La vie de Jean-Henri Fabre par Dr G.V. Legros

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Volume complémentaire de l'édition définitive des Souvenirs Entomologiques sur la vie du grand naturaliste par un de ses derniers élèves, avec un répertoire général analytique de son oeuvre.

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De

fiino

ad exceJsa.

J.-H. Fabke.

LA VIE

J.-H.

FABRE

NATURALISTE

IL

A T TIR DE CET OUVRAGE

.

jo ex. sur papier du Japon,

numro/es de(So

i

jo,

ex. sur

papier de Hollande de Van Gelder Zonen,

numrots de ^i no.

Pl.

I

/.-//. t'ahrc

y

a

l

ijc rV 8j

aii..

comme

la princesse

attend son prdestin Hbrateurla

Chaque fragment de

nature a son mystre et sa

beaut, sa logique et son explication, et la pense

que

J.-H. F"abre lui-mme m'a fournie et qui sert d'pigraphe

ce livre n'est pas menteuse

:

de petits insectes perduslui

dans

la

fange ou gars dans l'herbe

ont

suffi

pour

agiter les plus hauts et les plus passionnants problmeset

en

tirer tout

un monde miraculeux de posie.

C'est Saint-Lons, petite

communejourle

aveyronnaise dule

canton de Vezins, quelques lieues de Millau dans

haut Rouergue,

qu'il vit

le

22 dcembre 1823,illustre,

environ sept ans avant Mistral, son voisin trs

dont l'clatante renomme

clipsera la sienne.

3

LAC'estl,

VIE

DE

J.-H.

FABREet

dans ce village pittoresqueisol

pleinqu'il

d'eauxessaya

murmurantes, mais presque

du monde,

ses premiers pas et qu'il balbutia ses premiers mots.

Saint-Lons, jadis centre important, encore tout rempli

de vieux vestiges du pass,

est,

en

effet,

une oasis de

verdure au milieu du dsert des causses o se cultiventseulement, sur ces croupes dnudes et dans ces terrainspauvres, un peu de seigle et de maigres avoines. Partoutailleurs des buis, des

houx

luisants,

des genvriers o

viennent

s'abattre les grives,les sangliers qui,

des bois de pins sylvestres

hants par

encore aujourd'hui, accourent

jusqu'aux environs du village pour se baigner au borddes chemins dans les flaques d'eau qu'ont laisses derrire

eux

les

grands orages.

Mais sa prime enfance s'coula presque, tout entireau Malaval, infime hameau dedont on voyaitle

la paroisse

de Lavaysse,Il fallait,

clocher se dresser tout proche.

pour

s'y

rendre, traverser prs de quarante kilomtreset

d'un pays montueux

rude, parcourir touteet

une cam^,

pagne verdoyante, mais un peu nueau milieu de landes

sans agrment

travers d'pres routes bordes de bouleaux, ondulantet

de pturages sems de rochers o

des troupeaux de moutons viennent chercher leur nourriture. Et, si loin

que

le

regard se porte, pas un hameau,

pas une me; des gents, des bruyres, des champs de

pommes deparle cri

terre,

une solitude immense peine troublemerle au bord d'unvol silencieux d'un oiseau de proie.offre fort

d'une

caille, le sifflement d'un

bois de htreI.

ou

le

C'est

un pays qui

peu d'agrments.

A

son

frre,

18 aot 1846.

INTUITION DE lA NATURE

3

C'est de l qu'taient sortis tous ses aeux paternels;

de

l

que son pre, Antoine Fabre, un jourla

tait parti,

pour venir rsider Saint-Lons,mariage avecs'y prparer la fille

suite

de son*,

de

l'huissier, Victoirela

Salgues

et

son tour au mtier de-.

chicane

comme

apprenti praticien

C'est dans les chemins bords de ronces du Malaval, travers les clairires de fougres et parmi les

champs devieille

gents, qu'il reut ses premires impressions de la nature.C'est l aussi qu'habitait sa grand'mre, la

bonne

qui savait l'endormir

le

soir avec de

beaux contes

et

de

naves histoires, en filant sa quenouille et faisant tourner

son fuseau. Mais qu'est-ce que tout ce merveilleux imaginaire,

que sont

les

ogres qui sentent

la

chair frache ou

les fes

qui changent des citrouilles en carrosses et desle

lzards en laquais, ct de tout

merveilleux rel qu'il

commenceCaril

dj pressentir

?il

est

n surtout pote;

l'estc>

Voil dans

quels

termes

les

journaux de

l'poque

salurent sa nomination, tant sa personnalit aussi bien

que

la qualit

de son enseignement faisaient dj impres-

sion dans l'opinion de ses contemporains.

