auteurs fondateurs de la
SNI dans la promotion des concepts tels que l’institution, le champ organisationnel,
l’isomorphisme, les logiques institutionnelles, et le changement institutionnel. Cependant, ce
qui nous intéresse le plus c’est l’importance qu’on prit les acteurs/organisations dans la
sociologie néo-institutionnelle et plus spécifiquement le concept d’entrepreneur institutionnel
que nous examinerons en plus de détails dans la section suivante.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES
48
Figure3 1.2 : Modèle théorique 2: Déterminants du processus de changement institutionnel
Source: L’auteur d’après (Greenwood et al., 2002) et (Dorado, 2005)
Secousses
exogènes ou
endogènes au
champ
Organisationnel
Caractéristiques du champ
organisationnel
Degré d’hétérogénéité
Degré d’institutionalisation
Perception des acteurs
des opportunités dans le
champ organisationnel
(transparentes, opaques,
floues)
Type d’action
agentique
(stratégique,
cohérent,
routine)
Mobilisation des
ressources:
Convergent;
Collaboratif;
Entrepreneuriat
Position
sociale des
acteurs
Orientation
temporelle des
acteurs (présent,
passé, futur)
Désinstitutio-
nalisation
Préinstitutio-
nalisationThéorisationDiffusionRéinstitutionalisation
Processus du changement institutionnel
Déterminants du changement institutionnel
Profils du changement institutionnel
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
49
SECTION 3 : La sociologie néo-institutionnelle et le concept
d’entrepreneur institutionnel
Dans cette section, nous nous intéresserons en particulier au profil de l’entrepreneuriat
institutionnel car ce concept a donné lieu à de nombreux travaux empiriques. Nous verrons
les conditions qui favorisent l’émergence d’entrepreneurs institutionnels dans un champ
organisationnel et le processus de l’entrepreneuriat institutionnel. Nous aborderons ensuite
les différents types de stratégies institutionnelles utilisées par les acteurs pour agir sur les
institutions et nous terminerons sur les critiques sur l’entrepreneur institutionnel par rapport à
l’emphase des chercheurs aux dépens des autres acteurs du champ organisationnel.
1.5 La sociologie néo-institutionnelle étendue dans les études
organisationnelles
La théorie néo-institutionnelle, dans l’étude des organisations, a longtemps mis à l’écart le
comportement ‘intéressé’ des acteurs-organisations car les règles sont considérées pour
acquises par les acteurs. Les travaux sur l’entrepreneuriat institutionnel visent à construire
une théorie de l’action, car le manque d’emphase sur l’action volontaire des acteurs est une
des plus grandes faiblesses de la théorie néo-institutionnelle «courante» (DiMaggio et Powell,
1991 ; Hirsch et Lounsbury, 1997 ; Desreumaux, 2004). Les récentes études sur
l’entrepreneuriat institutionnel ont pour objectif la réintroduction de l’action agentique dans
l’analyse institutionnaliste, et donnent lieu, selon Hoffman et Ventresca (2002) au « néo-
institutionnalisme étendu ». Cette section passe en revue la richesse des travaux sur
l’entrepreneur institutionnel, ainsi que ses apports et ses limites.
1.5.1 L’entrepreneur institutionnel
De la perspective de la sociologie néo institutionnelle, l’entrepreneur institutionnel (EI, ci-
après), qui peut aussi bien être un individu, ou un groupe d’individus (Fligstein, 1997 ;
Maguire et al., 2004, Delacour, 2007, Bourcieu et al., 2010) ou une organisation ou un
groupe d’organisations (Garud et al., 2002 ; Maguire et al., 2004 ; Greenwood et Suddaby,
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
50
2006), se saisit des opportunités qui lui permettent de s’adapter de façon stratégique à son
environnement (Suchman, 1995) et ainsi favoriser le processus d’institutionnalisation de
pratiques alternatives (Lawrence et Suddaby, 2006). Le terme ‘entrepreneur institutionnel’
apparaît pour la première fois dans le papier fondateur de DiMaggio (1988), terme qu’il
emprunte à Eisendtadt (1980), où il définit les entrepreneurs institutionnels comme « des
acteurs organisés qui ont suffisamment de ressources et qui trouvent dans ces ressources une
opportunité pour réaliser des intérêts qui ont une forte valeur pour eux». Les entrepreneurs
institutionnels sont des acteurs ayant des intérêts spécifiques dans certaines structures
institutionnelles, et qui sont aux commandes de ressources qui peuvent être utilisées pour
influencer les règles institutionnalisées existantes ou pour créer de nouvelles institutions
malgré des pressions pour maintenir les normes institutionnelles existantes (DiMaggio, 1988;
Garud et al., 2007). Ces acteurs créent des normes cognitives, des modèles d’activités
économiques, des types de comportement qui correspondent à leurs intérêts, et qui visent à
les établir comme standards et légitimes vis à vis d’autres acteurs (Zimmerman et Ziet, 2002).
1.5.1.1 Le profil de l’entrepreneur institutionnel
Battilana et al. (2009) postulent que les entrepreneurs institutionnels sont des agents qui
favorisent le changement, mais qu’ils doivent remplir deux conditions pour être classés
comme entrepreneur institutionnel: (1) être à l’initiative de changements qui divergent des
normes institutionnalisées, et (2) participer activement à l’implémentation de ces
changements. Les acteurs qui initient des changements divergents, qui se démarquent du
modèle institutionnalisé, peuvent donc être considérés comme des entrepreneurs
institutionnels (Greenwood et Hinings, 1996; D'Aunno et al., 2000; Battilana, 2007). Ce
modèle institutionnalisé est souvent appelé la logique institutionnelle (Thornton, 2002 ;
2004 ; Suddaby et Greenwood, 2005) et se réfère à un champ organisationnel qui reflète la
vision partagée des objectifs des acteurs concernés. De plus, la participation active des
acteurs, qui consiste à mobiliser les ressources nécessaires aux changements divergents, est
une condition importante pour qu’ils soient considérés comme des entrepreneurs
institutionnels. Les acteurs qui ont pu introduire une nouvelle pratique divergente dans une
organisation ou dans le CO mais n’ont pas pu convaincre les autres acteurs de l’adopter sont
toujours considérés comme des entrepreneurs institutionnels.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
51
Brechet et al. (2009) nous offrent une construction théorique de « la figure de
l’entrepreneur » et décrivent quatre profils de l’entrepreneur : l’entrepreneur visionnaire,
l’entrepreneur expert, l’entrepreneur relationnel et l’entrepreneur institutionnel. Pour ces
auteurs, l’action entrepreneuriale est à la fois « fondamentalement individuelle et
fondamentalement collective ». L’entrepreneur, porteur d’un projet, ne peut développer
celui-ci sans interagir avec d’autres acteurs et il agit donc dans un collectif. Le projet
entrepreneurial s’appuie aussi sur « une personne ou des groupes de personnes qui joueront
un rôle moteur, catalyseur ou fédérateur». Ces auteurs rejoignent Sewell (1992) qui parle de
la capacité d’action agentique comme à la fois individuelle et collective dans le sens que « la
transposition des schémas et la remobilisation des ressources durant l’action agentique, sont
toujours des formes de communication avec les autres ». Pour Brechet et al. (2009),
l’entrepreneur institutionnel n’est pas un entrepreneur ordinaire mais « un acteur conscient,
visionnaire, expert de ses dossiers et animé d’un vrai projet de modifier les règles qui
prévalent dans un champ organisationnel et qui le structurent dans la longue durée ».
Notre entrepreneur institutionnel est souvent comparé à l’entrepreneur Schumpetérien qui est
un innovateur et un agent du changement. L’innovation est étroitement associée à
l’entrepreneuriat depuis les travaux de Schumpeter (1935) qui mentionnent le processus de la
« destruction créative ». Les mots clés associés à l’entrepreneur institutionnel sont la
motivation, l’intentionnalité, la poursuite des opportunités, et la quête de légitimité.
L’entrepreneur institutionnel est motivé à provoquer des changements divergents dans les
pratiques institutionnalisées. La définition de DiMaggio (1988) de l’entrepreneur
institutionnel parle de la notion d’intérêt. Cependant, au-delà de la notion d’intérêt personnel
comme mentionnée par Lawrence et al. (2005), les travaux sur l’EI qui ont suivi ont montré
que les EIs n’ont pas nécessairement un comportement intéressé (Fligstein, 2001), mais qu’ils
peuvent aussi être motivés par une idéologie (Rao, 1998); des problèmes à résoudre
(Leblebici et al., 1991), des objectifs sociétaux ou environnementaux (Buhr, 2012; Arroyo,
2012) entres autres. Cependant certaines études démontrent aussi que certains EI ont des
intérêts d’ordre matériel (Greenwood et al., 2002).
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
52
L’entrepreneur institutionnel agit de façon intentionnelle ou non-intentionnelle. Certains EIs
utilisent des stratégies institutionnelles délibérées pour agir sur les institutions tandis que des
EIs émergents peuvent, de par leurs actions combinées à d’autres intentions, changer les
structures institutionnelles. Les nombreuses exemples empiriques sur les EIs suggèrent
toutefois que les intentions des EIs sont dans la plupart des cas délibérées (Leca et al., 2006).
L’entrepreneur institutionnel est aussi en quête d’opportunités dans le CO. D’après
Schumpeter (1935), les entrepreneurs identifient des opportunités que d’autres acteurs ne
voient pas et inventent des nouvelles technologies et des concepts qui donnent lieu à de
nouvelles activités économiques. Selon Drucker (1985) les entreprises innovantes doivent
contrôler sept sources de changement car ces sources donnent lieu à des opportunités: (1)
l’inattendu- le succès ou l’échec inattendu, (2) l’incongruité- comment est le monde et
comment il devrait être, (3) un besoin de processus- trouver une meilleure façon de faire
quelque chose, (4) l’imprévu- des changements imprévus dans l’industrie ou le marché, (5) la
démographie- changement dans la population, (6) changement de perception, d’humeur, de
sens, et (7) nouvelles connaissances. Eckhardt et Shane (2003), en se basant sur les travaux
de Venkataraman (1997), définissent l’opportunité entrepreneuriale comme « les situations
où les nouveaux produits, services, matières premières, marchés et méthodes d’organisations
peuvent être introduits à travers la formation de relations de cause à effet ». Plus récemment,
Chabaud et Messeghem (2010) mettent l’accent sur le paradigme d’opportunité comme un
paradigme intégrateur des différentes approches théoriques à travers le champ de
l’entrepreneuriat.
En dernier lieu, la quête de légitimité est un autre aspect du processus entrepreneurial, et
permet à l’entrepreneur d’utiliser ses capacités managériales pour exploiter les opportunités
identifiées dans le champ organisationnel. Lawrence (1999) avance que les acteurs doivent
se poser les questions suivantes pour maintenir leur légitimité dans un champ organisationnel
: « Où pouvons-nous aller ? », et « Que pouvons-nous faire ? ». La première question se
rapporte à ce que Lawrence appelle les règles d’adhésion et les barrières institutionnelles qui
délimitent l’entrée dans un champ organisationnel. Les règles d’adhésion aident à organiser
les « interactions, les structures de pouvoir, et l’information partagée parmi les acteurs
engagés dans une activité commune » Lawrence (1999). La seconde question se réfère aux
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
53
standards de pratiques dans un champ organisationnel. Ces standards, d’après Lawrence
(1999) « fournissent des guides, des normes, et des prescriptions légales se rapportant à
comment ces pratiques peuvent être effectuées dans un contexte institutionnel donné».
Ce concept d’entrepreneurs institutionnels foisonne dans la littérature et trouve de nombreux
exemples empiriques qui démontrent le rôle significatif des professionnels qui sont là pour
apporter des changements dans les champs organisationnels pour promouvoir leurs propres
intérêts. Le type de changement institutionnel apporté par les EIs varie dans les différents
travaux sur le sujet, dépendant du niveau d’analyse qu’il soit au niveau du CO, au niveau de
l’organisation, ou au niveau de l’individu. Ainsi, Fligstein (1997) décrit les compétences de
Jacques Delors en tant qu’acteur stratégique pour faire avancer le traité de Maastricht; Rao et
al. (2000) parlent des mouvements sociaux qui créent de nouvelles formes organisationnelles;
Greenwood et al. (2002) analysent l’apport des associations professionnelles de comptables
au Canada dans la théorisation du changement institutionnel; Maguire et al. (2004) observent
le rôle des entrepreneurs institutionnels dans un champ émergent au Canada, le traitement du
VIH/SIDA; Trouinard (2004) analyse l’arrivée de nouveaux entrants dans le champ de la
presse quotidienne de Paris; Rao et al. (2005) analysent les implications des chefs cuisiniers
de la gastronomie française (cuisine classique) qui empruntent des éléments d’un autre champ
organisationnel (la nouvelle cuisine) et provoquent un changement institutionnel; Mutch
(2007) analyse la contribution de Sir Andrew Barclay Walker dans le transfert des pratiques
prises pour acquis pour promouvoir les brasseries Peter Walker & Son en Ecosse; Svejenova
et al. (2007) illustrent le cas exceptionnel de Ferran Adrià, chef cuisinier et entrepreneur
institutionnel à Barcelone, un acteur majeur de la nouvelle cuisine Espagnole; Ben Slimane
(2007) analyse le rôle des stratégies discursives de l’entrepreneur institutionnel pour
promouvoir une nouvelle technologie, la MPEG4, dans la diffusion des émissions de
télévision; Delacour (2007) analyse les stratégies de légitimation de deux types
d’entrepreneurs institutionnels (individuel et organisation) par rapport à l’institutionnalisation
du tableau interactif dans le champ de l’éducation nationale française; Bourcieu et al. (2010)
parlent des entrepreneurs institutionnels de la filière vitivinicole française qui valorisent leurs
produits pour accéder aux marchés nationaux et internationaux; Ramasawmy et Fort (2011)
parlent de l’émergence d’entrepreneurs institutionnels dans la filière légumes à l’île Maurice
face à l’arrivée de nouveaux entrants. Buhr (2012) parle du rôle d’un collectif d’entrepreneurs
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
54
institutionnels qui ont réussi à inclure le secteur de l’aviation dans le programme de l’Union
Européenne de contrôle d’émissions de carbone. Major et Cruz (2013) s’intéressent à
comment un acteur central et dominant dans un champ organisationnel, le ministère de la
santé Portugaise, a pu agir comme un entrepreneur institutionnel pour réorganiser le secteur
de la santé en utilisant des logiques institutionnelles venant d’autres pays. Koene et Ansari
(2013) présentent le cas des entrepreneurs institutionnels Pays Bas qui soutiennent une
nouvelle forme organisationnelle, le travail temporaire.
L’entrepreneuriat institutionnel peut être considéré comme une pression endogène dans le
champ organisationnel aboutissant à un changement institutionnel. Barley et Tolbert (1997)
avancent qu’un changement institutionnel est possible quand les acteurs participent de façon
volontaire et que les conditions du champ organisationnel facilitent l’acquisition des
ressources et donnent une base rationnelle pour questionner les comportements existants.
Cependant une des plus grandes barrières à l’introduction de l’action dans la théorie
institutionnelle est le paradoxe de l’encastrement des acteurs (embedded agency) (Holm,
1995; Seo et Creed, 2002) qui se réfère à la question suivante : « comment est-ce que les
acteurs -individuels ou organisations- peuvent innover si leur croyances et actions sont
déterminées par le champ organisationnel qu’ils veulent changer ? » (Battilana, 2006b). Ce
paradoxe révèle la tension qui existe entre le déterminisme institutionnelle et la capacité des
acteurs à faire des choix. Archer (1982) parle de l’amalgame existant entre la structure et
l’action. En réponse, Barley et Tolbert (1997) proposent une approche diachronique au
changement institutionnel pour réconcilier l’action agentique et les pressions institutionnelles.
Les travaux sur l’entrepreneur institutionnel essayent de résoudre ce paradoxe de l’acteur
encastré, en mettant l’accent sur la capacité de certains acteurs, les entrepreneurs
institutionnels, à se désencastrer des arrangements institutionnels existants pour créer de
nouvelles institutions ou changer celles existantes (Beckert, 1999). Pour ce faire, certaines
conditions favorables à l’émergence des EI sont décrites dans la littérature, que nous
examinons dans la section suivante.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
55
1.5.1.2 Les conditions qui favorisent l’émergence d’entrepreneurs
institutionnels
Nous nous référons au travail de Battilana (2006b) qui, en se basant sur une revue des travaux
sur l’entrepreneuriat institutionnel publiés dans des revues à comité de lecture, a codifié les
conditions favorisant l’émergence des EI qui se retrouvent en deux catégories majeures : les
conditions se rapportant au niveau du champ organisationnel, et les conditions se rapportant
au niveau des organisations/individus.
1.5.1.2.1 Les conditions favorisant l’entrepreneuriat institutionnel au niveau du champ
organisationnel
Battilana (2006b) identifie trois différents types de conditions au niveau du champ
organisationnel favorisant l’entrepreneuriat institutionnel. Le premier type de condition se
réfère à des secousses sur le CO telles que des chocs externes, des crises sociales (Fligstein,
2001) ; des crises de marché (Holm, 1995) ; la libéralisation du commerce internationale
(Zhao et al., 2006) ; une introduction de nouvelles technologies, ou un changement de
régulation entre autres (Greenwood et al., 2002). D’autres secousses peuvent inclure un
manque de ressources qui résulte en une migration des acteurs dans d’autres CO, où ils
peuvent opérer comme des entrepreneurs institutionnels en introduisant des pratiques
divergentes aux modèles institutionnalisés (Durand et McGuire, 2005).
Le deuxième type de condition est en rapport à des problèmes aigus au niveau du champ qui
peuvent encourager les acteurs des différentes organisations à collaborer en tant
qu’entrepreneurs institutionnels (Philipps et al., 2000).
Le troisième type de condition correspond aux caractéristiques du champ organisationnel. En
particulier les chercheurs se sont penchés sur deux caractéristiques du CO qui affectent
l’action agentique et favorisent l’entrepreneuriat institutionnel : le degré d’hétérogénéité des
arrangements institutionnels dans le CO (Oliver, 1991 ; Sewell, 1992 ; Whittington, 1992 ;
D'Aunno et al., 2000 ; Seo et Creed, 2002), et le degré d’institutionnalisation des
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
56
arrangements institutionnels dans le CO (Zucker, 1977; Oliver, 1991 ; Tolbert et Zucker,
1996). Ainsi, en ce qui concerne la première caractéristique du CO, si les arrangements
institutionnels sont contradictoires et donc hétérogènes, cela peut déclencher une réaction des
acteurs envers les normes institutionnelles et causer un changement divergent. Le degré
d’hétérogénéité des arrangements institutionnels dans un CO, aussi appelé le degré de
multiplicité des référents institutionnels (Oliver, 1991, Sewell, 1992, Whittington, 1992, Seo
et Creed, 2002) peut se définir comme le degré d’ouverture du champ aux idées pratiquées et
aux ressources dans d’autres champs (Greenwood et Hinings, 1996, Whittington, 1992 ; Seo
et Creed, 2002). Plus un champ est ouvert, plus il y a des référents ou logiques
institutionnelles hétérogènes (par exemple des règles ambiguës et contradictoires) qui
peuvent donner lieu à des tensions qui favorisent l’action agentique. Les champs qui sont très
fermés s’exposent moins aux multiples référents institutionnels et cela donne peu de
possibilités pour faciliter l’action créative; tandis que les champs qui sont trop ouverts
donnent lieu à des incertitudes et contraignent les acteurs à adopter des comportements qui
ont un sens (Beckert, 1999 ; Seo et Creed, 2002). Le degré d’hétérogénéité des arrangements
institutionnels dans un CO influence aussi le processus de mobilisation des ressources adopté
par les acteurs (Dorado, 2005).
La deuxième caractéristique du CO, le degré d’institutionnalisation des arrangements
institutionnels, influence aussi l’action agentique et définit les effets déterministes,
contraignants et permissifs des institutions sur les acteurs (Zucker, 1987; Barley et Tolbert,
1997). Le degré d’institutionnalisation d’un champ organisationnel peut se caractériser par
une incertitude extrême (institutionnalisation minimale), une institutionnalisation modérée,
ou une institutionnalisation extrême (Beckert, 1999; Dorado, 2005). Les acteurs adoptent des
comportements à sens ou routiniers dans des champs avec institutionnalisation minimale ;
tandis que dans les champs très institutionnalisés, les comportements sont pris pour acquis de
telle façon que les acteurs ne les questionnent pas. Le changement s’accumule
imperceptiblement dans le temps. Cependant, il y a débat parmi les chercheurs sur l’impact
qu’a le degré d’institutionnalisation sur l’entrepreneuriat institutionnel. Ainsi, selon Beckert
(1999), un CO fortement institutionnalisé peut déclencher des actions stratégiques et ainsi
favoriser l’entrepreneuriat institutionnel. Se basant sur le modèle de Beckert (1999), Dorado
(2005) propose que l’EI se manifeste dans un CO modérément institutionnalisé. D’autres
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
57
chercheurs ont un avis différent, et avancent que le niveau d’incertitude dans un CO très peu
structuré ou peu institutionnalisé est source d’opportunités pour des actions stratégiques de la
part des acteurs (Tolbert et Zucker, 1996 ; DiMaggio, 1988 ; Fligstein, 1997). Ainsi Fligstein
(1997) propose qu’un CO qui n’est pas structuré, offre de grandes opportunité d’action
stratégiques. Il est intéressant de noter que la majorité des études empiriques sur l’EI ont
décrit des CO émergents qui sont peu structurés et qui ont ainsi un niveau d’incertitude élevé
(Garud et al., 2002 ; Zimmerman et Ziet, 2002 ; Maguire et al., 2004)
Les chercheurs institutionnels se rejoignent sur le fait que le changement institutionnel
répond à la volonté et à la capacité créative des acteurs (capacité d’action agentique), à un
besoin de ressources, et dépend des opportunités présentes dans l’environnement. Pour
Dorado (2005), « les opportunités surviennent quand les individus les imaginent et
persuadent les autres de les adopter». En se basant sur les deux caractéristiques du CO décrit
ci-dessus, Dorado (2005) a développé une typologie qui a pour objectif de déterminer les
caractéristiques des CO qui favorisent la quête d’opportunités des EI. Dorado (2005) décrit
des champs fortement institutionnalisés et très peu ouverts aux autres champs, comme
opaques par rapport aux opportunités ; des champs modérément institutionnalisés qui ont des
arrangements institutionnels hétérogènes, comme transparents, et qui offrent ainsi beaucoup
d’opportunités pour les actions stratégiques ; et des champs très peu institutionnalisés qui ont
des arrangements institutionnels hétérogènes, comme flous, car les acteurs doivent œuvrer
dans un environnement très incertain.
1.5.1.2.2 Les conditions favorisant l’entrepreneuriat institutionnel au niveau des
organisations
Les différents travaux sur l’EI ont aussi souligné le rôle facilitateur des caractéristiques
organisationnelles (Leblebici et al., 1991) et des caractéristiques individuelles des acteurs
(Fligstein, 1997, 2001 ; Maguire et al., 2004 ; Battilana, 2006a, 2006b; 2007; 2009; 2011). La
plupart des études se concentrent sur une caractéristique des organisations/acteurs: La
position sociale (périphérique, centre, aux interstices) de l’organisation/de l’acteur individuel
dans le champ organisationnel, ou dans son environnement institutionnel.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
58
De récentes études (Delbridge et Edwards, 2008; Powell et Colyvas, 2008) ont aussi montré
que les actions de certains acteurs dans le CO peuvent générer des conditions dans le CO, qui
peuvent être exploitées par les entrepreneurs institutionnels pour précipiter le changement
divergent. Cependant, bien que les conditions, qu’elles soient exogènes ou provenant des
autres acteurs du champ, favorisant l’émergence d’entrepreneurs institutionnels dans le CO
existent, tous les acteurs encastrés dans le CO ne vont pas se saisir des opportunités
disponibles et agir en tant qu’entrepreneurs institutionnels. Battilana et al. (2009) suggèrent
que des caractéristiques spécifiques et individuelles des acteurs sont aussi importantes. Ainsi,
Battilana et al. (2009) et Battilana (2011), en se basant sur les travaux de Fligstein (1997;
2001) et Maguire et al. (2004), se concentrent sur les conditions au niveau des individus qui
favorisent l’entrepreneuriat institutionnel que nous développons dans la section suivante.
1.5.1.2.3 Les caractéristiques spécifiques et individuelles des acteurs favorisant
l’entrepreneuriat institutionnel
Fligstein (1997; 2001) démontre que les EIs sont des acteurs ayant des compétences sociales
qui leur permettent de comprendre et d’être proches des situations des autres acteurs du CO.
Cela facilite ainsi la coopération des autres acteurs.
Une étude de Maguire et al. (2004) démontre le rôle important de la position des acteurs par
rapport au ‘sujet’ dominant du CO, comme dans cet exemple, la connaissance du VIH/SIDA.
Ainsi les acteurs qui sont reconnus par rapport à leur position formelle et aussi par rapport à
leurs identités socialement construites et légitimées sont plus aptes à obtenir le soutien et la
collaboration des parties prenantes et ainsi mobiliser les ressources nécessaires à
l’aboutissement de leur projet.
Emibayer et Mische (1998) postulent que la capacité des acteurs à transformer leur champ
organisationnel, est en fonction de leur orientation temporelle. Les acteurs peuvent soit
s’orienter vers le passé en utilisant les expériences vécues, ou bien être orientés dans le
présent et émettre des jugements pratiques en fonction des demandes émergentes; ou encore
être orientés vers le futur en imaginant des scénarios et trajectoires possibles. Les orientations
passées, présentes et futures sont simultanément présentes mais une de ces orientations
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
59
prédomine, et c’est ce qui amène Dorado (2005) à formuler trois types d’action agentique: la
routine, quand le passé prédomine (Giddens, 1984), la cohérence (sensemaking) quand le
présent prédomine (Weick, 1995), et la stratégie (DiMaggio, 1988) quand le futur est
dominant. Buhr (2012) parle des conditions temporelles qui favorisent l’entrepreneuriat
institutionnel avec l’inclusion du secteur de l’aviation dans le programme de l’Union
Européenne sur les émissions de carbone.
Battilana et al. (2009) proposent aussi que les caractéristiques individuelles des acteurs
comme les facteurs démographiques et psychologiques sont importants comme facteurs
pouvant aider à faire émerger des entrepreneurs institutionnels.
1.5.1.3 Le processus de l’entrepreneuriat institutionnel
Le processus de l’entrepreneuriat institutionnel est décrit par différents auteurs comme un
processus politique et culturelle de nature complexe (DiMaggio, 1988; Fligstein, 1997). En
utilisant le modèle théorique 2 (Figure 1.2), nous construisons le modèle théorique 3 (Figure
1.3) en nous basant sur le travail de Battilana et al. (2009) pour comprendre le processus
favorisant l’émergence des entrepreneurs institutionnels.
Ce modèle propose trois ensembles d’activités qui sont impliquées dans l’implémentation
d’un changement divergent par l’entrepreneur institutionnel dans un CO: (1) Développer une
vision (les entrepreneurs institutionnels doivent proposer une vision du changement prévu et
exposer et partager cette vision avec les autres acteurs du CO) ; (2) Mobiliser les autres
acteurs (les alliés) (acquérir le soutien des autres acteurs pour l’acceptation des nouvelles
pratiques institutionnelles ; et (3) Motiver les alliés pour atteindre et maintenir la vision du
changement (concerne l’éventuel adoption des nouvelles pratiques, et l’institutionnalisation
de ces pratiques). Il est à noter que les conditions et caractéristiques du CO, la position
sociale des acteurs ainsi que le contexte où ils opèrent influencent la mobilisation des
ressources et ainsi tout le processus de l’entrepreneuriat institutionnel.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
60
1.5.1.3.1 Mobilisation des ressources
Les entrepreneurs institutionnels puissent de leurs propres acquis pour mobiliser des
ressources. Ces acquis incluent leur légitimité déjà acquises de par leurs expériences et
actions passées ; leur autorité formelle ; leur position dans le CO ; et leur accès aux
ressources rares. Les ressources mobilisées peuvent être, selon Leca et al. (2008), tangibles
ou intangibles.
Les ressources tangibles essentiellement financières sont utiles afin d’éviter les sanctions des
opposants au changement divergent proposé (Greenwood et al., 2002) d’une part; et d’autre
part créer une coalition avec d’autres acteurs (Garud et al., 2002).
Les ressources intangibles incluent la position sociale (ou le capital social) ; la légitimité, et
l’autorité formelle. La position ou le capital social des EIs, défini par Coleman (1988),
comme la position de l’acteur dans un réseau de relations sociales qui lui donne accès à
l’information et au support politique ; et la capacité de l’acteur à puiser de ce capital social
pour influencer les actions des autres acteurs. L’entrepreneur institutionnel, dépendant de sa
position dans le CO peut aussi influencer les autres acteurs. Ainsi, selon Phillips et al. (2004),
un EI central au CO a plus de chance de diffuser et faire accepter ses idées. La légitimité déjà
établie et l’identité de l’EI joue en sa faveur pour la diffusion de son projet. L’autorité
formelle est le droit reconnu de certains acteurs à prendre des décisions dans le CO (Phillips
et al., 2000). Cette autorité formelle est très utile pour les EI dans le ‘cadrage’ (framing)
(Benford et Snow, 2000) de leurs discours pour mobiliser des alliés à leurs projets.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES
61
Figure4 1.3: Modèle théorique 3: Le processus de l’entrepreneuriat institutionnel
Source: L’auteur d’après (Greenwood et al., 2002; Dorado, 2005; Battilana et al,. 2009)
Secousses
exogènes ou
endogènes au
champ
organisationnel
Caractéristiques du champ
organisationnel
Degré d’hétérogénéité
Degré d’institutionalisation
Perception des acteurs
des opportunités dans le
champ organisationnel
(transparentes, opaques,
floues)
Type d’action
agentique:
stratégique
Mobilisation des
ressources:
stratégies
discursives
Position
sociale des
acteurs
Orientation
temporelle des
acteurs (futur)
DésinstitutionalisationPréinstitutionalisation
ThéorisationDiffusionRéinstitutionalisation
Processus du changement institutionnel
Contexte de l’entrepreneuriat institutionnel
Processus de l’entrepreneuriat institutionnel
Mobilisation
des alliés
Création
d’une vision
divergente
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
62
1.5.1.3.2 Les stratégies institutionnelles
Un conflit apparaît dans les premiers travaux sur la théorie néo-institutionnelle,
essentiellement issu des travaux de Meyer et Rowan (1977) et concerne l’opposition entre les
exigences institutionnelles et la performance efficiente des organisations comme imposée par
les marchés compétitifs. Cette opposition est renforcée par DiMaggio et Powell (1983) qui
avancent que les pressions institutionnelles rendent les entreprises similaires sans pour autant
«les rendre plus efficientes». De plus, cette position fut soulignée par des recherches
antérieures de chercheurs institutionnels qui se sont concentrés sur des organismes publiques
et à but non lucratif. Pour pallier le danger de classifier la théorie néo-institutionnelle comme
une théorie qui étudie les organisations qui sont protégées des forces concurrentielles, de
nombreux chercheurs au début des années 1990 ont posé le principe que les processus
institutionnels fournissent les règles et les normes qui gouvernent la concurrence, et que les
aspects culturels des institutions donnent les éléments qui favorisent les actions stratégiques
(Powell, 1991). Cela nous conduit au concept de stratégie institutionnelle.
Le modèle présenté dans la figure 1.3 nous donne les conditions d’émergence de
l’entrepreneur institutionnel qui agit en stratège en saisissant les opportunités présentes dans
le champ organisationnel. Qu’en est-il des choix stratégiques des acteurs ? Il est entendu que
l’entrepreneur institutionnel se qualifie comme tel en proposant une vision d’un changement
qui diverge des normes institutionnalisées. Nous nous intéressons donc aux formes que
peuvent prendre les choix stratégiques des entrepreneurs institutionnels.
Pour Beckert (1999), le choix stratégique a une place importante dans le champ
organisationnel et il le définit comme « une poursuite planifiée du profit basée sur une
évaluation rationnelle des moyens disponibles et des conditions favorisant les stratégies ».
Beckert (1999) se basant sur les travaux de Schumpeter (1935) fait la différence entre les
managers qui se conforment aux normes institutionnelles et agissent sur les routines et les
entrepreneurs qui eux réagissent d’une façon créative en trouvant d’autres opportunités.
Dans son modèle cyclique de changement institutionnel (figure 1.4), Beckert suggère que
l’action stratégique est possible dans les CO ayant au moins un niveau modéré de
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
63
développement institutionnel. Ce niveau de développement permet des calculs stratégiques et
motive le changement à travers des processus entrepreneuriaux. Si le changement a pu être
introduit dans le CO, cela crée une désinstitutionalisation et des incertitudes. Cela résulte en
une adoption de nouvelles pratiques, et une réduction des incertitudes. Une fois la stabilité de
CO retrouvée, les conditions favorisant l’entrepreneuriat et les actions stratégiques sont
présentes de nouveaux.
Figure5 1.4 : Un modèle dynamique des intérêts et des institutions
Source : (Beckert, 1999)
Dorado (2005) ajoute deux scénarios additionnels au modèle de Beckert: l’incertitude
extrême, et l’institutionnalisation extrême. Dans des situations d’extrêmes incertitudes, les
acteurs peuvent se baser sur les comportements ou des routines familières utilisées dans le
passé. Dans des CO extrêmement institutionnalisés, les comportements sont tenus pour
acquis et le potentiel de changement est très faible. Cependant, les petites variations entre les
acteurs dans leurs utilisations des normes institutionnelles peuvent s’accumuler sur le temps
et créer un changement.
Entrepreneur Manager
Institutions
Incertitudes
Création
d’opportunités
stratégiques
Destruction des
institutions
Création de
l’encastrement
Nécessité de créer
la stabilit
é
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
64
D’après Lawrence (1999), les ressources requises pour les stratégies institutionnelles sont
différentes de celles requises pour les stratégies concurrentielles. D’un côté, la stratégie
institutionnelle se base sur la capacité de pouvoir définir entièrement, soutenir, et défendre la
légitimité ou la désirabilité de certaines pratiques ou de formes organisationnelles. De l’autre
côté, la stratégie concurrentielle se base sur des pratiques existantes et légitimées, ou utilise
des règles sociales existantes.
Les stratégies institutionnelles peuvent être intentionnelles (délibérées) ou émergentes
(fortuites). Les stratégies institutionnelles peuvent stabiliser des formes ou des pratiques
existantes à travers l’institutionnalisation (Slack et Hinings, 1994) ou la
désinstitutionalisation (Oliver, 1992). D’après Lawrence (1999), les stratégies
concurrentielles sont en réaction au contexte économique, social et technologique d’une
industrie. D’un autre côté, les acteurs utilisent les stratégies institutionnelles pour changer la
nature de la concurrence dans leur industrie soit en changeant les règles d’adhésion ou les
standards de pratique. Les stratégies institutionnelles délibérées peuvent ainsi améliorer la
position concurrentielle d’une entreprise.
Oliver (1991) propose des réponses stratégiques aux processus institutionnels (tableau 1.3).
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
65
Tableau4 1.3: Réactions stratégiques aux processus institutionnels
Stratégies Tactiques Exemples
Accord
Adhésion Suivre des normes invisibles, et tenues pour
acquises
Mimétisme Imiter des modèles institutionnels
Obéissance Obéir aux règles et accepter les normes
Compromis
Equilibrage Trouver un équilibre entre les attentes de différents
acteurs et les attentes internes de l’organisation
Pacification Essayer d’accommoder les différents éléments
institutionnels en gardant une adhésion minime aux
attentes institutionnelles
Négociation Négocier avec les parties prenantes du champ
organisationnel
Evitement
Camouflage Camoufler les non conformités aux éléments
institutionnels derrière une façade d’adhésion
Découplage Découpler les activités internes de l’organisation
avec les contacts externes avec le champ
organisationnel
Fuite Changer les buts, objectifs ou même délocaliser les
activités pour éviter l’adhérence
Défiance
Ignorer Ignorer les normes et valeurs
Défiance Remettre en question les règles et normes
institutionnels
Attaquer Utiliser une stratégie agressive de rejet de
l’organisation des pressions institutionnelles
Manipulation
Co-opétition Avoir des partenariats stratégiques pour mobiliser le
soutien d’autres acteurs du champ organisationnel
Influence Influencer les croyances et essayer de changer les
règles institutionnelles
Contrôle Utiliser le pouvoir et la domination sur les sources
de pressions institutionnelles
Source : (Oliver, 1991)
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
66
Les stratégies discursives sont une autre façon d’agir sur l’environnement institutionnel. Les
entrepreneurs institutionnels peuvent utiliser le discours ou sa construction pour influencer
leur champ organisationnel (Lawrence et Suddaby, 2006). La littérature sur l’entrepreneuriat
institutionnel regorge d’exemples d’utilisation de stratégies discursives par les EIs (Fligstein,
1997 ; Rao, 1998 ; Rao et al., 2000 ; Seo et Creed, 2002 ; Maguire et al., 2004 ; Ben Slimane,
2007). Selon Ben Slimane (2007), les stratégies discursives sont utilisées par les EIs pour
mettre «[…] la production de textes, de discours au service de leurs velléités de façonnement
des règles du jeu de leurs environnements ». Ainsi, les EIs mobilisent des ressources
symboliques, la plus importante étant les discours, pour construire des cadres de
connaissances et d’interprétation correspondant au concept de ‘cadrage’ mentionné plus haut.
Les stratégies rhétoriques (Suddaby et Greenwood, 2005) qui se réfèrent à l’utilisation de
symboles pour persuader les autres de changer leurs attitudes, valeurs et croyances (Cheney
et al., 2004) sont aussi des moyens d’agir sur les institutions.
1.5.1.3.3 La mobilisation des alliés
Le plus grand défi des entrepreneurs institutionnels est de pouvoir partager leur vision du
changement divergent avec les autres acteurs, et d’en faire des alliés pour soutenir
l’implémentation du changement. Pour ce faire, il est impératif de dissocier les acteurs, qui
sont mobilisés, de leur encastrement institutionnel. Les entrepreneurs institutionnels font
aussi face à une opposition des acteurs, les défenseurs des normes institutionnalisées
(DiMaggio, 1988), et qui se sentent menacés par les changements divergents qui attaquent
leurs privilèges organisationnels établis ainsi que leur position sociale dans le CO. Dorado
(2005) propose trois profils de changement institutionnel (voir section 1.4.3.3) : l’approche
de l’entrepreneuriat institutionnel où la mobilisation des ressources se fait à travers le
processus de lobbying (leveraging) auprès des autres acteurs ; l’approche convergente
(partaking) où l’entrepreneuriat institutionnel est une action collective des acteurs qui émerge
de l’action individuelle et indépendante de plusieurs acteurs et qui converge vers le même
objectif ; et l’approche collaborative (convening) où les EIs essayent de convaincre les parties
prenantes à mettre leurs ressources en commun pour cibler un problème d’intérêt commun.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
67
1.5.1.4 Les critiques du concept de l’entrepreneur institutionnel
Selon Weik (2011), bien que le concept de l’entrepreneur institutionnel ait été utile à
plusieurs niveaux tels que la réintroduction de la capacité d’action agentique dans la
sociologie institutionnelle; l’explication du changement institutionnel de façon endogène; et
l’apport du rôle du pouvoir et de la politique dans le changement institutionnel, ce concept a
été utilisé pour « tirer trop de wagons, et de ce fait, a perdu sa signification ». En se basant
sur une revue des publications sur le sujet de l’entrepreneuriat institutionnel de 1999 à 2007,
Weik (2011) formule les deux critiques suivantes sur ce concept: un biais gestionnaire-
individualiste, et un amalgame des concepts de la pratique et de l’action. La première critique
selon Weik (2011) est fondée sur le fait que les entrepreneurs institutionnels agissent de façon
individuelle, et ont une approche managériale envers les institutions, en « créant ou détruisant
des institutions de la même façon et pour les mêmes raisons que pour la création
d’entreprises ». Ce biais soulève plusieurs problèmes. Premièrement, il introduit une
perspective fonctionnaliste dans la théorie institutionnelle, et fait l’impasse sur les
interactions entre la structure et l’action. Deuxièmement, il y a un détournement de l’attention
vers les entrepreneurs héroïques en oubliant « les efforts collectifs des acteurs, les échecs, les
tentatives répétées, les boucles rétroactifs, et toutes les interdépendances qui font la richesse
de l’histoire des institutions. » Weik (2011). Troisièmement, il y a amalgame entre pratique et
action dans le sens que les institutions sont des séries de pratiques au lieu de séquences
d’actions individuelles. Ainsi, un entrepreneur institutionnel ne peut prétendre par une seule
action individuelle créer, détruire ou maintenir une pratique car une pratique est constituée de
plusieurs actions. De ce fait, l’entrepreneur institutionnel a besoin de l’aide collective
d’autres acteurs pour établir une nouvelle pratique. C’est ainsi que Czarniawska (2009)
argumente que le terme d’entrepreneur institutionnel par rapport à un entrepreneur individuel
est un oxymore.
L’approche de l’entrepreneur institutionnel est aussi très critiquée car elle réintroduit le
volontarisme de la théorie des choix rationnels que les chercheurs des premiers travaux sur la
sociologie néo institutionnelle (Meyer et Rowan, 1977; DiMaggio et Powell, 1983) voulaient
absolument éviter. Pour résoudre ce problème d’amalgame entre la structure et l’action, Leca
et Naccache (2006) suggèrent le recours à l’épistémologie réaliste critique qui permet de
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
68
rendre compte du caractère ontologique des actions agentiques et des structures. Ainsi les
logiques institutionnelles sont définies comme les principes du jeu (Leca et Naccache, 2006)
tandis que les institutions sont les règles du jeu (North, 1990). Le caractère ontologique des
logiques institutionnelles est mis en avant et elles sont conceptualisées comme exogène aux
acteurs (Friedland et Alford, 1991). Dépendant de la spécificité du contexte et des actions
agentiques, les institutions sont les résultats de la façon dont « les acteurs transposent ces
logiques institutionnelles à travers des scripts, règles, et normes précises (…) » (Leca et
Naccache, 2006). Ainsi cette approche permet de proposer « une approche des relations entre
agents et institutions ne privilégiant aucun des deux niveaux. » (Leca, 2006).
Une autre critique de la littérature néo institutionnelle sur l’entrepreneuriat institutionnel est
sa focalisation sur un type d’acteur, l’entrepreneur institutionnel, considéré comme un « Deus
ex machina », ou un entrepreneur héroïque ce qui tend à occulter l’importance des autres
acteurs dans les processus institutionnels. Cette focalisation ne prend pas en considération le
caractère collectif du changement institutionnel (Ben Slimane et Leca, 2010). Cette ligne de
pensée rejoint celle d’Aldrich et Ruef (2006) qui définissent le concept d’entrepreneurs
institutionnels comme des individus ou des organisations qui participent à la création de
nouvelles organisations ou de nouvelles industries ou activités qui requiert la maîtrise de
nouvelles technologies, la création de nouvelles formes et routines organisationnelles, la
création de nouveaux marchés et de chaînes de distribution, et l’obtention d’une légitimité au
niveau légal, normatif et cognitif. Cette définition implique forcément que l’action de
l’entrepreneur institutionnel ne peut être le cas d’un acteur isolé, mais désigne des rôles et des
fonctions divers distribués parmi de nombreux acteurs.
Cette section nous a permis de comprendre les apports des travaux sur l’entrepreneur
institutionnel à la SNI, ses limites, et l’évolution du concept vers le concept de travail
institutionnel pour inclure l’effort collectif des autres acteurs importants dans le champ
organisationnel. Ainsi, les critiques sur le concept de l’entrepreneur institutionnel nous
amènent aux travaux de Lawrence et Suddaby (2006) sur le concept de travail institutionnel,
qui est une avancée théorique significative de la sociologie néo-institutionnelle et que nous
décrivons dans la section suivante.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
69
SECTION 4 : Le travail institutionnel dans les études organisationnelles
Cette section introduira le récent concept de travail institutionnel qui prend en considération
le travail collectif des acteurs dans un champ organisationnel en opposition à la sur
accentuation sur un seul type d’acteur, l’entrepreneur institutionnel. Nous verrons aussi les
différents types de travail institutionnel ainsi que les formes que le travail institutionnel peut
prendre en fonction des conditions dans le champ organisationnel.
1.5.2 Le travail institutionnel
Le travail institutionnel est une des formes de ‘travail’ que l’on retrouve dans la théorie de
l’organisation et du management. Selon une étude réalisée par Phillips et Lawrence (2012),
l’accent sur le ‘travail’ dans la théorie de l’organisation et du management a pris de l’ampleur
dans les années 2000 et ces auteurs répertorient dans les différents travaux publiés, quinze
formes de ‘travail’ telles que le travail émotionnel, le travail identitaire, le travail sur les
valeurs, le travail discursive, le travail institutionnel entres autres. Toutes ces formes de
travail se rapportent aux efforts déployés par les acteurs pour influencer l’aspect social et
symbolique du contexte où ils évoluent. Selon Lawrence et al. (2011), le travail institutionnel
«décrit les pratiques des acteurs collectifs et individuels visant à créer, maintenir, ou détruire
des institutions». La relation récursive entre les institutions et l’action comme décrite par
Barley et Tolbert (1997), et Philips et al. (2004) nous semble très utile pour expliquer les
récents travaux menant à l’approche du travail institutionnel, et pour ce faire, nous reprenons
le schéma (figure 1.5) proposé par Lawrence et al. (2009b).
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
70
Figure6 1.5 : Relation récursive entre les institutions et l’action
Source : (Lawrence et al., 2009b)
Les travaux utilisant les concepts du néo-institutionnalisme dans les études organisationnelles
ont mis l’accent sur les effets culturels des institutions sur les pratiques et structures
organisationnels (Meyer et Rowan, 1977; Hinings et Greenwood, 1988), et les chercheurs ont
subséquemment expliqué l’isomorphisme des organisations (DiMaggio et Powell, 1983;
Tolbert et Zucker, 1983). Les approches traditionnelles de néo-institutionnalisme se sont
focalisées sur les processus à travers lesquels les institutions influencent l’action agentique
(voir flèche 1 sur figure 1.5). Pour répondre aux critiques des chercheurs sur le rôle limité de
l’action agentique dans les travaux de la sociologie néo-institutionnel, les recherches qui ont
suivi ont étudié l’entrepreneuriat institutionnel et ont décrit les processus à travers lesquels
les acteurs affectent les arrangements institutionnels (voir flèche 2 sur figure 1.5).
Cependant suite à la sur accentuation du rôle des entrepreneurs institutionnels, vus comme
des acteurs « puissants et héroïques qui sont capables de changer les institutions de façon
drastique » (Lawrence et al., 2009b) , d’autres chercheurs ont proposé une approche plus
complète de l’action agentique sur les institutions toujours dans le sens de la flèche 2. Ainsi
les récents travaux sur le travail institutionnel (Lawrence et Suddaby, 2006 ; Lawrence et al.,
2009a ; Lawrence et al., 2013) veulent établir une vision plus large de la relation entre
l’action agentique et les institutions, et éviter de « décrire les acteurs comme dépendants des
INSTITUTIONS ACTIONS
1
2
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
71
influences culturelles des arrangements institutionnelles, ou comme des entrepreneurs
institutionnels hyper musclés ». Ainsi, Lawrence et Suddaby (2006) définissent le travail
institutionnel comme «l’action intentionnelle des acteurs ou des organisations visant à créer,
maintenir, ou déstabiliser des institutions ». Cette définition selon Lawrence et al. (2013) met
l’accent sur trois dimensions importantes : les acteurs institutionnels sont « réfléchis, axés sur
les objectifs et capables » ; les actions des acteurs au centre des dynamiques institutionnelles ;
et la mise en commun de la structure, de l’action agentique et de leurs interactions.
Dans leur vision étendue du travail institutionnel, Lawrence et al. (2009b) proposent une
approche du travail institutionnel qui analyse de façon plus précise et approfondie le
comportement des différents acteurs dans les processus institutionnels. Cette vision prend en
considération la multiplicité d’action agentique sur les processus institutionnels (Section
1.5.2.1), et les notions de travail et de pratique (Section 1.5.2.2) qui doivent aider à
développer une approche théorique du travail institutionnel en pleine gestation (Ben Slimane
et Leca, 2010).
1.5.2.1 L’action agentique : Des activités multiples sur les processus
institutionnels
L’approche du travail institutionnel permet de dépasser la vision de l’entrepreneur
institutionnel et de rendre compte des activités multiples des différents acteurs vis-à-vis des
institutions. L’étude du travail institutionnel a comme point de départ le concept de travail
qui selon Lawrence et al. (2011) se rapporte aux efforts des acteurs individuels et collectifs
pour «suivre, consolider, démolir, bricoler, transformer, or créer de nouvelles institutions
parmi lesquelles ces acteurs vivent, travaillent, se divertissent, et qui leurs donnent un rôle à
jouer, des relations à nouer, des ressources et des routines de fonctionnement. »
Lawrence et Suddaby (2006) distinguent trois grands types de travail institutionnel : la
création, le maintien et la déstabilisation institutionnelle.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
72
La création institutionnelle a reçu le plus d’attention de la part des chercheurs en
organisations en se basant sur la notion de l’entrepreneuriat institutionnel. Ce type de travail
institutionnel correspond à la mise en place et à la légitimation de nouvelles règles
institutionnelles, de nouvelles pratiques et de nouveaux standards. Cependant les travaux se
sont surtout concentrés sur les caractéristiques et les conditions qui favorisent l’émergence
d’entrepreneurs institutionnels (Lawrence et Suddaby, 2006). Les acteurs impliqués essayent
de mobiliser le soutien des parties prenantes en constituant des réseaux d’acteurs susceptibles
de soutenir leur diffusion. Lawrence et Suddaby (2006) ont identifié neufs ensembles de
pratiques (Tableau 1.4), divisés en trois types de travail institutionnel ‘créatif’ (le travail
politique, le travail normatif, et le travail cognitif) qu’utilisent les acteurs pour légitimer une
nouvelle pratique et aider à la formation de nouvelles formes organisationnelles.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
73
Tableau5 1.4 : Les pratiques permettant la création d’institutions
Source : (Lawrence et Suddaby, 2006)
Le second type de travail institutionnel, le maintien institutionnel, n’a pas reçu beaucoup
d’attention dans la littérature. Lawrence et Suddaby (2006) identifient six types de travail
institutionnel correspondant au maintien des institutions (Tableau 1.5). Les trois premiers
types : création de règles pour soutenir les institutions, maintenir l’ordre à travers le contrôle,
et dissuader peuvent être classés dans la catégorie de l’adhérence aux systèmes de règles
Nature du travail
institutionnel
Pratique Définition
Travail de nature
politique
Plaider en faveur du
projet
Mobilisation de supports politiques et régulateurs à travers
des techniques directes et délibérées de persuasion sociale
Définir Construction de systèmes de règles conférant un statut ou
une identité, définissant les frontières, ou créant des statuts
hiérarchiques dans un champ
Motiver Création de règles de structure à l’origine des droits de
propriétés
Travail de nature
normative
Construire des
identités
Construction de la relation entre un acteur et le champ dans
lequel il opère, ce qui définit son identité
Changer les
associations
normatives
Redéfinition des relations entre des ensembles de pratiques
et les fondations morales et culturelles de ces pratiques
Construire des
réseaux d’acteurs
Connections inter organisationnelles à travers desquelles
des pratiques deviennent sanctionnées par les règles
normatives et qui constituent les nouvelles références à
respecter (proto-institutions)
Travail de nature
cognitive
Mimétisme Utilisation de pratiques, technologies et règles existantes
considérées comme « allant de soi »
Développer et
théorisation des
relations
Développement et spécification de catégories abstraites, et
élaboration de chaînes de cause à effet
Formation Formation des acteurs aux compétences et connaissances
nécessaires pour soutenir la nouvelle institution
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
74
institutionnelles. Les trois autres types de travail institutionnel: valoriser et diaboliser,
création de mythes, et encastrer et rendre routinier peuvent être classés dans la catégorie de la
reproduction de systèmes de normes et de croyances existantes.
Les acteurs en place dans un champ organisationnel doivent, sous certaines conditions,
déployer des efforts considérables pour maintenir les institutions face aux nouveaux entrants
dans les organisations ou dans le champ organisationnel ; face aux changements
technologiques ou démographiques ; ou face à l’évolution du champ organisationnel dans des
directions nouvelles et inattendues (Lawrence et Suddaby, 2006).
Tableau6 1.5: Les pratiques permettant le maintien d’institutions
Source : (Lawrence et Suddaby, 2006)
Nature du
travail
institutionnel
Pratique Définition
Travail de
nature
régulateur
Créer des règles pour
soutenir les institutions
Création d’autorité ou de nouvelles fonctions pour
perpétuer des routines institutionnelles ou assurer la
survie des institutions (ex. à travers la taxation)
Maintenir l’ordre par le
contrôle
Utiliser les fonctions d’audit, de surveillance et de
contrôle pour assurer le respect des institutions
Dissuader Utiliser la dissuasion pour encourager une obéissance
des règles
Travail de
nature
normative
Valoriser et diaboliser Donner au public des images très valorisantes des
acteurs qui respectent les normes ou des images très
négatives de ceux qui ne les respectent pas
Création de mythes Créer des mythes et des légendes autour des
fondations des institutions
Encastrer et rendre
routinier
Créer des routines et pratiques organisationnelles
quotidiennes qui inculquent les fondations normatives
des institutions aux participants
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
75
Le troisième type de travail institutionnel, la déstabilisation des institutions, nous ramène aux
acteurs qui, souhaitant un changement dans les institutions existantes, doivent convaincre les
autres acteurs du CO de se détourner de ces institutions. Il peut y avoir par exemple, « une
remise en cause des croyances, et des fondements moraux et coercitifs des institutions » (Ben
Slimane et Leca, 2010). Les institutions peuvent être déstabilisées par l’action individuelle ou
collective des acteurs si leurs intérêts ne se trouvent pas dans les arrangements institutionnels
existants (DiMaggio, 1991). Bien que la création de nouvelles institutions se base sur la
déstabilisation des anciennes, Oliver (1992), à travers sa description du processus de
désinstitutionalisation avec ses propres antécédents, et Lawrence et Suddaby (2006)
argumentent que la déstabilisation des institutions est un travail institutionnel distinct de celui
de la création des institutions. Le tableau 1.6 présente trois pratiques de nature régulatrice qui
visent à déstabiliser les institutions : Déconnecter les sanctions et récompenses des pratiques ;
dissocier les pratiques de leurs fondements moraux ; et remettre en question les présupposées
et les croyances.
Tableau7 1.6: Les pratiques permettant la déstabilisation des d’institutions
Source : (Lawrence et Suddaby, 2006)
Ces trois grands types de travail institutionnel (créer, maintenir ou déstabiliser) et toutes les
stratégies qui y sont associées nous permettent de mieux comprendre les processus
Nature du
travail
institutionnel
Pratique Définition
Travail de
nature
régulatrice
Déconnecter les sanctions
et récompenses des
pratiques
Déconnecter les sanctions et les récompenses des
pratiques, technologies ou règles à travers un
changement légal
Dissocier les pratiques de
leurs fondements moraux
Utiliser des pratiques qui remettent en question
indirectement et graduellement les fondations morales
des institutions
Remettre en question les
présupposées et les
croyances
Encourager de nouvelles pratiques innovantes et
réduire les risques perçus de l’innovation et de la
différentiation
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
76
institutionnels. Il est important de préciser que les mêmes acteurs peuvent à différents
moments créer, maintenir ou déstabiliser les institutions, mais que toutes les actions
agentiques ne peuvent être considérées comme des formes de travail institutionnel (Ben
Slimane et Leca, 2010). Lawrence et al. (2009b) invitent à délimiter plus précisément les
contours de l’approche du travail institutionnel à travers les notions de pratique,
d’intentionnalité, et de l’effort associé au travail des acteurs.
1.5.2.2 La notion de l’intentionnalité et de l’effort
La compréhension du concept de travail institutionnel est liée à deux éléments très
importants: l’intentionnalité et l’effort. Leca et al. (2006) définissent l’intentionnalité des
entrepreneurs institutionnels comme «la volonté de changer l’institution existante à travers le
résultat de leurs actions ». Lawrence et al. (2009b) appellent à se concentrer sur les activités
des acteurs impliqués dans le travail institutionnel plutôt que sur les résultats. Les questions
posées sont ainsi « Pourquoi, comment, quand, et où les acteurs travaillent à la création
d’institutions, par exemple. ». Ces auteurs soulignent aussi le fait de considérer le travail
institutionnel comme des pratiques concrètes utilisées par les acteurs par rapport aux
institutions. Cette perspective analytique permet d’étudier aussi bien les cas de succès, les cas
d’échec, les actions pour contrecarrer le travail institutionnel, et ainsi se départir de la vision
héroïque et toujours vainqueur de l’entrepreneur institutionnel (Lawrence et al., 2009b).
La notion d’intentionnalité des acteurs est importante aussi pour Lawrence et al. (2009b) en
reliant les processus de schématisation, de contextualisation, et de construction d’hypothèses
qu’utilisent les acteurs pour faire le lien entre leurs actions et leurs situations.
Nous nous basons dans cette étude sur les travaux d’Emirbayer et Mische (1998) pour
comprendre le lien entre l’intentionnalité des acteurs et les institutions. Selon ces deux
auteurs précités, l’action agentique a une dimension temporelle, c’est à dire, elle est
composée de trois éléments : l’itération, la projection dans le futur, et l’action pratique-
évaluatrice. L’itération, tournée vers le passé, correspond aux actions des acteurs qui se
basent sur des schémas de pensées et d’actions vécues dans le passé, et qu’ils réutilisent de
façon routinière. Cela permet ainsi de maintenir les institutions, les interactions et les
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
77
identités des acteurs dans le temps. La projection dans le futur implique une action créative,
en relation aux « espoirs, craintes et désirs pour le futur des acteurs » (Emirbayer et Mische,
1998), mais aussi « consciente et stratégique » (Lawrence et al., 2011) afin de changer les
institutions. Finalement, l’intentionnalité peut être aussi de nature pratique, et implique la
capacité des acteurs « à porter des jugements normatifs et pratiques sur des possibilités
d’actions en réaction à des demandes émergentes, des dilemmes, et des ambigüités des
situations présentes » (Emirbayer et Mische, 1998).
En dernier lieu, en se basant sur les trois piliers institutionnels de Scott (2008), Lawrence et
al. (2009b) avancent que le travail institutionnel implique l’effort cognitif des acteurs pour se
désencastrer des routines et pratiques institutionnalisées. Au niveau des institutions soutenues
par des piliers régulateurs et normatifs, les acteurs doivent faire l’effort de se distancer des
routines ‘allant de soi’, et aussi effectuer un travail politique ou social pour convaincre les
autres acteurs de la création, du maintien ou de la déstabilisation des institutions.
La littérature récente sur le travail institutionnel s’est focalisée sur comment émerge le travail
institutionnel, qui est impliqué dans le travail institutionnel, et qu’est-ce qui constitue le
travail institutionnel. Dans le premier cas (comment émerge le travail institutionnel), bien que
la majorité des travaux sur la création d’institutions ait pris comme exemple l’entrepreneur
institutionnel comme décrit dans la section 1.5.2.1, il y a eu des exceptions récentes qui ont
utilisées la perspective du travail institutionnel en étudiant aussi bien la création de nouvelles
institutions que le maintien des institutions existantes. Ainsi, Ziestma et Lawrence (2010)
abordent le travail institutionnel dans le champ organisationnel de l’industrie forestière
côtière de la Colombie-Britannique et observent deux formes de travail institutionnel, le
travail sur les délimitations des champs et le travail sur les pratiques institutionnelles ; Gawer
et Phillips (2013) identifient deux formes de travail institutionnel externes (le travail sur les
pratiques institutionnelles et le travail sur la légitimité) à une organisation, Intel Corporation,
pour influencer le champ organisationnel où il opère et ainsi changer la logique
institutionnelle existante.
Dans le deuxième cas (qui est impliqué dans le travail institutionnel), nous retrouvons
quelques exemples dans la littérature de professionnels engagés dans le travail institutionnel.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
78
Ainsi, Suddaby et Viale (2011) décrivent quatre façons à travers lesquelles des professionnels
reconfigurent des institutions et des champs organisationnels ; Lefsrud et Suddaby (2012)
utilisent l’exemple historique de la ruée vers l’or en Californie pour illustrer le rôle des
professionnels dans la reconfiguration du champ organisationnel; Currie et al. (2012)
illustrent le cas d’une certaine élite professionnelle, les médecins spécialisés dans le secteur
de la santé Britannique, qui s’organisent pour répondre à la menace de l’introduction de
nouveaux rôles dans leur champ organisationnel. Or d’autres études considèrent le rôle
d’autres types d’acteurs qui ne sont pas nécessairement des professionnels mais qui sont tout
de même engagés dans un travail institutionnel. Ainsi Dorado (2013) utilisant la méthode de
la théorie enracinée démontre l’engagement d’individus et de groupes sociaux dans
l’avancement de la micro-finance en Bolivie.
Dans le troisième cas (qu’est-ce qui constitue le travail institutionnel), l’accent des différents
travaux se trouve sur la relation entre le travail institutionnel et l’action agentique. Ainsi,
Battilana et D’Aunno (2009) observent dans leur recherche que le type de travail
institutionnel (création, maintien ou déstabilisation) dépend de la dimension que peut prendre
l’action agentique, c'est-à-dire, l’habitude, la projection dans le futur, ou l’évaluation pratique
de la situation. Zundel, Holt et Cornelissen (2012) poussent l’exploration de la relation entre
le travail institutionnel et l’action agentique en étudiant le travail institutionnel qui se met en
place dans une émission de télévision ‘The Wire’ aux Etats-Unis ; et ils démontrent que le
travail institutionnel est influencé par des cycles régénératives ou dégénératives d’influence
qui favorisent ou limitent les actions agentiques.
Cette section nous a permis de mettre en perspective le concept de travail institutionnel qui
nous aide à comprendre que les acteurs dans un champ organisationnel ne peuvent agir
individuellement sur les institutions et que le type de travail institutionnel qui se met en place
peut prendre différentes formes.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
79
SECTION 5: Le néo-institutionnalisme et l’analyse de filières agricoles
Dans cette section nous présenterons l’innovation majeure de cette thèse: l’utilisation de la
sociologie néo-institutionnelle étendue dans l’analyse des dynamiques de filières agricoles.
Nous verrons en premier lieu comment l’analyse de filière a évolué dans le temps et les
différentes méthodes utilisées. Nous introduirons ensuite la perspective néo-institutionnelle
dans l’analyse de filière en justifiant notre démarche.
1.6 La sociologie néo-institutionnelle étendue et l’analyse de filières
agricoles
Nous postulons que les apports conceptuels de la sociologie néo-institutionnelle étendue
peuvent contribuer à l’analyse des filières agricoles dans une perspective analytique et
méthodologique. Pour ce faire, nous présentons tout d’abord brièvement l’évolution dans les
approches qui ont été utilisées dans les analyses de filières agricoles pour enfin justifier le
choix de la sociologie néo-institutionnelle étendue et notamment les concepts de travail
institutionnel et de logiques institutionnelles.
1.6.1 L’analyse des filières agricoles: L’approche filière francophone :
Méthodes et évolution
L’analyse de filière ou l’approche filière n’est qu’une des méthodes utilisées pour analyser
les chaînes de valeur. Dans cette section nous mettons en perspective l’approche filière
francophone par rapport aux autres méthodes d’analyse, nous précisons ses raccordements
théoriques, et enfin nous justifions la pertinence d’une perspective néo-institutionnelle dans
l’approche filière.
Différentes méthodologies ont été développées pour analyser les chaînes de valeur globale.
Elles font partie de l’abondante littérature traitant d’une manière générale des chaînes de
valeur. Dans les paragraphes suivants, nous repérons les approches les plus pertinentes de
cette littérature.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
80
1.6.1.1 La chaîne de valeur de Porter
Le concept de chaîne de valeur trouve ses origines dans les travaux de Porter (1985) dans son
livre sur l’avantage concurrentielle. Selon Porter (1985), la chaîne de valeur décrit l’ensemble
des activités nécessaires pour concevoir un produit ou un service, le gérer à travers
différentes phases de production, à sa distribution aux consommateurs finaux, puis à sa
destruction après utilisation. L’analyse de la chaîne de valeur décrit les activités internes et
externes à une entreprise, et les relie à une analyse de la position concurrentielle de
l’entreprise. Selon Porter, une entreprise a un avantage concurrentiel dépendant de la façon
dont elle gère ses activités et les liens entre ses activités. L’intérêt de cette approche est de
décomposer l’activité de l’entreprise en séquences d’opérations élémentaires et d’identifier
les sources d’avantages concurrentiels potentiels. Ces principales sources d’avantages
concurrentiels apparaissent en comparant la chaîne de valeur de l’entreprise avec les chaînes
de valeur des concurrents, lorsque cela est possible.
