Ouand le sport déshumanise - Redeker
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PaIrll(())uus VraiESSAIUn révélateur de l'évolution de nos sociétés.
Ouand le sport déshumanisePar CHANTAL DELSOL del'Institut
Robert Redeker est un philosophe qui s'occuped'anthropologie. Il réfléchit sur les transforma-tions de la figure humaine au gré de l'évolutionde nos sociétés.L'homme contemporain, qui vit
dans l'instant, est profondément différent de celui dessiècles antérieurs, suspendu entre le passé desesancêtres et l'éternité espérée.Ces questionssont ici traitées à travers le sport. L'auteur veutnous montrer que le sport contemporain ré-vèle et développe un nouveau type d'humain.Type, d'ailleurs, plutôt dommageable. Rede-ker parle d'un glissement vers le"déshumain':
plus que comme des hommes: « cybernétisation du corpsde l'homme ».D'ailleurs,ilsmeurent jeunes, sacrifiantpourainsi dire leur vie à leur surhumanité, et leur dopage n'estplus, comme autrefois, passager, mais continu. Formed' « eugénisme dépolitisé ». Robert Redeker s'attarde pour
analyser ce que signifie dans le discours leremplacement de l'''esprit'' par le "mental':Par ailleurs, le sport est devenu une activitémercantile au service de la mondialisation. Ilfaut gagner à tout prix, et la liste est impres-sionnante des délits, marchandages véreux,trucages de matchs, achats souterrains, sansparler de toutes les ficelles du dopage. Pour-tant, les médias décrivent avec humour cesactivités qui susciteraient une indignationvéhémente en d'autres milieux. C'est que lesportif est roi, et innocent par nature, puisquedemi-dieu. Le sport d'aujourd'hui est signi~ficatif des tendances lourdes de nos sociétés.
Ilne s'agit pas du sport envisagé commejeu, comme lorsque nous disputons une
partie de ballon entre amis. Mais du sportnational et institué. Le sport-jeu est gratuit, il:i'!pour finalité gue le 12laisirla libération QUcorps, l'amitié. Le sport dont on parle ici estcelui dont les médias nous parlent sans cesse:omniprésent au point de passer avant n'im-porte quelle nouvelle gravissime de politiqueétrangère. Lesrésultats sportifs, l'ambiance desstades sont donnés par les intellectuelscommedes signes lourds du moral de la nation. Lesjournalistes interrogent lessportifs vainqueurssur des questions d'histoire ou de sociologie,comme si leurs performances physiques lesrendaient omniscients. Les résultats sportifsd'une nation sont devenus son bien commun,l'expression de son rang dans le monde. Auxjeux Olympiques, de petites nations, inca-pables de concourir militairement, tentent de compen-ser par le nombre de médailles. On peut certes se réjouirque "lesjeux" aient pour partie remplacé les guerres.Maisquelles en sont les conséquences?Le sport est désormais considéré comme la panacée àtous les problèmes de société: il réduira les émeutes debanlieue, améliorera la santé publique, renouera le tissusocial, limitera les catastrophes éducatives. Ce qui estinquiétant, c'est que le sport semble parfois avoir rempla-cé à la fois la politique et la religion, ces deux creusets duvivre-ensemble: « L'homme européen ne va plus àCompostelle, il prend le chemin du stade. »Le sport, qui était un jeu, est devenu une technique quiinstrumentalise le corps des athlètes. Ceux-ci ne ressem-blent plus aux spectateurs, qui ne sauraient plus espérerles imiter. Ils dépassent les normes de l'humanité ordi-naire. Ils apparaissent sur la scène comme des Robocop
Je comprends Robert Redeker quand ilexprime sa nostalgie du Tour de France
d'autrefois, événement populaire qui unissaitles châteaux et les chaumières dans la mêmeferveur.Mais ilme semble excessifde voir dansle sport actuel une poursuite des politiquestotalitaires passées, par d'autres moyens. Saufsi l'on admet que le libéralisme est une autreforme de totalitarisme, et je n'irai pas jusque-là! Lesport traduit les excèset les incohérencesde son époque. Passage du champion issu dupeuple au champion people? Signe de la
médiatisation de tout. Remplacement de la culture par lesport, autrement dit, du durable (la culture franchit lessiècles) par l'instantané? Signe d'une période livrée autemps court. Passion pour le chiffre deJa performance,ridicule de l' « épicerie chronométrique »? Signe du règnede la quantité contre la qualité. Remplacement de laculture populaire par la culture de masse? Signe de laroyauté de la consommation. Dépassement permanentde la limite, bataille pour gagner encore quelquescentièmes de seconde? Signe d'une société où la limite esthaïe, limite des forces, de l'âge, de la mort, et où l'oncombat la finitude humaine sous toutes ses formes. Lesport est un indice révélateur de ceque nous sommes: deshumains encore tentés de sortir de notre humanité.
Le sport est-il inhumain?, de Robert Redeker,Panama, 132 pages, 15€.
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