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  • 7/31/2019 La Guerre Sociale en Tunisie

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    Quentin Chambon

    DE BELLO PUNICO(La guerre sociale en Tunisie)

    ditions Antisociales

    Juin 2011

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    Le 14 janvier 2011 le peuple de Tunisie remportait une premire etinoubliable victoire dans le grand conit de notre temps, celui qui opposedsormais lchelle mondiale une toute petite minorit de gangsters, de

    charlatans, daameurs et de bourreaux limmense majorit de ceux qui sevoient chaque jour un peu plus dpouills, tromps, humilis, abandonns ;bre, la premire victoire de la grande Rvolution mondiale qui doit balayerle systme doppression capitaliste, pour rendre lhumanit sa libert etsa dignit. Ltincelle tunisienne mettait immdiatement le eu aux poudresdans tout le monde arabe , du Maroc lIrak en passant bien sr parlgypte, Bahren, la Libye, le Ymen, la Syrie, et au-del, au Burkina Faso,en Ouganda, en Espagne, au Sngal, et bientt partout ailleurs.

    Limportance historique universelle de la rvolution tunisienne peut aussi

    se mesurer laune de sa principale consquence dans le ciel du mensongemoderne : la spectaculaire mise mort dOussama Ben Laden, qui met fn cet pouvantable flm dinspiration hollywoodienne, projet sur lcranglobal partir du 11 septembre 2001, durant presque dix annes de bruit etde ureur, dappels la haine, dobscurantisme triomphant, de croisades etde pillages.1 Cest logiquement un peuple arabe et musulman quilrevenait de rendre ses droits la ralit, et de rtablir cette vrit que lesbarbares anatiques et assassins de notre poque ne sont pas ceux que lonnous dsignait, mais au contraire ceux qui nous les dsignaient. Mais il allaitaussi que ce soit le moins religieux des peuples arabes, le plus progressistede tous, tri ce titre par les autres comme tant un peuple de putes ,de pds , de michetons dIsral et des tats-Unis , pour ridiculisertout aussi bien le mpris contre lOccident et ses valeurs propag parlislamisme plus ou moins radical. La ausse opposition dmocratieoccidentale ou djihad terroriste qui gouvernait la socit mondiale depuisles attentats du 11 septembre sest ainsi soudain croulepar ses deux cts,simultanment. Rien ne pourra jamais la rtablir.

    1. LUltime Razzia, le 11 septembre 2001 dans lhistoire, Paris, ditions Antisociales, 2004.

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    Dans la prsente brochure, jai tent de montrer quelles ont t les prin-cipales causes de la rvolution tunisienne, par quels moyens elle sest rayson chemin dans la nuit glace de la dictature, travers une rocaille peuplede toutes sortes de scorpions et de serpents, enfn quelles rudes tapes il luireste parcourir, avant de connatre vraiment cette libert si jeune, si belleet si ragile. Ma principale motivation est, bien entendu, dordre politique(je suis pour une socit libertaire), mais jai aussi quelque raison plus per-sonnelle daimer la Tunisie et ses habitants, et jai donc cherch soutenircomme je pouvais, depuis Paris, leur cause et leur lutte.2 Voil qui sufra, jelespre, pour que le lecteur (notamment tunisien) me pardonne mes ap-proximations et mes lacunes, invitables du ait que jai d travailler danslurgence, que je nentends pas le tunisien et que je ne lis mme pas larabe.

    Mais assez parl de moi ; et commenons sans plus tarder le rcit de lapremire des mille et une nuits de la Rvolution.

    2.

    Hormis ma participation lun ou lautre rassemblement symbolique en dcembre-janvier, jai ait tout mon possible pour inormer le public qui me semblait le plussusceptible dagir, par le canal du blog Le Jura Libertaire , dabord sur la vraie naturedu rgime benaliste, en orant ces camarades de republier, dbut janvier, le fchier pd(expurg par mes soins de la prace dun politicien et de lintroduction dun universitaire)de lintelligent et courageux ouvrage de Monce Marzouki, Dictateurs en sursis, une voiedmocratique pour le monde arabe (Ivry-sur-Seine, d. de lAtelier, 2009 ; mis en lignepar lauteur au moment de sa parution, il avait presque sur-le-champ disparu du rseau),puis sur le droul des vnements pendant les jours les plus dcisis, en relayant les plusimportantes nouvelles qui circulaient sur les rseaux sociaux : Le Jura Libertaire estainsi le premier mdia ranais avoir rvl, le 9 janvier, lexistence du massacre huis

    clos qui venait dtre perptr dans la rgion de Kasserine.

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    UBU TYRAN DE CARTHAGE

    Lorsque lavocat Bourguiba, licenci en droit de la acult de Paris,simpose la tte de la Tunisie dcolonise en 1956, aprs avoir crasdans le sang avec laide de larme ranaise la gurilla des partisans deBen Yousse, il entreprend sur-le-champ de tout galiser au-dessous de luiet ddifer un tat de droit moderne, centralis et unifcateur. Ainsi,dans un discours prononc cette anne-l Sidi Bouzid, il dclare proposdes Bdouins qu il ny a plus de Beni X ou de Beni Y, il ny aura que des

    Tunisiens 3

    ; il dcrte aussi que le nomadisme intgral qui se caractrisepar le transport de toute la amille et du patrimoine sur un chameau ne seraplus tolr 4 ; quant aux troglodytes rugis dans leur termitire , ilssont pris de descendre dans les plaines, et les tribus de se regrouper en vil-lages, aute de quoi ils nauront droit ni leau, ni llectricit, et se verrontconfsquer leurs terres.5

    Cette priode de transition, traverse par de durs conits dans la socit,se prolonge jusquau moment o Bourguiba ait assassiner son rival histo-rique, puis interdit tous les partis politiques, lexception du sien, le No-

    Destour, achevant ainsi dtablir solidement son autocratie. Il est dsormaismatre du pays et se charge, presque lui seul, de la diplomatie, du gouver-nement et des fnances. Les billets dun dinar sont rimprims son efgieet des statues leves sa gloire.

    3. Discours du 12 novembre 1956, cit par Jean-Philippe Bras, Lautre Tunisie deBourguiba : les ombres du Sud , in Michel Camau et Vincent Geisser (dir.), HabibBourguiba, la trace et lhritage, Paris, Karthala, 2004, p. 304.4. Discours El Hamma, 24 novembre 1958, ibid., p. 303.

    5. Discours Sax, 1er

    dcembre 1958 et Souassi, 19 mai 1960, ibid.

    Mre UbU. Tu es trop roce, Pre Ubu.Pre UbU. Eh ! je menrichis.

    Alred Jarry, Ubu Roi, acte III, scne 2

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    Une rorme agraire est bientt mise en uvre pour radiquer ce quisubsiste dindpendance dans les campagnes : aprs les terres coloniales,ce sont celles des paysans pauvres qui sont progressivement collectivisespar la bureaucratie, devenue socialiste-destourienne , et intgres dansdes units coopratives de production , sortes de kolkhozes exploitanten surnombre des paysans pauvres, inexorablement rduits la misre. Unsociologue tunisien rapporte ainsi au retour dune enqute de terrain dansles coopratives du gouvernorat de Bja : Autreois, disent les gens, le blque nous rcoltions, nous le mangions ; aujourdhui, nous le voyons partirsur les camions, ce sont les gens de Tunis qui le mangent, nous, nous navonspas dargent pour en acheter , ajoutant plus loin : En somme, pour tous,la cooprative se rsume ceci : ltat a pris la terre, il sagit dune miseau salariat au service de ltat. Le ressentiment se traduit par des actes de

    sabotage, ou de rcupration, que les directeurs se doivent naturellementde punir. 6

    la fn des annes 1960, de violentes jacqueries couronnent plusieursannes de rsistance paysanne, notamment Ouardanine, dans le Sahel 7. Ladsastreuse politique de collectivisation est brusquement abandonne et laplupart des paysans rcuprent leurs terres. Mais, comme le note le chro-niqueur : le paysan nest plus en tat de aire valoir sa terre directement,comme il le aisait avant, en raison des conditions radicalement direntesquil rencontre aujourdhui. Alors le seul recours a t de cder la parcelle

    en mtayage aux grands possdants avoisinants qui la convoitaient, parceque le systme cooprati a dtruit lancien quilibre de lconomie desubsistance. Lendettement menace le petit propritaire et risque de luiarracher sa terre brve chance et, cette ois, dfnitivement. 8

    Lexode rural augmente donc en che et le ot des migrants dans les gourbivilles de Tunis et de Sax alimente comme en Italie la mmepoque le rveil progressi de la contestation ouvrire. Au dbut des an-nes 1970, des grves, qui chappent entirement la direction du syndicat,sont dclenches par la base dans les ports, les mines de phosphate et les ter-

    6. Khalil Zamiti, Les obstacles matriels et idologiques lvolution sociale des cam-pagnes tunisiennes : lexprience de mise en cooprative dans le gouvernorat de Bja ,Revue tunisienne de sciences sociales, n 21, mai 1970, cit par Andr Adam, Chroniquesociale et culturelle Tunisie ,Annuaire de lArique du Nord, Paris, d. du CNRS, 1970,p. 494 et 495.7. Sahel : rgion de lest de la Tunisie, stendant le long de la cte depuis le gole dHam-mamet, au nord, jusqu Chebba, au sud, comprenant les villes de Monastir et de Sousse(do sont originaires Bourguiba et Ben Ali).8. Khalil Zamiti, op. cit., p. 495. Le mme prcise que ce nest qu partir de 5 hectares que

    le petit paysan peut lutter avec quelque espoir .

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    ait, elle se prsente aussi bien comme le dernier archasmede la Tunisie indpendante , qui ne peut manquer dtre atalement emport par ledveloppement des luttes de classes modernes. Le syndicat parvient ainsi chevaucher et endiguer le mouvement de grves, soutenant celles quilcontrle, afn de servir les ambitions de ses dirigeants, et dsavouant cellesqui lui chappent, mais se voit bientt dbord, la fn de 1977, par lesdbrayages sauvages, notamment des sidrurgistes des aciries El Fouledh,ainsi que par les occupations de travailleurs, comme lusine textile deKsar Hellal quil aut aire vacuer par larme. En reprsailles, les milicesdu PSD attaquent des locaux de lUGTT afn de la rappeler son devoir :aire onctionner lconomie en aisant travailler les ouvriers. Se heurtantainsi la double pression de la base insoumise et du Parti-tat, la directionsyndicale joue son va-tout et appelle la grve gnrale pour le 26 janvier

    1978, tout en exhortant les travailleurs ne pas sortir de chez eux et nepas ormer dattroupements.

