L'unité de communion chez Jean-Marie R. TILLARD · 2018-04-24 · L’unité de communion chez...

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L’unité de communion chez Jean-Marie R. TILLARD Doctorat en cotutelle en théologie François PICART Université Laval Québec, Canada Philosophiae doctor (Ph.D.) et L’Institut Catholique de Paris, France Cycle des Études de Doctorat Docteur en théologie © François PICART, 2015

Transcript of L'unité de communion chez Jean-Marie R. TILLARD · 2018-04-24 · L’unité de communion chez...

  • L’unité de communion chez Jean-Marie R. TILLARD

    Doctorat en cotutelle en théologie

    François PICART

    Université Laval Québec, Canada

    Philosophiae doctor (Ph.D.)

    et

    L’Institut Catholique de Paris, France Cycle des Études de Doctorat

    Docteur en théologie

    © François PICART, 2015

  • L’unité de communion chez Jean-Marie R. TILLARD

    Doctorat en cotutelle en théologie

    François Picart

    Sous la direction de :

    Gilles Routhier, directeur de recherche

    Henri-Jérôme Gagey, directeur de cotutelle

  • III

    Ré sumé dé la thé sé

    En s’appuyant sur l’analyse des textes produits par J.-M. Tillard à l’occasion de

    sa participation aux commissions de dialogue œcuménique (ARCIC 1, Foi et

    Constitution), la thèse montre comment J.-M. Tillard, en militant de l’œcuménisme,

    avait recours à la notion de communion pour élaborer une « ecclésiologie œcuménique

    de communion ». Le relevé des occurrences des termes avec lesquels il désigne l’unité

    de communion, en particulier dans ses articles, permet d’abord de démonter l’idée d’un

    concept systématique qui organiserait son ecclésiologie.

    L’analyse de son recours à la notion de communion dans son raisonnement,

    montre qu’elle fonctionne comme un concept opérationnel avec lequel il cherche à

    corriger les insuffisances théologiques qu’il constate dans la théologie des manuels

    d’abord, puis dans la réception œcuménique de Lumen Gentium et, enfin, dans la

    recherche d’une nouvelle méthode de dialogue oecuménique. Sa présence dans les

    textes signale que J.-M. Tillard apporte une pierre à sa construction ecclésiologique

    dans les champs théologiques où il intervient. En s’appuyant sur les premiers résultats

    obtenus grâce à la méthode utilisée à l’ARCIC 1 et à Foi et Constitution, il exploite la

    polysémie de la notion de « communion » grâce à laquelle, il envisage les divisions

    confessionnelles à partir d’une idée théologale de l’unité ecclésiale comme toujours déjà

    donnée. Avec elle, il renforce les éléments sacramentels et pneumatologiques de son

    approche ecclésiologique et promeut une conception proprement théologique du

    dialogue œcuménique.

    Mais faute d’avoir contextualisé ses sources, son ecclésiologie se révèle

    finalement déconnectée des aspérités de la vie ecclésiale dont il prétend s’inspirer. La

    notion de « communion » ne lui permet pas de penser de façon convaincante les formes

    institutionnelles de son ecclésiologie de communion. L’ampleur de sa culture

    théologique et la générosité de son engagement ont néammoins permis d’aborder à

    nouveaux frais les impasses théologiques dans lesquelles le dialogue œcuménique était

    bloqué et contribué au renouvellement de l’ecclésiologie post conciliaire.

  • IV

    Sommairé

    Résumé de la thèse .................................................................................................................... III

    Sommaire .................................................................................................................................... IV

    Commissions et institutions .................................................................................................... XII

    Publications ............................................................................................................................... XII

    Publications périodiques .......................................................................................................... XII

    Introduction .................................................................................................................................. 1

    L’émergence de l’ecclésiologie de communion ....................................................................... 9

    Dans la veine catholique de l’œcuménisme ........................................................................... 11

    1. La koinônia au colloque de Bologne (Avril 1980) ............................................................ 12

    2. La Koinônia chez les responsables catholiques engagés dans l’œcuménisme ............. 14

    La koinônia dans les publications issues du dialogue œcuménique. ................................. 19

    3. L’ARCIC ........................................................................................................................... 19

    4. La commission internationale catholique-luthérienne ..................................................... 20

    5. Dans le Mouvement œcuménique .................................................................................. 21

    Méthode ...................................................................................................................................... 31

    Corpus .................................................................................................................................. 31

    Annonce du plan .................................................................................................................. 33

    Section 1 ..................................................................................................................................... 37

    La koinônia, une notion polysémique ..................................................................................... 37

    Chapitre 1. La koinônia une notion sotériologique et sacramentelle plus qu’ecclésiologique .................................................................................................................... 38

    Introduction ................................................................................................................................ 38

    1. La communion comme « terme technique » ...................................................................... 41

    1.1. La koinônia pendant optimiste de la rédemption ......................................................... 42

    1.1.1. L’impact du renouveau du mystère pascal .......................................................... 43

    1.1.2. La koinônia, une « approche inchoative » de la promesse biblique ................... 45

    1.1.3. La Koinônia pour dépasser une approche juridique de la filiation ...................... 48

    1.1.4. La koinônia ou « la dimension positive du salut » ............................................... 54

    1.1.1.1. L’influence de la sotériologie orientale ....................................................... 57

    1.1.1.2. La koinônia d’Irénée reprise dans la perspective ecclésiologique de Thomas 60

    1.2. La « Communion de vie », nourrie par l’Eucharistie ................................................... 61

    1.2.1. L’eucharistie, « sacrement de l’espérance ecclésiale » ...................................... 62

    1.2.2. La théologie johannique de la communion de Vie .............................................. 64

    2. La communion comme « notion théologique » .................................................................. 67

    2.1. Le recours au réalisme sacramentel de la charité eucharistique ..................................... 68

    2.2. La charité, réalité de la fonction rédemptrice de l’Eucharistie .......................................... 70

    2.3. L’Église à la rencontre des différentes lignes de la charité .............................................. 71

  • V

    Conclusion ................................................................................................................................. 74

    Chapitre 2 ................................................................................................................................... 79

    La koinônia une notion qui devient ecclésiologique ARCIC 1 (1969-1982) ....................... 79

    1. J.-M. Tillard à l’ARCIC 1 : surmonter l’écart entre les « lignes de pensée » ecclésiologiques ....................................................................................................................... 83

    1.1. Tillard et la méthode d’ARCIC 1 : les sources ............................................................ 83

    1.2. Options méthodologiques de l’ARCIC 1 ...................................................................... 84

    1.3. Les contributions de Tillard à l’ARCIC 1 ...................................................................... 87

    1.3.1. Sur l’eucharistie : l’émergence d’une démarche heuristique ? ........................... 88

    1.3.2. Sur le rapport sacerdoce/ministère : à la recherche d’une herméneutique sacramentelle ....................................................................................................................... 96

    1.3.3. Sur la primauté de l’évêque de Rome : la koinônia pour décrire un nouveau contexte d’interprétation de Pastor Aeternus ..................................................................... 100

    Relire Pastor Aeternus en contexte œcuménique ........................................................ 101

    Passer d’une ecclésiologie descendante à une ecclésiologie ascendante .................... 105

    Un horizon de la primauté renouvelé mais sans modalité d’application ..................... 108

    Conclusion ............................................................................................................................. 113

    2. Le recours à la notion de communion dans les travaux de l’ARCIC .......................... 114

    2.1. Windsor, 1970 & Venise, 1971 : La koinônia comme « thème d’arrière-fond » ........ 114

    2.1.1. Venise (1970) : Koinônia et autorité .................................................................. 114

    2.1.2. Church and Eucharist ........................................................................................ 120

    2.2. Grottaferrata, août-septembre 1974 .......................................................................... 128

    2.3. Venise, septembre 1976 : L’autorité au service de la koinônia ................................. 130

    3. Le choix tardif de la « koinônia » comme concept-clé du Rapport final .................... 134

    3.1. À la recherche d’une cohérence ecclésiologique ...................................................... 134

    3.2. Exprimer la sacramentalité de l’Église ...................................................................... 139

    Conclusion : L’influence de Tillard à l’ARCIC 1 ? ................................................................ 143

    Chapitre 3. La koinônia, une notion pour réconcilier différentes démarches œcuméniques Foi et Constitution (1968 – 1982) ........................................................................................... 148

    Introduction .............................................................................................................................. 148

    1. Le problème de Foi et Constitution : réconcilier « verticalistes » et « horizontalistes » ................................................................................................................................................... 153

    1.1. L’émergence de l’ecclésiologie de communion au COE ........................................... 153

    1.1.1. L’introduction de la koinônia dans la base doctrinale du COE (New Delhi, 1961) 153

    1.1.2. Une notion qui peine à s’imposer dans les pratiques du COE .......................... 157

    1.2. Contrer l’influence excessive de l’« œcuménisme séculier ».................................... 160

    1.2.1. J.-M. Tillard à Upsal (1968) – réconcilier les clivages Orient - Occident. ......... 161

    1.2.2. Un déficit théologique dans les débats d’Upsal ................................................ 164

    2. « Vers une confession commune de la foi apostolique » ............................................... 166

