La strategie culturelle des marques d'alcool, 20 ans apres la loi Evin - Memoire Constance GROS -...
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Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication
Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)
MASTER PROFESSIONNEL
Mention : Information et Communication Spécialité : Management et Communications Interculturelles
Option : Management de la Communication en apprentissage
LA STRATÉGIE CULTURELLE DES MARQUES D’ALCOOL,
VINGT ANS APRÈS LA LOI EVIN
préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD
Nom et prénom :
Constance GROS
Promotion : 2010-2011
Soutenu le : 29 septembre 2011
Note au mémoire : 16
Mention : Bien
2
3
REMERCIEMENTS
Je tiens dans un premier temps à remercier mon école, le CELSA. Merci de nous donner
l’occasion de réaliser ce travail de recherche et d’enquête et surtout de nous laisser une totale
liberté dans le choix du sujet.
Je tiens à remercier Julien Tassel mon rapporteur universitaire. Merci pour les différents
conseils judicieusement prodigués et merci pour la souplesse dont il a su faire preuve
notamment concernant mes errances dans le choix définitif d’un sujet.
Merci à Marie Mascré, directrice de l’agence So Wine, d’avoir très gentiment accepté d’être
ma rapporteur professionnel. Son expertise dans le domaine des spiritueux ainsi que son
point de vue très concret sur mon sujet m’ont été d’une grande aide. Merci d’avoir pris le
temps de répondre à mes questions et de discuter avec moi de manière très constructive des
différents points abordés dans ce mémoire.
Merci à Raphaël Marquenet, créateur du blog Alcooclic, d’avoir répondu à mes questions et
d’avoir apporté son point de vue de blogueur, capital dans la compréhension des relations
qu’entretiennent les marques avec leurs parties prenantes.
Enfin un grand merci aux personnes qui ont pris le temps de (re)lire ce mémoire, et ce malgré
leurs affinités plus ou moins grandes avec le monde de la communication et du marketing.
4
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS................................................................................................................3
INTRODUCTION ....................................................................................................................6
I – L’ANCRAGE HISTORICO-GEOGRAPHIQUE : UN LEVIER EFFICACE POUR RACONTER SANS INCITER..............................................................................................11
A) Communiquer sur son territoire : le marketing de la provenance.........................................11
1) Loi Evin et territoire : un vraie opportunité marketing .............................................................11 2) Le “marketing de la provenance“ : qualité et authenticité.........................................................12 3) « Entrez sur les terres du Clan Campbell » ...............................................................................14
B) Si les marques nous étaient contées : du storytelling au storysharing ...................................18
1) Le récit comme retour au sens et à la croyance .........................................................................18 2) Projeter les consommateurs dans un récit : le storysharing………………..………….………20
3) Johnnie Walker, une histoire en marche...................................................................................20 C) Quand la marque se veut mythe ................................................................................................24
1) Le mythe contemporain : recréer du sens pour répondre à la crise ...........................................24 2) Le recours de la publicité à la pensée symbolique ....................................................................26 3) Le phénix de Grimbergen ou la « ré-invention » marketing d’un mythe ..................................27
II) IMAGINER, CREER, EXPERIMENTER : UNE CULTURE DE MARQUE EN ACTION ..................................................................................................................................32
A) Création et créativité : des leviers stratégiques à haute valeur ajoutée .................................32
1) La loi Evin, une “contrainte féconde”....................................................................................32 2) De l’emphatisation à l’anecdotisation : la saga Absolut Vodka ................................................34 3) Imagination et créativité : “Imagine Desperados“.....................................................................36
B) La création artistique , hypertexte culturel de la marque ?....................................................39
1) L’art comme l’hypertexte culturel .............................................................................................39 2) Entre alcool et art, la médiation du mécénat .............................................................................40 3) Ballantine’s ou « l’art » de vivre et de consommer...................................................................41
C) Consommation et expérience : quand la marque se donne à vivre ........................................44
1) Définition et conditions d’une expérience de marque ...............................................................44 2) La performation de marque .......................................................................................................45 3) « Un Ricard, des rencontres » : la mise en scène d’une expérience ..........................................47
III) LA BRAND CULTURE : DE L’UTILITE A LA RESPONSABILITE......................52 A) Le brand content, quand la marque devient média .................................................................52
1) L’éditorialisation des marques...................................................................................................52 2) Alcooliers et stratégie de contenus ............................................................................................53 3) Havana Club et la diffusion de la culture cubaine .................................................................55
5
B) Du brand content à la brand utility ...........................................................................................57
1) Une nouvelle donne publicitaire................................................................................................57 2) La marque comme “agent culturel “.........................................................................................59 3) Heineken et la bièrologie ...........................................................................................................60
C) Les marques d’alcools et la prévention : de l’utilité à la responsabilité ................................62
1) La marque, responsable ? ..........................................................................................................62 2) La prise de parole d’Absolut .....................................................................................................63 3) Perspectives possibles : désengagement ou prise de responsabilité ? .......................................64
CONCLUSION.......................................................................................................................66
BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................69 WEBOGRAPHIE…………………...………………………………………………………………………70
ANNEXES...............................................................................................................................71 Annexe 1 : Extrait de la loi Evin relatif à la publicité des boissons .............................................71 Annexe 2 : Campagnes presse et affichage de Clan Campbell (depuis 2003).............................73 Annexe 2 : Captures d’écran du site internet Clan Campbell .....................................................74 Annexe 4 : Visuel de la campagne Grimbergen “Le pouvoir de renaître” (2011) .....................75 Annexe 5 : Communiqué de presse de lancement Grimbergen “Le pouvoir de renaître” ......76 Annexe 6 : Capture d’écran des “Cours de création” sur le site de Desperados .......................78 Annexe 7 : Capture d’écran de la “Galerie des bouteilles” sur le site de Desperados...............79 Annexe 8 : Visuels de la campagne Ricard « Un apéritif, un vrai » (2008) ................................80 Annexe 9 : Communiqué de presse du concours de bièrologie Heineken...................................81 Annexe 10 : Interview de Raphaël Marquenet, créateur du blog Alcooclic ...............................82
MOT CLES .............................................................................................................................84
RESUME.................................................................................................................................85
6
INTRODUCTION
Depuis la promulgation de la loi Evin en 1991, la communication des marques
d’alcools est soumise à un cadre légal contraignant. Ce dernier vise à minimiser leur impact et
leur emprise sur les publics, dans le but plus large de lutter contre les dangers de l’alcool,
l’alcoolisme étant aujourd’hui en France un des enjeux forts de la politique de santé publique,
notamment concernant les jeunes. Face à ces fortes contraintes légales, les marques d’alcools
et spiritueux ont développé une communication singulière, qui en fait une catégorie à part
dans le monde des marques et de la publicité.
Historiquement en France, l’alcool commence à faire l’objet d’attentions particulières
à partir du XIXe siècle et c’est lors de la révolution industrielle qu’apparaît la notion
d'alcoolisme. En 1880 est créée l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et
Addictologie et on voit alors apparaître des prémices de prévention, dans les écoles
notamment. Le discours évolue suite aux deux guerres mondiales, l’alcool qui donnait force et
courage aux soldats devient un ennemi public à éviter auquel on refuse désormais l’entrée des
cantines et des stades où la publicité devient même interdite. Aux spiritueux on va désormais
chercher à faire préférer les boissons non alcoolisées, notamment les fameuses boissons
pilotes comme le café, l'eau minérale non gazeuse, la limonade, le lait ou les sirops1. Des
réglementations plus précises concernant la publicité et la communication sont appliquées
dans les années 70 et 80 pour aboutir le 30 juillet 1987 à la loi Barzach et à la rédaction du
code des débits de boisson. La loi Barzach va ainsi rendre obligatoire la presque mythique
formule « à consommer avec modération ».
En 1989, l’Europe légifère sur ce même sujet et fait paraître une directive relative à la
communication télévisuelle et radio des boissons alcoolisées. En 1991, la célèbre loi Evin
reprend et complète cette directive. Elle prévoit ainsi une liste limitative de supports pouvant
véhiculer la publicité pour l’alcool ainsi que les conditions géographiques, temporelles et
langagières de ces publicités. Par exemple la publicité print autorisée (affichage, presse) est
limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la
composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires
1 “Histoire de l’alcool” in La Fabrique de l’Histoire. Emmanuel Laurentin. France Culture. 22 septembre 2010.
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ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du
produit. Un message à caractère sanitaire : « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé » est
obligatoire.
Suite à la parution de la loi Evin, les effets sur la consommation d’alcool en France
vont s’avérer être très visibles. Ainsi entre 1990 et 2008, la consommation d’alcool sur le
territoire français a baissé d’un peu plus de 20 %2. Cette chute de la consommation a soulevé
des questionnements très importants au sein des marques d’alcools qui ont été amenées à
revoir complètement leur manière de communiquer auprès de leurs consommateurs et à faire
preuve d’une créativité beaucoup plus importante que dans les autres secteurs.
Quelques années plus tard, Internet arrive dans les foyers français et prend une
importance croissante avant de devenir le média et l’outil incontournable qu’il est
aujourd’hui. Ne figurant pas dans les supports autorisés, la publicité en ligne est donc
interdite. Ce manque de précision dans la législation va entraîner un certain nombre de
contentieux, le plus célèbre étant celui opposant l’ANPPA à Heineken, la marque sera
condamnée pour publicité illicite sur son site internet. Ce cas va entrainer de nombreuses
critiques de la part des marques d’alcools, bridées par un flou juridique sur un support en
plein développement et aux opportunités incroyables. Les législateurs vont entendre ces
critiques et donner lieu à une réforme de la loi le 21 juillet 2009 avec l’ajout du support, sous
certaines conditions, à la liste limitative :
«Les services de communications en ligne à l’exclusion de ceux qui, par leur
caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la
jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des
ligues professionnelles au sens du code du sport, sous réserve que la propagande ou la
publicité ne soit ni intrusive, ni interstitielle.»3
C’est ainsi le constat de cette contrainte liminaire qui m’a tout d’abord amenée à
vouloir traiter ce sujet. Si on considère aujourd’hui les marques comme des écosystèmes,
c’est-à-dire des systèmes vivants qui existent par l’interaction de plusieurs éléments comme
leur nom, leur logo, leur produit, leurs consommateurs, leur communication mais aussi leurs
2 Chiffres INSEE http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF06219 3 Extrait de la loi Evin (cf annexe 1)
8
normes, la loi Evin en France a poussé ces écosystèmes à réorienter leur communication en
fonction de cette norme majeure et à y injecter plus de sens et de créativité.
La question initiale que je me suis posée fut la suivante : comment les marques
d’alcool relèvent elles le défi d’entretenir leur relation aux consommateurs et de faire grandir
leur notoriété sans pouvoir vanter leurs mérites et leurs bénéfices ? J’ai ensuite cherché à
intégrer cette question dans le contexte actuel d’hypermodernité défini par Gilles Lipovetsky
dans son essai Le bonheur paradoxal4. Il y décrit une modernité déréglementée, globalisée où
les marques se développent dans un contexte d’hyperconsommation, d’hyperconcurrence, où
mobilité et flexibilité sont devenus les maîtres mots. Dans cette hypermodernité le mieux-
vivre est devenu une passion de masse et a vu l’avènement du « turbo-consommateur »
imprévisible, mobile et parfois contradictoire dans ses goûts et ses achats.
Ce contexte sous-entend des défis énormes pour les marques qui voient la valeur
ajoutée de leurs produits ainsi que leurs messages noyés dans le flot d’un capitalisme à la fois
économique mais aussi culturel : elles ne peuvent plus être envisagées uniquement sous
l’angle du bénéfice ou de l’identité. Leur nouveau défi semble bien de dépasser leur produit et
son usage prédéfini pour proposer un mode de vie, un modèle culturel propre qui les
rendraient plus visibles et lisibles par le consommateur, lui-même rendu inattentif dans l’effet
« tapisserie » produit par la surabondance de messages, notamment publicitaires. Pour
résumer, la marque doit prendre sous sa responsabilité des éléments qui dépassent la
production de produit, en somme développer une approche culturelle de sa communication et
de son marketing pour renforcer sa dimension aspirationnelle.
A partir de ce postulat, j’ai repris le texte même de la Loi Evin pour retracer le
cheminement créatif effectué par les marques d’alcool pour s’émanciper de ces contraintes
légales et continuer à développer leur notoriété et leurs relations aux consommateurs. A partir
de l’analyse de campagnes de communication, d’opérations spéciales, de différents contenus
online et offline édités par les marques, cette étude tendra à répondre à la question suivante :
dans quelle mesure les marques d’alcools en France, en réponse à un cadre législatif
contraignant, tendent à devenir des agents culturels à part entière par le développement
de leur « culture de marque » ? Je chercherais dans cette étude à identifier quels sont les
différents éléments qui constituent cette culture de marque et à analyser dans quelle mesure
4 Gilles LIPOVETSKY. Le bonheur paradoxal : essai sur la société d’hyperconsommation, Gallimard, 2006.
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les marques d’alcools ont plus spécifiquement orienté leur marketing et leur communication
dans cette direction.
Pour traiter cette question j’ai délibérément fait le choix d’exclure le vin et le
champagne de mon étude pour me concentrer sur les alcools forts et les bières. Vin et
champagne répondent en effet à des logiques marketing bien différentes qui nécessiteraient à
elles seules une analyse complète. J’aborderai les moyens de communication de manière assez
large en me concentrant sur les supports que sont les affiches, les films et les sites internet.
Même si la communication digitale représente un volet majeur et capital de cette étude, j’ai
fait le choix de ne pas aborder en détail la question des réseaux sociaux et des applications
mobiles car ce sont des domaines que je maitrise peu et qui nécessitent une véritable expertise
pout être appréhendés de manière claire et productive. Enfin, au regard de ma problématique,
je concentre évidemment mon sujet sur la France bien que certains exemples puissent être
tirés de campagnes européennes ou internationales.
Ma méthodologie repose sur trois volets principaux : tout d’abord une analyse
documentaire qui constitue le fond théorique de mon travail. J’ai ainsi été amenée à travailler
sur des ouvrages généraux touchant aux sciences humaines, à la sociologie et au marketing. Je
me suis également beaucoup appuyée sur des travaux récents réalisés par des consultants ou
des agences de communication me permettant d’avoir accès à des analyses correspondant à
l’état actuel du marketing de l’alcool. J’aborde en effet dans ce mémoire des tendances qui
datent pour la plupart de moins de cinq ans.
Le deuxième volet de mon analyse fut dédié aux entretiens. J’ai en effet été
amenée à interviewer d’une part un blogueur spécialiste des marques d’alcools et d’autre part
la directrice d’une agence de communication dédiée aux vins et spiritueux. Ces deux points de
vues, extérieurs aux marques, m’ont permis de croiser des regards experts mais aussi plus
critiques sur le marketing de l’alcool. Ces deux personnes sont amenées régulièrement à être
en contact avec des marques d’alcools, soit pour les conseiller soit pour relayer leur discours,
et sont donc témoins, de manière transversale et objective, des tendances du domaine.
Enfin j’ai travaillé à l’analyse de nombreux supports de communications émis
par les marques d’alcool en essayant de les varier le plus possible : communiqués de presse,
expérience interactives, affiches, films, site internet, brand content, interview de dirigeants,
blogs, livres d’entreprises… Cette analyse m’a permis d’envisager toute la variété des
10
messages et des supports afin de soutenir mon hypothèse sur le développement d’une culture
de marques multi-supports.
A partir de cette méthodologie j’ai identifié trois hypothèses :
Ma première hypothèse tend à interroger les fondements de cette culture de marque
que sont l’origine géographique et historique des marques d’alcools. Ces éléments, que les
marques sont autorisées à utiliser dans leur communication, représentent à la fois une
première réponse à la loi Evin et les fondations, via le storytelling et le marketing de la
provenance, d’une dimension mythique comprise dans la culture de marque.
A partir de cette communication du lieu et du temps, tournée vers l’origine et le passé,
les marques d’alcools formulent une deuxième réponse à la loi Evin par le développement
d’une culture du présent autour de la créativité et de l’expérientiel. Selon le principe de la
« contrainte féconde », la créativité nécessaire voire obligée des marques d’alcool tend à
devenir part intégrante de leur identité et de leur culture en se déployant dans la construction
d’un art de vivre associé à chaque marque. Ce style de vie serait incarné dans une expérience
de marque, une « performation de marque » qui relieraient les consommateurs non plus à un
produit mais un système de valeurs et de sens proposé par les marques et incarnés dans des
expériences.
Enfin cette culture de marque, en tant qu’occupation stratégique par les marques
d’alcool du terrain communicationnel laissé libre par la loi Evin, après son inscription dans le
passé et le présent, développe un patrimoine à la fois matériel et immatériel et redéfini sa
relation aux consommateurs sous l’angle du contenu et de la responsabilité. Du brand content
à la brand utility, les marques d’alcools s’inscrivent dans une relation de service et d’utilité
aux consommateurs, qui fait d’elles des agents culturels de la société. Cette relation est ainsi
projective et va jusqu’à l’émergence d’une responsabilité de marque avec les prémices d’un
discours de la prévention des dangers de l’alcool.
11
I – L’ANCRAGE HISTORICO-GEOGRAPHIQUE : UN
LEVIER EFFICACE POUR RACONTER SANS INCITER
A) Communiquer sur son territoire : le marketing de la provenance
1) Loi Evin et territoire : un vraie opportunité marketing
Comme nous le disions en introduction, la loi Evin telle qu’elle réglemente
aujourd’hui la publicité pour les marques d’alcools, définit très clairement les éléments qui
peuvent figurer dans les messages publicitaires des marques d’alcools et ceci en fonction des
supports et horaires autorisés.
« La publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré
volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et
de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des
modalités de vente et du mode de consommation du produit. Cette publicité peut comporter
des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux
appellations d'origine (…) ou aux indications géographiques (…). ».
La parution de la loi est venue clarifier au niveau légal l’ambigüité croissante du statut
de l’alcool en France. En effet ce dernier est largement considéré comme une part capitale de
l’identité de notre pays : les vins, le pastis, les bières d’Alsace, le cidre ou les spiritueux
comme le Cointreau, la Suze… Autant de noms inscrits dans le patrimoine immatériel de la
France et qui en constituent la francité. A ces alcools made in France viennent s’ajouter
l’ensemble des spiritueux comme la vodka, le whisky ou le rhum qui sont consommés sur
l’ensemble du territoire. Paradoxalement, comme nous l’avons vu en introduction l’alcool
tend à devenir l’un des principaux ennemis de la santé publique donnant ainsi jour à un
discours publicitaire et médiatique schizophrénique entre promotion et dénonciation. La Loi
Evin a ainsi mis fin à cette situation, enterrant les slogans comme « Dubeau, Dubon,
Dubonnet », « Heureux comme un 51 dans l’eau » ou « Suze, l’amie de l’estomac ».
12
Les marques d’alcool se sont retrouvées dans la nécessité de repenser leur
communication globale à l’aune de cette loi et de valoriser un ou plusieurs des différents
éléments autorisés pour rebâtir leur identité de marque, ne pouvant plus vanter les qualités
gustatives, les connotations positives et bénéfiques, tels la fête ou le plaisir, qui existaient
dans leurs précédentes campagnes publicitaires. Un certain nombre de marques ont ainsi fait
le choix d’associer la marque à son lieu d’origine, comme explicitement autorisé dans la loi
Evin.
Ce retour des marques au local s’explique également par l’homogénéisation du monde
du à la mondialisation. Le concept de local est ici multiple, il est un lieu, un pays, ou encore
un espace. Dans ce cadre, le rattachement à un lieu choisi constitue pour chaque individu un
territoire aux pourtours définis et qui permet de tisser des liens et de développer un sentiment
d’appartenance émotionnel collectif. Les manifestations de ce retour au local des marques
d’alcools, sont nombreuses « Ricard, le vrai pastis de Marseille », les « terres du Clan
Campbell », « J&B Just British » ou encore « Affligem la bière totalement belge ». La
valorisation de la provenance s’avère ainsi être un réel choix marketing que nous allons à
présent analyser.
