L'éducation à la citoyenneté : débats et pratiques citoyennes · Introduction L'éducation à...
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Concours de recrutement de professeurs des écoles
IUFM de Bourgogne
Matthieu BERGER
Directeur de mémoire: M. Jean-Pascal ALCANTARA
Année 2005-2006 n° dossier : 05STA00695
L'éducation à la citoyenneté :
débats et pratiques citoyennes
SOMMAIRE
Introduction.................................................................................p.1
Section 1: Difficultés et choix de la démarche pédagogique.............................................. p.4
I/ Les problèmes posés par l'éducation du citoyen à l'école....................... ................. p.4
A : Une contradiction entre discipline scolaire et éducation à la citoyenneté?.......................p.5
B : Ecole et transmission des valeurs..........................................................................................p.5
C : L'école n'a pas le monopole de l'éducation à la citoyenneté:
Les relations école-famille............................................................................................................p.6
D : Les difficultés liées au risque inérant à la démocratie représentative...............................p.7
E: La nécessaire recherche d'un équilibre entre « l'impossible citoyenneté
scolaire et la nécessaire éducation à la citoyenneté ».................................................................p.8
F : La citoyenneté: une notion pluridimensionnelle .................................................................p.8
G: L'intérêt du corps enseignant vis-à-vis de l'éducation à la citoyenneté :
une mauvaise évaluation des enjeux?..........................................................................................p.9
H : La difficile évaluation de l'éducation citoyenne................................................................. p.10
II/ La démarche adoptée pour aborder la formation du citoyen..............................................p.10
A: L'intérêt du débat p.10
B: Le vécu des élèves comme situation de départ p.11
C: La place de l'enseignant durant le débat p.12
Section II: les différents travaux menés dans le cadre de la formation du citoyen........p.12
I/ La notion de règle au Cycle II : Construction, réflexion, débat..........................................p.12
A : Une première séance de « Vivre ensemble » en grande section de maternelle:
Les règles de vie............................................................................................................................p.13
1) Présentation de la classe ................................................................................................p.13
2) Mise en place de la séance .............................................................................................p.13
3) Déroulement de la séance...............................................................................................p.14
4) Observation.....................................................................................................................p.14
5) Intérêt de la démarche:....................................................................................................p.15
B : Construction des règles en lutte et réflexion sur leur rôle en CP-CE1 ....................... .....p.15
1) Présentation de la classe.......................................................................................... ......p.16
2)Démarche adoptée pour aborder la notion de règle................................................... .....p.16
C : SEANCE 1 : L'élaboration collective des règles de lutte............................................ .......p.17
D : SEANCE 2 :Un débat sur la notion de règle................................................................... ....p.21
E : Des difficultées rencontrées lors de ses deux séances................................................... ......p.23
1)La position de l'enseignant au sein du débat.................................................................. p.23
2)Le tatônnement des élèves...................................................................... ........................p.24
II/ Une pratique citoyenne : le vote pour la lecture d'albums.................................................p.24
A : Une première approche pratique du vote............................................................................p.24
B : Un Débat sur le vote...............................................................................................................p.25
III/ Communication et débat au Maroc: La condition de la femme marocaine.....................p.27
A : Un contexte particulier..........................................................................................................p.27
B : Un débat sur la condition de la femme au Maroc...............................................................p.28
C : Analyse de ce débat................................................................................................................p.30
Conclusion..............................................................................................p.31
Bibliographie p.32
Introduction
L'éducation à la citoyenneté est un sujet de préoccupation majeur de nos sociétés. Les crises
des Etats-nations, les revendications particularistes et communautaristes, la marginalisation d'un
nombre grandissant de citoyens sous l'impact de la mondialisation, tous ces éléments favorisent la
fragilisation du lien social. Témoin de cette préoccupation, l'éducation à la citoyenneté est devenue,
depuis plus d'une vingtaine d'années un thème dominant des institutions scolaires de la plupart des
pays démocratiques.
Avant tout que faut-il entendre par citoyenneté ? Certes, cette question relève plus de la
philosophie politique que de la philosophie de l'éducation mais il n'en demeure pas moins qu'elle
régit la conception des pratiques didactiques et pédagogiques en ce domaine. La notion de
citoyenneté renvoie au terme de cité. Elle est souvent utilisée pour exprimer l'appartenance à une
nation. Elle vise essentiellement l'acteur républicain. Elle recouvre un sentiment d'appartenance à
une collectivité, un dépassement de l'individualisme. Elle est la résultante d'un déplacement du lien
social sur une base politique « le vouloir vivre ensemble », qui ne résulte plus d'un lien religieux. La
définition de la citoyenneté devient de plus en plus extensive dans la mesure où elle vise désormais
l'Europe et même, dans certains cas l'Humanité. Elle met l'accent sur une « qualité sociale que
l'individu doit acquérir et qui n'est pas innée »1.
L'éducation à la citoyenneté vise à favoriser les qualités nécessaires à l'intégration sociale
des jeunes générations. Telle était déjà l'intention de Jules Ferry lorsqu'il soulignait le rôle des
instituteurs pour inculquer « ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins
universellement acceptées que celles du langage et du calcul ».2
Un bref rappel historique nous semble nécessaire afin d'aborder au mieux l'enseignement de
l'éducation civique à l'école. En effet, chaque société organise son système éducatif à son image. Or,
depuis la mise en place de l'enseignement primaire obligatoire, l'environnement culturel, social,
politique et économique de la France a considérablement changé. Dans notre tradition française,
l'éducation civique ambitionnait la formation d'une personne, le citoyen, défini par son espace
politique national.
En France, conformément à l'idée de Condorcet de séparer l'instruction de l'éducation,
l'enseignement publique se soumet à la règle déontologique de la laïcité. En effet, n'est transmis à
l'école que ce qui fait l'objet d'un consensus éthico-politique.
Si l'on dresse un historique de cette formation à la citoyenneté, on peut dégager trois
1 Jean-Pierre Obin, Questions pour l'éducation civique, Paris, Hachette Education, 2000.2 Jules Ferry, Lettre aux instituteurs,Paris, coll. « Trois-demi »1999.
périodes :
- L'école de Jules Ferry qui se donnait pour mission de fonder et affirmer la
République.
- L'école des années 70 qui dans sa volonté de reconnaître le pluralisme des valeurs
était prête à renoncer à l'éducation civique.
- L'école des années 90, qui suite aux dérives survenues depuis 20 ans, a dû repenser
les objectifs de l'éducation civique.
Dans un premier temps, les lois scolaires de Jules Ferry, ont permis l'institutionnalisation de
l'instruction civique. Désireux d'affirmer les liens entre éducation du peuple et consolidation de la
république, les responsables politiques de l'époque étaient convaincus que l'instruction était le
fondement des comportements moraux et civiques. C'est ainsi que la loi du 28 mars 1882 remplace
l'éducation morale et religieuse par l'instruction morale et civique. Celle-ci occupe alors le premier
rang parmi les champs disciplinaires étudiés. Cet enseignement est nettement plus axé sur les
devoirs du citoyen que sur ses droits. Il vise le dévouement le plus complet du citoyen à la
république. L'intention des politiques de l'époque est claire : il faut assurer la revanche contre
l'Allemagne et préparer toute une génération à mourir pour la patrie. Il s'agit donc d'un
enseignement civique militant où amour de la patrie et glorification du travail sont au centre du
système.
Suite à la guerre, et encore plus dans les années 60-70, l'éducation civique est en net déclin.
Elle s'inscrit alors dans le même bloc disciplinaire de ce que l'on nomme les « disciplines d'éveil ».
( histoire, géographie, biologie, sciences physiques ). En contradiction avec certaines valeurs de
cette période ; elle est diluée parmi les autres disciplines et finit bien souvent par disparaître de
l'école élémentaire.
Ce n'est qu'en 1985 que Jean-Pierre Chevènement entreprend la restauration de l'éducation
civique à l'école élémentaire. Dès 1989, la loi d'orientation assigne au système éducatif la mission
de former les jeunes à l'exercice de la citoyenneté ( article 1de la loi ). La volonté de socialisation
des élèves est grande. L'idée sous-jacente est que la connaissance des valeurs fonde une pratique
citoyenne respectant ces valeurs.
Depuis cette restauration, les relations entre école et citoyenneté sont ténues. En effet, l'école
institue la citoyenneté. Selon Bernard Charlot3, elle vise soit à affermir la cohésion sociale en
s 'appuyant sur les principes démocrates de respect, de tolérance, pour régler les différents
( conception minimale ) ; soit à créer un sentiment d'appartenance commune en cherchant à
dépasser l'individualisme et à se mobiliser au nom de l'intérêt général. C'est à l'école que les enfants
cessent d'appartenir exclusivement à leurs familles pour devenir membres d'une communauté
3 B.Charlot. « L'intégration, une mission pour l'école? » Actes de la journée d'éducation et devenir, Paris Hachette, éducation 1997.
beaucoup plus large sous l'autorité d'une même règle. Certains se sont vite empressés de faire de
l'école le seul instrument de rétablissement du lien social. Or, elle ne peut à elle seule rétablir la
cohésion sociale. En revanche, elle fait acquérir les comportements et les savoirs qui expriment nos
idéaux républicains. Elle prépare à la participation et à la responsabilité dans un but d'intérêt
général. L'école transmet aux élèves des valeurs qu'elle traduit en normes de comportement.
Cette éducation à la citoyenneté permet de développer un grand nombre de compétences que
l'on pourrait qualifier d'intrinsèquement citoyennes telles que : juger, réfléchir, argumenter, choisir,
discuter, s'engager. Ces compétences sont d'ailleurs des compétences transversales dans le cadre de
nos programmes.
La citoyenneté relève de la responsabilité morale, de la possibilité pour les individus d'être
acteurs de leur histoire personnelle et collective. Elle doit permettre à l' individu d'apprécier les
conséquences de ses choix pour lui-même, mais également pour le groupe. Elle concerne l'élève
sous ses deux aspects de personne et de citoyen. Le citoyen responsable est ainsi appelé à
l'autonomie, c'est à dire apte à s'imposer sa propre loi mais surtout à respecter la loi dont il est en
partie l'auteur.
Traditionnellement attachée à un enseignement spécifique, récemment à un enseignement
transversal, l'éducation à la citoyenneté occupe une place originale car elle ne saurait se limiter à un
champ disciplinaire spécifique.
Pour les jeunes enfants, elle est avant tout une socialisation, une éducation à un
comportement responsable et au respect des autres. Cette « éducation » est peut-être dorénavant la
fonction principale de l'école.
L'école conditionne donc l'instruction et la formation. Selon Bernard Defrance, la réalisation
des deux dernières « dépourvues de toute dimension civique peut produire des individus plus
dangereux que les ignorants ou les incompétents, savoirs et compétences pouvant être mis au
service d'ambitions malveillantes ». De plus au sens juridique, la réalisation des deux dernières n'est
pas obligatoire, alors qu'en revanche, l'accès à la citoyenneté n'est pas facultatif puisque selon le
Code Civil, « Nul n'est censé ignorer la loi ».
