Nathalie Bocherens Normes parasismiques: le bois sait ...

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LA FORÊT 3/20 19 Normes parasismiques: le bois sait faire le poids Nathalie Bocherens* | Un ouvrage en bois bien conçu, dimensionné et réalisé répond parfaitement aux normes parasismiques. Une expérience unique en grandeur nature a été réalisée à Chamoson (VS) pour tester les propriétés dynamiques d’une maison en bois. A g., le bâtiment quelques heures avant les essais de traction. On distingue sur la droite les câbles en place. A d., un étage est tombé mais le reste de la structure a résisté à la simulation sismique. Nathalie Bocherens * Nathalie Bocherens est rédactrice en chef de l’Industriel du bois (IDB). L’article original est paru dans l’IDB de janvier 2020. Il est difficile de déterminer les propriétés dynamiques des bâtiments à ossature bois de manière fiable. En fonction de la méthode de calcul, les résultats peuvent varier sensi- blement. Pris entre les aspects sécuritaires et économiques, les ingénieurs et professionnels de la construction en bois se retrouvent dans une situation inconfortable. Les propriétés dynamiques sont pourtant d’une importance capitale en génie parasismique, car l’effet des forces agissant sur un bâtiment en cas de tremblement de terre dépend fortement du comportement dynamique de sa structure. Pour le matériau bois, des tests statiques ont déjà été réalisés en laboratoire, mais jamais de tests dynamiques sur un bâtiment avec une ossature bois telle qu’elle est mise en œuvre en Suisse. L’objectif de ce projet – une première en son genre donc – était de fournir aux ingénieurs et constructeurs des indications sur les propriétés dynamiques et statiques de l’objet pour permettre de mettre en œuvre plus efficacement les mesures parasismiques, optimiser les structures des nouvelles constructions et leurs coûts. Quatre niveaux grandeur nature à l’épreuve Le noyau du projet portait donc sur la ré- alisation d’un immeuble en bois de quatre niveaux, en grandeur nature par sa hauteur, sa masse et sa construction, mais de surface réduite. La masse de tous les composants mis en œuvre a été préalablement mesurée; la densité et la rigidité des principales pièces de bois et panneaux de grandes particules orien- tées (OSB) avaient été déterminées avant la taille du bois et l’assemblage des parois. Le bâtiment a été érigé par étape en trois mois environ. Après le montage de chaque étage, sa rigidité statique a été mesurée et deux types de tests dynamiques ont été effectués: essais à faible amplitude: il s’agit d’une mesure dite «en bruit ambiant». Au moyen d’accéléromètres – des capteurs très sensibles –, les vibrations et oscillations

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Normes parasismiques:le bois sait faire le poidsNathalie Bocherens* | Un ouvrage en bois bien conçu, dimensionné et réalisé répond parfaitement aux normes parasismiques. Une expérience unique en grandeur nature a été réalisée à Chamoson (VS) pour tester les propriétés dynamiques d’une maison en bois.

A g., le bâtiment quelques heures avant les essais de traction. On distingue sur la droite les câbles en place. A d., un étage est tombé mais le reste de la structure a résisté à la simulation sismique. Nathalie Bocherens

* Nathalie Bocherens est rédactrice en chef de l’Industriel du bois (IDB). L’article original est paru dans l’IDB de janvier 2020.

Il est difficile de déterminer les propriétés dynamiques des bâtiments à ossature bois de manière fiable. En fonction de la méthode de calcul, les résultats peuvent varier sensi-blement. Pris entre les aspects sécuritaires et économiques, les ingénieurs et professionnels de la construction en bois se retrouvent dans une situation inconfortable. Les propriétés dynamiques sont pourtant d’une importance capitale en génie parasismique, car l’effet des forces agissant sur un bâtiment en cas de tremblement de terre dépend fortement du comportement dynamique de sa structure.

Pour le matériau bois, des tests statiques ont déjà été réalisés en laboratoire, mais jamais de tests dynamiques sur un bâtiment avec une ossature bois telle qu’elle est mise en œuvre en Suisse. L’objectif de ce projet – une première en son genre donc – était de fournir aux ingénieurs et constructeurs des indications sur les propriétés dynamiques et statiques de l’objet pour permettre de mettre en œuvre plus efficacement les mesures parasismiques, optimiser les structures des nouvelles constructions et leurs coûts.

Quatre niveaux grandeur nature à l’épreuveLe noyau du projet portait donc sur la ré-alisation d’un immeuble en bois de quatre

niveaux, en grandeur nature par sa hauteur, sa masse et sa construction, mais de surface réduite. La masse de tous les composants mis en œuvre a été préalablement mesurée; la densité et la rigidité des principales pièces de bois et panneaux de grandes particules orien-tées (OSB) avaient été déterminées avant la taille du bois et l’assemblage des parois.