1.6.1.2 La chaîne globale de valeur
Selon globalvaluechains.org6 (2009), la chaîne globale de valeur décrit la panoplie complète
des activités mises en œuvre par les entreprises et les employés pour mener un produit de sa
conception à son utilisation finale et même au-delà. Cela inclut les activités telles que la
conception, la production, la commercialisation, la distribution et le service au consommateur
final. Ces activités peuvent se rapporter à une entreprise ou à plusieurs entreprises. Le
concept de chaine de valeur globale était initialement utilisé pour analyser l’impact de la
mondialisation sur le secteur industriel. Au fil du temps, le concept a évolué pour analyser
l’intégration économique des chaines internationales de production (Tallec et Bockel, 2005).
6 Le site web de globalvaluechains.org est l’interface utilisée par un réseau de chercheurs sur les chaînes
globales de valeur pour diffuser et disséminer les dernières publications et résultats de recherches sur la CGV.
Cette initiative a débuté en 2000 avec l’apport de chercheurs tels que Gary Gereffi (Centre sur la
mondialisation, la gouvernance et la compétitivité, Université de Duke, Etats Unis) ; John Humphrey (Institut
pour le développement, Université de Sussex, Royaume Uni) ; et Timothy Sturgeon (Centre sur la performance
industrielle, Institut de Technologie de Massachusetts). Cette initiative est maintenant aussi soutenue par les
Fondations Rockfeller et Alfred P. Sloan.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
81
L’approche de la chaine globale de valeur met en évidence un maillon dominant qui pilote le
reste de la chaine. Ce maillon stratégique selon Tallec et Bockel (2005) correspond « à une
firme dirigeante qui définit et impose plus ou moins fortement aux autres acteurs de la chaîne
les conditions de production et de mise à niveau, en termes de prix, de quantité et de
qualité. » Dépendant de la localisation du maillon stratégique dans la chaine de valeur, cette
dernière peut être ainsi pilotée par l’aval par les acheteurs ou par l’amont par les producteurs.
1.6.1.3 L’approche filière
Selon Raikes et al. (2000), la littérature francophone sur les analyses de filières agricoles
indique que l’approche filière francophone a débuté dans les années 1960 avec des études sur
l’agriculture contractuelle et l’intégration verticale dans le secteur agricole français. Cette
approche est ensuite utilisée dans les pays en voie de développement (ex-colonies françaises)
qui sont dépendants d’une ou plusieurs commodités agricoles telles que le café, le cacao, le
coton ou le sucre. L’approche par filière est appropriée dans le cas de ces ex-colonies car leur
secteur agricole se focalise sur très peu de commodités.
Terpend (1997) définit l’analyse économique par filière comme «une analyse de
l’organisation, à la fois sur un plan linéaire et complémentaire, du système économique d’un
produit ou d’un groupe de produits; c’est la succession d’actions menées par des acteurs pour
produire, transformer, vendre et consommer un produit. Ce produit peut être indifféremment
agricole, industriel, artistique, informatique, etc. ».
L’approche filière a été largement utilisée dans le secteur agricole et agroalimentaire, comme
le justifie Montigaud (1992) à trois niveaux : Premièrement le besoin pour l’état ou une
entreprise de comprendre tout ce qui entoure la production surtout dans un marché de plus en
plus globalisé ; deuxièmement, l’approche filière vient combler les manquements des
approches micro et macroéconomiques ; et troisièmement, cette approche adresse le besoin
de pluridisciplinarité dans la compréhension du fonctionnement du système agroalimentaire.
La notion de filière, nous rappelle Montigaud (1992), est en fait une méthode d’analyse et
non un outil de la théorie économique. Il propose quatre phases successives d’analyse :
description de la structure interne de chaque filière ; analyse du champ stratégique de la
grande distribution ; superposition de la grande distribution avec les filières ; et étude des
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
82
conséquences de cette confrontation sur chaque filière. La filière est considérée dans un
premier temps comme une structure fermée. Le but est de caractériser des structures formant
partie de la filière telles que des entreprises qui sont classifiées en sous-systèmes. Les
relations entre ces entreprises et les sous-systèmes et entre le système sont aussi étudiées.
Puis les relations permanentes et réciproques entre les entreprises clés et les structures socio-
technico-économiques de leur environnement sont étudiées pour dégager les stratégies les
plus importantes. L’approche filière permet ainsi de mieux comprendre les stratégies des
acteurs, les mécanismes de structuration des prix et de coordination des acteurs, d’identifier
et de caractériser les contraintes au commerce d’un produit, et d’orienter l’action des
politiques publiques et des institutions. Elle permet d’avoir une vision sur l’activité
commerciale dans sa globalité et de préciser les interdépendances entre les différentes
composantes de la filière (Wade et al., 2004).
Selon Rastoin (2007), il est possible d’utiliser deux approches complémentaires dans
l’analyse de filière : premièrement l’approche amont-aval, de la matière première jusqu’au
consommateur final ou vers d’autres entreprises ; et deuxièmement, l’approche aval-amont,
du marché vers la matière première. Le support méthodologique de l’étude de filières selon
Montigaud (1992) « utilise conjointement et successivement des approches en termes de
systèmes, d’économie industrielle et de management. ». Ainsi Rastoin (2007) présente un
aperçu des méthodes d’analyse des filières agricoles qui ont été mobilisées depuis la création
du concept de filière. Les travaux se basant sur l’analyse de filière en France ont commencé
au début des années 1960 avec la modélisation des filières agricoles en utilisant la
comptabilité nationale (Bencharif et Rastoin, 2007). Ces méthodes sont ensuite complétées
par les travaux des planificateurs tels que Chervel (1987). Les premières analyses, pratiquées
par des économistes des services de planification s’intéressent à la formation des valeurs
ajoutées, aux niveaux relatifs des prix, aux échanges extérieurs aux filières (import-export),
entres autres. Les économistes industriels ont ensuite appliqué les méthodes telles que le
paradigme SCP (Structure, Comportement, Performances), puis l’analyse concurrentielle de
Porter (1993) et stratégique de Chevalier (1995). Ainsi, le modèle SCP est utilisé pour
examiner le comportement des firmes industrielles et mesurer leurs performances en partant
de la structure des marchés. Il est intéressant de noter ici que le modèle SCP est controversé
car il part d’un courant structuraliste qui accentue le caractère déterministe des structures sur
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
83
les choix stratégiques des acteurs, à l’instar du caractère déterministe des premiers travaux
utilisant la sociologie néo-institutionnelle. La théorie de l’avantage concurrentiel de Porter va
ensuite être utilisée surtout en transposant le concept de chaîne de valeur à la filière. Ainsi
cette approche considère la répartition de la valeur du produit, observée au stade du
consommateur, entre les différents partenaires de la filière analysée.
D’autres travaux ont recours à des théories économiques telles que la micro-économie néo-
classique, et surtout l’économie néo institutionnelle pour étudier les formes de coordination
dans les filières agroalimentaires (Ménard, 2000). Cela a donné lieu à plusieurs travaux tels
Codron et al. (1998) sur les relations entre fournisseurs et distributeurs dans la grande
distribution alimentaire; utilisation de la théorie des coûts de transaction pour analyser les
modes de coordination des acteurs dans deux filières AOC (Barjolle et Chappuis, 2000), ou
l’analyse des stratégies de qualités dans les filières vinicoles (Rousset, 2004).
Vers les années 2000, l’approche par la chaîne globale de valeurs (CGV) est utilisée pour
apporter une dimension pluridisciplinaire à l’étude des filières et étudier la gouvernance des
filières et les modes de coordination des acteurs. Cette approche, qui s’inspire de l’économie
industrielle, de l’économie évolutionniste et de la sociologie des organisations, s’articule
autour de quatre dimensions principales : une structure input-output, un espace géographique,
un système de gouvernance, et un contexte socio-institutionnel.
Bencharif et Rastoin (2007) soulignent les raccordements théoriques liés aux quatre
dimensions de la CGV. Selon ces auteurs, la structure input-output peut être analysée à
travers la comptabilité de branche, la méthode des effets et les bilans de produits; la structure
géographique décrite par les structures de marché; le contexte socio-institutionnel étudié à
partir de l’économie néo-institutionnelle et de l’économie politique; et le système de
gouvernance qui emprunte aux sciences de gestion, à la théorie des coûts de transaction, à la
sociologie des organisations et aux sciences politiques.
L’approche CGV trouve des applications empiriques dans plusieurs filières comme les
services (Rabach et Kim, 1994), les produits illégaux (cocaïne) (Wilson et Zambrano, 1994),
les chaussures (Schmitz, 1999), l’automobile (Kaplinsky et Morris, 2001;Humphrey, 2003) et
l’habillement (Gereffi et Memedovic, 2003; Gereffi, 1999; Palpacuer et al., 2005; Palpacuer,
2006). Les filières agricoles ont aussi été étudiées en utilisant l’approche CGV telles que les
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
84
fleurs coupées (Hughes, 2000; Wijinands, 2005; Mather, 2008 ; Pedrozo, 2010), le blé
(Bencharif et Rastoin, 2007), les fruits et légumes frais (Reynolds, 1994; Dolan et Humphrey,
2004; Bijman, 2006; Mather, 2008; Walter et Ruffier, 2007 ; Tozanli et El Hadad, 2007),
l’agroalimentaire (Palpacuer et Tozanli, 2008) entres autres.
Cependant la dimension socio-institutionnelle de l’approche CGV se base essentiellement sur
l’économie néo-institutionnelle pour aborder les règles, les normes et les aspects politiques
des filières. Bien qu’il y ait eu aussi une mobilisation de la sociologie des organisations pour
permettre de mieux comprendre l’offre et la structuration des acteurs dans les filières
agroalimentaires, comme par exemple l’application de Bréchet et Schieb-Bienfait (2005) sur
la filière des produits biologiques, nous avançons que la sociologie néo-institutionnelle
étendue a été très peu mobilisée pour analyser les changements qui se produisent au niveau
d’un champ organisationnel dans les filières agricoles et agroalimentaires. On ne retrouve
dans la littérature francophone et dans le secteur agroalimentaire qu’un travail sur les
entrepreneurs institutionnels du vin en France par Bourcieu et al. (2010). Il y a cependant
d’autres travaux francophones, européennes, et anglo-américaines qui empruntent le cadre
théorique de la SNI mais pas dans une perspective d’analyse de filière : la mobilisation contre
les organismes génétiquement modifiés (OGM) pour une agriculture durable (Brulé, 2009) ;
une méso analyse de la grande distribution agroalimentaire en Europe (Bager, 1997) ; et les
marques de distributeurs du terroir et la légitimité (Beylier et al., 2010). La section suivante
introduit la perspective institutionnelle dans l’analyse de filières agricoles.
Notre travail de recherche utilise donc une approche originale pour une analyse à deux
différents niveaux de filières agricoles : une méso analyse du champ organisationnel
représenté par la filière agricole et des interactions des différents acteurs principaux ; et une
micro-analyse du travail institutionnel de chaque acteur de la filière. Sous cet angle, la
sociologie néo-institutionnelle nous offre un champ théorique intéressant dans la mesure où
elle appréhende le fonctionnement des secteurs d’activités qui s’organisent autour
d’institutions héritées du passé et des règles de conduite et d’appartenances spécifiques.
D’autre part, les tenants de ce courant mettent en avant un cadre d’analyse original pour
intégrer la diversité des acteurs, à travers le concept de champ organisationnel.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
85
1.6.2 La perspective institutionnelle dans l’analyse de filières agricoles
La notion d’une filière agroindustrielle peut être schématisée selon la figure 1.6. Nous avons
rajouté une dimension institutionnelle pour rappeler que la filière opère dans un cadre
institutionnel qui influence le comportement des acteurs et qui est aussi influencé par les
acteurs.
Figure7 1.6: Modèle théorique 3: Schématisation du concept de filière
Source : l’auteur d’après (Rastoin, 2007)
Matières premières
Cœur de filière
(Transformation
industrielle)
Canaux de
distribution
Marché pertinent
(Produits
substituables)
Marchés
« amont »
(Fournisseurs)
Flux de produits
Chaîne de valeur
Flux monétaires
Marchés « aval »
(Clients)
Etat, Accords
Internationaux
Flux
d’informations
Environnement
institutionnel (formel et
informel)
Niveau Macro
Niveau Méso AVAL
AMONT
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
86
Le tableau 1.7 résume les approches théoriques et méthodologiques utilisées dans l’analyse
de filière d’après Bencharif et Rastoin (2007). Nous y avons rajouté l’utilisation de notre
cadre conceptuel.
Tableau8 1.7: Typologie de la recherche en analyse de filière appliquée à l’agroalimentaire
Types de travaux Bases théoriques et méthodologiques Date
Agribusiness et complexe
agroindustriel
Analyse input/output, économie industrielle 1957
Structure des marchés Micro-économie néo-classique 1980
Coordination des acteurs Economie néo-institutionnelle, Théorie des
coûts de transactions
1990
Dynamique et prospective Théorie des systèmes et analyse stratégique 1995
Chaîne globale de valeur Approche multidisciplinaire (économie,
gestion, sociologie)
2000
Changement institutionnel Sociologie néo-institutionnelle, entrepreneuriat
institutionnel, logique institutionnelle, travail
institutionnel
2013
Source : L’auteur adapté de (Bencharif et Rastoin, 2007)
La pertinence de l’utilisation de la sociologie néo-institutionnelle étendue dans une analyse
de filière agricole réside à quatre niveaux :
Premièrement, l’unité d’analyse de l’approche filière (la filière de production d’un
produit) et l’unité d’analyse de la SNI (le champ organisationnel) ont des similarités.
Ainsi si nous comparons la définition de Tallec et Bockel (2005) sur la filière de
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
87
production7 et la définition de DiMaggio et Powell (1983) sur le champ
organisationnel8 nous observons que l’accent est mis sur les agents et organisations
qui opèrent dans un marché pour un même produit. Le niveau d’analyse est méso-
économique dans les deux cas. Selon Fligstein (2001), les champs organisationnels
sont des arènes où interagissent les acteurs en place, qui bénéficient des arrangements
existants, et les contestataires, qui eux ont pour objectif de changer les règles pour
satisfaire leurs propres intérêts. Ainsi, en assimilant une filière de production à un
champ organisationnel, nous nous trouvons en mesure d’utiliser les éléments d’une
analyse institutionnelle sociologique tels le niveau de structuration de la filière, les
conditions au niveau de la filière entres autres pour comprendre les facteurs qui
peuvent favoriser une déstructuration de la filière de production.
Deuxièmement, l’utilisation de la SNI étendue dans une analyse de filière permet de
compléter cette analyse par une dimension sociologique et institutionnelle. Ainsi
selon Tallec et Bockel (2005), dans une analyse de filière classique, il y a tout d’abord
une analyse institutionnelle (identification des flux et des acteurs qui opèrent dans la
filière de production et analyse des nœuds de décisions et de collaboration entre les
acteurs); une analyse comparative (analyse des aspects concurrentielles dans des
filières connexes telles que les marges et les stratégies des acteurs); une analyse
fonctionnelle (identification des contraintes en amont et en aval de la filière), et une
analyse économique (utilisation d’outils de modélisation). Nous avançons que la SNI
étendue peut renforcer l’analyse institutionnelle des filières en mettant l’accent sur
l’aspect sociologique des interactions entre les acteurs et les piliers institutionnels. La
SNI se base sur les racines théoriques empruntées à des domaines divers chers aux
7 «l’ensemble des agents (ou fractions d’agent) économiques qui contribuent directement à la production, puis
à la transformation et à l’acheminement jusqu’au marché de réalisation d’un même produit agricole (ou
d’élevage)». (TALLEC, F. & BOCKEL, L. 2005. L'approche Filière. Analyse Fonctionnelle et Identification des Flux.
In: FAO (ed.) EASYPol. Rome: Food and Agriculture Organization.)
8 « les organisations, qui collectivement, constituent une zone reconnue de vie institutionnelle : les
fournisseurs clés, les demandeurs de ressources et de produits, les organismes de règlementation, et toutes
autres organisations produisant des produits et services similaires». (DIMAGGIO, P. J. & POWELL, W. W. 1983.
The Iron cage revisited: Institutional isomorphism and collective rationality in organizational fields. American
Sociological Review, 48, 147-160.)
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
88
sociologues tels que la phénoménologie, l’ethnométhodologie et la psychologie
cognitive. La pertinence du SNI se situe dans ses idées autour des structures
institutionnelles cognitives et normatives prises pour acquises et qui soit contraignent
les acteurs ou les soutiennent dans leurs actions. Ainsi, la perspective de la sociologie
néo-institutionnelle dans une analyse de filière nous permet de souligner l’importance
des institutions dans le fonctionnement des acteurs individuels et des organisations
dans la filière.
Troisièmement, la SNI nous permet de ramener l’analyse au niveau micro pour
comprendre les stratégies institutionnelles des acteurs d’une filière à travers les
concepts de l’entrepreneur institutionnel et du travail institutionnel. En utilisant les
apports des travaux sur l’entrepreneuriat institutionnel, nous arrivons à comprendre
quels sont les facteurs qui peuvent amener des entrepreneurs institutionnels à émerger
dans une filière de production ; et quelles peuvent être les stratégies institutionnelles
utilisées par les acteurs pour mener à bien leurs projets. De plus, il est aussi
intéressant de comprendre les actions collectives des différents acteurs vis à vis des
institutions soit pour la création, le maintien ou la déstabilisation institutionnelle.
Quatrièmement, l’utilisation de la SNI étendue donne la possibilité d’analyser les
effets d’un choc exogène à la filière en sus des changements endogènes, et les
répercussions sur les comportements stratégiques des acteurs et de déterminer si le
processus de changement institutionnel a été enclenché dans la filière.
Dans cette section, nous avons explicité comment l’utilisation de la perspective néo-
institutionnaliste dans une analyse de filière agricole peut nous apporter des éléments de
compréhension par rapport au travail institutionnel effectué par les acteurs/organisations sur
les institutions.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
89
SECTION 6 : Proposition d’un modèle conceptuel
Dans cette section, nous allons élaborer un modèle conceptuel, utilisant la perspective néo-
institutionnelle dans l’analyse de filières agricoles, basé sur les différents modèles théoriques
conçus dans les sections précédentes de ce chapitre. Notre modèle conceptuel utilise comme
grille de lecture un croisement de la littérature sur les logiques institutionnelles et la
littérature sur le travail institutionnel.
1.6.3 Proposition d’un modèle conceptuel utilisant la perspective néo-
institutionnelle dans l’analyse de filières agricoles
En utilisant les différents modèles théoriques (Figures 1.1, 1.2, 1.3, et 1.6) qui nous ont
semblé pertinents tout au long de notre revue de littérature, nous proposons un modèle
conceptuel (Figure 1.7) qui synthétise notre apport théorique de l’utilisation de la perspective
néo-institutionnelle dans l’analyse de filières agricoles.
La première partie de ce modèle conceptuel représente la schématisation d’une filière de
production avec un accent mis sur deux éléments importants de la filière : les acteurs
(individuels et les organisations) et la relation dans les deux sens (flèche 1 et 2) qui existent
entre eux et les piliers institutionnels (régulateurs, normatifs et culturel-cognitifs). Pour les
besoins de notre étude, nous nous focalisons sur l’influence des acteurs de la filière sur les
piliers institutionnels (flèche 2). Nous développons cette influence dans la deuxième partie du
modèle en essayant de comprendre l’apport des caractéristiques des acteurs et du champ
organisationnel sur l’intentionnalité des acteurs d’entreprendre un ou plusieurs types de
travail institutionnel (création, maintien ou destruction des institutions). Suite à ce travail
institutionnel, les acteurs mobilisent de façons stratégiques des ressources pour légitimer
leurs actions. Ces actions peuvent ou pas déboucher sur un changement institutionnel qui
affectera la filière et ses acteurs. La filière étant dynamique, le même processus
recommencera dès qu’un ou plusieurs acteurs décident de s’engager dans un travail
institutionnel.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
90
Figure8 1.7: Proposition d’un modèle conceptuel de l’utilisation de la perspective néo-
institutionnelle dans l’analyse de filière
Source: l’auteur
Notre revue de littérature autour du champ théorique de la sociologie néo-institutionnelle
nous a permis d’identifier les faiblesses de la SNI qui ont abouti à l’inclusion des recherches
sur l’entrepreneuriat institutionnel. Cependant les critiques sur la notion de l’entrepreneur
institutionnel ont subséquemment donné lieu à l’approche par le travail institutionnel qui
permet de prendre en considération tous les précédents travaux mais en rendant compte de la
multiplicité d’actions agentiques dans un champ organisationnel. De plus, nous utilisons un
autre pan de la littérature néo-institutionnelle qui a évolué autour du concept de logique
institutionnelle définit par Thornton et Ocasio (2008) comme les symboles culturels et les
pratiques matériels, incluant les hypothèses, les valeurs, et les croyances socialement et
historiquement construits, et qui sont utilisés par les individus et les organisations pour
donner un sens à leurs activités quotidiennes, les aider à organiser leur temps, et à reproduire
leurs expériences. La perspective des logiques institutionnelles est une meta théorie pour
analyser les interrelations entre les institutions, les individus et les organisations dans des
systèmes sociaux.
Les stratégies
de légitimation
des acteurs
Intentionnalité
des acteurs Type de
travail
institutionnel
Acteurs clés d’une filière
(individuels et
organisations)
Institutions
Pilier
Régulateur
Pilier
Normatif
Pilier
Culturel-
cognitif
Créer des
institutions
(Entrepreneuriat
institutionnel)
Maintenir des
institutions
Déstabiliser des
institutions
Champ organisationnel de la filière
(niveau méso)
Mobilisation
des
ressources
Processus du
changement
institutionnel
Type d’action
agentique
Les caractéristiques du champ
organisationnel
Les
caractéristiques
des acteurs
1 2
Les logiques
institutionnelles
de la filière
Formes de
travail
institutionnel
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
91
Nous allons utiliser cette grille de lecture dans le secteur agricole pour une analyse de filière
agricole. Ainsi pour comprendre le changement ou le maintien institutionnel qui peut avoir
lieu dans une filière, nous allons utiliser les apports du travail institutionnel et les relier à la
nature des interactions entre les organisations au niveau du champ organisationnel. Le niveau
de structuration des organisations dans un champ organisationnel est mesuré par des
indicateurs tels que le degré d’interaction entre les organisations, l’émergence de structures
inter organisationnelles de domination et d’alliance, l’accord sur les logiques institutionnelles
qui guident les activités du champ, le degré d’isomorphisme des formes structurelles par
rapport aux organisations qui utilisent un répertoire limité d’archétypes et d’activités
collectives ; et aussi une délimitation très clair des frontières du champ. En effet, la
structuration est un processus qui selon Greenwood et al. (2002) « décrit le processus de
maturité graduelle et de spécification des rôles, des comportements, et des interactions des
communautés d’organisations ». Cependant les frontières des champs et les comportements
ne sont pas fixes indéfiniment mais sont sujets à des conflits (Holm, 1995, Scott et al., 2000)
qui peuvent causer une déstructuration.
Notre cadre de référence conceptuel se base donc sur les récentes recherches sur le travail
institutionnel (Lawrence et Suddaby, 2006 ; Lawrence et al., 2009a, Lawrence et al., 2013) et
sera utilisé pour répondre à notre question suivante :
« Sous quelles conditions les acteurs d’une filière agricole mettent en œuvre
différents types (et formes) de travail institutionnel pour modifier les logiques
institutionnelles existantes de la filière ? »
Cette question de recherche utilise une variable dépendante, le type de travail institutionnel,
la création, le maintien ou la déstabilisation des institutions qui donne lieu à différents formes
de travail institutionnel (travail identitaire, travail sur les valeurs, travail culturel etc.). A
travers cette problématique, nous essayons de déterminer quels sont les facteurs explicatifs du
choix du type de travail institutionnel par les nouveaux acteurs d’un champ organisationnel,
et ensuite d’analyser les stratégies institutionnelles utilisées par les acteurs en place,
exprimées sous différentes formes de travail institutionnel, face aux nouvelles logiques
institutionnelles. Le schéma présenté dans la figure 1.8 synthétise les relations entre notre
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
92
variable dépendante représentant le choix du type de travail institutionnel et les variables
indépendantes.
Figure9 1.8: Schématisation des variables dépendantes et indépendantes de la question de
recherche
Dans cette section, nous avons ainsi proposé un cadre conceptuel qui met en relation les
caractéristiques du CO (degré d’institutionnalisation et l’hétérogénéité des logiques
institutionnelles) et des acteurs (l’orientation et la position sociale) et le type de travail
institutionnel (création, maintien ou destruction). Ce modèle doit maintenant être appliqué
aux filières agricoles de l’Ile Maurice et en particulier les filières sucre et légumes qui ont
subit un choc exogène. Le chapitre 2 présentera les caractéristiques de ces 2 CO qui nous
serviront de terrain d’application de notre modèle et nous aidera à développer nos
propositions de recherche.
Variable dépendante
Choix du type de
travail institutionnel
Variables
indépendantes
Facteurs
explicatives
Créer
Maintenir
Destabiliser
Processus de
changement
institutionnel
Déterminants du
travail institutionnel
Type de
Travail
institutionnel
Conséquences
du travail
Institutionnel
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES
AGRICOLES
93
Conclusion du chapitre 1
Ce chapitre nous a permis de passer en revue l’évolution de l’utilisation de la théorie néo-
institutionnelle dans les études organisationnelles de la fin des années 1970 avec les travaux de
Meyer et Rowan (1977) aux récentes études sur le travail institutionnel (Lawrence et Suddaby;
2006 ; Lawrence et al., 2009b ; Lawrence et al., 2013).
Les premiers travaux des années 1980 mettent l’accent sur le phénomène de mimétisme à travers
lequel les organisations adoptent des comportements similaires dans leur champ organisationnel
pour devenir isomorphes et ainsi se légitimer. En considérant que les institutions subissent des
pressions et changent, les travaux qui suivent se concentrent sur le changement institutionnel en
décrivant essentiellement des chocs exogènes qui défient les institutions. Suite au plaidoyer de
DiMaggio (1988) pour rendre compte de l’action agentique dans l’analyse institutionnelle, les
chercheurs se sont concentrés sur les sources endogènes de changement institutionnel et
notamment le rôle des acteurs. DiMaggio (1988) introduit ainsi le concept d’entrepreneur
institutionnel, en se basant sur les travaux de Eisenstadt (1980 ) pour décrire le rôle des acteurs et
de leurs actions dans la création, diffusion et stabilisation des institutions. L’article de DiMaggio
inspire de nombreux travaux sur l’entrepreneuriat institutionnel de 1990 à 2010. Cependant, Holm
(1995) soulève le paradoxe de l’acteur encastré qui relève de la tension qui existe entre les
structures institutionnelles de nature déterministes et l’action agentique. Des critiques sur le
caractère héroïque de l’entrepreneur institutionnel et l’oubli du rôle des autres acteurs poussent
certains chercheurs à développer l’approche du travail institutionnel. Le travail institutionnel
entend ainsi prendre en considération le rôle agentique de tous les acteurs d’un champ
organisationnel dans le processus de création, de maintien, ou de déstabilisation des institutions.
Cette revue de littérature sur la sociologie néo institutionnelle et ses nouvelles approches en études
des organisations, nous donne une grille de lecture et un référentiel théorique basés sur le travail
institutionnel, tout en gardant la richesse des travaux sur l’entrepreneuriat institutionnel sans
tomber dans sa démesure. Ce cadre de référence théorique nous permet de proposer un modèle
conceptuel. Pour nous permettre de relier ce modèle conceptuel à un contexte empirique, nous
décrivons le contexte de notre recherche dans le prochain chapitre
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
Chapitre 1:
Les apports de la sociologie néo institutionnelle
à l’analyse de filières agricoles
PREMIERE PARTIE:
L’ANCRAGE THEORIQUE ET
LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
Chapitre 2 :
Le contexte de la recherche :
Les filières canne à sucre et légumes mauriciennes
Chapitre 3 : Les propositions de recherche
Conclusion de la partie théorique et contextuelle
Résumé d’un cadre d’analyse de l’apport des logiques institutionnelles
et du travail institutionnel dans une analyse de filière
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
95
Chapitre 2 : Le contexte de la recherche : Les filières
canne à sucre et légumes mauriciennes
Introduction
La République de Maurice (désormais Maurice), est un état insulaire situé dans l’ouest de
l'océan indien, et comprend l’île principale, Maurice, et les îles avoisinantes tels que
Rodrigues, Agalega, St Brandon, Tromelin et des petits îlots. Maurice a été successivement
colonisée par les hollandais, les français et les britanniques avant d’acquérir son indépendance
le 12 mars 1968, et le statut de république, le 12 mars 1992. Maurice compte
approximativement 1,3 millions d’habitants de cultures et d’origines divers à ce jour. La
surface totale de la république mauricienne est de 2045 km2, avec une zone économique
exclusive de 1,9 million km2
. Les îles Maurice et Rodrigues comptent 1969 kilomètres carrés
(186500 hectares).
En se référant à l’histoire de Maurice, la forte dépendance de ce pays sur la culture
commerciale de la canne à sucre est presque tricentenaire. Cette monoculture a contribué au
développement économique du pays en lui permettant d’investir dans d’autres piliers de
l’économie tels que le secteur manufacturier (notamment les usines de textile), le secteur du
tourisme, et plus récemment le secteur des services financiers. Cela explique pourquoi la
réforme du protocole sucre entre l’UE et les pays ACP en 2006, a causé une pression exogène
forte sur la filière sucre avec pour conséquence une restructuration de cette filière. Une filière
voisine, la filière légumes a subi à son tour une pression indirecte avec l’entrée de nouveaux
acteurs venant de la filière sucre.
Ce chapitre a pour objectif de décrire la structure et le fonctionnement de la filière canne à
sucre et de la filière légumes pour que l’on puisse bien saisir les enjeux de chaque filière.
Nous décrirons ensuite le choc exogène, causé par la réforme du protocole sucre, avec des
conséquences directes sur la filière sucre et indirectes sur la filière légumes.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
96
SECTION 1 : La genèse du secteur agricole mauricien
Cette première section a pour objectif de préciser les conditions naturelles et historiques qui
ont aidé à façonner le secteur agricole mauricien. Nous verrons ce que les différentes périodes
de colonisation de Maurice ont apporté au développement des filières agricoles et l’emphase
sur la filière canne à sucre pendant les quatre décennies qui ont suivi l’indépendance de
Maurice.
2.1 Le contexte économique de la république de Maurice : Un bref
profil
D’après l’African Economic Outlook (AEO, 2011), la République de Maurice a mis l’accent
sur la diversification des quatre piliers de son économie- le sucre, le textile, le tourisme et les
services financiers pour pallier les chocs, accroitre sa productivité et sa compétitivité, et
encourager la croissance économique et la création d’emplois.
Le Produit Intérieur Brut (PIB) est passé de 3,1 % en 2009 à 4,1 % en 2010, et le pays a pu
maintenir une croissance économique malgré les défis au niveau local et international. Le taux
d’inflation est passé de 2,5 % à 2,9% de 2009 à 2010. En 2010, les arrivées touristiques
étaient estimées à 934000 personnes équivalentes à des revenues de l’ordre de MUR 10,6
milliards. Le secteur primaire (essentiellement le secteur agricole) a connu une baisse de
croissance (-2,5%) en 2010 à comparer à une baisse de 8,7% en 2009. Le secteur secondaire a
aussi connu une légère baisse de croissance (-2,9%) en 2010 contre -3% en 2009. Le secteur
tertiaire lui a connu un taux de croissance de +4,8% en 2010 contre +2,8% en 2009.
Les principaux partenaires commerciaux de Maurice restent la France et la Grande Bretagne.
Cependant Maurice a aussi de nouveaux alliés économiques tels que l’Inde et la Chine pour le
commerce et l’investissement. D’autres partenaires émergents sont la Malaisie, Singapour et
les Emirats Arabes Unis.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
97
2.2 Le secteur agricole mauricien : historique et bilan
Cette section présente l’apport de l’histoire au développement du secteur agricole mauricien.
Nous pensons que comprendre les étapes qui ont menées à la formation de différentes filières
de production agricoles depuis la colonisation de l’ile est importante car cela nous renseigne
sur la formation des institutions qui structurent les filières et les actions des acteurs qui y
opèrent.
2.2.1 Des colonies à l’indépendance en 1968
L’île Maurice, nommée Mauritius par les hollandais lors de la prise de possession de l’île en
1598, a connu ses premiers actes d’agriculture en 1639 après l’installation des hollandais en
1638 à travers la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales. Le développement de la
culture de la canne à sucre à Maurice est étroitement lié à l’histoire du pays et de son
peuplement. Les premières tiges de canne à sucre furent introduites à Maurice en novembre
1639 de Java, de même que des semences, des fruits, et des animaux. La production de sucre
n’étant pas viable à l’époque, l’accent était mise sur la production de l’arrack, l’ancêtre du
rhum, produit de la fermentation de la canne à sucre. Ce n’est que vers la fin du 17e siècle que
les hollandais se tournèrent vers la production du sucre roux et raffiné en utilisant des esclaves
africains comme main d’œuvre. Les hollandais ont aussi introduit d’autres cultures tels que
les cultures vivrières, le maïs, la patate douce, le riz, le blé, le tabac, l’indigo, la vigne, les
légumes, l’ananas et d’autres fruits (Manrakhan, 1997). Cependant les hollandais durent
abandonner Maurice en 1710 à cause de problèmes tels que les dégâts causés aux productions
agricoles par les cyclones, les sècheresses et les rats.
Les français prirent possession de l’île Maurice en 1715 et la renommèrent l’Isle de France.
Les premiers colons français arrivèrent en 1721, mais l’île commença à prospérer
économiquement à partir de 1735 avec l’arrivée de Mahé de Labourdonnais, administrateur
employé par la Compagnie Française des Indes Orientales. Sous l’administration de
Labourdonnais, Maurice devint un centre majeur en termes d’activités commerciales,
maritimes et militaires. Le tableau 2.0 présente les cultures agricoles vers le milieu du 18e
siècle jusqu’au début du 19e siècle.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
98
Tableau9 2.0: Cultures agricoles sous l'occupation française de Maurice
Cultures agricoles (Tonnes)
Période Milieu des
années 1760
Milieu des
années 1770
Vers la fin des
années 1780
Début des
années 1800
Clous de girofles * 5 5 15
Café * * 125 175
Coton * 20 150 70
Graines 70 100 70 *
Indigo * * 1 35
Mais 780 1750 890 Pas disponible
Manioc Pas disponible Pas disponible 7500 Pas disponible
Riz 240 150 70 Pas disponible
Sucre Pas disponible 225 2750 4000
Blé 160 500 330 Pas disponible
Clé : * - pas de production Source : (Manrakhan, 1997)
L’Isle de France fut capturée par les anglais en 1810, officiellement cédée par la France en
1814, et sera rebaptisée Maurice. Le gouverneur anglais, Sir Robert Farquhar joua un rôle
important dans la promotion de la culture de la canne à sucre en demandant au parlement
britannique la baisse de la taxe de sortie sur le sucre mauricien en 1826. Plusieurs facteurs à
ce moment contribuent au développement de l’industrie sucrière mauricienne : la baisse sur la
taxe de sortie pour le sucre exporté, la compensation de 2,1 millions de livre sterlings
accordée aux producteurs sucriers pour la libération des esclaves, l’arrivée des travailleurs
indiens sous contrat dans les champs de canne, ainsi que des progrès techniques au niveau des
champs et des usines sucrières.
Vers les années 1830, il y avait 16000 hectares sous culture de canne à sucre avec une
production annuelle de 35000 tonnes de sucre. Avec l’affranchissement des esclaves en 1835
et l’arrivée des travailleurs indiens, l’industrie sucrière connut une expansion à partir de 1840.
La superficie sous canne à sucre passa à 51000 hectares et la production sucrière tourna
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
99
autour de 125000 à 130000 tonnes par an. La Station Agronomique, un centre de recherche
agricole, fut mis sur pied en 1893.
Au début du 20e siècle, le nombre d’usines sucrières en opération fut réduit de 303 en 1863 à
80 en 1903, et un tiers des superficies sous canne à sucre appartenaient aux petits producteurs
d’origine indienne. Maurice bénéficia aussi d’un marché garanti et de prix élevés grâce au
système impérial britannique pour l’exportation du sucre sur le Royaume Uni. L’accord
international sur le sucre devint opératoire en 1953 et permit à Maurice de bénéficier de prix
et de marchés garantis.
En 1960, une commission présidée par le professeur J.E Meade (Prix Nobel d’Economie en
1977) travailla sur la structure économique et sociale de Maurice et conclut, par rapport au
secteur agricole, qu’il fallait réduire l’expansion de l’industrie sucrière, et augmenter la
production de cultures vivrières, légumes, et production animale. Trois ans plus tard, une
deuxième commission sur l’industrie sucrière mauricienne, présidée par le Dr T Balogh de
l’université d’Oxford, émit des avis contraires au rapport Meade. Le rapport Balogh
recommanda la contribution et la collaboration de l’industrie sucrière pour la diversification
de l’économie mauricienne. Les recommandations du rapport Meade furent cependant
implémentées avec l’objectif principal de réduire les importations et créer l’emploi à Maurice.
Après l’indépendance de Maurice en 1968, le pays connut une nouvelle phase
d’industrialisation avec la création de la zone franche manufacturière en 1970. Ainsi
commença la diversification massive de l’économie mauricienne en utilisant les revenues de
l’industrie sucrière.
2.2.2 De l’indépendance en 1968 à nos jours
Au début des années 1970, la répartition des terres à Maurice était à prédominance agricole
(48,3%) sur les 186500 hectares de terres disponible (Figure 2.0).
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
100
Figure10 2.0: Répartition des terres au début des années 1970
Source : (Manrakhan, 1997)
Vers le milieu des années 70, il y a eu une transition marquée dans l’économie du pays, d’une
prédominance agricole à une économie basée sur l’industrie, le secteur des services et le
tourisme. Bien que l’importance du secteur agricole ait connu une baisse au fil du temps, ce
secteur a quand même retenu une place importante dans l’économie du pays surtout par
rapport à la filière sucre. La contribution de secteur agricole au PIB est ainsi passée en 40 ans
de 23 % en 1970 (Manrakhan, 1997, p6) à 3,8 % en 2010 (Figure 2.1). Ce déclin est
essentiellement dû à la baisse de production agricole au niveau de la canne à sucre, des
cultures vivrières et de la production animale. En parallèle, d’autres piliers de l’économie, tel
que le secteur des services, notamment le secteur financier et l’hôtellerie ont pris une
importance grandissante. D’après la Chambre de Commerce et d’Industrie de Maurice
(MCCI, 2011), il y a eu une baisse de 4,6 % en termes de valeur ajoutée du secteur agricole de
10,8 à 10,3 milliards de roupies en 2010, bien que l’industrie sucrière se soit tournée vers la
production de sucre raffiné à haute valeur ajoutée.
Zones de construction
14%
Réservoirs et routes3%
Forêts et paturages35%
canne à sucre45%
thé2%
Autres cultures 1%
Production Agricole48%
Début des années 1970
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
101
Figure11 2.1 : Contribution du secteur agricole au PIB de 1980 à 2010
Source : (CSO, 2010)
Maurice, avec 1,3 millions d’habitants, consomme autour de 630000 tonnes par an de produits
alimentaires sous diverses formes-matières premières, produits frais, surgelés, transformés,
etc. Le pays ne produit que 27% de cette consommation. En 2010, les importations de
produits alimentaires (produits de consommation et animaux vivants) se sont chiffrées à 24
millions de roupies ce qui représentent 17,7 % de la totalité des importations du pays (Figure
2.2).
Figure12 2.2 : Importation de produits alimentaires et animaux vivants 2000-2010
Source : (CSO, 2010)
17
74.3 3.8
2624
2220.1
57
69
7476.3
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
1980 2005 2009 2010
Co
ntr
ibutio
n a
u P
IB (
%)
Année
Secteur Agricole (%) Industrie (%) Secteur des Services (%)
12,6 %
14,8 %
17,7 %
0.0
2.0
4.0
6.0
8.0
10.0
12.0
14.0
16.0
18.0
20.0
2000 2005 2010
% d
e la
to
tali
té d
es
imp
ort
atio
ns
Importation de Produits Alimentaires et Animaux vivants
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
102
2.2.2.1 Le secteur non-sucre
Le secteur agricole mauricien est arbitrairement divisé en deux grandes catégories : le secteur
sucre et le secteur non-sucre (littéralement, toutes les productions agricoles (végétales et
animales) autre que la production de la canne à sucre). La description du secteur sucre sera
reprise en détail dans la section 2.3. Nous nous attarderons ici à décrire dans les grandes
lignes le secteur non-sucre, avant de détailler la filière qui nous intéresse dans ce secteur,
notamment la filière des légumes, dans la section 2.4.
Le secteur non sucre de l’agriculture mauricienne est divisé en deux grandes catégories
(Tableau 2.1) : les activités primaires (horticulture, élevage et aquaculture), et les activités
secondaires de transformation (l’agro-industrie). Les activités sont classées par ordre
d’importance par rapport à leur contribution au secteur non-sucre.
Les caractéristiques du secteur non-sucre sont les suivantes :
Une grande partie du secteur est constituée de production de produits frais (légumes,
fruits) consommés sans transformation.
L’aviculture (notamment le poulet de table) représente la part la plus importante de la
production animale de Maurice avec une intégration verticale de la production des
poussins jusqu’à la transformation de la volaille pour le marché domestique.
Le secteur de l’agro-industrie est aussi constitué d’un nombre restreint d’entreprises
engagées dans la production de produits de base tels que la farine de blé, l’huile
comestible, les produits laitiers frais, les provendes (aliments pour animaux) ; la
margarine entres autres. Cependant il y a une dépendance forte sur les matières
premières importées.
Il y a en parallèle de nombreuses petites entreprises semi-industrielles ou artisanales
utilisant dans la plupart des cas des intrants locaux.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
103
Tableau10 2.1 : Structure du secteur agricole non-sucre
Activités Primaires Activités Secondaires (Transformation)
Horticulture Elevage Aquaculture Industrielle Semi-
industrielle Artisanale
Gra
nd
e Im
po
rta
nce
Légumes Avicole Conserverie de thon
Minoterie
Provenderie
Raffinerie d’huile
Volaille
Fleurs
Moyen
ne
imp
ort
an
ce
Fruits Porcin Produits laitiers
Fruits et légumes
Pâtes/nouilles
Boulangerie
Pâtisserie
Confiserie
Fruits et
légumes
Moin
dre
im
port
an
ce
Bovin
Ovin
Caprin
Pisciculture
Crustacés
Pâtes/
Nouilles
Produits
laitiers
Fruits et
légumes
Pâtes/
Nouilles
Produits
laitiers
Boulangerie
Pâtisserie
Source : Adapté de (Humbert, 2003)
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
104
Les indicateurs du secteur non-sucre
La figure 2.3 montre l’importance grandissante du secteur non-sucre par rapport au secteur
sucre à partir de 2006.
Figure13 2.3 : Contribution du secteur non-sucre au PIB de 2000-2010
Source : (CSO, 2010)
Ce graphique nous démontre la baisse de la contribution de l’industrie sucrière à partir des
années 2000 tournant autour de 3% pendant quelques années pour continuer à baisser à partir
de 2006 et arriver à 1,1 % en 2010. En parallèle, le secteur non-sucre a connu une légère plus
grande contribution au PIB à partir de 2007 pour tourner autour de 2,5%.
Le graphique suivant (Figure 2.4) illustre l’évolution de la production totale de produits
agricoles non sucre à Maurice de 1970 à 2000, en faisant la différence entre produits
primaires et produits secondaires (transformés).
Figure14 2.4: Evolution de la production de produits primaires et transformés de 1970-2000
Source :(Humbert, 2003)
1976 1980 1985 1990 1995 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
Sucre 17.8 8.1 11.1 8.1 5.8 3.3 3.7 2.9 3.1 3.2 3.0 2.6 2.0 1.8 1.4 1.1
Non Sucre 4.7 4.3 4.2 4.0 3.7 3.2 3.2 3.0 2.9 2.9 2.7 2.6 2.5 2.3 2.5 2.5
0.0
2.0
4.0
6.0
8.0
10.0
12.0
14.0
16.0
18.0
20.0
% P
IB
Annonce par l'UE de la
réforme du
protocole sucre
Fin du protocole
sucre
0
50
100
150
200
250
300
350
1970 1975 1980 1985 1995 2000
Ton
ne
s
Produits primaires
Produits transformés
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
105
Il ressort de ce graphique que la production totale du secteur non sucre a doublé sur la période
1970 à 2000. Cependant c’est l’agro-industrie qui a contribué à cette croissance.
2.2.2.2 Les politiques de diversification agricoles mauricienne du secteur
non-sucre: de l’indépendance à 2008
En 1968/69, Maurice, jeune pays indépendant, adopte des mesures pour sortir de l’austérité :
les priorités sont axées sur le développement du secteur agricole, le tourisme et le secteur
manufacturier. Avec une coupe record de 718000 tonnes de sucre en 1973, le pays a connu
une période de prospérité de 1973 à 1979. Les investissements furent concentrés en priorité
sur le secteur manufacturier et le secteur du tourisme, négligeant le secteur agricole. En dix
ans depuis l’indépendance, le pays se retrouva dans l’austérité avec à la clé une dévaluation
de la roupie mauricienne en 1979. Malgré l’accent sur le secteur sucrier, il y eut à travers les
années de grandes orientations politiques (Tableau 2.2) au niveau national pour développer le
secteur non-sucre.
Tableau11 2.2: Les principales initiatives des politiques publiques dans le secteur non-sucre de
1970 à 2008
Année Principales initiatives des politiques publiques
1974 National Foodcrop Production Committee
1979 National Agricultural Production Conference
1980 High Powered Committee
1983 White Paper on Agricultural Diversification
1988 Sugar Industry Efficiency Act
2003 Non Sugar Sector Strategic Plan 2003-2007
2007 Strategic Options for Crop Diversification and Livestock 2007-2015
2008 A Sustainable Diversified Agri-Food Sector Strategy for Mauritius 2008-2015
2008 Food Security Fund Committee Strategic Plan 2008-2011
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
106
Les politiques agricoles mauriciennes de diversification peuvent être catégorisées en quatre
décennies distinctes : Les années 1970, 1980, 1990, et 2000
Première décennie: Les années 1970
Vers le milieu des années 1970; les acteurs clés du secteur agricole mauricien se rendirent
compte qu’il fallait à tout prix diversifier la production agricole pour réduire la dépendance
sur l’importation due à l’inflation grandissante dans le monde et les conséquences de la
flambée du prix du pétrole sur l’économie mauricienne.
Une première stratégie de diversification agricole vit le jour en 1974 et dura jusqu’à 1990. Un
comité national sur les cultures vivrières (National Foodcrop Committee) fut établi la même
année. Ce comité recommanda une politique de substitution à l’importation pour atteindre
l’autosuffisance pour certaines commodités agricoles pour réduire la dépendance de Maurice
des importations de produits alimentaires.
En 1979, une conférence nationale sur la production agricole (National Agricultural
Production Conference) fut tenue avec pour objectif de donner un nouveau départ à la
diversification agricole.
Pendant cette décennie, on peut aussi noter les mesures incitatives et les changements dans la
structure du secteur agricole suivants :
Promotion des cultures vivrières en entrelignes dans les champs de canne, dans les
terres de rotation de la canne à sucre, et dans les potagers permanents9.
L’institut de recherche sur l’industrie sucrière (MSIRI) s’intéresse aux cultures
vivrières telles que la pomme de terre, la pomme d’amour entres autres.
9 Un potager permanent d’après la loi sur l’efficience de l’industrie sucrière (SIE Act, 1988), se réfère à un
terrain consacré pendant au moins 8 années à la production de cultures horticoles ; ou une serre
hydroponique ; ou à la production de champignon ; ou encore à l’aquaculture.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
107
Diversification dans l’élevage pour produire de la viande bovine et du lait.
Lancement de l’élevage de crevettes géantes d’eau douce (Macrobrachium
rosenbergii) appelées communément ‘camaron’ à Maurice.
Mise sur pied de l’Office des Marchés (Agricultural Marketing Board-AMB) comme
recommandé par les rapports Meade et Balogh
Mise sur pied d’une organisation publique ayant autorité dans le domaine de la
production de viande, la Mauritius Meat Authority
Deuxième décennie: Les années 1980
En Mai 1980, la chambre d’Agriculture (Mauritius Chamber of Agriculture-MCA désormais),
en réaction à la demande des politiques publiques de diversifier le secteur agricole, invita les
producteurs agricoles à produire davantage de sucre et de cultures vivrières mais non au
détriment de l’industrie sucrière.
Début septembre 1980, deux journées de réflexions sur les moyens de promouvoir la
diversification agricole eurent lieu avec de nombreux experts du secteur agricole mauricien.
L’accent fut mis sur la production de riz grâce à un fonds d’aide de l’UE, ce qui aida à
transformer environ 100 hectares en riziculture. A l’issue de ces journées de réflexion, le plan
de 1980 sur la diversification agricole fut présenté et un comité avec des pouvoirs élargies
(High Powered Committee) et présidé par le ministre de l’agriculture de l’époque fut instauré
pour veiller à la bonne mise en œuvre de ce plan.
Le plan de diversification agricole de 1980 identifia les contraintes à une augmentation de la
production alimentaire telles que la disponibilité de terres agricoles ; le manque d’irrigation
dans les zones de cultures ; disponibilité de la main d’œuvre ; les facilités de crédits ; la
politique fiscale ; la politique des prix ; l’absence d’un système d’assurance des récoltes ; la
commercialisation et le stockage des produits ; et l’appui de la recherche agricole.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
108
En prenant en considération ces contraintes, le plan de diversification agricole de 1980
prévoyait les stratégies suivantes :
Production de riz sur une base de projets-pilotes gérés en activités commerciales. Les
producteurs de légumes ainsi que ceux des établissements sucriers sont concernés. La
priorité est axée sur l’irrigation des plaines du Nord et de l’ouest de Maurice
Doubler la production de mais pour passer à 8000 tonnes par an en 1985. Subsides
accordés à l’AMB pour l’importation des semences de maïs.
Production animale (viande bovine, cerf, mouton et porc)
Production laitière
En 1983, le ministère de l’agriculture publia un livre blanc sur la diversification agricole
(White Paper on Agricultural Diversification) avec pour objectif de relancer la production
horticole et animale et de consolider la politique de substitution à l’importation.
En 1984, les politiques publiques encouragèrent le développement de l’agro-industrie et
l’exportation des produits à haute valeur ajoutée.
En 1988, une nouvelle loi fut promulguée concernant l’efficience au niveau de l’industrie
sucrière (Sugar Industry Efficiency Act) avec pour but d’encourager les établissements
sucriers à louer davantage de terres pour la production vivrière. Des amendements furent
apportés à cette loi en 2001 et puis en 2007 pour répondre aux exigences de l’industrie
sucrière.
Les initiatives et les mesures incitatives de cette décennie sont les suivantes :
Allocation d’un certificat de développement au secteur agricole non-sucre
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
109
De nombreuses mesures incitatives telles que des subventions, des prêts à taux
d’intérêts préférentiels ; des subventions sur les intrants ; des exonérations des droits
de douane sur l’importation d’équipements agricoles entres autres.
Contrôle de l’AMB sur les importations de produits agricoles, et offre des prix et un
marché garantis pour certaines productions locales stratégiques telles que la pomme de
terre, l’oignon, l’ail, le maïs et l’arachide
De nombreuses mesures incitatives pour promouvoir l’agro-industrie
La libéralisation des exportations de fruits et de légumes
Etablissement d’un organisme parapublic, le conseil sur la recherche agro-alimentaire
(Food and Agricultural Research Council- FARC) en 1985 pour coordonner
uniquement la recherche et la vulgarisation des techniques dans le secteur agricole non
sucre
En faisant un premier bilan de la période de 1970 à 1990, on note que Maurice a pu atteindre
l’autosuffisance dans la pomme de terre de 1985 à 1987 ; il y eut aussi une augmentation dans
la production de maïs jusqu’à 40% des besoins du pays à l’époque.
Cependant ces deux décennies de diversification connurent un succès mitigé à cause des
raisons suivantes (Jugernauth, 2008) :
La politique des autorités mauriciennes était claire et visait l’autosuffisance
alimentaire et la substitution des importations.
Les établissements sucriers avaient participé en utilisant des cultures interlignes avec
la canne à sucre, ou dans des terres en rotation. Ces établissements étaient rassurés par
les travaux de la MSIRI démontrant que les cultures de diversification n’avaient pas
d’effets néfastes sur la production de la canne à sucre.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
110
Le gouvernement mauricien introduisit de nombreuses mesures telles que les subsides
aux producteurs, les facilités de stockage et d’écoulement des produits, et des prix
garanties par l’Office des Marchés (l’Agricultural Marketing Board) pour encourager
les producteurs à augmenter leurs productions et à s’intéresser à d’autres cultures sans
avoir besoin d’investir dans la commercialisation des produits.
Soutien technique de la production agricole par des organismes de recherche tel que
l’industrie mauricienne de recherche sur l’industrie sucrière (MSIRI) ; les services
publics de recherche agricole ; l’expertise étrangère ; ainsi que les fonds d’aide
internationale ont aussi contribué à la promotion de la production agricole locale.
Cependant malgré tous les efforts des politiques publiques, de nombreuses productions
agricoles (riz, maïs, arachide) durent être abandonnées face aux sérieuses difficultés durant
leur phase de développement. Les raisons de ces échecs sont décrites brièvement ci-dessous :
La production de riz commença avec des projets pilotes vers la fin des années 1970.
Ces projets échouèrent parce que les variétés de riz avaient un faible rendement car
pas adaptées aux conditions locales ; les conditions locales (cyclones et sècheresses)
rendait la culture de riz très fragile ; et les importations de riz coûtaient moins cher
(MUR 3500/tonne) à comparer par rapport au coût de production (MUR
10000/tonne).
En 1983, le gouvernement voulait atteindre l’autosuffisance dans la production du
maïs en encourageant la production entre lignes dans les champs de canne à sucre et
les plantations à pleins champs. L’accent fut donc mis sur la recherche variétale et les
techniques de production. Les autorités mauriciennes encouragèrent les producteurs de
maïs en offrant un prix garanti, et en finançant, à travers le fonds de développement
européen, la construction de trois centres de séchage pour la transformation du maïs
destiné aux usines de fabrication d’aliments pour animaux. Cependant la production
de maïs commença à baisser à partir de 1986 de 6000 tonnes en 1985 pour arriver à
300 tonnes 10 ans plus tard. Cette baisse est essentiellement due au prix garanti qui est
resté à MUR 4240 de 1986 à 1988 (pour atteindre un pic de MUR 5000/tonne en
1989) et qui ne permettait pas de couvrir les coûts de production. De plus le prix du
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
111
maïs importé passa de MUR 3350/tonne en 1985 à MUR 2000/tonne en 1988, ce qui
rendait la production locale moins économique. D’autres facteurs ayant causé le déclin
de la production de maïs inclus l’incidence de la culture entreligne du mais sur le
rendement de la canne à sucre ; les effets désastreux des cyclones, et le manque
d’irrigation.
Troisième décennie: Les années 1990
Les principaux évènements par rapport à la diversification du secteur non sucre de cette
décennie sont les suivants ;
Etablissement d’une unité de recherche et de vulgarisation agricole parapublique,
l’Agricultural Research and Extension Unit (AREU) pour s’occuper de la recherche et
de la vulgarisation agricole dans le secteur non sucre uniquement.
Libéralisation des cultures telles que la pomme de terre et l’oignon
Libéralisation du secteur de l’élevage
Retrait de l’Etat au niveau des subventions agricoles et des produits contrôlés
Cette troisième décennie de diversification agricole (1990-2000) n’a pas connu de succès et
les cultures visées ont surtout régressé à l’exception des légumes qui n’étaient pas dans le
plan. Les raisons de l’échec de cette diversification sont les suivantes :
Changement de politiques publiques- pas de politique de substitution à l’importation
mais accent sur les cultures rentables.
Disparition des subsides mais maintient des prix garantis sur la pomme de terre et
l’oignon.
Augmentation des coûts de production due à l’augmentation du prix de la main
d’œuvre et des intrants (fertilisants et produits phyto sanitaires).
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
112
Quatrième décennie : Les années 2000
La quatrième décennie de diversification agricole démarre avec en 2001 un rapport de la
Chambre d’Agriculture sur la nouvelle orientation stratégique de l’agro-entrepreneuriat à
Maurice (New Strategic Orientation for the Agribusiness Sector in Mauritius). Ce rapport
avait pour but de revisiter l’approche traditionnelle utilisée dans les précédentes décennies
pour diversifier le secteur agricole non sucre. Les stratégies proposées étaient centrées sur une
approche plus réaliste des objectifs de production, l’accent sur la valeur ajoutée aux produits
primaires, et la coopération régionale dans le secteur agricole.
Les propositions de la Chambre d’Agriculture ainsi que les contributions d’autres
professionnels dans le secteur permirent à l’AREU de publier en 2003 le plan stratégique du
secteur non sucre (Non Sugar Sector Strategic Plan-NSSSP 2003-2007). Le NSSSP avait pour
ambition de moderniser la production agricole non sucre en utilisant de nouvelles
technologies telles que la biotechnologie ; de faire de Maurice un pôle d’excellence régional
dans trois domaines : l’agro-industrie, l’utilisation de la biotechnologie dans les secteurs
agricole, et la recherche et formation agricole.
En Avril 2006 se tint un forum sur l’agro-entrepreneuriat avec les professionnels du secteur
agricole mauricien. L’objectif de ce forum était de faire un état des lieux et d’explorer de
nouvelles opportunités telles que l’exportation. A l’issu de ce forum, l’accent fut mis sur la
recherche de nouvelles technologies, l’innovation, l’entrepreneuriat et les normes sanitaires.
En 2007, l’AREU publia les options stratégiques pour la diversification horticole et animale
(Strategic Options for Crop Diversification and Livestock 2007-2015). Ce plan s’appuya sur
le NSSSP et formula de nouvelles stratégies prenant en considération les enjeux tels que la
restructuration de l’industrie sucrière, la politique de sécurité alimentaire du pays, de même
que les projections d’augmentation de nombre de touristes dans les années à venir. Les
objectifs définis dans le plan de 2007 sont entres autres d’augmenter la production agricole et
alimentaire d’une façon durable et compétitive : en utilisant des méthodes de production
innovantes; en commercialisant des nouveaux produits à valeur ajoutée; et en dénichant de
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
113
nouveaux marchés. Le plan se concentra sur l’identification d’opportunités, l’aptitude des
terres à la production ; les objectifs de production, les besoins en capital ; et tous les mesures
incitatives pour encourager la production agricole pour les produits agricoles clés, et les
nouveaux produits.
En 2008, la crise alimentaire mondiale causée par la flambée des prix des denrées
alimentaires, a mis en exergue la dépendance de Maurice de l’importation des produits
alimentaires. Trois experts locaux du secteur agricole, notamment le directeur de
l’Agricultural Research and Extension Unit (AREU), le responsable de la diversification
agricole de la Chambre d’Agriculture (MCA), et le responsable des cultures vivrières de
l’institut de la recherche sur l’industrie sucrière (MSIRI) ont accordé une entrevue à un
quotidien mauricien, et ont fait le constat suivant de l’impact de la crise alimentaire mondiale
de 2008 sur Maurice (Jugernauth, 2008) :
Il y a un grand besoin de diversification agricole et d’augmenter l’autosuffisance dans
certains aliments tels que la pomme de terre, l’oignon, le maïs, et le lait pour réduire
les dépenses liées à l’importation de ces produits.
Le maïs est une céréale importée comptant pour plus de 80% dans le coût de
production du poulet produit industriellement à Maurice. De plus la forte demande
mondiale pour la fabrication de biocarburant tel que l’éthanol et l’augmentation des
coûts de fret fait qu’il est important de considérer la production locale de maïs sur les
terres disponibles.
Il faut aussi revoir les productions où il y autosuffisance en production telles que la
tomate locale (communément appelée, pomme d’amour), le piment et l’ananas car les
importations des produits dérivés de la tomate (ketchup, sauces et jus de tomates) sont
énormes.
Les principaux obstacles se trouvent dans le manque de terres agricoles pour les
cultures à exploiter; les maladies; les frais de stockage; et les longues périodes de
rotations des terres.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
114
Il y a un grand potentiel régional d’exploitation des terres disponibles dans des pays
tels que Madagascar et le Mozambique. Cependant la production agricole soutenue par
les entrepreneurs mauriciens n’a pas vraiment décollé à cause de nombreuses
contraintes : Administration lourde : la juridiction des terres tombe sous la tutelle de
plusieurs ministères malgaches ce qui rend les démarches administratives très pesantes
pour les entrepreneurs étrangers ; le manque d’infrastructure (réseaux routiers, port
avec des moyens modernes) pour accéder aux régions agricoles et pour acheminer les
produits destinés à l’exportation ; un secteur agricole malgache peu structuré : peu
d’exploitation à un niveau industriel ; peu de facilité de financement pour développer
des entreprises agricoles ; pratiques culturales au niveau des champs peu avancées.
Cette crise alimentaire de 2008 a remis en question la stratégie de sécurité alimentaire de
Maurice. Historiquement, Maurice s’est basé indirectement sur son secteur agricole pour
assurer des produits alimentaires à la population, en utilisant les revenus du secteur sucrier.
De plus les habitudes alimentaires des mauriciens ont évolué avec beaucoup plus d’accent sur
les produits transformés, et une exigence accrue sur la qualité, et les produits de marques.
Dans cette optique, le gouvernement s’attela à relever les nombreux défis pour promouvoir
une politique de sécurité alimentaire et publia en 2008, un autre plan stratégique pour une
vision durable d’un secteur agricole diversifié (A Sustainable Diversified Agri-Food Sector
Strategy for Mauritius 2008-2015). La vision des autorités publiques était de restructurer sur
une période de 7 ans le secteur agricole mauricien avec les stratégies suivantes :
Adopter des systèmes de production diversifiés et multifonctionnels pour assurer une
production alimentaire stable ; et améliorer les habitudes alimentaires et la santé des
mauriciens.
Moderniser le secteur et le rendre compétitif; durable économiquement, socialement et
respectueux de l’environnement.
Rendre le secteur flexible et à l’écoute des consommateurs
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
115
En Juin 2008, le gouvernement mauricien vota un budget de MUR 1 milliard pour constituer
un fonds de sécurité alimentaire. Un comité, le Food Security Fund Committee (FSF), fut
constitué pour gérer ce fonds. Ce comité publia un rapport en 2008 en spécifiant les actions
prioritaires pour promouvoir la production alimentaire locale. Une autre priorité du FSF est de
rendre autonomes les petits producteurs et encourager leur participation active et leur
implication dans des projets de développement agricole. LA FSF veut promouvoir une
nouvelle classe d’entrepreneurs parmi les producteurs agricoles.
La FSF a développé les indicateurs suivants pour atteindre ses objectifs (FSF, 2008) :
Augmenter le volume de production des cultures prioritaires (pomme de terre, oignon,
pomme d’amour, fruits, maïs, féculents)
Maintenir l’autosuffisance au niveau du poulet de table et des légumes frais
Introduire des cultures protéagineuses (soja)
Libérer des terres pour la production de cultures vivrières
Encourager le regroupement des petits producteurs
Augmenter l’autosuffisance dans les produits suivants : lait frais, la viande de bœuf, de
mouton, de porc et de chèvre
Sensibiliser la population sur de bonnes habitudes alimentaires
Augmenter la production de poissons
Atténuer les contraintes des petits producteurs à commercialiser leurs produits
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
116
Encourager la coopération régionale pour certains produits tels que la pomme de terre,
le maïs, le riz, l’oignon et les grains secs
Un résumé de ces quatre décennies diversification agricole, de 1970 à 2010 nous amène au
constat suivant :
La première décennie (1970-1980) a été une période de lancement de grandes idées pour
développer le secteur agricole, non-sucre, avec une politique d’autosuffisance et de
substitution à l’importation avec un fort appui des politiques publiques.
La deuxième décennie (1980-1990) a été une période de consolidation projets précédents avec
de nouveaux objectifs tels que l’exportation des produits locaux.
La troisième décennie (1990-2000) a vu une rationalisation des perspectives de diversification
basée sur les expériences du passé. Du coté des politiques publiques, il y a eu une
libéralisation de la production agricole, et un désengagement de l’Etat et de ses institutions.
