Polar, Noir & Mystère › cantookhub-media-enqc › c9 › ... · 2018-04-13 · Natasha, qui a...

37
N ˚ 47 A LI B I S Polar, Noir & Mystère L’ A NTHOLOGIE PERMANENTE DU POLAR 10 $ Des fictions de Luc DAGENAIS Maxime HOUDE Claude LALUMIÈRE Martine LATULIPPE Jonathan REYNOLDS PRIX ALIBIS 2013 TOUT A UNE FIN NATASHA BEAULIEU LE POLAR FUTURISTE une exploration de Mario TESSIER

Transcript of Polar, Noir & Mystère › cantookhub-media-enqc › c9 › ... · 2018-04-13 · Natasha, qui a...

N˚ 47

ALIBISPolar, Noir & Mystère

L’ANTHOLOGIE PERMANENTE DU POLAR 10 $

Des fictions de

Luc DAGENAISMaxime HOUDE

Claude LALUMIÈREMartine LATULIPPE

Jonathan REYNOLDS

PRIX ALIBIS 2013TOUT A UNE FINNATASHA BEAULIEU

LE POLAR FUTURISTEune exploration de Mario TESSIER

Alibis 47Été 2013 Vol. 12 n˚ 3

Bernard Duchesne, en tant qu’illustrateur,collabore avec Alibis depuis sa création.

Également designer et sculpteur,il réalise des murales et des élémentsd’exposition pour les musées et les

centres d’interprétation. Il se distinguesurtout en illustration historique et en

images de polar – il a notamment réaliséplusieurs couvertures pour les éditions

Alire. Bernard Duchesne s’intéresseaussi, d’une manière plus personnelle, àla création libre. Ses carnets d’aventuresnous font voir un goût marqué pour letravail sur le motif. De retour en atelier,

il approfondit différents médiums et techniques picturales. Il offre des

ateliers d’exploration artistique dans différents domaines.

www.bernardduchesne.com

Sommaire3 Présentation

Le crime est partout

7 Tout a une finNatasha BeaulieuPrix Alibis 2013

21 La Vallée de porcelaineJonathan Reynolds

35 Le Poids du passéMartine Latulippe

41 MortClaude Lalumière

59 À faire avant le départLuc Dagenais

63 L’Affaire DubeauMaxime Houde

81 Le polar futuriste, ou le mariageincestueux du policier et de lascience-fictionMario Tessier

105 Camera oscuraChristian Sauvé

119 Le Crime en vitrineNorbert Spehner

131 Dans la mireAndré Jacques, Martine Latulippe,Morgane Marvier, Simon Roy,Norbert Spehner

IllustrationsBernard Duchesne : 7, 21, 35, 41, 59,

63.Suzanne Morel : 81.

Le Prix ALIBISs’adresse aux auteurs du Québec et du Canada francophoneet récompense une nouvelle de polar, de noir ou de mystère

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

Les textes doivent être inédits et avoir unmaximum de 10 000 mots (60 000 ca -ractères). Ils doivent être envoyés en troisexemplaires (des copies, car les originauxne seront pas rendus). Afin de préserverl’anonymat du processus de sélection, ils nedoi vent pas être signés, mais être identifiéssur une feuille à part portant le titre de lanouvelle et les nom et adresse complète del’auteur, le tout glissé dans une enveloppescellée. La rédaction n’acceptera qu’un seultexte par auteur. Les textes ne peuventavoir qu’un seul auteur.Les textes doivent parvenir à l’adresse dela rédaction d’Alibis :

Prix ALIBIS, C. P. 85070,Québec (Qc) G1C 0L2

Il est très important de spécifier la mention« Prix ALIBIS ».La date l imite pour les envois est le vendredi 28 février 2014, le cachet de laposte faisant foi.

Le lauréat ou la lauréate recevra une bourseen argent de 1000 $. De plus, il ou ellerecevra le trophée Alibis, gravé à son nom.Le nom du gagnant ou de la ga gnante seradévoilé lors de l’édition 2014 du Saloninternational du livre de Québec. L’œuvreprimée sera publiée en 2014 dans lenuméro d’été d’Alibis.

Les gagnants des Prix Alibis des trois der-nières années ne sont pas admissibles.

Le jury est formé des membres de la direc-tion littéraire d’Alibis. Il aura le droit de nepas accorder le prix si la partici pation esttrop faible ou si aucune œuvre ne lui paraîtdigne de mérite. La partici pation au concourssignifie l’acceptation du présent règlement.

Pour tout rensei gnement supplémentaire,contactez Pascale Raud, coordonnatrice dela revue, au courriel suivant :

[email protected]

P r i x A l i b i s2 0 1 4

PrésentationLE CRIME EST PARTOUT

Vous savez, je suis comme vous : j’en ai marre de voir défilerdevant la Commission Charbonneau tous ces cravatés bien misde leur personne qui pigeaient dans la cagnotte publique, dedécouvrir la vénalité, la naïveté et l’insignifiance de certains élusmunicipaux (Laval, Montréal, Toronto…), d’apprendre que dessénateurs, non élus mais censés être les sages de cette nation, secomportaient comme des magouilleurs à la petite semaine.

Je suis comme vous et j’en ai marre… et pourtant : n’est-il pasmieux de savoir plutôt que de subir ? Tous ces déballages publicsne sont-ils pas la preuve qu’une grande partie des hommes et desfemmes qui dirigent nos institutions ont toujours à cœur le bienpublic ?

La criminalité à cravate existe depuis bien avant la création dela cravate. Eh oui! Le problème n’est donc pas la cravate (quoique,moi, la cravate…), mais ce bon vieil appât du gain facile, qui fleuritdans toutes les couches de nos sociétés.

Ce triste constat de la réalité me permet de prédire un avenirradieux à la littérature policière et d’expliquer pourquoi Alibis, detemps à autre, vous offre des sommaires aussi diversifiés que celuide ce numéro d’été. Le crime est partout, qu’on se le dise, ou plutôt:qu’on se le lise !

Le numéro débute avec le texte gagnant du prix Alibis 2013,« Tout a une fin », de Natasha Beaulieu, une histoire qui aenthou siasmé le jury par la justesse du ton et l’originalité dupropos. Natasha, qui a reçu en avril dernier la bourse de milledollars et le trophée Alibis lors de la traditionnelle cérémonie deremise au Salon international du livre de Québec, apparaît ainsipour la troisième fois à notre sommaire.

Jonathan Reynolds propose, après « La Mort de VanessaParadis », une deuxième nouvelle d’une belle sensibilité, « LaVallée de porcelaine », dans laquelle la réalité vacille de bien desfaçons. Mais doit-on s’en étonner quand on sait que le prolifiqueauteur hante surtout, habituellement, la littérature fantastique ?

Ma collègue Martine Latulippe revient, après « La Maisonblonde », un texte particulièrement touchant, avec une histoire

A L I B I S 47

4

PRÉSENTATION

de vengeance retorse, « Le Poids du passé », qui ne manquera pasde plaire à notre lectorat féminin !

Les deux nouvelles qui suivent montrent parfaitement l’am-pleur du spectre des littératures policières. Avec « Mort », ClaudeLalumière explore de nouveau la zone inquiétante qui sépare lesingulier de l’ordinaire, la bizarrerie du banal. Ajoutez à cela unenfant mort qui semble pourtant ne pas l’être, et le tour est joué.Inquiétant, vous dites ? La proposition de Luc Dagenais, « Àfaire avant le départ », l’est tout autant, car elle vous convie litté -ralement à la préparation d’un crime, et ce d’une manière on nepeut plus directe ! Si c’est la première apparition de Luc dansAlibis, les lecteurs de notre revue sœur Solaris connaissent bien sonnom puisqu’il y a publié quelques fictions très remarquées. Lejury du prix Jacques-Brossard, qui chaque année couronne lameilleure production des littératures de l’imaginaire, a d’ailleurssouligné en 2012 l’excellence de ses nouvelles en le plaçant parmiles trois finalistes, ce qui, on en con viendra, n’est pas un minceexploit (pour Luc, pas pour les jurés).

