Melis (Préposition)

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La préposition est-elle toujours la tête d’un groupe prépositionnel ? 11 LA PRÉPOSITION EST-ELLE TOUJOURS LA TÊTE D’UN GROUPE PRÉPOSITIONNEL ? Ludo MELIS* KU Leuven Comme partie du discours, la préposition peut être définie par des propriétés sémantiques et syntaxiques ; dans une étude récente, M. Tremblay (1999) avance des arguments précis pour traiter la préposition comme un objet syntaxique, plus exactement comme une catégorie lexicale qui sert de tête à un constituant endophrastique, le groupe ou syntagme prépositionnel. Cette caractérisation s’appliquerait non seulement aux prépositions individuelles, membres de la classe, mais elle permettrait également de distinguer celle-ci des classes voisines de l’adverbe et du coordonnant. Or, comme je voudrais le montrer dans cette communication, cette caractérisation ne convient pas à tous les emplois des lexèmes habituellement rangés dans la catégorie préposition, ce qui soulève à nouveau le problème de la définition de la classe. Dans la première section, je présenterai les propriétés que je voudrais examiner et les quatre sections suivantes seront consacrées à leur discussion. En conclusion, je tenterai de dégager quelques pistes de recherche. * Blijde Inkomststraat 21 – B-3000 Leuven (Belgique) – [email protected] A Syntaxe du groupe prépositionnel Melis, Ludo. 2001. “La préposition est-elle toujours la tête d'un groupe prépositionnel ?”. Travaux de Linguistique 42-43. 11-22.

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Sobre preposição

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  • La prposition est-elle toujours la tte dun groupe prpositionnel ?

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    LA PRPOSITION EST-ELLE TOUJOURS LA TTEDUN GROUPE PRPOSITIONNEL ?

    Ludo MELIS*

    KU Leuven

    Comme partie du discours, la prposition peut tre dfinie par desproprits smantiques et syntaxiques ; dans une tude rcente, M. Tremblay(1999) avance des arguments prcis pour traiter la prposition comme unobjet syntaxique, plus exactement comme une catgorie lexicale qui sert dette un constituant endophrastique, le groupe ou syntagme prpositionnel.Cette caractrisation sappliquerait non seulement aux prpositionsindividuelles, membres de la classe, mais elle permettrait galement dedistinguer celle-ci des classes voisines de ladverbe et du coordonnant.

    Or, comme je voudrais le montrer dans cette communication, cettecaractrisation ne convient pas tous les emplois des lexmes habituellementrangs dans la catgorie prposition, ce qui soulve nouveau le problmede la dfinition de la classe. Dans la premire section, je prsenterai lesproprits que je voudrais examiner et les quatre sections suivantes serontconsacres leur discussion. En conclusion, je tenterai de dgager quelquespistes de recherche.

    * Blijde Inkomststraat 21 B-3000 Leuven (Belgique) [email protected]

    A

    Syntaxe du groupe prpositionnel

    Melis, Ludo. 2001. La prposition est-elle toujours la tte d'un groupe prpositionnel ?. Travaux de Linguistique 42-43. 11-22.

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    1. Proprits de la prposition comme ttedu groupe prpositionnel

    Les exemples sous [1] illustrent la syntaxe ordinaire de la prposition :

    [1] La fille de Franoise compte sur ses amis pour rsoudre ce problme.Les voisins dnent dans le jardin ou sur la terrasse.

    Les diverses prpositions introduisent un complment, avec lequel ellesforment un groupe, qui sert son tour de complment un autre lment dela phrase. Cette description succincte, conforme aux vues de la traditiongrammaticale (Grevisse-Goosse 1993, 987) peut tre prcise grce quatre proprits qui feront lobjet dune tude plus dtaille : 1 laprposition a un complment (v. 2.) ; 2 cet ensemble forme un constituantqui est une le syntaxique, cest--dire un domaine restrictif pour certainesoprations, telle lextraction (v. 3.); 3 ce constituant est endophrastique, ilest un groupe prpositionnel (v. 4.); 4 ce groupe prpositionnel dpend,sur le plan syntaxique, dune tte externe (v. 5.).

    Jcarterai de lexamen dautres proprits gnrales, comme lapossibilit que la prposition soit prcde dun spcifieur de degr :

    [2] Il sest arrt juste / peu prs devant la maison.

    ainsi que les proprits spcifiques de certaines prpositions, telles que ,de ou en qui semblent pouvoir tre considres comme des clitiques prenantappui sur le complment introduit :

    [3] Il faut donner un coup de fer au pantalon et la chemise froisss.Lmission traitera des livres et des films qui sortent le mois prochain.