La quatrième décennie (2000-2010) qui nous ramène à des préoccupations actuelles, a vu une
remise en question des politiques de diversification dans le non sucre surtout vers le milieu de
la décennie avec la réforme annoncée du protocole sucre menant à la restructuration de
l’industrie sucrière, et la crise alimentaire mondiale de 2008.
Nous voyons qu’à travers ces quarante années de volonté de diversifier le secteur agricole
mauricien, il n’y a eu que très peu de succès à l’exception de l’autosuffisance atteinte pour les
légumes frais, le poulet de table, et les œufs. En ce qui concerne les exportations agricoles,
elles sont limitées aux fleurs coupées telles que l’anthurium, et à de petits volumes de fruits
tropicaux, ananas et litchi.
Les raisons principales qui expliquent ce peu de succès sont les nombreuses contraintes
auxquelles doivent faire face les petits états insulaires en développement (PEID), tels que
Maurice: un marché domestique restreint ; la distance géographique avec les marchés
rémunérateurs (coût excessif de fret) ; usages concurrentiels pour les ressources foncières et
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
117
les ressources naturelles (exemple eau) par divers secteurs de l’économie ; des conditions
agronomiques (maladies, ravageurs, et climatiques (cyclones, sècheresses, inondation)
défavorables ; et la faible gamme de cultures qui soient économiquement viables.
Cette section nous a montré que le secteur agricole mauricien s’est concentré pendant de
nombreuses décennies sur le secteur de l’industrie sucrière et ne s’est intéressé à la
diversification agricole que vers les années 1970. Nous avons vu une succession de politiques
publiques visant à diversifier le secteur agricole et cela montre le travail institutionnel qui
s’est joué au niveau des différentes parties prenantes et qui a abouti à des décisions pas
nécessairement positives pour le secteur agricole.
Ceci nous amène au succès qu’a connu la culture de la canne à sucre à Maurice et que nous
développerons dans la section suivante.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
118
SECTION 2 : Le succès de la filière canne à sucre
Dans cette section nous allons décrire la filière canne à sucre à travers sa structure, ses
produits et ses acteurs principaux. Nous aborderons ensuite le protocole sucre, accord signé
entre l’UE et les pays ACP exportateurs de sucre pour comprendre son importance dans le
développement de la filière CAS, et finalement nous verrons comment la filière CAS a du
réagir suite à la réforme du protocole sucre.
2.3 La filière canne à sucre
Une filière est caractérisée par des conditions de production, des acteurs et des moyens de
coordination.
2.3.1 Description de la filière
2.3.1.1 Question de nomenclature
Au niveau du secteur agricole mauricien, on se réfère au terme ‘industrie sucrière’ jusqu’en
2006, année où on a procédé à une profonde restructuration de ce secteur qui l’a transformé en
‘industrie cannière’ en référence à l’utilisation et la valorisation de la canne à sucre et ses
sous-produits. Nous avons décidé de nous référer dans ce travail à la filière canne à sucre
(désormais filière CAS dans le texte) pour trois raisons principales: premièrement pour la
différencier du sucre provenant de la betterave; deuxièmement pour une question de
nomenclature car le terme ‘industrie’ se réfère au secteur secondaire tandis qu’à notre avis le
terme ‘filière’ correspondant au CO de notre terrain est plus englobant de tous les acteurs qui
participent à la production, à la transformation, et à la commercialisation du produit sans
oublier les structures d’appui ; et troisièmement pour pouvoir la comparer sans équivoque à la
filière légumes.
2.3.1.2 Les aspects agro-climatiques et techniques
Le secteur agricole à l’ile Maurice est divisé en trois zones agro-écologiques dépendant du
niveau de pluviométrie et du types de sols: les zones surhumides (2400 mm de pluie/année),
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
119
les zones humides (1200-2400 mm de pluie/année), et les zones sub humides (1200 mm de
pluie/année).
La canne à sucre est une culture pérenne, plantée en plein champ, et les premières plantes qui
sont récoltées sont appelées les cannes vierges. Après la récolte, les racines laissées dans le
sol se régénèrent et forment la deuxième repousse. Il y a environ 6 à 8 repousses avant que le
champ soit labouré (soit 6 à 8 ans de production), et replanté après une période de jachère de 7
mois. La période de croissance de la canne à sucre dure de Novembre à Juin ; la période de
maturation de Juillet à Octobre. Il a deux saisons : la Grande Saison qui se réfère à un cycle
de culture avec une récolte en Septembre-Novembre et une replantation en Mars. La canne
vierge est récoltée 16 à 17 mois plus tard ; et la Petite Saison avec une récolte précoce en
Juin-Aout, et la canne vierge est récoltée 12 mois plus tard.
La culture de la canne à sucre dispose de technologies modernes développées par des années
de recherche par la MSIRI (voir section 1.3.1.6). Les problèmes majeurs de la production de
la canne à sucre demeurent les aléas climatiques tels que la sècheresse ou les fortes
pluviométries.
2.3.1.3 Les produits de la filière CAS
La canne à sucre est cultivée pour le sucrose contenu dans ses tiges et qui est extrait et
transformé en sucre. Le produit principal est le sucre avec un fort accent sur le sucre brut
(80%) destiné aux raffineries et les sucres spéciaux (20%) à forte valeur ajoutée tels que le
muscovado, la demerara qui sont reconnus pour leurs ingrédients naturels et leurs qualités
organoleptiques et destinés à la consommation directe sur les marchés d’exportation.
Les sous-produits obtenus après transformation industrielle sont :
30 000 tonnes de mélasse utilisées localement pour la fabrication d’alcool comestible et
l’alimentation des animaux ; et 12 000 tonnes sont disponibles pour l’exportation ou la
production de biocarburant (éthanol).
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
120
La bagasse (fibre de canne à sucre après transformation) utilisée comme combustible dans les
chaudières des usines sucrières. Ce combustible naturel a rendu les usines sucrières
autosuffisantes en termes de demande énergétique. Au départ, la totalité de l’électricité et les
vapeurs générées par la combustion de la bagasse étaient utilisées pour la production du sucre.
En 1957, avec l’avènement de chaudières plus efficientes, les usines sucrières commencèrent
à vendre de l’électricité à l’organisme public qui gère la fourniture d’électricité pour Maurice,
la Central Electricity Board (CEB). Au fil des années, 7 usines sucrières vendent de
l’électricité issu de la combustion de la bagasse au CEB (représentant 18% de la demande
énergétique de Maurice) ; et 3 centrales thermiques furent installées, opérant indépendamment
des usines sucrières, et utilisant aussi bien de la bagasse provenant des usines sucrières et
aussi du charbon pour produire de l’électricité qu’elles revendent à la CEB (45% de la
demande énergétique de Maurice).
2.3.1.4 Les acteurs de la filière CAS
L’industrie sucrière mauricienne reconnaît essentiellement trois grandes catégories de
partenaires: le secteur corporatiste (usiniers et propriétés sucrières) ; les petits producteurs ; et
les employés. Cependant dans notre utilisation du concept de filière nous ajoutons les autres
acteurs tels que les structures d’appui, et l’état mauricien.
Grace aux efforts de l’état mauricien, les bénéfices découlant du protocole sucre ont été
partagés parmi les producteurs et employés de ce secteur. Ainsi, les petits et moyens
producteurs ont droit à 78% du prix de vente du sucre et à la totalité de la mélasse, issus du
broyage des cannes à sucre provenant de leurs champs. Ils ont aussi droit à MUR 0,1 pour
chaque kilo Watt Heure (kWh) d’électricité généré de la bagasse. Les employés ont aussi droit
à un emploi permanent bien que cette activité soit saisonnière. La plupart des 28 000 petits
producteurs et les 25 000 employés de l’industrie sucrière, ainsi qu’un bon nombre
d’employés à la retraite sont actionnaires d’un fond d’investissement qui détient 20% des
actions des usines sucrières et 10-20% des centrales thermiques.
La production de la canne à sucre est essentiellement commerciale, et les producteurs sont
catégorisés en 4 groupes distincts :
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
121
1. Les producteurs-usiniers, les propriétés sucrières représentant 70% de la production
2. Les moyens et grands producteurs représentant 5% de la production
3. Les petits producteurs, environ 28000 et cultivant ≤ 4 hectares, représentent 23 % de
la production
4. Les métayers représentant 2% de la production.
Le tableau 2.3 montre la distribution des différentes catégories de producteurs par rapport à la
superficie cultivée.
Tableau12 2.3 : Distribution des producteurs de canne à sucre en fonction de la superficie cultivée
Superficie (Hectares) Nombre de producteurs % de la production totale
0 - 0,5 15400 4,6
0,5 – 1,0 7000 6,1
1,0 – 2,0 3700 6,1
2,0 – 5,0 1900 6,6
5,0 – 10,0 350 2,9
10,0 – 25,0 105 1,7
25,0 – 50,0 20 0,7
50 plus 68 71,4
Source : (MAAS, 2006)
Comme le démontre le tableau 2.3, la filière canne à sucre est très concentrée au niveau des
gros producteurs avec plus de 70% de la production provenant de ces producteurs ayant 50
hectares et plus de superficie cultivée.
2.3.1.5 La production
La figure 2.5 nous indique les superficies récoltées pour les différentes catégories de
producteurs sur la période de 1975 à 2009. Il est à noter qu’à partir de 2002, il y a eu une
baisse dans les récoltes pour les usiniers et propriétés sucrières due au plan de restructuration
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
122
de la filière canne à sucre et la centralisation des activités de transformation dans les usines
résultant en un certain nombre d’usines qui ont fermé leurs portes.
Figure15 2.5: Superficie sous canne à sucre pour diverses catégories de producteurs de 1975 à 2009
Source : (CSO, 2010)
Les usiniers/propriétés sucrières représentent les six dernières propriétés sucrières possédant
des usines pour la transformation de la canne à sucre. Les métayers sont les producteurs qui
louent à bail des terrains appartenant aux propriétés sucrières, et les producteurs propriétaires
sont ceux qui possèdent les terres qu’ils cultivent. Tous les producteurs de canne à sucre de
Maurice doivent envoyer leurs récoltes aux usiniers dans leur région respective pour la
transformation en sucre.
0
5000
10000
15000
20000
25000
30000
35000
40000
45000
50000
19
75
19
76
19
77
19
78
19
79
19
80
19
81
19
82
19
83
19
84
19
85
19
86
19
87
19
88
19
89
19
90
19
91
19
92
19
93
19
94
19
95
19
96
19
97
19
98
19
99
20
00
20
01
20
02
20
03
20
04
20
05
20
06
20
07
20
08
20
09
Sup
erf
icie
ré
colt
ée
(H
ect
are
s)
Année
Usiniers/Propriétés sucrières
Métayers
Producteurs Propriétaires
2 per. Mov. Avg. (Usiniers/Propriétés sucrières)
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
123
Le nombre d’usines est passé d’un pic de 303 en 1863 (Manrakhan, 1997) à 6 usines en 2010
(Figure 2.6)
Figure16 2.6: Nombre d’usines sucrières en opération de 1789 à 2010
La figure 2.7 donne une indication de la production de sucre de 1980 à 2010. A noter une
baisse importante en 1999 dû à une période de sécheresse en 1999.
Figure17 2.7 : Production de sucre de 1980 à 2010
Source : (CSO, 2010)
-
100 000
200 000
300 000
400 000
500 000
600 000
700 000
800 000
19
80
19
81
19
82
19
83
19
84
19
85
19
86
19
87
19
88
19
89
19
90
19
91
19
92
19
93
19
94
19
95
19
96
19
97
19
98
19
99
20
00
20
01
20
02
20
03
20
04
20
05
20
06
20
07
20
08
20
09
20
10
Tonnes de sucre
Fin du protocole
sucre
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
124
2.3.1.6 Les structures d’appui à la filière CAS
Il y a de nombreuses organisations qui œuvrent pour soutenir la filière CAS (Tableau 2.4)
Tableau13 2.4 : Les organisations au service de la filière CAS
Organisation Fonctions Source de financement
Mauritius Sugar Authority
(MSA)
Formulation de politique et de
stratégies pour la filière
Cess10
Mauritius Sugar Industry
Research Institute (MSIRI)
Recherche, développement, et
vulgarisation
Cess
Cane Planters and Millers
Arbitration and Control Board
Tests sur la canne à sucre envoyée
aux usines; contrôle sur les poids;
et arbitrage de différends entre
producteurs et usiniers
Cess
Sugar Planters Mechanical Pool
Corporation (SPMPC)
Fourniture des équipements et
machines pour la préparation des
terres des petits producteurs
63% venant du cess
37% de la location des
équipements /machines
Farmers Service Corporation
(FSC)
Service de vulgarisation 80% venant du cess
20% de l’état mauricien
Mauritius Sugar Terminal
Corporation (MSTC)
Stockage et manipulation du sucre
brut destiné à l’exportation
Cess
Sugar Industry Labour Welfare
Fund (SILWF)
Bien-être social et facilités de
loisirs pour les petits producteurs et
de leurs familles
20% venant du cess
80% de la vente du sucre
Mauritius Sugar Syndicate (MSS) Commercialisation du sucre Fonds provenant de la
vente du sucre
Sugar Insurance Fund Board
(SIFB)
Assurance des récoltes Prime d’assurance
Bagged Sugar Storage and
Distribution Company (BSSDC)
Stockage, manipulation du sucre en
sac pour l’exportation et le marché
local
Financé par la Mauritius
Sugar Syndicate
Irrigation Authority Implémentation et contrôle des
projets d’irrigation pour les petits
producteurs
L’état mauricien pour les
dépenses récurrentes ; et
les fonds d’aide bilatérales
pour les dépenses
d’investissement
10 Le ‘cess’ est une taxe prélevée sur les revenus du sucre exporté pour financer certaines organisations au
service de la filière CAS
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
125
2.3.2 Le protocole sucre : Entre grandeur, décadence et renouveau
Le protocole sucre entre les pays ACP et l’UE prit fin officiellement le 30 septembre 2009.
On peut retracer l’histoire du protocole sucre jusqu’en 1919 avec le Imperial Preference
System, qui est un droit de douane préférentiel pour le sucre venant des colonies de l’empire
britannique. En 1951, le Commonwealth Sugar Agreement fut signé entre le gouvernement
britannique et Maurice pour fournir en sucre le Royaume Uni.
La coopération ACP- Europe remonte à la signature du Traité de Rome en 1957 et prend
forme à travers les deux conventions de Yaoundé en 1963 et 1969, les quatre conventions de
Lomé (1975, 1979, 1984, et 1989), et enfin, la convention de Cotonou en 2000.
C’est à travers l’adhésion du Royaume Uni à la Communauté Economique Européenne et la
convention de Lomé I en 1975 que naquit le protocole sucre. Ce dernier donna à Maurice un
quota garanti de 491 030 tonnes de sucre à un prix équivalent de celui du marché européen
pour une durée indéterminée. Avec le protocole sucre, Maurice, grâce à ses revenus
importants provenant du secteur sucre, put se diversifier dans les secteurs de textiles et du
tourisme.
Dans les années 1990, les changements géopolitiques et un nouvel ordre économique mondial
changèrent la donne. Cette période est aussi marquée par la création de l’OMC en 1995. Ces
changements bouleversent les relations EU-ACP. La commission européenne (CE) fait
comprendre aux pays ACP qu’elle est en contravention avec les règles de l’OMC en
accordant des préférences commerciales aux ACP. Afin de protéger son marché intérieur et de
maintenir la marge préférentielle des pays ACP, l’UE demande une dérogation à l’OMC qui
fut obtenue en 1995, et reconduite de 2001 à 2007.
Le coup de grâce au protocole sucre est donné par le panel constitué du Brésil, de la
Thaïlande et de l’Australie en 2004-2005 pour dénoncer le régime sucrier européen. L’UE
perd cette affaire et se voit obligée de réformer son régime sucrier en baissant les prix d’une
totalité de 36% sur quatre ans, et en coupant les quotas internes jusqu’en septembre 2009. Le
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
126
régime sucrier de l’UE et le protocole sucre étant étroitement liés, les répercussions sont
énormes pour les pays ACP, malgré les mesures d’accompagnement proposées par l’UE.
Avec la fin du protocole sucre, les exportations de sucre vers l’Europe furent encadrées par un
nouvel accord commercial, l’Accord de Partenariat Economique (APE). Cet accord prévoit
des quotas régionaux à l’inverse des quotas nationaux sous le protocole sucre. Ainsi, Maurice
s’est jointe au Zimbabwe dans la région de l’Afrique Orientale et Australe (Eastern and
Southern Africa) et obtenu un quota d’environ 550 000 tonnes de sucre sur la période 2009 à
2011, et 632 000 tonnes de 2011 à 2015.
La fin du protocole sucre est considérée par la filière CAS comme le début d’une ère pour la
filière avec de nombreux projets déjà implémentés et de nouveaux défis à relever.
2.3.3 Les politiques publiques des colonies à nos jours
La réforme de la filière CAS a débuté en 1859, mais a pris de l’essor à partir de 1984 avec une
stratégie nationale de l’Etat pour développer ce secteur. En 1988, une étude sur l’efficience de
l’industrie sucrière fut effectuée et permit de faire adopter une loi appelée la Sugar Industry
Efficiency Act (SIE). Un programme de développement de la bagasse comme source
d’électricité fut instauré en 1991.
En 1994, un arrangement fut parvenu entre le gouvernement et les producteurs sucriers : l’état
mauricien accepta d’abolir la taxe de sortie à l’exportation sur le sucre et les usiniers
acceptèrent de démocratiser les usines en vendant 20% des actions des usines aux employés et
aux producteurs à travers un fond d’investissement, la Sugar Investment Trust (SIT).
En 1997, il y eut une étude sur la centralisation des usines sucrières (Blue Print on
Centralisation of Sugar Milling Operations in Mauritius). A l’issue de ce rapport, trois usines
furent fermées jusqu’en 2000; un accord commercial fut signé entre l’état et les usiniers
concernant l’achat d’électricité provenant de la bagasse auprès des usines sucrières pendant la
période où les usines transforment la canne à sucre ; et auprès de centrales thermiques
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
127
fonctionnant pendant toute l’année et utilisant aussi bien la bagasse que le charbon pour
produire l’électricité.
Pendant la période 1996 à 2000, le problème d’irrigation dans les plaines du nord de Maurice
fut résolu avec la construction d’un barrage ; et la réhabilitation de canaux et de réservoirs.
En 2001, l’état mauricien publia un rapport stratégique sur le secteur sucre (Sugar Sector
Strategic Plan 2001-2005). Ce plan stratégique revisita la loi SIE. Les points importants du
plan étaient : l’implémentation du plan de retraite volontaire (Voluntary Retirement Scheme-
VRS) d’environ 8 000 employés du secteur ; la fermeture de trois usines sucrières ; et la
signature d’un accord pour l’achat d’une nouvelle centrale thermique. Cependant le coût du
VRS endetta la filière sucre considérablement.
En 2005, l’état mauricien publia un plan stratégique intérimaire et demanda à un cabinet de
consultant étranger de viser ce plan. Après cette étude, deux plans d’actions furent soumis au
gouvernement mauricien : le plan d’action accéléré 2005-2015 et le plan de route de
l’industrie sucrière mauricienne pour le 21e siècle. Ces deux rapports furent soumis à la
commission européenne lors des négociations pour les mesures d’accompagnement de l’UE
suite à la réforme du régime sucrier.
En avril 2006, l’état mauricien publia un nouveau plan stratégique et actionnable pour la
période 2006 à 2015 (Multi Annual Adaptation Strategy Action Plan 2006-2015, MAAS). Le
MAAS a été le fruit d’un dialogue entre tous les partenaires de la filière CAS pour trouver un
consensus et pour que chaque acteur concerné s’approprie les stratégies énoncées dans le
plan. Ce plan est une réaction des autorités mauriciennes et des acteurs clés de la filière CAS
à l’annonce de la réforme du régime sucrier européen qui a résulté en une baisse de 36% du
prix du sucre vendu sur le marché de l’UE. Les stratégies du MAAS sont élaborées dans la
section 1.3.4.2. Il est à noter que le MAAS fut élaboré en 2006 dans un contexte économique
difficile pour Maurice ayant à faire face à un déficit budgétaire très important ; et à l’érosion
des préférences dans le secteur sucre et textiles (démantèlement des accords multi fibres).
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
128
2.3.4 La filière canne à sucre post-réforme protocole sucre
2.3.4.1 Pourquoi la canne à sucre a-t-elle été une culture à succès?
A ce stade de la description de la filière CAS, il est important de se poser la question
suivante : pourquoi la culture de la canne à sucre est presque tricentenaire à Maurice ? Qu’est-
ce qui a fait le succès de cette filière ? Pourquoi continue-t-elle de perdurer malgré la réforme
du protocole sucre ? Les raisons sont multiples :
1. La canne à sucre est plus qu’une culture de rente, elle a en effet un rôle
multifonctionnel qui s’étend aux sphères économiques, sociales, énergétiques et
environnementales.
Rôle économique: Les rentes provenant de l’exportation du sucre sont de l’ordre d’US $ 300
million par année. Ces revenus permettent le développement d’autres secteurs de l’économie
mauricienne ; et aident à la stratégie de sécurité alimentaire en contribuant à la facture des
importations alimentaires à la hauteur de 65%.
Rôle socio-économique : Quelques 20 000 personnes sont employées directement dans la
filière CAS. Au moins 60 000 personnes dans les régions rurales sont impliquées directement
ou indirectement dans la filière. Cela a permis d’éviter l’exode rural vers les villes et réduire
le problème d’urbanisation dans un pays où la densité de la population est élevée, 650
personnes par km2.
Rôle énergétique : L’utilisation de la bagasse comme combustible a contribué à la demande
énergétique de Maurice.
Rôle environnemental : La canne à sucre est connue pour être un bon capteur de dioxyde de
carbone dans l’atmosphère, ce qui rend cette culture en ligne avec le protocole de Kyoto, dont
Maurice est un pays signataire. La culture de la canne à sucre utilise un minimum d’intrants
chimiques (fort accent sur le contrôle biologique des ravageurs). Cette culture pérenne aide à
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
129
la conservation des sols en évitant l’érosion. Ceci a des effets positifs indirects sur d’autres
secteurs d’activités tels que la pèche, et le tourisme.
La culture de la canne à sucre a aussi des effets esthétiques qui sont importants pour
l’industrie touristique.
2. La résistance de la culture de la canne à sucre aux forts vents cycloniques, aux pestes
et aux maladies a fait de cette culture commerciale une des plus rentables à long
terme. Il est bon de rappeler que plusieurs autres cultures ont été essayées depuis le
début de la colonisation de Maurice mais que plusieurs ont été abandonnées après de
coûteux projets de recherche et d’essais de terrain car non-viables économiquement ou
peu résistants aux conditions agro-climatiques du pays.
3. Le marché d’exportation a été assuré par des accords commerciaux préférentiels,
assurant ainsi des revenus stables aux producteurs.
4. Cet environnement stable a permis des investissements substantiels dans la recherche,
la technologie et les gains d’efficience pour la filière CAS.
5. Les revenus dérivés de la filière CAS ont permis à Maurice de diversifier son
économie (secteur manufacturier, tourisme et services). Comme le montre la figure
2.8, le sucre a eu d’importantes contributions au PIB de Maurice bien que cette
contribution ait baissé au fil des années, comme nous l’avons montré dans le précédent
chapitre.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
130
Figure18 2.8: Contribution de la filière sucre au PIB 1976-2011
1. La filière CAS a aussi adopté une politique double de diversification : dans le secteur
sucre (utilisation optimale des sous-produits ; production de sucres spéciaux ;
utilisation optimale des interlignes des champs de canne à sucre et des terres en
rotation pour la production de légumes) et hors sucre (investissement dans
l’immobilier, l’hôtellerie).
2.3.4.2 Qu’a fait la filière CAS face à la menace de la réforme du protocole
sucre?
Vu l’importance de la filière CAS dans le paysage mauricien, les acteurs clés de la filière
aussi bien que le gouvernement mauricien ont réagi bien en amont de la réforme du protocole
sucre ; et pris les mesures nécessaires pour la survie de la filière. Ces mesures ont pris la
forme d’un plan stratégique pour la filière CAS, le Multi Annual Adaptation Strategy
(MAAS) 2006-2015 et sont brièvement décrites ci-dessous :
La transformation de la filière CAS en un pôle de développement avec pour objectif
de passer de la production du sucre brut à la production de différents types de sucres :
brut, spéciaux, et raffiné ; d’optimiser le potentiel de la filière dans sa contribution à la
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
131
production d’électricité pour Maurice ; et la production de biocarburant, l’éthanol de la
mélasse.
La mise sur pied d’un secteur compétitif, viable et durable.
La réduction de la dépendance de Maurice sur l’importation d’huile lourde pour sa
production d’électricité.
Le soutien à la filière CAS pour encourager son apport multifonctionnel à Maurice
tant sur le plan économique, environnemental et social.
2.3.4.3 Quid de la diversification agricole de la filière CAS ?
Le déclic est venu de l’industrie sucrière qui ayant bénéficié de bons revenus à travers la
culture de la canne à sucre pendant de nombreuses années, y a consacré les meilleures
ressources, et a considéré les sous-produits de la canne à sucre et les autres cultures agricoles
comme concurrentiels à la production du sucre brut.
Avec l’érosion des préférences commerciales, l’industrie sucrière a du relativiser l’importance
de la canne à sucre.
Avec les nombreux échecs au fil des décennies par rapport aux autres cultures agricoles (voir
section 1.2.2.2), la filière CAS a continué à utiliser les interlignes et les terres en rotation pour
les cultures autre que la canne à sucre. De plus, l’accent est surtout mis sur la production de
légumes car les différents projets et essais ont démontré la non-viabilité économique de
produire à grande échelle des cultures telles que le riz, le maïs, le blé et certains fruits.
La révision de la loi SIE en 2001 a permis d’augmenter les cultures vivrières en donnant accès
aux terres de rotation aux petits producteurs pour la production de légumes. Les propriétés
sucrières se sont concentrées sur des cultures mécanisables telles que la pomme de terre, la
carotte, et la pomme d’amour.
Le MAAS prévoit que dans l’optique d’augmenter les cultures vivrières à Maurice, des
superficies additionnelles de terres sous canne à sucre seront libérées.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
132
La figure 2.9 montre la baisse dans les superficies de terres sous canne, une baisse qui
coïncide avec l’annonce de la réforme du protocole sucre.
Figure19 2.9: Superficie sous canne à sucre de 1980 à 2010
Source : (MCA, 2010)
Comme le démontre la figure 2.10, la superficie sous production agricole est passée de 46% à
43%, les 3% de moins représentant les terres sous canne à sucre qui ont été abandonnées ou
reconverties pour des activités non-agricoles (CSO, 2010). Cela est dû à la centralisation des
usines et utilisation d’une partie des terres pour compenser les employés qui ont pris leur
retraite volontaire.
Figure20 2.10 : L’utilisation des terres à Maurice entre 1995 et 2005
Source : (MOE, 2006)
Plantation de canne à sucre
41%
Autres activités agricoles
3%
Plantation de thé2%
Forets et paturages
31%
Réservoirs et lacs1%
Routes2%
Zones de construction
20%
1995
Plantation de canne à sucre
39%
Autres activités agricoles
4%
Plantation de thé0%
Forets et paturages
25%
Réservoirs et lacs2%
Routes2%
Zones de construction
25%
Champ de cannes
abandonnés
3%
2005
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
133
Le danger est surtout du côté des petits producteurs de canne à sucre qui n’y voient plus une
entreprise rentable et qui préfèrent soit laisser les champs à l’abandon ou bien convertir les
terres dans d’autres secteurs d’activités.
Bien que la contribution de la filière CAS aux produits agricoles diminue au fil des années, de
50% en 2006 à 31,5% en 2010 (Figure 2.11), cette filière a encore un bel avenir de par son
importance comme décrite dans les sections précédentes.
Figure21 2.11: Contribution de la filière CAS au secteur agricole de 2006 à 2010 en %
Source : (CSO, 2010)
Cette section décrit la filière canne à sucre comme une filière très structurée avec un
encadrement au niveau de l’état mauricien aussi bien qu’au niveau du secteur privé. Cette
filière s’est construite au fil des décennies et les principaux acteurs, les gros et les petits
producteurs sucriers, œuvrent dans un cadre technique très sophistiqué, développé par de
longues années de recherche tant au niveau des techniques de production au champ, qu’au
niveau de la transformation de la canne à sucre dans les usines sucrières. Le protocole sucre
entre l’UE et les pays ACP a permis à cette filière de se développer et d’atteindre des hauts
niveaux de performance. Cependant la réforme du protocole sucre a tout remis en question, et
a forcé les acteurs de la filière à considérer la diversification des produits de la filière comme
une option rentable et durable pour la filière, et une façon de se reconstruire autrement.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
134
SECTION 3 : Notre champ organisationnel-la filière légumes
Cette section présentera les principales caractéristiques de la filière légumes, ses produits et
acteurs principaux ainsi que ses nombreux défis.
2.4 La filière légumes
La filière légumes est une filière commerciale relativement récente par rapport à la filière
canne à sucre. La production de légumes pour le marché a augmenté avec la diversification
des différents secteurs d’activités non agricoles et le besoin d’approvisionner les habitants en
légumes frais.
2.4.1 Description de la filière
2.4.1.1 Question de définition
Il nous faut une fois de plus bien expliciter le choix du terme filière légumes car dans le
contexte mauricien il y a une différence entre les légumes frais appelés aussi cultures vivrières
pour lesquelles le pays est autosuffisant, et les légumes tels que l’oignon, l’ail et la pomme de
terre qui sont importés pendant certaines périodes de l’année et qui sont stockés en chambre
froides. Nous avons donc choisi de nous référer au terme ‘légumes’ qui englobent les produits
qui constituent le CO de notre recherche.
2.4.1.2 Production
Les plantations de légumes se font à travers Maurice dans les zones arides comme dans les
zones humides. Une grande partie de la production (40%) se fait par des producteurs à temps
plein tandis que le reste se fait par des producteurs qui sont employés dans d’autres secteurs
d’activités et qui cultivent des légumes à temps partiel. La production des légumes frais se fait
essentiellement par de petits producteurs (moins de 0, 25 hectares) avec très peu
d’exploitations dépassant les 5 hectares.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
135
La production de légumes augmente continuellement de 1980 à 1985. Une baisse est notée
pendant la période 1986 à 1988 suivie d’une nouvelle croissance dans la production de 62280
tonnes en 1989 à 77519 tonnes en 1999.
Figure22 2.12 : Superficie sous culture et production de légumes de 1980 à 2009
Cette augmentation est attribuée aux plus grandes superficies sous culture, et aussi une
amélioration des techniques de production (Figure 2.12)
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
136
En 2001, la production de légumes était à 129010 tonnes représentant une croissance
moyenne de 5% sur la période de 1995 à 2001. Les prix des légumes sont saisonniers, avec
des pics de février à avril.
2.4.1.3 Les produits
Les légumes qui ont une grande importance à l’île Maurice comprennent : la pomme de terre,
l’oignon, la tomate (pomme d’amour), la carotte entres autres.
La pomme de terre :
Production : 25000 tonnes
Demande : 14000 tonnes
Importation : 11000 tonnes (exclusivement de l’Inde)
Objectif de l’état : Produire localement 20000 tonnes en 2011
Produire 5000 tonnes dans la région
Pour produire les 20000 tonnes de pomme de terre, il faudrait 250 hectares de terres
additionnelles. Il faudrait aussi des capacités de stockage de froid pour environ 6000 tonnes
de pomme de terre pour les besoins hors saison. Ces capacités de stockage existent à l’AMB.
L’oignon:
Production : 6000 tonnes (1600 tonnes variétés locales et 4400 variétés à haut rendement)
Les propriétés sucrières contribuent 30% à la production locale et la différence vient des petits
planteurs.
Demande : 16000 tonnes
Importation : 11000 tonnes (exclusivement de l‘inde)
Objectif de l’état : Produire localement 12000 tonnes en 2011
Produire 4000 tonnes dans la région
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
137
Pour produire les 12000 tonnes d’oignon, il faudrait 190 hectares de terres additionnelles en
2015. Il faudra aussi mettre sur pied 4 unités de fumage de 500 tonnes chacune.
Légumes frais (autres que pomme de terre et oignon)
171 hectares ont été identifiés pour augmenter la production de légumes frais (autre que la
pomme de terre et l’oignon) de 3500 tonnes pour la consommation locale. Cependant, étant
déjà autosuffisant en légumes frais pour la consommation finale, il est important de bien
planifier la plantation des légumes pour ne pas déstabiliser le marché par une surproduction.
Tomate (ou pomme d’amour)
La production annuelle de la tomate est de 14, 700 tonnes sur une superficie de 935 hectares.
Le prix de la tomate varie de MUR 13 le kg à MRU 105 le kg dépendant de la disponibilité du
produit sur le marché. Il est estimé que la production de la tomate doit grimper à 28000 tonnes
en 2015 pour répondre aux besoins de la population et du secteur du tourisme.
Crucifères: Chou et Chou-fleur
Parmi les crucifères les plus communs produits localement, nous retrouvons le chou, le chou-
fleur et le brocoli. La consommation par tête d’habitant tourne autour de 4 à 5 kg pour le chou
et de 2 à 3 kg pour le chou-fleur ; tandis que la production totale 6000 tonnes pour les deux
légumes. Maurice est auto-suffisant en ce qui concerne le chou et le chou-fleur. Cependant, il
est prévu d’augmenter la superficie sous production de ces deux légumes par 90 hectares pour
fournir le secteur touristique.
Carotte
La consommation par tête d’habitant de carotte est en moyenne de 4 kg avec une demande
tournant autour de 4300 tonnes par année. La carotte est consommée sous différentes formes,
frais, surgelées, sous forme de jus, ou en boîte. Environ 3 à 4 tonnes de carottes transformées
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
138
sont importées annuellement. Il est estimé qu’il faudrait 350 hectares de terres pour viser une
production de 5610 tonnes de carottes en 2015.
Maïs
Le maïs, utilisé pour la consommation humaine et comme aliment dans les productions
animales, est cultivé soit en plein champ, soit dans les interlignes de la canne à sucre. A partir
de 1986, les superficies sous maïs se sont réduites à cause du maïs importé qui coûte moins
cher. Autour de 75000 tonnes de maïs en grains sont importées de l’Argentine à un coût de
MUR 386 millions. Ces dernières années, la production de maïs a décliné en moyenne par 350
tonnes localement, et est limitée aux épis de maïs destinés au marché local.
2.4.1.3 Les acteurs de la filière légumes
Les acteurs principaux de la filière légumes sont au niveau de la production: les petits,
moyens et gros producteurs (incluant ceux de la filière CAS qui cultive les légumes en
interlignes); au niveau de la distribution, les grossistes et les mandataires (marché de gros), et
les détaillants (grande distribution). Au niveau des structures d’appui il y de nombreuses
organisations publiques et privés qui apportent un soutien technique et administratif aux
producteurs (Voir section 2.4.1.5).
2.4.1.5 Les structures d’appui au secteur agricole
La filière légumes est composée d’une diversité d’acteurs qui donnent un soutien technique ou
d’ordre professionnelle aux producteurs et/ou aux distributeurs de légumes. Ces acteurs
proviennent d’organisations publiques (recherche, vulgarisation) et d’organisations privées,
(fournisseurs d’intrants, association de producteurs). Les détails sur leurs objectifs et activités
sont fournis dans les tableaux 2.5, 2.6 et 2.7 en Annexe 1.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
139
2.4.1.6 Les structures de commercialisation
60% des 100000 tonnes de fruits et légumes frais produites annuellement passent à travers les
marchés de gros. Il y a une grande dépendance des petits producteurs par rapport aux
intermédiaires (grossistes et mandataires). Ces petits producteurs perçoivent en moyenne un
revenu qui représente 30-40% du prix final de revente.
En vue de ces problèmes sus mentionnés, le gouvernement a décidé de mettre sur pied un
marché de gros national en appliquant les normes d’hygiène nécessaires tout en réduisant le
gaspillage en encourant la manipulation adéquate des produits frais périssables. Ce marché
sera placé sous l’autorité de l’AMB.
2.4.2 Les défis de la filière légumes
Les défis et les contraintes auxquels doit faire face la filière légumes sont nombreux et se
trouvent au niveau de la production, de la commercialisation, et des structures d’appui.
Au niveau de la production, les contraintes sont les suivantes :
Difficultés à moderniser les techniques de production pour faire face aux exigences du
marché domestique.
Les coûts élevés des intrants, essentiellement la main d’œuvre et les
fertilisants/pesticides
Peu de mécanisation et de facilités d’irrigation
Très peu de planification nationale de la production ce qui donne lieu à des périodes
de surabondance ou de pénuries.
Abandon des terres sous production ou perte de la main d’œuvre pour d’autres
secteurs plus rémunérateurs.
Echec dans les diverses tentatives de regroupement des petits producteurs ce qui
empêche la mise en place de projets communs de mécanisation et d’irrigation
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
140
Résistance des petits producteurs aux changements (difficulté à adopter des moyens de
gestion modernes de la production)
Au niveau de la commercialisation, il y a très peu de liens formels entre les producteurs et les
distributeurs.
Au niveau des structures d’appui, il y a un manque de coordination et de vulgarisation de
l’information qui ne permet pas de répondre de manière efficiente aux attentes et besoins des
acteurs de la filière légumes.
2.5 La problématique générale
La description de la filière CAS et de la filière légumes nous donne un aperçu du
fonctionnement des deux filières, et des contraintes et défis auxquels elles doivent faire face
toutes les deux. Nous notons l’implication de l’Etat dans la filière CAS compte tenu de son
importance économique pour Maurice. Nous notons aussi les réactions des politiques
publiques pour garantir une politique de sécurité alimentaire pour le pays. Mais ce qui nous
intéresse c’est comment la réforme du protocole sucre a été un choc exogène indirect pour la
filière légumes de par l’entrée sur le marché des légumes de gros producteurs et distributeurs
issus de la filière CAS. Notre problématique générale découle de ce constat.
La libéralisation économique des marchés protégés peut être un des facteurs exogènes
conduisant à un changement institutionnel (Zhao et al., 2006, Aulakh et Kotabe, 2008). Des
pressions venant des organismes tels que l’OMC, la Banque Mondiale, et le Fonds Monétaire
Internationale ont poussé à la libéralisation des économies des pays en voie de développement
(PVD) et leur intégration dans l’économie globale. Il y a eu des transformations au niveau des
organisations pour que ces dernières puissent s’adapter à un nouvel environnement compétitif.
Dans le contexte de notre recherche, des pressions de l’OMC sur l’UE pour abolir les prix
préférentiels accordés aux pays ACP ont forcé des pays comme Maurice à réorganiser le
secteur sucre pour mieux s’adapter à un environnement global compétitif. La baisse du prix
du sucre de 36% par rapport au prix préférentiel du protocole sucre a automatiquement
engendré des baisses de revenus pour les producteurs sucriers. Certains petits producteurs
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
141
sucriers, qui sont en activité à temps partiel, ont abandonné leur terre sous production de
canne à sucre ou se sont tournés vers des développements fonciers, ne trouvant plus la
production sucrière rentable. Les gros producteurs sucriers n’étaient pas trop encastrés
(Newman, 2000) dans leur environnement institutionnel passé, et ont pu s’en défaire pour
s’adapter aux nouvelles règles du jeu.
Le secteur sucre a eu quelques années pour se préparer à la fin du protocole sucre et a aussi
bénéficié des mesures d’accompagnement en terme de fonds d’aide de l’UE pour financer des
projets de diversification en sous-produits de la canne (production de sucres spéciaux,
production de biocarburant, et centrale thermique à partir de la bagasse etc.) mais aussi
diversification dans la production horticole (fruits, légumes et ornementaux). Les aides
financières de l’UE ont ainsi permis aux sucriers d’épierrer les terrains marginaux pour
permettre la mécanisation des terres difficiles et l’installation de systèmes d’irrigation
sophistiqués. Cela a favorisé la mise en place de productions horticoles de grande envergure.
Les sucriers ont visé dans un premier temps la production de produits frais non périssables
tels que la pomme de terre et l’oignon pour répondre à un manque de ces produits sur le
marché mauricien à certaines périodes de l’année, et aussi pour bénéficier des mesures
incitatives mises en place par l’état pour promouvoir la production de ces légumes.
Inscrit dans ce contexte, notre travail a pour objectif de comprendre le travail institutionnel
des acteurs de la filière sucre qui ont investi la filière légumes avec leurs logiques
institutionnelles, et les effets sur le cadre institutionnel de la filière qui a été ‘envahie’, ainsi
que le travail institutionnel des acteurs en place.
Cette section nous a permis d’observer que la filière des légumes est très peu structurée
malgré un encadrement technique de haut niveau par un organisme public de recherche et de
vulgarisation. C’est une filière qui connaît un vieillissement des producteurs avec une relève
pas toujours assurée, et une production qui est restée fortement traditionnelle surtout au
niveau des petits producteurs. Nous avons pu à la fin de cette section, affiner notre
problématique générale par rapport au contexte de notre travail de recherche.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE :
LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES
142
Conclusion du chapitre 2
Ce chapitre nous a permis de bien cerner les enjeux des filières CAS et légumes. Au départ ce
sont deux filières qui ont certes des liens historiques et une certaine perméabilité mais elles
opèrent chacune dans un cadre institutionnel différent. Nous avons vu que le niveau de
structuration de la filière CAS est élevé, et qu’elle a une grande capacité à s’adapter à des
chocs externes. Cela est du à un soutien très fort de l’état mauricien à l’industrie sucrière qui
était jusqu’à récemment l’un des piliers majeurs de l’économie mauricienne. La réforme du
protocole sucre entre les pays ACP et l’UE a remis en question la filière CAS. Cependant
grâce aux mesures d’accompagnement de l’UE, les acteurs principaux (usiniers-producteurs et
gros producteurs sucriers) de la filière CAS ont pu diversifier cette filière vers d’autres
produits à valeur ajoutée tels que l’énergie, les sucres spéciaux, le biodiesel entres autres. Une
partie des terres sous canne à sucre a été utilisée pour la culture de légumes. Ainsi nous avons
observé l’émergence de nouveaux entrants dans la filière légumes avec des technologies
modernes de production, des ressources conséquentes en termes de capitaux, de main d’œuvre
et de terres. Ces nouveaux entrants ont apporté des changements dans la filière légumes.
En revanche et malgré des efforts de l’état depuis les années 1970s en faveur de la
diversification agricole hors sucre, le secteur non-sucre incluant la filière légumes, est
relativement peu développé, et fait face à de nombreux défis qui ralentissent sa modernisation.
Au niveau de la production, les techniques utilisées pour la plupart des petits et moyens
producteurs sont traditionnelles ; au niveau de la commercialisation, il y a très peu de liens
formels entre les producteurs et les distributeurs, et au niveau des structures d’appui, il y a un
manque de coordination qui ne permet pas de répondre de manière efficiente aux attentes et
besoins des acteurs de la filière légumes.
Pour nous aider à mieux appréhender les changements intervenus dans la filière légumes,
nous avons entreprit un terrain exploratoire dont nous présenterons les résultats dans le
prochain chapitre. Les apports du terrain exploratoire nous aideront à développer nos
propositions de recherche.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
Chapitre 1:
Les apports de la sociologie néo institutionnelle
à l’analyse de filières agricoles
PREMIERE PARTIE:
L’ANCRAGE THEORIQUE ET
LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
Chapitre 2 :
Le contexte de la recherche :
Les filières canne à sucre et légumes mauriciennes
Chapitre 3 : Les propositions de recherche
Conclusion de la partie théorique et contextuelle
Résumé d’un cadre d’analyse de l’apport des logiques institutionnelles
et du travail institutionnel dans une analyse de filière
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
144
Chapitre 3 : Les propositions de recherche
Introduction
Notre revue de littérature autour de la sociologie néo-institutionnelle dans les études
organisationnelles nous oriente vers deux niveaux d’analyse : premièrement une méso-analyse
au niveau du champ organisationnel d’une filière de production, et deuxièmement une micro-
analyse pour comprendre le travail institutionnel qui se fait au niveau des acteurs individuels
ou organisationnels de cette filière.
Basé sur les éléments de la littérature sur la SNI et les données secondaires sur notre champ
organisationnel, la filière légumes, nous avons pu élaborer une problématique générale et des
questions de recherche plus précises. Cependant, il nous a semblé pertinent avant de nous
lancer dans une étude empirique poussée, d’avoir quelques données de terrain exploratoire
pour nous aider à mieux formuler nos propositions de recherche.
Ce chapitre est divisé en deux sections : la première section présentera la démarche de notre
terrain exploratoire, les résultats que nous avons obtenus et l’apport de ces résultats à notre
compréhension de notre champ organisationnel, la filière légumes ; et la deuxième section
présentera nos propositions de recherche basées conjointement sur notre revue de littérature et
les apports de notre terrain exploratoire.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
145
SECTION 1 : Terrain exploratoire du champ organisationnel : Résultats
et apports
Cette section présentera la démarche de notre terrain exploratoire par rapport à la
méthodologie utilisée, et les sources de données. Nous décrirons ensuite les principaux
résultats relatifs aux principaux acteurs de la filière légumes, la structure de la filière, les
piliers institutionnels qui existent dans cette filière. Nous terminerons cette section en
précisant les apports du terrain exploratoire à une meilleure compréhension de notre champ
organisationnel ce qui nous permettra de formuler nos propositions de recherche.
3.1 Présentation de l’étude exploratoire
En se basant sur ce cadre théorique et notre problématique, nous décidons d’effectuer un
terrain exploratoire pour nous permettre de mieux appréhender les enjeux de la filière légumes
face à l’arrivée des nouveaux entrants venant de la filière sucre.
3.1.1 : Méthodologie de l’étude exploratoire
Nous avons donc conduit des enquêtes exploratoires avec un guide d’entretien organisé autour
de trois grands thèmes : Identification des rôles et fonctions des acteurs principaux de la
filière légumes ; identification des piliers institutionnels de la filière ; Identification des
principaux nouveaux entrants et leurs rôles et fonctions dans la filière légumes. La structure
du guide d’entretien est donnée en Annexe 2.
Nous avons tout d’abord contacté l’organisme public responsable de la vulgarisation de la
recherche sur la canne à sucre auprès des petits producteurs sucriers, la Farmers Services
Corporation (FSC). Notre démarche était basée sur la compréhension de l’impact qu’à eu la
réforme du protocole sucre au niveau des petits producteurs de la filière sucre. Suite à cet
entretien, nous avons établi que les petits producteurs de la filière sucre n’étaient pas
directement affectés par la réforme du protocole sucre étant donné que la majorité d’entre eux
sont des producteurs à temps partiel, et ils ne dépendent pas directement des revenus
provenant de la culture de la canne à sucre.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
146
Nous avons donc été orientés vers les gros producteurs sucriers et essentiellement les usiniers-
producteurs qui sont directement concernés par cette réforme. Pour identifier les acteurs
principaux de la filière sucre qui se sont diversifiés dans la filière légumes, nous avons
contacté la division de vulgarisation des recherches sucrières pour les gros producteurs
sucriers et usiniers-producteurs, de l’organisme de recherche sucrière, la MSIRI. Nous avons
ainsi pu identifier à l’issue de cette entretien deux acteurs principaux qui sont des nouveaux
entrants dans la filière légumes : un usinier-producteur qui s’est diversifié dans les légumes à
grande échelle ; et un regroupement de quatre usiniers-producteurs qui se sont associés pour
la production et transformation des légumes.
Nous avons ensuite contacté l’organisme public de recherche et de vulgarisation auprès des
producteurs agricoles (non-sucre), l’AREU, avec pour objectif de cerner les principaux
acteurs de la filière légumes. Nous avons ainsi identifié des acteurs au niveau de la production
(5 petits producteurs, 2 gros producteurs, et 2 associations de producteurs) ; au niveau du
circuit de distribution des légumes (3 mandataires, 2 grossistes, 2 détaillants, 2 entreprises de
distribution, 2 hypermarchés), et finalement au niveau de la consommation de légumes (2
hôtels de luxe, 1 agro-industrie). Nous présenterons ci-dessous les principaux résultats qui
ressortent de cette étude exploratoire et nous les complèterons par des données secondaires
sur la filière légumes.
3.1.2 Les résultats de l’étude exploratoire
La filière légumes (FL) a deux domaines principaux d’activités: la production en amont de la
filière et le circuit de distribution en aval. Les acteurs, autres que les producteurs et
distributeurs, qui ont un rôle important dans ce champ organisationnel inclut les associations
de producteurs, les organismes publics de recherche agricole, et les clients principaux tels que
la grande distribution et les hôtels.
Figure 3.0 illustre la FL comme un champ organisationnel avec des acteurs ayant un but
commun, la production, distribution et vente de légumes comme une activité économique.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
147
Figure23 3.0 : La filière légumes mauricienne
Le domaine de production consiste de petits, moyens et gros producteurs, tandis que le
domaine de la distribution inclut les grossistes, mandataires, et détaillants. L’intersection entre
ces deux domaines (A) représente les acteurs qui sont impliqués dans les deux types
d’activités. Au bout de la chaîne nous retrouvons les clients (consommateurs mauriciens et
hôtels de luxe) Les autres acteurs importants au niveau macroéconomique sont les organismes
publics (l’état, les organismes de recherche, les organismes régulateur), et les associations de
consommateur.
3.1.2.1. Les acteurs économiques de la filière légumes
Les principaux acteurs économiques de la filière légumes sont les producteurs de légumes en
place, les grossistes, les mandataires, les détaillants et les clients tels que les hôtels de luxe et
la grande distribution. Suite à un entretien avec un agro-industriel, il se trouve que les agro-
industries en activité dans la transformation de légumes, dépendent à 99% des matières
premières importées, et l’agro-industrie n’a donc pas été considérée ici comme un acteur clé
dans la filière légumes. Nous donnons ci-dessous une brève description de ces acteurs :
Association de
consommateurs
Organismes
régulateurOrganismes
public
Domaine de
Production
Fournisseurs
d’intrantsDomaine de
Distribution
Fournisseurs
d’intrantsA
Niveau méso économique
Niveau macro-économique
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
148
Les producteurs peuvent être catégorisés en petit exploitant (moins de 0,42 hectares), moyen
exploitant (de 0,42 à 5 hectares), à gros exploitant (plus de 5 hectares). La majorité de ces
producteurs produisent en plein champ, et leurs exploitations sont très peu mécanisées. Les
petits et moyens exploitants sont pour la plupart propriétaires de leur terrain, tandis que les
gros exploitants louent une partie de leur terrain auprès de particuliers, d’usiniers-producteurs
de la filière sucre, ou louent des terrains à bail appartenant à l’état.
Les grossistes-particuliers sont pour la plupart des négociants (ou marchands) qui agissent à
un niveau individuel et vont négocier l’achat des légumes directement aux champs. Ils
forment un maillon important dans la filière car ils représentent le lien entre le petit et moyen
producteur et le mandataire, et permettent de compenser le manque de logistique au niveau de
la production. Il y a cependant l’émergence de nouveaux types de grossistes qui ont formé des
sociétés de distribution. Ils ont investi dans des stations de conditionnements, des chambres
froides, et des véhicules réfrigérés, et s’approvisionnent directement auprès des producteurs
ou à travers les marchés de gros. Ils importent aussi certains légumes non disponibles sur le
marché local. Ces grossistes acheminent leurs produits de qualité essentiellement vers les
hôtels de luxe.
Les mandataires sont des agents privés qui officient dans les marchés de gros. Leur rôle est
essentiellement de vendre, pour le compte des producteurs, les légumes aux enchères deux
fois par semaine. Ils agissent donc au nom du producteur et perçoivent une commission de
10% sur le prix final de vente. Les mandataires ont aussi un rôle social très important car ils
assurent une disponibilité de liquidités aux producteurs pour financer l’achat d’intrants. Ce
même service est étendu aux grossistes qui achètent les légumes dans les marchés de gros.
Les mandataires représentent ainsi un maillon fort de la filière car 80% des légumes transitent
à travers les marchés de gros.
Les détaillants se trouvent être l’avant dernier maillon de la filière avant les consommateurs
qui achètent dans les foires et marchés urbains et ruraux. Ces détaillants achètent
essentiellement les légumes auprès de mandataires, quoique certains détaillants soient eux-
mêmes des petits producteurs qui viennent vendre directement leurs légumes dans les foires et
marchés.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
149
Il faut noter à ce stade que les mandataires et grossistes-particulier peuvent avoir plusieurs
fonctions. En effet, les filières de distribution autrefois cloisonnées se sont complexifiées et,
aujourd’hui, il n’est pas rare de voir une même entreprise assurer plusieurs fonctions
(production, importation, expédition, vente au détail). Ces fonctions de distribution ont un
coût, financé par une marge.
Les hôtels de luxe à l’île Maurice, qui ont une importance capitale dans l’industrie locale de
tourisme haut de gamme, ont un besoin journalier en produits de qualité. Les chefs cuisiniers
dans les chaînes d’hôtel font appel à des centrales d’achat avec un cahier des charges et des
exigences bien précis, et préfèrent avoir affaire à des grossistes spécialisés dans la vente aux
hôtels qu’acheter directement aux producteurs pour des raisons de qualité et de régularité.
Le secteur de la grande distribution (GD) à l’île Maurice est composé de trois
hypermarchés internationaux, et de plusieurs chaînes de supermarchés locales. La GD s’est
lancé dans la promotion des légumes il y a une dizaine d’années. Elle vise une clientèle de
professionnels qui n’a pas le temps de fréquenter les foires et marchés traditionnels, et
proposent aussi des produits en découpe, frais et emballés.
Nous terminons cette partie sur les acteurs clés de la FL en nous tournant vers les
consommateurs mauriciens qui sont les derniers maillons de la filière et représentent quand
même le plus gros marché pour les légumes non transformés. Les habitudes alimentaires
mauriciennes associées aux différentes cultures et religions présentes dans l’île, donnent une
importance particulière aux légumes tout au long de l’année, et bien que l’emphase ne soit pas
sur des produits de qualité (le prix étant un facteur déterminant), il y a donc une forte
demande locale pour les légumes et dans les marchés de proximité.
3.1.2 Structure de la filière légumes
Les légumes qui ont une grande importance à l’île Maurice comprennent entres autres la
pomme de terre, l’oignon, la tomate (nom local : pomme d’amour), la carotte, et les
cucurbitacées. La filière légumes garde une structure composite, c’est à dire, qu’il y a une
coexistence de plusieurs systèmes de production et différents types de producteurs, de même
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
150
que différents types de commercialisation et de vente au détail, et diverses modes de
régulation de la filière. En se basant sur la catégorisation de Codron (1994) nous avons
identifié trois types de circuits de production :
Les circuits courts :
Dans ce type de circuit, nous avons le producteur vendeur qui commercialise directement ses
légumes soit au consommateur (vente à la ferme ; vente au bord des champs) ; soit en
livraisons aux clients tels que des détaillants (en direct ou sur marché de gros) ou des
restaurateurs (en direct) en particulier pour des légumes fragiles ; ou soit sur des marchés de
détails.
Les circuits de marché physique (ou circuits longs) :
Ces circuits sont constitués de négociants ou grossistes (particuliers ou sociétés) spécialisés en
légumes qui s’approvisionnent auprès des producteurs aux champs et acheminent les produits
par les marchés de gros et débouchent sur les marchés de détails urbains (supermarchés,
hypermarchés) et les boutiques spécialisées. Il y aussi les producteurs expéditeurs qui
envoient leurs légumes directement au marché de gros pour la vente à travers les mandataires.
Il est à noter que l’accès aux marchés urbains et ruraux est réglementé par les autorités
locales. Les détaillants détiennent un permis qui les autorise à vendre les produits sur les étals.
Cependant, les producteurs qui vendent leurs légumes à travers le marché de gros ne sont pas
enregistrés auprès d’une autorité régulatrice.
Les circuits intégrés hors marchés:
Ces circuits sont souvent associés à des productions de légumes en plein champ ou sous serres
et des stations de conditionnement connexes gérées par des sociétés de distribution en amont
et qui approvisionnent des supermarchés et/ou des hôtels de luxe.
La filière légumes dans le contexte mauricien pourrait donc être représentée schématiquement
comme dans la Figure 3.1. Ce schéma permet de repérer les flux des produits des producteurs
aux consommateurs.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
151
Figure24 3.1 : Principaux canaux de distribution pour les légumes provenant des producteurs
traditionnels de légumes et des gros producteurs sucrier
Source : Adapté de (Pareanen,2008)
La majorité des producteurs traditionnels vendent leurs légumes à travers les trois principaux
marchés de gros (Vacoas, Port-Louis et Flacq). 70% des producteurs qui vendent aux marchés
de gros sont des petits et moyens producteurs (49% ont moins de 0.42 hectares et 21%
cultivent plus de 0.42 hectares). 16% des fournisseurs des marchés de gros sont des
contractuels, et 14% des usiniers-producteurs. A noter que 65% des petits et moyens
producteurs reçoivent des facilités de crédits des mandataires. Cela a un impact sur la relation
de pouvoir entre le mandataire et le producteur.
Producteurs
légumes(moins de 0,42ha)
Producteurs
légumes
(plus de 0,42ha)
Producteurs
contractuels
Usiniers-
Producteurs
50% camionneursMarchés de
gros
Assembleur
Détaillants marchés (31%)
Détaillants foires (31%)
Boutiques, marchands
ambulants (9%)
Autres restaurants, hôtels
et supermarchés (11%)
Grossistes
60 – 85%
5-15%
10 – 25%
19%
Hôtels et restaurants (43%)
Supermarchés (23%)
Contractuels (25%)
Detaillants boutiques (6%)
Contractuels
– ferme animale (3%)
Détaillants marchés
Détaillants foires
Boutiques
Supermarchés
Légumes transportés par les assembleurs
Légendes
Légumes transportés par les camionneurs
Producteurs expédient produits aux marchés de gros et aux grossistes
Niveau de la production Vente au Gros Vente au détail
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
152
3.1.2.3. Les piliers institutionnels de la filière légumes
En nous servant du tableau de Scott (2008) qui définit les trois piliers des institutions (voir
section 1.4.1) et le tableau de Trouinard (2004) qui différencie entre les institutions formelles
et informelles, nous avons utilisé les données secondaires sur la filière légumes et les données
primaires de notre terrain exploratoire pour identifier les indicateurs dans la filière qui se
réfère aux trois piliers institutionnels comme présenté dans le tableau 3.1.
Tableau14 3.1: Les trois piliers institutionnels de la filière légumes
Pilier Indicateur Type
d’institution
(formel/
informel)
Exemples Acteur(s)
directement
concerné(s) dans
la filière légumes
Régulateur Lois Formel
Dangerous Chemical Control
Act 2004 : régule l’utilisation
de pesticides
Producteurs
Fournisseurs
d’intrants
The Genetically Modified
Organisms Act 2004: régule
l’importation et l’utilisation de
produits génétiquement
modifiés.
Producteurs
Fournisseurs
d’intrants
Food Act 1998 : production de
produits alimentaires
Producteurs,
distributeurs
Sugar Industry Efficiency
Act 2001: conversion des
terres à but non-agricole
Location des interlignes de
canne à sucre, ou champ en
rotation pour culture de
légumes
Producteurs en
place et
nouveaux
(sucriers)
Mauritius Agricultural
Marketing Act 1964 : Subsides
sur les semences de pomme de
terre
Producteurs
Distributeurs
Normatif Normes/
standards
Formel
Critères de qualité pour l’achat
de pomme de terre et d’oignon
par l’AMB
Producteurs
Distributeurs
Informel
Cahier de charge pour l’achat
de légumes par les hôtels de
luxe
Producteurs
Distributeurs
Culturel-
cognitif
Logiques
institutionnelles
Informel Données non disponibles Producteurs en
place
Nouveaux
producteurs
Distributeurs en
place
Nouveaux
distributeurs
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
153
Le tableau 3.1 nous donne un aperçu global des piliers institutionnels qui existent dans la
filière légumes.
3.1.3 Les apports de l’étude exploratoire
L’étude exploratoire de la filière légumes à l’île Maurice nous a permis de mieux cerner les
enjeux de cette filière par rapport aux effets indirects de la réforme du protocole sucre; et
d’identifier les agents économiques clés de la filière des légumes.
La filière légumes souffre de nombreuses faiblesses: manque de vision d'ensemble des
réseaux d'acheminement des produits par les agents économiques ce qui ne permet pas à ces
derniers de comprendre le fonctionnement du système ; un bon nombre de petits producteurs
utilisent des pratiques culturales traditionnelles et sont réticents aux nouvelles techniques de
production. La filière légumes est peu structurée en amont au niveau des producteurs, et ce
sont les intermédiaires qui se sont organisés pour s'approprier des parts de marché importants
auprès des hôtels et de la grande distribution.
Les mandataires qui officient dans les marchés de gros ont officiellement un rôle de médiateur
entre le producteur et l’acheteur. Mais dans la pratique, l’importance des mandataires est tout
autre. Ils contrôlent le flux de légumes qui transitent à travers les marchés de gros, et ils
offrent des facilités de crédits aux producteurs et aussi aux acheteurs dans les marchés de
gros. Cependant en contrepartie, il y a un manque de transparence dans la fixation des prix de
vente. Ce qui devait être au départ une enchère pour trouver le meilleur prix pour le
producteur devient vite une négociation entre le mandataire et l’acheteur potentiel. Le
producteur qui, faute de temps, n’est souvent pas physiquement présent au marché de gros
prend le risque de recevoir un prix pour son produit qui ne reflète pas nécessairement le prix
de vente. Plusieurs acteurs économiques de la filière légumes sont d’accord pour dire que
l’infrastructure et le fonctionnement des marchés de gros sont dépassés. Mais les alternatives
sont contraignantes pour la majorité des producteurs comme la vente directe au champ aux
grossistes (ce genre de circuit est ponctuel et dépend du volume de produit sur le marché ; les
grossistes ne s’intéressant aux ventes directes qu’en cas de pénurie) ; ou les ventes directes
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
154
aux supermarchés ou à des compagnies de distribution (circuits qui demeurent inaccessibles
pour les producteurs individuels qui ne peuvent assumer les frais de transports, ainsi que le
cahier des charges généralement associés à ces circuits de distributions). Cependant la vente à
travers le marché de gros reste prédominante, malgré les contraintes de ce système qui est
dépassé tant au niveau des infrastructures qu’au niveau de l’efficience.
Il ressort de cette analyse que les producteurs traditionnels de légumes sont encastrés dans un
système de production archaïque et désuet, et qu’ils subissent les contraintes et les diktats de
certains agents économiques tels que les mandataires. Ces mandataires sont en quelque sorte
le maillon stratégique de la filière légumes car au moins 80% des légumes transitent par les
marchés de gros faute d’une structure ou d’un circuit de distribution plus efficient. La
majorité des producteurs traditionnels de légumes font aussi face à des limites cognitives de
leur environnement institutionnel (Yami, 2003) et ne réalisent pas directement l’impact que
peut avoir l’arrivée des usiniers-producteurs à long terme sur le marché des légumes. Ce qui
fait qu’ils ne sont pas réactifs ou proactifs face aux nouveaux entrants dans la filière.
Les producteurs sucriers, quant à eux, ont dû faire face à une désinstitutionalisation du secteur
sucre car les principes du jeu (les logiques institutionnelles) ont changé. Pour s’adapter, les
usiniers-producteurs et les gros producteurs sucriers se sont transformés en entrepreneurs et
opportunistes pour se diversifier dans la production horticole. Nous nous rapportons aux
travaux empiriques de DiMaggio (1991), Fligstein (1997) ; Kondra et Hinings (1998),
Greenwood et al. (2002), Battilana (2006b), Battilana et al. (2009) qui montrent le rôle
significatif des professionnels qui sont là pour apporter des changements dans les champs
institutionnels pour promouvoir leurs propres intérêts. De ce fait on peut dire que les usiniers-
producteurs et les gros producteurs sucriers ayant subi un changement institutionnel dans le
secteur sucre ont à leur tour causé un choc exogène à la filière légumes. En entrant dans la
filière légumes, ces producteurs sucriers ont choisi une stratégie de réseau (Peng, 2003) pour
se mettre en place. De ce fait, ils entrent en concurrence frontale avec les producteurs
traditionnels de légumes en utilisant les infrastructures existantes telles que les marchés de
gros, et aussi en utilisant les réseaux et relations tels que les grossistes-particuliers qui
préfèrent dans une certaine mesure s’approvisionner auprès d’un seul gros producteur sucrier
qu’auprès de plusieurs petits et moyens producteurs (traditionnels) pour minimiser leurs coûts
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
155
de transactions. D’autres gros producteurs sucriers ont choisi une stratégie collective
confédérée (Astley et Fombrun, 1983), et se sont constitués en groupe d’affaires en se basant
sur leurs ressources et capacités communes (Guillen, 2000) telles que la terre et les capitaux
pour entrer dans la filière légumes plus rapidement et efficacement.