    2.1. Bangalore (1978) – penser « l’unité organique » ...................................................... 167

    2.1.1. Nairobi (1975) : une nouvelle approche théologique du dialogue ..................... 168

  • VI

    2.1.2. « La division ‘’visible’’ n’annihile pas l’unité de grâce » ..................................... 171

    2.1.3. Unité de la foi apostolique et contextualisation de la théologie chrétienne ....... 182

    2.2. La koinônia face à la menace de « schizophrénie » entre foi chrétienne et mission œcuménique .......................................................................................................................... 188

    2.3. À la recherche d’une méthodologie théologique ....................................................... 190

    2.3.1. La tentation d’une herméneutique essentialiste ................................................ 192

    2.3.2. L’option pour une « réception » conciliaire ........................................................ 194

    2.3.3. L’émergence d’une herméneutique théologale du subsistit in .......................... 200

    2.3.4. « Recevoir » la foi apostolique .......................................................................... 204

    Conclusion : La koinônia, un concept opérationnel à géométrie variable ...................... 211

    Section 2 ................................................................................................................................... 216

    La « communion » pour promouvoir une méthode œcuménique ..................................... 216

    Introduction de la 2° section .................................................................................................. 217

    Chapitre 4 La Koinônia pour promouvoir un « œcuménisme de conversion » ............... 224

    Introduction .............................................................................................................................. 224

    1. Répondre aux insuffisances théologiques de l’œcuménisme .................................... 232

    1.1. Au COE, J.-M. Tillard critique d’autres méthodes œcuméniques ............................. 234

    1.1.1. Une méthode plus qu’un « modèle » ................................................................. 236

    1.1.2. Contre tout œcuménisme de rabais ......................................................................... 240

    1.2. Contre l’œcuménisme de retour ................................................................................ 247

    1.2.1. Retour vers l’Église catholique .......................................................................... 248

    1.2.2. Retour vers l’ecclésiologie de l’Église indivise .................................................. 250

    1.3. Dans l’Église catholique, J.-M. Tillard critique des héritiers de Robert Bellarmin. .... 252

    1.3.1. Une insuffisance baptismale ............................................................................. 255

    1.3.2. Rigidités juridiques ............................................................................................ 258

    1.3.3. Une « carence pneumatologique » ................................................................... 262

    1.3.4. Une influence extrinséciste ............................................................................... 264

    2. La « communion » pour promouvoir un « œcuménisme de conversion » ................... 267

    2.1. Quelle méthode en théologie œcuménique ? ........................................................... 270

    2.1.1. Une nouvelle étape méthodologique ? .................................................................... 271

    2.1.2. Un héritage d’Y. Congar appliqué aux accords œcuméniques ? ............................ 272

    2.2. LG 8, lieu théologique de l’œcuménisme de conversion .......................................... 274

    2.2.1. Définition de l’Œcuménisme de conversion ...................................................... 274

    2.2.2. J.-M. Tillard et le subsistit in .............................................................................. 279

    2.3. La communion pour exprimer théologiquement la fraternité entre « Églises-sœurs » 285

    2.3.1. Sa préférence pour « la communion d’Églises sœurs » ................................... 285

    2.3.2. L’appropriation de la théologique œcuménique de Paul VI .............................. 289

    2.4. L’œcuménisme de conversion pour contrer « l’œcuménisme du fait confessionnel » ou Augustin plutôt que Cyprien.............................................................................................. 300

  • VII

    2.4.1. La koinônia et le recours à la pneumatologie dans l’œcuménisme de conversion 300

    Fonder théologiquement l’interpellation mutuelle des Églises .................................... 301

    Articuler catholicité de l’Église et diversité culturelle ................................................... 305

    2.4.2. La koinônia et l’œcuménisme de conversion : « Corps du Christ et Esprit-Saint » 309

    Conclusion ............................................................................................................................... 314

    Chapitre 5. La Koinônia et la « réception » des accords œcuméniques .......................... 316

    Introduction .............................................................................................................................. 316

    1. Quelle « réception » en théologie œcuménique ? ........................................................ 317

    1.1. La nouveauté des accords œcuméniques ................................................................ 317

    1.1.1. Un contexte théologique ébranlé par les accords œcuméniques ..................... 317

    1.1.2. Une « re-réception » au cœur de « l’œcuménisme de conversion » ................ 319

    1.1.3. À la recherche d’une cohérence herméneutique de la réception ...................... 321

    1.2. Des Églises qui résistent à une « nouvelle littérature théologique » ......................... 322

    1.2.1. Les Églises du COE face au BEM ..................................................................... 323

    1.2.2. La Congrégation pour la doctrine de la foi devant le Rapport final de l’ARCIC 325

    1.2.2.1. Un double processus de réception ............................................................ 326

    1.2.2.2. Une tension croissante avec le préfet de la CDF ....................................... 330

    1.2.2.3. L’interprétation de LG 8 mise en cause par J. Ratzinger en 1984 ............. 333

    2. La koinônia pour promouvoir une herméneutique de la « re-réception » ................. 345

    2.1. Un nouveau type de koinônia pour contrer l’œcuménisme de retour ....................... 349

    2.2. la koinonia et la réception œcuménique.................................................................... 351

    2.2.1. L’herméneutique de la réception ....................................................................... 352

    2.2.2. Quelle instance pour apprécier les accords ? ................................................... 356

    2.2.3. Les accords engagent-ils toute l’Église ? .......................................................... 357

    Conclusion ............................................................................................................................... 359

    3. À la recherche d’une théologie œcuménique de la « réception » ............................... 360

    3.1. La « réception » comme « fait de communion » ....................................................... 362

    3.1.1. La « réception », une notion œcuménique ? ..................................................... 363

    3.1.2. « La réception comme réalité ecclésiologique » ............................................... 366

    3.2. La koinônia et le processus de « réception » œcuménique ...................................... 372

    3.2.1. La koinônia, la réception œcuménique et le sensus fidelium............................ 372

    3.2.2. La koinônia, la réception œcuménique et « la nature de l’Église » ................... 380

    3.3. La koinônia, la réception œcuménique et l’expression « subsistit in » ..................... 387

    Conclusion : La koinônia et la réception œcuménique ...................................................... 389

    Section 3 ................................................................................................................................... 393

    La « communion » pour promouvoir la réception œcuménique de l’ecclésiologie de Vatican II ................................................................................................................................... 393

    Introduction .............................................................................................................................. 394

    Chapitre 6 : La koinônia et La « communion hiérarchique » .............................................. 400

  • VIII

    1. Le problème posé par l’expression « communion hiérarchique » ............................. 400

    2. 1980 : corriger les excès d’une herméneutique juridique ........................................... 406

    2.1. La correction herméneutique apportée par Lumen gentium à la première réception de Pastor aeternus. .................................................................................................................... 407

    2.2. Penser la catholicité de l’Église locale avec J. Zizioulas ........................................... 411

    2.2.1. Reprise de J. Zizioulas par J.-M. Tillard ............................................................ 414

    2.2.2. Des jalons insuffisamment exploités ................................................................. 420

    3. 1987 : un premier virage vers la communion des Églises locales.............................. 423

    4. 1995 : LG 21 lu à partir de Cyprien ................................................................................. 426

    4.1. « L’unité de communion », « Bien commun » de l’Église .......................................... 430

    4.2. Critique d’une conception universaliste de la primauté ............................................. 433

    4.3. Le recours critique à l’analogie ecclésiologique du Bien commun pour traiter le problème de la « communion hiérarchique » ........................................................................ 439

    4.3.1. « Actualiser » le passage un-tous du « ‘’collège’’ apostolique » ....................... 445

    4.3.2. Vérification au plan de la communauté hiérarchique ........................................ 451

    Conclusion ............................................................................................................................... 455

    Chapitre 7 La koinônia et la collégialité épiscopale à travers le statut des conférences épiscopales .............................................................................................................................. 458

    Introduction .............................................................................................................................. 458

    1. Le sentiment d’une reprise en main des conférences épiscopales ........................... 460

    2. Les conférences épiscopales, une « figure théologique » ? ....................................... 464

    2.1. La position pragmatique d’Henri de Lubac ................................................................ 465

    2.2. J.-M. Tillard rappelle à Jérôme Hamer ses positions de 1963 .................................. 466

    3. Les conférences épiscopales et l’exercice d’une responsabilité collégiale .............. 468

    4. De la responsabilité collégiale à l’expression de la diversité des Églises locales ... 473

    5. Du coetus episcoporum au coetus ecclesiarum .......................................................... 480

    Conclusion ............................................................................................................................... 491

    Chapitre 8. La Koinônia et le rapport Église locale-Église universelle ............................. 494

    Introduction .............................................................................................................................. 494

    1. Le lien de communion comme rapport d’« intériorité mutuelle » ............................... 496

    1.1. Sa reprise par le magistère universel ........................................................................ 501

    1.2. La koinônia, Communionis notio et « l’intériorité mutuelle » ..................................... 507

    1.3. « Mutuelle dépendance » ou « intériorité mutuelle » ? ............................................. 510

