LA SENSATION SYMBOLIQUE CHEZ PAUL ELUARD by MARTIN ...

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LA SENSATION SYMBOLIQUE CHEZ PAUL ELUARD ... by MARTIN, Marie-Âgathe, B.P. ,B.A. A the sis submitted to the Faculty àf Graduate Studies and Research MaGill University, in partial fulfilment of the requirements for the degree of Master of Arts Department of French Language and Literature , r CV Marie-Agathe Martin 1969 April 1969

Transcript of LA SENSATION SYMBOLIQUE CHEZ PAUL ELUARD by MARTIN ...

LA SENSATION SYMBOLIQUE CHEZ PAUL ELUARD

... by

MARTIN, Marie-Âgathe, B.P. ,B.A.

A the sis submitted to

the Faculty àf Graduate Studies and Research MaGill University,

in partial fulfilment of the requirements for the degree of

Master of Arts

Department of French Language and Literature

, r CV Marie-Agathe Martin 1969

April 1969

Marie-Agathe Martin

LA SENSATION SYMBOLIQUE CHEZ PAUL ELUARD

Dep~Ftment of French Language and Literature

Master of Arts

BREF RESUME DE LA THESE

Cette thèse a pour.but de décrire les diverses modali­

tés de la sensation chez Paul Eluard et de relever leurs im-

plications symboliques.

La première partie étudie la mise à contribution de

l'activité sensorielle chez le poète, c'est-à-dire l'utili­

sation qu'il fait des cinq sens, le rôle qu'il leur accorde,

ainsi que les notions symboliques que lui inspirent les dif­

férents sens.

La seconde partie tente de définir les ·objetsauxquels

s'attachent symboliquement les sens. Les trois règnes de la

nature et les quatre éléments sont pour Eluard des prétextes

à l'effusion pure dans une nature transfigurée.

En conclusion, un bref historique de la notion de ré­

versibilité poétique montre comment elle arrive à maturité,

chez Eluard, grâce à une. poésie fondée sur l'exaltation du

sensible.

TABLE DES MAT IEBES .

INTRODUCTION.......................................... l

PBEMIERE PARTIE LA SENSATION CHEZ PAUL ELUARD •••••••••••••••••••

Chapitre premier , 1 Il f lt ' d ." Primaute de a _: acu e pure e vo~r •••••••••••

Chapitre deuxième La sensibilité tactile ••••••••••••••••••••••••••

Chapitre troisième Le sens de l'ou!e ••••••••••••••••••••••••••• ~ •••

Chapitre quatrième L'odorat et le goftt ••••••• ~ •••••••••••••••••••••

Conclusion ......................................... .

DEUXIEME PARTIE

13

15

37

50

60

66

L' IMAGINAT ION SyMBOLIQUE •••••••••••••• $ • • • • • • • •• 6,8

Chapitre premier Les objets de' la fusion symbolique.............. 70

Le règne minéral ......................... '. • • • • 71 Le règne végétal ••••••••••••••••••••••••••••• 74 Le règne animal.............................. 78 Les quatre éléments •••••••••••••••••••••••••• 81

Chapitre second La naturé de la fusion symbolique ••••••••••••••• 84

Conclusion ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 86

CONCLUS ION •• Il'. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 88

BIBLIOGRAPHIE ••••••••••••••••••••••• 0 •• 0 0 • • • • • • • • • • • • • 95

INTRODUCTION

Paul Eluard, qui do~t sa renommée au mouvement surréaliste,

consacra sa vie a la poésie. Le langage exe~çait une véri­

table séduction sur sa sensibilité, et c'est avec l'enthou­

siasme des grandes découvertes intérieures qu'adolescent en-- ,

core, il se nourrit de l'oeuvre de ses devanciers. Peu de

surréalistes connaissaient mieux la 'poésie -du passé, ses nom­

breuses anthologies le prouvent'. Car si elles ne sont pas

dénuées'de parti-pris (Eluard, par exemple, n~y inolut au­

cun poème de Lamartine), elles supposent une interprétation

très personnelle de l'histoire littéraire. Des oeuvres com­

me Poésie involontaire et poésie intentionnelle, Première

anthologie vivante de la poésie du passé et Le meilleur choix

~de poèmes est celui gue l'on fait pour soi sont préCieuses:

elles ont l'utilité de dégager la tradition poétique dans le

prolongement de laquelle Eluard lui-même s'inscrit.

Sans doute, tout choix entraine une marge d'approximation,

mais, ala lecture de ces recueils, le critique reste frap­

pé par la qualité formelle des textes choisis. Un réseau de

liens vivants relie alors cette poéSie du passé à la produc-

tion de l'auteur, l'histoire fossilisée s'illumine et re­

prend vie.

2

Le point de vue D'Eluard n'est pas oelui d'un critique qui

s'entoure de toutes les précautions visant à la rigueur de

l'analyse. Il veut être plutôt l'amateur éclairé qui trans­

met au leoteur ses préférences personnelles. Par là, il se

révèle. Le lecteur se devine en présence d'un poète pour

qui l'histoire littéraire n' est pas une nomenclature de cé~\~t

lébrités, ni un catalogue de tendances, mais la· rencontre

d'oeuvres belles et inspiratrices ••• C'est en artiste qu'E­

luard se tourne vers la poésie du passé et il ne retie~t

d'elle que ce qui .suscite son propre enthousiasme créateur.

D'ailleurs, et là se .reconna1t bien le poète, son respect

pour le langage lui-m~me le préserve de tout dogmatisme.

Sa coœaissance des oeuvres n.'est jamais une science livres-J_> •

que et l'histoire ne détient aucune exclusivité d'inspira-

tion:

"Les véritables poètes n'ont jamais cru que la p()ésie leue appartint en propre." 1

"Peu importe celui qui parle et peu importe même ce qu'il dit, Le langage est commun à tous les hommes ••• " 2

"La liberté absolue de la parole", voilà ce qu'il importe :~.i

d'honorer avant tout. Et toute parOle est précieuse pour.

1. Paul Eluard, Poésie involontaire et poésie intentionnelle, Paris, Seghers, 1963, p. 13.

2. !!!,!g., p. 14.

3

Eluard, car elle participe intimement au cycle de la créa­

tion poétique. Il s'agit d'être atten~if à toutes les mani­

festations du langage et, comme le Rimbaud des Illuminations,

qui aimait la "littérature démodéeUet les "enluminures po­

pulaires", Eluard se penche sur les multiples formes de l'ex-)

pression pour en tirer une matière sensible. Doà son intérêt

pour les 'proverbes, les lieux communs, les chansons naives

et c~tte entreprise de·la petite revue Proverbe où il veut

rendre aux expressions populaires tout leur pouvoir d'éton-

nement.

,Telle est la puissance de la poésie: elle opère une recréa­

tion du monde par le langage. L'expérience poétique entrai­

'ne la destruction du réel et vise à sa reconstruction par

s~thèse: synthèse fécondée par l'imagination de la nature,

fusion de la vision symbolique et de l'univers sensible.

Le poète baigne dans le milieu concret qui l'entoure, son

moi est projeté au coeur du monde et sa poésie s'élabore à

même la sensation:

"Le poète ne peut se déprendre des choses. Il ne le faut pas s'il veut rester poète ••• Seuls le goftt de la chair et un attachement voluptueux à ses sensa­tions lui permettront d'ensemencer sa mémoire et de préparer dans le silence la moisson d'images qui peupleront son oeuvre." 3

La poésie réclame une véritable attention face au réel. Lu-

mière, sons, saveurs, contacts, odeurs, rien de ce qui com-

3. Marcel Raymond, De Baudelaire au surréalisme, Paris, Li­brairie José Corti, 1947, p. 43.

...

~) pose la trame sensible du monde ne doit rester étranger au

poète. 'L~oeuvre n'a pas une naissance absolue et même à

l'occasion de l'automatisme le plus strict, elle plonge.

loin' ses racines dans l'~ndividualité du créatellr •.

4

Par la sensation, l'univers se fait plein et tactile, il li­

vre son visage charnel, et libre d'oeuvrer, l'imagination . .

poéti.que s'emp~e des données sensorielles, métamorphose la

perception, et recompose au moi un second univers plus beau

que le premier.

Al.ors, comme le disait Cézanne, "la nature est à l'intérieur".

Et ne compte plus, pour l'artiste, que cette nature au se­

cond degré dont finalement, à travers les jeux obscurs de

l'imagination. l'oeuvre sourd:

"Qualité, lumière, couleur, profondeur, qui sont là­bas devant nous, n'y sont que parce qu'elles éveil­lent un écho dans notre corps, parce qu'il leur fait accueilo Cet éqUivalent interne, cette formule char­nelle de leur présence que les choses suscitent en moi, pourquoi à leur tour ne susciteraient-ils pas un tracé?" 4

Ce tracé, cette oeuvre qui jaillit des couches souterraines

de l'être, les surréalistes aussi les ont cherchés. Mais

ils attendaient l'aura que leur promettaient l'automatisme

psychique et l'exploitation du rêve. Paré de toutes les ver­

tus, l'inconscient ouvrait toutes les portes. En effet,

Freud venait de publier ses théories et une guerre terrible

4. Maurice Merleau-Ponty, L'oeil et l'esprit, Paris, Galli­mard, 1964, p. 78.

5

se terminait; pour cette jeunesse échappée au massaore, le

rationalisme et l'ordre social bourgeois étaient périmés •••

Si le mouvement surréaliste. reçut une aussi large audience,

c'est qu'il sut répondre aux attentes de l'époque par une

organisation exemplaire. Le surréalisme faisait un grand u­

sage de la propagande, les manifestations collectives, les

scandales publics, les·esolandres volontairement subversifs

se succédaient, et André Breton érigèait la révolte en ab-

solu:

"On conçoit que le surréalisme n'ait pas peur de se faire un dogme de la révolte absolue-, de l' insoumis­sion totale, du sabotage en règle, et qu'il n'atten­de rien que de la violence." 5

Mais, somme toute, ce fut bien théorique, les actes de vio­

lence étaient peu f~équents: la véritable insurrection ppé­

rée par le surréalisme, elle est du domaine des idées. Le

scandale était l'affirmation d'une liberté que l'irration­

nel et l'incohérence logique répandaient à profusion dans

le langage. Désormais on pouvait parler une langue neuve.'et

pratiquer une forme d'écriture dégagée des buts utilitaires,

affranchie du contrôle exercé par les impératifs moraux ou

esthétiques:

"C'est là une véritable révolution. D'abord poétique, parce qu'elle nie la poéSie en la dépassant, L'arran­gement en poème est banni pour faire. place au texte

5. André Breton, Manifestes du surréalisme, Oollection Idées, Faris, Gallimard, 1963, p. 78

)

6

automatique, à la dictée de rêve. Nul souci d'art, de recherche de la beauté. Ce sont là de piètres fins, . :i.ndignes qu'on s'y attache." 6

André Breton est formel sur ce point: le surréalisme n'est.

pas une théorie littéraire ou esthétique" mais une méthode

expérimentale destinée à rendre à la pensée sa pureté ori­

ginelle; et il reprend, avec de multiples variations, le

thème de Jacques Vaché: nl'art est une sottise". Alors, af­

firme t-i:j., le surréaliste s'adonne à l'écriture automatique

avec nun louable mépris de ce qui pourrait s'ensui-vre lit-

rairementn• 7

En fait, les choses n'allèrent pas tout à fait ainsi ••• Ac­

cordé à l'instinct de mystification pour lequel l'insolite,

la culture d~ fantastique et les effets de surprise entrai­

naient une véritable tlfièvre de l'apparition", naissait un

désir de l'image pure. L'état hallucinatoire étant l'état

suprême, le merveilleux, la magie et le mystère substitu­

aient leurs arcanes à la réalité. Bientôt, visions et ordre

réel, illusions et phénomènes concrets, ne se distinguèrent

plus; le monde extérieur, menacé par le refus des évidences

sensibles ou intellectuelles, disparut, emporté par la vio­

lence de l'activité imaginaire:

6. Maurice Nadeau, Histoire du surréalisme, Tome l, Faris, Seuil, 1946, p. 33.

7. André Breton, Manifestes du surréalisme, Faris, Gallimard, 1963, p. 34.

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)

7

"Le vice appelé surréalisme est l'emploi déréglé et ~~ssionnel,du stupéfiant image." 8

Ainsi, en même temps que ~e surréalisme retient la dimen­

sion'imageante du langage, sombre le principe de contradic­

tion: l'identification est consommée entre le subjectif et

l'objectif. Le poète, au sein de son univers surréel, peut

prétendre se consacrer à la rec~erche illusoire de ce point

ésotérique où les contraires sont 'abolis.

De même, la'sensatio~, libérée de la logique, peut croire

à une nouvelle pureté. Telle fut la leçon de Reverdy:

"Si les sens approuvent totalement l'image, ils la tuent dans l'esprit." 9

Toute certitude est donc,suspecte. L'invention imaginaire

opère une substitution arbitraire des différentes sensations,

donnant naissance ainsi à une poéSie explosive insoupçonnée.

On aboutit à des associations-chocs qui décuplent l'intensi­

té et la qualité des notations sensibles, dans ce qu'elles

ont d'insolite.

C'est oette dernière tâche èu surréalisme que Paul Eluard

se 'pla1t à retenir: la libération des sens par l'emprise de

la fonction imaginaire sur la vie réglée. Dans cette inten~

tion, poètes et peintres sont unis et par leur effort commun

s'accomplira la réconciliation entre la réalité et les fic-

8. Louis Aragon, Le paysan de Paris, Paris, Gallimard, 1935, , p. 83.

9. Pierre Reverdy, Le gant de crin, Paris, Gallimard, 1927, P·32.

.•

)

8

tions de l'esprit:

"Les peintres surréalistes, qui sont ères poètes, ,pen­sent toujours à autre chose ••• Ils poursuivent le mê­me effort pour libérer la,.vision, pour j1lindre l' ima-

. gination à la nature, pour considérer tout ce qui est possible comme réel, pour montrer qu'il n'y a pas de dualism~ entre l'imagination et la réalité,. que tout ce que l'esprit de l'homme peut concevoir et créer provient de la même veine, est de la même matière que sa chair, que son sang et que le monde'qui l 'entoure. Il 10

Fictive ou non, cette mystérieuse unité de l'homme et du mon-

de était bien faite pour 'séduire Eluard. Cependant, tout,

dans la nouvelle morale surréaliste, ne devait pas co~venir

à son esprit idéaliste. Les cruautés de l'humour noir et les

invectives outrageantes de ses congénères, par exemple, il

les tolère, sans plus. S'il participe à l'action politique,

c'est plus par souci de fraternité socialiste que par arrêt

révolutionnaire anti-bourgeGlis. Enfin,'la rupture que l'é­

criture automatique accomplit avec toute préoccupation es­

thétique, Eluard la rejette: il tente bien l'expérience de

la dictée de l'inconscient, mais le rêve l'attire bien da­

vantage à cause de sa prise directe sur le merveilleux, et

le poème conserve toujours une émouvante beauté dont la re­

cherche formelle est garante •. D·où ce jugement péremptoire

du pontifiant Breton:

"La participation d'Eluard à l'activité commune, si constante soit-elle, ne va sans doute pas sans réti­cences: entre le surréalisme et la poésie au sens

10. Paul Eluard, "L'évidence poétique", in Le poète et son ombre, Paris, Seghers, 1963, p. 191.

9

. .

tradi tionne·l du terme, c' est trè s vraisemblablement cette dernière qui lui appara1t comme une fin, ce qui -du~pointde vue surréa.liste-·constitue l'hérésie ma­j~ur~." 11

Mais malgré le crèdo limitatif qu'il lui accorde et sa posi-. .

tion.personnelle au sein du mouvement, Eluard trouve vrai-

ment, dans le surréalisme, une inspir~tion propre à la met­

tre en possession de sa perso~alité. Dès lors, il peut af-"./ ,

firmer avec plus de conviotion que "la poésie n'imite rien •••

Elle invente, elle crée. Elle détruit."12 et il peut se li­

vrer avec exubérance aux jeux fertiles de l'imagination.

Certes, sa conception .de la poésie n'en reste pas moins per­

sonnelle. Le poète, pense t-il, doit se dépouiller de toute

intention utilitaire du langage pour se présenter "pur" de­

vant les mots. Aussi la création d',un nouveau langage poéti­

que ramène't-elle aux sources de l'inspiration:

"Le poète est celui ~ui inspire bien plus que celui qui est inspiré. Les poemes ont toujours de ~randes marges blanches, de grandes marges de silence ou la mémoire ardente se consume pour recréer un délire sans passé. ',Leur principale qualité est"non pas, je le répète, d'invoquer, mais d 1 inspirer'~" 13

De plus, le poète n'est un être privilégié, doué d'une "in­

telligence particulière"-, ou inspiré des dieux: il fait par­

tie de la famille humaine. Sa voix n'est que plus exercée,

Il. André Breton, Entretiens avec A. Parinaud, Paris, Galli­mard, 1952, pp. 105-106.

12. Paul Eluard, Le poète et son ombre, Paris, Seghers, 1963, p. 106.

13. Paul Eluard, Donner à voir, Paris, Gallimard, 1939, p. 81.

~ y

10

car il 's'applique à l'élaboration Uintentionnellett de la poé­

sie. Il s'applique ainsi, patiemment, à l'invention d'un

langage que la voix la plus anonyme au sein de la foule fait

na1tre spontanément:

,

tt-Commère, ~'ai bien vu: J'ai VU une anguille Qui coiffait sa fille Au haut d'un clocher -Commère~ j'ai bien vu J'ai vu une mouche

. Qui s'rinçai'li -la bouche Avec un pavé" 14, .

