Le Theoreme Des Katherine - John Green

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jonh green

Transcript of Le Theoreme Des Katherine - John Green

  • JOHN GREEN ma femme, Sarah Urist Green, enanagrammes :

    Her great Russian

    Grin has treasure

    A great risen rush.

    She is a rut-ranger;

    Anguish arrester;

    Sister; haranguer;

    Treasure-sharing,

  • Heart-reassuring

    Signature Sharer

    *

    Easing rare hurts.

    Mais le plaisir nest pas de possderquelquun. Le plaisir cest a, cestdavoir un challenger avec soi dans lapice.

    La Tache Philip Roth

    * Sa majest russe / Derrire sonsourire, un trsor / Un grandjaillissement. / Elle garde des ornires ;/ Remde lanxit ; / Soeur ; oratrice ;

  • / Trsor partag, / Baume au coeur /

    Cosignataire / Pause de rares blessures.

    (1)

    Le lendemain du jour o ColinSingleton, illustre enfant surdou, eutson bac et fut largu par sa dix-neuvimeKatherine, il prit un bain. Colin avaittoujours eu une prfrence pour lesbains, il avait pour principe dans la viede ne rien faire debout quil ne puissefaire allong.

    Ds que leau fut chaude, il enjamba labaignoire et sassit, observant dun airtrangement absent son corpssimmerger. Leau gagnait peu peu ses

  • jambes replies. Il reconnaissait sanspeine, bien que du bout des lvres, tretrop grand, trop corpulent, pour cettebaignoire - on aurait dit un gros bb.

    Tandis que leau commenait mouillerson ventre plat mais dnu de muscles, ilsongea Archimde. quatre ans, Colinavait lu un livre sur le philosophe grecqui, en sasseyant dans sa baignoire,avait dcouvert comment mesurer levolume dun corps au dplacement deleau. cette occasion, Archimde avaitparat-il cri Eurka1! avant decourir, nu, travers les rues. Daprs celivre, nombre de dcouvertes majeuressont accompagnes dune minuteEurka. Dj, lpoque, Colin

  • dsirait ardemment faire desdcouvertes majeures, il sen tait doncouvert sa mre lorsque celle-ci taitrentre la maison ce soir-l.

    Dis, maman, tu crois quun jour jauraima minute Eurka?

    Oh, mon trsor, avait-elle dit en luiprenant la main. Quest-ce qui ne vapas?

    Je veux ma minute Eurka, avait-ilrpondu sur le ton quaurait emprunt unautre gamin pour exprimer une enviefolle de Tortue Ninja.

    1 Jai trouv , en grec.

  • Elle avait appuy le dos de sa maincontre la joue de Colin et lui avait souri,son visage trs prs du sien. Il avaitsenti lodeur de son fond de teint et sonhaleine de caf.

    Bien sr, Colin, mon bb. Bien srque tu lauras.

    Mais les mres mentent. a fait partie deleur boulot.

    Colin prit une profonde inspiration et selaissa glisser sous leau. Je pleure, sedit-il en ouvrant les yeux travers leausavonneuse et piquante.

    Jai limpression de pleurer, donc jedois pleurer, mais comment en tre sr,

  • puisque je suis sous leau... Mais il nepleurait pas. Chose bizarre, il tait tropdprim, trop bless, pour pleurer.Comme si Katherine avait emport cequi pleurait en lui.

    Il ouvrit la bonde, se leva, se scha etshabilla. En sortant de la salle de bains,il dcouvrit ses parents assis sur son lit.Ce ntait jamais bon signe de lestrouver tous les deux en mme tempsdans sa chambre. Au fil des ans, leurprsence commune avait signifi :

    1) Ta(ton) grand-mre/grand-pre/tante-Suzie-que-tu-nas-jamais-connu(e)-mais-elle(il)-tait-adorable-et-cest-vraiment-dommage-est-mort(e).

  • 2) Tu laisses une certaine Katherine tedtourner de tes tudes.

    3) Pour faire des bbs, on se livre unacte quun jour tu trouveras peut-trefascinant, mais qui, pour linstant, risquede te terrifier. Par ailleurs, il arrive queles gens fassent des trucs qui participent la fabrication des bbs sans pourautant faire de bbs, comme parexemple sembrasser des endroitsautres que sur la figure.

    Mais cela navait jamais signifi :

    4) Une certaine Katherine a appelpendant que tu prenais ton bain.

    Elle te demande pardon. Elle taime

  • toujours. Elle a fait une erreurpouvantable et elle tattend en bas.

    Mais malgr cela, Colin ne putsempcher desprer que ses parentstaient dans sa chambre pour luiannoncer une nouvelle de catgorie 4. Iltait plutt pessimiste, sauf en ce quiconcernait les Katherine. Il avaittoujours le sentiment quelles luireviendraient. Lamour quil prouvaitpour la dix-neuvime et elle pour luilenvahit, il sentit le got de ladrnalinedans le fond de sa gorge. Peut-tre quece ntait pas termin, peut-tre quilpourrait nouveau sentir sa main dans lasienne et entendre sa voix puissante,imptueuse, se rduire un

  • chuchotement pour dire toute allure Je taime , sa manire bienpersonnelle - elle disait Je taime

    comme sil sagissait dun normesecret.

    Son pre se leva et savana vers lui.

    Katherine ma appel sur monportable, dit-il. Elle se fait du soucipour toi.

    Colin sentit la main de son pre sur sonpaule, puis ils se rapprochrent etfurent dans les bras lun de lautre.

    Nous sommes trs inquiets, dit samre, une petite femme brune aux

  • cheveux friss, barrs dune uniquemche blanche sur le devant. Etstupfaits, ajouta-t-elle. Que sest-ilpass?

    Je nen sais rien, souffla Colin danslpaule de son pre. Elle est...

    Elle en a eu assez de moi. Elle en a eumarre. Cest ce quelle a dit.

    Sur ce, sa mre se leva et sensuivirentquantit dembrassades, et profusion declins, et sa mre pleura. Colin sedgagea de l

    enchevtrement de bras et sassit sur sonlit. Il prouvait le besoin urgent de lesvoir hors de sa chambre. Au risque, sils

  • ne sortaient pas, d

    exploser, au sens littral du terme, sestripes plein les murs, son prodigieuxcerveau rpandu sur son couvre-lit.

    Un jour ou lautre, il faudra penser faire un choix, dit son pre, qui n

    avait pas son pareil en matire de choix.Soyons positifs, tu vas avoir du tempslibre cet t. Que dirais-tu dun stage luniversit de Northwestern?

    Jai vraiment besoin dtre seul,aujourdhui en tout cas, dit Colin en s

    efforant de donner une impression decalme, pour quils quittent la pice et

  • que lui nexplose pas. Si on faisait unchoix demain?

    Bien sr, mon trsor, dit sa mre. Onsera l toute la journe. Tu nas qudescendre quand tu veux. Et rappelle-toiquon taime ; tu es unique, Colin. Tu nepeux pas laisser cette fille te persuaderdu contraire, parce que tu es le garon leplus formidable, le plus intelligent...

    Cest alors que le garon le plusformidable, le plus intelligent seprcipita dans la salle de bains pourdgueuler ses tripes. Une explosion, enquelque sorte.

    Oh, Colin! scria sa mre.

  • Jai besoin dtre seul, rpta-t-ildepuis la salle de bains. Sil vous plat.

    Quand il sortit, ils avaient disparu.

    Sans faire de pause pour manger, boireou vomir, Colin consacra les quatorzeheures suivantes lire et relire lalbumde lanne du lyce, reu peine quatrejours plus tt. En dehors du blablahabituel, lalbum renfermait soixante-douze noms. Douze de ses camaradesnavaient fait que signer, cinquante-cinqsoulignaient son intelligence, vingt-cinqse plaignaient de ne pas avoir fait plusample connaissance avec lui, onzetrouvaient sympa dtre all au mmecours danglais que lui, septrussissaient glisser les mots

  • sphincter irien2 et dix-septterminaient par un ahurissant : Restezen! Colin Singleton ne pouvait pasplus rester zen quune baleine bleue nepouvait rester maigre ou le Bangladeshrester riche. Ces dix-sept-l devaientplaisanter. Il rflchit longuement et sedemanda comment vingt-cinq de sescamarades, dont certains taient enclasse avec lui depuis douze ans,pouvaient regretter de ne pas avoir faitplus ample connaissance avec lui .Comme si les occasions avaient manqu!

    Mais surtout, durant ces quatorze heures,il lut et relut la ddicace de KatherineXIX :

  • Col,

    tous les endroits o on est alls. tous ceux o on ira. Et moi qui temurmure encore et toujours : je taime.

    toi pour la vie, K-a-t-h-e-r-i-n-e.

    2 Explications venir.

    En fin de compte, il trouva le lit tropconfortable pour son tat desprit etsallongea par terre, sur le dos, lesjambes tales sur la moquette. Ilchercha les anagrammes de toi pourla vie jusqu ce quil soit satisfait de: Avoir la toupie. Et il resta dans lamme position, la tte comme unetoupie, se rpter le petit mot,

  • dsormais mmoris, en ayant envie depleurer. Mais au lieu des larmes, cestune douleur qui se logea sous sonplexus. En gnral, pleurer ajoutequelque chose : pleurer, cest soi, plusles larmes. Mais ce que Colin prouvaittait lexact oppos. Ctait soi, moinsquelque chose. Il rumina les mmesmots, pour la vie, en proie cettebrlure dans sa cage thoracique.

    Une douleur plus cuisante encore que lepire des coups de pied au cul quil avaitreus dans sa vie. Et Dieu sait sil enavait reus.

    (2)

    La souffrance persista jusqu prs de

  • vingt-deux heures, lorsquun type poiludorigine libanaise, lembonpointconsquent, dboula dans la chambre deColin sans frapper. Colin tourna la ttevers lui en plissant les yeux.

    Cest quoi, ce cirque? demandaHassan en criant presque.

    Elle ma largu, rpondit Colin.

    Je suis au courant. coute,sitzpinkler3, jadorerais te consoler,mais, pour linstant, je pourrais teindreun incendie avec le contenu de mavessie.

    Hassan passa comme une flche ctdu lit et ouvrit la porte de la salle de

  • bains.

    Merde, Singleton, quest-ce que tu asmang? a pue le... Oh! Alerte!

    Vomi! Du vomi! Beurk!

    En entendant Hassan crier, Colin se dit :Ah oui, cest vrai. Les toilettes. Jaioubli de tirer la chasse.

    Ne men veux pas si jen ai mis ct,dit Hassan son retour.

    Il sassit sur le lit et donna des petitscoups de pied Colin, maintenant tendu plat ventre.

    -Jai d me boucher le pif des deux

  • mains. Rsultat, Gros Ptard sestbalanc dans tous les sens. Les pompiersnauraient pas fait mieux!

    3 Terme dargot allemand dsignant unemauviette. Pourrait se traduirelittralement par : homme qui pisseassis . Nimporte quoi, ces alemands un mot pour chaque chose.

    Colin ne rit pas.

    Tu dois tre sacrment mal, ajoutaHassan parce que a) mes blagues GrosPtard sont ce que jai de mieux enmagasin et b) qui peut oublier de tirer lachasse aprs avoir gerb?

    Jai envie de me glisser dans un trou et

  • de mourir, dit Colin sans motionapparente, la bouche crase contre lamoquette crme.

    Ben dis donc, lcha Hassan enexpirant lentement.

    Je nai jamais voulu quune chose, treaim delle et faire quelque chose de mavie. Et regarde le rsultat, non maisregarde, dit Colin.

    Je regarde et je te garantis que jenaime pas du tout ce que je vois, kafir4.Ou plutt ce que je sens.

    Hassan se renversa sur le lit, laissant lechagrin de Colin flotter dans l

  • air un instant.

    Je suis... je suis un rat. Et si a sersumait a? Et si, dans dix ans, je meretrouvais dans le box dun open spaceen train de mouliner des chiffres et demmoriser des statistiques de baseballpour mclater dans ma ligue virtuellesur le Net, sans Katherine et sans avoirrien accompli de mmorable. Juste ungros nul.