    Mais ce jour-l, la jeunesse des aubourgs de Tunis sort dans les rues dela mdina. Le colonel Ben Ali qui, pour la circonstance, commande la policeet larme, ait ouvrir le eu. Lmeute stend toute la capitale et desincidents sont signals dans les principales villes tunisiennes. Ce 26 janvier, pour la premire depuis vingt ans, le rgime du prsident Bourguiba estmis srieusement en cause, et, pour la premire ois, un climat de guerre etde terreur rgne dans les rues de Tunis .13 Lautorit militaire dcrte le

    couvre-eu et ltat dalerte. On annonce quarante morts de source ofcielle,plus de cent morts de source syndicale, et un grand nombre de blesss. Leche de lUGTT, Habib Achour, et avec lui plusieurs centaines de cadresdu syndicat sont arrts et emprisonns. La direction de lUGTT, pure,est progressivement reprise en main jusqu ntre plus, vers le milieudes annes 1980, quune simple courroie de transmission syndicale de ladictature. Enfn, afn de mater les rractaires et les agitateurs, on institue,deux mois peine aprs la rvolte, un service du travail obligatoire pour leschmeurs de dix-huit trente ans.14

    13. Slim Bagga, Crise du 26 janvier 1978 : les acteurs et les aits 20 ans aprs , dansL Audace (Paris), n 36, janvier 1998, p. 12.14. En vertu dune loi du 8 mars 1978, les personnes ges entre 18 et 30 ans, qui ne peu-vent justifer dun emploi ni dune inscription dans un tablissement denseignement ou uncentre de ormation proessionnelle, sont susceptibles dtre aects des chantiers de ser-vice civil pour une priode dun an renouvelable, sur dcision dune commission rgionale

    prside par un magistrat. (Issa Ben Dhia, Tunisie : chronique politique ,op. cit., p. 419.)

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    Cependant, ni les mesures de rducation orce, ni la libralisation politique de aade de 1981-1983, ne permettent de combler le gouredes dfcits qui ne cesse de se creuser : en 1983, prs des neu diximesdes sommes empruntes par la Tunisie servent rembourser sa dette ex-trieure15. (Ctait l un mal sculaire, puisque la sanglante colonisationranaise, dj, avait t lgitime par les ruineux emprunts contracts parle bey Sadok auprs daventuriers capitalistes : commerants ranais, ita-liens, maltais et gros banquiers parisiens.16) En ce milieu des annes 1980, lesbanquiers occidentaux, comiquement contraints de prter la Tunisie de quoirembourser les sommes quils lui ont dj prtes, en viennent rclamer desgaranties et exigent donc notamment le gel des salaires et la rduction dessubventions alloues pour le pain, la arine et les ptes.

    Avant mme lentre en vigueur de laugmentation (de 70 % !) du prixdu pain, la population se soulve la fn de dcembre 1983 aux portes duSahara, Douz, et sur les ancs des montagnes, Sbeitla. La rvolte stenddans le Sud (entres autres Kasserine, o larme ouvre le eu) et gagnedbut janvier 1984 les principales villes du pays (Tunis, Kairouan, Sousse,Sax). Dans son propre fe, Ksar Hellal, le cortge de Bourguiba essuiedes jets de pierres. Les mres de amille sur qui reposent, comme cha-cun sait, lalimentation de la maisonne descendent elles aussi dans la ruetenue par de jeunes, voire trs jeunes meutiers. La rvolte spontane etincontrlable des mangeurs de pain peut tre regarde comme la pre-

    mire dclaration dindpendance du mouvement social tunisien. En eet : Lune des principales caractristiques des meutes dejanvier 1984 est que tous les acteurs politiques de lop-position, dmocrates, militants de gauche, islamistes et,surtout, lUGTT, se sont trouvs projets en dehors dela scne relle des arontements. La centrale syndicaleavait mme accept le principe de la hausse des prixmoyennant des indemnits pour les couches les plus da-vorises. Dsaronne par le derlement brutal et mas-

    si sur la scne sociale des catgories de la population lesmoins intgres (les jeunes des rgions les plus dshri-tes et des quartiers priphriques des grandes villes),lUGTT lance des appels au calme. 17

    15. Bernard Ravenel, Tunisie, le maillon aible ? , Politique trangre, n 4, 1987, p. 937.16. Lire ce sujet Charles-Andr Julien, L Aaire tunisienne, 1878-1881, Tunis, Dar elAmal, 1981.

    17. Sadri Khiari, op. cit., p. 22.

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    Le 6 janvier 1984, Bourguiba apparat la tlvisionet baragouine quelques mots. Cest peine audible, maistout le monde comprend : le prix du pain ne sera pasaugment.

    Mais la victoire que remportent les meutiers du pain estune victoire la Pyrrhus. Le prix du pain est rtabli maisil augmentera progressivement, de manire masque, par-ois sous la orme dune baisse de poids. 18

    Ds lors, la crise ne peut que sapproondir, et ltat sombrer de plusen plus dans les rglements de compte, lincomptence et la corruptionhonte, dont tmoigne par exemple l aaire des ponts 19. Le ministrede lintrieur Driss Guiga est limog, puis condamn par contumace dixans de travaux orcs ; Bourguiba relve son propre fls de son poste de

    ministre-conseiller, divorce davec Wassila Ben Ammar et se retrouve ds-esprment isol ; le Premier ministre Mzali est accus de malversations etdoit uir le pays. Cest dans ce contexte que Ben Ali, exil comme ambassa-deur en Pologne, o il avait assist la mise au pas du pays par Jaruzelski,le bourreau de la grande rvolte ouvrire de 1980-1981, est rappel Tuniset nomm la tte de la Sret nationale.

    Lambiance de fn de rgne au sommet de ltat, dchir entre clansrivaux luttant pour la succession, avorise alors assez naturellement lirr-sistible ascension de celui qui tait, parmi les bureaucrates de Bourguiba,

    le plus bte et le plus roce de tous. Le boucher de janvier 1978 ractive sonrseau dindics et dhommes de main, de telle sorte que, devenu ministre delintrieur en avril 1986, il peut aire assassiner peine un mois plus tard,dans un accident de la circulation , lun de ses rivaux, le beau-rre duPremier ministre20. Cest aussi trs probablement lui et sa clique qui com-manditent en aot 1987 les attentats la bombe de Sousse et Monastir,

    18.Ibid., p. 21.19. Des fssures de quelques millimtres sont constates, du ait de linsufsance du

    erraillage, sur deux ponts difs sur le nouveau tronon dautoroute Turki-Hammamet.Ltat ait dtruire les ponts et jette en prison Monce Thraya, PDG dun cabinetdtudes, la SOTUETEC, dont les plans tablis pour lappel dores taient errons. Lefls et la emme de Bourguiba multiplient les interventions auprs de celui-ci, en aveurde Thraya, ainsi que du PDG de Tunis-Air, Mohamed Belhadj, lui aussi arrt la suitedune aaire de ret impay, au bnfce de lune de ses entreprises. Bourguiba era tat,lors dune runion du Comit central du Parti en dcembre 1985, dinterventions quinont pas manqu de surprendre, venant de personnes dont nous ne croyions pas quellesse satiseraient de laisser les prvaricateurs continuer piller les caisses de ltat . (Jean-Philippe Bras, Chronique tunisienne ,Annuaire de lArique du Nord, 1987, p. 699-700)20. Nicolas Beau et Catherine Graciet, La Rgente de Carthage, main basse sur la Tunisie,

    Paris, La Dcouverte, 2009, p. 40-41.

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    revendiqus par le Djihad islamique , groupuscule de anatiques infltret manipul par la police secrte, dans le but de terroriser la population etdapparatre ainsi comme ses incontournables sauveurs.21 Ce nest dailleurs,aprs tout, que laboutissement logique de la politique de la bureaucratiedestourienne contre les islamistes, quelle stait, ds lorigine, employe contrler et instrumentaliser.22 En octobre 1987, la aveur de ce climatdpouvante, attis par des rumeurs de putsch islamiste, Ben Ali devient laois Premier ministre, ministre de lintrieur et secrtaire gnral du Parti.Le vieux Bourguiba saperoit soudain quon lui marche sur les pieds, alorsil regimbe, veut le renvoyer, mais cest trop tard. Dans la nuit du 6 au 7 no-vembre 1987, Ben Ali et ses complices semparent de la prsidence. Le bour-guibisme, mort en janvier 1978, est enfn enterr (il commenait sentir).

    Ben Ali commence videmment par distribuer des poignes de poudreaux yeux : il dcrte une large amnistie fscale en guise de cadeau aupatronat, supprime sur le papier la prsidence vie, abolit la Cour de sretde ltat et la onction de procureur gnral de la Rpublique, limite ladure de la garde vue, lgalise de nouveaux partis politiques et ratife laConvention internationale contre la torture. Il va sans dire que, pendant ce

    temps, on continue de torturer mort dans les caves du ministre de lint-rieur (cas de Mohamed Mansouri, en dcembre 1987).Cette arce tragique se termine avec les lections davril 1989 qui

    ournissent Ben Ali le moyen de fcher massivement les sympathisants delopposition et de se aire lire triomphalement 99,20 % des voix. Lheureest venue pour lui de se dbarrasser de tous ses ennemis et contradicteurs.

    21. Un ancien dirigeant du MDS, principal parti de lopposition dmocratique, nous diraque les explosions taient luvre des services. (Ola Lamloum, La Politique trangre

    de la France ace la monte de lislamisme : Algrie, Tunisie, 1987-1995, thse de doctoratde luniversit de Paris-VIII, dcembre 2001, vol. I, p. 197, note 611)22. Vous avez donc aid les islamistes ou, du moins, les uturs islamistes ? Oui. Ladcision a t prise au niveau du Bureau politique du PSD. Nous estimions que nouspouvions les utiliser. Nous avions, par exemple, cr lAssociation pour la sauvegardedu Coran. () Quand je suis revenu au gouvernement, en 1980, lon commenait enparler srieusement. Certains dentre nous ont dailleurs jou sur ce phnomne. LePremier ministre se prononait clairement pour larabisation. Nous avons peut-tre unpeu particip lclosion du phnomne. Certaines personnalits du rgime pratiquaientun jeu trs subtil en la matire. (entretien de Michel Camau et Vincent Geisser avec lex-ministre de lintrieur Tahar Belkhodja, Habib Bourguiba, la trace et lhritage, op. cit.,

    p. 573-574)

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    Dans un tract paru dbut 1997, l Alliance zapatiste de libration sociale souligne que :

    la rpression roce mene par ce rgime ubenaliesquea t conduite en plusieurs temps. Le premier temps aconsist radiquer la partie la plus massive et vivantede lopposition populaire au nom de la lutte contre lisla-misme, avec la bndiction des chancelleries occidentalesamies. 23

    cette fn : Le prtexte du dclenchement de la campagne contrele terrorisme islamiste,en pleine guerre du Gole, a tlincendie criminel dun local du RCD (parti au pouvoir) Tunis, le 17 vrier 1991, qui ft deux victimes, dans des

    circonstances demeures troubles depuis lors.[* Des sources srieuses avalisent la thse dune manipu-lation orchestre par les services spciaux.] 24

    Cette anne 1991 voit ainsi la Tunisie servir de laboratoire pour le terrorisme islamiste manipul, avant mme que la mafa des gnrauxalgriens ne asse construire secrtement, quelques mois plus tard, dansles montagnes de Kabylie, les casemates devant servir dabris aux uturs Groupes islamiques arms orms dans les chambres de torture et lescamps de concentration de la Scurit militaire 25 :

    Le 21 mai, le ministre de lintrieur, Abdallah Kallel,donne une conrence de presse rvlant le dtail duneconspiration visant semparer du pouvoir et imposerun tat religieux et thocratique. Le complot nahdaouiaurait commenc tre excut selon un plan en cinqphases allant de la simple distribution de tracts hostilesau rgime, la dsobissance civile, jusquaux oprationsde commandos-suicide visant des objectis stratgiquescouronns par lintervention dlments militaires

    noyauts. Il prtend dvoiler la structure clandestine deNahda : un organigramme en toile daraigne, incluant

    23. Alliance zapatiste de libration sociale, France-Tunisie : la terreur dborde , repro-duit dans L Audace, n 28, mai 1997, p. 26.24. Sihem Bensedrine et Omar Mestiri, LEurope des despotes, quand le soutien au modle tunisien dans le monde arabe ait le jeu du terrorisme islamiste, Paris, La Dcouverte,2004, p. 57.25. On lira ce sujet lirremplaable tmoignage de lex-numro 2 du contre-espionnagealgrien, Mohammed Samraoui, Chronique des annes de sang, Algrie : comment les ser-

    vices secrets ont manipul les groupes islamistes, Paris, Denol, 2003, p. 82-83.

