Retour d’expérience sur l’observation participative partagée du secteur culturel en Pays de la...

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189 Claire HANNECART, Emmanuel BIOTEAU, Caroline DEWYNTER et Karine FéNIèS-DUPONT RETOUR D’EXPéRIENCE SUR L’OBSERVATION PARTICIPATIVE PARTAGéE DU SECTEUR CULTUREL EN PAYS DE LA LOIRE Ce sont les anthropologues, des Occidentaux partis étudier des peuples non occidentaux mais sous domination occidentale, qui ont les premiers eu recours à l’observation directe (Malinowski aux Îles Trobriand, 1922 ; Evans-Pritchard au Soudan, 1939 ; Mead en Nouvelle-Guinée, 1928-1935 ; Griaule chez les Dogons, 1938). En France, c’est par la sociologie du travail que l’observation se développe après la Seconde Guerre mondiale (Friedmann, Crozier). Les sciences sociales (la sociologie, l’ethnographie et l’anthropologie), mais également toutes les formes d’enquêtes traitant d’un sujet de la société contem- poraine disposent d’un certain nombre de méthodes de documentation ou de recueil de données. L’entretien et le questionnaire sont devenus les démarches les plus courantes. En revanche, le terme « observation » est employé pour qualifier une autre méthode de collecte de données. L’observation au sens large, comme celle des changements sociaux, désigne une méthode d’analyse qui permet de recueillir toutes sortes de données statistiques, de documents et d’entretiens afin de dresser le paysage social, démographique, économique de la France, par exemple. Cette démarche ne privilégie pas de relations particulières avec les personnes enquêtées, hormis la passation d’un entretien et d’un questionnaire. Une autre forme d’observation, souvent appelée « travail de terrain », est également employée. Elle exige une présence prolongée sur les lieux de l’enquête durant laquelle les données sont recueillies par le(s) chercheur(s). Au sens le plus précis, l’observation consiste à se trouver présent et immergé dans une situation pour l’enregistrer et pour l’analyser en s’efforçant de ne pas la modifier. Cette situation est le fruit d’une interaction entre les participants et, a fortiori, entre les participants et l’observateur. Plus l’observateur entre dans un milieu, mieux il apprend à se positionner pour observer, à noter les actes essentiels et les propos les plus significatifs. Presses universitaires de Rennes

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Ce chapitre présente les trois formes de légitimité qui président à la réussite de l’observation du secteur culturel : la technicité, l’ancrage et la représentation. Il propose également un aperçu des perspectives de co-construction ouvertes par l’usage de la méthode d’observation participative et partagée. Il est extrait de l'ouvrage intitulé "Le développement solidaire des territoires" paru aux PUR, codirigé par Emmanuel Bioteau et Karine Féniès-Dupont.

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Claire hanneCart, Emmanuel Bioteau, Caroline Dewynter et Karine Féniès-Dupont

rEtour D’ExPériEncE sur L’obsErvation ParticiPativE PartagéE Du sEctEur cuLturEL En Pays DE La LoirE

Ce sont les anthropologues, des Occidentaux partis étudier des peuples non occidentaux mais sous domination occidentale, qui ont les premiers eu recours à l’observation directe (Malinowski aux Îles Trobriand, 1922 ; Evans-Pritchard au Soudan, 1939 ; Mead en Nouvelle-Guinée, 1928-1935 ; Griaule chez les Dogons, 1938). En France, c’est par la sociologie du travail que l’observation se développe après la Seconde Guerre mondiale (Friedmann, Crozier).

Les sciences sociales (la sociologie, l’ethnographie et l’anthropologie), mais également toutes les formes d’enquêtes traitant d’un sujet de la société contem-poraine disposent d’un certain nombre de méthodes de documentation ou de recueil de données. L’entretien et le questionnaire sont devenus les démarches les plus courantes.

