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Mémoire Méthode d'évaluation de la force musculaire par le travail statique Ann. Kinésithér., 1980, 7,291-296 O. TROISIER * L'évaluation, puis le renforcement du muscle par le Travail Statique Intermittant (TSI) font maintenant partie de l'arsenal thérapeutique du rééducateur. Ils rendent de signalés services lorsque le muscle est faible et l'articulation fragile. Quant au Travail Statique Continu (TSC) il a valeur de mesure mais peu d'applications pratiques du fait de la structure imposée aux artérioles par la mise en tension musculaire importante. La détermination de la Force Maximale Théorique (FMT), puis la séance de rééducation, sont grandement facilitées par l'utilisation de l'appareil électronique ((Statergomètre » dont nous avons présenté lefonctionnement aux lecteurs des Annales ûanvier-février 1980, pp. 69-71). Pour ceux de nos corifrères qui ne disposent pas encore de l'appareil, nous présentons également (vide infra, CHAUVIN) une utilisation de la méthode basée sur un circuit poids-poulies. La force musculaire est intimement liée à la durée pendant laquelle elle est maintenue. De nombreux travaux ont illustré la relation existant entre force et durée du travail statique continu (2,3,4,7). En fait, celui-ci ne dure qu'un temps s'il se situe au-dessus d'une certaine force appelée « force critique». Cette durée diminue au fur et à mesure que la force augmente, et à un certain point on note une force correspondant à un temps nul (fig. 1, courbe la plus à gauche). Cette force n'est pratiquement pas possible à mesurer et, cependant, elle donne la véritable capacité de travail statique du muscle. Nous avons proposé de l'appeler Force maxima théorique, et nous allons montrer qu'on peut la calculer en faisant appel à des épreuves de fatigue. A l'inverse, on voit qu'au-dessous de cette force critique matérialisée par l'asymptote de cette courbe dite de « temps limite» (où figure en Chef du Service de Rééducation Fonctionnelle et Médecine Orthopédique, Hôpital Foch, F 92150 Suresnes. 291

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Mémoire

Méthode d'évaluationde la force musculairepar le travail statique

Ann. Kinésithér., 1980, 7,291-296

O. TROISIER *

L'évaluation, puis le renforcement du muscle par le Travail StatiqueIntermittant (TSI) font maintenant partie de l'arsenal thérapeutique durééducateur. Ils rendent de signalés services lorsque le muscle est faible etl'articulation fragile. Quant au Travail Statique Continu (TSC) il a valeurde mesure mais peu d'applications pratiques du fait de la structureimposée aux artérioles par la mise en tension musculaire importante. Ladétermination de la Force Maximale Théorique (FMT), puis la séance derééducation, sont grandement facilitées par l'utilisation de l'appareilélectronique ((Statergomètre » dont nous avons présenté lefonctionnementaux lecteurs des Annales ûanvier-février 1980, pp. 69-71). Pour ceux denos corifrères qui ne disposent pas encore de l'appareil, nous présentonségalement (vide infra, CHAUVIN) une utilisation de la méthode basée surun circuit poids-poulies.

La force musculaire est intimement liée à la durée pendant laquelleelle est maintenue. De nombreux travaux ont illustré la relation existantentre force et durée du travail statique continu (2,3,4,7).

En fait, celui-ci ne dure qu'un temps s'il se situe au-dessus d'unecertaine force appelée « force critique». Cette durée diminue au fur et àmesure que la force augmente, et à un certain point on note une forcecorrespondant à un temps nul (fig. 1, courbe la plus à gauche). Cette forcen'est pratiquement pas possible à mesurer et, cependant, elle donne lavéritable capacité de travail statique du muscle.

Nous avons proposé de l'appeler Force maxima théorique, et nousallons montrer qu'on peut la calculer en faisant appel à des épreuves defatigue.

A l'inverse, on voit qu'au-dessous de cette force critique matérialiséepar l'asymptote de cette courbe dite de « temps limite» (où figure en

• Chef du Service de Rééducation Fonctionnelle et Médecine Orthopédique, Hôpital Foch, F 92150 Suresnes.

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FIG. 1. - Influence de « p ii sur la courbe detemps-limite: plus le temps de repos augmente(<< p» de faible valeur). plus la force-critiqueapproche du maxima; plus le temps de repos se rac­courcit (<< p» de forte valeur). et plus on se rap­proche du travail statique continu.

(F.M.: 0%)

a 20 40 60 80 100Force (p100)

ordonnée le temps et en abcisse la force exprimée en % de la forcemaxima}, le temps pendant lequel un sujet peut maintenir la contractionstatique est théoriquement infini.