Le bâtiment a été érigé par étape en trois mois environ. Après le montage de chaque étage, sa rigidité statique a été mesurée et deux types de tests dynamiques ont été effectués:– essais à faible amplitude: il s’agit d’une

mesure dite «en bruit ambiant». Au moyen d’accéléromètres – des capteurs très sensibles –, les vibrations et oscillations

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induites naturellement, par exemple par le vent, ont été enregistrées.

– essais dynamiques: pour ces seconds tests, des oscillations libres générées ar-tificiellement étaient imposées à l’ouvrage, sous forme de tractions latérales au moyen d’un câble, relâché subitement pour créer des vibrations de grandes amplitudes.

Le bâtiment a ainsi subi des efforts de traction permettant de reproduire l’effet d’un fort séisme et d’observer la réponse de l’ouvrage. Après l’achèvement de tous les tests dynamiques, le mécanisme de rupture de l’édifice a été vérifié dans le cadre d’une journée officielle ouverte aux profession-nels, aux médias et au public.

Tiré et secoué par un tracteur forestierAu jour dit, fin octobre 2019, le public fut invité à se placer en hauteur, pour des raisons de sécurité et pour disposer d’une meilleure vue sur la scène. En contrebas, un tracteur forestier avec un treuil de 10 tonnes était attelé au système de câbles reliés au bâtiment devant permettre sa destruction.

C’est Martin Geiser, directeur du projet, qui donna le départ. Scientifiques, public et journalistes virent le bâtiment pencher et se déformer dans d’impressionnants craquements. Petit à petit, des morceaux se détachèrent de la structure et les parois exté-rieures glissèrent, jusqu’à ce que s’écroulent avec fracas le dernier étage et le toit.

Le bois plus fort que le câbleLe reste de l’édifice tenait encore debout. Un deuxième câble fut utilisé pour achever la tentative de destruction, mais il se rom-

pit après quelques secondes. Défiant les pronostics, le bâtiment bois a tenu bon; il a résisté à 2,2 fois la valeur de dimensionne-ment de la résistance décrite par la norme SIA, démontrant le grand potentiel du bois.

Résistance au-delà des normesLors de la tentative de destruction et après relevé des données, le bâtiment prévu par calcul pour une résistance de 7,3 tonnes a fi-

nalement cédé à 16,3 tonnes. Par ailleurs, les premiers résultats confirment ainsi que les structures en bois sont plus rigides dans la réalité que ne le montrent certaines simula-tions simplifiées. En outre, le test destructif final a fourni des informations importantes sur le mécanisme de rupture des bâtiments à ossature bois, qui font preuve d’une duc-tilité intéressante.

Vues sur l’intérieur de la structure. A g., un plafond; on distingue un des cylindres de lest en béton sur le plancher. Au centre, détail d’assemblage. Les connecteurs sont vissés pour faciliter le démontage. A d., batterie de capteurs sur les ancrages. Nathalie Bocherens

DES PARTENARIATS À LA HAUTEUR DE L’ENJEU

Direction du projet– Institut de la construction bois, des structures et de l’architecture IHTA de la BFH,

Haute école spécialisée bernoise BFH, Bienne (BE).Organisme de financement– Office fédéral de l’environnement OFEV, Section prévention des accidents

majeurs et mitigation des séismes.Autres partenaires et soutiens– Association valaisanne des entreprises de menuiserie, ébénisterie, charpente,

vitrerie et fabriques de meubles (AVEMEC); Ancotech SA, Rossens (FR); André SA, Morges (VD); Assurance immobilière du canton de Berne; Beer Holzbau AG, Ostermundigen (BE); Buchard H. SA, Martigny (VS); Dénériaz SA, Sion (VS); DF2-Befestigungstechnik AG, Boswil (AG); Empa, Dübendorf (ZH); Habegger AG, Thoune (BE); Fournier & Cie, Ardon (VS); Häring & Co., Eiken (AG); HEIG-VD, Yverdon (VD); Hüsser Holzleimbau AG, Bremgarten (AG); Laboratoire Informatique et mécanique appliquées à la construction (IMAC), EPFL, Lausanne (VD); Les Artisans du bois Nendaz SA, Haute-Nendaz (VS); Norbord Europe; Pfefferlé & Cie SA, Sion (VS); Proz Frères SA, Riddes (VS); Rothoblaas Srl, Cortaccia (I); Groupe SABAG, Bienne (BE); Paulsen Holz GmbH, Waldstatt (SG); Schaerholzbau AG, Altbüron (LU); Stuber & Cie AG, Schüpfen (BE); Triage forestier des Deux Rives, Riddes (VS); Valbéton SA, Vétroz (VS); Charpentes Vial SA, Le Mouret (FR).

Informationswww.bfh.ch/ahb/fr/recherche/projets-de-reference/securite-sismique-batiments-bois

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UN ESSAI UNIQUE AU MONDEMartin Geiser, professeur au département Architecture, bois et génie civil de la Haute école spécialisée bernoise à Bienne et directeur du projet, rappelle que la Suisse a connu de nom-breux tremblements de terre dans son histoire. Il explique les raisons des recherches actuelles sur la sécurité sismique.

