MEMOIRE - 9 avril 2009
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Evaluation des délais de prise en charge des polytraumatisés en SSPI à l’hôpital BEAUJON.
Mathilde PERRIN DES Anesthésie-Réanimation
REMERCIEMENTS
Je remercie Monsieur le Professeur Jean MANTZ ainsi que
les Docteurs Laurent BENAYOUN et Lionel BENHARROSH qui
m’ont permis de réaliser ce travail au sein de leur équipe. Merci
pour votre accueil et votre gentillesse, qualité rare.
Je remercie tout particulièrement tous ces contemporains
anonymes qui, entre mai et décembre 2008, ont décidé de mettre
leur casque, et même de l’attacher, avant de faire une roue arrière
sur leur scooter ; ceux qui, en regardant le sol depuis
l’entrebâillement de la fenêtre, se sont dit : « Cinq étages, ça fait
haut quand même » et qui finalement ont refermé la fenêtre; ceux
qui ont osé freiner à l’orange et ceux qui ont préféré rentrer en taxi
et revenir chercher leur véhicule léger le lendemain matin.
Sans eux, ce travail n’a pas la même puissance mais je le préfère
ainsi.
PLAN I-INTRODUCTION 1-Définition du polytraumatisé 2-Epidémiologie 3-Objectif de l’étude II-METHODOLOGIE 1-Phase observationnelle 2-Analyse 3-Mise en place de protocoles 4-Nouvelle phase observationnelle 5-Analyse statistique
III-RESULTATS IV-DISCUSSION V-CONCLUSION VI-Annexes et bibliographie
I-INTRODUCTION
1-Qu’est-ce qu’un polytraumatisé ?
Un polytraumatisé est une personne blessée grave présentant plusieurs
lésions dont au moins une met en jeu à court terme le pronostic vital ou dont le
mécanisme ou la violence de l’accident laissent penser que de telles lésions existent.
« A court terme » signifie dans les premières heures après l’accident.
2-Epidémiologie
Les polytraumatismes sont principalement provoqués par des accidents de la
voie publique, qui deviennent la première cause de mortalité des hommes âgés de
moins de 40 ans dans les pays industrialisés.
On compte 5 millions de décès par an dans le monde liés aux accidents, ce qui
représente 9 % de la mortalité globale (1). En France, en 2002, les polytraumatismes
entraînaient 350 décès par million d’habitants.
Une projection épidémiologique mondiale prévoit pour 2020 à peu près 9 millions de
décès par an liés aux traumatismes (2).
La mortalité est donc importante avec une répartition particulière :
Pour certains 50% sur les lieux de l’accident, 30% dans les 4 premières heures et
20% au-delà des 72 premières heures (3), et pour d’autres, 50% dans la 1ère heure,
30% de H1 à H24 et 20% au delà de la 24ème heure.
Dans une étude portant sur 324 décès d’origine traumatique, certains
paraissaient évitables en raison d’une défaillance de prise en charge (4). Certaines
études ont montré que jusqu’à 30% de décès auraient pu être évités (5).
Une étude réalisée au Québec entre avril 1993 et mars 1998 étudie la régionalisation
des services d’urgence avec la création à partir de 1993 de 4 niveaux de « Trauma
Center » : lieux de stabilisation, centres primaire, secondaire et tertiaire, les tertiaires
étant les plus spécialisés. Cette étude, à gravité des patients restant égale (ISS
moyen à 26), observe une diminution significative de la mortalité lorsqu’ils sont
adressés dans des centres secondaires ou tertiaires versus primaires ou
secondaires (p<0,001).
Les chances optimales de survie pourraient donc dépendre d’un
système organisé de réanimation dédiée à la traumatologie.
