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  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    1/34

    MoN

    pnr

    Qrand

    j'tais

    gaminl,

    nous n'avions

    pas

    la

    tlvision

    i

    la

    maison.

    Pourtant,

    ma

    grand-mre

    et tous

    mes copains

    avaient

    la

    leur.

    Ils

    passaient

    les fins

    d'aprs-midi et

    les soires

    devant

    les

    feuilletons

    et

    les

    films

    dont

    je

    ne

    voyais

    que de

    petits

    morceaux.

    Mis mon

    pre dtestait

    ga.

    I1

    pfrut

    la lecture.

    Dans

    la maison,

    il

    y

    avait

    des

    tagres charges de liwes

    partout

    et des

    siges

    confortables

    pour s'enfoncer avec un

    pais

    roman.

    C'taitla fin

    des annes 7970:les lampes

    taient

    en

    plastique, les

    jupes

    courtes

    et

    les

    tlviseurs

    allums

    tous

    les

    soirs. Sauf

    chez

    moi.

    Un

    jour,

    alors

    que

    j'allais

    avoir douze

    ans,

    toute la famille

    tait

    runie

    A

    table

    pour

    le repas

    du soir, c'est--dire

    ma

    mre et moi,

    puis

    notre

    chien, Moustique,

    sans

    doute allong prs

    du

    four

    1.

    Gamin

    (n.m.):

    Enfant. (fan.)

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

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    encore

    chaud.

    l\{on

    pre s'est

    lev

    de

    sa

    chaise

    et

    a

    dcIa,

    d'un

    ton

    solennel:

    -

    Magali

    mon

    ccur,

    Baudouin

    mon

    grand,

    j'ai

    une

    grande

    nouvelle

    vous

    annoncer:

    demain,

    j'irzi

    au

    magasin

    d'lectromnager

    acheter

    un

    tlviseur.

    Comme

    je

    le

    regardais,les

    yeux

    ronds

    comme

    des

    assiettes

    et

    1a

    bouche

    ouverte,

    il

    a

    continu:

    -

    Oui,

    tu

    rn'as

    bien entendu,

    Baudouin.

    Et

    tu

    peux m'accompagner,

    si

    tu veux.

    Tous

    les

    poils

    de sa

    moustache

    semblaient

    dresss

    pour

    souligner

    I'importance

    de

    ses paroles.

    Je

    n

    ai

    jamais

    su

    pourquoi

    il

    avait

    chang

    d,avis

    ce

    soir-1.

    Mais

    j'tais

    trop

    content

    de

    sa dcision

    pour

    m'en

    tracasser.

    Itr s'est

    rassis,

    a saisi

    cou-

    teau

    et fourchette

    pour

    achever,

    dans

    un silence

    bruyant,

    son

    poulet,

    sa

    compote de pommes

    et

    sa

    pure

    de

    pommes

    de

    terre.

    Et

    avec

    Aa

    un

    bon

    demi-litre

    de

    bire

    brune.

    Moi,

    j'avais

    la

    tte

    pleine

    de

    dessins

    anims

    et de

    films

    de

    guerre.

    De

    concours

    tlviss

    et

    de

    jeux

    vido.

    Je

    jouais

    souvent

    chez

    un

    copain.

    Peut-tre

    qu'un

    jour,

    moi

    aussi,

    j'aurais

    droit

    ma

    console

    . Nous

    avons

    achev

    le

    poulet

    -

    je

    n'ai

    rien

    got

    du

    tout,

    j'avalais

    la

    nourriture

    sans

    y

    faire

    attention,

    ma

    tte

    tait

    ailleurs

    -

    puis ma

    mre

    a coup

    une pomme

    et

    nous

    l'avons

    partage.

    Aprs

    le repas,

    j'ai

    fil

    dans

    ma

    chambre,

    jouer

    avec

    mes

    cow-boys

    en

    plastique

    les

    scnes

    d'un

    film

    imaginaire.

    Le

    lendemain,

    mon

    pre installaitla

    tIvi-

    sion

    dans

    le

    salon,

    face

    au

    grand

    canap

    en

    faux

    cuir

    beige.

    I1

    n'y

    avait

    pas

    besoin

    de

    I'allumer,

    rien

    que

    sa

    prsence

    suffisait

    me rassurer:

    notre

    famille

    venait

    d'entrer,

    enfin,

    dans

    la

    modernit.

    Nous

    avons

    regard

    les

    informations

    tous

    les

    trois.

    Limage

    tait

    en noir

    et blanc

    et le

    pr-

    sentateur

    apparaissait

    deux

    fois

    cte

    cte

    mais

    nous

    avions

    I'impression

    d'assister

    un

    miracle2.

    Je

    me

    souviens

    de

    ce moment

    comme

    si

    c'tait

    hier.

    Nos trois

    corps

    un

    peu

    raides

    dans

    le

    canap,

    serrs les

    uns

    contre

    les

    autres,

    moi

    entre

    mon

    pre

    et

    ma mre:

    un instant

    surgi

    du

    pass,

    qui

    refuse

    d'y

    retourner

    parce

    qu'il me fait

    du

    bien.

    Mon

    pre

    n'tait

    pas

    grand. 11

    mettait

    chaque

    matin

    une

    de

    ses chemises

    bleu

    clair

    que

    je

    voyais

    ma

    mre

    repasser

    en

    fin

    d'aprds-midi,

    quand

    la

    soupe

    rduisait

    sur le feu.

    I1

    portait

    des

    lunettes

    d

    montures

    paisses,

    lgrement

    fumes,

    et des

    pantalons

    en

    matire

    synthtique,

    un

    peu

    larges

    10

    11

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    dans le

    bas,

    troits

    aux hanches.

    Au-dessus

    de

    tout

    cela,

    il affichait

    des

    chever.rx trop

    longs au

    got

    de

    ma grand-mre

    et

    une paisse

    moustache

    chtain.

    Il

    aurait

    trs

    bien

    pu

    tre

    dans l'uire

    de

    ces

    sries

    amricaines

    que

    nous

    pouvions

    main-

    tenant

    regarder

    sur

    notre

    tlvision.

    Sans doute

    n'aurait-il

    pas

    mrit

    le

    rle

    principal.

    A

    l'poq...,

    on

    n'imaginait

    pas raconter

    l'histoire

    d'un

    comp-

    table3

    employ

    au

    guichet

    d'une

    agence

    bancaire

    de

    quartier. Les

    feuilletons

    taient

    peupls

    de

    policiers en voiture

    ou

    ) moto,

    de

    gangsters

    et

    d'espions

    prts tout

    pour

    sauver

    leur

    pays. Mon

    pre,

    avec

    sa

    chaine en or,

    son portefeuiile

    rnarron

    et sa

    montre

    dore

    aurait

    pu

    la limite

    jouer

    un

    indicateura,

    un revendeur

    de bijoux

    ou un figurant

    la table

    de poker

    d'un cafe

    enfum.

    Peut-tre

    que dans

    sa

    tte

    lui

    il

    interprtait

    un

    peu tous

    ces

    rles

    la

    fois.

    Et c'est sans

    doute

    pour

    cela

    qu'il avait choisi

    comme

    voiture

    une

    Opel Commodore

    orange vif

    au-x ailes

    traverses

    par

    deux

    fines

    bandes

    noires.

    La

    voiture

    parfaite

    pour

    un

    petit truands

    dans

    une srie

    diffuse

    ['aprs-midi.

    3"

    Comptable

    (n.m.):

    Employ

    en

    chare desfnances,

    des cortptes

    d'une

    entreprise.

    4. Indicateur

    (n.m.)'.

    Personne

    qui

    danne

    des inforntaions

    d la

    pclice.

    5.

    Truand

    (n.m^);

    Personne

    qui commet

    des crimes.

    Tous

    les copains

    de

    l'cole trouvaient

    mon

    pre

    super cool.

    Ils

    auraient

    voulu

    avoir le mrne

    ) la maison.

    Mais

    ils

    ne

    I'avaient

    pas.

    Je

    ne I'aurai sans doute plus,

    trs bientt,

    rnoi non plus.

    Qrand

    les

    ambulanciers

    l'ont

    emmen

    dans

    leur

    camionnette

    blanche,

    sur

    un

    brancard

    roulettes,

    i1 tait blanc comme

    le

    drap

    dont il

    tait couvert.

    Sa

    moustache

    tait traverse

    par

    des poils gris,

    ma

    mre

    lui

    a

    retir

    sa

    montre

    de

    peur qu'on

    ne

    la

    lui

    vole

    i I'hpital.

    Sale

    truc

    dans

    les

    poumons6,

    qui

    a irra-

    di

    dans

    le reste du corps.

    Cette maladie

    ne

    mrite

    pas qu'on

    la

    nomme.

    On

    devrait

    refu-

    ser de

    lui

    prter

    des

    mots, de laisser le

    diction-

    naire I'accueillir

    parmi

    les

    noms communs

    de

    la

    langue frangaise.

    Encore moins dans

    les

    noms

    propres.

    Cette

    maladie

    ne

    devrait

    pas

    faire

    partie

    de I'aventure humaine.

    Elle est exacteffient

    tre

    contraire

    de

    la

    vie.

    On devrait

    i'appeler

    la maladie

    de

    la mort.

    Tout

    serait bien

    plus

    clair.

    6.

    Poumon

    (n.m):

    argane utilis

    pour respirer.

    .{QlF

    13

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    Dans toutes

    les

    circonstances,

    mon

    pre

    avait

    toujours gard

    le moral7.

    Mieux

    encore, c'est

    lui,

    justement,

    qui

    remontait

    le

    moral des

    autres,

    avec

    ses

    blaguess stupides

    et son

    grand

    rire

    qui

    prenait

    toute la

    place.

    I1 tait toujours

    au centre

    de I'attention, sauf

    quand

    il

    prenait

    le chien sur

    les

    genoux,

    pour

    lui

    parler

    au creux de

    l'oreille.

    Il

    avait

    impos

    cette

    habitude tous

    ses copains

    poilus.

    Illes tutoyait comme

    de

    vieux amis,

    com-

    mentant

    longueur

    de

    journes

    les ides

    qui

    lui

    passaient

    par

    Ia tte.

    Aprs Moustique,

    tIy

    avait

    eu

    Cannelle, puis

    Arabica et

    enfin Noisette. Au

    fil des annes,

    ils

    taient

    partis

    I'un

    aprs

    l'autre

    rejoindre le paradis

    des

    chiens,

    cette sorte de

    grand

    jardin

    dans

    les

    nuages o

    ils

    doivent

    aboyer

    longueur d'ternit.

    Tous ces chiens auxquels

    il

    s'attachait

    et

    qui

    disparaissaient aprs quelques

    annes, cela

    aurait d l'aider

    comprendre.

    Personne n'est

    1

    pour

    toujours.

    Pas

    mme

    mon

    pre.

    J'ai

    pourtant

    cru

    pendant

    de longues

    annes

    qu'il

    tait

    indestructiblee.