Cette ba:nale poésie "involontaire", nous l'avons trop igno-

rée:

"Le poè te, à l' affftt. de s· , obscure s nouvelle s du monde, nous rend les délices' du langage le plus pur, celui de l'homme de la rue et du sage, de la femme, de l'en-fant et du fou.. ~I 15 .

Voilà pourquoi la poésie personnelle est odieuse et consti­

tue un malentendu quand elle s'idolâtre. Tous les hommes ont

le pouvoir de libérer les mots de leur fin utilitaire et les

poètes ne peuvent oublier que leur tâche n'est rien de moins

qu'humaine. Ils sont liés indissolublement à l'humanité et

leur oeu~e, à travers l'apport des circonstances, est le

témoignage de leur vocation d'homme:

"Le temps est venu où les poètes ont le droit et le devoir d'affirmer qu" ils sont profondément enfoncés dans la vie des autres hommes, dans la vie commune." 16

14. Chanson enfantine citée par Paul Eluard, in Poésie invo­lontaire et poésie intentionnelle, Paris, Seghers, 1963, p. 30.

15. Ibid., p. 15.

16. Paul E1uard, Donner à voir, Paris, Gallimard, 1939, p. 79.

)

Il

Ainsi, enracinée dàns la vie commune qui est réalité sensi­

ble, la poésie n'est jamais une jonglerie abstraite.

Rien n'est moins acoeptable, en effet, que la "poétisation",

cet exercice futile où les mots s'engendrent au hasard, sans

aucune nécessité, sans participation réelle de la'part du

poète. A l'instar de Mallarmé, les poètes doivent être sen­

sibles à cette "chair des mot Sil , mais sans oublier le pre­

mier devoir de vivre, sans quoi la poésie est vouée à la va­

cuité: car la ,création purement intellectuelle est un acte

de désertion:

"On a dit que partir des mots et de leurs'rapports . pour étudier soientifiquement le monde, ce n'est pas

notre droit, c' est not're devoir. Il aurait fallu a~ jouter que ce 0 devoir est:'celui même d.e vivre, non pas à la manière de ceux qui'portent leur mort .. en eux, et qui sont déjà de,s murw ou des "vides, lIl8:is. en faisant corps avec l'univers, avec l'univers en-mouvement, en devenir." 17 ' " '

Cette exigenc,e éluardienne "d '':1Ile po'ésie fondée sur le con~

cret, qui se développe jusqu'au sensuel,nQus a semblé être

le ferment de l'oeuvre. Les manifest~tions sens~bles appor­

tent au poète de Donner à voir l'inspiration constante qui,

alimente le travail créateur.

Décrire les diverses modalités de la sensation chez Eluard

et relever leurs conséquences poétiques, tel est le but du

présent travail.

17. Paul Eluard, Conférence à l'exposition surréaliste de 1937, in Maurice Nadeau, Histoire du surréalisme, Tome 1, Paris, Seuil, 1945, p. 237.

·' .....

12

Notre mémoire se propose d'étudier, en premiér lieu, la mise

à contribution de l'activité sensorielle ,chez le poète: c'est-

........ , ... .. ,::",." ~~~ire l'utilisation qu'il fait des cinq ~ens, le rôla qu'il ',. "

.. ..' . leur'àcoôrde, ainsi que les notions symboliques que lui ins-

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PREMIEBE PARTIE

LA SENSATION OHEZ PAUL ELUARD

Le surréalisme, en réduisant le plus possible l'aspect ra­

tionnel de la démarche créatrice, mettait l'accent sur les

ressources de l'imagination.

Oelle-ci se nourrit des données sensibles qu'elle assim~le;

elle les transforme et les utilise lors de la créatiottipoé­

tique. Aussi, la sensa.tion est-elle, pour Eluard, la "mise

au concret" du chant poétique:

"Tout est au poète objet à sensations et, par consé­quent, à sentiments. Tout le concret devient a.lors l'objet de son imagination et l'espoir, le désespoir passent, avec les sensations et le~ sentiments, au concret." 18

Le poète, inséparable de l'apport immédiat de ses sens, est

le sujet sensible du monde: "l'univers le hante",19 écrit­

il dans Donner à voir. Aussi le chant éluardien, chaleureux,

vribrant de cette hantise, fait-il germer l'imaginaire à

mame le réel. Aucun sens n'est négligé dans cette oeuvre, au

contraire; les multiples variations sur le thème des sens,

18. Paul Eluard, Donner à voir, Paris, Gallimard, 1939, p. 81.

19. Ibid., p. 73.

14

que module le poète, révèlent' la ppofondeur et l'étendue de

son pouvoir de réceptivité. Celui-ci permet d'user des mots

avec une fralcheur o~iginale: libérée de fins intellectuel­

les ou d'intentions psychologiques, la poésie éluardienne,

loin d':être utilitaire, est remarquable par sa grattiii;é.

Pleine, nourrie, elle se développe à partir de la perception

originelle par la vertu d'une impérieuse nécessité interne:

"Les idées, les images, les sentiments, la couleur des mots, l'articulation du poème, tout procède la plu­part du temps, chez Eluard, d'un ·~ppel immédiat à la sensation." 20

Par l'intermédiaire de la vue, de l'odorat, de l'ouie, du

goftt et du toucher, le poète se rend, en effet, l'univers

sensible et perméable: une osmose essentielle s'établit en­

tre l'univers et le poète.

Chez Eluard, l'activité sensorielle est une tentative de

communion charnelle: ce besoin de communication avec les ê-

tres et le monde détermine le rôle fondamental des sensa­

tions dans la poétique éluardienne:

"Ne peux-tu donc prendre les vagues Dont les barques sont les amandes Dans ta paume chaude et câline Ou dans les boucles de ta tête?" 21

20. Louis Perche, Eluard, Collection Classiques du XXe siè­cle, Paris, Editions universitaires, 1963, p. 47.

21. Paul Eluard, Capitale de la douleur, Paris, Gallimard, 1926, p. 71.

Chapitre premier

Primauté de la "faculté pure de voir"

Pa~ Eluard, l'oeil est l'organe privilégié de la communion

sensible et.la vue semble être la sensation originelle d'où

émergent tous les phénomènes de la connaissance. Sa poésie

trahit sans cesse une intense préoccupation visuelle. Ce thè­

me, qui apparaît régulièrement tout au long.de l'oeuvre, a

inspiré plusieurs titres significatifs: Les yeux fertiles

(1936), Double d'ombre (1945), Objet des mots et des images

(1946), Voir (1948), Perspectives (1948), A l'intérieur de

la vUe, huit poèmes visibles (1948). Ces titres font tous

appel directement à la vision.

D'ailleurs l'amitié d'Eluard pour les pei~tres est connue •••

Des poèmes composés à leur intention ou inspirés de leurs

oeuvres et de l'anthologie des écrits sur l'art aux commen­

taires d'exposition et aux éloges.d'amis, cette passion de

la peinture ne se dément jamais. Certes, en cela Eluard est

bien surréaliste. La peinture, pour lui, doit affranchir la

vision, libérer l'art des servitudes conventionnelles et

faire surgir une nouvelle image de la réalité, pour la .. plus

grande joie des sens. D'où le nom de "frères voyants" qU'ili::

)

16

donne aux peintres:

"On nommait autrefois "frères voyants" au Quinze­Vingts, les hommes non aveugles mariés à des femmes aveugles. Une fraternité semblable unit les peintres aux individus qui sont sinon atteints de cécité men­tale, sont du moins incapables trop souvent de pro­fiter du sens de la vue." 22

Le peintre voit ce que le commun des gens n'a jamais vu, et

c'est là le signe de sa valeur. Il triture l'image fonction­

nelle des choses, appréhende la réalité en y mêlant l'imagi­

naire et "donne à voir" un monde vi~rge. Il n'est que de li­

re quelques commentaires d'Eluard sur l'oeuvre de ses amis

peintres: la sensation, pense t-il, est au coeur de l'expé­

rience artistique et elle la justifie. De Picasso il écrit:

"Cet homme tenait en mains la clef fragile du problè­me de la réalité. Il s'agissait pour lui de voir ce qui voit, de libérer la vision et d'atteindre à la voyance. Il y est parvenu." 23

De même il dit d'André Masson:

"André lVlasson, dévoué au mieux, levait l'interdit pe­sant sur la vision que le premier venu devrait avoir du monde." 24

O'est aussi la qualité qu'il apprécie chez Max Ernst:

"Max Ernst s'est mêlé, s'est identifj.é à ce qu' il nous montre. En portant sa vue au-delà de cette réalité insensible à laquelle on voudrait que nous nous rési­gnions, iili nous fait entrer de ~lain pied dans un mon­de où nous consentons à tout, ou rien n'est incompré­hensibleo" 25

22. Paul Eluard, Le poète et son ombre, Paris, Seghers, 1963, p. 91.

23. Paul Eluard, Donner à voir, Paris, Gallimard, 1939, p. 96.

24. Ibid., p. 103.

25. Ibid., p. 98.

17

Cette attitude d'Eluard devant la production des artistes

est fort instructive. Dans cette revendication d'innocence

devant le ~pectacle du monde, iL's,'agit finalement d'un ju­

gement personnel porté sur la création artistique: l'oeuvre

d'art, pour atteindre son efficàcité, doit pouvoir rendre à

la sensation ,sa pUreté primitive. L'artiste est au monde . pour délivrer tous les, ,spectacles, pour rendre sensibles

toutes les merveilles; le regard neuf, qu'il projette sur

les choses, les soustrait au ~ègne de l'habitude et institue

une nouvelle souveraineté, celle de la magie.

Il n'est donc pas étonnant de trouver sous le titre de "Don-

.!].er à voir" tout l'art poétique d'Eluard; la poésie en acte~

celle que les 'rêves et le fantastique hallucinatoire font

sourdre, et la poésie en principes, cette "physique de la

poésie" et cette "évidence poétique" qu'impose la vie sen­

sible à 'l'homme. Du reste, la première pièce du recueil, re­

prise de La pyramide humaine, retrace cette étrange aventure

de poète qui réapprend à voir: plus rien n.'est ressemblant,

dans le monde qui l'entoure, et les miroirs sont inutiles,

car la réalité débile est remplacé'e par la puissante vertu

de l'imaginaire:

"Je fus tenté ensuite par un mystère où les formes ne jouent aucun rôle. Curieux d'un ciel décoloré d'où les oiseaux et les nuages sont bannis. Je devins es­clave de la faculté pure de voir, esclave de mes yeux irréels et vierges, ignorants du monde et d'eux-mêmes, :Puissance tranquille, Je supprimai le visible e't l'in-

visible,. je me perdis dans un miroir sans tain. In­destructible, je n'étais pas aveugle." 26

18

Le regard poétiq.ue, en m31an.t le visible· et l'invisible, o­

père la transmutation des apparences extérieures. ,J

Toutes les ca.t~gorie~ du visible sont présentes dans l'oeu­

vre d'Eluard: formes, couleurs, lieux, objets, mouvementset

lumières composent·le fond de scène oà il se meut, mais le

regard qu'il projette sur eux les dépouille de leurs carac~

tères usuels.

Ainsi lorsqu'il évoque les formes dans ses poèmes, il ne dé­

crit pas, il ~appelle les caractéristiques formelles de cer­

tains objets et il en use avec une très grande liberté, en

les appliquant métaphoriquement à d'autres objets:

"Je sais aussi que les nuages la gorge lourde et basse Courbent des for3ts vierges sur des mares de mousse Que l'oçéan bouge comme. un cerceau qui tombe." 27

Il en résulte une poésie évocatoire et sensible, où l'imagi­

naire, nourri de la réalité concrète, s'impose à l'esprit a­

vec plus de force. Il reste que le poète opère une sélection:

la sensibilité d'Eluard semble plus immédiatement perméable

aux formes rondes ou courbes qu'aux lignes droites ou aux

structures anguleuses. Les images tirées des premières, plus

nombreuses et plus convainquantes, annoncent l'accord pro-

26. Ibid., p. 11.

27. eut-elle publique

fond de la sensibilité: ~

"Les joncs cambrés aux regards liSses" 28

"La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur Un rond de danse et de douceur; '. Auréole du temps, berçeau noctUrne et 'sar ••• " 29

Est-ce prédomt:panoe du monde féminin de'l'orbe opposé au ,

,monde structuràl~sculin? Eluard,chantre. de l'amour, a

19

exalté la femme·,';; i~,t des. rappels de la présence féminine sil-l :;~ •

lonnent son oeuvre. Ainsi, jamais les couleurs n'ont autant

d'abondance que lorsqu'elles sont rattachées au cycle cha­

leureux de l'amour:

"Dans cette vaporeuse région, dans ces espaces irisées par les fées, tu viens vers moi, large et généreuse, rose et rouge, mauve et violette sous les dehors de ta blancheur." 30

On p,eut parler d'une véri table sensualité chromatique chez

Paul Eluard. La couleur s'offre constamment;

"Le dernier chant s'est abattu Sur la ê'ampagne informe et noire Solitude aux hanches étroites ••• " 31

Notons aussi: "couleurs et tout est vif qui m' O'lvre grands

les yeux." 32

28. Ibid., (Cours naturel), p. 244.

29. Paul Eluard, Capitale de la douleur, Paris, Gallimard, 1926, p. 134.

30. Paul Eluard, Choix de poèmes, (A l'intérieur de la vue), Paris, Gallimard, 1951, p. 344.

31. Ibid., (Le livre ouvert 1), pp. 243-244.

32. Ibid., (Une leçon de morale), p. 387.

~.

20

Eluard aime les masses colorées crues, fortes, qui prennent

l'oeil, comme.celles que les peintres fauves prenaient plai­

sir à allier:

"L'arbre d'émail roux et blanc ••• " 33

"Les champs roses verts et. jaunes S ont des inse'ctes éclatants" 34

Il aime aussi, à l'exemple des peintres, se jouer des ~on-

ventions dans le maniement verbal des couleurs; comme eux,

il déplace des surfaoes colorées, 'liées originellement à

des objets précis, vers d'autre.s objets qu'elles caractéri­

sent. Il s'ensuit un effet de surprise qu'il affectionne et

qui rédonne aux sensations visuelles un pouvoir d'étonnement'

accru:

nC 'est par une nuit comme celle-ci que j'ai cueillj. sur la verdure perpendiculaire des framboises blan­ches comme du lait." 35

Cette transmutation des qualités visuelles, Eluard la prati­

que avec honheur et particulièrement dans le domaine des cou­

leurs, il prend des libertés qui confèrent à sa poésie une

remarquable aisance:

33.

34.

35.

36.

"Un visage amer De lait pur de miel noir Confit dans la fièvre Gelé de misère" 36

Ibid. , (La livre ouvert Il), p. 265.

Ibid. , (Le livre ouvert 1), p. 248.

Ibid., (La pyramide humaine), p. 84.

Ibid~ , (Chanson complète), p. 224.

Certains vers arrivent alors à créer un effe~ insolite qui

fascine l'imagination; ils se fixent dans la mémoire. Té­

moin ce vers célèbre de. L'amour la poésie: "La terre est

bleue comme une orange"-37 lequel frappe l'esprit à cause

de l'illogisme sensoriel qui envahit la conscience. De mê­

me, le poème "Liberté" s.lest imposé à la postérité. A tra­

vers le retour obsessionnel de la forme litanique, Eluard

21

y fait montre d'un extraordinaire sens visuel. Dans ce poè­

me, le geste d'écrire, toujours le même, ae reproduit dans

sa permanence, mais les lieux auxquels il est destiné va-

rient, de concrets, ils deviennent imaginaires, et le lec­

teur est envoftté par· ce geste imperturbable qui ne peut fi­

nalement atteindre sa destination:

"Sur tous mes chiffons d'azur Sur l'étang soleil moisi Sur le lac lune vivante J'écris ton nom" 38

Eluard possède un sens physique de l'espace qui le situe

fortement: surface, étendue et directions lui sont extrême­

ment sensibles. S'inspirant timidement de l'humour noir:

"La cellule du prisonnier Qui n'était pas trop grande pour une araignée" 39

••• ou usant de la réversibilité chère aux surréalistes:

37. Paul Eluard, L'amour la poésie, Paris, Gallimard, 1929, p. 17.

38. Paul Eluard, Choix de poèmes, (poésie et vérité 42), Paris, Gallimard, 1951, p. 274.

39. Ibid., (Le livre ouvert 1), p. 247.

22

"Un rat est sur le toit un oiseau dans la cave" 40

••• il recrée de façon étonnamment concrète la dimension des

lieux et la situation des. objets, car l'éffet de surprise obte­

nu accuse l'acuité de la sensation spatiale. Il sait aussi

rendre, dans tout son réalisme, la ville qui l'entoure, dé­

crire l'aspect des rues et des maisons:

"Rue grise·, boulangerie dédorée cafés froids Bouches amères fronts fermés Et trois passants pressés de rentrer au logis" 41

"Il Y a de la· graisse au plafond De la salive sur les vitres La lumière est horrible" 42

Cette première impression visuelle des lieux, elle se com­

plète par un symbolisme subtil: ·à force d'être sensibles,

certaines portions de l'espace deviennent significatives;

ainsi, routes, fenêtres et déserts composent, parmi d'au­

tres objets, une série de lieux-signes. Le désert figure la

solitude du poète après la mort de Nush:

"La vie soudain horriblement N'est plus à la ~esure du temps Mon désert contredit l'espace Désert pauvre désert livide De ma morte que j'enVie" 43

La fenêtre est signe de libération pure:

40. Ibid., (Une leçon de morale), p. 388.

41. Ibid., (Foèmes politiques), p. 361.

42. Paul Eluard, La jarre peut-elle être plus belle que l'eau?, (Les yeux fertiles), Paris, Gallimard, 1951, p. 187.

43. Faul Eluard, Derniers poèmes d'amour, (Le temps débor­de), Faris, Seghers, 1962, p. 65.

"C'est par la fenêtre que l'on sort Prisonnier c'est· par la fenêtre Que l'on gagne un autre monde" 44

23

tandis que la route est espoir de communion:

"Tll tends ton front comme une . route Où rien ne me fait trébucher" 45

Si les lieux deviennent symboliques, c'est que la nature,

pour Eluard, participe étroitement à la destinée humaine:

l'homme et l'espace ambiant, confondus dans l'activité sen­

sorielle, se voient intimement liés:

"Le ciel pesait coulait en moi P sr mille graine de blé vif La verdure tremblait dans mon sang prisonnier" 46

Ce goat de la nature, du monde extérieur et des objets, on

le retrouve à chaque page du poète. Collectionneur de car­

tes postales, il aime décrire les trouvailles de cej;te "pe­

tite monnaie de l'art et de la poésie", et quand il reproche

aux prqducteurs leur manque d'imaginat~on dans l'illustra­

tion des fleurs, il exprime avant tout sa propre exubérance

visuelle:

44.