Une étude américaine rétrospective (6) a comparé la survie chez des patients
traumatisés selon qu’ils étaient orientés dans 3 types de centres qui différaient selon
le nombre de patients admis par an. Les centres étaient classés en niveau I (<240
patients par an), niveau II (>240 patients par an) et d’autres centres étiquetés
« trauma center » sans niveau, avec le même score de gravité (ISS>15). L’étude
regroupait, sur une période qui s’étalait de 1996 à 2003, 12254 patients âgés de
plus de 14 ans, vivants à leur arrivée à l’hôpital, ayant au moins un traumatisme
parmi : une plaie vasculaire (aorte, veine cave inférieure, vaisseaux iliaques), un
traumatisme hépatique de grade IV ou V, un traumatisme cardiaque pénétrant, une
tétraplégie ou une fracture complexe du bassin. Cette étude ne montrait pas de
différence de mortalité globale selon le type de « trauma center ».
Le nombre de polytraumatisés graves accueillis par an dans un centre expérimenté n’aurait donc pas d’influence sur la mortalité.
La prise en charge se divise en périodes préhospitalière (SAMU, BSPP) et
hospitalière.
La période préhospitalière doit classiquement durer moins d’une heure. Ainsi dans
une étude prospective de 1993 à 1998 citée précédemment étudiant la
régionalisation (décentralisation) de la prise en charge en « Trauma Center » dans
la région de Montréal, incluant 12208 patients polytraumatisés graves (ISS>12), il est
montré qu’une diminution des temps pré-hospitaliers (62 à 44 min, p<0,05) et des
temps entre l’arrivée à l’hôpital et l’admission en réanimation (151 à 128 min,
p<0,001) entraînent une diminution de la mortalité de 52 à 18% (p<0,0001). (7)
Cette théorie dépend des défaillances du patient, neurologique ou hémodynamique
par exemple. En France, ce temps moyen varie en fonction de la région (citadine ou
rurale), de la nécessité d’une désincarcération ou d’une mise en conditions avec
intubation.
Un des éléments le plus décisif dans la prise en charge du polytraumatisé parait donc être le facteur temps.
3-Objectif de l’étude
Nous avons donc décidé de nous intéresser aux temps de prise en charge du
polytraumatisé depuis l’appel du SAMU jusqu’à la réalisation du diagnostic à l’Hôpital
Beaujon, en Salle de Surveillance Post Interventionnelle (SSPI), lieu d’accueil des
polytraumatisés où a lieu le déchocage. Ce travail était contemporain à une
évaluation des pratiques professionnelles. Ainsi, selon les recommandations de la
Haute Autorité de Santé (HAS), nous avons eu recours à une méthode explicite de
type audit clinique qui consiste à « définir des critères de qualité sur une pratique
donnée, réalistes pour le contexte dans lequel on se trouve, puis de mesurer les
pratiques réelles et enfin de mettre en œuvre les actions visant à faire converger la
pratique constatée vers les critères retenus » (8).
II-METHODOLOGIE
Cette étude est observationnelle, monocentrique, discontinue, se déroulant sur deux
périodes, mais découpée en 4 phases :
-tout d’abord une phase observationnelle de novembre à décembre 2005 qui permet
de décrire le déroulement habituel des actes
-une analyse des différents temps et la comparaison aux données de la littérature
-une mise en place de protocoles afin d’améliorer cette prise en charge,
-une nouvelle phase observationnelle de mai 2008 à décembre 2008.
1-phase observationnelle
Critères d’inclusion : tous les patients arrivés vivant en SSPI de l’hôpital Beaujon,
annoncés polytraumatisés à l’appel du SAMU. L’enregistrement est chronologique,
consécutif. Le recueil est prospectif.
Critères d’exclusion : tout passage au bloc opératoire dès l’arrivée sans recours à la
pose de cathéters au préalable.
Population : sont enregistrés pour chaque patient l’age, le sexe, les scores de
gravité ISS et IGS, le mécanisme de l’accident (chute ou accident de la voie
publique), la mortalité à J1 et à J28, et l’heure d’arrivée du patient divisant la journée
en « jour » défini par la période 08h-20h et « nuit » définie par la période 20h-08h.
Equipe médicale: l’équipe du déchocage est composée d’un senior (CCA ou PH), un
interne d’anesthésie–réanimation, un infirmier et un aide-soignant. L’équipe de
seniors est composée de 15 médecins. L’équipe d’internes est composée de 6
internes et de 3 Faisant Fonction d’Internes ayant une ancienneté moyenne de 5
semestres.
