Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les...

32
Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine à l’âge de 18 ans La lutte contre l’oubli (1945-2005) Les commémorations du 50 ème anniversaire de la Libération sont l’occasion, lors d’une exposition à Munster, de revenir sur les divers aspects de l’annexion de l’Alsace. La banderole „ Mit unsern Fahnen ist der Sieg“ («La victoire est avec notre drapeau») a finalement été retiré de l’exposition... de peur de passer pour des nostalgiques du national-socialisme ! (coll. et photo A. Hugel). De nombreux complexes agitent toujours, après plus de 60 ans, les Français d’Alsace et de Moselle qui ont été incorporés de force dans l’armée allemande entre 1942 et 1945. Ils ne disparaîtront que le jour où tous nos compatriotes de « Vieille France » seront enfin convaincus que les Malgré-Nous n’ont jamais été des volontaires pour la Wehrmacht ou la Waffen-SS, mais des enrôlés de force. Depuis la fin de la guerre, j’ai constaté que lorsqu’un Malgré-Nous rencontre un Fran- çais « de l’Intérieur », il ne peut s’empêcher de se dire: «S’il apprend que je suis un ancien incorporé de force, il va penser que j’ai été volontaire dans l’armée allemande». Etrange sentiment de culpabilité qui subsiste encore aujourd’hui... Comme si nous étions des cri- minels, des violeurs ou d’anciens taulards en fuite.

Transcript of Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les...

Page 1: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

1

Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine à l’âge de 18 ans

La lutte contre l’oubli (1945-2005)

Les commémorations du 50ème anniversaire de la Libération sont l’occasion, lors d’une expositionà Munster, de revenir sur les divers aspects de l’annexion de l’Alsace. La banderole „Mit unsernFahnen ist der Sieg“ («La victoire est avec notre drapeau») a finalement été retiré de l’exposition...de peur de passer pour des nostalgiques du national-socialisme! (coll. et photo A. Hugel).

De nombreux complexes agitent toujours,après plus de 60 ans, les Français d’Alsace etde Moselle qui ont été incorporés de forcedans l’armée allemande entre 1942 et 1945.Ils ne disparaîtront que le jour où tous noscompatriotes de « Vieille France » serontenfin convaincus que les Malgré-Nous n’ontjamais été des volontaires pour la Wehrmachtou la Waffen-SS, mais des enrôlés de force.

Depuis la fin de la guerre, j’ai constaté quelorsqu’un Malgré-Nous rencontre un Fran-çais «de l’Intérieur», il ne peut s’empêcher dese dire : «S’il apprend que je suis un ancienincorporé de force, il va penser que j’ai étévolontaire dans l’armée allemande». Etrangesentiment de culpabilité qui subsiste encoreaujourd’hui... Comme si nous étions des cri-minels, des violeurs ou d’anciens taulards enfuite.

Page 2: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

2

Il n’est pas faciled’être alsacien ou mosellan!

Depuis des siècles, l’Alsace et la Moselle sontune terre-frontière entre deux très grandspays, la France et l’Allemagne. En à peine unsiècle, nous avons changé quatre fois denationalité, de langue, de système gouver-nemental, économique ou culturel, de«patrie» selon le vainqueur du moment! Achaque fois, il a fallu s’adapter ou tout perd-re. Cette «alternance» forcée nous a cepen-dant permis de comparer, de faire des choixet d’avoir des préférences, notre province etnotre dialecte restant nos seuls points derepère vraiment stables. En 1945, enfin,nous sommes redevenus définitivement fran-çais au cœur d’une Europe enfin pacifiée.

Pourtant, au fond de nous-même, tant quel’expression « Alsace-Moselle » signifiera« frontière» - c’est-à-dire tant que l’Europe nesera pas devenue une véritable réalité - pourbeaucoup nous resterons sur nos gardes, luci-des et vigilants. Une réconciliation, puis uneamitié sincère entre la France et l’Allemagnene peut effacer la mémoire : la génération desMalgré-Nous n’oubliera jamais les trois

La Résistance alsacienne revêt bien desaspects. Ainsi, le 12 mars 1941, le com-missaire territorial (Landkommissar) deMulhouse fait part à la gendarmerie quela Sicherheitspolizei a observé, sur l’en-semble du territoire alsacien, que le chif-fre „Elf“ («onze») est utilisé par lesfrancophiles comme les initiales de laphrase „Es lebe Frankreich“ («Vive laFrance»). Pour des raisons politiques, lespersonnes arrêtées doivent être livrées àla Sicherheitspolizei. (coll. particulière)

Page 3: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

3

années passées sous l’uniforme de l’ennemid’alors, ni les séquelles physiques et moralesqui en ont résulté et qui, il faut enfin l’ad-mettre, ne relèvent pas uniquement de laseule responsabilité de l’Allemagne nationa-le-socialiste.

L’Alsace et la Moselle à la LibérationSi la ville de Paris a été libérée en août 1944- pour de nombreux Français la guerre étaitdésormais considérée comme achevée -,Strasbourg (Bas-Rhin) n’a été vraiment sécu-risé que le 25 janvier 1945 et Colmar (Haut-Rhin) n’a été libéré que le 2 février 1945.L’Alsace et la Moselle n’ont recouvré unecomplète liberté qu’à compter du 25 mars1945, soit 7 mois après Paris.