En revanche, le terme «  observation  » est employé pour qualifier une autre méthode de collecte de données. L’observation au sens large, comme celle des changements sociaux, désigne une méthode d’analyse qui permet de recueillir toutes sortes de données statistiques, de documents et d’entretiens afin de dresser le paysage social, démographique, économique de la France, par exemple. Cette démarche ne privilégie pas de relations particulières avec les personnes enquêtées, hormis la passation d’un entretien et d’un questionnaire.

Une autre forme d’observation, souvent appelée « travail de terrain », est également employée. Elle exige une présence prolongée sur les lieux de l’enquête durant laquelle les données sont recueillies par le(s) chercheur(s).

Au sens le plus précis, l’observation consiste à se trouver présent et immergé dans une situation pour l’enregistrer et pour l’analyser en s’efforçant de ne pas la modifier. Cette situation est le fruit d’une interaction entre les participants et, a fortiori, entre les participants et l’observateur.

Plus l’observateur entre dans un milieu, mieux il apprend à se positionner pour observer, à noter les actes essentiels et les propos les plus significatifs.

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Une grande part de la pratique de l’observation consiste en une adaptation sociale de l’observateur au milieu étudié. En effet, l’objectif final de l’observa-tion est de trouver une signification sociologique aux données recueillies, de les mesurer, de les classer et de leur donner du sens. En outre, l’observation est un des dispositifs indispensables à la connaissance territoriale et est déterminante dans le cadre de l’action publique en facilitant la prise de décision politique.

L’observation a potentiellement comme finalité la construction de projets de territoires, en faisant le pari de l’intelligence collective, en agissant collecti-vement pour établir des stratégies collectives et des politiques publiques parti-cipatives. Pour la mener à bien, cette démarche doit être basée sur un certain nombre de principes d’action : concertation des acteurs locaux, adaptation au territoire, prise en compte des problématiques de l’objet d’études (territoire, secteur, filière), logique de projet collectif…

Et c’est toute l’ambition que s’est donnée le Pôle des musiques actuelles en lançant l’observation participative et partagée qui permet de produire les données indispensables à une meilleure prise en compte des réalités et à une meilleure analyse des situations. Cette démarche offre ainsi l’opportunité aux acteurs culturels et aux collectivités partenaires de se fixer ensemble des objectifs communs, de co-construire les actions appropriées, et de les évaluer. Cette méthodologie singulière impulse une véritable dynamique collective au service du développement d’une économie plurielle sur le territoire, de l’aider à se consolider, à se structurer puis à s’autonomiser.

En 2009, le Conseil régional des Pays de la Loire a mis en place la Conférence régionale consultative de la culture (CRCC). Sa vocation était d’établir et péren-niser des échanges entre les différents acteurs culturels à l’échelle du territoire. La CRCC en Pays de la Loire est une initiative singulière car elle s’est dévelop-pée en parallèle des Agences culturelles régionales du spectacle vivant dans les autres régions de France. Ces agences étaient elles-mêmes issues des entretiens de Valois organisés par le ministère de la Culture en 2008, ayant porté sur la nécessité d’une réforme de la politique de l’État concernant le spectacle vivant (abordé dans une précédente contribution). À la suite de premières rencontres entre acteurs culturels variés, le secteur du spectacle vivant a exprimé le besoin de disposer de données sur la composition socio-économique et le poids de ce secteur dans le paysage économique régional. Le Pôle régional des musiques actuelles dont une des principales missions est l’observation, a alors présenté sa démarche singulière d’observation participative et partagée (OPP) à l’ensemble des acteurs présents.