Observateur: une personne extérieure ne participant pas à la prise en charge du
patient (ni l’interne ni le senior) note les horaires des différents moments de prise en
charge, définis ci-dessous, grâce à une horloge murale située au niveau du site du
polytraumatisé.
Horaires à noter :
-appel du SAMU
-arrivée en SSPI
-appel des manipulateurs radio
-arrivée des manipulateurs radio
-commande des culots globulaires O négatifs
-réception des culots globulaires 0 négatifs
-réalisation des radios de thorax et du bassin
-visualisation des radios par le médecin
-prélèvement du bilan biologique
-visualisation des résultats biologiques
-champs stériles mis en place pour pose des cathéters artériel et/ou veineux.
-retrait des champs stériles après pose des cathéters
-pose de drain pleural
-pose de sonde urinaire
-départ pour le Bodyscanner
-retour du Bodyscanner
2-Analyse
2.1-Population
La population est composée des patients ayant été victime d’un polytraumatisme, à
la suite soit d’un accident de la voie publique, soit d’une chute de grande hauteur,
soit d’un accident du travail, soit d’une agression.
2.2-Temps préhospitalier
Le temps préhospitalier peut dépendre du fait que l’hôpital Beaujon draine un
périmètre allant jusqu’à 180 kilomètres. Il doit rester néanmoins inférieur à 1 heure.
2.3-Pose des abords vasculaires
Les résultats et leur comparaison aux données de la littérature laissent apparaître
des délais qui peuvent sembler trop longs, notamment lors de la pose des cathéters
ou lors de la récupération des radiographies de thorax et de bassin . Une étude
comparant la pose des cathéters veineux centraux, fémoral ou jugulaire, sous
guidage échographique ou non trouvait un temps moyen de pose à l’aveugle de 8
minutes qui diminuait à 4 minutes après repérage échographique (9).
Lors de la pose des abords vasculaires, indispensables à des situations de gravité,
les délais peuvent en partie être expliqués par la succession des intervenants au
chevet du patient, avec un télescopage possible avec les manipulateurs radio lors de
la réalisation des radios de bassin et du thorax, et/ou les acteurs (réanimateurs,
chirurgiens, infirmiers) réalisant l’évaluation clinique. Dans ce contexte, il semble
souhaitable que la phase de pose des cathéters soit la plus rapide possible. Nous
avons donc identifié 2 points d’amélioration: le relais rapide de l’interne en cas
d’échec de ponction et le repérage échographique des vaisseaux fémoraux lors de la
réalisation de la FAST-écho par le radiologue.
2.4-Récupération des radiographies
Les temps de récupération des radiographies standard, radiographies de thorax et
de bassin de face, comprennent plusieurs étapes : réalisation, développement dans
le service de radiologie, récupération des clichés radiographiques puis les ramener
au lit du patient.
2.5-Récupération des résultats complets du bilan biologique
La biologie intervient pour guider des actes thérapeutiques. Le temps passé à sa
réalisation peut alors retarder une prise en charge diagnostique et thérapeutique
optimale. Cependant, une partie des résultats du bilan prélevé apparaissait plus tôt :
il s’agit des gaz du sang artériels et du ionogramme sanguin. L’hémostase est le
résultat le plus tardif. Des hémoglobines capillaires répétées et une hémoglobine
mesurée lors de la gazométrie sanguine permettaient une approximation de
l’évolution des pertes sanguines éventuelles.
2.6-Réalisation du Bodyscanner
La durée de réalisation d’un Bodyscanner est parfois longue, malgré des acquisitions
numériques de plus en plus rapide grâce aux scanners de nouvelle génération (multi
barrettes – 64 barrettes à Beaujon). Mais il faut prendre en compte l’organisation du
transport selon l’architecture de l’hôpital. En effet, la SSPI se trouve au rez-de-
chaussée et le scanner au 1er étage de l’hôpital.
3-Mise en place de protocoles
A la lumière des résultats de la première période d’analyse des délais, il nous
est apparu indispensable de mettre en place des mesures correctrices pour des
étapes clés de la prise en charge.
