Horace - Oeuvres

379
1

Transcript of Horace - Oeuvres

Page 1: Horace - Oeuvres

1

Page 2: Horace - Oeuvres

HORACE

ŒUVRES

ODES CHANT SÉCULAIRE — ÉPODES

SATIRES ÉPITRES ART POÉTIQUE

Traduction, introduction et notes

par

François Richard

GF-Flammarion

Page 3: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION

Page 4: Horace - Oeuvres
Page 5: Horace - Oeuvres

I. LA VIE

Une courte biographie écrite par Suétone, et dans

laquelle il est surtout question des rapports entre Augusteet le poète, quelques commentaires plus ou moins sûrs

de Porphyrion et d'Acron, telles sont les sources assez

pauvres où nous pouvons puiser pour nous documenter

sur la vie d'Horace. Heureusement, l'œuvre est là, quinous fournit des renseignements caractéristiques et

précis, et nous permet de connaître les principaux événe-

ments d'une vie qui fut, dans l'ensemble, simple et unie.

Quintus Horatius Flaccus naquit le 8 décembre 65av. J.-C. à Venouse, dans l'Italie méridionale, sur les

confins de l'Apulie et de la Lucanie. Il ne semble pasavoir connu sa mère, dont il n'est jamais question dans

son œuvre. Son père, ancien esclave public et affranchi,

était receveur aux enchères et possédait un petit bien qu'il

avait acquis sur ses économies. C'est là, à la campagne,

que l'enfant vécut ses premières années, et mena,

semble-t-il, une existence libre et indépendante avec les

petits paysans. Quand il fut en âge d'aller à l'école, son

père, qui avait reconnu en lui de sérieuses qualités d'intel-

ligence et de jugement, ne voulut pas le confier à Flavius,

le maître d'école de Venouse, et décida de le conduire

lui-même à Rome, après avoir sans doute affermé son

petit bien (55 environ).Il s'arrangea pour que l'enfant, au milieu de ses condis-

ciples, ne sentît jamais l'infériorité de sa naissance il

avait, comme les autres, des vêtements fins, et des

esclaves l'accompagnaient 1. Le père lui-même était son

répétiteur, assistait aux leçons, et, sans jamais le

contraindre, assouplissait et dirigeait cette petite nature

i. Satires I, VI, 78.

Page 6: Horace - Oeuvres

8 HORACE

indépendanteen lui montrant,par des exemples,cequ'ilconvenaitde faireou d'éviter2.Forméà cetteexcellenteécole,l'enfant,sousla directiondu « fouetteur»Orbiliuset d'autresmaîtres,étudiala grammaire,leslettreslatines,puis les chefs-d'œuvre grecs. Déjà même, son talentnaissants'exerçaità composerde petites piècesde versgrecs3, auxquelsil renonçaassezvite. Puis, quand sonpère jugea que son éducationà Rome était terminée,il n'hésita pas à faire de nouveauxsacrificeset il envoyale jeunehommeà Athènespour y étudierla rhétoriqueetla philosophie.

Horace, en Grèce, suivit, avec les jeunes gens de lanoblesseromaine,et sur un pied absolu d'égalitéaveceux, les leçonsdes professeursen renom. Maiscettevie,où le plaisir alternait avec l'étude, ne devait pas durerlongtemps.Horaceavaitvingtans( 45).L'annéesuivante,aux ides de Mars, Césarétait, à Rome,assassinédansleSénat, et les meurtriers, peu après, partirent pour laGrèce. Tous les jeunesRomainsqui étaient des fils devieilles familles aristocratiquesfêtèrent Brutus à sonarrivéeet segroupèrentautourde lui. Horace,quin'avaitpas les mêmesraisonsqu'eux, fit pourtant commeeux,entraînéhors de sa nature un peu froide par l'enthou-siasmede ses vingt ans; à tel point que Brutus le dis-tinguaentre d'autres et lui confia,avecle titre de tribunmilitaire,le commandementd'une légion.

Maisiln'étaitpasunhéros.APhilippes( 42),ilne sefitpas tuer; commetant d'autres, il abandonnasansgloiresonbouclier,et sonenthousiasmerépublicainne survécutpas à la défaite.Al'amnistie,il traversala mer, non sansavoirété secouépar les flots,et rentra en Italie.Malheu-reusement,le petit bienque lui avaitlaissésonpère,mortsansdoutependantqu'il était en Grèce,avaitété attribuéà un soldatd'Octave,et il eut juste assezd'argent pouracheterune chargede «secrétairedu trésor», charge quilui laisse d'abondants loisirs.

Il avait de quoi vivre, et il est vraisemblablequ'il fitconsciencieusementson travail. Mais sa situation étaitmédiocre,et la sociétédans laquelle il vivait alors neressemblaitpas à cellequ'il avait fréquentéeà Athènes.Du moins, put-il développer son goût naturel pourl'observationdes viceset des ridicules.D'autre part, il

2. SatiresI, IV,105sq.3. Satires I, X, 31 sq.

Page 7: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION 9

occupa ses loisirs à relire les vieux poètes latins, comme

Lucilius, et les Grecs, comme Archiloque et Alcée; et il

essaya, dans la satire et dans l'épode, de se mesurer avec

eux. Sans doute, il nous l'a dit et il faut l'en croire la

médiocrité de sa fortune le poussa à faire des vers 4, maisil obéissait à sa vraie nature en notant les difformités

humaines avec une verve, souvent corrosive, qui le

faisait connaître, non seulement dans le monde qui était

le sien, mais parmi les lettrés et les gens du monde.

Virgile et Varius, ses aînés, avaient tout de suite flairé

le poète et s'étaient liés d'amitié avec lui. En 39, vers lafin de l'été, ils le présentèrent à Mécène. Gauche et

timide, Horace ne dit que quelques mots; Mécène réponditpar deux ou trois monosyllabes, et les choses en restèrent

là pour le moment. Neuf mois plus tard, sans qu'il eût

lui-même rien fait pour renouer, il était rappelé et devait,à partir de ce jour, occuper une place à part dans la société

distinguée que Mécène réunissait autour de lui &.En 37,celui-ci l'emmène avec lui dans le voyage à Brindes 6,oùil s'agissait de rapprocher, une fois de plus, Octaved'Antoine pour engager sérieusement la lutte contre

Sextus Pompée. Bref, il devient indispensable à son

protecteur qui essaie, mais en vain, de le pousser à la

politique. Echaudé par sa mésaventure à Philippes,n'ayant rien, par sa situation de famille, qui le déterminâtà s'occuper des affaires publiques, excédé, d'autre part,

par les solliciteurs qui lui demandaient sa protectionpour se pousser auprès de Mécène, Horace, avec son

caractère indépendant, commençait à trouver insup-

portable la vie qu'il menait à Rome. C'est à ce moment

( 34)que Mécène lui donna le domaine de la Sabine, prèsde Tibur. Il aura désormais un refuge et pourra vivre de

la vie indépendante qui a toutes ses préférences.Il vient de publier le premier livre des Satires, va

bientôt faire paraître le livre des Epodes, et travaillera

tranquillement, sans hâte, à loisir, au second livre des

Satires, qui sera terminé en -30.Vis-à-vis d'Auguste, il était longtemps resté sur une

ombrageuse défensive. A toutes les invites il n'avait pas

répondu. Auguste avait demandé à Mécène de le lui

céder; il voulait faire de lui son secrétaire. Horace décline

l'offre, formellement; il donne comme raison sa santé

4. EpitresII, n, 52.5. SatiresI, VI,49.6. SatiresI, v.

Page 8: Horace - Oeuvres

10 HORACE

qui, en effet, n'est pas excellente il a un mauvais estomacet ses yeux le font souffrir. Mais surtout, il veut garderson indépendance, qu'il a toujours jalousement défenduecontre Mécène lui-même 7, et puis, il n'éprouve pas pourAuguste une très vive sympathie.

Les choseschangentaprèsActium(-31). Alorsvrai-ment Horaceestimeque la politiqued'Augusteest seulecapablede rétablir la paix, l'ordre et peut-être de fairerenaître les vieillesvertus romaines;et il répond, cettefois, à l'appel qui lui est adressé. Ses livres, discutésquand ils paraissent, lui donnent, malgré tout, uneactionsérieusesur l'opinion;il estuneforce. Cette force,il l'emploieraà soutenirla politiqued'Auguste,et il écritdans sa retraite de Tibur les trois premiers livresdesOdes,qu'il publieen 23.

Cette tâche une fois remplie, Horace est libre de selivrertout entierà sesméditationset aux étudesmoralesqui, toujours,ont eu ses préférences;il écrit sesEpîtres,dont le premierlivreparaît en -19, le seconden -14,et se refuse,malgrél'insistancede plusieursde ses amis,à revenirà la poésielyrique.

Pourtant,en 17,Augustea cru devoir,dans l'intérêtde sa politique,fairecélébrerles Jeux Séculaires,Virgileestmort en I9; Horaceest le seul qui puissecomposerl'hymne qu'on fera chanter en l'honneur des dieux. Ilécrit donc les 76 vers du Chant Séculaire.Quatre ansplus tard, en -13, il consent, sur les prières répétéesd'Auguste, à publier un nouveau livre d'Odes,le qua-trième,où il célèbrelesméritesguerriersde Tibèreet deDrusus, beaux-filsde l'empereur,ce qu'il n'avait jamaisvoulufairepour Augusteet Agrippa.

Il avait alors 52 ans. Sa réputation était solidementétablie; son œuvre, dont certainesparties avaient étéd'abord âprement discutées,était désormaisau-dessusde la critique, et, de son vivant même, il était, commeVirgile,devenuclassique.Mais sa santé demeuraitpré-caire.Un jour, vers la finde l'an 8,il fut pris d'unmalsubit qui, tout de suite, fut jugé grave. Sans avoir letemps de rédiger son testament, il désigna,devant lespersonnesprésentes, Auguste comme son héritier, etexpira le 27 novembre,à l'âge de 57 ans. Il fut enterrésur l'Esquilin, près de Mécène, qui l'avait précédé dequelquesmoisdans la tombe.

7. Epitres I, VII.

Page 9: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION II

Jadis, dans une ode adressée à son ami 8, il avait dit

« Le même jour nous précipitera tous deux. Je le jureet ne mentirai pas à mon serment. Quel que soit le jouroù tu me précéderas dans la tombe, je serai prêt à faire

avec toi le voyage suprême. »

Il avait tenu parole.

II. L'HOMME

Ce n'était pas un Adonis de petite taille, et, avec

l'âge, paraissant plus petit encore, parce qu'il était gros,

mais, tout de même, un délicieux petit bout d'homme,homuncionem lepidissimum, comme disait Auguste9, il

grisonna de bonne heure. Ses yeux étaient délicats, et

il devait, même en voyage, emporter avec lui quelques

onguents pour les en frotter 1°, son estomac exigeait des

soins que son amour pour la bonne chère rendait souvent

importuns; pourtant, dans ses déplacements, quand le

vin de l'hôtellerie ne lui plaisait pas et que l'eau du paysavait mauvaise réputation, il préférait ne pas se mettre à

table avec ses amis 11. C'est chez lui, et surtout dans sa

maison de la Sabine, qu'il se trouvait vraiment à son aise,

mangeant et buvant ce qui lui plaisait, seul ou avec

quelques amis.

Aussi bien, était-ce là seulement qu'il pouvait vraiment

jouir de sa liberté. Il n'estimait rien tant que son indé-

pendance, et jamais il ne consentit à en aliéner la moindre

parcelle. Tout en donnant à de jeunes amis d'excellents

conseils sur la façon de se conduire avec les grands 12,il eut à cœur de défendre, même avec âpreté, ce bien

qui, pour lui, était supérieur à tous les autres; Augustefit longtemps de vains efforts pour le conquérir, et c'est

seulement dans la dernière partie de sa vie qu'Horaceconsentit à lui adresser un de ses poèmes, cette première

épître du livre second où, poliment, il explique sa

réserve par le désir de ne pas faire perdre son temps à

l'empereur.C'est surtout vis-à-vis de Mécène qu'il sut garder son

indépendance avec une fermeté d'autant plus méritoire

8. Odes II, xvn, 8.

9. Suétone, Vie d'Horace.10. Satires l, V, 30.

n. Satires 1, v, 7.12. Epirres I, xvn et XVIII.

Page 10: Horace - Oeuvres

12 HORACE

qu'il lui devait ce bien-être auquel il tenait tant. Mais

l'esclavage, même doré, n'était pas son fait, et il ne

prend, pour le dire, aucune circonlocution.

Comment, d'ailleurs, n'aurait-il pas souffert de sesoumettre à des devoirs si difficiles ? Il était si inconstantdans ses plaisirs et dans ses goûts! A la campagne, il

regrettait Rome; à Rome, il ne songeait qu'au momentoù il pourrait retourner à la campagne. Oubliant les

préceptes qu'il donnait aux autres, il allait de Tibur à

Rome, de Baïes à Tarente, obéissant aux caprices d'unefantaisie qui n'arrivait pas à se fixer.

C'est que, surtout dans sa jeunesse, il sacrifiait volon-tiers à un épicurisme un peu terre à terre, et se laissaitvolontiers entraîner par son goût pour les plaisirs faciles,le libertinage et la bonne chère. Que de femmes il achantées ou vitupérées dans son œuvre lyrique,odes ou épodes! et comme elle est longue, la liste de ses

liaisons, depuis la bonne Cinare jusqu'à la vieille Lydieen passant par le jeune Ligurinus! Plus calme dans ladeuxième partie de sa vie, il a pourtant encore des retours

qu'il avoue avec une feinte humilité 13. Sans doute,n'était-il pas marié, se souciant peu de donner l'exempled'une obéissance aux lois sur les mariages, dont il faisait

l'éloge dans ses odes. On peut trouver néanmoins qu'ilresta jeune bien longtemps.

A d'autres égards, l'âge l'avait assagi. Il nous dit lui-même qu'il était violent et emporté et nous en avons

plus d'un exemple dans les épodes. Parfois même, ilétait tenace dans ses irritations et ses haines, bien qu'ilprétende que sa colère tombait vite. Il eut la dent dure

pour les mauvais auteurs, les critiques malveillants, lesvieilles femmes qui s'obstinaient malgré les rides et lescheveux blancs aux travaux de l'amour. Mais c'est dansses œuvres de jeunesse que les violences abondent, et,dans celles de la maturité, le ton devient plus calme

l'âge et les méditations morales ont produit un effetsalutaire. Au demeurant, même dans sa jeunesse, il n'eut

jamais l'esprit guerrier et il le reconnaît en toute fran-chise 16.

Il était capable de sentiments généreux et profondsdans son enfance et sa première jeunesse, il avait reçu

13. Odes IV, 1, 4.14. Epitres I, XX, 25.

i5. Epodes, IV, VI, x.

16. Epodes, I, XVI.

Page 11: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION Il

de son père de nobles leçons et de beaux exemples; c'est

à lui qu'il devait d'être devenu un homme, sinon parfait,du moins honnête, franc, loyal, sans passions dégra-

dantes, sûr en amitié. Il lui en garda toute sa vie une

reconnaissance qu'il prend plaisir à proclamer; et, loin

de rougir d'être le fils d'un affranchi, il déclare bien haut

que « si l'on pouvait prendre les parents de son choix,

satisfait des siens, il n'irait pas en chercher parmi les

magistrats honorés des faisceaux l' ». On est heureux de

relever ces belles paroles et ces nobles sentiments.

Ce sont ces qualités de cœur qui lui ont donné et

conservé ses amis. Avec Virgile et Varius, « les plus belles

âmes que la terre ait jamais portées18

», avec Asinius Pol-

lion, qu'il chante dans ses odes I°, avec Quintilius Varus,

dont il déplore la mort en termes si touchants 20, avec

cent autres, il fut uni jusqu'à la mort par les liens de la

plus belle amitié. Mais ce sont surtout ses relations avec

Mécène qui apportent la preuve de ce dont il était capable.Il avait été d'abord simplement son protégé; petit à

petit il devint son ami, et le grand personnage, un peuhautain et dédaigneux, fut si bien conquis, que bientôt

il ne put plus se passer de celui qu'il avait été un peu

lent à admettre parmi ses familiers. A cette affection,

Horace répondit de toute son âme; depuis ses débuts

jusqu'à un âge assez avancé (peut-être y eut-il quelquerefroidissement dans les dernières années), il le chanta

dans ses vers, lui dédiant la première pièce de chacun de

ses recueils, lui donnant les noms les plus tendres « la

moitié de moi-même 21». L'amitié de Mécène et d'Horace

évoque le souvenir des plus beaux groupes d'amis dont

fassent mention la légende et l'histoire.

Mais si, au risque d'exciter bien des jalousies, il avait

su obtenir l'amitié des grands personnages, il ne dédai-

gnait pas pour cela les gens de condition plus modeste

avec lesquels les circonstances le mettaient en relations.

Dans sa campagne de la Sabine, il était heureux de rece-

voir à sa table d'anciens camarades de jeunesse que les

hasards de la vie avaient éloignés de lui ou des voisins

de campagne, avec lesquels il devisait, après boire,

jusqu'à une heure assez avancée. On échangeait de gais

17. Satires I, VI, 93.I8. Satires l, v, 41.

19. Odes II, I.

20. OdesI, xxiv.21. OdesII, XVII,5.

Page 12: Horace - Oeuvres

14 HORACE

propos,ou on discutaitquelquequestionmoralequel'undes convives illustrait d'un récit pittoresque ou d'unapologue22 Et les jours coulaient,agréableset faciles,dans cette simplicitéde vie qui, pour lui, était le biensuprême.

Même à Rome,il essayaitde satisfaireson goût pourune existencemodesteet sans tapage «A ma fantaisie,jevaismepromenerseul,jedemandele prixdes légumes,du blé; je vaiset viensau grand cirque,parmi les char-latans,et, sur le soir, je flâneau forum je m'arrêteauxdiseurs de bonne aventure; puis, je revienschez moi,où je trouve un plat de poireauxet de pois chichesetquelquesgâteauxfrits; mon repas m'est servi par troisesclaves23.» Mais c'est surtout à la campagnequ'iltrouvait vraiment le moyen de faire ce que bon luisemblait.

Dans toute son œuvre, depuis les premièrespoésies(deuxièmeépode) jusqu'à ses dernières (dixièmeépîtredu premierlivre),il chanteavecenthousiasmela douceurde la vie des champs;aux tracas de la ville,au vacarmedesruesde Rome,il aimeà opposerlecalmequ'il trouvedans son petit domaineet la vie simple qu'il y mène.Plus il avanceen âge, plus il a de plaisirà quitter Romepour retrouver sa maisonmodeste,son jardin, et, prèsde la Digencequi court en murmurant,le fraisombragedes peuplierset des chênes.Là, il surveillele travaildeses esclaves,met quelquefoisla main à la pâte; s'il faitune maladresse,sesvoisinssourient,sansméchanceté,etles bonnes relationsne sont pas altéréespour si peu24.Mais surtout, c'est là seulementqu'il trouve assez decalme pour méditer sur les questions moralesqui, deplusen plus,sont l'objetdeses réflexions;il n'est troubléni par desdevoirsmondainsà remplir,ni par desfâcheuxqui lui font perdre son temps et excitentsa bile, ni parle spectacle des ridicules et des vices qui, dans unegrandeville,vousarrête à chaquepas.

Il n'est pas, commeson ami Virgile,campagnardpargoût et par éducation.De bonne heure, c'est à Romequ'il a vécu;et il ne l'a quittéequelquesannéesquepourAthènes.Sansdoute,danssonextrêmejeunesse,avait-il,avecde petits compagnons,courusur les bords de l'Au-

22.SatiresII, VI,77.23. Satires l, VI, II

24. Epitres I, XIV, 39.

Page 13: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION 15

fide et sur les pentes du mont Vultur; et il lui arrivaitmême de s'éloigner de la maison paternelle et de se perdredans les bois, sans y craindre les vipères ni les ours25;mais, en admettant même que ces temps lointains eussent

laissé en lui quelques souvenirs et quelques traces, savie de jeune homme et d'homme fait avait rendu ces

souvenirs bien légers et ces traces assez peu nettes. C'est

par réflexion qu'il préfère la campagne à la ville; il ytrouve les conditions idéales pour mener l'existence à lafois simple et studieuse qui lui permet de s'appartenir,loin des troubles civils et des agitations de la politique.

III. LE CITOYEN

Au milieu du Ier siècle avant Jésus-Christ, Rome est

déchirée par les guerres civiles. Aux ides de mars 44,César a été assassiné en plein Sénat; ses meurtriers, pour-suivis par Antoine et Octave, sont battus à Philippes.Le second triumvirat se forme; mais l'accord n'est pasde longue durée; les dissentiments éclatent, la lutte

reprend entre les alliés d'un jour; elle se poursuit, malgré

quelques rapprochements éphémères, rendue plus difficile

encore et plus sanglante par les attaques répétées d'un

autre ennemi, Sextus Pompée. Enfin, en 3I, Antoine et

Cléopâtre sont vaincus à Actium; Octave reste seul

maître de l'empire.Horace avait 21 ans à la mort de César; il en a 34

l'année d'Actium. Ce sont, dans la vie d'un homme, les

années décisives, celles où l'on prend parti à quel partis'est-il arrêté ? On sait qu'il a joué son rôle sans

gloire à la bataille de Philippes, sous les drapeauxde Brutus. Mais, s'il s'était laissé nommer tribun mili-

taire, c'était pour faire comme les fils de la noblesse

romaine, ses camarades d'étude et de plaisir à Athènes,et c'est parce qu'il avait 20 ans il faut plaindre ceux qui,à cet âge, ne se déclarent pas prêts à mourir pour la

liberté. Au fond, rien ne l'attirait de l'un ou de l'autre côté.

Ce n'était pas un Romain de vieille souche. Né loin

de Rome, dans une région à moitié grecque de l'Italie

méridionale, fils d'un ancien esclave affranchi, il ne

trouvait dans sa famille aucune tradition qui le rattachât

à l'un ou à l'autre parti. Sa situation médiocre risquait

25. Odes III, iv, 9.

Page 14: Horace - Oeuvres

16 HORACE

de faire de lui une victime, quel que fût le vainqueur. Et

c'est en effet ce qui arriva, puisque, de retour en Italie,

après sa malchanceuse équipée, il trouva le petit bien

paternel entre les mains d'un soldat d'Octave. Il n'eut

donc aucune peine à laisser les factions se disputer le

pouvoir et à se réfugier dans une abstention où le por-taient d'ailleurs son caractère, son goût naissant pourla poésie, le plaisir qu'il prenait à regarder autour de lui

et à peindre les originaux qu'il rencontrait.

Si encore il avait eu l'esprit religieux! Il aurait pu se

dire que la religion avait été le fondement de la cité et

que le culte des dieux fondateurs de Rome avait comme

conséquence la grandeur du nom romain. Mais « il

n'accordait que rarement aux dieux un hommage lan-

guissant à l'époque où il allait au hasard, occupé à une

déraisonnable sagesse »; et cette sagesse que, dix ans

après le temps qui nous occupe, il qualifiait si durement

de déraisonnable, ce n'était rien de moins que la doctrine

épicurienne, qu'il avait appris à goûter dans l'œuvre de

Lucrèce. Ce n'était pas de quoi faire naître en lui le sens

religieux qui lui faisait si complètement défaut.

Ainsi, ni son intérêt, ni son goût, ni ses sentiments

intimes ne le poussaient à la politique. Mais, de bonne

heure, à 26 ans, il fut admis dans l'intimité de Mécène,et Mécène était le confident et le conseiller d'Octave; il

rencontrait chez lui des gens de lettres sans doute, mais

aussi de grands personnages, dont certains avaient jouéun rôle actif dans tous les partis et ne désiraient plus

guère désormais que le rétablissement de la paix et de

l'ordre. A mesure qu'Antoine, subjugué par Cléopâtre et

entraîné par une folle ambition, oubliait un peu plus

chaque jour qu'il était Romain, tous les vœux de la société

éclairée favorisaient Octave, en qui on voyait le futur

restaurateur de la grandeur romaine. Ces vœux furent

exaucés Octave fut vainqueur à Actium en 3I.

Presque tout de suite les effets de cette victoire se font

sentir. Le plus sensible c'est la paix c'en est fini des

luttes sanglantes, sinon sur les frontières, du moins en

Italie. Enfin, on respire. On connaît enfin ce bien dont

on était sevré depuis si longtemps, la tranquillité publique,

l'ordre, la joie de vivre; peut-être était-ce au détriment

de la liberté! Mais les orages de la liberté avaient répandutant de deuils, de misères, morales et matérielles, qu'on

26. Odes I, xxxiv, i.

Page 15: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION17

ne regrettait rien. Horace, en tout cas, estimait qu'iln'est pas de bien supérieur à la vie tranquille, facile et

simple, et, sans rien regretter, il se donne tout entier au

restaurateur de la paix publique.Celui-ci avait d'ailleurs tout intérêt à s'attacher un

poète dont les premières œuvres avaient, au total, été

accueillies avec faveur et qui avait une action déjàsérieuse sur l'opinion. Horace était une force, non négli-

geable, et il pourrait, avec Virgile, qui écrivait alors son

Enéide, rallier les indécis au pouvoir nouveau. Il nese fit pas prier pour donner à l'œuvre de réformation

entreprise par l'empereur son concours, absolu, sans

réserves.

Il écrit alors les trois premiers livres des Odes gour-mandant ses concitoyens et leur amour du luxe 37, il

vante la vie simple des anciens Romains qui a fait jadisla grandeur de la cité 28, les familles nombreuses, qui ont

fait sa force, la sainteté du mariage; il demande la

réforme de l'éducation, le retour à la religion, qui est pourl'homme un frein moral et lui apprend à se contenter

de peu; il écrit ces six premières odes du troisième

livre, que Gaston Boissier a pu justement qualifier de

« véritable traité de morale publique » où sont défendues

toutes les idées chères à Auguste; il est, après la mort de

Virgile, le poète officiel auquel l'empereur confie le soin

de composer le Chant Séculaire; il fait, enfin, dans le

quatrième livre des Odes, un éloge enthousiaste de l'em-

pereur 29 et de ses deux beaux-fils, Tibère et Drusus,formés par lui aux vertus civiles et militaires 30,identifiant

la famille impériale à la cité, et se faisant, comme Virgile,le chantre de la légende d'Enée 31.

S'il a, sans défaillance, prôné jusqu'à la fin cette poli-

tique moralisatrice et pacificatrice d'Auguste, a-t-il vrai-

ment cru à son efficacité ? Et sa confiance n'a-t-elle pasété ébranlée par les scandales multipliés qui éclataient

à Rome et jusque dans la maison impériale? N'a-t-il

pas senti la précarité de cette paix, ébranlée sur les

frontières par les attaques répétées et souvent heureuses

des Parthes et des Germains ? C'est une question à

laquelle il est bien difficile de répondre. Ce qui est certain,

27. Odes II, xv.

29. Odes III, VI; III, xxlv.

29. OdesIV, xm.30. OdesIV, IVet IV, XIV.31. OdesIII, III. ChantSéculaire.

Page 16: Horace - Oeuvres

I8 HORACE

c'est que, comparant le temps présent aux années quiavaient précédé Actium, il en appréciait chaque jourdavantage la tranquillité. La fin des guerres civiles avaitrendu à l'Italie une prospérité depuis longtemps inconnue;dans sa maison de Tibur, le poète se sentait à l'abri desviolences des soldats et ne redoutait pas de se voir, uneseconde fois, chassé du domaine où les journées coulaient,très douces, avec quelques amis et les livres de prédi-lection. Il disait, avec Virgile Deus nobis haec otia

fecit. v Un dieu nous a fait ces loisirs. » Et à ce dieu il

témoignait sa gratitude avec tout l'enthousiasme dont ilétait capable « Les bœufs sont en sécurité dans les

champs; Cérès et l'abondante Félicité nourrissent les

campagnes; les marins lancent leur barque sur une mer

pacifiée. Qui pourrait craindre le Parthe, le Scythe des

pays glacés, les enfants de la Germanie hérissée de forêts,tant qu'Auguste est vivant ? Chaque Romain achève sa

journée sur les coteaux dont il est le propriétaire; tout

heureux, il rentre chez lui pour boire et, au second

service, il t'invoque comme dieu; il mêle ton nom divinà ceux des Lares, comme faisait la Grèce pour Castor etle grand Hector 3a. »

Toute la politique d'Horace tient en quelques motsBéni soit Auguste qui a ramené en Italie la paix, la pros-périté, la tranquillité!

IV. LE POÈTE LYRIQUE

Nourri des poètes grecs, non pas seulement, ni surtout,des Alexandrins, comme l'avait été Catulle, maisd'Homère et des anciens lyriques; prédisposé, d'autre

part, par sa nature, à l'observation des ridicules et des

vices, Horace débute par les Epodes, qu'il écrit de 4Ià 30. Le nom qu'il donnait lui-même à ces poèmes, cen'était pas « épodes », mais « iambes n. Ce nom marquaitavec netteté son dessein. L'iambe, « pied rapide 33 », avaitété employé par le poète grec Archiloque, pour exhalerses ressentiments et ses haines « La fureur arma Archi-

loque de l'iambe, qui. est sa création 34. » Horace eutl'ambition de devenir l'Archiloque romain; il emprunta

32. Odes IV, v, 17.33.Art poétique,253.34.Art poétique,79.

Page 17: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION 19

au poètegrecsesrythmes,sinonsessujets,et revendiquala gloired'avoir le premier,révéléauxRomainsl'iambede Paros35 ». Ce mètre convenaitadmirablementà ce

qu'ilvoulaitfaire.Sensible,promptà s'irriter, il s'attaqueavecviolenceà tout ce qui le choquedans le mondeun

peu mêlé qu'il fréquentaitalors. Critiquesmalveillants,parvenusorgueilleuxet méprisables,vieillesdébauchées,sorcièressont les victimestoutes désignéesde sa verveet de sa colère. Il flétrit les uns et les autresde ses épi-thètes les plus dures, de ses sarcasmesles plus violents.Souventmêmeon peut estimerqu'il dépassela mesureet que son emportementjuvénile,non encoreépuré parle goût, qui seraplus tard sa qualitémaîtresse,l'emporteau-delà des limites permiseset le fait tomber dans un

cynismeassezrépugnant.Mais il convientd'ajouter quecette œuvrede jeunesserenfermedéjà les promessesles

plus heureuses;les idéesqui, plus tard, lui serontchères,y sont déjàindiquées,parfoismêmedéveloppées amourde lacampagneab,hainedesguerresciviles37douceurdel'amitié111.Il y a dans les Epodescommeune premièreébauche,et qui n'est pas méprisable,des Odes.

Les Odes,du moins la partie de beaucoup la plusimportante,c'est-à-dire les trois premierslivres, furent

composéesde 31à -23. Il n'est pasexagéréde dire quec'est l'œuvremaîtressed'Horace.Nul, avantlui, nes'étaitélevé si haut; personne, après lui, ne l'égalera. Il estle seul vraipoète lyriquede Rome.Parmi sesprédéces-seurs,le plus illustre,Catulle,n'avaitguèreécrit que depetites pièces, des épigrammes,imitées ou inspiréesdes Alexandrins.Lui, au contraire,se metdélibérémentà l'écoledes plus grands poètesde la Grèce; il les a lusde près, les a médités,et a eu la nobleambitionde faire

passer dans la langue latine, lourde et prosaïque, lagrâceailée et l'inspirationpoétique des Grecs. Il avaitd'ailleurs trop de goût pour accueillirindistinctementtous les modèles. Il est un nom qui domine toute la

lyrique grecque Pindare. Mais, dans ses dithyrambescommedans ses péans, dans ses épiniciescommedansses thrènes, Pindare est trop exclusivementgrec pourpouvoirêtre dépaysé; son désordrelyrique » se sou-mettrait trop difficilementà une règle qu'Horace juge

35.EpîtresI, XIX,23.36. Epodes, II.

37. Epodes, VI et XVI.

38. Epodes, i.

Page 18: Horace - Oeuvres

20 HORACE

indispensable. Il se refuse donc à s'attacher à lui, malgré

sa grandeur, ou plutôt en raison du caractère spécial de

cette grandeur 39; non qu'il ne lui arrive parfois de lui

faire des emprunts, mais il le fait avec discrétion, en

passant, et d'ailleurs non sans quelque gêne, qui gâte un

peu son développement 4°.

Il est d'autres poètes grecs infiniment mieux faits pourlui servir de modèles ce sont les Lesbiens, Alcée, Sapho,Anacréon. Le premier surtout était tout désigné pour

l'inspirer C'était un guerrier farouche, et pourtant,au milieu des combats, ou quand il attachait sur le rivagehumide sa barque ballottée par les flots, il chantait

Liber, les Muses et Vénus avec son fils toujours à côté

d'elle, et le beau Lycus aux yeux noirs, aux noirs

cheveux'L. » Ce sont là tous les thèmes qui seront déve-

loppés dans les Odes. D'autre part, la métrique les-

bienne, plus régulière que celle de Pindare, avec son

nombre fixe de syllabes, et cependant vive et variée dans

ses strophes alcaïques, saphiques ou asclépiades, était

d'une acclimatation plus facile dans la poésie latine et se

prêtait heureusement au développement des sujets que

comptait traiter notre poète.

Quels étaient ces sujets ?On a dit que les Odesd'Horaceétaient une œuvre de commande et que le poète s'était

évertué à un enthousiasme artificiel pour l'apologie d'une

œuvre à laquelle il ne croyait pas. Nous avons plus haut

essayé de montrer de quel cœur Horace s'était associé à

l'entreprise d'Auguste. Dans les odes civiques, il chante

Rome et sa grandeur, il indique les moyens de lui rendre

sa force et sa prospérité, il constate les effets bienfaisants

de la politique impériale, il montre la pacification de

l'Italie et la vie de tous les citoyens devenue plus tran-

quille et plus sûre. Qu'est-ce à dire, sinon qu'il célèbre

tout ce qui lui tient le plus à cœur et que sa sincérité est

évidente ? Et n'est-ce pas encore ce qui est au fond de

toutes les autres odes, amoureuses ou bachiques, de

ces petits billets où il chante la douceur de l'amitié, le

bonheur d'une vie simple, qui sait se contenter de peu,

pense, pour jouir de l'heure présente, à la brièveté de la

vie, et ne se laisse tenter ni par les folies de l'avariceou de l'ambition, ni par les séductions malsaines de la

39. OdesIV, II, I.Odes.IV,IV.

q.i. OdesI, XXXII,6.

Page 19: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION 21

richesse? La véritable unité d'inspiration des Odes estdans cette morale du juste milieu qu'Horace a prêchée,infatigablement, du début à la fin de sa vie, et qu'il a,

pour sa part, merveilleusement pratiquée.Joignez que toutes ces vérités, pour lui fondamentales,

il les a exposées dans des pièces ordinairement assez

courtes, mais composées avec une maîtrise verbale et

rythmique incomparable. Il a donné au mètre éolien unetenue et une pondération qui s'accommodaient à mer-veille de la gravité latine; il a fait une fusion habile et

presque toujours heureuse de la mythologie grecque et del'histoire romaine; il a, dans la composition, pratiqué unheureux mélange de liberté et de hardiesse, s'élevant d'unfait particulier à une idée générale, et terminant tantôt

par un trait, tantôt par une maxime qui résumentl'œuvre entière; il a varié le ton, suivant le sujet traité,passant comme sans effort de l'enjouement au sérieux,et capable, quand il le fallait, de s'élever jusqu'au pathé-tique rien de plus dramatique et de plus émouvant quel'évocation de Régules 42ou que l'apologie de Rome parJunon g'. Il est bien le nourrisson des Muses, de Melpo-mène, en particulier, la Muse tragique, à qui il exprimeen termes émouvants, sa pieuse gratitude. « C'est uni-

quement à toi que je dois d'être montré par les passantscomme le poète qui fait résonner la lyre latine. Mon

inspiration et ma gloire, si j'ai de la gloire, c'est tonbien. »

Tous ces mérites auraient dû, semble-t-il, frapper les

contemporains comme ils nous aveuglent aujourd'hui.Sans doute, les Romains d'alors furent-ils déconcertés

par la nouveauté de l'œuvre; et quand parut le premierrecueil, composé des trois premiers livres le quatrième,publié bien plus tard, n'ajoute rien à la gloire du poèteles puritains s'effarouchèrent des odes érotiques, pendantqu'un certain nombre de lecteurs, habitués à l'emploipresque exclusif en poésie de l'hexamètre et du distique,furent surpris par les mètres nouveaux, dont ils ne sai-sirent pas tout de suite l'heureuse adaptation aux sujetstraités. Mais les gens de goût ne s'y trompèrent pas, ils

applaudirent sans réserve, gagnant petit à petit les autresà leur opinion. En tout cas, lorsque, en 17, Augustevoulut célébrer les Jeux Séculaires, l'idée ne vint à per-

42. OdesIII, VI.43. Odes III, III.

Page 20: Horace - Oeuvres

22 HORACE

sonne que l'hymne en l'honneur des dieux pût être

composé par un autre que par Horace; et le poète

répondit à l'attente générale, comme l'a dit un historien

de Rome, par « un hymne admirable à la vie dans ses

formes multiples, au soleil, à la fécondité, à l'abondance,

à la vertu, à la puissance ».

Aussi bien, sentait-il lui-même qu'il avait accompliune grande œuvre. Au début il se demandait « si

Polymnie ne refuserait pas de tendre pour lui le barbiton

de Lesbos »; et il disait à Mécène « Si tu me mets au

rang des poètes lyriques, je heurterai d'un front fier les

astres. » A la fin 45, se rendant à lui-même justice et

appréciant son œuvre, il disait, avec une fierté qui ne

nous paraît pas du tout déplacée « J'ai achevé un monu-

ment plus durable que l'airain. Je ne mourrai pas tout

entier. Je grandirai, toujours rajeuni par les louangesde la postérité. J'ai, le premier, accommodé les chants

éoliens dans d'italiennes cadences. Revêts-toi, Melpo-

mène, d'une fierté due à mes mérites, et veuille ceindre

ma chevelure du delphique laurier. »

V. LE MORALISTE

Horace est essentiellement un moraliste. Il a le goût et

comme le besoin de l'observation morale. Dans sa jeu-

nesse, c'est autour de lui qu'il regarde le spectacle des

vices, des travers, des ridicules excite sa bile et lui dicte

les invectives des Epodes, les violentes peintures ou les

traits mordants du premier livre des Satires. Peu à peu,de tout ce qu'il a regardé et noté se détache, avec une

netteté chaque jour plus vive, une philosophie qui lui

permet, dans les Odes, d'accorder à la politique réforma-

trice d'Auguste un concours sincère et absolu. Cette

philosophie se précise à mesure qu'il avance en âge, queses réflexions s'ajoutent à ses observations, qu'il ne

prend plus seulement les autres, mais lui-même, pour

objet de son étude et qu'il écrit le deuxième livre des

Satires, supérieur à cet égard au premier, et surtout les

Epîtres. Dans ses dernières œuvres, son idéal de vie, déjà

esquissé dans les premières, a la netteté et la précisiond'un tableau achevé.

44. Odes I, I, 32.

45. Odes III, xxx.

Page 21: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION 23

Pratique, comme l'ont été de tout temps les Romains,

il a, du début à la fin, cherché une règle de vie, subor-

donnant à cette recherche, par instinct autant que par

réflexion, toute préoccupation littéraire et poétique. La

mythologie grecque, à laquelle il a fait dans son œuvre

lyrique et même ailleurs une si large place, n'est pas

simplement pour lui matière à beaux développements

Jupiter luttant contre les géants, c'est la sagesse appuyée

sur la force pour triompher de la violence'e, si Hercule

a pu gagner le ciel, c'est par son intrépidité devant les

coups de la fortune 47. L'histoire romaine est avant tout

un recueil de beaux exemples Régulus, Scaurus, Paul

Emile, Curius, Camille sont grands pour avoir mené une

vie simple et rude 41. La poésie grecque, celle d'Homère,

en particulier, nous ravit d'admiration pourquoi ? pourbien des raisons sans doute, mais surtout parce quel'Iliade et l'Odyssée sont un répertoire de grandes et

nobles leçons 49.

Il y a plus on sait qu'Horace, loin de faire à ses livres

une tapageuse réclame, ne se décidait qu'avec peine à les

publier; les pièces de ses recueils, composées lentement

et avec des scrupules d'artiste qui en retardaient l'achè-

vement, n'étaient lues qu'à quelques amis sûrs, et pareux, se faisaient connaître du grand public; chez lui,

donc, aucun désir de briller et de conquérir les applaudis-sements. Mais, quand il s'agit de moraliser je ne

dis pas de prêcher, rien n'étant plus éloigné de sa nature

il cherche des auditeurs, s'adresse à tous ceux qu'ilconnaît, aux jeunes surtout, donnant, le premier, et bienavant Sénèque, l'exemple de ces directions morales si

fréquentes au siècle suivant. Quand Tibère part pourl'Orient, il emmène avec lui un certain nombre de jeunes

gens de bonne famille, intelligents, cultivés. Horace leur

écrit de petits billets, d'un naturel exquis, où, sans pédan-tisme, il leur donne des conseils ;'U;à Scéva 51,à Lollius 52,il prodigue des indications sur la conduite à tenir vis-à-vis

des grands. Quand, à la campagne, il réunit le soir

quelques amis à sa table, de quoi parle-t-on pendant et

46. OdesIII, iv, 65.47. OdesIII, III, 9.48. OdesI, XII,37.49.EpîiresI, Il, 3.5o.EpirresI, VIIi.51.Epitresl, XVII.52. bpitresI, XVIII.

Page 22: Horace - Oeuvres

24 HORACE

après le repas ? du voisin et de ce qu'il possède ? dudanseur Lepos ? Non pas, mais de sujets qui intéressent

davantage l'amphitryon et ses invités (CEst-ce la richesseou la vertu qui donne le bonheur ? est-ce l'intérêt ou lebien qui est le fondement de l'amitié ? Qu'est-ce que lesouverain bien 53 ? » Qu'il écrive, qu'il parle, Horace est

toujours un moraliste.

Aux questions ainsi posées et discutées inter poculaquelle est la réponse ? En d'autres termes, quelle est samorale ? Les esprits réfléchis, à Rome, comme jadis en

Grèce, se partageaient entre deux grandes écoles, l'épi-curisme et le stoïcisme, l'épicurisme, morale du plaisiret de la facilité, le stoïcisme, morale du sacrifice. Danssa jeunesse, c'est vers la première qu'incline Horace;Lucrèce est son maître, et il suit d'autant plus facilementses leçons, qu'il y est porté par son goût et son humeur.C'est la morale des Epodes et du premier livre des Satires.Mais ce n'est déjà plus celle des Odes et du deuxièmelivre des Satires. Le stoïcisme avait alors à Rome denombreux adeptes; des philosophes barbus et hirsutes

parcouraient les rues et dans les carrefours se livraient àune véritable prédication. Sans doute, Horace sentait-ilvivement ce qu'une telle attitude pouvait avoir de ridi-

cule, et il ne s'est pas fait faute de s'en moquer, commeaussi de railler les exagérations des stoïciens, notam-ment leurs idées sur l'égalité des fautes 54;toute la troi-sième satire du deuxième livre, la plus longue de sesœuvres après l'Art poétique, n'est qu'un persiflage de la

prétendue sagesse stoïcienne. Tout cela est vrai; et pour-tant, débarrassé de ses exagérations, le stoïcisme a une

grandeur et une noblesse auxquelles il est difficile den'être pas sensible. N'est-ce pas lui qui nous apprend àdominer nos passions, à régler nos désirs, à pratiquer lavertu ? Horace, à mesure qu'il vieillit et réfléchit davan-

tage, est attiré par cette doctrine qui inspire maint pas-sage des Epîtres.

Pourtant, même dans ses dernières œuvres, il gardevis-à-vis de Crantor et de Chrysippe sa liberté qu'il areconquise vis-à-vis d'Epicure. Il est trop désireux deconserver, même à l'égard des maîtres les plus illustres,son entière indépendance, pour s'enrégimenter dans unclan; et quand on lui demande « quel est son chef et

53. SatiresII, vi, 73.54. Satires I, III, 76.

Page 23: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION 25

sous quelle autorité il s'abrite », il répond « Je ne me

suis lié à aucun maître, je n'ai prêté serment à personne;

je me laisse conduire où me mène l'état du ciel, et même

là je ne suis qu'en passant 55. » Horace n'est ni épicurien,ni stoïcien il est éclectique.

A quelles conclusionspratiques ses réflexionset le

spectaclede la vie l'ont-ils conduit? Essentiellementàceci Nous sommestous condamnésà mourir et la vieest courte donc, sans nous révoltercontre l'inévitable,cueillons le jour qui passe « Persuade-toi, dit-il àTibulle5°,quechaquejourqui luit estpour toi ledernier;elles te seront doucestoutes les heuressur lesquellestun'auras pas compté.» Est-ce la richessequi donne lebonheur? Il suffitde regarder autour de soi ceux quipossèdentde grands biens ils ne sont jamaissatisfaitset se tuent d'inquiétude,de craintes,dedésirsinsatiables.Laissonsdonc les riches à leur folie, et sachonsnouscontenter du nécessaire57. L'homme est inconstantdans ses goûts et dans ses vœux; il n'est jamaissatisfaitdesonsort58;il changesanscessede lieuespéranttrouverailleurs ce bonheur qu'il n'a pas encore rencontré. Le

bonheur, il n'est pas hors de nous, il est en nous « Sic'est le bon sens et la sagessequi dissipentles soucis,à

changerde pays, on ne changepas d'âme. Le bonheurest ici, il est même à Ulubres, si notre âme est bien

équilibrée5.. » Nos passions,ambition,colère,envie,nous livrent à tous momentsde furieuxassauts; soyonsplus forts qu'elles «Maîtrise ta passion; si elle n'obéit

pas, c'est ellequi commande;impose-luiun frein, mets-luiune chaîne60.» La viemondaine,à la ville,ne nous

apporte qu'ennuis et tracas; elle nous détourne de ce

qui doit être notre occupationessentielle,à savoir le

perfectionnementmoral; vivonsde préférenceà la cam-

pagne,où nous trouveronsle calmeet une demi-solitudefavorableà la méditation61.

Qu'est-ceà dire?Le bonheurn'est ni dansla rechercheexclusivedes plaisirs qui apportent avec eux la satiétéet le dégoût, ni dans une vertu farouche,ennemie de

55.EpitresI, 1, 14.56. Epitres I, IV, 13.

57. Epftres II, u, 199.

59. Satires I, H, 24.

59. Epttres I, XI, 25.60. Epitres I, ic, 63.61. Epitres I, x.

Page 24: Horace - Oeuvres

26 HORACE

toute sociabilité et dont les prétentions orgueilleusessont chaque jour battues en brèche par l'accident le plusordinaire et le plus banal, comme la pituite 62.Le bonheurest dans une vie simple, sans excès d'aucune sorte, mêmede vertu; il est dans la société de quelques amis sûrs etfidèles 63; il est dans une indulgence qui ne dégénèrepas en faiblesse, mais seule rend possible la vie sociale 64;il est dans le contentement de soi-même, auquel onarrive plus aisément dans une condition modeste quedans une situation élevée; il est dans cet état moyen,cette medâocritas qu'Horace qualifie de aurea 65,parcequ'il n'est pas un bien sur terre qui lui soit comparable.Le bonheur, c'est la modération, c'est le juste milieula vertu, c'est un moyen terme entre deux extrêmes,également éloigné de l'un et de l'autre 66. Par elle,l'homme arrive à cet état supérieur, où il est vraiment àl'abri des coups du sort, et où l'on peut dire qu'il réalisetout le bonheur possible « Ne s'émouvoir de rien, c'estle meilleur moyen, même presque le seul de trouver et deconserver le bonheur »

La morale d'Horace n'est pas faite pour les héros;elle ne convient pas davantage à ceux qui ne recherchentque le plaisir; c'est une morale vraiment humaine, unemorale d'équilibre entre les plus hautes aspirations del'homme et ses passions les plus terre à terre; elle tient

compte à la fois de sa grandeur et de sa misère; c'est lerésultat des réflexions d'un homme intelligent qui connaîtle monde, a vécu parmi ses semblables et a su tirer uneconclusion pratique de ses observations et de ses médi-tations.