    Vu les limitations despace, lexamen se fera en outre partir de casspcifiques, illustratifs dun certain phnomne et les rfrences serontlimites.

    2. La proprit complmentation

    Il est communment admis que la prposition a un complment dont elledtermine la catgorie syntaxique (v. le tableau dans Le Goffic 1993 : 295) et que ce complment est unique et obligatoire. En plus, il est, aumoins implicitement, entendu que cette proprit distingue la prposition,transitive, de ladverbe, rput intransitif. Or, il existe des prpositions quine slectionnent pas leur complment (2.1.), dautres qui construisent plusdun complment (2.2.) ou qui peuvent apparatre sans complment,provoquant une hsitation quant leur statut prposition ou adverbe, tandisque certains adverbes sont accompagns dun complment (2.3.).

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    2.1. Les prpositions a-slectives

    Sauf, ainsi que dautres termes servant rendre lexception, esthabituellement rang parmi les prpositions (Grevisse-Goosse 1993, 988).Un tel jugement est certainement justifi pour des emplois comme [4] :

    [4] Sauf erreur (de ma part), ce film muet date de 1924.Sauf avis dfavorable (de ladministration dpartementale), vouspouvez excuter les travaux projets.

    Sauf prend pour complment un groupe nominal non dtermin et ressemblesur ce point la prposition en. Il existe apparemment dautres possibilits :un groupe nominal plein [5], un groupe prpositionnel [6], un infinitifintroduit par [7] ou une que-phrase [8] :

    [5] Il ne boit pas de caf sauf le matin.[6] La gestion du Crdit Lyonnais ne se dpartage pas de celle des banques

    concurrentes, cest le moins que lon puisse dire. Sauf sur latransparence des rmunrations des dirigeants.(LHumanit 08/03/2000)

    [7] Ce prince aimait se servir de ces intrigants, sauf les loger ensuitedans une cage de fer. (Michelet, cit PR3, s.v. sauf)

    [8] Cette histoire est rigoureusement vraie sauf quelle ne sest point,bien entendu, passe rue Guy-de-la-Brosse (Mille, cit Sandfeld19652, p. 34)

    La combinatoire de sauf illustre dans [5] [8] est parallle celle de pour,mis part la prsence de devant linfinitif en [7]1. Or, les exemples [9] [12] obligent revoir cette premire analyse.

    [9] Il a tout lu sauf ce document.Il a lu le texte sauf les notes.

    [10] Il avait tout prvu, sauf (de) se tromper.[11] Il se souvient de tout sauf de cet pisode.[12] Il a cherch dans tous les recoins possibles / partout sauf au grenier.

    Dans ces cas, le verbe constructeur dtermine la catgorie syntaxique ducomplment de sauf et son mode de construction. Ainsi sexpliquent laprsence dune prposition aprs sauf en [11], [12] et corrlativementlabsence de prposition en [9], ainsi que lapparition, facultative, de dedevant linfinitif en [10]. En plus, la prsence du groupe introduit par saufest corrle celle dun autre constituant qui rfre un tout, tandis que lecomplment de sauf rfre une partie de ce tout. Dans ces cas, lecomplment est donc triplement contraint : par le verbe constructeur pource qui est de ses proprits syntaxiques, par le constituant parallle, quirestreint le champ rfrentiel, et par sauf mme qui impose la relationmronymique lie linterprtation exceptive.

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    Pour mon propos, lobservation cruciale est que sauf nexerce pas decontrainte syntaxique sur la forme de son complment. Or, cette mmeconclusion pourrait tre avance pour les exemples [5]-[7] et, moyennantllimination de que et partant la reconversion de la subordonne enincidente, pour [8]. La possibilit que dautres subordonnants apparaissentaprs sauf constitue un argument dans le mme sens :

    [13] Elle le fera sauf si tu lui demandes dabandonner.

    Dans la plupart de ses emplois2, sauf ne manifeste donc pas la proprit deslection du complment. Il existe ds lors des prpositions a-slectives ouplus exactement des emplois a-slectifs de certaines prpositions.

    2.2. Les prpositions double complmentation

    Si la plupart des prpositions ont un complment, ventuellement complexe cause de la coordination, certaines dentre elles peuvent avoir deuxcomplments situs de part et dautre de la prposition. Cet emploi de laprposition en interposition (Borillo 1995 ; Melis 2000), illustr par [14] [17], constitue une autre entorse la dfinition syntaxique canonique, mmesi la prposition dtermine dans ce cas la structure des deux complments,qui doivent tre des N nus parallles :

    [14] Il a reu coup sur coup deux appels de Paris.Il a glos le texte mot mot.