Alors

il

connut

la

Corse, dont

le

sjour tait bien

fait

pour l'impressionner. La forte sensibilit qu'avait apporteen naissantI.

le

petit

paysan aveyronnais ne

fit

que

s'y

Echo du Vcntoux,

10 fv. 1849.

30

LA

VIE

DEIl

J.-H.

FABREquecette luxuriantequ'iltaitIl

affirmer et s'y accrotre.et

sentait

superbe natureelle,

tait faite

pouret

lui et

nse

pour

pour

la

comprendre

pour

la traduire.

perdait avec une dlicieuse

ivresse dans les bois profleurs

fonds et

les

montagnes pleines deles

parfumes,

vaguant danslentisques ettion

maquis myrtes, dans

les fourrs

de

d'arbousiers, contenant avec peine son mo-

quand

il

venait passer devant les vieux chtaigniers

centenaires de Bastelica, aux troncs normes, aux bran-

chages touffus

et

dont

la

sombre majest

lui inspirait

uneKII

sorte de mlancolie la fois potique et religieuserestait

en extase devant la mer aux lointains

infinis,

coutant la chanson des vagues, ramassant les merveilleux coquillages que les ondes blanchissantes laissent surla

grve

et

dont

les

formes imprvues

le

comblaient de

joie.

Il

est bientt tellement habitu les

son nouveau sjour

dans ce tranquille Ajaccio, dontverdure ternelle, sontsi

environs, pars d'unesiil

captivants et

beaux, que,

nonobstant un vague dsir de changement,

apprhende

maintenant de

le quitter. Il

ne se lasse pas de l'admirer

et d'en exalter les ctsil

grandioses et potiques.

Gomme

voudrait pouvoir partager son enthousiasme avec sonil

pre ou son frre quandd'alentour!

rde au milieu des maquis

La mer tincelante et infinie mes pieds, des blocseff'rayants

de granit sur

la tte, la ville

blanche et coquette

1.

Conversations Srignan.

SEJOUR EN CORSEassise

31

au bord des eaux,d'o

et

puis des fourrs sans

fin

dedes

myrtes,

s'chappent desla

armes

enivrants,

broussaillesla

o

charrue n'a jamais pass et qui couvrentla

montagne de

base

la

cime,

les

barques des

pcheurs qui sillonnentd'ilsi

le golfe,

tout cela forme

un coupl'a

magnifique,le

si

saisissant,'.

que quiconque

vu

voudrait toujours

revoir

Qu'est-ce que leur rocher de Pierrelatte, bloc norme

dominant

l'endroit

o

ils

rsident, cueil qui s'lve la

surface de l'antique

mer des

alluvions, ct des blocsici

granitiques dracins qui s'allongentcollines ?

sur

le flanc

des

Et que sont

les

monts d'Aubrac qui coupent

les

cam-

pagnes natales; qu'est-ce

mme que

le

Ventoux, l'Alpe

fameuse, ct des pics qui se dressent autour dugolfe d'Ajaccio, toujours couronns de nuages et blanchis de neige,calcin et

mme lorsque le sol dans la sonne comme une brique cuite ?

plaine est

Le temps n'mousse pas ces premires impressions,

et

aprs plus d'une grande anne de sjour, son merveil-

lement dure encore devant ces crtes granitiques ronges par l'pret du climat, denteles, bouleverses parla

foudre,

branles

par l'action lente mais sre des

neiges, et ces gouffres donner le vertige, dans lesquels

hurlent

les

quatre

vents

du

ciel,

ces

plans

inclins

gigantesquesdix,

o s'entassent des matelas de neige detrente

vingt,

mtres d'paisseur,

et

sur lesquels

I.

A

son

frre, d'Ajaccio, 14 avril 1850.

,2

LA

VIE

DE

J.'H.