    Hassan sassit et posa les mains sur sesgenoux.

    Tu vois, cest pour a que tu doiscroire en Dieu. Je ne suis mme pas srde me retrouver un jour dans un box eta ne mempche pas d

  • tre plus heureux quun cochon sur un tasde fumier.

    Colin soupira. Hassan ntait pas aussireligieux quil aimait le faire croire,mais il tentait souvent de convertir Colinpour de rire.

    Daccord. Croire en Dieu, cest unebonne ide. Dans ce cas, j

    aimerais croire que je peux voler danslespace dos de pingouins gantsduveteux et me taper Katherine XIX enapesanteur.

    Singleton, tu as plus besoin de croireen Dieu que nimporte quel type que jeconnais.

  • Et toi, tu aurais bien besoin daller la fac, marmonna Colin.

    4 Mot arabe pas sympa du tout signifiant non musulman , habituellement traduitpar

    infidle .

    Hassan ronchonna. En avance dun ansur Colin, Hassan avait pris une

    anne sabbatique bien quayant tadmis luniversit de Loyola Chicago. Son anne sabbatique allaitbientt passer deux, car il ne staitinscrit aucun cours pour la rentre.

    Ne me mets pas a sur le dos, dit

  • Hassan en souriant. Ce nest pas moi quisuis trop ratatin pour me lever ou tirerla chasse deau aprs avoir vomi, monpote. Et tu sais pourquoi? Parce que jaimon Dieu.

    Arrte de vouloir me convertir, gmitColin que a namusait pas.

    Hassan se leva dun bond et sinstalla califourchon sur Colin en lui plaquantles bras au sol.

    Il ny a pas dautre Dieu que Dieu, etMahomet est Son prophte! se mit-il crier. Rpte aprs moi, sitzpinkler! Lailaha illa-llah5!

    Colin ne put sempcher de rire, le

  • souffle coup par le poids dHassan, etHassan rit aussi.

    Je mefforce de tviter lenfer, espcede nase.

    Lve-toi ou je vais bientt y aller,siffla Colin.

    Hassan se releva et passa sans transition un ton srieux.

    Cest quoi le problme, exactement?

    Le problme exactement, cest quellema largu et que je suis seul.

    Non mais cest pas vrai. Je suis encoreseul ! Et comme si a ne suffisait pas, je

  • suis un rat, au cas o tu ne laurais pasremarqu. Je suis un has been, un ex. Ex-petit ami de Katherine XIX, ex-surdou,ex-talent prometteur et, l maintenant,gros looser.

    Ainsi que lavait maintes fois expliquColin Hassan, il existait une diffrencenotable entre surdou et gnie.

    Le surdou est capable dapprendre une vitesse phnomnale ce que dautresont dj compris; le gnie dcouvre ceque personne avant lui na dcouvert. Lesurdou apprend; le gnie fait. Une foisadultes, la grande majorit des enfantssurdous ne deviennent pas des gnies.Colin tait quasi certain de faire partiede cette majorit malchanceuse.

  • 5 Profession de foi des musulmans, quisignifie en arabe transcrit : Il ny a pasdautre Dieu que Dieu.

    Hassan se rassit sur le lit en tirant surles poils de son double menton.

    Le problme du jour, cest le truc dugnie ou le truc de Katherine?

    Je laime tellement, fut la rponse deColin.

    Mais en vrit, dans lesprit de Colin,les deux taient lis. Le problme taitque lui, ce garon si unique, siformidable, si intelligent... ne ltait pas.

  • Le cur du problme tait quilcomptait pour du beurre. ColinSingleton, illustre enfant surdou,illustre vtran des guerres desKatherine, illustre geek et sitzpinkler,comptait pour du beurre aux yeux deKatherine XIX et aux yeux du monde.Subitement, il ntait plus le petit ami oule gnie de quelquun. Et a (pouremployer un terme pointu de surdou),a craignait.

    Parce que le truc du gnie, poursuivitHassan comme si Colin navait pasclam haut et fort son amour, cest rien.Cest juste lenvie dtre clbre.

    Non, ce nest pas vrai. Je veuxcompter pour quelque chose, dit-il.

  • Pig. Comme je viens de le dire, tuveux tre clbre. Clbre est lenouveau mot pour dire tout le mondemaime . Et comme il est clair que tu neseras pas la prochaine miss Univers, tuveux tre le prochain gnie amricain, etl, ne le prends pas personnellement, tupleurniches parce que tu ny es pasencore arriv.

    Tu ne maides pas beaucoup,marmonna Colin dans la moquette avantde tourner la tte pour regarder Hassan.

    Lve-toi, dit celui-ci en lui tendant lamain.

    Colin saisit sa main, se releva et voulut

  • se dgager, mais Hassan serra plus fort.

    Kafr, tu es confront un problmetrs compliqu auquel il existe unesolution trs simple.

    (3)

    Une vire en bagnole, dit Colin, unsac de voyage plein craquer et un sac dos rempli de livres ses pieds.

    Hassan et lui taient assis sur un desdeux canaps en cuir noir du salon faceaux parents de Colin.

    La mre de Colin secouait la tte lacadence dun mtronome rprobateur.

  • Pour aller o? demanda-t-elle. Et pourquoi faire?

    Ne le prenez pas mal, madameSingleton, dit Hassan en posant les piedssur la table basse - ce qui tait interdit -,mais quelque chose vous chappe. Il nya pas de o ni de pour quoi faire.

    Pense tout ce que tu pourraisentreprendre cet t, Colin, dit son pre.Apprendre le sanskrit, par exemple. Jesais que tu en mourais denvie6. Tusouhaites vraiment rouler au hasard,sans savoir o tu vas?

    a ne te ressemble pas. mon avis, turenonces.

  • Je renonce quoi, papa?

    Son pre se fit silencieux. Aprs unequestion, il gardait toujours le silence.Mais une fois lanc, il sexprimait parphrases entires quaucun hum ou euh nevenait interrompre, comme sil avaitmmoris sa rponse.

    Je regrette davoir te le dire, Colin,mais si tu veux continuer progresserintellectuellement, tu as intrt travailler davantage. Sinon tu risques degcher ton potentiel.

    En thorie, rpondit Colin, cest pasimpossible que ce soit dj fait.

    6 Lamentable, mais vrai. Colin avait

  • vraiment rv dapprendre le sanskrit.Lquivalent de lEverest en matire delangues mortes.

    Peut-tre tait-ce parce que, pas une foisdans sa vie, Colin navait du sesparents : il ne buvait pas, ne se droguaitpas, ne fumait pas, ne sortait pas tard lesoir, navait pas de mauvaises notes, pasde piercing sur la langue, ni deKATHERINE, JE TM POUR LA VIEtatou dans le dos. Ou peut-trestaient-ils sentis coupables davoir enquelque sorte failli son gard, delavoir amen l o il en tait. moinsencore quils aient eu envie de passerquelques semaines en tte--tte,histoire de raviver la flamme de leur

  • amour. Toujours est-il que, cinq minutesaprs avoir reconnu le gchis de sonpotentiel, Colin Singleton se glissaitderrire le volant de son interminableOldsmobile grise, rpondant au nom de

    Corbillard de Satan .

    Il ne nous reste plus qu passer chezmoi prendre mes affaires, dit Hassandans la voiture. Et surtout russir convaincre mes parents de me laisserpartir faire une vire en bagnole.

    Tu nas qu leur dire que tu as trouvun boulot dt dans une colo, proposaColin.

  • - Bonne ide, sauf que je ne mentirai pas ma mre. Il faut tre immonde pourmentir sa mre.

    Hum.

    Dun autre ct, si quelquun dautrele faisait ma place, jy survivrais.

    Entendu, dit Colin.

    Cinq minutes aprs, une fois gars endouble file dans une rue de Ravenswood(au nord de Chicago), tous deuxjaillissaient de la voiture comme un seulhomme. Hassan se rua lintrieur de lamaison, Colin sur les talons. Dans lesalon confortablement meubl, la mredHassan dormait assise dans un

  • fauteuil.

    Eh, maman, rveille-toi, dit Hassan.

    Mme Harbish se rveilla en sursaut,sourit et salua les garons en arabe.

    Ma copine ma largu et je nai pas lemoral, lui dit Colin en arabe galement.Hassan et moi partons en vacances... envoiture. Je ne connais pas le mot enarabe.

    Elle secoua la tte et pina les lvres.

    Combien de fois tai-je dit de ne pascourir aprs les filles? demanda-t-elleen anglais avec un fort accent. Hassanest un bon garon, il na pas de copine.

  • Et regarde comme il est heureux. Tudevrais prendre exemple sur lui.

    Cest bien ce que je compte faire aucours du voyage, dit Colin, bien que rienne ft plus loign de la ralit.

    Hassan dboula dans la pice, portant unsac de voyage moiti ferm quidbordait de vtements.

    Ohi-boke7, maman, dit-il avant de sepencher pour lembrasser.

    Cest alors que M. Harbish fit unesoudaine apparition en pyjama.

    Tu ne vas nulle part, dit-il en anglais.

  • coute, papa. Je suis oblig. Regarde-le. Il est compltement lamin.

    Colin se tourna vers M. Harbish dun airaussi lamin que possible.

    Colin part avec ou sans moi,poursuivit Hassan. Sauf quavec moi ilaura quelquun pour le surveiller.

    Colin est un bon garon, dit MmeHarbish son mari.

    Je vous appellerai tous les jours,ajouta Hassan. On ne part paslongtemps, juste le temps quil seremette.

    Colin eut une ide, fruit de linspiration

  • du moment.

    Je vais trouver du boulot Hassan,dit-il M. Harbish. Il est temps que nousconnaissions la valeur du travail.

    M. Harbish poussa un grognementapprobateur.

    Tu ferais bien dapprendre la valeurdautre chose que cette stupide JugeJudy, dit-il son fils. En ce qui meconcerne, si dans une semaine tumappelles pour mannoncer que tu astrouv du travail, tu peux rester o tuveux aussi longtemps que tu voudras.

    Merci, papa, marmonna docilementHassan, apparemment pas vex.

  • Il embrassa sa mre sur les deux joues etsortit sans plus attendre.

    7 Je taime , en arabe.

    Quel con! sexclama-t-il une fois labri du Corbillard. Maccuser d

    tre paresseux est une chose, mais diredu mal de la meilleure juge detlralit dAmrique, cest bas.

    Hassan sendormit vers une heure dumatin tandis que Colin, dop aux cafshypercrmeux des stations-service et lenivrante solitude des autoroutes denuit, traversait Indianapolis vers le sudpar lI-65. Il faisait doux pour un dbutjuin et, comme la clim du Corbillard de

  • Satan navait jamais fonctionn au coursde ce sicle, les vitres taiententrouvertes. La conduite avait cela demagique quelle sollicitait juste assez deson attention - voiture gare sur le bas-ct; flic? ralentir la vitesse autorise;temps de doubler ce semi-remorque;mettre mon clignotant ; jeter un coupdil au rtroviseur ; tendre le cou pourvrifier langle mort et oui ; cest bon ;file de gauche - pour le distraire dutrou qui lui rongeait le ventre.

    Histoire de garder lesprit occup, il seremmora dautres trous dans d

    autres ventres. Celui de larchiducFranois-Ferdinand, assassin en 1914,qui, en voyant lorifice sanguinolent

  • avait dclar : Ce nest rien. Il setrompait. Il ne fait aucun doute quelarchiduc Franois-Ferdinand necomptait pas pour du beurre. Bien quilne ft ni un surdou, ni un gnie, sonassassinat dclencha la Premire Guerremondiale, et sa mort fut l

    origine de 8 528 831 autres.