"Il semble redoutable aux conservateurs jaloux de la médiocrité populaire d'ouvrir de jardin· furibond, fé­érique, où poussent l'anémone pulsatile, le. campanule miroir de Vénus, la gueule de loup, la marguerite bleue, l'oeillet de poète géant, la capucine coccinée,

l'eau?, p. 300.

ue 1951,

45. Paul Eluard, Poésie ininterrompue 11, Paris, Gallimard, 1953, p. 82.

46. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Léda), Paris, Gallimard, 1951, P. 367.

la' capucine caméléon ••• · -d,' ouvrir ce jardin féérique où poussent toute~ les fleurs qui baptisent des vi­sions." 47

24

Les fleurs .lui·.servent donc à voir et à tirer jouissance de

sa vision. Il y a, chez Eluard, une vOlupté certaine engen­

drée parla contemplation des objets. Cette contemplation ..

du po~te est d'ailleurs la destination des choses:

"Un bel arbre les jours d'ennui Est un appareil visionnaire" 48

'Ce plaisir. des sens et cette délectation du visible expli­

quent l'abondance et la beauté de ces poèmes où Eluard pra­

tique ce que l r on pourrait appeler la "voyance pure": au

seul nom d'un objet surgissent soudain d'autres objets ima-·

ginnires et ces multiples apparitions se conjuguent avec

bonheur:

"Capucine rideau· de sable Bergamote berceau· de miel Renoncule théâtre blanc Pamplemousse l'oeil de la cible" 49

L'imaginat~ visuelle institue ainsi un royaume triomphant

où toutes les visions sont permises. A travers cette pure

figuration d'objets, on retrouve le sens de l'expérience poé­

tique, puisqu'elle consiste à "donner à voir". En effet, le

mot contient en germe toutes les métamorphoses et, quand E-

47. Paul'Eluard, Le po~te et son ombre, Paris. Seghers, 1963, p. 30.

48, Paul Eluard, La arre eut-elle être lus belle ue l'eau? (La rose publique , Paris, Gallimard, 1951, p. 130.

49~ Paul Eluard, Choix de poèmes, (Le livre ouvert 11), Pa~ ris, Gallimard, 1951, p. 261.

''' .. ... luard renoue avec· quelques-uns des mots qui lui "étaient

mystérieusement interdits", il leur rend leur pouvoir ima­

geant:

"Le mot maisonnette On le trouve souvent Dans les annonces de journeaux dans les chansons Il a des rides c'est un vieillard travesti Il a un dé au doigt c'est un perroquet mar" 50

25

Ce message du surréalisme, la négation des apparences au pro-.

fit de l'invention imaginaire, Paul Eluard l'a fait sien.

C'est pourquoi sa poésie, dégagée de toute description ser­

vile de la réalité, donne une impression de parfaite liberté.

Les libertés du poète sont effectivement,flagrantes, surtout

dans la création d'images qui suggèrent le mouvement:

"Si je vous dis que dans le golfe d'une source Tourne la clef d'un fleuve entrouvrant la verdure ••• u 51

"Le tonnerre s'est caché derrière des mains noires Le tonnerre s'est pendu à la porte majeure" 52

La rupture logique entre le mouvement et son moteur, la dis­

sociation entre l'action et son contexte, voilà ce qui inté­

resse le poètee ~lors, réel et imaginaire sont confondus,

seule la sensation s'impose d'une animation d'étranges objets:

"S'enlaçaient les cieux implacables, les mers interdi­tes, les terres stériles •••

50. Paul EJuard, La jarre peut-elle être plus belle gue l'eau?, (Cours naturel), Paris, Gallimard, 1951, p. 251.

51. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Foèmes pOlitiques), Pa­ris,Gallimard, 1951, p. 360.

52. Ibid., (Le livre ouvert 1), p. 246.

" .~ ..

S'épaississaient les 'astres, s'aminoissaient les lèvres, 's'élargissaient les fronts comme des tables inutiles .... " 53 . ';'

Pourtant, l'agitation extérieUre n'échappe pas à Eluard et

26

, quand il veut inspirer quelque,pitié à sës oompatriotes, il "',' .

::n'h.ésite pas ,à décrire les victimes de la gue1U'e;;,~ ,: "" . ' .. :

, ,,0. ':: '.: "Sur le pavé .' .'; '.' ',: La victime raisonnable

.::.; ...... > :'.'. A, l,a robe déohirée· '. .,<.... . . Au regard d' en.:fant perdue

: · .. ·iDéoouronnée défigurée". 54 . '" " ''''. :-.

'Oepëndant';" son attitude fondamentale, faoe à la réalité, .' ~. . . . .'.' '. .

n'.e st 'paé 'd/ observation passive, mais de transposition. Il

emprunte .. constamment l' attitude. poétique voulant que le mon­

,.·a.e nès()l.t.;;qu'·~e métaphore oontinue, que sorte .que ohoses .. ', ':';',' ,', .

. ',,:' . .-: .. ~.; . oohcrètes;· .. te~es abstraits et aotions imaginaires, compo-

.• .......••...•.•... .. .. sen"\; ... .m~ .. s;Ynthtltse . à correspondance s:

.. .:' ;::

. .... . ,::uÊtje':v~rse l'innoc.enoe .>. ",:. ··,Sûrla· tête de mon ohien" 55

.... , ..

...Il·envaB,ins1 de toutes les catégories du visible dont le . . . . .'

<: ','mouV:ement e.tla lumière viennent alimenter la poéSie. Oelle-:',:.,"

cd~ ,pl\1.s vivante qu'objets, formes ou oouleur~, est essen-

' .. '; .. Îiieüle poUr le poète. Si elle n' a pas de stabilité, elle se

manifeste en de multiples variations, et le soleil, son prin­

cipe immédiat, est enraciné au coeur de la vie:

53. Ibid., (Poésie et vérité 42}, p. 278.

54. Ibid., (Au rendez-vous alleniand), p. 297.

55. Ibid., (Poésie et vérité 42), p. 278.

"Le soleil est vivant ses· pieds sont sur la terre Ses couleurs font" les joues rougissantes de l'amour Et la" lumière humaine se dilate dt aise" 56

• "1

27

Car la lumière, c! e'st la mat'ière vivante qui dévoile les ob­

jets et autorise la vision. D'où ce respect du poète pour

les phénomènes lumineux, "la:-joie et l'espoir qu'ils éveil­

lent en lui et un ~our serisuel de la lumière~ qu'il identifie

au sens visuel: "Yoir s.' étendait au loin comm.e un corps ray­

onnant~tl57 Aussi la clarté est-elle associée à la découver-,

te du monde promise par la vue: dans un poème intitulé "Les

sèns" Eluard évoque ce rô+e visuel de la lumière:

"Rien slÏlnon"c~tte clarté La clarté de ce matin Qui te mènera~, sur terre

. La clarté de ce mat-in . Une aiguille dans du satin Une graine dans' le noir Oeil ouvert sur un trésor" 58

Aucun aspect du visible ne remplit une telle fonction dans

la poétique éluardienne-et, parallèlement, aucun n'est l'ob­

jet d'un symbolisme aussi riche: toutes les valeurs positi­

ves de joie, de liberté et d'amour, sont celles de la lu-

mière:

56.

57.

58,

59.

ilLe froid le ciel diluent le vent Le soleil blanc me fait sourire Comme un filet d'eau Fait sourire un pré" 59

Ibid., (Une leçon de morale), p. 392.

Ibid. , p. 391.

Ibid. , (Le lit la table), p. 305.

Ibid. , (Le livre ouvert 11), p. 256.

"Un air nouveau un air de liberté L'ombre en. était illuniinée elle flambait" 60

"Il s' est, fait un climat sur la terre plus subtil Que la mont.ée duwour fertile C'est le climat de nos amours ••• Il est la vérité sa clarté nous inonde'" 61

28

De plus, à cause de son éclat, de sa mobilité et de son pou­

voir d'animation, la lumière figure les facultés de l'imagi­

nation: "Rêve tout entier'vertu du feu" 62

Le rêve .••• Depuis Huysmans et Lautréamont, les surréalistes

·en ont tiré un parti avantageux: c'est l'instrument poétique

dont Eluard tire le plus de fraîcheur. Il y joint l'halluci­

nation et le fantast.ique, y mêle quelquefois une nuance d' hu­

mour, et obtient des résultats curieux:

"Au milieu de la salle d'honneur désaffectée De grands bambins croissaient , Encouragés par leurs nourrices et ':Te~s mamans Des saintes obscènes lis ressemblaient à des di~dons géants

.Leurs coquilles natales à leurs pi~dstl 63

Par cette technique surréaliste Eluard passe de la vision

concrète à la visualisation purement imaginaire, et s'il ar­

rive à créer ce climat étrange où l'insolite règne avec tant

d'aisance naturelle, c'est qu'il décrit des faits irréels a­

vec l'objectivité de la sensation:

60. Ibid., (Ùne leçon de morale), p. 394.

61. Ibid., (Le château des pauvres), p. 427.

62. Ibid., (Au rendez-vous allemand), p. 300.

63. l'eau?, Les 1951, p. 47.

29

"Ils sont entrés par les quatre fenêtres de la croix" 64

"Le rire après jouer aymlt inis à la voile La .table fut un papillon qui s'échappa" 65

"Prends· garde ••• A l'oreille qui sort·· du parloir" 66

Visions irrationnelles qui sont celles d'un véritable ciné­

mà. surréaliste et assurent ~'.efficaci té de recueils flomme - .

IJes nécessités de la vie: et les conàéguences des rêves, (1921)

et Les dessous d'une vie ou la pyramide humaine (1926) qui

contiennent des récits de rêves. L'imagination, en refusant

d'asservir la vue à l'observation stricte du monde extérieur,

décuple la puissance visuelle et développe un réalisme fan­

tastique·convainquant:

"C'est par une nuit comme celle-ci que j'ai régné sur des rois et des reines alignés dans un couloir de craie: Ils ne devaient leur taille qu'à la perspecti­ve, et si les premiers étaient gigantesques, les der­niers, au loin, étaient si petits, que d'avoir un corps visible, ils semblaient taillés à facettes." 67 .?

C'est pourquoi l'imagination d'expériences visuelles conduit

Eluard à réaliser, ·dans son oeuvre poétique, l'idéal qu'il

propose à l'art tout entier:

"Paul Eluard ••• sur le plan proprement poétique donna à la vue la primauté sur la vision et situa au-des­sus de l'élévation lyrique l'usage de la parole dans

64. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Les nécessités de la vie ét les conséquences des rêves), Paris, Gallimard, 1951, p. 47.

65. Ibid., (Cours naturel), p.246.

66. Ibid., (La rose pUblique), p. 136.

67. Ibid., (La pyramide humaine), p. 85.

.....

30

toute sa force d'instrument humain d'échange et de liaison." 68· .

Par l'entremise de la vue se poursuit toute communion: avec

le monde et les choses, avec les personnes. C'est dire la

puissance de la faculté visuelle qui résume les autres mani·-·

festations sensibles:

"cre t'en supplie sur 'mes nuit troubles Jette le pont de tes regards' Et par l'entremise de mes sens, peu à peu renaissait la solidarité. Un ami, une amie et le monde recommen­ce, et la matière' informe reprend corps'." 69

"Beaux yeux ordonne z la lumière A travers toute vie nouvelle ••• " 70

Cette relation qu'établit le regard avec l'univers, est une

fonction vitale, si bien que la mort se profile dès que ce

lien est supprimé:

liMes beaux yeux séparés du monde Où sont les morts suis-'je vivante" 71

Aussi est-ce dans la parfaite communion de l'amour que le

poète retrouve à la fois l'usage et le véritable sens de la

vue:

"Je ne vois clail: et je ne suis intelligible Que si l'amour m'apporte le pollen d'autrui Je m'enivre au soleil de la présence humaine Je m'anime marée de tous ses éléments" 72

68. Michel Leiris, "Art et poésie" in Revue Europe, no. 92, juillet-aoÜt 1963, p. 51.

69. Paul Eluard, Choix de poèm~, (Poèmes pOlitiques), Paris, Gallimard, 1951, p. 356.

70. Ibid., (Chanson complète), p. 223.

71~ Ibid., (Léda), p. 369.

72. Paul Eluard, Poésie ininterrompue 11, Paris, Gallimard, 1953, P. 16.

)

31

La vue véhicule l'intelligibilité. Dans toute l'oeuvre d'E­

luard, les yeux sont essentiellement le lien de la communi­

cation et, plus particulièrement dans le commerce amoureux,

le sens visuel est revêtu, par 'le poète, d'une émouvante si­

gnification spirituelle: il est ,par excellence, un instru­

ment d'identification, d'élection, d'accueil et d'échange:

'.'Tes yeux étaient le pays Que l'on retrouve en un instant ••• Patients tes yeux nous attendaient Ils étaient une vallée Plus tendre qu'un seul brin d'herbe" 73

"Couronnée de mes yeux Voici la tête la plus précieuse" 74

Les yeux sont ainsi le siège de la tendresse qui s'élève du

charnel:

"Son corps est un amoureux nu Il stéchappe de ses yeux" 75

"Ils voulaient s'enivrer d'eux-mêmes Leurs yeux voulaient, faire leur miel" 76

Il n'est donc pas étonnant qu'Eluard, quand il parle de la

vue, donne à ce sens une très large extension poétique:

"Voir, s'est comprendre, juger, transformer, imaginer, oublier ou s'oublier, être 'ou disparaître." 77

73. Ibid., (Au rendez-vous allemand), p. 288.

74. Ibid., (La rose publique), p. 142.

75. Ibid., (Médieuses), p. 232.

76. Ibid., (Le château des pauvres), p. 419.

77. Paul Eluard, Epigraphe de Donner à voir, Paris, Galli­mard, 1939, p. 7.

32

Bien plus, voir est .un "acte" tellement fécond, pour le poè­

te: des Yeux fertiles, que de nombreuses·notions symboliques

semblent rattachées à l'exercice de la vue: ainsi les notions

d'apparence, de merveilleux, de rêve et d'imagerie.

L'apparence se· présente souvent comme unë limitation que le

rêve et le merveilleux viennent effacer:

"Que les yeux merveilleux voient chaque chose en place, La misère effacée et les regards en ordre 1.1 ·78

Le poète, qui veut IOdonner à voirll , fait de l'image le fon­

dement de son art, par elle ~ous les hommes ont ~ccès au

monde surréel de la poésie et s"y retrouvent:

liMa table pèse mon poème Mon écriture l'articule L'image l'9ffre à tout venant Chacun s'y trouve ressemblant" 79

IIJe t'appellerai Visuelle Et multiplierai ton image" 80'

A ces notions viennent s'ajouter celles de limpidité, de

transparence, de ressemblance et de réflexibilité, autant de

symboles d'un accomplissement parfait de la vue.

Objets et personnes connus sont doués de limpidité: la vue

les a,pour ainsi dire, dépouillés de leur enveloppe socia­

le et, en triomphant de l'opaCité que tout objet oppose à

la connaissance, les a livrés dans leur transparence:

78. Paul Eluard, Choix de poèmes, (~oèmes pOlitiques), Pa­ris, Gallimard, 1951, p. 358.

79. Ibid., (Le château des pauvres), p. 429.

80. Ibid., (A toute épreuve), p. 114.

"Mon paysage est un bien grand bonheur. Et mon visage un limpide univers Ailleurs on pl~ure· des larmes noires

. On va de caverne en. caverne Ici on ne peut.pas se perdre Et mon visage 'est d~s l'eau pure je le vois" 81

33

C'est alors qu'intervient la ressemblance: à travers la mul­

tiP\l.,1oité.des perceptions visuelles se poursuit une tenta­

tive de connaissance qui est finalement identification. Les

êtres se révèlent dans ,leurs caractères individuels, infini­

ment reproduits et sans cesse reconnus:

"Mène-moi par la main Au vif de la ressemblance A la certitude d'être" 82

"Femme tu mets au monde un corps toujours pareil Le tien Tu es la ressemblance" 83

Quant au reflet, il symbolise la vue décuplée que permet l'e­

xercice de la conscience. Grâce à l'apparition d'autrui, le

poète se reconnait voyant et, si les êtres l'arrachent à sa

solitude, c'est qu'il prend en même temps c'onscience de sa

propre visibilité:

"D'un côté du coeur la misère subsiste De l'autre je vois clair j'espère et je m'irise Je reflète fertile un corps qui se prolonge ••• Dans la clarté d'autrui j'érige ma victoire" 84.