Nous avons choisi 2 étapes qui nous paraissaient facilement modifiables. Pour
cela nous avons procédé à :
1) La mise en place d’un protocole de pose des cathéters veineux et artériel
dans l’urgence : (Ce protocole est affiché au niveau du site de déchocage)
>les lignes de perfusion sont préparées de manière stérile par une infirmière dédiée
à l’accueil du polytraumatisé.
>l’interne s’habille de façon stérile, souvent avant l’arrivée du patient.
>l’interne a le droit à 2 essais de ponctions par abord vasculaire à poser. En cas
d’échec, le relais est immédiatement pris par le senior.
>Au préalable, lors de la réalisation de la FAST-écho, le radiologue (ou le
réanimateur entraîné à l’échographie) doit avoir repéré les deux axes fémoraux pour
faciliter les ponctions. Si besoin, l’échographe pouvait également servir pendant les
ponctions pour les faciliter en cas de difficulté. Bien évidemment, la nécessité
thérapeutique prime sur l’abord vasculaire, aussi cette étape ne devait en aucun cas
retarder un geste d’embolisation ou d’hémostase chirurgicale.
2) La mise en place du logiciel PACS qui permet l’accès par voie informatique
aux examens radiologiques qui sont numérisés après leur réalisation. Ce logiciel a
été installé prioritairement en SSPI avant les autres services hospitaliers.
Nous avons également pu profiter de la mise en place du logiciel DX-Care, qui
permet d’avoir accès depuis tout ordinateur relié au réseau informatique de l’hôpital
aux résultats d’examens biologiques des patients. Il permet aussi de disposer des
divers comptes-rendus radiologiques, chirurgicaux ou encore d’hospitalisation.
4-Nouvelle phase observationnelle
L’étude a alors été reprise de façon strictement identique. Au cours des mois
suivants, de mai 2008 à décembre 2008, où 42 patients ont été inclus de manière
consécutive. Les mêmes délais ont été mesurés.
5-L’analyse statistique
Les résultats sont comparés par un test t de Student ou un test non
paramétrique de Mann-Whitney. Les différences seront considérées comme
significatives lorsque le p est inférieur à 0,05.
III-RESULTATS
Au cours de la première période, 22 patients ont été inclus, 4 femmes pour 18
hommes, d’âge moyen 37±18 ans. Au cours de la seconde période, 42 patients ont
été inclus, 7 femmes pour 34 hommes, d’âge moyen 42±14 ans.
Dans la majorité des cas, il s’agissait d’accidents de la voie publique, survenus au
cours de la journée ; seulement 4 admissions nocturnes lors de la périodes 1 et 6
pour la période 2.
Les deux populations sont comparables en terme de gravité car les scores de gravité
IGS et ISS sont respectivement 48±30 versus 47±25 et 33±25 versus 35±16. La
mortalité est également comparable dans les 2 groupes, 23% à J1 pour la période 1
contre 16% à J1 pour la période 2 et 30% à J28 pour la période 1 contre (cf. tableau
1).
Les résultats des délais de prise en charge sont consignés dans le tableau 2.
Les délais pré-hospitaliers restent identiques : 55±37 min lors de la première
période contre 55±40 min au cours de la seconde (ns).
Le délai entre l’appel du réanimateur aux manipulateurs radio et leur arrivée
passe de 11 à 8 min. Il n’y a pas de différence significative, p=0,16 mais ce délai,
déjà court, parait incompressible.
Probablement grâce à l’installation du logiciel PACS, nous constatons une
amélioration nette du temps de récupération des radiographies de thorax et de
bassin. Il passe de 26±13 min sur la première période à 16±8 min sur la seconde
période (p=0,0005).
Le délai de récupération des culots globulaires O négatif augmente
ostensiblement de 7±3 min à 16±24 min mais de manière non significative. De plus,
cela ne concerne qu’un quart de la population étudiée puisque seuls 5 patients sur
22 lors de la première phase et 11 patients sur 42 lors de la seconde phase sont
intéressés par ce changement. Le ratio 1/4 de patients bénéficiant d’une commande
de culots globulaires reste donc inchangé.