Le volet fiction se termine avec « L’Affaire Dubeau », deMaxime Houde, qui nous offre une nouvelle incursion dans leMontréal des années quarante en compagnie de Stan Coveleski,son détective fétiche. Or, quoi de mieux que ces plongées dansnotre passé pour se rappeler que, finalement, plus ça change etplus c’est pareil ?

Il y avait plusieurs mois que nous espérions vous proposer lefort article de Mario Tessier, « Le polar futuriste, ou le mariageincestueux du policier et de la science-fiction ». Mais en bonbibliothécaire qu’il est, Mario tenait à creuser toujours plus sonsujet. Ce qu’il livre aujourd’hui est une formidable exploration dece fascinant mélange des genres. Suivez le guide, vous ne vousennuierez pas !

Comme toujours, votre revue préférée se termine avec soncopieux volet critique, qui vous aidera à faire vos choix. Car, s’ilest impossible de tout lire et de tout voir, il est possible de mieuxlire grâce à notre valeureuse équipe composée, ce trimestre-ci,d’André Jacques, Martine Latulippe, Morgane Marvier,Simon Roy, Christian Sauvé et Norbert Spehner.

Bonne(s) lecture(s),

Jean Pettigrew,pour la rédaction

Comité de rédaction et direction littéraire :Martine Latulippe, Jean Pettigrew

Chroniqueurs: Jean-Jacques Pelletier,Christian Sauvé, Norbert Spehner

Éditeur : Jean Pettigrew

Site Internet : http://www.revue-alibis.com

Webmestre : Christian Sauvé

Abonnement: Voir formulaire sur cette page

Coordonnatrice: Pascale [email protected](418) 837-2098

Trimestriel : ISSN 1499-2620

Date dʼimpression : juin 2013

Nous reconnaissons lʼaide financière accordée parle gouvernement du Canada pour nos coûts deproduction et dépenses rédactionnelles par lʼentre -mise du Fonds du Canada pour les magazines.

Alibis est une revue publiée quatre fois par annéepar les Publications de littérature policière inc.

Les nouvelles publiées dans Alibis sont des textesde pure fiction. Toute res sem blance avec des per-sonnes vivantes ou ayant vécu et avec des évé-nements réels est une pure coïncidence.

Toute reproduction est interdite à moins dʼententespécifique avec les auteurs et la rédaction. Lescollaborateurs sont respon sables de leurs opinionsqui ne reflètent pas nécessairement celles de larédaction.

Dépôt légal à la Bibliothèque nationale du QuébecDépôt légal à la Bibliothèque nationale du Canada

© Alibis et les auteurs

Abonnez-vous !Abonnement (régulier et institution, toutestaxes incluses) :Québec : 30 $ 20 $CAN

Canada : 30 $ 20 $CAN

États-Unis : 30 $US 20 $USEurope (surface) : 35 € 16 €Europe (avion) : 38 € ---Autre (surface) : 46 $CAN 20 $CANAutre (avion) : 52 $CAN ---

Chèques et mandats acceptés en dollarscanadiens, américains et en euros seu le - ment. Les propriétaires de cartes Visa ouMastercard à travers le monde peuvent payerleur abonnement par Internet. Toutes lesinformations sur www.revue-alibis.com.Par la poste, on s’adresse à :

Alibis, 120, Côte du Passage, Lévis (Qc) Canada G6V 5S9Par téléphone : (418) 837-2098 ou par télécopie : (418) 838-4443

Par courriel : [email protected]

NUMÉRIQUE

Nom:Adresse :

Courriel :

Téléphone :

Veuillez commencer mon abonnement avec le numéro :

Format papier : Format numérique (pdf) :

Science-fictionFantastique

FantasyTous les genres de

l’imaginaire se donnentrendez-vous dans

SolarisLa première revue francophone de

science-fiction et de fantastiqueen Amérique du Nord

Abonnement(toutes taxes incluses) :

Québec et Canada : 30 $CAN 20 $CAN

États-Unis : 30 $US 20 $USEurope (surface) : 35 € 16 €Europe (avion) : 38 € ---Autre (surface) : 46 $CAN 20 $CANAutre (avion) : 52 $CAN ---

Nous acceptons les chèques et mandats en dollars canadiens, américainset en euros. On peut aussi payer par Internet avec Visa ou Mastercard.Toutes les informations nécessaires sur www.revue-solaris.com.

Par la poste :Solaris, 120, Côte du Passage, Lévis (Qc) Canada G6V 5S9

Tél. : (418) 837-2098 / Fax : (418) 838-4443Courriel : [email protected]

Nom:Adresse :

Courriel :

Téléphone :

Veuillez commencer mon abonnement avec le numéro :

Format papier : Format numérique (pdf) :

NUMÉRIQUE

Bernard Duchesne

M es parents sont morts le 15  avril 1996. Mon père étaitderrière le volant, ma mère assise sur le siège du passager.La voiture a dévié vers la voie en sens inverse et elle a

été heurtée de plein fouet par plusieurs véhicules. Que s’était-ilpassé? Pendant quelques jours, ça ne m’a pas intéressé de le savoir.Un accident est un accident. Mon père ne buvait pas. Il était enparfaite santé. Une voiture est une machine qui peut se détraquerà tout moment. Et puis vouloir m’acharner à comprendre ce quis’était passé n’aurait pas ressuscité mes parents. Ça me peinaitde les avoir perdus en même temps, mais, pour des sexagénairesayant partagé quatre décennies de leur vie, c’était mieux ainsi.Rapide et sans souffrance, la plus belle fin qui pouvait leur arriver.

PRIX ALIBIS 2013

Tout a une finNATASHA BEAULIEU

TOUT A UNE FIN

8

J’ai passé les semaines suivantes à faire le ménage dans lamaison de mes parents, dont je me savais l’unique héritier. Jen’avais pas l’intention de la garder, alors il fallait bien que je lavide pour la mettre en vente. Je faisais des piles à donner, despiles à jeter et des piles à apporter chez moi. Je n’étais ni tristeni nostalgique. Je me sentais tranquille, en paix avec le passé etavec la mort. Tout a une fin.

Un matin que je vidais le placard dans le bureau de mon père,un vieux sac Adidas rouge et bleu attira mon attention. Il contenaitune dizaine de cahiers, tous de formats et de dimensions dispa-rates. Après en avoir feuilleté quelques-uns, je fus étonné de cons -tater que c’étaient les journaux intimes de mon père, de 1954,l’année de ma naissance, à 1964. Jamais je ne l’aurais imaginéen train de rédiger sa vie. Curieux, je transportai le sac au salonet me plongeai dans la lecture d’extraits de ces cahiers. J’y dé -couvris des facettes de mon père qui m’avaient échappé. Jel’avais toujours considéré comme un être agréable, dévoué, drôleet aimant même si un peu léger. À travers ses réflexions, je faisaisla connaissance d’un homme plus profond qui ne prenait pas lavie si à la légère qu’il en donnait l’impression. Il avait aussi unemanière de décrire sa vie, et par le fait même celle de ma mèreet la mienne, avec une érudition surprenante. Son français écritse révélait plus riche que son français parlé. Mais, malgré cesconstatations, je ne lus rien de choquant ; mon père était biencelui que j’avais connu, un homme honnête, bon et responsable.