81. Ibid., (Médieuses), p. 233.

82. eut-elle être lus belle ue l'eau? , Paris, Gallimard, 1951, p. 257.

83. Ibid., p. 227.

84. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Poèmes pOlitiques), Pa­ris, Gallimard, 1951, p. 387.

34

"Sa main tendue vers moi Se reflète dans la mienne" 85

D'o~ l'importance chez Paul Eluard de cette image du ~iroir

dont Merleau-Ponty explique la portée de pure réflexibilité:

"Le miroir appara1t parce que je suis.voyant-visible, parce qu'il y a une réflexibilité du sensible, il la traduit et il la redouble. Par lui mon dehors se com-plète, tout ce que j'ai de plus secret passe dans ce visage. •• Il e st l' instrumen·~ d' une universelle magie qui change les choses en spectacle, les spectacles en choses, moi en autrui et autrui en moi." 86

Instrument du dévoilement parfait, autant que rappel de l'u­

niverselle analogie, le miroir figure aussi, pour le poète,

larécip-rocité .des sentiments dans l'amour, l'union.des a­

mants ainsi que la visibilité à laquelle accède l'être aimé:

"Notre amour a plus besoin D'amour que l'herbe de pluie

. Il faut qu'il soit un miroir" 87

"Entre en' moi ma multitude Puisque je suis à jamais ton miroir Ma figurée" 88

Par une extraordinaire magie, le miroir reproduit à l'infini

et sans choix le spectacle du sensible, aussi est-il l'un des

symboles visuels les plus éloquents chez Paul E~uard.

Sa tendance à tout réduire au visuel supprime toute limita-

85. Ibid., (La rose publique), p. 139.

86. Maurice Merleau-Ponty, L'oeil et l'esprit, Paris, Galli­mard, 1964, pp. 33-34.

87. Paul Eluard, Une longue réflexion amoureuse, Paris, Se­ghers, 1966, p. 42.

88. Paul Elua~d, Poésie ininterrompue Il, Paris, Gallimard, 1953, p. 17.

34

"Sa main tendue vers moi Se reflète dans la inienne" 85

D'ô~ l'importance chez Paul Eluard de cette image du ~iroir

dont Merleau-Ponty explique la portée de pure réflexibilité:

"Le iniroir appara1t parce que je suis,voyant-visible, parce qu'il y a une réflexibilité du sensible, il la traduit et il la redouble. Par lui mon dehors se com-

'pIète, tout ce que j'ai de plus secret passe dans ce visage ••• Il est l'instrument d'une universelle magie qui change les choses en spectacle, les spectacles en cij.oses, inoi en autrui et autrui en moi.'" 86

Instrument du dévoilement parfait, autant que rappel de l'u­

niverselle analogie, le miroir figure aussi, pour le poète,

la réciprocité ,des sentiments dans l'~our, l'un~o~ des a­

mants ainsi que la visibilité à laquelle accède l'être aimé:

"Notre amour a plus besoin D'amour que l'herbe de pluie Il faut qu'il soit un miroir" 87

"Entre en' moi ma mul ti tude , Puisque je suis à jamais ton miroir Ma figurée " 88

Par une extraordinaire magie, le miroir reproduit à l'infini

et sans choix le spectacle du sensible, aussi est-il l'un des

symboles visuels les plus éloquents chez Paul Eluard.

Sa tendance à tout réduire au visuel supprime toute limita-

85. Ibid., (La rose publique), p. 139.

86. Maurice Merleau-Ponty, L'oeil et l'esprit, Paris, Galli­mard, 1964, pp. 33-34.

87. Paul Eluard, Une longue réflexion amoureuse, Paris, Se­ghers, 1966, p. 42.

88. Paul Eluard, Poésie ininterrompue Il, Paris, Gallimard, 1953, p. 17.

:. .

. ~.

35

tion, abolit toutes les distances et fait naltre l'illumi­

nation. C'est une pure faculté de voir, acquise dans l'amour'.

La lumière vient, en effet, consacrer la communion de ceux

qui s'aiment:

"Que la lumièré perpétue Des.:Qouples brillants de' vertu Des'couples cuirassés d'audace Parêe,que leurs yeux se font face" 89

" ........

De même, la vue, au sein de l'échange amoureux, devient uni~

verselle et échappe à toute localisation, puique l'amour fait

assister à la disparition des caractères situationnels:

"Sans cesse t'appeler d'un autre nom Que notre amour Je vis et règne entre des murs Je vis et règne hors des murs Sur les bois sur la mer sur les 'champs sur les routes Et sur les yeux et sur les voix qui les répètent" 90

Et la nature entière se fait visuelle pour répondre à la sou­

veraine puissance de voir dont jouissent les amants:

"Et je ne suis pas seul Mille images de moi multiplient ma lumière Mille regards pareils égalisent ma chair C'est l'oiseau ciest l'enfant c'est la rose c'est la Qui se mêlent à nous" 91 plaine

Ainsi nalt un couple illimité doué d'ubiquité, qui soumet,

sans réserves, la nature, et que la volatilisation rend à

89. Paul Eluard, Choix de poèmes, (au rendez-vous allemand), Paris, Gallimard, 1951, p. 291.

90. Ibid., (Le livre ouvert 1), p. 240.

91. Ibid., (Cours naturel), p. 181.

l'univers entier:

ItEntre des yeux qui ser.~gardent,la lumière déborde L'écho le plus lointâin,reboUdit entre nous Tranquille sève nue ,)t'" ," .. Nous passons à trave~:s":nos semblables Sans nous perdre lt 92', ' "

", i

36

La vue, chez Eluard, prend un'sens éminemment actif qui se

nourrit du sensible, en créant'néammoîns son propre empire.

L'univers donne alors l'impre~sion de se transformer en une

activité souveraine, essentiellement libre, qui constitue

sa propre fin.

92. Ibid., (Les yeux fertiles), p. 230.

Chapitre deuxième

La sensibilité tactile

Chez Eluard, la distance visuelle tend à se fondre dans l'in­

timité d'un contact. A l'instar de Claudel pour qui "l'oeil

écoute", pour Eluard, l'oeil "touche: il entoure, enveloppe

les objets:

"Tous les arbres, toutes leurs branches, toutes leurs feuilles

L'herbe à la base les rochers "et les maisons en masse Au loin la mer que ton oeil baigne ••• " 93

Le poète semble rechercher un accomplissement parfait de la

vision où la vue, loin d'être réduite à contempler les objets

à distance, agit sur eux; çar l'oeil lui-même est devenu un

instrument tactile, un corps étonnamment concret:

"Tu es venue le voeu de vivre avait un corps Il creusait la nuit lourde il caressait les ombres Pour dissoudre leur boue et fondre leur glaçons Comme un oeil qui voit clair" 94

Eluard illustre ainsi à l'aide du langage poétique ce que

Jean Nogué exprime dans un argument philosophique: le toucher

permet d'opposer notre corps au monde extérieur par la sen-

93.

94. Paul Eluard, Derniers poèmes d'amour, (le phénix), Paris, Seghers, 1962, p. 120.

38

sation de la limite:

nLe caractère métaphysique du toucher, ainsi que l'a établi M. Louis Lavelle, est.d'être un sens de la li­mite ••• Il sépare ainsi le corps du reste de l'uni­vers et il en fait un objet unique dans l'ensemble destObjets avec lesquels nos sens nous mettent en re­lation. Tandis que les a~tres sens.ne supposent pas de distinction primitive entre le sujet et l'objet, entre le corps et les autres corps, le toucher nous fait reconna1tre un corps qui est notre corps et qui possède ainsi dans la représentation un privilège sans équiyalent ... 95

Cette tendance de la vision à déboucher sur l'expérience

tactile conduit le poète à 'valoriser toutes les manifesta­

tions du toucher: reliefs, formes, volumes, textures, loca­

lisations, pesanteur, chaleur, toutes ces sensations le sol­

licitent; mais les matières sont chez lui les objets privi­

légiés du toucher.

nA perte de vue dans le sens de mon corps", tel-est le titre

d'un poème de La vie immédiate qui traduit l'intention qu'a

le poète d'éprouver l'aspect tangible, palpable, du réel.

nLe sixième poème visible" exprime avec force cette préoc-

cupation:

"La mort défalquée, je tranchais la surface et la mas­se, l'étendue et la durée; j'épousais les reliefs im­perceptibles de la fièvre et du délire, sur tous les chemins au petit bonheur des jours et des nuits sans violences." 96

Ce vocabulaire du toucher appliqué à des notions abstraites

95. Jean Nogué, Esquisse d'un système des qualités sensibles, Paris,Presses universitaires de France, 1943, p. 66.

96. Paul Eluard, Choix de poèmes, (A l'intérieur de la vue), Paris, Gallimar~. - -. . p. 348.

39

n'a rien d'incongru pour le poète, car son goftt du. tangible

et sa riche sensibilité restituent a~ idées et aux senti-

ments, comme aux choses, leur dimension charnelle. Aussi les

saisons et les nuits deviennent-elles, pour son imagination,

des objets à la texture et au volume symboliques:

"L'hiver est une fourrure L'été une boisson fra1che Et l'automne un "lait 'd'accueil" 97

"Et l'azur en tes yeux ravis Contre la masse de la nuit" 98

Faul Eluard est, en effet, e~rêmement sensible aux textures.

Derrière les nombreuses évocations de la douceur, de la mo­

lesse, des aspérités ou de la dureté des objets, se manifes­

te, chez lui, une véritable sensualité palpatrice:

"La paupière du soleil s'abaisse sur ton visage Un rideau doux comme ta peau" 99

"LI.) soleil dur comme une pierre Raison compacte vigne fauve Et l'espace cruel est un mur qui m'enserre" 100

Dans ses poèmes, l'espace lui-même devient un milieu concret,

presque palpable; et si Eluard sait recréer l'ambiance et

l'atmosphère des lieux, c'est qu'il suggère des sensations

97. Paul Eluard, Poésie ininterrompue, Faris, Gallimard, 1946, p. 44.

98. Faul Eluard, Derniers poèmes d'amour, Paris, Seghers, 1962, p. 14.

99. belle ue Gallimard,

100. Paul Eluard, Derniers poèmes d'amour, (Le dur désir de durer), Faris, Seghers, 1962, p. 20.

)

, ". i

tactiles:

"Le solitaire toujours premier Comme un ver dans une noix ••• u 101

40

"J'ai parlé de la glu du désert et le désert est une )'" abeille

De misérables petites absinthes végètent dans la sécheresse" 102

La liberté d'imagination est ici manifeste: Eluard ne décrit

pas avec précision des phénomènes sensibles, il veut évoquer

des impressions physiques grâce à l'invention imaginaire.

Aussi les sensations de pesanteur et de légèreté apparais­

sent périodiquement dans son oeuvre et quelques associations

d'images lui suffisent pour les suggérer:

"Sur le fleuve de mai Un voile écarlate Fit battre le poulx du vent" 103

Le vent, la fraicheur, le ciel, ces thèmes qu'mluard affec­

tionne, composent un univers volatil qui rappelle certaines ",

toiles de Joan Miro où d'étranges objets semblent flotter

dans un ciel pur. Cependant, à côté de la limpidité et de la

fraicheur aériennes, apparaissent souvent, chez Eluard, des

notations où les sensations caloriques s'opposent en d'évi-

dents contrastes:

"Le froid et la chaleur composant un seul fruit" 104

eut-elle être lus belle ue l'eau?, , Paris, Gallimard, 1951, p. 140.

:J.03. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Le livre ouvert 1), Pa-ris, Gallimard, 1951, p. 252.

104. Ibid., (Tout dire), p. 401. --

41

"D'autres fenêtres où le vent ,. Agite la chaleur rectangulaire dans ses draps frais" 105

"Le soleil œ. ns la glace qui·.:ea.it fond:re un oeuf" 106 d'

Est-ce le signe d'une sensibilité tact.i.Je si active qu'elle

voudrait éprouver toute la 'gamme des sensations? Il semble, .-

en effet, que le domaine ouvert aux.manife~tations du tou~

cher soit très vaste dans cette poésieo A l'échelle complète

des perceptions thermiques vient se joindre une véritable :: (l,

"dynamique" du toucher où les mouvements agressifs et bru­

taux répondent aux mouvements doux et caressants:

"Des couteaux pour aller à l'assaut du papier à fleurs de l'aube

Pour saccager les fondations de la vie blanche et noire comme un pain"

107 "Le soeil nu de ton visage Mouvement de roue et de ruche Pèse doux dans le jardin De nos mains amoureuses" 108

Mais le trait le plus.remarquable du poète est, sans doute,

un amour voluptueux des substances, attachement sensuel qui

lui fait négliger l'apparence extérieure des objets pour la

substance elle-même:

"Je me souviens de la campagne baillonnée Par le soleil duvet de plomb sur un nuage d'or" 109

105. ue Gallimard,

106. Ibid., (Les yeux fertiles), p. 221.

107. Ibid., (La rose pUblique), p. 120.

108. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Le livre ouvert 1), Paris, Gallimard, 1951, pp. 249-250.

109. Ibid., (Chanson complète), p. '219.

42

"Le temps la laine de l'ivoire Roulant sur une route de cire" 110

Cette transposition poétique des choses conërètes en formes

basiques révèle la délectation profonde caus.ée par l·'attou­

chement imaginaire des objets; aussi, n'est-il pas étonnant

de trouver des vers où il imagine des expériences tactiles:

"Belle alignée de plumes jusqu'aux limb~s La parfumée la rose adulte le pavot et la fleur vier­

ge de la torche Pour composer la peau enrobée de femmes nues" 111

D'ailleurs, constamment, Eluard crée des images qui s'ordon­

nent au sens du toucher. Qu'il s'agisse d'un simple mot, d'u­

ne métaphore ou d'une comparaison, il passe souvent du tou­

cher effectif à l'imagination hallucinatoire:

"L~ mot cité ole Tout en liège sur du satin" 112

'tComme un os àla gueule éblouissante des chiens Une toute petite maison cartilage •• ,," 113

Le fantastique parvient alors à son paroxysme:

"Je déroule depuis trop longtemps la soie chatoyante de ma tête, tout ce turban avide de reflets et de compliments." 114

Le surréalisme devait beaucoup apporter au poète dans ce do-

110. ue Gallimard,

111. Ibid., (La rose publique), p. 152.

112. Ibid., (Cours naturel), p. 251.

113. Ibid., (Les yeux fertiles), p. 182.

114. Paul Eluard, Choix de poèmes, (La pyramide humaine), Paris, Gallimard, 1951, p. 83.

)

maine. En lui apprenant à se méfier de la logique, il lui

permet d'exprimer les sensations dans toute leur fra1cheur. . '.

Le procédé de réversibilité, en particulier, offre à,Eluard

toute une gamme d'effets inattendus qu'il ne manque pas

d'exploiter:

"Viens monte. Bientôt les plusmes les plus légères, scaphandrier de l'air, te tiendront par le cou." 115

"La pierre rebondit sur l'eau La f1lJ!1ée.n'y pénètre pas" 116

Autr~ part, dans "le blason des fleurs et des fruits", l'évo­

cation pure et simple d'objets se transpose en images tacti­

les convainquantes:

"Digitale cristal soyeux Lilas lèvres multipliées ••• Sauge bague de mousseline ••• Pêche colonne de rosée" 117

Ces images apparaissent sans cesse, chez Eluard, car, pour

lui, le toucher est une forme accomplie de la connaissance.

En effet, par lui, le monde se révèle au poète, à la fois

dans sa profondeur et son intimité et, en vertu de ces contacts

qui unissent l'hOmme à l'univers, les éléments eux-mêmes se

font vivants et tangibles:

"Le jour souple qui se détend Moulant la terre comme un gant" 118

116. Paul Eluard, Capitale de la douleur, Paris, Gallimard, 1926, p. 133.

117. Paul Eluard t Choix de poèmes, (Les animaux et leurs hommes), Paris, Gallimard, 195.1, p. 33.

118. Ibid., (Le livre ouvert 11), p. 269.

118. Ibid., (Le château des pauvres), p. 428.

"Dans la fra1che vallée brûle Le soleil fluide et fort"· 119 •

44

. Rien n'échappe à la faim sensuelle du poète; la nature entiè­

re semble ne pouvoir suffire à cette quête ardente de·sensa-'.

tions où attouchements, contacts et caresses, sont les for-

mes coutumières de l'assouvissement:

"J'embrasse avec ferve~rla chair, des aI!bres sous leur écorce ••• " 120

c ' est pourquoi Eluard parlè·:; de la terre,' de sfleurs " des

fruits et ~es arbres, avec une vibrante sensualité. Les élé­

ments naturels et le corps humain, liés dans une communion

tactile, participent, chez lui, au même destin poétique.

l'arbre est ainsi transformé en figure corpor~lle:

"Le ch~ne adoucit l'amour Ses os.orientent ses veines Le miel dort dans sa fourrure Et la houle de sa mousse Recouvre ses vieilles graines" 121

P aral lè}. eme nt , dans l'amour humain, les caresses et les

contacts charnels renvoient à la nature; à travers la sensa­

tion physique de l'attouchement, le corps est restitué à l'u~

nivers entier: c'est une fusion avec les éléments naturels

qu'opère l'union amoureuse:

"Te toucher ressemblait aux terres fécondées Aux terres épuisées

119. Ibid., (Au rendez-vous allemand), p. 289

120. Ibid., (La rose publique), p .. 142.

121. Ibid., (Le livre ouvert 11), p. 266.

45

Par l'effort descharrues.des piliuies et des étés Te toucher composait un visage de feuilles Un corps d 'herbes un corps"couché dans un buisson" 122

Alors, le corps humain lui-même ne reçoit son identité qu'u­

ne fois accordé au rythme des phénomènes naturels:

"Bouclier d'écume la joue Air pur le nez marée le front Filet de la chaleur la bouche Balance du bruit 'le menton Pour finir par un vol d'oiseaux" 123

Le toucher est aussi la sensation-clé qui inspire au poète

les notions symboliques de chaleur, de légèreté, de douceur

et de fra1cheur. Au symbole du froid' stérilisant et destruc­

teur, vient s'ajouter, chez Eluard, celui de la frâ,1cheur

bienfaisante: ,.