Certes, le bonheur d’être enfin libéré, de neplus être annexés au IIIe Reich, fut indénia-ble. Mais nous étions très loin du bonheurcomplet : la guerre se poursuivait pour denombreux incorporés de force et les morts,lors de combats ou dans des camps de pri-sonniers, se multipliaient toujours. Et larégion était dans un triste état. Les bombar-dements et les rudes combats de la Libé-

Au cours de l’hiver 1944-1945, les com-bats font rage en Alsace. Le document degauche est un tract intitulé „BesserGefangen als Gehangen“ («Plutôt pri-sonnier que pendu»). Il est destiné àinciter les Allemands combattant enAlsace à déserter. Le texte rappellenotamment qu’environ 700 soldats alle-mands ont perdu inutilement la vie dansles combats de Kaysersberg et Sigols-heim (décembre 1944). Leur destin estsoit de mourir au front, soit d’êtrependu par décision du conseil de Guerre(Kriegsgericht). Pour échapper à unemort certaine, il n’y a qu’une solution: lacaptivité (Kriegsgefangenschaft).

(coll. A. Hugel)

Page 4: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

4

Sauf-conduit (recto-verso) de la 1ère Armée française à l’adresse des soldats allemands combattanten Alsace (fin décembre 1944). Le texte leur rappelle le nom des localités déjà libérées (Strasbourg,Mulhouse, Sélestat, Ribeauvillé...) et les informe que les troupes alliées ont déjà atteint le Palatinat.Leur seule solution pour ne pas crever („krepieren“ ) inutilement : suspendre immédiatement lecombat. Au dos se trouve le texte, en deux langues, du laissez-passer. (coll. A. Hugel)

Page 5: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

5

ration avaient fait des ravages. L’industrielocale était réduite en miettes : hauts-four-neaux arrêtés, mines inondées, voies ferro-viaires et ponts détruits. De nombreux villa-ges étaient en ruines.

Une fois la paix revenue, de nombreux autresproblèmes se sont posés. Les Malgré-Nous,pourtant citoyens français, ne rentraientqu’au compte-gouttes. L’inquiétude desfamilles était sans borne. Dans la presse, àcôté des faire-part de décès fleurissaient ceuxdes portés disparus.

Par contre, on assistait à un retour massif de200000 civils alsaciens et mosellans désireuxde récupérer au plus tôt leurs biens et de seréinstaller dans leurs foyers. Il s’agissait, engrande partie, de ceux qui avaient été évacuésen 1939 vers le Midi de la France et quiavaient pu ou décidé d’y rester, mais aussi des«cas douteux» expulsés par les Nazis dèsdécembre 1940. Hélas, leurs biens - s’ilsavaient échappé au pillage et à la destructionlors de la «Drôle de Guerre» - avaient étéréquisitionnés ou confisqués par les autoritésnazies, récupérés par les familles allemandes

Quinze jours après la libérationde Colmar (2.02.1945), les délé-gués de l’Entr’aide française deRiquewihr lancent une quêtepour aider les sinistrés de Mittel-wihr, Bennwihr et Ostheim. Onnotera que les documents sontrédigés à la fois en français et enallemand. (coll. A. Hugel)

Page 6: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

6

L’Alsace après la Libération... (coll. A. Hugel)

Page 7: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

7

chargées de les remplacer (en Moselle, lesSiedler ont remplacé 95% des expulsés) ourevendus à des autochtones à la recherched’un logis. Revenus chez eux pleins d’espoiret souvent sans le sou, leur déception futgrande. Et le choc entre les «Rentrants» etceux qui étaient restés le fut d’autant plus.

Certains, ayant du mal à accepter ce coup dusort, devinrent rapidement arrogants, voirehaineux: ils voulaient «bouffer du Boche».Quant aux «Restants», après plusieurs annéesd’Annexion et de souffrance, ils n’étaient pasdisposés à recevoir «des leçons de patriotis-me»: 45000 récalcitrants ont été, rappelons-le, notamment «matés» au camp de sûreté(Sicherungslager) de Schirmeck, 6000 per-sonnes sont mortes dans le camp voisin duStruthof, 27000 civils ont été transplantés enPrusse, en Pologne ou en Silésie, parce qu’unfils, un petit-fils ou un neveu était soupçon-né d’avoir déserté l’armée allemande. Un telclimat de méfiance et d’incompréhension -tous les contacts entre anciens voisins avaientété coupés pendant cinq ans - engendrainévitablement reproches et accusations. Cen’est que progressivement que s’est réinstallé

un début de confiance et une volonté derebâtir ensemble l’avenir. Mais cela mettrades mois, des années.

Captivité et rapatriementdes Malgré-Nous

Victimes pour les uns, traîtres pour les autres,suspects pour la grande majorité, régler le sortdes incorporés de force non-rentrés ne semblepas être une priorité par rapport à l’occupa-tion de postes vacants ou d’épuration àmener. En ex-France occupée, les prisonniersde guerre rentrent assez rapidement dans leursfoyers. Ils sont accueillis dans la liesse popu-laire. Dans les anciennes provinces annexées,il n’en va pas de même: 90000 incorporés deforce reviennent par petits paquets... 42000ne reviendront jamais... Ceux qui retrouventleur province sont quasiment tous dans unétat physique et moral lamentable. Environ30000 d’entre eux seront reconnus invalides(dont 10000 grands invalides de guerre).Leur rapatriement d’URSS, des Etats-Unisou d’Afrique du Nord, où ils étaient prison-niers, mettra plus de neuf mois! Le dernierincorporé de force ne fut rapatrié de Russiequ’en août 1955!