VI. L'ÉCRIVAIN

Comme écrivain et comme poète, Horace est au tout

premier rang. Il est, à Rome, nous l'avons montré, le

créateur de l'épode et de l'ode; il est l'inventeur de

l'épître, dont il ne trouvait, ni en Grèce, ni en Italie,aucun modèle; il est le rénovateur de la satire.

Pourquoi, après avoir usé, dans l'invective, de l'iambe

62. Epitres I, I, 108.

63. Satires II, VI, 70.

64. Satires I, III, 55.

65. Odes II, x, 5.66. Epîtres I, xvm, 9.

67. Epftres I, VI, i.

Page 25: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION 27

d'Archiloque,choisit-ille genrelittérairede la satire? Il

prétend611que, tous lesautresgenresétant pris, la satireétait ce qu'il pouvait faire de mieux. Soit! mais il ad'autres raisons,plus impérieuseset plus profondes.Lasatirerépondexactementàsonobjetdu moment l'obser-vationet la notationdes ridiculeset desvices,sonbesoinde moraliser.D'autres l'ont fait avant lui Ennius, audébut du Hesiècle,sous une forme encore incertaine;Lucilius, surtout, cinquante ans plus tard, le vraicréateur de la satire par les sujets traités et la forme

employée.C'est Luciliusqui, s'inspirant à la fois de la

poésie iambique d'Archiloqueet de la parabase de lacomédie ancienne, crée le genre littéraire vraimentromain69de la satire, à laquelleil donne définitivement

pour mètre l'hexamètredactylique.Horace,sansarrière-

pensée,le reconnaîtpourson maître « Inférieurà Luci-lius, son créateur,je n'aurais pas eu l'audacede lui ravirlacouronnequi resteattachéeavecgloiresur sonfront 70.»

N'empêche que « son style était raboteux c'était un

grand parleur,incapablede se donnerdu malpour fairedes vers, j'entends de bonsvers71».Luciliusoffredoncun modèle;maisson œuvren'est pas de nature à décou-

ragerceuxqui, aprèslui, ont encorequelquechoseà dire.Et Horacea fourni lapreuvequ'il était capabled'excellerdans un genrequi exigeprécisémentles qualitésdont ilétait abondamment pourvu observation pénétrante,sentimentdu ridicule,esprit alerte,facilité,naturel. Nul

jamaisne l'a dépassédans la satire morale.De l'épître en vers il fut vraiment le créateur. Des

sériesdeprécepteschezquelquespoètesgnomiquesgrecs,des conseilsmoraux rédigés par Epicure, ce ne sontvraimentpasdesépîtres,ni rienquienapproche.L'épîtreest une lettre en vers; il y faut donc les qualitésde lalettre aisance,simplicité,naturel; et, puisque l'épîtred'Horace est, presqueexclusivement,morale,il n'y fautrien qui ressembleà la prédication,maisune bonhomie

aimable,un ton facileet enjoué,parfoisgravesans tris-tesse, pressant sans pédantisme, une pensée d'ailleurs

toujourssérieuseet la volontébienarrêtéed'être utile àautrui, tout celaaussi éloignéque possiblede l'attitude

68.SatiresI, x, 47.69.QUINTILIEN,Instit.or.X, 1 Satiratotanostraest.70.SatiresI, X,48.71.SatiresI, IV,8.

Page 26: Horace - Oeuvres

28 HORACE

et de la pose. Et ce sont en effet les mérites essentielsd'Horace dans ses Epîtres.

Mais, dans l'épître comme dans la satire, il est d'autres

talents qui peuvent trouver leur emploi; et le but du

poète sera plus sûrement atteint, s'il sait donner à ses

exposés le mouvement et la vie; il s'agit, en effet, d'éviter

la monotonie et de retenir l'attention du lecteur que les

questions morales, même traitées avec une facilité élé-

gante, risquent de fatiguer. Horace, médiocrement doué

pour la poésie épique et guerrière c'est du moins lui

qui le prétend 72,et quelques passages des Odes semblent

lui donner un démenti — Horace avait tout ce qu'ilfallait pour réussir dans la poésie réaliste; et, comme ilsavait bien voir, il excellait à rendre ce qu'il avait vu,non pas dans une série de tableaux immobiles quoiqueressemblants, mais dans un récit ou un spectacle quireproduisaient le mouvement même de la vie.

S'agit-il de brosser une peinture des moeurs contempo-raines et de saisir sur le vif tous les procédés imaginés parde tristes sires pour cueillir, sans autres risques qu'unesuite d'humiliations dont ils ont perdu l'habitude de

rougir, une fortune qu'ils seraient incapables de se pro-curer par des moyens honnêtes ? Horace nous montre le

captateur de testaments rien n'est omis des artifices etdes grimaces auxquels il est bon d'avoir recours 73.

Convient-il d'évoquer une scène de comédie et de fairevivre sous nos yeux le fâcheux et sa victime ? Horace nous

promène dans Rome, sans hésiter à nous faire sourire à

ses dépens, quand nous le voyons incapable de se débar-

rasser de l'intrus qui s'accroche à lui contre vents et

marées 74; à moins qu'il n'aime mieux nous faire assister

à un repas ridicule 75, narré avec une verve que Boileaun'a pas dépassée. Et du ton de la comédie, voire mêmede la farce, il est fort capable de passer à celui de la

tragédie et d'inspirer la terreur, comme il a excité lerire rien de plus violemment dramatique que l'assassinatd'un jeune garçon de famille noble, dont le foie doit être

employé par l'horrible sorcière Canidie à composer un

philtre d'amour 76.

Pour expliquerà Lolliusqu'il est excusablede ne lui

72.OdesI,,vi, 5.73. Satires II, v.

74. Satires I, IX.

75. Satires II, VIII.

76.Epodes,v.

Page 27: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION 29

avoir pas tenu parole, il imagine le petit récit, si vif, si

alerte, du soldat de Lucullus A Mécène, pour bien luifaire entendre qu'il n'est pas et ne sera jamais disposé à luisacrifier son indépendance, il conte, non pas une, maisdeux fables dans le même poème 78, la Belette entrée dansun grenier, le Savetier et le Financier; par son ami Cer-

vius, il fait raconter le Rat de ville et le Rat des champs '°,cette merveille que n'a pas égalée La Fontaine. En tout

cas, toutes les fois qu'il a recours à l'apologue, son récita une allure que n'auront pas, quelque trente ans plustard, les narrations froides et sèches de Phèdre.

Il n'est pas jusqu'au talent de journaliste par lequel iln'ait brillé. Le voyage à Brides 80 est un modèle de jolireportage, où l'énumération des étapes, qui pourrait êtrefastidieuse et longue, est heureusement coupée, soit parde petites scènes amusantes, soit par l'évocation tou-chante des sentiments que lui inspirent ses bons amis

Virgile et Varius, soit même par une profession de foinettement épicurienne.

Ainsi, dans toutes ses œuvres, par ce don si précieux dela variété, du mouvement, de la vie, Horace a été unécrivain véritablement original.

Ce sont également les qualités de son style il est aiséet vif, simple et naturel. Il a, dans les Satires, plus de

laisser-aller; il a plus de tenue dans les Epîtres. A mesure

que l'âge vient, le goût s'épure et certaines libertés sont

proscrites. Mais toujours ce style garde sa facilité, son

aisance; jamais il n'est tendu, jamais il ne sent l'artifice.C'est la distinction d'un homme de bonne compagnie, quiécrit comme il parle, mais qui parle bien. Egalementéloigné de l'affectation et de la vulgarité, il charme parun naturel qui ne se dément pas. Joignez qu'Horace anon seulement du goût, mais de l'esprit, et qu'il excelleà terminer sa pièce de vers par un trait, toujours fin,souvent aiguisé à la fin, la satisfaction du lecteur est

complète.Pas plus que le style, la langue n'a de prétention

aucune recherche d'érudition, peu d'archaïsmes, unecentaine de néologismes. Sa langue est celle des honnêtes

gens de son temps; tout au plus aura-t-il plaisir « àdéterrer pour ses lecteurs de vieux termes restés long-

77. EpitresII, 11,26.78. Epitres I, VII.

79. Satires II, VI, 79.80. Satires I, v.

Page 28: Horace - Oeuvres

30HORACE

temps dans l'oubli; il adoptera des mots nouveaux, créés

et illustrés par l'usage, de ces mots vigoureux, limpides,semblables à une eau pure, qui enrichiront heureusement

la langue latine 81.»; car il n'oubliera pas qu' « il peut être

nécessaire de représenter par de nouveaux signes des

idées jusqu'alors inconnues 82 »; mais il a soin d'ajouter,fidèle à un principe qu'il a toujours observé, que « ces

mots nouveaux prendront crédit, si on les dérive discrè-

tement du grec 83 ». Dans la syntaxe, il use des libertés

qu'on rencontre chez tous les poètes le plus souvent les

dérogations à l'usage ordinaire sont des imitations

grecques.C'est par sa versification qu'Horace a été vraiment un

artiste supérieur. L'hexamètre dactylique, d'ordinaire

aisé et rapide, parfois même disloqué dans les Satires,surtout dans le premier livre, prend plus de tenue dans

les Epîtres, encore qu'il y garde son allure familière. Au

demeurant, rien, chez Horace, de vraiment nouveau dans

l'emploi de ce vers. En revanche, rien de plus original

que la métrique des œuvres lyriques. Renonçant à

importer dans ses poésies la liberté, que les Romains

croyaient plus grande qu'elle ne l'est en réalité, de la

lyrique dorienne de Pindare, c'est la lyrique éolienne des

Lesbiens qu'Horace adopte. Variée dans ses mètres,mais plus régulière par l'emploi de vers ayant un nombre

fixe de syllabes, elle conviendra mieux à la lourdeur de

la langue latine; il ne sera même pas impossible de lui

donner encore plus de gravité par la substitution fré-

quente du spondée au trochée ou à l'iambe, plus de tenue

par une césure obligatoire, où, chez les Grecs, elle n'était

que facultative. Ces vers, plus fermes et plus réguliers,donnent aux systèmes de strophes ou de distiques qu'ils

constituent, une allure et un ton différents suivant la

manière dont ils sont groupés si bien que chaque senti-

ment trouve dans un système donné à l'exclusion de tout

autre l'expression qui lui convient, et qu'Horace n'em-

ploie jamais, par exemple, le mètre asclépiade, réservé

aux chansons bachiques et amoureuses, dans une grande

pièce patriotique ou philosophique, à laquelle il donne

le mouvement plus ample et plus continu de la strophe

81. Epitres II, tc, 115.82.Artpoétique,40.83.Artpoétiquc,45.

Page 29: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION 31

2

alcaïque. Horace versificateur et métricien est un artiste

consommé.

Il a, comme tous les vrais artistes, le goût, l'amour de

la perfection. Il travaille lentement, n'ayant pas assez de

sarcasmes pour ceux qui, comme Lucilius, peuvent écrire

deux cents vers en une heure, debout sur un pied 84. Il

lui faut, à lui, plus de temps, et il n'est jamais disposé à

livrer son volume aux libraires. Et pourtant, il n'est pas

toujours récompensé de ses soins. L'ouvrage, quand il

paraît, n'est pas toujours accueilli avec faveur. L'appa-rition du premier livre des Satires lui fait plus d'ennemis

que d'admirateurs, et les Odes elles-mêmes ne sont pasuniversellement goûtées. Il n'a donc pas connu les succès

foudroyants, et c'est peu à peu qu'il s'est imposé aux

lettrés comme à la foule. Du moins, n'a-t-il pas dû

attendre jusqu'à ses derniers jours pour que justice lui

fût rendue; et quand il publia le premier livre des Epîtres,le public, qui venait d'apprendre la mort de Virgile à

Brindes, sentit que la poésie latine n'avait pas disparutout entière avec l'auteur de l'Enéide.

VII. LES IDÉES LITTÉRAIRES

Dans la satire et dans l'épître, Horace n'a pas été seule-

ment un moraliste. Ecrivain réfléchi, il a toute sa vie

médité sur son art, et a consacré quelques-unes de ses

œuvres à l'exposé de ses idées littéraires. La quatrième et

la dixième satires du premier livre traitent du genre

satirique; la dix-neuvième épître du livre premier,

adressée à Mécène, est une apologie de la poésie lyrique;

la question des Anciens et des Modernes est l'objet de

la première épître du deuxième livre, à Auguste. Enfin

et surtout, l'Art poétique est riche en préceptes généraux

et en développements précis sur le théâtre.

A ses débuts, Horace veut rivaliser avec Lucilius; il le

lit et le relit, est frappé de ses mérites, qu'il proclame,

plus encore de ses défauts, sur lesquels il insiste. Il est

choqué de son abondance, de sa facilité, de ce flot bour-

beux qui entraîne tout, la vase avec les paillettes d'or, et

il regrette de trouver chez lui tant de vers que son goût

l'oblige à condamner. A regarder les choses de plus près,

il observe que cette facilité non surveillée est le défaut

Satires I, IV, 10.

Page 30: Horace - Oeuvres

32 HORACE

commun des anciens poètes romains, de Névius, d'En-

nius, de Plaute; et cependant, il trouve, autour de lui,leurs œuvres dans toutes les mains 85. Ses contemporainsaffectent de ne lire que les auteurs anciens; et les genséclairés eux-mêmes n'ont pas, à cet égard, plus de goût

que le vulgaire. Varius et Virgile sont moins estimés quePacuvius et qu'Ennius. Comme elles sont étranges ces

antipathies et ces préférences! et n'est-il pas indispen-sable de redresser le mauvais goût du temps ? Horace

part donc en guerre pour la défense des modernes contreles anciens; il apporte à cette lutte toute son ardeur ettoute sa fougue, non sans tomber parfois dans l'injustice.

Seulement, s'il est moderne à outrance, c'est qu'on était,à côté de lui, ancien avec excès. Dans la lutte ce n'est pastoujours la raison et l'équité qui dominent.

Mais, au fond et à juger les choses de haut et de loin,c'est bien lui qui voyait juste. Chez les grands écrivains,ses contemporains, il trouvait précisément les mérites

qui faisaient si gravement défaut à leurs prédécesseurs,et sans lesquels il n'est pas possible, même avec du talent,d'être un grand écrivain. Sur ces mérites il insiste; il yrevient à plusieurs reprises, tantôt consacrant à sa penséeun développement plus ou moins étendu, tantôt la ramas-

sant dans un vers fortement frappé en médaille. Et ainsiil dresse une sorte de code, qui justifie, du moins à cer-tains égards, le nom d'Art poétique, donné de bonneheure à l'Epître aux Pisons.

C'est une belle et noble mission que celle du poète ilforme la jeunesse aux grandes idées, aux nobles devoirs,il console les misérables et les malades; aux jeunes gens etaux jeunes filles il apprend les hymnes religieux; il apaiseles dieux du ciel et des enfers es. Dès lors, il n'est pasdonné à tout le monde d'être poète; que les amateurs sans

talent renoncent à écrire « Unpoète n'a pas le droit d'être

médiocre g'. » Même avec du génie, on ne réussira qu'à la

condition de travailler lentement, de se montrer difficile

pour soi-même, d'avoir le goût et la volonté de la perfec-tion « Reprenez vos vers, dit Horace aux Pisons, tant

que vous n'aurez pas passé de longues journées à raturer,à élaguer, à repolir vingt fois votre ouvrage 88. » Ainsi

seulement, l'écrivain peut instruire et plaire, ce qui est

8ç. Epitres II, l, 53.86. Epïtres II, i, 120.

87. Art poétique, 366.88. Art poétique, 290.

Page 31: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION 33

l'objet propre de la poésie 89.Encore est-il bon de savoirà qui il convient de plaire. Ce n'est pas certainement à lafoule ignorante et grossière, uniquement amoureuse des

spectacles qui frappent les yeux, des couleurs violentes,des riches costumes, voire des combats de bêtes; non,

l'opinion qui importe, c'est celle des gens de goût, des

esprits cultivés qui pourront, au besoin, nous aider dansla découverte de la perfection, si nous avons la sagesse de

préférer à de fades éloges les conseils des habiles 90. Asuivre ces avis éclairés, le poète s'élèvera chaque jour

davantage, surtout s'il n'oublie pas que les Grecs ont été

les maîtres du bien-penser et du bien-dire « Les Grecsont reçu de la Muse le génie et une élocution

parfaite 91.»

La conclusion s'impose « Pour vous, jeunes Pisons, feuil-letez jour et nuit les livres grecs ea. »Composée suivant ces

principes, une œuvre poétique sera vraiment belle; elleinstruira et elle plaira, non seulement aux contemporains,mais à la postérité, parce qu'elle sera inspirée, non parles caprices d'une mode passagère, ni par des fantaisies

individuelles, mais par la raison « La raison, voilà le

principe et la source de l'art d'écrire 93.»

A l'école des Grecs, les Romains se sont exercés et ontfort honorablement réussi dans presque tous les genresil en est un, pourtant, où il reste encore beaucoup à faire,et qui devrait solliciter l'intelligente activité des jeunes

gens c'est le théâtre, et notamment la tragédie. Quelnom latin mettre en regard d'Eschyle, de Sophocle et

d'Euripide ? Pourquoi là, comme ailleurs, ne réussirait-on

pas si l'on voulait vraiment s'en donner la peine ? En

s'inspirant des règles fixées par Aristote, en faisant à la

mythologie ou à l'histoire des emprunts judicieux, en

donnant aux personnages le caractère et le langage quiconviennent à leur âge et à leur situation, en adoptant,

pour la structure de la tragédie, les principes fixés parles grands poètes et justifiés par l'usage, ne pourrait-on

pas se faire un nom estimable ou même illustre et rivaliseravec les grands poètes d'autrefois ? Le drame satyriquelui-même, habilement traité, donnerait à l'ingénieuxauteur qui s'y exercerait, une place bien à part dans

l'histoire des lettres latines. Que les jeunes gens donc

89. Art poétigue,333.90. Art poétique, 386.

91. Art paétique, 323.

92. Art poétique, 268.

93. Art poétique, 309.

Page 32: Horace - Oeuvres

34 HORACE

n'hésitent pas à entrer dans une carrière qui leur est si

largement ouverte ils y peuvent faire une ample moisson

de lauriers.

De toutes les idées éparses dans les satires et les épîtres

littéraires d'Horace se dégage une définition complète de

la littérature classique. Le grand écrivain est celui qui,conscient de la noblesse de son œuvre, s'y donne tout

entier, s'attache, par un travail de tous les instants, à la

rendre aussi parfaite que possible et, esclave de la raison,

n'hésite pas à se mettre à l'école des maîtres incompa-

rables qu'ont été les Grecs. C'est un idéal sans doute, à

considérer la grandeur du but et la noblesse des moyens

préconisés pour l'atteindre mais Horace l'a réalisé. Il

ne s'est pas borné aux préceptes, il a donné l'exemple,

magnifiquement.

APPENDICE

VIII. HORACE A TRAVERS LES SIÈCLES

Juvénal nous informe dans l'une de ses Satires (VII,

v. 227) que, cinquante ans après la mort d'Horace, son

œuvre, liée à celle de son ami Virgile, était devenue « clas-

sique 1)et que les portraits des deux poètes, enfumés parla suie ou pâlis par la lumière trop vive, décoraient les

salles de classe des écoliers romains. Le satiriste Perse,

au milieu du Ier siècle de notre ère, avait déjà loué

l'adroite malignité et le sourire de « Flaccus ». Martial

célèbre « la lyre du Calabrais et Sénèque s'inspire de

lui pour écrire ses tragédies. Sous Hadrien, l'érudit

Térentius Scaurus donne de l'œuvre d'Horace un com-

mentaire en dix livres. Au Ive siècle, saint Jérôme se

plaît à le citer. Après une longue éclipse, on voit, au

VIII'' siècle, un Alcuin se glorifier de le connaître et porterà la cour le surnom mérité de Flaccus. Au ixe siècle est

rédigé à Fleury-sur-Loire le plus ancien manuscrit

d'Horace dont on ait connaissance. A partir du XIe siècle

les manuscrits de son œuvre surabondent. Au XIIe et au

XIII'' siècle, I'Epître aux Pisons est imitée par la plupart des

l' Arts poétiques Il, et dans les fêtes courtoises du Moyen

Age la coutume est de « chanter » fOde à la fontaine

Bandusie et le duo d'Horace et de Lydie (Odes III, ix).Son œuvre inspire en Italie Pétrarque, en Espagne

Page 33: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION 35

Luis de Léon, en France Ronsard, Du Bellay et les

poètes de la Pléiade, puis Montaigne. Les baroques du

XVIIesiècle, notamment Théophile, en sont nourris.

La Fontaine le tient pour l'un de ses maîtres; Boileau

est son homme, un homme qui l'a pris pour guide, pour

modèle, pour ami, au point qu'il n'est guère de satires,

d'épîtres, d'odes de Nicolas où n'abonde la présence d'Ho-

race. Quand Boileau, dans son Discours au Roi (v. 72)écrit

Je confieau papier les secretsde rnon cœur,

il se souvient de la Satire II, 1, 30-31, où Horace par-lant de Lucilius dit qu'il « confiait jadis ses secrets à

ses livres comme à de fidèles compagnons . Comme

Horace (Sat. II, III, 48 sq.), il compare les fous à des

voyageurs égarés qui s'écartent du bon sentier (Sat. IV).La Satire VII de Boileau est presque entièrement une

transposition de la Satire II, i, d'Horace. Il prend au

poète latin, dans la Satire VIII, la comparaison de

l'homme et de la fourmi (Sat. I, 1, 33 sq.) et tout le

passage de l'Art poétique sur l'usurier. Le vers fameux

Le chagrin monte en croupe et galope après lui

est une heureuse imitation du vers des Odes (III, 1),où Horace «derrière le cavalier [assoit] le sombre souci .

L'Art poétique de Boileau n'est qu'une transposition,mutatis mutandis, de l'Epître aux Pisons. On ne peutdonner ici qu'un échantillonnage des emprunts de Boi-

leau au poète latin un catalogue de deux cents pagesne suffirait pas à les énumérer, et l'on en trouvera d'ail-

leurs un complément, çà et là, dans nos notes.La Harpe, à la fin du siècle dix-huitième, en parle

avec bonheur dans son Lycée « Horace, écrit-il, a l'en-

thousiasme et l'élévation de Pindare, comme la grâced'Anacréon, et il ajoute encore à tous les deux. Il n'est

pas moins riche que le poète thébain en figures et en

images, mais ses écarts sont moins brusques, sa diction

a plus de nuances et plus de douceur. Pindare. n'a

qu'un ton, toujours le même; Horace les a tous. Il est

majestueux dans l'Olympe et charmant près d'une maî-

tresse. Il ne lui en coûte pas plus pour peindre avec des

traits sublimes l'âme de Caton et de Régulus, que pour

peindre avec des traits enchanteurs les coquetteries de

Pyrrha. Si l'on fait attention à la sagesse de ses idées, à

la précision de son style, à l'harmonie de ses vers, à la

variété de ses sujets; si l'on se souvient que cet homme

Page 34: Horace - Oeuvres

36 HORACE

a fait des satires pleines de finesse, de raison et de gaieté;des épîtres qui contiennent les meilleures façons de lasociété civile, en vers qui se gravent d'eux-mêmes dansla mémoire; un Art poétique qui est le code éternel dubon goût, on conviendra qu'Horace est un des meilleurs

esprits que la nature ait pris plaisir à former. »

L'on sait combien, après Voltaire et Chénier, les

romantiques tels que Lamartine, Victor Hugo etAlfred de Musset en sont imprégnés; la grande actrice

que fut Rachel fait même triompher sur la scène du

Théâtre-Français, le 24 juin 1880, une comédie en un acteet en vers de Ponsard, intitulée Horace et Lydie; nos

parnassiens et nos « fantaisistes singulièrement Paul-

Jean Toulet, le transposent en vers ou lui empruntentses tours.

L'un des plus pertinents hommages qu'on ait pu luirendre et c'était hier-est celui de Frédéric Nietzsche

Nul autre poète, écrit le philosophe allemand épris de

latinité, ne m'a donné de connaître cet émerveillement

que j'éprouve depuis toujours à la lecture d'une Oded'Horace. Il est des langues où l'on ne saurait même se

promettre pareille réussite. Cette mosaïque de mots, où

chaque vocable, par ses sonorités, par sa place, par les

images qu'il évoque, irradie, à droite et à gauche, surtout l'ensemble ses vertus propres, ce minimum dans levolume et dans le nombre des signes, et ce maximumdans leur énergie, tout cela est romain et hors de pair. En

comparaison, toute autre poésie semble vulgaire et simplebavardage. »

Nietzsche rejoint Jules Lemaître, qui a consacré àHorace l'une des « Figurines » (les Contemporains, t. VII):

La malchance d'Horace, écrit Lemaître, c'est d'avoir été

pour quelques chansons bachiques et quelques dévelop-pements de philosophie bourgeoise, accaparé par leschansonniers et par les vieux messieurs des académies

provinciales de jadis. Grâce à quoi, on l'a enfin prislui-même tantôt pour un membre du Caveau et tantôt

pour un vieux monsieur dans le genre du regrettéCamille Doucet. Or cela est absurde, et jamais on nevit maître plus différent des disciples qu'il eut à subir.

KCar, d'abord, rien n'est moins «artiste» qu'un membrede la Lice chansonnière et il se pourrait qu'Horace fût,dans ses vers lyriques, le plus purement artiste des

poètes latins. Ses Odes sont, à la vérité, des odelettes

parnassiennes. Savantes et serrées, d'une extrême beauté

Page 35: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION 37

pittoresque et plastique, elles n'ont pas grand-chose de

commun, à coup sûr, avec les chansons de Béranger. Et

les vers des Satires et des Epîtres ne ressemblent guère

davantage à ceux d'un Andrieux ou d'un Viennet. Ils

rappelleraient plutôt, par la liberté et l'ingénieuse dis-

location du rythme, les fantaisies prosodiques de Mar-

doche ou d'Albertus je parle sérieusement. Joignez

qu'Horace a, le premier, introduit dans la poésie latine

les plus belles variétés de strophes grecques, sans comp-ter certaines combinaisons de vers qui lui sont, je crois,

personnelles. En sorte qu'il fait songer à Ronsard infi-

niment plus qu'à Boileau.

« Secondement, il n'est pas d'animal plus timide ni

plus esclave de la tradition qu'un chansonnier gaulois ou

un retraité qui traduit Horace. Or le véritable Horace

fut, en littérature, le plus hardi des révolutionnaires. Il

traita les Ennius, les Lucilius et les Plaute comme Ron-

sard et ses amis traitèrent les Marot, les Saint-Gelais et

les auteurs de « farces et de « mystères ». D'esprit plus

libre, d'ailleurs, que les poètes de la Pléiade, Horace fut,à tort ou à raison, ce que nous appellerions aujourd'huiun enragé moderniste. 0 imitatores, servum pecus et

Nullius addictus jurare in verba magistri, sont des mots

essentiellement horatiens.

« Enfin, rien n'est plus plat ni plus borné que la sagessed'un chansonnier bachique ou d'un rimeur de l'école du

bon sens. Or le véritable Horace a bien pu se qualifier

lui-même, par boutade, de pourceau d'Epicure vous

savez que l'épicurisme n'est nullement la philosophiedes refrains à boire; et celui d'Horace est, finalement,d'un stoïcien qui n'avoue pas. C'est que, chez les âmes

bien situées, l'épicurisme et le stoïcisme, et généralementtous les systèmes, ont toujours abouti aux mêmes conclu-

sions pratiques. On trouve- dans Horace les plus fortes

maximes de vie intérieure, de vie retirée et retranchée en

soi, supérieure aux accidents, attachée au seul bien moral

et l'embrassant uniquement pour sa beauté propre.Soldat de Brutus, il accepta le principat d'Auguste

par raison, par considération de l'intérêt public; mais il

fut, ce semble, moins complaisant pour l'empereur et

pour Mécène et sut beaucoup mieux défendre contre

eux sa liberté et son quant-à-soi que le tendre Virgile.

Ce fut un homme excellent, un fils exemplaire, un très

fidèle ami, et une âme ferme sous une tunique lâche

et sous des dehors à la Sainte-Beuve. »

Page 36: Horace - Oeuvres

38 HORACE

Nietzsche et Jules Lemaître ont raison, et l'art suprêmed'Horace a bien été cette virtuosité ou cette vertu qui lefont si habilement disposer dans ses vers de vocableschoisis pour leur propriété, leur sonorité ou leur cou-

leur. Ce sertissement et ce bonheur d'expression(curiosa felicitas) le mettent au premier rang des poèteslatins admirés par les doctes t, et les fleurs de la sagesseépicurienne qui parsèment son œuvre en ont fait un desauteurs les plus souvent cités, même directement en

latin au temps où nos écrivains connaissaient la languede Cicéron et de Virgile par les auteurs des siècles clas-

siques, voire du xixe siècle et du nôtre. Le début de laseconde Epode où le poète de Tibur oppose aux bruyantesoccupations des villes les charmes de la campagne, Beatus

ille qui procul negotIIs. Bienheureux celui qui, loin des

affaires. u, que Boileau a rendu par

Qu'heureux est le mortel qui, du monde ignoré,Vit content de lui-même en un coin retiré

est cité en propres termes par Voltaire dans une Lettreà M. de Cideville « Beatus ille qui procul negotiis. La

liberté, la tranquillité, l'abondance de tout, et Madame

Denis, voilà de quoi ne regretter que vous. »

Bella rrratribus detestuta, Les guerres détestées desmères mots passés en proverbe, se reflètent dans ce

beau vers de Barbier, l'auteur des Iambes

Le bronze que jamais ne regardent les mères.

L'adage Bis repetita placent « Les choses répétées,redemandées, plaisent

IJest un aphorisme imaginé d'aprèsle vers de l'Art poétique (365), où le poète dit que telleoeuvre ne plaira qu'une fois, tandis que cette autre répé-tée dix fois plaira toujours Haec decies repetita placebit.

Du carpe diem, cueille le jour », des Odes (I, xi, 8)Pierre Leroux note justement dans Humanisé Horace,qui a si profondément compris la doctrine philosophiqued'Epicure, ne l'a rendue poétique qu'en la teignant de

I. Vous connaissez,écrivait récemment M. Jacques Perret dansun excellentlivre sur Horace,l'hommeet l'œuvre (Hatier éd. toutesles astuces d'une versificationexigeante; et vous savez sourire. Orje me convaincusde plus en plus que la poésie légèreest, à toutes lesépoques, le sel de la poésie. Vrai pour Horace, vrai pour Ronsard,vrai pour Hugo.

Page 37: Horace - Oeuvres

INTRODUCTION 39

volupté le carpe diem revient sans cesse sous sa plume. »

Quand Victor Hugo, parlant de Mirabeau à la tribune,

écrit que « son sourcil remuait tout comme celui de Jupi-

ter, cuncta supercilio moventis », il cite et traduit à la fois

un vers d'Horace (Odes, III, i, 8) dont La Fontaine

s'était déjà souvenu dans Philémon et Baucis

Jupiter leur parut avec ses noirs sourcils

Qui font trembler les cieux sur leurs pôles assis.

Le conseil que donne Horace à Virgile (Odes, IV, xi,

28), à savoir qu'il est bon d'oublier la sagesse à propos,a été suivi par Boileau, qui savait se dérider à l'occasion

et qui fut un aimable convive.

L'Est modus in rebus (Satires, I, I, 160),« Il est une

mesure en toutes choses », que Voltaire a cité quatorzefois dans ses Œuvres, a abouti au distique trivial

Faut d'la vertu, pas trop n'en faut,L'excès en tout est un défaut.

« C'est pour me conformer au précepte d'Horace, écrit

Mérimée au début de Colomba, que je me suis lancé

d'abord in medias res. Horace, en effet, dans son Art

poétique (v. 148), observe qu'Homère jette son lecteur

dès l'abord au milieu de l'action.

Quand La Fontaine écrit

Le trop d'attention qu'on a pour le dangerFait le plus souvent qu'on y tombe,

il traduit à sa manière le vers 31 de l'Art poétiqueIn vitium ducit culpae fuga

« Celui qui veut éviter un

défaut tombe dans un autre , et Voltaire, dans son

Dictionnaire philosophique, lance cette flèche anticarté-

sienne Je ne sais quels prétendus philosophes, pour

répondre à la chimère de Descartes, se jetèrent dans la

chimère opposée; ils donnèrent littéralement de l'esprit

pur aux crapauds et aux insectes in vitium ducit culpae

fuga.Le Laudator tenzporis acti de l'Art poétique (173),

« celui qui fait l'éloge du temps passé inspire à Armand

de Pontmartin (Causeries littéraires) cette réflexion

« Le laudator temporis acti d'Horace, c'est l'homme de

tous les temps, louant dans le passé sa propre image

qu'il y voit réfléchie comme dans une onde déjà loin-

taine, saluant comme l'apogée de toute jeunesse, de tout

Page 38: Horace - Oeuvres

40 HORACE

éclat et de tout bonheur le moment où il était jeune,brillant et heureux. »

La Fontaine a traduit deux fois le vers des Epîtres(I, X, 24) Naturam expelles furca, tamen usque recurret,« Chassez le naturel à coups de fourche, il reviendra

toujours »

Quand, la fourche à la main, Nature on chasserait,Nature cependant sans cesse reviendrait.

et

Et fussiez-vous embâtonnés

Jamais vous n'en serez les maîtres;

Qu'on lui ferme la porte au nez,

Il rentrera par les fenêtres.

Montesquieu, à la pensée de revoir son château deLa Brède au mois d'août, ne peut s'empêcher de citerHorace (S'atires, II, vi, 60) 0 rus, quando ego te aspi-ciam « O campagne, quand te reverrai-je ? »

Et il siérait de joindre à ces exemples des expressionspassées en proverbe aura popularis «le souffle populaire »,coram populo « en public », justum et tenacem « l'homme

juste et ferme », nil admirari « ne s'étonner de rien »,stans pede in uno « au pied levé », etc.

Horace est le plus souvent cité des poètes latins pourla même raison que La Fontaine est le plus souvent citéde nos poètes parce que leur poésie satisfait par un artsavant les « connaisseurs », et par le charme d'une moralefacile et que l'on peut interpréter librement, tout le com-mun des hommes de ceux du moins qui savent, à

l'occasion, sourire.

Page 39: Horace - Oeuvres

NOTESUR CETTEÉDITION

Page 40: Horace - Oeuvres
Page 41: Horace - Oeuvres

Le lecteur trouvera les éclaircissements nécessairesdans les notes qui justifient notre traduction. Mais,pour sa commodité, et afin qu'il ait une vue d'ensemblede la nomenclature d'Horace, nous croyons utile dedonner ici une liste sommaire des principales appella-tions

i. Noms de peuples et de pays. Les Italiens sontnommés Italiens (Itali), Ausoniens (Ausonii), Hes-périens (Hesperii) et l'Italie est nommée Italie (Italia),Ausonie (Ausonza), Hespérie (Hesperia) ce derniernom est donné deux fois à l'Espagne, qui est aussi un« pays du couchant ».

Les Latins (Latini) et les Romains (Romani) sontparfois confondus.

Les Etrusques sont nommés encore Tyrrhéniens (Tyr-rheni), Lydiens (Lydi), Méoniens (Maeonii), Toscans

Les Grecs reçoivent les noms d'Achéens (Achivi),d'Argiens (Argivi), de Grecs (Graii et Graeci).

Les Parthes sont souvent nommés Perses (Persae), etles Perses, Mèdes (Medi).

A ces noms de peuples correspondent le plus souventdes noms de pays et des adjectifs.

2. Patronymes. Horace, selon la coutume grecque,donne quelquefois à ses personnages le nom de leursascendants Untel, fils ou descendant d'Untel. C'estainsi que l'Eolide (Æolides) désigne Sisyphe; le Laer-tiade (Laerriades) Ulysse; le Panthoïde (Panthoides)Euphorbe; le Pélide (Pelides) Achille; le Priamide

(Priamides) Hector; le Tydide (Tydides) Diomède, etc.

Page 42: Horace - Oeuvres

44HORACE

D'autre part, un double nom désigne parfois le même

personnage Romulus est nommé ici et là Quirinus.

3. Noms de divinités.

cz) Certaines divinités reçoivent plusieurs noms, soit

qu'il s'agisse en réalité de dieux et de déesses différents

à l'origine et confondus plus tard, soit que le poète tienne

à insister sur une de leurs fonctions particulières. C'est

ainsi que Bacchus est nommé tour à tour Bacchus

(10 fois), Evhius (2 fois), Lénée (Lenaeus) « dieu des pres-soirs » (I fois), Liber (13 fois). Jupiter est nommé d'or-

dinaire Jupiter, mais deux fois Daespiter. Mars est une

fois nommé Mavors. Minerve reçoit cinq fois son nom,

mais six fois celui de Pallas. Diane (9 fois citée) est

nommée une fois la déesse Lune, une fois Hécate.

li) Les divinités reçoivent aussi des noms toponymes

rappelant les lieux où elles ont un temple ou un culte

célèbre ou dont elles sont originaires Vénus est nommée

deux fois Cythérée, une fois Erycine; Cybèle, trois fois

la Bérécyntienne, une fois l'Idéenne Apollon, leDélien, etc.

c) Enfin les dieux reçoivent aussi un nom patrony-

mique Hercule, petit-fils d'Alcée, est appelé une fois

l'Alcide.

Page 43: Horace - Oeuvres

ŒUVRES D'HORACE

Page 44: Horace - Oeuvres
Page 45: Horace - Oeuvres

ODES

Page 46: Horace - Oeuvres
Page 47: Horace - Oeuvres

LIVREPREMIER

i

Mécène,descendantd'uneracederois1,ômonappuiet madoucegloire,il enestquisefélicitentd'avoirsurun charramasséla poussièreolympique,évitélabornede leursrouesbrûlanteset méritéla palmeglorieusequilesélèvejusqu'auxdieux,maîtresdumonde.Celui-ciestheureuxsi levotedesinconstantsQuiritesle porteauxhonneurstrijumeaux2;celui-là,s'ilenfermedanssongreniertouslesgrainsramasséssurlesairesdeLibye3.Lepaysan,heureuxde fendrede sa houeleschampspaternels,ne se laisserajamaisamener,fût-cepar lesoffresd'unAttale4,àsillonner,craintifnavigateur,surunbateaudeChypre,lamerdeMyrto6.

Quandleventd'Afriquebatlesflotsdelamericarienne,le marchanda peuret louele calmedeschampsquientourentsabourgade;puisilréparesesbarquesendom-magées,indocileaujougdelapauvreté.TelnedédaignepaslescoupesdevieuxMassique

6et neserefusepasàprendredanslajournéeunmomentpours'étendre,soitsousun arbousiervert,soitprèsde la sourcepaisibled'uneeausacrée.Beaucoupaimentlescamps,lesonduclaironmêléà celuide la trompette,et les guerres,détestéesdesmères.Lechasseurresteà l'affûtsousl'airglacé,sansse soucierde sa jeunefemme,soitqueseschiens,au flairinfaillible,aientaperçuunebiche,soitqu'unsanglierdu paysMarseait rompulesmaillesdesesfilets7.

Maismoi,le frontceintd'unecouronnede lierre8,récompensedu sage,je visavecles dieuxd'enhaut;la fraîcheurdesbois,les chœurslégersdesNymphesjointesauxSatyresmeséparentdela foule,si Euterpe

Page 48: Horace - Oeuvres

50 HORACE

ne suspend point ses flûtes 9,si Polymnie ne refuse pas detendre pour moi le barbiton de Lesbos 10.

Si tu me mets au rang des poètes lyriques, je heurterai,d'un front fier, les astres.

II

Assez longtemps, Jupiter a lancé sur la terre la neigeet la grêle funeste; il a, de sa main rougie par la foudre,frappé les hauteurs sacrées 11,il a fait craindre à Rome,il a fait craindre aux nations que revînt le terrible siècleoù Pyrrha 12déplorait des prodiges inouïs Protée13pous-sant tous ses moutons vers les hautes montagnes, lespoissons arrêtés au sommet des ormes, séjour habitueldes colombes, et les daims apeurés nageant dans unemer répandue sur toute la terre. Nous avons vu le Tibrejaune rejeter violemment ses ondes loin de la rive étrusqueet renverser le monument royal et le Temple de Vesta14nous l'avons vu venger sans mesure Ilia, son épouseplaintive16, sortir de son lit et se répandre sur sa rivegauche malgré Jupiter. Les jeunes gens, aujourd'huimoins nombreux par la faute de leurs pères, apprendrontque les citoyens ont aiguisé les uns contre les autres un ferqu'ils eussent mieux employé à massacrer les Perses15bis;ils apprendront nos combats. Quel dieu le peuple invo-quera-t-il pour soutenir l'édifice croulant de l'empire?De quelles prières les vierges sacrées fatigueront-ellesVesta, qui n'écoute plus leurs supplications ? A quiJupiter confiera-t-il le soin d'expier le crime ? Viens enfin,nous t'en prions, les épaules revêtues d'un blanc nuage,ô Apollon, qui sais les augures! A moins que tu n'yconsentes, riante déesse de l'Eryx 16, autourde qui volentle Jeu et Cupidon; ou que ce soit toi, Mars notre père 17,situ daignes regarder ta race négligée et tes descendants;tu dois être rassasié d'un jeu qui a trop duré, quelqueplaisir que tu trouves aux clameurs, aux casques légers,à l'air terrible du fantassin Maure regardant son ennemiensanglanté. Peut-être, fils de Maïa la nourricière, dieuailé 18,qui prends sur terre la figure d'un jeune homme,peut-être sera-ce toi qui consentiras à te laisser appelerle vengeur de César. Puisses-tu tarder à remonter auciel, rester longtemps volontiers parmi le peuple de

Quirinus, et, dans ton irritation contre nos vices, ne paste laisser emporter trop tôt par le vent! Demeure plutôt

Page 49: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE 151

ici pour jouir des grands triomphes, pour être heureuxde t'entendre appeler Père et prince; et ne laisse pasimpuni le cavalier mède, quand tu commandes à Rome,César!

III

Que la déesse toute-puissante de Chypre19,que les frèresd'Hélène, brillante constellation20,que le père des Vents21,les tenant tous enchaînés, sauf l'Iapyx 22, te conduisent,ô navire, qui dois nous rendre Virgile que nous t'avonsconfié; mène-le sans dommage, je t'en prie, aux rivesde l'Attique, et conserve cette moitié de mon âme. Ah! ilavait autour du cœur une lame de bois de chêne et untriple airain, celui qui, le premier, confia un frêle bateauà la mer violente et ne craignit ni l'impétueux vent

d'Afrique en lutte avec les Aquilons, ni les funestesHyades23, ni la rage du Notus, ce souverain de l'Adria-tique, qui, à sa volonté, soulève ou calme les flots. Il neredouta pas l'approche de la mort, celui qui put, les yeuxsecs, regarder les monstres marins, les bouleversementsde la mer et les écueils acrocérauniens 24,de sinistre répu-tation. En vain un dieu, dans sa sagesse, a désuni et

séparé les terres des bateaux sacrilèges traversent leseaux qu'ils ne devraient pas franchir. La race humaine atoutes les audaces elle se rue sur ce que lui interdit ladivinité. Le hardi fils de Japet 25,par une ruse de fâcheuseconséquence, apporta le feu aux humains; après ce larcinfait aux dieux, la consomption et toute l'armée des fièvres,jusqu'alors inconnues, s'abattit sur la terre; et la mortfatale, lointaine auparavant et lente à venir, précipitasa marche. Dédale fit, pour s'élancer dans les airs, l'expé-rience d'ailes que la nature n'a pas données à l'homme;Hercule compta parmi ses travaux l'entrée de vive forcedans l'Achéron. Rien n'est inaccessible aux mortels; noussommes assez fous pour vouloir le ciel même, et noscrimes ne permettent pas à Jupiter de déposer sa foudrefuribonde.

IV

L'hiver piquant s'amollit à l'agréable retour du prin-temps et de Favonius; les bateaux mis au sec descendentà la mer sur des rouleaux; l'étable ne fait plus la joie du

troupeau, ni le coin du feu, celle du laboureur; les

Page 50: Horace - Oeuvres

52HORACE

prairies ne sont plus blanches de givre. Déjà Vénus

Cythérée conduit les chœurs à la clarté de la lune qui

monte; déjà les Grâces décentes, unies aux Nymphes,

frappent le sol d'un pied alterné, pendant que Vulcain,

le visage enflammé, embrase l'atelier des laborieux

Cyclopes. Il faut aujourd'hui se parfumer la tête et la

couronner de myrte vert et des fleurs que porte la terre

amollie. Il faut, dans les bois ombreux, sacrifier au

Faune une agnelle ou, s'il préfère, un bouc. La pâle

Mort heurte d'un pied égal les échoppes des pauvres et

les tours des rois. 0 bienheureux Sestius, la brièveté de

la vie nous interdit les longs espoirs. Bientôt te presseront

la Nuit, les Mânes, ces visions 26,la fantômale demeure de

Pluton 27.Quand tu y auras abordé, tu ne tireras plus aux

dés la royauté du vin, tu n'admireras plus le gentil

Lycidas, dont aujourd'hui raffolent tous les jeunes gens,

pour qui demain les jeunes filles brûleront d'amour.

v

Quel garçon, bien jeune encore, et tout baigné de

parfums,te presse,Pyrrha,au milieudesroses,danscette

grotte délicieuse? Pour qui attaches-tu tes cheveux

blonds? pour qui es-tu si simple dans ta coquetterie?Hélas!il pleurerasouventtes trahisonset celledesdieux,il serastupéfaitde la noirceurdes ventset de la violencedes flots,lui qui aujourd'hui,dans sa crédulité, jouit deta beautééclatante!Il espèreque tu serastoujoursà lui,

que toujours tu seras aimable! il ne sait pas que levent tourne.Malheureuxceuxqui t'admirentsans t'avoirconnue!Maismoi,auxparoisdutemple,j'aisuspenduunex-voto ce sont mes vêtementsencoretout ruisselants,

que j'ai consacrésau maîtrede la mer.

VI

C'est affaire à Varius 28 de célébrer, sous les auspices du

poète de Méonie 29, ton courage, tes victoires, les cam-

pagnes où tu as conduit nos fiers soldats, sur terre et sur

mer. Pour nous, Agrippa, nous ne nous exerçons pas à de

tels récits, nous ne chantons pas la funeste colère de l'in-

traitable Achille, ni les courses sur mer du rusé Ulysse,

ni les crimes de la race de Pélops nous sommes trop

Page 51: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE 1 53

petits pour de si grands sujets; notre réserve et la Muse,

maîtresse de notre lyre pacifique, nous interdisent de

diminuer, faute de génie, la gloire du grand César

et la tienne. Qui pourra dire, comme il convient,

Mars, portant une tunique d'acier, Mérion, noirci de la

poussière troyenne 30,et le Tydide31

capable, avec l'aide

de Pallas, de se mesurer aux dieux ? Nous chantons, nous,les festins, les combats qu'avec leurs ongles coupés,les jeunes filles livrent aux jeunes gens, que notre cœur

soit libre ou que, légers comme d'ordinaire, nous soyonsenflammés par quelque passion.

VII

D'autres loueront Rhodes ensoleillée, Mitylène,

Ephèse, les remparts de Corinthe aux deux mers, Thèbes

qui doit sa célébrité à Bacchus, Delphes qui doit la

sienne à Apollon, ou la Thessalienne Tempé. Certains

ont pour tâche unique de célébrer dans tout un poème la

cité inviolée de Pallas et de cueillir partout l'olivier pouren couronner leur front. La plupart chanteront, en l'hon-

neur de Junon, Argos, la nourricière des chevaux, ou la

riche Mycènes. Pour moi, ce qui me frappe, c'est moins

l'endurante Lacédémone ou les grasses campagnes de

Larisse, que la demeure sonore d'Albuna 32, la cascade

de l'Anio, le bois sacré de Tiburnus 33, les vergers où des

ruisseaux entretiennent, en courant, l'humidité. De même

que le Notus rend au ciel sa blancheur en chassant les

nuages, et ne fait pas naître une pluie sans fin, de même, si

tu es sage, Plancus, mets un terme à ta tristesse, cherche

dans la liqueur de Lyée un adoucissement aux misères de

la vie, que tu sois retenu dans les camps où brillent les

aigles, ou que tu doives rester sous les épais ombrages de

Tibur.