Les délais entre l’arrivée du patient et l’installation pour la pose des abords
vasculaires et pour le temps de pose des abords vasculaires ne présentent pas
d’amélioration malgré la mise en place des protocoles : 18±32 min contre 23±20 min,
(p=0,52) et de 19±6 min contre 22±14 min (p=0,33) respectivement. Il n’y a donc pas
de différence significative concernant la pose des abords vasculaires.
Les résultats biologiques sont récupérés plus rapidement après leur
réalisation, le délai passant de 96±62 min à 50±36 min (p=0,015). Cette amélioration
parait être due principalement à l’accès facilité par le logiciel DX-Care.
Le délai de réalisation du scanner, compris entre le départ et le retour en
SSPI, diminue également de manière significative passant de 74±50 min à 49±31
min (p=0,035), sans avoir eu recours à des mesures correctrices. En relisant les
données des 22 premiers patients, 2 valeurs extrêmes (170 et 210 minutes)
modifient ce temps moyen de prise en charge pour la réalisation du Bodyscanner.
Ces délais sont dus à une aggravation des patients sur le site de radiologie,
empêchant leur déplacement et obligeant la poursuite de la réanimation sur place
(pose d’un drain pleural pour l’un et recours à la réanimation d’un arrêt cardio-
circulatoire pour l’autre). En retirant ces valeurs extrêmes, la durée moyenne entre le
départ et le retour du scanner est de 60±28 min au cours de la première phase et ne
présente plus de différence significative avec la seconde phase.
Le temps moyen de prise en charge au déchocage, c'est-à-dire depuis
l’arrivée du patient jusqu’à sa stabilisation avec réalisation du bilan lésionnel complet,
est reflété par le délai entre son arrivée et le départ au scanner ajouté au délai passé
au scanner. Ce temps passe donc de 123±56 min à 98±27 min, temps qui devient
similaire aux données de la littérature comme en témoigne ce travail effectué dans
un centre d’accueil de polytraumatisés à Amsterdam. Cette étude (10) utilisait un
scanner multi barrettes installé directement dans la salle de déchocage. Cela permet
de ne pas avoir à déplacer le patient et d’avoir a priori un diagnostic plus précoce
des lésions. Leur travail a donc comparé 100 patients consécutifs recueillis de
manière prospective en 2005 lorsque le scanner est installé au déchocage et 100
patients consécutifs recueillis de manière rétrospective alors qu’il fallait déplacer les
patients jusqu’au scanner. Le temps étudié comprend le délai de l’arrivée du patient
au moment où le diagnostic est posé. Les temps sont mesurés grâce à un
enregistrement vidéo des prises en charge au déchocage. Les résultats sont de
105±48 min versus 79±29 min (p<0,01).
IV-DISCUSSION
L’objectif principal de ce travail observationnel était tout d’abord l’évaluation
des délais de la prise en charge des polytraumatisés dans notre centre, car nous ne
disposons pas de données nationales permettant d’établir des recommandations de
bonne pratique clinique. Deux étapes de la prise en charge, la pose des cathéters et
la récupération des radiographies de bassin et de thorax, nous paraissaient
facilement améliorables.
Tout d’abord, l’amélioration des délais de poses de cathéters n’est pas
atteinte. En effet, les délais sont restés inchangés, puisqu’ils sont passés de 19 à 22
min. Plusieurs éléments peuvent expliquer cet échec. Tout d’abord, peut-être parce
que le protocole n’est pas forcément suivi scrupuleusement. En effet, si le patient
s’avère stable hémodynamiquement, l’échec de l’interne n’entraîne pas forcément le
changement de personne à la pose des cathéters, l’interne souhaitant poursuivre son
apprentissage sans retarder l’optimisation hémodynamique du patient. De plus, si le
patient est instable, le senior peut être occupé à d’autres missions (pose de drain
pleural, intubation, appels du chirurgien, de la banque du sang, décisions
d’orientation du patient…), retardant alors son relais auprès de l’interne.
La rapidité du geste peut être également influencée par la gravité du malade. Ainsi
un patient très stable n’entraînera pas le même empressement chez la personne
dédiée à la pose des cathéters qu’un patient d’une gravité supérieure.