    Katherine lui manquait. Le manquerveillait plus que le caf. Quand, uneheure plus tt, Hassan lui avait proposde prendre le volant, il avait refus.Conduire le faisait tenir -pas dpasserle cent dix; merde, jai le cur quisemballe; je dteste le got du caf;dun autre ct, je suis comme une pile;

  • bon, laisse le camion derrire toi; cesta, file de droite; et l, maintenant,seulement tes phares trouantlobscurit. Conduire l

    empchait dtre totalement crabouillpar la solitude ne de l

    crabouillement. Conduire sapparentait une sorte de rflexion, la seule quiltolrait. Malgr tout, une pense rdaitnon loin, par-del le faisceau de sesphares : Il stait fait larguer par unefille prnomme Katherine pour la dix-neuvime fois.

    En matire de filles - et Colin enconnaissait un rayon -, tout le mondeavait un type. Celui de Colin Singleton

  • ntait pas physique mais

    linguistique : il aimait les Katherine. Pasles Katie, ni les Kat, ni les Kittie, ni lesCathy, ni les Rynn, ni les Trina, ni lesKay, ni les Kate, et surtout pas lesCatherine. K-A-T-H-E-R-I-N-E. Il taitsorti avec dix-neuf filles, toutes desKatherine. Et toutes, sans exception,lavaient largu.

    Pour Colin, le monde se scindait en deux

  • catgories de gens en tout et pour tout :les Largus et les Largueurs. Beaucoupprtendent tre les deux, mais ils semettent le doigt dans lil. On nat lunou lautre. Il se peut que les

    Largueurs ne soient pas toujours desbourreaux des curs et que les Largusnaient pas forcment le cur bris.Mais tout le monde a une tendance8.

    Colin aurait peut-tre pu shabituer lessor, puis au dclin de toute relation.Finalement, quand on sortait avecquelquun a finissait toujours de lamme faon : mal. Quand on yrflchissait, et Colin sy employaitsouvent, les relations amoureuses

  • sachevaient soit 1) par une rupture, 2)un divorce ou 3) la mort. Mais avecKatherine XIX, ctait diffrent, dumoins en apparence. Elle lavait aim, etil lavait aime avec frocit. Ce quitait encore vrai - il se surprit fairetourner la phrase Je taime Katherinedans sa tte. Un prnom qui sonnaitdiffremment pour peu qu

    il le lui adresse. Dabord synonymedobsession maladive, Katherine s

    tait mu en un mot qui la rsumait elleseule, un mot aux effluves de lilas quirestituait le bleu de ses yeux et lalongueur de ses cils.

    8 Un graphique serait peut-tre utile la

  • comprhension. Pour Colin, ladichotomie Lar-geur/Largu sil ustraitpar une courbe en forme de cloche, unemajorit de gens se situant au milieu dela courbe, pour partager une lgretendance soit tre largu, soit lecontraire. Et puis, il y avait lesKatherine et les Colin.

    Tandis que le vent sengouffrait par lesvitres entrouvertes, Colin rflchissaitaux Largueurs, aux Largus et larchiduc. larrire, Hassan grognait,reniflait, il rvait sans doute quil taitun berger allemand. Sentant la brlurecontinuer de lui creuser le ventre, Colinse dit : Tu me fais honte. Passe autrechose. Allez, passe autre chose. Tout

  • a est ridicule, lamentable, sans biensavoir ce que a recouvrait.

    Katherine I : le commencement (dudbut)

    Jusqu un certain matin de juin, lesparents de Colin lavaient toujourstrouv normal. Assis dans sa chaisehaute, Colin, alors g de vingt-cinqmois, prenait son petit djeuner constitudaliments dorigine vgtaleindtermine, pendant que son pre lisaitle Chicago Tribune de lautre ct de lapetite table de cuisine familiale. Colintait menu pour son ge, mais grand etcoiff dpaisses boucles brunes qui sedressaient sur son crne avec une

  • imprvisibilit toute einsteinienne.

    Trois mortesse dans West Side,dit-il aprs avoir aval une bouche.Veux plus de lgumes, ajouta-t-il, faisantrfrence son petit djeuner.

    Quest-ce que tu dis, Bonhomme?

    Trois mortesse dans West Side.Veux des frites sil te plat merci9.

    Le pre de Colin retourna son journal etregarda, mdus, le gros titre quistalait en une au-dessus de la pliure.Sensuivit le premier souvenir de Colin: son pre abaissant lentement sonjournal et lui souriant de toutes sesdents, les yeux agrandis par la surprise

  • et le plaisir.

    Cindy! Le gamin lit le journal! cria-t-il.

    Ses parents taient des lecteurscompulsifs. Sa mre enseignait lefranais la Kalman School, untablissement prestigieux et cher ducentre, et son pre la sociologie, luniversit de Northwestern, au nord dela ville. Si bien quaprs les troismorts dans West Side, ils neurent decesse de le faire lire - partout, tout letemps - des livres dimages, dabord enanglais, puis en franais.

    9 Tel un singe savant, Colin disposaitdun riche vocabulaire, mais dune

  • modeste grammaire. Par ailleurs, ilignorait comment prononcer morts .Pardonnez-lui, il navait que deux ans.

    Quatre mois aprs, ses parentslinscrivaient dans une cole maternellepour surdous. Las! Le niveau de Colintait trop lev et, de toute faon, l

    cole nacceptait pas les enfants qui nesavaient pas aller au pot. Colin futenvoy chez une psychologue deluniversit de Chicago.

    Cest ainsi que le surdou auxincontinences priodiques se retrouvadans un petit bureau sans fentre deSouth Side o une femme portant deslunettes monture dcaille lui demanda

  • : de trouver des combinaisons dans unesuite de lettres et de nombres ; de tracerrapidement des polygones ; de dcouvrirlintrus dans un groupe dimages. Ellelui posa d

    innombrables questions merveilleusesqui la lui rendirent trs sympathique.

    Jusque-l, lorsquon posait desquestions Colin, ctait pour luidemander sil avait fait pipi dans saculotte ou sil daignait avaler une autrebouche

    &de pure de lgumes.

    Merci pour ton extraordinairepatience, Colin, dit lexperte au bout d

  • une heure dinterrogatoire. Tu esvraiment unique.

    Une phrase que Colin entendrait souventet dont pourtant - allez savoir pourquoi -il ne se lasserait jamais.

    La femme aux lunettes monturedcaille fit venir ensuite sa mre dansle bureau. Tandis quelle confirmait Mme Singleton que son fils taitintelligent et quil tait unique, Colinjouait avec les cubes en bois dunalphabet. En changeant p-o-t-s en s-t-o-p- son premier souvenir d

    anagramme -, il se planta une chardedans le doigt.

  • Lexperte conseilla Mme Singletondencourager les dons de Colin mais dene pas les pousser, et elle la mit engarde.

    Ne nourrissez pas despoirsdraisonnables. Les enfants tels queColin assimilent trs vite, ils font preuvedune remarquable capacit seconcentrer sur une tche, mais ils ontautant de chance de remporter un prixNobel quun enfant dune intelligencenormale.

    Ce soir-l, son pre lui rapporta unnouveau livre, Le Petit Bout manquantde Shel Silverstein. Colin sinstalla surle canap ct de son pre et se mit lire, ses petites mains tournant

  • rapidement les grandes pages sanssarrter, sauf pour demander si a etcela taient la mme chose. Une foissa lecture termine, il referma le livredun grand geste.

    a ta plu? demanda son pre.

    Oui, rpondit Colin.

    Il aimait tous les livres, car le fait mmede lire le remplissait de bonheur

    - la magie de transformer des signes enmots.

    a parle de quoi? demanda son pre.

    Colin posa le livre sur les genoux de son

  • pre.

    Il manque un bout un rond. Et le boutmanquant a la forme dune pizza,rpondit-il.

    Dune pizza ou dune part de pizza?demanda son pre en posant ses grossespattes sur la tte de Colin.

    Tu as raison, papa. Une part. Alors lerond dcide de partir la recherche dubout manquant. Il en trouve plein, maisils ne vont pas. Et puis, il repre le bon,mais il le laisse. Voil, cest fini.

    Est-ce quil tarrive de te sentircomme un rond qui il manque un bout?demanda son pre.

  • Papa, je ne suis pas un rond. Je suis ungaron.

    Le sourire de son pre svanouit - lesurdou savait lire, mais il ne pigeaitrien. Et si Colin avait su quil luimanquait un bout, que son incapacit se reconnatre dans lhistoire du rondallait constituer un problme rcurrent,peut-tre aurait-il compris quau fil dutemps le reste du monde le rattraperait.Pour emprunter une autre histoire quilmmorisa, mais dont le sens lui chappa: sil avait compris que la fable dulivre et de la tortue ne se limitait pasaux deux seuls animaux, il aurait peut-tre vit nombre de complications.

    Trois ans plus tard, Colin entra en CP

  • la Kalman School -

    gratuitement, parce que sa mre ytravaillait -, peine plus jeune dun anque la plupart de ses camarades. Sonpre le poussait sans arrt tudier,mais Colin ne faisait pas partie de cessurdous qui vont la fac ds onze ans.Ses parents taient partisans de lui fairesuivre une scolarit semi-normale, eugard ce quils nommaient son bien-tre en socit.

    Sauf quen socit son tre ntait pasbien. Colin ne savait pas se faire damis.Ses camarades et lui navaient pas lesmmes distractions.

    Exemple : ce qui le mettait en joie la

  • rcr, ctait de faire semblant dtre unrobot. Il allait se planter devant RobertCaseman en marchant dun pas saccad,les bras ballants et raides, et il lui disaitdune voix monocorde :

    Je suis un robot. Je rponds toutesles questions. Tu veux savoir qui tait lequatorzime prsident des tats-Unis?

    Daccord, rpondait Robert. Voil maquestion : pourquoi tu es aussi gogol,Filet-de-colin? Le jeu prfr deRobert Caseman durant tout le CP

    fut de lappeler Filet-de-colinjusqu ce quil fonde en larmes. Ce quine tardait jamais, car, comme le disait samre, ctait un enfant sensible.

  • Colin voulait jouer au robot, merde! Otait le mal?

    En CEI, Robert Caseman et consortsmrirent un peu.

    Sapercevant que les mots ne laissaientpas de trace, au contraire d

    une bonne racle, ils inventrent lAbdominal Homme des neiges10, quiconsistait lui ordonner de sallongerpar terre - curieusement, il s

    excutait -, puis saisir chacun un deses membres et tirer. Ctait une formedcartlement, mais avec des gosses desept ans la manuvre elle ntait pasmortelle, elle tait juste bte et

  • humiliante. Elle donnait Colinlimpression que personne ne laimait,ce qui tait vrai. Pour se consoler, il sedisait quun jour lui ne compterait paspour du beurre, il serait clbre. Alorsqueux jamais. Dailleurs, sa mre luiexpliquait que c

    tait pour cette raison quils semoquaient de lui, par jalousie. Ils sontjaloux, cest tout , disait-elle. Mais onne la lui faisait pas, ses camaradesntaient pas jaloux. Ils ne laimaientpas, point. Parfois, cest aussi simpleque a.

    De sorte que ses parents et lui furentravis et soulags quand, juste aprs sarentre en CE2, Colin Singleton fit la

  • preuve de son bien-tre en socit engagnant - brivement - le cur de la plusjolie petite fil e de huit ans de toutChicago.

    10 La formule est de Colin. Les autreslappelaient lExtension . Mais unjour o ils sapprtaient la lui fairesubir, Colin scria : Piti, paslAbdominal Homme des neiges !

    Le nom tait trop gnial, il resta.

    (4)

    Vers trois heures du matin, Colin fithalte sur une aire de repos des environsde Paducah, Kentucky. Il abaissa ledossier de son sige jusqu ce quil

  • touche les genoux dHassan larrire,et dormit.

    Quelque quatre heures plus tard, Hassanle rveilla en lui donnant des coups depied dans le dos.

    Kafir, je suis paralys. Relve ce truc,faut que je prie.

    Colin rvait de Katherine. II se penchapour tirer sur le levier, redressant ledossier dun coup.

