LA PROCÉDURE D’EXPROPRIATION...2018/09/12  · sont exclusivement des biens immobiliers, ou des...

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43 TERRITORIAL Zepros 5 | Septembre 2018 JURIDIQUE | PRATIQUE n Qu’estce que l’expropriation? L’expropriation est une préro- gative de l’État lui permettant de contraindre une personne publique ou privée de lui céder la propriété d’un bien. Cette cession forcée est une exception à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) qui garantit le respect de la propriété privée; c’est pourquoi la procédure d’ex- propriation doit toujours avoir pour objectif un but d’utilité publique et ne peut aboutir que sous la condition d’une juste et préalable indemnité. n Qui peut exproprier? L’État est seul titulaire du droit d’exproprier. Cependant, la procé- dure d’expropriation peut être diligentée par lui, à l’initiative d’une autre personne publique, ou d’une personne de droit privé, comme un concessionnaire, un gérant de service public, ou une société d’économie mixte. n Quels sont les biens qui peuvent être expropriés? Les biens pouvant être expropriés sont exclusivement des biens immobiliers, ou des droits réels immobiliers tels que l’usufruit, le droit d’usage et d’habitation. A contrario, les biens meubles ne peuvent pas être expropriés. n À quoi sert la procédure d’expropriation? Aux termes de l’article 17 de la DDHC de 1789, une expropriation ne peut être prononcée que si la nécessité publique l’exige. La pro- cédure d’expropriation doit donc poursuivre un but d’utilité publique. À la fin du XIX e siècle, seules les expropriations permettant la constitution d’un domaine public ou la construction d’ouvrages publics étaient considérées d’uti- lité publique. La notion d’utilité publique a considérablement évo- lué et tend à couvrir désormais toute opération poursuivant un intérêt général. Selon une juris- prudence bien établie (Conseil d’État, 28 mai 1971, Ville Nouvelle- Est), le juge administratif contrôle l’existence d’un but d’utilité pu- blique en effectuant un bilan coûts-avantages de l’opération: « Une opération d’expropriation ne peut être déclarée légalement d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût finan- cier et éventuellement les incon- vénients d’ordre social ou l’atteinte à d’autres intérêts publics qu’elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente. » n Comment se déroule la phase administrative de la procédure d’expropriation? La phase administrative débute par une enquête préalable qui prend la forme d’une consultation auprès du public à l’aide d’un dos- sier d’enquête publique ayant pour objet de présenter le projet (caractéristiques, plans, estima- tion des dépenses). Une fois l’en- quête préalable terminée, l’utilité publique de l’expropriation sera constatée par le préfet qui prendra la déclaration d’utilité publique (DUP). Après la DUP interviendra l’enquête parcellaire, qui permet de déterminer avec précision les parcelles à exproprier et les pro- priétaires à indemniser. Enfin, la phase administrative est close par l’arrêté de cessibilité. Cet arrêté permet au préfet de désigner les parcelles cessibles et l’identité des propriétaires. Il a une validité de six mois. n Comment se déroule la phase judiciaire de la procédure d’expropriation? La phase judiciaire comprend le transfert de propriété et la fixa- tion et l’indemnité d’expropriation. Après l’arrêté de cessibilité, le préfet transmet le dossier au juge de l’expropriation qui rend une ordonnance d’expropriation, qui constitue le titre de propriété de l’expropriant. À cet effet, il contrôle la régularité de l’enquête parcel- laire, et non l’opportunité de l’opé- ration. L’indemnité sera fixée après une visite des parcelles expropriées. Au cours de cette visite, le juge sera assisté par un fonctionnaire du service des Domaines, appelé Commissaire du gouvernement. Enfin, la prise de possession des biens expropriés interviendra après l’écoulement d’un délai d’un mois et après versement des indemnités d’expropriation. n Comment l’indemnité d’expropriation estelle fixée? Aux termes de l’article 545 du Code civil, la prise de possession d’un bien exproprié ne peut inter- venir sans le versement d’une « juste et préalable indemnité ». Plus précisément, le Code de l’expropriation énonce la règle de la réparation