A posteriori, il nous parait intéressant d’analyser ces résultats en fonction de la
gravité du patient. En effet, la mortalité dans la première phase semble corrélée aux
scores d’ISS (p=0,01) et d’IGS (p=0,02), ainsi que dans la seconde phase pour les
scores IGS et ISS (p<0,05).
Il n’a pas été possible d’établir un lien entre le délai total de prise en charge et
la mortalité observée, en raison d’un manque de puissance (trop peu de patients
décédés au total avec des données complètes).
L’analyse de ces délais en fonction de l’heure d’arrivée en SSPI définie par
« jour » si l’heure d’arrivée est comprise entre 08h et 20h et « nuit » si l’heure
d’arrivée est comprise entre 20h et 08h la semaine ne retrouve pas de différence
significative. Les patients arrivent majoritairement de jour.
En revanche, le second objectif concernant la réduction des délais d’obtention
des radiographies de thorax et de bassin a été atteint principalement grâce à
l’introduction du logiciel PACS au sein de l’hôpital, permettant ainsi la visualisation
plus rapide sur le réseau, sans aller chercher les images sur films dans le service de
radiologie. Il permet donc de soustraire, au délai total, le temps utilisé auparavant
pour se déplacer dans le service de radiologie et en revenir. De plus, ce logiciel
permet si nécessaire d’affiner la lecture radiologique grâce à la possibilité d’utilisation
d’un zoom et d’une modification des contrastes.
De la même façon, la disponibilité des résultats des examens biologiques sur
le réseau informatique de l’hôpital a permis d’améliorer considérablement (63 contre
96 min) leur obtention. Les erreurs possibles lors des résultats téléphonés, ou les
pertes d’informations transmises de façon orale, les problèmes matériels liés à
l’utilisation de fax et la perte de temps due au déplacement humain jusqu’au
laboratoire d’urgences pour l’obtention des résultats de manière écrite, sont ainsi
évités.
D’un point de vue plus global, ce travail s’intègre dans une démarche qualité
qui reflète une « actualité administrative » et le besoin croissant d’évaluation de nos
pratiques professionnelles (EPP) en milieu hospitalier. En effet depuis 2005, la Haute
Autorité de Santé (HAS) recommande dans le cadre de l’accréditation des
établissements de santé d’évaluer nos pratiques. Cette démarche résulte de la
constatation d’une hétérogénéité des pratiques avec un écart défavorable entre l’état
du savoir médical et la réalité des pratiques, et aide à l’élaboration de
recommandations de pratiques cliniques qui permettent de mettre en adéquation le
recrutement des patients avec les soins proposés.
Ce travail s’intégrant dans l’EPP, et plus précisément dans le
« benchmarking » (11) ou parangonnage (du mot parangon, modèle), il fait partie
d’une boucle. En effet, nous devons le considérer comme un outil d’amélioration
continue de la qualité et non une technique d’évaluation ponctuelle. Il doit donc être
diffusé auprès des personnes évaluées, c’est-à-dire l’équipe médicale participant au
site de déchocage. Une présentation de ce travail et des enjeux pourrait être
présentée à chaque début de semestre pour les nouveaux internes et une nouvelle
fois aux médecins déjà en place et entraîner une nouvelle évaluation de ces délais.
Ce travail présente néanmoins des limites.
Il est monocentrique et ne reflète qu’un type de prise en charge isolée. Les
délais concernant la pose des abords vasculaires restent inchangés. Il révèle la
difficulté à modifier les pratiques cliniques ancrées chez les médecins.
La diversité des seniors, et leur nombre, au total une quinzaine, rendent
difficile l’établissement d’une prise en charge homogène. L’ancienneté des seniors
peut également paraître un biais dans la prise en charge, du fait de décisions prises
peut-être plus rapidement grâce à leur expérience.
Les efforts devront se concentrer par la suite à l’homogénéisation de la prise
en charge et à la volonté commune de travailler en accord avec un protocole. Une
étude américaine (12) s’étalant de 1991 à 2000 s’est intéressée au suivi de
protocoles reconnus dans la prise en charge de traumatisés crâniens dans les
« Trauma Center ». L’étude comprend trois phases : une première observationnelle
de 1991 à 1994, une deuxième de 1995 à 1996 après mise en place du protocole de
prise en charge où la compliance était faible (50%) et une troisième de 1997 à 2000
où, après formation appuyée de l’équipe, la compliance au protocole était de 88%.