Nathalie Bocherens: Des tests de ce type sur des construc-tions en bois ont-ils déjà eu lieu?Martin Geiser: A notre connaissance non, ni en Suisse, ni à l’étranger.

N. B.: Pourquoi avoir choisi des tests mécaniques avec des câbles en acier plutôt qu’avec une table sismique?M. G.: Nous ne disposons pas d’une table vibrante assez grande en Suisse ou en Europe pour les tests que nous sou-haitions effectuer. Surtout, elle n’était pas nécessaire pour ce qui nous intéressait, soit la réponse de la structure. La mesure pouvait très bien s’effectuer par les essais par lâcher que nous avons effectués.

N. B.: Y a-t-il eu une activité sismique naturelle durant les trois mois de ces tests?M. G.: Oui bien sûr, mais rien de nature à être exploité pour nos recherches, ni à les influencer. Pour rappel, la zone sismique à Chamoson est de type Z3b/E (sondage géologique).

N. B.: En quoi les essais menés successivement durant la dernière semaine ont-ils influencé les résultats de la tentative de destruction finale?M. G.: Lors de la destruction, le bâtiment avait déjà subi une sollicitation supérieure à celle décrite par les normes. Dans le sens X, il a été sollicité à trois reprises avec une force de 1,8 fois le séisme de dimensionnement. Dans la direction Y, celle de la destruction, les sollicitations équivalent à 3 fois – en nombre – le séisme de dimensionnement multiplié par 1,2, à quoi s’ajoute 1 fois le séisme de dimensionnement mul-tiplié par 1,8. Au moment de la destruction, le bâtiment était donc probablement légèrement affaibli, mais il est difficile de quantifier cet affaiblissement.

N. B.: La Suisse inclut plusieurs régions soumises à des trem-blements de terre. Pourquoi avoir choisi Chamoson et le Valais?M. G.: C’est en Valais que nous avons trouvé les partenaires susceptibles de réaliser des prestations propres impor-tantes, indispensables au projet. De plus, il s’agit d’un canton producteur de bois et qui est souvent confronté à la question sismique. Il réunissait donc toutes les qualités requises.

N. B.: Comment ont été construites les fondations du bâtiment?M. G.: Le but était que le radier ne bouge pas - ou presque pas - durant les tests dynamiques, raison pour laquelle un soin particulier a été apporté à cette partie pour en assu-rer la rigidité. Nous avons coulé un radier en béton armé de 7 mètres sur 10, d’une épaisseur au centre de 45 cm, pour un poids total d’environ 76 tonnes.

N. B.: Pouvez-vous décrire le bâtiment?M. G.: Il s’agit d’un bâtiment de classe CO I; gamma-f = 1,0. Il mesure 4 mètres par 5 mètres en plan, soit 20 mètres carrés, pour environ 12 mètres de haut. Il a été réalisé en épicéa, en sapin, en OSB et en métal. La structure est en partie en bois massif et en partie en lamellé-collé, mais surtout en lamellé-collé. Cela représente 9 tonnes de bois. Le bâtiment comporte aussi des fenêtres et ouvertures en X. La structure n’a pas été meublée mais lestée par 10 tonnes de béton sous forme de 32 cylindres, à raison de 2,5 tonnes par niveau.

N. B.: Le fait d’utiliser du bois neuf peut-il influencer les résul-tats?M. G.: Non, car une structure porteuse doit rester au sec pour être durable. C’est ce que nous avons fait et nous pouvons donc estimer que le test est représentatif.

N. B.: Quels assemblages ont été réalisés sur la structure?M. G.: Il y en a plusieurs: agrafage, vissage – au lieu d’un clouage, pour faciliter le dé-montage –, boulonnage en pied, ancrages haute résistance Ancotech. Ces derniers sont des prototypes.

N. B.: Comment sont raccordés les planchers et les parois?M. G.: Il s’agit de sabots de solive et d’OSB de plancher agrafé sur la lisse haute des parois.

Schéma structurel complet du bâtiment expérimental. BFH

Un des ancrages utilisés pour fixer la structure dans le radier. BFH

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CET ARTICLE EST TIRÉ DE

Revue spécialisée dans le domaine de la forêt et du bois fondée en 1947 Paraît 11 fois par an

ISSN 0015-7597

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Président: Daniel FässlerDirecteur: Thomas Troger-BumannResponsable d’édition: Florian Landolt

Rédaction/Administration:Rosenweg 14CH-4502 SoleureT +41 32 625 88 00F +41 32 625 88 [email protected]

Réd. en chef: Fabio Gilardi (fg) fabio.gilardi(at)foretsuisse.ch

Rédacteurs:Alain Douard (ad)alain.douard(at)foretsuisse.ch

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Tirage: 1454 ex. (REMP / CS septembre 2020)

Mise en page:Valérie Perrenoud Oriental (resp.)Stämpfl i SA, Wölfl istrasse 1CH-3001 Berne

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