2) Le “marketing de la provenance“ : qualité et authenticité
« La provenance est une histoire d’amour diffusant autour d’elle valeurs et contenus
objectifs et affectifs. »5. Pour une marque, communiquer sur sa provenance c’est faire de son
territoire d’origine un élément de valorisation qualitative en même temps qu’un facteur de
différenciation. Le territoire renvoie ainsi à une localisation géographique, à des traditions, à
une culture, autant de repères qui visent à créer confiance et assurance dans l’esprit du
consommateur. Ces éléments mêlent à la fois aspects objectifs et subjectifs et créent des
analogies entre l’énonciation d’une provenance et les qualités qui lui sont généralement
rattachées. Par exemple l’Espagne va évoquer la chaleur et la fête, l’Irlande l’authenticité et la
camaraderie.
5 Serge Henri SAINT MICHEL “Le marketing de la provenance : quand l’origine géographique valorise les marques” in www.marketing-marketing.fr. 20 mai 2003.
13
Cet effet d’analogie se nourrit de trois types de signes :
- les signes objectifs : il s’agit de tous les éléments tangibles et vérifiables qui accompagnent
la marque et son produit comme son origine géographique autour de son lieu de production,
les caractéristiques techniques du produit ou encore une appellation d’origine contrôlée.
- les signes subjectifs : ces derniers se situent à un niveau plus affectif et connotatif et
évoquent un mode de consommation, un mode de vie, une culture, en somme un univers
symbolique sous-entendu par la provenance valorisée par la marque.
- les signes projectifs : ce sont les signes qui vont permettre aux consommateurs d’identifier la
clientèle que la marque vise ou feint de viser et ainsi se sentir intégrés dans une communauté
via l’achat et la consommation du produit.
Ces trois catégories visent à construire une identité géographique à la fois réelle et
symbolique dans laquelle va venir s’inscrire et communiquer la marque. Selon Serge Henri
Saint Michel, cette identité géographique est composée de 6 facettes :
FACETTE DE L’IDENTITÉ
CONTENU
Physique
Caractéristiques objectives et saillantes qui viennent immédiatement à l'esprit quand on évoque la marque Caractéristiques latentes et enfouies dans l'esprit du consommateur
Personnalité Façon dont la marque parle de ses produits
Univers culturel Système de valeurs et culture propre
Mentalisation Relation que le consommateur entretient avec lui même grâce à la marque
Reflet Statut que les consommateurs attribuent aux possesseurs de la marque en question, un modèle d’identification
Climat de relation Climat de relation entre la marque et le consommateur dont l’objectif est de donner plus de proximité à la marque
D’après Marketing de la provenance – Serge-Henri Saint-Michel A partir de la définition d’une identité géographique, la marque doit néanmoins
répondre à une certaine exigence notamment en termes d’authenticité pour s’assurer une
perception positive et qualitative de la part de ses consommateurs. Cette exigence est triple :
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exigence d’engagement, un produit de qualité sur la durée, de légitimité, soit la vérité perçue
dans le message, et enfin exigence d’émotion avec un imaginaire qui puisse garantir une
projection et une connotation suffisamment fortes dans l’esprit des consommateurs. Si ces
conditions sont réunies, la valorisation de la provenance par les marques d’alcools permet de
développer l’implication du consommateur et la notoriété de la marque qui sera désormais
perçue à travers le prisme de son origine. C’est par exemple la valeur ajoutée des bières
« d’abbaye » comme Leffe ou Grimbergen par rapport à leurs concurrentes.
Ce choix marketing peut représenter trois risques principaux à savoir un certain
hermétisme du positionnement qui peut difficilement se séparer du niveau symbolique
connoté par son lieu de provenance, niveau symbolique qui risque lui même d’être banalisé
s’il est utilisé de manière trop récurrente par la marque. Enfin la différenciation faite par le
lieu de provenance connaît ses limites quand plusieurs marques du même secteur, comme
l’alcool, s’approprie un même territoire, c’est le risque couru par les marques de whiskies et
de bière avec les imaginaires de l’Ecosse, de l’Irlande, de la brasserie… Communiquer sur
son origine géographique semble donc être un levier très efficace pour contourner les
impératifs de la loi Evin si ces différentes exigences et risques sont bien maitrisés. Si comme
nous l’avons vu ce choix communicationnel a été largement repris par des marques de bières
et whiskies et représente pourtant un certain nombre de risques notamment de concurrence de
territoires de marques, l’un des exemples les plus réussis de marketing de la provenance est
celui du whisky Clan Campbell.
3) « Entrez sur les terres du Clan Campbell »
La marque Clan Campbell a été créée par le groupe Pernod-Ricard en 1984. Le groupe
de boissons alcoolisées achète à l’époque au descendant du fameux clan écossais, occupant
encore le château familial, l’autorisation d’utiliser le nom et l’image de la famille pour son
nouveau produit. La marque est aujourd’hui leader des ventes de whisky en France6 et outre le
produit en lui-même, elle se caractérise par son message publicitaire centré sur les « terres du
Clan Campbell ». La marque inscrit son identité directement sur son territoire, à la fois réel et
6 Rapport d’activité Pernod Ricard 2009-2010. http://www.pernod-ricard.com/medias/resources/static/rapport_interactif/2010-11-09_fr/appli.htm
15
fantasmé. En effet il existe encore des propriétés du Clan Campbell en Ecosse, notamment le
château d’Inveraray et c’est à partir de cette terre bien réelle que la marque a développé un
univers mystérieux et légendaire. Pour cette étude je me suis intéressée à l’ensemble des
campagnes print post loi Evin ainsi qu’au site internet clancampbell.fr, plus particulièrement
au webdocumentaire lancé en juillet 2011 et réalisé par l’agence Textuel-La Mine (BBDP
Unlimited).
Les campagnes print post Loi Evin (cf annexe 2) sont construites entièrement autour
du concept de « terres », référence historique aux possessions terriennes du clan Campbell,
l’un des clans les plus puissants d’Ecosse jusqu’au XVIIIe siècle. Les visuels des campagnes
tendent à créer une identité forte à la fois par un ancrage géographique très concret mais aussi
par la pérennité de l’univers de marque imaginé. En effet tous les visuels publicitaires de Clan
Campbell suivent une construction similaire avec une gradation dans les différentes baselines
ajoutées. L’image y est ainsi découpée en 3 zones bien définies : les deux tiers supérieurs,
seulement un tiers dans la première campagne, sont occupés par un paysage en noir et blanc
ou en sépia, le tiers inférieur est occupé par la baseline et la mention légale « à consommer
avec modération », on retrouve enfin le visuel de la bouteille de whisky à droite ou à gauche
de la baseline.
Si nous nous intéressons à ces paysage
plus en détail, nous retrouvons un ensemble
de signes récurrents que sont la brume, la
lande, le minéral et le métal (falaises,
châteaux forts, menhirs, armures), la lumière
(bougies, lanternes, soleil derrière la brume),
l’eau (lacs, mers). L’ensemble des visuels est
traité de manière presque cinématographique
avec un mouvement général très accentué, un
effet de tourbillon qui laisse deviner que les
paysages présentés sont balayés par des vents
violents, et un fort contraste du noir et blanc. Les lignes de fuites sont également très
accentuées, guidant systématiquement le regard vers un point précis tel l’arcade d’un pont, le
haut d’un donjon, une porte entrouverte ou encore une vallée lointaine. Nous sommes donc
face à un paysage rappelant fortement une terre celte, l’Ecosse, ou l’Irlande, intemporelle et
Visuel de la campagne print Clan Campbell - 2003
16
mystérieuse ou l’humain est absent. Le visuel propose donc une vue subjective du paysage et
met en scène une quête avec la mise en perspective des différents éléments et d’un « but » à
atteindre. Le lieu est un territoire mystérieux et presque effrayant à découvrir.
La baseline confirme cette idée de quête si nous considérons l’ensemble de la
campagne depuis 1993 comme une saga. La première baseline en 1993, « Ici commence les
terres du Clan Campbell » se présente comme un panneau indicateur, une mise en garde
directement adressée au consommateur. La seconde en 1996 « Vous entrez sur les terres du
Clan Campbell » avec l’utilisation du pronom « vous » confirme l’implication du
consommateur et affirme l’existence d’un territoire à la fois réel et fantasmé. En effet,
l’emploi du mot « terres » sous-entend une zone géographique aux contours flous ayant
existée dans un passé indéfini. Il connote la possession terrienne, l’immensité et le pouvoir.
Le mot « clan » vient renforcer cette idée de puissance et de possession par la référence à un
système politique à la fois positif par ses valeurs de communauté, de famille mais également
archaïque et révolu, celui de l’Ecosse historique.
Enfin la mise au premier plan de la bouteille rappelle que cette terre, ce paysage, cette
quête du consommateur est liée directement à un produit, le whisky Clan Campbell, créant
ainsi une association entre l’univers fantastico-historique des visuels et le produit qui devient
de ce fait désirable car empreint des caractéristiques d’un lieu entre réalité historique et
fantasme. Les baselines des campagnes de 2002 et 2010 « Vous êtes sur les terres du Clan
Campbell » et « Au cœur des terres du Clan Campbell » achèvent cette gradation et cette
progression du consommateur jusqu’au « cœur » d’un lieu fort en symboles. Elles confirment
l’ambition de la marque de nous plonger dans un territoire, de faire de sa provenance une
source d’imaginaire et de forte valeur ajoutée
Nous pouvons à présent
résumer l’identité géographique du
Clan Campbell avec la matrice ci-
contre (d’après Marketing de la
provenance – Serge-Henri Saint-
Michel) vue précédemment :
17
FACETTE
CONTENU
Physique Le whisky écossais Personnalité Traditionnelle et mystérieuse
Univers culturel L’histoire légendaire du clan Campbell Mentalisation Un consommateur téméraire
Reflet Un homme fort et mystérieux Climat de relation La marque met son consommateur au défi, en
quête d’une vérité
Cette identité géographique solide a été reprise dans un webdocumentaire disponible
depuis juillet 2011 sur le site internet clancampbell.fr (cf annexe 3). Le site internet s’ouvre
sur une question « Voulez vous entrer sur les terres du Clan Campbell ? » sur fond de paysage
écossais, plus réaliste que les visuels publicitaires. On franchit ici la marche entre territoire
fantasmé et territoire réel. Le premier clic nous amène sur la photo d’un homme en pull bleu
marine regardant à travers une fenêtre, première occurrence d’une personne dans la
communication de Clan Campbell. Le texte accompagnant la photo « Torquhil Campbell, 13e
comte d’Argyll raconte l’histoire des terres et du Clan Campbell » ancre l’introduction du
documentaire dans une nouvelle énonciation, la marque s’adresse aux consommateurs à
travers un membre du Clan Campbell. Cette légitimation d’un héritage patrimonial et culturel
est ensuite appuyée par les différents chapitres à explorer : tout d’abord les terres, « Le comté
d’Argyll », « Loch Awe, berceau du clan » puis le clan des Campbell avec « La légende »
« Le blason » ou « Le rôle des Campbell dans l’histoire des clans » et enfin une partie sur le
produit et sa fabrication. A noter, cette dernière partie est racontée en français avec un très
fort accent écossais tandis que les deux première parties sont contées en anglais avec des sous
titres.
La manière dont l’histoire des Campbell vient prolonger une communication du
mystère et du lieu fantasmé illustre bien l’exigence d’authenticité et de crédibilité rencontrée
par les marques d’alcool positionnées sur leur identité géographique. Ce glissement qu’a
opéré Clan Campbell vers le récit historique de la marque illustre une tendance plus générale
des marques à passer de la représentation de marque, de l’image à l’histoire et à la narration.
Voyons à présent comment ce levier est utilisé plus particulièrement par les marques d’alcool.
Détail de la matrice appliquée au cas Clan Campbell
18
B) Si les marques nous étaient contées : du storytelling au storysharing
1) Le récit comme retour au sens et à la croyance
« Innombrables sont les récits du monde. »7 Cette phrase de Roland Barthes, illustrant
l’enracinement profond du mode narratif dans toutes les cultures du monde, anticipe la
tendance de fond qui traverse l’ensemble du marketing et de la communication depuis le
début des années 2000, celle du passage du modèle de la « brand image » à celui de la « brand
story ». En effet, à la fin des années 90 les marques ont traversé une crise de sens les obligeant
à repenser leur relation aux consommateurs. La problématique était alors la suivante :
comment les engager dans une relation durable et émotionnelle et sortir définitivement du cul-
de-sac de l’unique transaction marchande ?
Ce concept de retour au récit, car il s’agit bien d’un retour, émerge dans le monde
universitaire américain dans les années 90, son utilisation dans le monde du marketing ou de
la politique est nommé « storytelling » avant d’être introduit en France par Christian Salmon8.
L’utilisation du storytelling en marketing répond au besoin intemporel de l’homme d’écouter
des histoires et d’y chercher les explications à ce qu’il voit et vit. Comme l’explique Nicolas
Riou dans son livre Marketing Anatomy9, la pensée symbolique entretenue par la création et la
diffusion des récits a toujours été un moyen pour l’homme d’explieruer le réel et donc de s’y
relier. Chaque époque a ainsi eu besoin de se raconter, de dire qui elle était et notre époque ne
semble pas déroger à cette règle. « La culture post-moderne n’est pas encore suffisamment
désenchantée pour ne plus croire et faire attention aux récits »10. Le storytelling met ainsi en
jeu un mécanisme propre à la narration : placer l’auditeur dans un état de « suspension
consentie de l’incrédulité », à savoir lui faire accepter, pour un moment, de ne plus faire appel
à sa raison. Ainsi pour Christian Salmon le storytelling se place au-delà d’une simple histoire
mais vise à créer un effet de croyance, ici dans la marque, et à faire converger « des visions du
monde ». Cette idée forte de « croyance » échappe donc au champ rationnel pour s’inscrire
dans celui de l’émotion, de l’affectif, leviers privilégiés pour attirer « l’attention ».
7 Roland BARTHES. «Introduction à l'analyse structurale des récits», in Communications, 1966. 8 Christian SALMON. Storytelling : la machine à fabriquer des histoires, La Découverte, 2008. 9 Nicolas RIOU. Marketing Anatomy, Eyolles, 2009. 10 Nicolas RIOU. Ibid.. p. 61
19
2) Projeter les consommateurs dans un récit : le storysharing
La notion d’attention citée par Nicolas Riou est capitale car c’est justement l’attention des
consommateurs que les marques d’alcools cherchent à attirer en faisant appel au storytelling
comme levier marketing. Si nous revenons à la loi Evin, cette dernière a gommée des
éléments qui servaient auparavant à délimiter les territoires de marques obligeant, ces
dernières à se repenser, à se redifférencier pour ne pas se fondre dans un magma
communicationnel. La fragmentation et l’homogénéisation des territoires de marque étaient en
effet les risques principaux au lendemain de la promulgation de la loi. Ainsi de nombreuses
marques se sont mises à inventer, romancer et raconter leurs petites et grandes histoires dans
le but de recréer des univers de marques cohérents et différenciants tout en unifiant ces
univers, fragilisés par la multiplication croissante des points de contact avec les
consommateurs.
Ces consommateurs auraient ainsi deux exigences concernant la marque : du sens et une
vision du monde lisible à laquelle s’identifier, une vision à partager. C’est pourquoi le
storytelling tend aujourd’hui à se faire « storysharing » : les marques cherchent à inclure le
consommateur dans leurs récits, à proposer une vision du monde dans laquelle le
consommateur peut se reconnaître, se projeter. Nous ne sommes donc plus dans une
configuration énonciateur – destinataire classique mais bien dans un schéma plus complexe
avec l’attente d’un retour du destinataire en mode projectif : narrativiser la marque pour en
faire une culture à laquelle il puisse adhérer.
Ainsi comme l’affirme l’entrepreneur Seth Godin « Les gens n’achètent pas des produits
mais des histoires »11. Il est aujourd’hui presque impossible pour les marques d’alcools de
distribuer un produit sans raconter d’où il vient, qui l’a produit, quelles sont ses valeurs et ses
ambitions. Comme nous l’avons vu dans la partie précédente avec Clan Campbell, le
storytelling peut venir d’un lieu géographique dont « les marques se sentent propriétaires »12,
mais aussi d’une origine historique, véridique ou non, mise en récit par la marque.
11 Seth Godin. Tous les marketeurs sont des menteurs, Transcontinental, 2006. 12 Nicolas RIOU, Marketing Anatomy. Op cit., p. 58
20
Par exemple, la marque de
bière Killian’s raconte sur son site
internet, à la manière d’un conte,
l’histoire tumultueuse de la
brasserie écossaise, rachetée en
1950 par Pelforth et aujourd’hui
brassée en France. Avec de
nombreux détails très
pittoresques, la marque injecte un passé et de la légitimité dans un produit qui a aujourd’hui
perdu concrètement tous liens avec son pays d’origine. Le mécanisme du storytelling vise ici
à pallier cette perte partielle d’identité par le retour à une histoire charmante et authentique
inscrite dans l’univers traditionnel irlandais, plus susceptible de créer l’adhésion que la
brasserie actuelle installée à Mons-en-Baroeul près de Lille.
Ainsi l’enjeu pour les marques d’alcool n’est plus de s’affirmer mais de se raconter
dans un récit construit, incluant le consommateur, et dont elle est l’énonciateur. Voyons à
présent comment une marque, à la problématique similaire que celle évoquée pour Clan
Campbell, a su incarner son territoire de marque et ses valeurs dans un « morceau de bravoure
» narratif.
3) Johnnie Walker, une histoire en marche
Le whisky Johnnie Walker a été créé par John « Johnnie » Walker, épicier écossais qui
se mit dès 1825 à vendre son propre whisky avant d’en faire son activité principale. La
marque éponyme fut créée en 1877 par son fils Alexander Walker. Ce dernier fut le véritable
artisan du succès mondial de Johnnie Walker : exportation du produit par trains et bateaux,
invention de la fameuse bouteille carrée et de l’étiquette penchée à 24° permettant une
meilleure lisibilité du texte et une plus grande visibilité en rayon. Johnnie Walker appartient
aujourd’hui au groupe Diageo, leader mondial des alcools et spiritueux devant Pernod-Ricard.
Il s’agit de la marque de blended scotch la plus largement distribuée dans le monde avec 130
millions de bouteilles vendues chaque année.
Capture d’écran du site Internet Brasserie Killians
21
Johnnie Walker possède une réelle
histoire de marque, celle d’une famille
écossaise partie de peu et qui grâce à son
sens du commerce et son travail a réussi à
progresser et s’élever pour devenir l’un des
leaders mondiaux du whisky. Cette notion
de « réussite » est capitale pour la marque
qui au moment d’affirmer son nouveau
positionnement marketing a mené une grande enquête auprès des hommes pour connaître
leurs représentations du succès. L’étude a révélé que le succès, pour tous les hommes de
toutes les régions du monde, ne se traduisait plus par la richesse matérielle ou l’exposition
ostentatoire des biens mais qu’il était plutôt une valeur intérieure traduite par la volonté
d’être meilleur, de s’améliorer. Le succès d’un homme ne se jugerait plus par là où il se situe
mais par vers où il se dirige. De cette réflexion est né l’emblème de la marque, le « Striding
Man », un dandy à chapeau haut de forme et canne, marchant à grandes enjambées,
accompagné de la signature « Keep walking. » traduisant cette idée de progrès en marche et
de ténacité.
Comme nous l’avons vu, les marques d’alcools, au-delà d’un territoire géographique
qui tend potentiellement à limiter la différenciation de leur identité, vont donc chercher à
mettre en récit leurs valeurs de marque et leur histoire afin de proposer un modèle culturel
capable de séduire ses consommateurs. Forte de son passé et de valeurs clairement
revendiquées, masculinité et réussite, Johnnie Walker fait appel à BBH London en 2009 pour
franchir le pas de la brand image à la brand story13.
« The Man Who Walked Around The World»14 est un court métrage de six minutes
présenté avec titre et générique de fin. Le sous-titre « A True Story » affirme dès le premier
plan du film la véracité des faits qui vont être racontés. Le décor est le même durant tout le
film, un sentier sinueux dont on ne voit ni le début ni la fin au milieu d’une vallée et de la
lande entourée d’un ciel brumeux. Seulement deux personnages : le premier est incarné par le
célèbre acteur écossais Robert Carlyle, le second est un joueur de cornemuse, muet que
13Christian SALMON. Storytelling : la machine à fabriquer des histoires. Op cit. 14 Vidéo sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=MnSIp76CvUI
Logo et signature Johnnie Walker
22
Robert Carlyle laisse sur le bord du chemin au bout de de quarante secondes après lui avoir
demandé de faire taire son instrument, pied de nez direct à la culture écossaise traditionnelle.