    Jamais

    malade,

    jamais

    7

    .

    Garder le moral

    (expr.)

    :

    Rester

    positif et

    de

    bonne

    humeur

    8.

    Blague

    (n.f.):

    Histaire

    drle,

    plaisanterie.

    9.

    Indestructible

    (adj.):

    Qu'an

    ne

    peut pas

    dtruire.

    fible,

    il

    partait

    la banque

    dans

    sa Commodore

    orange, la veste en cuir

    sur

    le dos, comme

    s'il

    filait rejoindre

    ses

    collgues

    au

    poste

    de police

    clans

    une voiture

    banalise,

    pour

    passer

    la

    jour-

    ne

    pister

    les

    voyous10,

    avalant

    caf

    sur caf,

    grillantll cigarette

    sur cigarette.

    Parce

    que, question

    tabac,

    il

    tait imbat-

    table.

    Mon

    pre

    achetait

    ses paquets

    de

    ciga-

    rettes au

    Lrxembourg

    o

    ils taient

    moins chers.

    I-lEurope

    ritait

    pas

    encore

    vraiment

    en

    place,

    chaque

    pays

    avait

    son propre systme

    de taxes

    et

    des douaniers

    aux

    frontires. On affichait

    un

    air

    dtendu

    au

    volant,

    on croisait

    les

    doigts12

    pour

    qu'ils

    ne

    fouillent

    pas

    la

    voiture.

    Mon

    pre

    se

    rendait une

    fois

    par

    mois au

    Luxembourg, dans

    la

    filiale

    locale de

    sa

    banque,

    en compagnie

    des

    bons

    clients de

    l'agence. C'tait

    du traficl3

    bon

    enfant: il

    remplissait

    le coffrela d'alcool

    et

    de

    tabac, dposait

    les

    titres,

    1es actions

    ou

    les bons

    d'tat,et revenait

    souriant,

    comme

    un bandit qui

    vient

    de

    russir le

    cassels du sicle.

    10.

    Voyou

    (n.m.):

    Personne qui

    cotnmet les

    dlits, des

    crimes' des

    ,uo/s.

    11.

    Griller

    une

    cigarette

    (expr.):

    Futter une

    cigarette.

    12.

    Croiser les doigts

    (expr.):

    Geste pourporter

    chance.

    13. Trafic

    (n.m.):

    Comrnerce

    interdit.

    14. Coffre (n.m.):

    Partie

    de

    la ooiture

    o on rnet

    les

    bagages.

    15.

    Casse

    (n.m.):

    Vo/.

    15

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

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    Qrand

    nous

    partions

    en vacances, ma

    mre

    tait assise devant, la carte sur

    les

    genoux

    avec

    son

    ncessaire de couture16,

    toujours silencieuse. Moi,

    j'tais

    seul

    I'arrire, allong

    sur

    la large

    ban-

    quette

    en skai

    tandis

    que

    mon

    pre

    manipulait le

    volantlT

    d'un

    geste

    dtach,

    comme

    si

    c'tait

    son

    occupation favorite.

    I1

    s'arrtait

    au

    bord

    des

    routes

    nationales pour fumer

    ses cigarettes Belga,

    un

    pied

    pos

    sur la roue avant. Il

    y

    a dans

    1a cuisine

    de

    la

    maison

    de mes

    parents une

    photo

    de

    lui dans

    cette

    position, probablement prise

    par

    ma

    mre

    un

    jour

    o nous

    roulions vers

    la

    traditionnelle

    villa

    en Espagne

    pour

    rejoindre,

    comme

    chaque

    anne,

    le

    troupeau

    de

    cousins,

    d'oncles

    et de tantes.

    Sur

    la

    photo,

    mon

    pre

    ne porte pas

    de chemise

    bleue: il

    est

    en t-shirt

    manches

    courtes

    et,

    sur

    son

    biceps repli,

    on

    devine

    un

    bout

    de

    tatouage.

    J'imagine

    qu'

    la

    banque,

    il

    passait pour

    un

    original.

    Il

    avait tudi

    la

    comptabilit et

    s'tait

    fait engage

    r

    avant mme de

    partir au

    service

    militaire.

    C'tait une poque

    bien differente de

    la ntre:

    on

    passait

    encore

    de

    longs

    mois

    saluer

    le

    drapeau

    et .

    enfiler

    son

    uniforme rnais on

    trouvait du bou1ot18 sans

    effort,

    on embauchait

    16.

    Ncessaire

    de couture

    (n.m.):

    Matriel

    pour coudre

    des

    cJtements.

    17.

    Volant

    (n.m.):

    Piice

    pour

    conduire une ztoiture.

    18. Boulot

    (n.m.):

    IiarLail.

    (Fam.)

    rartout.

    On avait

    peur des Sovitiques,

    peur

    de

    Ia

    bombe

    qui allait exploser,

    peur

    des terroristes

    rouges

    qui

    enlevaient

    les

    patrons

    1e,

    mais

    c'taient

    rle

    gentilles

    peurs dociles.

    D'un

    ct

    il

    y

    avait

    les

    mchants;

    de

    l'autre,

    les

    gentils.

    Chaque

    chose

    tait

    . sa

    place,

    l'univers tait

    stable

    et

    I'avenir

    s'annongait

    radieux2o.

    C'est dans ce monde-l

    que

    j'ai

    grandi.

    La

    crise

    du

    ptrole puis toutes 1es autres crises I'ont

    fhit

    disparaitre

    peu

    peu pour

    laisser

    place

    au

    rnonde

    d'aujourd'hui,

    plus

    rapide,

    presque

    ins-

    tantan

    et

    constamment

    angoiss

    par

    la

    peur

    d'avoir

    peur.

    Parfois,

    je

    me

    dis

    que

    j'ai

    de

    la chance.

    Beaucoup

    de chance,

    vrai

    dire,

    mme

    si

    je

    ne

    sais

    pas

    exactement

    pourquoi

    je

    le

    pense .

    La

    tlvision que rnon pre avait

    achete

    marchait

    bien

    mais

    nous n'avions

    pas

    le cble.

    Nous n'avions

    l'poque

    accs

    qu'

    une seule

    chaine, celle

    de

    la

    tlvision

    belge,

    qui

    n'mettait

    pas toute

    la

    journe.Je

    continuais

    lire

    beaucoup,

    du

    coup,

    surtout des romans

    policiers

    aux

    pages

    jaunies,

    qui sentaient

    1a

    vieille armoire2l

    jamais

    ouverte

    et

    la

    caisse en carton.

    Qrand

    j'entends

    aujourd'hui des

    lecteurs rclamer le plaisir

    du

    livre

    Patron

    (n.m.):

    Ce/ui qui

    cornmande. Chef

    Radierx

    (adj.):

    Beau.

    Armoire

    (n.f.):

    Meuble o on range les

    ,ztfements

    19.

    20.

    21.

    16

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    6/34

    papier,

    je

    me dis qu'on

    n'a

    pas

    d avoir

    la

    mme

    bibliothqu

    e. }j4.es Arsne

    Lupin

    dgageaient

    une

    odeur

    de

    moisissure,

    comme

    mes romans

    de

    Dumas

    et

    mes

    Agatha

    Christie.

    Et comme

    mes

    Simenon,

    aussi.

    Mais

    ga,

    c'est

    bien

    diffrent.

    I1 faudra

    que

    je

    vous

    en parle plus

    tard.

    11

    faudrait

    que

    je

    vous

    raconte tellement

    de

    choses.

    Mais

    je

    n'ai

    pas

    le temps,

    1,

    il faut

    que

    je

    garde

    un

    ail

    sur

    la route.

    Je

    ne

    voudrais pas

    envoyer

    la voiture

    dans

    le

    dcot2z.Non,

    pas

    aujourd'hui,

    car'

    cette

    fois, c'est

    moi

    qui

    tiens

    le volant.

    Et

    mon

    pre

    qui

    est sur

    la

    banquette

    arrire,

    les poumons

    en

    feu

    mais un

    large

    sourire

    sur

    le

    visage.

    22. Envoyer

    dans

    le dcor

    (expr.):

    Avoir un accident

    LAMAISON

    Les lieux

    ont une

    influence

    terrible sur

    les

    personnes qui

    les

    habitent. Et

    pourtant

    ces lieux

    eux-mmes

    ne seraient

    rien sans

    les habitants

    qui

    leur

    prtent

    vie. Vous

    connaissez

    dj

    mon

    pre;

    vous

    avez

    entrevu

    ma mre. Pendant

    toute

    mon enfance,

    je

    ne

    l'ai

    jamais

    apergue

    qu'ainsi,

    dans

    l'ombre,

    le

    regard

    teint,

    la

    peau

    tefne23,

    silencieuse,

    comme

    si

    on lui

    avaitvol,des annes

    plus

    tt, cette petite

    flamme intrieure qui

    allume

    le rire

    et

    dclenche

    le sourire.

    Elle s'appelait

    Magali,

    ce

    qui

    n'est pas le

    plus

    beau

    des

    prnoms

    du

    monde,

    el1e

    le

    disait

    elle-mme.

    Elle aurait

    prfr porter

    un prnom

    de

    princesse

    ou de

    premire

    dame.

    Mais

    on

    ne

    choisit pas.

    J'ai

    toujours eu du

    mal valuer

    la beaut

    de ma

    mre,

    je

    peux

    juste

    dire

    que

    mes

    copains

    19

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    7/34

    la

    trouvaient

    beaucoup

    moins

    cool que la

    prof

    de chimie

    et ses longs

    cheveux

    blonds

    ou

    que

    la

    directrice,

    avec

    sa poitrine monstrueuse

    et

    son

    regard svre.

    Dans

    mon imaginaire,

    une mre

    tait

    une

    personne

    tendre et

    douce,

    gnreuse,

    qui,

    pour

    un

    oui,

    pour un

    non,

    vous

    prend

    dans les

    bras

    et

    murmure

    1es

    mots

    qui

    rchauffent

    le ccur.

    Ma

    mre

    n'tait

    pas de cette

    trempe-l2a. Sans

    doute

    avait-elle

    subi un

    choc

    qui

    I'avait

    coupe

    du monde,

    dressant

    entre

    elle

    et son mari,

    entre

    elle

    et son

    fils,

    un

    mur invisible,

    qui la

    prservait2s

    peut-tre,

    mais f

    isolait

    surtout.

    Qrand

    elle tait

    en

    colre,

    elle

    regardait

    le mur, comrne

    si

    elle fixait

    la

    trajectoire

    d'une

    araigne rninuscule,

    ou elle

    murmurait sans

    force

    des rnots

    inarticuls

    que

    je

    ne

    pouvais comprendre.