Cette méthodologie d’observation issue du champ des musiques actuelles est singulière car elle a pour caractéristique d’être ancrée aux territoires et engagée au plus près des acteurs. Les personnes observées participent à l’élabo-ration de l’observation (questionnaire, passation…), et des temps de rencontres

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permettent de partager avec les acteurs étudiés l’analyse des données récoltées. De la sorte, cette démarche participative confère à l’OPP une dimension sociale et solidaire l’inscrivant pleinement dans l’ESS (économie sociale et solidaire). Les acteurs du spectacle vivant regroupés au sein de la conférence régionale de la culture ont été enthousiasmés par cette démarche participative et ont souhaité à leur tour mettre en place une observation participative et partagée. Une étude de l’ensemble du spectacle vivant (musique, théâtre, danse, cirque, etc.) a donc été lancée en septembre 2011 avec le soutien du conseil régional et de la Direction régionale des affaires culturelles en Pays de la Loire. Cette observation ayant obtenu des résultats satisfaisants, la CRCC s’est engagée à étendre cette obser-vation innovante à l’ensemble du champ culturel en 2012.

deS intérêtS et enjeux partagéS à l’éChelle deS territoireS

Dans une période de mutation des champs artistiques et culturels, notam-ment due à l’ère numérique, mais aussi une période d’évolution des politiques publiques, le Pôle et les acteurs de musiques actuelles qu’il représente se sont montrés concernés par les évolutions de l’ensemble du milieu culturel. Mener l’observation sur l’ensemble du spectacle vivant en région offrait ainsi de nouveaux potentiels de transversalité des champs artistiques. Ainsi le Pôle a transmis la philosophie de sa démarche d’observation à l’ensemble des autres secteurs culturels : au spectacle vivant en premier lieu puis aux arts visuels (photo, peinture…), au cinéma audiovisuel, au secteur du livre et de la lecture et enfin au secteur du patrimoine. Cette transmission a demandé un travail d’information et de communication pour expliciter la démarche et mobiliser les acteurs ; notamment en mettant en place des comités de suivi représentatifs des différents territoires, métiers et disciplines artistiques ; le tout avant de pouvoir mettre en œuvre de façon effective la collecte des données.

L’observation du spectacle vivant a permis de mobiliser près de 400 répon-dants, avec un taux de retour de l’ordre de 35 %. Cette représentativité croisée avec les données macro-économiques nationales a permis d’obtenir un ensemble de données socio-économiques du secteur en région, qui jusqu’alors n’avait pas été évalué de façon précise. De façon à accompagner les différentes démarches d’observation, le Pôle a précisé les protocoles de mise en œuvre des OPP. Il accompagnait techniquement et méthodologiquement les différents opéra-teurs de l’observation, mais ces derniers étaient choisis par les secteurs culturels eux-mêmes. Par exemple le secteur du patrimoine a choisi l’association régionale des Petites cités de caractères pour mener l’observation de son secteur. Les diffé-rentes étapes accompagnées par le Pôle étaient la définition du périmètre d’étude, la mobilisation des acteurs, la diffusion d’une charte OPP, la transmission d’un tronc commun de questions, la gestion et le traitement des données et enfin le soutien au choix des thèmes pour la rédaction des livrables.

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Un des résultats les plus marquants de ces démarches est d’avoir permis aux acteurs locaux de se rencontrer : en effet nombre d’entre eux agissent isolément ou au sein de petits réseaux d’interconnaissance, sans avoir l’occasion d’échanger avec leurs homologues. De la sorte, les réunions de restitution des premières données dans les différents territoires ont été l’occasion pour les personnes de se rencontrer, se découvrir et échanger. Ces réunions ont en outre permis de recueillir les interrogations, hypothèses et analyses des acteurs concernés au premier chef par l’observation, témoignant d’une véritable logique bottom-up. C’est sans doute là une des conséquences les plus notables de ces processus d’observation partagée  : des personnes œuvrant dans le vaste et foisonnant champ culturel se sont rencontrées pour découvrir leurs ressemblances et dissimilitudes, échanger leurs avis, participer collectivement à une démarche engageante qui parlait d’eux comme de membres faisant partie d’un tout ayant un sens commun. La démarche d’observation dans son ensemble allait donc bien au-delà d’une simple récolte de données et recoupait les problématiques de participation du plus grand nombre à la culture en train de se faire.