intégrale: « Les indem- nités allouées doivent couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l’expropriation. » L’indemnité d’expropriation comprend une indemnité principale, à laquelle peuvent s’ajouter des indemnités accessoires. L’indemnité principale compense le préjudice subi par le propriétaire du fait de la perte de son bien. Pour évaluer la valeur vénale du bien, le juge procède bien souvent à une évaluation par comparaison, afin d’être au plus proche de la réalité du marché immobilier. Des indemnités acces- soires peuvent également être versées à l’exproprié. Ces indem- nités permettent de couvrir les frais exposés par l’exproprié pour acquérir un nouveau bien équiva- lent, pour déménager, ou pour couvrir une diminution de la valeur de son bien du fait du morcelle- ment d’une propriété. n Quels sont les moyens de contestation d’une procédure d’expropriation? Parce qu’elle se compose de deux phases distinctes, la procédure d’expropriation peut être contes- tée devant les deux ordres de juridictions selon les actes atta- qués: le juge administratif pour la phase administrative et le juge judiciaire pour la phase judiciaire. Ainsi, le juge administratif sera compétent pour connaître de la régularité de la DUP, de l’arrêté de cessibilité, ainsi que de l’enquête préalable à la DUP et de l’enquête parcellaire. Les tribunaux judi- ciaires seront compétents pour connaître des actes tenant au transfert de propriété, à la fixation des indemnités et à la prise de possession. En revanche, l’ordon- nance d’expropriation ne peut être attaquée que par la voie du pourvoi en Cassation, qui devra être formé dans un délai de quinze jours à compter de la noti- fication de cette dernière. Seule- ment, le contrôle de la Cour de Cassation est limité à la forme, elle ne contrôlera donc pas le fond. En revanche, la juridiction admi- nistrative, en contrôlant le but d’utilité publique poursuivi par l’expropriant, pourra interdire l’opé- ration si elle en dresse un bilan négatif. Il résulte de cela qu’un pro- priétaire qui souhaiterait contester un projet peut attaquer non seu- lement la déclaration d’utilité publique et l’arrêté de cessibilité, mais également l’ordonnance d’expropriation. Enfin, concernant la compétence territoriale, la juri- diction compétente est celle de la circonscription dans laquelle se trouve le bien exproprié. n Estil possible de récupérer un bien exproprié? Une personne ayant été dépos- sédée de son bien par une procé- dure d’expropriation peut le récu- pérer sous certaines conditions. La procédure d’expropriation pour- suivant un but d’utilité publique, l’administration ne peut garder un bien exproprié dans son patri- moine si elle n’affecte pas le bien à cette utilité publique. L’exproprié dispose donc d’un droit de rétro- cession afin de redevenir proprié- taire de son bien. Ainsi, si le bien exproprié n’a pas reçu dans un délai de cinq ans la destination prévue par la DUP, ou a cessé de la recevoir, l’ancien propriétaire ou ses ayants droit à titre universel pour- ront en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expro- priation. Toutefois, la jurisprudence considère que le bien a reçu l’affec- tation prévue par la DUP si des tra- vaux d’aménagement sont sérieu- sement entrepris avant l’expiration du délai de cinq ans. Par ailleurs, l’exproprié dispose d’un droit de priorité pour acquérir à nouveau le bien exproprié. L’expropriant qui déciderait de se séparer d’un bien qu’il a acquis par procédure d’expropriation, devra préalable- ment en informer l’exproprié ou ses ayants droit afin de leur laisser la possibilité d’exercer leur droit de rétrocession, ou le cas échéant, de renoncer à ce droit. LA PROCÉDURE D’EXPROPRIATION Par Céline Lherminier, avocate au cabinet Seban & Associés, et Claire Douvreleur, élève-avocate. Un outil au service des Jeux Olympiques de 2024 La préparation des Jeux Olympiques de 2024 nécessite la construction d’importantes structures et d’équipements sportifs en région parisienne. C’est pourquoi la loi du 26 mars 2018 autorise le recours à une procédure d’expro- priation dite « d’extrême urgence » qui permet aux auto- rités expropriantes de prendre possession des biens expro- priés dès lors que la déclaration d’utilité publique a été prise, et moyennant le paiement d’une indemnité prévi- sionnelle.