"Mais aujourd'hui je sens mes os Se fendre sous le froid parfait" 124

"L'éclat de la passion attendrit les visages Dans les yeux la fra1cheur tourne sa roue de plumes" 125

Le symbolisme confié à la chaleur, c'est celui de l'effusion

pure, c'est un épanChement affectueux de la tendresse:

"Sous un masque de soleil Sous un doux masque d'or double Ses yeux: sont les roses chaudes" 126

122. Paul Eluard, La jarre peut-elle être plus belle gue l'eau?, «Jours naturel), Paris, Gallimard, 1951, p. 279.

123. Ibid., (Les yeux fertiles), p. 229.

124. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Poèmes politiques), Pa­ris, Gallimard, 1951, p. 355.

125. Ibid., (Une leçon de morale), p. 390.

126. Ibid., (Au rendez-vous allemand), p. 294.

"11 n'y a pas de glaces qui tiennent Devant la foudre et l'incendie D'un vrai baiser qui dit je t'aime" 127

Les notions de légèreté ou d'envol répondent à celles de

pOids ou d'obturation. Emporté par la force ascentionnelle

46

de l'amour, le fardeau de la solitude s'allège et les amants,

mêlés au symbole du ciel et de l'oiseau, élaborent une commu-

nion qui neutralise les contraires:

"Le poids des murs ferme·toutes les portes Le poids des arbres épaissit la forêt" 128

"Oui c'est pour ~ujoUrd'hui que je t'aime ma belle Le présent pèse sur nous deUX et nous soulève Mieux que le ciel soulève un oiseau vent debout" 129

Dialectique symbolique du· plomb et de la plume que le poète

se plaît à utiliser, car elle traduit de façon émouvante,

l'expérience humaine de la communication:

"Tü--es venue plus haute au fond de ma douleur Gloire l'ombre et la honte ont cédé au soleil Le poids s'est allégé le fardeau s'est fait r.ire" 130

Quant· au cycle de la douceur, des éléments liquides ou du

velouté, à l'aide de nombreux symboles, Eluard l'oppose à

celui de la dureté et des minéraux:

127. Paul Eluard, Poésie ininterrompue 11, Paris, Gallimard, 1953, p. 78.

128. Paul Eluard, Poésie ininterrompue, Paris, Gallimard, 1946, p. 130.

129. Paul Eluard, Poésie ininterrompue 11, Paris, Gallimard, 1953, p. 91.

130. Paul Eluard, Derniers poèmes d'amour, (Le phénix), Pa­ris, Saghe~, 1962, p. 121.

"Donne-'!eur dans l'ombre immense Les l~vres d'un amour doux Comme l'oubli des souffrances" 131

"La souffrance est comme un ciseau Qui tranche dans la chair vivante" 132

47

Pour.tantles substances minérales, dp:rl.s leur durée et leur é­

clat, symbolisent l'illumination de l'amour, sentiment immu­

able:

"Mais ils vivront glorieux Sable dans le cristal Nourricier malgré lui Plus clair qu'en plein soleil" 133

Il semble que les sensations tactiles, chez Eluard, soient

le ~reuset de l'effusion totale qui entraine la suppression

des lois natUrelles. Ainsi, dans l'amour, le sens du toucher

semble' perdre, finalement, de son acuité, car les sensations

thermiques s'atténuent alors même que la perception .des tex­

tures prédomine:

"Fra1cheur chaleur je n'en ai pas souci Je ferai s'éloigner à travers tes désirs L'image de-moi-mêmeque tu m'offres Mon visage n'a qu'une étoile ••• Je reste dans mes propres feuilles Je mêle la neige et le feu Mes cailloux ont ma douceur Ma saison est éternelle" 134-

131. Paul Eluard, Choix de po~mes, (Au rendez-vous allemand), Paris, Gallimard, 1951, p. 295.

132. Paul Eluard, Poésie ininterrompue Il, Paris, Gallimard, - 1953, p. 64.

133. Paul Eluard, Poésie ininterrompue, Paris, Gallimard, 1946, p. 23.

134. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Médieuses), Paris, Gal­limard, 1951, p. 234.

"Leur coeur voulait couver le ciel Ils aimaient l'eau par la chaleur Ils étaient nés pour adorer'le feu l'hiver" 135

48 1

De plus, l'amour apporte une remarquable' libération physique (.,

par sa magie universelle: le pOids et la gravi~ation se dis­

sipent, et les amants, unis dans une communion parfaite, con­

naissent l'état de volatilisation:

UNous disions amour et c'était la vie Parmi les tours et les plages de l'enfance C'était un sang léger aérien Et d'aveux' en aveux nous devenions les autres" 1'36

"La perle parle par l'éclat de sa candeùr Quand donc n'aurai-je plus qu'à me fondre en la mienne ••• L'homme navigue, il vole il dénoue la distance Il élude son poids il échappe à la terre" 137

C'est une union sans partage; par elle, distance et locali­

sation sont annihilées: doués d'ubiquité, les amants échap­

pent aux lois de l'univers:

"De délice en furie de furie en clarté Je me construis entier à travers tous les êtres A travers tous les temps au sol et dans les nues" 138

"Tu es venue le feu s'est alors ranimé Et la terre s'est 'recouverte De ta chair claire et je me suis senti léger Tu es venue la solitude était vaincue J'avais un guide sur la terre je savais Me diriger je me savais démesuré J'avançais je gagnais de l'espace et du temps" 139

135 • .Jbid., (Le château des pauvres), p. 420.

136. Ibid., (Chanson complète), p. 222.

137. Paul Eluard, Eoésie ininterrompue 11, Paris, Gallimard, 1953, pp. 34-35.

138. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Le livre ouvert 1), Pa­ris, Gallimard, 1951, p. 241.

139, Paul Eluard, Derniers poèmes d'amour, (Le phénix), Pa­ris, Seghers, 1962, p. 157.

l,

49

La sensibil~té tactile joue ainsi un'rôle de premier plan,

chez Eluard, car, accordée à la vue, elle oeuvre pour l'ins­

tauration d'un uniyers triomphant. Mais plus passif que le

sens visuel, le toucher fait l'exp,érience de la dureté,. du

froi~ et de la pesanteur qui restituent au chant Poétique

le sens du réel.

\

Chapitre troisième

Le sens de l'oule

Chez Paul Eluard, l'audition vient se joindre au toucher et

à la vision dans la connaissance poétique des êtres. Les per­

ceptions s'ajoutent ainsi les unes aux autres; toutefois le

poète semble accorder une plus large extension au sens de

l'oule, car il lui réclame une acuité plus vive:

"Entends le rubis éclore La turquoise se faner ••• " 140

Sens de la.communication, l'oule est inséparable des sources

sonpres qui l'influencent. c'est pourquoi Eluard en fait une

sensation que l'on pourrait appeler "épiphanique", située

au centre des manifestations sonores de toute provenance,

voix ou langage humains, bruits de la nature:

"Nous aborderons tous une m~moire nouvelle Nous parlerons ensemble un langage sensible." 141

"Par brassées de murmures la lande et ses famtômes Répétaient les discours dont je m'étourdissais" 142

140. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Les mains libres), Paris, Gallimard, 1951, p. 179.

141. Paul Eluard, l'eau?, p. 240.

142. Ibid., p. 214.

lus belle ue Gallimard, 1951,

51

La sensation auditive s'étend à plusieurs choses dans la 'poé­

sie d'Eluard: d'une atmosphère muette aux sonorités musica­

les, qu'il s'agisse des grandes voix de la nature ou des

bruits mécaniques, rien n'échappe à son exercice. Toutefois,

c'est l'expression humaine qui semble son objet de prédilec­

tion. Depuis la décl~ration dadaiste: "Je n'aime pas la mu­

sique, tout ce piano me prend tout ce que j'aime", 143 E­

luard a évolué; on trouve des notations de termes musicaux

chez lui, il est vrai qu'elles demeurent rares et qu'elles -.

sont souvent liées à des images où il'évoque le silence, la

surdité et la vie nocturne:

"Tu fais des bulles de silence dans le désert des bruits Tu chantes des hymnes nocturnes sur les cordes de

. l'arc-en-ciel" 144

"A toutes brides toi dont le fantôme Piaffe la nuit sur un violon" 145

La nature, pour sa part, constitue un milieu particulière­

ment sonore, où le poète se plalt à noter les différents

bruits sur le mode descriptif:

"Claquant comme corde d'arc Le poisson quand l'homme l'attrappe ••• " 146

143. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Les nécessités de la vie et les conséquenct~s des rêves), Paris, Gallimard, 1951, p. 45.

144. ~., (Facile), p. 157.

145.

146. Paul Eluard~ Choix de poèmes, (Les'anmmaux et leurs hommes), Paris, Gallimard, 1951, p. 33.

52

Réalisme? Expression métaphorique? Pour Eluard, les éléments

naturels sont doués d'une étonnante sonorité: le soleil' ou

les arbres ont des accents, ce sont des rythmes vivants:

"Je vois des hommes vrais sensibles bons utiles Rejeter un fardeau plus mince que la mort Et dormir de joie ·au bruit 'du soleil" 147

"Les ailes ont quitté le corps De la forêt l'arbre s'envole Il règne de la terre au ciel Il s'éclaircit il prend des forces Il chante e,t peuple le dése.rt" 148

Si la nature entière chante sa propre polyphonie, rien n'est

plus émouvant, pour le poète,que l'audition de la voix hu­

maine. Toute expression humaine semble toucher Eluard, non

> pas tant par son côté esthétique que par la résonnance' pro­

fonde que traduit la tonalité vocale:

"Tard dans la nuit je veille et je t'écoute. Tu dors et tu te plains et tu grondes, suivant que tu es cal­me, agitée, oubliée ou orageuse ••• " 149

Voilà pourquoi il ne néglige aucune forme de langage: la

plainte, le murmure, le cri, le rire, le c,hant, la parole,

le hurlement lui sont extrêmement sensibles et plusieurs de

ces expressions deviennent symboliques •••

"Elle s'éveille et ses yeux ne sont plus Ces 11es loin à l'horizon du corps On y pénètre on y chante on y rit Le jour bàillonne le silence" 150

147. Ibid~, (Chanson complète), p. 216.

148. Ibid., (Le livre ouvert 11), p. 266.

149. Ibid., (A l'intérieur de la vue), p. 344.

150. lbid., (Le lit la table), p. 311.

53

D'ailleurs Faul Eluard s'intéresse, par exemple, aux effets

musicaux de l'allitération, surtout lorsqu'il évoque le rire:

"Un rire aux êheveux de cytise Parmi les arbres" 152

" ••• Autantde minuscules éclats de rire des glycines et des -aêl:l.cias du décor~ al 151

Il recherche également les effets de surprise dans la des­

cription des phénomènes sonores.-Amnsi, il se sert abondam­

ment' des techniques sùrréalistes; soit en insistant sur l'ir­

rationnalité de la sensation:

liOn écoute à la porte Ce que l'on dit à la. fenêtre" 153

ou bien dans la narration des rêves, en utilisant les sons

pour créer une atmo~phèrehallucinatoire: l'objectivité du

"ton accentue alors le caractère insolite du récit •••

"Et nous roulons en auto dans un bois. Une biche tra­verse la route. La belle jeune fille claque de la langueo C'est une musique délicieuse." 154

,., Four l'audition, il poursuit aussi l'expérience commencée

dans le "visuel". Renouer avec les mots et les objets signi­

fie retrouver des qualités sonores •••

151. Ibid., :(JLa pyramide humaine), p. 87.

152.

153, Ibid., (Cours naturel), p. 312.

154. Faul Eluard, Choix de poèmes, (La Fyramide humaine)t F ari s, Gallimard, 195'1, p. 830

"Banane le parc à 'refrain$ Résonne de chansons nouvelles ••• Mandarine métal d'injures"· 155

"Voyelle timbre immense, Sanglot d'étain rire de bonne terreU 156 ,

54

Ces images tendent toutes à la personnalisation, car il sem­

ble que la voix humaine soit, ,chez Eluard, la commune ~esure

de toute manifestation sonore. Sans cesse, dans cette poésie,

les bruits produits par les objets inanimés ou la nature,

sont comparés au 'langage humain qui possède une dignité ap­

peiant le respect. D'où les égards qu'on doit à la parole:

uVoici l'épouvantable ardeur de la parole qui n'est pas dite pour être entendueU 157

uJ'ai mal vécu et. mal appriS à parler clair" 158 "

"Ce petit monde meurtrier Confond les morts et les vivants Blanchit la boue gracie les tra1tres Transforme la parole en bruit" 159

Pour Eluard, aucun obstacle ne limite la portée de la parole

humaine qui a, symboliquement, un étrange pouvoir sur les

sentiments et les choses:

"Je parle et la porte s'ouvre" 160

,', "

155. Ibid., (Le livre ouvert Il), pp. 261-262.

156. Ibid., (Cours naturel), p. 190.

157.

158. Paul E1uard, Choix de poèmes, (Tout dire), Paris, Gal­limard, 1951, p. 401.

159. Ibid" (Poésie et vérité 42), p. 280.

160. Ibid., (Poèmes pOlitiques), p. 357.

"Quand je par~ais seul· Je disais amour et c'était la vie" 161

Aussi n'est-il pas surprenant que le poète accorde un rôle

priinordial au langage dan~ toutes les formes d'échange ·ma­

tériel ou spirituel et, principalement, dans la relation

amoureuse. Si l'amour apparaît fondamentalement comme une

communication, la· parole dQit y remplir une fonction de

premier ordre: .

"Et dans ta bouche nos paroles Comme l'air pur dans ta· poitrine Fonden't les cloches du plaisir" 162

"Je t'aime et je dors avec·toi Ecoute-moi" 163

55

De la même manière, dans le commerce poétique, le poètè,:·é4i:

prouve l'utilité première et irrempla9able du langage. Les

mots et le chant président à une communication non équivoque

car vitale:

"Les mots la commune mesure Entre les hommes les mots la vie" 164

"Il Y a des mots qui font vivre Et ce sont des mots innocents" 165

liMon chant n'a pas· de sens si vous n'avez raison" 166

161. Ibid., (Chanson complète), p. 222.

162. Ibid., (Le livre ouyert Il), p. 268.

163. être lus belle ue l'eau? (La rose ~allimard, 1951, p. 164.

164. Ibid., (Cours naturel), p. 171.

165. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Au rendez-vous allemand), Paris, Gallimard, 1951, p. 288.

166. Ibid., (Une leçon de morale), p. 385.

56

Partant,: rien ne remplace la 'plénitude expressive du langage.

, ~e sens de l'oule, purement réceptif, peut se confondre avec

les ,notions symboliques de silence et'de surdité:

"Plus une plainte plus un rire ,Lè":;Jlelmier:::chant s'est abattu Sur la campagne informe e,t noire" 167

"Voici les sourds qui font taire les bruits du monde" 168

Solitude, contradiction, mort, obscurité intérieure, incom­

municabilité, angoisse et désespoir: voilà, semble t-il,

l.!héritage de la surdité et du silence éluardiens:

"Mémoire et même du désert et du silence Joli désert où la mort est légion Le coeur parcelle et le temps dispersion Silence noir où tout se contredit" 169

"Le tilleul à son parfum Comme un sourd à son silence" 170

La protestation qui s'élève contre cette déperdition, c'est

le cri. Appel pour vaincre la solitude ou hurlement protes­

tataire, il recule les limites de la mort et réclame le bon­

heur du dialogue. Dans le poème "Crier" Eluard insiste sur

cet aspect:

167.

168.

169.

170.

"Car j 1 enlève à la,.',mort cette vue sur la vie Qui lui donnait la place devant moi D'un cri ••• Et mon cri nu monte une marche De l'immense escalier de joie.~.

Ibid. , (Le livre ouvert 1), p. 243.

1Bi2:. , (La pyramide humaine), p. 86.

Ibid. , (Le lit la table), p. 311.

Ibid. , (Le livre ouvert 11), p. 265.