    [15] Il a commis erreur sur erreur.Il a annot / effac ligne aprs ligne.

    [16] Le critique opposait citation citation.Il a rendu coup pour coup.

    [17] Ils taient cinq six (personnes).

    En [14] apparat un seul constituant prpositionnel construit autour dunette, la prposition, qui commande deux complments symtriques ; ceconstituant remplit une fonction accessoire dans la phrase. En [15], lasituation est plus complexe, le groupe interposition remplit une fonctionessentielle de type direct ; la prposition lie bien, dun point de vue interne,les deux noms, mais elle ne fonctionne pas comme tte par rapport au verbe,surtout dans le cas o celui-ci nadmet pas de complment nul, comme celasobserve pour commettre. Dans les exemples sous [16], la situation estplus complexe encore, la structure nom-prp-nom forme un tout du pointde vue interne, mais elle est distribue sur deux fonctions celle decomplment direct et celle de complment indirect ou deux positionsargumentales. Enfin, en [17], la prposition en interposition dtermine lastructure interne du dterminant de quantit ou du pronom correspondant,mais ne fonctionne pas comme tte dans le contexte syntaxique plus large.

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    2.3. Labsence de complment

    Contrairement ce que la dfinition traditionnelle suggre, le complmentde la prposition nest pas indispensable et il a t reconnu depuis longtempsquil existe des prpositions complment nul ou sans complmentobservable. Dans la plupart des cas, le contexte fournit les informationsncessaires linterprtation et le complment nul peut tre interprt commeune anaphore :

    [18] Es-tu en faveur de cette proposition ou contre ?La balle roule et il court aprs.

    Le phnomne est en complmentarit avec la pronominalisation expliciteet nappelle pas de remarques particulires dans le contexte actuel. Un casdiffrent sobserve en [19], puisque le complment impliqu peut prendrenimporte quelle valeur :

    [19] Cest selon.

    En [20] au contraire, linterprtation est spcifique, mais non dterminepar le contexte :

    [20] Il a laiss la porte contre.

    Les deux cas illustrent deux autres modes dabsence du complment, djdtects par Rothemberg (1974) pour les verbes ; dans ce sens [19] est prochede [21] et [20] de [22] :

    [21] On mange six heures.[22] La chemine fume.

    Or, labsence de complment spcifique [22] est gnralement interprtecomme le signe dun changement de construction du verbe, en loccurrencecomme une forme dintransitivisation ; il faudrait donc, par analogie,conclure quen [20] la prposition na pas de complment, mme pas sousla forme minimale de .

    Un dernier cas examiner est reprsent par

    [23] Il lui court aprs.

    Pour en rendre compte trois pistes sont envisager. La premire consiste traiter lui ... aprs comme une sorte de constituant disjoint ; dans cetteoptique, le complment de la prposition serait extrait du constituant, cequi constituerait une violation de la proprit de domaine (v. 3.), mais cequi est en concordance avec lexistence de [24], qui a toutefois dautresinterprtations :

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    [24] Jules court aprs la fille des voisins.

    La seconde piste consiste traiter [23] de manire analogue [18], cest--dire comme un cas danaphore associative ; le complment nul de laprposition voquerait une partie typique du rfrent du pronom. lappuide cette hypothse, lon peut avancer [25] :

    [25] Il lui est tomb dessus.Il lui est tomb sur le rble.

    La reconstitution de la relation partie-tout reste cependant hypothtique.Enfin, la troisime piste consiste traiter [23] de manire parallle [20] etde considrer que courir aprs ou tomber dessus constituent des unitslexicales complexes au smantisme spcifique. Ces units nauraient quuncomplment, le clitique datif, et la prposition ou la particule naurait pasde complment.

    Certaines prpositions nont donc pas de complment, mme pas sousla forme minimale de ; sont-ce toujours des prpositions ou faut-il admettrequelles sont recatgorises en adverbes, comme le voudraient bon nombrede grammairiens ? Cette suggestion sappuie sur lhypothse que si lesprpositions sont transitives, les adverbes sont intransitifs et nont doncjamais de complment. Or, celle-ci semble tre mise en chec par [26] et[27] :

    [26] Lautorisation a t accorde conformment aux dispositions de laloi.Ils ont poursuivi les essais, contrairement ce qui avait t convenu.