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    un rseau terroriste dont certains auraient t entransen Aghanistan. 26 Force est de constater cependant quela mise en scne dramatique de ces rvlations masquedifcilement le manque dlments concrets pour tayer

    la thse du complot : des tracts, des cocktails Molotov,des gourdins et les aveux tlviss dun ofcier lonqui paraissait bien trop calme et sr de lui ! La Presse,qui couvre la conrence du ministre, titre Diabolique !et lopposition dmocratique quasi unanime de dnoncerlodieuse conjuration. Toujours aussi zl quand il sagitde soutenir Ben Ali, le secrtaire gnral du squelettiqueParti communiste tunisien appelle barrer la route laviolence et au putschisme intgriste. 27

    Et bien sr : Ce qui devait arriver arriva : toutes les personnalits,tous les groupes et politiciens qui ont approuv la rpres-sion anti-islamiste ont, par la suite, chacun son tour tpasss la moulinette de la rpression. 28

    On estime gnralement trente mille le nombre de personnes alorsembastilles ; mais au-del de cette campagne dradication de toute oppo-sition, relle ou suppose, cest bien un rgne de terreur et de torture qui semet en place, dont les victimes sont dabord les jeunes et les pauvres :

    Cest une ralit quomettent souvent de dnoncer lesONG dans leurs rapports : la torture touche dabord descitoyens ordinaires avant mme les opposants et les dissi-dents. Bien sr, il existe une logique de sophistication dela torture [avec l]usage de procds comme llectricit,la sodomie, la position du poulet rti, la baignoire, etc. Cesont gnralement des ormes moins sophistiques quelon applique aux prisonniers de droit commun. En re-vanche, les brlures de cigarettes sur le corps, les passages tabac muscls et les humiliations verbales constituent

    des pratiques courantes qui touchent nimporte quel pri-sonnier de droit commun. 29

    26. On voit que les experts en terrorisme dpchs sur tous les plateaux de tlvisionaprs le 11 septembre 2001 ne se sont pas ouls pour clairer lopinion publique mondiale sur les origines et les structures de la nbuleuse Al-Qada .27. Sadri Khiari, op. cit., p. 47.28. Alliance zapatiste de libration sociale, France-Tunisie : la terreur dborde , op. cit.29. Monce Marzouki, Dictateurs en sursis, une voie dmocratique pour le monde arabe,

    op. cit., p. 35-36.

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    Ltat, cest moi, pensait Bourguiba ; ltat de droit, cest ltat quia tous les droits, ricane son successeur. 30 De ce point de vue :

    Tous les tmoignages concordent : la torture est pra-tique par les agents de ltat, onctionnaires du minis-tre de lintrieur, de la Garde nationale, de la police, etpar des individus agissant leur instigation. La torture sepratique la direction de la Sret nationale mais aussidans des centres de torture, dans les postes de police, dela Garde nationale et mme dans des casernes comme lle de Zembra ou dans lextrme Sud Remada. Elle sepratique galement dans les bureaux rgionaux dattri-bution des passeports ou destins aux aaires politiques,dpendant du ministre de lintrieur : il suft quils soient

    quips darmoires mtalliques contenant des gourdins,des seaux, des cordes, des bouteilles, des aiguilles, desproduits inammables, des quipements lectriques, deschignoles La pratique de la torture seectue de jourcomme de nuit, gnralement durant la garde vue qui seprolonge bien au-del des trois six jours rglementaires.La police enregistre larrestation le jour o elle est prte livrer la personne arrte. Pour eacer les traces de tor-ture, il existe des tablissements spcialiss. 31

    Les mthodes traditionnelles de rpression hrites de lpoque otto-

    mane, de la colonisation ranaise et du bourguibisme sont alors rafnes,si lon peut dire, par les sicaires de Ben Ali. Parmi les traits originaux, citonslun des plus dgotants et emblmatiques de la mentalit de ces psycho-pathes, tel quil est rapport dans la lettre du rre dun dtenu la prisondu 9-Avril Tunis :

    Les dtenus dopinion de toute tendance, dont monrre, narrivent pas aire une grve de la aim. () Dsle troisime jour du jene, les gardiens ou le personnelparamdical de la prison leur ont des injections intra-

    rectales de produits mdicamenteux (probablement duvalium). () Au rveil, les dtenus politiques ne se sou-viennent plus quils taient en grve de la aim, et de cetteaon leur mouvement est bris. 32

    30. Ali Ben Nadra, La dictature ripoux , 23 avril 1997, reproduit dansInprecor, n 413,mai 1997, p. 30-32.31. Souhayr Belhassen, Les legs bourguibiens de la rpression , Habib Bourguiba, latrace et lhritage, op. cit., p. 403.32. Extrait reproduit par Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi, Notre ami Ben Ali, Paris,

    La Dcouverte, 1999 (rd. 2002), p. 109-110.

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    Il nexiste alors, videmment, plus aucune presse indpendante. Le paysest quadrill par la police, les comits de quartier et les cellules du Rassem-blement constitutionnel et dmocratique .33

    Cette politique na pas radiqu lislamisme en tantque orce de mobilisation utopique mais a consolid unrgime autoritaire. Elle a par surcrot constitu un crancommode pour le processus de privatisation de ltat(). Elle a permis dinstitutionnaliser et de prenniserlencadrement et le contrle policiers de la population(surtout dans les quartiers populaires). Elle a enfn t unmoyen efcace pour la dpolitisation de la population etlvitement de toute conictualit sociale. 34

    En novembre 1994, probablement pour aire oublier les quatre annesdatroce rpression qui viennent de sachever, Ben Ali annonce la mise envente sur le march national dune voiture de petite cylindre qui serait laporte des bourses de toutes les amilles revenu moyen , puis bientt d unordinateur 1000 dinars pour chaque amille . Les banques majoritaire-ment contrles par ltat distribuent sans compter des crdits la consom-mation qui permettent de payer les mille et une merveilles dont on inondeles supermarchs. Le rve des classes moyennes tait daller Paris aire sescourses ; Paris est venu elles ! Carreourest devenu leur nouveau temple. 35

    Ces acilits de consommation sont tendues des couches moins a-vorises travers le dveloppement des marchs parallles qui proposentdes marchandises importes illgalement de Libye, dItalie ou dailleurs,moins chres et plus diversifes que les produits locaux. Des centaines demilliers de Tunisiens sapprovisionnent sur les marchs parallles en pro-duits alimentaires (riz, huile dolive, laitages, lgumes, ruits), vtementset chaussures bon march imports, essentiellement, de pays asiatiqueset europens, via la Libye. Dans les grandes agglomrations, le commerceparallle reprsente entre 10 et 20 % des achats. 36

    Cette politique du crdit acile et du march gris, outre quelle permet demaintenir la population sous anesthsie gnrale, reprsente aussi une subs-tantielle source de profts pour ceux qui contrlent le ux des marchandisesimportes, hommes daaires vreux et bureaucrates avides qui constituent

    33. Ali Ben Nadra, La dictature ripoux , op. cit.34. Ola Lamloum, Lindectible soutien ranais lexclusion de lislamisme tunisien ,La Tunisie de Ben Ali : la socit contre le rgime, op. cit. , p. 118.35. Sadri Khiari, op. cit., p. 50.

    36.Ibid., p. 50-51.

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    les divers clans qui se partagent le pouvoir. La voracit sans limite de cetteoligarchie mafeuse qui accumule richesses et pouvoir au rythme acclrde la usion plantaire de lconomie et de ltat npargne bientt aucunsecteur en Tunisie : import-export, tlcommunications, agro-alimentaire,distribution, htellerie, alcool, armes, drogue et probablement aussi trafc demigrants clandestins. Voici les cinq plus puissantes de ces sept amilles que dnoncent leurs concurrents lss dans un libelle anonyme distribudans les botes aux lettres de Tunis en 1997 37 :

    Famille Letae : Durant cinq ans, cette amille dentrepreneurs de tra-vaux publics, superpuissante, avait la capacit de aire etdaire les gouvernements. Un des membres de la amillepar alliance, Mouldi Zouari, a occup le ministre delagriculture.Tout le personnel politique aisait antichambre au bureaude Kamel Letae, rue de Beyrouth, en centre-ville. Ce pri-vilge lui a permis de raer la quasi-totalit des marchspublics. Tout prsident-directeur gnral dune entreprisepublique se devait de lui confer les travaux publics delentreprise sous peine dtre congdi. Mme les entre-prises prives devaient se soumettre la mme rgle : unpromoteur dhtel, par exemple, ne pouvait obtenir un

    fnancement bancaire sil ne confait pas les travaux deconstruction lentreprise Letae.Ministres, responsables et personnel politique lui taientdvous tandis que ses adversaires craignaient pourleur scurit personnelle. Des millions de dinars ont tindment gagns par cette amille.Depuis 1992, la amille tombe en disgrce en raison dunconit opposant Kamel Letae Ben Ali, le premiernayant pas accept lintrusion dune nouvelle amille ma-feuse dans le systme, celle de la seconde pouse de BenAli, Lela ne Trabelsi. 38 La amille Letae ut soumise des reprsailles, mise sous surveillance, ses locaux visitset brls comme il est indiqu plus haut. Ses membresrespectent depuis la loi du silence, le prix de la vie.

    37. Les Sept Familles qui pillent la Tunisie, reproduit dans L Audace, n 35, dcembre 1997,p. 4-8.38.Cest pourquoi la rvolution de 2011 a rveill les crapuleuses ambitions de ce KamelLetae, qui, si lon en croit Monsieur Propre (Farhat Rajhi), semploie tirer son

    proft les fcelles du gouvernement de transition. Letae dgage !

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    Famille Chiboub : Cette amille utilise les services de plusieurs hommesdaaires tel Yousse Zarrouk, un marchand darmesconnu des services de renseignements occidentaux pouravoir t lun des ournisseurs de lIrak durant la guerredu Gole (Iran-Irak). Ou encore Aziz Miled, htelier,voyagiste lorigine, aujourdhui la tte dune ortunecolossale, dtenteur de volumes importants dactions deplusieurs banques actions acquises dans des conditionssuspectes (). Il joue depuis le rle de prte-nom deBen Ali lui-mme essentiellement dans lacquisition debiens onciers en Amrique latine et particulirement enArgentine. 39

    Famille Zarrouk : Cette amille est celle de lpoux en seconde nocede lune des flles du prsident (Dorsa), un dnommSlim Zarrouk. lorigine, inormaticien au ministre delintrieur, il est un nouveau venu sur la scne. Pourtant, ilest en train de aire une ascension ulgurante. Rapidement,il devient propritaire dunits de transormation deplastique du ait quil dispose de acilits illimits auprsdu secteur bancaire sous contrle tatique hauteurde 70 %. Ainsi, il met la main sur les 2/3 du march duplastique ().