La formation du citoyen est donc une priorité pour l'école du XXIème siècle. Cependant les
programmes de 2002 ne rappellent pas de façon explicite les finalités de la formation du citoyen.
Elle est absente des objectifs de l'éducation civique, domaine transversal. Elle n'apparaît clairement
que dans les objectifs de deux disciplines : - L'EPS au cycle 2 « Qui contribue de façon
fondamentale à la formation du citoyen en éduquant à la responsabilité et à l'autonomie4 ».
- Les mathématiques au cycle 3 « qui doivent
contribuer au développement d'une pensée rationnelle, à la formation du citoyen 5».
4 Qu'apprend-on à l'école maternelle ? Programmes de 2002, Sceren, 2004, p.144. 5 Ibid, p.225.
Les manières d'aborder la formation du citoyen peuvent être très variées : séances de vivre
ensemble, débat, temps informel, à travers toute les disciplines... Les expériences relatées à travers
ce mémoire concerneront pour l'essentiel le débat. Cet élément semble être, pour beaucoup
d'enseignants, la modification essentielle apportée par les instructions officielles. Depuis la Grèce
Antique, le débat à toujours été une composante essentielle de la vie démocratique. Nous nous
demanderons donc comment, à travers le débat, former des élèves, par définition non-citoyen à
l'exercice de la citoyenneté ? De cette problématique générale découle un grand nombre de
questions : Comment mettre en place et mener un débat visant à former le citoyen ? Quels écueils
éviter ? Quel doit être la place du maître ?
Sans prétendre à l'exhaustivité, nous tenterons de répondre à cette question en nous appuyant
le plus possible sur l'expérience que j'ai pu engranger durant les différents stages que j'ai effectués.
Je me pencherai tout d'abord, sur les difficultés posées par l'éducation citoyenne à l'école. Je
relaterai ensuite les différents travaux qui ont été réalisés durant les stages où j'ai essayé de mettre
en place un axe de travail similaire à tous les travaux menés dans le cadre du « vivre ensemble » ou
de l'éducation civique. Pour se faire, j'ai toujours chercher à privilégier le vécu des enfants tout
particulièrement au sein de la classe ( construction des règles de vie, des règles de lutte, vote pour
un album ) pour élargir dans un second temps la réflexion et le débat ( débat sur les règles, sur le
vote, sur la condition de la femme au Maroc ).
Section 1: Difficultés et choix de la démarche pédagogique
I/ Les problèmes posés par l'éducation du citoyen à l'école
Dans cette partie, je vais m'attacher à dépeindre les difficultés liées à l'éducation à la
citoyenneté. Celles-ci sont multiples et de plusieurs ordres. La partie à venir n'est donc pas
purement théorique ; les difficultés relevées ici s'inscrivent pleinement dans la pratique de
l'enseignant.
A :Une contradiction entre discipline scolaire et éducation à la citoyenneté?
La discipline à l'école est censée donner aux enfants l'habitude de se conformer à une
certaine organisation. Elle est mise en place par l'éducateur et donne aux élèves l'habitude à
l'obéissance et à la soumission, à l'autorité en général. Cela pose un premier problème par rapport
au concept de loi. En effet, toute intégration à la vie sociale suppose que l'individu respecte la loi.
Cependant, dans la société civile, le citoyen respecte la loi car il participe de manière directe ou
indirecte à son élaboration, ce qui est loin d'être toujours le cas à l'école. Certes, la discipline
scolaire contraint l'élève à agir de façon organisée et réfléchie. Cependant elle le soumet à un
pouvoir et lui inculque des habitudes d'obéissance, ce qui risque de l'entraîner à se plier à la volonté
d'autrui. On risque alors de former un sujet passif, se laissant gouverner plutôt que cherchant à
participer aux prises de décisions.
Le problème qui se pose aux enseignants est donc le suivant : Comment donner aux
individus l'habitude d'obéir sans entraîner pour autant celle de se soumettre ? Comment exercer
l'autorité afin qu'elle génère la liberté plus que le pouvoir, l'autonomie plus que le
conditionnement ? Pour Rousseau, l'autorité qui s'exerce sur l'enfant doit être aussi impersonnelle
que l'autorité qui s'exerce sur le citoyen. Il faudrait que l'adulte, en organisant le cadre de vie de
l'enfant, conduise celui-ci à ne désirer rien d'autre que ce qui est objectivement bon pour lui.
Cependant, il est clair que l'éducation scolaire suppose une autorité explicitement affichée et
reconnue. Dès lors comment éviter les écueils que signale Rousseau ? Kant nous donne un premier
élément de réponse à travers le travail scolaire. Il considère que le travail scolaire impose une
discipline qui favorise la réflexion et l'autonomie. Il faut donc habituer l'enfant à organiser le temps
de son activité dans la poursuite d'un but.
Selon certains courants pédagogiques, il faut que l'ordre auquel se soumet l'enfant soit un
ordre impersonnel, un ordre de l'institution scolaire. Il ne doit donc en aucun cas résulter de
l'arbitraire de l'enseignant, mais apparaître comme une loi de l'institution. Ceci désamorce les
éventuels conflits, l'élève sachant faire la différence entre une règle institutionnelle s'adressant à lui
en tant qu'élève et l'arbitraire d'un adulte. Pour être plus concret, je pense que la discipline dans la
classe renvoie à l'ensemble des règles de vie et de conduites qui doivent avoir été clairement définis.
Leur respect conditionne la vie et l'apprentissage en commun.
B : Ecole et transmission des valeurs
La socialisation est le processus par lequel l'individu acquiert les valeurs du groupe dont il
cherche à devenir membre. Les valeurs désignent tout un ensemble de raisons d'accord entre des
individus de groupes particuliers ou d'une communauté. Chacun y réfère ses attitudes et ses choix.
L'histoire modifie, interroge, consolide ou transforme l'ensemble de ces valeurs. Ce sont elles qui
nous définissent comme des individus appartenant à une culture commune. Ainsi, les valeurs nous
permettent de nous identifier comme des membres d'une société particulière.
Au sein même de l'école, les élèves sont confrontés à un certain nombre de valeurs érigées
par l'institution scolaire ou même par le législateur. Parmi ces valeurs nous trouvons le respect des
personnes et des idées, des habitudes de travail, le goût de l'effort, la recherche de la vérité, la
reconnaissance des différentes cultures, l'esprit de solidarité et de responsabilité... En ce sens l'école
contribue fortement à bâtir la citoyenneté du futur adulte. C'est en ce qu'elle permet aux élèves
d'expérimenter de telles valeurs que l'expérience scolaire est instructive et formatrice.
Cependant la tâche de l'école n'est pas évidente. Elle est confrontée à des « valeurs
parasites6 » telles que la référence à des métiers, la professionnalisation, la compétition. Dès lors
elle exacerbe la concurrence entre les élèves. La réussite individuelle prend bien souvent le dessus
sur la formation du citoyen, la rivalité et la compétition venant suppléer l'idéal méritocratique. De
plus la fonction de l'école ne doit pas être d'uniformiser et de nier les divergences, elle doit donc
prendre en compte les conflits de valeur. Elle se doit plutôt d'unifier en transmettant des
conceptions partagées du monde.
Si une grande part de l'opinion publique reconnaît l'utilité de l'éducation civique, la mise en
place de cet enseignement suscite toujours un vif débat. A priori, il n'y a pas de bonnes valeurs à
transmettre car aucune norme éthique n'est universalisable. C'est pourquoi l'école s'efforce de mettre
les élèves en situation de prise de conscience qui sous-tendent leur jugement. Par ce moyen, elle
vise à ce que les élèves adoptent un point de vue décentré, soit le point de vue général des citoyens
de la communauté d'appartenance, soit le point de vue plus large de citoyen d'Europe ou même plus
universel de citoyen du monde.
C : L'école n'a pas le monopole de l'éducation à la citoyenneté: Les relations
école-famille
Un des problèmes auquel l'enseignant doit faire face est que l'éducation à la citoyenneté
dépasse l'école puisque la famille et l'environnement social influence considérablement l'enfant.
Cependant on peut se demander si la famille moderne est toujours apte à assurer l'éducation
citoyenne. La bonne transmission des valeurs républicaines passe par une certaine concordance
entre les attentes de la famille de l'élève et celles de l'école. Ainsi les enfants issus de milieux
culturels très différents ont à faire face à de grandes difficultés : Les savoirs scolaires sont
déconnectés de la réalité qu'il connaissent en dehors de l'école et leur milieu familial peut ignorer
les valeurs de l'école républicaine.
De plus, au sein de la famille le rapport à l'autorité n'est pas le même qu'à l'école. L'enfant
doit obéir dans le sens de l'obéissance personnelle et de l'amour. A l'école, il doit se comporter dans
le sens du devoir et d'une loi. Le milieu de la famille est un milieu bien particulier, régit par le
6 Nous verrons dans la partie suivante que la famille peut-être une source d'émission de ces valeurs parasites.
sentiment d'affectivité. De plus en plus les parents tendent à gratifier l'enfant, à fuir le conflit
qu'entraînerait l'imposition de règles sous prétexte de ne pas vouloir le bouleverser. Or, la fonction
de l'éducation à la citoyenneté est de dépasser ce rapport naturel du sentiment : On obéit pas pour
plaire à ... On obéit car c'est la loi.
Une autre dérive soulignée par certains auteurs s'est vérifiée durant les stages en
responsabilité. Il s'agit de la tendance, chez certaines familles à se décharger sur l'école du « rôle
d'autorité, de rappel de la loi et d'apprentissages des normes morales et sociales7. » Certains parents
se comportent comme des consommateurs qui attendent tout de l'école. Or, l'école ne peut à elle
seule éduquer l'enfant. Les parents ne peuvent se décharger de leur mission.
D : Les difficultés liées au risque inérant à la démocratie représentative
Celle-ci est fondée sur la délégation de pouvoir8 et sur la règle de la majorité. Dès lors
certains risques sont inévitables : le désengagement, la frustration, la mise en place de contre-
pouvoir... Or l'école ne peut jouer totalement le jeu d'une vraie démocratie. Elle ne peut pas se
permettre de tolérer des éléments tels que la mise en place de groupes de pression ou encore
l'organisation parallèle de la minorité qui refuse de se soumettre à la règle. Ainsi, à l'école,
l'initiation à la vie citoyenne s'assimile souvent à un jeu de rôle. L'enseignant intervient souvent sur
le contenu de ce jeu pour s'assurer qu'il poursuit bien les objectifs visés ( enseigner, éduquer...).
Au sein de l'école l'expérience démocratique des élèves ressemble donc à une simulation
visant à leur enseigner les règles de la vie démocratique. Cependant, on ne peut rester en
permanence dans la simulation car comme le soulignait Aristote « être citoyen s'est participer à la
réalité du pouvoir ». Il faut donc, sans priver le maître de son autorité, mettre en place des
dispositifs pédagogiques conférant de véritables responsabilités aux élèves. ( tutorat, rôle d'arbitre
en EPS ...).
E : La nécessaire recherche d'un équilibre entre « l'impossible citoyenneté
scolaire et la nécessaire éducation à la citoyenneté »9.