"Je suis bien sOr qu'à tout moment Aieul et fils de mes amours De mon espoil." Le,bonheur jaillit de mon cri Pour la recherche la plua haute Un cri dqnt le mien soit l'écho" 171

;:';

57

Au contraire, le' rire, dans la symbolique éluardienne, c'est

, la victoire assurée sur la mort et la solitude; victoire pro­

mise par l'espoir ou conquise dans l'enthousiasme:

"Au prelilier mot limpide au premier rire de ta chair La route épaisse dispara1t T out recommence" 172

"Riant d'un rire sans grimaces ,Dénouant notre solitude" 173

"Et le rire partout dénouant le bonheur" 174

"Rions ,du beau temps fixe qui nous met au monde" 175

Voilà pourquoi le rire est associé aux images positives de

l'abondance, du débordement féérique, du dégagement spatial •••

Par un caractère kinésique le rire contribue à traduire un

état d'exubérance devant l'univers et devant la vie:

"11 Y a de grands rires sur de grandes places Des rires de couleurs sur les places dorées Les barques des baisers explorent l'univers" 176

De même, le chant est associé, chez Eluard, à la certitude

171. Ibid. , (Le livre ouvert), pp. 242-243.

172. Ibid., (Médieuses), p. 235.

173. Ibid., (Le livre ouvert 1), p. 250.

174. Ibid., (Une leç on de morale), p. 387.

175. Ibid. , (Le château des pauvres), p. 427.

176. Ibid., (Une leçon de morale), p. 389.

58

d'exister:

"Avec l'espoir sans frein des hommes malheureux Ils sont au bout de tout et chantent leur naissance" 177

Le chant symbolise aussi la plénitude de la personne et con~

tribue à la consécration des forces naturelles:

"T on corps chante son assurance _ Tout vouloir tout pOUVOir à jamais" 178

"Lorsque le ciel pavé d'oiseaux chantait dans les ban­lieues ••• " 179

Enfin, la sensation auditive, dans sa souveraineté, triom­

phe des limitations extérieures; l'éChange est·si complet

entre les êtres qu'aucun obstacle ne peut le compromettre.

Souveraine, la voix domine le monde:

"Un village une ville et l'écho de ta voix Taillant les villages les·villes les partageant" 180

C'est ainsi qu'apparait, chez Eluard, la notion de l'-écho

qui est, àl'ou!l..e, ce que le miroir est àla vue~ L'écho,

en décuplant les ondes sonores, assure la transmissions i-

ninterrompue de la parole et se rend maitre du temps et de

l'espace :.

"L'écho fidèle répétera sans fin cette chanson" 181

171. Ibid., p. 383

178. ~., (Chanson complète), p. 223.

179,

180. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Le château des pauvres), Paris, Gallimard, 1951, p. 424.,

181. Ibid., (Une leçon de morale), p. 394.

"Image écho reflet d'une naissance perpétuelle" 182

""Belle à désirs renouvelés tout est nouveau tout " est futur

Mains qui's'étreien~nt ne pèsent rien Entre des yeux qui se regardent la lumière déborde L'écho le plus "lointain rebondit entre nous" 183

59

Parallèlement, la voix humaine, le chant surtout, fait nai­

tredes images de ha.uteur,d'espace et d'envol, des images

de "libération cosmique":

"Le chant· qui s'élève avec la tour et se prolonge avec la femme qui s'étend, souriante, infinie et belle comme la mer." 184

"J'apprends des jeux qui n'en finissent pas ••• Des chants qui crèvent les rideaux de la hauteur ••• Porte ouverte où dehors est roi Il chante partout à tue-tête Une vigne s'accroche au vent Les murs sont chargés d'espace ••• " 185

Aussi la sensation auditive parvient-elle à une universalité

qui confond sujet et objet et renvoie au monde entier le mes­

sage personnel:

182.

"Ecoute-toi parler: tu parles pour les autres Et si tu te reponds ce sont les autres qui t'enten­

dent" 186

ue Gallimard,

183. Ibid., (Les yeux fertiles), p. 230.

184. Paul Eluard, Choix de poèmes, (A l'intérieur de la vue), Paris, Gallimard, 1951, p. 343.

185. ue Gallimard,

166. Ibid., (Les yeux fertiles), p. 2280

Chapitre quatrième

L'odorat et le gont

Les sensations gustatives et olfactives se dis'tinguent, chez

Paul Eluard;' par un caractère presqu~ cénesthésique. L'absorp­

tion de l'objet sensible. par le sujet différencie nettement

ce sens de la vue, du·toucher ou de l'ouie.

Est-ce pour cette raison que les notations d'odeurs ou de

saveurs sont relativement rares che'z Eluard? Néaminoins, cet­

te "intériorité profonde lt est ressenti~ parle poète qui,

évoquant le parfum et le gont des fleurs, conjugue les

deux sensations en une même i~sion interne:

"Le gourmand dépouillé Gonflant ses joues Avalant une fleur Odorante peau intérieure" 187

Certes, l:!;ivresse et la volupté de 1 i odora-t ont place chez

lui. C'est souvent avec ravissement que le poète rappelle

les parfums ainsi que l'arôme des végétaux:

"Un vent très doux S'affale sur les fleurs trop mftres Azure le sein du cassis S'enivre de l'odeur des coings" 188

187. Ibid., (Les nécessités de la vie et les conséquences des rêves), p. 37.

188. Ibid., (Les mains libres), p. 180.

61

Pour Eluard, les végétaux semblent particulièrement odorants.

Avec le corps humain et celui des animaux, ils sont objets

propices à l'olfaction:

"Le bruit·de la mer le bruit des galets La mousse et l'odeur de la fleur du bois Le miel l'odeur du pain chaud Duvet des oiseaux nouveaux" 189

"Mes yeux ma langue et l'odeur de ma peau Lèvent d'autres oiseaux à tous les horizons" 190

"Les oiseaux parfument l:esbois Les rochers leurs grands lacs nocturnes" 191

Cependant l"odorat n'apparait jamais dans la poésie éluar­

dienne comme une, sensation exclusive, ce qui est fréquent

chez Baudelaire. Loin de constituer une jouissance distinc­

te, e'lle contribue à la connaissance conjointe 9.11 réel:

"Le bruit l'odeur le feu'venaient fermer leurs ailes Dans ma gorge écrasée dans le puits de mes mains" 192

L'odorat, stimulant érotique, est souvent une incitation di­

recte à i'àccomplissement sexuel; il concourt à créer une

certaine atmosphère par le charme des parfums:

"Ils étaient quelques-uns qui vivaient dans lra nuit En rêvant du, ciel caressant •••

189. Ibid., (Le lit la table), p. 306.

190. Ibid., (Léda), p. 373.

191.

192. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Léda), Paris, Gallimard, 1951, p. 180.

..

L'odeur des ·fleurs les ravissait même de loin La nudité de:leurs désirs les recouvrait" 193

Il La clarté de ce:, matin Dévêtus de tous mes regards tes seins Tôus les parfums d'un bouquet De la violette au jasmin" 194

62

Symboliquement,. le sens olfactif· acquiert une autre dimen­

sion. A travers l'opposition des odeurs nauséabondes et a­

gréables, le poète suggère tout un monde de valeurs, person­

nelles ou morales; de sorte que, dans ses poèmes, la puan-

teur symbolise la mort:

"L'on va t'imposer la mort La mort légère et puante Qui ne répond qu'à la mort" 195

alors que l'arôme est· lié à la vie et à l'amour:

"Elle est comme un bourgeon L'espace de la flamme Candide elle a l'arôme D'amoureux enlaçés" 196

"Portant vers des mains propres un peu de l'orient de sa sève qui sent bon. Et les plis empesés de sa ver­tu." 197 .

Mais, somme tout~·, le champ sensible de l'odorat demeure res-

treint. Il n'en est pas ainsi pour le goüt qui se pratique

sur une très grande variété de denrées. En gourmet, le poète

sait se délecter de la gustation et, quand il veut suggérer

la tangibilité des choses, il les compare à une nourriture:

193. Ibid. , (Au rendez-vous allemand) , p. 302.

194. Ibid. , (Le lit la table), p. 305.

195. Ibid. , (Au rendez-vous allemand), p. 294.

196. Ibid., (Les mains libres), p. 181.

197. Ibid., (A l'intérDeur de la vue), p. 347.

"Au Pl'intemps ils se fortifièrent L'été leur fut un vêtement un aliment" 198

"L'enfant a des lumières Des poudres'mYstérieuses qu'elle rapporte de loin Et que l'on goÜte'les yeux fermés" 199

. Cepend·ant l'évocation poé"tique de la qualité des aliments

l'intéresse plus que la .peinture de la manducation elle-

même.

6~

Les images ~iréés des sensations gustatives font ressortir

la hardiesse ~e.l~ituelle du poète, car toujours il se s ouv i.e nt

du surréalisme~ utilisant des associations de mots qui accu­

sent l'illogisme des phénomènes sensibles:

"Toits rouges fondez sous ta langue Canicule dans les lits pleins Viens vider tes sacs de. sang frais" 200

"Les condiments en puissance d'orage Font que le ciel difforme retourne à ses boissons

gelées" 201

Nul autrè' aspect sensoriel ne constitue pareil impératif chez

Eluard. Le goftt, parce qu'il accompagne la nécessité de se

nourrir, est revêtu d'un caractère utilitaire assez troublant:

"Parler est peu de chose l'eau le gaz l'électricité Et manger à sa faim serai.ent plus lumineux Avoir la peau brunie et manger à sa gourmandise" 202

198. Ibid., (Le.château des pauvres), p. 426.

199. belle ue Gallimard,

200. Ibid., (Les yeux fertiles'), p. 201.

201. Ibid., (La vie immédiate), p. 26.

202. Paul Eluard, Choix de Eoèmes, (Poèmes pOlitiques), Paris, Gallimard, 1951, p. ~61.

64

Ainsi l'amour renvoie à la gustation: Eluard nous montre qu'il

fait impérieusement appel au phénomène de l'appétit, ce qui

implique l'expérience savoureuse du plaisir sexuel. La fem-

me devient l'objet d'un désir aussi vif que la faim et la

soif:

"Que l'amour est semblable à la faim à la soif" 203

"Viens boire un baiser par ici Cède au feu qui te désespère" 204

. ~'Dans notre miroir au coeur double Nos désirs vont bâtir ton corps. En faire la soif des oiseaux" 205

D'ailleurs le rôle poétique du goüt est manifeste chez Eluard.

"Sens de la fusion d'un corps étranger dans l'organisme",206

le goüt est lié directement à l'émotion charnelle, il se ~ra­

duit par des images d'une intense expressivité:

"Comme ta' bouche où tout revient prendre du «oat Le voile de tes seins se gonfle avec la vague De ta bouche qui s'ouvre et joint tous Iss rivages •••

. Et tu te fends comme un fruit mUr ô savoureuse Mouvement bien en vue spectacle-humide et lisse" 207

La femme, qu'il compare à un "f:t!uit défloré"208, dans un au-

203. ue Gallimard,

2040 Ibid., (Les yeux fertiles), p. 221.

205. Ibid., (La rose publique), p. 116.

206. Jean Nogué, Esquisse d'un système des qualités sensibles, Faris, Fresses universitaires de France, 1941, p.432.

207. Faul Eluard, Derniers poèmes d'amour, (Corps mémorable), Faris, Seghers, 1962, p. 86

208. Paul Eluard, La °arre eut-elle être lus belle ue l'eau? (La rose pub~que , Faris, Gallimard, 1951, p. 151.

65

tre poème de La rose publique, possède le pouvoir symbolique

de l'assouvissement:

"Jour àprès jour la soif du jour rassasiée Dans le silence intelligible Sans intention tu es le monde lt 209

Et avec la satisfaction, elle apporte.une renaissance qui,

jointe à des images de volatilisation, laisse deviner la

puissance sensible du goüt:

ItLa passante interdite et charnelle dans le soleil Dans les neiges des prairies creuse un baiser de son Où les miroirs volants viennent boire Il faut voir s'ouvrir aussitôt Les lèvres mouillées du printemps Multitude candide'i 210

209. Ibid., (Les yeux fertiles), p. 2610

210. Ibid., (La rose pUblique), p. 116.

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Toute l'etèndue· <:iela.sensi·bilité:hwnaine 'rayonne dans le " . . '" .... ,." " '",

66

chant eluardien. Les· sensdltP~èter~~t:JionnentPour révéler

un monde êtonnammen·j;· .c~n.crei::i:: ." ..... , . . ,> .. , . : ...... : .:. '. "', :,\ :' .. .... ",: . ;. :

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. "Desden.telles.d'àigû.illl;l3.'des·.toùf:res·d,e··sable Des orages. dénudanttolis.:.les· ·nerf·s·· du'silence Des oiseaux de' ;diamants·.·entré.·:i~:s ... cien.t·s ,..:a '.un lit Et d'une grencie ~écriture:c.h~~n.elle:. j:t $,:.iDieu" 211.

"L • écri turechar~~lie",~~td!.ih-truit~ill?' ~:t:~~tê.;que, dans

cette poésie,il:L~sei:t~~t:i.bn,.i:i,.béré·è ··:.d~···~" s~:~· :~:·el:énieb.~s pré-con­

ceptuels, .... éChap;e~à'.·la~51ésciri~.t;~otf,:co~~'::.:à . ·~Ct··é;'~c'at.t~n,lOgi­que •. oeile:~i:'~:;9~ri~t.,::;·;·il1lp~~t~' .. be~~~b~p·::.:pô~r)·:i~·· .. ~~oèt·~: :e.t ce

n' est· pa"\\S~~i~dnq,{, ;i~itè~p~.iàe·A~~~ti~r~a~h· dans Donnera'voir::';, ... ': .''-. ::., ,';, 'i,'" ... ', "

. "( L'hdmine) "a; ·.·1~sniêm~s":-~'e'ris·.·~4~~.'.·i ~iihiill~i';~:: .... ~à·is,. ':6hez . lui<la .. sensation,·.aulieU' dêtrè·· .. :relative~ ... sup'ordon-' •. née :'a1Jx'; besoins infériéui'$. .. dé •. -..J.:a::.1iie·,· :.4~vient:.ûn : : . . être absolu, son.propre but~<;~a :·pr..ppre,:: jpu;i.ssa:nce ~" 212

. C • e st par -l€L.véi-tu.'·d~~ l'i~~~i~~ti~~·q~'ii~~ri·: p'~~ie~t ,à

IIlibéreru ie .•. mond~·é~n~i·bl~·:~ ... S~lon~J.~'i::···::····lJ ':'J'~~;~~:'::~i"ïnstalle . . .... :.'..... ' . .". " . ,'.' .' .' ............... '.' "::>" .. '.: .... ' ":... . .... ' .. " '.

au royaume .·de·i.' imâgïria.ire··.p~ur:·.'cté~r·~.~â:· .. p~ft:i.~:· 'a~··, r.éel, un univers p~éti~~e ···o~igi:n~li·:· ..... . ":.:' .. : ..... j.:.,~:,: .... -.':?:; .. :,; .. :" .... ~ ..

'-; .;":',';-.'

"Il rêve, ili~agine,ii, 6ré~:~<·:E:tsoud·a.'in,: ·.voici que l'objet .virtuel naitde l'obj'et:rée'l';' qu' .. ~l".devient

.',' ... : .. ,

211. Ibid.,(La rose publique), p. 126.

212. Paul Eluard, Donner à voir, Paris, Gallimard, 1939, p. 80.

~réel à son toUr, voici qu'ils font image, du réel au réel; co:rpme un mot avec tous les autres." 213

<,

67

Aussi n'est-il pas étonnant de trouver là cette àffirmation

de Bernardin" de Saint-Pierre: "Le grand art d'émouvoir est

d'opposer des objets sensibles aux inteÙlectuels" 211. La

méfiance d'Eluard à l'égard des abus de l'intelligence est

extrême, et il ne conçoit jamais sa poésie ~omme une création

de mots~ Inventer des objets sensibles; voilà la certitude

fondamentale qui le définit comme poète et qui lui permet

d.' oeuvrer:

"Je n'invente pas des mots. Mais j'invente des objets, des êtres, des événements et mes sens sont capables de les pet"cevoir ••• S'il me fallait douter de cette réa­li té,. plus rien ne me serai t sftr, ni la vie, ni l'a­mour, ni la mort. Tout me deviendrait étranger. Ma raison se refuse à nier le témoignage de mes sens. L'objet de mes désirs est toujours réel, sensible." 215

213. Ibid., p. 76.

214. Ibid., p. 59.

215. Ibid., p. 146.

DEUXIEME PARTIE

L' IMAG INAT l ON SYMBOLIQUE

Le ·culte de l'imagination avait porté Paul Eluard vers· le

surréalisme bien plus que les phénomènes de l'inconscient.

Tout au long de son oeuvre, il exalte l'activité imaginaire,

surtout pour en souligner l'exceptionnelle liberté d'inven-

tion:

"L'imagination n'a pas l'instinct d'imitation. Elle est la source et le torrent qu'on ne remonte pas. C'est de ce sommeil vivant que le jour naît et meurt à tout instant. Elle est l'univers sans association, l'univers qui ne fait pas partie d'un plu.s grand u­nivers, l'univers sans dieu, puisuq'elle ne ment ja­mais, puis·q:t,l'elle ne confond jamais ce qui sera avec ce qui a été." 216

Pourtant, la sensibilité&uardienne n'était pas étrangère

au symbolisme, une secrète entente l'y poussait et l'utili­

sation poétique des sensations fut pour elle un prétexte

favorable.