    2. J.-M. Tillard, Communionis notio et LG 23 .................................................................... 517

    2.1. La « koinônia » dans la « crise » que traverse l’œcuménisme ................................. 518

    2.2. Lumen Gentium 23 à la lumière du Canon 34 des Apôtres ? ................................... 522

    2.2.1. Une « corrélation mutuelle » entre communion des Églises et Collège des évêques 523

    2.2.2. Le canon 34 des Apôtres (381) ......................................................................... 528

    2.2.3. La koinônia et la juridiction universelle de l’évêque de Rome........................... 534

    Conclusion : Plaidoyer pour une théologie des institutions à la fois pneumatologique et sacramentelle........................................................................................................................... 537

  • IX

    Conclusion ............................................................................................................................... 540

    1. Projet : évaluer le recours à l’unité de communion ......................................................... 540

    1.1. L’impact de la méthode retenue ................................................................................ 540

    1.2. Tillard, un militant. ..................................................................................................... 541

    2. Acquis de ma recherche .................................................................................................. 543

    2.1. Tillard dans le paysage des ecclésiologies de communion ...................................... 543

    2.2. La « communion », un indicateur .............................................................................. 545

    2.3. Les ecclésiologies de communion pour sortir du paradigme bellarminien ................ 546

    2.4. Les ecclésiologies de communion et la « complexité » de l’ecclésiologie ................ 549

    3. Constantes sur son recours à la communion ............................................................... 553

    3.1. Une notion sotériologique pour contrer l’héritage bellarminien ................................. 554

    3.2. Une notion ecclésiologique référée à la « pratique raisonnée de l’Église ancienne » sans retour à l’ecclésiologie du 1° millénaire......................................................................... 558

    3.3. Une notion à géométrie variable dans une diversité de champs de signification ..... 559

    3.3.1. Le champ sotériologique, restauration du réalisme sacramentel « de la tradition augustino-thomasienne » ................................................................................................... 560

    3.3.2. Dans le champ ecclésiologique, émergence de l’ecclésiologie de communion des Églises locales ................................................................................................................... 561

    3.3.3. Le champ méthodologique en théologie œcuménique ..................................... 563

    4. Résultat : Problème des médiations .............................................................................. 565

    4.1. Des sources non contextualisées .............................................................................. 565

    4.2. Le recours à la communion ne résout pas le problème de la médiation sacramentelle des institutions ....................................................................................................................... 568

    5. Penser la complexité de l'Église (LG 8) ......................................................................... 569

    Bibliographie ............................................................................................................................ 573

    Sources premières sur l’œuvre de J.-M. Tillard ................................................................... 573

    Archives consultées ............................................................................................................... 573

    Sources secondaires sur l’œuvre de J.-M. Tillard ............................................................... 573

    Sur l’Eucharistie ..................................................................................................................... 573

    Sur les relations entre l’Église locale et l’Église universelle .................................................. 574

    Sur la primauté de l’évêque de Rome ................................................................................... 574

    Sur la contribution de J.-M. Tillard à l’œcuménisme ............................................................. 574

    Sources bibliographiques sur l’ecclésiologie de communion ........................................... 575

    Dictionnaires, lexiques et encyclopédies ............................................................................... 575

    Études sur le Nouveau Testament ........................................................................................ 576

    Études sur la période patristique .......................................................................................... 576

    Ecclésiologie............................................................................................................................ 577

    Magistère ............................................................................................................................... 577

    Documents ............................................................................................................................. 577

    Ouvrages ............................................................................................................................... 578

    Articles et contributions d’ouvrage ......................................................................................... 578

  • X

    La « communion » en ecclésiologie ...................................................................................... 579

    Magistère ............................................................................................................................... 579

    Documents ............................................................................................................................. 579

    Ouvrages ............................................................................................................................... 580

    Articles et contributions d’ouvrage ......................................................................................... 581

    Réception en ecclésiologie .................................................................................................... 583

    Ouvrages ............................................................................................................................... 583

    Articles et contributions d’ouvrage ......................................................................................... 584

    Synode 1985 ............................................................................................................................. 585

    Documents ............................................................................................................................. 585

    Articles et contributions d’ouvrage ......................................................................................... 585

    Ouvrages ............................................................................................................................... 586

    Questions particulières liées à la réception de Vatican II ................................................... 586

    Statut des conférences épiscopales ...................................................................................... 586

    Articles et contributions d’ouvrage ......................................................................................... 586

    Ouvrages ............................................................................................................................... 587

    Communion hiérarchique ....................................................................................................... 587

    Articles et contributions d’ouvrage ......................................................................................... 587

    Ouvrages ............................................................................................................................... 588

    Rapports Église universelle/Églises locales .......................................................................... 588

    Magistère ............................................................................................................................... 588

    Articles et contributions d’ouvrage ......................................................................................... 588

    Ouvrages ............................................................................................................................... 589

    Éléments biographiques sur J.-M. Tillard .............................................................................. 590

    Théologie œcuménique .......................................................................................................... 590

    Rapports œcuméniques et textes officiels ............................................................................. 590

    Articles et contributions d’ouvrage ......................................................................................... 591

    Ouvrages ............................................................................................................................... 593

    Divers ........................................................................................................................................ 593

    Annexes .................................................................................................................................... 595

    Annexe 1 : ................................................................................................................................ 596

    6. « L’Église et l’Autorité » ................................................................................................. 596

    1. But ............................................................................................................................. 596

    7. L’Église comme Konônia ........................................................................................... 596

    8. Koinônia et Autorité : Autorité de et dans l’Église ..................................................... 597

    Annexe 2 ................................................................................................................................... 598

    9. Réponse Pierre Duprey datée du 25 mai 1981 ............................................................. 599

    Annexe 3 ................................................................................................................................... 600

    10. Memorandum pour une « décision » sur les ordres anglicans ................................. 600

    11. Commentaire de Pierre Duprey, daté du 20 octobre 1981 ....................................... 602

  • XI

    Annexe 4 ................................................................................................................................... 604

    Annexe 5 : lettre de J.-M. Tillard à Pierre Duprey, datée du 25 avril 1988 ......................... 606

    Annexe 6 : Jugement doctrinal de la CDF sur Église d’Églises ......................................... 610

    Annexe 7 : lettre du cardinal Joseph Ratzinger ................................................................... 614

    Annexe 8 : Lettre de J.-M. Tillard à Pierre Duprey, datée du 23 juillet 1990 (archives Tillard à Ottawa). ................................................................................................................................. 617

  • XII

    Listé dés abré viations

    Commissions ét institutions

    ARCIC Anglican Roman Catholic International Commission

    CPUC Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens

    COE Conseil Œcuménique des Églises

    CDF Congrégation pour la doctrine de la foi

    NCCB National Conference of Catholic Bishops (aujourd’hui, la USCCB : United States Conference of Catholic Bishops)

    WCC World Council of Churches

    Publications

    BEM Baptême, Eucharistie, Ministères

    Publications pé riodiqués

    La DC La Documentation catholique

    NRT Nouvelles Revue théologique

    POC Proche Orient chrétien

    RSPT Revue de Sciences philosophiques et théologiques

    RSR Recherches en Sciences religieuses

    RTL Revue de théologie de Louvain

    RT Revue thomiste

  • 1

    Introduction

    Jean-Marie Tillard appartient à la génération des théologiens catholiques qui ont

    commencé leur parcours académique au moment où le concile Vatican II se terminait :

    il publie sa thèse, en théologie sacramentaire, sous le titre L’eucharistie, Pâque de

    l’Église1 en 1964. Arrivé la même année au concile, il n’y laisse pas de trace

    particulière hormis quelques articles publiés dans Le Devoir. Mais il s’engage d’emblée

    dans la dynamique de réception des textes conciliaires à travers sa collaboration avec

    Yves Congar. Ensemble, ils traduisent le décret conciliaire sur la vie religieuse et J.-M.

    Tillard oriente sa réflexion théologique sur la réception du concile dans le champ de la

    vie religieuse. Au plan éditorial, cette période s’achève progressivement au milieu des

    années 1970. En effet, dès 1968, il rejoint le Conseil œcuménique des Églises à

    l’Assemblée d’Upsal2, grâce aux liens qu’il avait noués au Concile avec des personnes

    comme Edward Cassidy, Pierre Duprey et Jean Willebrands, qui devaient être appelés à

    diriger les services du Secrétariat pontifical pour l’unité des chrétiens au Vatican dans

    les années 1980, ou encore avec l’orthodoxe Jean Zizoulas.

    Le Secrétariat pontifical pour l’unité des chrétiens le nomme à l’ARCIC à la

    suite du Rapport de Malte (janvier 1968), puis à Foi et Constitution en 1969, et, enfin, à

    la Commission internationale de dialogue avec les Disciples du Christ en 1977. Il est élu

    vice-président catholique de Foi et Constitution en 1978 et rejoint l’année suivante la

    Commission internationale pour l’union des Églises orthodoxes et catholique romaine

    (Rome-Constantinople).