FABRE

serpentent des ruisselets glacs qui vont remplir, goutte goutte, des cratres bants pour former des lacs, noirs

comme

l'encre

vus dans l'ombre,

et

bleus

commela

le ciel

vus dans Mais

la lumire...il

me

serait impossible

de

te

donner

moindre

ide de ce spectacle vertigineux, de ce chaos de rochers

amoncels dans un effroyable dsordre. Quand, fermantles

yeux, je contemple en moi par

le

souvenir ces proles

duits des convulsions

du

sol;

quand j'coute glapir

aigles qui s'en vont tournoyant dans des abmes sans

fond

et

dont

le

regard ose peine affronter

les noires

tnbres, le vertige

me

saisit

et je

rouvre

les

yeux pour

me

rassurer par la ralit... il

Et

joint sa lettre quelques brins de

VHelychrysum

des frimas, l'Immortelletapis argents la

du mont Olympe qui forme des tu mettras cela dans quelque

cime des hauts sommets, au milieu

des neiges ternelles;

livre, et lorsque, feuilletant le

bouquin, l'immortelletoi

arri-

vera sous tes yeux, ce sera pour

une occasion de'

songer aux belles horreurs de son lieu natal

.

s'il

Quel malheur pourlui fallait

lui,

et quels regrets

il

aurait,

maintenantil

aller

dans quelque

trivial

pays de

plaine o

prirait d'ennui !

Tout

ici

pourles

lui est indit,

non seulement

la flore,

mais encorepays.Il

richesses

maritimes de ce singulier

part ds le matin, visitant les criques, parcou-

rant les plages

du magnifique

golfe,

un morceau de

1.

A

son

frre, d'Ajaccio, ii

aot 1851.

SEJOUR EN CORSEpain dansla

35

poche,

et,

dfaut d'eau douce, sa gorge

dessche tanchant sa soif avec de l'eau de mer.

Et c'taient des matins pleins d'illusions rosesles

et

dont

riantes esprances

dbordent dans ses admirablesil

lettres la

son frre. Dj

mdite une conchyliologie de

Corse, une histoire colossale et compare de tous leset

mollusques qui vivent sur son sol

dans ses eaux'.

Il Il

recueille tous les coquillages qu'il peut se procurer.

analyse,

dcrit,

classe,

coordonne non seulement

les

espces marines, mais terrestres et d'eau douce, actuelleset fossiles.lesIl

mandeles

son frre de lui ramasser toutesles

coquilles qu'il

pourra trouver dans

marais de

Lapalud, dans

ruisseaux et les fosss des environsil

d'Orange. Dans son enthousiasme,vaincre

essaye de

le

conquiqu'il

de

l'immense

intrt

de ces

recherches,

peut-tre lui paratront ridicules

ou

futiles;

mais

songe seulement rencontre sousla

la

gologie; la plus humble coquillesuffit-elle

main ne

pas claircir soutel

dainement

le

mode dj formation de

ou

tel

terrain?

Aucunehonorerleur

n'est ddaigner,la

et l'on a cru,

avec raison,

mmoire de grands hommes en donnantplus rareset

nom aux

aux plus

belles,et

comme

cette Hlice

magnifique ddie Raspailles

qu'on ne

trouveles

que dans

cavernes o crot l'arbousier sur'.

hautes montagnes de la Corse

D'ailleurs les calculs infinitsimaux de Lcibnitz te1.

A

son frre, 9 juin 1851.la

.

Il

ne nglige pas pour

cela,

en

effet,

les

mathma-

tiques,

o

il

trouve, au contraire, d'abondantes et dercrations.

suggestives

Les

proprits

d'une figure

ou d'une courbe

qu'il vient

de dcouvrir l'empchent de:

dormir pendant plusieurs nuits Tout ce matin, jetoiles,

me

suis

occup des polygonessurprise,... aper-

o je marche de surprise enle

cevant dans

lointain,

mesure que j'avanais,

des

consquences imprvues, merveilleuses... Et voici, entre autres, une question qui soudain seprsente son esprit au milieu des dards de ses

polygones

:

quelle tait la vitesse de rotation

du

soleil

sur lui-mme lorsque son atmosphre s'tendait jusqu'la terre?

Et cette question en engendre une autre sansle

que

le

chapelet s'arrte de sitt;l'ordre

nombre,

l'espace, lele

mouvement,Et

forment une seule chane dontle restesi-

premier chanon agite toutles

//.

heures

passent

vite,

si

vite

avecil

I'a',

les

plantes et les coquilles, que littralement

n'a pas le

'temps de

manger

.

1.

2.

A A

son son

frre, d'Ajaccio, lo juin 1850.frre, d'Ajaccio, 10 juin 1850.

SEJOUR EN CORSECaril

35

est

n pote,

et les

mathmatiques touchent

la

posie;

il

entrevoit dans l'algbre les plus magnifiques, et les figures

envoles

de

la

gomtrie analytique se