Ainsi à partir d’un cadre en apparence peu différenciant et après ce « Shut it »15
liminaire, le personnage principal, que l’on voit arriver de loin dans la brume, va dérouler
l’histoire de Johnnie Walker, de sa famille, de son whisky et de son succès en six minutes,
sans jamais s’arrêter de marcher. La scène a été filmée en une seule prise comme le précise le
réalisateur Jamie Rafn « Le film a été délibérément conçu pour rendre non dissimulable toutes
coupures au montage. Risqué.»16 Il y a donc une double reprise du concept du « Keep
walking », avec d’une part le jeu de l’acteur Robert Carlyle incarnant au pied de la lettre le
« Striding Man » et le mode de narration, en une seule prise. L’emblème de la marque qui
prend ici forme humaine devient le motif principal de la narration. Les premiers mots du
personnage « Here’s a true story » confirme sa double attribution : incarnation du « Keep
walking » et conteur. En effet on renoue ici avec une certaine forme de tradition orale, Robert
Carlyle se fait alors barde, détenteur d’un savoir historique qu’il est chargé de transmettre et
de faire partager à une communauté. Ainsi, par sa bouche c’est bien la marque Johnnie
Walker qui se raconte à nous, spectateurs consommateurs.
Le discours du personnage s’articule autour d’une métaphore filée de la marche, dont
on retrouve de très nombreuses occurrences tout au long du film tels « a spring in his step »,
« one day he went for a walk », “his two sons joined him in his journey », « they were
15 « Ferme la » 16 The film was deliberately constructed to make it impossible to hide any invisible cuts. Risky stuff.
Capture d’écran de la vidéo The Man Who Walked around the World
23
unstoppable » « no going back after that », “he is not showing any signs of stopping”17. Les
champs lexicaux secondaires sont ceux du commerce, de l’ambition, de l’argent. Le texte
même du film tend ainsi à construire l’analogie entre marche et réussite sociale, financière,
analogie à la base même de l’identité Johnnie Walker. La marche du personnage est elle-
même accentuée par la musique de fond, rythmée par des violons. Chaque épisode de
l’histoire est ensuite illustré par un objet se trouvant sur le chemin du personnage principal,
une pierre tombale pour le décès du père de John Walker, une porte de magasin pour
l’ouverture de sa première épicerie, une banderole pour la reprise du « Keep walking » lors de
manifestations politiques… Le personnage interagit physiquement avec ces objets, il traverse
littéralement l’histoire et laisse le passé derrière lui sans se retourner.
Enfin, cette incarnation physique de l’histoire de la
marque est bel et bien partagée avec le spectateur. La
caméra est en plan fixe sur Robert Carlyle le suivant tout au
long de son avancée sans jamais changer d’angle, le
spectateur est ainsi en perpétuelle face à face avec le
personnage, ce dernier s’adresse directement à lui, le
regarde droit dans les yeux. Le discours est lui-même
ponctué d’adresses au spectateur. « No big deal you might
think, but you’d be wrong” ou “What do you think would
the farm-born Victorian grocer have thought of all of this ?”18. Robert Carlyle créé de la
connivence, montre le spectateur du doigt, feint d’entendre des remarques et dissémine
quelques pointes d’humour, telle la réplique au joueur de cornemuse ou une référence au vif
intérêt des Ecossais pour l’argent. Cette vidéo s’inscrit donc pleinement dans le concept de
storysharing décrit dans la partie précédente en tant quelle construit un modèle de valeurs à
partir de son récit de marque et inclue le consommateur dans ce récit. La diffusion virale
permise par le web 2.0 accentue cette notion de « sharing » à savoir que cette vidéo a été
largement diffusée, partagée par les internautes, prenant le relais de la tradition orale, mais
ceci est un sujet trop large pour être traité dans ce mémoire.
17Traduction : « un élan dans son pas » « un jour il partit marcher » « ses deux fils le rejoignirent dans son périple » « impossible de les arrêter » « pas de retour en arrière possible » « et rien ne dit qu’il s’arrêtera » 18 Traduction : « Vous direz que cela a peu d’importance mais vous aurez tort » « A votre avis, qu’aurait penser le vieux fermier victorien de tout cela ? »
24
En résumé, « The Man Who Walked Around The World “ part d’un imaginaire
géographique et culturel simple, celui de l’Ecosse incarné par le joueur de cornemuse, avant
de le rendre secondaire et de le balayer dans une réplique cinglante. La petite histoire de
Johnnie Walker prend ainsi le pas sur la grande Histoire écossaise avec l’incarnation du
Striding Man par Robert Carlyle, double métaphore de l’homme qui marche à travers
l’histoire de la marque et l’homme qui marche vers le progrès. La narration est marquée par
des champs lexicaux liés aux valeurs de la marque mais aussi par des objets symboles, qui
viennent relier le récit au réel. Ce storysharing parfait unit histoire de la marque et valeurs en
prenant le spectateur à parti par le personnage de Robert Carlyle, il présente une histoire en
mouvement, un grand récit de marque comme un manifeste culturel.
Ainsi nous avons vu que les marques d’alcool pouvaient contourner la loi Evin en
construisant leur identité de marques autour des caractéristiques autorisées comme le lieu de
provenance et l’histoire du produit. En injectant du sens et une certaine forme d’authenticité
dans leur communication, elles prennent à parti le consommateur et recherche son adhésion
aux valeurs qu’elles affirment, ou plutôt racontent. C’est donc bien en termes de croyance que
l’on peut penser la relation construite à travers ces récits de marques. Voyons à présent
comment la communication des marques nous entraîne ainsi du récit au mythe.
C) Quand la marque se veut mythe
1) Le mythe contemporain : recréer du sens pour répondre à la crise
Comme nous l’avons vu à travers l’étude du concept de storytelling, notre société
malgré ses transformations et son « désenchantement » semble encore capable de faire
attention et de croire aux récits, aux histoires. Au-delà de la narrativisation de leurs valeurs
pour les rendre plus saillantes, le retour au récit opéré par les marques pose la question de sa
finalité. Nous avons identifié que la place de plus en plus importante accordée aux récits de
marques tendait à répondre à une crise de sens dans le monde du marketing, crise due à la
25
fragmentation de la relation aux consommateurs par la multiplication des points de contacts
mais aussi par la multiplication des messages et des images. Cette perte de repères est à
réinscrire dans le contexte post-moderne plus global comme décrit par Gilles Lipovetsky dans
l’Ere du vide19 « La société postmoderne n’a plus d’idole, ni de tabou, plus d’image glorieuse
d’elle-même, plus de projet historique, c’est désormais le vide puissant, sans logique, ni
apocalypse ». Nous décrivons donc ici une société paradoxale, à la fois vide et complexe, qui
justifierait le besoin de mythes.
Le mythe peut être compris sous plusieurs acceptations très différentes en fonction du
champ auquel on l’applique. Nous l’entendrons ici comme un récit se voulant explicatif et
fondateur d'une pratique sociale. Porté à l'origine par une tradition orale, il propose une
explication à certains aspects fondamentaux du monde et de la société comme la création du
monde, les phénomènes naturels, le statut de l'être humain ou la genèse d'une société humaine
et ses relations avec les autres sociétés.20 Il y aurait donc un véritable besoin de notre société,
hyperconsommatrice, de retourner à ces savoirs ancestraux pour expliquer le présent. La
question étant de savoir quelles formes prennent ces savoirs aujourd’hui, alors que le système
de transmission orale tend à disparaître, en France en tout cas.
Pour éclairer la nature de ces mythes contemporains, nous pouvons retourner à la
définition formulée par Roland Barthes dans sa postface à Mythologies21. Pour Barthes, le
mythe est une parole, un système de communication, un message, un mode de signification…
« Il y a des limites formelles au mythe, mais pas substantielles »22. Ainsi tout peut être mythe.
C’est la parole qui constitue le mythe, une parole formée d’une matière travaillée en vue
d’une communication appropriée, c’est à dire une communication qui concerne un groupe
particulier d’individus. Le mythe possède ainsi une force intentionnelle, une signification
motivée. C’est pourquoi le concept mythique, en tant que parole, récit explicatif du monde,
organisé pour agir sur un groupe défini d’individus à partir d’un ensemble de symboles et de
signifiants, s’avère être un levier privilégié pour les marques en tant qu’il « transforme une
contingence en éternité ».
19 Gilles LIPOVETSKY. L’ère du vide, essai sur l’individualisme contemporain, Paris : Gallimard, 1989. 20 Article “Mythe” - Wikipedia 21 Roland BARTHES. Mythologies, Editions du Seuil, 1957. 22 Roland BARTHES. Mythologies, ibid. p.232.
26
2) Le recours de la publicité à la pensée symbolique
Les marques ont ainsi soif d’intemporalité et d’éternité, elles aiment à faire croire
qu’elles ont toujours existé, toujours été aux côtés du consommateur et qu’elles le resteront.
Les notions de passé et de durée en marketing, comme nous l’avons vu en traitant le
storytelling, constituent des gages de qualité, d’authenticité, autant de valeurs repères et de
sources de réassurance pour le consommateur. Concernant les marques d’alcools, cette soif
d’intemporalité est d’autant plus grande que les produits commercialisés ont pour la plupart
une existence pluricentenaire voire millénaire : on buvait déjà de la bière en Mésopotamie au
IVe siècle avant Jésus-Christ, le whisky a commencé à être distillé en Irlande et en Ecosse au
XIe siècle et la vodka en Russie au XIVe siècle. Les marques cherchent ainsi à créer un
amalgame entre l’ancienneté du type de produit qu’elles commercialisent et l’ancienneté de la
marque elle-même. Comme le montre Georges Lewi dans Les Marques, Mythologies du
quotidien23 « Toute marque aspire au mythe et à l’immortalité ». En travaillant au
développement d’un univers symbolique autour de leurs produits, les marques auraient ainsi
une fonction qui les dépasse. Produits de notre imagination collective, elles incarneraient un
des rapports de l’individu au groupe.
En résumé, les marques en quête d’éternité font le choix délibéré de s’ancrer dans des
mythes ou de construire leur propre passé mythique et endossent par là une nouvelle fonction,
celle d’être de nouveaux objets de croyance. Si « les consommateurs d’aujourd’hui ont autant
besoin de croire en leur marque que les Grecs dans leurs mythes »24 le but des marques
semblent donc bien « d’enfermer » ses consommateurs dans un univers mythique et
sentimental fondé sur l’invocation de symboles. Comme nous l’avons vu précédemment, il y
a une fascination ancestrale de l’homme pour les symboles, fascination que les marques
reprennent à leur compte.
Par exemple, Ricard assume clairement son origine
méditerranéenne et s’inscrit ainsi dans le mythe de la solarité
via la forme, la couleur jaune de son logo et de ses très
nombreux objets dérivés. La marque s’approprie l’imaginaire
associé au soleil, à savoir la chaleur, l’énergie, la prospérité…
23 Georges LEWI. Les Marques, Mythologies du quotidien, Village mondial 2003 24 Georges LEWI. Ibid..
Logo de la marque Ricard
27
Pour résumer, aujourd’hui le consommateur n’achète plus seulement un produit ou une
marque mais bel et bien l’ensemble des symboles qui l’accompagne, les mythes et archétypes
que cette marque symbolise. Ce mécanisme vise à générer une véritable projection et à
construire le caractère universel de la marque. Dans le domaine de l’alcool, certaines marques
vont même jusqu’à construire toute leur communication sur une origine mythique, c’est le cas
notamment de la bière Grimbergen avec sa campagne « La légende du Phoenix », à laquelle
nous allons nous intéresser.
3) Le phénix de Grimbergen ou la « ré-invention » marketing d’un mythe
L’abbaye de Grimbergen, située aujourd’hui en Belgique flamande, a officiellement été
fondée en 1128. C’est à cette date que l’on retrouve aujourd’hui en dessous du logo de la
marque de bière éponyme. Si l’abbaye brasse de la bière quasiment depuis sa fondation, la
marque Grimbergen a seulement été déposée dans les années 1980 et la première prise de
parole de la marque eut lieu en 2000. Pour communiquer et formuler les valeurs de la marque,
les Brasseries Kronenbourg, qui détiennent Grimbergen, sont allées puiser dans le patrimoine
de l’abbaye. En novembre 2010, la marque lance une grande campagne autour de sa nouvelle
signature « Le pouvoir de renaître ». Cette campagne comprend de l’affichage et des visuels
presse mais aussi pour la première fois une opération web de grande ampleur, « La légende du
Phoenix ». Voyons comment la marque s’inscrit dans un mythe existant pour tenter de créer
son propre mythe et quelles en sont les conséquences en termes de relation au consommateur.
Tout d’abord, en tant que producteur de bière, la marque Grimbergen commercialise
un produit possédant une histoire forte, multiculturelle, universelle. En effet si on trouve
aujourd’hui la bière sur quasiment tous les continents, elle est également l’un des premiers
alcools à avoir été produit par les hommes25 : on retrouve des traces de la culture de l’orge dès
le Paléolithique et de son utilisation pour une boisson au Néolithique. Ainsi la bière trouve
son origine dans un passé très lointain qu’il est possible de relier à des cultures et croyances
mythiques. D’autre part, l’abbaye de Grimbergen possède son histoire propre, elle a traversé
le deuxième millénaire non sans écueils. Incendiée plusieurs fois avant d’être partiellement
détruite, elle est aujourd’hui encore occupée par des chanoines même si ces derniers n’ont
25 Michel ANTONY. “Petite histoire de la bière” Site académique de Besançon. 24 mai 2007. http://artic.ac-besancon.fr/hg/spip/spip.php?article48
28
plus rien à voir avec la production de la bière. En 1629, les pères Norbertins, du nom de Saint
Norbert, fondateur de l’abbaye, choisirent le phœnix comme emblème avec la devise Ardet
nec consumitur, "Brûle mais ne se consume pas". Il figure aujourd’hui non seulement sur un
vitrail de l’abbaye mais également, comme nous allons le voir, sur le logo de la marque
Grimbergen.
Ainsi la marque s’inscrit dans un double passé, celui du produit et celui de l’abbaye.
Ce passé est lié à un fort symbolisme, à l’enchantement qui se nourrit de l’histoire de
l’abbaye, ses destructions, ses renaissances, sa devise, le phœnix, son univers secret,
mystique. Philippe Collinet, directeur de la communication consommateurs et Marques
Brasseries Kronenbourg décrit ainsi le positionnement de Grimbergen : « Notre
positionnement est celui d'une bière d'abbaye, et nous nous appuyons sur l'authenticité de
l'abbaye de Grimbergen. Nous souhaitons évoquer le respect qu'engendre la dégustation de la
bière, dans un silence presque sacré ». Les premières, signatures de la marque « Et le silence
se fait », « Au nom du silence » étaient en effet tournées vers la notion de silence, propre à
une abbaye, renforçant la dimension mystique de la marque.
Cette dimension mystique, religieuse va muter en 2010 avec le lancement de la
nouvelle campagne « Le pouvoir de renaître ». Ce repositionnement du sacré au mythique
passe par la récupération de l’emblème et logo de la marque, le phénix, pour en faire le
symbole unique, résumant à la fois le passé de la marque, de l’abbaye, de la bière, les
légendes nées de ce passé et enfin et surtout le mythe du phénix. Si on retrouve cet oiseau
légendaire dans de nombreuses civilisations, le mythe originel est né en Ethiopie et était
rattaché au culte du Soleil. Proche de l’aigle, au plumage rouge, or et bleu, l’oiseau vivait des
centaines d’années et lorsqu’il sentait sa fin proche, mettait le feu à un bucher dans lequel il se
consumait avant de ressusciter. Les Perses, les Grecs, les Romains puis les Chrétiens ont tous
successivement intégré le phénix dans leurs mythologies et leurs croyances. Les trois thèmes
clés du symbolisme de cet oiseau sont la résurrection, l’immortalité et la résurgence. A cela
vient s’ajouter la nature divine, par rapport à la nature humaine qui est figurée par le pélican.
Ainsi quand Grimbergen lance en 2010 « La Légende du Phoenix », la marque
récupère tout un univers mythique connoté dont elle va relayer les valeurs et surtout jeter les
bases de son propre mythe en y intégrant son histoire. Concrètement la campagne est lancée
29
via un nouveau site internet organisé sous la
forme d’un grimoire dont on feuillette les pages.
Il remplace le précédent site qui mettait en
valeur le lieu même de l’abbaye dans lequel
l’internaute était invité à se promener. C’est en
feuilletant ce grimoire qu’une page nous
propose d’entrer dans « La Légende du
Phoenix » et de lancer un film d’environ cinq
minutes. Ce mini-film, réalisé par l’agence Sid Lee, est sorti en novembre 2010 et a été révélé
lors d’un événement blogueurs organisé à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine.
L’ensemble de l’opération a représenté un énorme investissement financier autant au niveau
de la réalisation du film qu’au niveau de la communication. Auparavant, le film avait fait
l’objet d’une campagne de teasing, une fiche annonce du film avait été mise en ligne sur le
site Allociné et des bannières et vidéos trailers figuraient sur MSN, Orange, Allociné ou
Facebook renvoyant les internautes sur le site. En parallèle une campagne presse a été lancée
autour de la nouvelle signature « Le pouvoir de renaitre » (cf annexe 4)
Le film en lui même est présenté par la marque comme « une expérience interactive »
dans la mesure où à chaque nouveau sujet abordé, une zone de texte « Suivez le Phoenix »
apparaît, un clic sur cette zone permettant d’obtenir quinze secondes d’informations
supplémentaires sur le sujet en question. Le doublage du film est fait par une voix célèbre que
l’on retrouve dans de nombreuses bandes annonces de film, créant un effet de familiarité. Il
s’agit d’un film d’animation dont les tonalités principales sont l’or et le noir. La narration
débute avec la présentation du mythe du phénix, d’abord chez les Perses, puis chez les Grecs,
les Romains avant de passer sans transition à l’histoire de l’abbaye. Le point de vue proposé à
l’internaute est celui d’un oiseau en vol, qui traverse et survole chaque partie du récit. Il n’est
quasiment jamais question de la bière ni de sa fabrication mais bien d’un passé mythique et
symbolique auquel sont reliées les valeurs de la marque. La plus forte est celle de la
renaissance, tel le phénix, que la marque associe de manière assez imprécise au concept de
« ré-invention », malgré une proximité sémantique qui ne semble pas évidente. Sur le site
internet, cette idée est introduite sur la première page du grimoire avec cette phrase : « Les
pouvoirs mystiques du phénix inspirèrent les hommes épris de liberté et en quête de
réinvention ». Dans son communiqué de presse de lancement (cf annexe 5), la marque
explicite ce qu’elle entend par ré-invention « Il s’agit pour celui qui déguste la bière, de se
Capture d’écran du site internet de Grimbergen
30
réinventer dans son monde à soi, de s’évader de son quotidien pour aller dans son propre
univers ». L’invitation à l’événement blogueur proposait même aux invités de « renaître ».
Au regard de ces différents éléments, nous pouvons questionner la réussite de cette
campagne, en apparence bien réalisée et cohérente, à associer la marque à un mythe pour
construire le sien. En effet en voulant associer la dimension mythique du phénix et l’histoire
de l’abbaye à une expérience de consommation, Grimbergen réduit la portée du souffle donné
à sa marque à une explication en queue de poisson du concept de réinvention. Chercher à faire
de sa marque un mythe implique une force suffisante de la symbolique employée pour se
positionner comme modèle culturel et vision du monde. Or ce n’est pas le cas ici. Dans les
faits, ce symbole du phénix ne semble pas si simple à déployer sur le long terme dans une
approche marketing plus globale, au delà d’un film bien réalisé et d’une affiche léchée. En
témoigne la page Facebook de la marque qui n’a pas été actualisée depuis janvier 2011, soit
après la fin de la campagne presse. La campagne proposait au consommateur de « renaitre »
or cette promesse sonne creux car elle n’est suivie d’aucuns contenus ou preuves mettant le
concept en action et proposant au consommateur de l’expérimenter. Il s’agit ici de se
demander dans quelle limite une marque peut elle s’automythifier quitte à perdre en
cohérence dans son univers ? Ou est alors son supplément d’âme ?
On entrevoit ici la limite de cette première partie de notre étude à savoir la difficulté
inhérente à la construction d’un univers trop étroit qui borne la marque ou trop symbolique
qui la déconnecte de sa vraie relation avec le consommateur.