    Cette activité œcuménique complète l’enseignement qu’il poursuit au Collège

    dominicain d’Ottawa et nourrit une publication abondante : outre les monographies

    qu’il publie aux éditions du Cerf [L’eucharistie Pâque de l’Église (1964), Devant Dieu

    et pour le monde (1974), L’évêque de Rome (1982), Église d’Églises (1987), Église

    locale (1995)], il publie de nombreux articles dans des revues de théologie, souvent

    œcuméniques francophones et anglophones. Jusqu’à présent, la littérature secondaire a

    présenté les différentes thématiques théologiques traitées par J.-M. Tillard, en

    comprenant la notion de communion comme un concept systématique de son

    1 Paris : Cerf. 2 Uppsala en anglais.

  • 2

    ecclésiologie3. Cette lecture, qui s’appuie d’abord sur ses livres et, ensuite, sur ses

    articles, passe à côté de ce qui fut son axe de réflexion théologique. J.-M. Tillard était

    un militant du dialogue œcuménique qui est venu à l’ecclésiologie pour des raisons

    œcuméniques, et non l’inverse. Il n’est donc pas juste de prétendre restituer le geste

    théologique du dominicain, sans prendre en compte la donne œcuménique de sa

    démarche ecclésiologique. Son objectif a été de fournir un arrière-plan ecclésiologique

    au dialogue œcuménique pour penser l’unité de l’Église dans un contexte précis : le

    moment où les Églises devaient se positionner sur les premiers résultats des

    commissions de dialogue.

    Lorsque l’approche œcuménique est mise en avant4, le recours de J.-M. Tillard à

    la notion de communion n’est pas véritablement interrogé, comme si le sens de ce terme

    3 John J. MCDONNELL, Communio, Collegiality, Conciliarity : A Comparative Analysis of these Concepts Drawn from Certain Catholic and Orthodox Theologians. Ph. D. diss., Pontificia Università Gregoriana, 1990 ; Jaume, FONBONA I MISSÉ, Comunion y sinodalidad : la eclesiologia eucaristica después de N. Afanasiev en I. Zizioulas y J. M. R. Tillard, Roma : Pontificia università gregoriana, 1994 ; John Joseph MARKEY, Community and Communion : An Analysis of the Understanding of Community in Some “Communion Ecclesiologies” in Post-Vatican II Roman Catholic Thought and a Proposal for Clarification and Further Dialogue. Ph.D. diss., Graduate Theological Union, 1997) ; Pedro Alberto KUNRATH, Trinidade - Eucaristia - igreja : o Mistério da Comunhão nos escritos de Max Thurian e Jean-Marie Roger Tillard, Ph. D. diss., Roma : Pontificia università gregoriana, 1999 ; Antonio Velasco JIMÉNEZ, La Iglesia misterio de comunión en la misión : de la Evangelii nuntiandi a la Tertio millennio adveniente, Roma : Pontificia università gregoriana, 2000 ; José María CANTÓ, La relación entre la Eucaristía y la Iglesia en diversas líneas de teología postconciliar : el tema en Jean-Marie R. Tillard, op., Luis Maldonado Arenas, Francisco Taborda, sj. y François-Xavier Durrwell, cssr. Ph. D. diss., Roma : Pontificia università gregoriana, 2005 ; Antonio Gerardo FIDALGO, La relación entre la Iglesia local, Iglesia universal, el primado romano y el ejercicio de la colegialidad, en el aporte de algunos teólogos de lengua francesa del siglo XX, Ph. D. diss., Roma : Pontificia università gregoriana, 2005 ; Nathaniel Joseph CRUZ, The Church as Sacrement : a Study on the Sacramentality of the Church in the Writings of Otto Semmelroth and Jean-Marie Roger Tillard, Ph. D. diss., Roma : Pontificia università gregoriana, 2007 ; Thomas CORNIÉ, La primauté de l'évêque de Rome dans la théologie catholique francophone du vingtième siècle. Les études de Pierre Batiffol, Charles Journet et Jean-Marie Roger Tillard, Ph. D. diss., Pontificia università gregoriana, 2010. ; Francesco NIGRO, Il vescovo di Roma : principio della collegilità, nell’ecclesiologia di communione di J.M.R. Tillard, Ph. D. diss., Pontificia università gregoriana Roma, 2010 ; Brian P. FLANAGAN, Communion, Diversity and Salvation, New-York, London : T&T Clark, 2011. 4 David Pietropaoli, Visible Ecclesial Communion: Authority and Primacy in the conciliar Church. Roman Catholic and Orthodox Theologians in dialogue. Ph.D. diss., Pontificia Universitas Gregoriana, 1997 ; Andrzej CHOROMANSKI, L’Église comme communion. Vers une ecclésiologie commune à l’âge œcuménique, Ph.D. diss., Université de Fribourg, Fribourg, 2004, 570 p. 2004 ; Joseph G. ARYANKALAYIL, Local church and Church universal : towards a Convergence between East and West. A Study on the Theology of the Local Church according to N.

  • 3

    allait de soi. Or, le parcours de J.-M. Tillard montre qu’il mobilise la notion de

    communion dans plusieurs champs théologiques : en théologie sacramentaire d’abord,

    en ecclésiologie ensuite et en théologie œcuménique enfin. Aborder l’œuvre de J.-M.

    Tillard en respectant la progression de son itinéraire affecte l’importance spontanément

    accordée à ses ouvrages et met en avant l’effort militant d’un théologien engagé en

    faveur de la promotion de l’œcuménisme. Ses monographies rassemblent surtout les

    ressources de la Tradition que J.-M. Tillard mobilise pour justifier ses positions.

    Je vais montrer ici que pour parvenir à son objectif théologique, loin d’élaborer

    un concept systématique, il exploite la plasticité d’une notion sotériologique pour

    légitimer ses positions en théologie sacramentaire, en ecclésiologie et en théologie

    œcuménique. Nous le verrons dès le début de son parcours, dans sa thèse, la koinônia

    (1964), et plus encore à partir de sa participation au dialogue œcuménique. Comme

    telle, la notion de koinônia ne relève pas du concept-clé d’une ecclésiologie

    systématique que postulent la plupart de ses lecteurs. Malgré une continuité d’ordre

    sotériologique, il ressort de l’analyse des textes du dominicain une notion floue,

    présente dans une diversité de « champs théologiques », sans qu’il ne rende compte de

    la manière dont cette diversité impacte l’usage qu’il fait de la koinônia. Mais il importe

    de préciser immédiatement que l’imprécision avec laquelle la notion de communion est

    mobilisée par J.-M. Tillard est une caractéristique assez générale de l’émergence de

    l’ecclésiologie de communion, qu’a bien soulignée le théologien états-unien Joseph-

    Adam Komonchak dans un article paru en 19955.où il remarque que la pluralité de

    Afanassiev and J.M.-R. Tillard with Special Reference to Some of the Contemporary Catholic and Orthodox Theologians. Ph.D. diss., Université de Fribourg, 2004 ; Christopher RUDDY, The Local church : Tillard and the Future of Catholic Ecclesiology, New-York : Crossroad, 2006 ; Pascale WATINE CHRISTORY, L‘apport de Jean-Marie R. Tillard à la recherche théologique en œcuménisme, Ph.D. diss., Lille : Institut Catholique de Lille, 2009 ; Patrice MAHIEU, L’identité ecclésiale au défi des dialogues théologiques bilatéraux. Étude comparative de l’histoire et de la méthodologie du dialogue entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe (1976-2000) et du dialogue entre la Communion anglicane et l’Église catholique (1967-1991). Ph.D. diss., Leuven : Faculteit Theologie en Religiewetensschappen, Katholieke Universiteit Leuven et Paris : Theologicum de l’Institut Catholique de Paris, mai 2012. 5 J.-A. KOMONCHAK, « Concepts of Communion. Past and Present », in Cristianesimo nella Storia, 16 (1995) p. 321-340. [Ma traduction, de même que pour les extraits cités de cet article]. J.A. Komonchak décrit l’ecclésiologie qui émerge au concile en quatre caractéristiques qui commandent la compréhension conciliaire de la notion de communion : le retour d’une conception spirituelle de l’Église qui déborde l’unité sociale sous l’autorité légitime (DV, LG 9, SC) ; l’insistance sur la substance spirituelle de l’Église, qui correspond à une nouvelle approche de ce qui appartient à l’Église (cf. l’expression de « pleine incorporation » qui arrive

  • 4

    langages, de méthodes, d’intérêts et de modèles domine toujours. Ayant analysé les

    différents recours à la notion de « communion » avant, pendant et après le concile

    Vatican II, en raison de l’ambiguïté avec laquelle les théologiens ont successivement

    mobilisé cette notion polysémique et plastique dans l’ensemble du processus de

    réception de l’ecclésiologie conciliaire, J.A. Komonchak fait des ecclésiologies de

    communion, un révélateur des problèmes méthodologiques que rencontre

    l’ecclésiologie comme discipline théologique, en particulier, sur la question des rapports

    entre la théologie et les sciences sociales.