    Famille Trabelsi : Cette amille sest illustre par la brutalit de sesmthodes. Les milieux daaires et diplomatiques citent ce propos loccupation par la orce physique de maisons Carthage appartenant des trangers telle que la mai-son de Mme Lehman, mdecin originaire de Tunis et dontla demeure a t occupe par les agents de Madame laPrsidente pour y installer sa propre mre.

    Famille Ben Ali : Ds les premires semaines de lre nouvelle, MonceBen Ali sest intronis che du milieu de la malaisanceen tous genres. Il sest mis distribuer les autorisationsdifcilement dlivres par le ministre de lintrieur : bars,

    39. On ne stonnera donc pas quil ait su acqurir lamiti dune Michle Alliot-Marie,inamovible ministre-VRP de la mafa chiraquienne au sein du gouvernement Sarkozy-Guant, jusqu ce que la rvolution tunisienne la dgage elle aussi, comme une vulgaire

    marchande de matraques.

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    cas, restaurants, points de vente dalcool, salles de jeuxpour environ 10 000 dollars US par autorisation ou en co-associ.Les dealers expulss dItalie se voyaient attribuer par sonentremise, auprs des services de police, de nouveaux pas-seports avec de ausses identits. Ces oprations lui rap-portaient chacune au moins 15 000 dollars US selon un deses amis aujourdhui retir des aaires. On rapporte quilest impliqu dans lassassinat du vice-Premier ministrebelge commis par deux dlinquants tunisiens, comman-dit par la mafa aprs que Monce leur et procur despasseports et rgl les rais de voyage en Italie.() Monce Ben Ali sest galement institu che su-

    prme de la magistrature. Quiconque voulait gagner unprocs de quelque nature quil soit pouvait le aire contre20 000 30 000 dinars.() Plus dune vingtaine de socits dimport-export etautres services avec participation trangre au capitalpour certaines dentre elles, appartenaient Monce BenAli ou ses hommes de paille tels que Ghazi Mallouli etAhmed Kobbi. Ces socits ont apparemment pour butle blanchiment de largent de la drogue pour le comptede groupes italiens et latino-amricains. Il employait deuxavocats plein temps dans ses bureaux sis la Cit olym-pique pour superviser le montage de ses oprations com-plexes. Son ranch situ Mornag, une zone agricole, quenous avons pu examiner de lextrieur, ressemble symprendre aux demeures des ches du cartel de Medelln.Le personnage tait puissant, roulait en escorte dans desvoitures blindes.Aprs la mort du rre, les aaires de la amille continuentde prosprer sous la conduite directe de Ben Ali qui a pris

    la suite. Le prtendu miracle conomique tunisien sincarne ainsi en premier

    lieu dans le dveloppement du pouvoir absolu dune vritable Coupole mafeuse, autrement dit dun rseau de rseaux 40, vritable stade suprme

    40. Sadri Khiari, op. cit., p. 108. Dans un autre pays, un autre avait pu identifer Le RseauZro (B), Fossoyeur de la Dmocratie et de la Rpublique au Rwanda (1975-1994) (rapportde consultation rdig par Christophe Mfzi la demande du bureau du procureur duTribunal pnal international pour le Rwanda, Arusha [Tanzanie], mars 2006) : partirde 1980 sest constitue au Rwanda, une nbuleuse politico-mafeuse () qui sest

    progressivement infltre tous les chelons de lconomie et de ltat, dabord des

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    du capitalisme moderne qui rgne par le chantage, le mensonge et la terreur,avant son inluctable eondrement :

    En ait, le nombre et les identits de ces dtenteurs depouvoirs rels sont connus de tous. Ils seraient environdeux cent cinquante auxquels il aut ajouter les complices,les prte-noms, les associs comme les Hdi Jilani, les AzizMiled, Hamadi Touil, Lazhar Sta, Hakim Hmila soit unebonne centaine de courtiers/intermdiaires/ngociants entout genre.Tout ce beau monde habite palais ostentatoires et rouleen Jaguar et Audi 7, dispose bien videmment dun soliderseau de limaces au sein de lappareil dtat pour excu-ter les desiderata. Il sagit gnralement de conseillers la

    prsidence, un quarteron de ministres aux ordres, une poi-gne dambassadeurs en poste dans les capitales nvral-giques ainsi que des responsables dentreprises publiqueset dinstitutions fnancires nationales. 41

    On ne saurait aire ici linventaire des pillages, rackets, escroqueriesorganiss par cette mafa 42 ; quil sufse de savoir que ses oraits commis entoute impunit lui ont permis de devenir propritaire dau moins la moitide lconomie tunisienne. (Cest prcisment ce que reusent dadmettretant de commentateurs qui ne veulent voir dans la chute et la uite des

    Ben Ali-Trabelsi rien dautre quun changement de gouvernement ouune rvolution de palais , l o ce sont les principaux capitalistes du paysqui ont t bouts hors de la Tunisie.)

    Pour les autres, les proltaires, ce miracle conomique nest biensr quun mirage : au chmage plus ou moins durable, sajoute dsormaisune instabilit croissante de lemploi consacre par la rorme du Code dutravail de 1996 : introduction de la exibilit, extension des CDD, latitudeplus grande aux oprateurs conomiques en ce qui concerne les conditionsdembauche, demploi et de licenciement. 43 Les subventions aux produits

    fns daccumulation patrimoniale avant de sen servir pour accrotre son inuence, voireaccder des responsabilits politiques un trs haut niveau , et qui fnit par dendre sonpouvoir menac en planifant puis en dirigeant le gnocide ; lauteur insiste sur le ait quele ameux akazu la petite maison de la amille de Madame, Agathe Habyarimanaen loccurrence dsigne bien la Famille au sens mafeux le plus moderne, et non unarchaque pouvoir clanique .41. Touansa Makhourin [ Tunisiens mortifs ], Le systme Ben Ali : le pouvoir pourplus de richesses , publi sur le site nawaat.org, 26 vrier 2009.42.On peut en avoir un aperu dans Voil ce que la commission denqute jugera , parAbdelaziz Belkhodja, mis en ligne sur Internet en janvier 2011.

    43. Sadri Khiari, op. cit., p. 81-82.

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    de premire ncessit sont drastiquement rduites ; les travailleurs pren-nent en charge une part croissante des rais de sant et dducation ; quantau smigard, il voit son salaire perdre 25 % de son pouvoir dachat entre1983 et 2002.44

    Face cette dcomposition gnrale de la socit tunisienne, la rvolteresurgit partir de 1997, dabord sous la orme de plaisanteries ; phno-mne qui prend une telle ampleur quune Sada Agrebi, bureaucrate duRCD, va jusqu dclarer en pleine runion publique, devant le secrtairegnral du Parti, qu il aut absolument rgler le problme de ces blaguesqui circulent 45 ; lt 1997, on signale des maniestations sporadiquesdans plusieurs villes 46 ; en septembre de la mme anne, suite lexpro-priation par ltat de nombreuses terres agricoles, la population de Testourmanieste devant le sige du gouvernorat de Siliana et conduit une marchesur Tunis, mais est stoppe en route par la police.47 Puis, lautomne 1998,dans le Sud du pays, Gasa, des lycens et des jeunes chmeurs descen-dent dans les rues et sattaquent tous les symboles du pouvoir. Un peuplus dun an aprs, en vrier 2000, lmeute se rallume, mais elle parvientcette ois stendre Kasserine, Bja et dans la priphrie de Sax ; plusau nord, Tunis, des lycens tentent de maniester mais sont brutalementdisperss.

    la mme poque, la ville industrielle de Menzel Bourguiba, quelquesdizaines de kilomtres de Tunis, est le thtre dmeutes provoques par lamort dun ouvrier pass tabac par les ics ; les conducteurs proessionnels(taxis, louages, routiers) cessent le travail pour revendiquer labolition dupermis points, instrument du racket policier ; les grves stendent auxmarins-pcheurs de Sax, la COTIP, grande imprimerie de la Charguia, ouencore dans le complexe sucrier de Jendouba. 48

    La situation est ainsi devenue dlicate pour la mafa de Carthage, qui

    commence redouter dtre un jour chasse par la rue, quand les atten-tats du 11 septembre 2001 viennent mettre fn dun seul coup toutes sescraintes. Ben Ali se voit soudain propuls au rang de Chien de Garde duMaghreb, rempart contre lislamisme , denseur des Lumires et de laDmocratie ; et les politiciens ranais de se prcipiter Tunis, verbe haut et

    44. Sadri Khiari, op. cit., p. 77-78.45. LAudace, n 51, avril-mai 1999, p. 11.46. LAudace, n 31, aot 1997, p. 21.47. LAudace, n 33, octobre 1997, p. 11.

    48. Jemprunte tous ces exemples Sadri Khiari,op. cit., p. 10-12.

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    mine panouie, pour le liciter davoir si bien anticip la guerre contre leterrorisme , et dvelopper leurs liens daaires. Ds lors, on ne stonnerapas qu son tour Ben Ali donne son eu vert lexcution dun 11 septembretunisien : le camion-suicide qui explose le 11 avril 2002 devant la synagoguede la Ghriba, sur lle de Djerba, tuant en majorit des touristes allemands,lui permet en eet de aire approuver dans la oule une rorme de laConstitution, qui lgalise la dictature, puis en dcembre 2003 une nouvelleloi qui, dpassant son modle ranais, rend la dfnition du terrorisme pratiquement extensible volont.

    La Tunisie senonce ainsi dans un cauchemar totalitaire qui culmineavec la gigantesque opration dintoxication du Sommet mondial dela socit de linormation , qui se tient Tunis en 2005, quand ceux quiosent eectivement sinormer par eux-mmes sont pourchasss, torturs ettraits en terroristes, tels les six de Zarzis , condamns dix-neu ans deprison parce quils avaient eu le malheur de rquenter le mme cyberca,rejoignant ainsi les milliers de malheureux qui pourrissent dans les gelesde celui quon surnomme dsormais Ben vie . Paralllement, commepartout dans le monde aprs le 11 septembre, la sinistre propagande antiterroriste sert alors de soutien et de justifcation de rpugnantescampagnes de haine identitaire, sur le thme de lauthenticit tunisienne ,autorisant par exemple la police raer des jeunes emmes voiles, perscu-tes et sommes denlever leur hijab.49

    Mais le rgne du mensonge social le plus absolu pousse galementchaque jour davantage les Tunisiens lincrdulit et la paranoa. Plusrien ne marche, et plus rien nest cru 50 ; comme ces lves de 13-14 ansqui staient rassembls pour une collecte de sang au bnfce du peuplepalestinien et qui se sont immdiatement disperss lorsque a commenc circuler une rumeur selon laquelle le sang rcolt nirait pas ses desti-nataires mais serait vendu en catimini . On retrouve la mme mfancechez les adultes, bien entendu. Ainsi, nombre dentre eux sont convaincusque lattentat de Djerba a t suscit par le pouvoir pour justifer aux yeux

    des puissances occidentales une nouvelle vague de rpression anti-islamisteen Tunisie. Dautres souponnent le Palais davoir tlguid laccident quia dcim ltat-major de larme de terre pour prvenir un coup dtatimminent. 51

    49. Celles-ci par la suite [sont] convoques au poste de police o leurs parents, sous lamenace, signent un engagement ne plus permettre leurs flles de remettre le voile ,cit par Vincent Geisser et ric Gobe, La question de lauthenticit tunisienne : valeurreuge dun rgime bout de soue ? , LAnne du Maghreb, III, 2007.50. Guy Debord, Cette mauvaise rputation , Paris, d. Gallimard, 1993, p. 107.