31
Au terme de cette première partie de notre analyse nous avons cherché à identifier par
quels moyens les marques d’alcools étaient reparties du texte même de la loi Evin et de ce
qu’elle autorise spécifiquement, à savoir communiquer sur l’origine, la dénomination, le
terroir de production et les indications géographiques du produit26, pour développer et
s’approprier de nouveaux leviers marketings. En communiquant sur le lieu et le temps, les
marques d’alcools ont structuré les fondations de leur culture de marque : raconter d’où elles
viennent et comment elles sont nées leur à permis de jeter les bases d’une relation affective au
consommateur. L’utilisation massive de la narrativisation par le biais du storytelling leur
permet de faire passer leur relation au consommateur du simple échange marchand au partage
de valeurs communes. C’est pourquoi nous avons pu y appliquer le concept de storysharing, à
savoir que les marques incluent le consommateur dans leur communication en tant que
membre d’une même communauté. Si comme nous l’avons vu certaines marques réussissent à
construire et proposer une véritable vision du monde à travers leur récit et valeurs de marque,
tel Johnnie Walker, d’autres vont chercher à aller plus loin dans l’usage de la pensée
symbolique en s’inscrivant dans une dimension mythique transcendante à la marque. Le but
est de positionner la marque comme mythe contemporain, source de sens et nouvelle croyance
du consommateur. Le risque que nous avons identifié dans cette analyse est le suivant : le
récit a beau être bien énoncé et raconté, le mythe fondateur a beau être puissant, il ne peut être
efficace dans la durée s’il ne réussit pas à créer une véritable relation aux consommateurs, s’il
ne propose pas un modèle culturel suffisamment impactant et fédérateur. Le consommateur
doit pouvoir se projeter dans un univers de marque. La concurrence dans le secteur des
marques d’alcools pousse alors les marques à aller chercher plus loin et à construire leurs
univers, leur culture au delà d’une fiche identité, aussi riche en symboles soit elle. Les
marques sont a priori égales face à la contrainte légale, bien que la longévité et l’ancrage
géographique soient des avantages certains si on sait en tirer profit en termes de
communication. Face à cette contrainte générale a vu le jour un phénomène que Baudelaire
avait décrit en ces termes dans ses Petits Poèmes en Prose "Parce que la forme est
contraignante, l'idée jaillit plus intense"27 : les marques d’alcools ont été contraintes à la
créativité. Comment cette créativité se traduit-elle dans leur communication ? Comment les
marques d’alcools vont jusqu’à proposer une culture de marque et la nourrir de cette
créativité, pour définir un art de vivre ?
26 Extrait de la loi Evin (cf annexe 1) 27 Charles BAUDELAIRE. Le spleen de Paris : Petits poèmes en prose, Livre de poche, 2003.
32
II) IMAGINER, CREER, EXPERIMENTER : UNE
CULTURE DE MARQUE EN ACTION
A) Création et créativité : des leviers stratégiques à haute valeur ajoutée
1) La loi Evin, une “contrainte féconde”
Comme nous l’avons vu, au lendemain de la loi Evin, les marques d’alcool ont été
amenées à revoir entièrement leur communication pour l’adapter aux nouvelles obligations
légales. Si une vague de pessimisme et de frilosité s’est emparée des agences de publicités,
bien décidées à ne pas mettre en danger leurs grands comptes, certains professionnels comme
Georges Péninou28, mandaté par Publicis pour travailler spécifiquement sur cette question, y
voyait une opportunité intéressante pour renouveler et finalement renforcer la communication
des marques d’alcools. Avec un enjeu énorme, rester sur le seuil légal tout en conservant sa
créativité, dans quelle mesure peut on parler de Loi Evin comme d’une « contrainte
féconde » ?
Ce concept, formulé en 2003 par Pascal Beucler et Fanny Favreau dans leur article
« La loi Evin, dix ans après : le paradoxe de la contrainte féconde »29 paru dans
Communications et Langages, sous entend que la parution de la loi Evin, en changeant les
ingrédients, les messages des publicités pour l’alcool a encouragé la création de nouveaux
procédés de communication, de mise en valeur du produit et d’implication du consommateur.
En bref, la loi Evin limite la publicité à un discours informatif sur le produit alors que toute la
communication des marques l’alcool reposait sur la convivialité, la socialité et le désir. En
effet l’angle choisi pour communiquer était quasiment systématiquement celui des effets de
l’alcool, désinhibant, émancipateur, permettant l’expression de soi même, le tout mis en scène
dans le cadre de relations interpersonnelles. Les publicités invoquaient les registres de la
chaleur, de l’intimité et du bien être et tout ceci était montré, sans détours. La loi Evin a
proscrit la plupart de ces codes et procédés. La question était la suivante : comment les
28 Fanny FAVREAU et Pascal BEUCLER. « La loi Evin dix ans après ou le paradoxe de la contrainte féconde »
in Communication et langages, 2003, n°136, pp. 31-42. 29 Fanny FAVREAU et Pascal BEUCLER. Ibid..
33
remplacer ? S’il n’est plus possible d’inciter la consommation de l’alcool, il s’agit alors de
suggérer.
Ainsi remplaçant une communication attendue, presque sans surprises et peu
différenciante, les marques d’alcool vont travailler ce concept de suggestion en opposition à
la monstration passée et opter pour une « prise de distance connivente »30 avec leurs
consommateurs. Cette prise de distance se traduit par le recours à de nouveaux procédés, plus
créatifs. Le schéma ci-dessous, réalisé d’après l’article de Pascal Beucler et Fanny Favreau,
propose une comparaison de ces derniers avant et après la loi Evin :
Intéressons nous plus en détails à quelques uns de ces procédés. L'emphatisation, déjà
utilisée avant la parution de la loi, fait du produit ou d’une de ses caractéristiques le symbole
de tout l'univers de marque. La campagne se décline ainsi sur l'hyperbole d’un de ces
éléments qui peut être le nom du produit, de la marque, le visuel de la bouteille… Comme
nous l’avions vu dans la première partie de l’analyse, la référence à l’origine historique ou
géographique peut donner une caution à la marque. Le consommateur ne pouvant plus être
30 Fanny FAVREAU et Pascal BEUCLER. « Le paradoxe de la contrainte féconde ». Op cit..
34
représenté dans un cadre de consommation, les marques ont également recours au procédé
d'anecdotisation. L'ambiance festive est désormais suggérée par des symboles comme un lieu
sans consommateurs ou une mise en situation de la bouteille dans un cadre symbolique. La
marque Absolut a ainsi fait de ce procédé sa marque de fabrique, comme nous le verrons dans
un second temps. Le procédé de substitution vise lui à incarner le désir de boire, à défaut de
pouvoir incarner l’acte. On retrouve ainsi des campagnes comme la Piscine 51 et l’idée de
fraicheur, la gourmandise de Bailey’s et de sa signature « On en mangerait » ou encore le
piquant du Get 27 signifié par des objets comme le cactus ou le serpent.
Au delà de l’image, certains procédés vont travailler plus spécifiquement le texte et
l’énonciation. Le procédé d’occultation vise à l’exploration de nouveau champs sémantiques,
plus orientés sur le produit, moins adressés au consommateur. Plutôt que d’entrer dans le
champ du discours relationnel, on exprime les propriétés intrinsèques du produit. Enfin le
processus de contiguïté propose une approche plus poétique du message, avec des
assemblages de mots, des énigmes ou des charades. L’introduction du texte dans la pub se fait
alors plus créative.
Ainsi la loi Évin a fait passer le discours publicitaire d’une concentration sur les effets
de l’alcool à une mise en valeur du produit, produit dont la communication ante Loi Evin
disait finalement assez peu. La difficulté d’introduire de l’humain dans ces publicités a poussé
les marques à communiquer sur un registre plus limité d’éléments mais à le faire de manière
toujours plus créative. On assiste à la mise en place d’un cercle vertueux de la création, plus
pertinente, plus esthétique. Pour Pascal Beucler et Fanny Favreau, il y a « moins d'évidence,
plus de connivence ». Voyons à présent comment une marque comme Absolut a justement
démontré sa créativité à l’aune de ces contraintes et fait de ses publicités une véritable saga.
2) De l’emphatisation à l’anecdotisation : la saga Absolut Vodka
La marque Absolut Vodka appartient au groupe Pernod-Ricard en 2008. Cette vodka a
été créée en Suède un siècle plus tôt et est devenue une marque en 1979 au moment de son
exportation sur le marché américain. Avec une bouteille bien reconnaissable, transparente et
sans étiquette, Absolut fait partie des références du marché des vodkas premium à travers le
monde, sauf en France où elle peine à la cinquième place derrière des marques d'entrée de
35
gamme31. C’est pourquoi le groupe Pernod-Ricard travaille depuis 2008 à sa premiumisation
sur le marché français afin de l’asseoir comme une de ses deux « icônes mondiales », la
seconde étant le whisky Chivas.
La marque Absolut a rédigé, au moment de prendre la parole dans les années 80, un
cahier des charges très précis de ses communications publicitaires à venir : mettre en avant la
bouteille, ne pas associer le produit à un mode de vie particulier, proposer une approche à la
fois classique et contemporaine. Les campagnes se déclinent autour du produit et de sa
silhouette avec deux mots, un thème et une touche d'humour32. Concernant sa communication
en France, la marque anticipait sans le vouloir les contraintes de la loi Evin en basant ses
publicités sur le principe d’emphatisation. Ainsi la bouteille d’Absolut devient le symbole de
la marque en étant exagérément présente sur toutes les publicités. Sur le plan visuel, la
bouteille est sublimée, illuminée, elle se poétise, s'esthétise pour rendre le produit le plus
désirable possible. A partir de cette sublimation de la bouteille, la marque va mettre à
contribution une grande force créative pour décliner son concept quasiment à l’infini.
Plusieurs partenariats avec le monde de l’art, de la création et de la mode vont voir le jour et
installer la marque comme une référence en matière de créativité. Andy Warhol, Helmut
Newton, Keith Haring, Damien Hirst, Jean-Paul Gaultier, John Galliano et de très nombreux
peintres, sculpteurs, stylistes, cristalliers, photographes, architectes, joailliers, musiciens et
créateurs de mode vont ainsi customiser la bouteille, ses visuels publicitaires et s’ajouter aux
éditions limitées lancées en parallèle par la marque.
31 Alain DELCAYRE. “L’alchimie Absolut veut agir en France” in Stratégies, 11 juin 2009, n°1549 32 Site Internet Prodimarques - Saga Absolut. http://www.prodimarques.com/sagas_marques/absolut/absolut.php
Visuels publicitaires Absolut sur le thème de la nuit parisienne (dates : 1998, 2005, 2001)
36
En résumé la communication d’Absolut tend à effacer les frontières entre la publicité
et l'art, facteur très important de son succès. Elle est aussi passée de l’emphatisation à
l’anecdotisation car chaque customisations de la bouteille et chaque visuel publicitaire est lié
à un thème qui induit lui même une manière ou un lieu de consommation, par exemple la nuit
à Paris comme le montre les trois visuels ci-dessus. Ces thèmes, ces univers sont d’une très
grande diversité et ont fait d’Absolut une marque culte en termes de créativité. La dernière
campagne française, lancée par TBWA MAP en 2009, reprend cette fibre créative mais tend à
mettre plus avant les atouts du produit, une première pour la marque. Avec « Absolut Pureté »
le processus de distillation est mis en valeur par un assemblage d’alambics mais traités de
manière toujours très arty. Cette saga publicitaire est quasiment incomparable dans le monde
de l’alcool en termes de cohérence et de mémorisation auprès des consommateurs.
Nous identifions également ici que pour les marques d’alcool, le contenant, à savoir la
bouteille, est à considérer comme une part non négligeable de son identité voir de sa culture
de marque en tant que source infinie de créativité. Si Absolut est reconnaissable au traitement
visuel de sa bouteille mythique, très différente des autres bouteilles de vodka, certaines
marques font de la customisation et du design un moyen ingénieux de communiquer de
manière créative et légale. C’est le cas notamment de la bière Desperados et de sa campagne
« Imagine Desperados »
3) Imagination et créativité : “Imagine Desperados“
Desperados, la célèbre bière aromatisée à la téquila, créée en 1995 et propriété des
brasseries Fischer, possède un univers de marque double. En effet, si son nom et ses visuels
sont ancrés dans la culture mexicaine, la marque ne s’est pas limitée à cette première couche
d’identité. En effet nous avions identifié précédemment dans l’analyse le risque que pouvait
représenter une identité de marque exclusivement fondée sur une origine historique ou
géographique. Ainsi Desperados travaille depuis presque quinze ans à se positionner comme
marque référente en termes de créativité artistique. Autour du concept « Imagine
Desperados », la marque a développé une longue campagne à 360° en partenariat avec le
collectif d’artistes le 9e Concept.
37
Comme nous le disions, la créativité de la marque se concentre plus particulièrement
sur sa bouteille ainsi cette longue collaboration avec 9e concept a donné lieu à la création
d’une bouteille série limitée chaque année. Ce travail sur la re-création et l’imagination est
nourri par une communication multi supports qui tend à créer des synergies entre la marque et
l’ensemble de ses cibles. En effet Desperados promeut son imagination aussi bien et de
manière aussi créative auprès de ses consommateurs directs qu’auprès de relais d’opinions,
d’influenceurs ou de lieux de distribution. Trois opérations différentes semblent intéressantes
à considérer pour identifier ce qui fait la force et la longévité du concept Desperados.
La première est l’exposition « Imagine Desperados by… » qui s’est tenue en
novembre 2009 au Palais de Tokyo. Organisée directement par Desperados, « Imagine
Desperados by… » se présentait comme une rétrospective où la marque invitait le visiteur à
découvrir son univers créatif à travers l’exposition de trente créations publicitaires revisitées
par des magazines culturels et célèbres boîtes de nuit (tels Les Inrocks ou le Social Club), la
rétrospective des bouteilles Hors Série Desperados créées par le 9ème Concept et enfin des
performances et rencontres artistiques. L’implication créative de parties prenantes (médias
influents, boite de nuit, artistes) dans le cadre d’un événement culturel permet à Desperados
de ne pas se positionner seulement comme une marque mais comme un éditeur de contenus
créatifs et un promoteur d’une certaine forme de culture à la frontière entre le marchand et
l’artistique. L’entrée de la marque dans un lieu phare de l’art contemporain français participe
enfin à une certaine institutionnalisation, qu’elle peut réutiliser comme source de légitimité
auprès de ses cibles.
La deuxième initiative majeure de la marque eut lieu en avril 2011 avec la création
d’un lieu éphémère, le Wild Bar, qui accompagnait la sortie de la bouteille Hors Série
Legend, toujours réalisée par le 9e concept. Le Wild Bar était présenté comme un atelier de
sérigraphie clandestin dans lequel les membres du collectif travaillaient en direct sur des
affiches et des sacs personnalisés avec leurs lignes graphiques Un jeu de cartes designé par
leurs soins était offert aux invités. Le lieu se voulait également cabinet de curiosités et
cabinet de nuit avec l’organisation de trois soirées hebdomadaires pendant les trois semaines
d’existence du lieu. Cette opération cherchait à plonger les invités, on note ici le coté plus
select de l’événement, dans les processus de création artistique avec le lieu très connoté de
l’atelier où l’on pouvait assister à la naissance des idées créatives autour de l’univers de
marque Desperados. Plonger les invités dans la phase amont de la création permettait à la
38
marque de valoriser une certaine transparence sur sa force créative ainsi que de se positionner
d’égal à égal avec le collectif 9e concept, insistant sur « les inspirations mutuelles » qui
nourrissaient leur collaboration.
Enfin le volet de grande ampleur, le plus visible de la campagne « Imagine
Desperados » est bien évidemment celui destiné directement aux consommateurs sur le site
internet de la marque33. Ce dernier se présente comme un lieu culturel moderne et interactif
où les différentes parties se nomment « atelier », « galerie », « concept ». L’utilisateur se
retrouve face à un choix de plusieurs activités, la plus mise en valeur étant « Je crée ma
bouteille ». Cet « atelier de création » propose de réaliser une étiquette personnelle pour la
bouteille Desperados à partir d’une multiplicité d’éléments, de couleurs, de fonds et de motifs
dont certains réalisés par 9e Concept. Les nombreux paramètres permettent une
personnalisation quasi infinie de cette étiquette, la marque proposant même des « cours de
créa » (cf annexe 6) pour mieux maîtriser les différents outils proposés. Cette partie
interactive du site est relayée par la page Facebook « Imagine Desperados » où les membres
sont invités à venir voter pour l’étiquette qu’ils préfèrent. Chaque mois, un gagnant est
désigné par ce biais et présenté sur la page. En parallèle, la marque a lancé la réalisation de
grandes fresques participatives dans plusieurs villes de France. Avec cette opération,
Desperados propose à ses consommateurs de vivre le processus de création comme une
expérience, de les plonger dans un état de créativité autour de son produit et de pouvoir en
être valorisé. Ainsi sur le site, les plus belles bouteilles sont présentées, ou plutôt réellement
exposées dans une galerie virtuelle (cf annexe 7).
Ainsi comme nous l’avons vu, Desperados développe sa communication à tous les
niveaux de la création, de l’initiation à l’exposition, et fait de sa bouteille le relais et le lieu
d’expression de cette créativité transversale, créativité que la marque cultive en collaboration
avec ses cibles. Il s’agit ici d’un très bon exemple d’une communication intelligente pour une
marque d’alcool jouant, comme Absolut le fait avec ses publicités, sur la frontière perméable
entre art et design produit. Nous commençons ici à entrevoir les liens tissés entre les marques
d’alcools et la création artistique. En quoi les partenariats avec des artistes ou plus simplement
le soutien à l’art par le biais par exemple du mécénat apparaissent comme de vraies
opportunités pour les marques d’alcools pour développer leur culture.
33 Site Internet Imagine Desperados. www.imagine-desperados.fr
39
B) La création artistique , hypertexte culturel de la marque ?
1) L’art comme l’hypertexte culturel
Au delà de leur propre créativité, qu’une marque comme Desperados peut convoquer
en tant que valeur forte, les marques d’alcools sont nombreuses à avoir vu dans la création
artistique et dans l’art en général un moyen de déployer et d’enrichir leur identité de marque.
Si on considère que l’art préfigure la société, qu’il l’imagine plutôt qu’il ne la représente,
alors créer des passerelles entre son produit, ses valeurs et un lieu artistique, un artiste ou un
collectif représente pour une marque une source inédite d’inspiration et d’innovation. Nous
identifions ici un élément de plus qui peut permettre d’envisager les marques non plus
seulement en termes de logique marketing mais à travers un prisme culturel.
En effet les marques vont chercher à s’associer à l’art car elles ont identifié qu’il
s’agissait d’un centre d’intérêt auquel étaient sensibles leurs consommateurs. Pour Gilles
Portelle, directeur général de Havas Sports & Entertainement, « l’opportunité est d’autant plus
grande que le monde de la culture a de plus en plus besoin de fonds privés »34. C’est pourquoi
on peut ici parler « d’hypertexte culturel » de la marque, comme l’a formulé Pascal
Sommariba lors de sa conférence à l’IESSE sur le Brand Content et les Marques de Luxe : la
production artistique des marques n’est pas une simple démarche en soi mais vise à étendre et
décliner sous de nouvelles formes cette culture de marque que nous tentons de définir depuis
le début de cette analyse. Cet hypertexte, c’est ce que la marque est capable de développer
comme actions, discours en dehors de son activité première et qui va dire qui elle est, ce en
quoi elle croit et participer à nourrir sa culture. Le soutien et les partenariats artistiques en
sont des moyens privilégiés.
Ainsi on observe une volonté de plus en plus forte de la part des marques en général
de s’associer à de la production de contenus artistiques spécifiques en dehors des murs des
grandes institutions et des grands musées. Cependant, la loi Evin revient ici comme un
obstacle majeur, car empêche les marques d’alcools de déployer et valoriser leur engagement
artistique de manière trop visible les obligeant à explorer de nouvelles pistes dans ce domaine.
34 Alain DELCAYRE. “L’art et les marques convolent en secondes noces” in Stratégies, 24 sept 2009, n°1558
40
2) Entre alcool et art, la médiation du mécénat
Depuis 2005, la loi Aillagon permet aux entreprises françaises de bénéficier d’importantes
réductions fiscales sur leurs actions de mécénat. Le principe du mécénat, qui recouvre le
mécénat en numéraire, en nature et de compétences, est un procédé différent du sponsoring et
se veut moins proche d’une logique publicitaire. Les entreprises mécènes sont ainsi obligées
de limiter leur retour sur investissement, c’est à dire que les contreparties offertes par le
« mécèné » ainsi que les retombées positives pour le mécène ne doivent pas dépasser 25% de
la somme investie. Cette loi limite considérablement les communications de grande ampleur
autour d’une action de mécénat.