Teucer 34, fuyant Salamine et son père, plaça, dit-on,

une couronne de peuplier sur son front tout humide de

la liqueur de Lyée 35;puis à ses amis affligés il parla ainsi

« En quelque endroit que nous conduise la Fortune,

moins dure que mon père, nous irons, ô mes compa-

gnons et mes camarades. Il n'y a pas à désespérer, tant queTeucer sera votre chef, tant que Teucer sera votre guide.

Apollon ne trompe pas il nous a promis, sur une terre

nouvelle, une seconde Salamine 36. Vous êtes des braves

et vous avez souvent avec moi souffert les pires maux;

Page 52: Horace - Oeuvres

54 HORACE

aujourd'huichassezles soucisdans le vin; demainnous

reprendronssur mer notre longuecourse.»

VIII

Dis-moi, Lydie,je t'en prie par tous les dieux, pour-quoicettehâteàperdre Sybarispar ton amour? Pourquoicejeunehomme,qui aimaitle soleilet lapoussière,fuit-illagrandelumièredu ChampdeMars? pourquoinefait-il

plus de chevalavecceux de son âge, qui se préparent,commelui, au servicemilitaire? pourquoine gouverne-t-il plus,avecdesdentsde loup3',la bouchedeschevaux

gaulois? pourquoicraint-il de se mettre à l'eau dans leTibre jaune? pourquoiévite-t-il l'huiledes athlètesavec

plus de soin que le sang de la vipère? pourquoisesbrasne sont-ilsplus meurtrispar les armes, lui qui faisait sisouventparler de lui par sa façonde lancer,au-delàdu

but, le disqueou le trait ?Pourquoise cache-t-il,commefit, dit-on, dans le temps déplorableoù Troie allaitmourir,le filsde Thétis 38,qui ne voulaitpas garder desvêtementsd'homme,pour se laisserentraînerau massacredes bataillonslyciens?

IX

Vois comme le Soracte 39 se dresse tout blanc, sous une

épaisse couche de neige, comme les forêts ne peuvent plus

supporter le poids qui les accable, comme les rivières se

sont immobilisées sous le gel piquant! Chasse le froid

en entassant les bûches dans ton foyer, et tire sans

compter, Thaliarque, de l'urne Sabine à deux anses le

vin de quatre ans. Pour le reste, remets-t'en aux dieux

aussitôt qu'ils ont calmé les vents en lutte sur la mer

bouillonnante, les cyprès et les vieux ornes ne sont plus

agités. Que sera demain ? évite de le rechercher; et, tous

les jours que te donne la fortune, porte-les en bénéfice;

ne dédaigne ni les douces amours, ni les chœurs, main-

tenant que tu es jeune et aussi longtemps que ta vigueurne connaîtra pas la vieillesse chenue. Aujourd'hui,retrouve à l'heure convenue le Champ de Mars, les places

publiques, les doux entretiens à voix basse, quand tombe

la nuit; aujourd'hui, écoute l'aimable éclat de rire par

lequel se trahit ta maîtresse, cachée dans un coin retiré,

Page 53: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE 155

et enlève-lui le bijou qui orne son bras ou que son doigtsait mal retenir.

x

Mercure, éloquent petit-fils d'Atlas, toi qui eus l'art

d'adoucir par ta voix et d'embellir par l'habitude de la

palestre les premiers hommes au caractère sauvage, jeveux te chanter, messager du grand Jupiter et des dieux,

père de la lyre courbée, habile à cacher tout ce que tu t'es

amusé à dérober. C'est toi qui, par ruse, as enlevé jadisses bœufs à Apollon; tu étais tout jeune, et il prenait unevoix menaçante pour t'effrayer, si tu ne les lui rendais pas;mais il se mit à rire quand tu lui dérobas son carquois.C'est toi qui conduisais le riche Priam quand, au sortir

d'Ilion, il réussit à tromper l'attention des Atrides orgueil-leux et échappa aux feux de garde des Thessalienset au camp des ennemis de Troie -1".C'est toi qui mènesdans les demeures des bienheureux les âmes pieuses et

qui, de ta verge d'or, rassembles leur troupe légère tu escher aux dieux d'en haut et à ceux d'en bas.

XI

Leuconoé, ne cherche pas ce serait une impiétéquelle fin les dieux ont fixée pour toi et pour moi; neconsulte pas les nombres babyloniens Combien il vautmieux supporter ce qui sera! Que Jupiter t'accordeencore plusieurs hivers, ou qu'il soit le dernier, celui qui,

aujourd'hui, brise la mer Tyrrhénienne sur les roches

rongées qui la bordent, sois sage, filtre tes vins et réduis

à la mesure de ta brève durée les longs espoirs. Pendant

que nous parlons, l'heure jalouse a fui. Cueille le jour,en te fiant le moins possible au lendemain.

XII

Quel homme ou quel héros veux-tu, Clio 42,célébrer surla lyre ou sur la flûte au son perçant ? Quel dieu ? Quelnom répétera l'écho en se jouant, ou dans les régionsombreuses de l'Hélicon n, ou sur le Pinde, ou sur l'Hémus

glacé, cet Hémus où les arbres étaient entraînés derrière

l'harmonieux Orphée, que l'art maternel avait rendu

Page 54: Horace - Oeuvres

56HORACE

habile à arrêter et le cours rapide des rivières et les

vents agiles, et dont la cithare caressante et sonore mettait

en mouvement les chênes, qui avaient des oreilles pourl'écouter ?

Que dire d'abord, sinon rendre l'hommage consacré à

Jupiter, qui règle la vie des hommes et des dieux et

gouverne, suivant le cours des saisons, la mer, la terre et

l'univers ? Rien ne naît de lui qui lui soit supérieur; rien

ne vit qui lui soit égal, ou même qui vienne immédiate-

ment après lui. Mais c'est Pallas, l'audacieuse, la guer-

rière, qui, à sa suite, mérite les honneurs. Et je ne vous

oublierai pas, toi, Liber, ni toi, Vierge redoutable aux

bêtes sauvages ni toi, Phébus, qui inspires la crainte

par la flèche lancée d'une main sûre. Je dirai aussi Alcide

et les fils de Léda 45, tous deux illustres par leur supé-

riorité, l'un dans le dressage des chevaux, l'autre au

pugilat; sitôt qu'aux yeux des marins brille leur blanche

constellation, les flots soulevés glissent du haut des

rochers, les vents tombent, les nuages se dissipent, et

les vagues menaçantes retombent sur la mer, parce quetelle est leur volonté.

Aprèseux, rappellerai-jed'abord Romulusou le règnetranquille de Pompilius, les faisceaux de Tarquin le

Superbe ou la noble mort de Cation46?Je ne sais. A

Régulus, aux Scaurus, à Paul-Emile, prodigue de sa

grandeâmelors de la victoirepunique je témoigneraimareconnaissance;mamuse lescélébreraavecFabricius.

Lui, et Curius aux cheveux mal peignés, et Camille,furent formésà la guerrepar une viesimpleet rude, parle médiocreavoir qu'ils avaientreçu en héritageet quis'accordaitavecleur petit domaine.

Et voicique, commeun arbre, grandit, avecle temps,et sansqu'ons'en doute,la gloiredeMarcellus411.L'astredes Julesbrille entre tous, commela lune au milieudesétoilesplus petites. Père et gardiende la race humaine,filsde Saturne,c'est à toique lesdestinsont remislesoindu grand César; c'est à toi de régner avec César poursecond.Soit que, dans un triomphelégitime,il traîne àsa suiteles Parthesmenaçantspour le Latium, soit que,aux extrémitésde l'Orient, il soumetteles Sères49et les

Indiens, c'est au-dessousde toi que, dans sa justice, iladministrerale vastemonde; mais c'est toi dont le char

pesant fera trembler l'Olympe, c'est toi qui lancerastafoudreennemiesur les boissacrésprofanés.

Page 55: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE 1 57

XIII

Quand tu loues, Lydie, le cou rosé de Télèphe, les bras

de cire de Télèphe, ah! mon cœur bout et se gonfle

d'une bile qui me torture. Alors, et ma raison s'égare,

et mon visage change de couleur, et, sans que je m'en

aperçoive, mes larmes coulent sur mes joues, ce qui

montre combien est profonde la blessure faite par la

flamme tenace dont je suis consumé. Oui, c'est un feu

qui me brûle quand je vois tes blanches épaules meurtries

dans une rixe où le vin a coulé sans mesure, ou quand

l'enfant hors de lui, a, de ses dents, marqué pour long-

temps tes lèvres. N'espère pas, si tu veux m'en croire,

qu'éternellement ce sauvage blessera ta bouche, si douce,

que Vénus parfuma de la quintessence de son nectar. Ah!

trois fois et cent fois heureux, ceux dont l'union ne peut

se rompre, que ne séparent point les méchantes querelles,

et dont l'amour ne se brisera pas avant leur dernier jour!

XIV

O navire, des vagues nouvelles vont t'emporter sur la

mer! Que fais-tu ? Reviens hardiment au port. Ne vois-tu

pas tes flancs dépouillés de leurs rames, ton mât blessé

par l'Africus rapide ? n'entends-tu pas gémir tes vergues ?

ne sens-tu pas que, sans cordages, ta coque aura du mal

à résister aux violences du flot ? Rien n'est intact, ni tes

voiles, ni les dieux, sculptés sur ta poupe pour les invo-

quer dans un nouveau danger. Tu as beau être fait avec

des pins du Pont et vanter la noble forêt d'où tu sors 50,

ta naissance, ton nom ne te serviront de rien. Le marin,

devenu timide, n'a plus confiance dans les peintures de

son bateau. Si tu ne veux pas être le jouet des vents,

prends garde. Naguère, tu me donnais de l'inquiétude et

de l'ennui; aujourd'hui, tu es l'objet de ma tendresse

et d'un souci qui me pèse. Evite les mers qui s'étendent

entre les brillantes Cyclades 51.

xv

Quand le berger perfide entraînait sur les mers

Page 56: Horace - Oeuvres

58 HORACE

Hélène son hôtesse, dans des navires faits avec les arbres

du mont Ida, Nérée calma et abattit, malgré eux, les

vents rapides, pour lui révéler la triste destinée quil'attendait.

«:C'est sous de mauvais auspices que tu emportes chez

toi cette femme la Grèce armera mille guerriers pouraller la reprendre; elle se liguera pour briser cette unionet l'antique royaume de Priam. Hélas! quels ruisseauxde sueur couleront sur les chevaux et sur les soldats!

que de morts tu réserves à la race de Dardanus 52! DéjàPallas prépare son casque, son bouclier, son char, ses

fureurs! En vain, tout fier de l'aide de Vénus, tu pei-

gneras tes beaux cheveux, tu moduleras, sur ta lyre

pacifique, des chants qu'aiment les femmes; en vain,blotti dans ta chambre à coucher, tu chercheras à éviter

les lourds javelots, les flèches faites en roseaux de

Cnosse 53, le bruit de la lutte, et Ajax, si rapide dans la

poursuite; malgré tout, mais bien tard, hélas! tes cheveux

adultères seront traînés dans la poussière. Ne vois-tudonc pas, là, en arrière, le fils de Laërte, fléau de ta race, etNestor de Pylos ? Ils te pressent, sans rien craindre,le Salaminien Teucer, et Sthénélus, habile au combat

ou, s'il faut maîtriser les chevaux, cocher ardent; tu

connaîtras aussi Mérion; enfin,, mettant toute sa fureurà te découvrir, Diomède, plus brave encore que son

père Tydée 5'. Toi, comme un cerf qui a vu un loup surl'autre versant de la vallée et ne songe plus à brouter

l'herbe, tu fuiras, lâchement, sans pouvoir reprendreton souffle. Ce n'est pas là ce que tu avais promis à ta

maîtresse. La colère d'Achille et de sa flotte retarderontla mort d'Ilion et des femmes phrygiennes mais aprèsun nombre déterminé d'années, le feu allumé par les

Achéens embrasera les maisons de Pergame!

XVI

O filleplus belle que ta mère, si belle cependant,tupeux supprimer comme bon te semblera mes iambesinjurieux les brûler, ou, à ton gré, les jeter dans la merAdriatique.

Ni Cybèle, la déesse du Dyndime56, ni dans sessanctuaires le dieu de Pytho, Apollon1- ni Liber5R

n'agitent autant l'esprit de leurs prêtres, ni les Cory-bantes59 ne frappent leurs cymbales de coups aussi

Page 57: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE 1 59

violemment redoublés que ne fait la colère funeste;

car la colère ne craint ni l'épée de la Norique 6°, ni les

naufrages de la mer, ni la flamme cruelle, ni la foudre de

Jupiter, tombant avec un bruit épouvantable. Prométhée,

dit-on, dut ajouter au limon, qui est l'élément principaldont l'homme est fait, une parcelle d'autres éléments prisun peu partout; et il mit dans notre poitrine l'aveugleviolence du lion. C'est la colère qui accabla Thyeste

61

sous une horrible catastrophe; c'est la colère qui ruina de

puissantes cités, c'est par là qu'elles périrent jusquedans leurs fondations et sentirent la charrue ennemie,

poussée par une armée insolente, niveler leurs murs.

Calme ton humeur moi aussi, au doux temps de ma

jeunesse, je me suis laissé entraîner par la chaleur de

mon cœur, et ma violence s'est répandue dans des iambes

emportés; aujourd'hui, je veux changer l'amertume en

douceur, pourvu qu'à ma rétractation tu répondes parton affection et que tu me rendes ta sympathie.

XVII

Rapide, Faunus quitte souvent pour le charmantLucrétile62le Lycée°3,et il défendmes chèvrescontreles feuxde l'été et contre les ventsqui amènentla pluie.Sans avoir rien à craindre,cesépousesd'un mari malo-dorant s'écartent des sentiers pour chercher dans lasécuritédu bois le thym et lesarbousierscachés;ellesneredoutent pas, ces petites chèvres,les vertes couleuvresni les loupsconsacrésà Mars, chaquefois,Tyndaris,quele douxson de la flûte résonnedans les valléeset sur lesrochespoliesdespentesde l'Ustica6'.LesDieuxmepro-tègent ils aiment ma piété et ma Muse. Ici, pour toi,la corned'abondancecouleraà pleinsbords et te verseravolontierslesrichesseset lesbeautésde la campagne;ici,dans une vallée retirée, tu échapperasaux violencesdela canicule,et tu chanterassur la lyre de Téos65 Péné-

lope et la brillante Circé66 tourmentéespar le même

homme; ici tu boiras à l'ombre, tout doucement, des

coupesde cevin de Lesbosqui nefaitde malà personne;tu neverraspasle filsde Sémélé,Thyonée6.,engagerla

lutte avecMars; tu n'auras pas à craindre les soupçonsdu brutal Cyrus; tu ne sentiraspas, dansune lutte iné-

gale,ses mains levéesviolemmentsur toi pour briser la

Page 58: Horace - Oeuvres

60 HORACE

couronne fixée dans tes cheveux et déchirer ta robe, quin'en peut mais.

XVIII

Il ne faut rien planter, Varus, de préférence à la vignesacrée, dans le beau pays de Tibur et près des murs de

Catilius 68. Aux gens qui ne boivent pas, le dieu n'aréservé que des misères; par le vin seulement se dissipentles soucis rongeurs. Quand on a bu, a-t-on sans cesse àla bouche les ennuis du service militaire et de la pau-vreté ? N'est-ce pas plutôt vos noms qu'on répète, Bac-

chus, ô père, et toi, gracieuse Vénus ? Mais, si Libernous fait ce présent, il ne faut pas dépasser la mesure;nous le savons par la lutte, après boire, des Centaureset des Lapithes 69, nous le savons par le dur traitement

qu'Evius inflige aux Sithoniens 70 quand, à peu près inca-

pables de fixer une limite à leur passion, ils ne savent

plus guère, dans leur gloutonnerie, distinguer le bien dumal. Ce n'est pas moi, beau Bassareus qui t'agiterai mal-

gré toi; je n'étalerai pas au grand jour les objets de ton

culte, dissimulés sous des feuillages variés. Fais taire etla corne du Bérécynthe '2 et les sauvages tambours,

qu'accompagnent l'égoïsme aveugle, la vanité levant sot-tement sa tête vide, l'indiscrétion qui, mieux que le verre,laisse voir tous les secrets.

XIX

La mèrecruelledesDésirs le filsde Séméléla Thé-baine74et la Licence lascivem'obligent à rendre moncœurà desamoursqui semblaientfinies.Je suisenflammépar la beauté de Glycère,qui brille d'un éclat plus purque le marbre de Paros; je suis enflammépar sa pétu-lanceet soncharme,par cevisagequ'on ne peut regardersans danger. Vénus a déserté Chypre pour se jeter surmoi tout entière; ellene me permet plus de chanter lesScythes, ni les Parthes ardents qui luttent en faisantfaire volte-faceà leurs chevaux ni rien qui lui soitétranger. Enfants, dressez-moiici un tertre de gazonencorevert, mettez ici des feuillagessacrés,del'encens,une coupe d'un vin de deux ans. Le sacrificeune foisfait, Vénusviendraet me sera plus douce.

Page 59: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE 1 61

xx

Tu boiras un mauvais vin de Sabine 70dans de petitescanthares que j'ai moi-même mis dans une amphore

d'argile autrefois remplie de vin grec, puis cacheté l'année

où, au théâtre, cher chevalier Mécène 78,tu fus accueilli parde tels applaudissements, que les rives du fleuve de ta

patrie et l'amusant écho du Mont Vatican répercutaienten même temps les acclamations poussées en ton hon-

neur. Chez toi, tu peux boire du Cécube et un vin sorti

des pressoirs de Calès. Chez moi, ce n'est ni le Falerne,ni le vin récolté sur les coteaux de Formies que tu pour-ras tremper dans ta coupe

XXI

Chantez Diane, ô jeunes filles; chantez, jeunes gar-

çons, le dieu du Cynthe80dont les cheveux n'ont jamais

été coupés, et Latone, aimée d'un amour profond par le

dieu suprême, Jupiter. Vous, jeunes filles, chantez Diane,

qui aime les fleuves, les feuillages des bois sur les som-

mets glacés de l'Algide, les noires forêts de l'Erymanthe,les arbres du Cragus verdoyant8'. Vous, jeunes gens, quevos acclamations soient aussi nombreuses pour exalter la

vallée de Tempé BE,Délos, le berceau d'Apollon, qui orne

son épaule du carquois et de la lyre, présent de son frère 83.

La guerre et ses douleurs, la faim et ses misères, la peste,

Apollon les détournera du peuple romain et d'Octave,

le chef de la cité, sur les Perses et sur les Bretons 84

il sera touché par vos prières.

xXII

L'homme dont la vie est sans tache et pure de tout

crime n'a pas besoin, Fuscus, de javelots maures, d'arc,de flèches empoisonnées qui pèsent dans son carquois.Il peut, sans crainte, traverser les Syrtes bouillonnantes es,le Caucase inhospitalier, les régions que lèche le fabuleux

Hydaspe88. Moi-même, dans un bois de la Sabine, jerencontrai un loup au moment où je chantais ma Lalagé,et où, sans souci, j'allais à l'aventure plus loin que d'ordi-

Page 60: Horace - Oeuvres

62 HORACE

naire; ce loup s'enfuit devant moi, et pourtant j'étaissans armes. C'était une énorme bête, telle que n'en

voient pas naître la guerrière Daunie s' dans ses vastesforêts de chênes, ni la terre de Juba 88, nourrice aride

des lions. Tu peux me placer dans des plaines où toute

vie est morte, où pas un arbre n'est vivifié par les soufRes

de l'été, dans ces régions de l'univers qu'accablent les

nuages et les maléfices d'un froid jupitérien 89.Tu peuxme placer très près du soleil, sous son char, dans une

terre inhabitable; toujours j'aimerai Lalagé au doux

sourire, à la voix douce.

XXIII

Tu m'évites, Chloé, et tu ressembles au faon qui, loin

des routes, sur les montagnes, cherche sa mère timide,et a peur, sans raison, des vents légers et des arbres. Quel'arrivée du printemps fasse frémir et remuer les feuilles,

que les verts lézards fassent bouger les ronces, son cœur

tremble, comme ses genoux. Mais moi, vraiment, je ne

suis pas un tigre sauvage, je ne suis pas un lion de

Gétulie 90, et ce n'est pas pour te briser que je te pour-suis. Laisse enfin ta mère; tu as l'âge d'aller avec un

homme.

XXIV

Est-ce une honte de pleurer une tête si chère ? Est-il

possible de modérer sa douleur ? Dicte-moi des chants

de deuil, Melpomène 91, toi qui as reçu de ton père une

voix limpide, avec la cithare. Donc, Quintilius dort de

l'éternel sommeil. L'Honneur, la Bonne foi incorruptible,sœur de la Justice, la Vérité toute nue n'ont jamaistrouvé personne qui lui fût comparable. Il est mort,

pleuré de tous les gens de bien, de toi surtout, Virgile.Ta piété, hélas a été inutile. Tu redemandes Quintiliusaux dieux, car ce n'est pas pour cela que tu le leur avais

confié. Mais, même si tu jouais de la lyre avec plus de

charme qu'Orphée, qui se faisait écouter des arbres, tu

ne ramènerais pas le sang dans une ombre vaine que, de

son effroyable baguette, Mercure a poussée dans le noir

troupeau; car ce dieu ne se laisse pas adoucir par des

prières et ne rouvre pas la porte fatale. C'est une dure

Page 61: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE 1 63

HORACE 3

loi; mais la résignation rend plus légers les maux queles dieux ne permettent pas de guérir.

xxv

Moins souvent qu'autrefois, les jeunes hommes pétu-lants frappent à coups redoublés tes fenêtres closes et

t'empêchent de dormir; et elle reste fermée sur le seuil,

ta porte qui, jadis, tournait si facilement sur ses gonds.De moins en moins tu entends ces paroles « Dors-tu,

Lydie, pendant que ton amant passe de longues nuits à

dépérir ? » A ton tour, vieille et dédaignée, tu déplorerasles mépris de tous ces débauchés, dans une ruelle soli-

taire, où soufflera violemment le vent de Thrace 92, pen-dant des nuits sans lune. Alors les feux de l'amour et de

la passion, semblables à ceux qui affolent les cavales,

ravageront et blesseront ton cœur, et tu te plaindras quela jeunesse joyeuse préfère le lierre verdoyant et le sombre

feuillage du myrte aux feuilles desséchées qu'elle livre à

l'Eurus, compagnon de l'hiver 03.

XXVI

Aimé des Muses, j'abandonnerai la tristesse et lacrainte à la violencedes vents, qui les emporterontsurla mer de Crète94; je ne chercheraipas à savoir quirègne dans les glacialescontréessous l'Ourse, ou quelsmotifsde craintepeut avoirTiridate95. 0 douceMusede Pimpla96,toi qui aimes les fontainesauxquellesnuln'a puisé, tresse, avecles fleursde l'été, tresseune cou-ronne pour mon cher Lamia. Sans ton aide, mon hom-

mageneserviraità rien.C'està toiet à tessœursd'immor-taliser Lamia sur une lyre que Rome ne connaît pasencore,sur le luth lesbien97.

XXVII

Les coupes sont faites pour la joie, il faut être Thrace

pour les employer à se battre. Renoncez à cette habitude

barbare; Bacchus mérite le respect, écartez de lui les rixes et

le sang. D'un côté, le vin et les flambeaux; de l'autre, le

poignard mède! Quelle distance de l'un aux autres! Cal-

Page 62: Horace - Oeuvres

64 HORACE

mez vos clameurs impies, ô mes amis; restez appuyéssur votre coude. Vous voulez que je prenne, moi aussi,une coupe de ce généreux Falerne ? Soit! Mais que lefrère de Megilla l'Opontienne 911 nous dise la blessure, la

flèche dont, délicieusement, il meurt. Tu hésites. C'est

à ce prix seul que je boirai. Quel que soit l'amour qui te

maîtrise, tu n'as pas à rougir du feu qui t'embrase;

jamais tes faiblesses amoureuses n'ont été sans noblesse.

Allons, quel qu'il soit, livre-nous ton secret; il sera icien sûreté. Ah! infortuné, dans quel gouffre119te débats-tu ? Tu méritais mieux, mon enfant. Quelle sorcière, quel

magicien avec ses philtres thessaliens quel dieu pour-ront te délivrer ? C'est à peine si Pégase te débarras-serait des liens qui t'attachent à cette Chimère auxtrois formes 101

XXVIII

Toi qui mesurais la mer, la terre, les innombrables

grains de sable, Archytas un humble tombeau faitd'un peu de poussière recouvre ton corps près du rivagede Matinus; et il ne te sert de rien d'avoir exploré leciel ni d'avoir, en esprit, parcouru la voûte du monde,puisque tu devais mourir. Il est mort, le père de Pélops 103,qui s'était assis à la table des dieux; il est mort, Tithonenlevé de la terre au ciel; il est mort, Minos105, à quiJupiter révéla ses secrets; il est dans le Tartare, le Pan-thoïde 106,descendu deux fois chez Orcus, bien qu'il eût

prouvé, en détachant le bouclier fixé aux parois du

temple, qu'à l'époque de la guerre de Troie il n'avaitlivré à la sombre mort que sa peau et ses os; et Pythagoreétait, à ton jugement, Archytas, une haute autorité dansl'étude de la nature et de la vérité. Mais la même nuitnous attend tous; tous, nous devons fouler une fois laroute de la mort. Ceux-ci, les Furies les donnent en spec-tacle à Mars, le dieu farouche "Il; la mer avide est la mortdu marin; jeunes et vieux se mêlent, se pressent dans la

mort; pas une tête dont s'écarte la cruelle Proserpine.Moi aussi, j'ai été englouti dans la mer illyrienne par le

rapide Notus, qu'accompagne Orion descendant sousl'horizon108. Eh bien! matelot, sois bon pour moi nerefuse pas de donner à mon corps sans sépulture un peude ce sable qui s'envole. Puissent alors toutes les vio-lences de l'Eurus sur la mer italienne frapper, sans tefaire de mal, les forêts de Venouse; puisses-tu, de toute

Page 63: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE 165

façon, recevoir mainte récompense de Jupiter et de Nep-tune, le gardien de la sainte Tarente 109.T'est-il indiffé-

rent, au contraire, de commettre un crime qui retombera

plus tard sur la tête de tes enfants innocents ? Peut-êtren'as-tu pas toi-même rempli toutes tes obligations ? Peut-être es-tu exposé à de dédaigneux retours de fortune ?Si tu me laisses, mes prières seront entendues, et je neresterai pas sans vengeance; aucune cérémonie expia-toire ne t'absoudra. Tu es pressé ? Mais tu ne t'attar-deras guère. Jette trois fois sur moi un peu de poussière;tu pourras ensuite te remettre à courir.

XXIX

Iccius, tu as donc aujourd'hui envie des riches trésorsdes Arabes ? tu prépares une rude expédition contre lesrois sabéens 110, que personne n'a encore vaincus? tu

forges des chaînes pour le Mède effrayant ? Parmi les

vierges barbares, laquelle, après la mort de son fiancé,sera ton esclave ? Quel enfant, venu d'une cour royale ethabile à tendre la flèche des Sères 111sur l'arc ancestral,sera préposé au cyathe 111,les cheveux parfumés ? Osera-t-on dire que les ruisseaux ne peuvent retourner aux

montagnes d'où ils tombent, ni le Tibre remonter à sa

source, quand on te voit travailler à échanger les livres,achetés par toi de tous côtés, du noble Panétius 113,ettoute la philosophie de Socrate contre une cuirasse ibé-

rique 114? Certes tu promettais mieux.

xxx

O Vénus, reine de Cnide et de Paphos, laisse ta Chyprechérie, et transporte-toi dans la belle maison de Gly-cère, qui t'invoque sans ménager l'encens. Et qu'ac-courent avec toi l'Enfant ardent 115,les Grâces aux cein-tures dénouées, les Nymphes, la Jeunesse qui, sans toi,a peu de charme, et Mercure.

XXXI

Que demande le poète à Apollon, à qui on dédie un

temple ? Quels sont ses vœux, quand de la patère, il

Page 64: Horace - Oeuvres

66 HORACE

verse le vin nouveau ? Ce ne sont pas les grasses moissons

de l'opulente Sardaigne 118, ni les beaux bœufs de la

chaude Calabre 11', ni l'or, ni l'ivoire de l'Inde, ni les

terres que la silencieuse rivière du Liris ronge de ses eaux

tranquïlles l'e. Que ceux qui ont reçu une vigne de la

Fortune la taillent avec la serpe de Calès 119;que le riche

marchand boive dans des coupes d'or, jusqu'à la dernière

goutte, le vin qu'il a échangé contre les marchandises

syriennes; il est évidemment aimé des dieux, puisque,

trois ou quatre fois par an, il peut, sans dommage, revoir

la mer atlantique. Ma nourriture à moi, ce sont les olives,

la chicorée, la mauve facile à digérer. Accorde-moi, fils

de Latone, de jouir de ce que j'ai acquis, donne-moi la

santé; conserve-moi, je t'en prie, toutes mes facultés;

ne me refuse pas une belle vieillesse, et ne me prive pas

de la cithare!

XXXII

On nous réclame. Si nous avons occupé nos loisirs à

jouer avec toi sous l'ombrage, dis-nous, ômon barbiton

des chants nationaux, qui soient goûtés cette année et

plusieurs autres encore. Tu as, pour la première fois,résonné sous le doigt du citoyen de Lesbos 12';c'était un

guerrier farouche, et pourtant, au milieu des combats,ou quand il attachait sur le rivage humide sa barque bal-

lottée par les flots, il chantait Liber, les Muses, et Vénus

avec son fils toujours à côté d'elle, et le beau Lycus aux

yeux noirs, aux noirs cheveux122. 0 gloire de Phébus,

lyre, qui fais l'agrément des festins de Jupiter, le dieu

souverain, toi qui apportes à mes soucis une douce conso-

lation, lorsque je t'invoque suivant les rites, salut!

XXXIII

Albius, ne t'afRige pas à l'excès en pensant à la cruelle

Glycère, ne chante pas de plaintives élégies, sous pré-texte qu'elle t'a manqué de parole et préféré un amou-

reux plus jeune. Lycoris, au beau front étroit, brûle

d'amour pour Cyrus; Cyrus se détourne vers Pholoé, quine veut pas de lui; mais les chevreuils s'uniront aux loups

d'Apulie, avant que Pholoé ne cède à un amant mal bâti.

Ainsi l'a voulu Vénus qui, par un jeu cruel, se plaît à

mettre sous un joug d'airain des âmes et des êtres qui

Page 65: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE 167

ne sont pas assortis. Un jour, une belle assez distinguéecherchait à m'attirer; c'est une affranchie, Myrtale, qui,pour mon plaisir, m'enchaîna près d'elle, Myrtale, plusviolente que les flots de l'Adriatique creusant les côtessinueuses de la Calabre.

xxxiv

Je n'accordais que rarement aux dieux un hommagelanguissant à l'époque où j'allais au hasard, occupé à unedéraisonnable sagesse; aujourd'hui, il me faut retournermes voiles et refaire la route que j'avais abandonnée.

C'est que Diespiter, dont la foudre brillante éclate d'ordi-naire parmi les nuages, a, dans un ciel pur, lancé seschevaux tonnants et ce char rapide dont il frappe la terre

immobile, les fleuves errants, le Styx, l'effrayante demeurede l'odieux Ténare 123et l'Atlas, aux extrémités du monde.Le dieu peut précipiter au dernier rang ce qui est au

sommet, enlever l'éclat à ce qui brille, mettre en lumièrece qui est obscur. A celui-ci, la Fortune, aux ailes stri-

dentes, enlève le diadème, et elle se plaît à le poser surla tête de celui-là.

xxxv

O déesse,qui règnessur l'aimableAntium toi quipeux élever un mortel du dernier au premier rang etchangeren funéraillesd'orgueilleuxtriomphes,c'est toique le pauvre paysan,à la campagne,imploredans sonsouci; c'est toi, maîtressedes eaux, qu'invoquent tousceuxqui, sur un navirede Bithynie125,sillonnentla merde Carpathos126.C'est toi queprient le Dacefarouche127,le Scythequi se bat en fuyant,les nationset lesvilles,lerude Latium,lesmèresdesroisbarbares,les tyransvêtusde pourpre; tous craignentque, sans considérerle droit,tu ne renversesdu pied leur colonnequi se dresse,qu'unpeuplenombreuxn'appelleles hésitantsaux armeset nebrise leur souveraineté.Devant toi, toujours marche lacruelleNécessité,portant danssa rude main les clousetles coinspour les poutres, sans compter les crocs et leplomb fondu128.C'est toi qu'honorent l'Espérance, laBonneFoi, cettevertu si rare, vêtued'un manteaublanc;elle ne refuse pas de t'accompagner

129chaquefois que,

devenue l'ennemie des puissants, tu changesde vête-

Page 66: Horace - Oeuvres

68 HORACE

ment pour abandonner leurs maisons. Au contraire, le

vulgaire sans foi et la courtisane les abandonnent et

manquent à leur parole; les amis menteurs se refusent

à partager le malheur et s'enfuient de tous côtés, après

avoir vidé les torneaux jusqu'à la dernière goutte.

Veille sur César, qui va partir contre les Bretons, au

bout du monde; veille sur les soldats qu'on vient de lever

et qui se feront craindre dans les pays d'Orient et dans

l'Océan rouge 130. Hélas! nous avons honte des blessures

que nous nous sommes faites, de nos crimes, de nos

luttes fratricides; devant quelles violences avons-nous

reculé, génération sans coeur ? Quelle impiété n'avons-

nous pas commise ? de quel méfait la crainte des dieux

a-t-elle écarté nos soldats ? quels autels ont-ils épargnés ?

Puisses-tu, ô déesse, reforger sur l'enclume notre fer

émoussé et le retourner contre les Massagètes131et contre

les Arabes!

xxxvi

Je suis heureux de rendre grâces, par l'encens, par la

lyre, et comme je l'ai promis, par le sang d'un veau,

aux dieux qui veillent sur Numida; il nous revient aujour-

d'hui sans blessures du fond de l'Hespérie 132; il distribue

ses baisers à ses chers compagnons, mais à personneautant qu'au doux Lamia 131;car, il ne l'a pas oublié, leur

enfance s'est écoulée sous le même maître et ils ont

ensemble quitté la prétexte pour la toge virile. Je veux

que ce beau jour soit marqué à la craie; qu'on tire, sans

compter, les amphores du cellier; qu'on danse sans répità la manière des Saliens 134 que Damalis, qui est pour-

tant une grande buveuse, ne réussisse pas à vaincre Bas-

sus, la coupe thrace en main 135;que la table soit couverte

de roses, d'aches vertes, de lis qui durent peu. Tous les

convives regarderont Damalis d'un œil trouble; mais

Damalis ne s'arrachera pas à son nouvel amant; elle

s'attache avec plus de force que le lierre.

XXXVII

C'est maintenant qu'il faut boire; maintenant qu'ilfaut frapper d'un pied libre la terre; maintenant que,dans un festindigne des Saliens136,il seraittemps d'ap-prêter, compagnons,le lit de paradedes dieux.Aupara-

Page 67: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE 1 69

vant, c'eût été une impiété de tirer le Cécube137du cellier

de nos pères une reine insensée travaillait alors à laruine du Capitole et aux funérailles de l'empire, avec son

pestilentiel cortèged'hommes infâmes, sans pouvoir modé-rer ses espérances, et enivrée des faveurs de la fortune.

Mais sa folie furieuse tomba le jour où un seul de ses

navires, à peine, put échapper aux flammes 138,et où

César ramena à la réalité son esprit, troublé par les

fumées du vin Maréotique 13' tremblante, elle s'en-

fuyait loin de l'Italie; César, faisant force de rames, la

poursuivait comme l'épervier fond sur les douces

colombes, comme le chasseur rapide traque le lièvre dans

les plaines de l'Hémonie neigeuse 14° il fallait enchaîner

ce monstre envoyé par le Destin. Elle voulut une mort

plus belle elle n'eut pas, comme les femmes, peur d'une

épée; elle ne chercha pas à profiter de la vitesse de sa

flotte pour gagner des rivages inconnus. Elle eut le cou-

rage de regarder en face son pouvoir écroulé, et, le visagecalme, bravement, elle prit les serpents redoutables et

absorba, de tout son corps, leur noir venin, avec une

intrépidité grandie par la mort qu'elle avait choisie.

Sans doute ne voulait-elle pas, déchue de son pouvoir,mais non point diminuée comme femme, se laisser traîner

sur de cruelles liburnes U1à un superbe triomphe.

XXXVIII

Je n'aime pas, jeune garçon, l'apparat des Perses; je

vois sans plaisir des couronnes tressées sur l'écorce du

tilleul; cesse de te mettre en quête d'un endroit où tu

pourrais trouver des roses tardives. Dans ton zèle,

n'ajoute rien, je t'en prie, au simple myrte; le myrte te

va bien, à toi mon serviteur; il me convient, à moi, quand

je bois sous ma treille.

Page 68: Horace - Oeuvres
Page 69: Horace - Oeuvres

LIVRE DEUXIÈME

i

Les troubles civils qui datent du consulat de Métel-lus 142,les causes de la lutte, les fautes commises, les vicis-situdes de la guerre, les jeux de la Fortune, le pactefuneste conclu entre trois grands personnages, les com-bats trempés d'un sang qui n'est pas encore expié aujour-d'hui, voilà l'œuvre, pleine d'incertitudes et de dangers,à laquelle tu travailles; tu marches à travers des feux querecouvre une cendre trompeuse. Que la Muse de lasévère tragédie

143quitte un moment le théâtre. Quand tu

auras achevé ton récit des événements historiques, tureviendras à ta noble tâche et tu reprendras le cothurne

cécropien 144,ô Pollion 145,illustre défenseur des tristesaccusés, éloquent orateur dans les séances de la Curie,toi qui as obtenu, par ton triomphe sur les Dahnates,l'éternel honneur du laurier. Déjà j'entends le murmure

menaçant des cors, déjà les clairons résonnent, déjà l'éclatdes armes fait fuir les chevaux et jette l'effroi sur le visagedes cavaliers. Déjà je crois entendre les grands chefs,tout salis d'une noble poussière, je crois voir le mondeentier soumis, hors l'âme inflexible de Caton '46. Junonet tous les dieux protecteurs des Africains qui, impuis-sants, avaient quitté cette terre sans la venger 147,y ontramené les descendants des vainqueurs, pour les sacrifieraux mânes de Jugurtha. Quel pays ne s'est engraissédu sang romain ? Y a-t-il une région où les tombeaux ne

rappellent les combats impies, et où l'on n'ait entendul'écroulement de l'Occident, dont le bruit est parvenujusque chez les Mêdes ? Quel abîme, quelle rivière n'ontconnu la guerre et ses deuils ? Quelle mer n'a été rougie

Page 70: Horace - Oeuvres

72HORACE

des massacres de la Daunie 148? Sur quelles rives notre

sang n'a-t-il pas coulé ?Mais tu ne vas pas, ma Muse, renoncer à tes jeux pour

refaire, à la façon du poète de Céos 149,des chants de

deuil; viens avec moi dans la grotte dionéenne150, cher-

cher par le plectre des accords moins graves.

II

L'argent est sans éclat, tant qu'il reste enfoui dans la

terre avare, ô Crispus Sallustius, toi qui n'aimes les lin-

gots que lorsqu'un usage modéré les a rendus brillants.

Il vivra dans la suite des âges, Proculéius 151,connu pourses sentiments paternels envers ses frères; il survivra

porté sur les ailes toujours vigoureuses de la Renommée.

On étend plus loin son empire en domptant son avarice

qu'en joignant la Libye et la région lointaine de Gadès 152

et en devenant l'unique souverain des deux Carthages.Le hideux hydropique, s'il s'écoute, grossit encore, mais

il ne guérira sa soif qu'en supprimant les causes de son

mal et en écartant de son corps blême cette faiblesse

qu'est l'hydropisie. Phraate153 a recouvré le trône de

Cyrus; mais la Vertu, en désaccord avec le vulgaire, lui

refuse une place parmi les hommes heureux, et elle ap-

prend à la foule à ne pas se payer de mots trompeurs;elle assure et réserve pour toujours la royauté, le diadème

et le laurier à celui-là seul qui sait, d'un œil tranquille,regarder des monceaux d'argent.

III

Souviens-toi de conserver dans les heures difficiles une

âme égale, et dans la prospérité une modération qui

t'éloigne d'une joie insolente car tu dois mourir, Dellius,soit que tu aies toute ta vie vécu dans l'affliction, soit

qu'à l'écart, étendu sur le gazon, les jours de fête, tu aies

trouvé le bonheur dans une coupe de Falerne tirée du

fond de ton cellier 154.Pourquoi ce pin si élevé et ce peu-

plier blanc se plaisent-ils à mêler leurs branches et à

ménager un joli coin d'ombre ? pourquoi cette eau fuit-

elle en bondissant dans le lit sinueux de ce ruisseau?

C'est pour que là tu fasses apporter du vin, des parfums,les roses charmantes, malheureusement trop vite fanées,

Page 71: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE II 73

tant que le permettront les circonstances, ta jeunesseet le sombre écheveau que filent les trois sœurs. Un jour,il faudra quitter les parcs, achetés l'un après l'autre, la

maison de ville, la maison de campagne, que baigne le

Tibre jaune; et un héritier sera le maître de ces richesses

amassées. Que l'on soit riche et issu de l'antique Ina-

chus 155,ou pauvre et d'humble origine, peu importeon ne passera qu'un temps sur la terre; on est une vic-

time réservée à Orcus, le dieu sans pitié. Nous sommes

tous poussés au même but; dans l'urne notre sort à tous

est agité, il sortira un peu plus tôt, un peu plus tard; mais

tous nous prendrons passage dans la barque pour l'exil

éternel.

IV

Ne rougis pas d'aimer ta servante, Xanthias de Pho-

cide autrefois Achille, contre son habitude, s'est laissé

toucher par le teint de neige de son esclave Briséis; le

fils de Télamon, Ajax, s'est laissé toucher par la beauté

de Tecmesse, sa captive; le fils d'Atrée 155,au milieu de

son triomphe, brûla pour la vierge enlevée à Troie, quandles bataillons barbares succombèrent sous le Thessalien

vainqueur157et quand la mort d'Hector donna aux Grecs

fatigués d'une longue guerre plus de facilité pour empor-ter Pergame. Qui sait si la blonde Phyllis n'a pas des

parents opulents dont tu serais fier d'être le gendre?

Certainement, elle est de famille royale et pleure la trahi-

son de ses dieux pénates. Sois-en convaincu celle quetu as choisie n'est pas d'origine misérable; une femme si

fidèle, si désintéressée ne peut avoir eu une mère dont

elle ait à rougir. Et puis, quels beaux bras, quel visage,

quelles jolies jambes rondes! je le dis sans que mon cœur

soit pris oui, tu peux être tranquille, je viens, hélas! de

voir finir mon huitième lustre.

v

Elle ne peut pas encore mettre la tête sous le joug, ni

tenir sa place avec un compagnon, ni supporter l'élan

amoureux et le poids du taureau. Le cœur de ta génisseest aujourd'hui dans les vertes campagnes; tantôt elle

cherche dans l'eau courante à fuir la chaleur accablante,

Page 72: Horace - Oeuvres

74 HORACE

tantôtelleseplaît à joueravecd'autresgénissesà l'ombrehumidedes saules.

Ne désire pas un raisin trop vert; bientôt viendra

l'automne, avec la variétéde ses teintes,qui t'apporterades grappesnoireset pourprées.

Bientôtc'est ellequi te cherchera;le tempsvole,impi-toyable,et il lui ajoute, à elle, les annéesqu'il t'enlèveà toi-même.Oui, elle demanderaun mari, Lalagé,aux

yeux provocants,et elle sera chérie, plus que l'incons-tante Pholoé,plus que Chloris,dont lesblanchesépaulesont le pur éclatde la lune, la nuit, sur la mer; plus queGygèsde Cnide158,qui, mêléà un chœurde jeunesfilles,

tromperaitabsolumentla subtilitédes convives,et dontlescheveuxdénouéset lestraitsambigusnepermettraientguère de reconnaîtresi c'est une filleou un garçon159.

VI

Septimius,tu te disprêtàalleravecmoijusqu'à Gadès,

jusquechezlesCantabresquine serésignentpasà accep-ter notre joug,jusqu'auxrivagesbarbaresdes Syrtesoùbouillonnesans repos l'onde maure. PuissesimplementTibur, fondéejadispar le colonargien,être la demeuredemavieillesseetleportoùjemereposeraidesfatiguesdela mer, des voyages,de la guerre!Si les Parqueshostilesm'en écartent, il me sera doux d'aller sur les bords duGalèse160,là où l'on entoure d'une peau les brebis, etdanscescampagnesoù régnale LaconienPhalante.Oui,

plusque tout autre, cecoinde terre mesourit; là, le mielne le cède pas à celui de l'Hymetteloi,l'olive peut se

comparerà cellede la verdoyanteVénafre162;là, Jupiterdonne de longs printemps et des hivers tièdes; là, les

vignoblesde l'Aulon183,aiméset fertiliséspar Bacchus,n'ont rien à envierà ceuxde Falerne.Voilàle lieu, voilàles coteauxfortunésqui nous réclamentl'un et l'autre.

Là, tu répandrassur ma cendreencorechaudeles larmesduesau poète,ton ami.

vir

O toi quias couruavecmoi lespiresdangers,au tempsoù nousservionssouslesordresde Brutus,qui t'a rétablidans tes droitsde citoyenet rendu aux dieuxde la patrieet au ciel de l'Italie, Pompée, le plus ancien de mes

Page 73: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE 11 75

compagnons ? Que de fois j'ai, en buvant avec toi, abrégéles longues heures du jour, la tête couronnée et parfu-mée de malobathre syrien! Avec toi, j'ai connu Philippes,la fuite rapide, abandonnant sans gloire mon bouclier 164,

quand le courage fut écrasé et que les braves, ô honte!

touchèrent le sol du menton. Mais l'agile Mercure 155

me prit au milieu des ennemis et m'enleva, tout tremblant,

dans un nuage, tandis que tu étais toi-même entraîné

de nouveau à la guerre par le bouillonnement des flots.

Viens donc rendre à Jupiter le repas que tu lui dois, viens,

après les fatigues d'un long service, te reposer sous mon

laurier, et ne ménage point les tonneaux que je te réserve.

Remplis ton ciboire 166 étincelant du Massique 167 qui

apporte l'oubli; fais couler les parfums des coquilles pro-fondes. Qui aura soin de tresser, sans tarder, des cou-

ronnes d'ache humide ou de myrte ? Qui Vénus élira-t-elle

comme roi du festin ? Pour moi, je boirai sans plus de

raison que les Edoniens quand je retrouve un ami,

il m'est doux de déraisonner.

VIII

Si une seule fois, Bariné, tu avais été punie de tes

parjures, si une de tes dents était devenue noire, ou un

de tes ongles laid, je te croirais. Mais tu ne t'es pas plus

tôt, perfide, engagée par de nouveaux serments, que tu

parais plus brillante et plus belle et que tous les jeunes

gens ne pensent plus qu'à toi. Ah! tu ne perds rien à

mentir aux cendres de ta mère enfermées dans l'urne, aux

étoiles silencieuses qui, la nuit, remplissent le ciel, aux

dieux qui ne connaîtront jamais le froid de la mort. Et

Vénus, elle-même, sourit de tes serments, comme sourient

les Nymphes innocentes et le cruel Cupidon, toujours

occupé à aiguiser ses flèches ardentes sur la pierre ensan-

glantée. Et puis, c'est pour toi que grandissent tous les

adolescents, pour toi que naissent de nouveaux esclaves,

sans que tes premiers amants quittent la maison d'une

maîtresse impie que, souvent, ils avaient menacé d'aban-

donner. Les mères te craignent pour leurs fils, les vieil-

lards économes te redoutent; et les malheureuses vierges,

qui viennent de se marier, ont peur que ton souffle ne

retienne leurs époux.

