La Revue des droits de l’homme, 6

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La Revue des droits de l’homme Revue du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux 6 | 2014 Revue des droits de l'homme - N° 5 Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/revdh/891 DOI : 10.4000/revdh.891 ISSN : 2264-119X Éditeur Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux Référence électronique La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014, « Revue des droits de l'homme - N° 5 » [En ligne], mis en ligne le 01 décembre 2014, consulté le 11 juillet 2020. URL : http://journals.openedition.org/revdh/891 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revdh.891 Ce document a été généré automatiquement le 11 juillet 2020. Tous droits réservés

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La Revue des droits de l’hommeRevue du Centre de recherches et d’études sur les droitsfondamentaux 

6 | 2014Revue des droits de l'homme - N° 5

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/revdh/891DOI : 10.4000/revdh.891ISSN : 2264-119X

ÉditeurCentre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux

Référence électroniqueLa Revue des droits de l’homme, 6 | 2014, « Revue des droits de l'homme - N° 5 » [En ligne], mis en lignele 01 décembre 2014, consulté le 11 juillet 2020. URL : http://journals.openedition.org/revdh/891 ;DOI : https://doi.org/10.4000/revdh.891

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SOMMAIRE

Edito

Le nouvel article 11 de la Constitution, quand dire ce n'est pas faire.Charlotte Girard

Entretien

Entretien avec Mme Christine Lazerges, Présidente de la Commission Nationale Consultativedes droits de l’homme (CNCDH) et M. Hervé Henrion-Stoffel, magistrat, conseiller juridique àla CNCDH A propos de l’Avis de la CNCDH sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme(Assemblée plénière – 25 septembre 2014)Jacqueline Domenach

Dossier thématique : Révolutions et droits de l’Homme (II). Aspects politiques: le cas des révolutions arabes et moyen-orientales

PrésentationVéronique Champeil-Desplats et Malik Boumédiene

I. Approches thématiques et transversales

Révolutions arabes et renouveau constitutionnel : une démocratisation inachevéeMalik Boumédiene

Pouvoir politique, droits fondamentaux et droit à la révolte : la doctrine religieuse face auxprocessus révolutionnaires dans le monde arabeFouad Nohra

Droits des femmes et révolutions arabesJuliette Gaté

« Jus post-révolution » : quelle place pour les droits de l’homme?Mamadou Meité

II. Monographie et comparaisons

Les droits de l’homme dans la constitution marocaine de 2011: débats autour de certainsdroits et libertésOmar Bendourou

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La gouvernance des Droits de l’homme en Tunisie postrévolutionnaire : état des lieux,difficultés et opportunitésSouheil Kaddour

De l’opposition constituante à l’opposition constitutionnelle : réflexion sur laconstitutionnalisation de l’opposition parlementaire à partir des cas tunisien et marocainAntonin Gelblat

La Constitution égyptienne de 2014 est-elle révolutionnaire ?Nathalie Bernard-Maugiron

Quelques observations sur la place des droits fondamentaux dans les nouvelles constitutionstunisienne et égyptienneRahim Kherad

La protection ambivalente de l’égalité formelle dans la Constitution iranienne : après laRévolution de 1979Hiva Khedri

Analyses et libres propos

Le système interaméricain de protection des droits de l’homme: particularités, percées etdéfis Éric Tardif

Des idéaux à la réalité.Réflexions comparées sur les processus de sélection et de nominationdes membres des Cours européenne et interaméricaine des droits de l’hommeLaurence Burgorgue-Larsen

La première décision au fond de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples(Arrêt du 14 juin 2013 sur les affaires jointes Tangayika Law Society & The Legal and Human Rights Centre c.Tanzanie et Révérend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie)Alain Didier Olinga

Contribution à la clarification du régime juridique de la responsabilité de l’Etat résultantd’un placement en cellule de dégrisement Thierry Edouard

Les fichiers d’empreintes génétiques : les systèmes français et espagnol à l’égard de laConvention européenne des Droits de l’HommeFrancisco Ramírez Peinado

Appréhender la cyberguerre en droit international. Quelques réflexions et mises au pointClémentines Bories

Los refugiados, umbral ético de un nuevo derecho y una nueva políticaCastor Bartolomé Ruiz

Les réfugiés, seuil éthique d’un nouveau droit et d’une nouvelle politique (version française)Castor Bartolomé Ruiz

Mémoires

L’impact sur le procès pénal de l’absence des accusés dotés d’une qualité officielleLes nouvelles règles 134bis, ter et quater du RPP de la CPI et les « personnes en charge de fonctions publiquesextraordinaires »Rebecca Mignot-Mahdavi

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Les lanceurs d’alerteEtude comparée France-Etats-UnisJean-Philippe Foegle

Conférence

Le droit au patrimoine culturel face aux révolutionsZeynep Turhalli

Bibliographie

Bibliographie

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Edito

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Le nouvel article 11 de laConstitution, quand dire ce n'est pasfaire.Charlotte Girard

1 En 2007, le Comité Balladur pour la réforme des institutions avait brandi le futur nouvel

article 11de la Constitution comme un étendard des droits fondamentaux que le peupleallait conquérir du même élan que la nouvelle voie d’accès au contrôle deconstitutionnalité. Droit d’initiative populaire et recours direct au Conseilconstitutionnel, les deux mamelles de la nouvelle démocratie française. Une démocratienouvelle rééquilibrant les pouvoirs et faisant la part belle aux droits fondamentaux,bref une république moderne !

2 Voici pour le discours. La réalité juridique, elle, éclaire les « droits » conquis d’une

autre lumière. Moins brillante. On ne reviendra pas sur la question prioritaire deconstitutionnalité et les coups de rabot portés à sa traduction dans le texteconstitutionnel lui-même où d’ailleurs il n’est pas question de droits fondamentauxmais de « droits et libertés que la Constitution garantit » et où en fait de recoursindirect, il s’agit d’un recours filtré par les juridictions suprêmes.

3 Quant au référendum législatif de l’article 11, il faut chercher loin pour y voir

l’expression d’un droit nouveau au bénéfice des citoyens. Ne cédons toutefois pas à lamauvaise foi en reconnaissant qu’indéniablement l’alinéa 3 de l’article 11 ouvre unenouvelle possibilité pour le peuple français de s’exprimer directement : il s’agit biend'inaugurer un nouveau référendum. Pourtant, plusieurs indices témoignent d’unesorte de pusillanimité - pour ne pas dire plus - à octroyer effectivement ce droitd’expression politique directe.

4 D’abord, le délai de mise en œuvre du droit promis. Il aura fallu attendre 7 ans pour que

les textes de mise en application entrent en vigueur. La loi organique et la loi du 6décembre 2013 qui précisent l’article 11 ne le rendront effectif qu’au 1er janvier 2015.

5 Ensuite, l’étendue du droit espéré. Présenté dans un premier temps comme un « droit

d’initiative populaire », le Comité Balladur a tout aussi rapidement conçu comme

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« indispensable d’[y]associer les parlementaires » (Rapport du Comité de réflexion et deproposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions, Une Ve République

plus démocratique, La Documentation française, 2007, p.74). De sorte qu'on a plutôtaffaire à un droit d'initiative parlementaire - une minorité d'1/5 du Parlement soit 185parlementaires - soutenue par un nombre significatif d'électeurs - 1/10 des inscrits soitplus de 4 millions de personnes.

6 Enfin, la garantie du droit rêvé. Ici la modernité pourrait bien porter une atteinte

irréversible au droit nouveau et à la république censée en découler. Là, le contrôle duConseil constitutionnel pourrait enterrer définitivement ces deux biens publics. Enpremier lieu, les soutiens populaires seront en effet exclusivement recueillis par voieélectronique (art. 5 de la loi organique) et ce uniquement à l'aide de "points d'accès àun service de communication au public en ligne" (voir pour une définition l'art. 1er II.de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique),autrement dit des bornes d'accès au vote mises à disposition "au moins dans lacommune la plus peuplée de chaque canton ou au niveau d'une circonscriptionadministrative équivalente et dans les consulats", sachant que "tout électeur peut, à sademande, faire enregistrer électroniquement par un agent de la commune ou duconsulat son soutien présenté sur papier" (art. 6 de la loi organique). Autant dire quel'expression du soutien est compliquée par une procédure largement dépendante decirconstances locales, techniques entre autres. En second lieu, on ne peut que constaterla discrétion offerte au Conseil par le nouvel article 45-2 3° de l'ordonnance de 1958portant sur le Conseil constitutionnel. Ce dernier a maintenant pour mission expressede vérifier la compatibilité de la proposition de loi à la constitution. On espère ainsi seprémunir contre les révisions "à la De Gaulle façon 1962". Mais on donne aussi auConseil un moyen supplémentaire de faire obstacle à l'initiative parlementaire,quoiqu'elle fût soutenue cette fois pas un nombre significatif d'électeurs. Et commedeux précautions valent mieux qu'une, on peut également voir dans l'alinéa 5 del'article 11, le pouvoir d'un Président de reprendre le fil d'une relation exclusive avec lepeuple, temporairement interceptée par le Parlement. Le Président "soumet" laproposition de loi au référendum si les parlementaires ne l'ont pas examinée à temps.L'ambiguïté de l'indicatif présent du verbe soumettre laisse penser qu'en dernièreanalyse, c'est bien au Chef de l'Etat que revient le pouvoir de manier l'outilréférendaire dont on sait que, sous la Ve République, il n'appartient qu'à lui.

7 On voit donc comment par une révision vibrant de bonnes intentions à l'égard du

peuple et de ses représentants, on perpétue une longue tradition exécutive toujoursméfiante à l'égard de ceux-là même qu'elle est censée servir et protéger.

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AUTHOR

CHARLOTTE GIRARD

Maître de conférences de droit public Habilitée à diriger des recherches, Université Paris Ouest

Nanterre La Défense, Centre de Recherche et d'Etudes sur les Droits Fondamentaux (CREDOF - EA

3933)

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Entretien

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Entretien avec Mme ChristineLazerges, Présidente de laCommission Nationale Consultativedes droits de l’homme (CNCDH) etM. Hervé Henrion-Stoffel, magistrat,conseiller juridique à la CNCDH A propos de l’Avis de la CNCDH sur le projet de loi renforçant lesdispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (Assemblée plénière– 25 septembre 2014)

Jacqueline Domenach

AUTHOR'S NOTE

Dans l’avis très argumenté, rendu par la CNCDH sur le projet de loi renforçant lesdispositions relatives à la lutte contre le terrorisme1, la commission a émis un certainnombre de réserves et de critiques sur le projet. Cette analyse vise à la fois lesconditions de la procédure législative, les nouveaux pouvoirs du ministre de l’intérieur,le contrôle des sites internet et la qualification de nouvelles infractions, ainsi que laprocédure pénale applicable.

1. Vous précisez dans l’avis rendu, votre « ferme opposition » à la mise en œuvre par legouvernement de la procédure accélérée

La CNCDH est systématiquement réservée sur l’utilisation de cette procédure et surl’accélération de la fabrication de la loi, en particulier dans les matières sensiblespour les droits et libertés et notamment dans le cadre de la lutte contre leterrorisme2. L’élaboration de la loi dans de bonnes conditions nécessite une étuded’impact qui en soit véritablement une. S’agissant du projet de loi renforçant les

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dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, la procédure a été si rapide queles rédacteurs de l’étude d’impact n’ont pas donné de justifications suffisantes sur lanécessité d’adopter de nouvelles mesures en matière de terrorisme. La procédureaccélérée elle-même ne peut être justifiée que si l’étude d’impact a été longuementréfléchie. A cet égard, il convient de rappeler que la loi nouvelle est adoptée à peinedeux ans après la loi précédente renforçant la lutte contre le terrorisme3. On doitconsidérer que si le Parlement et le Gouvernement se donnaient le temps nécessairepour faire un bilan des textes existants, il ne serait souvent pas nécessaire d’adopterune loi nouvelle. L’accélération du temps nécessaire à l’adoption de dispositionslégislatives nouvelles ne peut être que préjudiciable à la garantie des droits et libertésfondamentaux et ne donne que peu de temps à la CNCDH pour exercer sa missionconsultative.

2. Les conditions des décisions administratives en matière d’interdiction du territoire etd’interdiction du territoire et atteintes aux libertés d’aller et de venir et de quitter le territoire

En vertu des nouvelles dispositions, tout français peut faire l’objet d’une interdictionde sortie du territoire « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’il projette… ».Une telle décision pose la question de la solidité des informations qui permettent deprendre une décision éclairée pour prononcer l’interdiction de quitter le territoire.En pratique, la nouvelle mesure sera très probablement ordonnée à partir de notesdes services de renseignement émanant de la Direction générale de la Sécuritéintérieure (DGSI). Une atteinte aussi grave à la liberté d’aller et de venir ne peutreposer sur les appréciations d’un seul service, et sans être soumises au principe ducontradictoire avant la prise de décision. Il doit néanmoins être relevé, et c’est unpoint positif, que la décision peut être contestée dans le cadre d’un recours pourexcès de pouvoir, accompagné le cas échéant d’un référé suspension, ou par la voiedu référé-liberté fondamentale. Il sera évidemment intéressant de connaître laposition du juge administratif en matière de contrôle de telles mesures. Par ailleurs,on pourrait imaginer la mise en œuvre d’une question prioritaire deconstitutionnalité sur l’une ou l’autre des dispositions de la loi. Le recours à la QPCest possible en l’espèce, la loi n’ayant pas fait l’objet d’une saisine a priori du Conseilconstitutionnel.

Le problème est aussi celui des conséquences de telles mesures qui emportent leretrait et l’invalidation du passeport contre la remise d’un récépissé permettant deprouver son identité. A cet égard, il est « cocasse » d’observer qu’au moment où sontinstitués une privation du passeport et de la carte d’identité pour les majeurs estsupprimée l’autorisation parentale de quitter le territoire pour les mineurs !

Par ailleurs, la nouvelle loi prévoit la mise en place d’une mesure administrativevisant à interdire l’entrée sur le territoire français tout citoyen européen nonrésidant en France ne se trouvant pas déjà sur le territoire et dont la présence enFrance « constituerait (…) du point de vue de l’ordre ou de la sécurité publics, une menace

réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ». L’absencede mention du caractère terroriste de cette menace ainsi que l’interprétationextensive de la menace à la sécurité publique donnent de bonnes raisons de craindreque cette mesure ne soit utilisée abusivement par l’administration pour interdirel’entrée sur le territoire des citoyens européens qui ne représentent en aucun cas unemenace terroriste. En effet, dans un arrêt récent, le Conseil d’Etat a considéré le 1er

octobre 2014 que pratiquer la mendicité en prétendant récolter des dons pour une

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association caritative représentait une menace grave à la sécurité publique quiconstitue un « intérêt fondamental de la société française »4.

3. Les dispositions de la loi et la liberté d’expression

Dans un avis très récent sur la réforme de la protection du secret des sources, laCNCDH a utilement rappelé, à l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme5,que la liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la Convention, constitue « l’un

des fondements essentiels d’une société démocratique »6. Pour la CNCDH, une réflexiongénérale portant sur l’internet et les droits fondamentaux7, ainsi que sur l’éventuelledéfinition d’un « ordre public numérique » doit être engagée8.

La nouvelle loi prévoit la possibilité pour l’autorité administrative d’ordonner auxfournisseurs d’accès à internet le blocage de l’accès aux sites incitant à commettredes actes terroristes ou en faisant l'apologie. Toutefois, le blocage administratif del’accès aux sites internet incitant à commettre des actes terroristes ou en faisantl’apologie est, pour la CNCDH, de nature à brouiller la distinction classique entrepolice administrative et police judiciaire. Le nouveau texte habilite l’autoritéadministrative à décider du blocage, alors même qu’une ou plusieurs infractions ontdéjà été commises9. Il ne peut donc être considéré qu’il s’agit d’une mesure de policepurement administrative destinée à prévenir la provocation à des actes de terrorismeou l’apologie de ceux-ci. Les nouvelles dispositions relèvent indéniablement dudomaine de la police judiciaire dont la direction et le contrôle sont dévolus àl’autorité judiciaire, seule compétente pour la poursuite et la répression desinfractions. Il est donc porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs(article 16 de la Déclaration de 1789)10.

Le texte adopté pose également question au regard des exigences de l’article 10 de laConvention européenne des droits de l’homme. Même si la jurisprudence de la Courde Strasbourg ne semble pas fixée en la matière11, la CNCDH estime néanmoinsl’intervention d’un juge nécessaire pour ordonner et contrôler le blocage d’un siteinternet12, dès lors que cette mesure constitue une ingérence grave dans la libertéd’expression et de communication13. En effet, toute restriction préalable àl’expression sur internet entraîne une présomption lourde d’incompatibilité avecl’article 1014. Pour la CNCDH, le pouvoir de bloquer l’accès à un site internet devraitêtre dévolu au juge des libertés et de la détention, qui statuerait dans un délai bref de48 ou 72 heures, sur saisine du parquet compétent, notamment à la suite d’unsignalement auprès de la plateforme PHAROS.

La provocation publique aux actes de terrorisme et l'apologie publique de tels actesétaient, avant la réforme, réprimées par la loi du 29 juillet 1881 qui encadre la libertéd’expression. La nouvelle loi a inscrit ces infractions à l’article 421-2-5 du code pénal,au motif qu’il ne s’agit pas d’abus de la liberté d’expression, mais de faits qui sontdirectement à l’origine d’actes terroristes. Par ce biais, il s’agit une nouvelle foisd’écarter l’application de la procédure pénale protectrice spécifique aux délits depresse, afin d’accroître les pouvoirs des enquêteurs, qui sont désormais habilités àréaliser certains actes d’investigation dans le cadre du régime dérogatoire relatif auxinfractions terroristes. Les nouvelles dispositions sont de « véritables sorties du droit

pénal de la presse pour contrarier le principe de mesure dont il s’inspire au nom des libertés de

pensée, d’expression et d’opinion »15.

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La CNCDH est en principe opposée à l’introduction dans le code pénal d’infractionsrelatives à la liberté d’expression, celles-ci ne pouvant être poursuivies qu’enapplication des règles procédurales spécifiques définies par la loi du 29 juillet 1881.En revanche, lorsque le législateur veut incriminer spécifiquement certainscomportements en rapport plus ou moins lointain avec la communication, et lesréprimer fermement, il est préférable qu’il le fasse dans le cadre du code pénal et nondans celui de la loi de 1881, qui y perd son âme…

4. Les nouvelles qualifications de l’infraction de terrorisme et le respect de la procédurepénale

La définition de l’infraction d’entreprise individuelle terroriste, (nouveau délit prévuà l’art 421-2-6 du code pénal) constitue indéniablement une atteinte aux principesfondamentaux du droit pénal. Le nouveau texte évoque en effet « l’acte préparé »,« la préparation » ou le « fait de préparer » la commission d’une infraction. Celarevient à incriminer de façon autonome des actes préparatoires. En référence auprincipe pénal selon lequel la poursuite ne s’applique que dès lors qu’il y acommencement d’exécution et non pas seulement actes préparatoires, il y a atteinteau principe de légalité des incriminations et à la présomption d’innocence. A cepropos, il convient de préciser que les nouvelles dispositions énumèrent des actesdélictueux qui sont antérieurs au commencement d’exécution et même aux actespréparatoires ! A titre d’exemple on peut citer que le simple fait de rechercher desobjets ou substances dangereux, combiné à la consultation habituelle de sitesinternet véhiculant une idéologie terroriste suffira pour qualifier la nouvelleinfraction. Dans un tel cas de figure, l’intégralité des actes réprimés est située austade de la simple « préparation de la préparation » de l’infraction. Dans son avis, laCNCDH a retenu à cet endroit une violation du principe de légalité, en raison dumanque de clarté et donc de prévisibilité des conduites ainsi réprimées. Plusfondamentalement, elle voit dans la pénalisation accrue d’actes antérieurs aucommencement d’exécution, une résurgence inquiétante de la doctrine du « droitpénal de l'ennemi » : ce serait une « victoire de la peur », la victoire d'un droit pénalsécuritaire sur un droit pénal classique strictement encadré par le principe delégalité.

Enfin, la CNCDH est très réservée sur le principe même de la/ou des dérogations à laprocédure pénale de droit commun16. Or, on assiste à une extension systématique dela procédure dérogatoire et à la multiplication des types de procédures dérogatoires.Une telle évolution de la mise en œuvre du dérogatoire en matière pénale conduit àrendre illisible les conditions d’intervention du Parquet et des juges d’instruction. Laréécriture des moyens d’investigation autorisés ou non s’impose. Pour l’instant, onpeut estimer que la Cour de Strasbourg a une vision laxiste de la procéduredérogatoire. Alors que la procédure de droit commun est conforme aux garanties deslibertés et droits fondamentaux, les dispositifs d’exception qui se banalisent nepeuvent qu’être déplorés. La conséquence n’est plus seulement un « dédoublement dela procédure pénale » mais plus largement la multiplicité des types de procédureselon les qualifications retenues par le Parquet et plus précisément en fonction de laqualification retenue en tout début de procédure par le Parquet. Le risque est celui duchoix d’une qualification initiale autorisant dès le début de la procédure un régimeprocédural dérogatoire moins garantiste des droits fondamentaux.

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NOTES

2. CNCDH 15 avril 2010, Avis sur l’élaboration des lois : www.cncdh.fr ; CNCDH 20 décembre 2012,

Avis sur la loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme : www.cncdh.fr.

3. Loi n°2012-1432 du 21 décembre 2012 sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme.

4. CE 1er octobre 2014, Mme A…, n° 365054.

5. Voir notamment Cour EDH, 28 juin 2012, Ressiot & autres c. France, req. n° 15054/07 et 15066/07.

6. CNCDH 25 avril 2013, Avis sur la réforme de la protection du secret des sources, JORF n° 0134 du

12 juin 2013, texte n° 90.

7. Voir Conseil d’Etat, Etude annuelle 2014. Le numérique et les droits fondamentaux, La documentation

française 2014.

8. Un groupe de travail portant sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie

sur internet a été constitué à la CNCDH. Un avis sera rendu dans les prochains mois.

9. En effet, le nouvel article 6 I. 7 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 fonde le blocage

administratif sur des « actes relevant de l’article 421-2-5 du code pénal ».

10. Cons. const. 19 janvier 2006, n° 2005-532 DC.

11. Voir Cour EDH 18 décembre 2012, Ahmet Yildirim c. Turquie, req. 3111/10.

12. Dans ce sens voir Assemblée nationale, Commission ad hoc de réflexion et de propositions sur

le droit et les libertés à l’âge du numérique, Recommandation sur l’article 9 du projet de loi renforçant

les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (http://www2.assemblee-nationale.fr/14/

commissions/numerique/a-la-une/recommandation-sur-l-article-9-du-projet-de-loi-contre-le

terrorisme).

13. Voir dans ce sens Cons. const. 10 mars 2011, n° 2011-625 DC.

14. Dans ce sens voir l’opinion concordante du juge Paulo Pinto de Albuquerque (sous Cour EDH

18 décembre 2012, Ahmet Yildirim c. Turquie, op. cit.) qui se réfère à l’affaire Banatan Books, Inc. v.

Sullivan (372 U.S. 58 (1963) : « Any system of prior restraints of expression comes to this Court bearing a

heavy presumption against its constitutional validity »).

15. Cf. Y. Mayaud , La politique d’incrimination du terrorisme à la lumière de la législation

récente, AJ Pénal 2013, p. 446. Voir également J. Alix, Terrorisme et droit pénal. Pour une étude critique

des infractions terroristes, Dalloz 2010.

16. Voir CNCDH 29 avril 2014, Avis sur la refondation de l’enquête pénale, JORF n° 0108 du 10 mai

2014, texte n° 84.

1. CNCDH 25 septembre 2014, Avis sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la

lutte contre le terrorisme, JORF n° 0231 du 5 octobre 2014, texte n° 45.

AUTHOR

JACQUELINE DOMENACH

Professeure de droit public, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, CRDP

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Dossier thématique : Révolutions etdroits de l’Homme (II). Aspectspolitiques : le cas des révolutionsarabes et moyen-orientales

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PrésentationVéronique Champeil-Desplats and Malik Boumédiene

1 Ce dossier est le second volet d’une vaste étude initiée par les doctorants du CREDOF

sur les rapports entre les concepts de Révolution et de droit de l’homme. Après unepremière étude consacrée aux aspects épistémologiques et conceptuels (Revdh n° 5, juin2014), la réflexion s’est concentrée sur la dimension politique de ces rapports enprivilégiant un terrain d’actualité : celui des Etats arabes et moyen-orientaux.

2 Les contributions présentées dans ce dossier sont issues, d’une part, de la journée

d’études organisée le 6 février 2014 par les doctorants du Centre de recherches etd’études sur les droits fondamentaux (CREDOF) de l’Université de Paris Ouest-Nanterrela Défense, intitulée Droits de l’homme et Révolution (contributions d’Antonin Gelblat,Mamadou Meité et Hiva Khedri doctorants au CREDOF).

3 Elles proviennent, d’autre part, de la publication de deux demi-journées d’études sur

les « révolutions arabes » organisées par Malik Boumediene, maitre de conférences àl’Université de Toulouse Le Mirail et membre du CREDOF, dans le cadre d’une réflexionsur les nouveaux constitutionnalismes et les droits de l’homme. La première demi-journée, qui s’est tenue le 10 octobre 2013, portait sur « Les printemps arabes et lesdroits de l’homme » et la seconde, organisée le 19 juin 2014, s’est interrogée sur « Lesapports du nouveau constitutionnalisme égyptien ».

4 Ces deux demi-journées partent du constat que le monde arabe fait l’objet depuis voilà

quelques années de toutes les attentions, et que cette actualité est toute proche denous. On rappellera à ce titre qu’il vient de se dérouler, il y a quelques semaines, enTunisie, les premières élections libres sur la base de la nouvelle constitution du pays.Plus généralement, depuis 2011, on assiste, dans plusieurs pays, à une transitiondémocratique plus ou moins lente. On parle ainsi de « printemps arabe », de « révolution

arabe », de « soulèvements populaires ». Des citoyens, au sein de pays autoritaires,n’hésitent plus à braver le pouvoir, à manifester. Le peuple réclamant, le plus souvent,davantage de liberté, plus de justice sociale, une meilleure répartition des richesses etla fin de l’accaparation, par une minorité, de l’économie nationale.

5 Tout cela a débuté en Tunisie. En effet, des manifestations ont commencé le 17

décembre 2010 suite l’immolation d’un jeune vendeur ambulant de fruits et légumes à

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Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi, dont la marchandise avait été confisquée par lespouvoirs publics. Cela aura pour conséquence le départ du chef de l’Etat, Zine el-Abidine Ben Ali au pouvoir depuis 1987. Ces manifestations vont se propager et toucherd’autres pays arabes avec des conséquences diverses : l’Egypte, la Libye, le Maroc, leBahreïn, la Syrie, Jordanie. Ces évènements vont entrainer plusieurs conséquences dontun renouveau constitutionnel de certains pays.

6 Les deux tables rondes qui se sont déroulées dans la cadre du CREDOF tentent de mettre

en évidence les mutations constitutionnelles qui ont pu voir le jour. Il s’agit tenderd’apporter un éclairage à plusieurs interrogations : quel est le contenu et la portée deces réformes constitutionnelles ? Assiste-t-on à un renouveau des droitsfondamentaux ? Peut-on parler de transition démocratique aboutie ? Quelle place pourla religion ? Biens d’autres questions restent en suspens dont seul le futur pourraapporter éventuellement une réponse : cette démocratisation constitutionnelle ne va-t-elle pas se heurter à la pratique du pouvoir ? Quelle sera la place du pouvoir judiciaireou de la justice constitutionnelle dans la protection des libertés fondamentales ? Leprincipe de séparation des pouvoir sera-t-il effectif ? Ne doit-on pas aller vers denouvelles réformes constitutionnelles ? Quelle sera la place de la société civile dans cespays post-révolutionnaires ?

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Dossier thématique : Révolutions et droits de l’Homme (II). Aspectspolitiques : le cas des révolutions arabes et moyen-orientales

I. Approches thématiques ettransversales

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Révolutions arabes et renouveauconstitutionnel : unedémocratisation inachevéeMalik Boumédiene

1 Le renouveau constitutionnel dans une partie du monde arabe trouve ses origines dans

la conception et la pratique du pouvoir ainsi que dans la place restreinte jusqu’alorsdonnée aux droits fondamentaux. La question des droits de l’homme et de ladémocratie dans le monde arabe « pré-révolutionnaire » faisait (et fait encoreaujourd’hui) régulièrement l’objet d’une actualité.

2 Il n’y a qu’à prendre l’exemple de la Tunisie sous la présidence du président Ben Ali

pour s’en convaincre. Ben Ali était au pouvoir depuis 1989. La démocratie politiqueétait étouffée. Par ailleurs, sous sa présidence, les partis religieux étaient réduits ausilence. Le RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique- RCD) était le partiunique du Président Ben Ali créé par ses soins en 1988. Ce parti contrôlait, depuis sacréation, la grande majorité des sièges du Parlement. L’Etat tunisien faisait l’objet demultiples critique du point de vue du respect des droits de l’homme. C’est ainsi quel’Etat s’est vu reconnaitre coupable par diverses ONG d’actes de torture ou de mauvaistraitements dont certains magistrats avaient refusés d’enregistrer les plaintes.L’indépendance de l’autorité judiciaire demeurait fragile puisque le poids du pouvoirexécutif était important au sein du Conseil supérieur de la magistrature. La libertéd’association, et ainsi la place de la société civile, restait à conquérir. En effet, unnombre très limité d’associations indépendantes n’a été officiellement enregistré parles autorités et, en pratique, plusieurs associations de défense des droits de l’hommeont rencontré des obstacles dans l’obtention d’un tel enregistrement. On a égalementpu constater une certaine mise sous contrôle des citoyens à travers la décision duPrésident de la République le 10 mai 1991 de créer des comités de quartier. En janvier1992, on comptait 2 825 comités de quartier. En créant de tels comités, le pouvoir avaitmis en place un dispositif nouveau visant à sa consolidation. Ils étaient contrôlés pardes personnalités politiques (ministres, membres du RCD, Etat,…).

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3 Outre les aspects politiques, la question sociale est une question, également,

omniprésente dans le monde arabe « pré révolutionnaire » (comme aujourd’huiencore). Au Maroc par exemple, le nombre de chômeurs tend à augmenter. Avec prèsde 1 130 000 de personnes sans emploi, le taux de chômage national a atteint, aupremier trimestre de 2012, les 9,9%, soit une hausse de 0,8 par rapport à 2011 (Haut-Commissariat au plan). Plus de 28,9 % de la population vit sous le seuil de pauvreté(rapport du PNUD, 2010). Enfin, près de 53% des marocaines ne savent ni lire, ni écrire,révèle un rapport du Haut-commissariat au plan marocain (2014).

4 La situation politique, économique et sociale d’une partie du monde arabe ne pouvait

alors que constituer les bases à des « révolutions » futures. Ce qui fut le cas en 2011avec la Tunisie à travers le départ du président Ben Ali. S’en suit un effet dominopuisque avec le Maroc, l’Egypte, le Bahreïn, la Syrie ou encore la Libye. Ces« révolutions » ou « printemps arabes » vont se traduire par la mise en place denouvelles constitutions. Ces dernières témoignent d’une volonté de démocratisation (I)même si cette dernière reste limitée, non aboutie, voire précaire (II).

I. Le renouveau constitutionnel comme fondement à ladémocratisation

5 Il est incontestable que le monde arabe se voit traversé par un mouvement

démocratique qui touche les fondements même des régimes politiques en place. Cemouvement se manifeste par une volonté de consolider les droits fondamentaux (A)tout en recherchant un plus grand équilibre des pouvoirs (B).

A. La consolidation des droits fondamentaux

6 La place des droits fondamentaux, tout comme leur protection, au sein des

constitutions devient aujourd’hui un indice pour se prononcer sur la densitédémocratique d’un régime politique. A ce titre, le renouveau constitutionnel suite au« printemps arabe » est traversé par la volonté de donner une nouvelle portée auxdroits de l’homme et, de manière générale, au droits fondamentaux tels que reconnuspar le droit international. Prenons quelques exemples significatifs : le Maroc, laMauritanie, la Syrie et l’Egypte.

1. Le Maroc

7 La consolidation des droits fondamentaux se matérialise à travers la nouvelle

constitution marocaine en date du 1er juillet 2011. C’est ainsi qu’au sein du préambule ilest dorénavant noté que le Maroc a pour objectif de construire un « Etat de droit

démocratique ». Le préambule souligne aussi, explicitement, l’attachement du Royaumeaux droits de l’homme « tels que universellement reconnus ». En outre, l’article 9 faitbénéficier les partis politiques d’une certaine protection puisque ces derniers1,notamment, ne peuvent être suspendus ou dissous par les pouvoirs publics qu’en vertud’une décision de justice.

8 L’égalité entre les hommes et les femmes fait l’objet d’une attention particulière

puisque l’article 19 de la constitution dispose que l’homme et la femme jouissent àégalité des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social culturel ou

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environnemental. La loi fondamentale va même jusqu’à poser le principe de lanécessité d’une action positive de l’Etat afin de garantir ce principe d’égalité et, plusprécisément, de parité entre homme et femme. Dans ce sens, il est créé au sein de laConstitution d’une Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes dediscrimination. Ce principe d’égalité concerne aussi les fonctions électives où lelégislateur est invité à intervenir. Cette volonté de promouvoir les droits des femmess’intègre dans le droit fil du droit international et plus précisément la convention desNations-Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard desfemmes en date du 18 décembre 1979.

9 Le droit à la vie est reconnu comme le premier des droits humain. L’article 23 de la

Constitution de 2011 concerne la sureté de l’individu. C’est ainsi que la détentionarbitraire ou secrète et la disparition forcée sont considérés comme des crimes. Desgaranties sont consacrées également en ce qui concerne la procédure pénale puisquetoute personne détenue doit être informée immédiatement d’une façon qui lui soitcompréhensible des motifs de sa détention et de ses droits dont celui de garder lesilence. Elle doit bénéficier au plus tôt d’une assistance juridique. L’article 23 reconnaitégalement la présomption d’innocence.

10 Enfin, l’article 28 concernera lui la liberté de la presse qui ne peut être limitée par

aucune forme de censure préalable.

2. La Mauritanie

11 Un mouvement comparable touche également la Mauritanie, comme en témoigne la

réforme constitutionnelle du 20 mars 2012 qui va dans le sens d’une consolidation desdroits fondamentaux. On a peu parlé de la Mauritanie lorsque l’on aborde la questiondu printemps arabe. Pourtant, en janvier 2011, une personne de 43 ans se disant« mécontent de la situation politique du pays et en colère contre le régime en place », s’estimmolée par le feu devant le palais présidentiel. Cet acte est intervenu quelques joursaprès des actes similaires survenus en Tunisie, en Egypte et en Algérie. Il s’agissait pourcette personne de protester contre le régime du général Mohamed Ould Abdel Azizarrivé au pouvoir par un coup d'Etat militaire mené en août 2008, puis ensuite élu à laprésidence de la République en juillet 2009.

12 La contestation qui débute vers le 17 janvier 2011 est décrite comme la plus grande

depuis l’indépendance du pays. Les manifestations demandent des réformes sociales etéconomiques ainsi que le départ du président Mohamed Ould Abdel Aziz.

13 Face à cette situation, le gouvernement a adopté différentes mesures : le 23 juin, la

pénalisation des délits de presse est levée et des terres sont distribuées à une centainede jeunes diplômés pour qu’ils les cultivent. Le 20 mars 2012, la Constitution estmodifiée. Elle reconnait l’égalité entre homme et femme en ce qui concerne lesmandats électoraux et les fonctions électives. L’esclavage est condamné : nul ne peutêtre réduit en esclavage ou à toute forme d’asservissement de l’être humain, ni soumisà la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette condamnationde la torture s’inscrit dans le sillage de la convention des Nations-Unies contre latorture en date du 10 décembre 1984. Ces pratiques constituent des crimes contrel’humanité et sont punis comme tels par la loi. En outre, une Commission Nationale desDroits de l’Homme est créée. Il s’agit d’une institution consultative indépendante depromotion et de protection des droits fondamentaux.

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3. La Syrie

14 La Constitution syrienne du 26 février 2012 va également dans le sens d’un

renforcement des droits fondamentaux. Il est souligné en ce sens l’égalité des citoyensdevant la loi sans discrimination en fonction du sexe, de la race, de la langue, de lareligion ou des croyances. Il est précisé également que la vie privée est inviolable etprotégée par la loi.

15 Des dispositions concernent aussi la liberté d’association. En effet, il est indiqué que la

liberté de former des associations et des syndicats à des fins légitimes et par desmoyens pacifiques est garantie.

16 D’autres dispositions renforcent les droits de la défense. La loi fondamentale reconnaît

ainsi le droit pour toute personne de bénéficier d’un procès régulier comme le droit defaire appel et de plaider devant un jury. En outre, pèse dorénavant sur l’Etatl’obligation de fournir une assistance juridique à ceux qui ne possèdent pas de moyensfinanciers suffisant afin d’assurer leur défense. D’autres dispositions, encore, sontrelatives à la procédure pénale. Il est reconnu dans ce sens dorénavant que lors de sonarrestation la personne arrêtée doit être informé de ses droits et des motifs de sonarrestation. Il est fait interdiction de garder une personne sous le contrôle de l’autoritéadministrative si ce n’est en vertu d’un ordre de l’autorité judiciaire compétente. Ils’agit ici de condamner les détentions arbitraires contraires à l’article 9 du Pacteinternational du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques. Enfin, lespersonnes se voient reconnaître un droit à indemnisation si le verdict est erroné et lapeine appliquée.

4. L’Egypte

17 Pour sa part, la Constitution égyptienne de 2014 reconnait un certain nombre de droits

fondamentaux nouveaux, vient en préciser d’autres ou encore en renforcer certainsdéjà existants.

18 A ce titre, on constate que le préambule de la constitution fait référence à la

déclaration universelle des droits de l’homme, les universités doivent enseigner lesdroits de l’homme (article 24) et l’article 93 dispose nouvellement que « L’Etat s’engage à

respecter les traités, accords et conventions internationales relatifs aux droits de l’homme

ratifiés par l’Egypte ».

19 On relèvera tout d’abord que le droit de propriété bénéficie d’une attention particulière

puisqu’il est non seulement garantie mais également « protégé » et que la liberté de cultedevient « absolue ».

20 A la lecture de plusieurs dispositions, le droit à la sûreté semble également consolidé.

Par exemple, il est mentionné que toute personne arrêtée ou détenue doit êtreinformée « immédiatement » des motifs par écrit (on voit là l’application de l’article9§2 du Pacte de 1966 relatif aux droits civils et politiques). Elle ne peut, en outre, êtreinterrogée qu’en présence d’un avocat qui doit être désigné en cas de besoin (article54). De plus, toute personne arrêtée ou détenue a le droit de s’en plaindre devant letribunal qui devra alors trancher au bout d’une semaine. Dans le cas contraire, elle doitêtre remise immédiatement en liberté. Le nouveau texte reprend l’idée de l’inviolabilitédu domicile mais vient encadrer les atteintes éventuelles à ce principe. C’est ainsi que

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s’il est permis d’entrer au domicile d’une personne, de le perquisitionner, ou de lesurveiller ce n’est que dans les conditions déterminées par la loi et sur ordonnancejudiciaire motivée, précisant le lieu, la date et l’objectif de la perquisition. En outre, leshabitants de la maison doivent être prévenus avant toute perquisition.

21 En ce qui concerne la liberté de la presse, la nouvelle Constitution met l’accent sur le

fait que les journaux. En outre, le texte fondamental mentionne qu’il est interdit decensurer, confisquer suspendre ou fermer de quelques manière que ce soit les journauxet médias égyptiens. Les journaux peuvent être publiés dès leur déclaration. La libertéde réunion est davantage protégée par rapport au texte de 1971 puisqu’il est indiquéqu’il est, non seulement, interdit aux agents de sécurité de participer à ses réunionmais, également, il est fait interdiction de mettre sur écoute celles-ci.

22 L’interdiction de la mise sur écoute (« espionner ») apparaît comme le nouvel apport du

nouveau texte fondamental. Les syndicats bénéficient d’une protection renforcée dansla mesure où leur dissolution ne peut intervenir, dans l’avenir, que sur la base d’unedécision judiciaire allant dans le sens de la philosophe de la Convention n°87 de l’OIT endate de 1948 qui est relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical.Par ailleurs, le droit de grève est reconnu.

23 Les droits sociaux bénéficient d’une certaine attention de la part du texte fondamental

puisque l’Etat doit assurer les services de l’assurance sociale. Il est indiqué que toutcitoyen a le droit à la solidarité sociale, s’il est incapable de prendre en charge sapropre personne, ni sa famille, ou en cas d’incapacité, de chômage, de vieillesse, afin deleur assurer un minimum de moyen d’existence. De nouvelles dispositions viennentégalement mettre à la charge de l’Etat l’obligation d’assurer une pension convenableaux petits paysans, aux ouvriers agricoles, à la main d’œuvre saisonnière et à tous ceuxqui ne sont pas couvert par le système de l’assurance sociale. La référence au droit aulogement apparait aussi comme une nouveauté. Dans ce sens le droit à une habitationconvenable est reconnu. A cette fin l’Etat doit adopter un plan national pour lelogement basé sur la justice sociale, et qui encourage les initiatives individuelles et lescoopératives de l’habitat. Ces dispositions sociales s’intègrent dans le sillage desdispositions de la déclaration universelle des droits de l’homme en date de 1948.

24 On remarquera enfin que la protection de l’enfance fait l’objet d’une attention

particulière, contrairement au texte constitutionnel de 1971. Il est fait ainsiinterdiction d’embaucher un enfant avant l’âge de la fin de l’enseignement primaire oudans des activités inappropriées à son âge. En matière judiciaire, l’enfant ne peut êtredétenu ou déclaré responsable que dans les conditions très strictes de la loi. Uneassistance juridique doit lui être assurée. Le lieu de détention doit être convenablemettant en place une séparation entre les sexes, l’âge, la nature du crime etl’éloignement des lieux de détention des adultes. Enfin, de manière générale, l’article 71de la loi fondamental souligne que l’Etat doit prendre soin des enfants et des jeunes,assurer leur éducation, leur développement spirituel, moral, culturel, scientifique,physique, psychologique, social et économique tout en œuvrant pour leur participationpolitique. On le voit, ces nouveaux droits à destination des enfants trouvent unfondement dans la Convention des droits de l’enfant en date de 1989.

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B. La recherche de l’équilibre des pouvoirs

25 Une deuxième caractéristique semble commune à l’ensemble de constitutions arabes

postrévolutionnaires. Il s’agit de la volonté du constituant de rechercher un certainéquilibre des pouvoirs. L’équilibre des pouvoirs doit permettre un contrôle réciproqued’un pouvoir sur un autre et de constituer une garantie à la concentration du pouvoirau sein de l’exécutif ou du pouvoir législatif. Comme le précisait Montesquieu « Pour

qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le

pouvoir »2. Les réformes constitutionnelles3 égyptienne, mauritanienne, marocaine ouencore syrienne témoignent de ce mouvement constitutionnel.

1. L’Egypte

26 En Egypte, nous assistons, avec la réforme de 2014, à un affaiblissement du pouvoir

présidentiel. On observe une réduction et un encadrement des prérogativesprésidentielles qui se matérialise de différentes façons.

27 Encadrement : en témoignent les dispositions relatives au droit de dissolution. C’est

ainsi que, dorénavant, le Président de la République ne peut dissoudre la Chambre desdéputés qu’après un référendum et sur la base d’un décret motivé. En outre, onremarque que le mandat du chef de l’Etat se voit réduit passant de 6 à 4 ans et celui-cine peut se représenter dorénavant qu’une seule fois. La déclaration de l’Etat d’urgencepar le chef de l’Etat est également davantage encadrée puisque sous, le régime de laConstitution de 1971, la déclaration de l’état d’urgence devait être soumise dans les 15jours à l’assemblée législative, ce délai est ramené à 7 jours.

28 Cet affaiblissement de la fonction présidentielle se manifeste non seulement par un

plus grand encadrement des prérogatives du chef de l’Etat mais aussi par la suppressionde certaines prérogatives. En ce sens, la Constitution de 2014 supprime les dispositionstelles que celles contenues au sein de l’article 74 de la Constitution de 1971 et quiconcernaient les pouvoirs exceptionnels du chef de l’Etat. Cet article disposait que : « En

cas de danger imminent et grave menaçant l’unité national, ou la sécurité de la patrie, ou

empêchant les institutions de l’Etat de remplir leur rôle constitutionnel, il appartient au

président de la République de prendre les mesures urgentes pour parer à ce danger après

consultation du Premier ministre et des présidents de l’assemblée du Peuple et de ‘Assemblée

consultative. Il adresse un message au peuple et fait procéder à un référendum sur les mesures

prises dans les 60 jours qui suivent. La dissolution de l’Assemblée du peuple et de l’Assemblée

consultative est interdite lors de l’exercice de ces pouvoirs ».

29 La réduction des prérogatives présidentielles se matérialise enfin par le fait que la

nouvelle Constitution semble imposer au Président de la République de choisir lePremier ministre au sein du parti détenant la majorité des sièges à la Chambre desdéputés. Il s’agit là de donner une pleine possibilité pour le gouvernement de pouvoirprendre les grandes décisions en s’appuyant sur une majorité parlementaire. Il s’agitaussi d’encadrer le pouvoir de nomination du Chef de l’Etat et d’assoir un véritablerégime parlementaire.

30 A côté de cette volonté de mieux encadrer les prérogatives présidentielles, il existe

aussi celle de renforcer la place du pouvoir législatif afin de tendre vers un meilleuréquilibre des pouvoirs. La structuration même de la constitution permet d’avancer une

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telle idée puisque la section relative au pouvoir législatif précède celle qui concerne lechef de l’Etat contrairement à la constitution de 1971.

31 C’est ainsi que la chambre des représentant voit le nombre de ses élus composé d’un

minium d’élu qui est de 450 contre 350 sous la constitution de 1971. La convocation dela Chambre des représentants en sessions extraordinaire est facilitée puisquedorénavant elle peut être convoquée par au moins un dixième des membres (article116) alors que sous le régime de la constitution de 1971 une motion devait être adoptéepar la « majorité » de l’assemblée. En outre, on peut observer que le Premier ministre,comme ses ministres, doit répondre « obligatoirement » aux questions posées par unmembre de la chambre des représentants et cela dans « la même session ». Les membresde la chambre peuvent aussi interpeller le Premier ministre, les ministres et leursadjoints et le débat sur l’interpellation doit intervenir dans les 60 jours de son dépôt.L’article 134 permet à chaque membre de la chambre de demander une réuniond’urgence ou une déclaration du Premier ministre, à l’un de ses adjoints, à un desministres ou de leurs adjoints, sur des questions urgentes touchant à l’intérêt public. Enoutre la constitution nouvellement rédigée impose au Premier ministre comme auxministres d’être obligatoirement présents à la Chambre si celle-ci le demande.

2. Le Maroc

32 Tout comme la nouvelle Constitution Egyptienne il semble que la réforme

constitutionnelle marocaine de 2011 est fondée aussi sur la volonté de tendre versdavantage d’équilibre des pouvoir. Un tel fondement est inscrit dans la Constitution etplus précisément au sein de l’article 1er.

33 Cet équilibre des pouvoirs va se manifester, dans un premier temps, par un

encadrement du pouvoir royal. Le Roi à obligation dorénavant de nommer le chef dugouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de lachambre des représentants.

34 La recherche de l’équilibre des pouvoir se matérialise aussi à travers la nouvelle

Constitution à travers la volonté de renforcer le rôle du parlement. Le nouveau texteprécis ainsi que le parlement contrôle l’action du gouvernement et évalue les politiquespubliques. L’article 71 élargit le domaine de la loi qui pourra intervenir dorénavant, parexemple, dans le domaine des libertés et des droits fondamentaux.

35 Le contrôle du pouvoir législatif sur l’exécutif se manifeste aussi à travers l’article 102

qui permet aux commissions compétentes dans chacune des deux chambres dedemander à auditionner les responsables des administrations. Cet équilibre despouvoirs se manifeste enfin à travers le droit qui est donné dorénavant au chef dugouvernement de dissoudre la chambre des représentants sur la base d’un décret prisen conseil des ministres.

3. La Syrie

36 Un dernier exemple constitutionnel tend à appuyer l’idée de la volonté de donner une

certaine réalité au principe d’équilibre des pouvoirs dans ce mouvement de renouveauconstitutionnel touchant le monde arabe. Il s’agit de la révision constitutionnellesyrienne du 26 février 2012.

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37 Le pouvoir législatif se voit renforcé à plusieurs égards. La durée minimale des sessions

de l’Assemblée du peuple est précisée au sein même de la Constitution ce qui n’était pasle cas auparavant. Cette durée minimale est de six mois. Dorénavant le chef de l’Etat quipeut exercer, comme en 1973, le pouvoir législatif en dehors des sessions du parlementdoit soumettre cette législation à l’Assemblée populaire du peuple dans les 15 jours desa première séance. Un tel délai ne figurait pas dans la Constitution de 1973. L’article121 de la Constitution vient, quant à lui, souligner que le premier ministre comme lesministres sont responsables devant l’Assemblée nationale du peuple. Enfin, en cas dedissolution de l’Assemblée, les nouvelles élections doivent avoir lieu non plus dans les90 jours à la date de la dissolution mais dans les soixante jours.

38 Parallèlement, le président voit, quant à lui, ses prérogatives réduites dans un premier

temps. C’est ainsi que la disposition suivante a été abrogée par la Constitution du 26février 2012 : « Le président de la République exerce le pouvoir législatif durant les sessions de

l’Assemblée, lorsque c’est absolument nécessaire pour la sauvegarde des intérêts nationaux du

pays ou en raison de l’exigence de la sécurité nationale ».

39 En outre, sous la constitution de 1973, la loi fondamentale soulignait uniquement que le

chef de l’Etat pouvait exercer le pouvoir législatif en dehors des sessions del’Assemblée. La constitution de 2012 vient préciser qu’il exerce un tel pouvoir en cas dedissolution de l’Assemblée du peuple uniquement. Ensuite si les prérogatives du chef del’Etat ont été réduites celles-ci font l’objet dorénavant d’un encadrement plus poussé.En effet, la constitution du 26 février 2012 vient indiquer explicitement, dans sonarticle 96, que le chef de l’Etat doit respecter la constitution. Il ne peut effectuerégalement que deux mandat successifs. L’élection présidentielle n’est plus au-dessus dela loi puisqu’une disposition dispose qu’une Haute Cour constitutionnelle estcompétente pour examiner les recours concernant l’élection présidentielle. Enfin, ledéclenchement de l’état d’urgence fait l’objet d’un encadrement contrairement aurégime constitutionnel qui dominait sous la constitution de 1973 puisque dans l’avenirs’il revient au chef de l’Etat de décréter l’état d’urgence c’est seulement à la suite d’unedécision du conseil des ministres adoptée à la majorité des 2/3. En outre, ces décisionsdoivent être soumises à l’Assemblée du peuple dès sa première séance.

II. La démocratisation à l’épreuve du renouveauconstitutionnel

40 Ce renouveau constitutionnel ne peut faire l’économie de certaines critiques. Il semble

que l’on peut avancer d’une part, que la protection des droits fondamentaux restentlacunaire (A) et, d’autre part, que la place de l’exécutif et, plus précisément des chefs del’Etat, reste prépondérante (B).

A. Une protection fragile des droits fondamentaux

41 La protection des droits fondamentaux, si elle fait l’objet d’une attention particulière

au sein des constitutions postrévolutionnaires, mérite néanmoins d’être relativiséedans la mesure où plusieurs limites textuelles (1) et pratiques (2) apparaissent.

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1. Arguments de texte

a) Le cas de l’Egypte

42 A propos de l’Egypte, tout d’abord, on peut s’étonner que le texte fondamental précise

que les principes de la Charia Islamique sont la source principale de la législation. Quidalors de la mise en place de droits fondamentaux en direction des femmes parexemple ? Par ailleurs, en ce qui concerne la protection de la liberté religieuse, il estreconnu la construction de lieu de cultes uniquement pour les relions « révélées ». Quiddes autres religions ou mouvements philosophiques ? De même, l’article 72 indique quel’Etat doit garantir la neutralité des médias dont il est propriétaire. Mais quelle estl’effectivité de telles dispositions ? On peut en douter lorsque l’on regarde le traitementmédiatique dont bénéficie le Président EL SISI. Ou encore, la constitution interdit laconstitution de partis politiques sur une base religieuse. Il s’agit là d’une atteinte auxlibertés politiques. La liberté syndicale se voit réduite puisque il est mentionnéqu’aucune profession ne peut créer plus d’un syndicat et ces derniers ne peuventexister dans les institutions étatiques. En outre, le droit de pétition est interdit puisquel’article 85 dispose « Aucune requête ne peut être faite au nom d’un groupe ». S’il existedes dispositions concernant le droit de l’environnement celles-ci ne font aucuneréférence, par exemple, aux principes de précaution, de participation ou encore deresponsabilité environnementale. Concernant le procès pénal certains grands principessont reconnus comme la présomption d’innocence ou le double degré de juridiction.Néanmoins on peut regretter l’absence de référence à la notion de droit à réparation ou

encore du droit de voir sa cause entendu dans un délai raisonnable comme le soulignel’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (16 décembre1966). Egalement, est reconnue la liberté de croyance. Il aurait été toutefois opportunde mentionner que nul ne peut être inquiété pour ses opinions religieuses à l’instar del’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

43 Plus généralement, il est fait référence à la notion de liberté mais aucune définition

n’est proposée, pas même comme à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme etdu citoyen, que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Surtout,les droits et libertés reconnus par la loi fondamentale reste conditionnés par leur miseen œuvre par le législateur et donc de l’existence d’une volonté politique. D’autre part,la mise en œuvre de droits tels que le droit au logement, le droit à la santé ou le droit àl’éducation sont des droits qui ont un coût financier important. Or, quid de la capacitéfinancière de l’Egypte qui apparait comme un pays pauvre dont le PIB est de seulement225,9 milliards de dollars (2011) ?

44 Enfin, concernant la protection des droits fondamentaux le texte constitutionnel met

en place un contrôle a priori de la loi. Néanmoins il aurait été, là également, opportund’aller plus loin en mettant en place la possibilité pour le justiciable de saisir la Courconstitutionnelle au cours d’un procès, c’est-à-dire la reconnaissance d’un contrôle aposteriori de la loi. Un tel contrôle existe, notamment, au sein de la Constitution duTchad, en date du 14 avril 1996, qui dispose, dans son article 166, que « Tout citoyen peut

soulever l’exception d’inconstitutionnalité devant une juridiction dans une affaire qui la

concerne. Dans ce cas, la juridiction sursoit à statuer et saisit le Conseil constitutionnel qui doit

prendre une décision dans un délai de quarante-cinq jours ».

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b) Autres exemples

45 Dans plusieurs autres Etats, les textes constitutionnels font apparaitre des limites aux

droits et libertés. Prenons quelques exemples.

46 En Jordanie, l’article 6 interdit les discriminations entre jordaniens mais ne fait pas

référence aux discriminations entre hommes et femmes. En outre, la liberté de religiongarantie par l’article 14 trouve sa portée limitée puisque l’Etat ne protégera pas unereligion si celle-ci est contraire à l’ordre public ou encore aux bonnes mœurs.Qu’entend-on alors par ordre public et bonnes mœurs ?! Il s’agit là de deux expressionsqui laissent une certaine marge de manœuvre aux pouvoirs publics. On remarqueégalement qu’il n’est pas fait référence à la question des droits de l’homme ou à untexte international sur ce sujet. Par ailleurs, le droit à la protection sociale, à la retraiteou encore à la santé fait défaut alors que ces droits sont reconnus par les différentesconventions élaborer dans le cadre de l’O.I.T. Aucune disposition ne concerne laprocédure judiciaire : présomption d’innocence, droit à un avocat ; droit d’accéder à untribunal indépendant ; droit d’être jugé dans un délai raisonnable ; droit de faire appel ;droit à réparation en cas d’erreur judiciaire. Pourtant la Jordanie a ratifié le 28 mai1975 le pacte du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques qui reconnaitdans son article 14 un certain nombre de droits à la défense au cours du procès pénal.

47 En Mauritanie, les droits sociaux sont exclus de la Constitution. Or, dans la grande

majorité des constitutions on retrouve le droit à la sécurité sociale, le droit aulogement, le droit à la retraite, la protection de la santé. Aucune disposition neconcerne le droit d’asile. Le principe de la démocratie ne figure pas au sein dupréambule. Il n’est pas fait référence à la liberté de religion. Il n’est fait mention à lanotion de droits de l’homme ou encore à une convention internationale à ce sujet quedans le préambule et non au sein des articles mêmes de la Constitution.

48 En Syrie, s’il est fait référence à la notion de droits de l’homme, aucun lien n’est fait

avec le droit international des droits de l’homme. En outre, alors que, dans unedémocratie, l’opposition joue un rôle fondamental – en ce sens que la Constitutionmarocaine consacre à l’opposition un statut particulier et protecteur -, rien de tout celan’est prévu par la Constitution Syrienne. Enfin, le droit à la sécurité sociale est reconnuvis-à-vis des travailleurs, mais quid des autres catégories de la population ?

49 Au Maroc pour finir, la Constitution vient limiter l’action des partis politiques et plus

précisément la liberté d’expression. Ces derniers ont interdiction de porter atteinte à lareligion musulmane ou encore à la forme monarchique du régime politique (article 7 dela Constitution). On observe également que la religion musulmane bénéficie d’une placeparticulière au sein de la Constitution puisque on peut lire, au sein du préambule que « La prééminence » est accordée à la religion musulmane. Quid alors de la place et de laprotection accordée aux autres religions ?!

2. La persistance de pratiques contraires aux droits et libertés

50 Les limites juridiques à la protection des droits fondamentaux au sein des constitutions

postrévolutionnaires ne sont pas les seules. La pratique du pouvoir, comme lalégislation en vigueur, peuvent aussi venir contredire les principes reconnus par lestextes fondamentaux. Nous prendrons les exemples du Maroc et de la Syrie

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a) Le Maroc

51 On a pu constater, en 2012, qu’un tribunal marocain de la ville de Taza a condamné

Abdelsamad Haydour, un étudiant de 24 ans, à 3 ans de prison et 1200 USD (environ 900euros) d'amende pour avoir critiqué le roi du Maroc dans une vidéo publiée surYouTube. M. Haydour a alors été accusé « d'avoir attenté aux valeurs sacrées de la nation ».Or, celui-ci n'a bénéficié d'aucune assistance juridique lors de l’audition et le tribunaln’a pas désigné d'avocat pour le défendre comme le requiert pourtant la législation dupays. Pourtant l’article 25 de la constitution reconnait la liberté de pensée, d’opinion, etd’expression sous toutes ses formes.

52 La liberté d’association dans la pratique reste également un droit à conquérir comme

en témoignent les évènements d’aout 2011. Le samedi 20 août 2011, une centaine dejuges s’était déplacé de différentes régions du Maroc pour participer à l’Assembléegénérale constitutive du « Club des juges du Maroc », à l’Ecole nationale de l’industrieminérale (ENIM) de Rabat. Cette organisation « veut œuvrer pour garantir les libertés des

citoyens à travers l’indépendance de la justice ». Cependant, l’adjoint du directeur del’ENIM, interdit aux magistrats l’accès à l’école. Celui-ci avait reçu des instructionsorales du ministère de l’Intérieur interdisant l’accès aux locaux qui pourtant ont étéloués. Les magistrats se sont alors réunis dans la rue. Cette décision est contraire àl’article 111 de la Constitution marocaine qui garantit le droit pour les magistratsd’adhérer et de créer une association professionnelle.

53 A côté de la liberté d’association, la liberté de manifestation est aussi quelques fois

bafouée. C’est ainsi qu’au mois d’aout 2013 les forces de l’ordre ont réprimé desmanifestations Alors même que l’article 29 de la constitution dispose que « Chacun a le

droit d'organiser des réunions et des manifestations pacifiques et non armées sans autorisation

préalable mais avec déclaration préalable pour les manifestations dans un lieu public ».

b) La Syrie

54 Des pratiques très problématiques peuvent également être observées en Syrie. Dans un

rapport de septembre 2012 une commission internationale d’enquête fait état demeurtres, d'exécutions sommaires, d'actes de torture, d'arrestations arbitraires, deviolences sexuelles, de violations des droits de l'enfant de la part des forcesgouvernementales. Se pratique également en Syrie de la part du gouvernement à desarrestations arbitraires. Par exemple Amnesty international a pu préciser que lemilitant politique Ali Sayed al Shihabi, réfugié palestinien vivant en Syrie, a été arrêtépar les autorités syriennes le 19 ou le 20 décembre 2012 et soumis à une disparitionforcée. Il faut noter que la Syrie est depuis 1963 sous le régime de l’état d’urgencepermettant de réduire les libertés publiques.

55 Par ailleurs, l’égalité des sexes est reconnue par la Constitution syrienne. Pourtant les

lois relatives au statut personnel et le code pénal contiennent des dispositionsdiscriminatoires à l'égard des femmes et des filles, notamment en matière de mariage,de divorce, de garde des enfants et d'héritage. En outre, on note que si le code pénaln'exonère plus totalement les auteurs de prétendus crimes d'honneur, il laisse encoreaux juges une certaine latitude pour infliger des peines réduites si un crime a étécommis avec une intention « honorable ». Enfin, la loi sur la nationalité de 1969 interditaux femmes syriennes ayant épousé un étranger la possibilité de transmettre leurnationalité à leurs enfants ou à leur conjoint.

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B. La prédominance des chefs de l’Etat

56 Lorsque l’on observe les constitutions arabes postrévolutionnaires, la prédominance du

pouvoir exécutif et, plus particulièrement, du chef de l’Etat semble perdurer. Cettetendance pourrait trouver un fondement dans la survivance d’un schémaconstitutionnel antérieur où la loi fondamentale consacrait de véritables régimesautoritaires. Prenons l’exemple de la Syrie, du Maroc, de l’Egypte, de la Jordanie et de laMauritanie.

1. La Syrie

57 Il ressort de la lecture de la Constitution syrienne que le président de la République

conserve de larges prérogatives. Il lui revient ainsi de nommer le premier ministre, lesministres et leurs adjoints et de les décharger éventuellement de leurs fonctions. C’est àlui qu’il appartient de déterminer la politique de l’Etat en accord avec le conseil desministres qu’il lui revient de présider. Il peut demander des rapports tant au Premierministre qu’aux divers ministres.

58 Il possède un rôle au niveau international puisqu’il accrédite les chefs des missions

diplomatiques auprès des gouvernements étrangers et il reçoit les accréditations deschefs de missions étrangères en Syrie. Il ratifie les traités et accord internationaux. Auniveau militaire, il est le chef suprême de l'Armée et de toutes les forces armées. Ilprend toutes les décisions nécessaires à l'exercice de cette autorité.

59 Son influence est réelle sur l’Assemblée nationale dans la mesure où il peut s'adresser à

celle-ci par des messages écrits et, en personne, faire des déclarations devant elle. Il a lapossibilité également de dissoudre une telle assemblée. Il peut préparer des projets deloi et les transmettre au pouvoir législatif pour délibération. L’article 113 lui permetmême d’exercer le pouvoir législatif, le cas échéant, en dehors des sessions del'Assemblée populaire, en cas de dissolution de l'Assemblée du peuple.

60 On constate, à côté de ses prérogatives à l’égard du pouvoir législatif, que le président

de la République possède des pouvoirs exceptionnels dans certains cas. Par exemple, siun grand danger menace l'unité nationale, la sécurité ou l'indépendance de la patrie ouempêche les institutions de l'État de remplir leurs obligations constitutionnelles, il peutprendre les mesures d'urgence exigées par les circonstances, en vue de faire disparaitrece danger. Il a la possibilité de s’affranchir de la représentation nationale en faisantappel directement au peuple à travers le referendum sur les questions importantesrelatives aux intérêts supérieurs du pays.

61 Il nomme par décret les membres de la Haute Cour constitutionnelle ce qui conduit à

s’interroger sur l’indépendance et l’impartialité de cet organe. Enfin, il dispose del’initiative de la révision, pouvoir partagé avec l’Assemblée du Peuple.

2. Le Maroc

62 Au Maroc, le Roi conserve de larges prérogatives malgré la réforme du 1er juillet 2011. Il

a, par exemple, la possibilité de mettre fin aux fonctions d’un ou plusieurs membres dugouvernement. Il peut également dissoudre les deux chambres du parlement. Il peuts’adresser des messages à la nation ainsi qu’au parlement. Il est le chef suprême desforces armées et nomme à ce titre aux emplois militaires. Il dispose d’un pouvoir

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exceptionnel consacré par l’article 59 : lorsque, par exemple, l’intégrité du territoire estmenacée (mais également lorsque des évènements entravent le fonctionnementrégulier des pouvoirs publics), il peut proclamer l’état d’exception. Il est alors habilité àprendre toutes les mesures qui s’imposent pour défendre l’intégrité territoriale oupermettre que les institutions de la République puissent fonctionner normalement.

63 Cette prépondérance de l’autorité royale peut être regrettable : la réforme de 2011

aurait dû consacrer l’autonomie du gouvernement en précisant que ce dernier seraitdans l’avenir nommé par un vote de la chambre des représentants.

3. L’Egypte

64 En Egypte, quelques remarques allant dans le même sens peuvent être également

formulées. Le Président de la République reste omniprésent au sein de la Constitutionde 2014. Plusieurs dispositions tendent à appuyer une telle idée. Il lui revient ainsi deconvoquer les deux chambres en session annuelle comme de clore cette session. LePrésident de la République possède une pleine place dans la procédure législativepuisqu’il a la possibilité de proposer des lois. En outre, il a le droit d’opposer son veto àla promulgation d’une loi et demander, à ce titre, à la Chambre des députés d’endébattre une nouvelle fois. Il possède un pouvoir de nomination étendu. C’est ainsi quesi la constitution lui fait obligation de nommer le Premier ministre au sein de lamajorité arrivée en tête des élections de la chambre c’est à condition que legouvernement qu’il a nommé de manière discrétionnaire auparavant n’a pas obtenu laconfiance de la Chambre. Il peut nommer également un certain nombre de personnes àla chambre des représentants sans que leur nombre soit supérieur à 5%.

65 Le texte fondamental donne également un rôle important au chef de l’Etat dans la

détermination de la politique nationale puisqu’il lui revient d’élaborer la politiquegénérale avec la « collaboration» du Gouvernement. Il a la possibilité de convoquer leGouvernement à chaque fois qu’il le juge utile. En effet, l’article 148 dispose que « Le

président de la République peut convoquer le Gouvernement pour débattre de questions

importantes, et préside les réunions auxquelles il participe».

66 Un article semble permettre au chef de l’Etat d’écarter le gouvernent pour exercer lui-

même certains pouvoirs. En effet, l’article 147 dispose que « Le Président de laRépublique peut dispenser le gouvernement de mener à bien ses tâches s’il obtientl’approbation de la majorité de la chambre des représentants ».

67 Le chef de l’Etat apparait en outre comme le chef des armées (cela est d’autant vrai

actuellement que le Président EL SISI est un ancien militaire qui a déposé l’ancienprésident MORSI). A ce titre, c’est à lui qu’il revient de déclarer la guerre comme l’étatd’urgence sous certaines réserves. Le chef de l’Etat peut aussi consulter directement lepeuple par voie de referendum sur toute question concernant les intérêts supérieurs del’Etat.

68 Le président semble par ailleurs pouvoir exercer une influence sur le pouvoir judiciaire

ce qui interroge sur la question de la séparation des pouvoirs et sur l’indépendance dupouvoir judiciaire. La Constitution précise en effet que le parquet est dirigé par unprocureur général nommé par décret du présidentiel sur proposition du Conseilsupérieur de la magistrature. L’indépendance de la justice porte à discussion si l’on a àl’esprit le véritable jugement de groupe organisé à l’encontre des frères musulmans lorsde l’arrivée au pouvoir du général EL SISI.

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69 On peut aussi s’interroger sur la place prépondérante de l’armée au sein des

institutions puisque le ministre de la défense doit être directement choisi au sein desofficiers de l’armée.

70 Enfin, on constate que les rédacteurs du nouveau texte constitutionnel ont voulu

bloquer toute possibilité de révision concernant certains sujets. Il en est ainsi desmodalités de réélection du chef de l’Etat qui ne peuvent faire l’objet d’une révision.

4. La Jordanie

71 En Jordanie, le Roi est également à même de concentrer de nombreux pouvoirs. Il

incarne et exerce le pouvoir exécutif, précise la Constitution. Cette idée marquel’effacement du Gouvernement. C’est lui qui promulgue, notamment, les règlementsnécessaires à l’application de la loi. Il possède un rôle militaire puisqu’il est lecommandant suprême des forces de terre, de mer et de l'air. Il déclare la guerre,conclut la paix et ratifie les traités et les accords. Il a une emprise sur le Premierministre qu’il peut révoquer à tout moment d’autant que ce dernier comme lesministres doivent prêter serment de fidélité auprès de lui.

72 En outre, l’article 48 dispose que si le Premier ministre et les ministres signent les

décisions prises en Conseil des ministres, celles-ci doivent être soumises au Roi pourratification. Son influence sur le pouvoir législatif est également une réalité puisqu’ilnomme les membres du Sénat ainsi que le président de celui-ci. Les sénateurs etdéputés doivent, comme les ministres, faire le serment d’être fidèles au Roi ce quiremet en question le principe de séparation des pouvoirs.

5. La Mauritanie

73 En Mauritanie enfin, la prépondérance de l’exécutif et plus précisément du Chef de

l’Etat est également flagrante lorsque l’on lit le texte constitutionnel. Le Président de laRépublique exerce le pouvoir exécutif et préside le Conseil des ministres, et estfinalement le véritable chef de l’exécutif. La Constitution précise en ce sens que leGouvernement veille à la mise en œuvre de la politique générale de l'Étatconformément aux orientations et aux options fixées par le Président de la République.En outre, si le gouvernement peut prendre des décisions par ordonnance dans lesmatières qui sont normalement du domaine de la loi, c’est après accord du Président dela République.

74 S’agissant de la politique étrangère, il revient au Président d’en déterminer le contenu

et c’est lui qui signe et ratifie les traités. Il peut mettre fin, quand bon lui semble, auxfonctions du Premier ministre qu’il lui revient également de nommer. La Constitutiondispose explicitement que le Premier ministre et les ministres sont responsables devantle Président de la République.

75 Le Président possède également un pouvoir d’influence sur le parlement dans la mesure

où il a la possibilité de communiquer avec celui-ci par des messages. Il peut en outre enprononcer la dissolution. Il peut aussi saisir le peuple par referendum.

76 Au niveau militaire, le Président est compétent pour nommer aux emplois dans ce

domaine. Il est le chef suprême des forces armées et préside à ce titre les conseils etcomités supérieurs de la défense nationale. A l’instar d’autres constitutions issues desmouvements révolutionnaires dans la zone géographique, il possède des pouvoirs

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exceptionnels dans certaines situations. Lorsqu’un péril imminent menace lesinstitutions de la République, la sécurité ou l'indépendance de la Nation ou l'intégritéde son territoire et que le fonctionnement régulier des pouvoirs constitutionnels estentravé, le Président de la République adopte les « mesures exigées par cescirconstances » après consultation officielle du premier ministre, des présidents desassemblées et du Conseil constitutionnel. Enfin, il possède l’initiative de la révisionconstitutionnelle.

Conclusion

77 Les constitutions postrévolutionnaires, dans le monde arabe, tendent indéniablement

vers la modernisation. Elles traduisent la volonté de renforcer les droits fondamentauxtout en allant vers un meilleur équilibre des pouvoirs. Néanmoins, il semble que cenouvel élan ne soit pas abouti. Des limites persistent nécessitant de futures réformes et,la pratique du pouvoir contribue aussi à définir les caractéristiques de ces nouveauxrégimes politiques. La question du renouveau constitutionnel dans le monde arabereste ainsi ouverte et risque bien de continuer à faire l’objet d’une actualité régulière.

NOTES

1. Il en est de même pour les organisations syndicales.

2. Montesquieu, De l’esprit des lois, Livre XI, chap. VI.

3. D’autres Etats sont concernés par cette tendance.

En Mauritanie, avec la réforme du 20 mars 2012, on assiste à un renforcement de laresponsabilité gouvernementale devant le pouvoir législatif. En effet, des dispositionsprécisaient déjà que le premier ministre est, solidairement avec les ministres,responsable devant l'Assemblée nationale ; la mise en jeu de la responsabilité politiquerésulte de la question de confiance ou de la motion de censure. La réformeconstitutionnelle vient rajouter qu’au plus tard un mois après la nomination duGouvernement, le Premier ministre présente son programme devant l’Assembléenationale et engage la responsabilité du Gouvernement sur ce programme. Le statut duparlement est aussi renforcé. Les sessions parlementaires peuvent aller aujourd’huijusqu’à 4 mois, contre 2 mois antérieurement. En outre, l’Assemblée nationale possèdeun délai de 45 jours afin de se prononcer en première lecture sur le projet de loi definances contre 30 jours auparavant. De plus la mission du parlement sur le budget del’Etat est précisée dans la mesure où il est mentionné que celui-ci contrôle l'exécutiondu budget de l'Etat et des budgets annexes. Un état des dépenses doit lui être fourni à lafin de chaque semestre pour le semestre précédent. Les comptes définitifs d'un exercicesont déposés au cours de la session budgétaire de l'année suivante et approuvés par uneloi.

L’exemple jordanien est révélateur également de cette recherche d’équilibre. C’est ainsique la réforme constitutionnelle jordanienne de 2011 réduit les prérogatives du

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gouvernement au bénéfice du Parlement dans le sens d’un plus grand équilibre despouvoirs. Par exemple, la capacité de décréter des lois provisoires pendant les vacancesparlementaires a été réduite. La possibilité pour le gouvernement de dissoudre leParlement sans démissionner a également été limitée.

ABSTRACTS

Since 2011, the Arab world is confronted to a social and legal - especially constitutional-

mutation. In Morocco, Jordan, Egypt or Tunisia, deep constitutional reforms are emerging. These

changes are reaction against previous regimes characterized by their authorities, concentration

of powers and violation of human rights. Several questions will be then explored: what are the

positive contributions of these constitutional movements? Can they be analyzed as revival of

human rights? Do they exit in building a balance of powers? What about the scope of the new

constitutional reforms?

Le monde arabe, depuis 2011, vit une mutation tant sociale que juridique et, plus précisément,

constitutionnelle. En effet, que ce soit au Maroc, en Jordanie, en Egypte ou encore en Tunisie, des

réformes constitutionnelles de grandes ampleurs ont pu voir le jour. Ces mutations profondes se

veulent une réponse aux régimes qui prévalaient par le passé : des régimes autoritaires, à forte

concentration du pouvoir, une séparation des pouvoirs relative et de nombreuses atteintes aux

droits de l’homme. Il convient alors de se poser plusieurs questions : quels ont été les apports de

ces mouvements constitutionnels ? Peut-on parler de renouveau des droits de l’homme ? Assiste-

t-on à une tentative de mise en place des conditions d’un équilibre des pouvoirs ? Quid de la

portée de ces nouvelles réformes constitutionnelles ? On envisagera les réponses apportées les

principales nouvelles constitutions.

INDEX

Mots-clés: Constitution – Droits de l’homme – Séparation des pouvoirs – Mutations

constitutionnelles – Démocratie

Keywords: Constitution – Human rights – Separation of power – Constitutional transition -

Democracy

AUTHOR

MALIK BOUMÉDIENE

Malik Boumediene est Maître de conférences, Habilité à Diriger les Recherches à l’université de

Toulouse Jean Jaurès. Il est membre du Centre de Recherche et d’Etude sur les droits

fondamentaux (Université Paris 10). Il travaille sur la question de la démocratie, des droits de

l’homme, des transitions constitutionnelles.

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Pouvoir politique, droitsfondamentaux et droit à la révolte :la doctrine religieuse face auxprocessus révolutionnaires dans lemonde arabeFouad Nohra

1 Le processus révolutionnaire déclenché en décembre 2010 est souvent perçu

indépendamment de la dimension religieuse, au motif que les organisations seréclamant de l’Islam politique n’y auraient participé que marginalement. Ce raccourciocculte la forte présence du religieux dans la société politique arabe que l’on peutidentifier selon quatre types distincts

2 Certes, un premier type de présence minimal permet d’écarter cette influence. Il s’agit

de celui que l’on retrouve dans les mouvements adeptes d’une sécularisation radicalequi relèguerait le religieux à la sphère privée. Mais ces mouvements demeurent peunombreux et faiblement enracinés dans les sociétés politiques arabes, et l’on ne peutmême pas y ajouter les libéraux qui reconnaissent la place du religieux au sein del’organisation sociale.

3 D’où le type suivant où le religieux est présent dans l’organisation de la vie sociale,

mais se tient à l’écart du jeu politique. A ce titre, la question demeure de savoir si lesdispositions constitutionnelles (en Algérie depuis 1996, en Egypte depuis 2007 etc.)interdisant la constitution de partis politiques sur une base religieuse relève del’intention de laisser le religieux au niveau infra-politique ou au contraire de faire dureligieux un lieu de consensus inter-partisan plutôt qu’un lieu de confrontationpolitique.

4 Selon un troisième type, le religieux est l’une des sources de légitimation de la pratique

politique, car elle légitime ce recours à toutes les autres sources compatibles. C’est à ce

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titre que la référence aux idéologies nationalistes, socialistes ou libérales est renduepossible par une relation non-exclusive entre religion et politique.

5 C’est au niveau du quatrième et dernier type que l’on peut considérer la doctrine

religieuse comme la principale source de légitimation qui croit subordonner les autresréférences.

6 En un mot, l’influence de la pensée religieuse n’est pas simplement le fait des

mouvements politiques relevant de ce quatrième type. Elle est également l’œuvre desorganisations qui, nombreuses, ont recours, même en partie, à la légitimationreligieuse. Mais elle est la conséquence d’une forte présence des institutions religieusesau sein des sociétés arabes.

7 La question générale qui se pose est celle de savoir en quoi a consisté cette influence

sur le « printemps arabe » ? A-t-elle été un accélérateur du processus révolutionnaireou un frein à celle-ci ? Le présupposé de nombre de sociologues ou politologues qui sesont intéressés au monde musulman était celui selon lequel Islam et révolutiondémocratique sont incompatible au motif que l’on était en face d’une religion à la foisholiste privilégiant la collectivité au détriment de l’individu1, conformiste prônantl’obéissance inconditionnelle aux détenteurs du pouvoir2 et générant une culture situéeà l’antipode de la culture démocratique3.

8 A ce titre, l’on est face à une diversité des interprétations religieuses et à une

multiplicité des niveaux d’interférence dans le champ politique. La doctrine religieuseest à la fois le reflet des sources originales, notamment du texte coranique, et desdifférentes méthodes d’interprétation. Ces différences ne sont pas uniquement cellesrépertoriées entre les quatre grandes écoles historiques4. Elles s’étendent au-delà, etmobilisent des écoles de pensées plus récentes.

9 A ce titre, le pouvoir politique a la capacité de recourir à la légitimation religieuse tout

en l’instrumentalisant et en la dénaturant. Il suffit de mentionner la critique que faitHasan Hanafi de l’ « application de la Shari’a » par nombre de gouvernements, enaffirmant que l’erreur consiste à croire qu’il s’agit essentiellement d’un catalogued’interdits et de sanctions, tandis que le principe premier de ladite Shari’a qui est loind’être réduite à un système de lois consiste avant tout à établir la justice (distributive)et à restituer aux opprimés leurs droits fondamentaux5. Cette remarque permetd’annoncer l’étendue de l’instrumentalisation du religieux par le politique. Dans quellemesure est-il possible de reconnaître l’impact de la pensée religieuse au-delà de soninstrumentalisation politique ? Comment savoir dans quelle mesure cette pensée ainfluencé l’orientation en faveur du processus de démocratisation dans les sociétésarabes ?

10 Le champ de cette question est bien entendu assez vaste, aussi vaste que le domaine des

droits fondamentaux de l’individu. A titre d’exemple, l’encyclopédie des droits del’homme en Islam de Khadîja al-Nabrâwi comprend plus de 17 chapitres distincts,chacun englobant plus d’une dizaine de droits fondamentaux de la personne humaine6.C’est pourquoi, nous nous contentons d’aborder trois thèmes tels que développés par ladoctrine religieuse : la nature du pouvoir politique, les limites du pouvoir politique faceau droit et le droit de contester le pouvoir politique, sans entrer dans un débat plusvaste et en évitant d’entrer dans les détails de l’interférence de ce discours sur la scènepolitique.

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I. Le système délibératif face aux exigences de ladémocratie représentative

11 L'interprétation dominante du texte coranique fonde le pouvoir islamique sur la notion

de Shûra qui signifie littéralement consultation, et dans un sens plus précis (Shûra

baynahum) concertation. Deux versets du Coran servent de référence, dontessentiellement le verset 38 de la sourate 42. Ce dernier exhorte les croyants à laconcertation pour ce qui concerne les affaires de leur société. Le verset 59 de la sourate3 vient renforcer l'appel à la concertation/délibération entre les membres de lacommunauté sur leurs propres affaires (politiques, économiques ou sociales), car elleappelle le Prophète à la concertation.

12 La Shûra que l’on peut définir comme système délibératif est présentée par l’ensemble

des savants religieux7 comme étant l’antidote au despotisme (Istibdâd), donc au pouvoirabsolu du « gouvernant » (Hâkim) ou du « prince » (si l’on utilise le vocabulaire deMachiavel). Mais est-elle l’équivalent de la démocratie représentative ?

13 Au moment de la renaissance arabe du 19ème siècle, des philosophes tels Abdul Rahmân

al-Kawâkibi et Khayr al-Dîn al-Tûnisi cherchent à établir l’équivalence entre le systèmeoriginel de l’Etat islamique et le système politique de démocratie représentative. A cetitre, al-Kawâkibi affirme que « l’Islam est une doctrine démocratique et socialiste »8,tandis qu’al-Tûnisi est l’ingénieur des premières réformes démocratiques à Tunis, enlégitimant celle-ci par l’équation (système délibératif islamique = démocratiereprésentative)9. Le système délibératif s’appuie sur le principe selon lequel lesdétenteurs du pouvoir sont choisis et investis par les membres de la société.

14 Toutefois, les versets cités ne restreignent pas la Shûra à l’investiture des détenteurs du

pouvoir. La question est ouverte lorsqu’il s’agit, de manière générale, des affaires de lacommunauté des croyants. En se référant à la pratique de l’Etat de Médine, puis despremiers Califes, l’on peut en déduire que le recours à la délibération au sein de lacommunauté est requis, lorsqu’il s’agit d’établir de nouvelles normes au sujetdesquelles les sources originales demeurent silencieuses.

15 Reste une autre question : qui a le droit de participer à la Shûra ? Les sources initiales

demeurent silencieuses, et la pratique des premiers califats s’appuie sur les sages et lesreprésentants des différentes familles constituant la société de l’époque, maiségalement et surtout sur le cercle des compagnons à la fois caractérisés par leur savoiret leur vertu. La doctrine aurait élaboré dans l’histoire la notion de Ahl al-Hall wa al-‘Aqd

(ceux qui sont investis du pouvoir d’engager et de désengager), au nom de l’ensemblede la société. C’est la pensée philosophique de la Renaissance arabe qui en déduit que,fondamentalement le pouvoir de délibérer était implicitement et devait explicitementêtre attribué à l’ensemble de la société.

16 Ce pouvoir est-il accordé à la société ou à la communauté des croyants 10 ? La doctrine

et la pratique originelle de l’Etat de Médine permettent de définir une citoyennetédistincte de l’appartenance à la communauté des croyants. Même si le terme n’est pasutilisé, une appartenance commune à la cité de Médine est définie entre tous ceux qui yparticipent. Elle est définie par le premier pacte liant les musulmans aux tribus juivesde la ville11.

17 C’est l’autonomisation des communautés monothéistes désignées comme Gens du Livre

(Ahl al-Kitâb) qui a produit historiquement le système des Communautés (Milla), dont

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chacune était assujettie à ses propres règles et à ses propres dignitaires religieux qui aproduit la distinction entre la Oumma des croyants et les Milla des différentescommunautés. Cette autonomisation est issue de la pleine reconnaissance des religionsdu Livre par le texte coranique (Sourate 5, verset 69), y compris du droit à larécompense divine, mais elle est construite par la pratique des premiers Etats et portéeà son apogée par le système ottoman des Millet12.

18 Le concept de citoyenneté distinct de l’appartenance religieuse est restauré avec la

Renaissance arabe. Rifa’at al-Tahtawi entend substituer à la Communauté des croyants,une société politique constituée de citoyens, indépendamment de leur appartenance detype communautaire13. Ce principe de citoyenneté détachée de l’appartenancereligieuse et consacrant une égalité formelle entre musulmans et adeptes des autresreligions a été mis en œuvre, dans un premier temps, sous le règne de Mehemet Ali (quiétait toutefois loin du paradigme délibératif). Les Tanzimat ottomans des années1850-1870 s’orientaient dans ce sens, et l’instauration d’une citoyenneté ottomaneunique s’est heurtée à l’hostilité des dignitaires religieux chrétiens soucieux deconserver leurs privilèges, et dotés de l’argument selon lequel les adeptes de leurscommunautés souhaitaient éviter la conscription14.

19 Transposé à la période actuelle, le principe d’une citoyenneté indépendante de

l’appartenance religieuse comme génératrice du droit à la décision politique est nonseulement instauré par la plupart des Etats arabes modernes quelle que soit leurréférence à l’Islam, mais aussi reconnu par tout un spectre des partis à référenceislamique, dont les Frères musulmans, et à l’exception des mouvements extrémistes.

20 Pourtant, cette similitude voulue entre système délibératif et démocratie

représentative est soumise à la critique des courants qui cherchent à prôner un modèled’organisation politique distinct de la société « occidentale »15. Les arguments mobilisésse résument ainsi :

- Le principe consensuel sur lequel se fonde le contrat politique de la plupart dessystèmes représentatifs pluralistes est le principe de la souveraineté nationale quidétermine les limites du pluralisme et de la liberté politique. Dans le système fondé surla Shûra, le principe consensuel est celui de la souveraineté divine. Cette souverainetédivine n'exclut pas celle de l'homme mais la rend relative et lui donne une autre forme.Certains vont jusqu'à affirmer que le système de la choura évite la dérive nationalisteque connaît la démocratie représentative et insiste sur l’universalité à l’encontre de lanationalité16.- La limite est plus restrictive sur un autre plan, dans la mesure où les formesidéologiques sous-jacentes à la Shûra ne sont pas l'idée nationale située au-dessus del'éthique individuelle et sociale. Cette dernière devient une affaire politique, en ce sensque l'appel à l'immoralité n'est pas toléré. C'est la question du rapport entre morale etpolitique qui se pose à nouveau.- Le principe de la Shûra est affecté l'exigence du consensus (al-ijma') et semble, àpremière vue, contredire le principe majorité qui aurait pour conséquence lafrustration des minorités. Or, il n'est rien de plus dangereux que l'illusion d'unconsensus monolithique. C'est pourquoi deux nuances sont apportées à ce dernierprincipe. Tout d'abord, le consensus se fait selon deux critères : la recherche desfondements (notamment dans le Coran) et la recherche du juste milieu. Consensus etconciliation retrouvent à ce niveau.

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21 Un débat a pris place au sujet de la place du pluralisme partisan, qui, actuellement, a

perdu sa raison d’être. A l’origine, certains mouvements la remettaient en cause, enréplique aux mouvements d’inspiration socialiste prônaient le gouvernement par leparti d’avant-garde. Il reste que l’interprétation dominante aujourd’hui est celle d’unsystème qui reconnaît fondamentalement la pluralité des courants et forces politiquesau sein d'un système politique basé sur la Shûra17.

22 Ce débat au sujet de la similitude Shûra/démocratie demeure ouvert, et l’on peut aller

jusqu’à inverser le sens de la comparaison en faisant de la Shûra un principe departicipation continue à la décision à l’ensemble des niveaux, de la cellule familiale àl’Etat en passant par l’entreprise, les institutions locales et les niveaux intermédiaires.En ce sens, l’on peut aller jusqu’à faire du principe délibératif le fondement d’unmécanisme démocratique allant bien au-delà du principe de démocratie représentativeet impliquant ce que certains désignent par « démocratie participative »18.

23 C’est, comme nous le verrons, le concept même de Shûra qui laisse le débat ouvert à

l’évolution du contexte historique et des débats politiques. L’équivalence avec ladémocratie représentative est établie au moment où la Renaissance arabe empruntebeaucoup à la modernité et, récemment, au moment où l’essentiel des acteurspolitiques re-découvrent le caractère fondamental, matriciel du jeu démocratique, aumoins deux décennies avant les révolutions de 2011. Elle est rejetée quelques décennieplus tôt à une ère où, au cours des années 60-70, c’est le discours philosophique post-moderne qui domine en Europe, et où l’alternative est recherchée du côté dudépassement de la démocratie représentative, soit au nom d’un rapprochement Islam-socialisme, soit au nom d’un différentialisme plus radical, soit les deux à la fois19.

II. Les droits fondamentaux face au pouvoir politique

24 Une fois le pouvoir investi en vertu du principe délibératif quelles en sont les limites ?

Le concept d’Etat de droit a-t-il un équivalent dans la doctrine islamique ? La doctrineinstaure une « sacralisation » du droit et un assujettissement, voire une limitation, dupouvoir par ce droit. Nombreux sont les versets coraniques et les sources issues de latradition prophétique qui font référence à cette hiérarchie droit/ pouvoir politique.Nous nous contentons à ce sujet du discours d’investiture du premier Calife Abu Bakral-Siddîq :

25 « J'ai été désigné pour vous guider, mais je ne suis pas le meilleur d'entre vous ; aidez-

moi dans mes bienfaits et corrigez mes méfaits : la sincérité est un gage et le mensongeune trahison. Les petits (faibles) parmi vous seront grands (forts) à mes yeux jusqu’à ceque leurs droits leur soient acquis, et les grands parmi vous seront petits jusqu'à qu'ilss'acquittent de leurs obligations… Obéissez-moi tant que j'obéis à Dieu et au Prophète;si je me rebelle contre Dieu et son Prophète, vous ne me devrez aucune obéissance… » 20

26 Sans entrer dans une analyse détaillée des sources, trois interprétations globales sont

développées en ce qui concerne le statut des droits humains fondamentaux dans letexte coranique :

27 La première porte sur l’étendue et l’intangibilité de ces droits. A ce sujet, leur source

divine rend impossible leur révocation par le pouvoir politique. De même, elle expliqueleur universalité et le fait qu’ils ne peuvent être restreints à une catégorie d’humain àl’exclusion des autres, notamment eu égard au principe d’égalité énoncé dans le texte

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coranique et dans les Hadith21. Enfin, ces droits s’étendent à l’ensemble des champs dela pratique sociale et comprennent les droits dits « économiques et sociaux »22.

28 La deuxième porte sur le principe de leur incessibilité. Si aucun pouvoir ne peut ôter ou

révoquer les droits fondamentaux de la personne humaine, cette dernière ne peut à sontour céder ces droits ou s’en désister, car elle a obligation de préserver les attributs desa dignité humaine ainsi que l’équilibre de la société23.

29 Le troisième principe est celui issu de l’interprétation du verset 87, sourate 5 en vertu

duquel l’on n’a pas le droit de rendre illicite ce que Dieu autorise. Ce principe quidéfinit un large champ de ce qui est autorisé soit explicitement, soit implicitement parle silence du texte et l’absence de rapport de similitude avec ce qui est explicitementinterdit, définit de ce fait le champ de l’action libre de l’individu que le pouvoirpolitique ne peut de son propre chef limiter sans se référer à son tour à d’autres droitsfondamentaux24.

30 Ces propositions soulèvent dès lors la question de savoir quelle est l’étendue des

libertés et droits fondamentaux que l’Etat a l’obligation de protéger. La liste est longueet le débat déborderait le champ de la présente contribution. La doctrine entre dans lesdétails de chacun des droits afin d’établir l’étendue et les contours des principes deliberté de croyance et d’expression, d’égalité, de la présomption d’innocence etc…

31 Chaque domaine d’application permet d’ouvrir un débat spécifique. La question de la

liberté de croyance et d’expression permet de confronter les versets coraniquesfondateurs, notamment le principe « pas de contrainte en matière de religion » (La

Ikrâha fi al-Dîn), afin de légitimer le principe fondamental du respect de la libertéindividuelle. Ce principe a été assorti des limites que l’histoire de l’interprétationdoctrinale a construites, mais qui sont constamment débattues et controversées.

32 Certaines limites sont liées à la pratique de délimitation des frontières entre les

communautés religieuses (les règles sur l’affiliation liées au droit de la famille, lacondamnation de l’apostasie etc..). Du point de vue de la doctrine religieuse, mais ausside la pratique, ces limites sont contestées ou remises en cause25.

33 D’autres limites sont dues à la confusion, faite essentiellement par les pouvoirs

politiques les plus rigoristes entre le domaine de l’éthique et le domaine du droit. Cetteconfusion consiste à transposer les obligations de la personne humaine vis-à-vis deDieu en obligations de nature juridique dont le pouvoir politique contrôleraitl’application. Cette confusion proviendrait d’une interprétation extensive du principede l’exhortation à la vertu et de la proscription du vice (Amr bi al-Ma’rûf wa Nahi ‘an al-

Munkar). Ce principe, issu du verset 110 de la Sourate 3, définit l’exhortation à l’actionvertueuse comme un corollaire de la vertu. Mais, si l’on confronte ce principe avecd’autres principes de même niveau, cette exhortation est graduelle et ne peut atteindrele stade de la contrainte, lorsque l’action n’a pas d’effet sur la société et n’affecte pas lesdroits des autres individus26.

34 L’approche des acteurs politiques rigoristes consiste à imposer la contrainte juridique

dans les domaines qui relèvent simplement de l’exhortation morale, au nom de cedernier principe, ce qui a pour conséquence de restreindre le champ de l’action libre.

35 Or plusieurs versets du Coran contredisent explicitement cette tendance rigoriste. Il

s’agit notamment des versets 20-21 de la Sourate 88 qui n’autorisent pas le Prophète àcontraindre les individus en matière de croyance et d’action vertueuse, maissimplement à rappeler le message. A fortiori, le détenteur du pouvoir politique ne

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détient pas non plus le droit de contraindre à l’action vertueuse, lorsque son absencene nuit pas à autrui. C’est en ce sens que l’élaboration doctrinale contemporaine tend àdéconstruire le schéma rigoriste qui fait le raccourci entre ce qui relève de l’obligationmorale et ce qui relève de la norme juridique contraignante.

36 Enfin, la doctrine religieuse aborde la question des limites du pouvoir politique d’un

point de vue normatif, mais certes pas du point de vue de ce que l’on appelleraitl’ingénierie institutionnelle. Or cette dernière approche répond à la question suivante :qu’est ce qui garantit qu’effectivement le pouvoir politique respectera les droitsfondamentaux définis par les textes normatifs ?

37 C’est en posant cette question que l’on peut aller jusqu’à affirmer avec Ali Abdul Râziq

que le texte coranique n’a pas développé une doctrine du pouvoir politique et que lesdeux versets sur la Shûra ne suffisent pas à cela. La conclusion est qu’il existe desdomaines de la pratique sociale confiés par Dieu à l’action et l’intelligence humainesédificatrices (al-‘Umrân al-Bashari)27.

38 C’est ce qui permet à la raison humaine d’élaborer des modèles de gouvernement.

Certes, la raison doit reconnaître ses limites avec l’obligation de « croire en ce qui n’estpas perceptible» (Imân bi al-Ghayb), mais c’est elle qui accompagne l’intelligence dutexte sacré, celle des principes fondamentaux, celle de la connaissance des sourcesdérivées etc… De même, elle confirme par d’autres procédés les principes apportés parla révélation. A ce titre, Abu Hâmid al-Ghazâli met en évidence la superposition entre lalumière de la raison et la lumière de la foi, tandis que pour Ibn Rushd, la première estcapable de reconstruire les principes édictés par la dernière.

39 Or, c’est cette liberté laissée à l’action humaine édificatrice qui permet d’édifier les

contraires en matière de régimes politiques : elle a permis de produire le despotismetout autant que la démocratie représentative dotée du système de séparation etd’équilibre des pouvoirs. C’est en ce sens qu’un nouveau type s’est développé au coursde la seconde moitié du vingtième siècle : le système autoritaire doublé de ladémocratie de façade. Cette dernière peut être inspirée, soit des schémas empruntésaux démocraties libérales, soit à ceux empruntés aux démocraties populaires, soit à unecombinaison savante entre ces deux modèles. Rares sont les modèles à légitimationouvertement autocratiques.

40 Ce phénomène amène à plusieurs interrogations qui sortent du cadre du présent

travail, dont celle sur la nature du régime dit « démocratique », celle sur l’existence deséchelles de démocratisation et celle sur la pratique de gouvernement.

41 La seule question que nous pouvons poser est la suivante : étant donné la capacité du

pouvoir politique à produire du despotisme, comment la doctrine religieuse définit-ellele droit de contester ce dernier ?

III. La doctrine religieuse et le droit à la désobéissance

42 L’historiographie religieuse s’accorde sur l’existence d’un point de non-retour dans

l’histoire des modes de gouvernement au sein de la cité islamique et qui marquerait larevanche de l’histoire, celle qui aurait consolidé les pouvoirs autocratiques/héréditaires, sur la doctrine religieuse fondée sur le principe délibératif.

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43 L’on suppose que dès les débuts de l’ère omeyyade, nombre de savants religieux

auraient consolidé une doctrine conformiste de l’action politique, en mettant en avantle principe d’obéissance au « gouvernant» (Hâkim).

44 Le verset coranique servant d’appui à cette allégeance est le verset 59 de la sourate 4

qui enjoint les croyants d’obéir à Dieu, au Prophète et à ceux qui seront investis pourles guider (Awliyâ° al-Amr). C’est ce verset qui est constamment cité en référence, parles pouvoirs établis, y compris dans l’histoire contemporaine, pour les régimespolitiques adossés à une légitimité religieuse.

45 Ce principe d’obéissance est appuyé par un Hadith considéré par certains comme étant

de certitude moyenne ou faible selon lequel le Prophète aurait d’abord annoncél’avènement futur de gouverneurs injustes, pour ensuite recommander aux croyants lapatience, même s’ils en venaient à être les victimes.

46 Il est également développé par la doctrine conformiste au motif que l’ordre injuste est

un moindre mal par rapport à la Fitna qui signifie à la fois la mise à l’épreuve par le malet la discorde. D’autres Hadith vont jusqu’à réprouver l’action de celui qui affronte lacommunauté en s’opposant au pouvoir en place, soit qu’il agisse sous l’emprise de lacolère ou en vue de défendre les intérêts d’un groupe contre les autres.

47 Selon une interprétation prolongeant la première, il y aurait une limite lointaine

autorisant le droit à la désobéissance ou au retrait d’allégeance (Khurûj ‘ala al-Hâkim)défini par un autre Hadith, il faut un reniement (Kufr) manifeste (de l’Islam), dépourvud’ambiguïté (Bawwâh) observé (chez le « prince ») directement par les membres de lacommunauté (et non pas simplement rapporté).

48 Or, depuis la Renaissance arabe, une autre interprétation semble s’imposer dans les

moments de crise : celle capable de justifier la désobéissance au pouvoir injuste. Leverset 97 de la Sourate 4 insiste sur l’obligation de résister à l’injustice. Il s’adresse,dans la circonstance spatio-temporelle, à ceux qui, n’ayant pas choisi de partir pourMédine ont accepté de subir l’injustice des polythéistes de le Mecque. Au-delà, ilconsidère comme coupable envers Dieu toute personne qui a accepté de subir l’injusticedu pouvoir envers et contre ses propres droits.

49 Ce verset qui fait obligation non seulement de respecter les droits d’autrui, mais de

défendre les siens propres mène au principe déjà évoqué de l’incessibilité et de la non-négociabilité des droits humains.

50 Ce verset est la référence institutive du droit à la révolte contre le « prince » injuste.

Selon un Hadith, « viendront des dirigeants injustes qui approuveront ce qui estréprouvé et réprouveront ce qui est louable. Que celui qui en est conscient n’obéisseplus à qui désobéit ainsi à Dieu ». D’autres Hadith similaires viennent ainsi contredire lepremier cité par les savants hostiles au droit à la désobéissance (Khurûj).

51 Ces préceptes s’opposent-t-ils au verset de l’obéissance ? Une autre interprétation de ce

dernier verset permet de remettre en cause l’interprétation traditionnelle qui en a étéfaite. L’obéissance à ceux qui ont été investi du pouvoir (Awliya al Amr) comprend troisconditions28 :

- la première est la subordination des « Awliya al-Amr » à Dieu et à son Prophète, doncleur respect des principes fondamentaux qui commandent au respect des gouvernés- la seconde est la collégialité du pouvoir. La conjugaison du terme au plurielsignifierait ainsi le rejet d’un pouvoir autocratique individuel et l’instauration dupouvoir collégial, lui même issu du pouvoir de délibération de la collectivité

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- à cela s’ajoute la condition générale : que l’investiture des « Awliya al-Amr » ait étélégitime et faite par la communauté/ ou la société.

52 L’essentiel des interprétations doctrinales favorables au droit à la désobéissance

privilégient les moyens pacifiques. Dans l’équation, deux maux doivent être évités,l’injustice et la discorde ou (Fitna). C’est ce qui a mené Ahmad ‘Umar Hachim, d’al Azharà développer de manière plus précise la thèse du droit à la désobéissance civile (non-violente) et de l’exclusion du droit à la réponse violente29.

53 Ce droit s’appuie sur une combinaison des sources coraniques appelant à la conciliation

et au rejet de la Fitna, d’une part, et ceux appelant à s’opposer à l’injustice, d’autre part.A ce titre, c’est le droit aux manifestations de masse qui est débattu : tandis que lestraditionnalistes nient ce droit en arguant les risques de nuisance aux biens et auxpersonnes, ainsi que les risques de discorde, d’autres, dont Muhammad Mukhtâr al-Mahdi, invoquent ce droit, dans la mesure où il est exercé de manière pacifique. Cesderniers se fondent sur une situation où le Prophète avait exhorté un individu victimedes nuisances de son voisin à se manifester sur la voie publique en y étalant ses effets,afin de mieux faire connaître publiquement cette injustice qu’il subit et d’amener levoisin coupable d’injustice à changer de comportement.

54 C’est cette évolution doctrinale qui explique et accompagne la prise de position d’al-

Azhar en janvier 2011, que l’on peut résumer en ces six points.

- Le pouvoir légitime est celui qui est investi et légitimé par le choix du peuple : ladémocratie moderne est l’équivalent contemporain des principes traditionnels degouvernement islamique : les mécanismes de contre-pouvoir sont inséparables dupouvoir politique légitime ; - Lorsque l’opposition pacifique et légitime s’exprime et obtient le soutien populaire,elle ne peut être considérée comme source de discorde : c’est le pouvoir qui devientillégitime s’il ne répond pas à l’appel du peuple ; - Lorsque le pouvoir en place répond aux manifestations pacifiques de son peuple par laviolence et le sang, il rompt le contrat qui le lie au peuple et devient un pouvoiragresseur et illégitime ;- L’appel au maintien des manifestations pacifiques de l’opposition et de l’action non-violente ; - Al Azhar soutient sans ambiguïté l’opposition pacifique ; Al Azhar appelle les dirigeants à entreprendre les réformes politiques nécessaires à latransition vers un système démocratique.

55 Reste à savoir quelles sont les limites du droit à la désobéissance au pouvoir injuste. A

ce titre, le débat est demeuré ouvert, bien que guidé par le débat éthique fondateur.Dans un ouvrage plus ancien, Muhammad ‘Ammara conclut en faveur du droit à larévolte et de l’inéluctabilité des processus révolutionnaires dans la doctrine religieuseelle-même, en vue d’accomplir la justice sociale et de défendre la liberté humaine touten reconnaissant que le courant hostile à ce droit, pour « étrange et étranger à ladoctrine originelle » a prédominé dans l’histoire et a lui-même généré le despotisme30.

56 Là aussi, le droit à la révolte est lui-même conditionné par les principes éthiques qui

guident la conduite de l’action politique. A ce titre, le risque de l’action violente est latransgression des interdits moraux de l’action, et notamment ceux concernant laprotection des biens et des personnes. C’est en ce sens qu’une doctrine islamique de ladésobéissance, voire de la révolte se doit d’être à l’antipode du précepte machiavélienselon lequel la fin justifie les moyens, car la finalité de l’action politique n’est pas tant

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la prise du pouvoir que la réalisation des principes éthiques, à travers l’action, puis laprise de pouvoir.

57 C’est en ce sens que le concept de désobéissance civile, développé au sein des

mouvements politiques des dix dernières années au sein des oppositions politiquesarabes, est réapproprié par la doctrine islamique de l’action politique. Or il s’agit làd’une évolution qui permet de résoudre les dilemmes de l’action politique au seinmême de la société politique. Si la doctrine a été moins ambiguë sur les questions liéesà la guerre contrainte et à la paix voulue, en revanche, les divergences se sontmaintenues en ce qui concerne l’attitude à adopter vis à vis du «prince » injuste.

58 Le principe de la désobéissance civile permet de sortir du dilemme entre révolution

violente et obéissance inconditionnelle. Certes, les doctrines philosophiques se sontdéveloppées indépendamment de la doctrine religieuse, à l’occasion de la guerre desécession américaine, mais aussi à l’occasion des diverses luttes contre la colonisation(Inde), la ségrégation raciale (Etats-Unis) etc. La désobéissance civile est mêmeconsidérée par certaines théories du jugement moral comme le stade ultime de samaturité, car elle implique la contestation des lois positives et du « contrat social »consenti par les citoyens mêmes, au nom de principes universels. Ici, les principesreligieux occupent la place de ces principes universels. Encore faut-il que le travail dela raison accompagne l’interprétation de ces principes31.

Pour conclure : que peut faire la doctrine religieusedans un processus dominé par la raison politique ?

59 S’il est vrai que le corpus doctrinal islamique, tel que révisé depuis la Renaissance

arabe, privilégie la proximité avec le modèle de démocratie représentative, etdavantage avec le modèle de démocratie participative, cela ne garantit pas encorel’individu contre le pouvoir politique. Et pour cause, la doctrine religieuse reconnaîtcomme une obligation, pour le détenteur du pouvoir, la protection d’une longue sériede droits fondamentaux dont le contenu recoupe les déclarations de droitcontemporaines sans coïncider avec ces dernières. Mais elle le fait sous le moded’injonctions normatives. La réponse à la question de savoir qu’est-ce qui garantit cesdroits face au pouvoir politique se trouve du côté de l’ingénierie institutionnelle. Or,comme l’établit ‘Ali ‘Abdul Râziq, le texte coranique ne comprend pas de préceptesdans ce domaine qui est laissé à l’intelligence humaine édificatrice. C’est donc à partirdes théories scientifiques et des pratiques politiques antérieures accumulées parl’expérience mondiale de l’exercice du pouvoir politique que la solution doit êtretrouvée. En revanche, le rôle clé de la doctrine religieuse, qui se situe sur le terrain dunormatif, consiste à légitimer le droit à la désobéissance au pouvoir injuste (al-Khrûj ‘ala

al-Hâkim al-Zâlim). Dans ce domaine, la restitution du droit à la désobéissance, contreles doctrines conformistes qui ont prédominé au nom du devoir d’obéissance à ceux quisont investis d’autorité (Awliya° al-Amr), a permis de donner toute leur légitimité, auxyeux des croyants, aux processus révolutionnaires. Toutefois, sur le terrain de l’actionpolitique, les deux doctrines se côtoient et s’opposent, à chaque circonstance, et lacapacité du pouvoir établi à mobiliser les ressources doctrinales explique la persistancedu premier courant.

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60 Il reste qu’en établissant le droit à la désobéissance, le problème n’est pas résolu : les

avis (Fatwa) des savants religieux continuent à concilier deux impératifs : l’opposition àl’injustice, d’une part, et la prévention de la Fitna, ainsi que celle de l’atteinte aux droitsdes personnes, d’autre part. La question de savoir si, dans le champ politique interne, larévolution violente est légitime, a été débattue. La maturation politique qui a englobél’essentiel des acteurs oppositionnels, ainsi que de nombreux mouvements relevant duquatrième type de référence religieuse (dont les Frères musulmans), a permis de fairetriompher le principe de la désobéissance civile. Ce principe peut-il subsister au-delàd’un certain seuil de violence du champ politique ? Le glissement de la révolutionsyrienne de la protestation pacifique, au recours aux armes défensives au-delà d’uncertain seuil de violence éradicatrice, puis au militaire offensif pour mieux défendre cequi est acquis pacifiquement, puis au militaire offensif pour obtenir des gainspolitiques, permet de reposer la question32. Est-ce une légitimation du recours à laviolence armée ? En aucun, cas, mais un argument en faveur de la raison politiqueélaboratrice de nouvelles techniques de gestion de crises et de nouvelles solutions, làoù la raison normative religieuse affiche à bon droit les limites de sont ingérence.

61 Enfin, l’interférence du discours religieux se doit de définir les limites de son

interférence dans le champ du politique qui sont celle des principes éthiquesstructurant l’action. Le piège dans lequel sont tombés nombre de savants religieux, tantdans l’Egypte post-révolutionnaire, que dans nombre de pays arabes en crise est celuide leur instrumentalisation par le jeu politique, à travers la légitimation/délégitimation des acteurs politique et le positionnement en faveur des acteursprotagoniste, ce qui, en alimentant les campagnes de délégitimation religieuse del’adversaire, entraînent une confusion entre des batailles politiques circonstanciées etles enjeux doctrinaux éthiques à portée universelle.

NOTES

1. Cf. Samuel Huntington, The Clash of Civilization and the Remake of the World Order, New York,

Simon and Schuster, 1996.

2. Bernard Lewis, Islam and the West, Oxford, Oxford University Press, 1993.

3. John Waterbury : « Une démocratie sans démocrates ? », in Ghassan Salamé (dir.) : Démocraties

sans démocrates, Politiques d’ouverture dans les mondes arabe et musulman, Paris, Fayard, 1994.

4. Il s’agit des quatre écoles celles d’Abu Hanîfa, de Mâlik ibn Anâs, d’Abû ‘Abdullah al-Shâfi’i et

d’Ibn Hanbal A titre d’exemple, Abû Hanîfa privilégie le raisonnement ou syllogisme (Qiyâs) sur le

Hadith (Da’îf) dont le degré de certitude est faible, tandis que l’ordre est inversé pour Ibn Hanbal.

5. Hasan Hanafi : al-Dîn wa al-Thawra fi Misr (La religion et la révolution en Egypte), Librairie

d’Alexandrie, 1981.

6. Khadîja al-Nabrâwi : Huqûq al-Insân fi al-Islâm (Les droits de l’homme en islam), Le Caire, Dar al-

Salâm, 2006.

7. Dans la doctrine religieuse, l’autorité revient au plus savant, à celui dont la connaissance des

textes, des sources et de leur interprétation est la meilleure, d’où le terme de ‘Alim (savant) ou

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Faqîh (docteur) lorsqu’il interprète la doctrine. Il n’existe pas de clergé doté d’une autorité

sacralisée. L’autorité demeure relative et dépend du degré de savoir.

8. Abd al-Rahmân al-Kawâkibi: Tabâ°i’ al-°istibdâd, (La nature du despotisme), édition Moufim,

1988, Alger

9. Khair al-Dîn al-Tûnisi : Aqwam Al-Masâlik Fi Ma’rifati Ahwâl Al-Mamâlik, (la plus juste des voies dans

la connaissance de l’état des royaumes) , Le Congrès Tunisien des Sciences, des Lettres et des Arts,

Tunis.

10. La distinction entre les deux concepts est développée par la sociologie moderne. Si l’on se

réfère à la distinction de Tönnies, la communauté est avant tout définie par des systèmes de

valeurs, de pratiques et de représentations communes, tandis que la société est le lieu de

rencontre des intérêts communs. Il est moins aisé de la transposer à la société islamique des

débuts. Cf. Ferdinand Tönnies, Communauté et société. Catégories fondamentales de la sociologie pure,

Paris, Presses universitaires de France, 1977.

11. Le Pacte de Médine considère que les musulmans et alliés juifs font partie d’une même

société, qu’ils y ont les mêmes droits, que la protection doit être accordée aux victimes d’injustice

parmi l’ensemble de ceux qui sont liés par le Pacte, qu’ils doivent tous être défendus de la même

manière.

12. Georges Corm, Contribution à l’étude des sociétés multiconfessionnelles : Effets socio-juridiques et

politiques du pluralisme religieux, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1971.

13. Cf. Rifâ'at Al-Tahtâwi : Takhlîs al-Ibrîz fi Takhlîs Bâriz (L'or de Paris), ed www.arabook.com

14. Cf. Qays Jawâd al-‘Azzâwi : al-Dawla al-‘Uthmâniya : Qirâ°a Jadîda li ‘awâmil al-Inhitât (L’Etat

ottoman, une nouvelle lecture des facteurs du déclin), al-Dâr al-‘Arabiya li al-‘Ulûm, 2003.

15. Cf. Hassan al-Turâbi, Al-shura wa al-dimucratiyya wa akhbar al-khulafa (La Shûra, la démocratie

et le récit des pratiques de Califes), Al Dar al-Sa’ûdiyya, Riyad, 1987.

16. Ibid.

17. Cf. Fahmi Huwaydi : al-Qur°ân wa al-Sultân (Le Coran et le pouvoir politique), Le Caire, Dar al-

Shurûq, 1969.

18. Cf. Jurgen Habermas : Droit et démocratie, entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1997.

19. Cf. Ali Shariati : L’Oumma et l’Imamat, Beyrouth, Al Bouraq, 2007.

20. Abi Cf. Hatim al-Tammîmi : Al-Sîra al-Nabawiyya wa Akhbar al-Khulafâ° (la vie et œuvre du

Prophète et le récit des califes), réédité par Aziz Beik, Dar El Fikr, Beyrouth, 1991.

21. Selon un Hadith classé comme authentique (Sahîh) « les humains sont égaux comme les dents

d’un peigne ».

22. Cf. Khadîja al-Nablâwi, op. cit.

23. Cf. Izzat Qarni : al-Islâm wa Huqûq al-Insân (L’Islam et les droits de l’homme), Le Caire, ‘Âlam

al-Ma’rifa, 1985 (Préface de Muhammad ‘Ammâra)

24. Cf. Jamâl al-Dîn ‘Atiyyah : Huqûq al-Insân fi al-Islâm, al-Nazariyya al-‘âmma (Les droits de l’homme

en Islam, la théorie générale), Le Caire, 1989.

25. Cf. Leila Babes, Tarek Oubrou : Loi d’Allah, loi des hommes, Paris, Albin Michel, 2002.

26. Selon une interprétation plus courante, l’on ne peut pas exercer d’action contraignante pour

exhorter au bien, mais seulement pour empêcher un mal.

27. ‘Ali Abdul Râziq, Al-Islam wa Usül Al-Hukm, (L’Islam et les Fondements du Pouvoir Politique)

Alger, ed Mufim, 1988.

28. Cf. Izzat Qarni : op. cit.

29. Une partie substantielle des avis d’Al Azhar sont disponibles sur http://media.alazhar.eg/

30. Muhammad ‘Ammâra, al-Islâm wa al-Thawra (L’Islam et la révolution), Le Caire, Dar al-Shurûq,

1988

31. Cf., Lawrence Kohlberg, Essay on moral development : the philosophy of moral

development, San Francisco, Harper and Row, 1982. Et, pour la discussion de cette

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doctrine, Cf. Fouad Nohra , L’éducation morale, au-delà de la Citoyenneté, Paris,L’Harmattan, 2004.

32. Cf. Fouad Nohra, « Radicalisation politique et escalade militaire dans le conflit syrien », in

Pascal Chaigneau (Dir.) : Enjeux Diplomatiques et Stratégiques, Paris, Economica, 2013, pp 225-249.

ABSTRACTS

The revolutionary process in the Arab world is explained by a combination of heterogeneous

factors, but religious thought and culture seems to have provided a crucial contribution to this

political radical change. Of course the religious dimension is involved at different levels in the

Arab political landscape encompassing secular parties as well as the so called « Islamist »

movements. The manipulation of the religious doctrine by the political actor and/or power is a

common phenomenon and therefore it is necessary to get through the religious doctrinal matrix.

The latters’ principle are crucial as they provide the resources for a ethical debate on four main

issues: the political regime (whether democratic or not), the individual rights defined and

defended by the religious doctrine and their limits, the right to rebel against the unjust ruler and

how far a revolutionary initiative can be undertaken without hurting other values (as the

protection of human being and properties).

Le processus révolutionnaire qu’a connu le monde arabe est l’effet d’une combinaison de facteurs

multiples, mais la pensée et la culture religieuse semblent compter au titre des facteurs décisifs.

Cette dimension est présente, non seulement dans les forces politiques dites “islamistes”, mais

également au sein même des partis d’orientation séculariste dites “laïque“. Au-delà de la manière

dont le religieux est instrumentalisé par le politique, il est nécessaire de remonter aux sources

doctrinales matricielles, afin de répondre à quatre questions essentielles : quel est le régime

politique légitime ? Qu’en est-il des droits individuels et de leurs limites ? La doctrine religieuse

reconnaît-elle le droit à la désobéissance au “prince” injuste ? Quelles sont les limites de ce droit

?

INDEX

Mots-clés: Religion - Pouvoir politique – Démocratie – Révolution - Droits de l’homme -

Légitimité

Keywords: Religion - Political power – Democracy – Revolution - Human rights - Legitimacy

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Droits des femmes et révolutionsarabesJuliette Gaté

« Ce n’est pas une affaire d’épaules, ni de bicepsque le fardeau du monde

Ceux qui viennent à le porter sont souvent lesplus frêles »Abdelatif Laâbi

1 Toutes les images des « printemps arabes » montrent des femmes défilant dans les rues,

fréquemment en première ligne, au mépris souvent de législations qui interdisaient àtoutes et tous le droit de manifester1. « Dégage! » crient-elles avec les hommes auxdirigeants en place pour réclamer le respect de leurs droits fondamentaux2; ladémocratie bien sûr, la liberté politique avant tout, mais pour les femmes aussi, toutspécialement, l’égalité en droit avec les hommes.

2 L’usage de ce droit de résistance à l’oppression a souvent été cher payé. Les femmes

ayant participé à ces manifestations ont fréquemment été les cibles premières de larépression des mouvements révolutionnaires dans les pays arabes. En Egypte ainsi, parexemple, les agressions contre les femmes ont été nombreuses. Sur la place Tahrir,certaines ont été frappées, arrêtées, puis, trop souvent, soumises à des violencessexuelles, sous prétexte notamment de tests de virginité3. Cela n’a pourtant arrêté leurmouvement ni fait taire leurs revendications.

3 Sont-elles pour autant parvenues à leurs fins, ont-elles réussi à transformer cette

appropriation de la liberté de manifester en droits qui permettraient de faireprogresser durablement leur situation ?

4 Sans conteste, ces printemps ont engendré un vaste processus de réforme

constitutionnelle et législative dans plusieurs pays de la rive sud de la Méditerranée.Sans conteste aussi ces réformes étaient une opportunité unique pour le renforcementde l'égalité entre les femmes et les hommes. Unanimement, malheureusement, tous cesefforts n’ont pourtant pas à ce jour permis les progrès escomptés. Si l'égalité devant laloi est présente aujourd’hui dans tous les textes, en bonne place, il faut toutefoiss’attarder, pour en mesurer l’exacte portée, sur la formulation précise de ce principe

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égalitaire qui varie d’un pays à l’autre et promet donc une protection plus ou moinsétendue des droits des femmes. Depuis les printemps arabes, la vie des femmes n'a sansdoute connu aucune amélioration majeure4. A bien y regarder, certains disent mêmeque les droits des femmes ont en certains points accusé un recul depuis cesmouvements5. Il faut donc pour parler des droits des femmes suite aux révolutionsarabes s’attacher à étudier la manière dont les femmes ont été invitées à participer à laréflexion sur l’évolution de leurs droits (I), l’évolution même des droits des femmesdepuis lors (II) et enfin les mesures prises afin d’assurer l’effectivité des droitséventuellement consacrés (III).

I) Faible participation des femmes à la réflexion surl’évolution des droits

5 Pendant les soulèvements, la présence des femmes dans les manifestations est

spectaculaire : de tous âges, de tous horizons idéologiques, de toutes ethnies et de tousstatuts sociaux, elles défilent sans relâche. Pourtant, paradoxe tout aussi spectaculaire,en Egypte, en Tunisie, au Maroc, en Jordanie ou au Koweït, les femmes ne sont querarement associées aux réflexions sur l’évolution des droits qui suit et la place desfemmes en politique n’est que peu considérée ou promue.

A) De nouvelles constitutions rédigées sans les femmes

6 Sous la pression de la rue, plusieurs des pays agités par ces mouvements ont réagi en

changeant tout ou partie du texte constitutionnel. L’ampleur de ces changements,réalisés ou en cours, est variable. En Tunisie et en Egypte, en Lybie ou au Yemen ce sontainsi de nouvelles constitutions qui ont été rédigées, tandis qu’au Maroc ou en Jordanie,de simples modifications ont été apportées aux textes organisant ces monarchiesconstitutionnelles.

7 Dans chacun de ces pays, très peu, trop peu de femmes ont été associées à la rédaction

de ces nouvelles constitutions alors même qu’elles avaient été aux côtés des hommesdans les manifestations.

8 En Egypte, plusieurs mouvements constitutionnels ont déjà eu lieu mais aucun n’a

laissé grande place aux femmes.

9 A la suite des manifestations déclenchées le 25 janvier 2011 au Caire, le président

Moubarak doit se retirer et céder le pouvoir, le 11 février, au Conseil suprême desforces armées, composé de 20 hommes, généraux. La Constitution est alors suspenduepuis amendée, et une nouvelle déclaration constitutionnelle organise la période detransition avant le retour à un régime constitutionnel normal. C’est alors un comité de7 juristes hommes qui est chargé de préparer les premiers amendements à laConstitution concernant notamment la fonction présidentielle, la levée de l'étatd'urgence et la mise sur pied d'une assemblée constituante. Plusieurs articles hérités del'ancienne constitution alimentent les polémiques, à l'instar de l'article 2 qui consacrel'islam comme source de toute législation en Egypte.

10 Les élections parlementaires, organisées fin janvier 2012, sont remportées par les

islamistes. Concernant les femmes seules neuf d'entre elles, sur les 987 candidates, sontélues. Ce sont ces parlementaires qui mettent en place un comité constituant composé

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de 100 membres chargés de la rédaction d’une nouvelle Constitution, dont une moitiéde parlementaires et une moitié de représentants de la société civile. Cette premièrecommission ne compte que six femmes.

11 Les partis laïcs, soutenus par un certain nombre d’autres factions politiques, rejettent

toutefois la composition du comité, et 20 des membres désignés démissionnent enréclamant que soient mieux représentées les minorités. Des libéraux déposent mêmeune demande d'annulation du vote devant un tribunal administratif et fin avril 2012, untribunal rend une décision condamnant la composition du comité constituant etordonnant la suspension de ses travaux.

12 Le Parlement égyptien désigne donc de nouveau, en juin 2012, les cent membres de

l'assemblée chargée de rédiger une nouvelle Constitution: 39 députés du parlement, 15représentants de l’appareil judiciaire et des juristes, 9 représentants des institutionsreligieuses dont Al-Azhar, et les églises évangélique, orthodoxe et catholique, 7représentants des syndicats, 2 représentants de l’Armée, le ministre de la Justice, 11personnalités éminentes du pays, 10 représentants des femmes et des jeunes dont 7femmes. De nouveau, la contestation enfle. Les membres des partis politiquesd’opposition, tout comme des Églises chrétiennes, se retirent de cette Assemblée enguise de protestation contre sa composition jugeant que les femmes, les intellectuels etles chrétiens étaient sous-représentés dans la liste proposée.

13 Le 17 juin 2012, Mohamed Morsi, le candidat des Frères musulmans, est élu à la

présidence de la République. Il prend bientôt un décret interdisant que le comitéconstituant puisse être dissous. Un projet de Constitution est rédigé par cetteassemblée, approuvé par référendum et signé par le Président Morsi en décembre 2012.Mais après des manifestations massives, le président Morsi est destitué par les forcesarmées le 3 juillet 2013 et la Constitution est suspendue. Une nouvelle période detransition est ouverte et le nouveau gouvernement décide de faire amender laConstitution de 2012.

14 Le gouvernement intérimaire désigne donc à son tour une nouvelle Assemblée

constituante, où ne siège presqu'aucun islamiste, qui disposera d'un délai de 60 jourspour réviser la Loi fondamentale. Dans ce « Comité des 50 », 10% des sièges seulementsont réservés aux jeunes et aux femmes. De nouveau, 5 femmes sur 50 seulement fontpartie de la Constituante.

15 Le texte de la nouvelle Constitution est approuvé par référendum les 14 et 15 janvier

2014 à 98,1 % avec un taux d’abstention record. Cette genèse constitutionnellecomplexe a été menée pratiquement sans femme.

16 En Lybie, beaucoup de femmes s’investissent dans la révolution pour sortir d’une

dictature. «Le début du soulèvement contre M. Kadhafi, a été une manifestation desavocats à Tripoli et Benghazi, dans lesquelles il y avait beaucoup de femmes », rapporteainsi à RFI Ibtisan Al-Kilani, avocate libyenne en France6. A l’issue de ces mouvements,une déclaration constitutionnelle adoptée en août 2011 par le Conseil national detransition prévoyait une période au cours de laquelle une assemblée serait élue, leCongrès général national, ainsi que les membres d’une assemblée constituante. Leprocessus se conclurait par l’adoption par référendum de la constitution et la tenued’élections législatives et présidentielles. Le Congrès général national fut donc lapremière assemblée élue, le 7 juillet 2012 à l’issue de la première élection libre depuisplusieurs décennies. Composée de 200 membres, elle voit 120 de ses sièges réservés auxcandidats individuels. Pour ceux là il y a eu 2500 candidats, parmi lesquels seulement 85

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femmes. Les 80 sièges restants réservés aux partis politiques ont été brigués par 1202candidats, parmi lesquels 540 femmes et 662 hommes. A l’issue du scrutin, 16,5 % dessièges ont été attribuées à des femmes, soit 33 femmes et 167 hommes. Ce sont leslibéraux qui ont eu la majorité des sièges au Parlement en juillet, tandis que les Frèresmusulmans étaient minoritaires. 7.

17 Ce Congrès général national (CGN), assemblée nationale libyenne, a d’ailleurs ensuite

débouté, le 4 octobre 2012, le gouvernement proposé par le Premier ministreMoustapha Abou Chagour. La liste de 29 ministres, dont une seule femme, comprenaitplusieurs membres du gouvernement de transition sortant et ne comptait aucunreprésentant de la principale coalition libérale8.

18 Compte-tenu de l’instabilité du pays, ce n’est que le 20 février 2014 que le peuple a été

appelé aux urnes pour désigner une Assemblée constituante. Les soixante élus, divisésen trois groupes de poids égal représentant les trois grandes régions de la Libye,disposent de 120 jours pour rédiger une nouvelle loi fondamentale, qui sera ensuitesoumise à référendum9.

19 Parmi ces 60 sièges, six sièges sont réservés aux minorités (toubou, amazigh et

touareg), et six autres aux femmes. Officiellement, les partis politiques n'y participentpas et seules les candidatures individuelles ont été acceptées. Au total, 692 candidats sesont inscrits pour ces élections, dont 73 femmes, volontaires précise la commissionélectorale libyenne10.

20 En Tunisie, la Constitution tunisienne de 1959 est suspendue peu de temps après la

chute de M. Ben Ali. Une nouvelle Constitution doit être rédigée et adoptée par uneassemblée constituante. C’est la Commission pour la réalisation des objectifs de larévolution, la réforme politique et la transition démocratique, composée dereprésentants de la société civile et des principaux partis politiques qui se voit confierla mission de d’adopter les textes juridiques nécessaires à l’organisation de l’électiondes membres de l’assemblée constituante et de la transition démocratique en général.Cette élection est alors organisée par le biais d’un scrutin de liste devant être construiteà parité, avec alternance hommes femmes. Malheureusement, selon un procédé bienconnu, rien n’impose de faire figurer des femmes en tête de liste. Elles ne seront doncque 49 sur 217, soit 24 % à réfléchir à la nouvelle constitution et 42 d’entre ellesappartiennent à Ennahda, parti islamiste modéré arrivé largement en tête, qui assureainsi, paradoxe, sur 90 élus, un taux de 47% de représentation féminine. La rédactionsera longue et houleuse et les Frères musulmans d'Ennahda doivent abandonner lepouvoir au terme d'une interminable crise politique, qui a paralysé le pays d'août 2013à janvier 2014. La Constitution, la plus libérale jamais vue dans le monde arabe, estcependant adoptée avec moins d’un quart de femmes.

21 Au Maroc, la commission consultative pour la réforme de la constitution (CCRC), avec

avis purement consultatif, est composée de dix-neuf membres nommés par le roi dontseulement 5 femmes. Les propositions du comité marocain ont été soumises etapprouvées par référendum le 1er juillet 2011.

22 La révolution yéménite de 2011, qui a elle aussi mobilisé un grand nombre de

manifestantes, a conduit à une réflexion sur une nouvelle constitution rédigée sur labase de travaux nés d’une « conférence sur le dialogue national »11 . Depuis mai 2014, lacommission, composée de 17 membres, dont seulement quatre femmes, soit un peu

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moins que les 30% promis, est appelée à traduire dans le nouveau texte fondamental lesconclusions du dialogue national,

23 Le bilan des femmes associées aux travaux constitutionnels post-printemps est donc

généralement bien faible. La présence de femmes dans les assemblées constituantesaurait pourtant peut-être pu faciliter l'inscription de mesures de discriminationpositive en leur faveur, nécessaires à permettre la présence en nombre de femmes dansles assemblées législatives, lieu de fabrique et de réforme des lois. Les chiffres montrenten effet que sans l’instauration de cette inégalité de droit pour promouvoir l’égalité, lesfemmes ne sont pas élues ni promues aux postes influents.

B) Une nouvelle politique menée sans femme ou sans féministe

24 L’expérience montre que la proclamation de l’égalité entre femmes et hommes ne suffit

pas à produire des résultats significatifs et rapides. Seules des mesures dediscrimination positive garantissent à ce jour la présence des femmes au pouvoir ennombre notable.

25 La région arabe en général fait partie des régions où les femmes sont les moins

présentes dans les assemblées législatives avec une moyenne, en progression toutefois,de 15,9% de femmes dans les parlements12. A ce sujet, le rapport de l’Unioninterparlementaire (UIP) sur «les femmes au Parlement en 2011» souligne que «malgréun début d’année prometteur, la région arabe reste la seule au monde dont aucunParlement ne comporte un minimum de 30% de femmes». Au Yémen par exemple, alorsque la constitution dit que les citoyens sont égaux en droits et devoirs, on compte 1femme sur 301 au parlement en 2014.

26 Dans plusieurs pays aussi, les plus hautes fonctions de l'état sont réservées aux

hommes, plus ou moins explicitement. Aujourd'hui, la nouvelle constitution syriennementionne, entre autres conditions, que l'aspirant chef d'état doit être marié à unesyrienne ; on est Roi au Maroc de père en fils et les tunisiens ont finalement rejetél'idée d'introduire le féminin dans l'article relatif au chef d'état dans la constitutionprovisoire.

27 Le printemps n’a guère permis de faire avancer les choses : les mesures visant à

permettre ou favoriser la participation de femmes à la vie politique demeurent rares.De plus, même lorsque l’idée de discrimination positive au bénéfice des femmes estprésente dans les textes de certains pays après les révolutions, sa portée est faible.

28 Au Maroc ainsi, l’égalité des citoyens développée et réaffirmée dans la constitution

révisée s’est accompagnée du vote, en octobre 2011, de deux lois organique de quotas,décevantes dans leur ampleur. Certes, il est demandé aux partis politiques d’appliquerle principe des quotas et de présenter au moins un tiers de femmes en leur sein, maisrien n’est garanti, puisque le texte «encourage » et n’oblige à rien. Quant à la loiorganique de la Chambre des représentants, elle maintient le principe d’une listenationale de 90 sièges, dont 60 sont réservés aux femmes –au lieu de 30 dans la listenationale préexistante mais cette disposition ne permet de garantir qu’un pourcentagede 15% de femmes –contre 10,8% dans la Chambre précédente- insuffisant pour oserprétendre à une politique de parité. En outre, cette liste exclusive empêche les femmesd’aller chercher à mener des listes au sein des partis13. Le chemin est encore long avantl’égalité. A l’heure actuelle, aucun des huit chefs des groupes parlementaires des partispolitiques n’est une femme. Sur les 13 membres du Bureau du Parlement, 3 seulement

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sont des femmes. Une seule femme préside une des huit commissions parlementaires.Par conséquent, quatre femmes seulement occupent des postes leur permettantd’influer sur le fonctionnement du Parlement.

29 Hors le parlement, d’autres changements sont notables dans le texte constitutionnel

30 Selon l’article 115 de la Constitution, une représentation des femmes juges doit être

assurée parmi les 10 membres élus du Conseil suprême de la magistrature, en fonctionde leur nombre dans le corps de la magistrature. L’article 12 de la Constitutionreconnaît aussi le rôle et la place des organisations de la société civile, dont font partieles associations féministes, dans les affaires publiques. Il leur donne la possibilité defaire des propositions et de surveiller et d’évaluer les politiques de l’Etat14. Mais leprogrès se fait à tous petits pas.

31 En Egypte, les constitutions garantissent depuis longtemps l’égalité des droits entre les

hommes et les femmes. La Constitution de 1956 a été jugée moderne dans la région enaccordant aux femmes le droit de voter et de se présenter aux élections. Celle de 1971leur garantissait l’égalité dans la vie politique, sociale et économique, sous réserve quecelle-ci n’enfreigne pas la charia. En pratique, le niveau de participation des femmesaux affaires politiques était extrêmement faible. Seuls 9 des 454 sièges parlementairesétaient détenus par des femmes après les élections de 2005, dont cinq avaient étédésignés par le président Moubarak. Lors des élections de 2010, leur nombre aaugmenté grâce à l’instauration de quotas. Une nouvelle législation avait ainsi permisde réserver 64 sièges supplémentaires aux femmes, ce qui amenait leur représentationà 12 % mais l’ensemble des sièges avait finalement été remporté par des représentantesdu Parti national démocrate (PND) au pouvoir, aujourd’hui dissous.

32 En 2012, le projet de Constitution approuvé par l’Assemblée constituante d’Égypte

restreint encore les droits des femmes. Le corps de la Constitution ne comportait ainsiplus aucun article garantissant explicitement l’égalité entre les hommes et les femmes.Seul le préambule de la Constitution consacrait l’égalité devant la loi et l’égalité deschances entre « les citoyens et les citoyennes », mais le statut normatif de ce préambulen’était pas défini, et il y était précisé par ailleurs que les femmes devaient êtrehonorées, en tant que « sœurs des hommes et les gardiennes de la maternité, la moitiéde la société ». De même, le quota de 64 femmes au Parlement, avait été abrogé par leConseil suprême des forces armées et en conséquence, seules dix femmes avaient étéélues au sein de l’Assemblée du peuple, aujourd’hui dissoute. La seule discriminationpositive destinée à promouvoir la représentation politique des femmes étaitl’obligation d’inscrire au moins une femme sur toutes les listes électorales15. A cemoment, seulement 2,2 % des sièges du nouveau parlement étaient occupés par desfemmes. La représentation des femmes se dégrade donc après la révolution16.

33

34 Dans la nouvelle constitution approuvée par référendum en janvier 2014, l’article 11

traite de la place des femmes. Il garantit une égalité hommes-femmes en matière civile,politique, économique sociale et culturelle, il établit que les femmes doivent êtrereprésentées de « manière adéquate » au parlement, sans toutefois établir de quotas, etprécise qu’elles peuvent occuper des fonctions officielles sans être discriminées. L’Etats’engage enfin à les protéger contre toute violence et les soutenir dans leur viefamiliale et professionnelle17. Le progrès est apparemment présent mais bien trop peucontraignant.

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35 En Tunisie, la nouvelle constitution18 introduit pour la première fois dans le monde

arabe un objectif de parité hommes-femmes dans les assemblées élues. Deux articles dela constitution tunisienne retiennent spécialement l’attention :

36 a) l’article 20 qui énonce que "Les citoyens et les citoyennes, sont égaux en droits et

devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune." ;

37 b) l’article 45 ainsi rédigé :"L'Etat garantit la protection des droits de la femme et

soutient ses acquis. L’État garantit l’égalité des chances entre la femme et l’hommepour assumer les différentes responsabilités et dans tous les domaines. L'Etat œuvrepour réaliser la parité entre la femme et l'homme dans les conseils élus. L’Etat prend lesmesures nécessaires afin d’éradiquer la violence contre la femme."

38 Là encore toutefois, les quelques semaines écoulées depuis l’entrée en vigueur de cette

constitution suffisent à montrer que l’inscription de ces principes constitutionnelsn’est pas suffisante pour garantir une égalité de fait entre femmes et hommes, neserait-ce que dans la sphère publique.

39 Ainsi, le nouveau gouvernement de 2013 ne comptait qu'une ministre, en charge bien

sûr des affaires de la femme (Sihem Badi, qui occupait le même poste dans legouvernement sortant), et deux secrétaires d'Etat, Leila Bahrya aux Affaires étrangèreset Chahida Frej Bouraoui, à l'Habitat19. Mais le premier gouvernement choisi sous l’èrede la nouvelle constitution ne fait guère mieux : 3 femmes seulement ont été nomméessur les 35 ministres présents (commerce et artisanat, tourisme, affaires de la femme del’enfance et de la famille)20.

40 Enfin, le vote de la loi organique électorale en mai 2014 par l’assemblée nationale

constituante a également déçu. Si l’un des derniers articles adoptés instaurel'obligation pour les partis de présenter des listes paritaires homme-femme auxlégislatives, une proposition d'imposer un quota de femmes têtes de liste a cependantété rejetée21.

41 Quoi qu’il en soit, il faut aussi ici rappeler que les instruments paritaires ne sont pas

toujours la panacée et ne suffisent pas à eux seuls à faire progresser les droits desfemmes.

42 D’abord parce que le concept de parité fait lui aussi l’objet de récupération politique,

des grands partis notamment. Ainsi, on l’a évoqué, en Egypte, le droit contingentaire de2010, instauré officiellement pour augmenter la représentation des femmes auparlement, était en réalité conçu pour bénéficier au seul Parti national égyptien (NPD).Le quota a été respecté, mais ce uniquement pour rendre le parti national plus fort, etnon pas pour permettre aux femmes d’être plus représentatives.

43 Ensuite parce qu’on sait aussi que les femmes ne votent pas forcément pour les femmes

et que femmes ne veut pas dire féministe : en Egypte encore par exemple, 6 des 7femmes de la constituante étaient des islamistes. En Tunisie, le seul groupeparlementaire de l’assemblée constituante qui soit presque à parité (39 femmes sur 89élus) est le groupe du parti islamo- conservateur Ennhada. Ce paradoxe s’explique parle fait que la loi électorale avait imposé l'alternance, sur les listes candidates, entre leshommes et les femmes. Comme les têtes de liste étaient, à 93 %, des hommes seul leparti à avoir obtenu deux sièges ou davantage a été concerné par la parité. Or il s’agitd’Ennahda.

44 De même le Magazine Forbes a récemment examiné et publié tous les postes importants

occupés par des femmes arabes, pour en distinguer 30, dans onze pays. Fait étonnant,

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17 femmes sont ministres dans des pays plutôt conservateurs : quatre aux Émiratsarabes unis, deux au Sultanat d’Oman, en Algérie, à Bahreïn, au Koweït, une en Jordaniemais aussi en Tunisie, et au Maroc.

45 La présence ou l’absence des femmes dans les sphères du pouvoir n’est donc pas le seul

signe à prendre en considération pour mesurer le progrès du droit. Il faut bien sûrs’attacher à sa lettre.

46 Là encore, depuis les printemps, l’évolution paraît bien faible.

II) Faible évolution des droits des femmes

47 Les droits en vigueur depuis les mouvements du printemps offrent encore pour la

plupart encore une trop faible protection aux femmes. Ces lacunes sont sensibles tantau niveau constitutionnel où l’égalité cohabite souvent avec le respect des préceptesreligieux (A), qu’aux niveaux juridiques inférieurs où persistent de nombreuses règlesmaintenant les femmes dans des situations clairement inégalitaires (B).

A) Droits constitutionnels : égalité et religion

48 Dans la plupart des pays dans lesquels les printemps arabes ont eu des répercussions

constitutionnelles, il est d’abord remarquable qu’une place toute particulière soitdésormais consacrée à l'égalité. Il faut toutefois, pour cerner la portée de cetteinscription, bien sûr comparer avec les textes constitutionnels pré-révolutionnaires,mais encore s’attarder sur la formulation de ce principe qui varie d’un pays à l’autre etpromet donc une protection plus ou moins étendue des droits des femmes. A bien yregarder en effet, on découvre que cette égalité ne vise pas toujours expressément lesfemmes et surtout qu’elle ne leur garantit bien souvent pas l’égalité en tous domaines.

49 Avant les révolutions, certaines constitutions comme celles du Yémen, de l’Egypte ou

de la Tunisie consacraient déjà un principe général d’égalité des citoyens, devant la loiou en droits et devoirs, sans mention de sexe. D’autres mentionnaient en revancheexpressément l’égalité hommes-femmes ou l’interdiction des discriminations fondéessur le sexe comme au Maroc, en Algérie ou au Bahreïn. Il était toutefois frappant deconstater que cette égalité n’était garantie que dans le champ des droits politiques ou,au plus, dans d’autres champs relevant de la sphère publique.

50 Depuis les révolutions, à la lecture, certains progrès sont manifestement notables.

51 Au Maroc ainsi, les notions de « citoyenne » et « citoyen » se multiplient dans le texte

constitutionnel pour préciser les droits politiques. La même Constitution ne limited’ailleurs plus l’égalité aux droits politiques mais proclame dans son article 1922 que« les hommes et les femmes jouissent à égalité des droits et libertés à caractère civil,politique, économique, social, culturel et environnemental... ». Au-delà de laconsécration constitutionnelle de la parité, le même article prévoit aussil’institutionnalisation de la protection de la parité par la création d’une Haute Autoritéde la parité. En outre, son préambule affirme également que « Le Royaume du Marocs’engage à combattre et bannir toute discrimination à l’égard de quiconque en raisondu sexe ».

52 En Tunisie, la Constitution garantit l'égalité des citoyens et citoyennes en droits et

devoirs «égaux devant la loi sans discrimination » dans son article 21. L’article 34 de la

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Constitution oblige l'Etat à garantir la représentativité des femmes dans les assembléesélues. L'article 40 affirme que « tout citoyen et toute citoyenne ont le droit au travaildans des conditions décentes et à salaire équitable ». On notera toutefois que cetteréférence à la citoyenneté peut être une manière de circonscrire l’égalité à la sphèrepublique. L'article 46, consacré plus particulièrement aux droits des femmes, inscritdans la Constitution la protection des acquis de la femme, le principe de parité et lalutte contre les violences faites aux femmes23.

53 Dans la Constitution égyptienne, l’article 11, précité, évoque aussi la question de

l’égalité hommes-femmes. D’après cet article, les femmes peuvent occuper desfonctions officielles sans être discriminées. Elles doivent, en outre, être représentées demanière équitable au parlement, sans établir de quotas.

54 Cette égalité de principe doit toutefois être tempérée par plusieurs facteurs, parmi

lesquels la place importante de la religion et spécialement de la Charia dans les mêmestextes constitutionnels. Les effets de ces références religieuses sont très sensibleslorsque l’on s’intéresse aux droits des femmes dans la sphère privée. Or on sait que c’està ce jour principalement ici que se situent les enjeux politiques car pour les féministesle privé est politique. C’est en ces matières que la nécessité de réforme est encore plusgrande. La question est posée dans tous les pays qui ont été secoués par lesmouvements du printemps arabe.

55 Ainsi, la place de la religion, à côté de la reconnaissance d'un Etat civil, a suscité de très

longs débats dans la « nouvelle Tunisie ».

56 La liberté de conscience était reconnue dans tous les projets constitutionnels, mais

l'ajout d'un article stipulant qu'aucune révision ne pourrait remettre en cause l'islamcomme « religion d'Etat », l’évocation de la loi islamique comme source de droit ainsique les termes du deuxième paragraphe du préambule, où les droits de l'homme sontconditionnés en amont par « les principes immuables de l'islam » et en aval par « lesspécificités culturelles du peuple tunisien » ont fait craindre la dissimulation d’uneplace importante laissée à la Charia.

57 Dans la constitution définitive, le préambule reconnaît « l'attachement [du] peuple aux

enseignements de l'islam et à ses finalités caractérisées par l'ouverture et lamodération, des nobles valeurs humaines et des principes des droits de l'hommeuniversels ». L'article 1 reconnaît la place de l'islam comme religion de la Tunisie maisla charia n'est pas mentionnée comme source de droit. L'article 2 réaffirme en outre lanature civile de l'Etat. La « liberté de croyance [et] de conscience » est reconnue (article6), ce qui limite la possibilité d'engager des poursuites pour apostasie. On remarqueratoutefois que seuls les électeurs de confession musulmane peuvent se présenter àl'élection présidentielle (art. 74). Les islamistes n'ont en revanche pas obtenu que soitinscrite dans la Constitution la criminalisation des atteintes au sacré, mais l'Etat a pourobligation de « protéger les sacrés ».

58 Au Maroc, l’article 3 de la constitution énonce que l’Islam est la religion de l’état et

l’article 41 rappelle que le Roi veille au respect de l’Islam.

59 D’autres états, comme le Bahreïn, la Syrie ou l’Egypte, avant et après la révolution, font

cette fois clairement de la charria ou de la jurisprudence islamique, la source de touteloi ou la source principale de la loi

60 En Egypte ainsi, dans la constitution adoptée par référendum en 2012 comme dans celle

de 2014, les « principes de la charia » sont, comme dans l'ancienne constitution, la

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« source principale de la législation » et non pas la source unique du droit commecertains le craignaient24. Le premier texte prévoyait en outre que c'est l'université al-Azhar qui déterminera ce que sont les "principes de la charia"25, ce qui n'était pas le casauparavant. Or Al-Azhar est une instance religieuse et non élue. Dans la version de2014, il est encore précisé qu’Al Azhar est la principale autorité en matière de sciencesreligieuses et d’affaires islamiques (article 7) mais aussi que l’interprétation de laCharia islamique « découle de la jurisprudence de la Haute cour constitutionnelle »(préambule). Dans la version de 2012, on trouvait aussi précisé que l'Etat égyptien estgarant des "traditions égyptiennes". Or, on sait quel danger peut recéler ces référencesaux traditions pour les femmes26. Cette référence aux traditions disparaît dans le textede 2014.

61 Dans la version votée en 2014, l’Islam reste reconnu comme la religion d’Etat et les

principes de la Charia aux origines de la législation mais la liberté de culte est tout demême consacrée comme absolue, et il est interdit aux partis politiques de se former sur« la base de la religion, du genre, de la race ou de la géographie ». L’Etat garantitl’égalité entre tous les citoyens et assure la protection des femmes face à toutes sortesde violence. De manière plus inquiétante, il est toutefois aussi rappelé que l’état« assure à la femme les moyens de concilier ses obligations familiales et les exigencesde son travail »27

62 En dehors même de la lettre des textes constitutionnels, l’influence de la religion est

forte pour le statut des femmes, dans les lois ou dans les esprits. La source n’estpourtant pas tant l’Islam que le patriarcat. Les femmes émancipées luttent ainsisouvent simplement contre l’interprétation historiquement patriarcale du Coran et despratiques sociales28. Il faut, selon elles, déconstruire cette structure politisée et lareconstruire, en revenant à l’esprit du texte coranique qui offre toutes les latitudespour contextualiser l’égalité entre la femme et l’homme. Les femmes devraient donc seréapproprier ce qui leur a été usurpé pendant des siècles.

63 A ce jour, le résultat de ce patriarcat fondé dans les textes constitutionnels sur la

coexistence de l’égalité et de la référence religieuse est évidemment perceptible dansles textes de sources inférieures organisant les droits civil ou pénal.

B) Droits de sources inférieures

64 En cette matière, malheureusement, les exemples abondent.

65 Au Maroc ainsi, malgré la réforme de la Mudawana en 2004 et les avancées

précédemment évoquées de très nombreuses failles subsistent...Un programme apourtant été lancé par le royaume pour l’égalité sur la période 2011- 2015, visant desdomaines aussi divers que la lutte contre les violences et la discrimination contre lesfemmes, la lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité des femmes, la légalisation del’avortement dans les cas de viol et d’inceste, mais les progrès sont lents.

66 Si les députés marocains ont voté un amendement au code pénal supprimant la

possibilité pour un violeur d'épouser sa victime afin d'échapper à la prison29, le combatpour les droits des femmes marocaines est loin d'être terminé. Fin 2012, la ministre dela famille, Bassima Hakkaoui, avait indiqué que six millions de femmes - sur unepopulation totale de 34 millions d'habitants - étaient victimes de violences au Maroc,dont plus de la moitié dans le cadre conjugal. Parmi les combats qui sont menés pourles droits des femmes figure aussi l'interdiction du mariage des mineures, permis au

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Maroc par le même code de la famille par dérogations des juges. Le nombre de mariagesconclus sur ce fondement ne cesse d’augmenter : 30 000 en 2008, 35 000 en 2010,environ 40 000 en 2013 selon des chiffres d’Amnesty International30.

67 Beaucoup d’associations féministes réclament la disparition de nombreux autres

articles du code pénal : l’article 488 qui définit le viol, l’article 487 qui ne reconnaît pasle viol entre époux, l’article 488 qui distingue parmi les victimes de viol celles qui sontvierges et celles qui ne le sont pas au moment de l’agression, l’article 490 qui prévoitdes peines d’emprisonnement d’un mois à un an contre toute relation sexuelleconsentie en dehors du cadre du mariage ou encore l’article 496 qui précise quequiconque cache une femme mariée « qui se dérobe à l’autorité à laquelle estlégalement soumise » est passible d’une peine d’une à cinq années d’emprisonnementet d’une amende.

68 Les problèmes sont identiques ailleurs.

69 L’Egypte a été classée à la 126e place sur 135 pays, dans le Gender Gap Index de 2012, en

ce qui concerne les inégalités entre les hommes et les femmes. Le code pénal égyptienne protège ainsi pas les femmes contre la violence domestique, notamment le violconjugal. Il autorise également l’indulgence à l’égard des hommes ayant commis des «crimes d’honneur». Les articles 260 à 263 du code pénal répriment l’avortement entoutes circonstances, même en cas de viol et d’inceste ou lorsque la santé d’une femmeest menacée par sa grossesse. Malgré la réforme du statut personnel, qui a permis lapratique du « Kuhl », divorce par consentement mutuel, et interdit le mariage avant 18ans, les lois relatives à la famille restent discriminatoires à l’égard des femmes. Ainsi,une femme qui demande le divorce sans faute doit renoncer à ses droits financiers etperd la garde des enfants en cas de remariage de son ancien époux ; le témoignage dedeux femmes équivaut en outre à celui d’un homme devant les tribunaux de la famille31.Les femmes ont l’obligation légale d’obéir à leur époux32.

70 Cette infériorité juridique contribue à alimenter les attitudes violentes à l’égard des

femmes et les mouvements du printemps arabe n’ont pas, à ce jour, amélioré lasituation33.

71 « Depuis la chute du président Moubarak, les Egyptiennes souhaitant prendre part aux

diverses manifestations politiques n'ont cessé d'encourir des violences sexuellesexercées publiquement, et en toute impunité », affirme ainsi la Fédérationinternationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) dans un long rapport rendupublic au Caire en avril 201434.

72 Ces violences visent à dissuader toute velléité de participation des femmes à la vie

publique. « Le lien entre cette violence envahissante et la discrimination structurellecontre les femmes inscrite dans le droit égyptien ne peut plus être ignoré », estime laFIDH. Selon un rapport des Nations Unies réalisé en avril 2014, 99,3 % des femmes etjeunes filles égyptiennes ont été victimes de harcèlement sexuel. « Cela ne devrait paschanger car il est considéré comme socialement acceptable et n'est pas pris au sérieux,ni par les autorités, ni par la société », a commenté une journaliste égyptienne à laFondation Thomson Reuters35.

73 Une même enquête révèle qu’au Yémen, malgré les apparents progrès concernant la

place des femmes dans la vie publique suite aux mouvements du printemps36, leharcèlement sexuel constitue également un problème majeur. 98,9 % des femmes etjeunes filles en ont été victimes dans la rue, selon un rapport du département d'Etat

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américain de 2012. Les mariages d’enfants sont légion, aucun âge minimum n'étant fixépour le mariage.

74 En Lybie, la « grande Charte verte des droits de l’homme » de 1988 consacrait le

principe d’égalité entre les hommes et les femmes, tout en interdisant les mariagesforcés et le divorce sans consentement ou jugement. La polygamie, très peu pratiquée,était également condamnée. La révolution de 2011 a révélé la réalité de la société. Lafaible représentation politique des femmes – 33 femmes élues en 2012 sur les 200membres de l'Assemblée nationale – n'a pas encore eu pour conséquence d'inscrire lesdroits des femmes dans la loi. Les relations entre les hommes et les femmes sont restéessous l’emprise de la religion et de la tradition patriarcale. Le port du voile estquasiment généralisé. Les violences domestiques restent notamment un problèmemajeur dans le pays. « Les femmes se sentent en insécurité du fait du manque deprotection sociale contre les maris abusifs », avance une militante libyenne. « Près de99 % des femmes qui ont porté plainte contre des cas d'abus domestiques l'ont retirée,note un responsable judiciaire libyen »37. Les femmes sont toutefois très actives etnombreuses d’entre elles sont hautement qualifiées. Un projet de loi sur le viol a étédéposé au Congrès mais dans ce pays instable les acquis sont extrêmement fragiles. Legrand mufti Ghariani a ainsi déclaré qu’il n’était plus besoin d’avoir l’autorisation de sapremière femme pour en épouser une deuxième et que le mariage d’une Libyenne avecun étranger devait désormais être considéré comme interdit38.

75 Les exactions commises pendant la révolution devraient en revanche pouvoir être

punies. Le gouvernement libyen, dirigé par Ali Zeidan, a adopté, mercredi 19 février2014, un décret qui protège et indemnise les victimes de viols ou de violences sexuellescommises pendant les mouvements contre M. Khadafi 2011. Le texte a la particularitéde créer le statut de victime de guerre pour les victimes de viols. Il permet de leurredonner une place dans la société en leur fournissant un soutien social, juridique,économique et médical. Face aux réticences du Congrès national général libyen (CGN)pour voter cette loi, le Ministre de la Justice Libyen a décidé hier d'adopter un décret.Le décret est entré en vigueur dès son adoption par le gouvernement. Il est prévu que leParlement adopte, par la suite, le texte sous forme de loi.

76 En Jordanie, la protection des droits de l’homme a certes été renforcée depuis les

mouvements des printemps, notamment par la criminalisation de toute infraction auxdroits et aux libertés publiques, mais de nombreux progrès restent à faire en droit.Ainsi, par exemple, les militants associatifs notent que, malgré leurs demandes,l’interdiction de la discrimination ne s’étend toujours pas au sexe, à la race, à la langueet à la religion.

77 Les femmes subissent aussi de graves discriminations au Yémen, selon Human Rights

Watch. Les femmes ne sont pas autorisées à se marier sans la permission de leur tuteur,habituellement un père ou un frère. Elles se voient refuser l'égalité des droits audivorce, à l'héritage et à la garde des enfants, et le manque de protection juridique leslaisse exposées à la violence domestique et sexuelle. Le mariage des enfants reste trèsrépandu. Au cours de 2013, des médecins et les médias ont rapporté la mort de fillesmariées dès l'âge de huit ans suite à des rapports sexuels ou à l'accouchement. LeYémen n'a pas légiféré sur l’âge minimum du mariage, bien que le Groupe de travail surles droits et les libertés du Dialogue national ait recommandé en novembre de fixerl'âge minimum à 18 ans39.

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78 Si le droit progresse, il compte encore surtout de nombreuses failles. En outre, les

progrès réels des droits des femmes ne doivent être mesurés à la seule aune de la lettredes textes mais aussi bien sûr sur à la manière dont le droit garantit ou non leureffectivité. Là plus encore peut-être, les progrès réalisés depuis les révolutions sonttrop faibles.

79 Au Maroc par exemple, malgré la difficulté de données statistiques précises, nombre

d’observateurs s’accordent à dire que la règle du relèvement de l’âge minimum pour lemariage des filles de 15 à 18 ans paraît bien largement contournée : les exceptions sonttrès nombreuses et facilement obtenues souvent après un simple examen médical40.Autre exemple : alors que l’article 49 de la nouvelle Mudawana a établi un dispositiféquitable dans les rapports patrimoniaux des époux41, cet acte protecteur des intérêtsde l’épouse est souvent présenté par les ‘adul-s’, pour dissuader d’en user, comme unobstacle à la conclusion d’une union matrimoniale et une gêne dans la conduite desaffaires privées du ménage42.

80 En Egypte, alors que l’excision est condamnée par les autorités religieuses musulmanes

et coptes et interdite par la loi, des études montrent qu’elle est subie par 91 % desfemmes, la loi continuant d’autoriser ces pratiques pour « raisons médicales »43.

81 Enoncer les droits n’est donc pas suffisant, encore faut-il que le droit garantisse leur

effectivité. Les révolutions ont permis d’accomplir certaines avancées mais biend’autres doivent encore l’être.

III) Faible effectivité des droits consacrés

82 Consacrer les droits n’est pas suffisant, encore faut-il garantir aux femmes qu’elles

peuvent les faire valoir en justice et que ceux qui les enfreignent seront condamnés.L’hypothèse est encore trop rare, rendant les réformes évoquées trop souventcosmétiques.

83 Moushira Kattab, ancienne ministre de la famille et de la population en Egypte, attire

ainsi récemment l’attention sur le fait que certes, certains termes de la nouvelleconstitution égyptienne accorde plus d’importance à la condition des femmes, maissans leur permettre de leur rendre justice ni leur garantir ces droits de façoninconditionnelle44. On remarquera en effet que les termes ne sont souvent pasprescriptifs mais indicatifs. L’article énonce par exemple que « la constitution veille àgarantir les droits des femmes ». Simple obligation de moyen…

84 Outre ces importantes subtilités sémantiques, la portée effective des dispositions

constitutionnelles peut varier en fonction de quatre facteurs dont on évoquerabrièvement l’importance dans les nouvelles constitutions : la place de la constitutiondans la hiérarchie des normes et la place des normes internationales prônant l’égalitéhommes femmes dans la hiérarchie des normes, d’une part (A), l’effectivité du contrôleconstitutionnel du respect de ces divers principes et la connaissance du droit par lesfemmes, d’autre part (B).

A) Incertitudes liées à la hiérarchie des normes

85 Pour être respectée, la constitution doit clairement apparaître comme le sommet de la

hiérarchie des normes. Or, dans certains pays des printemps arabes, la place occupée

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par la constitution est incertaine. Si elle se situe bien vers le haut de la pyramide, elle sedispute souvent le sommet avec la loi coranique. En Libye, par exemple, la constitutionprovisoire adoptée par le conseil national transitoire en août 2011 énonçait que « touteloi contredisant la loi coranique sera nulle et non avenue ».

86 En Tunisie, cette place a longtemps été discutée. Dans le projet de juin 2013, il était

ainsi fait référence dans le préambule aux «principes universels élevés des droits del'Homme», qui pouvait impliquer une hiérarchie des droits humains universels, dontcertains seraient plus importants que d'autres. Aujourd’hui, dans la version entrée envigueur en février, l’article 49 permet d'assurer le respect des droits et des libertésénoncés dans la Constitution. Aucune restriction à ces libertés ne peut toucher à leuressence et les éventuelles restrictions doivent respecter le principe de proportionnalitéet de nécessité. Toutefois la prudence reste de mise. Il ne faut ainsi pas que desdispositions comme celle de l'interdiction de l'atteinte au sacré soient utilisées pourlimiter la liberté d'expression ou de pensée.

87 En Egypte, l'Islam reste « la religion de l'État» et les «principes de la charia

« demeurent » la source principale de la législation ». Mais la compétence pour décidersi la législation est conforme aux principes de la charia est transférée à la Cour suprêmeconstitutionnelle.

88 La place du droit international est aussi capitale car on sait qu’il s’agit là d’une source

de protection précieuse pour les droits des femmes. La CEDAW, convention des NationsUnies pour l’élimination de toutes discriminations à l’égard des femmes45, proscrit ainsiclairement toute discrimination fondée sur le sexe. Si tous les pays du printemps arabeen sont signataires, sa portée est très souvent tempérée par l’émission d’une série deréserves à son application46 mais aussi par la place incertaine qu’occupe le droitinternational dans les ordres internes. Les révolutions et les nouvelles constitutions quien sont nées étaient l’occasion de nécessaires clarifications. Elles ont souvent étésaisies, mais là encore, à ce jour, des doutes plus ou moins forts subsistent.

89 En Libye, la constitution provisoire d’août 2011, mentionnait dans son article 7 que

« Etat s'efforce d'adhérer aux déclarations internationales et régionales et aux chartesqui protègent les libertés ». La dimension contraignante était plus qu’incertaine.

90 En Egypte, la suprématie du droit international sur le droit national n’est nulle part

évoquée.

91 En Tunisie, les traités internationaux approuvés par l’assemblée représentative et

ensuite ratifiés, ont un rang supra-législatif et infra-constitutionnel47 et, depuis le 23avril 2014, toutes les réserves à la CEDAW ont été levées. Reste toutefois la déclarationgénérale émise par la Tunisie selon laquelle le gouvernement tunisien n'adoptera envertu de la Convention, aucune décision administrative ou législative contraire auxdispositions du chapitre premier de la Constitution tunisienne qui contient lesprincipes généraux. Or ce chapitre contient des dispositions qui peuvent neutraliser leseffets de la CEDAW comme celle rappelant que l’Islam est la religion d’état (article 1) ouque la famille est la cellule essentielle de la société (article 7).

92 Au Maroc, la constitution a été largement saluée comme clarifiant la place hiérarchique

des normes internationales. Le préambule énonce ainsi d’une manière générale que« les conventions internationales priment sur le droit interne du pays dans le cadre dela constitution», et l’article 19 s’engage au respect des conventions et pactesinternationaux dans le cadre de la quête de l’égalité femmes-hommes. A la suite des

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révolutions, le Maroc a en outre levé les réserves qu’il avait posées en adhérant à laCEDAW en 1993.

93 Malgré ces incontestables progrès, la vigilance reste de mise car certaines formulations

mériteraient d’être précisées. L’article 19 sur l’égalité hommes femmes précise ainsique ce respect s’organise aussi dans le cadre « des constantes et des lois du royaume »,ce qui pourrait bien être une autre manière de dire la tradition… religieuse peut-êtremême… De même, dans le préambule, la suprématie des normes internationales estorganisé « dans le respect de l'identité nationale immuable ». Seules les réponses àd’éventuelles futures exceptions d’inconstitutionnalité soulevées pourront éclairer cesformules dont on ne peut aujourd’hui prédire de façon certaine le sens ni la portée48.

B) Incertitudes liées à l’usage des normes

94 L’interprétation qui sera faite des notions pré-évoquées par le juge constitutionnel est

primordiale et l’on voit poindre, pour finir, l’importance de l’existence et du statutréservé aux cours suprêmes dans les nouvelles constitutions.

95 Là encore certains progrès sont notables en quelques pays.

96 En Jordanie, dans le sillage du printemps arabe, le roi Abdallah II, crée en octobre 2012

une cour constitutionnelle, première dans le royaume, afin, selon le monarque d'offrir« une garantie importante pour la séparation des pouvoirs et pour le respect des droitset des libertés des citoyens ».

97 Au Maroc, la cour constitutionnelle existait déjà mais sa saisine est sensiblement

élargie : le nombre de signatures de parlementaires nécessaires à sa saisine a étéabaissé et la nouvelle constitution instaure l’exception d’inconstitutionnalité49 . Il s’agitlà d’un outil précieux pour les femmes et les associations féministes qui pourrontl'utiliser pour faire disparaître certaines lois inégalitaires comme celle qui s'appliqueen matière d'héritage. Un soin particulier doit aussi évidemment être accordé à lagarantie de l’indépendance des membres des juridictions et aux modalités d’exercice ducontrôle constitutionnel. Le gouvernement marocain a en outre adopté un projet de loisur la mise en œuvre du Protocole facultatif à la CEDAW qui permet d’enregistrer lesplaintes des femmes qui ont épuisé tous les recours nationaux pour faire prévaloir leursdroits. Il reconnaît la compétence du « Comité pour l’élimination de la discrimination àl’égard des femmes » en ce qui concerne la réception et l’examen de ces plaintes. La loidoit maintenant être adoptée par le parlement. A un degré moindre, la mise en place del’Autorité pour la Parité et la Lutte contre toute formes de discrimination (APALD), telleque stipulé dans la Constitution de 2011, mécanisme indépendant de proposition, dereddition de comptes et de suivi de la politique nationale est également attendue.

98 En Tunisie, la création d'une Cour constitutionnelle (articles 118 à 121) est une avancée

fondamentale. Le contrôle de constitutionnalité des lois s'exerce à la demande desautorités publiques (gouvernement, président) ou peut être requis par les parties lorsd'un procès (article 120). Toute proposition de révision de la Constitution lui estsoumise (article 144).

99 En Egypte, en revanche aucun réel progrès n’est notable. Les juges le sont de père en

fils. Etat dans l'Etat, les magistrats comme les militaires ont vu leurs pouvoirs confortéspar la nouvelle Constitution. La Haute Cour constitutionnelle pourra choisir elle-mêmeses membres et son président. « Rien n'a changé. Le juge est comme un soldat dans une

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bataille politique. Il n'assure pas l'égalité des citoyens devant la justice. En Egypte, celafait des siècles que ce système existe», relève ainsi Mokhtar Mounir, avocat d'une ONGde défense de la liberté d'expression.50 Trois ans après le Printemps arabe, l'Egypte s'esthissée au premier rang des mauvais élèves du monde arabe en matière de droits desfemmes, selon un classement établi par la Fondation Thomson Reuters à partir desévaluations réalisées par 336 experts en droits des femmes au regard de la CEDAW etpublié le 12 novembre 2013. Le pays arrive en dernière position parmi les 22 paysétudiés (21 pays de la Ligue arabe et la Syrie, qui en a été suspendue en 2011), précédépar l'Irak, l'Arabie saoudite, la Syrie et le Yémen.

100 Enfin, le droit le meilleur sera inutile s’il n’est pas connu de ceux et celles qui peuvent

s’en prévaloir. Or, beaucoup d’ONG relèvent la faible connaissance de leurs droits parles femmes des pays des printemps arabes et les difficultés à accéder aux « hommes deloi ». Ce constat rend inutiles les progrès juridiques.

101 Un taux d’analphabétisme relativement élevé et une mauvaise connaissance des

processus juridiques empêchent souvent les femmes de faire valoir leurs droits Lesidées reçues sur la capacité ou le droit des femmes sont aussi largement répandues, enparticulier dans les zones rurales. Plusieurs ONG féminines animent ainsirégulièrement des ateliers visant à informer les femmes sur leurs droits.

102 Comme le note le rapport parlementaire rédigé en 2013 sur les révolutions arabes, les

révolutions de 2011 ont donc aussi révélé au grand jour « l’écart grandissant entre lafaçade juridique des régimes et la réalité sociétale, non seulement moins avancée quel’état du droit mais connaissant aussi en parallèle diverses formes de recul.