Cependant, notre étude exploratoire a fait aussi ressortir qu’il y a certains acteurs
économiques traditionnels de légumes qui sont avant-gardistes et ont des stratégies
institutionnelles pour mieux rentabiliser leur production. Certains se sont regroupés pour
bénéficier d’une technologie de production commune ; d’autres pour faciliter les achats
d’intrants auprès des agro fournisseurs, et d’autres encore ont formé des compagnies de
distribution qui court-circuitent les traditionnels marchés de gros en s’approvisionnant
directement auprès des producteurs aux champs. Ces formes de stratégies institutionnelles
collectives sont des signes tangibles des effets d’une stratégie d’adaptation de certains acteurs
face aux nouvelles règles du jeu, et qui mènent inéluctablement à une restructuration de la
filière.
L’étude exploratoire nous a apporté des éléments nouveaux qui complètent notre
compréhension de la filière légumes. Elle nous a permis d’affiner notre problématique
générale et de reformuler notre question de recherche de façon plus précise, associé à notre
cadre conceptuel développé dans le premier chapitre, comme suit :
Quels sont les types et formes de travail institutionnel qui sont menés par les
nouveaux acteurs de la filière légumes pour modifier les logiques institutionnelles
existantes de la filière ; et quels sont les types et formes de travail institutionnel qui
sont utilisés par les acteurs en place de la filière légumes face à la possibilité de
nouvelles logiques institutionnelles?
Cette question s’intéresse aux institutions, au changement institutionnel, aux logiques
institutionnelles, et au travail institutionnel. Notre cadre théorique initial nous permet à la fois
d’examiner l’ensemble de la filière légumes dans une perspective méso, et à la fois de
comprendre le travail institutionnel qui se fait au niveau des acteurs individuels et
organisationnels avec une perspective micro.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
156
Cependant à ce stade de notre recherche, les apports des données secondaires et de l’étude
exploratoire ne sont pas suffisants pour nous apporter un éclairage sur plusieurs dimensions
de la filière légumes. Nous nous posons les questions suivantes :
1) Est-ce que les acteurs en place et nouveaux du CO légumes sont légitimes par
rapport aux piliers régulateurs, normatifs et culturel-cognitif ?
2) Pouvons nous identifier les logiques institutionnelles qui déterminent le pilier
culturel-cognitif du CO légumes ?
3) Est-ce que ces logiques institutionnelles sont homogènes ou hétérogènes ?
4) Quel est le degré d’institutionnalisation de ces logiques institutionnelles dans la
filière légumes ?
5) Quel est le degré de structuration de la filière légumes, c'est-à-dire, son degré
d’ouverture aux logiques institutionnelles externes ?
6) Quelles sont les caractéristiques des acteurs qui influencent leur travail
institutionnel ?
Cette section nous a permis d’avoir une idée plus précise de notre contexte empirique en nous
donnant des éléments de réponse à nos questions de recherche à travers les apports de notre
terrain exploratoire. Cependant plusieurs autres questions ont été soulevées, et pour nous
permettre de répondre à ces questions nous formulerons, dans la prochaine section, des
propositions de recherche basées sur des conjectures issues de notre terrain exploratoire.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
157
SECTION 2 : Elaboration des propositions de recherche
Cette section a pour objectif d’expliciter les apports de notre terrain exploratoire à travers les
conjectures que nous formulerons et qui nous permettront de préciser nos propositions de
recherche.
3.2 Apports du terrain exploratoire à la formulation des propositions
de recherche
Ayant abordé notre terrain exploratoire avec des concepts issus de notre revue de la littérature
sur la SNI, nous avons avancé des conjectures basées sur nos observations du terrain et à
travers les entretiens avec les acteurs de notre champ organisationnel. Nous exposons ces
conjectures ci-dessous.
3.2.1 Conjectures
Notre terrain exploratoire et notre cadre conceptuel nous ont permis d’avancer les conjectures
suivantes :
Les effets de l’arrivée des nouveaux acteurs dans la filière légumes?
L’étude exploratoire nous a permis d’observer les effets directs de la réforme du protocole
sucre sur la filière sucre et les effets indirects sur la filière légumes (Tableau 3.2) suite à la
réforme du protocole sucre :
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
158
Tableau15 3.2 : Effets directs et indirects des nouveaux entrants dans la filière légumes
Effets directs sur la filière sucre Effets indirects sur la filière légumes
Venant d’une filière très structurée,
beaucoup de petits producteurs de sucre
opérant à temps partiel dans la filière
sucre, avec la baisse du prix du sucre, ont
soit abandonné leur culture soit se sont
diversifiés dans des activités non-
agricoles.
Les usiniers-producteurs et les gros
producteurs sucriers utilisent les
infrastructures et circuits de distribution
existants (tels que les grossistes) dans la
filière légumes pour acheminer leurs
produits essentiellement aux marchés de
gros.
Les gros producteurs sucriers, ayant des
actifs spécifiques très importants, ont
utilisé leurs ressources (terre, capitaux)
pour se diversifier dans les légumes et ont
saisi les opportunités dans le champ
institutionnel de par les mesures
incitatives de l’état, ainsi que l’aide
financière de l’UE.
Les intermédiaires tels que les grossistes qui
achètent des légumes directement aux
champs trouvent plus d’avantages à acheter
en gros avec les gros producteurs sucriers,
car cela réduit leurs coûts de transaction.
Les producteurs traditionnels de légumes
bénéficient d’aides financières de l’état pour
des projets communs qui permettent
l’augmentation des volumes de production.
Certains producteurs réagissent et se
regroupent, et utilisent donc une stratégie
collective de mise en commun de leurs
ressources pour moderniser leurs techniques
de production et/ou améliorer les circuits de
distribution.
Les producteurs traditionnels de légumes en place font face à certaines contraintes telles
qu’un coût de production très élevé, accès difficile au crédit; peu de moyen pour la
mécanisation. Il y a donc très peu d’investissement dans la productivité et la qualité par
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
159
manque de moyens et cela rend l’accès difficile aux marchés de niches (GD, hôtels).
Cependant, les mesures incitatives de l’état mauricien, suite à la crise alimentaire mondiale de
2008, ont créé des opportunités pour certains producteurs traditionnels avant-gardistes qui ont
adopté des stratégies collectives en se regroupant en association de producteurs pour investir
dans l’amélioration de la valeur ajoutée en proposant des légumes prédécoupés en barquette
pour les supermarchés. D’autres ont mis leurs ressources en commun pour profiter d’outils de
mécanisation qui améliorent la productivité de leurs activités agricoles. D’autres encore se
sont lancés dans des compagnies de distribution avec des stations de conditionnements et
jouent le rôle de grossistes auprès des producteurs de légumes, et approvisionnent ainsi les
hôtels de luxe.
Ces observations nous amènent à la première et à la deuxième conjecture:
La première conjecture: nous supposons que les conditions du champ organisationnel de la
filière légumes telles que son degré d’ouverture et son hétérogénéité induisent les conditions
nécessaires à différents types de travail institutionnel parmi les nouveaux acteurs et les
acteurs en place dans la filière.
La deuxième conjecture: Nous supposons que certaines caractéristiques des acteurs (nouveau
et en place) telles que leur orientation temporelle et leur position sociale favorisent le choix
du type de travail institutionnel.
Nous nous intéressons maintenant aux usiniers-producteurs et gros producteurs sucriers
comme nouveaux agents économiques dans la filière légumes. D’après le plan stratégique
pour l’industrie sucrière mauricienne, en 2009, il y avait 70000 hectares de terre sous canne à
sucre, avec une prévision de 55000 hectares pour 2013. La diversification des terres sous
canne à sucre s’est orientée vers la production de légumes, fruits, ornementaux, et production
animale. Les fruits et légumes suivants sont produits : pomme de terre, oignon, giraumon,
carotte, pomme d’amour, litchi, mangue, papaye, banane, ananas.
Les usiniers-producteurs/gros producteurs sucriers se sont tournés en priorité vers la culture
des non-périssables telle que la pomme de terre, les carottes, la courge pour répondre à un
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
160
besoin sur le marché. Ils ont investi massivement dans l’épierrage des champs pour pouvoir
mécaniser la production et la récolte. Il y a eu aussi des investissements conséquents dans des
infrastructures telles que les stations de traitements post-récoltes et les chambres froides pour
favoriser le stockage des produits en surplus et profiter ainsi des meilleurs prix sur le marché.
Certains usiniers-producteurs se sont réunis en groupe stratégique pour produire de la pomme
de terre et aussi investir dans une usine de conditionnement et de transformation en frites
surgelés.
Les usiniers-producteurs/gros producteurs sucriers vendent essentiellement aux grossistes
directement aux champs. Mais dans le futur ils ont prévu une stratégie de vente axée sur les
marchés de niche tels que les hôtels de luxe.
Ces nouveaux acteurs de la filière ont introduit de nouvelles méthodes de production et de
nouvelles formes de coordination avec d’un côté des relations privilégiées avec des acteurs
traditionnels de la filière (grossistes) et de l’autre côté par l’organisation de la production sous
formes de groupe d’affaires introduisant des innovations en matière de production et de
transformation.
La troisième conjecture est donc la suivante : nous supposons que les nouveaux arrivants
dans la filière légumes ont entrepris un travail institutionnel pour changer les logiques
institutionnelles existantes. Nous avançons donc, que le champ institutionnel de la filière
légumes a subi des changements au niveau des logiques institutionnelles existantes.
3.2.2 Les propositions de recherche
Notre grille de lecture basée sur un croisement de la littérature sur les entrepreneurs
institutionnels, la littérature sur le travail institutionnel et la littérature sur les logiques
institutionnelles, et les résultats du terrain exploratoire et les conjectures, les données
secondaires empiriques sont utilisées pour développer nos propositions de recherche.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
161
Le choix du type de travail institutionnel adopté par un acteur dans un champ organisationnel
dépend de plusieurs facteurs. Si le choix de l’acteur se porte sur la création ou la
déstabilisation des institutions, cela nous ramène aux travaux sur l’entrepreneuriat
institutionnel qui proposent des conditions objectives des champs organisationnels, aussi bien
que des caractéristiques personnelles des acteurs qui favorisent leurs projets. Si le choix de
l’acteur se porte sur le maintien des institutions pour préserver ses acquis, nous retrouvons les
stratégies discursives des acteurs pour préserver leurs acquis (Ben Slimane, 2007; Maguire et
Hardy, 2009) ou maintenir leur légitimité et la légitimité des arrangements institutionnels
existants face à des alternatifs (Trank et Washington, 2009).
D’après Newman (2000), les entreprises qui sont trop encastrées dans leur environnement
institutionnel du passé auront plus de mal à se transformer et à s’adapter aux nouvelles règles
du jeu. Ce n’est pas le cas des gros producteurs sucriers car suite au choc exogène causé par la
réforme du protocole sucre, une des stratégies d’adaptation des gros producteurs sucriers a été
la diversification dans la production de légumes. Les producteurs sucriers ont choisi
initialement une stratégie de réseaux pour s’intégrer dans la filière légumes en utilisant les
infrastructures déjà présentes comme les marchés de gros et les services proposés par les
intermédiaires tels que les grossistes. Il est possible de supposer qu’au fil du temps, les
producteurs sucriers se démarqueront des producteurs traditionnels de légumes en adoptant
une stratégie basée sur les ressources, les compétences et les capacités. Nous nous intéressons
à tester si l’arrivée des producteurs sucriers dans le champ institutionnel de la filière des
légumes est un choc exogène qui a changé les règles institutionnelles.
Les conditions du champ institutionnel qui favorisent le travail institutionnel se rapportent
premièrement au degré d’ouverture du champ aux logiques institutionnelles ce qui provoque
des tensions et favorisent l’action stratégique, et deuxièmement au niveau du degré
d’institutionnalisation des logiques institutionnelles du champ.
3.2.2.1 Proposition P1
La première proposition de recherche (P1) concerne les conditions objectives d’un champ
organisationnel qui favorisent la recherche d’opportunités pour les acteurs en place ainsi que
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
162
pour les acteurs externes au champ. Ces conditions sont objectives car elles ne peuvent être
influencées par les acteurs mais servent de point de départ pour déclencher le processus de
changement institutionnel. Ainsi nous retrouvons dans la littérature les conditions au niveau
des champs organisationnels tels que les chocs exogènes, les situations de crises (Greenwood
et al., 2002, Fligstein, 1997, Holm, 1995). Des ressources rares peuvent aussi pousser des
acteurs à migrer dans d’autres champs (Durand et McGuire, 2005). Les caractéristiques des
champs organisationnels tels que le degré d’hétérogénéité et le degré d’institutionnalisation
des pratiques institutionnels (Dorado, 2005) influencent le processus de changement
institutionnel.
La première proposition de recherche (P1) peut être reformulée ainsi :
P1 : Le type de travail institutionnel dépend des caractéristiques du champ
organisationnel
Cependant comme le champ organisationnel a plusieurs composants clés parmi lesquels les
systèmes relationnels, les systèmes culturels-cognitifs, les archétypes organisationnels, et les
répertoires d’action collective (Scott, 2008), nous nous concentrons sur les systèmes culturels-
cognitifs sous la forme des logiques institutionnelles pour établir leur degré d’hétérogénéité et
d’institutionnalisation.
Ainsi, la proposition H1 peut être décomposée en deux sous-propositions P1a et P1b pour
mieux cerner deux caractéristiques importantes du champ organisationnel : le degré
d’hétérogénéité des logiques institutionnelles et le degré d’institutionnalisation des logiques
institutionnelles
P1a: Le type de travail institutionnel dépend du degré d’hétérogénéité des logiques
institutionnelles dans le champ organisationnel
P1b: Le type de travail institutionnel dépend du degré d’institutionnalisation des
logiques institutionnelles dans le champ organisationnel
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
163
Des entretiens qualitatifs auprès d’association de producteurs, et auprès de producteurs qui
opèrent seuls nous aiderons à vérifier cette deuxième proposition de recherche.
La filière légumes est une filière où les organisations et individus sont très encastrés et qui
perpétue les mêmes types d’organisations depuis plusieurs décennies. Il y a cependant du
renouveau avec l’émergence d’un nouveau genre d’entrepreneurs qui veulent changer les
normes et mythes institutionnels et venir avec de nouvelles idées et techniques de production
et de distribution des légumes. Ce sont des entrepreneurs institutionnels qui veulent dévier de
la norme institutionnelle et imposer leurs propres standards et intérêts tout en légitimant leurs
actions et leur appartenance au champ institutionnel.
3.2.2.2 Proposition P2
La deuxième proposition de recherche (P2) concerne les caractéristiques subjectives des
acteurs individuels ou organisationnels et peut être formulée ainsi :
P2 : Le type de travail institutionnel dépend des caractéristiques des acteurs individuels
ou organisationnels
La proposition P2 peut être décomposée en deux sous-propositions P2a et P2b pour mieux
cerner deux caractéristiques subjectives des acteurs individuels ou organisationnels : leur
orientation temporelle et leur position sociale dans le champ organisationnel où ils sont en
activité.
P2a: Le type de travail institutionnel dépend de l’orientation temporelle des acteurs
individuels ou organisationnels.
P2b: Le type de travail institutionnel dépend de la position sociale des acteurs
individuels ou organisationnels.
En premier lieu, l’orientation temporelle des acteurs influence leur intentionnalité par rapport
au type de travail institutionnel qu’ils entreprennent. L’intentionnalité est une dimension
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
164
cognitive qui permet de qualifier de travail institutionnel, les actions ou pratiques des acteurs.
Emirbayer et Mische (1998) définissent trois formes d’intentionnalité basées sur l’orientation
temporelle des acteurs. Ainsi une forme d’intentionnalité tournée vers le passé permet aux
acteurs de se baser sur leurs expériences et de sélectionner, et d’utiliser des schémas de
pensées et d’actions ‘allant de soi’. Une deuxième forme d’intentionnalité se base sur le
moment présent, et s’appuie sur « la contextualisation de l’expérience sociale », ce qui
implique une délibération individuelle ou collective sur les exigences des situations
normatives. Une troisième forme d’intentionnalité est orientée vers le futur et les acteurs font
des hypothèses sur les stratégies possibles aux situations problématiques. Lawrence et al.,
(2009b) postulent que la schématisation (passé), la contextualisation (présent) et la
construction d’hypothèses aident les acteurs à relier leurs actions à leurs situations.
En deuxième lieu, la position sociale des acteurs individuels ou organisationnels peut jouer un
rôle dans le changement divergent des normes institutionnelles en influençant la perception
des conditions présentes dans le CO. Sewell (1992) argumente que la capacité d’action
agentique est déterminée par une multitude de schémas culturels et de ressources qui sont dus
au milieu social où évolue l’acteur. Il y a cependant des variations dans les études car certains
parlent d’organisations avec une position sociale faible qui ont plus de chances de provoquer
des changements divergents (Garud et al., 2002; Haveman et Rao, 1997; Hirsch, 1986) ;
tandis que d’autres chercheurs parlent d’organisations avec une position sociale élevée qui
sont plus aptes à provoquer des changements (Greenwood et Suddaby, 2006;Greenwood et
al., 2002). Battilana et al.,(2009) postulent que ces variances sont dues aux différences dans
les conditions des CO, c’est à dire le degré de hétérogénéité et d’institutionnalisation (Dorado,
2005); et aussi au type de changement divergent qui est causé (Battilana, 2007). Leblebici et
al. (1991) démontrent, à travers une étude du champ de diffusion des ondes radiophoniques
aux Etats Unis, que la plupart des nouvelles pratiques sont introduites par des acteurs
périphériques du champ. Les acteurs puissants du CO, pour protéger leurs intérêts dans les
pratiques institutionnalisées, se servent de leurs ressources pour « maintenir le statu quo ou
favoriser les pratiques introduites qui confirment les pratiques déjà établies ». Garud et al.
(2002) illustrent le rôle de Sun Microsystèmes, en tant qu’organisation à la périphérie du CO,
dans la diffusion de la plateforme Java pour contrer la domination de Microsoft, acteur
centrale du CO. Munnir et Phillips (2005) décrivent le rôle de Kodak comme acteur
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
165
périphérique du champ de la photographie qui réussit à dominer le champ et les
professionnels de la photographie, avec l’introduction de la pellicule. Rao et al. (2000)
décrivent la formation de nouvelles formes organisationnelles dans les interstices entre
différents champs organisationnels.
3.2.2.3 Proposition P3
Finalement la troisième proposition de recherche (P3) se rapporte au changement
institutionnel dans la filière sucre qui a provoqué un travail institutionnel dans la filière des
légumes et a changé les logiques institutionnelles existantes.
P3 : Les différents types de travail institutionnel entrepris par les acteurs (nouveaux et
en place) de la filière légumes ont changé les logiques institutionnelles existantes
Nous proposons de tester cette proposition de recherche en nous référant aux sources de
donnes secondaires et primaires dans le but d’identifier les logiques institutionnelles présentes
avant et après l’arrivée des nouveaux entrants dans la FL. Notre objectif est d’identifier s’il y
a eu de nouvelles logiques institutionnelles et dans quelles mesures ces nouvelles logiques ont
pu être légitimées dans le champ organisationnel à travers les différents types de travail
institutionnel entrepris par les acteurs nouveaux et en place.
Cette section est une étape décisive dans notre travail de recherche car elle décrit l’élaboration
de nos propositions de recherche qui s’appuient aussi bien sur notre cadre conceptuel que sur
les apports de notre terrain exploratoire. Nous avons ainsi pu formuler trois propositions de
recherche qui nous aide à cerner à la fois le niveau méso et le niveau micro de notre champ
organisationnel.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE
166
Conclusion du chapitre 3
Notre étude exploratoire a permis premièrement d’affiner notre compréhension de la
structure de la filière légumes et d’identifier les différences de vision, et deuxièmement
d’appréhender du point de vue des acteurs de la filière légumes, les effets perçus de
l’arrivée des nouveaux entrants de la filière sucre dans la filière légumes.
Nous avons ainsi observé que les producteurs traditionnels de légumes en place font face à
certaines contraintes telles qu’un coût de production très élevé, accès difficile au crédit; et
peu de moyen pour la mécanisation. Ces contraintes freinent la modernisation de la filière
au niveau des petits producteurs. Les usiniers-producteurs/gros producteurs sucriers se
sont tournés en priorité vers la culture des non-périssables pour répondre à un besoin sur le
marché. Ils ont investi massivement dans des techniques modernes de production pour
favoriser le stockage des produits en surplus et profiter ainsi des meilleurs prix sur le
marché.
Notre travail de recherche est donc motivé par la compréhension du travail institutionnel
entreprit par les nouveaux acteurs (sucriers) dans la filière légumes pour réussir leurs
activités, et le travail institutionnel des acteurs en place en réaction aux nouveaux entrants.
A la fin de ce chapitre, basé sur les résultats de notre étude exploratoire, de notre cadre
théorique, et de nos données secondaires, nous avons pu formuler trois propositions de
recherche qui permettent de cerner l’action agentique à travers le travail institutionnel. La
première proposition, P1, identifie les conditions objectives du champ organisationnel qui
favorise un type de travail institutionnel soit la création, le maintien ou la déstabilisation
des institutions. La deuxième proposition P2, s’intéresse aux caractéristiques subjectives
des acteurs qui influencent le type de travail institutionnel ; et la troisième proposition vise
à établir si l’arrivée des nouveaux entrants de la filière sucre dans la filière légumes ont
changé les logiques institutionnelles existantes.
Pour nous permettre de relier ces propositions de recherche à notre contexte empirique,
nous décrivons la méthodologie de notre recherche dans le prochain chapitre.
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CONCLUSION DE LA PARTIE THEORIQUE ET CONTEXTUELLE
Chapitre 1:
Les apports de la sociologie néo institutionnelle
à l’analyse de filières agricoles
PREMIERE PARTIE:
L’ANCRAGE THEORIQUE ET
LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
Chapitre 2 :
Le contexte de la recherche :
Les filières canne à sucre et légumes mauriciennes
Chapitre 3 : Les propositions de recherche
Conclusion de la partie théorique et contextuelle
Résumé d’un cadre d’analyse de l’apport des logiques institutionnelles
et du travail institutionnel dans une analyse de filière
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CONCLUSION DE LA PARTIE THEORIQUE ET CONTEXTUELLE
168
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
Au travers de ces trois chapitres nous avons vu émerger des concepts et des observations
que nous considérons comme utiles et importants dans le cadre de ce travail de recherche.
Dans le chapitre 1, nous avons développé notre connaissance de la littérature sur la
sociologie néo-institutionnelle (SNI). Nous avons tout d’abord explore l’évolution de cette
littérature jusqu’à son utilisation dans les études organisationnelles. Cela a permis de faire
émerger des concepts clés comme le champ organisationnel, les logiques institutionnelles,
et l’entrepreneuriat institutionnel. Cependant les critiques sur l’entrepreneuriat
institutionnel ont donne lieu a un autre concept, le travail institutionnel, qui prend en
considération le travail entreprit par tous les acteurs d’un champ organisationnel soit pour
créer, maintenir ou déstabiliser les institutions d’un champ organisationnel en utilisant
leurs logiques institutionnelles dominantes. Ces concepts ont servi à élaborer un modèle
conceptuel reliant les logiques institutionnelles au travail institutionnel en prenant en
considération les déterminants du travail institutionnel, c'est-à-dire les caractéristiques du
champ organisationnel et les caractéristiques des acteurs.
Dans le chapitre 2, nous avons présenté le contexte de notre recherche, c'est-à-dire, une
description de notre champ organisationnel, la filière légumes, ses politiques publiques au
fil de son histoire, et les échecs de sa diversification. Nous avons aussi décrit une filière
voisine, la filière canne a sucre, très structurée et bien organisée au niveau de tous les
acteurs, et qui avec la reforme du protocole sucre entre les pays ACP et l’UE, a du se
diversifier dans d’autres activités agricoles et non-agricoles pour assurer sa survie et celle
de ses acteurs principaux, les producteurs de canne a sucre. Nous nous sommes ainsi
focalisées sur la diversification des producteurs sucriers dans la production de légumes à
grande échelle. Ces producteurs sucriers ont leurs logiques institutionnelles issus des
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CONCLUSION DE LA PARTIE THEORIQUE ET CONTEXTUELLE
169
institutions de la filière canne à sucre, et ils ont investit un champ organisationnel avec des
acteurs ayant eux aussi leurs propres logiques institutionnelles. Notre objectif est donc de
comprendre quel est le type de travail institutionnel qui se met en place au niveau des
nouveaux entrants dans la filière légumes et au niveau des acteurs en place et quels sont
les déterminants qui favorisent un type de travail institutionnel ou un autre.
Dans le chapitre 3, nous nous sommes basées sur notre cadre théorique initial et sur notre
contexte issu des données secondaires, pour mener un terrain exploratoire avec pour
objectif de mieux cerner les enjeux du terrain. Notre terrain exploratoire nous a permis
d’identifier les acteurs principaux de notre champ organisationnel au niveau de la
production et du circuit de distribution, et aussi d’identifier les principaux acteurs de la
filière sucre qui ont provoqué des changements dans la filière légumes. Nous avons ainsi
proposé un cadre d’analyse ci-dessous (Figure 3.2).
Caractéristiques du
champ organisationnel
Les principaux acteurs
(logiques
institutionnelles en
place et nouvelles)
Orientation temporelle
Position sociale
Degré d’hétérogénéité
Degré
d’institutionnalisation
Types de travail
institutionnel (créer,
maintenir, déstabiliser)
Changement
institutionnel
P1a
P1b
P2a
P2b
P3
Figure25 3.2 : Cadre d’analyse
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME
CONCLUSION DE LA PARTIE THEORIQUE ET CONTEXTUELLE
170
Ce cadre d’analyse nous a permis de dériver trois propositions et leurs sous-propositions
de recherche.
Proposition 1 (P1): Le type de travail institutionnel dépend des caractéristiques du champ
organisationnel
P1a: Le type de travail institutionnel dépend du degré d’hétérogénéité des logiques
institutionnelles dans le champ organisationnel
P1b: Le type de travail institutionnel dépend du degré d’institutionnalisation des logiques
institutionnelles dans le champ organisationnel
Proposition 2 (P2) : Le type de travail institutionnel dépend des caractéristiques des
acteurs individuels ou organisationnels
P2a: Le type de travail institutionnel dépend de l’orientation temporelle des acteurs
individuels ou organisationnels.
P2b: Le type de travail institutionnel dépend de la position sociale des acteurs individuels
ou organisationnels.
Proposition 3 (P3): Les différents types de travail institutionnel entrepris par les acteurs
(nouveaux et en place) de la filière légumes ont changé les logiques institutionnelles
existantes
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
Chapitre 4:
Méthodologie de recherche
DEUXIEME PARTIE:
MÉTHODOLOGIE ET RÉSULTATS
Chapitre 5 :
Les résultats des enquêtes et études de cas
Chapitre 6 :
Discussion
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
172
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
Cette deuxième partie de la thèse développe la partie méthodologique de ce
travail de recherche, présente les résultats et les analyses des données de terrain et
articulent ces analyses avec un retour à la littérature.
La deuxième partie de la thèse est divisée en trois chapitres :
Le chapitre 4 présentera notre positionnement épistémologique dans ce travail de
recherche, et précisera le design de la recherche et la méthodologie mise en œuvre
pour la sélection des acteurs et la sélection des études de cas pour la collecte de
données sur le terrain. Nous décrirons ensuite les outils d’analyse de nos données
primaires et secondaires avant de terminer sur les critères de fiabilité et de validité
de cette recherche.
Le chapitre 5 exposera les résultats de notre étude de terrain à deux niveaux :
premièrement au niveau méso de la filière légumes en insistant sur les
caractéristiques du champ organisationnel et plus spécifiquement un de ces
composants, les logiques institutionnelles. Nous décrirons les conditions
objectives du champ organisationnel en termes du degré d’hétérogénéité des
logiques institutionnelles et de leur degré d’institutionnalisation auprès des acteurs
principaux de la filière. Nous ferons ensuite le lien entre les logiques
institutionnelles et le travail institutionnel entreprit par les acteurs en place et
nouveaux à travers une analyse de nos études de cas.
Le chapitre 6 articulera les liens entre nos résultats et la littérature mobilisée et
nous permettra de tester nos propositions de recherche.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
Chapitre 4:
Méthodologie de recherche
DEUXIEME PARTIE:
MÉTHODOLOGIE ET RÉSULTATS
Chapitre 5 :
Les résultats des enquêtes et études de cas
Chapitre 6 :
Discussion
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
174
Chapitre 4 : Méthodologie de recherche
Introduction
Ce chapitre a pour objectif d’exposer notre méthodologie de recherche. Nous montrerons
notre cheminement épistémologique qui nous a permis de situer notre recherche dans les
différents paradigmes existants. Nous expliciterons le design de la recherche qui démontrera
les différentes étapes depuis le constat de départ jusqu’à l’analyse de données. Nous nous
intéresserons ensuite à la méthodologie des études de cas pour expliciter notre sélection des
cas dans le champ organisationnel. L’analyse des données, étant une étape cruciale, nous
aborderons ainsi les méthodes d’analyses quantitatives que nous avons utilisées pour donner
un sens à nos données empiriques. Finalement, nous ferons ressortir de quelle façon nous
avons assuré la validité interne et externe de notre travail de recherche ainsi que la fiabilité
des données recueillies.
Ce chapitre est divisé en quatre sections. La première section présentera notre positionnement
épistémologique ainsi que le design de la recherche. La deuxième section explicitera la
sélection de cas dans la filière légumes. La troisième section décrira le mode de collecte et
d’analyse des données primaires. Dans la dernière section, nous discuterons des critères de
fiabilité et de validité de la recherche.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
175
SECTION 1 : Positionnement épistémologique et design de la recherche
Le chercheur dans sa démarche de recherche est guidé par un filet ou un ensemble de prises
de position appelé paradigme ou cadres épistémologiques. « L'épistémologie a pour objet
l'étude des sciences. Elle s'interroge sur ce qu'est la science en discutant de la nature, de la
méthode et de la valeur de la connaissance. Tout travail de recherche repose, en effet, sur une
certaine vision du monde, utilise une méthode, propose des résultats visant à prédire,
prescrire, comprendre, construire ou expliquer. » (Perret et Séville, 2003). La recherche en
sciences de gestion ne fait pas exception et s’appuie sur le principe d’accumulation des
connaissances mais aussi sur la construction scientifique d’un design de recherche. Nous
présenterons dans cette section le cadre épistémologique utilisé pour mener notre
investigation et nos choix méthodologiques
4.1 Les cadres épistémologiques
Un chercheur doit pouvoir selon Perret et Séville (2003) interroger sa démarche de recherche
à travers trois questions principales :
Quelle est la nature de la connaissance produite ?
Le chercheur s’interroge donc sur l’indépendance du sujet et de l’objet de recherche.
Est-ce que la ‘réalité’ est objective ? Est-ce que la ‘réalité’ est une interprétation du
chercheur ? Ou bien est-ce que cette ‘réalité’ est construite par le chercheur ?
Giordano (2003) fait la distinction entre le terme «ontologie » désignant la façon dont
la réalité est envisagée, et le terme «épistémologie» qui spécifie la nature du lien entre
le chercheur (le sujet) et son objet de recherche. Il s’agit donc par rapport à la question
principale de s’interroger sur l’ontologie du chercheur (la nature de la ‘réalité’), c'est-
à-dire, sa vision du monde social, et la nature du lien sujet/objet (épistémologie).
Comment la connaissance scientifique est-elle produite ?
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
176
Ici, le chercheur doit expliciter le cheminement de production de la connaissance
scientifique : est-elle produite par un processus d’explication, d’interprétation ou de
construction ?
Quels sont la valeur et le statut de cette connaissance ?
Est-ce que la connaissance a une valeur scientifique ou non ? Quels sont les critères
qui permettent de valider la connaissance produite ?
Le but d’une recherche est de répondre à la question qui y est posée, de trouver des éléments
de solution au problème soulevé, et de faire avancer les connaissances sur un sujet donné.
L’approche que privilégiera le chercheur pour arriver à ses fins dépend du paradigme auquel
il adhère.
Au sein du champ des sciences de l’administration, plusieurs paradigmes coexistent. Ces
paradigmes se situent le long d’un continuum allant d’une vue objective de la réalité à une
vue plus subjective de cette même réalité. Le chercheur se trouve dans les trois grands
paradigmes épistémologiques usuellement identifiés comme les principaux repères
épistémologiques en sciences de l'organisation : le paradigme positiviste, le paradigme
interprétativiste et le paradigme constructiviste.
4.1.1 Le paradigme positiviste et l’approche hypothético-déductive
Le paradigme positiviste tire ses origines des sciences de la nature. L’être humain y est
considéré comme un organisme vivant répondant à des lois de la nature, au même titre que les
plantes ou les insectes. Ce paradigme est celui qui jouit de la faveur du plus grand nombre de
chercheurs en sciences de l’administration, bien que plus récemment sa suprématie ait été
sérieusement contestée. Selon ce paradigme, la nature des organisations est objective : il
n’existe qu’une seule réalité concrète, indépendante de toute opinion, qui attend d’être
découverte et explorée. La société et les organisations peuvent être vues comme des structures
formées de composantes observables et mesurables, ayant des relations déterminées et
prévisibles entre elles. Les êtres humains ne sont qu’un produit des forces externes de
l’environnement auxquelles ils sont exposés, c’est-à-dire que leurs actions sont dictées par des
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
177
lois générales de cet environnement. Le défi consiste donc à découvrir ces lois générales, ces
relations prévisibles.
L’approche privilégiée par les tenants de ce paradigme est l’approche hypothético-déductive.
Cette approche va du général vers le particulier, c’est-à dire que le chercheur formule une
question de recherche en s’inspirant d’une théorie de portée générale, émet des hypothèses
concernant une situation particulière et teste ces hypothèses afin de les infirmer ou confirmer
et ainsi supporter ou ajouter à la théorie initiale. La connaissance produite par les positivistes
est objective et ne dépend pas du contexte dans la mesure où elle correspond à la mise à jour
de lois, d’une réalité immuable, extérieure à l’individu et indépendante du contexte
d’interactions des acteurs.
4.1.2 Le paradigme constructiviste et l’approche holistico-inductive
Ce paradigme est à l’autre pôle du continuum des paradigmes car ici les individus
construisent leur propre réalité du monde qui les entoure. Il n’y a donc pas une seule réalité,
mais plusieurs réalités fondamentalement subjectives, en ce sens que la réalité dépend de la
manière dont un individu interprète une situation ou un phénomène donné.
Sous ce paradigme, le défi du chercheur est donc de réussir à percevoir un phénomène selon
le point de vue des sujets observés et d’essayer d’y découvrir des formes communes de
compréhension. Pour ce faire, l’approche holistico-inductive est favorisée. À l’opposé de
l’approche déductive, l’approche inductive va du particulier vers le général. Selon cette
approche, le chercheur tente initialement de faire complètement abstraction de la théorie
existante pour aborder le phénomène particulier qu’il a choisi d’étudier avec le moins d’idées
préconçues possible. Une question générale de recherche peut être formulée, mais elle ne doit
pas restreindre ou entraver la collecte d’informations. Le chercheur recueille sur le terrain
auprès des acteurs concernés des descriptions, impressions ou explications des événements
qu’ils vivent. De ces témoignages il tente de dégager des schèmes communs d’interprétation
qui expliqueraient certains comportements. C’est ainsi qu’éventuellement émergent du terrain
les éléments d’une théorie quelquefois qualifiée de particulière.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
178
Cette théorie est susceptible d’acquérir une portée plus générale si le processus de recherche
est poursuivi sur d’autres terrains et dépasse ainsi le cadre du phénomène particulier
initialement étudié.
4.1.3 Le paradigme interprétativiste
Alors que le positivisme veut expliquer la réalité, le paradigme interprétativiste cherche avant
tout à la comprendre. Le projet interprétativiste passe par la compréhension du sens que les
acteurs donnent à la réalité et place ainsi ces derniers au coeur du dispositif. Apporter des
interprétations aux comportements nécessite de « retrouver les significations locales que les
acteurs en donnent » (Perret et Séville, 2003), c’est-à-dire des significations situées dans un
contexte spatio-temporel. La prise en compte du contexte par le chercheur est dès lors
fondamentale. L’interprétativisme est focalisé sur l’autonomie de l’acteur et sur sa capacité à
modifier les événements.
Les recherches interprétativistes utilisent des données empiriques relatives aux personnes
intégrant le cadre de référence de l’acteur pour représenter les situations ainsi que des données
théoriques pluridisciplinaires (Wacheux, 1996). Les chercheurs s’intéressent alors aux
phénomènes en situation ou aux événements singuliers (caractère idiographique) et cherchent
à « se mettre à la place de l’autre » pour percevoir ce qu’il ressent (caractère d’empathie).
Les principales réponses apportées par chacun de ces trois paradigmes sont résumées dans le
tableau 4.1 ci-dessous.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
179
Tableau16 4.1 : Positions épistémologiques des paradigmes positiviste, interprétativiste et
constructiviste
Les paradigmes
Les questions épistémologiques
Positivisme Interprétativisme Constructivisme
Quel est le statut de la
connaissance
Hypothèse réaliste
Il existe une
essence propre à
l’objet de la
connaissance
Hypothèse relativiste
L’essence de l’objet ne peut être atteinte
(interprétativisme ou constructivisme modéré) ou
n’existe pas (constructivisme radical)
Quelle est la nature de la
‘réalité’ ? (ontologie)
La ‘réalité’ est une
donnée objective.
La ‘réalité’ est interprétée par
des sujets connaissants.
La ‘réalité’ est
construite par des sujets
connaissants.
Il y a une co-
construction de la
‘réalité’ de par
l’interaction
chercheur/objet
Quelle est la nature du
lien chercheur/objet ?
(épistémologie)
Indépendance du
chercheur et de
l’objet.
Le chercheur
observe la ‘réalité’.
Dépendance du chercheur et
de l’objet (empathie)
Empathie entre le chercheur
et son objet de recherche.
Le chercheur interprète ce
que les acteurs disent ou
font ; qui eux-mêmes
interprètent l’objet de
recherche.
Dépendance du
chercheur et de l’objet
(interaction)
Le chercheur, en
interaction avec les
acteurs, co-construit des
interprétations et/ou des
projets.
Comment la connaissance
est-elle produite ?
La découverte
La recherche est
formulée en termes
de « pour quelles
causes… »
L’interprétation
La recherche est formulée en
termes de « pour quelles
motivations des acteurs… »
La construction
La recherche est
formulée en termes de
« pour quelles
finalités… »
Quel est le chemin de la
connaissance ?
Le processus de
construction de
connaissances
Explication
Fondé sur la
découverte de
régularités et de
causalités
Compréhension
Fondé sur la compréhension
empathique des
représentations d’acteurs
Construction
Fondé sur la conception
d’un phénomène/projet
Quelle est la valeur de la
connaissance produite ?
Les critères de validité
Vérifiabilité
Confirmabilité
Réfutabilité
Idiographie
Empathie
Adéquation
Enseignabilité
Source : adapté de (Perret et Séville, 2003) et (Giordano, 2003-
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
180
4.2 Le positionnement épistémologique et la démarche de la recherche
Selon Giordano (2003), le chercheur se doit de « définir l’articulation
ontologie/épistémologie/méthodologie pour argumenter sur la cohérence de son dispositif et
permettre l’évaluation de sa recherche ».
Dans le cadre de la présente recherche, pour déterminer notre positionnement
ontologique/épistémologique nous essayons de répondre aux trois questions suivantes (Perret
et Séville, 2003) :
(1) Quelle est la nature de la connaissance produite ?
Notre question de recherche nous amène à comprendre et interpréter le travail
institutionnel des acteurs de la filière légumes face à un changement institutionnel.
Notre ontologie est une interprétation de la réalité des acteurs dans la filière légumes.
Notre objectif n’est pas de construire une réalité mais de la comprendre, donc nous
nous départons du paradigme constructiviste. De plus cette réalité est subjective car il
y a une dépendance entre l’objet et le chercheur de par l’appartenance du chercheur à
la région, et les liens professionnels qui peuvent exister avec certains acteurs. La
nature de la connaissance produite se rapproche plus du paradigme interprétativiste.
(2) Comment la connaissance scientifique est-elle créée ?
Le paradigme interprétativiste domine notre démarche de recherche. Dans un premier
temps, nous interprétons les observations empiriques du terrain exploratoire pour en
tirer des conjectures, et pouvoir formuler les propositions de recherche. Dans un
deuxième temps, nous intervenons auprès des acteurs pour comprendre les facteurs qui
motivent le choix du travail institutionnel. En dernier lieu, nous essayons de
comprendre comment les différents types de travail institutionnel entrepris par les
acteurs ont changé les logiques institutionnelles de la filière légumes. La logique de
compréhension et l’empathie avec les acteurs nous ramènent toujours au paradigme
interprétativiste.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
181
(3) Quels sont la valeur et le statut de cette connaissance ?
La filière légumes frais à l’île Maurice a sa propre dynamique, sa propre histoire, ses
propres acteurs, son environnement institutionnel, sa technologie etc. Notre recherche
a donc un caractère idiographique dans le sens où l’on étudie le cas particulier de la
filière légumes frais à l’île Maurice. Il y a interdépendance entre l’objet et le chercheur
qui prouve le caractère empathique de la recherche. Nous essayons aussi de valider la
connaissance établie à partir des données du terrain à partir de sa reproductibilité. Sous
cet angle, notre positionnement épistémologique se rapporte donc aux éléments du
paradigme interprétativiste.
Notre recherche se base donc sur une posture interprétativiste qui nous semble la plus
appropriée dans l’étude d’une région particulière.
La finalité des sciences de gestion la distingue d’autres sciences. Au-delà de la construction
ou du test d’une théorie, les sciences de gestion visent à créer des connaissances
opérationnelles, actionnables et concrètement utilisables par le praticien. Une recherche en
gestion se caractérise ainsi conjointement par la pertinence des approches théoriques
mobilisées, la validité et la scientificité de la méthodologie mise en œuvre et sa capacité à
préconiser l’action managériale.
Notre démarche de recherche est une démarche hybride qui favorise les allers-retours entre les
observations empiriques et les connaissances théoriques. Cette démarche suppose l’utilisation
différée des trois démarches, déductive, inductive et abductive, selon l’étape de la recherche.
La démarche déductive consiste à élaborer une ou plusieurs hypothèses et à les tester ensuite
sur le terrain. La démarche inductive passe par l’observation d’un cas particulier à la
généralisation. Tandis que la démarche abductive consiste à observer, tirer des conjectures et
en discuter. Le chercheur en management utilise plus une démarche abductive qu’inductive
car le but n’est pas de produire des lois universelles.
Nous avons dans un premier temps utilisé une démarche abductive en faisant un travail de
documentation empirique sur la filière sucre et légumes frais à l’ile Maurice, et en faisant une
première enquête exploratoire auprès des acteurs stratégiques des deux filières. Ce constat
nous a permis d’affiner notre problématique. Dans un deuxième temps, toujours dans la
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
182
logique de la démarche abductive, la structure de notre terrain a guidé nos choix théoriques et
nous a permis d’avancer des propositions de recherche basées sur les conjectures identifiées.
Dans un troisième temps, nous allons utiliser la démarche déductive pour tester nos
propositions de recherche.
La mobilisation d’une démarche abductive présente l’intérêt majeur d’ajuster régulièrement la
problématique de la recherche au terrain. Ces allers-retours permettent d’éviter une distorsion
trop grande entre les construits théoriques et la réalité observée. En effet, l’étude empirique
présente presque toujours des spécificités, ou des phénomènes non planifiés ex-ante, qui
viennent troubler la démarche initialement prévue. La démarche abductive permet, dans une
certaine mesure, d’intégrer ces phénomènes non identifiés et d’assurer plus avant la cohérence
entre la conceptualisation et le terrain.
4.3 Le design de la recherche
Notre positionnement épistémologique et notre mode de raisonnement nous donnent un guide
général qui nous permet de définir l’objectif de la recherche. Nous avons opté pour une
approche à dominante qualitative pour privilégier les données issues de situations naturelles et
aider à prendre en considération le point de vues des acteurs eux-mêmes (Silverman, 1993).
En nous inspirant du fait que le cheminement d’une recherche qualitative n’est pas linéaire et
est fait d’allers et retours constants et de récursivités (Giordano, 2003), nous avons construit
le design de la recherche que nous développons dans la section suivante.
4.3.1 Le design de la recherche et méthodologie mise en œuvre
Le design de la recherche et la méthodologie mise en œuvre tout au long de la rechercher est
décrite chronologiquement dans la figure 4.1.
(1) Constat
Notre recherche démarre par un constat : La réforme du protocole sucre entre l’UE et
les pays ACP est un choc exogène pour la filière sucre mauricienne. Nous constatons
une diversification des activités agricoles des gros producteurs sucriers vers le secteur
horticole. Nous constatons aussi que l’arrivee des nouveaux entrants dans la filière
legumes a causé un choc exogène dans cette filière.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
183
Figure26 4.1 : Design de la recherche
Conjectures
Trois éléments importants emergent de notre étude exploratoire :
(1) comment le choc exogéne (arrivée des nouveaux entrants)
dans la filière legumes a changé les logiques institutionnelles, (2)
le travail institutionnel qui se met en place au niveau des
nouveaux acteurs et des acteurs en place (3) les conditions de la
filière qui influencent le type de travail institutionnel
Constat
La réforme du protocole sucre entre l’UE et les pays ACP est un
choc exogène pour la filière sucre mauricienne. Nous constatons
une diversification des activités agricoles des gros producteurs
sucriers vers le secteur horticole. Nous constatons aussi que
l’arrivee des nouveaux entrants dans la filière legumes a causé un
choc exogène dans cette filière.
Cadre théorique et Formulation de la problématique générale
Cadre théorique pluriel: sociologie néo institutionnelle dans
l’étude des organisations; le travail institutionnel, les logiques
institutionnelles
Problématique générale: Quels sont les types de travail
institutionnel qui sont utilisés parmi les nouveaux acteurs de la
filière légumes pour modifier les logiques institutionnelles
existantes de la filière ; et quels sont les types de travail
institutionnel qui sont utilisés par les acteurs en place de la filière
légumes face à la possibilité de nouvelles logiques
institutionnelles?
Propositions de recherche
Analyse de données et Résultats
Question de départ
Qu’est-ce que les nouveaux acteurs apportent à la filière légumes
et comment réagissent les acteurs en place?
Données Secondaires et
Etude Exploratoire (Entretiens semi-directifs)
Revue de littérature
Etude de cas unique et enchâssé
La filière légumes et ses différents acteurs
Discussion
Conclusion, apports et perspectives
Démarche
Abductive
Démarche
déductive
Démarche
Hybride
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
184
(2) Question de départ
Le constat nous mène à la question de départ : Qu’est-ce que les nouveaux acteurs
apportent à la filière légumes et comment réagissent les acteurs en place ?
(3) Revue de littérature
Notre incursion dans la littérature a été un très long parcours fait d’allers-retours avec
les données de terrain avant que l’on se stabilise dans un champ théorique particulier,
la sociologie néo-institutionnelle, et qu’émergent les concepts clés tels que le travail
institutionnel et les logiques institutionnelles qui ont aidé à établir le cadre théorique et
le modèle conceptuel de notre recherche.
(4) Données secondaires et étude exploratoire
Au départ, après une brève revue de littérature, nous avons réalisé une étude
exploratoire de la filière légumes à Maurice afin de déterminer si la réforme du
protocole sucre qui a affecté la filière canne à sucre avait des conséquences sur les
acteurs de la filière légumes, et quelles étaient leurs réactions. Pour nous aider dans
cette tâche, nous avons aussi collecté en parallèle des données secondaires sur la
filière canne à sucre et la filière légumes. L’apport des données secondaires et de
l’étude exploratoire nous ont permis de formuler des conjectures, et aussi d’identifier
les différents acteurs en place de la filière légumes et les nouveaux acteurs venant de
la filière canne à sucre.
(5) Conjectures
Trois éléments importants ont emergé de notre étude exploratoire : (1) comment le
choc exogéne (arrivée des nouveaux entrants) dans la filière legumes a changé les
logiques institutionnelles, (2) le travail institutionnel qui se met en place au niveau des
nouveaux acteurs et des acteurs en place (3) les conditions de la filière légumes qui
influencent le type de travail institutionnel.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
185
(6) Propositions de recherche
Nous avons construit des propositions de recherche qui ont été enrichies au fur et à
mesure de nos allers-retours.
(7) Cadre théorique et formulation de la problématique générale
Ces conjectures nous ont permis de reconsidérer notre problématique initiale et de
consolider notre cadre théorique.
(8) Etudes de cas
La filière légumes est considérée comme notre cas d’étude. Nous explicitons notre
choix de l’étude de cas et notre sélection des unités d’analyse dans la section 2 de ce
chapitre.
(9) Analyse de données et résultats
Notre démarche de recherche étant une démarche hybride variant l’abduction et
l’induction, l’analyse des données a été constituée de nombreux allers-retours entre
observations empiriques et grille de lecture théorique ce qui nous à permis de
reconsidérer notre cadre théorique et notre problématique. Le mode d’analyse des
données est détaillé dans la section 3. Les résultats de nos études de cas nous ont
permis de valider nos propositions de recherche.
(10) Discussion
Nos résultats nous ont permis de conclure cette recherche en mettant l’accent sur les
apports théoriques, managériales et les perspectives de recherche.
Cette section a permis de clarifier notre positionnement épistémologique et de guider le
lecteur par rapport à la démarche méthodologique de notre travail de recherche.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
186
SECTION 2: Sélections des études de cas et collecte des données
La posture épistémologique choisie et le design de la recherche nous amène à faire des
allers/retours entre le terrain et la littérature. Dans cette section nous présenterons la démarche
méthodologique par rapport à nos études de cas ainsi que les sources de nos données
secondaires et primaires.
4.4 Sélection du cas et des sous-unités
L’étude de cas, selon Yin (1994) est une « recherche empirique qui étudie un phénomène
contemporain dans un contexte réel surtout quand les frontières entre le phénomène et le
contexte n’apparaissent pas clairement, et qui mobilisent des sources empiriques multiples ».
Cette méthode est particulièrement adaptée pour répondre à des questions de recherche de
type « comment ? ou « pourquoi ? » concernant des phénomènes sur lesquels le chercheur a
peu ou pas de contrôle.
Avant de s’engager dans une étude de cas, il est important de bien choisir le design et le type
d’étude de cas par rapport à la problématique et les objectifs du chercheur. Yin (1994)
identifie quatre types de design d’étude de cas : L’étude holistique du cas particulier (Type
1) ; l’étude intégrée ou contextualisée du cas particulier (Type 2) ; l’étude multicas holistique
(Type 3) ; et l’étude multicas intégrée ou contextualisée (Type 4). De plus, il y a plusieurs
types d’études de cas tels qu’identifiés par Yin (1994), des cas à visée descriptive ou
explicative ; par Stake (1995), des cas intrinsèque, instrumentale et collective ; et Merriam
(1988), des cas à visée descriptive, interprétative, évaluative, ethnographique, historique,
psychologique ou sociologique.
Nous avons choisi le design d’étude de cas du Type 2, c'est-à-dire l’étude intégrée du cas
particulier car cela nous donne la possibilité d’étudier les sous-unités d’analyse (les acteurs
individuels et organisationnels) de notre cas (la filière légumes). De plus l’étude de cas
interprétative nous a semblé la plus appropriée car elle permet de décrire de façon détaillée le
cas et d’utiliser les données recueillies pour soutenir ou réfuter nos postulats théoriques.
L’usage d’une certaine réflexivité est indispensable lorsque l’on a des connaissances
endogènes du milieu d’étude. En ayant toujours à l’esprit, lors des différentes étapes de notre
analyse, la relation qui nous unit à l’objet d’étude, on est en mesure de faire de cette
familiarité un atout pour la recherche.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
187
4.5 Collecte des données des études de cas
Les sources de données pour la méthode de l’étude de cas peuvent être multiples. Yin (1994)
identifie six sources de données majeures : les archives, les entretiens, les observations
directes, les observations participantes, et les objets physiques. Pour notre recherche, nous
avons choisi d’utiliser les archives à travers la recherche documentaire, et les entretiens semi-
directifs.
4.5.1 La recherche documentaire
Notre recherche documentaire se situe à deux niveaux : théorique (avec une revue de la
littérature scientifique pour établir notre cadre théorique), et empirique/statistique (documents
publiques et internes) pour dresser un constat de la filière légumes à l’ile Maurice
4.5.2 Les entretiens semi-directifs
La formulation de notre problématique autour de la filière légumes avec l’arrivée des
nouveaux entrants, la pertinence des réactions des acteurs en place, et l’émergence de
nouveaux types d’acteurs nous invitent à l’analyse aussi bien d’un ensemble d’individus en
interaction (association de producteurs, coopératives etc.) qu’à l’analyse d’individus
(nouveaux entrants, producteurs non-regroupés et opérant seuls, nouveaux types d’acteurs).
Les entretiens semi-directifs avec guide d’entretien se prêtent bien à ce type d’analyse.
La méthodologie de l’étude de cas implique un choix essentiel pour la validité de la
recherche: le nombre d’entretiens. La décision du nombre d’entretiens découle de l’équilibre
entre les objectifs de la recherche, la saturation théorique et la faisabilité en termes de durée.
L’objectif de notre recherche ne nécessite pas la confirmation d’hypothèses sur une large
population théorique mais davantage la mise en relief d’éléments de compréhension du
phénomène étudié (Wacheux, 1996). La saturation théorique, soit « le moment à partir duquel
l’apprentissage incrémentiel est minime, les chercheurs observant des phénomènes déjà
constatés » (Hlady-Rispal, 2002) guide également le nombre de cas de l’échantillon. La
saturation traduit la rencontre par le chercheur de résultats similaires dans des cas différents.
Une fois cette saturation atteinte, l’intérêt de mener des entretiens supplémentaires est limité.
Enfin, le nombre d’entretiens doit être cohérent avec la durée d’un travail doctoral.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
188
4.5.3 Collecte de données
La collecte des données répond au principe de triangulation des données, fondatrice de la
validité de construit d’une recherche (Hlady-Rispal, 2002). Nos données proviennent de trois
sources différentes : Les données secondaires publiques (rapports techniques des institutions
agricoles publiques; les études publiées) ; les données secondaires privées (documents
internes, plan stratégique de l’entreprise), et les données primaires des entretiens semi-directif
auprès des acteurs stratégiques de la filière légumes.
Les données primaires ont été collectées auprès des sous-unités de notre cas, les acteurs de la
filière légumes (Tableau 2.3), en utilisant des guides d’entretien semi-directifs (Annexe 2).
Tableau17 4.2 : Entretiens qualitatifs
Type d’acteur Taille de l’entreprise Niveau d’analyse Nombres
d’entretiens (*)
Usiniers producteurs Gros
(Plus de 400 hectares)
Organisation 6
Producteurs sucriers Gros (Plus de 50 hectares) Organisation 1
Producteurs traditionnels
de légumes frais opérant
en individuel
Petit (moins de 0,25
hectares) Individuel
8
Moyen (0,25 à 5 hectares) 3
Gros (Plus de 5 hectares) 3
Associations de
producteurs
Gros (plus de 100
membres)
Organisation 6
Grossistes particulier
Grossistes entreprise
Petit (moins de 10
employés)
Individuel 2
Gros (Plus de 10
employés)
Organisation 3
Mandataires Gros (Plus de 10
employés)
Individuel 4
Les clients de la FL
(La GD)
Gros (hypermarchés) Organisation 3
Les clients de la FL
(Hôtels de luxe)
Gros (plus de 4 étoiles) Organisation 3
Les institutions (publics
et prives)
Pas applicable Organisation 11
TOTAL 53
(*) En se basant sur le principe de saturation théorique.
Cette section a explicité le design de notre étude de cas, l’étude intégrée du cas particulier car cela
nous donne la possibilité d’étudier les sous-unités d’analyse (les acteurs individuels et
organisationnels) de notre cas (la filière légumes). Nous avons aussi donné des détails sur le
nombre de cas dans les sous-unités d’analyse.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
189
SECTION 3 : Analyse des données des études de cas
Cette section explicitera les méthodes qualitatives d’analyse de données que nous avons
utilisées. Ainsi dans un premier temps nous nous intéresserons à une analyse thématique des
entretiens pour identifier les logiques institutionnelles ainsi que le travail institutionnel des
acteurs de notre champ organisationnel. Dans un deuxième temps, nous expliquerons le choix
de l’analyse qualitative comparée pour analyser l’utilisation des logiques institutionnelles
auprès des différents acteurs.
4.6 Codage ouvert, de premier niveau
Notre démarche exploratoire dans la filière légumes nous oriente vers une analyse thématique
(Tableau 4.3) car nous avons un corpus important, à faible lisibilité et non homogène.
Tableau18 4.3 : Les facteurs de choix d’un type d’analyse de données textuelles
Analyses
Lexicales
Analyses
Linguistiques
Analyses
Cognitives
Analyses
Thématiques
Cadre
Méthodologique
- exploratoire
- modèle
- exploratoire - exploratoire - exploratoire
- modèle
Implication
du chercheur
- Faible
- Forte
- Faible
- Forte - Forte
Axe temporel - instantané
- longitudinal
- instantané - instantané - instantané
- longitudinal
Objet d’analyse - un groupe - un individu - une situation - un projet
Taille du corpus - importante - limitée - limitée - importante
Lisibilité Corpus - forte - forte - faible - faible
Homogénéité Corpus - faible - forte - forte - faible
Structuration langage - faible - faible - forte
Moment de l’analyse
statistique
- découverte ex-ante
- contrôle ex-post
- ex-ante
- ex-post
- ex-post
Source : (Fallery et Rodhain, 2007)
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
190
Une analyse de contenu consiste à lire un corpus, fragment par fragment, pour en définir le
contenu en le codant selon des catégories qui peuvent être construites et améliorées au cours
de la lecture. Dans un premier temps les significations des textes sont catégorisées dans une
grille d’analyse, et dans un deuxième temps intervient l’analyse statistique sur les éléments de
la grille d’analyse : fréquence d’apparition, variation selon les interlocuteurs, selon les
contextes, interdépendance entre les éléments du modèle. Le logiciel NVivo 10 a été utilisé
pour coder les données, et nous avons retenu les unités d’analyse constituées de phrases et de
paragraphes.
4.6.1 La décontextualisation par le codage des thèmes
Le codage a été réalisé de manière émergente. Il s’agit d’un codage ouvert consistant à
nommer et catégoriser les phénomènes grâce à un examen approfondi des données. Cela
correspond à la phase de décontextualisation des données qui consiste à sortir de son contexte
un extrait du texte, afin de le rendre sémantiquement indépendant : cette étape de codage,
entièrement libre et le plus souvent manuelle, permet de stocker les informations, de les
qualifier et de les organiser (Fallery et Rodhain, 2007).
4.6.2 La recontextualisation par les matrices et modèles
Recontextualiser consiste dans NVivo à regrouper les nœuds pour en faire un tout intelligible
et porteur de sens. La première fonctionnalité offerte permet de faire une relecture assistée du
corpus : recherche textuelle sur un mot ou une expression (avec création possible d’un
nouveau nœud pour chaque recherche), recherche des co-occurrences en croisant un attribut et
un nœud, ou recherche matricielle avec intersection, union, négation, différence, matrice
d’intersection, matrice de différence. La figure 4.2 montre un exemple de codage par nœuds
et la figure 4.3 un exemple de fréquences des mots dans les entretiens.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
191
Figure27 4.2 : Codage par nœuds
Figure28 4.3 : Fréquence des mots
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
192
4.7 Analyse qualitative comparée
Nous avons utilisé la méthode de l’analyse qualitative comparée (Qualitative Comparative
Analysis, QCA) de Ragin (1987) pour comprendre l’articulation des logiques institutionnelles
au niveau des acteurs car nous avons un faible nombre de cas.
La QCA est une méthode d’analyse qualitative systématique des cas étudiés qui s’appuie sur
l’algèbre booléenne. Les différentes étapes de la QCA sont comme suit. Le chercheur choisit
en premier lieu la variable dépendante à étudier et cette variable booléenne prend deux
valeurs (1 ou 0) selon la présence (1) ou l’absence (0) du phénomène à étudier. En deuxième
lieu, le chercheur, en se basant sur sa connaissance des cas et du terrain, choisit les variables
indépendantes les plus pertinentes pour expliquer le phénomène, et dichotomise ces variables
en utilisant les valeurs (0 ou 1) correspondent, par exemple, à la présence /absence d’une
condition. En troisième lieu, le chercheur utilise un logiciel pour produire un tableau de vérité
en fonction du nombre de variables indépendantes.
Le chercheur peut ensuite chercher le modèle explicatif du phénomène en utilisant l’algèbre
booléenne et obtient un résultat qui représente l’explication la plus parcimonieuse. Mais le
cas échéant, la QCA identifie aussi les différents scénarios causals expliquant le phénomène
étudié. L’intérêt de l’algèbre booléenne est de permettre le traitement de nombreux cas de
façon rigoureuse.
La QCA selon Ragin (1987) pousse le chercheur à être à la fois analytique car il lui permet de
modéliser le cas sous forme de variables, et holiste car il tient compte des combinaisons de
variables, considérées comme un tout.
Cette section nous a permis d’expliquer comment nous avons procédé à l’analyse de nos
données primaires et secondaires à travers deux méthodologies, l’analyse thématique et
l’analyse qualitative comparée.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
193
SECTION 4 : Critères de fiabilité et validité de la recherche
La fiabilité selon Grawitz (1990) réside « dans la concordance d’observations faites avec les
mêmes instruments par des opérateurs différents sur les mêmes sujets ». Sa détermination est
problématique en recherche qualitative puisque le principal instrument de mesure est le
chercheur lui-même. La question de la fiabilité demande de l’attention à deux niveaux : lors
de la collecte des données et lors de l’analyse des données.
Dans cette section, nous mettrons l’emphase sur la fiabilité de notre travail de recherche, ainsi
que sur sa validité interne et externe.
4.8 La fiabilité ou la fidélité de la recherche
En premier lieu, les compétences et la préparation du chercheur pour l’entretien ne sont pas
identiques. Même si les questions sont standardisées, les réponses obtenues par deux
chercheurs peuvent être différentes. Ensuite, les interviewés peuvent ne pas donner
exactement les mêmes réponses selon leur interlocuteur. Enfin, la relation constituée entre un
interviewé et un intervieweur est à chaque fois unique. Ces biais ont été considérés et
combattus avec la plus grande fermeté possible, par l’adoption d’une démarche aussi
rigoureuse que possible tant dans la collecte que dans l’analyse des données.
Weber (1990) propose trois sous-critères pour mesurer la fiabilité de l’analyse :
La stabilité : il s’agit de vérifier si on obtient les mêmes résultats lorsque les données
sont codées par le même codeur à plusieurs reprises.
La précision : cette dimension se réfère à la comparaison entre le codage et une norme.
Elle est rarement prise en compte.
La reproductibilité : le chercheur compare les résultats lorsque les mêmes données
sont codées par des personnes différentes. Cela implique l’utilisation d’un protocole
de codage commun et l’estimation de la fiabilité inter-codeur.
Puisque l’objectif principal est de vérifier jusqu’à quel degré deux applications de la même
mesure, dans les mêmes conditions, produisent un résultat identique (Hlady-Rispal, 2002), le
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
194
choix a été fait dans la présente recherche de procéder à une double-analyse effectuée par un
autre chercheur (Hirschman, 1986). A cette fin, le cheminement adopté a été celui
recommandé par Yin (1994) : un protocole de recherche a été élaboré, permettant de retracer
la démarche de recherche et d’analyse. Ce document, ainsi que le récit d’un de nos
interviewés, ont été présentés à un autre chercheur, connaissant la méthode d’analyse utilisée.
Après avoir défini l’unité d’analyse, un échantillon de texte a été codé indépendamment par
les deux codeurs. A la suite de ce double codage, la fiabilité inter codeurs a été analysée. Le
taux de fiabilité a pu être calculé (section 4.8.1), puisque l’échantillon de texte codé
comportait plus de 100 unités codées, nombre à partir duquel le codage d’unités
supplémentaires a peu d’impact sur les estimations des taux d’accord.
4.8.1 Calcul de la fiabilité du codage
Indice de fiabilité = (2 x N) / (I+J)
N = nombre d’unités de codage communes aux deux analyses concernées
I = nombre d’unités de codage utilisées par l’analyste A
J = nombre d’unités de codage utilisées par l’analyste B
Si un indice égal à 1 est exceptionnel, les auteurs pensent que des indices de l’ordre de 0,70-
0,80 traduisent un assez fort recouvrement entre les deux analyses. Selon ce calcul qui est le
plus adapté pour un codage par proposition, le travail effectué dans le cadre de la présente
recherche a conduit à un indice de 0,65, qui illustre un recouvrement élevé entre les deux
codages.