Page 74: Horace - Oeuvres

76 HORACE

IX

La pluie ne tombe pas toujours des nuages sur les

champs hérissés; les tempêtes capricieuses ne soulèvent

pas sans répit la mer Caspienne; dans les régions armé-

niennes, mon ami Valgius, la glace ne reste pas toute

l'année comme un bloc immobile; l'aquilon ne secoue

pas sans cesse les chênes de Garganus169et ne dépouille

pas constamment les ornes de leurs feuilles. Mais toi, tu

pleures sans arrêt sur le mode plaintif la mort de Mystès,et tes regrets ne s'apaisent ni quand l'étoile du soir se

lève ni quand elle fuit devant le soleil rapide. Et pour-tant, le vieillard, qui vécut trois vies d'homme 170, ne

pleura pas éternellement l'aimable Antiloque; les parentset les sœurs du Troyen Troïlos 171ne pleurèrent pas tou-

jours ce jeune adolescent.

Cesseenfin tes plaintes,si peu courageuses;chantons

plutôtensemblelesnouveauxtriomphesd'AugusteCésar,le Niphate172couvertdeglace,le fleuvemède173conquisaprès tant d'autres et roulant des eaux humiliées parnotre victoire, et les Gélons1"

qui ne peuvent pluslancer leurs chevauxque dans les plainesétroites limi-téespar le vainqueur.

x

Suivrele bon chemindans la vie, Licinius,c'estnepasvouloirtoujoursgagner la haute mer, c'est aussi ne pasrester, par crainte de la tempête, trop près du rivageseméd'écueils.Quiconquechoisitlejustemilieu,précieuxcommel'or 175,vit en sécuritésanssouffrirde la pauvretéet de ses laideurs; il vit dans la modération loin despalaisque le vulgaireenvie.Les pins élevéssont le plussouventbattuspar lesvents;lesplushautestourstombentle plus lourdement; les sommets sont frappés par lafoudre. Une âme bien préparéeespère le bonheur dansl'infortune,craint le malheurdans la prospérité.Jupiterramènel'hiver, qui enlaidittout; c'est égalementlui quile chasse. Si nous sommesmalheureuxaujourd'hui, iln'en sera pas toujoursainsi. Parfois,Apollonréveilledesa cithare la Muse silencieuseet il ne bandepas toujoursson arc. Devant les difficultés,montre-toicourageuxet

Page 75: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE II 77

vaillant; et resserre tes voiles si tu es sage, quand unvent trop favorable les gonfle.

XI

Que méditent le belliqueux Cantabre et le Scythe,

séparé de Rome par la barrière de l'Adriatique, ne

cherche pas, Quinctius Hirpinus, à le savoir pour l'ins-

tant, et ne te tourmente pas pour l'emploi d'une vie quine demande presque rien. La jeunesse gracieuse et

sans rides nous quitte et nous fuit; une figure sèche,

des cheveux blancs chassent les amours folâtres et le

sommeil facile. Les fleurs du printemps n'ont pas tou-

jours le même éclat, la lune ne brille pas toujours de la

même lumière. Pourquoi te fatiguer de desseins éternels,

quand ton esprit ne les peut concevoir ? Pourquoi ne pasnous étendre, tout simplement, sous ce haut platane,sous ce pin, maintenant que nous le pouvons, et ne pasboire ensemble, nos cheveux blancs couronnés de roses

odorantes, et parfumés de nard assyrien "6 ? Evius

dissipe les soucis rongeurs 1"! Quel esclave adoucira, le

plus vite, dans nos coupes, avec une eau limpide, la

chaleur du Falerne ? Lequel de nous fera sortir de sa

maison écartée Lydé, la courtisane ? Allons! qu'elle se

hâte, avec sa lyre d'ivoire, et qu'elle relève ses cheveux

d'un nœud bien fait comme les Laconiennes

XII

Tu ne voudrais pas, Mécène, m'entendre chanter surla cithare aux rythmes délicats la longue et rude guerrede Numance "8, le farouche Hannibal, la mer de Sicile

teinte du sang punique, les terribles Lapithes m, Hylée180

emporté par l'ivresse, les Fils de la Terre 18' domptéspar Hercule, et qui firent courir un redoutable dangerà la brillante demeure du vieux Saturne. Non, c'est plu-tôt à toi de raconter en prose, dans un livre d'histoire,les guerres de César, et les rois jadis menaçants traînésla chaîne au cou dans les rues. Ma muse, à moi, veutredire les douces chansons de Licymnie, notre souve-

raine, l'éclat et la lumière de ses yeux, son cœur fidèle,vos mutuelles amours. Qu'elle est gracieuse lorsqu'elledanse, que son esprit pétille dans la conversation,

Page 76: Horace - Oeuvres

78HORACE

qu'elleprend par le bras les viergesrichementparées,le

jour sacréoù la foulese presseà la fête de Diane. Vou-drais-tu échangercontre les richessesd'Achéménès182,contre l'opulencedes Mygdoniensde Phrygie183,contreles riches demeuresdes Arabes184,un seul cheveu de

Licymnie,quand elle se détourne pour recevoirsur la

nuque tes baisersbrûlants, qu'elle a la cruautéde te lesrefuser,mais pour les accepterbien vite, qu'elle a plusde joieà se les laisserprendre que toi à les lui ravir, et

que parfoiselle est la premièreà te les donner.

XIII

Il t'a plantédansun journéfaste,celuiqui, le premier,arbre, te mit en terre, et dont la main sacrilèget'a fait

grandir pour la perte de ses descendantset la hontede notre village185.Je croirais volontiers qu'il avait

étrangléson père et répandu, la nuit, dans le foyer, le

sang de son hôte, qu'il avait manié les poisonsde Col-chide188et commistous lescrimesimaginables,celuiquit'a mis dans mon champ, bois de malheur, destiné àtombersur la têtede ton maîtreinnocent.Jamais,d'heureen heure, l'hommene prend assezde précautionscontrece qu'il doit éviter. Le marin carthaginoisredoute le

Bosphore et il ne s'effraiepas des destins inconnus

qui peuventvenir d'ailleurs.Le soldatromaincraint les

Parthes,leurs flècheset leur façonde sebattre enfuyant;le Parthe, lui, a peur des chaînesque lui réservela forceitalienne;mais c'est une mort imprévuequi toujoursa

emportéet emporterales nations.Il s'en est fallu de peu que j'aillevoir la sombrePro-

serpine,Eaque,le jugedesenfers,lesdemeuresréservéesauxâmespieuses,Saphoseplaignantsur la lyre éoliennedes fillesde Lesbos,et toi, Alcée,chantantd'un ton plusmâle,sur ton plectredoré,les misèresde la navigation,les misèresde la fuite, les misèresde la guerre. Leurs

chants, à tous deux, excitent, là-bas, l'admirationdesombresqui les écoutentdans un silencesacré; mais cesont surtout les combats et l'expulsiondes tyrans queveut écouter,de toutes ses oreilles,la foule presséedu

vulgaire. Rien d'étonnant, puisque la bête aux centtêtes lse est elle-mêmetout engourdie par ces chantset laissetomber ses noires oreilles,puisque les serpentsqui se tordent dans les cheveuxdes Euménidescessent

Page 77: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE II79

de s'agiter. Bien plus, cette douce musique fait oublierleurs souffrances à Prométhée et au père de Pélops; etOrion ne songe plus à chasser les lions ou les lynxtimides 189.

XIV

Elles fuient, hélas! Postumus, Postumus, elles

s'écoulent, les années; et notre piété ne peut retarder nila vieillesse menaçante avec ses rides, ni l'irrésistible mort.Non, mon ami, même si, tous les jours, tu voulais sacri-fier trois cents taureaux pour apaiser Pluton, le dieu sanslarmes, qui tient enfermés dans les eaux des enfers Tityoset Géryon aux trois corps 190;non, aucun des hommesvivant sur la terre ne pourrait se soustraire à la traversée,qu'il soit roi ou pauvre laboureur. En vain échapperons-nous à une mort sanglante sur le champ de bataille ouà la tempête qui brise sur les rochers les flots de l'Adria-

tique en vain éviterons-nous, pendant l'automne,l'Auster 191

qui ruine la santé nous sommes condamnésà aller voir le noir Cocyte 192, aux eaux traînantes et

languissantes, l'infâme postérité de Danaüs, Sisyphe 193,le fils d'Eole, condamné à un travail sans fin; nous devronslaisser la terre, notre maison, une femme aimée; et aucundes arbres que nous cultivons ne suivra ce maître d'un

jour, si ce n'est l'odieux cyprès. Un héritier, meilleur

que nous, consommera tout le Cécube, conservé souscent clefs, et il fera couler sur le riche pavé un vin commeon n'en boit pas aux repas des pontifes.

xv

Bientôt des maisons énormes, véritablespalais, nelaisserontà la charrue que quelques arpents; de touscôtés,on verradesbassinsplusvastesquele lacLucrin194le platane,qui ne peut se marier à la vigne195,élimineral'ormeau; les champs de violettes, le myrte, toutes lesplantes qui sont faitesuniquementpour flatter l'odorat,répandront leur parfum là où l'ancien propriétaire fai-saitpousserl'olivier.Alorslesbranchesépaissesdu laurierempêcherontles rayons du soleil d'arriver au sol. Cen'est pas cet exemple qu'avaient donné Romulus etCaton le barbu198;ce n'était pas la règle fixéepar nosanciens.Chez eux, la liste des biens privésétait courte,

Page 78: Horace - Oeuvres

g0HORACE

cellede la fortunepubliqueétait longue; lesparticuliersn'avaient pas recours à la perche de dix pieds197pouréleverdesportiquesdonnantuneombrefraîche.Les lois

ne permettaient pas de dédaigner le gazon vulgaire;ellesvoulaientque le trésorpublicse chargeâtd'embellir

les villeset d'employer,pour la premièrefois, la pierreà la constructiondes temples.

XVI

Le repos,voilàce que le marin, surpris au largedans

la mer Egée,demandeauxdieux,quandlesnoirsnuagescachentla lune et qu'on ne peut plus se guidersûrement

sur la lumièredesétoiles.Le repos,voilàcequecherchent

les Thraces par leur belliqueusefureur et les Mèdes

avec leur beau carquois. Le repos, Grosphus, c'est ce

qu'on n'achète pas par les pierreries,la pourpre et l'or.

Ni les trésors, ni les licteurs qui entourent le consul

n'écartent les troublesmisérablesde l'âme ou les soucis

qui volent sous les plafondsà caissonsdes palais198.On

est heureux à peu de frais; il suffit que brille sur une

table modestela salièrede familleet que le sommeilne

soit pas troublé par la crainteou par de mauvaisdésirs.

La vieest courte dès lors,pourquoitant d'efforts,pour-

quoi viser tant de buts ? pourquoi chercher d'autres

terres chaufféespar d'autres soleils? Quitter son pays,est-ce se fuir soi-même? Le soucicorrupteurmontesur

lesnaviresà laproued'airain; ilne lâchepas lesescadrons

de cavaliers;il court plus vite que le cerf; il est plus

rapide que l'Eurus qui chasseles nuages.Contentepourl'instant, l'âme ne doit pas se préoccuper de l'avenir;elle doit accepterles amertumesavecun calmesourire;il n'y a point de bonheur parfait.Une mort prématuréea enlevél'illustre Achille;une longue vieillessea dessé-

ché Tithon199; peut-être le temps me donnera-t-il, à

moi,cequ'il te refuseraà toi-même.Tu ascenttroupeauxde vachesde Sicile,qui mugissentautour de toi; tu as,

pour les quadriges, un cheval qui hennit devant toi;tes vêtementssont faits d'une lainedeuxfois teinte dans

la pourpre africaine.Je n'ai, moi, qu'une petite cam-

pagneet le soufflegrêlede la Camènegrecque;voilàles

dons de la Parque véridiquequi m'a appris en même

temps à mépriserles méchancetésde la foule.

Page 79: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE II 8I

XVII

Pourquoi m'arracher l'âme par tes plaintes ? Pas plusque moi, les dieux ne veulent que tu partes le premier,Mécène, toi qui es ma force, ma gloire et mon soutien.Ah! si une mort prématurée m'enlevait cette moitié de

moi-même, pourquoi l'autre resterait-elle sur terre, per-dant de sa valeur et ne survivant plus entière ? Lemême jour nous précipitera tous deux. Je le jure, et nementirai pas à mon serment. Quel que soit le jour où tume précéderas, je serai prêt à faire avec toi le voyagesuprême. Ni la Chimère au souffle de feu, ni Gyas200auxcent mains, s'il revenait au monde, ne sauraient m'arra-cher à toi ainsi le veulent la Justice toute-puissante etles Parques. Que je sois sous le signe de la Balance, souscelui du redoutable Scorpion, arrivé, à l'heure de ma

naissance, au point dominant de sa course, ou sous celuidu Capricorne, qui tyrannise la mer occidentale201, nosastres à tous deux s'accordent merveilleusement. Jupiteropposant ses rayons à ceux du funeste Saturne, t'a pro-tégé et défendu contre lui, et il a ralenti le Destin dans

son vol 202,le jour où un public immense fit, trois fois, àton entrée au théâtre, entendre ses cris de joie 2°3.J'auraismoi-même été tué par la chute d'un arbre, si le coupn'avait été amorti par Faunus, protecteur des poèteschers à Mercure204. Tu dois, ne l'oublie point, desvictimes aux dieux, et tu leur as promis un temple; je me

contenterai, moi, de leur immoler une brebis.

XVIII

Ni l'ivoire, ni les plafonds dorés ne brillent dans ma

maison; des architraves en marbre de l'Hymette205

n'y

reposent pas sur des colonnes de marbre taillées au fondde l'Afrique; je ne suis pas, héritier inconnu d'Attale zo6,devenu le propriétaire de son palais; des clientes debonne famille ne tissent pas pour moi des vêtementsteints en pourpre de Laconie207. Mais je suis honnête;la veine de mon esprit est généreuse; je suis pauvre, et le

riche me recherche. Je ne demande rien de plus aux

dieux, et je ne sollicite pas autre chose de mon puissantami je suis assez riche avec ma terre de la Sabine.

Page 80: Horace - Oeuvres

82 HORACE

Le jour chasse le jour, de nouveaux mois surgissentet meurent à leur tour. Et toi, aux approches de la mort,ce n'est pas au tombeau que tu penses, mais tu donnes

des marbres à tailler, tu bâtis des maisons, tu t'acharnes

à gagner de nouveaux rivages sur la mer sonore de

Baïes 208,tu ne te juges pas assez riche avec la terre ferme.

Il y a plus sans arrêt, tu arraches les bornes des champsvoisins; et, dans ta cupidité, tu bondis jusque dans les

terres de tes clients; tu chasses de leur domaine l'homme,la femme, qui emportent dans un pli de leur robe les

dieux de la famille et les enfants en haillons. Et pourtant,la maison qui, le plus sûrement, attend le riche proprié-

taire, est celle que lui réserve l'avide Orcus. A quoi bon

étendre son domaine ? La terre s'ouvre aussi bien pourle pauvre que pour le fils de roi; et le ministre d'Orcus 2°g

ne se laisse pas corrompre pour ramener sur terre l'astu-

cieux Prométhée. Orcus garde près de lui le superbeTantale et ses descendants 210, et quand le pauvre est

enfin arrivé au terme de ses misères, il l'exauce, que le

malheureux l'ait ou non appelé.

XIX

J'ai vu, vous pouvez me croire, races futures,

j'ai vu Bacchus enseigner ses hymnes sur les montagnes

écartées; j'ai vu les Nymphes apprendre ces chants; j'aivu les oreilles dressées des Satyres aux pieds de chèvre.

Evoé! mon cœur vient de trembler à cette vue; mais la

joie se mêle à l'effroi dans ma poitrine, toute pleine de

Bacchus. Evoé épargne-moi, Liber, épargne-moi, ne

m'épouvante pas des coups de ton thyrse 211.

Tu me permets de chanter la fureur infatigable des

Thyiades 212,les fontaines de vin, les abondants ruis-seaux de lait, et de dire à mon tour le miel coulant ducreux des arbres. Tu me permets de célébrer la bien-heureuse que tu as épousée et dont tu as plus tard placé lacouronne parmi les astres; l'effondrement terrible de lamaison de Penthéez'3; la mort du Thrace Lycurgue214.Tu calmes les rivières et la mer des Indes; sur les monts

écartés, les lèvres tout humides de vin, tu attaches, sans

risque, avec des serpents les cheveux des Bistonides 215.

Quand l'impie tribu des Géants essayait, par les rudes

montagnes de l'Olympe, d'escalader le royaume de ton

Page 81: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE II83

père, tu fis reculer Rhétus en prenant les griffes et l'hor-rible gueule d'un lion 218.

On te disait cependant plus fait pour les chœurs, les

plaisirs et les jeux, et tu ne passais pas pour habile aux

combats; mais tu savais être propre également à la paixet à la guerre. Sans te faire de mal, Cerbère a pu te voir 217,avec ta belle corne d'or; il frottait doucement sa queuecontre toi, et, quand tu te retirais, il léchait tes piedset tes jambes de ses trois langues.

xx

Pour la première fois, on verra une aile puissanteemporterdansles airs lepoète,à la foishommeet cygne.Je ne resteraipasplus longtempssur la terre; vainqueurde l'envie, j'abandonnerailes villes.Non, je ne mourraipas, moi que tu invites,Mécènechéri, malgrémon ori-gine modeste;non je ne serai pas prisonnierdes ondesdu Styx.Déjàunepeaurugueuses'étendsurmesjambes;déjà le haut de mon corps prend la forme d'un oiseaublanc, et des plumes lisses poussent entre mes doigtset sur mesépaules.Déjà, plus rapide qu'Icare, le filsdeDédale218,je vaisvoir, oiseaumélodieux,les rivagesduBosphoreaux eaux mugissantes,les Syrtes gétules etles plaines hyperboréennes219;je serai connu en Col-chide220,chezles Daces, qui ne veulentpas avoir l'airde craindrelesMarses,chezles Gélons221,auxextrémitésdu monde; plus civilisés,les Ibères, les riverains duRhône apprendront mes vers. A mes obsèques, d'oùmon corpsmême sera absent,point de chants funèbres,point de larmes qui enlaidissent, point de plaintes;calme les cris, et dispense-moides vains honneurs dutombeau.

Page 82: Horace - Oeuvres
Page 83: Horace - Oeuvres

LIVRE TROISIÈME

i

Je hais la fouleprofane et je fécarte. Ecoutez-moi en

silence. Prêtre des Muses, je vais faire entendre pour les

jeunes filles et les jeunes garçons des chants inconnus

jusqu'à ce jour.

Les rois redoutables ont sur le troupeau de leurs

peuples l'autorité suprême; sur les rois eux-mêmes cette

autorité est àJupiter, illustré par sa victoire sur les

Géants, ébranlant le monde d'un froncement de ses sour-

cils. Il arrive qu'un homme trace plus loin qu'un autre

ses sillons pour y disposer ses vignes; que celui-ci, de

plus haute naissance, descende comme candidat au

Champ de Mars; que celui-là, supérieur par le caractère

et la renommée, entre en lutte avec lui; que cet autre ait

un plus grand nombre de clients; à tous la Nécessité

impose la même loi; elle tire au sort les premiers et les

derniers; tous les noms sont agités dans la grande urne.

Quand une épée nue est suspendue sur la tête du cou-

pable 222, même les festins de Sicile223

perdent leur douce

saveur; le chant des oiseaux, les sons de la cithare ne

ramènent pas le sommeil. La douceur du sommeil, on la

trouve dans l'humble cabane du paysan, sur une rive

ombreuse, dans uneTempe 224 caressée des zéphyrs. Qui

borne ses désirs au nécessaire n'est pas troublé par les

grondements de la mer; par les tempêtes que soulève

l'Arcture 225 à son coucher, le Chevreau à son lever; par

la grêle hachant ses vignes; par la récolte qui ne répond

pasà son

attente, queles arbres fruitiers aient souffert

de la pluie, des étés torrides ou des hivers rigoureux. Les

poissons s'aperçoivent qu'on a diminué la mer d'énormes

constructions s'élèvent sur des moellons jetés au fond de

Page 84: Horace - Oeuvres

g6 HORACE

l'eau par l'entrepreneur et ses ouvriers; et le proprié-taire est, avec eux, dégoûté de la terre ferme. Mais laCrainteet lesMenacesvontoù va le propriétaire;le noirsoucis'installesur la trirème ornéed'airain, il monteen

croupederrièrele cavalier.Puisquemon âme maladene

peut être guériepar la pierre de Phrygie226,la pourprepluséclatanteque les astres,le vin de Falerne,lecostumd'Achéménie227,à quoi bon construireun atrium à lanouvellemode,avecde hautesportesqui exciterontl'en-vie contremoi? pourquoichangerpour une fortune quime donneraplus de mal, ma petite valléede la Sabine?

II

Que le jeune homme,fortifiéet endurcipar le service

militaire,apprenneà supportervolontiersune vieétroiteet difficile;qu'il se fasse craindredes Parthessauvageset les harcèlede sa lance; qu'il passeson tempsen pleinair, dans lesdangers.Qu'en le voyant,du haut des rem-

parts ennemis,la femme du tyran à qui nous faisons la

guerre,et sa fille,sur le point de se marier,poussentdes

soupirs;qu'ellesredoutent,pour le fiancé,ignoranttoutde la guerre, la poursuitede ce lion redoutable,que lafureur et l'odeur du sangemportentau carnage.

lfl est doux, il est beau de mourir pour la patrie. Lamortnese lassepasdepoursuivrelefuyard;ellen'épargnepas les jarretsni le dos du lâcheet du poltron228.

La vertu ne connaîtpas les hontesde l'échec; la gloiredont ellebrilleest sanstache; cene sontpas les fantaisiesdu soufflepopulaire qui lui donnent ou lui enlèventleshaches229.La vertuouvrele cielà ceuxqui ne doivent

jamaismourir; ellecherchesaroutepar un cheminrefuséà la foule; elle dédaigne le vulgaireet ses réunions, laterre et sesmarécages;elle s'envoleà tire-d'aile.

Il y a aussipour qui sait garderun secret,une récom-

penseassurée230.A celuiqui divulguerales mystèresdeCérèsje ne permettraipas de vivresousmontoit 231et de

partir avecmoi sur une barque légère.ParfoisDiespiteroutragéconfonddansune mêmepeine l'impie et l'inno-

cent maisil est rare que, malgréson avance,le crimenesoit pas atteint par le châtiment, quelqueboiteux qu'ilsoit.

Page 85: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE III 87

L'homme juste, inébranlabledans ses résolutions,nese laissepas abattre ou entamerpar les détestablesvio-lencesdes citoyens,les menacespassionnéesdu tyran,l'Austerquibouleverseet soulèvelesflotsde l'Adriatique,la foudredu grand Jupiter si lemondecroulaitenmor-ceaux,les débris le frapperaientsans lui fairepeur.

C'est par cette intrépidité que Pollux et Hercule, legrand voyageur,arrivèrentjusqu'au cielenflammé;c'estpar ellequ'Augusteprendraplaceà la table des dieuxetboirale nectarde seslèvresdepourpre; c'est par ellequetu méritas,Bacchus,ô père, d'entrer au ciel, traîné pardes tigres, qui ne sont pas habituésau joug; c'est parelle que Quirinus232,monté sur les chevauxde Mars,réussit à fuir l'Achéron et à obtenir l'agrément deJunon233,qui parla ainsi dans l'assembléedes dieux

« Ilion, Ilion a été réduite en cendres par l'hommeimpuret fatalqui jugeales troisdéesseset par une misé-rable étrangère234;du jour où Laomédon refusa auxdieux le salairepromis235,elleétait abandonnéeà maven-

geanceet à cellede la chasteMinerve,avecsonroi et son

peuple menteurs. Il n'a plus d'éclat, l'hôte trop connude la Lacédémonienneadultère; la maison parjure dePriam ne peut plus compter sur Hector pour briser lesattaques des Grecs; les divisionsdes dieux ont faittraîneren longueurlaguerreaujourd'huiterminée.Aussi,renoncé-jeà mon ressentiment; en faveur de Mars, jepardonne à ce petit-fils

237que je détestaiset que m'a

donné une prêtresse troyenne. Je veux bien qu'il entredansnos clairesdemeures,qu'il goûteà notre savoureuxnectar, qu'il soit admis dans les rangs des divinitéssereines.Pourvu qu'Ilion soit séparé de Rome par lesflotssoulevésd'unelargemer,quelesexilésrègnentfloris-sants, là où ils voudront; pourvu que des troupeauxdebœufsbondissentsur les tombeauxde Priamet de Pâriset que les bêtes fauvesy cachent leurs petits sans être

dérangées,le Capitolepeut sedresserdans tout sonéclat,la fièreRomepeut triompherdesMèdeset leurdonnerdeslois. Qu'elle se fasse craindreau loin et porte son nom

jusqu'auxcontréeslesplus lointaines,là où la mer séparel'Europe de l'Afrique238,là où le Nil déborde sur les

campagnes.Qu'elle mette toute sa vigueur à mépriser

III

Page 86: Horace - Oeuvres

88 HORACE

l'or encore caché dans la terre, où il est mieux à sa place;

qu'elle ne l'amasse point pour l'usage des hommes, et le

réserve aux objets sacrés. Partout où se dressent les limites

du monde, arriveront les armes romaines; Rome voudra

connaître les régions ravagées par les feux du soleil, et

aussi les pays où règnent les nuages et les pluies.« Telles sont les destinées des belliqueux Romains.

Mais j'y mets une condition je ne veux pas que, parexcès de piété et de confiance en leurs forces; ils s'avisent

de relever les maisons de Troie, leur aïeule. Si, sur de

mauvais présages, Troie renaissait, elle retrouverait le

même sort, la même ruine; et c'est moi, épouse et sœur

de Jupiter, qui conduirais contre elle des troupes victo-

rieuses. Si, trois fois, Phébus relevait le mur de bronze,

trois fois il s'écroulerait, renversé par mes Argiens; trois

fois les femmes captives auraient à pleurer leurs maris

et leurs enfants »

Mais de tels propos ne conviennent guère à ma lyrerieuse. Où me mènes-tu, ma Muse ? N'aie pas la témérité

de rapporter les propos des dieux, et d'amoindrir les

grands sujets par un chant qui reste trop au-dessous

d'eux.

IV

Descends du ciel, Calliope, et dis-moi un long chant,

ou sur la flûte, ou, si tu le préfères, de ta voix sonore,

ou encore en t'aidant des cordes de la lyre. Entendez-

vous ? ou suis-je le jouet d'une douce folie ? Je crois

l'entendre, je crois la voir aller au hasard dans les bois

sacrés, où coulent des eaux agréables, où passent des

brises fraîches.

Un jour,étant tout enfant,dansunsentierduVultur239,hors des limitesde l'Apulie,ma terre natale,j'étaisfati-

gué de jouer et je tombaisde sommeil des colombes,commedansla fable,me couvrirentde feuillagenouveau.On criaau miracleet dans le nid d'aigled'Achérontia,etdanslesboisde Bantiaet danslesbassesterres,si fertiles,de Forente240;je dormais, le corps protégé contre lesnoiresvipèreset les ours, recouverten mêmetemps delaurier sacré et de myrte; je n'étais qu'un petit enfant,mais les dieux me donnaientdu cœur. Je vous appar-tiens, Camènes,je suisà vous,sur lesmontsSabinsaussibien que dans la fraîchePréneste, à Tibur couchéeauflancde sa colline,à Baïesau ciel limpide241;c'est parce

Page 87: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE III89

que j'aime vos fontaines et vos chœurs que je n'ai pas périau désastre de Philippes g°2,que je n'ai pas été tué par unarbre maudit 243,que je ne me suis pas noyé dans la merde Sicile, près du cap Palinure 244.Tant que vous serezavec moi, je pourrai, sans peur, naviguer sur le Bosphoreen furie, je pourrai traverser les sables brûlants du rivagesyrien; j'irai sans danger chez les Bretons, cruels auxétrangers, chez les Concaniens245qui boivent du sang decheval, chez les Gélons 246

qui portent le carquois, jusquesur les bords du fleuve scythique "7.

Quand César, le grand empereur, répartit dans les citésses soldats fatigués des batailles, quand il veut se reposerde ses travaux, c'est vous, Muses, qui le délassez dansla grotte du Piérus 248.C'est vous, nourricières, qui luiconseillez la douceur et vous réjouissez de le voir suivrevos avis.

Nous savons comment la foule innombrable des Titansimpies a disparu, frappée de la foudre par celui qui gou-verne la terre immobile, apaise les vents de la mer et,seul, soumet à son autorité impartiale et les villes et lessombres royaumes et les dieux et les hommes. Jupiteravait ressenti un grand effroi devant cette armée desGéants 249,hérissée de bras, devant ces frères qui travail-laient à mettre le Pélion sur l'Olympe boisé. Mais, malgréla violence de leur choc, que pouvaient, contre l'égidesonore de Pallas, Typhée, le vigoureux Mimas, Porphy-rion à l'allure menaçante, Rhétus, l'audacieux Enceladelançant les arbres qu'il avait déracinés ? A côté de ladéesse, se tenaient Vulcain, avide de combattre, la nobleJunon et le dieu qui jamais ne détachera l'arc de sonépaule, qui défait ses cheveux pour les tremper dansl'eau pure de Castalie 250,qui habite les halliers de la Lycieet la forêt natale, Apollon de Patara et de Délos 261.

La force sans sagesse tombe sous son propre poids;mais la force tempérée par la sagesse croît chaque jourgrâce aux dieux; elle est odieuse à la divinité, la force

qui ne médite que le crime. Les preuves abondent de cesvérités c'est le géant aux cent mains 252,Orion, connu

pour son attentat contre la chaste Diane et percé par laflèche de la vierge. La Terre s'afflige d'avoir englouti cesmonstres dont elle fut la mère; elle pleure ses enfants

que la foudre a envoyés chez le blême Orcus. Quelquevive qu'elle soit, la flamme n'a pas encore rongé l'Etna 253

qui les recouvre. Le foie de l'impudent Tityus254

est,sans arrêt, dévoré par le vautour, vengeur du crime; et

Page 88: Horace - Oeuvres

90HORACE

thois cents chaînestiennent prisonnierl'amoureuxPiri-

thoüsaas.

v

Nous avonstoujourscru que Jupiter règnedansle ciel

où son tonnerre gronde; sur la terre, c'est Augustequisera regardécommeun dieu quand il aura soumisà son

empire les Bretons et les Perses redoutables.Se peut-il

que le soldatde Crassusait vécudans la honte, mariéà

une barbareet ô Sénat!ô bouleversementdesmœurs!

ait vieillidansune arméeoù un ennemide Romeétait

son beau-père? Le Marse et l'Apulien256ont-ils donc

oublié, sous un roi parthe, les bouclierssacrés,le nom

romain,la togedu citoyen,la flammeéternellede Vesta,alorsque sontencoredeboutRomeet le templede Jupi-ter ? C'est bien ce malheurque voulaitprévenirl'esprit

prévoyantde Régulus2", quandil n'était pasd'avisd'ac-

cepterdes conditionshonteuses,et qu'il s'opposaità un

précédentfunestepour l'avenir,si on ne laissaitpaspérirlesprisonniers,d'ailleursindignesdepitié.

«:J'ai vu, dit-il, attachés dans les temples carthagi-

nois, les drapeauxromains et les armes que nos sol-

datsse sont laisséprendre sans se faire tuer; j'ai vudes

citoyensromains,des hommeslibres,lesmainsliéesder-

rière le dos; j'ai vu Carthagetenir ses portes largementouverteset rendreà la cultureleschampsravagéspar nos

armées.Est-ceque,parhasard,quandvousl'aurezracheté

à prix d'or, le soldat sera plus brave à son retour? Le

dommages'ajouteraà la honte. La laine,une fois teinte,ne reprendplus sa couleurpremière;lorsquelevraicou-

ragea disparu,il ne rentre plus dansun cœurdéshonoré.

Le jour où l'on verra la biche rompre les maillesserrées

du filet et combattre, ce jour-là, il sera courageuxl'hommequi a eu confiancedansun ennemiperfide;et,dans une nouvelle rencontre, il terrassera les Cartha-

ginois,celuiqui, sansrésister,a senti ses bras serrésparune courroieet a eu peur de mourir. Il n'a pasvu le seul

moyen de sauver sa vie, et a confonduguerre et paix.O honte! 0 puissanteCarthage,rendueplus grandeparle déshonneuret la ruine de l'Italie! »

Alors,dit-on, commeun hommequia perdu sesdroits

de citoyen,il refusales baisersde sa chasteépouseet de

ses petits enfants et, courageuxet farouche,il fixason

regard à terre. Les sénateurs,d'abord hésitants,se ral-

Page 89: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE III 9I

lièrentà cetavis,dont onne connaîtpasd'autre exemple,et l'illustreexilésortit en hâteau milieudesesamisaffli-gés. Il n'ignorait pas les tortures que lui préparait lebarbare; mais il écarta sesprochesgroupésdevant lui etlepeupleopposéàson départ;il paraissaitaussitranquilleque s'il venait de liquider une longue affaireévoquéedevant lui par ses clients, et rentrait dans sa campagnede Vénafre158ou dans la lacédémonienneTarente269.

VI

Sansavoirtoi-mêmecommisde fautes28°,tu expieras,Romain, cellesde tes ancêtres, tant que tu n'auras pasrelevéles templesen ruineset lesstatuesdesdieux,souil-lées d'une noire fumée. C'est parce que tu te soumetsaux dieuxque tu as l'empire d'eux tout découle,à euxtout aboutit. Pour avoir été négligés,ils ont répandumille maux sur la lamentable Italie. Déjà deux fois lestroupesde Monésèset de Pacorus261ont brisénotre élancondamné par les auspices et ajouté à leurs pauvrescolliersEezun butin dont ellessont fières.Rome,en proieà la guerre civile, a failli être détruite par le Dace etl'Ethiopien263,l'un redoutablepar sa flotte, l'autre trèshabileà lancerla flèche.Danscestempsfertilesen crimes,les premières victimes ont été le mariage, la race, lafamille;de là, découlèrentles fléauxqui se répandirentsur le peuple et sur la patrie. De très bonne heure, lajeune fille se plaît à apprendre la danse ioniqueQ°°;ellefait sonvisage;dèsl'âgeleplustendre,ellerêved'impuresamours.Bientôt,dans les réunionsoù boit sonmari, ellecherche des amants plus jeunes que lui; mais ce n'estpas elle qui choisitl'hommeà qui elledonnerades joiesdéfendues,en cachette,loinde la lumière.Non, ellereçoitun ordre, et se lève devant tout le monde, devant sonmari complice,pour répondreà l'appel d'un agentd'af-fairesou du commandantd'un bateauespagnolqui achè-tera sa honte à prix d'or.

Ils n'avaient pas de tels parents, les soldatsqui rou-girentautrefoisla mer du sangpunique2115et vainquirentPyrrhus, le grand Antiochus, le farouche Hannibal.C'étaient les mâlesdescendantsde soldatspaysans,quisavaientretourner la terre avecle hoyausabinet rappor-ter à lamaison,sur l'ordred'une mèresévère,leboisqu'ilsavaient coupé, à l'heure douce où le soleil couchant

Page 90: Horace - Oeuvres

92HORACE

allonge l'ombre des montagnes, et où les bœufs fatiguéssont débarrassés du joug.

Quelles pertes, quels dommages n'apporte point le

temps ? Nos pères valaient moins que leurs pères; nous,leurs enfants, valons moins qu'eux; ceux que nous aurons

vaudront moins encore.

VII

Pourquoi pleurer, Astérie, l'amant que les doux

zéphirs te ramèneront au début du printemps, enrichi

par son commerce en Thynie 266,le jeune Gygès, qui te

demeure fidèle ?Poussé vers Oricum par le vent du Notus,il a souffert des tempêtes de la Chèvre ze' et passé des

nuits glaciales, sans sommeil, tout en larmes. Et cepen-dant Chloé, son hôtesse, lui a fait dire qu'elle soupire

pour lui l'homme habile qu'elle lui a dépêché lui déclare

qu'elle brûle des mêmes feux que toi et, de mille manières,il travaille à le séduire. Il lui raconte comment une femme

perfide a, par de fausses accusations, poussé son mari, le

crédule Prétus, à hâter la mort du pudique Belléro-

phon 268,il lui dit que Pélée a failli être tué pour avoir fui

la Magnésienne Hippolyte et repoussé ses avances, il lui

rappelle des anecdotes mensongères pour le déterminer

à faillir. Mais c'est en vain plus sourd que les rochers de

la mer icarienne, Gygès laisse parler cet homme, sans

s'être jusqu'à présent laissé séduire.Pour toi, prends garde d'aimer plus qu'il ne faut ton

voisin Enipée sans doute, personne au Champ de Marsn'est plus habile à dresser un cheval personne ne des-

cend plus vite, à la nage, le lit du fleuve toscan 269.Dès quela nuit tombe, ferme ta porte; ne regarde pas dans la

rue pour y écouter les airs de la flûte plaintive; et, même

si Enipée te traite maintes fois de cruelle, reste inflexible.

VIII

Que peut faire, aux Calendes de Mars 270,un célibataire

comme moi ? Que signifient ces fleurs, ces coffrets pleinsd'encens, ce charbon allumé sur un tertre de gazon vert ?

Voilà ce que tu te demandes avec surprise, Mécène,

quelque savant que tu sois dans les lettres latines et

grecques.J'avais fait vœu de servir un bon repas et de sacrifier

Page 91: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE III 93

à Bacchus un bouc blanc, le jour où un arbre a failli

m'écraser de sa chute. Pour cet heureux anniversaire,

je ferai sauter le bouchon, cacheté avec de la poix, d'une

amphore soumise à la fumée depuis le consulat de Tul-

lus271. Prends cent cyathes272, Mécène, pour fêter le

salut de ton ami, et laissons les flambeaux allumés jus-

qu'au jour. Loin de nous les cris de colère! Plus de soucis

sur les affaires politiques de Rome. Les troupes du Dace

Cotison ont été massacrées; les Mèdes, qui nous sont

hostiles, se déchirent entre eux et portent eux-mêmes le

deuil dans leurs rangs; notre vieil ennemi de l'extrême

Espagne, le Cantabre, est asservi et enfin enchaîné; déjàles Scythes laissent retomber leur arc et songent à battre

en retraite 273 Redeviens un simple particulier ne te

préoccupe pas outre mesure des périls auxquels ce peuple

léger est exposé; cueille avec joie les dons de l'heure pré-

sente oublie les affaires sérieuses!

IX

HORACE

Tant que je te plaisais, tant qu'un autre amant n'avait

pas tes préférences et n'entourait pas de ses bras ta nuque

blanche, je vivais plus heureux que le roi de Perse.

LYDIE

Tant que tu n'aimais pas une autre plus que moi, tant

que tu ne me mettais pas après Chloé, Lydie avait une

grande réputation; elle était plus célèbre que la Romaine

Ilia "4.

HORACE

Aujourd'hui, la Thrace Chloé est ma maîtresse; elle

sait de douces chansons, manie savamment la cithare.Pour elle je n'aurai pas peur de mourir, si les destins

permettent à ma chère âme de mesurvivre.

LYDIE

Mon cœur est embrasé pour Calaïs de Thurium 275,fils

d'Ornytus, qui m'aime autant que je l'aime. Pour luivolontiers je mourrai deux fois, si les destins permettentà l'enfant de me survivre.

HORACE

Mais si revenait notre ancien amour, si nos cœurs

Page 92: Horace - Oeuvres

94 HORACE

séparés étaient de nouveau réunis sous le même joug, si jechassais la blonde Chloé, et que Lydie, jadis repoussée,me rouvrît sa porte ?

LYDIE

Alors, quoique Calaïs soit plus beau qu'un astre, ettoi-même plus léger que le liège et plus emporté que laviolente Adriatique, c'est avec toi que j'aimerais vivre,avec toi que je voudrais mourir.

x

Même si, mariée à un barbare, tu habitais, Lycé, àl'extrémité du monde, au bord du Tanaïs 276,tu ne melaisserais pas, cruelle, couché sur ton seuil, et tu pleure-rais de me voir exposé à l'aquilon de ces pays. N'entends-tu pas, sur ta porte, dans le bosquet sacré planté dans tabelle demeure, le bruit, le mugissement du vent? Nevois-tu pas la neige se durcir en glace par un ciel clair ?Renonce à ton orgueil, que Vénus désavoue; quand laroue tourne en arrière, la corde la suit 277.Ce n'est pasune Pénélope, dure aux prétendants, qu'a engendrée le

Tyrrhénien, ton père. Tu ne te laisses fléchir ni par lescadeaux, ni par les prières, ni par la pâleur de tes amants,aussi blêmes que la giroflée, ni par l'infidélité de ton mari

qui a une maîtresse au Piérus 278;pourtant, je t'en supplie,épargne-moi. Tu es plus dure que le chêne, tu n'es pasplus douce que les serpents maures. Mais je ne resterai

pas éternellement à ta porte, pour y recevoir l'eau du ciel.

XI

Mercure, qui fus le maître d'Amphion279et lui appris

à mettre par ses chants les pierres en mouvement, ettoi, lyre sonore aux sept cordes, jadis sans voix et sans

agrément, chère aujourd'hui aux riches festins et aux

temples, dites-nous des accords faits pour tenir attentivel'intraitable Lydé; semblable à une cavale de trois ans,elle saute et bondit dans les larges campagnes, et neveut pas qu'on la touche, parce qu'elle n'est pas encoremariée et ignore les pétulantes attaques d'un époux.

Mais tu peux, lyre, entraîner les tigres et les arbreset ralentir le cours des ruisseaux, tu charmes et fais

Page 93: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE III 95

HORACE 4

reculer devant toi le portier du sombre palais, Cerbère,

dont cependant la tête, comme celle des Furies, est

défendue par cent serpents, et dont la gueule aux trois

langues exhale une odeur fétide et dégoutte de venin.

Malgré eux, Ixion et Tityos280ont souri, en t'écoutant, et

les Danaïdes ont laissé sécher le fond de leur tonneau 281,

charmées par la douceur de ton chant. Qu'elle écoute,

Lydé, le crime des Danaïdes, leur châtiment fameux, le

tonneau laissant échapper par le fond l'eau qu'elles y

versent, et les peines tardives réservées à la faute, même

dans les enfers.

Les impies (peut-on imaginer plus grand crime ?), les

impies ont pu, d'un fer sans pitié, massacrer leurs époux.Une seule, vraiment digne de la sainteté du mariage,eut la gloire de mentir à un père parjure et s'illustra

pour l'éternité « Lève-toi, dit-elle à l'homme qui était

son mari lève-toi, sinon c'est un sommeil éternel quite viendra d'une main que tu ne soupçonnes pas. Echappeà ton beau-père, à mes sœurs criminelles, qui, semblables

à des lionnes attaquant de jeunes taureaux, déchirent,

hélas! chacune leur mari. Plus douce qu'elles toutes, jene te frapperai pas et je ne te retiendrai pas captif. Un

père cruel pourra me charger de chaînes pour avoir été

clémente à un misérable et avoir sauvé mon mari. Il

pourra, sur un bateau, me reléguer au bout du monde,chez les Numides. Va-t'en, toi, où te portent tes pas et

les vents. A la faveur de la nuit, protégé par Vénus, va

sous d'heureux auspices, et, plus tard, en souvenir de

moi, grave ma plainte sur mon tombeau. »

XII

Elles sont malheureuses, les femmes qui ne peuvent

pas se livrer au jeu de l'amour ou noyer leurs misères

dans le vin, et qui redoutent à en mourir les violents

reproches d'un oncle paternel 282.L'enfant ailé de Cythé-rée fait tomber de tes mains la corbeille à laine et la toile;

et tous les travaux de l'active Minerve ne comptent plus,

Néobulé, devant la beauté d'Hébrus de Lipara 28S. Il

plonge dans le Tibre ses épaules frottées d'huile, est

meilleur cavalier que Bellérophon lui-même"* et ne se

laisse vaincre ni au pugilat, ni à la course, où il n'est

jamais en retard. Il est habile à cribler de traits les cerfs

qui fuient en troupeau dans la plaine, et prompt à

Page 94: Horace - Oeuvres

96 HORACE

recevoirle sangliercherchantà se cacherdans la profon-deur desbuissons.

xIII

0 fontainede Bandusie,plustransparentequeleverre,tu mérites une offrandede vin doux et de fleurs285;demain,tu recevrasl'offrande d'un chevreau, que sonfront, gonfléde cornes naissantes,destine à Vénus etauxcombats.Mais en vain car tes eauxfraîchesseront

rougiesdu sang de cette jeune bête lascive.Toi qui nesauraissubir leseffetsdes rudes chaleursde la canicule,toi qui réservesune doucefraîcheurauxtaureauxfatiguésdusocet au bétailerrant, ta placeseramarquéeparmi lesillustres fontaines, car je chanterai l'yeuse plantée au-dessusde lagrottederocailles,d'où, babillardes,tombenten bondissantlesondes.

XIV

Plèbe romaine, celui dont tu disais récemmentqu'ilétait allé, à la manière d'Hercule, s'exposer à la mort

pour cueillir le laurier, César revient d'Espagne et

regagneses pénatesen vainqueur.Que sa femme286,quimet en lui tout sonbonheur,ailleau-devantde lui, ayantfait tous les sacrificesprescrits; que l'accompagnentlasœur de l'illustre chef287,et aussi, ornéesde la bande-lette288pour la cérémoniede la supplication,les mèresdes jeunes femmes et des jeunes hommes revenusindemnesde la guerre. Et vous, jeunesgarçons,jeunesfillesnon encoremariées,éviteztoute parolede mauvais

augure.Ce jour est vraimentpour moi un jour de fête; il me

délivrerades noirssoucis; je ne craindraini la guerre,niune mort violente, tant qu'Auguste sera le maître dumonde. Va chercher, jeune esclave,des parfums, des

fleurs,un tonneaude vin mis en fût sous la guerre duMarse289,s'il en est un qui ait échappéaux recherchesde Spartacus. Dis à Néère, l'excellentechanteuse, denouer en hâte ses cheveuxcouleur de myrrhe. Si son

portierdésagréablete fait attendre,reviens.Mescheveux

gris ont calmémes passions,mon goût pour les discus-sions, les querelles, les violences. Je ne l'aurais pas

Page 95: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE III97

supporté dans le feu de ma jeunesse, sous le consulatde Plancus 280.

xv

Femme d'Ibycus qui n'a pas beaucoup d'argent, fixeenfin un terme à tes méfaits et à tes scandaleuses pra-

tiques. Tu es assez près du tombeau pour cesser de jouer

parmi les jeunes femmes et de répandre comme un nuagesur ces blanches étoiles. Ce qui est bon pour Pholoé nete convient pas à toi, Chloris. Mieux que toi, ta fille

peut prendre d'assaut la maison des jeunes gens, commeune Thyiade

291excitée par le bruit du tambourin. Poussée

par son amour pour Nothus, elle joue, semblable à unechèvre lascive. Ce qu'il te faut, à toi, c'est la laine tondue

près de la célèbre Lucérie 292 ce n'est pas la lyre, niles roses couleur de pourpre, ni un tonneau à vider

jusqu'à la lie tu es trop vieille.

XVI

Enferméedansune tour d'airain,sousune portesolide,et sévèrementsurveilléepar des chiens qui ne s'endor-maient jamais,Danaé283semblaitbien protégée,la nuit,contrelescoureurs; maisJupiteret Vénus se moquèrentd'Acrisius,gardientremblantde la viergeprisonnière,etune routesûreet larges'ouvritau dieuchangéenor. L'orpénètre au milieu des gardes, il a plus de force que lafoudrepour percermêmeles rochers;c'est l'or qui ruinaet plongeadans lamorttoutelafamilledu devinargien294;c'est par des présents que le roi de Macédoine295disloquales portesdesvilleset renversasescompétiteurs;c'estpardesprésentsqueseprennentaufiletlesfarouchescommandantsde la flotte296.

