Lamartine-Nouveau Voyage en Orient

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    Nouveau voyage en

    Orient / par A. deLamartine

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

    http://www.bnf.fr/http://gallica.bnf.fr/
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    Lamartine, Alphonse de (1790-1869). Nouveau voyage en Orient / par A. de Lamartine. 1877.

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    NOUVEAU

    VOYAGE EN ORIENT

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    CM.NANN I.VV, UITKVH

    OUYRAGKS

    A. DE LAMARTINEFormai in*

    AMQUEIU ..... . , . . ........ . I lCEsiviM'K. tiWoir d'un smnte ............ l

    .\OVVEUi MHOK.NCeS .............. t

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    NOUVEAU VOYAGE

    EAJA T) T T? \T T

    PAU

    VJIUE LAMARTINE

    PARIS

    C M MAXN KUITKU1V

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    NOUVEAU

    VOYAGE EN OftIENT

    LIVRE PREMIER

    91Juki 1830.

    A4ir, terra livre plat de veau et e?oa4eGae le frle navire o| lotie en dcatintterre qui parte ca tel la forleae 4v awa4etToa rivage rteelsse a Vkorteea lelatalal . .

    (Adieux Manellle. Juin ISW.)

    Ces vors, quo j'adressais commo adieu la Franco on

    partant pour mes longs voyages d'Orient en 1832 ot 1833,Mo reviennent & la mmoire maintenant on naviguant surcoi mmos mors et sous ce* mmes vents l j faisais

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    2 ."

    NOUVEAU VOYAOK BN OR1RNT.

    quoiquo graves qu'elles puissent tre, soient aussi sinistres

    que les circonstances do 183?dans lesquelles je laissais alorsla Franco. Los journes do Juillet, bleu plus sanglantes quolesjournes de Fvrier, vonaiont do constorner tes esprits. Lo

    , principe do la lgitimit, beau do prestige, faible do fol,

    auquel l'Europe s'tait rattache aptesttente ans dYclipse,

    forages ot d'invasions rciproques des peuples, venait do

    s'crouler do nouveau. On s'tait jottourdimont a uno mo-

    narchio d'occasion ot do reeltango qui n'avait ni la lgitimitnationale ot populaire do la rpublique, ni la lgitimit tra-

    ditionnelle ot sontimontnlo du droit divin. Cetto royaut doJuillot, acclame a huis clos par uno ceniaino do dputsaftlds dans la chambra ot par cinq ou six journalistes dans

    la rue, no pouvait avoir la solidit d'une forme do gouver-

    nement so soumettant, commo la rpubliquo, nu jugemontdu suiTrago universel, ot sortant a l'unanimit do la dlib-

    ration do quatro mois d'unoasscmblonationalocoristituanto.

    Si on lui demandait son titro ot sa source, cllo no pouvait

    que balbutior dos pratoxtos, dos oxcusos, dos ambiguts. Jo

    suis la meilleure des rpubliques. Jo suis uno monarchioontouro d'institutions rpublicaines t > Mais, pour dire uno

    monarcMo entoure d'institutions rpublicaines, il ihut

    d'abord uvoir lo droit d'tre uno monarchie; do quel droit*

    l'tiez-vous?... Mais, pour dire la meilleure dos rpubliques,il mut d'abord ;ro rpubliquo; do quoi droit no l'tiez-vous

    pas?Do plus, cetto monarchio sans titro lirditalro, ot cetto

    rpubliquo sans suffrage ot sans ratification nationalo avait

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    N0UVRAU VOYAOR BN OIURNT. 3

    venait d'tra assassinpar

    unfanatique d'illgitimit;

    unenfant innocent par son ge, couronn par sos droits ! Elle

    remplaait tout cela dans des palais tout chauds do lour ro-

    cento prasoneo, tout lugubres do leur absence, tout retentis-sants oneora do serments prts ot oublis ! Kilo no pouvait

    faire un pas dans ces salons ot dans cesjardins sans y voirla place du trano do Louis XYIll ot do Charles X, du ber-

    ceau du duo do Bordoaux! Cetto Ido soulevait lo coeur do

    ceux qui no comprennent pas la royaut, mais qui compren-

    nent la nature! Les plus Justes ot les plus indulgents,commo moi, n'accusaient pas la royaut do Juillot do crime,mais ils la plaignaient do sa situation. Quoi exil n'et t

    prfrablo a ce couronnement dans la maison do l'exil ?tro proscrit pour sa fidlit a sa famille, co n'est rlon l

    mais prescrira pour rgner, mmo malgr soi, a la placedu proscrit, o'ost lo pilori do l'ambition, ou o'est la vortu

    au-dossus do la comprhension du coeur humain !

    Jo crois que o'talt do la vortu, mais c'tait uno doulou-

    reuse ot aflruso vertu ! On n'en savait pas gr au princenouveau, parce qu'on no comprenait pas ce stocisme. Aulieu do rendra la dynastio rouvello intressante, il la ren-

    dait antipathique au coeur do la Franco ot do TEurapo.Cotto dsaffection do l'univers affaiblissait cetto royaut.

    On pouvait l'ostimor, impossiblo do l'aimor; triste condi-tion d'uno race. Los races royales no s'onracinont quo danslo sentiment. Lo sontiment tait avec la piti ot los larmosdu parti des vaincus ot dos oxils.

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    au Palals-RoyaL La Mawiltaise, qu'on leur chantait, avaitl'accent d'une drision. La monarchie entoure dastitu-

    tlons rpublicaines devait tre, quelques annes plus tard,une royaut entoure des fortifications de Paris.

    Los sditions succdaient incessammont aux sditions

    dans la capitale et dans les provinces. Les ministres doCharles X taient assigs do menaces et de cris do mort

    a Yincenues, et la cliambra des pairs n'cliappait a l'op-

    pression de l'meute qu'en les condamnant a uno temelle

    captivit. Lyon, la capitale de l'industrie et du proltariat,tombait doux fols on doux ans au pouvoir do l'insurrootton.

    La garnison en tait chasse aprs trois jours de combats.

    Lo marchal Soult n'y rentrait, comme dans une ville

    conquise, qu'a la tte do trente mille hommes et a la suito

    d'une capitulation. La guerre civile courait, clatait, iucea-diait la Bretagne. La lgitimit, reprsente par uno prin-cesse aventurouso et hroque, s'attachait en dsespre au

    sol de la Vende; Trahie a prix d'argent, et trane dans

    les prisons d'tat, elle livrait ses mystres do femmo pourranon de sa libert. L'Europe, indcise et exigeante,reconnaissait lentement la royaut do Juillot, mais lui

    faisait marchander ces reconnaissances, ot no les accordait

    'tout haut qu'en protestant tout bas contra uno usurpation

    colore de ncessit. Rlon n'tait franc, rien n'tait not,rien n'tait logiquo dans ce gouvornomnt d'oxpdient ot

    dans cetto situation do l'Europe*

    ouplo n'tait paslo

    peuple, c'tait une troite oligarchie lectorale, mprise

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    NOUVRAU VOYAOB RN ORIRNT. S

    coeur pesait dans te poitrine do tout le mondo. Voila cequ'tait mon pays en Juillet 1833.

    WjUtuISM.

    La mer st belle, mais elle n'est pas morte oommoles

    mers d't. Une briso lgre d'ouest Joue aveo les petitesvagues du matin. Kilo les couronne do distance on dis-tance do flocons d'cume, qui so teignent en ptillant do

    l'or, de la pourpra et du lilas des rayons rasants du soleil.

    On n'entend, sur lo pont du btiment, que lo balancierrgulier do la machino a vapeur. Lo .mouvement du pis-ton nous mesura l'espace quo nous parcourons, comme lo

    balancier de la pendule nous mesure le temps. Lo ronflo-ment des deux roues qui plongent la moiti do leurs pa-lettes dans l'eau rassemble au hennissement continu ducheval de mor, dont les flancs suent sous lo poids qu'il porte.Une voile, a peino gonflo par les bouffes intermittentesde la brise, palpit au moindre roulis du navire. Ma-

    dame do Lamartine, M. do Chamborand, M. de Cham-peaux et moi, nous sommes les seuls trangers do cettomaison flottanto. Kilo nous appartient ainsi tout entire,commo une maison des champs quo nous aurions loue

    pourune saison, au bord do la Mditerrane. Mais c'est

    une maison mobile qui change d'horizon et do ciel pen-dant chaque nuit, et qui aura pour perspective, tantt lacoto dentele do Toulon, d'IIyrcs, do Nice ot do Gnes,tantt les plages do la Toscano, do Livourne et do ses

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    NQUVRAV VQYOK BN ORIENT.

    d'embouchures do canon pour garder la porto outra deux

    mondes ; tantt la mer do Marmara, o se rflchissentles neiges du mont Olympe; tantt la pointe du srail, la

    Corae-il'Or, lo fleuve sal"du Bosphore, ces Chami^-Klysosmaritimes do l'Europe et do l'Asie, qui semblent ne se tenir

    a distance que pour s'admirer mutuellement ; tanttenfin

    Constantinople, ce dernier mot do la beaut du globo, cetto

    capitale rvle par Dieit lui-mme a tous lespeuples quirvorent la monarchio universelle.

    Juin183(0,

    Pendant que jo misais ces rflexions sur tes diffrents

    aspects que j'allais parcourir do nouveau, l'ilo do la Melo-

    ria ot lo phare do Livourno, isol sur un cueil, sortaient do

    la mor devant lapreuo

    duvaisseau,

    ot nousjetions

    l'ancredans lo port do cetto capitale maritimo do la Toscano ou

    j'ai pass, a plusieurs reprises, les mois et les annes les

    plus calmes do ma vie.Alors Florence tait lo salon do l'Europe. Un prince

    Jeune ot clair s'efforait d'y continuer le gouvernement ala fois libral otpatornol do Loi>oltl, ce premier princequi tenta d'appliquer la philosophio a la lgislation, ce

    disciplo ot cet mule de Turgot, 11avait fait do la Toscano

    l'oasis do lalibert,

    avantquo

    la libertcomprimo

    ontfait explosion partout sous les trnes. Il avait ou lo pres-sentiment do l'inconnu. Il avait dovanc co quo les peuplesallaient demander aux rvolutions, on leur donnant toutco qu'ils pouvaiont souhaiter do droits, d'galit, do

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    NOUVEAU YOYAOR 8N QRIRNT.

    mont do l'esprit d'un pouplo italien. /> grand-duo do

    Toscano mtuol mo traitait, a cetto poque, plus on ami

    qu'en rein ttartt d'uno piissaneo trangre accrdit

    prs do lui, J'avais l'aeeos do sa bibliothque particulireau palais Pitti, 11 s'y rendait do so3 appartements pour

    causer do politique, do philosophie, do littrature, doposio aveo moi, Jo lisais san3 voilo dans cotto amo brft-

    janto du ddr do rendre soi peuples heureux. Jo sortais do

    ces entretions secrets pntr do respect pour co Jeunohomme. Jo lui aurais souhait un empire plus vasto et

    plus indpendant : o'tait la passion du bion do l'infortunLouis XVI, aveo plus do lumire, plus do grAco ot plus do

    |K>Utessodans l'esprit, Quelque choso do mlancoliquo ot

    d'affaiss planait des cotto poque (1820) sur son front,

    commo s'il avait ou d'avance la rvlation do l'inutilit doseseffortsetdosa fausso situation en 18(8. Il n'tait pasItalien. Voiht sa mauvaise toile. En 1818, il n'avait qu'unparti a prendre, so faire ontiremont ot a tout prix Italien,confondre son sort aveo lo sort, quel qu'il ft, do l'Italie