troiS formeS de légitimité préSidant à l’obServation : teChniCité, anCrage et repréSentation

Les différents niveaux d’adhésion des structures à la démarche d’observation participative et partagée ont amené à distinguer trois types d’OPP : une observa-tion « intégrée » lorsque la structure participant à l’observation adhère au projet de la structure en charge de mener cette observation (opérateur), une observation « semi-intégrée » lorsque la structure participant à l’observation connaît l’opéra-teur sans pour autant y adhérer, et une observation « ouverte » lorsque la struc-ture participant à l’observation est éloignée de l’opérateur. Ces réalités issues du terrain impliquent de nuancer la démarche telle qu’initialement formulée par et pour le secteur des musiques actuelles, dans lequel les structures observées font d’ores et déjà partie intégrante du réseau opérateur de l’observation.

Un des principes présidant à cette observation par le secteur des musiques actuelles émane du souhait de ne pas souscrire au principe des évaluations menées par des entités extérieures aux observés. Et ce, afin d’éviter les écueils que cela peut générer, notamment dus au manque de connaissance des réali-tés de terrain occasionnant des biais de compréhension et de restitution des données. En conséquence, une des interrogations qui s’est posée pour les obser-vations réalisées dans des secteurs non organisés en réseau, portait sur la légiti-mité de l’opérateur de l’observation. La démarche d’observation participative et partagée a donc connu une évolution au cours de son transfert, ce qui ne va pas sans interroger un de ses principes éthiques : la confiance que s’octroient les différentes parties prenantes. L’OPP repose en effet sur un lien de confiance entre opérateurs de l’observation et acteurs observés. Cette confiance doit être

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portée par la structure opératrice reconnue par les acteurs amenés à contribuer. En fin de compte, suite à ces différentes expériences de transfert de la démarche OPP, on découvre que la légitimité d’une observation participative repose sur trois principaux axes :

– un premier axe de légitimité est lié aux compétences techniques mobilisées par l’opérateur de l’observation, ce qui renvoie à des notions de spécialisation quant aux études et au traitement des données, afin de garantir la validité des résultats produits ;

– un deuxième axe repose sur l’ancrage de l’opérateur de l’observation dans le monde vécu des acteurs observés. Ce point relève d’une reconnaissance attribuée à l’opérateur comme étant en capacité de comprendre les probléma-tiques exprimées, de les reformuler sans les dénaturer et d’articuler l’obser-vation avec des solutions concrètes et tangibles ;

– enfin, un troisième axe de légitimité de l’observation participative repose sur la capacité de représentation des acteurs auprès des pouvoirs publics et des partenaires financiers. Autrement dit, cela a trait à l’inscription de l’observa-tion dans une logique politique plus large, laissant entrevoir des opportunités de changement et d’innovation.La mise en place d’observations participatives et partagées se situe donc au

carrefour de trois formes de légitimité qui sont autant de modes de reconnais-sance : la technicité octroyant la scientificité aux données produites ; l’ancrage sur le terrain garantissant une connaissance des réalités vécues par les profes-sionnels observés ; et la capacité de représentation des acteurs auprès des parte-naires publics et privés favorisant une démarche prospective.

C’est cette alchimie qui permet aux démarches OPP d’obtenir l’adhésion des acteurs, des taux de réponse importants et une représentativité des échantillons étudiés qui conditionnent l’analyse et l’extrapolation des données.