Ces deux notions: temps limite et force maxima théorique sont lesdeux piliers de cette étude.

Fatigue musculaire locale

Ce phénomène qui est à la base des courbes de temps limite possèdetrois caractéristiques:

- la force de contraction diminue;- les contractions musculaires diffusent au membre entier, voi re à

l'autre membre;- enfin, l'électromyogramme intégré fait apparaître une augmen­

tation de la quantité d'électricité produite parla contractionmusculaire.

Les divers modes de travail statique

Il existe deux façons d'effectuer un travail statique: continu (TSC) etintermittant (TSI). Dans ce dernier cas, on introduit une phase de repos quialterne avec la phase de travail. Il a été prouvé que la force critique du TSIest plus grande que celle du TSC, et ceci d'autant plus que le temps derepos augmente par rapport au temps de travail (fig. 1). Ces notions sontfamilières au kinésithérapeute qui se doute bien qu'il épuisera d'autantplus vite son malade qu'jlle laissera moins se reposer (2,3,4,7,8).

En pratique, nous avons choisi deux types de travail statiqu e, pou r desraisons de commodité et d'efficacité:

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- le travail statique continu est pratique pour la mesure d'une force,car sa force critique est très basse;

- le travail statique intermittant, avec temps de travail égal au tempsde repos, permet un bon rendement c'est-à-dire une valeur optimale de laquantité de travail statique par minute (4).

Pour cette raison, nous avons choisi de l'employer pour des épreuvesvisant à augmenter la force musculaire. Ces épreuves étant pousséesjusqu'à la fatigue, (tout comme d'autres auteurs: (1). (6) le recom­mandent). il est loisible de les utiliser également pour l'établissement de laforce musculaire théorique.

FMT par épreuve de fatigue en TSC

Une estimation préliminaire de la force maxima mesurée (FMM)pendant quelques secondes donne un ordre de grandeur qui sert àdéterminer la force F utilisée pour l'épreuve de fatigue.

Le choix peut se faire entre deux options: temps court et forceimportante, en choisissant une force F de 80 à 90 % de la FM M; ou aucontraire temps plus long et force moyenne, en prenant par exemple 50 %de la FMM. Il ne faut cependant pas prendre une force trop basse, sinon oncourrait le risque de passer à une valeur inférieure à la force critique et dene jamais aboutir à la fatigue (on voit sur la fig. 1 que la force critique enTSC est à environ 20 % de la FMT).

Dès que l'on a choisi la force F qui est appliquée sur l'extrémité dulevier osseux, on chronomètre le temps qui sépare le début de l'épreuve del'apparition de la fatigue musculaire locale. Le sujet doit être prévenu qu'ildoit aller jusqu'au bout de ses possibilités et ne pas arrêter sa contractiondès qu'il ressent une vague sensation de crampes.

Secondes 036121824

% F.M.T.

1009282736560

Secondes

303642485460

% F.M.T.

555249474544

Secondes

7284108120150180

%F.M.T.

424038363331,5

Secondes

210240300360420480600

%F.M.T.

302928262422,520

FIG. 2. - Abaque du TSC293

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La ligne supérieure correspond au temps en secondes de l'épreuve defatigue.

La ligne inférieure indique le % de FMT correspondant à la force F del'épreuve.

FMT par épreuve de fatigue en TSI

Cette technique est aisée à pratiquer chez les sujets qui sont soumis àun entraînement en TSI. Elle permet d'évaluer la FMT à la fin de chaqueséance dans la mesure où la fatigue musculaire locale est obtenue aprèsun certain nombre de contractions séparées par une phase de repos. On sereporte à une abaque correspondant aux conditions de travail (TSI avectemps de travail égal temps de repos), et on obtient le pourcentage de laFMT correspondant au nombre de contractions effectuées ava ntapparition de la fatigue. Une calculatrice donne la FMT en fonction de laforce F utilisée et du pourcentage de la FMT affiché sur l'abaque (fig. 3).

1/10·de minute 0123456789

% de F.M.T.

100969390878483807877

1/10·de minute

10121416182022242628

% de F.M.T.

75737068666564626160

1/10·de minute

30323436384045505560

% de F.M.T.

59585757565654535251

1/10·de minute

6570758090100120

% de F.M.T.

50504948474645

FIG. 3. - Abaque du T.S.f.

Pour choisir la force F d'une séance de musculation, certaines règlessont à respecter, nous y reviendrons ailleurs avec C. Chauvin. S'il s'agit parcontre d'une simple évaluation effective indépendamment de touterecherche d'entraînement, il vaut mieux utiliser une force à peine inférieureà la force maxima mesurée (FMM) pour être sûr d'être largement au­dessus de la force critique, ce qui aboutira à une épreuve assez courte. Eneffet, en TSI, avec temps de travail égal au temps de repos, la force cri­tique vaut environ 37 % de la FMT.