    Ce flou appelle donc une analyse critique du recours à l’unité de communion par

    le dominicain, dans un contexte où la notion est largement mobilisée autour des années

    1980. Elle émerge non seulement dans le contexte des différents dialogues

    œcuméniques, mais aussi, au sein de l’Église catholique, dans celui de la réception de

    l’ecclésiologie conciliaire, ce qu’indique le Rapport final de l’Assemblée extraordinaire

    du Synode des évêques de 1985, selon lequel « l’ecclésiologie de communion est le

    concept central et fondamental dans les documents du concile6 ». Or, dans son analyse

    du processus synodal, J.A. Komonchak7 a montré l’ambiguïté d’un écart entre cette

    affirmation et les travaux de l’Assemblée extraordinaire qu’il présente en termes de

    « champ de bataille » entre les interprétations du concile8. Elle apparaît comme le reflet

    de la difficile émergence9 de cette ecclésiologie tout au long du processus de réception

    avant les éléments visibles de l’unité) ; impensables dans l’ecclésiologie bellarminienne, les deux listes de liens (UR 3 ; LG 15 et LG 8, LG 16, NA, GS 22) ouvrant la perspective de degrés de communion entre l’Église catholique et les autres chrétiens ; enfin, le renouvellement du rapport de l’Église au monde selon une forme de mutualité telle que chacun peut apporter à l’autre (GS 40-45). 6 Assemblée extraordinaire du Synode. Célébration de Vatican II. Déjà cité, p. 559 7 Joseph. A. KOMONCHAK, « Introduction » dans : L’Assemblée extraordinaire du Synode, Célébration de Vatican II. Paris : Cerf, 1986. Voir aussi Id. « Le débat théologique. Synode 1985 – une évaluation », dans Concilium 208 (1986) ; Id., « Interpreting the Second Vatican Council », Landas1 (1987), p. 81-90 ; Id., « The Synod of 1985 and the Notion of the Church », Chicago Studies 26/3 (1987) p. 330-345. Hermann POTTMEYER, « L’Église comme mystère et comme institution », dans Concilium 208 (1986), p. 121-133. 8 En ce sens voir « Editorial », in The Tablet, 7 December 1985. 9 Cf. Antonio ACERBI, Due ecclesiologie – ecclesiologia giuridica ed ecclesiologa di communione nella « lumen gentium », Bologna: Edizioni Dehoniane, 1975, 9, citant Y. CONGAR, Informations catholiques internationales, 244 (15 septembre 1964) p. 1; Gérard PHILIPS, L’Église et son mystère au deuxième concile du Vatican. Histoire, texte et commentaire de la constitution “Lumen Gentium”. Tournai: 1967, tome 1, 7. A. ACERBI montre que la tendance juridique domine la phase préparatoire du concile tandis que la tendance communionnelle affleure à la première session à l’intérieur du renouvellement pastoral de la problématique conciliaire, qui

  • 5

    conciliaire dont elle n’est qu’une étape. En effet, dans aucun des trois rapports du

    cardinal Danneels, secrétaire général du Synode, la « communion » n’apparaît comme le

    « concept central et fondamental » qui organise le texte. Face aux questions posées par

    les conférences épiscopales sur la réalisation de la communion ecclésiale, J.A.

    Komonchak suggère que l’appel à « l’esprit de communion » vise une approche

    sacramentelle et mystérique de l’Église, aux dépens du véritable « défi » de penser la

    cohérence théologique entre une conception de l’Église comme communion et son

    organisation institutionnelle10. Là où les questions posées relevaient d’un point de vue

    pratique, les trois rapports du cardinal Danneels se situent d’un point de vue théologique

    sans liens avec les premières.

    Ce qui est intéressant ici, ce ne sont pas seulement les références très

    sélectives à la discussion conciliaire sur la collégialité, l’effort fait pour

    atténuer théologiquement et ecclésialement les diverses expressions de

    conduit à la remise en chantier du schéma De Ecclesia. Puis il établit la manière dont les deux tendances se sont affrontées au cours des deuxième et troisième sessions d’une part et comment la tendance communionnelle a dominé la refonte finale du De ecclesia. Cf. la recension d’Y. CONGAR dans « Bulletin de théologie », dans RSPT 59 (1975) p. 506-507. 10 Cf. Walter KASPER, « L’Église comme communio » dans : Id., La théologie et l’Église, Paris : Cerf, 1987, p. 389-410. Walter Kasper précise que dans les textes du concile, le vocabulaire de la « communion » désigne davantage le mystère de l’Église que ses structures. Alors même qu’il reformule l’idée de l’Église comme sacrement pour le monde, il précise : « il est vrai qu’habituellement, dans les textes du concile, il n’est pas question dans ce contexte de communio mais de societas, de communitas et de concepts de ce type. Habituellement, le concept de communio est utilisé dans son sens rigoureusement théologique » (p. 409). De fait, lorsqu’il s’appuie sur Gérard Philips pour affirmer qu’« une des idées directrices de l’ecclésiologie de Vatican II, peut-être l’idée directrice même de ce concile est donc celle-ci : la communio », une rapide vérification confirme que nous sommes renvoyés au concept de « communauté », de « communion des saints », de « conscience communautaire » ou encore de « communion » du point de vue de la vie religieuse. Voir aussi Gilles ROUTHIER, Le défi de la communion. Une relecture de Vatican II, Montréal : Médiapaul, 1994. Du point de vue de l’Église locale, il reprend le reproche adressé à l’œuvre conciliaire de comporter une faiblesse importante : son incapacité d’exprimer au plan institutionnel ses intuitions les meilleures. Cependant, il pense que le problème ne vient pas seulement de Vatican II, mais aussi d’un écart entre un discours sur la communion et des pratiques qui ne sont jamais harmonisées avec le discours. (p. 6) Derrière un discours renouvelé qui promeut la communion comme grandeur spirituelle, on refuse de faire droit à la réalité de la communion dans le fonctionnement ecclésial. La communion demeure une réalité pré-juridique et le fonctionnement de l’Église est abandonné à une ecclésiologie sociétaire qui date du XIX°s. Est ici visé le rapport du Synode de 1985. Cf. Gérard PHILIPS, L’Église et son mystère au II° Concile du Vatican, Paris : Desclée, 1966, T. 1 ; p. 7, 59 & T. p. 2, 24 et 159.Voir aussi son article : « Deux tendances dans la théologie contemporaine. En marge du II° Concile du Vatican », dans NRT 85 (1963), p. 225-238.

  • 6

    l’esprit collégial et le curieux mélange des éléments considérés pour

    illustrer la collégialité, mais l’absence totale de référence aux nombreux

    problèmes soulevés dans le Rapport initial, les interventions synodales et le

    deuxième rapport, sur l’application pratique de la collégialité. Il y a là

    l’indication la plus claire que, dans le Rapport final, les invocations de la

    « communion » et de « l’esprit collégial » l’ont emporté sur la franche

    admission de sérieux problèmes de structures et de relations dans l’Église

    d’aujourd’hui.11

    L’ecclésiologie de communion émerge donc dans un contexte où elle est choisie

    pour désigner l’ecclésiologie du concile, au « moment charnière12 » où celle-ci devient

    l’objet d’un clivage. En effet, l’idée d’ecclésiologie de communion qui émerge à

    l’occasion du concile a donné lieu à différentes interprétations possibles, selon qu’elle

    est comprise dans la perspective d’une « ecclésiologie d’en haut » ou d’une

    « ecclésiologie d’en bas ». À cette première distinction s’ajoutent la répartition et

    l’équilibre entre les médiations dominantes de la communion ecclésiale (primatiale,

    collégiale, synodale13). Ainsi, une ecclésiologie de communion peut être développée

    sous la forme d’une ecclésiologie universelle de la communion ecclésiale qui met

    l’accent sur le primat en s’appuyant principalement sur LG 18, sous la forme d’une

    ecclésiologie universelle de la communion ecclésiale qui met l’accent, avec la notion de

    « communion hiérarchique », sur la collégialité épiscopale et ses liens au primat. Dans

    la perspective d’une ecclésiologie de communion universelle des Églises locales, en

    s’appuyant d’abord sur LG 23, l’accent peut enfin être mis sur les liens entre la

    11 J.A. KOMONCHAK, « Le débat théologique », déjà cité, p. 77-78. Voir aussi p. 75. 12 Gilles ROUTHIER, « L’assemblée extraordinaire de 1985 du Synode des évêques : Moment charnière de relecture de Vatican II dans l’Église catholique », dans Philippe BORDEYNE, & Laurent VILLEMIN, dir., Vatican II et la théologie, Paris : Cerf, 2006, p. 61-88. Laurent VILLEMIN, « L’herméneutique de Vatican II : Enjeux d’avenir », dans : Ibid, p. 247-262. Sur la périodisation de la réception du concile, voir aussi id., « La périodisation », dans id., dir., Réceptions de Vatican II. Le Concile au risque de l’histoire et des espaces humains, Leuven : Maurits Sabbebibliotheek Faculteit Godgeleerdheid, 2004, p. 225-244. Voir aussi Joseph RATZINGER, Vittorio MESSORI, Entretien sur la foi, Paris : Fayard, 1985. 13 L’exigence de préciser l’ecclésiologie de communion mobilisée pour articuler fondements ecclésiologiques et formes institutionnelles apparaît dans plusieurs débats postconciliaires qui portent sur la compréhension du lien qui unit les Églises locales les unes avec les autres. Alors que dans l’ecclésiologie de la societas, ce lien de communion s’appuyait sur le ministère des évêques dont la dimension personnelle est soulignée (coetus episcoporum), dans une ecclésiologie de communion des Églises locales, il s’appuie sur des processus institutionnels. (communio ecclesiarum).