103 Dans le même temps toutefois, comme l’a rappelé Mme Claude Guibal, ancienne

correspondante de Radio France en Egypte, lors d’une audition de la Commission desaffaires étrangères, si la situation des femmes connaît une régression dans leur viequotidienne, on peut penser que leur cause progresse au contraire, car « un nombreconsidérable de femmes lutte au premier plan, jouant un rôle moteur dans le débatpolitique, dans l’action sociale et dans l’activité économique »51.

104 Souhaitons que les effets de leurs actions parviennent bientôt aux principales

intéressées.

NOTES

1. Lire à ce propos, Juliette Gaté, « Les libertés révélées par la révolution : du fait au droit? Sur la

reconnaissance des libertés d’expression et de manifestation », in Droits des femmes & révolutions

arabes, Julietté Gaté (dir.), Revue méditerranéenne de droit public n° 2, ed Lextenso, 2013, p. 41 et

s.

2. Comme le rappellent Stéphane Hessel et Aung San Suu Kyi dans leur préface durapport 2011 de l’observatoire pour la protection des défenseurs des droits del’Homme« le respect des droits fondamentaux a été placé au coeur des revendications des

populations ». http://www.fidh.org/IMG/pdf/obs_2011_fr-de_but.pdf

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3. Lire par exemple à ce propos, Salil Shetty, secrétaire général d’AmnestyInternational, « L’Égypte et ses généraux : entre déni et répression », Livewire, 12février 2012, http://livewire.amnesty.org/fr/2012/02/12/legypte-et-ses-generaux-entre-deni-et-repression/

4. Lire à ce propos le rapport de la commission européenne rédigé par Fatiha Saïdi,« Egalité entre les femmes et les hommes: une condition du succès du Printempsarabe », 5 avril 2012, Doc. 12893.

5. Constat dressé par le Forum international des femmes méditerranéennes, co-organisé par le centre marocain Isis et par la fondation allemande Konrad Adenauer,Fès, Maroc, 2013.

6. http://www.rfi.fr/afrique/20110901-avenir-incertain-femmes-libyennes/

7. « En Libye, une place limitée aux femmes au sein de la future Assemblée », Le Monde,2 janvier 2012.

8. Lire « L’assemblée nationale rejette la composition du gouvernement », Jeune Afrique, 20

octobre 2012.

9. « Les Libyens élisent une Assemblée constituante sur fond de chaos sécuritaire », Le

Monde, 20 février 2014.

10. « Libye : faible participation pour élire l'Assemblée constituante », Le Monde, 21février 2014.

11. Lire « Le Yémen engage les chantiers de la Constitution et de l'Etat fédéral », Le

Monde, 25 janvier 2014.

12. http://www.ipu.org/wmn-f/world.htm

13. Khadija Errebah, « 15% de femmes, ce n'est pas la parité », Terra femina, 25novembre 2011.

14. Rapport Additif du Groupe de travail sur l’élimination de la discrimination à l’égarddes femmes dans la législation et dans la pratique, Mission au Maroc, Additif, conseildes droits de l’homme, 20 juin 2012, A/HRC/20/28/Add.1.

15. Rapport parlementaire français n° 1566 sur les révolutions arabes, novembre 2013.

16. Fatiha Saïdi, rapport de la Commission européenne sur l'égalité et la non-discrimination, « Egalité entre les femmes et les hommes: une condition du succès duPrintemps arabe », Doc. 12893, 5 avril 2012.

17. « L’État s’engage à réaliser, entre l’homme et la femme, l’égalité de tous les droits civils,

politiques, économiques, sociaux et culturels, conformément aux dispositions de la Constitution.

L’État œuvre à prendre les mesures nécessaires pour assurer une représentation adéquate de la

femme aux assemblées parlementaires, conformément à la loi. Il assure le droit de la femme à

occuper les fonctions publiques et les postes de direction de l’État et à être nommée aux corps et

aux organismes de juridiction judiciaires sans discrimination. L’État s’engage à protéger la

femme contre toutes formes de violence et à lui permettre de concilier les tâches familiales et les

exigences du travail. L’État s’engage à prendre soin de la maternité, de l’enfance, la femme

chargée de famille, ainsi que de la femme âgée et des femmes les plus nécessiteuses et à les

protéger ».

18. Constitution votée le 26 janvier 2014, à une majorité écrasante (200 voix pour, 12 contre et 4

abstentions) au sein de l'Assemblée nationale constituante (ANC). Elle remplace la Constitution

de 1959, suspendue depuis mars 2011. Elle comprend un préambule et 146 articles, organisés en

dix chapitres.

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19. « Tunisie : Nouveau gouvernement, cherchez la femme », Courrier international, 8mars 2013.

20. « Tunisie, Mehdi Jomâa a annoncé la formation de son gouvernement tunisien. » , Jeune

Afrique, 26 janvier 2014.

21. « L'Assemblée nationale tunisienne adopte la loi électorale », Le Monde, 1 mai 2014.

22. Cet article dispose que « l’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits etlibertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental,énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la Constitution ainsi quedans les conventions et pactes internationaux dument ratifiés par le Royaume, et ce,dans le respect des dispositions de la constitution, des constantes et des lois duRoyaume. L’Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et lesfemmes. Il est créé à cet effet, une Autorité pour la parité et la lutte contre toute formede discrimination ». L’article 34 énonce que « les pouvoirs publics élaborent et mettenten œuvre des politiques destinées aux personnes et aux catégories à besoinsspécifiques. A cet effet, ils veillent notamment à : traiter et prévenir la vulnérabilité decertaines catégories de femmes et de mères ».

23. Article 46. « L'Etat s'engage à protéger les droits acquis de la femme, les soutient etœuvre à les améliorer. L’Etat garantit l’égalité des chances entre la femme et l’hommepour assumer les différentes responsabilités et dans tous les domaines. L'Etat œuvre àréaliser la parité entre la femme et l'homme dans les conseils élus. L’Etat prend lesmesures nécessaires afin d’éradiquer la violence contre la femme ».

24. Article 2 de la nouvelle constitution adoptée en 2014.

25. Article 219 : « Les principes de la charia islamique comprennent ses preuves globales, ses

bases fondamentales, les règles de la jurisprudence, ainsi que ses sources significatives, acceptées

par les écoles juridiques de la tradition du prophète et l'ensemble de la communauté ».

26. Lire « Droits des femmes et traditions », Juliette Gaté, Revue de recherche juridique, 2012, p.

1141.

27. Alinéa 3 de l’article 11 de la constitution égyptienne du 15 janvier 2014. L’article 5alinéa 2 de la constitution du Bahreïn du 14 février 2002 est aussi ainsi rédigé : « L'Etats'efforce de concilier les devoirs des femmes à l'égard de la famille avec leur travail ausein de la société, et leur égalité avec les hommes dans les sphères politique, sociale,culturelle et économique, sans enfreindre les dispositions de la charia islamique. ». Lire« Une perspective féminine de la Violence et de l’oppression exercées par le régime de Bahreïn »,Dre. Ala'a Shehabi, AWID, 31 mai 2013, http://www.awid.org/fre/Actualites-et-Analyses/Dossier-du-Vendredi/Une-perspective-feminine-de-la-violence-et-de-l-oppression-exercees-par-le-regime-de-Bahrein

28. Lire « Féminismes islamiques », Zarah Ali, ed. La Fabrique, 2012.

29. Amendement voté le 22 janvier 2014.

30. Lire à ce sujet « Droits des femmes : Maroc, un violeur ne pourra plus épouser sa victime pour

échapper à la prison », Jeune Afrique, 23 janvier 2014.

31. Rapport parlementaire sur les révolutions arabes, n°1566, 20 novembre 2013, p. 63.

32. Lire Amnesty international « Les femmes veulent l’égalité dans la construction de la nouvelle

Egypte », Octobre 2011.

33. Lire « La FIDH publie un rapport sur les violences sexuelles en Egypte », Le Monde, 16avril 2014.

34. « Egypt : keeping women out- sexual violence in the public sphere », FIDH, avril 2014.

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35. « L'Egypte, pire pays pour les femmes dans le monde arabe », Le Monde, 12 novembre 2013.

36. Voir supra.

37. « L'Egypte, pire pays pour les femmes dans le monde arabe », Le Monde, 12novembre 2013.

38. Rapport parlementaire ° 1566, novembre 203, précité.

39. « Yémen : deux ans après la prise de fonction du nouveau gouvernement, aucune obligation

de rendre des comptes. », HRW, 27 janvier 2014.

40. Colloque « Droits des femmes méditerranéennes après les révolutions arabes », Fès,juin 2013 http://www.kas.de/wf/doc/kas_35491-1522-3-30.pdf?13092412003. « Le statutde la femme marocaine dans la « réforme constitutionnelle globale » », Florence Jean,http://www.cmiesi.ma/acmiesi/file/temoin/florence-jean_tem_1.pdf

41. « Les deux époux disposent chacun d’un patrimoine propre. Toutefois, les épouxpeuvent se mettre d’accord sur les conditions de fructification et de répartition desbiens qu’ils auront acquis pendant le mariage. Cet accord fait l’objet d’un documentdistinct de l’acte de mariage ».42. Lire à ce propos, S WILLMAN, « Difficultés pratiques d’accès des femmes à la Justice », in Droits

des femmes & révolutions arabes, Julietté Gaté (dir.), Revue méditerranéenne de droit public n° 2, ed

Lextenso, 2013, p. 133 et s.

43. Chiffres 2013 de l’UNICEF, « Mutilations génitales féminines / excision: aperçustatistique et étude de la dynamique des changements », http://www.unicef.org/french/protection/files/FGM_Report_Summary_French__16July2013.pdf

44. Colloque « Droits des femmes méditerranéennes après les révolutions arabes », Fès, juin 2013

http://www.kas.de/wf/doc/kas_35491-1522-3-30.pdf?13092412003

45. Adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 1979, elle est entrée en

vigueur le 3 septembre 1981. http://www.un.org/womenwatch/daw/cedaw/text/

fconvention.htm

46. Lire « Droits des femmes et traditions », Juliette Gaté, RRJ, 2012- 3 p. 1139.

47. Article 20.

48. Lire ainsi pour une explication très claire par l’exemple « L’égalité dans l’héritage,entre l’Islam et la Constitution: Le cercle carré ? » , Pr. Mustapha Sehimi, L’économiste,

édition n° 4205 du 4 février 2014.

49. Article 133.

50. « La magistrature égyptienne, un système népotique rétif aux réformes », Le Monde, 25 mars

2014.

51. Rapport parlementaire français n° 1566 sur les révolutions arabes, novembre 2013, p. 61.

ABSTRACTS

Women have largely participated in the Arab Spring by protesting at the front line to claim

democracy and fundamental rights, we propose to reflect on the effects on their rights that these

protests could have produced.

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It appears at first, that they have not been closely associated with the reflections which have

been conducted to reforms caused by these revolutions and there has been little consideration

given to saving them a place in tomorrow’s political life.

However, the legal reforms that have been undertaken have generally devoted constitutional

equality to men and women, even though its significance remains variable and uncertain.

The reforms’ effectiveness is doubtless improved by the modifications often brought to the norm

hierarchy organisation and to controls of constitutionality, however, significant improvements

in terms of women’s access to rights remain to be realised.

Alors que les femmes ont très largement participé aux printemps arabes, manifestant en

première ligne pour réclamer démocratie et respect des droits fondamentaux, il est proposé de

réfléchir aux effets qu’ont pu produire ces mouvements sur leurs droits. Il apparaît alors qu’elles

n’ont, en premier lieu, que peu été associées aux réflexions qui ont été menées sur les réformes

qui ont été engendrées par ces révolutions et qu’il n’a que peu été songé à leur réserver une place

dans la vie politique de demain. Les réformes juridiques entreprises voient toutefois

généralement consacrée une égalité constitutionnelle entre femmes et hommes dont la portée

précise reste variable et incertaine. L’effectivité de ces réformes est aussi sans doute améliorée

par les modifications souvent apportées à l’organisation hiérarchique des normes et aux

contrôles de constitutionnalité mais des progrès notables doivent encore être réalisés en matière

d’accès au(x) droit(s) par les femmes.

INDEX

Mots-clés: Egalité - Parité - Discrimination positive - Traditions - Religion - Accès au droit -

Effectivité - CEDAW

Keywords: Equality - Positive action - Traditions - Religion - Due process of law - Efficacity -

CEDAW

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Page 68: La Revue des droits de l’homme, 6

« Jus post-révolution » : quelle placepour les droits de l’homme?Mamadou Meité

Nous aimerions remercier les Professeurs Véronique CHAMPEIL-DESPLATS et Marina EUDES qui ont

bien voulu relire cet article en suggérant les corrections nécessaires. Également, notre

reconnaissance va à l’endroit de M. Emmanuel GUEMATCHA et Mme Amélie ROBITAILLE qui, par

leurs remarques, ont permis l’amélioration de cet article. Évidemment, les lacunes qui demeurent

nous sont imputables.

« Comme dans les révolutions européennes,l’anarchie amène la dictature ; et celle-ci

provoque d’immédiates contre-révolutions. […] Etles révolutions succèdent aux révolutions jusqu’à

l’arrivée du tyran attendu, qui domine, durantvingt ou trente ans, la vie nationale».

CALDERON Francisco Garcia, Les démocraties latines

de l’Amérique, Paris, Ernest Flammarion, 1912, p.72.

1 Apportons, au préalable, quelques éléments de définition sur notre titre « Jus post-

révolution : quelle place pour les droits de l’homme ? ». Au premier abord, en ce qu’elleemploie à la fois le latin et le français dans une même expression, la formule sembleincorrecte ou du moins mal exprimée. Généralement, il est fait usage des termescomme « jus ad bellum » (droit à la guerre), « jus in bello » (droit de la guerre) ouencore « jus post bellum » (droit après la guerre) pour désigner un certain type de droitapplicable en fonction du cadre rationae contextus de formation et d’application de cedroit. Il aurait été plus juste d’employer l’expression « novae res » que les Romainsmobilisaient pour désigner la révolution1. Toutefois, cet usage aurait paru assezrébarbatif compte-tenu du caractère inusité de cette expression latine. C’est pourquoi,il nous a semblé approprié de former une expression néologisante, « jus post-révolution », pour décrire une certaine réalité. Dès lors, il incombe de se focaliser surcette expression pour en comprendre le sens et la dynamique.

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2 Mobilisant une approche analogique définie comme la faculté de rapprocher deux

termes voire deux idées connexes2, l’expression « jus post-révolution » a été employée àl’image de l’expression « jus post bellum ». Par jus post bellum, il incombe de comprendrele droit positif (jus positum) applicable après une période de conflit armé3. Ainsi, auregard de cette définition, le « jus post-révolution » pourrait s’entendre, également,comme le droit applicable après une révolution. Toutefois, nonobstant la précisionapportée à l’expression « jus post-révolution », la compréhension globale du titre del’article demeure toujours lacunaire, motifs pris de l’indéfinition du terme spécifiquequ’est la « révolution ». Afin de pallier cette lacune, il revient de définir la révolutiondont l’usage originel remonterait à Dante, Copernic et Galilée4.

3 La révolution paraît difficile à définir. Dès lors, bien que cela peut paraître un brin

fastidieux, il incombe de mobiliser diverses conceptions doctrinales à l’effet d’en tirerune définition qui nous satisferait.

4 Bien souvent, il est fait un emploi pluriel de ce terme : révolution industrielle,

révolution sexuelle, révolution verte en Inde, révolution culturelle voire révolution destechniques d’information avec la bulle de l’Internet. Au sein de ces multiples emploisdu terme, il semble ardu de bien comprendre quelle réalité recouvre le termerévolution. S’agit-il, à l’instar du monstre du Loch Ness, d’une idée à laquelle on faitréférence sempiternellement et qu’on a peine à appréhender, à « voir » ? Pourrépondre à cette question, il convient de faire appel à des éléments de définition.

5 Suivant le Professeur Patrick Van Inwegen, la révolution, du latin revolvere qui signifie

rouler en arrière, est un « changement par la force, irrégulier et populaire»5d’ungouvernement ou d’un régime politique dictatorial, patrimonial voire colonialiste6 quiperpétue un ordre jugé injuste. Cette définition concise mérite des éclaircissements. Auregard de cette acception, un changement de gouvernement ou de régime politique,pour être réputé révolutionnaire, doit remplir trois conditions cumulatives. En premierlieu, il doit être contraint. Bien que non impérativement violente, cette contrainte est« destinée principalement à assurer un changement des structures politiques de lasociété impossible à réaliser par les voies constitutionnelles »7. En deuxième lieu, il doits’opérer par voie de mécanismes extra-constitutionnels ou non constitutionnels. Entroisième lieu, le changement doit être soutenu par une majorité de la population.Conforme à l’idée de l’auteur précité, la définition du Professeur Wilbert Mooreindique : « “La revolution”, qui est violente, implique une considérable partie du peuple8, etaboutit à un changement de la structure du gouvernement (…) »9. Dans la même logique,le Professeur Al Cohan conçoit la révolution comme « un changement violent et illégal10

». Se focalisant sur les révolutions sociales, le Professeur Theda Skocpol estime, de soncôté, que les révolutions constituent des mécanismes « rapides11 de transformationbasique des structures étatiques et sociales»12. Elle poursuit en précisant que cestransformations sont portées par des révoltes de classes. En partant de l’hypothèse quela violence est consubstantielle à la révolte étant donné que celle–ci est un brefsoulèvement armé13, il est permis de soutenir que cet essai de définition du ProfesseurSkocpol trouve un appui confirmatif chez le Professeur Samuel Huntington. Ce dernier,en effet, affirme expressis verbis: « La révolution est un changement interne rapide,important et violent des valeurs dominantes d’une société, de ses mythes, de sesinstitutions politiques, de ses structures sociales, de son leadership, de songouvernement et de sa politique »14. Par ailleurs, le Professeur Peter Calvert écrit que: « Le mot “révolution” signifie spécialement un changement majeur15 de la structure

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politique et socio-économique d’un Etat du fait des efforts spontanés de sescitoyens(…)». Il poursuit en résumant : « En un mot, il y a révolution lorsque l’usage de la

force aboutit à un changement politique fondamental »16. Pour conclure, il ajoute enprécisant dans un autre ouvrage: « l’idée de la violence est inséparable de la révolution »17.

6 De ces définitions diverses, il est possible d’inférer trois expressions clés qui paraissent

s’associer au terme « révolution » : « changement fondamental », « violence » et« citoyen ou populaire ». On peut en retenir l’idée que la révolution constitue un

mécanisme populaire violent qui vise à rompre avec un ordre ancien pour instaurer un ordre

nouveau. L’instauration de ce nouvel ordre peut concerner théoriquement maintsdomaines (économique, social, juridique, politique). Le domaine d’application du faitrévolutionnaire qui nous importe ici est le domaine juridique.

7 L’instauration d’un nouveau droit semble être la visée légitimatrice des mouvements

révolutionnaires. Selon le Dictionnaire Cornu, la révolution constitue « une rupture avecl’ordonnancement juridique antérieur »18. Cette idée est confirmée par trois19 grandsévènements historiques qui, qualifiés objectivement de révolutions, ont abouti, au-delàdes changements sociaux, politiques et économiques20, à un changement de paradigmejuridique. D’abord, la révolution américaine de 1776. Cette révolution a scellé laséparation de la Confédération américaine et du Royaume–Uni par l’adoption de laDéclaration d’indépendance des anciennes colonies britanniques. Par le même biais,elle a marqué l’instauration d’un droit nouveau influencé par l’idée du « droit despeuples à disposer d’eux-mêmes » dans les rapports entre les métropoles et lescolonies. Cette idée va, par la suite, se cristalliser dans les mouvements d’indépendancedes nations de l’Amérique du sud dans les années 1800 voire, également, dans laDoctrine Monroe. Ensuite, la révolution française de 1789. Ce fait historique, marquépar l’abrogation du droit de l’Ancien régime fondé sur les inégalités de jure et lesprivilèges, a conduit à la consécration des droits de la Déclaration des droits del’homme et du citoyen autour de la formule trinitaire « liberté, égalité, fraternité ».Enfin, la révolution russe d’octobre 1917. Influencée par le marxisme, la révolution desBolcheviques a conduit à la création d’une nouvelle société expurgée du servage et à lanaissance d’un certain idéalisme social et humaniste : « à chacun selon ses besoins ».Cet élan s’est s’affermi juridiquement dans l’adoption d’une nouvelle constitution qui areconnu les droits des ouvriers et des paysans considérés membres du prolétariat et dulumpenprolétariat21.

8 Le Droit a ainsi constitué l’impetus de plusieurs révolutions. De façon plus précise, au-

delà du Droit, en tant que système objectif, il s’est agi, pour les révolutionnaires, devouloir établir un ordre juridique plus humain soucieux du bien-être des individus parla reconnaissance et la sauvegarde des libertés donc des droits de l’homme. Au soutiende cette idée, qu’il suffise de rappeler les mots célèbres du Marquis de Condorcetprononcés dans un contexte révolutionnaire : « Le mot “révolutionnaire” ne peuts’appliquer qu’aux révolutions dont la liberté est le but »22. Aujourd’hui, le slogan, «justice, dignité et liberté ! » des révolutionnaires en Tunisie y fait écho. Par conséquent,vouloir s’interroger sur la place des droits de l’homme dans un contexte post-révolutionnaire pourrait sembler sans intérêt tant cette place va de soi.

9 On peut toutefois dépasser cette première impression en s’interrogeant plus précisément

sur le fait de savoir comment la post-révolution aménage la place réservée aux droits. Pour cefaire, on s’appuiera sur une analyse générale de la doctrine ainsi que sur des exemples

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concrets contemporains de : révolutions récentes que sont les révolutions arabes. Il nesera pas question de réfléchir sur ces révolutions in se qui, tout bien considéré, sont fortdisparates et différentes. Il importera, tout simplement, de s’y référer pour illustrercertaines idées.

10 En premier lieu, il s’agira de montrer que la volonté de faire table rase de « l’ancien

régime » peut, à la faveur de certains mécanismes, aboutir, paradoxalement, à desviolations des droits de l’homme(I). En considération de cette menace attentatoire àl’idéal de la « libération de l’homme »23, il incombera, en second lieu, de mettre en reliefles procédures propices à la sauvegarde des droits de l’homme, et partant du succès del’idéal révolutionnaire (II).

I. LA POST-RÉVOLUTION ET LES RISQUES DEVIOLATION DES DROITS DE L’HOMME

11 Suivant le Professeur Crane Brinton, « la révolution marque une nouvelle ère » et « met

fin pour toujours aux abus de l’ancien régime »24. Cette affirmation de principe semblene guère se confirmer dans tous les cas d’espèce. En effet, deux risques fondamentauxparaissent constituer des menaces à l’instauration d’une période post-révolutionnairefavorable au respect des droits de l’homme. Ces risques sont d’une part les excès de lalustration (A), et d’autre part la justice défaillante(B).

A. Le cas de la lustration

12 Le mot « lustration » a des origines romaines. Selon The Oxford Classical Dictionary, son

étymologie dérive du latin lustrare et lustrum. Il désignait, dans la Rome antique, unecérémonie sacrificielle de purification qui, accompagnée de musiques et de danses,avait pour objectif d’éloigner les démons25. Nonobstant son caractère antique,l’expression regagne en intérêt avec l’adoption, par la Tchécoslovaquie, de la premièreloi de lustration en date du 4 octobre 199126. A la lumière de l’économie des dispositionsde cette loi, le Professeur Romain David estime qu’il incombe d’avoir une définitionplus formelle et procédurale de la lustration. Ainsi, cet auteur la conçoit comme « unmécanisme de recherche et d’examen visant à trouver des informations sur la viepassée de certaines personnes »27. Sous cet angle, la lustration « consiste à jeter lalumière sur le passé totalitaire des personnes qui occupent ou doivent occuper despostes importants dans (un) nouvel État démocratique »28. Ce processus d’investigation,stricto sensu, est qualifié de « vetting ». Étant donné que la finalité de ces recherchesétait l’impossibilité, pour les individus concernés, de prétendre à l’exercice des chargespubliques, il revient d’avoir à l’esprit cette exclusion et de considérer la lustration et levetting, finalement, comme une même et unique réalité dont le but est la purificationvoire la purge29 des administrations. Cette volonté purificatrice assignée à la lustrationsemble être partagée par la Professeure roumaine Lavinia Stan qui affirme en cestermes : « Durant les années 1990, la lustration a été réglementée en Allemagne et enTchécoslovaquie comme une procédure accusatoire visant à purger l’administrationpublique postcommuniste des anciennes personnalités du régime communiste »30.

13 Outre la Tchécoslovaquie, maints États de l’Europe centrale et orientale voire de

l’Amérique latine se sont appropriés la lustration par l’adoption des lois ad hoc. Pour cespays, la lustration a pour principal objectif d’empêcher des collaborateurs d’un défunt

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régime, soupçonnés de violation des droits de l’homme, de participer à la vie desnouvelles institutions31. Cette vision de la lustration semble être partagée par leProfesseur Monica Nalepa qui estime qu’elle participe de la création d’un « contrat deconfiance » entre les élites politiques et le peuple32, car, par sa transparence, enéclairant le passé des acteurs politiques, elle jauge leur niveau d’engagement respectifen faveur de la démocratie et des droits de l’homme. Dans la même logique, l’Assembléeparlementaire du Conseil de l’Europe, dans sa résolution 1096 du 27 juin 1996, indiqueque « les lois de lustration (…) sont conformes aux principes d’un État de droit(…) »33.Somme toute, en théorie, la lustration semble constituer un mécanisme qui facilite latransition démocratique des États post-révolutionnaires. Pourtant, dans les faits, cemécanisme a donné lieu à une véritable dérive attentatoire à la protection des droits del’homme. Dans sa parution en date du 24 février 1992, The New York Times, parlant ducas de la mise en accusation de l’ancien secrétaire du Parti communiste tchèque,Zdenek Mlynar, par le Ministère de l’intérieur pour trahison en lien avec l’invasionsoviétique de 1968, estimait que « son cas symbolise une sorte de vengeance plaçant laTchécoslovaquie en tête des pays de l’Europe de l’Est dans la purge anti-communiste ».

14 Toujours pour le même pays et pour des raisons similaires, Mme Jeri Haber, co-

fondatrice de Human Rights Watch, exprimait son indignation à travers un article autitre évocateur paru dans The New York Review of Books dans sa publication du 23 avril1992 : « Witch Hunt in Prague »34.Ces critiques ont conduit à une désapprobation de laCommunauté internationale qui estimait que la loi tchèque précitée créait unediscrimination à l’embauche, et par conséquent violait les droits de l’homme35.

15 Par ailleurs, d’une manière générale, la Cour européenne, saisie par plusieurs

requérants au motif que les procédures relatives à l’application des lois de lustrationviolaient leurs droits, à travers une jurisprudence constante, a averti timidement lesÉtats mis en cause en ces termes : « (…) Si un État adopte des mesures de lustration, ildoit s’assurer que les personnes affectées par ces mesures bénéficient des garantiesprocédurales reconnues par la Convention (…) »36.

16 Nonobstant cette position des juges de la Convention européenne des droits de

l’homme (CEDH), la lustration a donné lieu, à plusieurs reprises, à des violations desarticles 837, 638 et 1439 du texte européen. Fort de ces mises en garde répétées de la Coureuropéenne, le juge constitutionnel polonais, tout particulièrement, a indiqué lesconditions que devait respecter une loi de lustration pour être conforme aux exigencesd’un État de droit : « La loi de lustration conforme aux principes du fonctionnementd’un État démocratique est supposé satisfaire (…) aux conditions suivantes : a) lalustration ne sert qu’à éliminer ou à diminuer notablement les dangers pour unedémocratie stable et libre (...) b) la lustration ne peut jamais servir à punir, ni à faire payer

les fautes, ni à la vengeance40(…) c) la lustration ne peut pas être appliquée par rapportaux postes dans les organisations privées ou semi-privées(…) d) la défense d’exercer (d)es

fonctions suite à la lustration devrait s’appliquer pendant une période raisonnable de temps (…)g) la lustration doit respecter certaines) garanties procédurales.(…)»41.

17 Cependant, ces conditions ne semblent pas être respectées par toutes les lois de

lustration. L’illustre tout particulièrement le cas contemporain de la Tunisie. Cet État,après la Révolution du Jasmin, a adopté une série de lois à l’effet de rendre inéligibles,pour une période de dix ans, les anciens membres de l’ancien parti au pouvoir, enl’occurrence le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (ci-après RCD). En effet,le décret-loi n°2011-35, en date du 10 mai 2011, portant « élection d’une Assemblée

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nationale constituante » dispose, en son article 15, qu’ : «(…) Ont le droit de se portercandidat à l’assemblée nationale constituante tout : électeur âgé au moins de 23 ans(…)Ne peut être candidat toute personne ayant assumé une responsabilité au sein dugouvernement à l’ère du président déchu exceptés les membres qui n’ont pasappartenu au RCD et toute personne ayant assumé une responsabilité au sein desstructures du RCD à l’ère du président déchu; toute personne ayant appelé le présidentdéchu à être candidat pour un nouveau mandat en 2014 ».

18 Un autre Décret n°2011-1089, en date du 3 août 2011, portant « détermination des

responsabilités au sein des structures du RCD (…)» confirme l’économie de l’article 15du décret n°2011-35 lorsqu’en son article premier, il précise : « Est inéligible auxélections de l’Assemblée nationale constituante, toute personne ayant assumé uneresponsabilité au sein des structures du RCD (…) ».

19 Outre la Tunisie, il est également pertinent d’invoquer le cas lybien. Dans son élan

révolutionnaire, le Parlement de cet État a adopté une loi sur l’exclusion politique desanciens collaborateurs de l’ancien régime. En date du 5 mai 2013, cette loi, votée par leParlement lybien, sous la menace des milices armées, exclut, pour une période de dixans, les personnes ayant occupé des postes de responsabilités sous l’ancien régimedepuis sa prise de pouvoir en 1969 jusqu’à sa chute en 201142.

20 A l’évidence, au vu de leur généralité et de leur caractère rationae personae collectif, ces

deux lois de lustration sont loin des recommandations qu’a pu formuler, de son côté, leTribunal constitutionnel polonais. Quoi qu’il en soit, elles aboutissent à une violationdes dispositions fondamentales de la Charte africaine des droits de l’homme et despeuples43et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques44. Enconséquence de toutes ces défectuosités, ces lois ont emporté les critiques de Human

Rights Watch. Concernant la Tunisie, cette organisation a pu affirmer au sujet des lois delustration : « (elles) prépar(ent) le terrain pour l’exclusion politique quasi-totale demilliers de personnes sur la base de leur affiliation politique »45. Cette critique rejointcelle du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (ci-après HCDH)qui, dans une étude sur le sujet, indiquait verbatim: « le vetting (donc la lustration) doitêtre basée sur l’évaluation d’une conduite individuelle. Les purges et autres limogeagesmassifs sur le seul fondement d’une affiliation à un groupe risquent d’avoir une portéetrop large, et porter préjudice à des personnes qui n’ont aucune responsabilitéindividuelle dans les abus du passé (…). Un tel mécanisme de purge collective viole lesrègles les plus fondamentales du procès équitable. Qui plus est, il risque de fragiliser lesréformes recherchées »46.

21 En parlant de la lustration, les mots métaphoriques d’un parlementaire roumain

semblent symptomatiques des dérives qui paraissent pouvoir affecter ce mécanisme : «l’hygiène en politique est aussi utile qu’elle l’est dans notre vie personnelle »47.Pourtant, pour reprendre l’opinion du juge Spielmann qui mettait en exergue la vacuitédes mécanismes d’exclusions politiques, « l’Histoire nous a démontré (…) que laRépublique de Weimar ne s’est pas effondrée à cause de quelques fonctionnaires »48. Enun mot, les fourvoiements de la lustration ne facilitent guère la réconciliation et la paixsociale. Ces aspirations ultimes, essentielles au développement des communautésnationales, risquent de rester des vœux pieux que la justice post-révolutionnairegénéralement lacunaire, donc défaillante, peinera à cristalliser.

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B. Les défaillances de la justice post-révolutionnaire

22 Tout État révolutionnaire doit faire face à son passé. En effet, il doit solder le passif de

l’ancien régime caractérisé par des abus multiples. Certainement, cette exigenced’assainissement doit se faire sans un esprit vindicatif. Par conséquent, il importe deretoquer la lustration au vu de ses excès. Afin de construire un nouvel ordre le justemilieu est une voie à privilégier. Voie de la sagesse selon la doctrine platonicienne, lejuste milieu permet de ne point épouser le radicalisme et l’extrémisme. Il permet decontenir les effets les plus dommageables de la révolution si l’on en croit l’historienPatrice Gueniffey qui, parlant de la « Terreur », indique : « Elle est le produit de ladynamique révolutionnaire (de 1789) et, peut-être, de toute dynamiquerévolutionnaire. En cela, elle tient à la nature même de la Révolution (de 1789), de touterévolution »49.

23 Le juste milieu faciliterait, dès lors, la construction d’une société qui se débarrasse de

sa mauvaise conscience en privilégiant la justice. Laquelle justice, en vertu de l’adagelatin « jus est ars boni et aequi », doit respecter les principes de la transparence, del’indépendance et du juste. La justice post-révolutionnaire ne doit point êtrevengeresse. Elle doit répondre aux principes de la justice équitable. Au-dessus de lamêlée, il lui importe d’être conforme à ces principes.

24 Pourtant, en dépit de ces exigences évidentes, l’Histoire révolutionnaire semble se

répéter. Du 10 mars 1793 au 28 juillet 1794, la Révolution française a connu sa « partmaudite »50 avec la « Terreur » et le « Tribunal révolutionnaire » qui, selon les termesde Jean-François Fayard, n’était autre chose qu’ « une “chambre d’enregistrement” dece qui avait été décidé, soit par la Convention (…), soit par les meneurs de la Révolution(…) »51.

25 De même, la Révolution d’octobre a connu sa « Grande terreur » 52 des années 1930

accompagnée des « procès de Moscou ». Vraisemblablement, les révolutionscontemporaines ne sont guère caractérisées par des déviances judiciaires à grandeéchelle. Toutefois, elles ne sont pas indemnes de critiques. Aux fins d’illustration, laRévolution tunisienne servira d’échantillon.

26 « La révolution tunisienne est inaugurale ». Pour reprendre l’idée du Professeur Jamil

Sayah : « Elle a ouvert (dans le monde arabe) une séquence historique en laissantindécis le contenu de sa propre évolution »53.

27 Ainsi donc, la révolution tunisienne ne constitue pas en soi un Deus ex machina qui

viendrait résoudre toutes les problématiques propres à l’ancien ordre renversé. Toutdépend de ce que les révolutionnaires en feront. Cette révolution sera-t-elle conçuecomme un instrument de vengeance ou d’instauration d’un nouveau paradigmejuridique ? A ce stade, en dépit de l’adoption récente d’une Constitution moderne54, ilest impossible d’articuler une réponse définitive satisfaisante. Toutefois, à la lumière dela réalité judiciaire post-révolutionnaire qui méconnait plusieurs principes du procèséquitable, il est permis de soutenir, pour le moment et provisoirement, que ladimension vindicative de cette révolution semble avoir une préséance sur celle relativeà l’instauration d’un Etat de droit. La méconnaissance du droit à un délai raisonnable deprocédure en est un des signes les plus symptomatiques.

28 Le délai raisonnable est en effet un laps de temps qui s’écoule entre deux faits

instantanés : d’une part, l’arrestation, l’inculpation et l’ouverture des enquêtes

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préliminaires55 contre une personne (dies a quo), et d’autre part le jugement définitif decondamnation ou de relaxe (dies ad quem)56. « Gage d’une bonne justice, voire d’unebonne administration de la justice »57, le délai raisonnable a pour visée la célérité duprocès. Autrefois, la lenteur procédurale était considérée comme un gage qui « donne letemps de déjouer les calculs d’un adversaire trop habile et rassure la conscience dujuge »58.

29 Cependant, aujourd’hui, cette conception est devenue caduque. Pour emprunter les

mots du Professeur René Chapus, « juger bien, c’est d’abord (…) juger vite »59. Lacélérité du procès participe de l’équité du procès, car pour reprendre l’économie de cetadage anglais « justice delayed, justice denied ». Une justice équitable et saine doit solderdans un temps décent les instances qui lui sont soumises. Ceci permet, suivant l’opiniondes juges de Strasbourg, aux accusés de ne point demeurer « pendant un temps troplong sous le coup d’une accusation et qu’il soit décidé sur son bien-fondé »60.

30 Le droit au délai raisonnable de procédure vise tout particulièrement à éviter les cas de

privations arbitraires de liberté. Ces privations peuvent être multiformes : détention,restriction à la liberté d’aller et de venir… En plus de la Convention de Strasbourg, soncaractère de droit fondamental est confirmé par sa reconnaissance dans diversinstruments conventionnels : la Convention américaine des droits de l’homme (ci-aprèsCADH) en son article 7§5 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après Charte ADHP) en son article 7. §1.d. Son appréciation, de l’avis des juges africains,américains et européens, dépend des circonstances de chaque espèce. Ainsi, le jugeeuropéen, en l’affaire X c. France, précise : « Le caractère raisonnable de la durée d’uneprocédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critèresconsacrés par la jurisprudence de la Cour, notamment la complexité de l’affaire, lecomportement du requérant et celui des autorités compétentes (…) »61.

31 Dans la même logique, le juge américain, en l’affaire Genie Lacayo c. Nicaragua, estime

qu’il apprécie la durée d’un procès en prenant en compte : « (…) trois points (…) a) lacomplexité de l’affaire ; b) l’activité judiciaire du requérant ; et c) le comportement desautorités judiciaires de l’Etat mis en cause »62.

32 La position de l’organe africain de sauvegarde de la Charte ADHP n’est pas différente63.

Ainsi, le délai raisonnable permet au juge de statuer avec rapidité « tout en se laissantle temps nécessaire pour la réflexion »64.

33 Ces considérations indiquées, il incombe maintenant de préciser que la Tunisie est

partie à la Charte ADHP depuis le 22 avril 1983. Partant, les dispositions de cetinstrument international ont une portée juridique contraignante au sein de l’ordrejuridique tunisien. Ainsi, le droit au respect d’un délai raisonnable de procès s’imposeaux organes judiciaires de l’Etat tunisien. Toute méconnaissance pourrait engager saresponsabilité. En dépit de ces évidences, la justice de ce pays semble n’accorder qu’unintérêt relatif au délai raisonnable dans les procédures intentées contre les anciensfonctionnaires du régime bénaliste. La justice post-révolutionnaire tunisienne paraîtenrhumée du fait de son caractère parfois expéditif65. Au soutien de cet argument, ilsuffit de mentionner le cas le plus révélateur parmi plusieurs66.

34 Mohamed Ghariani, ancien secrétaire général du RCD, fut arrêté en 2011. Il lui est fait

grief d’avoir commis diverses infractions économiques dans le cadre de ses activitéspolitiques : détournement et extorsion de fonds, spoliations de biens… En juillet 2013, ilbénéficie d’une mesure de liberté provisoire assortie d’une interdiction de voyager etde s’afficher dans les lieux publics. Ainsi donc, cette mesure ne met pas fin à la

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procédure. En effet, aux termes de l’article 88 du Code de procédure pénal tunisien, ilest précisé que : « L’ordonnance de mise en liberté provisoire de l’inculpé n’empêchepas le juge d’instruction ou la juridiction saisie de décerner un nouveau mandat dedépôt si cette mesure est rendue nécessaire par le fait que l’inculpé, convoqué, necomparaît pas ou par suite de circonstances nouvelles et graves ».

35 Au regard de sa date d’arrestation et des griefs reprochés, il est possible de soutenir

que Mohamed Ghariani voit son droit à un délai raisonnable méconnu. Cetteméconnaissance emporte une violation de sa liberté de circulation. Partant, cettesituation ne parait guère se conformer au dictum de la Commission de Banjul qui, enl’espèce Constitutionnal Rights Project c. Nigeria, estimait : « (...) Le procès doit se faire leplus rapidement possible, afin de minimiser les effets néfastes sur la vie d’une personnequi, en fin de compte, peut être innocente »67.

36 En somme, le traitement des abus de l’ancien régime pré-révolutionnaire est complexe.

Entre amnésie et justice pénale, le choix est, bien souvent, cornélien. L’amnésie n’estguère pédagogique. Elle oublie les victimes et sanctifie les bourreaux. Par conséquent,la justice pénale semble s’imposer. Toutefois, elle ne doit point être un instrument devengeance au profit des révolutionnaires. Il devient dès lors capital de maintenir unéquilibre propice au respect des droits des damnés de la révolution, même si cetéquilibre paraît difficile à tenir. Certains faits révolutionnaires qui ont pu être observésen Tunisie voire en Lybie témoignent de ce que cet équilibre ne semble pas êtrerespecté. Dans ces deux États, on constate une justice défaillante et une justice devainqueurs discriminatoire. Pourtant, pour reprendre les mots de Mme Marina Eudes,dans ce genre de contexte révolutionnaire donc transitionnel, « c’est tout le droit desdroits de l’homme, notamment l’important principe de non discrimination, qui doitêtre pris en compte par les promoteurs de la justice transitionnelle s’ils veulentassumer la légitimité de celle-ci auprès des populations précisément privées de cesgaranties pendant plusieurs années »68.

37 La justice pénale, au vu de son application défectueuse dans un contexte post-

révolutionnaire, ne paraît donc pas constituer la voie idéale pour la construction d’unÉtat de droit post-révolutionnaire. La lustration, mécanisme non pénal, compte tenudes dévoiements auxquels donne lieu son application, doit également être écartée.Alors, comme s’interrogeait Lénine, « Que faire ? »69.

II. Les mécanismes de transition post-révolutionnairepropices au respect des droits de l’homme

38 La poursuite pénale, après un passé caractérisé par une violation des droits de

l’homme, ne constitue pas un impératif. Partant, la post-révolution ne doit pasconstituer une grande messe d’instances inquisitoriales aux fins de punir certainespersonnes identifiées. Le cas échéant, la construction d’un État de droit se fragiliseraitet rendrait difficile la réconciliation de la communauté nationale. Comme le soutenaitle Professeur argentin Carlos Nino, après la disparition d’un régime peu respectueuxdes valeurs humaines, la volonté de poursuivre pénalement certains individus pourviolation des droits de l’homme dépend de ce que veulent les nouvelles autorités. Ninosoutient, qu’au fond, tout est question de contexte70. Cette idée est également partagéepar Richard Goldstone. Le juge sud-africain écrit : « La poursuite pénale est la forme la

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plus commune de la justice. Cependant, ce type de poursuite n’est ni la seule forme dejustice ni forcément la mieux appropriée dans toutes les situations »71.

39 En considération du fait que la société post-révolutionnaire est généralement polarisée

entre les révolutionnaires victorieux et les contrerévolutionnaires, il importe donc deprivilégier la justice restauratrice (restorative justice) qui vise à favoriser laréconciliation, le respect des droits de l’homme de tous les protagonistes et la paix.Cette forme de justice prend sa source originellement dans les réflexions concernantl’amélioration de la justice punitive des États72. Elle prolonge la justice pénale73, favorisele pardon entre les auteurs des violations des droits de l’homme, les victimes et lacommunauté nationale74. Pour les Professeurs Stephanos Bibas et Richard Bierschbach,elle atténue le caractère « dogmatique » et figé de la justice traditionnelle qui n’offrepas l’opportunité aux auteurs des violations d’exprimer leurs regrets, leur contrition etleurs excuses75. Par conséquent, elle donne une plus grande satisfaction aux victimesque la justice punitive pénale76. Transposée dans le domaine de la justice transitionnellepost-révolutionnaire, elle peut « emprunter deux voies »77: celle des commissionsvérité (A) et celle relative aux mécanismes de réparation(B).

A. La voie des commissions vérité78

40 Les commissions vérité font référence à des organes autonomes d’investigation qui ont

pour fonction d’enquêter sur des violations passées des droits de l’homme dans un Étatdonné79. Ce type d’organe a été mis en place dans plusieurs États lors de leur phase detransition vers un régime démocratique. Ce fut le cas de l’Afrique du Sud, del’Allemagne, de l’Argentine, du Guatemala, de El Salvador voire du Rwanda80. Il s’agit,en l’espèce, d’organes de transition post-révolutionnaire. N’étant pas des organesjuridictionnels81, ils n’ont guère pour vocation de poursuivre pénalement des personnesen prononçant des sanctions pénales sur le fondement des infractions qui leur sontreprochées82. Le but précis des commissions vérité est double83.

41 D’une part, elles ont pour mission d’établir la vérité objective relative aux anciens abus.

Ceci permet à une nation de s’immuniser contre l’éventuelle répétition des mêmes abusdans le futur84. Pour le juge Charles Goldstone : « Ce qui est fondamental à toutes lesformes de justice est la connaissance de ce qui s’est passé que soit par le biais d’uneprocédure criminelle ou par celle d’une “Commission-Vérité”»85.

42 D’autre part, contribuant à la promotion de la réconciliation 86 des peuples, les

commissions-vérités visent à faciliter la réintégration, dans les communautésnationales, des personnes ostracisées parce que soupçonnées de collaboration avecl’ancien régime déchu. Car, tout bien considéré, la période post-révolutionnairetransitionnelle doit chercher l’apaisement et la réinsertion des collaborateurs del’ancien régime. Le choix contraire comporte des risques étant entendu qu’il conduit àl’exclusion absolue de certaines personnes. Un tel choix peut conduire à une forteréaction contrerévolutionnaire voire à la naissance d’un conflit armé87.

43 Convaincue de ces avantages, l’Assemblée nationale constituante tunisienne, pour

reprendre le cas de cet État, a adopté, en date du 12 décembre 2013, la quasi-totalité desdispositions du projet de loi portant création d’une commission vérité baptisée« Instance de la vérité et de la dignité » (ci-après Instance). En vertu de l’article 18 duditprojet de loi, cette Instance, qui jouit « d’une autonomie financière et administrative »,dispose d’une compétence rationae temporis comprise entre le 1er janvier 1955 et la date

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de parution officielle de la loi au Journal officiel de la République Tunisienne (ci-aprèsJORT)88. Le législateur tunisien a délimité, en l’article 19 du projet de loi, à quatre ans lemandat de l’Instance. Toutefois, ce mandat peut être reconduit pour une annéesupplémentaire sur le fondement d’une décision justifiée de l’Instance qui sera soumiseau Parlement89. En outre, aux termes de l’article 41 du projet de loi, est portée à chargede l’Instance l’obligation d’accomplir les missions suivantes : « Accéder aux archivespubliques et privées ; enquêter au sujet de toutes les infractions tombant sous le coupde la présente loi, et cela par tous les moyens et mécanismes qu’elle juge nécessairestout en garantissant les droits de la défense ; auditionner les victimes d’infractions etréceptionner leurs plaintes ; enquêter sur les cas de disparition forcée restés sans suite,sur le foi des communiqués et des plaintes qui lui seront présentés ; et déterminer lecas des victimes ; délimiter les responsabilités90 des organes de l’État ou de toutesautres parties, dans les infractions tombant sous le coup (…) de la loi ; en clarifier lescauses et proposer des remèdes propres à prévenir la réédition de ces infractions, dansl’avenir, collecter des données, repérer, recenser, confirmer et archiver les infractions,en vue de constituer une base de données ».

44 Dans le but d’accorder une réparation aux victimes, il est mis en place un « Fonds de

dignité et de réhabilitation des victimes de l’oppression ». A la fin de sa mission,l’Instance, suivant l’économie de l’article 45 du projet de loi adopté, émettra : « Lesrecommandations et suggestions qu’elle juge appropriées en matière de réformespolitiques, administratives, économiques, sécuritaires, judiciaires, médiatiques,éducationnelles et de dépoussiérage administratif et autre, en vue de prévenir touteréédition de la répression, de la tyrannie, de la violation des droits de l’homme et de lagestion malsaine des fonds publics ; les mesures qui peuvent être prises à l’effet defavoriser la réconciliation nationale et de protéger les droits des individus et toutparticulièrement les droits de la femme et de l’enfant ; les recommandations,suggestions et mesures destinées à consolider l’édification démocratique et à concourirà la construction de l’État de droit ».

45 Certes, souvent, la mise en place des commissions vérité répond à un souci de

légitimation d’un nouveau régime. Dans ces cas, elles sont appréhendées par lesnouveaux acteurs non pas comme une fin en soi, mais comme un simple moyen en vued’atteindre des objectifs politiques bien définis. Toutefois, en l’espèce, par la mise enplace de l’Instance, la Tunisie se donne une chance de réussir sa révolution. L’Instancedoit, en effet, avoir une préséance sur les procédures inquisitoriales dont le relentvindicatif ne peut être considéré comme optimal pour la construction d’un État de droitpost-révolutionnaire respectueux des droits de l’homme. Il est d’ailleurs ici possible des’appuyer sur le cas lybien. Cet État, nonobstant sa révolution, vit une situationdéfavorable au respect des droits de l’homme91. Ayant voué aux gémonies les ancienscollaborateurs du régime déchu, la post-révolution lybienne a accordé une placeexorbitante aux acteurs de la révolution en faisant d’eux les seules forces de la vie de lanation. Or, ce déséquilibre est préjudiciable à la mise en place de ce que Montesquieuappelait un régime vertueux, et risque de favoriser l’échec de la révolution lybienne. Ilimporterait donc que la Lybie minimise la place de la justice punitive dans le traitementdes abus du régime de Kadhafi par la mise en place d’une justice restauratrice. Cettedernière doit être privilégiée d’autant plus qu’elle facilite le dialogue entre lesbourreaux et les victimes. Qui plus est, elle accorde une plus grande importance auxvictimes par la reconnaissance, dans leur chef, de divers mécanismes de réparations.

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B. La voie des mécanismes de réparation

46 Reconnue par plusieurs instruments conventionnels 92, « la réparation a pour but de

rendre justice aux victimes »93. Il s’agit d’ « un droit revenant aux victimes des violationsflagrantes des droits de l’homme et des violations graves du droit internationalhumanitaire »94. Suivant le Professeur Catherine Kessedjian, la réparation « fait partieintégrante d’une certaine conception de la justice reconstructive, symbolisation de lapaix en ce qu’elle permet à l’auteur du crime d’exprimer une volonté de réparer et à lavictime une acceptation de la réparation »95.

47 Il s’agit d’un mécanisme au bénéfice des victimes reconnu par les droits positifs de la

quasi-totalité des États à travers le régime de la responsabilité civile96. En droitinternational, il trouve son fondement justificatif dans le régime de la responsabilitédes États. Ainsi, réaffirmant ce que le Professeur Paul Reuter nommait « l’unité de lathéorie de la responsabilité (acte illicite- imputation à un sujet de droit international-dommage- réparation) »97, les juges de l’ancienne Cour Permanente de JusticeInternationale (ci-après CPJI), en l’affaire Usine de Chorzów, précisent : « C’est unprincipe de droit international que la violation d’un engagement entraîne l’obligationde réparer dans une forme adéquate. La réparation est donc le complémentindispensable à l’application d’une convention, sans qu’il soit nécessaire que cela soitinscrit dans la convention elle-même »98.

48 A la lumière de ce dictum, il est rappelé que toute violation du droit international

emporte à la charge de l’État présumé responsable le devoir de réparer99. Plusprécisément, à la faveur du mécanisme d’imputabilité, « l’obligation de l’Étatresponsable de réparer intégralement concerne le “préjudice causé par [un] faitinternationalement illicite” »100. Ce préjudice peut avoir une dimension à la foismatérielle et morale. La CPJI, se prononçant sur le fond de l’espèce Usine de Chorzów, aeu à donner de plus amples détails : « Le principe essentiel, qui découle de la notionmême d’acte illicite et qui semble se dégager de la pratique internationale (…) est que laréparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite etrétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis.Restitution en nature, ou si elle n’est pas possible, paiement d’une sommecorrespondant à la valeur qu’aurait la restitution en nature ; allocation, s’il y a lieu, desdommages-intérêts pour les pertes subies et qui ne seraient pas couvertes par larestitution en nature ou le paiement qui en prend place (…) »101.

49 Somme toute, la réparation a pour objet de « mettre la victime du fait illicite dans la

situation qui serait la sienne si ce fait n’avait pas eu lieu »102. Quant à sa mise en œuvre,elle peut prendre différentes formes. Le Professeur James Crawford, rapporteur spécialde la Commission du droit international (ci-après CDI) sur la responsabilité de l’Étatpour fait internationalement illicite, dans son rapport finalisé en 2001, estime, enprenant en compte l’opinion de la CPJI en l’affaire Usine de Chorzów, que la réparationpeut être mise en œuvre à travers la restituo in integrum (la restitution), l’indemnisation,la satisfaction103.

50 Au-delà des relations interétatiques, ces formes de réparation ont été adoptées par le

droit international des droits de l’homme. Aux fins d’octroi des réparations dans cettebranche de droit, il importe, au préalable, de déterminer la « victime » voire « lapotentielle victime »104. Pour le Professeur Cherif Bassiouni : « “La victime” est une

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personne qui, par suite d’actes ou d’omissions constituant une violation des normes dudroit international humanitaire ou des droits de l’homme, a subi, individuellement oucollectivement, un préjudice, notamment une atteinte à ses droits fondamentaux. “Unevictime” peut être également une personne à la charge ou un membre de la familleproche ou du ménage de la victime directe ou une personne qui, en intervenant pourvenir en aide à une victime ou empêcher que se produisent d’autres violations, a subiun préjudice physique, mental ou matériel »105.

51 Par conséquent, les réparations prennent en compte les victimes directes et indirectes.

Elles ont pour objet de faire disparaître les effets que la violation des droits emporte audétriment de l’individu106. Aux formes de réparation établies par la CDI, le corpus desdroits de l’homme en rajoute d’autres. Les juges de San José de la Conventionaméricaine des droits de l’homme estiment: « La réparation est un terme générique quicomprend différentes formes par lesquelles un État peut faire à sa responsabilitéinternationale. Ces formes incluent : la restitutio in integrum, l’indemnisation, lasatisfaction, les garanties de non répétition »107 voire la réhabilitation.

52 Dans une période post-révolutionnaire, le mécanisme des réparations doit répondre

aux besoins et aux souhaits des victimes108. Ce faisant, il permet de placer les victimesau centre du processus de construction d’un État de droit, car la peine classique nesatisfait pas la victime en raison son caractère inadapté109. Au regard de ce fait, lajustice restauratrice, grâce aux processus de réparation (restitution, indemnisation),contribue à l’apaisement de la communauté nationale, et favorise, ainsi, la mise enplace d’une société réconciliée avec elle-même.

53 En définitive, il importe de retenir deux idées essentielles de cette brève analyse. En

premier lieu, la réponse judiciaire voire pénale ne constitue pas la meilleure réponsedans le traitement des abus des anciens régimes prérévolutionnaires. Bien souvent,quoique animés par de bons sentiments, les acteurs de l’ère post-révolutionnairecommettent des abus qui menacent l’intégrité des droits de l’homme. Ce faisant, laconstruction d’un État de droit devient plus difficile. En deuxième lieu, bien queconscient de son caractère iconoclaste, la voie de la justice restauratrice a été suggéréeen vue de pallier les défectuosités de la voie pénale. Cette forme de justice, à travers lesmécanismes des commissions vérité et des réparations, est plus susceptible de faciliterla construction d’un État de droit respectueux des droits de l’homme après unerévolution.

NOTES

1. HATTO Arthur, « ”Revolution”: An Enquiry into the Usefulness of an Historical Term », Mind,

1949, vol. 58, n°232, pp. 495-517, p. 500.

2. PERELMAN Chaïm, Logique juridique, Paris, Dalloz, 1999, pp. 55-56 ; CHAMPEIL-DESPLATS Véronique,

Méthodologies du droit et des sciences du droit, Paris, Dalloz, 2014, pp. 363-365.

3. STAHN Castern, « Just Post Bellum: Mapping The Disciplines », American University International

Law Review, 2008, vol. 23, n° 2, pp. 311-347, p. 312 ; OSTERDAHL Inger, VAN ZADEL Esther, « What Will

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Jus Post Bellum Mean? Of New Line and Old Bottles », Journal of Conflict and Security Law, 2009, vol.

14, n° 2, pp. 175-207, p. 176.

4. NEUMANN Sigmund, « The International Civil War », World politics, 1949, vol. 1, n° 3, pp. 333-350,

pp. 335 et 336.

5. VAN INWEGEN Patrick, Understanding Revolution , Londres, Lynne Rienner, 2011, p. 4; STONE

Lawrence, « Theories of revolution », World Politics, 1966, vol. 18, n° 2, p. 159, pp. 159-176, p. 159.

Nous soulignons.

6. SANDERSON Stephen K., Revolutions. A Worldwide Introduction to Social and Political Contention, 2e

édition, Londres, Paradigm Publishers, 2010, p. 201.

7. MOMTAZ Djamchid, « Le droit international humanitaire applicable aux conflits armés non

internationaux », RCADI 2001, t. 292, pp. 21-139, p. 21.

8. Nous soulignons.

9. MOORE Wilbert E., Social Change, New Jersey, Prentice-Hall, 1963, p. 82.

10. COHAN Al S., Theories of Revolution. An Introduction, Londres, Nelson, 1975, p.13.

11. Nous soulignons.

12. THEDA Skocpol, States and Social Revolutions. A Comparative Analysis of France, Russia and China,

Cambridge, Cambridge University Press, 1979, p. 4.

13. GARNER Bryan, Garner’s Dictionary of Legal Use, 3e édition, Oxford, Oxford University Press, 2011.

14. HUNGTINGTON Samuel, Political Order in Changes Societies, New Haven, Yale University Press,

1968, p. 264.

15. .Nous soulignons. Le même auteur soutient, à bon droit, que le changement, le transfert de

pouvoir constitue la caractéristique majeure qui différencie la violence révolutionnaire des

autres formes de violence. Voy. CALVERT Peter, A Study of Revolution, Oxford, Clarendon Press, 1970,

p. 29.

16. Nous soulignons.

17. CALVERT Peter, Terrorism, Civil War and Revolution. Revolution and International Politics, New York,

Continuum, 2010, pp.12-13; Voy.également MUESEL Alfred « Revolution and Counter-Revolution »,

Encyclopedia of the Social Science, 1934, vol. 13, pp.367-376, p.367. Cet auteur estime à la page citée

que: « (…) The ideas of revolution and violence appeared to be so closely connected ».

Voy.CHALMERS Johnson, Revolution and the Social System, San Francisco, Hoover Institution Studies,

1964, p. 6.; Voy. YODER Dale, « Current Definition of Revolutions », American Journal of Sociology,

1926, vol. 32, n° 3, pp. 433-441, p. 437.

18. CORNU Gérard, dir., Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2007, p. 833.

19. La révolution mexicaine a été écartée, car une partie de la doctrine conteste le caractère

révolutionnaire des évènements de 1910 et 1911. Voy. GOLDSTONE Jack A., « Theories of Revolution:

The Third Generation », World Politics, 1980, vol. 32, n° 3, pp. 425-453, p. 450. Pour une opinion

contraire, voy.DUNN John, Modern Revolutions. An Introduction to the Analysis of a Political

Phenomenon, Cambridge, Cambridge University Press, 1972, pp. 48-69.

20. TANTER Raymond, MIDLARSKY Manus, «A Theory of Revolution », Journal of Conflict Resolution,

1967, vol. 11, n° 3, pp. 264-280, p. 265.

21. Terme marxiste désignant le sous-prolétariat, classe plus pauvre inférieure à la classe des

prolétaires.

22. Condorcet cité par ARENDT Hannah, Essai sur la révolution, Paris, Gallimard, 1967, p. 37.

23. BERNARD Brest, Libération de l’homme : essai sur le renouveau des valeurs monastiques, Paris, Desclée

de Brouwer, 1969.

24. BRINTON Crane, The Anatomy of Revolution, 3e édition, New York, Vintage Books, 1965, p. 237.

25. HORNBLOWER Simon, SPAWFORTH Anthony, EIDINOW Esther (dir.), The Oxford Classical Dictionary, 4e

édition, 2012.

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26. ROMAIN David, « Lustration Laws in Action: The Motives and Evaluation of Lustration Policy in

the Czech Republic and Poland (1989-2001) », Law and Social Inquiry, 2003, vol. 28, n° 2, pp.

387-431, p. 390.

27. ROMAIN David, Lustration and Transitional Justice, Philadelphie, University of Pennsylvania Press,

2011, p. 66. Il faut préciser que c’est en privilégiant cette dimension de la « lustration »que

certains auteurs utilisent le terme « vetting » dont la traduction française donne « vérification ».

Dans le cadre de cet article, le terme « lustration » sera privilégié.

28. MALENOVSKY Jiri, « Les lois de “lustration” en Europe centrale et orientale : une mission

impossible ?», Revue Québécoise de Droit International, 2000, vol. 13, n° 1, pp.187-218, p.189.

29. GASH Timothy Garton, History of the Present. Essays, Sketches and Despacthes from Europe in the

1990’s, Londres, Penguin Press, 1999, pp. 304- 314.

30. STAN Lavinia, Transitional Justice in Post-Communist Romania, Cambridge, Cambridge University

Press, 2013, p. 85.

31. ELSTER John, Closing the books. Transitional Justice in Historical Perspective, Cambridge, Cambridge

University Press, 2004, p. 69.

32. NALEPA Monika, « Lustration as Trust-Building Mechanism? Transitional Justice in Poland », in

POPOVSKI Vesselin, SERRANO Monica, dir., After Oppression. Transitional Justice in Latin America and

Eastern Europe, New York, United Nations University Press, 2012, pp. 333-360, pp. 337 et 338.

33. Conseil de l’Europe, Rés.1096, 27 juin 1996, §12. Texte relatif aux mesures de démantèlement

de l'héritage des anciens régimes totalitaires communistes.

34. LABER Jeri, « Witch Hunt in Prague », in The New York Review of Books, vol. 39, n° 8, 23 avril 1992.

35. ELLIS Mark S., « Purging the Past: The Current State of Lustration Laws in the Former

Communist Bloc », Law and Contemporary Problems, 1996, vol. 59, n° 4, pp. 181-196, p. 182; voy.

également US Department of States, The Czech Republic Country Report on Human Rights Practices for

1996, 30 janvier 1997, §22.

36. CEDH, Zablocki c. Pologne, n° 10104/08, 31 mai 2011, §33; CEDH, Rasmussen c. Pologne, n° 38886/05,

28 avril 2009, §50, CEDH, Matyjek c.Pologne, n°38184/03, 24 avril 2007, §62; CEDH, Turek c. Slovaquie, n°

57986/00, 14 février 2006, §115.

37. CEDH, Sidabras et Dziautas c. Lituanie, n° 55480/00 et 59330/00, 27 juillet 2004.

38. CEDH, Rasmussen c. Pologne, n° 38886/05, 28 avril 2009 ; CEDH, Zablocki c. Pologne, n° 10104/08, 31

mai 2011 ; CEDH, Matyjek c.Pologne, n° 38184/03, 24 avril 2007; CEDH, Turek c. Slovaquie, n° 57986/00,

14 février 2006.

39. CEDH, Sidabras et Dziautas c. Lituanie, n° 55480/00 et 59330/00, 27 juillet 2004.

40. Nous soulignons.

41. Tribunal constitutionnel de la Pologne, Lustration, n° K2/07, 11 mai 2007.

42. Faute d’accès à la loi elle-même, voy. le compte rendu de la Documentation Française. http://

www.ladocumentationfrancaise.fr/chronologies/libye-le-parlement-adopte-une-loi-sur-l-exclusion-

politique-des-anciens-collaborateurs-du-regime (dernière consultation en date du 16 janvier 2014).

43. Art.2 : droit à la non discrimination ; Art.3 : égalité devant la loi, Art.13 : droit à la

participation à la vie publique.

44. Art.16 : droit à la reconnaissance de la personnalité juridique, Art.25 : droit de voter et d’être

élu au suffrage universel, Art.26 : droit à l’égalité devant la loi.

45. Voy .http://www.hrw.org/fr/news/2012/10/13/tunisie-le-projet-de-loi-d-exclusion-politique-ouvre-la-

porte-aux-abus (dernière consultation en date du 16 janvier 2014).

46. HCDH, Rule of Law for Post-Conflict States. Vetting: An Operational Framework, Genève, 2006, p. 4.

47. STAN Lavinia, « Witch-Hunt or Moral Rebirth? Romanian Parliamentary Debates on

Lustration », East European Politics and Societies, 2011, vol. 20, n° 10, pp.1-18, p.10.

48. CEDH, Glasenapp c. Allemagne, n°9228/80, 28 août 1986, opinion partiellement dissidente du juge

M. SPIELMANN, §35.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

81

Page 83: La Revue des droits de l’homme, 6

49. GUENIFFEY Patrice, La politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire 1789-1794, Paris,

Fayard, 2000, p. 14,

50. JEAN-CLÉMENT Martin, La terreur. Part maudite de la Révolution, Paris, Gallimard, 2010.

51. FAYARD Jean-François, La justice révolutionnaire. Chronique de la Terreur, Paris, Robert Laffont,

1987, p .47; Voy. également CASTELNAU Jacques, Le Tribunal révolutionnaire (1792-1795), Paris, Sfelt,

1950.

52. LAUCHLAN Iain, « Checkist Mentalité and the Origins of the Great Terror », in HARRIS James

(dir.),The Anatomy of Terror. Political Violence under Stalin, Oxford, Oxford University Press, 2013,

pp. 13-28.

53. SAYAH Jamil, La révolution tunisienne : la part du droit, Paris, L’Harmattan, 2013, pp. 34-35.

54. Le Monde, « Le long chemin de la Tunisie pour sa Constitution », 70e année, n° 21469, 27

janvier 2014, p. 2

55. CEDH, Eckle c.Allemagne, n° 8130/78, 15 juillet 1982, §73.

56. VAN DIJK Pieter, VAN HOOF Fried, VAN RIJN Arjen, ZWAAK Leo, Theory and Practice of the European

Convention on Human Rights, 4e édition, Oxford, Intersentia, 2006, pp.603-605.

57. ABIKHZER Franck, « Le délai raisonnable dans le contentieux administratif : un fruit parvenu à

maturité ? », AJDA, n° 18, 2005, pp. 983-992., p. 984.

58. GUINCHARD Serge, dir., Droit processuel. Droit commun et droit comparé du procès équitable, 4e

édition, Paris, Dalloz, 2007, p.1064.

59. CHAPUS René, Rapport de synthèse, in Trentième anniversaire des tribunaux administratifs, Paris,

CNRS, 1986, p. 341.

60. CEDH, Wemhoff c.Allemagne, n° 2122/64, 27 juin 1968, §18.

61. CEDH , X. c.France, n° 18020/91, 31 mars 1992, §32.

62. Cour IDH , Fond, Genie Lacayo c.Nicaragua, 29 janvier 1997, Série C n° 30, §77.

63. SOLANGE Ngono, « Commentaire de l’article 7§1 », in KAMTO Maurice, dir., La Charte africaine des

droits de l’homme et des peuples et le protocole y relatif portant création de la Cour africaine des droits de

l’homme. Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2011, pp.178-191, p.189.

64. MOZOL Patrick, « Le contentieux administratif français face aux exigences du droit à être jugé

dans un délai raisonnable », RRJ, 2004, n° 2, pp. 1015-1038, p. 1016.

65. DOT-POUILLARD Nicolas, Tunisie : la révolution et ses passés, Paris, L’Harmattan, 2013, pp. 54-55.

66. Voy. le cas de Abderrahim Zouari, ancien secrétaire général du RCD (1999-2000), mis en

liberté provisoire ; Voy. le cas de Abdelaziz Ben Diah, ancien ministre sous Ben Ali, en détention

depuis le 12 mars 2013 ; Voy. le cas de l’ancien diplomate Kamel Morjane mis en liberté

provisoire.

67. Commission ADHP, Constitutionnal Rights Project c. Nigeria (II), n° 153/96, 1999, §19.

68. EUDES Marina, « La justice transitionnelle », in ASCENCIO Hervé, DECAUX Emmanuel, PELLET Alain,

Droit international pénal, 2e édition, Paris, Pedone, 2012, pp. 593-601, p. 596.

69. LENINE, Que faire ?, Paris, Librairie de l’Humanité, 1925, 206p.

70. NINO Carlos S., « The Duty to Punish Past Abuses of Human Rights Put into Context: The Case of

Argentina », Yale Law Journal, 1991, vol. 100, n° 8, pp. 2619-2640, pp. 2619 et 2620.

71. GOLDSTONE Richard, « Justice as a Tool for Peace-Making: Truth Commissions and International

Criminal Tribunals », New York University Journal of International Law and Politics, vol. 28, n° 3, pp.

485-503, p. 491.

72. Voy. CARIO Robert, La justice restaurative: principes et promesses, Paris, L’Harmattan, 2010.

73. MEIR Bernd-Dieter, « Restorative Justice- A New Paradigm in Criminal Law? », European Journal

of Crime, Criminal Law and Criminal Justice, 1998, vol. 6, n° 2, pp. 125-139, p. 130.

74. AUKERMAN Miriam J. , « Extraordinary Evil, Ordinary Crime: A Framework for Understanding

Transitional Justice », Harvard Human Rights Journal, 2002, vol. 15, pp. 39-97, p. 77.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

82

Page 84: La Revue des droits de l’homme, 6

75. BIBAS Stephanos, BIERSCHBACH Richard A., « Integrating Remorse and Apology into Criminal

Procedure », Yale Law Journal, 2004, vol. 114, n° 1, pp. 85-148, p. 90.

76. SANDERS Lucy Clark, « Restorative Justice: The Attempt to Rehabilitate Criminal Offenders and

Victims », Charleston Law Review, 2008, vol .2, n° 4, pp.923-940, p.929.

77. EUDES Marina, « La justice transitionnelle », in ASCENCIO Hervé, DECAUX Emmanuel, PELLET Alain,

op.cit., p. 598.

78. Nous nous inspirons de l’ouvrage de M. GUEMATCHA Emmanuel, Les commissions vérité et les

violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire, Paris, Pedone, 2014.

79. BAKER Judity, « Truth Commissions », University of Toronto Law Journal, 2001, vol.51, pp. 309-326,

p. 309.

80. HAYNER Priscilla B., « Fifteen Truth Commissions 1974 to 1994: A Comparative Study », Human

Rights Quarterly, 1994, vol. 16, n° 4, pp. 597-655.

81. HENDY Daniel J., « Is a Truth Commission the Solution to Restoring Peace in Post-Conflict

Iraq?», Ohio State Journal on Dispute Resolution, 2005, vol. 20, n° 2, pp. 527-562, p. 535.

82. ENSALACO Mark, « Truth Commissions for Chile and El Salvador: A Report and Assessment »,

Human Rights Quarterly, 1994, vol. 16, n° 4, pp. 656-675, p. 658.

83. STAHN Carsten, « Accommodating Individual Criminal Responsibility and National

Reconciliation: The UN Truth Commission for East Timor », American Journal of International Law,

2001, vol. 95, n° 4, pp. 952-966, p. 953.

84. TOMUSCHAT Christian, « Clarification Commission in Guatemala », Human Rights Quarterly, 2001,

vol.23, n°2, pp. 233-258, p. 23.; HAYNER Priscilla B, « Fifteen truth Commissions 1974 to 1994: A

Comparative Study », Human Rights Quarterly, 1994, vol. 16, n° 4, pp. 597-655, p. 607 ; WESTON Rose,

« Facing the Past, Facing the Future: Applying the Truth Commission Model to the Historic

Treatment of Native Americans in the United States », Arizona Journal of International and

Comparative Law, 2001, vol. 18, n° 3, pp. 1017-1058, p. 1019.

85. Charles GOLDSTONE cité par KAMALI Maryam, « Accountability for Human Rights Violations: A

Comparison of Transitional Justice in East Germany and South Africa », Columbia Journal of

Transnational Law, 2001, vol. 40, pp. 89-141, p. 126.

86. BUERGENTHAL Thomas, « The United Nations Truth Commission for El Salvador », Vanderbilt

Journal of Transnational Law, 1994, vol. 27, n°3, pp. 498-544, p. 500.

87. VILLA-VICENCIO Charles, « Why Perpetrators should not always be prosecuted: Where the

International Criminal Court and Truth Commissions meet », Emory Law Review, 2000, vol. 40, pp.

205-222, p. 209.

88. En dépit de nos recherches, nous n’avons pas pu vérifier la date exacte de parution de la loi

au JORT.

89. Sur ce point, force est de constater qu’une confusion existe. Le Parlement aura-t-il,quant au pouvoir de reconduction du mandat de l’Instance qui lui a été confié, unecompétence liée subordonnée à l’avis favorable de ladite Instance ?

90. Il est évident qu’il ne s’agit pas de responsabilité pénale, puisque l’Instance ne constitue pas

une juridiction au sens de juris dictio.

91. Voy. la déclaration de Human Rights Watch à la suite de sa visite fin janvier en Lybie. Cette

ONG affirme, en parlant des procédures judiciaires pendantes concernant plusieurs piliers de

l’ancien régime, « Leur procès n’aura plus de crédibilité qu’un tribunal de pacotille si les

autorités ne leur accordent pas le droit fondamental à des procédures régulières ». Jeune

Afrique,n° 2771, 11-16 février 2014, p. 16.

92. Voy. notamment art.8 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ; art.2 du Pacte

International relatif aux Droits Civils et Politiques; art.6 de la Convention internationale sur

l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ; art.11 de la Convention contre la

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torture et autres peines ou traitements cruels inhumains et dégradants; art.5 de la CEDH ; art.63

de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.

93. DE GRIEFF Pablo, « Justice and Reparations », in DE GRIEFF Pablo, dir. The Handbook of Reparations,

Oxford, Oxford University Press, 2006,p. 454.

94. D’ARGENT Pierre, « Le droit de la responsabilité internationale complété? Examen des Principes

fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes des

violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit

international humanitaires », AFDI, 2005, vol. 51, pp. 27-55, p. 40.

95. KESSEDJIAN Catherine, « La réparation des crimes de l’Histoire vue sous l’angle du droit

international privé », in BOISSON DE CHARZOURNES Laurence, QUEGUINIER Jean-François, VILLALPANDO

Santiago, Crimes de l’Histoire et réparations : les réponses du droit et de la justice, Bruxelles, Bruylant,

2004, pp. 85-96, pp. 85 et 86.

96. Voy. par exemple l’article 1382 du Code civil français qui dispose : « Tout fait quelconque de

l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le

réparer.

97. REUTER Paul, « Principes de droit international public », RCADI 1961, t. 103, pp. 431-652, p. 585.

98. CPJI, Affaire relative à l’usine de Chorzów(Compétence), Série A, n° 9, 26 juillet 1927, p.21.

99. SHELTON Dinah, « Righting Wrongs: Reparations in the Articles on State Responsibility »,

American Journal of International Law, 2002, vol. 96, n° 4, pp. 833-856, p. 835.

100. CRAWFORD James, Les articles de la C.D.I sur la responsabilité de l’État. Introduction, texte et

commentaires, Paris, Pedone, 2003, p. 243.

101. CPJI, Fond, Affaire relative à l’usine de Chorzów (Fond), Série A, n°17, 13 septembre 1928, p. 47.

102. D’ ARGENT Pierre, Les réparations de guerre en droit international public. La responsabilité

internationale des États à l’épreuve de la guerre, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 666.

103. Voy. Rapport de la CDI, 23 avril-1er juin et 2 juillet -10 août 2001, Rés.A/56/10, p. 253. La CIJ le

rappelle avec force dans son avis consultatif Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le

territoire palestinien occupé en date du 9 juillet 2004. Après avoir conclu que la construction du mur

en Palestine était illicite, et emportait une série de violation du droit international des droits de

l’homme et du droit international humanitaire, se prononçant sur l’obligation de réparation

conséquence sur le chef d’Israël, la Cour affirme: « Israël aurait(..) l’obligation juridique de

réparer les dommages occasionnés par son comportement illicite. Cette réparation devrait tout

d’abord prendre la forme d’une restitution, à savoir la démolition des portions du mur

construites dans le territoire palestinien occupé et l’annulation des actes juridiques liés à

l’édification du mur, ainsi que la restitution des bien réquisitionnés ou expropriés aux fins de

celle-ci ; la réparation devrait également consister en une indemnisation appropriée des

personnes dont les habitations ou exploitations agricoles ont été détruites » p. 64.

104. Voy.TRINDADE CANÇADO A. A., The Access of Individual to International Justice, Oxford, Oxford

University Press, 2011, pp. 127-131. Voy. la définition de la notion de « potentielle victime »

donnée par un passage de l’arrêt Klass et autres c.Allemagne en date du 6 septembre 1978 : «(…) En

principe, il ne suffit pas à un individu requérant de soutenir qu’une loi viole par sa simple

existence les droits dont il jouit aux termes de la Convention; elle doit avoir été appliquée à son

détriment. Néanmoins, ainsi que l’ont souligné Gouvernement et Commission, elle peut violer par

elle-même les droits d’un individu s’il en subit directement les effets, en l’absence de mesure

spécifique d’exécution », §33.

105. Rapport final du Rapporteur spécial, M. Cherif Bassiouni, sur le droit à la restitution et

réadaptation des victimes de violation flagrantes des droits de l’homme et des libertés

fondamentales, 18 janvier 2000, E/CN.4/2000/62., 13p., p.8. Voy. aussi la Rés.A/RES/60/147 de l’AG

des Nations Unies en date du 16 décembre 2005. Ce texte définit les « victimes » comme « les

personnes qui individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une

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atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, ou une perte matérielle ou

une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions constituant les

violations flagrantes du droit international des droits de l’homme ou des violations graves du

droit international humanitaire ».§8.

106. Cour IDH, Réparations, Blake c. Guatemala, 22 janvier 1999, Série C n° 48, §34.

107. Cour IDH, Réparations, Suarez Rosero c.Equateur, 20 janvier 1999, Série C n° 44, §41.

108. Netherlands Quarterly of Human Rights, « Reparations for Victims of Gross Violations of Human

Rights », 1994, vol. 12, n° 1, pp. 93-98, p. 96.

109. KESSEDJIAN Catherine, « La réparation des crimes de l’Histoire vue sous l’angle du droit

international privé », in BOISSON DE CHARZOURNES Laurence, QUEGUINIER Jean-François, VILLALPANDO

Santiago, op.cit., p .86.

ABSTRACTS

Revolution leads to systemic social, economic and political changes as well as the emersion of a

new paradigm in the field of Law. Indeed, through the revolutionary fact, actors aim at building a

new Rule of Law in order to respect human rights. In order to achieve that goal, rounding off the

past abuses, they can use two mechanisms: the lustration and the criminal justice. In se, these

mechanisms are not questioned. Nevertheless, in a revolutionary context, their implementation

can lead to a situation of human rights violation. Consequently, it is important to adopt an

alternative method: restorative justice. This kind of justice, thanks to the truth commission and

mechanisms of reparations, is supposed to facilitate the reconstruction of a peaceful

postrevolutionary state in which human rights are respected.

La révolution conduit à un changement systémique dans le domaine social, économique,

politique. Ce changement concerne, également, le Droit. En effet, les acteurs de la révolution

veulent, par le truchement du fait révolutionnaire, construire une nouvelle société respectueuse

de l’État de droit et des droits de l’homme. A l’effet d’y parvenir, en soldant les abus du passé,

deux voies sont, bien souvent, privilégiées : la lustration et la justice punitive. In se, ces deux

méthodes n’emportent aucune contestation. Toutefois, confrontées à la pratique, elles

conduisent à la violation des droits de l’homme. Aux fins d’y remédier, une voie alternative est

suggérée : la justice restauratrice. Cette forme de justice, à la faveur des commissions vérité et

des mécanismes de réparations, tend à faciliter la construction d’un État post-révolutionnaire

pacifique et respectueux des droits de l’homme.

INDEX

Mots-clés: Révolution - État de droit- Droits de l’homme- Justice punitive- Lustration- Procès

équitable, Délai raisonnable-Justice restauratrice- commissions Vérité- Réparations

Keywords: Revolution- Rule of Law- Human rights- Criminal justice- Lustration- Fair trial-

Reasonable period of time in the trial- Restorative justice-Truth commission- Reparations

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AUTHOR

MAMADOU MEITÉ

Mamadou Meité est ATER en Droit public à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense

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Page 88: La Revue des droits de l’homme, 6

Dossier thématique : Révolutions et droits de l’Homme (II). Aspectspolitiques : le cas des révolutions arabes et moyen-orientales

II. Monographie et comparaisons

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Les droits de l’homme dans laconstitution marocaine de 2011:débats autour de certains droits etlibertésOmar Bendourou

1 L’avènement de la constitution du 29 juillet 2011 qui se situe dans le sillage du

printemps arabe peut paraître révolutionnaire si l’on se limite à une lecture partielledu texte. On constate d’une part la proclamation d’une longue liste des droits et leslibertés et d’autre part l’engagement de l’Etat à les garantir. La Constitution paraît enoutre répondre aux revendications du Mouvement du 20 février et des associations dedéfense des droits de l’homme, qui demandaient le renforcement et la protection desdroits humains, l’établissement de la monarchie parlementaire, la fin de l’impunité, lareddition des comptes, etc. La constitution semble en somme faire la synthèse dedifférentes revendications de la société civile et des partis politiques. Mais, ce qui estfrappant dans le domaine des libertés, c’est la contradiction entre la proclamation desdroits et les restrictions qui les accompagnent à tel point que leur exercice paraîtentièrement compromis.

2 Dans cette étude, nous estimons plus judicieux de dresser, dans un premier temps, un

bref état des lieux des droits de l’homme au Maroc avant l’adoption de la constitutionde 2011 (I), pour analyser, dans un deuxième temps les innovations de la constitutionde 2011 (II) et, enfin, leur traduction sur le terrain (III).

I. Les droits de l’homme avant l’adoption de laconstitution de 2011

3 Le respect des droits de l’homme s’est toujours posé avec acuité dans le régime

politique marocain. Les associations de défense des droits de l’homme aussi biennationales qu’internationales ont toujours soulevé les questions relatives à la torture, à

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la détention arbitraire, à la disparition des opposants politiques… Grace à Amnestyinternational et aux militants nationaux des droits de l’homme, l’opinioninternationale apprenait vers la fin des années 1980 l’existence d’un camp secret dedétention arbitraire sous le nom de « Tazmamart » dans lequel étaient détenus lesmilitaires ayant participé aux deux tentatives de coup d’état contre le roi Hassan II en1971 et 1972.

4 Dès la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’union soviétique, le roi Hassan II

prenait des initiatives pour attester de sa volonté de respecter les droits de l’homme enfaisant adopter en 1992 un nouveau texte constitutionnel qui reconnaissaitl’attachement du Maroc aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellementreconnus1. Il s’agit en fait d’un message adressé à la communauté internationale. Le roiHassan II a affirmé lors de la préparation du texte de 1992 que "Le Maroc ne pouvaitdemeurer indifférent aux profondes mutations qui surviennent partout dans lemonde"2. La nouvelle réforme devrait, selon le Roi, conférer, au Maroc "le passeportpour faire (son) entrée sur la scène mondiale". Plusieurs initiatives du roi ont précédéou accompagné la nouvelle constitution dont notamment l’installation du Conseilconsultatif des droits de l’homme et la Commission d’indemnisation des victimes desviolations des droits de l’homme, l’objectif étant de tourner la page du passé et dedonner un signal fort à la communauté internationale.

5 Le roi Mohammed VI, dès son accession au trône, va suivre les pas de son père. Les deux

premières années de son règne ont été caractérisées par un certain nombre d’actesencourageants. Ainsi, le nouveau roi reconnaît l’existence de la détention arbitraireainsi que des disparitions forcées et ordonne la création d’une commission chargée destatuer sur l’indemnisation des victimes3 Il présente un nouveau concept d’autorité,fondé entre autres, sur la protection des libertés individuelles et collectives4 et surl’État de droit. Il rétabli M. Abraham Serfaty (ancien détenu politique et l’un desfondateurs de l’organisation marxiste-léniniste « Ila Al Amam », partisane del’autodétermination de la population du Sahara), dans ses droits en tant que citoyenmarocain à part entière, après avoir été déchu de sa nationalité par l’ancien régime etexpulsé à l’étranger. M. Serfaty a même été nommé conseiller auprès de l’Officenational de recherches et d’exploitation pétrolière (ONAREP). Il crée les conditionsfavorables au retour de la famille du disparu Mehdi Ben Barka et de plusieurs exiléspolitiques etc. Par ailleurs, il insiste, à plusieurs reprises, sur son attachement à lamonarchie constitutionnelle, à la démocratie, aux droits de l’Homme et à l’État de droit,etc5. Or, ce libéralisme sera de courte durée et un retour à des pratiques anciennes a étéenregistré après les attentats de New York du 11 septembre 2001 et surtout après ceuxde Casablanca du 16 mai 2003.

6 L’acte toutefois le plus important, qui a suscité toutefois un débat controversé, est la

création de l’Instance Equité et réconciliation (IER) en janvier 2004 qui avait pour tâched’enquêter sur les violations graves des droits de l’homme de l’indépendance du Marocen 1956 à la mort du roi Hassan II en 1999, de dresser un inventaire sur ces violations etde procéder à l’indemnisation des victimes.

7 Si cette instance a accompli un travail non négligeable, adopté un rapport sur ses

activités et adressé des recommandations, sa mission était néanmoins restée limitée. Ils’agit en effet d’une institution royale dont les activités étaient contrôlées par le roi. Ilen est de même de son rapport qui a été soumis à l’approbation royale avant sapublication. Il en résulte que sa mission n’a pas entièrement répondu aux attentes de

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l’opinion publique. C’est la raison pour laquelle tous les problèmes liés à la monarchien’ont pas été élucidés comme les enlèvements de Mehdi Ben Barka en 1965 à Paris etHoucine El Manouzi en Tunisie en 1972 ainsi que les révoltes du Rif marocain(1958-1959) réprimées dans le sang par le prince héritier Moulay Hassan (devenu roiHassan II en 1961). Autrement-dit, les cas non élucidés ont été en relation directe avecle roi Hassan II. Parallèlement à l’installation de l’IER, les violations des droits del’homme ont persisté comme l’indiquent les associations marocaines de défenses desdroits de l’homme. C’est la raison pour laquelle l’IER paraissait plutôt comme uneopération de marketing politique que comme une démarche consistant à tourner lapage du passé et à renforcer les droits de l’homme.

8 Il en résulte qu’à la veille du printemps arabe, la question des droits de l’homme

demeurait poser comme d’ailleurs le problème lié à la nature du régime politiquemarocain qui restait foncièrement autoritaire. Des voix s’élevaient ainsi pour demanderl’établissement de la monarchie parlementaire ainsi que le respect et le renforcementdes droits de l’homme, comme le Mouvement du 20 février, certaines associations dedéfense des droits humains et les partis de gauche non gouvernementaux.

II. Les droits de l’homme dans la nouvelle Constitutiondu 29 juillet 2011

9 Avant la nouvelle constitution du 29 juillet 2011, le statut juridique des libertés trouvait

son fondement dans la constitution de 1996 qui proclamait un certain nombre delibertés dont la liste restait pour l’essentiel limitée. En outre, le préambule de laconstitution qui affirmait l’attachement du Maroc aux droits de l’homme tels qu’ils sontuniversellement reconnus ne s’est jamais traduit dans les faits par des mesuresconcrètes, ce qui laissait cette affirmation à l’état de déclaration. La nouvelleconstitution marque-t-elle une rupture avec les anciens textes constitutionnels ? Lanouvelle constitution énonce une longue liste des droits et libertés dont la portéerecèle toutefois des ambigüités quant à leur effectivité.

A. La nature des droits et libertés proclamés

10 Dans ses dispositions, la Constitution du 29 juillet 2011 réserve une place importante

aux droits et libertés des citoyens à tel point qu’elle paraîtrait comme étant uneconstitution des droits de l’homme, si l’on se réfère aux commentateurs proches dupouvoir 6. On distingue les droits politiques et civils, des droits économiques et sociaux.

1. La Gouvernance, les droits et libertés politiques

11 La constitution affirme dans plusieurs de ses dispositions l’attachement du Maroc au

principe de participation, de pluralisme et de bonne gouvernance. Elle précise que leMaroc est une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale.Elle souligne en outre que le régime constitutionnel du Royaume est fondé sur laséparation, l’équilibre et la collaboration des pouvoirs, ainsi que sur la démocratiecitoyenne et participative, et les principes de bonne gouvernance et de la corrélationentre la responsabilité et la reddition des comptes (art. 1er). La constitution prévoitmême un titre particulier consacré à la bonne gouvernance (Titre XII) dans lequel est

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précisé que les services publics sont soumis aux normes de qualité, de transparence, dereddition des comptes et de responsabilité. Elle envisage l’adoption d’une charte desservices publics qui « fixe l’ensemble des règles de bonne gouvernance relatives aufonctionnement des administrations publiques, des régions et des autres collectivitésterritoriales et des organismes publics » (art. 157). Par ailleurs, le Titre II prévoit lacréation de plusieurs institutions de bonne gouvernance qui devraient être dotées destatut leur accordant l’autonomie nécessaire à l’accomplissement de leurs missions7.

12 Au niveau régional, l’article 1er de la Constitution annonce que « l’organisation

territoriale du Royaume est décentralisée. El1e est fondée sur une régionalisationavancée ». Si les collectivités territoriales sont les régions, les préfectures, les provinceset les communes, seuls toutefois les Conseils des régions et des communes sont élus ausuffrage universel direct (art. 135). L’article 139 prévoit l’adoption de mécanismesparticipatifs de dialogue et de concertation que doivent favoriser les collectivitésterritoriales pour l’implication des citoyens et des associations dans l’élaboration et lesuivi des programmes de développement. Il accorde aux citoyens et aux associations ledroit de pétition en vue de demander l’inscription à l’ordre du jour du Conseil d’unequestion relevant de sa compétence (art. 139).

13 Au niveau des libertés et particulièrement politiques, le Titre premier consacre

plusieurs articles relatifs aux droits et libertés politiques. Ainsi l’article 2 proclame que« La souveraineté appartient à la Nation qui l’exerce directement, par voie deréférendum, et indirectement, par l'intermédiaire de ses représentants. La Nationchoisit ses représentants au sein des institutions élues par voie de suffrages libres,sincères et réguliers ». L’article 6 précise que « Les pouvoirs publics œuvrent à lacréation des conditions permettant de généraliser l’effectivité de la liberté et del’égalité des citoyennes et des citoyens, ainsi que de leur participation à la vie politique,économique, culturelle et sociale ». En outre, l’article 11 souligne que « Les électionslibres, sincères et transparentes constituent le fondement de la légitimité de lareprésentation démocratique. Les pouvoirs publics sont tenus d’observer la stricteneutralité vis-à-vis des candidats et la non-discrimination entre eux ». Les articles 14 et15 accordent aux citoyens le droit de présenter des motions en matière législative etdes pétitions aux pouvoirs publics.

14 La constitution énonce aussi plusieurs libertés collectives comme les libertés de

réunion, de rassemblement, de manifestation pacifique, d'association etd'appartenance syndicale et politique. Le droit d’accéder à l'information détenue parl'administration publique est également proclamé. La liberté de la presse est affirméeen interdisant toute forme de censure préalable. Il en est de même du droit d'exprimeret de diffuser les informations, les idées et les opinions

15 Le statut de l’opposition parlementaire est protégé. L’article 10 lui garantit des droits

lui permettant de s’acquitter convenablement de sa tâche dans le travail parlementaireet dans la vie politique. Il lui assure particulièrement la liberté d’opinion etd’expression, le droit d’accès aux médias audiovisuels publics, un financement public etla présidence de la commission en charge de la législation à la Chambre desReprésentants.

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2. Les principaux droits individuels

16 Parallèlement aux droits politiques, les libertés fondamentales sont également

proclamées par la Constitution. Ces libertés trouvent leur origine tout d’abord dans lepréambule de la Constitution qui affirme, d’une part, l’attachement du Maroc auxdroits de l’Homme tels qu’ils sont universellement reconnus et, d’autre part,l’engagement du Maroc à « protéger et promouvoir les dispositifs des droits del’Homme, de bannir et combattre toute discrimination à l’encontre de quiconque ». Lepréambule incombe à l’Etat le devoir d’ «accorder aux conventions internationalesdûment ratifiées par lui, dans le cadre des dispositions de la Constitution et des lois duRoyaume, dans le respect de son identité nationale immuable, et dès la publication deces conventions, la primauté sur le droit interne du pays, et harmoniser enconséquence les dispositions pertinentes de sa législation nationale ».

17 Si le préambule inscrit les droits de l’homme dans le sillage du droit international des

droits de l’homme, le titre II de la constitution énumère les différents droits et libertésindividuels, qui sont du reste prévus par les conventions internationales relatives auxdroits de l’homme, ratifiées par le Maroc, comme le Pacte international relatif auxdroits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques,sociaux et culturels. C’est le cas du droit à la sûreté, de la légalité des peines et desinfractions, du droit au procès équitable, de l’inviolabilité du domicile, de l’interdictionde la torture et des traitements inhumains et dégradants, de la liberté d’aller et devenir, de la liberté de pensée, d’opinion et d’expression, du droit à la santé, au travail,au logement, à l’éducation, etc. L’égalité entre hommes et femmes est égalementaffirmée dans les différents domaines économiques, sociaux, civils et politiques.

B. L’effectivité des droits et des libertés

18 Si la constitution reconnaît les droits politiques, leur effectivité paraît limitée. La

proclamation de la monarchie parlementaire est purement déclarative et ne se traduitpas dans le texte constitutionnel dans la mesure où le roi demeure le principal pouvoirdans l’Etat et la clef de voute du régime8. Le gouvernement issu de la majoritéparlementaire ne dispose pas de la plénitude de ses compétences et ne peut rendrecompte de ses actes que partiellement devant le peuple. A cela s’ajoute laproblématique de la transparence et de la sincérité des élections.

19 Le problème de l’effectivité se pose également pour l’ensemble de la longue liste des

autres droits et libertés proclamés. Déjà dans les constitutions de 1992 et 1996, lepréambule qui affirmait « l’attachement du Maroc aux droits de l’homme tels qu’ilssont universellement reconnu » est resté à l’état de déclaration9. En effet, nonseulement aucune mesure n’a été prise en vue d’adapter la législation nationale audroit international des droits de l’homme, mais le gouvernement a même fait adopterdes lois plus restrictives des libertés comme la loi relative à la constitution des partispolitiques10 et la loi dite anti-terroriste 11. Ces deux lois sont considérées commecontraires aux conventions internationales relatives aux droits de l’homme, tel que lePacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par le Maroc en 1979. Lamême formulation, comme on l’a vu, a été maintenue dans le Préambule du texteactuel, qui affirme en outre, et de manière explicite, la primauté des conventionsinternationales ratifiées sur le droit interne en la conditionnant cependant par lerespect de la loi et de l’identité nationale, ce qui la vide de sa substance. Ainsi, les

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conventions internationales qui sont en contradiction avec l’Islam, qui constitue l’unede ses composantes essentielles, n’ont pas leur place dans le droit interne comme c’estle cas, par exemple, de la Convention sur l’élimination de toutes les formes dediscrimination à l’égard des femmes, adoptée en 1979 et ratifiée par le Maroc avec desréserves liées au droit musulman. Il ne s’agit pas de la seule contradiction. Le texteconstitutionnel est dominé par des dispositions qui le rendent incompréhensibles. Ilsoumet l’effectivité des libertés au respect des spécificités nationales. C’est le cas parexemple de l’article 19 qui proclame l’égalité entre hommes et femmes dans l’exercicedes droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturel et environnementaux, en lesconditionnant par le respect des dispositions de la Constitution, des constantes duRoyaume et de ses lois12. Cette restriction justifie en elle-même l’inégalité prévue par laloi marocaine relative aux statuts personnels qui discrimine la femme par rapport àl’homme au niveau notamment de l’héritage. Dans ce sillage, il faut également releverles discriminations à caractère religieux du fait qu’il est interdit aux non musulmansd’hériter des musulmans et vice versa. D’autres dispositions contradictoires coexistentcomme celles relatives aux partis politiques, comme on le verra ultérieurement.

20 Par ailleurs, le conseil constitutionnel, qui assure les fonctions de la nouvelle cour

constitutionnelle, a contribué aux restrictions à l’exercice des libertés. C’est le cas de laloi relative aux partis politiques (infra), mais également de la loi organique relative à lachambre des représentants promulguée par le dahir du 14 octobre 201113. Cettedernière prévoit dans son article 72 que le droit de vote accordé aux marocains résidantà l’étranger ne peut s’exercer que par délégation. Cette disposition paraît contraire àl’article 17 de la constitution qui dispose que : « Les Marocains résidant à l’étrangerjouissent des droits de pleine citoyenneté, y compris le droit d’être électeurs etéligibles. Ils peuvent se porter candidats aux élections au niveau des listes et descirconscriptions électorales locales, régionales et nationales … ». Si la délégation est enprincipe appliquée dans plusieurs démocraties, c’est le vote personnel et direct quiconstitue toutefois la règle. Or, au Maroc, les marocains résidants à l’étranger n’ontd’autres choix que de déléguer ce droit. Il est difficile de comprendre comment cettecatégorie de marocains vote directement auprès des consulats et ambassades du Maroclorsqu’il s’agit d’un référendum, alors qu’ils ne peuvent en jouir pour les électionslégislatives. Cette loi organique paraît étrange et pose la question de savoir si l’objectifrecherché est de faciliter l’orientation des élections par délégation interposée ou deconduire les marocains à l’abstention. C’est la raison pour laquelle peu de marocainconcernés ont utilisé la procédure de délégations au cours des élections législativesanticipées du 25 novembre 2011. Au lieu de faire prévaloir le droit de citoyennetépleine et entière comme l’affirme l’article 17, le Conseil constitutionnel estime, aucontraire, dans sa décision du 13 octobre 2011, que cette dérogation est conforme à laconstitution : « Considérant que, bien que le vote soit un droit personnel de par l’article30 de la Constitution, la Constitution elle-même a renvoyé à la loi, dans son article 17, ladétermination des conditions et des modalités de l’exercice effectif des droits de vote etde candidature pour les marocains résidant à l’étranger à partir du pays de résidence,faisant ainsi que la mesure édictée -dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire- par lelégislateur, de pouvoir voter par procuration n’est pas- en tant que dérogation parrapport au principe de la personnalité de l’élection concernant en particulier lacatégorie en question et liée aux mesures explicitées dans les paragraphes suivants dumême article- contraire à la Constitution ».

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21 Si la nouvelle constitution cultive la confusion quant à la portée réelle des libertés

proclamées, certaines libertés publiques continuent de susciter des débats controversésquant à leur exercice.

III. Débats autour de certaines libertés

22 Les libertés publiques qui ont suscité des controverses sont notamment celles relatives

aux libertés d’association, de rassemblements publics, de presse et de constitution despartis politiques.

A. La liberté d’association

23 Depuis 1962, les différentes Constitutions qu’a connues le Maroc ont reconnu la liberté

d’association14. L’actuelle Constitution, celle du 29 juillet 2011, renforce encore le statutdes associations. Elle souligne dans son article 12 que les associations se constituentlibrement et exercent également en toute liberté leurs activités dans le respect de laconstitution et de la loi. Ledit article précise par ailleurs qu’elles ne peuvent êtredissoutes ou suspendues qu’en vertu d’une décision de justice15. En outre, l’article 29réaffirme de nouveau la garantie de cette liberté16. Plus encore, la constitution confieaux associations un rôle important en soulignant que « Les associations intéressées à lachose publique et les organisations non gouvernementales, contribuent, dans le cadrede la démocratie participative, à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation desdécisions et des projets des institutions élues et des pouvoirs publics. Ces institutions etpouvoirs doivent organiser cette contribution conformément aux conditions etmodalités fixées par la loi » (art. 12)17.

24 Si la nouvelle constitution consacre la liberté d’association, l’application de la loi du 15

novembre 1958 relative à cette liberté est entravée par l’administration qui ne respectepas les dispositions légales.

25 Les principaux problèmes portent sur la procédure de constitution des associations et

sur les causes de leur interdiction.

1. Les modalités de constitution des associations

26 La loi du 15 novembre 1958, qui a connu plusieurs modifications (notamment en 1973 et

2002), prévoit que la constitution d’une association est soumise au dépôt d’unedéclaration préalable auprès des autorités locales en contrepartie d’un récépissédélivré aux responsables de ladite association. La loi exige des autorités la délivranceimmédiate d’un récépissé provisoire dans l’attente d’un récépissé définitif qui doit êtreremis aux intéressés au plus tard soixante jours (60) après la déclaration. Passé ce délai,l’association acquière sa légalité et se voit habilitée à exercer ses activités prévues parses statuts. En outre, elle a autorisé les responsables de l’association à confier àl’huissier de justice la mission de déposer, à leurs places, la déclaration de constitutionde l’association.

27 Le problème qui se pose au Maroc est que l’administration refuse parfois de remettre le

récépissé de déclaration aux responsables de l’association ou même de réceptionner ladéclaration. Parfois, l’administration impose des conditions non prévues par la loi pourdissuader les responsables de la créer ou du moins retarder sa constitution.

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28 Les autorités agissent ainsi lorsqu’il s’agit d’associations islamistes ou de gauche ou

d’association dont les responsables sont considérés par les autorités comme despersonnes politiquement suspectes. Il faut préciser que le récépissé de dépôt dedéclaration constitue le seul moyen justifiant la légalité de l’association.

29 Ce comportement des autorités est, à l’évidence, contraire aux anciennes constitutions

marocaines ainsi qu’encore plus, à la nouvelle constitution de 2011 et à l’article 22 duPacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Maroc a ratifié, et quiproclame la liberté d’association18.

2. Les modalités de suspension et d’interdiction des associations

30 La loi prévoit des modalités de suspension et d’interdiction des associations fondées sur

des notions vagues et imprécises accordant ainsi aux autorités un large pouvoird’appréciation. Ainsi, il est précisé dans l’article 3 de la loi que « l’association ne doitpas poursuivre des objectifs illicites, contraires aux lois, aux bonnes mœurs ou qui ontpour but de porter atteinte à la religion islamique, à l'intégrité du territoire national,au régime monarchique ou de faire appel à la discrimination ». La question qui se poseest de savoir ce que l’on entend par « atteinte à la religion islamique, à l'intégrité duterritoire national, au régime monarchique »?

31 Les interprétations sont multiples et peuvent conduire à interdire des associations qui

débattent des pouvoirs étendus du roi ou qui discutent de la place de l’Islam dans l’Etatet de son rôle dans la légitimation du pouvoir monarchique ou de la structure de l’Etat.Ces notions ambiguës constituent de véritables obstacles aux activités des associationsdans la mesure où la justice au Maroc ne dispose pas encore de sa pleine indépendanceet souffre, comme l’a reconnu l’ancien ministre de la Justice M. Omar Azziman le 5 avril1999, de plusieurs maux, dont la corruption, les malversations etc.19. Ledit ministre a enoutre affirmé que les magistrats agissaient sur instruction20. M. Abbas El Fassi, l’anciensecrétaire général du Parti de l’Istiqlal et ancien premier ministre, avait affirmé, aucours d’une conférence de presse tenue le 11 avril 2005, que la justice n’était pasentièrement indépendante et intègre21. Par ailleurs, les différentes enquêtes menéespar Transprency-Maroc font ressortir la justice parmi les secteurs les plus corrompu dupays22.

32

33 Ces restrictions comme d’ailleurs les modalités appliquées dans le processus de

constitution des associations apparaissent également comme contraires à l’article 22 duPacte international relatif aux droits civils et politiques qui détermine la nature desrestrictions en soulignant que « L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que desseules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans unesociété démocratique…. ».

B. La liberté de constitution des partis politiques

34 Jusqu’en 2006, la constitution et l’organisation des partis politiques étaient régies par la

loi sur les associations de 1958. En 2006, le gouvernement a fait adopter une loispécifique aux partis politiques23 qui soumettait leur constitution à une autorisationpréalable du ministère de l’Intérieur. Cette loi accordait au premier ministre lacompétence de les interdire lorsque les partis « provoquent (sic !) …à des

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manifestations armées dans la rue, ou présente, par sa forme et son organisationmilitaire ou paramilitaire, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ou apour but de s'emparer du pouvoir par la violence, de porter atteinte à la religionislamique, à l'intégrité du territoire national ou à la forme monarchique de l'Etat »(art. 57). Sur la base de ces dispositions, un parti politique de tendance islamiste « Albadil al hadari » (Alternative civilisationnelle) a été interdit le 28 février 2008 pourimplication dans le réseau terroriste Belliraj24 et son secrétaire général M. Mustafa AlMoatassim a été condamné à 25 ans de prison25.

35 Après la promulgation de la constitution de juillet 2011, les défenseurs des droits de

l’homme, qui contestaient la loi de 2006, espéraient que le parlement adopterait une loiplus libérale. La constitution a en effet prévu plusieurs dispositions relatives aux partispolitiques. L’article 7 affirme que leur constitution et l’exercice de leurs activités sont

libres26 et ne peuvent être interdits que par la justice (art. 9) 27. Elle leur accorde enoutre la mission d’encadrement et de formation politique des citoyens ainsi que deconcourir à l’expression de la volonté des électeurs et de participer à l’exercice dupouvoir.

36 Comment la nouvelle loi a organisé alors les modalités de constitution des partis

politiques et celles de leur interdiction ?

1. La constitution des partis politiques

37 La loi organique du 22 octobre 201128 adoptée après la promulgation de la nouvelle

constitution du 29 juillet 2011, n’a fait que reprendre l’essentiel des dispositionsrestrictives de la loi de 2006. La procédure de constitution des partis prévoit toujours ledépôt d’une demande par trois membres-fondateurs auprès du ministère de l’Intérieur.Cette demande doit comporter les déclarations individuelles de trois cents membres-fondateurs accompagnées de plusieurs documents (copie de leur carte d’identiténationale, attestation d’inscription sur la liste électorale) et d’informations (nom,prénom, lieu et date de naissance, nationalité, profession et adresse). Les signatairesdoivent être répartis dans au moins les deux tiers des seize régions du pays, être âgésde 18 ans et inscrits sur les listes électorales. Si le ministre de l’Intérieur considère ladéclaration de constitution du parti comme conforme à la loi, il informe par lettrerecommandée les trois fondateurs ayant déposé la demande dans un délai de trentejours. S’il estime que le projet de création du parti est contraire à la loi, il saisit letribunal, dans un délai de soixante jours, pour qu’il statue sur son illégalité (dans undélai de quinze jours). La décision du tribunal est susceptible d’appel.

38 L’acceptation du ministre ou la décision favorable du tribunal relative à la création du

parti permet aux fondateurs d’organiser le congrès constitutif de leur parti dans undélai d’un an, sinon la déclaration est considérée comme caduque. L’organisation ducongrès constitutif implique la participation d’au moins 1000 personnes, dont les troisquarts des signataires de la déclaration, représentant au moins les deux tiers desrégions du pays. Chaque région doit être représentée par un minimum de 5% del’ensemble des participants. L’organisation du congrès requiert également le dépôtd’une déclaration auprès de l’autorité locale compétente soixante-douze heures aumoins avant sa tenue et signée par deux des trois signataires de la premièredéclaration. C’est le congrès qui doit approuver le statut ainsi que le programme duparti et qui doit élire ses instances dirigeantes. Un procès-verbal du congrès doit êtreétabli pour être confié à un mandataire choisi par les congressistes qui le déposera

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auprès du ministère de l’Intérieur. Il doit être accompagné de la liste de 1000participants au moins avec leurs signatures ainsi que le numéro de leur carte d’identiténationale et de la liste des membres des instances dirigeantes du parti. Le parti estconsidéré comme légal dans un délai de trente jours après le dépôt de la déclaration.Pendant ce délai, le ministre de l’Intérieur peut saisir le tribunal administratif de Rabatqui doit décider de sa nullité si le ministre concerné estime que les conditions de latenue du congrès ou son programme ne sont pas conformes à la loi. Il est à préciser quele parti n’acquiert sa légalité qu’après la validation par le ministre de l’Intérieur ducongrès constitutif. Durant cette période transitoire, les activités du parti ne peuventque se limiter à celles qui sont nécessaires à la préparation de son congrès constitutif.

39 Ce nouveau texte étant une loi organique, le conseil constitutionnel était appelé à se

prononcer sur sa constitutionnalité comme l’exige la Constitution.

40 En dépit des conditions restrictives de la constitution des partis politiques, le Conseil

constitutionnel a déclaré cette loi comme étant conforme à la Constitution. Pourtant, laloi paraît contraire à l’article 7 de la constitution qui affirme que la constitution et lesactivités des partis sont libres. Elle est également contraire à l’article 22 du Pacteinternational relatif aux droits civils et politiques que nous avons mentionnéprécédemment.

41 Sur la base de la nouvelle loi, un parti politique de tendance islamiste mais proche de la

gauche, en l’occurrence le Parti Al Ouma, n’a pas été autorisé par le ministère del’intérieur. Cette interdiction a été confirmée par la Cour de cassation en décembre2012.

2. Les modalités d’interdiction des partis politiques : maintien des notions vagues

pour l’interdiction ou la suspension des partis

42 La nouvelle loi a supprimé la compétence du chef du gouvernement d’interdire les

partis politiques en confiant uniquement à la justice la mission de statuer sur lesactivités des partis politiques. Ainsi cette loi s’est conformée à la nouvelle constitutionqui précise dans son article 9 que les partis politiques ne peuvent être dissous oususpendus qu’en vertu d’une décision de justice. Toutefois, la loi, se fondant sur laconstitution, a maintenu des notions vagues et imprécises pour les interdire le caséchant.

43 En effet, la constitution (art. 7) avait prévu que les partis « ne peuvent avoir pour but

de porter atteinte à la religion musulmane, au régime monarchique, aux principesconstitutionnels, aux fondements démocratiques ou à l’unité nationale et l’intégritéterritoriale du Royaume ». On a déjà expliqué la portée de ces notions et lesincertitudes qu’elles font peser sur les activités des partis.

44 Si c’est la justice qui est chargée de statuer sur la légalité des activités des partis, son

statut et son fonctionnement posent le problème de l’indépendance de la justice vis-à-vis de l’exécutif et de l’intégrité des juges, comme nous l’avons souligné précédemment.A ces restrictions s’y ajoutent d’autres prévues dans l’article 7 qui précise « Les partispolitiques ne peuvent être fondés sur une base religieuse, linguistique, ethnique ourégionale, ou, d’une manière générale, sur toute autre base discriminatoire oucontraire aux droits de l’Homme ».

45 Ces restrictions sont des armes entre les mains du pouvoir pour sanctionner le cas

échéant les partis qui ne se conforment pas aux règles que celui-ci a établies.

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C. La Liberté de rassemblement publics

46 Les rassemblements publics englobent, dans la loi marocaine, les réunions publiques,

les manifestations sur la voie publique et les attroupements. La nouvelle constitution,comme ses devancières, reconnait ces différentes libertés. Ainsi l’article 29 énonce :«Sont garanties les libertés de réunion, de rassemblement, de manifestation pacifique,d’association et d’appartenance syndicale et politique. La loi fixe les conditionsd’exercice de ces libertés ».

47 C’est le dahir du 15 novembre 195829 modifié, essentiellement, par le dahir du 23 juillet

200230 qui régit ces libertés. Les amendements intervenus en 2002 ont restreint dansune certaine mesure ces libertés.

1. Les réunions publiques

48 La loi exige pour la tenue des réunions publiques le dépôt d’une déclaration préalable,

signée par trois personnes domiciliées dans la préfecture ou province où la réuniondevra avoir lieu, auprès de l’autorité locale, en contrepartie d’un récépissé. Au cas oùles intéressés ne parviendraient pas à obtenir ce document, ils peuvent adresser ladéclaration par lettre recommandée avec accusé de réception. La réunion ne peut avoirlieu dans ce dernier cas qu’après expiration d’un délai de 48 heures, sinon 24 heuressuffissent si le récépissé est obtenu. La réunion publique n’est donc pas entièrementlibre dans la mesure où deux conditions sont exigées. D’une part, la déclarationpréalable qui doit être effectuée soit par dépôt personnel, soit par correspondance.D’autre part, au cas où la déclaration serait envoyée par lettre recommandée, la loiexige l’accusé de réception.

49 Or, il se trouve que les autorités peuvent refuser soit la réception de la déclaration soit

la remise du récépissé, comme elles peuvent rejeter l’envoi recommandé et ne passigner l’accusé de réception qui devient la seule pièce justificative de la légalité de laréunion. Il faut préciser que dans l’ancien texte, c’est-à-dire la version d’avant lesamendements de 2002, la condition d’« accusé de réception » était absente, ce quipermettait aux déclarants de se contenter du récépissé de d’envoi recommandé. Parailleurs, si la loi dispense les associations reconnues de recourir à la déclarationlorsqu’il s’agit des réunions internes, la pratique a démontré que les autorités exigentparfois la déclaration préalable pour les réunions inter-associations, ce qui paraîtcontraire à la loi. Si certaines associations refusent de se plier aux exigences illégales del’administration, cette dernière exerce parfois des pressions sur les responsables dessalles ouvertes au public pour leur demander d’exiger le récépissé. La formalité de ladéclaration permet à l’administration de mandater un délégué, comme le prévoit la loi,pour assister aux réunions31. Or, les associations qui se voient contraintes d’agir ainsirefusent souvent la présence de ce fonctionnaire, ce qui n’implique toujours pas uneréaction de l’administration d’interdire la réunion dans la mesure où cette dernièreétait consciente que son comportement n’était pas légal32.

2. Les manifestations sur la voie publique

50 Pour organiser une manifestation publique, la loi exige comme pour les réunions

publiques, le dépôt d’une déclaration préalable auprès de l’autorité administrative

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locale qui remet aux déclarants un récépissé. Si les déclarants n’obtiennent pas cedocument, ils peuvent adresser à la même autorité la déclaration par lettrerecommandée avec accusé de réception. La déclaration doit être signée par troispersonnes parmi les organisateurs dont le domicile se trouve dans la préfecture ou laprovince où la manifestation doit avoir lieu. La déclaration doit être déposée ouenvoyée trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus avant la date del’organisation de la manifestation.

51 L’administration dispose, comme par le passé, d’un large pouvoir d’appréciation pour

interdire la manifestation si elle estime qu’elle est de nature à troubler la sécuritépublique (au lieu de l’ordre public, dans l’ancien texte). Cette décision doit être écrite etnotifiée aux signataires de la déclaration à leur domicile (art. 13).

52 En vertu du nouveau texte, seuls les partis politiques, les formations syndicales, les

organismes professionnels et les associations régulièrement déclarées ont le droitd’organiser des manifestations. On constate que les nouveaux amendements introduitsdans l’article 11 ont réduit la liberté d’organisation des manifestations en comparaisonavec l’ancien texte qui autorisait un groupe de personnes à organiser une manifestationpublique. Le ministre des droits de l’homme a insisté lors de la présentation de ceprojet sur la nécessité de limiter l’organisation de cette liberté aux seules organisationsayant le droit, de par la constitution, d’encadrer les citoyens ainsi que les organisationsreconnues du moment qu’elles sont issues de la société civile. Si, dans de nombreuxpays, la déclaration préalable pour l’organisation des manifestations, est appliquée, lesautorités ne disposent pas d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l’opportunité deson organisation. Au cas où elles abuseraient de leur pouvoir d’interdiction, la justiceredresse les torts, ce qui n’arrive que rarement au Maroc en raison du statut de lajustice. Par ailleurs, réserver l’organisation des manifestations aux seules associationsreconnues constitue sans aucun doute une restriction fondamentale de cette liberté etse heurte aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques etparticulièrement à l’article 21.

3. Les attroupements

53 Le législateur marocain n’a défini que l’attroupement armé. Il le qualifie comme tel

lorsque plusieurs personnes portant des armes apparentes ou cachées ou d'enginsdangereux apparents n’ont pas été immédiatement expulsées de l'attroupement par lesindividus qui en font partie (art. 18). L’article 17 du dahir de 1958 précise quel’attroupement armé est interdit ainsi que tout attroupement non-armé qui pourraittroubler la sécurité publique.

54 En raison des restrictions de l’organisation des manifestations sur la voie publique qui

est réservée aux seules associations reconnues, des citoyens qui ne font pas partied’organisations constituées et qui veulent manifester leurs mécontentements et attirerl’attention des pouvoirs publics sur leur situation, n’ont d’autres choix que de recourirà l’attroupement, ce qui arrive souvent aux diplômés-chômeurs qui n’ont pas puobtenir le récépissé relatif à la déclaration de constitution de leur association. Cesderniers organisent souvent des sit-in devant le parlement ou sur la grande avenueMohammed V à Rabat sans perturber pour autant la circulation ou menacer l’ordrepublic. Il semble que les autorités recourent souvent à la violence, si l’on se réfère auxorganisations de défense des droits humains, sans même respecter les dispositionsrelatives à la dispersion des attroupements. En effet, la loi prévoit trois sommations

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adressées, par porte voix, par l’agent dépositaire de la force publique avant de faireintervenir les forces de l’ordre.

D. La liberté de presse

55 Les différentes constitutions qu’a connues le Maroc ont proclamé la liberté de presse.

La nouvelle constitution l’a également garantie dans son article 2533, en reconnaissant àl’ensemble des citoyens le droit d’exprimer et de diffuser librement des informations,des idées et des opinions dans le respect des limites prévues par la loi. La constitutioninterdit même la censure (art. 28)34. La liberté de la presse est régie par la loi du 15novembre 1958 qui a connu plusieurs modifications (notamment en 1973 et 2002) 35.

56 Le problème de la liberté de la presse se pose au Maroc à deux niveaux : au niveau de la

procédure de parution des périodes et à celui des sanctions susceptibles d’être infligéesaux responsables des périodiques ainsi qu’aux journalistes, ce qui a une conséquenceimmédiate sur la survie de ces périodiques.

1. Les problèmes posés par la procédure de la déclaration

57 Pour la parution de tout périodique, la loi prévoit le dépôt d’une déclaration préalable

auprès du procureur du roi près le tribunal de première instance du lieu où se trouve lesiège principal du journal (art. 5). La déclaration, qui doit comporter plusieursinformations et documents36, est signée et déposée par le directeur de publication. Leparquet doit remettre au responsable de la publication un récépissé de dépôt37. Il s’agitd’un récépissé provisoire. Le récépissé définitif est remis dans un délai maximum detrente jours 38, à défaut, le journal peut paraître (art. 6)39. Cette procédure paraîtformelle dans la mesure où il ne s’agit pas d’une demande d’autorisation, mais d’unesimple formalité permettant l’enregistrement des journaux à paraître, ce qui signifieque le parquet dès qu’il constate que le dossier contient les documents exigés par la loiremet un reçu aux responsables. Or, dans la pratique, le parquet se comportedifféremment. Dans certains cas, il refuse de délivrer ce document ou se dérobe deréceptionner la déclaration lorsqu’il estime que les responsables font l’objet desuspicion de la part des autorités. Ce comportement ne permet alors pas auxresponsables de publier leurs périodiques puisque le récépissé est le seul documentattestant de la légalité de ces derniers.

2. Les modalités de suspension et d’interdiction des périodiques

58 Jusqu’en 2002, la loi relative à la liberté de presse (art. 77) permettait au premier

ministre d’interdire les périodiques nationaux lorsqu’ils auront porté atteinte auxfondements institutionnels, politiques ou religieux du Royaume ou lorsque leurpublication serait de nature à troubler l’ordre public. Le ministre de l’Intérieur étaitégalement compétent pour suspendre les périodiques et ordonner la saisie de toutnuméro du périodique. A partir de 2002, des modifications ont été apportées à la loirelative à la liberté de la presse qui a supprimé les compétences du gouvernementd’interdire ou de suspendre les périodiques en les transférant à la justice. Lesamendements de 2002 ont toutefois maintenu la saisie des journaux par le ministre del’intérieur.

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59 Si ces amendements constituent un progrès non négligeable, la nouvelle version de la

loi a cependant conservé voire renforcé les dispositions qui retreignent sensiblement laliberté de presse. Ainsi, les motifs conduisant à des sanctions sont multiples et vagues.

En effet, l’article 41 permet des sanctions lorsque les journaux ou les écrits aurontporté atteinte à la religion islamique, au régime monarchique ou à l'intégritéterritoriale. La nouvelle version de la loi a même ajouté la notion de « valeurs sacrées ».

Cette notion c’est-à-dire celle de « valeurs sacrées permet de restreindre encore plus laliberté de presse et soumet les écrits des journalistes au pouvoir discrétionnaire dujuge40. Par ailleurs, la loi relative à la lutte contre le terrorisme du 28 mai 200341 prévoitégalement des dispositions ambigües donnant lieu à des interprétations larges pourcondamner les journalistes et instaurer une autocensure42. En outre, plusieursdispositions de la loi envisagent d’autres sanctions en cas de diffamation, atteintes auxchefs de l’Etat étrangers, à la sûreté intérieur et extérieure de l’Etat, etc.

3. Les atteintes à la liberté de la presse

60 Depuis l’intronisation du roi Mohammed VI, beaucoup de périodiques indépendants ont

connu des difficultés avec les autorités politiques qui n’ont pas hésité à utiliserdifférents moyens pour interdire certains d’entre eux ou faire juger les journalistes etles responsables de ces publications. On constate que les journaux qui ont étécondamnés sont ceux qui abordent des sujets tabous c’est-à-dire la place du roi dans lesystème politique, la corruption, la question du Sahara, les violations des droits del’homme, les services de sécurité, etc… Si l’on fait un inventaire des procès intentés auxpériodiques, on constate que les causes prévues par la loi ou/et invoquées par lajurisprudence sont multiples : atteintes aux valeurs sacrées du Royaume, atteintes aurégime monarchique, atteintes à l'intégrité territoriale, atteintes à la religionislamique, atteintes à la sûreté intérieure ou extérieure de l’Etat, offenses aux chefsd’Etat étrangers, apologie ou/et assistance aux actes terroristes.

61 En guise d’illustration, nous allons maintenant passer en revue quelques les affaires

relatives aux atteintes aux valeurs sacrées du Royaume, à la diffamation et auterrorisme et qui montrent les atteintes graves à la liberté de la presse.

a. Les atteintes aux valeurs sacrées du Royaume

62 Plusieurs journaux ont été condamnés pour atteintes aux valeurs sacrées du Royaume

et manquement au respect dû au roi. Les décisions des autorités politiques oujudiciaires qui ont attiré l’attention de l’opinion publique et suscité des réactions desorganisations de défenses des droits de l’homme aussi bien nationalesqu’internationales sont relatives à l’interdiction administrative de l’hebdomadairefrancophone « Le Journal » et, surtout, aux procès intentés à M. Ali Mrabet, directeurde deux publications.

i) L’interdiction de l’hebdomadaire « Le Journal »

63 Dans son numéro du 25 novembre au 7 décembre 2000, « Le journal », hebdomadaire

francophone, a consacré un dossier sur la gauche, l’armée et le pouvoir. Parmi lesdocuments publiés, on trouve une lettre du fquih Basri (ancien responsable de l’UNFP)envoyée le 8 août 1974 à MM. Abderrahim Bouabid, leader de l’USFP de l’époque etAbderrahmane Youssoufi relative à la tentative du coup d’Etat fomenté par le général

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Oufkir en août 1972. Il ressort de cette lettre que les deux personnages de la gaucheétaient au moins au courant de la tentative du coup d’Etat sinon impliqués. Aulendemain de cette publication, le gouvernement, dirigé par M. AbderrahmanYoussoufi, a décidé le 2 décembre 2000 d’interdire le journal, sur la base de l’article 77du dahir relatif à la liberté de presse qui autorisait à l’époque une telle mesure. Lepremier ministre a également interdit le journal « Sahifa » qui a reproduit le mêmedossier et « Demain » en raison de son appartenance, au même groupe que les deuxautres publications, Média Trust43. Officiellement44, les raisons de l’interdiction étaientliées à la publication de plusieurs articles qui portent atteintes aux fondementspolitiques, aux institutions constitutionnelles et aux forces armées royales et quiconsistent à déstabiliser le pays ainsi qu’à entraver son expérience démocratique. Legouvernement a ajouté que cette décision s’était posée au gouvernement depuis lapublication dans « Le journal » de la lettre de fquih Al Basri. Il a, par ailleurs, préciséque ces publications avaient prétendu que les partis et l’Armée de l’époque préparaientdes complots contre le roi. Le premier ministre avait estimé plus tard que les raisons del’interdiction étaient relatives à la mise en cause de la monarchie qui aurait collaboréavec les militaires français de l’époque lors de l’interception par l’armée française del’avion qui transportait les chefs historiques du FLN du Maroc vers la Tunisie.

ii) Les procès intentés aux journaux « Demain » et « Demain-magasine »

64 M. Mrabet fait partie des journalistes qui ont connu des difficultés avec les autorités

marocaines dans la mesure où les journaux qu’il dirigeait abordaient des sujets quitransgressaient les lignes rouges comme la monarchie, la fortune du roi, le Sahara, etc.Ses journaux « Demain » et surtout « Demain magazine » ont pris une orientationsatirique et commençaient à inquiéter le pouvoir. Trois procès ont dominé le parcoursde M. Ali Lamrabet en tant que responsable de ces publications. Nous évoquerons deuxqui ont été relatifs aux atteintes aux valeurs sacrées du Royaume.

65 Le premier procès est relatif au Palais royal de Shkirat. Dans le no du 20 octobre

200145de l’hebdomadaire « Demain magazine », M. Ali Lmrabet faisait état del'éventuelle vente du palais royal de Skhirat. Bien que M. Lmrabet ait évoqué cetteinformation au conditionnel, le substitut du procureur a estimé que le directeur decette publication avait diffusé de fausses informations susceptibles de troubler l'ordrepublic (art. 42 de la loi sur la liberté de presse) et de porter atteinte aux valeurs sacréesdu Royaume. Désormais, les valeurs sacrées du pays se sont élargies aux objets, ce qui asuscité l’ironie de plusieurs observateurs46. M. Lamrabet a été condamné le 21novembre 2001 par le tribunal de première instance de Rabat à une peine de quatremois de prison et à une amende de 30.000 dirhams47.

66 Le deuxième procès fait suite à la publication par l’auteur de plusieurs articles relatifs

au budget du Palais royal, à l’histoire de l’esclavage, à un photomontage mettant enscène des personnalité politiques marocaines, le premier ministre de l’époque M.Abderrahamne Youssoufi et plusieurs personnalités politiques (Abbès Fassi secrétairegénéral du parti de l’Istiqlal, Smaïl Alaoui et Mohammed Nabil Benabdellahrespectivement secrétaire général et membre du bureau politique du Parti du progrèset du socialisme (PPS). M. Lamrabet a également publié des extraits d’une interview del’ancien prisonnier politique et militant associatif M. Abdallah Zaâzaa accordée à unjournal espagnol dans laquelle il se déclare partisan de la république et pourl’autodétermination de la population du Sahara. A la suite de ces articles publiés dans

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ses deux hebdomadaires « Demain Magasine » et « Doumane », il sera poursuivi etcondamné le 21 mai 2003 par le tribunal de première instance de Rabat à quatre ans deprison ferme et 20.000 dirhams d’amende pour outrage à la personne du roi, atteinte aurégime monarchique et à l'intégrité territoriale. Le tribunal a aussi interdit ses deuxpublications et ordonné son incarcération immédiate à la sortie du Tribunal enapplication des articles 400 et 425 du Code de procédure pénale. Le 17 juin suivant, laCour d’appel de Rabat a confirmé le jugement en réduisant la durée à trois ans deprison ferme. M. Lmrabet sera gracié par le roi le 17 janvier 2004 avec d’autresjournalistes.

iii) Les difficultés des hebdomadaires Telquel et Nichane

67 Le directeur des hebdomadaires « Tel Quel » en français et « Nichane » en arabe, M.

Benchemsi sera poursuivi plusieurs fois pour « manquement au respect dû au roi ». En2007, il le sera suite à son éditorial critiquant le discours royal du 30 juillet 2007 relatifaux élections législatives. Son hebdomadaire Nichane a été saisi après avoir étédistribué sur l’ensemble du territoire alors que TélQuel l’a été à l’imprimerie enviolation de la loi qui ne prévoit pas de censure. En 2009, les mêmes hebdomadaires ontpublié un sondage sur le bilan des dix ans de règne du roi Mohammed VI48. Ils se sontassociés avec le journal « Le Monde » pour effectuer ce sondage. Bien que le sondagesoit favorable à la monarchie49, le ministre de l’Intérieur n’a pas attendu leurdistribution, mais a ordonné leur saisine au sein de l’imprimerie dans lesquelles lesdeux journaux sont imprimés et a décidé de leur destruction, ce qui constitue uneviolation de la loi. Le ministre de l’Intérieur a estimé que « le concept même de sondagesur la monarchie est totalement inacceptable au Maroc » alors que le ministre de laCommunication (déclaration à l’AFP) souligne que « la monarchie au Maroc n’est pas enéquation et ne peut faire l’objet d’un débat, même par voie de sondage »50.

68 En raison des difficultés avec le pouvoir, M. Benchemsi a décidé de quitter le Maroc.

iv) Les procès relatifs à la maladie du roi : peines d’emprisonnement à l’égard des

responsables des publications

69 Suite au communiqué du ministère du ministère de la Maison Royale, du Protocole et

de la Chancellerie du 26 août 2009 relatif à la maladie du roi, deux publications enlangue arabe en l’occurrence « Aljarida al Oula » et « Al machaal » ont contreditl’information officielle et se sont interrogées sur la vraie maladie du roi. Des poursuitesont été aussitôt engagées contre les responsables de ces publications pour « publicationmalintentionnée d’une fausse information, allégations et faits mensongers ». Leresponsable de l’hebdomadaire « Al Machaal » sera condamné à un an de prison fermeet à une amende de 10.000 dirhams, alors que les deux autres journalistes associés àl’article seront condamnés à trois mois de prison ferme et à des amendes de 5.000dirhams. Quant au directeur du quotidien Al Jarida al Oula, M. Ali Anouzla, et lajournaliste ayant rédigé l’article, ils seront condamnés respectivement à un an deprison avec sursis, une amende de 10.000 dirhams et à trois mois de prison avec sursiset une amende de 5.000 dirhams.

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b) Les procès politiques relatifs à la diffamation

70 De nombreux journaux ont été traduits devant la justice pour diffamation. Toutefois,

plusieurs procès avaient un caractère plutôt politique ; sous couvert de diffamation, ils’agit en fait de sanctionner des journaux et des journalistes qui osent franchir leslignes rouges : la corruption des hauts responsables, la monarchie, le Sahara, lesviolations des droits de l’homme, les services de sécurité, etc…

i) Les procès intentés au « Journal Hebdomadaire »

71 Après une première interdiction en décembre 2000, les responsables de l’hebdomadaire

ont déposé un dossier en vue de faire paraître un nouveau journal dénommé « LeJournal hebdomadaire ». Autorisé à réapparaître en janvier 2001, il sera toutefois àdeux reprises condamné pour diffamation et finira par disparaître en raison des peinespécuniaires exorbitantes.

ii) Procès intenté par le ministre des Affaires étrangères Mohammed Benaissa

72 Dans le cadre de ses enquêtes relatives à la corruption, aux violations des droits de

l’homme et aux abus du pouvoir, le journal a publié dans trois de ses numéros d’avril200151 des articles qui font état de la vente à la résidence de l’Ambassadeur du Maroc àWashington d’une villa d’un montant qui ne correspond pas à sa valeur réelle. Pour lejournal, l’ex-ambassadeur du Maroc M. Mohammed Benaissa, qui devient en 1998ministre des Affaires étrangères, avait fondé une société qui avait acheté cetterésidence à 900.000 dollars américains pour la revendre à l’Ambassade du Maroc à4.800.000 dollars.

73 Bien que les responsables de ces articles aient enquêté sur place et produit des preuves,

le Tribunal de première instance de Casablanca va condamner les responsables de cettepublication à trois mois de prison ferme, 10.000 dirhams d’amende et deux millions dedirhams de dommage et intérêt qui doivent être versés au ministre des Affairesétrangères de l’époque. Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel de Casablancaqui a réduit toutefois les peines.

iii) Procès intenté par l’ESISC (European Stratégic intelligence and securty center)

74 Suite à un rapport établi en 2005 par l’ESISC, domicilié en Belgique, sur le Front

POLISARIO qui estime que ce mouvement évolue vers le terrorisme, l’islamisme radicalvoire la criminalité internationale et menace par conséquent la stabilité de l’Afriquesubsaharienne et l’Europe, l’hebdomadaire « Le Journal Hebdomadaire » publie endécembre 2005 un dossier contestant la qualité scientifique de ce rapport. Il estime quece rapport est dépourvu d’arguments scientifiques et cite deux experts qui partagentles mêmes conclusions52 en précisant qu’il abonde vers les thèses marocaines. Lejournal s’est interrogé sur les vrais commanditaires de ce rapport et s’il ne s’agissaitpas des autorités marocaines. La question du Sahara étant une question très sensiblepour les autorités marocaines et fait partie des sujets tabous, le dossier a suscité desréactions négatives et le directeur de l’ESISC, M. Claude Moniquet, décide de recourir àla justice marocaine pour diffamation.

75 Parallèlement au manque de sérieux de ce centre, la presse belge s’est intéressée à son

directeur M . Moniquet dont les activités faisaient l’objet de suspicion53. Bien que de

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doutes pèsent sur la probité et l’intégrité du responsable de l’ESISC, la justicemarocaine (en première instance et en appel) condamne le journal à des amendes et àdes dommages et intérêt d’un montant de plus de trois millions de dirhams54.

76 En raison du montant exorbitant des dommages et intérêt infligé au directeur de la

publication, M. Boubker Jamai, ce dernier a été obligé de quitter le journal pourpermettre la survie du journal et de s’exiler à l’étranger, ce qui a conduit les autoritésmarocaines à suspendre l’exécution du jugement. A son retour au Maroc et à ladirection de l’hebdomadaire en 2009, la Cour suprême a confirmé le 30 septembre 2009le jugement et la justice a décidé de le mettre exécution en janvier 2010 en faisantcesser la parution du périodique.

iv) Procès intenté contre M. Ali Lamrabet relatif aux Sahraouis de Tindouf

77 Dans une interview accordée à l’hebdomadaire marocain arabophone « Al-Mustakil »

dans son numéro du 12 janvier 2005, M. Lamrabet a affirmé que les Sahraouis vivantdans les camps de Tindouf étaient des “réfugiés” selon la terminologie de l’Organisationdes Nations unies et a estimé que dire que les saharaoui de Tindouf sont des séquestrésconstitue un mensonge et une allégation. M Ahmed Khaï, au nom de « l’Association desParents des Sahraouis victimes de la répression dans les camps de Tindouf », proche dupouvoir, intente un recours pour diffamation devant le tribunal de première instancede Rabat qui a rendu sa décision le 12 avril 2005. Le tribunal a condamné M. Lmrabet àune amende de 50.000 dirhams et l’a interdit d’exercer sa fonction de journalistespendant dix ans. Ce procès coïncide avec l’accomplissement par M. Lamrabet desformalités en vue de faire paraître un nouveau journal. Au moment ou le procureurauprès du Tribunal de première instance de Rabat se dérobe pour lui remettre lerécépissé comme le prévoit la loi, la décision de ce même tribunal est rendue publique,ce qui a empêché M. Lamrabet à éditer son journal55.

v) Procès intentés au directeur du quotidien « Al Massae »

78 Le quotidien Al Massae a fait l’objet de plusieurs procès et condamnations. Toutefois,

l’affaire qui va conduire son directeur, M. Rachid Nini à la prison est celle relative à seschroniques qui ne sont point appréciées par les autorités. Dans ses chroniques (chouf-tchouf) M. Nini traitait des affaires relatives à la corruption et, surtout, aux activités dela Direction générale de la surveillance du territoire (DST) et de son directeur M.Abdellatif Hammouchi dans sa politique relative notamment à la lutte contre leterrorisme. M. Neni mettait en doute le bien fondé des activités de cette direction etévoquait des cas de torture pratiquée dans un centre de détention de Témara (près deRabat).

79 M. Nini a été arrêté le 28 avril 2011 et poursuivi en détention préventive jusqu’à sa

condamnation en juin suivant. Il fut condamné à un an de prison ferme pour avoir ''jetédu discrédit sur une décision de justice, tenté d'influencer la justice et publié desinformations sur des actes criminels non avérés''. Il a purgé l’intégralité de sa peine.L’arrestation et la condamnation de M. Nini ont été condamnées par les organisationsde défense des droits de l’homme aussi bien marocaines qu’internationales.

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c) La presse et le terrorisme

80 La loi relative à la lutte contre le terrorisme adoptée en 2003 a prévu des dispositions

très restrictives à l’égard de la liberté d’expression. En effet, la loi prévoit des sanctions(emprisonnement de 2 à 6 ans et amende de 10 000 à 200 000 dirhams) en cas d’apologied’actes terroristes par des moyens écrits ou verbaux (article 218-2 du Code pénal), c’est-à-dire par les discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou les réunions publicsou par des écrits, des imprimés vendus, distribués ou mis en vente ou exposés dans leslieux ou réunions publics soit par des affiches exposées au regard du public par lesdifférents moyens d'information audiovisuels et électroniques sont sévèrement punies(art. 218-2 du Code pénal). Cet article concerne aussi bien de simples citoyens que lapresse et risque de semer des doutes dans les esprits et de créer une situation de peur.Désormais, les interprétations sont possibles pour sanctionner des citoyens qui osentaborder par exemple les problèmes de terrorisme en expliquant leurs causes sans pourautant les justifier. En somme, cette loi devient un moyen de terreur entre les mainsdes autorités pour restreindre les libertés et instaurer un régime quasi d'exceptiondans des situations normales. Sur la base de cette loi plusieurs journalistes ont été jugéset condamnés à des peines d’emprisonnement.

81 Toutefois, l’affaire la plus récente qui a suscité l’indignation des défenseurs des droits

de l’homme est celle relative au directeur du site d’information en ligne « Lakome » M.Ali Anouzla. Celui-ci a été arrêté le 17 septembre 2013 pour avoir publié trois joursauparavant c’est-à-dire le 14 septembre un article sur le site « Lakome » relatif à unemenace terroriste formulée par l’Al qaida au Maghreb islamique (AQMI) à l'encontre duMaroc et proposait un lien vers le quotidien espagnol « El Pais » qui avait publiél’information et la vidéo. Après huit jours de garde à vue, M. Anouzla a été placé endétention préventive et mis en examen pour «assistance délibérée à des criminelsayant commis des actes terroristes », « fourniture de moyens pour des actionsterroristes », et « apologie de crimes terroristes ». Il encourt entre 10 à 30 ans deréclusion criminelle.

82 Il faut rappeler que le directeur de ce site n’a fait que proposer un lien vers un autre

site sans publier la vidéo d’AQMI, ni sans même proposer le lien de cette vidéo, alorsque le directeur de Lakome en langue française M. Boubker Jamaii a publié la vidéo etn’a pourtant pas été arrêté ni poursuivi. Ceci nous conduit à nous interroger sur lesvraies raisons de son arrestation. En effet, M. Anouzla est connu pour être unjournaliste d’investigation qui a publié de nombreux articles critiques sur la monarchie(son dernier article relatif au coût de la monarchie), sur la question du Sahara ditoccidental et sur les monarchies du Golf notamment l’Arabie Saoudite, sur lacorruption, etc. L’article de M. Anouzla a constitué l’opportunité pour les autoritéspour le sanctionner à des lourdes peines sur son comportement vis-à-vis de lamonarchie. Le recours à la loi anti terroriste constitue également un avertissement àl’ensemble des journalistes. Suite à des pressions internationales et à l’acceptation deM. Ali Anouzla de suspendre son site électronique, celui-ci sera libéré le 25 octobre2013. Il fait toujours l’objet de poursuites pénales sur la base de la loi pour la luttecontre le terrorisme.

Conclusion

83 Bien que la constitution du 29 juillet 2011 soit un texte confus et contienne des

dispositions contradictoires qui réduisent la portée des libertés, peu de lois organiques

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prévues par la constitution pour rendre effective certaines libertés ont été adoptées. Sil’on se réfère aux deux lois organiques relatives à la chambre des représentants et auxpartis politiques, on constate, comme nous l’avons souligné précédemment, qu’elles ontintroduit des restrictions réduisant sensiblement l’exercice des libertés, telles que lesdispositions qui ne permettent aux marocains résidant à l’étranger de n’exercer leurdroit de vote que par délégation ou celles introduisant l’autorisation préalable pour laconstitution des partis. Les lois relatives au nouveau statut de la justice n’ont toujourspas vu le jour. Pourtant, la constitution précise dans son article 117 que « le juge est encharge de la protection des droits et libertés et de la sécurité judiciaire des personnes etdes groupes, ainsi que de l’application de la loi ».

84 Il faut rappeler que la nouvelle constitution a hissé la justice au rang de pouvoir et

consacre de nouveaux principes susceptibles de garantir l’indépendance de la justice.Désormais, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire dispose de l’autonomieadministrative et financière (article 116). Il « veille à l’application des garantiesaccordées aux magistrats, notamment quant à leur indépendance, leur nomination,leur avancement, leur mise à la retraite et leur discipline ». En matière disciplinaire, leConseil supérieur du pouvoir judiciaire est assisté par des magistrats-inspecteursexpérimentés. L’élection, l’organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur dupouvoir judiciaire, ainsi que les critères relatifs à la gestion de la carrière desmagistrats et les règles de la procédure disciplinaire sont fixés par une loi organique ».Dans l’attente d’adopter des lois qui rendent effectives les nouvelles dispositionsconstitutionnelles, les institutions et les lois qui régissaient le statut de la justicecontinuent d’être appliquées. Or, ces dispositions font du ministre de la justicel’autorité principale dans le processus de promotion et de sanction des magistrats. Si leministre actuel de la justice et des libertés a préparé deux projets de lois organiques envue d’adapter la législation actuelle au nouveau texte constitutionnel, ces textesdemeurent à l’état de projet. Pourtant, la nouvelle constitution a été promulguéedepuis près de trois ans. En outre, la loi relative à la mise en œuvre de la dispositionconstitutionnelle prévue par l’article 133 qui a introduit l’exceptiond’inconstitutionnalité n’a pas non plus vu le jour. Les justiciables ne peuvent toujourspas saisir les tribunaux par voie d’exception à l’égard des lois considérées comme nonconformes à la Constitution. La loi organique relative à la nouvelle Courconstitutionnelle n’a pas non plus été adoptée, et c’est toujours l’ancien Conseilconstitutionnel qui assure ses nouvelles fonctions. On constate que les lois prévues parl’actuelle constitution et qui sont susceptibles de renforcer la protection des droits etdes libertés ne sont pas prioritaires dans l’action du pouvoir politique, ce qui rendproblématique les réformes constitutionnelles et leur applicabilité dans le régimepolitique marocain.

NOTES

1. Voir Omar Bendourou et al ; « La réforme Constitutionnelle marocaine de 1992 », Revue du droit

public et de la science politique en France et à l'étranger, 1993, pp. 431-446

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2. Discours du roi du 20 août 1992.

3. Discours du roi du 20 août 1999.

4. Discours du roi du 12 octobre 1999.

5. Dans son premier discours du trône du 30 juillet 1999, le roi souligne : « Nous sommes

extrêmement attaché à la monarchie constitutionnelle, au multipartisme, au libéralisme

économique, à la politique de régionalisation et de décentralisation, à l’édification de l’État de

droit, à la sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés individuelles et collectives, et au

maintien de la sécurité et de la stabilité pour tous ». Il réitère les mêmes idées au cours de

plusieurs discours.

6. Voir Al Bayane : http://www.albayane.press.ma/index.php?option=com_content&view=article&id=15009:la-promotion-des-droits-de-lhomme-au-maroc&catid=44:actualites&Itemid=118.

7. Il s’agit essentiellement de la Haute autorité de la communication audiovisuelle, du Conseil de

la concurrence, de l’instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la

corruption, du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique,

du Conseil consultatif de la famille et de l’enfance et du Conseil consultatif de la jeunesse et de

l’action associative (art. 165-170).

8. Voir Omar Bendourou, « La consécration de la monarchie gouvernante »,L’Année du Maghreb

, VIII, 2012, (CNRS, Paris), pp. 391-404.

9. Nous avons déjà posé cette problématique lors de l’analyse de la Constitution de 1992. Voir

Omar Bendourou, et al., « La réforme Constitutionnelle marocaine de 1992 », op. cit.

10. Voir Omar Bendourou, « La loi marocaine relative aux partis politiques », Année du Maghreb,

2006 (Paris, CNRS).

11. Voir Omar Bendourou, Libertés publiques et Etat de droit au Maroc, Collection Droit public,

Friedrich Ebert, Rabat, 2004.

12. L’article 19 dispose : « L’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à

caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le

présent Titre et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et

pactes internationaux dûment ratifiés par le Maroc et ce, dans le respect des dispositions de la

Constitution, des constantes du Royaume et de ses lois. L’Etat œuvre à la réalisation de la parité

entre les hommes et les femmes. Il est créé, à cet effet, une Autorité pour la parité et la lutte

contre toutes formes de discrimination ».

13. Dahir n° 1-11-165 du 14 octobre 2011 portant promulgation de la loi organique n° 27-11

relative à la Chambre des représentants, B.O. n° 5992 du 03-11-2011, p. 2346.

14. Depuis son indépendance en 1956, le Maroc a connu six constitutions promulguées

respectivement en 1962, 1970, 1972, 1992, 1996 et 2011.

15. L’article 12 énonce : « Les associations de la société civile et les organisations non

gouvernementales se constituent et exercent leurs activités en toute liberté, dans le respect de la

Constitution et de la loi. Elles ne peuvent être dissoutes ou suspendues, par les pouvoirs publics,

qu’en vertu d’une décision de justice ».

16. L’article 29 précise : « Sont garanties les libertés de réunion, de rassemblement, demanifestation pacifique, d’association et d’appartenance syndicale et politique. La loifixe les conditions d’exercice de ces libertés ».

17. L’article 12 énonce: « Les associations de la société civile et les organisations nongouvernementales se constituent et exercent leurs activités en toute liberté, dans lerespect de la Constitution et de la loi. Elles ne peuvent être dissoutes ou suspendues,par les pouvoirs publics, qu’en vertu d’une décision de justice. Les associationsintéressées à la chose publique et les organisations non gouvernementales, contribuent,

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Page 110: La Revue des droits de l’homme, 6

dans le cadre de la démocratie participative, à l’élaboration, la mise en œuvre etl’évaluation des décisions et des projets des institutions élues et des pouvoirs publics.Ces institutions et pouvoirs doivent organiser cette contribution conformément auxconditions et modalités fixées par la loi. L’organisation et le fonctionnement desassociations et des organisations non gouvernementales doivent être conformes auxprincipes démocratiques ».

18. L’’article 22 du Pacte précise que « Toute personne a le droit de s'associer librement avec

d'autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d'y adhérer pour la protection de ses

intérêts ».

19. « Maroc-Hebdo », 9/15-04-1999.

20. M. Omar Azziman avait évoqué le 5 avril 1999 au cours d'un dîner-débat organisé par l'USFP à

Casablanca, « la situation des juges et présidents de tribunaux qui sont toujours en attente des

instructions, ce qui laisse la justice repliée sur elle-même et impuissante à évoluer ». Voir

« Maroc-Hebdo », 9/15-04-1999.

21. M. Abbas El Fassi était à l’époque ministre d’Etat sans portefeuille sous le gouvernement

Jettou (2002-2007). Voir « Al Ittihad Al Ichtiraki », 14-11-2005.

22. Transparency Maroc, La corruption au Maroc, Synthèse des résultats des enquêtes

d’intégrité, 2005 (75 pages). Les résultats du baromètre mondial de la corruption publié

régulièrement par Transparency International confirme cette tendance. Ainsi, les résultats

publiés le 9 juillet 2013 par cette dernière placent la santé, la police, les administrations

publiques et le système judiciaire comme des secteurs les plus corrompus. Voir le communiqué

du bureau exécutif de Transparency Maroc du 9 juillet 2013: http://transparencymaroc.ma

23. Voir Omar Bendourou, La loi marocaine relative aux partis politiques, Op. Cit.

24. Déclaration du ministère de l’Intérieur, MAP, Rabat, 20/02/08. Dans cette affaire, 35

personnes ont été poursuivies pour « atteinte à la sécurité intérieure du pays ; formation d’un

groupe criminel visant à préparer et à commettre des actes terroristes dans le cadre d’un projet

collectif visant à menacer gravement l’ordre public par la terreur, la violence, le meurtre

prémédité et la tentative d’assassinat avec usage d’armes à feu avec préméditation ; transport et

détention d’armes à feu et de munitions pour l’exécution de visées terroristes ; falsification de

documents officiels et usurpation d’ identité ; don et collecte de fonds et de biens à exploiter dans

l’exécution de projets terroristes ; vols multiples et blanchiment d’argent ». Elles ont été

condamnées le 28 juillet 2009 par le Tribunal de première instance de Salé. Les peines variaient

entre un an de prison avec sursis et l’emprisonnement à vie à l’encontre de M. Belliraj.

25. Il sera gracié par le roi en avril 2011.

26. L’article 7 énonce : « Les partis politiques œuvrent à l’encadrement et à la formation

politique des citoyennes et des citoyens, ainsi qu’à la promotion de leur participation à la vie

nationale et à la gestion des affaires publiques. Ils concourent à l’expression de la volonté des

électeurs et participent à l’exercice du pouvoir, sur la base du pluralisme et de l’alternance par

les moyens démocratiques, dans le cadre des institutions constitutionnelles. Leur constitution et

l’exercice de leurs activités sont libres, dans le respect de la Constitution et de la loi . Le régime

du parti unique est illégal ».

27. L’article 9 précise par ailleurs que « Les partis politiques et les organisations syndicales ne

peuvent être dissous ou suspendus par les pouvoirs publics qu’en vertu d’une décision de

justice ».

28. Dahir ni 1-11-166 du 22 octobre 2011 portant promulgation de la loi organique n° 29-11

relative aux partis politiques, B.O. n° 5992 du 03-11-2011, p. 2360.

29. Dahir n° 1-58-377 du 3 joumada I 1378 (15 novembre 1958, B. O. du 27-11-1958, p. 1912,

modifié par le dahir n° 1-73-284 du 6 rebia I 1393, B. O. du 11-04-1973, p. 534.

30. Dahir n° 1-02-200 du 12 joumada I 1423 (23 juillet 2002) portant promulgation de la loi n°

76.00 (adoptée par le parlement). B. O. n° 5048 du 17-10-2002, p. 1060.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

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Page 111: La Revue des droits de l’homme, 6

31. Le fonctionnaire peut prononcer, le cas échéant, la dissolution de la réunion soit sur demande

du bureau soit à son initiative s'il se produit des collisions ou des voies de fait (art. 7). Le

fonctionnaire n’est plus compétent, comme auparavant, pour dissoudre la réunion s’il constate

que la réunion porte ou est susceptible de porter atteinte à l’ordre public. Cette restriction, qui a

été ajoutée par les amendements de 1973, disparaît du texte actuel, ce qui réduit le pouvoir

discrétionnaire du fonctionnaire pour dissoudre la réunion au cas où il appréhenderait

uniquement ses conclusions et les conséquences de ses travaux.

32. Ces constations sont le fruit d’une enquête menée par l’auteur dans différentes régions du

pays.

33. L’article 25 énonce « Sont garanties les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous

toutes leurs formes. Sont garanties les libertés de création, de publication et d’exposition en

matière littéraire et artistique et de recherche scientifique et technique ».

34. L’article 28 énonce : « La liberté de la presse est garantie et ne peut être limitée paraucune forme de censure préalable. Tous ont le droit d’exprimer et de diffuserlibrement et dans les seules limites expressément prévues par la loi, des informations,des idées et des opinions…».

35. Dahir n° 1-58-378 du 3 joumada I 1378 du 15 novembre 1958, B. O. n° 2404 bis du 27/11/1958,

p. 1914, modifié par le dahir n° 1-73-285 du 6 rabia I 1393 (10 avril 1973), B. O. du 11-04-1973, p.

535. En 2002, le parlement a adopté des amendements promulgués par le dahir n° 1-02-207 du 25

rajab 1423 (3 octobre 2002), portant promulgation de la loi n° 77-00, B. O. n° 5080 du 6-2-2003, p.

131.

36. Ces informations portent sur le nom du périodique, son mode de publication et la langue de

publication; l’état civil du directeur du périodique et son domicile, l’état civil des rédacteurs

permanents, leur nationalité et leur domicile, l’imprimerie chargée de son impression, le capital

investi dans l’entreprise, son origine et la nationalité des actionnaires etc…(art. 5).

37. Pour les périodiques étrangers édités au Maroc, les responsables doivent obtenir une

autorisation préalable accordée par décret (art. 5 et 28).

38. L’ancien texte ne précisait pas la nature du récépissé qui est remis aux responsables ni le

délai au cours duquel le récépissé devait être délivré.

39. Dans le projet de loi initial présenté par le gouvernement, la parution automatique du journal

après le délai de 30 jours n'était pas prévue. Le texte permettait seulement aux intéressés

d'intenter un recours auprès du tribunal administratif en cas de non délivrance du récépissé

définitif un délai de six mois.

40. Sur la jurisprudence fondée sur « les valeurs sacrées », voir Omar Bendourou, Libertés

publiques et Etat de droit au Maroc , Collection Droit public, Rabat, 2004, pp. 175-180 ; Omar

Bendourou et Mohammed Sassi, La liberté d’expression au Maroc (en arabe), Association Adala,

2012.

41. Dahir n° 1-03.140 du 26 rabii 1 1424 (28 mai 2003) portant promulgation de la loi n° 03-03

relative à la lutte contre le terrorisme.

42. Voir Omar Bendourou, Libertés publiques et Etat de droit au Maroc, op. cit., p. 193-201.

43. Les directeurs des trois journaux ont porté l'affaire en déféré devant le tribunal administratif

de Rabat qui a rendu son arrêt le 20 décembre de la même année pour incompétence. Le juge des

référés a argué cette incompétence par le fait que la décision du Premier ministre a été prise

selon la loi qui lui conférait cette compétence. « L'opinion », 17-12-2000

44. C’est le porte-parole du gouvernement M. Al Achaari qui s’est expliqué à ce sujet, voir « Al

Ittihad Al Ichtiraki », 04-12-2000

45. Il faut souligner que les trois journaux du groupe Média Trust vont être autorisés à reparaître

en janvier 2001 avec des titres légèrement modifiés: «Le Journal hebdomadaire», «Assahifa al

ousbouya» et «Demain Magazine».

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46. «Le Journal» (8/12-12-2001) a précisé que «Ce retour délirant à l'âge de pierre n'ayant aucune

raison de s'arrêter là demain, ce seront les tomates ou les pamplemousses de telle ou telle ferme

royale qui seront défiées».

47. M. Lmrabet a mis en cause le général Hamidou Laânigri, à l’époque, responsable de la

Direction de la Surveillance du Territoire (DST, services de renseignements) et l'entourage du roi

à savoir MM. André Azoulay, conseiller du roi et Fouad Ali Al Himma, secrétaire d'Etat à

l'Intérieur pour avoir fomenté ce procès (Voir son interview publiée dans «Le Journal

Hebdomadaire», 24/30-11-2001.

48. Le 2 août 2009, le ministre de l’Intérieur a ordonné la saisie et la destruction des deux

hebdomadaires Télquel n° 386 et Nichane.

49. Voir Le Monde, 04 -08- 2009.

50. Voir le dossier sur l’affaire dans TélQuel n° 386-387 du 5 août au 4 septembre 2009, Le Monde,

04 août 2009.

51. Il s’agit du n°117, daté du 8 au 14 avril, du n° 118 daté du 15 au 21 avril et du n° 119 daté du 22

au 28 avril 2001.

52. Il s’agit de deux universitaires étrangers : Bernabé Lopez-Garcia et Khadija Mohsen-Finan.

53. Dans son édition du 17 février 2006, le journal belge « Le Soir » publie un article dans lequel le

journaliste Pascal Martin dresse un portrait négatif de cette personne. D’après l’enquête menée

par ce journaliste, M. Moniquet serait « agent ou proche du Mossad (les services secrets

israéliens), et en France de la DST ou de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) ». Il

est même décrit comme « un mercenaire », « un manipulateur », « un type qui se vend au plus

offrant ».

54. Le Tribunal de première instance de Casablanca a rendu le 16 février 2006 une décision

arrêtant un montant de trois millions de dirhams à verser, en dommage et intérêt, au CESC et

une amende de 50.000 dirhams à l’égard des deux responsables de l’hebdomadaire, MM. Fahd

Iraki et Boubker Jamai.

55. M. Lamrabet était contraint de quitter le Maroc pour s’installer à l’étranger (Espagne).

ABSTRACTS

If the new Moroccan constitution provides a long list of rights and freedoms, questions remain

about their effectiveness. It can indeed be find contradictions between the proclaimed rights and

legal limitations, involving emptiness of their substance. In addition, the exercise of several

pubic liberties reveals for decades the gap between the text and practice, and the problem of the

rule of law. Public authorities in charge to enforce the law tend to deny such of requirements.

Regarding the judges supposed to protect rights and freedoms, they don’t not have the required

independance to fulfill their missions, because on control to the executive power.

Si la nouvelle constitution marocaine prévoit une longue liste de droits et libertés, des

interrogations subsistent toutefois quant à leur effectivité. On relève en effet des contradictions

entre les droits proclamés et les restrictions qui les accompagnent, ce qui les vide de leur

substance. En outre, l’exercice de certaines libertés publiques depuis des décennies révèle le

décalage entre le texte et la pratique, ce qui pose le problème de l’Etat de droit. Les autorités

chargées d’appliquer la loi ont tendance à se soustraire à ses exigences. Quant à la justice qui est

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censée assurer la protection des droits et des libertés, elle ne dispose pas de l’indépendance

nécessaire à l’accomplissement de sa mission et reste soumise au contrôle de l’exécutif.

INDEX

Mots-clés: Droits de l’homme - droits politiques - liberté d’association - liberté de manifestation

- liberté de presse - partis politiques – terrorisme - justice

Keywords: Human rights - political rights - freedom of association - freedom of manifestation -

feedrom of the press - political parties – terrorism - justice

AUTHOR

OMAR BENDOUROU

Omar Bendourou est professeur à la faculté de droit de Souissi-Rabat. Il est responsable du

Master «Droit constitutionnel et science politique» ainsi que de l’«Equipe de recherche droit

constitutionnel et science politique »

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La gouvernance des Droits del’homme en Tunisiepostrévolutionnaire : état des lieux,difficultés et opportunitésSouheil Kaddour

Introduction1

1 On peut sans doute tous convenir que, presque tout naturellement, après les

révolutions, viennent à l’esprit les deux fameuses questions de Lénine : « Que faire ? » et« Par où commencer ? ». Je souhaiterais, à cette occasion, partager l’état des lieux, lesdifficultés et les opportunités de la gouvernance des Droits de l’Homme en Tunisieaprès la Révolution du 14 janvier 2011.

2 Le nécessaire accord sur le sens des mots qui nous permettra de « penser ensemble » un

certain nombre d’idées, exige que les termes de notre sujet soient élucidés dans leuracception la plus fondamentale2.

3 Ainsi, tout d’abord, par « Gouvernance », nous entendons « l’ensemble des valeurs, des

institutions, des règles, des mécanismes, et des processus, négocié et discuté, formalisé ou non,

par lequel les acteurs concernés participent à la décision, à l’exercice du pouvoir et à la mise en

œuvre de l’action publique, dans un but d’intérêt général »3. Pour plusieurs organisationstelles que l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE),s’ajoute la notion de « bonne gouvernance » qui renvoie plutôt à une prescriptionnormative. Les organisations internationales utilisent celle-ci pour adopter desmesures d’intervention et de financement auprès des pays se conformant aux critèress’y référant. La «bonne gouvernance » inclut souvent les principes suivants : présenced’un Etat de droit, absence de corruption, équité, responsabilité, efficacité,transparence, participation4. Ces principes, tels qu’explicités dans divers documentsinternationaux5 et de l’avis d’imminents auteurs, sont des conditions indispensablespour assurer la protection et la promotion des Droits de l’Homme et l'instauration

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d’institutions plus démocratiques. Comparée à la notion plus classique de« gouvernement » d’une société, celle de « gouvernance » est intéressante en ce qu’ellepermet d’appréhender le fait que des responsabilités autrefois dévolues à l’Etat sontactuellement progressivement partagées avec les acteurs sociaux et qu’émergent ainside nouvelles articulations entre l’État et la société civile6.

4 Ensuite, par l’expression « droits de l’homme », nous entendons « l’ensemble des facultés et

prérogatives considérées comme appartenant naturellement à tout être humain »7; nousreprendrons à notre compte le mode de leur classement le plus communément admis :droits civils et politiques, droits économiques, sociaux et culturels, droits dits desolidarité ou de 3ème génération.

5 Notre attention, en cette communication sur la gouvernance des Droits de l’Homme en

Tunisie, portera particulièrement sur l’exercice du pouvoir et la manière dont les normes

relatives aux droits de l’homme sont élaborées, décidées, légitimées, mises en œuvre et

contrôlées. Lorsqu’on aborde cette question d’importantes interrogations surgissent.

6 En premier lieu, des interrogations communes aux sociétés contemporaines, liées aux

demandes sociales toujours plus nombreuses, et mettant en exergue différentescontradictions : Etat-providence versus Etat-gendarme ? Interventionnisme versus

Libéralisme ? Etat versus Société civile ? Démocratie représentative versus Démocratieparticipative ? Participation politique versus Désaffection politique ? Légalité versus

Légitimité ? Centralisation versus Décentralisation ? Concentration versus

Déconcentration ?

7 En deuxième lieu, surviennent des interrogations spécifiques aux sociétés en transition,

liées aux priorités à aborder, et mettant en exergue différentes oppositions : Droit à lavérité versus Droit à la justice ? Droit à la réparation versus Garanties de non répétition(Assainissement et Réformes)? Impunité versus Réconciliation? Sécurité versus Stabilité?Etat démocratique versus Etat profond?

8 Enfin, en troisième lieu, il existe des interrogations propre à la société tunisienne, liées

à son contexte social, économique, politique et géographique spécifique qui mettent enexergue différents clivages : Modèle traditionnel du Droit étatique « impératif » «autoritaire » versus Nouveau modèle de régulation « participatif » «collectif » ?Légitimité constitutionnelle versus Légitimité révolutionnaire versus Légitimitéconsensuelle? Exercice du pouvoir fondé sur une source unique d’autorité ou sur unemultiplicité des sources d’autorité? Respect des droits de l’homme et des libertésfondamentales versus Lutter contre l’insécurité, le terrorisme, les atrocités du passé?...

9 La pratique de la gouvernance des droits de l’homme en Tunisie postrévolutionnaire a

progressivement mis en évidence la multiplication des acteurs impliqués dans la prise

de décision et la mise en œuvre des politiques publiques (I). Elle a révélé, en la matière,au-delà de certaines tensions, l’accroissement indéniable de l’implication de la sociétécivile dans l’action de l’Etat (II).

I. La multiplication des acteurs impliqués dans lagouvernance des droits de l’homme en Tunisiepostrévolutionnaire

10 La gouvernance des droits de l’homme en Tunisie, repose sur une multiplicité d’acteurs

différents et toujours plus nombreux8. Cette multiplication des acteurs et des structures

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appelle des questionnements relatifs notamment à leur légitimité, à leur efficacité et àla clarification de l’exercice des mandats. On distinguera les acteurs étatiques (A), desacteurs non étatiques (B).

A. La pluralité des acteurs étatiques

11 L’institution d’acteurs étatiques offre des tendances hétérogènes de continuation, de

suppression, de création, de modification ou de constitutionnalisation des structures.Après avoir dressé un état des lieux des acteurs intervenant dans le domaine des droitsde l’homme (1), on formulera quelques observations critiques relatives à leurfonctionnement (2).

1. Etats des lieux

12 Interviennent ou ont été appelées à intervenir en matière des droits de l’homme,

l’Assemblée nationale constituant a) ; les organes du pouvoir exécutif ; c) les instancesnationales indépendantes c).

a) L’Assemblée nationale constituante

13 Après la vacance définitive de la Présidence de la République le 14 janvier 2011, ont été

dissous, en vertu du décret-loi n°2011-14 du 23 mars 2011 portant organisationprovisoire des pouvoirs publics9, les instances suivantes : la Chambre des Députés, laChambre des Conseillers, le Conseil économique et social, et le Conseil constitutionnel.Le 23 octobre 2011, de l’avis de nombreux observateurs, « les premières élections libre de

l’histoire de la Tunisie » se sont tenues10.

14 Une Assemblée nationale constituante a été élue et chargée principalement d'élaborer

une nouvelle constitution pour la seconde République11. Elle exerce également lepouvoir législatif et le contrôle de l'activité gouvernementale. L’action de l’Assembléenationale constituante en matière des droits de l’homme s’effectue à travers diversmécanismes dont notamment ses séances plénières de questionnement duGouvernement ou ses différentes commissions constituantes, législatives et spécifiques.

b) La multiplicité des organes du pouvoir exécutif

15 On distinguera le président de la République, les organes gouvernementaux et les

organes administratifs.

i) Le président de la République

16 Pendant la première période transitoire, allant du 15 janvier 2011 au 23 octobre 2011,

date d’élection de l'Assemblée nationale constituante, le Président de la République parintérim exerçait des fonctions à la fois législatives et fonctions exécutives. En vertu dedécret-loi n°2011-14 du 23 mars 2011, portant organisation provisoire des pouvoirspublics, il pouvait ainsi intervenir, par voie décrétale (décrets-lois et décretsréglementaires), dans le domaine des droits l’homme et des libertés fondamentales. Lapratique montrera d’ailleurs qu’il en a fait un usage très important.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

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Page 117: La Revue des droits de l’homme, 6

17 Après l’adoption de la loi constituante n°2011-6 du 16 décembre 2011 relative à

l'organisation provisoire des pouvoirs publics le rôle du président de la République enmatière droits l’homme et des libertés fondamentales s’est réduit considérablement auprofit du gouvernement.

ii) Les organes gouvernementaux

18 Tout d’abord, a été créée une Commission nationale du Droit international humanitaire12.

Chargée de la vulgarisation des principes du droit international humanitaire, de ladiffusion de sa culture et de sa promotion, cette commission émet un avis consultatifsur les questions relatives à ce droit et ses domaines d’application.

19 Ont, ensuite, été institués un ensemble de Conseils supérieurs consultatifs. Il s’agit des

Conseil supérieur du développement, Conseil supérieur de la promotion de l'emploi,Conseil supérieur de la recherche scientifique et de l'innovation technologique, Conseilsupérieur de la promotion des ressources humaines, Conseil supérieur de la promotionsociale et de la protection des personnes porteurs d'handicap, Conseil supérieur de laprotection de l'environnement et de la gestion durable des ressources naturelles. « Ces

conseils se veulent un espace pour l'étude, le dialogue et la concertation autour des politiques et

des programmes nationaux relevant de leurs compétences, ils s'intéressent également au suivi de

leur exécution »13. L’Histoire retiendra que ces « bonnes intentions » sont restées lettresmortes. Après la Révolution, ce dispositif a été maintenu et a connu la création d’unConseil supérieur de lutte contre la corruption, la récupération et la gestion des avoirset bien de l’Etat à côté.

20 Enfin, à côté des Départements chargés des droits de l’homme au sein de certains ministères

tels le ministère des Affaires étrangères et le ministère l’Intérieur, un ministère des

Droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle a été créé le 19 janvier 2012. Il est chargéde la présentation et du suivi de l’exécution de la politique portant sur les droits del’Homme. Il est également chargé, dans le cadre de son rôle de coordination et deconsultation avec les autres ministères, les structures, les organisations et associationsconcernées, de contribuer à la préservation des Droits de l’Homme, à la consécration deleurs valeurs et à la propagation de leur culture droits ainsi qu’à la garantie de leurexercice conformément à la législation nationale, aux conventions et aux traitésinternationaux s’y rapportant14.