Du moins, c’est ce que je croyais encore ce matin-là.Des mois plus tard, la villa était vendue et j’avais rapatrié

chez moi quelques meubles, tableaux et le fameux sac Adidascontenant la vie de mon paternel. Je me demandais si cela valaitla peine de garder ces cahiers. Je détestais accumuler des objetsinutiles. Pourtant, un je-ne-sais-quoi m’empêcha de m’en débar-rasser et, un soir de juin, j’en repris la lecture. Certains des ex -traits étaient truffés d’humour, fidèles à mon père joyeux etinsouciant. Il décrivait ses projets, ses désirs et, malgré une belleplume, il révélait une certaine naïveté qui me faisait sourire. Iln’avait jamais été un homme ambitieux et obsédé par un projetprécis.

Cette impression que j’avais de mon père fut vraie jusqu’àce que je décide de feuilleter le dernier journal, celui de 1964.Le cahier s’ouvrait naturellement à la date du 25 juin, car les pages

A L I B I S 47

NATASHA BEAULIEUA L I B I S 47

9

suivantes avaient été arrachées, ce qui créait un espace videinsolite à travers l’ensemble. Sur cette page, il n’y avait qu’unephrase en plein milieu : Je vais acheter la maison du 14 Sablier,à Saint-Phénix, et, dans le bas, écrit à l’encre rouge – tous lesjournaux étaient rédigés à l’encre bleue – 7 avril 1996.

J’ai tout de suite su que mon père faisait référence à la maisonmauve. Pour la date inscrite dans le bas, je suis resté perplexe.Que s’était-il passé, huit jours avant la mort de mes parents,pour que mon père aille ajouter la date du 7 avril 1996 dans sonjournal de 1964?

Dans les années soixante, surtout l’été, mon père avait l’ha-bitude de nous emmener, ma mère et moi, faire une balade envoiture. « Suzanne ! Daniel ! Grouillez-vous, on part dans cinqmi nutes ! » disait-il. Je ne sais pas pourquoi cet appel nousréjouissait tant. Ma mère prenait une veste, son sac à main et unchandail pour moi, puis nous nous dépêchions d’aller rejoindremon père déjà derrière le volant de la Chrysler bleue. Ma mères’assoyait sur la banquette avant tandis que je me précipitais surla spacieuse banquette arrière.

Nous ne savions jamais où nous allions et mon père se gardaitbien de nous le dire. Avait-il chaque fois une destination préciseen tête ? J’avais renoncé à le lui demander car, comme ma mère,je préférais les surprises. Ainsi donc nous nous retrouvions à lamarina pour observer les bateaux, à l’aéroport pour regarder dé -coller les avions, dans un restaurant où nous n’étions jamais allés,dans une salle de quilles, au zoo, sur un belvédère, au bord d’unerivière ou sur des routes de campagne. Bref, tout était possiblelorsque nous partions en escapade.

Il arrivait que nous circulions dans des quartiers que nous neconnaissions pas simplement pour observer les maisons, diffé-rentes de la nôtre, souvent plus imposantes, parfois moins. Noustrouvions les quartiers plus récents que le nôtre moins jolis, carles arbres sur le bord des rues étaient maigrichons. Nous criti-quions les façades, les parterres, les rocailles et cela nous amusait.Nous nous permettions de dire n’importe quelle niaiserie qui nouspassait par la tête et nous en riions.

Un soir de l’été 1964, à cause d’une chaleur intense et moite,il était impossible de dormir. Ma mère était entrée dans machambre et elle m’avait dit de me dépêcher de m’habiller. « On

Q uelqu’un qui passerait dans le terminus en coup de ventn’entendrait pas le ronronnement de la machine distribu-trice. Mais pour moi qui suis assis ici depuis une éternité,

ce bruit est devenu presque étourdissant. Si seulement j’avais pudormir dans l’autocar qui m’a emmené ici, à Rouyn-Noranda…mais je n’ai jamais été capable de trouver le sommeil en voyage.Pour le peu que j’ai voyagé dans ma vie, j’ai appris une chose :j’ai du mal à dormir avant, pendant et, parfois, après. J’en perdsla notion du temps. Depuis quand suis-je parti de Montréal pourvenir moisir dans ce terminus?

Des pas. J’ouvre les yeux, endoloris et sûrement rougis, pourdécouvrir la présence d’une autre personne. Je ne suis donc passeul dans ce purgatoire? Mais ce n’est pas Dominique. Je reconnaisplutôt l’employée grassouillette qui m’a informé plus tôt de l’heure

La Vallée de porcelaineJONATHAN REYNOLDS

Bernard Duchesne

LA VALLÉE DE PORCELAINE

22

d’arrivée des passagers en provenance de Ville-Marie. Sans meprêter la moindre attention, elle se dirige vers la machine distri-butrice en traînant les pieds. Parce qu’elle se tient dos à moi, jene vois pas son visage, mais je la devine admirative, presquehypnotisée par les quelques friandises offertes.

Les gargouillis de mon ventre. Il doit bien me rester une barrede chocolat ou un muffin sec dans mon sac à dos. Je fouille sansvraiment regarder. Ma main se referme sur un petit rectangle. Çasemble être un boîtier. Quand je sors l’objet en question du sac,je reconnais tout de suite une cassette audio. Sur le côté de celle-ci,il y a mon écriture, qui ressemble davantage à une série de graf-fitis que de mots déchiffrables : Mix pour Marco 4. Mais qu’est-cequ’elle fait dans mon sac, cette cassette ?

Au secondaire, j’enregistrais des mix sur cassettes pour monami Marco. Franco, un an plus jeune que nous, lui en enregistraitaussi. Même si plusieurs riaient de nous, à l’école, à cause denos noms qui finissent en O, c’était le bon temps. On écoutait lesmix dans la chambre de Marco en admirant, sur les murs, lesaffiches de Pamela Anderson où elle posait presque nue. Dans cetemps-là, Marco habitait avec sa sœur et ses parents dans la ruede l’Église, à Bromptonville. Ça ne faisait pas loin pour se voir ;la maison de mes parents était en haut de la côte, dans la rueMullins. Et pour compléter le triangle parfait, Franco habitaitrue de la Croix, à cinq minutes de chez moi et de chez Marco.On se voyait souvent, pour regarder des films ou écouter nosfameux mix, justement.

Ces mix servaient aussi quand on montait à Montréal avecl’école, pour les voyages de fin d’année à La Ronde, chacun avecson écouteur… et je finissais souvent avec les deux parce queMarco disait vouloir surveiller le paysage. Je pensais qu’il setrompait de mot et qu’il voulait plutôt dire « admirer ». Il ne sor-tait pas souvent de Bromptonville. Des fois, il paraissait presquecraindre ce qu’il voyait à l’extérieur. Surtout la dernière fois, ilm’a dit qu’il ne monterait plus jamais dans un autocar. Je mesouviens qu’il tremblait et que ses yeux étaient exorbités, commeceux d’un fou. Il n’a jamais voulu m’expliquer pourquoi il avaitpeur à ce point. C’est comme s’il avait vu quelque chose quepersonne d’autre, moi y compris, même si j’étais assis sur lemême banc que lui, n’avait remarqué. Mais à part ça, il étaitcalme, la plupart du temps.

A L I B I S 47

JONATHAN REYNOLDSA L I B I S 47

23

Dans ces années-là, il n’y avait que des garçons à l’Écolesecondaire de Bromptonville. Les filles, on en rêvait mais on nes’en approchait pas. Pour des geeks comme nous, elles sem-blaient être des créatures venues d’une dimension parallèle. Etc’était bien ainsi. On pouvait parler d’elles en écoutant les cas-settes. Internet n’existait que dans un autre monde, et les seulesfilles accessibles pour nous posaient dans les revues cochonnesdu père de Marco, ou encore dans les films érotiques qui pas-saient à TQS tard le soir.