  • 7

    collégialité épiscopale et la synodalité des Églises. Les débats provoqués par les

    différentes combinaisons possibles ont permis d’affiner progressivement

    l’herméneutique du concile, aujourd’hui compris tout à la fois comme événement

    global, comme expérience ecclésiale et comme corpus de textes14. Dans ces conditions,

    la diversité des ecclésiologies de communion peut être comprise à la lumière des

    remarques d’Yves Congar qui soulignait, dès 196215, la complémentarité des approches

    ecclésiologiques lorsqu’elles se corrigent mutuellement.

    Mais au moment où J.-M. Tillard écrit, l’herméneutique de Vatican II n’a pas

    encore atteint ce degré de précision. Au regard des différentes phases de réception du

    concile que théologiens et historiens repèrent aujourd’hui, J.-M. Tillard est porté par

    l’enthousiasme des débuts que l’on retrouve dans le champ œcuménique par exemple,

    avant d’exprimer à partir du colloque de Bologne d’avril 198016, puis à de nombreuses

    reprises, son inquiétude devant le développement d’interprétations divergentes. À la fin

    de la même année, il publie un article au titre programmatique : « L’Église de Dieu est

    une communion » dans lequel il exprime son option pour une ecclésiologie

    œcuménique17. C’est dire que lui-même est engagé pour développer une ecclésiologie,

    avec laquelle il n’a de cesse de corriger les effets de ce qu’il appelle « l’ecclésiologie de

    type bellarminien », héritage des positions de R. Bellarmin, déconnectées des

    14 Giuseppe ALBERIGO, CONGAR, Y., POTTMEYER H.J., Les Églises après Vatican II. Dynamisme et prospective, Paris: Beauchesne, 1981 ; Hermann J. POTTMEYER, « Vers une nouvelle phase de réception de Vatican II. Vingt ans d’herméneutique du concile », dans Giuseppe ALBERIGO-; Jean-Pierre JOSSUA ; Joseph A. KOMONCHAK, dir., La réception de Vatican II, Paris: Cerf, CF 134, 1985, p. 43-64 ; Gilles ROUTHIER, Le défi de la communion – Une relecture de Vatican II, Montréal : Médiapaul, 1994 ; Id., «La réception de Vatican II. Une décennie de travaux et perspectives pour la recherche», Oecumenica Civitas, III/2 (2003), p. 169-192 ; Id., « L’ecclésiologie catholique dans le sillage de Vatican II. La contribution de Walter KASPER à l’herméneutique de Vatican II », dans : Laval Philosophique et Théologique 60/1 (2004), 13-51 ; Id., « L’herméneutique de Vatican II. Réflexions sur la face cachée d’un débat », Recherches en Science Religieuse, 100/1 (2012), p. 45-63 ; Laurent VILLEMIN, « L’herméneutique de Vatican II : Enjeux d’avenir », dans : Philippe BORDEYNE & Laurent VILLEMIN, dir., Vatican II et la théologie. Perspectives pour le XXI° siècle, Paris : Cerf, 2006, p. 247-262 ; Daniel MOULINET, « Réflexions sur l’herméneutique de Vatican II », dans La DC, n° 2483 (Février 2012). 15 Yves CONGAR, « De la communion des Églises à l’ecclésiologie de l’Église universelle », dans YVES CONGAR & Bernard DUPUY, dir., L’Épiscopat et l’Église universelle. Paris : Cerf, 1962. 16 J.-M. TILLARD, « Vatican II et l’après–Concile : espoirs et craintes », Giuseppe ALBERIGO (dir.) Les Églises après Vatican II, déjà cité, p. 347–360. 17 J.-M. TILLARD, « L’Église de Dieu est une communion », dans Irénikon 53/4, (1980) p. 451–468. Sa traduction en anglais est plus explicite encore : « The Church of God is a Communion : The Ecclesiological Perspective of Vatican II », in One in Christ 17/2 (1981) p. 117–131.

  • 8

    controverses dans lesquelles celui-ci a élaboré son ecclésiologie, et de l’emprise

    juridique qui affecté la notion médiévale de societas à la fin du XIX° siècle. Je

    montrerai dans cette thèse, que c’est dans cette perspective, qu’il mobilise la

    « communion » dans les champs sacramentaire, ecclésiologique et œcuménique. À ce

    titre, cette notion ne relève pas d’un concept systématique, mais d’un concept politique

    ou méthodologique. Ses occurrences indiquent que J.-M. Tillard s’efforce de renouveler

    l’ecclésiologie dans la mouvance des déplacements conciliaires. Nous verrons que cet

    engagement est la force et la faiblesse de sa contribution à l’ecclésiologie

    postconciliaire. Sa force car sa culture théologique, son enthousiasme et sa force de

    conviction ont été décisifs pour faire avancer le travail des commissions de dialogue

    œcuménique. En mobilisant ce qu’il appelle « La grande Tradition », autrement dit en

    injectant du temps long dans des débats enfermés dans une approche trop

    institutionnelle, il lui est en particulier reconnu d’avoir contribué à renouveler l’arrière-

    plan ecclésiologique, à partir duquel le dialogue œcuménique pour penser l’unité de

    l’Église a pu être relancé. Sa faiblesse parce que son enthousiasme à défendre les

    déplacements ecclésiologiques, le rend aveugle sur certains aspects de l’ecclésiologie de

    Vatican II. En particulier, sa critique de « l’ecclésiologie de type bellarminien » parasite

    son appréciation du contexte dans lequel doit être relevé le défi de penser

    théologiquement la cohérence entre la compréhension du mystère de l’Église en termes

    de communion et l’organisation des liens entre les structures ecclésiales, pour reprendre

    les termes du cardinal Basil Hume au synode de 1985.

    Pour comprendre la participation du militant J.-M. Tillard à la réception de cette

    ecclésiologie conciliaire, et analyser le recours fait à une notion qu’il reçoit de sa

    formation dominicaine et qu’il mobilise dès sa thèse de 1964, l’ensemble de ces

    éléments contextuels me conduit à revenir à grands traits sur l’émergence de

    l’ecclésiologie de communion au XX° siècle, tout à la fois à l’intérieur de

    l’ecclésiologie catholique et à l’intérieur de l’ecclésiologie œcuménique qui se

    développe en lien avec le Conseil œcuménique des Églises.

  • 9

    L’é mérgéncé dé l’écclé siologié dé communion

    Dans sa généalogie de l’ecclésiologie catholique de communion publiée en

    200518, Edward Hahnenberg rappelle qu’en tant que « modèle ecclésiologique19 », cette

    ecclésiologie est un « phénomène post-conciliaire20 ». Mais elle bénéficie de deux

    racines qui se développent dans la première moitié des années 1920, à la faveur de la

    redécouverte du 1° Möhler21 : un itinéraire catholique et allemand autour de l’école de

    Tübingen, et un itinéraire orthodoxe et français autour du mouvement slavophile du

    Centre saint Serge à Paris. Les deux itinéraires se rencontrent dans le mouvement la

    « Nouvelle théologie », dont les recherches sont publiées dans la collection Unam

    Sanctam, une œuvre ecclésiologique marquée par l’intérêt œcuménique des dominicains

    Marie-Dominique Chenu, et, surtout, Yves Congar qui sert de pont entre les deux. E.

    Hahnenberg répartit ensuite les promoteurs de l’ecclésiologie de communion en deux

    camps, les aristotéliciens et les platoniciens, en s’appuyant sur une distinction récente

    formulée par Walter Kasper au cours de son débat public avec J. Ratzinger sur les

    rapports entre Église locale et Église universelle22. Les premiers envisageraient l’Église

    en partant de l’Église locale, concrète, sujet historique, pour aborder ensuite l’Église

    universelle. Les seconds accorderaient la primauté à l’Église universelle, réalité

    spirituelle et idéale sur laquelle ils s’appuieraient pour en tirer les conséquences au

    moment de définir l’Église particulière locale.23

    18 Edward HAHNENBERG, “The Mystical Body of Christ and Communion Ecclesiology: Historical Parallels,” Irish Theological Quarterly 70 (2005) p. 3-30. 19 Edward HAHNENBERG utilise le terme modèle dans le sens que lui a donné Avery DULLES dans Models of the Church, Garden City, N.Y. : Doubleday, 1974, p. 21. Nous verrons que J.-M. Tillard récuse l’interprétation de sa théologie à partir de l’approche d’A. Dulles. 20 Edward HAHNENBERG, “The Mystical Body of Christ and Communion Ecclesiology: Historical Parallels”, déjà cité, p. 19, 20. 21 Voir aussi Piet FRANSEN, « La communion ecclésiale, principe de vie », dans Giuesppe ALBERIGO, Les Églises après Vatican II, déjà cité, p. 194. 22 Cf. Walter KASPER, « Le rapport entre Église universelle et Église locale », dont la version française est disponible sur http://www.catho-theo.net/article.php3?id_article=34. Cf. plus bas au chapitre 8. 23 Selon E. HAHNENBERG, W. KASPER n’est pas le seul à recourir à ces catégories philosophiques. En 1989, Avery DULLES remarque lui aussi que des auteurs tels que Jean DANIELOU Henri de LUBAC, Hans Urs von BALTHASAR et J. RATZINGER, « strongly influenced by the Platonism of the Fathers, have promoted a kind of neo-Augustinianism in ecclesiology ” ». Cf. Avery DULLES, « A Half Century of Ecclesiology », in Theological Studies 50 (1989), p. 440.

    http://www.catho-theo.net/article.php3?id_article=34

  • 10

    Cependant, comme il le souligne lui-même à propos de l’encyclique Ut unum

    sint dont il fut l’un des premiers rédacteurs, l’ecclésiologie de J.-M. Tillard résiste à la

    systématisation d’une telle distinction. En effet, E. Hahnenberg relève l’exception de

    l’encyclique Ut unum sint dans l’ecclésiologie de Jean-Paul-II qu’il situe parmi les

    platoniciens en raison de sa « préférence marquée pour une interprétation universelle de

    la communion. ». Or, la première rédaction a été confiée au dominicain J.-M. Tillard.