    51. Sadri Khiari, op. cit., p. 12-13.

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    Le clan Ben Ali-Trabelsi est alors parvenu vincer la plupart de sesconcurrents, en simposant par la bassesse de ses mthodes. Cest dsormaisla pire racaille, paraitement dnue du moindre soupon dintelligence oude dignit, qui triomphe au sommet. Quil sufse de voir, par exemple, unImed Trabelsi, commanditant des vols de voitures de luxe ou de yachts alorsquil peut paraitement se les payer ; un Belhassen, qui dne au restaurantpistolet sur la table et part sans rgler la note ; ou encore lune des sursde lignoble harpie qui a ait main basse sur le pays, disant propos desTunisiens : Mais de quel droit ils critiquent Lela et Zine puisque le paysleur appartient ? 52 Ben Ali ne les avait-il dailleurs pas runis en 2002pour leur aire, en vain, la leon : Si vous voulez de largent, soyez aumoins discrets ? 53 Il ne ait ainsi pas de doute que, dans la hirarchiepolitico-mafeuse du capitalisme globalis, les Trabelsi occupent le bas de

    lchelle, bien au-dessous des marchands de canons ranais, des socits demercenaires amricaines ou des bureaucrates esclavagistes chinois. Si lesBen Ali-Trabelsi ormaient une classe dominante, ctait assurment uneclasse dominante particulirement dgnre et qui il manquait, encoreplus quaux autres, une thorie de la domination. Cest donc en ait assezlogiquementparson ct le plus aible, en Tunisie, que le systme mafeuxmondial a commenc seondrer, venant ainsi confrmer la pertinenteanalyse de ce tract radical paru en 1997 :

    () le type de rgime qui se met en place est instable

    par nature. Il est incapable davoir la moindre lgitimit,le moindre enracinement. Le blindage policier qui leprotge contre la socit ne peut le protger contre lui-mme , parce que les hommes du pouvoir actuel nontpas vraiment de politique : ils agissent avec la doublementalit du ic et du dlinquant ; des ripoux troppresss de senrichir, qui essayent de transormer leurimage cet tat dont ils se sont empars en quelque sortepar eraction. 54

    52. Cit par Nicolas Beau (http://nicolasbeau.blogspot.com), Un dimanche chez Delano Bizerte , 20 mars 2011.53. Rapport par Nicolas Beau et Catherine Graciet,La Rgente de Carthage, op. cit., p. 45.

    54. Ali Ben Nadra, La dictature ripoux , op. cit.

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    II

    CHRONIQUE INACHEVE DE LARVOLUTION DES FIGUES DE BARBARIE

    Cest alors quaux premiers jours de lanne 2008, laube dune Tunisienouvelle se lve sur Redeye, dans le bassin minier de Gasa.

    Les rsultats dun concours lanc par la compagnie de phosphates pourle recrutement de trois cents ouvriers (pays environ mille dinars par mois,

    presque cinq ois le salaire minimum) sont truqus par la direction rgionaledu syndicat, afn de garantir les postes tant convoits aux amis et parentsdes bureaucrates de lUGTT locale. Aussitt connue et divulgue, la nou-velle met le eu aux poudres Redeye, Oum Laraes et Mdhilla, parmi leschmeurs grugs qui, trs vite, rallient leur cause lycens, parents, emmes,enants, pour exiger lannulation du concours par des marches et des ac-tions multiormes de protestation, de blocage, de sabotage : ici, on dressedes barricades de pneus enamms pour interdire laccs la ville ; l, ondmonte les rails de la voie de chemin de er afn de paralyser le transport

    du phosphate ; les lycens dchirent leurs cahiers et leurs livres scolairesen scandant des slogans contre la corruption ; les emmes organisent uncampement de protestation devant le sige de la compagnie. La nuit, des

    jeunes patrouillent dans Redeye par petits groupes pour la protger, aprsavoir sonn le rassemblement laide de pierres cognes contre les struc-tures mtalliques dun pont. Ils appellent a les tambours de la guerre etusent dun vocabulaire qui convoque les traditions des tribus guerrires,prts quils sont aronter les policiers... ou leur voler leurs sandwichspour les redistribuer. Le ton gnral rete une impressionnante cohsion

    populaire que les orces de lordre ne parviennent pas rompre. En dpit

    Mais ici il y a des hommes orts dont la haineest exaspre ! et rien ne les attache Carthage,

    ni leurs amilles, ni leurs serments, ni leurs dieux ! Gustave Flaubert, Salammb

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    du contrle tatique des mdias, le soulvement de cette rgion enclavereprsente le mouvement social le plus long, le plus puissant et le plus mrquait connu lhistoire rcente de la Tunisie. 55

    Dans son instructi rapport sur le soulvement

    56

    , Ammar Amroussiapeut lui aussi constater : Ce mouvement a eu, ds son dbut, un caractre po-pulaire large, ce qui la transorm en un soulvementpopulaire proprement dit et ce malgr son aspect rgio-nal plus ou moins circonscrit. Toutes les catgories popu-laires y ont adhr : ouvriers, chmeurs, onctionnaires,commerants, artisans, lves, etc. Ceux qui y participentappartiennent direntes gnrations, il y a des enants,des jeunes, des adultes, des personnes ges. Les emmes,

    mme celles au oyer, ont pris part la protestation etont souvent jou un rle davant-garde.57 Les divisionstribales, restes prsentes dans la rgion et continuelle-ment instrumentalises par le pouvoir, ont disparu dansce mouvement pour cder la place lappartenance so-ciale, de classe.

    Pendant six mois, le rgime et la mafa syndicale locale dont lesecrtaire gnral est aussi dput, membre du Comit central et patron detrois socits de sous-traitance exploitant dans les mines huit cents ouvriers

    prcaires et mal pays se voient contests comme ils ne lont jamaist : les panneaux lectoraux Ben Ali 2009 sont arrachs, ou victimesde dtournements humoristiques, tels que Ben Ali 2080 ou Ben Ali2500 ; le sige local de lUGTT, rquisitionn au nez et la barbe de laprecture voisine, sert de quartier gnral et dagora aux rvolts. AmmarAmroussia poursuit :

    55. Karine Gantin et Omeyya Seddik, Rvolte du peuple des mines en Tunisie ,Le Monde diplomatique, juillet 2008.

    56. Ammar Amroussia, Le soulvement des habitants du bassin minier : un premierbilan , janvier 2009 pour la traduction ranaise (disponible sur Internet).57. Amroussia prcise plus loin : Dans cette bataille, Khira Lamari sest nettementdistingue en ne quittant pas le sige de la cellule destourienne du parti au pouvoir pendantplus dun mois. Elle a insist pour y rester malgr ses malaises chroniques et sa grossesse(9e mois). Elle na quitt les lieux que vers lhpital o elle a accouch dune petite fllequelle a appele Intissar (Victoire). En parallle, les emmes rquentent dsormais, pardizaines puis par centaines, le sige de lunion locale de lUGTT de Redeye, pour assisterpar exemple aux meetings et organiser des marches de contestation. Parmi elles, il y a cellesqui sont dvoiles, celles qui portent le oulard traditionnel (bakhnoug) et celles qui sontvoiles. Elles ont quitt le oyer et la cuisine pour exprimer leur sourance ainsi que celle

    de leurs enants.

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    La lutte duque ceux qui y participent et dveloppeleur conscience beaucoup plus rapidement que les dis-cours. En eet, les masses populaires qui ont adhr aumouvement se sont trouves directement impliques

    dans les aaires publiques. Elles dbattent de leursproblmes et leurs proccupations, elles dbattent ga-lement de la situation gnrale dans le pays, schan-gent les inormations et lancent des critiques acerbes aurgime de Ben Ali Elles dcouvrent par la pratiqueson caractre despotique et dictatorial et le ait quil soitau service des riches et quil nait rien voir avec leursintrts et leurs aspirations. Elles dcouvrent aussi leurpropre orce et par consquent leur capacit rsister et simposer. Les symboles du pouvoir dans la rgion, telsque le maire, la police, la Garde nationale, les structuresdu parti au pouvoir (comit de coordination, cellules ter-ritoriales et proessionnelles), se sont eondrs ace leur volont. En un mot, discuter politique Redeyenest plus ni interdit, ni dangereux, ni limit unepoigne de ttes brles ! Cest plutt devenu une pra-tique ordinaire, un droit que tout le monde exerce sanspeur et sans attendre lautorisation de quiconque.

    Afn disoler la rbellion et de lempcher de se propager, la police

    encercle la rgion et les villes qui se sont souleves. Le pouvoir tour tour,rprime, puis ngocie, avant de rprimer nouveau. (Les reprsentants dela population rvolte, principalement des syndicalistes de lenseignement et non des mines , en rupture avec la direction corrompue et apprcispour leur sincrit et leur courage personnel, ont alors preuve dune rellehabilet tactique, acceptant par exemple une trve de quinze jours, quipermet de renorcer grandement le mouvement, en lui orant le temps dereprendre son soue et de se rorganiser.) Mais ltat est devenu si aiblequil ne parvient plus briser rapidement ce soulvement qui dfe son

    autorit en plein cur du pays, pas plus quil ne peut empcher quun comitde soutien se orme ltranger, Nantes, o rside une communaut detravailleurs issus de Redeye, qui pour la premire ois bravent la peur desreprsailles contre leur amille reste au pays, le lot de tous les migrs. Niles belles et ausses promesses, ni les rumeurs, ni les mensonges, ni les coups,ni les arrestations ne viennent bout de la rvolte. Le pouvoir se voit aucontraire contraint de librer des activistes emprisonns, accueillis en hrospopulaires par des dizaines de milliers dhabitants en liesse.

    Dbut juin 2008, ltat se dcide fnalement craser la Commune de Re-

    deye. Les chiens de Ben Ali sont lchs par milliers sur la ville ; ils ouvrent

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    le eu sur la oule, investissent les quartiers populaires quils conquirentmaison par maison, donant les portes, pillant et terrorisant les habitants.La ville est occupe par larme, le couvre-eu instaur, lentre sud de Re-deye bloque, ainsi que toutes les voies daccs aux montagnes o se sontrugis des centaines de rebelles, pour empcher leur amille de leur ournirnourriture et eau potable. En dcembre, le procs des 38 se solde par deslourdes peines de prison, sans que les accuss ni leurs denseurs aient puseulement prendre la parole.

    Le pouvoir a ainsi provisoirement gagn, une ois de plus ; mais en ralitil est dores et dj condamn. Plus rien nest comme avant et la Tunisie deBen Ali ne connatra plus jamais la tranquillit : dans les mois qui suiventlcrasement de Redeye, lagitation resurgit rgulirement, Kasserine, Feriana, Skhira, Ben Guerdane (o, en aot 2010, on manieste denuit cause de la chaleur et du ramadan), et lon peut alors observer que dsormais, dans toute brche ouverte, sengoure le rejet dune dictaturecorrompue et tortionnaire 58.