Si j’ai arrêté d’enregistrer des mix à Marco, c’est à caused’une fille.

On était en quatrième secondaire ; sa petite sœur Josée dé -sirait lui présenter une certaine Maryse. Elle voulait que son frèrese déniaise un peu, côté sexualité, elle qui avait déjà eu beaucoupde chums. Je m’en souviens comme si c’était hier. Pas très bellemais pas trop moche non plus, Maryse réussit pourtant à brisernotre triangle. Elle avait des cheveux d’un roux délavé, un visageanguleux et des yeux toujours fuyants qui ne nous impressionnaientpas, mais c’était la seule fille qui nous montra de l’intérêt… à partla sœur de Marco, mais ça, ça ne compte pas. Pour nous, elle faisaitpartie des meubles. Elle aurait pu être un gars que ça n’auraitpas changé grand-chose ; elle nous énervait avec cette obsessionde collectionner les assiettes en porcelaine, même qu’elle en avaitplus que ma mère. Marco, qui avait souvent prévu de les casserune bonne fois pour toutes, avait failli mettre son plan à exécu-tion avant que Josée ne cogne à la porte. Le regard affolé, Marcoavait caché la collection de porcelaine derrière une haute pile derevues cochonnes. Quand il a ouvert la porte, sa sœur était là,accompagnée de la Maryse en question.

— Marco, je te présente Maryse. Ben, les autres aussi.Tellement gênés d’être devant une vraie fille, nous n’avons

même pas osé lui serrer la main en guise de salutation. Joséesemblait nous trouver pathétiques, si je me fie au long soupirqu’elle lâcha. De son côté, Maryse semblait elle-même asseztimide, surtout avec le pourpre qui envahissait ses joues. Lepourpre tourna au mauve quand Josée l’abandonna avec nous.

— Tu es entre bonnes mains, Maryse. Tu vas voir, ils nesont pas méchants…

Puis, elle prétexta une course à faire et quitta l’appartement.Je sentais une tension presque palpable dans la pièce. Pen dant

de longues minutes, personne ne parla. Ni ne se regarda.

J ’ai mon mot à dire quand on engage au bureau, et je doisavouer qu’à compétences égales… eh bien, je choisis sanshésiter la personne la plus agréable à regarder. Bon, soyons

honnête… la fille la plus agréable à regarder.Mélanie est venue passer une entrevue il y a quelques se -

maines. Elle avait à peine entrouvert la porte de mon bureau quela situation était déjà claire : les autres candidats n’avaient aucunechance. Cette petite chose blonde aux yeux pétillants, au sourireravageur et au corps de rêve était exactement la réceptionnistequ’il nous fallait. Elle n’a pas tardé à confirmer mon jugementquand elle a pris l’initiative, d’elle-même, de m’inviter au res-taurant un soir, en finissant le boulot… J’ai accepté, évidemment,et j’ai immédiatement appelé Sarah, à son travail, pour lui direque j’étais de nouveau retenu par une réunion. Les imprévus sontnombreux à mon travail et j’ai la chance d’avoir une conjointequi a un horaire souple et qui ne pose pas trop de questions.

Le Poids du passéMARTINE LATULIPPE

Bernard Duchesne

M on frère décédé ne veut plus que nous utilisions son nomde vivant. Sa maman lui demande: « Comment devrions-nous t’appeler, alors ? »

Il sourit, la bouche grande ouverte. L’espace entre ses dents,c’est trop adorable ! La semaine dernière, il a perdu sa premièredent de lait. J’ai envie de me jeter sur lui pour le serrer contremoi et absorber tout ce charme innocent. Et j’ai envie de le res-pirer, parce qu’il lui reste encore un peu de son odeur de bébé,même s’il a cinq ans. « Je suis mort. Appelez-moi Mort. »

Mais il n’est pas mort. Pas encore. Ça prend sept ans avantd’être mort officiellement, et ça ne fait que quelques jours qu’ila disparu. Mais nous nous prêtons quand même à son jeu.

v

MortCLAUDE LALUMIÈRE

Bernard Duchesne

MORT

42

Les mamans et les papas me laissent assister lorsque la policeleur explique ce qui est arrivé à mon frère à son premier jour àl’école maternelle. Je peux deviner trop facilement que les ins-pecteurs pensent qu’il s’agit d’une conversation pour adultesseulement.

D’abord, ils demandent qui est qui. Papa Kent dit : « Nouspartageons la maison. Nous sommes comme une grande fa mille. »Ce n’est pas un mensonge. Ils font en sorte que Maman Jennyait l’air d’être avec Papa Kent, et Maman Tara avec Papa Neal.Ils appellent ça « maquiller la vérité ». Parfois c’est plus simplecomme ça.

La police nous dit que moins d’une heure après le début dela classe, la professeure a trouvé un tas de vêtements. Le t-shirtétait taché d’un peu de sang. Elle a fait un rapide comptage ets’est rendu compte qu’il manquait un enfant. Elle a pris les pré-sences et, bien entendu, l’enfant qui manquait était mon frère.

Les autres enfants ont dit à la police que mon frère avaitperdu une dent, ce qui expliquait le sang.

Madame Collingswood ne l’avait pas remarqué, mais il yavait tellement d’enfants auxquels faire attention.

Ni la professeure ni aucun des enfants n’ont eu connaissancede la présence d’un intrus. Ni la professeure ni aucun des enfantsn’avaient remarqué comment et quand mon frère avait disparu.

« Avez-vous reçu une demande de rançon? » nous demandel’un des inspecteurs.

«  Connaissez-vous quelqu’un qui ait une raison de l’en -lever ? » demande l’autre.

« Portez-vous plainte pour négligence contre l’école et laprofesseure? »

Non à toutes ces questions.Ils demandent à voir sa chambre. Ils jettent un coup d’œil,

mais il n’y a rien à y trouver.« Si vous apprenez quoi que ce soit, appelez-nous. »« Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour vous

ramener votre fils. »Pour finir, ils partent.Mort nous a déjà raconté une histoire différente.

v

A L I B I S 47

CLAUDE LALUMIÈREA L I B I S 47

43

Lové sur l’oreiller de Maman Jenny, Mort fait sa sieste del’après-midi. Ainsi blotti dans le grand lit des mamans et despapas, il a l’air si petit, comme s’il était toujours un bébé. Nousnous tenons tous sur le seuil, à l’admirer. Il est tellement paisible.Si beau. Si fragile.

« Rien ne doit plus jamais le blesser  », murmure MamanJenny.

Même bébé, quand il était encore vivant, mon frère était sisensible. Si quelqu’un se mettait en colère et s’en prenait à unautre, soit il se mettait à pleurer de manière incontrôlable, soit ilse repliait complètement sur lui-même, bouleversé, les yeuxécarquillés et pleins de crainte. Nous avons dû apprendre à nejamais piquer de colère et à ne jamais nous hurler dessus. Nousavons appris à communiquer. Nous l’avons fait pour lui, maisc’était une bonne chose. Mon frère nous a appris à être de meil -leures personnes.

Il m’a appris à être une meilleure personne.Une fois, alors que j’étais petite, j’étais furieuse après les

mamans et les papas, parce qu’ils ne m’avaient pas acheté unstupide jouet, et je me suis mise en colère. J’étais si idiote. Toutle monde s’est fâché, et ça a tourné en une énorme dispute oùtout le monde criait. Alors nous avons entendu un horrible cri,très puissant – un seul et unique cri, mais c’était le son le plusterrifiant que j’avais jamais entendu. Le son d’un bébé qu’ontorture : c’est l’image qui m’est venue en tête. Nous avons arrêtéde nous disputer et avons accouru au berceau. Le petit visage debébé de mon frère était crispé de terreur. Il respirait par à-coups,comme un piston brisé. Maman Jenny le toucha à peine, et il criade nouveau.