21 Entre une justice qui fonctionne encore mal, pour certains, et qui attend sa réforme, et

des commissions multiples à la fonction limitée et critiquée, la décision dugouvernement de fonder un ministère des Droits de l’Homme et de la Justicetransitionnelle était porteuse d’espoir. Le ministère est censé être « un guichetunique » pour tout ce qui a trait aux Droits de l’Homme et à la justice transitionnelle, sedevant de faire la jonction entre les différents acteurs publics ainsi qu’avec lesorganisations de la société civile. Face à des Commissions de vérité nommées sansréelle consultation préalable et fustigées pour leur absence de stratégie », leur« improvisation »15, leur « système désorganisé sans centralisation effectives»16 ou leur« manque de coordination évident »), pour certains, « la création du nouveau ministère

apporte de la cohérence, en ce qu’il existe désormais un organe apte à centraliser les différentes

initiatives étatiques et administratives, tout en assurant leur coordination avec les mouvements

des droits de l’homme »17.

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Page 118: La Revue des droits de l’homme, 6

22 Toutefois, « décrié » par certains, « salué »18 par d’autres l’initiative de créer un

ministère « chargé des Droits de l’Homme » n’a pas non plus fait l’unanimité. Despréoccupations ont été exprimées par diverses parties prenantes devant le risque quele ministère limite le rôle et la participation de la société civile dans la prise de décisionet la formulation des politiques publiques relatives aux droits de l’homme et à la justicetransitionnelle. Le ministère est perçu comme étant l’instrument par lequel legouvernement s’approprie le processus décisionnel dans une matière où il ne peutpourtant être juge et partie19. Toutefois, dans la pratique, l’ouverture que le ministère amanifestée envers la société civile a relativement dissipé ces appréhensions.

iii) Les organes administratifs

23 Nous nous contenterons de citer, à titre d’exemples, les structures suivantes :

24 L’équipe du Citoyen superviseur. Cette structure relève de la Présidence du

gouvernement20

25 Les établissements publics21. On relève deux types d’établissements publics : les

établissements publics à caractère administratif (ex. : Services du Médiateuradministratif22 ; Observatoire d’information, de formation, de documentation et desétudes sur l’enfance23) et les établissements publics à caractère non administratif (ex. :Centre de Recherches, d’Etudes, de documentation et d’Information sur la Femme(CREDIF)24).On note également dans la législation tunisienne l’existence desObservatoires et centres d’information, de formation, de documentation et des étudesqui sont des établissements publics soit à caractère administratif soit à caractère nonadministratif conformément au décret les créant25.

26 Les autorités administratives indépendantes26. On citera, principalement, l’Instance

nationale de protection des données à caractère personnel27

c) La multiplication des instances nationales indépendantes

27 Les instances nationales indépendantes prévues pour intervenir en matière de droits de

l’homme sont très nombreuses. Citons là encore en guise d’état des lieux :

28 Les instances ad hoc créées et disparues pendant la période de transition : l’Instance

supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique etde la transition démocratique28 ; Commission nationale d'investigation sur lacorruption et la malversation29 ; Commission nationale d'investigation sur les abusenregistrés au cours de la période allant du 17 décembre 2010 jusqu'àl'accomplissement de son objet30.

29 Les instances préservées ou nouvellement créées : le Comité supérieur des droits de

l’Homme et des libertés fondamentales31 ; l’Instance nationale indépendante pour laréforme du secteur de l'information et de la communication (remplaçant le conseilsupérieur de la communication institué en 2008)32, la Haute Autorité Indépendante dela Communication Audiovisuelle33, l’ Instance provisoire pour la supervision de lajustice judiciaire (remplaçant le conseil supérieur de la magistrature institué en 1969)34,l’ Instance supérieure indépendante pour les élections (remplaçant la 1ère Instancesupérieure indépendante pour les élections créée en 2011)35, l’Instance nationale pourla prévention de la torture36

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30 Les instances constitutionnelles indépendantes prévues dans la nouvelle Constitution

promulguée le 27 janvier 2014 : l’instance des élections (art. 126 de la constitution),l’instance de la communication audiovisuelle (art. 127 de la constitution), l’instance desdroits de l’homme (art. 128 de la constitution), l’Instance du développement durable etdes droits générations futures (art. 129 de la constitution), l’Instance de la bonnegouvernance et de la lutte contre la corruption (art. 130 de la constitution).

2. Observations critiques

31 La pluralité des structures étatiques intervenant dans le domaine des droits de

l’homme en Tunisie, que l’on vient de présenter, n’a pas empêché les critiques à leurségards. Ces critiques se fondent généralement sur l’analyse de la législation, de ladoctrine, de la pratique, ou des rapports internationaux. La doctrine, les observateurs,les organisations de la société civile et, en particulier, les défenseurs des droits del’homme n’ont pas manqué de relever certaines défaillances, lacunes et incohérencesentourant la manière dont les différentes structures étatiques participent à la décision,à l’exercice du pouvoir et à la mise en œuvre de l’action publique en matière des droitsde l’homme. Plusieurs types d’insuffisances ont été soulignés.

a) Insuffisances liées aux compétences et aux attributions.

32 Pour certains, les structures étatiques œuvrant en matière des droits de l’homme en

Tunisie ne disposeraient pas de réel pouvoir décisionnel ; ils jouissent souvent depouvoirs principalement consultatifs. En outre, ils font l’objet de contrôles accrus : uncontrôle interne (appareil administratif) et/ou externe (pouvoir hiérarchique ouautorité de tutelle)

b) Insuffisances liées à la composition

33 Certaines critiques visent les membres des structures étatiques. Elles s’adressent souvent

aux modalités de désignation et de révocation (membres généralement désignés et nonélus, ce qui pourrait affecter leur indépendance), au profil (membres ad honorem nonrémunérés), à la durée du mandat (parfois défaut de rotation entre les membres pourgarantir une certaine continuité), à la représentation prépondérante de l’exécutif etréduite de la société civile, à l’indétermination des droits et des obligations (ce quiaffecteraient par la suite la détermination des responsabilités).

34 D’autres critiques portent sur le personnel des structures étatiques. Elles visent

généralement la composition du personnel (le personnel ne reflète pas parfois ladiversité de milieux, de compétences et de connaissances), le choix du personnel(souvent la structure ne peut pas choisir et employer son propre personnel sur la based’exigence que lui seul détermine afin de garder l’indépendance de l’institution ;certaines structures incluent des fonctionnaires détachés au sein de leur personnel audétriment de leur propre personnel, ce qui représente un risque pour l’indépendancede l’institution), l’immunité et la protection (le personnel ne jouit pas des privilèges etimmunités nécessaires à l’exercice indépendant de ses fonctions), la rémunération(manque de rémunération adéquate en fonction des expériences et qualifications).

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c) Insuffisances liées aux modalités de fonctionnement

35 Sur ce plan, les structures étatiques sont critiquées pour le rattachement de leur

budget à l’organe de tutelle ou au budget de l’Etat, le manque des moyens matériels etfinanciers pour pouvoir œuvrer tel que prévue dans leur mandat, l’absence dereprésentation dans les régions, le manque de transparence (confidentialité desaudiences, des travaux, ou des rapports ; publication liée souvent à l’aval de l’autoritéde tutelle...), l’insuffisance des mécanismes de suivi et d’évaluation des propositions etrecommandations formulées, le manque d’efficacité (certaines structures se réunissentune fois seulement par an).

B. La prolifération des acteurs non étatiques

36 La prolifération de nouvelles organisations, institutions et associations en Tunisie

depuis la Révolution, a fait qu’un nombre sans précédents de nouveaux acteursnationaux (1) et internationaux (2) compose la société civile. Dans la pratique, cesdifférents acteurs sociaux semblent coexister et interagir en mêlant l’acceptation detensions et de conflits persistants et la reconnaissance et le respect des différences.

1. Foisonnement des Organisations de la Société Civile

37 Fréquemment, le terme « société civile » inclut des associations de participation

citoyenne marquant une opposition avec l’acteur « État ». L’Organisation des NationsUnies définit ainsi la société civile comme « les associations de citoyens (…) auxquelles

ceux-ci ont décidé d’adhérer pour promouvoir leurs intérêts, leurs idées et leurs idéologies. Ce

terme ne renvoie pas aux activités à but lucratif (secteur privé) non plus qu’à l’action des

pouvoirs publics (secteur public). Présentent un intérêt particulier pour l’ONU les organisations

de masse (telles que les organisations de paysans, de femmes ou de retraités), les syndicats, les

associations professionnelles, les mouvements sociaux, les organisations de peuples autochtones,

les organisations religieuses et spirituelles, les associations d’universitaires et les organisations

non gouvernementales d’intérêt public»37. Nous dirons quelques mots respectivement, despartis politiques des associations, des syndicats, des ordres professionnels et desmédias.

a) Les partis politiques

38 La légalisation de tous les partis politiques autrefois interdits est proclamée le 20

janvier 2011, soit sept jours après la Révolution. Le Rassemblement ConstitutionnelDémocratique, ancien parti au pouvoir, a été dissous par une décision de justice38. Unnouveau cadre juridique a été promulgué avec le décret-loi n°2011-87 du 24 septembre2011, portant organisation des partis politiques39. Actuellement, plus de 160 partispolitiques exercent leurs activités au sein du système politique tunisien, contre 7 avantla Révolution. Ces partis connaissent en ce moment d’importantes restructurationssous forme de fusion ou de regroupement (front, mouvance, mouvement…).

b) Les associations

39 Bien que, pendant plusieurs décennies, la situation dans le pays n’ait pas été de nature

à encourager la société civile à œuvrer ouvertement pour les droits de l’Homme, la

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Tunisie a une longue tradition d’associations consacrées à la défense de ces droits.Même sous l’ancien régime, une certaine société civile relativement indépendante aexisté, endurant une répression sévère et de graves violations des droits de l’Homme dela part de l’Etat.

40 Le décret-loi n°2011-88 du 24 septembre 2011 constitue le nouveau cadre juridique qui

régit les associations en Tunisie40. Ce texte établit un régime de déclaration(notification) plutôt que d’autorisation (d’enregistrement) et facilite la coopérationentre les organisations non gouvernementales locales et internationales. De ce point devue, il est largement conforme aux normes internationales concernant la libertéd’association.

41 La vie associative en Tunisie compte actuellement plus que 16 000 associations, contre

environ 9000 avant la Révolution. Les associations, instances, organisationscoordinations œuvrant dans les domaines ayant directement traits aux droits del’Homme avoisinent un millier (associations pour la promotion et la protection desdroits de l’enfant, de la femme, des personnes âgées, des personnes disparues… ;associations de lutte contre la torture, la corruption, le chômage… ; associations pour ledéveloppement de la transparence, de la bonne gouvernance, des régionsdéfavorisées…).

c) Les syndicats

42 Historiquement, les syndicats constituent une force vitale en Tunisie41. L'Union

générale tunisienne du travail (UGTT) est la principale centrale syndicale de Tunisieavec 750 000 adhérents. Elle a été fondée le 20 janvier 1946. Implantée pour l'essentieldans le secteur public, elle regroupe 24 unions régionales, 19 organisations sectorielleset 21 syndicats de base. Certains lui reprochent néanmoins une centralisation dupouvoir, une faible représentation des femmes et de certaines régions.

43 Après la Révolution, le pluralisme syndical est adopté : la Confédération générale

tunisienne du travail (CGTT), l'Union des travailleurs de Tunisie (UTT) et l'Organisationtunisienne du travail (OTT) sont respectivement créés le 1er février 2011, le 1er mai 2011et le 26 août 2013.

d) Les ordres professionnels

44 Les organisations professionnelles jouent incontestablement un rôle important dans la

vie associative, particulièrement en ce qui concerne l’information, le contrôle,l’évaluation et le suivi des politiques publiques. En Tunisie, les mouvements sociaux deprotestations déclenchés en décembre 2010 à Sidi Bouzid, se sont nettement amplifiésavec la mobilisation et la grève des avocats suite à l'appel de l'Ordre national desavocats de Tunisie.

45 Après la Révolution, l'Ordre national des avocats de Tunisie est considéré comme un

acteur social principal, et son rôle s’est manifestement accentué. Il fut ainsi un membreactif de l'Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de laréforme politique et de la transition démocratique. Il est l’un des membres du Quartetconduisant l’actuel dialogue national de sortie de crise.

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e) Les médias

46 Le secteur des médias en Tunisie compte depuis plusieurs années un large éventail de

chaînes de télévision (publiques et privées), stations de radio publiques et privées(nationale et régionales), journaux et autres publications, dont le nombre estconsidérablement renforcé après la Révolution. Ces médias sont restés les mêmes aprèsla Révolution, mais leur discours est désormais différent. Nombre d’entre eux ontadopté une position critique à l’égard de la politique du Gouvernement, ce qui auraitété impensable sous le régime précédent. La réglementation stricte à laquelle étaientsoumises les publications étrangères est, par ailleurs, considérablement assouplie.

47 Désirant remplacer les législations de la presse et de l’audiovisuel restrictives héritées

de l’ancien régime et faciliter la transition du pays vers la démocratie, en fournissantdes garanties juridiques pour un paysage médiatique libre, les autoritéspostrévolutionnaires ont édicté un nouveau cadre législatif en la matière dontprincipalement : le décret-loi n°2011-115 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de lapresse, l'imprimerie et l'édition et le décret-loi n°2011-116 du 2 novembre 2011 relatif àla liberté de communication audiovisuelle et la création de la Haute AutoritéIndépendante de la Communication Audiovisuelle42.

48 Après une certaine réticence du Gouvernement, plusieurs mouvements de protestation

et des pressions exercées par les professionnels des médias et la société civile43 et desrecommandations d’organisations internationales (gouvernementales et nongouvernementales)44 ont finalement permis la mise en œuvre effective des dispositionsde ces deux textes avec notamment l’établissement et la nomination des membres de laHaute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle, le 3 mai 2013. Pourles défenseurs de la liberté d’expression et de la presse, la mise en place de cetteinstance indépendante d’autorégulation est le premier pas concret dans le processus deréforme du secteur médiatique tunisien45.

49 Cependant, de l’avis de plusieurs observateurs, la plupart des acteurs sociaux dans la

Tunisie postrévolutionnaire souffrent d’une capacité d’organisation limitée. Il estnécessaire, pour les aider à assumer leur rôle essentiel dans la société, de leur assurerune formation et un soutien en matière de plaidoyer, de surveillance, de planificationorganisationnelle et de communication. En outre, plus important encore, ces acteursdoivent être sensibilisés aux droits de l’Homme et aux principes qui leur sont inhérentsafin de pouvoir œuvrer pour la pleine réalisation de ces droits46.

50 Les observateurs relèvent également le problème épineux de la fragmentation et de la

politisation de la société civile, traditionnellement indépendante, après la Révolutiondu 14 janvier 2011. Il est vivement recommandé à cet égard à tous les acteurs, étatiqueset sociaux, de faire des efforts pour que les différentes composantes de la société civilepuissent dialoguer et coopérer malgré leurs divergences idéologiques.

2. L’« avalanche » des acteurs internationaux

51 Etant le premier pays qui a déclenché l’étincelle de la Révolution et de la transition

dans les pays du « printemps arabe », la Tunisie a suscité un intérêt particulier auprèsdes acteurs internationaux et régionaux : délégations officielles étrangères,organisations internationales gouvernementales, organisation internationales nongouvernementales, experts internationaux, centres de recherches, Cabinet de conseils,

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bureau d’études, banque de développement, médias… Les tunisiens assistent, à la foisenthousiastes et perplexes, à une « avalanche » sans précédent de l’aide international.

52 Une Organisation non gouvernementale, l’Institut de Transitions Intégrés (ITIF), a

même mis en place le « Tunisia Transition Actor Mapping Project », dont le but est defournir un aperçu des principaux fournisseurs internationaux d’assistance techniquesaux décideurs tunisiens et aux acteurs de la société civile concernant les quatrepriorités stratégiques de la transition : la réforme des médias, la réforme judicaire, laréforme du secteur de la sécurité et le chômage des jeunes. Le résultat de ce travail aété publié, en mars 2013, dans un rapport intitulé : « Inside the transition bubble :

International Expert assistance in Tunisia »47.

53 Certains auteurs n’ont pas manqué néanmoins de relever « les effets pervers de ce qui a été

qualifié d’‘injonction démocratique’ sur la poursuite des processus démocratiques et sur

l’appropriation par les sociétés et populations des Etats aidés des valeurs démocratiques qui

risquent d’apparaître comme un article d’imploration accompagné de son cortège de modèles, de

techniques juridiques et d’articles politiques conçus ailleurs »48. Pour Jean du Bois deGAUDUSSON, « le discours dominant de la bonne gouvernance ne dissimule pas dans le fond,

bien que prétendant apolitique, l’adhésion à un projet politique qui tend à « dé-culturer » les

questions de gestion publique, les mécanismes fondamentaux de la démocratie ». Il enlève sa

charge idéologique et morale à la démocratie et aux droits de l’Homme, au nom d’un

universalisme qui est démenti à chaque volet du modèle (…) le champ politique en vient à être

considéré plus comme un lieu de gestion des ressources et un marché que comme un lieu d’accès

au pouvoir et aux processus de prise de position pour élaborer une projet de société »49.

54 Ces critiques, bien que relativement fondées, ne peuvent dissimuler le rôle primordial

joué par les différents acteurs internationaux à l’appui des organisations de la sociétécivile tunisienne, après la Révolution du 14 janvier 2011, en particulier ceux quitravaillent avec les défenseurs des droits de l’homme. Il y a lieu de noter,particulièrement, les efforts inventifs déployés par les donateurs internationaux pourque les composantes de la société civile travaillent main dans la main, au-delà desclivages idéologiques et politiques.

II. L’accroissement de l’implication citoyenne dans lagouvernance des droits de l’homme en Tunisiepostrévolutionnaire

55 Le plus grand défi auquel la Tunisie postrévolutionnaire est confrontée aujourd’hui est

la mise en place d’une nouvelle conception des institutions de l’Etat qui soiententièrement responsables envers le peuple. Cette redéfinition exigera,particulièrement, en matière des droits de l’homme, l’élaboration et la mise en œuvred’un nouveau cadre de gouvernance assurant une participation plus accrue et plus

effective de la société civile, à travers des mécanismes de dialogue plus ou moinsformels et plus ou moins poussés (information, consultation, discussion,négociation…)50 (A).

56 Devant une hausse fulgurante des demandes sociales, une multiplication des acteurs et

des ressources toujours plus rares, il est indéniable que la Tunisie connait de nos joursl’émergence d’une nouvelle démarche de gouvernance caractérisée parl’approfondissement démocratique de la prise de décision et de l’action publique, et par

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le déplacement progressif des légitimités de décisions et d’actions des acteurs étatiquesvers la société civile. Il est de plus en plus admis que les organisations, les usagers, lesexperts ou les citoyens, sont mieux à même d’évaluer les besoins sociaux réels et deproposer des solutions pertinentes. Ces acteurs sociaux doivent pouvoir« contrebalancer » le poids des acteurs étatiques, pour ne faire de l’Etat qu’un acteur« parmi les autres »51 (B).

A. L’amélioration de l’information de la société civile par l’Etat

57 L’information est une relation directionnelle de l’Etat vers les citoyens. C’est la

première étape à toute démarche de participation citoyenne. Il s’agit de donner lesentiment au citoyen d’une attention particulière accordé à sa situation, en déployantdes efforts à son encontre. En matière des droits de l’homme, il est très importantd’informer en amont et en aval de la prise des décisions pour donner à la population lesentiment d’être partie prenante au processus décisionnel. Les efforts entrepris, à cetégard, par les pouvoirs publics tunisiens après la Révolution pour consolider sontmultiples et louables.

58 Le droit d’accès à l’information publique en Tunisie postrévolutionnaire évolue en effet

progressivement vers un partenariat entre l’administration et la société civile. Enatteste clairement, l’adoption du décret-loi n°41 du 26 mai 2011 relatif à l’accès auxdocuments administratifs des organismes publics52.

59 Bien que certaines dispositions sont formulées d’une manière trop large et imprécises

laissant un champ considérable à l’interprétation, ce texte impose aux organismespublics, pour la première fois en Tunisie, une obligation de communication dans le butde promouvoir une culture de transparence et d’améliorer les relations entre legouvernement et les citoyens.

60 Il est utile de noter, à ce propos, l’initiative d’une association tunisienne qui a lancé en

juillet 2013 avec le soutien d’une organisation internationale la plateforme Marsoum 41

(qui signifie en arabe « Décret 41 »)53, un outil permettant de faciliter l’accès àl’information publique en Tunisie. Ce portail internet permet en effet aux citoyens, viaun formulaire à compléter en ligne, d’adresser directement des demandesd’information aux établissements publics tunisiens.

61 L’utilisation des NTIC pour mieux informer le public ne devient plus l’apanage des

organisations de la société civile tunisienne. Les acteurs étatiques se sont mis àl’épreuve. Dans cette perspective, les Nouvelles technologies de l’information et de lacommunication sont portées à être utilisées par les pouvoirs publics dans un espritd’ouverture, de transparence et de responsabilisation. A titre d’illustration, on peutciter, d’une part, la création de sites web pour mieux informer sur législation, lesdonnées et les politiques publiques (portail open data visant à faciliter l’accès auxdonnées publiques : http://www.data.gov.tn/ ; portail offrant des données sur lesmarchés publiques : http://www.marchespublics.gov.tn ; portail d’informationjuridique : www.legislation.tn ; portail de la justice en Tunisie : www.e-justice.tn ; pagesofficiels sur les réseaux sociaux tels que la page du Ministère des Droits de l’Homme etde la Justice Transitionnelle : https://www.ar-ar.facebook.com/mdhjt) ou, d’autre part,l’utilisation des NTIC pour mieux impliquer les citoyens dans la formulation et la miseen œuvre des normes et politiques publiques (portails permettant l’accès et lecommentaire des projets des textes juridiques : www.legislation.tn ; www.anc.tn portail

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pour la lutte anti-corruption : www.anticor.tn ; http://www.anticorruption-idara.gov.tn ; portail des consultations nationales en ligne : www.consultations-publiques.tn).

B. Le renforcement de la coopération entre l’Etat et la Société civile

62 Dans nos sociétés contemporaines, comme le note à juste titre certains auteurs, les

rapports de pouvoir, mais aussi, les rapports d’autorité sont bouleversés. Lagouvernance se présente de plus en plus comme une alternative intéressante pour dessociétés soumises à un véritable éclatement des sources d’autorité. Si le gouvernementexerce habituellement son pouvoir à partir d’une source unique d’autorité, lagouvernance repose sur une multiplicité des sources d’autorité, et par le fait même, depouvoir. Cela impose, notamment à l’État, de partager ce pouvoir avec des institutionset des groupes avec lesquels il coopère. Le rapport de coopération devient ainsi de plusen plus égalitaire entre les différents acteurs54. L’expérience de la société tunisiennepostrévolutionnaire en offre un exemple éclairant tant en ce qui concerne le recoursaux consultations (1) que l’institutionnalisation des mécanismes de dialogues et denégociation (2).

1. Recours accru aux consultations

63 La consultation est une relation bidirectionnelle : l’acteur étatique concerné organise la

consultation et oriente la démarche et les questions adressées aux citoyens, qui enretour, fournissent l’information nécessaire à l’acteur. Les autorités tunisiennes ontmultiplié, après la Révolution, la consultation des citoyens dans une logique derecherche de consensus, et ce, au moyen de différents instruments, tels que lescommunications, les comités consultatifs, les consultations nationales ad hoc, lesjournées portes ouvertes, les journées d’information et de sensibilisation...

64 Ces consultations aident les autorités publiques à arbitrer, dans le domaine vaste des

droits de l’homme, entre les revendications et priorités concurrentes. Elles permettentde mieux définir les politiques et élaborer les normes dans une perspective à plus longterme.

65 Pour illustrer notre propos, il suffit de se référer aux consultations approfondies qui

ont accompagné deux textes fondamentaux dans l’expérience tunisiennepostrévolutionnaire : la Constitution, promulguée le 27 janvier 2014, et la loi organique2013-53 du 24 décembre 2013 relative à l’instauration de la justice transitionnelle et àson organisation55.

2. Institutionnalisation des mécanismes de dialogue et de négociation

66 Signe de l’ère postrévolutionnaire en Tunisie, la formulation des politiques et des

stratégies, la résolution des conflits et des tensions, relatives notamment aux questionspolitiques, sociales ou économiques, se font de façon accrue et d’une manièrepermanente à travers les mécanismes de dialogue et de négociation sans qu’un desacteurs concerné n’abuse de pression ou de coercition pour assurer son autorité. Lesexemples éloquents à cet égard ne manquent pas.

67 En premier, lieu citons l’exemple de l’actuel dialogue nationale de sortie de crise entre

l’Etat et l’opposition sous les auspices de la Société civile (initiative de la Quartette

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(Union Générale Tunisienne du Travail, Union tunisienne de l’Industrie, du Commerceet de l’Artisanat, Ordre Nationale des Avocats de Tunisie, Ligue Tunisienne des Droitsde l’Homme), initié après l’assassinat d’imminents opposants politiques56, et qui apermis un transfert pacifique du pouvoir d’un gouvernement élu à un gouvernementdes compétences : une première dans l’Histoire politique de la Tunisie.

68 En deuxième lieu, citons l’exemple du dialogue national sur la justice transitionnelle

inauguré par les trois présidences en avril 2012, qui a impliqué plus de 2600participants (représentant les différents régions et secteurs d’activité), plus de 70organisations non gouvernementales, plusieurs experts internationaux, et qui a étécouronné en décembre 2013 par la promulgation de la loi relative à la justicetransitionnelle.

69 En troisième lieu, citons l’exemple du nouveau pacte social signé deux ans après la

Révolution, qui visent entre autres d’institutionnaliser un dialogue tripartitepermanent, régulier et global sur des questions d’intérêt commun au gouvernement, àl’Union Générale Tunisienne du Travail et à l’Union tunisienne de l’Industrie, ducommerce et de l’Artisanat.

Conclusion

70 Dans le sillage de la Révolution du 14 janvier 2011, les droits de l’homme et les libertés

fondamentales ont besoin d’être renforcés. Conscient de ce but commun les partiesprenantes en Tunisie s’efforcent de façonner un modèle, aussi « inspiré » et « singulier» que la Révolution, prenant particulièrement en compte les conflits et les tensions, ets’appuyant sur un mode de gouvernement plus ouverts, plus participatif, et plusinclusif.

71 Dans cette quête de compromis et de consensus, la communauté internationale a un

rôle primordial à accomplir, au-delà de l’aide financière ou technique : encourager,sans parti pris, les différents acteurs à travailler main dans la main, loin des clivagesidéologiques ou politiques. C’est à ces conditions, seulement, que l’Etat profond,autoritaire et corrompu, cèdera la place, sans risque de retour, à l’Etat de droit. Faut-ilrappeler qu'« il est essentiel que les droits de l'homme soient protégés par un régime de droit

pour que l'homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et

l'oppression »57.

NOTES

1. Cette communication a été présentée à la Table ronde : "les Printemps arabe et les Droits

de l'Homme", organisée par le Centre de Recherche sur les Droits Fondamentaux(CREDOF) à l'Université Paris Nanterre, Paris, France, le 10 Octobre 2013 ; une simplemise à jour a été effectuée en avril 2014. Les points de vus exprimés dans cetteprésentation ont caractère purement académique. Qu’il me soit permis, en avant-

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propos de remercier les organisateurs de cette table ronde pour l’intérêt porté au «printemps arabe » et aux « droits de l’homme », en particulier Mme. VéroniqueCHAMPEIL-DESPLATS et M. Malik BOUMEDIENE.

2. Sur l’exigence d’élucider les sens des mots dans une discipline, se rapporter très utilement à

l’ouvrage publié sous la direction de TUSSEAU Guillaume, Les Notions juridiques, Paris, Economica,

2009, 165 p.

3. Cette définition est inspirée de l’excellent article de LACROIX Isabelle et ST-ARNAUD Pier-

Olivier, « La gouvernance : tenter une définition », in Cahier de recherche en politique appliquée,

Automne 2012, Vol. IV, n°3, pp. 19-37. La littérature contemporaine offre un nombre considérable

d’études sur la notion de gouvernance, on se contentera de renvoyer aux références

bibliographiques citées par certains auteurs : LACROIX Isabelle et ST-ARNAUD Pier-Olivier, idem,

BASLE Maurice, « Evaluation des politiques publiques et gouvernance à différents niveaux de

gouvernement », in Cahier économique de Bretagne, 2000, n°2, pp.17-24.

4. Sur la notion de « bonne gouvernance », V. notamment, SMOUTS Marie-Claude,BATTISTELLA Dario et VENNESSON Pascal, Dictionnaire des relations internationales :

Approches concepts doctrines, Paris, Dalloz, 2003, 553 p.

5. V. notamment, Union Européenne (U.E), « Gouvernance européenne (Un livre blanc) », sur le site

de la Commission européenne, [en ligne], eur-lex.europa.eu/LexUriServ/site/fr/com/2001/

com2001_0428fr01.pdf (page consultée le 30 septembre 2013).

6. V. en ce sens, par exemple, l'avis du Comité économique et social sur « le rôle et lacontribution de la société civile organisée dans la construction européenne », JO C 329du 17.11.1999, p. 30.

7. CORNU Gérard (dir.), Vocabulaire juridique, 1ère éd., Puf/Delta, Paris, 1987 ; En la matière la

doctrine est extrêmement abondante, on se limitera à renvoyer à la bibliographie citée dans des

articles encyclopédique dont notamment, SUDRE Frédéric, « Droits de l’Homme », in Rép. Inter.

Dalloz, Paris, Dalloz, 1998.

8. Sur cette question on se permet de renvoyer avec intérêt au document de travail élaboré par

M. Wahid FERCHICHI, « les structures officiels des Droits de l’Homme en Tunisie », version

préliminaire non publié, Kawakibi Democracy Transition Center et GIZ, mai 2013.

9. JORT 25 mars 2011 n°20. Ce texte est sorti de vigueur après l’adoption par l’ANC de loi

constituante n°2011-6 du 16 décembre 2011 relative à l'organisation provisoire des pouvoirs

publics, JORT 20 et 23 décembre 2011 n°97.

10. International Crisis Group Working to prevent conflict Worldwide, Tunisie : lutter contre

l’impunité, restaurer la sécurité, Rapport Afrique du Nord/Moyen-Orient n°123, 9 mai 2012, p. 1.

11. La première Assemblée nationale constituante a été élue au mois de mars 1956. La

Constitution a été adoptée le 1er juin 1959 et la République proclamée le 25 juillet 1957.

12. Décret n°1051-2006 du 20 avril 2006, JORT 25 avril 2006 n°33.

13. Décret n°2010-3080 du 1er décembre 2010, 7 décembre 2010 n°98 tel que modifié et complété

par le décret n°2012-1425 du 31 août 2012, 31 août 2012 n°69.

14. Décret n°2012-22 du 19 janvier 2012, portant création du ministère des Droits del’Homme et de la Justice transitionnelle et fixation de ses attributions ; Décretn°2012-23 du 19 janvier 2012, relatif à l'organisation du ministère des droits del'Homme et de la Justice transitionnelle, JORT 20 janvier 2012 n°6.

15. V. en ce sens, Wahid (FERCHICHI (dir.), La justice transitionnelle en Tunisie : Absence de stratégie

et prépondérance d’improvisation 14 janvier/23 octobre 2011 (Synthèse), mai 2012.

16. International Crisis Group Working to prevent conflict Worldwide, Rapport précité, p. 21.

17. Idem, p. 23.

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18. V. par exemple : ONU, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des Droits

de l’Homme, Mission en Tunisie (27 Septembre – 5 Octobre 2012), A/HRC/22/47/Add.2 (Future), n°53, 22

Novembre 2012.

19. V. en ce sens, M. Wahid FERCHICHI, « les structures officiels des Droits de l’Homme en

Tunisie », précité ;

20. Décret n°1993-147, JORT 26 janvier 1993 n°7.

21. L’établissement public constitue un mode institutionnel de gestion des services publics. Il est

doté par son texte constitutif de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Une

classification consacrée distingue les établissements publics à caractère administratifs (EPA) des

établissements publics à caractère non administratif (EPNA). Les EPA sont chargé de service

public administratif et soumis, sauf exception, au droit public, BEN ACHOUR Yadh, op.cit., n°320 et

s.

22. C’est un établissement public à caractère administratif doté de la personnalité morale et de

l’autonomie financière, loi n°1993-51 du 3 mai 1993, JORT 11 mai 1993 n°35.

23. C’est un établissement public à caractère administratif, décret n°2002-327 du 14 février 2002,

JORT 22 février 2002 n°16, tel que modifié et complété ultérieurement.

24. Il s’agit d’un établissement public à caractère industriel et commercial doté de la personnalité

morale et de l’autonomie financière. Le Centre est régi par la législation commerciale dans la

mesure où il n’est pas dérogé par la loi de création. Il est rattaché au Premier ministère et placé

sous la tutelle du secrétariat d’Etat auprès du Premier ministre chargé des affaires de la femme et

de la famille. Le Centre est administré par un conseil d’administration présidé par un président

directeur général nommé par décret. Loi n°1992-121 du 29 décembre 1992 portant création du

Centre de Recherches, d’Etudes, de documentation et d’Information sur la Femme, telle que

modifiée et complétée ultérieurement, JORT 31 décembre 1992 n°88.

25. Loi n°1999-100 du 13 décembre 1999, telle que modifié et complété ultérieurement, JORT 17

décembre 1999 n°101.

26. Les autorités administratives indépendantes se situent à la frontière de l’administration

décentralisée et de l’administration déconcentrée. Sans avoir, en principe, la personnalité

juridique de la première catégorie, elles échappent au pouvoir hiérarchique de la seconde. Ce

sont des autorités. A ce titre, elles bénéficient de larges pouvoirs de décision. Ce sont des

autorités administratives. Elles restent donc comprises dans l’administration étatique, dépendant

du pouvoir exécutif. Ce sont des autorités indépendantes qui ne sont soumises ni à la hiérarchie,

ni à la tutelle de l’administration centrale, BEN ACHOUR Yadh, op.cit., n°17.

27. L’instance dispose de la personnalité morale et jouit de l’autonomie financière. Le budget de

l’Instance est rattaché au budget du ministère chargé des droits de l’Homme. Le président et les

membres de l’Instance sont désignés, pour trois ans, par décret, loi organique n°2004-63 du 27

juillet 2004, JORT 30 juillet 2004 n°31.

28. Instance publique indépendante, décret-loi n°2011-6 du 18 février 2011, JORT 22 février 2011

n°13.

29. Instance publique indépendante, décret-loi n°2011-7 du 18 février 2011, JORT 22 février 2011

n°13.

30. Instance publique indépendante, décret-loi n°2011-8 du 18 février 2011, JORT 22 février 2011

n°13.

31. C’est une institution nationale dotée de la personnalité juridique et de l’autonomiefinancière, loi 2008-37 du 16 juin 2008, JORT 24 juin 2008 n°51. Cependant, elle n’est pasconsidérée comme une institution nationale indépendante par le Comité internationalde coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection desdroits de l’homme, qui accrédite les institutions sur la base des Principes de 1993concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des

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droits de l’homme (Principes de Paris). Le Gouvernement provisoire a fait part, à laRapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, de sonintention de réviser le statut du Comité de façon à doter celui-ci d’un mandat conformeaux Principes de Paris; un projet de loi a été rédigé à cet effet, Rapport précité, n°54.

32. Instance nationale indépendante, décret-loi n°2011-10 du 2 mars 2011, JORT 4 mars 2011 n°14.

33. C’est une instance publique indépendante dotée de la personnalité civile et del’autonomie financière, décret-loi n°2011-116 du 2 novembre 2011, JORT 4 novembre2011 n°84.34. C’est une instance provisoire indépendante jouissant de l'autonomie administrative et

financière, loi organique n°2013-13 du 2 mai 2013, JORT 7 mai 2013 n°37.

35. C’est une instance publique indépendante et permanente dotée de la personnalité morale et

de l'autonomie administrative et financière, loi organique n°2012-23 du 20 décembre 2012, JORT

n°101 du 21 décembre 2012.

36. C’est une instance nationale indépendante, loi organique n°2013-43 du 23 octobre2013, JORT n°85 du 25 octobre 2013.

37. ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES. « Nous, peuples : société civile,Organisation des Nations Unies et gouvernance mondiale. Rapport du Groupe depersonnalités éminentes sur les relations entre l’Organisation des Nations Unies et lasociété civile », Site de l’Organisation des Nations unies, http://www.un.org/reform/a58_817_french.doc, p.15.

38. TPI de Tunis, affaire n°14332 du 9 mars 2011.

39. JORT 30 septembre 2011 n°74.

40. JORT 30 septembre 2011 n°74.

41. La Confédération générale des travailleurs tunisiens (CGTT) est le 1 er syndicattunisien fondé le 3 décembre 1924 par Mohamed Ali El Hammi. Elle sera dissoute plustard.

42. JORT 4 novembre 2011 n°84.

43. V. en ce sens, Nejiba HAMROUNI, Kamel LABIDI, Nabil JMOUR, « Lettre ouverte au

sujet de la création de la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle », Site

web de l’Instance Nationale pour la Réforme de l’Information et la Communication (INRIC), 2avril 2013, [en ligne] http://www.inric.tn/fr/index.php?option=com_content&view=category&id=1&layout=blog&Itemid=156 (page consultée le5 octobre 2013).

44. V. par exemple, ONU, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs

des Droits de l’Homme, Mission en Tunisie (27 Septembre – 5 Octobre 2012), précité, n°61 et s. ;Human Rights Watch (HRW), Rapport mondial 2013 (version abrégé), Site web de HRW, 31janvier 2013, [en ligne] http://www.hrw.org/fr/reports/2013/01/31/rapport-mondial-2013-version-abregee (page consultée le 5 octobre 2013), p. 167 ; OrganisationARTICLE 19, « Tunisie règlementation de l’audiovisuel », Site web ARTICLE 19, 30 avril2012, [en ligne] http://www.article19.org/resources.php/resource/2942/fr/tunisie-:-r%EF%BF%BD%C2%A9glementation-de-l%E2%80%99audiovisuel , (page consultée le 5octobre 2013).

45. V. par exemple, Reporters Sans Frontières (RSF), « La HAICA voit enfin le jour », Site

web de RSF, 7 mai 2013, [en ligne] http://fr.rsf.org/tunisie-la-haica-voit-enfin-le-jour-07-05-2013,44578.html (page consultée le 5 octobre 2013).

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46. V. en ce sens : ONU, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des Droits de

l’Homme, Mission en Tunisie (27 Septembre – 5 Octobre 2012), A/HRC/22/47/Add.2 (Future), idem.

47. Institute For Integrated Transitions (IFIT), « Inside the transition bubble : International Expert

assistance in Tunisia » Site web de l’IFIT, Avril 2013, [en ligne] http://www.ifit-transitions.org/

publications/inside-the-transition-bubble-international-expert-assistance-in-tunisia (page

consultée le 5 octobre 2013).

48. DE GAUDUSSON Jean du Bois, « Droits, démocratie, bonne gouvernance et Francophone :

Interrogations sur l’opportunité de reconnaitre un « droit à la bonne gouvernance » »,

Marrakech, 26-28 février 2004, p. 117.

49. DE GAUDUSSON Jean du Bois, idem.

50. OCDE. « Des citoyens partenaires. Information, consultation et participation à laformulation des politiques publiques », Site web de l’Organisation de Coopération et de

Développement économique, [En ligne].

51. Expressions empruntées de l’article de LACROIX Isabelle et ST-ARNAUD Pier-Olivier, précité.

La littérature contemporaine offre un nombre considérable d’études sur la notion de

gouvernance, on se contentera de renvoyer aux références bibliographiques citées par certains

auteurs : LACROIX Isabelle et ST-ARNAUD Pier-Olivier, idem, BASLE Maurice, « Evaluation des

politiques publiques et gouvernance à différents niveaux de gouvernement », in Cahier économique

de Bretagne, 2000, n°2, pp. 17-24.

52. JORT 31 mai 2011 n°39.

53. L’association « Touensa » ; Portail : www.marsoum41.org

54. KHOSROKHAVAR, Farhad « La gouvernance et la place du politique. Gouvernance, État et

société civile », La démocratie à l’épreuve de la gouvernance, Ottawa, Les Presses de l’Université

d’Ottawa, 2001, p. 122

55. JORT 31 décembre 2013 n°105.

56. Chokri BELAID homme politique et avocat assassiné le 6 février 2013 ; Mohamed BRAHMI

homme politique assassiné le 25 juillet 2013.

57. Déclaration Universelles des Droits de l’Homme, ONU 10 décembre 1948.

ABSTRACTS

Sign of the post-revolutionary time in Tunisia, the governance of human rights knows a period of

"democratic transition” towards a more “opened”, “inclusive” and “participative” model. After

the Revolution of January 14 January 2011, the Tunisian civil society has gradually forged the role

of a key player in making decision and implementing public policies on human rights; the state,

once omnipotent, appears now as a "player among others". In this new mode of governance, the

plurality of state actors is "offset" by the proliferation of social actors. Other highlights:

institutions, rules, mechanisms, and processes relating to human rights are, increasingly,

formulated, legitimized, implemented and controlled in terms of the involvement citizen, away

from ideological or political differences, through information, consultation, dialogue and

negotiation. Tensions, crises and contradictions of Tunisian society in transition, inherent to the

social, economic, political and geographical difficulties, are treated by state and social actors in

an approach of compromise and consensus. The Revolutionary legitimacy gives way to the

consensual legitimacy.

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Signe des temps postrévolutionnaire en Tunisie, la gouvernance des Droits de l’Homme connait

une période de « transition démocratique » vers un modèle plus « ouvert », plus « inclusif » et

plus « participatif ». Après la Révolution du 14 janvier 2011, la société civile tunisienne s’est forgé

progressivement le rôle d’un acteur incontournable dans la prise de décision et la mise en œuvre

des politiques publiques relatives aux Droits de l’Homme. L’Etat, jadis omnipotent, apparaît

désormais comme un « acteur parmi les autres ». Dans ce nouveau mode de gouvernance, la

pluralité des acteurs étatiques est « contrebalancer » par le foisonnement des acteurs sociaux.

Autres faits marquants : les institutions, les règles, les mécanismes, et les processus portant sur

les Droits de l’Homme sont, de plus en plus, élaborées, décidées, légitimées, mises en œuvre et

contrôlées sous l’angle de l’implication citoyenne, loin des clivages idéologiques ou politiques, à

travers les techniques de l’information, de la consultation, du dialogue et de la négociation.

Les tensions, les crises et les contradictions de la société tunisienne en transition, inhérentes au

contexte social, économique, politique et géographique difficile, se traitent par les acteurs

étatiques et sociaux dans une approche de compromis et de consensus. La légitimité

révolutionnaire cède la place à la légitimité consensuelle.

INDEX

Mots-clés: Gouvernance - Droits de l’Homme - transition démocratique - société civile -

politiques publiques - l’implication citoyenne - légitimité révolutionnaire - légitimité

consensuelle

Keywords: Governance - Human Rights – Democratic transition - Civil society - Public policies -

Citizen involvement - Revolutionary legitimacy – Consensual legitimacy

AUTHOR

SOUHEIL KADDOUR

Souheil KADDOUR (1972, Tunisie) est actuellement Conseiller du Ministre de la Justice, des Droits de

l’Homme et de la Justice Transitionnelle. De janvier 2012 à février 2014, il a occupé les mêmes

fonctions, au Cabinet du Ministre des Droits de l’Homme et de la Justice Transitionnelle.

De 2001 à 2012, il est Enseignant Chercheur à l’Université de Sousse et Expert juridique auprès de

divers organismes, publics et privés, nationaux et internationaux.

Il a publié plusieurs études et a participé à diverses conférences, nationales et internationales,

dans les domaines de Droit fiscal, de Gouvernance, des Droits de l’Homme, de Justice

transitionnelle et de légistique.

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De l’opposition constituante àl’oppositionconstitutionnelle : réflexion sur laconstitutionnalisation del’opposition parlementaire à partirdes cas tunisien et marocainAntonin Gelblat

« La démocratie ne saurait exister sans majoritéet minorité, majorité et opposition. »1

Moncef MARZOUKI

Président de la République tunisienne

1 Les printemps arabes, ces phénomènes révolutionnaires portés par des aspirations

démocratiques ont, suite à l’immolation de Mohammed BOUAZIZI le 17 décembre 2010,

embrasés le monde arabe, et conduit, plus ou moins directement, à l’adoption desnouvelles constitutions marocaine du 01 juillet 2011 et tunisienne du 26 janvier 2014.L’aspiration démocratique aurait donc trouvé une traduction constitutionnelle dans cesdeux Etats. Ainsi, après une méfiance première à l’égard de ces mouvementsrévolutionnaires2, les observateurs ont, pour la plupart, salué l’adoption de cesnouvelles constitutions supposées permettre d’instaurer ou de renforcer la démocratie,l’Etat de droit et le respect des droits et libertés dans les Etats qui s’en sont dotés. Il enirait d’ailleurs ainsi de la constitutionnalisation des droits de l’oppositionparlementaire, comme l’exprime le Président MARZOUKI lorsqu’il établit un lien

consubstantiel entre démocratie et opposition. Pourtant, et alors même qu’elle est, enFrance, souvent saluée comme un fleuron du constitutionnalisme, cette inscription del’opposition parlementaire au sein du texte constitutionnel est relativement rare auregard du droit comparé3. Les constituants se sont, pour la plupart, gardés d’inscrirel’opposition au sein même de leurs textes fondamentaux.

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2 Cette réticence s’explique peut-être par la difficulté à définir une telle notion qui

renvoie à « une réalité insaisissable quelque part entre droit et politique, entre le jeu des

institutions et celui des rapports de forces »4. L’opposition se conçoit donc d’abord comme« une activité politique » et serait « autant une action qu’une institution, celle-ciprécédant celle-là »5. Pour le professeur PIMENTEL, elle est « un rôle, une fonction endossée

par un groupe, mais non pas ce groupe lui-même »6. L’opposition se distingue donc de laminorité car cette dernière ne suppose pas de jugement à l’égard du titulaire dupouvoir, l’opposition en revanche désapprouve son positionnement politique et sepose, généralement, en alternative. Faute de définition satisfaisante, l’oppositions’appréhende alors le plus souvent à travers un ensemble de distinctions. On différencieen fonction de son envergure l’opposition nationale ou locale. De même, selon le lieu oùelle s’exprime, elle peut-être parlementaire, partisane ou civile. L’opposition peutégalement être différenciée en fonction de sa cible : la majorité, le Gouvernement, leChef de l’Etat ou enfin le régime en tant que tel. L’opposition est donc d’abord conçuecomme une activité plurielle, complexe, dont les manifestations varient en fonction dela conjoncture politique. Son appréhension juridique ne va donc pas sans difficultéspuisque celle-ci entraine nécessairement un changement dans la manière de concevoirl’opposition, non plus comme une activité politique mais comme une institutionjuridique, conformément à l’idée exprimée par le doyen FAVOREU, selon laquelle, non

seulement « la politique est saisie par le droit » mais, surtout, elle devrait l’être7.

3 Cette constitutionnalisation de l’opposition doit permettre, selon ses promoteurs, de

garantir le pluralisme politique et, partant, la démocratie. L’opposition, considéréecomme « une valeur en soi »8, consubstantielle à un régime démocratique et libéral,serait protégée contre les risques de « tyrannie de la majorité »9 et mieux à même dejouer son rôle de contre-pouvoir. Cette reconnaissance constitutionnelle est alors vuecomme un progrès permettant de garantir le caractère démo-libéral des régimes ainsiinstitués10. L’idée de « droits » conférés à l’opposition vient d’ailleurs renforceropportunément cette idée. Le professeur AVRIL faisait déjà ce constat au sujet du cas

français : « le vocabulaire du constituant mérite attention, pas seulement l'épithète ‘spécifiques’

mais aussi le mot ‘droits’ qui, parce qu'il s'oppose implicitement aux pouvoirs de la majorité,

comporte quelque chose de contentieux et de revendicatif sur quoi il faudrait s'arrêter »11. Cemot évoque en effet une analogie entre les droits et libertés constitutionnellementreconnus aux citoyens et les droits constitutionnels de l’opposition. Ces derniersreproduiraient au sein du système politique, la dynamique minoritaire à l’origine de laconstitutionnalisation des premiers. L’octroi de droits constitutionnels à l’oppositionprocéderait, in fine, d’une volonté de mieux garantir les droits et libertésconstitutionnelles, ce que nous chercherons à vérifier dans le cadre de la présenteétude. Mais celle-ci se verra nécessairement limitée par un regard étranger, d’abord, etpar l’absence de recul, ensuite, puisque les événements étudiés sont extrêmementrécents. Le présent travail revêt donc une dimension prospective et la volonté dedémonstration est susceptible de l’emporter sur la prudence nécessaire.

4 Il apparait toutefois, malgré ces incertitudes, que la constitutionnalisation des droits de

l’opposition parlementaire ne relève pas d’une logique de garantie des libertéspolitiques contrairement à ce que la rhétorique utilisée suggère. Il ne s’agit pas dereconnaitre des droits à l’opposition pour limiter le pouvoir de la majoritéconformément à l’idéal constitutionnaliste. L’inscription des droits de l’opposition dansla constitution est d’abord dictée par des considérations politiques. Elle procède

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davantage d’une volonté de légitimer le pouvoir que de le contraindre. Le constituant,tunisien comme marocain, cherche, en reconnaissant l’opposition, à pérenniser sonœuvre en la présentant comme consensuelle, ce qui passe toutefois par la négation desoppositions à son projet constitutionnel (I). Dès lors, la constitutionnalisation des droitsde l’opposition risque, contrairement à l’objectif affiché, de renforcer le pouvoir de lamajorité et la dépendance de l’opposition à son égard (II).

I. L’octroi d’un statut a une opposition parlementairepourtant ignorée du processus constituant

5 Le processus constituant a été marqué par le peu de considération apporté par le

rédacteur de la Constitution aux différentes formes d’oppositions qui se manifestent aucours du processus constituant et se voient contraintes de mettre en œuvre desstratégies d’obstruction (A). Les relations qu’entretient le titulaire du pouvoirconstituant avec ses opposants peuvent alors permettre de mieux comprendre lesconsidérations qui ont présidé à la reconnaissance constitutionnelle des droits del’opposition parlementaire (B).

A. Des oppositions minimisées au cours du processus constituant

6 En Tunisie comme au Maroc, la volonté de légitimer la Constitution en cours

d’élaboration implique de mettre en scène un consensus constituant (1) et de minimiserles oppositions qui se manifestent à l’encontre du projet de constitution (2).

1) L’impossible opposition constituante

7 Dans les deux Etats, le choix de procéder à une nouvelle Constitution ne peut pas, du

fait du contexte révolutionnaire, faire l’objet d’une opposition politique. En Tunisie, leprocessus constituant est bien le fruit d’une révolution au sens juridique du termepuisqu’elle a conduit à la suppression de l’ordre constitutionnel en dehors des formesprévues par celui-ci, par un pouvoir de fait12. Or cette révolution entraine unedissolution de l’opposition parlementaire et une absence d’opposition au choixconstituant ensuite. La suppression de l’ancien régime et de son oppositionparlementaire débute avec la fuite du président BEN ALI le 14 janvier 2011. Après

l’annonce par le Conseil constitutionnel de l’empêchement absolu du Président13, leschambres, dont la composition portait la marque de l’ancien régime, vont, le 09 février2011, se dessaisir de leur pouvoir législatif au profit du Président intérimaire. A cettedate, il n’existe donc plus à proprement parler d’opposition parlementaire, et ladéclaration du Président par intérim du 3 mars 2011 annonçant l’élection d’uneassemblée constituante enterre définitivement la Constitution du 1er juin 1959 14.L’instant révolutionnaire dissout toute forme d’opposition parlementaire issue del’ancien régime mais rend également impossible toute forme d’opposition au choixconstituant. Emportée par la vague révolutionnaire, l’opposition n’est pas en mesure des’exprimer puisque « le peuple souverain recouvre sa souveraineté et aucun acteur politique

identifié ne peut revendiquer une légitimité révolutionnaire sinon le peuple lui-même »15. Lespartis appellent donc presque unanimement à l’élection d’une Assembléeconstituante16.

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8 Au Maroc au contraire, le processus constituant vise à endiguer une révolte (et

potentielle révolution) mais ne laisse pas davantage de place à la possibilité d’uneopposition au choix constituant. La réforme constitutionnelle est, au moinspartiellement, une conséquence des luttes du Mouvement populaire du 20 février(M20F) qui réclamait l’instauration d’une monarchie parlementaire et a surpris lespartis politiques représentés au Parlement qui ne se joignent que timidement aumouvement17. Cette frilosité de la scène partisane, « dans sa grande majorité réticente à se

solidariser avec la mobilisation, illustre l’atomisation et la domestication du champ politique par

le roi »18. L’opposition partisane et parlementaire semble avoir des difficultés à sepositionner par rapport à l’opposition « civile » incarné par le M20F19. Le roi reprendl’initiative en annonçant, le 21 février 2011, sa volonté de procéder à une réformeconstitutionnelle qui coupe court aux revendications du M20F et de l’oppositionparlementaire, sans paraitre céder à leurs pressions. Il manifeste sa volonté que « chaque chose soit abordée au moment opportun, c’est-à-dire quand le monarque en prend

l’initiative et dans les termes qu’il choisit, sans que l’on puisse en retirer l’impression qu’il agit

sous la pression des évènements et qu’il ferait des concessions à des revendications inédites »20.Le discours royal du 09 mars 2011 le confirme. MOHAMMED VI n’y présente pas sa

décision de procéder à une réforme constitutionnelle profonde (incluantl’affermissement du statut de l’opposition parlementaire) comme une réaction aumouvement de protestation, mais l’inscrit dans un processus de modernisation plusvaste. Le roi aurait, depuis son accession au trône, aménagé les circonstances propicesau changement constitutionnel.21. Cette annonce permet indubitablement au roi de seprésenter comme l’initiateur d’une réforme constitutionnelle dont il délimite à sa guiseles contours. Seule institution dotée d’une légitimité suffisante pour procéder à uneréforme souhaitée par ses opposants (davantage que par ses alliés), le roi annihile lapossibilité d’une contestation du choix constituant.

9 La Constitution, parce qu’elle est considérée comme un acte fondateur exprimant

directement la volonté du peuple souverain, implique donc la mise en scène d’unconsensus quant à la manière dont elle doit être élaborée. Ainsi, la force politiquedétentrice du pouvoir constituant pare des atours de l’unanimisme la procédured’élaboration qu’il a déterminé. En Tunisie, la chute du régime ouvre une périodetransitoire qui, jusqu’à l’élection de l’Assemblée nationale constituante, est marquéepar la volonté de créer « l’image lisse d’une démocratisation non problématique et

consensuelle »22. Il en va par exemple ainsi, au sein de l’Instance supérieure pour laréalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transitiondémocratique, organe ad hoc accueillant les représentants, bien que non élu, del’opposition historique au régime pour participer à la définition de la procédureconstituante23. Même si certaines tensions apparaissent au sein de ce « Protoparlement »et commencent à structurer le futur paysage politique, il apparait difficile d’y voir unevéritable opposition parlementaire24. Si des conflits politiques surgissent dès cettepériode, ils ne peuvent être institutionnalisés ni même exposés25.

10 Au Maroc au contraire, le roi détermine seul la procédure constituante à suivre. Même

s’il la présente comme participative, sa définition est bien unilatérale. La révisionconstitutionnelle est confiée à une Commission Consultative de Révision de laConstitution (CCRC) dont les travaux sont, dans un délai de trois mois, proposés au roiavant d’être soumis à un referendum26. Dès lors, le roi n’inclut pas le Parlement dans leprocessus constituant et l’opposition parlementaire s’en voit ainsi exclue faute d’avoir

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pu participer à sa définition27. Cette commission se voit tout de même adjointe uneinstance dite « Mécanisme de suivi politique de la réforme constitutionnelle » dirigéepar le conseiller du souverain et composée des chefs des partis politiques et syndicats.Il apparait alors, comme l’écrit le professeur BENDOUROU, que « ladite instance a pour but

de pallier le déficit de légitimité politique et démocratique dont souffre la commission

consultative »28. Elle est donc le lieu au sein duquel l’opposition parlementaire est invitéeà participer à la réforme constitutionnelle. Une telle instance permet alors de mettreen scène un consensus ou du moins, un jeu de consensus29.

2) La difficile opposition au projet constitutionnel

11 S’il est possible d’identifier différentes expressions d’une opposition au projet

constitutionnel, celles-ci sont réprimées par le titulaire du pouvoir constituant etdépourvue de toute protection juridique. Ainsi, l’élection de l’Assemblée nationaleconstituante tunisienne (ANC) a conduit à une structuration des forces politiques et àune reformation de l’opposition. Pourtant le scrutin proportionnel et les phénomènesde circulation des constituants entre groupes parlementaires n’en favorisaient pasl’émergence30. C’est la question de l’étendue des pouvoirs de l’ANC qui va la première ycontribuer. Autrement dit, si la définition du processus constituant relevait duconsensualisme, sa mise en œuvre concrète relève désormais du principe majoritaire.Selon la conception ainsi développée, l’élection confère « à des représentants la pleine

légitimité du suffrage universel pour conduire le travail d’établissement de la nouvelle

constitution. Et c’est bien ainsi que les vainqueurs de l’élection, détenteurs d’une majorité de

sièges à l’ANC, entendront la portée de ce scrutin. La souveraineté du peuple s’exerce à travers

celle de l’Assemblée…et donc de sa majorité »31. La minorité considère au contraire qu’ilconvient de prendre en compte la nature spécifique de l’ANC et exige le maintien d’uneprocédure consensuelle32. Or, si la loi relative à l’organisation des pouvoirs publicsaboutit tout de même à un compromis33, il n’en demeure pas moins que la procéduredéfinie laisse peu de place à l’expression d’une opposition34. Si Ennahdha acceptecertaines concessions, c’est sans doute moins pour satisfaire ses opposants que pours’assurer du maintien de sa propre coalition. Ainsi, le parti majoritaire, « a contribué à

alimenter la bipolarisation […] de la scène politique tunisienne » provoquant la rupture duparadigme consensualiste et la recomposition d’une opposition de typeparlementaire35. Ennahdha s’en accommode pourtant difficilement comme l’illustred’abord sa proposition de loi d’immunisation politique défavorable à l’opposition36. Ilest surtout accusé d’une bienveillante neutralité à l’égard des assassinats politiquesd’opposants perpétrés par certains groupes radicaux37. Enfin, en novembre 2013, satentative de révision du règlement intérieur de l’ANC, présentée comme unemodification technique visant à adapter le rythme des travaux de l’Assemblée à lafeuille de route décidée par le Dialogue national, a été dénoncée par l’oppositioncomme une volonté d’affaiblir les prérogatives du Bureau de l’ANC et de son présidentau profit de la seule majorité.

12 Au Maroc, la volonté royale de donner à voir une réforme constitutionnelle

consensuelle conduit également à minorer les critiques formulées à l’encontre del’avant-projet. Les modalités de travail de la CCRC permettent de maintenir l’apparenced’un travail consensuel. Les différents partis ayant accepté l’initiative royale n’ont euqu’un mois pour faire connaitre leurs propositions à la Commission. A l’issue de cesconsultations, les partis représentés au sein du Mécanisme de suivi et de concertation

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n’ont eu qu’un accès partiel à l’avant-projet, ce qui a provoqué le départ de certainsd’entre eux. Le roi, après avoir sans doute amendé le projet élaboré par les experts, en aprésenté les grandes lignes par un discours dès le 17 juin, en même temps qu’ilannonçait la tenue d’un référendum pour le 1er juillet. La procédure constituante estdonc marquée par la « précipitation qui a entouré l'adoption de la nouvelle Loi fondamentale ;norme adoptée en urgence alors qu'une autre consultation d'envergure (celle sur la

régionalisation) était en cours. Plus encore qu'une rapidité ce sont les rapidités d'exécution qui

sont ici surprenantes : la CCRC n'a bénéficié que de trois grands mois de travail, aucune

consultation démocratique transparente ne s'est faite jour, aucun rapport n'a été publié de façon

officielle, il n'y a eu que 13 jours pour organiser, suite au discours du 17 juin 2011, le référendum

et, en conséquence, seulement 10 jours de campagne pour décider d'adopter (ou non) un texte

aussi important. Comment croire et soutenir que ces seuls dix jours ont permis l'expression libre

et pluraliste des opinions ? »38. La rapidité et l’opacité du processus permettent donc deminimiser des oppositions qui, prises de court, ne peuvent pas véritablement peser surla rédaction du projet de Constitution et en sont réduites à un rôle légitimant.

13 Face à ces attitudes hégémoniques, l’opposition n’a d’autre possibilité que de mettre en

œuvre des stratégies d’obstruction au processus constituant en refusant d’y participer.En Tunisie, le cadre constituant, qui contraint les différents protagonistes auconsensus, conduit à nier l’existence juridique de l’opposition qui se trouve dépourvuede protection spécifique. A contrario, son accord est indispensable pour l’adoption de laConstitution. Elle dispose donc des moyens de peser effectivement sur la rédaction duprojet. Il en va ainsi lorsqu’elle obtient la suspension des travaux de l’Assembléeconstituante par son président le 06 août 201339. La faculté de blocage de l’opposition vadès lors être au cœur de la tactique parlementaire des deux camps. La reprise destravaux, en l’absence des élus retirés, se fait par une décision du Bureau de l’ANC du 10septembre qui décide, de surcroit, de laisser sa réunion « ouverte ». Cela lui permet deprendre des décisions à la majorité quel que soit le nombre de présent et de s’affranchirainsi de l’exigence de quorum pour priver en définitive l’opposition de sa faculté deblocage. En novembre 2013, l’opposition se retire à nouveau de l’Assemblée, refusantd’entériner la révision du Règlement intérieur40. Finalement, Ennahdha devra serésoudre à retirer les amendements controversés. Elle devra également renoncer auGouvernement pour que l’opposition accepte d’adopter la Constitution et obtiendra àson sujet des concessions non négligeables.

14 A contrario, l’opposition marocaine n’échappe pas à l’alternative entre servilité et

stérilité. En effet, les forces parlementaires préfèrent se rallier à l’initiative royale dontelles espèrent profiter, même si la nouvelle constitution est octroyée. En résumé, « les

responsables des organisations politiques installées et instituées se montrèrent prudents,

soucieux de ne pas affecter leurs inscriptions personnelles et institutionnelles dans les réseaux de

l’action publique et du parlementarisme »41. L’opposition extra-parlementaire refuse quantà elle, à l’instar du M20F, cette procédure et appelle à l’élection d’une assembléeconstituante42. Or, là encore elle doit affronter certaines difficultés car si les partisd’oppositions ont pu pour la première fois accéder aux médias officiels lors de lacampagne référendaire, il leur était interdit d’appeler au boycott de la consultation43.Les résultats de cette dernière ne pouvant d’ailleurs que laisser perplexe. Le consensusétant dans ce cas de figure construit unilatéralement sur un rapport de forcedéséquilibré, le meilleur moyen de maintenir son apparence est d’exclure l’oppositionde toute forme de participation.

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15 Le constituant, pour légitimer son œuvre, tend donc à minimiser les oppositions à la

réforme constitutionnelle mais il est pourtant conduit, parallèlement, à exalterl’opposition parlementaire au sein de l’acte constitutionnel.

B. Une opposition reconnue à l’issue du processus constituant

16 Les textes constitutionnels tunisiens et marocains apparaissent bien plus protecteurs

que ceux de la plupart des démocraties occidentales qui ne reconnaissent pas de droitsexplicites à l’opposition directement au sein de la Constitution. En Tunisie comme auMaroc, le pouvoir constituant consacre un article spécifique à l’oppositionparlementaire. Cette constitutionnalisation ne permet toutefois pas de préciser lescontours de la future institution (1), mais elle revêt, aux vues des processusconstituants, une portée symbolique déterminante (2).

1) Un objet juridique indéterminé

17 La reconnaissance constitutionnelle de l’opposition a pour effet de transformer une

activité politique en institution constituée sans pour autant que les contours de cettedernière puisse être identifiés. La reconnaissance de l’opposition au sein de laConstitution est a priori gage du fonctionnement harmonieux du régime parlementaire.D’ailleurs, « en principe, on pourrait croire que l’existence d’un rôle bien défini puisse garantir

la stabilité du système ainsi que la prévisibilité des interactions entre parlementaires »44. Maisles difficultés qu’elle soulève laissent à penser que cet objectif ne saurait être aisémentatteint car cette constitutionnalisation implique nécessairement de « figer une réalité

politique plurielle et fluctuante » 45. Dès lors, la question de l’opportunité de procéder àune codification constitutionnelle de l’opposition se pose. Le professeur AVRIL considère

par exemple que « la conciliation entre l'usage critique des prérogatives et le fonctionnement

correct de l'assemblée suppose une appréciation politique du dosage acceptable par les uns et les

autres entre ces préoccupations antinomiques, ce qu'une codification formelle saurait

malaisément figer »46. Ce refus d’une constitutionnalisation de l’opposition n’est pasnouvelle puisque, en son temps, Odilon BARROT affirmait déjà que « l’opposition ne peut

être ni comprimée ni définie, et c’est pour cela qu’on ne peut en faire un pouvoir constitué. La

garantie de la liberté est du reste dans cette impossibilité même. Si l’opposition se trouvait

concentrée dans une magistrature quelconque, il serait possible ou de corrompre cette

magistrature ou de s’en emparer »47.

18 L’opportunité d’une constitutionnalisation n’est donc pas évidente. Elle contribue à

faire de l’opposition parlementaire la seule forme d’opposition constitutionnellementlégitime. L’opposition n’est pas appréhendée comme une activité, un comportement ouune attitude politique que chaque parlementaire est libre d’adopter mais comme unpouvoir constitué au positionnement prédéterminé48. Dès lors, les droits qui lui sontreconnus sont octroyés aux groupes parlementaires et non aux parlementaires eux-mêmes. Il s’agit donc de compétences spécifiques, reconnues à une institution, et nond’un droit individuel du parlementaire à s’opposer. L’opposition ne peut être mise enœuvre qu’à l’échelle du groupe parlementaire et les députés qui n’appartiennent àaucun d’entre eux sont ignorés.

19 De surcroît, en l’absence de reconnaissance des groupes minoritaires, la

constitutionnalisation de l’opposition peut conduire à une forme de bipolarisation,

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potentiellement artificielle, de ces régimes multipartisans. La constitutionnalisation del’opposition s’apparente ainsi à une recherche de structuration de l’espace et del’activité parlementaire. Elle dirige l’activité de l’opposition vers le seul couple majorité/ gouvernement. En tout état de cause, ces constitutions n’envisagent pas l’hypothèsed’une opposition au chef de l’Etat. Pourtant, au Maroc, le roi conserve malgré larévision constitutionnelle des pouvoirs importants49. D’ailleurs laconstitutionnalisation de l’opposition peut être vue comme un moyen pour ce dernierde contrebalancer le transfert de pouvoirs qu’il consent (ou déclare consentir) au chefdu Gouvernement pour conserver une situation enviable d’arbitre entre les deuxcamps. Quant à la Constitution tunisienne, elle attribue, en théorie tout du moins, despouvoirs non négligeables au Président de la République50. Il n’est donc pas question depenser constitutionnellement une opposition présidentielle ou royale quand bienmême ces institutions exerceraient effectivement des pouvoirs non négligeables51. Dèslors, l’octroi d’un statut à l’opposition peut être considéré comme un moyen de limiterses cibles potentielles. Volontairement ou non, la constitutionnalisation de l’oppositioncontribue à réduire le champ des oppositions politiques légitimes sans permettred’identifier précisément celle qui peut se prévaloir de cette qualité.

20 Les Constitutions tunisiennes et marocaines restent en effet silencieuses sur les moyens

d’identifier l’opposition parlementaire. Celle-ci est bien plus complexe à appréhenderque la majorité ou la minorité puisqu’elle « renvoie à un positionnement politique, et non

plus à un simple constat arithmétique »52. Le choix d’un critère permettant d’identifierl’opposition n’est donc pas opéré par le constituant. Ils sont pourtant tous égalementproblématiques et le choix de l’un d’entre eux, hautement politique, n’est pas sansconséquence sur les contours de la future institution53. Certains chercheurs proposentde distinguer les critères « institutionnels » des critères « comportementaux »54. Parmiles premiers, le critère fondé sur le résultat des élections législatives conduit àidentifier comme d’opposition les partis ayant subi une défaite. Mise à part l’absence dedéfinition de la défaite, il est possible qu’un parti, pourtant vaincu, continued’appartenir à une majorité composite. Le critère de la participation au gouvernementprésente également un inconvénient s’agissant des groupes qui peuvent, sansparticiper au gouvernement, le soutenir néanmoins. Celui qui consiste à ériger enopposition le plus important groupe minoritaire, apparait, lui, inadapté aux systèmesmultipartites. Quant aux critères comportementaux, celui fondé sur les attitudes desdéputés apparait subjectif et susceptible de varier de manière importante en fonctionde la conjoncture politique (et ainsi manquer la volonté de structuration des forcespolitique dont procède la constitutionnalisation de l’opposition). Le vote desparlementaires (confiance, budget, projet de loi, proposition de loi de la majorité parordre d’importance) posent des difficultés similaires.

21 Reste le système subjectif des déclarations d’appartenance à l’opposition qui peut lui

aussi s’avérer potentiellement insatisfaisant. En premier lieu, ce système dedéclaration, s’il ne se fait pas à l’échelle individuelle mais à celle du groupeparlementaire conditionne l’efficacité du dispositif au seuil quantitatif minimal pourconstituer un groupe. De surcroît, en l’absence de reconnaissance constitutionnelle degroupes minoritaires en Tunisie et au Maroc, certains pourraient avoir intérêt à sedéclarer d’opposition pour jouir des droits spécifiques qui lui sont conférés et ce, mêmes’ils n’entendent pas avoir une position tranchée et prédéterminée à l’égard duGouvernement. Il pourrait même en aller ainsi d’un groupe appartenant à une coalitionmajoritaire qui déclarerait appartenir à l’opposition. Enfin, une question relative au

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bicamérisme marocain peut se poser puisque l’opposition parlementaire est susceptiblede ne pas être la même suivant la chambre. Un tel système a pourtant été retenu auMaroc et devrait probablement l’être également en Tunisie. Il semble être le mieux àmême d’encadrer et de structurer les différentes forces parlementaires tout enrespectant leurs volonté, surtout si la déclaration d’appartenance est annualisée.

22 Dès lors, si le constituant ne cherche pas à l’identifier précisément, c’est peut-être

parce que « le choix d’inscrire l’opposition dans la Constitution elle-même est éminemment

symbolique »55.

2) Une portée symbolique déterminante

23 Les textes constitutionnels marocain et tunisien consacrent solennellement

l’opposition et la mettent en valeur. Au Maroc, cette volonté est particulièrementprononcée puisque pas moins de quatre articles la mentionnent. C’est surtout le longarticle 10 qui vient consacrer, dès le titre premier relatifs aux dispositions générales (etnon dans le titre IV relatif au pouvoir législatif comme on pouvait s’y attendre),l’opposition parlementaire et l’impressionnante liste de douze droits qui lui sontconférés. En outre, le premier article du titre IV relatif au pouvoir législatif (Art. 60 C.),voit le constituant affirmer que l’opposition est « une composante essentielle des deux

chambres ». La constitution marocaine va donc bien plus loin dans cette direction que laplupart des constitutions occidentales, ce qui suscite l’appréciation positive de laplupart des observateurs. Mais on peut également considérer qu’un tel affichage desdroits de l’opposition peut participer d’une opération de « marketing politique »56 ou de« révision communication »57 qui a présidé, selon certains auteurs, à la rédaction de laconstitution marocaine du 29 juillet 2011.

24 Dans le texte constitutionnel tunisien, l’opposition est consacrée, mais de façon moins

ostentatoire. Seul l’article 59 de la nouvelle constitution tunisienne, le dixième du titrerelatif à l’Assemblée des représentants du peuple, mentionne l’oppositionparlementaire. Elle y est cependant qualifiée, comme dans le texte marocain, de « composante essentielle » de la chambre des représentants. Si l’opposition est ici moinsmise en valeur, cela s’explique peut-être en partie par le fait que cet article a connu unprocessus de rédaction pour le moins heurté58. Malgré ces hésitations, cet article afinalement été adopté quasi-unanimement59. La constitution tunisienne vientfinalement offrir une reconnaissance officielle à l’opposition sans que cet article n’aitfait l’objet d’une instrumentalisation politique alors même que le processus constituantincitait à en faire un objet de polémique60 : soit, conçu comme une disposition àcaractère technique, sa politisation a été jugée inopportune, soit, au contraire,comprise comme une disposition symbolique, sa constitutionnalisation a faitconsensus.

25 Les raisons de cette emphase constitutionnelle plus ou moins prononcée sont à

rechercher dans l’idée selon laquelle l’opposition peut jouer comme un symboledémocratique. En effet, particulièrement en Tunisie, la constitutionnalisation del’opposition permet d’afficher une rupture avec le régime précédent et d’affirmer lapossibilité d’une alternance démocratique. Le régime de Ben Ali ignorait en effetl’opposition parlementaire tant dans le texte constitutionnel61 que dans la pratiqueinstitutionnelle par laquelle l’opposition légale et parlementaire était cantonnée à unrôle de « faire-valoir » et de légitimation du Parti-Etat dominant (le pouvoir ayant suétablir des relations clientélistes avec les partis d’opposition)62. A ce titre, la

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consécration de l’opposition parlementaire comme composante essentielle duparlement parait exprimer un objectif à atteindre et traduire une conception de laConstitution comme moteur des changements politiques63. La constitutionnalisationcomporte une vocation performative : faire exister une opposition parlementairejusque-là ignorée et faire d’elle la seule opposition légitime. Au Maroc, cette dimensionest également présente, puisque « les discours royaux et la nouvelle constitution agissent en

effet dans l’objectif de redonner confiance » 64 dans une institution parlementairediscréditée (notamment par une opposition inféodée au pouvoir).

26 Or « cette façon d’utiliser les clauses constitutionnelles repose bien évidemment sur l’idée selon

laquelle les dispositions constitutionnelles sont des symboles pourvus d’une charge positive (ou

du moins accompagnés de l’attente qu’ils fonctionneront effectivement de cette façon). Il se peut

cependant que les clauses en question se retournent contre leurs auteurs (ou leurs successeurs

au pouvoir) en acquérant une charge négative au fur et à mesure que le programme exposé n’est

pas réalisé »65. On peut en effet constater que les Etats qui se dotent d’une nouvelleconstitution, suite à la chute d’un régime autoritaire ou au cours d’un processus detransition démocratique, sont plus enclins à consacrer des droits explicites del’opposition66. Mais on ne saurait négliger que la consécration constitutionnelle desdroits de l’opposition a également pu être instrumentalisée par des régimesautoritaires pour mettre en scène une acceptation du pluralisme politique qui tardeparfois à se concrétiser67. De surcroît, la reconnaissance solennelle de l’opposition neprésente pas un avantage symbolique du seul point de vue du pouvoir constituant ; elleapparait aussi comme une ressource pour l’opposition qui peut « prendre au sérieux les

clauses « symboliques » en les utilisant comme un mètre étalon »68. Il faut égalementenvisager les droits constitutionnels de l’opposition comme un label à usage externe.Leur constitutionnalisation peut-être un moyen de rassurer les organisationsinternationales et les partenaires étatiques ou commerciaux sur le caractère« démocratique » et conforme à la « bonne gouvernance » des réformesconstitutionnelles en cours. La réaction de la Commission de Venise au projet Tunisienen est une illustration69. Il en va de même de celle du Conseil de l’Europe à l’égard de laconsécration des droits de l’opposition au Maroc70. Dans les deux cas, ces institutions sesont félicitées d’une telle reconnaissance. Ainsi le professeur TOUZEIL-DIVINA considère

au sujet de la constitution marocaine que « dans certaines dispositions tout a été écrit pour

des observateurs étrangers à rassurer ; comme pour leur affirmer de circuler car

constitutionnellement parlant tout va désormais démocratiquement bien... dans le texte

fondamental au moins »71. Il nous semble que la reconnaissance de l’opposition participede cette dynamique.

27 La constitutionnalisation de l’opposition parlementaire apparait alors comme une

forme de compromis dilatoire72. Elle permet de donner des gages à ceux qui s’opposentau projet constitutionnel et joue comme une promesse que l’opposition demeurerapossible après l’adoption du projet, sans pour autant que les contours de cette dernièreet ses prérogatives puissent être identifiés grâce au seul texte constitutionnel. Leconstituant espère ainsi pérenniser son œuvre en incitant au respect d’une oppositionparlementaire qui contribuerait au bon fonctionnement des institutions en devenantl’unique canal de la contestation légitime du pouvoir. Les moyens dont disposel’opposition pour remplir cette tâche sont donc déterminants et il convient de sepencher plus précisément sur ce que le constituant présente comme des droits quiseraient reconnus à cette nouvelle institution. Mais cette rhétorique des droits s’avère

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trompeuse et peut dissimuler, au contraire, une dépendance accrue de l’oppositionparlementaire vis-à-vis des autres pouvoirs constitués.

II. Des « droits » conditionnés à l’appréciation desautres pouvoirs constitués

28 La constitutionnalisation de l’opposition parlementaire ne semble pas devoir permettre

d’envisager les « droits » qui lui sont reconnus comme des mécanismes juridiques deprotection des droits de l’homme ou de garantie du pluralisme. Laconstitutionnalisation des droits de l’opposition parlementaire est au contrairesusceptible d’accroitre sa dépendance vis-à-vis des autres pouvoirs constitués. Elle sedoit d’adopter une attitude « positive » (A), sous peine de ne pouvoir exercer les droitsqui lui sont reconnus (B).

A. Le rôle coopératif assigné à l’opposition parlementaire

29 Si les nouvelles constitutions tunisiennes et marocaines octroient pour la première fois

des droits spécifiques à l’opposition parlementaire en vue de faire participer celle-ci àla prise de décision majoritaire (1), ces derniers sont conçus comme la contrepartie dedevoirs aux contours indéfinis (2).

1) Les « droits » de l’opposition parlementaire

30 Il est notable que les droits spécifiquement conférés à l’opposition visent à l’associer à

la décision parlementaire et non à la protéger contre les agissements de la majorité, cequi relève des droits de la minorité. Au Maroc, la plupart des droits consacrés parl’article 10 de la Constitution ne sont pas spécifiques à l’opposition. Certainsréaffirment pour elle des droits déjà reconnus plus généralement ailleurs (tels que laliberté d’opinion, d’expression et de réunion déjà consacrées par les articles 25 et 29 dela Constitution ou le bénéfice du financement public et la contribution à l’encadrementet à la représentation des citoyens à travers les partis politiques déjà mentionnés àl’article 7 de la constitution…). D’autres semblent plutôt être reconnus à l’ensemble desparlementaires, quelle que soit leur position vis-à-vis du Gouvernement (telle quel’affirmation d’une participation effective à la procédure législative et au contrôle dutravail gouvernemental, l’assurance d’une représentation proportionnelle au sein desinstances parlementaires ou encore l’octroi des moyens nécessaires àl’accomplissement du travail parlementaire). Enfin, certains de ces « droits » nesemblent conférer aucune compétence (comme « l’exercice du pouvoir dans le cadred’une alternance démocratique »). Finalement, deux droits sont spécifiquementreconnus à l’opposition parlementaire : la présidence de la commission en charge de lalégislation à la chambre des représentants et le droit de voir ses propositions de loiexaminées dans le cadre de la journée mensuelle réservée aux propositions de loi. EnTunisie, au terme de l’article 59 de la Constitution, l’opposition se voit reconnaitre laprésidence de la commission des finances et le poste de rapporteur de la commissiondes affaires extérieures. De surcroit, elle peut demander annuellement la créationd’une commission d’enquête qu’elle préside.

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31 Ainsi, comme l’écrivait le professeur CARCASSONNE au sujet du cas français, la portée

d’une telle constitutionnalisation n’est pas négligeable ; elle est porteuse de certainesressources puisque l’opposition « est désormais dans une situation qui peut certes, toujours

être améliorée mais qui, en pénétrant dans le droit, est entré dans la modernité. En devenant un

objet juridique et plus seulement le bénéficiaire de quelques conventions occasionnelles, elle

dispose maintenant de capacités qui lui demeureront acquises en toutes circonstances »73. Cescapacités concernent en premier lieu le contrôle du Gouvernement. En obtenant laprésidence de certaines commissions parlementaires, l’opposition obtient les moyensd’être, au moins partiellement, informée de l’activité gouvernementale et participeainsi d’une forme de contrôle du Gouvernement. Il en va de même du droit de créer unecommission d’enquête bien que l’octroi du poste de président, plutôt que derapporteur, n’aille pas au bout de cette logique. Au Maroc, l’opposition est égalementassociée, par le biais de la discussion de ses propositions de loi, à la fonction législative.Elle est ainsi mise en mesure de faire connaitre un projet alternatif à celui de lamajorité.

32 Le contraste est saisissant si l’on compare ces droits spécifiques de l’opposition avec

ceux dont l’exercice est reconnu à une minorité de parlementaires et qui sont conçuscomme des droits individuels du parlementaire qui ne peuvent cependant être exercésque collectivement. L’exemple topique à cet égard est la faculté de déclencher lecontrôle de constitutionnalité. Au terme de l’article 117 de la Constitution tunisienne,cette faculté est ouverte à trente représentants de saisir la Cour constitutionnelle. AuMaroc, en vertu de l’article 132, les lois et engagements internationaux peuvent êtredéférés à la Cour constitutionnelle par un cinquième de la chambre des représentantsou quarante membres de la chambre des conseillers. Cette compétence, qui est biensouvent considérée en France comme le premier des droits de l’opposition, apparait,quant à elle, conçue comme une véritable mesure de protection des droits de laminorité, comme un contre-pouvoir, ou au moins comme la possibilité d’en déclencherun. De la même manière, lorsque le constituant prévoit une majorité qualifiée pour unvote auquel il attache une certaine importance, cette exigence vise à prévenir uneatteinte aux droits fondamentaux de la minorité par une majorité potentiellementoppressive. Il en va par exemple ainsi de la révision constitutionnelle pour laquelle estprévue la nécessité de réunir une majorité des deux tiers en Tunisie (Art. 140), commeau Maroc (Art. 173 et 174). La même logique préside à la nomination des candidats auxpostes de juges constitutionnels qui doivent réunir une majorité des trois cinquièmesen Tunisie (Art. 115), mais seulement des deux tiers au Maroc (Art. 130).

33 Ces droits de la minorité, dont l’opposition peut faire usage, relèvent donc d’une

logique très différente de ceux qui sont spécifiquement attribués à l’opposition. Lespremiers témoignent d’une logique négative et matérialisent une faculté d’empêcherqui garantit « le droit de la minorité à l’existence »74. Ils peuvent s’inscrire dans unelogique de séparation des pouvoirs qui a été au cœur des revendications du printempsarabe75. Les seconds illustrent une logique positive et une faculté de contribuer autravail majoritaire. Ils confortent la distinction entre l’opposition dans le régime, qui avocation à accéder au pouvoir, et l’opposition au régime, qui refuse de participer au jeuinstitutionnel.

34 Cette conception positive de l’opposition parlementaire que le constituant cherche à

associer à la décision majoritaire ne va toutefois pas sans contrepartie. L’octroi de

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droits à l’opposition s’accompagne, tant en Tunisie qu’au Maroc, de l’affirmation desdevoirs de l’opposition parlementaire.

2) Les devoirs de l’opposition parlementaire

35 Les « droits », explicitement et spécifiquement reconnus par ces constitutions à

l’opposition parlementaire, ont pour point commun de tempérer le principe deproportionnalité (lui aussi constitutionnalisé) qui régit le fonctionnement desassemblées concernées. Le professeur AVRIL tire, au sujet de la situation française, des

conclusions applicables ici : « ce que l'on désigner (avec un peu d'emphase) sous le terme de

‘statut’ de l'opposition s'analyse en une discrimination positive, c'est-à-dire une dérogation aux

principes d'égalité et de proportionnalité qui régissent la situation des partis et des groupes

parlementaires en droit public : égalité dans l'expression, notamment à l'occasion des élections,

proportionnalité dans la participation des groupes au fonctionnement des assemblées

conformément à leur importance numérique, la proportionnalité n'étant en l'espèce que le

corollaire de l'égalité entre les élus. Le ‘statut’ évoqué depuis des lustres réside essentiellement

dans l'attribution à certains partis et à certains groupes de prérogatives supérieures à celles que

leur assure normalement cette importance numérique »76. En échange de ces privilèges,l’opposition se doit donc d’être « prête à assumer ses devoirs et, en particulier, à jouer

loyalement son rôle de critique du gouvernement sans contester les « règles du jeu » »77. EnTunisie, l’article 59 de la Constitution impose à l’opposition, « parmi ses obligations, la

participation active et constructive dans le travail parlementaire ». Au Maroc, au terme del’article 10, « les groupes d’opposition sont tenus d’apporter une contribution active et

constructive au travail parlementaire ». Dès lors, en contrepartie de ses droits, l’oppositionparlementaire doit désormais remplir ses devoirs. C’est particulièrement explicite auMaroc puisque ses droits ont pour objet de mettre l’opposition à même « de s’acquitter

convenablement de ses missions afférentes au travail parlementaire et à la vie politique ». Maisles missions dont l’opposition doit s’acquitter ne sont pas précisées78.

36 En revanche, l’attitude qu’elle doit adopter pour y parvenir est clairement explicitée.

L’opposition ne peut plus se borner à la critique et se doit d’être « active »,« constructive ». Plus que l’accomplissement d’une tâche déterminée, c’est bien uncomportement qui est attendu de l’opposition parlementaire. Ses droits lui sontoctroyés en contrepartie d’une mission qui, si elle demeure floue, doit être accompliede telle façon que leur utilisation par l’opposition ne saurait enrayer la prise dedécision et le bon fonctionnement des institutions. L’opposition en partage dorénavantla responsabilité. Ses « droits » ne lui permettent donc pas d’empêcher ou même deretarder la décision majoritaire. Bien au contraire, ils impliquent d’associerl’opposition aux activités de la majorité. Ils ne participent donc pas de l’élaborationd’un contre-pouvoir79 permettant de remettre en cause une décision liberticide maisbien plutôt d’un organe consultatif dont la participation légitime la décisionmajoritaire. Ainsi, la consécration constitutionnelle des devoirs de l’oppositionaugmente l’impression de chantage : « Les droits spécifiques ne sauraient être mis en œuvre

que pour autant que l’opposition fait preuve de modération dans l’utilisation de ses prérogatives

et ne cherche pas à ralentir la production législative »80.

37 La consécration constitutionnelle des devoirs parlementaires a donc pour but de

condamner le recours à l’obstruction parlementaire. Ce qui constitue selon KELSEN « l’un

des problèmes les plus difficiles et les plus dangereux du parlementarisme »81 peut être définicomme une pratique parlementaire « qui consiste à faire un usage extensif de toutes les

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possibilités offertes par la Constitution et le règlement pour faire durer un débat parlementaire

et, si possible, empêcher l’adoption d’un texte »82. En obtenant un statut, l’opposition estinvitée à renoncer à cette pratique, caractérisée comme un abus de droit, souventqualifiée d’antidémocratique et accusée de nourrir une forme d’antiparlementarismeen décrédibilisant l’institution. Pourtant, l’obstruction mérite surement uneappréciation plus nuancée. KELSEN lui-même, s’il disqualifiait l’obstruction physique

(qui relève de la violence physique ou verbale), refusait d’en faire de même s’agissantde l’obstruction technique (qui relève d’une utilisation intensive des moyens deprocédure à disposition). Elle ne peut, selon lui, être rejetée « purement et simplement

comme incompatible avec le principe majoritaire que si l’on identifiait celui-ci avec la

souveraineté de la majorité ce qu’il ne convient pas de faire. De fait l’obstruction a servi souvent,

non pas à empêcher absolument toute décision parlementaire, mais à orienter finalement la

décision dans le sens d’un compromis entre majorité et minorité »83.

38 L’obstruction peut, dans une certaine mesure, constituer pour l’opposition une forme

de désobéissance civique ou un moyen de « légitime défense constitutionnelle »84. Commel’illustre le processus constituant tunisien, l’obstruction parlementaire s’est avérée êtreun outil important pour lutter contre ce qui a pu être qualifié d’« exploitation intensive

du principe de majorité »85 et a incontestablement permis d’obtenir des concessions de lapart de la principale composante majoritaire. Dès lors, la logique décrite au sujet del’opposition française nous semble vouée à s’appliquer aux oppositions tunisienne etmarocaine : « l’obstruction parlementaire, souvent présentée comme la seule véritable capacité

de nuisance de l’opposition, est condamnée. A l’opposition d’assurer un fonctionnement

harmonieux des institutions et à elle d’assumer la responsabilité d’un échec »86. Or, ces souhaitsconstitutionnels d’une opposition responsable s’accompagnent pourtant d’unecondamnation du seul moyen qu’elle maitrise totalement et dont elle a justement laresponsabilité : « Elle décide seule, quand et comment elle souhaite le mettre en œuvre.

Néanmoins, l’utilité de ce moyen de contrôle est directement lié à la qualité de l’usage qui en est

fait, et notamment, de sa fréquence d’utilisation »87. D’ailleurs, cette dernièrecaractéristique peut faire douter de l’efficacité de l’imprécation constitutionnelle à sonencontre. Celle-ci ne peut, à elle seule, retirer à l’opposition toute possibilité derecourir à l’obstruction mais elle fournit au Gouvernement une ressourcesupplémentaire pour discréditer de telles pratiques.

39 Finalement, le rôle assigné à l’opposition par le texte constitutionnel amène à douter,

avec le professeur AVRIL, de la pertinence d’utiliser, au sujet de l’opposition, l’image «

de ’droits subjectifs’ qu’elle ferait valoir à l’encontre d’une majorité »88. Loin de permettre sonindépendance ou de renforcer son autonomie, les droits reconnus à l’oppositionparlementaire peuvent au contraire être conditionnés par d’autres acteursconstitutionnels, s’ils jugent que celle-ci refuse de jouer correctement son rôle dont ladéfinition est pourtant laissée à leur libre appréciation.

B. Une mise sous tutelle de l’opposition parlementaire

40 L’opposition parlementaire ne participe pas à la mise en œuvre des droits qui lui sont

conférés. C’est le pouvoir majoritaire, en concrétisant les normes constitutionnelles (1),et éventuellement le juge constitutionnel, en les interprétants, qui assurent cette tâche(2).

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1) La mise en œuvre majoritaire

41 La majorité maitrise la portée des droits reconnus à l’opposition puisqu’elle est chargée

de les préciser à travers certaines normes infraconstitutionnelles. La technique durenvoi, définie comme « l’invitation formelle, énoncée par la règle, à se reporter à une ou

plusieurs autres dispositions»89, est utilisée par le constituant marocain s’agissant desdroits de l’opposition. L’article 10 dispose en son dernier alinéa que « les modalités

d'exercice par les groupes de l'opposition des droits susvisés sont fixées, selon le cas, par des lois

organiques ou des lois ou encore, par le règlement intérieur de chaque Chambre du Parlement ».L’article 69 précise quant à lui que le Règlement intérieur des chambres fixe « les règles

d'appartenance, de composition et de fonctionnement concernant les groupes et groupements

parlementaires et les droits spécifiques reconnus aux groupes d'opposition ». En Tunisie, aucontraire, la Constitution ne procède pas à des renvois explicites, mais des normesinfra-constitutionnelles n’en seront pas moins nécessaires pour préciser les contoursdes droits de l’opposition. Ainsi, par exemple, du droit de former et de présider unecommission d’enquête. L’article 58 de la Constitution tunisienne se limite à énoncer quel’Assemblée peut en créer et que toutes les autorités doivent les assister dans l’exercicede leurs fonctions ce qui devra vraisemblablement être précisé. Il en va de même desmodalités de nomination du président de la commission des finances. L’intensité de lanuisance pour la majorité variera sans doute si ce président est choisi par l’oppositionelle-même ou par la majorité parmi les membres de l’opposition. Il faudra doncnécessairement que ces droits constitutionnels soient, pour pouvoir être mis en œuvre,précisés par des normes de rang hiérarchique inférieur. Or, rien ne semble devoircontraindre juridiquement la majorité à adopter de tels actes à défaut d’un recoursjuridictionnel en carence. Au Maroc, cette concrétisation ne s’est d’ailleurs pas faitesans difficultés, puisque, après une première révision préliminaire du RèglementIntérieur de la chambre des représentants en janvier 2012, une seconde est intervenueà l’été 2013. De même, après un premier rejet par le Conseil constitutionnel, la chambredes conseillers vient tout juste d’adopter son nouveau règlement intérieur. Ces normes,si elles sont pour la plupart soumises à une condition de majorité absolue (ce qui n’estpas le cas des lois organiques marocaines selon l’article 85 C.), échappent aux exigencesde majorités qualifiées. Autrement dit, la majorité peut déterminer elle-même lesmodalités d’exercice des droits de l’opposition et ne recueillera l’avis de cette dernièreseulement si elle le souhaite. En conséquence, le périmètre de ces droits est susceptibled’être révisé à chaque alternance. Cette concrétisation majoritaire permetcertainement de ne pas trop figer le catalogue de droits reconnus à l’opposition et depermettre une certaine adaptabilité à la pratique mais « en laissant au bon vouloir de la

majorité la définition des droits de l’opposition […] la question du sens même qu’il y a à accorder

des droits spécifiques à l’opposition parlementaire est encore une fois évitée »90.

42 Cette maitrise majoritaire des droits de l’opposition est encore renforcée au niveau de

la pratique politique. Il est fréquent de qualifier le droit parlementaire de droitpolitique pour insister sur l’importance revêtue par la pratique des parlementaires.Ainsi, Eugène PIERRE, la figure tutélaire du droit parlementaire français, considérait

dans la préface à la seconde édition de son traité que le droit parlementaire estpolitique puisque « ceux qui l’appliquent sont précisément ceux qui le créent », et d’expliquerque telle est la cause de la difficulté « en matière politique, à fixer la portée d’un article in

abstracto, sans tenir compte des circonstances au milieu desquelles il doit fonctionner »91. A cetitre, il revient aux parlementaires d’interpréter les dispositions constitutionnelles,

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législatives et réglementaires afférentes aux droits de l’opposition. La majorité est doncsusceptible de produire une interprétation des droits de l’opposition qui peut faireoffice d‘interprétation authentique de la Constitution92. Il est donc impossible deprévoir, a priori, la portée qui sera conférée aux droits constitutionnels de l’opposition.

43 Il convient de remarquer que les futures majorités marocaines et tunisiennes seront en

mesure d’en minorer les effets. Il en va par exemple ainsi du droit de créer unecommission d’enquête. Le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs93

pourrait être invoqué par la majorité pour refuser la création d’une commissiond’enquête qui, selon elle, mettrait en cause la responsabilité du Gouvernement ou duchef de l’Etat, comme ce fut le cas en France94. De surcroit, au Maroc spécifiquement, envertu de l’article 67 alinéa 3 qui prévoit que sa mission prend fin dès l’ouverture d’uneinformation judiciaire, « le gouvernement peut arrêter le travail d'une commission d'enquête,

si elle constitue un danger ou une gêne pour le gouvernement en déclenchant la procédure

judiciaire »95. Par ailleurs, la mention constitutionnelle des devoirs de l’oppositionparlementaire offre à la majorité une ressource argumentative pour conditionner lesdroits de l’opposition à une attitude qu’elle jugerait plus acceptable. Or, « la limite entre

l’utilisation d’un droit tel qu’il est conçu au départ et la dénaturation qui va y être apportée est

malaisée à déterminer. De même, distinguer le moment exact où l’action de la minorité va passer

d’une opposition parlementaire normale à l’obstruction s’avère délicat »96. Elle est en tout casaisée à instrumentaliser à des fins politiques. La majorité risque de devenir juge del’attitude « positive » ou « constructive » de l’opposition, sous le contrôle éventuel d’unPrésident de chambre dont l’autorité est toutefois corrélée au crédit que lui accordel’opposition quant à son impartialité. Si les dispositions constitutionnelles visent àprotéger l’opposition, elles peuvent tout aussi bien aboutir à accroitre sa mise soustutelle par le pouvoir majoritaire. Si le but affiché d’une telle constitutionnalisation estl’établissement d’un contrôle par l’opposition d’un Gouvernement majoritaire etresponsable, il ouvre pourtant la voie à un contrôle par le Gouvernement majoritaire dela responsabilité de l’opposition. Face à cette situation, reste à déterminer si le jugeconstitutionnel peut être amené à jouer le rôle de garant de ces droits de l’opposition.

2) Le contrôle du juge constitutionnel

44 L’opposition peut-elle faire sanctionner la violation de ses droits constitutionnels

devant le juge constitutionnel, comme la rhétorique utilisée pourrait le laisser penser ?Autrement dit, la constitutionnalisation des droits de l’opposition parlementaireconduit-elle à en faire des droits justiciables ? Il est certain que les Coursconstitutionnelles marocaines et tunisiennes seront amenées à connaitre de laconcrétisation majoritaire de ces droits à travers le contrôle de constitutionnalité apriori des règlements des chambres (Art. 117 de la Constitution tunisienne, Art. 132 dela Constitution marocaine). Les oppositions parlementaires pourront en outre saisirelles-mêmes le juge constitutionnel, dans le cadre du contrôle de constitutionnalitéfacultatif des lois97, en alléguant une violation de leurs droits au cours de la procédurelégislative. Il s’agirait dès lors d’un contrôle a posteriori et concret de la violationalléguée98. Mais en premier lieu, il n’est pas certain que le juge accepte de contrôler cequ’il pourrait analyser comme relevant de la légalité intérieure des chambres. Surtout,alors que la plupart des droits de l’opposition concernent davantage le contrôle del’activité gouvernementale plutôt que l’élaboration de la loi, il semble que, lesconcernant, les cours constitutionnelles marocaine et tunisienne ne soient pas amenées

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à en connaître dans la mesure où celles-ci ne sont pas, à la lecture des deux textesconstitutionnels, habilitées à trancher les litiges susceptibles de s’élever entre leParlement et le Gouvernement. Il existe toutefois au Maroc une exception notablepuisque le Gouvernement ou le Président de la chambre peut saisir le Conseilconstitutionnel pour trancher un différend relatif aux commissions d’enquêtes99. Parcontre, en Tunisie, la Cour constitutionnelle tunisienne ne devrait connaitre,conformément à l’article 99 de la Constitution, que des conflits de compétencessusceptibles de s’élever entre les deux têtes de l’exécutif. Il est enfin peu probable quela mise en place d’une exception d’inconstitutionnalité en Tunisie puissent permettreau justiciable de défendre les droits de l’opposition et d’amener à un examen in concreto

du juge constitutionnel. C’est encore plus douteux au Maroc puisque l’article 133 de laConstitution ne vise, dans le cadre de cette procédure, que « les droits et libertés garantis

par la Constitution ». Le Conseil constitutionnel marocain ne semble d’ailleurs pasvouloir s’aventurer dans un contrôle plus concret du droit parlementaire et manifesteainsi un certain « self-restraint ». Dans l’attente de son remplacement par la nouvelleCour constitutionnelle, il s’est ainsi déclaré incompétent pour contrôler l’élection duPrésident de la Chambre des représentants100. Plus décisif encore pour les droits del’opposition, il a refusé de connaitre du contentieux relatif à la formation des groupeset groupements parlementaires101. Dès lors, c’est bien la sincérité de la déclarationd’opposition qui ne peut être contrôlée et en conséquence, la réalité de l’opposition.Contrairement à la présentation qui en est faite s’agissant des droits et libertés, le jugeconstitutionnel n’est donc pas érigé en garant des droits de l’opposition.

45 Quand bien même les juges constitutionnels tunisien et marocain seraient amenés, par

une politique jurisprudentielle constructive, à connaitre des droits de l’oppositionparlementaire, rien n’indique qu’ils en développeront une conception nécessairementexigeante. Peut-être est-ce là l’un des points communs aux droits de l’opposition et auxdroits fondamentaux. Comme le rappelle le professeur CHAMPEIL-DESPLATS au sujet du

contrôle juridictionnel de ces derniers : « outre les doutes que l’on peut exprimer sur la

possibilité d’une réelle indépendance et impartialité des institutions concernées, on peut rappeler

que celles-ci agissent à l’aune d’énoncés vagues et généraux. Or, rien ne garantit […] qu’elles

optimisent dans tous les cas la protection des droits et libertés »102. Si un lien doit être établientre les deux notions, c’est sans doute celui-ci. D’ailleurs, la décision du Conseilconstitutionnel marocain rendue au sujet du règlement intérieur de la chambre desreprésentants a illustré le fait que le contrôle juridictionnel peut jouer en faveur de lamajorité103. L’exemple du temps de parole alloué à l’opposition, s’il constitue davantageun droit de la minorité qu’un droit spécifique de l’opposition, est significatif. Le Conseila en effet censuré l’article 207 du règlement intérieur qui prévoyait la répartition entrois parts égales du temps de parole entre gouvernement, majorité et opposition. LaConstitution impose selon le juge que le gouvernement dispose d’un temps de paroleégal à celui des parlementaires ne laissant que 25% du temps total à l’opposition. Legroupe parlementaire d’opposition marocain de l’UFSP vient d’ailleurs de présenterune proposition de loi pour la mise en œuvre des droits de l’opposition consacrés àl’article 10 de la Constitution104. Si l’opposition, « saisie par le droit », devient un objetjuridique, celui-ci est aussitôt et en retour « saisie par la politique ». Autrement dit, lapolitique « reprend ses droits », sans qu’il faille y voir une révolution.

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NOTES

1. Déclaration prononcée à la suite de son élection par l’ANC à la présidence provisoire de la

République. Citée par BRAS Jean-Phillipe, « Le peuple est-il soluble dans la constitution ? Leçons

tunisiennes », in L’année du Maghreb, n°8, 2012, p. 115.

2. BITAR Karim Emile, « Les intellectuels français et le printemps arabe », in La Revue internationale

et stratégique, 3, n°83, 2011, pp. 141-148.

3. Outre le Maroc et la Tunisie, on peut citer parmi les Etats ayant constitutionnalisé l’opposition

dans le désordre et sans prétendre à l’exhaustivité : la France, le Portugal, le Sénégal, la

République démocratique du Congo, Madagascar, le Burundi, les Comores, la République de

Guinée, le Niger, le Togo ou encore le Bouthan.

4. PIMENTEL Carlos-Miguel, « L’opposition ou le procès symbolique du pouvoir », in Pouvoirs, n°108,

(« L’opposition »), 2004, p. 45.

5. JAN Pascal, « Les oppositions », in Pouvoirs, n°108 (« L’opposition »), 2004, p. 24.

6. PIMENTEL Carlos-Miguel, « L’opposition ou le procès symbolique du pouvoir », op. cit., pp. 48-49.

7. FAVOREU Louis, La politique saisie par le droit : alternances, cohabitations et Conseil constitutionnel,

Paris, Economica, 1988, 153 p.

8. PONTHOREAU Marie-Claire, « L’opposition comme garantie constitutionnelle », in Revue de droit

public et de science politique en France et à l’étranger, n°4, 2002, p. 1127.

9. TOCQUEVILLE Alexis de, De la démocratie en Amérique, Paris, Gosselin, 1835, Vol. 2, P. 2, Chap. VII,

p. 137

10. Le démo-libéralisme est théorisé par le professeur CHEVALLIER Jean-Jacques, Histoire des idées

politiques ; de l’Esprit des Lois (1748) à nos jours, Paris, Les cours du Droit, 1964, Fascicules I à III ;

spéc. II ; pp. 93 et s.

11. AVRIL Pierre, « Le statut de l’opposition : un feuilleton inachevé », in Les petites affiches, n°254,

19 décembre 2008, p. 9.

12. Voir ainsi : KELSEN Hans, Théorie pure du droit [1934], trad. C. Eisenmann, Paris, LGDJ, 1999, pp.

209-211 et p. 271-272 ; SCHMITT Carl, Théorie de la Constitution, [1928], trad. L. Deroche, Paris, PUF,

Quadrige, 2008, p. 232.

13. L’article 57 de la constitution du 1er juin 1959 va être retenu comme fondement par le Conseil

constitutionnel pour prononcer l’empêchement absolu du Président et maintenir le fil d’une

légalité constitutionnelle. Déclaration du Conseil constitutionnel du 15 janvier 2011.

14. Puisque l’article 57 de cette constitution prévoyait l’élection d’un nouveau Président de la

République.

15. BRAS Jean-Philippe, « Le peuple est-il soluble dans la constitution ? Leçons tunisiennes », op.

cit., p. 105.

16. Le président d’honneur et fondateur du PDP, Ahmed Nejib CHEBBI s’est toutefois opposé à

l’élection d’une assemblée constituante et a appelé à une élection présidentielle dans le cadre de

la Constitution de 1959. Voir : GOBE Eric, « Tunisie an I : Les chantiers de la transition », in L’année

du Maghreb, n°8, 2012, p. 448.

17. Si les partis extraparlementaires de gauche ont appuyé plus ou moins rapidement le

mouvement, les partis gouvernementaux s’en sont gardés même si certains dirigeants lui ont

apporté leur soutien. Quant au Parti de la Justice et du Développement, principal parti islamiste

de l’opposition parlementaire à cette date, il a refusé d’y prendre part.

18. TOURABI Abdellah & ZAKI Lamia, « Maroc : Une révolution royale ? », in Mouvements, n°66, 2011,

p. 99

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19. Comme le confirme un des militants du Mouvement : LOTFI Chawqui ; « Maroc : les ressorts de

la monarchie, les conditions de la contestation », in Alternatives sud, n°19, 2012, p. 153-169. Voir

également : DESRUES Thierry, « Le Mouvement du 20 février et le régime marocain : contestation,

révision constitutionnelle et élections », in L’Année du Maghreb, n°8, 2012, pp. 363-364.

20. Ibid., p. 365.

21. Pour une analyse favorable à ce scénario d’un découplage de la réforme constitutionnelle et

du mouvement de protestation voir : FERRIÉ Jean-Noël & DUPRET Beaudouin « La nouvelle

architecture constitutionnelle et les trois désamorçages de la vie politique marocaine », in

Confluences Méditerranée, 3, n°78, 2011, pp. 25-34.

22. ALLAL Amin & G EISSIER Vincent, « La Tunisie de l’après Ben-Ali, Les partis politiques à la

recherche du peuple introuvable », in Cultures et conflits, n°83, 2011, p. 118.

23. L’article 3 du décret-loi n°2011-6 du 18 février 2011 dispose que son conseil est formé « de

personnalités politiques nationales, de représentants des partis politiques, des instances, des

organisations et des composantes de la société civile concernées par les affaires nationales dans

la capitale et les régions, parmi ceux qui ont participé à la révolution ou qui l’ont soutenue, qui

seront nommés par arrêtés du ministre sur proposition des organismes concernés ».

24. BEN ACHOUR Rafaâ & BEN ACHOUR Sana, « La transition démocratique en Tunisie : entre légalité

constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », in Revue française de droit constitutionnel, 4,

n°92, 2012, p. 720.

25. Par contre, ces forces politiques divisées entre elles s’accordent pour s’opposer au

Gouvernement provisoire auquel elles dénient « toute légitimité […] le cantonnant à un registre

purement technocratique, rappelant son caractère éphémère, tout en poursuivant avec lui des médiations

et des négociations qui, en retour, finissent par lui donner une certaine crédibilité », ALLAL Amin et

GEISSIER Vincent, « La Tunisie de l’après- Ben Ali, Les partis politiques à la recherche du peuple

introuvable », op. cit., p. 118.

26. Cela constitue tout de même un changement par rapport aux précédentes réformes

constitutionnelles qui étaient préparés directement par le cabinet d’Hassan II.

27. TOURABI Abdellah et ZAKI Lamia, « Maroc : Une révolution royale ? », op. cit., p. 102. Voir

également : BRAS Jean-Phillipe, « Le peuple est-il soluble dans la constitution ? Leçons

tunisiennes », op. cit., pp. 111-114.

28. BENDOUROU Omar ; « La consécration de la monarchie gouvernante », in L’année du Maghreb,

n°8, 2012, p. 392.

29. Voir à ce propos : EL MOSSADEQ Rkia, Consensus ou jeu de consensus ?, Pour le réajustement de la

pratique politique au Maroc, Casablanca, Imprimerie Najah El Jadida – Sochpress distributeur, 1995.

30. Ces élections (dont le taux de participation a été de 54%) a conduit à la victoire d’Ennahdha

qui remporte 89 sièges sur les 217 à pourvoir. Le CPR de Moncef MARZOUKI obtient 29 sièges, la

pétition populaire obtient 26 siège, Ettakatol 20 sièges, le PDP 16 sièges, le PDM 5 sièges tout

comme l’Initiative. Afek Tounes en obtient 4, le PCOT 3, Achab et le MDS obtenant chacun 2

sièges. Les 16 restants ont été répartis entre des petits partis et des listes indépendantes qui

obtiennent chacun un siège. Ces résultats ne reflètent plus les effectifs des groupes puisque de

nombreux constituants ont changés de groupes parlementaires depuis.

31. BRAS Jean-Phillipe, « Le peuple est-il soluble dans la constitution ? Leçons tunisiennes », op.

cit., p. 110.

32. Ils dénoncent ainsi la répartition des trois présidences (de la République, du Gouvernement et

de l’Assemblée) entre les trois partis de la coalition majoritaire et le rejet d’un gouvernement

d’union nationale. Le CPR obtient la Présidence de la République, Ennahda la présidence du

Gouvernement et Ettakatol celle de l’ANC.

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33. Loi constituante n°6-2011 du 16 décembre 2011 qui aboutit au compromis au terme duquel la

future constitution devra être adoptée à la majorité absolue article par article puis dans son

ensemble à la majorité des deux tiers ou à défaut, être soumise à référendum.

34. Ainsi, et à titre d’exemple, ni la loi constituante du 16 décembre 2011 ni le règlement

intérieur de l’ANC ne mentionnent l’opposition.

35. CHOUIKHA Larbi & GOBE Eric, « La Tunisie en 2012 : heurs et malheurs d’une transition qui n’en

finit pas », in L’année du Maghreb, n°9, 2013, p. 388. Ce processus a été entamé avec la création du

Parti Républicain (qui regroupe notamment le PDP et Afek Tounes), de la Voie démocratique et

sociale (composée du PC tunisien, du PTT et d’une Partie du PDM) et s’est poursuivi avec la

création, le 16 juin 2012, du parti Nidaa Tounes. Cette coalition électorale se présente comme

ayant vocation à regrouper l’ensemble des opposants à la coalition au Pouvoir. Cette

bipolarisation apparait toutefois artificiel, voire néfaste à certains auteurs. Voir ainsi : FERJANI

Mohammed Chérif, « Révolution, élections et évolution du champ politique tunisien », in

Confluences Méditerranée, n° 82, pp. 112-115.

36. Cette loi, en interdisant aux anciens responsable du RCD de BEN-ALI d’exercer des fonctions

politiques importantes, visait à empêcher le Président de Nidaa Tounes et certains de ses cadres

de se présenter aux prochaines élections.

37. Lofti Nagdh, coordinateur régional d’Inaa Tounes à Tataouine est lynché le 18 octobre 2012,

Chokri BELAID, dirigeant du Mouvement des patriotes démocrates est assassiné le 6 février 2013

comme Mohammed BRAMHI, membre de l’opposition à la constituante le 25 juillet 2013.

38. TOUZEIL-DIVINA Mathieu, « Un rendez-vous constituant manqué ? Où fleuriront au Maroc le

jasmin et la fleur d'oranger » in Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger,

n° 3, 2012, p. 691.

39. Suite à la crise politique provoquée par l’assassinat de Mohammed BRAMHI.

40. Voir supra au sujet de cette révision du règlement.

41. CATUSSE Myriam, « Au-delà de "l'opposition à sa Majesté" : mobilisations, contestations et

conflits politiques au Maroc », in Pouvoirs, n°145 (« Le Maroc »), 2013, p. 40. L’auteur invite

toutefois à dépasser cette seule grille de lecture en s’intéressant à d’autres formes d’opposition.

42. Pour une critique de cette conception qui relèverait de « l’anxiété culturelle de la gauche

marocaine » et une défense du processus constituant par un membre de la CCRC voir : BERNOUSSI

Nadia, « La constitution marocaine du 29 juillet 2011 : Entre continuité et rupture », in Revue du

droit public et de la science politique en France et à l’étranger, n°3, 2012, p. 663-685, spéc. pp. 667-670.

43. BENDOUROU Omar, « La nouvelle constitution marocaine du 29 juillet 2011 : le changement,

entre mythe et réalité », in Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, n°3,

2012, pp. 640-641.

44. FAGES Marie-Laure, « L’opportunité manquée d’un statut de l’opposition en France », in

Politeia, n°16, 2009, p. 338.

45. VIDAL-NAQUET Ariane, « L’institutionnalisation de l’opposition », in Revue française de droit

constitutionnel 1, n°77, 2009, p. 166.

46. AVRIL Pierre, « L'improbable "statut de l'opposition" (à propos de la décision 537 DC du

Conseil constitutionnel sur le règlement de l'Assemblée nationale) », in Les petites affiches, n°138,

12 juillet 2006, p. 9.

47. Cité par BOUSQUET François Charles, Le statut de l’opposition sous la Ve République, Thèse, Droit,

Paris I, Paris, 2005, 1 Vol., 544 p. (dactyl.).

48. D’autant plus au Maroc ou la Constitution frappe de déchéance le parlementaire qui quitte le

groupe politique avec lequel il a été élu et ce afin de lutter contre la transhumance parlementaire

massive (Art. 61).

49. Voir à ce sujet les articles des professeurs BENDOUROU et TOUZEIL-DIVINA cités supra.

50. Voir notamment les articles 76 à 81 de la Constitution.

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51. Pour reprendre le titre de l’article du professeur PONTHOREAU au sujet du cas français :

PONTHOREAU Marie-Claire, « Les droits de l’opposition en France. Penser une opposition

présidentielle », in Pouvoirs, n° 108 (« L’opposition »), 2004, pp. 101-114.

52. THIERS Eric, « La majorité contrôlée par l’opposition : pierre philosophale de la nouvelle

répartition des pouvoirs ? », in Pouvoirs, n°143 (« La séparation des pouvoirs »), 2012, p. 63.

53. Cette question des critères d’identification est étudiée de manière plus approfondie à propos

du cas français par le Pr. VIDAL NAQUET Ariane, « L’institutionnalisation de l’opposition », op. cit.,

spéc. pp. 158-166.

54. ROZENBERG Olivier et THIERS Eric, « Enquête sur l’opposition parlementaire », in L’opposition

parlementaire, ROZENBERG Olivier et THIERS Eric (dir.), Paris, La documentation française, 2013, pp.

12-14.

55. VIDAL-NAQUET Ariane, « L’institutionnalisation de l’opposition », op. cit., p. 155.

56. L’expression a été utilisée par le professeur Bendourou lors de la table ronde organisée lors

de la conférence « Constitutions et printemps arabes » organisée par le Laboratoire

méditerranéen de droit public le 19 mars 2012 à l’Institut de France.

57. TOUZEIL-DIVINA Mathieu, « Printemps et révolutions arabes : un renouveau pour la séparation

des pouvoirs ? », in Pouvoirs, n°143 (« La Séparation des pouvoirs), 2012, pp. 42-45.

58. En août 2012, un premier projet de Constitution issu de la mise en commun du travail des

différentes commissions constituantes de l’ANC a été publié. A cette date, ce « brouillon du projet

de constitution » ne mentionnait pas les droits de l’opposition parlementaire mais seulement,

dans un titre consacré aux dispositions générales, le droit de s’organiser en opposition politique.

Le second brouillon, publié en décembre 2012, ne mentionne plus du tout l’opposition. C’est la

commission constituante des pouvoirs législatifs et exécutif et des relations entre eux qui va

réintroduire en mars 2013 (soit au moment où les relations entre majorité et opposition sont

extrêmement tendues) un article spécifiquement consacré à l’opposition parlementaire en listant

neuf droits essentiels qui lui seraient reconnus et ne va pas sans rappeler l’article 10 de la

constitution marocaine. Cependant ces droits ne se retrouvent pas dans le projet de Constitution

présenté le 22 avril 2013 qui reconnait l’opposition parlementaire mais ne précise plus les droits

qui lui sont attribués. C’est dans la version du premier juin 2013 que le droit de proposer et de

présider annuellement une commission d’enquête réapparait. Il faudra finalement attendre un

amendement de la commission de consensus, qui accorde à la future opposition parlementaire la

présidence de la commission des finances et le poste de rapporteur au sein de la commission des

relations extérieures, pour étoffer les droits spécifiquement reconnus et dépasser la simple

déclaration d’intention.

59. 138 voix pour, 20 voix contre et 20 abstentions.

60. Voir supra I] A/ 2), concernant les relations entre majorité et opposition au cours du

processus constituant tunisien.

61. Toutefois, le cadre juridique mis en place sous Ben Ali n’ignorait pas totalement l’opposition

parlementaire puisque la loi électorale lui réservait un quota minimum de sièges depuis 1994.

Voir : GOBE Éric, « Plasticité du droit constitutionnel et dynamique de l’autoritarisme dans la

Tunisie de Ben Ali », in Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], n°130, février

2012, mis en ligne le 21 février 2012, consulté le 24 janvier 2014. URL : http://

remmm.revues.org.faraway.u-paris10.fr/7499.

62. Pour une étude de l’opposition tunisienne avant le printemps arabes voir entre autres : GOBE

Eric & CHOUIKHA Larbi, « Opposition et élections en Tunisie », in Monde arabe Maghreb-Machrek,

n°168, 2000, p. 29-40 et le dossier « S’opposer au Maghreb » de l’Année du Maghreb, n° 5, 2009.

63. HEUSCHLING Luc, « La Constitution formelle », in Traité international de droit constitutionnel :

Théorie de la Constitution (Tome 1), TROPER Michel et CHAGNOLLAUD Dominique (dir.), Paris, Dalloz,

2012, p. 294.

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64. BERNOUSSI Nadia, « La constitution de 2011 et le juge constitutionnel », in La constitution

marocaine de 2011, analyses et commentaires, ROUSSET Michel (dir.), Paris, LGDJ/Lextenso, 2012, p.

208.

65. SMITH Eivind, « Les fonctions symboliques des constitutions », in Traité international de droit

constitutionnel : Théorie de la Constitution (Tome 1), TROPER Michel et CHAGNOLLAUD Dominique (dir.),

Paris, Dalloz, 2012, p. 775.

66. Il en va par exemple ainsi au Portugal (voir l’article 114 de la constitution qui ne peut

d’ailleurs faire l’objet d’une révision constitutionnelle en vertu de l’article 288), en Croatie (art.

92, 124, 125) ou au Sénégal (voir le Titre V consacré à l’opposition parlementaire).

67. Voir GILLES William, « L’opposition parlementaire : étude de droit comparé », in Revue du droit

public et de la science politique en France et à l’étranger, 5, n°122, 2006, pp. 1363-1364.

68. SMITH Eivind, « Les fonctions symboliques des constitutions », op. cit., p. 776.

69. CDL-AD(2013)032F, Avis sur le projet final de la constitution de la République tunisienne, adoptée

par la commission de Venise lors de sa 96ème session plénière (Venise, 11/12 octobre 2013).

70. V OLONTE Luca, L’évaluation du partenariat pour la démocratie concernant le Maroc, Conseil de

l’Europe, Assemblée parlementaire, Commission des questions politiques et de la démocratie,

Doc. 13230, 10 juin 2013.

71. TOUZEIL-DIVINA Mathieu, « Un rendez-vous constituant manqué ? Où fleuriront au Maroc le

jasmin et la fleur d'oranger », op. cit., p. 713.

72. Cette notion de compromis dilatoire a été théorisée par Carl Schmitt qui les définit comme «

des compromis apparents parce qu’ils ne portent sur aucune décision de fond obtenue par des concessions

mutuelles : leur nature consiste justement à repousser et ajourner cette décision. Le compromis consiste en

effet ici à trouver une formule qui satisfasse toutes les exigences contradictoires et laisse irrésolus les vrais

points d’achoppement grâce à une expression ambigüe. Cette formule ne contient donc qu’une juxtaposition

extérieure, verbale, de sens foncièrement inconciliables. De faux compromis de ce genre sont en un sens de

vrais compromis : ils seraient impossibles s’il n’y avait aucune entente entre les partis. Mais cette entente

ne porte pas sur le fond : On tombe d’accord uniquement pour ajourner la décision et se ménager les

possibilités d’interprétation les plus diverses. Le compromis ne porte donc pas sur la résolution du fond d’un

problème grâce à des concessions mutuelles, l’accord consiste au contraire à se contenter d’une formule

dilatoire qui satisfait toute les revendications ». SCHMITT Carl, Théorie de la Constitution, op. cit., p. 162.

Pour le professeur AVRIL, les compromis dilatoires sont « des rédactions acceptables sur le moment

par les acteurs mais qui [dissimulent] des arrières pensées contradictoires dont il [convient] tacitement

de renvoyer à l’avenir le règlement ». AVRIL Pierre, « Enchantements et désenchantements

constitutionnels sous la Ve République » in Pouvoirs, n° 126 (« La Ve République »), 2008, p. 8.

73. CARCASSONNE Guy, « L’opposition parlementaire comme objet juridique : une reconnaissance

progressive », in L’opposition parlementaire, op. cit., p. 87.

74. KELSEN Hans, La démocratie. Sa valeur. Sa nature, Trad. C. Eisenmann (1932), Paris, Dalloz, 2e éd.,

2004, p. 63.

75. TOUZEIL-DIVINA Mathieu, « Printemps et révolutions arabes : Un renouveau pour la séparation

des pouvoirs ? », op. cit., pp. 29-45.

76. Ibid., p. 9.

77. PONTHOREAU Marie-Claire, « L’opposition comme garantie constitutionnelle », op. cit., p. 1136.

78. A la différence de l’article 18 de la Constitution du Bhoutan qui précise que l’opposition

s’assure que le parti majoritaire et le Gouvernement agissent conformément aux dispositions de

la Constitution, contribue à la bonne gouvernance et s’efforce de promouvoir l’intérêt national et

de remplir les aspirations du peuple. Elle doit de surcroit promouvoir l’intégrité nationale,

l’unité, l’harmonie et la coopération entre les différentes sections de la société. Il s'efforce de

promouvoir et de participer à un débat constructif et responsable au Parlement tout en offrant

une opposition saine et digne au Gouvernement. Le parti d’opposition ne doit pas laisser ses

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

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Page 154: La Revue des droits de l’homme, 6

intérêts prévaloir sur l’intérêt national. Son objectif doit être de rendre le gouvernement

responsable, comptable et transparent. L’opposition doit aider et supporter le Gouvernement en

cas de menaces extérieures, de calamités naturelles ou de crises nationales lorsque la sécurité et

l’intérêt national sont en jeu.

79. Voir contra au sujet de la situation française qui consacre des droits similaires : NABLI Beligh,

« L’opposition parlementaire : un contre-pouvoir politique saisi par le droit », in Pouvoirs, n°133

(« La Californie »), 2010, pp. 127-141.

80. MULLER Renaud, « Un nouveau rôle pour l’opposition dans la procédure législative ? », in

Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, n°10 (« Esclavage et travail forcé »), 2012, p. 105.

81. KELSEN Hans, La démocratie. Sa valeur. Sa nature, op. cit., p. 74.

82. MAUS Didier, « Obstruction » in Dictionnaire de droit constitutionnel, DUHAMEL Olivier & MENY Yves

(dir.), Paris, PUF, 1992, p. 672.

83. KELSEN Hans, La démocratie. Sa valeur. Sa nature, op. cit., p. 75.

84. MARINESE Vito, « L’obstruction parlementaire disparaîtra…Bon débarras ? », in Politeia, n°16,

2009, p. 311.

85. BENDANA Kmar, « Le parti Ennahdha à l’épreuve du pouvoir en Tunisie », in Confluences

Méditerranée, n°82, 2012, p. 196.

86. VIDAL-NAQUET Ariane, « L’institutionnalisation de l’opposition », op. cit., p. 173.

87. MARINESE Vito, « L’obstruction parlementaire disparaîtra…Bon débarras ? », op. cit., p. 311.

88. AVRIL Pierre, « Le statut de l’opposition : un feuilleton inachevé », op. cit., p. 9.

89. MOLFESSIS Nicolas, « Le renvoi d’un texte à un autre », in Les mots de la loi, MOLFESSIS Nicolas

(dir.), Paris, Economica, 1999, p. 55 (note 1).

90. FRANÇOIS Bastien, « L’impensé de l’opposition parlementaire sous la Vème République », in

L’opposition parlementaire, op. cit., p. 104.

91. PIERRE Eugène, Traité de droit politique, électoral et parlementaire, deuxième éd., Paris, Librairies

imprimeries-réunies, 1902, p. V. Voir plus récemment PEZANT Jean-Louis, « Quel droit régit le

Parlement ? », in Pouvoirs, n°64 (« Le Parlement »), 1993, pp. 63-74 ; ou encore BENETTI Julie, « Les

rapports entre Gouvernement, groupes de la majorité et groupes d’opposition », Jus Politicum,

hors-série (« Le Parlement français et le nouveau droit parlementaire »), 2012, p. 83.

92. Voir à ce sujet : GIRAUD Thomas, L’interprétation de la constitution par les organes non

juridictionnels, Thèse, Droit, Université Paris Ouest Nanterre, Hauts de Seine, 2005, 1 vol., 464 p.

(dactyl.).

93. Ce principe est mentionné par le préambule de la Constitution tunisienne et l’article premier

de la Constitution marocaine.

94. DESROSIERS Jean-Philippe, « Droit parlementaire. Réflexions sur les possibilités de création

d’une commission d’enquête parlementaire. L’exemple de la commission d’enquête sur les

sondages de l’Elysée », in Revue française de droit constitutionnel, 1, n°85, p. 175-186.

95. BENDOUROU Omar, « La nouvelle constitution marocaine du 29 juillet 2011 : Le changement,

entre mythe et réalité », op. cit., p. 657.

96. SOMMACCO Valérie, Le droit d’amendement et le juge constitutionnel en France et en Italie, Paris,

LGDJ, Coll. nouvelle bibliothèque des thèses, 2002, p. 65.

97. L’article 118 de la Constitution tunisienne ne mentionne toutefois que le contrôle des projets

de loi, et non des propositions, ce qui peut conduire à ce que ces dernières échappent au contrôle

de constitutionnalité a priori.

98. Cette opposition entre contrôle concret et abstrait est ici opérante mais ne peut constituer,

comme l’illustrent les cas tunisiens et marocains, un critère de classification des systèmes de

justice constitutionnelle. TUSSEAU Guillaume, Contre les « modèles » de justice constitutionnelle, essai

de critique méthodologique, Bologne, Bononia university press, 2009, pp. 37-45.

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Page 155: La Revue des droits de l’homme, 6

99. En vertu de l’article 18 de la loi organique n°085-13 du 31 juillet 2014 relative aux modalités

de fonctionnement des commissions d’enquête parlementaire.

100. Décision du Conseil constitutionnel n°826-2012 du 17 janvier 2012, B.O. n°6014 du 19 janvier

2012, p. 359.

101. Décision du Conseil constitutionnel n°830-2012 du 14 février 2012, B.O. n°6025 du 27 février

2012, p. 745.

102. CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, « Effectivité et droits de l’Homme : Approche théorique », in A

la recherche de l’effectivité des droits de l’homme, CHAMPEIL-DESPLATS Véronique et LOCHAK Danièle

(dir.), Nanterre, Presses universitaires de Paris Ouest, 2008, p. 20.

103. Décision du Conseil constitutionnel n° 924-2013 du 22 aout 2013.

104. BENEZA Hajar, « Parlement. L’USFP se mobilise pour les droits de l’opposition » in

L’économiste, n° 4186, 06 janvier 2014.

ABSTRACTS

Whereas the constitutionnal texts emphatically recognize the competences of the parliamentary

opposition in Morocco and Tunisia, the place set aside for this opposition during the

constitutional process gives grounds for doubting the sincerity of such a consecration.

Furthermore, the implementation of these clauses remains in the hands of the majority, while

their protection by the constitutional judges is failing. Those points question the relevance of the

so-called « rights of opposition ».

Si les textes constitutionnels marocain et tunisien consacrent avec une certaine emphase ces

compétences de l’opposition parlementaire, le traitement qui lui a été réservé au cours du

processus constituant, conduit à douter de la sincérité d’une telle consécration. De surcroit, leur

concrétisation est maitrisée par la majorité et leur protection par le juge constitutionnel apparait

restreinte. Ceci remet en question la pertinence d’une qualification en termes de « droits » de

l’opposition.

INDEX

Mots-clés: Printemps arabes - Séparation des pouvoirs - Constitutionnalisation - Parlement -

Justice constitutionnelle - Démocratie - Etat de droit - Droits de l’opposition - Opposition

parlementaire - Majorité - Minorité - Obstruction

Keywords: Arab springs - Separation of power - Constitutionalisation - Parliament -

Constitutional review - Democracy - Rule of law - Opposition rights - Parliamentary opposition -

Majority - Minority - Filibustering

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Page 156: La Revue des droits de l’homme, 6

AUTHOR

ANTONIN GELBLAT

Antonin Gelblat est ATER de droit public à l'Université Paris Ouest Nanterre la Défense et

doctorant au CREDOF où il prépare une thèse sur "les constitutionnalisations du droit

parlementaire" sous la direction du professeur Touzeil-Divina.

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La Constitution égyptienne de2014 est-elle révolutionnaire ?Nathalie Bernard-Maugiron

1 La nouvelle Constitution égyptienne, adoptée par référendum en janvier 2014, a été

présentée par les autorités égyptiennes comme une Constitution révolutionnaire, unmodèle de protection des droits de l’homme et une avancée significative vers unevéritable transition démocratique. Elle est venue clore une transition constitutionnelleparticulièrement chaotique, entamée avec la chute du président Hosni Moubarak le 11février 2011. L’Egypte a en effet connu deux déclarations constitutionnelles provisoires1

et deux Constitutions, la première n’étant restée en vigueur que six mois avant d’êtresuspendue le 3 juillet 20132 puis remplacée en janvier 20143.

2 Alors que la Constitution de 2012 avait été rédigée par une assemblée élue4, c’est un

comité de 50 membres (« Comité des 50 »), nommé par le président par intérim, qui està l’origine du texte de 20145. Il avait été reproché à la Constitution de 2012 d’avoir étéélaborée de façon autoritaire par une assemblée non représentative dominée par lesislamistes. Il est vrai que cette constituante comprenait près de 70% d’islamistes6, maisil s’agissait de la première assemblée constituante jamais élue par le pouvoir législatif,alors que les membres du Comité des 50, eux, ont tous été nommés par le président parintérim7. La plupart des membres de ce Comité étaient des libéraux ou desreprésentants d’institutions proches de l’appareil d’Etat, qui avaient été enconfrontation directe avec le gouvernement de Mohamed Morsi. Les Frères musulmansn’y étaient pas représentés, puisque les deux sièges réservés aux partis islamistesétaient occupés par un membre du parti salafiste al-Nour et par un dissident de laConfrérie. Cinq femmes (sur 50) siégeaient dans le Comité contre sept (sur 100) dans laconstituante de 2012.

3 Le délai de six mois octroyé par la Déclaration constitutionnelle de mars 2011 (art. 60) à

la constituante de 2012 pour rendre son projet s’était révélé très court et avait conduitle président Morsi à le prolonger de deux mois en novembre 20128, avant que leprésident de la constituante ne décide finalement de passer au vote lors d’une sessionmarathon qui se termina à l’aube du 30 novembre, de crainte que la Haute Courconstitutionnelle ne déclare l’inconstitutionnalité de l’Assemblée lors de son audience

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prévue pour le 2 décembre. Le Comité des 50, quant à lui, ne s’était vu attribuer qu’undélai de 60 jours pour mener à bien ses travaux, délai très court et peu propice auxdébats et à la recherche de compromis, qu’il réussit à étirer en ne comptabilisant queles jours ouvrables, repoussant ainsi la date limite de remise du texte au 3 décembre2013 au lieu du 8 novembre.

4 Si les séances plénières de la constituante de 2012 firent l’objet d’une grande publicité

et furent retransmises en direct sur plusieurs chaînes de télévision, le Comité des 50décida fin octobre 2013 de se réunir à huis clos, allant jusqu’à interdire aux membressuppléants et aux dix experts auteurs de l’avant-projet d’amendements d’assister auxdébats. Un compte rendu officiel était publié chaque jour par le porte-parole du Comité.Ce manque de transparence fut critiqué et suscita nombre d’interrogations quant à sesmotivations réelles. Seules les séances du 30 novembre et du 1er décembre, consacrées àl’adoption du texte, furent retransmises en direct. Et lorsque quatre articles n’obtinrentpas la majorité requise de 75% des voix9, le Comité se réunit à huis clos, avant dereprendre les débats publics quelques heures plus tard et de terminer l’adoption dutexte.

5 La Constitution fut adoptée par référendum les 14 et 15 janvier 2014. Le « oui » était

tellement sûr de l’emporter, que rien n’avait été prévu en cas de rejet. La plupart desopposants ayant appelé au boycott, le seul véritable enjeu pour le gouvernementrésidait dans le taux de participation. Celui-ci se devait d’être supérieur aux 32%enregistrés en 2012 pour l’adoption de la précédente Constitution. Le texte futfinalement adopté à 98,1%, contre 63,8% pour la Constitution de 2012, avec un taux departicipation de 38,6%. En fait, le vote ne porta pas tant sur la Constitution elle-mêmeque sur la légitimité du régime de transition issu du renversement de Morsi le 3 juillet2013. Il permit également de plébisciter la candidature du ministre de la Défense, legénéral Sissi, aux élections présidentielles à venir, puisqu’il avait fait savoir trois joursavant le scrutin qu’il se présenterait si le peuple manifestait clairement son désir de levoir être candidat. Sa candidature était donc conditionnée à un taux de participationélevé. Pour beaucoup d’Egyptiens, las des bouleversements et de l’instabilité politiquequi avait laissé l’économie exsangue, le vote en faveur de la Constitution constituaitsans doute également un pas vers la stabilité, la sécurité et l’espoir d’un retour de lacroissance économique10.

6 Cette nouvelle Constitution devait constituer une rupture avec le passé et rectifier celle

de 2012, présentée comme la Constitution islamique d’un Etat théocratique. L’analysede son contenu, et en particulier des dispositions relatives aux droits de l’homme etcelles traitant de l’identité de l’Etat montre toutefois qu’elle se situe davantage dans lacontinuité que dans la rupture de l’ordre constitutionnel égyptien.

I - Une Constitution plus respectueuse des droits del’homme ?

7 La Constitution de 2014 a été présentée comme une étape importante vers une plus

grande protection des droits de l’homme et la mise en place d’un Etat civil respectueuxdes minorités religieuses. Si elle présente effectivement des avancées au niveau desdroits proclamés, les mécanismes de mise en œuvre restent toutefois insuffisants pourgarantir un réel respect de ces dispositions.

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A - Une liste importante de droits et libertés

8 La Constitution de 2014 a étendu la liste des droits garantis. Elle protège mieux les

droits de la femme et met en place des mécanismes de discrimination positive.

1. Trois générations de droits

9 Des droits et libertés peuvent être trouvés dans le titre 2 de la Constitution Des

fondements de la société11, le titre 3 Des droits, libertés et devoirs publics ainsi que dans letitre 4 De l’Etat de droit. Plusieurs de ces dispositions figuraient déjà dans lesConstitutions précédentes, comme le principe d’égalité des chances entre tous lescitoyens sans discrimination (art. 9)12, la liberté personnelle (art. 54)13, le droit aurespect de la vie privée (art. 57)14, l’inviolabilité du domicile (art. 58)15, l’interdictiond’être expulsé de son pays ou empêché d’y revenir (art. 62)16, la liberté d’opinion (art.65)17, le droit de propriété (art. 32 à 37)18, le droit de vote et de candidature (art. 87)19 oule droit de créer des partis politiques sur simple déclaration (art. 74)20. L’accès auxinformations, données, statistiques et documents officiels est un droit assuré par l’Etatà tout citoyen (art. 68)21. Comme en 2012, les libertés de réunion (art. 73)22 etd’association (art. 75)23 peuvent s’exercer sur simple déclaration24. La Constitution de2014 reprend également l’essentiel des droits relatifs à une bonne administration de lajustice, comme le droit d’ester en justice (art. 97)25, le droit à un procès équitable (art.96)26 respectant les droits de la défense (art. 54 et 96) 27, la présomption d’innocence(art. 96)28, le principe de la légalité des délits et des peines (art. 95)29 ou la non-rétroactivité des lois pénales (art. 95 et 225)30. Les prisons sont considérées comme unlieu de redressement et de réhabilitation (art. 56)31.

10 De même, on retrouve des droits économiques et sociaux ou des droits de la troisième

génération qui figuraient déjà dans les textes précédents, comme le droit au travail etl’interdiction du travail forcé (art. 12)32, le droit à des soins médicaux (art 18)33 et à laprotection sociale (art. 17)34 ou le droit de grève pacifique (art. 15) 35. La libertésyndicale est également garantie, mais un seul syndicat professionnel par professionest autorisé (art. 76 et 77)36. L’Etat s’engage à mettre en place un plan visant à éradiquerl’analphabétisme (art. 25)37. Tout individu a le droit de vivre dans un environnementsain, que l’Etat a l’obligation de protéger (art. 46)38.

11 La Constitution renforce la protection de droits qui figuraient déjà dans les textes

précédents, comme les droits de l’enfant (art. 80)39 ; l’interdiction de la torture -considérée comme un crime imprescriptible et non plus seulement comme unepratique interdite (art. 52)40 ou la liberté de la presse - avec interdiction des peinesd’emprisonnement pour délits de presse (art. 70 à 72). Comme en 2012, toute censuresur les médias est interdite, sauf à titre exceptionnel en temps de guerre ou demobilisation générale (art. 71)41, et la traite sexuelle des êtres humains est prohibée(art. 89)42.

12 L’éducation est gratuite dans les écoles publiques et obligatoire jusqu’au secondaire

(art. 19)43. L’Etat s’engage à développer et à garantir l’indépendance des universités(art. 21)44 et continue de garantir la liberté de recherche scientifique (art. 66 et 67)45. LaConstitution ne reprend pas l’obligation qui figurait dans la Constitution de 2012 (art.12) d’encourager l’arabisation de l’enseignement, des sciences et des connaissancesmais confirme que la langue arabe, l’éducation religieuse et l’histoire nationale sont les

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matières de base de l’enseignement pré-universitaire (art. 24)46. Quant aux universités,elles s’engagent à enseigner les droits de l’homme, ainsi que les valeurs et l’éthiqueprofessionnelle propres à chaque discipline scientifique (art. 24)47. L’article 19, endéclarant que le but de l’éducation est notamment de forger la personnalité égyptienneet de maintenir l’identité nationale, a toutefois suscité quelques inquiétudes etinterrogations, l’éducation ne semblant plus être un but en soi, mais constituer unmoyen au service d’un autre objectif, particulièrement vague.

13 La Constitution prévoit pour la première fois la mise en place d’un système de taxation

progressive tenant compte de la capacité contributive de chacun (art. 38). L’Etats’engage à réduire les écarts entre les revenus par la fixation d’un salaire minimum etd’une retraite permettant une vie décente, et à fixer par la loi un salaire maximum pourtous les salariés du secteur public (art. 27). Comme dans la Constitution de 2012, l’Etatdevra assurer la durabilité des ressources naturelles de manière à garantir les droitsdes générations à venir (art. 46)48. De même, comme en 2012, il prend l’engagement deprotéger ses mers, plages, lacs, voies d’eau (art. 45)49, ainsi que le Nil (art. 44)50. Le droitde chaque citoyen à un logement décent est garanti dans des termes plus larges quedans la Constitution de 2012 (art. 78)51, de même que le droit de chacun à unealimentation saine et à l’eau potable (art. 79)52. Le droit à pratiquer un sport estégalement garanti, comme en 2012 (art. 84)53.

14 La Constitution de 2014 a également étendu la liste des droits protégés. C’est ainsi

qu’elle affirme pour la première fois le droit de tout enfant né d’un père égyptien oud’une mère égyptienne d’obtenir la nationalité égyptienne (art. 6)54 Elle garantitégalement le droit de l’accusé à garder le silence (art. 55) ainsi que le droit de faire donde ses organes de son vivant ou après sa mort (art. 61). Des droits de la troisièmegénération se voient mentionnés pour la première fois : l’Etat s’engage à protéger leszones de pêche (art. 30), les ressources naturelles (art. 32), à développer et entretenir leCanal de Suez (art. 43). Il doit protéger et développer les espaces verts dans les zonesurbaines, protéger les richesses botaniques, animalières et piscicoles, les espècesmenacées et prévenir la cruauté envers les animaux (art. 45). Il doit préserver l’identitéculturelle égyptienne dans ses différentes origines (art. 47) et protéger, conserver etrestaurer les antiquités (art. 49). La culture est un droit pour tout citoyen, garanti parl’Etat (art. 48).

2. Une protection des droits de la femme renforcée

15 La Constitution de 2014 renforce le statut de la femme par rapport au texte de 2012. Elle

a réintroduit une longue liste non exhaustive de fondements discriminatoiresinterdits55 : religion, croyance, sexe, origine, race, couleur, langue, handicap, classesociale, appartenance politique ou géographique ou toute autre raison (art. 53)56. Ellepose également le principe de l’égalité entre hommes et femmes et le droit des femmesà occuper des fonctions publiques, notamment dans les institutions judiciaires :

16 Article 11 de la Constitution de 2014 :

17 « L’Etat s’engage à réaliser l’égalité entre hommes et femmes pour tous les droits civils,

politiques, économiques, sociaux et culturels, conformément aux dispositions de laprésente Constitution.

18 L’Etat s’engage à prendre les mesures nécessaires afin d’assurer une représentation

adéquate des femmes au sein des assemblées parlementaires, conformément à la loi. Il

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garantit aussi le droit des femmes à accéder sans discrimination aux fonctionspubliques et aux postes de direction au sein de l’Etat et à être nommées dans les corpset organes judiciaires.

19 L’Etat s’engage à protéger les femmes contre toute forme de violence et à leur

permettre de concilier leurs obligations familiales et les exigences de leur travail. Demême qu’il procure soutien et protection à la maternité et à l’enfance, aux femmessoutiens de famille, aux femmes âgées et aux femmes les plus démunies ».

20 Si l’Etat doit réaliser l’égalité entre l’homme et la femme en ce qui concerne les droits

civils, politiques, économiques, sociaux et culturels énoncés dans la Constitution, etdans l’accès aux fonctions publiques, la Constitution précise toutefois qu’il doitégalement permettre à la femme de concilier ses devoirs familiaux et son travail dans lasociété, reprenant ainsi la vision stéréotypée des rapports hommes/femmes qui figuraitdéjà dans les textes de 197157 et 2012 58. La Constitution de 2014 reprend égalementl’engagement de l’Etat à soutenir la maternité et l’enfance, déjà mentionns dans laConstitution de 2012 (art. 10). Or cette disposition, qui figurait pourtant elle-aussi dansla Constitution de 197159, avait été très critiquée et considérée comme emblématique dela priorité accordée par les islamistes aux valeurs familiales et de leur volontéd’enfermer les femmes dans leurs tâches domestiques de mères de famille60.

21 Pour la première fois, l’Etat s’engage à protéger les femmes contre toute forme de

violence61. Au niveau politique, il doit leur assurer une « représentation adéquate » ausein du Parlement. De plus, l’art. 180 demande que 25% des sièges au niveau local leursoient réservés62.

22 L’article 11 de la Constitution n’a toutefois pas empêché de jeunes diplômées en droit

de se voir refuser le droit de se présenter au concours d’entrée du Conseil d’Etat63 enjanvier 2014. La présidente du Conseil national de la femme protesta vigoureusementauprès du président du Conseil d’Etat, lui reprochant de discriminer à l’encontre descandidates et l’accusant de violer la Constitution. Le club des juges du Conseil d’Etat lamenaça de poursuites pour ingérence dans les affaires de la justice. Un juge à la Courd’appel du Caire affirma que la Constitution n’exigeait pas l’ouverture de lamagistrature aux femmes, et que la décision devait être laissée à chaque ordre dejuridiction individuellement et sans aucune ingérence.

23 De même, aucune femme n’a été nommée gouverneur et le ministre du Développement

municipal a déclaré en septembre 2014 qu’aucune femme ne serait nomméegouverneur dans un proche avenir, parce qu’il fallait d’abord « les préparer » avantqu’elles puissent être nommées à de telles fonctions.

24 Enfin, le projet initial de loi électorale pour les législatives prévoyait, en application de

l’article 11, de réserver trois sièges par liste pour les femmes64. Devant les protestationsdu Conseil national de la femme, ce quota fut renforcé pour atteindre désormais 56sièges.

3. Des mesures de discriminations positives en faveur de certains groupes

vulnérables

25 La Constitution de 1971 avait déjà consacré des mesures de discrimination positive,

réservant la moitié des sièges des assemblées représentatives - Assemblée du peuple65,Conseil consultatif66, conseils populaires locaux67 ou même conseils d’administrationdes unités du secteur public68 aux ouvriers et paysans, afin que ces groupes, sous-

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représentés, puissent participer activement au pouvoir. La Constitution de 2012 (art.229) n’avait conservé cette discrimination positive que pour la première électionlégislative suivant l’adoption de la Constitution, ainsi qu’au sein des conseilsd’administration des unités du secteur public (art. 27).

26 La Constitution de 2014 a multiplié les cas de discrimination positive. Certains secteurs

de la société, considérés comme particulièrement vulnérables, se voient reconnaître untraitement préférentiel. C’est ainsi que les personnes âgées bénéficient de mesuresspéciales de protection. L’Etat doit leur garantir le droit à la santé et aux loisirs, ainsique les droits économiques, sociaux et culturels et leur fournir des retraitesappropriées permettant de leur assurer un niveau de vie décent et de participer à la viepublique (art. 83). Certaines professions, comme les pêcheurs, doivent être soutenues etl’Etat s’engage à leur donner les moyens d’effectuer leur travail sans causer dedommages aux écosystèmes (art. 30). De même, les enseignants, « pilier del’éducation », se voient garantir le développement de leurs compétences académiqueset professionnelles, l’Etat s’engageant à prendre soin de leurs droits matériels etmoraux afin d’assurer la qualité de l’enseignement (art. 22)69. L’Etat va améliorer lesconditions de travail des médecins, du personnel infirmier et des employés du secteurde la santé (art. 18). Il garantit les droits et la protection des fonctionnaires (art. 14) etprotège les agriculteurs et les travailleurs agricoles contre toute exploitation (art. 29)ainsi que les intérêts des Egyptiens vivant à l’étranger (art. 88)70.

27 L’Etat s’engage à protéger les droits des enfants handicapés et à assurer leur

réadaptation et leur insertion dans la société (art. 80)71. Il veille à offrir des possibilitésd’emploi aux blessés de la révolution, anciens combattants âgés, blessés de guerre,familles de disparus lors d’une guerre, ou personnes blessées lors d’opérations desécurité, ainsi qu’à leurs conjoints, enfants et parents (art. 16)72. Il garantit égalementles droits à la santé, aux loisirs, au sport, ainsi que les droits économiques, sociaux etculturels des handicapés et des nains (art. 81). L’Etat doit leur offrir des possibilitésd’emploi et mettre en place des quotas (art. 81). Les handicapés doivent également êtrereprésentés de façon appropriée dans les conseils locaux (art. 180). La création d’unConseil national pour les personnes handicapées est également prévue (art. 214).

28 Les jeunes et les chrétiens devront eux-aussi se voir reconnaître une « représentation

appropriée » au sein de la première Chambre des représentants qui sera élue après lapromulgation de la Constitution. C’est la loi qui devra déterminer cette« représentation appropriée ». Conformément à l’art. 180, un quart des sièges desconseils locaux doivent être réservés aux jeunes de moins de 35 ans et parmi eux. LesEgyptiens expatriés se voient eux-aussi garantir une « représentation appropriée » seinde la première assemblée législative (art. 244).

29 L’Etat s’engage à développer dans les dix ans un plan de développement économique et

urbain des zones frontalières et des régions défavorisées, y compris la Haute Egypte, leSinaï, Matrouh et la Nubie, en tenant compte des modèles culturels etenvironnementaux des communautés locales (art. 236). Il doit également développerdes projets pour réinstaller les Nubiens dans leurs régions d’origine (art. 236).

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B - Un mécanisme de mise en œuvre qui reste insuffisant

30 Une protection effective des droits de l’homme exige la mise en place par la

Constitution de mécanismes concrets de mise en œuvre et de supervision. Or, laConstitution de 2014 offre insuffisamment de garanties en ce domaine.

1. Un encadrement insuffisant du législateur

31 Comme les textes qui l’ont précédée, la Constitution de 2014 renvoie très fréquemment

à la loi pour organiser et définir le contenu des droits de l’homme. Certains droits sonttoutefois formulés de manière absolue, comme la protection de la dignité humaine (art.51), la liberté de croyance (art. 64), le droit de réunion privée pacifique (art. 73), le droitd’ester en justice (art. 97), la liberté de pensée et d’opinion (art. 65), l’interdiction de latorture (art. 52), l’interdiction de l’esclavage ou de la servitude (art. 89), ou le droit à unjuste procès et à la protection des droits de la défense (art. 96).

32 Par contre, le droit de former des partis politiques par simple notification est

réglementé par la loi (art. 74), de même que le droit de se réunir en public ou demanifester (art. 73), le droit de participer à la vie publique (art. 87) ou la protection dusecret de la correspondance (art. 57). Des lois devront donc être adoptées par leprochain parlement pour les mettre en œuvre. Le législateur disposera d’une grandemarge de liberté pour délimiter ces droits, et les garde fous fixés par la Constitutionpour limiter la liberté du législateur pourraient s’avérer impuissants à contenir unemajorité hostile au concept même de droits de l’homme.

33 L’article 121 prévoit ainsi que les lois de mise en œuvre des dispositions relatives aux

droits de l’homme devront être adoptées à la majorité des 2/3 du parlement73. Cettedisposition, destinée à s’assurer de l’existence d’une majorité proche du consensus etnon d’une simple majorité, devrait permettre d’éviter que les droits ne soient définis defaçon restrictive. Mais l’exigence d’une telle majorité rendra également difficilel’amendement de lois liberticides actuellement en vigueur.

34 L’article 92, quant à lui, prohibe toute suspension ou réduction des droits et libertés

inhérents à la personne des citoyens et interdit au législateur de porter atteinte àl’essence et à la substance d’un droit sous prétexte d’en réguler la mise en œuvre. Ceprincipe figurait déjà dans la Constitution de 2012 (art. 81), mais il était précisé que lesdroits et libertés s’exerçaient « sans contradiction avec les principes mentionnés autitre L’Etat et la société de la Constitution », ce qui avait soulevé les plus grandesinquiétudes (voir ci-après). Quant à l’appréciation du fondement et de l’essence d’undroit, elle sera laissée au pouvoir souverain du parlement, sous le contrôle, le caséchéant, de la Haute Cour constitutionnelle.

35 L’article 93, qui affirme pour la première fois que l’Etat s’engage à respecter les traités,

les accords et les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés parl’Egypte, et leur donne force de loi après leur publication, a été considéré comme uneinnovation très positive. Mais il ne prévoit pas la supériorité du droit international surle droit national et ne confère que force de loi aux traités auxquels l’Egypte est partie74.En cas de conflit entre une loi et un traité, le dernier texte adopté prévaudra donc,même s’il s’agit de la loi et qu’elle est contraire à un traité ratifié antérieurement. Deplus, cette disposition n’invite pas expressément le juge à faire un recours plussystématique aux conventions internationales ratifiées par l’Egypte. Elle pourra

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toutefois être utilisée par les ONG pour faire pression sur les autorités égyptiennes afinqu’elles adaptent la législation en vigueur aux standards internationaux relatifs auxdroits de l’homme.

36 Enfin, conformément à l’article 226, les dispositions relatives aux principes de liberté et

d’égalité mentionnés dans la Constitution ne pourront être amendées, sauf pour enrenforcer les garanties. Il est donc interdit d’amender la Constitution pour diminuer leniveau de protection des citoyens.

37 La Constitution de 2014 (art. 94), comme celles qui l’ont précédée75, affirme que

l’indépendance et l’immunité de la justice constituent des garanties fondamentales dela protection des droits de l’homme.

2. Une mise en œuvre onéreuse

38 Le titre 2 de la Constitution contient une longue liste de droits sociaux, économiques et

culturels que l’Etat s’engage à garantir. Mais leur mise en œuvre va exiger des moyensfinanciers importants et ces articles risquent de rester lettre morte si l’Etat ne parvientpas à réunir les fonds nécessaires.

39 La Constitution a prévu de consacrer un pourcentage du produit intérieur brut (PIB) à

certaines dépenses. Les dépenses de santé bénéficieront ainsi d’un pourcentage desdépenses publiques qui ne doit pas être inférieur à 3% du PIB (art. 18), l’enseignementprimaire et secondaire d’un pourcentage minimum de 4% (art. 19), l’enseignementuniversitaire d’un pourcentage minimum de 2% (art. 21) et la recherche scientifique unpourcentage minimum de 1% (art. 23). La Constitution précise que l’Etat devra mettreen œuvre progressivement ses engagements et que ces taux devront être atteints dansle budget de l’année fiscale 2016/2017 (art. 23876. L’Egypte traverse des difficultéséconomiques telles que consacrer 10% de son PIB à ces dépenses - soit le double dumontant actuel - risque de représenter un vrai défi77. Or, toute modification des tauxnécessitera la mise en œuvre de la procédure d’amendement de la Constitution. Parailleurs, quelle sanction prévoir en cas de non-respect de ces taux en pratique ? Lebudget de l’Etat pourrait-il faire l’objet d’un recours en inconstitutionnalité devant laHaute Cour constitutionnelle ?

3. Des restrictions possibles au nom de l’ordre public

40 L’article 86 de la Constitution renvoie à l’obligation de préserver la sécurité nationale :

41 « Préserver la sécurité nationale est un devoir et l’engagement de tous à l’observer est

une responsabilité nationale garantie par la loi. La défense de la patrie et la protectionde son territoire sont un honneur et un devoir sacré. Le service militaire est obligatoireconformément à la loi ».

42 Quant à l’article 237, il demande à l’Etat de lutter contre tous les types et toutes les

formes de terrorisme et de traquer ses sources de financement dans un délai précis, auvu de la menace qu’il représente pour la nation et ses citoyens78. Même s’il précise quel’Etat devra respecter les droits et libertés publiques, cet article ainsi que l’article 86,pourraient être invoqués pour restreindre de façon excessive la liberté d’expression oule droit de manifester. Les notions de « sécurité nationale » et de « terrorisme » sont eneffet particulièrement floues et pourraient faire l’objet d’interprétations extensives.Certes, la police est priée de se conformer aux obligations prévues par la Constitution et

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par la loi et de respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales79, maisaucun mécanisme spécifique de sanction n’est prévu en cas de non-respect de cetteobligation.

4. Le jugement de civils par la justice militaire

43 La comparution de civils devant les tribunaux militaires continue à être autorisée, alors

même que plusieurs membres du Comité des 50 avaient fait part de leur hostilité à unetelle disposition. Les crimes concernant les forces armées, leurs officiers, leursmembres et ceux qui relèvent de leur autorité, de même que les crimes commis par lesmembres des services de renseignements pendant leurs missions ou à cause d’elles sontsoumis de manière exclusive à la justice militaire (art. 204)80.

44 La Constitution de 2014 (art. 204) autorise les civils à comparaître devant la justice

militaire pour les crimes qui représentent

45 « une attaque directe contre les installations militaires, les casernements des forces

armées, ou tout ce qui relève de leur autorité; contre des zones militaires oufrontalières indiquées comme telles ; contre les équipements des forces armées, leursvéhicules, armes, munitions, documents, contre les secrets militaires, leurs bienspublics ou les usines militaires ; pour des crimes liés à la conscription ; pour des crimesqui sont des attaques directes commises contre des officiers ou des membres des forcesarmées en raison de l’exercice de leurs fonctions ».

46 Si la Constitution de 1971 ne mentionnait pas cette compétence, laissant la loi régler

leur domaine de compétence81, celle de 2012 autorisait déjà les tribunaux militaires àjuger des civils en cas de crime « de nature à nuire aux forces armées » (art. 198). La loidevait déterminer ces crimes et fixer les autres attributions de la justice militaire.Certes la Constitution de 2014 donne une liste, mais celle-ci est très extensive. Lescrimes commis par des militaires contre des civils, en cas de dispersion demanifestations par exemple, relèveront de la justice militaire. De même que ceuxcommis par des personnes « qui relèvent de leur autorité ». Les installations relevantde l’empire économique de l’armée peuvent être concernées elles-aussi. Une simpledispute dans une station-service, un hôtel, une entreprise ou même un supermarchéappartenant à l’armée entre un employé et un client pourrait entraîner le transfert ducivil devant la justice militaire82.

47 Un tel privilège est fortement critiqué par l’opposition et par de nombreux militants,

qui y voient la preuve de la mainmise de l’armée sur la vie politique et dénoncent unejustice militaire expéditive et peu respectueuse des droits de la défense. Quant à sesdéfenseurs, ils invoquent le fait que l’Egypte traverse une période d’instabilité et quel’armée doit pouvoir lutter contre le terrorisme et se mettre à l’abri de tout risque demanipulation. Cette disposition a fait l’objet d’intenses négociations au sein du Comitédes 50, l’armée refusant toute concession en ce domaine. Elle a finalement été adoptéeavec une forte majorité83.

48 Si les dispositions relatives aux droits de l’homme n’auront peut-être pas la portée

qu’on leur prête, celles relatives à la place de la religion ne constituent pas vraimentelles non plus une rupture dans l’histoire constitutionnelle égyptienne84.

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II - Des références religieuses moins nombreuses?

49 Les débats autour de l’identité de l’Etat et de la place de la religion dans le système

normatif constituèrent l’un des principaux enjeux du processus d’élaboration desConstitutions de 2012 et 2014. L’analyse des différentes dispositions à connotationreligieuse de la Constitution de 2014, comparée avec celles figurant dans lesConstitutions égyptiennes antérieures, permettra de déterminer si cette Constitution aréellement constitué une rupture.

50 L’un des principaux reproches adressés au régime de l’ex-président Morsi était d’avoir

islamisé le droit à travers l’adoption d’une Constitution islamique et la mise en placed’un Etat théocratique dictatorial où le religieux aurait la haute main sur le politique. Ilest vrai que plusieurs dispositions du texte de 2012 comportaient des référencesreligieuses. Mais certaines avaient été reprises de la Constitution antérieure (art. 2) etd’autres ne faisaient que porter au niveau constitutionnel des dispositions déjàprésentes dans le droit égyptien (art. 3, 43, 44). Enfin, deux des articles les pluscontroversés (art. 219 et 4) n’auraient peut-être pas entraîné les bouleversementsannoncés.

A - La Constitution de 2014 se place dans la continuité des textes

antérieurs

1 - Les principes de la charia, source principale de la législation

51 L’article 2 de la Constitution de 1971, selon lequel « Les principes de la charia islamique

sont la source principale de la législation85 », repris mot pour mot dans le texte de201286, figure également dans la Constitution de 2014, alors même que le Comité des 50était composé à majorité de libéraux, représentants de partis de gauche et membres del’appareil d’Etat, et ne comprenait que deux représentants des partis islamistes. Cetteconstance dans la référence constitutionnelle à la valeur normative de la charia nesignifie toutefois pas nécessairement la revendication d’un rôle juridique ou politiquespécifique pour les normes religieuses. Elle peut s’expliquer aussi par un souci deréalisme et par la prise en considération du fait que la société égyptienne est pieuse etconservatrice, et que la religion y fonctionne comme un marqueur identitaire. Unesuppression par le Comité des 50 de la référence à la charia aurait en effet pu êtreutilisée politiquement par les Frères musulmans comme la preuve de l’hostilité dunouveau gouvernement non seulement envers la Confrérie mais également enversl’Islam. En fait, pour une bonne partie de la population, la charia pourrait avoir unedimension éthique plus que juridique87. Son invocation pourrait être la traductiond’une aspiration à un retour à l’ordre et à la stabilité, à une plus grande justice sociale,à la mise en œuvre des prescriptions religieuses d’ordre moral ou à l’amélioration de lagouvernance publique. Des salafistes qui manifestaient en novembre 2012 en faveur del’application intégrale de la charia ne scandaient-ils pas des slogans affirmant que sonrespect entraînerait une plus grande justice sociale, la fin de la corruption, la luttecontre le trafic de drogue et l’éradication du chômage ?

52 Un autre facteur important à l’origine du consensus du Comité des 50 en faveur du

status quo est que la Haute Cour constitutionnelle a donné une interprétation trèsprogressiste et moderniste de l’article 2, réduisant considérablement sa portée et donc

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la place de la charia dans le système juridique égyptien88. Cette juridiction, composée dejuges ordinaires formés dans les facultés de droit égyptiennes et non de spécialistes dethéologie musulmane, a ainsi décidé en 1985, dans un premier arrêt de principe, que lesjuges du fond ne pouvaient refuser d’appliquer une loi qu’ils estimaient contraire à laloi islamique et lui substituer un principe tiré de la charia. L’article 2 constitue uneinjonction à l’adresse du législateur et non du juge et il revient au premier, et à lui seul,de modifier les textes en vigueur pour les rendre conformes à la loi islamique89.L’article 2 n’a donc pas d’effet direct. De plus, dans le même arrêt, la Cour a décidé quel’article 2 ne s’appliquerait qu’à partir de l’amendement du 22 mai 1980 qui avait faitdes principes de la charia la source principale de la législation (et non plus une sourceprincipale), et qu’il n’avait donc pas d’effet rétroactif : la réforme constitutionnelle aintroduit une obligation nouvelle qui ne doit s’imposer qu’à partir de la date de sonédiction. Seules les lois postérieures au 22 mai 198090 pouvaient donc être déclaréesinconstitutionnelles pour violation de l’article 2 de la Constitution. Tous les textesadoptés par le législateur avant cette date échappaient au contrôle de la Cour etresteraient en vigueur tant qu’ils n’auraient pas été abrogés ou amendés par lelégislateur.

53 Dans un deuxième arrêt de principe, adopté en 199391, la Cour a établi une distinction

au sein des principes de la charia entre les principes absolus et les règles relatives.Seuls les premiers sont contraignants et figés et s’imposent en tant que quels aulégislateur. Ce sont des principes qui représentent des normes islamiques noncontestables que ce soit dans leur source92 ou dans leur signification et qui doivent êtreobligatoirement appliqués. Ils sont figés, immuables, ne peuvent donner lieu àraisonnement interprétatif et ne peuvent donc évoluer avec le temps. A ce corps deprincipes absolus, la Haute Cour opposa un ensemble de règles considérées commerelatives soit dans leur origine93, soit dans leur signification, soit dans les deux à la fois.Elles sont sujettes à interprétation, évolutives dans le temps et dans l’espace,dynamiques, ont donné lieu à des divergences d’interprétation et s’adaptent à la natureet aux besoins changeants de la société. Cette jurisprudence, qui renforce les pouvoirsde l’Etat, octroie une très grande liberté aux autorités étatiques pour adapter les règlesrelatives de la charia à « l’évolution de la société ». C’est en effet au législateur qu’ilrevient de procéder à l’interprétation des principes de la charia en se référant à l’uneou l’autre école juridique94. La Cour s’attribue également un pouvoir très important,puisque c’est elle qui détermine le contenu des normes de la charia et opère ladistinction entre principes absolus et relatifs.

54 Il fallut attendre un arrêt ultérieur de la Cour95 pour que soient précisées les conditions

dans lesquelles cet effort interprétatif qui permettra d’adapter les règles relatives auxchangements socio-temporels, doit s’effectuer : fondé sur la raison, il appartient au« détenteur de l’autorité » qui n’est, en la matière, limité par aucune opinionantérieure. Le fait qu’une de ces règles existe depuis longtemps ne constitue pas unobstacle à son remplacement par une nouvelle norme, si l’intérêt de la société l’exige.Le juge constitutionnel devait avoir l’occasion d’appliquer cette distinction dansdifférentes affaires dont il fut saisi. Il considéra ainsi comme principes absolus le faitque l’obligation d’entretien des enfants mineurs pèse sur le père seul96, le droit du marimusulman à avoir quatre épouses97, l’obligation pour la femme de se vêtir de façonpudique et le droit du détenteur de l’autorité à intervenir pour leur imposer des règlesen ce domaine98, l’obligation d’obéissance de la femme à son mari99 ou l’interdiction del’usure100. Mais cette reconnaissance s’effectua presque toujours dans des obiter dicta,

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qui n’avaient pas d’incidence sur le fond de l’affaire, et la Cour valida par exemple latotalité des dispositions de la loi sur le statut personnel de 1985 qui furent soumise àson contrôle101.

2 - Liberté religieuse et statut des minorités non musulmanes

55 L’article 3 de la Constitution de 2012 avait fait des principes des lois des Egyptiens

chrétiens et juifs la source principale des législations organisant leur statut personnel,leurs affaires religieuses ainsi que le choix de leurs chefs spirituels. Ce système de lapersonnalité des lois en matière de droit de la famille était déjà prévu par un textelégislatif102 mais il se voyait consacré pour la première fois au niveau constitutionnel. Ilne concernait toutefois que les chrétiens et les juifs, c’est à dire les religions du Livre.Les autres non musulmans restaient soumis au droit général égyptien, c’est à dire audroit de la famille des musulmans tel que codifié par le législateur égyptien.L’introduction de cette disposition dans la Constitution avait constitué une concessionde l’assemblée constituante envers les Eglises, pour compenser les nombreusesréférences à la charia et à l’islam.

56 A la demande des représentants des Eglises, cette disposition a été reprise mot pour

mot dans la Constitution de 2014, qui limite elle-aussi sa portée aux seuls chrétiens etjuifs, alors même que plusieurs membres du Comité des 50 s’étaient prononcés enfaveur de son extension à tous les non musulmans. Sous la pression d’al-Azhar et dureprésentant salafiste, pour lesquels un tel amendement risquait d’entraîner unbouleversement de l’ordre social et d’ébranler les fondements de la société égyptienne,le Comité décida finalement de ne pas modifier cet article.

57 Certaines associations coptes avaient toutefois protesté contre l’insertion d’une telle

disposition dans la Constitution, considérant qu’elle donnait trop de pouvoirs auxEglises sur leurs fidèles103 et qu’une soumission au droit général égyptien, plus ouvertque les lois religieuses chrétiennes en matière de rupture du mariage104, aurait étépréférable. De plus, cet article remet en question le principe de citoyenneté selonlequel tous les Egyptiens sont égaux et soumis au même droit dans tous les domaines.

58 L’article 43 alinéa 1 de la Constitution de 2012 proclamait que la liberté de croyance

était garantie, mais précisait dans son alinéa 2 que la liberté de pratiquer son culte etde construire des lieux de culte était réservée aux seules religions révélées, c’est à direaux musulmans, chrétiens et juifs, privant ainsi les autres confessions du droitd’exercer leurs rites en public. S’il était permis à chacun de croire librement en son forintérieur, seules ces trois religions pouvaient être pratiquées en public. Cetterestriction, déjà connue en droit égyptien, s’était vue consacrée pour la première foisen 2012 au niveau constitutionnel105. La Constitution de 2014, quant à elle, affirme dansson article 64 que la liberté religieuse est « absolue », mais limite elle-aussi dans sondeuxième alinéa l’exercice des pratiques religieuses et la construction de lieux de culteaux seuls adeptes des religions célestes. Elle renvoie par ailleurs à la loi pour organiserl’exercice de ce droit.

59 L’article 235 de ce texte, disposition transitoire, invite par ailleurs le législateur à

adopter dès la première législature après l’entrée en vigueur de la Constitution, une loiorganisant la construction et la rénovation des églises, qui garantisse aux chrétiens laliberté de pratiquer leurs rites religieux. On peut noter que l’article 6, selon lequelaucun Egyptien ne peut être privé de ses papiers d’identité, pourrait être invoqué par

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des citoyens risquant de se voir privés de leurs papiers d’identité pour avoir quittél’islam ou revendiqué son appartenance à une religion non reconnue par l’Etatégyptien.