4.9 La validité de la recherche
La validité d’une recherche peut être appréhendée de par sa validité théorique, sa validité
interne ainsi que sa validité externe.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
195
4.9.1 La validité théorique ou du construit
Le construit est la représentation abstraite d’un phénomène que l’on cherche à appréhender.
Par conséquent, la validité du construit renvoie à la question suivante : le construit créé par le
chercheur correspond-il au phénomène étudié ? Autrement dit, elle vise à valider
l’établissement de mesures opérationnelles correctes pour les concepts et paradigmes
théoriques étudiés (Hlady-Rispal, 2002). Selon Yin (1994), le fait d’utiliser plusieurs sources
d’informations augmentera la richesse de la méthode utilisée puisqu’il permettra d’asseoir les
résultats sur la convergence des informations. La présente recherche se base sur une
principale source de données : celle des entretiens avec les différents acteurs de la filière
légumes. Cette source de données a été complétée par plusieurs autres sources
4.9.2 La validité interne
La validité interne renvoie à la crédibilité et à l’authenticité interne des résultats générés. Lors
de la retranscription des interviews, les critères suggérés par la littérature sur la
vraisemblance, l’adéquation, la plausibilité et l’authenticité (Miles et Huberman, 2003) ont
été intégrés.
4.9.3 Validité externe
La validité externe interroge sur le caractère « généralisable », c’est-à-dire « transférable » des
résultats. Dans une logique quantitative, elle vise à connaître la probabilité pour que les
résultats observés dans un échantillon soient également présents dans la population-mère,
source de l’échantillon. Cela est de peu d’utilité pour les études qualitatives.
La validité externe d’une recherche qualitative se mesure essentiellement à l’aune de la
démarche même de la recherche. Selon Thiétart et al. (1999) « seul le chercheur est
réellement en mesure de dire (...) comment il entend dépasser les spécificités locales de
chaque cas pour généraliser les résultats à un univers plus vaste ». Pour ces auteurs, deux
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
196
éléments ont une incidence directe sur la validité externe de la recherche : la manière de
choisir le terrain d’étude et la manière d’analyser les données collectées.
Pour empêcher l’influence des biais dans la présente étude, une attention particulière a été
portée, lors de la mise en place de l’étude terrain, à la détermination de l’échantillon, à la
maîtrise du contexte d’environnement et à celle de la période de l’étude.
Cette section a donné des éclaircissements sur les critères de fiabilité et de validité de notre
travail de recherche. Nous avons ainsi établit un indice de fiabilité de 0,65 entre deux codeurs
indépendants ce qui indique un assez fort recouvrement. Nous avons aussi démontré de quelle
façon nous avons assuré aussi bien la validité interne que la validité externe de notre
recherche.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
197
Conclusion du chapitre 4
Ce chapitre a précisé et justifié le positionnement épistémologique de la présente recherche
et le cheminement méthodologique retenu.
Notre recherche se base sur le paradigme interprétativiste et une démarche de recherche
abductive avec des allers et retours constants à la littérature. Cette démarche nous a permis
d’enrichir ce travail de recherche en affinant constamment notre problématique et notre
cadre théorique jusqu’à ce qu’on ait pu mobiliser la littérature approprié et le cadre
d’analyse adéquat pour formuler nos propositions de recherche.
Nous avons ensuite précisé le design de la recherche et explicité la sélection des cas et la
collecte de données.
Nous avons aussi décrit l’analyse de nos données par la méthode de l’analyse thématique
et la méthode de l’analyse qualitative comparative pour comparer nos études de cas.
L’analyse de contenu des discours des acteurs enquêtés nous a permis d’identifier les
logiques institutionnelles auxquelles ils adhèrent, tandis que l’analyse qualitative
comparative nous a donné la possibilité d’analyser chaque logique institutionnelle à travers
les variables indépendantes et de préciser les conditions qui favorisent l’adoption d’une
logique institutionnelle.
Finalement nous avons précisé la fiabilité et la validité interne et externe de nos résultats à
travers différents moyens tels que triangulation, saturation des données et retour à la
littérature. Nous avons aussi essayé d’être critiques envers notre propre travail pour assurer
sa fiabilité et sa validité et nous espérons y être arrivées.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
Chapitre 4:
Méthodologie de recherche
DEUXIEME PARTIE:
MÉTHODOLOGIE ET RÉSULTATS
Chapitre 5 :
Les résultats des enquêtes et études de cas
Chapitre 6 :
Discussion
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
199
Chapitre 5 : Les résultats des enquêtes et études de
cas
Introduction
Ce travail de recherche a pour objectif d’analyser les répercussions de l’entrée des
producteurs sucriers dans la filière légumes en utilisant une perspective néo-institutionnelle.
Cette angle d’approche nous semble pertinent car elle nous permet d’analyser notre champ
organisationnel, la filière légumes, et de tester nos propositions de recherche à deux niveaux :
en premier lieu au niveau méso pour caractériser le CO en termes de son degré
d’hétérogénéité et d’homogénéité par rapport aux logiques institutionnelles ; et en deuxième
lieu au niveau micro pour analyser le travail institutionnel qui se met en place chez l’acteur
individuel ou organisationnel, en place ou nouveau, pour créer de nouvelles logiques
institutionnelles, maintenir ou déstabiliser les logiques institutionnelles existantes.
Pour cela nous avons mené des enquêtes de terrain auprès des principaux acteurs en place et
nouveaux de la filière légumes.
Ce chapitre est consacré à la présentation des résultats de nos enquêtes de terrain et de nos
études de cas. Nous présenterons dans une première section les résultats au niveau méso liés
aux caractéristiques du champ organisationnel et des principaux acteurs de la filière légumes.
Dans la seconde section, nous exposerons les résultats au niveau micro pour chacun des cas
étudiés tout au long de la filière notamment dans le domaine de la production et dans le
domaine de la distribution. Dans la troisième section, nous procéderons au test des
propositions de recherche.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
200
SECTION 1 : Méso analyse du champ organisationnel
Nous rappelons qu’un champ organisationnel comporte plusieurs éléments constitutifs qui
permet de le caractériser (Scott, 2008). Nous avons choisi de nous focaliser sur un de ces
composants, les systèmes culturels-cognitifs, et plus spécifiquement les logiques
institutionnelles, qui ont pris de l’importance avec les travaux de Friedland et Alford (1991),
Thornton et Ocasio (2008) et plus récemment Thornton et al. (2012), pour caractériser notre
champ organisationnel en termes des différents types de logiques institutionnelles, et du degré
d’hétérogénéité et d’institutionnalisation de ces logiques institutionnelles dans le champ
organisationnel. Cette section présentera dans un premier temps les logiques institutionnelles
qui ont émergé des analyses de contenu des enquêtes auprès des acteurs de la filière légumes,
et qui sous tendent le comportement de ces acteurs. Dans un deuxième temps, nous
analyserons le degré d’hétérogénéité et d’institutionnalisation (ou de structuration) de notre
champ organisationnel
5.1 : Les caractéristiques du champ organisationnel de la filière légumes
Pour rappel, nous avons délimité la frontière du champ organisationnel de la filière légumes
en fonction des deux critères ci-dessous : Le premier critère se rapporte à la définition d’un
champ organisationnel comme celle proposée par DiMaggio et Powell (1983), « les
organisations, qui collectivement, constituent une zone reconnue de vie institutionnelle : les
fournisseurs clés, les demandeurs de ressources et de produits, les organismes de
règlementation, et toutes autres organisations produisant des produits et services similaires» .
Le deuxième critère s’articule autour des types d’activités regroupées autour d’un produit ou
d’un service (Fligstein, 2001). Ainsi basé sur ces deux critères, nous avons défini les contours
de notre champ organisationnel autour d’un produit, les légumes destinés au marché local
mauricien, et autour des acteurs individuels et organisationnels qui sont reconnus et légitimes
dans le CO et qui ont des activités reliées soit à la production ou à la distribution de légumes.
De la même façon, nous avons utilisé les mêmes concepts pour considérer la filière canne à
sucre comme un champ organisationnel, voisin de notre champ organisationnel à l’étude (la
filière légumes). Plus spécifiquement nous nous sommes intéressées à identifier et caractériser
les acteurs principaux de la filière CAS qui sont des nouveaux entrants dans la filière
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
201
légumes, et ce qu’ils ont emmené dans la filière légumes en terme de nouvelles logiques
institutionnelles ainsi que le travail institutionnel qu’ils ont entreprit pour agir sur les logiques
institutionnelles existantes dans la filière légumes.
Les principaux acteurs de notre champ organisationnels sont décrits comme suit et nous allons
expliciter nos résultats en fonction de ces acteurs :
Premièrement les acteurs en place (les petits producteurs de légumes (PP), les moyens
producteurs de légumes (MP), les gros producteurs de légumes (GP), les fournisseurs
d’intrants (FI), les mandataires (M), les grossistes-particulier (G-P), et les grossistes-moyenne
entreprise (G-ME) ; et deuxièmement les nouveaux acteurs (les usiniers-
producteurs/producteurs sucriers (PS), et les grossistes-grande entreprise (G-GE)
5.1.1 Les logiques institutionnelles de la filière légumes
En nous basant sur la définition de Thornton et Ocasio (2008) qui considère que les logiques
institutionnelle sont les symboles culturels et les pratiques matériels, incluant les hypothèses,
les valeurs, et les croyances socialement et historiquement construits, et qui sont utilisés par
les individus et les organisations pour donner un sens à leur activités quotidiennes, les aider à
organiser leur temps, et à reproduire leurs expériences, nous avons utilisé la démarche de
recherche abductive et inductive avec des allers-retours entre la littérature et le terrain pour
identifier les logiques institutionnelles qui caractérisent la filière légumes. Nous avons divisé
la filière légumes en deux domaines qui sont toutefois perméables car il y a des acteurs qui se
retrouvent dans les deux domaines. Le premier domaine concerne la production de légumes et
le deuxième, le circuit de distribution.
Nous utilisons les données secondaires et les données primaires issues des enquêtes de terrain
pour construire la base de données. En utilisant la méthode de codage ouvert de données
décrit dans le chapitre 4, nous élaborons des thèmes et des dimensions agrégées comme décrit
dans la figure 5.1.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
202
Figure29 5.1 : Analyse thématique des discours – Identification des logiques institutionnelles
Les petits producteurs ne modernisent
pas leurs techniques de production et
investissent leurs profits dans les
besoins de la famille
Concepts
1e Niveau
Thèmes
2e Niveau Dimensions agrégées
La famille est la priorité des
petits producteurs de
légumes
Logique Familiale
Le métier de mandataire et de
grossiste-particulier se perpétue de
père en fils
Maintien d’une dynastie très
rentable
Les petits producteurs gardent
précieusement le contrôle sur leur
ressource principale, leur terre
Refus de la collectivité
Les petits et moyens producteurs
gardent jalousement les techniques et
les informations sur leur production
Les associations de producteurs ne
fonctionnent pas, et les projets de
regroupement sont souvent des échecs
Logique individualiste
Refus d’une gestion
commune des terres
Secret sur l’information et
privatisation sur la
connaissance
Les mandataires contrôlent les trois
marchés de gros et contrôle le prix et
la quantité de légumes transitant par
les marchés de gros
Les grossistes-particulier ont établit
des liens privilégiés avec les
détaillants de la GD et les hôtels de
luxe
Fixation des prix et des
quantités de légumes
Barrière à l’entrée pour les
nouveaux venus dans le
circuit de distribution et
nombre limité d’acteurs
Logique de cartellisation
Les gros producteurs investissent dans
des stations de post-récoltes, tri, et
emballage de légumes
Regroupement de moyens producteurs
avec des liens familiaux pour la
transformation de légumes
Innovation en terme
d’emballage et de qualité
Transformation des légumes
en produits secondaires
destinés à la GD
Logique entrepreneuriale
Les moyens et gros producteurs de
légumes adoptent des nouvelles
techniques de production, et innovent
par rapport aux matières premières
Les moyens et gros producteurs
investissent dans des nouveaux
produits
Modernisation de la
production
Mimétisme par rapport aux
nouveaux entrants dans la
productionLogique de marché
Les grossistes-particuliers cherchent
de nouveaux circuits de distribution
Compétition avec les sociétés
de distribution
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
203
Cette analyse des discours des différents acteurs concernés dans la filière, nous a permis
d’identifier trois types de logiques institutionnelles, inhérentes à la filière légumes (logique
familiale, la logique individualiste, la logique de cartellisation), et qui conditionnent le jeu des
acteurs en place dans les deux domaines de la production et de la distribution, et deux
logiques institutionnelles (la logique entrepreneuriale, et la logique de marché) qui ont pris de
l’importance dans la filière auprès de certains acteurs en place.
Le tableau 5.1 ci-dessous nous montre les différentes logiques institutionnelles et les acteurs
en place qui adhèrent à ces logiques avant et après l’arrivée des nouveaux entrants dans la
filière. Nous observons que les petits et moyens producteurs de légumes adoptent aussi bien la
logique familiale que la logique individualiste. La logique de cartellisation est essentiellement
adoptée par les mandataires et les grossistes-particuliers ; et les gros producteurs de légumes,
les fournisseurs d’intrants et les grossistes-moyenne entreprise adoptent les logiques
entrepreneuriale et marché. Les nouveaux entrants dans la filière légumes, les usiniers-
producteurs/gros producteurs sucriers et les grossistes-grande entreprises adoptent eux la
logique entrepreneuriale et marché.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
204
Tableau19 5.1 : Les logiques institutionnelles de la filière légumes
Les acteurs en place avant l’arrivée des nouveaux entrants
Logique
familiale
Logique individualiste Logique de
cartellisation
Logique
entrepreneuriale
Logique de
marché
Petits et
moyens
producteurs
de légumes
Petits et moyens
producteurs de légumes
Dirigeants d’association
de producteur
Mandataires
Grossistes-
particuliers
Gros producteurs
de légumes
Fournisseurs
d’intrants
Grossistes-
moyenne
entreprise
Gros
producteurs
de légumes
Fournisseurs
d’intrants
Grossistes-
moyenne
entreprise
Les acteurs en place et les nouveaux entrants
Petits et
moyens
producteurs
de légumes
Petits et moyens
producteurs de légumes
Dirigeants d’association
de producteur
Mandataires
Grossistes-
particuliers
Moyens
producteurs de
légumes
Gros producteurs
de légumes
Usiniers-
producteurs/gros
producteurs
sucriers
Grossistes-
moyenne
entreprise
Grossistes-grande
entreprise
Moyens
producteurs
de légumes
Les
mandataires
Grossistes-
particuliers
Gros
producteurs
de légumes
Usiniers-
producteurs/
gros
producteurs
sucriers
Grossistes-
moyenne
entreprise
Grossistes-
grande
entreprise
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
205
A ce stade de notre analyse de données, notre perspective méso de la filière, ne nous permet
pas d’expliquer comment les acteurs utilisent les logiques institutionnelles, et si elles sont
complémentaires ou conflictuelles. Nous proposons de répondre à ces questions dans la
section 2 de ce chapitre en adoptant une perspective micro analytique au niveau des acteurs.
Mais avant cela nous proposons de caractériser les logiques institutionnelles identifiées par
rapport à leur degré d’hétérogénéité et d’institutionnalisation dans notre champ
organisationnel.
5.1.1.1 Le degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles du CO
L’indicateur utilisé pour déterminer le degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles est
le nombre de logiques institutionnelles qui structure les actions des différents acteurs. C’est
donc un continuum en partant de extrêmement homogène à extrêmement hétérogène en
passant par moyennent homogène et moyennement hétérogène comme décrit dans la figure
5.2.
Figure30 5.2 : Continuum du degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles
Parmi nos cinq logiques institutionnelles identifiées, la logique familiale et la logique
individualiste sont complémentaires ; et la logique de marché et la logique entrepreneuriale
sont aussi complémentaires. Une combinaison d’autres logiques est conflictuelle.
En nous basant sur ce continuum décrit dans la figure 5.2, nous observons qu’avec plus de
trois logiques institutionnelles conflictuelles, nous avons un CO très hétérogène.
Extrêmement
homogène
(Une logique
dominante)
Extrêmement
hétérogène
(Plus de trois logiques
conflictuelles)
Moyennement
homogène
(Deux logiques
complémentaires ou
conflictuelles)
Moyennement
hétérogène
(Trois logiques
conflictuelles)
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
206
5.1.1.2 Le degré d’institutionnalisation des logiques institutionnelles du
CO
Nous essayons dans cette section d’établir le degré d’institutionnalisation des logiques
institutionnelles de la filière légumes. Pour y arriver nous nous référons au concept de
structuration de Giddens (1984), et plus particulièrement au sens de DiMaggio et Powell
(1983) qui décrivent quelques indicateurs utilisés pour comprendre à quel point un CO est
structuré: le degré d’interaction entre les organisations, l’émergence de structures inter
organisationnelles de domination et d’alliance, l’accord sur les logiques institutionnelles qui
guident les activités du champ, le degré d’isomorphisme des formes structurelles par rapport
aux organisations qui utilisent un répertoire limité d’archétypes et d’activités collectives; et
une délimitation très clair des frontières du champ.
5.1.1.2.1 Le degré d’interaction entre les acteurs
Pour pouvoir caractériser les interactions de nature professionnelle entre les différents acteurs
de la production et de la distribution de la filière légumes, nous avons construit une échelle de
valeur comme décrit dans la figure 5.3. A une extrémité de cette échelle, nous avons le
scénario de « Pas d’interaction » avec une valeur de 0, et à l’autre extrémité, le scénario «très
régulier» avec une valeur de 1. Entre les deux extrémités nous avons des interactions «rare»
(valeur 0,25), «occasionnel» (valeur 0,5) et régulier (valeur 0,75).
Figure31 5.3 : Continuum du degré d’interaction entre les acteurs
Nous avons utilisé le continuum de degré d’interaction des acteurs (Figure 5.3) pour
construire le tableau 5.2 et nous mettons en évidence les relations où il y a de fortes
interactions.
Pas d’interaction Très régulierRare Occasionnel Régulier
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
207
Tableau20 5.2 : Degré d’interaction entre les acteurs de la filière légumes
PP MP GP FI PS M G-P G-ME G-GE
PP 0,25 0,25 0,25 0,75 0 0,25 0,75 0,5 0
MP 0,25 0,5 0, 1 0,5 1 1 0,5 0
GP 0,25 0 0,25 1 0,75 1 1 0,75 0
FI 0,75 1 1 0,75 1 0,75 0,75 0 0
PS 0 0,5 0,75 1 0,5 1 1 1 1
M 0,25 1 1 0,75 1 0,75 1 0,75 0
G-P 0,75 1 1 0,75 1 1 0,75 0 0
G-ME 0,5 0,5 0,75 0 1 0,75 0 0,25 0
G-GE 0 0 0 0 1 0 0 0 0,25
PP : Petit producteur ; MP : Moyen producteur ; GP : Gros producteur ; FI : Fournisseur d’intrants ; PS : Producteur sucrier ;
M : Mandataire ; G-P : Grossiste-particulier ; G-ME/ Grossiste-Moyenne Entreprise ; G-GE : Grossiste-Grande entreprise
Les interactions les plus fréquentes pour les petits producteurs de légumes sont en amont de la
production avec les fournisseurs d’intrants et en aval avec les grossistes –particulier pour la
distribution de légumes car ces petits producteurs sont dépendants des fournisseurs d’intrants
pour les intrants agricoles, et des grossistes-particuliers pour l’acheminement de leurs
légumes dans les circuits de distribution. Le moyen producteur de légumes interagit le plus
régulièrement avec le fournisseur d’intrants pour l’achat des ses intrants pour la production
de légumes, et avec le mandataire et le grossiste-particulier pour la distribution de ses
légumes. Le gros producteur de légumes a des interactions, au niveau de la production, très
régulières avec les fournisseurs d’intrants, et régulières avec les producteurs sucriers pour la
location des terres pendant l’entrecoupe de la canne à sucre. Au niveau de la distribution des
légumes, le gros producteur de légumes interagit très régulièrement avec les mandataires, et
les grossistes-particuliers et régulièrement avec les grossistes-moyenne entreprises. Le
fournisseur d’intrants, étant un acteur clé dans la production des légumes, interagit
régulièrement à très régulièrement avec toutes les catégories d’acteurs de la production, et
régulièrement avec les mandataires et grossistes-particulier qui peuvent aussi être des
producteurs.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
208
Il est intéressant de noter que le mandataire a des interactions avec tous les acteurs principaux
de la filière légumes à l’exception du grossiste-grande entreprise, ce qui démontre
l’importance de cet acteur dans la filière.
Le grossiste-particulier a des interactions très régulières avec le petit, moyen et gros
producteur ainsi que le producteur sucrier, mais aucunes interactions avec le grossiste-
moyenne entreprise et grande entreprise car ceux-ci expédient leurs légumes directement chez
leurs clients. Au niveau du circuit de distribution traditionnel, le grossiste-particulier interagit
très régulièrement avec le mandataire.
Le grossiste-moyenne entreprise a des interactions très régulières avec le producteur sucrier,
et régulières avec le mandataire pour s’approvisionner en légumes. Il a aussi des contacts
occasionnels avec les petits, moyens et gros producteurs de légumes pour l’achat de légumes
au champ.
L’usinier-producteur/ producteur sucrier, comme nouvel entrant dans la filière légumes, a des
interactions avec tous les principaux acteurs de la production et de la distribution à
l’exception du petit producteur de légumes. Les échanges les plus régulières se font en amont
avec les fournisseurs d’intrants, et en aval avec les mandataires, les grossistes-particuliers, et
les grossistes-grande entreprises. Les interactions avec les moyens et gros producteurs de
légumes sont essentiellement pour la location des terres.
Le grossiste-grande entreprise, nouvel entrant dans la filière légumes, est le seul acteur qui n’a
pas d’interaction avec les autres acteurs en place du CO. Il interagit très régulièrement avec
les usiniers-producteurs sucriers qui l’approvisionnent en légumes.
5.1.1.2.2 Les structures de domination ou d’alliance
Une des logiques institutionnelles observées dans la filière légumes est la logique de
cartellisation qui se rapporte à l’existence de relations de domination au niveau du circuit de
distribution chez les mandataires et les grossistes-particuliers.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
209
5.1.1.2.3 Le degré d’isomorphisme des acteurs en place
Les logiques institutionnelles exercent des pressions isomorphiques sur les acteurs en place de
la filière légumes et offrent un contexte institutionnel pour que les acteurs puissent définir
leurs stratégies concurrentielles (Lawrence, 1999). Les pressions normatives, coercitives et
mimétiques identifiées auprès des acteurs enquêtés, et à travers les données secondaires sont
résumées dans le tableau 5.3.
Tableau21 5.3: Pressions normatives, coercitives et mimétiques sur les acteurs principaux de la
filière légumes
Types d’acteur Isomorphisme normatif Isomorphisme
coercitif
Isomorphisme mimétique
Les fournisseurs
d’intrants
Il y a des règles d’adhésion
parmi les professionnels
dans la fourniture
d’intrants, et ces règles
agissent comme des
barrières à l’entrée.
L’environnement
régulateur exerce un
contrôle très rigoureux
sur l’importation de
produits chimiques
agricoles.
Il y a très peu de grands
fournisseurs d’intrants. Les petits
fournisseurs adoptent un
comportement mimétique. Les gros
fournisseurs favorisent la demande
en produits chimiques agricole
ainsi que les autres matières
premières venant des gros
producteurs sucriers, nouveaux
entrants dans la filière légumes
Petits Producteurs Bien qu’étant membres
d’associations de
producteurs, les petits
producteurs opèrent
individuellement et
souvent de façon isolée.
Les organismes
régulateurs imposent
des bonnes pratiques
agricoles aux
producteurs, à travers
des prescriptions
légales (ex. types et
volumes d’intrants
chimiques).
Les petites superficies sous cultures
et le manqué de moyens (financiers
et main d ‘œuvre) impose un
comportement mimétique.
Moyens/gros
producteurs
Les moyens et gros producteurs
ayant accès aux ressources
financières ont tendance à imiter les
pratiques agricoles des meneurs
dans la filière légumes tels que la
mécanisation de certaines étapes de
production, l’utilisation de
nouvelles matières premières
(semences, bio pesticides etc.)
Les nouveaux
entrants – gros
producteurs
sucriers
Les gros producteurs
sucriers, venant d’un
champ institutionnel très
fermé, ont des règles
d’adhésion très fortes qui
sont des barrières à
l’entrée.
Il n’y a que 6 gros producteurs
sucriers dans la filière sucre, et la
diversification de avec succès de
certains dans la production de
légumes induit un comportement
mimétique chez les moyens et gros
producteurs de légumes en place.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
210
Tableau 5.3 : Pressions normatives, coercitives et mimétiques sur les acteurs principaux
de la filière légumes (suite)
Types d’acteur Isomorphisme normatif Isomorphisme
coercitif
Isomorphisme mimétique
Mandataires Il y a très peu de
mandataires pour les trois
marchés de gros et ils ont
un grand contrôle sur la
chaîne de distribution, et
une forte barrière à
l’entrée.
Grossistes-
Particuliers
Il y a très peu de
grossistes-particuliers et ils
ont un grand contrôle sur
la chaîne de distribution, et
une forte barrière à
l’entrée.
Grossistes-
Moyenne
Entreprises
Les entreprises sont
soumises aux règles
d’opération imposées
par l’état.
Grossistes-Grande
Entreprises
Il existe très peu de
grandes entreprises de
distribution de légumes
frais, et ils sont surtout
concernés par les normes
de qualité pour la mise en
marché des légumes.
Nous notons un isomorphisme mimétique au niveau des petits et moyens producteurs de
légumes et un isomorphisme coercitive et normative par rapport aux lois régulant la filière
légumes et les normes et standards du marché respectivement.
5.1.1.2.3 L’accord sur les logiques institutionnelles
Les figures 5.2 et 5.3 montrent l’accord des principaux acteurs de la filière légumes sur les
logiques institutionnelles existantes de la filière. Les pourcentages ont été calculés en fonction
du degré d’adhésion des acteurs appartenant à chaque catégorie respective à une ou plusieurs
logiques institutionnelles. Nous avons présenté la situation avant l’arrivée des nouveaux
entrants dans la filière (figure 5.2) et après l’arrivée des nouveaux entrants (Figure 5.3)
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
211
Figure32 5.2 : Accord des acteurs en place de la filière légumes sur les logiques institutionnelles
existantes
Avant l’arrivée des nouveaux entrants dans la filière légumes, deux catégories d’acteurs
s’accordaient sur deux logiques institutionnelles de façon égale (25%), les logiques familiales
et individualistes, deux autres catégories d’acteurs (mandataires et grossistes-particuliers
s’accordaient sur la logique de cartellisation (12%) ; et les autres acteurs principaux, les gros
producteurs de légumes, les fournisseurs d’intrants et les grossistes-moyenne entreprise
adoptaient une logique de marché (25%) et aussi une logique entrepreneuriale (13%).
Figure33 5.3 : Accord des acteurs en place et nouveaux de la filière légumes sur les logiques
institutionnelles existantes et nouvelles
25%
25%
12%
13%
25%
Accord entre les acteurs (en place) sur les logiques institutionnelles
PP-Petit producteurMP-Moyen Producteur
GP-Gros producteurFI-Fournisseur d'intrantsM-MandataireG-P-Grossiste particulierG-ME- Grossiste-Moyenne entreprise
Logique individualiste (PP, MP, M, G-P)
Logique de marché (GP, FI G-ME)
Logique de
cartellisation (M, G-P)
Logique entrepreneuriale (GP, FI, G-ME)
Logique familiale (PP, MP, GP, M, G-P)
18%
Logique individualiste (PP, MP, M, G-P)
18%
Logique de cartellisation (M, G-P)
11%
Logique entrepreneuriale (GP,
PS, FI, M, G-P, G-ME, G-
GE)25%
Logique de marché (MP, GP, PS, FI, M, G-P, G-ME,
G-GE)
28%
Accord entre les acteurs (en place et nouveaux)sur les logiques institutionnelles
PP-Petit producteurMP-Moyen ProducteurGP-Gros producteurPS-Producteur sucrierFI-Fournisseur d'intrantsM-MandataireG-P-Grossiste particulierG-ME- Grossiste-Moyenne entrepriseG-GE-Grossiste-Grosse entreprise
Logique familiale (PP, MP, M, G-P)
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
212
En nous basant sur la figure 5.3, nous voyons qu’il y a eu des changements sur l’accord sur
les logiques institutionnelles avec l’arrivée des nouveaux entrants. Il y a eu beaucoup plus
d’acteurs (28%) qui s’accordent sur la logique de marché à l’exception du petit producteur de
légumes. La logique entrepreneuriale a aussi été adoptée par plus d’acteurs (25%) à
l’exception des petits et moyens producteurs de légumes. En ce qui concerne la logique de
cartellisation, elle est concentrée (11%) au niveau des mandataires, et des grossistes-
particuliers. La logique individualiste est présente parmi un groupe restreint (18%) incluant
les petits et moyens producteurs, les mandataires et les grossistes-particuliers.
En nous basant sur les résultats des différents indicateurs du niveau de structuration de la
filière légumes, nous construisons le tableau 5.4.
Tableau22 5.4 : Score des différents indicateurs de structuration de la filière légumes
Score
Indicateurs
Peu élevé
Score =0,5
Elevé
Score =0,75
Total
score
Degré d’interaction
entre les acteurs
Mais les interactions
sont concentrées entre
quelques acteurs
0,75
Les structures de
domination/alliance
Il y a une structure d’alliance
(cartel) entre les mandataires
et les grossistes-particulier
0,5
Degré
d’isomorphisme des
acteurs en place
Cela concerne surtout les
petits et moyens producteurs
de légumes
0,5
Accord sur les
logiques
institutionnelles
Il y a plusieurs logiques
institutionnelles qui causent
des conflits parmi les acteurs
0,5
Score Moyen 0,56
En nous basant sur une échelle de 0 à 1, avec un niveau du CO ‘peu structurée’ (valeur 0), un
niveau ‘moyennement structurée’ (valeur 0,5) et un niveau ‘très structuré’ (valeur 1), nous
concluons que la filière légumes a un niveau de structuration légèrement au dessus de la
moyenne avec un score moyen de 0,56.
En nous référant aux analyses des données sur le degré d’’hétérogénéité et
d’institutionnalisation des logiques institutionnelles dans la filière légumes, nous concluons
qu’avec des logiques institutionnelles très hétérogènes et un champ organisationnel
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
213
moyennement structurée ou institutionnalisée, ceci offre un terrain propice pour des
changements institutionnels (Oliver, 1991, Sewell, 1992, Whittington, 1992, Seo et Creed,
2002).
Dans cette première section, nous avons mené une analyse méso de notre champ
organisationnel, la filière légumes, ce qui nous a permis de : premièrement identifier les
logiques institutionnelles de la filière, et deuxièmement de caractériser le degré
d’hétérogénéité des logiques identifiées, et troisièmement, d’analyser le degré de structuration
ou d’institutionnalisation de notre champ organisationnel. Ces résultats se rapportent à une
dimension importante de notre modèle conceptuel à savoir les caractéristiques objectives de
notre champ organisationnel, ce qui nous permettra éventuellement de vérifier notre première
proposition de recherche sur le lien entre le type de travail institutionnel et les caractéristiques
du champ organisationnel.
Nous examinons dans la section suivante, une autre dimension de notre modèle conceptuel,
les caractéristiques des acteurs de notre CO. Pour ce faire, nous analyserons nos données en
utilisant la perspective des acteurs d’un point de vue micro.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
214
SECTION 2 : Micro-analyse des logiques institutionnelles au niveau des
acteurs
Dans cette section, nous analyserons chaque logique institutionnelle identifiée dans notre
champ organisationnel au niveau des acteurs du champ pour nous aider à comprendre les
conditions qui poussent un acteur à adopter une logique au dépend d’une autre.
Pour nous aider dans cette analyse, nous avons mobilisé la méthode comparative11
ou
l’analyse qualitative comparée développé par Ragin (1987) que nous avons décrit dans le
chapitre 4. Cette méthode d’analyse a été surtout utilisé dans les sciences politiques et en
sociologie mais a quand même été utilisée en sciences de gestion dans des travaux empiriques
(Chanson et al., 2005).
5.2 Analyse qualitative comparative des logiques institutionnelles par
rapport aux acteurs
5.2.1 La logique familiale
La logique familiale a été considérée dans de nombreux travaux (voir Miller et al., 2011 ;
Greenwood et al., 2010). Ainsi d’après Berrone et al. (2010) la richesse socio-émotionnelle,
c'est-à-dire le fait d’utiliser l’entreprise et ses ressources pour offrir des bénéfices émotionnels
et sociaux à la famille, est importante dans les entreprises familiales. Cette richesse socio-
émotionnelle peut prendre plusieurs formes telles que la possibilité d’offrir une carrière
professionnelle aux membres de la famille et une sécurité financière à la génération présente
et future.
La logique familiale est très présente parmi les petits et moyens producteurs de légumes. Nous
l’avons souvent retrouvé dans le discours des personnes enquêtées sur le terrain comme en
témoignent les verbatim ci-dessous :
11 Qualitative Comparative Method
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
215
« Nous étions douze enfants. Au départ je n’étais pas intéressé par la production. J’ai
pris un l’emploi au ministère de la santé. Je travaille au champ le matin et le soir je
suis au bureau. Cela m’a permit de financer l’éducation de mes enfants. »
Entretien avec un petit producteur de légumes, Novembre 2010
« J’ai deux bons garçons qui ont bien étudié. J’ai aussi mon épouse qui m’aide au
champ
Non, mes enfants ne s’intéressent pas à la production de légumes. J’ai préféré avec
l’argent de mes récoltes, investir dans leur éducation formelle, et ils se sont spécialisés
dans des domaines autres que l’agriculture. Donc, moi je continue ma petite production
jusqu’à la fin de mes jours.
Cependant, je leur ai dit que mon vœu le plus cher est qu’ils conservent mon terrain et
continue la production de légumes après ma mort. Je ne veux pas qu’ils vendent mon
terrain car ils doivent apprécier le fait que cette terre les a nourrit et a servi à les
éduquer. »
Entretien avec un producteur moyen de légumes, Novembre 2010
Sachant que, pour les agriculteurs mauriciens des régions rurales et périurbaines, la
production agricole est étroitement imbriquée dans la vie sociale (Pareanen, 2008), nous
postulons que la logique familiale se situe entre la logique de subsistance et la logique de
marché.
Pour nous aider à comprendre les conditions qui favorisent l’adoption de la logique familiale,
nous utilisons trois facteurs propres à la logique de subsistance (Bonnal, 1997) et qui nous
semblent aussi applicables à la logique familiale : le risque et l'incertitude liés aux activités
agricoles qui poussent les producteurs à privilégier une logique de minimisation du risque et
des incertitudes agro-climatiques et économiques; la dépendance sur les facilités offerts par
l’Etat et ses représentants pour des aides techniques et financières; et la dépendance vis-à-vis
du circuit de distribution à travers les mandataires et/ou grossistes. Ces trois facteurs
déterminent le comportement du producteur et nous nous servons de l’analyse qualitative
comparée pour comprendre quels sont les catégories de producteurs les plus concernés par
cette logique familiale. Nous avons mobilisé trois variables (conditions) pour tenter
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
216
d’expliquer comment la logique familiale se construit dans le discours des acteurs et ainsi
pouvoir comparer les différentes unités d’analyse pour les acteurs principaux de la filière
légumes : (1) le contrôle des risques dans les activités agricoles, (2) la dépendance sur l’Etat,
et (3) la dépendance vis-à-vis des mandataires/grossistes.
Nous construisons un tableau (tableau 5.5) avec les données primaires issues des enquêtes de
terrain. Dans ce tableau, nous avons voulu comparer les cas des petits et moyens producteurs
qui adhèrent à la logique familiale et les cas des gros producteurs de légumes et des usiniers-
producteurs/gros producteurs sucriers pour qui la logique familiale est absente des discours.
Tableau23 5.5 : Données brutes (trois conditions)
CAS CONTRISQ
(%)
DEPETAT
(%)
DEPMAR
(%)
LOGIQUE
FAMILIALE
Nombre de
cas
Petit
producteur 30 80 90 1 10
Moyen
producteur 40 60 60 1 5
Gros
producteur 70 50 60 0 2
Producteur
sucrier 90 5 50 0 7
Les variables indépendantes :
CONTRISQ représente la condition de contrôle de risques dans les activités agricoles.
DEPETAT représente la condition de la dépendance de l’acteur sur les facilités
offertes par l’Etat.
DEPMAR représente la condition de la dépendance de l’acteur sur les autres acteurs
qui opèrent dans le circuit de distribution, mandataires et/ou grossistes.
La variable dépendante :
LOGIQUE FAMILIALE prend la valeur de 0 pour indiquer son absence et la valeur
de 1 pour indiquer sa présence.
Nous avons ensuite transformé ces données brutes en données dichotomiques pour pouvoir les
utiliser dans l’analyse qualitative comparée.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
217
Ainsi, CONTRISQ prend la valeur de 0 si le contrôle des risques dépasse les 50% car c’est
considéré comme un contrôle élevé ; et la valeur de 1 pour moins de 50% de contrôle des
risques. DEPETAT prend la valeur de 1 si la dépendance sur les services de l’Etat dépasse les
30%, et la valeur de 0 si la dépendance est moins de 30%. DEPMAR prend la valeur de 1 si la
dépendance sur les mandataires et/ou grossistes est plus de 50% et la valeur de 0 si la
dépendance est moins de 50%.
Nous construisons le tableau 5.6 avec les données dichotomiques.
Tableau24 5.6 : Données dichotomiques (trois conditions)
CAS CONTRISQ DEPETAT DEPMAR LOGIQUE
FAMILIALE
Petit producteur 1 1 1 1
Moyen
producteur 1 1 1 1
Gros producteur 0 1 1 0
Producteur
sucrier 0 0 1 0
Ce tableau est ensuite inséré dans un logiciel informatique pour construire le tableau de vérité
(tableau 5.7).
Tableau25 5.7 : Tableau de vérité- Logique familiale
CAS CONTRISQ DEPETAT DEPMAR LOGIQUE
FAMILIALE
Petit producteur, Moyen
Producteur 1 1 1 1
Gros producteur 0 1 1 0
Producteur sucrier 0 0 1 0
Le tableau de vérité nous permet de transformer les quatre cas en trois configurations. Il y a
une configuration où la logique familiale est observée (cas des petits et moyens producteurs).
Les deux autres configurations (gros producteurs et producteurs sucrier) démontrent une
absence de logique familiale comme observé dans le diagramme de Venn (Figure 5.6).
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
218
Figure34 5.4 : Diagramme de Venn-Logique familiale
En adoptant la notation de l’algèbre booléenne, une combinaison causale est proposée pour la
conséquence de logique familiale. L'algèbre booléenne permet d'énoncer une formule
minimale de cette combinaison:
CONTRISQ(1)*DEPETAT(1)*DEPMAR(1)= LOGIQUE FAMILIALE (1)
Cette formule descriptive se lit comme suit : Un faible contrôle sur les risques agricoles ET
une grande dépendance des services de l’Etat ET une grande dépendance sur les acteurs de la
distribution sont des conditions qui favorisent l’adoption de la logique familiale. Ce sont les
petits et moyens producteurs qui se retrouvent dans ce cas.
Par ailleurs, la formule minimale booléenne dans les cas où la logique familiale n’est pas
observée, s’énonce comme suit :
CONTRISQ(0)*DEPMAR(1) = LOGIQUE FAMILIALE (0)
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
219
La logique familiale est absente quand il y a un contrôle élevé des risques agricoles ET une
dépendance par rapport aux acteurs de la distribution, le cas des gros producteurs sucriers et
des gros producteurs en place de la filière légumes.
5.2.2 La logique de marché
La logique de marché a émergé des discours de tous les acteurs de la filière mais prend une
dimension plus importante pour certains acteurs tels que les moyens et gros producteurs de
légumes, les gros producteurs sucriers, les mandataires, les grossistes en place et les
nouveaux. Cette logique, selon Thornton (2001) inclut entres autres des pratiques telles que la
compétition pour les ressources, l’augmentation des profits de l’entreprise, la construction
d’une position concurrentielle, et la mise en place des circuits de commercialisation. Selon
Garrow (2013), cette logique de marché consiste aussi à se conformer aux standards de qualité
sur le marché, à être efficient et à avoir une stratégie par rapport aux prix des produits.
Pour corroborer ces observations faites ci-dessus, nous avons utilisé quatre variables
indépendantes pour analyser la présence ou l’absence de la logique de marché (variable
dépendante) parmi les acteurs de la filière. Nous construisons le tableau 5.8 avec les données
dichotomiques car les variables indépendantes ne sont pas directement quantifiables mais sont
basées sur une perception du comportement et des actions des acteurs.
Nous avons comparé les différents acteurs en place et nouveau de notre CO par rapport à
l’absence ou la présence de la logique de marché.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
220
Tableau26 5.8 : Données dichotomiques (quatre conditions)
CAS PRODQUAL STRADIFF COMPRES EFFC LOGIQUE DE
MARCHE
Petit producteur 0 0 0 0 0
Moyen producteur 0 0 1 1 1
Gros producteur 0 1 1 1 1
Producteur sucrier 1 1 1 1 1
Mandataire 0 1 - 0 1
Grossiste-Particulier 0 0 1 1 1
Grossiste-Moyen
Entreprise 1 1 1 1 1
Grossiste-Grande
Entreprise 1 1 1 1 1
Les variables indépendantes :
PRODQUAL représente les pratiques adoptées par les acteurs (production ou
distribution) pour promouvoir la qualité de leurs produits par rapport aux standards de
qualité du marché. Les pratiques qui visent une bonne qualité des produits ont une
valeur de 1, et une absence de pratiques visant la qualité, une valeur de 0.
STRADIFF représente les pratiques adoptées par les acteurs (production ou
distribution) pour différencier leurs produits par rapport aux concurrents pour se
construire une position concurrentielle sur le marché. Les pratiques qui visent une
différenciation des produits ont une valeur de 1, et une absence de différentiation de
produits (commodités brutes), une valeur de 0.
COMPRES représente l’attitude compétitive des acteurs pour acquérir des ressources
telles que le capital, les terres cultivables et la main d’œuvre. Une attitude compétitive
pour les ressources a une valeur de 1, et une absence d’attitude compétitive, une valeur
de 0.
EFFC représente les pratiques qui visent l’efficience de l’entreprise vis-à-vis de la
maîtrise des coûts de production, la maximisation des profits, et la recherche du
meilleur moyen de commercialisation des produits. Des pratiques efficientes ont une
valeur de 1 et des pratiques inefficientes, une valeur de 0.
La variable dépendante :
LOGIQUE DE MARCHE prend la valeur de 0 pour indiquer son absence et la valeur
de 1 pour indiquer sa présence.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
221
Tableau27 5.9 : Tableau de vérité- Logique de marché
CAS PRODQUAL STRADIFF COMPRES EFFC LOGIQUE
DE MARCHE
Petit producteur 0 0 0 0 0
Moyen producteur,
Grossiste-particulier 0 0 1 1 1
Gros Producteur 0 1 1 1 1
Producteur sucrier, Grossiste-
moyenne entreprise,
Grossiste-grande entreprise
1 1 1 1 1
Mandataire 0 1 1 0 1
Le tableau de vérité nous permet de transformer les huit cas en cinq configurations. Il y a
quatre configurations où la logique de marché est observée et une seule configuration où la
logique de marché est absente comme illustrée dans le diagramme de Venn (Figure 5.7).
Figure35 5.5 : Diagramme de Venn-Logique de marché
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
222
En adoptant la notation de l’algèbre booléenne, trois combinaisons causales sont proposées
pour la conséquence de la logique de marché. L'algèbre booléenne permet d'énoncer une
formule minimale de ces trois combinaisons :
PRODQUAL(0)*COMPRES(1)*EFFC(1) + STRADIFF(1)*COMPRES(1)*EFFC(1)
+ PRODQUAL(0)*STRADIFF(1)*COMPRES(1) = LOGIQUE DE MARCHE (1)
Cette formule descriptive se lit comme suit: Des produits de faible qualités ET une
compétition pour les ressources ET de l’efficience dans la production (le cas des Producteurs
Moyens, Grossiste-particulier et Gros Producteurs) OU une stratégie de différentiation des
produits ET une compétition pour les ressources ET de l’efficience dans la production (Gros
Producteurs, Producteurs sucrier, Grossistes-moyenne entreprise, Grossistes-grande
entreprise) OU des produits de faibles qualités ET une stratégie de différentiation des produits
ET une compétition pour les ressources (Gros Producteurs et Mandataires) sont des conditions
favorisant la logique de marché.
La formule minimale booléenne dans les cas où la logique de marché n’est pas observée,
s’énonce comme suit :
PRODQUAL(0)*STRADIFF(0)*COMPRES(0)*EFFC(0) = LOGIQUE DE MARCHE (0)
La logique de marché n’est pas observée quand il y a une absence de produits de qualité
répondants aux normes du marché ET pas de stratégie de différentiation des produits ET pas
de compétition pour les ressources ET pas d’efficience dans la production. Ce cas est observé
essentiellement chez les petits producteurs de légumes.
Notre analyse nous permet de conclure qu’une compétition pour les ressources (financières,
accès à la terre, main d’œuvre, et technologie) est une condition nécessaire mais pas suffisante
pour expliquer l’articulation de la logique de marché chez les acteurs de la filière légumes.
Nécessaire parce que cette condition se retrouve dans les trois combinaisons causales, mais
pas suffisante parce qu’elle se combine avec d’autres conditions telles qu’une faible qualité
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
223
des produits, une stratégie de différentiation des légumes, et une efficience au niveau de la
production et de la distribution des légumes.
5.2.3 La logique individualiste
La logique individualiste a émergé dans les discours des petits et moyens producteurs, et des
dirigeants d’association de producteurs. Le discours de fournisseurs d’intrants et des
institutions publiques et privée qui côtoient ces acteurs précités confirme la présence de la
logique individualiste. Cette logique est en opposition de la logique d’action collective (voir
Astley et Fombrun, 1983). Nous notons que bien que les petits et moyens producteurs
fonctionnent comme membre d’associations de producteurs pour assurer leur légitimité, leur
comportement est individualiste quand il s’agit de la gestion de leur entreprise. Nous
observons aussi que les dirigeants d’associations de producteurs ont aussi bien des intérêts
collectifs que personnels. En nous basant sur le continuum de Le Roy et Guillotreau (2002)
nous arrivons à identifier des formes de comportements individuels tels que le secret de
l’information, la privatisation des connaissances, la défiance mutuelle, l’opportunisme et la
flexibilité. Nous décrivons brièvement ces formes de comportements individualistes ci-
dessous en donnant des exemples de verbatim de nos acteurs.
Le secret de l’information se rapporte à la dissimulation de l’information acquise pour
satisfaire ses intérêts personnels.
« Cependant un des gros soucis auquel nous faisons face, c’est l’accès aux données des gros
producteurs sucriers concernant leurs cultures vivrières. Ces derniers opèrent comme des
entreprises à grande échelle et pour eux ces données sont de nature privée car il y a
concurrence dans le secteur. Mais d’un autre côté les producteurs sucriers ont accès aux
données des producteurs en place car ces données sont accessibles sur un site web public. »
Entretien avec le directeur d’un organisme de recherche agricole, Octobre 2010
La privatisation de la connaissance, c’est ne pas partager les connaissances acquises à travers
les institutions de recherche, les fournisseurs d’intrants, ou son propre réseau professionnel.
« Ecoutez, moi en tant que fournisseur d’intrants agricoles, je côtoie plusieurs producteurs. Il
arrive qu’un producteur achète un pesticide et me demande de ne pas dire à son voisin
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
224
producteur ce qu’il a utilisé. Il peut même aller jusqu’à détruire l’emballage du pesticide
pour ne pas laisser de trace par rapport aux intrants qu’il utilise dans sa production ! C’est
pour vous illustrer à quel point certains producteurs peuvent être individualistes. »
Entretien avec un fournisseur d’intrant, Novembre 2010
La défiance mutuelle c’est faire fi des règles et des normes du champ organisationnel et
produire selon sa propre logique.
« Les producteurs tiennent à leurs terrains individuels. Ils ne veulent pas enlever les
frontières car ils ont peur de perdre un peu de terre. Moi, je pense qu’ils utilisent toutes sortes
de prétextes pour s’accrocher à leurs terres. Chacun travaille pour soi et c’est souvent lié à la
culture des producteurs ici. »
Entretien avec un petit producteur, Novembre 2010
Un comportement opportuniste est relié à l’utilisation du réseau social et professionnel pour
percevoir les opportunités dans la filière.
« D’après moi, il faudrait que les producteurs collaborent ce qui n’est pas le cas actuellement.
Avez-vous vu le nombre d’associations de producteurs qui ne fonctionnent pas ? Une
association peut être composée de quatre à cinq personnes qui ne travaillent que pour leurs
intérêts personnels et pas pour la collectivité. »
Entretien avec un fournisseur d’intrant, Nov 2010
Un comportement flexible c’est changer de culture de production ou d’activité professionnelle
en fonction des opportunités présentes.
« Je suis un mandataire, mais aussi un grossiste-particulier, et je m’approvisionne chez le
nouveau gros producteur sucrier qui produit des légumes à grande échelle. Pour moi, ce
nouvel entrant dans la filière légumes est une opportunité. »
Entretien avec un mandataire, Octobre 2010
Nous utilisons ces formes de comportement comme des variables indépendantes pour analyser
la présence ou absence de la logique individualiste (variable dépendante) parmi les acteurs de
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
225
la filière. Nous construisons le tableau 5.10 avec les données dichotomiques car les variables
indépendantes ne sont pas directement quantifiables mais sont basées sur une perception du
comportement des acteurs.
Tableau28 5.10 : Données dichotomiques (quatre conditions)
CAS INF CONN DEFMUT OPP FLEX LOGIQUE
INDIVIDUALISTE
Petit producteur 1 1 1 1 1 1
Moyen producteur 1 1 1 1 1 1
Gros producteur 1 0 1 1 0 1
Producteur sucrier 1 0 0 1 1 0
Fournisseur
d’intrants
0 0 0 1 1 0
Mandataire 1 1 1 1 0 1
Grossiste-
Particulier
1 1 1 1 0 1
Grossiste-Moyen
Entreprise
1 1 1 1 0 1
Grossiste-Grande
Entreprise
1 0 0 1 0 0
Les variables indépendantes :
INF représente le comportement de l’acteur vis-à-vis d’une information ayant trait à
son domaine d’activité professionnelle. Un comportement qui vise à cacher des
informations a une valeur de 1, et un comportement d’échange d’information, une
valeur de 0.
CONN représente le comportement de l’acteur par rapport à une privatisation des
connaissances techniques (valeur 1) ou une publicité des connaissances (valeur 0)
DEF représente le comportement de l’acteur par rapport à une défiance mutuelle vis-à-
vis des autres acteurs de la filière (valeur 1) ou une confiance mutuelle (valeur 0)
OPP représente le comportement opportuniste de l’acteur (valeur 1) ou bien son
engagement dans la filière (valeur 0)
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
226
FLEX représente la flexibilité professionnelle et personnelle de l’acteur de par son
comportement individualiste (valeur 1) ou bien son inertie dans la filière (valeur 0)
La variable dépendante :
LOGIQUE INDIVIDUALISTE prend la valeur de 0 pour indiquer son absence et la
valeur de 1 pour indiquer sa présence.
Tableau29 5.11 Tableau de vérité- Logique individualiste
CAS INF CONN DEFMUT OPP FLEX LOGIQUE
INDIVIDUALISTE
Petit producteur
Moyen producteur
1 1 1 1 1 1
Gros producteur 1 0 1 1 0 1
Producteur sucrier 1 0 0 1 1 0
Fournisseur d’intrants 0 0 0 1 1 0
Mandataire
Grossiste-particulier
Grossiste-moyenne
entreprise
1 1 1 1 0 1
Grossiste-Grande
Entreprise
1 0 0 1 0 0
Le tableau de vérité (tableau 5.11) nous permet de transformer les dix cas en six
configurations. Il y a trois configurations où la logique individualiste est observée et trois
autres configurations où la logique individualiste est absente comme illustrée dans le
diagramme de Venn (Figure 5.6).
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
227
Figure36 5.6 : Diagramme de Venn-Logique individualiste
En adoptant la notation de l’algèbre booléenne, deux combinaisons causales sont proposées
pour la conséquence de logique individualiste. L'algèbre booléenne permet d'énoncer une
formule minimale de ces deux combinaisons :
INF(1)*CONN(1)*DEF(1)*OPP(1) + INF(1)*DEF(1)*OPP(1)*FLEX(0)
= LOGIQUE INDIVIDUALISTE (1)
Cette formule descriptive se lit comme suit: Le secret de l’information ET une privatisation
des connaissances ET une défiance mutuelle ET un comportement opportuniste OU le secret
de l’information ET une défiance mutuelle ET un comportement opportuniste ET moins de
flexibilité dans les activités agricoles favorisent l’adoption de la logique individualiste. C’est
le cas des petits producteurs, moyens producteurs, mandataires, grossistes-particuliers,
grossistes-moyenne entreprise.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
228
La formule minimale booléenne dans les cas où la logique individualiste n’est pas observée,
s’énonce comme suit :
CONN(0)*DEF(0)*OPP(1)*FLEX(1) + INF(1)*CONN(0)*DEF(0)*OPP(1)
= LOGIQUE INDIVIDUALISTE (0)
La logique individualiste est absente quand il y a une flexibilité dans les activités agricoles ET
un comportement opportuniste ET un partage des connaissances techniques ET une confiance
mutuelle entre acteurs OU le secret de l’information entre les acteurs ET un partage des
connaissances ET une confiance mutuelle ET une attitude opportuniste.
Notre analyse nous permet donc de conclure que le secret de l’information, la défiance
mutuelle et un comportement opportuniste sont des conditions nécessaires mais pas
suffisantes pour expliquer l’adoption de la logique individualiste. Nécessaires car elles sont
présentes dans les deux combinaisons causales, mais pas suffisantes car elles se combinent
d'une part avec la privatisation des connaissances et d’autre part avec une inertie qui est plus
associée à un comportement collectif qu’individualiste.
5.2.4 La logique de cartellisation
Nous observons une logique de cartellisation, en opposition d’une logique de marché libre,
essentiellement dans le circuit de distribution de légumes au niveau des différents acteurs.
Premièrement, les mandataires, chargés de la vente des légumes pour les petits producteurs
contre une commission, utilisent une logique de cartellisation qui leur permet de contrôler
l’expédition des légumes vers le marché de gros, tout en offrant des privilèges en termes de
facilités de crédit aux producteurs et grossistes pour fidéliser les échanges. De plus ces
mêmes mandataires utilisent une logique familiale favorisée par l’état, dans le sens que quand
leur mandat arrive à expiration, l’appel d’offre des autorités publiques concernées donne
priorité aux enfants ou aux héritiers directs des mandataires pour continuer l’entreprise
familiale. En deuxième lieu, les grossistes-particuliers qui achètent les légumes en gros des
mandataires ont eux aussi une logique de cartellisation car leurs activités sont concentrées
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
229
parmi quelques grossistes qui contrôlent ce marché en utilisant leur réseau et leurs ressources
matérielles (essentiellement financières).
Pour corroborer ces observations faites ci-dessus, nous avons utilisés quatre variables
indépendantes pour analyser la présence ou absence de la logique de cartellisation (variable
dépendante) parmi les acteurs du circuit de distribution de la filière légumes.
Nous construisons un tableau (tableau 5.12) avec les données primaires issues des enquêtes de
terrain.
Tableau30 5.12 : Données brutes (quatre conditions)
CAS FIXPRI FIXQUAN BARRENT NOMFIRM LOGIQUE DE
CARTELLISATION
Mandataire oui oui oui 30 1
Grossiste-Particulier oui oui oui 200 1
Grossiste-Moyen
Entreprise
non non non 10 0
Grossiste-Grande
Entreprise
oui oui non 5 0
Les variables indépendantes :
FIXPRI représente une des conditions qui indique la présence de pratiques
caractéristiques des cartels, c'est-à-dire la fixation des prix. Dans notre cas, cela à trait
au truquage des offres lors des appels d’offres pour le meilleur prix dans le marché de
gros par une connivence entre le mandataire et le grossiste.
FIXQUAN représente une deuxième condition qui indique la présence de pratiques
caractéristiques des cartels, c'est-à-dire la fixation des quantités. Dans notre cas, les
mandataires contrôlent la majorité (80%) des légumes dans le circuit de distribution.
BARRENT représente les barrières à l’entrée qui existent aussi bien pour l’exercice
des fonctions d’un mandataire, et aussi pour avoir des parts de marchés comme
grossiste.
NOMFIRM représente le nombre d’entreprises pour chaque catégorie d’acteurs.
Comme observé dans le tableau 5.10, il y a peu d’entreprises pour chaque catégorie
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
230
qui confirme une autre condition de la présence de cartels, c'est-à-dire, peu
d’entreprises qui dominent un marché.
La variable dépendante :
LOGIQUE DE CARTELLISATION prend la valeur de 0 pour indiquer son absence et
la valeur de 1 pour indiquer sa présence.
Nous construisons le tableau 5.13 avec les données dichotomiques pour les quatre variables.
Tableau31 5.13 : Données dichotomiques (quatre conditions)
CAS FIXPRI FIXQUAN BARRENT NOMFIRM LOGIQUE DE
CARTELLISATION
Mandataire 1 1 1 1 1
Grossiste-Particulier 1 1 1 1 1
Grossiste-Moyen
Entreprise
0 0 0 1 0
Grossiste-Grande
Entreprise
1 1 0 1 1
Les variables indépendantes :
FIXPRI a une valeur de 1 dans les cas où les prix des légumes sont fixés par les
acteurs, et une valeur de 0 dans les cas où le prix des légumes sont déterminés par le
marché.
FIXQUAN a une valeur de 1 dans les cas où les mandataires/grossistes contrôlent la
quantité de légumes qui transitent dans le circuit de distribution, et une valeur de 0
dans les cas où la quantité de légumes dépend de l’offre et de la demande.
BARRENT a une valeur de 1 dans les cas où les mandataires/grossistes contrôlent les
entrées de nouveaux acteurs dans leur milieu professionnel, et une valeur de 0 dans les
cas où il n’y a pas de barrières à l’entrée.
NOMFIRM a une valeur de 1 dans les cas où il y a peu d’entreprises pour un marché,
et une valeur de 0 dans les cas où il y a beaucoup d’entreprises.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
231
Tableau32 5.14 : Tableau de vérité- Logique de cartellisation
CAS FIXPRI FIXQUAN BARRENT NOMFIRM LOGIQUE DE
CARTELLISATION
Mandataire,
grossiste-particulier
1 1 1 1 1
Grossiste-Moyen
Entreprise
0 0 0 1 0
Grossiste-Grande
Entreprise
1 1 0 1 1
Le tableau de vérité nous permet de transformer les quatre cas en trois configurations. Il y a
deux configurations où la logique de cartellisation est observée et une configuration où la
logique de cartellisation est absente comme illustrée dans le diagramme de Venn (Figure 5.7).
Figure37 5.7 : Diagramme de Venn-Logique de cartellisation
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
232
En adoptant la notation de l’algèbre booléenne, une combinaison causale est proposée pour la
conséquence de logique de cartellisation. L'algèbre booléenne permet d'énoncer une formule
minimale de cette combinaison :
FIXPRI(1)*FIXQUAN(1)*NOMFIRM(1) = LOGIQUE DE CARTELLISATION (1)
Cette formule descriptive se lit comme suit: Une fixation des prix des légumes ET une
fixation des quantités de légumes ET un nombre restreint d’entreprises opérant dans la
distribution sont des conditions qui favorisent une logique de cartellisation.
La formule minimale booléenne dans les cas où la logique de cartellisation n’est pas observée,
s’énonce comme suit :
FIXPRI(0)*FIXQUAN(0)*BARRENT(0)*NOMFIRM(1)
= LOGIQUE DE CARTELLISATION (0)
La logique de cartellisation est absente quand les prix des légumes ET la quantité de légumes
sur le marché sont déterminés par la loi de l’offre et de la demande ET quand il n’y a pas de
barrières à l’entrée ET même si il ya un petit nombre d’entreprises dans ce secteur d’activité.
Notre analyse nous permet donc de conclure que la fixation des prix et des quantités de
légumes qui transitent dans le circuit de distribution et le nombre restreint d’entreprises sont
des conditions nécessaires et suffisantes à l’articulation d’une logique de cartellisation car
elles se réfèrent à une unique combinaison causale.
5.2.5 La logique entrepreneuriale
La logique entrepreneuriale est centrée autour des activités d’acteurs individuels ou
organisationnels qui utilisent cette logique pour gérer leurs échanges avec les autres acteurs
avec pour objectif d’assurer la viabilité à long terme de leurs entreprises. Ses échanges
peuvent être routiniers mais quelquefois elles peuvent prendre des formes innovantes ou
créatives (Spedale et Watson, 2013). Selon Schumpeter (1935), il y a cinq types
d’innovations : les nouveaux produits/services, les nouveaux procédés techniques, les
nouvelles sources de matières premières, les nouvelles formes d’organisation de production
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
233
industrielle, et les nouveaux marchés. De plus l’attitude de l’entrepreneur envers les risques
associés (Drucker, 1985) à son secteur d’activité est aussi un indicateur de la logique
entrepreneuriale. Nous avons noté plusieurs types d’innovation dans les discours des
différents acteurs de la filière légumes.
Pour corroborer ces observations faites ci-dessus, nous avons utilisés six variables
indépendantes pour analyser la présence ou absence de la logique entrepreneuriale (variable
dépendante) parmi les acteurs de la filière. Nous construisons le tableau 5.15 avec les données
dichotomiques car les variables indépendantes ne sont pas directement quantifiables mais sont
basés sur une perception du comportement des acteurs.
Tableau33 5.15 : Données dichotomiques (six conditions)
CAS INNOV
PROD
INNOV
TECH
INNOV
MP
INNOV
ORG
INNOV
MAR
ATTD
RISQ
LOGIQUE
ENTRE-
PRENEURIALE
Petit producteur 0 0 0 0 0 0 0
Moyen producteur 0 1 0 0 0 0 0
Gros producteur 1 1 1 1 1 1 1
Producteur sucrier 1 1 1 1 1 1 1
Fournisseur d’intrants 1 1 1 1 1 1 1
Mandataire 0 0 - 0 1 1 1
Grossiste-Particulier 0 0 - 0 1 1 1
Grossiste-Moyen
Entreprise
1 1 1 1 1 1 1
Grossiste-Grande
Entreprise
0 1 1 1 1 1 1
Les variables indépendantes :
INNOVPROD représente les pratiques de l’acteur reliées à la mise sur le marché de
nouveaux produits ou services. Cette variable prend la valeur de 1 pour des
produits/services innovants, et la valeur de 0 pour l’absence de produits/services
innovants.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
234
INNOVTECH représente les pratiques de l’acteur reliées à l’utilisation de nouveaux
procédés ou de nouvelles techniques qui améliorent soit la production ou la
distribution des produits/services. Cette variable prend la valeur de 1 pour l’utilisation
de nouvelles techniques, et la valeur de 0 pour l’utilisation des méthodes
traditionnelles.
INNOVMP représente l’utilisation de nouvelles matières premières qui améliore la
production des légumes. Cette variable prend la valeur de 1 pour l’utilisation de
nouvelles matières premières, et la valeur de 0 pour l’utilisation des matières
premières traditionnelles.
INNOVORG représente la mise sur pied de nouvelles formes organisationnelles. Cette
variable prend la valeur de 1 pour la mise sur pied de nouvelles formes
organisationnelles, et la valeur de 0 pour des formes organisationnelles traditionnelles.
INNOVMAR représente la recherche de nouveaux marchés pour les produits/services.
Cette variable prend la valeur de 1 pour la mise en vente des produits/services dans
des nouveaux marchés, et la valeur de 0 pour l’utilisation des circuits traditionnels de
distribution.
ATTDRISQ représente l’attitude des acteurs envers les risques associés à la
production et/ou distribution des légumes. Cette variable prend la valeur de 1 pour une
attitude entrepreneuriale envers les risques, et la valeur de 0 pour un refus des risques.
La variable dépendante :
LOGIQUE ENTREPRENEURIALE prend la valeur de 0 pour indiquer son absence et
la valeur de 1 pour indiquer sa présence.
Le tableau de vérité (tableau 5.16) nous permet de transformer les neuf cas en six
configurations. Il y a quatre configurations où la logique entrepreneuriale est observée et deux
autres configurations où la logique entrepreneuriale est absente comme illustrée dans le
diagramme de Venn (Figure 5.8).