    Quand uno question do nationalit so soulev, on no peutpas rester lo cliof do la nation qu'on gouvorno on gardantdans ses veines lo sang do la race qui dispute son indpen-dance a cetto nation. Il faut choisir entre son peuplo et sa

    maison. Si lo grand-duc do Toscano voulait rester princodo la maison 'd'Autriche, il fallait abdiquer ds le premier

    jour oit lo cri d'affranchissement do l'Autriche s'lova on

    Toscano; s'il voulait rester souverain du centre de l'Italie,il f ll i li T l L'

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    regrett de ses sujets et retir dans un digno exil, ou sou-

    verain restaur et clment la tto d'uno arme de sonsang, dans ses tats, ou souverain italien a la tte du

    centra indpendant de l'Italie, pour lequel il aurait com-

    battu. Ces conseils, je n'ai pas pu et jo n'ai i>as du les lui

    donnerpendant quo j'tais

    ministre de la rvolution fran-

    aise do Fvrier. Ils lui auraient pam suspects, et, de plus,nous no devions pas susciter l'Italie & la guerre par les

    ; insinuations d la France ; nous no devions pas la lancerdans uno lutte dont il lui appartenait seule d'apprcier lo

    droit, l'heure et les ventualits. Lo sang de l'Italie nonous appartenait pas. C'tait a'elle de mesurer son cou-

    rage et ses forces. La lancer et la suivre, c'tait allumerl'incendie du monde. La lancer et l'abandonner, c'tait lalchet du crime. Nous ne l'avons pas fait ; j'en attesto lesmnes de Charles-Albert et la conscience du grand-duodo Toscano.

    Je passo la journe dans le port de Livourne, plongdans ces penses d'affection et de regrets pour le prince et

    pour le ft liple. Je cherche reconnatre de loin les toits etles jardins des belles villas sur la route de ^ontenero, on

    je Venais passer, au bord del mer, les mois brlants etcalmes do Tte. C'est l que j'ai crit les deux volumes

    iHarmonies potiques. Ils respirent les odeurs et refltent

    les lueurs do cette partie do l'Italie. Quelquefois le soir,-quand l'ombre du crpuscule couvnyt les routes et serrait

    do voile h ces infractions de l'tiquctto des cours, une mo-.destocalche a deux chevaux s'arrtait a la porto del

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    vers que j'avais crits dans la journe. Jo no pouvais avoir

    des esprits plus indulgents, des coeurs plus religieux etplus potiques pour leur confier mes strophes. Elles taientde la patrie de Schiller et de Goethe ; elles me rappelaientPKlonoro de Ferrare. Elles en avaient la grce, les

    charmes, l'enthousiasme, la familiarit. Mais jo n'avais nile gnie ni la dmence du Tasse.

    L'une do ces princesses dort dans le spulcre de marbrede San-Lorenzo, sous les statues du Jour ot de la Nuit, de

    Michel-Ange. L'autre console les disgrces et les angoisses

    du grand-duc, et moi, je passe inconnu, oubli, devant cesdemeures oje fus honor, puissant et heureux Livourne. 0

    jours! vous tes plus mobiles que ces flots, plus indcis quecejte immensit, plus obscurs que ce pass et cet avenir!

    Nous no sommes srs que de deux choses, c'est que lamort et Dieu y sont. Allons donc & ttons, mais allons tou-

    jours avec confiance.

    2 juin 1830.

    J'ai eu la visite d'une nice charmante, qui habite

    Livourne, et qui a reu mon nom son baptme. Char-mante apparition d la famille, de la maison paternelle etde la patrie dans une barque, sur l'onde agite, au pied de

    l'escalier extrieur du btiment. Les lois de la quarantaineempchaient de monter a boni, et m'empchaient do des-cendre. Le vent emportait ses paroles et ses cheveux, maisnon ses gestes de tendresse et son sourire, Alphonsine res-

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    Mais la Aime s'lve en colonne lastique et tour-

    noyante au-dessus do la chemine do bronze du navire ; losoir tombe commo uno pluio do tnbres ot do rose sur la

    cte d'Italie. Nous labourons do nouveau les lames gonfles

    par la brise du jour. Les flancs du btiment gmissentcomme s'ils allaient s'entrouvrir. On dirait

    quolo bois

    souffre du poids do mtal, de chaudires, de charbon, do

    feu et de voiles dont il est charg. On dirait qu'il prendd'avance la voix du cercueil dont il doit nous envelopperun jour. Le regard rentre dans l'me, l'esprit s'assombrit,

    le coeur devient pesant, le silence gnral indique les re-tours quo chacun fait sur ses destines. On pense aux atta-chements qu'on a autour do soi et qui courent par dvoue-

    ment les mmes fortunes, aux amis, aux tendresses qu'on a

    laisss terre, l'inconnu, l'espace dans lequel on se

    prcipite travers ces tnbres. Tout coup la cloche duvaisseau tinte, demi vapore dans l'ouragan, une des

    heures de la nuit. Si on sait par coeur un des psaumes do

    son enfance, que aotre mre nous faisait rciter le soir, au

    coin du foyer, au bruit du vent et de la pluie d'automne,oh en retrouve les lambeaux dans sa mmoire, et on lo

    redit tout bas, au roulis de la mer sans fond !

    sjuinisso.

    Ce matin, au rveil, la mer est moins lourde. Le bti-ment reprend |u peu son aplomb sur les vagues. Leslames ne viennent plus qu' lents intervalles frapper leurs

    coups secs, et rejaillir en poussire sur sesflancs. D'ailleurs,

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    NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT, 11

    insecte, devant lui. On a confiance dans ce Dieu, dont on

    croit contempler lo regard univorsel sur l'Ocan. On so dit: Il mo voit, donc il m'aime, donc il rao survcillo, donc il mo

    garde. > La foi qu'on a, pendant I03 tnbres, dans l'espritseulement, on l'a maintenant dans les sons. Diou vous p-ntre do sa

    transparencecommo ces

    rayons pntrentces

    vagues. On Ilotto gaiemont cftnmo elles, sans savoir o l'on

    va ; mais on sait qu'il lo sait, lui, ot on so flo co piloteinvisible comme ces lames se fient au vent.

    Assis sur le beaupr, au-dessous duquel jouent I03 dau-

    phins, jo ne puis m'empcher do mdire moi-mmo : ODieu mo mnc-t-il? Comment suis-jo ici? Par quelles s-

    ries do circonstances tranges, improbables, ai-jo changma maison de pierre, sur lo rocher de Milly, contre cetto

    maison flottante surl'abimede la mer? Pourquoi suis-jo iciet non ailleurs? Quo vais-je chercher au-del do l'Ocan?

    Une patrie? mais j'en avais une; un toit? mais jo poss-dais celui de mon pre ; un champ? mais je cultivais celui

    de mes aeux; des amis? mais j'en laisse do tendrement

    attachs moi de ce ct do la mer, et j'aurai en quterdo l'autre ct; une famille? mais j'en ai uno quo j'ainioeh Franco commo lo coeur aime et rappelle lui les gouttesde sang qu'il a labores et qu'il a rpandue* dans les

    rameaux de ses propres veines. Est-ce bien moi? Et comment suis-jo ici? Voyons si jodors ou si jo veille? si je rve ou si jo vis? Expliquons-nous nous-mme nous-mme, et repassons ce song ou

    cette i d relle de mon existence q i s'est coule de-

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    12 NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT.

    D'abord, j'ai eu, presquo en naissant, lo pressentiment

    de l'Orient. Ma nature est primitive et solaire, je crois. Lesoleil m'attire commo lo tournesol. Les sites, les mers, les

    montagnes, les moeurs, les posies, les religions, les aven-

    tures, les sagesses, les philosophies, les hrosmes, les

    dserts, les oasis, les loisirs, les choses, les trnes, les

    langues, les histoires do l'Oriont, m'entranent involontai-rement vers ce berceau do soleil du jeune genre humain. 11

    faut qu'il y ait, je ne sais comment, quelques gouttes do

    sang oriental, arabe, persan, syrien, biblique, patriarcal,

    pastoral dans mes veines, gouttes quo je retrouve puresencore aprs ces gnrations et ces gnrations o rien no

    se perd dans la transmission de la vie travers les sicles.

    Peut-tre une migration comme celle, des Phocens sur .la

    cte de Provence ; peut-tre une mre ramene, Tpoquo

    des croisades, d'Antioche ou de Ptolmas dans les Caillespour enfanter une race mixte de Francs teints du ciel ma-

    ternel ; peut-tre uno alliance avec ces tribus sarrasines

    qui so sont implantes, et qui subsistent encore, en villages

    aujourd'hui chrtiens, dans nos montagnes du Maonnais.Qui sait? Nous le saurons un jour, quand nous saurons tafiliation des gouttes de rose qui composent les lacs de l

    Suisse, ou la filiation des grains de sable qui composent le

    granit du Liban.

    Ensuite ma nature, active et philosophique avant tout,a cependant t mle aussi de pcsic dans une certaine

    proportion. L'Orient est la terre des images. J'aime cettoterre comme le peintre aime sa palette. Notre me a ses

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    NOUVEAU VOYAOB EN ORIENT. 13

    des dluges, les dchirures du globe, les croulements des

    pans de rocher, les hiroglyphes do Dieu sur la face duglobo? O la mer entouro-t-elle d'uno ceinture plus serreet pins bleue les continents, les caps ot les les? O ces iles

    sortent-elles tous les matins du sein des flots avec plusd'oliviers, d'orangers, do myrtes, de lauriers-roses et, d

    villages, ces blanches ruches d'hommes qui vont bourdon-ner tous les jours? O les barques et les calques do toutesformes et de toutes voilures glissent-ils en plus grandnombre sur les ctes et entre les archipels? O les golfes

    s'ouvrent-ils plus larges et plus profonds au tournant descaps? O s'ombragent-ils de plus vertes ombres des mon-

    tagnes et vont-ils porter au fond des anses, o dorment les

    grandes villes, plus de murmure, de fracheur, d'cume etde vaisseaux de la haute mer? O les ruines des cits, des

    temples, ds citadelles reposent-elles avec plus de majestsur les flancs des collines ou sur les pointes des cueiis,vastes lits de coquillages ptrifis dont les habitants ont

    disparu? O de jeunes et merveilleuses capitales comme

    Stamboul, Scutari, Ismir, Alexandrie, Beyrouth; s'hV-vnt-elles plus rapidement, comme des vgtations d'unenuit? O les religions se succdent-elles avec plus do vicis-situdes du ciel lui-mme, et se surmontent-elles les unesles autres d'tages en tages : temples mystrieux do Bal-

    bok ; synagogues de Jrusalem, colonnades du Parthnon,deThbes ou d'phsc, basiliques des croisades, Sainte-