    Merde! dit Hassan. Il ny aurait pas untruc qui serait mort dans ma gorge, hiersoir?

    Je dors.

  • Jai une haleine de putois. Tu as prisdu dentifrice?

    a porte un nom. Fetor hepaticus.Cest courant au dernier st...

    Pas intressant, le coupa Hassan, saphrase ftiche ds que Colin s

    garait. Dentifrice?

    Trousse de toilette dans mon sac aufond du coffre, rpondit Colin11.

    Hassan claqua la portire de la voitureen descendant, puis le coffre quelquessecondes plus tard. Si bien que, sefrottant les yeux, Colin dcida quil taittemps de se lever. Profitant de ce

  • quHassan se prosternait sur l

    asphalte face La Mecque, il se renditaux toilettes - au mur, trois graffitisdisaient : pour une pipe tl Dana. Il sedemanda si Dana distribuait desfellations ou des articles pour fumeurs.Puis, pour la premire fois depuis 11Mais bref, on appelle a fetor hepaticuset cest un des symptmes duneinsuffisance hpatique en stade terminal.Pour rsumer, on a une haleine decadavre en putrfaction.

    quil stait avachi sur la moquette de sachambre, il assouvit sa passion favoriteet fit lanagramme de POUR UNE PIPETEL DANA : Pardon au peuple tien.

  • Replongeant dans lair chaud duKentucky, Colin rejoignit Hassan unetable de pique-nique quil massacrait laide du couteau accroch son porte-cls.

    Quest-ce que tu fabriques? demandaColin en croisant les bras sur la tablepour poser sa tte.

    Pendant que tu tais aux toilettes, jeme suis assis cette table de pique-nique de Ptaouchnock, Kentucky, et jairemarqu que quelquun avait gravDIEU DTESTE LOPETTE. Ce qui, enplus dtre une offense la syntaxe, servle dun ridicule achev. Et donc, jele transforme en DIEU DTESTELOPRA. Difficile de ne pas tre

  • daccord avec a. Tout le monde dtestelopra.

    Jaime lopra, marmonna Colin.

    Tu aimes plein de trucs merdiques.

    Pendant quHassan semployait fairedtester lopra Dieu, voici l

    enchanement que suivirent les pensesde Colin : 1) opra 2) Katherine XIX 3)pendentif en rubis quil lui avait offertcinq mois et dix-sept jours plus tt 4) laplupart des rubis viennent dInde 5) quivcut sous la frule du Royaume-Unidont 6) Winston Churchill fut Premierministre et 7) cest dingue que nombrede grands hommes politiques, tels que

  • Churchill et Gandhi, aient t chauvesalors que 8) pas mal de dictateurs,comme Hitler, Staline et SaddamHussein taient moustachus? Dun autrect 9) Mussolini ne portait lamoustache que de temps autre et 10)beaucoup de scientifiques de haut niveauont la moustache, exemple Ruggero Oddiqui 11) dcouvrit le sphincter delappareil intestinal qui il donna sonnom, un sphincter parmi dautres dans lafamille des sphincters moins connus l

    instar 12) du sphincter pupillaire.

    ce propos, quand Hassan Harbishrejoignit la Kalman School en seconde,aprs avoir t scolaris dix ans lamaison, il tait certes intelligent, mais

  • navait rien dun gnie. Cet automne-l,Colin et lui suivaient le mme cours demaths, bien que Colin ft en troisime.Mais ils ne se parlaient pas, Colin avaitrenonc se faire des amis qui ne s

    appelaient pas Katherine. Il dtestaittous les autres lves de Kalman - ce quivalait mieux, dans la mesure o ils le luirendaient bien.

    Deux semaines aprs la rentre, Colinleva la main en cours.

    Oui, Colin? demanda Mme Sorenstein.

    Colin avait pass la main sous seslunettes et appuyait sur son il gauche,visiblement gn.

  • Puis-je mabsenter une seconde?demanda-t-il.

    Cest important?

    Jai un cil dans le sphincter pupillaire,rpondit Colin, provoquant l

    hilarit de la classe.

    Mme Sorenstein le laissa sortir. Dansles toilettes, Colin retira le cil de sonil, ou plus prcisment de sonsphincter pupil aire, en se regardantdans la glace.

    la fin du cours, Hassan sen futtrouver Colin qui mangeait un sandwichau beurre de cacahutes sans confiture,

  • assis sur le large escalier en pierre delentre de service.

    Tu sais quoi, dit Hassan. Cest monneuvime jour dcole de toute ma vie etjai dj compris ce quon pouvait direou ne pas dire. Alors on ne parle pas deson sphincter.

    Cest une partie de lil, rponditColin, sur la dfensive. Je faisais preuvedintelligence.

    coute, mec, faut savoir qui onparle. Ton truc ferait un malheur uncongrs dophtalmologistes, mais enmaths, tout le monde se demandeforcment comment tu as pu te fourrer uncil cet endroit-l.

  • Et cest ainsi quils devinrent amis.

    Je dois avouer que je ne suis pas trsfan du Kentucky, dclara Hassan.

    Le menton pos sur ses bras croiss,Colin leva les yeux pour scruter leparking de laire de repos. Son boutmanquant ntait nulle part.

    Ici aussi, tout me rappelle Katherine.On avait parl daller Paris. Je terassure, je nen ai plus aucune envie,mais je continue dimaginer son bonheurau Louvre. On serait alls dans lesgrands restaurants, on aurait peut-tre budu vin rouge. On avait mme cherchdes htels sur le Net.

  • Avec largent Des Petites Ttes12,ctait tout fait possible.

    coute mec, si mme le Kentucky terappelle Paris, on est mal barrs.

    Colin se redressa et contempla lapelouse minable devant lui. Puis sesyeux se posrent sur lhabile retouchedHassan.

    Lopra..., commena dexpliquerColin.

    Oh non ! Donne-moi les cls.

    Colin sortit les cls de sa poche et lesjeta de lautre ct de la table, d

  • un geste las. Hassan les ramassa envitesse et partit en direction duCorbillard de Satan, suivi dun Colindsespr.

    Soixante-dix kilomtres plus loin,toujours dans le Kentucky, Colincommenait sendormir, recroquevillcontre la vitre, quand Hassan fit cettedclaration :

    Prochaine sortie, le plus grandcrucifix en bois du monde.

    Pas question de sarrter pour voir leplus grand crucifix en bois du monde.

    Oh que si, dit Hassan. Il doit tregigantesque!

  • Tu peux mexpliquer pourquoi ondevrait sarrter pour voir le plus grandcrucifix en bois du monde?

    On fait une vire en bagnole! Cestlaventure! rpondit Hassan en martelantle volant de ses poings pour marquer sonenthousiasme. On na pas de destinationprcise. Tu veux mourir sans avoir vu leplus grand crucifix en bois du monde?

    Colin rflchit la question.

    Oui, rpondit-il. Primo, aucun de nousdeux nest chrtien. Deuzio, passer lt sarrter toutes les deux minutes pouraller voir des trucs dbiles narrangerarien. Et tertio, les crucifix me fontpenser elle.

  • qui?

    elle.

    12 Explications venir. Mais pourrsumer, environ un an auparavant,Colin avait touch un peu dargent.

    Kar, elle tait athe.

    Pas toujours, dit doucement Colin.Elle en portait un avant quon sorteensemble, prcisa-t-il en regardant lespins dfiler derrire la vitre - sonsouvenir intact faisant revivre le crucifixen argent.

    Tu me dgotes quand tu fais tonsitzpinkler, dit Hassan, appuyant

  • nanmoins sur le champignon pourdpasser la sortie comme une fuse.

    (5)

    Deux heures aprs avoir pass le plusgrand crucifix en bois du monde, Hassanremit le sujet sur le tapis.

    Tu savais que le plus grand crucifix enbois du monde se trouvait dans leKentucky? cria-t-il, vitre baisse, lamain dans le vent.

    Pas avant aujourdhui, rpondit Colin.Mais je sais que la plus grande glise enbois est en Finlande.

    Pas intressant, dit Hassan.

  • Les pas intressant dHassan avaientpermis Colin de distinguer les sujetsquil pouvait ou non aborder avec lesautres. Avant Hassan, la notion lui avaittoujours chapp, pour la bonne raisonque le reste de ses interlocuteurschoisissait de le mnager ou delignorer. Ou, dans le cas des Katherine,de le mnager dabord et de lignorerensuite. Grce la liste de sujets pasintressants13 quil avait tablie, Colintait capable de tenir une conversation peu prs normale.

    Trois cents kilomtres et un arrttechnique plus loin, le Kentucky loinderrire eux, ils taient mi-cheminentre

  • Nashville et Memphis. Le vent quisengouffrait par les vitres ouvertesschait leur dos tremp sans parvenir les rafrachir. Colin tait en train derflchir un endroit climatis o allerquand il avisa un panneau rdig lamain dominant un champ de coton ou demas ou de soja ou allez savoir quoi14 :SORTIE 212 : VENEZ VOIR LATOMBE DE LARCHIDUC

    13 Parmi dinnombrables, voici dessujets certifis pas intressants : lesphincter pupillaire, la mitose,larchitecture baroque, les blagues dontla chute est une quation de physique, lamonarchie britannique, la grammairerusse ou le rle essentiel du sel dans

  • lhistoire de lhumanit.

    FRANOIS-FERDINAND -LHOMMEPAR QUI LA PREMIRE GUERRE

    MONDIALE EST ARRIVE.

    Cest carrment pas crdible,commenta doucement Colin.

    Je dis simplement quon devrait allerquelque part, dit Hassan qui ne lavaitpas entendu. Je nai rien contre cetteautoroute, mais plus on s

    loigne, plus il fait chaud, et je transpiredj comme une pcheresse dans uneglise.

  • Colin massa sa nuque endolorie en sedisant quil ne passerait pas une nuit deplus dans la voiture alors quil avaitlargement de quoi se payer une chambredhtel.

    Tu as vu le panneau? demanda-t-il.

    Lequel?

    Celui de la tombe de larchiducFranois-Ferdinand.

    Oubliant la route, Hassan se tourna versColin avec un large sourire et lui donnaune bourrade dans lpaule.

    Excellent ! dit-il. Et puis a tombebien, cest lheure de djeuner.

  • Sur le parking du fast-food Hardees, la sortie 212, comt de Carver,Tennessee, Colin appela sa mre.

    All! On est dans le Tennessee.

    Comment tu te sens, mon grand?

    Mieux, je crois. Enfin, jen sais rien. Ilfait chaud. Est-ce que... quelqu

    un ma appel?

    Sa mre se tut. Sa maudite piti taitpalpable.

    Dsole, mon trsor. Je dirai ... toutle monde dappeler sur ton portable.

  • Merci, maman. L, je vais manger unhamburger.

    a promet. Noublie pas de mettre taceinture. Je taime!

    Moi aussi.

    Aprs avoir mang un hamburger gantdbordant de gras dans le resto vide,Colin alla trouver la caissire, dont lecorps avait visiblement pti dun tropgrand nombre de repas pris sur son lieude travail, pour lui demander commentse rendre sur la tombe de Franois-Ferdinand.

    Qui?

  • Larchiduc Franois-Ferdinand.

    La femme le considra dun il vide,puis son regard sclaira.

    Cest de Gutshot que tu parles ? Tuaimes la cambrousse, on dirait.

    Gutshot?

    Ouais. Tu vas faire comme a : ensortant du parking, tu prends droite,dos lautoroute. Au bout de troiskilomtres, tu tombes sur un croisementen T. Tu verras, il y a une station-service ferme. L, tu prends droite etpendant quinze vingt kilomtres tulonges pas grand-chose.

  • Ensuite, il y a une cte et tu es arriv Gutshot.

    Gutshot?

    Gutshot, Tennessee. Cest l que tutrouveras larchiduc.

    Donc droite et puis droite.

    Oui. Vous allez bien vous marrer.

    Gutshot, rpta Colin dans sa barbe.OK, merci.