    [27] La maison est situe loin / prs (du village).Paralllement ( laugmentation du nombre despces vgtales), onnote une croissance nette de la population doiseaux.

    Les deux types dexemples ne sont pas tout fait parallles. En [26] lesadverbes en -ment ne peuvent tre employs seuls et lon est donc en droitde considrer que conformment et contrairement constituent desprpositions complexes. Ceci nest certainement pas le cas de [27] ; du pointde vue de la structure interne des constituants, adverbes et prpositions neprsentent donc pas, dans ce cas-ci, de diffrence notable, puisque loin,prs ou paralllement peuvent tre suivis dun complment, qui prend vrai dire ncessairement la forme dun groupe prpositionnel, et que certainesprpositions nont pas toujours de complment. La distinction syntaxiqueentre les deux parties du discours, si distinction il y a, ne se situe donc pasau niveau des structures, mme sil est vrai que limmense majorit desadverbes sont intransitifs et que la plupart des prpositions sont toujourstransitives.

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    En conclusion, il apparat que la proprit de complmentation estbien typique des prpositions, mais non systmatique, ni exclusive.

    3. La proprit le syntaxique

    Considrer que la prposition est la tte dun constituant endophrastiqueimplique que ce constituant est un domaine clos pour certaines oprationssyntaxiques, comme lextraction. Il se vrifie par exemple quun groupeprpositionnel ne peut tre extrait dun groupe prpositionnel :

    [28] *le livre dont je me souviens de la couleur.

    Il semble toutefois que dans trois types de cas au moins, des lmentsextrieurs au groupe prpositionnel doivent tre mis en relation avec deslments internes, violant ainsi la contrainte dle syntaxique.

    Le premier cas concerne la coordination et est illustr par [29] [31]:

    [29] Il est trange quil ait vot pour la loi Colard et contre la propositionBaude, comportant toutes deux des mesures en faveur des immigrs.

    [30] On a trouv des traces sous les armoires et dans les placards du salon.[31] Il a parl lenseignant et llve qui se sont disputs hier.

    Les constituants mis en italiques, quils soient apposs, comme en [29], ouau contraire intgrs et restrictifs, comme en [30]-[31] ou en [3], se rapportent chacun des noms, complments des diverses prpositions. Un lmentextrieur au groupe prpositionnel est donc mis en rapport avec un lmentinterne, violant ds lors la contrainte dle. En plus, Jaeggi (1982) a dj faitobserver que des lments externes peuvent tre apposs aux groupesprpositionnels introduits par , condition que ces derniers soientdinterprtation dative :

    [32] ?Impatiente, il faut tout immdiatement Gertrude.Impatiente, il lui faut tout immdiatement, Gertrude.

    [33] Ces femmes qui jai parl toutes (exemple et jugement de Jaeggi1982).

    Ici encore, la contrainte est viole. Enfin, Ilinski (2000 : 265) cite lexemplesuivant :

    [34] Square Montjoie 10 200 F/m2 prix partir de, hors parking.

    Plutt que dy voir, comme cet auteur, un cas danaphore, je le considreraiscomme un cas, vrai dire exceptionnel, dans lequel le complment a textrait et antpos, pour des raisons defficacit communicative ; il sagitdun panneau publicitaire.

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    Pour certains cas, une interprtation en termes de cas a t propose,par Jaeggi (1982) pour les cas impliquant datif [31] [33] et par Picabia,dans son intervention lors du colloque, pour [30] ; celle-ci implique que laprposition perd son statut de tte lexicale, pour devenir une ttefonctionnelle. Lextension de la suggestion [29] nest toutefois pas vidente.Cette hypothse mne en plus reconnatre une homonymie syntaxiquepour de nombreuses propositions. Quant [34], il est plus difficile denproposer une analyse ; lexemple tmoigne en tout cas de la permabilitdu groupe prpositionnel dans certaines conditions discursives.

    4. La proprit catgorisation

    Dire quune prposition introduit un groupe prpositionnel semble unelapalissade. Il existe pourtant un certain nombre de cas pour lesquels cettevidence doit tre mise en doute. Ceci est, en premier lieu, le cas pour lesemplois dits casuels cf. [3] et [31] [33] ; si cette suggestion est accepte,la prposition introduit soit un groupe casuel, soit, plus vraisemblablement,un groupe nominal, marqu pour un cas. Cette dernire hypothse sembleparticulirement approprie pour lemploi de -datif, cause de laproportionnalit avec les pronoms lui et leur dont le caractre nominal estpatent ils sont en effet caractriss par la personne, le nombre et le genre(Melis 1996) :

    [35] Il donne le livre Gabrielle. Il le lui donne.