On est en droit de penser, comme Hannah Arendt que l'école n'est pas un lieu démocratique,
il n'y a pas d'égalité maître-élève, ni d'alternance possible entre gouvernants et gouvernés. Il y a là
7 Jean-Pierre Obin, Questions pour l'éducation civique,Op, cit p.3.8 Voir les courants pédagogiques tels que la notion de « self-government » de Dewey ou encore les classes
coopérative de Célestin Freinet qui s'il ne reconnaît pas d'intérêt au jeu en tant que principe éducatif ; en accorde une grande au « travail-jeu » qui revient à donner aux élèves un travail, une activité authentique « qui les intéressent profondémment, qui les empoignent et les mobilisent tout entiers ». cf « L'éducation au travail », oeuvres pédagogiques, p.167.
9 Constantin, Xypas, Les citoyennetés scolaires; Paris, PUF, p.9-10.
une contradiction entre l'exercice de la citoyenneté qui suppose l'acquisition du statut d'adulte
majeur et le fait d'être un élève scolarisé. Cette contradiction était déjà soulignée par Hannah Arendt
dans son article « La crise de l'éducation » paru dans le recueil « La crise de la culture » en 1954 .
Cette frontière entre enfant et adulte est nécessaire en ce qu'elle permet l'éducation des enfants et
l'exercice du pouvoir des citoyens. Elle sépare la sphère citoyenne, exercice d'une liberté inaliénable
et la sphère éducative, qui implique l'obéissance à une tutelle. Selon Arendt, la raison d'être de cette
frontière est qu'elle préserve les enfants du totalitarisme. Cependant, le maître se doit d'assumer
cette contradiction en ne renonçant pas au projet d'éduquer mais en préparant également une
« anticipation à la liberté10 ». En effet, selon Constantin Xypas c'est « en traitant les élèves comme
responsables de la Cité scolaire qu'ils apprendront à se comporter comme tels dans la Cité des
adultes11 ». Il faut donc traiter l'enfant comme un être en devenir à la fois semblable et différent de
l'adulte. Pour se faire il faut éviter de tomber dans deux pièges:
- imposer un ensemble de règles définies unilatéralement par l'adulte.
- laisser les élèves décider totalement seuls de ces règles.
F : La citoyenneté : une notion pluridimensionnelle
La citoyenneté peut se définir selon des échelles très différentes : Citoyenneté locale,
nationale, européenne, du monde. Si le but de l'éducation à la citoyenneté est de permettre aux
individus de s'inscrire dans ces différentes dimensions, il n'est pas rare de voir survenir une certaine
concurrence entre plusieurs niveaux de citoyenneté. Cette concurrence s'explique par la tension
entre la vocation universaliste de la citoyenneté et les aspirations des individus à faire reconnaître
leurs spécificités culturelles. De plus, l'éducation citoyenne est sans doute l'aspect de l'éducation
scolaire où les particularités culturelles, sociales et politiques sont les plus lourdes. Ceci s'est
particulièrement vérifié lors de mon second stage en responsabilité à Salé, au Maroc où de
nombreuses discordes ont eu lieu entre les élèves durant le temps de débat pour ces motifs.
Néanmoins, cette citoyenneté pluridimensionnelle doit être prise en compte par l'enseignant.
Elle doit ainsi revêtir une dimension juridique, une dimension culturelle, une dimension sociale,
européenne et planétaire.
G : L'intérêt du corps enseignant vis-à-vis de l'éducation à la citoyenneté : une
mauvaise évaluation des enjeux ?
Une enquête menée en 1995-1996 par la direction de l'évaluation et de la prospective du
10 Ibid p.14.11 Ibid p.276-277.
ministère auprès des enseignants de tous niveaux témoigne du peu d'importance qu'attache une
partie du corps enseignants à la formation du citoyen12. Certains professeurs des écoles se trompent
en pensant que cet enjeu se situe essentiellement dans l'urgence de la pratique et réside dans le fait
de parvenir à ce que les élèves se comportent correctement dans la cour de récréation ou à ce qu'ils
écoutent sagement le maître. Cela réduit l'éducation citoyenne à l'apprentissage de la discipline et de
la civilité. Bien plus que cela, elle fonde toutes les conduites des enfants à l'école, y compris dans
les apprentissages eux-mêmes. Elle doit donc se concevoir comme une préparation à l'exercice de la
responsabilité individuelle et collective. Plus largement, elle vise, à travers la « citoyenneté
planétaire13 » à assurer la survie de l'espèce humaine.
Vis-à-vis des enjeux de l'éducation à la citoyenneté et des objectifs qu'on lui assignent, il
faut donc se garder de trois dérives14:
- Une conception normalisatrice réduisant l'éducation civique à
l'unique enseignement des institutions.
- Une conception thérapeutique qui en fait le remède préventif
à la violence, au malaise des banlieues...
- Une conception subversive qui en fait un « déversoir »
permettant aux enfants de se faire entendre sur n'importe quel sujet.
H : La difficile évaluation de l'éducation citoyenne
L'éducation à la citoyenneté est très difficile à évaluer. Or, il me semble cependant très
important de mettre en place des évaluations en ce domaine afin de pouvoir apprécier « le degré
d'entrée des élèves dans la citoyenneté démocratique ». A ce titre, une évaluation diagnostique et
formative me semble primordiale afin de permettre aux élèves d'entrer au mieux dans une éducation
citoyenne qui leur soit adaptée.
Une autre difficulté réside dans le fait que contrairement à la citoyenneté politique, la
citoyenneté scolaire est un processus, une évolution, qui s'inscrit dans la durée et qui a besoin d'être
entretenue.
Durant mes différents stages en responsabilité, j'ai essayé de tenir compte de tous ces écueils
12 Selon cette enquête, à la question portant sur les objectifs correspondants le mieux à leur conception du métier, « former les futurs citoyens » arrive de manière systématique en dernière position. Cette tendance s'accroît chez les enseignants du premier degré avec seulement 11% des réponses.
13 Francis Danvers, 500 Mots-clefs pour l'éducation et la formation tout au long de la vie. Les dictionnaires de Septentrion. p. 110
14 L'éducation à la citoyenneté, Conférence de Jacqueline Costa-Lascoux tiré de L'éducation à la citoyenneté, Ecole d'été pôle Grand-Est.
pour mettre en oeuvre une démarche qui me semblait pertinente quant à la formation du citoyen.
II/ La démarche adoptée pour aborder la formation du citoyen
Je me suis fondé sur la maxime « C'est en citoyennant que l'on devient citoyen » ; c'est à dire
que j'ai considéré que pour faire entrer pleinement les enfants dans une éducation à la citoyenneté,
l'expérimentation était le meilleur moyen. Ainsi les enfants ont connu diverses expériences telles
que la pratique du vote, la rédaction des règles de lutte... Le débat a été l'appui privilégié de chacune
de ces expériences.
A : L'intérêt du débat
L'intérêt du débat réside en ce qu'il permet aux enfants de sortir de l'égocentrisme. L'élève
échange sa parole avec celle d'autrui et réalise que son point de vue n'est pas forcémment celui de
ses camarades, mais qu'il existe un grand nombre d'opinions différentes.
Partant du principe que la plupart des opinions sont partiellement fausses ou partiellement
vraies et que cette relative validité est au coeur d'une éducation à la citoyenneté démocratique, le
maître se doit alors de « provoquer ce que Piaget appellait un conflit de centrations obligeant
l'enfant à relativiser son point de vue15 ». Il doit donc mettre en place des situations pédagogiques
telles que les débats pour permettre aux élèves de constater qu'il n'y a pas toujours de vérité absolue
mais que deux opinions contradictoires peuvent être partiellement vraies et partiellement fausses.
Cela permet à l'enfant de penser par lui-même, de se positionner par rapport aux autres, toujours
dans le respect de l'opinion d'autrui. Il faut viser à ce que l'enfant sorte du débat différent de ce qu'il
était avant.
De plus, il convient d'ajouter que débattre, ce n'est pas simplement échanger des opinions ou
des idées. Il ne faut pas que les élèves ( ou le maître ) voient dans le débat un moyen de se faire
valoir, celui-ci doit être pensé comme un moyen de convaincre16. Dans le débat « la parole à un
poids, un statut ». On ne fait pas que libérer la parole, on apprend également à exposer, argumenter,
reformuler,ordonner, hiérarchiser. Débattre ce n'est pas seulement parler ou dire son opinion c'est
aussi changer d'opinion, dire « je ne sais pas ».
Il faut se garder de confondre « place de la parole » et « prise de parole ». Selon moi, les
élèves doivent toujours avoir le droit de ne pas s'exprimer dans le cadre du débat. Je n'ai donc pas
« forcé la main » aux élèves qui ne désiraient pas prendre la parole, je me suis contenté de les
15 L'éducation à la citoyenneté, Conférence de Jacqueline Costa-Lascoux,Op.cit, p.301.16 ECJS, le débat argumentatif, Annie de Cooman et Pierre Status tiré de L'éducation à la citoyenneté, Ecole d'été pôle
Grand-Est .
inciter à le faire.
B : Le vécu des élèves comme situation de départ
La vie scolaire est « le premier maillon de la chaîne d'éducation civique ». Afin de veiller au
bon déroulement d'un débat, je pense que la situation de départ donnée aux élèves est d'une grande
importance. En effet, elle permet de sensibiliser les enfants, elle pose le problème et lance l'activité.
Même s'il n'ouvre pas sur tous les sujets de réflexion, le vécu des enfants nous semble être
l'élément à privilégier pour aborder un débat tournant autour de l'éducation citoyenne. Ainsi,
beaucoup de sujets relatifs aux droits et devoirs de la personne trouvent leur ancrage dans les
situations conflictuelles. L'analyse des faits de la vie quotidienne est également un élément
intéressant pour engager un débat. Je souhaitais donc pour chaque séance, mettre en place un
élargissement progressif des thèmes abordés ( de l'enfant, à l'école, à la société ). Cet élargissement
progressif visait également les sujets de réflexion : passer d'expériences vécues par les élèves à des
principes plus généraux, plus abstraits17. Cette piste pédagogique constituait donc une véritable
progression dans le déroulement des séances ainsi que dans les travaux nécessitant plusieurs
séances.
C : La place de l'enseignant durant le débat
Quant à ma place au sein du débat, je l'ai voulue discrète mais réelle. Mon rôle se cantonnait
à reformuler les problèmes et orienter la réflexion des élèves en posant de nouvelles questions.
Quelquefois, le maître se doit également de classer les arguments des élèves, d'apporter à la classe
les connaissances scientifiques, un vocabulaire précis ou d'aider à dégager les principes ou valeurs
sous jacentes. Mes interventions se sont donc essentiellement orientées dans ce sens. La civilité
participant également à la construction de la citoyenneté, je tenais également à faire respecter ( par
le biais du président de séance ) les règles élémentaires de politesse au sein du débat. En effet,
même si durant le débat les enfants ont tendance à se « relâcher » quelque peu, il me semblait
important de veiller au maintien de la politesse qui demeure « la condition première de tout
engagement citoyen18 ». J'ai donc essayé de respecter chacun de ces principes durant l'ensemble des
séances mises en oeuvre pendant mes stages en responsabilité.