Les soucisgrandissentavec la fortune et le désir del'accroître.Toujours, et avec raison, j'ai eu horreur dedresser la tête et de me faire voir de loin, ô Mécène,gloire des chevaliers.Moins on se donne à soi-même,plus on recevrades dieux. Je vais, sans rien avoir surmoi, dans le camp des gens qui ne désirent rien; j'aihâted'abandonner,de fuir le parti desriches; je suisplusglorieuxde posséderce que les autres dédaignent,quesi j'avais la réputation d'enfouir dans mes grenierstoutle blé récoltépar le laborieuxApulien,restantmisérable

Page 96: Horace - Oeuvres

98HORACE

au milieu de tant de richesses. Un ruisseau aux eaux pures,

un parc de quelques arpents, une moisson assurée me

font un sort plus heureux qu'au riche qui se croit supérieur

à moi par ses fertiles domaines d'Afrique. Mon miel n'est

pas fait par les abeilles de Calabre 2a'; mon vin ne vieillit

pas dans une amphore lestrygonienne 298; je n'ai pas,

dans les pâturages des Gaules, de moutons pour me don-

ner de riches toisons 299; et pourtant je ne connais pas

l'ennui d'une situation médiocre; et si je voulais plus, tu

ne refuserais pas de me le donner. En resserrant mes désirs,

j'arriverai mieux à étendre mes petits revenus, que si

j'ajoutais encore des terres mygdoniennes au royaume

d'Alyatte 300.Beaucoup demander, c'est manquer de bien

des choses il est heureux, l'homme à qui la divinité,

même d'une main économe, a donné le nécessaire.

XVII

Elius, dont l'illustration remonte au vieux Lamus

(puisque c'est lui, dit-on, qui donna leur nom aux pre-miers Lamia et à toute la suite de leurs descendants dont

les fastes ont conservé le souvenir; et tu tires ton originede cet homme qui, suivant la tradition, fonda Formies aol,

occupa les bords du Liris dont les eaux recouvrent les

rivages consacrés à Marica302, et étendit au loin son

pouvoir), demain la tempête soulevée par l'Eurus

couvrira de feuilles le bois sacré et répandra sur le rivagedes algues inutiles, si du moins l'oiseau des marais, la

vieille corneille, ne nous trompe pas. Pendant que tu

le peux, ramasse du bois sec. Demain, tu honoreras ton

génie avec du vin et un porc de deux mois, en compagniede tes serviteurs, libérés de tout travail.

XVIII

Faunus 303,amoureux des Nymphes fuyantes, parcoursavec bienveillance mon domaine et mes champs exposésau soleil; puis, à ton départ, sois favorable aux petitsanimaux que je nourris car à la fin de l'année, je te

sacrifierai un jeune chevreau, je verserai en ton honneur,

compagnon de Vénus, le vin à pleins cratères, et je ferai

sur ton autel antique, fumer beaucoup d'encens. Tout

le troupeau s'ébat dans la plaine herbue quand reviennent

Page 97: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE III 99

pour toi les Nones de décembre; le village en fête se

repose dans les prés avec le bœuf oisif. Le loup erre parmiles agneaux qui n'ont pas peur de lui; pour toi le bois

laisse tomber ses frondaisons agrestes; et le laboureur est

tout heureux de frapper trois fois du pied304cette terre

qui lui donne tant de mal.

XIX

Combiendesièclesséparentd'Inachus3osceCodrus306

qui, courageusement,mourut pour son pays, voilà ce

que tu nous racontes;et tu y ajoutesencorela postéritéd'Eaque307et la guerre qui se déroulesous les murs deTroie lasainte.Maiscombiencoûteun tonneaudevindeChio308,qui a fait chauffer l'eau, qui nous a prêté sa

maison, à quelleheure nous mettons-nousà table309,àl'abri du froid des montagnes3'0,voilàce que tu oubliesde nousdire.

Verse, jeune homme, verse vite en l'honneur de lalune nouvelle31'; versepour que le repas dure jusqu'aumilieu de la nuit; verse pour Muréna l'augure312.Au

gré de chacun, trois fois ou neuf fois313le mélangetombedes cyathes

314dans nos coupes.Dansson ivresse,le poète,ami des Musesen nombre impair, demanderatrois fois trois cyathes;la Grâceet ses deuxsœurs, nuestoutes trois, ne permettent pas plus de trois cyathes,parce qu'elles redoutent les rixes. Il m'est doux de

perdre la raison. Pourquoiles flûtesbérécynthiennes315cessent-ellesde se faire entendre? Pourquoi la syrinx

316;

reste-t-elleaccrochéeà côté de la lyre silencieuse? Jene veux pas qu'on épargnerien. Répands des roses.

Qu'ils entendent nos folieset notre vacarme,l'envieux

Lycus et sa voisine,qui n'est pas faite pour lui! Et toi,

Télèphe, à la belle et épaissechevelure,semblableà la

pure étoiledu soir, c'est toi que veut Rhodé, qui a l'âgede faire l'amour; je suis, moi, lentement consuméparma passionpour ma chèreGlycère.

xx

Ne vois-tu pas, Pyrrhus, le danger que tu cours àenlever ses petits à cette lionne gétule31'? Mais tonaudace tombera bientôt, et tu fuiras de durs combats

Page 98: Horace - Oeuvres

100 HORACE

quand tu la verras forcer la barrière de tes amis pour

reprendre le beau Néarque. Ce sera une belle lutte

est-ce à toi ou à elle que reviendra le butin ? Et, pendant

que tu tires tes flèches rapides, qu'elle-même aiguise ses

dents redoutables, l'arbitre du combat a mis, dit-on, la

palme sous son pied nu; il expose aux caresses du vent

son épaule où retombent ses cheveux parfumés; tel

autrefois Nirée 318,ou Ganymède, enlevé par Jupiter

près des sources de l'Ida.

XXI

Amphore respectable, née avec moi sous le consulat

de Manlius, que tu portes dans ta panse la plainte ou le

rire, les disputes et les folles amours ou le sommeil facile,inutile de chercher à quel titre a été gardé le Massique

que tu contiens; tu dois être retirée du cellier en un

jour de bonheur. Descends donc, puisque Corvinus

réclame un vin que le temps a rendu plus doux. Son

austérité ne fera pas fi de toi, quelque imbu qu'il soit de

la philosophie socratique ne dit-on pas que souvent le

vin réchauffait la vertu du vieux Caton 319?Tu tourmentes

agréablement les esprits d'ordinaire insensibles; dans les

jeux de Lyée 320,tu dévoiles les soucis des sages et leurs

pensées secrètes; tu rends l'espoir aux cœurs anxieux;tu donnes au pauvre la force et les cornes 321;quand il a

bu, il regarde sans trembler les diadèmes des rois irrités

et les armes des soldats. Bacchus, Vénus, si elle consent à

être avec nous, les Grâces inséparables, les flambeaux

à la flamme toujours vive, te feront durer, amphore,

jusqu'au moment où le retour de Phébus met les étoiles

en fuite.

XXII

Ovierge, gardiennedesmontagneset des boissacrés,qui répondsau triple appel des jeunesfemmesen proieaux douleursde l'enfantementet les empêchesde mou-rir, déesse aux trois formes3zz,je te consacre le pinau-dessusde ma villa;à chaqueanniversaire,je me feraiune joiede verseren ton honneur le sangd'un sanglier,qui lance de côté ses coups de tête.

Page 99: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE III ioi

Si, à la nouvelle lune, tu lèves vers le ciel tes mains

suppliantes, rustique Phidylé, si tu offres aux Lares de

l'encens, des épis de l'année et une truie gloutonne, ta

vigne féconde n'aura pas à souffrir du souffle empoi-sonné du vent d'Afrique, ton blé ne sera pas desséché

par la rouille 323,tes agneaux et tes veaux ne craindrontrien de la saison des fruits, si malsaine 324.La victime quel'on engraisse pour un sacrifice près des neiges de l'Al-

gide 32S, au milieu des chênes et des yeuses, ou dans les

pâturages des Monts Albains, rougira de son sang lahache des pontifes. Mais, toi, tu n'as pas à solliciter, parle sacrifice de bêtes de deux ans, les humbles divinités

que tu couronnes avec le romarin et le myrte fragile.Si la main qui touche l'autel est innocente, ce n'est pasune victime de prix qui sera plus agréable aux Pénates

hostiles; du froment offert avec piété, du sel pétillantsuffisent pour les apaiser.

Plus opulent que les Arabes et les riches Indiens, dontles trésors sont encore intacts, tu peux jeter des moellonssur toute la terre ferme ou dans le domaine public de lamer'26; si la cruelle Nécessité enfonce ses clous au faîtede ton palais, tu ne libéreras pas ton âme de la crainte,ta tête des filets de la mort. Ils ont une vie plus belle,les Scythes nomades qui, suivant leurs coutumes,emportent sur des chariots- leurs maisons voyageuses,et les Gètes aux mœurs sévères 327,qui ne se partagentpas les terres, consomment en communauté toutes lesrécoltes et le blé, ne restent pas plus d'une année à cul-tiver la terre, et, ce travail accompli, ont, à conditionségales, un remplaçant. Là, quand les enfants ont perduleur mère, une autre femme les soigne avec douceur;la femme ne se targue pas de sa dot pour régenter sonmari, elle ne s'appuie pas sur un riche amant. Une belledot chez eux, c'est la vertu des parents, c'est la chastetéde la femme qui ne veut que son mari, à qui elle estunie par un serment solide; la faute est un crime contreles dieux, et la mort en est le châtiment.

XXIII

XXIV

Page 100: Horace - Oeuvres

I02 HORACE

Oh! s'il est un homme qui veuille supprimer les mas-

sacres impies et la fureur des guerres civiles, qui désire

voir graver sur ses statues le titre de «Père des Villes 32R»,

qu'il ait le courage de refréner une licence sans retenue;

il sera illustre du moins chez nos descendants 329; car

nous sommes, hélas! jaloux de l'homme vertueux nous

ne pouvons le souffrir de son vivant; nous l'honorons

quand il a disparu. A quoi bon s'affliger et se plaindre,

si le supplice ne tranche pas le mal dans sa racine ? A

quoi servent les lois sans les moeurs ? Tout est bien inutile,

si le marchand n'est arrêté ni par les brûlantes chaleurs

de certaines parties du monde, ni par les vents et les

glaces d'autres régions, si l'homme met toute son habileté

à se rendre maître des flots soulevés de la mer 330? Une

condition médiocre, le comble de la honte aux yeux

des hommes, pousse à tout faire, à tout supporter, est

se refuse à suivre le rude chemin de la vertu.

Eh bien portons au Capitole 331,où nous serons accueil-

lis par les cris et les applaudissements de la foule, ou bien

jetons dans la mer la plus proche nos perles, nos pierres

précieuses, tout cet or inutile, source des pires maux, si

vraiment nous nous repentons de nos crimes. Arrachons

de nos cœurs tous les germes d'une cupidité mauvaise;

façonnons à de plus rudes travaux nos âmes efféminées.

L'enfant de bonne famille ne sait pas se tenir à cheval,

parce qu'on ne le lui a pas appris; à la chasse, il a peur;

il est plus habile au jeu grec du cerceau 332ou, à ton choix,

au jeu de dés, interdit par la loi. Et pendant ce temps,son père manque de parole à son associé ou à son hôte

et met tout son soin à amasser pour son indigne héritier.

Ainsi grossit une fortune démesurée; et pourtant cette

fortune reste insuffisante; il lui manque un je ne sais

quoi.

xxv

Où m'emportes-tu, Bacchus, au moment où je suis tout

plein de toi ? dans quel bois, dans quelle grotte me ravitune inspiration toute nouvelle ? dans quelles cavernesme ferai-je entendre, au moment où je travaille à placerau ciel et dans le conseil de Jupiter le grand et glorieuxCésar? Ce que je veux dire est merveilleux, nouveau;

personne ne l'a dit encore. Comme l'Eviade sur les

montagnes, est tirée de son sommeil pour regarder en

extase, à ses pieds, l'Hèbre, la Thrace blanche de neige,

Page 101: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE III103

le Rhodope334foulé par les barbares, ainsi j'aime à quitterles grands chemins pour admirer les rives et les boissolitaires. 0 maître des Naïadesaas et des Bacchantes dontles mains vigoureuses déracinent les grands frênes, riende ce que je dirai ne sera petit ou vulgaire, mes chantsne seront pas ceux d'un mortel. C'est un danger, maisun danger plein de charme, de suivre Lénée 336,le dieudu vin, couronné d'un pampre vert.

XXVI

J'ai vécu naguère capable de plaire aux belles, et j'aicombattu non sans gloire 33'.Aujourd'hui mes armes etmon luth ont fini de servir; je vais les suspendre auxparois du temple qui protège à gauche la Vénus marine.Placez, placez ici les flambeaux338 brillants, les leviers,les arcs qui s'attaquaient aux portes fermées devant moi.O déesse, souveraine de l'opulente Chypre, de Memphisqui ne connaît pas les neiges de la Sithonie 339,reine, lèveton fouet et frappe, une fois au moins, la fière Chloé.

XXVII

Que le départ de l'impie soit accompagné de mauvais

présages le cri répété de l'orfraie, une chienne pleine,une louve fauve descendant en courant des campagnesde Lanuvium 34°,la femelle d'un renard avec ses petits;qu'un serpent traverse, avec la vitesse d'une flèche, laroute commencée et effraie les chevaux. Je saurai,moi, être pour celle dont le départ me fait trembler, un

prévoyant augure, et avant que l'oiseau qui annonceles pluies

341prochaines aille retrouver ses marais immo-

biles, j'évoquerai par mes prières, du côté de l'Orient,le corbeau qui fait connaître l'avenir.

Sois heureuse, Galatée, je le souhaite, quel que soitle lieu que tu préfères, et souviens-toi de moi. Que lesinistre pivert, que la corneille vagabonde ne t'empêchentpoint de partir. Mais ne vois-tu pas les agitations etles tempêtes provoquées par Orion 342 à son déclin ?

Je connais, moi, les sombres violences de l'Adriatiqueet les maux causés par l'Iapyx

343qui blanchit le ciel. Je

souhaite que les femmes et les enfants de nos ennemisressentent les mouvements aveugles de l'Auster 344à son

Page 102: Horace - Oeuvres

104HORACE

lever, le soulèvementdes flots sombres,qui frappentet

font trembler les rivages.Europeavaitlivréau taureau trompeursoncorpscou-

leur de neige;maisquand elle fut sur la mer, entourée

de monstres,au milieude pièges,elle eut peur malgréson courage.Naguère,dans les prairies,elle s'occupaità

cueillirdes fleurset à en faireune couronnepromiseaux

Nymphes; et maintenant, dans l'obscure clarté de la

nuit, elle ne voyaitque le ciel et l'eau. Au moment où

elle atteignit la puissante île de Crète aux cent villes,elles'écria « Monpère, j'ai oubliéque j'étais ta filleet

j'ai trahi mon devoir, vaincue par ma passion! D'où

viens-je? où vais-je? Une seule mort est trop légère

pour la faute d'une vierge! Suis-je éveillée!est-il réel,le honteux forfait sur lequel je pleure? ou, innocente,

suis-je le jouet d'un vain fantôme qui m'apporte un

songeparlaported'ivoire?Valait-ilmieuxpourmoi faire

surmer un longvoyageou cueillirla fleurnouvelle? Si,en ce moment,on livrait à ma colèrele taureauqui m'a

déshonorée,je ferais tout pour le déchireret briser parle fer lescornesdu monstreque j'ai tant aimé.J'ai perdul'honneur en abandonnant les Pénates paternels, je le

perdsen me faisantattendrechezPluton.Oh! si un dieu

m'entend, qu'il me fasse errer, nue, parmi les lions!

Avant que mes joues,aujourd'huiencorepleines,soient

laides et amaigries,avant que la vieillesseait desséché

mon jeune corps, je veux, belle encore, être dévorée

par les tigres. MéprisableEurope, ton père te pousse,tout absent qu'il est. Pourquoi tarder à mourir? Tu as

heureusementgardéta ceinture;tu peuxla passerautour

de ton coupour te pendreà cet orme! Si tu aimesmieux

la pointedesécueilset des rochers,eh bien! abandonne-

toià laviolencede la tempête,à moinsque tu nepréfères,

toi, fillede roi, filer la laine commeune esclaveet être

livréeà une maîtressebarbare dont tu seras la rivale!»

Vénusétait là, écoutanten souriantcesplaintes,avec

sonfils345,dont l'arcétaitdétendu.Quandellese futassez

amusée « Renonce,lui dit-elle, à ta colèreet à cette

chaudedispute le taureau que tu détestesva venir te

donnerses cornesà déchirer.Tu es la femmede Jupiterl'invincible,et tu l'ignores.Plus de sanglots!Apprendsà

mériter ta haute destinée.Toute une partie du monde

prendra ton nom! »

Page 103: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE III 105

xXVIII

Que faire de mieux dans ce jour consacré à Neptune ?

Apporte vivement, Lydé, le Cécube du cellier, et, si la

sagesse se défend, fais-lui violence. Tu vois midi penchervers son déclin, et cependant, comme si le jour s'arrêtait

dans son vol, tu ne te décides pas à tirer du grenier 346,où

elle attend, l'amphore remplie sous le consulat de Bibu-

lus 347.

Nous chanteronstour à tour je dirai Neptune et lesNéréidesauxcheveuxglauques;tu merépondrasen célé-brant sur ta lyre recourbéeLatone et les traitsde l'agileCynthie348.A la fin, nous chanteronsla déessereine deCnide349et desbrillantesCyclades,cellequi,sur soncharattelé de cygnes,vavisiterPaphos.Ala Nuit nousréser-verons les nénies3so

qui lui sont dues.

XXIX

Descendant des rois tyrrhéniens 351,Mécène, une jarrede vin doux, que l'on n'a pas encore inclinée, des roses

en fleurs, et, pour parfumer tes cheveux, de l'huile de ben

t'attendent chez moi depuis longtemps. Ecarte tout ce

qui pourrait retarder ta venue, et ne passe point ton tempsà regarder de loin la fraîche Tibur, les pentes d'Efula 352

et les sommets de Télégone le parricide 353. Quitte un

instant ta vie opulente et les dégoûts qu'elle apporte;laisse ton palais qui s'élève jusqu'aux nuages, cesse un

moment d'admirer les fumées, les richesses, les bruits de

l'opulente Rome. Souvent les riches aiment le change-

ment souvent, un repas élégant, mais simple, dans une

maison modeste, sans tentures, sans coussins de pourpre,ont déridé leur front inquiet.

Déjà le père lumineux d'Andromède 354 montre les feux

qu'il tenait cachés; déjà Procyon exerce ses ravages et le

Lion, ses fureurs; déjà le soleil ramène la sécheresse; déjàle berger fatigué, avec ses moutons affaiblis, cherche

l'ombre au bord des ruisseaux, les buissons et les brous-

sailles du Silvain; les vents, sur le rivage, s'arrêtent et se

taisent. Tu penses, toi, à ce qu'il faut faire pour la bonne

marche de l'Etat, tu t'inquiètes pour Rome et redoutes

les projets des Sères 355,des Bactres 356sur lesquels régna

Page 104: Horace - Oeuvres

I06 HORACE

Cyrus, des riverains du Tanaïs, en lutte les uns contre les

autres.

Une divinité prévoyante cache l'avenir dans les

ténèbres de la nuit et elle se moque de l'homme dont les

craintes dépassent la limite fixée par elle. Le présent, c'est

à toi de le régler d'une âme égale. Quant au passé, il est

emporté comme le fleuve 35', qui tantôt dans son lit,écoule tranquillement ses eaux vers la mer de Toscane,

tantôt roule des roches rongées, des troncs déracinés, des

troupeaux, des maisons, dans le bruit assourdissant des

montagnes et des forêts voisines, quand les rivières,ordinairement tranquilles, se gonflent furieusement et

débordent.

Celui-là sera maître de lui et aura une existence heu-

reuse qui, chaque jour, pourra dire « J'ai vécu. » Quedemain Jupiter couvre le ciel de noirs nuages ou le rem-

plisse d'un soleil pur il ne fera pas que le passé soit vain,il ne pourra le modifier, il n'empêchera pas tout ce que le

temps a emporté dans sa fuite d'avoir existé. La Fortune,

qui se manifeste volontiers par ses cruautés, ses jeux et ses

caprices, attribue aux uns ou aux autres ses faveurs incer-

taines, et montre sa bienveillance tantôt à moi, tantôt à

autrui. Je la remercie, si elle reste près de moi. Si elle

remue ses ailes pour s'envoler, je renonce à ce qu'elle m'a

donné, je me drape dans ma vertu, et je choisis, sans dot,une condition modeste, mais honnête. Si le mât de mon

bateau gémit sous la poussée du vent d'Afrique, je ne suis

pas homme à m'abaisser à de misérables prières et à

demander par mes supplications que ma cargaison de

Chypre ou de Tyr 358n'aille pas s'ajouter aux trésors d'une

mer avide. Non, mon petit bateau à deux rames suffira

à ma sécurité, et, sur les flots soulevés de la mer Egée, jeserai poussé par la brise et par les Gémeaux.

xxx

J'ai achevé un monument plus durable que l'airain,

plus haut que la ruine royale des Pyramides. Mais la pluiene rongera pas mon œuvre, l'impétueux Aquilon ne pourrala détruire, pas plus que l'innombrable suite des années

et la fuite du temps. Je ne mourrai pas tout entier; la

majeure partie de moi-même évitera Libitine. Je gran-

dirai, toujours rajeuni par les louanges de la postérité,tant que le Pontife montera au Capitole, accompagné par

Page 105: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE III107

la Vierge silencieuse 35".On dira que, né dans le pays où

gronde le violent Aufide 360,où, pauvre en eau, Daunus

régna sur des peuples agrestes, je me suis élevé au-dessusde mon humble condition, et j'ai le premier accommodéles chants éoliens dans d'italiennes cadences. Revêts-toi,Melpomène, d'une fierté due à mes mérites, et veuilleceindre du delphique laurier 361ma chevelure 362,

Page 106: Horace - Oeuvres
Page 107: Horace - Oeuvres

LIVRE QUATRIÈME

i

Vas-tu,Vénus,mepousserencore,aprèsun longrépit,aux exploits amoureux? Epargne-moi,je t'en prie, jet'en supplie. Je ne suis plus tel que j'étais sous le règnede labonneCinare.MèrecruelledestendresDésirs,cessede plier à tes douxcommandementsun hommequ'envi-ron dixlustresont rendumoinssensible.Vaoù t'appellentplus justementlescaressantesprièresdesjeunesgens.Tuagiraisplus à proposen allant, sur les ailesde tes cygnesmerveilleux,fairela fête dans la maisonde PaulusMaxi-mus,si tu cherchesà embraserun cœurfaitpour l'amouril est noble, il est beau, il met son éloquenceau servicedesaccusésdans la peine,il a mille talents, il portera auloin tes drapeaux;et, quand il aura triomphéd'un rivalgénéreuxet seseramoquéde lui, il t'élèvera,près deslacsAlbains363,une statue de marbre dans un temple auxpoutresdecitronnier.Là, tesnarinesrespirerontl'épaissefuméede l'encens,tu te délecterasaux sonsde la lyre,dela flûte bérécynthienne36s,auxquellesse mêleront lesaccordsde la flûtede Pan. Là, deuxfoispar jour, jeunesgarçonset tendresjeunesfillescélébrerontta divinité,enfrappant trois fois le sol de leur pied blanc,à la manièredes Saliens315.

Pour moi, ni femme,ni jeuneadolescentne sont pluspour meplaire,mon amourne pourrait espérerêtre payéde retour; je n'ai plus de joie à lutter avec des amis leverre en main, ni à couronnermon front de fleursnou-velles. Mais hélas! Ligurinus,pourquoices larmesquitombentlentementsur mes joues? Pourquoimesparolesqui, naguère,coulaient faciles,s'arrêtent-ellessur meslèvresdansun silencequi n'a rien de beau? En songe,la

Page 108: Horace - Oeuvres

IIOHORACE

nuit, je te tiens dans mes bras, je te poursuis dans ta fuite

sur le gazon du Champ de Mars, dans les eaux tourbil-

lonnantes du Tibre, ô cruel Ligurinus!

il

QuiconqueveutrivaliseravecPindare366ressemble,Jul-

lus,àceluiquis'envolaaumoyend'ailesqueDédale367lui

fixaau dosavecde lacire,et ildonnera,luiaussi,sonnom

à la mer verdâtre.Commeun fleuvequi descenden cou-

rant des montagnes,et, grossipar lespluies,recouvreses

rives habituelles,ainsi bouillonnesans mesurePindare,à la boucheprofonde.

Il mérite le laurier d'Apollon368,soit que, dans ses

audacieuxdithyrambes,il accumuledes termesnouveaux

et se laisseemporterpar des rythmesaffranchisde toute

règle;soitqu'ilchantelesdieux,lesroisenfantsdesdieux,

par qui furent justementfrappésà mort les Centaures369

et la Chimères370crachant les flammeseffroyables;soit

qu'il célèbrele pugilisteou le cavalierrentrant chez lui

avec la palme d'Olympie371qui l'égaleaux dieux, et le

glorifiemieux que ne feraient cent statues; soit qu'il

pleurel'hommejeuneraviauxlarmesdesafiancée,porteaux nuessa force,son âme,son admirablecaractèreet le

ravissepar ses chants au noir Pluton.Unsoufflepuissant,Antoine,soutientlecygnedircéen372

toutesles lïoisqu'il montejusqu'auxnuages.Je suis,moi,commel'abeilledu Matinus373;péniblement,je butine

le thymodorantdanslaprofondeurdesbois,et jefaçonne,avecpeine, humblepoète, mes vers sur les frais rivagesde Tibur.

C'està toi,poèteà l'archetvigoureux,dechanterCésar,

lorsque,orné du laurierdû à sa victoire,il traînera der-

rière lui, sur la pente sacrée,les farouchesSicambres;

Auguste,ledon leplusprécieuxet leplusbeauquefirent

et ferontjamaisàla terre lesdestinset lesdieuxfavorables,mêmes'il était possiblede revenirà l'antique âge d'or.

C'est à toi de chanter les jours de fête, les jeux publicsdonnésdans la ville pour le retour souvent implorédu

vaillantAuguste,et le forum sans procèsg'°.

Alors,si mesparolesméritentd'être entendues,j'ajou-terai volontiersma voix à la tienne, et, pour recevoir

César,je seraiheureuxdechanter «0 belle,ôadmirable

journée!» Tut'avancerasen criant Io, triomphe!et avec

Page 109: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE IV III

toute la ville, je dirai et répéterai Io, triomphe! Et nous

offrirons de l'encens aux dieux bienveillants. Tu sacri-fieras dix taureaux et dix vaches; j'immolerai, moi, un

jeune veau qu'on vient de séparer de sa mère et qui gran-dit, pour cet objet, dans les épais pâturages son front est

comme le croissant lumineux de la lune à son troisième

lever; on y voit une tache d'une blancheur de neige; le

reste du corps est de couleur fauve.

III

Celui que tu as une seule fois, Melpomène, regardéd'un œil bienveillant au moment de sa naissance, celui-làne s'illustrera pas commepugiliste aux jeux isthmiques 375,il ne devra pas la victoire au char achéen376traîné par uncheval ardent, il ne sera pas un chef honoré, pour ses

exploits guerriers, du laurier d'Apollon3" et contemplé

par tous au Capitole pour avoir abattu les rois superbesqui menaçaient Rome. Non, mais les eaux qui arrosent lafertile Tibur et les bois épais

378le rendront célèbre dansla poésie éolienne. A Rome, la reine des villes, on me jugedigne de figurer dans les aimables choeurs des poètes; et

déjà je sens moins les morsures de l'envie. 0 Piénde379,surla lyre d'or tu modules des chants harmonieux; si tu le

voulais, tu pourrais donner aux poissons muets le chantdu cygne. C'est uniquement à toi que je dois d'être montré

par les passants comme le poète qui fait résonner la lyrelatine. Mon inspiration et ma gloire, si j'ai de la gloire,c'est ton bien.

IV

Semblable à l'oiseau ministre de la foudre, que le roides dieux fit régner sur les oiseaux vagabonds, en récom-

pense de sa fidélité au sujet du blond Ganymède 380;un

jour sa jeunesse et sa vigueur héréditaire l'avaient jeté hors

du nid quand il n'avait pas encore l'expérience des

fatigues, et les vents printaniers, chassant les nuages et

dissipant sa crainte l'avaient poussé à faire des efforts,

auxquels il n'était pas habitué; d'un vigoureux élan il

s'était jeté en ennemi sur les bergeries, et son goût pourle sang et pour la bataille l'avait lancé sur les serpents quirésistaient à son attaque.

Semblable encore au lionceau, sevré de la mamelle de

Page 110: Horace - Oeuvres

112 HORACE

sa mère au poil fauve, qui se dresse devant le chevreuil

pour le déchirer de ses dents nouvelles, au moment où la

bête ne voit que les gras pâturages.Ainsi Drusus, au pied des Alpes Rhétiques 381,apparut

aux Vindélices et leur apporta la guerre (d'où vient l'habi-

tude qui, de toute antiquité, mit dans la main de ces

peuples la hache des Amazones, j'ai remis à plus tard cette

recherche; aussi bien n'est-il pas permis de tout savoir).

En tout cas, ces hordes qui longtemps étendirent au loin

leurs victoires, furent à leur tour vaincues par la sagesse

d'un jeune homme; et elles connurent par expérience ce

que peuvent réaliser l'esprit et le caractère, quand ils sont

formés dans le sanctuaire d'une maison protégée par les

dieux, ce que peut obtenir Auguste dont le cœur paternela façonné les jeunes Nérons. Les braves ont pour pèresdes braves et des vaillants; chez les jeunes taureaux, chez

les jeunes chevaux se retrouve la force paternelle; les

aigles farouches n'engendrent pas la timide colombe.

Mais les principes renforcent l'énergie naturelle, et la pra-

ticjuedu bien fortifie le cœur. Quand les mœurs s'affai-

blissent, le mal enlaidit les âmes bien nées.

Ta dette envers les Nérons est attestée, ô Rome, par

le Métaure 382,par la défaite d'Hasdrubal, par ce beau

jour où les ténèbres se dissipèrent dans le Latium et où la

gloire vint nous sourire pour la première fois depuis le

moment où le sauvage Africain lança son cheval à travers

les villes italiennes, comme la flamme dévorant les bois

de pins, comme l'Eurus bondissant dans la mer de Sicile.

Dès lors, sans arrêt, la jeunesse romaine vit croître ses

succès; dans les temples dévastés par l'invasion sacrilège

des Carthaginois, se relevèrent les statues des dieux, et,

enfin, le perfide Hannibal prononça ces paroles« Nous ne sommes que des cerfs, proie assurée à la

rapacité des loups; sans y être contraints, nous nous achar-

nons contre des gens, auxquels il suffirait de nous dérober

et d'échapper pour mériter le plus beau triomphe. Le

peuple qui, vaillamment, après l'incendie de Troie,

amena jusqu'aux villes italiennes ses dieux, ses enfants,

ses vieillards, ballottés sur la mer de Toscane, ressemble

à l'yeuse émondée par la hache sur l'Algide38sau noir

feuillage au milieu des pertes, au milieu des massacres,

c'est de son épée qu'il tire ses ressources et sa force. Les

têtes coupées de l'Hydre384 ne repoussaient pas plus

vigoureuses sous les yeux d'Hercule, navré de sa défaite;

il n'était pas plus extraordinaire, le monstre 385 que pro-

Page 111: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE IV 113

duisit la Colchide ou Thèbes, la ville d'Echion. Plonge

ce peuple dans l'abîme il en sort plus beau; combats

contre lui il se couvrira de gloire en abattant un vain-

queur, jusqu'alors invaincu; il fera une guerre dont par-leront les femmes des combattants. Je n'enverrai plus à

Carthage d'orgueilleux messages 381. Toutes nos espé-rances sont mortes, oui, bien mortes, et, avec elles, la

fortune de notre nom, puisque Hasdrubal est mort. »

Rien ne sera impossible au bras des Claudius Jupiter,dans sa bienveillance, les protège; les soins et la sagesse

d'Auguste leur permettent de réussir dans les difficultés

de la guerre.

v

O toi que nous a donné la bonté divine, excellent gar-

dien de la race de Romulus, ton absence dure depuis

trop longtemps. Tu avais promis un prompt retour à la

sainte Assemblée du Sénat reviens, ô bon chef, rends la

lumière à ta patrie. Quand le peuple voit ton visage briller

comme le printemps, le jour coule plus agréable et le

soleil est plus éclatant. Comme une mère, dont le souffle

jaloux du Notus 387retarde le fils au-delà de la mer de

Carpathos et le retient pendant plus d'une année loin de

sa douce maison, appelle le jeune homme par ses vœux

et ses prières, consulte pour lui les présages et ne quitte

point des yeux les sinuosités du rivage; ainsi la patrie,souffrant dans sa fidélité et ses regrets, veut revoir

Auguste.Les bœufssont en sécuritédans les champs;Cérèset

l'abondante Félicité388nourrissent les campagnes; lesmarins lancent leurs barques sur une mer pacifiée; labonne foi redoute un simple.soupçon;les maisonssont

pures, elles ne sont pas souilléespar l'adultère; la loi etla coutume389ont suppriméles souilluressacrilèges;lesmères sont fièresd'avoir des enfants qui ressemblentàleurspères; le châtimentsuit de près la faute. Qui pour-rait craindre le Parthe, le Scythe des pays glacés,lesenfantsde la Germaniehérisséede forêts,tant que Césarest vivant? Qui peut s'inquiéter d'une guerre avec lesfarouchesIbères390?ChaqueRomainachèvesa journéesur lescollinesdont il est le propriétaire;ilmariesavigneaux arbres faitspour la recevoir391;puis, tout heureux,ilrentrechezluipourboire,et, ausecondservice,t'invoquecommedieu; il t'adresse maintesprières, vide la patère

Page 112: Horace - Oeuvres

114 HORACE

en ton honneur, mêle ton nom divin à ceux des Lares,comme faisait la Grèce pour Castor et le grand Hercule

dont elle garde le souvenir.

«Chef excellent, donne à l'Hespérie de longs jours de

fête! u Voilà ce que nous disons, à jeun, le matin, quandle jour n'est pas commencé; voilà ce

quenous répétons

quand nous avons bu et que le soleil se plonge dans

l'Océan.

VI

o dieu, tu as vengé sur les enfants de Niobé 391l'arro-

gance de leur mère, tu as puni Tityos, le ravisseur, et

Achille de Phtiotide 393,au moment où il allait vaincre la

puissante Troie. Ce guerrier, supérieur à tous les autres,ne te valait pas, bien que, fils de Thétis la marine, il se fût

acharné à ébranler, de sa lance redoutable, les tours dar-

daniennes. Comme un pin mordu par le fer, ou un cyprèsdéraciné par l'Eurus, il tomba, couvrant de son corps une

large portion de terre, et sa tête se posa dans la poussière

troyenne. Il ne se serait pas, lui, enfermé dans le cheval

prétendument offert à Minerve 394,afin de tromper les

Troyens, en fête ce jour-là pour leur malheur, et la cour

de Priam, toute joyeuse de danses. Mais, au grand jour,il aurait fait sentir le poids de sa fureur aux ennemis cap-tifs, et il aurait hélas hélas livré aux flammes grecquesles petits enfants qui ne parlent pas encore, ceux mêmes

qui sont encore dans le ventre de leur mère, si le père des

dieux, touché par tes paroles, Apollon, et celles de l'ai-

mable Vénus 395,n'avait décidé qu'Enée construirait de

nouveaux murs sous de meilleurs auspices.0 joueur de lyre, maître de Thalie396l'harmonieuse,

Phébus, qui baignes tes cheveux dans le Xanthe397,défendsla gloirede la Camènedaunienne,ô jeuneDieudesrues. C'est à Phébus398

que je dois l'inspiration,c'estPhébusqui m'a enseignél'art des vers et donné le nomde poète.

Et vous,jeunesfilleset jeunesgarçonsdesplusillustresfamilles,protégésde la déessede Délos399qui arrête deson arc les lynx et les cerfs dans leur fuite, observezlemètre lesbienet suivezmonbras qui vousbat la mesure.Chantezsuivantle rite le filsdeLatone,chantezla déessedesNuits 10°et son croissantlumineux,chantezcellequifécondelesmoissonsetaccélèrela courserapidedesmois.Quandtu serasmariée,jeunefille,tu pourrasdire « Au

Page 113: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE IV II5

moment où le siècle nouveau ramenait les jours de fête,

j'ai répété le chant aimé des dieux dont le poète Horace

m'avait appris la cadence. »

VII

Les neiges se sont enfuies; déjà le gazon reparaît dans les

champs et les feuilles sur les arbres. Comme chaque année,la terre se transforme; les fleuves décroissent et coulent

à l'intérieur de leurs rives. La Grâce, avec les Nymphes,et ses deux sœurs, osent, toutes nues, conduire les danses.

Ne compte pas sur l'immortalité tu es averti par la fuite

des années et des jours que l'heure emporte et renouvelle.

Les zéphyrs rendent le froid moins vif; le printemps est

chassé par l'été, qui mourra à son tour, quand l'automne

aura répandu ses dons et ses fruits; puis reviendra l'hiver,la saison où rien ne pousse.

Et pourtant les mois, dans leur cours rapide, réparentles dommages causés par le ciel 401.Mais nous, quand nous

sommes descendus où sont le pieux Enée, le riche Tullus

et Ancus 4°2,nous ne sommes plus que cendre et ombre

vaine. Qui sait si aux jours vécus jusqu'à aujourd'hui, les

dieux en ajouteront d'autres demain ? Du moins ce quetu auras employé à satisfaire tes goûts échappera aux

mains avides de ton héritier. Quand une fois tu seras

mort et que Minos 103aura rendu sur toi un jugement

solennel, ce n'est pas ta noblesse, Torquatus, ni ton élo-

quence, ni ta piété qui te rappelleront à la vie Diane ne

délivre pas des ténèbres infernales le pudique Hippo-

lyte 404, et Thésée est sans force pour rompre les liens quiretiennent son cher Pirithoüs 405.

VIII

Volontiers, Censorinus, je donnerais à mes compa-

gnons des patères et des bronzes d'art qui leur plairaient,

je leur donnerais des trépieds a°e, ces récompenses attri-

buées aux Grecs courageux, et dans cette distribution

tu ne serais pas le plus mal partagé, si j'avais en abon-

dance ces objets d'art dus à Parrhasius ou à Scopas 40',

habiles à représenter un homme ou un dieu, l'un par le

marbre, l'autre par la couleur. Mais je n'en ai pas les

moyens; et, pour toi, ni ta fortune, ni tes goûts ne te

Page 114: Horace - Oeuvres

II6 HORACE

privent de ces jolieschoses.Tu aimes les vers je peuxt'offrir des vers et te dire la valeurd'une telle offrande.

Les inscriptionsgravéessur les marbrespublics, quiressuscitentet font revivrelesgrandsgénérauxaprèsleurmort, la fuite rapide d'Hannibal, victimedes menacesqu'il lançait sur l'Italie, l'incendiede l'impie Carthage,rien ne proclame,avecplus d'éclatque les Piéridesde laCalabre408,la gloiredu héros enrichipar sa victoireenAfriqued'un glorieuxsurnom409.Non, si lesœuvreslitté-rairesétaientmuettessurnosbellesactions,nousn'aurionspas la joiede la récompense.Que serait-iladvenudu filsdeMarset d'Ilia, sile silencejalouxn'avaitpaspermisdeconnaîtrelesméritesde Romulus? Eaque

410est soustraitaux eauxdu Styxpar le génie,la faveuret leschantsdes

poètes tout-puissants,qui le placent dans les Iles For-tunées.La Museempêchede mourirle hérosdignede lagloire; la Muse lui donne le bonheur dans le ciel.Ainsil'énergiqueHercules'assied,suivantson désir,à la tablede Jupiter; ainsil'astre éclatantdes Tyndarides"1 sauvedu fond des eauxlesnaviresbattuspar la tempête; ainsiBacchus,le frontornéd'un pamprevert,donneauxvœuxdes humainsune issuefavorable.

IX

Ne croispasqu'ils soientdestinésà périr lesversque,par un art encore inconnu,je modulesur les cordesdema lyre, moi qui suisné au bord de l'Aufide412dont lesflotsrésonnentau loin.Non, silapremièreplaceestréser-vée à Homère,le poète de Méonie,ellesne restent pasignorées,les Camènesde Pindare413et de Simonide414,ni celled'Alcée,ni laMusemajestueusede Stésichore415.Le tempsn'a paseffacéles jeuxaimablesd'Anacréon416;il respiretoujours,l'amourde la jeunefemmeéolienne417ellesviventencore,lespassionsbrûlantesqu'elle confiaità sa lyre.

Hélène, la Lacédémonienne,n'est pas seule à avoirbrûlé d'un amour coupable,à s'être pâmée devant descheveuxbien peignés,un vêtementbrodé d'or, un luxeet un cortègeroyal. Tercer418n'a pas été le premier àemployerl'arc crétoispour lancerses flèches. Ilion n'apas été la seulevilleà souffrird'un siège.Le grand Ido-ménée et Sthélénus419n'ont pas été seuls à livrer descombatsdignesd'être chantéspar lesMuses.Le farouche

Page 115: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE IV 117

Hector,l'ardent Déiphobe n'ont pasété les premiersàêtre rudement frappés en défendant des enfants et dechastesépouses.Il y a eu des bravesavantAgamemnon.Mais ils n'ont pas été pleurés, ils demeurentinconnus,plongésdans une nuit profonde,parce qu'ils n'ont pasété chantéspar un poète sacré. La distanceest presquenulle entre la lâchetéqu'on ignoreet le couragedont onne parle pas.

Maisje ne tairaipas, Lollius,ton nomdansmesécrits;je ne te laisseraipas sans louanges;je ne permettraipas,non, je ne permettrai pas à l'oubli jaloux de recouvrirtous tes travaux. Tu as un esprit éclairé,de la loyautédans le bonheur comme dans l'adversité; tu es impi-toyablepour la cupiditécriminelle,désintéressédans lesquestionsd'argent, cet argent auquel on sacrifietout;tu n'as pas eu l'âme d'un consulseulementpendant unan, mais chaque fois que, juge honnête et loyal, tu aspréféréle bienà l'utile, repousséde haut lesprésentsdesaccuséscoupables,et à travers leurs troupes hostiles,victorieusementdéployétes armes.

C'est à tort qu'on appelleraheureuxl'homme posses-seur d'une grandefortune. Il méritemieuxcenom,celuiqui sait employersagementlesdons desdieuxetsuppor-ter les misèresd'une vie médiocre,redoute le mal plusque la mort et n'a pas peur de mourirpour ses amisoupour sa patrie.

x

O toi, jusqu'à présent si cruel et si fier des dons deVénus,quandtes joues,dont tu es si vain,se couvrirontd'un duvet auquel tu ne pensespas aujourd'hui, quandseront coupés ces cheveuxqui flottent sur tes épaules,quandtu perdrasce teint plus fraisque la rosepourprée,et que la figuredeLigurinusdeviendrarugueuse,tu diras,hélas! chaque fois que tu verras ces changementsdanston miroir « Pourquoin'avais-jepas,enfant,mespenséesd'aujourd'hui? Oupourquoiavecmessentimentsactuels,mes jouesne retrouvent-ellespas leur éclat? »

XI

J'ai chez moi une pleine jarre de vin d'Albe 421 qui a

plus de neuf ans; j'ai dans mon jardin, Phyllis, de l'ache

Page 116: Horace - Oeuvres

II8 HORACE

pour faire des couronnes; j'ai du lierre en abondance pourembellir tes cheveux relevés. L'argenterie rit dans la

maison; l'autel, orné de feuillages sacrés, demande à être

arrosé du sang d'un agneau. Tous les esclaves s'em-

pressent garçons et filles courent çà et là; la flamme

pétille et roule ses tourbillons de fumée noire.

Mais tu dois savoir à quelles réjouissances je t'invite

tu fêteras les ides qui coupent en deux avril le mois de

Vénus marine. C'est pour moi, à juste titre, un joursolennel et presque plus sacré que mon propre anniver-

saire, car c'est de ce jour que mon cher Mécène compteles années qui viennent à lui 423.

Le jeune Télèphe, que tu aimes, n'est pas fait pourtoi; il aétépris parune jeunefemme,richeet amoureuse,dont il est l'heureux esclave. Le sort de Phaéton'z',brûlé par la foudre,doit effrayerceuxqui ne saventpasmodérer leurs espérances;le chevalailé Pégase, désar-

çonnantsoncavalierterrestre,Bellérophon t'apprend,par un exempleterrible,à ne vouloirque ce que tu peuxavoir, à regarder comme sacrilègeun espoir excessif,à renoncerà un amant qui ne te convientpas. Eh bien!

Phyllis,toi qui serasmondernieramour(carje n'aimeraiaucuneautre femmeaprès toi), apprendsles chantsqueredira ta voixaimable le chant calmeles noirs soucis.

XII

Déjà les ventsde Thrace428,quiaccompagnentleprin-tempset calmentla mer, gonflentles voiles;les prés nesontpluscouvertsde glace,les rivièresne grondentplus,enfléespar lesneigesde l'hiver. Il fait sonnid enpleurantsur le sort d'Itys, l'oiseauinfortuné opprobreéternelde la maisonde Cécrops,qui tira une horriblevengeancede lapassiond'un roibarbare.Sur legazonencoretendre,ceux qui gardent les grassesbrebis disent des vers en

s'accompagnantde la flûte de Pan'ze, et ils charment ledieuamidestroupeauxet desnoirescollinesde l'Arcadie.

La saisonallumelasoif,Virgile.Maissi tu veuxsavou-rer la liqueur de Liber presséeà Calés429,ô client denobles jeunesgens, apporte des parfumsen échangedemon vin. Un tout petit flaconde parfumfera sortir des

entrepôtsde Sulpicius430,où il est maintenant,un ton-neau de ce vin qui ouvre largementla voieà l'espéranceet sait dissiper l'amertume des soucis. S'il te tarde de

Page 117: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE IV 119

goûter cette joie, viens vite avec ton parfum car je n'ai

pas l'intention de t'arroser de mon vin, sans rien te

demander en échange; je ne suis pas riche, et ma maison

ne regorge pas de biens. Ne tarde pas, ne songe pas au

bénéfice possible; pense seulement au bûcher funèbre, et,

quand c'est encore faisable, mêle un peu de folie aux

pensées sérieuses il est doux, à l'occasion, de perdre la

raison.

XIII

Les dieux, Lycé, ont entendu mes vœux; ils les ont

entendus, Lycé. Tu es une vieille femme, et pourtant tu

veux paraître belle; tu joues et tu bois sans pudeur; et,

quand tu as bu, tu réclames, d'une voix qui tremble,l'amour qui se fait attendre. L'amour, il est sur les belles

joues de Chia, qui est jeune et sait jouer de la lyre.L'amour fait fi des vieux chênes; dans son vol, il passesur eux sans s'arrêter; il te fuit, parce que tes dents sont

jaunes, parce que tu es laide avec tes rides et tes cheveux

blancs. Ni la pouipre de Cos 431, ni les brillantes pierreriesdont tu te couvres ne te rendront les instants que le

temps, qui s'envole, a engloutis dans une longue suite

d'années. Où sont allés ta grâce, hélas! et ton teint, et

la beauté de ta démarche ? Que reste-t-il de cette Lycé

qui respirait l'amour, qui m'avait ravi à moi-même ? Tu

fus heureuse après Cinare 432et connue pour tout ce qu'il

y avait d'aimable en toi. Mais à Cinare les destins n'ont

accordé que quelques années, et ils ont conservé long-

temps Lycé; ils lui ont donné l'âge de la vieille corneille

ainsi les bouillants jeunes hommes pourront, non sans

rire, voir le flambeau tomber en cendres.

XIV

Comment, par quels hommages, par quels honneurs,l'affection des Pères conscrits et des Quirites pourra-t-elle,

Auguste, éterniser le souvenir de tes vertus dans les ins-

criptions et le récit durable de nos annales ?