Les mamans et les papas parlèrent à voix basse entre eux,tendus.

J’avais si peur. Je me détestais pour ce que j’avais fait à monfrère. J’ai rempli mon cœur de tout mon amour pour lui et com-mençé à chantonner son nom.

Les mamans et les papas arrêtèrent de parler. Ils m’écoutèrentet regardèrent le bébé.

Après quelques minutes, il fit un petit gazouillis de bébé. Unson normal. Je continuai ma chanson, et son visage se détendit.Il bava. Ses yeux se fermèrent. Il bava un peu plus, et sa respi -ration s’apaisa tandis qu’il dormait.

À faire avant le départ

http//luciemaquillage.blogspot.ca/2010/09/trucs-pour-cacher-des-echymoses.html– Gel d’arnica.– Correcteur jaune.– Fond de teint une teinte plus pâle que d’habitude.

SOS Violence Conjug. Rive Sud 1-800-343-1010

expedia.ca : GoJet Airlines YUL 19h13 MEX 13h le lendemain 2 escales 274 $

econovols.ca : United Airlines YUL 17h21 MEX 23h17 – 1 escale 195 $

noproblemoflights.mx : Delta Airlines YUL 13h30 MEX 22h15 – 1 escale 334 $

À faire avant le départLUC DAGENAIS

Familiprix 24h

Boul. Aubé

Bernard Duchesne

L e triplex se dressait non loin de la rue Saint-Hubert, sur uneavenue bordée de triplex identiques ou presque. En levantles yeux au-dessus des bâtiments, on pouvait apercevoir le

clocher de trois églises se dresser contre le ciel bleu. C’était uncoin ni pauvre ni riche où habitaient des mécaniciens, des commisd’épicerie et des chauffeurs d’autobus.

Je garai la Studebaker, gravis l’escalier qui menait à l’étageet enfonçai la sonnette. En attendant qu’on m’ouvre, je m’éventaiavec mon feutre. C’était une chaude journée. Une silhouette seprofila derrière le plein-jour qui masquait la fenêtre dans la porteet, bientôt, une femme apparut. Elle portait une robe élégante et sescheveux, relevés en chignon, découvraient un visage plaisant.J’y allai d’une supposition éclairée :

— Madame Dubeau?

L’Affaire DubeauMAXIME HOUDE

Bernard Duchesne

A L I B I S 47

— Oui?— Stan Coveleski. Vous avez parlé à ma secrétaire ce matin.— Bien sûr, donnez-vous la peine d’entrer.On passa au salon. Il y avait dans un coin un piano droit sur

lequel s’étalait tout un paquet de photos. Celles-ci piquèrent macuriosité, mais madame Dubeau semblait pressée qu’on débute,alors je m’assis et entrai dans le vif du sujet.

— Pourquoi avoir fait appel aux services d’un privé?— Il s’agit de ma fille.— Qu’est-ce qui ne va pas?— J’ai peur qu’elle mène une vie secrète, répondit madame

Dubeau en jouant nerveusement avec son collier.— Quel âge a votre fille ?— Seize ans. Bientôt dix-sept.— Eh bien, à cet âge, bien des jeunes ont des petits secrets.— C’est grave, monsieur Coveleski. Je le sais. Je le sens.Mon hôtesse baissa les yeux. Le tic-tac d’une horloge quelque

part emplit le silence.— Qu’est-ce que vous avez senti ou observé? repris-je.— Alice n’est plus la même depuis un mois. Elle a des

sautes d’humeur, ne m’écoute plus, manque l’école. Il y a deuxsemaines, j’ai reçu un appel de la direction à ce sujet. On m’aaussi indiqué qu’Alice ne participait plus en classe et qu’elleremettait ses travaux en retard ou qu’elle ne les remettait pas dutout. Je suis tombée des nues. Alice est une jeune fille studieuse,elle aime l’école, vous comprenez? Quand j’ai essayé de lui parler,elle s’est enfermée dans sa chambre en claquant la porte.

— Elle a un petit ami?Madame Dubeau secoua la tête.— Je n’ai rien remarqué en ce sens. Quand je lui ai posé la

question, elle n’a pas répondu.— Je ne serais pas surpris qu’il y ait un garçon derrière tout

ça.— Non, c’est plus grave.— Vous en semblez convaincue. Pourquoi? J’ai l’impression

que vous ne me dites pas tout, madame Dubeau.Elle baissa la tête, tripota le collier à son cou.— La semaine dernière, j’ai surpris Alice dans ma chambre.

Elle fouillait dans mon sac à main.— Oh?

64

L’AFFAIRE DUBEAU

Madame Dubeau continua d’une voix basse, comme si ellecraignait qu’une oreille indiscrète l’entende :

— Elle me volait de l’argent. Quand Albert l’a su, il a piquéune colère noire.

— Albert… monsieur Dubeau?— Oui.— Je me demandais justement s’il était au courant de la si -

tuation. À vous entendre, je n’en étais pas certain.— J’avoue lui avoir caché certains détails. Les relations avec

notre fille sont tendues, vous comprenez?— Il est au courant de ma visite ou c’est une de vos cachot-

teries ?— Il est au courant, mais il n’est pas d’accord.— Pourquoi ?— C’est un homme très privé. À ses yeux, embaucher un

détective équivaut à laver notre linge sale devant tout le monde.Ou peut-être qu’il n’aimait pas les gars comme moi et que

son épouse essayait de me ménager. Cela ne m’aurait pas étonné.Pour bien des gens, les privés sont des créatures visqueuses quigagnent leur croûte en fouillant dans les poubelles. Tout le mondea droit à son opinion.

— Ne vous inquiétez pas, vous serez payé, s’empressa d’ajou -ter madame Dubeau. J’ai des économies.

— Quinze dollars par jour, en plus des dépenses, ça vous con -vient?

— Pour quelques jours, ça me va.— J’essaierai de faire vite.Elle se pencha en avant, esquissa un pâle sourire.— Ça signifie que vous acceptez le boulot ?Je hochai la tête. Madame Dubeau avait besoin qu’on la ras-

sure – j’y parviendrais sûrement, cette affaire me paraissant assezsimple – et les clients ne se bousculaient pas à ma porte.

— Où est Alice en ce moment? repris-je.— Elle aide une amie à moi qui tient une boutique de fleurs.

Elle reviendra pour souper. Vous désirez la rencontrer ?— Pas à ce stade-ci. Mais je jetterais bien un œil dans ses

affaires.— D’accord. Par ici…On se rendit à l’arrière du logement. La chambre d’Alice

res semblait à la chambre de n’importe quelle fille de son âge.

65

A L I B I S 47 MAXIME HOUDE

Ainsi que vous le savez, mon bon Watson, mon fran-nistan portatif est parfaitement capable de détecter

en un clin d’œil le bijou caché.Asimov, dans sa préface du recueil Histoires mystérieuses,

pour indiquer ce qu’il ne faut jamais écrire !

L es deux genres du polar et de la science-fiction ont en com-mun au moins trois caractéristiques : ce sont des littératuresde genre qu’on a longtemps dévalorisées comme de vul-

gaires sous-littératures, elles se sont développées dans les pulps etles fascicules bon marché du début du XXe siècle, et elles peuventse référer à Edgar Allan Poe comme père fondateur.