    Elle

    avait install

    sous

    la

    vranda26 de I'ar-

    rire-cuisine

    un

    petit atelier de

    couture o

    e1le

    passait

    le

    plus

    clair

    de

    son temps,

    ies

    yeux

    fuyants,

    dans le

    silence un

    peu

    triste

    de la maison

    ou

    sous

    le

    crpitement2T

    de ia

    pluie qui

    rebondissait

    sur

    tre toit

    de

    verre.

    24.

    tempe

    (n.{.)

    :

    Qualit

    de rsistance

    d'une

    catgorie

    de personnes.

    25.

    Prserver

    (v.):

    Protger

    de

    quelque

    chose"

    26.

    Vranda

    (n.f.):

    Piice

    extrieut'e

    h

    la maison,ferme

    par

    des

    oitres.

    27.

    Crpitement

    (n.m.):

    Bruit.

    Mon

    pre tait tout I'oppos

    de ma mre. trl

    rnarchait

    grands

    pas,

    riait

    tout 1e temps, depuis

    la

    cuisine

    o

    il

    ouvrait des

    canettes de bire

    tl'une

    main

    avant mme

    d'avoir

    referm le frigo,

    iusqu'

    la

    salle

    de bain

    o son blaireau, sa mousse

    i raser

    et

    son

    matriel de manucure

    occupaient

    toute

    la place.

    Dans

    la

    chambre

    coucher, sa

    rrontre

    trnait

    sur

    la

    table de nuit, ses

    chemises

    bleues

    soigneusement

    repasses

    pendaient

    sur

    des

    cintres,

    ses

    chaussures

    en

    cuir marron taient

    rignes sous

    1e mme

    meuble. Le

    matriel de

    ma

    rnre tait

    peine

    visible:

    un sche-cheveu

    dans

    la

    salle

    de

    bain, un

    roman

    sentimental

    sur 1a

    table

    tle

    nuit. Tout

    le reste

    tait

    rang

    dans

    les

    tiroirs et

    lcs

    armoires,

    I'abri

    du regard

    et de

    la

    poussire,

    laissant

    toute libert

    mon

    pre

    pour exhiber ses

    symboles

    de

    virilit.

    Je

    crois

    qu'il

    aurait

    aim

    poser

    son

    arme

    de

    service

    en mme temps

    que

    son

    pantalon et ses

    chaussettes, mais

    ses

    seuls outils

    professionnels

    taient une

    calculette scientifique

    chiffres lumi-

    neux

    et

    une

    srie

    de

    tampons

    date.

    Il1es laissait

    dans

    sa

    mallette

    de cuir,

    qu'il abandonnait

    dans

    le

    petit

    ha1l

    de I'entre.

    C'est

    dans le vaste salon

    au

    premier tage,

    cclair

    par

    une large

    baie

    vitre

    qui s'tendait

    tout le long

    de

    Ia

    fagade, que

    je

    passais

    tout

    mon

    temps.

    Je

    jouais

    avec

    fires

    bonshommes

    en

    zt

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    8/34

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    9/34

    encofe

    gamin, avec

    un

    ton et

    un

    regard

    qui

    sou-

    lignaient

    l'importance

    de

    ses

    paroles:

    n

    Qrand

    tu lis,

    tu n'es

    plus toi-mme,

    tu

    es

    dans la

    tte

    de

    celui

    qui

    te raconte

    l'histoire.

    Et

    quand c'est

    un

    grand monsieur

    qui crit,

    avec

    de

    belles

    phrases

    et

    des histoires

    qui ont du

    souffle,

    c'est

    comme

    si

    l'univers entier tait

    dans tatCte,

    avec

    ie

    vent

    et

    les

    nuages,

    lnamourn

    la

    peur et le

    caur

    qui bat

    plus

    vite.

    "

    J'tais

    rest

    bloqu

    sur

    la

    fin,

    je

    ne

    voyais

    pas

    comment

    le

    ceur

    pouvait

    se

    retrouver

    dans

    la

    tte. En

    classe,

    j'apprenais

    la

    circulation

    san-

    guine33

    et,

    dans la tte,

    ma

    connaissance,

    il

    n'y

    avait

    que

    le

    cerveau.

    Mais

    j'aimais

    bien

    I'image

    du vent et des nuages.

    Je

    les

    regardais

    parfois de la

    fentre

    de

    ma

    chambre.

    Le

    ciel tait

    presque

    toujours

    gris,

    l'tendue

    infinie

    de

    nuages

    portait

    en

    son

    ventre

    des

    pluies lourdes

    et interminables.

    C'tait

    le ciel

    de

    ma

    jeunesse:

    avec une

    mto

    pareille,

    on

    est

    condarnn

    aimer

    la

    littrature.

    Je

    ne

    sais

    pas

    si le

    got

    de

    mon pre

    pour

    les

    ceintures

    grosses

    boucles

    et les vestes

    en

    cuir

    tait n

    la lecture

    des

    polars3a

    de

    gare

    ou

    des

    33.

    Sanguine

    (adj.):

    Sang.

    34. Polar

    (n.m.):

    Roman

    policier.

    r,)nruls

    de

    cape

    et d'pe

    mais

    il

    avait toujours

    ,r

    rt' llistoire

    sanglante

    tire

    d'un livre

    d'pouvante

    ,,,r

    rl'rrne

    enqute

    morbide

    pour picer

    la conver-

    ',;rtion.

    Nous

    passions

    au

    bord

    d'un

    canal

    ? I1

    ,

    r,,,rrrait

    une

    histoire

    de noys3s.

    Un arbre

    majes-

    trrcux

    longeaitla

    route, il

    parlait

    des branches

    ,'r:risses

    o I'on

    retrouvait

    jadis36

    les

    pendus

    les

    ',,,ir-s

    de

    pleine lune.

    Qrand

    il

    venait

    me

    chercher

    ,r I'c'c:ole,

    il

    me

    racontait

    1es

    rapts3T

    d'enfants

    et

    1,

    ,,

    rlisparitions

    inexpliques

    d'employs

    qui,

    1a

    lirr

    tl'une

    longue

    journe,

    ne

    rentraient

    pas

    chez

    r

    rx

    ct s'en

    allaient

    I'autre

    bout

    du monde

    pour

    ,

    lt'r

    l

    l

    lrrref

    une

    nouvelle

    vie.

    Il

    me disait

    que le

    got

    de

    la

    lecture

    lui tait

    \'('nu

    sur 1e

    tard,

    alors

    qu'ii faisait

    un stage

    la

    ,,,rnptabilit

    d'un

    journal

    local.

    Dans

    la

    salle

    ,lt'

    rdactiotr",

    ct de

    1a

    bibliothque,

    une

    vit'illc

    cravate3e

    tait

    suspendue

    un

    clou. Le

    rctlrrcteur

    en chef

    avait

    expliqu

    mon

    pre

    que

    ,

    ('ltc

    cravate

    en soie,

    bleue

    fines

    rayures

    grises,

    ,'(rrit

    le

    porte-bonheuraO

    de

    la

    rdaction.

    Qrand

    il

    t'trrit

    tout

    jeune,

    Georges Simenon,

    qui

    ricrivait

    "'

    Nrry

    (n.m.):

    Personne

    rnorte

    dans

    /'eau.

    ir,

    .f

    rrdis

    (ad:'.):Autrefois,

    aztant.

    ii

    l{apt

    (.n.m"):

    Enlaement.

    ili

    S:rlle

    de

    rdaction

    (n.f.):

    Piece

    o trs.ttaillent

    les

    journalistes.

    i').

    (lrrvate

    (n.f.):

    Arcessoire

    r,testimentaire

    que I'on porfe

    autour

    ,/t/

    tt)il

    vec Une chemise.

    Itl

    l)orte-bonheur

    (n.m.):

    Objet

    qui donne

    de

    la

    chance.

    24

    25

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    10/34

    pas

    encore

    des romans

    policiers, avait

    travalll

    au

    journal.

    Au

    dbut,

    il

    tapait

    ses

    articles

    la

    machine,

    la

    cravate

    pose

    sur l'paule

    pour

    ne

    pas qu'elle

    retombe

    vers

    le

    clavier.

    Mais il

    tapzit

    si

    vite

    que sa

    cravate

    glissait

    sans cesse

    et venait

    encombrer

    labarre

    d'espacement.

    Il

    avait fini

    par

    l'enlever

    ds

    qu'il

    arrivatt

    la

    rdaction

    et

    l'enfiler

    chaque

    fois

    qu'il partait

    en reportage.

    Et

    quand

    il

    avait

    quitt

    la rdaction

    pour de

    bon,

    abandon-

    nant Lige

    pour

    Paris,

    iI

    avait oubli

    de

    reprendre

    sa

    cravate

    qui

    pendait au clou.

    Les

    employs de

    la

    rdaction

    la

    conservaient

    en souvenir,

    ct

    de

    quelques aventures

    du

    commissaire

    Maigret

    au

    format

    poche,

    dformes

    par

    les

    lectures

    rp-

    tition.

    Mon

    pre les

    avait

    lues

    l'une

    aprs

    I'autre

    pendant

    son

    stage

    et,

    le

    dernierjour,

    en venant

    la

    rdaction

    ,1I

    avait

    emport une

    cravate de

    son

    pre et I'avait

    suspendue

    au

    clou

    la

    place

    de

    celle

    de

    l'crivain.

    11

    tait reparti

    zveclavrzie

    cravate

    de Simenon,

    qu'i1 avait

    accroche

    son tour,

    en

    guise

    de

    porte-bonheur,

    sur

    la

    chemine

    du

    salon,

    entre le

    portrait de ses

    grands-parents

    et

    une

    photo de moi

    en

    culottes

    courtes,

    chevauchant

    un

    tricycle

    en

    bois.

    J'ai

    entendu

    cette histoire

    des

    dizaines

    de

    fois: la

    fin

    d'un repas,

    des

    collgues

    de 1a

    banque,

    des

    amis

    de

    passage ou

    mrne,

    un

    soir,

    son

    chef

    d'agence

    bancaire.

    Je

    prtais

    une

    .rrrlrrrion

    toute

    particulire

    aux

    dtai1s41

    qu'il

    ,

    llrrrll'rrit

    selon

    le

    public.

    Devant

    son suprieur,

    l.r

    t r;rvrrtc

    lui avait

    t

    offerte

    par

    son

    maitre

    ,1.

    r;trrgc

    avec

    des

    felicitations;

    pour

    les amis,

    il

    .r,rrlrrit

    parfois que

    Simenon portait

    aussi

    cette

    {

    r

    :rv:rtc

    lc

    jour

    o

    il

    s'tait prsent

    chez

    son

    pre-

    rrrrcr

    cliteur ou que,

    dans

    une

    lettre

    Personnelle,

    .rl(Ir:j

    (lue

    l'crivain

    habitait

    en

    Suisse,

    Georges

    rrr,rrr

    pre se permettait

    alors

    de

    I'appeler

    par

    ',,,rr

    rrnom

    -,

    lui avait dit qu'il

    esprait

    bien

    un

    l()ur.

    rcvenir

    Lige

    rcuprer

    sa cravate, qui

    lui

    '

    rrrrruait beaucoup.