    Selon ses critères, J.-M. Tillard devrait être classé parmi « les aristotéliciens ». Dans

    L’Église locale, J.-M. Tillard a certes cherché à démontrer que l’Église catholique était

    capable d’élaborer une ecclésiologie catholique de l’Église locale24. Cependant, E.

    Hahnenberg remarque lui-même que « Pour Tillard, l’Église est une communion de

    communions, une Église d’Églises. Sa vision ne donne pas la priorité aux Églises

    locales sur l’Église universelle : le local et l’universel sont plutôt simultanés. 25 » Dès

    lors, du point de vue de la simultanéité de l’Église locale et de l’Église universelle, entre

    les aristotéliciens et les platoniciens, où positionner l’approche de J.-M. Tillard ? La

    méthode adoptée par J.-M. Tillard et la structure de ses monographies laissent perplexe

    sur le recours à cette clé herméneutique pour rendre compte de l’émergence de

    l’ecclésiologie de communion26. Utilisée à l’occasion d’un débat sur les rapports entre

    Église locale et Église universelle, la distinction de W. Kasper ne semble pas d’emblée

    applicable à l’ensemble du débat systématique engagé sur la réception de l’ecclésiologie

    de Vatican II. Elle apparaît trop simplificatrice et cela d’autant plus qu’Edward

    Hahnenberg a limité son enquête généalogique à la sphère catholique.

    En réalité, deux remarques peuvent être posées ici. D’abord, l’exception d’Ut

    unum sint qui résiste à la reprise de l’herméneutique de W. Kasper par E. Hahnenberg.

    Elle attire l’attention sur une remarque d’Yves Congar selon laquelle les sources de

    l’ecclésiologie de communion sont davantage à situer dans la « voie concordante du

    ressourcement biblique, liturgique, patristique du dialogue œcuménique et de [l]a propre

    24 Jean-Marie TILLARD, L’Église locale, Paris : Cerf, 1995, p. 7-10. 25 Edward HAHNENBERG, “The Mystical Body of Christ and Communion Ecclesiology: Historical Parallels,” déjà cité, p. 27. 26 J.M. TILLARD ne pourrait-il pas être davantage tributaire d’Y. CONGAR dont la démarche théologique commence par définir « la réalité spirituelle transcendante et divine de l’Église » avant d’en aborder « la traduction dans certaines structures sociales, sacramentelles et canoniques ». Cf. par exemple : « De la communion des Églises locales à l’ecclésiologie de l’Église universelle », dans L’épiscopat et l’Église universelle. Paris : Cerf, US 39, 1962, p. 227-260.

  • 11

    vie apostolique, pastorale et missionnaire »27 de l’Occident, que dans des disputes

    philosophiques. L’autre remarque développe la toile de fond œcuménique évoquée par

    Y. Congar, sur laquelle se détache l’émergence de la notion de koinonia en

    ecclésiologie occidentale. En effet, l’Église catholique romaine a d’autant moins

    l’exclusivité de l’ecclésiologie de communion qu’elle en a aussi héritée à travers la

    participation de ses membres au Mouvement œcuménique. C’est pourquoi, je

    complèterai la généalogie d’E. Hahnenberg par la prise en compte de la source

    œcuménique du recours ecclésiologique à la koinônia, d’abord chez les responsables

    catholiques engagés dans le dialogue œcuménique que sont Jean Willebrands et Pierre

    Duprey, puis grâce à l’étude d’A. Birmelé, dans les publications liées au dialogue

    œcuménique.

    Dans la véiné catholiqué dé l’œcumé nismé

    Dans la littérature catholique postconciliaire qui prend en compte l’approche

    œcuménique de l’unité de l’Église, on assiste, à partir de 198128, à un

    approfondissement du thème ecclésiologique de la communion, qu’E. Hahnenberg fait

    débuter au début des années 197029, lorsqu’il repère la « communion » comme

    « heuristic tool » pour interpréter les documents du concile. Mais au plan œcuménique,

    27 Cf. Ibid., p. 231. 28 On mentionnera pour mémoire que quelques années avant 1980, la Fondation Pro Oriente organise un Colloque ecclésiologique sur le thème de la Koinônia, à Vienne, en avril 1974, avec le concours du Centre orthodoxe du Patriarcat œcuménique de Chambésy et du Secrétariat pour l’unité des chrétiens à Rome. Les interventions sont publiées dans la revue Istina 20 (1975). Mais d’un point de vue chronologique, il est significatif que la plupart des interventions ne cherchent pas à penser à nouveaux frais l’unité de l’Église sous l’angle de la cohérence entre ecclésiologie et formes institutionnelles. Lorsqu’elle est utilisée, la « koinônia » désigne un thème sacramentel ou fraternel. Cependant, un an plus tard, le 3 février 1975, à l’occasion du dixième anniversaire de la Fondation Pro Oriente, le texte « l’avenir de l’œcuménisme » signé du cardinal Jean WILLEBRANDS, alors président du secrétariat pour l’unité des chrétiens, et publié dans Proche Orient Chrétien, [25/1 (1975) p. 9-15], est signalé, en 1986, par Oscar CULLMANN, comme l’un des textes qui avait révélé « l’importance du concept de communio pour l’avenir pour l’œcuménisme ». Cf. Oscar CULLMANN, L’unité par la diversité, Paris : Cerf, 1986, p. 19. 29 Cf. Edward P. HAHNENBERG, « The Mystical Body of Christ and Communion Ecclesiology: Historical Parallels » déjà cité, p. 20. Mais il s’appuie surtout sur les publications d’auteurs catholiques (G. Philips, O. Saier, H. Rossi, G. Ghirlanda et A. Dulles), sans s’inscrire dans une perspective œcuménique pourtant constitutive du recours à la notion de communion en occident.

  • 12

    le colloque de Bologne d’avril 1980 constitue une étape décisive dans le développement

    du thème ecclésiologique de la communion.

    1. La koinônia au colloque de Bologne (Avril 1980)

    Consacré à « L’ecclésiologie de Vatican II ; dynamismes et prospectives », ses

    actes ont été publiés sous le titre : Les Églises après Vatican II. Dynamisme et

    prospective30. Ce thème est décidé en réaction au projet de Lex Ecclesiae

    Fundamentalis dans un contexte de doute sur la direction que peut prendre le dialogue

    œcuménique, où domine un sentiment de « blocage31 » :

    Aucune Église n’est parvenue à convaincre les autres que sa position

    s’impose comme celle de la vérité. Ni l’Église orthodoxe et sa constante

    affirmation qu’elle est la solution de tous nos problèmes, n’est arrivée à

    convaincre les autres que c’est là qu’il faut (re)venir. Ni l’Église catholique

    n’est arrivée, malgré des monceaux d’arguments, à convaincre de son

    dogme papal. Ni les protestants, malgré leur science et la vitalité de leur foi

    en Jésus-Christ Sauveur, n’ont convaincu qu’ils sont l’Église réformée. Ni

    l’Église anglicane, malgré son propos d’unir Réforme et Catholicisme

    traditionnel, n’a été effectivement cette Église-pont qu’elle dit être. Nous

    sommes encore les uns en face des autres, les uns à côté des autres, bien

    que nous soyons aussi, à quelque degré, les uns avec les autres et même les

    uns dans les autres.32

    30 Pour l’édition française : Giuseppe ALBERIGO dir., Les Églises après Vatican II, déjà cité. Parmi les interventions, le terme « communion » apparaît soit dans le titre des communications (ainsi les interventions qui utilisent la communion dans le titre : Piet FRANSEN : « La communion ecclésiale, principe de vie » ; Giuseppe ALBERIGO : « Institutions exprimant la communion entre l’épiscopat universel et l’évêque de Rome » ; Jean LECUYER : « Institutions en vue de la communion entre l’épiscopat universel et l’évêque de Rome » ; Jean MEYENDORFF : « Régionalisme ecclésiastique, structures de communion ou couverture de séparation ? »), soit dans le corps des articles (les exposés de Hermann POTTMEYER sur les rapports entre les ecclésiologies de Vatican II et de Vatican I, d’Yves CONGAR sur « Les implications christologiques et pneumatologiques de l’ecclésiologie de Vatican II, « l’exposé final » de Jean-Marie TILLARD, « Vatican II et l’après-concile ; espoirs et craintes » qui utilisent la notion de « koinônia ». Au total, sur 18 interventions, 8 font appel à la notion de communion, selon une disposition éditoriale qui donne le sentiment d’une évolution qui va crescendo. 31 Yves CONGAR, diversités et communion, Paris : Cerf, 1982, p. 9. Sur l’analyse du blocage, cf. aussi J. RATZINGER, « Pronostics sur l’avenir de l’œcuménisme », POC 26 (1976) p. 213. 32 Ibid., p. 235.