Le polar futuriste,

ou le mariage incestueux du policier et de la science-fiction

MARIO TESSIERSuzanne Morel

Mais outre ce long chemin de croix faitensemble, les deux genres partagent aussi uneapproche méthodologique de leur sujet. Eneffet, partant de la définition que donneRégis Messac dans son ouvrage critique surLe « Detective Novel  » et l’influence de lapensée scientifique (1929), la fiction policiè-re étant «  un récit consacré avant tout à ladécouverte méthodique et graduelle, par desmoyens rationnels, des circonstances exactesd’un événement mystérieux », Claude Amoz affirme que «  cepostulat démontre avec fermeté que ce genre littéraire entretientun lien quasiment ontologique avec la pensée scientifique ».Savant et détective : même combat ! En effet, la procédure del’enquête policière re produit le développement de la découvertescientifique : observation des faits, cueillette des données, infé-rence et déduction, mise sur pied d’une théorie, et test de celle-cipar des expériences ou par la confrontation de nouveaux faits.

Daniel Fondanèche renchérit sur ce thème dans son ouvragesur les Paralittératures (2005) où il montre que le roman policieret la science-fiction – au sens large – reposenttous les deux sur ce qu’il appelle «  le soclespéculatif » de la littérature. Au trement dit,ces deux genres établissent leur légitimitésur les interrogations du lecteur.

Lorsque les deux genres fusionnent pourdonner naissance au polar SF, on peut alorsparler d’un rejeton provenant d’un mariageincestueux entre littératures cousines! La com -patibilité des deux genres est d’autant plusévidente si l’on examine le large corpus d’œuvres qui existe oùle métissage va de l’emprunt et de l’imitation des codes jusqu’àla fusion totale. Tous les do sages sont possibles entre le polar etla science-fiction, la cloison entre les deux étant poreuse aumieux.

Les pionniers du polar de science-fictionAu milieu du XIXe siècle, Edgar Allan Poe (1809-1949) fut

sans aucun doute le premier à donner ses lettres de noblesse à lafois aux fictions policières (« Double Assassinat dans la rue

A L I B I S 47

82

LE POLAR FUTURISTE…

Morgue », 1841) qu’aux récits d’anticipation (Les Aventuresd’Arthur Gordon Pym, 1838). Il ne faut donc pas s’étonner queces deux genres soient considérés commevoisins puis qu’ils sont joints dès leur nais-sance par la nécessité d’utiliser ce que Poeappelle la ratiocination, ou le raisonnement,afin de décortiquer un mystère. (C’est d’ail -leurs de cette méthode dont il se sert pourjustifier les vers de son célèbre poème le« Corbeau ».)

Au tournant du XXe siècle, Sir ArthurConan Doyle (1859-1930) s’avérera, à l’ins-tar de Poe, un adepte des récits d’anticipa-tion et des histoires policières. S’il n’a pas mélangé les deuxgenres, son œuvre, par contre, connaîtra une riche descendancemétissée (voir Encadré 1).

Le premier véritable fondateur du polar futuriste est IsaacAsimov (voir plus loin), dont toute l’œuvre montre à des degrésdivers le chevauchement des fictions policières et de la science-fiction.

Toutefois, juste avant la parution du premier roman d’Asimov,Alfred Bester (1913-1987) publie L’Homme démoli (1952), qui esttout autant un roman policier qu’un ouvrage de science-fiction.En effet, l’intrigue tourne autour du meurtrecommis par l’homme d’affaires Ben Reich,qui désire éliminer son rival, et de l’enquêtemenée par le préfet de police Lincoln Powell.Mais au XXIIIe siècle, le meurtre est inconnupuisque des télépathes, travaillant pour lesforces de l’ordre, sont capables de détecterles mensonges. Ce roman, fort complexe,demeure un classique du genre1.

Avec ces œuvres, Asimov et Bester re -nouvellent le vieux principe du meurtre im -possible, en situant l’enquête dans des mondesfuturs.

Citons finalement l’apport de Fredric Brown (voir plus loin),un expert des deux genres, qui sut mélanger avec bonheur lescodes du polar et les thèmes de l’imaginaire pour en tirer desœuvres particulières.

83

A L I B I S 47 MARIO TESSIER

105

C’est un retour en arrière que présente cette édition de Cameraoscura. Des huit films abordés, cinq sont purement historiques,et les trois films contemporains sont tellement «  vieux jeu »qu’on croirait les avoir vus à n’importe quel moment depuis lacréation des règles du cinéma à suspense. Qu’il s’agisse de ré -examiner le réalisateur Alfred Hitchcock, de réécrire la petitehistoire de l’esclavage américain, de rendre hommage à des an -cêtres bootleggers ou bien d’affirmer la supériorité des policierssur le crime organisé, Camera oscura se paie une série de petitsvoyages dans le temps… qui en ont long à nous dire sur notreépoque et la façon dont le cinéma sombre la reflète.

Pères protecteurs

Depuis toujours, le thriller porte sur la protection des faibleset des innocents. Que l’on parle d’un quidam luttant pour assurersa survie, d’un policier tentant de protéger la sécurité publiqueou de l’espion veillant à maintenir l’intégrité du mode de vieoccidental, le film à suspense s’assure que la menace soit contenue,que l’honnête citoyen ait la vie sauve. Trois films récents viennentillustrer cette formule sous ses airs les plus simples ; Taken 2,Stolen et Safe n’ont pas que des titres succinctement évocateursen commun, ils présentent tous une figure masculine protectricede jeunes femmes en danger, sous un angle de filiation plutôt quede romance.

Les amateurs du premier Taken (2008) savent déjà trop àquoi s’en tenir pour la suite : Liam Neeson incarne de nouveau

CHRISTIAN SAUVÉ

A L I B I S 47

106

CAMERA OSCURA (XLVII)

un père aux talents clandestins prodigieux. Quand la familleendeuillée d’une de ses victimes du premier film décide de sevenger en kidnappant sa fille et sa femme, il se voit encore forcéd’exterminer une longue série d’ennemis tout en assurant la surviede ses proches. Le tout a beau profiter des extérieurs colorésd’Istanbul, la formule ne pourrait pas être plus familière.

Et c’est là le problème princi-pal de Taken 2 [L’Enlèvement 2],qui ne parvient pas à se hausserau niveau même modeste de sonprédécesseur. Au-delà de la réali-sation plutôt ordinaire d’OlivierMegaton et du scénario tout aussifade du duo Besson/Kamen, cettesuite piétine sur un terrain déjàfamilier. Liam Neeson est main-tenant bien connu comme hérosd’action (après The A-Team, Un -known et The Grey) et la surprisede le voir se révéler un protago-niste prêt à torturer et tuer s’estconsidérablement émoussée depuis le premier film. Heu reu -sement, sa crédibilité de meure, même si la surprise n’y est plus.Les quelques revirements dramatiques du film (tel le père empri-sonné guidant sa fille vers lui, inversion du schéma nar ratif dupremier film) peuvent plaire un peu, mais ne réussissent pas àassurer le plaisir de visionnement. Taken 2 réussira tout au plusà meubler une soirée tranquille, mais ne nous leurrons pas : cen’est pas un film qui vaut le détour. Au moins, le tout finit bien,l’unité familiale en sortant encore plus solide qu’avant.

Cette dernière constatation n’est pas qu’une formule lapidaireà coup de minces compliments : c’est une des exigences élémen-taires du sous-genre pratiqué à une échelle aussi intimiste. L’unitéfamiliale en vedette doit être renforcée par les tribulations subies.À voir le nombre de pères distants, séparés ou divorcés dont lesrelations sont rendues plus fortes par un kidnapping cinémato-graphique éventré, il y a de quoi se faire de fausses idées sur lathérapie familiale la plus efficace. On n’a qu’à voir le protagonistede Stolen [v.o.a], cambrioleur de banque de génie fraîchementsorti de prison après huit ans, confronté à une fille adolescente

107

A L I B I S 47 CHRISTIAN SAUVÉ

qui ne veut guère le voir… Ce n’est qu’après son kidnapping parun ex-associé de son père qu’elle en vient à trouver en lui unallié extraordinaire.