    -

    Elle

    I'attend

    encore,

    concluait

    mon pre,

    trt's

    frer

    de

    son

    effet.

    Georges

    est

    mort

    avant

    ,l':rvoir

    le

    temps

    de

    revenir

    la

    chercher.Je

    suis

    cer-

    t;rirr

    que dans son

    hritagea2,

    il

    a

    d

    mentionner

    t'r r

    pctits

    caractres

    qu'il

    me

    1guaita3

    sa

    cravate,

    ,,,rrdition

    que

    je

    la

    conserve

    avec le

    meilleur

    soin,

    l,icn

    entendu.

    Georges n'aaait

    pas

    eu Ie temps

    de passer

    la

    t,'chercher.

    Mon

    pre

    aurait

    d couter

    ses propres

    ,,n'oles.

    Qrand

    je

    les rpte

    prsent,

    j'entends

    sa

    r,,

    rix

    habite par

    un large

    sourire

    ,

    rnais

    j'y

    entends

    I I

    .

    Dtail

    (n.m.):

    Petit lment.

    .

    l.f

    . I{ritage

    (n.m.)

    : Les

    objets

    ou I'

    argent qu'on

    regoit

    de

    quelgu'un

    ,/tti lneurf.

    l.i.

    Lguer

    (v.)

    : Donner

    aprs sa mort

    et

    I'indiguer

    sur san

    testalnent-

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    11/34

    comme

    l'cho d'une

    flureaa

    intrieure.

    Mon

    pre

    se

    rvait

    indestructible,

    comme

    Simenon,

    mieux

    encore,

    comme

    le commissaire

    Maigret,

    qui

    pour-

    suit

    jamais

    ses

    aventures

    chaque

    fois

    qu'un

    lecteur

    ouvre un

    des

    romans dont

    il

    est

    le

    hros.

    Mais

    personne

    n'est

    jamais

    l'abri du

    pirea5.

    11

    faut

    dire

    que

    1a

    cravate

    lui avait

    rendu

    de

    nombreux services.

    I1

    la

    portait

    le

    jour

    o

    i1

    s'est

    prsent

    la banque pour

    son entretien

    d'embauchea.

    Aprs cinq

    minutes de

    discussion,

    le

    grantaT

    de l'agence

    lui serrait

    la

    poignea8

    et

    lui

    prsentait

    Ie reste de

    l'quipe.

    L,e

    jour

    o

    il

    avait

    t convoqu

    pour

    faire

    partie

    d'un

    jury

    de cour

    d'assises,

    et

    qu'il

    redoutaitae

    de

    passer

    plusieurs

    mois dans

    une salle de

    tribunal,

    TI

    avait

    mis

    une

    chemise,

    nou

    la ca\rate

    porte-bonheur

    et

    fi1s0

    droit

    vers

    le

    palais

    de

    justice,

    certain

    de

    russir

    chapper,

    d'une

    manire ou

    d'une

    autre,

    son

    44.

    F1ure

    (n.f.):

    Blessure,

    ruqture.

    5.

    A

    l'abri du pire

    (expr.):

    Protg

    du

    malheur.

    46.

    Entretien d'embauche

    (n.m.):

    Rencontre entre

    un candidat

    pour

    un tra'uai/

    et un

    etnployeur.

    47. Grant

    (n.m.):

    Patron.

    48.

    Poigne

    (n.f.):Main.

    fam.)

    49.

    Redouter (v.):Atoir1>eur

    de

    qttelque

    chose.

    50. Filer

    (v.)'.

    Marcher

    rapidement.

    ,|.'voir

    de

    citoyen.

    Arriv

    sur

    p1ace,

    il

    avait dcou-

    \1('r't

    (llle

    1e

    procs

    tait

    annul:

    I'accus

    s'tait

    1,,'rrclu

    dans

    sa celluie,

    refermant

    jamais

    le

    dos-

    ,

    it'r

    f

    udiciaire.

    Mon

    pre

    a

    pu

    dnouer

    Ia

    cravate,

    I'r r-ouler

    soigneusement

    et

    rentrer

    1a maison

    en

    rlr:rrirnt

    tout son

    temps.

    Pas

    question

    de

    se

    pr-

    ,,r'ntcr

    a:utravall alors

    que

    sa

    convocation

    comme

    irrrt:

    lui

    offrait

    une

    journe

    de

    temps

    libre.

    I1

    allait

    ',,rrvoir

    bricoler ou

    lire un roman d'espionnage.

    ('t'

    n'taient

    1

    que quelques

    exemples,

    i1 en avait

    lricrr

    d'autres.Il

    ne

    portait

    pas

    la cavate le

    jour

    de

    ',,,rr

    rnariage

    mais

    I'avait

    enfile

    le

    jour

    o

    il avait

    ,'lliciellement

    demand

    la

    main51

    de

    ma

    mre

    'r

    son

    pre,

    dans

    l'appartement

    poussireux

    et

    ,',,rnbre

    de mes

    grands-parents.

    11

    1a

    portait

    le

    jour

    ,,rr

    il

    avait

    ngoci

    l'achat de

    sa

    Commodore

    et

    l,,r'sru'ils

    avaient

    sign

    I'acte d'achat

    de

    la maison

    ,lt'vuttt

    le

    notaire.

    Ce

    n'tait

    pas

    uniquement

    un

    porte-bon-

    l','rrr.

    Qrand

    j'coutais

    mon

    pre,

    je

    me

    rendais

    t rrrnpte

    que

    la

    cravate

    lui

    servait de porte-bon-

    lr.'rrr,

    de

    gti-grisz

    rassurant. Un

    peu

    comme

    mon

    ,)urs

    en

    peluche53,

    au

    fond. Si

    mon

    pre

    riavait

    t

    rrrint

    le

    ridicule,

    il

    aurait sans

    doute volontiers

    ',

    I

    .

    I

    )cmander

    la main

    (v.)

    '.

    Demander au pre le

    droit

    de

    se

    marier

    ,,,',t

    v.f//e.

    ',

    '

    (

    )ri-gri

    (n.m.):

    Porte-bonheur.

    '' i

    (

    )rrrs

    en

    peluche

    (n.m.)

    :

    Jouet

    en

    forrne

    d'ours.

    29

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    12/34

    roul

    la

    cravate

    autour de

    son

    poing

    serr au

    moment

    de s'endormir.Je le

    comprenais.J'aurais

    moi-mme

    eu

    bien

    du mal

    abandonner

    mon

    ours en

    peluche.

    La

    preuve:

    il est

    encore

    post

    sur

    une

    tagre,

    dans mon

    studio,

    pas

    loin

    de

    mon

    lit.

    D'ailleurs,

    l'cole

    primaire,

    alors

    que

    je

    devais

    prsenter

    un expos,

    j'ai

    hsitsa

    plus d'une

    fois

    dcrocher la

    cravate

    pour

    la

    porter

    en

    classe.

    Mais la

    peur

    du ridicule

    m'a

    retenu.

    Le complet

    veston ntait

    dj

    plus

    la

    mode et

    encore moins

    Iz

    cravate.

    J'ai

    affront seul mes

    angoisses

    pour

    parler

    la

    classe des

    plateformes de forage

    en

    mer du

    Nord,

    puis quelques annes

    plus

    tard, de

    la

    fabrication

    des

    ours en

    peluche.

    j'avais

    pour

    I'occasion

    t autoris

    amener

    mon

    doudou

    l'cole

    et

    sa

    prsence

    mes

    cts

    pendant

    I'expos

    m'avait

    donn

    une

    confiance

    que

    je

    riavais

    jamais

    ressentie

    auparavant.J'avais

    obtenu ia note

    maxi-

    male.

    Si

    je

    voulais rditerss

    l'exploit, il fallait

    que

    je

    trouve un sujet

    aussi

    passionnant

    pour moi.

    Derx

    ans

    plus tard,

    en

    dernire

    anne de mes

    tudes

    primaires,

    je

    1'ai

    trouv.

    Hsiter

    (v.):

    Ne

    pas russir h choisir

    entre

    plusieurs

    choses.

    Rditer

    (v.)

    : Recommenrcr.

    LA

    CRAVATE DE

    SIMENON

    J'avais

    tellement

    hsit

    demander

    la

    ','r'rnission

    rnon

    pre

    que

    j'avais

    fini

    par

    me

    ,,rrvaincre

    qu'il

    refuserait

    de toute

    fagon.

    Je

    ,lt'vuis

    agir

    en

    cachette.

    Le matin,

    au

    moment

    ,lt' rejoindre

    la table

    du

    petit djeuner,

    alors que

    l',rtlcur

    chaude

    du

    cafe

    m'indiquait

    que mon

    pre

    ,'t:rit

    dj attabl,occup

    sans

    doute

    feuilleterle

    j,,rrrnal

    la recherche

    des

    rsultats

    de

    matches

    de

    f , rotball

    qu'i1

    riavait

    pas

    \'rrs sur

    la

    seule chaine de

    r rotre

    tlvision,

    j'ai

    iravers le salon sur la

    pointe

    ,lcs

    piedss6.J'ai dcroch

    Ia

    cravate et

    je

    I'ai

    glisse

    ,l:rns

    mon

    cartable.

    A table,

    je

    n'ai

    rien mang.Je

    ne

    pouvais pas

    rrr'cmpcher

    de

    penser ,Ia cravate.

    Ma

    mre

    a

    r

    ,,lcv

    la

    tte

    dans un

    mouvement

    bref et

    j'ai

    i,'u

    ''(,.

    Macher

    sur

    la pointe

    des

    pieds

    (expr.) :

    Marcher

    sans

    4.

    55.

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    13/34

    son

    cil

    noir

    me

    scruters7.

    Je

    lui ai

    dit

    que

    j'avais

    un

    expos

    d

    faire en

    classe

    et

    que

    je

    n'avais

    pas

    faim. Mon pre

    m'a demand

    de

    quel

    sujet

    j'allais

    parler, sans

    quitter

    son

    journal

    des yeux

    et, trs

    fier

    de

    mon

    aplomb,

    j'ai

    dit

    que

    j'allais

    parler

    des

    radios libres.

    Mon

    pre a

    ri,

    comme

    il

    le faisait

    chaque

    fois

    que

    j'ouvrais

    la

    bouche,

    et ma mre a

    serr les

    mains

    autour

    de sa

    tasse

    de

    lait

    chaud.

    J'tais

    provisoirement

    tir d'affaire

    s8.

    Qrand

    mon tour est venu

    de monter sur

    I'estrade,

    mes

    jambes

    tremblaient.

    J'ai

    racont

    la vie de Simenon, sa

    naissance Lige prs

    de

    l'Htel de

    Ville,

    son enfance

    dans

    le

    quartier

    d'Outremeuse

    puis

    ses dbuts

    la

    rdaction

    d'un

    journal

    local.