Page 8: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

8

La presse alsacienne donne des nouvelles des incorporés de force non encore rentrés : les Dernières Nouvelles duHaut-Rhin du 27.9.1945 (page précédente), Le Nouveau Rhin Français du 30.7.1945, du 2.8.1945, du7.8.1945. (coll. A. Hugel)

Page 9: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

9

Photos prises sur la voie publique, à Riquewihr, après le conseil de révision (Musterung), le 24 février 1943. Sur la photo de gauche, Armand Hanss est debout, à droite.(coll. A. Hugel)

Page 10: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

10

Le 17 avril 1943, à Riquewihr, départ d’Armand Hanss (iltient les rênes) pour la Wehrmacht. En signe de protestation,il a tracé à la craie les lettres «RF» (République française) sursa charrette. Né en 1914, Armand Hanss avait été soldat au15/2 à Rethel en mai 1940. Incorporé de force, il a été faitprisonnier par les Russes. Il a eu la chance de faire partie des«1500» libérés de Tambow. (coll. A. Hugel)

Autre groupe de conscrits de Riquewihr rassemblés devant la Poste (hiver 1943).(coll. A. Hugel)

Page 11: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

11

La classe 1924 de Riquewihr après son passage au conseil de révision. Au premierplan, Jean Hugel. (coll. A. Hugel)

A Riquewihr, tout se termine à la cave ! Y compris le conseil de révision de la clas-se 1920. A l’arrière-plan est visible un drapeau bleu-blanc-rouge. (coll. A. Hugel)

Page 12: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

12

Dans les provinces annexées, les études scolaires sont aussi soumises àdes compromissions avec le pouvoir en place. Le 20 août 1941, JosephMuller, de Bouzonville (Moselle), est avisé que, s’il désire commencerses études à l’été 1942, il faudra qu’il effectue son RAD (Reichs-arbeitsdienst) à l’automne 1941, éventuellement par devancementd’appel.

(coll. particulière)

Les autorités allemandes font pression pour inciter lesAlsaciens Mosellans au retour dans leur région (lettre du 4septembre 1940).

(coll. A. Hugel)Extrait d’un journal parisien paru en1942.

(coll. A. Hugel)

Page 13: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

13

p.13-14:En Alsace annexée, lesprénoms et les nomsjugés trop français sontgermanisés : Liliane de-vient Martha (26.4.1941), Berta EmmaYvonne devient BertaEmma (15.6.1942),Prud’homme devientPrüttmann (9.9.1943),Janes Grace Aline de-vient Elisabeth (14.12.1942).

(coll. A. Hugel)

Page 14: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

14

Page 15: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

15

Sur l’échiquier du vaste monde en guerre,l’annexion de l’Alsace-Moselle était fort peuconnue et l’incorporation de force deFrançais dans l’armée allemande totalementignorée. Par contre, elle a été occultée cons-ciemment par le gouvernement de Vichyqui ne protesta que mollement et secrète-ment lors de la mise en application, en 1942,du service militaire obligatoire dans les pro-vinces annexées. Cependant, les ForcesFrançaises Libres et De Gaulle étaient par-faitement au courant de cette situation. Parla suite, ces derniers eurent à cœur de s’ad-joindre les réfractaires et les Malgré-Nous -des jeunes hommes qui avaient «bénéficié»d’une instruction militaire - afin qu’ils parti-cipent à la Libération de la France et à la vic-toire sur le national-socialisme. Les inviter àdéserter était un moyen d’atteindre ce but,tout en affaiblissant l’armée allemande. Mais,sur le front Est, les conséquences furent par-ticulièrement dramatiques : s’ils n’étaient pasabattus sur place, la majorité des déserteursconnu les camps de prisonniers, dont celuide Tambow n’est, hélas, que l’exemple le pluscélèbre.

Soulignons aussi que la situation des incor-porés de force était partiellement connue,particulièrement en France, par une partiede la population civile grâce aux contactsqu’elle avait avec ceux-ci lors de cantonne-ments ou de visites à des parents ou des amis,mais aussi par les déserteurs qui avaient purejoindre la Résistance.

Du côté américain, les Malgré-Nous connu-rent des captivités très diverses. Les pluschanceux furent transférés en Afrique duNord et aux Etats-Unis. Quant aux autres,même après vérification, ils étaient envoyésdans des camps de prisonniers (souvent devastes étendues entourées de clôtures de bar-belés sans aucun confort) où non seulementils risquaient de se faire abattre pour un ouiou pour un non, mais où ils se retrouvaientsous la coupe de kapos allemands (superviséspar des gradés français) : gare à ceux dont onsavait qu’ils avaient déserté. Quoiqu’il ensoit, le traitement des prisonniers - quelleque soit leur nationalité - a été particulière-ment dur, éprouvant et stressant. Beaucoupde maladies chroniques y ont été contractées.D’aucuns ont subi des interrogatoires «mus-

Page 16: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

16

clés» de la part d’officiers du renseignementaméricain, avant d’être «relâchés»... plus decinq mois après la fin de la guerre ! Et nousne parlons pas des malheureux qui avaientété enrôlés d’office dans la Waffen-SS...

Côté anglais, les prisonniers étaient envoyésen Egypte. Le retour dans les foyers fut éga-lement assez tardif.