De sorte que se prOduisit chez Paul Eluard ce que Marcel

Raymond se plaît à reconnaître dans toute véritable expé­

rience poétique:

216. Ibid., p. 81

69

"Ce que le poète demande au monde sensible, c'est de quoi forger une vision symbolique de lui-même ou de son âme; il lui demande un moyen d'exprimer son â­me.",217 '

Cette vision symbolique s'exprime au moyen d'images. Ainsi,

chez Eluard, l!::imagination tisse un r~sea..u d'images récur­

rentes. Le symbolisme éluardien nait de cette charge inten­

tiormelle continue'; une signification se dégage de la récur-

rence.

La sensation, donc, pourrait être le véhicule d'une signifi­

cation, parfois peu équivoque, que le retour périodique des

images traduit .. En ce sens, il y aurait "fusion symbolique",

car la sensualité éluardienne vise toujours à l'union.

C'est, sans doute, ce que le poète veut évoquer quand il par­

le de "langage universelu et de "véritable voyance":

"Tous les hommes communiqueront par la vision des cho­ses et cette vision des choses leur servira à expri­~er ce point qui leur est commun à eux, aux choses, a eux comme choses, aux choses comme eux. Ce jour-là, la véritable voyance aura intégré l'univers à l'hom­me - c'est à dire l'homme à l'univers." 218

-1'

217. Marcel Raymond, De Baudelaire au surréalisme, Paris, José Corti, 1947, p. 24.

218. Paul Eluard, Donner à voi~, Paris, Gallimard, 1939, p. 96.

)

Chapitre premier

Les objets de la fusion symbolique

"

Dans une poésie où la peroeption vise à englober l'Univers

par la fusion symbolique, il importe de définir les objets

que retient le poète.

Paul Eluard affirme:

"Le monde est sur la table ,des métamorphoses" 219

219. Paul Eluard, Choix de poèmes, (léda), Paris, Gallimard, 1951, p. 368.

71

Le règne minéral

Riche en matières brillantes,· précieuses, inaltérables, le

règne minéral fournit à l'imagination de nombreux corps aux

propriétés symboliques. Diamant, perle, cristal, argent, tou­

tes ces substances illustrent la pérennité. ·Le sens visuel,

extrêmement précieux, acquiert dans l'amour une valeur plus'·

grande encore et, dans leur inaltérabilité, les métaux, de

même que les pierres, sont faits pour dire la b.eauté des

yeux:

"pourtant j'ai vu les plus beaux yeux du monde Dieux d'argent qui tenaient des saphirs dans leurs

mains" 220

"Sur leurs plages de perle Tes yeux sont les plus beaux" 221

1 Ainsi la femme et l'amour, magnifiés par Eluard, ~ont asso­

ciés à ce monde triomphant des matières dures, brillantes ou

transparentes:

"Demain de baisers incarnés. Taillés comme des diamants" 222

"Aux marches des torrents Des filles de cristal aux tempes fral.ches" 223

220. Paul Eluard, Capitale de la douleur, Paris, Gallimard, 1926, p. 110.

.......

221. eut-elle être lus belle ue 1 ':êau? , Paris, Gallimard, 1951, p. 107.

222. Ibid., p. 148.

223. Paul Eluard, L'amour la poésie, Paris, Gallimard, 1929, p. 79.

72

L'espoir, à son tour, comme valeur morale positive, est iden­

tifié à un corps translucide; à l'illumination intérieure

correspond la réflexion de la lumière:

"L'espoir sur tous les yeux. met ses verres taillés" 224

Quant à la femme, Eluard semble réunir pour elle les métaux

~es plus précieux et les objets les plus lumineux. Dans un

poème de La rose publique, il porte l'éclat, la magnificen­

ce et la recherche de luminosit~ à leur comble:

"Elle se fi"t élever un palais qui ressemblait à un .é­tang dans une forêt, car .toutes;:" les apparences réglées de la lumière étaient enfouies dans des miroirs, et le trésor diaphane de sa vertu reposait au fin fond des ors et des émeraudes comme un scarabée" 225

Mais les minéraux n'ont pas que ces qualités. La dureté et

l'opacité de l'acier sont autant symboliques. Eluard sait

apprécier les instruments, les outils et les machines, mais

à un moindre degré:

"En pleine viande fra1che Comme un couteau rouillé" 226

"L'opaque tremblement des ciseaux qui -font peur" 227

"Pour en finir Une hache dans le dos d'un seul coup" .228

Aussi la ville, cette grande bétonnière, oppose t-elle avec

eut-elle être aussi belle ue l'eau? , Paris, Gallimard, 1951, p. 160.

226. Ibid., (La vie immédiate), p. 25.'

227. Paul Eluard, L'amour la poésie, Paris, Gallimard, 1929, p. 75.

228. Ibid., p. 73.

73

ses ponts,· ses pavés et ses tunnels, des objets durs et opa­

ques à l'être humain; malgré sa proximité, elle est beaucoup

plus étrangère et distante que les corps célestes. Ceux-ci

sont associés, par le poète, aux actes les plus courants .de

la vie:

"Dormir la lune dans un oeil et le soleil dans l' autre'~ 229

Symboles d'illumination, de volatilisation, de durée confi-

nant à l'éternité et d'illimitation spatiale, les astres

s'idèntifient à 1·' amour:

"Et toi, le·sang des astres coule en toi, leur lumiè­re te soutient ••• " 230

"Constellations, Vous connaissez la forme de sa tête" 231

"Et ses mains s'ouvrent sur une étoile Et ses yeux cachent le soleil" 232

Le pouvoi~ de la femme sur les astres est manifeste, ce que

soulignent les images, en montrant comment le règne minéral

peut offrir un visage humain et poétique:

"Quand tu fais tomber le ciel sur la table D'un geste mieux réglé que celui des saisons" 232

"Tu es comme la mer tu berces les étoiles Tu es le champ d'amour tu lies et tu sépares" 233

227. Paul Eluard, Capitale de la douleur, Paris, Gallimard, 1926, p. 16.

228. Ibid., p. 112

229. Ibid., p. 48.

230. Paul Eluard, Derniers poèmes d'amàur, (Corps mémorable), Paris, Seghers, 1962, p. 95

231. Ibid., p. 103.

232. Ibid., (Le phéniX), p. 129.

74

Le règne végétal

Four Eluard, le règne végétal est celui des lieux bénéfiques,

~-- accueillants et agréables. Douée de vie, répondant à la récep­

tivité humaine par la beauté de son efflorescence, la végé­

tation gagne sur le règne mi~éral en épanouissement, en a­

bondance·chaleureuse, en humanité presque. C'est pourquoi

le poète identifie la nature à l'homme:

"Ce premier état· humain Comme une prairie naissante" 235

"A force d'être.comme un pré qui hume l'eau Qui donne à boire à son terrain de haute essence" 236

Il Y a chez Eluard une remarquable symbolique de la nature.

A travers elle s'expriment toutes les valeurs humaines de'

bienfaisance, d'accueil, de protection; sa bienveillance est

telle qu'elle rappelle la félicité édénique:

"Et la mère devient toute entière et sans honte Fareille à la clairière idéale à l'oasis de la forêt L'horizon de verdure entourant un seul fruit" 237

"Je viens à toi la double la multiple A toi semblable à l'ère des deltas" 238

235. Ibid., (Le dur désir de durer), p. Il.

236. Ibid., (Corps mémorable), p. 82.

237. Ibid., (Le phéniX), p. 141.

238. l'eau?, (La vie po Il.

être lus belle ue Faris, Gallimard, 1951,

75

Le règne végétal fournit également une grande quantité de

matières. qui, transformées par l'industrie de l'homme, de­

viendront des objets symboliques •. Te~seraient les tiêsus

des vêtements féminins, de même que certains objets usuels,

symboles visibles de l'amour ou de la beauté. Esthétique des

tissus:

. "J'ai: rencontré la jeunesse Toute nue a~plis de satin bleu" 239

"Elle· est d'une';grande simplicité artificielle',~ Velours· insondable vitrine éblouie" 240

ou poétique des.vêtements:

"En s'en allant les femmes enlevèrent leur chemise de lumière" 241

"Sur tous les chemins de nos yeux S'étalaient des femmes sacrées Comme des voiles de mariée" 242

Eluard r~trouve par le .. ~tulle, la soie et les rubans, non

sans quelque préciosité d'ailleurs,l'image idéale de la

femme. Pour le poète du recueil Le lit la table, les. plus

humbles choses acquièrent une signification. Ainsi le ber­

ceau et le lit se conjuguent ét disent la fécondité et le

tendre enveloppement de l'amour:

239. Paul. Eluard, Capitale de la douleur, Paris, Gallimard, 1926, p. 107.

240. l'eau?, 1951, p.

241. Ibid., p. 57.

ue Gallimard,

242. Paul Eluard, Derniers poèmes d'amour, (Le phéniX), Pa­ris, Seghers, 1962, p. 109.

76

"Un enfant vient de naitre ••• Au golfe du berceau il se noue et s'endort" 243

"L'éternité·a oommenoé et finira avec le lit" 244

Mais c'Qst la nnature dans sa végétation, la flore, que le

poète se plait à évoquer. Renouvellement ininterrompu, per­

sistance, fertilité, ces valeurs ont inspiré les très beaux

poèmes du "blason des fleurs et des fruits" et du "blason

des arbres". L'arbre est associé à l'espace, à une espèce

d'envoütement céleste:

"Soutienà du ciel les arbres immobiles Embras'sent bien l'ombre qui les soutient" 245

"La nature s'est prise aux filets de ta vie L'arbre, ton ombre, montre sa chair nue: le ciel Il a la voix du sable et les gestes du vent" 246

De plus, feuilles, fleurs et fruits, ne sont pas étrangers à

la destinée humaine. La f~mme, par exemple, ne fait qu'un a-

vec la nature:

"Elle est comme une grande voiture de blé Et ses mains germent et nous tirent la langue" 247

"Plante majeure dans le bain Végétal travaillé brune ou blonde A l'extrême fleur de la tête Sa nudité continuelle" 248

243. Ibid., p. 145.

244. eut-elle être lus belle ue l'eau?, , Paris, Gallimard, 1951, p. 38.

245. Paul Eluard, Capitale de la douleur, Paris, Gallimard, 1926, p. 79.

246. Ibid., p. 79.

247. Ibid., p. 95.

248. être lus belle ue l':ëau?, Gallimard, 1951, p. 18.

- - -~ , '1 <

77

Et, comme la femme, l'arbre participe à cette vie glorieuse

et totale qui est celle de la volatilisation:

"Les ailes ont quitté le c.orps De la forêt l'arbre s'envole Il règne de la terre au ciel" 249

249. Paul Eluard, Choix de poèmes, (jLe livre ouvert 11), Pa­ris, Gallimard, 1951, p. 266.

78

Le règne animal

Depuis Les hommes et leurs animaux jusqu'au Blason dédoré

de mes rêves, qu'il lâisBa inachevé, Paul Eluard n'a cessé "

de s'intéresser aux animaux pour s'idëntifier à eux avec

précision:

"J'en vins pour me sauver à rêver d'animaux ••• Je figurais comme un mendiant ••• Mon pelage mes griffes süres Ma course et mon cheminement Ma ponte et mon éventrement Ma mue et ma mort sans rupture" 250

Intensément poétique, le monde animal le conduit aux sources

de l'inspiration, annexe le règne végétal, et fait imaginer

des créatures fantastiques, d'étranges fusions de flore et

de faune, des bêtes-fleurs:

"Le loup-corail séduit l'épine-che.valière Toutes les chevel~es des îles Recouvrent des grappes d'oiseaux L8; fraise-rossignol chante son sang qui fume" 251

De la souris au dragon, en passant par la classe des insectes,

le bestiaire de Paul Eluard est étendu. Mais, de tous les a­

nimaux, ce sont les oiseaux qu'il préfère, parce qu'ils figu­

rent la transcendance en même temps que la poésie pure:

"De véritables dieux des oiseaux dans la terre Et dans l'eau je les ai vus

250. Paul Eluard, Poésie ininterrompue 11, Paris, Gallimard, 1953, pp. 54-55.

251. Paul Eluard, L'amour la poésie, Paris, Gallimard, 1929, p. 80.

Leurs ailes sont les miennes, rien n'existe Que leur vol qui secoue ma misère .. Leur vol d'étoile et de lumière ••• " 252

79

Symbole d'illumination, de communion totale et d'effusion

parfaite, l'oiseaufasclhne Eluard; c'est peut-être aussi par­

ce qu'il satisfait son secret désir d'échapper à la matière,

à la condition humaine et au besoin de recréer Dieu •••

"Un bel oiseau me montre la lumière Elle est dans ses yeux, bien en vue Il chante sur une boule de gui Au milieu du soleilu 2'53

"Sur la maison du rire Un oiseau rit dans ses ailes Le monde est si léger Qu'il n'est plus à sa place" 254

. Pourtant, ce se sont pas tous:! les animaux, ni même tous les

oi.seaux,. qui sont doués de tels attributs; les images de grif­

fes, de crocs et morsures composent le revers de cette symbo-

·lique. Pesanteur et dislocation sont le fait de quelques bê-

tes:

" ••• Les hiboux Partageaient le solèil et pesaient sur la terre" 255

Mais, semble t-il, le corps humain, et particulièrement, le ::;

corps de la femme aimée, a le pouvoir de tout réconCilier,

de tout réunir, déité et animalité, envol et pesanteur. Dans

252. Paul Eluard, Capitale de la douleur, Paris, Gallimard, 1926, p. 110.

253. lbid., p. 48.

254. Ibid., p. 73.

255. Ibid., p. 60.

80,

la poésie éluardienne, c'est ~ terme de comparaison et un

répondant universel qui fusionne toute la nature:

"De l'aube bâillonnée un seul cri veut jaillir Un soleil tournoyant ruisselle sous l'écorce Il ira' se fixer sur tes paupières closes o douce, quand tu dors, la nuit se mêle au jour" 256

"Tes mains font le jour dans l'herbe , Tes yeux font l'amour en plein jour" 257

Car la femme, en s'accordant aux forces naturelles, rend la

sensation à des objets tangibles, à des êtres vivants, ani­

més. C'est ainsi que la dest'inée des animaux et des humains

e st étroitement l,iée à la sienne:

"D'insectes et d'oiseaux d'écureuils et de singes De tous les animaux aériens distrayants Et d'enfants turbulents échappés à leur geôle Debout elle avait l'air de composer les jeux Qui prennent pour pain la merveille des sens" 258

La perfection du rêgne animal, c'est l~homme, et Eluard, -" _.~~-;-

continuellement, nous le rappelle: sa poésie est une louange

à l'être humain. La,personne, les groupes, toute l'humanité

peuplent ses poèmes:

"Nous n'irons pas au but un par un mais par deux Nous connaissant par deux nous nous conna1trons tous Nous nous aimerons et nos enfants riront De la légende noire où pleure un solitaire" 259

256. Ibid., p. 94

257. Paul Eluard, L'amour la poésie, Paris, Gallimard, 1929, p. 19.

258. Paul Eluard, Derniers poèmes d'amour, (Le phénix), Pa­ris, Seghers, 1962, p. 143.

259. Ibid., (Le temps déborde), p. 78.

81

Les quatre éléments

Les éléments composent un espace pr!vilégié, permanent. Ils

excitent les sans et opèrent la transmutation de toute chose:

ce sont les piliers de l'analogie universelle.

Que le poète parlë.~·> de la bouche ou qui il évoque la femme ai­

mée, constamment se poursuit le dialogue entre les éléments

et le monde visible:

"Bouche gourmande des couleurs Et les baisers qui les dessinent Flamm~'~uille l'eau langoureuse Une aile les tient dans sa paume Un rire les renverse" 260

·"Elle belle statue vivante de l'amour o neige de midi, soleil sur tous les ventres o flammes du sommeil sur un visage d'ange ••• l~~Le silence éclatant de ses rêves Caresse l'horizon."261

Clest pourquoi regards-et paroles, situés au coeur de la ren­

contre, adhèrent à lâ conscience réflexive et se conjuguent

avec l'image de l'eau:

"Plume d'eau claire pluie fragile Fra1cheur voilée de caresses De regards et de paroles Amour qui voile ce que jlaime" 262

260. Paul Eluard, L'amour la poési~, Paris, Gallimard, 1929, p. 26.

261. Paul Eluard, Capitale de la douleu.r.,_ .. J?~gis, Gallimard, 1926, p. 104.

262. Paul Eluard, l'eau?, p. 82.

82

Le feu, que l'on se rappelle le .. poème ".-Pour vivre ici", est

l'élément vivifiant dont le rayonnement et la diffusion ré­

confortent. Sa mobilité semble le destiner à devenir l'élé-

ment premier auquel toutes choses se rapportent:

"Je fis un· feu, l'azur m'ayant abandonné ••• Un feu pour vivre Je lui donnai tout ce que le jour m'avait donné .. Les forêts, les buissons, les champs de blé, les vignes, Les nids et leurs oiseaux, les maisons et leurs clés, Les insectes, les fleurs, les fourrures, les fêtes." 263

Aussi n'est-il pas· étonnant que l'image de la femme soit as­

sociée par le poète, à celle du feu:

"Je suis devant ce paysage féminin Comme un enfant devant le feu ••• Devant ce paysage où tout remue en moi" 264

Quant à la terre et à l'air, ils sont souvent réunis·, par le

poète, car ils composent les deux faces de l'univers habita­

ble et leur accord est profond jusqu'à la réCiprocité:

"C'est la lune qui est centre de la terre C'est la verdure qui couvre le ciel" 265

Mais quelquefOis Eluard souligne l'opposition naturelle qui

s'établit entre eux, la terre figurant la lourdeur tandis

que l'air symbolise l'envolée et toutes les formes de libé­

ration:

263. Paul Eluard, Choix de poème~, (Pour vivre ici), Paris, Gallimard, 1951, p. 23.

264. Paul Eluard, Derniers poèmes d'amour, (Le temps débor­de), Paris, Seghers, 1962, p. 58.

265, Paul Eluard, Capitale de la douleur, Paris, .Gallimard, 1926, p. 113.