Tu es le premier parmi les grands, en tout lieu où le

soleil éclaire le monde habité. Récemment encore, les

Vindélices, soustraits jusqu'alors à la loi romaine, ont

appris le pouvoir de tes armes. Avec tes soldats, Drusus

a abattu les Génaunes, qui ne sont jamais tranquilles, et

Page 118: Horace - Oeuvres

120 HORACE

les Breunes rapides avec leurs forts élevés sur lesommetdes Alpes redoutables;dans son ardeur, il leura infligédes pertes doublesde cellesqu'il avait subies.Son frère aîné, Tibère434a engagéune rude guerre, etsous tes auspices favorables,il a mis en déroute lesRètes436barbares.C'était un beau spectaclede le voir,dans la bataille, frapper de rudes coups des poitriness'offrantlibrementà la mort tel à peu près l'Auster436

soulevantles flotsindomptés,avecle chœurdesPléiades

qui déchirentlesnuages,il harcelaitsansrépit les batail-lonsennemiset lançaitdanslefeu de labataillesonchevalfrémissant.Commeroule l'Aufide4" à tête de taureau,qui baignele royaumede l'ApulienDaunus438,lorsqu'ilest en fureur et se prépareà inondereffroyablementles

cultures;ainsiTibère, danssonélan impétueux,démolitles bataillonscouvertsde fer, les moissonnadespremiersauxdernierset, victorieuxsanssubirdepertes,lescouchaà terre; mais,c'est toi qui lui avaisdonnétes troupes,tes

planset tes dieux.En effet, du jour où Alexandriesuppliante t'ouvrit

sesports et son palaisabandonné,la Fortune te souritau bout de trois lustres, elledonnaà la guerreune heu-reuseissue439,et, commetu l'avaisdésiré,couvritd'hon-neur et de gloire la fin de tes campagnes.Le Cantabre

jusqu'alorsinsoumis,le Mède, l'Indien, le Scythevaga-bond sont en admirationdevant toi, ô puissantprotec-teur de l'Italie et de Rome,maîtressedu monde.Le Nilet l' Ister qui cachent leurs sources, le Tigre rapide,l'Océanet sesmonstres,quigrondeenBretagne,à l'extré-mité du monde, la Gaule intrépide devant la mort, larude Espagne,tous t'obéissent;et les Sicambresamisdu

carnagedéposentlesarmeset te vénèrent440.

xv

Monintentionétait de chanterlescombatset lesvillesvaincues;maisPhébus, me grondantsur sa lyre, m'em-

pêche de déployermes petites voilessur la mer deTos-cane441.

Ton siècle,César,a ramenédansnoschampslesmois-sonsabondantes;il a rendu à notre Jupiter les drapeauxarrachésauxportesorgueilleusesdesParthes; lesguerresterminées,il a ferméle templedu Janus romain44Z;il arefréné la licencesortie du droit chemin, il a chassé le

Page 119: Horace - Oeuvres

ODES. LIVRE IV 121

vice; il a restitué les anciennes règles de vie qui ont faitla grandeur du nom latin et des forces italiques, et parlesquelles la majesté de l'empire s'est étendue des paysoù le soleil se lève jusqu'à l'Hespérie, où il se couche.

Tant que César veille sur l'Etat, la tranquillité publiquene sera pas troublée par les guerres civiles, les violences,la colère qui forge les épées et sème l'inimitié entre lesmalheureuses cités. Les lois de César ne seront pasenfreintes par les riverains du Danube profond, les Gètes,les Sères, les Perses perfides, les peuples nés au bord duTanaïs 443.

Nous, Romains, les jours de travail comme les joursde fête, au milieu des dons du joyeux Bacchus, avec nosenfants et nos femmes, nous adresserons d'abord auxdieux les prières régulières; puis, accompagnant nos verssur les flûtes lydiennes 444,nous chanterons, à la manièrede nos pères, les vaillants chefs d'autrefois, Troie,Anchise et la postérité de Vénus nourricière.

Page 120: Horace - Oeuvres
Page 121: Horace - Oeuvres

CHANTSÉCULAIRE

Page 122: Horace - Oeuvres
Page 123: Horace - Oeuvres

Phébus, et toi, Diane, reine des forêts, gloire brillante

du ciel, dieux toujours adorables et toujours adorés,

donnez-nous ce que nous vous demandons par nos prières,en cette sainte journée où les vers sibyllins prescriventde faire chanter par des vierges choisies et de purs jeunes

gens un hymne en l'honneur des divinités protectricesdes sept collines.

Soleil nourricier qui, sur ton char éclatant, fais naître

et finir le jour, qui renais à la fois différent et semblable,

puisses-tu ne rien voir de plus grand que la ville de Rome

Toi qui adoucis les souffrances des accouchées arrivées

à leur terme, veille sur les mères, Ilithyie, ou Lucine, si

tu préfères ce nom, ou Génitalis 445! Déesse, fais vivre nos

descendants, favorise les sénatus-consultes relatifs aux

unions conjugales et la loi sur lemariage, faite pour don-

ner à Rome de nouveaux enfants. Ainsi, après cent dix ans,le cercle se fermera et ramènera les chants et les jeuxdevant une foule nombreuse, pendant trois jours lumi-

neux et autant d'agréables nuits.

Et vous, Parques4", aux prédictions véridiques,puissel'ordre immuabledeschosesmaintenircequi a étéune fois décidé! faites qu'aux destins accompliss'ajoutent des destins favorables!Que la terre, fécondeen moissonset en bétail,donneà Cérès447une couronned'épis! Que tout ce qu'elle produit soit nourri par leseauxet lessoufflessalutairesde l'air!

Laissetes flèchesdans ton carquois;soisdoux et bon,écoutelesprièresdes jeunesgarçons,Apollon.Reinedesastres,déessedu croissant,Lune, écouteles jeunesfilles.

Si vraiment Rome est votre ouvrage; si le rivageétrusquea été occupépar les bataillonstroyens,par ceuxdu moinsqui avaientreçu l'ordre de porterailleurs,dans

Page 124: Horace - Oeuvres

126 HORACE

une course favorable, leurs dieux lares et leur ville, et à

qui, dans l'incendie de Troie, le pieux Enée, survivant

à sa. patrie, ouvrit, sans dommage, une large route pour

leur assurer mieux que ce qu'ils avaient laissé, ô dieux,

donnez de bonnes mœurs à la jeunesse docile; donnez,

dieux, le repos à la vieillesse paisible; donnez à la race

de Romulus, la richesse, des enfants, la gloire!

Qu'il obtienne de vous ce qu'il vous demande par le

sacrifice de bœufs blancs, l'illustre descendant de Vénus

et d'Anchise vainqueur sur le champ de bataille, clé-

ment pour l'ennemi vaincu. Déjà, sur terre et sur mer, le

Mède craint la puissance de son bras et tremble devant la

hache albaine; déjà les Scythes et les Indiens, si orgueil-

leux naguère, viennent lui demander des ordres; déjà la

Bonne Foi, la Paix, l'Honneur, la Pudeur d'autrefois, la

Vertu méconnue osent revenir, et l'heureuse Abondance

reparaît avec sa corne pleine.

Si Phébus, le prophète, le beau dieu à l'arc brillant,cher aux neuf Camènes,dont l'art salutairesoulageles

corpsépuisés449,voit d'un œil favorableles hauteursdu

Palatin, qu'il donne le bonheur à Rome et au Latium

pendantun nouveaulustreet un avenirtoujoursmeilleur.

Et que Diane, souverainesur l'Aventin et sur l'Al-

gide450,prenneen considérationles prièresdes Quindé-cemvirset prêteuneoreillefavorableauxvœuxdesjeunes

gens.Telssontlessentimentsde Jupiteret de tous lesdieux;

j'en rapportechezmoi l'heureuseespérance,lacertitude,

après avoir chantéen chœur les louangesde Phébus et

de Diane.

Page 125: Horace - Oeuvres

ÉPODES

Page 126: Horace - Oeuvres
Page 127: Horace - Oeuvres

I

Tu iras, ami Mécène, sur nos liburnes 451,au milieudes gros navires garnis de tours, prêt à prendre ta part,au péril de ta vie, des dangers courus par César. Quevais-je faire, moi, qui trouve la vie douce avec toi, odieuse

sans toi ? Continuerai-je, comme tu me l'ordonnes, à

jouir d'un loisir qui ne m'est agréable que près de toi ?

ou bien partagerai-je tes fatigues avec cette résolution quiconvient aux hommes énergiques ? Oui, je les partagerai;sur les sommets des Alpes, dans le Caucase inhospitalier,et jusqu'au dernier golfe de l'Occident, je te suivrai d'uncœur vaillant. Tu vas peut-être me demander quelle aide

mon labeur apportera au tien, quand j'ai si peu de goût

pour la guerre et une santé si médiocre. Avec toi, j'éprou-verai moins cette crainte que l'absence accroît. Ainsi,

quand les petits oiseaux n'ont pas encore de plumes, leur

mère redoute moins l'attaque des serpents si elle est avec

eux que si elle les a laissés; et pourtant sa présence n'aug-menterait guère leur sécurité.

Volontiers, je ferai cette expédition et n'importe quelleautre, dans le seul espoir d'obtenir tes bonnes grâces; jene demande pas à atteler à mes charrues un plus grandnombre de bœufs, ni à envoyer, avant l'été, mes trou-

peaux de Calabre en Lucanie m, ni à étendre, sur la hau-

teur, ma blanche villa jusqu'aux murs circéens de Tus-

culum 411. Je dois à ta bonté une fortune suffisante. Jen'amasserai point d'argent pour le cacher dans la terre,comme l'avare Chrêmes 454, ou le gaspiller comme un

dissipateur et un débauché.

Page 128: Horace - Oeuvres

130HORACE

II

« Heureuxcelui qui, loin des affaires, comme les géné-rations d'autrefois, travaille avec ses bœufs les champspaternels, sans souci de l'usure; qui n'est point éveillécomme soldat par l'éclatante sonnerie de la trompette;qui n'a pas à redouter la mer en fureur; qui fuit le forumet les fières maisons des grands personnages 465.Quandles boutures de la vigne sont vigoureuses, il les marie auxhauts peupliers; il regarde dans un fond de vallée les

troupeaux errants des bœufs mugissants; il coupe avec le

sécateur les branches inutiles, en greffe d'autres qui pro-duiront davantage, enferme dans des amphores bien net-

toyées le miel qu'il a pressé, tond ses brebis sans qu'ellesrésistent. Quand l'Automne élève dans les campagnes satête embellie de fruits mûrs, comme il est heureux de

cueillir les poires sur l'arbre qu'il a greffé et les raisins

couleur de pourpre; il te les offre, Priape, et à toi aussi,vénérable Silvain gardien des limites. Sa joie est de secoucher sous une yeuse antique ou sur un gazon touffu.

Et, pendant ce temps, l'eau coule entre des rives éle-

uvées457;les oiseaux, dans les bois, font entendre leurschants plaintifs, et le bruit des sources aux eaux tombantes

porte à la douceur du sommeil.

Quand l'hiver et le tonnerre de Jupiter ramènent la

pluie et la neige, il pousse, d'un côté et de l'autre, avectous ses chiens, les sangliers impétueux contre les filets

qu'il a tendus; suspend à une perche lisse ses rets à

larges mailles pour attraper les grives gourmandes, et il

prend au lacet le lièvre timide et la grue, oiseau de pas-sage il sera ainsi agréablement payé de ses fatigues.

Avec de tels passe-temps, comment ne pas oublier lessoucis et les peines de l'amour ? Supposez maintenant

qu'à côté de moi une chaste épouse veille sur la maisonet sur les enfants chéris; que, semblable à la Sabine 458,àla femme, brûlée du soleil, de l'agile Apulien, elle amassele bois sec sur la pierre sacrée du foyer, au moment oùva rentrer son mari fatigué; qu'enfermant dans les claiesses fécondes brebis, elle traie jusqu'à la dernière goutteleurs mamelles gonflées; qu'elle tire du tonneau le bonvin de l'année et prépare le repas sans rien acheter; alors

je laisserais volontiers tous les coquillages du Lucrin 46%le turbot ou le sarget apportés dans nos régions par la

Page 129: Horace - Oeuvres

ÉPODES 131

tempête grondant sur la mer orientale; je ne me mettrais

pas avec plus de plaisir dans l'estomac une pintade ou

un francolin '6°, que des olives cueillies sur les plus belles

branches, l'oseille des prairies, la mauve qui rafraîchit

le corps échauffé, l'agneau sacrifié aux fêtes Terminales 461,

le chevreau soustrait à la voracité du loup. Quelle joie,

pendant ces repas, de voir les moutons repus se hâter vers

l'étable, les bœufs fatigués traîner péniblement le soc

renversé de la charrue, et l'essaim des esclaves, richesse

de la maison, s'asseoir autour de la flamme du foyer! »

Ayant ainsi parlé, l'usurier Alfius, qui veut, à l'entendre,

devenir paysan, fait rentrer tout son argent pour les Ides

et cherche à le placer pour les Calendes "2.

III

Si jamais homme a, d'une main sacrilège, étranglé son

vieux père, qu'on lui fasse manger de l'ail, l'ail plus ter-

rible que la ciguë 413.0 dures entrailles des moisson-

neurs Qu'est-ce que ce poison qui dévore mon intestin ?

A-t-on, sans m'en rien dire, fait cuire dans ces herbes du

sang de serpent ? Est-ce Canidie 464qui a préparé ce mets

détestable ? Quand Médée se pâma d'admiration devant

le beau chef des Argonautes, à l'exclusion de tous ses

compagnons, c'est de ce poison qu'elle frotta Jason465,

pour l'envoyer soumettre les taureaux à un joug inconnu

d'eux; c'est dans ce poison que, pour se venger, elle plon-

gea les vêtements donnés à sa rivale 466,au moment de

fuir emportée par un dragon ailé. Jamais chaleur plusardente ne tomba des astres sur l'Apulie altérée. La tuni-

que donnée au puissant Hercule ne brûla pas plus pro-fondément ses épaules. Ah! si jamais tu as du goût pourun pareil poison, plaisant Mécène, fassent les dieux queta maîtresse écarte de la main tes baisers et aille se coucher

tout à fait de l'autre côté du lit!

IV

La haine instinctive qui sépare loups et agneaux est

celle que j'ai pour toi, l'homme dont les flancs sont

encore cuisants des cordes espagnoles467 et les jambes,

des chaînes pesantes. Tu peux te promener, tout fier de

ton argent la fortune ne change pas la naissance. Ne

Page 130: Horace - Oeuvres

132 HORACE

vois-tu pas, quand tu arpentes la Voie Sacrée 466 avec

ta toge de deux fois trois coudées, qu'allants et venants

détournent les yeux, sans cacher leur indignation ? « Vous

voyez cet homme, déchiré par le fouet des triumvirs 469,au

point de fatiguer le crieur public il a, à Falerne, une

propriété de mille arpents; avec ses bidets, il use la Voie

Appienne, et, au mépris de la loi d'Othon 47°, il s'assieddans le théâtre, fier chevalier, sur les premiers gradins.A quoi bon conduire contre les voleurs et les esclaves

tant de lourds navires à éperon 471 quand un tel homme

est tribun militaire ?

V

Ah! divinités qui, dans le ciel, gouvernez la terre etles hommes, pourquoi cette agitation ? Que me veulentces regards sauvages tous fixés sur moi ? Au nom de tes

enfants, si jamais tu as enfanté toi-même en invoquantLucine, par cette bande de pourpre

4"impuissante

aujourd'hui à me protéger, au nom de Jupiter qui ne

peut pas vous approuver, je t'en prie, pourquoi me

regarder comme ferait une marâtre ou une bête sauvage,blessée par le fer ? »

Lorsque, d'une voix tremblante, l'enfant eut proféréces plaintes, on lui arracha sa robe et sa bulle, et son

corps apparut, si délicat que le cœur des Thraces impiesen eût été attendri. Canidie 4", la tête dépeignée et lescheveux remplis de petits serpents, donne l'ordre de

prendre du figuier sauvage arraché aux tombeaux, du

cyprès des cimetières, des œufs trempés dans le sangd'un crapaud hideux, des plumes du hibou nocturne,des simples venues d'Iolcos et de l'Hibérie 474fécondeen poisons et des os arrachés à une chienne affamée, puisde tout mettre à bouillir sur les flammes de Colchique 475.Pendant ce temps, Sagana, la robe retroussée, répanddans toute la maison de l'eau prise dans l'A verne47";elle a les cheveux raides et droits comme un hérisson demer ou un sanglier courant. Sans se laisser arrêter par leremords, Veïa fouille la terre d'une dure bêche, peinantet soufflant; c'est une fosse qu'elle creuse; on y enterreral'enfant, laissant la tête hors de terre, comme le nageurqui reste au-dessus de l'eau, jusqu'au menton; il mourralentement en regardant les plats que, deux ou trois fois

par jour, on changera sous ses yeux; puis on recueillerasa moelle et son foie desséchés, pour en faire une potion

Page 131: Horace - Oeuvres

ÉPODES 133

d'amour, quand une fois se seront éteintes ses prunellesfixées sur les mets défendus. Et il y a là aussi, c'est

du moins le bruit qui courut à Naples, la ville des oisifs,et dans toutes les cités voisines, Folia d'Ariminum,aux passions masculines, qui par ses incantations thes-

saliennes, réussit à arracher du ciel les étoiles et la lune.

Alors, l'horrible Canidie, rongeant de sa dent jaunâtre

l'ongle de son pouce, qui n'a jamais été taillé, parla (quedit-elle ? que ne dit-elle pas ?) fi 0 vous, témoins

fidèles de ma vie, Nuit et toi Diane qui gouvernes le

silence quand s'accomplissent les mystères sacrés, main-

tenant soyez-moi favorables; tournez maintenant votre

colère, usez maintenant de votre puissance contre la

maison de mes ennemis. Au moment où, dans les cachettes

effrayantes des bois, les bêtes goütent le doux assoupisse-ment du sommeil, puissent les chiens de Subure 477,

pour la plus grande joie de tous, trahir par leurs aboie-

ments ce vieux coureur, tout frotté du parfum le plusmerveilleux que mes mains aient jamais préparé. Mais

que se passe-t-il ? Pourquoi ces poisons terribles n'ont-ils

pas la même puissance que lorsque Médée l'étrangères'en servit, au moment de sa fuite, pour se venger de son

orgueilleuse rivale, la fille du grand Créon et que la

nouvelle épousée mourut embrasée par la robe empoison-née dont elle lui avait fait présent. Je n'ai cependantoublié ni une herbe ni une de ces racines cachées dans

des endroits d'un abord difficile. C'est dans son lit qu'ildort mon breuvage lui a fait oublier toutes mes rivales.

Ah! Ah! le voilà qui marche, libéré par les charmes d'une

magicienne plus forte que moi! 0 Varus, que de larmes

tu vas verser! Ce n'est pas un philtre ordinaire qui te

ramènera à moi; ce ne sont pas les incantations marses 4T9

qui me rendront ton cœur. Je vais préparer quelque chose

de plus fort; tu as beau me dédaigner, je te verserai un

breuvage plus puissant. Le ciel s'enfoncera sous la mer,la terre s'étendra au-dessus de lui, avant que tu renonces

à un amour dont tu seras embrasé, comme le bitume parla flamme mêlée de fumée. '1

Quand elle eut parlé, l'enfant, sans plus vouloir, comme

d'abord, fléchir par de douces paroles ces abominables

femmes, mais ne sachant comment rompre le silence,

lança ces imprécations qui rappellent celles de Thyeste« Les poisons magiques ne peuvent changer ni la volonté

divine ni la destinée humaine. Je vous poursuivrai de

ma malédiction; et il n'y a pas de victime pour expier

Page 132: Horace - Oeuvres

134 HORACE

une malédiction. Bien plus, sitôt que j'aurai, par votre

volonté, rendu le dernier soupir, je viendrai vous trou-

ver la nuit, avec ma vengeance; mon ombre, de ses

ongles recourbés, déchirera vos visages, les dieux

Mânes ont ce pouvoir, et, assis sur vos poitrines

épouvantées, je vous enlèverai le sommeil par la terreur.

Dans les rues, de tous côtés, la foule vous lapidera et

vous écrasera, horribles vieilles femmes; vos membres

resteront sans sépulture et seront dispersés par les loupset les oiseaux de l'Esquilin 46°.Mes parents, qui me sur-

vivront, hélas assisteront à ce spectacle. »

VI

Pourquoi tourmenter des passants qui ne t'ont rien

fait, chien lâche devant les loups ? Pourquoi, si tu l'oses,ne pas tourner contre moi tes vaines menaces et ne pasm'attaquer, moi qui te répondrais par un coup de dent ?

Car, tel le molosse ou le chien fauve de Laconie 4111,redou-tables amis des bergers, je poursuivrai, l'oreille droite, àtravers les neiges amoncelées, toute bête fauve qui fuiradevant moi. Mais toi, quand tu as rempli les bois detes aboiements formidables, tu flaires l'os, qu'on te jettepour te faire taire. Prends garde, prends garde, pourles méchants je suis intraitable, et contre eux je lève mescornes toujours prêtes tel le poète 4"2 que le perfideLycambe dédaigna comme gendre, ou l'implacable ennemide Bupalos 483.Penses-tu que, si l'on me mord d'une dent

empoisonnée, je vais, sans me venger, pleurer commeun enfant ?

VII

Criminels, où vous précipitez-vous ? Pourquoireprendre en main vos épées remises au fourreau? Le

sang latin n'a-t-il pas assez coulé sur terre et sur mer ? Siencore il s'agissait pour Rome d'incendier l'orgueilleusecitadelle de l'envieuse Carthage, ou de charger de chaînesle Breton, jusqu'alors insoumis, et de lui faire descendreles pentes de la Voie Sacrée 484!Mais non; suivant le vœudes Parthes, notre ville va périr de ses propres mains!Ce n'est pas ainsi qu'agissent les loups et les lions

jamais ils ne luttent que contre d'autres espèces. Qu'est-cequi vous entraîne ? une fureur aveugle, une force irré-

sistible, une faute commise ? Répondez. Ils se taisent;

Page 133: Horace - Oeuvres

ÉPODES 135

leur visage pâlit, devient livide; leurs âmes sont frappées de

stupeur. Oui, il en est ainsi les destins cruels s'acharnent

contre les Romains, ils punissent le crime de Romulus,

depuis le jour où, pour le malheur de ses descendants,le sang de Rémus innocent a inondé la terre.

VIII

Peux-tu bien, vieille pourriture centenaire, me deman-

der de perdre avec toi ma vigueur, quand tu as des dents

noires, que ta vieille figure est toute sillonnée de rides,et qu'entre tes fesses desséchées bâille une affreuse

ouverture comme celle d'une vache qui a mal digéré ?Mais tu crois peut-être m'exciter par ta poitrine, tes

seins tombants comme les mamelles d'une jument, ton

ventre flasque, tes cuisses grêles terminées par une jambe

gonflée ?Tu peux être riche; à tes funérailles pourront figurer

les images des triomphateurs, tes ancêtres; je veux bien

qu'aucune dame ne porte, à la promenade, des perles plusrondes que les tiennes. Mais quoi ? parce qu'il te plaît de

semer çà et là, sur tes coussins de soie, de petits traités

stoïciens, est-ce que mes nerfs, que les lettres n'intéressent

pas, sont moins raides ? Mon membre est-il plus petitet plus mou ? Pour le faire dresser de mon aine dégoûtée,il te faudrait travailler de la bouche.

IX

Quand donc prendrai-je ce Cécube mis en réserve

pour les banquets et, afin de fêter la victoire de César,le boirai-je avec toi, opulent Mécène, dans ton palais,sous l'œil bienveillant de Jupiter, pendant que la lyremêlera ses accords doriens aux notes de la flûte barbare485?C'est ce que nous avons fait il n'y a pas longtemps,quand le général, fils de Neptune 486,fut chassé du détroitet s'enfuit après l'incendie de ses vaisseaux. Ne voulait-il

pas charger la ville des chaînes qu'il avait, en ami,enlevées à des esclaves perfides ? Des Romains, hélas

(vous ne le croirez pas, siècles à venir)! vendus à une

femme 41" portent pour elle les pieux et les armes; dessoldats supportent de s'asservir à des eunuques flétris,et, au milieu des drapeaux militaires, ô honte! le soleil

Page 134: Horace - Oeuvres

136HORACE

voit une moustiquaire! Et cependant, deux mille Gau-lois 488,acclamant le nom de César, ont tourné vers nousleurs chevaux frémissants, et les navires ennemis se

cachent en hâte dans le port, où ils rentrent par la poupe,à gauche. Io Triomphe! va-t-on faire attendre les charsdorés et les génisses qui n'ont pas porté le joug ? Io

Triomphe! Ils n'égalaient pas Octave, le chef revenu

vainqueur de la guerre contre Jugurtha 489,ni l'Afri-cain qui s'est, par sa valeur, édifié un tombeau sur lesruines de Carthage 490.Vaincu sur terre et sur mer, l'enne-mi a changé le manteau de pourpre contre un pauvrevêtement de deuil. Il va, poussé par les vents hostiles,vers l'illustre Crète aux cent villes, vers les Syrtes

agitées par le Notus, ou il se laisse emporter sur la mer,à l'aventure.

Esclave, apporte-nous des coupes plus profondes; versedu vin de Chio, du vin de Lesbos411; prépare-nous leCécube qui arrête les vomissements César nous adonné des inquiétudes et des craintes je veux que ladouce liqueur de Lyée492nous en délivre.

x

Il quitte le rivage et s'éloigne sous de mauvaisauspices,le navire qui emporte le fétide Mévius. Auster, je t'en

supplie, soulève les flots et frappe les flancs du bateau.Sombre Eurus, bouleverse la mer, brise les rames et

disperse-les avec les cordages! Lève-toi, Aquilon, avecautant de force que lorsque, sur les hautes montagnes,tu brises les yeuses tremblantes! Qu'aucun astre ami nese montre dans la nuit noire, là où se couche le tristeOrion! Que la mer qui emporte ce misérable ne soit pasplus calme qu'elle ne le fut pour les Grecs vainqueurs 493,

quand Pallas détourna sa colère d'Ilion en flammes surle navire sacrilège d'Ajax! Oh! ton équipage sera couvertde sueur, ton visage pâlira, deviendra livide, tu telamenteras comme un lâche, et tu supplieras Jupiter;mais il se détournera de toi, quand, dans la mer Ionienne

mugissante, l'humide Notus aura brisé ton bateau! Si,

pour la joiedes plongeons, ton énorme cadavre114est rejetédans une anse du rivage, j'immolerai aux Tempêtes unbouc lascif et une agnelle.

Page 135: Horace - Oeuvres

ÉPODES137

XI

Pettius, je n'ai plus de plaisir à écrire, comme précé-demment, de petits vers l'amour m'a fait une profondeblessure, l'amour m'embrase, sans répit, plus que tousles autres hommes, pour les tout jeunes garçons ou pourles jeunes filles. Trois fois décembre a dépouillé lesarbres de leur feuillage, depuis que j'ai cessé d'être foud'Inachia. Hélas! comme j'ai été alors la fable de toutela ville (je rougis aujourd'hui de ma sottise)! Comme jeregrette ces banquets où ma langueur, mon silence, mes

soupirs tirés du fond de ma poitrine trahissaient monamour! « Faut-il que l'âme candide d'un pauvre ne

puisse rien contre le désir du gain ? » Ainsi j'exhalaisma plainte et j'allais pleurer près de toi, quand, toutéchauffé d'un vin plus généreux, je me laissais arrachermon secret par un dieu indiscret 495.« Si, dans mon cœur,ma colère peut se donner libre cours et semer aux ventsces pauvres remèdes, qui ne cicatrisent pas ma cruelle

blessure, j'écarterai toute honte et renoncerai à lutteravec des rivaux indignes de moi. » Voilà les graves réso-lutions que, devant toi, je me vantais de prendre. Tu meconseillais alors de rentrer chez moi; et je partais, d'un

pied mal assuré. Mais je n'allais pas, hélas vers une maison

amie; je marchais, hélas! vers un seuil dur, où je me brisaisles reins et les flancs.

Aujourd'hui, j'aime Lyciscus, qui peut se vanter de

l'emporter en gentillesse sur n'importe quelle petitefemme. Ni les libres avis de mes amis, ni leurs reprochessanglants ne sauraient me guérir de cet amour; ce qu'ily faudrait, c'est une autre passion, ou pour une joliejeune fille ou pour un jeune garçon bien fait, habile ànouer en arrière ses longs cheveux.

XII

Que demandes-tu pour toi, femme bonne uniquementpour les noirs éléphants ? Pourquoi me faire de petitscadeaux, m'envoyer des billets doux? Je ne suis pasassez vigoureux pour toi, et je n'ai pas les narines bou-chées. Mieux que personne, je reconnais un polype à sonodeur et sens la puanteur du bouc sous des aisselles

Page 136: Horace - Oeuvres

138HORACE

velues j'ai plus de flair qu'un chien de chasse qui

dépiste un sanglier. Quelle sueur coule sur ses membres

flétris, quelle odeur se répand de toutes parts, quand, mon

membre redevenu languissant, elle veut encore, sans

répit, calmer sa rage indomptée! La craie humide, le

parfum fabriqué avec des excréments de crocodile ne

tiennent plus sur son visage. Quand elle est en folie, les

sangles et les dais du lit ne résistent pas! Ou bien elle

essaie de secouer mon dégoût par des paroles emportées

« Avec Inachia, tu as plus d'ardeur qu'avec moi. Trois

fois par nuit, tu possèdes Inachia; avec moi, l'ouvrage te

fatigue, après une seule fois. Malheur à Lesbie qui,

lorsque je voulais un taureau, m'a indiqué un être sans

vigueur! Et dire que j'avais avec moi Amyntas de Cos,

dont la verge est plus ferme dans son aine infatigable

que le jeune arbre planté sur la colline! Pour qui donc

avais-je hâte de faire tremper deux fois dans la pourpre de

Tyr de beaux vêtements de laine ? Oui, c'était pour toi

je ne voulais pas que, dans les festins, il y eut un seul

de tes compagnons plus aimé de sa maîtresse que toi

de la tienne. Malheureuse! Tu me fuis, comme l'agnelle

fuit le loup cruel, et le chevreuil, le lion. »

XIII

La rude saison d'hiver a rétréci l'horizon; les pluies

et les neiges ont abattu Jupiter sur la terre; et la mer,

et les forêts gémissent sous l'Aquilon de Thrace. Saisis-

sons l'occasion aujourd'hui même, mes amis, et tandis

que nos genoux sont encore vigoureux, et que notre âge

le permet, chassons la tristesse des vieillards de notre

front assombri. Toi, fais apporter le vin tiré sous le

consulat de Torquatus l'année de ma naissance. Pour le

reste, n'en parle pas; peut-être qu'un dieu dans sa bien-

veillance, remettra tout en état. Aujourd'hui, je veux me

parfumer du nard achéménien 496 et, sur la lyre cyllé-

nienne 497,soulager mon cœur de ses cruels soucis. C'est

ce que prophétisait l'illustre Centaure 498 à son beau

nourrisson « 0 toi que nul n'a pu vaincre, fils mortel

de la déesse Thétis, ce qui t'attend, c'est la terre d'Assa-

racus 4" sillonnée par les eaux froides du petit Scamandre

et du Simoïs au cours rapide. Le retour t'est interdit

par les Parques, qui filent leur trame d'une main sûre;

et ce n'est pas ta mère azurée °°"qui te ramènera chez toi.

Page 137: Horace - Oeuvres

ÉPODES139

Là-bas du moins, soulage toutes tes misères par le vinet les chants; ce sont de douces consolations, quand le

visage est contracté par le chagrin. »

XIV

Pourquoi cette apathie, cette mollesse ? pourquoi cetoubli absolu, qui s'est glissé jusqu'au plus profond demon être, comme si ma gorge en feu avait avalé des

coupes de l'eau engourdissante du Léthé 501 ? Voilà les

questions, mon franc ami Mécène, que tu me poses sans

répit, jusqu'à me faire mourir. Eh bien! c'est un dieu,oui, un dieu qui m'empêche de mener au bout les iambes

que j'avais commencés et que je t'avais promis. Anacréonde Téos Soa brûlait pour le Samien Bathylle d'une passionpareille à la mienne; souvent, sur sa lyre creuse, il a

déploré son amour, dans des vers auxquels il ne pouvaits'appliquer. Toi aussi, tu aimes et tu souffres; mais celle

qui alluma la guerre de Troie 503n'était pas plus belle queta maîtresse tu peux donc être content de ton sort.

Moi, c'est pour Phryné que je brûle, une affranchie, et à

qui il faut plus d'un amant.

xv

Il faisait nuit, et, dans un ciel clair, la Lune brillaitau milieu d'astres plus petits alors, déjà prête à offenserpar tes mensonges la divinité des grands dieux, voici quetu me jurais, ne faisant que répéter mes paroles et m'en-serrant de tes bras souples avec plus de force que lelierre ne s'attache à l'yeuse élevée Tant que le loup,disais-tu, sera l'ennemi du mouton, tant qu'Orion So',funeste aux matelots, soulèvera des tempêtes sur la mer,tant que la brise agitera les longs cheveux d'Apollon,je t'aimerai comme tu m'aimes. 0 Néère, que tu souf-friras, si je sais être courageux! Oui, pour peu queFlaccus soit un homme, il ne te laissera pas donnertoutes tes nuits à un rival plus heureux, et dans sa colère,il cherchera une femme qui réponde à son amour. Ildétestera ta beauté, et restera inébranlable, s'il est cer-tain de son malheur.

Quant à toi, qui que tu sois, qui es plus heureux quemoi, et t'avances tout fier de mon malheur, peut-être

Page 138: Horace - Oeuvres

140HORACE

es-tu riche en bétail et en terres, et le Pactole 505coule-t-il

pour toi; peut-être Pythagore 506 reviendra-t-il au monde

pour te révéler ses secrets; peut-être es-tu plus beau que

Nirée 5°'. Malgré tout, tu pleureras quand elle porteraailleurs son amour. Alors, je rirai bien à mon tour.

XVI

Déjà, une seconde génération est écrasée par les guerres

civiles, et Rome tombe sous ses propres forces. Cette

ville, que n'avaient pu ruiner les Marses Soe, ses voisins,

ni les troupes menaçantes de Porsenna 509 l'Etrusque, ni

Capoue, sa rivale en courage 510,ni l'impétueux Sparta-

cus, ni l'Allobroge parjure en un temps de révolution 511

cette ville que n'ont soumise ni le guerrier germain aux

yeux bleus 512,ni Hannibal en horreur aux pères et aux

mères; cette ville, c'est nous, génération sacrilège, héri-

tiers d'un sang maudit, qui la conduirons à sa perte; et,

comme jadis, son sol sera la demeure des bêtes sauvages.Hélas le Barbare s'installera en vainqueur sur les cendres

de nos maisons; son cheval frappera la terre de son sabot

sonore, et les ossements de Quirinus, aujourd'hui à

l'abri du soleil et du vent, seront dispersés, affreux

spectacle, par l'insolent vainqueur.Peut-être cherchez-vous tous ensemble, ou du moins

les meilleurs d'entre vous, ce qu'il convient de faire pournous soustraire à ces peines et à ces maux ? Rien ne

vaudrait 1"avis que voici autrefois, les Phocéens 51',

après s'être engagés par d'horribles serments, abandon-

nèrent leurs champs et les lares paternels et laissèrent leurs

temples aux sangliers et aux loups voraces; faisons

comme eux, allons où nous porteront nos pas, où nous

appellera, au-delà des mers, le Notus ou le violent

Africus. Etes-vous de cet avis ? A-t-on un meilleur conseil

à donner Pourquoi hésiter à nous embarquer sous de

favorables auspices ? Mais lions-nous d'abord par le

serment suivant« Quand les rochers, devenus légers, remonteront du

fond de la mer à la surface, nous pourrons, sans sacri-

lège, revenir chez nous. N'hésitons pas à faire voile vers

notre patrie, quand le Pô baignera le promontoire de

Matinus 514,quand le haut Apennin se jettera dans la mer,

quand des passions inconnues, des amours extraordi-

naires détermineront des accouplements monstrueux, du

Page 139: Horace - Oeuvres

ÉPODES 141

tigre avec la biche, de la colombe avec le milan, quandles bœufs se fieront aux lions fauves et n'auront plus

peur d'eux, quand le bouc perdra ses poils et aimera

feau salée. »

Lorsque nous aurons fait ce serment et tous ceux qui

pourront nous interdire la douceur du retour, partons,tous les citoyens, ceux du moins qui sont supérieurs à

une foule qui ne veut rien entendre; qu'elle persiste, cette

foule lâche et sans espoir, à rester dans ses demeures

condamnées par les dieux. Mais vous, qui avez du cœur,cessez de gémir comme des femmes et volez au-delà des

rivages étrusques. Il nous reste l'immense océan gagnonsles riches campagnes, les Iles Fortunées chaque année,la terre, sans être cultivée, y prodigue le blé; sans être

taillée, la vigne y prospère; les branches de l'olivier y

bourgeonnent et ne trompent jamais; la figue mûre yfait la beauté d'un arbre qu'on n'a pas à greffer; le miel

y coule du creux des chênes; l'eau légère y tombe avec

bruit du haut des montagnes. Là, les chèvres viennent

d'elles-mêmes se faire traire, et letroupeau

ami apporteà l'étable ses mamelles gonflées de lait. Le soir, l'ours

ne vient pas gronder autour de la bergerie, et le sol pro-fond n'est pas gonflé de vipères. Et nous aurons le

bonheur de voir encore d'autres merveilles le vent

humide de l'Eurus ne ravinera pas les champs par des

pluies abondantes; les semences fécondes ne se dessé-

cheront pas dans les mottes, le roi des dieux réglant la

pluie et la chaleur. Les rameurs du vaisseau Argo515ne

sont point allés vers cette terre, et Médée 516l'impu-

dique n'y a pas mis le pied; les marins de Tyr n'ont pointde ce côté tourné leurs antennes, pas plus que les misé-

rables compagnons d'Ulysse. Les moutons n'ont à

craindre aucune maladie; les troupeaux n'ont pas à

souffrir des chaleurs excessives. Jupiter a réservé ces

rivages à un peuple pieux, quand il remplaça l'âge d'or

par l'âge de bronze, qui valait moins. Avec le bronze,

puis le fer, il fit des âges plus durs les hommes à l'âme

religieuse auront le bonheur d'y échapper, s'ils écoutent

mes chants inspirés.

xVII

Oui, oui, je m'avoue vaincu par ta science toute-puis-sante. Je t'en prie, je t'en supplie, par le royaume de

Page 140: Horace - Oeuvres

142 HORACE

Proserpine,par la divinité de Diane qu'il ne faut pasoffenser,par les recueilsd'incantationsqui appellentetdétachentlesétoilesdu cielsur la terre, Canidie,renonceenfinauxformulesmagiques,et fais tourner dans l'autresens le fuseau rapide517.Télèphe

51Sa pu émouvoirle

petit-filsdeNéréecontrelequelil avait,danssonorgueil,disposésessoldatsmysienset lancéses flèchesperçantes.Les femmesde Troie ont pu parfumerle cadavred'Hec-tor, le massacreur,promis aux oiseauxde proie et auxchiens,après que Priam eut quitté la villepour venir sejeterauxpiedsde l'intraitableAchille519.Lescompagnonsdu malheureux Ulysse purent voir Circé consentir à

dépouillerleur corps de la dure peau couvertede soies

qui les revêtait520;ils recouvrèrent l'intelligenceet la

parole,et leur visagereprit sa beautéhumaine.Tu m'asassezet trop puni, ô toi, maîtresseordinairedesmarinsetdescolporteurs majeunesses'estenfuie,jen'ai plusmonteint rose, mes os sont recouvertsd'une peau jaune; tes

pommadesont blanchimes cheveux;rien ne me reposede mes fatigues; la nuit chasse le jour; le jour, la nuit;mon cœur est gonfléet ne peut plus se soulagerpar des

soupirs. Je suis doncvaincu,infortuné,et je dois croirece que j'avais nié oui, les formules sabines52' fontéclater ma poitrine, les nénies marses 522brisent moncerveau.Que veux-tude plus? 0 mer! ô terre! Je brûleautantetplusqu'Hercule,souillédu sangnoir deNessus,que la flammesicilienne,si activedans la fournaisedel'Etna. Et toi, en attendant que les vents injurieuxemportentmes cendresdesséchées,tu es dans la chaleurde ton travail et tu prépares tes poisonsde Colchide!Quellefin m'attend, ou quellerançon? Parle! Je subiraihonnêtementla peine que tu auras fixée.Je suis prêt à

expier, que tu me demandescent jeunes taureaux, ouque tu préfères être célébréesur ma lyre menteuse, jesuis prêt à dire « Chaste, honnête, tu seras un astred'or marchantparmi lesétoiles.» LegrandCastoret sonfrère, blessés des diffamationsdont Hélène avait étél'objet, se laissèrentfléchirpar les prièresdu poèteet luirendirentla vuequ'ils luiavaientenlevée523.Commeeux,

et tu le peux, guéris-moide mafolie non, aucunetachen'a souilléta naissance,tu n'espasunevieillefemme

quivachercherdansleurstombeslescendresdespauvresgenspour lesdisperserneufjoursaprèsles funérailles524.Ton cœurest humain,tes mainssont pures. Pactuméiusest bien ton fils, et c'est ton sang qui rougit les linges

Page 141: Horace - Oeuvres

ÉPODES143

lavés par la sage-femme, toutes les fois que tu sors, vail-

lante, de ton lit, après un accouchement.

Pourquoi tant de paroles ? Mes oreilles restent fer-mées à tes prières. Les rochers, battus par les flots pro-fonds d'une mer en fureur, ne sont pas plus sourds auxcris des marins jetés nus sur le rivage. Comment ?

je ne me vengerais pas de tes divulgations et de tes rail-leries sur les mystères de Cotytto 525,sur les cérémonies de

l'amour libre ? Et, grand pontife des sortilèges de l'Esqui-lin, tu pourrais impunément remplir Rome de mon nom ?A quoi m'eût servi de payer bien cher les vieilles sorcières

,g es,126 et d'avoir préparé des breuvages d'un effet

plus rapide ? Non; la mort qui t'attend sera plus lente

que tu ne le souhaites. Tu auras à traîner une vie difficileet misérable, toujours tu auras à supporter de nouvellesdouleurs. Il souhaite le repos, le père du perfide Pélops,Tantale, éternellement privé d'une abondante nourriture;il le souhaite, Prométhée en proie au vautour; Sisyphevoudrait bien fixer le rocher sur le sommet de la mon-

tagne 527; mais les lois de Jupiter s'y opposent. Tu vou-

dras, toi, te jeter du haut d'une tour ou bien te percerla poitrine d'une épée norique

526ou encore dans ton

dégoût, ta peine et ton chagrin, te passer une cordeautour du cou. En vain; à cheval sur tes épaules ennemies,

j'obligerai toute la terre à s'incliner devant mon insolence.Moi qui ai le pouvoir de donner la vie à des images de

cire, tu m'as espionnée et tu le sais, moi qui, parmes charmes, peux arracher la lune du ciel, moi qui peuxfaire revenir les morts après le bûcher funèbre et préparerdes philtres d'amour, j'aurais à déplorer l'impuissancede mon art, quand c'est toi qui es en cause ?

Page 142: Horace - Oeuvres
Page 143: Horace - Oeuvres

SATIRES

Page 144: Horace - Oeuvres
Page 145: Horace - Oeuvres

LIVRE PREMIER

1

Comment se fait-il, Mécène, que l'homme ne vit jamaiscontent de son sort, qu'il le doive à un choix motivé ouau hasard des circonstances ? pourquoi juge-t-il heureuxles gens qui mènent une vie opposée à la sienne ? « Heu-reux les marchands » dit le soldat vieilli au service, lesmembres brisés par les travaux guerriers. Par contre, le

marchand, ballotté par les vents du sud sur son navireCIAh! comme le service militaire vaut mieux! En fin de

compte, on marche les uns contre les autres; dans l'affaired'une heure, c'est une mort rapide ou la joie de la vic-toire » Le jurisconsulte envie le cultivateur, quand sonclient vient, au chant du coq, frapper à sa porte. Cetautre, ayant fourni ses cautions, et qui s'est arraché à la

campagne pour venir en ville, crie bien haut qu'à la villeseulement on est heureux. Je pourrais citer tant d'autres

exemples de même nature, que je fatiguerais même Fabiusle bavard Szb.Pour ne pas te faire perdre ton temps, voicioù j'en veux venir. Qu'un dieu dise à ces gens-là « Ehbien! je vais faire ce que vous voulez toi, tu es soldat,tu seras marchand; toi, le jurisconsulte, tu deviendras

paysan. Changez de rôle, et tirez, l'un d'ici, l'autre de là.Eh bien! vous ne bougez pas ? » Non, ils ne voudraient

pas; et cependant, ils ont toute liberté d'être heureux.Dès lors qui empêcherait Jupiter de gonfler ses joues decolère et de déclarer que, dorénavant, il ne prêterait pasà leurs vœux une oreille si complaisante ?

Mais je ne veux pas, comme un amuseur, poursuivreces plaisanteries (et pourtant rien n'empêche de dire la

vérité en riant; c'est ainsi que toujours les maîtres ont

flatté les enfants et leur ont donné des friandises pour les

Page 146: Horace - Oeuvres

148HORACE

amener à apprendre les éléments); pourtant, laissons les

jeux d'esprit et parlons sérieusement. Le laboureur

qui, avec sa charrue, retourne péniblement la terre, le

cabaretier trompeur, le soldat, le marin audacieux cou-

rant sur toutes les mers, tous proclament que, s'ils se

résignent à ces travaux, c'est pour prendre, une fois deve-

nus vieux, une retraite tranquille et sûre, quand ils auront

ramassé de quoi vivre ils se modèlent sur la petite fourmi,

si active, qui, avec sa bouche, traîne tout ce qu'elle peutet l'ajoute au tas qu'elle élève; car elle connaît l'avenir

et prend ses mesures en conséquence. Mais la fourmi,

quand vient l'hiver et que le soleil entre dans le triste

Verseau 530,ne sort plus, et, dans sa sagesse, consomme ce

qu'elle a amassé; toi, rien ne te détourne de ton âpretéau gain, ni les ardeurs de la canicule, ni l'hiver, ni la

flamme, ni la mer, ni le fer tu ne connais point d'obstacle

quand il s'agit d'être plus riche qu'autrui.

Quel plaisir trouves-tu à creuser la terre pour y déposeren cachette, par crainte des voleurs, un énorme poids

d'argent et d'or ? Si j'y touche, le tas sera bientôt

réduit à rien. Mais si tu n'y prends pas ce qu'il te

faut, quel charme peut bien avoir ce monceau d'or ? Tu

auras fait battre sur ton aire cent mille boisseaux de blé

mais ton estomac ne peut en recevoir plus que le mien.

Un des esclaves qu'on mène vendre a chargé sur son

épaule la corbeille de pain il n'en mangera pas plus quecelui qui n'a rien porté. Dis-moi, qu'importe à celui quivit dans les limites de la nature, d'avoir cent ou mille

arpents à faire cultiver ? C'est un plaisir de prendre à un

gros tas. Mais si j'ai permission de prendre à un petitune même quantité, en quoi tes greniers valent-ils mieux

que mes corbeilles ? C'est comme s'il te fallait une cer-

taine quantité d'eau, une urne au plus, ou un cyathe, et

que tu dises « J'aimerais mieux la prendre au fleuve qu'àcette petite source. Qu'arrivera-t-il ? Pour te donner la

joie de prendre plus qu'il ne te faut, tu vois la rive de

l'Aufide s'ébouler sous tes pieds531 et tu es avec elle

emporté par le courant. Si au contraire on ne désire quece dont on a besoin, on ne boit pas une eau boueuse, on

ne perd pas la vie dans les flots.