Selon que l’on se situe dans le cadre d’une « observation intégrée », « semi-intégrée » ou « ouverte », les intérêts de la démarche OPP diffèrent. Ils vont du renforcement de la structuration du réseau par l’observation intégrée, avec l’entretien d’une connaissance du secteur, un état des lieux servant de base à de futures enquêtes ciblées, un approfondissement de l’accompagnement des acteurs : c’est le cas de l’observation portant sur les musiques actuelles. Les intérêts d’une observation semi-intégrée consistent en la mise en œuvre d’éléments favorisant une nouvelle structuration grâce à l’élaboration d’un corpus de données commun, permettant d’envisager des coopérations trans-versales et le transfert de compétences. C’est le cas pour le secteur du livre qui, profitant de la dynamique de l’OPP, fit évoluer son Centre régional du livre en Pôle régional de coopération des acteurs du livre. Enfin, dans le cas de l’obser-vation en milieu ouvert, l’intérêt tient en la mise en place de temps de dialogues qui favorisent un rapprochement et une interconnaissance préalablement inexis-tante : c’est notamment le cas du secteur du patrimoine.

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perSpeCtiveS de Co-ConStruCtion ouverteS par l’obServation partiCipative et partagée

L’observation ancrée sur les territoires auprès des acteurs est toujours amenée à évoluer, comme cela était pressenti dans les textes l’ayant premièrement forma-lisée. On est passés d’une évaluation appréhendée comme un contrôle imposé de l’extérieur et menaçant la pérennité des projets culturels ; à une production interne aux secteurs culturels dans la logique « knowledge is power », en somme une démarche stratégique, solidaire et autonome. Se pose dorénavant la question de la pérennité et de la poursuite du transfert de l’observation partagée. Depuis la production des premières données du secteur des musiques actuelles datant du milieu des années 1990 ayant favorisé sa légitimation et la prise en consi-dération des acteurs engagés sur le terrain ; l’observation pourrait évoluer en se déplaçant vers la production de données qualitatives (entretiens semi-direc-tifs, exploration de problématiques vécues) en lien avec la réalité d’un secteur profondément pluriel.

Connaître et comprendre les contours d’une filière : exemple du spectacle vivant

L’OPP a permis d’aboutir à des cartographies originales rendant compte de la diversité actorielle, sectorielle et spatiale des entrées thématiques étudiées, comme l’économie sociale et solidaire (ESS). Voici ce qu’il en est pour les entre-preneurs du spectacle vivant en région (carte page suivante).

Les entrepreneurs de spectacles sont détenteurs d’une licence qui les autorise à exercer leur activité d’exploitation de lieux, de production ou de diffusion de spectacles, notamment à travers l’embauche d’artistes en contrat à durée déterminée d’usage. Ceci recouvre la multiplicité d’acteurs qui composent la branche du spectacle vivant 1. La population des entrepreneurs de spectacles va cependant bien au-delà de l’ESS puisqu’on y trouve des communes, des cafés-restaurants, des parcs de loisirs… On identifie plus de 1 160 entrepreneurs de spectacles actifs en Pays de la Loire en 2010. Parmi eux, les acteurs relevant du secteur privé hors ESS représentent 13,8 % et le secteur public 12,9 %.

Les acteurs appartenant au champ de l’ESS constituent quant à eux 73,3 % des entrepreneurs recouvrant une large palette d’initiatives et de métiers. Il s’agit principalement d’associations loi 1901 et de 8 sociétés coopératives et participa-tives (SCOP). La forme associative, qui permet de solliciter le soutien public et du mécénat, reste le statut juridique privilégié des équipes artistiques (compa-gnies, formations musicales) et des développeurs d’artistes. Ces derniers compo-sent environ 70 % de la catégorie des entrepreneurs de spectacle vivant œuvrant dans le champ de l’ESS.

1. Branche déterminée par le code NAF : 9001Z, 9002Z, 9004Z.

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Les entrepreneurs de spectacles vivants ESS et hors ESS par commune

Intérêts et enjeux d’une démarche qualitative : faire ensemble dans, par et pour le territoire