17 Si nous devions dégager une trame pédagogique de cela nous passerions du « Comment cela se passe pour toi? » à « Sais-tu comment cela se passe ailleurs? » à « Qu'en penses-tu? ».18 Francis Danvers, 500 Mots-clefs pour l'éducation et la formation tout au long de la vie; Op.cit p.112.
Section II: Les différents travaux menés dans le cadre de la
formation du citoyen.
Dans chacun de mes stages, la démarche adoptée a été fréquemment la même pour aborder
la formation du citoyen. En revanche, j'ai pu mener des travaux variés en raison de la différence de
niveau des élèves et de ce qui avait été effectué en classe auparavant. J 'ai également eu la chance
d'effectuer mon second stage en responsabilité au Maroc, ce qui m'a permis d'expérimenter le débat
dans un milieu socio-culturel très différent.
I/ La notion de règle au Cycle II : Construction, réflexion, débat.
La notion de règle permet d'aborder la citoyenneté au travers de plusieurs de ses dimensions.
Tout d'abord, dans sa dimension juridique, la citoyenneté se définit par le respect des règles et des
lois. Ensuite, si l'on se penche sur sa dimension éthique, elle veut promouvoir l'intérêt général. Cela
revient à faire prendre conscience aux élèves que les règles sont bénéfiques au groupe-classe à
travers la construction de celles-ci puis par le biais du débat. Enfin, la dimension politique de la
citoyenneté se définit par la participation au pouvoir, participation que les élèves expérimentent à
travers cette construction collective des règles en lutte.
L'éducation à la citoyenneté doit permettre l'intériorisation de quelques principes
élémentaires du droit par leur mise en pratique. L'école doit donc permettre ce travail
d'apprentissage mais également de construction de la loi. Certes, les enfants ne sont pas encore
citoyens mais ils sont déjà sujet de droit. A ce titre, il faut les préparer à la citoyenneté par la mise
en oeuvre de ces principes du droit. S'il faut bien reconnaître que l'école n'est pas un espace de
démocratie, on ne peut nier qu'elle « est un temps d'apprentissage de la démocratie.19» Il faut donc
qu'à l'école, les élèves apprennent à obéir à la loi plus qu'à se soumettre au maître.
L'idée de règle se caractérise par sa prescription commune à une société. Les règles engagent
sans exception tous les membres du groupe social. Elle se distingue des valeurs par leur caractère
contraignant. L'enjeu pour l'école est de veiller à l'avènement d'un système de normes créateur de
liberté et non de subordination, où seules la prudence et la crainte fonderaient la citoyenneté. Certes,
la notion de règle implique la notion de contrainte mais il demeure important que la contrainte soit
comprise comme nécessaire. C'est de cette obligation librement acceptée que naît le civisme.
Ainsi, il est très important que dès le cycle II, les élèves comprennent que les règles
permettent la liberté de chacun, en particulier grâce à quelques exemples pris dans les règles de vie.
19 Bernard De France, Education à la citoyenneté,1996, Colloque de Saint Denis.
A : Une première séance de « Vivre ensemble » en grande section de
maternelle : Les règles de vie
Cette partie concerne ce qu'il m'a été permis d'observer durant mon stage de pratique
accompagnée. Après une brève présentation de la classe, je m'attarderai sur le déroulement de la
séance, les objectifs poursuivis, les compétences mises en avant ainsi que la démarche choisie.
Enfin, je dresserai un rapide bilan.
1) Présentation de la classe
J'ai effectué mon stage de pratique accompagnée dans une classe de grande section de
maternelle comportant 20 élèves. Cette école se trouve à Sennecé-les-Mâcon, en zone péri-urbaine
de Mâcon.
La classe est divisée en 4 groupes autour de 6 tables mais les temps de regroupements
collectifs autour de la maîtresse sont assez fréquents.
2) Mise en place de la séance :
Une semaine après la rentrée de Septembre, la maîtresse avait remarqué que même si les
élèves étaient globalement attentifs, ils étaient tout de même enclins aux bavardages, à l'agitation et
à quelques comportements inapropriés dans la cour de récréation. Durant la troisième semaine de
septembre, elle a donc mis en place une première séance sur les règles de vie en classe visant à
corriger ces comportements.
3) Déroulement de la séance:
Cette séance s'est déroulée en temps collectif sous la forme du débat. Ce débat était sans
doute le premier de l'année pour les élèves. Au regard de l'âge des enfants, la maîtresse se contentait
de « cadrer » le débat tout en exerçant les rôles de président de séance et de reformulateur. Les
élèves regroupés autour d'elle, ont débattu sur les questions suivantes :
– Qu' avez vous le droit de faire à l'école?
– Qu 'est-ce que vous n'avez pas le droit de faire à
l'école?
– Qu'est-ce que vous pouvez faire à l'école?
En proposant leurs réponses et en les justifiant, les élèves ont ainsi pu participer à une sorte
de règlement de classe. Dans un second temps, la maîtresse s'est contentée d'écrire les propositions
des élèves au tableau. Une première approche des concepts d'interdiction, de permission et
d'obligation a ensuite été réalisée par le biais de 3 affiches intitulées « A l'école, on peut », « A
l'école, on doit », « A l'école, on ne doit pas ». Pour se faire, elle a repris les propositions des élèves
écrites au tableau et ceux-ci ont dû lui indiquer sur quelle affiche réécrire ce qui avait été dit. Cette
approche des concepts se couplait donc avec une activité de classement très fréquente en
maternelle. Les affiches ont ensuite été accrochées dans la classe. Ce travail a été réinvesti en arts
visuels où la maîtresse a demandé aux élèves de réaliser un ou plusieurs dessins illustrant un
comportement évoqué durant la séance. Ces dessins ont ensuite été affichés à leur tour en
complément des affiches.
4) Observation:
La plupart des élèves savaient déjà ce qui était permis, interdit et obligatoire avant même le
début de la séance. Cependant, dans la réalité de la vie de classe, ils étaient loin d'appliquer tous ces
préceptes. Par exemple, durant le temps des propositions, les élèves étaient censés décrire les
attitudes à adopter en classe. Or, pendant cette phase, beau paradoxe en acte, beaucoup d'élèves ont
crié, en s'abstenant de lever la main que « pour parler en classe il fallait lever le doigt ».
Une des difficultés fréquente des élèves de maternelle, est de se décentrer des propositions
de leurs camarades. Par exemple, après qu'un élève a fait remarquer qu'il était interdit de jeter des
cailloux dans la cour, trois autres élèves proposèrent immédiatement qu'il était interdit « de jeter du
sable dans la cour », « de jeter des pierres », « de jeter des morceaux de bois dans la cour ». Cet
exemple traduit bien que les élèves s'efforçent plus de trouver une nouvelle sorte de projectile qu'un
nouveau type d'interdiction. Cette difficulté de décentration peut être un obstacle au débat. La
maîtresse les a donc invités à se décentrer en leur faisant remarquer que ces trois propositions
participaient de la même interdiction générale.
5) Intérêt de la démarche:
Le développement de la civilité est lié dans les programmes de 2002 à la pratique du débat et
de la négociation. Pour s'en rendre compte, il suffit de consulter les compétences devant être
acquises en fin de cycle. Quelques exemples tirés des programmes illustrent bien cela :
- « respecter les adultes et leur obéir dans l'exercice normal de leurs diverses fonctions »,
- « avoir compris et retenu que les règles acceptées permettent la liberté de chacun, en
particulier à partir de quelques exemples pris dans les règles de vie » pour le cycle II.
– « Participer activement à la vie de la classe et de l'école en respectant les règles de vie »
– « Respecter ses camarades et accepter les différences »
– « refuser tout recours à la violence dans la vie quotidienne de l'école. »
– « Avoir compris et retenu quelles sont les libertés individuelles qui sont permises par
des contraintes de la vie collective » en ce qui concerne le cycle III.
Pour en revenir à la démarche adoptée, il ne s'agissait pas ici de construire les règles avec les
enfants mais plutôt de faire en sorte que les élèves comprennent le bien fondé des comportements
que l'on attend d'eux.
Cette séance constituait un apport non négligeable dans l'apprentissage du métier d'élève. De
plus, on s'aperçoit que par le biais de cette séance, l'éducation à la citoyenneté a été abordée de
façon beaucoup plus conceptuelle à travers l'esquisse de certains concepts : la permission,
l'interdiction, l'obligation, le respect...
Séduit par l'utilité d'aborder la notion de règle en éducation à la citoyenneté, j'ai donc décidé
de retravailler sur cette notion durant mon premier stage en responsabilité.
B : Construction des règles en lutte et réflexion sur leur rôle en CP-CE1
J'ai effectué mon premier stage en responsabilité à Ouroux-sur-Saône. Durant ce stage, j'ai
privilégié trois grands axes contribuant à la formation du citoyen :
- la participation au débat en elle même,
- l'élaboration collective des règles de la lutte
en EPS afin de susciter une première réflexion sur les notions de règles et de lois.
- La création d'un premier « vécu
démocratique » à travers l'expérience du vote suivi d'une réflexion sur celui-ci.
Après une rapide présentation de l'école et des élèves, nous nous pencherons sur les deux
premiers axes.
1) Présentation de la classe:
J'ai effectué mon premier stage en responsabilité à Ouroux-sur-Saône, école rurale proche de
Châlon-sur-Saône composée de 7 classes allant du CP au CM2. J'avais en charge une classe de CP
-CE1 avec 13 élèves de CP et 10 de CE1. Parmi ces élèves, un enfant de CP était victime de
troubles psychologiques, trois élèves de CE1 étaient suivis par le RASED et un autre souffrait d'un
handicap des membres inférieurs justifiant la présence permanente d'une aide de vie scolaire. Les
CP étaient disposés en U, tandis que les élèves de CE1 étaient installés par rangées de 2 ou 3
enfants.
Selon le maître titulaire les notions inférantes au civisme et à la citoyenneté n'étaient
abordées que ponctuellement lorsqu'un incident ( bagarre, dispute...) survenait au sein du groupe
classe. Aucune séance de « Vivre ensemble » n'avait été mis en place auparavant, ni aucun débat.
Malgré cela, j'ai tenu à mettre en place un débat sur la notion de règles.
2) Démarche adoptée pour aborder la notion de règle
Face aux difficultés des élèves ainsi qu'à leur manque d'expérience en la matière, mes
objectifs se sont voulus relativement modestes. A travers le débat, il s'agissait tout d'abord de
sensibiliser les élèves à une première expérience de la démocratie. Au regard du manque
d'expérience des élèves à débattre dans le cadre du « Vivre Ensemble » et de l'agitation observée
durant ces moments, j'ai préféré exercé le rôle de président de séance et de reformulateur.
Dans le cadre d'une séance d'EPS, il me semblait important de faire participer les enfants à
la construction des règles en lutte. En effet selon Xypas20, l'enfant doit faire face à quatre types de
règles:
- Les normes qu'il adopte par souci de conformité avec son groupe
d'appartenance.
- Les normes qu'il adopte par souci de conformité avec une personne
ou un groupe lui servant de modèle de référence.