    Si la proportionnalit avec un pronom porteur de marques nominales peutservir de critre, la prposition ne confre pas le statut de groupeprpositionnel au constituant quelle introduit dans le cas de (36), vu quelattribut commute avec le :

    [36] Dominique est du mme avis.de lopinion de la majorit.

    La tradition grammaticale rsout ce type dexception en voquant unetranslation accompagne de lexicalisation, comme elle limine [37], [38]en traitant de dintroducteur de linfinitif ou complmenteur et darticle (v.Melis 1998, 112 ss.).

    [37] Il craint de devoir partir.[38] Elle lit des livres.

    ces cas, il convient dajouter divers emplois interpositifs, voqus plushaut, tels [15] et [17], exemples dans lesquels le groupe interpositionfonctionne comme complment direct du verbe [15] ou comme dterminantde quantit du groupe nominal [17], mais non comme groupe

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    prpositionnel3 ; on y ajoutera [16] dans lequel le groupe interpositionremplit deux fonctions et connat donc une catgorisation externe double,une fois comme groupe nominal complment direct et une fois commegroupe prpositionnel.

    Enfin, il faut signaler le cas de lexpression dans les + quantifieur:

    [39] Cela a cot dans les cent francs.[40] Elle doit avoir dans les vingt ans.[41] A-t-il vendu beaucoup de voitures la semaine dernire ?

    Il doit bien en avoir vendu dans les trente.

    Le constituant fonctionne soit comme complment adverbial direct, ditcomplment de mesure [39], soit comme complment nominal direct [40] ;en plus, [41] constitue, sil est acceptable, une violation de la contraintedle, moins de considrer que dans les est un spcifieur du quantifieur,mais une telle hypothse soulve plus de problmes quelle nen rsout.

    Les divers cas prsents dans cette section invitent distinguer lacatgorisation interne du groupe partir des proprits de sa tte et lacatgorisation externe, rvle par les proportionnalits et lie lintgrationdu groupe comme complment ou modifieur dune tte suprieure.

    5. La proprit dpendance

    Les dfinitions mme les plus lmentaires de la prposition font rfrenceau caractre relationnel de la prposition qui subordonne son complment une tte externe. Or, certaines prpositions ne fonctionnent pas dans certainsemplois comme un relateur asymtrique.

    Lon rappellera en premier lieu quil existe des emplois symtriques,dits coordonnants, de certaines prpositions, en particulier davec (Badiou-Monferran 2000) :

    [42] Bertrand avec Raton, lun Singe et lautre Chat,Commensaux dun logis, avaient un commun matre. (La Fontaine)

    Le rapport symtrique sobserve galement dans le cas de lemploi eninterposition (v. 2.2.) ; mais il sy ajoute, au moins dans le cas de [14],comme dans [43][45] un lien asymtrique plus conforme la syntaxehabituelle des prpositions :

    [43] Elle prfre les tissus ton sur ton.[44] Je te reois cinq sur cinq.[45] Cette pice mesure cinq mtres sur trois.

    Il a deux chances sur / contre dix pour obtenir ce poste.

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    En second lieu, on notera que certains groupes prpositionnels apparaissenten position de sujet ; ceci sobserve en particulier pour jusqu 4 employseul [46] ou dans une structure coordonne [47] :

    [46] Table dhte toute de famille et en famille, et trs varie. Jusqu unprtre sy trouvait. (Verlaine)

    [47] Des femmes et jusqu des enfants travaillaient aux barricades. (Zola)

    moins quon ne se rsolve considrer que jusqu fonctionne ici commeun adverbe, argumentatif ou paradigmatisant, ces exemples constituent uneviolation tant de la caractristique de catgorisation le sujet est considrcomme un groupe nominal que de celle de dpendance, puisque le sujetnest pas envisag comme un terme dpendant.

    Cette mme prposition peut introduire un complment direct :

    [48] Il contrlait jusqu la dernire virgule.

    Or, il existe une variante de [48] qui fait apparatre le pronom tout ou uneautre expression de la totalit :

    [49] Il contrlait tout / lensemble du texte jusqu la dernire virgule.