    Sophie de Constantin, changeait de dieu sans changer de

    piliers ni de dmes lits du terrent des ges qui n'a laiss

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    14 NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT.

    castus,-orangers, lauriers-roses ou cyprs! Puis le cha-

    meau, le cheval arabe do Job, la chvre qui se confondde loin avec lo rocher bruni des caps, puis les costumes

    grandes lignes et vastes plis, des cavaliers, des pasteurs,des voyageurs rencontrs sur les routes, leurs attitudes,dont on no retrouvo le modlo que dans les marbres anti-

    ques, leur salut srieux et mystique, qui appello toujoursDieu en tiers entre deux hommesqui se rencontrent ; enfin,les figures cleste do femmesentrevues travers les gril-lages de bois odorant, et les rosesaux fentres des harems,

    comme les mystres de beaut de la terre! Do toutes ceschoses runies, lues ds l'enfance, rves par les beaux

    jours des soleils d't dans le jardin, savoures dans les

    potes et dans les conteurs arabes, coutes et retenues aucoin du foyer de famille dans les rcits merveilleux des

    Voyageurs et des navigateurs de ces mers et de ces d-.serts, uno grande image gnrale, confuse, diapre, unarc-en-ciel intrieur d'imagination s'tait form en moi ;c'tait l'Orient ! Depuis, je l'avais vu aux plus heureuses

    annes de ma vie, de mon coeuret de ma fortune. J'y avaisrpandu uno partie de mon tre, et j'aimais y revenir surmes traces pour m'y retrouver dans mon pass.

    20 juin 1850.

    Je m'veille la hauteur de l'le de Maritirao, espce doborne gigantesque dtache de la cte de Sicile, et jeteen avant par la nature, comme ces colonnes de bronze queles diles placent l'angle des grandes rues, au tournant

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    NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT. 15

    dors par la lumire horizontale du sol.i, a toutes les

    teintes d'un bronze florentin lgrement verniss d'or.C'est un cube immense sculpt grands coups do ciseau

    et angles droits, uno fable, commo on dit en termes do

    marin. Cette masse ne porte rien quo quelques maisons do

    pcheurs

    peinedistinctes du rocher sa

    base,et une

    pri-son d'tat qui semble se confondre avec lo roc lui-mmo

    sur un cap lev et avanc. A* une do ses extrmits on

    aperoit, l'aide des lunettes d'approche, quelques sou-

    piraux grills au-dessus des murs gris qui surmontent les

    inaccessibles prcipices. Ces cachots sont pleins des der-niers combattants pour l'indpendance de la Sicile : pri-sonniers d'tat qui se chauffent au soleil de leur berceau,

    qui respirent l'air de leur patrie, et qui, s'ils meurent dans

    ces casemates, auront du moins pour leur cendreun

    coindu rocher natal! lie voyageur libre et entour des siens qui

    passe ainsi sous une prison en vue de la mer ne peut d-

    tacher ses yeux ni son imagination de ces murs et de ces

    donjons qui renferment les mystres de la captivit, de la

    vengeance, du crime quelquefois, souvent aussi de l'inno-cence et du patriotisme puni pour des actes que la post-rit transforme ensuite en martyres et en vertus! 11 se

    demande lui, heureux, assis, rvant l'ombre de sa voile,

    au bruit de l'cume joyeuse qui lave les flancs de sa proueen le portant aux rivages qu'il aime, ce quo pensent, co

    que rvent, ce que souffrent ces pauvres captifs, enviant

    du regard son espace, son air, son soleil, sa route, sa

    libert ! H i tout bas Dieu visito d'un rayon

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    16^ NOUVEAU^VOYAOri EN ORIENT.

    tient par uno langue do terre basso au continent. Tous les

    alentours sont plats, bruns, dserts; couleur de haillons.On ne voit ni toits, ni Aime, ni murs blanchissants sur la

    cte, des lagunes ou des flancs de collines, parcours des

    chovricrs do Thocri te, l'Homre des pasteurs. Derrire

    ces lagunes et ces valles qui s'largissent, et ces coteaux

    gris qui s'tagent, des tranes do lumire matinale sur lesbrouillards do la rose conduisent l'oeil jusqu' des som-

    mets alpestres, qui s'lvent comme des dmes au centre

    de la Sicile, vagues solidifies de cette terre de feu qui a

    produit l'Etna. Pendant la journe entire, nous suivonsdo trs-prs toutes les sinuosits do cetto longue cte. Ellen'a rien d'accentu ni de pittoresque de ce ct de l'ile.

    Co sont des collines presque sans dentelure, qui viennent

    mourir en pentes douces sur la plage, no laissant, entre la

    ligne bleue de la mer et elles, qu'un espace rtrci, etrichement cultiv, o s'lvent, a et l, les clochers d'uno

    cathdrale, les dmes espagnols d'uno chapelle, les mu-

    railles hautes d'un couvent, puis quelques maisons de

    campagne aux murs blanc? et aux treilles vertes, groupes

    autour de quelques petites villes, des ports anims par lopetit cabotage d'une cte fertile, uno frange d'cume surun sable tincelant, des voiles de pcheurs rasant le ri-

    vage, des enfants jouant avec des nes sur la marge do

    l'eau, quelques beaux vignobles mi-cte, donnant ce vin

    de Marsalla ambr comme la sve des ceps du Midi.L'quipage du btiment {VOront) ressemble une fa-

    mille autour d'un foyer. La mer inspire aux hommes quil'habitent lo mmo caractre que le drapeau inspire

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    NOUVEAU VOYAOB EN ORIENT. M

    de,l vio de

    garnison.Lo marin est

    toujoursen

    campagne,en guerre avec les lments. Son arme n'est pas seulement

    sa parure.ou sa dfense, comme le sabre ou le fusil; son

    arme, c'est son btiment ; son btiment, c'est-sa vio

    mme, et la vie et la fortune do ceux qui se sont confis -

    son mt. 11no lui est pas permis do l'oublier ou do le n-gliger un moment. 11n'y a ni jour ni nuit sur un navire

    pour, lo marin, c'est le quart qui dure sans An, et.que

    chaque officier, chaque matelot vient prendre, en se suc-

    cdant,

    l'appel rgulierdo la cloche ou du sifflet do

    bord. Le vent qui change ou qui peut changer, le baro-

    mtre qui monto ou qui descend, le nuage qui se form et

    qui contient le grain l'horizon, la lamo qui se gonfle ou

    qui s'aplanit, la route qu'il faut so tracer dans le vague

    espace par le calcul, l'cueil marqu sur la carte qu'il fautsurveiller, l'approche de la terre qu'il -faut craindre, l'le

    perdue au milieu do l'Ocan qu'il faut rencontrer et re-

    connatre pour s'assurer qu'on est bien en route, la ma-

    noeuvre

    commanderon

    excuter, le timon tenir sansdistraction, sans faiblesse comme sans violence envers la

    lame, les mille accidents atmosphriques du jour, de la

    .nuit, les aspects et les couleurs des eaux, les oiseaux quiprsagent le calme ou le vent ; les dauphins ou les bonites

    qui suivent le sillage, ou qui contournent, en bondissant,le btiment, de la poupe la proue, semblables descoursiers do mer qui se dtient la course, et qui raillentl'homme do sa lenteur, et le vaisseau de sa pesanteur sur

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    18 NOUVEAU VOYAOB EN ORIENT.

    mer elle-mmo, et quo lo peintre ou lo chantre avaient

    recul par. lo sontiment do leur faiblesso dovant la gran-deur, la sublimit, la grce ot la vanit do3 vagues. Uno

    fois j'avais essay moi-mmo; j'avais bauch et com-

    menc quelques chants d'un pomo maritime intitul les

    Pcheurs, inspir par mes longs sjours dans les les et

    par ma frquentation avec les familles do matelots. Ce

    pome, qui ne consistait encore qu'en trois chants, a t

    gar par moi dans un do mes voyages, Jo l'ai toujoursregrett, sans avoir lo courage do lo recommencer. On ne

    recommence pas l'enthousiasme. Quand lo charbon estteint, on jetto en vain de l'encens sur lo foyer do l'encen-

    soir, rion no fumo plus. Lord Byron, seul, a eu quelquessouffles do vent do mer et quelques palpitations do voilessur les cordes jeunes do sa lyre dans lo Corsaire et dans la

    Fiance d'Abydos. Mais co n'taient quo des gerbesd'cume sur un cueil, ou des anses l'ombre do la cte;co n'tait pas l'Ocan tout entier. Je mo trompe, il y a

    dans lo Plerinage d'Harold quelques strophes qui valent

    un pome:

    Roule bleu, sombre, profond Ocan !...

    Mais lo monde roule avec lui ! Lo ciel, le soleil, la lune,les -toiles, les cimes neigeuses do l'Olympe, de l'OEta,

    du Liban, du Taums, flottent avec ses vagues. Ce sont lespans brises du miroir de l'univers, les lueurs liqufies,les splendeurs mouvantes, les ondulations ternelles, les

    repos majestueux, les couleurs changeantes, les contre-

    l l b it l

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    NOUVEAU VOYAOB EN ORIENT. 10

    37 juin ISTiO.

    A peine a-t-on quitt la Sicile et vogu quelques heures

    d'une nuit dans la grande mer dont les lames viennent do

    la cte d'Afrique, qu'au rveil on aperoit sous la brume,

    comme uno longue muraille sur la mer blancho et doro.C'est Malto. C'est ce dernier asile de l'institution barbare

    de la guerre terncllo do religion, bientt, je l'espre,

    disparue du monde. Malto, et Rhodes avant Malte, et

    Smyrne avant Rhodes, et les croisades avant Smyrne,c'taient les avant-postes do l'antipathie do culte, btis

    par les chrtiens sur la terre des Ottomans ou des Arabes,dans ces temps de fanatisme mutuel, o l'on se disait, d'Un

    bout de la terre l'autre : < Crois comme moi, ou je te

    tue ! > C'est co qu'on appelait la loi forte, l'intolrance

    sacre, Dieu pour soi seul, la mort et l'enfer aux autres.

    Malte n'tait qu'une croisade ptrifie. Cette le devait

    tomber aveo l'intolrance. Pour protger la navigation

    contre quelques pirates barbaresques, il n'y avait pasbesoin d'une dclaration do guerre perptuelle l'isla-misme : il suffisait d'une expdition d'Alger et d'une bonne

    police europenne sur les ctes de la Mditerrane. Nousl'avons

    faite,et la

    paixest redescendue sur mer commo

    sur terre. Malto n'tait qu'un brandon teint de guerrebarbare entre l'uropo et l'Asie. I-es hommes qui rventla reconstitution de cet ordre monastique et militaire nesont pas plus foux que ceux qui rvent le renouvellement

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    20 NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT.

    rez-vous de sa lumire, encadrez-vous dans des institutions

    contemporaines do vos ides ; > non, c'est trop commun,c'est trop simple : soyons du temps do Pierre l'Ermite pudu temps qui n'est pas encore n !