Du côté soviétique, nous avons déjà évoquéTambow et les autres camps de prisonniers.Encore devrait-on dire des «mouroirs», enbien des points comparables aux camps deconcentration nazis. Rien qu’à Tambow, l’es-timation basse indique que 12000 Malgré-Nous y ont séjourné et que 5000 y sontdécédés. Ces chiffres doivent en fait êtrerevus à la hausse : ce serait environ 20.000Français qui y ont été captifs et entre 9000à 10000 qui y sont morts entre octobre1943 et juillet 1945! En juillet 1944, unconvoi de 1500 prisonniers est libéré par lesSoviétiques (après que chacun ait signé unelettre précisant qu’ils avaient été bien traitésdurant leur captivité !) et remis aux autoritésfrançaises. Hélas, pour une raison non offi-

ciellement élucidée, il n’y en eut pas d’autre.Ces 1500 chanceux rejoindront les troupesfrançaises sous une fausse identité (en cas decapture par les Allemands et pour éviter desreprésailles contre leurs familles). Les autres,après avoir survécu à l’enfer, seront libérésdans des conditions sommaires, quatre àneuf mois après la fin de la guerre ! Ilsreviendront tous malades, exténués, trauma-tisés à vie et avec la volonté d’essayer d’ou-blier pour reprendre une vie normale.

Une fois de retour...Rentrés dans leur foyer, les anciens incorpo-rés de force étaient complètement débousso-lés. En-dehors de la joie suprême occasion-née par leur retour, l’ambiance générale n’é-tait guère stimulante. Dans leur village, onne se connaissait plus, on ne se reconnaissaitplus. On est sans amis, sans aide au seind’une communauté qui se chamaille... Etlorsqu’ils parlèrent des terribles souffrancesqu’ils avaient endurées, on les écoutait àpeine : chacun avait ses propres problèmes etil y avait tant d’autres gens qui avaient souf-fert !

p. 15-16: La libération de Riquewihr, le 5 décembre1944, par les soldats de la 36ème Division d’Infanterieaméricaine. (coll. A. Hugel)

Page 17: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

17

A l’Est, en particulier sur le frontdu Centre, il n’est guère fait dequartier. Les Malgré-Nous doiventcombattre, se défendre s’il veulentavoir une chance de sauver leur vieet de revoir leur famille. Cela leurvaut parfois des distinctions. Ainsi,le caporal (Gefreiter) Pierre Freu-denreich, du 4. Jäger-Regiment204, se voit attribuer, le 9 août1944, le Kubanschild.

(coll. particulière/DR)

Page 18: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

18

Le résultat ne se fit pas attendre : les Malgré-Nous se refermèrent sur eux-mêmes. Ils secontentèrent de soigner leurs blessures phy-siques et tentèrent de reprendre goût à la vie.Il s’agissait de reconstruire au plus vite lepays, mais, à titre personnel, de retrouver dutravail, de pouvoir se nourrir et se logerdécemment, de fonder une famille ou deretrouver, pour certains, sa fiancée, sa fem-me, voire ses enfants. D’autres reprirent lesétudes délaissées depuis quatre ou cinq ans.

L’Education nationale fut très généreuse, carpendant quelques années, l’examen du Bac(juillet 1946 et 47) fut du type transitoire,c’est-à-dire très facilité. Ceux qui avaient leurAbitur et avaient été incorporés dans la Wehr-macht purent accéder sans examen (con-cours) aux grandes écoles et y rester si, aprèsla première année, ils avaient une moyennede 12 sur 20. Ainsi, Jean Hugel, Pierre Hu-glin (devenu directeur de l’INRA à Colmar),Jean-Victor Dietrich (devenu directeur del’Institut Oberlin à Colmar) purent faireleurs études à l’Ecole nationale d’agronome àMontpellier (1945-1948).

Le 1er mars 1943, Madame Kientzly estinformé que son fils est gravementmalade et que sa présence auprès de luiest souhaitée. (coll. A. Hugel)

Carte d’évacuation destinée au maladeou blessé Schlienger prouvant qu’il a étéépouillé (entlaust). Elle a été établie àCracovie le 17 février 1944.

(coll. particulière)

Page 19: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

19

Et pour les séquelles morales, le temps fini-rait bien par balayer tous ces mauvais souve-nirs... A cette époque, il n’était pas questionde «cellules psychologiques» !

Pour accentuer le silence des incorporés deforce, les autorités militaires et politiquesavaient fermement recommandé aux Malgré-Nous de ne pas parler de leurs éprouvantesconditions de captivité dans les camps russes- captivité qui, pour certains, dura plusieursannées. En effet, il s’agissait d’éviter absolu-ment de se fâcher avec nos alliés soviétiques.De Gaulle en avait trop besoin pour contre-carrer la politique américaine ! Et n’oublionspas que le Parti communiste était alors trèspuissant en France (25,9% en octobre 1945).

Les incorporés de force décelèrent rapide-ment que c’était pour des raisons politiquesqu’ils n’étaient revenus que 6 à 9 mois aprèsla fin de la guerre : ils avaient, entre autres,servi de monnaie d’échange avec les «Russesblancs» réclamés par Staline et que les Fran-çais ne voulaient pas expulser. Ils sentirentque, bientôt, ils seraient sacrifiés une nou-velle fois sur l’échiquier mondial, soit déli-

bérément oubliés, pour ne pas risquer l’é-chec des réconciliations qui se profilent.

Une épuration complexe, mais limitéeDans la France dite de l’intérieur, l’épurationest terminée depuis plusieurs mois. Ce futune période difficile, déstabilisante et, avec lerecul, trop et très souvent injuste. Ses consé-quences se ressentent encore aujourd’hui : lesilence et les mensonges pèsent toujours surles débats ou les recherches historiques.