Ces structures situées à l’amont de la filière culturelle se caractérisent par une pluri-compétence et une pluri-activité. Elles travaillent en situation d’ajustement permanent car elles portent en grande partie l’incertitude propre aux activités artistiques (quant au succès rencontré auprès du public, du milieu profession-nel, etc.). Leur modèle économique demeure fragile, même lorsqu’elles sont reconnues et accompagnées par les pouvoirs publics. À l’aval de la filière, les structures qui proposent comme principale activité une diffusion de spectacles sont proportionnellement moins nombreuses à se réclamer de l’ESS (festi-vals, petits lieux). Un nombre croissant de collectivités locales s’est doté ces trente dernières années d’équipements culturels, en s’appropriant le thème d’un accès plus égalitaire aux ressources artistiques. Parmi les acteurs de l’ESS œuvrant dans le champ de la diffusion de spectacles vers les publics, on compte plusieurs lieux labellisés exerçant pleinement des missions de service public

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issues de la décentralisation culturelle (scènes nationales) dans une plus grande souplesse que ne le permettrait le fonctionnement d’une administration générale.

Le développement d’une démarche qualitative entre ainsi en cohérence avec la défense de la diversité culturelle qu’entendent porter et les acteurs de terrain et les collectivités publiques les soutenants. Cela bien que l’ensemble de ces acteurs s’accordent rarement à définir d’une seule voix ce terme polysémique de diversité culturelle pourtant utilisé quotidiennement. Quoi qu’il en soit, la diversité suppose a minima de représenter l’ensemble des expressions humaines sans critère de légitimité culturelle préétabli. Cela passe donc par la reconnais-sance, la légitimation et la prise en considération (éventuellement le soutien) d’une diversité d’acteurs et de projets. Aussi, l’inscription dans une démarche toujours plus qualitative ferait sens aujourd’hui par rapport au champ artistique et aux valeurs défendues de façon plus ou moins cohérente par les acteurs : l’intérêt général, l’économie sociale et solidaire, la responsabilité sociale des organisations, etc.

ConCluSion

Le transfert et la conséquente évolution de l’observation participative et partagée ne sont pas sans poser de questions quant aux conditions de réalisa-tion de ces démarches, notamment quant au respect des principes fondateurs l’ayant motivée. Mais l’extension des expériences d’observation partagée, même au travers d’une institutionnalisation au sens où les politiques publiques locales soutiennent sa mise en œuvre, semble toutefois constituer à l’échelle locale l’illustration d’une réappropriation de l’évaluation, au travers de démarches faisant sens pour les acteurs prenant part à son élaboration.

Enfin notons qu’il existe un continuum intéressant entre la méthodologie d’observation participante propre à la démarche sociologique, impliquant pour les chercheurs de se rendre directement sur le terrain auprès des acteurs étudiés afin d’en découvrir les réalités ; et cette méthode d’observation participative et partagée, issue des professionnels de terrain et dans laquelle les acteurs prennent directement part à leur propre démarche d’observation. Dans les deux approches c’est l’aspect partagé et la mise en commun des réalités entre observateurs et observés qui est au fondement de la démarche. Le sociologue ou la personne en charge de la transmission des données récoltées est celui qui incarne physi-quement le chiffre, car une batterie de chiffres en tant que telle ne sert à rien, ce qui importe c’est ce que l’on en dit, le verbatim qui donne de la chair au chiffre. Gageons qu’au-delà du verbatim expert, les acteurs sauront s’emparer et légitimer la mise en place d’observations qualitatives s’attardant véritablement au sens des engagements communs menés.

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Témoignage autour de l’Observation Participative Partagée (OPP – 2011)

En rejoignant la Conférence régionale consultative de la culture (CRCC) des Pays de la Loire en 2011, je pensais trouver là un lieu de rencontre entre les différents acteurs culturels, et notamment pouvoir échanger avec d’autres acteurs du livre. Mais je me suis rapidement aperçu que beaucoup restait à inventer : personne ne disposait d’une vision panoramique des acteurs liée à la création, à la réalisation et au vécu d’un livre. Non seulement tous les intervenants n’étaient pas identifiés, mais nous n’avions pas d’indicateurs sur la valeur socio-économique de nos métiers. Nous percevons la valeur symbolique et culturelle du livre, mais quel est son poids économique, quels sont les enjeux en terme d’emplois sur notre territoire régional ?