Il existe de plus des dispositions particulières pour l’alcool : si le parrainage-
sponsoring ayant pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité indirecte en faveur des
boissons alcooliques est désormais interdit, les marques d’alcool restent autorisées à devenir
mécènes mais sont tenues de le faire plus discrètement que les entreprises des autres
secteurs35. Cette restriction tend à garder la cohérence avec la loi Evin dans son ambition de
limiter toute incitation à la consommation où toute image explicitement positive de ces
marques. Le mécénat culturel et artistique tend cependant à positionner une marque et son
entreprise comme acteur social, une position valorisante et subtile qui s’intègre dans une
logique de suggestion, comme nous l’avions décrit dans la partie dédiée à la contrainte
féconde.
La fondation Ricard pour l’Art Contemporain est à ce titre un des plus beaux exemples
d’investissement d’une marque de spiritueux dans le monde artistique. Cette fondation est très
liée à la personnalité du créateur, Paul Ricard, amoureux des arts et peintre à ses heures
perdues. Son fils Patrick Ricard raconte dans son livre Construire dans la durée36 comment
son père s’est positionné très tôt comme mécène en rachetant une sculpture à 3,2 million
d’euros que le Centre Pompidou était dans l’impossibilité financière d’acheter. Depuis
Pernod-Ricard est devenu l’un des mécènes historiques du lieu ainsi que du Musée du Quai
Branly. Ricard a également entretenu ses relations avec le monde de l’art et du design en
confiant régulièrement à des artistes la réalisation d‘éditions limitées pour ses célèbres objets
dérivés (cendrier, broc, verres). Ainsi la fondation d’entreprise Ricard, soutient la jeune
36 Patrick RICARD. Construire dans la durée, Pernod-Ricard, 2008.
41
création contemporaine dans le domaine des arts plastiques en leur offrant un lieu
d’exposition dans le 8e arrondissement de Paris. La fondation remet chaque année un prix
dont le lauréat est exposé durant un an au Centre Georges Pompidou.
La marque Ricard a ici poussé son implication dans le monde artistique à son comble
en créant un lieu culturel à part entière, un lieu devenu une institution. Cette implication
pérenne va plus loin que la notion d’hypertexte culturel car elle incarne cette hypertexte dans
un lieu réel et réussit ainsi à asseoir une véritable crédibilité artistique qu’elle peut relier à sa
marque et son produit. Il faut néanmoins relativiser cet investissement en termes marketing,
en effet c’est l’entreprise Ricard et non pas la marque de pastis qui déploie son identité sur
cette fondation, même si la superposition des dénominations laisse le doute planer et les
rapprochements possibles. Néanmoins ce niveau institutionnel de la création artistique ne peut
être totalement connecté à la marque. La meilleure utilisation marketing possible de l’art
semble être son association directe avec la boisson en elle-même, ainsi qu’à sa consommation.
Associer un univers artistique à une manière de consommer, c’est le pari qu’a relevé le
whisky Ballantine’s autour de son produit B12.
3) Ballantine’s ou « l’art » de vivre et de consommer
Rachetée en 2006 par Pernod-Ricard, le whisky
Ballantine’s et né en Ecosse au début du XIXe siècle.
La marque Ballantine’s recouvre une gamme de
blended scotch parmi lesquels le Finest, le plus
célèbre, ou le 12 ans d’âge appelé B12 lancé en 1964.
Ce whisky fait l’objet d’une communication plus
particulière de la marque comme nous allons le voir.
En 2008, accompagnée par l’agence Marcel, la
marque lance une nouvelle campagne autour de sa
signature « Laissez votre empreinte ». La campagne presse et affichage, dont voici un
exemple ci-dessus, inscrit la marque dans un univers de création artistique, presque muséal, et
connait alors un vrai succès avec un score de reconnaissance de 34 % (standard : 28 %) et un
Visuel presse Ballantine’s - 2008
42
score d'agrément de 82 % (standard : 57 %)37. Ces publicités, s’appropriant les codes du
monde de l’art et des expositions, viennent servir le discours premium de la marque.
Néanmoins cette campagne, même si elle a permis d’introduire le nouveau positionnement de
la marque, n’est faite en réalité que d’œuvres factices réalisées par des graphistes de l’agence
Marcel et présentées sous des noms propres et professions tout aussi factices comme « Nikö,
artiste » ou « Romain, photographe ».
En 2009, Ballantine’s fait ainsi appel à l’agence TroisTemps pour l’accompagner dans
l’approfondissement de cette identité artistique autour d’un produit, son whisky B12. La
marque a identifié les consommateurs de ce produit comme « des individus ayant une parfaite
connaissance d’eux-mêmes, avec une distinction innée, sûrs de leurs gouts et sachant en
connaisseurs discerner la vraie valeur des choses ». Or, l'art incarne des valeurs proches de
celles d'un produit premium, telles l’indépendance ou l'élégance, et permet ainsi à Ballantine’s
de créer des ponts entre son produit et ces valeurs. L’art devient ici le moyen pour la marque
de communiquer ses valeurs à ses consommateurs de façon aspirationnelle, il est utilisé
comme un territoire d’expression sans être le point d’entrée des actions de marque. Il y a
donc ici une instrumentalisation de l’art, qui contrairement à ce que nous avons vu dans la
première partie, n’est plus considéré comme une fin en soi mais comme l’expression d’une
culture.
A partir de ce constat, les deux objectifs de Ballantine’s étaient les suivants : faire vivre la
plateforme artistique de la marque et construire sa légitimité dans le monde de l’art et de la
création. Il s’agit bien d’une construction et non d’une reconnaissance de légitimité. La
marque se dote alors d’un pool de talents artistiques, externes à la marque, pour exprimer ses
valeurs. C’est ainsi qu’est imaginé le Lab Ballantine’s, un vivier créatif au service de la
marque afin d’imaginer des lieux et objets qui revisitent l’univers du whisky et son rituel de
consommation. On opère donc une transition de l’art pour l’art à l’art pour l’expression et
enfin à l’art pour l’action. Deux artistes sont retenus : Kacper Hamilton pour incarner B12
dans un objet de service et John Nouanesing pour la création d’un mobilier. L’objectif
d’image pour les deux artistes est formulé ainsi : proposer une vision futuriste de la
consommation du whisky à travers l’identité du Ballantine’s 12 ans d’âge.
37 Pascal CAUSSAT. “Affichage : Ballantine’s” in Stratégies, 29 mai 2008, n°1503
43
Projets de John Nouanesing et
Kacper Hamiton
Le projet de John Nouanesing, un bar futuriste conçu à
partir d’un fauteuil Chesterfield (ci-contre), est resté à l’état
de prototype, en revanche le projet de Kacper Hamilton a
donné lieu à la réalisation d’un vrai coffret appelé « L’Art de
la Dégustation ». Il le décrit ainsi sur son site internet38 : « Il
s’agissait de réinventer le rituel de la consommation du
whisky. Je me suis inspiré du concept d’équilibre et de la
distillation traditionnelle à l’alambic. Le verre permet une
expérience plus impliquante du « boire » : le trou dans le verre
invite à faire circuler le whisky tout en créant un sentiment de
risque et de jeu. L’équilibre du whisky dans le verre est
parfait. » Ce coffret a été lancé lors d’un événement presse en
septembre 2010. L’artiste dans la présentation qu’il fait de son
travail amorce cette idée d’expérience de consommation
permise par l’approche artistique du produit et de sa
dégustation.
En effet réinventer la création artistique devient ici le moyen pour une marque
d’alcool de repenser et surtout de valoriser un rituel de consommation. Pas de l’art pour l’art,
pas de la création pour la création mais bien un projet de marque, celui de définir une manière
de boire qui elle-même semble définir une manière de vivre en le reliant à ses valeurs de
marques. Au-delà de son hypertexte culturel, la marque ne dit plus seulement ce qu’elle est
mais tend à s’inscrire dans le faire, dans le performatif, la marque se fait prescriptrice de
comportements de consommation. L’art est ici un médium pour introduire ces
comportements. Ainsi les marques d’alcools peuvent utiliser la création, la créativité, l’art
comme autant de moyens pour contourner la loi Evin en ce qui concerne le rapport à l’action
de boire. Si celle ci est proscrite des communications publicitaires, elle peut être incarnée
dans d’autres supports que sont par exemple des objets de service ou un lieu. En suggérant et
mettant en scène de manière artistique la consommation de son produit, la marque propose
aux consommateurs plus qu’un mode de consommation mais un mode de vie, relié
directement à ses valeurs. Incarner ses valeurs de marque dans une action : l’expérientiel
définit une nouvelle relation aux consommateurs comme nous allons le voir maintenant.
38 Site internet de Kacper Hamilton. www.kacperhamilton.com. 2011
44
C) Consommation et expérience : quand la marque se donne à vivre
1) Définition et conditions d’une expérience de marque
Pour Daniel Bô, directeur de l’agence QualiQuanti, « La notion d’image de marque est
trompeuse car elle a tendance à «surmentaliser» la marque en sous-estimant les pratiques dans
le monde physique et l’interaction avec le public » En effet comme nous avons été amenés à
le constater au cours de cette analyse, le recours à l’art, à la création, à la créativité opéré par
les marques d’alcools tend à s’orienter vers des applications plus concrètes, vers la définition
de modes de consommation voire de modes de vie. L’utilisation de l’art comme levier
marketing ne peut plus être purement inspirationnelle comme les valeurs de la marque se
doivent de dépasser les discours pour se matérialiser dans une expérience de marque.
Cette expérience de marque est tout d’abord une expérience de la consommation,
c’est-à-dire le vécu du consommateur avec le produit et la marque. Cette expérience se
caractérise par deux aspects principaux : premièrement le consommateur n’est pas que le
consommateur mais agit à l’intérieur de la situation et deuxièmement la consommation ne se
limite pas à l’achat car le consommateur est aussi à la recherche de sens39. Cependant cette
expérience en question ne peut être légalement abordée de manière frontale par les marques
d’alcools dans leurs discours publicitaire, la loi Evin proscrit en effet l'association de l'alcool
au plaisir et à un mode de vie attractif et festif. Difficile dans ces conditions de mettre en
scène une expérience qualitative du produit en y intégrant des représentations de
consommateurs. Pour autant le texte de la loi est clair : « La publicité autorisée pour les
boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool […] et au mode de
consommation du produit. »40. Il est ainsi possible de valoriser la manière dont le produit peut
être consommé, ce qui représente finalement une marge de manœuvre assez importante pour
les marques d’alcools. Elles peuvent et doivent ainsi développer et encourager une culture
autour de leurs usages. Par exemple les marques d’alcools aujourd’hui suivent une tendance
très forte venue des Etats-Unis : la « mixologie ». Equivalent de la gastronomie mais liquide,
cet art des mélanges, des drinks et des cocktails est largement repris par les marques d’alcools
39 Bernard COVA. « Expérience de consommation et marketing expérientiel ». Savoir Sud. 25 mars 2003. 40 Extrait de la loi Evin (cf annexe 1)
45
en termes de contenus et de mise en scène de leur consommation. Nous y reviendrons dans la
suite de l’analyse.
Ainsi comme le montre le schéma
ci-contre, l’expérience permet aux
marques d’approfondir leur relation aux
consommateurs en les poussant au-delà du
partage de valeurs et en proposant de les
construire socialement via la prescription
de pratiques. En effet, comme nous
cherchons à le démontrer dans cette
analyse, la marque est une culture et le
consommateur construit et enrichit une
partie de sa propre identité à partir des différentes marques qu’ils consomment et de leur
culture respective. Les marques cherchent par ce procédé à créer un lien indéfectible avec lui
via une relation plus substantielle. A partir de cette définition du cadre d’une expérience de
marque, en quoi peut-on la qualifier de « performation de marque »41 ?
2) La performation de marque
La performation, « c’est le fait d’adhérer à des modèles culturels proposés par la
marque, en les mettant en pratique et en s’y projetant »42. Plus qu’une l’expérience, le terme
performation désigne la marque en action, la mise en pratique de la marque par ses
consommateurs. Cette performation peut s’effectuer à plusieurs degrés, elle commence avec
l’achat et la consommation simple d’un produit, puis à l’utilisation de produits dérivés, la
lecture des ouvrages et enfin à la participation aux événements et expériences proposés par la
marque. Le consommateur, de simple client peut devenir adepte voir ambassadeur de la
marque. En effet lorsqu’il met en œuvre les modèles de comportements associés à une
marque, le consommateur, qu’il en soit conscient ou non, la fait rayonner et en devient un
ambassadeur.
41 Daniel BO, Du Brand Content à la Brand Cutlure, Qualiquanti, 2011. 42 Daniel BO, Ibid..
Schéma tiré du blog de l’agence Vanksen
46
Cette définition illustre l’importance pour les marques de se projeter plus loin dans la
consommation de leurs produits. Ainsi les marques d’alcools sont autorisées à communiquer
sur leur mode de consommation et elles sont nombreuses à avoir fait ce choix, telle Ricard et
ses visuels autour de l’apéritif. Pour autant, modalités de consommation n’est pas synonyme
d’expérience. L’enjeu aujourd’hui pour les marques est de mettre en relief ces modalités pour
en faire un art de consommer, un art de vivre. Une expérience, c’est à dire pour le
consommateur une approche plus sensible, multisensorielle de la marque, se doit de faire sens
et de donner aux consommateurs les clés pour comprendre la marque en tant que modèle
culturel auquel via son expérience, il va pouvoir adhérer ou non.
Dans son livre Philosophies de la modernité43, Georges Simmel établit une double
définition de l’expérience en se référant aux deux mots existants en allemand « Erfahrung » et
Erlebnis . Erlebnis d’un coté désigne l’expérience que l’on vit dans l’instant, elle est isolée,
fonctionne par mini chocs discontinus et renvoi aux sensations personnelles d’un individu. Ce
sont les expériences générées par des spots vidéo répétitifs ou des bannières. D’un autre coté
Erfahrung désigne une expérience que l’on possède, acquise dans le temps, intégratrice car
elle émane d’une culture partagée, une expérience qui élargit l’horizon tout en rattachant à
une communauté. Elle s’oppose ainsi à Erlebnis, trop limitative et créatrice de frustration,
dans la mesure ou elle propose un modèle pour créer de l’implication et de l’engagement.
Pour une marque, la performation est un moyen de créer de la socialisation et du
divertissement, ces deux caractéristiques s’appliquant parfaitement à la culture des alcooliers.
Ainsi les marques proposent de plus en plus d’expériences qui permettent aux
consommateurs de mettre en pratique la culture de marque. Le concept de la mixologie est
largement repris dans le monde des boissons, alcoolisées ou non, car permet d’ouvrir le
champ des possibles en termes de consommation. Par exemple au moment de Roland Garros,
Perrier avait monté un bar « Mixology » où étaient réalisés des cocktails, sans alcool, avec de
la barbe à papa ou du caviar de cassis, afin d’inscrire Perrier comme un ingrédient
incontournable des cocktails. La marque avait également mis en place un brumisateur Refresh
Perrier visant à faire « vivre la fraîcheur » au public. Autre exemple de performation,
l’élaboration et la diffusion d’objets dérivés, permettant aux consommateurs de porter les
signes de la marque. Dans ce domaine les marques d’anisés Ricard et 51 sont apparues en
43 Georges SIMMEL. Philosophies de la modernité. Payot, Paris, 1989.
47
France comme des précurseurs en émettant toute une gamme allant du service à
consommation (verres, brocs) aux vêtements, casquettes et bobs.
Proposer à ses consommateurs de vivre une expérience ou tout du moins de présenter
ses produits sous un angle expérientiel permet donc aux marques de créer du sens et de la
valeur autour de leurs produits et participe à nourrir et faire partager leur culture. La
performation de marque apparaît comme un axe très riche pour le développement des marques
d’alcool dans le futur, certaines s’étant déjà positionnées dans ce domaine. C’est le cas de
Ricard qui avec sa récente campagne, sortie en juin 2011, repositionne sa communication sur
le thème de la rencontre et met en scène une véritable expérience à travers des visuels et une
vidéo.
3) « Un Ricard, des rencontres » : la mise en scène d’une expérience
La marque et l’entreprise Ricard ont été créés à Marseille en 1932 par Paul Ricard,
devenu l’un des plus célèbres entrepreneurs français. L’apéritif anisé s’est peu à peu imposé
comme le symbole de l’ambiance méditerranéenne, estivale et des moments conviviaux
autour de l’apéritif. Précurseur dans de nombreux domaines du marketing tels l’événementiel,
la production d’objets dérivés ou le sponsoring sportif, Ricard est également, comme nous
l’avons vu, très engagé dans le champ de la création et de la culture. Mécène, avec la
Fondation d’entreprise Ricard pour l’art contemporain et son soutien aux jeunes artistes, la
marque produit aussi le Ricard S.A Live Music, une tournée de concerts gratuits ayant lieu
chaque été dans plusieurs villes de France. A partir de toutes ces initiatives et engagements,
Ricard a fait de la créativité une part importante de sa culture de marque, lui ouvrant un large
champ d’expression loin des contraintes de la loi Evin.
En termes de communication publicitaire, la marque s’était engagée ces dernières
années dans la mise en scène de l’apéritif, moment clé de sa consommation, via une typologie
créative de ce moment et un traitement particulier de la typographie dans ces visuels (cf
annexe 8). Ce choix de positionnement entendait toucher une nouvelle cible moins évidente
pour Ricard à savoir les jeunes actifs plutôt urbains entre 25 et 35 ans. La nouvelle stratégie
du groupe Pernod-Ricard, la « premiumisation » à savoir la montée en gamme de l’ensemble
de son portefeuille de marques dont Ricard, a accentué ce positionnement et poussé la marque
48
à repenser sa communication à l’occasion d’une nouvelle campagne sortie en juin 2011.
Avant de rentrer dans le détail de cette campagne, nous pouvons identifier qu’elle a été
imaginée à partir du positionnement historique de la marque dans le champ de la création et à
l’aune de trois tendances principales :
- la premiumisation stratégique de la marque avec le choix d’une cible plus jeune
- la mixologie comme tendance de fond dans le monde des boissons
- l’expérientiel comme valeur ajoutée désormais nécessaire à l’approfondissement de la
relation avec les consommateurs.
La campagne « Un Ricard, des rencontres » a été réalisée par BETC et le célèbre
photographe anglais Dan Tobin-Smith. Elle a été déclinée sur de nombreux supports :
affichage grand format dans toute la France, campagne presse et radio, communication
digitale avec refonte du site internet de la marque et diffusion d’un film tourné en
slowmotion, développement d’une application mobile «Mix Codes». Le concept de la
campagne est d’illustrer le thème de la rencontre via l’utilisation de visuels extrêmement
esthétiques figurant le mélange du Ricard avec, selon les affiches, de la glace, de l’eau, de la
menthe ou de la grenadine. Chaque visuel est accompagné d’un numéro précédé d’un dièse
(exemple : Rencontre #34 Ricard/Grenadine), les numéros #01, #03, #34 et #56 laissent
entendre qu’il y aurait de très nombreuses possibilités de mélange et qu’il ne s’agit ici que
d’exemples parmi tous les possibles imaginables. Le film, quant à lui, met en scène ces
Visuels de la campagne print « Un Ricard, des rencontres » - juin 2011
49
mélanges en action avec la technique du slowmotion qui permet de décomposer les
mouvements et de traiter cette réaction physique, qu’est le mélange de deux liquides, de
manière très esthétique voire artistique. Les images sont en fait traitées comme de véritables
œuvres d’art. En tant que spectateur, nous sommes comme plongés dans un verre de Ricard
au moment clé d’une «rencontre», nous avons accès à ce qui en règle générale reste
imperceptible à l’œil car trop rapide : Ricard met en scène et nous plonge littéralement dans
une véritable expérience.
A partir de ce constat, nous pouvons qualifier cette expérience, qui s’avère être triple.