3- Pénalisation de l’offense aux prophètes

60 La Constitution de 2012 interdisait toute insulte ou diffamation envers les messagers et

les prophètes de Dieu (art. 44)106. L’interdiction étant formulée de façon très générale, ildevait revenir au législateur d’en préciser les cas d’application et de fixer les sanctions.Si cette pénalisation de l’offense aux prophètes figurait pour la première fois dans untexte constitutionnel et limitait le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 45de ce même texte, il existe depuis 1982 dans le code pénal un article 98f pénalisantl’exploitation de la religion pour propager oralement, par écrit, ou par tout autremoyen des opinions extrêmes dans le but d’attiser des troubles, avilir l’une desreligions célestes ou l’une des communautés en faisant partie ou nuire à l’uniténationale. La sanction prévue est de six mois à cinq ans de prison et/ou une amended’un montant maximum de 1 000 LE. Sur la base de cet article, ont été condamnés desindividus accusés de prosélytisme ou des membres de communautés jugées déviantes,comme des chiites ou des soufis, accusés de porter atteinte à la cohésion sociale. Cettedisposition a également été utilisée pour sanctionner des conversions de musulmans auchristianisme, jugées contraires à la loi islamique. L’insulte ou l’offense envers lesmessagers et les prophètes de Dieu rentre tout à fait dans le champ d’application del’article 98f et peut donc être sanctionnée, en l’absence même de référenceconstitutionnelle. Si l’article 44 n’a pas été repris dans la Constitution de 2014, il n’enreste pas moins que le code pénal n’a pas été amendé et que l’article 98f continue às’appliquer.

4- Interdiction des partis à référence religieuse

61 La Constitution de 2012 avait supprimé l’interdiction de créer des partis politiques

fondés sur la religion, introduite par Moubarak en 2007107 pour empêcher les Frèresmusulmans d’être reconnus comme partis politiques. Elle s’était contentée de stipulerqu’un parti politique ne pouvait être créé sur la base de la discrimination entre lescitoyens fondée sur la race, le sexe, l’origine ou la religion108. La Constitution de 2014 aréintroduit dans son article 74 l’interdiction de former des partis politiques sur unebase religieuse :

62 Art. 74 « Les citoyens ont le droit de former des partis politiques sur notification définie

par la loi. Aucune activité politique ne peut s’exercer, et aucun parti politique ne peutêtre créé sur une base religieuse ou sur la distinction fondée sur le sexe ou l’origine ousur une base sectaire ou géographique, de même qu’aucune activité hostile auxprincipes démocratiques, clandestine, ou ayant un caractère militaire ou paramilitairene peut être pratiquée. Les partis ne peuvent être dissous que par une décision dejustice ».

63 Mais que signifie être fondé « sur une base religieuse » ? Un parti appelant à la mise en

œuvre de l’article 2 pourrait-il être considéré comme un parti religieux et être interdità ce titre ? Il reviendra aux tribunaux, le moment venu, de trancher109.

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64 Si la Constitution de 2014 contient toujours des références religieuses, elle a toutefois

supprimé des dispositions de la Constitution de 2012 qui avaient suscité un grandnombre de critiques.

B - Des références religieuses moins nombreuses qu’en 2012

65 Tant l’article 219 de la Constitution de 2012, qui donnait une définition

particulièrement extensive des principes de la charia islamique, que l’article 4 relatif aurôle consultatif d’al-Azhar dans le domaine religieux, ont été retirés du texte de 2014.D’autres références indirectes à la loi islamique ont également disparu.

1. Disparition de l’article 219 de la Constitution de 2012

66 Alors que les salafistes n’avaient pas obtenu la modification de l’article 2, ils avaient

toutefois réussi à faire introduire dans la Constitution de 2012 une nouvelle disposition,l’article 219110, qui bien que placé à la fin du texte, parmi les « dispositions générales »,visait à définir le concept de « principes de la charia islamique » mentionné à l’article 2.Selon cet article, « Les principes de la charia islamique incluent ses sourcesscripturaires111, ses bases fondamentales et jurisprudentielles, ainsi que ses sourcesreconnues par les écoles des gens de la Tradition et de la Communauté112. Si peu despécialistes en Egypte pouvaient prétendre avoir la formation suffisante en théologieou en droit musulman pour comprendre toutes les subtilités que recouvraient cesconcepts techniques et complexes de la tradition juridique islamique médiévale, il n’enreste pas moins que l’intention du constituant était manifestement d’élargir aumaximum le corpus de principes à prendre en considération113. Cet article visait àcontrecarrer l’interprétation moderniste de l’article 2 adoptée par la Haute Courconstitutionnelle, ainsi qu’à lier les autres interprètes de la Constitution (parlement,gouvernement, chef de l’Etat, etc.) et à leur retirer la possibilité de procéder à leurpropre interprétation de ce concept. De plus, en imposant à l’interprète de tenircompte de l’ensemble des avis émis par les jurisconsultes du passé, sans distinction, ilremettait en question la jurisprudence du juge constitutionnel qui avait déclaré ne passe sentir lié par les avis antérieurs et procédait à sa propre interprétation. Considérantque cet article risquait d’imposer une conception beaucoup plus stricte et rigide duconcept de « principes de la charia islamique » et d’entraîner des applications beaucoupplus radicales et rigoristes de la charia que par le passé, plusieurs membres libéraux etséculiers de la constituante, ainsi que les représentants des Eglises, s’étaient retirés ensigne de protestation.

67 En pratique, toutefois, le fait de demander aux interprètes de prendre en considération

un ensemble aussi vaste et diversifié de sources et de principes fondamentaux de lajurisprudence islamique, des plus modérées et progressistes aux plus réactionnaires etarchaïques, aurait pu paradoxalement continuer à leur octroyer une très grandeliberté, puisqu’au sein de toutes ces interprétations adoptées à travers le temps etl’espace, ils auraient probablement réussi à trouver une opinion même isolée légitimantla décision à laquelle ils voulaient parvenir114. Tout aurait donc été tributaire del’attitude des futurs interprètes, et notamment de l’appartenance politique de lanouvelle majorité parlementaire et des convictions des membres présents et futurs dela Haute Cour constitutionnelle. Quant à la référence aux seules écoles sunnites, elle

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n’aurait pas entraîné de grands bouleversements, puisque les écoles chiites n’avaient eudans le passé qu’une influence très marginale sur le droit égyptien.

68 La Haute Cour constitutionnelle n’eut qu’une seule occasion de se prononcer sur la

portée de l’article 219. Dans une décision de juin 2013115, donc un mois avant lasuspension de la Constitution de 2012, elle fut amenée à vérifier la conformité à laConstitution d’une loi attaquée pour violation des principes de la charia. La Cour repritintégralement son interprétation antérieure de l’article 2 et sa distinction entre lesprincipes absolus et les règles relatives, sans faire la moindre référence à l’article 219.Implicitement, la Cour considérait donc que son interprétation était conforme à lanouvelle Constitution, malgré la présence de l’article 219, et que ce dernier n’apportaitrien de fondamentalement nouveau par rapport à la Constitution de 1971. La définitionlarge du concept de « principes de la charia » adoptée par l’article 219 préservaitfinalement la liberté de l’interprète, qui pouvait continuer à opérer un choix au seindes principes et des règles en vigueur au sein des différentes écoles sunnites de droit,souvent très différentes voire même parfois contradictoires.

69 Pendant l’année où Mohamed Morsi exerça le pouvoir116, de juin 2012 à juin 2013, aucun

texte de loi ne vint réislamiser le droit égyptien, sécularisé depuis la fin du XIXe siècledans toutes ses branches117 sauf le droit de la famille118. Même le code pénal, lui aussisécularisé, ne fut pas modifié, alors même qu’il existe un grand nombre de règles en cedomaine issues de la loi islamique. En particulier, les Frères musulmans neréinstaurèrent pas les châtiments corporels, estimant impossible de les appliquer tantque près de la moitié de la population vivrait dans la pauvreté. Ils ne pourraient êtreréinstitués que lorsque la société aurait évolué et que les principes de l’islam seraientvéritablement respectés et tous les besoins élémentaires de la population assurés.

70 Si elle a conservé l’article 2 sans le modifier, la Constitution de 2014 a toutefois abrogé

l’article 219 et précise dans le préambule que les principes de la charia islamiquedoivent être interprétés conformément à la jurisprudence de la Haute Courconstitutionnelle en ce domaine.

2 - Suppression de la consultation d’al-Azhar pour les affaires relatives à la charia

71 Conformément à l’article 4 de la Constitution de 2012, le Conseil des grands ulémas d’al-

Azhar119 devait être consulté pour les affaires relatives à la charia islamique. Pour lapremière fois, la Constitution faisait donc intervenir une autorité religieuse dans lagestion de l’Etat en l’associant à l’exercice du pouvoir : le Conseil des grands ulémasd’al-Azhar120. Mais cet organe devait seulement être « consulté » et donnait donc unsimple avis, qui pouvait ou non être suivi par les institutions concernées. De plus,l’article 4 ne précisait pas qui devait saisir al-Azhar, à quel moment et dans quelsdomaines, laissant donc une grande marge d’autonomie à l’interprète. Tout allaitdépendre de la place que le législateur, le juge constitutionnel, le gouvernement ou leprésident allaient bien vouloir accorder aux opinions de ces jurisconsultes et de lafréquence avec laquelle ils allaient se sentir tenus de les consulter. Le rôle du Conseildes grands ulémas allait également dépendre de sa composition et des convictionsreligieuses de ses membres, ainsi que de l’influence qu’allait pouvoir exercer sur eux lecheikh d’al-Azhar. Quant à la Haute Cour constitutionnelle, elle restait en charge ducontrôle de la constitutionnalité de toutes les lois121, y compris le cas échéant cellesaccusées de violer l’article 2 de la Constitution, donc la charia islamique.

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72 Cette intervention d’al-Azhar était la seule hypothèse où la Constitution de 2012

réservait un rôle de nature politique à une institution religieuse. Or, dans le passé, al-Azhar avait déjà été régulièrement consultée par le législateur au cours du processusd’élaboration de textes législatifs touchant à la charia, particulièrement lors desréformes du droit de la famille. Elle intervenait déjà également pour la censure et lasaisie d’ouvrages touchant à la religion122. L’article 4 avait été introduit dans laConstitution de 2012 sous la pression des salafistes et contre l’avis du cheikh d’al-Azhar,qui cherchait avant tout la reconnaissance constitutionnelle de l’indépendance d’al-Azhar et la garantie de ressources financières suffisantes, ainsi que l’assurance de nepas être révoqué. Il se serait sans doute contenté d’une reconnaissance de l’autoritémorale d’al-Azhar, de crainte qu’un renforcement de son rôle ne l’entraîne trop loin surle terrain du politique et que des partis ultra conservateurs ne tentent de le destituer etde prendre le contrôle de l’institution pour substituer à une vision modérée de l’islamune idéologie beaucoup plus fondamentaliste.

73 Pas plus qu’elle n’avait invoqué l’article 219, la Haute Cour constitutionnelle ne s’estima

tenue par l’article 4 de consulter le Conseil des grands ulémas d’al-Azhar lorsqu’elleexamina en juin 2013 la conformité d’une loi à la Constitution. Il est vrai que cetteposition de la Cour pouvait s’expliquer par le fait que sa composition n’avait pas changé- même si la Constitution de 2012 avait réduit le nombre de ses membres à 11 au lieu de18 - et qu’on aurait pu s’attendre à une interprétation beaucoup plus stricte des articles4 et 219 si des membres plus proches des Frères musulmans et des salafistes avaient finipar y être nommés.

74 L’article 4 trouva tout de même à s’appliquer à l’initiative du législateur et cette

application déjoua toutes les prévisions. En janvier 2013, le ministère des Financesprépara un projet de loi sur la finance islamique (soukouk islamiyya) qu’il soumit à lachambre haute du parlement, à qui la Constitution de 2012 avait confié le pouvoirlégislatif en l’absence de chambre basse, jusqu’aux prochaines électionsparlementaires. L’Assemblée consultative consulta al-Azhar, sur la base de l’article 4. LeConseil des grands ulémas reprocha à plusieurs dispositions du projet de menacer lesactifs de l’Etat et de porter atteinte à sa souveraineté en autorisant des étrangers àacquérir des parts dans des sociétés nationales. Il considéra également qu’il attribuaittrop de pouvoirs au président et au gouvernement aux dépens du parlement. Aprèsavoir amendé le projet de loi pour tenir compte des remarques émises par al-Azhar, lachambre haute estima que l’article 4 ne l’obligeait pas à en soumettre la version réviséeau Conseil des grands ulémas. Devant les protestations des salafistes et du cheikh d’al-Azhar, la chambre procéda à un vote où la majorité Frères musulmans se prononçacontre un deuxième renvoi à al-Azhar, estimant que l’article 4 ne donnait pas le derniermot au Conseil des grands ulémas et que de toutes façons le projet amendé étaitconforme à la charia. Devant les critiques suscitées par ce refus, le président décida desoumettre quand même le texte à al-Azhar, et la loi finit par être promulguée en mai2013.

75 Face à l’exercice du pouvoir, les forces politiques s’étaient donc repositionnées. Après

avoir cédé aux pressions des salafistes en incluant l’article 4 dans la Constitution de2012, les Frères musulmans, majoritaires au parlement, luttèrent pour préserverl’indépendance du législateur face à l’autorité d’al-Azhar. Le cheikh d’al-Azhar, quant àlui, protesta et exigea d’exercer pleinement un pouvoir dont il n’avait pas voulu àl’origine. On constate aussi qu’al-Azhar ne se prononça pas uniquement sur les aspects

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strictement « religieux » du projet de loi, mais procéda à une interprétation extensivede son mandat et de la charia islamique, sanctionnant le projet de loi pour avoirattribué trop de pouvoirs au président et ne pas avoir suffisamment protégé lasouveraineté de l’Etat. Ce qui peut expliquer le refus de la chambre haute de leconsulter à nouveau et la suppression du qualificatif « islamique » de l’intitulé du projetde loi, pour en faire une simple loi sur la finance et tenter de le faire échapper aucontrôle d’al-Azhar. Or, si une assemblée parlementaire composée à 90% d’islamistesavait procédé à une interprétation aussi restrictive de l’article 4, qu’en aurait-il étéd’un parlement à majorité libérale et séculière ?

76 La Constitution de 2014 a supprimé cette attribution d’al-Azhar. L’article 7123 dispose

qu’elle constitue « la référence fondamentale pour les sciences religieuses et les affairesislamiques »124, ce qui continue à lui assurer une place centrale dans l’interprétationdes normes religieuses et surtout signifie qu’aucune autre institution ne peutreprésenter l’islam, et en particulier pas les Frères musulmans.

3- Suppression du renvoi au principe de constitutionnalité des peines

77 L’article 76 de la Constitution de 2012 avait posé le principe de la personnalité des

peines dans les termes suivants : « Aucune infraction et aucune peine ne peut êtreétablie qu'en vertu d'un texte constitutionnel ou législatif ». Cet article reprenait leprincipe de droit pénal nulla poena sine lege déjà garanti par la Constitution de 1971 125,mais y ajoutait la référence aux textes constitutionnels, qui ne figurait pas dans lestextes antérieurs. Comme la Constitution ne comprenait pas de dispositions imposantdirectement des sanctions mais renvoyait à la loi en ce domaine, cet ajout fut considérécomme visant à incorporer en droit égyptien des sanctions ne figurant pas dans lestextes législatifs en vigueur, comme les châtiments corporels prévus par la charia et quiauraient été incorporés via l’article 2 de la Constitution et la référence aux principes dela charia126. La Constitution de 2014 est revenue à la formulation originelle de ceprincipe.

4- Suppression de la clause de dérogation générale

78 Enfin, l’article 81 de la Constitution de 2012, placé à la fin du titre 2 consacré aux Droits

et libertés, aurait pu être interprété comme posant une dérogation générale à tous lesdroits fondamentaux garantis dans le texte. Après avoir affirmé que les droits etlibertés liés à la personne du citoyen ne pouvaient être entravés ni diminués, et quetoute loi organisant l’exercice des droits et libertés ne pouvait les restreindre de façonà porter atteinte à leur fondement et à leur substance, le dernier alinéa de cet articleajoutait en effet que « Les droits et libertés s’exercent sans contredire les fondementsposés dans le titre sur L’Etat et la société de la présente Constitution », soit les articles 1 à30 de la Constitution. On pouvait en déduire que tous les droits et libertés devaient êtreexercés d’une manière conforme à la charia (art. 2), au caractère authentique de lafamille (art. 10) ou aux bonnes mœurs et à la moralité (art. 11), ce qui aurait constituéeffectivement une interprétation potentiellement liberticide.

79 Cet article n’a pas trouvé à s’appliquer pendant les sept mois où la Constitution est

restée en vigueur et a disparu du texte de 2014.

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5- Le préambule renvoie à la notion de gouvernement civil

80 Pendant très longtemps, les différentes versions successives de la Constitution de 2014

ont affirmé le caractère civil de l’Etat égyptien. Mais devant les objections conjointesdes représentants d’al-Nour et d’al-Azhar et les menaces de retrait des représentantsdes Eglises au cas où ce concept serait retiré du texte, un compromis fut finalementtrouvé et le préambule affirme que l’Egypte est un Etat moderne, démocratique, dirigépar un « gouvernement civil »127. Ce terme est suffisamment ambigu pour signifier à lafois un gouvernement non religieux et un gouvernement non militaire.

81 On ne saura jamais si les institutions en place auraient toutes et toujours eu les moyens

et la volonté politique de résister à une réislamisation du droit. On ne saura pas nonplus ce que les Frères musulmans entendaient concrètement par « réislamisation dudroit » ni quelles en auraient été les modalités concrètes de mise en œuvre. La chariasemblait représenter pour eux davantage un slogan politique et une aspiration à l’ordremoral qu’un programme précis de réforme du système juridique égyptien.

82 Enfin, il faut souligner que c’est au sein d’une assemblée constituante et d’un parlement

élus, institutions inconnues du droit islamique, que les partis de l’islam politique ontlutté pour faire adopter une nouvelle Constitution et des lois, concepts totalementétrangers au droit islamique eux-aussi. Quelles que soient les erreurs politiquescommises par les Frères, ils ont toujours revendiqué leur légitimité populaire etélectorale, et non une souveraineté divine. Ils ont lutté pour remporter les élections etcontrôler le processus d’élaboration des nouvelles normes et non pour réinstaurer unmodèle de constitutionalisme islamique où la loi ne pourrait être que l’expression de lavolonté de Dieu, où les normes seraient élaborées dans les mosquées par des juristesthéologiens et où le concept d’Etat serait inconnu. Cette acceptation des catégories dupolitique contemporain se reflète dans la Constitution de 2012, dont l’article 6proclame sans ambiguïté les principes sur lesquels est fondée l’organisation de l’Etat128.De même, l’article 5 de la Constitution de 2012 affirme que la souveraineté appartientau peuple qui est la source de tout pouvoir. Les salafistes, qui auraient préféré confierla souveraineté à Dieu, ont dû là encore faire des concessions.

Conclusion

83 Faute de consensus ou même de majorité qualifiée, la constituante n’a pas réussi à

trancher des questions particulièrement cruciales pour la suite du processus detransition, comme l’ordre de la feuille de route et le choix du mode de scrutin,renvoyant sur tous ces points au législateur. Or, en l’absence de parlement, c’est leprésident de la République qui exerce le pouvoir législatif et c’est donc à lui qu’estrevenue la décision. L’article 230 de la Constitution de 2013 qui, reprenant laDéclaration constitutionnelle du 8 juillet 2013, prévoyait que les élections législativesprécéderaient les élections présidentielles et se tiendraient dans un délai de 30 à 90jours après l’entrée en vigueur de la Constitution, a en effet été rejeté lors de l’adoptiondu texte et remplacé par une formulation beaucoup plus ambigüe, selon laquelle lespremières élections qui seront organisées, que ce soient les législatives ou lesprésidentielles, devront l’être entre 30 et 90 jours suivant la ratification de laConstitution. Les procédures pour l’autre élection devront commencer dans les six moissuivant le référendum, sans préciser quel sera le premier scrutin. Il est donc revenu auprésident par intérim de décider l’ordre dans lequel allaient se dérouler les élections. Il

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a choisi d’organiser d’abord les élections présidentielles, puis les législatives. Lesprésidentielles se sont tenues en mai 2014. Fin octobre 2014, les dates des législativesn’avaient pas encore été fixées.

84 De plus, la Constitution de 2014 contient par ailleurs un certain nombre de

contradictions internes : comment un gouvernement peut-il être civil (préambule)alors que le ministre de la Défense doit nécessairement être un officier militaire ?Comment peut-on interdire les partis politiques à référence religieuse alors que lacharia est la source principale de la législation ? Comment affirmer la non-discrimination et la liberté religieuse alors que les minorités non-musulmanes n’ontpas le droit d’exprimer leur culte en public ?

85 Le processus constitutionnel - particulièrement chaotique - qu’a connu l’Egypte depuis

2011 est caractéristique des processus de transition dans les pays arabes après les« printemps arabes », qui se sont cristallisés autour de la référence constitutionnelle. LaConstitution est en effet devenue le symbole de tous les positionnements. Tentantd’infléchir le contenu des textes, les différentes forces politiques ont recouru à lanorme juridique pour construire ou renforcer leur légitimité politique. Même les partisislamistes se sont réappropriés le concept de Constitution, se plaçant d’emblée dans lacontinuité du courant du constitutionalisme égyptien et hors du cadre de la traditionclassique.

86 Mais loin d’être un document de compromis autour d’une vision commune de la

société, la Constitution égyptienne de 2014 consacre les intérêts corporatistes desdifférentes institutions de l’Etat qui ont fait chuter le président Frère musulman :armée, magistrature, police, al-Azhar. Elle a redonné une place centrale au président ausein du pouvoir de l’Etat, alors que la Constitution de 2012 avait renforcé lesattributions du gouvernement et du parlement. Cumulant ses larges pouvoirsconstitutionnels avec une légitimité électorale et un pouvoir de fait, le président restel'organe exclusif d'impulsion et d'exécution de la politique nationale.

87 Reflet de l’équilibre actuel des pouvoirs dans le pays, elle ne réforme pas les

dysfonctionnements de l’Etat et renforce le pouvoir, plutôt qu’elle ne l’encadre. Elle sesitue dans la continuité des Constitutions antérieures et reste encore loin desaspirations démocratiques des révolutionnaires de 2011.

NOTES

1. La Constitution de 1971 a été suspendue le 11 février 2011 par le Conseil suprême desforces armées (CSFA) puis amendée par référendum le 15 mars 2011 avant d’êtreremplacée par la Déclaration constitutionnelle du 30 mars 2011, adoptée par le CSFAdans le plus grand secret. Cette dernière fut amendée le 17 juin 2012 par le CSFA pouraccroitre ses pouvoirs, puis le 12 août 2012 par le président Mohamed Morsifraîchement élu pour abroger les amendements de juin, diminuer les pouvoirs del’armée et accroître ceux du président. Une nouvelle Déclaration constitutionnelle fut

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promulguée par le président par intérim le 8 juillet 2013, après avoir été élaborée elle-aussi dans le plus grand secret.

2. La Déclaration constitutionnelle du 3 juillet 2013 a révoqué le président MohamedMorsi, confié la présidence par intérim au président de la Haute Cour constitutionnelleet suspendu la Constitution de 2012, accusée d’avoir trahi les idéaux de la Révolution.Un mois auparavant, le 2 juin 2013, la Haute Cour constitutionnelle avait déclaréinconstitutionnelle la loi d’organisation de l’Assemblée constituante qui avait élaboré laConstitution de 2012, pour avoir immunisé les décisions de la constituante contre toutrecours devant le Conseil d’Etat. La Cour a cependant précisé que l’adoption de laConstitution par référendum en décembre 2012 l’avait légitimée a posteriori et qu’elledevait rester en vigueur.

3. Bien que présentée comme « la Constitution de 2014 », ce texte ne constitue en faitjuridiquement qu’une version révisée de celle de 2012 et le texte publié au journalofficiel du 18 janvier 2014 s’intitule « Constitution amendée de la République arabed’Egypte ». La Déclaration constitutionnelle du 8 juillet 2013 (art. 29) indiquait que leComité des 50 serait chargé de préparer un projet d’amendement de la Constitution de2012 qui venait d’être suspendue. La Constitution de 2014 comprend 247 articles, contre236 pour celle de 2012 et 211 pour celle de 1971, avec un préambule entièrementnouveau. Il est précisé dans son article 246 que toute disposition contenue dans laConstitution de 2012, mais non reprise, est abrogée à compter de son entrée en vigueur.Cependant, les effets qui en découlaient ne sont pas affectés.

4. Une première assemblée constituante, à majorité islamiste, élue en mars 2012 par leparlement, fut déclarée inconstitutionnelle par le Conseil d’Etat le 10 avril 2012 parceque la moitié de ses membres avait été choisie au sein du parlement. La secondeconstituante, élue le 12 juin 2012 par une chambre basse contrôlée à 70% par desislamistes (47% de Frères musulmans et 24% de Salafistes) et une chambre haute à plusde 80% islamiste, comptait près de 70% d’islamistes. L’opposition l’accusa de ne pasrefléter l’ensemble des forces de la nation et une dizaine d’élus refusèrent d’y siéger. Laplupart des membres non islamistes démissionnèrent avant la fin des travaux pourprotester contre la conduite des travaux. Un recours en inconstitutionnalité fut déposédevant le Conseil d’Etat, qui décida finalement en octobre 2012 qu’il n’était pascompétent et transféra l’affaire à la Haute Cour constitutionnelle. Malgré un décretprésidentiel du 22 novembre 2012 lui interdisant d’examiner ce recours, la Haute Courconstitutionnelle décida de se réunir quand même le 2 décembre 2012. Mais le jour dit,des manifestants encerclèrent le siège de la Cour, l’empêchant de se réunir. La Courdénonça ces pressions «psychologiques et matérielles » et décida de se mettre en grève.

5. Le président par intérim avait tout d’abord nommé un comité de dix experts,constitué de quatre professeurs de droit constitutionnel et de six magistrats, quidisposa d’un mois pour élaborer un avant-projet d’amendement de la Constitution de2012.

6. La Déclaration constitutionnelle du 30 mars 2011 (art. 60) prévoyait que la nouvelleConstitution serait rédigée par une assemblée de 100 membres choisie par leparlement.

7. Le Comité des 50 était formé de représentants des différents secteurs de la société(al-Azhar (3), Eglises (3), partis islamistes (2), partis libéraux (2), partis de gauche (1),partis nationalistes (1), syndicat des ouvriers (2), paysans (2), médecins (1), ingénieurs(1), journalistes (1), écrivains (1), avocats (1), syndicat des professions techniques (1),

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syndicat des arts appliqués (1), Conseil suprême de la Culture (1), Fédération deschambres de tourisme (1), Union des chambres industrielles (1), Fédération deschambres de commerce (1), Union des syndicats des étudiants (1), mouvements dejeunes (4), ONG (1), Conseil national de la femme (1), Conseil national de la mère et del’enfant (1), Conseil national des droits de l’homme (1), Conseil suprême des Universités(1), Conseil national pour les besoins particuliers (1), armée (1) et police (1), choisis defaçon opaque par leurs corps respectifs puis nommés par le président. Dixpersonnalités publiques, toutes libérales, nommées par le cabinet de façon àreprésenter la diversité régionale, vinrent compléter la composition du Comité.

8. Déclaration constitutionnelle du 22 novembre 2012 qui, de plus, révoqua leprocureur général - en principe inamovible - accorda une immunité juridictionnelle àtoutes les décisions prises par le président et l’autorisa à prendre toute mesurenécessaire pour protéger la révolution, l’unité et la sécurité nationale.

9. Le vote au sein du Comité des 50 devait se faire par consensus ou, à défaut, à lamajorité qualifiée de 75%. Quatre articles furent rejetés en première lecture avantd’être reformulés (pour les deux premiers) et adoptés en deuxième lecture : l’article 229sur le mode de scrutin pour les législatives qui instituait à l’origine un système mixteavec 2/3 de scrutin individuel et 1/3 de scrutin de liste ; l’article 230 qui décrivait lafeuille de route et prévoyait que les élections parlementaires se tiendraient avant lesprésidentielles ; l’article 243 qui garantit aux ouvriers et aux paysans une« représentation appropriée » au sein de la première Chambre des représentants élueaprès l’adoption de la Constitution et l’article 244 qui contient la même garantie pourles jeunes, les chrétiens, les personnes handicapées et les Egyptiens expatriés.L’Assemblée constituante de 2012 avait adopté la Constitution à une majorité de 67% enpremière lecture (un deuxième vote à la majorité de 57% était prévu en deuxièmelecture, après un délai minimum de 48h, mais tous les articles furent adoptés enpremière lecture).

10. Selon plusieurs observateurs nationaux et internationaux, la campagne s’estdéroulée dans un contexte répressif où une couverture médiatique biaisée en faveur del’adoption de la Constitution n’a pas permis de véritable débat autour du texte.L’opposition était muselée et quiconque appelait à voter contre le texte était qualifié detraitre et de partisan des Frères musulmans, donc du terrorisme (voir par ex. le rapportde Transparency International Observation Mission, Egypt Constitutional Referendum

Preliminary Report, publié le 16 janvier 2014 http://www.transparency.org/files/content/pressrelease/Preliminary_Statement_Egypt.pdf Site consulté le 21 octobre2014, ainsi que le communiqué du Centre Carter : “Carter Center Urges InclusiveConstitutional Reform Process and Increased Political Space Ahead of Egypt'sReferendum” 6 janvier 2014 http://www.cartercenter.org/resources/pdfs/news/pr/egypt-010614.pdf Site consulté le 21 octobre 2014 et « Carter Center Urges Dialogue andConstitutional Change to Strengthen Democratic Governance in Egypt”, 12 mars 2014.http://www.cartercenter.org/resources/pdfs/news/pr/egypt-constitution-031214.pdfSite consulté le 21 octobre 2014 ainsi que Amnesty International, Egypt three years on,

wide-scale repression continues unabated, 23 January 2014,

http://www.amnesty.org/en/news/egypt-three-years-wide-scale-repression-continues-unabated-2014-01-23 Site consulté le 21 octobre 2014).

11. Ce titre est divisé en trois chapitres : fondements sociaux (art. 7 à 27), fondementséconomiques (art. 28 à 46), fondements culturels (art. 47 à 50).

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12. Art. 9 (2012), art. 8 (1971).

13. Art. 34 et 35 (2012), art. 41 (1971).

14. Art. 38 (2012), art. 45 (1971).

15. Art. 39 ( 2012), art. 44 (1971).

16. Art. 42 (2012), art. 50 à 52 (1971).

17. Art. 45 (2012), art. 47 (1971).

18. Art. 21 et 24 (2012), art. 30 à 37 (1971).

19. Art. 55 (2012), art. 62 (1971). L’Etat doit inscrire d’office sur les listes électoralestout citoyen qui remplit les conditions pour être électeur.

20. Art. 51 (2012). L’art. 5 (1971), tel qu’amendé en 2007, renvoyait à la loi pourréglementer les conditions de création d’un parti.

21. La loi doit en réglementer l’accès, la disponibilité et la confidentialité. L’art. 47(2012) précisait que ce droit ne devait pas porter atteinte à l’inviolabilité de la vieprivée, aux droits des tiers, ni à la sécurité nationale. Ce droit ne figurait pas dans laConstitution de 1971.

22. Art. 50 (2012).

23. Art. 51 ( 2012).

24. Les art. 54 et 55 (1971) renvoyaient à la loi pour en fixer les conditions d’exercice.

25. Art. 75 (2012), art. 68 (1971),

26. Art. 77 (2012), art. 67 (1971).

27. Art. 77 et 78 (2012), art. 71 (1971).

28. Art. 77 (2012), art. 67 (1971),

29. L’art. 76 (2012) ajoutait un principe de constitutionnalité des peines, qui avaitsoulevé des polémiques (voir ci-après). Art. 66 (1971).

30. Art. 76 (2012), art. 66 et 187 (1971).

31. L’art. 37 (2012) les définissait comme un lieu de discipline, d’éducation et deredressement.

32. Art. 64 (2012), art. 13 (1971).

33. Cet article affirme que tout citoyen a le droit à la santé. Art. 62 (2012), art. 16 (1971).

34. Art. 66 (2012) et art. 17 (1971).

35. Art. 64 (2012). Ce droit ne figurait pas dans la Constitution de 1971.

36. Art. 52 et 53 (2012), art. 56 (1971). Cette restriction, qui ne figurait pas dans laConstitution de 1971, avait été introduite par celle de 2012 (art. 53). Elle serait justifiéepar le fait que le syndicat professionnel agit comme un ordre de profession libérale, encontrôlant l’accès à la profession.

37. Art. 61 (2012). L’éradication de l’analphabétisme était déjà présentée par laConstitution de 1971 (art. 21) comme un devoir national.

38. Art. 63 (2012). L’art. 59 de la Constitution de 1971, telle qu’amendée en 2007, avaitdéjà fait de la préservation de l’environnement un devoir national.

39. L’enfant est défini comme une personne de moins de 18 ans. Il a droit à un nom, àdes papiers d’identité, à la vaccination obligatoire gratuite, à des soins médicaux, à unealimentation de base, à un logement sûr, à une éducation religieuse, à son

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développement intellectuel et moral. L’Etat s’engage à le protéger contre toute formede violence et d’exploitation commerciale ou sexuelle. Il est interdit d’employer unenfant qui n’a pas atteint l’âge de fin d’études élémentaires. L’Etat doit mettre en placeun système judiciaire pour les mineurs. L’art. 70 (2012) ne contenait pas de définitionde l’enfant et ne lui offrait pas une protection aussi poussée. La Constitution de 1971 necontenait pas de disposition spécifique aux droits de l’enfant.

40. Mais la Constitution ne donne pas de définition de la torture et le code pénal en aadopté une conception restrictive, la limitant aux seuls cas où l’auteur cherchait àobtenir un aveu de la victime (art. 126). Art. 36 (2012).

41. Art. 48 (2012).

42. Art. 73 (2012).

43. La Constitution de 1971 (art. 18) rendait obligatoire la seule éducation primaire etcelle de 2012 (art. 58) avait étendu cette obligation jusqu’au niveau élémentaire.

44. Art. 59 (2012).

45. Art. 59 (2012), qui ne mentionnait pas la liberté de création artistique. Article 49(1971).

46. Art. 60 (2012).

47. La Constitution de 2012 (art. 60) ne mentionnait pas l’enseignement des droits del’homme.

48. Art. 18 (2012).

49. Chaque citoyen a le droit d’en jouir conformément à la loi. Art. 20 (2012).

50. Chaque citoyen a le droit de profiter du Nil. Art. 19 (2012).

51. Art. 68 (2012).

52. Art. 68 (2012).

53. Art. 69 (2012).

54. Elle consacre ainsi au niveau constitutionnel un principe qui avait été introduit auniveau législatif en 2004 (auparavant, seul le père pouvait transmettre sa nationalité àses enfants). Par contre, l’épouse égyptienne ne peut toujours pas transmettre sanationalité à son époux étranger.

55. Alors que la Constitution de 1971 (art. 40) prévoyait que : “Les citoyens sont égauxdevant la loi. Ils ont les mêmes droits et devoirs publics, sans distinction de sexe,d'origine, de langue, de religion ou de croyance ”, l’art. 33 de celle de 2012 affirmaitseulement : « Les citoyens sont égaux devant la loi. Ils ont les mêmes droits et devoirspublics, sans aucune distinction entre eux », et ne faisait donc plus mention explicited’une liste de fondements – en particulier le sexe - sur la base desquels il était interditde discriminer.

56. De plus, une commission indépendante contre la discrimination doit être mise enplace (art. 53).

57. Art. 11 (1971) : « L'Etat assure à la femme la compatibilité entre ses devoirs au seinde la famille et son rôle dans la société, son égalité avec l'homme dans les domainespolitique, social, culturel et économique, sans préjudice des dispositions de la loiislamique ».

58. L’Assemblée constituante de 2012 avait envisagé dans un premier temps dereprendre l’art. 11 (1971) mais cet article, pourtant passé inaperçu dans la Constitution

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précédente, suscita de telles réactions de rejet au sein des ONG de droits des femmesque la version finale abandonna la référence à la charia islamique, tout en continuantde charger l’Etat d’aider la femme à concilier ses devoirs envers sa famille avec sonactivité publique.

59. Art 10 (1971) : « L'Etat garantit la protection de la maternité et de l'enfance, veillesur l'enfance et la jeunesse et leur assure les conditions appropriées au développementde leurs vocations ”.

60. L’alinéa 2 de l’art. 10 (2012), selon lequel « L’Etat et la société veillent à lasauvegarde du caractère authentique de la famille égyptienne, à sa cohésion et à sastabilité et à la consolidation ainsi qu’à la protection de ses valeurs morales », avaitsoulevé lui-aussi des inquiétudes. Or il s’inspirait de l’article 9 de la Constitution de1971, selon lequel « La famille est à la base de la société. Elle s’appuie sur la religion, lamorale et le patriotisme. L’Etat veille à la sauvegarde du caractère authentique de lafamille égyptienne, des valeurs et des traditions qu’elle représente, à l’affirmation et audéveloppement de ce caractère dans les relations au sein de la société égyptienne ». Lestermes « cohésion » et « stabilité », qui ne figuraient pas dans le texte de 1971, avaientfait craindre un retour en arrière dans le domaine du divorce : l’Etat pourrait-il déciderde faire prévaloir la cohésion et la stabilité de la famille sur les droits individuels etrestreindre les cas où la femme pourrait demander la dissolution de son mariage ?

61. Une loi contre le harcèlement sexuel a été adoptée le 5 juin 2014.

62. La Constitution de 1971 avait été amendée en 2007 pour autoriser le législateur àmettre en place un quota pour la représentation des femmes au sein du parlement. Laloi électorale avait alors réservé aux femmes 14% des sièges, soit 64 sièges sur 454. LaConstitution de 2012 ne prévoyait rien par rapport à la représentation politique desfemmes.

63. Une quarantaine de femmes, qui exerçaient jusque-là au sein du Parquetadministratif et de l’Autorité du contentieux de l’Etat, ont été nommées dans lestribunaux ordinaires en 2007 et 2008 par une décision du ministre de la Justice. Mais en2010, l’Assemblée générale du Conseil d’Etat a refusé à 334 votes contre 42 d’ouvrir lajustice administrative aux femmes.

64. Le territoire était découpé en huit circonscriptions et seulement 20% des siègesdevaient être réservés au scrutin de liste, les autres étant pourvus au scrutin individuel.

65. Art. 87 (1971).

66. Art. 196 (1971).

67. Art. 162 (1971).

68. Art. 26 (1971).

69. Ce qui pourrait ouvrir des recours contre des salaires faibles, des conditions detravail déplorables ou un manque de formation

70. Une disposition analogue figurait déjà dans la Constitution de 2012 (art. 56).

71. Cet article reprend l’art. 70 (2012).

72. La Constitution de 2012 (art. 65) mentionnait plus spécifiquement « les blessés de larévolution du 25 janvier ». L’art. 15 (1971) donnait une priorité dans l’accès à l’emploiaux anciens combattants, blessés de guerre, épouses et enfants de martyrs.

73. Elles sont considérées comme des lois organiques.

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74. Les Constitutions de 1971 (art. 151) et 2012 (art. 145) attribuaient déjà force de loiaux traités internationaux ratifiés par l’Egypte, mais ne mentionnaient passpécifiquement les obligations internationales de l’Egypte dans le domaine des droitsde l’homme.

75. Art. 74 (2012), art. 65 (1971).

76. Art. 238 (2014).

77. D’autant plus que certains droits de la 3e génération, comme le droit à la protectionde l’environnement, exigent eux-aussi des investissements de grande ampleur pourpouvoir être mis en œuvre.

78. L’art. 179 (1971) avait été amendé en 2007 pour autoriser l’adoption par leparlement d’une loi anti-terrorisme qui n’aurait pas été tenue de respecter certainsdroits fondamentaux garantis par la Constitution (liberté personnelle, inviolabilité dudomicile et secret des communications et de la correspondance).

79. Art. 206 (2014). L’art. 199 (2012) affirmait que la police devait assurer aux citoyensleur tranquillité et protéger leur dignité, leurs droits et leurs libertés.

80. La Constitution de 2012 (art. 98) limitait cette compétence aux crimes concernantles forces armées, leurs officiers et leur personnel.

81. L’art. 183 de la Constitution de 1971 renvoyait à la loi pour organiser la justicemilitaire et déterminer ses attributions, dans la limite des principes énoncés par laConstitution . La loi n° 25 de 1966 sur la justice militaire autorisait le président àrecourir aux tribunaux militaires pour juger des civils lorsque l’Etat d’urgence étaitproclamé. Moubarak avait recours aux tribunaux militaires lorsqu’il voulait s’assurerd’un jugement rapide et conforme à ses attentes. C’est ainsi que des dizaines de Frèresmusulmans furent jugés par la justice militaire à partir des années 90.

82. C’est d’ailleurs ce qu’a affirmé le procureur de la justice militaire en déclarant queles stations-services gérées par l’armée seraient de son ressort.

83. L’article 204 a été adopté par 41 voix pour, 6 contre, 1 abstention.

84. Pour une évaluation de la situation des droits de l’homme en Egypte et desviolations des dispositions relatives aux droits de l’homme contenues dans laConstitution de 2014, voir par ex. la résolution du Parlement européen du 17 juillet2004 sur la liberté d’expression et d’assemblée en Egypte http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&language=EN&reference=P8-TA-2014-0007 Site consulté le 21 octobre 2014.

85. La Constitution de 1971 avait consacré pour la première fois la valeur normative dela loi islamique, affirmant tout d’abord que les principes de la charia étaient« une source principale de la législation », avant d’être amendée en 1980 pour en faire« la » source principale de la législation.

86. Les salafistes auraient souhaité renforcer la valeur normative de la loi islamique enremplaçant le terme « principes » par celui plus précis de « règles », ou même toutsimplement faire de « la charia » la source principale de la législation. Mais les autresforces politiques et sociales représentées au sein de l’Assemblée constituante, y comprisal-Azhar, choisirent par consensus de ne pas modifier cet article.

87. DUPRET Baudouin, La charia, La Découverte, 2014, p.7.

88. V. BERNARD-MAUGIRON Nathalie, Le politique à l’épreuve du judiciaire : la justice

constitutionnelle en Egypte, Bruylant, Bruxelles, 2003 et BERNARD-MAUGIRON Nathalie et

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DUPRET Baudouin, « Les principes de la sharî‘a sont la source principale de la législation.

La Haute Cour constitutionnelle et la référence à la loi islamique », Égypte-Monde arabe,n° 2, 1999, nouvelle série, p. 107 et s.

89. Haute Cour constitutionnelle (HCC), 4 mai 1985, n° 20/1e, Recueil des décisions de la

Haute Cour constitutionnelle (Rec.), vol. 3, p. 209 et s. Pour une traduction de l’arrêt, v.Richard Jacquemont, « La Haute Cour constitutionnelle et le contrôle deconstitutionnalité des lois », Annuaire international de justice constitutionnelle, 1988, IV,p. 569 et s.

90. Date de la publication des résultats du référendum demandant au peuple,conformément à l’article 189 de la Constitution de 1971, d’approuver les amendementsconstitutionnels proposés par l’Assemblée du peuple.

91. HCC, 15 mai 1993, n° 7/8e, Rec., vol. 5, part. 2, p. 290 et s.

92. Les sources considérées comme absolues en fiqh classique sont le Coran, l’ensembledes traditions, le consensus de la communauté et le raisonnement analogique.

93. Elles ne tirent pas leur origine de l’une des quatre sources fondamentales maisd’autres sources, comme le bien public, l’équité, ou la coutume.

94. Quatre écoles sunnites du droit musulman sont officiellement reconnues : shaféite,malikite, hanafite et hanbalite, du nom de leur fondateur. L’école officielle en Egypteest l’école hanafite, qui était l’école de l’Empire ottoman. Elle est dans l’ensemble plusrigoureuse à l’égard de la femme que les écoles shaféite ou surtout malikite (cettedernière étant en vigueur notamment au Maroc).

95. HCC, 26 mars 1994, n° 29/11e, Rec., vol. 6, p. 231 et s.

96. HCC, 15 mai 1993, n° 7/8e, Rec., vol. 5, part. 2, p. 290 et s.

97. HCC, 14 août 1994, n° 35/9e, Rec., vol. 6, p. 331 et s.

98. HCC, 18 mai 1996, n° 8/17e, Rec., vol. 7, p. 657 et s.

99. HCC, 3 mai 1997, n° 18/14e, Rec., vol. 8, p. 611 et s.

100. HCC, 18 mai 1996, n° 93/6e, Rec., vol. 7, p. 709 et s.

101. Pour une critique de l’interprétation par la Cour des principes de la chariaislamique, voir C. B. Lombardi, « Islamic Law as a Source of Constitutional Law in Egypt:The Constitutionalization of the Sharia in a Modern Arab State », Columbia Journal of

Transnational Law, 37, 1998, p. 81 et s. Voir aussi Nathan Brown et Clark Lombardi, “DoConstitutions Requiring Adherence to Shari`a Threaten Human Rights? How Egypt'sConstitutional Court Reconciles Islamic Law with the Liberal Rule of Law,” 21 American

University International Law Review, 2006, 379-435.

102. L’article 6 alinéa 2 de la loi n° 462 de 1955 portant abolition des tribunauxreligieux et des tribunaux confessionnels et transfert des requêtes pendantes auxtribunaux nationaux avait ainsi prévu que chaque communauté religieuse continueraità être régie par ses propres lois en ce qui concerne le statut personnel. Le texte précisetoutefois que cette dérogation ne s’appliquera qu’à condition que les deux parties nonmusulmanes soient de même communauté et de même confession. Ce principe a étérepris par la loi n° 1 de 2000 sur la procédure en matière de statut personnel dont l'art.4 a abrogé la loi n° 462 de 1955.

103. En pratique, cette autonomie permet à l’Eglise copte orthodoxe de refuser dereconnaître la validité de divorces prononcés par les tribunaux égyptiens et de ne pas

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autoriser le remariage de ces couples divorcés. Elle permet aussi aux Eglises de refuserde reconnaître la conversion de leurs fidèles à une autre croyance ou à un autre rite.

104. Depuis l’amendement en 2008 du règlement de 1938 sur le statut personnel descoptes orthodoxes, le divorce n’est plus possible pour les membres de cettecommunauté qu’en cas d’adultère, alors que les musulmanes peuvent introduire unerequête en divorce devant les tribunaux pour absence prolongée du mari pendant plusd'un an sans motif légitime, condamnation de l’époux à une peine de prison de plus detrois ans, maladie grave incurable ou aliénation mentale du mari, défaut de paiementde la pension alimentaire ou préjudice (y compris polygamie).

105. L’art. 46 (1971) prévoyait seulement : « L’Etat garantit la liberté de croyance et laliberté de pratique religieuse ».

106. L’art. 31 interdit toute insulte envers les individus.

107. Art. 5 (1971), tel qu’amendé en 2007 : « […] Il est interdit de mener une activitépolitique ou de créer des partis politiques sur une référence ou une base religieuse ouen discriminant sur la base du sexe ou de la race ».

108. Art. 6 (2012).

109. Le parti Justice et Liberté des Frères musulmans a été interdit par une décision dejuin 2014, mais sur un autre fondement.

110. « Le grand marchandage des salafistes et les coulisses de l’élaboration de la

nouvelle constitution », Al-churûq, 24 décembre 2012, traduction CEDEJ (http://

egrev.hypotheses.org/184)

111. Le Coran et la sunna.

112. Nom historique des pères fondateurs des écoles sunnites.

113. Pour une analyse approfondie de l’article 219, voir Nathan Brown & ClarkLombardi, Islam in Egypt’s New Constitution, Foreign Policy, Dec. 13, 2012, disponible en

ligne http://mideast.foreignpolicy.com/posts/2012/12/13/

islam_in_egypts_new_constitution.

114. C’est d’ailleurs par ces techniques du takkayyur (choix de règles au sein desdifférentes écoles sunnites) et du talfiq (combinaison de règles appartenant àdifférentes écoles) que les législateurs du monde arabe ont réussi à réformer leurscodes de la famille en puisant des normes au sein d’autres écoles juridiques et assouplirainsi certaines positions de leur école officielle.

115. HCC, 2 juin 2013, n° 41/26, JO n° 23 bis (b) du 10 juin 2013.

116. Les priorités affichées par Mohamed Morsi étaient de restaurer l’ordre public et demettre fin à la crise économique, pas de réislamiser le droit.

117. Pour une étude des vestiges de la loi islamique dans le droit égyptiencontemporain, voir N. Bernard-Maugiron, « Droit national et référence à la charia enEgypte », in B. Dupret (ed.), La charia aujourd’hui. Usages de la référence au droit islamique,La Découverte, 2012, p. 95-111.

118. Des groupes salafistes appelèrent à l’abrogation des réformes du droit de la familleintroduites sous le règne de Hosni Moubarak et déposèrent au parlement des projetsd’amendements, mais ils ne furent pas adoptés et la chambre basse fut dissoute en juin2012.

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119. Al-Azhar, avec à sa tête le cheikh d’Al-Azhar, est la plus haute autorité de l’islamsunnite et un lieu réputé d’enseignement de la théologie musulmane.

120. Le Conseil des grands ulémas d’al-Azhar est formé de 40 membres, connus pourleur piété et leurs connaissances, nommés tout d’abord par le cheikh d’al-Azhar puiscooptés par la suite. C’est ce Conseil qui sera chargé d’élire le nouveau cheikh d’al-Azhar qui, jusqu’en 2012, était nommé par le président de la République.

121. Art. 175 (2012).

122. Le Centre de recherche islamique d’al-Azhar avait déjà le droit de censurer toutepublication jugée offensante pour l’islam et même, depuis 2004, d’en demander lasaisie.

123. Cet article se situe dans le chapitre relatif aux fondements sociaux de la société etnon plus dans les fondements politiques de l’Etat et de la société, comme dans laConstitution de 2012.

124. L’art. 7 (2014) préserve le statut d’autonomie d’al-Azhar et continue à obliger l’Etatà lui procurer les ressources nécessaires pour atteindre ses objectifs. Le cheikh resteinamovible.

125. Art. 66 (1971) : « La peine est personnelle. Aucune infraction et aucune peine nepeut être établie qu'en vertu d'une loi […] ».

126. Les châtiments corporels prévus par le droit pénal islamique pour les crimes lesplus graves (ex. vol, relations sexuelles hors mariage, consommation d’alcool) ontdisparu du code pénal égyptien depuis le XIXe siècle et ont été remplacés par despeines de prison et/ou des amendes.

127. L’art. 227 (2014) fait de la Constitution et de son préambule un tout indivisible.

128. Art. 6 (2012) : « Le régime politique repose sur les principes de la démocratie, de laconsultation, de la citoyenneté qui confère à tous les citoyens les mêmes droits etdevoirs publics, sur le pluralisme politique et le multipartisme, l’alternance pacifiquedu pouvoir, la séparation et l’équilibre des pouvoirs, la souveraineté de la loi, le respectdes droits de l’homme et de ses libertés, de la manière indiquée dans la présenteconstitution ».

ABSTRACTS

The Egyptian Constitution of 2014 has been described as a revolutionary document, a model for

the protection of human rights and a significant step forward to establish a genuine democratic

transition. The Constitution was the last step of a particularly chaotic constitutional transition,

that was initiated by the fall of president Hosni Mubarak in 2011.

Through a comparative analysis of the Constitution of 2014 with the two documents that

preceded it (2012 and 1971), and in particular of the human rights provisions and the provisions

dealing with state identity, this paper shows how this Constitution, which was to perform a break

with the past and correct that of 2012 - described as the Islamic Constitution of a theocratic state

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- constitutes a continuity more than a rupture of the Egyptian constitutional order, and

strengthens the power more than it frames it.

La Constitution égyptienne de 2014 a été présentée comme un texte révolutionnaire, un modèle

de protection des droits de l’homme et une avancée significative vers une véritable transition

démocratique. Elle est venue clore une transition constitutionnelle particulièrement chaotique,

entamée avec la chute du président Hosni Moubarak en 2011.

A travers une analyse comparative de la Constitution de 2014 avec les deux textes qui l’ont

précédée (2012 et 1971), et en particulier des dispositions relatives aux droits de l’homme et

traitant de l’identité de l’Etat, cette contribution montre que ce texte, qui devait constituer une

rupture avec le passé et rectifier celle de 2012 - présentée comme la Constitution islamique d’un

Etat théocratique, se situe davantage dans la continuité que dans la rupture de l’ordre

constitutionnel égyptien et renforce le pouvoir plus qu’il ne l’encadre.

INDEX

Mots-clés: Egypte – Constitution- Islam – Charia - Droits de l’homme - Minorités

Keywords: Egypt - Constitution - Islam - Charia - Human rights - Minorities

AUTHOR

NATHALIE BERNARD-MAUGIRON

Nathalie Bernard-Maugiron est directrice de recherche à l’Institut de recherche pour ledéveloppement (IRD, CEPED) et a été co-directrice de l’IISMM (Institut d’études del’Islam et des sociétés du monde musulman) de 2010 à 2014. Juriste, elle a obtenu sondoctorat en droit public à la Faculté de droit de l'Université Paris Ouest Nanterre et saHDR à la Faculté de droit de Grenoble. Elle a séjourné plusieurs années en Égypte, oùelle a mené divers programmes de recherche portant sur le droit égyptien. Elle co-anime un séminaire de recherche à l’IISMM sur le droit contemporain des paysmusulmans. Ses travaux de recherche actuels portent sur les processus de transitionpost-révolutionnaires dans les pays arabes.

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Quelques observations sur la placedes droits fondamentaux dans lesnouvelles constitutions tunisienneet égyptienneRahim Kherad

Les nouvelles constitutions dans les pays arabes, notamment celle de la Tunisie du 27janvier 2014 et celle de l’Egypte en particulier, sont la résultante du mouvement derévolte de ces peuples pour la démocratisation. La pratique montre que le chemin de ladémocratisation est semé d’embûches. Aux illusions théoriques du départ, succèdentdes désillusions pratiques, ce qui conduit nombre d’auteurs à considérer que leprocessus de démocratisation engagé dans ces pays reste à parfaire. Pour autant, celane signifie nullement, comme d’aucuns le suggèrent, que les peuples arabes n’étaientpas prêts à l’instauration de la démocratie, ou pire, qu’un gouvernement autoritaireleur conviendrait mieux. Au-delà du mépris scientifique dont se teinte une telleaffirmation, elle est surtout en décalage criant avec la réalité. « Le peuple tunisien arévélé, au cours des derniers évènements, que l’idée démocratique n’était ni orientale,ni occidentale, ni du Nord ni du Sud, qu’elle dépassait le territoire et les frontières, etqu’elle était constitutive de notre humanité »1.

Dans le même sens, Boutros Boutros Ghali souligne que « la démocratie n’appartient àpersonne. Elle peut être et elle doit être assimilée par toutes les cultures. Elle estsusceptible de s’incarner dans des formes multiples afin de mieux s’inscrire dans laréalité des peuples. La démocratie n’est pas un modèle à copier sur certains Etats, maisun objectif à atteindre par tous les peuples »2. Qu’en est-il donc du constitutionalismeégyptien et tunisien ? Peut-il être considéré comme démocratique ? L’élaboration d’uneConstitution qui garantisse les droits fondamentaux de l’homme est-elle suffisante pourengendrer la démocratie ?

Le processus de démocratisation dans le monde arabe à partir de l’année 2011 résultede la confiscation par des régimes dictatoriaux, après les indépendances, de leur droit àl’autodétermination interne. Quel intérêt aurait « un peuple à lutter et à consentir

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mille souffrances et sacrifices pour mettre fin à la domination étrangère sans que celalui donne le droit de choisir des régimes et des institutions qui lui permettront de fairevaloir ses aspirations ?»3. Pour autant, pendant plus de trente ans, ces gouvernementsanti-démocratiques, en se fondant exclusivement sur le critère d’effectivité,représentaient leurs peuples au sein des instances internationales.

A cet égard, Nietzsche, dans Ainsi parlait Zarathoustra, soulignait que « l’Etat est le plusfroid de tous les monstres froids, il ment froidement et voici le mensonge qui rampe desa bouche : moi l’Etat, je suis le peuple ». Le critère de l’effectivité de l’exercice dupouvoir, enraciné dans la pratique des Nations unies, conduisait l’Organisation àadmettre la représentativité de gouvernements anticonstitutionnels. Or l’effectivité àelle seule ne suffit pas4 ; il faut que le gouvernement soit légal, c'est-à-dire issu dusuffrage universel. Dans ce sens, l’Assemblée générale des Nations unies a doncprogressivement abandonné l’idée que tous les régimes politiques devaient êtreconsidérés comme équivalents, conformément à une interprétation stricte de lasouveraineté de l’Etat. Depuis 1990, avec l’effondrement de l’Union soviétique, l’onconstate que l’organe délibérant multiplie les références à la démocratie pluraliste et,du même coup, fait réapparaître l’importance de la volonté populaire comme sourcepremière de tout pouvoir politique.

Le mouvement de démocratisation dans le monde arabe est précisément l’incarnationde cette volonté populaire contre les régimes dictatoriaux. La Tunisie fut la première,on le sait. Par la suite, d’autres peuples ont emprunté le même chemin, en Egypte, auYémen, en Jordanie, en Lybie, au Bahreïn, au Maroc, en Arabie Saoudite et en Syrie.

Il convient de préciser que la particularité de chacun de ces pays, non seulement auniveau politique et institutionnel, mais aussi au niveau de la structure sociale, de ladiversité ethnique et tribale, rend impossible l’instauration d’un modèle uniquetransposable à toutes ces situations. Avant même ces révoltes, cette diversité semanifestait d’ailleurs à travers la variété de textes constitutionnels observable dans lemonde arabo-musulman.

Ceci n’empêche nullement une aspiration commune pour l’alternance démocratique.Mais pour quelle alternative ? La réponse à cette question est en partie fournie parl’étude des processus constituants enclenchés dans les Etats arabes pour modifierl’ordre juridique en vigueur ; si certains Etats, comme le Maroc, se sont contentés d’unerévision constitutionnelle partielle5, suffisante pour apaiser les tensions, d’autres,comme l’Egypte et la Tunisie, ont choisi la voie plus longue de l’élaboration d’unenouvelle Constitution. L’Assemblée nationale constituante (ANC) de Tunisie a achevéses travaux, aux termes de presque deux années, en adoptant la Constitution le 27janvier 2014. Quant à la loi fondamentale égyptienne, elle été modifiée deux fois depuisle départ de l’ancien chef de l’Etat : les frères musulmans, parvenus au pouvoir par letruchement d’élections au suffrage universel, avaient élaboré une premièreConstitution le 26 décembre 2012. Renversé par l’armée le 3 juillet 2013, cegouvernement constitutionnel, dirigé par le président Morsi, a donc été remplacé parun gouvernement intérimaire. Ce dernier décida de rédiger un nouveau texteconstitutionnel, adopté par référendum les 14 et 15 janvier 2014. Mais la légitimité dece texte a fait l’objet de débats. Selon la Commission électorale égyptienne, le « oui » l’aemporté lors de cette consultation populaire par 98,1 %, mais avec 38,6 % departicipation, ce qui signifie que seuls 37,8% du corps électoral a réellement approuvéce texte.

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La question centrale se rapporte à la protection des droits fondamentaux de l’hommeprévue par ces deux constitutions. Cela me conduit, d’une part, à étudiersuccessivement la nature démocratique du régime politique (I), le respect desengagements internationaux de l’Etat (II), les rapports entre la religion et le droit (III),et enfin la protection des droits de la femme (IV).

I. L’instauration d’un régime politique démocratique

Le régime démocratique, on le sait, est caractérisé à la fois par l’alternance, quiimplique le respect du pluralisme, et par l’application de la règle majoritaire, laquelle apour corollaire la protection des droits des minorités. En la matière, les deuxconstitutions semblent apporter en partie les garanties nécessaires. Le Préambule dutexte constitutionnel tunisien contient des déclarations d’intention rassurantes : ilentend poser « les fondements d’un régime républicain démocratique et participatif,dans le cadre d’un Etat civil, où la souveraineté du peuple s’exerce, à traversl’alternance pacifique au pouvoir, par des élections libres ». En outre, il rappelle que« la liberté d’association, conformément au principe de pluralisme, de neutralité del’administration et de bonne gouvernance, est la condition de la compétitionpolitique ». Quant à l’article 2 de la Constitution, frappé d’une interdiction de révision,il dispose : « la Tunisie est un Etat civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple etla primauté du droit ».

A la lecture des dispositions de la nouvelle Constitution égyptienne, le constat peutparaître tout aussi encourageant. La rédaction du Préambule, caractérisé par un styleemphatique, proche du syndrome pharaonique ( !), offre certaines garanties : lesconstituants y affirment « leur croyance à la démocratie, comme voie, comme avenir, etcomme mode de vie ; [au] pluralisme politique et à la transmission pacifique dupouvoir » ainsi qu’au « droit du peuple à bâtir son avenir », en tant que « la seulesource du pouvoir ». Par ailleurs, l’article 1er précise la nature de l’Etat égyptien : « LaRépublique Arabe d’Égypte est un État souverain, unifié et indivisible, et dont le régimeest une république démocratique fondée sur la citoyenneté et l’autorité de la loi ».L’article 5 est encore plus précis, puisqu’il énonce que « le régime politique est fondésur le pluralisme politique et le multipartisme, la transmission pacifique du pouvoir, laséparation et l’équilibre des pouvoirs, le fait que toute autorité suppose uneresponsabilité et le respect des droits de l’homme et de ses libertés, conformément auxdispositions de cette Constitution ».

Si l’insertion de telles dispositions dans les constitutions tunisiennes et égyptiennessemblent plutôt enclines à favoriser l’instauration de la démocratie et le respect desdroits fondamentaux de l’homme, seule la pratique révèlera si ces textesconstitutionnels demeurent une rhétorique séduisante ou bien au contraire s’ilsprennent corps et façonnent pour longtemps le paysage politico-juridique des deuxEtats.

En effet, les expériences passées ont montré que certains principes constitutionnelsdemeuraient purement déclaratoires, dès lors que les autorités étatiques lesméprisaient. Ainsi, sous le régime de Ben Ali comme celui de Moubarak, on le sait, lemultipartisme, bien que constitutionnellement garanti, n’a jamais été respecté. De lamême façon, l’impossibilité de réviser l’article relatif au nombre de mandatsprésidentiels figurait déjà dans la précédente Constitution tunisienne de 1959. Son

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article 40 prévoyait que le président ne pouvait renouveler son mandat plus de troisfois. Par une loi constitutionnelle de 1974, le président Bourguiba fit amender cetarticle, en s’arrogeant « à titre exceptionnel et en reconnaissance de son rôle dans lalibération nationale », le droit de garder à vie la fonction de président de la République.Le président Ben Ali ayant destitué son prédécesseur en raison de son état de santé, ilfit de nouveau inscrire dans la Constitution la limitation du nombre de mandatprésidentiel. Or, quelques années plus tard, il transgresse lui-même la règle, ensupprimant l’amendement en question pour se maintenir en fonctions, à l’issue de sesdeux premiers quinquennats.

II. La valeur des engagements internationaux

Aux termes de l’article 93 de la Constitution égyptienne, « l’Etat s’engage à respecter lestraités, accords et conventions internationales relatifs aux droits de l’homme ratifiéspar l’Egypte. Ils ont force de loi après leur publication, avec les réserves spécifiées ».Cette disposition laisse sous-entendre que le pouvoir législatif peut en toute discrétionécarter, contourner, voire contredire les engagements internationaux de l’Etat.

Quant à la Constitution tunisienne, son article 19 pose une règle de hiérarchisation desnormes, semblable à celle de la Constitution française de 1958 : les traités sontsupérieurs aux lois, la Constitution est supérieure aux traités. Ceci implique qu’avantd’accepter un nouvel engagement conventionnel international, la Tunisie devras’assurer de sa compatibilité avec la norme suprême. Quant à la supériorité des traitéssur les lois, elle contraint le législateur tunisien à se conformer aux conventionsinternationales ratifiées par la Tunisie, notamment celles relatives à la protection desdroits de l’homme.

Selon la Commission de Venise6, organe consultatif du Conseil de l’Europe, la rédactionde cette disposition pourrait paraître entièrement satisfaisante au regard du principepacta sunt servanda, si elle ne recelait pas une certaine équivocité ; en effet, l’article 19s’applique aux traités « approuvés par l’Assemblée des représentants, et ensuiteratifiés ». Dans la mesure où cette disposition fait référence à la future « Assemblée desreprésentants », la Commission estime incertain qu’elle s’applique également auxtraités déjà ratifiés. Or, cet argument est dénué de portée, puisqu’une telle pratiqueporterait atteinte à la continuité de l’Etat, règle fondamentale en matière de successiond’Etats.

III. La source de la législation

S’agissant de l’Egypte, le Préambule ainsi que l’article 2 de la Constitution disposentque « les principes de la Charî’a islamique sont la source principale de la législation ».L’insertion de l’adjectif « principale » montre que la loi islamique doit être considéréecomme une source majeure du droit égyptien, mais que ce dernier peut avoir d’autresfondements. En ce sens, l’article 3 de la Constitution précise que « les principes des loisreligieuses des Égyptiens chrétiens et juifs sont la principale source des législations quirégissent leur statut personnel, leurs affaires religieuses et le choix de leurs dirigeantsspirituels ». Cette disposition introduit donc une protection particulière des minoritésreligieuses. Il est à regretter que la Constitution ne mentionne à aucun moment laquestion des droits des minorités.

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Quant à la place de la charî’a dans le nouvel édifice juridique tunisien, elle a fait l’objetde vives controverses au sein de l’ANC. Le parti majoritaire Ennahda, voulait fairefigurer la mention de la charî’a comme source du droit ; mais les tensions au sein del’assemblée, ainsi que l’attachement d’une partie importante de la populationtunisienne à une certaine tradition de laïcité de l’Etat, ont fini par avoir raison de cetteproposition du parti islamiste. L’article premier de la nouvelle Constitution est doncrepris à l’identique de celui de la Constitution de 1959 de Bourguiba : il dispose que « laTunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, et que « l’Islam est sa religion ».Cependant, l’article 2 nuance la portée de cette assertion, en affirmant que « la Tunisieest un Etat civil ». De nombreux commentateurs, dont la Commission de Venise,s’entendent pour dire que la conjugaison de ces deux articles présente quelquesdifficultés. Il semble en effet paradoxal de concilier l’islam en tant que religion de l’Etatavec le caractère civil de ce dernier. Ce paradoxe peut néanmoins être dépassé si l’onadmet que « l’article premier a toujours été interprété par la doctrine juridique commese référant à l’islam en tant que religion de la Tunisie et non à l’islam comme religionde l’Etat. Il a une portée sociologique et non légale. Il n’est ni opposable à l’Etat ni auxcitoyens »7. Ainsi appréhendé, l’article 1er apparaît conforme aux standardsinternationaux. Dans le même sens, le droit à la liberté de pensée, de conscience et dereligion est garanti à l’article 18 du Pacte international relatifs aux droits civils etpolitiques, que l’Egypte et la Tunisie ont toutes deux ratifié. Comme l’indiquel’Observation générale n°22 du Comité des droits de l’homme, « le fait qu’une religionest reconnue en tant que religion d’Etat, ne doit porter en rien atteinte à la jouissancede l’un quelconque des droits garantis par le Pacte, ni entrainer une discriminationquelconque contre les adeptes d’autres religions, ou les non-croyants »8.

IV. La protection des droits de la femme

Les deux textes constitutionnels égyptiens et tunisiens intègrent chacun unedisposition entièrement consacrée à la protection des droits de la femme. La questionde l’égalité entre l’homme et la femme est bien sûr au cœur du débat. L’article 9 de laConstitution égyptienne est relatif à l’obligation qui incombe à l’Etat de garantir« l’égalité des chances entre tous les citoyens, sans discriminations ». Plus loin, l’article11 est consacré aux droits de la femme et aux engagements de l’Etat en la matière.L’effet d’annonce est prometteur : l’Etat « s’engage à réaliser l’égalité entre les femmeset les hommes dans les domaines des droits civils, politiques, économiques, sociaux etculturels », conformément aux dispositions des deux pactes internationaux de NewYork de 1966.

En revanche, la parité n’est pas envisagée de manière stricte, puisque il s’agitsimplement pour l’Etat de « prendre les mesures nécessaires afin d’assurer une justereprésentation des femmes au sein du Parlement ». Enfin, la disposition par laquelle« l’État s’engage à protéger les femmes contre toutes les formes de violence » a sonimportance.

Des engagements similaires figurent dans la Constitution tunisienne, mais avecdavantage de précision, ce qui renforce leur portée. L’article 21 proclame que « lescitoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant laloi, sans discrimination ». Pour être parfaitement conforme à la formulation retenuepar les deux Pactes internationaux de 1966, la reconnaissance de ce principe d’égalité

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aurait pu être accompagnée de la mention des formes spécifiques et diverses de ladiscrimination, à savoir la discrimination fondée sur le sexe, la race, la couleur, lalangue, la religion, les opinions politiques, l’origine sociale, ou encore la nationalité. Ilme parait par ailleurs surprenant que cet article n’évoque pas clairement l’égalitéhomme-femme.

Dans le même sens, l’Etat tunisien s’engage clairement en vertu de l’article 46à protéger les droits acquis de la femme et œuvre à les renforcer et les développer.L’égalité des chances est strictement protégée, puisqu’elle s’applique à « toutes lesresponsabilités » et dans « tous les domaines ». L’Etat œuvre également à réaliser laparité entre l’homme et la femme dans les assemblées élues (règle qui a d’ailleurs étéimposée pour l’élection de l’Assemblée constituante elle-même9).

En définitive, ces observations nous amènent à dire avec Georges Burdeau que « ladémocratie n’est pas dans les institutions, mais dans les personnes. Il n’y a pas dedémocratie, il n’y a que des démocrates »10.

NOTES

1. Y. Ben Achour, « Rien ne sera plus comme avant en Tunisie », Jeune Afrique, quotidien consulté

en novembre 2013 et disponible à l’adresse : www. jeuneafrique.com.

2. B. Boutros-Ghali, Le droit international à la recherche de ses valeurs : paix, développement,

démocratisation, RCADI, 2000, t. 286, p. 32.

3. Madjid BENCHIKH, « La confiscation du droit des peuples à l’autodétermination interne », in Droit

du pouvoir, pouvoir du droit, Mélanges offerts à Jean SALMON, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 808-809.

4. Il est tout à fait significatif que les conditions posées en matière de reconnaissance dans les

deux déclarations adoptées le 16 décembre 1991 à Bruxelles par les ministres des Affaires

étrangères des Etats membres de la Communauté économique européenne ne mentionnent pas le

critère de l’effectivité. En revanche, elles subordonnent la reconnaissance des nouveaux Etats

issus de la dissolution de la RSFY à plusieurs conditions. La première d’entre elles concerne « le

respect des dispositions de la Charte des Nations Unies et des engagements souscrits dans l’Acte

final d’Helsinki et la Charte de Paris, notamment en ce qui concerne l’Etat de droit, la démocratie

et les droits de l’homme »

5. Approuvée par référendum le 1er juillet 2011, la réforme constitutionnelle marocaine a infléchi

le régime dans le sens du respect des droits et des libertés, du renforcement du pouvoir exécutif,

de l'élargissement du domaine de la loi et de l'indépendance de la justice. Elle ne réduit

cependant pas les prérogatives du Roi, qui demeure au centre de la vie politique marocaine.

6. Pour de plus amples développements, cf. M-S BERGER « La Commission de Venise et

l’élaboration de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », Mélanges en l’honneur de Rafaâ Ben

Achour, à paraitre en 2015.

7. H. REDISSI, « La Constitution tunisienne de 2014. Raison publique et laïcité islamique », Esprit,

02 juillet 2014, disponible en ligne à l’adresse www.esprit.presse.fr, Rubrique Actualités,

consultée le 15 septembre 2014.

8. Comité des droits de l’homme, Observation générale n°22. Article13, 48ème session, Doc.HRI\GEN \1\Rev.1, 1993.

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9. La combinaison des principes de parité et d’alternance femme/homme dans les listes

présentées établie par l’article 16 du décret-loi électoral avait permis à environ 5.000 femmes

d’être candidates à l’élection. Quant au corps électoral, il était composé de 45% de femmes, ce qui

est une proportion honorable.

10. G. BURDEAU, La démocratie, Paris, Seuil, 1956, 185 p.

ABSTRACTS

The new constitutions in Arab countries are the product of the movement of revolt of peoples for

the democratization. The Tunisian and Egyptian constitutions grant a important place to the

fundamental rights. Such an importance leads us to question the place of the charî’a as for source

of legislation, the protection of women rights and the respect for the international conventions.

Les nouvelles constitutions dans les pays arabes sont la résultante du mouvement de révolte de

ces peuples pour la démocratisation. Les constitutions tunisienne et égyptienne accordent une

place importante aux droits fondamentaux. L’importance de ces droits nous conduit à

s’interroger sur la place de la charî’a comme source de la législation, sur la protection des droits

de la femme ainsi que sur le respect des engagements internationaux.

INDEX

Mots-clés: Constitution - Droits fondamentaux -Régime démocratique - Engagements

internationaux - Femme

Keywords: Constitution - Fundamental rights - Democracy - International conventions - Women

AUTHOR

RAHIM KHERAD

Rahim Kherad est professeur de droit public à l’université d’Angers, membre du Centre Maurice

Hauriou pour la recherche en droit public de l’université Paris Descartes (Sorbonne Cité). Ses

travaux portent principalement sur la notion d’Etat, le processus de démocratisation, la Cour

pénale internationale, les conflits internationaux et les droits de l’Homme. Il a organisé de

nombreux colloques autour de ces thématiques, dont un s’est tenu récemment à l’Institut du

monde arabe sur « la démocratisation dans le monde arabe : alternance pour quelle alternative ? ».

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La protection ambivalente del’égalité formelle dans laConstitution iranienne : après laRévolution de 1979Hiva Khedri

1 La célébration du 35e anniversaire de la Révolution islamique offre l’occasion de se

pencher sur la façon dont les constituants iraniens ont appliqué le principe d’égalité

formelle, c’est-à-dire la norme d’égale protection de la loi.

2 En 1979, l’Iran, l’un des pays les plus importants du monde musulman, a connu un

bouleversement politique, passant d’un régime monarchique à une « républiqueislamique » et adoptant comme nouvelle dénomination : « République islamiqued’Iran »1.

3 Tant au niveau national qu’au niveau international, ce bouleversement est connu sous

le nom de « Révolution islamique »2.

4 La naissance de ce nouveau régime a été marquée par l’adoption d’une nouvelle

Constitution. Les révolutionnaires ont élaboré cette Constitution sur un modèleclassique, avec un préambule et des articles répartis en chapitres bien délimités. Endécembre 1979, la Constitution a été approuvée lors d’un référendum puis, a étérévisée, en 19893.

5 Mais, comme le souligne à juste titre le professeur Jdalili :

6 « Comme son nom l’indique, la nature profonde de la révolution est une révolution dont les

visions, les références, les objectifs sont plus étroitement liés à l’islam qu’au fait national iranien.Elle s’adresse aux musulmans du monde entier et, au-delà, à tous les déshérités, du Sud comme

du Nord. […] le législateur islamique, une fois installé aux commandes, va traduire en

obligations constitutionnelles et légales ses prescriptions religieuses4. »

7 C’est dans cet esprit et sur un substrat idéologique précis que l’article 4 de la nouvelle

Constitution énonce :

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8 « L’ensemble des lois, des règlements civils, pénaux, financiers, économiques, administratifs,

culturels, militaires, politiques et autres doit être basé sur les préceptes de l’Islam. Ce principe

s’applique de manière absolue et générale à tous les articles de la Constitution ainsi qu’à toutes

les autres lois et tous les autres règlements, l’appréciation de cette matière est du ressort des

jurisconsultes religieux (fouqaha) membres du Conseil gardien5. »

9 Alors que l’un des grands héritages de la Révolution française de 1789 est le principe

d’égalité6, les révolutionnaires iraniens prennent un autre chemin. Ils ont opéré unautre choix, qui s’est traduit ; comme nous allons le voir, par des flagrantes inégalitésde droits entre citoyens iraniens.

10 D’emblée, il faut remarquer que le premier texte de la Constitution a été élaboré à

Paris, avant l’arrivée de l’ayatollah Khomeiny en Iran, en 1979. Ensuite, à Téhéran, auprintemps de la même année, une assemblée constituante a rédigé le premier projet deConstitution7.

11 Au mois d’août, l’Assemblée constituante est devenue l’« Assemblée des experts de la

Constitution », qui, dominée par le Parti de la République islamique, a permisprogressivement d’inclure des dispositions discriminatoires dans le projetconstitutionnel.

12 Le principe d’égalité est certes mentionné dans les articles 19 et 20. Toutefois, il existe

un grand problème, pour son application, qui réside à la fois dans sa formulation etdans son articulation avec les autres dispositions de la Constitution, notamment cellesqui traitent sur du sexe et de la religion. Il convient de préciser que la première versiondu projet constitutionnel n’avait pas mentionné les inégalités reposant sur le sexe. Ellefaisait néanmoins référence à la charia.

13 Dans cette étude, nous analyserons comment le constituant islamique assure la norme

d’égale protection de la loi -c’est-à-dire l’égalité formelle-, qui est prévue par l’article26 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques (ci-après PIDCP).

14 Nous allons nous concentrer sur l’égalité formelle, car c’est une norme fondamentale,

avec un caractère indérogeable, qui constitue la pierre angulaire de la protectioninternationale des droits de l’homme, affirmée tant par la Charte des Nations unies quepar tous les instruments internationaux de protection des droits de l’homme8.

15 Le PIDCP indique que toutes les personnes « ont droit sans discrimination à une égale

protection de la loi ». Afin de préciser ce que nous comprenons par la « norme d’égale

protection de la loi », nous avons emprunté la définition qui en est donnée par leprofesseur Olivier De Schutter :

16 « La règle qui garantit à tous une égale protection de la loi interdit les lois discriminatoires, c’est-

à-dire qui opèrent des différences de traitement entre catégories de destinataires qui n’ont pas de

justification objective et raisonnable (discrimination directe), ou bien qui, bien que d’apparence

neutres, entraînent une discrimination du fait de leur impact disproportionné sur une certaine

catégorie de personnes (discrimination indirecte)9. »

17 En somme, nous entendrons ici, par norme d’égale protection de la loi, une égalité formelle

qui s’adresse au législateur, à la différence de la règle garantissant l’égalité devant la loi,

qui s’adresse, quant à elle, aux responsables de l’application des lois au sein del’exécutif ou du judicaire10. Selon O. de Schutter, il existe une confusion conceptuelleentre ces deux types de normes. Pourtant, « ce sont des garanties distinctes, qui ne

s’impliquent pas nécessairement l’une l’autre »11.

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18 Il faut enfin rappeler que l’Iran, qui a ratifié les deux pactes internationaux de 1966, fait

aussi partie des signataires de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

19 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans son article 26, dispose :

20 « Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale

protection de la loi. À cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les

personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de

couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine

nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation12. »

21 Dans le cadre de ses engagements envers le pacte et plus précisément l’article 26 dudit

traité, se pose dès lors la question essentielle de savoir comment le constituantislamique assure la norme d’égale protection de la loi dans la Constitution13. Ce qu’onpourrait penser être à première vue, pour les citoyens du pays, une protection assurée

par les articles 19 et 20 (I), se révèle néanmoins être trompeuse et discriminatoire auregard de l’ensemble de la Constitution (II).

I. Une protection assurée en apparence par les articles19 et 20 de la Constitution

22 Pour une partie de la doctrine, les articles 19 et 20 de la Constitution iranienne

garantissent le principe d’égalité. En effet, l’article 19 de la Constitution iraniennedispose : « Tous les Iraniens, quelle que soit leur origine (tribu ou famille), jouissent de droits

égaux et la couleur, la race, la langue, etc., ne confèrent aucun privilège. »

A. Une égalité partiellement garantie par l’article 19

23 Le constituant semble énoncer, dans cet article 19, un article d’une portée normative

générale, voire illimitée et absolue. Mais il convient de remarquer que l’égalité formellene concerne en réalité que seulement quatre critères : l’« origine », la « race », la« couleur » et la « langue ».

24 Il ne précise pas d’autres éventuels motifs de discrimination, tels que le « sexe » ou la

« religion », ce qui soulève un problème au regard du Pacte14.

25 Afin de comprendre pourquoi le constituant religieux ne mentionne que ces seuls

motifs de couleur, de race et de langue ou d’origine, nous examinerons les discourstenus et les documents présentés par les autorités iraniennes devant les instancesonusiennes. Il est important, à ce propos, de relever que, en 1976, l’Iran a ratifié laConvention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discriminationraciale. En 1979, tout de suite après la Révolution, le gouvernement a présenté son 6e

Rapport périodique devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (ci-après CERD), malgré les évènements et la situation chaotique du pays. Le représentantiranien a indiqué que son gouvernement avait rédigé son premier rapport en toutehâte, « afin qu’après la Révolution iranienne le dialogue avec le Comité puisse être repris dès que

possible15 ».

26 Selon la délégation de la République islamique d’Iran :

27 « La République islamique de l’Iran apportera son plein appui au Comité dans tous les efforts

déployés pour éliminer la discrimination raciale. Le Rapport reflète la philosophie de la

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République d’Iran, fondée sur l’Islam. L’Islam respecte entièrement les droits et libertés

fondamentaux et, selon son enseignement, tous les êtres humains sont égaux ; il condamne toutes

les formes de discrimination fondées sur l’origine, la couleur ou la race16. »

28 On remarquera que ce rapport se limite aussi, pour la reconnaissance de l’égalité, à

trois critères : l’« origine », la « couleur » et la « race ». Dans le même esprit, à proposde la discrimination raciale, la République islamique d’Iran, dans son 8e Rapport

périodique 1984, a souligné :

29 « La discrimination raciale a toujours été étrangère à notre culture et à notre histoire, en

particulier depuis la conversion des Iraniens à l’islam. […]

30 Interrogé sur sa nationalité, le musulman parlera de l’unité religieuse et de son appartenance à

l’Ummah islamique (c’est-à-dire à la nation islamique). Par cette réponse ferme et globale fondée

sur le Coran, il a rejeté le racisme… »

31 Force est de constater que l’accent est mis sur le terme coranique d’Ummah qui désigne

la communauté des croyants par son unité religieuse et musulmane. Sur cette base, onestconduit à constater que la similarité entre le verset n° 13 de la sourate 49 et l’article19 de la constitution n’est pas due au hasard. Cette similarité est illustrée égalementdans un autre document présenté par l’Iran selon lequel :

32 « Le fondement philosophique de la République islamique de l’Iran étant l’Islam, c’est dans son

livre sacré, le Coran, que se trouvent les principes de base qui déterminent les relations sociales

en Iran. Le verset n° 13 de la Sourate 49 (Al-Hujurat) du Coran déclare : ’ O hommes, nous vous

avons procréés d’un homme et d’une femme, nous vous avons partagés en familles et tribus, afin

que vous vous connaissiez entre vous. Le plus digne devant le Dieu est celui d’entre vous qui

craint le plus Dieu. Or Dieu est savant et instruit de tout.’ Ainsi, seule la foi confère à l’homme

une dignité particulière, et ce verset condamne en fait, et avec une autorité supérieure à celle de

toute loi humaine, toute discrimination, qu’elle soit fondée sur l’origine, la couleur ou la

race. Cette loi divine se trouve transposée dans l’article 19 de la Constitution de la République

islamique d’Iran17. »

33 Le caractère religieux de l’article 19 de la Constitution, qui fonde le principe d’égalité

formelle sur les motifs d’origine, de couleur et de race, peut dès lors s’expliquer. End’autres termes, ce principe ne découle pas d’une philosophie universaliste fondée surl’obligation de protéger des droits de l’homme, mais d’un principe religieux. Leconstituant assure donc, en partie, le principe d’égalité formelle car l’islam a proscrit ladiscrimination en raison de l’origine, de la couleur ou de la race des personnes.

34 S’agissant du critère de la langue, il n’est pas en contradiction avec l’islam : le

constituant religieux le prend en considération en raison de la diversité ethnique etlinguistique existant en Iran18. Malgré cette interprétation, quant au droit garanti parl’article 19, la doctrine est divisée sur la portée dudit article. Certains seraient d’avisque l’article 19 de la constitution présente une norme avec une portée générale, lescritères retenus faisant force d’exemple. En outre, la locution adverbale « etc »donnerait une portée non limitée à la norme d’égale protection de la loi énoncée par leditarticle19. Or, si l’on prend en compte les diverses dispositions de la Constitution, cetteassertion n’est pas solidement fondée. L’unité du texte constitutionnel peut nous amener àconsidérer que l’expression « etc » est trompeuse20.

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B. Une égalité conditionnée par l’article 20 de la Constitution

35 Certains spécialistes tentent de pallier l’insuffisante protection accordée aux citoyens

par le principe de l’égalité formelle de l’article 19 en faisant appel à une autredisposition de la loi. M.R. Dolatraftar s’appuie ainsi sur l’article 20 de laConstitution selon lequel :

36 « tous les individus de la nation, aussi bien les femmes que les hommes, sont de façon égale sous

la protection de la loi et jouissent de tous les droits humains, politiques, économiques, sociaux et

culturels, dans le respect des préceptes de l’Islam21 ».

37 L’auteur soutient que, par le biais du rattachement de l’article 20 à l’article 19, une

éventuelle lacune juridique serait couverte. Mais il ne prend pas en considération lecaractère ambigu de cette notion de « préceptes de l’Islam ». Etant donné le manque declarté et de prévisibilité que cette notion recèle, elle peut en effet difficilement parfairele principe d’égalité formelle. Son application pose dès lors de sérieux problèmes. Avecune formulation si vague, comment savoir en effet jusqu’où, exactement, elle peutaméliorer les droits d’individus mal protégés par le principe d’égalité formelle ?

38 En effet, comment savoir à quelle obédience religieuse l’on se réfère (chiite ou sunnite)

? A quelle interprétation de la doctrine ? Dans le cas où, par exemple, l’on se réfère àl’islam chiite (religion d’Etat) : à quelle école de pensée ? Car, au sein de l’islam chiitemême, existent des courants de pensée divergents. N’est-il pas toujours possible, àpartir d’une divergence d’interprétation de la charia, de considérer une idée ou uncomportement comme nuisible aux « préceptes de l’Islam » ? Ne peut-on pas considérermême que, dans le cas improbable où ces « préceptes de l’Islam » mentionnés dansl’article 20 auraient été clairement définis, le principe d’égalité formelle serait tout demême violé, l’association d’accorder une égale protection de la loi (comme un droitfondamental) aux citoyens, avec le respect de préceptes d’une religion constituantintrinsèquement une violation du principe d’égalité ?

39 En effet, les restrictions imposées par l’article 20 au droit à l’égalité formelle n’ont pas

de justification objective et raisonnable, et, dans ces conditions, le manque de clarté etde prévisibilité que recèle la notion « dans le respect des préceptes de l’Islam » peut toutaussi bien ouvrir la voie à des restrictions d’accès aux droits prévus par le Pacte,notamment aux libertés de pensée, de conscience et de religion, à la libertéd’expression, à l’exercice de la liberté de réunion et d’association.

40 Les individus et les membres de partis politiques qui ne partagent pas les convictions

des autorités sur la « pensée islamique » ou expriment des opinions divergentspourraient être victimes d’une discrimination légale.

41 En conclusion, l’expression « dans le respect des préceptes de l’Islam » contenue dans

l’article 20 de la Constitution ne protège pas de manière égalitaire les citoyens iraniens,car avec cette formulation, le constituant religieux « donne d’une main pour mieuxreprendre de l’autre ».

II. Une protection trompeuse au regard de l’ensemblede la Constitution

42 S’agissant de l’égalité formelle, la Constitution iranienne ne prend pas en compte certains

critères comme celui de sexe (A) ou ceux de la conviction et de la religion (B). Bien

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évidemment les conséquences qui en résultent sont des lois discriminatoires qui n’ontpas de fondement ni de justification objective et raisonnable. On retrouve lesconséquences dans l’ensemble de la législation iranienne, surtout en matière civile etpénale22.

A. Des inégalités fondées sur le sexe

43 Il existe une différence de traitement entre hommes et femmes dans la Constitution, du

moins concernant certains droits politiques dont sont privées les femmes. En effet,faute d’harmonie dans l’ensemble de la Constitution, on ne saurait adopter uneinterprétation large de l’article 19. Par conséquent, en ce qui concerne les femmes, leprincipe d’égalité formelle n’est pas assuré par l’article 19 de la Constitution, car il estdans l’intention du pouvoir constituant d’écarter la prohibition de la discriminationfondée sur le sexe de la portée dudit article.

44 Autrement dit, la différence de traitement entre hommes et femmes instituée dans

l’ensemble des dispositions de la Constitution ne nous permet pas d’affirmer quel’article 19 a une large portée ni d’affirmer qu’une égale protection de la loi s’applique àtous les individus. La Constitution opère une discrimination à l’égard des femmes,directe et indirecte, fondée sur l’appartenance sexuelle (le genre) ; celles-ci ne jouissentpas des mêmes droits politiques que les hommes.

45 Nous allons voir également que, dans la Constitution iranienne, les droits des femmes

varient : ils ne sont pas semblables suivant qu’il s’agit d’être éligibles (1) ou électrices(2).

1. Le droit d’être élue

46 Le droit d’être élues pour les femmes iraniennes varie selon l’institution devant

laquelle elles se présentent. Il a été soutenu qu’en vertu de la Constitution les femmesseraient exclues des postes de Guide suprême, de membre de l’Assemblée des experts, duConseil gardien, du Conseil pour le discernement de l’intérêt du régime islamique (ci-aprèsCDIRI), de président et de chef du pouvoir judiciaire23.

47 Ces postes ont été réservés exclusivement aux hommes dont la plupart sont aussi des

religieux24. Pourtant, cet avis n’est pas partagé par tous les universitaires, à tout lemoins, concernant quelques postes.

a) Le président de la République islamique

48 Le président de la République islamique est élu au suffrage universel direct25. Selon les

conditions prévues par le constituant, le candidat à l’élection présidentielle doit:

49 Etre un homme [rodjale] religieux et politique ;

50 De nationalité iranienne et d’origine iranienne26 ;

51 Gestionnaire, avisé et habile ;

52 Pourvu de bons antécédents, digne de confiance et vertueux ;

53 Pieux et attaché aux fondements de la république islamique ;

54 Avoir la religion officielle du pays (l’islam de confession chiite Dja’farite duodécimain).

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55 Il convient de préciser qu’il existe deux interprétations opposées concernant le droit

d’accès à la fonction présidentielle pour les femmes. Elles se fondent sur le sens donné àun terme : celui de Rodjal. Il y a ceux pour qui ce terme aurait une double significationdans la langue persane et se traduirait par « personnalité » ou/et « dignitaires »,religieux et politiques27 sans indication de genre. Pour ceux-là, les femmes pourraientainsi accéder à la fonction présidentielle. Mais il y a aussi ceux qui, se référant à uneversion terminologique arabe, considèrent que Rodjale est le pluriel du mot d’originearabe Radjole (qui signifie « homme »). Ils excluent donc les femmes de la fonctionprésidentielle à laquelle elles aspireraient. Ainsi, pour le Professeur S.M. Hachémie, enlangue arabe (l’origine du mot), rodjale désigne les seuls « hommes » (s’opposant auterme « Néssa’, désignant les « femmes »)28. En outre, cette définition est bien préciséedans le grand dictionnaire de la langue persane, Farhang-é-Moine29. Pareillement, lajuriste iranienne M. Kar, estime qu’il ne faut pas ignorer la signification masculine(signification genrée) de la notion rodjale30.

56 Il est ici important de préciser que, dans le premier projet de la loi constitutionnelle, il

n’existait aucun critère fondé sur le sexe31. C’est à la suite du processus d’élaboration duprojet de Constitution que ce mot rodjale a été ajouté. Ayatollah Khomeiny s’était eneffet opposé à la présidentielle pour les femmes. Il considérait que puisque, selon lacharia, les femmes ne pouvaient pas être juges, elles ne pouvaient pas non plus devenirprésidente de la République islamique32.

57 Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que, jusqu’à présent, le « Conseil gardien »33

qui est l’organe de contrôle de la validité des candidatures, n’ait validé le nom d’aucunecandidate. Le Conseil gardien, à chaque élection présidentielle, les a exclues des listesquelle qu’aient été leurs compétences. Pour ne citer que cet exemple, aucune des trentefemmes ayant déposé leurs candidatures pour la dernière élection présidentielle du 14juin 2013 n’a été admise à être éligible 34.

b) Les membres de l’Assemblée des experts

58 A l’heure actuelle, l’Assemblée des experts (Majlis-e-khobregân) compte quatre-vingt-six

religieux, élus au suffrage universel direct pour un mandat de huit ans. La désignationet la révocation du Guide suprême est à la charge de cette Assemblée35. Ces religieuxont aussi la tâche de réviser la Constitution en collaboration avec les autres membresdu groupe d’une éventuelle révision constitutionnelle36.

59 Le constituant reste silencieux sur l’identité sexuelle requise pour se porter candidat à

devenir membre de l’Assemblée des experts. Cela peut laisser croire que rien n’interditaux femmes de se présenter à cette élection.

60 Toutefois, il faut souligner que l’une des conditions prévues par la loi électorale pour

être élu membre de l’Assemblée des experts est d’être jurisconsulte religieux(Mojtahid)37. Or, en ce qui concerne l’Ijtihad38des femmes, le droit à l’interprétation desédits par les femmes, les opinions divergent. Certains affirment qu’il est absolumentinterdit aux femmes d’être Mojtahid, car, selon eux, le Coran a interdit aux femmes dedélivrer des édits religieux. D’autres acceptent que les femmes soient Mojtahid, mais àcondition que leurs édits ne concernent que les femmes (la référence fatwa n’est valableque pour les femmes). Enfin, d’autres encore, très minoritaires, acceptent leurnomination39. Quoi qu’il en soit, jusqu’à maintenant, aucune femme n’a été éluemembre de cette Assemblée des experts.

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c) Le Guide suprême

61 Le Guide suprême40 est désigné par les experts élus par le peuple (l’Assemblée des experts

susmentionnée) pour un mandat à durée indéterminée. Il joue un rôle à la fois religieuxet politique reposant sur le concept de tutelle absolue du jurisconsulte religieux41. D’aprèsle Professeur Hachémi, puisque le peuple choisit les membres de l’Assemblée desexperts pour qu’ils élisent à leur tour le Guide suprême, ce système est comparable ausystème parlementaire42.

62 Il est important de souligner que les conditions exigées du Guide, prévues par la

Constitution, ne mentionnent pas explicitement l’identité sexuelle. D’après M. Kar,puisque la Constitution ne mentionne pas explicitement l’appartenance au sexemasculin comme condition préalable à la désignation comme Guide suprême, unefemme peut être désignée à ce poste au même titre qu’un homme. Mais cet avis n’estpas partagé par tous les auteurs. Le juriste iranien M. Hachémi, par exemple, souligneque, pour occuper le poste de Guide suprême, l’un des critères principaux estl’appartenance au sexe masculin, bien que cette appartenance ne soit pas explicitementinscrite parmi les conditions requises. Il précise qu’il est impossible pour une Iraniennede devenir Guide suprême.

63 Les deux camps ont fondé leurs argumentations sur le sujet controversé de l’accès des

femmes iraniennes à la magistrature, mais ils en tirent des résultats différents.

64 En la matière, M. Kar s’appuie sur les idées de l’ayatollah Youssef San‘i, selon qui l’islam

n’interdit pas aux femmes de devenir juges ni d’émettre des édits religieux ou dediriger le pays43.

65 En revanche, S.M. Hachémi considère que, puisque pour la majorité absolue des clercs

les femmes ne sont pas autorisées à avoir accès à un poste de magistrat44, elles nepeuvent pas non plus, a fortiori, être désignées comme Guide suprême.

66 D’autres auteurs fondent leur argumentation sur l’idée que l’islam impose aux femmes

un statut juridique subalterne, au moins au sein de la famille et dans la vie conjugale, seréfèrant aux versets coraniques qui déclarent : « Les hommes ont autorité sur les femmes en

raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils

font de leurs biens45 », ou encore à un autre verset : « Quant à elles[les femmes], elles ont des

droits équivalents à leurs obligations, conformément à la bienséance. Mais les hommes ont

cependant une prédominance sur elles »46. De même, se référant au Coran, les clercs dehaut rang soutiennent que :

67 « Même dans l’hypothèse où on entend par les versets coraniques la domination masculine en

milieu familial, si Allah tout-Puissant ne permet pas à une femme d’avoir le contrôle et l’autorité

sur son propre petit foyer, comment serait-elle autorisée à avoir le contrôle et l’autorité sur

l’ensemble des foyers de la population et l’Ummah islamique47 ? »

68 Par conséquent, en vertu de la doctrine religieuse dominante, la prééminence48 de

l’homme est une préférence divine qui ne supporte aucune contestation49. Bien qu’iln’existe aucun consensus en la matière donc50, la jurisprudence51 islamique présenteune entrave majeure à l’accès des femmes au poste de Guide suprême en Iran. Laposition politique subalterne des femmes en Iran est la conséquence de cette visionconservatrice transposée dans la Constitution après la révolution de 1979. Parconséquent, même avec une interprétation stricte, l’inéligibilité des femmes iraniennesdemeure dans la Constitution, à tout le moins pour les fonctions susmentionnées.

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69 A l’exception de l’Assemblée des experts52, où les musulmans sunnites sont autorisés à

présenter leur candidature, les débats sur la candidature aux postes susmentionnésconcerne exclusivement les femmes musulmanes pratiquant la religion officielle dupays, l’obédience chiite Djafarite duodécimaine. Les citoyennes iraniennes nonmusulmanes sont automatiquement exclues en raison des conditions exigées dans laConstitution.

70 Nous pouvons ainsi considérer cette incapacité juridique des femmes non musulmanes

comme relevant d’un ostracisme supplémentaire s’ajoutant à l’ostracisme dû à lahiérarchie des sexes déjà existante53.

2. Le droit d’être électrice

71 En revanche, les citoyennes iraniennes sont autorisées à voter quelle que soit leur

religion54. En réalité, c’est en 1963 que les femmes ont obtenu le droit de vote malgrél’opposition de l’ayatollah Khomeiny et du clergé de haut rang55. L’ayatollah Khomeiny,en adressant un télégramme au Chah d’Iran, avait déclaré que l’octroi des droitspolitiques aux femmes était incompatible avec l’islam :

72 « En octroyant le droit de vote aux femmes, le gouvernement a enfreint l’islam et a provoqué

l’inquiétude des oulémas et autres musulmans56 .»

73 Cependant, après l’établissement du régime islamique et malgré la régression des droits

des femmes, le droit de vote a été maintenu. Par conséquent, les citoyennes iraniennesont le droit de se rendre aux urnes et de participer aux élections des conseils locaux,lors des élections municipales, aux élections législatives, aux élections présidentielles,aux élections de l’Assemblée des experts ainsi qu’aux référendums57.

74 En revanche, l’exercice du droit de vote est dorénavant freiné par une sélection des

candidats en fonction de critères prédéterminés, subjectifs et discriminatoires. Avantchaque élection, un choix est opéré par les organes de contrôle parmi ceux quipostulent à un poste éligible. A titre d’exemple, pour l’élection législative, aux termesde l’article 99, le Conseil gardien supervise les candidatures, écarte certaines personnesen fonction de leur religion, de leur l’opinion politique ou de son expression... Parconséquent, la restriction imposée limite le choix des électeurs. Une telle pratique va àl’encontre de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politique.

75 En somme, la Constitution prive les femmes du droit prendre part à la direction des

affaires publiques. Le droit de vote et le droit d’accéder, dans des conditions généralesd’égalité, à des fonctions nationales, ne sont pas assurés pour les femmes58. Comme lesouligne à juste titre le professeur Kian-Thiebaud, « la révolution de 1979 ainstitutionnalisé les inégalités entre les sexes59 ».

B. Des inégalités fondées sur la religion

76 Par ailleurs, le constituant religieux a créé juridiquement une distinction fondée sur la

religion et la croyance des iraniens. Cette distinction aboutit à des limitations etrestrictions de la pleine jouissance des droits des citoyens selon leur appartenancereligieuse. De ce fait, le statut juridique des adeptes de l’islam (1) est différent de celuides non-musulmans (2).

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1. Le statut juridique des musulmans et les différences d’accès aux droits selon

l’obédience religieuse

77 L’article 12 de la Constitution dispose que « la religion officielle de l’Iran est l’islam de

confession chiite Dja’farite duodécimain, et que « cet article est éternellementimmuable ». Comme le Comité des droits de l’homme le souligne, la reconnaissanced’une religion donnée dans la Constitution n’est pas elle-même discriminatoire60.Pourtant, le constituant religieux ne s’arrête pas à la seule reconnaissance d’unereligion donnée comme religion d’Etat. Il va plus loin, accordant certains privilèges auxmembres de la religion prédominante et officielle du pays.

a) La différence entre les musulmans dans l’exercice des droits

78 La Constitution, dans cet article 12, opère une distinction entre musulmans de croyance

chiite et sunnite, et énumère cinq confessions religieuses susceptibles de bénéficierd’une liberté confessionnelle. Quatre écoles sunnites y sont énumérées : Hanéfite,

Chaféite, Malékite et Hanbalite, le constituant énonçant « qu’elles bénéficient d’un respect

intégrale ». D’après le constituant, les adeptes de ces confessions sont libres d’accomplirleurs rites religieux selon leur jurisprudence religieuse fiqh. Ils sont libres de décider deleur éducation et de leur instruction religieuse, ainsi que de leur statut personnel(mariage, divorce, succession, testament) et le contentieux judiciaire qui peuventdécouler de ce statut sont reconnus officiellement… Outre ces quatre écoles sunnites,est mentionné à leur côté le nom d’une obédience chiite dite Zaydite. L’article 12reconnait des droits et libertés à ces cinq obédiences.

79 S’agissant de à la jouissance des droits et libertés, le constituant ne prévoit pas une

égale protection de la Constitution. Selon le constituant, seuls les cinq adeptesénumérés dans cette disposition bénéficient d’un égal respect dont les conséquences

juridiques diffèrent de la protection égale énoncée par l’article 26 du pacte. L’égalitéformelle n’est donc pas non plus garantie entièrement pour les cinq adeptes énuméréspar l’article 12 de la Constitution. Dès lors, cela va de soi, l’article 12 de la Constitutionlimite la portée de l’article 19. Autrement dit, s’agissant des citoyens musulmans nonchiites reconnus par la Constitution, le constituant précise qu’ils sont respectés, mais ilne dit pas qu’ils sont égaux avec les citoyens chiites de la confession D’jafarite

duodécimain. Les différences quant aux conséquences juridiques des deux concepts sontflagrantes.

80 Par ailleurs, le constituant religieux n’énumère qu’une seul confession de l’islam chiite,

ainsi que quatre écoles sunnites. Il exclut ainsi de la jouissance des droits et libertésconstitutionnels aux autres obédiences de l’islam (par exemple, l’obédience ismaéliteissue de l’islam chiite, est exclue)61.

b) Le privilège accordé à la religion d’Etat chiite Dja’farite duodécimain

81 Le rédacteur de la Constitution manifeste une volonté délibérée d’accorder des

privilèges à la religion d’Etat, en l’occurrence l’obédience chiite Dja’farite duodécimain.

Comme on l’a mentionné précédemment, l’éligibilité à la présidence ou l’accès àcertaines fonctions publiques sont exclusivement réservés aux croyants de cettereligion.

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82 Depuis la révolution 1979, en outre, la pratique du régime affirme aussi une distinction

au bénéfice de la religion officielle puisque les musulmans ayant une autre confessionque chiite Dja’farite duodécimain sont exclus des postes de Guide suprême, du Conseil desgardiens, du Conseil pour le discernement de l’intérêt du régime islamique et de chefdu pouvoir judiciaire. Dans la Constitution, on constate une distinction entre lescroyants de différents courants de l’islam.

2. Le statut juridique des non-musulmans : une différence de traitement

83 L’application de la norme d’égale protection de la loi se trouve davantage restreinte

pour les Iraniens non musulmans. La Constitution distingue implicitement maisclairement les non-musulmans en deux catégories : les non-musulmans reconnus par laConstitution (a) et les non-musulmans non reconnus par elle et dépourvus de droits.

a) Les non-musulmans reconnus par la Constitution

84 En la matière, l’article 13 dispose : « Les Iraniens zoroastriens, juifs et chrétiens sont

reconnus comme les seules minorités religieuses qui, dans les limites de la loi, sontlibres d’accomplir leurs rites religieux et, quant au statut personnel et à l’éducationreligieuse, agissent en conformité avec leur liturgie ».

85 Plusieurs éléments peuvent être soulignés au sujet de cet article. D’une part, les

minorités reconnues dans cet article sont certes « libres d’accomplir leurs ritesreligieux », mais cette liberté est définie par des lois qui ne sont ni claires ni précises.D’autre part, pour ces mêmes minorités religieuses, l’article est également très ambigusur leur droit de manifester leur conviction. En effet, comme le signale à juste titre leprofesseur Sudre en se fondant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droitsde l’homme: « le droit de manifester sa religion inclut […] ‘ le droit d’essayer deconvaincre son prochain’, protégeant en conséquence le prosélytisme 62». Or, en Iran, laréponse à la question de savoir si « les minorités religieuses reconnues par l’article 13sont libres de convertir les autres citoyens - y compris les Iraniens musulmans- à leursreligions »63 n’est pas claire. En outre, un défi majeur demeure car, si le constituant secontente de reconnaître des minorités religieuses en leur accordant quelques libertés,cela n’implique pas une égale protection de la loi quant à la pleine jouissance des droitset libertés prévus par les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

86 De nombreux exemples peuvent illustrer le non-respect de la norme d’égale protection

de la loi vis-à-vis des non-musulmans et des minorités religieuses dans les loisordinaires, comme le Code civil et le Code pénal, ce qui instaure une discriminationlégale envers les minorités religieuses reconnues par l’article 13 : « la religion del’auteur ou de la victime de l’homicide volontaire ou involontaire influe » notamment« sur la réponse pénale en droit iranien64 ». Enfin, l’une des critiques adressées auconstituant religieux réside aussi dans l’exclusivité65 de la reconnaissance du statut deminorités religieuses aux seules trois anciennes religions monothéistes.

b) L’absence de reconnaissance des non-musulmans dans la Constitution

87 Force est de constater que le constituant, en mettant l’accent sur « les seules minorités

religieuses reconnues », écarte les citoyens non musulmans ayant une autre confessionque celles énumérées par la Constitution. Les adeptes d’autres religions - comme les

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Bahaïs66, Mandâiyyaân (adeptes du mandéisme)67, les Yârsân68…- se retrouvent sansaucune protection légale.

88 Face à ce constat, certains auteurs soutiennent que l’absence de prise en compte

d’autres religions par l’article 13 pourrait être compensée par l’article 20 de laConstitution selon lequel, on le rappelle, tous les hommes bénéficient de façon égale dela protection de la loi et jouissent de tous les droits, mais « dans le respect des « critères

de l’Islam », entendu dans le respect de la pratique religieuse islamique telle qu’instituéepar la Révolution. La solution proposée ne comble toutefois pas le vide juridique. Nousavons déjà souligné que les termes « dans le respect des critères de l’islam » constituent unobstacle à l’application et la garantie d’une égale protection de la loi. C’est uneexpression vague et imprécise. En prenant en considération l’ensemble des loisiraniennes, les adeptes des nouvelles religions - y compris des religions nées aprèsl’islam- ne sont pas protégés, et sont même parfois considérés comme des hérétiques envertu de certaines interprétations de ces critères. A tout le moins, en ce qui concernel’égalité formelle, ils ne sont pas protégés au même titre que les citoyens pratiquant lareligion officielle.

89 La préférence des rédacteurs de la Constitution pour les anciennes religions

monothéistes reconnues par l’islam – bien qu’il ne les protège pas au même titre que lescitoyens musulmans chiites de confession D’jafarite duodécimain – est évidente et a pourbut d’écarter les nouvelles religions. Un constat comparable s’applique aux citoyensnon-croyants ou aux athées. L’article 20 ne pourrait non plus s’appliquer aux athées, dufait du « respect des critères de l’islam ».

90 En somme, bien que le constituant religieux prétende avoir assuré l’égalité formelle aux

termes des articles 19 et 20 de la Constitution, le corpus constitutionnel (l’unité dutexte constitutionnel) montre que la norme fondamentale et indérogeable d’égale

protection de la loi n’emporte pas d’obligation constitutionnelle effective. A contrario, ense fondant sur la nature idéologique de la révolution islamique de 1979 et sur desprescriptions religieuses, le pouvoir constituant a institué une discrimination entre lesiraniens (citoyens) en plaçant certains individus dans une situation de supérioritéjuridique. Une discrimination de jure, résultant des différences de traitement fondées,implicitement et explicitement, sur les critères de sexe, de religion et de conviction quine sont ni raisonnablement ni objectivement justifiées. Au regard du postulat général de

l’égale dignité de tous les êtres humains69 issu des engagements de l’Iran envers PIDCP ainsique d’autres instruments internationaux de protection des droits de l’homme, unerévision constitutionnelle nous parait donc nécessaire.

NOTES

1. DJALILI Mohamad-Reza, «Dimension internationales de la révolution islamique », in SFDI,

Révolution et droit international : Colloque de Dijon, Paris, Pedone, 1989, pp. 129-143.

2. Selon certains auteurs, ce régime s’est construit à partir des rapports de force établis, après la

Révolution, entre les différents courants politiques qui l’avaient conduit à la victoire, et

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différents groupes d’opposition de gauche ou de droite. Cf. PARHAM Ramin et TAUBMANN

Michel, L’histoire secrète de la Révolution iranienne, Paris, Denoël, 2009. Selon le professeur

Khosrokhavar « l’élan révolutionnaire de 1979 débute par le mouvement de protestation d’un groupe

restreint d’intellectuels laïques, une année avant la révolution islamique. En ce moment, les islamistes n’ont

encore aucune présence massive sur la scène sociale. » KHOSROKHAVAR Fardad, « Les intellectuels

post-islamistes en Iran », in Le Trimestre du monde, 1994, p. 59. Sur l’histoire de la Révolution

iranienne Cf. AMIRARJPMAND Saïd, The Turban for the Crown: The Islamic Revolution in Iran, New

York, Oxford University Press, 1998, p. 283. Pour une analyse sociologique de la révolution

iranienne Cf. KHOSROKHAVAR Farhad, L’utopie sacrifiée : sociologie de la révolution iranienne, Paris,

Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1993, p. 337. Du même auteur Cf.

L’anthropologie de la révolution iranienne : le rêve impossible, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 271.

Egalement l’article de KHOSROKHAVAR Farhad, « révolution française et révolution islamique,

esquisse d’une comparaison », in L’image de la Révolution française : communication/ présentées lors

du Congrès mondial pour le bicentenaire de la Révolution, Michel VOVELLE (dir.), Sorbonne, Paris, 6-12

juillet 1989. pp. 1841-8. Voir aussi, FOULADVIND Hamed, « les jacobins de l’islam : éléments pour

une approche comparative», Ibid. p. 1849. Cf. DELANNOY Christian et RICHARD Jean-Pierre,

Khomeiny : la Révolution trahie, Paris, Éditions Carrère, 1988.

3. CLARET DE FLEURIEU Marie, L’Etat musulman, entre l’idéal islamique et les contraintes du monde

temporel : la relativité de l’impact de l’islam sur le droit constitutionnel des Etats musulmans, Thèse de

doctorat, Droit public, Université René Descartes, Paris 5, I vol, 2009, p. 222. Elle comporte un

préambule, 14 chapitres, et 177 articles. (« Principes généraux », « Les droit à la nation », « Le droit de

souveraineté populaire et les pouvoirs qui en découlent », « La révision de la Constitution »,…), ibid.

4. DJALILI Mohamad-Reza, «Dimension internationales de la révolution islamique », in SFDI,

Révolution et droit international : Colloque de Dijon, op.cit., pp. 130 et 131.

5. Il faut noter que pour la première fois c’est l’article 2 de la Constitution de 1906-1907 qui

prévoit l’interdiction pour l’Assemblée nationale d’adopter des lois contraires aux règles de

l’islam. Cela a été introduit dans la Constitution par les clergés chiites.

6. AUBIN Claire et JOLY Benjamin, « De l’égalité à la non-discrimination : le développement d’une

politique européenne et ses effets sur l’approche française, in Droit Social, n° 12, décembre 2007,

p. 1295. Pour une comparaison entre la révolution iranienne et la révolution française voir

l’article : AULAGNE Françoise et GOLDSTONE Jack, « Révolutions dans l’histoire et l’histoire de la

révolution », in Revue française de sociologie, n° 30-3-4,1989. pp. 405-429.

7. L’actuel président de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), M. Karim

Lahidji, a fait partie des cinq membres de l’Assemblée constituante. Au fil de l’évolution du

régime politique il a dû s’exiler en France en 1982. SCHIRAZI Asghar, The Constitution of Iran.

Politics and State in the Islamic Republic (traduit de l’allemand par John O’Kane), Londres-New York,

I.B. Tauris, 1998.

8. SUDRE Frédéric, Droit européen et international des droits de l’homme, 9e éd. Paris, PUF, 2012, p.

269. Voir également Obs. gén. n°18, CCPR/C/21/Rev. (Non-discrimination), par. 2. 19 mai 1989.

9. DE SCHUTTER Olivier, « article 26 », in Le pacte international relatif aux droits civils et politique :

Commentaire article par article, DECAUX Emmanuel (dir.), Paris, Economica, 2011, p. 580.

10. Ibid.

11. Ibid.

12. L’article 7 de la DUDH prévoit que : « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à

une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait

la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination ».

13. Nous nous bornons à examiner la constitution car l’analyse de l’ensemble de la législation

iranienne nécessite une étude vaste et approfondie. Néanmoins au cours de la présente étude,

quelques exemples seront avancés afin de renforcer les arguments présentés.

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14. Cela a été relevé par les membres du Comité des droits de l’homme à plusieurs reprises : la

Constitution ne précise pas qu’il ne saurait y avoir de discriminations fondées sur le sexe ou la

religion. Cf., CCPR/C/28/Add.15.

15. 6e rapport périodique d’Iran, CERD/C/66/Add.5, soumis le 28 décembre 1979.

16. Ibid.

17. 8e rapport périodique d’Iran, CERD/C/118/Add.12, soumis le 20 juin 1984.

18. La population iranienne est constituée de diverses ethnies et langues dont les Arabes, les

Azéris, les Baloutches, les Kurdes, les Lors, les Perses, les Turkmènes, etc. Cf. CERD/C/IRN/20 et

CERD/C/IRN/18-19, 7 November 2008.

19. Cf., DOLATRAFTAR HAGHIGHI Mohamad-reza, Human Rights in Contemporary World, Viewpoints

of Iranian Lawyers & Islamic Scholars: On the Occasion of the 60th Anniversary of DUHR, Qom, Etnésharté

aain-é-ahmad, 2009, p. 459.

20. Nous allons étudier quelques dispositions discriminatoires de la Constitution qui, n’ont pas de

justifications objectives et raisonnables, dans la deuxième partie de cette étude.

21. Cf., DOLATRAFTAR HAGHIGHI Mohamad-reza, Human Rights in Contemporary World, Viewpoints

of Iranian Lawyers & Islamic Scholars: On the Occasion of the 60th Anniversary of DUHR, Qom, Etnésharté

aain-é-ahmad, 2009, p.459.

22. De nombreux exemples dans différentes lois iraniennes peuvent illustrer cette discrimination

fondée directement sur le sexe la religion ou l’opinion politique. On peut signaler à titre

d’exemple un traitement différent suivant le sexe ou la religion de l’individu en droit pénal

iranien. « le sexe féminin de l’auteur ou de la victime de certaines infraction [,,,]influe sur le traitement

pénal qui leur est réservé ; ou bien la religion de l’auteur ou de la victime de l’homicide volontaire ou

involontaire influe également sur la réponse pénale en droit iranien. », NADJAFI Ali-Hossein, « La

réception des instruments internationaux en droit pénal iranien : une réception tumultueuse » in

Archives de politique criminelle, n° 25, 2003/1. p.190. URL : www.cairn.info/revue-archives-de-

politique-criminelle-2003-1-page-183.htm. Au sein de la législation iranienne, on peut également

donner l’exemple des enfants nés hors mariage, discriminés par rapport aux enfants issus d’une

union maritale.

23. Dans une perspective historique il est important de signaler qu’avant la révolution les

femmes iraniennes n’avaient obtenu leur droit d’éligibilité qu’en 1963. En 1975, on comptait trois

femmes au Sénat. Voir KIAN-THIEBAUT Azadeh, « Des résistances conservatrices à la citoyenneté

politique des femmes », in Femmes et parlements. Un regard international, TREMBLAY Manon (dir.),

Montréal. Éditions du Remue-ménage, 2005, pp. 225-249.

24. TOHIDI Nayereh, « Iran country rating», in Women’s rights in Middle East and North Africa:

Progress Amid Resistance. Freedom in the World, KELLY Sanja and BRESLIN (dir.), Lanham Maryland,

Rowman Littlefield Publishers, 2010, pp.125.

25. L’article 114 de la constitution stipule que : « le président de la république est élu au suffrage

universel direct pour une période de quatre ans et sa réélection consécutive n’est possible que pour un seul

mandat. »

26. Le critère d’« origine iranienne » implique une double discrimination : d’une part,envers les femmes (car la famille du candidat doit avoir une « origine paternelleiranienne », ce qui constitue une discrimination directement fondée sur le sexe) ;d’autre part, envers les citoyens de nationalité iranienne qui ne sont pas d’origineiranienne (condition également imparfaitement définie dans la Constitution).Toutefois, selon le professeur Hachemi, le critère d’origine iranienne va au-delà de lanationalité par filiation. Le candidat doit être né d’un père et aussi d’un grand-pèrepaternel de nationalité iranienne par filiation. Autrement dit, dans le cas où le grand-père aurait acquis la nationalité iranienne, le candidat ne saurait pas être considéréd’origine iranienne, et donc ne remplirait pas la « condition d’origine iranienne ».

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HACHEMI S.M, Droit constitutionnel iranien : Souveraineté et institutions politiques, Tome II,Téhéran, Dadgostar, 199, pp. 334.

27. Pour aller plus loin, voir KAR Mehrangiz, rafa’-é tab’eez az zanan, Muqayesey-é konvansion-é rafa’

tab’eez az zanan ba qawaniné dakheliy-é Iran (L’élimination de la discrimination à l’égard des

femmes : la comparaison entre la Convention sur l’élimination de toutes les formes de

discrimination à l’égard des femmes et les lois internes en Iran), Téhéran, Nachr-é ghatreh (203),

2000. Et REISI Mahdi, Barresi-é féqhi va hoqouqi-é élhaq ya adam-é élhaq-é- jomhouri-é éslami-é

Iran bé konvansion-é rafé koliéh-é- ashkalé tab’eez alayheh zana (la convention sur les femmes :

une étude de Charia et de droit de l’adhésion ou non-adhésion d’Iran à la Convention sur

l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes), Nachr-é Nasim-é quds,

2003.

28. HACHEMI S.M, Droit constitutionnel iranien : Souveraineté et institutions politiques, op.cit., p. 335.

29. Ibid.

30. KAR Mehrangiz, L’élimination de discrimination à l’égard des femmes : la comparaison entre la

Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et les lois internes

en Iran, op.cit.,

31. HACHEMI, S.M, Droit constitutionnel iranien : Souveraineté et institutions politiques, op.cit., p. 335.

32. SCHIRAZI Asghar, Nézâm-e Hokumati-ye Jomhouri-ye Eslâmi-ye Iran : Din, Qânoun va

Motlaqiyyat-e Qodrat. Vincennes, Cesmandaz, 2009, p.27. Pour la version anglaise cf. The

Constitution of Iran. Politics and State in the Islamic Republic (traduit de l’allemand par John O’Kane),

Londres-New York, I.B. Tauris, 1998.

33. Dans une perspective comparative, le Conseil gardien serait l’équivalent du conseil

constitutionnel en France. Aux termes de l’article 91 de la constitution, le Conseil gardien est

chargé de juger la compatibilité des lois avec la Constitution et la charia. Dans le projet de loi

constitutionnelle original, le Conseil gardien a été inspiré du modèle du Conseil constitutionnel

français de la Constitution de Ve République. VIJEH Mohammad-Réza, « Contribution sur le

Conseil gardien de la constitution Iranienne et l’Etat de droit », VI -e congrès français de droit

constitutionnel, Montpellier, juin 2005.

34. 47 femmes en 2001, 89 femmes en 2005, 42 femmes en 2009, ont présenté leur candidature à

l’élection présidentielle. Cf. KIAN-THIEBAUT Azadeh, « Le féminisme islamique en Iran : nouvelle

forme d’assujettissement ou émergence de sujets agissants ? », in Critique internationale, n° 46,

2010, p. 57. (Disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/revue-critique-

internationale-2010-1-page-45.htm)

35. Article 107 de la Constitution.

36. L’article 177 de la Constitution prévoit les modalités de la révision.

37. Mojtahide est celui qui produit l’effort de réflexion de l’idjtihade

38. L’effort d’interprétation des docteurs de la foi (étude individuelle des sources religieuses).

39. Voir Kar Meherangiz, L’élimination de la discrimination à l’égard des femmes : la comparaison entre

la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et les lois

internes en Iran, op.cit. Pour ce groupe « dans les principaux textes islamiques, rien ne prouve ou ne

justifie le fait que l’islam interdise aux femmes de délivrer des édits religieux ou de devenir des sources

d’imitation. En revanche, dans les sources secondaires[les interprétations des autorités religieuses],

quelques indications existent.» Les phrases mentionnées appartiendraient au Hojjt-ol Eslam Mohsen

Saidzadeh qui avait publié un article à propos du droit des femmes à l’accès à la magistrature

dans un magazine iranien sous pseudonyme en 1992. Il avait été traduit devant le Tribunal du clergé,

emprisonné et défroqué en juin 1998 pour ses visions réformistes. » KIAN-THIEBAUT Azadeh, « Le

féminisme islamique en Iran : nouvelle forme d’assujettissement ou émergence de sujets

agissants ?, op.cit., p.61.

40. D’après la Constitution iranienne pendant l’absence de l’imâm caché, c’est le Vali-é-faqih (le

guide suprême) qui gouverne l’Etat islamique. En effet, cette notion de la tutelle absolue du

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jurisconsulte religieux réalisée dans la Constitution iranienne est récente et revient à la base de

l’islam chiite. Pour B. AGAHI-ALAOUI : « Selon le chiisme pour que la Communauté chiite ne soit pas

privée de guide, pendant la période d’occultation du douzième imâm caché, le imâmat ou la wilâyat

[velâyate] revient à un faqih que les croyants considèrent comme leur guide. Un tel Guide est considéré

comme représentant intermédiaire de l’imâm caché ; il a la mission de guider et de protéger la communauté

chiite, en attendant l’instauration de la justice absolue après le retour de l’imâm caché. » AGAHI-ALAOUI

Bahieh, L’autorité maritale en droit iranien et marocain, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 29. Il convient de

mentionner que c’est l’ayatollah Khomeiny qui est à l’origine du concept du velâyat-é-faqih (la

tutelle de jurisconsulte religieux- concept qui, avec l’amendement de la constitution en 1989, prend

la forme d’une tutelle absolue du jurisconsulte religieux).

41. Article 57 : « Les pouvoirs souverains dans la République islamique d’Iran sont le pouvoir législatif, le

pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, qui sont exercés sous le contrôle de la Tutelle absolue du

jurisconsulte (Vélayaté Motlaghéye Amr) et du Guide divin de la communauté islamique des croyants

(Emmamaté Ommat), conformément aux articles suivants de la présente loi. Ces pouvoirs sont

indépendants l’un de l’autre ».

42. HACHEMI, op. cit., p.44. C’est une comparaison qui suscite des controverses. Un paradoxe lié

au processus de désignation est évident car les candidats à l’Assemblée des experts, avant leur

élection par le peuple, doivent être approuvés par le Conseil gardien de la Constitution, dont six

des douze membres sont désignés par le Guide suprême.

43. Kar Mehrangiz, op. cit., pp. 157-158. Il convient de préciser qu’en Iran les femmes peuvent

être nommées magistrate consultative, mais ne peuvent pas être nommées juge. Les minorités

religieuses non-musulmanes, non plus, n’ont pas accès aux postes de la magistrature.

44. Ce sujet controversé a également des répercussions sur la magistrature des femmesau niveau international. Dans l’esprit que les femmes ne peuvent pas être juges et avoiraccès à la magistrature, les efforts accomplis par la délégation iranienne lors de laConférence de Rome pour la création de la Cour pénale internationale sont significatifs.Durant le débat sur l’article 36 du Statut de Rome – qui décrit les critères dequalification pour le poste de juge –, la délégation iranienne et ses alliés,majoritairement musulmans, ont exercé une grande pression pour imposer leurs vues.Plus précisément, l’article 36.8 a iii a été ciblé pour que les femmes et les hommes nesoient pas paritairement représentés dans la Cour. A la demande de la délégationiranienne, le terme de parité a été supprimé et remplacé par équitable. L’article 36.8 a iii

a établi ainsi que, « dans le choix de juges, les Etats-parties tiennent compte de la nécessité

d’assurer une représentation équitable des hommes et des femmes ». La délégation iranienne afait valoir que, dans les pays en développement, le taux de femmes instruites etcompétentes pour le poste de juge était très faible. Finalement, les autres Etats se sontinclinés devant les arguments et l’exigence de la délégation iranienne, consentant à unelimitation du nombre de femmes juges au sein de Cour. ALE HABIB Eshaq, International

Criminal Court and Islamic Republic of Iran, Tehran, Institute for Political andInternational Studies of the Ministry of Foreign Affairs, 1999, p. 514.

45. Coran, « Les femmes », sourate 4, verset 34.

46. Coran, « La vache », sourate 2, verset 228.

47. REISI Mahdi, Barrasi-é féqhi va hoqouqi-é élhaq ya adam-é élhaq-é jomhouri-é éslami-é Iran bh

konvention-é raf’-é koliéh achkal-é tabiz alayhé zanan (Etude sur le droit et de faqih pour l’adhésion

et non-adhésion de la République islamique d’Iran à la Convention sur l’élimination de toutes les

formes de discrimination à l’égard des femmes), Qom, Nasim-é quds, 2009, pp.79-80

48. En ce qui concerne l’interprétation de ces versets, il existe deux courants : celui qui affirme

que la prédominance des hommes sur les femmes est limitée à la vie familiale, et celui qui étend

leur domination à la sphère publique.

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49. AGAHI-ALAOUI Bahieh, L’autorité maritale en droit iranien et marocain, op.cit.

50. Cf. KIAN-THIEBAUT Azadeh, « Le féminisme islamique en Iran : nouvelle forme

d’assujettissement ou émergence de sujets agissants ? », in Critique internationale, n° 46, 2010, pp.

45-66. Disponible en ligne sur : http://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2010-1-

page-45.htm

51. A propos de consensus en islam, voir BERNAND-Baladi Marie, « L’Ijma, critères de validité

juridique », in CHARNAY Jean Paul (dir.) Normes et valeurs dans l’islam contemporain, Payot, 1966.

52. Les musulmans sunnites sont aussi autorisés à se présenter à l’élection de l’Assemblée des

experts.

53. Hiérarchie des sexes est un terme employé par la sociologue Chahla CHAFIQ dans un article

publié le 06/02/2014 dans Le monde avec l’intitulé « Théorie » du genre : Ce que révèle l’alliance de

certains musulmans avec la droite réactionnaire ».

54. Cf. Observation générale n°25 CCPR/C/21/Rev .1/Add.7 du 27 août 1996.

55. KIAN-THIEBAUD Azadeh, « Le féminisme islamique en Iran : nouvelle forme

d’assujettissement ou émergence de sujets agissants ? », in Critique internationale. Op.cit., pp.48-49.

56. Cité par KIAN-THIEBAUD Azadeh, ibid. Cf. KIAN-THIEBAUT Azadeh, « Des résistances

conservatrices à la citoyenneté politiques des femmes », in TREMBLY Manon (dir.), Femmes et

parlements. Un regard international, Montréal, Editions du Remue-ménage, 2005, pp. 225-249.

57. Il est important de souligner que, suivant les discours du Guide suprême et les appels

présentés par les Imams lors de la prière de vendredi, se rendre aux urnes est devenu un devoir

religieux pour l’ensemble des citoyens iraniens. Ce qui peut expliquer l’importance, pour le

régime, de la présence massive des femmes, en vue de lui conférer une plus grande façade de

légitimité.

58. Cf. Obs. gén. n°28 CCPR/C/21/Rev.1/Add.10 (égalité des droits entre hommes et femmes

(art.3)) du 29 mars 2000. Comme on en a donné déjà quelques exemples, il existe unedifférence de traitement entre les hommes et les femmes dans les différentesdispositions législatives. Par exemple, pour un crime, le témoignage de la femme n’a devaleur juridique, ou le témoignage de deux femmes a une valeur équivalente à celuid’un seul homme, les lois restreignant l’exercice du droit des femmes à la liberté decirculation, etc. Il faut souligner que, dans le préambule de la Constitution, dans unchapitre consacré à aux femmes sous l’intitulé « les femmes dans la constitution », leconstituant religieux défini les femmes comme mères et femmes au foyer, dévouées auservice de la famille et à la défense d’une idéologie spécifique. « La famille est l'unité de

base de la société et le foyer principal de la croissance et de l'élévation de l’Homme ; et l'entente

idéologique et idéale est un principe fondamental dans la fondation de la famille, qui est le

principal facteur constructif du mouvement évolutif et progressif de l’Homme ; fournir des

moyens destinés à atteindre cet objectif fait partie des tâches de l'Etat islamique. La femme, dans

cette conception de l'unité familiale, quitte son état "d'objet" ou "d'instrument de travail" au

service du développement de la consommation et de l'exploitation, et tout en retrouvant son

devoir précieux et estimable de mère dans l'éducation des êtres idéologiques d'avant-garde, elle

combat aux côtés des hommes dans les domaines actifs de l'existence; en conséquence, elle

assumera une responsabilité plus noble et une valeur et une munificence plus grande lui seront

reconnues du point de vue islamique ». On constate que le constituant définitexplicitement et implicitement les droits et les devoirs des femmes au sein de la famillecomme devant servir des buts idéologiques. Cf. KOOHESTANI Amin Reza, « TowardsSubstantive Equality in Iranian Constitutional Discourse », in Muslim World journal of

Human Rights, Vol.7, Iss.2, Article 2, 2011.

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59. KIAN-THIEBAUD Azadeh, « Le féminisme islamique en Iran : nouvelle formed’assujettissement ou émergence de sujets agissants ? », in Critique internationale, op.cit.,p. 51.

60. Le Comité des droits de l’homme, dans son observation n°22, souligne que lareconnaissance d’une religion comme religion d’Etat ne doit pas entraver la jouissancede l’un quelconque des droits énoncés dans le pacte, ni entraîner une discriminationquelconque envers les adeptes d’autres religions ou envers les non-croyants, car ledroit à la liberté de religion et de conviction et l’interdiction de la discrimination nesont pas subordonnés à la condition que ladite religion ou conviction soit officiellementreconnue. Cf. Obs. gén. n°22, CCPR/C/21/Rev.1/Add.4 (le droit à la liberté de pensées, de

conscience et de religion (Art.18)) 27 septembre 1993.

61. Au cours de l’interview réalisée avec le magistrat et avocat du barreau de Téhéran

Hedayatolah Matin-daftari, ce magistrat a confirmé que les autres minorités chiites, tels les

ismaélites, ne sont pas reconnues dans la Constitution.

62. SUDRE Frédéric, Droit européen et international des droits de l’homme, 9e éd. Paris, Presses

universitaires de France, 2012, pp. 512-513.

63. LAHIDJI Abdolkarim, La démocratie et les droits de l’homme en Iran ; la troisième décennie

de la République islamique, Paris, éditions Khavaran, 2010, p. 392. Précisions que lesminorités religieuses reconnues par la Constitution ont le droit de siéger au Parlement.Ils sont représentés comme suite : les Zoroastriens un député, les Juifs un député, lesChrétiens assyriens et kaldanites un député, les Arméniens des régions du Nord undéputé et enfin, les Arméniens des régions du Sud un député. Mais leur pouvoir àl’Assemblée consultative islamique (Parlement) est limité par la charia du fait ducontrôle du Conseil des gardiens.

64. ADJAFI Ali-Hossein, « La réception des instruments internationaux en droit pénal iranien :

une réception tumultueuse » in Archives de politique criminelle, op. cit., p. 6.

65. LAHIDJI Abdolkarim, La démocratie et les droits de l’homme en Iran ; la troisième décennie de la

République islamique, op. cit., pp. 392.

66. GHANEA-HERCOCK Nazila, «Human rights, the UN and the Bahia’s in Iran », Royaume-Uni,

Oxford, 2002, p. 628.

67. Pour aller plus loin, cf. E. S. Drower, The Mandaeans of Iraq and Iran: Their Cults, Customs, Magic,

Legends, and Folklore, Leiden, E.J.Brill, 1962. Disponible en ligne à l’adresse : https://archive.org/

details/MN41560ucmf_1,

68. Pour aller plus loin Cf. VALI Shahab, Les figures de l'Iran pré-islamique dans la littérature des

Ŷarsâns, courant religieux kurde, Thèse de doctorat, Sciences religieuses, Paris, EPHE, 2008.

69. SUDRE Frédéric, Droit européen et international des droits de l’homme, ibid., p.269.

ABSTRACTS

After the Islamic revolution of Iran in 1979, the principle of formal equality was imprecisely

defined in the new Constitution. This vagueness creates controversy. The article examines the

principle of formal equality in the Iranian Constitution, and the reasons the ambiguity affects its

definition and application. The study is based on Article 26 of the International Covenant on Civil

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and Political Rights 1966 (ratified by Iran), which provides the standard of being entitled to the

equal protection of the law. The findings show that the Iranian Constitution does not meet the

requirements of the principle of formal equality established by the Article 26 of the ICCPR. This

conclusion can be drawn on the basis of analysing the Sharia law–based Constitution, which

discriminates individuals on the basis of sex, religion and political opinion. In addition, the

conclusion is supported by the review of speeches and documents submitted by Iran before the

UN bodies. The study argues that the Constitution and some elements of Iranian legislation

should be amended to reflect international norms.

Le droit à l’égalité est au fondement de la création des dispositions visant à assurer la protection

des droits de l’homme. Après la Révolution islamique de 1979 en Iran, les promoteurs de la

Constitution iranienne ont défini le principe d’égalité formelle de façon très imprécise. Ce manque

de précision a suscité nombre de controverses.

Le présent article examine ce principe d’égalité formelle tel qu’il est développé dans la Constitution

iranienne, ainsi que les raisons de l’ambiguïté dont souffrent sa définition et son application.

L’étude se fonde sur l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de

1966 (ratifié par l’Iran), qui prévoit la norme d’égale protection de la loi.

En nous attachant à son étude, ainsi qu’à celle des législations, discours et documents présentés

par les autorités iraniennes devant les instances onusiennes, nous avons constaté que le principe

d’égalité formelle n’est pas assuré par la Constitution iranienne.

Fondée sur la charia, la protection que cette dernière accorde aux citoyens est discriminatoire ou

lacunaire, différente selon leur sexe, leur religion ou leurs convictions et opinions politiques.

Une révision de la Constitution et de l’ensemble de la législation iranienne se révèle dès lors

nécessaire.

El derecho a la igualdad está a la base de la creación de los dispositivos que tienen como meta

asegurar la protección de los derechos humanos. Después de la Revolución islámica de 1979 en

Irán, los promotores de la Constitución iraní definieron al principio de igualdad formal de manera

muy imprecisa. Esta falta de precisión suscitando muchas controversias. Este artículo examina al

principio de igualdad formal tal como se desarrolla en la Constitución iraní, así como también las

razones de la ambigüedad de su definición y de su aplicación. El estudio se funda en el artículo 26

del Pacto Internacional Relativo a los Derechos Civiles y Políticos de 1966 (ratificado por Irán),

que prevé la norma de igual protección de la ley. Estudiando este instrumento jurídico internacional

al mismo tiempo que las legislaciones, discursos y documentos presentados por las autoridades

iraníes ante las instancias de las Naciones Unidas, constatamos que el principio de igualdad

formal no está garantizado por la Constitución de Irán. Fundada en la charia, la protección que

esta última concede a los ciudadanos es discriminatoria o deficiente, presentando diferencias

según el sexo, la religión o las convicciones y opiniones políticas de los ciudadanos. Se revela

entonces una necesaria revisión de la Constitución y del conjunto de la legislación iraní.

INDEX

Mots-clés: Egalité formelle - Révolution de 1979 - Constitution iranienne - Constituant religieux

- loi discriminatoire - Religion - Sexe - race - Distinction

Keywords: Formal equality - Revolution of 1979 - Iranian constitution - Conservative constituent

assembly -Discriminatory law - Religion - Gender (sex) - Race - Distinction

Palabras claves: Igualdad formal - Revolución de 1979 - Constitución iraní - Constituyente

religioso - Ley discriminatoria – Religión - Género (sexo) – Raza - Distinción

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AUTHOR

HIVA KHEDRI

Hiva Khedri est doctorante au CREDOF.

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Analyses et libres propos

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Le système interaméricain deprotection des droits de l’homme:particularités, percées et défis Éric Tardif

Le développement du droit international des droits de l’homme est probablement l’unedes plus importantes avancées juridiques des XXème et XXIème siècles, et l’Amériquelatine a, sans doute aucun, joué un rôle important dans cette évolution. Commel’explique l’ancien président et actuel juge de la Cour interaméricaine, Diego GARCIASAYAN, c’est d’ailleurs en Amérique Latine, au début du XVIème siècle, que le conceptde ce qui est aujourd’hui connu comme droits de l’homme est né, quand Bartolomeo delas Casas, défenseur des droits des peuples indigènes au début de la colonisation ducontinent par la couronne espagnole, déclara que tous les êtres humains étaient égaux1.

Plusieurs mécanismes de protection et mise en valeur des droits de l’homme existentau niveau mondial ; cependant, seuls trois systèmes régionaux, présents sur lescontinents européen, africain, et américain, ont mis en place des moyensjuridictionnels supranationaux permettant aux victimes présumées d’exiger que justiceleur soit rendue. Ce dernier système fait montre d’un dynamisme certain ; entémoignent les nouveaux règlements internes de la Commission2 et la Cour 3

interaméricaines en vigueur depuis 2010, le nombre croissant de cas entendus par laCour, qui a désormais franchi le cap des 100 affaires, la qualité de la jurisprudence dontelle est la source et qui a renforcé sa réputation comme tribunal international4, ainsique le modèle de réparations qu’elle a mis en place et qui est applaudi dans plusieursmilieux5.

L’évaluation du fonctionnement du système interaméricain passe nécessairement pardeux étapes : un survol des instruments et organes qui le constituent (I), et l’analyse dela pratique mise de l’avant par ses institutions qui nous permettra en particulierd’étudier le régime des réparations, fleuron du système, tout comme lesdéveloppements qui se sont récemment produits en son sein (II).

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I. Initiation au système interaméricain

Le continent américain est sans conteste une terre de contrastes : 35 pays intègrentl’Organisation des États américains (OÉA), depuis les tout-puissants États-Unis aux plusmodestes pays des Antilles, représentant des systèmes juridiques à développementsvariables. Ses principaux organes sont l'Assemblée générale, qui tient une sessionordinaire annuellement, dans un pays de l’Organisation, et se réunit au besoin de façonextraordinaire ; le Conseil permanent, qui relève directement de l’Assemblée, estchargé de mettre en œuvre les décisions prises par elle ; le Comité juridiqueinteraméricain travaille quant à lui pour le développement progressif et la codificationdu droit international, et étudie les problèmes juridiques ayant trait à l'intégration despays du continent6.

Le système interaméricain de protection des droits de l’homme est, plusspécifiquement, basé sur une série de traités (A), et d’organes qui mettent en pratiqueles dispositions qu’ils contiennent (B).

A. Évolution normative

L’ordre international issu de la fin de la seconde guerre mondiale motiva la convocationde la Conférence interaméricaine sur les problèmes de la guerre et de la paix, tenue àMexico, durant laquelle on décida de la formation d’une organisationintergouvernementale régionale, tout comme de la participation des États du continentà l’ONU. Cette organisation, dont les objectifs principaux sont le renforcement de lapaix et la sécurité, la promotion et consolidation de la démocratie représentative etl’éradication de la pauvreté extrême7, vit finalement le jour lorsque la Charte de l’OÉA8

fut adoptée lors de la 9ème Conférence internationale des États américains tenue àBogota (Colombie) en 1948. Lors de cette conférence, la Déclaration américaine desdroits et des devoirs de l’homme fut également approuvée, précédant ainsi de quelquesmois la Déclaration universelle des droits de l’homme9. Par ailleurs, l’acte final de laConférence de Bogota recommandait déjà la rédaction d’un statut portant créationd’une Cour en matière de droits de la personne, tâche qui fût confiée au Comitéjuridique interaméricain10.

La Charte de l’OÉA ne prévoyait pas originellement d’institutions spécialisées enmatière de droits de la personne. En 1959, la Commission interaméricaine des droits del’homme fut établie par résolution de l’Assemblée générale de l’Organisation, commeun organe autonome de celle-ci, chargé de promouvoir le respect de ces droits sur lecontinent11. En 1967, le Protocole de Buenos Aires, qui vint bonifier la Charte, faisaitallusion dans son article 112, à la Commission interaméricaine - dont la structure et lescompétences seraient définies dans un traité subséquent – enchâssant à toutes finspratiques cet organe dans l’instrument constitutif de l’Organisation. Ce traité de portéegénérale en matière de droits de l’homme se concrétisa finalement en 1969, lors d’uneconférence tenue à San José (Costa Rica), et à laquelle fut convié René Cassin en tantqu’expert12; l’approbation du texte final de la Convention américaine suivit de cettefaçon le même cheminement que celui entrepris au sein de l’ONU qui, trois ansauparavant avait adopté le Pacte international relatif aux droits civils et politiquesainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels13. LaConvention américaine - aussi connue sous le nom de Pacte de San José - obtint

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finalement la dernière ratification dont elle avait besoin pour entrer en vigueur en1978 ; conséquemment, la Commission opéra durant deux décennies en l’absence d’uninstrument régional énonçant des obligations en matière de droits de l’homme liantjuridiquement les États membres de l’Organisation14.

S’agissant de son contenu, on soulignera que la Convention américaine, dans sonénumération des droits protégés, va plus loin que d’autres instruments internationauxqui visent des objectifs similaires. Elle prévoit par exemple le droit de réplique à desdéclarations injurieuses réalisées dans les médias, et protège également mieux le droità la propriété15. Elle octroie en outre plus de protection que le Pacte onusien, enparticulier en ce qui a trait aux garanties judiciaires ou de la liberté d’expression ; dansce dernier cas, on peut aussi considérer que la Convention offre plus de protection queson équivalent européen16. La Convention, à laquelle 23 États sont actuellement parties,fut complétée par le Protocole additionnel à la Convention américaine traitant desdroits économiques, sociaux et culturels - Protocole de San Salvador - adopté en 1988 eten vigueur depuis 1999, ainsi qu’un second protocole, sur l’abolition de la peine demort, signé en 1990 et entré en vigueur l’année suivante.

B. Organes clefs

Les deux organes principaux du système interaméricain sont donc la Commission,ayant son siège à Washington, et la Cour, basée à San José (Costa Rica) ; chacune desinstitutions tient cependant périodiquement des sessions dans divers pays membres del’OÉA. Ces organes sont tous deux composés de sept membres, nationaux des États del’organisation, et élus à titre personnel parmi les juristes de la plus haute autoritémorale et de compétence reconnue en matière de droits de l’homme; le mandat descommissaires est de quatre ans alors que celui des juges est de six ans, tous pouvantêtre réélus une fois.

1. La Commission

Tel qu’indiqué précédemment, la Commission interaméricaine devint un organe deplein droit de l’OÉA quand les amendements à la Charte prévus par le Protocole deBuenos Aires entrèrent en vigueur17.

Durant les trois premières décennies de son existence, le travail principal de laCommission se résuma à l’émission de rapports concernant les efforts déployés par lesÉtats pour mettre en œuvre les obligations acquises en matière des droits de l’homme,identifiant les avancées et les défis caractérisant la situation de chaque pays membre,bien qu’à partir de 1966, un système de plaintes ait été établi permettant aussi à laCommission de recevoir des communications écrites acheminées par des individus,mécanisme clef dans l’optique du développement du droit international des droits del’homme18. Ceci est sans contredit dû au fait que bien des États contre lesquels desplaintes spécifiques étaient présentées refusaient de comparaître devant laCommission, et que, par ailleurs, les violations commises dans plusieurs pays étaientsystématiques et pratiquées à grande échelle, faisant de l’étude de cas individuels unprocédé peu efficace pour faire face aux centaines, voire milliers de violationsrapportées à la Commission19.

La Commission considéra rapidement que sa mission incluait la supervision de lasituation propre à chaque État, par le biais, au besoin, de visites in situ, et la recherche

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de solutions concrètes lorsqu’elle recevait des plaintes. Malgré le fait que les rapportsde la Commission aient été émis à titre consultatif, le fait de les rendre publics joua sanscontredit un rôle primordial de promotion du respect des droits de l’homme dans larégion, bien avant que des organisations comme Human Rights Watch ou Amnistie

internationale n’entreprennent d’élaborer et de diffuser des rapports similaires. Durantles années 1970 en particulier, la Commission a su se tailler une place importante,faisant face aux régimes dictatoriaux qui recouraient communément aux disparitionsforcées, à la torture et aux exécutions extra-judiciaires20. La Commission réalisa, entreautres, une visite en Argentine en 1979, durant laquelle elle reçut plus de 5000 plaintesindividuelles, la plupart d’entre-elles ayant trait à des personnes qui avaient étédétenues par des agents de l’État et avaient par la suite disparu. Ces plaintes permirentd’établir, pour la première fois dans le cadre d’une organisation internationale, lapratique de la disparition forcée comme une politique systématique, mise en œuvre parle gouvernement argentin21.

Notons que la Commission continue à effectuer des visites in situ sur invitation des paysmembres. En décembre 2013, un groupe de fonctionnaires s’est notamment rendu enRépublique Dominicaine, suite à l’émission d’un arrêt de la Cour constitutionnelle de cepays qui avait eu pour conséquence de laisser apatrides plus de 200 000 individusd’origine haïtienne ; près de 4000 témoignages, plaintes et communications avaientalors été recueillis22.

La transition de plusieurs pays du continent vers la démocratie a conduit à ce que letravail de la Commission, depuis la fin des années 1990, se concentre désormais surl’étude de plaintes qui lui sont acheminées par les intéressés eux-mêmes ou par uneorganisation non-gouvernementale reconnue par un pays de l’OÉA23 ; les rapports surl’état des droits de l’homme dans les pays de l’organisation ont été relégués à un secondplan. Notons qu’à cette époque, certains gouvernements ont par ailleurs commencé àquestionner l’émission de rapports par la Commission, considérant que cet outil étaitcertes approprié dans le cas de régimes dictatoriaux, mais pas dans celui de systèmesdémocratiques24.

Lorsqu’elle reçoit des plaintes, la Commission effectue les recherches qu’elle estimepertinentes quant aux faits invoqués, et tente d’orienter le pétitionnaire et l’État versune solution amiable. Si cette option s’avère impossible, la Commission émettra alorsun rapport dans lequel elle recommandera à l’État d’adopter certaines mesures. Si l’Étatrefuse d’obtempérer, la Commission pourra alors s’en référer à la Cour25. Le règlementde la Commission lui permet également de solliciter d’un État qu’il adopte des mesuresconservatoires relatives « à des situations graves ou urgentes qui présente un risque decauser un dommage irréparable à des personnes, à l’objet d’une pétition ou d’uneaffaire pendante devant les organes du Système interaméricain »26. Par ailleurs, l’ordrepublic n’étant évidemment pas assujetti au droit des parties, le règlement à l’amiableentre l’État et la victime, s’il survient, ne pourra néanmoins faire en sorte que soientmaintenues dans l’ordre interne des lois qui sont violatrices des droits de la personne27.

À l’heure actuelle, la Commission reçoit plus d’un millier de plaintes, organise unecentaine d’audiences, et émet une vingtaine de rapports relatifs à des cas particuliers,de façon annuelle28. On relèvera qu’un pourcentage élevé de plaintes sont rejetéesparce qu’elles ne respectent pas les conditions préalables posées par l’article 46 de laConvention, relatives notamment à l’épuisement des voies de recours internes.

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Dans le cadre de son rôle de promotion des droits de l’homme, la Commission travaillepar ailleurs sous trois facettes spécifiques : la dissémination, c’est-à-dire laconscientisation des citoyens des Amériques relativement à leurs droits; la promotiondu système auprès de ses habitants; et la poursuite d’une campagne d’éducationrelative à l’importance d’incorporer les droits de l’homme aux droits internes desÉtats29.

Il faut également souligner qu’à la fin du XXème siècle, la Commission a ouvert desbureaux de rapporteurs (aujourd’hui au nombre de neuf) chargés du suivi de questionsd’intérêt spécifiques pour la Commission : la liberté d’expression, les droits desfemmes, des enfants, des peuples autochtones, des individus privés de leur liberté, desmigrants, des « afro-descendants », des défenseurs des droits de l’homme, deslesbiennes, gays et personnes trans, bisexuelles et intersex. Une Unité sur les droitséconomiques, sociaux et culturels a également vu le jour en 2012. Ces bureaux nepeuvent cependant pas être comparés aux organes onusiens similaires, notamment enraison du fait que leur travail est réalisé à temps partiel, la plupart d’entre eux étantd’ailleurs présidés par l’un des sept Commissaires.

Par ailleurs, selon l’article 45 du Pacte de San José, un État partie peut saisir laCommission relativement à une violation présumée d’une disposition de la Conventionpar un autre État partie ayant accepté ce procédé, indépendamment de la nationalitédes victimes. Les États sont en général peu enclins à y consentir, et seuls 11 pays onteffectivement reconnu la compétence de la Commission pour intervenir dans de telscas. Cette procédure n’a été utilisée que deux fois, étant données les conséquencespotentiellement adverses sur le commerce qui pourraient se présenter pour le pays quidéciderait d’y avoir recours30. Certains auteurs avancent que l’existence même de ceprocédé est sûrement significative, puisqu’elle met en exergue le droit d’un État dedéfendre les intérêts supérieurs établis par un traité signé par la plupart des pays del’OÉA. Il est ainsi reconnu que la violation d’une disposition du Pacte de San José par unÉtat affecte le droit subjectif de chacun d’entre eux31. Le recours épisodique à ceprocédé met cependant en doute son utilité concrète32.

Au cours des dernières années, la Commission a augmenté sensiblement le nombred’affaires qu’elle soumet à la Cour. Ce changement est plus marqué depuis 2001, date àlaquelle est entré en vigueur un nouveau règlement – déjà remplacé - prévoyant quelorsqu’un État décide de ne pas mettre en œuvre une recommandation qu’elle aadoptée, la Commission s’en réfèrera à la Cour33. Cependant, il est à souligner que,même si la Commission établit officiellement l’existence d’une responsabilité, sesrecommandations n’ont pas force obligatoire, et moins encore d’autorité définitive. LaCour interaméricaine a en effet le pouvoir de réviser toutes les conclusions émises parla Commission34. Certains soulignent également, comme une faiblesse de laCommission, les délais considérables pour l’examen des cas qui lui sont soumis, toutcomme pour l’émission de la décision finale35.

En définitive, comme il a été mentionné précédemment, la Commission ayant été crééeavant l’adoption de la Convention américaine, elle conserve les prérogatives quasijudiciaires qui étaient les siennes envers les États membres de l’Organisation qui n’ontpas ratifié ce traité36. Elle évalue ainsi leur aptitude au respect des droits de l’homme àl’aune de la Déclaration des droits et des devoirs de l’homme de 194837.

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2. La Cour

La Cour interaméricaine fut établie le 18 juillet 1978 du fait de l’entrée en vigueur duPacte de San José. Les premiers juges du tribunal furent élus en 1979, au beau milieud’une situation de répression qui prévalait dans plusieurs États, ainsi qu’une politiqueinterventionniste des États-Unis dans la région38.

Une certaine rivalité s’installa initialement entre la Cour et la Commission, cettedernière ne voyant pas d’un bon œil la création de ce nouvel organe sans lequel elleavait opéré durant deux décennies, qui pourrait interférer avec son autonomie etdiminuer son prestige. Ainsi, la Commission refusa de référer plusieurs cas contentieuxà la Cour, dont les activités se virent alors limitées à émettre des avis consultatifs. Lesrelations entre les deux institutions se sont néanmoins améliorées au courant desannées 1990, même si le Tribunal a de temps à autre rejeté les interprétations faites parla Commission, tant en matière de faits que de droit39.

La Cour, dont les juges siègent à temps partiel à San José - la plupart d’entre euxoccupant des fonctions académiques dans leur pays d’origine40 - effectue aussipériodiquement des sessions itinérantes qui l’ont emmenée dans une quinzaine depays; au cours des dernières cinq années, elle a par exemple siégé à Bogota, Guayaquil,Bridgetown, Mexico et Asuncion. Ces sessions extra muros permettent auxfonctionnaires, associations civiles, académiques, étudiants, et au public en général dese familiariser avec le fonctionnement du système interaméricain.

Comme c’est le cas pour d’autres tribunaux internationaux, la Cour interaméricainepossède donc une double juridiction: consultative, et contentieuse41 (pour les 20 Étatsparties à la Convention américaine qui reconnaissent sa compétence).

a) Juridiction consultative

Dans le cadre de la première facette de son activité, les États membres de l’OÉA peuventrequérir de la Cour un avis sur l’interprétation de la Convention américaine, toutcomme d’autres traités relatifs à la protection des droits de la personne dans lesAmériques, ainsi que sur la compatibilité de leur droit interne avec ces instrumentsinternationaux; de leur côté, les prérogatives des organes de l’OÉA se limitent à pouvoirdemander à la Cour qu’elle interprète le Pacte de San José et les traités connexes. LaCour interaméricaine a interprété l’idée d’«autres traités » comme incluant tous lesinstruments ratifiés par un ou plusieurs États membres de l’Organisation, même si desÉtats non membres de l’OÉA en sont également partie.42 Par exemple, l’avis consultatifno. 16 de la Cour43 a établi sa compétence pour interpréter l’article 36 de la Conventionde Vienne sur les relations consulaires44.

Durant les trois premières décennies de son existence, la Cour a ainsi émis 20 avis, lamajorité desquels ayant été demandés par un État membre; 13 d’entre eux visaientl’interprétation de la Convention américaine, alors que quatre se référait àl’interprétation d’autres traités régionaux; quatre encore avaient pour but d’examinerla compatibilité du droit national d’un État avec des obligations régionales en matièrede droits humains45. Le dernier avis en date, sur les droits des mineurs dans le contextede la migration, a été émis en août 201446.

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b) Compétence contentieuse

La compétence contentieuse de la Cour est, elle, relative à son pouvoir de décider desaffaires qui sont introduites devant elle, et principalement basées sur des violationsprésumées des dispositions de la Convention américaine ; lors de son interprétation decet instrument, la Cour adopte le principe pro homine, c’est-à-dire en faveur del’individu et de sa dignité, objets de la protection internationale47. Les affaires peuventêtre présentées par la victime présumée ou son représentant, ou par un État(notamment s’il désire contester la décision de la Commission quant à saresponsabilité)48, et peuvent parfois mettre en cause deux ou plusieurs pays membresde l’Organisation49.

L’article 1 (1) du Pacte de San José établit l’obligation générale pour les États d’assurerl’exercice - libre et plein - des droits et libertés consacrés par le traité ; ainsi, dans sesarrêts, la Cour déclare une violation à l’article 1 en accompagnement des articlesrelatifs aux droits garantis par la Convention américaine dont elle a constaté laviolation. L’article 2 a, quant à lui, trait au devoir général des États signataires deconformer leur droit interne aux dispositions de la Convention, appliquant ainsi lanorme d’origine coutumière selon laquelle un État ayant ratifié un traité doitintroduire dans son système juridique les modifications nécessaires au respect desobligations prévues dans le traité souscrit50. Ces deux articles se lisent, dans la versionofficielle du Pacte en français, comme suit51:

« Article 1

1. Les Etats parties s'engagent à respecter les droits et libertés reconnus dans la présente

Convention et à en garantir le libre et plein exercice à toute personne relevant de leur

compétence, sans aucune distinction fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion,

les opinions politiques ou autres, l'origine nationale ou sociale, la situation économique, la

naissance ou toute autre condition sociale.

2. Aux effets de la présente Convention, tout être humain est une personne.

Article 2

Si l'exercice des droits et libertés visés à l'article 1 n'est pas déjà garanti par des dispositions

législatives ou autres, les Etats parties s'engagent à adopter en accord avec leurs prescriptions

constitutionnelles et les dispositions de la présente Convention les mesures législatives ou autres

nécessaires pour effet aux dits droits et libertés ».

Depuis la fin des années 1990, l’étendue des articles du Pacte de San José objet desaffaires entendues par la Cour s’est grandement diversifiée; la Commission a en effetcommencé à lui référer des cas relatifs aux droits des peuples autochtones, à la libertéd’expression, aux droits des enfants, qui viennent s’ajouter aux cas de violationssystématiques au droit à la vie et à la prohibition du recours à la torture, quiconstituaient initialement la presque totalité de son travail52.

La Cour peut finalement émettre des mesures provisoires, visant à prévenir desdommages irréparables dans des cas de gravité et d’urgence extrêmes. Ces mesurespourront être décrétées à la demande de la Commission, même si l’affaire n’est paspendante devant la Cour. Dans la pratique, ces mesures sont le plus souvent employéespour obliger un État à suspendre l’application imminente de la peine capitale, ou àoctroyer une certaine protection à des individus ayant reçu des menaces à l’encontrede leur intégrité physique. Durant ses premières 30 années de vie, la Cour a émis 81 deces ordonnances53.

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c) La Cour créatrice du droit international

La Cour, qui avait timidement commencé par résoudre trois affaires durant la période1987-1989, a rendu 37 arrêts entre 2006 et 200854. Le nombre de décisions émises dans lecas d’affaires contentieuses, durant l’année 2013, est de 1755.

Dans l’exercice des compétences qui lui sont conférées, la Cour interaméricaine arégulièrement eu recours à l’interprétation de traités internationaux comme laConvention des Nations Unies sur les droits de l’enfant (affaires Villagran Morales c.Guatemala56 et Massacre de Mapiripan c. Colombie57). Elle a également employé desdispositions de soft law empruntées par exemple au Protocole modèle des Nations Uniespour l’enquête d’exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires (affaire Juan

Humberto Sanchez c. Honduras)58. La Cour a par ailleurs établi sa compétence pourconstater des violations à des traités interaméricains59, comme la Conventioninteraméricaine pour la prévention et la répression de la torture, la Conventioninteraméricaine sur la disparition forcée des personnes, la Convention interaméricainesur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme(Convention de Belém do Pará), qui font partie du corpus iuris interaméricain60.

Depuis sa création, la Cour a aussi procédé à des interprétations novatrices adoptéeslors d’avis consultatifs, par exemple quant au droit à l’assistance consulaire –interprétation qui fut par la suite confirmée par la Cour internationale de justice dansles affaires Avena et LaGrand ; elle a également reconnu le droit à une vie digne commefaisant partie du droit à la vie, tout comme le droit à réaliser un projet de vie, ou ledroit au travail pour les migrants sans papiers61.

Les contributions de la Cour à l’avancement du droit international incluent aussi denombreuses références au jus cogens : par exemple, la prohibition de l’esclavage, de latorture physique et psychologique, des disparitions forcées, des exécutionsextrajudiciaires ou l’exclusion de l’impunité pour les individus ayant commis descrimes contre l’humanité. Comme l’observe le juge CANÇADO TRINDADE, la Cour de SanJosé est probablement le tribunal international ayant le plus contribué à l’expansion dela notion de jus cogens62.

II. Fonctionnement: le système en pratique

Il convient, dans un premier temps, de distinguer le système interaméricain de sonéquivalent européen (A) ; une de ces différences tient en particulier aux mesures que letribunal de San José dicte dans le but de réparer les violations commises par les États(B). Certains développements récents méritent par ailleurs d’être mentionnés (C).

A. Parallèle avec le système européen

Les rédacteurs de la Convention américaine ont en grande partie calqué l’organisationoriginelle de la Cour et sa relation avec la Commission sur la structure du systèmeeuropéen de protection des droits de la personne, tel qu’il existait dans les années 1960.Néanmoins, depuis ses tout débuts, le Tribunal de San José a développé unejurisprudence ainsi que des pratiques institutionnelles la séparant nettement de sonhomologue européen. Ces différences se retrouvent particulièrement à cinq niveaux.

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En premier lieu, il convient de rappeler que la Cour européenne fut créée poursuperviser un groupe de pays démocratiques où l’État de droit était une valeur acquise.En revanche, la Cour interaméricaine vit le jour au cœur d’une situation biendifférente, dans laquelle plusieurs États parrainaient eux-mêmes des crimes, ce quipermit au tribunal de développer une doctrine fournie en matière de disparition forcée,amnistie, droit des victimes à la vérité, l’obligation des États de poursuivre lesperpétrateurs de violations et les garanties judiciaires. Le deuxième point a trait àl’évolution de la jurisprudence de la Cour interaméricaine en matière de réparations.Alors que le Tribunal de Strasbourg se contente généralement d’identifier les violationsà la Convention européenne, et de permettre à l’État fautif de remédier à la situation aumoyen d’une compensation monétaire, la Cour interaméricaine émet régulièrement delongues listes d’actions que l’État doit entreprendre pour réparer les violations dont ilest l’auteur63. Le tribunal européen n’adopte des mesures réparatrices que lorsquecelles prévues par l’État sont estimées insuffisantes, l’aspect subsidiaire de la résolutions’accentuant alors, comparativement aux déterminations provenant de normes etinstances nationales64. Le travail consultatif de la Cour de San José, centré surl’interprétation des normes plutôt que sur son application concrète, la distingueégalement de son homologue européen65. Un quatrième aspect sépare les deuxtribunaux, au sujet, cette fois, de la supervision de l’exécution des arrêts. Dans le cadreeuropéen, une fois la décision émise, la Cour de Strasbourg est dessaisie du dossier,cédant sa place au Comité des ministres, un organe politique chargé de superviser lamise en œuvre par l’État de la décision de la Cour. En revanche, en Amérique, c’est leTribunal qui est chargé de superviser l’exécution de ses décisions en matière deréparation, et celui-ci émet normalement une ordonnance enjoignant à l’État de fairerapport périodiquement de ses avancées à ce titre. Finalement, au niveau de latechnique jurisprudentielle, il est à noter que, dans les arrêts qu’il émet, le tribunalinteraméricain effectue une analyse approfondie de la preuve lui ayant été soumise,notamment pour pallier aux déficiences qui peuvent se présenter s’agissant de certainstribunaux nationaux66 ; l’évaluation de la preuve se fait selon le critère appelé de la « sana critica », c’est-à-dire en suivant les règles de la logique et l’expérience.

B. Le fleuron du système: le modèle de réparations

Les tribunaux internationaux ont généralement déployé des schémas de réparation peuimaginatifs, et souvent tragiquement inadéquats67. Dans l’établissement des réparationsoctroyées aux victimes, la Cour interaméricaine « a fait preuve d’une hardiesse qui nes’explique pas sans la personnalité des juges de sa période inaugurale »68, et commenous l’avons indiqué précédemment, c’est sans doute là l’aspect le plus intéressant de lajurisprudence émanant de la Cour de San José69.

1. Cadre général

Les États de la communauté internationale ont créé un concept moderne de droits de lapersonne à partir des législations nationales ainsi que des instruments internationaux.Ils ont aussi mis en exergue que la reconnaissance et la protection de ces droits au seindes Etats s’avèrent souvent insuffisants, restant en-dessous d’un standard minimumindispensable70.

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Une douzaine de mécanismes internationaux permettent à des victimes de violationsde droits de la personne de dénoncer les abus dont elles ont été l’objet par un Étatpartie à un Traité. Parmi eux, citons eux le Comité des droits de l’homme, l’UNESCO,l’OIT, ou encore les organismes créés en vertu de la Convention internationale sur l'élimination de toutes formes de discrimination raciale ou la Convention contre latorture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Toutefois, lamajorité de ces organismes ne peuvent qu’émettre des recommandations aux Étatsfautifs, se trouvant empêchés d’ordonner des réparations71. Tout comme sur lescontinents européen et africain, le système interaméricain permet aux individus qui sesentent lésés dans les droits que leur confère le Pacte de San José et les traitésconnexes, d’exiger que réparation leur soit faite du préjudice qu’ils ont souffert.

Le pouvoir inhérent des tribunaux d’octroyer des réparations provient du droit de laresponsabilité internationale des États, qui les oblige à réparer le tort causé par leursactions ou omissions, tel que la Cour permanente de justice internationale l’aclairement formulé dans son fameux arrêt Chorzow.

Par ailleurs, comme l’observe le juge CANÇADO TRINDADE, le mot « réparer » tire sonorigine du latin « reparare » (disposer à nouveau). Selon cet éminent juriste, il sembledonc adéquat d’envisager une réparation constructive, prenant en compte l’intégralitéde la personnalité de la victime, sa réalisation comme être humain ainsi que lareconstruction de son projet de vie72.

Dans ce sens, le Comité des droits de l’homme a adopté, en 2004, l’Observation généralen° 31 sur la nature des obligations imposées aux États dans le cadre de l’application duPacte sur les droits civils et politiques73; le paragraphe 16 dudit document affirme que,selon les situations, les réparations en matière de droits de l’homme peuvent incluredes mesures de satisfaction comme les excuses publiques, des mémoriaux, des garantiesde non répétition, et des changements normatifs et de pratiques, tout comme lapoursuite en justice des perpétrateurs des violations. De son côté, l’Assemblée généraledes Nations unies a pour sa part adopté, en décembre 2005, les “Principes fondamentaux

et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations

flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit

international humanitaire”; bien que ce document ne codifie pas le droit positif, et secontente plutôt d’énoncer des recommandations quant à une réparation pleine eteffective des violations causées74, il est toutefois considéré comme un tournant majeurdans l’histoire du droit international des droits de l’homme et de la justice pénaleinternationale, plusieurs États – latino-américains en particulier - ayant incorporé seslignes directrices dans leurs législations en matière de réparation75.

Finalement, il convient ici de rappeler que le projet d’articles sur la responsabilitéinternationale de l’État (préparé par la Commission du droit international de l’ONU)prévoit que le préjudice causé peut faire l’objet de trois mesures de compensation: larestitution (art. 35), l’indemnisation du dommage matériel et moral (art. 36), et lasatisfaction (art.37).

2. Typologie des réparations dans le système interaméricain

L’article 63 (1) du Pacte de San José sanctionne les États ayant violé les droits humainsprévus par ce traité, et à l’instar du modèle qu’offrait la Convention européenne desdroits de l’homme, le projet préparé par le Conseil interaméricain de jurisconsultesprévoyait un caractère subsidiaire pour les réparations que la Cour décrèterait.

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L’article 52 (1) du projet soumis à la Conférence de San José en 1959 finit par conférer àla Cour interaméricaine la compétence de fixer une indemnisation pour la « partielésée », lorsqu’elle établirait la violation d’un droit ou une liberté. Toutefois, faisantsuite à une suggestion de la délégation guatémaltèque, présidée par le juriste CarlosGarcia Bauer, il fut décidé d’inclure trois concepts fondamentaux dans la version finalede l’article: la réparation des conséquences de la décision ou la mesure ayant violé lesdroits ou libertés de la partie lésée; la garantie pour la victime de la jouissance du droitou de la liberté enfreints; et le paiement d’une indemnisation juste. L’esprit innovateurqui domina les travaux de la conférence ouvrit donc la voie aux modalités deréparations désormais en place76. Le texte final est ainsi rédigé77:

« Article 63

1. Lorsqu'elle reconnaît qu'un droit ou une liberté protégés par la présente Convention ont été

violés, la Cour ordonnera que soit garantie à la partie lésée la jouissance du droit ou de la liberté

enfreints. Elle ordonnera également, le cas échéant, la réparation des conséquences de la mesure

ou de la situation à laquelle a donné lieu la violation de ces droits et le paiement d'une juste

indemnité à la partie lésée.