    C'est

    ce moment-1

    que

    j'ai

    mis

    un

    chapeau

    en

    feutre

    et

    pris

    une

    pipese, que

    j'avais

    tous deux

    emprunts

    l'appartement

    sombre

    de

    mes

    grands-parents.

    Les lves taient

    plus

    silen-

    cieux

    que

    jamais.

    Je

    sentais qu'ils

    m'coutaient

    avec attention.

    J'ai

    parl

    des premiers

    romans

    de gare60, des

    livres

    publis sous

    pseudonymes6l

    et

    j'en

    suis enfin

    arriv au commissaire

    Maigret,

    57.

    Scruter

    (v.):

    Obseroer.

    -^3\:

    58.

    t tre

    trre d

    attalre

    (expr.):

    Ltrc sau'u, /ronqut/lc.

    59. Pipe

    (n.f.):

    Objet

    long

    pourfumer le tabac.

    60.

    Roman

    de gare

    (n.m.):

    Roman

    qu'on

    achte dans /es gares

    pour

    lire

    en eqtage.

    61.

    Pseudonyme

    (n.m.):

    Faux

    nom

    utilis par

    les criains.

    .rrrr

    trrductions

    dans

    1e

    monde

    entier.

    Les lves

    n

    r'tit'outaient

    avec

    1a

    bouche

    ouverte.

    Qrand

    je

    l,

    rrl

    rr.i dit

    que

    Simenon avait

    dclar avoir couch

    ,,r,,'t'

    clix

    mille femmes,les

    lves ont clat

    de

    rire

    ,'t

    lrr maitresse s'est

    leve, furieuse.

    E1le voulait

    rr('

    l)unir

    mais

    j'ai

    sorti un

    numro spcial

    de

    I'lrt'bclomadaire62

    oj'avais

    lu

    cette phrase

    et, avec

    ,rr

    ;rir-de

    chien battu,

    je

    lui

    ai

    demand

    ce

    que

    ',ul:rit

    dire

    u

    coucher

    avec

    une

    femmeu.

    Elle

    s'est

    .rl,r's

    tourne

    vers

    la

    classe,

    a

    cri

    d'un

    ton

    cassant

    (

    lu'('llc

    allait col1er63 le premier qui

    ouvrait

    encore

    I'r lr

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    14/34

    mir

    trs

    riche

    pour

    l'obtenir.

    J'ai

    pouss

    le

    dtail

    jusqu'

    ajouter

    que

    l'mir

    avait poursuivi

    mon

    grand-pre

    sur

    1e

    trajet

    vers

    sa

    voiture,

    le priant

    de

    lui

    revendre

    la

    cravate

    au

    double

    du

    prix,

    mais

    qu'il

    avait

    refus

    catgoriquement'

    Il

    tenait

    trop

    ce

    que

    cette cravate

    revienne

    en

    Belgique

    tout

    jamais. Heureusement,

    personne ne m'a

    demand

    pourquoi

    cette

    cravate

    tait

    importante,

    je

    ne

    sais

    pas

    sij'aurais

    russi

    inventer une

    rponse.

    Qrand

    j'ai

    fait

    le tour

    de

    la

    classe

    pour

    que

    chacun

    regarde

    la cravate

    de plus

    prs,

    j'ai

    d

    repousser les

    mains

    qui

    voulaient

    la

    toucher.Je

    sen-

    tais

    I'air vibrer.Je

    portais

    un objet

    magique.

    Mieux

    qu'une

    Vierge

    miraculeuse

    ou qu'un

    autographe

    de

    footballeur:

    j'avais

    une

    vraie

    cravate

    d'crivain.

    J'ai

    t

    applaudi

    la frn de

    mon

    expos.

    Mon

    souri

    re

    tait

    aussi

    large

    que

    celui

    de

    mon

    pre,

    quand

    il roulait

    sur

    1es

    routes

    natio-

    nales

    au volant

    de sa

    Commodore.

    Je

    pense

    que

    c'est

    ce soir-l,

    dans

    mon

    lit,

    que

    j'ai

    compris

    que

    je

    ne

    deviendrais

    jamais

    comptable.

    J'avais

    remis

    la

    cravate

    i

    sa place

    et

    personne

    n' avzit

    rien

    remarqu.

    J'avais

    nouveau

    obtenu

    la note

    maximale

    et

    j'tais

    si

    heurerx

    que

    j'avais

    envie

    de

    le rester

    longtemps.

    Je

    regardais

    le

    plafond

    de

    ma

    chambre.

    La

    lueur6a blanche

    de

    64. Lueur

    (n.f.):

    Lurnire

    l'.'r'lrrirage

    public

    tait

    de

    temps

    autre

    balaye

    I'rrl

    lcs

    phares parallles

    des

    voitures

    de

    passage

    ,l:rrrs

    la

    rue. Comptable,

    c'tait un

    mtier srierx,

    rr'flchi.Je

    n'tais

    pas

    un

    gamin

    comme

    cela.

    Ce

    {

    |

    r

    r

    c

    .i'avais

    aim, cet

    aprs-midi-ld,

    c'

    tait

    le

    plaisir

    r

    lt' rrrconter

    une

    histoire

    en

    toute

    libert,

    sans

    tre

    r

    r

    rrrtraint ni par

    lavrit ni

    par

    l'exactitude.J'avais

    rrstc

    cherch

    captiver

    mon

    public.

    Je

    venais

    de

    dcouvrir

    le

    bonheur

    de mentir6s.

    f

    .'

    voulais devenir crivain.

    ll

    me

    restait

    crire, c'est

    vrai.

    Je

    n'avais

    irrstlu'ici

    fait

    que

    raconter,

    mais

    je

    pressentais

    que

    lr'

    rassage

    de

    la

    parole

    au

    papier

    ne

    serait pas

    le

    'lrrs

    difficile.J'tais

    l'ge o

    l'on dessine

    encore

    :r longueur de

    journe,

    o

    I'on

    invente un

    pome

    ,'rr

    rrssemblant

    des mots

    qui

    riment plus

    ou

    moins,

    ,,ir I'on peut

    passer

    deux

    heures

    crire

    une

    lettre

    ct

    rlcux

    semaines

    fivreuses

    attendre

    la

    rponse.

    f

    ':rviris

    pass

    tant

    de

    temps

    dans

    les

    pages des

    lrvrcs,

    j'avais

    lu

    tant

    d'intrigues66

    et

    de

    rebondis-

    :;r'rnents,

    de

    dguisements

    et

    de

    coups

    de thtre,

    ,

    rrc

    rien

    ne

    me

    semblait plus

    simple

    et naturel

    que

    ,l'irnaginer

    une

    histoire remplie de

    mensonges.

    Je

    suis

    rest longtemps

    contempler6T

    le

    'lrrfbnd.J'en

    avais

    I'impression,

    du

    moins. Aprs

    Mentir

    (v.):

    Ne pas dire

    la x,rit.

    I

    ntrigue

    (n.{.)

    :

    Histoire.

    Contempler

    (v.)

    : Regarder.

    ,

    /

    34

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    15/34

    deux

    minutes'

    en

    raIit,je

    dormais

    poings

    ferms8.

    l,r.:,oilr d'un stylo,

    d'un

    cahier

    et de

    beaucoup

    de

    r

    ('t

    I rl)s.

    Et

    du temps,

    dans

    la

    vie,

    on n'a

    jamais

    que

    9a.

    ll me restait

    trouver un

    bon

    sujet et

    me

    rrrcl

    (l-e

    au

    travail.

    A fotce d'espionner

    latI

    des

    voisins,

    j'avais

    l

    rrri

    pur

    remarquer leur

    fiIle.

    Elle

    tait plus

    ge

    ,

    rrc

    rnoi,

    de

    derx ou

    trois

    ans

    certainement.

    Elle

    , ,,

    j,,rrait

    jamais,

    passait

    son temps

    allonge

    dans

    '

    rr r I r.rnsat72,

    les

    jours

    de beau

    temps.

    Cach

    der-

    , ,,',,'

    lcs

    tenturesT3

    de

    ma

    chambre,

    je

    la

    regardais

    rr. r'icn

    faire .longueur

    d'aprs-midi.

    Je

    me

    ,

    l*

    nndais

    d'aiileurs ce qui

    lui

    passait

    par

    la tte

    rl,,rs

    c1u'elle

    restait

    ainsi,

    1es

    yeux

    mi-clos7a, face

    .,,,

    ,,,,lcil,

    sans musique et

    sans

    livre,

    je

    ne

    pouvais

    ,,,

    ',rginer

    pire

    torture, puis

    je

    me

    rendais compte

    ,rc

    rnoi

    aussi,

    derrire

    ma

    tenture,

    les doigts

    ,

    r r:,rs

    sur

    le

    rebord

    de 1a

    fentre,

    je

    ne faisais

    rien

    ,l'.rutr-c

    que

    de

    contempler

    un

    spectacle

    qui

    me

    ',,,,rlrlait.

    Peut-tre aimait-elle

    le lent

    dfil

    des

    ,r,rl'(:s,l-haut

    dans

    le ciel plus

    blanc

    que

    bleui

    I

    i

    r

    r

    I

    tre, en

    regardant

    les traits blancs

    laisss

    par

    '

    l

    rursrt

    (n.m.):

    Long

    sige qu'on

    met

    dans le

    jardin

    /'t.

    :

    L

    r

    rl

    r

    rrcs

    (n.f

    .)

    :

    Tissus

    qui

    courtrent

    les

    fentres, rideaux.

    t

    ,\

    I

    r

    . lr

    rs

    (adj.)

    :

    ,4 moitiferne.

    De

    la

    vie

    de

    Simenon,

    j'avais

    retenu

    deux

    choses

    capitales:

    il

    n'avait

    pas

    commenc

    par

    l'criture

    de

    roman

    mais par

    le

    journalisme

    et'

    plus

    important

    encore

    ,

    tl avait

    trouv

    le

    temps,

    en

    plrrs

    'crire

    un

    roman

    toutes

    les

    six

    semaines'

    d'aimer

    plus

    de femmes

    qu'un

    homme

    ne

    peut

    en

    rrrer.

    Alors

    que

    d'autres

    courent

    aprs

    l'argent

    ou

    la

    clbrit,

    moi,

    je

    rvais

    tout

    simplement

    de

    libert

    et de

    Pages

    noircir6e.

    Qrand

    j'tais

    la

    fentre

    et

    que

    je

    voyais

    ma

    mre

    coudre

    ou

    mme,

    plus

    tard,

    quand

    je

    tentais

    de

    regarder la

    tlvision

    des

    voisins

    depuis

    le seuil

    de

    la=veranda,

    en

    me

    dressant

    sur

    la

    pointe

    des

    pieds,

    la maison

    familiale

    me

    paraissait

    tre

    une

    prison

    ou un

    monastre70.

    Ma

    mre

    repassant

    et

    .olr.urrt

    tait

    une

    recluseTl.