    Depuis sa dernire rfection, la routedes quinze vingt kilomtres en questionsemblait avoir t lpicentre duntremblement de terre. Colin conduisait

  • prudemment, mais les amortisseursfatigus du Corbillard geignaient chaque nid-de-poule, chaquedformation de la chausse.

    On na peut-tre pas besoin de voirlarchiduc, dit Hassan.

    On fait une vire en bagnole ! Cestlaventure ! le parodia Colin.

    Tu crois que les gens de Gutshot,Tennessee, ont dj vu un Arabe enchair et en os ?

    Arrte ta parano.

    Et tu crois quils ont dj vu un juifavec une coupe afro ?

  • Colin saccorda une minute de rflexion.

    La femme du resto a t sympa avecnous.

    Daccord, sauf que la femme du restoa parl de Gutshot comme de lacambrousse , rpondit Hassan enimitant laccent de la caissire. Si ceresto tait urbain, je ne suis pas certaindavoir envie de visiter plus rural.

    Hassan continua de dlirer, et Colin derire ou sourire aux moments propices,mais sans quitter la route des yeux,calculant les probabilits quelarchiduc, mort Sarajevo plus dequatre-vingt-dix ans auparavant et quiavait surgi limproviste dans son esprit

  • la veille, ait atterri dans les parages.Ctait irrationnel et Colin dtestaitrflchir de faon irrationnelle, pourtantil ne pouvait sempcher desprerquen prsence de larchiduc quelquechose de son bout manquant lui seraitrvl. Mais, bien sr, lunivers neconcourt pas vous faire aller dans unendroit plutt quun autre, Colin lesavait. Il repensa une citation deDmocrite : Partout, lhomme senprend la nature et au destin, alors quece sont son caractre, ses passions, seserreurs et ses faiblesses qui font sondestin.

    Par consquent, ce ntait pas le destin,mais plutt le caractre, les passions,

  • les erreurs et les faiblesses de ColinSingleton qui lavaient amen Gutshot,Tennessee, 864 HABITANTS, commelindiquait le panneau. De prime abord,Gutshot ntait gure diffrent de ce quiavait prcd, lexception de ltat dela route. De part et dautre du Corbil ardstendaient des champs uniformes opoussait une plante robuste dun vertlumineux. De temps autre, une pture chevaux, une grange ou un bouquetdarbres venait briser la monotonie. Puissoudain, un btiment de plain-pied dunrose effroyable surgit sur le bord de laroute.

    On est Gutshot, dit Colin enindiquant le btiment dun signe de tte.

  • Sur un des cts du btiment, un panneaupeint la main disait : Royaume deGutshot : DERNIRE DEMEURE DELARCHIDUC

    FRANOIS-FERDINAND BIREGLACE SODA APPTS POURLA PCHE.

    Colin se gara devant le magasin.

    Je me demande si larchiduc est stockavec le soda et les appts, dit-il endtachant sa ceinture.

    Le rire grave dHassan remplitlhabitacle.

    Incroyable, Colin fait de lhumour. Cet

  • endroit agit sur toi comme par magie.Dommage quon doive y mourir. Je neblague pas. Un Arabe et un type moitijuif entrent dans un magasin duTennessee, cest le dbut dune histoiredrle qui se termine par sodomie .

    Colin lentendit nanmoins marcherderrire lui sur le sol gravil onn.

    Ils poussrent une porte munie dunemoustiquaire et pntrrent lintrieurdu bazar de Gutshot. Derrire le

  • comptoir, une fil e au long nez droit etaux immenses yeux marron leva les yeuxde son Celebrity Magazine.

    Comment va? demanda-t-elle.

    -Bien, et toi? rpondit Hassan, tandisque Colin se demandait si, de toutelhistoire de lhumanit, il pouvait avoirexist ne serait-ce quune seule personnedigne dintrt qui ait lu CelebrityMagazine14.

    Pas mal, dit la fille.

    Ils firent le tour du magasin, foulant leslattes poussireuses du plancher vitrifi,jetant un il faussement intress auxpaquets de biscuits apritif, aux

  • boissons et autres petits poissons dansdes bacs appts.

    moiti cach derrire un rayon de chipsqui lui arrivait la poitrine, Colin tirasur le T-shirt dHassan.

    Vas-y, demande-lui, toi, chuchota-t-il,la main en cornet son oreille.

    Mais Colin ne chuchotait pas vraiment,il ne matrisait pas lart duchuchotement. Il se contentait de parlerplus bas dans le tympan dHassan.

    Hassan fit une grimace et secoua la tte.

    Quelle est la superficie du Kansas enkilomtres carrs ? murmura-t-il.

  • Euh, environ 213 283. Pourquoi?

    Je trouve dingue que tu saches a,alors que tu nes pas fichu de parler sanste servir de tes cordes vocales.

    14 En diagramme de Venn, Colin auraitsoutenu que le monde se divisait ainsi:Colin commena lui expliquer quemme chuchoter requrait lusage descordes vocales, mais Hassan leva lesyeux au ciel. Colin se mordilla l

    intrieur du pouce en le regardant avecdes yeux pleins despoir, mais Hassanfit mine de sintresser aux chips etColin dut finalement sy coller.

    Il retourna au comptoir.

  • Salut, on est venus pour larchiduc.

    La lectrice de Celebrity Magazine luisourit, ses joues rebondies et son troplong nez disparurent. Elle avait ce genrede sourire rayonnant et trompeur auquelon ne peut sempcher de croire. Ildonnait envie de la rendre heureuse pourle voir rapparatre, mais il svanouitaussitt.

    Visite toutes les heures, onze dollarslentre et a les vaut pas, dbita-t-elledune voix monocorde.

    On paiera, dit Hassan, qui staitgliss derrire Colin. Le gamin a besoinde voir larchiduc. Il fait unedpression, ajouta-t-il dans un

  • chuchotement forc en se penchant verselle.

    Puis il posa vingt-deux dollars sur lecomptoir, et la fille sempressa de lesglisser dans la poche de son short,ignorant la caisse.

    Il fait une de ces chaleurs, dit-elle, ensoufflant sur une mche de cheveuxacajou qui la gnait.

    Cest une visite guide? demandaColin.

    Oui. Et, mon grand regret, je suisvotre guide, dit-elle, en contournant lecomptoir.

  • Petite, maigre, un visage plus intressantque joli.

    Colin Singleton, se prsenta-t-il laguide/employe dpicerie.

    Lindsey Lee Wells, rpondit-elle entendant une petite main au vernis rosemtallis caill.

    Colin lui serra la main et Lindsey setourna vers Hassan.

    Hassan Harbish, musulman sunnite,non terroriste.

    Lindsey Lee Wells, mthodiste et pasterroriste non plus, dit-elle, en souriant nouveau.

  • Toutes les penses de Colin tournaientautour de K-XIX, de lui et du bout deventre quil avait gar, mais impossiblede nier le sourire de la fille. Ctait unsourire mettre fin une guerre ou soigner les cancers.

    Ils marchrent un long moment ensilence dans lherbe haute larrire dumagasin. Lherbe irritait les mollets deColin, et il envisagea de se plaindre,voire de senqurir dun autre passageo lherbe aurait t coupe. MaisHassan laurait trait de sitzpinkler,alors il renona, laissant lherbe luichatouiller la peau. Il repensa Chicago, o lon pouvait marcher desjours entiers sans fouler la moindre

  • parcelle de terre. Cet univers de bitumelui plaisait et lui manquait, dautant pluslorsque son pied cogna contre une mottede terre sur laquelle il faillit se tordre lacheville.

    Lindsey Lee Wells ouvrait la marche -sans leur adresser la parole,comportement nul de lectrice deCelebrity Magazine - et Hassan trottait ct de Colin. Mme si Hassan nelavait pas rellement trait desitzpinkler parce que lherbe ledmangeait, Colin savait quil aurait trsbien pu le faire, ce qui suffit lnerver.Il aborda donc pour la nime fois lesujet dtest dHassan.

    Je tai parl de la fac aujourdhui, ou

  • pas? demanda-t-il.

    Hassan leva les yeux au ciel.

    Regarde o lexcellence ta men.

    Colin se trouva court de rponses.

    Il faut que tu y ailles cette anne. Tu nepeux pas repousser a indfiniment, dit-il. Les inscriptions commencent le 15juillet.

    Colin avait vrifi.

    Si, je peux remettre a plus tard. Jete lai dit et je te le rpte : j

    aime traner devant la tl et devenir

  • gros. Cest mon boulot, Singleton. C

    est pour cette raison que jadore lesvires en bagnole, mec. On croit s

    activer alors quon ne sactive pas dutout. Mon pre nest pas all la fac etil sest fait des couilles en or.

    Colin se demanda ce que a faisaitdavoir des couilles en or.

    Soit, mais ton pre ne trane pas longueur de journe. Il bosse plus decent heures par semaine.

    Exact. Et cest grce mon pre que jenai pas besoin de travailler ni daller la fac.

  • Colin navait rien opposer cela.Mais lapathie dHassan lui chappait. quoi a servait dtre en vie si centait pour essayer d

    accomplir quelque chose deremarquable? Quelle bizarrerie decroire que Dieu vous avait donn la vieet de ne pas comprendre que la vieexigeait plus de vous que regarder latl!

    Dun autre ct, quand on vient juste dedmarrer une vire en bagnole pourchapper au souvenir dune dix-neuvime Katherine et quon se baladedans le fin fond du Tennessee pour allervoir la tombe dun archiduc austro-hongrois, on nest peut-tre pas le mieux

  • plac pour juger quiconque trange.

    Colin tait occup faire lanagrammede quiconque trange : coq unique etrang, requinque ce tango, gnequon acquiert , quand il fit honneur son gne en trbuchant sur unetaupinire. Troubl par le sol qui serapprochait vitesse grand V, il enoublia de mettre les mains en avant pouramortir sa chute et tomba de toute sahauteur comme sil avait t abattu duneballe dans le dos. Les premires choses heurter le sol furent ses lunettes, puisson front cogna contre un petit cailloupointu.

    Colin roula sur lui-mme.

  • Je suis tomb, remarqua-t-il assez fort.

    Merde! scria Hassan.

    Lorsque Colin rouvrit les yeux, il vitdans un halo Hassan et Lindsey LeeWells, genoux en train de lexaminer.Elle sentait un parfum fruit, Curve, luisembla-t-il. Il lavait offert KatherineXVII, mais elle ne lavait pas aim15.

    Je saigne, non? demanda Colin.

    Comme un cochon quon gorge, dit-elle. Ne bouge pas.

    Elle se tourna vers Hassan.

    Passe-moi ton T-shirt.

  • Hassan dit non, et Colin comprit quectait cause de ses seins de mec.

    15 a sent comme si je mtais frottla nuque avec un Malabar , avait-elledit. Mais non, a sentait le parfum auMalabar et ctait dlicieux.

    Il faut comprimer la plaie, expliquaLindsey.

    Mais Hassan ritra calmement sonrefus.

    OK! scria-t-elle. Jai compris.

    Et elle retira son T-shirt.

    Colin tenta de percer le brouillard d

  • labsence de ses lunettes, mais il ne vitpas grand-chose.

    Tu aurais peut-tre pu attendre notredeuxime rancard, dit-il.

    Petit pervers, rpliqua-t-elle, mais ilsut quelle souriait.

    Elle lui tamponna le front et le visageavec son T-shirt, puis appuya fermementsur un point plus vulnrable au-dessusdu sourcil droit, le tout sans cesser deparler.

    Tu parles dun copain, ton copain.Arrte de bouger la tte. Tu pourraisavoir un problme vertbral ou unhmatome sous-dural. Le pourcentage de

  • risque est faible, mais il faut treprudent, le premier hosto est une heurede route.

    Colin ferma les yeux en sefforant de nepas faire de grimace, car elle y allaitfranchement.

    Appuie l avec le T-shirt, dit-elle Hassan. Je serai de retour dans huitminutes.

    On ne ferait pas mieux dappeler unmdecin? demanda celui-ci.