- Les normes imposées dont il ne comprend pas le bien-fondé et qu'il
ne respectera pas s'il n'est pas surveillé.
- Les normes qui sont construites par le vécu de l'élève et clarifiées
dans un débat où il est libre de s'exprimer.
Selon Piaget, ce quatrième type entraîne une adhésion personnelle à la norme ce qui
conduirait au développement progressif d'une morale autonome. Un autre avantage de faire des
enfants les « co-auteurs » de la loi est que par le biais de ce processus, ils vont se faire les gardiens
de celle-ci. Cela permet à chaque enfant de l'invoquer et de s'appuyer sur elle pour rappeler à l'ordre
celui qui l' a transgressée. Les règles ainsi établies servent donc de référence à tous.
Cependant, il me semble important de préciser que dans la pratique j'ai voulu imposer certaines
« règles d'or » sur lesquels les élèves ne pouvaient transiger. Deux raisons expliquent cela :
l'importance de la sécurité dans une discipline comportant certains risques physiques, ainsi que la
volonté de vouloir éviter les écueils d'un simulacre de démocratie scolaire décrits plus haut21.
C : SEANCE 1 : L'élaboration collective des règles de lutte.
L' éducation physique et sportive peut développer les qualités du citoyen et construire le
sens des responsabilités en favorisant la réflexion sur la solidarité, l'acceptation des différences, le
20 Constantin, Xypas, Les citoyennetés scolaires; op,cit.21 Voir I partie D et E pages 8-9
respect des autres. Concernant le cycle II, les programmes de 2002 stipulent qu' « elle permet de
jouer avec la notion de règles (...), de mieux la comprendre, de la faire vivre, et d'accéder ainsi aux
valeurs sociales et morales.22 » Cette discipline peut favoriser l'intégration dans un groupe et vise à
faire comprendre les règles de vie de ce groupe. Selon Monique Flonneau, l'E.P.S participe à la
construction de soi, condition sine qua non à de bonnes relations collectives. A l'instar de la société
régie par des lois, les activités d'EPS sont gouvernées par des règles dont l'arbitre assure le respect.
Bien plus, de telles règles peuvent être qualifiées de constitutives en ce qu'elles « n'ont pas
uniquement une fonction normative, elles créent ou définissent de nouvelles formes de
comportement23. Ce type de règles ( telles que les règles en lutte ) fondent et régissent l'activité dont
l'existence dépend de ces règles. Enfin, selon Piaget, il y a deux phases, dans le développement
moral de l'individu24. Durant la première phase, il obéit aux règles imposées par les adultes sans
avoir conscience de leur nécessité. Dans une seconde phase, c'est le besoin de coopération qui
conduit l'enfant à mieux respecter les règles mais aussi à les modifier par la négociation. Dans le
premier cas, l'obéissance à la règle découle du respect de l'enfant pour les adultes. Dans le second,
c'est le respect mutuel entre égaux qui prédomine.
En réalisant ce travail sur la construction des règles en lutte, je poursuivais trois buts. D'un
point de vue cognitif, cet exercice vise à faire savoir aux élèves qu'il existe un certain nombre de
règles. D'un point de vue réflexif, il s'agit d'amener l'enfant à s'interroger sur les règles, leur utilité,
leur fondement. Enfin, d'un point de vue comportemental, ce type de tâche vise à ce que chacun se
plie aux règles et valeurs dominantes du groupe social25.
On peut donc dire que le travail sur les règles du jeu est une éducation à la démocratie. Il
comprend deux axes : la nécessité de la règle et l'acceptation de celle-ci. Par rapport au premier
point, on peut dire que les règles sont nécessaires dans tous sport ou jeu, sinon les tricheurs ont de
grandes chances d'être vainqueurs. A cet égard, elle est productrice d'égalité entre les participants. Il
faut également souligner que celle-ci peut se discuter et qu'elle pourrait être différente et donc
modifiée avec l'accord du groupe.
Concernant l'acceptation de la règle il faut se pencher sur le fait que la règle doit toujours
être respectée. C'est pourquoi il me faut insister sur le rôle qui a été le mien dans la pratique. La
règle ne s'applique pas toute seule, malgré son élaboration collective. L'enseignant se doit d'être le
médiateur entre la phase d'élaboration de celle-ci et leur application.
Un autre garant de ce respect de la règle est l'arbitre. Il faut le plus tôt possible former les
élèves à cette tâche. Le respect de la règle et de l'arbitre conduira également l'enfant à accepter de
22 Qu'apprend-on à l'école primaire ? Programmes de 2002, Sceren, 2004, p.138.23 John R. Searze, Les actes de language, Paris Hermann, 1972,p.72-73.24 Piaget, L'éducation morale à l'école, 1997 p.1.25 François Robert, Enseigner le droit à l'école, pratique et enjeux pédagogiques, p.67.
perdre et donc à se faire à l'idée « de ne pas toujours être le premier dans la vie réelle26 ». De plus,
le rôle d'arbitre permet de faire prendre conscience à l'élève qu'il peut agir sur des situations, ce qui
favorisera l'autonomie de son comportement et le responsabilisera.
Le choix de la lutte n'est pas innocent dans le sens où cette activité présente beaucoup
d'intérêt. Elle nécessite d'être attentif à l'autre, de mieux le connaître mais également de mieux se
connaître soi-même. A ce titre, elle met en jeu la responsabilisation et l'accès à l'autonomie. Enfin,
la pratique de la lutte entraîne un engagement physique important ainsi qu'une forte charge
émotionnelle ( proximité physique, timidité, peur de perdre et d'être perçu comme faible...).
Avant de mettre en place cette activité nouvelle pour les enfants, j'ai tenu à définir ce qu'était
la lutte, mais aussi ce qu'elle n'était pas ( démonstration de force, bagarre...). J'ai ensuite annoncé
aux élèves que maintenant qu'ils en savaient un peu plus sur la lutte, ils allaient construire ensemble
le règlement de celle-ci. J'ai insisté sur le fait qu'il était nécessaire de se doter d'un règlement avant
de pouvoir « lutter » en toute sécurité. Cette précision permettait de donner du sens à la tâche. J'ai
également précisé que ce règlement serait rédigé sur une affiche collective qui nous accompagnerait
lors des séances d'EPS.
J'ai lancé le débat en demandant d'abord aux élèves s'ils savaient ce qu'était un règlement et
s'ils pouvaient dire à quoi cela pouvait nous servir dans la pratique de la lutte.
Quant à l'utilité d'un règlement dans la pratique de la lutte, les élèves ont tout de suite
formulé des phrases du type: « c'est pour faire attention à pas se faire mal », « C'est pour écouter »,
« C'est pour ne pas être puni ». Ils ont donc mis en exergue le caractère coercitif des règlements.
Quelques élèves de CP m'ont surpris en énonçant que « Le règlement c'était ce qu'il fallait
faire pour gagner » et que « si l'on suit la règle comme il faut on est le vainqueur ». Face à cette
conception purement utilitaire et finaliste du règlement ( ainsi que sur les remarques faisant
uniquement le lien entre règlement et punition ), il m'a paru nécessaire d'intervenir. J'ai donc
demandé aux autres élèves s'ils pensaient que le respect des règles était synonyme de victoire
assurée. La majorité des enfants a répondu par la négative. J'ai reformulé leurs propositions en
énonçant qu'il était nécessaire que chaque enfant respecte la règle pour le bon déroulement des
activités et pour la sécurité de tous, mais que respecter la règle ne suffisait pas pour gagner.
Un point satisfaisant à mes yeux était que les enfants aient bien saisi le caractère obligatoire
du respect de la règle. En effet, certains élèves formulèrent ( avec leurs mots à eux ) que si le
respect de la règle n'assurait pas la victoire de façon systématique, son non-respect engendrait la
disqualification à coup sûr « puisque si on respecte pas les règles, on triche et si on triche on est
éliminés ». ( Lucas CE1 ).
Une autre satisfaction réside en le fait que beaucoup d'enfants sont parvenus à faire le lien
26 Monique Flonneau, L'éducation à la citoyenneté aux cycles 2 et 3, nathan pédagogie 1998, p.60.
entre la présence d'un règlement et la préservation de leur intégrité physique. Ainsi selon Steven
( CP ) « Le règlement il est pas là pour qu'on soit puni mais pour qu'on fasse attention» Pour
Pauline ( CE1 ), « avec le règlement on se fait pas mal, et les autres eh ben ils peuvent pas nous
faire mal non plus ».
Nous sommes ensuite passés à la rédaction collective des règles de la lutte. Cette rédaction
s'est faite sous forme de dictée à l'adulte. J'ai choisi cette forme car elle permettait aux enfants
( surtout ) aux CP de se détacher de la contrainte de l'écriture pour se concentrer sur la recherche de
règles pertinentes. Cela permettait aux élèves de mettre clairement en mots leurs idées et de pouvoir
en débattre. Par le biais de la dictée à l'adulte chacun était créateur de la règle et adhérait
simultanément à celle-ci.
Sur une « affiche brouillon », j'ai d'abord noté toutes les propositions des élèves, sans
aucune sélection préalable. J'ai ensuite repris chaque proposition avec les enfants J'ai invité ceux-ci
à regrouper oralement les propositions qui leurs semblaient similaires et à éliminer celles qu'ils
trouvaient non pertinentes. Cela s'est avéré très intéressant au niveau des échanges oraux entre les
élèves, nombreux étant ceux à avoir argumenté pour défendre leur point de vue. Cette phase s'est
apparentée à un mini-débat où j'ai tenté d'être en retrait autant que faire se pouvait. Je me suis donc
contenté de relancer la discussion et de valider les hypothèses des élèves. Avec mon aide pour la
formulation, les élèves sont parvenus à distinguer trois grandes colonnes sur l'affiche:
- Ce qui est permis ( ce que l'on peut faire )
- Ce qui est obligatoire ( ce que l'on doit faire)
- Ce qui est interdit ( ce qu'on a pas le droit de faire )
Il fallait, comme cela à déjà été souligné concernant la séance observée en école maternelle,
ne pas ériger en tant que règlement une simple liste d'interdits. Selon F. Kourilsky-Béliard, « il
convient d'éviter la forme négative si nous voulons faciliter une bonne intégration et mémorisation
des règles». Les points répertoriés sur l' affiche concernaient tout ce qui traitait de la pratique
intrinsèque de la lutte ( éviter de tirer les vêtements, ne pas donner de coups...) mais aussi les
prescriptions périphériques inhérantes à la pratique de l'EPS dans le gymnase ( rangement du
matériel, port des chaussons, calme dans le vestiaire...). J'ai également prévenu les élèves que dans
le cadre de la construction des règles en lutte, je disposais d'un droit de refus pour invalider
certaines propositions jugées dangereuses pour leur intégrité physique. Ainsi, certains garçons de
CE1 proposèrent « qu'on a pas le droit de donner de coups de pied mais on peut donner des coups
de poings ». J'ai tout de suite refusé cela en expliquant ( avec des mots compréhensibles pour les
élèves ) que le droit reconnu ou non de donner des coups de poings n'était pas soumis à discussion
et que je décidais unilatéralement d'interdire cela. Cela permettait d'approfondir le rapport à la loi,
en ce qu'il est inévitable d'admettre certaines règles comme valides bien que l'on n'ait pas participé à
leur élaboration. J'évitais ainsi de « vulgariser l'idée que les contraintes ne valent que pour autant
qu'on y a consenti directement27».