En Alsace-Moselle, l’épuration présente uncaractère différent en raison de notreannexion à l’Allemagne nazie qui a entraîné,ipso facto, l’attribution de statut de «peuple(ou de race) allemand(e)» ou Volksdeutsche(les Allemands étaient, quant à eux, desReichsdeutsche). La collaboration avec lesautorités en place ne s’est donc absolumentpas passée de la même manière. Notre liber-té de pensée était en effet considérablementréduite, vu les pressions et les contraintes detoutes sortes auxquelles nous étions astreints.

Les provinces annexées ne furent complète-ment libérées qu’à la fin du mois de mars 1945,

Jean Hugel, né le 28.9.1924, au RAD à la Meinau,Strasbourg. (coll. A. Hugel)

Page 20: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

20

soit sept mois après Paris. Approximativement20000 personnes furent arrêtées à laLibération. Le Gauleiter Wagner et le KreisleiterMourer, l’un allemand, l’autre français (anciendéputé communiste de Mulhouse), furentrespectivement fusillés en août 1946 et en1947. Six autres condamnations à mort parcontumace furent prononcées. Les tribunauxcondamnaient à des peines de prison et de tra-vaux forcés. Mais, dans l’ensemble, l’épurationse heurta à la difficulté d’identifier les véritablesralliements au nazisme. Tous les fonctionnaireset une grande partie de la population n’avaienten effet pas pu échapper à l’obligation de prêterserment au Führer. Très peu le firent parconviction. Il n’empêche que les séquelles decette période sont restées longtemps présentes...

Dans la campagne qui vise à faire taire les an-ciens incorporés de force, le pire reste à venir :le procès d’Oradour-sur-Glane, formidableinstrument de culpabilisation collective...

Reconstruction accéléréedu pays et francisation forcenée

Pour respecter à la fois son impératif dereconstruction (plan d’aide Marshall) et sa

Le 8 octobre 1941, le Kreisleiterde Colmar se plaint du manqued’adhésion des chefs des Servicespublics et des chefs d’entreprises(„ Behörden- und Betriebsfüh-rer“ ) et de leurs collaborateurs àl’Opferring. Il leur laisse jus-qu’au 9 novembre suivant pourinverser la tendance, précisantque les femmes qui ont lesmoyens financiers suffisants doi-vent aussi y adhérer ou au moinsentrer dans la „deutsche Frauen-werk“.L’Opferring (cercle des victimesou des sacrifices) était l’organisa-tion nazie la plus anodine, car ilsuffisait de payer la cotisationmensuelle et n’engageait à rien.

(coll. particulière)

Page 21: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

21

volonté de « tourner la page», les autoritésfrançaises firent du zèle. Dans leur hâte, cer-tains fonctionnaires - ignorants des spécifici-tés locales - manquèrent singulièrement dedoigté. Comme en 1918, on impose unefrancisation «à la hussarde» :

- Certains instituteurs, dans des classescomptant jusqu’à 46 élèves, appliquèrentdes coups de trique à des enfants n’ayantjamais entendu parler français !

- On s’efforça d’interdire l’usage du dia-lecte dans tous les lieux publics (ce queles Nazis n’étaient pas parvenus à faire).On se souvient de la fameuse campagned’affichage assurant qu’« il est chic de par-ler français» !

- Dans le cadre d’études supérieures, l’en-seignement de l’allemand fut « suspenduà titre provisoire»... jusqu’en 1949.

Dans cette nouvelle société qui se mettait enplace, les Malgré-Nous n’avaient pas leurplace. Leurs malheurs passés, qu’ils devaientaux gouvernements français et allemands de

L’Alsace redevient française,l’épuration est d’actualité.

(coll. A. Hugel)

Page 22: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

22

pour certains - par la «Mère Patrie» n’ajamais été aussi fort qu’en cette période decommémoration de la Libération.

Une raison de plus de nous faire taireC’est un fait : le nombre de volontaires dansl’Armée allemande (Wehrmacht et Waffen-SS)est proportionnellement bien plus faibledans les provinces annexées qu’en Franceoccupée. Chez nous, l’appel aux volontairesn’a connu qu’un faible succès : 750 pour lapolice auxiliaire, 500 pour la Wehrmacht et laWaffen-SS (l’incorporation de force dans laWaffen-SS n’interviendra en Alsace qu’en1944. A noter que de rares Mosellans ontaussi été versés d’office dans ce corps d’ar-mée). Et ces chiffres comprennent aussi desAllemands installés en Alsace. Du côté deVichy, par contre, on comptabilise 25000miliciens et 20000 LVF (future divisionWaffen-SS Charlemagne).

En 1942, pour plaire à leur Führer, lesGauleiter Wagner, en Alsace, et Bürckel, enMoselle, introduisirent le service militaireobligatoire, malgré les réticences de Hitler(qui finalement donna son accord) et l’oppo-

Alice B., factrice à Riquewihr en 1944.(F. Hunzinger, coll. A. Hugel)

l’époque, furent passés sous silence. Toutespoir de reconnaissance morale était freiné.Devenus suspects et agaçants aux yeux denombreux fonctionnaires «de l’intérieur»,persuadés d’être incompris, ces « soldats hon-teux» - témoins gênants pour une Francequi voulait à tout prix oublier qu’elle avaitlâchement abandonné ses trois départe-ments de l’Est aux Nazis - restèrent (et res-tent toujours) hantés par leurs inutiles souf-frances et par le souvenir de leurs 42000camarades «morts pour rien».