    Malle, 37juin 1830.

    Je ne dcrirai pas Malte, je l'ai dcrite uno autre

    poque de mes voyages ; rien n'a chang. Co sont toujoursces mmes murailles d'un blanc jaune perces d'embou-

    chures pour les milliers de canons qui la gardent, ces

    mmes arcades de travertin dores et comme incrustes derayons de ce soleil africain qui les chauffe depuis des

    sicles, ces mmes ranges de petits palais balcons mau-

    resques, sjours do dvotion et de plaisir o l jeunesse

    chevaleresque de l'Europe catholique confondait l'hrosme

    et la pit, l'orgueil du noble et l'humilit du moine, les

    observances de la rgle monastique et les nonchalants loi-

    sirs d'une garnison. Aujourd'hui co sont les Anglais quihabitent ces palais et qui les revtent de la propret, de

    * l'lgance, de la vgtation et des fleurs dont ils ont prisle got dans leurs les vertes. Us tapisjent de lierre et de

    plantes grimpantes les flancs des bastions; Ils se con-

    struisent, comme Gibraltar, de dlicieuses petites oasisde verdures et desjardins suspendus sur les glacis de leurs

    forteresses ; des vaisseaux leur apportent un peu do terre

    vgtale de Sicile, qui leur donne les fleurs et les fruits d

    l'Europe. L'ilo s'embellit et s'enrichit sous leurs mains.Les Anglais s'acclimatent, les Franais campent : voil la

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    NOUVEAU VOYAOB EN ORIENT. 21

    pleine mer, en vue do l'ile. Kilo rentre lo soir au coup do

    canon du coucher de soleil. La garnison so compose do plu-sieurs rgiments de ligne et d'un rgiment de Maltais ha-

    bills, arms et solds pour la parade, mais la condition

    de nejamais sortir do l'ile. Les sentinelles se promnentd'uno

    gurite l'autre

    ;semblables des crneaux ambu-

    lants, elles dessinent leurs profils rouges et leurs baonnettes

    resplendissantes au sommet de toutes les fortifications sur

    le fond bleu de la mer ou du ciel. La quarantaine impose

    par rciprocit de peur aux vaisseaux qui ont touch la

    cte d'Italie nous interdit l'entre do la ville. Nous voyonsses quais et ses rues, nous assistons ses trafics, nous

    entendons ses voix, mais des chaloupes au pavillon jaunedemeurent en station au pied de notre chelle et nous d-

    fendent de serrer la main nos amis. Nous prenons ducharbon pour la traverse de Malto l'Archipel, et nous

    repartons la chute du jour.Les feux de Malte s'allument peu peu derrire nous,

    puis semblent so replonger dans la mer.

    juin isso

    Deux jours et deux nuits de pleine mer, mer largeslames comme son bassin, qui s'tend ici dt bnd de l'Adria-

    tique jusqu'aux pieds du Liban et JU$>\\*ix palmiersd'Afrique. Vie monotone et rveuse, passe l'ombred'une tente sur le pont, aux ronflements de la fournaise,au bruit cadenc du balancier et la fracheur des deux

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    & r NOUVEAU V0YAR BN 0R1RNT.

    lo commandement,parce qu'il

    se commando lui-mme,est un do ces caractres impressionnables, sensibles,

    tendres d'me, rservs d'aspect, qui craignent do so r-vler trop au dehors par des pan. homents dont l'autorit

    souffrirait, ci qui glacent leur surface, pour concentrer ot

    cacher leur sensibilit. Cetto lutto do la nature contre laprofession est intressante et pittoresque dans uu homme,commo la lutto do la neige ot du soleil sur la terre attidieaux mois Indcis do printemps ou d'automno; on no sait

    qui l'emportera des deux lments ot dos deux saisons. Il

    oimo ses collgues ot ses marins, mais il no veut pas tropso familiariser avec eux, par respect pour lo grade ot parprudence pour l'autorit. Jo mo plais particulirement aveclui. Il a pous rcemment uno jeuno femmo du haut Jura,

    qu'il a connue, tudie ot admire son boni pondant unodo ses traverses ; la ligure, lo caractre, la pit do cetto

    jeuno personne, lui ont prsag uno vio heureuse avec elle;il est all quelques mois aprs la demander sa famlllobien loin do la mor, dans lai montagnes do sapins de la

    Franche-Comt. Kilo l'a suivi Marseille ; il la qltto avectristesse tous les doux mois, pour remonter sur son navire;il a peupl sa cabine do son image, de ses vestiges, do son

    souvenir visible et palpablo partout ; il est religieux commo

    elle, pt ses opinions politiques tlennoat do la tradition plus

    quo du temps, commo celles des hommes du Midi on g-nral. Ces liommes ralsonnont peu, mais ils sentent forte-

    ment. Or, lo sentiment est toujours du cot des traditions,parce qu'on les a reues do sa mre et qu'elles so con-

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    NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT, 23

    d'uno rvolutionquNls

    no sontpas obligs d'aimer. Cepen-dant, commo nies deux amis et compagnons do voyage

    ont l'un lgitimiste do coeur, l'autre trs-religieux de sen-thnent ot de raison; comme madamo do Lamartine lesattire et les attendrit par sa pit do femme et par l'intrt

    qui s'attache toujours, dans les nobles natures, ce quisouffre et co qui so dvouo ; commo moi-mmo je pianoassez naturellement do haut dans les entretiens coeurouvert et ?ur les opinions politiques, mobiles do leur nature

    commo les vnements humains ; commo jo suis do l'oeilintrieur mon toilo intellectuelle sans jamais froisser niteindre l'toilo intrieure ou la lueur d'autrui, ces troisofficiers finissent par s'tonner do no trouvor on moi ni cofanatisme

    quivient do T

    indigence d'ides,ni cetto intol-

    rance qui vient do la tyrannie du caractre, ni surtout cettofrocit romaine ou conventionnelle qu'on est accoutum

    prsumer dans l'amo d'un sectateur do rpubliquo ; ils s'ap-privoisent, ils so rapprochont, ils comprennent quo ta rpu-

    blique laquollo je mo suis associ pour clore uno anarchieet pour apaiser les partis on guorre civile par lo droit ot

    par la libell n'a rien do commun avec ces institutionsfarouches qui avaient prtendu sacrer avec du sang la

    royaut du pouplo. Ils reconnaissent mmo quo lo plusbeau commo lo plus lgitime des gouvernements seraitcetto rpubliquo dont j'ai profr les dogmes do magnani-mit ot l'vangito do concordo a l'Hteldo ville on 1818.Seulement il so l i fi it d

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    ':eH^/= NOUVEAU VOYAOB EN ORIENT. "'

    ntre. Jo leur explique mon vrai rle dans les vnements

    de Fvrier, r do hasard et do dvouement, soudain etIrrflchi, command par la circonstance ot inspir sous lefeu do l'vnement; jo leur raconte comment, tout on

    pressentant do grands orages dans l'air, j'ignorais compl-

    tement lo matin les vnements du jour; pourquoi laroyaut on luit, l'arme immobile, lo peuple arm, la

    Chambra envahie, les ministres disparus, la constitutionrvolutionnaire do 18$) en dbris, j'ai demand la tri-

    bune, au Uou d'un second expdient rvolutionnaire do

    1830 dans un rgime illgitimo, ans principes, sans droitot sans force, lo jugement souverain du suffrage universel

    de la nation, principo au moins la place d'un autre ;

    pourquoi Jo mo suis ht do forraor un gouvernomont pro-

    visoire et d'y outrer avee des hommes populaires poursuspendre par l'nergio ot par la promptitude de dcisionet d'initiative uno anarchie qui allait incendier le pays ot

    garer plus loin le peuple; pourquoi, malgr les dissenti-

    ments qui le divisaient, ce gouvernement, misant taire ou

    ajournant ses tendances opposes, a, par des sacrifices

    mritoires de tous les cts, transig tous les jours avec

    lui-mme pour recrer do concert dos lments d'ordre, ot

    arriver enfin, sans guerre extrieure, sans guorre int-

    rieure, sans violence ot sans effusion do sang, la recon-stitution du pays par l'Assomblo constituante ; pourquoi cette poque, o lo pays sauv d'un naufrage de sang se

    prcipitait mol par tant de suffrages, je mo suis refus

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    NOUVEAU VOYAOB RN ORIENT, 25

    j'aurais t oblig de devenir l'homme lige ; pourquoi Je

    n'ai voulu tre ainsi ni lo Phaton ni lo Robespierre demon pays ; Phaton, si j'avais cru dominer les parti* par de

    vaines paroles, Robespierre, si, pour les dominer en effet et

    consolider mon pouvoir, je les avais contenus par la hache

    et par la terreur; pourquoi enfin, en agissant ainsi, j'aiadouci les chocs, habitu l'Assemble l'lasticit du pou-

    voir, et conserv quelques annes uno rpublique qui gran-dira plus srement en libert qu'en dictature. Us me com-

    prennent, Us m'interrogent, ils discutent mes rponses, Us

    s'tonnent de les approuver, ils commencent croire queje ne suis pas tout a fait un si vaniteux tourdi, un si froid

    ambitieux et un si grand coupable que leurs journaux le

    leur disent. La vrit entendue de prs a un accent qui

    manque rarement do convaincre l'esprit et de toucher locoeur ; nous sommes d'opinions diffrentes, mais nous dvo-

    uons amis.Mais Us s'ontendont bien mieux encore avec mes deux

    compagnons de voyage, M. do Chamborand et M. do

    Champeaux. Ceux-l n'ont rien justiflor ou expliquerdans leurs actes ou dans leurs sentiments politiques, ils

    partagent presque tous ceux de ces coeurs mridionaux. Le

    premier, jeune encore, chevaleresque de coeur, gentil-

    homme do souche, Dis do pre royalisto ot do mre picuso,lev dans les principes de ce libralisme royal par lequolla Restauration do 1815 1830 avait essay do rattacher lo

    pass l'avenir, la tradition au progrs, lo trno la

    20 NOUVEAU VOYAOB BNORIRNT

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    20 NOUVEAU VOYAOB BNORIRNT.

    Uss, Lu monarchie ambigu' do Juillot, usurpation pour sa

    famille, rvolution pour la nation, n'a jamais t pour luiqu'un poids sur son coeur, poids quo la logique et le senti-

    ment ne pouvaient pas porter longtemps. Comme moi, il a

    refus do la servir, pour ne pas contrister ses souvenirs do

    fidlit d'honeeur aux dogmes do sa jeunesse. Ainsi quomol, il a accueilli la rpublique commo un dnoument francot entier qui finlisait un conjre-sons. Homme de premiormouvement ot d'nergie, il a assist volontiers do loin

    plusieurs de ces grandes scnes, il y a pris lo rolo que lo

    courage d'esprit, la force corporelle, l'attitude imposante,la forto voix, le geste rsolu, donnent toujours dans les agi-tations Indcises des multitudes rassembles. Au 15 mai il

    s'lana de la salle, aprs l'invasion des factieux, ot courut

    armer et entraner sa lgion pour revenir dlivrer ot von-

    gor la reprsentation nationale. Je le vis encourager do la

    parole et du gesto la colonno qui so formait autour do mon

    cheval, et qui s'armait quand nous marehmes contre

    l'htel do villo pour y touffer l'insurrection dj matresse

    do cetto citadelle des rvolutions. C'est uno do ces mainsqui s'ouvrent ou so lvent aussi vito que bat lo coeur.