J'ai également demandé aux enfants à qui s'imposaient ces règles. Ceux-ci restant dubitatifs
j'ai reformulé ma question en leur demandant si, selon eux, le respect du règlement s'imposaient
uniquement aux filles, uniquement aux garçons, uniquement aux élèves de CP...Les élèves m'ont
répondu que le règlement s'appliquait à tous les élèves. Cela nous a permis de souligner le fait que
pour que la règle soit « juste », elle se devait de viser tous les élèves et qu'aucun élève sous aucun
prétexte ne pouvait y déroger. Ainsi était effectuée une première approche de l'universalité de la loi
en tant que norme s'imposant à tous sans exception.
Cette première abstraction, n'était qu'un prémice à un débat bien plus large sur la notion de
règle.
D : SEANCE 2 : Un débat sur la notion de règle
Suite à la rédaction de l'affiche, je me suis attaché à mettre en oeuvre un nouveau débat sur
les notions de règlement, de règle et sur leur utilité. Ce travail me semblait important dans le sens
où l'école oblige l'enfant à obéir à certaines normes. Dès lors, le monde de la règle constitue le
quotidien des enfants. Se pencher sur l'utilité de la règle, c'est expliquer le pourquoi de celle-ci.
D'un point de vue comportemental, cela permet entre autre à l'élève de prendre conscience des
nuisances occasionnées s'il enfreint la loi et des satisfactions récoltées s'il la respecte.
Dans une première étape, j'ai d'abord demandé aux élèves s'il pouvaient expliquer ce qu'était
une règle. Il s'est avéré que les élèves n'ont pas su se détacher de la séance précédente et ont tous
rattaché leur formulation et leur définition à la pratique de la lutte. J'ai donc tenté de les conduire à
se détacher de cela en leur demandant s'ils connaissaient d'autres règles et règlements en dehors du
domaine de la lutte ; ce qui était sans doute fort difficile pour leur âge ( surtout pour les élèves de
CP ). Fidèles à leur représentations, les enfants n'ont pas réussi à se dégager du domaine du sport
pour expliquer la notion de règle. Ils ont donc énuméré et tenté d'expliquer toute une série de règles
dans différents sports ( football, rugby, boxe...). Pour remédier à cela j'ai demandé aux élèves s'ils
connaissaient des règles dans d'autres domaines que le sport, tout en validant tout de même leur
proposition ; les règles faisant bien partie intégrante du domaine du sport. Les élèves ont
immédiatement rebondi en citant pêle-mêle plusieurs règles régissant l'école et la classe. Il a été
intéressant de constater qu'un élève pensait que des règles de vie telles que « ne pas bavarder en
classe » ou « ne pas se battre dans la cour » ne constituaient pas une règle car les enfants n'avaient
pas participé à leur élaboration. « C'est pas des règles c'est des trucs obligés que les maîtres ont
décidé ». Il m'a donc semblé judicieux d'intervenir dans le débat pour expliquer aux élèves qu'à
27 François Robert, enseigner le droit à l'école, Op.cit p.68
l'école, tout comme au sein de leur famille, toutes les règles ne faisaient pas l'objet d'un débat et que
l'on devait parfois se soumettre aux règles ou aux lois sans avoir pu les discuter.
J'ai ensuite invité les élèves à élargir le débat dans deux directions:
– L'espace, à savoir je souhaitais que les élèves réfléchissent sur la présence de règles
au-delà de l'espace-classe puis progressivement au-delà de l'école.
– Les sujets de droit; c'est à dire que j'ai invité les élèves à se demander si seuls les
enfants se devaient d'obéir à des règles
Par rapport à la dimension spatiale, les élèves ont d'abord élargi leurs remarques en sortant
du champ de l'espace-classe sans pour autant dépasser le cadre de l'école. Ils ont donc débattu de
l'existence de règles régissant leur conduite dans la cour, le réfectoire, la BCD... Pour dépasser cet
« obstacle spatial » j'ai demandé aux élèves s'ils devaient obéir à des règles uniquement à l'intérieur
de l'école. A ma grande surprise, une partie assez importante des élèves répondit d'un « OUI! »
enthousiaste. J'ai donc mis en valeur l'opinion (minoritaire)de Victorien, élève de CP qui avançait
qu'on « peut jamais faire ce qu'on veut même à la maison ». Cela m'a permis de mettre en avant le
fait que la proposition des enfants signifiait qu'en dehors de l'école ils pouvaient faire ce qu'ils
désiraient sans aucune contrainte. Dès lors, ils révisèrent leur suggestions : « On peut pas faire tout
ce qu'on veut en dehors de l'école ». Pour Angèle,élève de CE1, « on ne peut faire que ce qui est
autorisé par les parents ». Baptiste, élève de CP ajouta qu'on ne peut pas « faire des trucs comme
voler des choses ou dire des gros mots aux grandes personnes sinon les parents peuvent aller en
prison ». Beaucoup d'enfants poursuivirent le débat sur l'exemple du vol. Le débat dériva ensuite
vers ce que chaque parent permettait à ses enfants. Néanmoins ces remarques sur les parents tout-
puissants, créateurs de la lois, m'ont permis d'orienter ce débat dans la seconde direction ( les sujets
de droit).
J'ai donc demandé aux élèves s'ils pensaient qu'ils étaient les seuls à devoir se soumettre à
des règles. Nouvelle surprise, la majorité des élèves a d'abord répondu que « oui, seuls les enfants
se devaient d'obéir à des règles ». Pour Chloé « Les parents ils ont pas besoin de règles car ils sont
grands, c'est des adultes ». Angèle ajouta « que les grands ont pas besoin de règles car ils savent ce
qu'il faut faire ». Une elève de CP, Elodie fît remarquer que cela était faux car les parents ne
faisaient pas ce qu'il voulaient ». Juliette (CE1) ajouta que « c'était vrai car sinon les parents
n'iraient pas au travail, en tout cas pas ceux qui ne sont pas chefs ». Ces précisions fîrent changer les
autres élèves d'avis qui répondirent cette fois que « les parents ne pouvaient pas faire ce qu'il
voulaient ». La plupart des exemples qu'ils donnèrent pour justifier cette proposition concernaient
essentiellement le milieu professionnel de leurs parents : « Les parents sont obligés d'aller au
travail, ils doivent obéir à leur chef... ». Dans le but de faire évoluer cette représentation, j'ai
demandé aux élèves s'ils estimaient que, selon eux, leurs parents ne devaient se plier à des règles
que dans le cadre de leur profession. Les élèves restant dubitatifs, j'ai tenté de les aider dans leur
réflexion en prenant plusieurs exemples par l'absurde, du type: « Si selon vous les parents sont
soumis à des règles et règlements uniquement dans le milieu du travail, cela veut dire que le soir
quand ils sortent de leur travail, ils peuvent écraser les piétons avec leur voiture, ou voler dans les
supermarchés ? »
Après réflexion, les élèves conclurent pour la plupart que leurs parents étaient également
soumis à des règles en dehors du cadre strictement professionnel. Les exemples se multiplièrent
mais beaucoup se calquaient sur mon propos précédent et tournaient autour du vol et du code de la
route.
Toutefois, certains enfants proposèrent des exemples intéressants dans le cadre d'une
réflexion citoyenne car ils touchaient aux droits de l'enfant : « Les parents n'ont pas le droit de nous
battre »... Lucas, un élève de CE1 ajouta que « le maître aussi, il n'avait pas le droit de frapper les
élèves ». Cette dernière réflexion me permit d'enchaîner sur la personne du maître : est-il soumis à
des règles ? Doit il se conformer à un règlement ? Mathilde (CE1) répondit que « le maitre n'a pas
de règles, c'est un des chefs de l'école ». Cependant beaucoup d'enfants nièrent ce propos en
énonçant que le maître se devait d'obéir à certaines règles: « Tu ne peux pas nous laisser sortir en
retard », « Tu n'a pas le droit de nous battre » « La directrice peux te renvoyer si tu ne nous fait pas
travailler... ». Manon ( dont la mère est professeur des écoles ) ajouta : « Tu ne peux pas nous faire
apprendre n'importe quoi ou uniquement ce que tu as envie ». Deux élèves ne respectèrent pas les
règles du débat et se moquèrent d'elles en énonçant que « c'est le maitre qui décide de ce qu'il nous
fait apprendre ». Il me sembla alors utile d'intervenir afin que les élèves saisissent que le professeur
des écoles s'inscrivait également dans une hiérarchie et qu'il était également assujetti à des lois. J'ai
donc montré aux élèves les programmes de 2002 en leur expliquant que « dans ce livre, il y avait
tout ce que je devais leur enseigner et que je me devais d'y obéir ». J'ajoutais donc que ce n'était pas
moi qui décidais de ce que les enfants devaient apprendre mais qu'en revanche, j'étais libre de
choisir comment leur faire apprendre ».
J'ai ensuite tenté de conclure le débat dans les deux directions qui nous intéressaient. J'ai
demandé aux enfants où est-ce que l'on trouvait des règles ? Suite aux réflexions précédentes, la
majorité des élèves a répondu que l'on trouvait des règles partout. Ils ont ajouté d'eux-mêmes que
tout le monde devait obéir à des règles. Jugeant le contenu du débat assez riche, j'ai préféré clore
celui-ci plutôt que d'introduire le concept de loi. Le fait que les enfants aient appréhendé
l'universalité de la règle me semblait constituer un acquis non négligeable. Pauline ( CE1 ) conclut
de façon appropriée le débat en énonçant que « les règles nous permettent de vivre en paix ».
E : Des difficultées rencontrées lors de ses deux séances:
1) La position de l'enseignant au sein du débat
La première difficulté relève de la position délicate dans laquelle se trouve l'enseignant
durant ces débats. D'une part, afin de ne pas imposer son point de vue par une parole trop
autoritaire, il se doit de ne pas prendre le pouvoir mais de jouer l'égal des enfants. D'autre part, les
enfants savent bien qu'il est le maître et qu'il n'est pas leur égal. Au sein même d'une séance de
débat, le maître se doit parfois d'alterner ces deux rôles. Il y a donc un danger de manipulation des
élèves que nous avons déjà traité mais qui est une nécessité pédagogique.
2) Le tatônnement des élèves
Il arrive que dans le cadre du débat, les enfants passent beaucoup de temps à dégager une
idée ou un concept important. Il se peut également que les propositions des élèves ne se dirigent pas
du tout vers ce que le maître espérait. Le danger est alors de les amener systématiquement ou même
de façon autoritaire vers ce qu'on attend. Le débat devient alors très artificiel.