Bien entendu, un tel climat engendra des res-sentiments, des vexations, des refoulementset un repli sur soi. II n’était pas rare d’enten-dre à l’époque des phrases qui en disent longsur l’état d’esprit des Français qui avaient étéincorporés de force dans les armées alleman-des vis-à-vis de leurs concitoyens d’outre-Vosges : «Ils n’ont absolument rien compris»,«Ils ne nous aiment pas», «Ils n’acceptentpas notre différence», «Nous sommes lescocus de l’Histoire», «On n’aurait jamais dûleur faire confiance». Malheureusement, cesremarques sont toujours d’actualité en 2005:le sentiment d’abandon - voire de trahison

Page 23: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

23

Article paru le 1er juin 1941 sur l’ins-tauration du Reichsarbeitsdienst pourles jeunes de gens et jeunes filles de 17à 25 ans en Alsace. (coll. particulière)

Coupure de presse infor-mant que des familles al-saciennes, dont les fils etles filles ont passé la fron-tière sans autorisation,vont être déportées enAllemagne.

(coll. A. Hugel)

Page 24: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

24

Le fait incontestable que cette incorporationdans la Waffen-SS ait été forcée est toujoursnié par certains de nos concitoyens. LesMalgré-Nous, après avoir été contraints dese taire grâce à une habile politique de cul-pabilisation, sont maintenant victimes denégationnistes ! En particulier lorsqu’il s’agitdu drame d’Oradour-sur-Glane: il n’est pasrare d’entendre ou de lire que les Alsacienssont des tueurs de femmes et d’enfants...C’est un moyen, très efficace, de rabattre lecaquet aux incorporés de force en mal dereconnaissance, voire de justice.

Le pire des outrages :le procès de Bordeaux

C’est finalement en 1953, huit ans aprèsl’armistice, que se déroule le procèsd’Oradour-sur-Glane à Bordeaux. Cela fitl’effet d’un «coup de massue». Ce procèsinique, jugé d’avance, était celui qui devaitfaire tomber des têtes. Pour ce faire, on n’apas hésité à modifier la loi : c’est désormais àl’accusé de prouver son innocence et non àla justice de prouver sa culpabilité. Et lejugement se basera uniquement sur la « res-ponsabilité collective» : la seule présence sur

Sortie des pompiers de Riquewihr (1941-1944).(coll. A. Hugel)

En rentrant dans la Wehrmacht, les Alsaciens-Mosellans ontobtenu la nationalité allemande. (coll. A. Hugel)

sition de la Wehrmacht. De 1942 à 1945,plusieurs classes d’âge furent enrôlées illéga-lement (violation du Droit international etde la convention d’armistice du 22 juin1940) par les Nazis, y compris celles quiavaient déjà combattu dans l’Armée françai-se en 1939-1940. Dans les faits, plus de130000 hommes, de 17 à 38 ans (la forcevive de la population!), furent appelés pro-gressivement dans l’Armée allemande... alorsqu’ils étaient toujours de nationalité françai-se ! Parmi eux, ceux de la classe 1926 furenten grande partie versés directement dans lesWaffen-SS en février 1944, à l’âge de 17 ans.Il faut bien avoir à l’esprit que cette armée,qui avait subi des pertes effroyables sur leschamps de bataille, ne pouvait plus se per-mettre d’attendre des volontaires ou derecruter des blonds d’1,80m (rabaissé à1,70 m en février 1944). Les Waffen-SSavaient besoin de sang neuf et le GauleiterWagner leur en trouva: c’est bien «grâce» àlui que les Alsaciens ont eu le «privilège» deservir sous cet uniforme redouté (Bürckel necontraindra pas les Mosellans à intégrer lesWaffen-SS, même si certains n’y ont paséchappé).

Page 25: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

25

les lieux de la tragédie suffit à faire un cou-pable !

Les 13 Alsaciens incorporés de force dans la2. SS-Panzer-Division „ Das Reich “ (plus unvolontaire) se trouvèrent donc physique-ment assis sur le même banc que lesquelques Allemands - des sous-fifres -qu’on avait pu arrêter. Ainsi regroupés, lesaccusés pourront être condamnés en bloc...Il n’est donc pas étonnant que les quelque90 000 Malgré-Nous survivants aient com-pris qu’ils étaient, eux aussi, virtuellementjugés à Bordeaux d’autant que, la fatalitéaidant, ils auraient pu aussi être assis àleur place.

II n’est pas non plus étonnant que lesfamilles d’incorporés de force se soient égale-ment senties concernées et, de ce fait, lesreprésentants politiques de l’Alsace.

Au cours du procès, il s’est avéré qu’on neparvenait pas à établir de preuves. Or, pourcalmer les Limousins, il fallait des inculpa-tions et de sévères condamnations. Ainsi futfait : les 13 Malgré-Nous écopèrent de cinq à

Les ruines d’Oradour-sur-Glane. (photo N. Mengus)

sept ans de travaux forcés. La foule avaitpourtant exigé leurs têtes...

Un tel verdict ne pouvait que provoquercolère et indignation en Alsace : défilésconduits par des parlementaires et des mai-res, messe dite en la cathédrale de Stras-bourg, drapeaux en berne, monuments auxmorts drapés de crêpe noire, déchaînementde la presse régionale. Un véritable dramedans le drame... Finalement, après plusieursjours de manifestations, on crut apaiser lesesprits par une loi d’amnistie ! Si l’on avaitalors su à l’avance que cette loi d’amnistieallait être votée, les inculpés n’auraientmême pas été condamnés sur la foi de dépo-sitions parfois contradictoires et d’uneinstruction dont les multiples carences relè-vent du plus pur scandale.