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43TERRITORIAL

Zepros 5 | Septembre 2018 JURIDIQUE | PRATIQUE

n Qu’est-ce que l’expropriation?

L’expropriation est une préro-gative de l’État lui permettant decontraindre une personne publiqueou privée de lui céder la propriétéd’un bien. Cette cession forcée est une exception à l’article 17 de laDéclaration des droits de l’hommeet du citoyen (DDHC) qui garantitle respect de la propriété privée;c’est pourquoi la procédure d’ex-propriation doit toujours avoir pourobjectif un but d’utilité publique et ne peut aboutir que sous lacondition d’une juste et préalableindemnité.

n Qui peut exproprier?L’État est seul titulaire du droit d’exproprier. Cependant, la procé-dure d’expropriation peut être diligentée par lui, à l’initiative d’uneautre personne publique, ou d’unepersonne de droit privé, comme un concessionnaire, un gérant deservice public, ou une société d’économie mixte.

n Quels sont les biens qui peuvent être expropriés?

Les biens pouvant être expropriéssont exclusivement des biens immobiliers, ou des droits réels immobiliers tels que l’usufruit, le droit d’usage et d’habitation. A contrario, les biens meubles nepeuvent pas être expropriés.

n À quoi sert la procédured’expropriation?

Aux termes de l’article 17 de laDDHC de 1789, une expropriationne peut être prononcée que si lanécessité publique l’exige. La pro-cédure d’expropriation doit doncpoursuivre un but d’utilité publique.À la fin du XIXe siècle, seules les expropriations permettant laconstitution d’un domaine publicou la construction d’ouvrages publics étaient considérées d’uti-lité publique. La notion d’utilité publique a considérablement évo-lué et tend à couvrir désormais

toute opération poursuivant un intérêt général. Selon une juris-prudence bien établie (Conseild’État, 28mai 1971, Ville Nouvelle-Est), le juge administratif contrôlel’existence d’un but d’utilité pu-blique en effectuant un bilan coûts-avantages de l’opération:« Une opération d’expropriation ne peut être déclarée légalementd’utilité publique que si les atteintesà la propriété privée, le coût finan-cier et éventuellement les incon-vénients d’ordre social ou l’atteinteà d’autres intérêts publics qu’ellecomporte ne sont pas excessifs euégard à l’intérêt qu’elle présente. »

n Comment se déroule la phase administrativede la procédure d’expropriation?

La phase administrative débute par une enquête préalable quiprend la forme d’une consultationauprès du public à l’aide d’un dos-sier d’enquête publique ayant pour objet de présenter le projet(caractéristiques, plans, estima-tion des dépenses). Une fois l’en-quête préalable terminée, l’utilitépublique de l’expropriation seraconstatée par le préfet qui prendrala déclaration d’utilité publique(DUP). Après la DUP interviendral’enquête parcellaire, qui permet de déterminer avec précision lesparcelles à exproprier et les pro-priétaires à indemniser. Enfin, la phase administrative est closepar l’arrêté de cessibilité. Cet arrêtépermet au préfet de désigner lesparcelles cessibles et l’identité des propriétaires. Il a une validitéde six mois.

n Comment se déroule la phase judiciaire de la procédure d’expropriation?

La phase judiciaire comprend le transfert de propriété et la fixa-tion et l’indemnité d’expropriation.Après l’arrêté de cessibilité, le préfet transmet le dossier au jugede l’expropriation qui rend une

ordonnance d’expropriation, quiconstitue le titre de propriété del’expropriant. À cet effet, il contrôlela régularité de l’enquête parcel-laire, et non l’opportunité de l’opé-ration. L’indemnité sera fixée aprèsune visite des parcelles expropriées.Au cours de cette visite, le juge sera assisté par un fonctionnairedu service des Domaines, appeléCommissaire du gouvernement.Enfin, la prise de possession desbiens expropriés interviendra après l’écoulement d’un délai d’un mois et après versement des indemnités d’expropriation.

n Comment l’indemnitéd’expropriation est-ellefixée?