2. Dans les cas d'extrême gravité requérant la plus grande célérité dans l'action, et lorsqu'il

s'avère nécessaire d'éviter des dommages irréparables à des personnes, la Cour pourra, à

l'occasion d'une espèce dont elle est saisie, ordonner les mesures provisoires qu'elle juge

pertinentes. S'il s'agit d'une affaire dont elle n'a pas encore été saisie, elle pourra prendre de

telles mesures sur requête de la Commission ».

La jurisprudence interaméricaine, dans le but de compenser de façon adéquate le tortcausé à la victime, prend en compte aussi bien les origines que les effets de l’infraction.Elle opère selon deux principes : idonéité et conséquence, c’est-à-dire que lesréparations « doivent être conséquentes si l’on considère la nature et les effets desviolations perpétrées, et idoines pour leur faire face et les repousser ».78

Les violations qui ont causé un préjudice individuel entraînent par ailleurs l’adoptionde mesures de réparations qui concernent uniquement la victime, alors que lesviolations qui mettent en évidence l’existence d’un défaut structurel dans l’ordreinterne de l’État fautif entraînent l’adoption de mesures produisant des effets générauxayant pour effet de prévenir les violations futures.79

a) Réparations du préjudice individuel

Comme conséquence de l’obligation de « garantir » - article 1 (1) du Pacte de San José -,les États ont le devoir de prévenir, réaliser les enquêtes nécessaires et sanctionner, lecas échéant, les responsables80. Dans ce sens, la jurisprudence interaméricaine analyseen détail les obstacles que le droit interne peut poser à l’exercice de la justice pénale.Initialement, l’attention de la Cour s’est portée sur les lois d’auto-amnistie qu’elle aestimées incompatibles avec le système mis en avant par la Convention américaine. Parla suite, elle analysa les dispositions de prescription et d’établissement de mesurestendant à exclure la responsabilité et la sanction des responsables de violations gravesdes droits de la personne (affaire Barrios Altos)81. Dans le même sens, on peut égalementinclure la localisation et l’identification de restes humains, pour satisfaire tant desexigences de poursuites que des obligations morales, spirituelles, ou culturelles; la Coura par exemple requis la création d’un système d’informations génétiques pouridentifier et déterminer la filiation d’enfants disparus82.

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S’agissant de mesures de réhabilitation, dans le cas des Dix-neuf commerçants c. Colombie,le jugement rendu en 2004 requérait de l’État qu’il fournisse une aide médicale etpsychologique aux familles des 19 victimes exécutées, prenant en compte les besoins dechacun des individus affectés, sans fixer de montant spécifique83. Cette pratique a étéreprise par la Cour dans de nombreux arrêts subséquents. Dans l’affaire Cantoral

Benavides c. Pérou84, les membres des familles des victimes d’exécutions reçurent desbourses pour compléter leurs études primaires ou secondaires.

Dans son arrêt émis dans le cadre de l’affaire Loayza Tamayo c. Pérou, la Cour a, pour lapremière fois, accepté le concept de « projet de vie », lié à la satisfaction, comme uneforme de réparation85. Dans cette affaire, où la victime - une professeure universitaire -avait été accusée d’appartenir à une organisation terroriste, arrêtée, torturée, etsoumise à un procès devant des juges « sans visages » (dont l’identité était gardéesecrète), la Cour a soutenu qu’un tel dommage inclut les frustrations que la violationimposent au projet de vie légitime et raisonnable de l’individu (réalisation intégrale deson projet de vie, atteinte prévisible au potentiel de l’individu, attentes raisonnablesqu’il pourrait avoir selon ses capacités). On considère également le reproche à l’État quiaurait dû garantir les droits et libertés de l’être humain, et qui a trahi sa missionnaturelle tout comme l’espoir posé en lui par l’individu. La compensation monétaire dudommage au projet de vie n’a cependant pas été ordonnée par le Tribunal, qui s’estcontenté d’opter pour des mesures destinées à rétablir le cours de la vie, récupérerd’une certaine façon le terrain perdu, et réanimer l’espoir86. En l’espèce, elle a exigé del’État qu’il fournisse à la victime une opportunité d’enseigner dans une institutionpublique qui lui offre les mêmes bénéfices dont elle jouissait au moment de sadétention, et lui restaure tous les avantages en matière de pension et retraite auxquelselle avait droit avant sa détention87.

Dans le calcul des dommages monétaires - en particulier en ce qui concerne la perte derevenus - le montant octroyé par la Cour est souvent basé sur les activités de la victime.Cependant, dans les cas de victimes qui n’avaient pas de profession spécifique oulorsque les victimes étaient des enfants de la rue88, la Cour a établi, en se basant sur unprincipe d’équité, une estimation de revenus en employant parfois le salaire minimummensuel applicable dans le pays en question89.

Finalement, le tribunal interaméricain a souligné à maintes reprises que les mesurespréventives visant la non-réitération des faits doivent commencer par la révélation etla reconnaissance des atrocités commises dans le passé, la société dans son ensembleayant le droit de connaître la vérité relative aux crimes commis pour qu’elle soitcapable de prévenir leur répétition à l’avenir90. Dans le cadre de son arrêt dans l’affaireMasacre de Mapiripan c. Colombie91, elle détermina par exemple que l’État devaitidentifier, juger et sanctionner les responsables, et prendre les mesures nécessairespour diffuser les résultats des procès ainsi entamés, de telle sorte que la sociétécolombienne puisse connaître toute la vérité entourant les faits avérés.

b) Le cas particulier des peuples autochtones

Sur le continent américain, les communautés autochtones ont souvent souffert desviolations à leurs droits humains les plus basiques, perpétrées par l’État ou par destiers, agissant librement, sans interférence de ce dernier; des membres de cescommunautés ont été tués, les droits qu’ils possédaient sur leurs terres ancestrales ont

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été éteints, leurs coutumes ont été dénigrées, et leurs terres envahies par despersonnes cherchant à exploiter les ressources naturelles qu’elles renfermaient92.

La Cour et la Commission reconnaissent et protègent les différences culturelles quidistinguent les peuples autochtones des cultures dominantes dans la plupart des États.Elles ont par exemple obligé le gouvernement du Nicaragua à réviser son droitélectoral, qui le restreignait de façon disproportionnée, en ne prenant pas en compteles coutumes et les traditions des peuples indigènes et ethniques de ce pays. La Cour etla Commission ont également reconnu une violation du Guatemala quant au droit à lareligion, alors que cet État ne permettait pas au peuple Maya d’enterrer les membres desa communauté selon leur coutume. Le Tribunal a encore reconnu que le droit de lapropriété prévu dans la Convention américaine inclut le droit à la propriété collectivedes terres93. En 2004, dans l’affaire Plan de Sanchez c. Guatemala, la Cour a été placéedevant la tâche ardue de déterminer la réparation la plus adéquate à octroyer suite aumassacre de 250 individus membres d’une communauté Maya; au-delà de lacompensation monétaire, le tribunal a condamné l’État à adopter une pléiade d’actionsayant pour but la réparation des dommages causés94.

c) Mesures visant à corriger le préjudice causé à la société dans son ensemble

Il est normalement plus important pour les individus victimes des violations à leursdroits humains d’obtenir la garantie de vivre dans la sécurité d’un environnementredevenu humain que de se voir alloués certains avantages financiers; lareconnaissance par l’État des méfaits commis par le passé équivaut à signaler uneréorientation générale de sa politique95.

Dans ce sens, la Cour a, à partir de 2001, enjoint les États déclarés responsables deviolations des droits de la personne à admettre publiquement cette responsabilité. Dans17 cas sur 28 répertoriés, les autorités des États visés ont obtempéré, ce qui constituesans aucun doute une réussite remarquable96, si l’on considère que le Tribunal fixe desdélais ainsi que certaines caractéristiques pour l’acte officiel de reconnaissance, auqueldoivent assister des fonctionnaires de haut rang97. Dans certains cas, l’acte public dereconnaissance a eu lieu au cours même de l’audience tenue devant le tribunal, commeen 2005, dans l’affaire Gutierrez-Soler c. Colombie, lorsque chacun des représentants del’État présents dans la salle se sont levés et déplacés pour demander pardon à la victimede torture aux mains d’agents de l’État, et à sa famille98.

Par ailleurs, le jugement est en lui-même une forme de réparation, puisqu’il permet derétablir l’ordre juridique objectif aussi bien que le subjectif; c’est dans ce sens que laCour a fréquemment ordonné la diffusion de son arrêt, par des moyens decommunication divers, et dans des langues d’intérêt pour le cas (langue de groupesautochtones, ou celle de la victime – par exemple dans la langue de Molière à l’occasionde l’affaire Tibi99 où la victime était citoyen français). Le tribunal a en particulierordonné la publication de la section de son arrêt qui décrit les faits qu’il considèreavérés et détaille les contextes historique et social dans lesquels les violations se sontproduites ; cette partie de l’arrêt qu’émet la Cour constitue, au niveau de la techniquejurisprudentielle, un trait caractéristique parmi les juridictions internationales100.

Récemment, dans le cadre de l’affaire connue comme Campo algodonero (“Champscotonnier”, du nom de l’emplacement où furent trouvés plusieurs cadavres de jeunesfemmes, dans la périphérie de la ville de Ciudad Juarez, à la frontière mexicano-américaine)101, la Cour a appliqué la Convention de Belem do Pará, constatant que l’État

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mexicain avait commis de graves violations par voie d’omission, allant à l’encontre dudevoir général de garantie énoncé à l’article 1 (1) de la Convention américaine. En plusd’ordonner des mesures visant à réaliser des enquêtes adéquates et un acte dereconnaissance publique de responsabilité, la Cour a disposé, dans le cadre deréparations ayant des prétentions intégrales ou structurelles, que l’État prenne desmesures visant à éliminer les stéréotypes sur le rôle des femmes dans la société, objetde discrimination et de victimisation, et développe des programmes permanentsd’éducation et de formation pour les fonctionnaires des paliers de gouvernementsresponsables, axés sur la perspective de genre; il ne s’agit donc plus uniquement demesures visant directement les victimes (survivants et membres de la famille exigeantjustice), mais bien de la prévention générale du comportement causant préjudice102.

Dans d’autres affaires, la Cour a en outre établi des mesures réparatrices alternatives,comme par exemple : la dotation de ressources pour l’entretien d’une chapelle, lacréation d’un registre unifié répertoriant les morts violentes, l’amélioration radicaledes conditions de vie carcérale, l’inscription des noms de victimes sur des plaques, rues,monuments, édifices publics et places, etc…103.

Dans certains cas, l’arrêt a pour effet des changements profonds dans le systèmejuridique du pays visé. Le tribunal interaméricain a, par exemple, provoqué uneréforme constitutionnelle au Chili en matière de liberté d’expression afin que cet Etatsupprime la censure104. Il a également exigé la révision des normes portant sur la peinede mort, l’exclusion de châtiments corporels cruels, inhumains et dégradants, lamodification d’une loi dans le but de satisfaire au droit à la révision des décisionsjudiciaires ou encore la révision de dispositions matérielles et processuelles relatives àl’exercice de droits politiques105. Il a également établi la définition du terrorisme et dela disparition forcée. Dans l’affaire Radilla Pacheco c. Mexique106, notamment, relative àune disparition forcée survenue en 1974, la Cour a de nouveau affirmé que le crime dedisparition forcée est une violation de la Convention continue et permanente qui necesse que lorsque la victime est finalement retrouvée ou lorsque les circonstances de samort sont établies. Elle l’avait déjà ainsi décidé lors de l’arrêt Blake relatif à ladisparition et meurtre de deux citoyens américains au Guatemala en 1985 et dont lesrestes ont été retrouvés en 1989107. Le tribunal a exigé, en suivant une jurisprudenceconstante établie à l’occasion d’autres affaires, la modification de l’ordre juridiquemilitaire dans le but d’établir des limites matérielles et personnelles à cettejuridiction108.

Il est à noter finalement que le système de protection des droits de l’homme n’ayantpas de vocation pénale, et les États ne comparaissant pas devant la Cour commedéfenseurs dans une action pénale, la Cour de San José n’octroie pas de dommagespunitifs ou exemplaires109.

3. Supervision de l’exécution des arrêts

C’est à l’occasion de l’affaire Baena Ricardo et al. c. Panama110 que la Cour interaméricainea établi le fondement légal qui lui permet de superviser la mise en œuvre de sesdécisions. Le gouvernement panaméen avait alors argumenté que la Cour n’avait pasl’autorité requise pour exiger des États qu’ils fournissent les informations quiserviraient à apprécier jusqu’à quel point les mesures qu’elle a dictées onteffectivement été mises en places. La Cour statua cependant qu’elle avait la compétencenécessaire pour déterminer l’étendue de sa juridiction, considérant que la supervision

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en était une partie inhérente ; elle ajouta que ses décisions ayant pour but de protégereffectivement les victimes et leur octroyer des réparations, cet objectif ne pourrait êtreatteint que si les décisions sont pleinement mises en œuvre111.

La Cour a codifié dans son nouveau Règlement la pratique qu’elle avait développéedepuis 2006 relative à la supervision de l’exécution de ses jugements112. Les audiencesde supervision qui réunissent les représentants des victimes, de l’État, et la Commissiondevant un comité de trois ou quatre juges cherchent à faciliter les accords entre lesparties quant à la mise en œuvre des mesures prescrites par le Tribunal113. Ce dernierémet subséquemment un rapport dans lequel il énumère les actions que l’État doitentreprendre pour satisfaire pleinement ses exigences, demeurant saisi de l’affairejusqu’à ce qu’il considère qu’elles ont été mises en œuvre114.

À titre indicatif, à la fin de 2013, 148 affaires contentieuses se trouvaient en cours decontrôle d’exécution. Ceci est en partie dû au fait que la nature de certaines réparationsdictées par la Cour – comme celles relatives aux investigations judiciaires, la création etmodification de normes légales, ou des changements structurels, font en sorte quel’étape de contrôle doive demeurer ouverte pour une durée supérieure à cellequ’exigeraient d’autres types de réparation moins complexes à mettre en œuvre.115

B. Développements récents, et regards sur l’avenir

Le dynamisme dont fait preuve le système interaméricain se reflète d’une part auniveau de certaines nouveautés qui y ont été incorporées au cours des dernièresannées, et également par l’influence croissante de la jurisprudence de la Cour de SanJosé dans les décisions adoptées par les tribunaux nationaux des pays membres del’OÉA.

1. Nouveautés

Le système interaméricain a adopté dernièrement deux nouvelles figures juridiques, eten a modifié une troisième. Il convient ici d’en faire mention: un fonds d’assistancepour les victimes, un défenseur interaméricain et un changement des conditions derecours aux juges ad hoc.

a) Victimes

Le Pacte de San José n’aborde pas expressément la place qui doit être faite auxindividus relativement à la procédure devant la Cour interaméricaine116. Dans ce sens,une des principales réformes introduites par le nouveau Règlement prévoit que c’estaux victimes présumées et à leurs représentants que reviendra désormais le rôleprincipal lors d’un procès se déroulant devant la Cour, la Commission étant reléguée ausecond plan117.

Un Fonds d’assistance légale a été créé par l’Assemblée générale de l’OÉA en 2008, et leConseil permanent de l’Organisation a adopté, fin 2009, des règles générales relatives àson utilisation. Étant donné que le Fonds ne dispose pas de ressources provenant dubudget ordinaire de l’OÉA, la Cour a dû chercher des contributions volontaires afind’assurer son entrée en vigueur. La première contribution a été faite par legouvernement norvégien, suite à la signature d’un accord de coopération, en février2010. D’autres gouvernements ont par la suite réalisé des apports118. La Cour est

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chargée de décider si une victime présumée pourra ou non bénéficier des ressources duFonds. Le cas échéant, elle devra démontrer qu’elle ne dispose pas des moyenséconomiques qui lui permettent de faire face aux dépenses encourues, et indiquer avecprécision quels aspects de sa représentation elle prétend acquitter grâce aux ressourcesdu Fonds. La Présidence de la Cour évalue chacune des demandes présentées,déterminant au cas par cas son bien-fondé. Entre 2010 et 2013, la Cour a autorisé l’accèsau Fonds dans 25 affaires119.

Dans le cas des victimes présumées se trouvant dans l’impossibilité de se fairereprésenter auprès de la Cour par leur propre avocat, le Règlement prévoit par ailleursla possibilité pour le tribunal de leur désigner un défenseur interaméricain120. La Cour aainsi conclu un accord avec l’Association interaméricaine des défenseurs publics, quipermettra sa collaboration pour nommer des avocats dans chaque cas particulier121. Lareprésentation légale mentionnée est gratuite, et l’Association ne percevra que leremboursement des dépenses que la défense du cas lui occasionne. Dans la mesure dupossible, la Cour contribuera à défrayer, via le Fonds d’assistance légale, les dépensesraisonnables et nécessaires encourues par le défenseur interaméricain désigné. À la finde 2013, l’intervention de l’Association avait été requise dans quatre affaires122.

Il convient ici de rappeler qu’avant l’entrée en vigueur de cette réforme, la Commissioninteraméricaine était l’organe chargé de conseiller les victimes présumées et d’agirdans leur intérêt devant la Cour lorsqu’elles ne disposaient pas d’une représentation.De cette manière, on cherchait à garantir l’accès à la justice interaméricaine pour lespersonnes qui ne disposaient pas d’une représentation et requéraient une assistancetechnique.

Finalement, il est à souligner que, depuis 2011, la Cour a occasionnellement recours àl’obtention de témoignages par le truchement de médiums audiovisuels, permettantainsi que les victimes présumées, de même que n’importe quel autre déclarant, aientune participation active et directe dans les procès suivis devant elle. Ceci permetd’amenuiser les complications, notamment financières, rencontrées par plusieursvictimes pour donner suite à la procédure entamée à Washington, et continuée par lasuite à San José123.

b) Juges ad hoc

L’article 55 de la Convention américaine prévoit qu’un État appelé à se présenterdevant la Cour peut nommer un juge ad hoc qui fera partie du panel qui connaîtra cetteaffaire si aucun des sept juges n’a la nationalité de cet État. Cette disposition visaitinitialement à assurer qu’au moins un membre du panel comprendrait parfaitement lesystème juridique concerné, ce qui est souvent important pour l’analyse del’épuisement des voies de recours internes. Le Pérou et le Guatemala ayant enparticulier adopté la pratique de nommer des juges qui rendaient invariablement desopinions dissidentes plus favorables à l’État qui les avait nommés, la Cour a fermé laporte à ces abus en 2009, en émettant un avis consultatif124 interprétant l’article 55 visé,de telle sorte que les juges ad hoc ne peuvent dorénavant être nommés que dans le casoù un État serait poursuivi par un autre devant sa juridiction125.

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2. Pénétration de la jurisprudence interaméricaine dans les ordres juridiques

internes

Bien que les opérateurs de justice des Amériques soient peu enclins, par nature, àaccepter l’ingérence des institutions interaméricaines dans leur système juridique, dûau fait que plusieurs constitutions latino-américaines garantissent l’indépendance desmagistrats et procureurs126, les tribunaux supérieurs de plusieurs pays du continent ontreconnu l’autorité des arrêts de la Cour interaméricaine, et ont fait l’objetd’ordonnances visant par exemple à obliger les juges mexicains à recevoir uneformation en perspective de genre, ou les juges guatémaltèques à cesser d’appliquer lapeine de mort127. Dans les 114 arrêts où le tribunal de San José a émis des ordonnancesde réparations (entre 1979 et 2009), les mesures ordonnées requéraient l’interventiondu pouvoir judiciaire dans 78, soit plus des deux tiers128. Par ailleurs, à partir de 2006, letribunal interaméricain a développé une doctrine du contrôle de conventionalité, autravers duquel les juges nationaux sont amenés à assurer la compatibilité du systèmejuridique interne avec les dispositions de la Convention américaine129.

La Cour constitutionnelle du Pérou a, en particulier, reconnu au tribunalinteraméricain le rôle de « gardien ultime des droits humains dans la région ». Elleadmet ainsi que son propre recours aux normes internationales est insuffisant tout ens’engagent à prendre en considération l’interprétation faite de ces normes par letribunal de San José130. Dans l’affaire Barrios Altos (précitée), la Cour interaméricaine aétabli l’inadmissibilité des dispositions internes adoptées par l’État péruvien prévoyantune amnistie qui aurait pour conséquence d’empêcher les enquêtes et la sanction desresponsables de violations graves des droits de l’homme (torture, disparitions forcées,exécutions sommaires, etc). Le gouvernement transitoire du Pérou, ayant reçu lanotification de la décision du tribunal de San José, renvoya la décision à la Coursuprême, qui la fit parvenir aux tribunaux inférieurs accompagnée de l’instructionselon laquelle les causes criminelles relatives à l’affaire Barrios Altos devaient êtrerouvertes, étant donnée la nature obligatoire du jugement de la Courinteraméricaine131.

À l’occasion d’un autre jugement de la Cour constitutionnelle péruvienne émis en juin2007, le tribunal a repris le raisonnement établi par la Cour interaméricaine dansl’affaire Yatama c. Nicaragua, réaffirmant ainsi le droit de tout individu à un recourseffectif, devant un tribunal compétent pour protéger ses droits contre des actes quiviolentent ses droits fondamentaux132.

En Argentine, l’arrêt Simon, émis en 2005 par la Cour suprême de ce pays, eût pourconséquence de laisser sans effets juridiques certaines lois dont celle connue sous lenom de « point final », permettant ainsi la condamnation de Julio Hector Simon à unepeine de 25 ans de prison, et la réouverture d’un millier d’affaires pénales danslesquelles était mise en cause la responsabilité d’effectifs militaires et ex militaires liésà la répression s’étant institutionnalisée dans ce pays entre 1976 et 1983. Le jugementconclut que les individus ayant bénéficié de ces lois ne pouvaient invoquer la chosejugée en vertu des principes établis par la Cour interaméricaine, en particulier dansl’affaire Barrios Altos. Le même tribunal argentin, dans une décision adoptée en 2007,déclara inconstitutionnel le décret du pouvoir exécutif émis en 1989 qui graciait legénéral Santiago Riveros, en s’appuyant sur les arrêts Barrios Altos et Almonacid133.

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En République Dominicaine, la Cour suprême a, conformément à ses compétences, parjugement, créé un mécanisme de protection juridictionnel de droits et libertésfondamentaux (recours d’amparo) en se fondant sur l’article 25.1 du Pacte de San Joséqui consacre le droit à “un recours simple et rapide”. Cela est justifié par le fait qu’iln’existait pas dans ce pays de loi conférant une compétence expresse à un tribunal pouraccueillir des actions de ce type134. Dans une autre affaire, le même tribunal a parailleurs accordé une priorité à l’article 19 de la Convention américaine, ainsi qu’à l’avisconsultatif n° 17 de 2002 sur la protection des droits des enfants135, pour établir lesrègles processuelles applicables dans le cadre de l’obtention d’une déclaration d’unmineur comparaissant comme victime, témoin ou co-imputé dans un procès dans cepays136.

Dans le cas du Costa Rica, cet État a demandé et obtenu de la Cour interaméricainel’émission de deux avis consultatifs, relatifs à la modification de la disposition de saconstitution en matière de naturalisation, et sur le regroupement obligatoire encorporation professionnelle des journalistes dans ce pays. L’État a donné pleins effetsjuridiques à ces avis137.

S’agissant de la Colombie, la Cour constitutionnelle a développé d’importants principesdans un cas relatif à l’interprétation du code de procédure pénale de ce pays. Letribunal colombien a cité l’avis consultatif n° 9 de 1987138 émis par le Tribunal de SanJosé, spécifiant que l’inexistence de solutions effectives contre les violations de droitsreconnus dans la Convention américaine équivaut à une violation de ce traité139.

La jurisprudence de la Cour interaméricaine a donc pour effet d’influencer laréinterprétation radicale de certaines normes de droit interne, à la lumière deprincipes considérés comme constituant un ordre normatif supérieur140.

Conclusion

L’universalisation des droits de l’homme telle que décrite par Norberto Bobbio aconstitué un développement certain dans la consolidation de la protection des droits dela personne. Le défi actuel tient essentiellement à la correcte mise en œuvre desobligations internationales par les États141. Sur le continent américain, l’attention dusystème n’est plus centrée exclusivement sur les violations massives du droit à la vie ouautres droits fondamentaux, mais sur d’autres types d’abus. L’accent est désormais missur l’obligation pour les États d’amender leur législation et de réorienter leurjurisprudence et leur pratique pour les rendre compatibles avec les standardsinternationaux142. Cependant, les obstacles à la mise en œuvre des droits de la personnedans les Amériques sont nombreux : pauvreté extrême, sociétés divisées, ravagées pardes conflits internes brutaux, des systèmes judiciaires faibles, et des démocratiesfragiles143. S’ajoute à ces conditions déjà difficiles un défaut d’homogénéité parmi lesÉtats s’agissant de la ratification des traités: le Belize, le Canada, les États-Unis etcertains pays des Caraïbes n’ont pas ratifié la Convention américaine ni accepté lajuridiction de la Cour, alors que trois autres pays ont ratifié la Convention mais nereconnaissent pas la compétence de la Cour. Ceci ne peut que compliquer lefonctionnement du système interaméricain144.

Certains mettent en doute l’efficacité du régime de réparation adopté par la Courinteraméricaine qui, en étant très précise sur ses exigences envers les pays concernés,contrairement au modèle européen, ne contribue pas à améliorer le taux de réalisation

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des mesures. Néanmoins, les compensations monétaires ordonnées par la Cour sontmises en œuvre dans 81% de cas145. Par ailleurs, force est d’admettre que certainessituations, telle la disparition forcée, peuvent difficilement être compensées par unmontant forfaitaire146.

Par ailleurs, avec l’expansion du nombre de membres du Conseil de l’Europe, lesaffaires qui parviennent au tribunal de Strasbourg se sont diversifiées, et dans certainscas les violations ont atteint des seuils de gravité importants. Il est donc possibled’envisager que l’expérience acquise au sein de la Cour de San José pourrait devenirutile comme point de référence pour la Cour européenne147. Sans parlerd’ « américanisation » du droit européen, le tribunal de Strasbourg cite désormais avecune certaine fréquence des arrêts interaméricains148.

A l’inverse, comme l’indique l’ancien juge GARCIA RAMIREZ, l’avenir du systèmeinteraméricain pourrait évoluer en donnant un rôle plus actif à la victime devant laCour, en lui conférant la possibilité d’y accéder directement, comme dans le caseuropéen149. Pour ce faire toutefois, le budget destiné aux travaux de la Courinteraméricaine devra être révisé, afin de permettre, par exemple, que ses juges seconsacrent à leurs fonctions à temps plein. C’est là un des nombreux sujets déjàconsidérés pour améliorer et consolider le système150.

NOTES

1. D. GARCIA SAYAN, “Constitutional review: the Inter-american Court andconstitutionalism in Latin America”, Texas Law Review, vol. 89, juin 2011, p. 1835.

2. Règlement de la Commission interaméricaine des droits de l’homme ; disponible sur https://

www.cidh.oas.org/Basicos/French/u.reglement.cidh.htm.

3. Règlement de la Cour interaméricaine des droits de l’homme; disponible sur http://www.corteidh.or.cr/

sitios/reglamento/nov_2009_fr.pdf.

4. J. M. PASQUALUCCI, The practice and procedure of the Inter-american Court of human rights, 2ième

éd., Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 7.

5. Pour Pierre-Marie Dupuy et Yann Kerbrat, la jurisprudence de la Cour «méritedésormais la plus grande attention, tant à raison de sa richesse que de l’audace qui lacaractérise», Droit international public, 11ème éd., Paris, Dalloz, 2012, p. 256.

6. Pour une étude thématique du système interaméricain, voir notamment le livre de D. SHELTON

et P. G. CAROZZA, Regional protection of human rights, 2ème éd., Oxford, Oxford University Press,

2013.

7. J. PASQUALUCCI, “The Americas”, in D. MOECKLI, International human rights law, 2ème ed.,

Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 399.

8. Charte de l’Organisation des États Américains ; sa version actualisée est disponible sur http://

www.oas.org/dil/french/traites_A-41_Charte_de_l_Organisation_des_Etats_Americains.htm

9. Bien qu´entendue comme un document qui ne liait pas les États membres, la Déclaration

américaine contient une définition et une interprétation qui font autorité relativement aux

obligations auxquelles sont soumis les États ayant signé la Charte de l’OÉA, telle qu’amendée par

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le Protocole de Buenos Aires; la Cour interaméricaine a en effet confirmé que la Déclaration est le

texte définissant les droits de la personne auxquels la Charte fait référence, et est donc une

source d’obligations internationales pour ces États. B. FARRELL, "The right to habeas corpus in

the Inter-american human rights system", Suffolk transnational law review, vol. 33, été 2010, pp.

200-202.

10. Ibidem, p. 205.

11. La création de la Commission, en 1959, constitue en partie une réaction à larévolution cubaine et à l’établissement de la dictature de Trujillo en Républiquedominicaine. F. GONZALEZ, “The experience of the Inter-american human rightssystem”, Victoria University of Wellington Law Review, vol. 40, 2009, p. 115.

12. S. GARCIA RAMIREZ, “Panorama de la jurisdiccion interamericana sobre derechoshumanos”, in A. VON BOGDANDY, E. FERRER MAC-GREGOR, et M. MORALESANTONIAZZI, (Coord.), La justicia constitucional y su internacionalización. ¿hacia un ius

constitucionale commune en America latina?, t. II, México, Instituto de investigacionesjurídicas - Instituto iberoamericano de derecho constitucional - Max Planck Institut fürausländisches öffentliches rechts und völkerrecht, 2010, pp. 341-342.

13. F. GONZALEZ, op. cit., p. 106.

14. Deux raisons semblent expliquer l’adoption de la Convention américaine dans uncontexte plutôt hostile de gouvernements dictatoriaux et autoritaires sur le continentaméricain : un nombre important d’États n’avait sans doute pas l’intention de ratifier laConvention, et certains d’entre eux concevaient sans doute les dispositions qu’ellecontenait comme les déclarations des droits de l’homme enchâssés dans leursconstitutions, c’est à dire comme des clauses dont le respect n’était pas impératif. F.GONZALEZ, op. cit., pp. 106-107. Par ailleurs, la Convention doit sans doute en partie sonentrée en vigueur aux pressions exercées par le gouvernement du président américainCarter sur les gouvernements du reste du continent. Il est intéressant de noter que bienque le président Carter ait signé le Pacte pendant sa première année de mandat, lesénat américain ne consentit jamais à le ratifier. L. SHAVER, “The Inter-americanhuman rights system: an effective institution for regional rights protection ?”,Washington University global studies law review, vol. 9, 2010, pp. 643-644.

15. G. L. NEUMAN, “Import, export, and regional consent in the Inter-american Court ofhuman rights”, European journal of international law, vol. 19, no. 1, 2008, p. 106.

16. F. GONZALEZ, op. cit., p. 107.

17. B. FARRELL, op. cit., p. 202.

18. F. GONZALEZ, Sistema interamericano de derechos humanos, Tirant lo Blanch, Valence, 2013, p.

35.

19. F. GONZALEZ, “The experience of the Inter-american human rights system”, op. cit., pp.

105-106.

20. A. HUNEEUS, "Courts resisting courts: Lessons from the Inter-american Court´sstruggle to enforce human rights", Cornell international law journal, vol. 44, automne2011, pp. 498-499.

21. Ch. M. CERNA, "How the Inter-american system for the protection of human rights has

contributed to the development of international law", in O. DELAS, Les juridictions internationales:

complémentarité ou concurrence?, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 130-131. Entre la fin des années

1970 et le début des années 1980, les gouvernements latino-américains auraient ordonné la

disparition d’entre 11000 et 13000 personnes. L. SHAVER, op. cit., p. 667.

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22. Commission interaméricaine des droits de l’homme, Communiqué de presse : « CIDH culmina

visita a República Dominicana»; disponible sur: http://www.oas.org/es/cidh/prensa/comunicados/

2013/097.asp

23. Cette dernière possibilité a sans doute permis au système de connaitre des cas qui autrement,

par crainte d’intimidation ou manque de moyens financiers, ne lui seraient pas parvenus (J. M.

PASQUALUCCI, The practice and procedure of the Inter-american Court of human rights, op. cit., p. 5).

24. F. GONZALEZ, “The experience of the Inter-american human rights system”, op. cit., p. 117.

25. Articles 44 et suivants du Pacte de San José.

26. Article 25.

27. S. GARCIA RAMIREZ, « El amplio horizonte de las reparaciones en la jurisprudenciainteramericana de derechos humanos”, in P. HÄBERLE et D. GARCÍA BELAUNDE(Coord.), El control del poder – homenaje a Diego Valades, t. I, México, Universidad NacionalAutónoma de México, 2011, p. 103.

28. A. HUNEEUS, op. cit., pp. 498-499. Au cours des 10 dernières années, le nombre de plaintes

soumises a presque doublé, mais le nombre de celles qui sont déclarées recevables n’a pas fluctué

de façon proportionnelle. Selon le rapport annuel de la Commission, durant l’année 2013, celle-ci

a reçu 2,061 plaintes concernant 27 pays : http://www.oas.org/es/cidh/docs/anual/2013/indice.asp.

29. F. GONZALEZ, “The experience of the Inter-american human rights system”, op. cit., p. 119.

30. J. PASQUALUCCI, “The Americas”, op. cit., pp. 403-404.

31. R. RIVIER, “Responsibility for violations of human rights obligations: Inter-american mechanisms”, in J. CRAWFORD et al. (Ed.), The law of international responsibility,New York, Oxford University Press, 2010, pp. 755-756.

32. J. PASQUALUCCI, “The Americas”, op. cit., p. 404.

33. F. GONZALEZ, “The experience of the Inter-american human rights system”, op. cit., p. 116.

Entre 2004 et 2009, la Commission a soumis en moyenne 12 cas par année à la Cour. A. HUNEEUS,

op. cit., p. 499. La situation pour les trois dernières années est la suivante : en 2010, le nombre

d’affaires soumises s’élevait à 16, ayant atteint le sommet de 23 pour l’année 2011, pour retomber

à 12 en 2012, et 11 en 2013 d’après le rapport annuel de la Cour. Cour interaméricaine des droits

de l’homme, Rapport annuel (2013), disponible sur http://www.corteidh.or.cr/sitios/informes/docs/FRE/

fre_2013.pdf.

34. R. RIVIER, op. cit., p. 754.

35. Voir dans ce sens l’étude réalisée par Ariel DULITZKY, "Too little, too late: the pace of

adjudication of the Inter-american Commission on human rights", Loyola of Los Angeles

international & comparative law review, vol. 35, printemps 2013. Le délai qui s’écoule entre la

présentation initiale de la plainte devant la Commission et son introduction au greffe de la Cour,

le cas échéant, est d’en moyenne huit ans (J. PASQUALUCCI, « The Americas », op. cit., p. 402).

36. C’est le cas pour 11 États membres de l’Organisation, dont les États-Unis et le Canada.

37. G. L. NEUMAN, op. cit., pp. 102-103.

38. A. HUNEEUS, op. cit., p. 499

39. G. L. NEUMAN, op. cit., p. 103.

40. Voir dans ce sens L. BURGORGUE-LARSEN, “Les méthodes d’interprétation de laCour interaméricaine des droits de l’homme - Justice in context”, Revue trimestrielle des

droits de l’homme, n°97, 2014, pp. 40-46.

41. L’ancien juge GARCIA RAMIREZ ajoute à ces deux facettes de ce qu’il appelle la «mission

protectrice» de la Cour, un aspect préventif et un autre exécutif. S. GARCIA RAMIREZ, "Panorama

de la jurisdicción interamericana sobre derechos humanos", op. cit., p. 354.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

233

Page 235: La Revue des droits de l’homme, 6

42. Cour interaméricaine des droits de l’homme, "Otros Tratados" Objeto de la Función

Consultiva de la Corte (art. 64 Convención Americana sobre Derechos Humanos). OpiniónConsultiva OC-1/82 del 24 de septiembre de 1982, Serie A n° 1.

43. Cour interaméricaine des droits de l’homme, El Derecho a la Información sobre la

Asistencia Consular en el Marco de las Garantías del Debido Proceso Legal. Opinión ConsultivaOC-16/99 del 1 de octubre de 1999. Serie A n° 16.

44. D. RODRIGUEZ-PINZON et C. MARTIN, "The Inter-american human rights system:selected examples of its supervisory work", in S. JOSEPH et A. Mc BETH, Research

handbook on international human rights law, Northampton, Edward Elgar, 2010, pp.365-366.

45. L. SHAVER, op. cit., p. 649.

46. Cour interaméricaine des droits de l’homme, Derechos y garantías de niñas y niños en el contexto

de la migración y/o en necesidad de protección internacional : opinion consultiva OC-21/14 del 19 de

agosto de 2014. Serie A, n° 21.

47. J. M. PASQUALUCCI, The practice and procedure of the Inter-american Court of human rights, op. cit.,

p. 12.

48. L. SHAVER, op. cit., p. 654.

49. D. RODRIGUEZ-PINZON et C. MARTIN, op. cit., p. 367. Parmi les 35 Etats qui formentl’OÉA, 20 reconnaissent présentement la compétence contentieuse de la Cour:Argentine, Barbade, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Équateur, El Salvador,Guatemala, Haïti, Honduras, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, RépubliqueDominicaine, Surinam, et Uruguay ; nous rappellerons ici que le Vénézuela a annoncéen septembre 2012 qu’il dénonçait le Pacte de San José.

50. L. SEMINARA, Les effets des arrêts de la Cour interaméricaine des droits de l'homme,Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 45-46.

51. Convention américaine relative aux droits de l’homme, disponible sur le site internet de la

Commission : http://www.cidh.oas.org/Basicos/French/c.convention.htm.

52. A titre indicatif, selon le rapport annuel de la Cour pour 2008 (p. 77), les violations les plus

souvent déclarées dans ses arrêts sont relatives aux garanties judiciaires (81 occasions), la

protection judiciaire (79), droit à l’intégrité de la personne (66), droit à la liberté personnelle (51),

droit à la vie (48), l’obligation d’adopter des dispositions de droit interne (41); les chiffres pour les

autres violations reconnues par la Cour aux dispositions du Pacte de San José et aux traités

connexes tombent par la suite à 13 (dans le cas de la Convention interaméricaine pour la

prévention et la répression de la torture). Le rapport est disponible sur le site internet de la Cour:

http://www.corteidh.or.cr/docs/informes/spa20081.pdf

53. L. SHAVER, op. cit., p. 649

54. Ibidem, p. 659.

55. Cour interaméricaine des droits de l’homme, Rapport annuel (2013), précité, p. 34.

56. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso de los “Niños de la Calle” (Villagrán Morales y

otros) vs. Guatemala. Fondo. Sentencia de 19 de noviembre de 1999. Serie C n°. 63.

57. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso de la Masacre de Mapiripan vs. Colombia .

Fondo, Reparaciones y Costas. Sentencia de 15 de septiembre de 2005. Serie C n° 134.

58. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso Juan Humberto Sánchez vs. Honduras.

Excepción Preliminar, Fondo, Reparaciones y Costas. Sentencia de 7 de junio de 2003, Serie C n°

99.

59. Le texte de ces instruments est disponible à partir du site internet de la Cour : http://

www.corteidh.or.cr/sistemas.cfm?id=2

60. D. RODRIGUEZ-PINZON et C. MARTIN, op. cit., pp. 370-372.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

234

Page 236: La Revue des droits de l’homme, 6

61. G. L. NEUMAN, op. cit., pp. 116-117.

62. Cour interaméricaine des droits de l’homme, Caso Caesar vs. Trinidad y Tobago. Fondo,

Reparaciones y Costas. Sentencia 11 de marzo 2005. Serie C No. 123; opinion séparée du juge

CANÇADO TRINDADE, § 92. Certains auteurs considèrent par ailleurs que les interprétations du

tribunal de San José vont, à l’occasion, trop loin ; voir, dans ce sens, G. L. NEUMAN, op. cit., p. 123.

63. A. HUNEEUS, op. cit., pp. 500-503.

64. S. GARCIA RAMIREZ, “El amplio horizonte de las reparaciones en la jurisprudencia

interamericana de derechos humanos, op. cit., pp. 94-95.

65. L. SHAVER, op. cit., p. 670.

66. A. PAUL, “La Corte interamericana in vitro: comentarios sobre su proceso de toma de

decisiones a propósito del caso Artavia”, Derecho publico iberoameicano, n°2, 2013, p. 328.

67. T. M. ANTKOWIAK, “Remedial approaches to human rights violations: The Inter-american Court of human rights and beyond”, Columbia journal of transnational law, vol.46, 2008, p. 354.

68. Ch. TOMUSCHAT, « La protection internationale des droits des victimes », in J.-F.FLAUSS, La protection internationale des droits de l'homme et les droits des victimes,Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 19.

69. L. BURGORGUE-LARSEN et U. DE TORRES AMAYA, Les grandes décisions de la Cour

interaméricaine des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 257.

70. Ch. TOMUSCHAT, op. cit., p. 8.

71. D. SHELTON, “The jurisprudence of human rights tribunals on remedies for humanrights violations”, in J.-F. FLAUSS, op. cit., pp. 69-70.

72. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso Cantoral Benavides vs. Perú.

Reparaciones y Costas. Sentencia de 3 de diciembre de 2001. Serie C n°88; opinionséparée, § 10.

73. General Comment No. 31 [80] “Nature of the General Legal Obligation Imposed onStates Parties to the Covenant”, Document CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, adopté le 29 mars2004.

74. Ch. TOMUSCHAT, op. cit., p. 11.

75. M. C. BASSIOUNI, “International Recognition of Victims’ Rights”, Human Rights Law

Review, vol. 6, n°2, 2006, p. 278.

76. S. GARCIA RAMIREZ, “Reparaciones de fuente internacional por violación de derechos

humanos (sentido e implicaciones del párrafo tercero del artículo 1º. constitucional bajo la

reforma de 2011)”, in M. CARBONELL et P. SALAZAR (Coord.), La reforma constitucional de derechos

humanos: un nuevo paradigma, México, Universidad Nacional Autónoma de México, 2011, pp.

175-176.

77. Disponible sur: http://www.cidh.oas.org/Basicos/French/c.convention.htm

78. S. GARCIA RAMIREZ, ”El amplio horizonte de las reparaciones en la jurisprudencia

interamericana de derechos humanos”, op. cit., p. 93.

79. L. SEMINARA, op. cit., p. 373.

80. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso El Amparo vs. Venezuela.Reparaciones y Costas. Sentencia de 14 de septiembre de 1996. Serie C n° 28.

81. S. GARCIA RAMIREZ, “El amplio horizonte de las reparaciones en la jurisprudencia

interamericana de derechos humanos”, op. cit., p. 104.

82. Ibidem, p. 116. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso de las Hermanas Serrano Cruz

vs. El Salvador. Fondo, Reparaciones y Costas. Sentencia del 1 de marzo de 2005. Serie C n° 120.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

235

Page 237: La Revue des droits de l’homme, 6

83. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso 19 Comerciantes vs. Colombia. Fondo,

Reparaciones y Costas. Sentencia de 5 de julio de 2004. Serie C, n° 109, §278.

84. Arrêt Cantoral Benavides c. Pérou, précité, § 80.

85. A. A. CANÇADO TRINDADE, “Reminiscencias de la Corte interamericana de derechoshumanos en cuanto a su jurisprudencia en materia de reparaciones”, in A. VONBOGDANDY, E. FERRER MAC-GREGOR, et M. MORALES ANTONIAZZI (Coord), op. cit., p.208.

86. S. GARCIA RAMIREZ, “El amplio horizonte de las reparaciones en la jurisprudencia

interamericana de derechos humanos”, op. cit., pp. 105-106.

87. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso Loayza Tamayo vs. Perú . Reparaciones y

Costas. Sentencia de 27 de noviembre de 1998. Serie C n°. 42, § 192.

88. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso de los “Niños de la calle” (Villagrán Morales y

otros) vs. Guatemala, précité.

89. D. RODRIGUEZ-PINZON et C. MARTIN, op. cit, p. 375.

90. S. GARCIA RAMIREZ, "El amplio horizonte de las reparaciones en la jurisprudencia

interamericana de derechos humanos", op. cit., p. 108.

91. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso de la Masacre de Mapiripán vs. Colombia,

precité, §298.

92. J. M. PASQUALUCCI, "The Evolution of International Indigenous Rights in the Inter-American Human Rights System", Human Rights Law Review, vol. 6, n° 2, 2006, p. 282.Voir également l’article de D. CONTRERAS-GARDUÑO et S. RAMBOUTS, “Collectivereparations for indigenous communities before the Inter-american Court of humanrights”, Merkourios – Utrecht journal of international and European law, vol. 27, n° 72, 2010.

93. J. M. PASQUALUCCI, “The Evolution of International Indigenous Rights in the Inter-American

Human Rights System”, op. cit., pp. 320-322.

94. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso Masacre Plan de Sánchez vs. Guatemala.

Reparaciones y Costas. Sentencia de 19 de noviembre 2004. Serie C n° 116, § 90 ss.

95. Ch. TOMUSCHAT, op. cit., p. 21.

96. T. M. ANTKOWIAK, “An emerging mandate for international courts: Victim-centered remedies and restorative justice”, Stanford journal of international law, été 2011,p. 297-298.

97. S. GARCIA RAMIREZ, “El amplio horizonte de las reparaciones en la jurisprudencia

interamericana de derechos humanos”, op. cit., p. 116-117.

98. T. M. ANTKOWIAK, “Remedial approaches to human rights violations: The Inter-american

Court of human rights and beyond”, op. cit., p. 379.

99. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso Tibi vs. Ecuador. Excepciones Preliminares,

Fondo, Reparaciones y Costas. Sentencia de 7 de septiembre de 2004. Serie C n° 114.

100. T. M. ANTKOWIAK, “Remedial approaches to human rights violations: The Inter-american Court of human rights and beyond”, op. cit., p. 381.

101. Cour interaméricaine des droits de l’homme, Caso Gonzalez y otras (“Campo Algodonero”) vs

Mexico. Excepcion Preliminar, Fondo, Reparaciones y Costas. Sentencia de 16 de noviembre de

2009. Serie C n° 205.

102. S. GARCIA RAMIREZ, “Reparaciones de fuente internacional por violación de derechos

humanos (sentido e implicaciones del párrafo tercero del artículo 1º. constitucional bajo la

reforma de 2011)”, op. cit., pp. 195-196.

103. S. GARCIA RAMIREZ, “El amplio horizonte de las reparaciones en la jurisprudencia

interamericana de derechos humanos”, op. cit., p. 118-119.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

236

Page 238: La Revue des droits de l’homme, 6

104. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso "La Ultima Tentación de Cristo" (Olmedo

Bustos y otros) vs. Chile. Fondo, Reparaciones y Costas. Sentencia de 5 de febrero de 2001. Serie C

n°. 73

105. S. GARCIA RAMIREZ, op. cit., pp. 113-114.

106. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso Radilla Pacheco vs. Mexico. Excepciones

Preliminares, Fondo, Reparaciones y Costas. Sentencia de 23 de Noviembre de 2009. Serie C n°

209.

107. R. RIVIER, op. cit., pp. 743-744.

108. S. GARCIA RAMIREZ, “Reparaciones de fuente internacional por violación de derechos

humanos (sentido e implicaciones del párrafo tercero del artículo 1º. constitucional bajo la

reforma de 2011)”, op. cit., pp. 196-197.

109. R. RIVIER, op. cit., pp. 748-749.

110. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Caso Baena Ricardo y otros vs. Panama. Fondo,

Reparaciones y Costas. Sentencia de 2 de febrero de 2001. Serie C n° 72.

111. D. RODRIGUEZ-PINZON et C. MARTIN, op. cit., p. 378.

112. Article 69.

113. J. SCHÖNSTEINER et al., “Reflections on the human rights challenges ofconsolidating democracies: recent developments in the inter-american system ofhuman rights”, Human rights law review, vol. 11, no. 2, 2011, p. 386.

114. A. HUNEEUS, op. cit., pp. 500-502.

115. Rapport annuel de la Cour interaméricaine (2013), précité, p. 77.

116. D. RODRIGUEZ-PINZON et C. MARTIN, op. cit., p. 369.

117. F. GONZALEZ, Sistema interamericano de derechos humanos, op. cit., pp. 130 et s.

118. J. SCHÖNSTEINER et al., op. cit., p. 387. Selon le Rapport de la Cour (p. 93), à la fin de 2013,

suite à des contributions de la Norvège et du Danemark, le montant total affecté au financement

du Fonds s’élevait à USD 355000.

119. Rapport annuel de la Cour interaméricaine (2013), précité, p. 96.

120. Voir, en ce sens, l’article de M. F. LOPEZ PULEIO, “La puesta en escena del defensor público

interamericano”, Anuario de derechos humanos, no. 9, 2013. Selon le Rapport de la Cour (p. 83),

l’assistance au défenseur interaméricain a été allouée dans quatre cas.

121. J. SCHÖNSTEINER et al., op. cit., pp. 387-388.

122. Rapport annuel de la Cour interaméricaine (2013), précité, pp. 101-102.

123. P. A. ACOSTA ALVARADO, Tribunal europeo y Corte interamericana de derechos

humanos: escenarios idóneos para la garantía del derecho de acceso a la justicia internacional?,Bogota, Universidad externado de Colombia, 2008, partie I, passim.

124. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Artículo 55 de la Convención Americana

sobre Derechos Humanos. Opinión Consultiva OC-20/09 de 29 de septiembre de 2009. SerieA No. 20

125. L. SHAVER, op. cit., pp. 645-646.

126. A. HUNEEUS, op. cit., pp. 494-495.

127. Ibidem, p. 496.

128. Ibidem, p. 502.

129. Voir notamment, en ce sens, K. A. CASTILLA, “ ¿Control interno o difuso de

convencionalidad ? Una mejor idea: la garantía de tratados”, Anuario mexicano de derecho

internacional, vol. XIII, 2013.

130. D. GARCIA SAYAN, “Constitutional review: the Inter-american Court and constitutionalism

in Latin America”, op. cit., pp. 1839-1840.

131. Ibidem, pp. 1841-1843.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

237

Page 239: La Revue des droits de l’homme, 6

132. Ibidem, p. 1854.

133. L. A. FRANCO, "Recepción de la jurisprudencia interamericana en el ordenamiento jurídico

argentino", in S. GARCIA RAMIREZ, et M. CASTAÑEDA HERNANDEZ (Coord.), Recepción nacional del

derecho internacional de los derechos humanos y admisión de la competencia contenciosa de la Corte

interamericana, México, Universidad Nacional Autónoma de México – Secretaria de relaciones

exteriores – Corte interamericana de derechos humanos, 2009, pp. 166-168.

134. M. E. VENTURA ROBLES, "Algunos ejemplos de los efectos de la aplicación de la doctrina y

jurisprudencia de la Corte interamericana de derechos humanos en Costa Rica, Guatemala y la

Republica Dominicana", in S. GARCIA RAMIREZ et M. CASTAÑEDA HERNANDEZ (Coord.), op. cit.,

pp. 241-242.

135. Cour interaméricaine des droits de l’homme, Condición Jurídica y Derechos Humanos

del Niño. Opinión Consultiva OC-17/02 del 28 de agosto de 2002. Serie A n° 17.

136. R. ABREU BLONDET, "La incidencia de la jurisprudencia de la Corte interamericana de

derechos humanos en las decisiones de los tribunales de la República Dominicana", in S. GARCIA

RAMIREZ et M. CASTAÑEDA HERNANDEZ (Coord.), op. cit., p. 186.

137. M. E. VENTURA ROBLES, op. cit., pp. 222-230.

138. Cour interaméricaine des droits de l’homme. Garantías Judiciales en Estados de

Emergencia (arts. 27.2, 25 y 8 Convención Americana sobre Derechos Humanos). OpiniónConsultiva OC-9/87 del 6 de octubre de 1987. Serie A No. 9.

139. D. GARCIA SAYAN, “Constitutional review: the Inter-american Court and constitutionalism

in Latin America”, op. cit., pp. 1853-1854.

140. Ibidem, pp. 1851-1852.

141. Ibidem, pp. 1835-1836.

142. F. GONZALEZ, “The experience of the Inter-american human rights system”, op. cit., p. 125.

143. G. L. NEUMAN, op. cit., p. 101.

144. C’est la conclusion à laquelle arrivent les deux auteurs ayant publié récemment des

ouvrages exhaustifs sur le système interaméricain : J. M. PASQUALUCCI, The practice and procedure

of the Inter-american Court of human rights et F. GONZALEZ, El sistema interamericano de derechos

humanos (précités).

145. J. PASQUALUCCI, “The Americas”, op. cit., p. 414.

146. A. HUNEEUS, op. cit., p. 519. Pour une analyse détaillée du sujet, voir l’article de C.M. BAILLET,

“Measuring compliance with the Inter-american Court of human rights: The ongoingchallenge of judicial independence in Latin America”, Nordic journal of human rights, vol.31, no. 4, 2013, ou encore celui de F. BASCH et al., "The effectiveness of the Inter-american system of human rights protection: A quantitative approach to itsfunctioning and compliance with its decisions", SUR – Revista internacional de derechos

humanos, vol. 7, n° 12, juin 2010.

147. "Fifty years of the European Court of human rights viewed by its fellowinternational courts - Remarks by Paolo Carozza, President of the Inter-americanCommission on human rights", Strasbourg, 30 janvier 2009, pp. 5-6; vu sur: http://

www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/3B662702-FFDB-4187-

AAC5-6B926725DF35/0/30012009PresidentCarozzaSeminar_eng_.pdf. Voir également, en cesens, J. PASQUALUCCI, “The Americas”, op. cit., p. 414.

148. European Court of human rights, Research report: References to the Inter-american court of

human rights in the case-law of the European court of human rights, 2012; disponible sur http://

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Page 240: La Revue des droits de l’homme, 6

www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/7EB3DE1F-C43E-4230-980D-63F127E6A7D9/0/

RAPPORT_RECHERCHE_InterAmerican_Court_and_the_Court_caselaw.pdf

149. S. GARCIA RAMIREZ, "El amplio horizonte de las reparaciones en la jurisprudencia

interamericana de derechos humanos", op. cit., p. 102.

150. Commission interaméricaine des droits de l’homme, "Plan estratégico 2011-2015",http://scm.oas.org/pdfs/2011/CP26757S-2.pdf. Voir également l’article d’A. URREJOLA, “Elsistema interamericano de derechos humanos: el debate sobre su fortalecimiento en elseno de la Organización de Estados Americanos”, Anuario de derechos humanos, no. 9,2013, ainsi que les contributions de M. PINTO, J. E. TAIANA, et V. KRSTICEVIC publiéesdans une section dédiée à l’avenir du système interamericain de Human rights brief, vol.20, no.2, hiver 2013.

ABSTRACTS

The Inter-American system of human rights protection, as one of the three regional mechanisms,

has several features which separate it from its African and European counterparts. Two

specialised organs of the Organisation of American Sates – the Commission and the Court – are

the pillars of the system. The first is in charge, among other tasks, of receiving and analysing the

complaints filed by individuals who consider themselves a victim of a violation of the rights

granted by the American Convention on Human Rights; the Court issues advisory opinions

generally focusing on the interpretation of this treaty, considers the complaints forwarded by

the Commission, and orders the reparations it believes to be fit. This is precisely what separates

the system from others, as reparations ordered by the Court go far beyond a mere monetary

compensation. The dynamic character of the system is reflected by many changes that have

occurred in the last few years, aimed at improving it.

Le système interaméricain de protection des droits de l’homme, comme l’un des trois

mécanismes régionaux existant, comporte plusieurs particularités qui le distinguent de ses

homologues africaine et européenne. Deux organes spécialisés de l’Organisation des États

américains - la Commission et la Cour – sont les piliers du système. Le premier a pour mission,

entre autres, de recevoir et analyser des plaintes formulées par des particuliers qui estiment

avoir été victimes de violations des droits prévus dans la Convention américaine des droits de

l’homme; la Cour émet des avis consultatifs portant généralement sur l’interprétation de ce

traité, étudie les plaintes que la Commission lui transmet, et ordonne les réparations qu’elle

estime pertinentes. C’est à ce titre que le système se distingue, les réparations ordonnées par la

Cour allant bien au-delà d’une simple compensation monétaire. Le dynamisme du système est par

ailleurs reflété par différents changements intervenus en son sein au cours des dernières années,

qui cherchent à en améliorer le fonctionnement.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

239

Page 241: La Revue des droits de l’homme, 6

INDEX

Mots-clés: Cour interaméricaine, Commission interaméricaine, Organisation des États

Américains, droits de l’homme, Amériques

Keywords: Inter-American Court, Inter-American Commission, Organisation of American States,

Human rights, Americas

AUTHOR

ÉRIC TARDIF

Éric Tardif est diplômé en droit de l’Université d’Ottawa, et détient un doctorat en droit de

l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM), où il est professeur titulaire (par voie de

concours) en droit international public ; il fait également partie du Système national de

chercheurs (SNI) administré par le Gouvernement du Mexique. Entre 2008 et 2011, il a été

Conseiller auprès du Sous-ministre chargé des affaires juridiques et internationales, au Bureau

du Procureur général de la République mexicaine.

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Des idéaux à la réalité.Réflexionscomparées sur les processus desélection et de nomination desmembres des Cours européenne etinteraméricaine des droits del’hommeLaurence Burgorgue-Larsen

AUTHOR'S NOTE

Cet article est le résultat d’une étude présentée en mars 2014 à Notre Dame Law School

(USA), à l’invitation de Paolo G. Carozza, lors d’un séminaire de réflexions concernant le« Futur du système interaméricain des droits de l’homme ». L’idée était de présenterplusieurs types de propositions afin d’améliorer les procédures existantes au sein dusystème interaméricain en se basant sur l’expérience européenne. Le lecteurcomprendra, ce faisant, qu’à de nombreux égards cet article a gardé son allure originalede « rapport ».

1 L’indépendance et l’impartialité des tribunaux ont toujours attiré l’attention des

chercheurs1. Si pendant longtemps le curseur analytique s’était arrêté sur laproblématique à l’échelle interne, la multiplication des juridictions internationales2 arenouvelé ces approches en attirant l’intérêt doctrinal des internationalistes3. Denombreux facteurs – institutionnels, financiers, procéduraux et juridiques – participentà assurer ces deux principes4 ; les processus internes et internationaux de sélection etde nomination des juges en font partie. Depuis l’accroissement des juridictionsinternationales, une imposante littérature juridique a vu le jour – incluant des rapportsproduits par des organismes d’experts à l’instar de l’Institut de droit international5 – qui a

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clairement mis en évidence les liens particulièrement étroits entre les processus desélection et l’indépendance des membres des juridictions6. Le système interaméricainne fait évidemment pas exception7. Alors qu’il est en train de vivre une de ses plusgraves crises politiques depuis sa création8, la question du processus de sélection et denomination des membres des organes interaméricains devient d’autant plus crucialeafin de renforcer leur légitimité9.

2 Les approches idéalistes et réalistes ont toujours marqué le cours des réflexions

théoriques et pratiques relatives au droit des droits humains. Il s’agit d’un mouvementpendulaire qui irrigue toute étude en la matière10. Si les idéaux sont systématiquementprésents, les objectifs fixés ont peu de chance d’être atteints et de se transformer enpolitiques publiques effectives ; pire, ils peuvent être complètement détournés,dénaturés, viciés. A l’inverse, si le principe de réalité – pour ne pas dire la Real politik –est le seul et unique point de vue pris en compte dans l’élaboration et la mise en œuvred’une politique, le cynisme peut être ravageur et aucun progrès normatif ne peut voirle jour.

3 Cet article tente de proposer – dans le cadre d’une démarche comparative où les

procédures des deux systèmes européens sont analysées de façon critique11 – certainesaméliorations du processus de sélection et de nomination des membres de laCommission et de la Cour interaméricaines des droits de l’homme. Les deux extrêmesque sont l’Idéalisme et le Réalisme ont été, de façon récurrente, à l’origine des réflexionsqui vont suivre: le premier fut un aiguillon stimulant afin de présenter des propositionsinnovantes voire extrêmes ; le second fut un rappel incessant d’une tendance, pour nepas dire d’une règle d’airain, selon laquelle le ‘Mieux est l’ennemi du Bien’. Au bout ducompte, un équilibre a tenté d’être trouvé afin que l’idéalisme puisse déboucher surune approche réaliste en termes politiques s’agissant des processus complexes desélection et de nomination des juges.

4 Il sera successivement examiné les processus nationaux (I) et internationaux (II) de

sélection et de nomination des candidats aux fonctions de commissaires et de jugesinteraméricains. Ces deux questions seront analysées tout à la fois sous un angleprocédural, afin d’identifier – sur la base d’une approche comparative – les meilleurscritères permettant d’inciter les Etats, mais aussi l’OEA comme telle, à mettre en placedes bonnes pratiques de gouvernance judiciaire, mais également sous un angle matériel(afin de discerner le profil professionnel des candidats, leur sexe, leur origine ethniqueetc...).

I. Les processus nationaux de sélection des candidats

5 Comment éviter que les processus de sélection des candidats soient le moins opaques

possibles ? Comment éviter qu’ils soient marqués par les stigmates des intérêtsexclusivement politiques voire du népotisme ? En un mot, comment faire pour que lesseules compétences professionnelles des candidats soient prises de compte ? Si cesinterrogations ne sont pas nouvelles12, elles n’ont engendré en réalité aucune réponsesatisfaisante dans la mesure où cette problématique a longtemps relevé des «affairesintérieures» des Etats au nom du sacro-saint principe de souveraineté nationale.Toutefois, ce dernier est aujourd’hui quelque peu battu en brèche par la montée enpuissance de l’exigence de transparence. Du coup, même si le droit international nepeut entièrement réguler cet aspect national du processus de sélection des candidats à

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des fonctions judiciaires internationales, il peut néanmoins arriver à l’orienter, voire àl’encadrer. Une approche comparative (A) permettra de prendre la mesure des enjeuxqui se présentent aux acteurs du système interaméricain (B).

A. Etat des lieux comparatif

6 Aujourd’hui, à l’échelle internationale, il n’y a guère que le Statut portant création de la

Cour pénale internationale (CPI) qui a intégré des règles très précises en la matière13.Ainsi, l’article 36§4 a) enjoint les Etats parties au Statut de présenter un candidat soit i)selon la procédure de présentation des candidatures aux plus hautes fonctionsjudiciaires dans l’Etat en question ; soit ii) selon la procédure de présentation descandidatures à la Cour internationale de justice prévue dans le statut de celle-ci.

7 Dans le cadre de la garantie régionale des droits de l’homme, on ne recense aucun texte

conventionnel conclu par les Etats contractants qui précise les modalités de sélectiondes candidats à la fonction de commissaire ou de juge. Toutefois, les organisationsinternationales qui abritent les activités des systèmes interaméricain et européen desdroits de l’homme (OEA et Conseil de l’Europe) ont commencé à présenter desdirectives minimales en ce sens.

8 A l’échelle européenne, ce sont plusieurs textes de l’Assemblée parlementaire du

Conseil de l’Europe (recommandations et résolutions) qui se sont attachés à mettre enavant des éléments jugés cruciaux afin d’assurer – notamment – les qualificationsprofessionnelles des juges14. Il faut dire que l’adhésion de nombreux pays de l’Esteuropéen au Conseil de l’Europe et, ce faisant, l’intégration de nouveaux juges enprovenance de ces pays, engendrèrent de sérieux problèmes concernant le profil et lesqualités professionnelles des candidats dans le contexte de la disparition de laCommission et de l’instauration de la Cour «unique»15. Du coup, l’Assembléeparlementaire – en étant d’ailleurs à cet égard souvent en opposition frontale avec leComité des ministres qui a longtemps estimé que les procédures nationales de sélectionrelevaient de la souveraineté nationale – s’est fait un point d’honneur à dégager au fildu temps une série de principes de base que doivent respecter les candidats présentéspar les Etats. Elle n’a eu de cesse de rappeler qu’afin de maintenir l’efficacité mais aussila légitimité de la Cour européenne, les procédures devaient être tout à la foiséquitables, transparentes et aussi homogènes que possibles entre les Etats parties. Lesdeux fléaux qu’elle entend combattre au stade de la procédure interne de sélection sontla politisation à outrance et la présentation de candidats insuffisamment qualifiés16.

9 A cet égard, la résolution n°1646 (2009) est significative17. L’Assemblée parlementaire

enjoint les Etats de respecter les règles suivantes quand ils sélectionnent puis désignentdes candidats à la Cour européenne (point 4) : 4.1. Procéder à des appels à candidatureouverts et publics (notamment à travers la presse spécialisée) ; 4.2. Décrire lesmodalités selon lesquelles les candidats proposés ont été sélectionnés ; 4.3. Transmettreà l’Assemblée les noms des candidats dans l’ordre alphabétique ; 4.4. Veiller à ce que lescandidats aient une connaissance active de l’une des deux langues officielles du Conseilde l’Europe et une connaissance passive de l’autre ; 4.5. Ne présenter, si possible, aucuncandidat dont l’élection pourrait entraîner la nécessité de nommer un juge ad hoc.

10 Ce lobbying de l’Assemblée parlementaire a fini par être pris au sérieux par le Comité

des ministres du Conseil de l’Europe. En effet, en plus des nombreuses «pathologies»révélées par les chroniques du professeur Flauss depuis l’instauration de la Cour unique

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consécutive à l’entrée en vigueur du Protocole n°1118, les péripéties liées au processusde sélection du dernier candidat français19 ont fini par convaincre tous les acteurs qu’ilétait temps d’être très ferme à l’égard du niveau des candidats en rendant effectives lesdirectives établies par l’Assemblée parlementaire.

11 C’est dans ce contexte que le Comité des ministres établissait, le 29 mars 2012, des

Lignes directrices concernant la sélection des candidats pour le poste de juge à la Coureuropéenne des droits de l’homme20, document qu’il convient de lire de façon combinéeavec le rapport explicatif, particulièrement éclairant sur les bonnes pratiques àsuivre21. Dans la foulée, la Déclaration de Brighton – qui accueillait une Conférence dehaut niveau des Etats parties du Conseil de l’Europe (avril 2012) – rappelaitl’importance de la qualité professionnelle des juges qu’elle reliait expressément à«l’autorité et la crédibilité de la Cour» (point 21 de la Déclaration)22.

12 La pratique étatique est extrêmement variable. Pendant longtemps, elle a révélé dans la

grande majorité des cas la mainmise des Exécutifs sur le processus interne desélection23. Il n’empêche, les pressions répétées des deux organes principaux du Conseilde l’Europe – Assemblée parlementaire dans un premier temps, qui finit par être rejointpar le Comité des ministres – ont été bénéfiques et ont révélé la mise en placeprogressive de «bonnes pratiques» dans certains Etats, même si tout est loin d’êtreencore parfait.

13 Il faut signaler à ce stade qu’il est extrêmement difficile de disposer d’un état des lieux

précis et circonstancié des procédures nationales de sélection en Europe. Certains Etatstransmettent en effet de façon officielle à l’Assemblée parlementaire leur procédure desélection en la rendant, ce faisant, publique et accessible : c’est le cas de la Slovaquie24.Ce n’est pas toutefois la règle. Pour la plupart des autres Etats, les informationsobtenues ont ainsi été le fruit de la combinaison de plusieurs éléments : l’accès à dessources doctrinales pertinentes, l’accès à des rapports spécifiques des organes duConseil de l’Europe et in fine des discussions menées avec certains juges de la Coureuropéenne et des membres du greffe25. Cette difficulté d’accès à l’information révèleen soi que la transparence est loin d’être effective ; il faudrait imaginer un rapportpublié à intervalles réguliers par les services du Conseil de l’Europe (plusparticulièrement ceux de l’Assemblée parlementaire), auquel il serait octroyé une largepublicité et qui dresserait un état des lieux les plus circonstanciés possibles sur toutesles procédures nationales de sélection. Partant, le contrôle externe (par les ONG et lesuniversitaires notamment) serait renforcé et s’ajouterait au processus interne demonitoring. Encore faudrait-il que les Etats transmettent, de bonne foi, lesinformations pertinentes en ce sens...

14 Ceci étant dit, on décèle grosso modo trois catégories de procédures nationales de

sélection conformément à ce qu’un rapport de l’Assemblé parlementaire du Conseil del’Europe mit en évidence : les procédures ad hoc ; les procédures mises en place sansbase juridique formelle et, pour finir, les procédures établies grâce à une base juridiqueformelle26.

15 S’agissant des procédures ad hoc – qui existent dans quatorze pays –27, il a été choisi de

présenter les pratiques du Royaume-Uni et du Luxembourg. S’agissant de l’approchebritannique, elle se déroule comme suit : «An advertisement for the position is put inthe national press, with a closing date for written applications the following month. Amonth later a panel meets to select candidates for interview. The panel interviewspotential candidates and recommends three nominations. The three nominees are

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approved by UK ministers and the list is transmitted to the CoE by the end of thatmonth. The whole process takes about three months28». Pour les élections à la Cour en200429, le Panel indépendant était présidé par Sir Hayden Phillips, Secrétaire permanentde la Direction des affaires constitutionnelles et composé par le Président de la Cour deCassation (Lord Cullen), l’ancienne présidente de la Commission pour l’égalité deschances (Joanna Foster) et du Conseiller juridique du Ministère des affaires étrangèreset du Commonwealth (Sir Michaël Wood).

16 Quant à la procédure luxembourgeoise, elle ne repose sur aucune base juridique ; le

poste vacant est publié au Mémorial (JO luxembourgeois) et, plutôt qu'un comitéd'évaluation, il y a une sélection discrétionnaire par le Conseil de gouvernement quitransmet par la suite la liste à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Lorsde la réélection de Dean Spielmann (actuel président de la Cour européenne), aucunautre candidat ne s'est manifesté. Partant, une annonce a dû être faite à la radio pourmotiver de potentiels candidats... Ce fut un échec relatif, des noms de fonctionnairesqui n'étaient pas particulièrement enthousiastes – et qui savaient que Dean Spielmannallait de toute manière être réélu – furent apposés sur la liste de trois noms,uniquement pour satisfaire formellement aux exigences posées par l’Assembléeparlementaire... On prend la mesure, avec cet exemple, des difficultés qu’il y a, pour un«petit pays», à trouver des candidats à la hauteur du poste.

17 Quinze pays ont mis en place des procédures sans base juridique formelle30, parmi eux,

la Belgique et la France.

18 En Belgique, le remplacement de la juge et Vice-présidente Françoise Tulkens – dont le

mandat arrivait à terme en 2012 – s’est fait selon la procédure informelle suivante31. Unappel à candidature a été lancé au Journal officiel belge, dans la presse spécialisée, dansle cadre des activités des Cours suprêmes, de l’ordre des Barreaux des avocats et au seindes Universités. Treize postulants se sont manifestés et ont ensuite été auditionnés parun jury de six personnes chargées de sélectionner les profils les plus adéquats. Laprésence, au sein de ce Panel d’experts, de deux membres du bureau de l’agent dugouvernement belge devant la Cour européenne n’a pas été jugée opportune par denombreux observateurs. La procédure révèle que le gouvernement a continué à jouerun rôle clé dans le processus. En effet, les cinq postulants présélectionnés par le Panelont finalement été soumis au Conseil des ministres qui fut l’instance qui présenta laliste des trois candidats à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Aucunefemme n’y figurait, alors que le professeur Eva Brems – dont les compétences nepeuvent être contestées –s’était portée candidate.

19 La France dispose d’une longue tradition en matière de sélection des juges

internationaux, non exempte de critiques toutefois comme on le verra. Cette traditionprend appui sur les «règles classiques» mises en place dans le cadre des «groupesnationaux» de la Cour permanente d’arbitrage32. On sait que le statut de la Courinternationale de Justice a prévu de confier la sélection nationale de ces candidats à cesgroupes nationaux. Dans ce contexte, la France a élargi les fonctions de son «groupenational»33 : non seulement, il participe à la sélection des candidats à la CIJ, maiségalement à celle des candidats à la CEDH et à la CPI. Autrement dit, la France a«homogénéisé» au maximum la procédure de sélection de «ses» candidats auxfonctions de juges internationaux en généralisant le mécanisme prévu par le statut dela CIJ – dont on a vu qu’il avait été «codifié» par l’article 36§4 ii) du statut de la CPI. Ensoi, il n’y a là rien de négatif. Toutefois, la composition du groupe national (dont les

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membres sont désignés par l’Exécutif, plus précisément par le Ministère des Affairesétrangères), révèle non pas l’absence de qualifications (la compétence des membres estabsolument indiscutable), mais un corporatisme évident et continu. La présence au seindu groupe français de la CPA de juristes du Ministère des affaires étrangères et deConseillers d’Etat (qui en général suivent des carrières dans ces deux institutions)démontre le «verrouillage» du système en faveur de ceux qui ont fait carrière au «Quaid’Orsay» (comme diplomates et agents du gouvernement) et/ou au Conseil d’Etat.Partant, en France, les choses sont claires et il s’agit d’un «classique» de la culture dupays : la place des universitaires est quasi-nulle au sein des juridictions internationalescar ils n’ont jamais été majoritaires au sein du «groupe français» de la CPA. Pendantlongtemps, leur présence a été inexistante ; elle est aujourd’hui réduite à la «portioncongrue»34. Dans toute l’histoire de la sélection française, aucun universitaire n’aaccédé aux fonctions de juge international (à la CIJ, à la CEDH, à la CJUE, à la CPI, ouencore au TPIY ...). La seule exception – notable – a existé pour le poste de juge auTribunal International de Droit de la Mer (TDIM) : l’universitaire en question (J-P. Cot) atoutefois été également un «politique» (puisqu’il avait été ancien ministre de lacoopération sous le gouvernement de François Mitterrand).

20 Ce sont seulement sept pays qui ont établi une base juridique formelle afin de mener à

bien la sélection des candidats, parmi eux, la Slovaquie et la Roumanie35.

21 En Slovaquie, la Constitution de 1992 prévoit les grandes lignes de la procédure de

sélection au sein d’instances judiciaires internationales. En effet, selon l’article 141 a).§4 d. de la Constitution, il appartient au Conseil de la Magistrature (CM) de soumettreau Gouvernement des propositions de candidats pour les fonctions de juge au seind’instances judiciaires internationales. Le Gouvernement peut, quand il doit approuverla sélection des candidats, se prononcer uniquement sur la proposition soumise par leConseil de la Magistrature. On a donc affaire à un mécanisme régulé au niveauconstitutionnel et qui laisse une importante marge de manœuvre à une instanceindépendante. Toutefois, le Gouvernement n’est pas obligé de suivre l’avis du Conseilde la magistrature (cf «peut»). Dans la pratique toutefois, il a jusqu’à présent suivi lesavis du CM. Organe suprême du système judiciaire, le CM est en effet indépendant dupouvoir législatif et exécutif ; il comprend dix-huit membres, qui sont tous des juges enexercice. Pour sélectionner dans ce cas-ci les candidats à la fonction de juge de la Coureuropéenne, le Conseil s’est acquitté de ses obligations conformément à la procédurenationale prévue à l’article 27g) de la loi 185/2002 sur le Conseil de la magistrature,telle que modifiée (ci-après «loi sur le Conseil de la magistrature»). En vertu de l’article27g § 1 de la loi, la désignation de candidats en vue de l’élection à la fonction de juged’une instance internationale peut être proposée au Conseil par : a). un membre duConseil de la Magistrature; b). le Ministre slovaque de la Justice ; c. une organisationprofessionnelle de juges ; ou d). d’autres organisations professionnelles de juristes36. Lacandidature à la fonction de juge d’une instance internationale est soumise au CM. Pourêtre approuvée, elle doit réunir la majorité des voix de ses membres lors d’un vote àbulletins secrets.

22 En Roumanie, la procédure de sélection nationale des candidats est réglementée par

l’Ordonnance du Gouvernement n° 94/1999 relative à la participation de la Roumanieaux procédures devant la CEDH et devant le Comité des Ministres du Conseil del’Europe. Conformément à l’art. 5 al. 1, la nomination des candidats à la fonction dejuge à la Cour EDH se fait par le Gouvernement, sur la proposition du Conseil Supérieur

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de la Magistrature (CSM) suite à leur audition. Sans avoir une procédure détaillée desélection – qui soit réglementée par la législation primaire ou secondaire – le CSM aémis en 2007 une procédure de sélection, suite à la demande du Ministère des AffairesEtrangères. Par conséquent, il existe trois étapes de la procédure :

23 La publicité de l’appel aux candidatures : cet appel est publié sur la page d’Internet du

CSM, accompagné par le modèle de CV proposé par le Conseil de l’Europe, par lecalendrier communiqué par le secrétaire général du Conseil de l’Europe, ainsi que partous les documents supplémentaires transmis au Ministère des Affaires Etrangères.L’appel est aussi publié dans un journal de la presse quotidienne et il comprend ledescriptif des conditions pour postuler : la jouissance de la plus haute autorité morale ;satisfaire les conditions pour l’exercice des hautes fonctions judiciaires ou être unjuriste à la compétence notoire ; avoir une expérience dans le domaine des droits del’homme ; connaître au moins l’une des deux langues officielles de la Cour, être capablede travailler dans l’une de ces deux langues.

24 ) L’audition des candidats est assurée devant l’Assemblée plénière du CSM. Les questions

portent, surtout, sur l’expérience des candidats dans le domaine des droits de l’homme,l’application de la législation en la matière et la connaissance de la jurisprudence de laCour EDH.

25 L’envoi des candidatures. Après l’audition, le CSM envoie la liste des candidats retenus à

plusieurs commissions parlementaires pour avis consultatif (la Commission juridique,disciplinaire et des immunités ; la Commission pour les droits de l’homme, les cultes etles minorités nationales de la Chambre des Députés ; la Commission pour les droits del’homme et les minorités du Sénat) et au Gouvernement qui est le seul, in fine, quidécide de transmettre parmi les candidats retenus pour audition, la liste de 3 nomstransmise au Conseil de l’Europe.

26 Sur la base de ces exemples européens tirés de la pratique, que serait-il opportun de

mettre en place dans le cadre du système interaméricain ?

B. Propositions pour le système interaméricain

27 Le système interaméricain a déjà commencé, bien que timidement, à tenter de mettre

sous «pression» les Etats membres de l’OEA comme en témoigne la résolution 2166 del’Assemblée générale (adoptée le 6 juin 2006)37. Les Etats sont encouragés à intégrer lasociété civile dans le processus national de sélection des candidats à la Commission et àla Cour interaméricaines, comme à assurer une certaine transparence des candidats infine retenus (par la mise en ligne de leurs CV notamment). Toutefois, aucune autredirective plus précise n’a été établie afin de contraindre les Etats à harmoniser leurprocédure de sélection nationale. Il s’agit d’un début, mais qui doit absolument êtrenon seulement réitéré, mais également renforcé afin que les Etats parties prennent ausérieux l’obligation de rendre leurs processus de sélection transparents. Pour ce faire, ilfaudrait que d’autres résolutions plus précises soient adoptées afin de dégager lescritères de bonne gouvernance en la matière38.

28 Il serait important que ces critères soient les mêmes pour la Commission comme pour

la Cour interaméricaine : il s’agit des deux «piliers» du système interaméricain qui,pour continuer d’asseoir et de renforcer leur légitimité, devraient être guidés par lesmêmes principes quant au processus de sélection de leurs membres. Les critèresproposés ci-après doivent s’entendre comme s’appliquant à ces deux instances. Deux

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idées principales ont guidé les propositions qui vont suivre : permettre une«objectivation» de la procédure afin d’éviter tout type de politisation et de«corporatisme».

29 La première règle de bonne gouvernance consisterait à faire en sorte que la procédure

nationale de sélection repose sur une base juridique précise et accessible.

30 L’existence d’une base juridique précise contribue incontestablement à assurer un

degré de prévisibilité, de cohérence et de transparence à la procédure de sélection. Enréalité, il s’agit d’une règle élémentaire que tout Etat de droit se doit de suivre.L’opinion publique en général et les éventuels candidats en particulier doiventconnaître, à l’avance, les règles du jeu.

31 La nature de la base juridique peut être variée. Un seul pays en Europe a opté pour une

réglementation constitutionnelle (Slovaquie) ; la plupart des pays qui ont adopté pourune base juridique39 ont choisi des textes émanant en général de l’Exécutif (Russie,Roumanie, Ukraine), avec de rares exceptions en faveur du Législateur (Slovénie,Finlande).

32 Quoiqu’il en soit, ce qui est important, c’est l’existence d’une base juridique préétablie

qui organise, de façon claire et précise, la procédure nationale de sélection. L’Europedoit encore énormément progresser sur la question et l’Amérique latine pourrait, surce point, montrer l’exemple.

33 En ce sens, il conviendrait d’assurer à la norme qui organise la procédure de sélection la

plus large diffusion possible en utilisant pour ce faire toute la palette des moyens decommunication comme des instances de diffusion : publication au Journal officiel ; surle site web du Ministère de la Justice et des Affaires étrangères ; dans les journauxnationaux (et le cas échéant les journaux des Etats fédérés) ; dans les revues juridiquesspécialisées ; sur le site web des organismes judiciaires (Hautes cours de justice,associations de juges, associations d’avocats etc..) ; sur le site web des Ombudsmen et/ou des commissions nationales des droits de l’homme ; sur le site web des Universités etdes centres de recherche consacrés à l’étude des droits de l’homme ; sur le site web desONG spécialisées en matière de droits de l’homme. On pourrait également imaginer queles sites web de la Commission et de la Cour interaméricaines mettent en ligne lesinformations sur les procédures nationales de sélection. Il y aurait ainsi une visibilitéaccrue des procédures nationales. Surtout, cela permettrait que des juristes puissent seporter candidats dans des pays dont ils ne sont pas les ressortissants. Ce point estd’autant plus important que l’article 53§3 de la Convention américaine dispose que : «When a slate of three is proposed, at least one of the candidates shall be a national of astate other than the one proposing the slate.» Un délai suffisant devrait être prévupour permettre aux postulants intéressés de répondre à l’appel à candidature : troismois semblent raisonnables.

34 La deuxième règle de bonne gouvernance consisterait à faire en sorte que la procédure

nationale de sélection soit effectuée par un Comité d’experts indépendants. Plusieursquestions ici méritent d’être examinées : elles concernent les modalités de la créationdu Comité (qui l’institue ?) ; les règles gouvernant sa composition (qui le compose ?) ;les modalités de son évaluation (comment décide il ?) et la portée de sa décision (quedécide-t-il ?).

35 - La pratique européenne démontre que les panels d’experts mis en place ont tous

pratiquement été constitués par les Exécutifs (en général sous la tutelle du Ministère

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des affaires étrangères, parfois sous la tutelle du Ministère de la Justice). En soi, il n’y adonc pas d’indépendance au sens politique du terme avec le pouvoir exécutif. Lapratique démontre également que certains de ces panels ont toutefois réussi à menerleurs tâches de façon indépendante grâce à leur composition (Royaume-Uninotamment). Il reste toutefois que le «cordon ombilical» avec l’organe créateur(l’Exécutif) ainsi que la présence au sein des panels d’experts de représentants dugouvernement jette toujours, au sein de l’opinion publique et parmi les observateursavertis, une suspicion néfaste (comme en atteste le cas belge). L’OEA devrait sedistinguer sur ce point ; elle pourrait inciter les Etats afin que les pouvoirs judiciairesaient en charge la tâche de constituer ces Comité d’experts indépendants. Ce seraitlogique puisqu’il s’agit de sélectionner des candidats à des postes où il est question derendre la justice. Plusieurs pays latino-américains ont créé des Conseils supérieurs de laMagistrature : ainsi de l’Equateur, de la Colombie, du Salvador, du Mexique, duVenezuela, du Paraguay, du Pérou et de l’Argentine.

36 La mise en place, dans ces pays, d’un Panel d’experts par le Conseil supérieur de la

Magistrature serait un gage d’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif ; celaéviterait tout type de «politisation» du processus. D’autres pays toutefois ne disposentpas de Conseils supérieurs de la Magistrature – c’est le cas du Chili, de l’Uruguay, duGuatemala, du Honduras, du Nicaragua, de la République dominicaine et du Panama. Cesont les Cours suprêmes qui, dans ces pays, ont la mainmise sur la désignation des jugesdes instances inférieures. Dans ce cas, on pourrait imaginer qu’il revient aux Courssuprêmes de ces pays de créer le Comité d’experts indépendants. Pour les pays dont lesjuges sont élus par le Peuple (Bolivie), par les Parlements (Haïti, Puerto Rico, CostaRica) ou par le Président de la République (Brésil), il faudrait trouver une solutionparticulière (qui serait in fine institutionnalisée) afin d’écarter les risques que de telsprocessus par nature «politisés» n’aient des conséquences néfastes sur la sélectioninterne. La mise en place du Comité d’experts indépendants pourrait être alors confiéeà l’Association nationale des avocats ou à une Institution universitaire de recherchereconnue à l’échelle du pays.

37 Séparer au maximum l’instance de sélection de l’instance de nomination officielle est

un des points clés de la dépolitisation de la procédure. L’analyse qui va suivre relative àla composition du Comité a quant à elle pour objectif d’éviter tout type decorporatisme. En effet, la composition du Panel d’experts nationaux doit être la plus«représentative» possible en octroyant une place aux différents «acteurs» quiincarnent des statuts et des légitimités différentes.

38 - La composition du Comité d’experts est cruciale pour son indépendance et pour éviter

la mainmise d’un statut professionnel sur un autre dans le processus de sélection(comme le cas français le démontre malheureusement). Il devrait êtresystématiquement composé (et ce quelle que soit l’autorité qui le constitue), à partségales : d’un représentant de la magistrature, de l’ordre des avocats et du mondeacadémique. Ces trois premiers éléments sont «classiques» et nécessaires. Ils seretrouvent, peu ou prou, dans les Panels mis en place de façon ad hoc dans certainspays européens (cf exemples britanniques et belges). En revanche, les particularismespropres au contexte latino-américain impliquent d’ajouter deux autres types dereprésentants : un provenant de l’univers des ONG et un autre représentantl’institution de l’Ombudsman, i.e. du Defensor del pueblo).

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39 Compter sur un représentant de la société civile est essentiel au regard de la force de

celle-ci au sein des Etats latino-américains, mais également dans l’univers des Etatsanglo-saxons (qui se trouvent, pour la plupart, sous la juridiction de la CommissionIDH). En outre, le rapport des ONG au système interaméricain est ancien et permanent.Ancien, car sans les ONG, le système aurait eu du mal à «démarrer» ; permanent, car cesont elles qui lui permettent notamment de continuer à se consolider. Les ONG sont eneffet celles qui soutiennent de nombreuses pétitions et qui présentent de nombreuxamici curiae. Si on ajoute à ces éléments, le fait que l’OEA elle-même entretient desrapports soutenus avec le monde de la «société civile»40, il y a comme une évidence à luifaire une place au sein du Panel d’experts nationaux.

40 Quant à la présence d’un représentant de l’institution de l’Ombudsman/Defensor del

Pueblo, cela permettrait de prendre en considération cette institution majeure quiexiste dans la quasi-totalité des pays d’Amérique latine41 (exception faite il est vrai despays anglo-saxons comme les Etats-Unis d’Amérique). La présence au sein du Comitéd’experts de l’Ombudsman national serait particulièrement bienvenue et ce pour deuxgrands types de raisons : non seulement parce qu’ils jouissent en général d’un réelprestige dû à une indépendance avérée42, mais également parce que leurs fonctions –axées sur la médiation et l’éducation en matière de droits de l’homme – les désignentparticulièrement pour faire partie d’un tel Comité. Au vu de ce qui précède, il seraitopportun que le Comité d’experts ne soit pas composé de plus de cinq personnes. Lespays qui ne disposeraient pas de la figure de l’Ombudsman, pourraient se contenter dedésigner quatre personnes ou trouver une institution équivalente dans leur systèmejuridique (ainsi de la Commission nationale des droits de l’homme par exemple).

41 A la question de la représentativité statutaire des membres du Comité d’experts, se pose

celle de leur «représentativité ethnique et sexuelle ». Plus la présence de femmes et dereprésentants de communautés ethniques (afro-descendants, indigènes) seraencouragée en amont (au stade des sélections nationales), plus on peut espérer qu’aufinal, la composition des organes interaméricains43 reflète la variété des sociétés ducontinent américain. Dans ce contexte, il faudrait que le Comité d’experts, comme tel,soit composé au moins d’une femme et d’un représentant «ethnique» (afro-descendantou indigène), c’est à dire 2 membres sur 5. Il faut immédiatement signaler quel’exigence de représentativité ethnique ne pourrait pas être imposée à un pays qui n’apas «constitutionnalisé» le fait indigène ou qui ne dispose pas en son sein deCommunautés indigènes ou afro-descendantes conséquentes. En revanche, elle devraitl’être dans le cas contraire. En réalité – excepté le Chili, l’Argentine et l’Uruguay44 –,tous les autres Etats du continent disposent de communautés afro-descendantes (ex.Barbades, Brésil, Colombie, Etats-Unis, Haïti, Jamaïque, Suriname, Venezuela) etindigènes (tous les pays du continent). Plus le Comité d’experts sera «à l’image» de lasociété, plus il sera susceptible de sélectionner, à compétences égales, des femmes etdes membres des minorités ethniques. Ici, là encore le continent américain arriverait àse distinguer car, pour l’heure, en Europe, cette exigence n’apparaît que plus tard, auniveau du choix des candidats par le Comité (voir infra c).) et au niveau de la procédureinternationale de sélection (voir infra II.)

42 La question des modalités de prises de décisions par le Comité est un point important

de la procédure. Sur la base juridique établie par chaque Etat présentant l’appel àcandidature – qui doit prévoir notamment les délais pour y répondre (trois moisseraient suffisants) – les membres du Comité, après réception des CV des candidats (qui

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pourraient être des «CV types» que l’OEA élaborerait à l’instar de ce qu’a fait le Conseilde l’Europe et que les Etats utiliseraient pour leur procédure nationale de sélection,voir infra II.), devraient procéder à leur audition. Ces entretiens individuels existentdans les pays européens et permettent d’évaluer de façon sérieuse et efficace lescandidats. Si le nombre de CV reçus est trop important (pour que les candidats puissenttous être interviewés), alors une short list pourrait être établie afin que ne soitauditionnés que les candidats qui prima facie remplissent les critères d’excellence entermes : de qualifications (juridiques) ; d’expérience (dans le domaine des droits del’homme) ; de capacités linguistiques (il faudrait absolument que les candidatsmaîtrisent de façon correcte tant l’espagnol que l’anglais, afin d’éviter – notamment auniveau de la Cour interaméricaine – des frais importants pour la traduction des piècesde procédure).

43 Il serait bon que la liste des candidats jugés aptes à remplir les fonctions de

Commissaires ou de Juges soit établie par «consensus». En cas de divisioninsurmontable, il pourrait être procédé, en dernier ressort, au vote. Dans cettehypothèse, il faudrait que chaque représentant au sein du Comité (représentant dumonde judiciaire, académique, de l’avocature, des ONG et des Ombudsmen) disposed’une voix et que la short list de deux ou trois candidats 45 retenus par le Comitéd’experts indépendants soit établie à la majorité simple. Il serait également pertinentque la décision du Comité soit motivée. Le fait de motiver le choix de deux ou troiscandidats sera là encore un gage pour assurer, au maximum, la «dépolitisation» de laprocédure. Il y aura comme la mise en place d’une procédure de «démocratie interne»car les membres du panel engageront leur crédibilité en motivant leur choix. Celui-ci,surtout, sera transparent et par définition, a priori, le plus «objectif» possible.

44 L’analyse comparée avec les pratiques des Etats européens démontre que les pouvoirs

des Panels d’experts ne sont pas contraignants. Ils ne font que délivrer des avis simplesque l’Exécutif (soit le Ministère de la Justice, soit celui des Affaires étrangères, soit laPrésidence de la République en fonction des traditions nationales) n’est pas obligé desuivre. Il y a là une survivance des règles classiques existant dans le champ desrelations extérieures. Ce monopole de l’Exécutif devrait, dans ce domaine, disparaître.Là encore, le système interaméricain pourrait inciter les Etats à rendre contraignantel’évaluation effectuée par les Comités d’experts. Ainsi, le Comité d’experts délivreraitun avis conforme et le gouvernement devrait suivre. Autrement dit, l’Exécutif ne seraitque la courroie de transmission à l’Assemblée générale de l’OEA de la short list de troiscandidats sélectionnés de façon effective par le Comité.

45 Cette pratique impose des bouleversements importants. En effet, dans le cadre du

système interaméricain, le libellé de l’article 53§2 de la Convention américaine n’estque «potestatif» : «Each of the States Parties may propose up to three candidates...», làoù il est obligatoire dans le champ conventionnel européen : «The judges shall beelected by the Parliamentary Assembly with respect to each High Contracting Party bya majority of votes cast from a list of three candidates nominated by the HighContracting Party» (article 22). Il faudrait que cette simple faculté existant dans lecadre du SIDH se transforme en une obligation46 afin que la procédure de sélectionultérieure (i.e., à l’échelle internationale proprement-dite) serve également de «filtre»effectif en prenant appui sur une évaluation effective et réelle de plusieurscandidatures proposées par les Etats (voir les propositions faites dans la II° partie de cerapport). Introduire une obligation de transmission d’une liste de deux candidats ou de

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trois (s’il existe des candidats ressortissants d’autres pays qui ont in fine étésélectionnés) pourrait prendre deux formes. La première serait la révision de laConvention américaine selon les termes de l’article 76. Il s’agit évidemment d’unesolution compliquée, ne serait-ce que pour arriver à convaincre l’AG de se lancer dansun processus d’amendement où il faudrait obtenir le vote des 2/3 des Etats ; surtout,elle serait politiquement très délicate au regard de la crise vécue par le systèmeinteraméricain depuis 2010. Ce serait ouvrir la boîte de Pandore : les Etats à la tête de lafronde contre la Commission et la Cour interaméricaines (Bolivie, Equateur, Venezuela,et dans une certaine mesure le Brésil), pourraient en profiter pour diminuer lesgaranties existantes… La seconde forme consisterait à réussir à instaurer une coutumequi s’imposerait grâce aux incitations de l’AG de l’OEA et les fortes pressions de lasociété civile (à l’échelle de chaque Etat et à l’échelle du système comme tel). C’est àl’évidence la solution la plus réaliste qui arriverait, sans doute, à produire des effetspositifs.

II. Les procédures internationales d’examen descandidatures

46 Examiner le renforcement des processus européens de nomination des juges (A), est

pertinent afin de dresser un état des lieux comparatif de la question qui permettra,ensuite, de proposer des formules adaptées au contexte interaméricain (B).

A. Etat des lieux comparatif

47 En Europe, il est symptomatique de constater un mouvement convergent entre les deux

systèmes supranationaux relatifs aux procédures de sélection et de nomination desjuges. En effet, tant le système juridique de l’Union européenne (1) que celui de laConvention européenne (2) ont amélioré le processus international d’examen descandidatures et ce, face aux nombreuses critiques qui s’étaient manifestées. Le pointcommun des deux procédures européennes est l’instauration d’un Comité de sélectioncomposé d’experts indépendants.

1. Le système de l’Union européenne (CJUE)

48 Jusqu’à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne (1er décembre 2009), les membres de

la Cour et du Tribunal de l’Union européenne étaient nommés d'un commun accord parles gouvernements des États membres, sous la seule réserve des compétences requisesdes personnalités choisies. Les États étaient seuls acteurs et responsables de laprocédure de nomination et du choix des membres de ces deux juridictions de l’Union.Inévitablement, ce mode de désignation ne faisait qu’entériner des désignationsopérées au niveau national ; or, leurs critères étaient opaques, souvent discutés etparfois politiques. L’article 255 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne(TFUE)47 a perfectionné les modalités de nomination des juges et des avocats générauxpour renforcer la transparence de cette procédure suite aux nombreuses critiques quis’étaient manifestées en doctrine. Il prévoit la création d’un Comité – nommé le«Comité 255» – qui doit formuler un avis sur l’adéquation du profil des candidats àl’exercice des fonctions de juge et d’avocat général. Sur la base de la même grille

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d’analyse utilisée plus haut48 on va succinctement présenter son mode de création, sacomposition, son fonctionnement et la portée de ses décisions49.

49 C’est le Conseil de l’Union (l’institution qui représente les Exécutifs des Etats membres

au niveau ministériel) qui non seulement a établi les règles de fonctionnement duComité50, mais a également désigné ses membres – sur proposition du président de laCJUE et du Parlement européen – sur la base des indications de l’article 255, al.2 TFUE51

50 .

51 Il est composé de sept membres, pour un mandat de quatre ans, renouvelable une fois ;

six sont proposés au Conseil de l’Union par le Président en exercice de la Cour de justice(M. Skouris), un par le Parlement européen. Les sept membres ont été choisis parmi : lesanciens membres de la Cour de justice de l’UE et du Tribunal (Peter Jann, ancien jugeautrichien de la CJUE ; Mme V. Tilli, ancienne juge finlandaise au Tribunal de l’Unioneuropéenne) ; les membres des juridictions nationales suprêmes (Lord Mance, juge à laCour suprême du Royaume-Uni ; T. Melchior, ancien président de la Cour suprême duDanemark ; P. Paczolay, ancien président de la Cour constitutionnelle de Hongrie ; J-M.Sauvé, Vice-Président du Conseil d’Etat français) ; des juristes possédant descompétences notoires, dont l’un est proposé par le Parlement européen (Ana Palacio,Avocate, Professeur de droit, ancienne membre du Parlement européen et conseillèred’Etat en Espagne). Certains ont craint un certain «corporatisme» des anciens juges del’Union, dans la mesure où six des candidats proposés l’ont été par le Président enexercice de la Cour de justice. En réalité, on constate que ce sont les juges suprêmes quise trouvent en position de force numérique, qui plus est quand on mentionne que leConseil de l’Union a désigné, comme président du Panel, le Vice-président du Conseild’Etat français (J-M. Sauvé) (article 4 de l’annexe sur les règles de fonctionnement duComité, décision du 25 février 2010).

52 Pour exercer ses missions, le comité met en œuvre une procédure qui permet un

examen approfondi des candidatures. Il dispose, en particulier, de pouvoirs d’instruction.Il demande en effet aux Gouvernements la transmission d’informations sur laprocédure nationale qui a été mise en œuvre pour sélectionner le candidat et sur lamotivation de cette proposition. Les dossiers de candidature doivent en outrecomporter, en plus d’un curriculum vitae, la liste des publications des candidats ou decertaines de celles-ci et une lettre de motivation. Le comité se réserve également deprendre en considération toute information publiquement disponible ou qui lui seraitsoumise, après avoir, le cas échéant, procédé à un débat contradictoire avec le candidatet l’Etat qui l’a présenté. Le point-clé de l’instruction menée par le comité est uneaudition non publique dont le comité a fixé la durée à une heure, qui fait une large placeaux questions posées par ses membres. Aux termes des règles de fonctionnement ducomité, une telle audition n’a toutefois lieu que pour les nouveaux candidats et nonpour les juges sollicitant le renouvellement de leur mandat.

53 Outre les conditions d’examen des candidatures, le comité, se fondant sur les

stipulations du TFUE, a été conduit à préciser les critères d’évaluation des candidats.L’examen de deux critères – celui des capacités juridiques et celui de l’expérienceprofessionnelle, en particulier au regard de son niveau, sa durée et sa diversité –permet au comité d’apprécier si le candidat réunit les conditions requises pour exercerde hautes ou de très hautes fonctions juridictionnelles ou s’il peut être regardé commeun jurisconsulte présentant des compétences notoires, au sens des dispositions del’article 253 du TFUE. Le comité examine aussi l’aptitude du candidat à exercer les

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fonctions de juge ainsi que ses connaissances linguistiques et sa capacité à travaillerdans un environnement international dans lequel sont représentées plusieurstraditions juridiques. Le comité porte enfin une attention particulière aux garantiesd’indépendance et d’impartialité offertes par le candidat.

54 Le point le plus critique du fonctionnement du comité est l’absence de publicité donnée à

ses avis. Dès son premier rapport d’activité, il justifia cet élément par la rappel desnormes de l’Union en matière de protection des données personnelles (Règlements (CE)n° 1049/2001 et (CE) n° 45/2001), telles qu'interprétées par la Cour de justice52. Lestandard posé par la Cour de justice a conduit le Comité à estimer que tant ses avis queles auditions, ne pouvaient être rendus publics. Les membres du Comité expliquenttoutefois que la transparence de son fonctionnement est in fine assurée. Il estintéressant à cet égard de reproduire ici in extenso le point de vue du Président duComité, le Français J-M. Sauvé : «Toutefois, le comité, par les rapports d’activité qu’il adécidé d’établir et de publier, comme par les interventions publiques de ses membres,notamment devant le Parlement européen, s’attache à assurer une réelle transparencesur ce qu’il fait : il rend ainsi compte de ses méthodes d’instruction des candidatures,des critères précis d’évaluation retenus par lui et de leur application concrète, enfin, dela statistique détaillée des avis favorables ou défavorables. Avant de prôner une plusgrande transparence, il faut, me semble-t-il, prendre garde à ne pas appauvrir leprocessus actuel – par exemple en dissuadant des candidatures qui, alors même qu’ellesne rempliraient pas certains critères, en particulier celui des années d’expérienceattendues, pourraient en définitive être regardées comme adéquates. Il faut surtoutveiller à concilier le principe de transparence avec la protection de la vie privée descandidats et la pleine liberté de choix que confère le Traité aux Etats membres : lapublicité des auditions ou des avis serait ainsi de nature à porter, sans nécessité,excessivement préjudice aux candidats à propos desquels le comité a émis un avisdéfavorable. Car l’audition ne constitue en rien une simple formalité et l’avis rendu,tout en veillant à respecter les personnes, ne cache pas les clairs déficits de certainescandidatures53».

55 Le Comité rend des avis simples ( i.e. non contraignants) qui ne sont transmis qu’aux

seuls Etats membres qui restent compétents pour présenter les juges à la CJUE et lesnommer. Le Président du Comité estime qu’au fil du temps la « valeur morale »attribuée aux avis du Comité s’est renforcée. Surtout, selon lui, l’architecture du

processus de nomination compense l’absence de force contraignante des avis rendus parle Comité sur chaque candidature. En effet, le principe étant celui de la nominationd’un commun accord (article 253 al.1 TFUE)54, c’est-à-dire à l’unanimité, il faut et ilsuffit qu’un seul Etat s’oppose à une nomination pour qu’il y soit fait échec. Parconséquent, il faudrait, pour passer outre à un avis défavorable du comité, que latotalité des Etats s’accorde pour ce faire. Or, une telle unanimité ne s’est jamaisrencontrée pour prendre une direction opposée à celle proposée par le comité. En effet,lorsqu’un avis défavorable a été émis, les candidatures présentées ont en règle généraleété retirées par les Etats qui les avaient présentées. Dans un cas, les Etats réunis enconférence intergouvernementale ont constaté l’absence de consensus sur lacandidature présentée...ce qui montre que, dans les faits, il est très difficile pour ne pasdire impossible pour les Etats de s’opposer aux avis du Comité.

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2. Le système de la Convention européenne (CEDH)

56 Le système conventionnel européen de sélection des juges de la CEDH ressemble au

système de l’Union en ce qu’il a mis en place un Comité d’experts indépendants (a),toutefois il s’en distingue car son avis n’est pas transmis aux Etats, mais à l’Assembléeparlementaire du Conseil de l’Europe qui par un vote opère le choix final et élit un destrois candidats proposés. En outre, le choix de l’Assemblée passe par une procédure de«contrôle interne» dans la mesure où une «sous-commission» est censée évaluer denouveau la crédibilité des candidatures. La pratique démontre toutefois que lesconsidérations politiques peuvent encore l’emporter au sein de cette «sous-commission» au détriment de la qualification des candidats (b).

57 a) Première phase de la procédure : l’intervention d’un Comité consultatif d’experts

58 Le Comité a été créé55 sur la base d’une résolution du Comité des ministres du Conseil

de l’Europe du 10 novembre 201056 – avec pour objet d’examiner la pertinence des listesde trois candidats présentées par les Etats parties avant qu’elle ne soit transmise àl’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

59 Le panel de sept membres a été constitué le 8 décembre 2010. Ses membres ont été

choisis par le Comité des ministres en accord avec le Président de la Cour européenneconformément au paragraphe 3 de la Résolution (2010) 26 du Conseil de l’Europe. Il estcomposé des personnalités suivantes, conformément au §2 de la même résolution : lesmembres des plus hautes Cours nationales (Mme Katarzyna Gonera, Cour suprême dePologne ; Chief Justice John L. Murray, Cour suprême d’Irlande) ; Mr Sami Selçuk,professeur et Président de la Cour d’appel turque ; Mr V. Zorkin, Président de la Courconstitutionnelle russe) ; les anciens membres de cours internationales, y compris de la Cour

européenne des droits de l’homme (Mme Renate Jaeger, ancienne juge allemande à la CourEDH ; Mr M. Pellonpää, ancien juge finlandais à la Cour EDH ; Mr Lucius Wildhaber,ancien Président suisse de la CEDH) ; des juristes aux compétences reconnues. On peutconstater que cette dernière catégorie de «juristes aux compétences reconnues» n’a pasété «pourvue». Seuls les juges nationaux et anciens juges internationaux ont eu grâceaux yeux du Comité des ministres. Il est intéressant de relever qu’il a été tenu compte,conformément au §3 de la Résolution, d’une représentation géographique équilibrée(présence de juristes de l’Ouest comme de l’Est du continent) ainsi que d’unereprésentation au regard du sexe des membres (2 femmes sur 7).

60 Le mandat du Comité consultatif doit conseiller, de façon confidentielle, les Etats

parties afin qu’ils puissent évaluer si les candidats au poste de juge remplissent tous lescritères posés à l’article 21 de la Convention57. Il reçoit les CV de trois candidatsproposés par les Etats ; le principe étant que l’instruction menée par le Panelconsultatif est écrite. En plus du CV, le Panel utilise tout son réseau (essentiellementcelui de juges) pour avoir une opinion plus précise sur le profil des candidats. S’ill’estime nécessaire, il peut procéder à des auditions (elles ne sont donc pas obligatoires).Bien que le Comité ait suggéré qu’il devrait publier un rapport annuel (transmis auComité des ministres), sa proposition n’a pas été suivie d’effets58.

61 Si la liste des trois candidats fournie par l’Etat ne pose pas de problème quant à sa

qualité, le Panel en informe l’Etat qui pourra transmettre sa liste à l’Assembléeparlementaire. En revanche, si un ou plusieurs noms sur la liste posent problème, lePanel demande de plus amples informations à l’Etat ; ici se trouve la raison d’être de safonction : donner des avis à l’Etat qui doivent rester confidentiels. Le dialogue est

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bilatéral et confidentiel (Panel>Etat). Si le Panel n’est toujours pas convaincu de la qualitédes candidatures après entretien avec l’Etat, il peut les refuser : il en informe l’Etat quiest alors censé présenter de nouveau une liste de trois noms59. » Un rapport du ComitéDirecteur des Droits de l’Homme (Steering Committee of Human Rights) du Conseil del’Europe, en date du 29 novembre 2013, pointe certaines lacunes dans la procédure tellequ’elle a fonctionné jusqu’à présent et présente certaines propositions pour améliorerle mécanisme.

62 Le premier élément d’ordre négatif est que certains avis ne sont pas suivis d’effet60.

Dans ce contexte, le Comité directeur propose que : «While the opinion of the AdvisoryPanel is non-binding, it may be assumed that the Sub-Committee of the ParliamentaryAssembly gives due consideration to an opinion of the Advisory Panel on a particularlist of candidates ».

63 Il faut préciser toutefois qu’il y a au moins un contre-exemple concernant la France : en

effet, le processus de succession du juge français et président de la Cour européenne –Jean-Paul Costa – au cours de l’année 2010 donna à voir, dans un premier temps, desmanœuvres politiques désastreuses (pour l’image de la France) puisque legouvernement de Nicolas Sarkozy avait présenté une liste de trois candidats dont l’unn’avait absolument pas les qualifications requises... Le contrôle effectué par le Paneld’experts porta ses fruits puisque la France n’hésita pas à présenter une nouvelle liste,plus crédible. Il faut dire que cette manière de procéder s’ébruita dans la presse et cefut la réputation de la France qui fut malmenée dans l’enceinte du Palais des droits del’homme à Strasbourg ! La lecture combinée du rapport du CCDH et de l’expériencefrançaise démontre que la «bonne foi» des Etats est à géométrie variable. L’avis négatifdu Panel consultatif a été un véritable camouflet pour la France qui, très vite, s’estressaisie pour présenter une nouvelle liste. D’autres Etats n’ont évidemment pas lamême politique juridique extérieure et le même rapport à un «standing», uneréputation politique et juridique qu’il faut maintenir...

64 La seconde lacune qui fut mise en exergue est une attitude passablement cynique des

Etats qui n’attendent pas que le panel ait rendu son avis...en transmettant directementleur liste à l’Assemblée parlementaire61. Pour le Comité directeur, ceci est évidemmentinadmissible62.

65 La troisième lacune concerne l’existence de règles de fonctionnement par trop

restrictives : «The Advisory Panel indicated that it found the original Operating Rulestoo restrictive, i.e. with respect to the holding of meetings and the use of informationfrom sources other than the government. In its view, this warrants a re-evaluation ofthe Operating Rules in place. In the Operating Rules, a primarily written procedure isforeseen. The Advisory Panel can decide to hold a meeting “where it deems thisnecessary to the performance of its function”. In practice, seven meetings of theAdvisory Panel were convened between January 2011 and October 2013 which seems tosuggest that meetings have become the rule and not the exception. The Advisory Panelsuggests making meetings the norm, considering that a purely written procedure doesnot allow for a meaningful discussion based on direct exchange of views. The CDDHrecalls that the Resolution foresees flexibility to accommodate the need for a meeting,assuming this is necessary for effective consultations on lists of candidates. However,when organising meetings, due account must be taken of budgetary constraints»63.

66 b) Deuxième phase de la procédure : intervention de la Sous-commission des affaires juridiques

de l’Assemblée parlementaire

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67 L’article 22 de la Convention européenne énonce que « Les juges sont élus par

l’Assemblée parlementaire au titre de chaque Haute Partie contractante, à la majoritédes voix exprimées, sur une liste de trois candidats présentés par la Haute Partiecontractante. » Les autorités nationales doivent par conséquent transmettredirectement leur liste à l’Assemblée. Afin de s’acquitter le plus efficacement possible deson mandat, l’Assemblée a créé, dès 1997, une Sous-commission de la commission des

questions juridiques et des droits de l’homme chargée de la question de l’élection des juges.L’annexe à la Résolution 1432 (2005)64 précise qu’une fois soumise à l’Assemblée, la listene doit plus être modifiée, sauf à titre exceptionnel (para. 1). Si l’un des trois candidatsinscrit sur une liste se retire avant le premier tour de scrutin, l’Assemblée interromptla procédure et demande au gouvernement concerné de compléter la liste (para. 2).Toujours aux termes de l’annexe, l’Assemblée ne dévie pas de sa pratique consistant àprésenter les candidats dans l’ordre alphabétique sur le bulletin de vote, soulignant quel’expression d’une préférence de la part du gouvernement n’influe aucunement sur lesdélibérations de la sous-commission sur l’élection des juges (para. 3). La Sous-commission procède à l’audition des candidats (les frais de transport et de séjour sontinscrits au budget du Conseil de l’Europe). Les critères pris en considération concernentles compétences linguistiques et l’égalité des sexes.

68 S’agissant des compétences linguistiques, il faut que les candidats connaissent de façon

active une des deux langues officielles du Conseil de l’Europe (français ou anglais). Aucas où un candidat considéré par ailleurs comme étant qualifié pour l’exercice de lafonction de juge ne posséderait pas le niveau de compétences linguistiques requis à ladate de l’élection, certains ont proposé que l’intéressé, au moment de l’élection, prennel’engagement ferme de suivre des cours intensifs de l’une des langues officielles de laCour avant de prendre ses fonctions ou, à titre exceptionnel, au début de son mandat.

69 Quant à l’égalité des sexes, il est important de souligner que l’Assemblée parlementaire a

pris une mesure novatrice en 2004 en matière de discrimination positive, en décidantde n’accepter les listes des trois candidats au poste de juge à la Cour qu’à la conditionque celles-ci contiennent au moins un membre du «sexe sous-représenté». Elle allamême plus loin en invitant le Comité des Ministres à amender l’article 22 pour prendreen compte cette exigence65. Toutefois, certains Etats, et notamment les plus petits, danslesquels le nombre de femmes qualifiées peut être limité, ont souligné qu’il étaitdifficile de remplir ce critère. Partant, si la Convention était modifiée, ils ne pourraientpas la respecter... C’est à la suite d’un contentieux avec Malte (qui, à deux reprises, neprésenta que des candidatures masculines pour remplacer le Juge maltais GiovanniBonello), que le Comité des ministres du Conseil de l’Europe saisit la Cour européennepour avis. La Cour déclara que bien que l’approche générale de l’Assemblée relative à lapromotion de l’égalité des sexes soit sensée, l’application automatique de la règle, sans

aucune exception, n’est pas conforme à l’article 21 de la Convention 66. A la lumière del’avis consultatif de la Cour et à la suite de deux débats très controversés au sein del’Assemblée, elle décida, dans sa Résolution 1627 (2008) adoptée le 30 septembre 2008,d’autoriser des exceptions à cette règle, mais uniquement dans les cas où un Etat partiedémontre avoir essayé de trouver un candidat qualifié du sexe sous-représenté, sanssuccès.

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B. Propositions pour le système interaméricain

70 L’expérience des deux systèmes européens de sélection des candidats aux postes de

juges démontre plusieurs choses : tout d’abord qu’il est très difficile d’arriver à unsystème irréprochable ; ensuite et surtout, le système qui, a priori, pouvait êtreconsidéré comme le plus aboutis (celui du Conseil de l’Europe), n’en a pas moins recelé,dans la pratique, d’importantes carences. Au vu de l’expérience qui se dégage des deuxsystèmes européens de sélection, je propose des pistes de réflexion qui prennent encompte les dérives nées de la pratique européenne afin d’éviter au maximum qu’ellespuissent se reproduire au sein du système interaméricain des droits de l’homme.

71 La première règle de bonne gouvernance consisterait à créer un Comité d’experts

indépendants au sein de l’OEA.

72 S’agissant de l’autorité de création du Comité, il faudrait laisser à l’Assemblée Générale de

l’OEA le pouvoir de création du Panel d’experts. Dans les systèmes européens, ce sontles deux instances intergouvernementales (représentant les Etats à l’échelleministérielle) qui ont créé les Comités d’Experts. Cette donne «intergouvernementale»ne peut pas être éradiquée ; il serait en effet irréaliste de vouloir changer tropradicalement à ce stade les choses. Ici, le principe de réalité doit être pris en compte.On peut imaginer que, dans le cadre de cette tâche, l’AG soit secondée par le Comitéjuridique interaméricain – the Inter-American Juridical Committee (IAJC) –conformémentau libellé de l’article 99 de la Convention américaine67.

73 En ce qui concerne la composition du Comité d’experts interaméricains, on a vu que les

deux Comités d’experts européens étaient composés de sept membres. Ce nombredonne entière satisfaction. On peut penser qu’il en irait de même dans le cadre dusystème interaméricain. L’AG de l’OEA doit avoir pour contrainte, dans ladétermination de la composition du Panel, de prendre en compte la représentativitédes différentes cultures juridiques, des différentes aires géographiques, des différencesen termes de gender et last but not least, pour le continent américain, en termes«ethniques». Plus le Comité sera représentatif, plus il sera légitime et sera égalementen mesure d’être particulièrement sensible aux candidatures – à compétence égale – defemmes et de représentants des minorités ethniques. Les sept membres seraientnommés par l’AG pour un mandat de quatre ans, renouvelable une fois, toujours parelle (afin de permettre la mise en place d’us et coutumes dans le travail d’évaluation descandidatures et de leur sélection).

74 Les «critères» européens pour choisir les experts du Panel peuvent être repris, en y

ajoutant toutefois un autre, essentiel dans le contexte interaméricain : celui de la placede la société civile. De même, il serait bon d’inscrire une règle qui fixe précisément lenombre d’experts par «origine» (pour éviter une éventuelle surreprésentation d’un«statut» sur un autre), tout en accordant une légère préférence à la représentativité desanciens membres de la Cour IDH et de la Commission IDH au regard de leur expérience.

75 Ainsi, le Panel d’experts interaméricains pourrait être composé :

76 De deux membres des plus hautes Cours nationales ;

77 Ces «plus hautes cours nationales» sont celles des Etats ayant accepté la juridiction de

la Cour IDH pour les candidats aux postes de juges ;

78 En revanche, pour l’examen des candidatures aux postes de commissaires, les «plus

hautes Cours nationales» sont celles de tous les Etats membres de l’OEA

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79 De trois anciens membres de la Cour IDH (pour le poste de juge) ;

80 ou

81 - De trois anciens membres de la Commission IDH (pour le poste de commissaire) ;

82 De deux représentants de la société civile ;

83 Il s’agirait de choisir parmi les ONG reconnues dans le cadre de l’OEA.

84 S’agissant du processus décisionnel au sein du Comité, la pratique européenne démontre

que la procédure d’instruction ne peut pas se contenter d’être seulement écrite. Il fautque les auditions soient obligatoires, car elles s’avèrent essentielles pour la perceptioneffective et concrète des qualifications des candidats. Les auditions et les frais yafférents seraient pris en compte par l’AG de l’OEA (à l’instar de ce qui se passe enEurope). Le CV transmis par les candidats devrait être un CV type, élaboré à l’image decelui que l’AG du Conseil de l’Europe a élaboré afin que les éléments de comparaisonsoient le plus possible équivalents. Si les membres du Comité ne s’accordent pas sur uneliste présentée par un Etat – la considérant comme particulièrement « faible » – alors leComité pourrait demander à l’Etat d’en proposer une autre dans un délai déterminé (unmois par exemple) ; à défaut, il pourrait considérer que l’Etat a renoncé à présenter descandidats.

85 Il est important également de rendre obligatoire la publication d’un rapport annuel, qui

serait ainsi un gage de transparence du processus de sélection et qui participerait àasseoir la légitimité du Comité. Il est très intéressant à cet égard de voir les pratiquesdivergentes des deux Comités européens. Les rapports du «Comité 255» comme lesinterventions solennelles des membres du Comité, participent comme l’a faitremarquer J-M. Sauvé, à la transparence de ces méthodes d’évaluation : cela a permisd’asseoir peu à peu sa légitimité tout en ayant réussi à préserver la vie privée descandidats (notamment pour ceux qui sont « recalés »). Or, le fait que le Panel d’expertsindépendants du Conseil de l’Europe n’ait pas été en mesure jusqu’à présent de publierun rapport annuel a été un facteur de « frustration » pour ses membres et a participéau caractère très confidentiel de son action, ce qui n’est pas positif. Dans le cadre deson rapport annuel, il présenterait notamment le nombre de postulants, le nombre defemmes et de représentants ethniques, leur profil (magistrats, avocats, professeurs) etles critères qui ont été pris en compte pour la sélection68.

86 En ce qui concerne la portée de la décision adoptée par le Comité d’experts

interaméricain, intervient ici le point central, car sans doute le plus «osé», despropositions. La pratique dans le cadre de l’Union européenne démontre que l’avissimple (qui a priori était une faiblesse) s’est transformé en réalité dans la pratique en unavis conforme, les Etats membres de l’Union prenant au sérieux la «valeur morale»(dixit J-M. Sauvé) de l’avis délivré par le Panel. L’avis délivré concernant l’ensemble descandidatures, il faudrait l’unanimité des Etats pour renverser le point de vue exprimépar le Panel d’experts, ce qui ne s’est jamais produit. La pratique dans le cadre duConseil de l’Europe – qui a priori est vue comme plus démocratique – a eu les effetspervers décrits plus haut. Non seulement l’expertise délivrée n’est pas encoresystématiquement prise au sérieux par certains Etats, mais encore la «démocratieinterne» au Conseil de l’Europe a démontré que les marchandages politiques au stadede l’élection, non seulement pouvaient faire fi de l’avis du Panel d’expertsindépendants, mais également de l’avis de la «sous-commission» de l’Assemblée

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parlementaire. Pour résumer, la démocratie est allée plusieurs fois à l’encontre de lacompétence.

87 On sait que dans le système interaméricain, la question ne porte pas de façon aussi

cruciale sur la compétence des membres de la Cour comme de la Commission69. Il fautdire qu’élire sept juges et sept commissaires permet d’accéder plus facilement àl’excellence professionnelle que quand il s’agit d’en élire vingt-huit (CJUE) ou pis,quarante-sept (CEDH). Ce qui doit compter pour le système interaméricain, c’est latransparence de la procédure laquelle doit reposer sur une objectivité de l’examen decandidatures qui permettra, ensuite, de ne plus porter atteinte à la crédibilité desmembres de ces deux institutions. Il faut donc octroyer au Comité d’experts un pouvoirde décision (garant de la valorisation de la compétence) puis éradiquer le pouvoirélectif qui se trouve jusqu’à présent entre les mains de l’AG de l’OEA, dont on sait qu’ilgénère un phénomène classique «d’achat de votes» (vote trading). Cette solution auraégalement l’intérêt d’éviter que des Etats (par leur puissance économique et politique)emportent plus facilement que d’autres l’élection d’un de leur ressortissant à laCommission et à la Cour70, en laissant une chance aux très bons candidats issus de plus« petits » pays71.

88 C’est donc le Comité qui doit avoir le pouvoir de décision. Cette innovation serait

d’autant plus facile à accepter que ce serait l’AG de l’OEA (en partenariat avec le Comitéjuridique interaméricain) qui désignerait les membres du Comité pour une durée dequatre ans (renouvelable une fois). Il y aurait donc en amont du processus un certainpouvoir accordé aux Etats ; en revanche, en aval du processus, ils devraient accepter lechoix des experts. Cette solution radicale est la seule à même d’éviter tout type demarchandage politique par l’élection72 . Il est in fine préjudiciable à l’image des élus73.Pour faire accepter cette règle par les Etats, on pourrait imaginer une sorte de «clausede sauvegarde» consistant à affirmer que seule l’unanimité serait à même de«renverser» le choix du Panel.

89 La seconde règle de bonne gouvernance concerne les critères à prendre en considération au

moment de la sélection.

90 Le Comité consultatif, au regard de sa composition, devra prendre plus

particulièrement en considération les critères suivants :

91 - La compétence spécifique des candidats dans le domaine des droits de l’homme. L’analyse

du profil des juges ayant siégé à la Cour IDH démontre que cette exigence n’a pas étésystématiquement prise en considération antérieurement. Autrement dit, la questionau sein des Amériques – contrairement à l’Europe – ne concerne pas les qualificationscomme telles des candidats, mais plutôt leur orientation. En effet, le niveau des jugesinteraméricains est remarquable à de nombreux égards ; en revanche, l’examen de leurprofil démontre qu’ils n’ont pas tous été issus de l’univers des droits de l’homme. Or, ilest légitime de renforcer l’effectivité de cette exigence – mentionnée dans les textes74 –pour des fonctions à la Cour et à la Commission interaméricaines des droits del’homme.

92 - Le régime des incompatibilités devrait être scruté avec attention par les membres du

Comité (articles 71 de la Convention ADH75 et 18§1 du Statut de la Cour76 pour les jugeset article 4 du règlement de la Commission77). Les juges comme les commissaires netravaillant pas à temps plein, un contrôle particulièrement strict du régime desincompatibilités en amont devra être mis en œuvre pour s’assurer que les fonctionsexercées dans leur pays, par les candidats, soient parfaitement compatibles avec celles

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pouvant être exercées dans le système interaméricain. L’exception prévue par le textede la Convention pour les fonctions de juge (article 18§1 du Statut) devrait êtreinterprétée de façon très stricte – pour ne pas dire être écartée dans la pratique. Eneffet, outre le problème réel d’indépendance que pose le fait de travailler au sein d’unorgane de l’Exécutif (même s’il n’entraîne pas le « contrôle direct » de l’Exécutif sur lecandidat) ou dans le cadre d’une mission diplomatique, c’est toute l’image et donc lalégitimité de la Cour qui peut en pâtir in fine.

93 - Les compétences linguistiques. En Europe, ce point est devenu crucial car il faut

absolument – au sein d’une juridiction internationale bilingue comme la Coureuropéenne, pouvoir maîtriser de façon active une des deux langues officielles etmaîtriser au moins passivement l’autre langue (c’est-à-dire suffisamment pourcomprendre les nuances de textes juridiques complexes). Ce point est égalementimportant dans le cadre du système interaméricain. Il est crucial pour ne pas direélémentaire s’agissant des postes de commissaires (au regard de la localisation de sonsiège et de l’étendue de sa « juridiction ») ; il l’est également pour la Courinteraméricaine. Ce serait une manière d’assurer plus fortement l’unité entre lesmondes anglo-saxon et latin tout d’abord, ce qui renforcerait l’approche « commune »des cultures juridiques et l’interprétation des droits ; ensuite, sous un angle pluspragmatique, ce serait s’assurer à l’avenir, si un juge provenait d’un pays anglo-saxon,que les débats comme la prise de connaissance des pièces de procédure, ne génèrentaucun frais de traduction. Au cas où un candidat considéré par ailleurs comme étantqualifié pour l’exercice de la fonction de juge, ne posséderait pas le niveau decompétences linguistiques requis à la date de l’élection, le Comité d’expertsinteraméricain pourrait exiger de l’intéressé, au moment de l’audition, qu’il prennel’engagement ferme de suivre des cours intensifs avant de prendre ses fonctions ou, àtitre exceptionnel, au début de son mandat.

94 - La représentativité ethnique ainsi qu’en matière d’égalité des sexes. Cette question est à

mon sens majeure. Elle devrait être à l’agenda de l’Assemblée générale de l’OEA et desprincipales organisations de la société civile en Amérique latine dans les prochainesannées afin d’encourager fortement la présentation de candidats féminins et issus desminorités ethniques, plus spécifiquement dans les pays qui ont « constitutionnalisé » lefait indigène. Si la composition de la Commission a été sur ce point relativementéquilibrée, et ce, depuis plusieurs années, on ne peut pas dire que ce fut le cas de laCour interaméricaine. En trente-cinq ans d’activités, seulement quatre femmes en ontfait partie78 tandis qu’aujourd’hui, la Cour interaméricaine est exclusivementmasculine. L’idée ici n’est pas d’imposer des qualifications ethniques et féminines maisd’encourager la présentation de candidatures dument qualifiées de femmes et dereprésentants ethniques. Il est à cet égard assez difficile d’imaginer que de paysimportants en termes politiques et économiques ne puissent trouver de tellescandidatures79. En revanche, on peut penser que des « petits pays » soient confrontés(comme l’a été Malte) à la difficulté de dresser des listes où des femmes et/ou desreprésentants de minorités ethniques soient présents. Dans ce cas-là, il faudra quel’Etat démontre qu’il a procédé, au niveau de la procédure de sélection interne, à toutesles exigences présentées dans la première partie de cette étude, pour susciter descandidatures de femmes et de représentants ethniques afin que leur absence éventuellesoit une exception80.

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95 Je terminerai cette analyse sur un autre point, celui du mandat des juges et des

commissaires ; bien qu’il ne fasse pas partie, au sens strict, des questions relatives à leurprocessus de sélection et d’élection, il est important de mentionner que leurindépendance serait beaucoup mieux préservée si leur mandat était plus long et nonrenouvelable. Or, aujourd’hui, les juges interaméricains sont élus pour six ans etpeuvent être réélus une seule fois (article 54 CADH)81, tandis que les Commissaires sontélus pour quatre ans et peuvent également être réélus une seule fois (article 6 du Statutde la Commission et de 2§1 de son règlement)82. Il serait préférable de faire coïnciderleur mandat en le rallongeant et en interdisant leur renouvellement. L’expérienceeuropéenne est ici majeure. Le Conseil de l’Europe – après avoir opté pour plusieurssolutions et prenant la mesure des très graves inconvénients de l’existence de mandatsrenouvelables – a opté, avec le Protocole n°14, pour un mandat de neuf ans nonrenouvelable83. Cela a été salué unanimement par les praticiens (avocats et ONG), lesreprésentants du monde universitaire et last but not least, par les juges eux-mêmes84.Dans ce contexte, on pourrait imaginer un mandat identique de huit ou neuf ans pourles juges et les commissaires sans possibilité de réélection. La cohérence et la continuitéde la jurisprudence seraient assurées comme l’indépendance des membres de laCommission et de la Cour qui pourraient, sans difficultés aucune, mettre en œuvre lecélèbre « devoir d’ingratitude » à l’égard de leur Etat d’origine.

96 Il faut toutefois préciser ici que cette proposition s’avère être trop idéaliste au regard

de la conjoncture politique particulièrement délicate existant aujourd’hui au sein desAmériques. Cela impliquerait en effet une nécessaire révision de la Conventionaméricaine (tout du moins pour le mandat des juges) ; or, cela serait trop compliqué etsurtout dangereux car les Etats pourraient instrumentaliser le processus de réforme. Entout état de cause, c’est toutefois un élément qui doit être pris en compte à long terme :il apparaît de façon claire qu’il s’agit d’un gage d’indépendance qui renforce lalégitimité des juridictions internationales.

Conclusion

97 Cet article – écrit sous forme de rapport – a exploré seulement un des nombreux

facteurs qui ont un impact sur l’indépendance des organes internationaux. Il s’avèrecependant majeur. A l’heure où de plus en plus de décisions des Cours européenne etinteraméricaine sont contestées à l’échelle des Exécutifs des Etats parties, il est crucialque l’excellence soit le moteur de tout processus de désignation et d’élection de juges. Ils’agit d’une exigence élémentaire qui va de soi ; pourtant, on l’a vu, elle doit sans cesseêtre améliorée. La doctrine doit, pour sa part, continuer à mettre en place une veillecritique s’agissant de ces procédures : il y va également de son indépendance.

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NOTES

1. Ces deux notions (indépendance et impartialité) ne sont pas équivalentes. La première fait

référence à la capacité des membres d’un organe judiciaire de résister à une pression extérieure

afin d’être en mesure de prendre des décisions sans qu’aucun type d’interférences inappropriées

ne puisse agir sur le processus décisionnel juridictionnel ; le second est relatif à la capacité d’un

juge, à l’occasion d’un procès donné, d’être le plus neutre possible. Sur ces distinctions, on

renvoie au Dictionnaire de droit international public publié sous la direction de Jean Salmon,

Bruxelles, Bruylant, 2001, pp. 562 et 570.

2. Parmi une littérature foisonnante, on citera le colloque de Lille de la SFDI, La

Juridictionnalisation du droit international, Paris, Pedone, 2003.

3. L. R. Helfer, A-M. Slaughter, “Toward a Theory of Effective Supranational Adjudication”, 107,

Yale Law Journal, 1997, pp. 273-391. ; R. Mackenzie, P. Sands, “International Courts and Tribunals

and the Independence of the International Judge”, 44, Harvard International Law Journal, 2003, pp.

271-285 ; H. Ruiz-Fabri, J-M. Sorel (dir.), Indépendance et impartialité des juges internationaux, Paris,

Pedone, 2010, 302 p. (Col. Contentieux international). practice of international courts and tribunals : a

Practioners' journal.

4. Le rapport « Cilevics » de mai 2014 adopté par le Comité des affaires juridiques et des droits de

l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est intéressant à cet égard. Il met

notamment en exergue le fait qu’à côté des modes de sélection des juges, d’autres éléments sont

loin d’être négligeables pour assurer l’indépendance des juridictions internationales (à l’instar du

système des retraites et des privilèges et immunités) mais également – élément trop peu exploré

jusqu’alors – les modes de recrutement des membres du greffe, v. Assemblée parlementaire,

Committee on Legal Affairs and Human Rights, Reinforcement of the independence of the European

Court of Human Rights, 26 mai 2014, Rapporteur Boriss Cilevics (Socialist Group, Latvia).

5. On se reportera à cet égard à la Résolution adoptée par la 6° Commission à l’occasion de la

Session de Rhodes en 2011, The position of International Judge, (9 September 2011, 6 RES EN FINAL).

(Rapporteur G. Guillaume, Ancien juge français au sein de la CIJ).

6. Il est symptomatique de relever que les recherches juridiques sur la questiondémarrèrent quand le juge international Charles de Vissher n’a pas été réélu à la CIJ en1951 (voir G. Guillaume, “De l’indépendance des membres de la Cour internationale deJustice”, Boutros Boutros-Ghali Amicorum. Paix, développement, démocratie, Bruxelles,Bruylant, Vol. 1, 1998, p. 476). Toutefois, c’est l’accroissement considérable desjuridictions internationales qui fut le déclencheur de l’ébullition doctrinale relative auxprocessus de selection et de nomination des juges internationaux. Voir, à titre nonexhaustif, Mackenzie R., Malleson K., Martin P., Sands P., Selecting International Judges,

Principles, Process and Politics, Oxford, OUP. ; J. Malenovsky, «L’indépendance des jugesinternationaux», Recueil des Cours de l’Académie de droit international, vol. 349, 2011, 276 p.; A. Remiro Brotons, “Nomination et élection des juges à la Cour internationale dejustice”, Unité et Diversité du Droit international. Ecrits en l’honneur du professeur Pierre-

Marie Dupuy/ Unity and Diversity of International Law. Essays in Honour of Professor Pierre-

Marie Dupuy, Brill, Martinus Nijhoff Publishers, 2014, pp. 639-660 ; A. Seibert-Fohr,“International Judicial Ethics”, The Oxford Handbook of International Adjudication, Oxford,2014, pp. 757-778 ; S. Szurek, “La composition des juridictions internationalespermanentes : l’émergence de nouvelles exigences de représentativité”, Annuaire

français de droit international, 2010, pp. 41-78. C. Tomushat, “National Representation ofJudges and Legitimacy of International Jurisdictions: Lessons from ICJ to ECJ ?”, Pernice

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I. et al. (eds), The Future of the European Judicial System in a Comparative Perspective, Baden-Baden, 2006, pp. 183-190.

7. H. Fáundez Ledesma, “La independencia e imparcialidad de los miembros de la Comision y de

la Corte : paradojas y desafios”, J. Méndez & F. Cox (eds), El futuro del sistema Interamericano de los

Derechos Humanos, IIDH, San José, 1998, pp.170-210 ; O. Ruiz-Chiriboga, “The Independence of the

Inter-American Judge”, The Law and Practice of International Courts and Tribunals, 2012, pp. 111-135

; J. Schönsteiner, “Alternative Appointment Procedures for the Commissioners and Judges in the

Inter-American System of Human Rights”, 2007, 46 Revista IIDH, pp.196-205.

8. D. Cassel, “Regional Human Rights Regime and State Pushback: the Case of the Inter-American

Human Rights System (2011-2013)”, Human Rights Law Journal, 2013, vol. 33, pp. 1-10 ; voir

également le numéro special de Human Rights Brief, « The Future of the Inter-American System of

Human Rights », vol. 20, n°2, hiver 2013.

9. Les processus nationaux et internationaux de sélection et de nomination descandidats ont une incidence directe sur l’indépendance et l’impartialité descommissaires et des juges, conditions indispensables pour que le public ait confiancedans la justice interaméricaine. Elles doivent absolument être conformes aux normesinternationales garantissant l’indépendance de l’ordre judiciaire. Si les procéduresnationales de sélection et les procédures internationales de nomination présentent deslacunes, il existe en outre un risque que les juges ne soient pas suffisamment qualifiéspour s’acquitter de leur mandat, et ce au détriment de la légitimité et de l’autorité desjuridictions internationales. La question de la légitimité des juridictions internationalesest devenue aujourd’hui un sujet majeur de la littérature juridique, v. à titre d’exemple,A. Von Bogdandy, I. Venzke, « In Whose Name ?, An investigation of InternationalCourts’ Public Authority and its Democratic Justification », 23 European Journal of

International law, 2012, pp. 7-41.

10. Le titre du fameux ouvrage de Christian Tomushat en témoigne, Human Rights. Between Idealism and Realism Oxford, 2008.11. S’ils servent en quelque sorte de « mesure d’étalon », on verra qu’ils ne sont pas exempts de

critiques.

12. Il n’est pas inutile ici de rappeler que c’est dès le début du XX siècle – au moment dela création de la Cour permanente de justice internationale (CPJI) – que des efforts ontété déployés en vue de limiter la marge de manœuvre discrétionnaire des Etats dans lasélection nationale des juges internationaux.

13. Ce fut une manière de prendre en considération de nombreuses critiques formuléesà l’endroit de la composition des tribunaux pénaux ad hoc (TPIY et TPIR).

14. C’est donc l’Assemblée qui fut l’aiguillon, en Europe, d’une amélioration dustandard en matière de sélection des candidats. A cet égard, il faut mentionner laRecommandation n°1649 (2004) du 30 janvier 2004 ; la Résolution 1082 (1996), et laRecommandation 1295 (1996) toutes les deux adoptées en avril 1996 ; la Résolution 1200(1999) de septembre 1999 et la Résolution 1646 (2009) de janvier 2009.

15. Toute les analyses du professeur J-F. Flauss (voir bibliographie) ont parfaitement

démontré cette donne sans aucune concessions à l’égard du système du Conseil del’Europe et avec une extrême liberté de ton.

16. En effet, des procédures de sélection trop disparates ne permettent pas de proposerdes candidatures «homogènes» en termes de compétences.

17. Assemblée parlementaire, Résolution n°1646 (2009) du 27 janvier 2009 (4° session),«Nomination des candidats et élection des juges à la Cour européenne des droits del’homme».

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18. Flauss J-F., RTDH, 2008, p.715.

19. Voir infra II. Les procédures internationales d’examen des candidatures. A. Etatsdes lieux comparatif.

20. Comité des Ministres, CM (2012) 40 final, 29 mars 2012.

21. Ministers’ Deputies, CM (2012) 40 addendum final, 29 march 2012, 1138 Meetings,Human Rights. 4.4. Guidelines of the Committee of Ministers on the Selection ofcandidates for the post of judge at the European Court of Human Rights. ExplanatoryMemorandum.

22. Le point 21 de la Déclaration se lit précisément ainsi : «L’autorité et la crédibilité dela Cour dépendent en grande partie de la qualité de ses juges». Le point 22 précisait cesexigences en les élargissant aux membres du greffe : «22 Le haut niveau des juges élus àla Cour est fonction de la qualité des candidats présentés à l’Assemblée parlementaire.Le choix de candidats ayant la plus haute envergure possible, opéré par les Etatsparties, est de ce fait primordial pour préserver le succès de la Cour, tout comme l’estun Greffe de grande qualité, composé de juristes choisis en raison de leurs compétencesjuridiques et de leurs connaissances du droit et de la pratique des Etats parties, quiapporte un soutien inestimable aux juges de la Cour.»

23. J-F. Flauss, révélait ainsi qu’en 2004, «dans la quasi-totalité des cas, la liste nationaledes candidatures a été, soit présentée, approuvée ou décidée par le gouvernement(Pologne, Allemagne, Croatie, Grèce, Malte, Liechtenstein, Irlande, Islande, Azerbaïdjan,Estonie, Norvège), le chef de l’Etat (Russie, Lituanie, Bosnie Herzégovine), soitcommuniquée par l’Etat (Portugal, Suède, Belgique, République tchèque, France) ou lesautorités nationales (Arménie, Pays-Bas), ce qui signifie que ce sont les autoritésexécutives du pays qui ont eu la haute main sur la sélection des candidats», RTDH, 2005,p. 19.

24. Assemblée parlementaire, Election des juges à la Cour européenne des droits del’homme. Liste des curriculae vitae des candidats présentés par le Gouvernement de laRépublique Slovaque. Communication. Secrétaire général de l’Assemblée, Doc.13232, 13juin 2013. Le document présente avec force détails la procédure interne de sélection.

25. Ces discussions – dues à la connaissance personnelle de certains juges et de certainsmembres du greffe – ont été axées expressément ces derniers mois sur les processus desélection ; l’objectif était d’obtenir le plus de renseignements pratiques possibles afind’élaborer ce rapport.

26. Assemblée parlementaire, Commission des questions juridiques et des droits del’homme, Rapport, Nomination des candidats et élection des juges à la Cour européennedes droits de l’homme, 1er décembre 2008, Doc. 11767 (rapporteur, Christophe Chope,RU, Groupe démocrate européen).

27. Elles existent dans les pays suivants : Arménie, Bulgarie, République tchèque,Finlande, Islande, Italie, Lituanie, Luxembourg, Moldova, Norvège, Pologne, Saint-Marin, Serbie, Royaume-Uni.

28. Miller V., «The European Court of Human Rights: the election of Judges», House ofCommons, International Affairs and Defence Section, 2011, SN/IA/5949, p.8.

29. Flauss J-F., RTDH, 2005, pp.19-20.

30. Il s’agit de l’Azerbaïdjan de l’Autriche, de la Belgique, de Chypre, du Danemark, dela France, de l’Allemagne, de la Hongrie, de l’Irlande, du Liechtenstein, de Malte, deMonaco, des Pays Bas, de la Suède et de la Suisse.

31. Eléments obtenus grâce à plusieurs entretiens informels avec des membres de laCour.

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32. On sait que la constitution de ces groupes remonte à la Convention internationalesur le règlement des conflits internationaux de La Haye de 1907 dont l’article 44 fixe lacomposition.

33. On rappellera ici que chaque groupe national ne peut comprendre au plus que 4personnes «d’une compétence reconnue dans les questions de droit international,jouissant de la plus haute considération morale et disposées par ailleurs à accepter lesfonctions d’arbitre en tant que Membres de la Cour». Elles sont nommées pour unedurée de 6 ans renouvelable.

34. On trouve à l’heure actuelle sur la liste telle qu’établie en 2013, deux anciensconseillers d’Etat qui furent deux anciens juges internationaux (Gilbert Guillaume et J-P. Puissochet), déjà plusieurs fois nommés sur la liste de la CPA (le premier en 1980 et2011 et le deuxième en 1990 et 2010). La troisième personne est également Conseillerd’Etat, actuellement Directrice du Service juridique des Affaires étrangères (EdwigeBelliard) ; enfin, on recense un professeur d’Université, Geneviève Burdeau, professeurà l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I), qui a fait valoir ses droits à laretraite. Il s’agit, pour ces deux dernières personnes, de la première nomination sur laliste de la CPA.

35. Il s’agit de la Bosnie-Herzégovine, de l’Estonie, de la Lettonie, de la Roumanie, de laFédération de Russie, de la Slovénie, de l’Ex-République yougoslave de Macédoine, del’Ukraine et de la Slovaquie.

36. Les critères que doivent satisfaire les candidats à la fonction de juge d’une instanceinternationale sont les suivants:a. avoir achevé une formation juridique sanctionnée par un Master de la faculté dedroit d’une université slovaque, ou posséder un diplôme de droit obtenu aprèsl’achèvement d’études de même niveau dans une université étrangère pour autant quele diplôme soit reconnu ou qu’il ait été validé en Slovaquie;b. être une personnalité intègre aux compétences reconnues en droit et posséder desqualités morales qui garantissent qu’elle exercera dûment son mandat;c. avoir sa résidence permanente en Slovaquie;d. avoir pleinement la capacité légale et un état de santé lui permettant de s’acquitterde ses obligations judiciaires;e. avoir réussi l’examen professionnel judiciaire, l’examen de procureur, l’examen dubarreau ou l’examen de notaire et avoir une expérience juridique de cinq ans au moins.

37. OAS General Assembly, AG/RES. 2166 (XXXVI-O/06), 6 June 2006. Voir en annexe letexte dans son ensemble.

38. Est-ce qu’il serait bon à cet égard que l’AG délègue ce travail à un autre organe del’OEA ? La question reste posée. Il serait intéressant de voir quel est l’organe dont lestravaux seraient le plus «pris au sérieux» par les Etats et dont les propositions auraientle plus de poids. Il pourrait s’agir soit du Comité juridique interaméricain, soit duComité des affaires juridiques et politiques (Committee on Juridical and Political affairs,CJPA).

39. On a vu que la très grande majorité des Etats avait opté pour des procédures ad hoc ;or, elles ont le grand défaut d’être concoctées à la hâte, afin de répondre, sous lapression, à un besoin urgent : elles sont donc clairement à éviter.

40. Permanent Council, Guidelines for Participation of Civil society Organizations inOAS Activities, OEA.Sec.G./CP Res. 759 (1217/99), 15 December 1999.

41. Gonzalez Volio L., «The Institution of the Ombudsman. The Latin AmericanExperience», Revista IIDH, Enero-Junio 2003, n°37, pp. 219 et ss. ; Rosales de Conrad M-

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T., El Defensor del pueblo. Un estudio con especial referencia al Ecuador, Montevideo,Fondation Konrad Adenauer, 2004, 327 p.

42. Est-il besoin de rappeler ici que les Ombudsmen se sont déjà portés partiesintervenantes devant la CIDH contre leur propre Etat ? Cette simple démarchedémontre, à n’en pas douter, leur indépendance.

43. A cet égard, la composition actuelle de la Cour interaméricaine n’est pas in se lereflet de la diversité ethnique du continent ; de même, le fait que ne s’y trouve plusaucune femme, pose un problème en termes d’équité et de représentativité. D’ailleurs,le fait qu’il n’y ait eu que quatre femmes depuis sa création démontre a contrario qu’il ya encore beaucoup de chemin à parcourir. Le constat n’est pas le même s’agissant de lacomposition de la Commission IDH, beaucoup plus équilibrée d’une manière générale.

44. Bien qu’il existe des communautés indigènes au Chili et en Argentine (ainsi des Mapuches), elles ne constituent pas une part importante de la population de ces pays dufait des guerres d’exterminations menées à la fin du XIXème siècle (v. La « Conquête duDésert » Conquista del Desierto et la Pacification de l’Araucanie / Pacificacion de la

Araucania).

45. La liste sera de deux candidats s’il n’y a pas de ressortissants d’un autre Etat partie àl’OEA qui s’est présenté et qui a été retenu ; dans le cas contraire, la liste sera de troiscandidats (cf le libellé de l’article 53§3 de la Convention américaine).46. Ce point est d’autant plus important que la pratique démontre que les Etats ne présentent en

réalité qu’un seul candidat.

47. Le texte de l’article 255 TFUE est reproduit en annexe.

48. V. supra I° partie.

49. Toutes les informations qui suivent ont été extraites des rapports annuels du «Comité 255»,

des discours de certains de ses membres (Lord Mance, J-M. Sauvé), autant de documents intégrés

dans la bibliographie à la fin de ce document.

50. Décision du Conseil du 25 février 2010 relative aux règles de fonctionnement du comité prévu

à l’article 255 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (2010/124/UE).

51. Décision du Conseil du 25 février 2010 portant désignation des membres du Comité prévu à

l’article 255 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (2010/125/UE).

52. CJUE, 29 juin 2010, Commission européenne c. The Bavarian Lager Co. Ltd, Contrôleur européen de la

protection des données (CEPD), aff. C-28/08 P).

53. J-M. Sauvé, «Sélection des juges de l’Union européenne : la pratique du Comité de l’article

255», Intervention lors du Séminaire, Selecting Europe’s Judges : A critical Appraisanl of Appointment

processes to the European Courts, Collège d’Europe, Bruges, 4 novembre 2013.

54. Article 253 al. 1 TFEU : «...They shall be appointed by common accord of the governments of

the Member States for a term of six years, after consultation of the panel provided for in Article

255 ».

55. Il s’agit d’une initiative du Président français Jean-Paul Costa qui prit à la lettre la Déclaration

d’Interlaken (18-19 Février 2010). Elle avait en effet appelé à “the full satisfaction of the

Convention’s criteria for office as a judge of the Court, including knowledge of public

international law and the national legal systems as well as proficiency in at least one official

language”. It should be noted that following the Interlaken Declaration, the Committee of Ministers

adopted Guidelines on the selection of candidates for the post of judge at the European Court of Human

Rights (doc. CM(2012)40 & Addendum), which go further than the Interlaken Declaration on the

question of linguistic competence (“Candidates must, as an absolute minimum, be proficient in

one official language of the Council of Europe ... and should also possess at least a passive

knowledge of the other”), referring to Parliamentary Assembly Resolution 1646 (2009), para. 4.4

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56. Comité des Ministres, CM/Res (2010) 26, 10 novembre 2010. Ce document est reproduit en

annexe.

57. “The judges shall be of high moral character and must either possess thequalifications required for appointment to high judicial office or be jurisconsults ofrecognised competence.

58. On en apprend plus en lisant la suite du rapport du Comité directeur des droits de l’homme :

« The activities of the Advisory Panel have, however, twice been discussed during exchanges

between the Chair of the Panel and the Ministers’ Deputies (on 4 April 2012 & 30 January 2013:

see DH-GDR(2013)005). In addition, it is worthwhile mentioning that there have been informal

meetings between the Chair of the Panel and representatives of the Parliamentary Assembly,

such as the Chairperson of the Sub-committee on the Election of Judges, the President of the

Parliamentary Assembly and the Secretary General of the Parliamentary Assembly », Steering

Committee of Human Rights (CDDH), CDDH report on the review of the functioning of the Advisory

Panel of experts on candidates for election as judge to the European Court of Human Rights, Strasbourg,

29 November 2013, CDDH(2013)R79 Addendum II, §27.

59. Voici un panorama plus détaillé de la procédure en termes temporels : «Themembers shall give their opinion on a list of candidates within five working daysfollowing the receipt of the list from its Secretariat. This should ensure that there issufficient time to request additional information from the government concerned, ifnecessary. Within four weeks after the State Party submits the names of the proposedcandidates and their curricula vitae (using the model CV form as supplied by theParliamentary Assembly), the Government is informed of the views of the AdvisoryPanel. Given the fact that governments are requested to provide the necessaryinformation to the Advisory Panel six weeks before the time-limit set by the ParliamentaryAssembly for submission of the national list of candidates, this then leaves only two

weeks to present a new candidate in case the Advisory Panel expresses doubts as to thequalifications of any of the candidates. Before the State Party submits the list to theAssembly, the newly proposed candidates’ qualifications should also be assessed by theAdvisory Panel Steering Committee of Human Rights (CDDH), CDDH report on the review

of the functioning of the Advisory Panel of experts on candidates for election as judge to the

European Court of Human Rights, Strasbourg, 29 November 2013, CDDH(2013)R79Addendum II, §23.

60. «Although neither is the government concerned required to follow the Advisory Panel’s

advice, nor is the Parliamentary Assembly required to act consistently with it, it was noted that

there was an instance in 2012 when despite the Advisory Panel’s view that a candidate was not

qualified, the Government concerned maintained that person on the list of candidates and the

Parliamentary Assembly subsequently elected that person to the Court» (§30, CDHH Report).

61. «There have been instances in which State Parties have submitted lists ofcandidates to the Parliamentary Assembly and the Advisory Panel simultaneously, oronly to the Parliamentary Assembly, without awaiting the Advisory Panel’s opinion anddespite the Advisory Panel having requested additional time for examination of thecurricula vitae concerned. In two instances, the Advisory Panel requested theParliamentary Assembly not to proceed with the election process before it had beenable to issue an opinion» (§33, CDHH Report).

62. «The CDDH considers such practices by States Parties to be incompatible with theraison d’être of CM Resolution (2010) 26. States Parties are reminded of the need tosubmit lists of candidates well before the deadline by which they must submit their list

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to the Parliamentary Assembly. Likewise, the Parliamentary Assembly is invited not toproceed with the election process without allowing the Advisory Panel a reasonabletime within which to inform the State Party concerned of its views on the intendedcandidates. Where a list of candidates has already been transmitted to theParliamentary Assembly, the Advisory Panel should simultaneously transmit its viewsto the latter.» (§34, CDHH Report).

63. Comité directeur des droits de l’homme, Rapport, §§40 and 41.

64. Cette importante Résolution est reprise dans le Règlement de l’Assemblée, Strasbourg, janvier

2012, p. 155.

65. Assemblée parlementaire, Recommandation 1649 (2004), Candidatures à la Cour européenne des

droits de l’homme, 30 janvier 2004, 8ème session.

66. Cour européenne des droits de l’homme, 12 février 2008, Avis consultatif, sur certaines

questions juridiques relatives aux listes de candidats présentées en vue de l’élection des juges à la Cour

européenne des droits de l’homme.

67. «The purpose of the Inter-American Juridical Committee is to serve the Organization as an

advisory body on juridical matters» et 100 de la Charte de l’OEA : «The Inter-American Juridical

Committee shall undertake the studies and preparatory work assigned to it by the General

Assembly».

68. Voir infra, règle n°2 de bonne gouvernance.

69. En effet, même si des ONG aussi importantes que CEJIL ont pu affirmer le contraire (CEJIL,

Aportes, 2005, p.9) et même si dans l’histoire du système interaméricain il ait pu arriver de

constater que certaines personnes ne possédaient pas entièrement toutes les qualifications

requises (surtout au sein de la Commission plus que de la Cour), je pense que l’existence de « cas

isolés » ne peut pas être comparée au problème de fond qui a fortement déstabilisé le système

européen en la matière (voir première partie) au point de malmener très fortement la

« légitimité » de la Cour européenne.

70. Le Mexique dispose à l’heure actuelle (en 2014) de trois importants représentantsau sein du Système Interaméricain : le Président de la Commission, le SecrétaireGénéral Exécutif de la Commission et un juge à la Cour). Cela démontre la puissancepolitique du pays qui a « réussi » à faire élire trois personnalités aux compétencesincontestées ; aujourd’hui, on peut considérer que cet élément est positif car lapolitique juridique extérieure du Mexique est marquée tout à la fois par la valorisationd’un processus d’excellence dans le cadre des nominations internationales (CEJIL, 2008,p. 19) et par la « défense » du système inter-américain. Toutefois, on peut imaginerl’effet dévastateur si un pays – à la politique juridique extérieure plus contestable –arrivait au même résultat…

71. Dans le même ordre d’idées, il est symptomatique de constater que certains paysn’ont jamais eu de juges de leur nationalité à la Cour (ainsi de la Bolivie, du Salvador, duGuatemala ou encore du Paraguay), alors que la Colombie, le Costa Rica, le Venezuela,mais aussi le Chili et le Mexique ont obtenu à plusieurs reprises des juges de leurnationalité.

72. Quelle que d’ailleurs les modalités de l’élection : celle des représentants des Etats (OEA) ou

celle des représentants des peuples (comme l’expérience de l’Assemblée parlementaire du

Conseil de l’Europe le démontre).

73. Ici, il est clair que je suis assez « radicale » et sans doute très (voire trop ?) idéaliste. En effet,

si tous les auteurs ont pu dénoncer le processus de « politisation » de l’élection des commissaires

et des juges – en 1998, H. Fáundez Ledesma, “La independencia e imparcialidad de los miembros

de la Comision y de la Corte : paradojas y desafios”, J. Méndez & F. Cox (eds), El futuro del sistema

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Interamericano de los Derechos Humanos, IIDH, San José, 1998 ; en 2007, J. Schönsteiner, Revista IIDH,

2007 ; en 2012, O. Ruiz-Chiriboga, “The Independence of the Inter-American Judge”, The Law and

Practive of International Courts and Tribunals, 2012 – ils n’ont pas été jusqu’à proposer la

suppression du système électif.

74. Article 4§1 du Statut de la Cour et 2§1 du Statut de la Commission.

75. Article 71 de la Convention américaine : “The position of judge of the Court or member of the

Commission is incompatible with any other activity that might affect the independence or

impartiality of such judge or member, as determined in the respective statutes.”

76. L’article 18§1 du Statut de la Cour : “1. The position of judge of the Inter-AmericanCourt of Human Rights is incompatible with the following positions and activities: 1.Members or high-ranking officials of the executive branch of government, except for

those who hold positions that do not place them under the direct control of the executive branch

and those of diplomatic agents who are not Chiefs of Missions to the OAS or to any of its member

states; 2. Officials of international organizations ; 3. Any others that might prevent thejudges from discharging their duties, or that might affect their independence orimpartiality, or the dignity and prestige of the office.”

77. Article 4 du règlement de procédure de la Commission interaméricaine : “Theposition of member of the Inter‐American Commission on Human Rights isincompatible with the exercise of activities which could affect the independence orimpartiality of the member, or the dignity or prestige of the office. Upon taking office,members shall undertake not to represent victims or their relatives, or States, inprecautionary measures, petitions and individual cases before the IACHR for a period oftwo years, counted from the date of the end of their term as members of theCommission.”78. Il s’est agi de Cecilia Medina Quiroga (2004-2009, Chili), de Sonia Picado Sotela (1988-1994,

Costa Rica), de Rhadys Iris Abreu Blondet (2007-2012, République dominicaine), et Margaret May

Macaulay (2007-2012, Jamaïque). J. Mo Pasqualucci a prsenté un portrait passionnant du parcours

de Sonia Picado qui fut nommée Ambassadeur du Costa Rica aux Etats-Unis après sa fonction de

juge à la Cour : «Sonia Picado, First Woman Judge on the Inter-American Court of Human Rights,

Human Rights Quaterly, vol.17, n°4 (Nov.1995), pp.794-806. Mentionnons également les travaux

académiques de Cecilia Medina Quiroga qui fut la seule universitaire parmi les quatre femmes

juges nommées, v. entre autres choses, C. Medina Quiroga, The Battle of Human Rights, Gross

Systematic Violations and the Inter-American System, Martinus Nijhoff Publishers, 1988, 363 p. ; La

Convencion americana : vida, integridad personal, libertad personal, debido proceso y recurso judicial,

Universidad de Chile, Facultad de derecho, Centro de derechos humanos, 2005, 428 p.

79. Il est assez décevant de constater qu’en dépit d’une très importante littérature sur les

approches féministes du droit qui a tenté de faire “bouger les lignes” – ad ex. H. Charlesworth,

Sexe, Genre et droit international, Paris, Pedone, 2013, p. (Col. Doctrines) – les pratiques à l’échelle

internationale continuent d’être marquées par des paramètres classiques.

80. Avec la Cour EDH, la Cour pénale internationale et la Cour africaine des Droits del’Homme et des Peuples possèdent des règles non contraignantes encourageant lareprésentation équitable des sexes dans leur composition.

81. Article 54§1 de la Convention américaine : “The judges of the Court shall be elected for a term

of six years and may be reelected only once.”

82. Article 6 : « The members of the Commission shall be elected for a term of fouryears and may be reelected only once. Their terms of office shall begin on January 1 ofthe year following the year in which they are elected. »

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83. Explanatory Report to Protocol No. 14 to the Convention for the Protection of Human rights and

Fundamental Freedoms, amending the control system of the Convention, par. 50 : “The judge’s terms of

office have been changed and increased to nine years. Judges may not, however, been reelected.

These changes are intended to reinforce their independence and impartiality, as desired notably

by the Parliamentary Assembly in its Recommendation 1649 (2004).

84. Popescu C-L., «La Cour européenne des droits de l’homme», Indépendance et

impartialité des juges internationaux, Ruiz-Fabri H., Sorel J-M., (dir.), Paris, Pedone, 2010,p.83.

ABSTRACTS

Many factors – institutional, financial, procedural, legal – are participating to insure the

independence as well as the impartiality of International Judges. The national and international

processes to select and nominate candidate is one of them. Following a comparative approach

(focusing in the European experiences of the EU and Council of Europe legal orders), this article

study national and international processes to select and nominate candidates to an Inter-

American judge or commissioner mandate; it analyzes these two issues from a procedural angle

in order to identify –– the best criteria to encourage States, but also the OAS as such, to set up

good practices in terms of judicial governance, as well as from a material angle so as to identify

the candidates’ profile, their gender, ethnic origin etc.

De nombreux facteurs – institutionnels, financiers, procéduraux et juridiques – participent à

assurer l’indépendance comme l’impartialité des juges internationaux ; les processus internes et

internationaux de leur sélection et de leur nomination en font partie. Sur la base d’une approche

comparative (centrée sur les expériences européennes de l’UE et du Conseil de l’Europe), cet

article analyse les processus nationaux et internationaux de sélection et de nomination des

candidats aux fonctions de commissaires et de juges interaméricains. Ces deux questions sont

analysées tout à la fois sous un angle procédural, afin d’identifier les meilleurs critères

permettant d’inciter les Etats – mais aussi l’OEA comme telle – à mettre en place des bonnes

pratiques de gouvernance judiciaire, mais également sous un angle matériel afin de discerner le

profil professionnel des candidats, leur sexe et leur origine ethnique notamment.

INDEX

Mots-clés: Justice internationale – Indépendance – Impartialité - Critères de sélection –

Transparence - Cour interaméricaine des droits de l’homme - Commission interaméricaine des

droits de l’homme - Cour européenne des droits de l’homme - Cour de justice de l’Unio

Keywords: International Judiciary – Independence – Impartiality - Selection process –

Accountability -Inter-American Court of Human Rights - Inter-American Commission on Human

Rights -European Court of Human Rights - Court of justice of the European Union

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AUTHOR

LAURENCE BURGORGUE-LARSEN

Laurence Burgorgue-Larsen est professeur de droit public à l’Ecole de droit de laSorbonne, membre de l’IREDIES (Institut de Recherche en droit international eteuropéen de la Sorbonne). Comparatiste, s’intéressant à l’étude des rapports desystèmes et au pluralisme constitutionnel, elle s’est notamment spécialisée dans l’étudedes systèmes régionaux de protection des droits de l’homme.

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La première décision au fond de laCour africaine des droits del’homme et des peuples(Arrêt du 14 juin 2013 sur les affaires jointes Tangayika Law Society &The Legal and Human Rights Centre c. Tanzanie et Révérend ChristopherR. Mtikila c. Tanzanie)

Alain Didier Olinga

1 La première décision au fond de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples

était attendue par l’ensemble de ceux qui s’intéressent au fonctionnement et audevenir du système africain de garantie des droits fondamentaux1. Après denombreuses décisions d’incompétence2, l’occasion lui en a été offerte par le grouped’affaires n° 009/2011 et 011/2011 contre la République Unie de Tanzanie, l’un des raresEtats à avoir souscrit la déclaration de l’article 36 paragraphe 4 du Protocole deOuagadougou et à être ainsi exposé au risque d’être attrait devant la Cour par des ONGet des individus3. On ne peut que saluer ce premier pas, car il permet de voir commentla Cour aborde des questions de fond du droit, ou de droit substantiel, et comment surces questions elle se positionne par rapport à l’acquis jurisprudentiel de la Commissionde Banjul. Pour autant, il n’est pas sûr que cette première sortie au fond laissera unsouvenir indélébile ; en effet, à notre avis, elle laisse interrogateur sur un certainnombre d’aspects, au point de créer une situation d’incertitude sur des aspectsprocessuels et de fond dans le système de protection articulé autour de la Charteafricaine des droits de l’homme et des peuples. Avant de les relever, il importenaturellement de revenir un tant soit peu sur les faits de la cause.

2 Les données factuelles qui ont donné lieu à l’arrêt du 14 juin 2013 sont simples. En 1992,

est adoptée en Tanzanie une révision constitutionnelle prescrivant l’affiliation à unparti politique de tout candidat potentiel aux élections présidentielles, parlementaireset locales et excluant, de jure et de facto, toute candidature indépendante4. Cette révisionsera contestée devant les instances judiciaires par M. Mtikila, avec succès, puisque enoctobre 1994 la Haute Cour lui donne raison. En décembre 1994, l’Assemblée nationaleadopte un projet de loi réaffirmant l’interdiction des candidatures indépendantes, loi

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entrée en vigueur en janvier 1995. M. Mtikila conteste à nouveau cette loi devant laHaute Cour en 2005, soit dix ans après son entrée en vigueur, avec succès, car la HauteCour lui donne une fois de plus raison. Cette décision de la Haute Cour est contestée en2009 par l’Attorney General devant la Cour d’Appel, laquelle, dans un arrêt du 17 juin2010, infirme la position de la Haute Cour et confirme l’interdiction des candidaturesindépendantes. Il s’agit ainsi d’un processus judiciaire interne assez saccadé, étalé surprès de vingt ans. C’est suite à cette décision de la Cour d’Appel que deux requêtes vontêtre déposées devant la Cour africaine les 2 et 10 juin par les premier et secondrequérants, à l’effet de faire constater que l’interdiction des candidaturesindépendantes méconnaît le droit de participer à la direction des affaires publiques deson pays, la liberté d’association, le droit à l’égalité et à la non discrimination et leprincipe de l’Etat de droit. La Cour, à l’unanimité, après un peu plus de deux ans deprocédure (du 2 juin 2011 au 16 juin 2013) va constater la violation par la Tanzanie desdeux premiers droits ; à la majorité de sept contre deux, elle constate la violation dutroisième droit, mais les deux juges dissidents n’ont pas formulé, comme ils en ont ledroit sans y être pour autant astreints, d’opinion dissidente explicitant leur position.Elle estime que la question de la violation de l’Etat de droit est sans intérêt. La Courordonne à la Tanzanie de « prendre toutes les mesures constitutionnelles, législatives et autres

dispositions utiles dans un délai raisonnable, afin de mettre fin aux violations constatées et

informer la Cour des mesures prises à cet égard ». Elle réserve la question de la réparation àun examen ultérieur, le temps que M. Mtikila précise ses exigences à cet égard.

3 La décision concerne ainsi une question constitutionnelle de la plus haute importance

et de grande sensibilité pour de nombreux Etats africains. D’ailleurs, le défendeur a faitvaloir que « la question des candidatures indépendantes est une question politique etnon juridique » (paragraphe 94 de l’arrêt). Cette question a déjà été abordée pard’autres mécanismes internationaux de contrôle, notamment le Comité des droits del’homme5 et la Cour interaméricaine des droits de l’homme6. Pour mieux apprécier lesenseignements que l’on peut tirer de cette première décision au fond, il semble indiquéd’aborder successivement les questions de procédure, dont le traitement apparaîtprometteur, puis les aspects de fond proprement dits, dont l’examen paraît plusdiscutable et moins convaincant.

I. Un traitement prometteur des questions deprocédure par la Cour

4 La procédure est un aspect essentiel du contentieux, et particulièrement du

contentieux international7. Elle est un élément qui légitime le travail technique du juge,et prépare ce faisant l’acceptation de ses décisions. Dans cette affaire, l’on a observéune continuité dans la rigueur avec laquelle est appliqué le principe de récusation desjuges, avec l’abstention à siéger du juge Ramadani, de nationalité tanzanienne8. Lajonction des requêtes a paru plus hésitante. Au paragraphe 78, elle est justifiée du faitde « positions sensiblement similaires » des deux requérants, alors qu’au paragraphe89.1, ces positions sont « essentiellement identiques », même si la Cour se réserve detraiter différemment les deux requêtes quand cela serait nécessaire. De telles formulesne sont pas sans susciter quelque perplexité quant à la pratique de la jonction desrequêtes devant la Cour. Au-delà de ces aspects, trois questions méritent un examenparticulier sur le terrain de la procédure : la question du locus standi des requérants,

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l’examen des conditions de recevabilité par la Cour et la question de la compétenceratione temporis de la Cour.