Mais le mal est fait. Les incorporés de forcesavent bien que, désormais, ils portent trèsofficiellement l’étiquette de «volontaires»dans la Wehrmacht et dans la Waffen-SS.Encore aujourd’hui, les sentiments d’injus-tice d’incompréhension et d’amertume sontvifs. Bref, une déferlante sur un océan déjà

Page 26: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

26

réalité, qu’importe la vérité : la cause n’était-elle pas entendue? N’avait-on pas affaire àdes traîtres ? Cette méconnaissance (certaine-ment voulue après plus de 60 ans) del’Histoire, des Waffen-SS et de l’incorpora-tion de force dans son ensemble est encorebien présente dans de nombreuses publica-tions et manuels d’histoire.

Comme pour mieux illustrer cette politiquede culpabilisation des incorporés de forcedont nous avons déjà fait état, c’est bien laliste nominative des 13 Alsaciens amnistiés -les «monstres SS» selon le document enquestion - qui fut affiché à l’entrée du villagemartyr entre 1953 et 1965. Pourquoi pascelle des Allemands et des multiples nationa-lités qui composaient alors la division „DasReich“ ? Aujourd’hui encore, le Limousinattend que l’Alsace lui demande pardon...Mais, pour reprendre une expression de MeRichard Lux (qui était en 1953 un des défen-seurs des Malgré-Nous à Bordeaux) :«L’Alsace n’a pas besoin de pardon, elle abesoin de justice !». Et les incorporés deforce en particulier !

Faire-part de décès d’un incorporé de forcé tombé surle front russe. (coll. A. Hugel)

bien pollué de complexes... Ajoutons quecette loi d’amnistie fut aussi votée pour évi-ter que ce procès ne provoque un retour enforce du parti autonomiste alsacien. Les 13Malgré-Nous amnistiés reviendront en Alsa-ce, de nuit et escortés par la GendarmerieNationale. On leur recommande bien vive-ment de ne plus se faire remarquer et de n’ac-corder aucune interview.

En 1953, ces 13 hommes sont devenus, pra-tiquement du jour au lendemain, des tueursde femmes et d’enfants pour l’opinionpublique. Trois d’entre eux vivent encore à cejour. Avec leurs familles, ils ont été aussimuets que les archives concernant cette affai-re sont inexplicablement inaccessibles. Toutn’aurait-t-il pas été dit lors du procès? Qu’yaurait-il à cacher?

A noter que, ni avant, ni après le procès, lesMalgré-Nous n’ont obtenu un soutien fermede la presse nationale. Ceux-ci ne pouvaientqu’être des volontaires, car il n’y avait que desFrançais volontaires dans les Waffen-SS. Cequi était vrai en France occupée ne l’était paspour la France annexée. Mais qu’importe la

Page 27: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

27

Que faire... avant la disparitiondu dernier Malgré-Nous?

De nombreux Malgré-Nous (les plus jeunesapprochent des 80 ans), ainsi que leurs pro-ches parents, resteront marqués à jamais parles terribles sévices physiques et moraux qu’ilsont endurés - et endurent encore - depuis1942. Cela ne les empêche pas d’assumer leur«devoir de mémoire», avec conscience etdignité, afin que les nouvelles générationsfrançaises et allemandes n’ignorent rien de cequi s’est réellement passé. Leurs témoignagesont pour but de convaincre les jeunes qu’ilsont intérêt à être vigilants pour que pareildésastre ne puisse plus se reproduire.

L’odyssée personnelle de chaque Malgré-Nous mériterait d’être contée, mise par écritou enregistrée d’une manière ou d’une autre.Certains cas sont particulièrement tragiques,avec des détails insupportables à entendre :

- Avoir fait partie d’un peloton d’exécutiontirant sur un autre incorporé de force.

- Un spécialiste du maquillage travaillant surdes cadavres de sous-mariniers fusillés pour

un refus de prendrela mer (les corps ontensuite été présen-tés aux familles eninvoquant une mal-adie contagieuse).

- Etre condamné àfaire partie d’unecompagnie dedéminage pour unsimple mot de trop.

- Participer à larecherche sur desgaz de destructionmassive.

- Refuser de mettre « la corde autour du cou»de ses deux meilleurs amis condamnés àêtre pendu pour avoir proféré des proposjugés diffamatoires après l’échec de l’atten-tat du 20 juillet 1944 contre Adolf Hitler(pendaison de C. Kreutter et J.-P. Zimmer-mann le 18 août 1944 en Italie).

- Assister à la pendaison d’un autre Malgré-Nous trois jours après l’échec de sa désertion.

Pierre Christ, droguiste à Ribeauvillé, développait les photos. Au Pensionnat, chezles Sœurs, il y avait un hôpital militaire. Lorsque les soldats revenaient du front, ilsavaient des films qu’ils donnaient à développer à Pierre Christ. Celui-ci faisait descopies qu’il distribuait à ceux qu’il savait être pro-français. Cela aurait pu lui coûterau minimum un séjour au camp de Schirmeck. (coll. A. Hugel)

Page 28: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

28

- Assister à un interrogatoire musclé entraî-nant la mort d’un(e) partisan(e) polo-nais(e).

- Abandonner aux Russes, lors de la retraite,un ami grièvement blessé et qui supplie vai-nement qu’on lui tire une balle dans la tête(exemple vécu).