C’est tout d’abord une expérience sensorielle car notre vue est sollicitée et attirée par la
contemplation de ce mélange des formes, bien réel mais que nous somme rarement capable de
considérer en temps normal. C’est par conséquent une expérience esthétique, l’image est
traitée par le photographe pour sublimer cette rencontre, ce mélange des couleurs et faire
rentrer les spectateurs dans un univers imaginaire quasi onirique car constitués de volutes, de
bulles, d’éléments insaisissables. C’est pourquoi il s’agit enfin d’une expérience
émotionnelle, une émotion déclenchée par ce qui est donné à voir par la marque, la possibilité
de relier cet instant presque suspendu de la rencontre avec une expérience de consommation
passée ou à venir. On pourrait presque parler d’un procédé synesthésique dans la mesure où
Ricard donne ici à voir ce qui se donne généralement à boire et enrichi l’expérience de
consommation d’une dimension esthétique voire artistique. En effet, comme le souligne Luisa
Lombardelli dans son étude de la créativité comme levier stratégique pour les marques44, la
qualité des visuels pourrait rappeler des courant artistiques contemporains, tels les
gigantesques monochromes réalisés en série par le peintre Mark Rothko, proposant à travers
un traitement singulier des couleurs, une expérience visuelle très forte aux spectateurs.
La question se pose alors de la cohérence et de l’efficacité réelle de cette campagne, au
delà de la mise en scène tout à fait réussie d’une triple expérience sensorielle, esthétique et
émotionnelle. Il y a en effet un haut niveau d’abstraction dans cette campagne qui soulève des
interrogations sur la puissance de son impact. On peut supposer que l’exigence esthétique
illustrée par Ricard dans cette campagne va participer fortement à premiumiser la marque
auprès de sa cible ainsi qu’à enrichir sa culture de marque d’une dimension esthétique
44 Luisa LOMBARDELLI. Créativité : levier stratégique pour conquérir et faire émerger de nouveaux
territoires de marque ? Université de Bourgogne. 2011.
50
nouvelle. Pour autant, Ricard ne se renie pas car le double sens de la rencontre est ici très fort,
soutenu par une expérience visuelle et physique quasi magique, comme peut l’être une
rencontre entre individus, comme peut l’être la convivialité, valeur historique de Ricard. Ce
positionnement de la rencontre semble enfin aisément déclinable en termes marketing car
invite au travail sur les cocktails, la fameuse mixologie, et permet à Ricard d’adopter un ton
quasi revendicateur : bien évidemment, le Ricard peut se consommer avec d’autres choses que
de l’eau. Preuve à l’appui, une grande partie de la nouvelle version du site internet est ainsi
dédiée à des recettes de cocktail, invitant le consommateur à revoir ses habitudes de
consommation, à envisager le produit sous un œil neuf, comme il est amené à le faire devant
les visuels publicitaires. Premiumisation, mixologie et expérientiel, la campagne Ricard
semble ainsi tenir tous ses engagements avec une porte ouverte à la création de contenus, déjà
bien engagé par la marque avec sa tradition d’objets dérivés, d‘objets designés et son entrée
récente dans le monde, quoique très concurrentiel, des cocktails.
Capture d’écran du site Internet Ricard – rubrique « Saveurs »
51
Au terme de cette deuxième partie, nous entrevoyons avec l’exemple de la campagne
Ricard, que les marques d’alcools vont être de plus en plus amenées à envisager leur
communication et leur relations aux consommateurs à travers le prisme du contenu. Plus que
dans d’autres secteurs, il est aujourd’hui essentiel pour une marque d’alcool de pouvoir et
savoir émerger parmi les autres à travers une culture et des valeurs différenciantes, la loi Evin
ayant eu comme premier effet d’homogénéiser les messages et les territoires de marques.
Nous l’avons vu dans cette partie, elle a paradoxalement encouragé la créativité des marques
en les poussant à imaginer de nouveaux procédés de communication valorisant le produit et
non plus les effets de l’alcool. Ainsi agissant comme une « contrainte féconde », la loi Evin a
malgré elle installé la création et la créativité comme une véritable valeur ajoutée pour les
marques que certaines comme Desperados ou Absolut ont adopté comme territoire privilégié
pour exprimer leurs valeurs et nourrir leur culture de marque. Pour autant la créativité et la
création, si nous les considérons comme hypertexte culturel d’une marque, ne sont plus à
envisager comme des fins en soi mais bien comme des moyens pour la marque de
décloisonner ses champs d’action et de passer de l’expression de valeurs à la formation d’un
véritable modèle culturel. Si comme nous l’avons vu le mécénat est l’un des moyens, même si
légalement limité, pour créer des interactions de sens entre le monde artistique et la marque, il
semble que cette créativité soit beaucoup plus forte si elle est mise au service d’une
performation de la marque. Nous l’avons vu avec Ballantine’s, la création artistique est un
levier efficace quand elle sert à sublimer une expérience de consommation dans lequel le
consommateur peut se projeter voire reproduire. Cette expérience de consommation peut elle-
même être mise en lien avec un mode de vie, un état d’esprit prescrit par la marque. Cette
mise en scène d’une expérience, que Ricard a su parfaitement maitriser dans sa dernière
campagne, ne peut néanmoins se limiter à une « Erlebnis » comme nous l’avons défini mais
doit se positionner comme une « Erfahrung », c’est à dire une expérience dans la durée, reliée
à une communauté et à un modèle culturel. On en revient bien à notre culture de marque qui
pour se développer, émerger et rassembler doit aujourd’hui se poser la question de son
contenu. Qu’est ce qui fonde le socle matériel d’une culture de marque ? Au regard de la loi
Evin, dans quels contenus peut elle être incarnée et transmise ? En quoi cela peut il être utile
aux consommateurs et où s’arrête cette utilité, voire cette responsabilité de la marque ? Ce
sont les questions auxquelles nous allons tâcher de répondre dans cette troisième et dernière
partie de notre analyse.
52
III) LA BRAND CULTURE : DE L’UTILITE A LA
RESPONSABILITE
La tendance générale qui traverse le marketing aujourd’hui est celle du positionnement
progressif des marques comme média à part entière. Les marques diffusent mais surtout
créent leur propre contenu, une valeur ajoutée destinée à définir une nouvelle relation aux
consommateurs, plus intime, plus utile ?
A) Le brand content, quand la marque devient média
1) L’éditorialisation des marques
Si l’on évoque les images dans les boîtes de chocolat Poulain, l’émission « Du Coté de
Chez Vous » produite par Leroy Merlin ou encore le journal Croquons la vie du Club Nestlé,
on constate que ce qu’on appelle aujourd’hui le brand content n’est pas vraiment une
nouveauté dans le monde des marques. Ses actuels théoriciens aiment ainsi à citer As the
World Turns, feuilleton produit et lancé en 1956 par Procter&Gamble, comme l’un des plus
célèbre et durable exemple de brand content. Ainsi si ce procédé en lui même n’est pas
nouveau, son développement comme levier stratégique privilégié, notamment grâce à
l’avènement du web social, est plus récent. Pour le définir brièvement, le brand content
désigne le contenu éditorial de marque et par ce procédé la marque devient alors un média à
part entière. Le brand content apporte une réponse au constat que nous formulions plus tôt
dans l’analyse, à savoir qu’aujourd’hui la marque n’est plus seulement un support mais une
culture dans lequel on va injecter du sens. La production de contenu nourrit cette culture de
marque et vise à constituer le patrimoine de la marque. La stratégie de contenus, comme on la
qualifie aujourd’hui, rencontre un succès très important, ainsi 79% des consommateurs lisent
les magazines de marques soit 50% de plus que pour la presse nationale45.
Au regard de ces différents éléments il s’agit d’identifier qu’elle est la réelle valeur
ajoutée des contenus par rapport aux discours traditionnels des marques et en quoi ils vont
plus loin que l’expérientiel dans la construction de cette culture de marque que nous tentons
45 The power and future of brand content. APA summit. www.content2010.co.uk
53
d’identifier depuis le début de notre analyse. Tout d’abord, à travers la production de
contenus, la marque cherche à se faire plus concrète en proposant un bénéfice immédiat au
consommateur et ce en dehors de l’acte d’achat ou de consommation. Dans ce sens le
bénéfice apporté par le brand content peut être ludique, divertissant, informant, pratique ou
utile. Le divertissement a ainsi l’un des premiers axes exploités par les marques avec
l’avènement de l’advertainement ou de l’advergaming. On a ainsi affaire à une
« communication rayonnante »46, on développe autour du produit et de la marque un ensemble
de contenus capables d’intéresser, enthousiasmer, divertir ou informer le consommateur. Ce
n’est d’ailleurs plus seulement à un individu comme consommateur que la marque s’adresse
mais à un individu comme personne avec ses caractéristiques propres : étudiant, maman,
amateur de jeux vidéo …
Il s’agit donc pour les marques de faire passer les intérêts de ses consommateurs, en
tant qu’individus, avant les siens. Ce renversement de posture implique pour les marques
d’être intéressantes avant d’être intéressés47.
2) Alcooliers et stratégie de contenus
Si le brand content représente un fort potentiel de différenciation pour les marques, il
est un outil complexe à manier pour les marques d’alcools qui doivent rester dans les clous de
la loi Evin et sont ainsi limitées dans la nature des contenus développés. En effet
l’advertainement n’est ainsi pas envisageable car il supposerait d’associer la marque avec du
contenu divertissant, lié à un mode de vie positif, ce qui est formellement interdit. Les
marques en général empruntent surtout au registre de la découverte, de la pédagogie, du
culturel, et de l’informatif car elles prennent conscience des nombreuses porosités et
interactions entre leur propre activité et d’autres champs culturels de la société dans laquelle
elles opèrent. Il s’agit bien d’une démarche culturelle des marques de chercher à décloisonner
leur activité. Les alcooliers sont ainsi amenés à repartir des éléments autorisés par la loi Evin
pour lancer leur stratégie de contenus, et le retour au produit s’avère quasiment inévitable.
46 Interview de Daniel BO et Matthieu Guével par le blog Darkplanneur. www.darkplanneur.com. Février 2010 47 Cahier de tendances Influencia. « Le Brand Content est mort, vive le… ». Juin 2011
54
Le recours à la mixologie est ainsi devenu un incontournable des sites internet de
marques d’alcools, montrant que l’édition de contenus est devenu un quasi impératif. Des
anisés aux whiskys en passant par les vodkas, chaque marque possède désormais un
onglet « Dégustation », « Idées de consommation » ou « Nos cocktails ». La mixologie a beau
être une tendance très forte dans le monde culinaire, elle ne semble pour autant pas cohérente
dans toutes les cultures de marque. Par exemple le site internet de Ballantine’s est entièrement
développé autour du produit whisky, de son mode de fabrication, de l’exigence nécessaire
pour obtenir le bon mélange des whiskys et ainsi obtenir le parfait blend. Cette attention
apportée au produit whisky semble relativisée voir dépréciée par les recettes des cocktails
proposées dans l’onglet suivant, faisant perdre en cohérence et en puissance ce discours de
l’authenticité et de la finesse du gout, noyé de fait dans le soda ou le jus de fruit. D’autres
marques, telles Ricard, ont su adapter et rattacher la mixologie à leur culture afin d’en faire
une véritable valeur ajoutée pour le consommateur et non une récupération sans cohérence
avec les valeurs de la marque.
Néanmoins le contenu
autour du produit, bien que très en
vogue, possède de vraies limites qui
laissent peu d’opportunités de
développement une fois que le
concept de mixologie aura été
adopté et mainstreamisé. C’est ici
que la créativité des marques
d’alcools est le plus fortement mise
à l’épreuve car l’éditorialisation de
contenus et le décloisonnement des
valeurs de la marques supposent
d’avoir réussi à asseoir un modèle
culturel fort et lisible. Il faut
pouvoir imaginer la variété des contenus et sélectionner les plus aptes à intéresser et capter ses
cibles. Par exemple, la musique est un contenu culturel très attractif pour les marques qui
peuvent ainsi bénéficier en retour des valeurs attribuées à l’univers musical en général, ou de
tel ou tel artiste en particulier. La musique permet de toucher directement la sensibilité du
Capture d’écran du site Absolut – rubrique « Cocktails »
55
consommateur sans qu’il puisse l’analyser48. Et enfin elle permet aux marques d’alcool de
rester dans un modèle culturel relativement neutre et donc légal.
Ainsi, la marque de rhum Havana Club a par exemple prouvé dernièrement sa capacité
à faire de sa marque un label musical et à devenir ainsi l’un des premiers vecteurs de
valorisation de la culture cubaine en France. Intéressons nous maintenant plus en détail à cette
réussite que l’on peut considérer comme une, très, bonne pratique en la matière.
3) Havana Club et la diffusion de la culture cubaine
Le rhum Havana Club a été créé par José Arechabala en 1878 et est fabriqué à Santa
Cruz del Norte à Cuba. Après la révolution cubaine de 1959, la compagnie fut nationalisée par
le gouvernement, ce qui contraint la famille Arechabala à partir pour l'Espagne puis à émigrer
aux États-Unis. Depuis 1993, le rhum est produit par la marque Havana Club International,
fruit d'un accord entre le groupe français Pernod Ricard et le gouvernement cubain.49
Avec 3,4 millions de caisses vendues en 2008/2009, Havana Club est la 2ème marque de
rhum international dans le monde (en dehors des Etats-Unis)50.
Havana Club possède un univers de marque très délimité comme peuvent l’être ceux
de certains whiskys avec l’Ecosse. En effet sa culture est très fortement liée à son
implantation géographique et historique à Cuba, le nom du rhum est même directement
inspiré du nom de la capitale cubaine. Au delà de cet ancrage géographique, la marque
possède également une histoire forte. Créée il y a plus d’un siècle, Havana Club a de quoi se
raconter à ses consommateurs. Il lui est également possible de communiquer sur son produit,
en effet l’imaginaire autour du rhum est assez riche et contrairement au whisky qui se boit
traditionnellement seul ou avec de la glace, le rhum est à la base de très nombreux cocktails
comme la pinacolada ou le mojito pour les plus célèbres. Havana Club s’inscrit donc de fait
dans la tendance mixologique. Pour autant nous avons identifié précédemment que ces
différents éléments autorisés par la loi Evin (origine historique, implantation, géographique,
caractéristiques produit) peuvent s’avérer insuffisants pour projeter la marque plus loin dans
48 Daniel BO. « Brand content et musique » in Du Brand Content à la Brand Culture, Qualiquanti, 2011. 49 Article « Havana Club » Wikipedia. fr.wikipedia.org/wiki/Havana_Club. 2011. 50 Source : Pernod Ricard Market View, à partir des données IWSR fin 2008.
56
sa relation avec le consommateur. C’est ici que la marque a su innover en se positionnant
comme un véritable acteur culturel via la création d’un vaste programme de mécénat soutenu
par une édition de contenus variés.
Lancé au printemps 2007, Havana Cultura est le nom du programme de mécénat mis
en place par la marque dans le domaine de la culture contemporaine cubaine. Ce programme
est relayé par le portail web du même nom qui diffuse l’ensemble des contenus et
informations reliés à ce programme. Sur le site, la marque se fait très discrète et met
entièrement l’accent sur la découverte de l’art cubain. Il y a donc une véritable mise à distance
de la marque-produit qui permet de ne pas plonger le consommateur dans une logique d’achat
ou de consommation pure comme le souligne François Renié, directeur de la communication
de Havana Club International « Nous ne vendons rien directement sur ce site. Il a pour unique
but de donner aux gens l’envie de découvrir la marque et Cuba ».
Ce programme est constitué de plusieurs volets ayant comme objectif global de
soutenir et valoriser la création cubaine contemporaine. On retrouve ainsi sur le portail web
havana-cultura.com, l’ensemble des artistes soutenu par la marque avec des clips vidéo, la
musique en streaming ainsi que leurs actualités. Le reste du site se présente sous la forme
d’une web-tv ou chaque sujet traité fait l’objet d’une vidéo, permettant une interactivité et une
valorisation très forte des contenus. On y présente des reportages sur les endroits préférés des
artistes à La Havane à partir d’une carte interactive, sur les derniers festivals mettant à
l’honneur la musique cubaine, les albums sortis. Dans la rubrique « Qui somme nous », la
marque se présente ainsi « Havana Cultura existe pour permettre aux artistes de La Havane de
montrer au monde ce qu'ils font, et pour permettre au monde de voir et entendre ce qu'ils ont à
dire sur leurs travaux, leurs vies et leur ville. » Ainsi Havana Club défend la motivation
culturelle de son programme ainsi que son ambition d’être un vecteur fort, si ce n’est le plus
fort, de la valorisation de la culture cubaine dans le monde. A la richesse des contenus
présentés sur le site vient s’ajouter une action très récente et inédite en son genre : la co-
production par la marque d’un long-métrage sur la ville de La Havane. L’originalité du projet
est de n’être ni une opération de placement de produit traditionnel, ni un film de commande
comme I'm here de Spike Jonze pour Absolut mais bien une action de mécénat qui permet de
répondre à une demande des consommateurs en terme d’originalité des contenus tout en
remettant la capitale cubaine à l’esprit des Européens. En effet Havana Club étant la seule
57
marque cubaine mondiale, ce qui est bon pour La Havane est, de fait, très bon pour la
marque.51
Aussi le programme Havana Cultura est l’une des plus belles réussites dans le monde
des marques d’alcool dans le développement d’une culture de marque associée à une stratégie
de brand content très solide. La marque s’estompe en effet derrière un label et se fait à la fois
producteur, donc soutien financier, du monde culturel cubain, et éditeur de contenus sur le
même sujet. Ce double positionnement fait de la marque un référent en matière de culture de
marque et montre comment avec une identité et des valeurs apparemment convenues et
potentiellement cloisonnées, il est possible de construire une culture capable de capter et
d’intéresser le consommateur en tant qu’individu, et ce bien au-delà du produit en lui même.
Ici Havana Club travaille à devenir l’icône de la Havane et à ce titre à se placer en opérateur
culturel à part entière, un positionnement relativement neuf en particulier dans le monde des
marques d’alcools.
Car en effet si la marque Havana Club tend à devenir un symbole de la « cubanité »,
elle souligne également l’engagement des marques dans des sphères qui ne relevaient pas de
leurs compétences ou tout du moins de leur ambition auparavant. En effet le développement
phénoménal du brand content a amené la formulation d’un nouveau concept, celui de brand
utility, à savoir en quoi une marque peut être utile à ses consommateurs, voire à la société, au
delà de son champ d’action original.
B) Du brand content à la brand utility
1) Une nouvelle donne publicitaire
Le concept de brand utility découle de celui de brand content. Nous l’avons vu, les
marques produisent du contenu depuis des dizaines d’années, le développement du web
participatif a simplement permis de l’établir comme une stratégie à part entière. A cela vient
s’ajouter une forte tendance économique et sociale, celle de la RSE, la responsabilité sociétale
des entreprises. La RSE désigne la prise en compte par les entreprises des impacts sociaux et
51 Alain DELCAYRE. “Havana Club fait son cinéma” in Stratégies, 13 juillet 2011, n°1642
58
Les éléments nécessaires à la création
d’une valeur de marque
environnementaux de leur activité pour adopter les meilleures pratiques possibles et
« contribuer ainsi à l’amélioration de la société et à la protection de l’environnement »52. Si la
question du développement durable est hors de notre propos nous pouvons néanmoins
constater qu’aujourd’hui une entreprise ne peut plus se contenter d’être un acteur économique
parmi les autres et développer son activité de manière égocentrique mais doit se penser dans
un système global dans lequel elle doit adopter une conduite responsable et respectueuse de
ses parties prenantes. Nous pouvons dire que c’est ce même processus qui est aujourd’hui à
l’œuvre pour les marques : ces dernières sont challengées et ne peuvent plus se limiter à leur
activité propre si elles souhaitent rester concurrentielles et engagées dans une relation
consommateur durable. Ainsi le brand content est en train de muter naturellement vers celui
de la brand utility à savoir que le contenu édité par les marques doit avoir un intérêt supérieur
à celui d’être une émanence des valeurs de la marque et de sa culture. Le contenu doit être
utile, la marque doit servir à quelque chose.
Dans son essai Advertising Reloaded, vers une
publicité encore plus utile53, Vincent Ballusseau évoque
même une publicité qui serait capable de créer de la
valeur pour le consommateur, ce qui serait un
compromis entre la recherche d’attractivité d’un coté et
de pertinence de l’autre qui sous-tend l’ensemble de
l’industrie publicitaire aujourd’hui. En effet il montre
que le monde du « tout-gratuit » entraine une
dévalorisation générale de la culture et du divertissement
rendant le brand entertainment peu impactant. Les
marques qui veulent divertir n’atteindront leurs
objectifs qu’au prix de moyens énormes en termes de visibilité et de création, ce que
finalement peu de marques peuvent s’offrir.