En tant qu’exercice de genreconvenu, Stolen a au moins lemérite d’être bien mené. Confiéau réalisateur chevronné SimonWest, le film est bien exécuté,avec une certaine fluidité ciné-tique et un rythme narratif sou -tenu. La Nouvelle-Orléans s’avèreun en droit bien coloré pour lespoursuites du film (évoquant dessouvenirs de 12 Rounds, Déjà Vuet Hard Target) alors que l’inter-prétation divertissante de NicolasCage en père protecteur aura dequoi faire plaisir aux ad mirateursde l’acteur. Pour un film diffusédans à peine plus d’une centainede cinémas en tant qu’apéritif à une véritable sortie vidéo, lerésultat n’est pas trop mauvais. Même si on est décidément sousla moyenne, le tout reste préférable à Taken 2.

Un constat légèrement plus optimiste s’impose pour Safe[Saine et sauve], troisième film de protection familiale du tri-mestre. On avouera que le terme « familiale » est un peu géné-reux pour décrire Safe. Après tout, aucun lien de famille n’unitle dangereux ex-policier joué par Jason Statham à la jeune filled’origine chinoise qui a manifestement besoin de sa protection.Mais la relation qui se développe entre les deux alors qu’il la pro -tège de criminels et policiers corrompus dépasse la simple amitié.À la fin du film, ils en sont venus à se tirer mutuellement dupétrin si souvent qu’ils sont devenus une famille.

Si cette conclusion paraît un peu trop sentimentale, le restedu film ne l’est pas du tout. On y découvre initialement Stathamen sans-abri sans ressource. La jeune fille est quant à elle con -seillère pour les triades en raison de sa prodigieuse mémoirepour les chiffres. Quand elle est contrainte de mémoriser un longchiffre mystérieux, c’est tout le New York interlope qui part àses trousses. Arrivé au hasard au milieu de tout cela, Statham

Le Crime en vitrineNORBERT SPEHNER

BARCLAY, LinwoodContre toute attenteParis, Belfond (Noir), 2013, 440 pages.Éd. or. : The Accident, 2011.

Suspense. Une série d’accidents mortels frappe leshabitants d’une petite ville du Connecticut. PourGlen Garber, quelque chose de sinistre est en traind’arriver et il est bien décidé à protéger sa fille Kelly,âgée de huit ans. Haute tension.

BARR, Nevada13 1/2Paris, Le Cherche midi (Thriller), 2013, 393 pages.Éd. or. : idem, 2009.

Suspense psychologique. À la Nouvelle-Orléans,qui se remet des séquelles de Katrina, Polly a ren-contré un bel architecte qui est hanté par un drame:en 1971, un jeune garçon a massacré sa famille àcoups de hache.

BERRY, SteveLe Temple de JérusalemParis, Le Cherche midi (Thriller), 2013, 551 pages.Éd. or. : The Colombus Affair, 2012.

Davincicoderie ! Au menu : la piste des secrets duTemple de Jérusalem, l’incroyable destinée desdouze tribus d’Israël et la personnalité secrète deChristophe Colomb ! Et un héros américain pourdémêler tout ça !

En raison de sa périodicité trimestrielle, de sa formule et de son nombrerestreint de collaborateurs, la revue Alibis ne peut couvrir l’ensemble dela production de romans policiers, soit plusieurs dizaines de titres tousles mois. Cette rubrique propose donc de présenter un certain nombrede livres disponibles en librairie au moment de la parution du numéro.Il ne s’agit pas ici de recensions critiques, mais strictement d’informationsbasées sur les communiqués de presse ou les 4es de couverture des volumes.

A L I B I S 47

120

LE CRIME EN VITRINE

BUSCH, Frédérick(R) FillesParis, Folio (Policier), 2013, 366 pages.Éd. or. : Girls, 1997. Rééd. : Gallimard, 2000.

CAPLAN, OscarL’Hypothèse de CopenhagueParis, Rivages (Thriller), 2013, 670 pages.Davincicoderie ! Thriller ésotérique avec au menuun cardinal mourant, un égyptologue, des notesincomplètes, trois mystérieux parchemins et unechasse au trésor.

CHARBONNEAU, JeanTout homme rêve d’être un gangsterMontréal, Québec Amérique (Tous continents),2013, 278 pages.Roman noir qui nous plonge dans le Montréal de lafin des années quarante, celui du Red Light, descabarets et des entorses aux bonnes mœurs catho-liques.

CLARK, Carol HigginsArnaque à HollywoodParis, Albin Michel, 2013, 228 pages.Éd. or. : Gypped, 2012.La détective Regan Reilly rencontre une jeune femmequ’elle a connue sept ans plus tôt et qui a héritéd’une fortune. Quand elle tombe étrangement ma -lade, Reilly soupçonne son entourage cupide d’yêtre pour quelque chose.

COBEN, HarlanNe t’éloigne pasParis, Belfond (Noir), 2013, 368 pages.Éd. or. : Stay Close, 2012.Encore une histoire de disparition à la Harlan Coben!Mais cette fois ce sont deux personnes qui dispa-raissent à la sortie d’un club : une jeune striptea-seuse et un bon père de famille. Dix-sept ans après,l’inspecteur Broome enquête.

COOPER, GlenLa Prophétie des PapesParis, Le Cherche midi, 2013, 411 pages.Éd. or. : The Devil Will Come, 2011.Davincicoderie! Dans la lignée de Dan Brown, SteveBerry et cie, un thriller historico-ésotérique met-tant en vedette Elisabetha Celestino, une jeune et

121

A L I B I S 47 NORBERT SPEHNER

brillante (évidemment!) archéologue, devenue nonne(pas si brillante que ça, finalement !).

DAENINCKX, DidierTêtes de MauresParis, L’Archipel (Cœur noir), 2013, 220 pages.Melvin Dahmani, en déplacement en Corse, chercheà faire le lien entre la mort de Lysia Dalersa, cellede son frère Orso et une expédition coloniale bru-tale organisée par Pierre Laval en 1931, et destinéeà réprimer le banditisme sur l’île.

FALLARÁS, CristinaDeux petites fillesParis, Métailié (Noir/Bibliothèque hispanique), 2013,216 pages.Éd. or. : Las ninas perdidas, 2011.Victoria Gonzalez, journaliste et détective, enquêtesur une affaire d’enlèvement qui a mal tourné. Unepetite fille est retrouvée morte et la deuxième estportée disparue. Une plongée dans les bas-fonds deBarcelone.

FRIIS, Agnete & Lene KAABERBOLL’Enfant dans la valiseParis, Fleuve noir (Thriller), 2013, 346 pages.Éd. or. : Drengen i kufferten, 2008.Premier volet d’une trilogie danoise. La découverted’un enfant de trois ans, drogué, abandonné dansune valise consignée va plonger Nina dans uneaventure pleine de risques.

GEORGE, ElizabethSaratoga WoodsParis, Presses de la Cité (Thriller), 2013, 426 pages.Éd. or. : The Edge of Nowhere, 2012.Pour « jeunes adultes », une nouvelle série mettanten vedette Hannah Armstrong, alias Becca King, quipossède un étrange pouvoir : elle entend les pen-sées des autres. Quand elle comprend que son beau-père vient de commettre un meurtre, elle part…

GIEBEL, KarinePurgatoire des innocentsParis, Fleuve noir (Thriller), 2012, 592 pages.« Une trame où se mêlent deux genres : le polard’un côté avec les braqueurs, le thriller de l’autreavec un psychopathe qui présente la rencontre entreces deux mondes, et leur confrontation, proprementatomique » [éditeur dixit].