    Les

    murs

    gris

    cein-

    turant

    le

    jardin

    taient

    ceux

    d'une

    prison'

    Pour

    m'vader,

    il

    n'taitpourtant

    question

    ni d'chelle

    ni

    de

    tunnels

    dans

    les

    caves.

    J'avais

    simplement

    68-D.t-tt

    i

    p"tttgs

    ferms

    (expr'):

    Dornir

    profondnent'

    69.

    Noircir

    des

    pages

    (expr.):

    Ecrire

    b?aucauP

    de

    Pa4$'

    70.

    Monastre

    (n.m.):

    Lieu

    a'tti

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    16/34

    les

    avions

    dans

    le

    ciel,

    rvait-elle

    aux

    destinations

    lointaines

    o

    elle

    n'irait

    jamais

    ?

    C'est

    partir

    de

    cette

    ide

    que

    je

    me

    suis

    rnis

    crire

    mon

    premier

    roman

    d'aventrrre.

    Prisanniers

    dans

    Ia

    jungle

    de

    Borno

    racontait

    I'expdition

    d'une

    infirmire

    l'autre

    bout

    du

    *ottd".

    J'avais

    eu

    I'ide

    toute

    simple de

    mler

    les

    paysages

    exotiques

    de

    mes

    romans

    d'aventure

    f

    intrigue

    sentimentale

    des

    livres

    en srie

    que

    dvorait

    ma

    mre.

    Mon

    hroine

    tait

    infirmire

    dans

    un

    hpital

    de

    banlieue

    et

    rencontrait

    un

    patient

    riche

    et

    aventurier,

    hritier

    d'une

    famille

    de

    1a

    noblesse

    anglaise'

    Itr traversait

    les

    zones

    les

    plus

    recules

    de

    la

    plante

    la recherche

    de

    miaux

    rares,

    de pierres

    prcieuses

    et

    de sta-

    tuettes

    indignes7s.

    Fascine

    par

    les

    rcits

    de son

    patient,

    LaIy

    -

    c'tait

    le

    prnom

    de

    mon

    hroine,

    je

    l'avais

    trouv

    dans

    un

    magazine

    en

    feuille-

    tant

    les

    pages

    au

    hasard

    -

    dcidait

    de

    le

    suiwe'

    videmment,

    leur

    expdition

    tait

    attaque

    par

    des

    indignes

    hurlant,

    mes

    hros

    se

    retrouvaient

    prisonniers

    dans

    une

    hutte,

    f infirmire

    tait

    ter-

    iifie

    et

    I'aventurier

    clou

    au

    sol par

    de

    multiples

    fracturesT6.

    Elle

    le soignait

    nouveau,lui

    donnait

    du

    courage

    et

    il finissait

    par

    1es

    sauver.

    En

    route,

    75.

    Indigne

    (a.):

    Qui

    est

    originaire

    du

    pays'

    76.

    Se flre

    nne

    fract,..re

    (expr'):

    Se

    casser

    un

    mem'bra

    ,l

    'r:rrrgeaient

    du

    serpent et

    des

    sauterelles77,

    r,

    r.rrricnt

    un

    avion,

    tuaient

    plusieurs

    flins

    et se

    |

    ,.rr1,rrricnt

    dans

    I'ocan.

    J'tais

    persuad

    d'avoir

    , ,

    ,r

    un

    roman formidable.

    l'rrvais

    six pages

    de

    texte manuscritTs.

    f

    c

    ne

    pouvais

    pas

    faire lire

    le

    rsultat

    d la

    ',,r,,irrr:.J'tais

    bien

    trop timide

    pour

    I'approcher,

    ,

    ,,',rrrriris

    jamais

    os

    lui tendre

    mon

    texte par-

    '

    l

    , ,us

    le

    mur

    et

    lui

    proposer

    de le

    lire.

    Pour ne

    ,i r

    rrrranger,

    mon

    criture

    tait

    peu

    lisible

    et

    ,',ris

    rnoi*mrne

    du

    mal

    relire certains

    dialo-

    ,',,,

    ,,

    .f

    'allais

    devoir

    tout

    recopier

    au propre.

    l,c

    soir, alors que

    ma

    mre

    passait

    la

    soupe,

    I

    r

    rr'tc

    baisse, elle

    a

    dit

    d

    voix

    basse, mais suffi-

    ,r unrcnt

    fort

    pour

    que

    je

    l'entende:

    [1y

    a une

    machine

    crire

    dans

    le

    grenier.

    l

    ',

    r:ror)ne

    ne

    s'en

    sert,

    tu

    peux la

    prendre

    dans ta

    ,

    l'.rrrlrre.

    .l'ai

    senti

    un

    frisson

    parcourir

    mon dos.

    (

    r,nrrelrt

    ma

    mre

    avait-elie

    devin

    que

    j'cri-

    ,

    .r.,

    i

    -f

    e n'en

    avais

    pad

    d

    personne,

    je

    riavais pas

    1.,, ,:.t:

    trainer mon

    cahier,

    je

    I'avais rang

    dans

    mon

    r

    ',

    rir..

    Peut-tre me

    regardait-eile aussi

    avec

    des

    ,,,',clles,

    pendant

    que

    j'crivais

    ?

    Avait-elle

    fouill

    r,r,rn

    tiroir? Espionn

    parle

    trou de

    la serrure?

    S,,,,,.t.11.

    ("-f)

    :

    Insecte.

    r:

    N'l:rrruscrit

    (2d1.):

    crit

    a

    la

    main.

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    17/34

    -

    Q,a

    fait une semaine

    que

    tu

    as

    de

    l'encreTe

    plein

    les doigts

    avant

    chaque

    repas'

    m'a-t-elle

    rpondu

    avec un

    petit sourire,

    alors

    que

    je

    rt'avais

    rien demand.

    J'tais

    pat.

    Ma

    mre tait

    capable

    de sou-

    rire Et elle

    avait

    de vrais

    talents

    de dtective,

    comme Sherlock

    Holmes Moustique

    est

    venu

    se

    frotter

    contre mes

    jambes

    et mon pre

    est

    entr

    dans

    la cuisine.

    -

    Lave-toi

    les

    mains

    avant

    de passer

    i

    table,

    a-t-elle ajout

    pour

    mettre

    fin i la conversation.

    Comme

    ma mre

    tait au

    courants0,

    j'ai

    voulu dire

    i

    mon

    pre

    que

    j'avais

    crit

    un

    roman.

    Mais

    le moment

    tait

    mal choisi,

    mon pre

    s'est

    mis

    debout,

    face i son

    bol

    de

    soupe

    et i

    imiter

    un

    de ses

    fidles

    clients qui

    boitait8l

    en

    entrant

    dans l'agence. Pour

    jouer le

    vieux

    client,

    mon

    pre

    roulait

    les

    r82,

    trbuchait

    sur

    la moiti

    des

    mots,

    parlait

    trop

    fort

    et clignait

    des yeux

    toute

    vitesse. C'tait

    drle.

    J'ai

    beaucoup

    ri. Du coup,

    je

    n

    ai pas

    os83

    lui dire

    ce que

    j'avais

    fait

    I'aprs-

    midi.

    79.

    E.ncre

    (n.f.):

    Liguide

    utilis dans

    les

    stylos'

    80.

    Etre

    au

    courant

    (v.):

    Sa'ztoir quelgue

    chose.

    81.

    Boiter

    (v.):

    Marclter

    dfficilement.

    82.

    Rouler

    les

    r

    (expr.)

    :

    Prononcer

    la lettre R

    en

    roulant la

    langue.

    83.

    Ne pas oser

    (expr.):

    Ne

    pas

    avoir

    Ie courage.

    Le

    lendemain,

    ma

    mre

    m'aidait

    descendre

    la

    machine

    crire du

    greniersa

    et

    m'offrait

    une

    pile

    de

    papier

    usag

    pour que

    je

    puisse taper mes

    textes

    au

    dos des feuilles.Lardactionss

    de

    mes

    romans

    est

    un

    secret

    que

    nous

    partagions, elle et

    moi,

    dans le dos

    de

    mon

    pre.

    J'avais

    I'impression

    de

    devenir un homme.

    J'ai

    d

    crire une dizaine

    de

    ces

    romans

    d'aventure, probablement

    un par

    semaine.Je pas-

    sais

    mes mercredis

    aprs-midi et

    mes

    week-ends

    le

    dos

    courb

    sur

    mon cahier ou

    sur

    le

    clavier

    de

    la

    vieille

    Olivers6

    mal

    huile.

    Je

    rangeais les

    feuilles

    dactylographies87,

    soigneusement

    agrafees

    et

    perfores, dans

    un grand

    classeur anneaux, o

    une

    tiquette

    "

    Hypoth

    ques

    1977

    "

    rappelait

    que,

    dans une

    autre vie, ce matriel

    avait servi

    dans

    I'agence

    bancaire o mon pre

    usait

    les

    coudes

    de ses

    chemises bleu

    clair.

    Je

    ne

    faisais rien lire,

    je

    gardais

    toutes

    ces

    cuwes,

    qui

    me

    semblaient

    d'une

    qualit inestimable,

    pour

    le

    jour

    o

    un

    di-

    teur, au nez

    plus

    fin

    que tous

    les autres,

    viendrait

    84. Grenier

    (n.m.):

    Piice

    au dernier tage

    des

    maisons.

    85. Rdaction

    (n.f.)

    : criture.

    86. Oliver:

    Margue

    de

    machine

    crire.

    87.

    Dactylographie

    (adj.):

    crite a,uec

    Ia

    machine d

    crire.

    41

    0

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    18/34

    sonner

    la porte

    d'entre

    et

    demander

    lire

    le

    contenu

    de

    mes

    tiroirs pour

    le publier88

    intgta-

    lement.

    Rsum

    ainsi, f

    ide

    semble

    ridicule

    mais

    elle

    est

    assez

    proche

    de celle

    que

    je

    me figurais.

    Je

    rvais

    de

    dcouverte

    et de

    rvlation.

    I1 ne

    suffisait pas

    de

    voir mon

    nom

    sur

    la couverture

    d'un livre,

    il

    fallait

    que

    j'en

    publie

    des dizaines.

    C'tait

    sans

    doute

    la meilleure

    excuse,

    en

    ralit,

    pour

    ne

    rien

    montrer

    i

    personne.

    C'tait

    mon

    monde secret

    et, mme

    si

    ma

    mre

    me

    demandait

    de temps

    d

    autres

    comment

    allait

    mon

    criture,

    mme

    si

    je

    la

    soupgonnais

    d'avoir

    tent

    de

    lire

    I'un ou

    l'autre

    de

    mes textes

    pendant que

    j'tais

    i l'cole,

    j'tais

    persuad

    qu'elle

    n'y comprenait

    rien.

    J'tais

    convaincu

    que

    seuls

    de

    wais

    diteurs

    pourraient

    remarquer

    mon gnie

    littraire.