    Je suis aide-soignante, dit-elle ensloignant.

    Tu as quel ge? demanda-t-il.

  • Dix-sept ans. Bon, daccord, aide-soignante en formation. Huit minutes, jele jure, dit-elle avant de partir encourant.

    Ce ntait pas lodeur de Curve proprement parler que Colin aimait, c

    tait la faon dont lair embaumait aprsle dpart de Lindsey, leffluve que leparfum laissait derrire lui. Langlaisna pas de mot pour a, mais le franaisoui, et Colin le connaissait : sillage. Ceque Colin aimait dans Curve, ce ntaitpas son empreinte sur la peau, mais sonsillage, la douce trane fruite laissepar son absence.

    Hassan sassit dans lherbe ct de lui

  • et appuya sur la plaie.

    Dsol pour le coup du T-shirt.

    -Seins de mec? demanda Colin.

    Oui. Je prfre avoir fait plus ampleconnaissance avant dexhiber mes lolos.O sont tes lunettes?

    Jtais pile en train de me poser laquestion quand la fille a retir son T-shirt, dit Colin.

    Tu ne las pas vue?

    Elle non, mais jai vu que son soutiftait violet.

  • Et comment! rpondit Hassan.

    Colin songea K-X1X en soutif violet, califourchon sur lui, dans sa chambre,quand elle lavait largu. Il songea Katherine XIV qui portait un soutif noir,comme le reste, dailleurs. Et il songea Katherine XII, la premire se montreren soutif et toutes les Katherine dont ilavait vu le soutif (quatre, moins decompter les bretelles, ce qui ferait sept).Les gens disaient quil tait masochiste,quil aimait se faire larguer. Mais pas dutout. Colin ne voyait jamais rien venir,cest tout. Allong sur le plancher desvaches, Hassan appuyant comme unsourd sur sa blessure, Colin Singletoncomprit, grce la distance qui le

  • sparait de ses lunettes, la nature duproblme : la myopie. Il tait myope.Lavenir stendait devant lui,invitable, mais invisible.

    Je les ai retrouves, dit Hassan enessayant de les lui enfiler.

    Sur quelquun dautre, cest difficile.Colin finit par les ajuster lui-mme.

    Et il vit.

    Eurka, dit-il doucement.

    Katherine XIX : La fin (de la fin)

    Elle le largua le huitime jour dudouzime mois, vingt-deux jours de

  • leur premier anniversaire. Us avaient treus au bac le matin mme, bienqutant dans des lyces diffrents.Leurs parents respectifs, de vieux amis,les avaient emmens djeuner aurestaurant pour fter lvnement.

    Mais la soire tait eux. Colin staitras et avait mis du dodorant WildRain, quelle adorait, au point de selover contre sa poitrine pour en humertoutes les senteurs.

    Il tait venu la chercher au volant duCorbillard et ils roulaient sur LakeshoreDrive vers le sud, vitres baisses pourentendre les vagues du lac Michiganscraser contre les rochers, noyant lebruit du moteur. La ville se dcoupait

  • devant eux. Colin avait toujours adorles perspectives de Chicago. Il ntaitpas religieux, mais voir la ville sedessiner lemplissait de ce quonappelle en latin le mysteriumtremendum et fascinons, un mlange depeur et de fascination qui vous retournelestomac.

    Ils prirent la direction du centre-ville enslalomant au milieu des buildings duquartier daffaires. Ils taient dj enretard, Katherine tait toujours en retardpour tout. Si bien quaprs avoir cherch se garer pendant dix minutes Colinpaya dix-huit dollars une place deparking souterrain, et Katherine en futcontrarie.

  • -On aurait pu trouver une place dans larue, dit-elle, en appuyant sur le boutonde lascenseur.

    Jai de quoi payer, et on est en retard.

    Cest bte de dpenser de largentinutilement.

    Je vais dpenser cinquante dollars ensushis dici cinq minutes, dit-il.

    Les portes souvrirent. Exaspr, Colinsadossa la paroi lambrisse delascenseur et soupira. Ils ne se direntquasiment rien jusquau restaurant o onles plaa une petite table prs destoilettes.

  • Au bac et ce merveilleux dner! dit-elle en levant son verre de coca.

    la fin de la vie telle quon laconnaissait, rpondit-il, et ils choqurentleurs verres.

    Mais Colin, ce nest pas la fin dumonde!

    Non, cest la fin d un monde, prcisa-t-il.

    Tu as peur de ne pas tre le meilleur la fac ? demanda-t-elle avec un sourire.

    Puis elle soupira. Il sentit un pincementau ventre - avec le recul, ctait le signequun bout de lui viendrait bientt

  • manquer.

    Pourquoi tu soupires? demanda-t-il.

    Mais le serveur les interrompit enapportant des makis et des sashimis surun plat rectangulaire. Katherine sparases baguettes et Colin prit sa fourchette.Il se dbrouillait en japonais, mais pasen baguettes.

    Pourquoi tu as soupir? demanda-t-il nouveau.

    Pour rien.

    Vas-y, dis-moi pourquoi, insista-t-il.

    Tu es... tu passes ta vie redouter de

  • ne plus tre le meilleur, de te fairelarguer ou je ne sais quoi, et tu nesjamais content, jamais. Tu es sortipremier de ta promo. Lan prochain, tuentres dans une fac gniale sans riendbourser. Tu nes peut-tre pas unenfant surdou, mais tant mieux.

    Au moins, tu nes plus un enfant. Ou, entout cas, tu nes plus cens ltre.

    Colin mastiqua son maki. Il aimaitlalgue qui lentourait, la difficult de lamanger, la subtilit de sa saveur iode.

    Tu ne peux pas comprendre, dit-il.

    Katherine posa ses baguettes contre sacoupelle de sauce soja et le regarda, trs

  • nerve.

    Pourquoi faut-il toujours que tu disesa?

    Parce que cest vrai, dit-il simplement.

    Elle ne pouvait pas comprendre, ctaitun fait. a nenlevait rien sa beaut, ni son humour, ni son got pour lesbaguettes. Surdou tait Colin ce queles mots sont au langage.

    Pris par dodieux mouvements debalancier intrieurs, Colin lutta contrelenvie irrpressible de lui demander sielle laimait toujours. Plus que s

    entendre dire quelle ne pouvait pas

  • comprendre, Katherine dtestait quil luidemande si elle laimait toujours. Il luttacorps et me, pendant sept secondes.

    Est-ce que tu maimes toujours?

    Non, cest pas vrai. Colin, sil te plat!On a eu notre bac. On est heureux.Ftons a!

    - Tu as peur de le dire?

    Je taime.

    Ctait la dernire fois quelle lui dirait.

    Tu connais une anagramme desashimi poisson? demanda-t-elle.

  • Poison, miss ! Ah, si ! rpondit-ilaussitt.

    Poison, miss ne fait que dix lettreset sashimi poisson, quatorze.

    Sauf que Ah, si! est compris danslanagramme. Il y en a dautres, maiselles ne veulent rien dire.

    Elle sourit.

    Tu nen as pas marre que je tedemande?

    Non, je ne me lasse jamais, quoi que tufasses, dit-il.

    Il eut envie de lui demander pardon, de

  • lui dire quil se sentait parfoisincomprhensible et que, si elle ne luidisait plus je taime pendant uncertain temps quand ils se disputaient, ilsinquitait. Mais il renona.

    Bref, a me plat que sashimipoisson devienne poison, miss! Ah,si!, reprit-elle. Imagine une situation.

    Imagine une situation tait un jeuquelle avait invent. Elle imaginait unesituation qui donnait lopportunit Colin de faire des anagrammes.

    Cest lhistoire dun type qui vapcher sur la digue et qui attrape unecarpe, dit-elle. Bien sr, la carpe estbourre de pesticides, cause des

  • gouts et de toute la merde qui tranedans le lac Michigan. Mais il la rapportequand mme en se disant que sil, la faitfrire assez longtemps, elle sera bonne. Illa nettoie, il lve les filets et voil quele tlphone sonne. Il laisse la carpe surle plan de travail. La conversationsternise et, quand il revient lacuisine, il trouve sa petite sur en trainde manger un bout de carpe. Elleregarde son grand frre et lui dit :Sashimi poisson!

    Et il lui rpond : Poison, miss! Ah, si!

    Ils rirent. Il ne lavait jamais autant aimqu ce moment-l.

    Plus tard, aprs stre faufils dans la

  • maison, aprs que Colin fut mont dire sa mre quil tait rentr en omettant despcifier quil ntait pas seul, aprsquils se furent glisss dans le lit untage plus bas, quelle lui eut retir sonT-shirt, et lui le sien, et aprs quils sefurent embrasss avec une telle passionque Colin ne sentait plus ses lvres, sice ntaient de petits picotements,Katherine lui demanda :

    a te rend vraiment triste davoir euton bac?

    Jen sais rien. Si javais faitautrement, si jtais all la fac dixans, par exemple, je ne suis pas sr quema vie aurait t meilleure. On ne seraitpas ensemble. Je naurais pas connu

  • Hassan. La plupart des surdous quitravaillent comme des malades finissentencore plus mal que

    16

    moi. Mais une poigne devient JohnLocke

    ou Mozart. Or mes chances de devenirMozart sont puises.

    Colin, tu nas que dix-sept ans, dit-elleavec un nouveau soupir.

    Elle soupirait beaucoup, mais ctaitinutile de sinquiter, car il se sentaitbien ainsi, Katherine contre lui, sa tteblonde sur son paule, sa main lui

  • chassant une mche de son visage. Enbaissant les yeux, il vit la bretelle de sonsoutien-gorge violet.

    17

    Nempche, cest lhistoire du livre etde la tortue

    . Japprends plus vite que les autres,mais les autres continuent dapprendre.Et, maintenant que jai ralenti, ils metalonnent. Je sais que je nai que dix-sept ans, mais mes beaux jours sontderrire moi.

    Elle rit.

  • Je ne plaisante pas. Il y a eu des tudesl-dessus. La majorit des surdousatteignent leur maximum entre douze ettreize ans. Cest quoi, mon titre degloire? Avoir t vainqueur dunemission de tl lan dernier? Cest toutce qui restera de moi dans lhistoire delhumanit?

    Elle se redressa et lobserva. Il repensa dautres soupirs, aux soupirs dlicieuxet diffrents qui schappaient de soncorps quand elle se pressait contre lesien. Elle le fixa un long moment, puis semordilla la lvre.

    Colin, dit-elle alors. Le problme,cest peut-tre nous.

  • Oh, merde! sexclama-t-il.

    Et cest ainsi que a commena.

    La fin se produisit en gros au milieu deschuchotements de Katherine et dessilences de Colin - puisquil ne savaitpas chuchoter et que tous deuxcraignaient de rveiller les parents deColin. Ils russirent ne pas faire tropde bruit, en partie parce quil avaitlimpression davoir t soudain privdair. Paradoxalement, se faire larguerlui apparaissait comme le seulvnement qui avait lieu ce momentsur la plante silencieuse et obscure,mais aussi comme si a navait pas lieudu tout. Il se sentit flotter loin de laconversation chuchote une voix, et se

  • demanda si toutes les choses aussiimportantes que celles-ci, aussidvastatrices et incomprhensiblestaient de lordre du paradoxe.

    Il tait un moribond observant leschirurgiens qui sactivaient le sauver. une distance presque confortable dece qui se passait en ralit, Colin sesouvint du credo de son tortionnaire delcole : les mots ne laissent pas detrace, au contraire dune bonne racle.Quel odieux mensonge! Ce quil vivait linstant mme ntait autre que levritable Abdominal Homme des neiges.Dans son ventre, quelque chose gelait.

    Je taime tant et je veux que tu

  • maimes pareil, dit-il aussi bas quepossible.

    Ce nest pas une copine quil te faut,Colin, mais un robot qui dbite des Jetaime.