Sont inclus les traumatisés crâniens graves âgés de plus de 14 ans. Cette étude
montre, avec des groupes comparables en age et en score ISS, une diminution de la
mortalité (17,8% à 13,8%, p=0,047), une diminution de la durée de séjour en soins
intensifs (9,7 à 7,9 jours, p=0,002) et hospitalier (21,2 à 15,8 jours, p=0,001) tout ceci
amenant à une diminution du coût de prise en charge de 8000 dollars par patient,
soit sur 6 ans une économie de 4 700 000 dollars. Outre l’intérêt de la mise en place
d’une prise en charge qui suit un protocole, cette étude souligne la difficulté d’en
obtenir l’adhésion de tous les acteurs: une durée de 9 ans et de nombreuses
formations semblent, pour cette étude, le prix à payer pour homogénéiser les soins.
La grande disparité des lésions entraîne une grande disparité des temps de
prise en charge. Ainsi, par exemple, des lésions graves de la face nécessitent de
nombreux gestes à visée hémostatique retardant les gestes évalués dans ce travail.
La pose de drains pleuraux, en cas de traumatismes thoraciques graves gênant la
ventilation correcte du patient, peut également retarder les délais mesurés ici.
Le faible nombre de patients colligés au cours des 2 périodes peut sembler un
frein à établir une vraie relation avec les mortalités à J1 et J28.
V-Conclusion
Nous constatons que l’application de mesures simples, telles que la
numérisation des radiographies et leur diffusion à l’aide d’un logiciel informatique,
peut permettre l’amélioration des délais de prise en charge d’un patient
polytraumatisé. Ce travail n’est pas suffisant pour pouvoir le corréler à une éventuelle
baisse de mortalité.
Il serait intéressant d’étendre ce travail à d’autres centres dédiés à l’accueil
des polytraumatisés. Une étude multicentrique pourrait alors être menée avec un
recueil de la mortalité associée.
VI-ANNEXES Tableau 1 : Caractéristiques de la population
2005 (n=22)
2008 (n=42) p
Caractéristiques à l’admission Age (années) 37±18 42±14 ns Sexe (H/F) 18/4 34/7 ns Score ISS 33±25 35±16 ns Score IGS 48±30 47±25 ns Mécanisme du traumatisme Chute / AVP
4/18
9/33
ns
Admission de jour / nuit 18/4 23/4 ns Mortalité à J1 23% 16% ns Mortalité à J28 30% 20% ns Les valeurs sont exprimées en moyenne ± écart-type
(H : Hommes, F : Femmes, ISS : Injury Severity Score, IGS : Indice de Gravité
simplifié, AVP : Accident de la Voie Publique)
Tableau 2 : Durée des temps de prise en charge durant les 2 périodes Evènement Délais (min)
2005 (n=22)
Délais (min) 2008 (n=42)
p
Appel SAMU - arrivée SSPI
55±37
55±40
0,96
Appel manipulateur radio – radios faites
11±12
8±7 0,16
Radios faites - lecture radios
26±13 16±8 0,0005
Délai obtention CG
7±3 16±24 0,027
Arrivée - prélèvement sanguin fait
36±11 23±20 0,011
Prélèvement fait - résultats récupérés
96±6 63±43 0,05
Arrivée - pose cathéters*
18±32 21±31 0,52
Délai de pose des cathéters
19±6 22±14 0,33
Arrivée - départ TDM
49±23 48±20 0,87
Départ TDM - retour TDM
74±50 60±28**
49±31 0,035 ns
Prise en charge totale 123+/-56 98+/-27 0.08 CG : Culot Globulaire
TDM : Tomodensitométrie
*cathéters artériel et veineux central posés systématiquement par voie fémorale en
première intention
**après correction de deux valeurs extrêmes
Les valeurs sont exprimées en moyenne +/- écart-type.