    M. do Champeaux, qui Ait douze ans mon commensal,mon coiisci! ot mon secrtaire officieux, est rest simple-ment mon ami. Il

    m'accompagno pardvouement dans co

    long voyage. 11 n'y a ni fortuno, ni infortuno, ni fatigues,ni dangers qu'il no vcuillo partager aveo nous depuis quenous lo connaissons. C'est un gentilhomme breton, ancien

    officier do la gardo royalo do Charles X ayant quolquo

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    -:j':iiQ0Kir\(fkQii"toi ;oiiiBNt> :-v; .^fy

    duite. S'il n'et t que soldat, il et continu servir,mais il 'alt ami, il devait porter un deuil plus personnelde cette famille royalo laquelle il tait dvou; sa toi dansla lgitimit n'tait (tas uno religion, c'tait un sentiment.

    U avait beaucoup lu l'histoire, il savait parfaitement que le

    monde appartient aux ides, ot non aux dynasties. Mais ilavait, indpendamment do s^i lumires, une religion de

    Breton: l'honneur; il tait obstin, d'autant plus obstin

    dans sa fidlit dos princes qu'il croyait moins leur

    droit ; c'tait eux, ce n'tait pas leursprincipes

    qu'il sor-

    vaUparlo sacrifice de sa carrire militaire. La rpubli-

    que l'avait soulag aussi du poids que la rebut Illgi-time faisait posor sur son coeur. Il comprenait lo droit d'un

    grand peupl sur lui-mme, il no comprenai', pas le droit

    d'une usurpation de famille sur le droit de l'hritier lgi-time du trne : point do trne, ou lo trne qui il appar-

    tient, c'tait son dilemme lui. On comprend combien les

    opinions de mes deux amis devaient concorder avec celles

    desofficlors du bord. L'hommo du Midi et lo Breton so

    comprennent i nr la religion communo du pass. Nos con-

    versations sur cette bello mer flottent comme ses flots, avec

    un doux et perptuel murmure, sans colre, et au cours duvent.

    Lo second du btiment, jeuno Itommo de Paris, do ma-nires et d'ducation distingues, nomm Bouch, joignait ces qualits d'esprit plus de srieux et plus do melanco-lio ponsivo dans lo caractre qu'on no s'attend on ren-

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    28 N0UVRAU VOYAOR BN ORIENT.

    Ames que l'absence spare, Dieu. Il ne rougissait pas

    plus que ses deux collgues de ses instincts religieux. La

    mer, commo tout ce qui est grand et fort, porto l'esprit la

    suprme grandeur et la suprme force, l'Infini. Partout

    o l'hommo se sent faible ot Isol, il cherclio uno socit

    ses penses, un appui sa faiblesse dans l'ide ot dans laprseuco do Dieu.

    Le lieutenant Capouflgue, type pittoresque du marin de

    nos cotes de Provence, avait, sous une oorco un peu plus

    alpestre,la mme rvo do nobles

    sentiments,do grce natu-

    relle et do bont. C'tait l'hommo d'instincts ct do

    deux hommes do civilisation : moins poli do surface, aussi

    pur d'argile.

    DARDANELLES

    Nous nous rveillmes eu face do la cto do Troie an

    momento

    lebtiment entrait

    djdans

    locourant du

    canal dos Dardanoles. J'ai dcrit ces lieux clairs par la

    luno dans mon premier voyage, jo ne les dcrirai pasclairs aujourd'hui pur lo soleil; le grand jour citasse les

    ombres de la posio commo celles de la nature. La larapo

    est le vritablo jour du pote, commo l'astre fantastique dola nuit est lo vritable jour des lieux qu'Homre, Yirgilo,Dante ou Ossln ont dcrits : la cto do Troie, vuo on pleinsoleil, n'est qu'une vasto plaine basse, inclinant pento

    NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT 20

  • 7/22/2019 Lamartine-Nouveau Voyage en Orient

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    NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT. 20

    que la largeur d'un beau fleuve ; Hosemble couler ot mur-

    murer comme un grand courant, Lo contraste entra lesbords gristres et les flots fait paratre les vagues plusbleues qu'en plelno mer. I Rhno, en sortant du lac do

    Genve, o il s'est purifi sans se mler au lac, n'a pas plus

    d'azur fonc dans ses eaux. Do nombreux navires sont l'ancre des deux cts du canal, ot quelques villes turquess'tagont gracieusement sur la rive d'Europe. Les mina-

    rets, ces cyprs do pierre lgers, lancs, fantastiquescommo la prire qui s'lvo au-dessus des tombeaux,

    donnent aux villes turques, entrevues travers les arbresdes paysages, un caractre arion qui semblo les souleverdu sol et les faire planer sur l'horizon. CVte cto, du

    reste, jusqu' Gallipoli, est peu pittoresque ot no so prte

    nullement la description. Les lignes sont droites et mono-tones commo les berges qu'une rivire s'est creuses pourtraverser une plaine de terre laboure ; l'exception do

    quelques chteaux et do quelques batteries basses auxmurs blancs, il n'y a rien regarder. Deux souvenirs seuls

    y rappellent l'imagination rveuso, l'un vieux comme ces

    ondes, l'autre rcent commo nos jours : les traverses noo-

    turries d'Hro et de L4andre, ot la traverse la nage dolord Byron : cetto traverse tait l'orgueil de ses souve-

    nirs. II y revient dix fois dans ses vers, dans ses notes,dans ses conversations, dans ses mmoires. C'est l qu'ilconut ou qu'il crivit un do ses plus beaux pomes, la

    Fiance d'Abydos. Laquelle de ces deux lgendes d'Hro

    30 NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT

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    30 NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT,

    flammes des consulats europens ou des agences cousu-

    mires flottant nu vent dovant les jolies malsons des agentsou des consuls. Le btiment dbarqua ot embarqua pcn*dant quelques heures les nombreuses marchandises qu'onenvoie d'Europe cette chelle de l'Asie Mineure et qu'on

    envoie des Dardanelles Constantinopie, Impatient d'en-trer dans la Propontide, autrement nomme la nier de

    Marmara, ot de cingler vers les minarets do Stamboul,nous maudissions cette activit commerciale sans laquelle

    cependant nous n'aurions pas eu sous les pieds ce pont

    rapide et ce ressort do feu qd nous fait dvorer cent lieueson vingt-quatre heures, Enfin les bateaux qui entouraient

    les flancs du navire se retirrent l'un aprs l'autre, et nousfmes quelques tours do roues dans l'eau commo pour re-

    prendre noire course. Mais ce n'tait qu'uno manoeuvrapour nous rapprocher do la rivod'Asio sur un point un pou

    plus loign des quais des Dardanelles. Nous y Jetmesl'ancre do nouveau. Un nombreux cortge do voitures, de

    chevaux, de femmes et d'enfants assis sur la plage, so

    groupait isol du restodo la population tout prs do nousau bord de la mer. C'tait la suite, les quipages et la

    famille du pacha des Dardanelles, qui attendait le navire l'cart pour s'y ombawmor.

    On embarqua d'abord huit chevaux arabes et turcs, puisd'immenses ballots do tapis do Smyrne, do coussins, do

    divans, lo chles, do couvertures, do harnais, tyc Lo pontdu navire tait encombr do cet attirail ; il nous annonait

    l f lll E ll d

    NOUVEAU EN dlilENT

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    NOUVEAU YOVOlJ EN dlilENT. 31

    que nous occupions dj nous-mmes h l'ombre d'une largetente qui nous garantissait du soleil. Ces esclaves se ran-

    grent, aprs avoir liasse devant nous, tout au fond de la

    tente, la poupo du bateau. Elles tendirent des tapis sur

    lo pont et y dposrent les paquots de liantes, les jarres

    d'eau ot les paniers de provisions. Ces tommes, toutes trs-jeunes, proprement vtues, le visage peino ombrag d'un

    demi-voilo de mousseline aussi transparent qu'une ombre

    lgre, taient agrables do visage, quelques-unes belles

    et d'uneexpression

    flrequi indiquait

    des favorites du

    harem. Les eunuques nanmoins lour pariaient avec ru-

    desseet leur faisaient des gestes imprieux aussitt qu'elles

    s'approclinlont trop prs do nous et qu'elles dcouvraient

    trop leur visage.

    Aprs les femmes esclave?, les eunuques firent monter,mats avec les marques d'un grand respect, la tommo du

    pacha et la tomme d'un do ses fils, jeune homnio d'environ

    vingt ans, qui s'embarqua aveo la famillo de son pre. Ces

    deuxtommes,

    l'une d'environ trenteans,

    la seconde de dix-

    huit ans, n'avaient rien do remarquablo, si co n'est la ri-chessede leurs vtements et l'extrmo dignit do leur atti-tude. Honteuses et humilies do so voir exposes sur le

    pont du btiment au regard d'Europens commo nous, elles

    mo firent demander par lo capitaine et par lo fils du pachala permission do s'abriter dans ma chambre. Je m'em-

    pressai do consentir leur dsir, toiles s'y tablirent avec

    quelques suivantes jusqu' la chute du Jour ; un eunuque se

    33 NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT,

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    pas de voile ; ses cheveux blond cendr talent entrelacs

    dans les plis d'un riche turban de gaze d'argent ; ses yeuxbleus, d'une eau limpide et scintillante, taient cerns d'un

    lger cercle le henn qui en relevait l'clat ; ses joues de

    lait o l'on aurait effeuill des roses n'avaient rien do cette

    pleur maladive quo la longue rclusion du harem, l'ombre

    temelle du voile et les bains chauds prolongs pondantdes journes entires donnent aux odalisques do l'Orient.

    Elle s'panouissait dans toute la libert et dans tout le

    rayonnement d'une enfance en plein air, adore do son

    pre, qui la tenait sur ses genoux, et raresso tour tour,commo l'idole enjoue de la famille, par toutes les tommes

    qui taient sur lo pont,Une autre jeune fille, d'environ quinze ans, qu'on nous

    dit tre fille ane de la femmeprincipale

    du pacha,

    passa l'avant-derniro devant nous, Lo vent de mer carta

    son voile, que ses mains, embarrasses par un coffret, no

    purent retenir. Nous retnmes mal une exclamation d'ad-

    miration voix basse dont elle s'aperut en rougissant.