    Limplosion fnale du systme commence autour de la fn de lt 2010,lorsque les vautours achvent de se dvorer entre eux et que le clan Trabelsiambitionne, selon les confdences dun ex-conseiller la prsidence, de sedbarrasser de Ben Ali, devenu trop encombrant :

    Il rgnait une atmosphre dltre au palais (). Enseptembre, il y a eu un accrochage trs srieux entre leprsident et sa emme, et, partir de l, la prsence de sonrre Belhassen et de son fls Imed est devenue de plus enplus orte. En octobre, ce clan aurait mis au point () unscnario diabolique consistant laisser le prsident enposte jusquen janvier 2013, puis sa dmission aurait tannonce pour raison mdicale, suivie dun appel pourdes lections. Les partis amis auraient t instrumen-taliss pour crer une polmique en prsentant de auxcandidats. Des maniestations organises un peu partout

    par le RCD, le parti du pouvoir, se seraient conclues parune mani monstre dun million de personnes Tunispour rclamer la candidature de Lela. 59

    58. Luiza Toscane, Victoire de la population Ben Guerdane , publi sur le sitedivergences.be, 5 dcembre 2010.59. Isabelle Mandraud, Peut-tre on partira, mais on brlera Tunis , Le Monde, 18 janvier

    2011.

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    Cest dans ce contexte de dcomposition complte au sommet que le17 dcembre 2010, un vendeur de rue perscut et rackett par la police,Mohamed Bouazizi, simmole par le eu, vers midi, devant le sige du gouver-norat de Sidi Bouzid. 60 Ds que la amille de Mohamed Bouazizi a apprisla nouvelle, elle sest prcipite devant le sige du gouverneur pour deman-der des comptes : une cinquantaine de personnes rejointes par les marchandsambulants et des badauds. En vain. Le soir, la oule se disperse. 61

    Mais le suicide de Bouazizi est cette ois le signal que, depuis plusieursmois, beaucoup esprent ou redoutent. Laprs-midi mme, Sidi Bouzid estboucle par la police et un journaliste de Tunis qui, trois heures peineaprs limmolation de Bouazizi, sapprte rejoindre la ville est cueilli enbas de chez lui et battu. 62

    Le lendemain, 18 dcembre, un nouveau rassemblement se orme en cejour de march Sidi Bouzid. Tout le monde sest identif Bouazizi. Centait pas une grve, mais bien plus une explosion de colre. 63 La policecharge en dbut daprs-midi et poursuit les maniestants dans les quartierspopulaires jusquau milieu de la nuit. Ctait une gurilla urbaine. Les

    jeunes jetaient des cailloux et brlaient des pneus. La police tirait des lacry-mognes jusque dans les maisons. 64

    60. Bouazizi na rien invent, hlas, dans ce pays ravag depuis si longtemps par la misreet le dsespoir : Il y a une vingtaine dannes, un charretier qui essayait de gagner sasubsistance a tent de simmoler par le eu sur la place publique Kairouan. Le gouver-neur, Noureddine Hasi, aujourdhui disparu, ne voulait plus voir les charrettes dans laville dOkba, quelques jours de la visite de Zine El Abidine Benalone. () Et peuimporte si une ou plusieurs amilles de cette rgion, rappe depuis des lustres par untaux de chmage earant, qui ne vivaient que de leurs charrettes, taient condamnes la aim. Le geste dsespr du charretier de Kairouan avait provoqu un tel moi et unetelle colre dans la ville quon dut limoger le gouverneur Hasi. (Slim Bagga, Zine ElAbidine Benalone !!! , mis en ligne sur www.tunisnews.net, 22 dcembre 2010) Plus

    proche de nous, au mois de mars 2010, un autre vendeur de rue priv de licence par lesautorits, simmolait Monastir, mais les bureaucrates sont parvenus touer laaire,aisant croire un accident ( Abdesslam Trimech une voix dsespre et enterre ,message post par Venus sur www.asslema.com le 28 mars 2010).61. Christophe Ayad, Sidi Bouzid, ltincelle , Libration, 5 vrier 2011.62. Je venais dapprendre limmolation par le eu dun jeune homme devant lamunicipalit de Sidi Bouzid. Jai voulu aire des images et traiter le sujet pour le site

    Assabilonline. Je suis sorti de chez moi avec ma camra 15 heures. Un policier en civil,arm dun bton, ma rapp aux jambes et au visage. ( Zouheir Makhlou pass tabacpar un policier en civil , communiqu de Reporters sans rontires, 20 dcembre 2010)63. Tmoignage de Monce Salhi (Christophe Ayad, Sidi Bouzid, ltincelle , op. cit.).

    64. Tmoignage de Monce Salhi (ibid.).

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    Chez les Trabelsi, cest le sauve-qui-peut : Lela senuit de Carthage bord dun avion rempli de lingots dor 65, aprs avoir vendu la Tunisie toutentire Kadhaf, son voisin et complice, pour un milliard de dollars, sommequi atterrit sur un compte de la banque centrale 66. (Ainsi lhroque insur-rection du peuple libyen a sans doute empch linvasion et le bain de sangque le Fhrer de Tripoli devait planifer en vue de prendre possession de sanouvelle province.)

    Dans les jours suivants, les maniestations Sidi Bouzid sont quoti-diennes, de jour mais aussi de nuit. Les jeunes sortaient la nuit. On apuis la police. 67 La journe, lennemi est aveugl par la ume des pneusbrls. 68 En tenant ainsi la rue de nuit, tout en maniestant la journe comme Redeye en 2008 , la jeunesse insurge de Sidi Bouzid non seule-ment aaiblit lennemi, par un permanent harclement, mais aussi protgela population contre des raes et des exactions nocturnes, et donc enracineproondment la rvolte. Tout au long du soulvement de dcembre-jan-vier, Sidi Bouzid, Thala (o la plupart des maniestations ont lieu lanuit en dpit de la coupure du courant lectrique dans la ville ), commedans les aubourgs de Tunis, ce ut l en ait trs probablement lune desconditions ncessaires de la victoire du soulvement.

    Le 22 dcembre 2010, non loin de Sidi Bouzid, un autre jeune, HoucineNeji, se suicide sous les yeux de la oule, Menzel Bouzaene, en saccro-chant une ligne haute tension et la moiti des 5 500 habitants de cettepetite ville se soulve. Ainsi, le premier lment important dans lintiadade Sidi Bouzid est la rapidit de lextension du mouvement de protestation,puisquen trois jours, il a englob la plupart des villes avoisinantes du centredu gouvernorat do a jailli ltincelle initiale de lintiada. Cest une don-ne nouvelle par rapport la plupart des protestations antrieures, restescantonnes, et qui ne staient pas tendues .69

    65. luvre, Mre Ubu. Courage, descellons cette pierre. Elle tient bon. Prenons cebout de croc fnances qui era encore son ofce. Voil ! Voil lor au milieu des ossements

    des rois. Dans notre sac, alors, tout ! (Alred Jarry,Ubu Roi, acte IV, scne 1)66. TTU Monde arabe, n 673, 6 janvier 2011. Rapportant le mme ait, le trs bien inormSlim Bagga le commente ainsi : Vous avez compris : Lela qui se dbarrasse du pre deses enants, a dj oert la Tunisie au colonel ou. Vous tes hypothqus. ( Sur ond decrise politique, les rasques du palais , mis en ligne sur www.tunisnews.net, 3 janvier 2011)67. Tmoignage dAli Zarai, En remontant la rvolution , reportage BD de Chapatte,Le Temps (Genve), 16 vrier 2011, mis en ligne sur letemps.ch le 18 vrier 2011.68. De la mme manire, les insurgs de Redeye en 2008 jetaient des sacs plastiquesremplis de peinture sur les pare-brise des ourgons de police et du piment en poudre dansles yeux des chiens policiers.69. Bchir Hamdi, LIntiadha de Sidi Bouzid est spontane mais elle a hiss trs haut la

    bannire de la rsistance , 29 dcembre 2010 (disponible sur Internet).

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    Les vidos des maniestations, flmes avec des portables et mises enligne ds le premier jour, le 17 dcembre, contribuent briser lencercle-ment de la censure et de la police. Des comits de soutien (parois appels,comme Menzel Bouzaene, Comit citoyen de dense des victimes dela marginalisation Sidi Bouzid ), gnralement anims par des syndiqusde base en rupture avec les jaunes de la direction, organisent des manies-tations de soutien, dabord dans la rgion, comme Meknassy, puis dans lesgrandes villes, et jusque dans la capitale. Celles-ci rassemblent de quelquesdizaines de personnes (par exemple Nata, la rontire algrienne,ou Houmt Souk, sur lle de Djerba) plusieurs centaines (Jebeniana,Mdnine, Le Ke) ou un millier (Tunis). On y entend : Le travail est undroit, bande de voleurs ; bas le parti du Destour, bas les bourreauxdu peuple ; Travail, libert, justice sociale 70 ; Non, non aux Trabelsi,

    pilleurs des deniers publics 71 ; Pas de succession, ni de prorogation, noussommes tous des Sidi Bouzi 72. Partout, la base syndicale organise desrunions sur le mouvement dans les locaux du syndicat, dbordant la hi-rarchie de la centrale qui sattelle discrditer ces initiatives, le secrtairegnral voquant des runions illgales, que les adhrents ne devaientplus cautionner, sous peine de sanctions pnales 73.

    Ds la fn de dcembre, le doute nest plus permis : Cette vague a secou de nombreuses villes qui ontvu des mobilisations de soutien dont on ne peut croire

    quelles ne soient motives que par le souci de solidarit.En ralit il sagit de lexpression par ces masses de leurreus de la situation qui leur est aite. Cest une donnenouvelle qui nous donne croire que nous allons versune accumulation dbouchant sur une intiada globaledans le pays. Cest un dveloppement de la situation ojusqu ce jour, la situation volue spontanment, sans

    70. Il ne audrait pas penser que les Tunisiens aiment spcialement se aire exploiter : si les

    populations de ces rgions misrables et dshrites rclament le droit au travail , cestdabord parce que celui-ci y est unprivilge, qui sachte coups de rachwet, de pots-de-vin, ou qui sobtient par avoritisme et toutes sortes de procds honteux et inavouables. Le travail est un droit, bande de voleurs ou Travail, libert, justice sociale sontainsi la ois le produit et la ngation de cet invitable corollaire de la dictature quest lacorruption gnrale.71. Communiqu du Comit pour le respect des liberts et des droits de lhomme enTunisie, 28 dcembre 2010.72. Jean-Marcel Bouguereau (http://jeanmarcelbouguereau.blogs.nouvelobs.com), Larvolte est en train de changer de nature , 29 dcembre 2010.73. Pierre Puchot, Tunisie : une journe de solidarit ace une rpression accrue ,

    Mdiapart, 11 janvier 2011.

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    direction politique ou locale, except des ormes dauto-organisation embryonnaires de la rsistance cres pardes citoyens ici et l, et cest particulirement le aitde la jeunesse la plus linitiative, rsistante, active et

    dtermine poursuivre la mobilisation et aronter laviolente rpression quoppose le pouvoir toutes lesmaniestations. 74

    Linsurrection proprement dite continue, quant elle, aire tachedhuile dans tout le gouvernorat de Sidi Bouzid : Menzel Bouzaene o,le 24, la police tire balles relles et tue au moins deux maniestants ; Regueb et Souk Jdid o on brle le sige de la dlgation (lquivalent de lasous-precture) ; Mezouna, o des centaines de emmes marchent pourprotester contre les raids et les ouilles dans les maisons qua connus la ville

    dans la nuit de samedi, et pour demander la leve de ltat de sige et lalibration des maniestants arrts (Radio Kalima, 27 dcembre 2010).Comme Redeye, les emmes sont en dcembre 2010-janvier 2011 lapointe de la contestation, et lindispensable moteur de la gnralisation dumouvement. Le 28 dcembre, Ben Ali apparat pour la premire ois latlvision pour confrmer (mais on sen doutait) que la rvolte sera crase avec toute la ermet .