Alors que ces tâtonnements me troublaient beaucoup en début de stage, je me suis
rapidement aperçu qu'ils peuvent être très bénéfiques au débat. Il est important de laisser les élèves
tâtonner ou expérimenter des solutions que l'on sait vouées à l'échec. Ceci est d'ailleurs valable dans
la plupart des disciplines. Je pense donc qu'il faut que l'enseignant ne se sente pas toujours pressé
par le temps et que sa vision s'inscrive à long terme dans la perspective de la construction de l'élève.
II/ Une pratique citoyenne : le vote pour la lecture d'albums
Le but de ce travail sur le vote consistait à donner aux enfants le droit de voter pour choisir
l'un des deux albums à lire pour la lecture quotidienne, puis à débattre sur l'utilité et le sens du vote.
Le travail réalisé s'est avéré bien plus court que prévu, les séances prévues à cet effet ayant été
remplacées par la préparation d'un goûter de Noël ainsi que par le dit goûter.
A : Une première approche pratique du vote
Comme cela a déjà été expliqué, j'ai choisi de privilégier autant que faire se peut le vécu des
enfants comme situation de départ. Ainsi, pour entrer dans une séance à propos du droit de vote,
nous sommes partis d'une situation conflictuelle assez fréquente dans la classe.
Chaque jour, en début d'après-midi je lisais un album à la classe. Ne sachant pas quelles
oeuvres avaient déjà été lues par le maître, je proposais aux élèves deux albums tirés de la BCD,
afin de ne pas leur lire une oeuvre qu'ils connaissaient déjà. Si aucun des deux albums n'avait étés
lus auparavant, les élèves pouvaient alors se prononcer en faveur d'un livre ou de l'autre. Ce choix
s'opérait souvent dans un relatif désordre. Les élèves oubliant la règle du « je lève le doigt pour
parler », ne s'écoutaient pas et se contentaient de réclamer à haute voix le titre de l'album qu'ils
désiraient.
Décidant d'exploiter cette situation, je choisis délibérément deux albums qui n'avaient jamais
été lus en classe et qui étaient tous deux très attrayants. Lors de la présentation de ses albums, les
premières agitations s'exprimèrent chez les enfants. Chacun se mit à réclamer à voix haute l'album
qu'il désirait. J'ai donc expliqué aux enfants qu'au lieu de faire le vacarme habituel pour choisir un
album, j'allais leur montrer chaque livre à tour de rôle, et chaque enfant pourrait lever la main pour
le livre qu'il désire qu'on lui lise. J'ajoutais que les enfants qui n'avaient pas d'opinion n'étaient pas
tenus de lever la main. Durant ces explications, je me suis gardé d'utiliser le terme « vote » pour
l'introduire plus tard dans le cadre du débat.
Les enfants ont tous pris part à cet exercice et nous avons compté ensemble le nombre de
voix pour chaque album. Nous sommes ensuite passé à la lecture de l'album qui avait obtenu le plus
de voix. Un élève de CP, s'est mis à bouder au prétexte « qu'on ne lisait pas le livre qu'il voulait ».
J'ai donc saisi cette occasion pour expliquer à cet enfant et au groupe classe l'utilité de l'exercice
précédent : « Vous n'étiez pas tous d'accord, plutôt que de se battre ou faire beaucoup de bruit et
que ceux qui crient le plus fort choisissent l'album, vous avez levé la main. En levant la main,
chaque enfant a « dit » quel était l'album qu'il préférait sans avoir à crier ». De cette manière le plus
grand nombre a choisi ce livre. C'est pour cela que nous allons le lire parce que c'est ce qu'il y'a de
plus juste: chacun à pu s'exprimer et le plus grand nombre l'emporte ». C'est finalement à ce
moment qu'il m'a semblé opportun d'introduire le mot « Vote ». « Ce que vous venez de faire
s'appelle voter. Vous avez voté à main levée pour dire quel était votre album préféré ». Il me
semblait important que les élèves aient pris connaissance de ce mot et se le remémorent avant de
passer au débat du lendemain.
B : Un Débat sur le vote
Le lendemain de cet épisode, J'ai organisé un débat dont le thème était « le vote ». J'ai
d'abord demandé aux élèves s'ils se souvenaient de la façon dont nous avions procédé pour choisir
l'album de la veille. Les enfants répondirent en choeur « Nous avons voté! ». Je demandais ensuite
aux enfants quel était la manière dont nous avions procédé ? Alexis, élève de CE1 expliqua : « On
était pas d'accord sur le livre qu'on voulait lire, alors on a levé la main pour choisir quel livre on
voulait qu'on lise et le livre qui a eu le plus de main, eh ben c'est celui qu'on a lu ». Chloé reprit
quelque peu les conclusions de notre discussion de la veille en énonçant « qu'en votant on pouvait
tous dire ce qu'on voulait, alors que lorsqu'on criait, on entendait qu'Alexis et Lucas ». La dernière
partie de sa réflexion m'apparût très constructive dans le sens ou elle permettait indirectement de
faire comprendre à chaque élève que le vote permettait de choisir, d'exprimer son choix
indépendamment de toute contrainte, de tout rapport de force. Baptiste ( CP ) ajouta que c'était la
manière la plus juste de choisir car c'était « le plus grand nombre qui gagnait ». Il ajouta que c'était
« la règle de la major », les autres élèves le reprirent pour parler de « majorité », terme qui avait été
évoqué préalablement. Un autre enfant précisa, sans doute en faisant allusion à l'enfant boudeur de
la veille, « qu'il ne servait à rien de faire la tête une fois que le vote avait été fait » car « le plus
grand nombre a décidé ». Angèle élève de CE1 ajouta que « la prochaine fois il serait peut-être bien
content d'être dans le plus grand nombre de ceux qui ont levé la main ». Cette remarque me sembla
intéressante car elle laissait penser que les élèves commençaient a prendre contact avec quelques
notions essentielles de la vie démocratique telles que la majorité, la minorité mais également le fait
que la démocratie permettait à chacun de s'exprimer même s'il était dans le « camp minoritaire ».
J'ai fait le choix de ne pas trop pousser le débat en évitant d'orienter les enfants sur la dictature de la
majorité (en leur demandant par exemple s'ils estimaient que le plus grand nombre avait toujours
raison). Néanmoins, un tel travail se serait sans doute révélé très intéressant avec des élèves plus
âgé ( Cycle III ).
A mon avis, la remarque « la prochaine fois on sera peut-être bien content d'être dans le plus
grand nombre » permettait également de se rendre compte que cette première expérience du vote
conduisait les enfants à concevoir la démocratie non pas comme quelque chose de figé mais comme
un élément évolutif.
J'ai ensuite orienté le débat sur la pratique du vote en demandant aux élèves s'ils
connaissaient des cas où les individus étaient amenés à voter pour exprimer leurs choix ou leurs
opinions. La réponse que je redoutais a été la première à être formulée par Steven, un élève de CP :
« On peut voter pour celui qui va gagner la Star Académy ». Pour éviter que le débat ne dérive
dangereusement, j'ai pris le parti de reconnaître que l'exemple de Steven traitait bien d'un certain
type de vote, mais que l'exemple des votes par SMS dans les programmes de télé-réalité n'était pas
celui qui nous intéressait dans le cadre du débat. Je pense qu'avec des élèves un peu plus âgés, il
aurait été intéressant de rebondir sur cette remarque en abordant les dérives du vote et de son
utilisation.
Une élève de CE1, Angèle, a relancé le débat en disant que « les parents votent pour le
président de la France ». Louna ajouta que les parents votent également pour le maire.
Après avoir validé les réponses des élèves, je leur demandais si, selon eux, il existait à
l'école des personnes qui avaient été élues par d'autres. Mathilde ( CE1 ), sembla traduire l'opinion
majoritaire en énonçant qu'à l'école « on ne votait pour personne ». J'ai probablement été trop
ambitieux en voulant amener les élèves a prendre conscience que les parents d'élèves étaient élus
par d'autres parents. J'ai en effet demandé à une élève, qui était fille de parents d'élèves, si elle
savait quel rôle exerçait ses parents au sein de l'école. L'enfant ne parvenant pas à me donner de
réponse, je demandais alors aux élèves, s'il savaient ce qu'étaient les parents d'élèves, aucun ne me
donna une réponse correcte, car pour eux « les parents d'élèves, ben c'est nos parents à nous ». Je
leur expliquais alors de manière assez simple que certains parents d'élèves étaient des parents des
enfants de l'école qui avaient été élus par d'autres parents pour les représenter dans les réunions de
l'école.
Camille ( CP ) a également considérablement fait avancer le débat en élargissant celui-ci aux
titulaires du droit de vote. En effet selon elle, « seuls les grands ont le droit de voter ». Or Lucas
( CE1 ) est venu contredire son propos en énonçant que « c'est pas vrai, on a voté pour choisir
l'album ». La plupart des élèves donnèrent alors raison à Lucas en fournissant des exemples du type:
« Eh ben mon grand frère c'est pas un adulte mais il a voté pour la Star Ac' avec son téléphone ». Il
m'a dès lors paru important de valider les propositions des deux enfants en énonçant que Lucas
avait en partie raison puisque, de temps en temps, les enfants pouvaient voter comme nous l'avions
fait, par exemple, pour la lecture d'albums ou encore pour choisir des délégués. J'ai également
précisé que Camille avait également en partie raison puisque pour certains votes comme ( pour
reprendre les exemples des enfants) l'élection du maire de la commune ou du Président de la
République, il fallait être âgé de 18 ans au minimum. La séance s'est malheureusement terminée là
et je n'ai pu, faute de temps mettre en place une séance supplémentaire traitant de l'importance du
droit de vote. Ce débat et cette première familiarisation avec l'exercice du vote m'ont tout de même
semblé enrichissants pour les élèves.
Mon second stage en responsabilité m'a permis d'enrichir mon expérience dans le cadre de la
formation du citoyen : autre public, autre cycle, autre thème abordé, autre pays...
III/ Communication et débat au Maroc : La condition de la femme
marocaine
A : Un contexte particulier
J'ai eu la chance de pouvoir réaliser mon second stage en responsabilité au Maroc à Salé, la
« cité-dortoir » de Rabat. L'institut Mohammed Ben Abdallah, l'école ou je me trouvais était d'une
taille très importante, environ une cinquantaine de classes et 1000 élèves. Elle fonctionnait comme
un collège français, avec différents professeurs pour chaque matière. J'exerçais dans une classe de
CM2 composée de 27 élèves. Le niveau était très hétérogène, particulièrement dans la maîtrise de la
langue française. Deux élèves nécessitaient une attention toute particulière : un élève « difficile »
scolarisé très tard et âgé de 15 ans, ainsi qu'un élève atteint d'une leucémie, au comportement
parfois très pertubateur. Il m'a également fallut m'habituer à de grandes différences avec les écoles
françaises : manque de moyens matériels, surveillance voir méfiance de certains professeurs,
sanctions données par les professeurs à coup de bâtons, référence fréquente à la religion
musulmane...