L’homme de nulle partJ’ai présenté À deux pas de chez elle,

le premier polar de François Gravel, dans levolet Internet du numéro 41 et je n’avaisguère été impressionné par cette premièreincursion de ce vétéran des lettres québé-coises dans le domaine du polar. J’avaisconclu ma critique par ces deux phrases :« On espère toutefois que François Gravellui trouvera une affaire plus accrochanteque cette histoire pas très inspirante. Bref,un premier essai, mais pas très bien trans-formé… » Eh bien, c’est chose faite! AvecNowhere Man, deuxième enquête de ChloéPerreault, Gravel nous propose un polarbien ficelé, avec une intrigue ingénieuseaux rebondissements bien pensés. J’ai beauavoir une certaine expérience et un solide

DANS LA MIREde

André Jacques, Martine Latulippe,Morgane Marvier, Simon Roy

et Norbert Spehner

bagage de lecture, je n’ai pas vu venir ledénouement !

Or donc… L’intrigue a deux volets.L’histoire commence à Montréal, en sep-tembre 2000, sur un stationnement situéprès du village gai, où on fait connaissanceavec le « nowhere man » du titre dans descirconstances assez particulières. Anthony,alias Thierry (son véritable prénom), vientde faire une gâterie à un organisateur poli-tique dans son automobile. Faut croire quele jeune était doué parce que le type enfait une crise cardiaque. Comme dit l’autre :il éjacula si fort que son âme partit avec !Affolé, surpris et désorienté, le jeune hommefouille le cadavre, essuie les traces de sonpassage et découvre une mallette bourréed’argent. Il prend le magot et disparaîtdans la nature, bien décidé à se refaire une

A L I B I S 47

132

DANS LA MIRE

nouvelle vie. Une partie du roman va nousraconter ses tribulations et la suite des évé-nements.

Puis on fait un bond dans le temps eton se retrouve à Milton en octobre 2011.On vient de découvrir le cadavre d’un jeunehomme battu à mort sous un pylône, toutprès d’un parc réputé pour ses rendez-vousclandestins. Tout laisse croire à un crimehomophobe. « Gay bashing » conclut Nor -mand Beaudin, un vétéran de la Sûreté duQuébec, qui fait équipe avec la jeune ChloéPerreault. Or Chloé trouve cette conclusionprématurée, ce qui lui vaut une certainehostilité de son collègue aux réactions im -prévisibles. L’intrigue évoluera donc selonce schéma bicéphale : les tribulations deThierry, enfant de militaire (son père estune sale brute vindicative qui bat sa femme),qui cherche sa place dans le monde avantque le destin ne le conduise à Milton, etl’enquête policière à Milton qui, à un mo -ment donné, va recouper la découverte,une dizaine d’années plus tôt, du cadavrede l’organisateur politique et du vol de son

argent. Les choses se mettent en place len-tement et sûrement et le lecteur est sou-dain persuadé d’avoir deviné le fin mot del’histoire. Sachez qu’il n’en est rien.

La dernière partie, particulièrement bienréussie, nous réserve quelques bonnes sur-prises et un dénouement tout à fait jouis-sif ! Un peu potiche stéréotypée dans lepremier roman, Chloé Perreault s’affirme,prend plus de consistance (même si elleflirte encore un peu avec le cliché), toutcomme les personnages secondaires commel’énigmatique Beaudin qui a sa part desecrets. Du coup, on attend le troisième…(NS)Nowhere ManFrançois GravelMontréal, Québec Amérique (Tous continents),2103, 252 pages.

v

Polar québécois :pléthore de fliquettes !

« Pléthore », du grec plëtörë (surabon-dance d’humeurs) : ce qui, pour le com-mun des mortels, signifie donc « abondanceexcessive »… Y a-t-il trop de femmes flicsdans le polar québécois ? Bien sûr quenon… Le problème n’est pas là, il estdans l’apparence ou dans le risque de sté-réotype. Au cours des derniers mois, le polarquébécois a connu un essor sans précédent,autant dans la qualité que dans la quantitédes œuvres publiées, avec l’apparition denouveaux personnages de série dont uncertain nombre de femmes flics. On con -naissait déjà Maud Graham, ou l’irascibleKate McDougall, toujours de service. Il y a

133

A L I B I S 47 DANS LA MIRE

quelques mois, Jean-Louis Fleury nous pro-posait les enquêtes d’Aglaé Boisjoli, avantque ne débarquent Chloé Perreault, deFrançois Gravel, Martine Gendron, de DanielleDumais, et Judith Alison, de Maureen Sul -livan.

La dernière en date s’appelle JeanneLaberge, personnage central de La Valsedes odieux, de Sylvie-Catherine de Vailly.On la présente en ces termes : « JeanneLaberge était inspecteur de police depuistrois ans. C’était la première femme à oc -cuper ce poste réservé depuis toujours auxhommes. Une grande victoire pour lesfemmes qui bataillent fort afin d’obtenirces places. Laberge avait toujours voulutravailler dans la police, d’aussi loin qu’elles’en souvenait, et cela, malgré les tenta-tives désespérées de son père, lui-mêmeinspecteur, pour l’en dissuader. Combiende fois lui avait-il dit que ce n’était pas unmétier pour une femme! Combien de foisl’avait-il priée de choisir autre chose, jus-qu’au jour où il lança, après une énième

engueulade, que si elle persévérait à vou-loir faire ce travail, elle ne serait plus safille ». Cette situation particulière s’ex-plique en partie par le fait que l’action duroman se situe à la fin des années soixante,mais quand le même modèle se représenteà notre époque, avec une certaine insistance,il est temps de tirer la sonnette d’alarme :une jeune et jolie fliquette, détective émé -rite et futée, dans un milieu de mâles machos(moins doués, moins efficaces) qui lui fontdes difficultés… Si on répète et on insistesur ce cas de figure, le stéréotype n’est pasloin ! N’oublions pas que dans la triste réa-lité, il y a aussi des Matricule 728, qui necorrespondent guère à cette image idéalisée!

Pour cette première aventure, qui se dé -roule dans un village non identifié de sixcent trente-six âmes, situé près de Montréal,Jeanne La berge enquête sur une affairecomplexe (inspirée d’un fait divers réel)impliquant des incendies criminels, des volset des assassinats, ainsi que la disparitionmystérieuse d’une certaine Augustine, aliasla Vieille Demoiselle, qui s’était liée d’amitiéavec Bernadette, douze ans, la narratrice(elle alterne avec les chapitres en « il »consacrés à Laberge) de cette histoire quidémarre lentement mais trouve rapidementson rythme pour nous mener au dénoue-ment.

Cette première enquête de l’inspecteurLaberge, assez classique, se lit avec intérêtet on la retrouvera avec plaisir si l’auteure,dont c’est ici le premier polar, désire enfaire un personnage de série. (NS)La Valse des odieuxSylvie-Catherine de VaillyMontréal, Recto Verso, 2013, 300 pages.

Trouvez encore plus d'infos sur le monde des polars en visitant le

www.revue-alibis.com

www.alire.com

526 pages 29,95 $

242 pages 13,95 $242 pages 13,95 $

561 pages 29,95 $

D E S I N T R I G U E S À C O U P E R

L E S O U F F L E !

660 pages 17,95 $

FINAL

ISTE D

U PR

IX SI

LQ–V

ILLE D

E QUÉ

BEC 2

013