- Tomber aux mains des Russes et se fairearracher une dent en or et/ou couper ledoigt pour enlever plus facilement unealliance.

- Assister à la mort de ses camarades dans descamps, comme celui de Tambow.

- Se retrouver 8 semaines dans la cellule descondamnés à mort à Fresnes après une dé-sertion ratée, puis pendant un an dans unbataillon disciplinaire en Russie (PaulFinance).

On pourrait, hélas, citer encore beaucoupd’exemples aussi douloureux, mais il mesemble préférable de ne pas les divulguer.

Concernant l’actualité des incorporés deforce, rien ne sera définitivement acquis tantque les «Français de l’intérieur» ne seront pasintimement convaincus que nous avonsendossé l’uniforme allemand contre notregré. Nous avons été des victimes du nazisme,

La «pensée suprême» du Malgré-Nous: «Vive la France». Carte postale éditée parl’ADEIF en 1964. (coll. A. Hugel)

Page 29: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

29

comme beaucoup d’autres catégories de lapopulation, et nous avons officiellementdroit à ce titre. Ce n’est qu’alors que nousaurons (enfin) réalisé notre suprême espé-rance : celle d’une totale reconnaissance denotre dignité personnelle et de notre hon-neur de combattant. Le drame des Malgré-Nous - un crime de guerre, rappelons-leencore une fois - a été délibérément occulté,caché, étouffé, voire déformé et nié par desnégationnistes. Malgré les efforts d’informa-tion par les associations ou par des particu-liers, aucun livre scolaire n’en parle ! Aucuntimbre postal n’a été émis ! Aucune person-nalité politique n’a évoqué, en public, laresponsabilité du gouvernement français del’époque dans cette tragédie ! Cela a pourtantété fait en faveur des victimes de la Shoah etdes Harkis. Récemment (juillet 2005), leprésident de la République a évoqué et jugéinacceptable les répressions de 1947 àMadagascar (10 à 20000 morts) ; ceci a per-mis de célébrer la réconciliation franco-mal-gache.

Nous, les incorporés de force (avec nos40000 morts), représentons-nous si bien la

Lettre annonçant à Madame Elise Maeder la mort de son mari tom-bé sur le front russe. (coll. particulière)

Page 30: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

30

Fête de la Libération à Riquewihrle 27 mai 1945. (coll. A. Hugel)

Page 31: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

31

mauvaise conscience de la France qu’il sem-ble préférable d’attendre notre disparition?On serait tenté de le croire, d’autant quenotre présence a été jugée indésirable lors desfestivités du 60ème anniversaire du Débarque-ment... alors que les anciens combattantsallemands y étaient invités ! D’Allemands deseconde zone (Beutedeutscher) entre 1940 et1945, il semblerait que nous soyonségalement des citoyens français de secondeclasse.

Le 3 novembre 2005, le Mémorial deSchirmeck a été visité en catimini parJacques Chirac, président de la République.C’était la seule importante rencontre pro-grammée pour les prochaines années. Aussiles incorporés de force avaient-ils souhaité -auraient-ils dû l’exiger? - que le chef del’Etat reconnaisse enfin que le gouverne-ment français porte la responsabilité del’annexion de l’Alsace-Moselle au IIIème

Reich et que cela a entraîné l’incorporationforcée d’au moins 130000 jeunes hommesdont le cœur battait pour leur mère patrie, laFrance. Cela leur aurait permis de vivre enfinen paix avec le passé. Même 60 ans après la

L’Alsace libérée acclame la victoire !d’après Le nouveau Rhin françaisdu 10 mai 1945. (coll. A. Hugel)

Page 32: Marcel Peiffer, incorporé de force dans la La lutte contre ... · Document Les Malgré-Nous et les origines de leurs complexes 1 Marcel Peiffer, incorporé de force dans la Kriegsmarine

DocumentLes Malgré-Nous et les origines de leurs complexes

32

fin de la guerre, cela leur a été refusé. Depuisle 3 novembre 2005, il semble officiellementadmis que l’annexion de l’Alsace et de laMoselle par l’Allemagne nazie n’intéresse pasnos concitoyens et que le Mémorial deSchirmeck n’est rien de plus qu’un «beaumusée»...

Les incorporés de force ont d’abord eu letemps du vécu, puis le temps du silence,puis le temps du témoignage. II manquetoujours le temps de la reconnaissance deleurs souffrances. Plus de 60 ans après la finde la guerre, il est grand temps d’expliquer endétail ce qui nous est véritablement arrivé...d’écrire notre histoire telle qu’elle s’est réelle-ment passée. Cela évitera peut-être le tempsde l’oubli ? Mais, au vu des « intenses pres-sions [exercées] sur l’Elysée pour que JacquesChirac ne passe pas par le Mémorial del’Alsace-Moselle » (DNA du 7.11.2005),nous sommes en droit de nous demander àqui profite, depuis plus de 60 ans, cette poli-tique de culpabilisation des Alsaciens et desMosellans. Il est désormais clair que lesAlsaciens et les Mosellans ne peuvent comp-ter que sur eux-mêmes...

Et qu’en est-il du manuel d’Histoire com-mun à la France et à l’Allemagne? Nousadjurons la prochaine génération de s’armerde patience et de lutter afin qu’il y soit contél’histoire vraie et complète des Malgré-Nous.

N’oubliez pas, n’oubliez rien, n’oubliezjamais ! Criez toujours la vérité, même sielle dérange!