    C'tait uno dos figures anglaises des plus dlicates, desplus suaves ot des plus pudiques qu'on pt rencontrer dans

    un parc de Londres, ct do sa mre, une matine de

    printemps. Le marbre n'a pas des contours plus fins queses

    traits,la fouillo d'glantlne des nuances

    plus transpa-rentes quo sesjoues ; ses cils baisss et longs y jotalent une

    ombre qu'on voyait flotter au souffio do la mer. Sa taille,

    peino forme, avait uno mollesse et une flexibilit que rele-

    vait encore l'hsitation do ses pieds entravs dans ses pan

    NOUVEAU VYAQR BN 0RIBNT. 33

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    sur ses cheveux noirs; la petit fille alla Jouer aveo elle au

    tond de la tente, prs du gouvernail. Elle se tint toujoursloigne do nous de quelques lias; mais la transparence et

    les ondoiements continuels do la mousseline nous lais-

    srent contempler librement son visage pondant toute la

    soire. Deuxpetits garons,

    frres le la iietlto fille, s'-

    taient embarqus aussi; ils ne montrent point sur l'ar-

    rire avec lo liarom, ils restrent, avec les esclaves et les

    officiers du pacha, sur le pont, jouant avec les armes ot les

    chevaux.

    Lo vaisseau lova l'ancre. Uno do mes anciennes relationsde Constantinople, M, "\ aujourd'hui consul do Sar--

    daigne aux Dardanelles, s'tait embarqu avec nous. H mo

    reconnut; il se groupa avec nous pour parler du pass et do

    l'Europe; il connaissait le pays, la langue, les Usages, lesmoeurs; il tait li avec lo pacha et ses fils, sa femme avait

    visit souvent son liarom, il me servit obligeamment d'in-

    termdiaire ou d'interprte outr cette famille et nous. H

    pronona le nom do ma tommo au fils aine du gouverneur ;

    celui-ci alla lo rpter tout bas sa femme ot ses soeurs;

    je fus surpris do voir quo co nom, dont jo n'aurais certes

    passouponn lo retentissement jusqu'au fond d'un harem

    d'Asie, produisait un mouvement d'tonnement et do curio-

    sit parmi toutes les femmes libres ou esclaves de cettefamille. Elles so lovrent, s'approchrent, passrent et re-

    |iassrent commo par hasard devant nous, sans affectation,et so parlrent voix basse en so tournant de notre ct. De

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    31 NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT. ]

    aprsavoir perdu ses amis dans la sien no? Jo l'Ignore,

    mais Jo no pus me dissimuler qu'un nom d'Eurepo veillaitune certaine motion de curiosit dans l'intrieur lo plusmur d'un harem des Dardanelles, t que, par onsquenSla conversation de ces femmes voiles se portait do temps

    en terni sur les choses lointaines d'un autre monde. Lojeuno homme mo parla aveo obligeance et aveo -proposdes vnements politiques des dernires annes et do l'al-

    liance do l'empire aveo la rpublique. Il y a maintenantdes Journaux trs-bien informs ot rdigs par des hommes

    d'un remarquable talent Constantinoplo ot Sinyme. Ces

    journaux glissent des srails dans les harems, et avec leurs

    feuilles doivent pntrer les ides, les choses, les noms,

    pour distraire l'oisivet dos sultanes.

    Nous pmes entrevoir, sans percer les mystres do l viointrieure des musulmans, les divers degrs d'intimit etd'influence dans le liarem auquel les habitudes do l poly-gamie levaient les femmes esclaves et les tommes libres.Trente-doux femmes do toute condition et de tout ge com-

    posaient le harem quo nous avions sous les yeux ; quatreou cinq talent videmment des femmes lgales d'un rang

    suprieur aux autres, et obtenant d'elles tous les gards,tous les respects et tous les services qu'uho mre do famille

    chez nous reoit des femmes do sa domesticit ou do sesdames do compagnio, si sa fortuno ot son rang lui per-mettent co luxodans sa maison. Parmi les autres, il y avaituno nuance, galcmont caractrise par lo costumo ot par

    NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT* 35

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    NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT 35

    avec le chef des eunuques noirs, ayant plutt l'air do lo

    mpriser que de le craindre. L'une d'entre lies'surtout,

    grande ot belle personno aux yeux noirs, d'une physio-nomie altire, quoiquo mlancolique, ne dguisait pas sa

    supriorit sur toutes ses compagnes, regardait avec d-

    dain le gardien du tarera, avec fiert ses rivales, avec au-torit ses infrieures ; elle sentait sa beaut et la faisait sen-tir. Presque constamment dvoile, elle levait les paules

    quand l'eunuquo venait la prier de replier son voile sur sabouche. Un ddaigneux sourire faisait en quelque sorto

    partie de sa beaut,

    A peine ce groupe de jeunes femmes, de jeunes filles et

    d'enfants Ait-il install quelques pas do nous, sur le pont,

    que les esclaves et les noirs apportrent au milieu d'elles la

    mre du pacha, tommo ge et infirme, dont l'ge mmoet les Infirmits laissaient entrevoir une merveilleuse beaut

    jusque sous l'ombre de la dcrpitude. On nous dit qu'clloapprochait do cent ans. On la portait sur un brancard en

    forme d'ottomano recouvert desplus

    richestapis

    ot desplussoyeux cachemires du levant. Son costume tait aussi

    riche ot aussi lgant que celui des plus jeunes odalisques;ses traits dcharns par l'gen'taient.plus quo des lignesmajestueuses et pures commo les profils d'un temple grec

    qui n'a plus ni autel ni toit, mais qui brillo au loin de touteson architecture au soleil concluant.

    Sa prsence ot les respects qu'on lui rendait do toutes

    parts nous convainquirent que la destino des femmes ot

    36 NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT.

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    bets on des boissons glaces ; ello recevait ces soins avec

    une affabilit digne, des remerciements et des sourires quiattestaient en elle l'habitude do les recevoir sans les

    exiger. Quand elle parut sur le pont, tout le groupe, tous

    les enfants et les petits-enfants, hommes et femmes, sans ex-

    ception, dfilrent devant elle en s'inclinant jusqu' terre,en baisant ses mains ou en portant leurs lvres le bout

    du chle qui recouvrait ses pieds. La petite fille, que l'en

    paraissait adorer entre toutes, et dont les traits enfantins

    rappelaient ceux de sa grand'mre, comme un crpusculedu matin rappelle celui du soir, accourut aussitt vers elle,et, s'asseyant sur ses pieds dans le divan, reut ses caresses,qu'elle lui rendait en jouant. C'tait un ravissant spectacle

    que cette tte d'enfant pare par les mains de cette vieille

    femme, se voyant renatre, briller et aimer dans cetteimage d'elle-mme, rajeunie d'un sicle! Nous passmes

    plusieurs heures ainsi mls toutes ces scnes et toutes

    ces confidences du harem. Le vent ayant frachi, et la ma-

    noeuvre exigeant sur l'arrire la prsence des hommes dequart, les eunuques tendirent une toile transversalementsur le pont et firent passer toutes les femmes dans cette

    espce d'enceinte prpare pour la nuit. Mais les inter-

    valles bisss entre les toiles, souvent largis par les coupsde vent, nous laissaient voir ces groupes d'odalisques as-sises ou couches sur leur tapis, la lueur de leur lampe,

    peu prs aussi librement que nous les avions admires le

    jour Elles s'entretenaient voix basse et s'endormaient

    NOUVEAU VOYAOB EN ORIENT. 37

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    douce et par une brise souple. Les premires lueurs du

    jour se rflchirentcomme la

    premirefois

    pourmoi sur

    , les murailles du chteau des Scpt-Tours et sur les soixante

    minarets de Stamboul. Co spectacle, bien qu'il ft grav

    depuis seize ans dans ma mmoire, n'avait rien perdu do

    son impression sur mes yeux; peut-tre mme avait-il

    gagn, car je savais, avant de tourner la pointe du srail,cequej'allais dcouvrir de merveilles de la mer, de la terre et

    des monuments. Le tableau do Constantinoplo extrieur

    que j'avais en ce moment sous les yeux se compltait,

    dans mon imagination, du tableau de Constantinoplo int-rieur quej'avais dans le souvenir.

    Je ne le dcrirai pas deux fois, bien qu'on pt le dcriremille sans jamais l'achever. A gauche, les collines qui

    portent la ville de Constantin et de Mahomet 11, et qui

    semblent la pencher vers la mer comme pour l'exposer ausoleil ou.la rafrachir du souffle do l'eau; les vieilles mu-railles dchires encore des broches de la conqute, malrecouvertes par lesjardins de roses et par les manteaux de

    jasmin, ce lierre d'Orient; les toursdu

    chteau pleines demeurtres historiques; les dmes des mosques, montagnesde lumire, o lo plomb et l'or renvoient au soleil ses re-

    jaillissements ; la fort des minarets rivalisant de nombreavec la fort des cyprs; les fentres grilles et entrelaces

    de fleurs travers lesquelles passent les regards, les sou-pirs et les doigts distraits des odalisques ; les lgers calquesfendant l'cume de toutes les vagues pour porter d'un

    quartier l'autre, et de l'Asie 1'Kurope, les femmes

    38'

    NOUVEAU VOYAOB EN ORIENT.

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    les jardiniers d'Asie; puis droito les les des Princes, en-

    dormies ait soleil sur la Prepontide; puis en face do vousles collines d'Asie, noires do cyprs au-dessus des mos-

    ques blanches do Scutaii ; puis votre gaucho les cimes

    verdoyantes des grands arbres, desjardins du srail, et les

    kiosques du sultan rpandus sur leurs pelouses,au bord deleurs bassins murmurants, en laissant entrevoir par-dessusleurs dmes les murs de ce palais mystrieux qui fut leVersailles et le Vatican de deux nations et de deux cultes :voil ce qu'on aperoit pendant que le navire longe les ter-

    rasses du srail : mais peine a-t-on doubl la pointe, quela parole s'arrte sur les lvres, que lo regard, appel detrois cts fois, ne sait plus o s'arrter, o se reposer, ose recueillir, et qu'il n'y a plus qu'un mot et une sensation

    pour exprimer en silence ce qu'on prouve : l'blouis-sement.Vous suivez de vague en vague un quai d granit ser-

    vant d'enceinte au srail et laissant entrevoir par-dessusles parapets des pentes de prairies semesde groupes de

    futaies, et entrecoupesde pi lais de toutes les formes et detoutes les grces, qui ne sont eux-mmes que des dpen-dances du vritable srail, des caprices de la toute-puis-sancejouant avec la nature, avec l'eau, avec la pierre et

    avec le bois. Cespalais, dont quelques-uns avancent leursbalcons jusque sur la vague toujours courante ce totir-. nant d'un cap, semblent avoir suivi comme une molle et

    docile argile tous les rves et toutes les Inflexions do la

    NOUVEAU VOYAOE EN ORIENT. 3$ >

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    $

    plutt vous ne lo voyez plus; il est-voil par l'innombrable

    fort de mts et de voiles de navires l'ancre ou voguantsur ses eaux. Vous voyez seulement, par-dessus les mts etles voiles, surgir l'infini, sur les deux rives de cetto radesans fond, des tours commo celles des Gnois Galata,

    celles du sraskier Stamboul ; de3 dmes comme ceux deSainte-Sophie, de Bajazet, de la Sultanhi; des minarets,ces paratonnerres de la terre de Mahomet, par lesquels le

    musulman semble plonger les flches de la prire dans le

    fond de son ciel, pour y lancer ses contemplations pieuses'

    et pour en soutirer l'ternelle bndiction d'Allah; entre cesmonuments, des quais, des fontaines, .des kiosques dont

    les murailles sont (teintesde saphir et d'or; des arsenaux,des douanes, des bazars, vastes cits souterraines o les

    Orientaux bravent leur ciel de feu ; des arpents de cyprseh pente vers la mer couvrant les champs des morts de ces

    feuillages et de ces colombes, au bruit desquelles le mu-

    sulman aim dormir comme ij a vcu ; des quartiers deville de diffrentes couleurs, pour dsigner l'oeil la diver-

    sit des races qui les habitent ; et enfin, tout l'extrmit,une vapeur chaude, semblable l'haleine d'une grandeville, s'levant entre la terre et le ciel, voilant Stamboulcomme Stamboul Voile lo visage doses femmes, pour ajouterle

    mystre tous les

    prestigesde la beaut.