A. La question du locus standi des requérants

5 La Cour s’est assurée que la Tanzanie avait souscrit le déclaration de l’article 34(6) du

Protocole de Ouagadougou, et que les ONG auteurs du premier recours avaient bien lestatut d’observateurs auprès de la Commission de Banjul. De ce point de vue, tous lesrequérants avaient incontestablement qualité pour agir. Mais cette qualité estpotentiellement la même pour tous ceux qui se trouvent dans cette situation, à l’égardd’un Etat ayant souscrit la déclaration de l’article 34(6). Cela leur confère-t-il, pourautant, en toutes situations de violations alléguées des droits, le locus standi ? La Cour nes’est pas spécialement intéressée à ce point, probablement parce que le défendeur lui-même n’a pas eu à cet égard une attitude particulièrement offensive et combative. Seulle juge Ouguergouz, dans son opinion individuelle, a invité la Cour à se montrer àl’avenir plus vigilante sur la question de l’intérêt pour agir des requérants. Auparagraphe 26 de son opinion, il estime qu’ « une action devant la Cour n’est en effetrecevable que si son auteur justifie de son intérêt propre à l’engager. Pour faire lapreuve de cet intérêt, le requérant doit en conséquence démontrer que l’action oul’abstention de l’Etat défendeur concerne un droit dont ledit requérant est titulaire oule droit d’un individu au nom duquel le requérant souhaite intervenir ». En réalité,l’auteur de la requête doit démontrer en quoi il est « victime » de ce qu’il impute àl’Etat comme fait illicite au regard de la Charte, ou en quoi ceux au nom desquels il agitsont « victimes » de la violation alléguée. De manière plus générale, la Cour doitclarifier le point de savoir si le droit de recours actionné devant elle par des individusou des ONG est un droit de recours potentiellement objectif, une démarche d’actio

popularis. Cette question n’est pas banale, car les Etats encore hésitants à entrer dans lejeu de la déclaration de l’article 34(6) pourraient se montrer encore plus réticents àl’intégrer, si le prétoire de la Cour devait être encombré de requêtes à proposdesquelles les plaignants n’auraient pas besoin de montrer en quoi ce qu’ils imputent àl’Etat leur a causé un préjudice ; une telle situation pourrait transformer le prétoire dela Cour en une tribune de contestation générale des évolutions politiques et sociales ausein des Etats parties à la Charte.

6 Dans le cas sous examen, les requérants agissent, pour les premiers, pour le compte de

leurs membres, membres dont l’identité n’est pas connue et dont il n’est établi à aucunmoment que l’application des dispositions constitutionnelles querellées leur a causé lemoindre préjudice et, le second, pour son propre compte. Là encore, si ce dernier,responsable de parti ayant pris part aux élections dans son pays sans succès, a contestéau niveau des juridictions nationales l’exclusion des candidatures indépendantes, iln’établit pas en quoi cette exclusion lui a concrètement causé un préjudice. Dans lesdeux cas, le dommage causé ou susceptible de l’être à des individus concrets, est vague.L’on est donc en plein contentieux objectif, et l’on peut se demander si la Cour,désireuse sans doute d’avoir enfin une décision au fond et entraînée par lacommunauté des ONG, n’a pas ouvert une voie qu’elle pourrait avoir du mal à refermer,même si ce faisant elle rejoint une approche déjà essayée au niveau de la Commission9.Il serait judicieux pour la Cour, dans le respect de son autonomie, de s’inspirer de ladémarche de son homologue européenne. Devant la Cour de Strasbourg en effet, uneONG ne peut introduire un recours et se prétendre victime simplement parce qu’elle a

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pour mandat, par ses statuts, de promouvoir une cause relative aux droits de l’homme.Elle doit être victime, elle-même, d’un acte ou d’une omission qui viole la Conventioneuropéenne des droits de l’homme. De même, pour ce qui est de l’individu, sous réservedes situations de victime indirecte ou de victime potentielle, il doit avoir un intérêtpersonnel à agir et ne peut demander un examen in abstracto de la conformité d’untexte national à l’instrument international. Le comportement querellé de l’Etat ne doitpas seulement « concerner un droit », selon les termes du juge Ouguergouz, mais luiporter atteinte de manière spécifique et concrète10.

7 En tout état de cause, comme il n’y avait pas de dommage individualisé, toute la

discussion judiciaire est restée pour beaucoup un exercice théorique, un discoursprincipiel. Or, l’on peut douter de ce que la fonction d’une instance judiciaire soitd’effectuer des exercices théoriques de ce type, plutôt que de trancher, dans des causesbien précises, des problèmes mettant en jeu des droits concrets et effectifs.

8 Deux affirmations de la Cour sont à cet égard problématiques à notre avis. Au

paragraphe 110 in fine, elle affirme qu’ « une affaire comme celle en l’espèce ne peut etne doit pas être examinée comme s’il s’agissait d’une action personnelle et il seraitdangereux pour la Cour de donner cette impression. S’il y a violation, elle affecte tousles Tanzaniens ; et si la Cour fait droit à la requête introduite par le Requérant, cettedécision profitera à tous les Tanzaniens ». Au paragraphe 111, elle conclut en affirmantque « les Tanzaniens ne sont donc pas libres de participer à la direction des affairespubliques de leur pays, directement ou par le libre choix de leurs représentants ». Cesdeux affirmations laissent réellement songeur. Si le droit de recours ouvert auxindividus et ONG est une déclinaison du recours individuel, il est clair que les actionsintroduites, à défaut d’être personnelles, doivent être personnalisées, individualisées,cibler des atteintes portées à des droits dans le chef d’individus concrets etidentifiables. Le recours individuel n’est pas un recours dans l’intérêt direct et objectifdu droit des droits de l’homme, mais d’abord dans l’intérêt de droits subjectifsd’individus concrets. Or, il n’y avait pas devant la Cour un requérant ou une victimenommé (e) « les Tanzaniens ». De plus, les Tanzaniens n’ont mandaté ni les deux ONG, niM. Mtikila pour défendre leurs droits à Arusha. Il n’est même pas démontré dans l’arrêtque, au-delà des actions des requérants, en Tanzanie puis devant la Cour, la questionobjet des requêtes agitait particulièrement la société tanzanienne et que les Tanzaniensla considéraient comme une question cruciale et vitale pour l’exercice de leurs droitspolitiques11. Affirmer, sur la seule base de l’exclusion des candidatures indépendantes,que « les Tanzaniens ne sont pas libres de participer à la direction des affairespubliques de leur pays » paraît si exagéré que l’on se demande comment la Cour a puréunir l’unanimité sur une telle conclusion.

9 Si la Cour estime qu’il est « dangereux » pour elle de donner l’impression que l’action

judiciaire de M. Mtikila est une action personnelle, individuelle, il faudrait déterminersur quel fondement l’on va octroyer une réparation à ce deuxième requérant. Lepaiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation aurait pour objet deréparer exactement quel préjudice, quel dommage personnellement subi ? Cettequestion est importante car, de bout en bout de l’arrêt, il n’est fait nulle part mentiond’un dommage matériel subi par le deuxième requérant intuitu personae, sauf l’allusionfaite au paragraphe 110 au « fardeau que représente la création et l’entretien d’un partipolitique», fardeau non quantifié exprimé par la Cour et dont ne s’est pas plaint lerequérant ! Si l’on est en présence d’un recours objectif, d’un préjudice objectif, d’une

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violation objective de la Charte, il faut que tout cela se termine par une réparationobjective. On voit mal par quelle logique juridique l’on devrait compenser par uneréparation matérielle ou indemnitaire un préjudice objectif, puisqu’il fallait surtoutéviter d’aborder la requête de M. Mtikila comme une action personnelle ! En somme, laCour a semblé faire abstraction de la notion de victime dans l’appréciation du locus

standi des requérants, ouvrant la voie devant elle à une logique d’actio popularis, laquellene peut manquer de déteindre sur l’examen de la compétence et, surtout, de larecevabilité.

B. L’examen des exceptions d’irrecevabilité par la Cour

10 Compte tenu de ce que la Cour et la Commission de Banjul fonctionneront en

complémentarité sur le terrain de la recevabilité12, et au regard de la longue pratiquede cette dernière13, l’attention devra être vigilante quant à la démarche de la Cour surle terrain de la recevabilité, non seulement en ce qui concerne l’interprétation del’article 5614 de la Charte que les deux institutions interprètent chacune en ce qui laconcerne, mais aussi en ce qui concerne la démarche méthodologique suivie par laCour.

11 La première remarque d’ordre général à faire est que, à ce stade du fonctionnement de

la Cour, l’on peine à donner un contenu procédural à la différence entre les articles 3815,3916 et 40 17 du Règlement de la Cour. En particulier, l’on se demande commentdistinguer l’examen préliminaire de la recevabilité, effectué proprio motu par la Cour, etl’examen normal de la recevabilité, une fois que l’affaire a été inscrite au rôle de laCour.

12 La deuxième remarque porte sur l’ordre d’examen par la Cour des questions de

compétence et de recevabilité. Cet ordre est résumé au paragraphe 88 de l’arrêt en cestermes : « les requêtes étant recevables et la compétence en l’espèce étant établie, laCour procède à l’examen de l’affaire au fond… ». Cette démarche peu habituelle, à encroire le juge Ngoepe dans une « opinion individuelle » elle-même d’une tonalitéinhabituelle, divise la Cour. Le juge Ngoepe signale en effet que les arguments en faveurd’un ordre d’examen plutôt qu’un autre sont « solides », même si ces argumentsrespectifs ne sont pas exposés, ce d’autant plus que selon lui, « le ciel ne s’effondrerapas simplement parce que dans une affaire, la Cour a commencé par traiter de larecevabilité au lieu de la compétence, ou vice versa ». Pourtant, si l’on réserve le casparticulier d’une exception d’irrecevabilité tirée de ce que l’objet de la requête nerentre pas dans le champ matériel de la compétence de la Cour (article 56-2 de laCharte), exception qui est à la fois une exception d’incompétence matérielle de la Couret d’irrecevabilité ratione materiae de la requête, la compétence et la recevabilité sontévidemment distinctes et l’examen de la première précède logiquement celui de laseconde. A cet égard, l’on ne peut qu’adhérer à la position de bon sens, de logique et deprincipe des juges Niyungeko et Ouguergouz exprimée dans leur opinion individuellerespective. Comme le dit en effet l’ancien Président de la Cour, « est-ce que cela auraitun sens qu’il (le juge) commence à s’occuper de ce qu’on lui demande de faire, sans aupréalable se préoccuper de savoir s’il peut le faire ? La logique et le bon senscommandent que la Cour s’assure d’abord qu’elle a compétence avant d’examiner larequête sous l’angle de la recevabilité ». Pour le juge Ouguergouz, « la Cour doit d’abords’assurer qu’elle a compétence pour connaître d’une requête avant d’examiner la

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recevabilité de celle-ci ; elle doit le faire proprio motu même lorsque l’Etat défendeur n’apas soulevé d’exceptions d’incompétence ». Le juge Ngoepe, avons-nous dit, évoque de« solides arguments » en faveur de la thèse opposée. Sauf le respect du secret dudélibéré, l’on est curieux d’en prendre connaissance. Car l’enjeu de la question n’estcertes pas à la mesure d’un risque d’effondrement du ciel, mais il serait pour le moinscocasse pour la Cour d’avoir à constater qu’elle est incompétente après avoir déclaréune requête recevable18. Sans compétence établie, il n’y a pas d’aptitude à trancher laquestion de la recevabilité.

13 La troisième remarque générale à faire concerne la démarche de la Cour en ce qui

concerne l’examen des conditions de recevabilité, démarche qui tranche nettement,dans cette affaire, avec celle suivie par la Commission de Banjul. Selon la jurisprudenceétablie de cette dernière, les conditions de recevabilité de l’article 56 sont solidaires etdoivent, toutes, être examinées à l’occasion d’une affaire, que la partie défenderesse aitou non soulevé des objections à cet égard. Ainsi, la Commission a-t-elle développé unepratique consistant à examiner des conditions de recevabilité à propos desquelles lesparties ne sont pas du tout en désaccord, ou à continuer l’examen de la recevabilitéalors même qu’elle avait déjà constaté le non respect d’une condition, ce qui enprincipe devrait arrêter ledit examen19. De même, cette approche a abouti à faire del’examen de la recevabilité, un stade procédural incontournable et autonome, au termeduquel la Commission doit aboutir à une décision, avant d’entamer le fond de l’affaire.En somme, la recevabilité est examinée de manière systématique, et non dans le cadred’une procédure incidente destinée à évacuer une exception d’irrecevabilité. A lalecture de l’arrêt de la Cour, l’on se rend compte que cette dernière a limité son examenaux conditions de recevabilité dont le non respect a été soulevé par le défendeur, sansévoquer les autres. Une telle démarche est pertinente et devrait être maintenue par laCour elle-même et accueillie par la Commission de Banjul. Elle devrait l’être pour aumoins deux raisons. D’abord, le procès est l’affaire des parties, et l’organe de contrôle,sauf si le texte adopté par les Etats et l’instituant l’exige, n’a pas à créer des points dedivergence que les parties elles-mêmes n’ont pas soulevés. Ensuite, le but de laprocédure étant d’examiner une demande au fond relative à des allégations deviolation des droits, toute l’énergie procédurale doit être mobilisée à cette fin et n’êtrecontrariée qu’en cas d’incident de procédure exprimé à travers une exception formelle.L’organe de contrôle ne peut prendre sur lui le risque de trouver, par lui-même, unmotif d’irrecevabilité non soulevé par le défendeur20. Il faut d’ailleurs espérer que lesfuturs amici curare se garderont d’agir de la sorte.

14 Ces remarques faites, il importe de suivre l’analyse par la Cour des exceptions

d’irrecevabilité soulevées, au nombre de deux : le non épuisement des voies de recoursinternes, le retard dans l’introduction de la requête. L’épuisement des voies de recoursinternes est la condition de recevabilité la plus examinée devant les mécanismesinternationaux de protection des droits de l’homme, et la jurisprudence de laCommission de Banjul est déjà abondante à son sujet21. La Cour s’est alignée, pourl’essentiel, sur l’œuvre de la Commission et des autres mécanismes internationaux degarantie, présentée au paragraphe 82.1 comme « la jurisprudence établie ». Elles’appuie sur l’acquis jurisprudentiel concernant la nature des recours concernés, àsavoir les recours judiciaires, les caractéristiques de ces recours, à savoir leurdisponibilité et efficacité, entre autres. Sur ce point, la Cour n’innove pas. Sonalignement sur l’approche de la Commission de Banjul et sur celle de ses devancièreseuropéenne et interaméricaine vient conforter une situation normative largement

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stabilisée. Il est du reste à noter que le défendeur lui a particulièrement facilité latâche, avec cette insistance étrange sur le processus parlementaire qui aurait été en courssur la question des candidatures indépendantes. La Cour remporte une victoire tropfacile, exprimée au paragraphe 82.3 in fine en ces termes : « quelle que soit la naturedémocratique du processus parlementaire, celui-ci ne peut pas équivaloir à unprocessus judiciaire indépendant devant lequel on peut faire valoir des droits consacréspar la Charte ». L’on peut cependant regretter la formule de la Cour contenue dans lemême paragraphe selon laquelle « nous constatons que les Requérants ont épuisé lesvoies de recours internes prévues à l’article 6(2) du Protocole lu conjointement avec l’article

56(5) de la Charte »22. Une telle formule est inutilement équivoque, car l’article 6(2) duProtocole ne traite d’aucune voie de recours interne, ni même d’aucune condition derecevabilité et se borne à renvoyer à l’article 56 de la Charte. Il vaut mieux s’en tenir àce renvoi, en considérant simplement que ce dernier article, en dépit de sa non révisionformelle, est aujourd’hui délesté de la référence à la Charte de l’OUA au profit de l’ActeConstitutif de l’Union africaine, comme l’exprime l’article 40 du Règlement de la Cour.23

15 En ce qui concerne le délai d’introduction de la requête, le défendeur estimait qu’il était

long et que les requérants devaient être considérés comme forclos. L’argumentation dela Cour sur la question est particulièrement sommaire, alors même que, tout commesur la question de l’épuisement des voies de recours internes, la « jurisprudenceétablie » au niveau de la Commission africaine et ailleurs est importante. Sur ce pointprécis, la Commission de Banjul s’est alignée sur le délai de 6 mois suivant l’acte internequerellé, délai retenu au niveau européen, sauf circonstances spéciales liées au cas sousexamen. La Cour, pour des besoins de sécurité juridique, aurait pu reprendreexplicitement cette ligne de conduite pertinente. Certes, elle prend en compte lescirconstances, puisque son appréciation est effectuée « compte tenu descirconstances » liées à l’attente, par les requérants, de la réaction du Parlement aprèsl’arrêt de la Cour d’Appel confirmant l’interdiction des candidatures indépendantes.L’on retient donc que la Cour statue in concreto. Il est vrai que la circonstance évoquéepeut être déroutante, puisqu’il s’agit du processus parlementaire consécutif à l’arrêt dela Cour d’Appel. Or, au moment de l’introduction de la requête, ce processus était,semble-t-il, précisément en cours, sans que l’on sache certes quelles en seraient ladurée et l’issue. Si les requérants étaient en droit d’ « attendre la réaction duParlement », à partir de quel moment pouvait-on estimer que cette attente était libéréeparce que la réaction du Parlement tardait à se manifester ? La Cour ne se penche pasparticulièrement sur cette question.

C. La question de la compétence ratione temporis de la Cour

16 Le défendeur estimait que la situation à la base des requêtes, à savoir l’interdiction en

1992 des candidatures indépendantes, était antérieure à l’entrée en vigueur duProtocole de Ouagadougou pour la Tanzanie (soit après le 10 février 2006, date de dépôtde l’instrument de ratification de cet Etat), et à la souscription de la déclarationreconnaissant le droit des individus et des ONG à saisir directement la Cour (29 mars2010, date du dépôt de la déclaration par la Tanzanie). En conséquence, la Cour nesaurait en connaître. La Cour n’est pas de cet avis, car estime-t- elle, les droits dont laviolation est alléguée sont protégés par la Charte de 1981, ratifiée par le défendeur bienavant la survenance des faits litigieux (en 1984). Ces faits se sont prolongés après laratification du Protocole, ainsi qu’après la souscription de la déclaration de l’article

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34(6) par la Tanzanie. La Cour se réfère, ce faisant, à la notion de « violation continue »bien connue du contentieux international des droits fondamentaux24. L’on pouvait sedemander si le recours à l’idée d’allégations de violation qui se prolongent était utiledans ce contexte. En effet, sur la même question de l’interdiction des candidaturesindépendantes, il y a eu des actes normatifs, parlementaires ou judiciaires, à différentespériodes de la vie politique de la Tanzanie, et de la vie du droit africain des droits del’homme dans l’ordre juridique de la Tanzanie. En 1992, il y a eu un acte du Parlementexcluant les candidatures indépendantes ; en 1994, un acte judiciaire en faveur descandidatures indépendantes ; en 1994, un acte du parlement réaffirmant l’interdictiondes candidatures indépendantes ; en 2006, un acte judiciaire en faveur des candidaturesindépendantes ; en 2010, un acte judiciaire contre les candidatures indépendantes. Maispendant toute cette période, au-delà des actes juridiques, la réalité sur le terrainélectoral était celle de l’interdiction des candidatures indépendantes. La compétence dela Cour à l’égard des requêtes individuelles et des ONG visant la Tanzanie débute àpartir du dépôt de sa déclaration en vertu de l’article 34(6). Seuls les faits produits àpartir de cette date peuvent être déférés à la Cour par ces demandeurs. Les faitsantérieurs ne peuvent l’être que si, entamés avant cette date, ils se poursuivent eux-mêmes ou dans leurs effets après cette date. Tel est bien le cas de la situation del’interdiction des candidatures indépendantes. Ayant débuté avant même la naissancede la Cour, elle persiste au moment où la Cour en est régulièrement saisie. Pour la Cour,il ne peut s’agir d’un fait antérieur consommé, mais d’un fait actuel.

17 Les juges Niyungeko et Ouguergouz ont reproché à la Cour, dans leur opinion

individuelle respective, de n’avoir pas suffisamment distingué les choses, mêlant lesobligations en vertu de la Charte avec celles en vertu du Protocole ou même de ladéclaration de l’article 34(6). Pour le premier, « l’on n’aperçoit pas très bien quelleconclusion la Cour tire de la date d’entrée en vigueur de la Charte, par rapport àl’argument de non rétroactivité du Protocole avancé par l’Etat défendeur »(paragraphe 11 de l’opinion). Quant au second, il affirme que « la Cour ne peut êtresaisie d’allégations de violations des droits de l’homme et des peuples par un individuou une ONG que si les violations alléguées sont postérieures à l’entrée en vigueur àl’égard de l’Etat concerné non seulement de la Charte africaine mais également duProtocole et surtout de la déclaration facultative » (paragraphe 21 de l’opinion). Cettecharge des deux juges peut sembler excessive. On se demande en effet si, même si lepropos peut sembler mêlé, ce que le juge Ouguergouz affirme ne se trouve pas auparagraphe 84 de l’arrêt. A notre avis, en substance, la Cour exprime dans ceparagraphe ce que dit, de manière plus savante et professorale assurément, le jugeOuguergouz. Cependant, l’on peut se demander quelle portée il faut accorder au proposdu juge Ouguergouz selon lequel « la Cour aurait dû opérer une distinction plus netteentre les obligations de l’Etat défendeur au titre de la Charte africaine et celles qu’il acontractées au titre du Protocole et de la déclaration facultative » (paragraphe 20 del’opinion individuelle). Techniquement, la Charte, le Protocole et la déclaration sontdes instruments juridiques distincts, mais intimement liés, notamment par le fait que leréservoir d’obligations substantielles est dans un instrument unique, la Charte, ycompris les textes adoptés ultérieurement pour la compléter ou l’enrichir. Lesobligations en vertu de la déclaration se ramènent à l’acceptation d’être cité àcomparaître par des individus et ONG, sans plus. Cependant l’objet de la citation n’estpas dans la déclaration, mais plutôt dans la Charte. Par nature, une déclaration del’article 34(6) ne traite pas de questions de substance des droits et tout Etat qui le ferait

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effectuerait un détournement de finalité de la déclaration25. Ensuite, la ratification duProtocole comporte l’obligation de se soumettre aux procédures diligentées devant laCour par les attributaires du droit de saisine, ainsi que de contribuer aufonctionnement de la Cour. Là encore, cette ratification n’a pas d’effet sur la substancedes droits, sous réserve de l’élargissement par l’article 3 du Protocole du droitapplicable devant la Cour. En somme, la séparation des obligations ne saurait êtreexagérée, puisque la Charte reste dans tous les cas le seul réservoir d’obligationssubstantielles. Les obligations en vertu du Protocole ou de la déclaration de l’article34(6) ne signifient rien dès lors que l’on fait abstraction de la Charte. Dans le contextede la complémentarité entre la Commission et la Cour, l’on ne doit pas exclure a priori

que la Cour puisse se retrouver en train d’examiner, sur renvoi de la Commission, uneaffaire concernant un Etat par rapport auquel, suivant l’approche classique de la nonrétroactivité, la Cour en principe ne devrait pas exercer sa compétence, parce queprobablement elle n’aurait même pas d’effets continus, la violation alléguée ayant étéconsommée définitivement (meurtre, torture, par exemple).

18 Quoiqu’il en soit, la Cour devra toujours davantage clarifier son propos. Ce qui est

valable au plan de la procédure l’est encore plus lorsque l’on aborde la manière dont laCour s’est saisie des questions de fond des requêtes.

II. Une analyse insatisfaisante des questionssubstantielles soulevées par les requêtes

19 Si la Cour africaine doit exercer un leadership technique sur le système africain des

droits de l’homme, c’est sur le terrain de l’interprétation substantielle des droitsénoncés dans la Charte qu’il lui faudra construire ce positionnement, vis-à-vis de laCommission de Banjul et aussi des juridictions des communautés économiquesrégionales26, lesquelles ont des règles de procédure spécifiques et ne partagent avec lesmécanismes dédiés au contrôle international de la Charte que la substance des droits,libertés et devoirs énoncés dans la Charte de 198127. A la lecture de l’arrêt du 14 juin2013, il est clair que si des tendances interprétatives s’affirment nettement, des effortssubstantiels sont encore nécessaires pour espérer se hisser, au plan de la démarchetechnique, au niveau de ses homologues européenne et interaméricaine. Le problèmede fond que la Cour avait à adresser est une question de droit constitutionnel partagéepar de nombreux Etats parties à la Charte, à savoir la conformité de la prohibition descandidatures indépendantes aux élections et l’obligation symétrique d’être affilié à unparti ou d’être présenté par un parti pour participer aux élections à la Charte africainedes droits de l’homme et des peuples. La République Unie de Tanzanie, comme de trèsnombreux Etats africains, a retenu depuis 1992 ce système. C’est cette organisation deschoses qui est sur la sellette dans les deux requêtes. C’est elle qui est abordée à traversles droits examinés par la Cour, à savoir le droit de participer à la direction des affairesde son pays, la liberté d’association et le droit à l’égalité et à la non-discrimination. Laposition générale de la Cour est sans équivoque : l’obligation d’affiliation à un partipour se porter candidat aux élections viole de la même manière tous ces droits. La Coura repris, à l’occasion de l’examen des requêtes au fond, la démarche jurisprudentielleadoptée par ses homologues européenne28 et interaméricaine29, et par la Commissionafricaine. Cette démarche comprend les éléments d’appréciation suivants : nécessité del’ingérence dans une société démocratique, proportionnalité de l’ingérence à l’objectif

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poursuivi, légitimité du but poursuivi par l’ingérence, limitation des motifs d’ingérenceà ceux énoncés à l’article 27(2), construction d’un juste équilibre entre les exigences del’intérêt général de la communauté et les impératifs de protection des droitsindividuels fondamentaux. Dans cette démarche la Cour emprunte30 massivement auxautres organes de protection, ce qui réduit sa marge de novation et d’autonomie dansl’interprétation. On ne peut que se réjouir de la réception, par la Cour, d’un fond deprincipes d’examen des ingérences étatiques dans l’exercice des droits qui ont fait leurspreuves au regard de leur haut niveau d’exigence. Pour autant, leur usage massif dansle contexte de la présente affaire laisse un goût mitigé. Pour s’en convaincre, il imported’examiner successivement les trois droits traités par la Cour.

20 Auparavant, il est à relever que la Cour a refusé de discuter du moyen tiré de la

violation de l’Etat de droit, estimant que « le concept de l’état de droit est un principed’ensemble dont relèvent tous les droits de l’homme et qui ne saurait être traité dansl’abstrait ou dans la globalité. De plus, l’argument des Requérants selon lequel l’état dedroit n’a pas été respecté n’est rattaché à aucun droit spécifique » (paragraphe 121 del’arrêt). Le refus d’examiner le moyen tiré de la violation de l’Etat de droit peutétonner. D’abord parce que la Cour a retenu la notion de « société démocratique»(paragraphe 106.1) qui ne figure pourtant pas comme telle dans la Charte, notion quin’est pas en substance éloignée de celle d’Etat de droit ; ensuite parce que, en traitantde sa compétence matérielle au paragraphe 85 in fine, « la Cour considère que lesviolations alléguées relèvent du champ d’application » de l’article 3(1) du Protocole. Orparmi ces « violations alléguées » figure bien la violation de l’Etat de droit. Il n’est paslogique d’affirmer en même temps que les violations alléguées relèvent, toutes, de lacompétence matérielle de la Cour, et que l’une d’elles ne peut être traitée par la Courdu fait de sa globalité et parce qu’elle ne cible aucune disposition de la Charte. Il eut étéplus simple de ne pas retenir ce moyen, parce que « incompatible avec la Charte » ausens de l’article 56 (2) de ladite Charte. Enfin, le préambule de la Charte renvoie à laDéclaration universelle des droits de l’homme, laquelle, dans le considérant 3 de sonpropre préambule, énonce qu’ « il est essentiel que les droits de l’homme soientprotégés par un régime de droit… », les droits de l’homme étant les choses de l’Etat dedroit et de la société démocratique. Le Pr Weckel a salué ce refus d’examiner l’Etat dedroit, en avançant « le principe de l’indifférence du droit international à l’égard desquestions constitutionnelles »31. Ce principe d’indifférence est à relativiser, lajurisprudence internationale des droits de l’homme, en Afrique même, en particulierdevant la Commission de Banjul, ayant déjà abordé des questions à impactconstitutionnel direct32, confirmant ainsi l’idée selon laquelle le droit international desdroits de l’homme est un élément au service de la mesure de la qualité de l’ordreconstitutionnel, si ce n’est un élément de « l’internationalisation des constitutions »33.

21 Cette précision faite, il est temps de revenir à l’examen circonstancié des droits dont la

violation est alléguée par les requérants.

A. L’interdiction des candidatures indépendantes au regard du droit

de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays

22 La discussion de la Cour sur le droit de prendre part à la direction des affaires publiques

de son pays a occupé une part importante de l’examen au fond des requêtes ; cettediscussion a, pour ainsi dire, influencé les conclusions au sujet de la légitimité des

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ingérences dans les autres droits. Ce droit est consacré à l’article 13(1) de la Charte. Lesrequérants ayant contesté la légitimité de l’interdiction des candidaturesindépendantes, l’Etat tanzanien a estimé que cette interdiction était justifiée par uncertain nombre de nécessités liées à la réalité historique et nationale tanzanienne. Auparagraphe 90.1, il est mentionné la nécessité de « garantir la bonne gouvernance etl’unité du pays » ; au paragraphe 94, il est fait allusion aux « nécessités sociales dupays » et aux « réalités historiques » ; au paragraphe 102, il est évoqué « la structure del’Union, la République Unie de Tanzanie étant composée de la Tanzanie continentale etde Tanzanie Zanzibar », ainsi que la nécessité « d’éviter tout tribalisme en Tanzanie ».Face à ces arguments, la position de la Cour est nette, telle qu’exprimée au paragraphe109 : « toute loi qui exige du citoyen d’être membre d’un parti politique avant de seprésenter aux élections présidentielles, législatives et locales est une mesure inutile,qui porte atteinte au droit du citoyen de participer directement à la vie politique etconstitue donc une violation d’un droit ». Il s’agit là d’une condamnation de principe del’interdiction des candidatures indépendantes, ne découlant nullement de la mise enœuvre de la méthode de recherche du juste équilibre entre les droits individuels et lesexigences de l’intérêt général que la Cour a pourtant dit faire sienne, alors même que ledéfendeur l’y invitait en évoquant l’arrêt de la Cour interaméricaine en l’affaireCastaneda Gutman c. Mexique. Une telle condamnation de principe rend sans objetl’examen des arguments de l’Etat pour justifier la mesure adoptée au plan national. Dedeux choses l’une : ou bien, en soi, l’interdiction des candidatures indépendantes estune violation de la Charte et il suffit de constater son existence pour conclure à laviolation ; ou bien il n’en est pas ainsi et l’examen des arguments de l’Etat peut avoirlieu sur le terrain de la légalité, de la nécessité, de la proportionnalité, etc.., et le proposgénéral du paragraphe 109 par conséquent ne mérite pas de figurer dans l’arrêt.

23 Dès le paragraphe 99 de l’arrêt, et avant même d’avoir mené son analyse, la Cour

conclut en ces termes : « vu la clarté manifeste du libellé de l’article 13 (1) de la Charte(…), exiger d’un candidat qu’il soit membre d’un parti politique avant d’être autorisé àparticiper à la vie politique en Tanzanie constitue certainement une violation des droitsconsacrés à l’article 13 (1) de la Charte ». Nous avons la faiblesse de penser que cepropos, là où il est situé, constitue une faute méthodologique. En concluant avantd’avoir examiné la pertinence des arguments de l’Etat tanzanien justifiant le modèletanzanien d’aménagement de la candidature à divers types d’élections, la Cour s’estcondamnée à motiver à tout prix, à sens unique, dans le sens de la conclusion posée,quitte à faire plus assaut d’amoncellement d’énoncés empruntés çà et là qu’àargumenter in concreto de manière autonome. L’argument de la « clarté manifeste » dudroit en cause est une illusion, laquelle a le défaut de faire croire à la Cour qu’elle estdispensée de dire, d’abord, en quoi consiste précisément le droit dont elle constated’emblée la violation. Or, ce droit ne peut se réduire au droit d’être candidatindépendant à des élections. Les formes de participation à la direction des affairespubliques de son pays sont nombreuses et variables ; elles ne sont pas toutes (voire pasdu tout) déclinées dans la Charte de 198134. Le citoyen peut participer à la direction desaffaires publiques en tant qu’électeur, en tant que militant de parti, en tant quecandidat, dans les conditions prévues par la loi, ce qui implique qu’en la matière lesEtats ont une marge d’appréciation35. De quelle étendue ? La Cour n’en dit mot. La Courne se penche sur le contenu du droit examiné que treize paragraphes après en avoiraffirmé la violation, au paragraphe 107.3, et en recourant à une interprétation extraafricaine, celle exclusive de l’Observation générale du Comité des droits de l’homme

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n°25, que la Cour fait sienne et considère comme « une déclaration faisant autorité (…),qui reflète l’esprit de l’article 13 de la Charte et qui, en vertu de l’article 60 de la Charte,est ‘un instrument adopté par les Nations Unies relatif aux droits de l’homme’ dont laCour peut ‘s’inspirer’ pour sa propre interprétation »36. En fait, l’on n’a aucunedémarche interprétative, mais l’adhésion à une posture adoptée par une instance quasijuridictionnelle dans un contexte non contentieux. Cette adhésion, dans le contexte dela présente affaire, peut dérouter puisque la Cour affirme au paragraphe 123 qu’il est« inutile » d’examiner l’application, notamment, du Pacte international relatif auxdroits civils et politiques dans l’affaire en l’espèce. Finalement, la Cour n’aura pas « appliqué » le Pacte, mais se sera « inspirée » de son interprétation à froid 37donnée par leComité des droits de l’homme pour traiter du moyen tiré du non respect du droit deprendre part à direction des affaires publiques de son pays. D’un autre côté, l’on nepeut se lancer dans un exercice d’examen de la légitimité de ce que l’on appellerapidement des « restrictions » ou « limitations » d’un droit, sans l’avoir déjà biendéfini, et surtout après avoir affirmé sa violation. La violation ne devrait être constatéeque si la restriction établie dans la jouissance ou l’exercice d’un droit, au contenuprécisé, est dépourvue de légitimité, de nécessité, de proportionnalité, etc. C’est auterme de l’examen des motifs de limitation allégués, au regard de l’ampleur deslimitations opérées, que l’on peut, en cas de déséquilibre injustifié au détriment dudroit atteint, conclure à la violation. En ayant inversé l’ordre des éléments de l’analyse,la Cour s’est retrouvée obligée d’explorer une somme inutilement intimidanted’espèces jurisprudentielles tirées de partout mais, surtout, d’avoir un discours pro

domo, tel que cela apparaît aux paragraphes 107.2, 109 in fine, 110 et 111 de l’arrêt.

24 En tout état de cause, la Cour n’a pas procédé à une analyse rigoureuse de la situation. A

notre sens, elle devait d’abord dire ce qu’impose l’article 13 (1) aux Etats et quelle est lamarge d’appréciation à cet égard. Ensuite, elle devait dire en quoi l’obligationd’affiliation à un parti par tout potentiel candidat est constitutive, a priori, d’uneatteinte au droit garanti par l’article 13 (1). Cela fait, la Cour devait examiner lesarguments avancés par l’Etat pour justifier l’orientation de sa réglementation sur leterrain de la légalité, de la nécessité, de la proportionnalité, de manière concrète etcontextuelle, et non en général. Ce n’est qu’au terme d’une telle démarche que la Courpouvait conclure à la violation du droit visé. Or, la Cour commence par affirmer laviolation et, seulement ensuite, essaie de l’établir par tous les moyens. Elle commencepar traiter longuement, sans raison impérieuse, de l’approche des restrictions auxdroits par les divers mécanismes internationaux relatifs aux droits. Après quoi, la Courexamine l’application de cette approche au cas sous examen, si l’on peut dire (car enfait il n’en est rien, les arguments tanzaniens étant plus évacués qu’examinés). Puis laCour énonce le contenu même du droit dont elle assure la sanction, et achève par desdéveloppements généraux sur l’inutilité38 des candidatures patronnées par les partispolitiques. Il est évident qu’une telle démarche analytique est tout sauf rigoureuse etintelligible. Le paragraphe 107.2, en particulier, est insatisfaisant, en ce qu’il affirmeplus qu’il ne démontre. De plus, il est difficilement compréhensible, lorsqu’il énonceque « les besoins de la population tanzanienne, auxquels sont soumis les droitsindividuels, doivent, à notre avis être conformes aux obligations individuelles, commele prévoit l’article 27(2) de la Charte et respecter la sécurité collective, la morale,l’intérêt commun et la solidarité ». Cette phrase est difficilement lisible. Pour la Cour,les restrictions « ne sont pas proportionnelles à l’objectif avancé, qui est lerenforcement de l’unité et de la solidarité nationale ». Naturellement, la Cour ne

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démontre pas en quoi il y a disproportion par rapport à l’objectif légitime poursuivi.Finalement, de postulats en généralités, la Cour en arrive non seulement à l’affirmationdu paragraphe 109 déjà citée, mais aussi aux paragraphes 110 et 111 où la cause dépassemême les requérants pour concerner « les Tanzaniens » dans leur ensemble. A notresens, l’affirmation du paragraphe 109 est si générale dans sa formulation que l’on peutdouter a priori de sa pertinence. Seul le juge Ouguergouz, dans son opinion individuelle,s’est démarqué de cette prise de position de principe de la Cour. Au paragraphe 28 deson opinion individuelle, il écrit : « je considère que l’interdiction des candidaturesindépendantes à certaines élections et l’obligation corrélative d’appartenir à un partipolitique ne sont pas en elles-mêmes des violations des articles 10 et 13(1) de la Charteafricaine ; elles ne constituent des violations de ces dispositions que si elles peuvents’analyser comme des restrictions non raisonnables ou non légitimes à l’exercice desdroits consacrés ». Comme la violation de l’article 13(1) a été acquise à l’unanimité, l’onaurait aimé savoir en quoi, pour le juge Ouguergouz, la réglementation tanzanienneétait dépourvue de légitimité et de caractère raisonnable.

B. L’interdiction des candidatures indépendantes face à la liberté

d’association

25 Sur la lancée de ses conclusions relatives au droit de participer à la direction des

affaires publiques de son pays, la Cour va aborder la liberté d’association et parvenir àune conclusion identique, à savoir la violation de cette liberté par la Tanzanie. Pour laCour, « le fait que le Défendeur exige de ses citoyens d’adhérer à un parti politique etd’être investi par celui-ci comme préalable pour se porter candidat aux électionslocales, législatives ou présidentielles constitue une entrave à la liberté d’association,puisque les individus sont contraints d’adhérer à une association ou d’en créer une,avant de pouvoir se porter candidat à des postes électifs » (paragraphe 114 de l’arrêt).Pourtant, comme pour le premier moyen, le raisonnement par lequel la Cour parvient àcette conclusion n’est pas convaincant et, une fois de plus, l’on ne peut que marquer del’étonnement face à l’unanimité des membres de la Cour.

26 La première remarque à faire est relative à la décision de la Cour d’aborder la question

sous l’angle de la liberté d’association tout court. En effet, si les partis politiques sontdes formes associatives, il ne s’agit pas d’associations comme les autres, mais desassociations politiques, dont la fonction première, depuis l’émergence de ce typeorganisationnel, est de contribuer à la structuration de l’offre politique, à la formationpolitique des citoyens, à la formation et à la sélection du personnel politique dirigeant,à l’expression du suffrage. L’histoire politique de l’Afrique, marquée par le phénomènedu parti unique, peut justifier une méfiance vis-à-vis de l’obligation d’être patronné parun parti pour être éligible. Mais cela ne saurait autoriser sur le principe unecondamnation du rôle des partis dans le jeu politique. Parce qu’ils assument unefonction d’un intérêt public évident pour la régulation de la société politique, les partispolitiques, sous certaines conditions, accèdent généralement au financement public del’Etat. Un parti politique n’est-il qu’une association comme les autres, dont le régimedoit être apprécié à l’aune de la liberté générale d’association, sans aucuneparticularité ? La Cour n’a pas cru devoir se prononcer sur cette question, pourtantimportante à notre avis39. Elle s’est bornée à rappeler le libellé de l’article 10(2) de laCharte : « nul ne peut être obligé de faire partie d’une association, sous réserve del’obligation de solidarité prévue à l’article 29 ». La Cour reconnaît aux Etats « une

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certaine marge de discrétion concernant la limitation à la liberté d’association, dansl’intérêt de la sécurité collective, de la morale, de l’intérêt commun et qui respecte lesdroits et les libertés d’autrui ». Cependant, la Cour ne confronte pas l’interdiction descandidatures indépendantes avec les clauses de limitation relevées, pour apprécier si laTanzanie a, en l’occurrence, abusé de la « mesure de discrétion » reconnue en lamatière aux Etats. Plutôt que cette démonstration circonstanciée, elle énonce uneconsidération de principe : « la Cour estime qu’il ya atteinte à la liberté d’associationdès lors qu’un individu est contraint de s’associer avec d’autres personnes. La libertéd’association est aussi bafouée lorsque les autres citoyens sont obligés de s’associeravec un individu. En d’autres termes, la liberté d’association signifie que chacun estlibre de s’associer et libre de ne pas le faire » (paragraphe 113). Sans aucuneexplication, elle décrète au paragraphe 115 ne pas être « convaincue que les nécessitéssociales avancées soient conformes aux critères des exceptions prévues à l’article 29 (4)et à l’article 27(2) de la Charte, au point de justifier la limitation du droit du citoyen dechoisir de s’associer ou de ne pas s’associer, selon son choix ». Or ce que la Cour devaitétablir est que, dans le contexte tanzanien concerné, l’intérêt des individus de prendrepart à titre individuel à la compétition électorale est parfaitement compatible avec lapréservation des réalités sociales, la structure de l’Union, l’unité du pays, etc… ; que lebesoin social de voir les partis jouer un rôle de premier plan dans le fonctionnement dela société politique tanzanienne, vu ses réalités, peut se concilier avec la volonté desindividus de participer à la vie politique et aux élections en dehors des partispolitiques. Il n’était pas impossible de l’établir ; il appartenait à la Cour de le faire.

27 Avec la référence à l’article 29 (4), on est obligé de relativiser la position exprimée par

la Cour au paragraphe 107.1 de l’arrêt, où elle « s’accorde avec la Commission africainepour dire que les limitations aux droits et aux libertés prévues dans la Charte nepeuvent être uniquement que celles qui sont précisées à l’article 27 (2) de la Charte… ».L’examen de la liberté d’association montre clairement que la Cour s’est accordée unpeu précipitamment avec la Commission de Banjul, au regard du renvoi explicite del’article 10(2) de la Charte à l’article 29 de celle-ci, c'est-à-dire à une clause delimitation autre que l’article 27(2).

28 Dans le cadre de la Charte, le propos suivant lequel « la liberté d’association signifie que

chacun est libre de s’associer et libre de ne pas le faire » est excessif, voire erroné endroit, au regard du libellé même de l’article 10 (2) de la Charte. L’obligation desolidarité qui y est mentionnée a précisément pour objet de justifier que l’on puissecontraindre une personne à faire partie d’une association. La contrainte à l’associationfondée sur l’obligation de solidarité n’est pas une atteinte à la liberté d’association auregard de la Charte, mais bien plutôt une dimension de cette liberté. La libertéd’association aurait ainsi trois dimensions dans la Charte de 1981 : la liberté des’associer, la liberté de ne pas s’associer, l’obligation de s’associer dans la mesure oùl’obligation de solidarité de l’article 29 l’exige, c'est-à-dire lorsqu’il faut « préserver » et« renforcer la solidarité sociale et nationale, singulièrement lorsque celle-ci estmenacée ». Ainsi, il y aurait deux niveaux d’appréciation de la légitimité des ingérencesétatiques par rapport à la liberté d’association. D’une part, l’article 27(2), clausegénérale de limitation ; d’autre part l’article 29, clause spéciale de limitation. Si laclause générale de limitation est jugée inopérante par l’organe de contrôle, il resteraittoujours à apprécier la clause spéciale de limitation. De par l’article 27(2), la libertéd’association (de s’associer ou de ne pas s’associer) doit s’exercer dans le respect,notamment, de « l’intérêt commun ». De par l’article 29(4), la liberté d’association dans

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son volet négatif (ne pas s’associer) peut être contrainte, en vue « de préserver et derenforcer la solidarité sociale et nationale, singulièrement (pas exclusivement, donc)lorsque celle-ci est menacée ». Ce que la Cour avait à établir, pour respecter l’approcheen termes de « juste équilibre », c’est que l’intérêt commun possiblement allégué nepouvait justifier l’obligation d’affiliation à un parti politique pour prétendre à lacandidature à des fonctions électives. Ce que la Cour avait à démontrer, c’est que lapréservation et le renforcement de la solidarité sociale et nationale ne pouvaientjustifier, en l’occurrence, l’obligation de s’affilier à un parti pour prétendre êtrecandidat à des fonctions de représentation politique au sein de l’Etat. Cesdémonstrations, la Cour ne les a pas faites, et sa position est ainsi fragile sur le terrainde l’argumentation juridique. Il ne suffit pas de dire que la Cour n’est pas convaincuedes nécessités avancées par l’Etat ; encore faut-il démontrer en quoi ces nécessités nesont pas convaincantes. Faute de le faire, la Cour elle-même ne convainc pas. Dès lors,les affirmations contenues aux paragraphes 113 et 114 n’emportent nullement laconviction sur le terrain de l’interprétation du droit.

C. L’interdiction des candidatures indépendantes au prisme de la

non-discrimination et de l’égalité devant la loi

29 Les requérants ont fait valoir que l’interdiction des candidatures indépendantes

constituait une atteinte au droit à la non discrimination énoncé à l’article 2 de laCharte, lequel doit être lu en relation avec le droit à l’égalité devant la loi consacré àl’article 3(2) de la Charte. Au paragraphe 116 de l’arrêt, il est dit qu’ils soutiennent queles dispositions constitutionnelles ont pour effet de créer une discrimination à l’égardde la majorité des Tanzaniens. Au paragraphe 117, cet argument est étayé par celui envertu duquel « seuls ceux qui sont membres d’un parti politique et qui sont parrainéspar celui-ci peuvent se présenter aux élections présidentielles, parlementaires oulocales », les autres en étant exclus. Il y a donc une « différence de traitement entreTanzaniens» du fait des dispositions constitutionnelles querellées. Le propos est confus.Tantôt, les requérants affirment que la discrimination est un « effet » des dispositionsconstitutionnelles (paragraphes 116 et 119), tantôt, en citant au paragraphe 117 in fine

la décision de la Commission de Banjul en l’affaire Legal Resource Foundation c. Zambie,que les dispositions constitutionnelles visaient à (et donc avaient pour but de) exclurecertains citoyens du processus démocratique, et finalement au paragraphe 119 que ladifférence de traitement était « inscrite dans les amendements constitutionnels ». LaCour partage l’argumentation des requérants sur l’existence d’une différence detraitement, et sur le fait qu’une telle différence ne peut être justifiée par les nécessitésinvoquées par l’Etat.

30 La Cour estime au paragraphe 119 que « à la lumière de l’article 2 de la Charte(…), la

discrimination alléguée pourrait être apparentée à une distinction basée sur une‘opinion politique ou …toute autre opinion’ ». Ce propos visiblement peu élaboré laissedubitatif. On ne perçoit pas clairement ce que la Cour considère comme une « opinion »sur le fondement de laquelle il y aurait eu une attitude discriminatoire de la part desautorités tanzaniennes. Est-ce le fait de contester l’interdiction des candidaturesindépendantes ? Si telle est l’ « opinion » retenue par la Cour, il est à relever que laréglementation tanzanienne n’exclut pas de la candidature les contestataires del’obligation d’affiliation partisane. Du reste, quoique contempteur déclaré d’une telleobligation, M. Mtikila a été admis à prendre part aux élections dans son pays en tant

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que candidat, sans que l’expression de son opinion, en tant que telle, lui ait valul’exclusion de la compétition électorale. Il n’a été démontré, ni par les requérants, nipar la Cour, que les dispositions constitutionnelles tanzaniennes avaient pour butaffiché ou caché, au moment de leur élaboration, d’exclure une certaine opinionpolitique.

31 En tout état de cause, le raisonnement de la Cour sur la non discrimination est, à notre

avis, faible. En effet, il n’est pas expliqué pourquoi la distinction à examiner sur leterrain de la non- discrimination est celle qui oppose les citoyens « membres d’un partipolitique » et les citoyens « non membres d’un parti politique ». A notre sens, ladistinction pertinente n’est pas celle-là. La distinction à prendre en compte est celle quiexiste entre les Tanzaniens qui veulent se présenter comme candidats aux élections etceux qui, quoique participant également à la vie politique de leur pays en tant quecitoyens, n’entendent pas le faire dans la posture de candidats. La citoyenneté ne seréduit pas à l’éligibilité ; cette dernière est une situation spécifique par rapport àlaquelle l’on peut examiner la légitimité d’éventuelles différences de traitement. Or, sil’on considère que la situation comparable de base n’est pas le statut général decitoyen, lequel est d’un spectre large, mais le statut de candidat, lequel ne concernequ’une catégorie circonscrite de citoyens, l’on doit noter que tous les citoyenstanzaniens, absolument tous, sans distinction, désireux d’être candidats aux diverstypes d’élections, sont soumis aux mêmes règles régissant la candidature, y comprisl’obligation d’être affilié à un parti politique. De telles règles, faut-il le rappeler, nepeuvent être définies de manière exhaustive par un instrument international ou mêmeun organe international compétent en matière de droits fondamentaux, la marged’appréciation des Etats étant, dans un domaine où les considérations d’opportunité etautres sont inévitables, incompressible40. Il y aurait une distinction de caractèredéfavorable, une discrimination, si, parmi les citoyens désireux d’être candidats,certains étaient libérés par la loi ou par la pratique, pour des motifs illégitimes, del’obligation d’affiliation à un parti, alors que d’autres y étaient astreints. Au regard desfaits de l’affaire tels qu’ils ont été reproduits dans l’arrêt, l’on voit difficilementcomment, en dehors de cette approche, la Cour pouvait établir un comportementdiscriminatoire de la part de la Tanzanie.

Conclusion

32 La Cour d’Arusha a conclu son premier arrêt au fond sur une condamnation de l’Etat

tanzanien. La réparation quant à elle pourrait intervenir ultérieurement. On peutnéanmoins se demander si la Cour a le droit, comme elle l’a fait au paragraphe 124 infine de son arrêt, d’inviter un requérant, si ce denier le souhaite, à demander unecompensation ou une réparation. Au regard de la lettre des articles 27(1) du Protocoleet 63 du Règlement intérieur de la Cour, l’on est en droit d’en douter. Le premier articleautorise la Cour, de son propre chef, à décider d’une compensation ou d’une réparationlorsqu’elle constate une violation, ce qu’elle n’a pas fait alors que les premiersrequérants le lui avaient explicitement demandé. Le second article prévoit que la Courstatue sur une demande de réparation introduite par le requérant, ce que le requérantn’a pas fait tout au long de la procédure, alors même qu’il s’était réservé le droit « decompléter l’analyse juridique » sur la question dans sa requête introductive d’instance.Il est clair, à notre sens, que le droit réservé devait s’exercer avant le délibéré et nedevait pas être mis en mouvement seulement après le prononcé de l’arrêt constatant la

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violation, dans un tête à tête processuel entre le demandeur et la Cour, à l’exclusion dudéfendeur. La circonstance que la Cour puisse se prononcer sur la réparation « dans unarrêt séparé », distinct de l’arrêt sur le principal « si les circonstances l’exigent »,n’implique pas que la demande de réparation doive être présentée en dehors et après laprocédure sur le principal. La demande de réparation, détaillée, doit faire partie desconclusions du demandeur communiquées au défendeur pendant le procès. Si, selonl’article 34 (5) du Règlement de la Cour, le principe de la demande de réparation doitfigurer dans la requête initiale, le montant de celle-ci et les éléments de preuve yrelatifs pouvant être soumis « ultérieurement », ce stade ultérieur ne peut aller au-delàdu délibéré et du prononcé de l’arrêt sur le principal. La distinction possible des arrêtssur le principal et sur la réparation n’implique nullement une autonomisation desprocédures sur le fond et sur la réparation. Une approche différente, soit ouvrant unnouveau procès, soit organisant une procédure en dehors du défendeur, heurterait ànotre sens le principe de bonne administration de la justice.

33 Cela dit, loin de nous la prétention d’épuiser la richesse du premier arrêt au fond de la

Cour africaine des droits de l’homme. Il montre le courage d’une jeune juridiction quin’hésite pas à aborder des questions sensibles de droit constitutionnel, voire depratique politique, avec leurs implications sur le terrain des modalités de compétitionpour le pouvoir et de représentation politique au sein des Etats. Ce faisant, comme laCommission de Banjul, la Cour se positionne comme l’un des postes avancés del’accompagnement des Etats africains vers la consolidation de leur ouverturedémocratique et vers le renforcement de pratiques constitutionnelles et politiquesrespectueuses des droits fondamentaux, des principes démocratiques41. C’est pourquoi,avec la perspective réelle d’accueillir des allégations de violation de la Charte africainede la démocratie, des élections et de la gouvernance42, la Cour devrait éviter de refuserpurement et simplement d’aborder le moyen tiré de la violation de l’Etat de droit.L’Etat de droit est un concept dont les éléments structurants sont suffisammentidentifiables et dont les interactions avec les droits fondamentaux sont si évidentesqu’il importe que la Cour, méthodiquement bien entendu, s’en saisisse à bras le corps,pour aider les jeunes démocraties africaines sur le vaste chantier de la construction desociétés politiques humaines, décentes, conviviales, épanouissantes pour tous.Naturellement, il lui faudra faire preuve de prudence tactique, en évitant des posturesde principe trop générales et catégoriques, et en retenant une approche contextuelledu juste équilibre entre les nécessités sociales et les droits fondamentaux de l’individu.La Cour ne doit pas se plier au contexte africain des droits de l’homme, souventdangereux pour les droits, mais doit se positionner de manière à en accompagnerrésolument, mais méthodiquement, la subversion. Dans cette démarche faite derésolution ferme et de prudence méthodique, la Cour doit pouvoir résister auxpressions de la communauté des ONG des droits de l’homme, laquelle pourrait l’acculerà un maximalisme interprétatif incompatible avec la prudence nécessaire attendue dujuge, y compris le juge préposé à la garantie des droits de l’homme. Le dynamismeinterprétatif doit refléter aussi, autant que possible, la réalité des évolutions concrètesde la garantie des droits en Afrique. Rien ne serait plus abstrait que d’avoir à Banjul et àArusha une jurisprudence futuriste, supportant la comparaison technique avec celledes autres mécanismes internationaux, mais avec une réalité timide des progrès desdroits de l’homme sur le continent. Les amateurs de belles formules techniquesauraient matière à s’en donner à cœur joie et à remplir les revues de commentairessavants, mais tout cela serait comme une machine tournant à vide. A cet égard, l’on ne

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peut s’empêcher d’exprimer quelque amusement gêné devant le rappel, par desprotagonistes de l’affaire, des circonstances dans lesquelles tout cela a été déclenché,comment M. Mtikila a été presque sollicité pour voir la Cour rendre un premier arrêt aufond43. Si les Etats, encore frileux dans leur grande majorité à souscrire la déclarationde l’article 34(6) de la Charte, venaient à être convaincus que la Cour pourrait setransformer en une arène où l’on vient effectuer des jeux de droit, ce serait un coup durpour l’avenir du recours individuel devant la juridiction africaine exclusivement dédiéeà la garantie des droits de l’homme sur le continent. Nous n’en sommes pas là,heureusement, et il faut espérer que de tels augures ne se réaliseront pas.

NOTES

1. Olinga A. D., « L’émergence progressive d’un système africain de garantie des droits de l’home

et des peuples ». in Olinga A. D. (dir.), La protection internationale des droits de l’homme en Afrique.

Dynamique, enjeux et perspectives trente ans après l’adoption de la Charte africaine des droits de l’homme

et des peuples. Yaoundé, Editions Clé, 2012, pp. 13-35.

2. Voir état des affaires devant la Cour africaine in http://www.african-court.org/fr/index.php.

19 février 2014. Sur la première décision de la Cour, voir Olinga A.D. « Regards sur le premier

arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme ». RTDH, n° 83, 2010, pp.749-768. Voir également

Kilangi A. « Legal personality, responsibility and immunity of the African Union: Reflection on

the decision of the African Court on Human and peoples’ Rights in the Femi Falana case”, AUCIL

Journal of International Law, vol. 1, 2013, pp. 95-139 ; voir aussi Koagne Zouapet Apollin. « Une si

évidente décision…une cour bien confuse : quelques observations sur l’arrêt de la Cour africaine

des droits de l’homme et des peuples en l’affaire Femi Falana c. Union Africaine (affaire

n°001/2011) ». in www.africancourtcoalition.org Août 2012.

3. Au 31 décembre 2013, sept Etats avaient souscrit la déclaration de l’article 34(6) de la Charte, à

savoir : le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Malawi, le Mali, le Rwanda, la Tanzanie.

4. Voir Lekene Donfack E.C., « La candidature indépendante et la liberté de suffrage en droit

camerounais », Revue Africaine des Sciences Juridiques, 1 (2000), pp. 21-52.

5. Observation Générale n° 25 du Comité adoptée lors de sa 57è session, le 12 juillet 1996,

Participation aux affaires publiques et droit de vote. Texte disponible in HRI/GEN/1/Rev.9 (Vol.

I), 27 mai 2008, pp. 255-260.

6. Notamment l’arrêt de la Cour en l’affaire Castaneda Gutman c. Mexique, 6 août 2008.

7. Voir Santulli C., Droit du contentieux international. Paris, Montchrestien/Domat, 2005.

8. Voir Olinga A.D., « Pratique de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuplesen 2011 », RTDH, n°93, 1er janvier 2013, pp. 123-142.9. Voir Olinga A.D., « Vers un contentieux objectif à Banjul ? L’affaire Lawyers for Human Rights

contre Royaume du Swaziland devant la Commission africaine des droits de l’home et des

peuples », Revue Juridique et Politique des Etats Francophones, 2007, 1, pp. 28-52.

10. Voir, sur la victime, Tulkens F., « Victimes et droits de l’homme dans la jurisprudence de la

Cour européenne des droits de l’homme », in Archives de Politique Criminelle, 2002/1, n°24, pp.

41-59. Pour une variation synthétique récente sur cette question, voir Renucci J.-F., « La notion

de ‘victime’ au sens de l’article 34 de la Convention européenne des droits de l’homme », Recueil

Dalloz, 2014, pp. 38 et s.

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11. Le paragraphe 74 de l’arrêt renseigne que c’est au lendemain de l’arrêt la Cour d’appel

qu’« un processus de consultation visant à recueillir l’opinion des citoyens Tanzaniens sur une

éventuelle modification de la Constitution » a été lancé, processus en cours au moment de la

saisine de la Cour, et probablement au moment du prononcé de l’arrêt, lequel serait venu

interférer dans un processus politique interne.

12. Voir Ebobrah Solomon T., « Towards a positive application of complementarity in the African

Human Rights System: issues of functions and relations”, EJIL (2011), vol.22, n°3, pp.663-688.

13. Ayina Ayissi F. & Zanga M.J. « La procédure d’examen des communications devant la

Commission de Banjul ». in Olinga A.D. (dir.), La protection internationale des droits de l’homme en

Afrique. Dynamique, enjeux et perspectives trente ans après l’adoption de la Charte africaine des droits de

l’homme et des peuples. Yaoundé, 2012, pp. 151-189.

14. Voir Ouguergouz F . « Article 56 », in Kamto M. (Dir.), La Charte africaine des droits de l’homme et

des peuples et le Protocole y relatif portant création de la Cour africaine des droits de l’homme et des

peuples. Commentaire article par article », Bruxelles, Editions Bruylant, Editions de l’Université de

Bruxelles, 2011.

15. Rejet d’une requête manifestement mal fondée.

16. Examen préliminaire de la compétence de la Cour et de la recevabilité de la requête.

17. Conditions de recevabilité des requêtes.

18. Il faut relever pourtant, pour le déplorer, que la Cour persiste dans son approche, avec une

situation particulièrement chaotique dans l’arrêt de la Cour en l’affaire Urban Mkandawire c.

Malawi en date du 21 juin 2013. Ici, la Cour examine d’abord une exception d’incompétence

ratione temporis (paragraphe 32), puis évacue l’exception d’irrecevabilité liée à la saisine par le

requérant d’un autre mécanisme international de règlement (paragraphe 33), puis revient aux

aspects de la compétence, à savoir les compétences ratione materiea, ratione personae et encore

ratione temporis (paragraphes 34, 35 et 36), et conclue par l’examen particulier de la condition

relative à l’épuisement des voies de recours internes (paragraphes 38 à 40.2). Comme l’ont à juste

titre relevé les juges Guissé et Niyungeko dans leur opinion dissidente commune, cette démarche

est confuse et manque de cohérence.

19. Voir sur cette question Olinga A.D. « Remarques introductives sur l’interprétation de la

Charte africaine des droits de l’home par la Commission de Banjul », in Olinga A.D. (Dir.) La

protection internationale des droits de l’homme en Afrique. Dynamique, enjeux et perspectives trente ans

après l’adoption de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Yaoundé, Editions Clé, 2012,

pp. 219-248.

20. Malheureusement, il faut se rendre à l’évidence que la Cour ne s’en est pas tenue à cette

approche pertinente bien longtemps, puisque au cours du même mois de juin 2013, dans l’affaire

Urban Mkandawire c. Malawi, la Cour va précisément aboutir à ce résultat invraisemblable que l’on

redoutait, à savoir prononcer l’irrecevabilité d’une requête sur la base du non respect par le

requérant d’une condition de recevabilité dont le non respect n’a pas été soulevé par l’Etat

défendeur, en l’occurrence la condition d’épuisement des voies de recours internes. Dès le

paragraphe 33, la Cour estime que l’exception de litispendance est non fondée, mais ajoute tout

de suite que « ce constat ne signifie pas nécessairement que la requête est recevable, car elle doit

encore remplir d’autres critères de recevabilité en particulier le Requérant doit satisfaire aux

dispositions de l’article 6(2) du Protocole, lu conjointement avec l’article 56(5) de la Charte et

démontrer qu’il a épuisé les voies de recours internes ». C’est au paragraphe 38 de l’arrêt que la

Cour se livre à cet examen : « le Défendeur n’a pas soulevé d’exception de non –épuisement des

recours internes. La Cour a cependant le devoir de faire respecter les dispositions du Protocole et

de la Charte. Elle est tenue de s’assurer que la requête est conforme, entre autres, aux conditions

de recevabilité énoncées dans le Protocole et dans la Charte. La loi ne doit pas faire débat. Le fait

pour le Défendeur de ne pas soulever la question de la non-conformité avec les exigences

inscrites dans le Protocole et la Charte ne peut pas rendre recevable une requête qui est

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autrement irrecevable. L’épuisement des recours internes est une règle fondamentale dans la

relation entre les Etats Parties avec le Protocole et la Charte et avec les juridictions nationales

d’une part, et avec la Cour, d’autre part. Les Etats Parties ratifient le Protocole en tenant pour

acquis que les recours internes doivent d’abord être épuisés avant que la Cour ne soit saisie ; la

déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole est également faite sur cette base ». Ce propos

est d’une portée procédurale considérable. Il signifie tout d’abord que la Cour s’aligne finalement

sur la doctrine de la Commission d’examen des conditions de recevabilité au-delà des exceptions

soulevées explicitement par le défendeur. Pour autant, cet examen ne semble pas nécessairement

systématique, puisque la Cour, en ne traitant que de la condition de l’épuisement des voies de

recours internes, et non des autres conditions, semble considérer cette dernière comme celle

dont l’examen s’impose en tout état de cause à l’organe de contrôle, parce qu’elle participerait de

l’esprit même de subsidiarité dans lequel a été conçue la mécanique internationale de garantie,

esprit qui serait le fondement même de l’adhésion des Etats à cette mécanique. Finalement, au-

delà de la perspective de l’examen systématique des conditions de recevabilité, la Cour vient de

consacrer pour la condition d’épuisement de voies de recours internes, le statut d’une condition

impérative, dont la Cour doit « s’assurer du respect », que l’Etat défendeur soulève ou non

d’exception à cet égard. Avec cette évolution, le système africain se signale comme le seul où un

organe international de contrôle peut prendre sur lui de déclarer irrecevable une requête, sur la

base du non respect, découvert par ledit organe, d’une condition de recevabilité dont le respect

n’a pas été contesté par le défendeur, une condition qui devient dès lors une condition d’ordre

public. Une telle évolution des choses est inattendue et déconcertante.

21. Pour une étude riche et particulièrement bien menée, voir Nsogurua J. Udombana, «”So far,

so fair: the local remedies in the jurisprudence of the African Commission on Human and

Peoples’ Rights”, in The American Journal of International Law, vol. 7, 1, 2003, pp. 1-37.

22. Nos italiques.

23. Il est vrai qu’en l’absence de révision formelle de la Charte de 1981, pour la délester de toutes

les références à la Charte de l’OUA, on peut se montrer dubitatif, au plan purement technique,

sur la substitution automatique de l’Acte constitutif de l’UA à la Charte de l’OUA. Certes, l’un et

l’autre instrument sont à la base de la mise en place de l’organisation continentale au sein de

laquelle est créée la Cour ; toutefois, le contenu substantiel de ces deux instruments n’est pas

identique. L’Acte Constitutif de l’UA est incontestablement plus fourni en matière de principes et

de règles relatives aux droits de l’homme que la Charte de l’OUA.

24. Voir Sudre F., Droit international et européen des droits de l’homme, Paris, PUF, 5è édition, 2001, p.

420.

25. On peut se demander, à cet égard, quelle portée devrait être accordée, sur le terrain de la

détermination de la compétence matérielle de la Cour, au renvoi à la Constitution de la

République de Tanzanie opéré dans la déclaration de ce pays en vertu de l’article 34(6), de

manière générale et, spécifiquement, dans le contexte de l’affaire sous examen. Si ce renvoi

signifie que les plaignants en vertu des articles 5(3) et 34(6) du Protocole ne peuvent introduire

contre la Tanzanie que des requêtes compatibles, non seulement avec l’Acte constitutif de

l’Union africaine et la Charte de 1981, mais aussi avec la Constitution de la Tanzanie, alors il

faudrait simplement dire que les requêtes ayant conduit à l’arrêt, mettant directement en cause

une clause de la Constitution tanzanienne, ne pouvait être « in adherence to the Constitution of the

United Republic of Tanzania » selon les termes de la déclaration du 29 mars 2010.

26. Voir Djoumessi Kenfack S. B., « L’application de la Charte africaine des droits de l’homme et

des peuples par les juridictions des Communautés économiques régionales », in Olinga A.D. (dir.),

La protection internationale des droits de l’homme en Afrique. Dynamique, enjeux et perspectives trente

ans après l’adoption de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Yaoundé, Editions Clé,

2012, pp. 251-279.

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27. Voir Adjolohoun Horace S. « The ECOWAS Court as human rights promoter? Assessing five

years’ impact of the Koraou Slavery judgment ». in Netherlands Quarterly of Human Rights, vol.

31/3, 2013, pp. 342-371; voir aussi Karen J. Alter, Laurence R. Helfer & Jacqueline R. Mc Allister, “

A new international human rights court for West Africa: the ECOWAS Community Court of

Justice”. The American Journal of International Law, 2013, vol.107, pp. 737 et s.

28. Ost F., « Originalité des méthodes d’interprétation de la Cour européenne des droits de

l’homme », in Delmas-Marty M. Raisonner la raison d’Etat. Paris, PUF, 1989, pp. 405-463.

29. Burgorgue-Larsen Laurence, « Les méthodes d’interprétation de la Cour interaméricaine des

droits de l’homme. Justice in context », RTDH, n° 97/2014, pp. 23-71.

30. Voir Olinga A.D., “Les emprunts normatifs de la Commission africaine des droits de l’homme

et des peuples aux systèmes européen et interaméricain de garantie des droits de l’homme »,

RTDH, n° 62/2005, pp. 501-537.

31. Weckel Ph. « Présentation ». in Adjovi R. (Dir.) Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.

L’affaire Rev. Mtikila c. Tanzanie. Dossier du Pôle Afrique de Sentinelle. http://www.sentinelle-droit-

international.fr., 02 mars 2013, p. 3.

32. Voir, notamment, les affaires suivantes : Legal Resource Foundation c. Zambie, 2001 ; Lawyers

for Human Rights c. Swaziland, 2005 ; Mouvement Ivoirien des droits humains c. Côte d’Ivoire ;

John K. Modise c. Botswana, 6 novembre 2000 ; Zimbabwe Lawyers for Human rights and

Associated Newspapers of Zimbabwe c. Zimbabwe; Kevin Mgwanga Gumne et al. C. Cameroun,

2009. Les juridictions sous régionales ne sont pas en reste, comme le montre l’arrêt de la Cour de

justice de la CEDEAO en l’affaire Aneganvi Manavi Isabelle et autres c. Togo du 7 octobre 2011,

arrêt qui met sur la sellette un problème de mandat impératif, question constitutionnelle s’il en

est. La Cour de la CEDEAO a condamné l’Etat du Togo dans la cause.

33. Voir Ondoua Alain, « L’internationalisation des Constitutions en Afrique subsaharienne

francophone et la protection des droits fondamentaux », RTDH, n°98, pp.437-457. L’auteur relève,

en page 455, que la condamnation de la Tanzanie par la Cour « est prononcée alors même que la

Cour d’appel de Tanzanie n’y avait décelé aucune inconventionnalité ». Sauf erreur de notre part,

il ne semble pas que le moyen tiré de la violation de dispositions conventionnelles ait été jamais

soulevé devant les juridictions tanzaniennes par M. Mtikila, le débat ayant été mené par rapport

aux principes gouvernant l’Etat de droit, dans le cadre de l’ordre juridique et politique de la

Tanzanie. Par deux fois devant la Haute Cour, en 1993 puis en 2005, M. Mtikila a toujours fait

valoir des arguments relatifs à la non-conformité de l’interdiction des candidatures

indépendantes à la Constitution tanzanienne. Du reste, dans sa décision du 5 mai 2006, près de

douze ans après la première rendue sur la même question le 24 octobre 1994, la Haute Cour

estime que « les modifications contestées violaient les principes démocratiques et la doctrine des

structures fondamentales inscrites dans la Constitution » (paragraphe 72 de l’arrêt).

34. Parce que ces obligations ne sont pas déclinées dans la Charte, la référence à l’article 27 de la

Convention de Vienne de 1969 (paragraphe 108) ou à l’article 32 du Projet d’articles de la

Commission du Droit International sur la responsabilité internationale des Etats n’est pas

pertinente. Lorsque l’étendue de l’obligation est liée à la marge nationale d’appréciation, lorsque

le droit interne est invité à participer à la circonscription du champ de l’obligation elle-même, les

notions de « non exécution du traité » et de « manquement aux obligations », sans disparaître,

sont à relativiser.

35. Voir Kovler Anatoly, « La Cour européenne des droits de l’homme face à la souveraineté

d’Etat », in L’Europe en formation, 2013/2, n° 368, pp. 209-222.

36. La qualification attribuée à l’observation générale peut étonner. De toute évidence, il ne s’agit

pas à notre avis d’un « instrument adopté par les Nations Unies relatif aux droits de l’homme ».

37. Sur le « flottement entre interprétation et application » lié au terme « inspiration », voir

Decaux E., « Article 60 ». in Kamto M. (dir.), La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et

le Protocole y relatif portant création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.

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Commentaire article par article ». Bruxelles, Editions Bruylant, Editions de l’Université de Bruxelles,

2011, notamment p. 1112.

38. L’on se demande s’il appartient à un mécanisme international de garantie de se prononcer

sur l’utilité des mesures nationales. L’intrusion dans ce domaine peut confiner à un contrôle

d’opportunité, lequel en principe ne relève pas de la compétence des instances internationales.

39. Voir Tajadura Tejada Javier, « La doctrine de la Cour européenne des droits de l’homme sur

l’interdiction des partis politiques », RFDC, 2012, 2, n° 90, pp. 339-371.

40. Voir Levinet Michel, « Droit constitutionnel et Convention européenne des droits de

l’homme. La confirmation de l’autonomie des Etats en matière de choix des systèmes électoraux.

Brèves réflexions sur l’arrêt rendu par le Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire

Yumak et Sadak c. Turquie (Gr. Ch., 8 juillet 2008) », RDFC, n° 78, 2009, pp. 423-430.

41. Olinga A.D. « L’impératif démocratique dans l’ordre régional africain », Revue de la Commission

africaine des droits de l’homme et des peuples, vol. 6, n° 2, 1998, pp. 57-80.

42. Djpoumessi Kenfack S. B., La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance à

l’épreuve des changements anticonstitutionnels de gouvernement, Mémoire, Master II en Contentieux

International, IRIC, Yaoundé, 2012, 187 p.

43. Lire à cet égard Adjovi R. « Historique de l’affaire Rév. Mtikila c. Tanzanie ». in Adjovi, R.

(dir.), Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. L’affaire Ré. Mtikila c. Tanzanie, op. cit., pp.

5-7.

ABSTRACTS

With the Reverend Mtikila vs Tanzania case, the African Court on Human and People’s Rights

isued it first decision on merits. Apart from issues related to procedure, about which the

members of the Court did not agree, the decision is an instructive one, as it deals with the

conformity to the African Charter of the obligation to be affiliated to a political party for taking

part to elections. In the view of the Court, such an obligation violates the right to participate in

the government of his country, the right to assemble with others, the right to be protected from

discrimination. The Court finds that the principle of the rule of law is not relevant. Although the

reasoning of the court can be difficult to follow, the decision is an important step for its mission

in favour of human rights in Africa.

La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a rendu, en l’affaire Révérend Mtikila c/

Tanzanie, son premier arrêt au fond. Au-delà de certains aspects de procédure sur lesquels les

juges ont eu quelque difficulté à s’accorder, la décision est instructive, car elle traite de la

conformité de l’obligation d’affiliation partisane pour tout candidat aux élections avec la Charte

africaine des droits de l’homme et des peuples. Pour la Cour, une telle obligation viole le droit de

participer à la direction des affaires publiques de son pays, la liberté d’association et le droit à la

non-discrimination. En revanche, l’atteinte au principe de l’Etat de droit n’est pas retenue. Si l’on

peut avoir du mal à suivre la logique argumentative de la Cour, il reste que cet arrêt constitue

une contribution importante à l’œuvre inaugurale de cette juridiction en faveur des droits de

l’homme en Afrique.

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INDEX

Mots-clés: Compétence – Recevabilité - Locus standi – Restrictions - Droit de participer à la

gestion des affaires publiques - Liberté d’association - Non-discrimination - Partis politiques -

Etat de droit

Keywords: Competence – Recevability - Locus standi – Restrictions - Right of participation to the

public policies - Freedom of association - Non-discrimination - Political parties - Rule of law

AUTHOR

ALAIN DIDIER OLINGA

Alain Didier Olinga, Docteur/HDR en Droit Public de l’Université de Montpellier I, estMaître de Conférences à l’Université de Yaoundé II (Cameroun). Il est chef duDépartement de Droit International à l’Institut des Relations Internationales duCameroun (IRIC), au sein de cette Université.

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Contribution à la clarification durégime juridique de laresponsabilité de l’Etat résultantd’un placement en cellule dedégrisement Thierry Edouard

Le 7 janvier 2011, les gendarmes du village de Camopi (Guyane française) étaient requispar une jeune femme se plaignant de violences conjugales. Le fauteur, M. A ., étaitfinalement interpellé dans la soirée et conduit à la brigade territoriale. Son étatd’ébriété manifeste justifiait qu’il soit immédiatement placé en cellule de dégrisement,dans l’attente de sa garde à vue. Au petit matin, l’époux violent est retrouvé sans vie,pendu au cordon de son calimbé2.

Indépendamment du caractère dramatique d’un tel événement, se posent pour lejuriste une série de questions éminemment : le placement en cellule de dégrisementétait-il nécessaire3 ? Quels sont les fondements juridiques d'une telle privation deliberté ? Comment cet homme a-t-il pu mettre fin à ses jours avec un objet qu’il n’étaitpas censé posséder ? Pourquoi est-il demeuré aussi longtemps (près de huit heures)avant que les services de gendarmerie constatent le décès ? , etc…Ceci suppose que l'onsache clairement de quoi l'on parle lorsqu'on fait référence à la notion de dégrisement ;la plupart des acteurs pensent que les choses sont effectivement claires et qu'il n'y apas à épiloguer la dessus. Pourtant, il n'est pas certain que ce soit toujours le cas.

On rappellera, en premier lieu, que le terme « dégrisement » provient du verbe « dégriser

» qui signifie « faire passer l’ivresse ». Ainsi, lorsqu’une personne est trouvée dans un étatd’ivresse sur la voie publique, elle peut être conduite indistinctement en « cellule de

dégrisement », ou « chambre de sûreté ». La Cour Européenne des Droits de l’Hommerappelle que « la détention (…) dans une unité de dégrisement s’analyse en une privation de

liberté, au sens de l’article 5§ 1 de la Convention »4. Pour le Conseil constitutionnel, il s’agitd’une «mesure privative de liberté, au même titre que l’hospitalisation d’office », qui exige que

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« le juge judiciaire (intervienne) dans le plus court délai possible »5. Pour sa part, la Cour decassation tend à garantir les droits de la défense et ce, à tous les stades de laprocédure6. A ce titre, la Haute juridiction demeure qualifiée pour contrôler, non pas leplacement en cellule de dégrisement lui-même, mais la procédure subséquente à lacommission d'une infraction7. Il s'agit là d'une interprétation extensive des droits de ladéfense8, conforme à la jurisprudence européenne qui pose comme garantie du procèséquitable une exigence d'effectivité des droits de la défense9.

Mais, à dire vrai, ce n’est pas tant le terme de « dégrisement » ou « d’ivresse publique et

manifeste » (IPM) qui fait difficulté. D’abord, parce que, à l’instar de beaucoup d’autresnotions juridiques, elle porte en elle une grande ambiguïté et une profonde polysémie.Ensuite, la réflexion n’est pas non plus éclairée si l’on utilise une autre terminologie(rétention, mesure de sûreté, etc…). En réalité, ce qui est en cause, c’est une question defond, ce n’est pas une question d’appellation, car quelle que soit l’option retenue par lesforces de l’ordre, le placement en cellule de dégrisement demeure fondamentalementune atteinte à la liberté individuelle. Cette privation se traduit également parl'obligation, pour les autorités judiciaires, d'assurer la surveillance effective de celuiqui en est l'objet. C’est pourquoi les forces de l’ordre ont la garde de la personnequ’elles auront interpellée, au sens où le conçoit le Code civil, ce qui suppose unesurveillance effective et constante de la personne retenue. Or, curieusement, il n’existepas de durée préfixe à une telle mesure. Cette lacune avait d’ailleurs été dénoncée parune mission des quatre inspections (Inspection générale de l’administration, Inspectiongénérale des affaires sociales, Inspection générale des services judicaires et Inspectionde la gendarmerie nationale)10. Celle-ci proposait de retenir une durée de douze heures,ce qui aboutirait à sécuriser, mutatis mutandis, l’action des services interpellateurs 11.Cette forme de « sécurisation » est prévue à l’article 225 du règlement intérieurd’emploi de la Police nationale, qui prévoit que « le chef de poste effectue des rondes au

moins toutes les quinze minutes ou désigne un fonctionnaire à cet effet. Le commandement

augmente la fréquence des rondes et multiplie les mesures de précaution en fonction du

comportement connu du ou des individus à surveiller ». En revanche, ce texte n’a pas sonéquivalent dans la gendarmerie nationale, qui ne dispose, a priori, d’aucune référenceexploitable en la matière12.

On montrera donc qu'à travers "l'affaire de Camopi" se pose le problème desconséquences d'une privation de liberté et la capacité, pour l'Etat, de répondre à unedualité conjoncturelle consistant à concilier les exigences du respect des droits del'Homme (droits de la défense, droit au procès équitable, notamment), d'une part, avecle déclenchement programmé des poursuites judiciaires (en l'espèce, il s'agissait deviolences volontaires aggravées), d'autre part. On avancera que c'est bien la questionde la responsabilité de l'Etat (et de ses services) et des conditions d'engagement decelle-ci à l'égard d'un accident13 survenu durant la phase de dégrisement, malgrél'obligation de surveillance pesant sur lui. Le postulat de présomption de laresponsabilité conduit, dans un premier temps, à envisager les fondements juridiquesdu placement en cellule de dégrisement (I). Par suite, il conviendra d'examiner laconciliation de la responsabilité de l'Etat face aux droits de la défense (II).

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I. Les fondements juridiques du placement en cellulede dégrisement

A. Les critères de décision du placement en cellule de dégrisement14

1) la finalité du placement en cellule de dégrisement

Fondamentalement, le placement en cellule de dégrisement présente une dualitécaractéristique. Il s’agit de maintenir l’ordre public, d’une part, et de protéger lapersonne retenue, d’autre part. Naturellement, elle ne se solde pas systémiquement parun placement en garde à vue15, car l’objectif consiste à dissiper les effets générés parl’état d’ivresse. De même, une telle décision ne peut être décidée que par les agentsrelevant de la police ou de la gendarmerie nationales. C’est la loi du 23 janvier 1873tendant à réprimer l’ivresse publique et à combattre les progrès de l’alcoolisme, dite «loi Roussel », qui fut le premier texte à prévoir un régime juridique approprié. Par lasuite, ce dispositif a été intégré dans le code des débits de boissons et des mesurescontre l’alcoolisme par le décret n° 55-222 du 8 février 1955 (article L. 76 du code desdébits de boissons), pour être finalement traduit par l’article L. 3341-1 du code de lasanté publique16. Dès l’origine, ce dispositif a présenté une certaine dichotomie, dans lamesure où sa mise en œuvre relevait à la fois d’une mesure de police administrative,illustrée par un placement en chambre de sûreté, et d’un dispositif judiciaire réprimantl’état d’ivresse publique, et dont l’auteur était passible d’une peinecontraventionnelle17.

Le droit positif18 prévoit désormais qu’« une personne trouvée en état d'ivresse dans les lieux

publics est, par mesure de police, conduite à ses frais dans le local de police ou de gendarmerie le

plus voisin ou dans une chambre de sûreté, pour y être retenue jusqu'à ce qu'elle ait recouvré la

raison » (alinéa1). Il en résulte que les agents interpellateurs peuvent, « par mesure depolice », conduire, à ses frais, une personne trouvée en état d'ivresse dans un lieupublic « au poste le plus voisin ou dans une chambre de sûreté pour y être retenuejusqu'à ce qu'elle ait recouvré la raison ». Conformément à deux circulaires duMinistère de la Santé19, la personne doit préalablement être examinée par un médecin.Seule la délivrance d’un certificat de non-hospitalisation permet d’établir lacompatibilité de l’état de la personne avec la mesure envisagée. Autrement dit, le faitgénérateur est le constat d’ébriété résultant non seulement de faits matériels vérifiésmais également du comportement de l’individu20.

La nécessité de sortir du flou juridique est d’autant plus impérieuse qu’elle est favoriséepar la Cour européenne des droits de l'homme, au regard des principes deproportionnalité et de prévisibilité, inspirés par le régime de la garde à vue21. Cet aspecta de quoi interpeller, d’autant que les services de gendarmerie interviennenttraditionnellement en milieu rural ou dans des zones suffisamment éloignées, dans uncontexte justifiant une vigilance accrue à l’égard d’un retenu. A dire vrai, l’absence defixation d’une durée précise semble d’abord répondre à la variété des situationspossibles. C’est pourquoi le Conseil a estimé qu’une telle absence ne constituait pas unecause d’inconstitutionnalité dès lors que la disposition ne prévoit pas une privation deliberté à durée indéterminée : en clair, le placement en chambre de sûreté n’est permisque le temps nécessaire pour que la personne recouvre la raison, c'est-à-dire quelquesheures au maximum.

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Page 300: La Revue des droits de l’homme, 6

Autrement dit, il est possible d’affirmer qu’il n’existe pas de définition légale del’ivresse et des conditions de sa constatation, pas plus qu’une durée préfixe à l'égardd'une telle mesure: en réalité, l’interpellation d’un individu présumé en état d’ivresserepose principalement sur une appréciation subjective et pragmatique de la part desservices interpellateurs. L’état d’ébriété résultera de signes extérieurs (haleine sentantfortement l’alcool, logorrhée, troubles de l’humeur et de la parole, injectionconjonctivale, perte d’équilibre…). Cette pratique sera complétée par deux circulairesdu ministère de la santé, l’une du 16 juillet 1973, l’autre du 9 octobre 1975, quiprévoient, notamment, que la personne trouvée en état d’ivresse, avant d’être placéeen chambre de dégrisement, est présentée à l’hôpital pour qu’il soit délivré un «certificat de non admission à l’hôpital»22.

Un tel héritage normatif et technique, qui peut être analysé comme un atout, s’avèreparticulièrement difficile lorsqu’il s’agit, in concreto, de mettre en œuvre le dispositif.En effet, la nature et la portée d’une telle décision présente un caractère alternatif, quipeut être administratif ou judiciaire, en fonction des éléments recueillis par les servicesinterpellateurs.

2) L'ambivalence dans la privation de liberté23

A supposer que la personne soit finalement appréhendée, on conçoit aisément lesdifficultés auxquelles sont confrontés les services interpellateurs. On relèvera quelorsqu’il s’agit de constater ou de réprimer une infraction, la privation de libertérelèvera de la compétence judiciaire24. La mesure sera de nature judiciaire si elle a pourobjet de diligenter une enquête pénale. Tel est le cas, par exemple, d’une enquêtemenée à la suite d’un contrôle routier d’alcoolémie, préalablement à des poursuitespour « conduite en état d’ivresse », conformément aux articles L 234-1 et suivants du Codede la route. Autrement dit, lorsqu’elle est d’ « intention »25 judiciaire, le placement encellule de dégrisement relèvera de la compétence de l’autorité judiciaire. Deux raisonspeuvent expliquer une telle hypothèse. D’abord, la durée du placement en chambre desûreté doit être nécessairement consignée par les agents interpellateurs. C’estprécisément ce « cahier » de consignation qui est régulièrement visé par le Procureurde la République. Ensuite, la durée de la privation de liberté est défalquée de la duréede la garde à vue, au même titre que la retenue douanière (art. 323-9 C. douanes), de larétention pour vérification d'identité (art. 78-4 C. pr. pén.) ou de la retenue desétrangers pour vérification de séjour. De telles précautions ne sont pas anodines, carelles permettent une mise en conformité de notre droit avec les exigencesconventionnelles aux termes desquelles « il est essentiel, en matière de privation deliberté, que le droit interne définisse clairement les conditions de détention et que la loisoit prévisible dans son application, en ce sens qu’elle doit être suffisamment précisepour permettre au citoyen de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances dela cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé »26. Ainsi, ladirective 2012/13/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre desprocédures pénales, aboutit à impacter considérablement la notion interne dudégrisement. En effet, son article 7 prévoit que « 1. Lorsqu’une personne est arrêtée et

détenue à n’importe quel stade de la procédure pénale, les Etats membres veillent à ce que les

documents relatifs à l’affaire en question (...) soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou

de son avocat. (…) ». En vertu de cet article, dès lors qu’une personne est arrêtée (il s’agitici de la condition d’ouverture du droit), elle doit pouvoir, avec son avocat, obtenir la

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communication de tous les éléments de son dossier nécessaires au contrôle de lalégalité de son arrestation (il s’agit là du contenu du droit). Dans la mesure où lapersonne retenue est une personne « arrêtée » au sens de l’article 7 de la directive (lacondition d’ouverture du droit est donc remplie), elle (ou son avocat)27 doit pouvoircontrôler la légalité de son arrestation et doit être mise en mesure de consulter tous lesactes de procédure28 ayant conduit à son arrestation.

En revanche, la perspective n’est pas du tout la même lorsqu’il s’agit d’une mesureadministrative, c'est-à-dire lorsque le dégrisement résulte d’une mesure préventive,destinée à garantir l'ordre public. Pour certains auteurs29, c’est le raisonnement de laCour de cassation qui prévaut puisque la personne qui en est l’objet est regardéecomme hors d’état d’être entendue. Dès lors, aucune mesure de garde à vue ne peutêtre envisagée, pas plus que la notification des droits qui y sont attachés.30 C’est ainsique, dans sa décision du 8 juin 201231, le Conseil constitutionnel a estimé que ledégrisement, décidé sur la base de l’article L 3341-1 du code de la santé publique, estune mesure de « police administrative destinée à prévenir les atteintes à l'ordre public et

protéger la personne »32. Les Sages de la Rue de Montpensier rejoignent ainsi la positionde la Cour de cassation33, de même que celle du Tribunal des conflits du 18 juin 200734.Cette option privative de liberté était déjà prévue à l’article 5 § 1 de la Conventioneuropéenne des droits de l’homme. La Cour européenne a, en effet, précisél’interprétation à donner au terme « alcoolique » à la lumière de l’objet et du but de l’article 5 § 1 e) de la Convention. Celui-ci ne doit pas être entendu uniquement dans lesens restreint d’une personne dans un état clinique d’« alcoolisme » mais égalementcomme « les personnes dont la conduite et le comportement sous l’influence de l’alcool

constituent une menace pour l’ordre public ou pour elles-mêmes »35. A propos des détenus, laCour Européenne des Droits de l’Homme a été amenée à savoir si les autorités avaientconnaissance d’un risque certain et immédiat pour la vie de l’intéressé et, dans le cas del’affirmative, si elles ont bien pris les mesures que l’on pouvait raisonnablementattendre d’elles36. Dans tous les cas, la Cour de Strasbourg s’assure de l’existence deprécautions usuelles (retrait de ceinture et lacets, rondes régulières), comme del’attention à des indices devant conduire à adopter des mesures particulières desurveillances37. On ajoutera que l’infraction commise au cours d’une opération de policeadministrative n’entraîne pas, mutatis mutandis, un changement de nature del’opération. Il en résulte que cette phase, dénommée « parenthèse administrative »38,laquelle survient après le constat d’état d’ivresse (simple ou manifeste) mais avant leplacement en garde à vue (ou toute autre opération de police judiciaire), constitue uneopération de nature fondamentalement administrative.

Par conséquent, ce qui apparaît à travers ces observations, c’est que, quelle que soitl’option choisie, le placement en cellule de dégrisement est toujours un moyen et nonune fin. Il prélude à d’autres mesures, qui se révèlent mieux encadrées sur le plan de lapratique et du droit. Il reste que le placement en cellule de dégrisement présente uncaractère bref 39 et alternatif. Dans la mesure où il s'agit d'une mesure privative deliberté, il convient d'examiner la répartition des compétences juridictionnellesamenées à en connaître.

B. La difficile répartition des compétences juridictionnelles

Dans ses observations relatives à l’affaire « R. », le Commissaire du gouvernementPhilippe Dondoux a rappelé un principe désormais bien fixé : « si l’acte incriminé est

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relatif à l’organisation même du service public judiciaire, la juridiction administrative est

compétente. Au contraire, le juge judiciaire est seul compétent si l’acte est relatif à l’exercice de

la fonction juridictionnelle ou implique une appréciation à porter sur la marche même des

services judiciaires »40. Ce raisonnement est confirmé par la jurisprudence du Tribunaldes conflits41, qui a toujours distingué l’exercice des fonctions juridictionnelles (jugejudiciaire) de l’organisation du service judiciaire (juge administratif). La résultante del'événement survenu à Camopi permet d'envisager la problématique de la compétencejuridictionnelle.

1) La dualité dans la répartition juridictionnelle

En France, la coexistence des deux ordres juridictionnels apparaît essentiellement enmatière d’expropriation pour cause d’utilité publique42, d'hospitalisation d'office et,plus récemment, dans le cadre des missions du Groupes d’Intervention Régionaux(GIR)43. S’agissant du placement en cellule de dégrisement, cette dichotomie résulteessentiellement de l’objet de la mesure envisagée : s’agit-il d’une opération de naturestrictement administrative ou revêt-elle un caractère strictement judiciaire ? A direvrai, cette opération de nature double, entraîne des difficultés que le juge doitnécessairement trancher. Dans l’arrêt Robineau c/ France" du 26 septembre 2013 44, laCour Européenne des Droits de l’Homme avait jugé que cette « séquence procédurale»45

pouvait justifier « la mise en place d’un cadre juridique plus précis, afin de ne pas faire peser

sur les seuls policiers l’appréciation de la situation psychologique et du risque suicidaire de la

personne escortée ». Elle estime que « dès lors qu’aucun risque particulier n’a été identifié ou

aurait dû l’être, les mesures de précaution prises en l’espèce étaient suffisantes et rien ne laisse

apparaître un manquement de l’Etat à ses obligations découlant de l’article 2 (droit à la vie) de la

Convention européenne des droits de l’homme ».

On objectera qu’il ne s’agit pas d’une jurisprudence topique, puisque, dans notreanalyse, l’événement est intervenu durant la phase de dégrisement (décisionadministrative), mais antérieurement au placement en garde à vue (mesurejudiciaire)46. Néanmoins, les dispositions de l’article 2 de la CEDH peuvent trouverapplication dans le cas d’espèce, dans la mesure où l’obligation positive de protection àla vie a été manifestement méconnue par les gendarmes, d’une part47, et que l’enquêtesur les circonstances et les causes du décès n’a pas été diligentée, d’autre part. Onpourrait penser que, dans ces conditions, le dommage qui en résulte relèverait, dumoins en principe, de la compétence administrative. En effet, l’approche téléologique48

montre qu’en examinant l’objet de l’opération, c'est-à-dire le but en vue duquell’autorité (de police ou de gendarmerie) est intervenue49, la solution juridique peut êtretrouvée. Pour le juge, le primat doit être accordé au critère finaliste dans la mesure oùil recherchera si l’intention des services interpellateurs était conforme à la mesureenvisagée 50. C’est précisément ce raisonnement qui a été retenu par la Couradministrative d’appel de Lyon à propos du suicide survenu le 23 novembre 2003 aucommissariat de police de Dijon. En l’espèce, il s’agissait de rechercher un « individudécrit comme armé » et ayant tiré des coups de feu. M. S. a donc été interpellé par lespoliciers, sur les fondements de l’article 62-2 du CPP (ancienne version) puisqu’il étaitsoupçonné d’avoir commis une infraction et d’être sur le point d’en commettre unenouvelle. Même si son état d’ébriété justifiait, du moins dans un premier temps, sonplacement en cellule de dégrisement, l’action engagée par les policiers avait d’ores etdéjà le caractère d’une opération judiciaire.

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A priori, c'est d'abord le critère finaliste qui est l'élément essentiel, voire décisif 51,notamment dans la détermination du régime de la responsabilité résultant d'un suicidesurvenu lors d'un dégrisement. Dans ce contexte, il serait parfaitement envisageableque le respect de la « garantie judiciaire » soit exigé pour des mesures de rétentionressortissant de la police judiciaire. Ainsi que le rappelle le Conseil constitutionnel danssa décision du 13 mars 200352, « l’article 66 de la Constitution exige que toute privationde liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire ». De même, les exigencesconventionnelles, en particulier l’article 5 de la Convention européenne seraientpréservées53. Autrement dit, même si « le caractère inopiné du placement en chambre de

sûreté justifie qu’une autorisation préalable ne soit pas exigée de la part de l’autorité judiciaire »54, le contrôle judiciaire a posteriori demeure indispensable pour éviter toute mesureinjustifiée ou disproportionnée au regard de la mesure envisagée. C’est dire commentl’encadrement juridique du placement en cellule de dégrisement appelle à une véritableclarification.

2) Le cadre juridique à fin de clarification

Il existe une abondante littérature relative à l’encadrement des mesures privatives deliberté. A ce sujet, la Cour Européenne des Droits de l’Homme estime que « la privation

de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins

sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public

exigeant la détention »55. Dans l’arrêt TAIS c/ France du 1er juin 200656, la Cour européennedes droits de l'homme a d’abord rappelé la nécessité d’optimiser l’encadrementjuridique de telles mesures privatives de liberté. C’est ainsi que la France a étécondamnée57 pour violation de l’article 2 (droit à la vie) dans une procédure ayant pourorigine le décès d’une personne au cours de son placement en chambre de dégrisement.La motivation est toutefois fondée sur les négligences des services de police au regardde l’état de la personne placée en cellule. Cette préconisation sera confirmée dans ladécision du 21 juin 200758, dans laquelle la Cour avait déclaré recevable la requêtecontre la France de M. Castelot qui critiquait l’absence d’encadrement légal de laprivation de liberté59. Le Conseil constitutionnel60 estime que la jurisprudence relativeaux personnes atteintes de troubles mentaux était transposable au régime dudégrisement en ce qu’elle met en jeu la conciliation entre, d’une part, la protection dela santé et de l’ordre public et, d’autre part, les libertés constitutionnellement garantiesen cause (liberté d’aller et de venir et liberté individuelle)61.

Toutefois, ces éléments ne permettent pas de répondre au postulat initial, dans lamesure où, comme il a été observé, la notion d’état d’ivresse, envisagée dans sa doubleacception, demeure juridiquement floue et lacunaire. Or, précisément, ce relatif videjuridique semble contredire le principe de légalité des peines qui impose, pour chaqueinfraction, une définition claire et précise. Dans cette perspective, et s’inspirant despréconisations issues d’un rapport 2008, le Conseil constitutionnel avait été amené àpréciser la notion d’« état d’ivresse »62, en soulignant le caractère obsolète et lacunairede l’encadrement juridique de l’ivresse publique et manifeste63. Cet édifice juridique« en pointillé » semble amplifier la problématique initiale, qui est celle de savoir s’il y aeu une véritable enquête postérieurement au suicide du dégrisé, d’une part, et si desinvestigations internes ont été menées, d’autre part.

Rappelons qu’aux termes de l’article 74 CPP64, c’est d’abord à l’Officier de policejudiciaire (OPJ) qu’il revient de mettre en musique ces opérations de nature

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fondamentalement judiciaire. Dès lors que les causes de la mort lui sont inconnues ouparaissent suspectes, il est tenu d’informer « immédiatement » le Parquet après s’êtrerendu sur les lieux aux fins de constatations. Si cet élément n’appelle aucune objectionparticulière quant à l'application « normale » de cet article, il en est tout autrementlorsque l’officier de police judiciaire initialement saisi s’abstient volontairement demener une enquête postérieurement aux faits qu'il constate. Dans ces conditions,quelles peuvent être les conséquences (judiciaires et administratives) face à une tellecarence, en particulier lorsqu’il s’agit d’un décès en cellule de dégrisement ? Répondreà la question revient à se tourner une nouvelle fois vers l’élément intentionnel, quisemble réapparaître après une incursion au début de la mesure de dégrisement.

C'est d'abord l’explication plausible sur l’origine des blessures (ou traces) observées surle corps de la victime qu’il convient d’établir en premier lieu65, pour obvier l’absence detoute preuve exploitable66. Or, curieusement, le suicide de Camopi n’a pas donné lieu àune enquête permettant de déterminer avec précision les causes et les circonstances dudécès. Un tel événement, survenu dans le cadre d’une mission de service publicjudiciaire, suppose que soit envisagée la conciliation de la responsabilité de l'Etat et lesdroits de la défense.

II. La conciliation de la responsabilité de l'Etat et desdroits de la défense

Dans la mesure où M. A. a fait l'objet d'une privation de liberté résultant de sonplacement en cellule de dégrisement, les droits de la défense devaient nécessairementêtre préservés à son égard. Or, plusieurs éléments permettent d'établir que ces droitsont été méconnus par les gendarmes interpellateurs. Les critères de la responsabilité del'Etat (A) témoignent de l'insolubilité des droits de la défense dans la mise en oeuvre duplacement en cellule de dégrisement (B).

A. Les critères de la responsabilité de l’Etat67

Il existe peu de commentaires consacrés à la responsabilité de l'Etat résultant d’undécès survenu en cellule de dégrisement68. L'imputabilité administrative dont il s'agitrésulte d'une responsabilité extracontractuelle caractérisée par la négligence desservices de l’Etat. De même, ce critère de responsabilité est matériel et non organique,car il repose sur le contenu et l’objet des actions (ou inactions) et non sur la qualité desauteurs. C'est en cela que subsiste, s'agissant de M. A., la notion de cas fortuit. Enfin, etsurtout, la privation de liberté dont il a été l'objet était un acte préparatoire à unedécision juridictionnelle (condamnation ou classement sans suite), qui échappenécessairement à la compétence du juge administratif69.

1) la persistance du cas fortuit

Au même titre que la force majeure, la notion de cas fortuit constitue une caused’exonération de la responsabilité de l’Etat. C’est pourquoi ces deux notions sontparfois confondues70. La force majeure est généralement assimilée à un fait juridiqueexceptionnel, difficilement prévisible, extérieur et irrésistible71. L’addition des troiséléments - extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité - qui, dans leur acception

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cumulative (et non alternative) permet de caractériser le cas de force majeure. Ceséléments répondent à des facteurs exogènes qui sont, par nature, difficilementcontrôlables. En revanche, s’agissant du cas fortuit, le doyen Hauriou observe qu’ « ils’agit d’événements qui ne sont que provisoirement au-dessus des forces humaines, et qui, plus

tard, avec des progrès de la prévision de la technique, pourront être conjurés »72. En clair, cettenotion exprime la faculté, pour les services saisis, de prévenir la gravité d’unévénement, qui peut être potentiellement mortel, à l’instar d’une autolyse en cellule dedégrisement. C’est un élément endogène, c'est-à-dire résultant d’une défaillancehumaine, qui sera la cause déterminante du dommage, même s’il demeure indirect.Bien que la frontière entre les deux notions soit aujourd’hui relativement ténue73, lecritère de l’extériorité parait étiolé dans le cas fortuit, puisque l’imprévisibilité s’avèrealéatoire. De même, l’irrésistibilité de l’événement, c’est-à-dire celui qui est lié aucomportement de (ou des) individu(s) pendant la réalisation, son caractèreinsurmontable, etc…, sera facilement écarté par les mesures destinées à prévenir toutincident74. Dans le cas fortuit, la possibilité d’empêcher l’accident a donc existé, dumoins à un moment donné, et seule la négligence des services de l’Etat fait disparaîtrel’insurmontabilité.

On objectera que la distinction traditionnelle entre la « force majeure » et le « cas fortuit

» est aujourd’hui écartée, tant par la jurisprudence que par une partie de la doctrine75,cette dernière ne se référant plus qu’à la première acception. Toutefois, dans l'affairede Camopi, c'est l'interpellation et le placement subséquent en cellule de dégrisementqui caractérise l'atteinte à la liberté individuelle, ce qui suppose l'obligation, pourl'Etat, de protéger celui qui en est l'objet. Le fait causal est endogène, assurémenthumain. Il n’y a jamais eu d’événement climatique ou sismique susceptible decaractériser le cas de force majeure. Autrement dit, il semble que ce soit plutôtl’élément endogène qui soit à l’origine du suicide de camopi, car le facteur mortifère estrésulté d’un élément interne, de la défectuosité du système de surveillance qui a facilitéle passage à l’acte. Il faut rappeler qu’avant son suicide, l’individu est demeuré plus dehuit heures sans surveillance, alors que les gendarmes étaient informés de sadangerosité potentielle. Par conséquent, il était techniquement possible d’éviterl'autolyse, en tenant compte non seulement des facteurs humains exogènes (lavulnérabilité psychique et physique de l'individu) mais également des élémentsendogènes des circonstances de l’espèce (les moyens de mise en œuvre du placement endégrisement).

Il en résulte une carence fautive de l'Etat, caractérisée, notamment, par l'absence desurveillance effective et l’absence d’enquête judiciaire post mortem. Dans ces conditions, la responsabilité judiciaire individuelle du prescripteur entraînera subséquemment uneimputabilité partagée avec l'autorité judiciaire.

2) la responsabilité judiciaire individuelle

Ce qui apparaît, à travers ces observations, c’est que la décision de placer M. .A. encellule de dégrisement revêtait, dès son amorce, le caractère d’un acte préparatoire à lamise en mouvement de l’action publique76. Cela signifie que les services interpellateursavaient bien l’intention de le placer en garde à vue, 77 mais que les conditions légalespour y parvenir n'étaient pas réunies.

Durant cette phase, il faut s'interroger sur l'hypothèse où l'officier de police judiciaires'abstiendrait, sciemment, d'informer le Procureur de la République postérieurement à

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ce décès. Peut-on raisonnablement concevoir que cet agent, directement assimilé à unmagistrat78, soit animé de l’« intention » de se soustraire à des dispositions légales,notamment celles relevant de l’article 74 du Code de Procédure Pénale ? Or, il faut bienrappeler qu'il s'agissait d'une "mort suspecte", terme qui ne désigne pas la mort elle-même, mais précisément les conditions dans lesquelles un décès est survenu, y comprisen cellule de dégrisement. Dans ces conditions, la mise en perspective de l'article 74 duCode de procédure pénale s'imposait, afin de déterminer la cause du décès, qu'elle soitviolente ou non, soit inconnue ou suspecte79. Ensuite, il revenait à l'officier de policejudiciaire de distinguer selon qu’il s’agit d’une mort d'origine naturelle, accidentelle ouvolontaire80. On observera, à cet égard, que c’est l’impératif qui figure dans le texte de

l'article 74 CPP (« l'officier de police judiciaire qui en est avisé informe immédiatement le

procureur de la République » (…) », ce qui signifie qu’il ne s’agit pas d’une simple facultélaissée à l’appréciation du préposé judiciaire, mais bien d’une obligation de faire. LaCour de cassation estime qu’une telle hypothèse « réclame des investigations

complémentaires, au besoin coercitives, afin d’éclaircir le mystère et, plus précisément, de

s’assurer qu’elle ne dissimule pas une atteinte volontaire ou involontaire à l’intégrité physique

(…). C’est la raison d’être (de) l’article 74 du Code de procédure pénale »81. Autrement dit,seules les premières constatations permettaient de déterminer le cadre juridiquetopique résultant du décès de M...A. (suicide, accident domestique, mort naturelle,etc…).

Telle est précisément la finalité de l'article 126, alinéa 6 du décret du 20 mai 190382,portant règlement sur le service de la gendarmerie, qui fut longtemps présenté commela référence pour les gendarmes. Cette « charte » de l’Arme »83 rappelait que « les

prescriptions de l'enquête de mort suspecte s'appliquent aux “découvertes de cadavre laissant,

au départ de l'enquête, l'officier de police judiciaire dans l'ignorance ou le doute quant à la cause

réelle du décès (maladie, accident, suicide, homicide involontaire ou crime”. Ce texte visait « ledoute », et même « l'ignorance » de la cause du décès. En dépit de son abrogation totale84,le décret de 1903 a le mérite d’avoir institué une véritable déontologie professionnellepour l’Officier de Police Judiciaire de la gendarmerie. Il a surtout permis d’asseoir ladistinction traditionnelle entre la faute de service et la faute personnelle, la secondepouvant apparaître « dans l’exercice des fonctions de l’agent », qui s’abstiendraitd’intervenir postérieurement à la survenance d’un décès en cellule de dégrisement. Dèslors, cette carence serait assimilée à des sévices ou des brutalités, dont les critères deresponsabilité ont été établis par la jurisprudence85. A la vérité, qu’elle soitintentionnelle ou « suscitée », l’absence d’information du procureur de la survenanced’un tel décès constitue une faute grave pour l’officier de police judiciaire qui, à l’instarde tout fonctionnaire, est tenu de dénoncer de tels faits dès lors qu’il en a connaissance,conformément à l’article 40 du code de procédure pénale86. C’est pourquoi il noussemble que l’arrêt TAIS peut s’appliquer puisqu’il porte sur les responsabilités pourfaute personnelle résultant de tels manquements87.

Pour autant, l’élément intentionnel suffit-il, à lui seul, à déterminer le régime de laresponsabilité pour faute personnelle « dans l’exercice des fonctions » d’un Officier dePolice Judiciaire ? En clair, peut-on sérieusement imaginer qu’un Gendarme puisseavoir « l’intention » de ne pas diligenter une enquête conforme à l’article 74 Code deProcédure Pénale dès lors qu’il est saisi et avisé de la découverte d’un cadavre en cellulede dégrisement88 ? Rien n’est moins sûr et, à moins qu’il s’agisse d’une soustraction depreuve89, l’approche téléologique ne suffit pas, à elle seule, d’établir la responsabilité decet agent.

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La réponse est donc ailleurs : il ne s’agit pas tant de savoir si cet officier de policejudiciaire avait « l’intention » d’enquêter mais d’observer qu’une telle rétiveté ne peuttrouver sa source qu’auprès d’une autorité judiciaire « supérieure », à savoir le Parquet.On assistera, dès lors, à un véritable dévoiement du système judiciaire, puisque lemauvais vouloir remplace l'obligation de faire prévue à l’article 74 du code deprocédure pénale. En d'autres termes, la responsabilité personnelle de l’officier depolice judiciaire ne peut, à elle seule, résister au postulat initial. Elle seranécessairement partagée avec l’autorité judiciaire « supérieure ».

3) La responsabilité judiciaire partagée

La théorie du partage des responsabilités à propos du fait d’un agent, « en admettant

même que ces agissements aient constitué des fautes personnelles » est relativementancienne90. Dès 1911, le Conseil d’Etat avait, en effet, estimé qu’un même préjudicepouvait être dû à la fois à une faute personnelle et à une faute de service, avec la facultépour la victime d’agir pour le tout contre la personne publique91. Il est également admisqu’une faute personnelle peut faire présumer une faute d’organisation du service (ouune faute de surveillance ayant rendu possible la faute personnelle)92. Ainsi est apparuela théorie de la faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service, d’abordconsacrée par Léon BLUM93, puis affirmée par deux arrêts de principe du Conseild’Etat94. Progressivement, la jurisprudence a distingué selon qu’il s’agit d’une faute« radicalement » différente de la fonction de l’acte fonctionnel, c'est-à-dire celuicommis par le fonctionnaire à l’occasion de son activité administrative95. Désormais, leConseil d’Etat considère que « toutes sortes d’éléments et d’événements peuvent désormais

faire qu’une faute personnelle n’est pas dépourvue de tout lien avec le service »96. A dire vrai,l’idée selon laquelle l'officier de police judiciaire, saisi du suicide de camopi, auraitl’intention d’investiguer mais qu’il en serait empêché, voire dissuadé, par une autoritéjudiciaire « supérieure », est donc parfaitement envisageable. Est-ce, pour autant, à direque ces autorités auraient donné l’ordre de ne pas diligenter l’enquête, de négligercertaines pistes, ce qui rend délicate l'imputation aux services initialement saisis d’uneéventuelle responsabilité (administrative et/ou judiciaire) individuelle ? Dans de tellesconditions, la frontière entre « l’organisation » du service et son « fonctionnement »s’avère particulièrement ténue, surtout lorsque l’on sait que l’organisation d’un serviceest toujours la condition de son fonctionnement, y compris judiciaire.

Il faut rappeler qu’il s’agit d’un suicide suspect, c'est-à-dire d’un acte volontaire dontles causes réelles demeurent inconnues. Les premières constatations devaient inciterles gendarmes à faire preuve de la plus grande parcimonie, d’autant qu’il pourrait s’agird’un acte ante mortem ou post mortem susceptible de dissimuler un homicide. L’attitudequi prévaut est celle de mettre en œuvre l’article 74 CPP, et d’établir un lien judiciairecontinu, à tous les stades de l’enquête, phase durant laquelle le Procureur de laRépublique et le Procureur général sont nécessairement informés. Or, tel n’a pas été lecas. L’attitude passive (intentionnelle puis matérielle) des parquetiers peut, dès lors,être assimilée à une aide matérielle effective, prévue par le deuxième alinéa de l'article223-6 du Code pénal97. Au mieux, il s’agira d’une forme de complicité pénale (127-1 CP)et, au pire, d’une non dénonciation de crime, prévue à l’article 434-1 du code pénal98.

Un tel tropisme a de quoi surprendre et peut même justifier une étude de scienceadministrative, au regard de la pusillanimité dont il a été fait preuve. Faut-il rappelerque le Procureur de la République est « à la fois superviseur des investigations judiciaires,

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interlocuteur des acteurs des politiques locales de sécurité et ordonnateur des orientations des

poursuites pénales et de l’accusation ». A l’instar du Procureur général, il est chargé deveiller à la garantie des libertés individuelles et, à ce titre, il doit avoir la mêmediligence, la même écoute, la même vigilance, surtout lorsqu’il s’agit d’une mortviolente, après avoir été suspecte99. Or, ici nous sommes face à une volonté de ne pas

faire toute la lumière sur les causes de la mort, pratique éminemment contraire nonseulement au texte mais aussi à l’esprit de l’article 74 CPP. Une telle défection est fortregrettable, puisque les objectifs de l’article 74 CPP ne seront finalement jamaisatteints. En effet, il sera impossible de déterminer avec précision les circonstances etles causes du décès, d’autant que M. A., qui n’a pas été autopsié100, a été inhumé très peude temps après son décès101.

Ces lacunes systémiques ne sont que l'expression de doutes, de légèreté dans letraitement de judiciaire de "l'affaire de Camopi". Nonobstant, la personne interpelléeétait un usager du service public de la justice judiciaire, d'une part, et faisait l'objetd'une "accusation pénale", d'autre part. A ce titre, elle pouvait exciper des droits de ladéfense, lesquels demeurent insolubles en cas de mesure privative de liberté.

B. l'insolubilité des droits de la défense dans le placement en cellule

de dégrisement

1) Un statut juridique embryonnaire

Le droit à la sûreté personnelle, élaboré comme une garantie face aux arrestations etdétentions arbitraires, se situe au cœur de la philosophie de l’organisation politique dela nation. A ce titre, la Déclaration de 1789 proclame que " le but de toute association

politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la

liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. ". L’article 7 énonce que " nul ne

peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par loi, et selon les formes qu’elle a

prescrites". C'est pour cela que l’affirmation de la compétence de l’autorité judiciaire estrattachée à la liberté individuelle, aux termes de l’article 66 de la Constitution102.

En l'espèce, il s'agit de savoir s'il existe un véritable statut juridique pour la personneretenue en cellule de dégrisement. On rappellera, d'une part, que, dès lors qu'unepersonne suspecte fait l'objet d'une mesure de contrainte (interpellation, transportmenotté, mise en cellule de dégrisement, etc..), elle ne peut être auditionnée que sousle régime de la garde à vue103. D'autre part, cette privation de liberté supposenécessairement la mise en oeuvre des droits de la défense, dont il n'existe aucunedéfinition légale, mais qui résulte essentiellement d'une constructionjurisprudentielle104. C'est ainsi que le droit à un procès équitable permet, par exemple, àun détenu d'avoir accès à son dossier pénal105. Il peut s'agir également de l'obligationétatique, pour toute personne privée de sa liberté, de bénéficier des conditions dedétention conformes au respect de la dignité humaine, tel que prévu, notamment, parl'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme106.

L'existence du principe de respect des droits de la défense dans les procéduresjuridictionnelles avait déjà été reconnue, dès 1913, par le Conseil d'Etat107. Pour sa part,la chambre criminelle de la Cour de cassation a eu l'occasion de rappeler, dans deuxarrêts importants, la nécessité d'assurer une meilleure garantie des droits de la défenseet ce, à tous les stades de la procédure108. Ainsi, comme la Cour européenne des droitsde l'homme,109 la Haute juridiction judiciaire s'assure de l'effectivité des droits de la

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défense, y compris dans le cas d'une personne retenue en cellule de dégrisement110.Autrement dit, même si « les mesures privatives de liberté s’accompagnent

inévitablement de souffrance et d’humiliation », l’article 3 « impose à l’Etat de s’assurer

que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité

humaine, que les modalités de sa détention ne le soumettent pas à une détresse ou à uneépreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à unetelle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé etson bien-être sont assurés de manière adéquate ; (...) en outre, les mesures prises dansle cadre de la détention doivent être nécessaires pour parvenir au but légitimepoursuivi »111.

Néanmoins, ces éléments ne permettent pas, à eux seuls, d'établir l'existence d'unstatut juridique topique. Il semble que seule la référence au statut de la personnedétenue112 soit envisageable. En effet, par analogie, on observera que M. A était visé par

une "accusation pénale"113 et, qu'à ce titre, il pouvait exciper des droits de la défense, aumême titre que le détenu114. Cette doctrine semble avoir inspiré le Législateur dans laloi portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et duConseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédurespénales115. On objectera que la nouvelle législation ne résout pas le problèmeinitialement posé, puisque c'est essentiellement la garde à vue qui y est visée116.Néanmoins, l'examen des nouveaux articles 61-1117 (audition sans privation de liberté)et 803-6 (remise d'un document énonçant les droits)118 du code de procédure pénalemontre que, dès lors qu'une personne est visée par une "accusation pénale", elle peutse prévaloir de protections identiques à celles prévues dans le cadre de la garde à vue.Dans ces conditions, l'application du nouvel article 62 du code de procédure pénale119

est parfaitement envisageable, dans la mesure où les forces de l'ordre disposentdésormais de la faculté d'auditionner, sans contrainte et dans une durée limitée120, unepersonne visée par ces dispositions. Mais le statut de "suspect libre", tel que prévu parl'article 61-1 du code de procédure pénale, ne pouvait correspondre au cas de M. A.puisque, rappelons-le, ce dernier a été conduit au poste de gendarmerie sous la

contrainte121. Autrement dit, la loi 28 mai 2014 n'apporte aucun élément relatif au statutjuridique d'une personne retenue en cellule de dégrisement. On observera égalementque le statut du détenu résulte de l'exécution d'une décision judiciaire122, ce qui n'estpas le cas s'agissant de M. A., dont la privation de liberté résultait d'un actepréparatoire à l'engagement des poursuites judiciaires. Autrement dit, seulel'application de l'arsenal des droits préexistant, à savoir les droits de la défense (dansleur dimension active123 et passive124) est susceptible de définir un statut juridique inconcreto, sous le contrôle nécessaire du juge judiciaire. Ce postulat met en perspective,outre le fait que M. A était l'objet d'une une accusation pénale, sa qualité d'usager duservice public125 de la justice judiciaire, au sens de l'article L 141-1 du Code del'organisation judiciaire126. Dès lors, il en concevable que l'action en responsabilité del'Etat en cas de survenance d'une autolyse subséquemment à cette mesure privative deliberté soit engagée.

2) L'action en responsabilité de l’Etat

Parce qu'une personne placée en cellule de dégrisement est un sujet de droit et, à cetitre, est un usager du service public judiciaire, les événements survenuspostérieurement à sa privation de sa liberté peuvent donner lieu à l'engagement de la

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responsabilité de l'Etat. S'agissant de M..A., il est parfaitement envisageable que safamille puisse engager une action contre l’Etat pour demander réparation, sur lefondement, notamment, de la loi du 5 juillet 1972 (art. 11)127 qui prévoit que « l’Etat est

tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice » encas de faute lourde128 ou de déni de justice. A cet effet, une plainte pour « homicidevolontaire » pourrait répondre aux souhaits de la famille du défunt. Une secondeoption, relative à l’atteinte au droit à la vie (article 2 CEDH) est également envisageable.

a) La plainte pour « homicide involontaire »

Il est incontestable que ce sont les tribunaux judiciaires qui ont compétence pourconnaître des actions mettant en cause le service public judiciaire129. Tel est le sens del'important arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 1956, qui a permis d’établir leprincipe général de responsabilité de l’Etat du fait de dysfonctionnements des servicesjudiciaires130.

Dans l’hypothèse envisagée, une option consiste, pour la famille du défunt, à seconstituer partie civile auprès du Doyen des juges d’instruction sur la base de l'article223-6 du Code pénal. Dans ce cas, le déclenchement des investigations n’est pas « subi »mais bien « provoqué » dans la mesure où l’action judiciaire résulte de la famille dudéfunt et non de l’autorité légalement investie du pouvoir d’enquête. Si ce premieroutil est un précieux viatique pour les ayant droits, il semble que l’article 221-6 du codepénal131 soit plus approprié. En effet, ce texte prévoit que « le fait de causer, dans les

conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence,

inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par

la loi ou le règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans

d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende (alinéa 1). En cas de violation manifestement

délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le

règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros

d'amende » (alinéa 2). S’agissant des sanctions proprement dites, l’article 221-6 du Codepénal prévoit, à titre principal, un emprisonnement de trois ans et une amende de45000 €. La circonstance aggravante sera retenue en cas de « violation manifestement

délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le

règlement »132. Dans cette hypothèse, elle sera assimilée au délit d’exposition d’autrui àun risque de mort, prévu à l’article.

Les débats parlementaires ont clairement montré la nécessité d’énumérer les critèrespermettant d’engager la responsabilité pénale de la personne, qu’elle soit d’ailleursphysique ou morale133. Il s’agit de l’imprudence, la maladresse, l’inattention, lanégligence et le manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée parla loi ou le règlement. Plus que le décès en lui-même, c’est d’abord la causalité qu’ilconvient d’établir, la mort n’étant qu’un élément constitutif de l’infraction. Or,précisément, dans notre analyse, la matérialité de l’infraction ne rencontre aucunedifficulté particulière, puisqu’il s’agit d’une autolyse. En revanche, l’élémentintentionnel s’avère plus délicat, puisqu’il s’agit non seulement de dénoncerl’imprudence des gendarmes, caractérisée par l’absence de précautions, maiségalement de révéler l’inertie « caractérisée »134 des autorités judiciaires supérieures.Autrement dit, en cas de désignation, le juge d’instruction devra établir la matérialitéde la violation de l’obligation de prudence des gendarmes, d’une part, et la rétiveté desautorités judiciaires supérieures, d’autre part. En somme, il lui reviendra de démontrer

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que ces deux organes institutionnels n’avaient pas, a priori, l’intention de diligenter uneenquête sérieuse, conforme aux prescriptions légales. Il nous importe peu de savoir sila responsabilité d’un organe est plus forte que celle de l’autre. Il suffit de constater lacarence de la chaîne judiciaire qui s’est avérée incapable de faire la lumière sur unemort violente et mutatis mutandis, d’en tirer les conséquences de droit.

Néanmoins, l’acception n’est pas du tout la même selon qu’il s’agit de la responsabilitéd’une personne physique ou morale poursuivie pour homicide involontaire. On sait, eneffet, que la responsabilité pénale de la personne morale n'est en aucune façon uneresponsabilité pénale du fait de ses préposés. La Cour de cassation a d’ailleurs estiméqu’une personne morale ne pouvait être responsable pénalement qu’en cas d’infractioncommise par un de ses organes ou un de ses représentants. Par voie de conséquence, lajuridiction saisie devra vérifier l’existence d’une délégation de pouvoir, ou préciser lesattributions des agents mis en cause pour en faire des représentants avant toutengagement des responsabilités135. Dans sa décision du 2 octobre 2012, la Cour decassation a pris soin de rappeler le principe, désormais bien établi, de la nécessité derechercher si les manquements relevés résultaient de l’abstention d’un organe ou d’unreprésentant de la personne morale136. Il en ressort que ce sont d’abord les élémentspermettant de caractériser l’intention de « ne pas faire » qu’il convient de déceler,préalablement à toute répression pénale et/ou civile. S’il n’est peut être pas aussiévident qu’il le parait d’écarter l’option de la plainte pour homicide involontaire, tellequ’elle résulte de l’article 223-6 du Code pénal, la mise en musique de ce texte suppose,au préalable, le dépôt d’une consignation, dont le montant, fixé par le juged’instruction, peut s’avérer prohibitif, voire rédhibitoire.

En revanche, il est envisageable de privilégier une autre option, moins spectaculaire etmoins onéreuse, consistant à engager la responsabilité de l’Etat pour atteinte au droit àla vie, sur les fondements de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des Droits del'Homme et des Libertés fondamentales.

b) La plainte pour atteinte au droit à la vie

Naturellement, cette hypothèse n’est envisageable que si toutes les voies de droitinternes sont épuisées. Cette option suppose également que l’on sache de quoi l’onparle lorsqu’on fait référence au droit à la vie. L’article 2 de la Convention desauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales prévoit que, « le droit

de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque

intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas

où le délit est puni de cette peine par la loi (1). La mort n'est pas considérée comme infligée en

violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument

nécessaire: pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale (a), pour

effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement

détenue (b), pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection (c)». Il seretire de cela que les Etats signataires ont non seulement le devoir de s’abstenir deprovoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi celui de prendre lesmesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de leur juridiction,notamment par la mise en place d’une législation pénale concrète s’appuyant sur unmécanisme d’application137. On observera également que l’absence d’une responsabilitédirecte d’un Etat dans la mort d’un individu n’exclut pas pour autant l’application del’article 2138. Néanmoins, le droit à la vie n’est pas un droit absolu139 dans la mesure où

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sa mise en œuvre suppose des conditions strictes d’application140. Nous retiendronsqu’il s’agit essentiellement d’obligations positives d’ordre procédural, l’Etat ayantnotamment le devoir de mener une enquête sur les décès éventuellement survenus enviolation des dispositions de la Convention141. Ainsi, il s’agit, d’abord, de vérifier sil'application des lois internes qui protègent le droit à la vie a été respectée. Ensuite,dans les affaires où des agents ou organes de l'Etat sont impliqués, de garantir queceux-ci aient à rendre des comptes au sujet des décès survenus sous leur responsabilité142.

En toute hypothèse, l’enquête doit répondre aux exigences d’indépendance, de célérité,de diligence et doit montrer la capacité à établir les faits pertinents. En outre, elle doitprévoir l’accès du public et des proches143. C’est ainsi que dans plusieurs affairesrécentes, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la violation de l’article 2au motif qu’aucune véritable mesure d’enquête n’avait été prise par les procureurschargés de l’enquête144. Pour la Cour, il suffit qu’il y ait violation de l’obligationprocédurale d’enquête pour que la mort soit directement imputable aux forces del'ordre145. Elle estime, notamment, que l'enquête incombant aux autorités nationales nepeut normalement pas être suppléée par des mesures d'instruction, notamment uneenquête sur place, qu'elle-même ordonnerait146, cela « sans préjudice d'hypothèses dans

lesquelles les autorités s'avèrent incapables de fournir une explication satisfaisante de la mort en

détention d'une personne »147. Au regard de ces éléments, il s’avère que c’estessentiellement l’obligation de fournir des explications satisfaisantes quant au sort despersonnes « confiées » dans une zone placée sous le contrôle exclusif des autorités del'État qui trouve application148. Les autorités se voient sommées de fournir uneexplication plausible quant aux causes du décès en cas d’arrestation, y compris cellerevêtant un caractère sensible149. De même, La Cour estime que les autorités avaient ou

auraient dû avoir connaissance d’un risque certain et immédiat pour la vie de l’intéresséet cherche à déterminer si elles ont bien pris les mesures que l’on pouvaitraisonnablement attendre d’elles150.

CONCLUSION

Au vu de l’ensemble de ces éléments, il apparaît que la notion juridique du « dégrisement » s’avère particulièrement difficile à cerner, ce qui rend difficilel’appréhension du régime applicable à la privation de liberté qui en découle. La mise enœuvre d’une telle mesure demeure également lacunaire au regard des droits de ladéfense. Au delà, l’affaire du « suicidé de Camopi » a surtout permis de mettre enexergue une problématique bien française, consistant à définir les frontières d'unedualité juridictionnelle, d’une part, et la défaillance politique et sociale de l’Etat(central et local) à l’égard des droits de la défense, d’autre part. Ce constat montre,itérativement, la nécessité de généraliser les cas contentieux pour tirer des conclusionstouchant à l’organisation même du service public judiciaire et à son fonctionnement.Cela signifie qu’au-delà du simple recours individuel, c’est l’ensemble des politiquespubliques consacrées aux lieux de privation de la liberté qu’il convient désormais derepenser. En attendant le « véritable encadrement juridictionnel de la privation de la liberté,

dès les premiers instants, sous l’égide d’un magistrat indépendant »151, la France risque, unenouvelle fois, de s’échouer sur les récifs européens des droits de l’homme et des exigences

européennes152.

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NOTES

2. Il s’agit de la tenue traditionnelle de la plupart des groupes ethniques Amérindiensd’Amazonie.

3. Alors qu’une personne en état d’ébriété ne doit pas forcément être privée de sa liberté Elle

peut parfaitement être conduite dans un établissement de santé publique ou à son domicile .

Voir, en ce sens, CEDH 4 avril 2000, Witold Litwa c. Pologne, §§ 78 et 79.

4. CEDH 4 avril 2000, op cit.

5. Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010. Melle Danielle S.

6. Cass, crim. 8 janv. 2013, n°12-80.465, FS-P+B Crim. 15 juin 2010, n°09-88.193, Dalloz

actualité, 26 juill. 2010, obs. S. Lavric ; RSC 2010. 939, obs. J.-F. Renucci ; dans le mêmesens: Cass, crim. 14 avr. 2012, n° 11-86.898, Dalloz actualité, 29 mai 2012, obs. C. Fleuriot

7. Sur ce point, s'agissant de l'infraction d'ivresse publique, voir Delphine Le Drevo,« Placement en cellule de dégrisement, compétence administrative et respect des droitsde la défense »., Commentaire de l'arrêt Cass. Crim. 8 janv. 2013, n°12-80.465 in Dalloz

actualités (pénal), 25 janvier 2013 (http://www.dalloz-actualite.fr)

8. En témoigne un arrêt de la chambre criminelle qui casse le jugement d’unejuridiction de proximité ayant refusé sans motif la demande de renvoi d’une affairesollicité par un prévenu en raison de l’absence de l’avocat de son choix (Crim. 15 juin2010, n° 09-88.193, Dalloz actualité, 26 juill. 2010, obs. S. Lavric ; RSC 2010. 939, obs. J.-F.Renucci ; dans le même sens, V. Crim. 14 avr. 2012, n° 11-86.898, Dalloz actualité, 29 mai2012, obs. C. Fleuriot

9. CEDH 10 mai 2007, Seris c. France, Dalloz actualité, 22 mai 2007, obs. A. Darsonville

10. Rapport d’évaluation de la procédure d’ivresse publique et manifeste, IGA, IGAS, IGSJ, IGN,

février 2008, 180 pages.

11. En effet, il est difficile d’être encore en état d’ivresse alcoolique plus de douze heures après

avoir cessé de boire (le taux d’alcoolémie décroissant en moyenne de 0,18 gr/l par heure)

12. Il semble que ce soit plutôt le « bon sens » qui préside à la mise en œuvre d’un telrégime. Les seuls documents sont relatifs au régime de la garde à vue : Circulaire MA/GEND/T n° 38200 du 4 octobre 1967 relative à la surveillance des personnes gardées àvue dans les chambres de sûreté. Note expresse n° 2000 DEF/GEND/OE/PJ du 23 janvier1992 relative à l’examen médical des personnes gardées à vue.

13. En l'espèce, il s'agit d'une autolyse par pendaison.

14. Sur la question juridique de la mise en dégrisement -notamment en analysant laQPC du conseil constitutionnel de 2012-, voir: Roseline Letteron: http://libertescheries.blogspot.fr/2012/06/qpc-le-conseil-constitutionnel-voit.html.12 juin2012

15. Cass. crim, 9 septembre 1998, n° 98-80662 et 11 mai 2004, n° 03-86479.

16. Codifié par l’ordonnance n° 2000-548 du 15 juin 2000.

17. L’article R. 3353-1 du CSP dispose en effet que « Le fait de se trouver en état d’ivresse

manifeste dans les lieux mentionnés à l’article L. 3341-1 est puni de l’amende prévue pour les

contraventions de la 2e classe ». Toutefois, le dispositif administratif vise « l’ivresse »,tandis que le dispositif judiciaire fait référence à « l’ivresse manifeste ». (Voir,également : Conseil d’État, 25 octobre 2002, Conseil national de l’ordre des médecins, n°

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233.551 et Tribunal des conflits, 18 juin 2007, n° C3620), les Sages rejoignent la positionde la Cour de cassation selon laquelle l’état d’ivresse peut être prouvé par tout moyen(Cass. crim., 20 mars 2002, n° 01-85.854), en particulier « à l’aide du témoignage dessens sans qu’il soit nécessaire que le rapport qui l’atteste, relate à l’appui des signes

particuliers » (Cass. crim., 24 avril 1990, n° 89-81.515 : Bull. crim. n° 152).

18. En particulier la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue.

19. Circulaires du 16 juillet 1973 et du 9 octobre 1975.

20. Cette hypothèse ne doit pas être entendue uniquement dans le sens restreint d’unepersonne dans un état clinique d’« alcoolisme » mais également comme les personnesdont la conduite et le comportement sous l’influence de l’alcool constituent unemenace pour l’ordre public ou pour elles-mêmes (CEDH 4 avr. 2000, Witold Litwa c.

Pologne).

21. L’article 78-3, alinéa 3, du Code de procédure pénale limite à quatre heures la durée de la

vérification pour un contrôle d’identité.

22. Circulaire n° 1312 du 16 juillet 1973 et n° 2731 du 9 octobre 1975 relative à l’admission des

sujets en état d’ivresse dans les services hospitaliers.

23. Alternativement, il peut s'agir de la préservation de l'ordre public ou d'une action répressive.

24. Camille VINET, Rapporteur public, conclusions sous CAA Lyon 10 janvier 2013 n° 11LY02052.

25. C’est nous qui soulignons.

26. Voir, par exemple : CEDH, 27 juillet 2006, Zervudacki c. France, n° 73947/01, § 43

27. Ce qui laisserait supposer, désormais, la présence de l’avocat dès le début du dégrisement.

28. Y compris le cahier de consignation.

29. Notamment Jean-Marc VIE, « Police et responsabilité administratives et judiciaires : où se

situe la frontière ? » in AJDA, 2010, pp. 771 et s.

30. Cass. Crim 28 juin 1995, Droit pénal, 1996, Chron. 21.

31. Décision n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012.

32. La Chambre criminelle de la Cour de cassation est venue apporter deux précisionssur la procédure suivie devant le juge en cas d'ivresse publique et manifeste, dans unarrêt du 8 janvier 2013 (Cass ; crim 8 janvier 2013, n° 12-80465). Voir, également :Conseil d’État, Il n’en demeure pas moins que la solution dégagée par le Conseil, dans sadécision du 8 juin 2012, pose une autre difficulté : celle de la précision de plusieursinfractions qui englobent dans leur définition la notion d’« état d’ivresse ». Ainsi, l’article R. 3353-1 du Code de la santé publique érige en contravention de deuxièmeclasse « le fait de se trouver en état d’ivresse manifeste dans les lieux mentionnés àl’article L. 3341-1 ». De même, l’article L. 234-1, II, du Code de la route dispose que « lefait de conduire un véhicule en état d’ivresse manifeste » est puni de deux ansd’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende. Par ailleurs, plusieurs infractionsvoient leurs peines principales aggravées en raison de l’état d’ivresse de leur auteur aumoment des faits – par exemple : les violences (article 222-13, 14°, du Code pénal) ou leviol (article 222-24, 12°, du Code pénal) –. Or, nous savons que, conformément auprincipe de légalité pénale, les infractions doivent être définies de manière claire etprécise (voir, encore récemment, à propos du harcèlement sexuel : Cons. const., déc. n°2012-240 QPC du 4 mai 2012, M. Gérard D. [Définition du délit de harcèlement sexuel] – ADL du 9 mai 2012), exigence qui n’apparaît pas satisfaite au regard du caractèreparticulièrement flou de la notion d’« état d’ivresse ». Pour autant, à propos de lacontravention d’ivresse manifeste sur la voie publique, la Chambre criminelle de laCour de cassation a rejeté un pourvoi en cassation invoquant l’imprécision de cette

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incrimination (Cass. crim., 20 septembre 2006, n° 05-87.613).25 octobre 2002, Conseil

national de l’ordre des médecins, n° 233.551 et Tribunal des conflits, 18 juin 2007, n° C3620.33. Cass. crim., 20 mars 2002, n° 01-85.854 et Cass. crim., 24 avril 1990, n° 89-81.515 : Bull. crim. n°

152)

34. TC 18 juin 2007 n° C 3620. Voir aussi : CEDH, 4 avril 2000, Witold Litwa c. Pologne, Req. n°

26629/95

35. CEDH, 4 avr. 2000, Witold Litwa c. Pologne, précit.

36. CEDH, 16 nov. 2000, Tanribilir c. Turquie.

37. CEDH, 3 avril 2001, Keenan c. Royaume Uni.

38. J.M. VIE, op cit.

39. Généralement cantonnée à quelques heures et consignée par les forces de l’ordre Le temps

passé en rétention pour ivresse publique doit être défalqué de celui de la durée de la garde à vue,

à l’instar de la retenue douanière (art. 323-9 code des douanes).

40. P. Dondoux. concl. sur CE 14 mars 1975, "R" in RDP 1975, p. 823.

41. T. confl., 27 nov. 1952, Préfet de la Guyane, Rec. 642, GAJA, 18ème édit., pp. 452 et s.

42. Yves JEGOUZO, Pierre BON, Dominique MUSSO, Gilbert GANEZ-LOPEZ, « Réforme dela procédure judiciaire d'expropriation. A propos du décret du 13 mai 2005 », Dossierétabli dans le cadre du séminaire permanent. Droit de l'aménagement du GRIDAUH inAJDI, 2005, pp. 537 et s. Néanmoins, il existe de nombreuses situations dans lesquelles lacoexistence des deux ordres juridictionnels apparaît avec plus ou moins de clarté dansla répartition des compétences (urbanisme, droit de la construction et de l’habitation,mutations domaniales, régime des SPIC, etc…).

43. Anne WUILLEUMIER, « L’implication des GIR dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.

Rapport INHESI », 2010, pp. 537 et s.

44. CEDH, 26 septembre 2013, Evelyne Robineau et autres c. la France, Req. n° 58497/11. Enl’espèce, il s’agissait d’une personne mise en cause ayant trouvé la mort aprèsdéfénestration d’une salle du tribunal où elle avait été déférée.

45. C’est nous qui soulignons

46. Dans l’affaire Robineau c. France, l’événement s’est produit postérieurement à la garde à vue,

mais préalablement à la présentation du prévenu au Magistrat du Parquet ;

47. CEDH 2ème sect. 15 décembre 2009, Maiorano et autres c. Italie, Req. n° 28634/06

48. Ou critère finaliste.

49. Voir, en ce sens les conclusions de Mme Camille VINET, Rapporteur public à la CAA de Lyon,

au sujet du suicide de Franck S. le 23 /11/03 dans la cellule de dégrisement de Dijon.

50. CAA LYON, Chambre 4, 10 Janvier 2013, n° 11LY02052, Inédit, Abada-Soprana c.

Ministère de l’Intérieur.

51. Pour une étude complète, voir: Tribunal des Conflits. Rapport 2005, pp 15-19. Il n’est toutefois

pas exclusif, puisque le Conseil d’Etat a, par une jurisprudence aussi constante qu’ancienne admis

que l’ordre judiciaire était compétent pour les litiges en responsabilité nés d’un acte de police

judiciaire. Sur ce point, notamment, CE 11 mai 1951, Baud, S. 1952, 3, note Roland Drago, concl.

Delvolvé.

52. « Les mesures de police administrative susceptibles d’affecter l’exercice des libertés

constitutionnellement garanties doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l’ordre

public » ; « que, en dehors des cas où ils agissent sur réquisition de l’autorité judiciaire, les agents

habilités ne peuvent disposer d’une personne que lorsqu’il y a des raisons plausibles de

soupçonner qu’elle vient de commettre une infraction ou lorsqu’il y a des motifs raisonnables de

croire à la nécessité de l’empêcher d’en commettre une » et « qu’en pareil cas, l’autorité

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judiciaire doit en être au plus tôt informée et le reste de la procédure placé sous sa surveillance »

(Cons. const., déc. n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, loi pour la sécurité intérieure, cons. 9 et 10)

53. Ce qui n’exige l’intervention d’un magistrat habilité à exercer des fonctions judiciaires que

dans le cas où l’intéressé à été privé de liberté. Cette présence s'explique par le fait qu'il existe à

son encontre des « raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des

motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de

s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ».

54. Cons. const. 8 juin 2012, n°2012-253 QPC.

55. CEDH, 4 avril 2000 Witold Liwa c. Pologne, Req. n° 26629/95 § 61.

56. CEDH, 1er juin 2006, Taïs c. France, Req. no 39922/03.

57. CEDH, troisième section, 21 juin 2007, décision sur la recevabilité de la requête n° 12332/03

présentée par

Claude Castelot contre la France.

58. Ibid.

59. L’affaire a finalement été radiée à la suite d’un règlement amiable

60. CEDH, troisième section, 21 juin 2007, décision sur la recevabilité de la requête n° 12332/03

présentée par Claude Castelot contre la France.

61. Ainsi, dans sa décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Mme Danielle X, le Conseil doit

vérifier si la disposition contestée n’entrave pas la liberté individuelle par une rigueur qui ne

serait pas nécessaire. Il doit s’assurer que les atteintes portées à la liberté d’aller et de venir et à

la liberté individuelle sont adaptées, nécessaires et proportionnées.

62. L’article R. 3353-1 du Code de la santé publique érige en contravention de deuxièmeclasse « le fait de se trouver en état d’ivresse manifeste dans les lieux mentionnés àl’article L. 3341-1 ». De même, l’article L. 234-1, II, du Code de la route dispose que « lefait de conduire un véhicule en état d’ivresse manifeste » est puni de deux ansd’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende. Par ailleurs, plusieurs infractionsvoient leurs peines principales aggravées en raison de l’état d’ivresse de leur auteur aumoment des faits – par exemple : les violences (article 222-13, 14°, du Code pénal) ou leviol (article 222-24, 12°, du Code pénal). A propos de la contravention d’ivressemanifeste sur la voie publique, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejetéun pourvoi en cassation invoquant l’imprécision de cette incrimination (Cass. crim., 20septembre 2006, n° 05-87.613).

63. L’« absence de définition de l’IPM dont la constatation, de surcroît, ne s’appuie sur aucune

mesure objective de l’alcoolémie mais est appréciée par les forces de sécurité (police ou

gendarmerie) au travers de diverses manifestations extérieures comme l’haleine, l’équilibre, les

propos, le regard … ; d’autre part, « une base juridique lacunaire pour ce qui relève pourtant

d’un aspect majeur de la question : l’aspect médical. Celui-ci n’est traité que par deux circulaires

de 1973 et 1975 qui ne l’envisagent que sous l’angle hospitalier ». Enfin, il est observé « un vide

qui concerne aussi des aspects touchant aux libertés publiques : durée de la rétention,

computation du temps de dégrisement et du temps de garde à vue…, op. cit., p. 16.

64. « En cas de découverte d'un cadavre, qu'il s'agisse ou non d'une mort violente, maissi la cause en est inconnue ou suspecte, l'officier de police judiciaire qui en est aviséinforme immédiatement le procureur de la République, se transporte sans délai sur leslieux et procède aux premières constatations. Le procureur de la République se rendsur place s'il le juge nécessaire et se fait assister de personnes capables d'apprécier lanature des circonstances du décès. Il peut, toutefois, déléguer aux mêmes fins, unofficier de police judiciaire de son choix. Sauf si elles sont inscrites sur une des listesprévues à l'article 157, les personnes ainsi appelées prêtent, par écrit, serment

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d'apporter leur concours à la justice en leur honneur et en leur conscience. Surinstructions du procureur de la République, une enquête aux fins de recherche descauses de la mort est ouverte. Dans ce cadre et à ces fins, il peut être procédé aux actesprévus par les articles 56 à 62, dans les conditions prévues par ces dispositions. A l'issued'un délai de huit jours à compter des instructions de ce magistrat, ces investigationspeuvent se poursuivre dans les formes de l'enquête préliminaire. Le procureur de laRépublique peut aussi requérir information pour recherche des causes de la mort. Lesdispositions des quatre premiers alinéas sont également applicables en cas dedécouverte d'une personne grièvement blessée lorsque la cause de ses blessures estinconnue ou suspecte ». 65. voir aussi CEDH, 4 décembre 1995, Ribitsch c. Autriche, Req. n°. 18896/91.

66. CEDH, 5 avril 2005, Afanassiev c. Ukraine, Req. n° 38722/02 et CEDH, 11 juillet 2006, Boicenco c.

Moldova, Req. n° 41088/05).

67. Rappelons que la garde des locaux appartenait, au moment du suicide, à la gendarmerie

nationale (CA Paris, 2 février 1955, JCP 1955.II.8619, note Esmein. L'article L 141-1 du Code de

l'organisation judiciaire énonce que "l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement

défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que

pour une faute lourde ou par un déni de justice". Il peut s'agir d'une série de faits traduisant

l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi (Cass.1ère civ; 17

juin 2010, n° 0967.311). Cet article peut également être utilisé en combinaison avec l'article 6 § 1

de la convention européenne des droits de l'homme, qui n'exige pas l'existence d'une faute

lourde.

68. On se référera au commentaire de Jean-Marc Vié : « police et responsabilité administratives et

judiciaires : où se situe la frontière ? » in AJDA, 2010, p. 771 et s.

69. TC 19 décembre 1988, Rey, Rec. 496 ; Gaz.Pal. 18-20 juin 1989, concl. M. Laroque.

70. AUBRY et RAU, Cours de droit civil, Paris, 5ème éd., t. 4, p. 166 et PLANIOL, Traité

élémentaire de droit civil, 6ème édit, t. 2, n° 231. L’article 1148 du code civil, consacré à lathéorie de la faute, permet d’établir une cause d’exonération de la responsabilité. Poursa part, la législation du droit du travail opère une distinction, certes de principe, entreles deux théories et permet, in concreto, d’exonérer le patron d’une partie de saresponsabilité.

71. Ph. Antonmattéi, « Ouragan sur la force majeure », JCP G 1996, I, 3907 , n° 9. Voir aussi : L. Bloch,

« Force majeure : le calme après l'ouragan », Resp. civ. et assur. 2006, Étude 8, spéc. n°3 ; L. Leveneur,

« Contrats », conc. consom. 2006, comm. 152 ; E. Savaux : Defrénois 2006, p. 1216 ; Adde, notre note : JCP G

2006, II, 10087.

72. Maurice HAURIOU, « La distinction de la force majeure et du cas fortuit », Note sousConseil d’Etat, 10 mai 1912, Ambrosini, S. n° 1912.3.161. Rec. p. 549. Plus récemment :Paul-Henri Antonmattei : « Ouragan sur la force majeure », op. cit. ; Patrice Jourdain, RTD civ., 2003 p. 301 et RTD civ. (4) oct-déc. 1994, p. 872 ; Geneviève Viney, Traité de droit

civil - Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 1998 - 2° éd. Voir aussi J.-C. Saint-Pau, Jurisclasseur Code civil, 2004 Fasc. 11-30 ; F. Ferré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil - les

obligations, Dalloz, 8ème éd., n° 582, p. 560. Pour une analyse approfondie et pertinente,on se référera à l’avis de l’Avocat général De Gouttes (Cass. au sujet des pourvois n°04-18.902 et n° 02-11.168). Selon M. De Gouttes, il y a lieu de procéder à une distinctiontrilogique (extériorité, imprévisibilité, irrésistibilité) reposant sur l’appréciation ducomportement humain aux trois stades successifs (avant, pendant, après) del’événement. De même, les directives européennes et la jurisprudence de la Cour dejustice de l’Union européenne permettent de dégager trois critères de la force majeure :

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Page 318: La Revue des droits de l’homme, 6

l’événement exonératoire doit être étranger à la personne qui l’invoque ; il doit êtreanormal et imprévisible ; il doit rendre l’exécution du contrat impossible malgré lesefforts fournis par le débiteur pour tenter d’exécuter le contrat. Directive 97/5/CE du27 janvier 1997 concernant les virements transfrontaliers ; Directive 90/314/CEconcernant les voyages, vacances et circuits à forfait : arrêts de la CJCE n° C-263/97 du29 septembre 1998 ("The queen v. Intervention Board ...", n° 148/85 du 5 février 1987(Denkavit) ; n°C-236/99 du 16 mars 2000 (Commission c. Belgique). 73. J.-C. Saint-Pau, jurisclasseur Code civil, 30 juillet 2004, fasc. 11-30

74. Décret du 20 mai 1903 applicable aux seuls gendarmes

75. cf : J. C. Saint-Pau, op cit.

76. Au même titre que tous les actes de police judiciaire, même préparatoires. Sur ce point : CE,

sec. 11 mai 1951, consorts Baud, Rec. 205.

77. En l’espèce, il s’agissait de violences aggravées, peine prévue et réprimée par l’article 222-12,

4°du code pénal

78. CA Paris 8 mai 1946, Sureau c/ Baux, D. 1946, p. 316.

79. Il peut s’agir de « toutes les espèces de décès suspects sont visées par le texte, indépendamment des

moyens d'administration de la mort ». Sur ce point: Lexisnexis jurisClasseur Procédure pénale. Fasc. 20 :

« mort, blessures graves et disparition suspectes », Cote 03, 2005, p. 10

80. V. A. Decocq, J. Montreuil et J. Buisson, Le droit de la police, Litec, 2e éd. 1998, n°892 s. ;

F. Gollety, « Les morts suspectes », Rev. sc. crim., 1958, p. 913. – R. Merle et A. Vitu, Traité de droit

criminel, Procédure pénale, t. 2 : Cujas, 4e éd. 1987, n°1078. ; J. Pradel, Procédure pénale, Cujas,

11e éd. 2002/2003, n°531 ; M.-L. Rassat, Le Ministère public entre son passé et son avenir, LGDJ,

1967, n°243 et s. ; M.-L. Rassat, Traité de procédure pénale , PUF, coll. Droit fondamental, 2001,

n°334 et 338. ; G. Stefani, G. Levasseur et B. Bouloc, Procédure pénale, Précis Dalloz, 19e éd., 2004,

n°622.

81. L’enquête de mort suspecte est une forme d’investigation judiciaire ancienne,puisqu’elle existait déjà sous l’empire du Code d’instruction criminelle (art. 44 al. 1). LaCour de cassation a eu l’occasion d’affirmer cette disposition (Cass, crim 15 mars 1890 :DP 1892, 5, p. 540 note Lambert). Avec la loi du 9 mars 2004, le champ d’application del’article 74 CPP a été étendu aux personnes grièvement blessées. Sur ce point : FabriceDEFFERRARD in Lexisnexis : Fasc. 20 : « mort, blessures graves et disparitionsuspectes ».

82. Décret du 20 mai 1903 portant règlement sur l'organisation et le service de la

gendarmerie : Bull. des Lois, 12e S., B. 2468, n° 43414, abrogé par la loi n° 2009-971 du 3

août 2009 relative à la gendarmerie nationale, art. 25.

83. Assemblée nationale : Avis n° 1690 présenté par M. François VANNSON, député, au nom de la

commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la

République sur le projet de loi (N° 1336) adopté par le Sénat, après déclaration d’urgence, relatif à

la Gendarmerie nationale (art. 8).

84. Cette abrogation est intervenue en 2009. En discussion au Parlement, il s’est avéré que la

plupart des dispositions de ce décret contenaient des dispositions de natures législatives en

application de l’article 34 de la Constitution. Son abrogation est donc intervenue par le biais

d’une disposition législative.

85. CE 14 février 1936, Boiero, Rec., p. 207

86. « Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et appréciela suite à leur donner conformément aux dispositions de l'article 40-1.(al.1). Touteautorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de sesfonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis

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sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous lesrenseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs(al.2) »87. J-M VIE, « Police et responsabilité administrative et judiciaires : où se situe la frontière ? »,

AJDA, 2010, pp. 771 et s.

88. Par les autorités judiciaires agissant hiérarchiquement : l’habilitation d’OPJ est alorssuspendue, voire même retirés définitivement dans le ressort de la cour d’appel. Cettemesure est susceptible d’être étendue sur le territoire national, dans les cas extrêmes

89. Article 434 du Code pénal : « est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros

d'amende le fait, en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité :

1° De modifier l'état des lieux d'un crime ou d'un délit soit par l'altération, la falsification ou

l'effacement des traces ou indices, soit par l'apport, le déplacement ou la suppression d'objets

quelconques ;

2° De détruire, soustraire, receler ou altérer un document public ou privé ou un objet de nature à

faciliter la découverte d'un crime ou d'un délit, la recherche des preuves ou la condamnation des

coupables.

Lorsque les faits prévus au présent article sont commis par une personne qui, par ses fonctions,

est appelée à concourir à la manifestation de la vérité, la peine est portée à cinq ans

d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende ». 90. CE 12 février 1909, Comp. Commerciale de colonisation du Congo, Rec., p. 154. Pour Gaston Jèze,

cette théorie se formait avec la mise en cause de la responsabilité publique même en cas de faute

personnelle.

91. CE 3 février 1911, Rec. p. 146 ; S. 1911, 3, 137, note Hauriou.

92. CE 14 novembre 1919, Lhuillier, Rec. p. 819

93. CE 29 juillet 1918, Rec., p. 761, concl. Blum ; S. 1918-1919, 3, 41, concl. Blum et note Hauriou :

D. 1918, 3, 9. concl. Blum in RDP 1918, p. 41, chron. Jèze.

94. CE, Ass., 18 novembre 1949, Rec.,,p. 492. Mimeur, Defaux et Besthelsemer.

95. CE 13 juillet 1962, Dame veuve Roustan, Rec. p. 487

96. Sur ce point : Bernard PACTEAU, à propos du commentaire de l’arrêt du Conseil d’Etat 18

novembre 1988, Req n° 74952 ; Min. de la Défense c. Epoux Raszewski in La Semaine juridique. Edition

générale n° 16, 19 avril 1989, II 21211.

97. Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui oupour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personnes'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairementde porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers,il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.

98. Ceci suppose que la notion de « non dénonciation de suicide », voire de « complicité au

suicide », soit écartée, d’autant qu’elle n’est pas réprimée.

99. La mort violente est celle « qui résulte de l’emploi de la force ou de quelque brusque

accident » : il peut s’agir d’un décès volontaire procédant de la volonté de mettre fin à ses jours

(suicide), d’une mort provoquée par un accident quelconque, ou d’une mort résultant d’un crime

ou d’un délit. En revanche, la « mort suspecte » désigne non pas la mort elle-même, mais les

conditions dans lesquelles le décès est intervenu. La mort est donc d’abord suspecte avant d’être

violente. Elles peuvent également être concomitantes, Fabrice DEFFERRARD, op cit.

100. Au vu du certificat médical "bleu", il n'y avait pas d'obstacle médico-légal à son inhumation.

101. M....A a été inhumé le surlendemain de son suicide.

102. Sur ce point, notamment: Commission nationale consultative des droits de l'homme. Etude

sur les droits de l'homme en prison (propositions).Assemblée plénière, 11 mars 2004, pp 57-58.

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Page 320: La Revue des droits de l’homme, 6

103. Il convient désormais de se référer aux nouvelles dispositions de l'article 62-2 CPP.

104. Il s'agit d'un ensemble de droits inspirés de la Déclaration française des droits de l'homme et

du citoyen du 26 août 1789 et de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre

1948.

105. Ce droit s'accompagne souvent du droit d'accès à un tribunal, sans lequel l'article 6 de la

CEDH n'aurait aucun intérêt. Grâce à leur interprétation téléologique, les juges européens ont

étendu le contenu de l'article 6 CEDH en y ajoutant le droit au juge. La récente loi du n° 2014-535

du 27 mai 2014 confirme cette tendance.

106. Curieusement, la Constitution française ne garantit pas explicitement les droits de la

défense. Le Conseil constitutionnel a donc d’abord fait appel, en 1976, à la catégorie des «

principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », avant de les rattacher à la « garantie

des droits » proclamée par l’article 16 de la Déclaration de 1789, décision n° 2006-535 DC du 30

mars 2006, cons. 24.

107. CE 20 juin 1913, Tery, Rec., p. 736 et CE Sect. 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier. Dès lors

que la décision administrative revêt un caractère de gravité suffisante et qu'elle est prise en

fonction du comportement de la personne concernée ou de ses activités, l'administration doit

respecter ce principe, Rec. p. 133 (D. 1945.110, concl. Chenot, note de Soto ; RD publ. 1944.256,

concl. Chenot, note Jèze).

108. Crim. 15 juin 2010, n° 09-88.193, Dalloz actualité, 26 juill. 2010, obs. S. Lavric ; RSC

2010. 939, obs. J.-F. Renucci ; dans le même sens, V. Cass. crim. 14 avr. 2012, n°11-86.898, Dalloz actualité, 29 mai 2012, obs. C. Fleuriot.

109. L'article 3 CEDH, résulte d'une création prétorienne et concerne des droits qui nesont pas expressément garantis par la Cour de Strasbourg. Sur ce point, notamment: F.Sudre, « L'article 3 bis de la Convention européenne des droits de l'homme: le droit àdes conditions de détention conformes au respect de la dignité humaine », in Libertés,

Justice, Tolérance. Mélanges en homme au Doyen Cohen-Jonathan, Bruylant, 2004. pp.1500-1514. Aussi: «Les équivalents de l’article 3 de la Convention européenne dans lesystème interaméricain des droits de l’homme », C-A. CHASSIN (dir.), La portée de

l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp.23-46.

110. A ce sujet: Delphine Le Drevo, « Placement en cellule de dégrisement, compétenceadministrative et respect des droits de la défense », Commentaire de l'arrêt Cass. Crim.8 janv. 2013, n°12-80.465 in Dalloz actualités (pénal), 25 janvier 2013 (http://www.dalloz-actualite.fr). Plus récemment: Cass. crim., 25 févr. 2014, n° 13-81.554 JurisData

n° 2014-002946. En l'espèce, la juridiction de proximité a énoncé qu’il n’y avait pas lieu,à défaut de comparution du prévenu, d’un avocat ou d’une personne munie d’unmandat spécial de faire droit à la demande de renvoi formulée par le prévenu.

111. CEDH (5e Sect). 25 avril 2013, Canali c. France, Req. n° 40119/09 – ADL du 29 avril2013. Pour une analyse approfondie: Nicolas Hervieu, « Les acquis européens de la

protection des détenus à l’épreuve de la casuistique » in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 4 novembre 2013 (Lien : http://wp.me/p1Xrup-2jW et [PDF]).112. V. notamment B. Belda, « L'innovante protection des droits du détenu élaboré par le juge européen

des droits de l'homme », AJDA, 2009, p. 406 ; J.-P. Céré, « La mise en conformité du droit pénitentiaire avec

les règles pénitentiaires européennes : réalité ou illusion ? », Revue de droit pénal, 2009, p. 111.

113. « Accusations en matière pénale » au sens des stipulations de la Convention européenne de

sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'« accusation » peut se définir

comme la notification officielle, émanant de l'autorité compétente, du reproche d'avoir accompli

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une infraction pénale (sur ce point: arrêt Baggetta c. Italie du 25 juin 1987, série A no 119, avis de la

Commission, p. 37, § 31).

114. Au sens de l'article 6 CEDH. Depuis 1976, la Cour définit l’accusation en matièrepénale en utilisant trois critères : la qualification juridique donnée aux faits par le droitnational, la nature même des faits ou des comportements, la nature et le degré desévérité de la sanction. Le premier de ces critères se révèle décisif lorsque le droitinterne retient la qualification pénale ; dans l’hypothèse inverse, les deux autrescritères se relaient pour placer la question dans la sphère pénale. Sur ce point: CEDH 18

juin 1976, Engel c/ Pays-Bas, GACEDH, n°23. On se référera également aux arrêts Salduz

(27 nov. 2008) et Dayanan (13 oct. 2009) et Brusco c. France du 14 octobre 2010. Sénat.Rapport de Jean-Pierre Michel (sur le projet de loi portant transposition de la directive2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative àl'information dans le cadre des procédures pénales. 19 février 2014. p. 3.

115. Adoptée définitivement par le Parlement le 15 mai 2014. Elle a été publiée au Journal Officiel

le 28 mai 2014 et est entrée en vigueur le 2 juin 2014, date limite à laquelle devait être transposée

la directive précitée, dite "directive B", JORF n°0123 du 28 mai 2014, p. 8864

116. Il faut toutefois rappeler que c'est d'abord la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 qui aprofondément réformé le régime de la garde à vue et renforcé de façon importante lesdroits de la défense dans le cadre de la garde à vue. Pour une explication, voir :Circulaire du 23 mai 2014 de présentation des dispositions de procédure pénaleapplicables le 2 juin 2014 de la loi portant transposition de la directive 2012/13/UE duParlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dansle cadre des procédures pénales. Bulletin officiel du Ministère de la justice. NOR :JUSD1412016C. 81 p.

117. Art. 61-1 CPP: "La personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de

soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ne peut être entendue

librement sur ces faits qu'après avoir été informée : 1° De la qualification, de la date et du lieu

présumés de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre ; ; 2° Du

droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ; 3° Le cas échéant, du droit d'être

assistée par un interprète ; 4° Du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui

lui sont posées ou de se taire; 5° Si l'infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un

délit puni d'une peine d'emprisonnement, du droit d'être assistée au cours de son audition ou de

sa confrontation, selon les modalités prévues aux articles 63-4-3 et 63-4-4, par un avocat choisi

par elle ou, à sa demande, désigné d'office par le bâtonnier de l'ordre des avocats ; elle est

informée que les frais seront à sa charge sauf si elle remplit les conditions d'accès à l'aide

juridictionnelle, qui lui sont rappelées par tout moyen ; elle peut accepter expressément de

poursuivre l'audition hors la présence de son avocat ; 6° De la possibilité de bénéficier, le cas

échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d'accès au droit. La notification

des informations données en application du présent article est mentionnée au procès-verbal. Si le

déroulement de l'enquête le permet, lorsqu'une convocation écrite est adressée à la personne en

vue de son audition, cette convocation indique l'infraction dont elle est soupçonnée, son droit

d'être assistée par un avocat ainsi que les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle, les

modalités de désignation d'un avocat d'office et les lieux où elle peut obtenir des conseils

juridiques avant cette audition. Le présent article n'est pas applicable si la personne a été

conduite, sous contrainte, par la force publique devant l'officier de police judiciaire". NOTA : Conformément à la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, art. 15, les dispositions du 5°et l'avant-dernier alinéa de l'article, entrent en vigueur le 1er janvier 2015. Ces

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dispositions s'appliquent également au cours d'une enquête préliminaire ou uneenquête douanière. La nouveauté de ce texte réside dans la notification du droit ausilence, comme en matière de garde à vue, et du droit de bénéficier des conseilsjuridiques.

118. Art. 803-6 CPP: "Toute personne suspectée ou poursuivie soumise à une mesure privative

de liberté en application d'une disposition du présent code se voit remettre, lors de la notification

de cette mesure, un document énonçant, dans des termes simples et accessibles et dans une

langue qu'elle comprend, les droits suivants, dont elle bénéficie au cours de la procédure en

application du présent code : 1° Le droit d'être informée de la qualification, de la date et du lieu

de l'infraction qui lui est reprochée ; 2° Le droit, lors des auditions ou interrogatoires, de faire des

déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; 3° Le droit à

l'assistance d'un avocat ; 4° Le droit à l'interprétation et à la traduction ; 5° Le droit d'accès aux

pièces du dossier ; 6° Le droit qu'au moins un tiers ainsi que, le cas échéant, les autorités

consulaires du pays dont elle est ressortissante soient informés de la mesure privative de liberté

dont elle fait l'objet ; 7° Le droit d'être examinée par un médecin ; 8° Le nombre maximal d'heures

ou de jours pendant lesquels elle peut être privée de liberté avant de comparaître devant une

autorité judiciaire ; 9° Le droit de connaître les modalités de contestation de la légalité de

l'arrestation, d'obtenir un réexamen de sa privation de liberté ou de demander sa mise en liberté.

La personne est autorisée à conserver ce document pendant toute la durée de sa privation de

liberté. Si le document n'est pas disponible dans une langue comprise par la personne, celle-ci est

informée oralement des droits prévus au présent article dans une langue qu'elle comprend.

L'information donnée est mentionnée sur un procès-verbal. Une version du document dans une

langue qu'elle comprend est ensuite remise à la personne sans retard".

119. Art. 62 CPP: "Les personnes à l'encontre desquelles il n'existe aucune raison plausible de

soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction sont entendues par les

enquêteurs sans faire l'objet d'une mesure de contrainte. Toutefois, si les nécessités de l'enquête

le justifient, ces personnes peuvent être retenues sous contrainte le temps strictement nécessaire

à leur audition, sans que cette durée puisse excéder quatre heures. Si, au cours de l'audition

d'une personne entendue librement en application du premier alinéa du présent article, il

apparaît qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de

commettre une infraction, cette personne doit être entendue en application de l'article 61-1 et les

informations prévues aux 1° à 6° du même article lui sont alors notifiées sans délai, sauf si son

placement en garde à vue est nécessité en application de l'article 62-2. Si, au cours de l'audition

d'une personne retenue en application du deuxième alinéa du présent article, il apparaît qu'il

existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou

un délit puni d'une peine d'emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous contrainte à la

disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui

est alors notifié dans les conditions prévues à l'article 63-1".120. D'une durée maximale de quatre heures.

121. Art. 63-1 CPP version en vigueur au 2 juin 2014. Circulaire du 23 mai 2014, op. cit; p. 3

122. Pascal Combeau, « Responsabilité du fait des services judiciaires et pénitentiaires », in

Lexisnexis. Jurisclasseur Administratif, Fasc. 900. 27 décembre 2013. p.3

123. Droit à la vie, droit à un procès équitable, droit au juge, etc...

124. Obligation étatique, pour toute personne privée de sa liberté, de bénéficier des conditions de

détention conformes au respect de la dignité humaine, tel que prévu, notamment, par l'article 3

de la Convention européenne des droits de l'homme.

125. Ce sont (..) les parties au procès judiciaire ou les personnes visées par la procédure, c'est à

dire celles qui demandent ou contre lesquelles est demandée une décision judiciaire (par

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exemple, Cass. 1ère civ., 25 janv. 2005, n° 02-21.613, Jurisdata n° 2005-026626. Sur ce point, voir:

Pascal Combeau, op cit, p.8.

126. "L'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service

de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute

lourde ou par un déni de justice".127. L'article L 141-1 du Code de l'organisation judiciaire permet également d'engager la

responsabilité de l'Etat en cas de dommage causés par le fonctionnement défectueux du service

de la justice. Il peut s'agir de "toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits

traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi". Sur

ce point, voir: Cass. ass. plén., 23 février 2001, n° 99-16. 165, Bolle: jurisdata n° 2001-008318.

S'agissant de l'erreur commise par le Ministère public sur les conditions juridiques de

l'engagement des poursuites: Cass. 1ère civ., 14 mars 2006, n° 04-15.458: jurisdata n° 2006-032657

128. La faute lourde n’est désormais plus exigée.

129. Sur ce point : Abdoulaye Coulibaly : répartition des compétences en matière de service

public de la justice judiciaire in lexisnexis. Jurisclasseur administratif. Cote 03, 2007. Aussi : F.

Casorla : dysfonctionnements du service de la justice et responsabilité de l’Etat, la justice séparée

in LPA, 12 juillet 2007, p. 4 et s.

130. Cour de cassation chambre civile 2 Audience publique du vendredi 23 novembre 1956 N° de

pourvoi: 56-11871. Notons toutefois qu’il n’est fait référence qu’aux seuls collaborateurs

« occasionnels » de la police judiciaire

131. Modifié par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011-art. 185.

132. Art. 221-6 alinéa 2, cinq ans d’emprisonnement et une amende de 75000€.

133. C. pén, art. 121-2 al. 3 et 121-3; Cass. Crim. 18 janvier 2000, n° 99-80.318 Cass, crim2 octobre 2012 Selon la cour de cassation, les organes de la personne morale sont les personnes physiques que

celle-ci désigne et mandate pour agir en son nom, c'est-à-dire ses représentants légaux ou

statutaires

134. Le terme « caractérisée » est révélateur d’une désinvolture évidente de son auteur. Philippe

Conte, Droit pénal spécial, o. cit., p. 51.

135. Voir arrêt Cass, crim. 11 octobre 2011 n°10-87.212 et Cass Crim 11 avr.2012 n°10-86.974.

136. Cass, Soc. 2 oct. 2012 n°11-84.415.

137. L.C.B. c. Royaume-Uni, arrêt du 9 juin 1998 ; Osman c. Royaume-Uni, arrêt du 28 octobre 1998.

138. Anguelova et Iliev c. Bulgarie, Req. n° 55523/00, arrêt du 26 juillet 2007, § 93.Cependant, les obligations positives découlant de l’article 2 « [doivent êtreinterprétées] de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ouexcessif »

139. Bertrand MATHIEU , « La vie en droit constitutionnel comparé. Eléments de réflexions sur un droit

incertain » in RIDC 1998, n° 4, p. 1031.