Scores de gravité
-ISS : Injurity Severity Score
Score de sévérité des lésions qui décrit les lésions en fonction de leur localisation et
de leur sévérité. Les localisations sont : tête et cou, thorax, face, abdomen,
extrémités et la peau. Chaque localisation peut présenter une lésion mineure (1),
modérée (2), sévère (3), avec un risque vital engagé (4) ou avec une survie
incertaine (5).
Ce score est égal à la somme des scores des 3 lésions les plus graves, chaque
score étant élevé au carré.
Le score maximal est de 75. Un patient est dit grave pour un score supérieur à 16.
-IGS II : Indice de Gravité Simplifié
Issu du score APACHE, créé par Le Gall. Comprend 14 paramètres dont :
- le mode d’admission (chirurgical urgent ou programmé, ou médical),
- les comorbidités (maladie hématologique, SIDA, cancer ou métastases),
- les caractéristiques cliniques les plus graves entre H0 et H24 (fréquence
cardiaque, pression artérielle systolique, Glasgow, température, diurèse),
- les caractéristiques biologiques les plus graves entre H0 et H24 (urée,
Na+, K+, HCO3-, leucocytes, bilirubine)
Ce score de gravité à l’arrivée du patient est corrélé avec la mortalité hospitalière.
-Classification des lésions hépatiques traumatiques Grade Lésions au scanner
I Avulsion capsulaire
Fracture superficielle < 1cm de profondeur
HSC < 1cm
Infiltration périportale
II fracture de 1 à 3cm de profondeur
HSC ou central de 1 à 3 cm
III fracture > 3cm
HSC ou central > 3cm de diamètre
IV HSC ou central > 10cm
Destruction tissulaire lobaire ou dévascularisation
V Destruction tissulaire bilobaire ou dévascularisation
HSC: hématome sous-capsulaire
-Feuille de recueil utilisée dans l’étude :
Feuille recueil délais prise en charge du patient polytraumatisé
SAMU :
Heure appel :___h___
Arrivée SSPI ou direct SAS bloc ou direct Scanner :___h___ (délai __mins)
Départ de Beaujon :___h___ (délai __mins)
Patient
Heure arrivée en SSPI :___h___ (délai __mins)
Si Bloc direct:
Heure Appel bip 1001+/-1000 :___h___ (délai __mins)
Heure Appel Equipe chirurgicale :___h___ (délai __mins)
Heure Appel coordination bloc (IBODE) :___h___ (délai __mins)
Heure bloc prêt :___h___ (délai __mins)
Heure Echo abdominale :___h___ (délai __mins)
Heure Entrée au bloc :___h___ (délai __mins)
Heure Début chirurgie :___h___ (délai __mins)
Heure Fin chirurgie :___h___ (délai __mins)
Heure Sortie du bloc :___h___ (délai __mins)
Si pas de bloc direct :
Heure appel manip Radio :___h___ (délai __mins)
Heure Arrivée manip Radio :___h___ (délai __mins)
Heure lecture radios :___h___ (délai __mins)
Heure appel radiologue pour écho abdo :___h___ (délai __mins)
Heure réalisation écho abdo :___h___ (délai __mins)
Heure appel BDS pour demande formelle culots O- :___h___ (délai __mins)
Heure réception culots O- :___h___ (délai __mins)
Heure début de pose KTVC et/ou KTA :___h___ (délai __mins)
Heure fin de pose KTVC et/ou KTA :___h___ (délai __mins)
Heure Bilan sanguin prélevé :___h___ (délai __mins)
Heure réception résultats biologiques :___h___ (délai __mins)
Heure pose sonde Urinaire :___h___ (délai __mins)
Heure drainage thoracique :___h___ (délai __mins)
Heure départ pour imagerie (TDM) :___h___ (délai __mins)
…IMAGERIE MEDICALE :
Heure appel radiologue pour artério :___h___ (délai __mins)
Heure arrivée radiologue pour artério :___h___ (délai __mins)
Heure fin artério :___h___ (délai __mins)
Heure fin des examens radio :___h___ (délai __mins)
Heure retour SSPI et/ou départ pour bloc :___h___ (délai __mins)
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