  • 13

    Dans une introduction où dominent les questions liées au travail de préparation

    du Code de Droit Canonique qui sera publié trois ans plus tard, Giuseppe Alberigo ne

    relève pas la place faite à une ecclésiologie de communion au colloque de Bologne.

    Pourtant, ce travail fut influencé par le projet de Lex Ecclesiae Fundamentalis,

    finalement abandonné en raison des divergences ecclésiologiques qui pesaient sur

    l’herméneutique de Lumen Gentium à propos des concepts-clés du projet de loi

    fondamentale, parmi lesquels celui de communion33. Ainsi, le lien entre la

    reconnaissance des droits et devoirs fondamentaux des fidèles, et leur soumission à la

    communion dans l’Église, dont la médiation pouvait être située dans la hiérarchie,

    donnerait alors lieu à une herméneutique plus proche du De Ecclesia préparé par la

    Curie romaine que de Lumen gentium34. Cette référence à la communion ecclésiale,

    susceptible d’être utilisée comme argument d’autorité, rappelle les remarques de J.A.

    Komonchak sur le déroulement de l’Assemblée extraordinaire du Synode de 1985. Elle

    est absente des interventions du colloque de Bologne, organisé, dans ce contexte

    d’incertitudes, pour situer la réception de l’ecclésiologie du concile dans le souffle de

    l’événement conciliaire et promouvoir une autre ecclésiologie de communion.

    Chargé de l’exposé final, J.-M. Tillard attire l’attention sur le problème de la

    cohérence théologique entre ecclésiologie et formes institutionnelles. Il fait largement

    appel à la koinônia pour approfondir ce problème du point de vue de l’articulation entre

    un et plusieurs35. À ce sujet, G. Alberigo, avait constaté dans son intervention, qu’en

    1980, année du colloque, cela faisait 15 ans qu’il « n’y a guère eu de contributions

    réellement nouvelles qui permettent de progresser théologiquement sur ce nœud

    33 Cf. les travaux de Olav G.M. Boelens qui a travaillé à partir des archives de Mgr Willy Onclin (1905-1989), canoniste de l’université de Louvain. Olav G.M. BOELENS, De "Lex Ecclesiae Fundamentalis" een gemiste kans of een kansloze misser », Utrecht : 2001. Résumé en anglais : The « Lex Ecclesiae Fundamentalis » a missed chance or a chanceless chance, en particulier le chapitre IV http://www.kerkrecht.nl/main.asp?pagetype=onderdeel&item=70&subitem=5442, consultée le 22 janvier 2015 ; Id., Synopsis Lex Ecclesiae Fundamentalis, Peeters Publishers, 2002. 34 Cf. Code de droit canonique, Paris : Centurion/Cerf/Tardy, 1984, Can. 209 §1. Voir l’ecclésiologie sous-jacente aux développements que Dominique Le Tourneau propose sur le lien entre les droits et devoirs fondamentaux des fidèles et la communion ecclésiale. Dominique LE TOURNEAU, « Les droits et les devoirs fondamentaux des fidèles et la communion dans l’Église », dans http://www.dominique-le-tourneau.fr/LES-DROITS-ET-LES-DEVOIRS, consulté le 22 janvier 2015. 35 Jean-Marie TILLARD, « Vatican II et l’après-concile. Espoirs et craintes », dans Giuseppe ALBERIGO, Les Églises après Vatican II, déjà cité, p. 347-360.

    http://www.kerkrecht.nl/main.asp?pagetype=onderdeel&item=70&subitem=5442http://www.dominique-le-tourneau.fr/LES-DROITS-ET-LES-DEVOIRS

  • 14

    ecclésiologique crucial. » Pour lui, les derniers essais intéressants sont ceux de Karl

    Rahner et la publication d’un « essai lucide de Joseph Ratzinger où est affirmé que le

    concile a caractérisé l’unité de l’Église au travers du concept de communio comme

    ‘‘pluralité des communions locales excluant donc que l’on puisse établir l’unité sur la

    base de la seule relation avec la ‘tête’. Celle-ci exige plutôt la structure ordonnée du

    Collège comme représentation des Églises et de leur communion interne.’’36 ». Entre

    temps, les quelques tentatives relèvent, selon G. Alberigo, de la « paraphrase de Vatican

    II ». Le sujet est davantage traité par des canonistes ou des théologiens engagés dans le

    dialogue œcuménique avec les orthodoxes. La diversité œcuménique des intervenants à

    ce colloque qui a constitué une étape décisive dans le recours au thème ecclésiologique

    de la communion ecclésiale, illustre l’idée selon laquelle la « véritable explosion37 »,

    dont il a bénéficié, est le fruit du dialogue œcuménique qui s’en était emparé depuis

    plusieurs années38. Autrement dit, toutes choses étant égales par ailleurs, la source du

    thème provient d’abord du défi de penser l’unité entre les Églises séparées avant de

    porter sur celui de penser la cohérence théologique entre ecclésiologie et formes

    institutionnelles, ou plus précisément, de relever ce défi en prenant en compte le

    déplacement œcuménique de Vatican II.

    2. La Koinônia chez les responsables catholiques engagés dans l’œcuménisme

    Lorsqu’il cherche un modèle d’unité Oscar Cullmann39 choisit l’expression

    « communauté d’Églises » au motif qu’elle présente « l’avantage de faire entrer en ligne

    de compte le concept ‘‘communio’’ dont l’importance œcuménique a été signalée par le

    36 Giuseppe ALBERIGO : « Institutions exprimant la communion entre l’épiscopat universel et l’évêque de Rome », dans Ibid., p. 263. 37 Bruno CHENU, « L’unité sous forme de communion. L’objectif du Mouvement œcuménique », dans RSR 89 (2001) p. 247-270 (262). 38 Curieusement, le groupe des Dombes semble rester à l’écart de ce mouvement. Cf. GROUPE DES DOMBES, Le ministère de communion dans l’Église universelle, Paris : Le centurion, 1986. Le thème de la communion ecclésiale, très présent, ne s’appuie pas sur la notion de koinônia, alors que la publication du Document final de l’ARCIC quelques années auparavant lui en offrait l’opportunité. Voir aussi Pour la communion des Églises. L’apport du Groupe des Dombes 1937-1987, Paris : Le Centurion, 1988. Sur l’usage ecclésiologique de la notion de communion dans le Mouvement œcuménique. Cf. Bruno CHENU, « L’unité sous forme de communion… », déjà cité et André BIRMELE, La communion ecclésiale, Paris : Cerf, 2000, p. 319-360. 39 Oscar CULLMANN, L’unité par la diversité, Paris : Cerf, 1986, p. 19.

  • 15

    cardinal J. Willebrands […] et par P. Duprey, du Secrétariat de la promotion pour

    l’Unité des chrétiens, dans l’analyse précise qu’il donne dans son article ‘’La

    communion ecclésiale’’40 ». J. Willebrands, commente le passage sur les Églises-sœurs,

    extrait du Bref remis par Paul VI à Athénagoras en juillet 1967. La thèse consiste à

    montrer que l’avenir de l’œcuménisme passe par « l’approfondissement et la mise en

    œuvre équilibrée de l’ecclésiologie de communion41 » qui s’appuie sur le concept de

    conciliarité repris à la tradition orientale. Cependant, il dénonce les usages de la

    conciliarité dans « certains milieux œcuméniques où l’anglais est la langue théologique

    quasi unique », au motif qu’ils en font « la mise en place et l’assemblage des conseils

    auxquels on confierait des fonctions en leur déléguant une autorité.42 » Cette remarque

    est à situer dans le contexte de la préparation de l’Assemblée du Conseil Œcuménique

    des Églises qui devait se tenir à Nairobi au cours de cette même année 1975. En effet,

    les délégués allaient travailler sur le lien entre le terme koinônia et le thème de la

    conciliarité lancé au cours de l’Assemblée d’Upsal en 196843. Dans ce contexte, le

    propos de J. Willebrands vise à préciser la vision catholique de la conciliarité, comme

    « conséquence du fait que l’Église est une communion », ce qui la « situe dans l’ordre

    sacramentel ». Mais, à la différence de Vatican II qui « aborde cette question dans une

    perspective saisissant d’abord l’Église comme universelle » et la collégialité à partir de

    la sacramentalité de l’épiscopat, J. Willebrands reprend la question de la collégialité

    dans la perspective d’une ecclésiologie de communion universelle des Églises locales44

    en « voyant cette communion exprimée et maintenue par la conciliarité ». Illustrant la

    diversité des ecclésiologies de communion, il prévient que les deux approches sont tout

    autant sacramentelles et très éloignées « d’un simple agencement de conseils » : « L’une

    se base sur le sacrement de l’ordre, l’aut