140. En témoigne l’arrêt « Giuliani et Gaggio c/ Italie » (CEDH, GC, 24 mars 2011, Req. n° 23458/02) à

propos des circonstances du décès d’un manifestant lors du sommet de Gênes, le 20 juillet 2001.

141. McCann et autres c. Royaume-Uni, précit.

142. Anguelova c. Bulgarie, n° 38361/97, § 137, Jasinskis c. Lettonie, Req. n° 45744/08, arrêtdu 21 décembre 2010, § 72.

143. Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, 14 mars 2002, Req. n° 46477/99. L’affaireconcernait le meurtre du fils des requérants par un codétenu. Violation de l’article 2 enraison de deux défauts (bien que l’enquête ait rempli la plupart des autres critèresd’effectivité) : absence de pouvoir de contraindre les témoins à comparaître et absence

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de publicité de la procédure – les requérants n’ayant pu assister que pendant trois joursaux travaux de la commission d’enquête. Voir également l’affaire Seidova et autres c.

Bulgarie (Req. n° 310/04, arrêt du 18 novembre 2010), dans laquelle les proches de lavictime furent exclus de l’enquête sur la mort de leur époux et père.

144. Par exemple : Kolevi c. Bulgarie ( Req. n° 1108/02) arrêt du 05 novembre2009 :impossibilité d’engager des poursuites contre le procureur général soupçonné par lafamille d’être l’instigateur du meurtre de la victime et sous le contrôle duquel l’enquêteétait menée. La Cour a conclu à la violation de l’article 2 dans un certain nombred’affaires bulgares en raison du recours à la force par la police, ou du caractèreineffectif d’enquêtes et de poursuites concernant des meurtres et des blessures(Anguelova et Iliev c. Bulgarie, arrêt du 26 juillet 2007; Ognyanova et Choban c. Bulgarie,arrêt du 23 février 2006, Anguelova c. Bulgarie, arrêt du 13 juin 2002 : disponibles surHUDOC. D’après la jurisprudence constante de la Cour, il incombe aux Etats de fournirune explication plausible sur l’origine des blessures ou sur les décès survenantlorsqu’un individu se trouve en garde à vue (Salman c. Turquie, Req. n° 21986/93, arrêt deGrande Chambre du 27.06.2000, § 99).

145. CEDH, 28 juill. 1998, Ergi c/ Turquie, § 78 ; CEDH, 2 sept. 1998, Yasa c/ Turquie, § 97. ; CEDH,

14 mai 2002, Semsi Önen c/ Turquie, § 86 ; CEDH, 15 janv. 2004, Tekdag c. Turquie, § 75 :

disponibles sur HUDOC.

146. CEDH, 24 janv. 2008, Osmanoglu c/ Turquie, § 51.

147. CEDH, 10 avr. 2001, Tanli c/ Turquie, § 146. – CEDH, 13 juin 2002, Anguelova c. Bulgarie,

§ 112 ; CEDH, 27 juill. 2004, Ikincisoy c. Turquie, § 73 ; CEDH, 13 janv. 2005, Ceyhan Demir c.

Turquie, § 105, précit.

148. CEDH, 24 mars 2005, Akkum c. Turquie, § 211. En revanche, un tel renversement dela charge de la preuve n'a pas lieu d'être lorsque le décès est intervenu au cours d'uneopération ordinaire de maintien de l'ordre

149. CEDH, 1er juin 2006, Taïs c. France, § 91-95. Ainsi, contreviennent à cetteobligation l'incertitude existant quant aux faits survenus entre une visite médicaleriche en incidents et le placement en cellule ainsi que la contradiction entre lesmentions rassurantes de la feuille d'écrou et la réalité des événements ayant eu lieu lanuit du drame. Dans leurs opinions, MM. Costa, Lorenzen et Kovler s'insurgent contre lerenversement de la charge de la preuve à quoi équivaut le raisonnement de la majoritéconsistant à admettre que ce sont bien des coups portés par les policiers qui ontentraîné la mort du fils des requérants, conclusion que rien dans le dossier n'étaie. LaCour n'hésite pas à imputer à l'État l'activité homicide de personnes agissant pour soncompte, quand bien même il ne s'agit pas de fonctionnaires publics, les risques liés àl'utilisation de volontaires civils pour l'accomplissement de fonctions de maintien del'ordre étant expressément soulignés (CEDH, 10 juill. 2001, Avsar c. Turquie, § 414). Ilappartient d'ailleurs à l'État de prendre les mesures propres à éviter d'éventuellesusurpations de fonctions.150. CEDH 16 nov. 2000, Tanribilir c/ Turquie.

151. Sur ce point, on lira particulièrement l’article de Nicolas Hervieu in droit à la liberté et à la

sûreté (art. 5 CEDH) : "nouveau coup de semonce européen sur la garde à vue et le rôle du

parquet français" in La Revue de droits de l’homme. CREDOF, 1er juillet 2013, p.1

152. Nicolas Hervieu, op cit.

1. Il s’agit de la tenue traditionnelle de la plupart des groupes ethniques Amérindiensd’Amazonie.

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ABSTRACTS

On January 7th 2011, gendarms From Camopi village (French Guyana) were required by a woman

complaining about her violent spouse. The trouble- maker, M.A., finally caught in the evening,

was led to territorial squad. His influence of drink justified his sobering up cell placement for

custody. At dawn, the violent husband was found dead, hung on his calimbé row. Calimbé is

traditional clothes from Amerindians ethnical groups of Amazonia. Beyond creating quite a stir,

this case sets, first, the consequences problem of a death occured in the frame of freedom break.

It points out, as well, the State ability to reply back to a cyclical dualilty consisting of combining

Human Rights Respect Requirements (Rights of the Defence, Rights of a fair trial), notably the

scheduled trigger on Public Action ( In the case in point, aggravated volunteer violence). In

perspective, that is good the question of the State Responsability (and its services) plus

commitment conditions involved when accident shows up during sobering up. The judicial

function of the final criterion, patiently designed by Jurisprudence (.....) is the main thought'

core. In spite of missing status during this middle stage ( came after the arrest but previously to

the potential trial, analysis brings to a close conclusion, meaning judicial order ability or skills

and confirm again, the State responsability to Judicial Public Service User.

Le 7 janvier 2011, les gendarmes du village de Camopi (Guyane française) étaient requis par une

jeune femme se plaignant de violences conjugales. Le fauteur, M. A., finalement interpellé dans la

soirée, est conduit à la brigade territoriale. Son état d’ébriété manifeste justifiait qu’il soit placé

en cellule de dégrisement, dans l’attente d'une garde à vue. Au petit matin, l’époux violent est

retrouvé sans vie, pendu au cordon de son calimbé1. Au-delà du relatif retentissement

médiatique, cette affaire pose, d'abord, le problème des conséquences d'un décès survenu au

cours d'une privation de liberté. Il met aussi l'accent sur la capacité, pour l'Etat, de répondre à

une dualité conjoncturelle consistant à concilier les exigences du respect des droits de l'Homme

(droits de la défense, droit au procès équitable, notamment) d'une part, avec le déclenchement

programmé de l'action publique (en l'espèce, il s'agissait de violences volontaires aggravées),

d'autre part. En perspective, c'est bien la question de la responsabilité de l'Etat (et de ses

services) et des conditions d'engagement de celle-ci lorsqu'un accident survient au cours d'un

dégrisement qui en cause. Le critère finaliste de la fonction judiciaire, patiemment élaboré par la

jurisprudence (notamment: CE 11 mai 1951, consorts Baud; TC, 7 juin 1951 Dame Noualek, et Cass.

civ, .2ème, 23 novembre 1956 Giry) est l'élément central de la réflexion. Malgré l'absence de

statut durant cette phase intermédiaire (postérieurement à l'interpellation mais antérieurement

au jugement), l'analyse conclue à la compétence de l'ordre judiciaire pour en connaitre et

réaffirme la responsabilité de l'Etat vis-à-vis de l'usager du service public judiciaire.

INDEX

Mots-clés: Infraction pénale – Dégrisement - Critère finaliste - Ordre judiciaires - Service public

de la justice judiciaire - Droits de la défense – Responsabilité - Indemnisation

Keywords: Penal offence - Sobering up - Final Criterion - Judicial order - Judicial Public Service -

Rights of the Defence – Responsibility - Indemnity

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AUTHOR

THIERRY EDOUARD

Thierry EDOUARD, Docteur en droit public, est chercheur associé au Centre deRecherche sur la Décentralisation Territoriale (CRDT) de l'Université de Reims. Sestravaux portent actuellement sur le principe de libre administration des collectivitésterritoriales. Il est également Maître de conférences associé à l'Université de la Guyane,où il enseigne le droit depuis 2006. Avocat au barreau de la Guyane, il intervientessentiellement dans le droit des étrangers et le contentieux administratif.

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Les fichiers d’empreintesgénétiques : les systèmes français etespagnol à l’égard de la Conventioneuropéenne des Droits de l’HommeFrancisco Ramírez Peinado

Introduction

1. L’identification par l’ADN et l’efficacité des fichiers d’empreintes

génétiques dans la recherche criminelle

1 Parmi les traces1 qu’il est possible de rassembler dans le lieu de commission d’un crime

ou d’un délit, sur la victime ou sur le coupable présumé (dans ces derniers cas, soit surleurs corps, soit sur les vêtements ou objets qu’ils portent)2, on distingue les tracesbiologiques humaines : tissus (peau, cheveux, ongles), liquides (sang, salive, sperme,etc.). Ces traces, à l’instar d’autres de nature différente, une fois analysées, peuventfournir plusieurs indices précieux pour la recherche criminelle, et même constituerfinalement une véritable preuve judicaire. Au-delà de l’identification des suspectséventuels, que nous aborderons tout de suite, la simple analyse des traces biologiquespeut fournir des éléments pertinents non seulement pour l’enquête, mais aussi pourd’autres éléments purement procéduraux3.

2 L’analyse de l’ADN à des fins d’identification dans l’enquête criminelle est relativement

nouveau, à peine plus de vingt ans d'utilisation régulière légale en Espagne4, et un peumoins en France5. Malgré ce court délai, la méthode est devenue une des stratégiesprincipales pour la recherche policière et judiciaire des auteurs des crimes et délits6.« Parmi les preuves scientifiques et techniques, les empreintes génétiques occuperaientune place de choix » affirme Coralie Ambroise-Casterot7. La comparaison entrel’empreinte génétique issue des vestiges biologiques recueillis dans la sphère du crime(traces) avec l’empreinte génétique de l’auteur présumé, issue d’un échantillon

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biologique obtenu de son corps (prélèvement), permettra de l’inculper, s’il existe uneforte coïncidence entre les deux empreintes, ou de l’innocenter, si cette coïncidencen’est pas présente8. Par conséquent, on pourrait conclure que l’analyse scientifique del’ADN des traces biologiques ne donnera lieu à une véritable preuve à charge ou àdécharge qu’après leur comparaison avec l’ADN extrait d’un prélèvement9. Toutefois, ilfaut aussi admettre la possibilité d’une erreur judiciaire provenant d’une identificationpar l’ADN10.

3 L’efficacité de l’identification à partir de l’ADN, aux termes que nous venons d’exposer

(recherche criminelle et preuve pénale), a été considérablement renforcée avec lacréation de fichiers ou bases d’empreintes génétiques, puisqu’ils ont permis lerapprochement à grande échelle des profils génétiques obtenus à partir deséchantillons biologiques recueillis dans la sphère du crime ou délit, avec les profilsgénétiques identifiés et classés dans le fichier11. La conséquence pratique estl’identification plus aisée des coupables présumés, ainsi que la disculpation plus rapidedes personnes suspectées à tort12. C’est justement sur ce point que certains auteursmettent l’accent, la qualifiant d’ « outil fondamentalement à décharge »13.

4 À vrai dire, l’utilisation des fichiers policiers a toujours été très étendue. Comme

l’exprime V. GAUTRON, « dès la fin des années 1960, plus de quatre cents fichiers ontété recensés seulement aux services policiers de Paris, composés d’autour de 130milliards de données ». En outre, ajoute l’auteur, « en facilitant le stockage et larécupération des données, l'informatique a certainement révolutionné la matière, desorte que, après trente ans, nous avons assisté à une prolifération des fichiers depolice ».

5 Par ailleurs, dans la société actuelle, plongée dans le phénomène de la mondialisation,

la criminalité transfrontalière s’est répandue et généralisée, non seulement du point devue plus frappant des grands réseaux organisés, mais aussi par rapport à la délinquanceindividuelle. Des réponses internationales s’imposent pour lutter contre la première, etla collaboration, en tout cas, pour l'identification des délinquants14.

2. Cadre législatif

6 Le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) a été créé en France

par la loi nº 98-468 du 17 Juin 1998 relative à la prévention et à la répression desinfractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs (Loi Guigou). Le fichier nedevait répertorier que les données des condamnés pour viol ou agression sexuelle. Aubout de trois ans, un élargissement est introduit par la loi nº 2001-1062 du 15 Novembre2001 relative à la sécurité quotidienne (Loi Vaillant), pour inclure quelques autresinfractions. Cette loi a inséré la règlementation dans le titre vingtième du livre IV ducode de procédure pénale (CPP), relatif aux procédures particulières, articles 706-54 à706-56-1. La loi nº 2003-239 pour la sécurité intérieure (loi Sarkozy II) opère unenouvelle extension plus large du champ d’application du FNAEG, d’un côté pourpermettre l’inscription des données d’autres sujets (personnes mises en examen,membres de la famille d’une personne disparue), et de l’autre pour élargir le fichier àde nouveaux crimes et délits différents. En tout cas, d’après François-Bernard Huygue(2008, p. 67), « le FNAEG ne surgit pas dans un désert juridique : la loi du 29 juillet 1994stipulait déjà qu’une recherche par empreintes génétiques ne pouvait avoir lieu que «dans le cadre de mesures d’enquête ou d’instruction diligentées lors d’une procédure

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judiciaire ou à des fins médicales ou de recherche scientifique » (article 16.11 du codecivil) ».

7 La loi organique 10/2007 du 8 octobre15 a créé en Espagne la « Base de datos policial sobre

identificadores obtenidos a partir del ADN ». Malgré le verbe employé, ce que fait la loi,c’est « intégrer les fichiers ADN déjà existant aux mains des Forces et Corps de Sécuritéde l’État, tant pour l’enquête des délits, que pour les procédures d’identification desrestes humains ou de recherche des personnes disparues » (article 1). En effet, oncomptait déjà plusieurs fichiers établis dans ce but au sein des forces de sécurité del’État, ainsi que des Communautés autonomes du Pays Basque et de la Catalogne16.L’existence de tels fichiers était prévue par la loi organique de protection des données àcaractère personnel17. Toutefois, il n’existait aucune autre règlementation, même pardécret, ce que toute la doctrine regrettait au regard risque d’atteintes aux droitsfondamentaux, en particulier à l’intimité personnelle et la protection des données àcaractère personnel. En ce sens, l’exposé des motifs de la loi reconnaît les carences de latentative légale précédente d’aborder l’identification par l’ADN18.

8 La première chose qui attire l'attention dès qu’on lit le nom du fichier dans les deux

pays est la désignation différente de leur contenu. Le législateur français a choisi defaire une assimilation entre l'identification par l'ADN et l'identification par empreintedigitale ; il utilise donc le terme « empreinte génétique ». Cette désignation, par sasimplicité et précision, s’avère à notre avis plus appropriée que la formule baroqueemployée par le législateur espagnol, « identificateurs obtenus à partir de l’ADN », quisemble avoir délibérément cherché à dissimuler la nature et le but de la nouvelle basede données. D’ailleurs, la dénomination « empreinte génétique » jouit en France d’uneutilisation généralisée, tant dans le domaine juridique qu’à un niveau social. Quelquechose de similaire se passe en Espagne avec les termes « profil génétique », « profild’ADN »19 et même celui d’« empreinte génétique ». Malgré cela, la loi 10/2007 a rejetéces expressions et les a remplacées par la sus-nommée, qui commence à être acceptéepar la doctrine20.

9 Quoi qu’il en soit, on l’appelle « empreinte génétique », « profil génétique » ou

« identificateur par l’ADN », nous sommes toujours devant un même concept : unecollection de fragments d’ADN, ordonnés en accord avec leur taille, qui sontcaractéristiques de chaque individu et qui constituent un code anonyme dedifférentiation, tel qu’un code-barres ou un code chiffré21. Dans le cas des profilsobtenus d’un échantillon provenant d’une personne identifiée, c’est l’assignation à cecode de l’identité de la personne concernée qui va permettre, désormais, d’effectuerl’identification, ainsi que le rapprochement avec des autres profils ressortis des tracesbiologiques collectées sur le lieu du crime.

10 A partir ces prémisses, ce texte vise à faire une approche comparative des deux

systèmes juridiques en France et en Espagne pour encadrer le stockage et le traitementdes profils ADN, destinés à l’identification des personnes lors de recherches policièreset de poursuites judiciaires. On comprend facilement la difficulté d’aborder, sous leformat d’un article, une analyse approfondie des nombreuses questions différentes quece sujet peut évoquer. Il faut alors mettre quelques limites. Tout d’abord, comme noussommes confrontés à deux systèmes légaux différents, il s’avère nécessaire de lesaborder à partir du seul système commun supérieur à tous les deux : la Conventioneuropéenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (Conv.EDH). Par conséquent, l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans

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l’affaire S. et Marper contre Royaume-Uni, du 4 décembre 2008 (I), s’avèreincontournable en raison de son impact direct sur notre sujet. À partir de ce point devue, l’étude veut souligner quelques aspects directement liés au droit fondamental à lavie privée, y compris le droit à la protection des données personnelles, puis qu’ils sontles droits directement touchés par les activités nécessaires à la collecte et au stockagede l'empreinte ADN et à son traitement dans la base de données. Cela étant dit, lesaspects suivants retiendront l’attention:

11 - Le caractère excessif de l’étendue du domaine objectif et, surtout subjectif des

fichiers, par rapport aux infractions permettant l’inscription et aux personnes devantse soumettre à l’enregistrement de leurs empreintes génétiques (II).

12 - Les questions soulevées autour du prélèvement biologique sur les personnes soumises

à l'enregistrement obligatoire de leurs empreintes génétiques (III).

13 - Les risques pour le droit à la vie privée résultants des analyses d’ADN et de la

conservation des échantillons biologiques (IV).

14 - Les données à caractère personnel attachées à l’empreinte génétique et leur

traitement au fichier (V).

I. La doctrine de la CEDH : l’affaire S. et Marper contreRoyaume-Uni du 4 décembre 2008

15 À titre préliminaire, rappelons le texte de l’article 8 de la Conv. EDH relative au droit au

respect de la vie privée et familiale :

16 « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de

sa correspondance.

17 Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour

autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui,dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûretépublique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la préventiondes infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protectiondes droits et libertés d'autrui ».

A. Incidence de l’identification par l’ADN dans le droit à la vie privée

18 La Cour rappelle, au paragraphe 66 de l’arrêt S. et Marper, en citant de nombreuses

décisions, que la notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d’unedéfinition exhaustive, qui recouvre l’intégrité physique et morale de la personne. Ellepeut donc englober de multiples aspects de l’identité physique et sociale d’un individu :l’identification sexuelle, le nom, l’orientation sexuelle et la vie sexuelle, ainsi qued’autres moyens d’identification personnelle et de rattachement à une famille. La Courestime en plus que les informations relatives à la santé et à l’identité ethnique d’unindividu doit aussi être considérée comme un élément important de sa vie privée.L’article 8 de la Convention protège en outre le droit à l’épanouissement personnel etcelui de nouer et de développer des relations avec autrui et le monde extérieur. Lanotion de vie privée comprend par ailleurs des éléments se rapportant au droit àl’image.

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19 Après avoir défini le droit à la vie privée, tel que prévu dans l’article 8 de la Conv. EDH,

la Cour déclare que les trois catégories d’informations personnelles conservées par lesautorités au sujet des deux requérants, à savoir des empreintes digitales, des profilsADN et des échantillons cellulaires, constituent toutes les trois des données à caractèrepersonnel au sens de la Convention sur la protection des données car elles concernentdes individus identifiés ou identifiables (§ 68). Elle ajoute encore que le simple fait demémoriser des données relatives à la vie privée d’un individu constitue une ingérenceau sens de l’article 8.

20 D’après la Cour, pour déterminer l’incidence de l’identification policière ou judiciaire

par l’ADN, il faut distinguer entre les échantillons biologiques et les profils ouempreintes génétiques22, puisque leur contenu informationnel et leurs usagespotentiels sont sensiblement différents.

21 Pour ce qui est des échantillons cellulaires, la CEDH prend en considération :

22 a) Que les échantillons cellulaires renferment un code génétique unique qui revêt une

grande importance, tant pour la personne concernée que pour les membres de safamille. Ils contiennent beaucoup d’informations sensibles sur un individu, notammentsur sa santé et l’origine ethnique des personnes.

23 b) Les usages futurs que l’on pourrait envisager pour les échantillons cellulaires.

Compte tenu du rythme élevé auquel se succèdent les innovations dans le domaine dela génétique et des technologies de l’information, on ne peut pas exclure la possibilitéque les éléments de la vie privée liés aux informations génétiques fassent à l’avenirl’objet d’atteintes par des voies nouvelles, que l’on ne peut pas prévoir aujourd’hui avecprécision.

24 Cela étant, la Cour conclut que « vu la nature et la quantité des informations

personnelles contenues dans les échantillons cellulaires, leur conservation doit passerpar constituer en soi une atteinte au droit au respect de la vie privée des individusconcernés. Peu importe que seule une petite partie de ces informations soit en réalitéextraite ou utilisée par les autorités pour les besoins de la création de profils ADN etqu’aucun préjudice immédiat ne soit provoqué dans un cas particulier » (§§ 70 à 73).

25 Concernant les profils ADN, la Cour met en balance :

26 a) d’un côté, qu’ils contiennent moins d’informations personnelles que les échantillons,

et que ceux-là sont présentées sous la forme d’un code, une séquence de chiffres ou uncode-barres, contenant des informations purement objectives et irréfutables et quel’identification d’une personne ne se produit qu’en cas de concordance avec un profilcontenu dans la base de données.

27 b) de l’autre, qu’il y a dans les profils une quantité importante de données à caractère

personnel, dont le traitement automatisé permet aux autorités d’aller bien au-delàd’une identification neutre de la personne. La Cour attire l’attention sur deuxquestions : la première, que les profils ADN peuvent être utilisés – et l’ont été danscertains cas – pour effectuer des recherches familiales en vue de déceler un éventuellien génétique entre les individus ; la seconde, que le traitement des profils ADN permetaux autorités de se faire une idée de l’origine ethnique probable du donneur et quecette technique est effectivement utilisée dans le cadre des enquêtes policières. Enconséquence, la potentialité des empreintes génétiques pour fournir un moyen dedécouvrir soit les relations génétiques pouvant exister entre des individus, soitl’origine ethnique des individus23, suffit en soi pour conclure que leur conservation

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constitue une atteinte au droit à la vie privée. De même, le fait que, l’information étantcodée, elle ne soit intelligible qu’à l’aide de l’informatique et ne puisse être interprétéeque par un nombre restreint de personnes ne change rien à cette conclusion (§§ 74 à77).

B. Les conditions d’une ingérence conforme à la Convention

28 Classiquement, l’identification à partir de l’ADN peut devenir une ingérence

respectueuse de la Convention si :

29 1°) L’ingérence prévue par la loi. À ce sujet, après avoir mentionné les règles générales, la

Cour assimile la problématique de l’identification par empreintes digitales etempreintes génétiques à celle des écoutes téléphoniques, de la surveillance secrète etde la collecte secrète de renseignements. Dans tous ces cas, il est essentiel de fixer desrègles claires et détaillées régissant la portée et l’application des mesures et imposantun minimum d’exigences concernant, notamment, la durée, le stockage, l’utilisation,l’accès des tiers, les procédures destinées à préserver l’intégrité et la confidentialité desdonnées et les procédures de destruction de celles-ci, de manière à ce que lesjusticiables disposent de garanties suffisantes contre les risques d’abus et d’arbitraire.Pourtant, la Cour ne va pas plus loin à ce sujet ; elle résout cette question en se référantaux exigences d’une société démocratique (§ 99).

30 2°) Le but poursuivie est légitime. La Cour admet que la conservation des données relatives

aux empreintes digitales et génétiques vise un but légitime : « la détection et, par voiede conséquence, la prévention des infractions pénales ». Ces termes semblent quelquepeu imprécis. On pourrait parler plutôt de « détection des auteurs des infractions ».Quant à la prévention, de l’existence du fichier ne découle aucun avantage particulier,hormis que l’individu condamné à une peine privative de liberté, ne pourra pascommettre de nouveaux crimes ou délits pendant l’exécution de la durée de la peine.C’est peut-être pour cela que la Cour précise, toute suite, que « le prélèvement initialest destiné à relier une personne donnée à l’infraction particulière qu’elle estsoupçonnée d’avoir commise, la conservation tend à un objectif plus large, à savoir,contribuer à l’identification des futurs délinquants » (§ 100).

31 Le but légitime apparaît plus clair quand la Cour nous dit qu’ « il est hors de doute que

la lutte contre la criminalité, et notamment contre le crime organisé et le terrorisme,qui constitue l’un des défis auxquels les sociétés européennes doivent faire face àl’heure actuelle, dépend dans une large mesure de l’utilisation des techniquesscientifiques modernes d’enquête et d’identification »24 (§ 105).

32 3°) La nécessité de l’ingérence dans une société démocratique. Le principe découlant de la

Conv. EDH détermine qu’une ingérence est considérée comme « nécessaire dans unesociété démocratique » pour atteindre un but légitime si elle répond à un « besoinsocial impérieux » et, en particulier, si elle est proportionnée au but légitime poursuiviet que les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent« pertinents et suffisants » (§ 101)25. C’est en l’espèce sur ce point que la Cour va sefonder.

33 Ainsi, après l’analyse de tous les points antérieurs, la Cour se réfère « à la question plus

large de la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique ». Elle se concentresur le fait de savoir si la conservation des empreintes digitales et données ADN desrequérants, qui avaient été soupçonnés d’avoir commis certaines infractions pénales,

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mais n’avaient pas été condamnés, était justifiée sous l’angle de l’article 8.2 de laConvention (§§ 99 et 106). Il est possible de tirer des règles générales à partir de ladécision particulière, compte tenu des analyses globales qui la précèdent.

34 Pour statuer, la Cour adopte trois lignes directrices:

35 1°) L’examen de la pratique en vigueur dans les autres Etats contractants. La plupart des États

n’autorisent le prélèvement dans le cadre de procédures pénales que sur les individussoupçonnés d’avoir commis des infractions présentant un certain seuil de gravité.D’ailleurs, les échantillons et les profils génétiques qui en sont tirés doivent êtrerespectivement détruits ou effacés soit immédiatement soit dans un certain délai aprèsun acquittement ou un non-lieu. Certains États autorisent un nombre restreintd’exceptions à ce principe (§ 108).

36 2°) L’identification des instruments pertinents du Conseil de l’Europe. La Cour relève d’une

part, que la Recommandation no R (92) 1 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europeinsiste sur la nécessité d’établir des distinctions entre les différents types de cas etd’appliquer des durées précises de conservation des données, même dans les cas lesplus graves (§ 109). D’autre part, lorsqu’il s’agit de protéger des données à caractèrepersonnel soumises à un traitement automatique et utilisées à des fins policières, il fautrespecter les garanties spéciales prévues par la Convention du Conseil de l’Europe de1981 pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données àcaractère personnel, ainsi que par la Recommandation no R (87) 15 du Comité desMinistres du Conseil de l’Europe visant à règlementer l’utilisation de données àcaractère personnel dans le secteur de la police (§ 103)

37 3°) L’appréciation de la proportionnalité entre le but poursuivi et le sacrifice imposé au droit à la

vie privée. La Cour remarque que la protection offerte par l’article 8 de la Conventionserait affaiblie de manière inacceptable si l’usage des techniques scientifiquesmodernes dans le système de la justice pénale était autorisé à n’importe quel prix etsans une mise en balance attentive des avantages pouvant résulter d’un large recours àces techniques, d’une part, et des intérêts essentiels s’attachant à la protection de la vieprivée, d’autre part. Elle admet que l’élargissement de la base de données a contribué àla détection et à la prévention des infractions pénales. Il reste toutefois à déterminer siune telle conservation est proportionnée et reflète un juste équilibre entre les intérêtspublics et privés qui se trouvent en concurrence (§§ 112, 117 et 118).

38 Avec ces prémisses, l’expression utilisée pour statuer sur les plaintes des requérants est

significative : « la Cour est frappée ». On peut la lire au paragraphe 119 à partir duquels’expriment les raisons pour condamner l’État défendeur:

39 a) Il était possible, en l’espèce, de prélever des empreintes digitales et échantillons

biologiques, puis de les conserver indéfiniment, ainsi que les données à caractèrepersonnel en tirés, chez toute personne, quel que soit son âge, arrêtée pour uneinfraction emportant inscription dans les fichiers de la police, indépendamment de lanature ou de la gravité de l’infraction que la personne est soupçonnée d’avoir commise.

40 b) La conservation ou la mémorisation des données à caractère personnel par les

autorités publiques, qu’elles les utilisent ou non par la suite, emporte des conséquencesdirectes sur la vie privée de l’individu. Il est particulièrement intrusif de conserver deséchantillons cellulaires, compte tenue de la profusion d’informations génétiques qu’ilscontiennent.

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41 c) Le législateur n’a pas prévu l’exercice d’un contrôle indépendant, hors des autorités

gouvernementales, pour décider de la conservation ou de la destruction deséchantillons et de l’inscription ou de l’effacement de données de la base nationale.

42 d) Puisque la conservation des données privées n’équivaut pas à l’expression de

soupçons contraires au droit à la présomption d’innocence, la Cour montre sapréoccupation pour le risque de stigmatisation qui découle du fait de mettre lespersonnes bénéficiant d’une décision d’acquittement ou de classement sans suite sur unpied d’égalité avec les personnes condamnées pour un crime ou délit. En ce sens, laCour met l’accent sur le préjudice que cette situation peut provoquer chez les mineurs,dès lors qu’on méconnaît l’importance que revêt leur développement et leurintégration dans la société.

43 En conclusion, la Cour affirme qu’il n’existe pas un juste équilibre entre les intérêts

publics et privés concurrents en jeu. Elle estime que l’Etat défendeur a outrepassé toutemarge d’appréciation acceptable en la matière et, en conséquence, qu’il a donné lieu àune atteinte disproportionnée au droit des requérants au respect de leur vie privée quine peut passer pour nécessaire dans une société démocratique (§ 125).

II. L’étendue excessive du domaine d’application desfichiers des empreintes génétiques

44 Pour bien comprendre ce point, il faut distinguer les infractions justifiant l’inscription

(A) et la qualité des personnes soumises à l’inscription, au regard des infractionscommises (B). Parler de soumission à l‘inscription implique que l’on nie la nécessitéd’un consentement à l’inscription. Toutefois, il existe aussi la possibilité d’unenregistrement consenti. On remarquera que le champ d’application des fichiersétudiés en étude dépasse le cadre délimité par la CEDH, tout particulièrement dans lesystème espagnol.

A. Les infractions justifiant l’inscription

45 A ce sujet, la différence entre les systèmes français et espagnols est remarquable. En

France, pour déterminer le domaine infractionnel du FANEG, la loi a adopté un régimefermé qui, après avoir mentionné les catégories délictuelles concernées, précise chaquedisposition particulière du code pénal dont l’infraction permettra l’inscription26. La loiespagnole est beaucoup plus ouverte. Elle utilise des critères absolument généraux27 : lagravité de l’infraction, d’un côté, et quelques catégories particulières, indépendammentde leur gravité, d’un autre côté, combinées avec une modalité spéciale de commissionde l’infraction, à savoir la délinquance organisée. Si en France, on a bien mis en causel’élargissement progressif du fichier, en Espagne, la liste résultant de la loi 10/2007 estplus large qu’en France, ce qui a fait l’objet de critiques.

46 Par rapport à la doctrine de la CEDH, il semble que le système espagnol réponde mieux

au test de proportionnalité (équilibre entre les moyens et la fin dans une sociétédémocratique), car il combine deux critères principaux, l'un relatif à la gravité del'infraction, et l'autre à la protection des biens juridiques personnels, avec ladangerosité présumée du crime organisé. Malgré cela, le critère de la gravité del’infraction fait perdre au système espagnol le lien avec la finalité du fichier établi dans

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la mesure où il permet l’inscription pour des délits où l’existence de traces biologiquesest improbable, voire inefficace pour la recherche. Ce lien manque aussi quelquefoisdans la loi française. Néanmoins, le système français, fondé sur l'exhaustivité, seconforme mieux aux exigences du principe de légalité (ingérence prévue par la loi).

B. Personnes devant se soumettre à l’enregistrement de leurs

empreintes génétiques dans le fichier

47 En France, l’article 706-54 CPP, toujours en lien aux infractions mentionnées à l’article

706-55, définit les cas d’inscription obligatoire des profils ADN. Il s’agit : a) despersonnes déclarées coupables ; b) des personnes poursuivies ayant fait l'objet d'unedécision d'irresponsabilité pénale28 ; c) des personnes à l'encontre desquelles il existedes indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'unedes infractions mentionnées par la loi29.

48 En Espagne, conformément à l’article 3 de la loi précitée, l’inscription dans le fichier les

empreintes génétiques de toute personne suspecte, en garde à vue, ou mise en examenpour les infractions mentionnées dans cet article, sont de droit. Le système espagnol estdonc plus flexible que le système français. Il ne fait pas la différence entre lespersonnes condamnées et les personnes suspectées, et parmi ces derniers, il n’existepas non plus de différence entre les personnes simplement suspectées et les personneslargement suspectées30. La loi française ne permet pas d’inscrire le profil du simplesuspect, lequel ne pourra faire l’objet que d’un rapprochement entre son profilgénétique et les profils stockés dans le fichier31. Au contraire, le système espagnolentraîne un grand risque d’inscriptions injustifiées, compte tenu du fait que, dans lespremiers moments de toute recherche criminelle, on peut trouver des raisons poursoupçonner plusieurs personnes à l’encontre desquelles la police judiciaire a été tenued’obtenir le profil génétique, même lorsque les soupçons ont été tout de suite dissipés.Il y a tant de controverses à ce sujet que la Comisión Nacional para el uso forense del ADN

(Commission nationale pour l’usage médico-légal de l’ADN - CNUFADN) a fini parexclure le simple suspect du formulaire établi pour obtenir le consentement auprélèvement32.

49 En ce sens aussi, il faut souligner une autre grande différence à propos des personnes

suspectées. En droit français, leurs empreintes sont effacées sur instruction duprocureur de la République agissant soit d'office, soit à la demande de l'intéressé,lorsque leur conservation n'apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité dufichier (article 706-54 alinéa 2 CPP). Bien qu’on approfondira plus tard cette question,on peut déjà affirmer qu’en Espagne les empreintes génétiques des personnessuspectées demeureront dans le fichier pendant tout le temps nécessaire jusqu’à laprescription du crime ou délit, sauf s’il y a eu une ordonnance définitive de non-lieu ouun acquittement par jugement définitif. Mais, en pratique, presque toutes les décisionsde non-lieu adoptent un caractère provisoire. En conséquence, il est assez improbabled’obtenir l’effacement du profil avant ledit délai.

50 En France, comme en Espagne, pour ces personnes que nous venons de qualifier de

« soumises aux fichiers », l’inscription d’un profil génétique dans le fichier n’exige pasle consentement. Si cela n’est pas expressément affirmé dans le CPP français, on peuttoutefois conclure en ce sens car : 1°) le CPP ne contient aucune norme exigeant leconsentement des personnes déclarées coupables ou largement suspectées33 ; 2°) il

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prévoit que « les empreintes génétiques des ascendants, descendants et collatéraux despersonnes dont l'identification est recherchée ne peuvent être conservées dans lefichier que sous réserve du consentement éclairé, exprès et écrit des intéressés » (art.706-54, alinéa 4 ; 2º). Il est alors entendu, a contrario, que le consentement des personnescondamnées ou largement suspectées n’est pas nécessaire ; 3°) il existe une sanction encas de refus au prélèvement nécessaire pour obtenir l’empreinte génétique (infra).

51 En Espagne, l’article 3 de la LO 10/2007 essaie de mettre en évidence la distinction entre

inscription obligatoire et inscription librement consentie:

52 D’un côté, le consentement n’est pas nécessaire pour enregistrer les données

signalétiques fournies par l’ADN concernant les personnes soupçonnées, en garde vueou mises en examen, ni, non plus, pour les mêmes données obtenues dans les processusd’identification de dépouilles ou pour la recherche des personnes disparues34 (§ 1).

53 D’un autre côté, on permet l’inscription des données signalétiques obtenues à partir de

l’ADN quand la personne concernée prête son consentement exprès (§ 2).

54 Aux cas où le consentement de la personne concernée est nécessaire pour

l’enregistrement de son profil génétique, il faut remarquer que rien n’a été prévu sur lecontenu de l’information à fournir à cette personne. On ne peut estimer être devant unconsentement éclairé, si aucune précision n’est fournie sur la finalité du fichage, ladurée de celui-ci, les droits d’accès, la rectification, l’effacement, etc. En France, aumoins, la partie règlementaire du CPP impose l’accord de la personne intéressée pourl’inscription, mais aussi pour le rapprochement de son empreinte génétique avecl’ensemble des traces et des empreintes enregistrées35, tous les deux pouvant êtrevérifiés au procès-verbal. De son côté, paradoxalement, la loi espagnole mentionne ledevoir d’information seulement pour les individus qui ne peuvent consentir au fichage(article 3.1 in fine LO 10/2007)36 . On pourrait alors reformuler l’expression« consentement éclairé », en « information sans accord ».

55 Compte tenu de ce qui précède, il est hors de doute que le droit espagnol ne respecte

pas la Conv. EDH car il ne fait pas de distinction entre les personnes condamnées37 etsoupçonnées, comme il ne la fait pas non plus sur l’étendue du soupçon. Parconséquent, le risque de stigmatisation relevé par la CEDH se révèle évident dans la loiespagnole. Dans le cas des personnes simplement suspectées, le droit français permet,uniquement, le rapprochement de leurs empreintes génétiques avec celles stockéesdans le fichier. Cependant, une question troublante se dégage de cette disposition de laloi française: si le simple soupçon concerne un crime ou un délit particulier, ne serait-ilpas plus raisonnable de comparer l’empreinte génétique du suspect avec celles issuesdes traces biologiques rencontrées sur la scène de l’infraction 38? Il semble plutôt que lelégislateur utilise le soupçon comme une excuse pour faire un balayage général sur lapersonne suspectée. A notre avis, cette prévision porte atteinte à la présomptiond’innocence, bien que la Cour n’ait pas approfondi la question. Ce reproche est encoreplus fort au sujet de la loi espagnole, puisqu’elle oblige à l’inscription du profilgénétique du simple suspect.

56 Il existe encore un autre point où les systèmes juridiques espagnol et français

contreviennent explicitement la jurisprudence de la CEDH. Il s’agit de celui du casparticulier des mineurs, étant donné que le risque de stigmatisation est plus fort à leursujet. L’attention particulière exigée par la Cour est ignorée, même en France, où leConseil Constitutionnel39 a déjà tranché sur cette question. Or, me besoin d’untraitement différent pour les mineurs se dégage de l’article 40 de la Convention des

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Nations unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, qui énonce que toutenfant suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale a le droit à untraitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeurpersonnelle, qui renforce son respect pour les droits de l’homme et les libertésfondamentales d’autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité defaciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif ausein de celle-ci.

57 Finalement, il manque dans les deux systèmes, mais surtout dans le système espagnol,

une définition plus précise de l’information à fournir à toutes les personnes concernéespar le fichage de leurs empreintes génétiques, afin qu’elles puissent exercer les droitsqui leur sont reconnus par les lois, en particulier l’accès aux fichiers, à la rectificationet à l’effacement des données à caractère personnel.

III. Les questions soulevées par le prélèvementbiologique

58 En France, comme en Espagne, l’inviolabilité du corps humain était très certainement

dans l’esprit initial des rédacteurs des textes législatifs40, lorsqu’ils ont abordé laquestion de l’identification par l'ADN puisqu’il était nécessaire d’effectuer une prise desang sur la personne concernée. Actuellement, en raison du progrès scientifique, onidentifie une certaine divergence dans l’interprétation de la question entre les deuxpays. En effet, l’utilisation de kits de prélèvements buccaux permet d’obtenir lematériau biologique nécessaire pour l’expertise d’ADN avec une simple opération:frotter un bâtonnet muni d’un embout en mousse humidifié de salive sur la paroiinterne de la bouche, opération que peuvent même faire les officiers de policejudiciaire. Cette méthode ne porte pas atteinte à l’intégrité physique, ni à la dignité dela personne concernée. En tout état de cause, en France cette question resteétroitement liée à l’intégrité du corps humain ; elle est fondée sur la protectionjuridique des droits de la personnalité, entendue au sens des articles 16.1 et 16.1141. EnEspagne, l'absence d’une telle approche générale liée à la personnalité, ainsi quel’innocuité des techniques actuelles pour obtenir des échantillons biologiques, aconduit à questionner les implications sur le droit à l'intégrité physique42. Certainsauteurs estiment qu’il existe une ingérence à ce droit fondamental, mais par le biais duprincipe général de liberté individuel dont découle le besoin du consentement del’intéressé43. Il reste que la virtualité d’une atteinte au droit fondamental à l'intégritéphysique reste présente en raison de l'utilisation de la force physique pour vaincre larésistance de la personne qui refuserait de fournir un échantillon biologique.

A. Les différentes modalités de prélèvement biologique: intrusif,

externe et résiduel

59 Selon l’article 706-56 CPP, « L'officier de police judiciaire peut procéder ou faire

procéder sous son contrôle, à l'égard des personnes mentionnées au premier, audeuxième ou au troisième alinéa de l'article 706-54, à un prélèvement biologiquedestiné à permettre l'analyse d'identification de leurs empreintes génétiques ». Puis ilest ajouté : « Lorsqu’il n’est pas possible de procéder à un prélèvement biologique surune personne mentionnée au premier alinéa, l’identification de son empreinte

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génétique peut être réalisée à partir de matériel biologique qui se serait naturellementdétaché du corps de l’intéressé ». Certains parlent ici de « procédure de l’ADNrésiduel »44. Le CPP prévoit, à l’article 55.1, une troisième modalité de prélèvement dit« externe » à propos de la règlementation de l’enquête des crimes et des délitsflagrants45.

60 Il n’existe aucune difficulté pour caractériser le prélèvement résiduel : il ne faut pas

toucher le corps. Ce prélèvement ne nécessite pas la collaboration de la personne dontl’empreinte génétique doit être enregistrée (ou rapprochée du) au fichier. Le problèmeque ce système pose est d’assurer l’authenticité de l’échantillon et sa correspondanceavec la personne à laquelle il a été attribué. C’est le seul moyen d’assurer lacorrespondance entre l’empreinte génétique résultant de l’analyse et l’identité qui lui aété assignée. En ce sens, une personne qui a refusé le prélèvement devra finalement s’ysoumettre au moment de démontrer que l’empreinte génétique enregistrée ne luiappartenait pas. Bien entendu, il s’agit toujours de personnes pleinement identifiées.S’agissant du matériau biologique séparé naturellement du corps, mais dont on neconnaît pas la provenance, il faudrait parler de traces. Dans ce cas, l’empreintegénétique sera également inscrite, mais elle ne sera pas liée à l’identité d’une personne.

61 Il reste alors la question de différencier les adjectifs « biologique » et « externe »

attachés au concept de « prélèvement »46. La réponse est, à notre avis, que le premierentraîne une notion plus large que le second, celui-ci étant donc compris dans celui-là.On peut ainsi conclure dans le sens de la Décision du Conseil constitutionnel nº2003-467 du 13 de mars 2003 dont le considérant 55 déclare « que l'expression« prélèvement externe » fait référence à un prélèvement n'impliquant aucuneintervention corporelle interne; qu'il ne comportera donc aucun procédé douloureux,intrusif ou attentatoire à la dignité des intéressés; que manque dès lors en fait le moyentiré de l'atteinte à l'inviolabilité du corps humain; que le prélèvement externe n'affectepas davantage la liberté individuelle de l'intéressé»47. Le prélèvement externe est aussiun prélèvement biologique, mais ce dernier terme comprend également les méthodesintrusives ou impliquant une intervention corporelle interne, telle qu’une prise desang.

62 La Loi espagnole 10/2007 emploie, à ce sujet, l’expression « prise d’échantillons »

(troisième disposition additionnelle). On pourrait en faire découler une référenceimplicite aux méthodes « résiduelles »48, « externes » et « invasives » quand elle exige leconsentement de la personne concernée ou l’autorisation judiciaire pour les prisesconsistant à une inspection, une reconnaissance ou une intervention corporelle. Poursa part, la jurisprudence espagnole est de l’avis que la prise d’échantillons par le biaisdes kits buccaux ne comporte pas une ingérence au droit à l’intégrité de la personne ni,non plus, à sa dignité49.

B. Le consentement au prélèvement biologique, le refus de s’y

soumettre et la question de la contrainte physique

63 En France, s’il est évident que cette matière fait l’objet d’une règlementation rigoureuse

à l’article 706-56 CPP, cela n’implique pas l’absence de tout problème50. La loi françaisene trouve pas de correspondance avec la loi espagnole qui, comme nous allons le voir,reste confuse.

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64 Ainsi, du cadre de l’article 706-56 du CPP français, on peut retenir les

conclusions suivantes:

65 1°) Le prélèvement biologique vise directement à obtenir l’empreinte génétique des

personnes mentionnées au premier, au deuxième ou au troisième alinéa de l’article706-5451 ;

66 2°) Dès lors qu’il est probable que le profil de la personne concernée soit déjà

enregistré, la loi prévoit explicitement une vérification préalable pour éviter leprélèvement 52 ;

67 3°) Le prélèvement (externe ou invasif) doit se faire avec le consentement de l’individu

concerné, c’est-à-dire, des personnes mentionnées au premier, au deuxième ou autroisième alinéa de l’article 706-5453. Néanmoins, ce consentement n’est pas nécessaires'il s'agit d'une personne condamnée pour crime ou déclarée coupable d'un délit punide dix ans d'emprisonnement ou plus, même si cette personne a fait l’objet d’unedécision d’irresponsabilité pénale (art 706-120, 706.125, 706-129, 706-133 ou 706-134). Àpropos de cette exception, une question essentielle se pose toute suite : l’utilisation dela contrainte physique est-elle possible pour venir à bout de la résistance du sujetinsoumis? La réponse ne peut être que négative : l’emploi de la force n’est pas permisen France au regard de l’article 16-1 du code civil54. C’est pour cela que la loi punit lerefus de se soumettre au prélèvement et qu’elle prévoit aussi le prélèvement résiduel.En effet, le refus de se soumettre au prélèvement est puni d'un an d'emprisonnement etde 15 000 euros d'amende ; la peine est plus forte lorsque ces faits sont commis par unepersonne condamnée pour crime, deux ans d'emprisonnement et 30 000 eurosd'amende55. Si, malgré cette contrainte pénale, la personne persiste dans son refus,l'identification de son empreinte génétique peut être réalisée à partir de matérielbiologique qui se serait naturellement détaché de son corps. Une autre question peutêtre alors posée : l’identification de l’empreinte génétique par le biais de ce procédéempêche-t-elle la poursuite pour délit de refus de se soumettre au prélèvement? Ilsemble que la loi veuille punir en tout état de cause le refus, puisqu’elle sépare dansdeux alinéas différents, la règlementation du prélèvement et les conséquences d’enrefuser la réalisation56.

68 4°) La prévention contre le risque de manipulation de la part de la personne faisant

l’objet d’un prélèvement est remarquable57, bien qu’une telle manipulation est trèsdifficile avec les techniques actuelles, se limitant à l’obtention de salive dans la cavitébuccale.

69 Pour sa part, la loi espagnole, LO 10/2007, fait une seule référence à la « prise des

échantillons » (troisième disposition additionnelle): « Pour la recherche des délitsénumérés à la lettre a) de l’alinéa 1 de l’article 3, la police judiciaire procédera à lacollecte des échantillons et fluides de l’individu suspecté, en garde vue ou mis enexamen ; ainsi que du lieu du délit ». À partir de ce libellé, la collecte des échantillonsbiologiques ainsi que celles obtenues d’un prélèvement, sont liées, par la loi, à larecherche de l’auteur de l’infraction, et non pas à l’inscription au fichier, de sorte que sion n’avait pas besoin d’analyser l’ADN pour résoudre cette recherche, il n’est pasnécessaire d’obtenir d’empreintes génétiques. À vrai dire, il n’y a dans la loi aucun lienentre l’article 3, qui règlemente l’enregistrement, et la disposition additionnelletroisième, prévue pour la collecte des échantillons. Les expressions employées danschaque disposition sont même différentes, à savoir, respectivement, « dans le cadred’une recherche criminelle » et « pour la recherche des délits ». En dépit de cette clarté,

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la pratique policière agit toujours comme si le but du prélèvement était le fichage etnon pas la recherche de l’auteur de l’infraction58.

70 Le prélèvement exige aussi, dans le système espagnol, le consentement de la personne

concernée. Si elle ne le prêtait pas, l’autorisation judiciaire serait nécessaire en casd’inspection, de reconnaissance ou d’intervention corporelle59. Pourtant, à l’exceptionde quelques auteurs60, l’opinion doctrinale majoritaire et la jurisprudence neconçoivent pas que la loi rende possible l’emploi de la force physique, même si le sujetconcerné ne prête pas sa collaboration après l’autorisation judiciaire61. Comme onl’avait déjà annoncé, la loi espagnole manque d’une règlementation particulière sur lerefus de se soumettre au prélèvement62. Rien n’a été prévu non plus pour vérifier aupréalable si l'empreinte génétique de la personne concernée a déjà été enregistrée.

71 L’arrêt S. et Marper c. Royaume-Uni ne se prononce pas sur la problématique du

prélèvement qui ne faisait pas partie des plaintes des requérants. En tout état de cause,le consentement est requis pour toute action de la nature analysée et, à défaut,l’autorisation judiciaire ou la réquisition du Procureur de la République. Du point devue du droit à la vie privée, et compte tenu de ce que tout prélèvement vise à obtenirune empreinte génétique destinée au fichier, pour considérer si le consentement estvalablement donné, il faudrait informer clairement de la finalité du prélèvement et desconséquences juridiques qui en découlent. Or, rien de particulier n’a été prévu par leslois des deux pays63. D’ailleurs, fait également défaut une loi permettant d’une manièreexpresse et claire l’utilisation de la contrainte physique, dont l’emploi, au regard de larèglementation en vigueur64, impliquerait une ingérence au droit à l’intégrité physiquereconnu à l’article 3 Conv. EDH65. Enfin, en France comme en Espagne, l’absence d’unerègle particulière sur le consentement au prélèvement chez les mineurs est trèscritiquable : il faudrait pouvoir mesurer leur maturité et compléter ou substituer leurdécision avec l’assistance du représentant légal.

IV. Les analyses d’ADN et la conservation deséchantillons biologiques : leurs risques pour le droit àla vie privée

72 « La question ‘Que doit-on savoir sur qui à travers les fichiers génétiques ?’ est

inséparable de ‘ Que peut-on savoir au stade actuel de la science ?’ et ‘Comment sait-on?Quels outils, vecteurs et archives? Comment exploiter cette connaissance?’»66.

73 L’obtention d’une empreinte génétique implique nécessairement une activité

scientifique et technique qui est projetée sur un échantillon biologique, dont l’ADNdevra être analysé par un expert. Deux risques principaux se dégagent de cette activitémédico-légale. D’une part, exploiter l’analyse pour extraire de l’ADN plusd’informations que celles strictement utiles à déterminer le profil génétique. D’autrepart, allouer les échantillons biologiques à des fins illégitimes. Compte tenu dudéveloppement vertigineux du génie génétique, il semble très raisonnable de mettrel’accent sur la prévention et l’élimination de ces risques. La CEDH avait souligné lesrisques exposés ressortissants de la conservation des échantillons et de la réalisationdes analyses de l’ADN, et surtout la possibilité de leur exploitation à mauvais escient.Par conséquent, elle exigeait des États des mesures certaines et suffisantes pour éviterces risques et sauvegarder les droits fondamentaux des personnes concernées. Il faut

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mettre en évidence la possibilité d’atteintes au droit à l’intimité personnelle, enparticulier l’« intimité corporelle », qui comprend ce que l’on appelle l’« intimitégénétique »67, dans la mesure où il est possible d’avoir accès à toute l’informationpersonnelle contenue dans l’ADN avec les analyses (et la conservation des échantillonsbiologiques permettra de le faire pendant toute la durée de conservation).

74 Pour ce qui est des analyses, la formule contenue à l’article 706-54 CPP est stricte : « les

empreintes génétiques conservées dans ce fichier ne peuvent être réalisées qu'à partirde segments d'acide désoxyribonucléique non codants, à l'exception du segmentcorrespondant au marqueur du sexe »68. L’article R53-13 CPP précise que « le nombre etla nature des segments d'ADN non codants sur lesquels portent les analysesd'identification par empreintes génétiques sont définis par arrêté du ministre de lajustice et du ministre de l'intérieur pris après avis de la commission chargée d'agréerles personnes habilitées à effectuer des missions d'identification par empreintesgénétiques dans le cadre des procédures judiciaires ». En outre du CPP, il faut aussiprendre en compte le principe plus général, mais qui s’applique ici, contenu à l’article16-12 du Code civil français : « sont seules habilitées à procéder à des identificationspar empreintes génétiques les personnes ayant fait l'objet d'un agrément dans desconditions fixées par décret en Conseil d'État. Dans le cadre d'une procédure judiciaire,ces personnes doivent, en outre, être inscrites sur une liste d'experts judiciaires ». Ledécret nº 97-109 du 6 février 1997 développe ces prescriptions légales. Il a créé unecommission chargée d’agréer les personnes habilitées à effectuer des missionsd’identification par empreintes génétiques, soit dans le cadre d’une procédurejudiciaire, soit en vue d’un enregistrement au FNAEG. Cette « Commission d’Agrément »est présidée par un Magistrat. Sous réquisition du ou de la Garde des Sceaux, ministrede la Justice, la Commission a pour mission de donner son avis sur les questionsrelatives à la fiabilité et à la sécurité des analyses d’identification par l’ADN69.

75 En ce qui concerne la conservation des échantillons biologiques, le décret n° 200-413,

du 18 mai 200070 crée le Service central de préservation des prélèvements biologiques(SCPPB), géré par l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale. Ceservice devait conserver les traces et les prélèvements biologiques pendant quaranteans. Toutefois, des raisons économiques ont imposé la seule conservation des traces,mais pas des prélèvements (modification introduite par le décret du 27 mai 2004)71. Onremarquera par ailleurs que le SCPPB (comme le même FNAEG) est placé sous contrôled’un magistrat72.

76 Ces matières restent plus imprécises en Espagne dans la mesure où la LO 10/2007 se

limite à indiquer : « Les identificateurs obtenus à partir de l’ADN ne pourront s'inscriredans la base de données de la police règlementée par la présente loi que dans le cadred’une recherche criminelle, concernant exclusivement des informations génétiquesrévélatrices de l’identité de la personne et de son sexe » (art. 4). À cet égard, il manqueune interdiction incontestable d’analyser l’ADN codant. Pris mot à mot, il en découleune simple censure de l’information provenant des analyses, hors des indicationslégales. Par rapport aux experts habilités, la loi espagnole prévoit simplement que « lesanalyses de l’ADN pour l’identification génétique dans les cas prévus ne peuvent êtreeffectuées que par les laboratoires accrédités à ce but par la « Commission nationalepour l’usage médico-légal de l’ADN » (article 5.2). Le décret du 11 décembre 2008 a créécette Commission, sous la présidence du Directeur général des rapports avecl’Administration de la Justice. Il n’est pas prévu que l’on puisse demander l’avis de cette

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Commission, bien qu’elle puisse formuler des propositions aux ministères de l’Intérieuret de la Justice à propos de l’efficacité de la recherche criminelle et l’identification decadavres.

77 Sur la conservation des échantillons, la loi espagnole stipule que « l’autorité judiciaire a

pour tâche de se prononcer sur l’ultérieure conservation des échantillons ou vestigesbiologiques ». Cette disposition est placée juste après l’endroit où la loi prévoit que « leséchantillons et vestiges seront remis aux laboratoires dûment accrédités pour faire lesanalyses » (article 5.1). Il en découle que ce sont ces mêmes laboratoires qui doiventconserver le matériel biologique. Mais il manque toute autre précision à propos dutemps de conservation, de la procédure pour la décision judiciaire, des critères pourordonner la conservation ou destruction, des garanties ou mesures de sécurité, etc.73.

78 Si l’on revient à la jurisprudence de la Cour EDH, il est vrai que le droit français et le

droit espagnol ont mis en place des mécanismes d'accréditation par des experts et decontrôle afin de s'assurer, grâce à des tests de qualité, de l’adéquation de l'analyse à sonbut et à sa fiabilité, ainsi que de la confidentialité des données extraites74.

79 Cela étant, il faut reconnaître que la loi française s’avère plus large et précise, qu’elle

est précisée par des normes règlementaires et, surtout, qu’elle a placé sous contrôle desmagistrats aussi bien la « Commission d’agrément » que le SCPPB. Tous ces élémentsassurent une certaine objectivité et indépendance par rapport au pouvoirgouvernemental et, par conséquence, un haut degré de protection du droit à la vieprivée. A titre de comparaison, la loi espagnole devrait suivre cet exemple, et au moinss’engager dans la réglementation de la portée des analyses, de la durée et de la formede la conservation des échantillons ; il conviendrait notamment qu’elle définisse aussil'intervention judiciaire directe. En l’absence de telles précisions, un décret aurait dûs’y atteler. Or, le décret du 11 décembre 2008 précité laisse toute liberté à laCommission qu’il a créé pour régler les aspects techniques, la sécurité et laconfidentialité autour des analyses et des échantillons biologiques.

V. Les données à caractère personnel attachées àl’empreinte génétique et leur traitement au fichier

80 Nous avons déjà vu qu’une empreinte génétique n’est qu’un code chiffré, un code-

barres qui trouve sa correspondance avec une personne identifiée si l’analyse a étéeffectuée sur un prélèvement. Mais ce n’est pas si simple. L’inscription au FNAEGcontient aussi des noms, des prénoms, des dates et des lieux de naissance, et desfiliations des personnes nommément identifiées dont les empreintes génétiques sontenregistrées. Si l’analyse avait été réalisée sur une trace biologique, on ne pourrait pasconnaître l’identité de la personne à qui elle appartient, seulement le sexe. D’autrepart, et selon les cas, ce ne sont pas les seules informations enregistrées. On en trouveaussi d’autres concernant la procédure et son état, la nature de l’affaire et, le caséchéant, la date à laquelle la condamnation est devenue définitive ou, si cette date n'estpas connue du gestionnaire du fichier, la date de la condamnation, ainsi que lespersonnes qui sont intervenus dans le processus d’analyse de l’ADN et d’enregistrementau fichier75.

81 En Espagne, tout ce qui concerne le contenu, la structure et l'organisation du fichier a

été règlementé par simple ordre du ministère de l’Intérieur, el « Orden INT/1202/2011,

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de 4 de mayo, por la que se regulan los ficheros de datos de carácter personal delMinisterio del Interior »76. À proprement parler, l’ordre ne règlemente pas la Base dedonnées que la LO 10/2007 prétend créer, mais quatre fichiers policiers indépendants,bien qu’ils soient expressément attachés aux dispositions de ladite loi. Pour ce qui estdes données à caractère personnel qui font l’objet d’enregistrement, leur quantité etleur qualité attirent l’attention77. Il s’agit des a) « profils génétiques obtenus à partird'échantillons biologiques, qui fournissent des informations exclusivement génétiquerévélant l'identité de la personne, le sexe, l'ascendance et les traits physiques externes,sans que l’on puisse pour autant tirer de ces profils des informations relatives à la santédes personnes » ; b) des « données signalétiques: description, traits physionomiques etanthropologiques et données du profil génétique à valeur signalétique » ; c) des« données concernant des caractéristiques personnelles et l'identité : DNI78 / NIF 79 /Passeport, nom et prénom, adresse postale, téléphone, données de filiation,renseignements familiaux, date et lieu de naissance, âge, sexe, nationalité, lieu deséjour habituel ».

82 Une spécificité finale de chaque système mérite d’être indiquée. En France, les

opérations de transmission des données au gestionnaire du fichier relève desmagistrats du parquet ou de l’instruction et des officiers de police judiciaire. Tous lestrois peuvent aussi demander de telles opérations aux personnes requises pour réaliserles analyses de l’ADN (articles R53-18 alinéa 4 et 706-56 alinéa 3 du CPP). En Espagne, laLO 10/2007 habilite exclusivement la police judiciaire pour la transmission des donnéesrésultant de l’analyse de l’ADN (article 6). Aucune mention n’est faite au Juged’Instruction ou au Ministère Fiscal (l’équivalent du Procureur de la République).

83 En vue de la nature des données à caractère personnel pouvant être enregistrées, les

réflexions de la Cour EDH (supra) prennent tout leur sens: « il y a dans les profils unequantité importante de données à caractère personnel, dont le traitement automatisépermet aux autorités d’aller bien au-delà d’une identification neutre de la personne ».Cette idée attire notre attention sur deux points particulièrement inquiétants : la duréede séjour des données dans le fichier (A) et les moyens mis à disposition des citoyenspour faire valoir leurs droits à l’encontre de l’enregistrement de leur profil génétique(B).

A. La durée de conservation des données à caractère personnel

dans le fichier

84 En France, l’article 706-54 du CPP renvoie cette matière à un décret en Conseil d’État,

pris après avis de la CNIL. C’est le décret n° 2000-413 du 18 mai 2000, modifié à diversesreprises, qui a développé cette habilitation législative. Malgré le libellé confus de sesarticles R53-14, R53-14-1 et R53-14-2, on peut distinguer deux règles principales etquelques précisions80.

85 La première règle n’opère pas de distinction entre traces et prélèvements, identifiés ou

non identifiés. Elle établit un délai de quarante ans pendant lequel les informationsenregistrées peuvent être conservées. Cette norme est valable aussi pour les cas où il aeu une décision de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittementexclusivement fondée sur l'existence d'un trouble mental en application desdispositions du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal. Ce délai commence àcompter soit de la demande d'enregistrement, soit du jour où la condamnation est

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devenue définitive ou, si cette date n'est pas connue du gestionnaire du fichier, du jourde la condamnation.

86 La seconde règle prévoit un délai de vingt-cinq ans, à compter de la demande

d'enregistrement, pour les informations ressortant des prélèvements concernant lespersonnes largement suspectées, si leur effacement n'a pas été ordonnéantérieurement.

87 Il est précisé que a) les empreintes génétiques issues d'un cadavre non identifié

enregistrées dans le cadre d'une procédure pour recherche des causes de la mort sonteffacées dès la réception par le service gestionnaire du fichier d'un avis l'informant del'identification définitive de la personne décédée ; b) que les empreintes génétiquesd'une personne disparue ainsi que celles de ses ascendants et descendants sont effacéesdès la réception par le service gestionnaire du fichier d'un avis de découverte de cettepersonne. Les parents mentionnés peuvent demander en tout temps l’effacement deleurs empreintes génétiques, et le Procureur de la République doit faire droit à cettedemande (article R. 53-13-1).

88 Quant à elle, la loi espagnole 10/2007 encadre cette matière en son article 9. On peut en

dégager une règle générale et quelques exceptions pour la « conservation dans la basede données des identificateurs obtenus à partir de l’ADN ». La règle générale est que laconservation n’est permise que pendant le temps signalé par la loi pour la prescriptiondu délit81. Le texte souligne que cette disposition est également valable pour les simplessuspectés, c’est-à-dire, ceux qui n’ont pas été finalement accusés. La exception élargit lefichage jusqu’à l’annulation des casiers judiciaires, s’il y a eu soit arrêt decondamnation, soit arrêt d’acquittement pour absence d’imputabilité ou culpabilité,sauf si le juge décide autrement dans ce dernier cas. La deuxième exception imposel’annulation de l’inscription dans le cas d’une décision ferme d’acquittement ou de non-lieu. On trouve aussi d’autres spécificités : a) s’il y a plusieurs enregistrementsconcernant une même personne pour des délits différents, les données resterontinscrites jusqu’à la fin du délai d’annulation le plus large ; b) les données des personnesdécédées sont effacées dès que le gestionnaire de la base connaît le décès ; c) les profilsgénétiques provenant de procédures pour l’identification de dépouilles ou de recherchede personnes disparues, ne sont pas effacés tant qu’ils soient nécessaires au but de larecherche ; d) les profils provenant de traces resteront pour toujours dans la base, maisune fois leur identification a été possible, les règles précédentes sont appliquées.

89 Dans ce contexte, la loi espagnole semble plus respectueuse du principe de

proportionnalité que la loi française, car la première relativise la durée del’enregistrement en fonction de la gravité des délits et des crimes. En revanche, le droitfrançais établit les mêmes périodes pour tous les délits et les crimes compris dans lechamp d’application du fichier82. Néanmoins, les deux systèmes se rapprochent quant àla proportionnalité en prévoyant un délai du fichage plus court pour les personnes noncondamnées. Il reste que, puisque les empreintes génétiques des personnes simplementsuspectées sont exclues du fichier, le respect du principe de proportionnalité s’avèreplus fort en droit français qu’en Espagne. Il y a donc, dans les deux cadres législatifs,des motifs pour estimer que la conformité à la Conv. EDH n’est pas totale, parce qu’ellesne respectent pas toutes les indications données par la Cour européenne portant sur lagravité de l’infraction, ainsi que sur la différenciation entre personnes condamnées etpersonnes suspectées.

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90 Une fois encore, l’ingérence au droit à la vie privé s’avère plus forte dans la perspective

des mineurs. Si l’enregistrement de leurs empreintes génétiques dans ces fichiers, dansles mêmes conditions que celles des adultes est déjà discutable, il est plus regrettableencore, d’assimiler le traitement des données des uns et des autres83, car cela augmentele risque de stigmatisation dénoncé par la CEDH.

B. Les droits d’accès, de rectification et d’effacement

91 L’article R53-15 CPP français, sur ce point, opère un rappel de la loi nº 78-17 du 6 janvier

1978 modifiée, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, en stipulant que ledroit d’accès prévu par l’article 34 de cette loi doit s’exercer auprès du directeur centralde la police judiciaire du ministère de l’Intérieur. Néanmoins, comme nous l’avons déjàcité, il contient des normes particulières concernant l’effacement: L’une est relative auxempreintes des personnes largement suspectées, pouvant être effacées sur instructiondu Procureur de la République, soit d’office, soit à la demande de l’intéressé, lorsqueleur conservation n’est pas nécessaire au regard de la finalité du fichier. L’autre est liéeaux empreintes génétiques des ascendants, descendants et collatéraux des personnesdont l'identification est recherchée, par rapport aux procédures de recherche descauses de la mort ou de recherche des causes d'une disparition, qui doivent êtreeffacées de droit à la demande de l’intéressé.

92 Les articles R53-13-1 à R53-13-6 CPP prévoient une procédure très simple et très brève

pour statuer sur la demande d’effacement, avec l’intervention du Procureur de laRépublique, à défaut de réponse ou s’il n' ordonne pas l'effacement, du juge des libertéset de la détention, et, le cas échéant, du président de la chambre de l'instruction, dontl’ordonnance peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation si elle ne satisfait pas, en laforme, aux exigences légales.

93 Enfin, il convient de souligner que le FNAEG est placé sous le contrôle d'un magistrat du

parquet hors hiérarchie, qui peut ordonner toutes mesures nécessaires à l'exercice deson contrôle, telles que saisies ou copies d'informations, ainsi que l'effacement desenregistrements illicites. Les pouvoirs qui lui sont confiés s'exercent sans préjudice ducontrôle qui incombe à la Commission nationale de l'informatique et des libertés(articles R53-16 et R53-17 CPP).

94 De la même manière, la loi espagnole, à l’article 9, fait écho à la LO 15/1999, du 13

décembre 1999, de protection de données à caractère personnel, pour l’exercice desdroits d’accès, rectification et effacement84, mais, au contraire du droit français ¡ iln'existe aucune autre disposition ! Pour sa part, l’ordre INT/1202/2011, susmentionné,se limite à déterminer les gestionnaires des fichiers qui font partie de la base issue de laloi : les fichiers INT-SAIP et INT-FÉNIX, à la charge de la Secretaría de Estado de Seguridad

(Secrétariat d’État de Sécurité) ; et les fichiers ADN-HUMANITAS et ADN-VERITAS,gérés par la Comisaría General de Policía Científica (Commissariat général de la Policescientifique)85.

95 Comme il arrivait à propos des échantillons biologique et analyses d’ADN, on ne peut

pas s’étonner que le droit espagnol ne réponde pas aux exigences découlant de la Conv.EDH, dès lors que le législateur n’a non plus défini l’exercice d’un véritable contrôlejudiciaire indépendant, hors des autorités gouvernementales, pour décider del’inscription ou de l’effacement des données à caractère personnel de la base nationale,la procédure administrative précédant à l’intervention du juge étant très lourde.

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Réflexion finale

96 Pour la Cour EDH il est essentiel de fixer des règles claires et détaillées régissant la

portée et l’application des mesures emportant une ingérence au droit à la vie privée etfamiliale. En conséquence, un minimum d’exigences s’impose à notre sujet, concernanttout le procédé nécessaire pour obtenir et enregistrer une empreinte génétique dans lefichier, ainsi que le traitement des données à caractère personnel qui en découlent,notamment la durée, l’utilisation, l’accès des tiers, les procédures destinées à préserverl’intégrité et la confidentialité des données et les procédures de destruction de celles-ci,de manière à ce que les justiciables disposent de garanties suffisantes contre les risquesd’abus et d’arbitraire (§ 99, S. S. et Marper).

97 À partir de l’analyse des systèmes espagnol et français de collecte et traitement de

données à caractère personnel, en ce qui concerne les échantillons biologiques, lesanalyses d’ADN et les empreintes génétiques, le bilan par rapport à la Conv. EDHpenche quelques peu en faveur de la France. Les conclusions successives présentéestout au long de ce texte permettent de caractériser le système espagnol comme unsystème policier ou gouvernemental, sans intervention judiciaire claire et directe, soitpour le contrôle du propre système, soit pour sauvegarder les droits fondamentaux despersonnes dont les profils génétiques font objet d’un enregistrement. Le systèmefrançais, étant placé sous contrôle juridictionnel des magistrats et avec uneréglementation plus précise et large, malgré les défauts soulignés, atteint un meilleuréquilibre entre le but légitime poursuivi avec le FNAEG et la sauvegarde des droitsfondamentaux des personnes concernées, au sein d’une société démocratique.

NOTES

1. « Le terme trace se réfère à ce qui subsiste de visible d’un événement passé et suggère qu’il

serait possible de reconstituer le passage physique de quelqu’un », HUYGUE F. B., ADN et enquêtes

criminelles, Paris, Presses Universitaires de France, 2008, p. 53.

L’enquête de tout fait délictuel exige de la police judiciaire une tâche fondamentale : la

recherche, la collecte et la préservation de toutes les traces ou indices provenant du délit.

2. On pourrait bien employer l’expression « sphère du crime », plutôt que l’expression « lieu du

crime » pour y inclure toutes les possibilités de trouver les indices matériels, y compris les

biologiques, liés à un délit.

3. En témoignage, l’information parue dans le journal Le Monde du 20 novembre 2013 : « Selon le

procureur de la République de Nanterre, Robert Gelli : « L'ADN mis en évidence sur les douilles

libérées à Libération et à la Société générale, ainsi que sur la portière passager du véhicule de l'otage, est le

même. L'hypothèse d'un auteur unique est donc confirmée. En conséquence, j'ai décidé de me dessaisir des

faits de la Défense et d'enlèvement au profit du procureur de Paris, saisi des faits les plus graves commis au

siège de Libération. » (http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/11/20/l-adn-confirme-l-

hypothese-d-une-tireur-unique-a-paris-et-a-la-defense_3516863_3224.html).

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On peut remarquer que l’analyse de l’ADN des traces recueillies sur les différents lieux révèle

qu’il s’agit d’un seul tireur, ce qui servira à orienter les enquêteurs. En plus, la connaissance de

cette donnée détermine également, du point de vue purement procédural, que le procureur de la

République de Nanterre perde la compétence pour mener l'enquête, qui incombe au procureur de

la République de Paris, où s’est produit le fait le plus grave.

4. Le premier cas où l’identification par l’ADN a été utilisée en Espagne a eu lieu en 1991, pour un

crime de viol. Son résultat permit d’innocenter le suspect, privé de liberté, qui avait été identifié

par la victime. Vid. ALONSO ALONSO A., « Una década de perfiles de ADN en la investigación

penal y civil en España: la necesidad de una regulación legal », Estudios de Derecho Judicial, nº 36,

CGPJ, 2001., 2001, p. 72.

5. En France, le premier procès pénal résolu grâce à l’identification par l’ADN fut l’affaire

Dickinson qui a eu lieu en 1996. Comme il était arrivé dans le cas espagnol, un premier suspect

emprisonné fut innocenté par la preuve par l’ADN ; le véritable meurtrier serait, par hasard,

arrêté cinq ans plus tard, aux États-Unis, puis extradé et jugé en France ; v. HEMON, Helene et

TANNEAU Michel, L’affaire Dickinson, une enquête hors du commun, Éditions Apogée, 2005.

6. Non seulement pour trouver les coupables, mais aussi pour innocenter des personnes

suspectées, comme il est arrivé précisément aux premiers cas résolus en Espagne et en France

par le biais de l’ADN.

7. AMBROISE-CASTEROT C., « Les empreintes génétiques en procédure pénale », in Les droits et le

Droit. Mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Paris, Dalloz, 2007, pp. 22 et 23.

8. Le degré de conviction fourni par cette activité de comparaison dépendra du lien rationnel

entre l’événement affirmé à partir de l’analyse ADN et l’hypothèse de fait de la norme pénale,

compte tenue de la nature de la trace et des circonstances de leur découverte. Le résultat négatif

de l’activité de comparaison, pourtant, n’exige pas de porter un « jugement sur la gradation »

relatif à la conviction : il entraînerait directement l’acquittement, bien sûr, s’il n’y avait pas

d’autres indices de culpabilité. V. SOTELO MUÑOZ H., La identificación del imputado , Tirant lo

Blanch, 2009, p. 89.

9. En ce sens, DEMARCHI J.-M., Les preuves scientifiques et le procès pénal, LDGJ, Lextenso éditions,

2012, p. 188 ; DE HOYOS SANCH, M., « Archivo y conservación en ficheros policiales de muestras

biológicas y perfiles de ADN », Estudios de Derecho Judicial, nº 155, CGPJ, 2009, p. 2.

10. V. VALICOURT DE SÉRANVILLERS H., « La preuve par l’ADN et l’erreur judiciaire ;

L’Harmattan, 2009. L’auteur va jusqu’à qualifier la preuve par l’ADN d’ « ordalie » de notre temps.

Il s’agit d’un cas de condamnation, suivi quelques années plus tard d’un acquittement, tous les

deux à partir d’analyses ADN, Ch Crim 15 mai 2013 - n° de pourvoi: 12-84818.

11. « Plus un fichier est vaste, plus la probabilité d’un match dans le jargon des spécialistes est

forte, c’est-à-dire, d’un rapprochement entre trace inconnue et profil archivé », HUYGHE, F.B., op.

cit. p 54.

12. Il s’agit du même mécanisme qui est utilisé depuis un siècle avec des fichiers ou des bases de

données d'empreintes digitales, d'où l'utilisation du terme «empreinte génétique ». SOTELO

MUÑOZ, H., op. cit., p 89, insiste sur l’importance des bases de données pour la comparaison des

traces et des empreintes, parce que grâce à elles l’enquête ne doit pas partir d’un suspect

déterminé. En effet, on pourrait ajouter, c’est précisément le rapprochement entre les données

obtenues des traces et les données stockées dans le fichier qui fournira le suspect.

13. BAETA, M. et MARTÍNEZ-JARRETA, B., « Situación actual de las bases de datos de ADN en el

ámbito forense: Nuevos avances, nuevas necesidades », Revista Derecho y Genoma Humano, nº 31

julio-diciembre 2009, 161-183, p. 167 (http://bioderecho.wordpress.com/numero-31/).

14. Naturellement, le phénomène n'est pas nouveau, mais il a certainement augmenté en Europe

avec la suppression des frontières et l'élargissement progressif de l'Union. La France et l'Espagne

font partie du groupe des sept États membres de l'Union qui ont signé le Traité de Prüm du 27

mai 2005, relatif à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de

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lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale. Les aspects

essentiels de ce traité ont été incorporés dans la législation générale de l'Union par la Décision

2008/615/JAI du Conseil, du 23 juin 2008. V. DE HOYOS SÁNCHO M., art. préc., p. 4.

15. Désormais LO 10/2007.

16. Les fichiers existant à la date de promulgation de la LO 10/2007 étaient les suivants :

- À la Police nationale, le fichier « ADN Humanitas », pour l’identification des restes humains, et

le fichier « ADN veritas » pour la comparaison des profils ADN obtenus des traces recueillies sur

le lieu du crime, avec ceux provenant des scellés qui sont déterminés par l’autorité judiciaire. Les

deux fichiers, placés sous la Direction générale de la Police, ont été créés par ordre ministériel du

21 septembre 2000, substitué par l’ordre ministériel du 20 juin 2002.

- Au sein de la Gendarmerie espagnole (Guardia Civil), selon le même schéma, il y avait un fichier

destiné à la recherche criminelle, « ADNIC », réglementé par l’ordre du 7 mars 2000, et un autre

pour l’identification des personnes disparues et des restes humains, « FENIX », réglé par l’ordre

du 18 mars 1998. Le régime de ces fichiers a été modifié par l’ordre du 11 novembre 2004.

- En ce qui concerne les Communautés autonomes, tant le Pays Basque, Ordre du 2 septembre de

2003 (modifié par l’Ordre du 2 avril 2007), que la Catalogne, Ordre du 7 octobre 2007, ont des

fichiers destinés à la recherche criminelle. L’assimilation de ces fichiers dans la Base de données

nationale serait possible si leur but est semblable à celui qui est établi par la LO 10/2007, selon la

disposition additionnelle première de cette loi. Voir ROMEO CASABONA C.Mª., et ROMEO

MALANDA S., « Los identificadores del ADN en el sistema de justicia penal », Aranzadi, 2010, pp.

179-181; DOUTREMEPUIG C. (dir.), Les fichiers des empreintes génétiques en pratique judiciaire, Paris,

La Documentation Française, Paris 2006, pp. 38-40.

17. Ley Orgánica 5/1992, de 29 de octubre, Reguladora del Tratamiento Automatizado de Datos,

substituée par la Ley Orgánica 15/1999, de 13 de diciembre, de Protección de Datos de Carácter

Personal.

18. Il s’agissait du nouveau libellé des articles 366 et 363 de la Ley de Enjuiciamiento Criminal

(LECr), introduit par la LO 15/2003, du 25 novembre.

19. Il est possible de distinguer un concept plus large pour l’expression « profil ADN ou profil

génétique », comprenant toute l’information génétique de la personne concernée, et non

seulement son empreinte génétique ; v. ÁLVAREZ GONZÁLEZ S., « Derechos fundamentales y

protección de datos genéticos », Dykinson, 2007, p. 68 et p. 431.

20. ROMEO CASABONA C.Mª. et ROMEO MALANDA S. utilisent cette terminologie pour donner le

titre au livre susnommé.

21. Définition tirée de la caractérisation exprimée par ALONSO ALONSO A., art. préc.., p. 81.

22. Le troisième élément de comparaison était l’empreinte digitale dont l’étude a été exclue en

raison du sujet de cet article. Il suffit de souligner que la Cour constate que les empreintes

digitales ne contiennent pas autant d’informations que les échantillons cellulaires ou les profils

ADN (§ 78). Malgré cela, elle affirme que l’enregistrement de ces données en vue d’une analyse

ultérieure pour faciliter l’identification des personnes et le caractère systématique ou permanent

de l’enregistrement était susceptible de faire entrer en jeu le droit au respect de la vie privée,

même si les données concernées étaient dans le domaine public ou disponibles d’une autre

manière (§ 84). Par conséquent, elle estime que l’approche adoptée par les organes de la

Convention au sujet des photographies et échantillons de voix doit aussi être appliquée aux

empreintes digitales.

23. Voir notamment l’article 6 de la Convention du Conseil de l’Europe de 1981 pour la protection

des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, qui fait

entrer les données à caractère personnel révélant l’origine raciale, avec d’autres informations

sensibles sur l’individu, parmi les catégories particulières de données ne pouvant être conservées

que moyennant des garanties appropriées.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

347

Page 349: La Revue des droits de l’homme, 6

24. En ce sens, l’arrêt nous rappelle que le Conseil de l’Europe a reconnu il y a plus de quinze ans

que les techniques d’analyse de l’ADN présentaient des avantages pour le système de la justice

pénale (Recommandation no R (92) 1 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, §§ 43-44 ci-

dessus).

25. Tel que fait noter le propre jugement, les autorités nationales bénéficient d’une certaine

marge d’appréciation lorsqu’il s’agit de déterminer la nécessité de l’ingérence, compte tenu des

facteurs concourants, comme la nature du droit en cause, la nature et finalité de l’ingérence et le

niveau de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe (§ 102).

26. Article 706-55 CPP :

1º Les infractions de nature sexuelle visées à l'article 706-47 du présent code ainsi que le délit

prévu par l'article 222-32 du code pénal;

2º Les crimes contre l'humanité et les crimes et délits d'atteintes volontaires à la vie de la

personne, de torture et actes de barbarie, de violences volontaires, de menaces d'atteintes aux

personnes, de trafic de stupéfiants, d'atteintes aux libertés de la personne, de traite des êtres

humains, de proxénétisme, d'exploitation de la mendicité et de mise en péril des mineurs, prévus

par les articles 221-1 à 221-5, 222-1 à 222-18, 222-34 à 222-40, 224-1 à 224-8, 225-4-1 à 225-4-4,

225-5 à 225-10, 225-12-1 à 225-12-3, 225-12-5 à 225-12-7 et 227-18 à 227-21 du code pénal;

3º Les crimes et délits de vols, d'extorsions, d'escroqueries, de destructions, de dégradations, de

détériorations et de menaces d'atteintes aux biens prévus par les articles 311-1 à 311-13, 312-1 à

312-9, 313-2 et 322-1 à 322-14 du code pénal;

4º Les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, les actes de terrorisme, la fausse

monnaie, l'association de malfaiteurs et les crimes et délits de guerre prévus par les articles 410-1

à 413-12,421-1 à 421-4, 442-1 à 442-5, 450-1 et 461-1 à 461-31 du code pénal;

5º Les délits prévus par les articles L. 2353-4 et L. 2339-1 à L. 2339-11 du code de la défense;

6º Les infractions de recel ou de blanchiment du produit de l'une des infractions mentionnées aux

1° à 5°, prévues par les articles 321-1 à 321-7 et 324-1 à 324-6 du code pénal.

27. Selon l’article 3 LO 10/2007, l’inscription concerne :

- Les délits graves.

- En tous les cas, les infractions concernant la vie, la liberté, l’intégrité ou la liberté sexuelle,

l’intégrité des personnes, le patrimoine si elles ont été commises avec force sur les choses, ou

violence ou contrainte sur les personnes, ainsi que dans les cas de délinquance organisée, étant

entendu que l’on doit inclure, en tout cas, dans le terme délinquance organisée celle qui est

prévue à l’article 282 bis, § 4, de la loi espagnole de procédure pénale par rapport aux délits

énumérés.

28. En application des articles 706-120, 706-125, 706-129, 706-133 ou 706-134 CPP.

29. DEMARCHI J.R., op. cit., p. 111, évoque à cet égard la Circulaire du Ministère de la Justice du 9

juillet 2008, qui restreint le concept d’« indices graves et concordants », puisqu’ils ne peuvent pas

s’ensuivre de la seule incrimination par la victime ou par un témoin si elle n’est pas

circonstanciée ou corroborée par d’autres éléments de la procédure. À notre avis, il faut

remarquer la finalité de la Circulaire, relative au refus du prélèvement biologique. En

conséquence, il serait difficile de déduire une vraie règle sur la preuve dans le procès pénal.

30. Terminologie employée par DEMARCHI J. R., op. cit., p. 103 et p. 109.

Il faut remarquer que le mot « sospechoso » (suspect) n’a pas été évoqué dans le code espagnol de

procédure pénale qu’après la modification de l’article 363 par la LO 15/2003, mais la définition du

terme est absente.

31. Après la réforme introduite par la loi du 14 mars 2011 (conséquence de la décision du Conseil

constitutionnel du 16 septembre 2010), le rapprochement n’est possible qu’à propos des

infractions énumérées à l’article 706-55.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

348

Page 350: La Revue des droits de l’homme, 6

32. Mémoire d’activités CNUFADN 2012, à consulter sur le site internet : http://

institutodetoxicologia.justicia.es/wps/portal/intcf_internet/portada/utilidades_portal/

comision_ADN/

33. Bien sûr, le CPP français n’exige pas non plus le consentement des personnes simplement

suspectées pour procéder au rapprochement de leurs empreintes génétiques avec les autres déjà

stockées.

34. Il s’agirait ici des empreintes génétiques issues des échantillons biologiques d'un cadavre non

identifié, il n’y a donc personne d’apte à prêter le consentement. Dans l’éventualité des

personnes disparues, il faudra le consentement pour l’inscription du profil des parents, mais un

doute subsiste sur le fait de savoir si le consentement des parents sera aussi nécessaire pour

inscrire le profil génétique de la personne disparue, lorsqu’il a été possible de l’obtenir.

35. Article R53-10.I.5º CPP: « l’accord des personnes est recueilli par procès-verbal. Les personnes

intéressées précisent également, par une mention expresse à ce même procès-verbal, qu'elles

autorisent la comparaison entre leurs empreintes génétiques et l'ensemble des traces et

empreintes enregistrées ou susceptibles d'être enregistrées dans le fichier jusqu'à la découverte

de la personne disparue ou, à défaut, pendant une durée de vingt-cinq ans, à moins qu'il n'y ait

dans ce délai un effacement par application du troisième alinéa de l'article R. 53-13-1. En

l'absence d'une telle autorisation, ces empreintes ne peuvent être comparées qu'avec les

empreintes des cadavres non identifiés »

36. En Espagne, la CNUFADN a précisé par accord de l’année 2011 l’information que la police doit

fournir aux personnes qui font l’objet de poursuites, mais rien n’a été dit par rapport aux

personnes qui doivent consentir l’inscription. : http://institutodetoxicologia.justicia.es/wps/

portal/intcf_internet/portada/utilidades_portal/comision_ADN/

37. La condamnation n’emporte qu’un délai plus long de conservation du profil génétique une

fois il a été enregistré au fichier.

38. C’est justement ce que prévoient l’article 55.1 CCP français et l’article 363 du CCP espagnol.

39. Décision du 16 septembre 2010.

40. Loi nº 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain.

41. BRANGER A. S ., Le fichier national automatisé d'empreintes génétiques, Paris, Panthéon-Assas,

2003, dact., 173 f°, p. 27. TEYSSIÉ, B., Droit Civil. Les Personnes, Paris, Lexis Nexis 2012, 14 éd., pp.

39-41/

42. SOTELO MUÑOZ H., op. cit., p. 104 ; l’auteur exclut absolument qu’une prise de salive implique

une ingérence au droit à l’intégrité physique.

43. Romeo Casabona, C.Mª. et Romeo Malanda, S., op. cit., pp. 53-58.

44. HUYGHE F.B., op. cit., p. 73.

45. Art. 76-2 CPP pour l’enquête préliminaire.

46. DEMARCHI, J. R., op. cit., p. 156, regrette que le législateur n’ait pas défini rigoureusement les

notions de « prélèvement biologique » et « prélèvement externe ». Voir aussi AMBROISSE-

CASTÉRO, C., op. cit.., p. 25.

47. La décision du Conseil constitutionnel nº 2003-467 du 13 de mars 2003 déclare par la suite

« qu'enfin, le prélèvement étant effectué dans le cadre de l'enquête et en vue de la manifestation

de la vérité, il n'impose à la « personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons

plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre l'infraction » aucune rigueur

qui ne serait pas nécessaire ». Le Considérant 56 ajoute « que les prélèvements externes ne

portent pas atteinte à la présomption d'innocence ; qu'ils pourront, au contraire, établir

l'innocence des personnes qui en sont l'objet ».

48. On parle en Espagne de « prise subreptice ou furtive des échantillons biologiques ». La

jurisprudence espagnole a déjà admis ce système pour obtenir l’empreinte génétique.

Premièrement, ce prélèvement fut accepté par la Sala Penal del Tribunal Supremo espagnol,

après quelques jugements contradictoires (SSTS nº 501/ 2005, du 19 avril, et nº 1311/2005, du 14

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

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Page 351: La Revue des droits de l’homme, 6

octobre), par décision non juridictionnelle du 31-01-2006. Récemment, le Tribunal Constitucional

espagnol a aussi statué la légalité constitutionnelle du prélèvement résiduel au sujet de la preuve

par l’ADN et le fichage du profil génétique, v. STC nº 199/2013, du 5 décembre.

49. Arrêt du Tribunal Suprême espagnol nº 803/2003, du 04 juin 2003.

50. En raison de nombre de plaintes faites pour le requérant, Ch Crim 19 mars 2013, n° de

pourvoi: 12-81533. Sur l’application de la peine ressortie de la condamnation par délit de refus de

prélèvement, les Tribunaux ont statué que l’alinéa III de l’article 706-56 est contraire à la Conv.

EDH, dès lors que le précepte établit le retrait automatique des réductions de peines (Ch Crim. 18

janvier 2012).

51. L’article 706-56 CPP ne s’occupe pas des prélèvements concernant les parents mentionnés au

quatrième alinéa de l’article 706-54. Leur consentement étant nécessaire pour l’enregistrement

de leurs empreintes génétiques, il s’ensuit que leur consentement est également nécessaire pour

le prélèvement.

52. Il s’agit d’économiser du temps et des moyens personnels et matériels.

53. Nous avons déjà vu que le fichage des empreintes génétiques des ascendants, descendants et

collatéraux des personnes dont l’identification est recherchée exige leur consentement éclairé,

exprès et écrit. On peut bien en déduire que ce consentement comprend aussi l’accord au

prélèvement nécessaire pour obtenir le profil génétique.

54. « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses

éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial ». Pourtant, on peut

trouver une référence au prélèvement de force au cours de l’enquête dans l’arrêt de la Cour de

Cassation, Ch Crim 5 janvier 2011, nº pourvoi 10-87325: «…d’autant qu’il convient de relever que

dans un premier temps, ce dernier avait tenté d’empêcher une expertise comparative d’ADN, en

refusant le prélèvement biologique sur sa personne, ne l’ayant finalement accepté que sur

l’indication qu’il allait être opéré de force ».

55. À propos du refus de se soumettre au prélèvement prévu à l’article 55.1 CPP, la décision du

Conseil constitutionnel nº 2003-467 du 13 mars établit (Considérant 57) « qu'en l'absence de voies

d'exécution d'office du prélèvement et compte tenu de la gravité des faits susceptibles d'avoir été

commis, le législateur n'a pas fixé un quantum disproportionné pour le refus de prélèvement;

qu'il appartiendra toutefois à la juridiction répressive, lors du prononcé de la peine sanctionnant

ce refus, de proportionner cette dernière à celle qui pourrait être infligée pour le crime ou le

délit à l'occasion duquel le prélèvement a été demandé; que, sous cette réserve, l'article 30 n'est

pas contraire à la Constitution ».

56. Voir, en ce sens, Ch Crim 19 mars 2013, nº de pourvoi : 12-81533.

57. Le fait, pour une personne faisant l'objet d'un prélèvement, de commettre ou de tenter de

commettre des manœuvres destinées à substituer à son propre matériel biologique le matériel

biologique d'une tierce personne, avec ou sans son accord, est puni de trois ans

d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

58. En témoigne la Circulaire de la Direction générale de la Police scientifique du 6 mai 2009.

59. La loi 10/2007 fait ici une rémission à l’article 363.2 du code espagnol de procédure pénale,

qui permet au juge d’instruction, par ordonnance raisonnée et à condition qu’il y ait des raisons

valables et accréditées, décider le prélèvement biologique du suspect s’avérant indispensable

pour obtenir son profil ADN. Dans ce but, le juge peut décider la pratique des actes d’inspection,

reconnaissance ou intervention corporelle revêtant un caractère proportionné et raisonnable.

60. SOTELO MUÑOZ H., op. cit., pp. 124-125, il s’agit de soumettre la contrainte physique au

respect du principe de proportionnalité, comme il peut arriver dans autres éventualités telles

que le placement en garde à vue d’un individu faisant résistance.

61. V. FERNÁNDEZ ACEBO M. D., La tutela de los derechos fundamentales a la intimidad e integridad

física frente a la actuación de los poderes públicos sobre el cuerpo humano: una perspectiva constitucional

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

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Page 352: La Revue des droits de l’homme, 6

sobre las intervenciones corporales y otras diligencias de investigación, UNIVERSIDAD DE LA CORUÑA,

2013 : http://ruc.udc.es/dspace/bitstream/2183/11704/2/

Fernandez%20Acebo_Maria%20Dolores_TD_2013.pdf.

62. La seule possibilité de sanctionner une telle attitude est par la voie du délit commun de

désobéissance à l’autorité et à ses fonctionnaires, prévu par l’article 556 CP espagnol. Voir

Tribunal Constitucional, sec. 3ª, A 14-11-2006, nº 405/2006, rec. 7088/2004. En France, comme en

Espagne, le fait de refuser le prélèvement peut être considéré un indice de culpabilité, mais il ne

s’agit pas d’une sanction, mais d’une règle probatoire judiciaire. Voir S. Murray c. Royaume-Uni

du 8 février 1996.

63. En Espagne, la police doit assurer l’assistance d’avocat à toute personne placée en garde à vue

dont le consentement est exigé pour procéder au prélèvement biologique : Arrêt du Tribunal

Supremo nº 685/2010, du 7 juillet.

64. À ce sujet, il semble insuffisante l’expression « sans l’accord de l’intéressé » employée par

l’alinéa 5 de l’article 706-56 CPP.

65. Voir, à cet égard, S. Jalloh c. Allemagne 11 juillet 2006.

66. HUYGHE F.B., op. cit., p 62

67. Voir HENNETTE-VAUCHE, St. et ROMAN D., Droits de l’Homme et libertés fondamentales, Paris,

Dalloz, 1re édition, 2013 ; pp. 459-460.

68. L’analyse de ce marqueur deviendra nécessaire pour assigner le masculin ou le féminin aux

empreintes génétiques provenant des traces.

69. DOUTREMEPUICH Ch. (dir.), op., cit., pp 69-85.

70. Il s’agit du décret prévu par l’article 706-54 « un décret en Conseil d'État pris après avis de la

Commission nationale de l'informatique et des libertés détermine les modalités d'application du

présent article. Ce décret précise notamment la durée de conservation des informations

enregistrées ». Voir le rapport adopté à l’occasion par la CNIL, nº 99-052, du 28 octobre 1999.

71. À partir du décret du 27 mai 2004.

72. Celui-ci est assisté d’un comité composé de trois membres : un magistrat du parquet, un

généticien et un informaticien. Voir article R 53-16 et suivants CPP.

73. DE HOYOS SÁNCHO M. de, op. Cit.., pp. 21-22; BAETA, M. et MARTÍNEZ-JARRETA B., op. cit,, p.

182.

74. À ce sujet, tous les pays de l’Union Européenne doivent suivre la Résolution du Conseil du 30

novembre 2009, relative à l'échange des résultats des analyses d'ADN, qui a son origine à la

Décision-cadre 2008/977/JAI relative à la protection des données à caractère personnel traitées

dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale.

75. Articles R53-10 et R53-11 CPP.

76. « Ordre INT/1202/2011, du 4 mai, pour réglementer les fichiers de données à caractère

personnel du Ministère de l’Intérieur », BOE (journal officiel de l’État) du 13 mai 2011. Cet ordre

découle directement des exigences de la loi organique de protection des données à caractère

personnel 15/1999.

77. Du point de vue de la qualité de la norme régissant une ingérence au droit fondamental à la

vie privée, un simple ordre ministériel s’avère nettement insuffisant pour définir la portée des

données à caractère personnel inclus aux fichiers intégrés dans la Base de données policière

d’identificateurs obtenus à partir de l’ADN, compte tenu de la quantité et la qualité de ces

données.

78. Carte nationale d’identité.

79. Numéro d’identification fiscale.

80. Comme nous verrons par la suite, les droits d’effacement reconnus dans l’article 706-54 CPP

permettent de modifier les délais généraux.

81. L’article 131 CP espagnol stipule des délais de prescription de 5, 10, 15 et 20 ans, en fonction

de la gravité des peines attribuées à chaque délit.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

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Page 353: La Revue des droits de l’homme, 6

82. On a donc fait la sourde oreille à la décision du Conseil constitutionnel du 16 septembre 2010

qui avait exigé que la durée de conservation des empreintes au fichier doit être proportionnée à

la nature ou à la gravité des infractions.

83. DEMARCHI J. R., op. cit., pp. 308-314; ÁLVAREZ DE NEYRA KAPPLER S. « El consentimiento en

la toma de muestras de ADN. Especial referencia a los procesos de menores (Parte II)», Revista

Derecho y Genoma Humano, nº 35 agosto-diciembre 2011, pp. 41-65.

84. Loi organique développée par décret royal 1720/2007 du 21 décembre 2007.

85. Il est facile de découvrir la correspondance avec les fichiers existant avant la LO 10/2007

(Voir note 4 supra).

ABSTRACTS

This article provides a comparative analysis of the legal system that exists in France and Spain to

regulate the storage and treatment of genetic fingerprints, for the identification of the person in

police investigations and criminal proceedings. At the same time will prove the measure in which

each one of this legal system it conforms to the European convention on the protection of human

rights and fundamental freedoms. The study will permit to show the internal regulation of each

individual country leads to confrontations on the approximation of the European Court of human

rights, which guarantees respect of private and family life, in conformity with the parameters set

out in the sentence S. and Marper against United Kingdom, dedicated particularly to this matter.

Such confrontations are reflected in various aspects we will highlight:

- The excess objective and subjective scope of application of the files.

- The problems arising from the biological sampling.

- The risks to privacy derived from DNA analysis and from storage of biological samples.

- The treatment of the personal data linked to the genetic fingerprints.

Based on this, we can conclude that the French system, placed under judicial control, achieves a

high degree of compliance with the European convention than the Spanish system, totally

dependent on the police and governmental authorities.

Ce texte vise à faire une analyse comparative des systèmes juridiques existants en France et en

Espagne pour réglementer les fichiers d’empreintes génétiques, destinées à l’identification des

personnes dans les recherches policières et procédures pénales. En même temps, il met en

exergue la façon dont chaque système juridique se conforme à la Convention européenne de

sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. Les analyses suivantes

démontreront que la règlementation interne de chaque pays appelle de nombreuses

confrontations avec l’approche par la Cour européenne des droits de l’homme de droit à la vie

privée et familiale, selon les standards énoncés à l’arrêt S. et Marper versus le Royaume Uni, du 4

décembre 2008, particulièrement dédié à ce sujet. Ces confrontations concernent plusieurs

aspects qui mettent en évidence un intérêt particulier: l’étendue excessive du domaine objectif et

subjectif des fichiers; la problématique soulevée autour des prélèvements biologiques; les risques

pour le droit à la vie privée résultants des analyses d’ADN et de la conservation des échantillons

biologiques; et, enfin, le traitement des données à caractère personnel associées à l’empreinte

génétique. Nous pouvons conclure que le système français, placé sous contrôle direct de la

magistrature, atteint un plus haut degré de conformité avec la Convention européenne que le

système espagnol, entièrement soumis aux autorités policières et gouvernementales.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

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Page 354: La Revue des droits de l’homme, 6

Se realiza en este artículo un análisis comparativo de los sistemas jurídicos que existen en

Francia y en España para regular los ficheros de perfiles de ADN, destinados a la identificación de

personas en las investigaciones policiales y procedimientos penales. Al mismo tiempo, se pondrá

de relieve la medida en que cada uno de esos sistemas jurídicos se ajusta a la Convención Europea

para la Salvaguarda de los Derechos del Hombre y las Libertades Fundamentales. Las reflexiones

que siguen permitirán demostrar que la regulación interna de cada uno de los países da lugar a

diversas confrontaciones con la aproximación del Tribunal Europeo de Derechos del Hombre al

derecho a la vida privada y familiar, según los parámetros marcados en la Sentencia S. y Marper

contra Reino Unido, particularmente dedicada a esta materia. Tales confrontaciones se reflejan

en varios aspectos que interesará resaltar especialmente: el excesivo ámbito de aplicación

objetivo y subjetivo de los ficheros; los problemas derivados de la toma de muestras biológicas;

los riesgos para el derecho a la intimidad derivados de los análisis de ADN y de la conservación de

muestras biológicas; y, finalmente, el tratamiento de los datos de carácter personal ligados a la

huella genética. Con todo ello podremos concluir que el sistema francés, situado bajo el control

directo del poder judicial, alcanza un mayor grado de adecuación a la Convención que el sistema

español, totalmente dependiente de las autoridades policiales y gubernativas.

INDEX

Mots-clés: Fichiers d’empreintes génétiques - Systèmes français et espagnol - Analyse

comparative - Droits fondamentaux à la vie privée et à la protection de données à caractère

personnel - Convention européenne des Droits de l’Homme

Keywords: Storage and treatment of genetic fingerprints - French and Spanish legal system -

Comparative law - Fundamental rights of privacy ant of protection of personal data - European

Convention of Human rights

Palabras claves: Bases de datos de perfiles de ADN - Sistemas francés y español - Aproximación

comparativa - Derecho fundamental a la intimidad y a la protección de datos de carácter personal

- Convención Europea de Derechos del Hombre

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

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Page 355: La Revue des droits de l’homme, 6

Appréhender la cyberguerre endroit international. Quelquesréflexions et mises au pointClémentines Bories

1 « Une clef USB défaillante peut faire plus de dégâts qu’une bombe de 250 kg ». A en

croire le général Eric Bonnemaison, Directeur adjoint des Affaires stratégiques auMinistère de la Défense, la menace informatique, non contente de bouleverser le visagedes conflits armés classiques, constituerait un risque fondamental pour les Etats ainsique les civils. La « cyberguerre » est un phénomène relativement neuf, dontl’apparition se justifie par notre dépendance à l’outil informatique mais aussi par lefaible coût qu’il y a à faire d’un instrument de communication et de travail une armeimmatérielle dotée d’un fort potentiel offensif. Phénomène devenu d’ampleur dans lesrelations internationales et impliquant au premier chef les Etats Unis d’Amérique, laChine et la Russie, la « cyberguerre » constitue à la fois une déclinaison nouvelle destensions internationales et un enjeu pour le droit. Ce n’est que depuis peu qu’ellepréoccupe les juristes1, et ce surtout en dehors de nos frontières. Les analyses seconcentrent alors avant tout sur les modifications du jus in bello et du jus ad bellum quipourraient s’avérer nécessaires. La question de l’opportunité d’un traité internationalrégissant les conflits informatiques est notamment discutée, mais ne paraît passusceptible de donner lieu à une réalisation véritable dans un délai raisonnable2.

2 Il apparaît dès lors opportun d’interroger le droit positif afin de cerner comment les

règles en vigueur peuvent permettre d’envisager les actions informatiques offensives.La présente étude se concentrera non sur les actes de piraterie informatique qui sont lefait d’individus isolés mais sur celles des actions informatiques offensives quiimpliquent des Etats, en qualité de commanditaire ou bien de cible, ou encore parceque leurs ressortissants sont les victimes. Apparaît alors une première difficulté,d’ordre non seulement sémantique mais aussi conceptuel : ladite « cyberguerre »,multifacettes, doit être définie afin que l’objet de l’analyse puisse être véritablementdéterminé (I). Suit une seconde difficulté, celle de l’identification de règles de droitinternational permettant de répondre aux enjeux de telles attaques en protégeant les

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victimes civiles, tout en désignant les éventuels Etats commanditaires et/ou victimes detels agissements (II).

I – Des phénomènes nouveaux à appréhender

3 Parce que le terme de « cyberguerre » est utilisé à tort et à travers pour désigner des

faits avérés ou fantasmés, il s’avère que les phénomènes qu’il désigne, hétéroclites (A),ne se prêtent pas à une appréhension aisée par le biais d’un concept juridique unique(B).

A – L’hétérogénéité des situations de fait concernées

4 Alors pourtant qu’elle constituait l’objet même de son mandat, le General Keith B.

Alexander (USA), Director of the NSA and Commander of the US CyberCommand(CYBERCOM) soulignait, dans un discours au Sénat prononcé en 2013, la totaleimprécision de la définition du terme de cyberguerre : « qu’est-ce qui constitue un actede guerre dans le cyberespace ? ». Il est vrai que le terme de « cyberguerre », sur-employé sans doute à la fois par commodité et en raison de son caractère frappant,renvoie à des réalités fort différenciées et difficilement saisissables. Dépourvud’acception juridique assurée, le néologisme devenu fréquent fait référence, dans sonacception courante, à des situations de fait dans lesquelles l’outil informatique estutilisé aux fins de créer un dommage dans une sphère internationale, sansnécessairement avoir recours à la violence. S’inscrivant dans un contexte conflictuel ousimplement hostile voire suspicieux, tantôt dans le cadre des relations internationales,tantôt au sein même du territoire d’un Etat, les actes de cyberguerre peuvent survenirdans de multiples configurations.

5 Entendue stricto sensu, la cyberguerre devrait n’être que virtuelle, ne faire appel qu’à

des armes électroniques3, et n’être conduite que dans une sphère immatérielle. Au-delàde ce cas d’école4 et de façon plus habituelle, un acte de cyberguerre peut consisterdans une opération menée dans le cadre d’un conflit armé avéré, qu’il soit internationalou interne ; c’est ainsi dans le contexte de la Guerre d’Ossétie du Sud que se sontinscrites les attaques russes visant la Géorgie (2008). Plus fréquemment, l’acte dit decyberguerre intervient en dehors de tout conflit armé, ne correspond ni à la guerre ni àla paix mais se trouve « somewhere between »5. Une attaque électronique commanditéepar des autorités étatiques soucieuses de porter atteinte aux intérêts d’une Puissanceétrangère peut être décrite comme un acte de « cyberguerre ». Il s’agit là del’hypothèse sans doute la plus communément référencée, qui concerna par exemplel’Estonie, victime en avril 2007 d’opérations de grande ampleur qui ont, en plusieursétapes, touché les sites gouvernementaux, les banques, les media et les partispolitiques, jusqu’à paralyser le gouvernement. L’action informatique pourra s’inscriredans le cadre de relations internationales tendues et correspondre à des actionshostiles dirigées contre un autre Etat, à l’instar des attaques pro-taiwanaises dirigéescontre les sites gouvernementaux chinois en 1999 ou des attaques commanditées lamême année par le Gouvernement chinois à l’encontre des Etats-Unis d’Amérique enréponse au bombardement accidentel de l’Ambassade chinoise à Belgrade. Comme enatteste les politiques américaine et israélienne à l’égard de l’Iran ainsi quel’opération Stuxnet menée contre des installations nucléaires, il peut également

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correspondre à une politique de dissuasion voire à une contre-mesure. Est égalementdésignée par le vocable « cyberguerre » toute action informatique hostile susceptiblede déclencher un conflit armé.

6 Plus largement, dans le langage courant, l’appellation « cyberguerre » peut désigner

une opération menée par un Etat à l’encontre d’une entité non étatique en dehors deson territoire, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, ou encore uneoffensive terroriste menée à l’initiative d’un groupe non étatique mais destinée àporter atteinte aux intérêts d’un Etat ou de sa population6. Une action entreprise àl’initiative d’autorités étatiques à l’encontre d’un groupe hostile situé sur leur territoireet ayant par exemple proclamé son indépendance pourra elle aussi être incluse parmiles actes dits de « cyberguerre ». Enfin, et suivant une interprétation sans doutedémesurément extensive de l’expression de « cyberguerre », pourrait être concernéeune cyber-révolution impulsée par réseaux sociaux incitant à la violence ou auchangement de régime politique, telle la Révolution tunisienne de 2011 qui bénéficia del’aide apportée par les Anonymous.

B – Une qualification juridique introuvable ?

7 Une telle diversité de situations révèle les difficultés et, surtout, l’extrême limitation du

phénomène étudié à laquelle conduit habituellement la considération des seuleshypothèses susceptibles d’être appréhendées par le biais du droit internationalhumanitaire. Dès lors, toute piste pour un traitement global et adapté de la questionparaît opportune. Le terme de « cyberguerre » paraît bien souvent usurpé7. Il renvoieaux actes inamicaux visant un Etat et lui occasionnant un dommage directement oudans la personne de ses ressortissants. Une interrogation sémantique apparaît alors : lejuriste doit-il conserver le terme médiatique et courant de « cyberguerre » pourdésigner chacun de ces phénomènes, souvent isolés et fort variés ? En effet, le conflitarmé ne constitue nullement un contexte nécessaire à la survenance des faits étudiés.Dans un tel contexte, il convient d’interroger le terme composé de « cyber-guerre »pour jauger la capacité de sa composante belliqueuse à désigner, en droit, des réalitéssomme toute peu classiques.

8 Comme chacun sait, la qualification juridique de « conflit armé » n’est pas sans soulever

nombre de difficultés d’interprétation. Pourtant, elle a d’ores et déjà été privilégiée afinde faire primer une approche compréhensive de phénomènes trop étroitementenvisagés sous l’angle de la qualification de « guerre »8. Présenté dans l’affaire Tadićcomme existant « à chaque fois qu’il y a recours à la force armée entre Etats ou unconflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armésorganisés ou entre de tels groupes au sein d’un Etat »9, le conflit armé ainsi entendus’écarte manifestement de la réalité des phénomènes étudiés. Certes, le conflit armés’est par la suite présenté sous d’autres traits. Certes, face au phénomène terroriste et àla criminalité organisée10, l’élasticité de la qualification de « guerre » a d’ores et déjà étéinterrogée tant sous l’angle de la définition des limites du champ d’application du jus in

bello que de celles du jus ad bellum. Pourtant, rien n’est établi en droit positif quipermette une acception suffisamment large pour inclure toutes les réalités des actionsinformatiques. Pis, « [t]he use of terms of war in cyberspace operations obscures the reality

that cyberwar does not fit well into the legal frameworks on war and of use of force »11.

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9 Si le terme de « guerre » permet de souligner la gravité des actes concernés et de leurs

conséquences, il ne saurait, dans son acception habituelle, désigner, dans la plupart descas, les situations d’espèce concernées par les cyber-offensives. Celles-ci secaractérisent en effet par des cibles comme des dommages d’une gravité variable, etdéclinent leurs effets dans les domaines économiques, politiques, comme militaires et/ou humains. De surcroît, l’observation des faits montre que les attaques informatiquesen question constituent bien souvent un moyen d’action isolé12. En présence de tellesdifficultés apparaît donc l’opportunité du recours à un autre vocable de portéegénérique, susceptible d’être moins controversé mais également plus neutre du pointde vue du droit applicable.

10 Suivant une démarche similaire, le Center for Security Studies (CSS) de Zurich distingue

d’ailleurs ces situations de celles de « cyberhacktivisme » ou « cybervandalisme »(piratage des sites avec destruction de données informatiques), du cyberterrorisme, ducybercrime et du cyberespionnage13. Le conflit armé seul paraît susceptible d’emporterla qualification de cyberguerre, les autres termes étant destinés à couvrir d’autresréalités.

11 C’est une autre grille de lecture que doit adopter quiconque recherche un terme

permettant de désigner ensemble tous les types d’agissements dommageables, viainternet, que ceux-ci soient dirigés contre un Etat ou portent atteinte à ses intérêts, et/ou soient susceptibles d’être reliées à l’action d’un autre Etat. Le cybervandalisme, lecyberterrorisme, le cyberespionnage voire, dans le cadre de la Convention sur lacybercriminalité14 par exemple, le cybercrime, doivent pouvoir être inclus dans unequalification unique. Le terme de « cyberattaque » s’avère alors pertinent. Il permet dedésigner l’une de ces pratiques, quelle qu’elle soit, dès lors qu’elle survientgénéralement de façon isolée et ne revêt pas toujours en elle-même la gravité suffisantepour justifier que l’on parle de « conflit armé ». L’expression « cyberattaque » faitréférence à un événement plus ponctuel que celle de « cyberguerre », à un fait nonnécessairement susceptible d’être qualifié d’ « agression » au sens du droitinternational15, et reflète dès lors plus fidèlement la palette des réalités concernées. Siles cyberopérations « peuvent être décrites au sens large comme des opérationsdirigées contre un ordinateur ou un réseau informatique, ou par le biais de ceux-ci,grâce à des flux de données »16, les cyberattaques en sont une déclinaison ; ellessurviennent dans l’hypothèse où un Etat est à l’origine d’un agissement délibérémentagressif à l’encontre d’intérêts politiques, militaires, économiques et commerciaux,voire sociaux.

II. Des règles à identifier

12 Une fois perçue la diversité des événements susceptibles de survenir, le juriste se doit

de s’interroger sur le droit applicable à ces phénomènes tant nouveaux que disparates.Force est alors de constater le caractère partiel du raisonnement qui consiste à analyserces événements sous l’angle classique du droit international humanitaire et du droitinternational général (A) ; d’autres droits pourraient recéler des clefs pour unerégulation plus aisée de ces différentes situations, en particulier le droit internationaldes droits de l’homme (B).

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A – Le nécessaire dépassement des approches classiques

13 En soi, en raison de ses particularités mêmes, la cyberguerre défie les règles de droit.

L’apparition de l’outil internet et des mouvements dématérialisés qu’il génère aimmédiatement interrogé les juristes17. Si l’internet fait surgir des interrogationsnouvelles pour le droit, il appelle des règles particulières. Aussi les cyberattaques dansleur diversité se caractérisent-elles par un besoin de normativité spécifique, propre àune réalité aussi difficile à localiser qu’éphémère. Davantage que le recours à des règlesponctuelles préexistantes, les cyberattaques appellent un traitement général adaptéaux singularités que constituent l’usage de l’outil internet, la dématéralisation qu’ilimplique, l’immédiateté, ainsi que les difficultés de preuve et de localisation18. Mais enl’absence de telles règles spéciales, les normes susceptibles d’être applicables sont, pourl’heure, tirées principalement des droits international humanitaire et général.

14 Face à ce qu’elle désigne sous le vocable de « cyberguerre », la doctrine, à l’instar des

commandements militaires, adopte habituellement un raisonnement par mimétismeavec le cas des conflits armés classiques, qui conduit à rechercher principalementl’application du droit international humanitaire. Un rapide recensement deshypothèses concernées par ladite cyberguerre permet pourtant de soulignerl’insuffisance des approches qui consistent à n’analyser que l’application à cesévénements de règles du jus in bello.

15 Si une cyberattaque implique des autorités étatiques et est susceptible d’engager leur

responsabilité – ou concerne des dommages subis par elles -, les règles mobilisablesdépendent du contexte factuel précis de chaque espèce. Lorsque le conflit armé estd’ores et déjà présent, le droit international humanitaire s’efforce d’appréhender lacyberattaque par le biais de ses règles19. Mais puisque la guerre constitue le « fait-condition » à l’applicabilité des droits de La Haye et de Genève20, seule lacyber-« guerre » peut être appréhendée par leur biais ; le droit humanitaire est doncloin de couvrir toutes les situations de fait. De plus, lorsqu’il s’avère applicable, le jus in

bello se heurte à moult difficultés : inexistence de règles spécifiques, et plus largementdéterritorialisation de l’attaque, rareté de l’implication directe d’un Etat. Ainsi, quandbien même ses règles pourraient être utiles pour appréhender les cyberattaques, ellesne sauraient suffire à appréhender ces réalités.

16 Le droit international général, pour sa part, offre quelques pistes de solution, mais

soulève, à bien y regarder, autant de questions qu’il n’en résout. Lorsque lacyberattaque constitue un recours à la force au sens du droit international, et plusprécisément de la Charte des Nations Unies, elle peut au moins partiellement êtreappréhendée sur cette base, et qualifiée d’agression21. Lorsqu’enfin la cyberattaqueintervient à titre de rétorsion ou de contre-mesure, rien ne s’oppose à ce qu’elle soitsoumise au régime juridique correspondant. Aussi la cyberattaque commanditée à titrede rétorsion ne pourra-t-elle provoquer que des dommages limités, alors que celle quiconstitue une contre-mesure devra notamment répondre au critère de proportionnalitéet constituer, ce qui sera plus difficile à établir, le seul moyen d’action possible22. Pourles autres types de cyberattaques, en revanche, tant l’applicabilité que le sens desrègles habituelles du droit international ne font guère l’objet de consensus en cas decyberattaque. Pourtant, ils sont légion : le cas de figure le plus fréquent est bien celuid’actes isolés ou du moins non-inscrits dans le cadre d’un conflit armé, et que l’on peineà qualifier d’ « agressions » au sens de la Charte des Nations Unies23.

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17 D’une manière plus générale, les principes de territorialité et le lien personnel, qui

permettent de fonder habituellement les compétences de l’Etat, sont fréquemmentinvoqués pour appréhender internet par le biais du droit international24. Peuventégalement s’avérer utiles les critères d’attribution de la responsabilité tels quel’implication d’un « organe de l’Etat »25 dans la commission des actes de cyberguerre, ence qu’ils permettent d’engager la responsabilité internationale d’un Etat à raison desagissements de ses agents publics dès lors qu’ils occasionnent un dommage. Mais lesindividus à l’origine de cyberattaques, loin d’être des agents officiels de cet Etat, sontbien plus souvent des ressortissants de l’Etat situés à l’étranger, voire des étrangersagissant depuis un autre territoire étatique. Ces critères s’avèrent donc, en eux-mêmes,insuffisants pour faire face à l’enjeu informatique.

18 Certes, le droit international comporte également des principes généraux qui

permettent d’attribuer la responsabilité en matière de dommages transfrontières. Maisceux-ci ne pourraient s’avérer utiles face aux cyberattaques que dans des circonstancesparticulières seulement, ce qui limite la portée de cette solution partielle. En effet, laresponsabilité d’un Etat ne pourra être engagée sur le fondement de la jurisprudenceFonderie de Trail qu’en l’absence de faute avérée de l’Etat, et si tant est que le faitoccasionnant le dommage ait pris pour point de départ le territoire de l’Etat26. Ainsi, ledroit international général nous livre des clefs de lecture partielles et laisse des zonesgrises à l’heure d’appréhender un phénomène nouveau qui soulève de plus desdifficultés de preuve sans précédent, se caractérise par sa dimension immatérielle, etprésente une instantanéité difficile à saisir, ou du moins un rapport au tempsparticulier. Pour sa part, le droit international des droits de l’homme, grand oublié desétudes concernant les cyberattaques27, s’avère de quelque utilité dans la recherche derègles et de raisonnements pertinents.

B – Les possibles apports du droit international des droits de

l’homme

19 Puisque toutes les hypothèses ne sauraient être couvertes par le droit humanitaire et

que le droit international général n’est que d’un recours partiel, le recueil de sourcescomplémentaires dans le droit international des droits de l’homme s’avère opportun.En raison de son caractère plus général que le droit international humanitaire, de sapermanence28, mais aussi de son objet, le droit international des droits de l’homme peuten effet s’avérer utile pour appréhender l’ensemble des phénomènes dits decyberguerre et leurs conséquences à l’égard des individus. Ses instances ne rechignentguère à s’intéresser à des situations potentiellement régies par le droit humanitaire, nimême, d’ailleurs, à faire directement application de ses règles spéciales29. Ellespourraient d’ailleurs être conduites à connaître de cyberattaques et des violations desdroits de l’homme consécutives. Les règles du droit international des droits de l’hommes’avèrent précieuses pour proposer des solutions juridiques les plus complètes ethomogènes possibles, face à l’hétérogénéité réelle des situations de fait considérées ;par ce biais, un traitement juridique d’ensemble et un raisonnement général sur cessituations nouvelles peuvent être engagés. Ainsi, le droit international des droits del’homme offre une grille de lecture nouvelle qui aide à affronter deux des difficultésjuridiques principales auxquelles se heurte la cyberguerre : l’attribution de la

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cyberattaque à un Etat et l’identification de règles de droit susceptibles de régir seseffets à l’égard des personnes physiques.

20 Le rattachement d’une cyberattaque à un Etat aux fins d’établissement de sa

responsabilité constitue une difficulté première au soutien de laquelle on trouvequelques pistes de solution dans la protection internationale des droits de l’homme. Eneffet, la problématique de l’instantanéité d’une action susceptible de causer desdommages et, par conséquent, de générer la mise en cause de la responsabilité d’unEtat a également été posée en protection internationale des droits de l’homme. Elle a,devant les organes de protection régionale des droits de l’homme, donné lieu à desraisonnements à même d’aider à l’appréhension du phénomène.

21 Dans l’affaire Banković dont a eu à connaître la Cour européenne des droits de l’homme,

le bombardement par les Forces alliées réunies sous l’égide de l’OTAN de la Radio-Televizije Serbije (RTS) a donné lieu à des discussions autour de la possibilité d’unejuridiction extraterritoriale instantanée n’impliquant ni contact ni présence physiquesur le territoire étranger. L’article 1er de la Convention européenne des droits del’homme prévoit que « Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personnerelevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I » 30 ; la dispositions’interprète comme conjuguant une compétence principalement territoriale31 et, parexception, une compétence en dehors du territoire. Les requérants soutenaient que larequête était « compatible ratione loci avec les dispositions de la Convention au motifque les actes incriminés, qui soit ont été accomplis en RFY, soit l’ont été sur le territoiredes Etats défendeurs mais ont produit leurs effets en RFY, les ont fait entrer, eux etleurs proches décédés, dans la sphère de juridiction desdits Etats »32. Est ainsi invoquée,de façon subsidiaire et en vue de couvrir l’hypothèse d’un événement aérien de trèsbrève durée, une conception extensive de la compétence territoriale. Elle permettaitd’établir la juridiction d’un Etat dès lors qu’une décision – c’est-à-dire un fait causalimmatériel – était adoptée depuis son territoire, et ce même si l’action consécutivedevait se dérouler ailleurs, et prenait appui sur le d’ores et déjà établi mécanisme de laprotection par ricochet33. Cet argument a été jugé peu convaincant par la Cour34, qui aprivilégié l’argumentation des Etats défendeurs. Ceux-ci rejetaient l’idée d’un contrôlesuffisant pour caractériser la juridiction de l’Etat35. Ils liaient la reconnaissance d’unejuridiction à l’existence d’une certaine durée de la relation, ainsi qu’à la mise enévidence d’une certaine forme d’allégeance à l’Etat ; en somme, il n’y aurait juridictionque lorsqu’ « une forme de relation structurée existant pendant un certain laps detemps » pourrait être établie36. Les dangers d’une « théorie nouvelle de type causal »37

ont ici été mis en avant par le juge, qui a rejeté cette argumentation38. La Cour soulignela nécessité de bien distinguer entre les deux conditions de recevabilité d’une requêteque sont la question de savoir si l’intéressé peut être réputé victime d’une violation dedroits garantis par la Convention, et la question de savoir si un individu relève de lajuridiction d’un Etat partie au sens de la Convention. Elle nie la possibilité qu’unejuridiction soit temporaire et de brève durée, et considère que l’exercice de pouvoirspublics sur le territoire étranger constitue une nécessité pour que la juridiction del’Etat puisse être caractérisée au sens de la Convention39. En matière de cyberattaque,cet argument ne paraît pas dirimant : l’exercice ou l’obstruction à l’exercice normal desfonctions étatiques de manière temporaire constitue bien souvent la méthodeemployée par les cyberattaquants.

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22 Que les arguments des requérants dans l’affaire Banković aient reçu un mauvais écho du

côté de la Cour européenne des droits de l’homme à l’heure de proposer de nouveauxcritères permettant de déclarer une requête recevable, et par conséquent decaractériser la responsabilité de l’Etat, est une chose. Qu’ils soient dépourvus de toutepotentialité en serait une autre. D’ailleurs, la Commission interaméricaine des droits del’homme a tenu un raisonnement similaire à celui du sieur Banković dans sa décisiondu 21 octobre 201040 . L’Equateur demandait que soit reconnue la possibleresponsabilité de la Colombie pour les préjudices causés à son ressortissant FranklinGuillermo Aisalla Molina, victime d’une exécution extrajudiciaire conduite par lesforces de sécurité colombiennes dans le cadre de l’« Opération Phoenix » menée le 1er

mars 2008 en territoire équatorien. La Commission a recherché l’existence d’un lien decausalité entre l’atteinte aux droits de l’homme occasionnée et la conduiteextraterritoriale de l’Etat : « At the time of examining the scope of the American Convention’s

jurisdiction, it is necessary to determine whether there is a causal nexus between the

extraterritorial conduct of the State and the alleged violation of the rights and freedoms of an

individual »41.

23 Au-delà de cette dimension causale de l’engagement de la responsabilité, partiellement

admise en protection internationale des droits de l’homme, le caractère instantané ducontrôle requis aux fins d’engagement de la responsabilité d’un Etat paraît plusfacilement reconnu. En effet, l’on trouve des décisions d’organes de protectioninternationale des droits de l’homme qui permettent, en l’absence d’une présencematérielle s’étalant sur une longue durée, l’engagement de la responsabilité d’un Etatcontrôlant effectivement des événements se déroulant sur le territoire d’un autre Etat.La théorie du « contrôle global » fait référence en des termes généraux à l’autorité et aucontrôle de l’Etat non territorial comme à autant de critères décisifs aux fins d’établirsa juridiction et donc de pouvoir engager sa responsabilité42. De façon plus spécifique,dans l’affaire Stocké, ce sont l’« actual authority and responsibility »43 qui sont considéréscomme décisifs. Le contrôle requis pourrait ainsi n’être qu’instantané, l’essentiel étantque l’autorité exercée par l’Etat soit effective en un instant T44.

24 Ainsi, toute juridiction n’est pas territoriale, loin s’en faut. Comme l’a d’ailleurs précisé

le Comité des droits de l’homme, dans un raisonnement par la suite cité par laCommission interaméricaine, « the qualification ‘subject to its jurisdiction’, contained in

article 29(1) of the Covenant, does not refer to the place where the violation occurs but to the

relationship between the individual and the State concerned »45. Ainsi, suivant une logiquenon territoriale, une approche mettant en avant un rattachement humain pourraits’avérer plus utile pour consacrer la responsabilité d’un Etat en raison d’unecyberattaque affectant les civils et portant atteinte à leurs droits de l’homme46.

25 L’idée qu’un exercice instantané de la souveraineté sur des individus serait susceptible

de déclencher la responsabilité de l’Etat pour violation des droits de l’homme s’avèreparticulièrement intéressante pour traiter des cas de cyberattaques. L’instantanéité duphénomène se conjugue en effet à son absence de véritable ancrage territorial pourprésenter d’importants points communs avec l’hypothèse de cyberattaques menéescontre un Etat et affectant fort probablement les individus se trouvant sur sonterritoire et leurs droits de l’homme (pour exemple : droit à une vie privée, droitssociaux, etc.).

26 Enfin, force est de constater que les droits de l’homme eux-mêmes, tels qu’ils sont

reconnus par les textes internationaux, peuvent être d’une grande utilité pour

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appréhender les cyberattaques. Droit à la vie, droit à la vie privée, intégrité physique,nombreux sont les droits auxquels une attaque informatique peut porter atteinte. Cesdroits bénéficiant d’une protection permanente sur le fondement de textesinternationaux, les victimes auront tout intérêt, en cas de dommage(s), à prendre appuisur le droit international des droits de l’homme et ses organes plutôt qu’à attendre uneprotection du droit humanitaire. Ce dernier est en effet applicable uniquement entemps de conflit armé et n’est susceptible de n’engager la responsabilité des Etats quedans ces seules situations, ou bien d’engager la responsabilité d’individus déterminéslorsque les infractions commises par eux, d’une gravité suffisante, constituerontégalement des crimes au sens du droit international pénal. Dans un tel contexte, lesorganes de protection internationale des droits de l’homme ont tout intérêt à se saisirde la problématique des cyberattaques et à affiner les techniques permettant defaciliter l’accès à leur forum comme la reconnaissance de la responsabilité des Etatscommanditaires de tels agissements.

NOTES

1. On peut relever : B. Smith, « An Eye for an Eye, A Byte for a Byte », Federal Lawyer,October 1995, pp. 12-13 ; M.N. Schmidt, « Computer Network Attack and the Use ofForce in International Law : Thoughts on a Normative Framework », Columbia Journal of

Transnational Law, 1999, pp. 885-937 ; Air Force Law Review, 2009, n°64 (n° spécial) ; L.Swanson, « The Era of Cyber Warfare: Applying International Humanitarian Law to the2008 Russian-Geogian Cyber Conflict », Loyola of Los Angeles International and Comparative

Law Review, 2010, pp. 303-333 ; XXXIVème Table ronde sur les sujets actuels du droitinternational humanitaire, San Remo, 8-10 septembre 2011 ; XXXIème Conférenceinternationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève, Suisse, 28 novembre –1er décembre 2011, Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés

contemporains. Rapport, CICR, 31IC/11/5.2, 2011, 61 p. ; H. Lin, « Operational Reality ofCyber Warfare », IIHL 2011, pp. 137-143 ; D. J. Ryan et alii, « International Cyberlaw : ANormative Framework », Georgetown Journal of International Law, 2011, pp. 1161-1197 ; M.Baud, « La cyberguerre n’aura pas lieu, mais il faut s’y préparer », Politique étrangère,vol. 77, été 2012, n°2, pp. 305-316 ; J.-M. Bockel, Commission des Affaires étrangères, dela Défense et des Forces Armées, Sénat, « La Cyberdéfense : un enjeu mondial, unepriorité nationale », Rapport d'information n°681 (2011-2012), 18 juillet 2012 ; M.Hecker et T. Rid, « Les armées doivent-elles craindre les réseaux sociaux ? », Politique

étrangère, vol. 77, été 2012, n°2, pp. 317-328 ; H. Lin, « Cyber Conflict and InternationalHumanitarian Law », RICR, 2012, vol. 886, pp. 515-532 ; J. Richmond, « EvolvingBattlefields: Does Stuxnet Demonstrate a Need for Modifications to the Law of ArmedConflict ? », Fordham International Law Journal, March, 2012, pp. 843-894 ; L. Simonet,« L’usage de la force dans le cyberespace et le droit international », Revue de défense

nationale, 2012, pp. 51-55 ; M.N. Schmidt, « International Law in Cyberspace: The KohSpeech and Tallinn Manual Juxtaposed », Harvard International Law Journal vol. 54, Dec.2012, pp. 13-37 ; M.N. Schmidt (dir.), Tallinn Manual on the International Law Applicable to

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Cyber Warfare. Prepared by the International Group of Experts at the Invitation of the NATO

Cooperative Cyber Defense Centre of Excellence, Cambridge UP, 2013, 282 p. ; University ofPensylvannia, Roundtable on Cyberwar and the Rule of Law, 2012, consultable sur :https://www.law.upenn.edu/institutes/cerl/conferences/cyberwar/schedule.php ; K.Ziolkowki, « Stuxnet : Legal Considerations », Humanitäres Völkerrecht, vol. 25, 2012, pp.39-147 ; J. Goldsmith, « How Cyber Changes the Laws of War », EJIL 2013, vol. 24, n°1, pp.129-138 ; Colloque de la S.F.D.I., Rouen, Internet et le droit international, Paris, Pedone,2014, pp. 323 et s.

2. Sur ces questions, voir notamment : D. Brown, « A Proposal for an International Convention to

Regulate the Use of Information Systems in Armed Conflict », Harvard International Law Journal,

2006, pp. 179-221 ; Ch. Dodge, « United States Cyber Command : International Restrictions vs.

Manifest Destiny », North Carolina Journal of Law & Technology Online Edition, 2010, pp. 1-27.

3. L. Swanson recense trois catégories d’armes informatiques : 1) « Syntactic weapons, which

target a computer’s operating system, include malicious code, such as viruses, worms, Trojan

Horses, DdoS, and spyware » ; 2) « semantic weapons [which] consist of altering information that

enters the computer’s system » ; 3) « mixed or blended weapons [which] combine sysntactic and

semantic weapons to attack both information and the computer’s operating system, resulting in

a more sophisticated attack » (source : L. Swanson, « The Era of Cyber Warfare : Applying

International Humanitarian Law to the 2008 Russian-Georgian Cyber Conflict », Loyola of Los

Angeles International and Comparative Law Review, 2010, pp. 310-311).

4. Th. Rid, « Cyber War Will not Take Place », Journal of Strategic Studies, vol. 35, n°1, octobre 2011

; M. Baud, « La cyberguerre n’aura pas lieu, mais il faut s’y préparer », Politique étrangère, 2012,

vol. 2, pp. 305-316.

5. Voir CBS this Morning. 60 mn investigates cyberwarfare, Interview en date du 5 mars 2012, à propos

de Stuxnex.

6. Sur le rôle d’internet dans le Jihad, par exemple, voir : W. Adhami, « The Strategic Importance

of the Internet for Armed Insurgent Groups in Modern Warfare », RICR, vol. 89, n°868, 2007, p.

864.

7. Aussi le Lieutenant Colonel Joshua E. Kasterberg considère-t-il que les attaques menées contre

la Géorgie en 2008, usuellement présentées comme des actes de cyberguerre, seraient qualifiées

d’« infractions » sur le fondement de la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité

(E. Kastenberg, « Non-Intervention and Neutrality in Cyberspace, An Emerging Principle in the

National Practice of International Law », Air Force Law Review, 2009, vol. 64, p. 58.

8. Voir par exemple : M. Bettati, Droit humanitaire, Précis Dalloz, 2012, p. 29.

9. TPIY Procureur c. Tadić, IT-94-AR 72, 2 octobre 1995, § 10.

10. Sur ce dernier aspect : S Vité, « La lutte contre la criminalité organisée : peut-on parler de

conflit armé au sens où l’entend le droit international humanitaire ? », Conflits armés, parties aux

conflits armés et droit international humanitaire : les catégories juridiques face aux réalités

contemporaines, Actes du colloque de Bruges, 22-23 octobre 2009, Collegium, n°40, 2010, pp. 69-77.

11. V.M. Antolin-Jenkins, « Defining the Parameters of Cyberwar Operations : Looking for Law in

All the Wrong Places ? », Naval Law Review, 2005, p. 134.

12. V.M. Antolin-Jenkins, ibid., « The more critical question is whether it is reasonable to require

adherence to old concepts of what constitutes “use of force” when it is clear that the destructive

power of cyberspace operations can threaten the economic integrity of a state », p. 172.

13. M. Dunn Cavelty, « Cyberwar: Concept, Status Quo, and Limitations », CSS Analysisin Security Policy, n° 71, avril 2010, <www.sta.ethz.ch/CSS-Analysis-in-Security-Policy/CSS-Analysis-in-Security-Policy-Archive/No.-71-Cyberwar-Concept-Status-Quo-and-Limitations-April-2010>, consulté le 1er juillet 2014.

14. Convention sur la cybercriminalité, Budapest, 23 juin 2001, STE n°185.

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Page 365: La Revue des droits de l’homme, 6

15. La question du possible recours à la qualification d’agression pour désigner les actes de

cyberguerre a d’ores et déjà fait l’objet d’une littérature assez abondante ; voir par exemple : N.

Weisbord, « Conceptualizing Aggression », Duke Journal of Comparative & International Law, 2009,

pp. 1-68 ; J. Kulesza, « State Responsibility for Cyberattacks on International Peace and Security »,

Polish Yearbook of International Law, 2010, pp. 139-152 ; et, plus largement sur le recours à la force

et la cyberguerre : Max Planck UNYB, vol. 14, 2010, pp. 85-130.

16. Comité international de la Croix-Rouge, Le droit international humanitaire et les défis posés par les

conflits armés contemporains. Rapport, XXXIème Conférence internationale de la Croix-Rouge et du

Croissant-Rouge, Genève, Suisse, 28 novembre-1er décembre 2011, 31IC/11/5.1.2, p. 42.

17. Voir par exemple : Le droit et l’immatériel, APD t. 43, 1999 ; A.-T. Norodom, « Propos

introductifs. Internet et le droit international : défi ou opportunité ? », dans : Colloque de la

S.F.D.I., Rouen, Internet et le droit international, Paris, Pedone, 2014, pp. 11 et s.

18. Voir : M.N. Schmidt (dir.), Tallinn Manual on the International Law Applicable to Cyber Warfare.

Prepared by the International Group of Experts at the Invitation of the NATO Cooperative Cyber Defense

Centre of Excellence, Cambridge UP, 2013, spéc. pp. 15 et s.

19. Sur ces questions, voir par exemple : K. Dörmann, « Applicability of the Additional Protocols

to Computer Network Attacks », International Expert Conference on Computer Network Attacks

and the Applicability of International Humanitarian Law, Stockholm, 17-19 novembre 2004,

http://www.icrc.org/eng/resources/documents/misc/68lg92.htm ; V.M. Antolin-Jenkins,

« Defining the Parameters of Cyberwar Operations: Looking for Law in All the Wrong Places ? »,

Naval Law Review, 2005, pp. 132-173 ; L. Swanson, « The Era of Cyber Warfare Applying

Internaitonal Humanitarian Russian-Georgian Cyber Conflict », Loyola of Los Angeles International

and Comparative Law Review, Spring 2010, pp. 303-333 ; Interview de C. Droege, Conseillère

juridique du CICR, le 16-08-2011, « Pas de vide juridique dans le cyberespace », http://

www.icrc.org/fre/resources/documents/interview/2011/cyber-warfare-

interview-2011-08-16.htm ; H. Lin, « Cyber Conflict and International Humanitarian Law », RICR

vol. 94, n°886, 2012, pp. 515-531 ; J. Richmond, « Does Stuxnet Demonstrate a Need for

Modifications of the Law of Armed Conflict ? », dans : Cyber Attacks : International Cybersecurity in

the 21st Century, Fordham International Law Journal, March, 2012 ; J. Goldsmith, « How cyber changes

the laws of war », EJIL 2013, vol. 24-1, pp. 129-138 ; L. Baudin, Les cyberattaques dans les conflits

armés, Coll. Le droit aujourd’hui, L’Harmattan, 2014, 252 p.

20. E. David, Principes de droit des conflits armés, 5ème éd., Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 78.

21. Sur ces questions, voir par exemple : M.N. Schmitt, « Computer Network Attack and the Use

of Force in International Law : Thoughts on a Normative Framework », Columbia Journal of

Transnational Law, 1999, pp. 885-936 ; M. Roscini, « World Wide Warfare – Jus ad bellum and the Use

of Cyber Force », Max Planck UNYB, 2010, pp. 85-130.

22. Tribunal arbitral germano-portugais, Affaire de Lysne (Responsabilité de l’Allemagne à raison des

actes commis postérieurement au 31 juillet 1914 et avant que le Portugal ne participât à la guerre), RSA II,

p. 1056.

23. Sur la question de la qualification d’agression pour les actes de cyberguerre, voir supra, note

n° 16.

24. Sur ces questions, voir : M.N. Schmidt (dir.), Tallinn Manual on the International Law Applicable to

Cyber Warfare…, op. cit. : « RULE 2 – JURISDICTION. Without prejudice to applicable international

obligations, a State may exercise its jurisdiction : (a) over persons engaged in cyber activities on

its territory ; (b) over cyber infrastructure located on its territory, and (c) extraterritorially, in

accordance with international law ». Voir également : Ph. Lagrange, « Internet et l’évolution

normative du droit international : d’un droit international applicable à l’Internet à un droit

international du cyberespace ? », dans : Colloque de la S.F.D.I., Rouen, Internet et le droit

international, Paris, Pedone, 2014 ; A.-T. Norodom, « Propos introductifs… », ibid., pp. 28 et s.

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25. Les articles 4 et 5 du Projet d’articles de la Commission du droit international sur laresponsabilité de l’Etat traitent ainsi de l’engagement de la responsabilité de l’Etat dufait des actes de ses démembrements, c’est-à-dire de toute collectivité territoriale ouentité « habilitée par le droit de cet Etat à exercer des prérogatives de la puissancepublique » (C.D.I., Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement

illicite, 2001, dans : Documents officiels de l’Assemblée générale, 56ème session,Supplément n° 10 (A/56/10).).

26. Sentence arbitrale, Fonderie de Trail, 11 mars 1941, R.S.A. III, p. 907.

27. La problématique de l’articulation entre droits de l’homme et cyber attaques ou cyberguerre

est habituellement exclue des études doctrinales ; pour exemple : M.N. Schmidt (dir.), Tallinn

Manual on the International Law Applicable to Cyber Warfare…, op. cit., p. 4.

28. AGNU, Déclaration sur les relations amicales entre les Etats, Résolution 2675 (XXV), 24 octobre

1970, § 1 : « les droits fondamentaux de l’homme (…) demeurent pleinement applicables en cas de

conflit armé » ; CIJ Avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires 1996 :

les droits de la personne s’appliquent ou doivent en tous cas être pris en compte dans la mise en

œuvre du droit des conflits armés.

29. Suite à l’intervention américaine à La Grenade (1983), la Commission interaméricaine des

droits de l’homme s’est par exemple déclarée compétente pour traiter d’une plainte introduite

suite au bombardement d’un asile d’aliénés dans lequel des pensionnaires avaient été tués ou

blessés (IACHR, Disabled People’s International et al. v. US , Decision of the Commission as to the

Adminssibility, OEA/Ser.L/V/II.71, Doc. 9 rev. 1, 22 September 1987, pp. 184-192). La Cour EDH

quant à elle considéré sous l’angle de la Convention des espèces relatives à la situation en

Tchétchénie (pour exemple : Cour EDH, Pitsayeva et autres c. Russie, 9 janvier 2014, n° 53036/08 et

autres).

30. Italiques ajoutés.

31. Cour EDH (Grande Chambre), Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni, 7 juillet 2011, n° 55721/07, §

131 ; Cour EDH, (Grande Chambre), 19 décembre 2001, Banković et autres c. Belgique et 16 autres Etats

membres, Décision d’irrecevabilité, 12 décembre 2001, n° 52207/99, § 59 ; Cour EDH, Al-Dulimi et

Montana Management Inc c. Suisse, n° 5809/08, 26 novembre 2013.

32. Cour EDH, (Grande Chambre), 19 décembre 2001, Banković…, ibid., § 30.

33. Ibid., § 53.

34. Ibidem, § 77.

35. Ibidem, § 44.

36. Ibidem, § 36.

37. Ibidem, § 43.

38. Dans le même sens, voir également : Cour EDH (Grande Ch.), Medvedyev c. France, 29 mars

2010, n° 3394/03, § 64 ; Cour EDH, Hirsi Jamaa et a. c. Italie, 23 février 2012, n° 27765/09, § 73.

39. Cour EDH, (Grande Chambre), 19 décembre 2001, Banković…, ibid., § 71.

40. Commission IADH,Inter-state petition IP-02, Admissibility, Franklin Guillermo Aisalla Molina,

Ecuador – Colombia, 21 octobre 2010.

41. Ibid., § 99.

42. Cour EDH, Loizidou c. Turquie, 23 mars 1995, n°15318/89, § 56 ; Cour EDH, Issa and others v.

Turquie, 30 mars 2005, n° 31821/96, § 71 ; CEDH, Andreas Manitaras and others v. Turkey, 3 June 2008

n° 54591/00, §§ 27-28 ; Cour EDH, Ilascu et a. c. Moldova et Russie, 8 juillet 2004, n° 48787/99, § 315.

43. Commission EDH, Stocké v. Germany, 12 October 1989, Series A, vol. 1999, 24, § 88.

44. Le caractère effectif du contrôle est décisif pour emporter juridiction extraterritoriale de

l’Etat : voir par exemple le raisonnement du Comité contre la torture concernant Israël dans :

GAOR, 64th sess, Suppl. No. 44. En faveur d’une interprétation contextuelle, pour chaque cas

d’espèce, du caractère effectif de ce contrôle, voir : M. Scheinin « Extraterritorial Effect of the

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Page 367: La Revue des droits de l’homme, 6

international Covenant on Civil and Political Rights », dans : F. Coomans, M.T. Kamminga (dir.),

Extraterritorial Application of Human Rights Treaties, Oxford, Intersentia, 2004, pp. 73 et s., spéc.

p. 76.

45. Commission IADH, Affaire 10.675 c. Etats-Unis (Haitian Interdiction Case), 13 mars 1997, § 141.

46. Dans ce sens, voir notamment : R. Lawson, « Life After Banković : On theExtraterritorial Application of the European Convention on Human Rights », dans : F.Coomans, MT Kamminga (dir.), Extraterritorial Application of Human Rights Treaties,Oxford, Intersentia, 2004, spéc. p. 98.

ABSTRACTS

The terminology “Cyberwar” lacks precision: the realities it covers, thus manifolds, are not

limited to armed conflict situations. “Cyberwar” raises many questions of international law that

cannot be all dealt with jus in bello rules, and thus needs further investigations in other fields of

international law such as international human rights law.

Qu’est-ce au juste que la cyberguerre, et quelles questions pose-t-elle au droit ? L’expression

« cyberguerre » est manifestement trop restrictive eu égard à la variété des contextes dans

lesquels s’inscrivent les attaques informatiques. Dès lors, les règles du jus in bello ne sauraient à

elles seules permettre d’appréhender un phénomène hétéroclite qui ne se limite pas aux

situations de conflit armé, et un recours à d’autres branches du droit, tel le droit international

des droits de l’homme, s’avère utile.

INDEX

Mots-clés: Cyberguerre – cyberattaque - droit international humanitaire - juridiction de l’Etat

Keywords: Cyberwar – cyberattack - humanitarian law - State jurisdiction

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Los refugiados, umbral ético de unnuevo derecho y una nueva políticaCastor Bartolomé Ruiz

Introducción, los refugiados y exiliados, una otra globalización

1 1. El término refugiado está conexo con el de refugio, pero también con el verbo

fugarse, huir (del latín, fugam). El refugiado es el que tiene que fugarse y huir. La fugaforzada le obliga a buscar refugio y le torna un refugiado. Los motivos que obligan alrefugiado a emprender la fuga pueden ser variados, pero en todos ellos habita unaviolencia estructural, política, económica o cultural. El refugio se encuentra siempre enlos límites del Estado, en el umbral de las fronteras del derecho. El refugiado se veobligado a sobrevivir en los límites, en el umbral de las paradójicas contradicciones quevinculan el derecho con la vida humana. Siendo habitante de los límites, el refugiadosobrevive como un resto. Él representa aquello que resta de la condición humanacuando la persona se ve obligada a vivir en los límites del derecho, en los espaciosfronterizos donde la excepción se tornó norma y el campo opera como dispositivobiopolítico de control.

2 Los refugiados y exiliados invaden el mundo. Su presencia se globaliza sin que las

actuales instituciones puedan evitar esta condición humana forzada a existir. Elinforme 2013 de la Agencia de la ONU para refugiados, ACNUR, contabilizaba 45,2millones de personas desplazadas a lo largo del planeta1. ACNUR tenía bajo suresponsabilidad de cuidado y protección a 35,8 millones de refugiados. Según susestimaciones, 23.000 personas se vieron obligadas a huir diariamente, abandonando suscasas, ciudades y países debido a conflictos de todo tipo. Se calcula que la condición deapátridas afecta a un total de, al menos, 10 millones de personas. Según el informe, másde 893.700 personas solicitaron el estatuto de exiliado o refugiado en 20122. El propioinforme afirma que: “Que el año 2012 se caracterizó por crisis de refugiados que alcanzaron

niveles sin precedentes en las últimas décadas”3.

3 El informe de ACNUR traza un panorama escalofriante del siglo XXI, mostrando un

lado oculto de la globalización, del modelo económico y sus variados intereses políticos.

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Si como afirmaba Walter Benjamin, en su tesis VIII, Sobre el concepto de Historia, “No

hay un monumento de cultura que no sea también un monumento de barbarie”, lainvisibilización de los refugiados y exiliados es un intento de esconder la barbarie desus estructuras y las decisiones económico-políticas que los producen.

4 El panorama presentado por el informe de ACNUR, sin embargo, es incompleto. Este

informe no contempla en su estadística de refugiados y exiliados a las decenas demillones de emigrantes económicos, legales o ilegales, que circundan el planeta,obligados a abandonar sus casas, ciudades y países por la condición de pobreza extremay miseria en que viven. Tampoco considera en esta estadística las masas de refugiadosclimáticos4 que debido a los cambios climáticos en curso y a los desastres ecológicospermanentes que se comenten, son obligados a abandonar sus tierras, lares y países5.

5 Esta breve e insuficiente fotografía de la coyuntura actual, muestra que la condición de

los refugiados y exiliados representa mucho más que pequeños traspiés del contextomundial, o meros errores puntuales de una globalización bien planificada. Su presenciamasiva, pero principalmente su condición humana, interpelan al modelo económicoque los causa, el capitalismo, a los actuales estatutos jurídicos y políticos del derechointernacional vigente, al tipo de Estado imperante; igualmente ponen en jaque a lasorganizaciones internacionales que existen. Los refugiados y exiliados emergen comointerpelación del orden nacional e internacional establecido en nuestro presente. Ellos- parias, vencidos y víctimas de nuestra historia actual - son interpelación ética ypolítica de nuestro presente.

6 2. Los números de las estadísticas, por muy espeluznantes que nos parezcan, no

consiguen representar la crueldad a que se encuentra expuesta su condición humana.Los números son fríos, cada dígito esconde el rostro de un ser humano, oculta elsemblante de un refugiado y exiliado cuya mirada nos interpela como alteridadinsoslayable. Ninguna palabra, estadística o informe puede suplantar la mirada doloridade un refugiado o exiliado. Las palabras, siendo parte de lo que somos, permaneceninermes ante la realidad del sufrimiento humano.

7 La realidad de los refugiados y exiliados puede ser analizada desde diversas

perspectivas. La sociológica, con sus estadísticas y análisis empíricas; la jurídica,analizando el entramado legal, o la política debatiendo las decisiones (im)pertinentesde cada caso. Todas ellas son necesarias y complementares. Queremos contribuir paraeste amplio y siempre inconcluso debate colectivo con una reflexión desde laperspectiva filosófica del refugiado y exiliado. El refugiado y exiliado, lejos de ser merohecho marginal, una excepción dentro del sistema, se torna, en su condición deexcepción, un punto epistemológico y ético que revalúa la validez ético-política delorden establecido. Los refugiados y exiliados, en cuantas víctimas de innumerablesinjusticias, son el criterio de una nueva perspectiva de la justicia.

8 Este artículo presenta una reflexión sobre la condición límite y umbral fronterizo que

torna al refugiado un resto de humanidad pero también una categoría ético política. Alhabitar los límites, el refugiado muestra el umbral de una exterioridad que lascategorías habituales del orden establecido no perciben. El refugiado, en cuantohabitante externo de un orden que no lo reconoce como ciudadano pleno, contiene lapotencialidad ética y política de cuestionar ese orden. Él es una víctima de la violenciaestructural que tuvo su alteridad negada y su dignidad herida. En esa condición devíctima de la injusticia, el refugiado se establece como criterio ético que tienepotencialidad para juzgar los dispositivos biopolíticos causantes de tal violencia.

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9 Dividiremos nuestra exposición en dos partes, primeramente presentaremos el

pensamiento de Maria Zambrano sobre los exiliados, a seguir la reflexión de HannahArendt sobre los refugiados, en un tercer momento la reflexión que Giorgio Agambenhizo sobre el texto de Arendt (I), y concluiremos con la exposición de cuatros aspectoscríticos que desde el límite de la condición de los refugiados se denuncia y se propone(II).

I. Tres pensadores de la figura de los exiliados yrefugiados

A. María Zambrano, el exiliado, un límite de la existencia

10 3. Maria Zambrano es una filósofa española, 1904-1991, que vivió exiliada durante 45

años. Dejó su tierra natal huyendo del régimen fascista de Franco el 29 de enero de1939, y sólo retornó en 1984. Durante décadas tuvo que peregrinar por muchos países(México, Cuba, Puerto Rico, Italia, Francia, Suiza), cargando consigo la condición de unaexiliada sin refugio6. El exilio fue para ella, como para casi todos los que viven estaexperiencia, una marca indeleble en su vida. No hay estatuto jurídico o político quepueda captar el efecto del exilio en la vida de los desterrados y refugiados. Cada lugarde acogida era también una experiencia de desgarre, siempre extraña y extranjera enlugares que la acogían pero que no colmaban la pérdida del exilio. El peregrinaje delexiliado le arrancaba partes de sí que iba dejando por el camino. Maria Zambrano hizodel exilio una categoría filosófica, una clave hermenéutica para aproximarse a laexistencia humana y, a partir de ella, posibilitar una crítica social7. Maria Zambrano erauna filósofa poeta, una mística que filosofaba. Su mirada sobre el exilio tiene la marcade la poetisa, la mirada de la mística, en ellas es posible encontrar una peculiar críticasocial.

11 Independientemente de los estatutos jurídicos y políticos, Zambrano hace una

distinción filosófica entre refugiado y exiliado. Para ella, estas categorías representanexperiencias diferentes, que no caben en las definiciones jurídicas que se hacen en losestatutos del refugiado o en las leyes de los exiliados. Para la filósofa española, el exilioes una experiencia de abandono real. “Comienza la iniciación al exilio cuando comienza el

abandono, el sentirse abandonado”8. La experiencia de abandono, aunque es concomitantey se inicia con el destierro, con la salida forzada de la casa y la tierra, envuelve otradimensión mayor y más profunda. Para María Zambrano, el refugiado, por haberencontrado un refugio que le confiere ese nombre, al menos tiene la experiencia deverse acogido. Con mejor o peor voluntad, el refugiado, en esa condición, encuentra unhueco para acomodarse. En el peor de los casos se siente tolerado.

12 Para Zambrano, el destierro tiene diversos pasos, en cada uno de los cuales se

desarrolla una determinada experiencia del mismo. El des-terrado es obligado a dejarsu tierra, aquella que hasta entonces le cobijaba y confería identidad a su existenciacotidiana. Desterrado para otra tierra que le es extraña y en muchos casos hostil, setorna huésped en tierra extranjera. En esa condición, es mirado frecuentemente comoun hostes, hostil y hostilizado, por ser un extraño, un extranjero. En cada tierra quellega se ve obligado a peregrinar, viviendo una condición de vulnerabilidad que antesdesconocía. Para la pensadora, “encontrarse en el destierro no hace sentir el exilio, sino ante

todo la expulsión”9.

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13 4. El exilio se inicia como experiencia posterior, aunque la mayoría de las veces sea

concomitante, a la vivencia del destierro y la expulsión. El exilio comienza a sentirsecomo experiencia del borde, del límite al que se siente arrojado el desterrado. Laexpulsión para un límite externo de una tierra extraña trae consigo la experiencia desalida para una exterioridad que es hostil. El límite es un umbral que el exiliado se veforzado a pasar. Ese umbral representa la salida de lo que era suyo, la pérdida de todo loque él era antes y el consecuente abandono para lo que no sabe qué será. El desterradovive la experiencia del límite, llega al umbral de lo que era suyo, de lo que él era, y esobligado a traspasarlo, a salir para un afuera que le recibe amenazadoramente como unextraño, un extranjero que siempre estará de paso.

14 El exilio comienza en el momento en que el destierro invade el alma, tornándola ajena a

toda tierra, incapaz de reconocer su casa en los lugares extraños en que se ve obligada arefugiarse. El exilio penetra como abandono inexorable que lanza al desterrado a labusca perenne de un refugio que compense la falta de su tierra, la ausencia de su casa.El exilio se instala dentro del desterrado como experiencia de abandono e incapacidadde soldar el abismo que surgió en su existencia desterrada. El exiliado, más que unestatuto jurídico-político, es una condición existencial de abandono a la que estánsometidos los desterrados y refugiados que, tolerados en tierra extraña, no consiguenhacer del extrañamiento su nueva casa.

15 El destierro lleva a la experiencia del exilio y ambas a la sequedad existencial. Una

sequedad que introduce el exiliado en un desierto sin fronteras y sin espejismos. Unasequedad que produce en el exiliado la ausencia de sueños y expectativas, de ideales yutopías. Ni siquiera le cabe el consuelo del espejismo, que es la antepuerta de lossueños. Pero la sequedad ofrece al exiliado la posibilidad de estar despierto, atento a larealidad concreta que le cerca. Según la autora, diferentemente del refugiado queproyecta e idealiza una forma de rehacer su vida en un lugar diferente. El refugiadocrea expectativas y piensa en hacer una vida diferente, incluso una vida mejor. Paraeste, las posibilidades están a su alrededor, posibilidades nuevas que no tenía en supatria ni en su tierra y que ahora se le ofrecen como nuevas formas de rehacer la vida.“Al propiamente refugiado, al únicamente refugiado, el destierro no le absorbe”10.

16 5. Zambrano vislumbra en la condición existencial del exiliado, entre otras, la

potencialidad de un nuevo estatuto epistemológico, el de la revelación. Revelar es unaforma de conocimiento diferente del descubrir científico. Revelar supone acoger laverdad que aparece, lo que implica una epifanía del otro. No es una verdad que yoconquisto, es una verdad que el otro me ofrece11. La revelación excede al mero conocerdel objeto. Las cosas no revelan, se exponen para el desvelamiento conceptual y lamanipulación técnica. La revelación sólo puede provenir, como forma de conocer, de unOtro.

17 La presencia del exiliado, por ser un umbral de exterioridad, revela, al que está en casa,

la intimidad de su cotidiano, que normalmente pasa desapercibida. La presenciaextraña del otro, el exiliado, contrasta con lo normal, revelándonos nuestra normalidadcomo una diferencia. Él que anda sin tierra y sin casa revela el valor de la tierra y lacasa. “Al salir de ellas se quedó para siempre fuera, librado a la visión, proponiendo el ver para

verse; porque aquel que lo vea acaba viéndose,…”12. Pero la condición del exiliado tambiénrevela una singular experiencia de la temporalidad. El exiliado espera que el Tiempo ledé la razón, que con el pasar del tiempo su verdad sea reconocida y su injusticiapresentada. Pero el Tiempo, figura de Cronos, hijo de Urano, no tiene piedad con él. En

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cuanto el exiliado confía en el tiempo para obtener justicia, el tiempo le devora. Lasrazones y las verdades del exiliado son devoradas por el tiempo y con el tiempo. Cronoses un dios inmisericorde e implacable. El tiempo lanza al exiliado entre los trastos quese esconden, y lo oculta como algo y alguien que debe ser olvidado. Sin embargo, en lossótanos del tiempo, el exiliado vive el desafío de reconocer que aquello que tiene es loprimero que dejo de tener, el presente13. El presente de su presencia, es su posibilidad,aunque no puede renunciar al porvenir. Esa tensión de un presente que debe ser vividocomo momento inexorable de una existencia fugaz, y un futuro que necesita ser mejor,esa tensión revela el abismo de la experiencia del exiliado que fácilmente se entrega alfuturo como:” el dios desconocido, el trasfondo del Tiempo” 14 en el que deposita toda suconfianza.

18 6. El exiliado, en su experiencia de abandono, encarna la figura del desconocido. El

desconocido se caracteriza por no tener un lugar conocido en el mundo, es desconocidogeográfico, social, político, incluso ontológico. “No ser nadie, ni un mendigo. No ser nada”15.

El exiliado representa, más que nadie, lo que no puede dejarse ni perderse, porque hadejado de ser todo para poder mantenerse sin ningún punto de apoyo. La historia se hatornado, para él, como agua que no lo sostiene, y por no poder sostenerse, la historia seha vuelto una amenaza para él. Un océano que puede tragarle a cualquier instante.

19 El exilio está marcado por el abandono, por la experiencia de estar abandonado. El

abandono, como experiencia, carga consigo el estigma del desamparo. Al principio nonota para donde está siendo empujado el exiliado, en poco tiempo percibirá en sí lasombra de la inmensidad. Sin el desamparo, la inmensidad no aparece ni se percibecomo experiencia. De igual forma, es la realidad del abandono que lanza al exiliado enel desierto de la experiencia de la inmensidad. La inmensidad que deja desamparada laexistencia y que torna la vida desnuda: “desnuda ante los elementos, que entonces muestran

toda su fuerza”16. La inmensidad aparece cuando, después de la experiencia traumáticadel destierro inicial, el desterrado tiene que luchar para no caer en la desesperación nien la exasperación y consigue aminorar la agonía del desamparo. En ese momento, laesperanza también se ha oscurecido y la inmensidad se va haciendo presente. Lainmensidad de un horizonte fluido, de un desierto ilimitado sin esperanza definida.Afirma Zambrano que: “La existencia del ser humano a quien esto acontece ha entrado ya en el

exilio”17.

20 El exiliado, en esa condición, para no perderse en el desierto y el abismo de la

desesperanza, “tiene que encerrar el desierto dentro de sí”18. El refugiado, alimentado deislas de esperanza que le mantienen a cobijo del desespero, camina entre escombros.Son los escombros de la historia. Él forma parte de esos escombros. El escombro setorna un límite que expone la barbarie de la historia. Entre los escombros en que seencuentran arrojados, los refugiados y exiliados consiguen percibir otra perspectiva dela realidad, otra historia. Construyen otra mirada, crean una nueva percepción, demodo que hacen reaparecer aquello que: “apenas nacía o lo que ni pudo asomar

mínimamente su rostro, lo que no llegó al vacío…”19. El exilio es un lugar privilegiado paraque la propia sociedad se descubra, para que el concepto de Patria se cuestione y se re-signifique. Lo paradójico, afirma Zambrano, es que la propia Patria tiene la virtud decrear el exilio.”Es su signo inequívoco”20. Crea el exilio para todos los que no se adaptan asus nuevas exigencias de patriotas. Surge, entonces, otra historia, una historia apócrifa.La Patria es un concepto inmisericorde que condena al exilio a los que expulsa, pero undía expulsará como exiliados de la nueva historia a los que se quedaron. La Patria, en

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cuanta construcción cultural y política, no deja opción, incluso a los que ganan y sequedan: “o no se despiertan, o se despiertan en el exilio”21. La idea de Patria, a través deproducción masiva de exiliados y refugiados, revela lo apócrifo de la Historia. La idea depatria verdadera, como la de sociedad perfecta, es siempre algo por nacer, algo porhacer y sólo se realiza en pequeñas islas, en las que crea, también, el exilio.

B. Hannah Arendt, Nosotros refugiados

21 7. Hannah Arendt, 1906-1975, es otra filósofa que vivió la amarga experiencia del exilio.

Su condición de judía alemana le hizo participar, como víctima, de la terrible barbarienazi. Conoció el peregrinaje sin retorno del exilio. Huyendo del nazismo, tuvo queabandonar su tierra, pasando por Ginebra, Praga, hasta llegar a París. El avance delnazismo sobre Francia le hizo conocer la prisión y el campo de concentración, Gurs22,hasta 1941, cuando consiguió huir hacia Estados Unidos. Arendt conoció la experienciadel exilio y de ser apátrida. En Estados Unidos permaneció como apátrida hasta 1951.Después, aunque volvió en diversas oportunidades a Alemania, nunca más consiguióregresar definitivamente a su tierra ni hacer la nueva tierra algo suyo. Peregrinóexistencial y políticamente como exiliada, semejante a la experiencia de MaríaZambrano.

22 En 1943, escribe un artículo, We refugees, para una pequeña revista Menorah, en que

aborda de forma reflexiva la condición de los refugiados a partir de su propiaexperiencia. Arendt inicia su reflexión con una afirmación contundente: “No nos gusta

que nos llamen de refugiados”23. Entre nosotros mismos, escribe Arendt, preferimosllamarnos emigrantes o recién llegados. En este punto, Arendt traza la paradoja queatraviesa a muchos de los refugiados con los que convive. Hasta ese momento, eltérmino refugiado es un nombre que daba a aquellos que tuvieron que procurar refugioporque cometieron algún delito político de opinión u oposición. Con ellos, con losrefugiados judíos, cambia el sentido del término refugiados. Muchos de los que tuvieronque huir y abandonar su tierra en Alemania, Francia, Italia no tenían una opiniónpolítica ni una militancia social definida. Llegaron a la condición de refugiados al serperseguidos por su mera condición de judíos y porque fueron acogidos por “Comités derefugiados”.

23 Antes de la guerra era común que los que tenían que salir se auto-convenciesen de que

lo hacían como emigrantes o nuevos pobladores, ocultando la condición judía que, enmuchos casos, les obligaba a salir. La condición de emigrantes parecía ofrecer unhorizonte de optimismo y nuevas posibilidades. Envueltos por este optimismo,ocultaban la realidad de que fueron forzados a salir y con la salida dejaron para atrásgrandes pérdidas existenciales. Perdieron la casa, lo que significa perder la familiaridadde la vida cotidiana; perdieron sus trabajos, que equivale a perder la confianza en elsaber hacer de este mundo; perdieron la lengua, lo que trae consigo perder lafamiliaridad de los gestos, la espontaneidad de expresar los propios sentimientos;perdieron familiares y amigos en los guetos y campos de concentración, lo que supusouna ruptura abismal en sus vidas particulares.

24 Todas estas pérdidas son arrastradas silenciosamente en cada nueva adaptación,

exigida por las circunstancias de cada nueva tierra y nación. A cada lugar que llegaban,intentaban adaptarse como su nueva casa, esforzándose por ser buenos franceses enFrancia, buenos americanos en Norte América, como fueron buenos alemanes en

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Alemania. Incluso los más optimistas pretendían pensar que su antigua vida era unexilio pasado y que la nueva vida es mucho mejor. Arendt presenta, irónicamente, elejemplo de Mr Cohn que en Berlín había sido 150% alemán, un alemán super-patriota.En 1933, se encontró refugiado en Praga y muy rápidamente se volvió un patriota 150%checo. En 1937, expulso de Praga por el gobierno Nazi, se refugia en Viena, dondedecide ser definitivamente un patriota 150º% austríaco, como era requerido. Lainvasión alemana le obliga a ir para Paris, donde Mr. Cohn nunca recibió un permiso deresidencia regularizado. A pesar de estas pequeños inconvenientes administrativos,decide de forma convicta que su vida futura está en Francia y que se debe preparar paraser un buen francés, como "nuestro" antecesor Vercingetorix24.

25 En muchos casos, se evitaba hablar de las persecuciones y de los campos de

concentración, para que no se interpretase como pesimismo o desconfianza de la nuevatierra. Aparentemente, nadie estaba interesado en conocer el horror del infierno tanpróximo, ni el tipo de seres humanos a que habíamos sido reducidos en los campos deconcentración25.

26 Quien es forzado a abandonar su tierra, deja para atrás lo que él era. En la nueva

situación, el tratamiento burocrático le rebaja la condición de persona ciudadana a lade mero ser humano indiferente e potencialmente indigno. Todos los refugiados dejanpara atrás su historia y pasan a incorporar el vacio de un formulario; ellos son simplesdatos formales rellenados por un funcionario. Un número abstracto que debe serrecibido y encajado en procedimientos burocráticos. La gran paradoja es que losrefugiados son acogidos en los diversos países en nombre de los derechos humanos,pero: “aprendemos rápidamente que en este mundo pervertido es más fácil ser aceptado como

un ‘gran hombre’ que como un mero ser humano”26. Arendt anota que hay leyes no escritasque vigoran más eficientemente que las leyes formalmente establecidas. Esas leyes noescritas, las del prejuicio cultural, las del desprecio social, aunque no son oficialmenteadmitidas, son las que más directamente afectan a los refugiados. Esas leyes tienen lafuerza de una opinión pública. Lo que lleva a concluir, a Arendt, que la silenciosa opiniónpública es más importante en sus vidas (la vida de los refugiados) que todas lasdeclaraciones oficiales de hospitalidad y bienvenida. Eso provocaba que: “´podíamos

fácilmente detectar el desespero enfermizo de la asimilación”27.