Aux termes de l’article 545 du Code civil, la prise de possessiond’un bien exproprié ne peut inter-venir sans le versement d’une« juste et préalable indemnité ».Plus précisément, le Code de l’expropriation énonce la règle de laréparation intégrale: «Les indem-nités allouées doivent couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l’expropriation. » L’indemnité d’expropriation comprend une indemnité principale, à laquellepeuvent s’ajouter des indemnitésaccessoires. L’indemnité principalecompense le préjudice subi par le propriétaire du fait de la perte de son bien. Pour évaluer la valeurvénale du bien, le juge procède bien souvent à une évaluation parcomparaison, afin d’être au plusproche de la réalité du marché immobilier. Des indemnités acces-soires peuvent également être versées à l’exproprié. Ces indem-nités permettent de couvrir les frais exposés par l’exproprié pouracquérir un nouveau bien équiva-lent, pour déménager, ou pour couvrir une diminution de la valeurde son bien du fait du morcelle-ment d’une propriété.

n Quels sont les moyensde contestation

d’une procédure d’expropriation?

Parce qu’elle se compose de deuxphases distinctes, la procédured’expropriation peut être contes-tée devant les deux ordres de juridictions selon les actes atta-qués: le juge administratif pour la phase administrative et le jugejudiciaire pour la phase judiciaire.Ainsi, le juge administratif seracompétent pour connaître de la régularité de la DUP, de l’arrêté de cessibilité, ainsi que de l’enquêtepréalable à la DUP et de l’enquêteparcellaire. Les tribunaux judi-ciaires seront compétents pourconnaître des actes tenant autransfert de propriété, à la fixationdes indemnités et à la prise de possession. En revanche, l’ordon-nance d’expropriation ne peut être attaquée que par la voie dupourvoi en Cassation, qui devra être formé dans un délai de quinze jours à compter de la noti-fication de cette dernière. Seule-ment, le contrôle de la Cour de Cassation est limité à la forme, elle ne contrôlera donc pas le fond.En revanche, la juridiction admi-nistrative, en contrôlant le but d’utilité publique poursuivi par l’expropriant, pourra interdire l’opé-ration si elle en dresse un bilan négatif. Il résulte de cela qu’un pro-priétaire qui souhaiterait contesterun projet peut attaquer non seu-lement la déclaration d’utilité publique et l’arrêté de cessibilité,mais également l’ordonnance d’expropriation. Enfin, concernantla compétence territoriale, la juri-diction compétente est celle de

la circonscription dans laquelle se trouve le bien exproprié.

n Est-il possible derécupérer un bien exproprié?

Une personne ayant été dépos-sédée de son bien par une procé-dure d’expropriation peut le récu-pérer sous certaines conditions. La procédure d’expropriation pour-suivant un but d’utilité publique,l’administration ne peut garder un bien exproprié dans son patri-moine si elle n’affecte pas le bien àcette utilité publique. L’expropriédispose donc d’un droit de rétro-cession afin de redevenir proprié-taire de son bien. Ainsi, si le bienexproprié n’a pas reçu dans un délai de cinq ans la destination prévue par la DUP, ou a cessé de larecevoir, l’ancien propriétaire ou sesayants droit à titre universel pour-ront en demander la rétrocessionpendant un délai de trente ans àcompter de l’ordonnance d’expro-priation. Toutefois, la jurisprudenceconsidère que le bien a reçu l’affec-tationprévue par la DUP si des tra-vaux d’aménagement sont sérieu-sement entrepris avant l’expirationdu délai de cinq ans. Par ailleurs,l’exproprié dispose d’un droit depriorité pour acquérir à nouveau le bien exproprié. L’expropriant qui déciderait de se séparer d’unbien qu’il a acquis par procédured’expropriation, devra préalable-ment en informer l’exproprié ou ses ayants droit afin de leur laisserla possibilité d’exercer leur droit de rétrocession, ou le cas échéant,de renoncer à ce droit. �

LA PROCÉDURE D’EXPROPRIATION Par Céline Lherminier, avocate au cabinet Seban & Associés, et Claire Douvreleur, élève-avocate.

Un outil au service des Jeux Olympiques de 2024La préparation des Jeux Olympiques de 2024 nécessite laconstruction d’importantes structures et d’équipementssportifs en région parisienne. C’est pourquoi la loi du26 mars 2018 autorise le recours à une procédure d’expro-priation dite « d’extrême urgence » qui permet aux auto-rités expropriantes de prendre possession des biens expro-priés dès lors que la déclaration d’utilité publique a été prise, et moyennant le paiement d’une indemnité prévi-sionnelle.