    Dans les derniers jours de dcembre, des dizaines davocats organisent Tunis et dans de nombreuses villes du pays des protestations symboliques.

    Sincrement rvolts contre linjustice institutionnalise, et aisant preuvedun indniable courage, alors quils mettent en jeu les minces privilgesdont ils jouissent encore en tant que rsidus des lites traditionnelles(lordre des avocats est en Tunisie une des rares institutions qui lit libre-ment ses reprsentants), ils nen sont pas moins, par mtier, lincarnation delutopie rormiste qui voudrait mettre en place une douce transitiondmocratique vers la restauration dun tat de droit , processus de-vant videmment saccomplirsous lautorit maintenue de Ben Ali par lahaute bienveillance du premier magistrat de la Nation, comme on dit dans

    le langage servile des requtes en justice .75

    Lavocate Bochra Belhaj74. Bchir Hamdi, op. cit.75. Ce consternant programme de bonne gouvernance benaliste est assez fdlementretranscrit par le gauchiste de service duMonde diplomatique quiprodigue, dbut janvier,ses bons conseils au tyran : Louverture simpose durgence. Elle pourrait commencerau Parlement et au sein du parti. Les dputs, mme mal lus, plus au contact de la popu-lation et de la province que les hommes du prsident, doivent retrouver une inuencedans la dtermination des politiques publiques, avant que se tiennent rapidement deslections plus propres et sans exclusive. Cela passe aussi par une rorme du parti domi-nant (). Actuellement, le prsident de la Rpublique, qui est aussi prsident du parti, en

    nomme tous les responsables, du bureau politique aux secrtaires gnraux, draux ou

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    Hamida peut ainsi dclarer que ltat tunisien a la chance davoir le choix(sic) entre la voie dmocratique ou le renorcement de lautoritarisme ,ajoutant quau sein du parti RCD et du pouvoir il y a des gens qui sontconscients de la ncessit de changement rel () 76. Et encore aux der-nires heures du rgime, dans une Note lattention de son excellence leprsident Ben Ali date du 14 janvier 2011, lopportunisme dun Hakimel-Karoui peut le pousser lui proposer de nommer un responsable dela lejna (qui ne soit pas le Premier ministre). Une personnalit reconnue,indpendante. Pourquoi pas un avocat reconnu qui ne soit videmment pasun proche ? Il nempche que pour la plupart de ces avocats, autrementplus dignes, le 31 dcembre est le vendredi de la matraque , o les avocatsen grve se voient pourchasss et rapps par la police jusque dans les sallesdaudience, Tunis et dautres villes du pays 77 ce qui, loin de les intimider,

    les radicalise contre le rgime.Pendant ce temps ltranger, les petites maniestations de solidarit

    de la diaspora tunisienne ( Paris, Genve, Montral, etc.) cornent pourla premire ois les clichs de la propagande touristique sur le thme de la Tunisie radieuse et les pouvoirs occidentaux, en particulier bien sr lescompres ranais, sinquitent et le ont savoir : ainsi, le 29 dcembre, aucours dune runion de crise au palais de Carthage, lun des plus puissantsconseillers du prince, Abdelwaheb Abdallah, propose, en bon connaisseurdes fnesses et des subtilits de la diplomatie moderne : Il aut que tout

    a soit manipul par un groupe afli Al-Qada au Maghreb islamique.Pour nos amis ranais, cest la seule solution 78 ; mais par une heureuseconcidence, cest l aussi un luxe que ne peut se permettre Ben Ali, quiait rpondre qu AQMI en Tunisie, cest la mort du tourisme, on va sesuicider 79. (On peut supposer que le mme raisonnement a pu dterminerensuite la chute des Moubarak, en gypte.) Ainsi cest en Tunisie, dans lesderniers jours de 2010, quil aut situer la vritable mortde Ben Laden ,abattu par un commando de gentils organisateurs du Club Mditerrane auterme dune audacieuse infltration en proondeur dans le monokini cono-

    mique des Ben Ali-Trabelsi. Loption AQMI ds lors carte (on peutdailleurs se demander si elle aurait eu beaucoup plus defcacit que lapropagande des bouchers de Tripoli et de Damas indpendants, eux, des

    de sections. Le rtablissement de llection comme mode de dsignation de ses dirigeantslui redonnerait vie et orirait un premier dbouch au mcontentement. (Jean-PierreSrni, Le rveil tunisien , Le Monde diplomatique, 6 janvier 2011)76. Droit de suite adress Rue89, 4 janvier 2011.77. Communiqu de lObservatoire international des avocats, 5 janvier 2011.78. Isabelle Mandraud, op. cit.

    79. Ibid.

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    grands ux de shorts eurs et de coups de soleil dlirant propos dehordes denants-soldats accros aux pilules magiques distribues gratuite-ment par les agents dAl-Qada), les amis ranais en seront rduits distiller plus sournoisement une thorie du complot amricain, tradi-tionnelle obsession paranoaque de leurs services secrets.80

    Le 2 janvier au matin, Sax, deuxime ville du pays et important centreindustriel, des travailleurs et des jeunes se rassemblent devant le sige dusyndicat rgional pour soutenir les habitants de Sidi Bouzid dans leurvaillante intiada contre le pouvoir rpressi dictatorial hostile aux droitsdes travailleurs et des opprims . La base en vient ainsi considrer quellene peut et ne doit compter que sur ses propres orces : Les protestatairesont scand de nombreux slogans. Et malgr le nombre relativement impor-tant des maniestants, le secrtaire gnral du syndicat rgional a reus deprendre la tte dune maniestation, reprochant aux personnes rassemblesdavoir ignor ses consignes. Des lments sa solde ont scand des slogansconormes la propagande du rgime. (Rien nest donc plus aux quede prtendre que les ches et cheaillons de lUGTT ont soutenu le mou-vement, puisquils ont au contraire tout ait pour le combattre jusquaumoment o ils ont d songer sauver leur propre peau.) En consquence,les mots dordre se radicalisent : Les maniestants ont rpondu pardautres slogans tels que : Victimes du soulvement de Redeye manies-

    tez votre solidarit !, Le mouvement continue et les collabos dehors !, bas le tortionnaire du peuple !, bas le parti du Destour !, Le droitde maniester est notre droit !, Le droit lexpression est notre droit !81

    80. Pour ne citer quun exemple parmi des dizaines du mme acabit : La France a tdpasse par les Amricains. Alors mme quAlliot-Marie prparait ses caisses de tonas destination de Tunis, les tats-Unis prparaient lviction de Ben Ali avec laide delarme tunisienne Les bombes lacrymognes sont fnalement restes laroport,mais on voit quand mme que la diplomatie amricaine est plus fne Il ny avait pasdaccord entre les deux puissances, alors ce sont les Amricains qui ont dcid seuls de

    sacrifer ce pauvre Ben Ali (sic) Ceci nous est prsent comme tant lavis clair dedeux camarades militants tunisiens , recueilli et dius (sous le titre allacieux Lemouvement tunisien est politique et social , 28 janvier 2011) par un collecti dtudiantsnomm Lieux Communs , notoirement manipul par lagent provocateur GuyFargette (un individu qui dend depuis 2001, au sein du milieu radical parisien,la pense-Huntington sur le choc des civilisations , prenant parti pour la guerre delOTAN en Aghanistan ou abreuvant dinsultes, de calomnies et de leons de morale lajeunesse rvolte des cits, aprs Novembre 2005, de cette manire dcomplexe quiauthentife la communication du ministre de lintrieur ranais).81. Compte rendu du Rassemblement du 2 janvier 2011 devant le sige du syndicatrgional de lUGTT Sax , par un syndicaliste Sax , 2 janvier 2011, reproduit par

    tunisnews.net.

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    Dans les jours qui suivent, la rvolte stend gographiquement touten tendant aussi ses exigences, et les maniestants se mettent progressive-ment revendiquer toutes les liberts dont ils ne pouvaient jusque-l querver dans la clandestinit ; le jour de la rentre des classes, aprs les va-cances dhiver, les lycens et les chmeurs de Thala et de Kasserine, dansle gouvernorat voisin de celui de Sidi Bouzid, donnent une impulsion dci-sive la contestation. Sidi Bouzid sest souleve pour avoir des emplois. Kasserine, nous sommes descendus dans la rue pour rclamer la li-bert. 82 Laudace des maniestants est sans prcdent : La oule osescander des propos quon naurait pas os dire en public il y a peine unmois. 83 Le travail est un droit laisse place des Ministre de lint-rieur, ministre du terrorisme , Ben Ali a suft 84, et sans doute dj leameux Ben Ali dgage .

    partir du 5 janvier, ace la monte en puissance de linsurrection etdes revendications de la population, la rpression sort ses gries et montreses crocs. La police qui encercle Thala depuis deux jours investit la ville,ventre les portes des boutiques et des maisons, pntre chez les habitantspour cogner, piller et violer. la nuit tombe, les blinds de la police qua-drillent la ville. Un tournant est aussi atteint ce jour Sidi Bouzid o lesunrailles de Mohamed Bouazizi, mort la veille aprs une longue agonie,sont suivies par une oule denviron cinq mille personnes scandant : AdieuMohamed nous te vengerons ! , Nous te pleurons ce jour, nous erons

    pleurer ceux qui ont caus ta perte . En plusieurs endroits, de jeunes dses-prs simmolent dans lespoir de soulever la population du reste du pays,encore crase par la peur.

    Les 6 et 7 janvier, linsurrection gagne les gouvernorats de Sax et deKairouan (Jebeniana, Bouhajla, NasrAllah). On apprend alors que lapolice, pour disperser les maniestants, ait usage de gaz asphyxiant pourbtail, tuant plusieurs personnes, et dmontrant par-l, une bonne ois pourtoutes, que les rvolts ne sont pour la mafa au pouvoir que des animauxbons pour labattoir 85. Larme est mise en alerte.

    Les 8 et 9 janvier, dignobles massacres de civils sont perptrs par desescadrons de la mort envoys Kasserine et ailleurs (au bas mot soixante

    82. Tmoignage de Faicel Harhouri, rapport par Thomas Cantaloube, Kasserine, lo naquit la rvolution tunisienne ,Mdiapart, 2 vrier 2011.83. Marion Solletty, Cest bien un mouvement sans prcdent que nous vivons l pour laTunisie , Le Monde, 6 janvier 2011.84. Tunisie : les lycens appellent la grve via Facebook , RFI, 3 janvier 2011.85. Voir par exempleAssabilonline ( Danger : la police utilise des munitions destines

    aux animaux , 8 janvier 2011) et SBZ News sur Twitter (7 janvier, 17:44:16).