Il existe une expression consacrée pour parler de notre secteur professionnel  : « la chaîne du livre ». Une chaîne qui permettrait d’aller de l’auteur au lecteur en ajoutant à chaque maillon un brin de valeur. Cette chaîne est-elle figée ? Cette valeur est-elle toujours valorisée économiquement ?

Le plus souvent, la chaîne du livre est restreinte aux acteurs suivants : auteur, éditeur, diffuseur, distributeur, libraire. Mais où sont les agents littéraires, photographes, illustra-teurs, maquettistes, correcteurs, traducteurs, imprimeurs, brocheurs, relieurs… ? Où sont les personnes qui organisent rencontres et salons du livre ? Où sont les bibliothécaires et toutes ces personnes qui, chaque jour, utilisent des livres comme outils de médiation ?

De l’intérieur, nous ne percevons bien souvent que nos interlocuteurs directs. Un auteur se plaint régulièrement du peu de présence de son livre en librairie, en accuse l’éditeur qui se retourne vers son diffuseur qui, lui-même, trouve les libraires bien frileux. Le libraire se plaint quant à lui de ne jamais voir les diffuseurs ou d’être noyé par la production des éditeurs. Vision certes caricaturale qui reflète néanmoins le manque de connaissance et de dialogue entre les acteurs.

Cette chaîne qui pourrait être solidaire devient pour beaucoup synonyme de contraintes, et nous voyons ici et là se tisser des liens directs. Par ailleurs l’utilisation massive du numérique accélère ce mouvement : un auteur qui le souhaite et qui maîtrise ces outils peut tout à fait se créer un premier cercle de lecteurs (équivalent d’un comité éditorial), avant de mettre son projet au format ePub sur une des nombreuses plateformes ou directement sur son blog. Il lui restera à animer sa communauté de lecteurs et, s’il le juge opportun, à faire imprimer son livre.

De même, un éditeur peut aujourd’hui assez facilement construire une communauté d’intérêt autour de son catalogue et, fort de plusieurs milliers de lecteurs, proposer des livres en souscription avant d’engager les frais de fabrication.

Alors, mort programmée de la chaîne du livre ? Pas si sûr…Si cet auteur vend plusieurs milliers d’exemplaires, nul doute qu’il trouvera un éditeur.

Si cet éditeur vend plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, nul doute qu’il sera bien accueilli dans de nombreuses librairies.

Et ensuite ? Une fois ces constats posés. Que faire ? Comment dans un secteur en pleine mutation identifier les solutions pérennes, créatrices de richesses et d’emploi ? Par où commencer si ce n’est en analysant la situation présente ?

La force d’une initiative telle que l’observation participative et partagée (OPP) est d’apporter un éclairage aussi précis que possible sur un secteur donné, dans un périmètre déterminé. Au cours de la période de collecte des données, j’ai croisé des confrères éditeurs qui ne comprenaient pas l’intérêt d’une telle démarche, certains refusaient même de donner des informations qu’ils consi dèrent comme stratégiques, confidentielles (alors

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même que le rendu est anonymisé). Il est donc important d’expliquer comment une telle photographie peut devenir à terme un véritable outil de dialogue entre professionnels et politiques.

En lisant les premiers comptes rendus de données, j’ai été impressionné de voir à quel point notre secteur avait une vraie place économique. Cette première photographie réalisée sur les données de 2011 est bien entendu encore floue ; il nous faut certainement affiner les questionnaires, continuer à sensibiliser les acteurs. Mais je n’ai aucun doute sur la méthode : nous avons besoin d’une cartographie de notre secteur et quoi de mieux que de remonter à la source pour collecter les informations ?

Albert de pétiGny, éditeur – Pourpenser Éditions,président de Coll.LIBRIS – Collectif d’éditeurs en Pays de la Loire,

membre de la CRCC depuis 2011.

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