La proposition de valeur de la marque serait ainsi à imaginer dans un schéma plus
complexe (ci-dessus) qui fait intervenir du contenu, dont la qualité est jugée à sa capacité à
résonner auprès d’une communauté, elle même en lien avec un contexte de réception des
messages. Cette valeur proposée par la marque serait le point de départ de la relation
52 Site internet du Ministère du développement durable – Article « RSE ». 2011 53 Vincent BALUSSEAU. Advertising reloaded : vers une publicité (encore) plus utile. mai 2010
59
consommateur et pourrait générer de la conversation et des conversions à savoir un
engagement plus fort du consommateur dans la culture de marque.
2) La marque comme “agent culturel “
Après avoir envisagé les conditions de développement de la brand utility à travers le
prisme de la proposition de valeur, il nous faut l’envisager à l’aune de cette culture de marque
que nous tentons de définir à travers cette étude. A ce point de notre analyse, nous pouvons la
définir comme un ensemble cohérent et complet qui fait sens pour une communauté via un
univers riche composé de différents objets. Nous en avons identifié un certain nombre au
cours de notre étude : patrimoine historique, culture locale, mode de consommation et mode
de vie, design, valeurs de marque, expériences, patrimoine matériel, contenus, projets… Ainsi
l’idée qui sous tend la brand utility est celle que la culture de marque « agit » au sein d’une
communauté, consommateurs, citoyens, car elle propose des contenus et de la valeur. Dans ce
sens on peut désormais envisager la marque comme un nouvel agent culturel au sein de notre
société.
Ce concept, formulé par Daniel Bô dans Les marques sont des agents culturels :
retour sur une tendance de fond, montre comment la marque repense son objet dans un cadre
de représentation plus large, pas entièrement cloisonné dans l’étroitesse de l’objet produit. La
marque se pense sous un concept étendu, tel Desperados avec l’imagination ou Ricard avec la
rencontre, et « englobe dans l’espace de la responsabilité »54 ce qui dépassent le stade de la
production. Elle se pense dans un cadre culturel et agit en conséquence.
54 Daniel BO. “Les marques sont des agents culturels : retour sur une tendance de fond”, www.brandcontent.fr, 29 mars 2011
Le statut de la
marque et de son
produit - d'après
l'article de Daniel Bo
60
Utilité et responsabilité semblent donc être les maitres mots pour envisager l’avenir
des marques dans une communauté. Ces deux mots résonnent de manière particulière dans le
contexte des marques d’alcools, la responsabilité est notamment très forte au regard des
problèmes liés à l’alcoolisme et à la sécurité routière, mais voyons dans un premier temps
comment une marque d’alcool peut se rendre utile, avec l’exemple de la bière Heineken.
3) Heineken et la bièrologie
Première marque internationale de bière, Heineken a été créée aux Pays-Bas dans les
années 1860 par Gerard Heineken, ce dernier a mis au point le process industriel à l’origine
du principe premier de la marque : distribuer une bière au gout identique quelque soit le
pays.55 Son petit fils Alfred fait de Heineken un produit d'image dans plus de 170 pays avec
comme ambition de ne pas vendre de la bière mais de la chaleur humaine. En termes de
communication la France pose deux problèmes, la loi Evin d’un coté et la faible
consommation de bière de l’autre. En effet la France est le pays où la consommation de bière
est l’une des plus faibles d’Europe (34 litres par an contre 137 en Allemagne)56. Heineken va
donc chercher dès ses premières prises de parole à communiquer autour de messages forts et
attrayants. Avec son agence historique, Publicis, la marque va dédié un film « à tous ceux que
la bière fait rêver », puis mettre en scène des hommes et des femmes dans des lieux branchés,
une première pour une marque de bière Après 1991, plusieurs signatures vont se succéder ‘La
bière qui a un nom », « Au nom de la bière », et enfin « L’esprit bière » .
La marque s’ancre ainsi dans un imaginaire optimiste et décontracté avec une grande
place accordée à l’humour et à la fraicheur. Heineken déploie sa culture de marque à partir de
ces valeurs mais a réussi à placer sa marque dans un cadre plus large tout en restant proche de
son produit, comme l’oblige la loi Evin. La production de contenus est une tache difficile
pour les marques d’alcools comme nous l’avons vu, il existe un vrai risque
d’homogénéisation et de non émergence des contenus produits par ces dernières, tant leur
discours est légalement limité. Pour autant la marque de bière a réussi à développer son brand
content et sa brand utility par la création d’un domaine de connaissance : la bièrologie.
55 Site Internet Prodimarques,.“Saga Heineken” www.prodimarques.com. Juillet 2002 56 Site Internet Prodimarques,.“Saga Heineken” www.prodimarques.com. Juillet 2002
61
Ce concept tend à faire de la bière un objet d’expertise, dont Heineken, par son
expérience, son passé et ses produits, pourrait être l’expert. A partir de ce concept la marque a
ainsi édité un certain nombre de contenus pour montrer ses connaissances en la matière et
surtout pour se rendre utile auprès des consommateurs en quête d’informations et de conseils.
La marque a ainsi lancé en 2009, avec l’agence Vanksen, « Tendances bières », un blog sur
lequel s’offre un large choix de thématiques aussi bien pour les amateurs que les
professionnels de la bière. On y retrouve des rubriques consacrées à la cuisine, aux voyages, à
l’actualité, aux brasseries, au design… Pour les professionnels, le blog a mis en place un
espace dédié donnant accès au « Concours de Bièrologie », au magazine « Service Bière », à
des interviews exclusives d’experts de la profession… Le concours de bièrologie est à lui seul
une vraie manifestation du projet culturel de la marque qui tend à diffuser la culture de la
bière notamment à travers la formation des professionnels. Lancé en 2005, le concours est à
destination des étudiants en hôtellerie et restauration. Il a pour objectif de transmettre une
culture du produit, un « savoir-parler bière », d’enseigner l’art du service de la bière et d’en
partager les différents modes de consommation. Il est organisé autour de conférences de
bièrologues, de visites de terrain et d’échanges avec les professionnels. Il comprend
différentes épreuves théoriques (questionnaires portant sur le contenu des conférences
délivrées par un biérologue) et pratiques (service de la bière à la pression et en bouteille, les
alliances bière et mets, analyse sensorielle du produit) avec une nouveauté en 2011, une
épreuve de mixologie57.
Si cela peu paraître plus courant pour des alcools comme le vin ou le whisky, le
programme mis en place par Heineken fait preuve d’innovation en formalisant autour de la
bière un art de la dégustation et du service. La marque fait émerger une nouvelle figure, celui
du bièrologue. Ce dernier est à la bière ce que le sommelier est au vin, ils sont là pour mettre
leurs produits en valeur et pour répondre au mieux aux attentes des consommateurs et clients.
Le bièrologue est la pour éclairer dans le choix d’une bière, initier aux finesses de la boisson
et aux différents gouts, couleurs, origines, forces de la bière. Ces services visent une
communauté identifiée, les amateurs de bière et matérialisent le partage de cette culture
commune par un club, « le Club des amateurs de bière » auquel une partie du site est dédiée.
Etre membre de ce club donne accès à des événements, concours et réductions exclusives.
57 Communiqué de presse Heineken Entreprises – Concours de bièrologie 2010-2011 (cf annexe 9)
62
Le tour de force de la marque est ici d’avoir créé une discipline qu’elle relie à un art de
consommer, de servir qui lui même donne lieu à une production abondante de contenus en
tous genres (blog, concours, revue) qui va concerner l’ensemble de ses parties prenantes,
particuliers comme professionnels. Heineken a su à partir de son produit, développer une
vraie culture autour d’un concept porteur et cohérent. Il incarne l’une des perspectives de
développement des marques d’alcools dans le futur : être des expertes dans leur domaine et
mettre leur expertise au service des parties prenantes, se rendre utile. Néanmoins une fois une
culture de marque établie ou en train de se diffuser, une fois que la marque a assis son statut
d’agent culturel, où s’arrête son rôle dans la société civile ? Nous allons questionner à présent
la notion de prévention pour les marques d’alcools.
C) Les marques d’alcools et la prévention : de l’utilité à la responsabilité
1) La marque, responsable ?
Cette partie de notre étude permet d’identifier une limite capitale dans l’approche
marketing des marques d’alcools. En effet toute notre analyse a tenté de montrer en quoi
l’avenir des marques se situait dans l’approfondissement de la relation au consommateur avec
la création et la diffusion d’une culture faite de valeurs, auxquels il pourrait adhérer et se
projeter, et d’expérience et de contenus qui pourraient lui être utiles. En résumé la marque
doit se faire la plus proche possible du consommateur pour faire partie intégrante de son
environnement. Néanmoins, un fait reste indéniable : l’abus d’alcool nuit à la santé. La
proximité avec le consommateur est donc à envisager à l’aune de cette réalité. Trop
consommer du produit que la marque valorise peut s’avérer dangereux pour la santé. Les
marques doivent également composer avec de nouvelles manières de consommer, par
exemple la disparition progressive de l’alcool pendant les repas du quotidien et sa présence
très forte dans les milieux jeunes et étudiants. Ces modes de consommation sont plus
extrêmes et ont amenés, notamment via leur traitement médiatique, à une diabolisation de ces
pratiques, obligeant les marques à porter leurs responsabilités et à s’exprimer sur ces sujets.
L’idée de responsabilité est ici au cœur des préoccupations de la marque. Elle fait débat car
63
elle crée un amalgame entre la responsabilité de la marque et la responsabilité du
consommateur au moment de l’acte de consommation.
De manière égale, les marques sont déjà soumises à un certain nombre d’obligations
qui font d’elles, quoi qu’il en soit, des acteurs de la prévention. La loi Evin oblige par
exemple l’ajout de la mention « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer
avec modération » sur tous les visuels publicitaires. Dans un deuxième temps la marque doit
répondre aux règlements du code de santé publique. Enfin la plupart des alcooliers ont signé
des chartes éthique, initié des programme en interne ou rejoint des groupements d’entreprises
qui agissent pour la prévention, tel le European Forum for Responsible Drinking ou
Entreprise et Prévention qui a notamment initié la campagne 2340. L’ensemble de ces actions
tend à positionner les marques comme responsables. Pour autant certaines marques et
entreprises ont lancé des initiatives plus fortes, initiatives qui posent la question du niveau
d’engagement de ces dernières en matière de prévention.
2) La prise de parole d’Absolut
L’une de ces initiatives semble intéressante à observer plus en détails pour évaluer la
pertinence et la cohérence d’un message de prévention émanant d’une marque d’alcool. Il
s’agit du site internet international de la marque Absolut appelé Recognize the moment, enjoy
with Absolut responsability. Le site se présente sous la même charte graphique que la marque,
avec un design très épuré. A partir de cette identité visuelle, on constate une réelle
superposition du discours publicitaire de la marque et de son discours de prévention. La
marque assume ce discours. Ce dernier, repris par de nombreux acteurs de la prévention, est
celui de la modération comme clé de la consommation responsable, à savoir que la solution
n’est pas d’arrêter totalement de boire, mais de boire jusqu’au moment où l’on doit s’arrêter.
C’est sur ce « moment » que Absolut fonde son discours et se positionne en accompagnateur
dans la prise de responsabilité de chacun. Le site se présente alors comme une nouvelle forme
de brand content, inédite car peu utilisée. On y trouve les engagements légaux et internes de la
marque, des trucs et astuces pour modérer sa consommation et « reconnaître le moment »
notamment les doses limite d’alcools en fonction des personnes et des occasions. La marque
se fait également utile en proposant de programmer sur le site un SMS qui sera envoyé au
consommateur à l’heure voulue pour lui rappeler qu’il doit s’arrêter de boire. Enfin on y
64
Capture d’écran de la page d’accueil du site Recognize the moment de la marque Absolut
retrouve une vidéothèque regroupant des micro trottoirs de personnes expliquant à quel
moment elles sentent qu’il est temps pour elle d’arrêter de boire.
Ainsi, le site d’Absolut répond à ce que l’on peut attendre d’une marque d’alcool en
termes de contenu et d’utilité. Le discours de prévention vient ainsi s’intégrer dans la culture
de la marque tout en se voulant être une preuve de bonne foi en diffusant plus qu’un message
ou une phrase choc mais en éditant du contenu utile dans le cadre d’une limitation de la
consommation. La marque s’adresse au consommateur à la première personne, le prend à parti
pour lui rappeler ce qu’il encourt mais se place également en conseil, en aide. Il s’agit ici d’un
exemple réussi d’intégration d’un discours de prévention dans une culture de marque même si
c’est la diffusion de ce discours qui va conditionner son impact auprès des consommateurs.
3) Perspectives possibles : désengagement ou prise de responsabilité ?
A l’aune de ces constats et de l’exemple offert par la marque Absolut, deux scénarios
semblent aujourd’hui envisageables en ce qui concerne les marques d’alcools et leur
responsabilité vis a vis des consommateurs et de la société civile dans le futur.
Le premier serait celui d’une désimplication quasi totale des marques d’alcool dans la
prévention en estimant qu’elles ne peuvent être crédibles et impactantes en tenant un double
discours de consommation et de prévention. On peut imaginer que leurs intérêts économiques
sont très forts et que leur discours de marque risquerait d’être galvaudé par l’intervention d’un
autre discours. Dans ce cas là, la prévention ne relèverait uniquement que de la santé publique
et des associations compétentes. C’est presque le cas aujourd’hui car peu de marques, à bien
différencier des entreprises ou des groupes qui mènent des actions au nom du groupe mais pas
65
d’une marque, prennent la parole clairement sur ce sujet. Ainsi la responsabilité aujourd’hui
se situe quasi exclusivement à un niveau corporate.
Néanmoins, l’idée d’une consommation modérée et responsable semble pouvoir
s’intégrer de manière naturelle dans un discours de marque, comme le prouve l’exemple
Absolut. A l’heure de la production de contenus et de la brand utility, la première utilité et
responsabilité des marques d’alcool n’est elle pas justement de formuler un discours plus
cohérent sur la consommation modérée qui viendrait s’intégrer dans un art de vivre ? Dans le
livre Construire sur la durée de Patrick Ricard58, Michel Bord, directeur général adjoint de
Pernod-Ricard, revendique que l’alcool doit rester un produit de plaisir et de convivialité,
partie intégrante de la culture française. C’est pourquoi recréer de la cohérence entre les
marques et la dimension conviviale de l’alcool, et donc modérée, pourrait les amener à
devenir des acteurs forts du message de prévention. D’autant plus qu’elles ne sont déjà plus
dans un discours de l’excès et le plaisir car la loi les en empêchent.
Ainsi continuer à faire des marques d’alcools des acteurs culturels de plus en plus forts
dans notre société suppose de leur part qu’elles assument cette responsabilité. D’autant plus
que le développement du web crée déjà un effet de double discours de la marque qui voit sa
communication fortement différer entre la France et à l’étranger. En effet les frontières du
web sont devenues extrêmement poreuse et il est aujourd’hui très facile pour un internaute de
visionner les campagnes internationales d’une marque qui communique également en France,
campagnes qui ne sont bien évidemment pas du tout soumises à la loi Evin et offre à
l’utilisateur la vision de ce que pourrait être la communication de la marque en France s’il elle
n’était pas légalement empêchée. C’est pourquoi l’un des enjeux majeur des marques d’alcool
aujourd’hui est de travailler à conserver une vraie cohérence dans le développement de leur
culture, impliquant d’être utile au consommateur jusque dans la prévention des dangers
représentés par la consommation abusive. Il s’agit enfin de rester vigilant à la cohérence des
contenus et messages diffusés sur Internet à l’heure de l’accès presque illimité à
l’information.
58 Patrick RICARD. Construire dans la durée, Pernod-Ricard, 2008.
66
CONCLUSION
Au terme de cet étude nous avons pu identifier les différents éléments qui constituent
aujourd’hui une culture de marque et dans quelle mesure les marques d’alcool ont su ou non
se les approprier pour faire face au cadre législatif très contraignant de la loi Evin. Ainsi, en
guise de conclusion, il est possible d’affirmer que les marques d’alcool ont construit leur
culture autour de trois pôles temporels : passé, présent et futur.
Dans le passé, la marque se construit autour d’une origine qui devient le cœur
de son positionnement et de sa communication. Qu’il s’agisse d’un lieu, d’un territoire, d’une
histoire, d’une légende, voire d’un mythe, la marque affirme d’où elle vient, ce que la loi lui
autorise totalement, pour mieux exprimer où elle va. Elle inclue ainsi le consommateur dans
son histoire, une histoire qu’elle raconte et fait partager comme un cadre de symboles et de
valeurs jusqu’à proposer sa propre vision du monde. Cette vision peut aller jusqu’au
positionnement de la marque comme mythe contemporain, source de sens et nouvelle
croyance du consommateur, avec le risque de ne pas réussir à créer une véritable relation aux
consommateurs par manque de proximité et d’intimité.
Face à cette limite, la marque tend à se positionner et s’ancrer dans le présent
en construisant notamment des expériences à vivre autour de ses produits. En effet la loi Evin
ayant eu comme premier effet d’homogénéiser les messages et les territoires de marques, il est
devenu essentiel pour les marques de communiquer sur les spécificités de leurs produits de
manière très créative afin de fonder une culture différenciante. Ainsi la loi Evin a
paradoxalement installé la création et la créativité comme une véritable valeur ajoutée pour
les marques en encourageant la différenciation des marques via la création artistique et
l’expérientiel. Les marques ne se consomment plus mais se vivent au présent, un défi délicat
pour les marques d’alcools.
C’est pourquoi notre étude nous a permis d’identifier que c’est dans le futur
que les marques tendent à trouver les meilleures solutions en termes de communication en
particulier via la production de contenus et l’utilité auprès des consommateurs. Le futur pour
les marques, c’est de s’envisager dans un cadre plus large que celui définit par leur produit et
de penser leur relation aux consommateurs à long terme en sachant se rendre utile et
67
responsable. La marque agit en se positionnant comme agent culturel c’est à dire un élément
actif dans le développement de nos sociétés.
C’est de ces trois temporalités que peut donc se nourrir la culture des marques
d’alcools pour continuer à nouer une relation toujours plus forte et intelligente aux
consommateurs. A partir de ces conclusions, nous pouvons identifier deux limites : d’une part
l’avenir de la loi Evin, le développement du web et la créativité des marques rendent en effet
cette dernière de moins en moins efficace, et d’autre part la responsabilité des marques
d’alcool dans la prévention qui reste encore à définir comme nous l’avons vu. Ces limites
étant identifiées, plusieurs recommandations peuvent être formulées pour donner de la
perspective à cette étude.
Il s’agit tout d’abord pour les marques de rester vigilantes quant à la complexification
de leur communication digitale au regard de la loi Evin. En effet les frontières du web sont de
plus en plus poreuses et il est aujourd’hui très facile pour un internaute français de prendre
connaissance des campagnes d’une marque d’alcool dans un autre pays, j’en ai moi même fait
l’expérience au cours de mes recherches. Il est ainsi aisé de constater les décalages qui
existent entre la communication faite pour la France et l’étranger, tendant à créer de la
confusion voire de la frustration pour les consommateurs français. Cette superposition des
discours risque à terme de brouiller les images et de faire jouer un double rôle aux marques.
Cette préconisation sous entend également que la loi Evin dans sa définition actuelle
concernant la publicité sur Internet, ne semble pas viable et efficace à long terme et sera
probablement fortement remise en cause dans quelques années.
Une deuxième perspective est celle de la remise en cause du concept d’authenticité
pour celui de réalité. En effet l’authenticité tend à être galvaudée par un usage trop récurrent
dans les discours marketing autour du produit. A cette authenticité considérée de plus en plus
comme douteuse ou creuse, les consommateurs vont avoir tendance à préférer la réalité, c’est
à dire la réalité d’un produit, la réalité d’une expérience. On va ainsi peu à peu s’orienter vers
une démonstration par la preuve et non par l’ancienneté ou l’origine.