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
235
Tableau34 5.16 : Tableau de vérité-Logique entrepreneuriale
CAS INNOV
PROD
INNOV
TECH
INNOV
MP
INNOV
ORG
INNOV
MAR
ATTD
RISQ
LOGIQUE
ENTRE-
PRENEURIALE
Petit producteur 0 0 0 0 0 0 0
Moyen producteur 0 1 0 0 0 0 0
Gros producteur,
producteur sucrier,
Fournisseur
d’intrants, Grossiste-
Moyenne Entreprise
1 1 1 1 1 1 1
Mandataire,
Grossiste-Particulier
0 0 0 0 1 1 1
Mandataire,
Grossiste-Particulier
0 0 1 0 1 1 1
Grossiste-Grande
Entreprise
0 1 1 1 1 1 1
Figure38 5.8 : Diagramme de Venn-Logique entrepreneuriale
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
236
En adoptant la notation de l’algèbre booléenne, deux combinaisons causales sont proposées
pour la conséquence de la logique entrepreneuriale. L'algèbre booléenne permet d'énoncer une
formule minimale de ces trois combinaisons :
INNOVTECH(1)*INNOVMP(1)*INNOVORG(1)*INNOVMAR(1)*ATTDRISQ(1)
+ INNOVPROD(0)*INNOVTECH(0)*INNOVORG(0)*INNOVMAR(1)*ATTDRISQ(1)
= LOGIQUE ENTREPRENEURIALE (1)
Cette formule descriptive se lit comme suit: l’adoption de l’innovation au niveau technique
ET matières premières ET nouvelles formes organisationnelles ET identification de nouveaux
marchés ET attitude favorable aux risques associés aux activités de production et/ou de
distribution (les cas des gros producteurs, producteurs sucrier, fournisseurs d'Intrants,
grossistes-Moyenne Entreprise, et grossistes-Grande entreprise) OU pas d’innovation au
niveau des produits ET pas de nouvelles techniques ET pas de nouvelles formes
organisationnelles mais ET la recherche de nouveaux marchés ET une attitude favorable aux
risques associés aux activités de production et/ou de distribution (les cas des mandataires
(INNOVMP:0), grossistes-particulier(INNOVMP:0), mandataire (INNOVMP:1), et
grossistes-particulier(INNOVMP:1) favorisent l’adoption de la logique entrepreneurial.
La formule minimale booléenne dans les cas où la logique entrepreneuriale n’est pas
observée, s’énonce comme suit :
INNOVPROD(0)*INNOVMP(0)*INNOVORG(0)*INNOVMAR(0)*ATTDRISQ(0)
= LOGIQUE ENTREPRENEURIALE (0)
La logique entrepreneuriale est absente quand il n’y a pas d’innovation dans les produits ET
dans les matières premières ET dans la forme organisationnelle ET dans la recherche de
nouveaux marchés ET quand il y a un refus de prendre des risques ou de minimiser les risques
associés aux activités professionnelles. C’est le cas des petits et moyens producteurs de
légumes.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
237
Notre analyse nous permet donc de conclure que la recherche de nouveaux marchés et une
bonne attitude envers les risques sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes pour
expliquer la logique entrepreneuriale. Nécessaires car elles sont présentes dans les deux
combinaisons causales, mais pas suffisantes car elles se combinent d'une part avec
l’innovation technique et l’innovation en matières premières et d’autre part avec une absence
d’innovation techniques et l’utilisation de marchés traditionnels.
Cette analyse au niveau des acteurs nous a permis d’identifier les conditions et les
combinaisons causales qui favorisent ou non la présence d’une logique institutionnelle. Ainsi
nous avons vu qu’il y a des variables indépendantes dont la présence est une condition
nécessaire mais pas suffisante pour que la logique institutionnelle soit utilisée par l’acteur
concerné. L’intérêt de cette analyse c’est de pouvoir aller au-delà de la simple identification
d’une logique institutionnelle à travers une analyse thématique du contenu des enquêtes.
Ainsi, la logique institutionnelle est considérée comme une variable dépendante qui peut être
analysée en termes des variables indépendantes qui peuvent la constituer. Ces variables
indépendantes ont été identifiées par rapport à la littérature et à partir de notre connaissance
du terrain d’étude. Cette méthode d’analyse nous permet de mieux comprendre l’importance
d’une logique institutionnelle pour un acteur en particulier et surtout de pouvoir comparer
cette importance auprès de plusieurs catégories d’acteurs qui adoptent ou non la logique en
question.
5.3 Les caractéristiques des logiques institutionnelles au niveau des
acteurs
Dans la première section de ce chapitre, nous avions identifié le degré d’hétérogénéité et
d’institutionnalisation des logiques institutionnelles dans le champ organisationnel, mais à un
niveau méso. Nous avions conclu que les logiques institutionnelles présentes dans le CO sont
extrêmement hétérogènes, et que le CO est moyennement structuré ou institutionnalisé, ce qui
offre une opportunité aux acteurs pour causer des changements divergents.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
238
Nous proposons dans cette partie de ramener notre analyse au niveau micro avec un double
objectif : premièrement analyser l’hétérogénéité des logiques institutionnelles au niveau de
chaque acteur du CO en observant le nombre de logiques institutionnelles complémentaires
et/ou conflictuelles pour chaque acteur ; et deuxièmement, comprendre à quel degré les
acteurs sont dépendants d’une ou plusieurs logiques institutionnelles.
5.3.1 Le degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles au niveau des
acteurs
Nous nous référons au continuum du degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles que
nous avions élaboré dans la section 5.1.1.1 pour construire le tableau 5.17 qui nous permettra
de coder le degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles au niveau des acteurs.
Tableau35 5.17 : Critères de détermination du degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles
Critères Degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles
Continuum Très homogène Moyennement
homogène
Moyennement
hétérogène
Très hétérogène
Nombre de
logiques
Une seule logique
dominante
Deux logiques
complémentaires
ou conflictuelles
Trois logiques
conflictuelles
Plus de trois
logiques
conflictuelles
Echelle de valeur 0 0,5 0,75 1
Nous appliquons les critères définis ci-dessus pour chaque logique institutionnelle identifiée
et par rapport à chaque acteur important de la filière (Tableau 5.18). Pour chaque type de
logique identifiée, nous avons indiqué sa présence (P) ou son absence (A) pour chaque acteur
important de la filière légumes.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
239
Tableau36 5.18 : Degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles par acteur
Logique
Familiale
Logique
Individualiste
Logique de
cartellisation
Logique
entrepre-
neuriale
Logique
de
marché
Degré
d’hétéro-
généité
Petit producteur P P A A A 0,5
Moyen Producteur P P A A P 0,75
Gros Producteur P A A P P 0,75
Producteur sucrier A A A P P 0,5
Fournisseur
d’intrants A A A P P 0,5
Mandataire P P P P P 1
Grossiste-
Particulier P P P P P 1
Grossiste-Moyenne
Entreprise A P A P P 0,75
Grossiste-Grande
Entreprise A A P P P 0,75
A : Absence de la logique ; P : Présence de la logique
Globalement on constate que les logiques institutionnelles qui prévalent chez les mandataires
et les grossistes sont très hétérogènes. En revanche les plus faibles hétérogénéités sont
présentes chez les petits producteurs et les producteurs sucriers. Ce qui peut paraître
paradoxal mais nous avons vu plus haut que ces deux catégories d’acteurs utilisent deux
logiques complémentaires qui leur suffisent par rapport à leurs objectifs respectifs, garantir la
sécurité financière de la famille pour le petit producteur, et avoir le maximum de revenues
pour le producteur sucrier.
5.3.2 Le degré d’institutionnalisation des logiques institutionnelles au niveau
des acteurs
L’indicateur du degré d’institutionnalisation des logiques institutionnelles dans la filière
légumes est basé sur un continuum de l’extrême incertitude (pas d’institutionnalisation)
(Dorado, 2005) à l’extrême institutionnalisation (Dorado, 2005) en passant par
l’institutionnalisation modéré (Beckert, 1999). Nous avons aussi rajouté deux autres niveaux,
faible institutionnalisation et forte institutionnalisation comme décrit dans la figure 5.7 :
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
240
En nous basant sur le continuum du degré d’institutionnalisation des logiques
institutionnelles, nous déterminons les critères (tableau 5.19) qui nous permettront de coder le
degré d’institutionnalisation des logiques institutionnelles que nous avons identifié dans la
filière légumes pour chaque acteur important de la filière.
Tableau37 5.19 : Critères de détermination du degré d’institutionnalisation des logiques
institutionnelles
Critères Degré d’institutionnalisation des logiques institutionnelles
Continuum Extrême
incertitude
Faible
institutionnalisation
Forte
institutionnalisation
Extrême
institutionnalisation
Echelle de valeur 0 0,5 0,75 1
Nous appliquons les critères définis ci-dessus pour chaque logique institutionnelle présente et
absente (A) identifiée et par rapport à chaque acteur important de la filière (Tableau 5.20).
Pour chaque type de logique identifiée, nous avons indiqué son degré d’institutionnalisation
auprès de chaque acteur.
Tableau38 5.20 : Degré d’institutionnalisation des logiques institutionnelles par acteur
Degré d’institutionnalisation
Logique
Familiale
Logique
Individualiste
Logique de
cartellisation
Logique
entrepreneuriale
Logique de
marché
Petit producteur 1 1 A A A
Moyen Producteur 0,75 0,75 A A 0,5
Gros Producteur 0,5 A A 0,75 1
Producteur sucrier A A A 1 1
Fournisseur d’intrants A A A 1 1
Mandataire 1 0,75 1 0,75 0,5
Grossiste-Particulier 1 1 1 0,5 0,5
Grossiste-Moyenne
Entreprise A 0,5 A 0,75 1
Grossiste-Grande
Entreprise A A 0,5 1 1
A : Absence de la logique
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
241
On peut constater que le petit producteur de légumes est guidé dans ses actions par deux
logiques différentes mais complémentaires, la logique familiale et la logique individualiste.
La logique familiale est dominante et structure les pratiques et les activités du petit
producteur. Ce dernier évolue donc dans un cadre cognitif moyennement homogène Ces deux
logiques sont extrêmement institutionnalisées (1).
Le moyen producteur de légumes évolue dans un cadre moyennement hétérogène car il est
guidé par trois types de logiques institutionnelles : la logique familiale, la logique
individualiste et la logique de marché. Bien que la logique familiale soit toujours dominante et
fortement institutionnalisée (0,75), la logique de marché, bien que faiblement
institutionnalisée (0,5) introduit une source de conflits dans les schémas d’interprétation du
moyen producteur de légumes.
Le gros producteur de légumes évolue dans en environnement cognitif moyennement
hétérogène guidé par trois logiques institutionnelles : la logique familiale, la logique
entrepreneuriale et la logique de marché. De par son extrême institutionnalisation (1), la
logique de marché devient dominante et est associée à une logique entrepreneuriale fortement
institutionnalisée (0,75). Cependant, la présence de la logique familiale, même si faiblement
institutionnalisée (0,5) peut créer des tensions entre les intérêts commerciales et les intérêts de
la famille.
Le producteur sucrier, de même que le fournisseur d’intrants, oriente ses actions en fonction
de la logique entrepreneuriale et la logique de marché, toutes les deux extrêmement
institutionnalisées (1) mais complémentaires.
Le mandataire fait face à cinq logiques institutionnelles conflictuelles : la logique familiale, la
logique individualiste, la logique de cartellisation, la logique entrepreneuriale, et la logique de
marché. Parmi ces logiques, la logique familiale et la logique de cartellisation sont
extrêmement institutionnalisées (1), les logiques individualistes et entrepreneuriales,
fortement institutionnalisées (0,75) et la logique de marché faiblement institutionnalisée (0,5).
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
242
Le mandataire évolue donc avec un cadre cognitif très hétérogène ce qui influence son
comportement et ses actions dans la filière légumes.
Le grossiste-particulier opère avec cinq logiques institutionnelles conflictuelles : la logique
familiale, la logique individualiste, la logique de cartellisation, la logique entrepreneuriale, et
la logique de marché. Les logiques familiales, individualistes et de cartellisations sont
extrêmement institutionnalisées (1) tandis que les logiques entrepreneuriale et de marché sont
faiblement institutionnalisées (0,5). Le grossiste-particulier fait face à des logiques
conflictuelles qui influencent ses activités professionnelles.
Le grossiste-moyenne entreprise opère dans un cadre moyennement hétérogène avec trois
logiques institutionnelles : la logique individualiste, la logique entrepreneuriale et la logique
de marché. Cependant la logique individualiste est faiblement institutionnalisée (0,5) tandis
que la logique entrepreneuriale est fortement institutionnalisée (0,75) et la logique de marché
extrêmement institutionnalisée (1) et complémentaires.
Le grossiste-grande entreprise fonctionne avec trois logiques institutionnelles donc deux qui
sont complémentaires et extrêmement institutionnalisées (1), la logique entrepreneuriale et la
logique de marché, et une logique conflictuelle, la logique de cartellisation, faiblement
institutionnalisée (0,5).
Cette analyse du degré d’hétérogénéité et d’institutionnalisation des logiques institutionnelles
au niveau des acteurs nous a permis de mesurer ces deux variables explicatives du choix du
type de travail institutionnel des acteurs.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
243
5.4 Les caractéristiques des acteurs du champ organisationnel
Ayant défini les caractéristiques du champ organisationnel, nous nous attelons maintenant à
décrire deux caractéristiques des acteurs qui sont importants par rapport à leurs influences sur
le travail institutionnel des acteurs : leur orientation temporelle et leur position sociale.
En premier lieu en nous basant sur les différentes dimensions de l’orientation temporelle des
acteurs selon Emirbayer and Mische (1998), nous nous retrouvons avec trois cas de
figures possibles: les acteurs résolument ancrés dans le passé et qui se basent sur leurs
expériences et vécu pour continuer avec leur activités routinières ; les acteurs qui opèrent dans
un environnement incertain et qui doivent donc baser leurs activités dans le temps présent
sans pouvoir se rattacher aux expériences du passé ou bien élaborer des stratégies pour le
futur ; et les acteurs qui sont tournés vers le futur et élaborent des stratégies dans ce sens.
Selon Dorado (2005), les trois formes d’orientations temporelles sont présents chez chaque
acteur mais à un moment donné dans le temps, une seule forme domine.
En deuxième lieu, nous examinons la position sociale d’un acteur dans un champ
organisationnel et pour nous aider, nous nous référons aux travaux de Leblebici et al. (1991),
Haveman et Rao (1997) et Garud et al. (2002) sur les acteurs centraux et périphériques et les
travaux de Phillips et al. (2000) et Rao et al. (2000) sur les acteurs aux interstices de
différents champs organisationnels.
Le tableau 5.21 présente les caractéristiques des différents acteurs de la filière. Nous avons
mesuré l’orientation temporelle et la position sociale des acteurs en les interrogeant sur leurs
activités professionnelles et en identifiant à travers une analyse de discours les mots et les
phrases qui les relient à une orientation temporelle particulière et à leur position sociale dans
le CO.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
244
Tableau39 5.21: Caractéristiques des acteurs de la filière légumes
Orientation temporelle Position sociale
Passé Présent Futur Centrale Périphérique Interstices
Petit Producteur X X
Moyen producteur X X
Gros producteur X X
Producteur sucrier X X
Fournisseur
d’intrants
X X
Mandataire X X
Grossiste-Particulier X X
Grossiste-Moyenne
Entreprise
X X
Grossiste-Grande
Entreprise
X X
Ce tableau nous permet de faire les observations suivantes : La majorité des acteurs sont
orientés vers le futur dans leurs activités et stratégies sauf pour le petit producteur (passé) et le
moyen producteur (présent). Le petit producteur utilise, par exemple, des méthodes
traditionnelles de production, refuse la modernisation, et est résolument tourné vers le passé.
De plus, il se marginalise par rapport aux autres acteurs du CO et se retrouve ainsi à la
périphérie du CO. Les fournisseurs d’intrants, les mandataires et les grossistes- particulier
sont des acteurs centraux dans la filière et ils sont orientés vers le futur. Ces acteurs sont bien
placés pour percevoir les opportunités dans la filière de par leurs liens avec plusieurs acteurs
en amont et en aval de la filière. Les nouveaux entrants (producteur sucrier et grossiste-grande
entreprise) sont aux interstices de la filière légumes et de la filière canne à sucre, et ils sont
orientés vers le futur car ce sont des entrepreneurs ayant une vision très moderne des
opportunités du CO qui leur permettrait de rentabiliser leurs entreprises de diversification
dans les légumes.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
245
Cette section nous a brossé un tableau de la micro analyse au niveau des acteurs du champ
organisationnel. Nous avons ainsi pu démontrer le niveau d’hétérogénéité et
d’institutionnalisation des logiques institutionnelles au niveau des différents acteurs. De plus
nous avons caractérisé nos acteurs en termes de leurs orientations temporelles et de leurs
positions sociales.
Cette section nous ayant permis de cerner les caractéristiques du champ organisationnel et
celles des acteurs, notre objectif dans la prochaine section est maintenant d’identifier les types
et formes de travail institutionnel qui sont utilisés par les acteurs de la filière légumes suite à
l’arrivée de nouveaux entrants dans le champ organisationnel. Ceci est en rapport avec notre
modèle de recherche. En effet on cherche à montrer que le choix du type de travail
institutionnel est influencé d’une part par les caractéristiques du CO et d’autre part par le type
d’acteurs à travers deux caractéristiques liées à l’orientation temporelle et à la position
sociale. Nous allons maintenant chercher à identifier les différents types de travail
institutionnel qui ont eu lieu dans la filière et ceux qui sont en cours.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
246
SECTION 3 : Identification des types et formes de travail institutionnel
Cette section présentera notre analyse thématique des enquêtes qui nous ont permis
d’identifier les différents types et formes de travail institutionnel entreprit par les acteurs en
place et nouveaux de la filière légumes. Nous présenterons tout d’abord les différentes étapes
dans notre analyse thématique et nous décrirons ensuite les types et formes de travail
institutionnel des différents acteurs de notre CO.
5.5 Etapes dans l’identification des types et formes de travail
institutionnel
5.5.1 La chronologies des événements clés dans le secteur agricole
Nous avons en premier lieu utilisé nos données secondaires sur les événements importants
dans les filières sucre et légumes qui ont mené à des changements dans la filière qui nous
intéresse, la filière légumes. En nous basant sur Pratt (2009), nous nous concentrons sur les
acteurs principaux et les parties prenantes de la filière légumes . Nous avons ainsi dans un
premier temps construit une chronologie des événements (Tableau 5.22) qui ont conduit à
notre problématique.
Tableau40 5.22 : Chronologie des événements clés dans le secteur agricole mauricien
Date Evénement
2004-2005 Un panel constitué du Brésil, de la Thaïlande et de l’Australie dénonce, auprès
de l’OMC, le régime sucrier européen qui est étroitement lié au protocole sucre
entre l’UE et les pays ACP. L’UE est obligé de réformer le protocole sucre en
baissant les prix d’une totalité de 36% sur quatre ans, et en coupant les quotas
internes jusqu’en septembre 2009.
2005 Publication par l’état mauricien d’un plan d’action a accéléré 2005-2015 et le
plan de route de l’industrie sucrière mauricienne pour le 21e siècle. Ces deux
rapports furent soumis à la commission européenne lors des négociations pour
les mesures d’accompagnement de l’UE suite à la réforme du régime sucrier.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
247
Date Evénement
Avril 2006 Publication par l’état mauricien d’un nouveau plan stratégique pour la filière
sucre, la Multi Annual Adaptation Strategy Action Plan 2006-2015 (MAAS). ).
Le MAAS a été le fruit d’un dialogue entre tous les partenaires de la filière
CAS pour trouver un consensus et pour que chaque acteur concerné s’approprie
les stratégies énoncées dans le plan.
Avril 2006 Organisation d’un forum sur l’agro-entrepreneuriat avec les professionnels du
secteur agricole mauricien. L’objectif de ce forum était de faire un état des
lieux et d’explorer de nouvelles opportunités telles que l’exportation. A l’issu
de ce forum, l’accent fut mis sur la recherche de nouvelles technologies,
l’innovation, l’entrepreneuriat et les normes sanitaires.
2007 Publication par l’AREU des options stratégiques pour la diversification
horticole et animale (Strategic Options for Crop Diversification and Livestock
2007-2015). Ce plan s’appuya sur le NSSSP et formula de nouvelles stratégies
prenant en considération les enjeux tels que la restructuration de l’industrie
sucrière, la politique de sécurité alimentaire du pays, de même que les
projections d’augmentation de nombre de touristes dans les années à venir. Les
objectifs définit dans le plan de 2007 sont inter alia d’augmenter la production
agricole et alimentaire d’une façon durable et compétitive : en utilisant des
méthodes de production innovantes; en commercialisant des nouveaux produits
à valeur ajoutée; et en dénichant de nouveaux marchés. Le plan se concentra sur
l’identification d’opportunités, l’aptitude des terres à la production ; les
objectifs de production, les besoins en capital ; et tous les mesures incitatives
pour encourager la production agricole pour les produits agricoles clés, et les
nouveaux produits
2008 La crise alimentaire mondiale causée par la flambée des prix des denrées
alimentaires, a mis en exergue la sur dépendance de Maurice sur l’importation
des produits alimentaires.
2008 Afin de promouvoir une politique de sécurité alimentaire, l’état mauricien
publia en 2008, un autre plan stratégique pour une vision durable d’un secteur
agricole diversifié (A Sustainable Diversified Agri-Food Sector Strategy for
Mauritius 2008-2015)
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
248
Date Evénement
Juin 2008 L’état mauricien vota un budget de MUR 1 milliard pour constituer un fond de
sécurité alimentaire. Un comité, le Food Security Fund Committee (FSF), fut
constitué pour gérer ce fond. Ce comité publia un rapport en 2008 en spécifiant
les actions prioritaires pour promouvoir la production alimentaire locale. Une
autre priorité du FSF est de rendre autonome les petits producteurs et
encourager leur participation active et leur implication dans des projets de
développement agricole. LA FSF veut promouvoir une nouvelle classe
d’entrepreneurs parmi les producteurs agricoles.
30
septembre
2009
Fin officiel du protocole sucre. Les exportations de sucre des pays ACP vers
l’UE sont désormais encadrées par un nouvel accord commercial, l’Accord de
Partenariat Economique (APE). Cet accord prévoit des quotas régionaux à
l’inverse des quotas nationaux sous le protocole sucre. Ainsi, Maurice s’est
joint au Zimbabwe dans la région de l’Afrique Orientale et Australe (Eastern
and Southern Africa) et obtenu un quota d’environ 550000 tonnes de sucre sur
la période 2009 à 2011, et 632000 tonnes de 2011 à 2015.
Clé : En gris pâle: les événements importants pour la filière sucre
En gris foncé : les événements importants pour la filière légumes
Les étapes clés dans la filière sucre avant la réforme du protocole sucre démontrent les efforts
de l’état et des acteurs clés de cette filière pour encadrer et structurer cette filière et la rendre
efficiente. Dans la filière légumes, ce n’est que dans les années 1970’s que débute un
programme de diversification du secteur agricole avec pour but de réduire la dépendance du
secteur sur la canne à sucre et aussi réduire les dépenses liées à l’importation de produits
alimentaires. L’annonce de la réforme du protocole sucre en 2005 et la crise alimentaire
mondiale de 2008 sont deux événements majeurs qui poussent autant la filière sucre que la
filière légumes à réagir. Avec l’arrivée de nouveaux acteurs venant de la filière sucre dans la
filière légumes avec leurs logiques institutionnelles, nous analysons quels sont les types et
formes de travail institutionnel qui sont utilisés autant par les acteurs en place en réaction aux
nouveaux entrants, et par les nouveaux entrants pour se faire une place dans la filière légumes.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
249
5.5.2 Codage et structure des données
Nous utilisons les données secondaires et les données primaires issues des enquêtes de terrain
pour construire la base de données. En utilisant la méthode de codage ouvert de données
décrit dans le chapitre 4, nous élaborons des thèmes et des dimensions agrégées comme décrit
dans la figure 5.9. (voir Annexe 3 pour les illustrations de verbatim).
Figure39 5.9 : Analyse thématique des discours-Identification du travail institutionnel
Les petits et moyens
producteurs de légumes ne
croient pas dans les projets de
regroupement
Concepts
1e Niveau
Thèmes
2e NiveauDimensions agrégées
Echecs des projets de
regroupement des
producteursRésistance contre des
changements dans les
habitudes des acteurs en
placeLes mandataires ne croient
pas dans un marché de gros
national, moderne et
centralisé
Rejet d’un nouveau
circuit de distribution de
légumes
Introduction de nouvelles
pratiques et technologies au
niveau de la production par
les producteurs sucriers
Adoption, par les moyens
et gros producteurs de
légumes, des pratiques et
technologies utilisées par
les producteurs sucriers
Organisation de portes
ouvertes par les producteurs
sucriers pour les autres
producteurs de la filière
légumes
Reconnaisance, par les
moyens et gros producteurs de
légumes, des pratiques et
technologies utilisées par les
producteurs sucriers
Légitimation de nouvelles
pratiques dans la
production de légumes
Changements dans les
pratiques traditionnelles
de production de légumes
Partage de connaissances
entre les nouveaux
entrants et les producteurs
en place
Introduction de nouvelles
variétés de pomme de terre
adaptées pour différents types
de plats
Campagne de promotion de la
pomme de terre à travers les
médias pour remplacer le riz
et le blé comme aliments de
base
Elargir la gamme de
variétés de pomme de
terre disponibles sur le
marché
Provoquer un changement
dans les habitudes
alimentaires
Changer le cadre cognitif
des consommateurs
Investissement dans des
stations de post-récoltes, tri, et
emballage de légumes
Production de légumes en
découpe
Innovation en terme
d’emballage et de qualité
Transformation des
légumes en produits
secondaires
Changer les normes et
standards du marché de
légumes
Intégration verticale de la
production à la distribution
La grande distribution
proposent de plus en plus des
légumes frais
Innovation en terme
d’une nouvelle forme
organisationnelle
Accent mis sur la
présentation, la qualité et
la disponibilité des
légumes
Changer le circuit de
distribution
traditionnelle
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
250
5.5.3 Les différents types et formes de travail institutionnel dans la filière
légumes
En nous basant sur la figure 5.9, nous remettons en contexte les dimensions agrégées en
l’intégrant à la théorie sur le travail institutionnel. En premier lieu nous identifions les types
de travail institutionnel en nous référant aux tableaux 1.4, 1.5 et 1.6 du chapitre 1 pour
pouvoir catégoriser nos dimensions agrégées en type de travail institutionnel. Ainsi, la
résistance des acteurs en place contre des changements dans leurs habitudes est considéré
comme un travail de maintien des institutions comme le soulignent Lawrence et Suddaby
(2006) par rapport aux acteurs qui déploient des efforts considérables face à l’évolution du
champ organisationnel dans des directions nouvelles et inattendues. La légitimation de
nouvelles pratiques dans la production de légumes est un travail de nature normative visant à
la création d’institutions en redéfinissant les relations entre des ensembles de pratiques et les
fondations morales et culturelles de ces pratiques (Lawrence et Suddaby, 2006). Le
changement des normes et des standards du marché de légumes, et le changement du circuit
de distribution traditionnel à travers les intermédiaires sont reliés à un travail de
déstabilisation des pratiques existantes dans le CO.
En deuxième lieu, nous identifions la forme de travail institutionnel associée au type de travail
institutionnel identifié. Nous nous basons sur les formes de travail institutionnel identifiées
dans la littérature pour définir les formes de travail institutionnel qui ont émergé des analyses
thématiques. Ainsi, le travail de maintien est associé à deux formes de travail institutionnel :
la résistance passive des petits producteurs, et la résistance active des mandataires et
grossistes-particulier. Le travail de création est associé à une forme de légitimation des
usiniers-producteurs comme nouvel entrant dans la filière légumes. Le travail de
déstabilisation par rapport aux changements de normes est une forme de travail normative ; et
finalement le travail de déstabilisation pour changer le circuit de distribution traditionnel est
une forme de travail de désintermédiation visant à éliminer ou contourner les intermédiaires
traditionnels de la filière légumes.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
251
Nous résumons ces différents types et formes de travail institutionnel (tableau 5.23) qui
émergent des actions des acteurs de la filière légumes.
Tableau41 5.23 : Types et formes de travail institutionnel dans la filière légumes
Dimension agrégée Type de travail institutionnel Forme de travail institutionnel
Résistance contre des
changements dans les habitudes
des acteurs en place
Maintien Travail de résistance passive
Travail de résistance active
Légitimation de nouvelles
pratiques dans la production de
légumes
Création Travail de légitimation
Changer les normes et standards
du marché de légumes
Déstabilisation Travail normatif
Changer le circuit de
distribution traditionnel à
travers les intermédiaires
Déstabilisation Travail de désintermédiation
Notre analyse dans cette section, nous a permis d’identifier la présence de trois types de
travail institutionnel, création, maintien et déstabilisation, ainsi que cinq formes de travail
institutionnel : travail de résistance passive et active, travail de légitimation, travail normatif
et travail de désintermédiation. Nous nous servons de ces résultats pour explorer en détail
certains acteurs de la filière qui présentent des cas de figures intéressant à analyser. Nous
analysons les résultats des études de cas dans la section suivante.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
252
SECTION 4 : Les résultats des études de cas
Cette section présentera six études de cas qui décrivent les différents types et formes de travail
institutionnel identifiés dans la section précédente. Nous avons choisi ces six cas car ils
représentent les différentes catégories d’acteurs principaux dans notre CO et surtout l’analyse
de ces cas nous permettrons de mieux comprendre l’articulation des logiques institutionnelles
sur les types et formes de travail institutionnel entreprit par les acteurs de la filière légumes.
5.6 Etudes de cas des acteurs : Type(s) et forme(s) de travail
institutionnel
Nous avons observé que certains acteurs sont engagés dans différentes formes de travail
institutionnel en parallèle et nous avons ainsi regroupé ces cas comme décrit dans le tableau
5.24.
Tableau42 5.24 : Etudes de cas dans la filière légumes
Acteur type Forme(s) de
travail
institutionnel
Nombre de cas
Petit producteur en place (PEP-Petit) Résistance passive 1
Regroupement de petits producteurs (REGROUP-Petit) Resistance passive
et
désintermédiation
1
Mandataire (MAND) Résistance active 1
Regroupement de moyens producteurs (REGROUP-Moyen) Normative 1
Nouvel entrant-producteur (Propriété sucrière) NE-PS Légitimation et
normative
1
Nouvel entrant-distributeur (Grossiste-grande entreprise)
(GROST-GE)
Normative et
désintermédiation
1
Total nombre de cas 6
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
253
5.6.1 Le cas d’un petit producteur de légumes
Tableau43 5.25 : Principales caractéristiques d’un petit producteur de légumes
PETIT PRODUCTEUR EN PLACE (PEP-Petit)
Profil Petite entreprise familiale avec en moyenne 25 ans d’expérience
dans la culture de légumes.
Superficie sous production : 0,25 hectares
Age : Plus de 60 ans
Niveau d’éducation : élémentaire
Propriétaire de ses champs
Principales activités Culture de légumes en plein champ. Activité à temps plein.
Position sociale A la périphérie du champ organisationnel
Orientation temporelle Passé et présent
Logique institutionnelle
dominante et complémentaire
Logique familiale et individualiste
Perception des opportunités
dans le champ organisationnel
Floue
Pratiques innovantes Aucunes pratiques innovantes. Utilisation des méthodes
traditionnelles de production et de distribution des légumes
Perception sur l’arrivée des
nouveaux entrants dans la
filière
Il est d’avis que les nouveaux entrants dans la production de
légumes, les gros producteurs sucriers sont des concurrents mais
qu’ils ne sont pas une menace pour les producteurs en place.
Type d’action agentique Routine
Type de travail institutionnel Maintien
Forme(s) de travail
institutionnel
Travail de résistance passive
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
254
Le cas du petit producteur de légumes (PEP-Petit) est représentatif des autres petits
producteurs, c'est-à-dire des producteurs vieillissants, utilisant des méthodes traditionnelles de
production héritées de leurs parents, eux –aussi, producteurs, et très ancrés dans une logique
familiale. La terre sous culture, dont ils sont propriétaires, est considérée comme une
ressource très importante et cela explique leur résistance à se joindre à des projets communs
de peur de perdre leur souveraineté et leur indépendance vis-à-vis de ce bien principal. Bien
qu’il soit membre d’une association de producteur, le petit producteur a aussi une logique
individualiste qui le marginalise dans la filière légumes. De ce fait, il ne perçoit pas les
opportunités dans la filière et se raccroche à ses expériences du passé pour continuer une
production routinière de légumes. Face à des situations de risques, tels que cyclones,
inondations, sécheresses, il adopte un comportement orienté aussi sur le présent pour donner
un sens à la situation à laquelle il fait face. Le petit producteur perçoit les nouveaux entrants
dans la filière légumes comme un changement important, mais il ne se sent pas directement
concerné car les légumes qu’il produit ne concurrencent pas les légumes produits à grande
échelle par les nouveaux gros producteurs. On peut observer ainsi que le petit producteur de
légumes, en général, n’a pas l’ambition d’innover, mais œuvre de façon passive à maintenir
ses acquis et résiste aux changements dans la filière.
5.6.2 Le cas d’un regroupement de moyens producteurs de légumes
Dans notre deuxième étude de cas, nous nous intéressons à un projet de regroupement de
petits producteurs dans l’est de Maurice. L’intérêt de cette étude de cas est de comprendre les
objectifs de ce projet pilote et pourquoi il a faillit.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
255
Tableau44 5.26 : Principales caractéristiques d’un regroupement de petits producteurs de légumes
REGROUPEMENT DE PETITS PRODUCTEURS (REGROUP-Petit)
Profil Regroupement de 300 petits producteurs de la région de Belle Mare
et de Trou D’Eau Douce dans l’est de Maurice.
Superficie par producteur : Approximativement 0,5 hectare
Age : Variant de 45 à 65 ans
Niveau d’éducation : primaire/collège
Principales activités Culture de légumes en plein champ. Activité à temps plein.
Position sociale A la périphérie du champ organisationnel
Orientation temporelle Présent
Logique institutionnelle
dominante et
complémentaire
Logique familiale et individualiste
Perception des opportunités
dans le champ
organisationnel
Floue
Pratiques innovantes Aucunes pratiques innovantes. Utilisation des méthodes
traditionnelles de production et de distribution des légumes
Perception sur l’arrivée des
nouveaux entrants dans la
filière
Ils sont d’avis que les nouveaux entrants dans la production de
légumes, les gros producteurs sucriers sont des concurrents mais
qu’ils ne sont pas une menace pour eux.
Type d’action agentique Stratégique
Type de travail institutionnel Maintien
Forme(s) de travail
institutionnel
Travail de résistance passive et de désintermédiation
Ce projet pilote de regroupement est à l’initiative d’un organisme œuvrant pour la promotion
de la productivité et de la concurrence dans le secteur public et privé, la National Productivity
and Competitiveness Council (NPCC). La NPCC a aussi pour objectif d’encourager la mise
en réseau et le regroupement des acteurs d’une filière de production. C’est dans cette optique
que la NPCC a voulu regrouper 350 petits producteurs de l’est du pays. Ayant fait une étude
préliminaire sur les problèmes et les opportunités des petits producteurs dans la région de l’est
du pays, la NPCC avait pour objectifs précis de d’améliorer la condition sociale des
producteurs, d’augmenter leur pouvoir de négociation et surtout d’augmenter leurs revenus en
contournant un acteur important dans le circuit de distribution, le grossiste-particulier, et ainsi
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
256
vendre directement aux principaux clients de la région, les hôtels de luxe. Il y avait donc un
travail de désintermédiation derrière ce projet de regroupement.
D’après le responsable du projet à la NPCC, il a fallu un an de préparation avec des sessions
d’explications et de mises en confiance des petits producteurs avant de démarrer le projet. Il
fallait aussi trouver un petit producteur parmi les 350 qui pouvait apporter une cohésion au
groupe sans donner la perception de favoriser ses intérêts personnels ou ceux de certains
producteurs. C’est ainsi qu’un producteur, un ancien dirigeant d’une association de
producteurs de la région de l’est, s’est retrouvé à la tête du groupe de 350 producteurs des
régions de Belle-Mare et Trou D’Eau Douce et a fondé une entreprise appelée le RDR
AgroFarm. Le but de cette entreprise était de fournir de légumes frais directement aux hôtels
de luxe de la région de l’est du pays. Au départ, les hôtels se sont mis d’accord sur
l’approvisionnement de la cafétéria du personnel des hôtels car les légumes fournit par les
petits producteurs ne respectaient pas les cahiers de charges en termes de normes et de
certification de qualité. Cependant ce projet de regroupement a faillit pour les raisons
suivantes :
Il y avait un manque de confiance entre les petits producteurs. Au départ ils étaient au nombre
de 300, sont passés à 50 après quelques mois et pour finir il n’y avait que 10 producteurs dans
le groupe. La logique individualiste prédominait sur la logique collective.
Les hôtels de luxe n’ont pas joué leur rôle de soutien aux petits producteurs. Le paiement pour
les légumes se faisait après trois mois et cela a causé un problème de liquidité pour les petits
producteurs.
Les plus grandes faiblesses des petits producteurs étaient la gestion financière de leur
entreprise commune et la gestion de la commercialisation des légumes. De plus il n’y avait
pas de séparation entre les actifs de l’entreprise et des biens personnels des actionnaires ce qui
fait que les familles respectives des petits producteurs étaient à risque en cas de faillite de
l’entreprise commune.
On peut conclure que ce projet a faillit car la logique individualiste a prédominé sur la logique
collective. La logique familiale (préserver ses biens personnels) a aussi dominé la logique de
marché (œuvrer comme un collectif pour vendre des légumes aux hôtels). Le travail de
désintermédiation des grossistes-particulier pour vendre directement aux hôtels n’a pas
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
257
fonctionné par manque de cohésion du groupe de producteurs. Il y a en effet eu plus un travail
de résistance passive des petits producteurs individuels à l’intérieur du groupe de par un refus
de gestion commune des biens, une méfiance par rapport au dirigeant de l’entreprise, et un
refus de prendre des risques par rapport au bien-être et à la richesse socio-émotionnelle de la
famille.
5.6.3 Le cas d’un mandataire
Tableau45 5.27 : Principales caractéristiques d’un mandataire
MANDATAIRE (MAND)
Profil
Un ancien producteur qui s’est reconverti en grossiste-particulier et
mandataire.
Age : 65 ans
Niveau d’éducation : primaire
Principales activités Il agit en tant que mandataire dans un marché de gros.
Il est aussi un grossiste-particulier qui achète des légumes avec les
producteurs pour revendre aux autres grossistes et détaillants à
travers le marché de gros.
Position sociale Centrale à la filière
Orientation temporelle Passé, présent et futur
Logique institutionnelle
dominante
Logique de cartellisation
Autres logiques
institutionnelles
Logique familiale, logique individualiste, logique entrepreneuriale
et logique de marché
Perception des opportunités
dans le champ organisationnel
Transparente
Pratiques innovantes Aucunes pratiques innovantes. Utilisation des méthodes
traditionnelles de distribution des légumes
Perception sur l’arrivée des
nouveaux entrants dans la
filière
Opportunité d’utiliser ses différents rôles multifonctionnels pour se
saisir des opportunités dans le CO.
Type d’action agentique Stratégique
Type de travail institutionnel Maintien
Forme(s) de travail
institutionnel
Travail de résistance active
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
258
Le cas d’un mandataire (MAND) dans la filière légumes a des aspects très intéressants à
étudier. En premier lieu c’est un acteur incontournable du circuit de distribution traditionnel
de légumes car près de 80% des légumes produits dans l’île transitent à travers les trois
marchés de gros principaux de Maurice. Il est aussi un maillon important dans la filière car il
offre des facilités de crédits aussi bien aux producteurs qu’aux grossistes. Le mandataire, étant
donc un acteur central de la filière légumes, est bien placé pour percevoir les opportunités de
la filière. C’est ainsi que pour lui, les nouveaux entrants dans la filière, les usiniers-
producteurs/gros producteurs sucriers, sont considérés comme une opportunité car c’est une
source d’approvisionnement en gros de légumes de qualité. MAND opère avec une logique
dominante de cartellisation, c'est-à-dire, il n’y a pas de transparence dans la fixation des prix
des légumes, et il y a connivence entre le mandataire et le grossiste-particulier au détriment
des producteurs. Le mandataire, de par sa multifonctionnalité, a aussi d’autres logiques
institutionnelles qui sont en conflits. Ainsi les deux logiques complémentaires, familiales et
individualistes, sont en conflits avec la logique entrepreneuriale, et la logique de marché. Le
mandataire est aussi très conservateur dans son métier et farouchement opposé aux
changements dans le circuit traditionnel de distribution. Ainsi le projet de l’état de mettre sur
pied un marché de gros national avec plus de transparence sur les prix des légumes et un
contrôle sur les producteurs qui vendent leurs légumes dans ce marché, a rencontré une
résistance active de la part des mandataires.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
259
5.6.4 Le cas d’un regroupement de moyens producteurs de légumes
Tableau46 5.28 : Principales caractéristiques d’un regroupement de moyens producteurs
REGROUPEMENT DE MOYENS PRODUCTEURS (REGROUP-MOYEN)
Profil Un regroupement de quatre moyens producteurs de légumes qui ont des
liens familiaux
Principales activités Culture de légumes sur une superficie commune de 10 hectares.
Vente des légumes à travers le marché de gros
Transformation d’une partie des légumes en découpe.
Position sociale Centrale
Orientation temporelle Future
Logique
institutionnelle
dominante
Logique entrepreneuriale
Autres logiques
institutionnelles
Logique de marché
Perception des
opportunités dans le
champ organisationnel
Transparente
Pratiques innovantes Découpe des légumes et mis en barquette
Perception sur
l’arrivée des nouveaux
entrants dans la filière
Opportunité pour apprendre sur les nouvelles techniques de production.
Type d’action
agentique
Stratégique
Type de travail
institutionnel
Création
Forme(s) de travail
institutionnel
Normative
Ce regroupement de moyens producteurs est une entreprise verticalement intégrée qui produit
ses matières premières, les légumes, qui sont découpés, mis en barquette et envoyés
directement aux supermarchés. C’est un partenariat entre quatre moyens producteurs de
légumes qui ont des liens familiaux ce qui a certainement facilité le succès du regroupement,
à l’opposé du cas des petits producteurs (REGROUP-Petit). La logique dominante est la
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
260
logique entrepreneuriale complétée par la logique de marché. L’idée de mettre des légumes
découpés en barquette a germé lors d’un voyage d’un des partenaires du groupe à Cape Town
en Afrique du Sud. Le projet s’est rapidement concrétisé à Maurice et a reçu une réponse
positive de la part des supermarchés, étant un nouveau produit pour le marché mauricien.
Cependant, après quelques temps, les supermarchés ont eux aussi commencé à produire leurs
propres légumes découpés en utilisant les légumes frais invendus ce qui a été une rude
concurrence pour le REGROUP-MOYEN. Mais ces derniers ayant l’esprit d’entrepreneuriat,
se sont diversifiés dans des légumes plus rares pour différencier leurs produits. REGROUP-
MOYEN a toutes les caractéristiques d’entrepreneurs institutionnels qui ont changé les modes
de consommation des mauriciens.
5.6.5 Le cas d’un nouvel entrant dans la filière légumes (Usinier-producteur)
Tableau47 5.29 : Principales caractéristiques d’un nouvel entrant –producteur
NOUVEL ENTRANT- USINIER-PRODUCTEUR (NE-PS)
Profil Propriété sucrière
Principales activités Culture de la canne à sucre
Diversification dans la culture de légumes
Position sociale A la périphérie de la filière légumes
Orientation temporelle Futur
Logiques institutionnelles
dominante
Logique entrepreneuriale
Autres logiques
institutionnelles
Logique de marché
Perception des
opportunités dans le champ
organisationnel
Transparente
Pratiques innovantes Utilisation de treillisage (tuteurs) pour les plantes de tomates
Nouvelles variétés de tomates, et nouveaux intrants
Mécanisation intensive au niveau de la production
Mécanisation intensive au niveau du conditionnement
Perception sur l’arrivée des
nouveaux entrants dans la
filière
Opportunité pour apprendre sur les nouvelles techniques de
production.
Type de travail
institutionnel
Création et déstabilisation
Forme(s) de travail
institutionnel
Travail de légitimation et travail normatif
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
261
Ce nouvel entrant (NE-PS) dans la filière légumes est une des plus petites propriétés sucrières
du pays avec 4000 hectares de terre. NE-PS produit toujours de la canne à sucre, de l’énergie,
des fruits et des légumes et des ornementaux. En 2002, NE-PS a investit dans un projet
d’épierrage et de mécanisation sur 400 hectares. Les roches ont été vendues à une entreprise
et l’argent a servi à financer les opérations d’épierrage et de mécanisation. Ce projet a donné
la possibilité à NE-PS de se lancer dans des projets de diversification comme les fruits et
légumes. Ce projet rapporte 25% du chiffres d’affaire de NE-PS est a représenté un gros
investissement financier. La production de légumes se fait sur 200 hectares et fournit 50% de
la demande de la demande sur le marché local. NE-PS produit des semi-périssables comme la
pomme de terre, la carotte, la courge (giraumon), et un périssable (la pomme d’amour -80-90
tonnes/ha). La vente se fait directement aux grossistes avec 100% de marge brute avant les
coûts fixes Il n’y a pas de contrat formel avec les grossistes qui sont simplement enregistrés
comme acheteurs auprès de NE-PS. L’accent a été mis sur la conservation post-récolte avec
un investissement dans deux bâtiments (1 million d’euro) : chaîne de tri et de
conditionnement pour la pomme d’amour et la carotte. Il y a aussi eu des investissements dans
la technologie avec un apport de la technologie provenant de l’étranger. Par exemple,
introduction de tuteurs et treillis pour la production de la pomme d’amour. NE-PS a accomplit
à travers son projet de diversification dans les légumes un travail normatif en misant sur la
production de légumes de qualité pour le marché mauricien. NE-PS a aussi investit dans un
projet social en mettant sur pied un marché de détail pour les producteurs de la région. C’est
un travail de légitimation de sa présence dans la filière légumes. Des journées portes ouvertes
sont aussi régulièrement organisées pour permettre aux producteurs de légumes en place de
constater de visu les nouvelles techniques de production au champ. Ceci a permit de renforcer
la position sociale et la légitimité de NE-PS qui est passé d’un acteur périphérique dans la
filière à un acteur central car comme mentionné plus haut, 50% des légumes qui transitent par
le marché de gros proviennent de NE-PS à travers les grossistes-particulier. De plus, les
pratiques de production innovantes ont permis de professionnaliser un secteur traditionnel.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
262
5.6.6 Le cas d’un nouvel entrant-distributeur (grossiste-grande entreprise)
Tableau48 5.30 : Principales caractéristiques d’un nouvel entrant-distributeur
NOUVEL ENTRANT-DISTRIBUTEUR (GROSSISTE-GRANDE ENTREPRISE) (GROST-
GE)
Profil Cette entreprise de distribution est verticalement intégrée à un
regroupement de quatre propriétés sucrières situées dans les sud de
Maurice.
Principales activités Production de la pomme de terre sur 310 hectares de terre qui
représente le tiers de la production du pays.
Assemblage des pommes de terre, conditionnement, mis en sac et
distribution auprès des super/hypermarchés.
Position sociale Périphérie de la filière légumes
Orientation temporelle Futur
Logiques institutionnelles
dominante
Logique entrepreneuriale
Autres logiques
institutionnelles
Logique de marché
Perception des opportunités
dans la filière légumes
Transparente
Pratiques innovantes Conditionnement et tri (calibrages des pommes de terre)
Mis en sachet
Production de différentes variétés
Perception sur l’arrivée des
nouveaux entrants dans la
filière
Opportunité pour le circuit de distribution de se moderniser
Type d’action agentique Stratégique
Type de travail institutionnel Création et déstabilisation
Forme(s) de travail
institutionnel
Travail normatif et travail de désintermédiation
Le cas de ce grossiste-grande entreprise est intéressant à plusieurs niveaux. Utilisant la
logique entrepreneuriale et la logique de marché, cette entreprise qui est verticalement
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
263
intégrée de la production à la distribution a pour objectif principal de valoriser un produit, la
pomme de terre de plusieurs façons : En premier lieu, en diversifiant la gamme de variétés
disponibles sur le marché mauricien, chaque variété étant appropriée pour un plat particulier.
En second lieu, l’idée principale était de remplacer à long terme le riz et le blé (importés)
comme aliment de base par la pomme de terre produite localement. En troisième lieu, il y a
aussi eu un investissement dans une station de tri et de conditionnement afin de miser sur des
produits de qualité et des emballages adaptés aux besoins de la clientèle. Les produits sont
directement envoyés aux super/hypermarchés en contournant les grossistes-particulier.
On peut observer dans ces trois activités précitées, deux formes de travail institutionnel : un
travail normatif, avec des produits calibrés et emballés, et un travail de désintermédiation en
fournissant directement les pommes de terre à la grande distribution.
Cette section nous a permis d’exposer les types et formes de travail institutionnel identifiés
auprès des principaux acteurs de notre champ organisationnel. Nous avons ainsi trouvé que
l’usinier-producteur (NE-PS) qui s’est diversifié à grande échelle dans la production de
légumes est un entrepreneur institutionnel qui a entreprit un travail institutionnel de création
pour se légitimer dans le CO. Il a aussi déstabilisé la filière par un travail normatif en
produisant des légumes de meilleure qualité. En réaction, les moyens et gros producteurs en
place ont réagit en modernisant leurs techniques de production ce qui a contribué à la
légitimation de NE-PS. Le petit producteur de légumes a adopté une forme de résistance
passive à la modernisation des techniques de production car il ne se sent pas directement
concerné par ces changements étant solidement ancrés dans sa logique familiale. Dans le
circuit de distribution de légumes, le nouvel entrant, le grossiste-grande entreprise (GROST-
GE) est un autre entrepreneur institutionnel qui, avec une logique entrepreneuriale dominante,
a voulu à travers un travail institutionnel normatif, produire des pommes de terre de
différentes variétés et de qualité pour le marché local. GROS-GE a aussi voulu intégré
verticalement la production des pommes de terre à la station de conditionnement et de
distribution pour contourner les intermédiaires traditionnels de la filière légumes. Cependant
il a rencontré une résistance active de la part de ces intermédiaires, les grossistes-particuliers.
Nous résumons les principaux résultats de ce chapitre dans le tableau 5.31 et nous discuterons
ces résultats dans le prochain chapitre.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
264
Tableau49 5.31 : Résumé des principaux résultats de la recherche
Acteur de la
filière légumes
Logique
institutionnelle
dominante
Logique (s)
institutionnelle
coexistant(s)
Degré
d’hétérogénéité
des logiques
institutionnelles
Degré
d’institutionnalisation de
la logique dominante
Orientation
temporelle
Position
sociale
Type de travail
institutionnel
Forme de
travail
institutionnel
Les acteurs de la production
Petit Producteur Familiale Individualiste,
marché
Moyennement
Hétérogène
Extrême
institutionnalisation
Passé et
présent
Périphérique Maintien Résistance
passive
Moyen
producteur
Familiale Individualiste,
marché
Moyennement
Hétérogène
Institutionnalisation
modéré
Présent, futur Centrale Maintien Résistance
passive
Producteur
sucrier
Entrepreneuriale Marché Moyennement
Homogène
Institutionnalisation
modéré
Futur Interstice Création et
déstabilisation
Légitimation
Les acteurs de la distribution
Mandataire et
grossiste-
particulier
Cartellisation Familiale,
individualiste,
entrepreneuriale,
marché
Très Hétérogène Extrême
institutionnalisation
Présent et
futur
Centrale Maintien Résistance active
Grossiste-
grande
entreprise
Entrepreneuriale Marché Moyennement
homogène
Institutionnalisation
modéré
Futur Interstice Création et
déstabilisation
Normatif,
désintermédiation
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS
265
Conclusion du chapitre 5
Ce chapitre a exposé les résultats de notre terrain d’étude au niveau méso de la filière
légumes et au niveau micro des acteurs principaux de la filière.
Au niveau méso, nous avons identifié, à travers une analyse thématique de contenu, cinq
logiques institutionnelles de notre champ organisationnel : la logique familiale, la logique
individualiste, la logique de cartellisation, la logique de marché et la logique
entrepreneuriale. Nous avons caractérisé ces logiques institutionnelles en fonction de leur
degré d’hétérogénéité et d’institutionnalisation dans le CO. Nous avons ainsi pu déduire que
le champ organisationnel est très hétérogène et moyennement institutionnalisé ce qui offre
les conditions propices à des changements.
Au niveau micro, nous avons aussi caractérisé les logiques institutionnelles en fonction de
leur degré d’hétérogénéité et d’institutionnalisation auprès des acteurs principaux de la
filière. Cette analyse nous a permis de comprendre que certains acteurs adhèrent à une
logique dominante, d’autres à deux logiques complémentaires, et d’autres font face à des
logiques conflictuelles.
Nous avons ensuite identifié, à travers une analyse thématique de contenu, trois types de
travail institutionnel (création, maintien et déstabilisation) et cinq formes de travail
institutionnel (résistance passive, résistance active, normative, légitimation et
désintermédiation).
Nous avons mis en relation les logiques institutionnelles et les types et formes de travail
institutionnel à travers six études de cas.
Nous discuterons de ces résultats et les mettrons en perspectives par rapport à notre modèle
conceptuel et la littérature mobilisé dans le prochain chapitre.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
Chapitre 4:
Méthodologie de recherche
DEUXIEME PARTIE:
MÉTHODOLOGIE ET RÉSULTATS
Chapitre 5 :
Les résultats des enquêtes et études de cas
Chapitre 6 :
Discussion
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
267
Chapitre 6 : Discussion
Introduction
Nous avons proposé un modèle conceptuel (chapitre 1) qui met en relation un des composants
d’un champ organisationnel, les logiques institutionnelles, et le travail institutionnel. Nous
avons voulu comprendre les déterminants du type de travail institutionnel qui se met en place
dans un champ organisationnel, et les conséquences de ce travail institutionnel sur les
logiques institutionnelles existantes et qui peuvent éventuellement causer un changement
institutionnel.
Afin de tester ce modèle nous avons procédé à l’analyse des données secondaires et primaires
en plusieurs étapes. Premièrement nous avons identifié les logiques institutionnelles de la
filière légumes, et déterminé leur degré d’hétérogénéité dans le champ organisationnel et
d’institutionnalisation auprès des acteurs concernés. Deuxièmement, nous avons caractérisé le
champ organisationnel, la filière légumes, selon son degré de structuration ou
d’institutionnalisation. Troisièmement, nous avons décrit les caractéristiques individuelles des
acteurs en fonction de leur orientation temporelle et leur position sociale. Quatrièmement
nous avons identifié les types et formes de travail institutionnel entrepris par les acteurs de la
filière légumes.
Notre analyse des données secondaires et primaires de la filière légumes nous a permis
d’identifier cinq types de logiques institutionnelles: la logique familiale, la logique de marché,
la logique individualiste, la logique de cartellisation, et la logique entrepreneuriale. Pour
chacun des acteurs de la filière, il y a une logique dominante mais aussi d’autres logiques qui
coexistent soit en complémentarité à la logique dominante soit en conflit ce qui peut amener à
un changement de logique pour l’acteur concerné. Nous avons aussi identifié cinq formes de
travail institutionnel : le travail de résistance passive, le travail de résistance active, le travail
de légitimation, le travail normatif, et le travail de désintermédiation.
Dans ce dernier chapitre nous allons mettre en perspective ces résultats avec notre modèle
conceptuel et nos propositions de recherche et les confronter à la littérature mobilisée.
Ce chapitre est divisé en deux sections : dans la première section nous confronterons nos
résultats à la littérature mobilisée dans notre cadre théorique pour établir leur validité externe;
et dans la deuxième section, nous discuterons de la validité de nos propositions de recherche.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
268
SECTION 1 : Les déterminants et les conséquences du travail
institutionnel
Dans cette section, nous nous baserons sur les résultats résumés dans le tableau 5.31 du
précédent chapitre pour faire un retour à la littérature.
6.1 Les déterminants du travail institutionnel
Ce travail de recherche nous a permis d’analyser deux déterminants du travail institutionnel
des acteurs d’un champ organisationnel : les caractéristiques objectives du champ
organisationnel, et les caractéristiques individuels des acteurs.
6.1.1 Les caractéristiques du champ organisationnel
Pour pouvoir caractériser notre champ organisationnel, nous nous sommes focalisées sur un
des composants de champ, la logique institutionnelle. Notre analyse de données nous a permis
d’identifier cinq logiques institutionnelles qui conditionnent les actions des acteurs dans la
filière légumes. Nous avons établit que les logiques institutionnelles de la filière légumes sont
extrêmement hétérogènes ce qui favorisent l’entrepreneuriat institutionnel (Oliver, 1991 ;
Sewell, 1992 ; Whittington, 1992 ; D'Aunno et al., 2000 ; Seo et Creed, 2002). Nos résultats
montrent aussi que notre filière de légumes est moyennement structurée (institutionnalisée) ce
qui encourage des changements divergents par des acteurs qui ne sont pas satisfaits des
arrangements institutionnels, comme certains chercheurs (Tolbert et Zucker, 1996 ;
DiMaggio, 1988 ; Fligstein, 1997).qui avancent que le niveau d’incertitude dans un CO très
peu structuré ou peu institutionnalisé est source d’opportunités pour des actions stratégiques
de la part des acteurs
Ainsi comme le décrit Dorado (2005), des champs modérément institutionnalisés qui ont des
arrangements institutionnels hétérogènes, sont transparents, et offrent ainsi beaucoup
d’opportunités pour les actions stratégiques. C’est le cas de notre champ organisationnel, la
filière légumes.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
269
Dans la section suivante, nous discuterons de comment les acteurs en place de la filière
légumes, utilisant une logique institutionnelle qui dominait au moment de leurs actions, ont
développé une ou des formes de travail institutionnel en réaction aux nouveaux arrivants
provenant de la filière sucre.
6.1.2 Les caractéristiques des acteurs
Nous avons analysé deux caractéristiques des acteurs d’un champ organisationnel qui selon
Battilana (2006a) favorisent l’action agentique : la position sociale et l’orientation temporelle
des acteurs. Les acteurs qui sont reconnus par rapport à leur position formelle et aussi par
rapport à leurs identités socialement construites et légitimées sont plus aptes à obtenir le
soutien et la collaboration des parties prenantes et ainsi mobiliser les ressources nécessaires à
l’aboutissement de leur projet (Maguire et al., 2004). Nos résultats montrent que certains
acteurs sont centraux au CO (moyen producteur, mandataire, grossiste-particulier) et certains
à la périphérie du CO (petit producteur), et les nouveaux entrants dans les interstices entre
deux CO, la filière légumes et la filière CAS.
Selon Emibayer et Mische (1998), la capacité des acteurs à transformer leur champ
organisationnel, est en fonction de leur orientation temporelle. Les acteurs peuvent soit
s’orienter vers le passé en utilisant les expériences vécues, ou bien être orientés dans le
présent et émettre des jugements pratiques en fonction des demandes émergentes; ou encore
être orientés vers le futur en imaginant des scénarios et trajectoires possibles. Nos acteurs de
la filière légumes sont orientés vers le passé et le présent dans le cas des petits producteurs de
légumes ; vers le présent et le futur pour les moyens producteurs, mandataires et grossistes-
particuliers ; et vers le futur pour les nouveaux entrants.
Nous utilisons les caractéristiques de notre CO ainsi que les deux caractéristiques
individuelles des acteurs de notre CO pour comprendre comment ils s’articulent au niveau des
différentes catégories d’acteurs. Nous considérons en premier lieu les acteurs au niveau de la
production de légumes. Notre objectif est de discuter comment l’arrivée d’un gros producteur
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
270
sucrier dans la production de légumes a influencé les logiques institutionnelles existantes et
quelles sont les types et les formes de travail institutionnel qui se sont mis en place par les
acteurs en place de la production et par le nouvel entrant.
6.1.2.1 Le petit producteur de légumes
Le petit producteur de légumes dans la filière légumes est guidé dans ses activités
professionnelles par une logique dominante extrêmement institutionnalisée, la logique
familiale. Il y a cependant deux autres logiques qui coexistent avec la logique dominante, la
logique individualiste et la logique de marché. Dans un monde de plus en plus caractérisé par
un pluralisme institutionnel (Kraatz et Block, 2008), cela implique une multitude de logiques
institutionnelles qui se concurrencent, et les individus, et les organisations, font ainsi face à
des motivations conflictuelles. Selon Pache et Santos (2013), l’hypothèse selon laquelle les
individus dans les organisations soit adhèrent ou soit résistent à une logique ne tient pas car
cette approche dichotomique ne prend pas en considération le niveau d’adhésion (novice,
familier ou identification) et les différents types de comportements ou réactions que les
individus peuvent avoir comme l’ignorance de l’influence d’une logique concurrentielle, la
conformité à une logique, la défiance face à une nouvelle logique, la compartimentalisation de
différentes logiques conflictuelles, et la combinaison de différentes logiques pour créer une
nouvelle logique. Dans le contexte de notre recherche, nous avons observé que les petits
producteurs opèrent donc avec un cadre cognitif moyennement hétérogène composé de deux
logiques institutionnelles qui se complètent (logique familiale et individualiste) et une logique
conflictuelle, la logique de marché.
Selon Fairclough et Micelotta (2013), bien qu’il y a eu beaucoup de recherche sur les logiques
institutionnelles, les chercheurs se sont concentrés sur certains types de logiques seulement et
négligés les logiques n’ayant pas trait au marché telle que la logique familiale. Comme nous
l’avions souligné dans le chapitre 5, dans la filière légumes, la logique familiale se situe entre
la logique de subsistance et la logique de marché. D’après Olivier de Sardan (1995), le paysan
perçoit son quotidien comme soumis aux risques et incertitudes, et de ce fait, l’agriculture
africaine est largement influencée par une logique de subsistance qui définit son
comportement économique et stratégique. Ce constat est toujours d’actualité dans le cas des
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
271
petits et certains producteurs moyens de légumes qui, vendent leurs excédents de légumes
pour subvenir en priorité aux besoins de la famille, et garantir sa reproduction physique et
sociale. Les petits producteurs s’identifient fortement à la logique familiale et comme le
soulignent Pache et Santos (2013), un individu qui s’identifie à une logique se sent à la fois
émotionnellement et idéologiquement engagé dans cette logique qui définit ce que cet
individu fait, ce qu’il représente et ses relations sociales.
La logique familiale est aussi soutenue par les politiques publiques mauriciennes, qui à travers
un environnement légal et réglementaire, encourage directement ou indirectement la survie
des petites entreprises familiales. Ainsi, les PME bénéficient d’emprunts à taux et conditions
préférentiels des banques publiques de développement. De plus, l’idéologie des partis
politiques, qui se sont succédés depuis l’indépendance de Maurice en 1968, est
historiquement associée à la préservation des petits et moyens producteurs.
La logique individualiste se caractérise par un comportement individuel basé sur le secret de
l’information, la privatisation des connaissances, la défiance mutuelle, l’opportunisme, et la
flexibilité. De plus cette logique se retrouve aussi chez les dirigeants d’association de petits et
moyens producteurs qui poursuivent en même temps une politique collective pour tous les
membres de leur organisation et en parallèle adoptent un comportement individuel par rapport
à leurs propres intérêts. On retrouve cette analyse des organisations paysannes (OP) dans
l’étude de Mercoiret (1994) qui décrivent les OP comme «des systèmes d'action collective
qui ont des règles de fonctionnement internes formalisées et relativement stables et qui sont
bâties autour d'objectifs partagés. Ces objectifs communs n'excluent pas l'existence d'objectifs
et d'intérêts particuliers chez les différents membres, objectifs qui peuvent être diversement
convergents ou compatibles ». Cette analyse laisse entrevoir les luttes de pouvoir qui peuvent
se mettre en place dans les OP. Dans la filière légumes, les associations de producteurs ont
généralement un nombre réduit de membres qui se rassemblent pour une activité précise,
comme acheter des intrants en gros pour bénéficier de prix réduits. Il y a une méfiance des
producteurs individuels vis-à-vis des structures collectives et bien souvent une ignorance des
possibilités offertes par les associations de producteurs.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
272
Nos résultats montrent que les acteurs de la filière légumes, qui adoptent la logique
individualiste en complément de la logique familiale, gardent jalousement les informations
concernant leur activité de production et/ou de distribution, ont une défiance mutuelle qui
n’est pas ouvertement exprimée mais qui se traduit dans la pratique par une résistance au
projet de regroupement. Le type de travail institutionnel utilisé par les petits producteurs de
légumes est le maintien de leurs acquis, c'est-à-dire, un refus du changement et une farouche
tendance à la préservation de la logique familiale associée à une logique individualiste. Cela
se traduit par une forme de travail institutionnel que l’on a nommé, résistance passive. Le cas
de l’échec de REGROUP-Petit, une association de petits producteurs de l’est de l’île,
regroupés pour fournir les hôtels de leur région en légumes, est un exemple de résistance
passive des petits producteurs qui, par peur d’une gestion collective de leurs biens qui leur
ôterait leur autonomie et mettrait leur famille en danger, préfèrent avoir un comportement
individuel. De plus dans l’évolution de la filière légumes, les petits producteurs sont passés
d’une position sociale centrale à la périphérie du champ organisationnel. Ceci peut encore une
fois s’expliquer par la dominance de la logique familiale qui a empêché les petits producteurs
à investir dans la modernisation de leur entreprise pour favoriser la richesse socio-
émotionnelle de la famille. Nous retrouvons cette forme de défiance vis à vis d’une nouvelle
logique dans l’étude de Townley (1997) qui explique comment les enseignants-chercheurs,
des universités au Royaume Uni, ont opposé une résistance à l’introduction de systèmes
d’évaluation de leur performance, ce qui était en opposition à la logique dominante dans leur
monde académique, celle de la liberté et de l’autonomie professionnelle.