    Lon pourrait rgulariser [48] en considrant quil sagit dune expressionelliptique dans laquelle la tte peut tre reconstruite partir du complmentet le mme raisonnement pourrait galement tre appliqu aux cas de saufexemplifis par [5] [8] et [13]. Une telle opration o la cration dunette est dclenche par le dpendant est toutefois indite et son acceptationaugmenterait de manire non contrle la puissance de la grammaire. Mieuxvaut donc considrer que certaines prpositions nentretiennent pas derelation de dpendance avec une tte externe.

    Les nouvelles prpositions, formes partir de noms, rapport,question, ct, point de vue, faon et style (Danon-Boileau et Morel 1997),posent un problme quelque peu diffrent : elles slectionnent en quelquesorte leur tte. Certaines fonctionnent en effet exclusivement commecomplment extra-prdicatif, la tte tant soit la phrase soit une des catgoriesfonctionnelles en lesquelles celle-ci est dcompose (50), tandis que dautressintgrent ncessairement un groupe auquel ils apportent unecaractrisation ; ce groupe peut tre verbal (51) ou nominal (52) :

    [50] Rapport / question / ct / point de vue qualit-prix, cet article estexceptionnel.

    [51] Le groupe a dcid de se propulser sur le march faon Arthur.[52] Il parlait avec des inflexions grandiloquentes, faon / style grand

    avocat.

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    Enfin, la tte dtermine, en principe, la catgorie syntaxique du dpendant,complment ou modifieur ; ceci ne se vrifie cependant pas dans divers casdj discuts dans les sections 2 en particulier [15]-[16] et [4].

    6. Perspectives

    Les observations prsentes montrent que les proprits syntaxiqueshabituellement associes la prposition comme partie du discours et sonrle comme tte du groupe prpositionnel peuvent tre violes. Elles suscitentun grand nombre de questions, qui ne pourront recevoir de rponse dans lecadre de cette brve contribution. Avant de les voquer brivement, jevoudrais souligner que limmense majorit des emplois prpositionnelsmanifestent les proprits voques en 1. et que la caractrisation de laprposition comme objet syntaxique par Tremblay (1999) reste valable. Ellene permet cependant pas de rendre compte de tous les emplois.

    Comment le faire ? Diverses stratgies peuvent tre envisages. Lapremire est de chercher caractriser autrement lensemble de lexmesque la tradition et lusage range sous ltiquette de prposition ; une telledfinition nouvelle peut tre cherche soit sur le plan syntaxique soit sur leplan smantique. Le choix des proprits syntaxiques retenir est toutefoispeu vident et, pour ce qui est des proprits smantiques, il conviendra derpondre aux critiques de Tremblay (1999). La seconde stratgie consiste oprer des dgroupements homonymiques ; on distinguera ainsi prpositionet marqueur casuel, avec prposition et avec coordonnant et ainsi de suite.Outre latomisation que le recours cette stratgie entrane, et la questionquelle suscite de savoir comment rendre compte des rapports vidents queles divers emplois entretiennent, elle bute sur la liste limitative des partiesdu discours : quelle catgorie attribuer sauf5 ou jusqu ? La troisimestratgie consiste accepter la caractrisation syntaxique initiale de laprposition, mais de considrer que celle-ci ne dfinit pas une catgorie demots, une partie du discours, mais un fonctionnement syntaxique ; leslexmes invariables ou du moins certains dentre eux, quil faudra regrouperen une nouvelle classe, se dfiniront par leur potentiel syntaxique, cest--dire par leur capacit adopter le fonctionnement dune prposition, dunadverbe, dun coordonnant et ainsi de suite, et par leur centre de gravitsyntaxique, cest--dire par leur fonctionnement typique.

    Les quelques observations rassembles ici ne permettent que de poserdes questions et denvisager quelques pistes. Quelles puissent tre uneinvitation poursuivre, par des tudes plus dtailles et des dbats thoriques,linvestigation sur la nature syntaxique de la prposition !

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    NOTES

    1. La combinaison sauf est rapprocher de quitte et davant de et nestdonc pas vraiment exceptionnelle.

    2. Lexemple [4] est donc exceptionnel.3. On tiendra galement compte du couple de ... dans il y avait de deux cents

    trois cents personnes.4. Ilinski (2000) en propose une tude dtaille qui dfend la thse que jusque

    est toujours une prposition ; on pourra y opposer lhypothse quau moins danscertains cas il sagit dun adverbe spcifieur.

    5. Ilinski (2000) avance lhypothse que sauf est proche des coordonnants ;cette hypothse ne semble pas pouvoir tre retenue dans les cas (5-8 et 13) et netient pas compte de lasymtrie entre les deux termes.

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