    Et si vous vous retournez droite, vous avez en face lescollines de Tophana, de Galata et de Pra portant sur leurs

    croupes arrondies les palais des ambassades europennes,les maisons des F bties en di de i les

    40 NOUVEAU VOYAOB EN ORIENT.

    d l'A i fl

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    et cesdunes verdoyantes de l'Asie qui commence,un fleuve

    sal entre deux mers courant dans un lit d'une demi-lieuede largeur pour se prcipiter, commo une cascade de

    l'Ocan, du Caucaseau Liban ; des chteaux antiques, des

    palais modernes, desjardins, des anses, des villages, desdemeures isolesau bord do toutes sesvagues, sur la pointo

    de tous ses caps, au tournant de tous ses contours, sur lesplateaux de tous ses tages, au sommet de toutes ses mon-

    tagnes, et conduisant perte de vue l'oeil et la penseparune avenue d'eau, de rochers, de cyprs et do kiosques,

    depuis la splendeur de la mer clatante de Marmara jus-qu' l'embouchure tnbreuse et sinistre de la mer Noire.C'est la grande rue du globe, c'est le canal de Dieu! c'estle vomitoire maritime et terrestre de deux continents o

    passent tout lejour les vaisseaux des.dix nations.

    Et Constantinoplo est aux fentres regardant passer cesmers, ces vaisseaux et ces peuples sespieds.

    Mais j'ai dit autrefois ce spectacle. Je dois me borner

    ajouter au tableau ce que lo temps lui-mme y a ajout

    depuis.Ce que le temps y a ajout, c'est dix-huit ans de paix,c'est le mouvement europen multipli dans ces eaux,*c'estla marine vapeur, c'est le sillage et la fume de quarantobtiments feu de l'Autriche, de vingt-quatre btiments

    feu de la Russie, de dix douze franais, de cinq ou sixsardes, de trois ou quatre turcs, d'une vingtaine d'gyp-tiens ou de la cte d'Afrique, de trente ou quarante an-

    glais; la rade do Constantinoplo, pleine de leurs volutions

    NOUVEAU VOYAOB EN ORIENT. 41

  • 7/22/2019 Lamartine-Nouveau Voyage en Orient

    48/441

    et verser leur imputation. Ce carrefour do trois mers est la.

    place publique des trois continents. Quand on voit dbou-cher du Bosphore un immense bateau vapeur russe, lo

    pont couvert de Persans, de Circassiens, d'enfants de la

    Crime, de Grecs do^Trbisonde, coiffs, vtus, arms do

    mille coiffures, de mille armures, do mille couleurs asia-tiques, que ce navire jette l'ancre ct d'un navire de

    Tricste, de SoUthampton, de Marseille, de Gnes, d'Alexan-

    drie, de Tripoli, et que les passagers de tous ces navires,descendant flots presss par les chelles des btiments,se prcipitent dans les calques, se dirigent en se sparantles uns vers un bord, les uns vers un autre, et tourbillonnent

    ainsi sur la rade teinte des diffrentes couleurs de leurs

    turbans, pour chercher un autre pont qui les emporte cha-

    cun sa destination, on dirait des flots de teintes diversesse runissant dans un bassin comme pour se confondre, so

    Atc\i**Bir&dcolorer par le mlange. La rade actuelle

    Constantinoplo est le foyer de fusion de l'Orient et de

    l'Occident,du Nord et du

    Midi,le creuset o se fondent

    rapidement lc3 divergences pour constituer l'unit de

    civilisation.

    Nous jetmes l'ancre la pointe du srail, presque

    l'ombre des kiosque* et des cyprs du jardin imprial. Je

    passai plusieurs heures contempler ce ciel, ces mon-tagnes, ces les, ce port, ces cinq ou six villes qui entou-

    rent ce bassin. Je retrouvais de l'oeil tous les sites que

    j'avais parcourus une autre poque les maisons que

    42 ; NOUVEAU VOYAOB EN ORIENT.

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    y a seize ans, et son image revue aujourd'hui dans lam-

    moir, il n'y a qu'une heure ou plutt il n'y a pas uno

    heure, il n'y a pas do temps. Hier et aujourd'hui c'est tout

    un pour la pense, tout un pour le coeur. Chaque fois qu'

    Constantinoplo ou ailleurs je repass sur mes traces, je me

    sens ternel, car jo mo sens immuable comme l'ternit.Le temps existe pour mes sens, il n'existe pas pour ma

    pense.! Bien loin d'avoir vieilli, Constantinoplo. avec son soleil,ses eaux, son mouvement maritime, ses difices recon-

    struits neuf aprs ses incendies, ses palais s'levant

    profusion sur toutes ses langues de terre, aux deux bords

    du Bosphore, me parut une ville d'hier, un dfrichement

    asiatique, une Amrique au soleil ; une nouvelle sve de

    vie semblait l'avoir fait germer de terre plus vaste et plusbrillante sous un nouveau rgne. L sultan Mahmoud avait

    bris hroquement le vieux moule, et un autre-jmpirorenaissait du tombeau de son sultan.

    Seulement une ide m'attristait, c'est que lui, Mahmoud,

    n'tait plus l pour voir son ouvrage. Il avait pri la

    peine, il tait mort de tristesse dans l'enfantement de

    l'ordre nouveau, il avait eu le sort des rformateurs d'em-

    pire, crass par les difficults qu'ils remuent, et ne triom-

    phant jamais qu'aprs avoir donn leur vie au sicle quisortira d'eux. Jo l'avais vu et j'oserai dire aim sans qu'ille st, encore jeune, nergique, rsolu, intrpide au bien,luttant la fois contre son peupl routinier et contre

    NOUVEAU VOYAGE EN ORIENT. 43

    d i l d t l

  • 7/22/2019 Lamartine-Nouveau Voyage en Orient

    50/441

    vaporer ses ennuis; j'avais admir la douceot mle ner-

    gie de ses traits, la rapidit et la pntration de son re-gard, le caractre arrt quoique gracieux de sa bouche,la coloration de sesjoues, l'are circassien de ses sourcils,l'ovale aplati de son front contenant l'imagination et lavolont comme pondres ses deux ples, sa stature

    souple et ferme, les bonds de son coursier suivant soninsu les bonds do sa pensedans sa tte ! Je m'tais int-ressde loin cet homme qui avait fait lui seul la plusgrande rvolution du dix-neuvime sicle, 1';franchisse-

    mentd'untrne de la

    tyrannied'une

    aristocrio militaire!Je lui souhaitais, je lui esprais de longs jours! je no medoutais pas queje ne retrouverais quo son tombeau prma-tur dans le lurb do sa mosque, et son image adoucie et

    rajeunie dans son fils. Cette disparition du sultan Mah-

    moud attristait pour moi tout le paysage. Dans un paysdespotique un homme de moins est un pays de moins.Mais Dieu sait le meilleur, comme disent les Turcs. Peut-tre que Mahmoud avait fini sa tche, que le sang quoiquehroquement vers des janissaires dteignait sur ses

    oeuvresmmes, et qu'aprs un effort surnaturel et sinistreil fallait l'empire un rayon d'innocence, d'affection et de

    paix ! Que Mahmoud repose dans sa gloire et dans sonmalheur ct de son sabre dans son turbl L'histoire

    viendra l'y rveiller plus tard du brait de sajustice et deses louanges ! Il s'est sacrifi pour son peuple, son fils n'a

    qu' vivre pour lui.Je n'avais qu'une chose faire Constantinoplo, voir lelt t l t i it t

    44r NOUVEAU VOYO EN ORIENT.

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    que le navire. Lo fendemaiu de mon arrive, jo pris un

    caque mes ordres pour les Courses de mer, des chevauxdo selle pour les courses de terre ; une tente sur lo pont au

    milieu de la rade fut mon salon. Je pouvais y recevoir dorares visites, y lire, y crire, y contempler jour et nuit l'ad-

    mirable scne dont j'tais entour. Des motifs personnelset politiques me firent prendre ce parti. Je ne %'oi.Vs com-

    muniquera personne l'espce de contagion d'impopulariteuropenne dont j'tais entour. Il y a des temps dans la-

    vieo

    il faut se sevrer mme de ses amitis pour ne pasporter malheur ses amis.Je commenai ds le lendemain de mon arrive mes

    courses d'affaires et de politesses dans le Bosphore. A cette

    poque de l'anne, tout Constantinoqle, palais, souverain,ministres, ambassadeurs, descend sur le rivage du Bosphore

    pour respirer la fracheur de ses eaux et le parfum de ses

    jardins. Un caque quatre rames me porta d'anse en anseet de crique en crique jusqu' la porte du palais d't dit

    grand vizir. Je passai devant le nouveau srail que le GrandSeigneur fait construire sur lu cte europenne en face dcelui que chrissait son pre. Nos palais d'Occident ne

    peuvent donner nulle ide de ces constructions seni-

    indiennes, la fois gigantesques et fantastiques commel'imagination des Orientaux ; lgres aussi et instables

    commo des tentes du dsert que le vent renverse et dont latrace disparait avec le souverain ou la dynastie. Des bases

    NOUVEAU VOYAOB EN ORIENT. 45

    sins pleines coupes distillant ou jaillissant 'au milieu des

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    sins pleines coupes distillant ou jaillissant au milieu des

    appartements ; des plafonds sculpts comme des dentellesde pierre ou coloris des plus riches teintes de la (aletto ;les harems envelopps de mystres ternellement ferms 'oeil des passants, mais laissant entrevoir l'ombre immo-bile des odalisques captives dans ces voluptueuses prisons ;

    des bois et des rochers ; derrire, au fond des jardins, desvestibules remplis d'esclaves attentifs prparant les nargui-is ou portant les sorbets au sultan ; des chevaux de selle

    piaffant sous leurs housses d'or dans les cours ; des rameurs

    accouds sur leurs longues rames ou assoupis sur les bancs

    de vastes calques tapisss de cachemires ; des fleurs dbor-

    dant d >toutes les fentres, de toutes les terrasses, de tous

    les murs, comme {tour remplacer les femmes invisibles :

    voil ces palais ; ils donnent l'impression du silence, du

    parfum, de l'amour, de la mlancolie heureuse par devagues sensations ; ils donnent aussi l'impression de l'insta-bilit de ce bonheur, n d'un rve de l fortune pour un

    esclave et disparaissant comme un rve aussi. Palais des

    songes btis en une saison par les gnies des bois et des

    eaux, emports par eux quand la faveur fugitive du matrese retire! Voil ces demeures de l'aristocratie viagre des

    grands sur le Bosphore. Les deux rives en sont couvertes.C'est une rue de quatorze lieues de villas, plus merveil-

    leuses les unes que les autres ; il n'y en a pas une o l'onne dsirt arrter pour jamais le caque de sa vie, si le ha-sard vous en rendait l'heureux possesseur. On passe, on

    insse en laissant un regret chacune ; on conoit une

    prie, ont pris la solidit des proprits en'Europe. On

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    prie, pris proprits p

    btissait ces palaisen

    bois,on les btit en

    pierrede taille.