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    morts dans la seule nuit de samedi dimanche).86 Ctait une vraie chasse lhomme. Ils ont voulu arrter la rvolution en nous massacrant. 87Mme les cortges unraires sont pris pour cibles, mais cette boucheriene parvient qu attiser davantage la rvolte, qui atteint son point de non-retour : Ben Ali nous a dfs, il ny avait pas moyen de baisser la tte. Silny avait pas eu de morts, on aurait peut-tre arrt, mais les morts nous ontencourags continuer. 88

    Le 10 janvier, Thala et Kasserine, qui rsistent hroquement, sous leeu des snipers et des mitrailleurs, tous les symboles du 7-Novembre sonteacs : on brle pour la premire ois les portraits gants de Ben Ali, et lesplaques de rues portant le nom du jour maudit o il a pris le pouvoir sonttagues ou arraches ; mais surtout, labominable carnage des nuits prc-dentes scandalise larme, qui dsobit aux ordres de tirer sur la oule, debombarder Kasserine 89, et retourne ses armes contre les massacreurs. Lessoldats raternisent pour la premire ois avec les insurgs, Kasserine et Regueb, o des units de larme nationale ont dirig leurs mitraillettesvers des dizaines de policiers, menaant de les tuer sils ne renonaient pas,tandis quun groupe de citoyens couraient vers les camions de larme pourse protger de la traque des brigades antimeutes .90

    Pendant ce temps, la terrible nouvelle des massacres de Kasserine sepropage dans le reste du pays et provoque un point de rupture psycholo-gique, y compris dans la capitale, o les maniestations se multiplient.91 Lacolre de la population augmente encore lorsque Ben Ali, apparaissant unenouvelle ois la tlvision, attribue ses propres crimes aux insurgs (parlantd actes terroristes impardonnables perptrs par des voyous cagouls ).

    Le 11 janvier, linsurrection stend aux villes du Nord et de la cte(Bizerte, Hammamet), au cri de : Du pain, de leau, Ben Ali non ! Dans la nuit qui suit, plusieurs aubourgs de Tunis (Etthadamen, Malassine),

    86. Kasserine, aprs la chute de Ben Ali, le chire 60 est devenu un symbole omnipr-sent dans la ville : Des chaueurs de taxi lont afch sur leur pare-brise, des vendeurs

    de cigarettes devant leur marchandise. (Thomas Cantaloube,op. cit.)87. Tmoignage de Faicel Harhouri, rapport par Thomas Cantaloube,op. cit.88. Tmoignage de Faicel Harhouri, ibid. Citons aussi Ferchichi Magtoul : tant moi-mme originaire de Kasserine, je peux vous confrmer que le rgime de Ben Ali est tombl-bas (et Thala) durant le week-end sanglant aux couleurs de gnocide, du 8 et du9 janvier 2011. Cest en eet Kasserine et Thala que la barbarie de Ben Ali sest cassles dents sur la dtermination des enants des fgues de barbarie. (commentaire post la suite de larticle de Michael Ayari et Vincent Geisser, La rvolution des Nouzouhna pas lodeur du jasmin , sur le site de Tmoignage chrtien, 25 janvier 2011)89. Ben Ali avait ordonn de bombarder la ville de Kasserine , AFP, 13 avril 2011.90. Embrasement dans la capitale ,Assabilonline, 10 janvier 2011 (voir tunisnews.net).

    91. Des dizaines de maniestations Tunis ,Assabilonline, 10 janvier 2011.

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    sarrachent (enfn !) la surveillance et loppression policires, et se sou-lvent : la police, dborde, ait couper llectricit dans les quartiers r-volts. Kasserine et Thala, la population chasse la police, qui uit, selonles sources, le soir du 11 janvier ou le 12 en dbut daprs-midi, ce qui aitdelles les premires villes libres de Tunisie.

    Ce 12 janvier, des vidos de braquages de banques fctis commis par dessbires du rgime sont diuses dans le but de rpandre la conusion pro-pos de terroristes qui sment le chaos ; mais dj, plus aucune ville nestpargne par la subversion. Cest aujourdhui lensemble du pays, chaquergion, chaque ville moyenne qui manieste, rendant dsormais impossiblele recensement des cortges et des actions militantes, tant elles sont nom-breuses. 92 Sax, la grve est gnrale et une oule immense tient la rue.Dans la soire, larme est dploye dans Tunis et le couvre-eu proclam.

    Le lendemain, en dpit de la loi martiale, lmeute gagne encore du ter-rain et parvient jusqu moins dun kilomtre du palais de Ben Ali. Partout,on brle les commissariats et les bureaux du parti unique. La police secrterplique en intensifant ses oprations de dstabilisation : il sagit pour ellede gnrer le maximum de chaos en envoyant ses hommes de main com-mettre des pillages et des exactions ; mais plus personne nest dupe de lamanuvre, et la population dcide de sen protger en constituant ses pre-miers comits dautodense. Le soir, Ben Ali sexhibe pour la dernire ois la tlvision, pour larguer par-dessus bord tout ce qui lui reste et promettredsesprment tout et nimporte quoi : dabolir la censure, de crer trois centmille emplois, de ne pas se reprsenter la prochaine lection, de ne plusaire tirer sur la oule, etc.

    Le 14 janvier, linsurrection achve de se gnraliser. La jeunessedes quartiers populaires de Tunis, qui sest prpar une liste de noms etdadresses, derle sur la banlieue chic pour y saccager et incendier syst-matiquement les villas appartenant au clan Trabelsi (dlaissant les autres,y compris de plus luxueuses encore) 93. Tunis mme, le sinistre btimentdu ministre de lintrieur est assig par une oule immense, que la police

    92. Pierre Puchot, Tunisie : et si Ben Ali tombait ? , Mdiapart, 13 janvier 2011.93. Les rsidences de la amille Trabelsi Tunis mises sac , Le Monde, 14 janvier2011. Le phnomne nest pas spcifque la capitale : Comme ailleurs en Tuni-sie, la rvolte a t cible, chirurgicale, disent avec fert les habitants de Kasserine.Sur un btiment du RCD, les meutiers ont pris soin darracher des afches de BenAli le visage de lancien-prsident, sans dchirer le drapeau tunisien en arrire-plan.Juste ct, une casquette blanche trane par terre. Elle est comme neuve. Per-sonne nen veut car cest une casquette du RCD, samuse Nizam, un jeune hommequi la pousse du pied pour montrer le logo du parti. Alors elle reste l bien que nous

    soyons trs pauvres... (Thomas Cantaloube, op. cit.)

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    parvient touteois repousser dans le sang et la ume. Le peuple se ditprt dans un ultime soue marcher vers le Palais 94, mais Carthage,ltat-major de larme choisit desauver la tte de Ben Ali en lui laissant uneporte de sortie : alors le tyran, cern de toutes parts, senuit la tombe dela nuit, lchement, prcipitamment, comme un voleur.

    Linsurrection de dcembre-janvier a ainsi triomph en ce quelle estparvenue dcapiter ltat-mafa,ce qui quivaut videmment la premiretape, ncessaire et incontournable, dune relle, proonde, indniablervolution politique et sociale. Car cette rvolution, ce sont dabord et avanttout lespauvres qui lont aite : ce sont eux qui lont dclenche, eux qui

    lont dendue au risque de leur vie, eux qui lont mene sa premirevictoire, eux qui lont poursuivie aprs le 14 janvier, eux qui continuentaujourdhui lutter pour gagner le droit de vivre librement et dignementdans une socit meilleure. La posie ne sy est pas trompe :

    Qui a ait la Rvolution ?95

    Ce sont les FrachichCe sont les Hammama96 et pas les richesCe sont les porteaix

    Les cireurs et les maons des chantiers.Ce sont les chmeurs et les vagabondsLes gueux et les mendiantsCe sont les va-nu-piedsEt les fls de la balare.Ce sont les marchands ambulantsQui ont ait cette rvolution !Ce sont les enants de ThalaDe Kasserine, Regueb, et Jelma

    De Bouzaene, Sidi Bouzid et MeknassyLes enants oublis de larrire-pays.Cest la rvolution des opprimsDes ignors et des maltraits

    94. Tout sur la uite de Ben Ali , Ralits, 4 vrier 2011.95. Pome en dialecte tunisien de Wala Kasmi, janvier 2011, traduit et adapt parTmraire Mirage (reproduit sur http://revolisationactu.blogspot.com), lgrement retouchpar mes soins.96. Frachich et Hammama : anciennes tribus, misrables et mprises, qui peuplaient les

    rgions du centre-ouest (autour de Kasserine) et du centre (autour de Sidi Bouzid).

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    Cest la rvolution des truandsDes misrables et des mendiantsCeux qui passent dans les cas tout leur tempsCeux qui jouent la chkobba et au rami

    Et achtent les Cristal crdit.97Cette rvolution est aite par les passeurs de rontiresPar les immigrs clandestins qui arontent la mer.Cette rvolution est celle de ceuxqui nont jamais appris lhymne national.Cest la rvolution des insultsDe ceux qui sont ridiculiss par lpicierCeux qui sont engueuls par le boucher.Cest la rvolution

    De ceux qui ne ont pas de prvisionsCeux qui nont pas de comprhension.Cest la rvolution des clochardsDe ceux pour qui leur million est un dinarEt leur dinar vaut des milliards.Cest la rvolution de ceux qui nont pas de biensDe ceux qui ne perdent rienSils ne gagnent rien.Cest la rvolution de ceux qui sont plaindre

    De ceux qui respirent la poussire de lalbtreAu point que leurs curs sont devenus de marbre.Cest la rvolution des auchsQui ont ait ace aux balles des policiersHabills de leurs kachabias rapices.Cest la rvolutionDe ceux quon ouille avec humiliationCeux quon cache aux touristes de notre paysEt quon ne laisse pas monter dans les taxis.Cest la rvolution des ingratsDe Sebti, Lakhdhar et MeherziaEt Tawess et Manoubia 98

    De ceux qui mangent la bsissaEt dnent de pain et de harissa.Mon pays bien-aimCe sont eux qui nous ont apport la Libert

    97. Cristal : cigarettes premier prix, au got dammoniaque ( Cristal, le got de lhpital ,dit-on en Tunisie).

    98. Sebti, Lakhdhar, Meherzia, Tawess, Manoubia : prnoms populaires.

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    Dans un plat en or, ils nous lont oerteIls lont mis nos pieds et ils sont retourns leur misre.Et de chaque tribu, sont venus les amisEt sont venus les Tas bien compris Et puisquil sagit Et par consquent il se peut Et peut-tre bien il aut .Et venue aussi loppositionEt la coalitionLes acebookersEt les blogueursLes ministres et les journalistesLes visionnaires et les juristes

    Les sociologues et les conomistesLes potes et les artistes.Pour redresser le taux du dfcitEt le taux du PIB net ou brutDans la marge du dveloppement des zones reculesEt lattachement la rvolution du peuple tyrannisSuivant Marx ou limam Khomeiny, quils soient lous.Et comprendre le changement politique proondAu niveau du Maghreb arabe sans ondEt ceux qui ont prdit la rvolution depuis deux ansCertains mme lont prophtise depuis vingt ans.Et chacun des invitsAvec sa cuillre sest mis pturer dans la marmite de la libertQui lui a t servie dans son lit.

    Travailleurs pauvres ou chmeurs, cesproltaires, qui agissent par eux-mmes et pour eux-mmes, sans gourou ni cad, sans dieu ni matre , ontdonc cr de nouvelles conditions et de nouveaux rapports sociaux qui, detoutes parts, chapperont leur contrle, sils ne parviennent pas mieuxles matriser. Ce qui est lordre du jour, cest la question du pouvoir: qui ledtient, qui le contrle, qui doit bnfcier des mesures quil prendra. Dansles harangues et discours improviss dans les rues, dans les discussions et lesdbats la maison ou au ca, les aaires publiques occupent une placedsormais centrale.99 La rvolution tunisienne mene par les dpossds

    99. Dans les enqutes ralises depuis 2006 dans le cadre dune thse sur les politiquesde dveloppement dans les quartiers paupriss de Gasa, dans le Sud-Ouest tunisien,

    une expression revenait souvent : Mssayssa Mssawssa (Ce qui est politis est mit).

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