Applications pratiques

S'il s'agit d'une évaluation pratiquée en dehors de tout" travail derenforcement, le plus simple est de faire une épreuve de fatigue en TSC.On procède de la sorte:

1er cas: la contraction musculaire est indolore

- installation du sujet en assurant une immobilisation du segmentproximal qui ne gène pas la contraction musculaire;

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- repérage précis des coordonnées articulaires: ceci est indispen­sable en raison de la variation de la force de certains muscles en fonctionde leur course;

- installation d'un circuit le plus court possible (en raison del'élasticité du nylon) qui relie l'extrémité du membre au capteur d'unappareil de mesure.

Le statergomètre est un appareil qui permet d'effectuer facilement lamesure en raison de ses trois échelles de forces (0-10 kg; 0-50 kg; 0­100 kg), et au couplage d'un voltmètre vu par le sujet testé à un autrevoltmètre destiné au réglage de la force par le M K. On peut s'arranger pourque la force choisie corresponde à une position verticale de l'aiguille vuepar le sujet, Ce dernier n'a qu'a maintenir l'aiguille verticale par contractionstatique sur le filin, Le kinésithérapeute chronomètre le temps écoulé entrele début de l'épreuve et l'apparition de la fatigue musculaire locale.

Exemple:

Evaluation de la force du biceps brachial: sujet assis, bras fixé sur unmontant vertical; sangle rembourée au poignet, filin vertical dirigé vers lebas.

1er temps: évaluation d'une FMM. L'appareil est prévu pour enre­gistrer la force maximale d'un essai d'une ou deux secondes, soit 25 kg.

2e temps: après un repos d'environ une minute, on règle j'appareil sur15 kg et on déclenche l'épreuve de fatigue. La durée de celle-ci est de 36secondes,

3e temps: on se reporte à l'abaque du TSC et on lit: pour un travail de36 secondes, la force utilisée F - soit 15 kg - représente 52 % de la FMT.

, 15 x 100Celle-cI vaut donc: ----- 28,85 kg.

52

A défaut de statergomètre, une charge directe peut être utilisée, maisson emploi est plus délicat.

ze cas: La contraction musculaire est douloureuse au-delà d'un certain seuil

(FM D = Force Muscu laire Douloureuse)

Soit dans l'exemple choisi FMD =12 kg. On décide alors de voir si lafatigue apparaît avec un chiffre inférieur, soit 9 kg. Si celle-ci apparaîteffectivement au bout de trois minutes, on se reporte à l'abaque quiindique que pour ce temps-là la force est de 31,5 % de la FMT.

. 9 x 100Celle-cI vaut donc: - 28,57 kg.

31,5

Cependant, si la FMD était inférieure à 7 kg, on se serait rapprochédangereusement de la force critique. Dans l'exemple cité, et pour le mêmemuscle - s'il était indolore -, l'épreuve aurait duré 6 minutes 1/2, si onavait employé une force de 7 k~ seulement.

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3e cas: Evaluation de la FMT en TSI pendant la musculation

Lorsque le sujet est soumis à un travail statique intermittent destinéau renforcement musculaire, l'épreuve de fatigue en TSI permet deca Iculer la FMT en fin de séance.

Exemple:

Quadriceps, le genou étant en flexion 100, sujet assis, temps de travailégal temps de repos d'une durée de six secondes chacun (ce réglage estpossible avec le statergomètre que l'on place alors sur la position travail).FMM d'une seconde environ: 30 kg.

Force choisie environ 80 % soit 24 kg.A la fin de l'épreuve, le compteur de l'appareil indique 45 répétitions.

La consultation de l'abaque de T.S.1. montre que la force F (24 kg) == 54 %de la FMT. Celle-ci est donc de 44,44 kg.

CONCLUSION

L'évaluation de la force musculaire en travail statique est possible auxconditions suivantes:

- préciser les coordonnées articulaires,

- choisir un mode donné de travail statique (continu ou intermittent)et se référer aux abaques établissant la Force Maxima Théorique enfonction de la force utilisée au cours de l'épreuve,

- choisir judicieusement cette force: en particulier il convient qu'ellene soit pas trop faible pour ne pas être en dessous de la force critique.

Les facilités apportées par un appareil de mesure et de travailstatique, le statergomètre, mettent l'évaluation de la force musculaire à laportée des kinésithérapeutes.

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