    Il eut limpression de recevoir une gifleintrieure. Dabord une palpitation, puisune douleur aigu dans le bas de la cagethoracique et, ensuite, pour la premirefois, limpression quun bout de sonventre lui avait t arrach.

    Elle seffora de partir de faon aussirapide et indolore que possible, mais,quand elle invoqua la fin de sapermission de sortie, il clata ensanglots. Elle le serra contre elle, le

  • laissant poser la tte contre son paule;et il se sentit minable et ridicule.Pourtant, pour rien au monde il n

    aurait voulu quelle sloigne, parce queson absence serait plus douloureuse quela rupture.

    Mais elle partit malgr tout, et il seretrouva seul dans sa chambre chercher les anagrammes de boutmanquant dans une vaine tentative poursendormir.

  • (6)

    C'tait toujours le mme cirque : ilcherchait les cls du Corbillard danstoute la maison et renonait en dsespoirde cause, en se disant : Si cest commea, je prends le bus. Puis, en allant versla porte, il les voyait. Les clsrapparaissent quand on se rsigne prendre le bus; les Katherine se

  • prsentent quand on croit le mondedsormais vide de Katherine, et laminute Eurka se pointe quand on a finipar accepter quelle ne viendrait plus.

    Une vive motion le traversa; il battitdes paupires, luttant pour ne pas perdrelide dans son ensemble. Alors quiltait tal de tout son long dans lairmoite et poisseux, la minute Eurka luifit leffet dun millier d

    orgasmes simultans, en moins dsordre.

    Eurka? demanda Hassan, dont la voixtrahissait un vident intrt.

    Lui aussi lavait attendue, cette minute.

  • Il faut que je note a, dit Colin en seredressant.

    Sa tte lui faisait un mal de chien, maisil sortit de sa poche le carnet qui ne lequittait jamais, ainsi quun crayon 2HB,qui stait cass en deux dans sa chute,mais crivait encore. Et il traa legraphique suivant : Il griffonnait toujoursquand il entendit Lindsey Lee Wellsrevenir. Il leva les yeux. Elle avaitenfil un T-shirt propre, qui portaitlinscription

    Gutshot!, et elle apportait une troussede premiers secours frappe d

    une croix rouge plus vraie que nature.

  • Elle saccroupit ct de lui et dcolladlicatement le T-shirt de son front.

    a va piquer, dit-elle en passant unlong coton-tige imbib de ce qui devaittre de la sauce au poivre sur la plaie.

    Ae! hurla Colin en faisant la grimace.

    Elle clignait de ses yeux ronds pourchasser la transpiration tout en s

    activant.

    Je sais, dit-elle. Pardon. Voil, cestfini. Tu nas pas besoin de points desuture, mais il te restera une petitecicatrice. a ira?

  • Quest-ce quune autre cicatrice? dit-ildun ton distrait, tandis quelle entouraitson front dune bande de gaze bienserre. Jai limpression qu

    on ma rou le cerveau de coups, ajouta-t-il.

    Commotion crbrale possible,observa Lindsey. Quel jour on est?

    O tu es?

    On est mardi, et je suis dans leTennessee.

    Comment sappelait le snateur juniordu New Hampshire en 1873?

  • demanda Hassan.

    Bainbridge Wadleigh, rpondit Colin.Je ne pense pas avoir de commotioncrbrale.

    Non mais je rve, dit Lindsey. Tu lesais vraiment?

    Colin hocha la tte.

    Oui, dit-il. Je connais les noms de tousles snateurs. Dun autre ct, celui-citait facile retenir, jai toujours pensque ses parents devaient le har pourlavoir appel Bainbridge Wadleigh.

    Franchement, timagines ? dit Hassan.Tu tappelles dj Wadleigh, ce qui

  • nest pas du gteau. Et on ten rajouteune couche avec Bainbridge.

    Pas tonnant que le pauvre mec ne soitjamais devenu prsident!

    Dun autre ct, Millard Fillmore estdevenu prsident. Or aucune mre dignede ce nom nappellerait son fils commea, ajouta Lindsey qui se mla leurconversation avec une aisance et unnaturel qui convainquirent Colin derviser son thorme dit de CelebrityMagazine.

    Il stait toujours imagin les habitantsde Ptaouchnoque, Tennessee, plus niaisque Lindsey Lee Wells.

  • Hassan sassit ct de Colin et prit soncarnet. Il le brandit au-dessus de sa ttepour se protger du soleil, qui taitapparu derrire un nuage pour acheverde crevasser la terre rouge.

    - Arrte de me faire mariner, dit Hassanqui avait jet un rapide coup d

    il au carnet. Ta grande rvlation,cest que tu aimes te faire larguer?

    Merde, Colin, mme moi jaurais pu tele dire! Ce que jai fait, dailleurs.

    Lamour est modlisable! rponditColin, sur la dfensive.

    Attends un peu, dit Hassan en jetant un

  • deuxime coup dil au carnet avant derevenir Colin. Tu parles dune loiuniverselle qui marcherait pour tout lemonde?

    Oui. Parce que toute relation estprvisible. En tout cas, je suis en trainde trouver le moyen de les prvoir.Prenons deux individus, supposonsmme quils ne se rencontrent pas, laformule prouverait qui des deuxromprait sils sortaient ensemble etcombien de temps durerait leur relation.

    Impossible, dit Hassan.

    Je suis formelle. Si on connat unminimum les habitudescomportementales des gens, on peut

  • prdire lavenir.

    Le long et lent soupir dHassan se finiten un murmure :

    OK, daccord. Intressant.

    Hassan ne pouvait faire plus beaucompliment Colin.

    Lindsey prit le carnet des mainsdHassan et lut lentement.

    Cest quoi, au juste, K-XIX? finit-ellepar demander.

    Colin prit appui par terre pour serelever.

  • Le quoi est un qui, expliqua-t-il.Katherine XIX. Je suis sorti avec dix-neuf filles qui sappelaient toutesKatherine.

    Lindsey Lee Wells et Colin seregardrent dans le blanc des yeux unlong moment jusqu ce que Lindsey, quisouriait jusque-l, clate gentiment derire.

    Quest-ce quil y a? demanda Colin.

    Elle secoua la tte, mais ne put sarrterde rire.

    Rien, dit-elle. Allons voir larchiduc.

    - Non, dis-moi, insista-t-il.

  • Il naimait pas les secrets qui le tenaient lcart. tre exclu lnervait plus quede ne pas savoir, en fait.

    Cest rien. Cest juste que moi, je nesuis sortie quavec un seul mec.

    En quoi cest drle? demanda Colin.

    Cest drle parce quil sappelleColin.

    Le milieu (du dbut)

    En CE2, son incapacit accder aubien-tre en socit devint si videntepour tout le monde que Colin finit par nesuivre que trois heures de coursclassiques par jour la Kalman School.

  • Le reste de la journe, il le passait encompagnie de son prcepteur detoujours, Keith Carter, propritairedune Volvo dont la plaquedimmatriculation portait linscriptionZINZIN. Keith faisait partie de ces typesqui ne renonceraient jamais leurcatogan. Il entretenait aussi (ou, enloccurrence, ny parvenait pas) unegrosse moustache qui retombait sur salvre infrieure quand il avait la boucheferme, ce qui arrivait rarement. Keithadorait parler, et Colin Singleton taitson public prfr.

    Keith tait un ami du pre de Colin et unprofesseur de psychologie.

    Son intrt pour Colin ntait pas que

  • philanthropique. Au fil des ans, Keithavait publi nombre darticles sur soncas ; et Colin apprciait que sapersonnalit unique devienne un sujetdtude pour des intellectuels. Et puis,Keith le Zinzin tait pour Colin ce qui serapprochait le plus dun meilleur ami.Keith venait tous les jours retrouverColin dans un bureau de la taille dunplacard balais au troisime tage de laKalman School.

    Pendant quatre heures, Colin avait ledroit de lire en silence peu prs cequil voulait, un silence que Keithbrisait par instants pour claircir tel outel point. Puis le vendredi, ils passaientla journe discuter de ce que Colin

  • avait appris. Colin prfrait de loin cettemthode aux cours classiques.

    Notamment parce que Keith ne lui faisaitjamais subir dAbdominal Homme desneiges.

    Keith le Zinzin avait une fille, Katherine,qui suivait la mme classe que Colin,mais avait huit mois de plus. Elle allait lcole dans le nord de la ville. Lesparents de Colin invitaient parfois Keithle Zinzin, sa femme et Katherine dnerpour voquer, entre autres sujets, lesprogrs de Colin.

    Puis, aprs ces fameux dners, lesparents sinstallaient au salon o ilsriaient de plus en plus fort mesure que

  • le temps passait. Keith hurlait quil nepouvait pas rentrer chez lui, quaprstout ce vin il lui fallait un caf.

    Chez vous, cest le Fort Alamo desnophiles!, criait-il.

    Un soir de novembre, en CE2, aprsquil eut commenc faire froid, maisavant que sa mre eut accroch lesdcorations de fin danne, Katherine luirendit visite. Une fois quils eurentmang leur poulet au citron et leur rizcomplet, Colin et Katherine allrent ausalon, o Colin sallongea sur le canappour tudier le latin. Il venaitdapprendre que le prsident Garfield,pourtant peu connu pour son intelligence,savait crire en latin et en grec

  • simultanment, en latin de la maingauche et en grec de la main droite. Uneprouesse que Colin avait bien lintentiondgaler16. Katherine, une petite blonde qui son pre avait lgu sa queue-de-cheval et sa fascination pour lessurdous, le regardait sans rien dire.Colin la savait l, mais sa prsence ne ledistrayait pas dans la mesure o ilarrivait souvent que des genslobservent quand il travaillait, commesils cherchaient percer un secretconcernant ses mthodesdapprentissage. vrai dire, le secrettait que Colin consacrait plus de tempset dattention ses tudes que nimportequi dautre.

  • Comment a se fait que tu apprennesdj le latin?

    Je travaille beaucoup, rpondit-il.

    Pourquoi? demanda-t-elle en venantsasseoir ct de ses pieds sur lecanap.

    Parce que jaime a.

    Pourquoi?

    16 Mais il ny parvint jamais. Il eut beauessayer, il ntait pas ambidextre.

    Colin rflchit. Peu habitu au jeu despourquoi, il prenait les questions deKatherine trs au srieux.

  • Parce que a me rend diffrent etmeilleur. Et aussi parce que je suis fortpour les tudes.

    Pourquoi? chantonna-t-elle avec unpetit sourire.

    Ton pre dit que cest parce que jeretiens les choses mieux que les autres.Cest d au fait que je leur porte une trsgrande attention et que a comptebeaucoup pour moi.

    Pourquoi?

    Parce que cest important de savoirdes choses. Par exemple, jai appris quelempereur romain Vitellius avait mangmille hutres en un jour, ce qui est une

  • grosse bacchanale17 ! sexclama-t-il,utilisant dessein un mot quelle neconnaissait pas. Et aussi parce que arend unique, a permet de lire des livresque les gens normaux ne peuvent paslire, comme les MtamorphosesdOvide, qui est en latin.

    Pourquoi?

    Parce quOvide vivait Rome o onparlait et crivait en latin.

    Pourquoi?

    Cette fois, il fut dsaronn. PourquoiOvide avait-il vcu sous la Romeantique en 20 AEC18 et non Chicagoen 2006 EC? Ovide aurait-il t Ovide

  • sil avait vcu en Amrique? La rponseest non, car il aurait t amrindien ouplutt indien dAmrique ou aborigneou indigne. Or, cette poque, le latinni aucune autre langue critenexistaient. Par consquent, Ovide a-t-il compt parce quil tait Ovide ou bienparce quil vivait lpoque de la Romeantique?

    Cest une trs bonne question dont jevais tcher de te trouver la rponse, ditColin, empruntant la formule Keith leZinzin qui la lui sortait chaque fois quiltait court dides.

    Tu veux tre mon petit copain?demanda Katherine.

  • 17 Mot peu usit dont le sens est : dbauche bruyante, orgie .