27 8. Arendt, como hizo María Zambrano, reflexiona sobre la condición de los refugiados a

partir de su experiencia personal. Por ello, su reflexión está cargada de maticesexistencialistas y de vivencias humanas con un tono crítico muy acentuado. ParaArendt, una parte importante de la asimilación forzada proviene de otro problemaprevio y mayor. Ellos se encontraban desposeídos de ciudadanía, en la condición deapátridas, abandonados de todo derecho, eran meros judíos. Eso significaba que, en unaespecie de insulto conceptual, eran, sólo, meros seres humanos.

28 Este es uno de los puntos críticos del pensamiento de Arendt sobre la relación entre el

derecho y la vida humana. A partir de la experiencia concreta ocurrida con el nazismo,aquellos que perdieron la ciudadanía y se tornaron apátridas no están protegidos por elderecho porque son meros seres humanos. En un efecto paradójico, ocurre que porencontrarse en la condición de apátridas, sin un derecho nacional y una ciudadanía querecubra su mera condición de seres humanos, incluso en los Estados de derecho, susvidas son, para el derecho, meras vidas naturales o biológicas abandonadas a su suerte.El vacio del derecho, provocado por la ausencia de ciudadanía, es ocupado por elprejuicio de aquellos que mantienen este estatuto, en cierta forma, privilegiado.

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Ciudadanos que no se sienten meros seres humanos, como los refugiados apátridas, yque miran aquellos desterrados como extraños que llegan en la condición de intrusos.El refugiado llega como extranjero y es acogido por un acto de benevolencia, pero sucondición de extraño permanece. El extrañamiento, su diferencia distante, es el caldode cultivo de la discriminación. Lo que lleva a concluir a Arendt que:“desde que la

sociedad ha descubierto que la discriminación es una poderosa arma social por la cual alguien

puede ser muerto sin derramar sangre […] ya no son necesarios papeles para materializar la

distinción social”28.

29 Arendt desarrolla más ampliamente la contradicción entre el derecho y la vida humana

de los refugiados apátridas en el capítulo 5, El declinio del Estado-nación y el fin de los

derechos del hombre, de la II parte, El Imperialismo, de su obra, Orígenes del Totalitarismo29.

La actual formulación de los derechos humanos vincula, de forma inexorable lavigencia efectiva de los derechos a la existencia del Estado nacional moderno, de talmodo que la falta del Estado equivale a la usencia de derechos. Lo paradójico es que elrefugiado apátrida, figura que debería encarnar por excelencia los derechos de la vidahumana, muestra el vacio que aparece cuando su vida, que reclama por derechosfundamentales, no encuentra medios efectivos que implementar esos derechos. Ladeclaración formal de derechos está muy lejos de ser una garantía real de los mismos.El refugiado es un testigo palpable de que hay un abismo entre mera vida humana y elderecho30. El concepto de derechos del hombre, según Arendt, basado en la meraexistencia del ser humano como tal, se ha arruinado a partir de todos losacontecimientos que muestran que aquellos que han perdido todas las otras formas deidentidad política y sólo les resta el ser meros seres humanos, están en un totalabandono del derecho. La vida humana despojada de los derechos otorgados por elEstado se encuentra totalmente desprotegida, por lo que esos derechos sólo puedendenominarse de derechos de los ciudadanos de un Estado y difícilmente derechos de lapersona o de la vida humana.

30 Esta cisión ya está explícita en el propio título de la Declaración de 1789, Declaration des

droits de l'homme et du citoyen. El título de la declaración refleja la ambigüedad y eldualismo que existe entre hombre y ciudadano. No deja claro si son dos realidadesdiferentes e in-asimilables una en la otra, o una especie de dualismo en que el segundotérmino (ciudadano) ya estaría contenido en el primero (hombre). En esta últimahipótesis, cabría preguntarse: ¿Por qué diferenciar dos tipos de derechos si los derechosdel hombre engloban los del ciudadano? La separación no es casual ni anodina, muestrala cisión que separa el derecho de la vida humana, y que no hemos conseguido superar.

31 Arendt concluye la reflexión de su artículo, We refugees, afirmando una especie de tesis

política según la cual: “los refugiados que viajan de un país para otro representan la

vanguardia de sus pueblos”31. Esta afirmación no es desarrollada por la autora en otrostextos que sean de nuestro conocimiento, y aparentemente se pierde en el contexto desu comentario anterior. Pero ella apunta para un nuevo significado político delrefugiado, más allá del estatuto de marginalidad y tolerancia benevolente que se leotorga. Afirmar que los refugiados “son la vanguardia de su pueblo” los posiciona comoparadigma de una nueva conciencia histórica. En la condición de vanguardia del pueblo,

dejan aquella condición de deshecho social acogido por caridad, para a vigorar comomodelo de un nuevo estatus político.

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C. Giorgio Agamben, nosotros refugiados, la vanguardia del pueblo

32 9. Giorgio Agamben, en un simposio, 1995, retomó el ensayo de Hannah Arendt, We

refugees, en el punto donde la pensadora terminó, escribiendo un nuevo ensayo con elmismo título, We refugees32. Agamben inicia su reflexión a partir de la tesis conclusiva deArendt de que los refugiados “son la vanguardia del pueblo”. Este autor propone pensar elrefugiado como una categoría política. Específicamente, como una categoría límite. Unacategoría que delimita los límites de las otras categorías clásicas del derecho y lapolítica occidentales que desde el siglo XVII han servido para validar las estructuras einstituciones en que nos movemos. El refugiado es una categoría que, en la actual crisisdel Estado-nación en que vivimos, nos permite percibir algunos contornos posibles parala comunidad política que vendrá33. Pero también es una categoría que nos ayuda apensar, en el límite, la insuficiencia de otras categorías comunes de nuestra política ydel derecho, como hombre, ciudadano con derechos, pueblo soberano. Específicamente,el refugiado, en su límite, cuestiona los modelos de soberanía de las sociedadesmodernas, los tipos de legitimación de la soberanía utilizados que le expulsan para elumbral externo de ciudadanía como un mero ser viviente. El límite que Zambrano veíaen el exiliado como umbral existencial se convierte, para Agamben, en la categoríapolítica del refugiado.

33 Agamben indica que no podemos diferenciar fácilmente refugiados de apátridas, pues

en muchos casos los propios refugiados prefieren ser apátridas antes que retornar a supaís en las condiciones que se vieron obligados a salir. Es el caso de los españolesrepublicanos que eran amenazados de ser devueltos a la España franquista, o de losjudíos alemanes de ser entregados al gobierno nazi. Pero actualmente es la situación deinnumerables emigrantes que prefieren permanecer apátridas para que no puedan serrepatriados a la fuerza.

34 En cualquier caso, Agamben llama la atención, como anteriormente hizo Arendt, de que

la genealogía de los apátridas tiene sus orígenes en los Estados occidentales que desdela I Guerra Mundial percibieron que la suspensión de los derechos de ciudadanía era undispositivo biopolítico eficiente para controlar las poblaciones de nacionales cuyoorigen étnico era problemático por algún motivo. Por ello, las leyes de Nuremberg,1935, que retiraron la nacionalidad alemana a todos los judíos, no hicieron nada másque repetir un dispositivo que ya había sido utilizado por Francia, Bélgica y Rusia, entreotras naciones, durante y después de la I Guerra Mundial.

35 Agamben percibe en la figura del refugiado el límite en que se muestran las diversas

contradicciones que vinculan el derecho con la vida humana en los Estados modernos yen la política occidental. En primer lugar, en el refugiado apátrida opera el dispositivode la excepción a través del cual el derecho amenaza la vida con su suspensión34. Laexcepción es un dispositivo que expulsa la vida fuera del derecho y la captura en unazona de anomía, sin permitir su expulsión total35. El mismo derecho que protege la vida,la amenaza con el abandono, especialmente en aquellos casos en que las personas no seajustan a las demandas del orden establecido. En este caso, cuando el derecho esretirado de la vida humana, esta queda simplemente excluida, ella es incluida en unazona de anomía en la cual está expuesta de forma vulnerable a cualquier violencia. Laexcepción opera como dispositivo que incluye (en la anomia) a través de la exclusión(del derecho), y excluye a través de la inclusión: una inclusión excluyente o unaexclusión inclusiva. Esa es la condición en que se encuentra la ancestral figura del Homo

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sacer, en el derecho romano antiguo. Su vida no puede ser legalmente condenada, perocualquiera que la violente no comete delito. Es una vida cuya violación es inimputable36.

36 La condición del homo sacer es la del abandono. Abandonado del derecho peregrina por

una zona de anomia en la cual vigora la inimputabilidad de cualquier violencia. Elabandono, que era para Zambrano la experiencia que definía al exiliado, es, paraAgamben, la consecuencia política del vacío jurídico en que la condición del refugiado yapátrida se encuentran como nuevos homini sacri. El abandono traía consigo, paraZambrano, la experiencia de la inmensidad y del desierto en que el exiliado eraobligado a vivir. Para Agamben, el abandono del derecho empuja a vivir en la condiciónde bando37.

37 El refugiado también encarna el límite en que el derecho, al proclamarse como derecho

de los ciudadanos y derechos del hombre, defiende al ciudadano abandonando al serhumano, que sin derecho ni ciudadanía no es nada más que una vida desnuda. La vidadesnuda es la mera vida biológica en que se encuentra reducido el ser humanoabandonado de cualquier derecho38. Para María Zambrano, la vida desnuda es lo queaparece como resto último de la experiencia del abandono. Para Agamben, siguiendo enesto a Benjamin, la vida desnuda es el resto de humanidad que queda, ahora reducida amero cuerpo biológico, cuando es abandonada por el derecho.

38 10. Para Agamben, así como para Arendt, Benjamin y Foucault, el motivo de esa

incapacidad del derecho en proteger, de hecho, la vida humana no proviene de lainsuficiencia de los mecanismos procedimentales, ni de la falta de voluntad efectiva delos gobernantes, ni de algún otro factor puntual. La escisión que separa al derecho de lavida humana, en los Estados modernos y en la política occidental, proviene delparadigma biopolítico a través del cual la vida humana fue traída para dentro delEstado nación como soporte biológico del propio Estado.

39 La mera vida desnuda en la Grecia era denominada de zoe y pertenecía al dominio de la

naturaleza, como la vida de todos los otros animales; la zoe, por ser vida natural estabafuera de la política clásica. La política, en Grecia, debería construir una verdadera vidahumana, bios, diferenciada cualitativamente de la mera vida natural, zoe. En lassociedades pré-modernas del Medioevo la vida natural era sagrada y de dominio divino.Esta percepción cambió en las sociedades modernas donde la vida desnuda, la pura vidanatural, se tornó el fundamento del propio Estado. Por ello se denominó de Estado-nación, porque el soporte del Estado está en el hecho biológico de nacer. A través de lavinculación del nacimiento con la ciudadanía, la vida humana es capturada comosoporte del Estado. De esta forma los nacidos son recubiertos jurídicamente comociudadanos y transformados en soporte de la soberanía nacional. La ficción jurídicopolítica moderna hace que el nacimiento se torne inmediatamente nación, yconcomitantemente expulsa para fuera de ese derecho y de esa nación a los no nacidosen ella. Según Agamben, el punto crítico de esta cooptación biopolítica es que la vida setorna un medio para el Estado y sus instituciones, aunque formalmente se afirme otracosa. La vida humana es insertada en la lógica del Estado de modo instrumental, encuanto medio eficiente para sustentar sus fines.

40 La figura del refugiado expone las contradicciones de este modelo biopolítico. Su

presencia marginal, en el margen de todo ordenamiento institucional, expone loslímites en que se sedimentan las instituciones modernas y que son insuficientes paradefender la vida cuando esta se encuentra fuera de un Estado o un derecho instituido.La tensión que atraviesa la existencia límite del refugiado no proviene de los egoísmos

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nacionales o de la inercia de las máquinas burocráticas de los Estados. Hay una serie demecanismos estructurales que el refugiado en cuanto límite desenmascara mostrandosus contradicciones. Una de ellas es la ineficiencia de la estructura formal del derechoen su relación de exterioridad instrumental con la vida humana. La condición delrefugiado muestra que hay una impotencia constitutiva del derecho en relación a lavida humana. Las razones para esta impotencia no están apenas en el egoísmo o en laceguera de las burocracias, si no en las nociones básicas que regulan la inscripción de lavida humana en el orden jurídico del Estado-nación.

41 Agamben, siguiendo la misma argumentación de Arendt, destaca que los tres primeros

artículos de la Declaration des droits de l'homme et du citoyen, 1789, expresan lascontradicciones anteriormente esbozadas. Ellos inscriben el elemento nativo (el nacer)como núcleo de toda asociación política (art. 1 y 2), pudiendo concluir el art. 3 elprincipio de soberanía de la nación con base en su étimo, natio, que originalmentesignificaba simplemente “nacimiento”. La ficción aquí implícita es que el nacimiento setorna inmediatamente nación, de tal forma que no puede haber distinción entre los dosmomentos: nacimiento y ciudadanía. Los derechos son atribuidos al hombre en cuantovida desnuda que sirve de soporte al ciudadano.

42 Esta tensión contradictoria entre la mera vida humana y la ciudadanía es inherente a la

formación del Estado moderno, y nunca fue plenamente resuelta. La condición de losrefugiados, en la medida que es una realidad que no cesó de aumentar, expone a lo vivoesta contradicción. Ella se encuentra registrada en el empeño de la constituciónfrancesa de 1793 de distinguir y diferenciar los derechos afirmando que los derechosdel ciudadano no son los mismos que los derechos del hombre. Estos tienen un carácterpasivo, en cuanto los del ciudadano son derechos activos de aquellos que contribuyeneconómicamente con impuestos y propiedades39. La cisión entre el derecho y la vidahumana, lejos de ser coyuntural permaneció como una marca estructural del propioderecho moderno que no fue resuelta de forma plena. En los Estados de derecho,aunque se reconocen formalmente los derechos de la persona humana, el derecho nodefiende efectivamente la vida humana, sino al ciudadano. Incluso la noción deciudadano es defendida por el derecho en la medida que este se ajusta al ordenestablecido, por ello, en última instancia, el derecho tiene por objeto la defensa delorden.

43 11. Según Agamben, en el sistema Estado-nación, el refugiado representa un elemento

inquietante porque quiebra la identidad entre el hombre y el ciudadano, entre lanatividad y la nacionalidad. El refugiado pone en crisis la ficción original de lasoberanía moderna. Excepciones individuales a este principio hubo siempre, la novedadde nuestros tiempos es que cada vez mayores parcelas de la humanidad no se sientenrepresentadas políticamente por el sistema de Estado-nación. Por este motivo, y en lamedida que el refugiado cuestiona la vieja trinidad del Estado-país-territorio, estafigura aparentemente marginal del refugiado muestra los límites de esos márgenes enque habita. Los márgenes, en la medida que son habitados cada vez más por mayoríasrefugiadas en esos límites, tienden a colapsar la estructura que los produce.

44 En la actual estructura de Estado permanece abierta la fenda que separa la vida humana

de la ciudadanía. El refugiado sobrevive en esa fenda. El Estado limita la vigencia de suderecho a sus ciudadanos, los otros no pasan de meros seres humanos que existen enlos límites de su derecho. Esos otros son dignos de respeto y tolerancia, pero no hayninguna responsabilidad con ellos porque se encuentran en el límite externo del

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derecho, en una zona de anomia donde, de hecho, vigora la excepción como norma. Enese límite, habita el refugiado. Esta paradoja hace que, a pesar de todas lasproclamaciones universales de la igualdad natural de derechos fundamentales, unciudadano perteneciente a un Estado fuerte se sentirá mucho más protegido en susderechos que el de un Estado débil.

45 Cuando se afirma que los derechos del hombre no son los mismos que los del ciudadano

se arquitecta una estructura política por la cual el mero hombre, cuando no sea másreconocido como ciudadano, incorporará en si la figura del homo sacer del derechoromano arcaico. El refugiado y apátrida es el nuevo homo sacer abandonado por elderecho de la falta de ciudadanía y expuesto vulnerablemente a la violencia impune.

46 Cabe preguntarse, ¿Qué resta para aquellos que fueron expulsos de sus tierras y países,

que ni Estado tienen y (sobre)viven en el límite de todo derecho como restoabandonado? Para estos refugiados del límite resta la “ayuda humanitaria”.Reconociendo y alabando la buena intención de personas e instituciones que se dedicana la ayuda humanitaria, esta no deja de ser un sucedáneo de la falta de derechos. Laayuda humanitaria es lo que resta cuando no hay posibilidad de defender los derechosfundamentales. La ayuda humanitaria acoge la vida humana pero no tiene el poder deexigir o defender sus derechos. La propia acogida humanitaria tiene la marca de lafragilidad vulnerable. En este contexto debe interpretarse la crítica de Hannah Arendt ysu afirmación de que una vida despojada del derecho es una vida sin derechosfundamentales.

47 12. Agamben, en su ensayo, We refugees, presenta una tesis más contundente que la de

Arendt sobre el significado político del refugiado. El filósofo italiano afirma que esnecesario separar radicalmente el concepto de refugiado del de los “derechos delhombre”, y parar de considerar el derecho de asilo como una categoría conceptual opolítica para la que converge el destino de los refugiados. El asilo no es derecho queresuelve el problema de los refugiados, ni la figura jurídica que permite comprender elsignificado político de esta condición humana. El asilo no deja de ser una benevolencia,cada vez más escasa y dificultada por los propios Estados de derecho, a través de la cualse inserta la condición política del refugiado en una condición humanitaria provisionaly vulnerable, siempre dependiente de la benevolencia de las autoridades que tienen elpoder de otorgarla o retirarla. Para Agamben, el refugiado debe ser considerado poraquello que realmente es, o sea, nada más y nada menos que un concepto radicalmentefronterizo, un límite externo que pone en cuestión los propios principios del Estado-nación. Desde su condición de límite, el refugiado interpela y ayuda a pensar y renovarlas categorías modernas que no sirven más para defender la vida humana como tal.

48 Retomando la tesis de Arendt, Agamben sugiere que los refugiados representan, de

hecho, “la vanguardia de su pueblo”. Pero eso no quiere decir que podrían ser el núcleo deotro futuro Estado-nación. Para Agamben, solamente en una tierra donde los espaciosde los Estados hayan sido agujereados y topológicamente deformados, y el ciudadanohaya aprendido a reconocer en sí mismo la realidad del refugiado que existe en él,solamente en y a partir de esas dos condiciones es posible pensar la sobrevivenciapolítica del mundo futuro.

49 En lugar del Estado-nación, tenemos que imaginar la posibilidad de construir

comunidades políticas en las que el principio político fundador sea laextraterritorialidad recíproca, lo que obligaría a repensar nuevas relacionesinternacionales. El concepto político orientador de reconocimiento no sería más el ius

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del ciudadano, en su lugar vigoraría el refugio del individuo. Eso significaría que enlugar de Estados nacionales divididos por fronteras territoriales, habría que crearcomunidades políticas diversas y en movilidad permanente. El concepto de personapodría volver a tener un sentido político importante, que ahora ha perdido porque hasido usurpado por el concepto de nacional. Desde la perspectiva que nos desafía apensar nuevas formas políticas, más allá del Estado-nación, los refugiados representanuna vanguardia. Ellos son el indicio que indica una orientación posible para dondedirigir los esfuerzos y luchas políticas futuras.

II. La figura contemporánea del refugiado:contradicción y perspectivas críticas

50 13. Las reflexiones diferenciadas, pero también conexas, de Maria Zambrano, Hannah

Arendt y Giorgio Agamben reconstruyen la dimensión de los refugiados desde nuevasperspectivas. A su vez, los análisis entrecruzados de sus perspectivas nos permitenesbozar algunas importantes contradicciones que la condición límite del refugiadotorna evidentes.

A. El derecho y la vida

51 La primera es que el derecho no puede proteger la vida a través de meras declaraciones

formales, de tratados o de principios universalmente aceptados. No obstante, fuera delderecho, la vida entra en una zona de excepción donde queda expuesta a la violencia noimputable. Aunque el derecho, por sí sólo, es incapaz de defender la vida humana, sin elderecho la persona humana queda reducida a mera condición de animal viviente, y,consecuentemente, bajo el arbitrio de la fuerza.

52 La tensión contradictoria entre el derecho y la vida queda evidente en la condición del

refugiado. Este, con todas las versiones posibles de apátrida, desterrado, emigrantes sinpapeles, o exiliado, se configura, en varios aspectos, como un límite, una frontera delderecho, que juzga la validez del propio derecho. Él vive en los límites, pero,concomitantemente, esa condición le confiere la potencia de ser una categoría límitepara el propio derecho. El refugiado vive en el límite, se refugia en los límites, perotambién desconstruye críticamente los límites; él es un límite a partir del cual soncuestionadas las otras delimitaciones. Sobrevive en el umbral de la exclusión de losderechos, subsiste en la frontera externa de las instituciones modernas como el Estado,el derecho, la nación, la ciudadanía, a modo de elemento extraño, tolerado pero nointegrado.

53 La condición del refugiado es la de la lucha por la sobrevivencia, sin que su vida sea

reconocida con una dignidad de derechos igual a la de cualquier ciudadano. La recusa areconocerle los mismos derechos de un ciudadano expone la arbitrariedad excluyentecon que esas categorías operan. El refugiado existe en la frontera del derecho, unespacio con un mayor o menor vacío del derecho que permite que la excepción se tornela norma de su existencia. En esa condición límite, su vida se encuentra reducida a lacondición de mero ser viviente, una vida desnuda.

54 Existe otra cara pro-positiva en la condición límite del refugiado. En el límite, la vida se

rebela contra los límites que la excluyen proponiendo la propia vida humana como

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nueva categoría ética que juzga la validez de las instituciones políticas. El refugiado setorna, en el límite, una alteridad ética, una referencia sobre la (in)justicia de lasestructuras que lo limitan y excluyen. El refugiado se vuelve una exterioridad que juzgala inadecuación del modelo económico y de las estructuras políticas que lo confinan auna exclusión perenne. En este sentido, el refugiado se transforma en un límite ético delas instituciones económicas y políticas modernas.

55 Esta primera paradoja del refugiado se contrapone a los discursos que pretenden

naturalizarlo como un efecto colateral inevitable de los modelos estructurales. El límitefronterizo en que sobrevive se destaca como un espacio crítico de exterioridad queposibilita juzgar críticamente la realidad del orden establecido y sus dispositivos denaturalización. Lo que está en juego en el límite es la sobrevivencia del refugiado, es supropia condición humana. El empeño en naturalizar su condición de refugiado comoalgo normal e inevitable en el tablero de las relaciones internacionales o en la lógicaeconómica del mercado, ese discurso normalizador, es des-construido desde alteridadnegada del refugiado como siendo un artificio ideológico que encubre interesescorporativos y otras estrategias de acción.

B. El refugiado y la seguridad

56 14. El límite fronterizo en el que sobrevive el refugiado desenmascara una otra

contradicción, la de los dispositivos de seguridad. El refugiado es el resultado de unaviolencia estructural, del Estado y del mercado, legitimada, la mayoría de las veces, pordinámicas que se dicen necesarias para preservar de otros males mayores. La violenciaEstatal o económica procura su legitimación en los llamados discursos de seguridad.Para otorgar mayor seguridad a los ciudadanos de bien, se legitiman determinadasintervenciones militares o económicas cuyos resultados ya contemplan la inevitableexpulsión, emigración o simplemente huída de sus territorios de personas ypoblaciones que se unirán al contingente mundial de refugiados ya existente. Laspolíticas de seguridad forman parte del marco biopolítico que rige la lógica política eeconómica moderna40. En ella, se legitima el uso de la violencia como una técnica degobierno necesaria para defender la vida: en nombre de la defensa de la vida se toleraviolentar otras vidas. Para defender a unos se ataca a otros, a sabiendas de que esaintervención producirá efectos colaterales, que son los refugiados. Esta paradoja de labiopolítica legitima el uso de la violencia para defenderse de amenazas posibles o deotras violencias invocadas y provocadas. Se legitima la violencia de Estado para,supuestamente, defender civiles, o derribar dictadores, o prevenir el terrorismointernacional. De esta forma, se consolida la práctica de la guerra preventiva en elmarco de las relaciones internacionales. Es sabido que la mayoría de las intervencionesmilitares o económicas que producen los refugiados se hacen en nombre de lasdoctrinas de seguridad, pero ocultan otros objetivos, en general la apropiación deriquezas económicas, el dominio estratégico de áreas políticas, el beneficio corporativode grandes empresas, el control de mercados estratégicos, etc. Los refugiados,habitantes del límite del sistema, son los testigos que denuncian la perversidad de estalógica biopolítica.

57 En las últimas décadas, hubo incluso una sofisticada inversión en la utilización de la

condición de los refugiados por los propios agentes de la violencia. Estoscomprendieron que, en el marco de la lógica biopolítica, el sufrimiento de los

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refugiados puede ser rentable políticamente. No es necesario esconderlos como unmero subproducto o efecto colateral previsto, ni invisibilizarlos para evitar quecuestionen la estrategia militar o económica. Actualmente, en lugar de invisibilizar losrefugiados, se les expone como arma ideológica contra el enemigo. La estrategia estener el dominio del discurso para hacer creer que los refugiados son causados, de unao de otra forma, por el enemigo. Por este medio, se utiliza la condición trágica de losrefugiados como argumento político que exige una mayor y más intensa intervenciónmilitar contra el enemigo. Se argumenta que es necesario defender los refugiadosincrementando la inversión en armamento o la ayudar militar contra el enemigo, al quese le atribuye la responsabilidad de su existencia. Con ello, la lógica de la guerraadquiere una nueva dinámica y un refuerzo ideológico para mantenerla o aumentarla.El caso de la actual guerra de Siria refleja bien esta tesis.

C. Límites y contradicciones de la ayuda humanitaria

58 15. En la lógica biopolítica de los dispositivos de seguridad, el uso de la violencia es algo

rentable, los refugiados son un subproducto inevitable, y en muchos casos conveniente.Una tercera paradoja se manifiesta en el papel otorgado a las ONGs en relación a losrefugiados. Salvando la incuestionable buena voluntad de las personas y de la mayoríade ONGs que trabajan con refugiados, lo paradójico es que, en muchos casos, ellasjuegan un papel previsto en la estrategia de la violencia biopolítica. Su intervención eshumanitaria, lo que quiere decir que las ONGs están desposeídas de cualquier carácterpolítico, lo que les impide cuestionar la situación o tomar partido en cualquiercircunstancia. ONGs mundialmente conocidas como Médicos sin Fronteras, Cruz Roja,entre otras, incluso el proprio ACNUR, son invitadas, y financiadas, para ayudar amitigar la situación dramática de los refugiados, con la condición de que se mantenganneutrales, es decir, que no tengan ningún posicionamiento político y que se limiten aayudar humanitariamente a las necesidades vitales de las personas. Ellas sonfinanciadas para atender a meros seres humanos, así como otras ONGs atienden ydefienden animales o ecosistemas. Su intervención se atiene a la pura vida humanadesnuda, ellos tienen que cuidar de seres humanos como meros elementos biológicos.Su forzada neutralidad las despojada de cualquier carácter político, y lo queaparentemente es un acto de benevolencia neutral de un conflicto, converge para lainstrumentalización biopolítica más estricta.

59 En la lógica de esa estrategia, las ONGs son subvencionadas para que atenúen los efectos

previstos por la violencia. En el lugar de los Estados o corporaciones responsables porlos conflictos que provocaron los refugiados, y que deberían hacerse cargo de lasconsecuencias de sus actos, se terceriza este servicio para entidades “neutras” que, ensu benevolencia “neutral”, muestran un carácter humanitario del conflicto. El carácterfilantrópico de las ONGs es instrumentalizado políticamente, incluso rentabilizadoeconómicamente, por una estrategia biopolítica que torna el humanitarismo unaideología apolítica, y los refugiados se convierten, en la concepción humanitaria, enmeros seres vivientes que, fuera de los derechos de ciudadanía, sólo tienen derecho alcuidado de la mera vida natural. Con ello, la misma dimensión humanitaria esinstrumentalizada como ideología biopolítica de la violencia.

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D. El campo como técnica biopolítica de control social.

60 16. El límite fronterizo del refugiado denuncia un cuarto aspecto: el uso del campo

como técnica biopolítica de control social. El campo, lejos de ser una invención nazi,surge concomitante al Estado moderno que, desde sus orígenes, utilizó esta técnica paracontrolar, vigilar y exterminar personas y poblaciones indeseadas41. El campo se definetécnicamente como el espacio dentro del cual el derecho está suspenso, total oparcialmente, y en su lugar impera la voluntad soberana. En el campo vigora laexcepción como norma42.

61 Técnicamente, el origen jurídico-político del campo se encuentra en las senzalas 43 o

espacios donde, desde el siglo XVI, era permitido cualquier arbitrariedad contra losesclavos sin que se cometiese delito. Quien entraba en la senzala salía fuera del derecho,penetraba en un campo de anomía en que la norma era la voluntad soberana del dueñode esclavos. Las reservas indígenas, creadas por el primer estado modernoindependiente, Estados Unidos, son otro ejemplo de precedente histórico del usojurídico-político del campo para controlar poblaciones indeseadas que, en este caso,consiguió exitosamente su exterminio44.

62 Los refugiados, en sus diversas versiones, son poblaciones indeseadas que deben ser

controladas, vigiladas, expulsadas, incluso en algunos casos queda clara la expectativapolítica del exterminio. Los refugiados sufren su condición en el campo. Ellos viven encampos. El campo es el espacio en que la ciudadanía no es reconocida y el derechoexiste como derecho humanitario, pero no como derecho político de los ciudadanos. Elvacio de ciudadanía que habita el campo expone a la vulnerabilidad a sus habitantes. Elvacío de derechos políticos inherente al campo es compensado por decisionesadministrativas que gobiernan el campo de forma soberana, del mismo modo como seadministra normativamente una empresa45. El campo de refugiados es un enclaveextrajurídico tolerado dentro del Estado que lo acoge. Los refugiados perdieron losderechos de ciudadanía de su origen y el Estado en que se sitúa el campo no losreconoce como ciudadanos. Cualquier delito que se cometa contra ellos está fuera delderecho público. La ausencia de derecho público en el campo es compensada pornormativas internas, de frágil valor jurídico-político. Como consecuencia,frecuentemente, hay una inimputabilidad o impunidad real de los delitos cometidoscontra los refugiados, pues ellos son meros seres humanos sin fuerza para defender susderechos políticos.

63 La perspectiva política del refugiado como límite fronterizo que desvenda las

contradicciones e insuficiencias del Estado, así como del proprio sistema económicocapitalista, se tornó más incisiva en las últimas décadas debido al masivo movimientode emigraciones globales que no censan de intentar atravesar las fronteras de losEstados ricos para poder sobrevivir con un mínimo de dignidad. Los constantes flujosmigratorios son, actualmente, un hecho histórico que expone la urgencia de repensarsu condición jurídico-política, que los concibe como meros seres humanos sinciudadanía. Su condición fronteriza exige la creación de nuevas formas del derecho queno dividan la vida y la instrumentalice como zoe biopolítica.

64 No es casual que los dispositivos de los Estados para controlar las masas de emigrantes

ilegales tengan como paradigma el campo46. La condición del campo es versátil, seadapta a las diversas condiciones de los refugiados. Considerando la condición de losemigrantes sin papeles, cuando son capturados por la policía, no se les puede

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encarcelar en la prisión a través del derecho penal común porque no cometieron undelito, sino una infracción administrativa. Si fuesen ciudadanos de pleno derecho, unainfracción se paga con una multa, sin la pérdida de libertad. Como no son ciudadanos,son personas sin ciudadanía, el Estado decide de forma soberana y arbitraria privarlosde libertad internándolos en “Centros de Retención”. Estos centros de retención sonespacios donde no se aplica el derecho penal, ni el derecho civil, ni el derechointernacional. Son espacios fuera del derecho positivo donde vigora la voluntadadministrativa del gobernante que decide hasta cuando quedará retenido y donde seráextraditado. En el caso de los emigrantes ilegales, el “Centro de Retención” es unanueva y refinada versión del campo, que cumple la misma función que históricamentese le asignó: vigilar, controlar y, en este caso, expulsar poblaciones indeseadas. Haymuchas versiones de campo para los emigrantes, entre ellas, por ejemplo, Francia llegóa crear campos de retención en países extranjeros como Argelia, en los que concentrabalos emigrantes.

Conclusión

65 17. La condición límite del refugiado permite enumerar críticamente estas situaciones

contradictorias, entre otras. En el límite, la relación entre el derecho y los refugiadosreproduce el debate sobre la conexión del derecho con la vida humana. Por un lado, lavida fuera del derecho es una vida abandonada y condenada a vivir en la condición debando, donde la excepción se torna la norma, ya que en el vacío dejado por la falta dederecho se establece el arbitrio de una voluntad soberana. Pero el mero derecho no essuficiente para defender la vida ni para darle plenitud. La proliferación de normaslegales, lejos de defender la vida, pueden servir para normatizarla, regularla yadministrarla como un recurso productivo. Una vida sometida al imperio de la normaequivale a una vida controlada en sus mínimos detalles. Esta es otra versión del modelobiopolítico del gobierno de la vida.

66 Esta tensión entre el derecho y la vida humana muestra que el derecho se torna más

necesario cuanto mayor es el vacio ético de las relaciones sociales. La vida se realizaplenamente más allá del derecho, esa es la condición ética de la existencia humana. Lavigencia efectiva de los valores éticos torna dispensable el derecho, donde la éticavigora el derecho es excusable. En la vivencia ética, el derecho es dispensable y lanorma desnecesaria porque se vive más allá de ella. La dimensión ética de la alteridadhumana excede cualquier derecho, ella no vive fuera del derecho, sino más allá delmismo. Este debate muestra que el ideal de la vida es superar la normatizaciónbiopolítica a través de una vivencia cualitativa de la vida, sin que eso signifique negar lanorma sino superarla. En cualquier caso, esta problemática límite del derecho con lavida humana no es la que afecta directamente a la condición del refugiado. Este seencuentra en una situación en que el derecho es negado y, como consecuencia, la vidaestá expuesta a la violencia.

67 Desde el límite fronterizo en que habita el refugiado se muestra como un umbral desde

donde es necesario pensar un nuevo derecho y una nueva política en que se invierta lainstrumentalización biopolítica de la vida humana. La vida humana, desde el límite desu exposición, adquiere la potencialidad política de cuestionar las estructuras que lacondenaron a ese límite. Desde el límite, enunciase la necesidad de una nueva política yun nuevo derecho subsidiarios de la vida, de todas las condiciones humanas. En el

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límite concreto del refugiado, la vida humana se revela como nuevo referente ético dela acción política.

NOTES

1. ACNUR. Desplazamiento, el nuevo reto del siglo XXI. Tendencias globales 2012. p.2. Disponible en:

http://www.acnur.org/t3/fileadmin/scripts/doc.php?file=t3/fileadmin/Documentos/

Publicaciones/2013/9180

2. Ibidem, p. 3.

3. Ibidem, p. 5.

4. CLARK, Anna. “The Coming Flood of Climate” In: GreenBiz: http://www.institutocarbonobrasil.org.br/reportagens_carbonobrasil/noticia=725824, ACNUR.

“Políticas de Adaptação no Contexto das Negociações da Convenção Quadro das Nações Unidas

sobre Mudanças Climáticas (UNFCCC)” In: http://www.acnur.org/t3/portugues/o-acnur/

envolva-se/eventos/acnur-na-rioplus20/mudancas-climaticas-documentos-de-referencia/

deslocamentos-induzidos-por-mudancas-climaticas/

5. Sobre refugiados climáticos, cf: CASTRO, Márica. “Os refugiados climáticos e o paradoxo da

imobilidade”. In:

http://www.ihu.unisinos.br/entrevistas/500513-os-refugiados-climaticos-e-o-paradoxo-da-

imobilidade-entrevista-especial-com-marcia-castro

Cf. también el análisis do Alto Comisario de ACNUR, Antonio Gutierrez, sobre cambios climáticos

http://www.acnur.org/t3/portugues/o-acnur/envolva-se/eventos/acnur-na-rioplus20/

mudancas-climaticas-discursos-do-alto-comissario/discurso-do-alto-comissario-antonio-

guterres-ao-comite-executivo-do-acnur-em-outubro-de-2008/

6. ABELLÁN, José, María Zambrano, una pensadora de nuestro tiempo, Barcelona, Anthropos, 2006.

7. ZAMBRANO, Maria. Los bienaventurados, Madrid, Siruela, 2004.

8. Ibidem, p. 31

9. Ibidem, p. 32.

10. Ibidem, p.37

11. Destacamos el paralelismo, en este punto, con el pensamiento de Emmanuel Levinas. Cf.

LEVINAS, Emmanuel, Totalité et Infini, Paris, Nijhoff, 1980.

12. ZAMBRANO, Maria, Los bienaventurados, Madrid, Siruela, 2004. p. 33

13. Esta percepción del refugiado guarda una semejanza muy estrecha con la figura del “trapero

de la historia” elaborada por Walter Benjamin para presentar la historia de los vencidos como

desechos de la historia con potencialidad de crear una nueva historia. “Los poetas encuentran en la

basura de la sociedad, en las calles y en la propia basura su asunto heroico” BENJAMIN, Walter, Charles

Baudelaire. Um Lírico No Auge Do Capitalismo, São Paulo, Brasiliense, 1994, p. 78.

14. Ibidem, p. 35

15. Ibidem, p. 36

16. Ibidem, p. 38

17. Ibidem, p. 39.

18. Ibidem, p. 41

19. Ibidem. p. 42.

20. Ibidem, p. 43.

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21. Ibidem, p. 43.

22. Es pertinente recordar que el Campo de concentración de Gurs fue construido por el gobierno

francés, próximo de la frontera con España, para aprisionar los republicanos españoles que huían

masivamente del régimen fascista de Franco. Fue el mayor campo de concentración de toda

Francia. Posteriormente, con la invasión alemana, fue utilizado como campo de concentración

para judíos. Arendt fue presa en este campo en esta segunda condición. Cf. LAHARIE, Claude, Le

camp de Gurs, 1939–1945, un aspect méconnu de l´histoire de Vichy. [S.l.: s.n.], 1993. BERMEJO, Benito e

CHECA, Sandra, Libro Memorial, Españoles deportados a los campos nazis (1940–1945), Madrid,

Ministerio de Cultura, 2006.

El primer campo abierto en Francia para concentrar a los refugiados españoles fue Argelès-sur-

mere, 1 de febrero de 1939. Debido a la entrada masiva de refugiados se abrió, el día 8 del mismo

mes, el campo de Saint-Cyprien y Barcarès. Consecutivamente se abrieron otros campos como

Vallespir, y en la Cerdaña: Arles-sur-Tech y Prats de Molló.

23. ARENDT, Hannah, “We refugees”, in ROBINSON, Marc, Altogether Elsewhere. Writers on Exile.,

London, Faber&Faber, 1994, p. 110.

24. Ibidem, p. 116-117.

25. Ibidem, p. 111.

26. Ibidem, p. 115.

27. Ibidem, p. 117.

28. Ibidem, p. 118-119.

29. ARENDT, Hannah, Origens do totalitarismo, São Paulo, Cia das Letras, 2009, pp. 300-338

30. “Ninguna paradoja de la política contemporánea es tan dolorosamente irónica como la discrepancia

entre los esfuerzos idealistas bienintencionados, que insistían cabezonamente en considerar ‘inalienables’

los derechos disfrutados por los ciudadanos de los países civilizados, y la situación de seres humanos sin

ningún derecho”, ARENDT, Hannah. Origens do totalitarismo, p. 312

31. Ibidem, p. 119.

32. Giorgio Agamben, "We Refugees." Symposium. 1995, No. 49(2), Summer, Pages: 114-119.

Disponible en: http://www.egs.edu/faculty/giorgio-agamben/articles/we-refugees/

33. Agamben escribió, en 1990, una obra, La comunità que viene, Torino, Einaudi, 1990, donde,

siguiendo otras obras como las de Jean-Luc Nancy, explora las potencialidades políticas de la

comunidad.

34. AGAMBEN, Giorgio., Stato di Eccezione, Torino, Bollati Boringhieri, 2003.

35. “Lo que caracteriza propiamente a la excepción es aquello que es excluido no está por esa causa,

absolutamente fuera de la relación con la norma; al contrario, esta se mantiene en relación con aquella en

la forma de suspensión. La norma se aplica a la excepción des-aplicándose, retirándose de ella”: AGAMBEN,

Giorgio, Homo sacer. O poder soberano e a vida nua, Belo Horizonte: UFMG, 2002, p. 25.

36. AGAMBEN, Giorgio, op. cit.

37. “El bando es esencialmente el poder de remitir algo a sí mismo, o sea, el poder de mantenerse en

relación con un presupuesto no relatado. El que es puesto en bando está remitido a su propia separación y,

juntamente, entregado a merced de quien lo abandona, al mismo tiempo excluido e incluido, dispensado y

simultáneamente capturado”, AGAMBEN, Giorgio, Homo sacer. O poder soberano e a vida nua, op. cit.,.

116.

38. Agamben utiliza la categoría vida desnuda tomada de BENAJMIN, Walter, “ Zur Kritk der

Gewalt”, in G.S. II., pp. 179-203.

39. La condición económica, de clase, es un factor decisivo, en muchos casos, para determinar el

mayor o menor valor jurídico de la vida humana. El derecho formal tiene un valor más real en

virtud de la condición económica de quien lo reclama. Esta dimensión económica está ausente del

debate propuesto por Agamben.

40. FOUCAULT, Michel, Sécurité, Territoire, Population, Paris, Gallimard, 2004.

41. AGAMBEN, Giorgio, Stato di Eccezione., Torino, Bollati Boringhieri, 2003.

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42. “El campo es el espacio que se abre cuando la excepción comienza a tornarse regla”, AGAMBEN,

Giorgio, Homo sacer. O poder soberano e a vida nua, op. cit., p.175.

43. El origen toponímico del término senzala es africano, es el nombre habitualmente utilizado en

Brasil para el espacio donde se confinaba a los esclavos negros. La senzala era constituida, casi

siempre, de una casa fuertemente protegida por rejas, relativamente apartada de las residencias

de los propietarios. En frente de la casa de esclavos, como parte de la senzala, se construida una

especie de pilar o tronco llamado pelouriño en el cual se azotaba y se torturaba públicamente de

diversas formas a los esclavos y en último extremo se los ahorcaba. El conjunto de ese espacio de

confinamiento y tortura de esclavos era denominado de senzala. Era un espacio fuera del derecho,

no reglamentado ni reconocido jurídicamente, pero tolerado en toda su impunidad.

44. BROWN, D, Enterrem meu coração na curva do rio. A dramática história dos índios norte-

amerianos, Porto Alegre, LP&M, 2004.

45. H. Arendt, sin analizar las implicaciones biopolíticas del campo, percibe conagudeza el modo como en el campo se impone una igualdad forzada, se fuerza seriguales como medio de control y gobierno biológico efectivo: “El dominio total, que

procura sistematizar la infinita pluralidad e indiferenciación de los seres humanos como si toda

la humanidad fuese apenas un individuo, sólo es posible cuando toda persona es reducida a la

misma identidad de reacciones”, ARENDT, Hannah, Origens do totalitarismo. Anti-semitismo,

imperialismo, totalitarismo, São Paulo, Cia das Letras, p. 448.

46. El modo arbitrario y cada vez más frecuente del uso de la excepción como instrumento de

gobierno, llevó Agamben defender la tesis de que: “el estado de excepción tiende cada vez más a

presentarse como paradigma de gobierno dominante de la política moderna”, AGAMBEN, Giorgio, Estado

de exceção, São Paulo, Boitempo, 2004, p. 13.

ABSTRACTS

The refugees are a reality that expands and challenges. This paper analyzes the status of refugees

from the philosophical perspective. Returning reflections of the three philosophers - M.

Zambrano, H. Arendt, G. Agamben - on the subject, the refugee status is presented as a threshold

or boundary condition of law and policy that, in the limit, questions modern institutions that

condemn to abroad abandonment, without citizenship, and subjected him to a permanent

vulnerability. In the threshold limit, the refugee is an unassimilable alterity by notions of the

established order. As external and border alterity, the refugees becomes an ethical category with

the potential to judge the validity of the political structures and institutions of our present.

Les réfugiés constituent une réalité en expansion qui ne peut laisser indifférent. Cet essai analyse

la condition des réfugiés depuis une perspective philosophique. En reprenant les réflexions de

trois philosophes -M. Zambrano, H. Arendt, G. Agamben – sur la question, il présente la condition

des réfugiés comme un seuil ou une condition limite du droit et de la politique qui, dans cette

limite, interroge les institutions modernes qui les condamnent à un abandon extérieur, sans

citoyenneté, et les soumettent à une vulnérabilité permanente. Au seuil de cette limite, le réfugié

représente une altérité inassimilable par les notions de l’ordre établi. En tant qu’altérité, il offre

une catégorie éthique qui a pour potentialité de permettre de juger la validité des structures et

des institutions politiques contemporaines.

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Los refugiados son una realidad que se expande e interpela. Este ensayo analiza la condición de

los refugiados desde la perspectiva filosófica. Retomando las reflexiones de tres filósofas/o – M.

Zambrano, H. Arendt, G. Agamben – sobre el tema, se presenta la condición del refugiado como

un umbral o una condición límite del derecho y de la política que, en el límite, cuestiona las

instituciones modernas que lo condenan al abandono exterior, sin ciudadanía, y lo someten a una

vulnerabilidad permanente. En el umbral del límite, el refugiado es una alteridad inasimilable

por las nociones del orden establecido. Como alteridad externa y fronteriza se torna una

categoría ética con potencialidad de juzgar la validez de las estructuras e instituciones políticas

de nuestro presente.

INDEX

Mots-clés: Réfugiés - Droits de l’homme – violence – éthique – altérité – Zambrano - H. Arendt -

G. Agamben

Keywords: Refugees - human rights – violence – ethics – otherness - M. Zambrano - H. Arendt -

G. Agamben

Palabras claves: Refugiados - derechos humanos – violencia – ética – alteridad - M. Zambrano -

H. Arendt - G. Agamben

AUTHOR

CASTOR BARTOLOMÉ RUIZ

Castor M.M. Bartolomé Ruiz est docteur en philosophie, chercheur dans le Programme de

l’Université UNISINOS, à Sao-Léopoldo du Brésil. Il est membre du Conseil scientifique de la

Chaire Unesco “Derechos Humanos y violencia, gobierno y gobernanza” (Droits de l’Homme et

violence : gouvernement, gouvernance).

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Les réfugiés, seuil éthique d’unnouveau droit et d’une nouvellepolitique1 (version française)Castor Bartolomé Ruiz

Introduction, les réfugiés et les exilés : une autre globalisation.

1 Le terme « réfugié » est lié à celui de « refuge », ainsi qu’au verbe « s’évader », « fuir »

(du latin, fugam). Le réfugié est celui qui doit s’évader, fuir. La fuite forcée obligel’individu à trouver refuge et le transforme donc ainsi en réfugié. Les motifs quiobligent le réfugié à prendre la fuite peuvent être variés : mais tous ces motifs sontemprunts de violence structurelle, politique, économique ou culturelle. Le refuge setrouve toujours aux limites de l’Etat, au seuil des frontières du droit. Le réfugié se voitobligé de survivre dans ces limites, au seuil des contradictions paradoxales qui lient ledroit et la vie humaine. Nouvel habitant des limites, le réfugié survit comme un reste :il représente ce qui reste de la condition humaine quand la personne se voit obligée devivre dans les limites du droit, dans les espaces frontaliers où l’exception devient lanorme et où la campagne opère comme un dispositif biopolitique de contrôle.

2 Les réfugiés et les exilés envahissent le monde. Leur présence se globalise sans que nos

institutions puissent éviter cette condition humaine forcée d’exister. Le rapport de2013 de l’Agence de l’ONU pour les réfugiés, l’ACNUR, comptabilisait un déplacement de45,2 millions personnes à travers la planète. L’ACNUR avait sous sa responsabilité 35,8millions de réfugiés, pour les soins et leur protection. Selon ses estimations, 23000personnes se sont vues obligées de fuir, chaque jour, abandonnant leurs maisons, leursvilles et leurs pays suite à des conflits de tous types. On pense que la conditiond’apatrides concerne, au moins, 10 millions de personnes. Toujours selon le rapport,plus de 893700 personnes ont demandé le statut d’exilé ou de réfugié en 2012. Leditrapport affirme « que l’année 2012 s’est caractérisée par la crise des réfugiés qui a atteint des

niveaux sans précédent dans les dernières décennies ».

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3 Le rapport publié par l’ACNUR expose un panorama terrifiant du XXIème siècle qui

montre le côté obscur de la globalisation, du modèle économique et ses différentsintérêts politiques. Si comme l’affirme Walter Benjamin, dans sa thèse VIII, sur leconcept d’Histoire, « Il n’y a pas un monument de culture qui ne soit pas un monument de

barbarie », l’invisibilité des réfugiés et des exilés est une manière de cacher la barbariedes structures et les décisions économiques et politiques qui les produisent.

4 Cependant, le panorama présenté par le rapport de l’ACNUR est incomplet car il ne

prend pas en compte, dans ses statistiques sur les réfugiés et les exilés, les dizaines demillions d’émigrants économiques, légaux ou illégaux, qui parcourent la planète,obligés d’abandonner maisons, villes et pays pour échapper à la pauvreté extrême et àla misère dans lesquelles ils vivent. Il ne prend pas non plus en compte, dans sesstatistiques, les masses de réfugiés climatiques2 qui sont obligés d’abandonner leursterres, leurs foyers et leurs pays pour échapper aux changements climatiques en courset aux désastres écologiques permanents3.

5 Cette brève et insuffisante photographie de la conjoncture actuelle montre bien que la

condition des réfugiés et des exilés représente beaucoup plus que des petits « faux pas »du contexte mondial, ou des simples erreurs ponctuelles d’une globalisation bienplanifiée. Leur présence massive, mais principalement leur condition humaine,interpelle le modèle économique qui les engendre, le capitalisme, les statuts juridiqueset politiques actuels du droit international en vigueur, le type d’Etat dominant ; ilsmettent également en échec les organisations internationales existantes. Les réfugiés etles exilés apparaissent comme une interpellation de l’ordre mondial et internationalétabli aujourd’hui. Ces derniers, parias, vaincus, et victimes de notre histoire actuelle,sont une interpellation éthique et politique de notre monde.

6 La réalité des réfugiés et des exilés peut être analysée de différents points de vue : d’un

point de vue sociologique, avec ses statistiques et son analyse empiriques ; d’un pointde vue juridique, en analysant la trame légale, ou encore d’un point de vue politique ens’intéressant aux décisions (im)pertientes de chaque cas. Tous ces points de vue sontnécessaires et complémentaires. Nous voulons contribuer à ce vaste débat collectif,encore inachevé, en établissant une réflexion d’un point de vue philosophique. Leréfugié ou l’exilé, loin d’être un simple fait marginal, une exception dans le système,devient, par sa condition d’exception, un point épistémologique et éthique qui réévaluela validité éthique et politique de l’ordre établi. Les réfugiés et les exilés, en tant quevictimes des injustices innombrables, sont le critère d’une nouvelle perspective de lajustice.

7 Cet article présente une réflexion sur la condition du réfugié qui vit aux limites des

pays, ce qui lui rend une part d’humanité mais aussi le place dans une catégorie éthiqueet politique à part. En habitant les limites des pays, le réfugié montre le seuil d’uneextériorité que les catégories habituelles de l’ordre établi ne perçoivent pas. Le réfugié,en tant qu’habitant externe d’un ordre qui ne le reconnait pas comme un citoyen à partentière, a le pouvoir éthique et politique de remettre en question cet ordre. Ce dernierest une victime de la violence structurelle qui voit son altérité niée et sa dignité blessée.Dans cette condition de victime de l’injustice, le réfugié perçoit, comme critère éthique,la possibilité de juger les dispositifs biopolitiques à l’origine d’une telle violence.

8 Notre exposé sera divisé en deux parties : premièrement nous présenterons la pensée

de Maria Zambrano sur les exilés, puis la réflexion d’Hannah Arendt sur les réfugiés etenfin la réflexion que fit Giorgio Agamben sur le texte d’Hanna Arendt (I). Nous

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continuerons en exposant quatre aspects critiques sur la limite de la condition desréfugiés (II).

I. Trois penseurs sur la figure des exilés et desréfugiés

A. María Zambrano: l’exilé, une limite de l’existence

9 (…)

B. Hannah Arendt: Nous réfugiés

10 (…)

C. Giorgio Agamben: Nous réfugiés, l’avant-garde du peuple

11 (…)

II. La figure contemporaine du réfugié: contradiction etperspectives critiques

12 Les réflexions différenciées, mais connexes, de Maria Zambrano, d’Hannah Arendt et de

Giorgio Agamben, reconstruisent la dimension des réfugiés depuis de nouvellesperspectives. En même temps, les analyses entrecroisées de ces perspectives nouspermettent de déterminer quelques contradictions importantes que la condition limitedu réfugié rend évidentes.

A. Le droit et la vie

13 La première contradiction est que le droit ne peut pas protéger la vie à travers de

simples déclarations formelles, de traités ou de principes universellement acceptés.Cependant, sans le droit, la vie entre dans une zone d’exception où elle est exposée à laviolence injustifiée. Bien que le droit, par lui-même, est incapable de défendre la viehumaine, sans le droit toutefois, la personne humaine reste réduite à la simplecondition d’animal vivant et, par conséquence, sous l’arbitraire de la force.

14 La tension contradictoire entre le droit et la vie reste évidente dans la condition du

réfugié. Celui-ci, qu’il soit apatride, banni, émigrant sans papier ou exilé, apparait, sousplusieurs aspects, à la frontière du droit, interrogeant la validité du droit lui-même. Ilvit dans les limites mais, concomitamment, cette condition lui confère le pouvoir d’êtreune catégorie à la limite du droit lui-même. Le réfugié vit et se réfugie dans les limites,mais les détruit également; il est lui-même une limite à partir de laquelle sont remisesen question les autres délimitations. Il survit au seuil de l’exclusion des droits, ilsubsiste dans la frontière externe des institutions modernes comme l’Etat, le droit, lanation, la citoyenneté, comme un élément étranger, toléré mais non intégré.

15 La condition du réfugié est celle de la lutte pour survivre, sans que sa vie soit reconnue

avec une dignité de droit égale à celle de tout autre citoyen. Le refus de lui reconnaitre

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les mêmes droits qu’un autre citoyen manifeste l’arbitraire avec lequel ces catégoriesopèrent. Le réfugié existe à la frontière du droit dans un espace où le vide juridiquepermet que l’exception devienne la norme. Dans cette condition limite, sa vie se trouveréduite à celle d’un simple être vivant, une vie dépouillée.

16 Il existe aussi un autre visage de la condition limite du réfugié. Dans cette condition, la

vie humaine se rebelle contre les limites qui l’excluent et se propose comme unenouvelle catégorie éthique qui permet de juger la légitimité des institutions politiques.Le réfugié devient, dans sa condition limite, une altérité éthique, une référence sur l’(a)(in)justice des structures qui l’excluent. Le réfugié devient critère extérieur qui permetde juger l’inadéquation du modèle économique et des structures politiques qui lepoussent dans une exclusion incessante. En ce sens, le réfugié se transforme en unelimite éthique des institutions économiques et politiques modernes.

17 Ce premier paradoxe du réfugié est confronté aux discours qui prétendent le

naturaliser comme un effet collatéral inévitable et structurel. La limite frontalière danslaquelle il survit apparait comme un espace critique d’extériorité qui permet de juger laréalité de l’ordre établi et ses dispositifs de naturalisation.

18 Ce qui est en jeu dans la condition limite, c’est la survie du réfugié, c’est sa propre

condition humaine. L’acharnement à naturaliser la condition de réfugié commequelque chose de normal et d’inévitable dans le cadre des relations internationales oudans la logique économique du marché, ce discours normalisateur, se construit commeun artifice idéologique qui sous-tend les intérêts corporatifs et autres stratégiesd’action

B. Le réfugié et la sécurité

19 Les limites frontalières dans lesquelles le réfugié survit font apparaitre une autre

contradiction, celle des dispositifs de sécurité. Le réfugié est le résultat d’une violencestructurelle, de l’Etat et du marché, légitimée la plupart du temps par des dynamiquesqui se disent nécessaires à la préservation contre les plus grands maux. La violence del’Etat ou des acteurs économiques tient sa légitimité dans les discours de sécurité.L’octroi d’une meilleure sécurité des biens aux citoyens légitime un certain nombred’interventions militaires ou économiques dont les résultats entrainent inévitablementl’expulsion, l’émigration ou simplement la fuite des personnes et des populations quiferont alors partie du contingent mondial des réfugiés déjà existant. Les politiques desécurité entrent dans le cadre biopolitique qui régit la logique politique et économiquemoderne4. A travers cette logique, l’usage de la violence est légitimé comme unetechnique de gouvernance nécessaire pour défendre la vie : au nom de la défense de lavie, on tolère la violence sur d’autres vies. Pour défendre certains, on s’attaque àd’autres, tout en sachant que cette intervention produira des effets collatéraux : lesréfugiés. Ce paradoxe de la biopolitique justifie l’usage de la violence pour défendre depossibles menaces ou d’autres violences invoquées et provoquées. On légitime laviolence de l’Etat pour, je suppose, défendre les civils, renverser les dictateurs, ouencore prévenir le terrorisme international. De cette manière, on consolide la pratiquede la guerre préventive dans le cadre des relations internationales. On sait que laplupart des interventions militaires ou économiques, dont les réfugiés sont l’excuse, sefont au nom des doctrines de sécurité mais cachent d’autres objectifs, comme engénéral l’appropriation des richesses économiques, la maitrise stratégique des aires

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politiques, le bénéfice corporatif des grandes entreprises, le contrôle des marchésstratégiques, etc. Les réfugiés, habitants des limites du système, sont les témoins quidénoncent la perversité de cette logique biopolitique.

20 Dans les dernières décennies, il y a même eu une inversion alambiquée dans

l’utilisation de la condition des réfugiés par les agents de la violence eux-mêmes. Cesderniers ont compris que, dans le cadre de la logique biopolitique, la souffrance desréfugiés peut être rentable politiquement.

21 Il n’est plus nécessaire de les cacher comme un simple sous-produit ou effet collatéral

prévu, ni de les rendre invisibles pour éviter qu’ils remettent en question la stratégiemilitaire ou économique. La stratégie est d’obtenir le contrôle du discours pour fairecroire que la condition de réfugiés est causée, d’une manière ou d’une autre, parl’ennemi. Par ce moyen, on utilise la condition tragique des réfugiés comme argumentpolitique qui exige une meilleure et une plus dure intervention militaire contrel’ennemi. On argumente qu’il est nécessaire de défendre les réfugiés en augmentantl’effort en armement ou l’aide militaire contre l’ennemi à qui on attribue laresponsabilité de leur existence. Avec cela, la logique de la guerre acquiert une nouvelledynamique et un renforcement idéologique pour la maintenir ou l’augmenter. Le cas dela guerre actuelle en Syrie reflète bien cette thèse.

C. Les limites et les contradictions de l’aide humanitaire

22 Dans la logique biopolitique des dispositifs de sécurité, l’usage de la violence est

rentable ; les réfugiés sont un sous-produit inévitable et, dans beaucoup de cas,opportun. Un troisième paradoxe se manifeste dans le rôle attribué aux ONG pour lesréfugiés. Sans parler de l’indiscutable bonne volonté des personnes et de la plupart desONG qui travaillent avec des réfugiés, ce qui est paradoxal c’est que, dans beaucoup decas, elles jouent un rôle prévu par la stratégie de la violence biopolitique. Leurintervention est humanitaire, ce qui veut dire que les ONG sont dénuées de toutcaractère politique, les empêchant ainsi de remettre en question la situation ou deprendre parti dans quelque circonstance que ce soit. Des ONG mondialement connuescomme Médecins sans Frontières, La Croix Rouge, entre autres, ainsi que l’ACNUR elle-même, sont invitées et financées pour aider à tempérer la situation dramatique desréfugiés, avec la condition qu’elles restent neutres, c’est-à-dire, qu’elles ne prennentaucun positionnement politique et qu’elle se limitent à aider « humanitairement » lesnécessités vitales des personnes. Elles sont financées pour s’occuper de simples êtreshumains comme d’autres ONG s’occupent et défendent des animaux et des écosystèmes.Leur intervention s’étend à la pure vie humaine dépouillée ; elles doivent s’occuperd’êtres humains comme de simples éléments biologiques. Leur neutralité forcée lesdépouille de tout caractère politique, et ce qui apparait comme un acte bénévole neutreà l’égard d’un conflit, entre, en réalité, dans une instrumentalisation biopolitique plusgénérale.

23 Dans la logique de cette stratégie, les ONG sont subventionnées pour atténuer les effets

prévus par la violence. Les Etats et corporations responsables des conflits quiaccentuent le nombre de réfugiés, au lieu de prendre en charge les conséquences deleurs actes, laissent des entités « neutres » qui, dans leur bienveillance « neutre »,confère un caractère humanitaire au conflit. Le caractère philanthropique des ONG estinstrumentalisé politiquement, et même rentabilisé économiquement, par une

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stratégie biopolitique qui devient l’humanitarisme. De simples êtres vivants, loind’avoir accès aux droits du citoyen, ont seulement le droit au soin de la simple vienaturelle. Cette dimension humanitaire se voit donc instrumentalisée par une idéologiebiopolitique de la violence.

D. Le camp : technique biopolitique de contrôle social

24 La condition limite du réfugié présente un quatrième aspect: l’usage du camp comme

technique biopolitique de contrôle social. Le camp, loin d’être une invention nazie,existe concomitamment à l’Etat moderne qui, dans le temps, a utilisé cette techniquepour contrôler, surveiller et exterminer des personnes et des populations non désirées.Le camp se définit techniquement comme l’espace dans lequel le droit est suspendu,totalement ou partiellement, et à sa place, règle la volonté souveraine. Dans le camp,l’exception est la norme5.

25 Techniquement, l’origine juridico-politique du camp se trouve dans les senzalas ou dans

les espaces où, depuis le XVIème siècle, l’arbitraire contre les esclaves était permis sansqu’il soit considéré comme un délit. Qui entrait dans la senzala sortait du droit,pénétrait dans un camp où la norme était la volonté souveraine du maitre des esclaves.Les réserves indigènes, créées par le premier Etat moderne indépendant, les Etats Unis,sont un autre exemple historique de l’usage juridico-historique du camp chargé decontrôler des populations non désirées qui, dans ce cas, a conduit à la réussite de sonextermination6.

26 Les réfugiés, dans ses différentes versions, sont des populations non désirées qui

doivent être contrôlées, surveillées, expulsées et, dans certains cas, la perspectivepolitique de l’extermination demeure présente. Les réfugiés sont victimes de leurcondition dans les camps. Ils vivent en camps. Le camp est l’espace où la citoyennetén’est pas reconnue et où le droit existe comme un droit humanitaire et non comme undroit politique octroyé aux citoyens. Le vide de citoyenneté qui habite le camp traduitla vulnérabilité de ses habitants. Le vide des droits politiques inhérent au camp secompense par des décisions administratives qui gouvernent souverainement le camp,de la même façon qu’on administrerait une entreprise7. Le camp des réfugiés est uneenclave extra-juridique tolérée à l’intérieur de l’Etat qui l’accueille. Les réfugiés ontperdu les droits de citoyenneté et l’Etat dans lequel se trouve le camp ne les reconnaitpas comme citoyens. Quel que soit le délit commis contre eux, il n’entre pas dans lasphère publique du droit. L’absence de droit « public » se compense par des normesinternes, d’une très faible valeur juridico-politique. Par conséquent, il existe uneimpunité des délits commis contre les réfugiés puisqu’ils sont de simples êtres humainssans force pour défendre leurs droits politiques.

27 La perspective politique du réfugié comme limite frontalière qui révèle les

contradictions et les insuffisances de l’Etat, ainsi que du système économiquecapitaliste lui-même, devient plus incisive depuis ces dernières décennies en raison dumouvement massif des émigrations globales qui ne cessent d’essayer de traverser lesfrontières des Etats riches pour survivre avec un minimum de dignité. Les fluxmigratoires constants constituent, aujourd’hui, un fait historique qui montre l’urgencede repenser leur condition juridico-politique qui conduit à les concevoir comme desimples êtres humains sans citoyenneté. Leur condition frontalière exige la création de

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Page 395: La Revue des droits de l’homme, 6

nouvelles formes du droit qui ne divisent pas la vie ni ne l’instrumentalise comme la zoe

biopolitique.

28 Le fait que les dispositifs des Etats pour contrôler les masses des émigrants illégaux

prennent comme paradigme le camp8 n’est pas fortuit. La condition du camp estversatile, elle s’adapte aux différentes conditions des réfugiés. Si on considère lacondition des émigrants sans papiers quand ils sont capturés par la police, on ne peutles incarcérer dans une prison par le biais du droit pénal commun parce qu’ils n’ont pascommis de délit, mais une infraction administrative. S’ils étaient des citoyens de pleindroit, ils paieraient l’infraction par une amende, sans perdre leur liberté. Comme ils nesont pas citoyens et sont donc sans citoyenneté, l’Etat décide souverainement etarbitrairement de les priver de liberté en les internant dans des « Centres deRétention ». Ces Centres sont des espaces où le droit pénal, le droit civil et le droitinternational ne s’appliquent pas. Ce sont des espaces sans droit positif où s’accomplitla volonté administrative du gouvernant qui décide jusqu’à quel moment le réfugié doitrester détenu et où il va être reconduit. Pour les émigrants illégaux, le « Centre deRétention » est une version nouvelle et raffinée du camp qui remplit la même fonctionqu’on lui assignait dans l’histoire : surveiller, contrôler, et dans certains cas expulserdes populations non désirées. Il y a beaucoup de versions du camp pour les émigrants :par exemple, la France a réussi à créer des camps de rétention dans des pays étrangerscomme l’Algérie, où elle les concentrait.

Conclusion

29 La condition limite du réfugié permet, entre autres, de comprendre ces situations

contradictoires. Dans les limites, la relation entre le droit et les réfugiés reproduit ledébat sur la connexion entre le droit et la vie humaine. D’un côté, la vie sans le droit estune vie abandonnée et condamnée à vivre dans la condition de faction, dont l’exceptiondevient la norme puisque, dans le vide créé par l’absence du droit, l’arbitraire d’unevolonté souveraine est reine. Mais le simple droit n’est pas suffisant pour défendre lavie ni pour lui donner la plénitude. La prolifération des normes légales, loin dedéfendre la vie, ne servent qu’à la normaliser, la réguler et l’administrer. Une viesoumise à l’empire de la norme équivaut à une vie contrôlée dans ses moindres détails.C’est une autre version du modèle biopolitique de la gouvernance de la vie.

30 Cette tension entre le droit et la vie humaine montre que plus le vide éthique des

relations sociales est grand, plus le droit devient nécessaire. L’ineffectivité des valeurséthiques en vigueur rend le droit indispensable, la prise en compte de l’éthique fortifiedonc le droit et le droit devient excusable. Dans l’expérience éthique, le droit estdispensable et la norme non nécessaire parce qu’on y vit au-delà. La dimension éthiquede l’altérité humaine excède n’importe quel droit, elle ne vit pas en dehors du droitmais au-dessus. Ce débat montre que l’idéal de la vie est de dépasser la normalisationbiopolitique à travers une expérience qualitative de la vie, sans que cela signifie nier lanorme mais plutôt la dépasser. Dans tous les cas, cette problématique limite du droit etde la vie humaine n’affecte pas directement la condition du réfugié. Ce dernier setrouve dans une situation où le droit est nié et, par conséquent, la vie est exposée à laviolence.

31 La condition limite dans laquelle habite le réfugié apparait comme un seuil depuis

lequel il est nécessaire de penser un nouveau droit et une nouvelle politique dans

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Page 396: La Revue des droits de l’homme, 6

lesquels l’instrumentalisation biopolitique de la vie humaine serait inversée. La viehumaine acquiert le pouvoir politique de remettre en question les structures qui l’ontcondamné à se retrancher dans sa limite. Depuis cette limite, on avance la nécessitéd’une nouvelle politique et d’un nouveau droit subsidiaire de la vie, de toutes lesconditions humaines. Dans les limites concrètes du réfugié, la vie humaine se révèlecomme le nouveau référent éthique de l’action politique.

NOTES

1. Traduction : Alix Durand, Etudiante Master II droit franco-espagnol, 2013-3014.2. CLARK, Anna. “The Coming Flood of Climate”, in GreenBiz, http://

www.institutocarbonobrasil.org.br/reportagens_carbonobrasil/noticia=725824, ACNUR.

“Políticas de Adaptação no Contexto das Negociações da Convenção Quadro das Nações Unidas

sobre Mudanças Climáticas (UNFCCC)” In: http://www.acnur.org/t3/portugues/o-acnur/

envolva-se/eventos/acnur-na-rioplus20/mudancas-climaticas-documentos-de-referencia/

deslocamentos-induzidos-por-mudancas-climaticas/

3. Sur les réfugiés climaiques, cf: CASTRO, Márica. “Os refugiados climáticos e o paradoxo da

imobilidade”:

http://www.ihu.unisinos.br/entrevistas/500513-os-refugiados-climaticos-e-o-paradoxo-da-

imobilidade-entrevista-especial-com-marcia-castro ; Cf. Aussi l’analyse du Haut-Commissaire de

l’ACNUR, Antonio Gutierrez, sur les changements climatiques: http://www.acnur.org/t3/

portugues/o-acnur/envolva-se/eventos/acnur-na-rioplus20/mudancas-climaticas-discursos-do-

alto-comissario/discurso-do-alto-comissario-antonio-guterres-ao-comite-executivo-do-acnur-

em-outubro-de-2008/

4. FOUCAULT, Michel. Sécurité, Territoire, Population, Paris, Gallimard, 2004.

5. “Le camp est l’espace qui s’ouvre quand l’exception commence à devenir la règle”, AGAMBEN, Giorgio.,

Homo sacer. O poder soberano e a vida nua, Belo Horizonte, UFMG, 2002, p.175.

6. BROWN, D., Enterrem meu coração na curva do rio. A dramática história dos índios norte-

amerianos, Porto Alegre, LP&M., 2004.

7. H. Arendt, sans analyser les implications biopolitques du camp, perçoit avecintelligence l’inégalité extrême qui existe au sein de ce camp; voir ARENDT, Hannah,Origens do totalitarismo. Anti-semitismo, imperialismo, totalitarismo. São Paulo: Cia dasLetras, p. 448.

8. Le mode arbitraire et chaque fois plus souvent l’usage de l’exception comme instrument du

gouvernement, a conduit Agamben à défendre la thèse suivante: “l’état d’exception tend chaque fois

plus à se présenter comme un paradigme du gouvernement dominant de la politique moderne” AGAMBEN,

Giorgio, Estado de exceção, São Paulo, Boitempo, 2004, p. 13.

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Page 397: La Revue des droits de l’homme, 6

ABSTRACTS

Les réfugiés constituent une réalité en expansion qui ne peut laisser indifférent. Cet essai analyse

la condition des réfugiés depuis une perspective philosophique. En reprenant les réflexions de

trois philosophes -M. Zambrano, H. Arendt, G. Agamben – sur la question, il présente la condition

des réfugiés comme un seuil ou une condition limite du droit et de la politique qui, dans cette

limite, interroge les institutions modernes qui les condamnent à un abandon extérieur, sans

citoyenneté, et les soumettent à une vulnérabilité permanente. Au seuil de cette limite, le réfugié

représente une altérité inassimilable par les notions de l’ordre établi. En tant qu’altérité, il offre

une catégorie éthique qui a pour potentialité de permettre de juger la validité des structures et

des institutions politiques contemporaines.

INDEX

Mots-clés: Réfugiés - droits de l’homme – violence – éthique – altérité - M. Zambrano - H.

Arrendt -G. Agamben

AUTHOR

CASTOR BARTOLOMÉ RUIZ

Castor M.M. Bartolomé Ruiz est docteur en philosophie, chercheur à l’Université UNISINOS, à

Sao-Léopoldo du Brésil. Il est membre du Conseil scientifique de la Chaire Unesco “Derechos

Humanos y violencia, gobierno y gobernanza” (Droits de l’Homme et violence : gouvernement,

gouvernance).

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Page 398: La Revue des droits de l’homme, 6

Mémoires

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L’impact sur le procès pénal del’absence des accusés dotés d’unequalité officielleLes nouvelles règles 134bis, ter et quater du RPP de la CPI et les« personnes en charge de fonctions publiques extraordinaires »

Rebecca Mignot-Mahdavi

ABSTRACTS

The 12th session of the International Criminal Court’s assembly of state parties took place from

the 20th to the 28th of November 2013, at the Hague. This session followed the lastest evolutions

in the kenyan cases, The Prosecutor v. Uhuru Kenyatta and The Prosecutor v. William Ruto, prosecuted

for having participated to the perpetration of war crimes and crimes against humanity. They

asked for the Court to excuse them from their presence at trial. The Rome Statute’s State parties

had to pronounce themselves on the amendment proposals submitted by the African Union, and

more precisely on the adoption proposal of rules 134 bis, ter and quater. The new rules concern,

respectively, « presence through the use of video technology », « excusal from presence at trial » and «

excusal from presence at trial due to extraordinary public duties ».

Under certain circumstances, theses rules authorise the virtual presence of the accused or their

« total absence ». Yet, the Rome Statute itself requires the accused presence at trial in article 27.

It was necessary, before an amendment proposal of article 27 is submitted, to legally analyse the

impact of new rules, applicable to ongoing trial and authorizing the absence of the accused

having extraordinary public duties, on the International criminal court’s trial.

L’assemblée des Etats parties de la Cour pénale internationale s’est réunie pour sa douzième

session, à la Haye, du 20 au 28 novembre 2013. Cette session a succédé aux derniers

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Page 400: La Revue des droits de l’homme, 6

développements dans les affaires kényanes des président et vice-président du Kenya,

respectivement Uhuru Kenyatta et William Ruto, poursuivis pour crimes contre l’humanité et

sollicitant de la Cour des excuses leur permettant de ne pas se rendre à certaines phases de leur

procès. Les États parties au Statut de Rome avaient, entre autres, à se prononcer sur les trois

propositions d’amendements au règlement de procédure et de preuve soumises par l’Union

africaine, visant les règles 134 bis, 134 ter et 134 quater. La majorité des deux tiers exigée pour que

des amendements au règlement de procédure et de preuve soient adoptés ayant été atteinte, ces

propositions ont abouti. Les nouvelles règles 134 bis, ter et quater concernent respectivement « la

comparution au moyen d’une liaison vidéo », « la dispense de comparution au procès », et « la dispense de

comparution au procès en raison de fonctions publiques extraordinaires ». Sous certaines conditions, ces

règles autorisent donc la présence virtuelle de l’accusé, voire sa simple représentation par un

avocat. La réception de ces propositions a été justifiée par la volonté d’améliorer l’efficacité des

procédures. Pourtant, le Statut de Rome exige la présence de l’accusé à son procès, en son article

27.

Il importait d’effectuer une analyse juridique de ces nouvelles règles avant que ne soit analysée

une proposition d’amendement de l’article 27 du Statut de Rome lui-même, d’étudier l’impact,

non pas politique mais judiciaire de règles procédurales nouvelles, applicables à des procédures

en cours et autorisant l’absence des accusés en charge fonctions publiques extraordinaires, sur le

procès pénal de la Cour pénale internationale.

INDEX

Mots-clés: Cour pénale internationale – Assemblée des États parties – Statut de Rome – Kenya –

Union africaine – Droits de la défense – Principe de légalité – principe d’égalité – procédure

pénale – règles procédurales – juge pénal international – droit internationa, ter et quater

Keywords: International Criminal Court – Assembly of state parties – Rome Statute – Kenya –

Africain union – rights of the defense – principle of legality – principle of equality – criminal

procedure – procedural rules – international criminal judge – international, ter and quater

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Les lanceurs d’alerteEtude comparée France-Etats-Unis

Jean-Philippe Foegle

ABSTRACTS

The whistle-blower is defined by the Parliamentary Assembly of the Council of Europe

(Resolution 1729 (2010),§1) as “a concerned individual who sound an alarm in order to stop wrongdoings

that place fellow human beings at risk”.The present study, which compares the legal framework for

whistleblowing in the United States and France, aims at better understading key issues

concerning the notion of « whistleblowing ». The first outlined characteristic of the notion is its

duality. According to a dominant vision, a « whistleblower » could be basically described as a

denunciator of risks and unethical behaviors, and could only benefit from protection as long as

its action contributes to some specific law-enforcement policies. But there is also another view of

the concept, which is based on a broad understanding of the right to free speech. In this case, any

concerned citizen could be described as a “whistleblower”, including people -like “Ed” Snowden-

who consciously disobey to the law when they blow the whistle. This uncertainty on the even

meaning of “whistleblowing” is coupled with an uncertainty on the scope of protection which is

granted to the whistleblowers. Indeed, those protections are largely ineffective in both the

United States and France, though for different reasons. In any case, the very phenomenon of

whistleblowing is at the heart of a tension between the common good on the one hand, and state

secrets in the other hand.

Le lanceur ou « donneur » d'alerte, ou, en langue anglaise, whistleblower est défini par l'assemblée

parlementaire du conseil de l'Europe (Résolution 1729 (2010), §1) comme « toute personne soucieuse

qui tire la sonnette d’alarme afin de faire cesser des agissements pouvant représenter un risque pour autrui

». Le présent mémoire vise, en menant une étude comparée France-Etats-Unis du droit encadrant

le phénomène du « lancement d'alerte », à cerner les éléments principaux de la notion. Le

premier trait caractéristique relevé tient à l'existence de deux conceptions du « lanceur d'alerte.

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Page 402: La Revue des droits de l’homme, 6

La première conception, dominante, consiste à faire de celui-ci un « dénonciateur légal » : celui-ci

n'est alors reconnu comme légitime que dès lors qu'il dénonce des faits que les pouvoirs publics

entendent réprimer, ou des risques auxquels ceux-ci souhaitent mettre fin. La seconde

conception du lanceur d'alerte est quand à elle fondée sur une acception large du droit à la

liberté d'expression. Dans cette dernière seconde hypothèse, la dénomination de « lanceur

d'alerte » peut potentiellement bénéficier à tout citoyen et peut, dans sa variante la plus radicale,

se rapprocher de la désobéissance civile. L'incertitude sur la nature même du la notion se double

d'une incertitude concernant les protections qui leurs sont accordées, qui apparaissent, pour des

raisons différentes en France et aux Etats-Unis, largement ineffectives. Le « lanceur d'alerte » se

trouve placé, dans tous les cas, au centre d'une dialectique permanente entre intérêt général et

secret.

INDEX

Mots-clés: Lanceur d'alerte - Fuiteur - Environnement - Secret d'Etat - Transparence -

Corruption - Discriminations - Charge de la preuve - Libertés économiques - Droits sociaux -

Risques - Illégalités - Ethique - Liberté d'expression - Droit du public à l'informati

Keywords: Whistleblower - Leaker - Environment - State Secret - Transparency - Corruption -

Discriminations - Burden of proof - Economic freedoms - Social rights - Risks - Violation of law -

Ethics - Free speech - Right to be informed - Public servants - Betrayal -

AUTHOR

JEAN-PHILIPPE FOEGLE

Jean-Philippe Foegle est doctorant contractuel en droit public à l’Université de Paris Ouest

Nanterre La Défense. Il réalise une thèse sur la protection des lanceurs d'alerte en droit

international et comparé sous la direction de Véronique Champeil-Desplats, au sein du Centre de

recherches et d’études sur les droits fondamentaux (CREDOF).

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Conférence

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Le droit au patrimoine culturel faceaux révolutionsZeynep Turhalli

AUTHOR'S NOTE

(intervention orale assurée dans le cadre de la journée d’étude doctorale du 6 février2014, Révolution et droits de l’homme, CREDOF, Université Paris Ouest-La Défense)

1 La conservation et la mise en valeur du patrimoine culturel sont longtemps restées des

prérogatives des Etats. Mais avec les nouveaux enjeux des politiques culturelles etjuridiques, la question du rôle des communautés tend à devenir centrale et commence àpeser dans la prise des décisions. En droit international, à partir des années 19901, unedémocratisation s'est ouverte à différents acteurs tels que les peuples autochtones etles ONG2. Toutefois, en droit interne, la gestion du patrimoine culturel reste encore unecompétence exclusive de l’État, découlant du principe que l’État protège l’intérêtgénéral3.

2 Pourtant, la notion de patrimoine culturel ne renvoie pas exclusivement à l’intérêt

général. Ce type de patrimoine apparaît comme un bien commun à une population, àune nation, et dans de nombreux cas, à toute l’humanité4. En ce sens, l’existence d’unmonopole d’État en matière de patrimoine culturel suscite un problème pour d'autresentités qui revendiquent des intérêts collectifs en matière de patrimoine culturel.

3 Depuis les années 2000, le débat s'est beaucoup élaboré sur ce point au sein de

l’UNESCO. L’organisation privilégie les références anthropologiques plutôt que lesdéfinitions politiques ou les statuts juridiques, comme les nations, les minorités où lepeuple. On utilise plutôt la notion de communauté culturelle pour expliquer lecaractère de groupes culturels, qui correspond non seulement aux peuples autochtonesaux minorités ethniques ou religieuses, mais aussi à tous les autres groupes culturels5.

4 Or, les patrimoines culturels sont plus souvent définis autrement que par les usages

anthropologiques. On peut donner l’exemple du patrimoine de l’Europe pour une

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appréhension géographique, celui du patrimoine commun de l’humanité pour uneappréhension de l'universel. Parfois aussi ce sont simplement les groupes d'amateurseux-mêmes qui créent le patrimoine culturel de leur choix.

5 De plus, depuis les années 1980, nous utilisons le mot patrimoine culturel dans un

contexte militant analogue à celle de l’environnement6. C’est un contexte quirapproche le militantisme de l’environnement et des droits de l’homme. Le paysageculturel est certes aussi important que paysage naturel pour l’homme. Mais lepatrimoine culturel est aussi lié à la dignité et l’identité de la personne. Appartenir àune communauté et être un citoyen signifie avoir un intérêt pour le patrimoineculturel digne d'être protégé par les droits de l’homme.

6 Les usagers des services publics acquièrent parfois assez de légitimité pour s’imposer

comme des acteurs porteurs d’un intérêt collectif. En faisant référence à uneconception renouvelée du bien commun, ils réclament un droit d’intervention7. Celaengendre des conflits, parfois même des révolutions. Les événements qui se sontdéroulés en juin 2013 à Istanbul sont très emblématiques à cet égard. Des manifestantsse sont regroupés pour s’opposer au projet de réimplantation d’un monumenthistorique, une caserne ottomane détruite en 1908. L’événement de 2013 a été qualifiéde première révolte contre un projet de patrimonialisation dans l’histoire del’humanité. Loin de se limiter à un acte consensuel de conservation, la protection dupatrimoine révèle donc des enjeux conflictuels8.

7 Pourtant, dans ce champ, il n’existe que peu d'outils juridiques pour concrétiser les

revendications des acteurs. Le droit du patrimoine culturel révèle une défaillancedémocratique, dévoilant un déficit de légitimité. Dans un premier temps, ce déficit seraanalysé depuis l’essor des États nations (I). Dans un second temps, nous verrons que ledéveloppement récent d'un droit de l’homme au patrimoine culturel dissimule ledéficit de son intégration dans le système des droits (II).

I. La crise de légitimité dans le droit du patrimoineculturel

8 Le mot patrimoine vient du mot latin patrimonium, de pater : père qui signifie l’héritage

du père succédé par les enfants. Mais dans son acceptation de bien collectif, on ledéfinit comme l’ensemble des pratiques et des biens culturels matériels et immatérielsappartenant à une communauté. Cela peut être l’héritage du passé et la mémoirecollective d’un groupe représenté dans les œuvres de ses artistes ainsi que dans lescréations anonymes.

9 En droit, dans son acceptation de bien collectif, le patrimoine culturel est également

défini par l’intérêt culturel qu’il présente pour une communauté donnée9. Poursouligner son caractère collectif et pour le différencier des intérêts privés, il est définicomme l'« intérêt culturel public »10. La doctrine s’accorde le plus souvent pourconsidérer que la notion d'«intérêt public » ne renvoie pas exclusivement à l’intérêt del’État. Elle insiste ainsi sur le caractère non-lucratif d’un intérêt également rattachableà une collectivité donnée11.

10 En ce sens, l’existence d’un monopole d’intérêt public en matière de patrimoine

culturel suscite un problème de légitimité. Au cours de l’histoire, ce déficit a longtempsété masqué par différentes stratégies : le nationalisme et les valeurs de l’identité

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nationale, en droit interne, l'expertise et l’élitisme, en droit international. Cesstratégies ont donné naissance aux deux concepts de culture que nous utilisonsaujourd’hui. L'un, d'inspiration élitiste gouverne la production des arts, de lalittérature et des autres représentations historiques, l'autre anthropologique,considère ces derniers comme un mode de vie résultant des traditions partagées par ungroupe humain et constituent la base de leur identité culturelle12.

11 Dans les lignes qui suivent, nous nous penchons sur ces différentes stratégies de

légitimation, celle qui se déploie au niveau national, d'abord (A), celle qui se déploie auniveau international, ensuite (B).

A. La légitimation à l’échelle nationale

12 La protection du patrimoine culturel en droit interne a toujours été confondue avec la

fierté d’être une nation et la protection de cette valeur. Et de fait, le patrimoine culturelest un des moyens les plus importants pour la construction d’une identité commune surle territoire d’un État13. Si la souveraineté sur la population et sur le territoire est lacondition sine qua non de la reconnaissance d’un État, le patrimoine culturel donne unetemporalité et met en récit la coexistence de ces éléments sur le territoire14. Lepatrimoine culturel est un élément primordial de la continuité d'un État-Nation.Émerge ainsi la nécessité de protéger le patrimoine culturel en Occident (1) et d’unelégitimation de celui-ci, notamment, par le sentiment d’appartenance à une nation (2)

1. La nécessité de protéger le patrimoine culturel

13 La protection du patrimoine culturel est une idée caractéristique de la modernité

occidentale. La culture en tant que telle n’est pas une préoccupation des sociétés avantl’ère moderne industrielle15. Cette conception spécifique à la culture et étrangère auxcultures non-occidentales, mais elle l’est aussi aux autres cultures juridiquesconsidérées historiquement. Le droit romain, par exemple, n'attache pas une valeurculturelle à la transmission des objets hérités.

14 À l’époque de sa genèse, au XVIe siècle, le patrimoine est défini comme lieu de

mémoire, comme la mémoire du temps. Les monuments témoignent du passage dutemps à la postérité16. Mais à l'époque, la perception du lieu de mémoire était différented'aujourd’hui, n’étaient considérés comme des témoignages que la compréhension desécritures et l’ouverture vers l’antiquité et les Classiques17.

15 « Pour les humanistes du XVe et de la première moitié du XVIe siècle, les monuments antiques et leurs vestiges confirmaient ou

illustraient le témoignage des auteurs grecs et romains18 ».

16 Dès le XVIIIe siècle, on cherche à faire dialoguer les sources littéraires et les sources

figurées. C'est le moment où la valeur interprétative des monuments se détache de sasource écrite. Selon Dominique Poulot19, ce détachement constitue la découverte del’authenticité de l’œuvre. Pourtant, l’interprétation de l’authenticité n’est pas chosefacile et nécessite des étapes intermédiaires. Une société de savants, cosmopolite etmoderne, émerge comme intermédiaire et protecteur d'une culture élitisteuniverselle20. Françoise Choay explique les caractéristiques de cette communauté :

17 « Pendant plus de deux siècles, l’enquête fut menée par un réseau d’érudits

appartenant à toutes les nations de l’Europe. Étonnamment divers par leurs naissances(de la moyenne bourgeoise à la haute aristocratie), leur état (religieux et laïcs, oisifs et

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hommes de profession, hommes des lettres et hommes de science) et leur fortune, ils(cette communauté des savants), étaient unis par la même passion [...] 21. »

18 Dans cet ordre d’idée, pour Dominique Poulot, l’émergence de ce groupe d’intérêt

spécifique signifie déjà une première vision politique de la patrimonialité au début duXVIIIe siècle. Cette société des élites et des savants fournit le cadre d’interprétation detout objet du passé22. Bien que l’auteur évoque une politique de patrimonialité dès cetteépoque, elle ne constitue pas encore un phénomène public. Poulot envisage sous ladénomination de « patrimoinalité » une modalité sensible d’appréhension du passéarticulée à une organisation du savoir23. Cela correspond, selon Françoise Choay, aurôle d'instaurateur que l’on rencontre en l’Italie à l’époque humaniste, lors de laredécouverte de l’héritage gréco-romain. Puis à l’époque classique, ce sont lesantiquaires qui ont donné leur unité aux études européennes sur les antiquités24.

19 En France, c’est après la Révolution que la conservation d’un patrimoine a été promue

et est devenue affaire d’État. La « nation » devient l’enjeu de patrimonialité. Lesnouvelles élites, animées par un sentiment nationaliste, fournissent alors un nouveaucadre d’interprétation, dans lequel comme le souligne, Françoise Choay, le rôled'instaurateur est joué par l’État. La politique de conservation élaborée à Paris, sous laresponsabilité du ministre de l’Intérieur, et l’administration, dispose d’instrumentsjuridiques pénaux pour la conservation de la succession nationale25. D’après DominiquePoulot, la patrimonialisation engagée à partir de la Révolution, est aussi un élément dudébat entre contractualistes et essentialistes. La patrimonialisation officielle s’est jouéesur le mode d’une négociation entre les valeurs de la nation nouvellement définies parla forme contractuelle et des valeurs « culturelles » abstraites26 . En France, « c’est cecompromis laborieux entre nationalité du contrat et nationalité de culture qui a permisle triomphe d’une nation-patrimoine27». A titre de comparaison, en Allemagne, enrevanche, la nationalisation de la politique de patrimonialité est conçue comme unretour aux racines : la découverte d’une culture populaire et d'un folklore. Ce retouraux racines a donné lieu au romantisme allemand28.

20 Dans ce nouvel ordre, l’État ne s’inscrit pas seulement comme le protecteur du peuple,

mais aussi comme le protecteur de l’histoire commune et de la mémoire collective,représentées dans le patrimoine, c’est-à-dire son passé et son avenir. Il ne s’agit passeulement d’une protection horizontale limitée aux frontières du territoire, mais aussid’une protection temporelle et historique. Ainsi, la protection du patrimoine culturel serationalise à travers la nécessité de protéger l'identité culturelle et historique au nomdu peuple.

2. La légitimation par les sentiments d’appartenance à une nation

21 Au milieu du XIXe siècle, la protection du patrimoine culturel est devenue une

préoccupation juridique de l’État-nation, alors qu'elle relevait initialement d'une élitepolitique qui se posait en protectrice de la haute culture universelle. Cet intérêt del’État pour la culture fut l'objet, au milieu de XIXe siècle, de plusieurs études sur l’État-nation et le nationalisme.

22 À cet égard, Miroslav Hroch a repéré trois phases en comparant des groupes

patriotiques dans plusieurs nations en Europe. Selon lui, une première phase qui courtde 1789 à 1815 ; une intelligentsia inspirée par le nationalisme issu de la Révolutionfrançaise commence à s’investir dans la conservation du patrimoine culturel. Cela

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s'illustre notamment par la compilation de chants, contes populaires, musiques, danses,et par la codification et la diffusion de la langue. Une deuxième époque (1815-1848) voitla diffusion de cette idée auprès de la bourgeoisie, et mène à une transcription politiquede cette entreprise culturelle. Enfin, 1848 inaugure la dernière période qui sepoursuivra jusqu’à la fin de première Guerre Mondiale. C’est une période qui connait lacréation des États-nations ; le nationalisme reçoit alors progressivement un vastesoutien populaire29.

23 Ainsi, selon Ernest Gellner et Eric Hobsbawm, l’idée est que l’État préexiste à la nation

qu'il construit en véhiculant une idéologie nationaliste30. Selon Eric Hobsbawm, quellesque soient leurs idéologies, les historiens ont contribué à la conception de cette« communauté imaginaire » (concept emprunté à Benedict Anderson) appelée« nation » et à ses historicismes. Or ; comme Gellner, cet auteur critique l’idée selonlaquelle les unités culturelles (les nations) et les unités politiques (les États) doiventêtre congruentes, et les frontières politiques correspondre aux frontières culturelles : « le nationalisme est une théorie de la légitimité politique qui exige que les limitesethniques coïncident avec les limites politiques et en particulier, que les limitesethniques au sein d’un état donné ne séparent pas les détenteurs du pouvoir du restedu peuple31».

24 Bien que les nouvelles élites des sociétés industrialisées se tournent vers la culture

locale des peuples dans un moment donné de l’histoire, Gellner affirme que le principenationaliste a un esprit éthique « universaliste ». C'est justement là que réside lagrande contradiction du nationalisme32. Il n’en demeure pas moins que l'homogénéitéculturelle devient une préoccupation des modernes à travers l’idéologie nationaliste33.Selon Gellener, la culture devient un facteur du progrès après l’industrialisation. Apartir de la fin de XVIIIe siècle, les liens entre culture et politique commencent à êtreposés. L’école devient un instrument de réalisation d'une pédagogie conçue commeuniverselle.

25 Tout ceci va être réalisé dans la langue du peuple que les spécialistes vont standardiser.

Les élites intellectuelles et artistiques inventent aussi les grandes mythologiesnationales pour exprimer un esprit éternel propre à un peuple donné. Les intellectuelsidéalistes se tournent vers la campagne et la paysannerie pensées comme lesdépositaires de l’authenticité nationale. Ils s'efforcent de trouver dans le folklore, lalittérature populaire, la poésie et la musique une continuité de la tradition qui abritel’âme collective du Peuple, le Volksgeist (l’âme du peuple)34. Selon Alain Babadzan et lathèse de Gellner, ce que les élites intellectuelles et artistiques trouvent commetradition chez le peuple, est une illustration de la culture d'élite : la littérature et lapoésie populaire deviennent le reflet de la littérature d'élite, comme la musiquefolklorique, la danse populaire, la peinture populaire et la sculpture. La traditionpopulaire est imitée et intègre la définition bourgeoise de la « culture » comme Beaux-Arts35.

26 Selon Hobsbawm, en passant de l’époque où le pouvoir se légitime à travers la divinité

vers l’époque laïque, le nationalisme est devenu une force de légitimation du pouvoir.Cette logique caractérise les États Européens du milieu du XIXème siècle jusque dans lesannées 1940. La liaison du patrimoine culturel et de l’État s’établit juridiquement. Lepatrimoine au sens « légal » apparaît dans les législations nationales du XIXe siècle. Lepatrimoine culturel se rationalise à travers la nécessité de sa protection au nom depeuple.

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27 Au niveau international, cette stratégie nationaliste est inopérante ; c’est donc une

stratégie universaliste et élitiste qui va être privilégiée.

B. La réponse internationale a la crise de légitimité

28 Tandis qu’au niveau étatique, le manque de légitimité de la politique de patrimonialité

a conduit des élites à la recherche de moyens alternatifs pour valoriser le patrimoineculturel et renforcer sa protection par le droit, au contraire, à l’échelle internationale,le patrimoine culturel a toujours été considéré sous un angle cosmopolite36. Lepatrimoine culturel trouve sa signification dans la haute culture, notamment lapeinture, la haute littérature, l’architecture, les ruines et les monumentsarchéologiques et culturels37.

29 L’approche internationale de la protection du patrimoine culturel est héritée d’une

conception du patrimoine issue du Siècle des lumières. Elle correspond à une visioncosmopolite qui aspire à l’universel. L’élite a l’ambition de dégager des règles de vieapplicables à tous les hommes qui ont atteint le niveau de développement nécessaire38.C’est donc à travers l’idée de protection de valeurs universellement partagées que ledéficit de légitimité a été dissimulé au niveau international (1) sans parvenir cependantà résister à une nouvelle crise de l’authenticité (2).

1. La protection du patrimoine culturel comme les valeurs universellement

partagées

30 La protection du patrimoine culturel en droit international s’est développée à partir

d’une vision universaliste portée par le droit de la guerre au début du XXe siècle39. Al’époque, l’expression « patrimoine culturel » n’est pas utilisée mais ce à quoi il renvoieaujourd’hui est déjà reconnu comme devant être protégé en cas de conflits armés40.C’est peut-être à cause de cette particularité du droit de la guerre que la protectioninternationale du patrimoine culturel a, jusqu’à récemment, été limitée à laconservation des édifices et des manifestations physiques et matérielles de la créationhumaine alors qu’il était davantage attaché à l’identité culturelle et à la mémoirecollective des nations dans les droits internes.

31 En droit international, le point de focalisation reste toujours l’existence matérielle

d’objets de patrimoine culturel. Cette théorie dite théorie traditionnelle de laconservation a longtemps délimité la politique du patrimoine uniquement à laconservation et à la préservation du statut matériel des monuments. Cette approche aété perpétuée par les régimes de protection du patrimoine culturel après la SecondeGuerre mondiale et ensuite par la Convention du patrimoine mondial41.

32 Dans le système de l’ONU, la protection du patrimoine culturel est octroyée à l’UNESCO

et son régime est divisé selon les périodes de guerre et de paix. La première Conventionsur la protection du patrimoine culturel est celle de La Haye en 195442. Dans cetteconvention, on utilise pour la première fois l’expression « bien culturel » pour désignerles éléments du patrimoine culturel43. Mais la régularisation du mot patrimoine culturelet sa popularisation sont survenues en grande partie après la Convention mondiale dela protection du patrimoine culturel en 197244. Cette convention est aujourd’huiacceptée par 190 pays membres de l’ONU45. Le régime de protection de la Conventionconstitue un modèle dans la majorité des pays du monde. Cette convention introduit les

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notions d’authenticité et de valeurs universelles exceptionnelles46. Elle institue parailleurs une liste du patrimoine mondial qui doit recenser les éléments du patrimoineculturel porteurs de valeurs universelles exceptionnelles du point de vue des arts, dessciences, de l’architecture ou de l’histoire47.

2. La nouvelle crise de l’authenticité

33 Dans les années 1970, ce système de valorisation du patrimoine culturel a été critiqué

par les pays non occidentaux aux motifs qu’il portait des valeurs de beauté et d’artsdéveloppées à un moment donné en Europe48. Ce système échouerait donc dans saprétention à l’universalité. Les valeurs protégées ne seraient pas partagées par lemonde entier ni par toutes les civilisations49. Du point de vue des pays non occidentaux,cela s’analyse comme une approche matérialiste marquée par les valeurs euro-centristes50. Ces pays ont alors revendiqué l’inclusion des patrimoines vivants etimmatériels. Ainsi, des États d’Amérique latine ont affirmé qu’il fallait trouver unmoyen pour protéger les aspects immatériels du patrimoine comme les folklores, lescultures traditionnelles et populaires, qui risquent une exploitation, unedégénérescence et une disparition, menaçant la diversité culturelle mondiale dans sonensemble51.

34 Parmi les patrimoines non représentés, on comptait aussi les patrimoines des peuples

et des communautés non représentées par un État52. Le patrimoine culturel desminorités et des peuples autochtones, leur musique, leurs savoirs traditionnels et leursmodes de vie sont aussi devenus un point de déficit dans la protection internationaledu patrimoine culturel53. La Convention de la protection du patrimoine culturelimmatériel de 2003 a cherché à combler ce déficit54. Cette ouverture a d’ailleurs montrél’importance des communautés et le rôle qu’elles jouent dans la transmission dupatrimoine culturel. La prise en considération des droits culturels des minorités et laprotection de leurs patrimoines culturels est ainsi devenue indispensable.

II. Le développement du droit au patrimoine culturel

35 Au niveau international, la valorisation et la protection du patrimoine culturel à

travers son rattachement à l’identité culturelle d’un peuple sont récentes. Dans lamesure où niveau international la protection du patrimoine culturel a longtemps étélimitée à la coopération interétatique et à une approche étroite de la protection55, laquestion des identités culturelles et des droits était donc hors sujet. Toutefois, bien quela règle soit au cosmopolitisme, le rattachement du patrimoine culturel à une identitéculturelle étatique a toujours été pris en compte en droit international. Ceci apparaîtclairement dans plusieurs conventions56 : la Convention de La Haye de 1954 et lesConventions sur la prévention de trafic illicite des biens culturels de 1970 s’appuientsur l’identité culturelle du patrimoine. Toutefois elles ne visent que les peuplesreprésentés par un État57

36 Au fil des années, la protection du patrimoine a connu un changement considérable.

Dans les années 1990, le système a pu intégrer des revendications démocratiques.L’UNESCO a adopté de nouveaux discours. Elle a initié des actions normatives ens’appuyant davantage sur les valeurs démocratiques, le respect de la diversitéculturelle, et les droits fondamentaux. De ce fait, les groupes et les personnes

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défavorisés du système de protection du patrimoine culturel y ont été progressivementintégrés.

37 Ces changements fondamentaux dans la politique internationale du patrimoine culturel

ont suivi deux voies qui ont trouvé leur légitimité en s’appuyant sur le discours desdroits et des valeurs démocratiques. La première est celle du respect de la diversitéculturelle et de la reconnaissance de l’identité culturelle des groupes et de leurpatrimoine culturel. La seconde est celle des droits culturels en général et de lapossibilité d’une interprétation plus large des cultures et des droits culturels del’individu en particulier. Ces changements dans la manière de concevoir le patrimoineculturel ont permis d’y intégrer les exclus de l’humanité (A) et la prise en considérationpar le droit des intérêts culturels individuels, notamment à travers le droit aupatrimoine culturel (B).

A. L’intégration des défavorisés au système

38 Le patrimoine culturel de l’humanité intègre tous les produits de l’humanité y compris

les cultures anciennes et présentes58 . Mais jusqu’à récemment, l’humanité n’étaitcomprise que comme une communauté d’États59. C’est justement au cours desannées 1990 que la protection du patrimoine culturel commence à s’appuyer sur undiscours relatif à la protection de la diversité culturelle et du respect des droits del’homme. Cette dynamique débute avec la prise en compte de l’intérêt collectif desgroupes minoritaires en matière du patrimoine culturel60 (1) comme prélude à ladéclaration sur la diversité culturelle comme patrimoine commun de l'humanité (2).

1. La prise en compte de l’intérêt collectif des groupes minoritaires en matière du

patrimoine culturel

39 La prise en compte de l’intérêt collectif des minorités a débuté avec les luttes engagées

par des minorités et des peuples autochtones devant les organes onusiens. Ceci a étépermis par l’interprétation large conférée à l’article 27 du Pacte international desdroits civils et politiques relatifs aux droits des minorités, par le Comité des droits del’homme dans ses décisions sur les peuples autochtones61. Selon l'article 27 du Pacteinternational relatif aux droits civils et politiques,

40 « Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les

personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, encommun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, deprofesser et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue » 62.

41 Les peuples autochtones ont notamment attiré l’attention sur le fait que leurs cultures

étaient de plus en plus vulnérables. Leurs modes de vie et de subsistance économiqueont été gravement menacés63. Jusque dans les années 1970, les peuples autochtones ontété considérés comme les minorités au sens général. Le rapport de la Sous-Commissiondes Nations Unies de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection desminorités de 1971 montre pour la première fois que les peuples autochtones ont desparticularités différentes.

42 « Par communautés, populations et nations autochtones, il faut entendre celles qui,

liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l’invasion et avec lessociétés précoloniales qui se sont développées sur leurs territoires, se jugent distinctes

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des autres éléments des sociétés qui dominent à présent sur leurs territoires ou partiesde ces territoires. Ce sont des éléments non dominants de la société et elles sontdéterminées à conserver, développer et transmettre aux générations futures lesterritoires de leurs ancêtres et leur identité ethnique qui constituent la base de lacontinuité de leur existence en tant que peuples, conformément à leurs propresmodèles culturels, à leurs instituons sociales et à leurs systèmes juridiques » 64.

43 Le rapport a aussi pour la première fois mentionné la particularité du patrimoine

culturel, et son risque de disparation et d’exploitation par les tiers. Il a par ailleursinsisté sur le fait que les autochtones ont un rôle important pour protéger la diversitéculturelle mondiale.

44 L’initiative des autochtones a conduit à la création d’un forum de discussions avec les

représentants des populations autochtones. Ensuite, les études spéciales sur les peuplesautochtones ont continué au sein de l’ONU et l’UNESCO.

45 Le débat sur le patrimoine culturel des peuples autochtones et leurs droits collectifs a

aussi avancé. En tant que collectivités infra étatiques, on peut comparer le statutjuridique de leur patrimoine culturel avec les minorités en droit international. Mais enraison de leur particularité historique, de leurs modes de vie et de la spécificité de leurscultures, ainsi que leurs droits collectifs, le statut juridique des peuples autochtones estsouvent mieux défini que celui des minorités. On le considère souvent comme un droitsui generis : droit des peuples autochtones sur leur territoire, leurs ressourcesnaturelles, économiques et culturelles.

46 La doctrine considère parfois les peuples autochtones comme des peuples qui ont

échappé au processus de décolonisation des années 196065. Depuis l’adaptation de laDéclaration des droits des peuples autochtones, en septembre 2007, ces derniers sontreconnus par le droit international, comme une catégorie bénéficiaire des droits despeuples, notamment le droit à l’autodétermination interne. Cela est aussi affirmé parl’article 1(3) de Convention 169 de l’Organisation international du travail relative auxpeuples autochtones et tribaux (1989) et par les articles 3 et 4 de Déclaration desNations Unies sur les droits des peuples autochthones. Le comité des droits de l’hommea aussi reconnu les peuples autochtones, et considère ces derniers comme bénéficiairesdu droit à l’autodétermination en vertu de l’article 1 commun de PIDCP et le PIDESC.Dans ce contexte, le patrimoine culturel est interprété comme un droit aux ressourceséconomiques et culturelles.

47 Par ailleurs, dans le champ des droits des peuples autochtones, la notion de propriété

est de plus en plus utilisée pour rendre effectifs les droits économiques, sociaux etculturels des peuples autochtones. La notion de propriété collective est souvent utiliséecomme un moyen de protection des ressources essentielles, telles que la terre, lesressources naturelles, les moyens de subsistance économique, mais également lesressources culturelles.

48 La notion de propriété collective est également utilisée, d’une part, pour protéger le

patrimoine culturel immatériel des peuples autochtones, notamment leurs savoirstraditionnels et pharmaceutiques, leur folklore et leur musique et, d’autre part, pourempêcher l’exploitation de leur patrimoine culturel. Depuis les années 2000, la CourInteraméricaine des droits de l’homme a notamment développé une jurisprudenceconsidérable à l’égard des communautés autochtones66. En particulier, dans certainesdécisions concernant directement le sujet de la propriété collective, la Cour adéveloppé le contenu du droit des autochtones aux ressources naturelles et à leur

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territoire ancestral67. En revanche, le CEDH n’a pas encore prononcé une décision sur lapropriété collective et le patrimoine culturel avec un renvoi au droit à l’identitéculturelle.

49 Pourtant le statut juridique du patrimoine culturel de ces minorités reste toujours

délicat. Celles-ci ne bénéficient pas de droits collectifs. Certains auteurs proposent alorsd'envisager le sujet des droits culturels des minorités comme étant individuels, maisavec un objet collectif. Ils proposent ainsi d'interpréter la communauté, la culture et lepatrimoine culturel comme des objets de droits culturels68, en tant que ressources etconditions nécessaires pour le libre exercice de ces droits69. Les organes juridictionnelset les instruments relatifs à la protection des droits de l’homme n’ont pas franchi lepas, ce qui empêche une protection efficace du patrimoine culturel des minorités.

50 Pour les minorités, le risque de la disparation culturelle et la pérennité de la culture

sont dès lors grands. À cet égard, la politique de la construction des barrages etcentrales hydroélectriques comme le Projet de GAP en Turquie fournit un bon exemple.Pendant la construction de barrage « Ataturk », plusieurs sites archéologiques ont étéinondés, de même pendant le projet de construction du barrage « Ilisu » qui prévoyaitl’inondation entière de la ville historique de Hasankeyf au sud-est de la Turquie.Pourtant, la ville est importante pour l’histoire des minorités kurdes et elle estégalement un lieu de culte de la minorité syriaque.

2. La diversité culturelle comme patrimoine commun

51 La protection de la diversité culturelle était traditionnellement séparée de la protection

du patrimoine culturel au sein de l’UNESCO70. Initialement, la diversité culturelle étaitappréhendée comme un élément de protection de la paix71. Désormais, le respect del’égale dignité de toutes les cultures et du droit de chaque culture à subsister faitconsensus72.

52 En 1989, l’UNESCO a adopté une recommandation sur le savoir traditionnel. L’UNESCO a

lancé en 1993 le programme des « Trésors humains vivants » pour la protection descultures et traditions menacées et, en 1998, le programme de « Proclamation de chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité». Dans les années 2000,l’UNESCO s'est plutôt concentré sur l’intolérance dans les sociétés multiculturelles et ladisparation des ressources culturelles à l’échelle mondiale. Cette attitude devaitcontrer la menace de mondialisation et celle d'appauvrissement de la diversitéculturelle et linguistique. Dans une Déclaration de l’UNESCO de 2001, il est précisé quela diversité culturelle comprend l’ensemble des identités culturelles qui constituel’humanité. La diversité culturelle a été reconnue dans cette même déclaration commeun élément du patrimoine commun de l’humanité73.

A. Le droit au patrimoine culturel

53 Le droit de l’individu au patrimoine culturel a longtemps été restreint. En effet, les

droits culturels en général, associés aux droits économiques et sociaux, ont étélongtemps considérés comme les parents les plus pauvres de ces droits74, et parmi cesdroits, le droit au patrimoine culturel a été longtemps interprété comme l’un des plusfragiles75.

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54 Depuis les années 1990, le contenu des droits culturels a été élargi et il comprend

désormais la culture dans un sens large, c’est-à-dire combinant à la fois l’idée élitiste etcosmopolite de culture et l’idée anthropologique de culture qui intègre les droits desminorités76. Le patrimoine culturel est donc devenu un objet de droits culturels (1). Onpeut alors envisager un droit de l’homme au patrimoine culturel (2).

1. Le patrimoine culturel comme objet des droits culturels

55 Le lien du patrimoine culturel avec les droits culturels est établi par l’article 27 de la

Déclaration universelle de droits de l’homme et par l’article 15 du Pacte internationalrelatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Pourtant, le droit de l’individu aupatrimoine culturel prescrit dans ces textes a été longtemps considéré commerestreint. L’article 15 visait le droit à « participer à la vie culturelle de lacommunauté », et à bénéficier du progrès scientifique et culturel. La culture est ainsiconçue comme un bénéfice. Il n’est fait référence ni au droit au patrimoine culturelpropre à chacun, ni au patrimoine culturel comme un élément de l’identité culturelled’un groupe et d’une personne.

56 Mais désormais, la notion de culture a été élargie. Dans son observation générale sur les

droits culturels en 2009, le Comité des droits économiques sociaux et culturelsreconnaissait le caractère à la fois collectif et individuel de ces droits. Les droits desminorités et des peuples autochtones à l’identité culturelle et au patrimoine culturelont aussi été reconnus dans le cadre des droits culturels. Les obligations des États enmatière de droits culturels ont été également précisées77. Les États ont des obligations àla fois positives et négatives et doivent respecter, protéger et donner effet à ces droits78.Enfin, en 2011, l’expert international des Nations Unies dans le domaine des droitsculturels a publié un rapport sur le droit au patrimoine culturel qui démontre lui aussil’importance de ce droit parmi les droits culturels79 .

2. Un droit de l’homme au patrimoine culturel

57 Le droit subjectif au patrimoine culturel est un droit récent apparu en 2005 dans la

Convention de Faro du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour lasociété80 même s’il avait déjà été mentionné en 1998 par la Déclaration d’ICOMOS81. Parla suite, ce droit a été développé par le groupe de Fribourg puis dans le cadre deDéclaration des droits culturels en 200782. Il était aussi, quoique dans un cadre plusparticulier, l’un des leitmotivs de la Déclaration des peuples autochtones83. Enfin, il a étérangé parmi les droits culturels par le Comité des droits économiques sociaux etculturels dans son Observation générale n°21 de 200984.

58 Le droit au patrimoine culturel comprend le droit à l’identité culturelle, mais aussi le

droit de choisir son patrimoine culturel. Il permet non seulement de s’opposer à desviolations mais aussi de construire l’identité et le patrimoine de son choix. Il reste queces choix ne sont pas applicables sans droits procéduraux tels que le droit departicipation aux prises de décisions ou le droit au consentement préalable, c’est-à-direle droit d'être consulté par les autorités avant la mise en œuvre d’un projet qui va avoirdes conséquences sur la vie des communautés et des personnes concernées. Pourtant,ce type de droits procéduraux est reconnu aux peuples autochtones en vertu du droit àl'auto-détermination85. Les autres collectivités, comme les minorités, les communautéset les groupes ne sont pas reconnues comme sujet d’un tel droit.

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59 ***

60 En conclusion, nous pouvons dire que depuis leur émergence dans le droit, les notions

de patrimoine culturel et d'authenticité ont beaucoup changé. Celles-ci ne révèlent passeulement la nécessité de protection et de conservation de l’objet du patrimoine, maispermettent aussi de revendiquer les droits et de saisir une possibilité de changementqui est liée à l’identité culturelle et à la dignité de la personne humaine.

61 La protection et la gestion du patrimoine culturel se trouvent aujourd’hui devant une

crise importante de légitimité. D’un côté, les valeurs nationales et l’identité culturellenationale ne suffisent pas pour représenter les sentiments de l’individu moderne. Lesindividus ont désormais une autre conception de l’identité culturelle qui est pluscosmopolite et complexe86. Les appartenances exclusives, à la nation, aux classes ou à lareligion, impliquant des fidélités à long terme, ont tendance à diminuer. Dans unesociété de masse, les individus tendent à développer des appartenances et des identitésculturelles multiples et flexibles87.

62 D’un autre côté, l’authenticité de l’œuvre d’art et les valeurs esthétiques

universellement partagées deviennent aussi un mythe au niveau international. Il y ades années que le cosmopolitisme prétendu est mis en question par le débat sur lerelativisme culturel88. Autrement dit, l’authenticité définie par les valeurs esthétiquesoccidentales est mise en question. Le patrimoine culturel se trouve donc devant unevraie crise de légitimité à toutes les échelles. Tant les individus que les groupes, tels queles minorités culturelles et les peuples autochtones, sont mécontents de cette situationet revendiquent une nouvelle forme de légitimité à travers le discours des droits.

63 En effet, au cours des années, les acteurs sociaux, comme les usagers de services publics

et les minorités culturelles et les peuples autochtones ont acquis assez de légitimitépour réclamer un droit d’intervention. Pourtant, ces revendications révèlent encore unparadoxe important en droit. Le système juridique peut ne pas reconnaître ceux qui lesrevendiquent si ces revendications ne sont pas exprimées en termes de droitssubjectifs89. D’ailleurs, ces acteurs sociaux sont parfaitement conscients de cettesituation, puisque ce sont, de fait, leurs besoins et libres choix qu’ils veulent exprimeren termes de droits90.

NOTES

1. SYMONIDES JANUSZ, «The History of the paradox of cultural rights and the state of the discussion

within UNESCO», in MEYER-BISCH PATRICE, Les droits culturels. Une catégorie sous-développée des droits

de l’homme, coll. « Interdisciplinaire: droits de l’homme », Fribourg, Éditions universitaires, 1993,

pp. 47-72.

2. La Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire, Actes de laConférence générale de l’UNESCO, 25e session, Paris du 17 octobre au 16 novembre1989, Vol. I ; Annexe I.B, Voir aussi BLAKE JANET, Élaboration d’un nouvel instrument

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Page 416: La Revue des droits de l’homme, 6

normatif pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel Éléments de réflexion (éditionrévisée, 2002), UNESCO, Paris, 2001, p. V.

3. CHEVALLIER JACQUES [...] Le mythe de l’ « intérêt général » sur lequel l'Etat a construit sa

légitimité a perdu de sa force [...] l’intérêt générale ne apparaît pas plus comme étant le

monopole de l’État qu'il n'est le signe distinctif [...] L’État post-moderne, « L'Etat démythifié »,

Maison de Sciences de l'Homme, La collection droit et société, Paris, 2003, p.65, Voir aussi REMY

JEAN, « Transformation de la relation entre usagers et services publics : nouveau mode d’accès à la

citoyenneté ? » in Droit et intérêt, sous la direction de GÉRARD PHILIPPE, OST FRANÇOIS, VAN DE KERCHOVE

MICHEL volume 1: approche interdisciplinaire, Publications des Facultés universitaires Saint-Luis,

Bruxelles,1990, pp.131-132.

4. Voir, Dictionnaire comparé du droit du patrimoine culturel, Ouvrage coordonné par CORNU MARIE,

FROMAGEAU JERÔME, WALLAERT CATHERINE, CNRS éditions, Paris, 2012, p.740 ; Voir aussi CORNU MARIE,

Le droit culturel des biens . L’intérêt culturel juridiquement protégé, Bruxelles, Bruylant, 1996,

pp. 14-17.

5. L’étude préliminaire, présentée à la réunion d’experts organisée par l’UNESCO àTurin en 2001, Rapport relatif à l’étude préliminaire sur l'opportunité de règlementer a

l'échelon international, par un nouvel instrument normatif, la protection de la culture

traditionnelle et populaire, Doc. 161 EX/15 Annexe, Paris, le 16 mai 2001.

6. HAFSTEIN, VALDIMAR. T., « Cultural Heritage », in Companion To Folklore, BENDIX R. F. and G.

HASAN-ROKEM (dir.), John Wiley & Sons, ltd, Chichester, 2012, p. 502.

7. REMY JEAN, op. cit., p.119.

8. DOLFF-BONEKAMPER GABI, (2010), « Patrimoine culturel et conflit : le regard de l’Europe » Museum

international (française), mai 2010, Volume 62, issue 1-2, pp. 15.

9. Selon Le dictionnaire comparé du droit du patrimoine culturel, « […] il peut être définit au sens

large comme l’ensemble des traces des activités humaines, matérielles ou immatérielles, qui

revêtent une valeur pour une communauté donnée et dont la sauvegarde et la protection doivent

partant être assurées [...] », CORNU MARIE, FROMAGEAU JÉRÔME, WALLAERT CATHERINE, op. cit., p. 740.

10. CORNU MARIE op. cit., p.29.

11. CORNU MARIE, FROMAGEAU JÉRÔME, WALLAERT CATHERINE, ibid, et CORNU MARIE, op. cit., 1996, pp. 14-17.

Voir aussi CHEVALIER JACQUES, « [...] Le mythe de « l'intérêt général » sur lequel l’État a construit sa

légitimité a perdu de sa force [...]: l’intérêt général n'apparaît plus comme étant le monopole de

l’État [...] », « L’État démythifié », L’État post-moderne, Maison de Sciences de l'Homme, La

collection droit et société, Paris, 2003, p. 65.

12. CHATELAIN JEAN, CHATELAIN FRANÇOISE, Oeuvres d’art et objets de collection en droit français, Berger-

Levrault, Paris, 1990 p. 10-15 ; Voir aussi WIEVIORKA MICHEL, La Differance, Les Éditions Balland,

Collection : Voix et regards, Paris, 2001, p. 32.

13. GELLNER ERNEST, Nations et Nationalisme, traduit d’Anglais par Bénédicte Pineau, Editions Payot,

Paris, 1989; HOBSBAWM ERIC, Nations et nationalisme since1780: Programme, Mythe, Reality. , Cambridge

University Press, Cambridge, (First published 1990) Canto edition, 1995 ; ANDERSON B ENEDICT,

Imagined Communities Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, (First published by Verso

1983) Revised Edition, Verso, London-New York, 2006.

14. ANDERSON BENEDICT, op.cit. p. 26.

15. GELLNER ERNEST, op.cit., pp. 25-28.

16. POULOT DOMINIQUE, op.cit., p. 12.

17. Ibid.

18. CHOAY FRANÇOISE, L’allégorie du Patrimoine, Paris Seuil, 1992, édition actualisée en 2007, p. 50.

19. POULOT DOMINIQUE, op.cit., p. 12. Voir aussi l’article de Walter Benjamin en ce sens, « Das

Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reprodusierbarkeit ». Paru pour la première fois en

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Page 417: La Revue des droits de l’homme, 6

1936 en France sous le titre «L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée», voir également in

internet, http://www.arteclab.uni-bremen.de/~robben/KunstwerkBenjamin.pdf, date de la dernière

consultation 18 novembre, 2014, pp. 6-7.

20. POULOT DOMINIQUE, op.cit., p. 12.

21. CHOAY FRANÇOISE, op.cit., p. 51.

22. POULOT DOMINIQUE, op.cit., p.12.

23. POULOT DOMINIQUE, op.cit., p.16.

24. CHOAY FRANÇOISE, L’allégorie du Patrimoine, Paris Seuil, 1992, p. 93.

25. CHOAY FRANÇOISE, op.cit., p. 93.

26. POULOT DOMINIQUE, op.cit., p. 17.

27. Ibidem.

28. En Allemagne, Johann Gottfried Herder fut l’idéologue du mouvement. Il a mis en avant la

poésie populaire et il a recueilli des chansons populaires de différents pays dans Stimmen der

Völkers in Liederns ( Les Voix des peuples dans leurs chants), voir également in internet, http://

gutenberg.spiegel.de/autor/johann-gottfried-herder-264

29. HROCH MIROSLAV, « De l’ethnicité à la nation. Un chemin oublié vers la modernité »,

Anthropologie et Société, Volume 19-3, 1995, p.71-86 cité par POULOT DOMINIQUE, op. cit., p. 18 et Social

Preconditions of National Revival in Europe, Cambridge, 1985 cité aussi par HOBSBAWM ERIC, op. cit., p.

12.

30. GELLNER ERNEST, op. cit., p. 166.

31. GELLNER ERNEST, op. cit., pp .12-13.

32. GELLNER ERNEST, op. cit. pp. 86.

33. GELLNER ERNEST, op. cit., pp. 26-28.

34. BABADZAN ALAIN, 1999, « l’invention des traditions et le nationalisme », in les politiques de la

tradition : identités culturelles et identités nationales dans le pacifique, N° spécial du Journal de la

Société des Océanistes, 109(2), p. 18.

35. Ibidem.

36. MERRYMAN JOHN HENRY, « Two Ways of Thinking About Cultural Property », The American Journal

of International Law, Vol. 80, n° 4.(Oct. 1986), p. 831.

37. ZIEGLER KATJA, in GIUFFRÈ MILANO (ed), Alberico Gentili: La Salvaguardia Dei Beni Culturali Nel Diritto

Internazionale (2007), La Version anglais , University of Oxford Faculty of Law Legal Studies

Research Paper Series, Working Paper n° 26/2007 September 2007, p. 4.

38. BORIES CLEMENTINE, Le patrimoine culturel en droit international. Les compétences des États à l’égard

des éléments du patrimoine culturel, Pedone, Paris, 2011, p. 47.

39. Conventions et Règlements de La Haye de 1899 et 1907 ; le Pacte Roerich, Washington 1935,

Convention de Genève N. IV de 1949 et Protocoles additionnels I et II de 1977 ; Convention de

l’UNESCO pour la Protection des biens culturels en cas de conflit armé (La Haye, 1954), et ses deux

Protocoles de 1954 et 1999.

40. L’article 1 de la Convention de l’UNESCO pour la Protection des biens culturels en cas de

conflit armé (La Haye, 1954), et ses deux Protocoles de 1954 et 1999.

41. YAHAYA AHMAD « The Scope and Definitions of Heritage: From Tangible to Intangible »,

International Journal of eritage Studies,Volume. 12, N° 3, Mai 2006, pp. 292-300.

42. Convention de l’UNESCO pour la Protection des biens culturels en cas de conflit armé (La

Haye, 1954).

43. L’article premier, Definition des biens culturels, Convention de l’UNESCO pour la Protection des

biens culturels en cas de conflit armé (La Haye, 1954).

44. Convention de l’UNESCO concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel,

Paris, le 16 novembre 1972.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

416

Page 418: La Revue des droits de l’homme, 6

45. États-parties : Situation de la Ratification : 190 Pays à la Convention au 19 sept. 2012, http://

whc.unesco.org/fr/etatsparties/

46. Voir l’art. 1 et 2, Convention de l’UNESCO concernant la protection du patrimoine mondial

culturel et naturel, Paris, le 16 novembre 1972.

47. Voir l’art. 11, ibid..

48. HODDER, IAN, «Cultural Heritage Rights, From Ownership and Descent to Justice and Well-

being», Anthropological Quarterly, Volume 83, n °4, automne 2010 , pp. 862-863.

49. HAFSTEIN VALDEMAR T., The making of intangible cultural héritage| Tradition and authenticity,

community and humanity, these de doctorat, Université de California, Berkeley, 2004 p.20 et p. vii.

50. Ibid.

51. HAFSTEIN VALDEMAR T., op. cit., p. 20.

52. BLAKE Janet« Elaboration d’un nouvel instrument normatif pour la sauvegarde du patrimoine

culturel immatériels Éléments de réflexion » (édition révisée, 2002), publié par l’UNESCO, Paris, 2001,

p. 5.

53. HAFSTEIN, op. cit., p. 61.

54. BLAKE JANET, op. cit.

55. ZIEGLER KATJA, op. cit., p. 4.

56. Convention de l’UNESCO pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (Lahey,

14 mai 1954), Convention de l’UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et

empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels

(Paris, 14 novembre 1970).

57. ZIEGLER KATJA, op. cit., p. 5.

58. Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, Paris, Résolution adoptée sur

le rapport de la Commission IV à la 20iem séance plénière, le 2 novembre 2001, l’article premier.

59. S COVAZZI TULLIO, « La notion de patrimoine culturel de l’humanité dans les instruments

internationaux », le patrimoine culturel de l’humanité/Académie de Droit international de La Haye = The

Cultural Heritage of Mankind /Hague Academy of international Law, sous la dir. de James A.R. Nafziger,

Tullio Scovazzi, Martinus Nijhof, Leiden, 2008, p. 3.

60. BLAKE JANET op. cit., p. 5.

61. Voir aussi Comité des droits de l’homme : Yvan Kitok c. Suède, communication n° 197/1985 ;

Bernard Ominayak, chef de la bande du lac Lubicon c. Canada, communication n° 167/1984 ; ilmari

Länsman et consorts c. Finlande, communication N° 511/1992 ; Jouni E. Länsman et consorts c. Finlande,

communication N° 671/1995 ; Mahuika et consorts c. Nouvelle-Zélande, communication n° 547/1993 ;

Angela Poma Poma c. Pérou, communication n°1457/2006.

62. Pacte adopté par l'Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966,

entrée en vigueur : le 23 mars 1976.

63. Voir aussi Comité des droits de l’homme : Bernard Ominayak, chef de la bande du lac Lubicon c.

Canada, communication n° 167/1984.

64. COBO Martinez J. R. , Étude du problème de la discrimination à l’encontre des populations

autochtones(Nations unies, New York, 1987) [Doc. E/CN.4/Sub.2/1986/7/Add.4]. La Sous-

Commission de lutte contre les mesures discriminatoires et la protection des minorités, UCHCR,

Genève aux §§ 379 et 380.

65. SCHULTE TENCKHOFF ISABELLE, « Droits collectifs et autochtonie. Que penser des « traites

modernes » au Canada ? » in BERNS THOMAS (dir), Les droits saisi par le collectif, Bruxelles, Bruylant,

2004, pp. 133-164.

66. Pour un analyse plus détaillée, voir RINALDI KARINE « Le droit des populations autochtones et

tribales a la propriété dans le système interaméricain de protection des droits de l’homme » in Le

particularisme interaméricain des droits de l’homme, En l’honneur du 40e anniversaire de la

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

417

Page 419: La Revue des droits de l’homme, 6

Convention américaine des droits de l’homme, Sous la direction de HENNEBEL LUDOVIC et TIGROUDJA

HÉLÈNE, Pedone, Paris, 2009, pp. 215-250.

67. L’arrêt du 17 juin 2005, Communauté indigène Yakye Axa c. Paraguay, Série C no125 § 131, l’arrêt

du 31 août 2001, Comunidad Mayagna (Sumo) Awas Tingni v. Nicaragua; arrêt du 15 juin 2005,

Comunidad Moiwana v. Surinam; arrêt du 17 juin 2005, Comunidad indígena Yakye Axa v. Paraguay;

arrêt du 29 mars 2006, Comunidad indígena Sawhoyamaxa v. Paraguay; arrêt du 28 novembre 2007,

Pueblo Saramaka v. Surinam. L’arrêt du 29 avril 2004, Masacre Plan de Sánchez v. Guatemala. Mayagna

(Sumo) Awas Tingni Communauty c. Nicaragua, Série C no.66 et arrêt du 31 août 2001 sur les

réparations, Série C n°79, § 148.

68. MEYER-BISCH PATRICE, « Analayse des droits culturels » Droits fondamentaux, n° 7, janvier 2008 –

décembre 2009 ; voir également en internet http://www.droits-fondamentaux.org/IMG/pdf/

df7dfdcpmb.pdf, date de la dernière consultation 18 novembre, 2014, p. 1.

69. BIDAULT MYLÈNE, La Protection des droits culturels en droit international, Bruylant, Bruxelles, 2009,

pp. 431-517.

70. TENORIO DE AMORIM FERNANDO SÉRGIO, « La diversité des cultures et l’unité du marché : les défis de

la convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions

culturelles. », le patrimoine culturel de l’humanité/Académie de Droit international de La Haye=The

Cultural Heritage of Mankind /Hague Academy of international Law, sous la dir. de JAMES A.R. NAFZIGER,

TULLIO SCOVAZZI, Martinus Nijhof, Leiden, 2008, pp. 355-358.

71. SCOVAZZI TULLIO, « La notion de patrimoine culturel de l’humanité dans les instruments

internationaux », le patrimoine culturel de l’humanité/Académie de Droit international de La Haye = The

Cultural Heritage of Mankind /Hague Academy of international Law, sous la dir. de James A.R. Nafziger,

Tullio Scovazzi, Martinus Nijhof, Leiden, 2008, p. 3.

72. Déclaration des principes de la coopération culturelle internationale L’Article 1.

73. Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, Paris, Résolution adoptée sur

le rapport de la Commission IV à la 20e séance plénière, le 2 novembre 2001, l’article premier.

74. MEYER-BISCH PATRICE, Les droits culturels, une catégorie sous-développée des droits de l’homme. Actes

du VIIIe Colloque interdisciplinaire sur les droits de l’homme à l’Université de Fribourg, 1993.

75. BIDAULT MYLÈNE, « Ce que déclarer des droits culturels veut dire », Droits Fondamentaux, n°7,

janvier 2008 – décembre 2009, pp. 14-15.

76. BIDAULT MYLÈNE, La Protection des droits culturels en droit international, Bruylant, Bruxelles, 2010 ,

p. 434

77. Observation générale N°21 (2009) relative au droit de chacun de participer à la vie culturelle (par. 1 a)

de l'article15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), E/C.12/

GC/21, par. 49 d) et 50

78. Idem.

79. Rapport de l’Experte indépendante dans le domaine des droits culturels, Mme Farida

SHAHEED, Conseil des droits de l’homme dix-septième session (A/HRC/17/38), 21 mars 2011.

80. Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société

(2005).

81. Le Déclaration de Stockholm, ibidem.

82. La Déclaration de Fribourg sur les droits culturels, 7-8 mai 2007 (le texte proposé est parrainé

par une cinquantaine de personnalités reconnues dans le domaine des droits de l’homme, ainsi

que par la plate-forme d’ONG).

83. Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, 3 septembre 2007,

Résolution adoptée par l’Assemblée générale (A/6/L.67 et Add.) 61/295.

84. Observation générale n°21 (2009), par. 50 .

85. DOYLE CATHAL, CARINO JILL, Making free prior and informed consent a reality, indigenous People and the

extractive sector, Middelesex University School of Law, mai 2013, pp. 7-16.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

418

Page 420: La Revue des droits de l’homme, 6

86. Voir un exemple de « Place making » ([littéralement « fabrication d’espace » en anglais] et la

construction « d’identités culturelles cosmopolites » par l’initiative d’un groupe d'individus dans

une ville en République tchèque en ancien Sudetenland, le « Pays des Sudètes » connu par sa

Crise de Sudètes avant la II.ieme Guerre mondiale. Film documentaire réalisé par AIANO ZOE,

GUTOWSKA MARIA, TURHALLI ZEYNEP dans le cadre de "Summer school of ethnographic film making"

organisé par Departement d' Anthropologie, L'Université de l'Ouest Bohemia, juillet 15-27 2013,

Zlutice, publication de Visegrad Fund, 2013, également en internet :http://

www.antropologie.org/en/node/86

87. REMY JEAN, op. cit., p. 120.

88. DONNELLY JACK, «Cultural Relativism and Universal Human Rights », in Human Rights Quarterly,

Volume 4, 6, 1984, p. 402.

89. CHEVALLIER JACQUES, « Le concept d'ineteret en science administrative», in Droit et intérêt, sous

la direction de GÉRARD PHILIPPE, OST FRANÇOIS, VAN DE KERCHOVE MICHEL, volume 1: approche

interdisciplinaire, Publications des Facultés universitaires Saint-Luis, Bruxelles,1990, p. 135.

90. HOLSTON JAMES, Insurgent Citizenship, Disjunction of democracy and Modernityin Brazil, Princeton

University Press, New Jersey, 2008, pp. 247-250 : “Reinventing Public Space”, p. 253 : “New

foundations of rights” , p. 255.

ABSTRACTS

The notions of cultural heritage and authenticity have evolved greatly since their very first

emergence. This dual paradigm shift within the law of the protection of the cultural heritage not

only reveals the need for the protection and conservation of a wide variety of cultural objects,

but its reference to the cultural rights provides the opportunity to claim the legal change for

historically disadvantaged groups and the persons.

The objective of this paper is to demonstrate the lack of legitimacy within the public

administration of cultural policies and the cultural heritage law. In our opinion, that deficit is

tending to be filled through a strong human rights discourse nowadays. In the past, this deficit

was concealed in two ways. First, at a national level, cultural heritage is used to excite a feeling of

belonging to a nation and its cultural identity. At the international level, where cultural heritage

is linked to the cosmopolitan values, including the authenticity of a work of art and universal

aesthetic values defined by a cultural elite. But today the individuals as well as the disgruntled

minority groups tend to develop different affiliations and multiple and flexible cultural

identities. In the end, these persons and groups need some sort of legal autonomy in order to

make choices. In this context a new form of legitimacy spreads out through a right to cultural

heritage.

Depuis leur émergence en droit, les notions de patrimoine culturel et d'authenticité ont

beaucoup évolué. Cette double révolution conceptuelle ne révèle pas seulement la nécessité de

protection et de conservation d'une grande variété des objets. Elle permet aussi de saisir une

possibilité de changement en faisant référence aux droits culturels.

L’objectif de cet article est de démontrer qu’il existe un déficit de légitimité en matière de gestion

du patrimoine culturel et que celui-ci tend à être rempli à travers les droits de l'homme. Ce

déficit de légitimité a été dissimulé de deux manières. D’abord au niveau national où le

patrimoine culturel est utilisé pour exalter un sentiment d’appartenance à une nation et à son

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

419

Page 421: La Revue des droits de l’homme, 6

identité culturelle. Ensuite, au niveau international où le patrimoine culturel est rattaché aux

valeurs cosmopolites, notamment à l’authenticité de l’œuvre d’art et aux valeurs universelles

esthétiques qui sont décidées par une élite. Mais dans la société contemporaine les individus

tendent à développer des appartenances et des identités culturelles multiples et flexibles. Dans ce

cadre les individus ainsi que les groupes mécontents revendiquent une nouvelle forme de

légitimité à travers un droit au patrimoine culturel de leur choix.

Las nociones de patrimonio cultural y autenticidad han experimentado una gran evolución desde

su aparición en el ámbito jurídico. Así, se ha producido una doble revolución conceptual que

pone de manifiesto no sólo la necesidad de protección y conservación de una gran variedad de

objetos culturales, sino que, a través de la referencia a los derechos culturales, reclama un

cambio de paradigma.

El presente artículo tiene por objeto demostrar la existencia de un déficit de legitimidad en

materia de gestión del patrimonio cultural, que debe ser suplido a través de los derechos

humanos. Este déficit de legitimidad ha tratado de ocultarse de dos maneras: en primer lugar, a

nivel nacional, el patrimonio cultural es utilizado para exaltar un sentimiento de pertenencia a

una nación y a su identidad cultural; a nivel internacional, el patrimonio cultural aparece ligado a

valores cosmopolitas, principalmente a la autenticidad de la obra de arte y a los valores estéticos

universales decididos por una élite. Sin embargo, en la sociedad contemporánea los individuos

tienden a desarrollar identidades culturales múltiples y flexibles. En este contexto, tanto los

individuos como los grupos reivindican una nueva forma de legitimidad, a través de un nuevo

derecho al patrimonio cultural.

INDEX

Mots-clés: Droits culturels - patrimoine culturel - droit au patrimoine culturel – légitimité –

authenticité - minorités

Keywords: Cultural rights - cultural heritage - the right to cultural heritage – legitimacy –

authenticity - minorities

Palabras claves: Derechos culturales - patrimonio cultural - derecho al patrimonio cultural –

autenticidad - identidad cultural – legitimidad – nacionalismo - minorías

AUTHOR

ZEYNEP TURHALLI

Zeynep Turhalli est doctorante en droit public au CREDOF

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Bibliographie

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Page 423: La Revue des droits de l’homme, 6

Bibliographie

Ouvrages en français

1 ANSELME Isabelle, L’invocation de la déclaration des droits de l’homme et de la constitution

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2 BALLOT Elodie, Les insuffisances de la notion des droits fondamentaux, Paris, Mare et

Martin, 2014, 554p.

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5 BIOY, Droits fondamentaux et libertés publiques, Paris, LGDJ, collections Cours, 2014, 813 p.

6 BLANCK Peter, eQuality : The Struggle for Web Acessibility by Persons with Cognitive

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7 BREMS Eva, The Experience of Face Veil Wearers in Europe and the Law, Cambridge,

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8 CHAMPEIL-DESPLATS Véronique, Méthodologie du droit et des sciences du droit, Paris,

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9 DE BECO Gauthier, MURRAY Rachel, A Commentary on the Paris Principles on National

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10 DJABAKATE Mohamed Madi, Le rôle de la Cour pénale internationale en Afrique, Paris,

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11 DRACHE Daniel, JACOBS Lesley A. (dir.), Linking Global Trade and Human Rights : New Policy

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12 DUWELL Marcus, BRAARVIG Jens, BROWNSWORD Roger, MIETH Dietmar (dir.), The

Cambridge Handbook of Human Dignity : Interdisciplinary Perspectives, Cambridge,Cambridge University Press, Avril 2014, 629 p.

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422

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13 ERGEC Rusen, VELU Jacques, Convention européenne des droits de l'homme, Bruxelles,

Larcier, 2ème édition, 2014

14 ERGEC Rusen, HAPPOLD Matthew, Protection européenne et internationale des droits de

l’homme, Bruxelles, Larcier, 2014, 333p.

15 ERNAL Paul, Internet Privacy Rights : Right to Protect Autonomy, Cambridge, Cambridge

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16 FALLON Damien, L’abstention de la puissance publique et la garantie des droits fondamentaux,

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17 FIERESN Jacques, Droit humanitaire pénal, Bruxelles, Larcier, 2014, 372p.

18 FLOOD Colleen M., GROSS Aeyal, The Right to Health at the Public/Private Divide : A Global

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19 GENSER Jared, STAGNO UGARTE Bruno, The United Nations Security Council in the Age of

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20 HAMA Kadidiatou, Le statut et les fonctions du juge pénal international, Paris, L’Harmattan,

2014, 355p.

21 HOPFNER Florent, L’évolution de la notion de réfugiés, Paris, Pedone, 2014, 505p.

22 GATSING Hermine Kembo Takam, Le système africain de protection des droits de l’homme,

Paris, L’Harmattan, 2014, 196p.

23 GERVIER Pauline, La limitation des droits fondamentaux constitutionnels par l'ordre public,

Paris, L.G.D.J., Collection Thèses, 2014

24 GRAU EROS Roberto, Pourquoi j’ai peur des juges. L’interprétation du droit et les principes

juridiques, Paris, 2014 (traduction Antoine Jeammaud, Paris, Ediction Kimé, 198 p.

25 GUEMATCHA Emmanuel, Les commissions vérité et les violations des droits de l’homme et du

droit international humanitaire, Paris, Pedone, 2014, 628p.

26 HENNEBEL Ludovic, TIGROUDJA Hélène, dir., Humanisme et droit. En hommage au

professeur Jean DHOMMEAUX, Paris, Pedone, 2014, 464p.

27 HENNETTE-VAUCHEZ Stéphanie, PICHARD Marc, ROMAN Diane (dir.), La loi et le genre.

Etudes critiques de droit français, Paris, 2014, CNRS éditions 797 p.

28 HENNETTE-VAUCHEZ Stéphanie, VALENTIN Vincent, L'affaire Baby Loup, Lextenso ed.,

2014

29 IVORY Radha, Corruption, Asset Recovery and the Protection of Property in Public

International Law : The Human Rights of Bad Guys, Cambridge, Cambridge University Press,Août 2014, 403 p.

30 LANGER Lorenz, Religious Offences in Human Rights : The Implications of Defamations of

Religions, Cambridge, Cambridge University Press, Juillet 2014, 462 p.

31 LEITER Brian, Pourquoi tolérer la religion?, (trad. française L. Mulkens, Ed. Markus Haller),

Genève, 2014, 233 p.

32 ICARD Philippe, Les minorités au sein de l’Union européenne, Paris, Eska, 2014, 147p.

33 MARANLOU Sahar, Access to Justice in Iran : Women, Perceptions, and Reality, Cambridge,

Cambridge University Press, Novembre 2014, 273 p.

34 MARMIN Sébastien, Le nettoyage ethnique: aspects de droit international, Paris, L’Harmattan

, 2014, 505p.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

423

Page 425: La Revue des droits de l’homme, 6

35 MELIN-SOUCRAMAMIEN, Libertés fondamentales, Paris, Dalloz, collection Les mémentos,

p. 232

36 NEIRINCK Claire, BRUGGEMAN Maryline, dir., La convention internationale des droits de

l’enfant (CIDE), une Convention particulière, Paris, Dalloz, 2014, 278p.

37 NOLAN Aoife, Economic and Social Rights after the Global Financial Crisis, Cambridge,

Cambridge University Press, Cambridge, Cambridge University Press, Octobre 2014, 410p.

38 PREUSS-LAUSSINOTTE Sylvia, La liberté d’expression, Paris, Ellipses, 2014, 162 p.

39 ROMAN Diane (dir.), La Convention sur l'élimination des discriminations à l'égard des femmes,

Paris, Pedone, 2014

40 SCHABAS William A., The Universal Declaration of Human Rights : 3 Volume Hardback Set,

The Travaux Préparatoires, Cambridge, Cambridge University Press, Avril 2013, 3376 p.

41 SCHAHMANECHE Aurélia, La motivation des arrêts de la Cour européenne des droits de

l’homme, Paris, Pedone, 2014, 794p.

42 DE SCHUTTER Olivier, TULKENS Françoise, VAN DROOGHENBROECK, Sébastien, Code de

droit international des droits de l'homme, Bruxelles, Larcier, 4ème édition, 2014

43 SUDRE Frédéric, dir., Les conflits dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de

l’homme, Bruxelles, Anthemis, 2014, 326p.

44 TAKELE Soboka Bulto, The Extraterritorial Application of the Human Right to Water in Africa,

Cambridge, Cambridge University Press, Décembre 2013, 326 p.

45 TERASSON Antonin, La France et le procès de Nuremberg : inventer le droit international,

Paris, Les Prairies ordinaires, 2014, 399p.

46 THIAKA Thiaw, La protection internationale des droits de l’homme dans les situations de crise

en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2014, 441p.

47 TCHIKAYA Blaise, Le droit de l’Union africaine : Principes, institutions et jurisprudence, Paris,

Berger-Levrault, 2014, 247p.

48 TURGIS Noémie, La justice transitionnelle en droit international, Bruxelles, Bruylant, 2014,

627p.

49 VAN DROOGHENBROECK Sébastien, Le droit international et européen des droits de l'homme

devant le juge national, Bruxelles, Larcier, 2014

50

Ouvrages en langues etrangeres

51 Alettaz Fernando, Religión, libertades y Estado. Un estudio a la luz del Convenio Europeo de

Derechos Humanos, Barcelona, Icaria, 2014.

52 Callewaert Johan, The accession of the European Union to the European Convention on Human

Rights, Strasbourg, Council of Europe Publishing, 2014, 107 p.

Dossiers revues

53 « Histoire, mémoire, justice. De l’Espagne à l’Amérique Latine », Matériaux, n° 111-112,

2013.

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

424

Page 426: La Revue des droits de l’homme, 6

54 « Conseil constitutionnel et le droit social », numéro 45 des Nouveaux Cahiers du Conseil

constitutionnel, avec les contributions de Olivier Dutheillet de Lamothe, Jean- EmmanuelRay, Laurence Gayr, Alain Lacabarats, Diane Roman

55 « Les droits des citoyens et des citoyennes de l’Union européenne et leur famille », Les

cahiers juridiques du GISTI, 5ème edition, 2014

56 « La prison comme laboratoire des usages sociaux du droit », Droit et société n°87, 2014-2

57 « Les mandats électifs : du cumul à l’exclusivité », LPA, Numéro spécial, n°152, 31 juillet

2014.

58 « Droit au respect de la vie et droits du patient - La question de l'interruption d'un

traitement : la réponse », RFDA, n° 4, juillet-août 2014, p. 657.

59 « Les lanceurs d’alertes en droit public », AJDA, 2014, n° 39, pp. 228-2252

60 « Le business de la migration », Plein Droit, 2014, n°101, 56 p.

61 « Mineurs isolés, l’enfance déniée », Plein Droit, 2014, n°102, 60 p.

62 BAILLEUX Antoine (Dir.), « Dossier : Les droits de l’homme en réseau », Journal Européen

des Droits de l’Homme, n°2014/3, pp. 289 à 354.

63 BREMS Eva et OOMEN Barbara (Dir.), « Dossier : Integration du droit des droits de

l’homme : approches the oriques d’un droit des droits de l’homme a niveaux multiples(suite) », Journal Européen des Droits de l’Homme, n°2014/4, pp. 447 à 495.

64 The Age of Human Rights n° 2, juin 2014 http://revistaselectronicas.ujaen.es/index.php/

TAHRJ : ( avec les contributions de Rafael DE ASÍS ROIG, “Ethics and Robotics. A FirstApproach” ; Sandro STAIAN, “ The Crisis of State Sovereignty and Social Rights” ; JavierDE LUCAS, “Borders, Violence, Law” Antonio CABANILLAS SÁNCHEZ Y JORGE ZAVALA,“ Ethics and Legal Keys to Biomedical Research in Spain”, Óscar CELADOR ANGÓN,“Legal Aspects of the Financing of Religious Groups in Spain”, Matheus DE CARVALHOHERNANDEZ, “The Rise of Human Rights Issue in the Post-Cold War World: The ViennaConference (1993)”; Maria JOSÉ AÑÓN, “The Antidiscrimination Principle and theDetermination of Disadvantage” ; Pedro CARBALLO ARMAS, “Human Rights and ForcedDisplacement of the Population (a Note about the Difficulties in the Case of Colombia)”

65

Articles en français

66

67 ABONDO Marlène, BOUVET Renaud et LE GUEUT Mariannick, « Mission et statut du

médecin coordonateur dans l'injonction de soins. Bilan et perspectives quinze ansaprès la loi du 17 juin 1998 », Dalloz, AJ Pénal, juin 2014, n° 6, page 275.

68 ALIX Julie, « Le dispositif français de protection des victimes de violences conjugales »,

Dalloz, AJ Pénal, mai 2014, n° 5, page 208.

69 AKANDJI-KOMBE Jean-François (Dir.), « Travail et protection sociale », Journal Européen

des Droits de l’Homme, n°2014/3, pp. 388 à 419.

70 AMALRIC Valérie, « La reconnaissance du vote blanc par la loi du 21 février 2014 : une

avancée limitée », Revue française de droit constitutionnel 3/ 2014 (n° 99), p. 741-759

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

425

Page 427: La Revue des droits de l’homme, 6

71 ANDRIANTSIMBAZOUINA Joel, “La régulation de l’audiovisuel dans la jurisprudence de

la Cour européenne des droits de l’homme”, LPA, n°187-188, 18-19 septembre 2014, p. 4.

72 AUBIN Emmanuel, « Le refus de délivrance d'un visa, le mariage pour tous et la liberté

fondamentale de se marier », AJDA, 2014, p.2141

73 AUBIN Emmanuel, « Roms : être ou ne pas être gens du voyage ? », AJDA, 2014, p.1280

74 ANANE S., « Défense et sécurité nationale (Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013

relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diversesdispositions concernant la défense et la sécurité nationale) », RSC, N°2, Août, 2014, pp.409-410

75 AZIRIA Soumia, « La dignité du salarié : un droit à saisir », LPA, n°119, 16 juin2014, p.7

76 BARANGER Denis, « Retour sur Dieudonné », in RFDA, n°3, mai-juin 2014, p. 525.

77 BEAUD Olivier, « Une question négligée dans le droit de la nationalité : la question de la

nationalité dans une Fédération », Jus Politicum, n° 12, 2014.

78 BEAUSSONIE Guillaume, « La nouvelle garde à vue est-elle plus contradictoire ? »,

Gazette du Palais, n° 227 à 233, vendredi 15, jeudi 21 août, pp. 13-15.

79 BENA Sébastien, « Précision sur la portée de la protection accordée à une salariée

enceinte contre une mesure de licenciement », Gazette du Palais, n° 274 à 275, mercredi1er, jeudi 2 octobre 2014, pp. 5-7.

80 BEN ACHOUR Yadh, “Au service du droit démocratique et du droit constitutionnel

international” in RDP, n°2, 2014, pp. 420-443.

81 BENETTI Julie, “La réforme du cumul des mandats devant le Conseil constitutionnel”,

Constitutions, 2014, n° 1, p. 47

82 BENICHOU Michel, “L’accès à la justice, un droit menacé”, Gazette du Palais, n° 255 à 256,

vendredi 12, samedi 13 septembre 2014, pp. 9-22

83 BERGOIGNAN ESPER Claudine, “GPA et reconnaissance de la filiation, sous l’arrêt CEDH

du 26 juin 2014”, RDSS, n°5, septembre-octobre 2014, p. 887.

84 BERNABE Boris, « Liberté et déontologie universitaires : « l'air pénétrant de la critique

publique » sur « la corruption innocente », AJDA, 2014, p.1904

85 BERNARD Frédéric, «La définition du champ d’application de l’article 5 de la

Convention européenne des droits de l’homme (Cour eur. dr. h., décision Gahramanovc. Azerbaïdjan, 15 octobre 2013) », RTDH, n° 2014/100, pp. 959 à 976.

86 BESSON Samantha et GRAF-BRUGÈRE Anne-Laurence, « Le droit de vote des expatriés,

le consensus européen et la marge d’appréciation des États (Cour eur. dr. h., arrêtSitaropoulos et Giakoumopoulos c. Grèce, 15 mars 2012) », RTDH, n° 2014/100, pp. 937 à958.

87 BIOY Xavier, “Accès aux services de santé et libertés économiques”, Constitutions, 2014,

n° 1, p. 87

88 BLAY-GRABARCZYK Katarzyna, AFROUKH Mustapha, SCHAHMANECHE Aurélia, « Le

contrôle de l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme.Aspects européens : acteurs politiques et acteurs juridictionnels », in RFDA, n° 5,septembre-octobre 2014, p. 935.

89 BOISSY Laurent, « Les lignes directrices de la circulaire du 28 novembre 2012 :

nouvelles découvertes », AJDA, p.1541

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

426

Page 428: La Revue des droits de l’homme, 6

90 BROYELLE Camille, « Retour sur Dieudonné », in RFDA, n°3, mai-juin 2014, p. 521.

91 BURGORGUE-LARSEN Laurence, « Actualités de la Convention européenne des droits de

l'homme (janvier – juillet 2014) », AJDA, p.1763

92 CALLEWAERT Johan, « Adhérer ou ne pas adhérer : la protection europe enne des droits

fondamentaux a la croisée des chemins », Journal Européen des Droits de l’Homme,n°2014/4, pp. 496 à 513.

93 CANTONI Silvia, « L’apport de la Cour européenne des droits de l’homme à l’élaboration

de la nouvelle Convention contre la violence à l’égard des femmes », RTDH, n° 2014/100,pp. 865 à 888.

94 CARRILLO Marc, “La réforme de l’amparo en Espagne : un nouveau certiorari ?”,

Constitutions, 2014, n° 1, p. 60.

95 CASSIA Paul, « Arrêt de traitement médical : un bien étranger référé-liberté », AJDA,

2014, p.1225

96 CASTAING Cécile, “Fin de vie : que disent les avis?”, RDSS, n°4, juillet-août 2014, p. 684.

97 CATELAN N., « Lutte contre la délinquance économique (Loi n° 2013-1117 du 6

décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquanceéconomique et financière ; Loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative auprocureur de la République financier) », RSC, N°2, Août, 2014, pp.393- 398

98 CAVANIOL Aude, RIHAL Hervé, “le juge du référé liberté et les mineurs isolés

étrangers”, RDSS n°3, mai-juin 2014, p. 531.

99 CERF-HOLLENDER A., « Travail dissimulé et détachement de salariés : ne pas confondre

salarié détaché et salarié dissimulé !(Crim., 11 mars 2014, n° 12-81.461, D. 2014. 671) »,RSC, N°2, Août, 2014, pp.355-360

100 CLOAREC Charlotte, « Le SPIP : seul maître d'oeuvre de l'exécution des peines ? »,

Dalloz, AJ Pénal, juin 2014, n° 6, page 268.

101 CHABROT Christophe, “Démocratie, droits de l’homme et droit local”, Politeia, n°25, juin

2014, p. 327

102 COURNIL Christel et al., « Environnement et droits de l’homme », Journal Européen des

Droits de l’Homme, n°2014/4, pp. 535 à 566.

103 COUTURIER Mathias, “La contrainte et le consentement dans les soins ordonnés par

l’autorité publique : vers une aporie juridique?”, RDSS n°1, janvier-février 2014, p. 120.

104 COQ Véronique, “L’article premier de la charte de l’environnement : portée, contrôle (à

propos de l’arrêt du Conseil d’état du 26 février 2014)”, LPA, n°203, 10 octobre 2014, p.10.

105 CREPEY Edouard, « Office de la CNDA pour déterminer la nationalité d'un demandeur

d'asile », AJDA, 2014, p.1611

106 CUISOL Danièle, “Dernier état des débats sur la temporalité et les règles de fond du

dispositif anti-perruche”, RDSS n°3, mai-juin 2014, p. 542.

107 DAMON Julien, “La lutte contre la mendicité des enfants”, RDSS, n°3, mai-juin 2014, p.

553.

108 DANET J., « Le mineur « auditionné » sans notification de ses droits et le « faisceau

d'indices de la conscience qu'il avait de ses droits » ou du mauvais usage du « complexe

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

427

Page 429: La Revue des droits de l’homme, 6

du homard » en procédure pénale (Crim., 6 novembre 2013, n° 13-84.320, à paraître aubulletin, D. 2013. 2646) », RSC, N°1, Juin, 2014, pp.138-138

109 DANIS-FATÔME Anne, « Le droit des couples à un “engagement“ », RTDH, n° 2014/99,

pp. 737 à 758.

110 DANLOS Benjamin, « De quelques contre-vérités sur la jurisprudence de la CEDH en

matière pénale », Dalloz, AJ Pénal, septembre 2014, n° 9, page 404.

111 DAOUD Emmanuel et GHRÉNASSIA César, « Santé publique et défense pénale », Dalloz,

AJ Pénal, septembre 2014, n° 9, page 398.

112 DAOUD Emmanuel et BOUCHE Bluette, « L'intérêt social, vecteur de la décision de prise

en charge des frais de défense pénale du dirigeant ou du salarié », Dalloz, AJ Pénal,juillet-août, 2014, n° 7-8, page 348.

113 DE BELLESCIZE Diane, “L’offense au chef de l’Etat : suite et fin ?”, Constitutions, 2014, n°

1, p. 83

114 DE BELLESCIZE Diane, “Loi de 1881 et harmonisation des délais de prescription”,

Constitutions, 2014, n° 2, p. 229.

115 DE CLIPPELE Marie-Sophie, « Quand l’équilibre devient art - Le Conseil de l’Europe et la

balance des intérêts des propriétaires et de la collectivité en matière de patrimoineculturel », RTDH, n° 2014/100, pp. 913 à 936.

116 DE COMBLES DE NAYVES Pierre, Crim. 15 janvier 2014, « Droit international et obstacle

aux poursuites », Dalloz, AJ Pénal, mai 2014, n° 5, page 243.

117 DE CONINCK G., « Sandra Lehalle, La prison sous l'oeil de la société ? Contrôle du

respect de l'état de droit en détention en France et au Canada, Paris, L'Harmattan, 2013,369 pages », RSC, N°1, Juin, 2014, pp.261-263

118 DE GOUTTES Régis, « La réforme du fonctionnement des organes des traités des droits

de l’homme des Nations Unies : l’approche du Comité des Nations Unies pourl’élimination de la discrimination raciale (CERD) », RTDH, n° 2014/100, pp. 835 à 844.

119 DEHARBE David, « Contentieux de la réglementation à l'exposition à l'amiante : la «

gestion » juridictionnelle du risque sanitaire », AJDA, 2014, p.1566

120 DELGRANGE Xavier et EL BERHOUMI Mathias, « Pour vivre ensemble, vivons dévisagés

: le voile intégral sous le regard des juges constitutionnels belge et français », RTDH, n°2014/99, pp. 639 à 666.

121 DELVOLVE Pierre, « Entreprise privée, laïcité, liberté religieuse. L'affaire Baby-Loup.

Note sous Cour de cassation, Assemblée plénière, 25 juin 2014, n° 13-28.369 », in RFDA,n° 5, septembre-octobre 2014, p. 954.

122 DERCLERCQ Jean Baptiste, “Le pouvoir du législateur de l’Union européenne en matière

de protection des données à caractère personnel : une compétence fixée (à propos del’arrêt CJUE du 8 avril 2014), LPA, n0197, 2 octobre 2014, p. 16.

123 DE RUE Maïté, « Les peines de perpétuité réelle sont contraires à la dignité humaine : la

Cour européenne des droits de l’homme consacre un droit à l’espoir pour tous lescondamnés », RTDH, n° 2014/99, pp. 667 à 688.

124 DIEU Frédéric, “Le Conseil d’Etat, gardien des valeurs essentielles de la société

française”, Constitutions, 2014, n° 2, p. 175

125 DOMINO Xavier, « La France peut exiger des Syriens un visa de transit aéroportuaire »,

AJDA, 2014, p.1714

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

428

Page 430: La Revue des droits de l’homme, 6

126 DOMINO Xavier, « Un motif exceptionnel peut obliger la CNDA à reporter une audience

», AJDA, 2014, p.1615

127 DOMINO Xavier, « Droit d'être entendu et OQTF ; un exemple de dialogues entre les

jurisprudence », AJDA, 2014, p.1501

128 DOMINO Xavier, « Droit au recours et équité du procès devant la justice administrative

aujourd'hui », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel 3/ 2014 (N° 44), p. 35-47

129 DOUVRELEUR Agnès, « La mise en place d'une politique pénale régionale de lutte

contre les violences familiales : l'exemple de la région parisienne », Dalloz, AJ Pénal, mai2014, n° 5, page 212.

130 DUBOUT Edouard, “Principes, droits et devoirs dans la Charte des droits fondamentaux

de l’Union européenne”, RTDEur, n°2, 8/2014, p. 409

131 DUBUISSON François (Dir.), « Société de l’information, médias et liberté d’expression »,

Journal Européen des Droits de l’Homme, n°2014/3, pp. 355 à 387.

132 DUFOUR Anne-Claire, « L'expulsion d'urgence des habitants d'un bidonville installés

sur le domaine public », AJDA, 2014, p.2103

133 DUMOULIN L., « Lutte contre la traite des êtres humains : l'approche financière en

question », RSC, N°2, Août, 2014, pp.311-330

134 FABRE-MAGNAN Muriel, “Le statut du principe de dignité” in Droits, n°58, 2014, pp.

167-196.

135 FORTAS A.-C., « La Cour de cassation et les conventions internationales relatives à la

lutte contre la corruption », RSC, N°1, Juin, 2014, pp.25-48

136 FRAISSE Régis, « L'article 16 de la Déclaration, clef de voûte des droits et libertés », Les

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel 3/ 2014 (N° 44), p. 9-21.

137 FRANCILLON J., « Liberté de communication. Pouvoir de sanction des autorités

administratives indépendantes », RSC, N°1, Juin, 2014, pp.122-124

138 FRANCILLON J., « Liberté d'expression et atteinte à la dignité humaine. Pénalisation de

la négation du génocide des arméniens », RSC, N°1, Juin, 2014, pp.125-137

139 FRANCIS WANDJI K Jérôme, « La Déclaration française des droits de l'homme et du

citoyen du 26 août 1789 et l'État en Afrique », Revue française de droit constitutionnel 3/2014 (n° 99), p. e1-e28

140 FULCHIRON Hugues, « La lutte contre le tourisme procréatif: vers un instrument de

coopération internationale?», JDI, 2014, n°2, pp.563-588.

141 GAY Laurence, « Droit de grève et liberté syndicale dans la jurisprudence

constitutionnelle : des libertés « particulières » ? », Les Nouveaux Cahiers du Conseil

constitutionnel 4/ 2014 (N° 45), p. 35-49.

142 GERVIER Pauline, « La limitation des droits fondamentaux constitutionnels par l'ordre

public », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel 4/ 2014 (N° 45), p. 105-112

143 GERVIER Pauline, « L'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public »,

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158 KELLER Rémi, « Sanctions disciplinaires : les questions de la légalité des infractions et

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159 KIMMEL ALCOVER Anne, “Restauration scolaire et laïcité : quand la religion de l’élève

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La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

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171 LAUVERGNAT Ludovic, “Loi ALUR : l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 dans sa nouvelle

rédaction est-il applicable aux contrats en cours ?”, Gazette du Palais, n° 190 à 191,mercredi 9, jeudi 10 juillet 2014, pp. 5-6

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173 LE BOT Olivier, « Référé-liberté et prise en charge d'un mineur étranger isolé », AJDA,

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174 LEMAIRE Elina, « Baby Loup au Parlement : un autre aspect de l' « affaire », AJDA, 2014,

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175 LHERNOULT Jean Pierre, “Du régme des aides financières et des conditions matérielles

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La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

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205 POISSONNIER Ghislain, CPI, 7 mars 2014, « Cour pénale internationale : condamnation

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210 RAMBAUD Romain, « La loi du 10 janvier 1936 à la croisée des chemins », AJDA, 2014, p.

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211 RAMBIER Marion, “Insémination post-mortem : de la mise à mal à la mise à mort de

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sont des rapports de force », AJDA, 2014, p.1625

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

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218 ROETS D., « Double extension du champ d'application de l'article 7 § 1 : la Cour

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229 SCHMITZ Julia, « Le principe du contradictoire à la lumière du droit de l’Union

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transitoires”, RTDEur, n°3, 11/2014, p. 581

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237 STASIAK F., « Une conception du juge pénal français difficilement conciliable avec elle

de la Cour européenne des droits de l'homme (2/2) (CEDH, 2e sect. , 4 mars 2014, n°18640/10, 18647/10, 18662/10, 18668/10 et 18698/10, Grande Stevens et autres c/ Italie) », RSC, N°1, Juin, 2014, pp.110-121

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239 SUREAU François, « Égypte : une Constitution entre deux mondes ? », Pouvoirs n°149,

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240 SZYMCZAK David, « Le préjudice important… Un critère inquiétant ? - Retour sur les

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241 TAILLEFAIT Antoine, « Militaires : restez groupés ! », AJDA, 2014, p.1969

242 TAVERNIER Julie, « L’application du principe de légalité des peines aux crimes (les plus)

graves : l’orthodoxie retrouvée », RTDH, n° 2014/99, pp. 717 à 736.

243 THARAUD Delphine, « Une convention collective réservant des avantages aux s euls

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La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

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248 VIGANOTTI Elisa, « Les enfants issus de mères porteuses étrangères ne doivent pas être

privés d’état civil français : les arrêts Mennesson et Labassee de la CEDH », Gazette du

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250 BARRANTES MONTERO Luis, “Pensamiento critico y derechos humanos: Componentes

esenciales en la educacion superior del siglo XXI” in Revista Latinoamericana de Derechos

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251 DE BUSSER Els, « European initiatives concerning the use of it in criminal procedure

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252 GAJA Giorgio, « The Protection of General Interests in the International Community»,

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253 GIL RUIZ Juana María, “Introducción de la perspectiva de género en las titulaciones

jurídicas: hacia una formación reglada”, Revista de Educación y Derecho, 2014, n° 10.

254 Gil Ruiz Juana María, “Introducción de la perspectiva de género en las titulaciones

jurídicas: hacia una formación reglada”, Revista de Educación y Derecho, 2014, n° 10

255 HERRERA Juan Carlos, Guerrero Prado Yazmin, Sánchez Rosas Lourdes, “Teoría Queer en

la enseñanza del Derecho”, Revista de Educación y Derecho, 2014, n° 10.

256 ISA Felipe Gomez, « Cultural Diversity, Legal pluralism, and Human Rights from an

Indigenous Perspective: The Approach by the Columbian Constitutionnal Court and theInter-American Court», Human Rights Quarterly, 2014, vol.36, n°4, pp.691-721.

257 KERI Ellis, FERIS Loretta, « The Right to Sanitation: Time to Delink the Right to the

Water», Human Rights Quarterly, 2014, vol.36, n°3, pp.607-629.

258 OCHOA JIMENEZ Maria Julia, “La proteccion de los derechos humanos en Venezuela

frente a la denuncia de la Convencion Americana sobre Derechops Humanos” in Revista

Latinoamericana de Derechos Humanos, n°1, 2014, pp. 195-211.

259 RIOFRIO Juan Carlos “La cuarta ola de derechos humanos: les derechos digitales” in

Revista Latinoamericana de Derechos Humanos, n°1, 2014, pp. 15-45.

260 RUYS Tom, « The Meaning of “force” and the boundaries of the Jus ad Bellum : Are

“Minimal” Uses of Force Excluded from UN Charter Article 2(4)? », AJIL, 2014, vol.108,n°2, pp.159-210.

261 SIMONATO Michele, YP Special Report, « Defence rights and the use of information

technology in criminal procédure », in Jacques Buisson (Dir.), ERES, Revue internationale

de droit pénal, Vol. 85, 2014/1-2, page 261.

262 ZIMMERMANN Andreas, SENER Meltem, « Chemical Weapons and the International

Criminal Court», AJIL, 2014, vol.108, n°3, pp.436-448;

La Revue des droits de l’homme, 6 | 2014

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Page 438: La Revue des droits de l’homme, 6

Actes de colloques

263 Actes du colloque du 6 février 2014, “Grand handicap et actualités du dommage

corporel”, Gazette du Palais, n° 215 à 219, dimanche 3, jeudi 7 août 2014

264 Actes du colloque du 10 juin 2014, “Victime et handicap”, Gazette du Palais, n° 285-287,

dimanche 12, mardi 14 octobre 2014

Rapports institutionnels, institutions, ONG

265 Défenseur des droits: Rapport annuel d’activité 2013, Bibliothèque des rapports publics,

Paris, -La Documentation française.fr

266 Conseil d’Etat, Le numérique et les droits fondamentaux, Paris, La Documentation

Française, Septembre 2014

Conseil de l’Europe

267 Right to Remember - A Handbook for Education with Young People on the Roma

Genocide, Strasbourg, Council of Europe Publishing, 2014

268 Signposts - Policy and practice for teaching about religions and non-religious world

views in intercultural education, Strasbourg, Council of Europe Publishing, 2014, 128 p.

269

Autres

270 ATD-Quartmonde : « Discrimination et pauvreté », publié en octobre 2013: http://

www.atd-quartmonde.fr/livreblanc/

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