Une filière de production sans acteurs ayant une logique de marché n’aurait pas de sens, et
c’est bien pour cela que l’on retrouve cette logique dans la filière légumes. Cependant, elle est
« ignorée » par les petits producteurs au sens de Pache et Santos (2013) qui définit l’ignorance
comme un manque de réaction face à une logique par absence d’information ou de
sensibilisation sur l’influence de cette logique. Les petits producteurs, au fil des années, se
sont marginalisés et sont maintenant des acteurs vieillissants avec une orientation temporelle
vers le passé par rapport à leurs méthodes de production, et aussi une orientation temporelle
vers le présent pour vivre au jour le jour face aux risques et incertitudes de leur métier de leur
quotidien. La survie de ces petits producteurs est remise en question avec les nouvelles
logiques institutionnelles qui proviennent des autres acteurs en place et nouveaux de la filière.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
273
6.1.2.2 Le moyen producteur de légumes
Le moyen producteur de légumes est confronté, comme le petit producteur, à trois logiques
institutionnelles, les logiques familiales et individualistes qui sont complémentaires, et la
logique de marché.
Cependant pour les moyens producteurs, il est intéressant d’observer que bien que la logique
familiale soit la logique dominante, elle est modérément institutionnalisée. Face à une logique
de marché venant des opportunités dans la filière, les moyens producteurs, peuvent
abandonner ou mettre de côté des logiques habituelles pour adopter de nouvelles logiques.
Ainsi nous observons que les moyens producteurs innovent en adoptant de nouvelles
techniques de production provenant des nouveaux entrants (usiniers-producteurs/gros
producteurs sucriers) dans la filière. Cela rejoint les travaux de Phillips et Zuckerman (2001)
qui décrivent les acteurs avec un statut peu élevé qui vont au-delà de la conformité et innovent
en combinant les logiques (Pache et Santos, 2013). Ce genre d’acteur considère donc les
logiques comme une ressource stratégique (Durand et al., 2013) et utilisent le meilleur de
chaque logique pour en tirer un avantage combiné. Pour illustrer cette idée, nous prenons le
cas d’un regroupement de producteurs réussi, celui de REGROUP-moyen, qui est un groupe
de quatre producteurs moyens ayant des liens familiaux et qui ont mis en commun leurs
ressources pour cultiver des légumes, les expédier à la vente en gros, et en transformer une
partie en découpe. Le fait que les quatre producteurs ont des liens familiaux n’est peut-être
pas étranger au fait que leur entreprise commune a pu réussir car la logique familiale est
respectée.
Bien que les moyens producteurs soient centraux dans le champ organisationnel de par la
taille de leur exploitation qui leur permet d’avoir une entreprise profitable, ils ont une
orientation temporelle vers le présent faisant face aux incertitudes et aux risques de leur
métier. De plus, en dépit du fait qu’une logique de marché inclut des pratiques telles que la
compétition pour les ressources, l’augmentation les profits de l’entreprise, la construction
d’une position concurrentielle (Thornton, 2001), la conformité aux standards de qualité sur le
marché, l’efficience et la présence d’une stratégie de prix (Garrow, 2013), nous montrons que
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
274
les acteurs de la filière légumes mettent l’accent sur la compétition pour les ressources
physiques telles que les terres cultivables, et financières au dépens de la qualité des produits.
Les moyens producteurs adoptent ainsi un maintien de leurs acquis et adoptent une forme de
résistance passive aux nouveaux entrants dans la filière, c'est-à-dire, bénéficiant à la fois des
opportunités des nouvelles pratiques et techniques de production, et gardant toute leur
autonomie.
6.1.2.3 L’usinier–producteur/gros producteur sucrier
Dans cette section, nous discutons du cas d’un usinier-producteur qui a diversifié une bonne
partie de ses terres pour la culture de légumes en plein champ. Ce producteur se trouve donc
dans les interstices de deux champs organisationnels, la filière sucre et la filière légumes.
Venant d’une filière très structurée et orientée vers le future avec des stratégies de production
de légumes misant sur la performance, l’efficience et la profitabilité, il n’est pas étonnant
qu’il soit guidé par deux logiques institutionnelles, entrepreneuriales et marchés, les deux
étant complémentaires et pas conflictuelles.
Cependant, le but premier du gros producteur sucrier étant d’assurer sa légitimité dans cette
nouvelle filière légumes, nous avons observé trois pratiques aidant à son travail institutionnel
de légitimation. Premièrement, le gros producteur sucrier s’appuyant sur son expérience dans
la filière sucre, où la production est très mécanisée et rationnelle, assure un transfert de
connaissances et de compétences pour améliorer la production de légumes à grande échelle.
Le gros producteur sucrier partage ses connaissances en organisant des journées portes
ouvertes pour les petits et moyens producteurs. Ceci a eu pour résultat, une réaction de
mimétisme au niveau de la part de certains producteurs moyens qui ont utilisé des machines,
et des équipements adaptés à leur échelle de production. Deuxièmement le gros producteur
sucrier a créé un marché de village dans la région où il opère pour donner aux producteurs de
cette région un espace pour vendre leurs légumes. Troisièmement, selon Binder (2007), « les
individus réels, dans des contextes réels, avec une grande expérience conséquente, jouent avec
les logiques institutionnelles, les remettent en question, les combinent à d’autres logiques
institutionnelles venant d’autres champs organisationnels, prennent ce qu’ils peuvent utiliser
et les adaptent à leurs besoins». Ceci s’applique au gros producteur sucrier qui, de par son
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
275
besoin de légitimation dans la filière légumes, n’a pas déstabilisé la filière et a crée son propre
circuit de distribution en s’appuyant sur le circuit traditionnel impliquant les grossistes
particuliers.
Le gros producteur sucrier a toutes les caractéristiques d’un entrepreneur institutionnel,
orienté vers le futur, développant des stratégies de légitimation, et mobilisant des ressources
tangibles (financières) et intangibles (soutien des alliés) pour arriver à ses fins.
Nous considérons en deuxième lieu les acteurs au niveau de la distribution de légumes. Notre
objectif est de discuter comment l’arrivée d’une grande entreprise de distribution de légumes
a influencé les logiques institutionnelles existantes et quelles sont les types et les formes de
travail institutionnel qui se sont mis en place par les acteurs en place de la distribution et par
le nouvel entrant.
6.1.2.4 Le mandataire et le grossiste-particulier
Dans cette section nous discutons de deux catégories d’acteurs, a priori distincts dans leurs
fonctions, mais qui se ressemblent sur beaucoup de points. Le mandataire a pour objectif de
vendre les légumes du producteur dans le marché de gros, et il perçoit une commission
équivalente à 8% du prix de vente. Il n’intervient donc ni dans la production de légumes ni
dans la distribution. Cependant dans la réalité, la plupart des mandataires sont
multifonctionnels et peuvent être à la fois producteurs, mandataires, grossistes et même
détaillants.
Le grossiste-particulier achète des légumes aux mandataires pour les revendre aux détaillants.
Le mandataire, comme le grossiste-particulier, est un maillon important du circuit de
distribution. Le mandataire donne des facilités de crédits de façon informelle aussi bien aux
producteurs qu’aux grossistes-particuliers. De ce fait il perpétue le mythe quant à son
importance et de son immuabilité dans la filière légumes. Le mandataire et le grossiste-
particulier sont des acteurs dominants de la filière qui au sens de Bourdieu et Wacquant
(1992) essayent d’usurper, d’exclure et d’établir un monopole sur les mécanismes de la
reproduction d’un champ organisationnel. De par sa position centrale dans le champ, les liens
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
276
du mandataire en amont avec les producteurs et en aval avec les grossistes lui donnent une
bonne perception des opportunités dans la filière légumes. Ainsi le mandataire change de rôle
et de fonctions selon les opportunités qui se présentent dans le champ organisationnel.
Nous avons observé que le mandataire et le grossiste-particulier opèrent avec une logique
dominante de cartellisation, mais qu’il y a d’autres logiques qui influencent ces acteurs en
incluant la logique familiale, individualiste, entrepreneuriale et marché. Comme proposé par
Pache et Santos (2013), toutes ces logiques ne sont pas conflictuelles car l’individu peut les
compartimentaliser et les utiliser à sa convenance en fonction du contexte. De ce fait, le
mandataire et le grossiste-particulier utilisent leur logique dominante de cartellisation dans le
marché de gros en s’accordant sur les prix et les quantités de légumes qui y transitent. Les
grossistes-particuliers s’accordent entre eux pour créer des barrières à l’entrée dans le circuit
de distribution du marché au gros vers les détaillants. Les mandataires changent de rôle pour
agir comme grossiste-particulier quand l’opportunité se présente comme dans le cas de
l’arrivée du gros producteur sucrier par exemple qui a la capacité de produire en volume et en
qualité, ce qui permet au mandataire/grossiste-particulier d’adopter une logique de marché,
d’acheter en gros et de revendre dans le circuit de distribution traditionnel.
Le mandataire et le grossiste-particulier utilisent tous les deux un travail de maintien de leurs
acquis et cela s’exprime par une forme de résistance active à tout changement qui remettrait
en question leur domination dans le circuit de distribution. Ainsi le mandataire s’oppose à la
création d’un marché national de gros, moderne, centralisé et transparent car cela impliquerait
la fin des mandataires traditionnels. Ce projet de l’état, qui date d’au moins cinq ans ne s’est
jamais concrétisé, car le mandataire a l’appui de ses alliés auprès des acteurs de la production
de légumes et des acteurs de la distribution car chacun y trouve son compte et ne veut pas
changer pour un autre système de distribution de légumes. Les grossistes-particuliers sont eux
aussi résistants aux changements et aux nouveaux venus dans leur métier. Nous reprenons ici
l’exemple de REGROUP-Petit, l’association de petits producteurs de l’est du pays, qui voulait
vendre directement aux hôtels de luxe de leur région qui d’habitude achètent avec les
grossistes-particuliers. Ces derniers sont des fournisseurs de longue date des hôtels de luxe, et
respectent leur cahier de charges. Une des autres raisons de l’échec de REGROUP-Petit a été
le fait que les grossistes-particuliers sont des acteurs dominants auprès des hôtels de luxe.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
277
Les grossistes-particuliers ont aussi utilisé une autre forme de travail institutionnel, le travail
de résistance active, suite à l’entrée d’une grande entreprise dans le circuit de distribution, le
cas de GROST-GE. Nous explicitons cet exemple dans la section suivante.
6.1.2.5 Le Grossiste-Grande Entreprise
Nous présentons ici le cas d’une grande entreprise de distribution, GROST-GE, nouvel
entrant dans le circuit de distribution de légumes mais qui n’a pas duré.
GROS-GE était une intégration verticale d’un regroupement de quatre gros producteurs
sucriers pour l’assemblage, et l’expédition d’un produit, la pomme de terre, vers une station
de tri et d’emballage et de distribution vers les super/hyper marchés. Les producteurs avaient
misé sur différentes variétés de pomme de terre adaptées à différentes recettes de cuisine. Un
autre objectif de cette entreprise était de se lancer dans la transformation de la pomme de terre
en frites surgelées.
Cette grande entreprise fonctionnait avec une logique entrepreneuriale dominante et une
logique de marché complémentaire. Elle avait toutes les caractéristiques d’un entrepreneur
institutionnel qui visait à créer une nouvelle forme organisationnelle, et aussi de nouveaux
standards sur le marché. GROST-GE avait donc adopté une forme de travail institutionnel
normative pour provoquer des changements au niveau des consommateurs : La sélection, le tri
et l’emballage des pommes de terre pour assurer une meilleure qualité sur le marché ; et aussi
les différentes variétés de pomme de terre pour élargir la gamme disponible sur le marché. De
plus une des stratégies de GROST-GE était de contourner le grossiste-particulier et de livrer
les pommes de terre emballées directement dans les super/hyper marchés. GROST-GE avait
donc adopté une forme de travail institutionnel que l’on a appelé désintermédiation, c'est-à-
dire la suppression des intermédiaires dans un circuit de distribution. En résumé, GROST-GE,
un acteur aux interstices de la filière sucre et de la filière légumes avec une logique
entrepreneuriale dominante a voulu apporter des changements divergents dans le circuit de
distribution de la pomme de terre mais a fait face à un échec pour différentes raisons.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
278
Premièrement, GROST-GE était dans une position de challenger par rapport aux acteurs en
place et dominant du circuit de distribution. GROST-GE a voulu capitaliser sur ses ressources
provenant de la filière sucre pour changer les logiques institutionnelles de la filière légumes.
Cependant, les grossistes-particuliers bénéficiant des arrangements institutionnels existants
qui constituent une source de pouvoir pour eux, (Battilana, 2006a), avaient à cœur le maintien
ou le status quo sur leurs privilèges. Les grossistes-particulier ont ainsi résisté au challenger,
GROST-GE, en investissant dans l’emballage des pommes de terre (qui traditionnellement
étaient fournies en vrac) et en proposant un prix plus bas aux super/hyper marchés. Ainsi, les
grossistes-particuliers ont utilisé la résistance active comme forme de travail institutionnel
pour assurer la stabilité et la continuité institutionnelle (Micelotta et Washington, 2013).
Ainsi, selon Curie et al (2012), les, acteurs en place, confrontés à l’impossibilité d’arrêter un
changement, adaptent leurs activités et leurs rôles en prenant une part active dans l’orientation
du changement pendant qu’il se met en place. De ce fait, en s’appuyant sur leur légitimité
dans le champ organisationnel, ils peuvent moduler le changement divergent pour leurs
propres bénéfices.
Deuxièmement, les consommateurs mauriciens n’étaient pas prêts à changer leurs habitudes
alimentaires et adopter de nouvelles variétés de pomme de terre dans leur assiette. De plus, le
mauricien moyen préfère acheter des légumes, comme la pomme de terre en vrac car cela lui
permet de trier à sa convenance ce qui n’est pas le cas pour des pommes de terre emballées.
Toutes ces raisons réunies ont conduit à l’échec du projet de GROST-GE.
Cette section nous a permis de discuter des déterminants du travail institutionnel et des
conséquences de ce dernier sur le champ organisationnel, et plus particulièrement sur les
logiques institutionnelles. Nous avons ainsi vu des cas où un nouvel acteur agit en
entrepreneur institutionnel pour changer les logiques institutionnelles existantes et réussit à se
légitimer aux yeux des acteurs en place. Nous avons aussi vu le cas d’un autre nouvel entrant
qui voulait changer drastiquement les logiques institutionnelles existantes et a failli à cause de
la résistance active des acteurs en place.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
279
SECTION 2 : La validation des propositions de recherche
Dans cette section, nous utiliserons la discussion sur les résultats dans la section précédente
pour tester nos propositions de recherche qui sont résumées dans le tableau 6.1.
6.2 Discussion sur les propositions de recherche
Tableau50 6.1: Rappel des propositions de recherche
Proposition P1: Le type de travail institutionnel
dépend des caractéristiques de la filière légumes
Proposition P1a: Le type de travail institutionnel
dépend du degré d’hétérogénéité des logiques
institutionnelles dans la filière légumes.
Proposition P1b: Le type de travail institutionnel
dépend du degré d’institutionnalisation des
logiques institutionnelles dans la filière légumes.
Proposition P2 : Le type de travail institutionnel
dépend des caractéristiques des acteurs (nouveaux
et en place) individuels ou organisationnels de la
filière légumes
Proposition P2a: Le type de travail institutionnel
dépend de l’orientation temporelle des acteurs
(nouveaux et en place) individuels ou
organisationnels.
Proposition P2b: Le type de travail institutionnel
dépend de la position sociale des acteurs
(nouveaux et en place) individuels ou
organisationnels.
Proposition P3 : Les différentes formes de travail
institutionnel entreprit par les acteurs (nouveaux
et en place) de la filière légumes ont changé les
logiques institutionnelles existantes
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
280
6.2.1 Proposition 1 : Lien entre le type de travail institutionnel et le degré
d’hétérogénéité et d’institutionnalisation des logiques institutionnelles
Notre première proposition de recherche (P1) concerne le type de travail institutionnel
(création, maintien ou déstabilisation) qui dépend des caractéristiques du champ
organisationnel. Nous avions subdivisé cette proposition en deux sous-propositions pour
cerner deux caractéristiques du champ organisationnel, le degré d’hétérogénéité (P1a) et le
degré d’institutionnalisation (P1b) des logiques institutionnelles.
Concernant la sous-proposition (P1a), nos résultats ont démontré qu’il y a une hétérogénéité
des logiques institutionnelles conflictuelles dans la filière légumes. Cependant ces logiques ne
concernent pas les mêmes acteurs car chacun y puise comme dans un répertoire en fonction de
ses besoins (Pache et Santos, 2013). Nous avons aussi observé que le type de travail
institutionnel ne dépend pas que d’un degré d’hétérogénéité car le travail de maintien se fait
aussi bien quand les logiques institutionnelles sont moyennement hétérogènes ou très
hétérogènes. Le travail de création et de déstabilisation s’opère quand les logiques
institutionnelles sont moyennement homogènes. Le type de travail institutionnel n’est donc
pas fonction de degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles. Notre proposition P1a
n’est donc pas validée.
Concernant la sous-proposition (P1b), nos résultats ont démontré que concernant le maintien
des institutions, les logiques institutionnelles dans la filière légumes sont soit modérément
institutionnalisées ou extrêmement institutionnalisées. Par rapport à la création ou la
déstabilisation des institutions, nous voyons que les logiques institutionnelles peuvent être
modérément institutionnalisées. Le type de travail institutionnel n’est donc pas fonction du
degré d’institutionnalisation des logiques institutionnelles. La proposition P1b n’est donc pas
validée.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
281
6.2.2 Proposition 2 : Lien entre le type de travail institutionnel et les
caractéristiques des acteurs
Notre deuxième proposition de recherche (P2) concerne le type de travail institutionnel
(création, maintien ou déstabilisation) qui dépend des caractéristiques des acteurs du
organisationnel. Nous avions subdivisé cette proposition en deux sous-propositions pour
cerner deux caractéristiques, l’orientation temporelle (P2a) et la position sociale (P2b) des
logiques institutionnelles.
Concernant la sous-proposition (P2a), nos résultats ont démontré que concernant le maintien
des institutions, les acteurs de la filière peuvent être soit tournés vers le passé, le présent ou le
futur. Concernant la création ou la déstabilisation des institutions, les acteurs sont tournés vers
le futur. Ces résultats rejoignent ceux de Dorado (2005) qui observe que les trois différentes
orientations temporelles agissent en conjonction, mais qu’une d’entre elle peut dominer et
influencer l’acteur à un moment donné. Notre sous proposition P2a est donc validée.
La sous-proposition P2b concerne la position sociale des acteurs de la filière. Nous avons
observé que deux acteurs qui se trouvent à l’interstice des deux filières ont agit comme
entrepreneurs institutionnels pour amener des changements divergents dans la filière légumes.
Deux acteurs centraux du champ organisationnel, les mandataires et les grossistes-particuliers,
se sont engagés dans le maintien des logiques institutionnelles pour préserver leurs acquis.
Cela rejoint les résultats de Rao et al. (2000) qui ont démontré le rôle joué par des acteurs à
l’interstice des champs organisationnels. Notre sous-proposition P2b est validée.
Nous pouvons déduire que le type de travail institutionnel qui se met en place par les acteurs
d’une filière ne dépend pas d’un degré spécifique d’hétérogénéité ou d’institutionnalisation
des logiques institutionnelles mais se rapporte plus à comment l’acteur réflexif va se servir de
ses caractéristiques personnelles comme son orientation temporelle et sa position sociale pour
réagir à une nouvelle logique institutionnelle.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
282
6.2.3 Proposition 3 : Lien entre les formes de travail institutionnel et leur
impact sur une modification des logiques institutionnelles
Notre troisième proposition de recherche cherchait à établir si les formes de travail
institutionnel mis en œuvre par les acteurs de la filière légumes ont changé ou modifié les
logiques institutionnelles existantes.
Avec l’arrivée du gros producteur sucrier dans la filière légumes, une logique entrepreneuriale
s’est rajoutée au répertoire des logiques institutionnelles de la filière. Certains acteurs de la
filière y ont été réceptifs comme les moyens et gros producteurs au niveau de la production, et
les mandataires et grossistes au niveau de la distribution, sans toutefois abandonner leur
propre logique dominante. D’autres acteurs, comme les petits producteurs, étant à la
périphérie du champ organisationnel, ont ignoré l’influence que peut représenter cette
nouvelle logique, ou ne peuvent se permettre de s’y plier faute de ressources.
La grande entreprise de distribution, GROST-GE voulait aussi promouvoir une logique
entrepreneuriale en innovant au niveau de la commercialisation de son produit. Cependant il
leur a été difficile de déplacer la logique dominante des grossistes-particuliers, car ces
derniers ont opposé une résistance active à une modification du circuit traditionnel de
distribution.
On peut déduire que les logiques institutionnelles de la filière légumes n’ont pas changé mais
que les logiques entrepreneuriales et marchés ont prise une plus grande importance pour les
acteurs en place dans le répertoire des logiques institutionnelles de la filière légumes. Ces
deux logiques ont fait évoluer la filière légumes vers le modernisme à travers des producteurs
en place prêts à investir dans de nouvelles techniques et moyens de production et ayant le gros
producteur sucrier comme preuve de réussite. Notre proposition de recherche est partiellement
validée.
Cette section a permis de tester et de valider nos propositions de recherche. La première
proposition de recherche n’a pas été validée, la deuxième validée, et la troisième partiellement
validée.
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
283
CONCLUSION DE LA DISCUSSION
Ce chapitre a mis en perspective les déterminants et les conséquences des différents types
et formes de travail institutionnel entreprit par les acteurs en place et nouveau de la filière
légumes. Ainsi notre méso-analyse nous a permis de conclure que les caractéristiques du
champ organisationnel en fonction du degré d’hétérogénéité et d’institutionnalisation des
logiques institutionnelles influencent l’action agentique. Cependant, une analyse plus
poussée au niveau de acteurs pour déterminer le degré d’hétérogénéité et
d’institutionnalisation des logiques institutionnelles à leur niveau individuel nous montre
que l’on ne peut pas associer directement un certain degré d’hétérogénéité et
d’institutionnalisation à un type de travail institutionnel particulier. Il y a d’autres facteurs
explicatifs qui influencent l’intentionnalité des acteurs.
Notre micro-analyse des caractéristiques individuelles des acteurs, en fonction de leur
orientation temporelle et leur position sociale, a démontré que ces deux variables sont des
variables explicatives qui déterminent le type de travail institutionnel entreprit par les
acteurs du champ organisationnel.
Notre méso analyse au niveau du champ organisationnel, pour analyser si les logiques
institutionnelles ont changé, a démontré que deux logiques institutionnelles existantes
mais peu utilisées (logique de marché et logique entrepreneuriale) ont pris de l’importance
pour certains acteurs en place du champ organisationnel avec l’arrivée des nouveaux
entrants dans la filière.
Nous concluons cette discussion en résumant la validité de nos propositions de recherche :
Proposition P1a : Pas validée
Proposition P1b: Pas validée
Proposition P2a: Validée
Proposition P2b: Validée
Proposition P3 Partiellement validée
CONCLUSION GENERALE
CONCLUSION GENERALE
285
CONCLUSION GENERALE
Introduire une approche néo-institutionnelle dans l’analyse des filières agricole a été un des
objectifs de cette recherche. En effet cette approche est pertinente pour étudier les
changements qui peuvent affecter une filière et pour identifier le travail entreprit par les
principaux acteurs pour influencer ces changements.
Ainsi nous avons proposé un modèle conceptuel qui met en relation les logiques
institutionnelles du champ organisationnel et le type de travail institutionnel entreprit par les
acteurs en place et nouveaux.
Nous avons appliqué ce modèle à la filière légumes de l’Ile Maurice qui a connu un
changement important du fait de l’entrée de nouveaux acteurs dans son champ
organisationnel.
La filière sucre, bien structurée et la filière légumes très peu structurée, se sont toutes les deux
retrouvées face à des défis à relever pour être soutenable dans le long terme : En 2004-2005
l’annonce de la réforme du protocole sucre par l’UE remet en questions trois cent ans de
production sucrière ; et la crise alimentaire mondiale de 2008 démontre la fragilité de la
sécurité alimentaire de Maurice et la sur dépendance du pays sur les importations
alimentaires.
Dans un contexte global de libéralisation des marchés et la réduction du protectionnisme dans
la production agricole, nous avons analysé la logique de diversification des gros producteurs
sucriers qui ont convertis une partie de leurs terres sous canne à sucre en culture vivrière.
Notre problématique s’est dès lors focalisée sur les nouveaux entrants dans la filière légumes
et les stratégies institutionnelles adoptées par les acteurs en place de la filière légumes. Notre
question de recherche s’articule autour de l’identification des différents types de travail
institutionnel qui se mettent en place en réaction à de nouvelles logiques institutionnelles.
CONCLUSION GENERALE
286
Les apports de la recherche
Apports théoriques
L’analyse des filières est une approche ancienne trouvant ses origines au début des années
1960s avec la modélisation des filières agricoles en utilisant la comptabilité nationale
(Bencharif et Rastoin, 2007). Elle a par la suite été enrichie de plusieurs apports de
l’économie industrielle (modèle SCP), de la nouvelle économie institutionnelle (Coûts de
transactions de Williamson (1985)), des sciences de gestion (Porter, 1985) et enfin des apports
de chaîne globale de valeur de Gereffi (1999)). L’approche filière permet ainsi de mieux
comprendre les stratégies des acteurs, les mécanismes de structuration des prix et la
répartition de la valeur ajoutée et de coordination des acteurs, d’identifier et de caractériser les
contraintes au commerce d’un produit, et d’orienter l’action des politiques publiques et des
institutions. Elle permet d’avoir une vision sur l’activité commerciale dans sa globalité et de
préciser les interdépendances entre les différentes composantes de la filière (Wade et al.,
2004). Notre recherche montre la pertinence des apports de la sociologie néo-institutionnelle à
travers l’analyse des logiques institutionnelles et du travail institutionnel qui interviennent
dans le cas de changements institutionnels. Dans de nombreux pays les changements
institutionnels deviennent de plus en plus nombreux et peuvent être causés par des
changements dans les accords internationaux, dans les politiques publiques, induits par les
changements climatiques, ou tout simplement par la diversification d’un secteur dans d’autres
activités de production.
Nous montrons ainsi que le travail institutionnel entrepris par les différents acteurs dans le
sens du maintien, de la déstabilisation ou de la création, dépend des caractéristiques du CO,
des caractéristiques des acteurs eux-mêmes.
Notre étude a aussi fait émerger trois nouveaux types de logiques institutionnelles:
individualiste, cartellisation et entrepreneuriale, et deux nouvelles formes de travail
institutionnel: travail de résistance passive et active et travail de désintermédiation qui ne sont
pas répertoriés dans la littérature.
CONCLUSION GENERALE
287
Ce travail de recherche a aussi croisé la littérature sur les logiques institutionnelles et le travail
institutionnel, et montré que ces deux cadres conceptuels sont complémentaires à une
meilleure compréhension du comportement des acteurs dans un champ organisationnel
comme postulé par Zilber (2013).
Apports méthodologiques
Notre analyse double à un niveau méso et micro de notre champ organisationnel nous as aidé
à mieux comprendre et interpréter le comportement des acteurs. De plus, notre utilisation de
l’analyse qualitative comparée nous a semblé pertinente pour nous permettre d’approfondir
notre micro-analyse des cas au niveau des acteurs. Nous pensons que cette méthode
qualitative peut enrichir les travaux en sciences de gestion.
Apports managériaux
Les apports managériaux de cette recherche visent à mieux faire comprendre le comportement
des acteurs d’une filière. Nous pensons que cette compréhension sera utile à trois catégories
de parties prenantes :
Pour les acteurs de la filière :
Il est important de comprendre le processus par lequel les chocs exogènes qui entraînent des
changements importants dans les institutions établies sont reçus par les différents acteurs et
mesurer la vulnérabilité de ces derniers par rapport aux changements qui interviennent dans
les filières.
Pour les chefs de projets de développement de chaînes de valeur agricoles
C’est important pour les chefs de projet de développement de chaînes de valeur agricoles de
comprendre quelles sont les logiques qui dominent le cadre cognitif d’un acteur et quelles
sont les formes de travail institutionnel qu’il peut adopter en réaction à une modification des
logiques institutionnelles dans la filière où il opère. Cela peut aider à mieux cibler les
interventions dans les chaînes de valeur afin d’agir par rapport aux besoins réels des acteurs
de la filière.
CONCLUSION GENERALE
288
Pour les politiques publiques
En réaction à des chocs exogènes les politiques vont mettre en place des outils et des
décisions qui vont permettre de réduire les impacts négatifs sur la filière. Nos résultats
peuvent être utiles pour identifier les jeux des différents acteurs et prévoir l’évolution des
institutions de la filière.
Limites de la recherche
Comme tout travail de recherche académique, cette thèse souffre de quelques limites qui ne
remettent pas en cause sa validité mais offrent en contrepartie des perspectives intéressantes
pour des recherches futures.
Une première limite se rapporte à l’identification des logiques institutionnelles. Nous avons
utilisé une analyse thématique et fait des allers-retours entre la littérature et les données de
terrain pour nous permettre d’identifier les logiques institutionnelles de la filière légumes.
Cependant il se peut que le discours des acteurs ne contienne pas tous les éléments qui
peuvent aider à cerner toutes les logiques et à les différencier selon leur importance. Ainsi
comme l’observent Thornton et al. (2012), une meilleure compréhension au niveau micro des
logiques institutionnelles de façon tangible est très importante.
Une deuxième limite est associée à un élément de notre modèle conceptuel, l’intentionnalité
des acteurs que nous avons pris comme un trait personnel stable alors qu’il peut évoluer dans
le temps.
Une troisième limite concerne un aspect théorique de la recherche. Nous avons fait de
nombreux allers-retours du terrain à la littérature pour nous assurer d’élargir notre cadre
conceptuel et inclure au maximum les concepts clés qui nous ont aidé à défendre la thèse de
ce travail. Cependant, il n’a pas été possible de tout inclure comme par exemple les liens entre
l’utilisation stratégique des logiques institutionnelles et la littérature sur le management
stratégique.
CONCLUSION GENERALE
289
Une quatrième limite se réfère à la validité externe de nos résultats et aux précautions à
prendre quant à une tentative de généralisation hâtive des résultats de cette recherche portant
sur un cas spécifique, c'est-à-dire à une filière de production agricole.
Perspectives de la recherche
A la fin de cette thèse, nous avons montré le potentiel qu’offre la perspective néo
institutionnelle dans l’analyse des dynamiques des filières agricoles. Les résultats de notre
recherche ainsi que les limites de ce travail ouvrent de nouvelles pistes d’études intéressantes
à explorer que nous exposons ci-dessous :
Une méthodologie pour faire émerger les logiques institutionnelles d’un terrain
d’étude
Comme le proposent Weber et al. (2013), une approche systématique et méthodologique
utilisant la théorie enracinée et une analyse de contenu permettrait de mieux cerner la réalité
d’un terrain et identifier aussi bien les logiques conflictuelles que les logiques
complémentaires d’un champ organisationnel.
Ouvrir la boîte noire de l’intentionnalité des acteurs
Au-delà de la boîte noire que représente l’intentionnalité des acteurs, nous proposons une
approche pluridisciplinaire pour comprendre ce qui motive un acteur à agir dans un sens ou
dans un autre en prenant en considérations les facteurs environnementaux. Ainsi par exemple
des études en psychologie expérimentale (voir Burns et al., 2012) qui utilisent des expériences
pour comprendre l’intentionnalité ; des études en modélisation cognitive (voir Bonchek-
Dokow et Kaminka, 2013) qui différencient entre l’action intentionnelle et l’action non
intentionnelle.
Voronov et Vince (2012) offrent une autre dimension de l’intentionnalité, l’investissement
cognitif et émotionnel de l’acteur dans son champ organisationnel. Dans notre recherche,
identifier l’investissement cognitif et émotionnel des petits producteurs peut nous donner des
indices concernant la résistance aux changements de ces acteurs.
CONCLUSION GENERALE
290
Nous proposons l’utilisation de la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1985) pour
analyser l’intention des acteurs d’une filière à adopter un type et une forme de travail
institutionnel.
Les logiques institutionnelles comme ressources stratégiques
Nous proposons que des études empiriques plus poussées permettrait de comprendre de quelle
façon les acteurs d’une filière utilisent les logiques institutionnelles comme des ressources
stratégiques pour entreprendre leur travail institutionnel de création, de maintien ou de
déstabilisation. Des études récentes (voir Gawer et Phillips, 2013; Durand et al., 2013) a fait
ce lien essentiel entre la réaction des acteurs à des changements de logiques institutionnelles
et le travail institutionnel entreprit face à ces changements. Il serait ainsi intéressant de croiser
la littérature sur le management stratégique avec la littérature sur les logiques institutionnelles
et le travail institutionnel pour introduire cette dimension sociologique à l’analyse des
stratégies d’acteurs.
Etudier les changements institutionnels en dynamique sur longue période
Cette étude nous a permis de mieux comprendre la richesse de la littérature sur les logiques
institutionnelles et le travail institutionnel. Nous pensons qu’une recherche future pourrait
s’articuler autour d’une étude longitudinale de la filière sucre, une filière tricentenaire, pour
comprendre l’évolution des logiques au fil des années et les réactions des acteurs de cette
filière bien structurée à un choc exogène.
Nous concluons en disant que notre recherche et le cadre théorique que nous avons mobilisé,
nous ont permis de jeter les bases pour mieux appréhender les effets d’un changement
institutionnel sur une filière agricole. Dans le cas de la filière légumes à l’île Maurice, les
incitations de l’état à augmenter la production de légumes localement, l’arrivée des gros
producteurs sucriers sur le marché des légumes, les insuffisances ou dysfonctionnements des
institutions existantes, l’émergence d’entrepreneurs institutionnels parmi les anciens et les
nouveaux acteurs de la filière entres autres sont autant de facteurs réunis dans le champ
CONCLUSION GENERALE
291
organisationnel avec des intentions de travail institutionnel différentes et qui vont
profondément modifier les logiques actuelles.
Notre recherche a eu lieu au milieu de ces activités et de ces changements en cours dont on ne
connaît pas encore l’issue finale.
Notre travail de recherche nous permet de conclure que le champ organisationnel est
effectivement une arène sociale (Bourdieu et Wacquant, 1992), où les joueurs (North, 1990)
utilisent les principes du jeu (Leca, 2006), les logiques institutionnelles, pour créer, maintenir
ou déstabiliser les règles du jeu (North, 1990), les institutions.
REFERENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
293
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
AEO. 2011. Mauritius [Online]. Available: http://www.africaneconomicoutlook.org/en/countries/southern-africa/mauritius/ [Accessed 24 August 2011].
AIM, R. 2010. L'Essentiel de la Théorie des Organisations, Gualino.
AJZEN, I. 1985. From Intentions to Actions: A Theory of Planned Behavior. In: KUHL, J. & BECKMAN, J. (eds.) Action-control: From Cognition to Behavior. Heidelberg: Springer.
ALCHIAN, A. A. & DEMSETZ, H. 1972. Production, Information Cost, and Economic Organization. American Economic Review, 62, 777-795.
ALDRICH, H. & FIOL, C. M. 1994. Fools Rush in? The Institutional Context of Industry Creation. Academy of Management Review, 19, 645-670.
ALDRICH, H. & RUEF, M. 2006. Organizations Evolving, California, Thousand Oaks, Sage Publications Inc. .
ALEXANDER, J. C. 1983. Theoretical Logic in Sociology, Berkeley, University of California Press.
ARCHER, M. S. 1982. Morphogenesis Versus Structuration: On Combining Structure and Action. British Journal of Sociology, 33, 455-483.
ARROYO, P. 2012. Management Accounting Change and Sustainability: An Institutional Approach. Journal of Accounting and Organizational Change, 8, 286-309.
ASTLEY, W. G. & FOMBRUN, C. J. 1983. Collective Strategy: Social Ecology of Organizational Environments. The Academy of Management Review, 8, 576-587.
AULAKH, P. S. & KOTABE, M. 2008. Institutional Changes and Organizational Transformation in Developing Economies. Journal of International Management, 14, 209-216.
BAGER, T. 1997. Institutional and Organisational Change in the European Food Sector: A Meso Level Perspective. In: NILSSON, J. & DIJK, G. V. (eds.) Strategies and Structures in the Agri-Food Industries. Wageningen.
BARJOLLE, D. & CHAPPUIS, J.-M. 2000. Coordination des Acteurs dans Deux Filières AOC. Une Approche par la Théorie des coûts de transactions. Economie Rurale, 258, 90-100.
BARLEY, R. S. & TOLBERT, P. S. 1997. Institutionalization and Structuration: Studying the Links Between Action and Institution. Organization Studies, 18, 93-117.
BATTILANA, J. 2006a. Agency and Institutions: The Enabling Role of Individuals' Social Position. Organization, 13, 653-676.
BATTILANA, J. 2006b. The Role of Individuals in Institutional Change: When Individuals Act as Institutional Entrepreneurs. PhD in Management, Ecole Normale Supérieure de Cachan.
BATTILANA, J. 2007. Initiating Divergent Organizational Change: The Enabling Role of Actors' Social Position. Working Paper. Boston: Harvard Business School.
BATTILANA, J. 2011. The Enabling Role of Social Position in Diverging from the Institutional Status Quo: Evidence from the UK National Health Service. Organization Science, 22, 817-834.
BATTILANA, J. & D'AUNNO, T. 2009. Institutional Work and the Paradox of Embedded Agency. In: LAWRENCE, T. B., SUDDABY, R. & LECA, B. (eds.) Institutional Work: Actors and Agency in Institutional Studies of Organizations. UK: Cambridge University Press.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
294
BATTILANA, J., LECA, B. & BOXENBAUM, E. 2009. How Actors Change Institutions: Towards a Theory of Institutional Entrepreneurship. The Academy of Management Annals, 3, 65-107.
BECKERT, J. 1999. Agency, Entrepreneurs, and Institutional Change: The Role of Strategic Choice and Institutionalized Practices. Organization Studies, 20, 777-799.
BEN SLIMANE, K. 2007. Les Stratégies Discursives de Légitimation du Changement Institutionnel: Le Cas du MPEG4 dans la Télévision Numérique de Terre en France. Lille: Lille Economie et Management.
BEN SLIMANE, K. & LECA, B. 2010. Le Travail Institutionnel: Origines Théoriques, Défis et Perspectives. Management et Avenir, 37, 53-69.
BENCHARIF, A. & RASTOIN, J. L. 2007. Concepts et Méthodes de l'analyse des Filières Agroalimentaires: Application par la Chaîne Globale de Valeur au Cas des Blés en Algérie. Working Paper. Montpellier: Montpellier SupAgro.
BENFORD, R. D. & SNOW, D. A. 2000. Framing Processes and Social Movements: An Overview and Assessment. Annual Review of Sociology, 26, 611-639.
BERGER, P. L. & LUCKMANN, T. 1967. The Social Construction of Reality: A Treatise in the Sociology of Knowledge, New York, Anchor Books.
BERRONE, P., CRUZ, C., GÓMEZ-MEJÍA, L. & LARRAZA-KINTANA, M. 2010. Socioemotional Wealth and Corporate Responses to Institutional Pressures. Administrative Science Quarterly, 55, 82-113.
BEYLIER, R. P., MESSEGHEM, K. & FORT, F. 2010. Les MDD du Terroir au Coeur de la Légitimité Territoriale des Distributeurs. Biennale Internationale de la Négociation Commerciale. Paris.
BIJMAN, W. J. J. 2006. Governance Structures in the Dutch Fresh Produce Industry. In: ONDERSTEIJN, C. J. M., WIJNANDS, J. H. M., HUIRNE, R. B. M. & KOOTEN, O. (eds.) Quantifying the Agri-food Supply Chain. Dordretch: Springer.
BINDER, A. 2007. For Love and Money: Organizations' Creative Responses to Multiple Environmental Logics. Theory and Society, 36, 547-571.
BONCHEK-DOKOW, E. & KAMINKA, G. A. 2013. Towards Computational Models of Intention Detection and Intention Prediction. Cognitive Systems Research, In Press.
BONNAL, J. 1997. La Dynamique des Sociétés Rurales Face Aux Projets Participatifs de Développement Rural: Réflexions et Propositions d'action à Partir d'Expériences d'Afrique de l'Ouest. Rome: Food and Agriculture Organization.
BOURCIEU, S., BROUARD, J. & DITTER, J.-G. 2010. Les Entrepreneurs Institutionnels du Vin en France: Etudes de cas. Colloque ASRDLF-AISRe. Aoste, Italie.
BOURDIEU, P. 1971. Systems of Education and Systems of Thought. In: YOUNG, M. K. D. (ed.) Knowledge and Control: New Directions for the Sociology of Education. London: Collier Macmillan.
BOURDIEU, P. 1973. The Three Forms of Theoretical Knowledge. Social Science Information, 12, 53-80.
BOURDIEU, P. & WACQUANT, L. J. D. 1992. An Invitation to Reflexive Sociology, Chicago, University of Chicago Press.
BRECHET, J.-P., SCHIEB-BIENFAIT, N. & DESREUMAUX, A. 2009. Les Figures de l'Entrepreneur dans une Théorie de l'Action Fondée sur le Projet. Revue de l'entrepreneuriat, 8, 37-54.
BRÉCHET, J. P. & SCHIEB-BIENFAIT, N. 2005. Projets et Pouvoirs dans les Régulations Concurentielles: La Question de la Structuration d'une Filière Biologique. XIV Conférence Internationale de Management Stratégique, AIMS. Anger.
BRULÉ, E. 2009. La Tour de Garde des OGM de la Mobilisation Contre les OGM à la Promotion d'une Agriculture Alternative: Les Premiers Pas Vers une Agriculture Durable? Revue de l'Organisation Responsable, 4, 59-71.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
295
BRUNSSON, N. & JACOBSSON, B. (eds.) 2000. A World of Standards, Oxford, UK: Oxford University Press.
BUHR, K. 2012. The Inclusion of Aviation in the EU Emissions Trading Scheme: Temporal Conditions for Institutional Entrepreneurship. Organization Studies, 33, 1565-1587.
BURAWOY, M. 1979. Manufacturing Consent: Changes in the labor Process under Monopoly Capitalism, Chicago, University of Chicago Press.
BURNS, Z. C., CARUSO, E. M. & BARTELS, D. M. 2012. Predicting Premeditation: Future Behaviour is seen as more Intentional Than Past Behaviour. Journal of Experimental Psychology: General, 141, 227-232.
BUSH, P. D. 1987. The Theory of Institutional Change. Journal of Economic Issues, 21, 1075-1116.
CAMPBELL, J. L. 2004. Institutional Change and Globalization, New Jersey, Princeton University Press.
CHABAUD, D. & MESSEGHEM, K. 2010. Le Paradigme de l'Opportunité: Des Fondations à la Refondation. Revue Francaise de Gestion, 7, 93-112.
CHANSON, G., DEMIL, B., LECOCQ, X. & SPRIMONT, P.-A. 2005. La Place de l'Analyse Qualitative Comparée en Sciences de Gestion. Finance Contrôle Stratégie, 8, 29-50.
CHAVANCE, B. 2007. L'Economie Institutionnelle, Paris, La Découverte.
CHENEY, G., CHRISTENSEN, L. T., CONRAD, C. & LAIR, D. J. 2004. Corporate Rhetoric as Organizational Discourse. In: GRANT, D., HARDY, C., OSWISK, C. & PUTNAM, L. L. (eds.) The SAGE Handbook of Organizational Discourse. London: Sage Publications Inc.
CHERVEL, M. 1987. Calculs Économiques Publics et Planification: Les Méthodes d'évaluation de Projet, Publisud.
CHEVALIER, J. M. 1995. L'Economie Industrielle des Stratégies d'Entreprises, Paris, Monchrestien.
COASE, R. H. 1937. The Nature of the Firm. Economica, 4, 386-405.
COASE, R. H. 1960. The Problem of Social Cost. Journal of Law and Economics, 3, 1-44.
CODRON, J. M. 1994. Cadrage Economique de la Filière Légumes en France et en Europe. Données Générales et Elements d'Analyse. In: INRA (ed.) Collection "Bilan et Prospectives". Montpellier: Station d'Economie et Sociologies Rurales.
CODRON, J. M. & D'HAUTEVILLE, M. F. 1998. Une Approche Conceptuelle des Relations Fournisseurs-Distributeurs. Economie Rurale, 245-246.
COLEMAN, J. S. 1988. Social Capital in the Creation of Human Capital. American Journal of Sociology, 94, 95-120.
COLOMY, P. 1998. Neofunctionalism and Neoinstitutionalism: Human Agency and Interest in Institutional Change Sociological Forum, 13, 265-300.
COOLEY, C. H. 1956. Social Organization: A Study of the Larger Mind, Free Press.
CSO 2010. Mauritius in Figures. Port Louis: Central Statistics Office.
CURRIE, G., LOCKETT, A., FINN, R., MARTIN, G. & WARING, J. 2012. Institutional Work to Maintain Professional Power: Recreating the Model of Medical Professionalism. Organization Studies, 33, 937-962.
CZARNIAWSKA, B. 2009. Emerging Institutions: Pyramids or Anthills? Organization Studies, 30, 423-441.
D'AUNNO, T., SUCCI, M. & ALEXANDER, J. A. 2000. The Role of Institutional and Market Forces in Divergent Organizational Change. Administrative Science Quarterly, 45, 697-703.
D'AUNNO, T., SUTTON, R. I. & PRICE, R. H. 1991. Isomorphism and External Support in Conflicting Institutional Environments: A study of drug abuse treatment units. The Academy of Management Journal, 34, 636-661.
DACIN, M. T. 1997. Isomorphism in Context. Academy of Management Journal, 40, 46-81.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
296
DACIN, M. T., GOODSTEIN, J. & SCOTT, W. R. 2002. Institutional Theory and Institutional Change: Introduction to the Special Research Forum. The Academy of Management Journal, 45, 43-56.
DAVIS, K. 1949. Human Society, New York, Macmillan.
DAVIS, P. S., DESAI, A. B. & FRANCIS, J. D. 2000. Mode of International Entry: An Isomorphism Perspective. Journal of International Business Studies, 31, 239-258.
DEEPHOUSE, D. L. 1996. Does Isomorphism Legitimate? Academy of Management Journal, 39, 1024-1039.
DEEPHOUSE, D. L. 1999. To be Different, or to be the Same? It's a Question (and Theory) of Strategic Balance. Strategic Management Journal, 20, 147-166.
DELACOUR, H. 2007. Les Stratégies Adoptées par Deux Entrepreneurs Institutionnels: Complémentarité ou Concurrence? XVIe Conférence Internationale de Management Stratégique. Montréal.
DELACOUR, H. & LECA, B. 2011. The Decline and Fall of the Paris Salon: A Study of the Deinstitutionalization Process of a Field Configuring Event in the Cultural Activities. M@n@gement, 14, 436-466.
DELBRIDGE, R. & EDWARDS, T. 2008. Challenging Conventions: Roles and Processes During Non-isomorphic institutional Change. Human Relations, 61, 299-325.
DESREUMAUX, A. 2004. Théorie Néo-institutionnelle, Management Stratégique et Dynamique des Organisations. In: HUAULT, I. (ed.) Institutions et Gestions. Paris: Vuibert.
DIMAGGIO, P. J. 1988. Interest and Agency in Institutional Theory. In: ZUCKER, L. G. (ed.) Institutional Patterns and Organizations: Culture and Environment. Cambridge: Ballinger.
DIMAGGIO, P. J. 1991. Constructing an Organizational Field as a Professional Project: U.S Art Museums, 1920-1940. In: POWELL, W. W. & DIMAGGIO, P. J. (eds.) The New Institutionalism in Organizational Analysis. Chicago: University of Chicago Press.
DIMAGGIO, P. J. 1997. Culture and Cognition: An Interdisciplinary Review. Annual Review of Sociology, 23, 263-287.
DIMAGGIO, P. J. & POWELL, W. W. 1983. The Iron cage revisited: Institutional isomorphism and collective rationality in organizational fields. American Sociological Review, 48, 147-160.
DIMAGGIO, P. J. & POWELL, W. W. 1991. Introduction. The New Institutionalism in Organizational Analysis. Chicago: The University of Chicago Press.
DOBBIN, F. R. 1994. Forging Industrial Policy: The Unites States, Britain, and France in the Railway Age, New York, Cambridge University Press.
DOLAN, C. & HUMPHREY, J. 2004. Changing Governance Patterns in the Trade in Fresh Vegetables Between Africa and the United Kingdom. Economic and Planning A, 36, 491-509.
DORADO, S. 2005. Institutional Entrepreneurship, Partaking and Convening. Organization Studies, 26, 385-414.
DORADO, S. 2013. Small Groups as Context for Institutional Entrepreneurship: An Exploration of the Emergence of Commercial Microfinance in Bolivia. Organization Studies, 34, 533-557.
DRUCKER, P. F. 1985. Innovation and Entrepreneurship, New York, Harper and Row.
DURAND, R. & MCGUIRE, J. 2005. Legitimating Agencies in the Face of Selection: The Case of AACSB. Organization Studies, 26, 165-196.
DURAND, R., SZOSTAK, B., JOURDAN, J. & THORNTON, P. H. 2013. Institutional Logics as Strategic Resources. Research in the Sociology of Organizations, 39A, 165-201.
DURKHEIM, E. 1895. Les Règles de la Méthode Sociologique, Paris, Alcan.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
297
ECKHARDT, J. T. & SHANE, S. A. 2003. Opportunities and Entrepreneurship. Journal of Management, 29, 333-349.
EISENSTADT, S. N. 1980. Cultural Orientations, Institutional Entrepreneurs and Social Change: Comparative Analyses of Traditional Civilizations. American Journal of Sociology, 85, 840-869.
EMIRBAYER, M. & MISCHE, A. 1998. What is Agency? The American Journal of Sociology, 103, 962-1023.
EUROPEANCOMMISSION 2013. Report from the Commission to the European Parliament and the Council. Evaluation of the Sugar Imports in the EU from LDC and ACP Countries. In: EUROPEANCOMMISSION (ed.). Brussels: European Commission.
FAIRCLOUGH, S. & MICELOTTA, E. R. 2013. Beyond the Family Firm: Reasserting the Influence of the Family Institutional Logic Across Organizations. Research in the Sociology of Organizations, 39 B, 63-98.
FALLERY, B. & RODHAIN, F. 2007. Quatre Approches pour l'Analyse de Données Textuelles, Lexicale, Linguistique, Cognitive et Thématique. 16éme Conférence de L'Association Internationale de Management Stratégique, AIMS, 7-9 Juin 2007. Montréal, Canada.
FLIGSTEIN, N. 1990. The Transformation of Corporate Control, Cambridge, Harvard University Press.
FLIGSTEIN, N. 1997. Social Skill and Institutional Theory. American Behavioural Scientist, 40, 397-405.
FLIGSTEIN, N. 2001. Social Skill and the Theory of Fields. Sociological Theory, 19, 105-125.
FRANCEAGRIMER 2012. Marché du Sucre. Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité, et de l'Aménagement du Territoire.
FRANCEAGRIMER 2013. Conjoncture: Marché du Sucre. In: FRANCEAGRIMER (ed.). Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité, et de l'Aménagement du Territoire.
FRIEDLAND, R. & ALFORD, R. R. 1991. Bringing Society Back in: Symbols, Practices, and Institutional Contradictions. In: POWELL, W. W. & DIMAGGIO, P. J. (eds.) The New Institutionalism in Organizational Analysis. Chicago: The University of Chicago Press.
FSF 2008. Food Security Fund Committee Strategic Plan 2008-2015. Port-Louis: Ministry of Agroindustry and Food Security.
GARFINKEL, H. 1974. The Origins of the Term "Ethnomethodology". In: TURNER, R. (ed.) Ethnomethodology: Selected Readings. Harmondworth, UK: Penguin Books.
GARROW, E. E. 2013. Competing Social Service and Market-Driven Logics in Nonprofit Work Integration Social Enterprises: A Comparative Study. NonProfit and Voluntary Sector Quarterly, 20, 1-20.
GARUD, R., HARDY, C. & MAGUIRE, S. 2007. Entrepreneuship as Embedded Agency: An Introduction to the Special Issue. Organization Studies, 28, 957-969.
GARUD, R., JAIN, S. & KUMARASWAMY, A. 2002. Institutional Entrepreneurship in the Sponsorship of Common Technological Standards: The case of Sun Microsystems and Java. The Academy of Management Journal, 45, 196-214.
GAWER, A. & PHILLIPS, N. 2013. Institutional Work as Logics Shift: The Case of Intel's Transformation to Platform leader. Organization Studies, 34, 1035-1071.
GEERTZ, C. 1973. The Interpretation of Cultures, New York, Basic Books.
GEREFFI, G. 1999. International Trade and Industrial Upgrading in the Apparel Commodity Chain. Journal of International Economics, 48, 37-70.
GEREFFI, G. & MEMEDOVIC, O. 2003. The Global Apparel Value Chain: What Prospects for Upgrading by Developing Countries. In: UNIDO (ed.). Vienna: UNIDO.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
298
GIDDENS, A. 1976. New Rules of Sociological Method: A Positive Critique of Interpretive Sociologies, London, Hutchinson.
GIDDENS, A. 1981. A Contemporary Critique of Historical Materialism: Power Property and the State, London, Macmillan.
GIDDENS, A. 1984. The Constitution of Society, Berkeley, University of California Press.
GIORDANO, Y. 2003. Construire un Projet de Recherche. Une perspective Qualitative, EMS Management et Société.
GLOBALVALUECHAINS.ORG. 2009. Global Value Chains Initiative [Online]. North Carolina. Available: www.globalvaluechains.org 2013].
GREENWOOD, R., DIAZ, A. M., LI, X. & LORENTO, J. C. 2010. The Multiplicity of Institutional Logics and the Heterogeneity of Organizational Responses. Organization Science 21, 521-539.
GREENWOOD, R. & HININGS, B. 1993. Understanding Strategic Change: The Contribution of Archetypes. Academy of Management Journal, 36, 1052-1081.
GREENWOOD, R. & HININGS, B. 1996. Understanding Radical Organizational Change: Bringing Together the Old and the New Institutionalism. Academy of Management Review, 21, 1022-1054.
GREENWOOD, R. & SUDDABY, R. 2006. Institutional Entrepreneurship in Mature Fields: The Big Five Accounting firms. The Academy of Management Journal Archive, 49, 27-48.
GREENWOOD, R., SUDDABY, R. & HININGS, C. R. 2002. Theorizing Change: The Role of Professional Associations in the Transformation of Institutionalized Fields. The Academy of Management Journal, 45, 58-80.
GRÉGOIRE, E. & THÉRY, H. 2007. "L'Ogre et le Petit Poucet". Le Brésil et l'île Maurice dans le Négoce Mondial du Sucre. L'Espace géographique, 3, 267-282.
GROSSMAN, S. J. & HART, O. 1987. The Costs and Benefits of Ownership: A Theory of Vertical and Lateral Integration. Journal of Political Economy, 94.
GUILLEN, M. 2000. Business Groups in Emerging Economies: A Resource-Based View. Academy of Management Journal, 43, 362-380.
HAVEMAN, H. A. 1993. Follow the Leader: Mimetic Isomorphism and Entry into New Markets. Administrative Science Quarterly, 38, 593-627.
HAVEMAN, H. A. & RAO, H. 1997. Structuring a Theory of Moral Sentiments: Institutional and Organizational Coevolution in the Early Thrift Industry. American Journal of Sociology, 102, 1606-1651.
HAYEK, F. A. 1948. Individualism and Economic order, Chicago, University of Chicago Press.
HININGS, B. & GREENWOOD, R. 1988. The Dynamics of Strategic Change, Oxford, Basil Blackwell.
HIRSCH, P. M. 1986. From Ambushes to Golden Parachutes: Corporate Takeovers as an Instance of Cultural Framing and Institutional Integration. American Journal of Sociology, 91, 800-837.
HIRSCH, P. M. & LOUNSBURY, M. 1997. Ending the Family Quarrel. American Behavioral Scientist, 40.
HLADY-RISPAL, M. 2002. La Méthode des Cas. Application à la Recherche en Gestion, Bruxelles, De Boeck Université.
HOFFMAN, A. J. 1997. From Heresy to Dogma: An Institutional History of Corporate Environmentalism, San Francisco, New Lexington Press.
HOFFMAN, A. J. 1999. Institutional Evolution and Change: Environmentalism and the U.S Chemical Industry. Academy of Management Journal, 42, 351-371.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
299
HOFFMAN, A. J. & VENTRESCA, M. 2002. Introduction. In: HOFFMAN, A. J. & VENTRESCA, M. (eds.) Organizations, Policy and the Natural Environment: Institutional and Strategic Perspectives. Stanford University Press.
HOLM, P. 1995. The Dynamics of Institutionalization: Transformation Processes in Norwegian Fisheries. Administrative Science Quarterly, 40, 398-422.
HUGHES, A. 2000. Retailers, Knowledges and Changing Commodity Networks: The Case of the Cut Flower Trade. GeoForum, 31, 175-190.
HUGHES, E. C. 1936. The Ecological Aspects of Institutions. American Sociological Review, 1, 180-189.
HUMBERT, J.-N. 2003. Politiques et Stratégies ayant Faconné le Secteur Non-sucre. Symposium Agriculture. Port-Louis: Mauritius Chamber of Agriculture.
HUMPHREY, J. 2003. Globalisation and Supply Chain Networks: The Auto Industry in Brazil and India. Global Networks, 2, 121-141.
JUGERNAUTH, R. 2008. Diversification Agricole: Une alternative face à la flambée des prix. L'Express, 08 February 2008.
KAPLINSKY, R. & MORRIS, M. 2001. A Handbook for Value Chain Research.
KOENE, B. & ANSARI, S. 2013. Entrepreneurs, Institutional Entrepreneurship and Institutional Change. Contextualizing the Changing Role of Actors in the Institutionalization of Temporary Work in the Netherlands From 1960 to 2008. In: ERIM (ed.) ERIM Report Series Research in Management. The Netherlands: Erasmus University Rotterdam.
KONDRA, A. Z. & HININGS, C. R. 1998. Organizational Diversity and Change in Institutional Theory. Organization studies, 19, 743-767.
KOSTOVA, T. & ROTH, K. 2002. Adoption of an Organizational Practice by Subsidiaries of Multinational Corporations: Institutional and Relational Effects. The Academy of Management Journal, 45, 215-233.
KRAATZ, M. S. & BLOCK, E. S. 2008. Organizational Implications of Institutional Pluralism. In: GREENWOOD, R., OLIVER, C., SUDDABY, R. & SAHLIN-ANDERSSON, K. (eds.) The Sage Handbook of Organizational Institutionalism. London: Sage.
KRAATZ, M. S. & MOORE, J. H. 2002. Migration and Institutional Change. The Academy of Management Journal, 45, 120-143.
LANGLOIS, R. N. 1986. The New Institutional Economics: An Introductory Essay. In: LANGLOIS, R. N. (ed.) Economics as a Process: Essays in the new Institutional Economics. New York: Cambridge University Press.
LAWRENCE, T. B. 1999. Institutional Strategy. Journal of Management, 25, 161-188.
LAWRENCE, T. B., HARDY, C. & PHILIPPS, N. 2002. Institutional Effects of Interorganizational Collaboration: The Emergence of Proto-Institutions. The Academy of Management Journal, 45, 281-290.
LAWRENCE, T. B., LECA, B. & ZILBER, T. B. 2013. Institutional Work: Current Research, New Directions and Overlooked Issues. Organization Studies, 34, 1023-1033.
LAWRENCE, T. B., MAUWS, M. K., DYCK, B. & KLAYSEN, R. F. 2005. The Politics of Organizational Learning: Integrating Power into the 4I Framework. Academy of Management Review, 30, 180-191.
LAWRENCE, T. B. & SUDDABY, R. 2006. Institutions and Institutional Work. In: CLEGG, S., HARDY, C., LAWRENCE, T. B. & NORD, W. (eds.) The SAGE Handbook of Organization Studies. 2nd ed. London: Sage Publications Inc.
LAWRENCE, T. B., SUDDABY, R. & LECA, B. (eds.) 2009a. Institutional Work: Actors and Agency in Institutional Studies of Organizations, New York: Cambridge University Press.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
300
LAWRENCE, T. B., SUDDABY, R. & LECA, B. 2009b. Introduction: Theorizing and Studying Institutional Work. In: LAWRENCE, T. B., SUDDABY, R. & LECA, B. (eds.) Institutional Work: Actors and Agency in Institutional Studies of Organizations. New Yok: Cambridge University Press.
LAWRENCE, T. B., SUDDABY, R. & LECA, B. 2011. Institutional Work: Refocusing Institutional Studies of Organization. Journal of Management Inquiry, 20, 52-58.
LE ROY, F. & GUILLOTREAU, P. 2002. Contester la Domination de Leaders de Marché en Changeant les Régles du Jeu: Le cas de l'Industrie Thonière Francaise. Management International, 6, 29-41.
LEBLEBICI, H., SALANCIK, G. R., COPAY, A. & KING, T. 1991. Institutional Change and the Transformation of Interorganizational fields: An Organisational History of the U.S radio Broadcasting Industry. Administrative Science Quarterly, 36, 333-363.
LECA, B. 2006. Pas Seulement des "Lemmings". Les Relations entre les Organisations et Leur Environnement dans le Néo-Institutionnalisme Sociologique. Finance Contrôle Stratégie, 9, 67-86.
LECA, B., BATTILANA, J. & BOXENBAUM, E. 2006. Taking Stock on Institutional Entrepreneurship: What do we know? Where do we go? Academy of Management Meetings. Atlanta.
LECA, B., BATTILANA, J. & BOXENBAUM, E. 2008. Agency and Institutions: A Review of Institutional Entrepreneurship. HBS Working Paper. Harvard Business School.
LECA, B. & NACCACHE, P. 2006. A Critical Realist Approach to Institutional Entrepreneurship. Organization, 13, 627-651.
LEE, K. & PENNINGS, J. M. 2002. Mimicry and the Market: Adoption of a New Organizational Form. The Academy of Management Journal, 45, 144-162.
LEFSRUD, L. & SUDDABY, R. 2012. After the Gold Rush: The Role of Professionals in the Emergence and Configuration of Organizational Fields. In: REIHLEN, M. & WERR, A. (eds.) Handbook of Research on Entrepreneurship in Professional Services. UK: Edward Elgar Publishing Ltd.
LOUNSBURY, M. 2002. Institutional Transformation and Status Mobility: The Professionalization of the Field of Finance. The Academy of Management Journal, 45, 255-266.
MAGUIRE, S. & HARDY, C. 2009. DISCOURSE AND DEINSTITUTIONALIZATION: THE DECLINE OF DDT. Academy of Management Journal, 52, 148-178.
MAGUIRE, S., HARDY, C. & LAWRENCE, T. B. 2004. Institutional Entrepreneurship in Emerging Fields: HIV/AIDS Treatment Advocacy in Canada. The Academy of Management Journal, 47, 657-679.
MAJOR, M. & CRUZ, I. Institutional Entrepreneurship in the Portuguese NHS. In: KOKUBU, K., SAWABE, N. & SAKAUE, M., eds. 7th Asia Pacific Interdisciplinary Research in Accounting Conference, 26-28 July 2013 Kobe, Japan. 1-34.
MANRAKHAN, J. 1997. History of Agricultural Research in Mauritius, Rose-Hill, Editions de l'Océan Indien.
MARCH, J. G. (ed.) 1965. Handbook of Organizations, Chicago: Rand McNally.
MARCH, J. G. & OLSEN, J. P. 1989. Rediscovering Institutions: The Organizational Basis of Politics, New York, The Free Press.