    Eile

    n'a

    jamais exprim

    le

    moindre

    com-

    mentaire

    et

    je

    la remercie.

    Avec

    le

    recul,

    je

    pense

    qu'elle

    n'aurait

    pas

    trouv grand-chose

    de posi-

    tif

    souligner.

    Mais

    l'poque,

    seul

    dans

    mes

    cahiers,

    seul

    avec

    mon clavier,

    je

    me laissais

    mon

    talent

    imaginaire.

    Je

    n'ai

    jamais

    fait lire

    le

    moindre

    texte

    la fille

    des

    voisins.

    Qrand

    |'t a

    laiss

    place

    I'automne,

    ce

    qui,

    en

    Belgique se

    produit

    sou-

    vent

    au

    dbut

    du

    mois d'aot,

    elle

    est

    rentre se

    88.

    Publier

    (v.):

    Faire

    paratre un livre.

    rchauffer

    auprs de la

    lampe

    n

    U.V.

    De mon

    ct,

    .i'ai

    continu

    crire, sur

    mon bureau, prs

    de la

    f'entre.

    Elle n

    tait plus sous

    mes

    yeux

    dans

    le

    jardin

    mais,

    pendant plus

    de six mois,

    je

    n'ai pas

    crit

    une

    ligne sans

    penser

    elle.

    Qrand

    elle

    a

    dmnag

    l'anne

    suivante,

    j'ai

    hsit

    foncer

    vers la

    voiture,

    au

    moment

    o

    son

    pre refermait

    dfinitivement

    la

    porte

    d'entre,

    pour

    lui

    offrir un

    de mes

    textes.

    Je

    pensais que

    ce

    geste

    aurait

    t

    un bel

    adieuse. Mais

    je

    rt'avais pas

    de

    copies.

    Mes exemplaires

    taient

    uniques,

    si

    je

    Iui

    en

    donnais

    un,

    je

    ne

    le reverrais

    sans doute plus

    .iamais.

    Lequel

    devais-je

    choisir? Un de ceux que

    je

    prferais,

    mais

    alors

    il

    serait

    perdu

    pour

    moi?

    Un

    moins russi, mais

    alors elle penserait

    que

    .i'tais

    un

    mauvais

    crivain.I-lhsitation rria retenu,

    ie

    rt'ai pas

    boug

    de

    la fentre

    et

    j'ai

    vu

    la

    voiture

    s'loigner,

    suivie du camion

    des

    dmnageurs.

    Une page

    se tournait dfinitivement

    sur

    mon

    adolescence.

    Je

    m'en

    voulais,

    j'enrageais

    contre

    moi-mme

    et

    je

    suis

    remont

    m'enfermer

    dans

    ma

    chambre.

    Je

    n ai

    pas crit

    une

    ligne.

    Je

    crois que

    si

    j'avais

    pris

    le

    temps de

    niasseoir

    au

    bureau,

    j'aurais

    crit

    de la

    posie,

    c'est

    dire quel

    point

    il

    vaJait

    mierx

    que

    je

    niabstienneeo.

    J'tais

    ti9.

    90.

    Ldeu (n.m.):

    Au

    reooir.

    S'abstenir

    (v.):

    oiter defaire quelgue

    chose.

    43

    2

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    19/34

    un

    homme,

    un vrai. Du

    moins,

    je

    l'esprais.

    Un

    jour, je

    conduirais

    une

    Cornmodore

    et

    j'aurais

    une

    veste

    en

    cuir.Je

    poserais un

    cendrierel

    ct

    de ma machine

    crire.

    Je

    boirais

    du whislgz.

    Je

    coucherais

    avec

    des f'ernmes.

    Dans

    mon

    univers,

    les

    potes

    ne

    fumaient

    pas,

    itrs

    rvassaient.

    Aprs

    avoir pleur

    en silence

    pendant

    une bnnne heure,

    je

    me suis

    jet

    sur rnon

    clavier

    et

    j'ai

    crit d'une

    traitee2

    un histoire

    horribie

    o une

    jeune

    fiile

    se

    faisait

    couper en

    morceaux

    par

    un boucher

    devenu

    fou

    d'amour,

    Qui

    la

    revendait

    ensuite

    en saucisse

    et

    en

    boudin

    ses

    propres

    parents

    inconsolabtres.

    A la

    frn de mon histoire,

    le

    pre

    soupEonnant

    le

    comrnertant

    de lui

    cacher

    quelque

    chose,

    pn-

    trait dans

    son frigo

    la nuit

    tombe.

    La

    porte se

    refermait

    dans

    son

    dos

    et

    le mari

    entendait

    son

    futur

    bourreau

    appeler

    sa

    propre femme pour

    lui

    dernander

    si elle souhaitait

    comrnander

    encore

    un

    peu de

    saucisse.

    Les

    annes

    ont

    fil

    mais

    je

    n'ai

    jamais

    cess

    d'crire. Au

    moment

    de

    choisir

    des

    tudes

    supr'ieures,

    j'ai

    hsit

    entre la littrature

    et

    le

    Cendrie

    (n.m.):

    Objet

    oit an,net

    les cendres

    des ci,qarettes

    Ecrirc J'une traite (cxpr.): Errirc

    d'ttn scu/

    roup.

    l{)ulltiiisff}e.

    Four

    moi,

    l'un

    et I'autre

    formaient

    l,

    ';

    tleux

    cts

    d'une

    seuXe

    pice:

    je

    n'allais

    tout

    ,lt

    urme

    pas

    jouer

    rna

    carrire

    n

    pile ou

    face.

    |

    'rlluit*itr

    que

    je

    lise les

    romaris

    crits

    par

    rnes

    pr_

    ,l.r'csseurse3,

    Que

    je

    les

    dcortique

    et

    les

    ausculte

    l,r,,,lLr'ALrx

    derniers

    replis

    de

    ieur

    nombril

    pour

    ,lt

    r

    riuvrir mon

    propre

    ternprarnent d'auteur?

    I\,'

    valait-il

    pas mieux

    que

    j'aille

    1a

    dcouverre

    ,l,r

    nrondeu

    de

    ses

    faits

    clivers

    et de

    sa

    mauyaise

    lr,rlt:ine

    au

    lever

    du

    jour,

    si

    je

    voulais

    que

    mon

    ,

    l:rvier

    accouche

    d'autre

    chose

    que

    des

    phrases

    I'i.rr

    tournes

    ?J'tais

    assis

    sur

    mon

    lit

    quand

    je

    r(

    suis

    souvenu

    de mon

    expos

    l'cole;

    c'est

    ':rr

    Ie.journalisme

    que

    Simenon

    en

    tait

    venu

    r

    l'criture

    de

    fiction,

    je

    der,,ais

    suivre

    la

    mme

    r.ir.r

    Qe

    iui,

    moins

    pour rnettre

    mes

    pas dans

    les

    ,r(

    ns

    que

    pour

    pouvoir enfiler

    sa

    cravate,

    tre

    plus

    ,(

    'rivett

    possible.

    Pendant

    mnn

    adolescence,

    les

    choses

    1a

    ,';rison

    n'avaient

    pas beaucoup

    boug.

    Je

    n,ac-

    ,,,nrpagnais

    plus

    mes

    parents

    en

    Espagne

    mais

    n

    rr

    )ir

    pre

    conduisait

    encore

    seul"

    11

    ne

    roulait

    plus

    ,

    ',

    Opei

    Cornrnociore

    et, avec

    l'ge,

    avait

    opt

    l,(

    )ur

    urle

    Saab

    900,

    de

    bon

    pre

    de farnille

    . Ilaiatt

    1',

    is

    clu

    grade,

    la

    banque.

    11 dirigeaif

    dsormais

    l'rdcesscur

    (n

    .m.):

    Pcrsonne

    gui,

    dans

    un

    dom.aine

    parliculier,

    r

    it.

    praduit

    des

    chzses

    :tvant

    une

    autre

    pei

    slntle.

    lili

    l

    9r.

    92.

    44

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    20/34

    les

    deux

    autres

    employes

    du

    guichet,

    directement

    sous

    les

    ordres

    du

    giant

    de

    I'agence'

    I1

    bricolait

    i

    la

    maison,

    lisait

    toujours

    autant'

    Ma

    mre

    tait

    reste

    gale

    elle-mme,

    silencieuse

    et

    applique'

    Elle

    cuilinait

    trois

    fois

    par

    jour

    et

    prenait

    rguli-

    rement

    ses

    mdica-"t'tt

    pour

    assister

    sa

    diges-

    tion.Toujours

    ses

    acidits

    l'estomacea,

    du

    moins

    le

    croyais-je.11a

    fallu

    que

    mes

    tudes

    secondaires

    ,'".h.r.tti

    pour

    qu'enrr,

    put

    une

    aprs-midi

    de

    pluie

    o

    je'rriennuyais

    dans

    la

    cuisine,

    je

    finisse

    iu,

    or'r.rri,

    la

    boite

    et

    lire

    la

    notice

    de

    ses

    mdi-

    iaments.

    Les

    entreprises

    pharmaceutiques

    font

    tout

    pour

    qu'on

    tt"

    lit"

    jamais ces

    instructions

    imprimes

    lu

    lo.tp",

    o

    les

    langues

    se

    suivent

    en

    ,roi,

    ",

    blanc,

    sans

    ordre

    clair,

    sur

    un

    seul

    papier'

    I1

    m

    a

    fallu

    de

    longues

    minutes

    pour

    reprer

    les

    infos

    intressantes au

    milieu

    du

    texte

    incompr-

    hensible.

    Mais

    une

    vidence

    m'a

    soudain

    saut

    auxyeux:

    ces

    piluleses

    ne

    faisaient

    rien

    du

    tout

    d

    l'estlmac;

    elles

    taient

    censes

    rgler

    I'humeur

    et

    ap

    aiser

    1'

    angoisse.

    C' taientdes

    antidpress

    eurs

    e

    "i

    d",

    tran{uillisants

    que

    ma

    mre

    absorbait

    en

    grande

    quantit.

    J'ai

    cru que

    mes

    malns

    ne

    ces-

    "rai"rrt

    jamais

    de

    trembler'

    Mes

    doigts

    tressau-

    taient

    de

    la

    gauche

    la

    droite,

    froissant

    la notice

    94.

    95.

    96.

    Estomac

    (n.m.):

    Wntre'

    Pilule (n.f.)

    :

    Mdicament'

    A;;i;.;t."r

    (n.m.): Mdicament

    contre

    Ia

    dpression'

    tluns

    un

    bruit

    d'ailes

    de moineaueT qui

    agonisee8.

    .f

    c ne parvenais

    pas

    d

    nien empcher.

    Je

    restais

    assis, les yetx

    rivs

    sur

    cette

    boite

    lcctangulaire

    quej'avais tant

    et

    tant

    de

    fois

    ache-

    tc

    pour

    ma mre

    la

    pharmacie

    du

    quartier.