Mais beaucoup d'hommes sont la proie des désirs

trompeurs. « On n'a jamais assez, dit l'un, puisqu'on est

estimé en proportion de ce qu'on possède. » Que faire

à qui parle ainsi ? le laisser à sa misère, du moment qu'il

agit de son plein gré. C'est comme cet autre, dont on

Page 147: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE 1149

parle à Athènes riche, mais d'une avarice crasse, il avaitcoutume d'exprimer ainsi son mépris pour les proposdes gens « On me siffle; mais moi, à la maison, je m'ap-plaudis quand je regarde mes écus dans mon coffre. »

C'est Tantale altéré, essayant de boire l'eau qui fuit seslèvres. Tu ris ? Mais change le nom, c'est ton histoire;tu dors, la bouche ouverte, sur ces sacs ramassés un peupartout; ce sont des objets sacrés auxquels tu t'interdisde toucher, des peintures que tu te condamnes à regar-der. Tu ne sais pas la valeur d'un écu ? son usage ? Ilsert à acheter du pain, des légumes, un setier de vin, toutce dont la privation est une souffrance pour l'homme.Rester l'oeil ouvert, la respiration coupée par la crainte,redouter jour et nuit les voleurs, l'incendie, les larcinset la fuite des esclaves, est-ce là ton plaisir ? Ah! je sou-haiterais être aussi pauvre que possible de pareils biens!

Mais si je souffre d'un refroidissement, si un autreaccident me tient au lit, avec de l'argent j'ai une garde-malade pour me préparer les remèdes et aller chercherun médecin qui me remettra sur pied et me rendra àmes enfants, à des parents aimés. Non; personne nedésire ta guérison, ni femme, ni fils; tu es odieux à tes

voisins, à tous ceux qui te connaissent, garçons et filles.Tu t'étonnes ? Mais tu mets l'argent au-dessus de tout

personne ne te donnera une affection que tu n'as pas sumériter. Penses-tu perdre ton temps en cherchant à rete-nir près de toi les parents que tu as reçus sans peine de lanature et à conserver leur affection ? Va-t-on, au Champde Mars, dresser à la course l'âne soumis au frein ? Bref,arrête-toi d'amasser; puisque tu possèdes davantage, aiemoins peur de la médiocrité; commence enfin à mettreun terme à tes peines, du moment où tu as ce que tudésirais. Ne va pas faire comme un certain Ummidius

(le récit n'est pas long) riche à mesurer ses écus au bois-

seau, avare au point de ne pas mieux s'habiller qu'unesclave, jusqu'au dernier jour il eut peur de mourir defaim d'un coup de hache, une affranchie, très vigoureuse,vraie fille de Tyndare, le coupa en deux 532.

Quel conseil me donnes-tu donc ? de vivre commeNévius ou comme Nomentanus-1"3 ? — Tu prolonges ladiscussion en passant d'un extrême à l'autre quand jet'interdis l'avarice, je ne tç demande pas de devenir unmauvais drôle et un débauché. La distance est grandeentre Tanaïs et le beau-père de Visellius534.En touteschoses, il y a une juste mesure; il existe des limites fixes,

Page 148: Horace - Oeuvres

150HORACE

au-delà ou en deçà desquelles le bien ne saurait exister.

Je reviens à mon point de départ comment se fait-il

que personne, comme l'avare, ne s'applaudisse de son

sort, que chacun juge heureux ceux qui suivent une voie

opposée à la sienne ? qu'il se consume de jalousie si sa

chèvre a les pis moins gonflés que celle du voisin ? qu'ilne se compare jamais à de plus pauvres, qui sont la

majorité ? qu'il se tue à surpasser l'un et l'autre, trou-

vant toujours sur sa route, malgré sa hâte, un plus riche

que lui ? Ainsi, quand, au sortir des barrières, les chars

partent, tirés par les chevaux aux sabots rapides, le cocher

tâche de rattraper les bêtes qui sont devant les siennes,

sans regarder celle qu'il a dépassée et qui reste parmi les

dernières. C'est pourquoi nous trouverons rarement un

homme qui se vante d'avoir vécu heureux et qui, son

temps fini, parte, content de son existence, comme un

convive qui a bien dîné 535.

En voilà assez tu vas croire que j'ai pillé les coffrets

de Crispinus le chassieux 536; je n'ajouterai pas un mot.

II

Confréries de joueuses de flûte, marchands de drogues,

prêtres mendiants, actrices, parasites, tout ce monde est

triste et troublé par la mort du chanteur Tigellius 537

c'était un homme généreux. Cet autre, par contre, pourne pas être appelé prodigue, refuserait à un ami dans le

besoin de quoi se garantir du froid et des affres de la

faim. Demande à ce troisième pourquoi son insatiable

gloutonnerie réduit à rien le bel avoir de son grand-père

et de son père et l'amène à emprunter pour se procurer

n'importe quelle nourriture il te répondra qu'il ne veut

pas passer pour un avare et un petit esprit. Les uns le

louent, d'autres le blâment. Fufidius ne veut pas être

regardé comme un vaurien et un débauché il est riche,

il a des terres, de l'argent placé; il ampute le capital qu'il

prête de cinq fois l'intérêt légal 538; plus son débiteur

s'enfonce, plus il le presse; il recherche les créances des

jeunes gens qui viennent de prendre la toge virile 539et

vivent sous la rude autorité paternelle. Grand Jupiter,dira-t-on en m'entendant parler ainsi; mais il dépense en

proportion de son gain. « Lui ? tu auras de la peine à me

croire il est vraiment son propre ennemi. Le père de la

comédie de Térence 540, qui se fait une vie misérable

Page 149: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE I151

pour avoir obligé son fils à le quitter, ne se met pas plusque lui à la torture.

On va me demander A quoi tend ce propos ? A ceciles sots, pour éviter un vice, se jettent dans le vice opposé.Maltinus se promène avec une tunique qui tombe à sespieds; cet autre trouve élégant de la relever jusqu'aubas-ventre. Rufillus se parfume l'haleine, Gorgonius sentle bouc541. Personne ne garde la mesure. Tel ne veuttoucher une femme que si la garniture de sa robe couvreses talons; tel autre ne veut avoir affaire qu'aux habituéesdes puants lupanars. Un homme connu sortait un jourd'un de ces bouges « Courage! lui dit le divin Caton;quand un jeune homme a les veines gonflées par un vio-lent désir, c'est là qu'il doit aller, plutôt que de prendreles femmes d'autrui. » Voilà un éloge dont je ne vou-drais pas pour moi, dit Cupiennius, qui aime chez lesfemmes un ventre bien blanc.

Ecoutez-moi, cela en vaut la peine, vous qui souhaitezmaint ennui aux adultères de toutes parts ils sont expo-sés leur volupté est gâtée par mille peines; ils n'ont passouvent l'occasion de la satisfaire, et ils tombent dans lespires dangers l'un se jette du haut d'un toit; l'autre estbattu de verges jusqu'à la mort; celui-ci, en fuyant, tombedans une bande de voleurs; celui-là paye pour ne pasêtre châtré; sur cet autre, tous les valets d'écurie onturiné; à ce dernier enfin, il est arrivé qu'on a coupémembre et testicules. Tout le monde dit que c'est bienfait, Galba 542n'est pas de cet avis.

Comme le commerce est plus sûr avec la secondeclasse, celle des affranchies! Avec elles, Salluste543 nefait pas moins de sottises que d'autres avec les femmesmariées. S'il voulait être gentil et aimable dans la mesureque lui permettent sa fortune et la raison, s'il savait êtrelibéral avec modération, il donnerait assez et n'expose-rait ni ses biens ni son honneur. Mais son unique préoc-cupation, sa seule joie, toute sa gloire, c'est de ne toucherjamais à une femme mariée. Ainsi parlait jadis le fameuxMarséus, amant d'Origo, qui donnait à une comédienneson bien et ses lares paternels. « Il n'y aura jamais rien,disait-il, entre la femme d'un autre et moi. » Mais il vaavec les comédiennes, avec les courtisanes; et sa répu-tation en souffre, plus encore que son argent. Suflît-ild'éviter telle ou telle personne, sans fuir tout ce quipeut nuire ? Se perdre de réputation, dilapider son héri-

tage, c'est de toute façon un mal. Peu importe que la

Page 150: Horace - Oeuvres

152HORACE

faute soit commise avec une dame ou avec une servante

qui a mis une toge.Villius était, par Fausta541, une façon de gendre de

Sylla; le malheureux avait été uniquement séduit parce beau titre; mais il fut puni, et plus que de raison

criblé de coups, frappé avec un poignard, il fut jeté

dehors, pendant que Longarenus5t5 était dans la maison.

Si au spectacle de tous ces maux, son membre s'était

mis à parler et lui avait dit « Que veux-tu ? t'ai-je jamais

demandé, quand j'étais en effervescence, de me donner

la fille d'un illustre consul, vêtue d'une longue robe ? »

répondrait-il « Mais le père de ma belle était illustre! «

Ah! combien la nature, riche de ses propres dons, nous

donne des conseils meilleurs et tout différents, pour peu

que nous réglions notre vie et ne mêlions pas le mal et

le bien. Crois-tu que ce soit une même chose de souffrir

par sa propre faute ou par celle des circonstances ? Aussi,

pour n'avoir point de regrets, renonce à poursuivre les

femmes mariées on en retire plus de peine et de mal

que de véritable profit. Chez elles, avec toutes leurs perleset leurs émeraudes (c'est, il est vrai, ton affaire, Cérin-

thus) la cuisse n'est pas plus délicate, la jambe mieux

faite; et souvent même il y a mieux chez une courtisane;

sans compter que celle-ci ne farde pas sa marchandise;

ce qu'elle vend, elle le montre; elle ne vante ni n'étale

ses beautés; mais elle ne cherche pas à dissimuler ce

qu'elle a de laid.

Voicicommentprocèdentlesriches quandilsachètentun cheval,ils l'examinentcouvert; si, commec'est sou-vent lecas,un beaucorpss'appuiesur des jambesfaibles,l'acheteur ne risque pas de bâiller d'admiration et dese laissertromper par une belle croupe,une petite tête,une haute encolure. Et ce procédéest excellent il nefaut pas regarderavecles yeuxde Lyncée546cequi, dansle corps, est parfait, et être plus aveuglequ'Hypsée

547

pour ce qui est défectueux.Quelle jambe! quels bras!Sans doute, maispas de fesses,un grand nez, une taillecourteet un pied long.Chezune dame,on ne voitque la

figure;si ellen'est pasune Catia,tout le resteest couvert

par une robe longue.Si tu veuxgoûterun plaisirinterdit

et, pour ainsi dire, défendu commeune place forte (etc'est ce qui te fait perdre la tête), mille obstaclessedressent devant toi gardes, litière, coiffeurs,parasites,robe tombantauxtalons,grandmanteauqui cachetoutautant d'écransqui t'empêchentde voir la choseau natu-

Page 151: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE 1153

rel. Chez la courtisane, point de ces difficultés à traversle tissu de sa robe de Cos 518,tu crois la voir nue; tu terends compte si sa jambe est laide et son pied mal fait,ton œil peut prendre la mesure de sa taille. Préférerais-tu

par hasard être trompé et donner ton argent avant d'avoirvu la marchandise ? Le chasseur qui poursuit un lièvre

jusque dans la neige, refuse d'y toucher quand on le luisert à table. Voilà ta chanson et tu ajoutes « Mon amourressemble à ce chasseur; il fait fi de ce qui est à sa portéeet veut prendre ce qui lui échappe. n

Espères-tu pouvoir, avec de petits vers, chasser deton cœur la douleur, l'ardeur, les lourds soucis ? La naturen'a-t-elle pas mis une borne à nos désirs ? Et n'est-il pasplus utile de chercher à connaître cette borne, de savoirce que la nature comporte et ce qu'elle gémit de se voir

refuser, afin de séparer nettement l'apparence de la réa-lité ? Quand la soif te brûle la gorge, vas-tu chercher une

coupe d'or ? quand tu meurs de faim, fais-tu la petitebouche et n'exiges-tu que du paon ou du turbot ?

Quand ton membre se gonfle, si tu as sous la main uneservante ou un jeune esclave que tu puisses possédersans délai, aimes-tu mieux sentir tes muscles se brisersous la pression ? Moi, non. Ce que j'aime, c'est un amour

facile, à ma portée. Quand une femme dit Dans un

moment, mais ce sera plus cher. Attends que mon marisoit sorti n, Philodème déclare qu'il faut la laisser auxGalles 5t9; pour lui, il préfère celle qui n'est pas chèreet qui vient au premier appel.

Qu'elle soit gracieuse, bien faite, élégante sans vouloir

paraître plus grande et plus blanche que ne l'a permisla nature. Quand elle est étendue avec iroi, son flanc

gauche sous mon côté droit, elle est pour moi une Iliaou une Egérie 55"; je lui donne le nom qui me plaît et jen'ai pas peur, quand je l'étreins, d'entendre le mari reve-nir de la campagne et enfoncer la porte, le chien aboyer,la maison ébranlée retentir d'un vacarme effroyable; jene redoute pas de voir la femme sauter du lit, pâle d'épou-vante, d'entendre la servante complice crier sa malchanceet craindre pour ses jambes, tandis que sa maîtresse craint

pour sa dot et moi-même pour moi. Car il faut fuir, sans

prendre le temps de rattacher ma tunique, les pieds nus,et

essayer de ne perdre ni mon argent, ni mes fesses, nima réputation. C'est une vraie misère d'être surpris; surce point j'aurai gain de cause, même si Fabius me

jugeait 551.

Page 152: Horace - Oeuvres

154HORACE

III

C'est un travers communà tous les chanteursde ne

jamaisconsentirà chanterentre amisquand on lesprie,et de ne jamaiss'arrêter quandon ne leur demanderien.C'était la manie du fameux Tigelliusde Sardaigne552.Si César,qui pouvaitle contraindre,le priait de chanteren invoquantl'amitiéqu'avaientpour lui sonpère et lui-

même,il n'obtenait rien. Maisquand la fantaisiele pre-nait, il chantait Io Bacchusen faisantdes roulades,desœufsauxfruits b53,donnant tantôt la note la plus haute,tantôt la plusbassedu tétracorde554.Cheznotrehomme,rien de constant souvent,il se mettait à courircommesi l'ennemi était à ses trousses; plus souvent, il mar-chait commes'il portait les vasessacrésde Junon; un

jour, il avaitdeuxcentsesclaves;le lendemain,dix; par-fois,il n'avait à la boucheque rois,tétrarques,toutes les

grandeurs;parfoisil disait «Qu'on medonneseulementune table à trois pieds, une coquillede sel sans épices,et une togegrossière,maiscapablede me protégercontrele froid! » A cet homme économe,content de peu, on

pouvaitdonnerun millionde sesterces cinq joursplustard, il n'y avait rien dans sa cassette.La nuit, il veillait

jusqu'au matin; tout le jour, il ronflait.Je n'ai jamaisvu

personned'aussi inégal.Et maintenant,on va me dire«Et toi ?es-tusansdéfaut?»Non,maisj'en aid'autres,et

qui sont peut-être moins graves. Méniusgss critiquaitNoviusen sonabsence «Et toi, lui dit quelqu'un,est-ce

que tu ne te connaispas? ou prétends-tunouspayerde

mots, commesi nous ne savionspas qui tu es ? C'est

que, réponditMénius,j'ai pour moi des trésorsd'indul-

gence.» Voilàun amour-propresot et condamnable,et qui mérited'être critiqué.

Puisquetu as lesyeuxmaladeset la vue faiblequandil s'agit de tes défauts,pourquoi,pour ceuxde tes amis,as-tu un regard aussi perçant que l'aigle ou le serpentd'Epidaure556? Il est vrai que tes amis, de leur côté,saventdécouvrirles tiens. Un tel est un peu emportéets'accommodemaldesplaisanteries;il prête à rire par sescheveuxcoupésà la paysanne,sa toge qui tombe, sonsouliermal attachéqui ne lui tient pas au pied; mais ilestbon; il n'y a pas meilleurque lui; c'est ton ami; unbeau géniese cachesous ce corps grossier.Enfin, exa-

Page 153: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE I155

mine-toi bien; vois si la nature ou de mauvaises habitudesn'ont pas mis en toi le germe de quelques défauts c'estdans les terres négligées que pousse la bruyère, qu'ilfaut ensuite brûler.

Imitons plutôt les amants, qui sont aveugles pour lesdéfauts et les laideurs de leurs maîtresses, que dis-je ?qui s'en délectent 55', comme Balbinus, du polyped'Hagna. Je voudrais nous voir, entre amis, nous tromperde la sorte et, par vertu, donner à notre erreur un nomhonorable. Comme les pères pour leurs enfants, nous nedevons point rebuter nos amis pour quelque défaut

quand le fils louche, le père dit qu'il cligne des yeux;s'il est ridiculement petit, comme cet avorton de

Sisyphe 55H,il l'appelle mon poulet; si l'enfant a les jambestordues, il dit, en bêtisant, qu'il boîte légèrement; s'il ales pieds estropiés, il prétend qu'il marche en dehors.Cet homme est trop serré qu'on l'appelle intègre; cetautre est étourdi et légèrement vaniteux dites qu'il veutêtre empressé pour ses amis; il pousse trop loin la rudesseet la brutalité c'est franchise et bravoure; il est tropbouillant c'est un homme qui a de la vivacité. Cette

indulgence, à mon avis, nous donne des amis etnous

lesgarde.

Nous, au contraire, nous prenons à l'envers même nosqualités; et nous n'avons qu'un désir salir un vase

propre. Nous vivons avec un homme probe, ou un autrevraiment modeste nous traitons le premier de lent, lesecond d'épais. Celui-ci évite les embûches et ne sedécouvre pas pour prêter le flanc aux méchants, vivantau milieu de gens chez qui sévissent les morsures del'envie et de la calomnie au lieu de le regarder commeun homme raisonnable, qui se tient sur ses gardes, nous

l'appelons rusé et fourbe. Un autre est un peu sans gêneet à son aise, tel que je me suis souvent montré à toi,Mécène; il interrompt par des propos quelconques noslectures ou notre silence « Quel homme désagréable,disons-nous; il manque vraiment de convenance! IlHélas!

quelle absence de réflexion dans les jugements injustesque nous portons sur nous-mêmes Personne ne naît sans

défauts; le meilleur est celui qui a les moins graves. Unami indulgent met en balance, comme il est juste, mesdéfauts et mes qualités; que celles-ci soient

plus nom-

breuses, c'est de leur côté qu'il fera pencher le plateau,s'il veut que je l'aime. J'userai, avec lui, du même pro-cédé. Celui qui ne veut pas offusquer son ami par sa

Page 154: Horace - Oeuvres

156HORACE

bosse doit lui pardonner ses verrues; quand on a besoin

d'indulgence pour ses propres fautes, il est juste de rendre

aux autres la pareille.Il y a plus puisque nous ne pouvons extirper la

colère de notre cœur, pas plus que les autres vices attachés

à notre sotte nature, pourquoi la raison n'intervient-elle

pas avec ses poids et ses mesures et, suivant les faits,

ne proportionne-t-elle pas les châtiments aux fautes ?

On a donné à un esclave l'ordre de desservir un plat;

il touche un reste de poisson ou un peu de sauce tiède.

Vas-tu le mettre en croix ? les gens raisonnables te juge-

ront plus fou que Labéon 559.Eh bien! voici une faute plus

grave et plus absurde; un de tes amis a eu un léger tort;

si tu ne le lui passes pas, on te trouvera désagréable et

dur; mais tu vas plus loin, tu le détestes, tu le fuis, comme

le débiteur essaie d'échapper à Ruson 560 quand, au triste

retour des Calendes, il n'a pas eu le bonheur de déterrer,

d'un côté ou de l'autre, capital ou intérêt, et qu'il doit,

le cou tendu, comme un prisonnier, écouter les histoires

de son créancier. Cet ami, pour avoir trop bu, a-t-il

uriné sur le lit ? a-t-il laissé tomber de la table un vase

autrefois manié par Evandre 561? Pour de tels méfaits, ou

parce que, mourant de faim, il aura pris dans le plat un

poulet tourné de mon côté, sa compagnie me sera-t-elle

moins agréable ? Que ferai-je alors, s'il a volé, révélé un

secret confié à sa loyauté, nié un engagement pris ? Ceux

qui jugent toutes les fautes égales ne sont pas à leur aise

quand ils en viennent à la réalité ils ont contre eux

le sens commun, la morale, même l'intérêt qui est, pour

ainsi parler, le père de la justice et de l'équité.

Quand, sur la terre naissante, rampaient les êtres

vivants, troupeau muet et informe, ils se battaient, pour

les glands et pour les cavernes, avec les ongles, les poings,

puis avec des bâtons, enfin avec des armes que l'expé-

rience leur avait appris à forger, jusqu'au moment où

ils inventèrent des mots et des vocables pour traduire

leurs cris et leurs sensations; alors, renonçant à une guerre

continuelle, ils se mirent à élever des places fortes et à

faire des lois pour interdire le vol, le brigandage et l'adul-

tère. Car avant Hélène, les hommes s'étaient sauvagement

disputé la possession d'autres femmes; mais nul ne

connaît la mort de ceux qui, passant comme les bêtes, d'une

femme à une autre, furent massacrés par le plus vigou-

reux, comme fait le taureau au milieu du troupeau. C'est

donc la crainte de l'acte injuste qui donna naissance aux

Page 155: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE I157

lois; on en conviendra si l'on déroule les époques etl'histoire du monde. La nature ne peut distinguer le justeet l'injuste, comme elle sépare l'utile de son contraire,ce qu'on doit rechercher de ce qu'il faut éviter. Et aucune

argumentation ne permettra d'établir que la faute est lamême et de même importance, si l'on brise dans le jardindu voisin un jeune plant de chou ou si, pendant la nuit,on dérobe des objets sacrés. Qu'une règle fixe la peineproportionnellement à la faute; qu'on ne déchire pasavec le fouet celui qui mérite simplement un coup delanière.

Tu ne risques pas d'user de la férule contre un cou-pable qui mériterait plus, puisque, pour toi, le larcinégale le brigandage et que tu veux te servir de la mêmefaux pour tous les méfaits, petits et grands, si jamais tuas l'autorité royale. Mais, si le sage est riche, excellentcordonnier, si, seul, il est beau et roi, pourquoi désirerce que tu as déjà ? « Tu ne connais pas, dira quelqu'un,la maxime de Chrysippe SgL,notre père le sage n'ajamais fait ses brodequins ni ses sandales; pourtant lesage est cordonnier. Lui ? Oui, c'est comme Hermo-gène563 même quand il se tait, c'est le meilleur chanteur,le meilleur musicien; ou comme le subtil Alfénus 564

qui,ses outils remisés et sa boutique fermée, n'en restait pasmoins cordonnier. Ainsi, seul, dans tout métier le sageest le meilleur ouvrier; seul, il est roi. » Les enfantsjouent à te tirer la barbe. Si tu ne les chasses à coups debâton, ils t'entourent et te pressent; et te voilà, infortuné,qui éclates et te mets à aboyer, ô le plus grand des grandsrois! Pour faire court, tandis que tu vas, ô toi, prendreton bain pour un quart d'as, sans autre cortège que l'inepteCrispinus bss,mes amis, à moi, me témoigneront de l'in-dulgence si je fais quelque sottise; de mon côté, je suppor-terai leurs fautes sans rien dire, et, simple particulier, jevivrai plus heureux que toi dans ta royauté.

IV

Eupolis, Cratinus, Aristophane566et les autres poètes

de la comédie ancienne critiquaient en toute liberté les

gens qu'ils jugeaient dignes de leur peinture, méchants,voleurs, libertins, escarpes, tous ceux qui, de quelquemanière, avaient une fâcheuse réputation. A ces écri-vains se rattache Lucilius 51"; il les imita, se bornant à

Page 156: Horace - Oeuvres

158HORACE

modifier dans son vers le pied et le mètre; il était spiri-

tuel, avait du flair, mais son style était raboteux ce fut

là son défaut. Souvent, en une heure, debout sur un

pied, il dictait deux cents vers, vrai tour de force, à son

avis. Mais, dans le flot bourbeux, il y avait bien des

passages qu'on eût voulu effacer. C'était un grand par-

leur, incapable de se donner du mal pour faire des vers,

j'entends de bons vers; car d'en faire beaucoup, je m'en

soucie peu. Voici Crispinus588

qui me propose un pari,

à cent contre un « Prends tes tablettes, je vais prendre

les miennes; qu'on nous fixe un endroit, une heure,

qu'on nous surveille; voyons qui de nous fera le plus de

vers. a Les dieux ont eu raison de me donner un esprit

pauvre, médiocre, qui trouve rarement et avec peine

l'expression. Toi, au contraire, puisque c'est ton goût,

fais comme le soufflet en peau de bouc, qui travaille

à chasser l'air, jusqu'à ce que le fer mollisse à la flamme.

Bienheureux Fannius 589qui, gratuitement, jette sur le

marché sa cassette et son portrait, alors que personne ne

lit mes ouvrages et que je n'ose pas les faire connaître

dans une lecture publique; car ma manière n'est guère

goûtée de gens, qui, en majorité, méritent le blâme.

Choisis à ton gré un homme dans la foule l'un peine

par avarice ou se rend malheureux par ambition; l'autre

raffole des femmes mariées; le troisième des jeunes

garçons; tel est séduit par l'éclat de l'argent ciselé;

Albius "° s'extasie devant un bronze d'art; celui-là fait

du commerce, depuis l'Orient jusqu'aux régions où le

soleil se couche; que dis-je ? Il se jette tête baissée dans

les dangers, comme la poussière qui roule en tourbillons,

pour ne rien perdre de son capital ou augmenter son

bien. Tous ces gens-là ont peur des vers et haïssent les

poètes« Ecartez-vous, fuyez; il a du foin aux cornes 511;

pourvu qu'il se donne le plaisir de faire rire, il n'épargne

même pas ses amis, et il brûle de faire connaître ses bar-

bouillages à tous ceux qui reviennent du four ou de la

fontaine, enfants et vieilles femmes. » Ecoute ma réponse

elle sera courte.

D'abord, je ne me mets pas au nombre de ceux que

j'appellepoètes; il ne suffitpas, pour être poète,defaire

un vers régulier et d'écrire, comme moi, en un styleassezvoisinde la conversationfamilière.Mais, si l'on a

du génie, une inspirationdivine, une bouchefaite pourdes chants sublimes, alors, on mérite l'honneur de ce

beau nom. Aussi des critiques se sont-ils demandé si

Page 157: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE I 159

HORACE 6

la comédie était ou non un genre poétique, du momentoù son inspiration et sa force ne résident ni dans la

langue ni dans le sujet; c'est la conversation toute pure,dont elle ne diffère que par la régularité du mètre 672.«Mais, diras-tu, on y trouve un père furieux de voir son

fils, un débauché, se toquer d'une courtisane et refuser

pour femme une jeune fille avec une grosse dot, et, abo-mination circuler, avant la nuit, avec des flambeaux! »

Mais le père de Pomponius, s'il était encore vivant,n'accablerait-il pas son fils d'aussi durs reproches ? Ilne suffit donc pas, pour être poète, de faire des vers dansune langue simple, puisque, si l'on brise le rythme du

vers, n'importe quel père manifeste sa colère dans lesmêmes termes qu'un père de comédie. Enlève à mes

vers, comme à ceux de Lucilius, la quantité fixe des syl-labes, leur ordre rythmique, change les mots de place,mets les premiers à la fin, les derniers au début, tun'obtiendras pas le même résultat qu'en disloquantla phrase suivante « Quand la hideuse discorde eutbrisé les montants de fer et les portes de la guerre. »

Tu ne retrouveras pas, même épars, les membres du

poète.Mais c'en est assez. J'étudierai une autre fois si l'on a

raison ou tort d'appeler nos vers de la poésie. Aujour-d'hui, je veux simplement rechercher si l'on est en droitde suspecter ce genre d'écrire. Le violent Sulcius et

Capriuson vont et viennent, la voix horriblement cassée,

avec leurs dossiers d'accusations; ils sont la terreur des

filous; mais quand on est honnête et qu'on a les mains

pures, on peut les mépriser tous deux. Si tu ressemblesà Cxlius et à Birrius, ces voleurs, je ne suis pas, moi,un Caprius ou un Sulcius pourquoi avoir peur demoi ?

Je n'expose guère mes petits livres dans les boutiquesde libraire ou sur les piliers des portiques, je ne les livre

pas aux mains suantes du public et de Tigellius Hermo-

gène 514je ne les lis qu'à mes amis, et encore quand on m'yforce; je ne les débite pas n'importe où et devant n'im-

porte qui. Beaucoup de gens font des lectures au milieudu forum et au bain; la voix résonne plus agréablementdans une salle close; c'est leur plaisir, ils ne se demandent

pas s'ils agissent avec bon sens et à propos. « Oui, dira

quelqu'un, mais tu te plais à blesser et tu fais le mal

par goût. Où vas-tu chercher ce reproche ? Peux-tu

invoquer l'autorité d'une seule personne avec qui j'ai

Page 158: Horace - Oeuvres

16o HORACE

vécu? «Celui qui déchireun ami absent, ne le défend

pas quand on l'attaque, chercheà provoquer les éclatsde rire, veut se donner la réputationd'un hommespiri-tuel et mordant,qui forgedes histoires,est incapablede

garderun secret,celui-làestun méchant défie-toide lui,Romain.»Souvent,à une tableoù, sur chacundes trois

lits, ont pris place quatre convives,il y en a un qui esttout heureuxde se tourner de tous côtéspour éclabous-ser lesautres,saufcependantl'amphitryon.Maisensuite,après boire, il s'en prend à lui aussi, quand Bacchusle

véridiqueouvre le fond des cœurs. Et toi, qui n'aimes

pas lesméchants,tu trouvescet hommeaimable,spirituelet franc? Mais, si je ris, moi, parce que l'extravagantRufiliusse parfume l'haleine et que Gorgoniussent lebouc575,tu m'accusesd'êtreenvieuxet mauvaiselangue?Qu'on parledevanttoi desconcussionsde PétilliusCapi-tolinus5's; tu vas le défendreà ta façon «Capitolinus!c'est mon ami, mon commensaldepuis l'enfance; à mademandeet pour m'être agréable,il m'a rendu bien des

services;jesuistrèsheureuxqu'il necoureaucunrisqueàrester à Rome; pourtant je me demandecommentil a

pu se tirer d'affaire! »Voilàde la noirceur la seichen'est pas plus noire; voilàdu pur venin. Ce vice ne serencontrerapasdansmesécrits,ni surtoutdansmonâme;s'il est une promesseque je puissefairesur mon compte,c'est bien celle-là. Il peut m'arriver d'être assez libredans mes propos et de pousserun peu la plaisanterie;il faut m'en laisser le droit et se montrer indulgent.C'est une habitude que m'a donnée mon excellent

père; pour me détourner du vice, il me citait des

exemples.Voulait-ilm'inviterà vivreavecéconomieet frugalité,

à me contenterde ce qu'il avaitacquispour moi « Voisla triste existencedu fils d'Albius, la misère de Baïus;quelenseignementpour ne pas dissipersonpatrimoine!»

Se proposait-ilde me détournerd'une honteusepassionpour une courtisane «Ne ressemblepas à Scétanus.»Pour m'écarter de l'adultère, quand il m'était possiblede prendre un plaisirpermis «On a pris Trébonius577

en flagrant délit, me disait-il, sa réputation n'y a pasgagné!Pour ce qu'il faut faireou éviter, les philosophest'enseignerontles principes;il me suffit,à moi, d'obser-ver la moraletransmisepar nos pères et de garderpuresta vie et ta réputation,tant que tu as besoind'être sur-veillé.Quandl'âgeaura fortifiétes membreset ton cœur,

Page 159: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE 1 161

tu pourras nager sans ceinture. » Ainsi me façonnait-il,tout enfant, par ses propos; s'il me conseillait de faire

quelque chose « Voici, disait-il, une autorité. » Et il mecitait un des juges choisis par le préteur; s'il me l'inter-disait « Pourrais-tu douter que tel acte soit malhonnêteou inutile, quand il court sur tel ou tel des bruits sifâcheux ? » La mort d'un voisin épouvante le malade quivoudrait bien manger, et la crainte de mourir l'oblige àse surveiller ainsi l'infamie d'autrui détourne souventles jeunes gens du mal. Cet enseignement me préservades vices vraiment funestes; il me laissa des défauts légerset pardonnables. Peut-être même me corrigerai-je de

plus d'un, grâce au temps, à un ami franc, à mes propresréflexions car, étendu sur mon lit, ou faisant les cent passous mon portique, je ne manque pas de réfléchir« Ceci est plus sage; je vivrai mieux en agissant ainsi;ainsi, je plairai mieux à mes amis; ce qu'a fait un teln'est pas très bien; est-ce que par hasard je serais assezétourdi pour faire comme lui ? » Voilà ce que je me dis,sans remuer les lèvres; puis, quand j'ai un moment, jem'amuse à l'écrire. C'est là un de ces travers dont je par-lais tout à l'heure. Si tu ne veux pas me le pardonner,j'appellerai à mon secours toute la troupe des poètes(nous sommes de beaucoup les plus nombreux), et, commefont les Juifs 578,nous te forcerons bien à marcher avecnous.

v

Au sortir de la grande Rome, je m'arrêtai à Aricie 579,dans une hôtellerie modeste; j'avais pour compagnon lerhéteur Héliodore, l'homme le plus savant, et de beau-coup, de toute la Grèce. De là, nous gagnâmes le Forumd'Appius 5"°,plein de mariniers et d'aubergistes voleurs.Par paresse, nous fîmes l'étape en deux fois; un joursuffit quand on sait mieux que nous relever sa ceinture;la voie Appienne est moins pénible pour qui va lente-ment. Là, à cause de l'eau détestable, je fais la guerre àmon appétit, et j'attends, non sans impatience, que mescompagnons aient fini de dîner. Déjà la nuit se disposaità verser son ombre sur la terre et à répandre les étoilesdans le ciel. Les esclaves des voyageurs échangent des

injures avec les bateliers « Aborde ici! — Mais nousserons trois cents dans le bateau! Allons! c'est assez. »A faire payer le prix du passage, à atteler la mule, une

Page 160: Horace - Oeuvres

162HORACE

heure entière passe. Les odieux moustiques, les gre-

nouilles des marais nous empêchent de dormir. Le bate-

lier, ivre d'un mauvais vin, et le passager chantent à

l'envi leur maîtresse absente; enfin, de fatigue, le passa-

ger s'endort, pendant que l'autre, laissant paître sa

mule, fixe par une pierre le câble de la barque, et, comme

un fainéant, se couche sur le dos et ronfle. Au jour, nous

constatons que le bateau n'avance pas; alors l'un de nous,

qui a la tête chaude, saute à terre et travaille, avec une

branche de saule, la tête et les reins de la mule et du

marinier. Enfin, à la quatrième heure, nous débarquons.

Nous nous lavons la figure et les mains dans ton eau,

Féronia 581. Après déjeuner, nous faisons péniblement

trois milles et nous entrons dans Anxur 682, juché sur

ses rochers qui brillent de loin.

C'est là que devaient arriver Mécène et l'excellent

Coccéius, envoyés tous deux pour traiter une grosse

affaire, et qui ont l'habitude d'arranger les difficultés

survenues entre amis. Pour moi, en attendant, je frottais

d'un onguent noir mes yeux malades, quand Mécène

arriva, accompagné de Coccéius et de Fontéius Capito 5",

un homme parfait, le meilleur ami d'Antoine. Nous quit-

tons volontiers Fundi 5"1 et son préteur Aufidius Luscus,

riant des insignes arborés par ce greffier stupide, de sa

robe prétexte, de son laticlave, de son réchaud plein

de braise. Puis, fatigués, nous nous arrêtons à Formies,

la ville des Mamurra Muréna SR5nous y prête sa

maison, et Capito se charge de nous faire manger.

Le jour suivant nous apporte une grande joie nous

rencontrons à Sinuesse Plotius, Varius et Virgile S"6,les

plus belles âmes que la terre ait jamais portées, mes

meilleurs amis. Quels embrassements! Quelle joie! Tant

que j'aurai ma raison, rien ne vaudra pour moi un ami

aimable. Au pont de Campanie, notre premier relais, les

agents nous fournissent ce qu'ils nous devaient, un toit,

du bois et du sel. De là, les mulets vont, bien à propos,

déposer leur charge à Capoue Mécène va jouer, Virgile

et moi faisons la sieste la paume n'est pas un jeu pour

qui a mal aux yeux ou à l'estomac.

Nous fûmes ensuite reçus dans la très confortable villa

de Coccéius; qui domine les cabarets de Caudium. Et

maintenant, Muse, raconte-moi en quelques mots le

combat du bouffon de Mécène, Sarmcntus, et de Messius

Cicirrus, et la naissance des deux adversaires. Messius

est de l'illustre nation osque 117 la maîtresse que servit

Page 161: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE 1163

l'esclave Sarmentus vit encore telle est la noble originedes combattants. Sarmentus commença Je te dis que turessembles à un cheval sauvage. )1Nous rions; alorsMessius « Je veux bien », et le voilà qui remue la tête.« Oh! dit Sarmentus, si l'on n'avait pas coupé la cornesur ton front, que ne ferais-tu pas, puisque tu menaces,mutilé comme tu l'es? a Une vilaine cicatrice enlaidissait,à gauche, son front couvert de poils. Et Sarmentus defaire des jeux de mots, sur le mal campanien

58"et surl'extérieur de Cicirrus, lui demandant de danser la dansedu Cyclope pour laquelle il n'avait besoin ni du masque,ni des cothurnes tragiques. Cicirrus n'avait pas de peineà lui répondre « As-tu, lui demandait-il, offert ta chaîneaux Lares en ex-voto ? de ce que tu es devenu scribe,ta maîtresse a-t-elle perdu ses droits sur toi ? Pourquoias-tu pris la fuite ? Tu avais bien assez d'une livre

d'épeautre par jour tu es si petit, un vrai nain! « Notredîner se prolongea ainsi, d'une façon tout à fait agréable.

De là, nous tirons droit sur Béncvent, où un hôteaccueillant faillit tout brûler en mettant à la broche des

grives squelettiques. Le feu se répandit; la flamme courutdans la vieille cuisine et allait bientôt en lécher le toit.On pouvait voir tout le monde, convives affamés, esclaves

tremblants, essayer de sauver le dîner et d'éteindre lefeu. A partir de là, l'Apulie mit sous mes yeux ses

montagnes bien connues 5"9,brûlées par l'Atabule et quenous n'aurions jamais franchies, si nous n'avions eu, pournous abriter, une villa voisine de Trivicum, où la fuméenous arracha des larmes, des branches vertes ayant étémises à brûler avec des feuilles dans la cheminée. C'estlà que, comme un sot, j'ai attendu jusqu'au milieu de lanuit une fille qui m'en avait conté. J'ai fini par m'endor-mir en pensar.t à elle; mais je fis un rêve assez malpropre;ma chemise de nuit et mon ventre en portèrent les

marques. Nous partîmes de là pour faire, sur un char,vingt-quatre milles nous devions nous arrêter dans une

petite ville dont le nom ne peut pas entrer dans un vers 590;mais elle est très facile à deviner on y achète une mar-chandise qui ne coûte rien, l'eau; mais le pain y est

admirable, si bien que le voyageur, qui n'est pas sot, al'habitude d'en emporter sa charge jusqu'à la prochaineétape. A Canusium, en effet, il est plein de petits cailloux;encore une localité, fondée autrefois par le courageuxDiomède, où l'on ne trouve pas plus d'eau que dans la

précédente. C'est à Canusium 5"que Varius nous quitta

Page 162: Horace - Oeuvres

164HORACE

il était triste et nous, ses amis, nous pleurions tous.

Nous atteignîmes Rubi nous étions las, car la route

est longue, et elle avait été gâtée par la pluie. Le lende-

main, le temps fut meilleur, mais le chemin pire jusqu'aux

murailles de Bari, la ville du poisson. Ensuite Egnatie,

bâtie malgré les Nymphes des eaux, nous donna l'occa-

sion de rire et de nous amuser on nous affirma qu'à la

porte du temple, l'encens se consume sans qu'on y mette

le feu. Le Juif Apella peut le croire, moi pas; car on m'a

appris que les dieux vivent bien tranquilles592et que, si

la nature fait des miracles, les dieux ne s'ennuient pas

assez pour en faire tomber du haut du ciel.

C'est Brindes qui est le terme de mon long récit et de

mon voyage.

VI

Si, parmi les Lydiens venus s'installer en Etrurie 50;nul

ne te surpasse, Mécène, par la naissance; si tes ancêtres,

paternels et maternels, ont jadis commandé de grandes

armées, tu n'en tires pas prétexte, comme tant d'autres,

pour regarder du haut de ta grandeur594les gens de basse

origine, moi par exemple, dont le père était un affranchi.

Peu importe, dis-tu, le père que l'on a, pourvu qu'on ait

soi-même des sentiments d'homme libre; et tu sais, de

science certaine, que, avant le règne de Tullus Sys,ce fils

d'une esclave, une foule de grands hommes sans aïeux

ont brillé par leur vertu et ont obtenu les plus grands

honneurs; mais tu sais aussi que Lévinus, ce descendant

de Valérius Publicola 596qui détrôna et chassa Tarquin

le Superbe, ne valut jamais plus d'un as pour le peuple;et cependant, tu connais bien le peuple il a la sottise de

conférer les honneurs à ceux qui ne les méritent pas, il

se fait stupidement l'esclave de la renommée, il tombe en

extase devant les inscriptions honorifiques et les images

des ancêtres. Qu'avons-nous donc à faire, nous qui

sommes si loin du vulgaire ?Eh bien! admettons que le peuple aimât mieux conférer

une charge à Lévinus qu'à Décius 597,un homme nou-

veau que le prêteur Appius me chassât du Sénat pour

être un fils d'affranchi (et il ferait bien, puisque je

n'aurais pas su me tenir tranquille à ma place). Mais tout

de même, la Gloire attache et traîne à son char brillant

nobles et gensde peu. Que t'a servi, Tillius 59S,de reprendrele laticlave, après l'avoir abandonné, et de devenir tri-

Page 163: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE 1165

bun ? L'envie s'est déchaînée contre toi, plus forte; elleeût été moindre, si tu avais été un simple particulier. Car,lorsqu'on a été assez sot pour s'emprisonner le pied,jusqu'au milieu de la jambe, dans un brodequin noir 5",et qu'on a laissé retomber sur sa poitrine les plis du lati-

clave, tout de suite on entend autour de soi fi Quel estcet homme ? de qui est-il fils ? » C'est comme lorsqu'onest atteint de la maladie de Barrus et qu'on veut passer

pour un bel homme; où que l'on aille, les jeunes fillesfont leurs remarques, l'une après l'autre, sur l'allure, la

jambe, le pied, les dents, les cheveux. Ainsi, celui quipromet de donner tous ses soins aux citoyens, à la Ville,à l'Empire, à l'Italie, aux temples des dieux, celui-là

oblige tous les gens à se demander de qui il est le filset s'il n'a pas la honte d'avoir une mère d'humble nais-sance. « C'est toi, un Syrien, le fils de Dama ou de

Denys 600, qui as l'audace de faire jeter des citoyens duhaut de la Roche ou de les livrer à Cadmus le bourread ?

Mais Novius, mon collègue, est encore d'un rangderrière moi; il est, lui, ce qu'était mon père! Tecrois-tu pour cela un Paul-Emile ou un Messala ? Novius,lui, si deux cents chariots et trois enterrements de pre-mière classe se rencontraient sur le forum, réussirait àdominer le bruit des cors et des trompettes voilà quien vaut la peine. »

Maintenant, je reviens à moi, le fils de l'affranchi, moi

qu'on déchire parce que, tout en étant fils d'affranchi,

j'ai aujourd'hui ma place à ta table et que j'ai autrefois,comme tribun militaire, commandé une légion romaine.Il y a, entre aujourd'hui et autrefois, une différence

notable si l'on a peut-être raison de me reprocher ce

grade de tribun, il n'en est pas de même du titre d'amitu prends assez de précautions pour ne le donner qu'àdes gens qui le méritent et que ne guide pas une mauvaise

ambition. Impossible de faire remonter l'origine de notreamitié à un hasard heureux; car ce n'est pas le hasard

qui nous a rapprochés un jour, l'excellent Virgile et

après lui Varius te parlèrent de moi; je vins te voir; je ne

pus dire que quelques mots en hésitant (la réserve

m'empêchait d'en dire plus); je parlai de mon père,

qui n'était pas un homme illustre, de moi qui ne faisais

pas le tour de mes terres sur un cheval de Saturium M1;jete dis qui j'étais; tu me répondis quelques mots, suivant

ton habitude; je te quittai; neuf mois après, tu me rede-

mandais et me priais d'être ton ami. C'est pour moi un

Page 164: Horace - Oeuvres

166 HORACE

honneur d'avoir plu à un homme qui sait distinguer le

coquin de l'honnête homme et juge autrui, non sur

l'illustration de sa naissance, mais sur la pureté de sa

vie et de ses sentiments.

Si ma nature, d'ailleurs honnête, n'est affectée que de

quelques défauts, pas bien graves, comme de légères

taches semées çà et là sur un beau corps, si personne n'a

le droit de m'accuser de cupidité, de mauvaise tenue, de

passions dégradantes, si ma vie est pure et sans reproche

(je puis bien me rendre ce témoignage), si je suis aimé

de mes amis, c'est à mon père que je le dois; il n'était pas

riche, n'avait qu'une petite terre, mais il ne voulut pas

m'envoyer à l'école de Flavius 6112,que fréquentaient les

beaux fils des nobles centurions, le plumier et la tablette

pendus au bras gauche, et portant, le jour des ides, les

huit as de la rétribution scolaire. Il ne craignit pas de me

mener à Rome, dès mon enfance, pour m'y faire instruire

dans les humanités, comme on les apprend aux fils de

chevaliers ou de sénateurs. A me voir vêtu et suivi d'es-

claves, comme on l'est dans une grande ville, on m'aurait

cru pourvu, pour subvenir à tant de frais, d'un riche patri-

moine. Mon père lui-même, gardien incorruptible, assis-

tait à toutes mes leçons. Qu'ajouter ? Il me conserva ma

pureté, cette première fleur de la vertu, et me garda, non

seulement de toute action malhonnête, mais de tout soup-

çon infamant. Il ne craignit pas de s'entendre reprocher

un jour d'avoir fait de moi un crieur public ou, comme il

le fut lui-même, un collecteur à petit salaire; et s'il en

avait été ainsi, je ne me serais pas plaint. Mais, pour tout

cela, il mérite, aujourd'hui encore, des éloges, et je lui

dois une plus vive gratitude.

Je suis assez raisonnable pour ne pas rougir de mon

père, et je ne m'excuserai pas, comme tant d'autres, en

disant que ce n'est pas ma faute si mes parents ne sont

pas des gens considérables et de haute naissance; mes

paroles, ma manière de voir sont bien différentes. Car si

la nature me permettait de recommencer ma vie et de

revivre les années passées, si l'on pouvait, par vanité,

prendre les parents de son choix, satisfait des miens, je

n'irais pas en chercher parmi les magistrats honorés des

faisceaux et des chaises curules. La foule me trouverait

sot; mais il est probable que tu me jugerais sage de ne pas

accepter une charge trop lourde, dont je n'ai pas l'habi-

tude. Il me faudrait travailler sans arrêt à accroître mon

bien, faire des courbettes devant une foule de gens, avoir

Page 165: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE 1167

toujours plusieurs personnes à ma suite, ne jamais pou-voir aller seul à la campagne ou à l'étranger, entretenirdes valets, des chevaux, me faire conduire en voiture.

Aujourd'hui si la tête me chante, je peux aller, même à

Tarente, monté sur un mulet à la queue coupée, dontmon bissac blesse les reins, pendant que le cavalier luiécorche les flancs. Personne ne me reprochera, comme à

toi, Tillius 603, de manquer de tenue, quand un préteur,comme toi, se fait suivre, sur la route de Tibur, de cinqesclaves porteurs de sa batterie de cuisine et d'un barilde vin.