    18 Plus personne ne dit AD (pourAnno Domitri) ou avant Jsus-Christ. Cest ringard. Maintenant, on dit soit EC (pour re commune) ou AEC (pour avant lre commune).

    Colin se redressa dun bond et laregarda. Elle fixait ses genoux de sesyeux si bleus. Un jour viendrait o illappellerait la Grande Katherine,Katherine I, Katherine la Magnifique.Mme assise, elle tait beaucoup pluspetite que lui, lair grave et inquiet, leslvres rentres, les yeux baisss. Il sentitquelque chose le traverser. Sa peau fut

  • parcourue de frissons qui semblaientjaillir de ses terminaisons nerveuses,son diaphragme se dilata.

    Bien sr, il ne pouvait sagir de dsir, nidamour, ni rien dapprochant le conceptde plaire. Alors ce devait tre cesentiment que les gosses appelaient lcole faire copain-copain.

    Oui oui, dit-il. Je veux bien.

    Elle tourna la tte, le visage rond, lesjoues pleines, des taches de rousseurpartout, se pencha vers lui, pina leslvres et lembrassa sur la joue. Ctaitson premier baiser, et les lvres deKatherine taient comme l

  • hiver qui approchait : froides, sches etgerces. Et Colin ralisa quil avait deloin prfr lentendre lui demanderdtre son petit copain la sensation dubaiser.

    (7)

    Pile de l'autre ct dune petite butte,le terrain herbeux dbouchait comme parmagie sur un cimetire, qui comptaitquelque quarante tombes et tait ceinturdun muret en pierre couvert de mousse.

    -Et voici la demeure ternelle delarchiduc Franois-Ferdinand, annonaLindsey Lee Wells, adoptant un dbitsoudain diffrent, celui du guide blasqui connat son discours par cur.

  • Colin et Hassan la suivirent jusqu unoblisque dun mtre quatre-vingts - unesorte de Washington Monument enminiature - au pied duquel tait disposeune profusion de roses en soie rosedfrachies. Bien qu

    artificielles, les fleurs semblaientfanes.

    Lindsey sassit sur le muret moussu.

    -Et merde pour le discours officiel. Detoute faon, tu dois dj connatre touta, dit-elle en faisant un signe de tte Colin. Mais je vais quand mme vousraconter lhistoire. Larchiduc est n enAutriche en dcembre 1863. Son oncleFranois-Joseph tait empereur

  • dAutriche-Hongrie, mais tre son neveune valait pas un clou. moins que le filsunique de lempereur, Rudolph, se tireune balle dans la tte. Ce quil fit en1889. Et soudain,

    Franois-Ferdinand se retrouva premiersur la liste des prtendants au trne.

    On lappelait lhomme le plus seul deVienne, prcisa Colin Hassan.

    Personne ne laimait parce quil taitmonomaniaque, dit Lindsey.

    Sauf que, pour un monomaniaque, ilntait mme pas fut. Quarante-cinqkilos tout mouill de consanguinit. Safamille le considrait comme une

  • mauviette librale et la socitviennoise le prenait pour un idiot, styleidiot du village. Et puis, il na pasarrang les choses en faisant un mariaged

    amour. En 1900, il pousa une certaineSophie que tout le monde traitait demoins que rien. Dun autre ct, pour sadfense, il laimait vraiment.

    a, je ne le dis pas pendant les visites,mais daprs tout ce que jai lu surFranois, son mariage avec Sophie futun des plus heureux de toute l

    histoire de lempire. Cest pluttmignon, part que, le jour de leurquatorzime anniversaire de mariage, le

  • 28 juin 1914, ils se sont tous les deuxfait descendre Sarajevo. Lempereurles fit enterrer en dehors de Vienne et ilne se fatigua mme pas assister auxobsques. En revanche, il se souciaitassez de son neveu pour dclencher laPremire Guerre mondiale en dclarantles hostilits la Serbie le moisdaprs. Cest ainsi que se termine lavisite, dit-elle en se levant. Lespourboires sont accepts, ajouta-t-elleavec un sourire.

    Colin et Hassan applaudirent poliment,puis Colin savana vers l

    oblisque sur lequel on pouvait lire cessimples mots : ARCHIDUC

  • FRANOIS-FERDINAND -1863-1914- TERRE, REPOSE SUR LUI AVEC

    LGRET, BIEN QUE LUI AIT FAITPESER SUR TOI TANT DE POIDS.

    Tant de poids, effectivement, le poids demillions de morts . Colin tendit lamain pour toucher le granit frais malgrle soleil brlant. Quest-ce que l

    archiduc Franois-Ferdinand aurait pufaire autrement? Sil navait pas donnla prfrence lamour, sil avait tplus diplomate, moins geignard, moinsmonomaniaque, moins comme moi ,se dit Colin, peut-

    tre que...

  • Pour finir, larchiduc avait deuxproblmes : personne nen avait rien faire de lui - du moins, jusqu ce queson assassinat dclenche une guerre

    - et il stait fait arracher un bout deventre.

    Mais dsormais Colin allait reboucherle trou dans le sien et il allait faire ensorte que les gens nen aient pas rien faire de lui. Il resterait unique, il seservirait de ses dons pour accomplirquelque chose de plus intressant et deplus important que trouver desanagrammes et traduire du latin. Et oui -il fut nouveau envahi par la grisantesensation de lEurka -, trois fois oui. IIse servirait de son pass, du pass de

  • larchiduc et du pass en gnral, pourinfluencer lavenir. Il ferait sensationauprs de Katherine XIX, qui avaittoujours ador lide quil ft un gnie,et il rendrait le monde plus sr partoutpour les Largus. Il compterait pourquelque chose.

    Il fut tir de sa rverie par Hassan quidisait :

    Mais comment il a fait, larchiducautrichien pur jus pour finir Trifouillis-les-Oies, Tennessee?

    On la achet, rpondit Lindsey LeeWells. Vers 1921. Le propritaire duchteau o il tait enterr avait besoindargent et la mis en vente.

  • Alors, on la achet.

    Combien a cotait un archiduc mort, lpoque? demanda Hassan.

    ce quil parat, dans les trois millecinq cents dollars.

    a fait un paquet, dit Colin, la maintoujours pose sur loblisque en granit.Entre 1920 et aujourdhui, le dollar aaugment selon un coefficient suprieur dix. Ce qui en dollars actuels feraittrente-cinq mille. Des masses de visites onze dollars pice.

    a va, dit Lindsey en levant les yeuxau ciel. Je suis mga impressionne,mais l, jai ma dose. Je ne sais pas

  • vous, mais nous, on a un truc quisappelle une calculette et qui fait atrs bien notre place.

    Je ne cherchais impressionnerpersonne, rpliqua Colin, sur ladfensive.

    Cest alors que le regard de Lindseysclaira.

    H! cria-t-elle, les mains en porte-voix.

    Trois types et une fille remontaient labutte, on ne voyait que leurs ttes.

    Des copains de lyce et mon mec,expliqua Lindsey avant de courir les

  • rejoindre.

    Colin et Hassan restrent o ils taient.

    Je suis ton correspondant kowetien.Mon pre est un nabab du ptrole, ditHassan toute vitesse.

    Colin secoua la tte.

    Trop facile. Je suis un rfugiespagnol. Mes parents ont t tus pardes sparatistes basques.

    Jignore si basque dsigne unepersonne ou un objet, et eux cest pareil.Alors cest non. OK, je viens darriverdu Honduras. Je mappelle Miguel. Mesparents ont fait fortune dans la banane.

  • Tu es mon garde du corps, parce que lestravailleurs syndiqus de la bananeveulent ma peau.

    Pas mal, mais tu ne parles pasespagnol. OK, jai t enlev par desEsquimaux du Yukon... Non, cestdbile. On est franais et cousins, cestla premire fois quon vient aux tats-Unis. On fait le voyage pour fter notrebac.

    Pas terrible, mais on na plus le temps.Je suis le seul qui parle anglais ?demanda Hassan.

    Daccord, dit Colin.

    La conversation des autres commenait

  • tre audible et Colin constata queLindsey dvorait des yeux un grand typebaraqu qui portait un pull de lquipedes Tennessee

    Titans. Le type tait tout en muscles, lescheveux hrisss, un sourire quidcouvrait ses dents du haut et sesgencives. Le jeu ne marcherait que siLindsey ne disait rien aux autres, maisColin nen doutait pas, car elle avaitlair subjugue par le type.

    Ils arrivent, dit Hassan. Comment tutappelles?

    Pierre.

    Moi, cest Salinger. a se prononce

  • Saling.

    Vous tes venus pour la visite?demanda le petit ami de Lindsey.

    Oui, je mappelle Saling, dit Hassanavec un accent franais trs correct, dfaut dtre merveilleux. Voici moncousin, Pierre. Nous visitons votre payspour la premire fois et nous voulonsvoir larchiduc, qui a commenc...comment dites-vous... la PremireGuerre terrestre.

    Colin jeta un coup dil en coin Lindsey qui rprima un sourire et fitclaquer la bulle de son chewing-gumorange.

  • Je mappelle Colin, dit le petit ami entendant la main.

    Hassan se pencha vers Pierre/Colin.

    Nous lappellerons LAutre Colin, luichuchota-t-il avant de se tourner vers lesautres. Mon cousin parle petit anglais.Moi, son homme de traduction.

    LAutre Colin rit, et les deux garonsaussi avant de se prsenter rapidement :Chase et Fulton.

    Nous appellerons Chase Jean TropSerr et Fulton Petit Qui Chique,chuchota Hassan loreille de Colin.

    Jem appelle Pierre, dit Colin en

  • franais de but en blanc aprs que lesautres se furent prsents. Quand jeprends le mtro, je fais des prouts.

    On a plein de touristes trangers, dit lafille qui ntait pas Lindsey, une grandebringue trs Abercrombie and Fitch dansson dbardeur moulant et qui avait enplus - comment le dire poliment - deslolos normes.

    La fille tait super sexy, dans le genreanorexique dents blanchies qui plataux mecs - mais pas Colin dont centait pas du tout le genre.

    Au fait, je mappelle Katrina, dit-elle.

    Ctait moins une, se dit-il.

  • Amour aime aimer amour19 !dclama-t-il assez fort.

    -Pierre a la maladie avec la parole, ditHassan. La... euh... avec les vilainsmots. En France, on dit Tourette. Je nesais pas en anglais.

    Il a le syndrome de Tourette? demandaKatrina.

    Merde ! hurla Colin.

    Oui, rpondit Hassan tout excit.Mme mot dans les deux langues,comme hmorrode. Nous avonsappris hier hmorrode parce quePierre avait le feu dans le derrire. Il ala Tourette et lhmorrode, mais il est

  • gentil.

    Ne dis pas que j ai des hmorrodes !Je n ai pas d hmorrodes!

    hurla Colin, sefforant de poursuivre lejeu et de dtourner Hassan du sujet.

    Hassan regarda Colin et lui fit un signede tte entendu.

    Pierre dit que ton visage est beaucomme lhmorrode, dit-il Katrina.

    Lindsey clata de rire.

    OK. On arrte l, dit-elle.

    Pourquoi a-t-il fallu que ce soient les

  • hmorrodes? demanda Colin Hassan.Comment une ide pareille a pu germerdans ton esprit?

    19 Traduction littrale de Colin dunecitation tire dUlysse de James Joyce.

    LAutre Colin (LAC), Jean Trop Serr(JTS), Petit Qui Chique (PQC) etKatrina taient en bullition, ilsparlaient, ils riaient, ils posaient desquestions Lindsey.

    Mon pre est all en France landernier, expliqua Hassan. Il ma racontquil avait eu des hmorrodes.

    Il montrait son derrire partout enrptant le mot feu en franais jusqu

  • ce quil saperoive quon disaithmorrodes dans les deux langues. Enplus, ctait marrant que tu aies lesyndrome de Tourette et deshmorrodes.

    Nimporte quoi, grogna Colin enrougissant.

    Ctait super drle. Hollis lesadorerait, non? dit L