    J'ai

    lcv

    le regard

    et

    j'ai

    vu sa haute

    chaise face

    dIa

    rnachine

    coudre,

    de

    l'autre

    ct

    de la

    porte

    vitre

    tlc I'arrire-cuisine.

    J'ai

    regard le mur dcrpi

    tlu

    jardin

    et

    j'ai

    remarqu

    ce que

    je

    rt'avais

    jamais

    rcpr

    pendant toutes ces annes.

    La

    peinture

    rlrr

    mur

    qui

    nous

    sparait des voisins

    tait cail-

    lc:

    des taches

    d'humidit montaient du sol

    et

    tlcrivaient

    sur

    la

    surface du mur

    des lzardes

    Iortures.

    Je

    m'tais tant intress la

    fille

    qui

    lr

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    21/34

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    22/34

    LAMALADIE

    Voil

    comment,

    grand

    gamin

    devenu

    jeune

    adulte,

    je

    me

    suis

    retrouv

    employ

    non pas

    crire

    des

    romans

    palpitants

    ou

    des

    actualits

    brlantes

    mais pay

    pour

    inventer

    du bara-

    tin106

    pour

    des

    socits

    en

    mal

    de

    clients.J'tais

    rdacteur

    commercial,

    dans une

    socit

    de

    mar-

    keting, qui

    brassait beaucoup

    de

    vent.

    Entre

    les

    histoires

    d'assassins107

    crapuleux

    qui

    cherchent

    le

    meilleur

    moyen

    de

    ne

    pas

    se

    faire

    arrter

    et

    les

    rcits

    d'entreprises

    qui

    s'inventent

    un

    pass

    glorieux

    pour

    vendre

    leurs produits,

    itr

    y

    a bien

    des

    points

    communs.

    LzraLit

    cde

    toujours

    la

    place

    la

    fiction.

    A

    force

    de raconter

    la crois-

    sance

    de petites

    et

    moyennes

    entreprises

    sans

    intrt,

    spcialises

    dans

    I'emb allage

    sous

    vide,

    Baratin (n.m.)'.

    Mensonges

    pour

    sduire

    Assassin

    (n.m.)'.

    Tueur.

    I'expdition

    de

    pices

    dtaches

    ou

    les

    fosses

    septiques

    pour

    particuliers,

    j'ai

    d dployer

    des

    rrsors

    d'imagination.

    A

    chaque

    nouveau

    client,

    il

    faut

    trouver

    l'approche

    originale,

    le

    point

    de

    vue

    parfait,

    celui

    qui

    permet

    au

    lecteur

    de

    ne

    l)as

    trop

    biller

    et au

    commanditaire

    de

    rgler

    la

    f

    rrcture

    avec

    un

    sourire

    satisfait

    (et

    soixante

    jours

    rle

    dlais,

    c'est

    1a

    rgle,

    ajouterait

    mon

    prl,

    s'i1

    tait

    en tat

    de commenter).

    J'avais

    quitt

    la

    maison

    familiale,lou

    un

    petit

    studio

    au

    centre-ville

    et rencontr

    une

    jeune

    fille

    tle

    mon

    ge

    qui,

    I'usure,

    avait

    accept

    de

    venir

    s'installer

    chez

    moi

    et

    de

    dormir

    dans

    le

    mme

    lit.

    Nous

    formions

    ce

    qu'on

    appelle

    un

    jeune

    couple,

    c'est--dire

    derix

    solitudes

    qui

    se

    frottent

    ct

    se

    froissent,

    redoutantlos

    que trop

    d'intimit

    ne

    vienne

    briser

    la

    magie

    fragile

    des

    premires

    rcncontres.

    Comme

    si

    l'amour

    tait

    un

    hritage

    tui

    vous

    tombe

    dessus

    dans

    un

    grand

    .o.rp

    "

    f

    oudrelOe

    et

    qu'il

    s'agit

    de

    prserver

    en

    vitant

    lcs

    dpenses

    irresponsables.

    erelle

    imbcillit.

    I

    In

    couple

    ressemble

    plutt

    un

    enfant

    qu,on

    rrurait

    adopt110

    bien

    aprs

    la

    naissance,

    dont

    rrn

    r

    , ,lf

    n.a.*"t

    t"f

    Anoir

    peur.

    l{)').

    Coup

    de

    foudre

    (expr.):

    Fai

    de

    tombcr

    amoureux

    au premier

    r

    t',qard.

    ]

    '0,,,Efi"r.rdopre:

    Enfant

    lezr

    par

    une

    autrefarnille

    que

    sa

    ,

    r

    t

    t

    t

    i //e

    b

    i

    o logiq

    ue.

    106.

    t07.

    51

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    23/34

    doit dcouwir le

    caractre

    et

    les

    passions,

    en

    se

    mfiant

    de

    ses

    humeurs

    tranges

    et

    de ses

    fai-

    blesses qui ne tarderont

    pas se manifester. Il

    faut

    tre

    attentif

    tout

    moment, deux: avoir

    envie

    des

    mmes

    choses

    en mme temps,

    prserver

    la

    magre

    et construire

    peu

    peu la

    waie complicit.

    C'est

    exactement

    ce que

    je

    n'arrivais

    pas

    faire.

    Je

    devinais comment

    je

    devais

    m'y

    prendre,

    avec des fleurs

    et

    des chocolats,

    des attentions

    et

    des

    surprises romantiques, beaucoup d'coute

    aussi mais

    je

    ne

    faisais

    rien

    de

    tout

    ga.Je

    m'endor-

    mais devantlatl,je

    passais des heures i

    relire

    des

    textes

    sur

    mon

    ordinateur,

    je

    ne

    rangeais

    ni

    mes chaussettes

    ni

    mes calegons,

    je

    m'loignais

    peu i

    peu

    de

    I'image

    idale

    du

    fils

    unique

    prt

    tout pour

    sa

    belle.

    Elle a fini

    par p^rtir, bien entendu. C'tait

    prvisible etj'aurais faitlamme chose

    i

    sa

    place.

    Je

    serais

    retourn

    faire Ia fte

    avec mes

    copines

    pendant quelques

    annes,

    en attendant de ren-

    contrer le bon type111, celui

    qui

    a

    autre chose

    en

    tte

    que

    d'crire

    des

    romans.

    Parce que c'est

    cela

    qui

    me tenait

    distance de ce monde.

    Je

    m'tais

    lanc dans la

    rdaction d'une

    srie

    fantastique,

    dans

    un monde trs

    semblable

    au

    ntre, o

    un

    gamin

    dcouwe

    qu'une touche

    du

    clavier

    de son ordinateur a

    disparu et

    que

    le

    trou

    donne

    accs

    un monde

    incroyable,

    cach

    f

    in-

    trieur

    du

    ntre.

    Comme le

    point

    de

    dpart

    tait

    le

    mme

    que celui dUlice

    au

    ?aJts

    des

    meraeilles,

    j'avais

    appel

    mon

    hros

    Ali.J'avais

    des tas

    d'ides

    de

    calemboursll2

    qui

    me

    faisaient

    rire tout

    seul,

    ce

    dont

    j'avais

    l'habitude.

    Elles auraient

    sans

    doute

    fait

    rire mon

    pre aussi, car tout

    le faisait rire.

    Mme

    son

    cancerll',

    peut-tre. Mais

    je

    n'en

    suis

    pas

    sr.

    Qrand

    je

    me suis

    retrouv

    seul dans

    I'appar-

    tement,

    aprs

    avoir tourn

    en rond pendant des

    jours

    entiers,

    j'ai

    appel

    ma mre

    pour demander

    si

    je

    pouvais

    passer

    manger

    la maison.

    Sa

    voix

    m'a sembl

    trange,

    comme

    brise.

    -

    Ton

    pre ne va

    pas

    bien.

    On

    peut

    mme

    dire

    qu'il va trs

    mal.

    C'est

    ce

    qu'elle

    m'a

    dit,

    c'est tout

    ce

    que

    j'ai

    entendu.Je

    n'ai

    plus cout la suite.J'ai

    travers

    la

    ville

    pied, sous

    une

    pluie

    fine,

    je

    marchais

    aussi

    vite

    que

    mes

    jambes

    et mon ccur

    me le

    permet-

    taient.

    Je

    pensais

    tant de

    choses d'un coup

    que

    je

    ne

    pensais

    rien.

    Ma

    tte tait

    vide

    comme

    un

    hall

    de

    gare la nuit,

    quand

    les guichets sont

    112.

    Calembo,,r (n.m.):Jeu

    de mots.

    113.

    Cancer

    (n.m.):

    Maladie mortelle.

    53

    111. Type

    (n.m.):

    Homme.

    52

  • 8/9/2019 La Cravate de Simenon

    24/34

    ferms.

    J'attendais

    peut-tre

    le

    premier

    train

    du

    matin.

    J'attendais

    quelque

    chose qui

    ne viendrait

    pas.

    S'ily

    a bien une vidence, c'est

    qu'avant

    de

    tomber malade, mon

    pre

    taitenpleine

    forme.Il

    avait des

    projets

    plein

    la

    tte:

    il

    ailait transformer

    le

    grenier

    de

    la maison

    pour

    y

    installer

    un bureau,

    construire un atelier

    dans

    le

    garagella

    et un

    garage

    la

    place

    de

    l'abri de

    jardin,

    dmonter les tagres

    de

    la

    cave,

    remplacer la

    chasse

    d'eau des W.-C.

    I1

    avait

    aussi

    le

    projet

    de se

    mettre

    la

    course pied,

    de faire

    plus

    souvent

    les

    courses

    avec

    sa femme,

    de

    s'acheter

    Ia

    pare

    de

    bottes

    texanes

    dont

    il

    rvait

    depuis toujours, d'emmener

    ma mre

    en

    Italie

    sur

    les traces de leur voyage de

    noces11s.

    I1 m'avait aussi

    promis

    de venir rparer

    la

    douche

    dans

    mon studio,

    de

    passer

    une

    fois une

    soire

    devant la tlvision

    avec

    moi,

    de

    regarder

    un

    match de

    foot

    en buvant

    une bire, nous

    ne

    l'avions

    jamais

    fait

    ni I'un ni l'autre.

    Tout

    cela

    itait

    plus

    au

    programme.

    Qrand

    je

    suis

    arriv

    chez ma mre, et en

    crivant

    ces

    mots,

    je

    fais

    un

    saut dans

    le

    temps,

    ce soir-l, c'tait encore

    la maison,

    tout

    simpie-

    ment,

    celle

    de

    mes

    parents,

    celle

    o

    j'avais

    grandi,

    114. Garrge

    (n.m.):

    Endroit de

    la

    maison o on

    gare

    Ia toiture.

    j'ai

    compris

    que

    les choses taient

    plus

    srieuses

    encore

    que

    je

    ne I'avais imagin. Ma mre

    n'tait

    plus qu'une

    paisse ride116

    qui

    lui

    traversait

    le

    front

    et s'tendait sur