Comme troisième recommandation, le décloisonnement de son activité et de son
produit est une perspective capitale pour les marques. Il s’agit pour elles d’intégrer leurs
produits dans un modèle culturel large et propice aux partenariats, à la production de contenus
68
et à l’approfondissement de la relation aux consommateurs. La marque doit se penser comme
acteur dans une société où elle peut avoir une réelle action, un rôle à jouer au delà de la
consommation de son produit. Dans ce domaine, Havana Club fait office de modèle de
réussite.
Enfin, dernière recommandation qui semble aujourd’hui conditionner le succès des
marques d’alcools, c’est leur faculté à se penser dans le long terme. Il est plus que jamais
important pour les marques d’alcools, face au foisonnement de créativité et de messages, de
construire leur communication dans la durée auprès des consommateurs. Il est indispensable
pour asseoir sa notoriété d’entretenir le contact avec eux, en particulier en tirant profit du
développement très important d’outils innovants parmi lesquels les nombreuses possibilités
offertes par les réseaux sociaux mais aussi l’utilisation de la réalité augmentée, des mobiles ou
encore de la géolocalisation.
69
BIBLIOGRAPHIE
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70
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Clan Campbell. http://www.clancampbell.fr/. Mise en ligne en 2011 ANTONY (Michel). “Petite histoire de la bière” Site académique de Besançon. http://artic.ac-besancon.fr/hg/spip/spip.php?article48. Mise en ligne le 24 mai 2007. Imagine Desperados. www.imagine-desperados.fr. Mise en ligne en 2010 Havana Cultura - http://www.havana-cultura.com/INT/FR/actualite-havana-cultura.html Mise en ligne 2008. Kacper Hamilton. www.kacperhamilton.com. Mise en ligne en 2011 Prodimarques - Saga Absolut. http://www.prodimarques.com/sagas_marques/absolut/absolut.php. Mise en ligne en octobre 2009 Prodimarques -Saga Heineken http://www.prodimarques.com/sagas_marques/heineken/heineken.php. Mise en ligne en juillet 2002 Rapport d’activité Pernod Ricard 2009-2010. http://www.pernod-ricard.com/medias/resources/static/rapport_interactif/2010-11-09_fr/appli.htm. Mise en ligne 2010 SAINT MICHEL (Serge Henri ). - “Le marketing de la provenance : quand l’origine géographique valorise les marques” in www.marketing-marketing.fr. Mise en ligne le 20 mai 2003. The Man Who Walked Around The World. http://www.youtube.com/watch?v=MnSIp76CvUI. Mise en ligne en 2009.
71
ANNEXES
Annexe 1 : Extrait de la loi Evin relatif à la publicité des boissons
Article L3323-1 Modifié par LOI n°2009-879 du 21 juillet 2009 - art. 96
Dans tous les débits de boissons, un étalage des boissons non alcooliques mises en vente dans l'établissement est obligatoire. L'étalage doit comprendre au moins dix bouteilles ou récipients et présenter, dans la mesure où le débit est approvisionné, un échantillon au moins de chaque catégorie des boissons suivantes : a) Jus de fruits, jus de légumes ; b) Boissons au jus de fruits gazéifiées ; c) Sodas ; d) Limonades ; e) Sirops ; f) Eaux ordinaires gazéifiées artificiellement ou non ; g) Eaux minérales gazeuses ou non. Cet étalage, séparé de celui des autres boissons, doit être installé en évidence dans les lieux où sont servis les consommateurs. Si le débitant propose des boissons alcooliques à prix réduits pendant une période restreinte, il doit également proposer à prix réduit les boissons non alcooliques susmentionnées.
Article L3323-2 Modifié par LOI n°2009-879 du 21 juillet 2009 - art. 97
La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques dont la fabrication et la vente ne sont pas interdites sont autorisées exclusivement :
1° Dans la presse écrite à l'exclusion des publications destinées à la jeunesse, définies au premier alinéa de l'article 1er de la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse ;
2° Par voie de radiodiffusion sonore pour les catégories de radios et dans les tranches horaires déterminées par décret en Conseil d'Etat ;
3° Sous forme d'affiches et d'enseignes ; sous forme d'affichettes et d'objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat ;
4° Sous forme d'envoi par les producteurs, les fabricants, les importateurs, les négociants, les concessionnaires ou les entrepositaires, de messages, de circulaires commerciales, de catalogues et de brochures, dès lors que ces documents ne comportent que les mentions prévues à l'article L. 3323-4 et les conditions de vente des produits qu'ils proposent ;
5° Par inscription sur les véhicules utilisés pour les opérations normales de livraison des boissons, dès lors que cette inscription ne comporte que la désignation des produits ainsi que le nom et l'adresse du fabricant, des agents ou dépositaires, à l'exclusion de toute autre indication ;
6° En faveur des fêtes et foires traditionnelles consacrées à des boissons alcooliques locales et à l'intérieur de celles-ci, dans des conditions définies par décret ;7° En faveur des musées, universités, confréries ou stages d'initiation oenologique à caractère traditionnel ainsi qu'en faveur de présentations et de dégustations, dans des conditions définies par décret ;
8° Sous forme d'offre, à titre gratuit ou onéreux, d'objets strictement réservés à la consommation de boissons contenant de l'alcool, marqués à leurs noms, par les producteurs et les fabricants de ces boissons, à l'occasion de la vente directe de leurs produits aux consommateurs et aux distributeurs ou à l'occasion de la visite touristique des lieux de fabrication ;
72
9° Sur les services de communications en ligne à l'exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du code du sport, sous réserve que la propagande ou la publicité ne soit ni intrusive ni interstitielle.
Toute opération de parrainage est interdite lorsqu'elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques.
Article L3323-3
Est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre qu'une boisson alcoolique qui, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une dénomination, d'une marque, d'un emblème publicitaire ou d'un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique. Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables à la propagande ou à la publicité en faveur d'un produit autre qu'une boisson alcoolique qui a été mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement ou financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise une boisson alcoolique.
Article L3323-4 Modifié par Loi n°2005-157 du 23 février 2005 - art. 21 JORF 24 février 2005
La publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit.
Cette publicité peut comporter des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d'origine telles que définies à l'article L. 115-1 du code de la consommation ou aux indications géographiques telles que définies dans les conventions et traités internationaux régulièrement ratifiés. Elle peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit. Le conditionnement ne peut être reproduit que s'il est conforme aux dispositions précédentes.
Toute publicité en faveur de boissons alcooliques, à l'exception des circulaires commerciales destinées aux personnes agissant à titre professionnel ou faisant l'objet d'envois nominatifs ainsi que les affichettes, tarifs, menus ou objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, doit être assortie d'un message de caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé.
Article L3323-5
Il est interdit de remettre, distribuer ou envoyer à des mineurs des prospectus, buvards, protège-cahiers ou objets quelconques nommant une boisson alcoolique, ou en vantant les mérites ou portant la marque ou le nom du fabricant d'une telle boisson.
Article L3323-6 Modifié par Loi n°2003-709 du 1 août 2003 - art. 23 JORF 2 août 2003
Le ou les initiateurs d'une opération de mécénat peuvent faire connaître leur participation par la voie exclusive de mentions écrites dans les documents diffusés à l'occasion de cette opération ou libellées sur des supports disposés à titre commémoratif à l'occasion d'opérations d'enrichissement ou de restauration du patrimoine naturel ou culturel.
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Annexe 2 : Campagnes presse et affichage de Clan Campbell (depuis 2003)
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Annexe 2 : Captures d’écran du site internet Clan Campbell
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Annexe 4 : Visuel de la campagne Grimbergen “Le pouvoir de renaître” (2011)
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Annexe 5 : Communiqué de presse de lancement pour Grimbergen “Le pouvoir de renaître” (2011)
La brasseries Kronenbourg, vous invite à entrer dans la légende de Grimbergen De part son histoire vieille de presque 900 ans et grâce à son goût inimitable, Grimbergen fait voyager ses connaisseurs dans un univers légendaire. Un moment d’histoire qui invite les amateurs à s’évader et à se réinventer pour mieux « renaître », tel le Phoenix, icône de la marque depuis 1629. Aujourd’hui, Grimbergen convainc encore plus. Elle enregistre une croissance de 9% en 2010*. (*Sources internes Brasseries Kronenbourg Cumul à date Sept 2010) On dit de Grimbergen qu’elle est une bière appréciée par les hommes âgés de 35 à 49 ans, à la recherche de produits de qualité. Elle est alors consommée comme une bière de dégustation, à la maison ou à l’extérieur, seul, en famille ou avec quelques proches. Mais Grimbergen, c’est aussi une bière pour les 25-35 ans à la recherche d’une bière au goût plus intense et aux arômes plus complexes. Ils apprécient son goût épicé, fruité lors de moments de dégustation créatifs généralement entre amis ! Grimbergen la Légende ! Le phoenix a marque les civilisations a travers les ages. les perses, les grecs, les romains, virent en lui le symbole de la renaissance et la sérenite. au cours des siecles, ses pouvoirs mystiques inspirerent les hommes epris de liberte et en quete de réinvention. Fondee en 1128, l’abbaye de grimbergen fut detruite en 1142, puis a nouveau en 1566 et en 1798. a chaque destruction, elle fut rebatie. les peres de grimbergen prirent alors le phoenix pour embleme, signe de la renaissance perpetuelle de leur abbaye, et adopterent une devise en son honneur : « ardet nec consumitur », « brule mais ne se consume pas ». La recette de leur biere a su elle aussi traverser le temps et les epreuves, ce qui fait d’elle aujourd’hui un breuvage vif au caractere inimitable. Authentique, unique et complexe par ses aromes multiples, la biere du phoenix fait resurgir des saveurs inattendues que l’on decouvre a chaque degustation. Grimbergen, une biere authentique Au fil des siecles, le secret de la biere d’abbaye grimbergen est reste intact : aucun changement de recette n’a ete opere depuis presque 900 ans. Une mousse dense et abondante, de couleur creme. Une robe jaune d’or brillante avec des reflets ocres. Au nez, une intensité forte dominée par les fruits murs (ananas, banane) et les epices (clou de girofle). En bouche, une biere sucree et amere avec une légère pointe d’acidite aux arômes d’épices et de fruits. Grimbergen blonde titre à 6,7°. Grimbergen est une biere de caractere, moelleuse, au gout intense et aux aromes puissants. Grimbergen se decline aussi au travers d’une large gamme de gouts d’exception Grimbergen blanche (Titre à 6°) avec une mousse crémeuse de couleur blanche, grimbergen blanche présente une robe jaune clair opalescente. au nez, elle dégage une intensité forte dominée par les fruits mûrs (ananas, mirabelle), les fruits macérés et les épices (clou de girofle). en bouche, la bière grimbergen blanche est une bière acidulée, subtil équilibre entre l’acide et le sucré, à l’amertume fine, et aux arômes dominants d’agrumes. Grimbergen la réserve 8,5° avec une mousse dense, abondante et crémeuse de couleur crème, grimbergen la réserve 8,5° présente une robe jaune d’or brillante avec des reflets ocres. Au
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nez, elle dégage une intensité forte et complexe dominée par les fruits mûrs (agrumes, fruits jaunes, poire) et les épices (clou de girofle). En bouche, la bière grimbergen la réserve 8,5° est une bière riche en saveurs, équilibrée en sucre et en amertume avec une pointe d’acidité aux arômes dominants de fruits et d’épices. Grimbergen ambrée avec une mousse abondante et crémeuse de couleur crème de café, grimbergen ambrée présente une robe acajou brillante. Au nez, elle dégage une intensité forte dominée par la réglisse, le caramel, le malt torréfié, et l’orange amère. En bouche, la bière grimbergen ambrée est une bière amère, légèrement sucrée et un peu acide aux arômes dominants de malt torréfié, de réglisse et de malaga. Grimbergen rouge avec une mousse de couleur rosée, grimbergen rouge présente une robe grenat brillante. Au nez, elle dégage une intensité forte dominée par les fruits rouges avec des notes épicées. En bouche, grimbergen rouge présente un bon équilibre aux saveurs sucrées, amères et légèrement acides, exaltées par des arômes de fruits rouges et d’épices. (depuis avril 2010, grimbergen rouge est disponible exclusivement dans les « cafés français », pubs et bars branchés (1 500 points de vente). Grimbergen, le pouvoir de renaitre Afin de permettre à ses consommateurs de mieux se retrouver dans son univers légendaire, grimbergen renouvèle son identité visuelle et signe « le pouvoir de renaître ». cette nouvelle signature invite le consommateur à entrer dans une expérience gustative unique, ainsi que dans l’univers de l’abbaye porté par son symbole mythique : le phoenix. Nouveau logo, nouveaux packs, nouvelles plv en magasin, verres, sous-bocks, plateaux et tabliers dans les cafés et les bars, le phoenix déploie ses ailes depuis mai 2010. Quant à la nouvelle signature « le pouvoir de renaître », elle est apparue pour la première fois en presse le 11 octobre 2010 dans un format simple page et un autre format événementiel en double page qui permet de conter sur une page la légende de Grimbergen. La nouvelle campagne de publicité* a aussi été dévoilée en affichage entre le 10 et le 16 novembre 2010, et plus particulièrement avec un affichage électroluminescent sur les champs-elysées sur cette même période. La brasserie Kronenbourg (brasseur en alsace depuis 1664). Née au cœur de strasbourg, à la brasserie du canon, brasseries kronenbourg s’installe par la suite dans le quartier de cronenbourg en 1850. s’y trouvent aujourd’hui son siège social, ses services administratifs et son centre de recherche et développement. La production est concentrée à obernai, dans sa brasserie, inaugurée il y a 40 ans. elle produit aujourd’hui une bière sur trois consommée en france, toutes marques confondues*. (source : abf) Premier brasseur de france, brasseries kronenbourg est forte de 346 ans d’histoire et de savoir-faire, de 1250 collaborateurs passionnés et d’un portefeuille de marques exceptionnelles incluant les deux bières françaises leaders, kronenbourg et 1664, auxquelles s’ajoutent grimbergen, carlsberg, guinness, san miguel et kanterbrau.
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Annexe 6 : Capture d’écran des “Cours de création” sur le site de Desperados
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Annexe 7 : Capture d’écran de la “Galerie des bouteilles” sur le site de Desperados
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Annexe 8 : Visuels de la campagne Ricard « Un apéritif, un vrai » (2008)
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Annexe 9 : Communiqué de presse du concours de bièrologie Heineken
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Annexe 10 : Interview de Raphaël Marquenet, créateur du blog Alcooclic
Peux-tu te présenter brièvement et me dire quelques mots sur Alcooclic.com ? Je m’appelle Raphaël Marquenet, je suis Community Manager chez Grand Union, une agence alternative où je m’occupe de clients tels que Casino, Russian Standard Vodka, evian… Alcooclic est un blog spécialisé sur le secteur de l’alcool avec une orientation marketing. On y retrouve les principales opérations de communication des marques d’alcool (lancements produits, opérations interactives, publicités,…). Le site existe depuis 2 ans et demi et je suis plutôt fier du résultat. Qu'est ce qui t'a amené à créer ce blog ? J’ai lancé Alcooclic.com en 2009 car je cherchais une thématique éditoriale peu répandue sur laquelle je pourrais expérimenter mes connaissances dans le monde des blogs. Le secteur de l’alcool m’a semblé intéressant à observer car du fait de la loi Evin, il est nécessaire pour les marques d’être davantage créatives pour pouvoir communiquer. Selon toi, comment la réforme de la loi Evin sur internet en 2009 a-t-elle modifié la stratégie de communication des marques d'alcools ? J’ai lancé mon blog juste avant le passage de la loi mais je n’ai pas l’impression que cela ait changé grand-chose dans la présence des marques d’alcool sur internet. Elles étaient en générales assez frileuses pour s’y mettre et, même si cela vient petit à petit, nombreuses sont celles qui ne s’y aventure pas. Quelles sont pour toi les tendances majeures dans le marketing des alcools et spiritueux ? Est ce que tu remarques des orientations particulières en fonction des types d'alcools ? (bière, whisky, vodka, pastis...) Les marques de bières sont en générales plus agressives et elles n’hésitent pas à prendre des risques vis-à-vis de la loi Evin (ex : Imagine Desperados / 1664 – Les Terrasses Bleues) en organisant des soirées ou en proposant des applications ludiques. Les marques de spiritueux sont quant à elles plus réticentes même si Grant’s ou encore Berger ont proposé des choses intéressantes. Les spiritueux, du fait de degrés d’alcool plus élevés, sont généralement plus surveillées et donc plus frileuses. Quelles sont pour toi les 3 campagnes ou opérations les plus réussies des 2-3 dernières années et pourquoi ? En France, l’opération « Les Terrasses Bleues » organisée par 1664 dans les jardins du Musée Rodin a été une belle réussite en termes de recrutement sur Facebook et de positionnement, même s’ils n’ont pas entièrement réussi à entretenir une relation sur le long terme. L’opération « Imagine Desperados » suivi de la « Desperados Experience » ont plutôt bien fonctionné même si encore une fois la marque n’a pas su voir à long terme et entretenir une relation avec les consommateurs. Les Afterworks Grant’s Live avait également tout pour plaire mais ils n’ont pas assez poussé la notoriété du programme pour vraiment faire un carton.
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Evidemment je ne parle ici que des opérations « communautaires » qui, à mon sens, sont les plus pertinentes à terme, mais en terme de volume on peut évidemment citer la sage Heineken ou les multiples campagnes Absolut. En tant que blogueur quelle relation entretiens tu avec les marques d'alcools ? Comment travaillent-elles leur influence sur Internet tout en restant sur le seuil de la légalité ? Les marques d’alcool me contacte à l’instar des journalistes soit par leur service/agence de presse, soit via des agences spécialisées sur les blogueurs (mais c’est plus rare). Je suis informé des campagnes et nouveautés par email et je décide de relayer ou non l’information en fonction de sa pertinence et de son intérêt. Légalement c’est assez flou, mon blog comporte les mentions légales, je n’incite pas à la consommation et je relaye certaines campagnes de prévention. Tant que l’ANPAA ne se manifeste pas tout va bien. Selon toi comment les marques d'alcool peuvent elles stratégiquement s'intégrer dans le cadre de la prévention des dangers de l'alcool ? Elles l’ont déjà fait avec le programme « 2340 » monté par les lobbys alcooliers, mais cela a été sujet à débat, notamment sur le nombre de verres conseillés par jour (qui était plus élevé que ce que prévois habituellement les programmes de prévention). Je pense qu’il faut laisser la prévention aux pouvoirs publics et les marques d’alcool doivent simplement appliquer ce qui est prévu. Leurs intérêts sont trop forts pour qu’on les implique profondément dans les campagnes de prévention sans en galvauder le contenu. Comment définirais-tu le concept de "culture de marque" ? Quelle marque selon toi a su justement développer une vraie culture ? La culture de marque est la personnalité que l’on va donner à la marque. Une marque est comme une personne, elle peut être sérieuse, drôle, ironique, sympathique… A partir de là chaque marque doit déterminer sa personnalité mais cela prend du temps et doit se traduire dans l’ensemble des actions entreprises. Les marques haut-de-gamme le font généralement assez bien en faisant transparaitre un style et une histoire dans leur communication. Enfin comment vois-tu la communication et le marketing des marques d'alcools dans les dix prochaines années ? Difficile à dire même si je pense que la relation entre les consommateurs et la marque sera devenu primordiale et que les marques qui sauront le mieux fidéliser et interagir avec leurs consommateurs via des stratégies de brand-utility et de community management, prendront l’avantage. Les opérations mobiles (géoloc, réalité augmentée, paiement mobile…) auront également pris beaucoup d’importance mais l’avenir dépendra aussi de la technologie.
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MOT CLES
Alcools Marques Culture Expérience Brand content Loi Evin Créativité Storytelling Responsabilité
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RESUME
Vingt ans après la promulgation de la loi Evin, les marques d’alcool ont développé une
communication spécifique pour continuer à développer leur notoriété et construire leurs
relations aux consommateurs malgré un cadre législatif très contraignant. La loi a ainsi
paradoxalement encouragé une très grande créativité de ces dernières qui se sont attaché à
faire appel au storytelling, aux symboles, à la création artistique, à l’expérientiel ou encore à
la création de contenus et à la prévention comme autant de procédés capables de contribuer à
la constitution d’une véritable culture de marque. Cette culture de marque désigne le
patrimoine matériel et immatériel qui fait aujourd’hui d’une marque un agent culturel à part
entière, utile à la société et à ses consommateurs. La communication digitale est aujourd’hui
la principale limite mais aussi la plus grande perspective de développement pour les marques
d’alcool.