Les débats que j'ai mis en place durant ce stage avaient lieu durant la demi-heure de
« communication » (deux demi-heures par semaine). Initialement, cette discipline avait
essentiellement un objectif langagier : il s'agissait plus de faire parler les élèves en français sur un
thème donné que de les faire débattre. Mes collègues marocains m'ont cependant donné carte
blanche pour mener des débats durant cette tranche de l'emploi du temps. D'habitude deux
personnes étaient chargées de mener à bien cette activité : la professeur de français et la responsable
de la BCD. Chacune travaillait en simultané avec la moitié du groupe-classe, sur le thème qu'elle
avait choisi en accord avec les enfants. Ainsi le thème n'était pas forcément le même d'un groupe à
l'autre.
B : Un débat sur la condition de la femme au Maroc:
Lors de la semaine d'observation, la responsable de la BCD m'a fait part de son intention de
mener un débat sur la condition de la femme au Maroc, profitant du fait que nous étions à la veille
de la journée mondiale de la femme. Je lui ai demandé si je pouvais y assister et celle-ci m'a
répondu que si je le voulais, je pouvais même conduire la séance en sa présence. Satisfait de
pouvoir mener la séance et rassuré par sa présence ( je n'aurais probablement pas, en tant que
stagiaire français, osé mettre en place un débat sur un sujet aussi délicat), je décidais donc de
« diriger ce débat ». La présence de la responsable durant ce temps de débat avait deux autres
avantages. Avec une femme à mes cotés, il m'était sans doute plus facile d'aborder le sujet. De plus,
il n'était pas rare durant le temps de communication de voir certains élèves s'exprimer en arabe car il
n'arrivaient pas à formuler leurs idées en français, cette personne me permettait donc d'avoir une
« traductrice » à disposition.
Le débat a eu lieu à la BCD avec la responsable et 13 élèves réunis en « table ronde ».
J'ai lancé celui-ci en demandant aux élèves s'ils savaient ce qu'avait de particulier la journée du 8
mars. Les élèves répondant par la négative, je leur ai annoncé que ce jour était la journée de la
femme. Je leur ai ensuite demandé s'ils pouvaient me parler de la condition de la femme au Maroc.
Premier contraste saisissant, alors que toutes les filles levaient la main avec frénésie les garçons
semblaient beaucoup plus timides ( voir gênés ). Une élève, Ghislane prit la parole pour dire « qu'ici
au Maroc il y a beaucoup de différences ». Je lui ai alors demandé de quelles différences elle voulait
parler. Selon elle « il y a de grandes différences entre les villes et dans les campagnes », la majorité
des élèves acquiesça. Selon Maria « à la ville les filles vont à l'école alors qu'à la campagne elles n'y
vont pas ». pour Rajae, « les filles de la campagne doivent aider leurs parents à travailler et elles ont
pas le temps d'aller à l'école ». La responsable de la BCD, fort documentée, précisa alors que 48%
des femmes de la campagne n'allaient pas à l'école. Je demandais alors aux enfants pourquoi il était
important pour les filles de pouvoir aller à l'école comme les garçons. Youssra répondit
naturellement: « pour apprendre des choses ». Ghislane précisa que « la première chose à apprendre
c'est lire car au Maroc il y a beaucoup de femmes qui ne savent pas lire surtout, chez les personnes
âgées ». Je demandais donc aux élèves pourquoi selon eux il est important pour une femme de
savoir lire ? Pour Haytam, premier élève garçon à prendre la parole durant le débat, « c'est
important car comme ça elles peuvent apprendre autant de choses que les hommes ». Ghislane,
visiblement très intéressée par le sujet précisa que « si les femmes savent lire elles connaitront leurs
droits ». Cette dernière remarque était très intéressante en ce qu'elle permettait de faire le lien entre
l'importance de l'instruction et la défense de ses droits. Haytam illustra bien ce propos en énonçant
que « par exemple la femme qui ne sait pas lire, elle peut signer n'importe quel papier que son mari
lui donne comme l'autorisation d'avoir plusieurs femmes ». Ma collègue valida cet exemple en
énonçant que dans les très rares cas où la polygamie était encore appliquée, il fallait une
autorisation signée de la première femme, autorisation souvent obtenue sans que l'épouse ne sache
ce qu'elle signait en réalité.
Marwa ajouta « qu'à la campagne les filles qui n'allaient pas à l'école pouvaient également
être envoyée comme bonne à la ville pour rapporter de l'argent à leurs parents » et qu'elles étaient
souvent maltraitées. Salima m'expliqua que ce phénomène était très courant et qu'on les appelle
« les petites bonnes ». Je demandais alors aux élèves s'ils connaissaient d'autres injustices dont les
femmes étaient victimes. Un autre garçon, Ayoub, m'expliqua que « des fois la femme elle est
traitée comme les enfants ». Ghislane précisa sa pensée en expliquant que si les femmes voulaient
par exemple « aller à la France, il fallait l'autorisation écrite du mari ». Kaoutar ajouta que « la
femme qui veut se marier, elle doit avoir l'autorisation de son père ou s'il est mort, de son frère
même s'il est beaucoup plus jeune et que c'est sa soeur qui l'a élevé ».
Après la distinction ville-campagne, Maria fît une autre distinction intéressante concernant
la condition de la femme marocaine : « Il y a une grande différence entre les jeunes et les vielles
femmes ». je demandais alors aux élèves pourquoi, à leur avis, il existait une telle différence de
situation. Pour Maria « c'est parce que les filles jeunes elles vont beaucoup à l'école et elles ont des
travails »; Ghislane ajouta que « les filles maintenant, elles connaissent leurs droits ». Pour Youssra
« dans les écoles, on parle beaucoup aux élèves de la femme ». Othmane insista sur le rôle d'un
autre acteur quant au progrès de la condition féminine « a la télé, il y a beaucoup de reportages qui
montrent des femmes du Maroc qui réussissent, qui sont connues ou qui ont des grosses
entreprises28 ». J'ai ensuite demandé aux enfants si on pouvait dire que la jeune femme marocaine
qui habite en ville était considérée comme l'égale de l'homme. Quasimment tous les élèves
répondirent d'un grand « non! ». Ghislane expliqua que les « chefs ils préfèrent toujours donner du
travail aux hommes qu'aux femmes ». Selima ajouta que « pour le même travail, les femmes elles
sont payées bien moins chers ». Après avoir expliqué aux enfants que cette discrimination à
l'embauche existait également en France, j'ai décidé en accord avec ma collègue de conclure la
séance en demandant aux élèves quelles solutions ils pouvaient trouver pour aller vers une
amélioration de la condition de la femme au Maroc. Les solutions proposées furent les suivantes:
– « Que la Femme puisse signer autant de papier que son mari et qu 'elle est pas toujours
besoin de son autorisation ». (Ayoub)
– « Que toutes les femmes soient obligées d'aller à l'école et même dans les campagnes ».
( Ghislane )
– « Que ceux qui traitent mal les femmes ou qui les battent vont en prison ».( Haytam )
– « Qu'il y'ait plein de femmes à la télé ».( Kaoutar )
– « Que les femmes aient la même paye que les hommes dans leur métiers ».( Othmane ).
– « Qu'il y'ait une déclaration des droits de la femme ».( Sélima, une élève très engagée,
déléguée de sa classe et très au fait des problèmes écologiques, des Droits de
l'Homme...)
C : Analyse de ce débat:
Ce débat est intervenu tôt et sans que j'y sois pleinement préparé puisque je l'ai conduit
durant ma semaine d'observation. Ainsi, il m'a été parfois difficile de réguler le débat au niveau des
prises de paroles, les élèves parlant en général assez fort et sans lever la main ; cela étant sans doute
lié à une certaine différence culturelle. Après entretien avec la responsable de la BCD celle-ci m'a
informé que les temps de communication se déroulaient toujours ainsi. Je me suis d'ailleurs aperçu,
durant ma semaine d'observation, que cela se passait également ainsi dans les autres disciplines. J'ai
donc travaillé avec les élèves sur les règles minimum d'écoute de l'autre durant la suite de mon
stage.
Cependant, ce débat à été très intéressant à plusieurs niveaux. Tout d'abord d'un point de vue
langagier ( objectif important dans le cadre de ce temps de communication ), les objectifs semblent
avoir été atteints. Les échanges ont été intenses, chacun à pu exposer ses arguments, tous les élèves
28 Il existe en effet sur la chaîne nationale 2M un programme hebdomadaire consacré aux femmes qui réussissent (professionnelement, artistiquement...) au sein de la société marocaine.
se sont exprimés au moins une fois et la plupart des idées ont été formulées en français, le recours à
la langue arabe ayant été minime. De plus, sur le fond, le débat s'est avéré très riche, beaucoup
d'idées ont été soulevées Le temps des suggestions de solutions pour améliorer la condition des
femmes s'est révélé particulièrement riche les garçons les plus réservés prenant finalement la parole.
Conclusion
Cette année de formation m'a permis de varier les expériences dans le domaine de
l'éducation à la citoyenneté plus que je ne l'espérais. J'ai pu assister ou diriger des débats avec des
niveaux très différents. Les milieux socio-géographiques auxquels j'ai été confrontés m'ont
également permis d'enrichir mon expérience.
J'ai pu pratiquer des débats aux thèmes assez variés ( utilité de la règle, du vote, condition de
la femme au maroc), ainsi que diverses « expériences démocratiques » (constuction des règles de la
classe, du règlement de la lutte, participation au vote). Les échanges ont été très intenses et se sont
avérés très enrichissants. Les élèves m'ont souvent étonné par leur faculté à argumenter,
compétence sur laquelle j'avais particulièrement insisté surtout lors de mon stage à Salé où les
élèves travaillaient en parallèle sur le texte argumentatif.
Je pense donc que cette année de formation ainsi que ce mémoire s'avèreront très utile dans
ma future pratique professionnelle. Enfin, il me semble que l'association entre débat et pratique
citoyenne s'avère très opérante dans la formation des citoyens de demain. Ce domaine est si riche,
qu'il serait très intéressant de se pencher ( un peu à la manière de ce qui a été fait concernant
l'élaboration des règles en lutte) sur les différentes façon d'articuler l'éducation à la citoyenneté avec
les autres champs disciplinaires.
BIBLIOGRAPHIE
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Charlot Bernard, « L'intégration, une mission pour l'école? » Actes de la journée d'éducation et devenir, Paris Hachette éducation 1997.
Danvers Francis, 500 Mots-clefs pour l'éducation et la formation tout au long de la vie, Les dictionnaires de Septentrion.
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Qu'apprend-on à l'école maternelle ? Programmes de 2002, Sceren,2004.
Qu'apprend-on à l'école primaire ? Programmes de 2002, Sceren, 2004.
L'Education à la citoyenneté: Les actes de Rencontre Education en Seine-Saint-Denis, colloque départemental du 25 au 30 mars, Magnard,1999.
Résumé:
Sujet de préoccupation majeur de nos sociétés, l'éducation à la citoyenneté à
l'école peut prendre des formes diverses. Ce mémoire se propose d'analyser les
différentes difficultés que peut rencontrer l'enseignant dans le cadre de la formation
du citoyen, tout en proposant une démarche pédagogique. Il relate ensuite plusieurs
expériences de classe (essentiellement des débats) visant à former les citoyens de
demain.
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Mots clés: Citoyenneté, Débat, Règle, Vivre Ensemble, Education Civique,