"0 confusion la terre borgne Un oeil crevé pour ne rien voir Un oeil au ciel pour oublier" 265

83

Ainsi, s'est développé, chez Eluard, tout un symbolisme aé­

rien exprimant les valeurs de dégagement, d'échappée, valeurs

qui,dans l'imagerie terrestre, ,évoquent la vie,édénique:

"Les yeux: d'air vif' souveraine ~nnocente Les seins légers elle riait de.tout Et la mer dispersa le sab~e de son trône" 267

"Soudain la terre bienvenue Fut une roue de fortune Visible avec de blonds IIliXoirs Où tout chantait à :rose ouverte" 268

Les éléments sont ainsi les analogones de·la personne hu-

maine:

"Je citerai pour commencer les éléments Ta vois tes yeux tes mains tes lèvres" 269

265. Paul Eluard, Dern:L.èrs ;Eoèmes d'amour, (Le dur désir de durer) , Paris, Seghers, 1962, p. 35.

266. Ibid., p. 19

267. Ibid., p. 41.

268. Ibid. , p. 10.

Chapitre second

La nature de la fusion symbolique

Un des caractères de la sensualité éluardienne, c'est qu'el­

le tend à se confondre avec la nature. Mais, au contraire de

Reverdy et Guillevic, c'est à une nature transfigurée que

s'opère, chez Eluard, l'identification sensorielle, comme

celle qu'évoquent, par exemple, les poèmes "L'entente" et

"L'arbre-rose":

"Les chemins tendres que trace ton sang clair Joignent les créatures C'est de la mousse qui recouvre le désert Sans que la pluie jamais puisse y laisser d'emprein­

, tes ni d'ornières" 270

"L'année est bonne la terre enfle Le, ciel' déborde dans les ch~ps Sur l'herbe courbe comme uri'" ventre La rosée brftle de fleurir'''''"27l

En effet, quand Reverdy ou Guillevic décrivent la nature, il

s'agit d'un milieu aride, désert, minéral, où la flore et la

faune se fixent dans le hiératisme et ne semblent pas doués

de vie:

"Pays de rocaille, pays de broussaille - rocs Agacés de sécheresse

270. Paul Eluard, Choix de poèmes, (Facile), :Paris, Galli,­mard, 1951, p. 159.

271. Ibid., (Les mains libres), p. 179.

Terre Comme une gorge irritée Demandant du lait Femme sans mâle, colline Comme une fourmilière ébouillantée Terre sans ventre, musique de cuivre, Face De juge" 21,?

"Un jardin sans oiseaux Un jardin sans bruit Vous allez cueillir des fleurs noires Les fe,uilles ne sont jamais vertes Toutes les épines sont rouges Et vos mains sont ensanglantées" 273

, 85

Ce monde sec et statiquEl s'oppose à celui de Paul Eluar'd,

sans cesse dominé par le dy.namisme des' forces vitales.

C'est pourquoi la végétation, les animaUx et la personne hu­

maine, indissolublement unis, participent à la même consécra­

tion de la nature' et exaltent son extradinaire vitalité:

"La liane enlace la foule L'épi fertilise la foudre Le miel crispe un faisceau d'aiguilles Qui cousent la douceur de vivre ••• Pierre je ne suis pas de bois Ma chair est bouillante et vivace Nos mains sont menées à la danse ' Par l'aile et le chant des oiseaux ••• La marée monte comme l'arbre Comme nos yeux qui se répandent" 274

272. Eugène Guillevic, (Requiem) in Guillevic de Jean Tortel, Paris, Seghers, 1962, p. 97.

273. Pierre Reverdy, Plupart du temps, (La lucarne ovale), Pa~is, Gallimard, 1945, p. 77.

274. Paul Eluard, Poésie ininterrompue 11, Paris, Gallimard, 1953, pp. 33-34-35.

86

Ainsi, ohez Paul Eluard, les règnes de la natUre, de même

que les quatre éléments, sont revêtus d'une valeur absolue,

lors de l'exaltation symbolique. Carle ohant poétique rend

le poète perméable à l'univers entier:

"L'horizon borde mes paupières ••• Panorama j'absorbe au fond d'un puits profond Le oiel plein jusqu'au bord de reflets et d'étoiles" 275

De sorte que, par la poéSie, s'opère sans oesse un retour à

l'état de nature. Mais l'état naturel que le poète onante a­

vec prédileotion, c'est l'état de nature glorieux qui n'est

pas sans rappeler la félioité édénique originelle:

"J'allais vers toi j'allais sans fin vers la lumière La vie avait un corps l'espOir tendait sa voile Le sommeil ruisselait de rêves et la nuit Promettait à l'aurore des regards oonfiants Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard Ta bouche était mouillée des premières rosées Le repos ébloui remplaçait la fatigue. Et j'adorais l'amour o'omme à mes premiers jours." 276

La fusion symbolique avec l'univers apparaît dono, pour le

poète, oomme l'effusion pure qui lui permet d'éChapper aux

limites humaines et de se conjuguer aux c~oses visibles, en

une oréation qu'il veut absolue, triomphant du temps et de

275. Paul Eluard, Poésie ininterrompue 11, Paris, Gallimard, 1953, pp. 31-32.

276. Paul Eluard, perniers poèmes d'amour, (Le phénix), Pa­ris, Seghers, 1962, p. 157.

l'espace:

"Là je vois de près et de loin Là Je m'élancè dans l'espace Le jour la nuit sont mes tremplins Là je reviens au monde .e~tier Four rebondir vers chaque chose Vers chaque instant et vers toujours Et je retrouve mes semblables" 277

87

C'est pourquoi la sensation, chez lui, est dialectique: pro­

jection d'un sujet conscient dans l'univers, identification

symbolique et hantise finale de la conscience possé~ée par

son objet.

Faul·Eluard éprouve une véritable hantise de l'univers: "l'u­

nivers le hante"- a t-il écrit du poète; et la réversibilité

poétique de toutes choses autorise, selonlui,l'exercice

de l'activité imaginaire.

277. Faul Eluard, Poésie ininterrompue Il, Faris, Gallimard, 1953, p. 12.

CONCLUSION

L'imagination symbolique qui se nourrit aux sources de la

connaissance sensible, est fondée, dans la poésie éluardien­

ne, sur la notion de réversibilité poétique.

Celle-ci a subi une 'très nette évolution depuis Gérard de

Nerval. La réversibilité, pour ce poète en proie aux hallu­

cinat:i,.ons, est celle du rêve et de. la réalité. "L'épanchement

du songe dans la vie réelle" ayant affacé toute démarcation

entre le fantastique et le réel, le poète s'adonne à cette

"rêverie supernaturaliste" qui lui promet l'intrusion dans

le domaine de l'invisible.

La confusion entre le rêve et la vie s'accuse de plus en plus:

"tout vit, tout agit, se correspond" déolare Nerval en par­

lant de la nature, mais ce ,vague panthéisme n'est qu'une con­

séquence de l'insertion du mystère dans la vie quotidienne.

C'est donc déjà le merveilleux, cher aux surréalistes, qui

apparaît chez Gérard de Nerval, et l'exquise sensibilité du

poète lui donne toutes les apparences de la réalité. Ce réa­

lisme fantastique, Paul Eluard le reconnaît et exprime à

l'égard de Nerval son intransigeante admiration:

"Ces poèmes supèrnaturalistes sont à tel point par .. -faits, leur vue est si nouvelle et porte si ~oin, que nous nous étonnons de la nullité, de l'inutili­té de ses poèmes de jeunesse." 278

89

Avec Baudelaire et l'Asthétique des correspondances, la no­

tion de réversibilité s'impose à la .. poésie moderne. Corres­

pondance poétique des sensations doublée d'une correspondan­

ce métaphysique, la théorie baudelairienne enseigne la réver­

sibilité de toutes choses:

"Cheveux bleus, paVillons de ténèbres tendues Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond; •• ~" 279

L'idée du poète."traducteur", "déchiffreur de l'universelle

analogie" ne tombe pas en désuétude, au contraire! La cons­

cience moderne s'en souvient et toute l'évolution poétique'

met l'accent sur les facultés imaginatives.

Baudelaire avait souligné que "l'imaginatio~ seule eontient

la poésie" et c'est précisément ce pouvoir de réversibilité

qui fascine Eluard. De Baudelaire, il retient l'affirmation

suivante, qu'il cite dans Donner à voir:

ilLe poète jouit de cet incomparable priVilège, qu'il peut être à la fois lui-même et autrui." 280

Rimbaud, par la voyance, pousse cet enseignement jusqu'à

l'illogisme, car le poète, pour lui, n'a plus la "faculté",

278. Paul Eluard, Donner à voir, Paris, Gallimard, 1939, p. 117.

279. Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, Paris, Gallimard, 1961, p. 39.

280. Paul Eluard, Donner à voir, Paris, Gallimard, 1939, p. 108.

,/

90

ni le "privilège": il accomplit,. Par là "je, est un autre", 281

et toutes choses sont réversibles:

"L'univers des Il.luminations ••• fait plus que présen­ter des aspects et desliàisons profondément inédits: il rejette la condition générale de toute apparence qui est 4~être apparence'pour quelqu'un. Epaisse jun­gle où le je ne se distingue plus du cela,explosion d'images que nul n'imagine ou ne regarde, événement d'une nature, nouveau déluge, nouveau plissement tec­tonique, avant la pré~istoire de l'hoIpIlle." 282

La parution des Chants de Maldoror marque aussi un renouvel­

lement du langage poétique. Pour Lautréamont, l'insolite,

les obsessions de l'inconscient, l'étrangeté et le fantas­

tique, brillent d'une vertigineuse splendeur. La poésie est

due à une véritable frénésie de l'imagination.

Maldoror devenant poulpe, aigle, requin, c'rapaud ou araignée,

le poète opère, ainsi, le passage d'une forme à l'autre, d'u­

ne image à l'autre ••• Paul Eluard considérait Lautréamont

comme un "merveilleux médium":

"C'est entre 1866 et 1875 Que les poètes entreprirent de réunir systématiquement ce qui était à tout jamais séparé. Lautréamont le fit plus délibérément qu'au­cvn autre." 283

La poésie surréaliste, comme celle de Ducasse, se veut une

"poésie vécue", étrangère à l'esthétique, il est donc normal

que l'univers surréel contribue à toutes les fusions, voire

à toutès les confusions:

281. Arthur Rimbaud, Poésies, Paris, Gallimard, 1960, p. 219.

282. Gaétan Picon, Histoire des littératures, T. 3, "poésie au XlXe siècle", Paris, Gallimard, 1960, p. 956.

283. Paul Eluard, Donner à voir, Paris, Gallimard, 1939, p. 129.

91

"Tout ce que,j 'aime, tout ce que je pense et ressens, m'incline à une philosophie particulière de l'imma­nence d'après laquelle la surréalité serait contenue dans la réalité même (ne lui serait supérieure ni ex­térieure l. Et réciproquement'" ,car, le contenant serait aussi le', contenu. Il, s'agirait presque d'un vase com­muniquant entre le contenu et le contenant." 284. '

'C'est là un 'aspect utopique du surréalisme. Dans la mesure

où il essaie d~instaurer 1ple vie nouvelle, fondée sur la tou­

te-puissance de l'activité imaginaire, c'est à dire dans la

mesure où il se veut une philosophie, le mouvement est un

échec. C'est, paradoxalement, sur le plan poétique qu'il

prend sa, pleine valeur. En disloquant l'édifice rationnel,

le surréalisme porte le coup de grâce au monde des apparen­

ces et proclame la souveraineté de l'imagination. La poétique

de l'image naît alors •••

"Il n'y a pas loin par l'oiseau, du nuage à l'homme, il n'y a pas loin par les nuages de l'homme à ce qu'il voit, de la nature des choses réelles à la na­ture des choses imaginées" 285

Faul Eluard s'oriente ainsi vers une poéSie de l'image pure

reposant sur la réversibilité.

En outre, une part considérable de sa poétique consiste à ré­

fléchir sur les oeuvres d'art, à rechercher patiemment chez

les poètes et les écrivains des formules inspiratrices (com­

me dans "Fremières vues anciennes") et à pra.tiquer l'analyse

284. André Breton, Le surréalisme et la peinture, cité par Faul Eluard, in Donner à voir, Faris, Gallimard, 1939, p. 122.

285. Faul Eluard, Donner à voir, Paris, Gallimard, 1939, p. 97.

92

des textes ~uï lui semblent révélateurs. Tout cela lui per­

met de poser les jalons d'une esthétique personnelle, mais,

nourri d'oeuvres poétiques, il n'en garde pas moins sa per­

sonnalité et recherche toujours, en lisant, ce qui est'conforme

1 sa propre sensibilité.

Pour Eluard, toute forme d'image vise à relier toutes les

choses. Sa vision métaphorique du monde est intégrante: par

la réversibilité '.la poésie rend ies objets plus sensibles.

Une phrase de Novalis lui parait exprimer cette parfaite in­

tégration:

"Hommes, bêtes, plantes, pierres et étoiles, éléments, sons, couleurs, apparaissent ensemble comme une seu-le famille, agissent et s'entretiennent comme une .ême race." 286

Et lui-même, ayant cité une série de métaphores de Lautréa­

mont, il écrit cette conclusion, éloquente dans sa brièveté:

"Pas, .. un jeu. Tout est comparable 1 tout, tout trouve I?o:n écho, sa raison, sa ressemblance, son opposition, son devenir partout. Et ce devenir est infini." 287

Poésie incarnée dans la sensation et alimentée par l'imagi­

nation symbolique, tel est le dernier message qu'Eluard nous

a laissé. Son testament poétique, exprim~ dans Poésie inin­

terrompue 11, paru en 1953, insiste sur le rôle de l'imagi­

nation nourrie de données sensorielles.

Il Y fait une profession de foi au réel: "ce monde je le

286. Novalis, cité dans Donner à voir, Paris, Gallimard, 1931, p. 74.

287. Paul Eluard, Donner à voir, Paris, Gallimard, 1939, p. 134.

. '.

93 '",

veux éprouver sur mon coeur" 288 déclare t-il.'Il ne conçoi.t

jamais sa fonction de poète que dans une étroite' communion

avec l'univers visible:

liMes mots sont fraternels mais je les veux mêlés Aux éléments â l'origine au soufflé pur

, ,

Je veux sentir monter l'épi de l'univers. u 289

De sorte que la poésiè n'a rien d'un jeu gratuit, c'est une

chair vivante, nourrie aux sources, du concret. D'ailleurs,

rien de plus vain, lui semble t-il, que l'imagination· d'un

monde idéel, irréel, la pure rêverie qui n'a pas subi l'é­

preuve de la réalité:

"Je cherche à me créer une épreuve plus dure Qu'imaginer le monde tel qu'il pourrait être Je voudrais m'assurer du concret dans le ~emps., •• " 290

. Et le moyen le plus efficace de s'assurer du concret, c'est

l'expérience sensible., L'attachement du poète aux sens est

significatif: " sens de tous les' instants" écrit-il; eux seuls

joignent le monde à la conscience et permettent d'éprouver

la vie dans toute son ampleur:

288.

289.

290.

291.

"Il nous faut voir toucher sentir goûter entendre ~our allumer un feu sous le ciel blanc et bleu Toujours le premier feu l'étoile sur la terr~. Et la première fleur dans notre corps naissant" 291

Paul Eluard, Poésie ininte.rrom12ue 11, Paris, Gallimard, 1953, p. 14.

Ibid., p. 13

Ibid., p. 12.

Ibid. , p. 37~

94

La fonction des sens est déterminante: sans la sensation,

aucune poésie n'est digne de ce nom; d'elle, sourd direc­

tement le chant poétique, car l'imagination, cette faculté

magique "laisse à penser que nous avons un sixième sen~".

"Les sens confondus c'est l'imagination Qui voit qui sent qui touche qui entend qui goüte Qui prolonge l'instinct qui précise les routes Du désir ambitieux Je sais la vérité dès que j'imagine Le mal étant à vaincre" 292 .

Poésie ininterrompue Il est le dernier recueil qu'Eluard

publia durant sa vie~ C'est peut-être pourquoi le message

qu'il nous transmet nous semble si émouvant.

De toute façon, l'esthétique que le poète y définit, de mê­

me que l'éthique ~u'il ~ropose, n'étonnent pas. La fusion

symbolique avec l'univers, on la retrouve presque à chaque

ligne de sa poésie.

Eluard s'est vu décerner la réputation de poète des senti­

ments humains: la fraternité et l'amour, ces sentiments, il

les a, en effet, beaucoup chantés.

Mais Paul Eluard, poète de la fraternité et de la Résistance, , , . , .

poète de l'amour, est aussi le clùi.D.t·re ·de·s métamorphoses sen-

sibles.

292. Ibid., p. 40.

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2. Etudes' partiellement consacrées à Paùl Eluard

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