    On se fie au sol et l'avenir ; le sabre et le cordon ne trou-

    blent plus le sommeil des ministres et des favoris du sultan.

    Une disgrce n'est plus une mort, un exil, une ruine ; tout

    s'adoucit do la douceur du matre. En retirant sa confiance

    ou sa faveur, il laisse son estime et sa protection sesser-viteurs. L'empire n'en est que mieux dfendu et mieux^servi. On aime mieux une patrie qu'on sert avec confiance,

    qu'on craint seulement d'affliger.

    Je faisais ces rflexions en passant devant les palais dela sultane Valid, de Kosrew-Pacha, ce Nestor de l'em-

    pire, le Talleyrand nergique de cinq rgnes qui btit,

    l'ge de cent ans, un palais et des jardins pleins d'avenir,de

    voluptset de

    splendeurs;vieillard

    quiconstruit ci

    pierre et en marbre, avant de les quitter et comme pourles revoir en masse, les songes de sa-jeunesse ; devant les

    palais de Mhmet Fthy-Pacha, de Fuad-Effendi, des

    riches et hospitaliers Armniens, les Duzoglou, ces Laflltte

    et ces Rothschild de la Turquie ; devant l'lgante villa desprinces Callimachi et de cent autres.

    J'approchais d celui du grand vizir Reschid-Pacha,construit sur une des langues de terre les plus boises et les

    plus pittoresques de cette cte. C'est un promontoire d'ol'on peut apercevoir la fois l'entre des deux mers. Troisou quatre cents ouvriers, tailleurs de pierre et de marbre,peintres, dcorateurs, jardiniers, travaillaient cette ma-

    NOUVEAU VOYOBBN ORIENT,: 47

    L'mbassado de France, ou du moins son palais d't,

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    est quelques coups de rames de l, sur la mme rive. Ses

    jardins en terrasses plants d'arbres sculaires longent picsur le dtroit; ils ont, en face, la montagne du Gant, les

    bois et les villages do la cte d'Asie, et un promontoire sur

    lequel le pacha d'Egypte btit un palais digno do Badgud

    au sultan, pour lui rappeler sa vassalit et'pour effacer les.traces du sang do Nzib et do K

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    et enprogrs,

    en sretparce qu'il

    est modr dans lobien,en progrs parce qu'il est progressif et persistant dans sa

    modration. La Providence, quand elle veut sauver ot

    grandir un peuple, donne de tels ministres ses conseils.

    \Nous causmes longtemps de l'Europe, des grands v-

    nements qui l'avaient remue, de* oscillations probablesqui ramneraient la France l'ordre et la force* dans la

    rpubliquo ; de l'alliance triple entre l'Angleterre, laFranco et l'empire, enfin do nos destines si diverses qui

    l'avaient lev, lui, dans une rvolution lente, organique,prpare et dirige de haut, au premier poste de son pays,et de la rvolution soudaine, inattendue, convulsive,quoique sublime do modration, qui m'avait soulev unmoment au-dessus de terre

    pourme lancer ensuite hors

    d ma patrie. Reschid tait assez philosophe et assez reli-

    gieux de pense pour ne s'tonner de rien, ni de son lva-tion ni dmon prcipice. Dieu ramasse une paille, en faitun instrument et la rejette sous les pieds d'un peuple ; c'est

    la loi. Cela s'appelle fatalit sur le Bosphore, providence Paris, fortune partout. Ceux qui s'tonnent de cette loisont des insenss, ceux qui adorent en elle les volonts deDieu sont des sages. Reschid est un sage qui regarde sa

    propre fortune comme le navigateur regarde le flot qui leporte, sans s'tonner qu'elle lo fasse chouer un jour et ense prparant au naufrage par l'impassibilit.

    Je le priai de demander au sultan une audience pour

    NOUVEAU VOYAOB EN ORIENT. 49

    jusqu' la Perso et l'Egypte Je fus charm de cette phy

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    jusqu' la Perso et l Egypte. Je fus charm de cette phy-

    sionomlo aslatiqueo la grce piano sui l'intelligence, et danslaquelle on pressent, sous la jeunesso, la maturit.

    Je rendis d'autres visites, pendant lo reste de la journe,aux ministres et aux hommes principaux do l'empire. Quel-

    ques coups do rames suffisaient pour me porter du jardinde l'un au jardin de l'autre. Je retrouvai dans quelques-unsd'anciens amis, dans quelques autres des hommes de haute

    esprance. Une conversation d'une heure ou deux dans le

    kiosque de fleurs de Fuad-Effendi me fit comprendre jusqu'

    quel degr de connaissances gnrales, de raffinement eu-ropen, de politique, de littrature, de politesse et d'agr-ment attique pouvait s'lever un Oriental par les affaires,les voyages, l'tude et le sjour dans les cours tran-

    gres. L'Europe n'a pas d'hommes suprieurs ce groupe

    d'hommes d'tat du Bosphore. C'est Londres et Paris co-loniss aux confins do l'Europe et aux bonis de l'Asie. Ceshommes ont gard la solidit du caractre ottoman, et leurs

    mres grecques leur ont donn dans les traits et dans l'in-

    telligence cette aptitude sans effort quifut le

    caractre del'Athnien.Je rentrai dans ma cabine charm et bloui de majourne.J'avais plusieurs jours d'oisivet consumer au milieu

    de la rade d Constantinoplo et l'ombre des murs et des

    arches du vieux srail. Ce palais, qui contient dans sesmurs aujourd'hui dserts toits les mystres, toutes les an-

    nales et toutes les rvolutions de l'empire, reportait invo-

    lontairement et sans cesse ma pense sur la destine des

    50 NOUVEAU VOYAOB BN ORIBNT.

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    Empire jusqu'Mahomet II et

    Mahmoud,avait t le sige

    de la souverainet d'Europo et d'Asie. Ils me dirent quele palais portait malheur ; que des flots de sang y avaient

    coul s que des monceaux de ttes y avalent roul sous lo

    cimeterre ; que les cadavres mmes de sultans trangls y

    avaient t Jets en proie aux sditions des janissaires, ousacrifis la rivalit du trne; qu'enfin la sdition tait

    venue une dernire fols mourir aux pieds de Mahmoud,

    pre d*Abd-ul-McdJid, dans ces cours o elle avait tant do

    folstriomph ; que

    cesmurs avaient vu, la suite

    decettodernire rvolte, les corps do cinq ou six millo janissaires

    Jets dans les flots et rejets par la mer aux pieds do ces

    jardins; que depuis ce jour lo sultan Mahmoud avait prisce palais, cesjardins, ces eaux en dgot, qu'il s'tait bti

    en Europe ot en Asio des palais vierges de sang et purs dosouvenirs ; que son fils Abd-ul-Mcdjld avait t entretenu

    par lui dans ces ides, et quo lo palais tait abandonn pourjamais sa solitude. Jo compris cette rpugnance pour un

    sjour o les arbres suent lo sang des rvolutions.. Je com-pris aussi que les portes du srail ouvrant sur les quartiersles plus resserres, les plus populeux et les plus sditieux dola ville turque, tout prs des bazars, des casernes, do

    l'Atmidan, des palais adosss la campagne, isols de la

    multitude et dtondus par la mer, avalent d sembler dessjours plus srs la prvoyance des sultans.; Cesconversations avec ces hommes verss dans les annaloset dans les souvenirs rcents do l'empire les livres qu'ils me

    NOUVEAU VOYAOB BN ORIENT. 51

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    LIVRE II

    LE SULTAN ABD-UL-MKDJID

    Le principal et je pourrais dire Tunique objet de monvoyage Constantinoplo tait de voir lejeuno sultan Abd-ul-

    Medjid et de le remercier de la magnifique hospitalit qu'ildonnait mes foyers dans son empire. J'avais pri, en

    arrivant Constantinoplo,

    le grand vizir,Reschid-Pacha,homme aussi europen qu'oriental, aveo lequel j'tais li

    d'ancienne date, de me prsenter son souverain aussitt

    que les usages del cour ottomane le permettraient. Les

    usages de la cour entourent ces prsentations d'trangers

    mme diplomates du crmonial lo plus imposant. Une silongue attente et de si solennelles formalits ne pouvaientconvenir ni la rapidit de ma course en Orient, ni ma

    qualit d'tranger ne voulant pas employer l'interventionde l'ambassadeur de son pays et so prsentant simplement,

    lui-mme, comme voyageur et comme hte du sultan. Ilfallait pour cela une drogation aux usages. Lo grandvizir eut la bont do la solliciter, le sultan eut la grce d'yconsentir. Il mo fit dire par Reschid-Pacha qu'il mo rece-vrait trois

    jours aprs,dans un de ses

    kiosques impriaux,nomm lo kiosque de Flannour ou du Tilleul, dans la dli-cieuse et sauvage valle de ce nom, sur la cte d'Europe,derrire lo village d'rnautkeni.

    L J de la i i j me rendis avec M do

    58 NOUVEAU YOYAOR BN ORIENT,

    Hors et un introducteur du palais nous suivaient et nous

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    u palais

    prcdaient cheval. Un drogiuan do la lgation franaise,M* D..,, jeuno homme vers dans toutes les langues et dans

    tons les usages do l'Orient, nous guidait t nous interpr-tait les mots, les lieux, les choses et les hommes. Ces di-

    plomates inamoviblesdo

    l'Orient,les

    drogmansd'ambas-

    sade; sont l'Orient lui-mme personnifi dans des Europens

    qui se font do doux pays pour mieux servir leur nation.

    Sans eux, tout diplomati serait impossible ou livre

    l'infidlit des interprtes ordinaires. Les drogmans sont

    nos ambassades permanentes. L'ambassadeur inspire etngocie, le drogman excute. Ils sont aussi indispensables la diplomatie quo la parole est indispensable la pense.Notre ambassade do Constantinoplo a la bonno fortune de

    possder dans M. Cor lo modle do ces hommes, qui voilentsous un titre modesto les immenses services rendus leur

    pays, et dans MM. D... et N... deux jeunes diplomates

    dignes do son exemple et de ses leons. Les drogmans do

    co mrito sont maintenant connus en France, ils sont

    nos ambassades ce quo nos pilotes sont nos flottes.Nous montmes eit voiture dans la cour du palais de

    France. En sortant de l'enceinte de co palais, nou