MATHER, C. 2008. Value Chains and Tropical Products in a Changing Global Trade Regime. ICTSD Programme on Agricultural Trade and Sustainable Department South Africa: University of the Witwatersrand.
MCA 2010. Annual Report. Mauritius Chamber of Agriculture.
MCCI. 2011. Economic Review [Online]. Available: http://www.mcci.org/economy_review_introduction.aspx [Accessed 24 Aout 2011].
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
301
MÉNARD, C. 2000. Une Nouvelle Approche de l'Agro-Alimentaire: l'Economie Néo-Institutionnelle. Economie Rurale, 255-256, 186-196.
MERCOIRET, M. R. 1994. L'appui aux Producteurs Ruraux : Guide à l'Usage des Agents de Développement et des Responsables de Groupements Paris.
MERRIAM, S. B. 1988. Case Study Research in Education: A Qualitative Approach, San Francisco, Jossey-Bass.
MERTON, R. K. 1936. The Unanticipated Consequences of Purposive Social Action. American Sociological Review, 1, 8946904.
MEYER, J. W. 1994. Rationalized Environments. In: MEYER, J. W. & SCOTT, W. R. (eds.) Institutional Environments and Organizations: Structural Complexity and Individualism. Thousand Oaks, CA: Sage.
MEYER, J. W. & ROWAN, B. 1977. Institutionalized Organizations: Formal Structure as Myth and Ceremony. American Journal of Sociology, 83, 340-363.
MEYER, J. W., SCOTT, W. R., STRANG, D. & CREIGHTON, A. L. 1988. Bureaucratization Without Centralization: Changes in the Organization System of U.S Public Education, 1940-80. In: ZUCKER, L. G. (ed.) Institutional Patterns and Organizations: Culture and Environment. Cambridge, MA: Ballinger.
MICELOTTA, E. R. & WASHINGTON, M. 2013. Institutions and Maintenance: The Repair Work of Italian Professions. Organization Studies, 34, 1137-1170.
MILES, M. B. & HUBERMAN, A. M. 2003. Analyse des Données Qualitatives, Bruxelles, De Boeck Supérieur.
MILLER, D., LE BRETON-MILLER, I. & LESTER, R. 2011. Family and Lone Founder Ownership and Strategic Behavior: Social Context, Identity and Institutional Logics. Journal of Management Studies 48, 1-25.
MOAF 2006. Multi Annual Adaptation Strategy: Action Plan 2006-2015. In: MOAF (ed.). Ministry of Agro-Industry and Fisheries, Port-Louis: Government Press.
MOE 2006. Stocktaking and Stakeholders' Consultation Exercise on Climate Change: Activities Report. Port-Louis: Ministry of Environment and National Development Unit.
MONTIGAUD, J. C. 1992. L'analyse des Filières Agroalimentaires: Méthodes et Premiers Résultats. Economies et Sociétés- Cahiers de l'ISMEA, 21, 59-83.
MUNIR, K. A. & PHILIPPS, N. 2005. The Birth of the "Kodak Moment": Institutional Entrepreneurship and the Adoption of New Technologies. Organization Studies, 26, 1665-1687.
MUTCH, A. 2007. Reflexivity and the Institutional Entrepreneur: A Historical Exploration. Organization Studies, 28, 1123-1140.
NELSON, R. & WINTER, S. 1982. An Evolutionary Theory of Economic Change, Cambridge, Harvard University Press.
NEWMAN, K. L. 2000. Organizational Transformation during Institutional Upheaval. The Academy of Management Review, 25, 602-619.
NORTH, D. C. 1981. Structure and Change in Economic History, New York.
NORTH, D. C. 1990. Institutions, Institutional Change and Economic Performance, Cambridge, Cambridge University Press.
NORTH, D. C. & THOMAS, R. P. 1973. The Rise of the Western World: A New Economic History, Cambridge, Cambridge University Press.
OLIVER, C. 1988. The Collective Strategy Framework: An Application to Competing Predictions of Isomorphism. Administrative Science Quarterly, 33, 543-561.
OLIVER, C. 1991. Strategic Responses to Institutional Processes. Academy of Management Review, 16, 145-179.
OLIVER, C. 1992. The Antecedents of Deinstitutionalization. Organization Studies, 13, 563-588.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
302
OLIVIER DE SARDAN, J.-P. 1995. Anthropologie et Développement, Paris.
PACHE, A.-C. & SANTOS, F. 2013. Embedded in Hybrid Contexts: How Individuals in Organizations Responds to Competing Institutional Logics. Research in the Sociology of Organizations, 39B, 3-35.
PALPACUER, F. 2006. The Global Sourcing Patterns of French Clothing Retailers. Environment and Planning A, 38, 2271-2283.
PALPACUER, F., GIBBON, P. & THOMSEN, L. 2005. New Challenges for Developing Country Suppliers in Global Clothing Chains. World Development, 33, 409-430.
PALPACUER, F. & TOZANLI, S. 2008. Changing Governance Patterns in European Food Chains:The Rise of a New Divide Between Global Players and Regional Producers. Transnational Corporations, 17, 66-94.
PAREANEN, T. 2008. An In-depth Analysis of the Wholesale Marketing System of Fresh Vegetables in Mauritius: Potential for Improvements. Masters in Agricultural Management, University of Mauritius.
PARSONS, T. 1951. The Social System, New York, The Free Press.
PARSONS, T. 1956a. Suggestions for a Sociologocal Approach to the Theory of Organizations-I. Administrative Science Quarterly, 1, 63-85.
PARSONS, T. 1956b. Suggestions for a Sociological Approach to the Theory of Organizations-II. Administrative Science Quarterly, 1, 225-239.
PEDROZO, M. X. 2010. Pertinence de la Chaîne Globale de Valeur pour l'Etude du Marché de la Fleur Coupée dans l'Union Européene et de ses Implications dans les Pays en Voie de Développement: Le Cas de la France et du Brésil. Doctorat en Sciences Economiques, Montpellier Sup Agro.
PENG, M. W. 2003. Institutional Transitions and Strategic Choices. Academy of Management Review, 28, 275-296.
PERRET, V. & SÉVILLE, M. 2003. Fondements Epistémologiques de la Recherche. In: THIÈTART, R. A. (ed.) Méthodes de Recherche en Management. 2nd ed. Paris: Dunod.
PFEFFER, J. & SALANCIK, G. 1978. The External Control of Organizations, New York, Harper & Row.
PHILIPPS, N., LAWRENCE, T. B. & HARDY, C. 2000. Inter-organizational Collaboration and the Dynamics of Institutional Fields. Journal of Management Studies, 37, 23-43.
PHILIPPS, N., LAWRENCE, T. B. & HARDY, C. 2004. Discourse and Institutions. Academy of Management Review, 29, 635-652.
PHILLIPS, D. & ZUCKERMAN, E. 2001. Middle Status Conformity: Theoretical Restatement and Empirical Demonstration in Two Markets. American Journal of Sociology,, 107, 379-429.
PHILLIPS, N. & LAWRENCE, T. B. 2012. The Turn to Work in Organization and Management Theory: Some Implications for Strategic Organization. Strategic Organization, 10, 223-230.
PHILLIPS, N., LAWRENCE, T. B. & HARDY, C. 2000. Inter-Organizational Collaboration and the Dynamics of Institutional Fields. Journal of Management Studies, 37, 23-44.
PHILLIPS, N., LAWRENCE, T. B. & HARDY, C. 2004. Discourse and Institutions. Academy of Management Review, 29, 635-652.
PORTER, M. 1993. L'avantage Concurrentiel des Nations, Paris, InterEditions.
PORTER, M. E. 1985. Competitive Advantage, New York, New Press.
POSNER, R. A. 1981. The Economics of Justice, Cambridge, Harvard University Press.
POWELL, W. W. 1991. Expanding the scope of Institutional Analysis. In: POWELL, W. W. & DIMAGGIO, P. J. (eds.) The New Institutionalism in Organizational Analysis. Chicago: The University of Chicago Press.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
303
POWELL, W. W. & COLYVAS, J. A. 2008. Microfoundations of Institutional Theory. In: GREENWOOD, R., OLIVER, C., SAHLIN, K. & SUDDABY, R. (eds.) The Sage Handbook of Organizational Institutionalism. SAGE.
POWELL, W. W. & DIMAGGIO, P. J. (eds.) 1991. The New Institutionalism in Organizational Analysis, Chigaco: The University of Chicago Press.
PRATT, M. G. 2009. From the Editors. For the Lack of a Boilerplate: Tips on Writing up (and reviewing) Qualitative Research. Academy of Management Journal, 52, 856-862.
QUINET, C. 1994. Herbert Simon et la Rationalité. Revue Francaise d'Economie, 9, 133-181.
RABACH, E. & KIM, E. M. 1994. Where is the Chain in Commodity Chains? The Service Sector Nexus. In: GEREFFI, G. & KORZENIEWICZ, M. (eds.) Commodity Chains and Global Capitalism. Wesport, CT: Praeger.
RAGIN, C. C. 1987. The Comparative Method, California, University of California Press.
RAMASAWMY, B. & FORT, F. 2010. Effets d'un Changement Institutionnel, la Réforme du Protocole Sucre (ACP-EU), sur la Filière Légumes Frais à l'île Maurice. In: ARFINI, F., CERNICCHIARO, S. & DONATI, M. (eds.) International EAAE-SYAL Seminar- Spatial Dynamics in Agri-Food Systems: Implications for Sustainability and Consumer Welfare. 27-30 October 2010, Parme, Italie: Monte Universita Parma Editore.
RAMASAWMY, B. & FORT, F. 2011. Can Innovation be Institutionally-Driven? The Case of Institutional Entrepreneurs in the Restructuration of the Mauritian Vegetable Supply Chain. In: FULFORD, H. (ed.) 6th European Conference on Innovation and Entrepreneurship. 15-16 September 2011, Aberdeen, Scotland: Academic Publishing Limited.
RAO, H. 1998. Caveat Emperor: The Construction of Nonprofit Consumer Watchdogs Organizations. American Journal of Sociology, 103, 912-961.
RAO, H., MONIN, P. & DURAND, R. 2005. Border Crossing: Bricolage and the Erosion of Categorical Boundaries in French Gastronomy. American Sociological Review, 70, 968-991.
RAO, H., MORRILL, C. & ZALD, M. N. 2000. Power Plays: How Social Movements and Collective Action Create New Organizational Forms. Research in Organizational Behavior, 22, 237-281.
RASTOIN, J. L. 2007. Le Système Alimentaire. Montpellier: Montpellier SupAgro.
REYNOLDS, L. T. 1994. Institutionalizing Flexibility: A Comparative Analysis of Fordist and Post-Fordist Models of Third World Agro-Export Production. In: GEREFFI, G. & KORZENIEWICZ, M. (eds.) Commodity Chains and Global Capitalism. Westport; CT: Praeger.
RIZZA, R. 2008. Néo-institutionnalisme sociologique et nouvelle sociologie économique : quelles relations ? . Revue Interventions Economiques, 38.
ROUSSET, S. 2004. Qualité et Coordination Economique dans les Industries Agrolimentaires: Analyse Institutionnelle Comparée de l'Industrie de Vin en Bourgogne, Californie et Nouvelle Zélande. PhD, Université de Bourgogne.
ROY, D. 1952. Quota Restriction and Goldbricking in a Machine Shop American Journal of Sociology, 57, 427-442.
SCHMITZ, H. 1999. Global Competition and Local Co-operation: Success and failure in the Sinos Valley, Brazil. World Development, 27, 1627-1650.
SCHOTTER, A. 1981. The Economic Theory of Social Institution, New York, Cambridge University Press.
SCHUMPETER, J. A. 1935. Théorie de l'Evolution Economique, Paris, Dalloz.
SCOTT, W. R. 2003. Organizations: Rational, Natural and Open Systems, Upper Saddle River, New Jersey, Prentice Hall.
SCOTT, W. R. 2008. Institutions and Organizations, California, Sage Publications.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
304
SCOTT, W. R. & MEYER, J. W. 1991. The Organization of Societal Sectors: Propositions and Early Evidence. In: POWELL, W. W. & DIMAGGIO, P. J. (eds.) The New Institutionalism in Organizational Analysis. Chicago: The University of Chicago Press.
SCOTT, W. R., RUEF, M., MENDEL, P. J. & CARONNA, C. A. 2000. Institutional Change and Healthcare Organizations: From professional dominance to managed care, Chicago, University of Chicago Press.
SELZNICK, P. 1948. Foundations of the Theory of Organization. American Sociological Review, 13, 25-35.
SELZNICK, P. 1949. TVA and the Grass Roots, Berkeley, University of California Press.
SELZNICK, P. 1957. Leadership in Administration, New York, Harper & Row.
SEO, M. & CREED, W. E. D. 2002. Institutional Contradictions, Praxis, and Institutional Change: A Dialectical Perspective. The Academy of Management Review, 27, 222-247.
SEWELL, W. H. J. 1992. A Theory of Structure: Duality, Agency, and Transformation. The American Journal of Sociology, 98, 1-29.
SILVERMAN, D. 1971. The Theory of Organisations: A sociological Framework, New York, Basic Books.
SILVERMAN, D. 1993. Interpreting Qualitative Data: Methods for Analysing Talk, Text and Interactions., London, SAGE Publications.
SIMON, H. A. 1997. Administrative Behavior: A Study of Decision-Making Processes in Admininstrative Organization, New York, The Free Press.
SLACK, T. & HININGS, B. 1994. Institutional Pressures and Isomorphic Change: An Empirical Test. Organization Studies, 15, 803-827.
SPEDALE, S. & WATSON, T. J. 2013. The Emergence of Entrepreneurial Action: At the Crossroads between Institutional Logics and Individual Life-Cycle Orientation. International Small Business Journal, 0, 1-21.
STAKE, R. E. 1995. The Art of the Case Study Research, CA, SAGE.
STERN, P. A. & REARDON, T. 2002. Determinants and Effects of Institutional Change: A Case Study of Dry Bean Grades and Standards. Journal of Economic Issues, 36, 1-16.
STIGLER, G. J. 1989. Two Notes on the Coase Theorem. Yale Law Journal, 99, 631-633.
STINCHCOMBE, A. L. 1968. Constructing Social Theories, Chicago, University of Chicago Press.
SUCHMAN, M. C. 1995. Managing Legitimacy: Strategic and Institutional Approaches. The Academy of Management Review, 20, 571-610.
SUDDABY, R. & GREENWOOD, R. 2005. Rhetorical Strategies of Legitimacy. Administrative Science Quarterly, 50, 35-67.
SUDDABY, R. & VIALE, T. 2011. Professionals and Field-Level Change: Institutional Work and the Professional Project. Current Sociology, 59, 423-442.
SVEJENOVA, S., MAZZA, C. & PLANELLAS, M. 2007. Cooking up Change in Haute Cuisine: Ferran Adrià as an Institutional Entrepreneur. Journal of Organizational Behaviour, 28, 539-561.
SWIDLER, A. 1986. Culture in Action: Symbols and strategies. American Sociological Review, 5, 273-286.
TALLEC, F. & BOCKEL, L. 2005. L'approche Filière. Analyse Fonctionnelle et Identification des Flux. In: FAO (ed.) EASYPol. Rome: Food and Agriculture Organization.
THIÈTART, R. A. 1999. Méthodes de Recherche en Management, Paris, Dunod.
THORNTON, P. & OCASIO, W. 2008. Institutional Logics. In: GREENWOOD, R., OLIVER, C., SUDDABY, R. & SAHLIN, K. (eds.) The Sage Handbook of Organizational Institutionalism. UK: SAGE Publications.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
305
THORNTON, P. H. 2002. The Rise of the Corporation in a Craft Industry: Conflict and Conformity in Institutional Logics. The Academy of Management Journal, 45, 81-101.
THORNTON, P. H. 2004. Markets from Culture: Institutional Logics and Organizational Decisions in Higher Education Publishing, Standford, Sage.
THORNTON, P. H. & OCASIO, W. 1999. Institutional Logics and the Historical Contingency of Power in Organizations: Executive Succession in the Higher Education Publishing Industry, 1958-1990. American Journal of Sociology, 105, 801-843.
THORNTON, P. H., OCASIO, W. & LOUNSBURY, M. 2012. The Institutional Logics Perspective: A New Approach to Culture, Structure and Process, London, Oxford University Press.
THORNTON, P. T. 2001. Personal Versus Market Logics of Control: A Historically Contingent Theory of the Risk of Acquisition. Organization Science, 12, 294-311.
TOLBERT, P. S. & ZUCKER, L. G. 1983. Institutional Sources of Change in the Formal Structure of Organizations: The Diffusion of Civil Service Reform, 1880-1935. Administrative Science Quarterly, 28, 22-39.
TOLBERT, P. S. & ZUCKER, L. G. 1996. The Institutionalization of Institutional Theory. In: CLEGG, S., HARDY, C., LAWRENCE, T. B. & NORD, W. (eds.) Handbook of Organization Studies. Sage.
TOWNLEY, B. 1997. The Institutional Logic of Performance Appraisal. Organization Studies, 18, 261-285.
TOWNLEY, B. 2002. The Role of Competing Rationalities in Institutional Change. The Academy of Management Journal, 45, 163-179.
TOZANLI, S. & EL HADAD, G. F. 2007. La Gouvernance de la Chaîne Globale de Valeur et la Coordination des Acteurs Locaux: Filière d'Exportation des Tomates Fraîches au Maroc et en Turquie. Cahier Agricultures, 16, 278-286.
TRANK, C. Q. & WASHINGTON, F. 2009. Maintaining an Institution in a Contested Field: The Work of the AACSB and its Constituents. In: LAWRENCE, T. B., SUDDABY, R. & LECA, B. (eds.) Institutional Work: Actors and Agency in Institutional Studies of Organizations. New York: Cambridge University Press.
TROUINARD, A. 2004. Les effets de l’Arrivée de Nouveaux Concurrents dans un Champ Fortement Institutionnalisé : Le Cas de la Presse Quotidienne Parisienne. XIIIe Conférence de l'Association Internationale de Management Stratégique. Normandie, Vallée de Seine.
VENKATARAMAN, S. 1997. The Distinctive Domain of Entrepreneurship Research. In: KATZ, J. & BROCKHAUS, R. H. (eds.) Advances in Entrepreneurship, Firm Emergence and Growth. Jai Press Inc.
VORONOV, M. & VINCE, R. 2012. Integrating Emotions into the Analysis of Institutional Work. Academy of Management Review, 37, 58-81.
WACHEUX, F. 1996. Méthodes Qualitatives et Recherche en Gestion, Paris, Economica.
WADE, I., DAVID-BENZ, H. & EGG, J. 2004. Information et Régulation des Filières Maraîchères au Sénégal. Cahier d'Etudes et de Recherche Francophones/Agricultures, 13, 148-157.
WEBER, K., PATEL, H. & HEINZE, K. L. 2013. From Cultural Repertoires to Institutional Logics: A content-Analytic Method. Research in the Sociology of Organizations, 39B, 351-382.
WEICK, K. E. 1995. Sensemaking in Organizations, California, Sage.
WEIK, E. 2011. Institutional Entrepreneurship and Agency. Journal for the Theory of Social Behaviour, 1-16.
WHITTINGTON, R. 1992. Putting Giddens into Action: Social systems and Managerial Agency. Journal of Management Studies, 29, 693-712.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
306
WIJINANDS, J. H. M. 2005. Sustainable International Networks in the Flower Industry: Bridging Empirical Findings and Theoretical Approaches. The Hague: International Society for Horticultural Science.
WILLIAMSON, O. E. 1975. Markets and Hierarchies: Analysis and Antitrust Implications, New York, The Free Press.
WILLIAMSON, O. E. 1985. The Economic Institutions of Capitalism, New York, The Free Press.
WILLIAMSON, O. E. 1991. Comparative economic organization: The analysis of discrete structural alternatives. Administrative Science Quarterly, 36, 269-296.
WILSON, S. & ZAMBRANO, M. 1994. Cocaine, Commodity Chains, and Drug Policies: A Transnational Approach. Economics and Economic History.
WOHLGENANT, M. K. 1999. Effets de la Libéralisation du Commerce sur le Marché Mondial du Sucre. In: FAO (ed.). Rome: Food and Agricultural Organisation.
WUTHNOW, R. 1987. Meaning and Moral Order: Explorations in Cultural Analysis, Berkeley, University of California Press.
YAMI, S. 2003. Petite Entreprise et Stratégies Collectives de Filières. Revue Française de Gestion, 3, 165-179.
YIN, R. K. 1994. Case Study Research. Design and Methods, London, SAGE Publications.
ZHAO, M., FOGEL, K., MORCK, R. & YEUNG, B. 2006. Trade liberalization and Institutional Change. The Social Science Research Network Electronic Paper Collection [Online]. Available: http://posteconomics.harvard.edu/hier/2006papers/2006list.html.
ZIESTMA, C. & LAWRENCE, T. B. 2010. Institutional Work in the Transformation of an Organizational Field: The Interplay of Boundary Work and Practice Work. Administrative Science Quarterly, 55, 189-221.
ZILBER, T. B. 2002. Institutionalization as an Interplay Between Actions, Meanings, and Actors: The Case of a Rape Crisis Center in Israel. The Academy of Management Journal, 45.
ZILBER, T. B. 2013. Institutional Logics and Institutional Work: Should They be Agreed? Research in the Sociology of Organizations, 39A, 77-96.
ZIMMERMAN, M. A. & ZIET, G. J. 2002. Beyond Survival: Achieving New Venture Growth by Building Legitimacy. The Academy of Management Review, 27, 414-431.
ZUCKER, L. G. 1977. The Role of Institutionalization in Cultural Persistence. American Sociological Review, 42, 726-743.
ZUCKER, L. G. 1983. Organizations as Institutions. In: BACHARACH, S. B. (ed.) Research in the Sociology of Organizations. Greenwich: JAI Press.
ZUCKER, L. G. 1987. Institutional Theories of Organization. Annual Review of Sociology, 13, 443-464.
ZUNDEL, M., HOLT, R. & CORNELISSEN, J. 2012. Institutional Work in The Wire: An Ethological Investigation of Flexibility in Organizational Adaptation. Journal of Management Inquiry, 22, 102-120.
LISTE DES TABLEAUX
307
LISTE DES TABLEAUX INSERES DANS LE TEXTE
Tableau1 1.0 : Les trois piliers des institutions ................................................................... 28
Tableau2 1.1 : Types d’institutions : Formelles et informelles ............................................ 32
Tableau3 1.2: Profils de changements institutionnels ........................................................ 47
Tableau4 1.3: Réactions stratégiques aux processus institutionnels ................................... 65
Tableau5 1.4 : Les pratiques permettant la création d’institutions ..................................... 73
Tableau6 1.5: Les pratiques permettant le maintien d’institutions .................................... 74
Tableau7 1.6: Les pratiques permettant la déstabilisation des d’institutions ..................... 75
Tableau8 1.7: Typologie de la recherche en analyse de filière appliquée à l’agroalimentaire ....................................................................................................................................... 86
Tableau9 2.0: Cultures agricoles sous l'occupation française de Maurice ........................... 98
Tableau10 2.1 : Structure du secteur agricole non-sucre .................................................... 103
Tableau11 2.2: Les principales initiatives des politiques publiques dans le secteur non-sucre de 1970 à 2008 .............................................................................................................. 105
Tableau12 2.3 : Distribution des producteurs de canne à sucre en fonction de la superficie cultivée .......................................................................................................................... 121
Tableau13 2.4 : Les organisations au service de la filière CAS ............................................. 124
Tableau14 3.1: Les trois piliers institutionnels de la filière légumes .................................... 152
Tableau15 3.2 : Effets directs et indirects des nouveaux entrants dans la filière légumes .... 158
Tableau16 4.1 : Positions épistémologiques des paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste ............................................................................................................... 179
Tableau17 4.2 : Entretiens qualitatifs ................................................................................. 188
Tableau18 4.3 : Les facteurs de choix d’un type d’analyse de données textuelles ............... 189
Tableau19 5.1 : Les logiques institutionnelles de la filière légumes ..................................... 204
Tableau20 5.2 : Degré d’interaction entre les acteurs de la filière légumes ......................... 207
Tableau21 5.3: Pressions normatives, coercitives et mimétiques sur les acteurs principaux de la filière légumes ........................................................................................................... 209
Tableau22 5.4 : Score des différents indicateurs de structuration de la filière légumes ....... 212
Tableau23 5.5 : Données brutes (trois conditions) .............................................................. 216
Tableau24 5.6 : Données dichotomiques (trois conditions)................................................. 217
LISTE DES TABLEAUX
308
Tableau25 5.7 : Tableau de vérité- Logique familiale .......................................................... 217
Tableau26 5.8 : Données dichotomiques (quatre conditions) ............................................. 220
Tableau27 5.9 : Tableau de vérité- Logique de marché ....................................................... 221
Tableau28 5.10 : Données dichotomiques (quatre conditions) ........................................... 225
Tableau29 5.11 Tableau de vérité- Logique individualiste .................................................. 226
Tableau30 5.12 : Données brutes (quatre conditions) ........................................................ 229
Tableau31 5.13 : Données dichotomiques (quatre conditions) ........................................... 230
Tableau32 5.14 : Tableau de vérité- Logique de cartellisation ............................................. 231
Tableau33 5.15 : Données dichotomiques (six conditions) .................................................. 233
Tableau34 5.16 : Tableau de vérité-Logique entrepreneuriale ............................................ 235
Tableau35 5.17 : Critères de détermination du degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles ............................................................................................................. 238
Tableau36 5.18 : Degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles par acteur .............. 239
Tableau37 5.19 : Critères de détermination du degré d’institutionnalisation des logiques institutionnelles ............................................................................................................. 240
Tableau38 5.20 : Degré d’institutionnalisation des logiques institutionnelles par acteur ..... 240
Tableau39 5.21: Caractéristiques des acteurs de la filière légumes ..................................... 244
Tableau40 5.22 : Chronologie des événements clés dans le secteur agricole mauricien ....... 246
Tableau41 5.23 : Types et formes de travail institutionnel dans la filière légumes .............. 251
Tableau42 5.24 : Etudes de cas dans la filière légumes ....................................................... 252
Tableau43 5.25 : Principales caractéristiques d’un petit producteur de légumes................. 253
Tableau44 5.26 : Principales caractéristiques d’un regroupement de petits producteurs de légumes ......................................................................................................................... 255
Tableau45 5.27 : Principales caractéristiques d’un mandataire........................................... 257
Tableau46 5.28 : Principales caractéristiques d’un regroupement de moyens producteurs . 259
Tableau47 5.29 : Principales caractéristiques d’un nouvel entrant –producteur.................. 260
Tableau48 5.30 : Principales caractéristiques d’un nouvel entrant-distributeur .................. 262
Tableau49 5.31 : Résumé des principaux résultats de la recherche ..................................... 264
Tableau50 6.1: Rappel des propositions de recherche ........................................................ 279
LISTE DES FIGURES
309
LISTE DES FIGURES INSEREES DANS LE TEXTE
Figure1 1.0 : Structure générale de la thèse....................................................................... 12
Figure2 1.1: Modèle Théorique 1: Le changement institutionnel........................................ 40
Figure3 1.2 : Modèle théorique 2: Déterminants du processus de changement institutionnel ....................................................................................................................................... 48
Figure4 1.3: Modèle théorique 3: Le processus de l’entrepreneuriat institutionnel ............ 61
Figure5 1.4 : Un modèle dynamique des intérêts et des institutions .................................. 63
Figure6 1.5 : Relation récursive entre les institutions et l’action ........................................ 70
Figure7 1.6: Modèle théorique 3: Schématisation du concept de filière ............................. 85
Figure8 1.7: Proposition d’un modèle conceptuel de l’utilisation de la perspective néo-institutionnelle dans l’analyse de filière .......................................................................... 90
Figure9 1.8: Schématisation des variables dépendantes et indépendantes de la question de recherche ....................................................................................................................... 92
Figure10 2.0: Répartition des terres au début des années 1970 .......................................... 100
Figure11 2.1 : Contribution du secteur agricole au PIB de 1980 à 2010 ............................... 101
Figure12 2.2 : Importation de produits alimentaires et animaux vivants 2000-2010 ............ 101
Figure13 2.3 : Contribution du secteur non-sucre au PIB de 2000-2010 ............................... 104
Figure14 2.4: Evolution de la production de produits primaires et transformés de 1970-2000 ...................................................................................................................................... 104
Figure15 2.5: Superficie sous canne à sucre pour diverses catégories de producteurs de 1975 à 2009 ........................................................................................................................... 122
Figure16 2.6: Nombre d’usines sucrières en opération de 1789 à 2010 ............................... 123
Figure17 2.7 : Production de sucre de 1980 à 2010 ............................................................. 123
Figure18 2.8: Contribution de la filière sucre au PIB 1976-2011 .......................................... 130
Figure19 2.9: Superficie sous canne à sucre de 1980 à 2010 ............................................... 132
Figure20 2.10 : L’utilisation des terres à Maurice entre 1995 et 2005.................................. 132
Figure21 2.11: Contribution de la filière CAS au secteur agricole de 2006 à 2010 en % ........ 133
Figure22 2.12 : Superficie sous culture et production de légumes de 1980 à 2009 .............. 135
Figure23 3.0 : La filière légumes mauricienne ..................................................................... 147
LISTE DES FIGURES
310
Figure24 3.1 : Principaux canaux de distribution pour les légumes provenant des producteurs traditionnels de légumes et des gros producteurs sucrier ............................................... 151
Figure25 3.2 : Cadre d’analyse ........................................................................................... 169
Figure26 4.1 : Design de la recherche ................................................................................. 183
Figure27 4.2 : Codage par nœuds ....................................................................................... 191
Figure28 4.3 : Fréquence des mots ..................................................................................... 191
Figure29 5.1 : Analyse thématique des discours – Identification des logiques institutionnelles ...................................................................................................................................... 202
Figure30 5.2 : Continuum du degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles ............. 205
Figure31 5.3 : Continuum du degré d’interaction entre les acteurs ..................................... 206
Figure32 5.2 : Accord des acteurs en place de la filière légumes sur les logiques institutionnelles existantes ............................................................................................ 211
Figure33 5.3 : Accord des acteurs en place et nouveaux de la filière légumes sur les logiques institutionnelles existantes et nouvelles ......................................................................... 211
Figure34 5.4 : Diagramme de Venn-Logique familiale ......................................................... 218
Figure35 5.5 : Diagramme de Venn-Logique de marché ...................................................... 221
Figure36 5.6 : Diagramme de Venn-Logique individualiste ................................................. 227
Figure37 5.7 : Diagramme de Venn-Logique de cartellisation ............................................. 231
Figure38 5.8 : Diagramme de Venn-Logique entrepreneuriale ............................................ 235
Figure39 5.9 : Analyse thématique des discours-Identification du travail institutionnel ...... 249
LISTE DES ABREVIATIONS
311
LISTE DES ABREVIATIONS
ACP : Afrique Caraïbes Pacifique
AOC : Appellation d’Origine Contrôlée
AMB : Agricultural Marketing Board
APE : Accord de Partenariat Economique
AREU : Agricultural Research and Extension Unit
ASC : Accord Sucre Commonwealth
CAS : Canne à Sucre
CE : Commission Européenne
CEB : Central Electricity Board
CGV : Chaine Globale de Valeurs
CEE : Communauté Economique Européenne
CO : Champ Organisationnel
EI : Entrepreneur Institutionnel
FARC : Food and Agricultural Research Council
FL : Filière Légumes
FSC : Farmers Services Corporation
FI : Fournisseur d’Intrants
FSF: Food Security Fund
GD: Grande Distribution
GP: Gros Producteur
G-GE: Grossiste-Grande Entreprise
G-ME: Grossiste-Moyenne Entreprise
G-P: Grossiste-Particulier
LISTE DES ABREVIATIONS
312
Ha: Hectare
Kg: Kilogramme
kWh: Kilo Watt heure
OCM : Organisation Commune du Marché
OMC : Organisation Mondiale du Commerce
ONG : Organisation Non Gouvernementale
MAAS : Multi Annual Adaptation Strategy Plan
MCA Mauritius Chamber of Agriculture
M: Mandataire
MP: Moyen Producteur
MSIRI Mauritius Sugar Industry Research Institute
MUR: Roupies Mauricienne
NPCC: National Productivity and Competitiveness Council
NSSSP : Non Sugar Sector Strategic Plan
PIED : Petits Etats Insulaires en Développement
PIB : Produit Intérieur Brut
PP : Petit Producteur
PS : Producteur Sucrier
PVD : Pays en Voie de Développement
QCA : Qualitative Comparative Analysis
RM : République de Maurice
SCP : Structure Comportement Performance
SIE : Sugar Industry Efficiency
SNI : Sociologie Néo Institutionnelle
UE : Union Européenne
TABLE DES MATIERES
313
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION GENERALE ........................................................................................................... 1
I-1 LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE ............................................................................................. 3
I-2 LE CADRE DE REFERENCE THEORIQUE DE LA RECHERCHE ............................................................... 4
I-3 LA DEMARCHE METHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE .................................................................. 9
I-4 INTERETS DE CETTE RECHERCHE ............................................................................................ 10
I-5 PLAN DE LA THESE ............................................................................................................ 11
PREMIERE PARTIE: L’ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME .............. 14
CHAPITRE 1 : LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L’ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES ... 16
SECTION 1 : Les premières perspectives institutionnalistes ..................................................... 17
1.1 Les premières perspectives institutionnalistes en économie et sociologie .................. 17
1.1.1 Les premières perspectives institutionnelles en économie .................................. 17
1.1.2 Les premières perspectives institutionnelles en sociologie .................................. 18
1.2 La rencontre entre la théorie institutionnelle et les études organisationnelles ........... 20
SECTION 2 : Le néo-institutionnalisme dans les études organisationnelles ............................. 22
1.3 Les fondations de la théorie néo institutionnelle ......................................................... 22
1.3.1 Le néo institutionnalisme dans la discipline de l’économie .................................. 23
1.3.2 Le néo institutionnalisme dans la sociologie des organisations ............................ 24
1.3.3 Le néo institutionnalisme dans l’analyse organisationnelle .................................. 25
1.4 La sociologie néo institutionnelle (SNI) dans les études organisationnelles ................. 26
1.4.1 La notion d’institution dans la sociologie néo-institutionnelle ............................. 27
1.4.2 L’unité d’analyse de la SNI : Le champ organisationnel ........................................ 32
1.4.3 De l’isomorphisme institutionnel au changement institutionnel ......................... 35
1.4.3.1 Isomorphisme institutionnel .............................................................................. 35
1.4.3.2 Changement institutionnel ................................................................................. 37
1.4.3.3 Le rôle des acteurs-organisations dans le changement institutionnel .............. 44
SECTION 3 : La sociologie néo-institutionnelle et le concept d’entrepreneur institutionnel ... 49
1.5 La sociologie néo-institutionnelle étendue dans les études organisationnelles ........... 49
1.5.1 L’entrepreneur institutionnel ................................................................................ 49
1.5.1.1 Le profil de l’entrepreneur institutionnel .......................................................... 50
1.5.1.2 Les conditions qui favorisent l’émergence d’entrepreneurs institutionnels ..... 55
1.5.1.2.1 Les conditions favorisant l’entrepreneuriat institutionnel au niveau du
champ organisationnel .................................................................................................. 55
TABLE DES MATIERES
314
1.5.1.2.2 Les conditions favorisant l’entrepreneuriat institutionnel au niveau des
organisations ................................................................................................................. 57
1.5.1.2.3 Les caractéristiques spécifiques et individuelles des acteurs favorisant
l’entrepreneuriat institutionnel .................................................................................... 58
1.5.1.3 Le processus de l’entrepreneuriat institutionnel ............................................... 59
1.5.1.3.1 Mobilisation des ressources ........................................................................ 60
1.5.1.3.2 Les stratégies institutionnelles .................................................................... 62
1.5.1.3.3 La mobilisation des alliés ............................................................................. 66
1.5.1.4 Les critiques du concept de l’entrepreneur institutionnel ................................. 67
SECTION 4 : Le travail institutionnel dans les études organisationnelles ................................. 69
1.5.2 Le travail institutionnel .......................................................................................... 69
1.5.2.1 L’action agentique : Des activités multiples sur les processus institutionnels... 71
1.5.2.2 La notion de l’intentionnalité et de l’effort ........................................................ 76
SECTION 5: Le néo-institutionnalisme et l’analyse de filières agricoles ................................... 79
1.6 La sociologie néo-institutionnelle étendue et l’analyse de filières agricoles ................ 79
1.6.1 L’analyse des filières agricoles: L’approche filière francophone : Méthodes et
évolution ............................................................................................................................... 79
1.6.1.1 La chaîne de valeur de Porter ............................................................................. 80
1.6.1.2 La chaîne globale de valeur ................................................................................ 80
1.6.1.3 L’approche filière ................................................................................................ 81
1.6.2 La perspective institutionnelle dans l’analyse de filières agricoles ....................... 85
SECTION 6 : Proposition d’un modèle conceptuel .................................................................... 89
1.6.3 Proposition d’un modèle conceptuel utilisant la perspective néo-institutionnelle
dans l’analyse de filières agricoles ........................................................................................ 89
CONCLUSION DU CHAPITRE 1 ......................................................................................................... 93
CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES ..... 95
SECTION 1 : La genèse du secteur agricole mauricien .............................................................. 96
2.1 Le contexte économique de la république de Maurice : Un bref profil ........................ 96
2.2 Le secteur agricole mauricien : historique et bilan ....................................................... 97
2.2.1 Des colonies à l’indépendance en 1968 ................................................................ 97
2.2.2 De l’indépendance en 1968 à nos jours ................................................................ 99
2.2.2.1 Le secteur non-sucre ........................................................................................ 102
2.2.2.2 Les politiques de diversification agricoles mauricienne du secteur non-sucre: de
l’indépendance à 2008 .................................................................................................... 105
SECTION 2 : Le succès de la filière canne à sucre .................................................................... 118
2.3 La filière canne à sucre ................................................................................................ 118
TABLE DES MATIERES
315
2.3.1 Description de la filière ........................................................................................ 118
2.3.1.1 Question de nomenclature .............................................................................. 118
2.3.1.2 Les aspects agro-climatiques et techniques ..................................................... 118
2.3.1.3 Les produits de la filière CAS ............................................................................ 119
2.3.1.4 Les acteurs de la filière CAS .............................................................................. 120
2.3.1.5 La production ................................................................................................... 121
2.3.1.6 Les structures d’appui à la filière CAS .............................................................. 124
2.3.2 Le protocole sucre : Entre grandeur, décadence et renouveau .......................... 125
2.3.3 Les politiques publiques des colonies à nos jours ............................................... 126
2.3.4 La filière canne à sucre post-réforme protocole sucre ....................................... 128
2.3.4.1 Pourquoi la canne à sucre a-t-elle été une culture à succès? .......................... 128
2.3.4.2 Qu’a fait la filière CAS face à la menace de la réforme du protocole sucre? ... 130
2.3.4.3 Quid de la diversification agricole de la filière CAS ? ....................................... 131
SECTION 3 : Notre champ organisationnel-la filière légumes ................................................. 134
2.4 La filière légumes ......................................................................................................... 134
2.4.1 Description de la filière ........................................................................................ 134
2.4.1.1 Question de définition ...................................................................................... 134
2.4.1.2 Production ........................................................................................................ 134
2.4.1.3 Les produits ...................................................................................................... 136
2.4.1.3 Les acteurs de la filière légumes ...................................................................... 138
2.4.1.5 Les structures d’appui au secteur agricole ....................................................... 138
2.4.1.6 Les structures de commercialisation ................................................................ 139
2.4.2 Les défis de la filière légumes .............................................................................. 139
2.5 La problématique générale ......................................................................................... 140
CONCLUSION DU CHAPITRE 2 ........................................................................................................ 142
CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE ............................................................................ 144
SECTION 1 : Terrain exploratoire du champ organisationnel : Résultats et apports .............. 145
3.1 Présentation de l’étude exploratoire .......................................................................... 145
3.1.1 : Méthodologie de l’étude exploratoire ..................................................................... 145
3.1.2 Les résultats de l’étude exploratoire ................................................................... 146
3.1.2.1. Les acteurs économiques de la filière légumes ............................................... 147
3.1.2 Structure de la filière légumes ............................................................................ 149
3.1.2.3. Les piliers institutionnels de la filière légumes................................................... 152
3.1.3 Les apports de l’étude exploratoire .................................................................... 153
SECTION 2 : Elaboration des propositions de recherche ........................................................ 157
TABLE DES MATIERES
316
3.2 Apports du terrain exploratoire à la formulation des propositions de recherche ...... 157
3.2.1 Conjectures ................................................................................................................. 157
3.2.2 Les propositions de recherche ............................................................................ 160
3.2.2.1 Proposition P1 .................................................................................................. 161
3.2.2.2 Proposition P2 .................................................................................................. 163
3.2.2.3 Proposition P3 .................................................................................................. 165
CONCLUSION DU CHAPITRE 3 ........................................................................................................ 166
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE ....................................................................................... 168
DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS ................................................................... 172
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE .............................................................................. 174
SECTION 1 : Positionnement épistémologique et design de la recherche .............................. 175
4.1 Les cadres épistémologiques ....................................................................................... 175
4.1.1 Le paradigme positiviste et l’approche hypothético-déductive .......................... 176
4.1.2 Le paradigme constructiviste et l’approche holistico-inductive ......................... 177
4.1.3 Le paradigme interprétativiste ............................................................................ 178
4.2 Le positionnement épistémologique et la démarche de la recherche........................ 180
4.3 Le design de la recherche ............................................................................................ 182
4.3.1 Le design de la recherche et méthodologie mise en œuvre ............................... 182
SECTION 2: Sélections des études de cas et collecte des données ........................................ 186
4.4 Sélection du cas et des sous-unités ............................................................................. 186
4.5 Collecte des données des études de cas ..................................................................... 187
4.5.1 La recherche documentaire ................................................................................. 187
4.5.2 Les entretiens semi-directifs ............................................................................... 187
4.5.3 Collecte de données ........................................................................................... 188
SECTION 3 : Analyse des données des études de cas .............................................................. 189
4.6 Codage ouvert, de premier niveau .............................................................................. 189
4.6.1 La décontextualisation par le codage des thèmes .............................................. 190
4.6.2 La recontextualisation par les matrices et modèles ............................................ 190
4.7 Analyse qualitative comparée ..................................................................................... 192
SECTION 4 : Critères de fiabilité et validité de la recherche ................................................... 193
4.8 La fiabilité ou la fidélité de la recherche ..................................................................... 193
4.8.1 Calcul de la fiabilité du codage ............................................................................ 194
4.9 La validité de la recherche ........................................................................................... 194
4.9.1 La validité théorique ou du construit .................................................................. 195
4.9.2 La validité interne ................................................................................................ 195
4.9.3 Validité externe ................................................................................................... 195
TABLE DES MATIERES
317
CONCLUSION DU CHAPITRE 4 ........................................................................................................ 197
CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS ......................................................... 199
SECTION 1 : Méso analyse du champ organisationnel ............................................................ 200
5.1 : Les caractéristiques du champ organisationnel de la filière légumes ............................. 200
5.1.1 Les logiques institutionnelles de la filière légumes ............................................. 201
5.1.1.1 Le degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles du CO ...................... 205
5.1.1.2 Le degré d’institutionnalisation des logiques institutionnelles du CO ............. 206
5.1.1.2.1 Le degré d’interaction entre les acteurs ................................................... 206
5.1.1.2.2 Les structures de domination ou d’alliance .............................................. 208
5.1.1.2.3 Le degré d’isomorphisme des acteurs en place ........................................ 209
5.1.1.2.3 L’accord sur les logiques institutionnelles................................................. 210
SECTION 2 : Micro-analyse des logiques institutionnelles au niveau des acteurs .................. 214
5.2 Analyse qualitative comparative des logiques institutionnelles par rapport aux acteurs 214
5.2.1 La logique familiale .............................................................................................. 214
5.2.2 La logique de marché.......................................................................................... 219
5.2.3 La logique individualiste ............................................................................................. 223
5.2.4 La logique de cartellisation ......................................................................................... 228
5.2.5 La logique entrepreneuriale ....................................................................................... 232
5.3 Les caractéristiques des logiques institutionnelles au niveau des acteurs ................. 237
5.3.1 Le degré d’hétérogénéité des logiques institutionnelles au niveau des acteurs 238
5.3.2 Le degré d’institutionnalisation des logiques institutionnelles au niveau des
acteurs ............................................................................................................................. 239
5.4 Les caractéristiques des acteurs du champ organisationnel ....................................... 243
SECTION 3 : Identification des types et formes de travail institutionnel ................................ 246
5.5 Etapes dans l’identification des types et formes de travail institutionnel .................. 246
5.5.1 La chronologies des événements clés dans le secteur agricole .......................... 246
5.5.2 Codage et structure des données ........................................................................ 249
5.5.3 Les différents types et formes de travail institutionnel dans la filière légumes . 250
SECTION 4 : Les résultats des études de cas ........................................................................... 252
5.6 Etudes de cas des acteurs : Type(s) et forme(s) de travail institutionnel ................... 252
5.6.1 Le cas d’un petit producteur de légumes ............................................................ 253
5.6.2 Le cas d’un regroupement de moyens producteurs de légumes ........................ 254
5.6.3 Le cas d’un mandataire ....................................................................................... 257
5.6.4 Le cas d’un regroupement de moyens producteurs de légumes ........................ 259
5.6.5 Le cas d’un nouvel entrant dans la filière légumes (Usinier-producteur) ........... 260
TABLE DES MATIERES
318
5.6.6 Le cas d’un nouvel entrant-distributeur (grossiste-grande entreprise) .............. 262
CONCLUSION DU CHAPITRE 5 ........................................................................................................ 265
CHAPITRE 6 : DISCUSSION........................................................................................................ 267
SECTION 1 : Les déterminants et les conséquences du travail institutionnel ......................... 268
6.1 Les déterminants du travail institutionnel .................................................................. 268
6.1.1 Les caractéristiques du champ organisationnel .................................................. 268
6.1.2 Les caractéristiques des acteurs .......................................................................... 269
6.1.2.1 Le petit producteur de légumes ....................................................................... 270
6.1.2.2 Le moyen producteur de légumes.................................................................... 273
6.1.2.3 L’usinier–producteur/gros producteur sucrier ................................................ 274
6.1.2.4 Le mandataire et le grossiste-particulier .......................................................... 275
6.1.2.5 Le Grossiste-Grande Entreprise ........................................................................ 277
SECTION 2 : La validation des propositions de recherche ....................................................... 279
6.2 Discussion sur les propositions de recherche ............................................................. 279
6.2.1 Proposition 1 : Lien entre le type de travail institutionnel et le degré
d’hétérogénéité et d’institutionnalisation des logiques institutionnelles .......................... 280
6.2.2 Proposition 2 : Lien entre le type de travail institutionnel et les caractéristiques
des acteurs .......................................................................................................................... 281
6.2.3 Proposition 3 : Lien entre les formes de travail institutionnel et leur impact sur
une modification des logiques institutionnelles ................................................................. 282
CONCLUSION DE LA DISCUSSION ................................................................................................ 283
CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................ 285
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ............................................................................................... 293
LISTE DES TABLEAUX INSERES DANS LE TEXTE ............................................................................ 307
LISTE DES FIGURES INSEREES DANS LE TEXTE .............................................................................. 309
LISTE DES ABREVIATIONS ........................................................................................................... 311
TABLE DES MATIERES ................................................................................................................ 313
ANNEXES................................................................................................................................... 320
Annexe 1 : Institutions publics et privés qui encadrent les activités agricoles de la filière
légumes ....................................................................................................................... 320
Annexe 2 : Guides d’entretien ............................................................................................. 323
Annexe 3 : Thèmes et concepts et verbatim ....................................................................... 328
ANNEXES
ANNEXES
320
ANNEXES
Annexe 1 : Institutions publics et privés qui encadrent les activités agricoles
de la filière légumes
Les tableaux suivants (Tableau 2.5, 2.6 et 2.7) présentes les institutions/organismes publics et
privés qui soutiennent, participent et encadrent les activités agricoles dans le secteur non-
sucre.
Tableau 2.5: Institutions clés dans la recherche et formation agricole
Institution clé Profil Activités
Food and
Agricultural
Research Council
(FARC)
Mise sur pied en 1985
Responsable de la coordination,
promotion et harmonisation de la
recherche dans le secteur agricole et
agro-alimentaire.
Détermine les stratégies de recherche et
de développement clés, et les transferts
des technologies et pratiques émergentes
Donne des facilités pour
acclimater des plantules de
culture tissulaires
Vente subventionnée de
plantules de banane
Vente de plantes (gerbera,
aloe vera)
Organise des réunions
régulières des scientifiques
mauriciens dans le domaine
agricole
Mauritius Sugar
Industry
Research Institute
(MSIRI)12
Fondé en 1953
Mission : s’engager dans la
recherche de haut calibre et le
développement de la canne à
sucre et autres cultures pour
répondre aux besoins
commerciaux et sociétaux de
Maurice
Les activités de recherche
tournent autour de quatre
thématiques : l’agronomie,
l’ingénierie, les ressources et
la biologie
12 A noter qu’à partir de Mars 2012, la MSIRI n’existe plus en temps qu’organisme à part entière, mais a été
regroupé ainsi que d’autres organismes de soutien à l’industrie sucrière (le Control Board, La Farmers Service
Centre, La Mauritius Sugar Authority, La Mauritius Sugar Terminal Corporation, et la Sugar Planters Mechanical
Pool Corporation) sous une seule institution, la Mauritius Cane Industry Authority (MCIA), dans une politique
de centralisation des ressources dans le domaine sucrier.
ANNEXES
321
Tableau 2.5: Institutions clés dans la recherche et formation agricole (suite)
Institution clé Profil Activités
Agricultural
Research and
Extension Unit
(AREU)
Mise sur pied en 1994 · Mission: promouvoir
l’excellence dans la recherche
et la vulgarisation agricole
pour mieux servir sa clientèle,
tout en s’alignant avec les
politiques agricoles publiques
· Faire de la recherché
stratégique et adaptatif dans
divers domaines agricoles tels
que l’agronomie, recherche sur
les fruits, les légumes, les
ornementaux, la pathologie
végétale, l’entomologie, la
gestion des ressources
agricoles, la production et la
santé animale
Les services
agricoles du
Ministère de
l’agro-industrie et
de la sécurité
alimentaire
Un des départements majeurs du
Ministère de l’agro-industrie et de la
sécurité alimentaire
Mission: fournir des services
techniques et des intrants
agricoles aux entrepreneurs et
aux membres du public en
générale
Ce département est composé
de plusieurs divisions:
Chimie agricole,
développement agricole,
agronomie, horticulture,
protection des végétaux,
entomologie, laboratoire de
technologie alimentaire,
production animale, services
vétérinaires
Faculté
d’Agriculture de
l’Université de
Maurice
Une des cinq facultés de l’Université de
Maurice
Mission : Proposer des formations
au niveau licence, Masters et
doctorat dans tous les domaines
agricoles incluant l’horticulture,
l’agroforesterie, les sciences agro-
alimentaires, la biotechnologie ; et
assurer une recherche de haut
niveau ainsi que des conseils
professionnels en ligne avec les
besoins du pays
ANNEXES
322
Tableau 2.6 : Institutions clés : Soutien technique aux agriculteurs
Institution clé Profil Activités
Agricultural
Marketing Board
(Office des
marchés)
Mise sur pied en 1964 avec pour objectif
de promouvoir la diversification agricole
Promouvoir les cultures
locales
Organisme régulateur des
normes et standards de
qualité pour certains produits
agricoles (pomme de terre,
oignon)
Irrigation
Authority
Organisme para-étatique Donne un soutien technique
aux personnes/entreprises
agricoles implémentant des
projets d’irrigation
Approvisionner les
producteurs en eau
subventionnée
Imports dripper lines at duty
free prices on behalf of
planters.
Regroupement et formation
des agriculteurs
Agrofournisseurs
privés
Vaste réseau d’agrofournisseurs à
Maurice
Fournissent des intrants
agricoles aux agriculteurs
Tableau 2.7 : Institutions clés : Associations des agriculteurs
Institution clé Profil Activités
Association
Professionnelle
Des Producteurs-
Exportateurs De
Produits
Horticoles De
Maurice
(APEXHOM)
Association de producteur et exportateurs
de produits horticoles
Très actif dans la mise sur pied
de normes et standards de qualité
pour le marché local et les
produits destinés à l’exportation
Coopératives
d’agriculteurs et
associations de
producteurs
Plusieurs coopératives d’agriculteurs et
associations de producteurs dans le
secteur végétale, animale et de la pêche.
Offrent plusieurs facilités aux
membres tells que l’accès aux
intrants
Agit comme une force de lobby
auprès des décideurs public
ANNEXES
323
Annexe 2 : Guides d’entretien
2.1 Guide d’entretien –Terrain Exploratoire
Une liste de questions a été utilisée pour le terrain exploratoire:
Quels sont les principaux acteurs de la filière légumes?
Quels sont leurs rôles et leurs fonctions dans la filière?
Quels sont les problèmes, contraintes et opportunités de la filière légumes?
Quels sont les principaux acteurs de la filière CAS qui se sont diversifiés dans les
légumes?
Quelle est la perception des acteurs en place de la filière légumes sur les nouveaux
acteurs?
2.2 Guide d’entretien- Enquêtes de terrain
Exemple d’un guide d’entretien envoyé à un acteur avant l’entretien.
Bonjour Monsieur XXX,
Tout d’abord merci de me recevoir.
Je vous explique en quelques mots les objectifs de ma recherche :
Le titre de ma thèse : Les stratégies d’adaptations des acteurs de la filière légumes frais à l’ile
Maurice dans un contexte de changement institutionnel.
ANNEXES
324
La problématique de ma recherche tourne autour d’une plus grande diversification des
sucriers dans le domaine horticole à la fin du protocole sucre. En me basant sur le courant
théorique de la sociologie néo institutionnelle, je me pose les questions suivantes :
La fin du protocole sucre a été un choc exogène au secteur sucre mauricien. Cela a causé un
changement institutionnel dans la filière sucre. Les règles institutionnelles (formelles et
informelles) ont changé parce que les acteurs principaux, les gros producteurs sucriers
(propriétés sucrières), ont réagi. Ils se sont diversifiés entre autre dans le secteur horticole. De
ce fait ils ont investi une autre filière agricole, la filière fruits et légumes frais.
Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est la filière légumes à l’ile Maurice. Avec l’entrée des
gros producteurs sucriers sur le marché des légumes, cela peut être considérée comme un choc
exogène à la filière légumes frais et être la cause d’un changement institutionnel (hypothèse)
avec des effets positifs et/ou négatifs dans cette filière. Comment ont réagi les producteurs
traditionnels de légumes face à ces ‘nouveaux arrivants’ (nouveaux de par les plus grosses
volumes de production)? Je voudrais aussi étudier les stratégies institutionnelles des acteurs
de la filière légumes face aux nouveaux arrivants. Un concept dans la théorie sur l’économie
institutionnelle est celui de l’entrepreneur institutionnel. C’est un entrepreneur qui apporte des
changements divergents dans le champ organisationnel (CO) où il opère ou qu’il veut investir.
Son objectif est d’emmener une nouvelle vision, de rallier les acteurs du CI autour de cette
vision et de changer une/plusieurs pratiques institutionnelles existantes. Une autre de mes
hypothèses de recherche est de vérifier si des entrepreneurs institutionnels ont émergé dans la
filière légumes frais. Ces entrepreneurs institutionnels peuvent être les sucriers qui se sont
diversifiés dans la filière légumes frais et/ou les producteurs traditionnels existants qui ont
réagi et ont adopté de nouvelles pratiques innovantes.
ANNEXES
325
Questions générales sur la filière légumes frais à l’ile Maurice :
(1) Qui sont les acteurs du secteur sucre mauricien ?
(2) Qui sont les acteurs de la filière légumes frais mauricienne ?
(3) Quelles ont été les impacts (positives et/ou négatives) de la fin du protocole sucre sur
(a) Le secteur sucre
(b) Le secteur horticole
(4) Quelles étaient les règles existantes (formelles et informelles) dans le secteur sucre
avant la fin du protocole sucre et quelles sont les nouvelles règles du jeu pour les
acteurs (producteurs sucriers, usiniers, institutions, autres) après la fin du protocole
sucre ?
(5) Une des stratégies d’adaptation des producteurs sucriers a été la diversification dans le
secteur horticole ?
Pourquoi ?
Quels sont les objectifs à long terme de cette diversification agricole ?
(6) Quelles étaient les règles existantes (formelles et informelles) dans la filière légumes
avant la fin du protocole sucre et quelles sont les nouvelles règles du jeu pour les
acteurs (producteurs sucriers, usiniers, institutions, autres) avec l’arrivée des gros
producteurs sucriers sur le marché ?
(7) Quels sont les effets (positifs et/ou négatifs) de l’arrivée des gros producteurs sucriers
dans la filière légumes frais ?
(8) Qu’en est-t-il des petits producteurs sucriers en ce qui concerne la diversification
dans le secteur horticole ?
(9) Pensez vous que les gros producteurs sucriers ont causé des changements divergents
dans la filière légumes frais ? Si oui, lesquels ? (Par changement divergent, j’entends
des changements qui bouleversent les pratiques existantes pour les remplacer par
d’autres qui sont éventuellement adoptées par tous les acteurs du champ institutionnel)
ANNEXES
326
(10) Quel est votre avis sur la filière légumes frais à ce jour au niveau de la production,
de la distribution et des institutions (privés et publics)?
Niveau
d’analyse
Forces Faiblesses Opportunités Menaces
Production
(petits, gros,
moyens)
Distribution
(grossistes,
boites de
distributions,
mandataires
(auctioneer),
détaillants
Institutions
publics
(recherche et
vulgarisation,
AMB,
Université)
Institutions
privés
(Associations de
producteurs)
(11) Quelles sont d’après vous les stratégies utilisées par les producteurs de légumes
traditionnels ou les nouveaux entrepreneurs (ce qui font une demande auprès de l’état
pour louer des terrains pour la production agricole) pour faire face à l’entrée des gros
producteurs sucriers sur le marché ?
ANNEXES
327
(12) Pensez-vous que les producteurs traditionnels de légumes frais ou les autres acteurs
de la filière légumes frais ont causé des changements divergents dans la filière
légumes frais? Si oui, lesquels ? (Je voudrais savoir à travers cette question si il y a
émergence d’entrepreneurs institutionnels parmi les acteurs de la filière légumes frais
autres que les nouveaux arrivants)
(13) Que pensez vous du ‘Food Security Fund’ et des mesures incitatives de l’état pour
encourager la production des fruits et légumes à Maurice ?
(14) Comment voyez-vous l’évolution de la filière légumes frais dans les années à venir ?
Questions spécifiques par rapport à votre entreprise :
(1) Profil :
Données démographiques : Age, niveau d’éducation, statut social et professionnel
Expérience dans le domaine agricole :
Nombre d’années dans l’entreprise :
(2) Historique de l’entreprise (Objectifs, description des activités, technologie utilisée
etc.)
(3) Pensez-vous que votre entreprise a causé un changement divergent dans le domaine de
la production des légumes frais à l’ile Maurice ? Si, oui ? comment ?
(4) Quels sont les conditions/opportunités dans la filière légumes frais qui vous permettent
d’opérer ?
(5) Quelles sont les difficultés/menaces que vous rencontrez dans l’opération de votre
entreprise ?
(6) Quelles sont les stratégies futures de votre entreprise ?
Merci de votre aide.
Bien cordialement
Brinda Ramasawmy
Doctorante, Montpellier Sup Agro
ANNEXES
328
Annexe 3 : Thèmes et concepts et verbatim
3.1 Analyse thématique- Identification de type et formes de travail institutionnel
Thèmes et concepts Illustration de verbatim
Echecs des projets de regroupement des
producteurs
(…) Cependant, les associations qui se sont
formées ne fonctionnent éventuellement pas
en collectif. Je vous donne l’exemple des
producteurs dans la région de Banane : le
projet qui était au départ de nature collective
ne l’est plus car chaque participant gère sa
terre de façon individuelle.
Rejet d’un nouveau circuit de distribution de
légumes
Le premier intermédiaire, c’est le
mandataire dans le marché au gros.
Cependant le fonctionnement des
mandataires est archaïque mais il y a un fort
lobby de leur part pour perdurer le système.
Idéalement, il devrait y avoir de la
transparence au niveau du marché de gros.
C’est pourquoi les autorités publiques
veulent mettre sur pied le marché de gros
national.
Changements dans les pratiques
traditionnelles de production de légumes
Il y a eu une prise de conscience des moyens
et gros producteurs de légumes pour
améliorer les techniques de production. Ils
savent qu’ils doivent aller au delà de la
production primaire et se lancer dans la
transformation. Par exemple : la carotte est
un produit de qualité mis sur le marché par
les usiniers-producteur, nouveaux entrants
dans la filière. Pendant les périodes
cycloniques, il faut importer. Pour occuper
ce marché, les moyens et gros producteurs en
ANNEXES
329
place ont investi dans la mécanisation et
post-récoltes pour améliorer les carottes et
concurrencer les sucriers.
Partage de connaissance entre les nouveaux
entrants et les producteurs en place
Nous organisons des journées portes
ouvertes pour permettre aux producteurs de
la région de voir nos techniques modernes de
production de légumes.
Adoption, par les moyens et gros producteurs
de légumes, des pratiques et technologies
utilisées par les producteurs sucriers
Oui, NE-PS est moins à risque grâce à ces
investissements dans des systèmes
d’irrigation et de mécanisation. Mais j’ai
noté que les producteurs de la région ont
commencé à investir dans la mécanisation et
dans des systèmes d’irrigation depuis
l’arrivée de NE-PS dans la filière légumes.
(…) certaines pratiques de NE-PS, telles que
le semis mécanisé, à été adopté par certains
producteurs qui ont adopté des machines à
plus petite échelle pour mécaniser la
semence au champ.
Transformation des légumes en produits
secondaires
Nous avons décidé de ne nous regrouper
pour transformer le surplus de légumes en
découpe pour la GD.
Innovation en termes d’une nouvelle forme
organisationnelle
Nous avons voulu intégrer la production de
la pomme de terre et avoir notre station de
conditionnement et vendre nos produits
directement à la GD.
Accent mis sur la présentation, la qualité et la
disponibilité des légumes
Nos produits sont mis en valeur dans des
sachets d’emballage qui répondent aux
attentes d’une clientèle moderne.
Brinda RAMASAWMY
Thèse de doctorat en Sciences de gestion
Intérêt du travail institutionnel dans les dynamiques de filières agricoles
Le cas de l’île Maurice
Résumé : Ce travail de recherche vise à utiliser la sociologie néo-institutionnelle et
ses concepts clés tels que les logiques institutionnelles et le travail institutionnel pour
analyser comment les acteurs agissent sur les institutions au niveau d’une filière
agricole. Nous avons choisi de vérifier l’applicabilité de notre cadre théorique dans un
contexte empirique subissant un changement institutionnel, la filière légumes
mauricienne. Pour valider le cadre théorique choisi, nous avons tout d’abord mené un
terrain exploratoire. A travers une analyse thématique des enquêtes, nous avons
identifié les logiques institutionnelles qui orientent les actions de nos principaux
acteurs dans la filière légumes mauricienne, et les types et formes de travail
institutionnel entreprit par les acteurs en place et nouveaux de la filière légumes. Cette
thèse permet de conclure que l’étude du travail institutionnel dans une dynamique de
filière agricole a toute son importance car l’approche sociologique permet aux
chercheurs de mieux appréhender le comportement des acteurs de la filière.
Mots clés : sociologie néo-institutionnelle, logique institutionnelle, travail
institutionnelle, filière agricole, analyse de contenu thématique, analyse qualitative
comparée.
Institutional work and the dynamics of agricultural value chains
The case of Mauritius
Abstract: This research work aimed at using sociological neo institutionalism and
its key concepts, institutional logics, and institutional work to understand the work
undertaken by actors in an agricultural value chain. We have chosen the Mauritian
vegetable value chain, in the context of an institutional change, as a field of study to
apply the theoretical concepts. An exploratory study was carried out to validate the
theoretical framework selected. Thematic content analysis allowed us to identify
the institutional logics of the vegetable value chain as well as the different types
and forms of institutional work undertaken by the incumbent and new actors. This
research work allows us to conclude that the use of the concept of institutional work
to understand the dynamics of an agricultural value chain is important as the
sociological lens enables researchers to better understand actors’ behavior in a
value chain.
Key words: sociological neo institutionalism, institutional logics, and institutional,
agricultural value chain, thematic analysis, qualitative comparative analysis
Laboratoire UMR MOISA 1110
(Marchés, Organisations, Institutions et Stratégies d’Acteurs)
Montpellier SupAgro, 2 place Pierre Viala, 34 060 Montpellier Cedex 2