Pour cette raison, et pour mille autres, ma vie,illustre sénateur, a plus de charme que la tienne; à mafantaisie je vais me promener seul, je demande le prix des

légumes, du blé; je vais et viens au Cirque, parmi les char-

latans, et, sur le soir, je flâne au forum; je m'arrête auxdiseurs de bonne aventure; puis je reviens chez moi, où jetrouve un plat de poireaux et de pois chiches et quelquesgâteaux frits; mon repas m'est servi par trois esclaves;sur une table de marbre blanc, j'ai placé une paire devases avec un cyathe, un oursin sans valeur, une buretteavec sa coupe, le tout en poterie campanienne. Puis jevais dormir, sans avoir le souci de me lever le lendemainde bonne heure pour aller voir si Marsyas

604continueà ne pas pouvoir regarder la figure de Novius le Jeune.Je reste couché jusque vers dix heures; je sors; je lis ou

j'écris ce qui me plaît, je réfléchis; je me fais frotter

d'huile, mais pas de l'huile volée aux lanternes, commele dégoûtant Natta e'5. Quand je sens la fatigue et quele soleil plus ardent m'engage à aller au bain, je quittele Champ de Mars et le jeu de la balle; je fais un déjeuner

léger qui me permet d'atteindre la fin du jour sans avoirle ventre vide, et je reste à la maison sans rien faire.Voilà la vie des gens qui se sont libérés de l'ambition,de ses misères, de ses fardeaux; et j'ai la satisfactionde mener une existence plus douce que si mon aïeul,mon père ou mon oncle eussent été questeurs.

VII

Comment Persius, ce sang-mêlé, se vengea des attaquesvenimeuses du proscrit Rupilius Rex 1U16,c'est une his-

toire qui est connue, je pense, de tous les oisifs, depuisles gens qui ont mal aux yeux jusqu'aux barbiers 607,

Page 166: Horace - Oeuvres

168 HORACE

Ce Persius 608était riche; il était à la tête de grosses affaires

à Clazomènes 609,et il avait l'ennui d'un procèsavec Rex.

C'était un homme impitoyable, plus odieux encore que

Rex, plein de lui-même, orgueilleux, si âpre dans ses pro-

pos, qu'il dépassait de beaucoup à ce point de vue les

Sisenna 61f'et les Barrus. Je reviens à mon Rex. Nos deux

hommes ne réussirent pas à se mettre d'accord (entre

gens hargneux, les choses se passent comme entre braves

qui sont dans deux camps ennemis; Hector, fils de

Priam, et le bouillant Achille sont séparés par une haine

mortelle, qui ne peut finir que par la mort de l'un des

deux, et sans autre motif que l'extrême valeur des adver-

saires si la discorde oppose deux lâches, si la guerre

éclate entre deux êtres de force inégale, comme entre

Diomède et le Lycien Glaucus 611,c'est le moins brave

qui bat en retraite, et encore après avoir fait à l'autre

des présents). Brutus étant alors propréteur dans la riche

province d'Asie, Rupilius et Persius se présentent au

combat les deux gladiateurs Bithus et Bacchius 612

n'eussent pas été mieux appariés. Avec ardeur, ils

s'avancent devant le tribunal. Spectacle admirable!

Persius expose l'ffaire: les rires éclatent de toutes

parts dans l'assemblée; notre homme fait l'éloge de Brutus,

de son entourage, il appelle Brutus soleil de l'Asie, ses

amis astres favorables, à l'exception toutefois de Rex;

il était, lui, la constellation du Chien, détestée des cul-

tivateurs. L'orateur se rue comme un fleuve grossi par

les neiges et qui roule avec violence dans les bois où la

hache ne travaille guère. A ce flot de plaisanteries,l'homme de Préneste 613

riposte par des brocards quisemblent venir de l'arbre qui soutient la vigne 6H; comme

l'intraitable vigneron, il ne se laisse pas intimider par le

passant qui, à grands cris, imite, pour se moquer, le

chant du coucou, mais doit bientôt passer son chemin.

Alors le Grec Persius, inondé de tout ce vinaigre ita-

lien Par les grands dieux, je t'en prie, Brutus, toi quias l'habitude de supprimer les rois 615,pourquoi ne pas

étrangler ce Rex ? Crois-moi, c'est une affaire de ton

ressort. Il

VIII

J'étais jadis un tronc de figuier, un morceau de bois ne

pouvant servir à rien un ouvrier se demandait s'il ferait

de moi un banc ou un Priape il se décida pour le dieu.

Page 167: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE 1169

Je devins donc dieu, terreur des voleurs et des oiseaux;les voleurs, je les tiens en respect par mon bras et par ce

pieu rouge et obscène qui se dresse au bas de mon ventre;le roseau qu'on m'a placé sur la tête est un épouvantailpour les oiseaux importuns et les empêche de s'abattredans les jardins nouveaux. C'est ici que naguère lesesclaves faisaient, en payant, apporter dans de misérablescercueils les corps de leurs camarades, jetés hors de leursétroites cellules; c'était la fosse commune d'une plèbemisérable, du bouffon Pantolabus, du débauché Nomen-tanus 616. Une colonne funéraire indiquait la dimensiondu terrain, mille pieds en longueur, trois cents en profon-deur elle portait en outre que les héritiers n'avaientaucun droit sur la tombe 617 Aujourd'hui l'Esquilin

618estun quartier sain on peut y habiter; on peut se promenerau soleil sur cette terrasse, d'où la vue était récemmentattristée par les ossements blanchis répandus sur la terre.Pour moi, les voleurs et les bêtes qui hantent habituel-lement ces lieux me donnent moins de souci et de tra-vail que les sorcières qui tourmentent les hommes parleurs formules et leurs philtres. Aucun moyen pour moide les chasser et, quand la lune vagabonde montre sonblanc visage, de les empêcher de ramasser des os et des

plantes empoisonnées.

J'ai vu moi-mêmeCanidieerrer dansces lieux,sa robenoire retroussée,piedsnus, cheveuxépars; elleétait avecSaganal'aînée; ellepoussaitdeshurlements;toutesdeuxétaienteffrayantesde pâleur. Ellesse mirent à fouillerlaterre de leurs ongles et à déchirer de leurs dents uneagnellenoire; ellesfirentcoulerle sangdansla fossepouren faire sortir les Mâneset avoir les réponsesdes âmes.Elles avaientdeux poupées,l'une de laine619,l'autre decire; la première,plus grande, semblaitvouloirchâtierlaseconde;cellede cireétaità genoux,commeun esclavequivamourir.L'une desdeuxsorcièresinvoquaHécate620,l'autre la cruelleTisiphone;alors,onput voirlesserpentset les chiensdes enfersaller et venir autour d'elle, et lalune rougissante,pour ne pas être témoinde cesabomi-nations, se cacher derrière les grands tombeaux. Si jemenssipeu quecesoit, je veuxque lescorbeauxsouillentmatête de leur fienteblanche,que Julius,la mollePédia-tia et Voranus le voleur viennent faire sur moi toutesleurs turpitudes.A quoibontout raconterdansle détail?pourquoi dire commentles ombresse mirent à conver-seravec Saganad'une voixlugubreet aiguë,commentles

Page 168: Horace - Oeuvres

170HORACE

deux femmes enfouirent secrètement en terre de la barbe

de loup et une dent de couleuvre tachetée, comment une

flamme plus haute consuma la poupée de cire, comment

enfin, plein d'horreur pour les paroles et les actes de ces

deux furies, je me vengeai de ce que j'avais vu et entendu.

Mes fesses de figuier firent entendre un pet, sonore

comme une vessie qui éclate 621.Et mes deux femmes de

filer vers la ville; Canidie perd ses fausses dents, Sagana

son énorme perruque, elles laissent tomber les herbes et

les bandes de laine enchantées qu'elles avaient dans

les bras beau spectacle, vraiment risible et amusant!

IX

J'allais sans but par la Voie Sacrée, suivant mon habi-

tude, rêvant à je ne sais quelles bagatelles et très absorbé.

Un quidam dont je ne connaissais que le nom se jette sur

moi, et, me prenant les mains « Comment va, mon très

cher ami ? Pas mal pour le moment; puissent tous tes

vœux se réaliser! » Il se met à me suivre; et moi, prenant

le premier la parole « Tu as encore quelque chose à me

dire ? » Alors, lui « Tu dois bien me connaître, je suis

poète, moi aussi. Tu m'en es d'autant plus cher », lui

dis-je. Et je fais de vains efforts pour le quitter tantôt je

presse le pas, tantôt je m'arrête pour glisser un mot à

l'oreille de mon esclave; en attendant, j'étais inondé de

sueur jusqu'au bout des pieds. « 0 Bolanus 622,heureuse

cervelle! » disais-je en moi-même, pendant que l'autre

poursuivait son bavardage, admirant les rues, la ville.

Comme je ne répondais rien « Tu as tort, me dit-il, de

vouloir me lâcher; je te vois venir depuis un moment;

mais tu as beau faire, je te tiens et ne te quitte pas. Où

comptes-tu aller ? Tu n'as pas besoin de faire un

détour pour rester avec moi je vais voir un ami que tu ne

connais pas il habite loin d'ici, de l'autre côté du

Tibre sz', près des jardins de César; il est alité. Je n'ai

rien à faire; j'ai de bonnes jambes; je t'accompagnerai

jusque-là.

Je baisse l'oreille comme un âne en colère dont la

charge pèse trop lourdement sur son dos. Il recommence

« Si je me connais bien, tu auras pour moi autant d'amitié

que pour tes amis Viscus et Varius 624 personne n'est

capable d'écrire plus de vers que moi, ni plus vite; per-

sonne ne danse avec plus de grâce. Thermogène 625 est

Page 169: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE 1 171

jalouxquand je chante. » C'était le moment de l'inter-rompre «Tu as une mère,desparents,à qui ta santéestchère? Je n'ai personne;j'ai enterré tous les miens.»

Commeilssontheureux!pensé-je.Malheureusement,moi, je reste. Allons,achève-moi!Et je me rappelle letriste sort que, dans mon enfance,me prophétisa unevieille femme de Sabine, après avoir agité son urnemagique; cet enfant ne sera ni empoisonné,ni tué parl'ennemi, ni emporté par la pleurésie,la phtisie ou lagoutte pesante; c'est un bavard qui aura raison de lui.S'il est sage, qu'en grandissantil évite les bavards.

Nous arrivionsau templedeVesta626,et le quart de lajournéeétaitdéjàpassé.Justementil devait,devantle tri-bunal,répondreà une assignation627;faute de le faire,ilperdait son procès.«Je t'en prie,me dit-il, entreun ins-tant tu m'assisteras. Que je meure, si je puis resterdebout!D'ailleursj'ignoretout desaffairesciviles;et puisj'ai hâte d'arriveroù tu sais! Je ne saisque faire! Quilaisser, toi ou mon affaire? C'est moi, je t'assure.

Je n'en ferai rien.» Et le voilàqui marchedevant; etje lesuis,caril n'est pasfacilede lutter avecplusfort quesoi. Alors il reprend « Et Mécène,commentte traite-t-il ? Ils ne sontpas nombreux,ceuxqu'il accueille;c'estun sage;et puispersonnen'a eu plusde chance.Je serais

pour toi un aideprécieux,capablede tenir près de toi unpetit rôle, si tu consentaisà m'introduireauprès de lui;que je meure,si jene réussispasà évincertous lesautres!

Notre viechezMécènen'est pas ce que tu crois.Pasde maisonplus honnête,plus étrangèreà l'intrigue; nulne m'y fait tort, sousprétextequ'il est plus richeque moiou plus savant.Chacunest à sa place. Ce que tu meracontesestétonnant,incroyable. C'estpourtantainsi.

Tu augmentesmon désir de me rapprocherde lui.Tu n'asqu'à levouloir tonmériteemporteralaplace.Il

n'est pas impossiblede gagnerMécène; mais c'est pourcelaqu'il n'est pas facilede l'approcher. Je ne négli-gerai rienpour y arriver.Je gagneraipar des cadeauxsesesclaves62".Si l'on m'empêche d'entrer aujourd'hui, jene renoncerai pas. Je chercherai l'occasion, j'irai au-devant de lui sur les places, je lui ferai cortège. Leshommesn'obtiennentrien sanspeine. »

Pendantcesdiscours,voicique nousrencontronsFus-cus Aristiussz9,mon bon ami, qui connaissaitbien notrehomme. Nous nous arrêtons. Questionset réponses«D'où viens-tu? Oùvas-tu? 1)Je le tire par levêtement,

Page 170: Horace - Oeuvres

172HORACE

je lui pince le bras sans qu'il ait l'air de rien sentir, je fais

des signes de tête, je cligne des yeux, espérant qu'il va me

délivrer. Mais lui, faisant de l'esprit mal à propos, sourit,

feint de ne pas comprendre; je sens ma bile me brûler

le foie. « Ne m'as-tu pas affirmé, lui dis-je, que tu avais

une confidence à me faire ? Oui, oui; mais je trouverai

une meilleure occasion; c'est aujourd'hui nouvelle lune et

jour de sabbat 63°.Voudrais-tu que je fasse la nique aux

Juifs circoncis ? Oh! tu sais, je n'ai pas de scrupules

religieux. Mais j'en ai, moi. J'ai mes faiblesses, je suis

l'homme de la rue. Excuse-moi; je parlerai une autre

fois. » Faut-il donc que j'aie vu se lever un jour si funeste ?

Il s'esquive, le coquin, et m'abandonne sous le couteau.

Heureusement, le hasard nous fait rencontrer l'adversaire

de mon fâcheux 631.« Oùvas-tu, gredin ? »s'exclame-t-il à

pleine voix; et à moi « Veux-tu bien me servir de

témoin ? » J'y consens en me laissant toucher l'oreille. Il

traîne son homme au tribunal. Clameur des deux parts;

la foule se ramasse. C'est ainsi que je fus sauvé par

Apollon.

x

Eh bien! oui, j'ai dit que Lucilius composait trop vite

des vers raboteux. Lequel de ses admirateurs aurait la

sottise de ne pas en convenir ? Mais, dans la même satire,

j'ai loué ce poète d'avoir répandu à pleines mains le sel

sur la ville. Seulement, en lui accordant ce talent, je ne

songe pas à lui attribuer tous les autres; à ce compte, il

me faudrait admirer comme des chefs-d'œuvre les mimes

de Labérius 632.C'est qu'il ne suffit pas de faire rire l'au-

diteur à gorge déployée, quoique cet art ne soit pas sans

mérite. Il faut de la brièveté, il faut laisser courir la

pensée sans l'empêtrer de mots qui lassent et fatiguent

l'oreille; il faut que le ton soit parfois grave, ordinaire-

ment enjoué, qu'on croie entendre ou l'orateur et le poète,ou l'homme du monde qui sait ménager ses forces et ne

pas en abuser. Presque toujours la plaisanterie tranche

les grosses difficultés avec plus de force et de succès que

la violence. C'est par là que réussissaient les poètes de

l'ancienne comédie; c'est là ce qu'il faut imiter chez ces

écrivains que n'ont jamais lus ni le bel Hermogène, ni ce

singe633

qui n'a appris à chanter que les vers de Calvus

et de Catulle 634.

« Mais Lucilius a fait quelque chose de bien aux mots

Page 171: Horace - Oeuvres

SATYRES. LIVRE I173

latins, il a mêlé des mots grecs. » Comme on voit bien

que vous avez acquis votre science sur le tard Pouvez-vous trouver difficile et admirable ce qui a été si facile

pour le Rhodien Pitholéon 635? « Le mélange desdeux langues, s'il est bien fait, ne manque pas de dou-

ceur c'est du vin de Chio mêlé à un Falerne de bonne

marque. » Je te fais juge toi-même; est-ce seulementen poésie que ce mélange est recommandable, ou le serait-il également, dans le difficile plaidoyer composé pourl'accusé Pétillius 636? Voudrais-tu qu'oubliant leur patrieet Latinus leur ancêtre, Pedius et Corvinus Publicola 637,peinant sur leurs plaidoiries, mêlassent au latin des mots

étrangers, à la façon des gens de Canusium 638,qui parlentles deux langues ? Quand je faisais de petits vers grecs,moi qui suis né de ce côté-ci de la mer, voici en quelstermes me l'interdit Quirinus, m'apparaissant dans laseconde partie de la nuit, au moment où les songes sont

véridiques « C'est folie de porter du bois à la forêt; c'estfolie plus grande de grossir les bataillons grecs, si fournis

déjà. »

Pendantque,dansson styleampoulé,AlpinusétrangleMemnonet fait une vraie caricaturede la tête limo-neusedu Rhin639,j'écris, par jeu, de petits vers qui nesont pas faits pour être lus dans un temple et soumis,dansun concours,au jugementde Tarpa MO,ni pour êtredébitésmaintesfoissur un théâtre. Seulde nos contem-porains,tu es capable,Fundanius6", de plaisanteravecgrâce, en montrant une courtisane rusée ou Dave sejouantdu vieuxChrémès642Pollion,dansses trimètres,chante les exploitsdes rois; personne ne traite commel'ardent Varius643,la belliqueuseépopée; à Virgile,lesCamènes,amies de la campagne,ont donné la grâce etl'enjouement.Lasatire,danslaquelleVarronde l'Atax644et quelquesautressesontvainementessayés,était cequeje pouvais faire de mieux inférieur à Lucilius, soncréateur,je n'aurais pas eu l'audace de lui ravirla cou-ronne qui resteattachée,avecgloire,sur sonfront.

J'ai dit, j'en conviens,que sesversétaientun flotbour-beux,danslequelil y avaitsouventplusà retrancherqu'àlaisser. Mais, je te le demande,à toi, le savant, n'as-turien à reprendre dans le grand Homère? Lucilius,lui-même,n'a-t-il pas la finessede trouverdes changementsdésirableschez Accius,le poète tragique? Ne sourit-ilpas de certainsvers d'Ennius, inférieursen gravité,sanssonger,quandil parlede lui-même,à semettreau-dessus

Page 172: Horace - Oeuvres

174HORACE

de ceux qu'il blâme? En lisant ses vers, nous pouvonsrecherchers'il doit à sa nature ou à la difficultédu sujetde n'avoirpas fait des vers plus élégantset plus achevés

queceshexamètres,qu'il secontentaitdemettresur pied,

prenant plaisir à en écrire deux cents avant dîner et

autant après? Tel Cassius645,à l'inspirationplus bouil-lonnantequ'un fleuverapide,qui périt, dit-on, brûlé parsescoffretset ses livres.Oui, je l'admets Luciliuseut dela grâce,de l'élégance,son versest plus châtiéque celuidu rude Enniusqui introduisità Romeun genreinconnuen Grècee"e,et de la fouledes poètes les plus anciens.Mais lui-même,si les destins l'avaient transporté dansnotre temps, il effaceraitdans son œuvre bien des pas-sages, il retrancherait tout ce qui dépasse l'expressionjuste de la pensée,et souvent,en écrivant,il se gratteraitla tête et se rongeraitlesonglesjusqu'au vif.

Retourne souvent ton style pour effacer,si tu veuxécrire une œuvre qui mérite d'être relue; ne recherche

pas l'admiration de la foule; contente-toide quelqueslecteurs.As-tu, au contraire,lasottisede vouloirque tesvers serventde dictéedans les petitesécoles? Moi, pas.Il me suffit de me faire applaudir par les chevaliers,commedisait Arbuscula617,quand elle avait le couragede braver les huées de la foule. Vais-jem'émouvoirdecette punaisede Pantilius,souffrirdes piqûres que mefait par-derrièreDémétrius648,des traits dont veut meblesserl'imbécileFannius,hôtehabitueldeTigelliusHer-

mogène? Plotiuset Varius,Mécèneet Virgile,Valgiusetl'excellentOctavius,Fuscus, les deuxViscus,voilàceuxdont jesouhaitelessuffrageset leséloges!Toute flatteriemisede côté,jepuis encorevousnommer,Pollion,Mes-

sala, toi et ton frère, Bibulus, Servius,toi aussi,sincère

Furnius; il en est d'autres, des poètes, des amis, qu'àdesseinje passesoussilence649.A tous, je voudraisquemesvers,tels qu'ilssont, fassentplaisir;j'auraisdu cha-

grins'ils ne remplissaientpas leur attente. Quantà vous,Démétriuset Tigellius65°,allezlarmoyerles vôtresdansles sallesoù sont assisesles jeunes filles,vosélèves.

Allonsvite, esclave,ajoute cette satire à mon recueil.

Page 173: Horace - Oeuvres

Mort de ma vie! C'était bien là le meilleur parti. Seu-

lement, je ne puis pas fermer l'œil.

Quand on a besoin de bien dormir, qu'on se fasse, àtrois reprises, frotter d'huile, puis qu'on traverse le Tibreà la nage; et, la nuit venue, qu'on s'arrose l'estomac avecdu bon vin. Pourtant, si tu es pris d'une telle fureur

d'écrire, aie le courage de célébrer les grandes actions del'invincible César tu seras largement récompensé de ta

peine.

Ce n'est pas l'envie, mais la force qui me manque,excellent père; tout le monde n'est pas de taille à

LIVRE DEUXIÈME

i

HORACE

Certains me trouvent trop mordant dans la satire etm'accusent d'en tendre à l'excès les ressorts; d'autres

jugent mes écrits sans force et prétendent qu'on peutabattre, en un jour, mille vers comme les miens. Quefaire, Trébatius ? Décide.

TRÉBATIUSTe reposer.

HORACE

Renoncer absolument à faire des vers ?

TRÉBATIUS

Oui.

HORACE

TRÉBATIUS

HORACE

Page 174: Horace - Oeuvres

176HORACE

dépeindre les bataillons hérissés de traits, les Gaulois

frappés à mort par les lances qui se brisent dans leur

corps, les Parthes blessés tombant de cheval.

TRÉBATIUS

Tu pouvais du moins chanter la justice et la vertu

d'Octave, comme fit le sage Lucilius pour Scipion.

HORACE

A l'occasion, je n'y manquerai pas. Mais je dois choisir

le moment favorable, si je veux qu'il prête aux vers de

Flaccus une oreille attentive. Flatté à contretemps, il fait

front de toutes parts et se cabre.

TRÉBATIUS

Comme tu ferais mieux de suivre mon avis que de

blesser par tes vers méchants le bouffon Pantolabus et

le débauché Nomentanus 651, en un temps où chacun,

même sans avoir été attaqué, craint pour soi et a les sati-

riques en horreur.

HORACE

Mais que faire ? Milonius 652se met à danser quand la

chaleur du vin lui monte à la tête et qu'en regardant les

lumières, il voit double. Castor aime les chevaux, son

frère jumeau le pugilat. Autant de goûts que d'individus.

Mon plaisir, à moi, est d'enfermer mes mots dans certains

mètres, à la façon de Lucilius, qui s'y entendait mieux

que toi et moi. Il confiait ses secrets à ses ouvrages,

comme à des compagnons sûrs, et n'allait pas chercher

d'autres confidents, dans la mauvaise fortune et dans la

bonne ainsi toute la vie du vieillard s'y déroule comme

dans un tableau votif. C'est lui que j'imite 653, sans me

demander si je suis né en Lucanie ou en Apulie; car le

paysan de Venouse a des terres dans les deux pays

Venouse est une colonie fondée, suivant une vieille tra-

dition, par les Romains, au moment où ils repoussèrent

les Samnites, pour ne pas laisser le passage ouvert aux

incursions ennemies, que l'attaque vînt de l'Apulie ou

de la Lucanie. Mais ma plume n'attaquera jamais la pre-

mière un être vivant elle me protégera comme une épée

dans le fourreau. Pourquoi l'en tirer, tant que je serai à

l'abri des brigands ? 0 Jupiter, père et roi, puisse mon

épée rester au repos et se ronger de rouille! et que per-

sonne ne me fasse de mal, quand je ne désire que la paix!

Page 175: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE II177

Mais si quelqu'un me tracasse (je le crie bien haut, ilvaudrait mieux ne pas me toucher), il s'en repentira, etmes vers le feront connaître dans toute la ville.

Cervius 654en fureur menace ses ennemis des lois et dela sentence des juges; contre les siens la Canidie 655d'Al-butius use du poison; Turius 666réserve des arrêts iniquesà ceux qui plaident devant lui. Chacun effraie ceuxqu'il n'aime pas par les armes où il excelle, et qu'il emploiepar une force naturelle; les exemples suivants le prouventle loup attaque avec la dent, le taureau avec la corne.Pourquoi, si ce n'est par instinct ? Confie à Scéva m ledébauché sa mère bien vivante la main du drôle resterainnocente de toute violence (faut-il s'étonner que le loupn'attaque pas avec la patte et le bœuf avec ses dents ?)mais un mélange de ciguë et de miel empoisonnera lavieille femme. Je n'insiste pas qu'une vieillesse tran-quille me soit réservée ou que, déjà, les ailes noires de lamort battent autour de moi; que je sois riche ou pauvre;que je vive à Rome ou, si le sort le veut, en exil, quelleque soit ma condition, je veux écrire.

TRÉBATIUS

Je me demande avec effroi, ô mon fils, comment tupourras vivre tes puissants amis vont te battre froid.

HORACE

Eh quoi! quand Lucilius 668le premier eut le couraged'écrire des vers satiriques et d'arracher aux coquins lapeau dont ils se paraient en public, son talent offusqua-t-ilLélius et le héros qui tira de la ruine de Carthage unsurnom mérité? Furent-ils l'un et l'autre choqués deses attaques contre Métellus et des vers infamants dontil accabla Lupus ? Et Lucilius frappait indistinctementles premiers citoyens et les gens du peuple, n'épargnantque la vertu et ses amis. Bien plus, quand le vertueux

Scipion, le sage et doux Lélius laissaient la foule et lascène du monde pour retrouver l'intimité de leur demeure,ils détachaient leur ceinture afin de plaisanter et de joueravec Lucilius, en attendant que fût cuit le plat delégumes. Tel que je suis, quelque supériorité qu'ait surmoi Lucilius par la fortune et le talent, l'envie sera bien

obligée de reconnaître que j'ai toujours vécu près desgrands; elle croira mordre sur une proie facile à déchirer,mais elle la trouvera résistante. N'es-tu pas de mon avis,docte Trébatius ?

Page 176: Horace - Oeuvres

178HORACE

TRÉBATIUS

Vraiment,je n'ai rien à redire à tout cela. Pourtant,

tu es averti; prends garde; ne te fais pas d'affairesdans

ton ignorance des lois inviolables; contre celui qui

attaque autrui dans de méchantsvers, il y a recoursen

justiceet jugement668.

HORACE

Oui, si lesvers sont méchants;maiss'ils sont bons, si

Octave les a jugés tels; si, étant moi-mêmeparfaite-ment honnête,je m'attaque à un triste individu?

TRÉBATIUS

Alorsaux questionsposées,on répondrapar le rire, et

tu échapperasà la condamnation.

il

«Quellebelleet grandevertu, mes amis, de vivre de

peu! Ce n'est pas moi qui parle, mais je rapporte les

propos d'Ofellus,un paysan,dont la sagesseet le grosbon sensne s'emprisonnentpas dans les formules. Je

vaisvous l'apprendre,non devantdes pla.tset des tables

dont l'éclat excessiféblouit le regardet inclinel'esprit à

préférerl'erreur à la vérité; mais nous feronsensemble

cette enquête quand nous seronsà jeun. Et pourquoi?

Je vais, si possible, vous le dire. Un juge corrompureconnaîtmal la vérité.

« Tu chassesun lièvre, tu te fatigues à dresser un

cheval;ou bien si ton habitudedesexercicesgrecste fait

trouver trop durs ceuxqui sont en honneurà Rome,tu

lancesla balle rapide avecune ardeur joyeusequi t'em-

pêche de sentir la fatigue,tu fends l'air avec le disque;

quand la lassitudet'aura fait oubliertes ennuis,la gorge

sèche, le ventre vide, je te défiebien de faire la petitebouchedevantun platmédiocreet touteautreboissonquedu Falernesucréavecdu mielde l'Hymette.Ton inten-

dant est dehors,l'ouraganassombritla mer et ne permet

pas la pêche du painet du sel,voilàdequoi fairetaire le

cride ton estomac.D'où celavient-il? Commentl'expli-

ques-tu? C'est que tu ne tires pas ton plaisirdu fumet

d'un plat que tu as payé cher; ce plaisir, il est en toi.

Cherchel'appétitdansl'exercice.Celuiquis'est engraisséet a pris un teint blêmeà trop aimer la bonne chère,ne

Page 177: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE II 179

trouvera aucune joie à manger des huîtres, des sargetsou des gélinottes.

h J'aurai pourtant du mal à te débarrasser de cette idée

qu'il vaut mieux te chatouiller le palais avec un paon servi

sur table devant toi qu'avec une poule; c'est que tu te

laisses tromper par de vaines apparences; l'oiseau rare se

vend à prix d'or, et les couleurs de sa queue offrent un beau

spectacle. Comme si cela avait quelque importance! Sont-

ce ces belles plumes que tu vas manger ? les lui laisse-t-on

pour le faire cuire ? Pourtant, bien que je ne voie aucune

différence entre la chair du paon et celle de la poule,

j'admets que tu te laisses séduire par des différences d'as-

pect. Mais comment peux-tu reconnaître si ce loup, à la

gueule ouverte, a été pêché dans le Tibre ou dans la

mer 660? si on l'a pris dans ses allées et venues entre les

ponts ou à l'embouchure du fleuve toscan ? Tu te pâmes,

insensé, devant un mulet de trois livres, qu'il faudra ser-

vir en ragoût et couper en autant de morceaux qu'il y a

de convives. C'est sa dimension, je le vois bien, qui t'en-

chante. Mais alors pourquoi faire fi des gros loups ?Est-ce parce que les loups sont naturellement plus groset les mulets plus légers ? Rarement estomac vide a dédai-

gné les mets vulgaires.« Je voudrais voir un gros mulet présenté dans un grand

plat dit un goinfre qu'on prendrait pour une Harpye661

vorace. Eh bien! puissants vents d'Auster m, gâtez de

pareils aliments! D'ailleurs le sanglier, le turbot sentent

déjà mauvais quand ils viennent d'être pris, et, avalés en

trop grande quantité, ils soulèvent le cœur; ce qu'il fau-

drait à l'estomac fatigué ce sont des raves et de l'aunée

acide. Toute simplicité dans la nourriture n'a pas encore

été bannie des festins des grands on trouve sur leur

table des œufs, qui ne coûtent pas cher, des olives noires.

Il n'y a pas si longtemps, le crieur public Gallonius 663se

fit une fâcheuse réputation pour avoir servi un esturgeon.Eh quoi ? il n'y avait donc pas de turbots dans la mer ? Le

turbot était bien tranquille dans la mer, comme la

cigogne dans son nid, jusqu'au moment où un candidat

préteur les fit, le premier, figurer sur table 664.Le jour où

l'on édictera que le plongeon grillé est excellent, toute la

jeunesse romaine suivra, docile aux mauvais conseils. »

Mais, pour Ofellus, avarice sordide n'était pas frugalité.C'est en vain qu'on fuit un vice, si l'on tombe dans un

autre. Avidienus 665 n'est connu que sous le sobriquetde Chien; c'est tout à fait cela. Il mange des olives de

Page 178: Horace - Oeuvres

180 HORACE

cinqans et des cornouillesdesbois; il ne met sonvin en

perceque quand il est aigri; l'huile dont il se sert a uneodeurinsupportable,lorsque,les lendemainsde noce,lesanniversairesou lesautresjoursdefête, habilléde blanc,il la verse lui-mêmegoutte à gouttesur ses choux,d'unbidon de deux livres; mais il n'épargne pas le vieux

vinaigre.Quelseradoncle régimedu sage? et lequeldesdeuxprendra-t-ilpour modèle? Dangerdes deux côtés,dit le proverbe ici, le loup; là, le chien. Le sage seradélicatsans recherche; il ne sera pas d'une avaricesor-

dide dans la tenuede sa maison,il éviteral'un et l'autreexcès.Il ne ressemblerapas au vieilAlbuciusqui frappeses esclavesen leur distribuantleur tâche, ni au bonasse

Névius,qui laisseservirde l'eausaleà sesinvités;cesontlà deux gravesdéfauts.

Apprendsmaintenantles avantagessérieuxd'une vie

frugale d'abord,unebonnesanté;pour te rendrecomptedu mal que fait à l'estomacune nourriture trop variée,tu n'as qu'à songerà la facilitéavec laquellepasse unseulplat. Le mélangede rôti et de bouilli,de coquillageset de grivestourneen bile la douceurdesmets, et l'esto-mac chargéest troublé par les humeurs. Vois la pâleurdesconvives,quandils selèventd'une tabletropchargée;et de plus,le corps,alourdipar lesexcèsde la veille,pèsesur l'âme et cloue à terre cette partie de l'intelligencedivine. L'homme frugal, au contraire,quand, après un

repasrapide,il a trouvéle reposdans lesommeil,se lève,fraiset dispos,pour remplir sa tâche. Il pourra, en pas-sant, faire parfois meilleurechère,au retour annueldes

joursdefête,ouquandilvoudraredonnerquelquevigueurà son corps affaibli, ou encore quand viendront lesannéeset que la diminutionde ses forces réclameraun

régimeplusdoux.Maistoi, si, jeuneencoreet vigoureux,tu prendsgoûtà cesdouceurs,qu'y ajouteras-tulorsqueta santé deviendramauvaiseet que la vieillessete fera

perdre ton activité?Les anciensaimaient le sanglierfaisandé,non qu'ils

n'eussentpointd'odorat,maisdanscettepensée,je crois,qu'un hôte pouvaitarriver tard et mangeraitavecplusd'appétit une viandeun peu faite que la viandefraîcheet résistante dont s'était contenté le maître. Plût auxdieux que je fusse né parmi ces héros, quand la terreétait dans sa fleur

Tu tiens à une bonne réputation c'est, pour lesoreilleshumaines, la musique la plus douce. Or, les

Page 179: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE Il 181

turbots géants, les beaux plats apportent, non seulementla ruine, mais le déshonneur. Ajoute à cela les emporte-ments de l'oncle, les commentaires des voisins, le mécon-tentement de toi-même, le désir du suicide, bien inutile,puisque tu n'auras pas un as pour acheter une corde.« Mais, diras-tu, c'est à Trausius 666

que conviennent ces

reproches; j'ai, moi, de beaux revenus et une fortune

égale à celle de trois rois. » Alors, n'as-tu pas un meilleur

emploi de ton superflu ? Pourquoi, lorsque tu es riche,un tel est-il misérable injustement ? pourquoi laisses-tutomber en ruines les anciens temples ? pourquoi, mauvais

citoyen, ne pas donner à ta patrie, qui devrait t'être

chère, une partie de ce monceau d'or ? Tu crois, sans

doute, que, seul, tu connaîtras toujours la prospérité ?Comme tes ennemis riront bien, plus tard! Lequel se

prépare avec une assurance plus tranquille aux accidentsde la fortune, celui qui, par orgueil, aura habitué son

esprit et son corps à satisfaire trop de besoins, ou celui

qui, content de peu, craignant l'avenir, aura, comme le

sage, pendant la paix, préparé la guerre.Pour donner plus de crédit à mes propos, je te dirai

que j'ai, tout enfant, connu cet Ofellus il ne dépensaitpas plus, quand son bien était entier, qu'aujourd'hui, oùon le lui a rogné. Tu le trouverais dans son champ confis-

qué par l'Etat, au milieu de ses moutons et de ses enfants;c'est un fermier à gages, mais il n'a pas perdu courageet voici ce qu'il raconte « Les jours ouvrables, je ne

mangeais pas n'importe quoi simplement des légumeset un pied de cochon fumé. Mais, s'il m'arrivait un hôte

longtemps attendu, si j'avais à dîner un voisin à qui la

pluie faisait des loisirs, nous faisions bombance, nonavec des poissons achetés à la ville, mais avec un pouletet un chevreau; au dessert, la table s'ornait de raisins

conservés, de noix, de figues entrouvertes; ensuite nous

prenions plaisir à boire, comptant les fautes commises

par les buveurs; nous faisions des libations à Cérès, luidemandant de faire lever les épis; et le vin déridait nosfronts soucieux.

« La Fortune peut être cruelle et soulever de nouveauxtroubles. Que supprimera-t-elle de mes jouissances ? Mes

enfants, avons-nous été, vous et moi, moins bien por-tants

depuis l'arrivée du nouveau maître ? La nature n'a

donné ni à lui, ni à moi, ni à personne la propriété decette terre; il nous a chassés; il le sera à son tour par sa

dépravation, son ignorance des subtilités du droit, enfin

Page 180: Horace - Oeuvres

182HORACE

et sûrement par un héritier qui vivra plus que lui. Aujour-

d'hui, cette terre porte le nom d'Umbrenus; hier, c'était

celui d'Ofellus; en réalité, elle n'est à personne; nous en

avons l'usufruit, tantôt moi, tantôt un autre. Vivez donc

en hommes courageux; et à l'adversité présentez vaillam-

ment votre poitrine.»

III

DAMASIPPE

Tu écris si peu que, dans une année entière, tu ne

demandes pas quatre fois du parchemin, tu passes ton

temps à refaire ton œuvre, tu t'en veux de te laisser aller

au vin et au sommeil et de ne pas faire un vers qui mérite

qu'on en parle. Que va-t-il arriver ? C'est aux Satur-

nales es'que tu t'es réfugié ici; tu n'as pas bu. Dis-nous

donc quelque chose qui réponde à tes promesses. Allons,

commence. Rien ? Tu accuses en vain ta plume qui

n'en peut mais, cette muraille que tu frappes et que

n'aiment ni les dieux, ni les poètes. Tu avais pourtant

la mine d'un homme prêt à faire beaucoup de belles

choses, une fois libre de souci et bien au chaud dans ta

petite maison. A quoi bon avoir empaqueté dans tes

bagages Platon, Ménandre, Eupolis, Archiloque, et avoir

choisi des compagnons de cette taille ? Crois-tu apaiser

la malignité publique en perdant ta vigueur ? Malheu-

reux, on te méprisera! Fuis la paresse, cette sirène trom-

peuse, ou renonce sans regret à tout ce que tu voulais

atteindre, quand tu étais plus actif.

HORACE

Que les dieux et les déesses, Damasippe, te fassent

cadeau d'un barbier 666pour ton excellent conseil! Mais,

dis-moi, comment me connais-tu si bien ?

DAMASIPPE

C'est depuis que j'ai perdu au milieu de la galerie de

Janus 669 tout ce que je possédais; n'ayant plus rien à

moi, je m'occupe des affaires des autres; autrefois, j'ai-

mais rechercher le vase où ce fourbe de Sisyphe670s'était

lavé les pieds, une sculpture maladroite, un bronze sans

souplesse; en connaisseur habile, je fixais à cent mille

sesterces le prix d'une statue; je savais mieux que per-

sonne estimer avec bénéfice des jardins, une belle maison

Page 181: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE II 183

aussi, dans les carrefours, les gens me surnommaient-ilsle favori de Mercure 6ôl.1.

HORACE

Je sais. Et je m'étonne que tu te sois guéri de cette

maladie.

DAMASIPPE

C'est qu'un nouveau mal a miraculeusement chassé

l'ancien; c'est ce qui arrive quand le malade sent la

douleur passer du côté à la tête, ou quand l'hommeatteint de léthargie se réveille le poing en l'air et rouede coups le médecin.

HORACE

Comme tu voudras, pourvu que je ne sois pas le méde-cin.

DAMASIPPE

Mon cher, ne t'abuse pas; tu es fou, et presque tous

les hommes sont fous, si Stertinius dit vrai; c'est lui quim'a appris à classer tous ces préceptes, le jour où, en guisede consolation, il m'engagea à me laisser pousser une

barbe de sage et à revenir du pont Fabricius 672chez moisans mélancolie; mes affaires allaient mal, et je m'étais

déjà couvert la tête pour me jeter dans le fleuve, lorsque,pour mon bonheur, il se dressa à côté de moi.

STERTINIUS

Garde-toi, me dit-il, de faire une chose indigne de toi;tu es le jouet d'une honte injustifiée, quand tu crains de

passer pour fou parmi les fous.

Primo, je vais chercher ce qu'est la folie si je ne latrouve qu'en toi, inutile d'ajouter un mot meurs avec

courage. L'homme qu'aveuglent la sottise funeste et

l'ignorance de la vérité est décrété fou par le Portiqueet l'école de Chrysippe 673.Cette définition s'applique à

tous, gens du commun, rois puissants, le sage excepté.Maintenant, vois pourquoi ceux qui sont aussi fous quetoi te traitent d'insensé quand on erre au hasard dansun bois, il arrive qu'une méprise vous fait perdre lesentier tracé; l'un s'écarte à gauche, l'autre à droite; la

méprise est la même pour tous les deux, mais elle les

égare diversement; c'est ainsi que tu es fou; celui quise moque de toi n'est pas plus sage, et, comme à toi, onlui a attaché une queue par-derrière. CeiLains sont fous

Page 182: Horace - Oeuvres

184HORACE

parce qu'ils redoutent ce qui est sans danger et se

plaignent de voir se dresser devant eux, en plaine, des

feux, des roches, des fleuves; un autre, à l'opposé, mais

sans être plus sage, se jette dans les flammes ou dans la

rivière; sa mère chérie, sa chaste sœur, ses parents, son

père, sa femme, tous lui crient « Tu as devant toi un

fossé profond, un énorme rocher prends garde. » Il ne

les entend pas plus que l'acteur Fufius, ne pouvant, pouravoir trop bu, se réveiller dans son rôle d'Iliona, n'enten-

dait les douze cents Catienus lui crier « Ma mère, je

t'appelle 6"! » C'est d'une folie semblable que sont

atteints les gens du vulgaire. Je vais te le démontrer.

Damasippe est un fou quand il achète de vieilles sta-

tues mais le créancier de Damasippe a-t-il le cerveau

plus sain ? Admettons-le. Si je te dis «Prends cet argent,

je ne te demande pas de me le rendre », seras-tu fou en

acceptant ? Ne le serais-tu pas davantage, en refusant

l'aubaine que Mercure te fait la faveur de t'offrir?

Tu as beau écrire dix formules rédigées par Nérius 675

cela ne suffit pas; tu peux en ajouter cent autres de

Cicuta le retors; joins-y encore les mille liens dont tu

enserreras ton débiteur; fourbe comme Protée, il trouvera

le moyen d'y échapper. Tu le traîneras en justice; il rira

à se décrocher la mâchoire; il se changera en sanglier,en oiseau, en rocher, en arbre, si c'est sa fantaisie. Si c'est

folie de mal faire ses affaires, et sagesse de réussir, tu

as, crois-moi, le cerveau moins malade que Pérellius

quand il te dicte une obligation que tu ne pourras jamais

acquitter.Je vous prie d'arranger commodément votre toge,

pour m'écouter, vous tous que pâlit le mal de l'ambition

ou l'amour de l'argent, vous qu'enfièvre la luxure, l'abru-

tissante superstition ou une autre maladie de l'âme;

approchez, venez en file; je vais vous démontrer que vous

êtes tous fous.C'est surtout à ceux qui aiment l'or qu'il faut donner

de l'ellébore; je ne sais même pas si la doctrine stoïcienne

ne leur réserve pas tout celui d'Anticyre.Stabérius obligea ses héritiers à graver sur son tom-

beau le total de sa succession; faute de le faire, ils

seraient condamnés à donner au peuple cent paires de

gladiateurs et un festin solennel, dont l'importance serait

fixée par Arrius, plus autant de blé qu'en produit

l'Afrique «Que j'aie tort ou raison, ne me critique pas

trop » disait-il. A mon avis, Stabérius n'avait pas fait un

Page 183: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE II185

sot calcul. Quel fut en effet son sentiment, quarid il

contraignit ses héritiers à graver sur le marbre le montantdu patrimoine ? Pendant toute sa vie, il avait regardé la

pauvreté comme un grand mal et il avait mis toute sonardeur à s'en garder; si donc il était mort moins riched'un liard, il se serait jugé moins honnête tout en effetobéit à la richesse, vaillance, réputation, honneur, lesdieux et les hommes; amasser des trésors, c'est être illustre,vaillant, juste. Et sage ?. Oui, et roi, et tout ce qu'onvoudra. L'espoir de Stabérius, c'était d'être loué pour sa

fortune, comme s'il la devait à ses mérites. Lui ressem-

blait-il, le Grec Aristippe676

qui, au milieu du désert de

Libye, fit jeter à terre par ses esclaves l'or qu'ils por-taient, sous prétexte que la charge retardait leur marche.

Lequel des deux est le plus fou ?. Mais un exemple ne

prouve rien. On ne résoud pas une difficulté par soncontraire.

Qu'un homme achète des cithares et les porte dansune boutique sans avoir aucun goût pour la cithare, sans

professer le culte des Muses; qu'un autre, sans être cor-

donnier, amasse des tranchets et des formes; qu'un autreencore accumule des voiles de navire, alors qu'il a lecommerce en aversion, tout le monde sera en droit deles traiter de fous et d'insensés. Mais celui qui fait le

contraire, entasse l'or et l'argent, sans savoir en user, etcraint d'y toucher, comme si c'étaient des objets sacrés ?Et celui qui se couche devant un gros tas de blé, arméd'un long bâton pour monter la garde, n'ose pas, malgrésa faim, toucher un seul grain et préfère, dans son ava-

rice, manger des herbes amères ? Et celui qui met dansson cellier mille tonneaux ou mieux trois cent mille ton-neaux de vin de Chio ou de vieux Falerne, et qui boitdu vinaigre? Et encore cet homme de soixante-dix-neuf ans, qui couche sur la paille, pendant que, dansson armoire, ses matelas pourrissent, mangés aux teigneset aux mites ? Tous ces gens-là vraiment ne sont desfous qu'aux yeux d'une élite, parce que presque tous leshommes sont en proie au même mal.

Vieillard abandonné des dieux, pourquoi veiller jalou-sement sur tes trésors ? Est-ce pour que ton fils ou encore

l'affranchi, ton héritier, les dépense à boire ? Est-ce parcrainte de manquer de quelque chose ? Tu dépenseraischaque jour une somme insignifiante, si tu achetais unehuile meilleure pour arroser tes choux ou frotter ta têtecouverte d'une croûte de crasse. Si cette vie misérable te

Page 184: Horace - Oeuvres

186 HORACE

suffit, pourquoi te parjurer, dérober, ravir de tous côtés ?

As-tu ton bon sens ? Si tu criblais de pierres les pas-

sants ou les esclaves qui sont à toi, que tu as achetés de

ton argent, tout le monde, garçons et filles, crierait que

tu es fou. Mais si tu étrangles ta femme ou empoisonnes

ta mère, as-tu la tête saine ? Tu me répondras que si tu

supprimes ta mère, ce n'est pas à Argos, ni par le fer,

comme cet insensé d'Oreste. Mais crois-tu que sa folie

n'éclata qu'après le meurtre, et que les Furies n'égarèrent

sa raison que lorsqu'il eut plongé la pointe de son épée

dans la gorge maternelle ? Au contraire, c'est à partir du

moment où, pour le vulgaire, son esprit fut dérangé,

qu'il ne fit rien de répréhensible. Il n'osa pas massacrer

Pylade ni sa sœur Electre; il se borna à les maltraiter en

paroles, appelant l'une Furie, l'autre du nom que lui

suggéra sa bile et sa colère.

Opimius, pauvre avec tout son or et son argent enfouis

dans ses coffres, buvait, les jours de fête, du vin de

Véies m, et, les jours de travail, du vin éventé dans une

coupe campanienne. Un jour, il tombe dans une profonde

léthargie déjà son héritier, heureux et tout fier, accourt

prendre les clefs des coffres. Mais son médecin fidèle

s'avise, pour le réveiller, du procédé que voici il fait

dresser une table et verser dessus des sacs d'écus; plu-

sieurs s'approchent pour faire le compte. Notre homme

se dresse; alors le médecin « Si tu ne veilles pas sur ton

bien, ton avide héritier va l'emporter. De mon vivant ?

Si tu veux vivre, ouvre l'œil, allons Que me deman-

des-tu ? La vie te quitte, parce que tu es épuisé; ton

estomac défaille donne-lui une bonne et fortifiante nour-

riture. Tu hésites ? Allons, prends cette tisane de riz.

Combien a-t-elle coûté ? Presque rien. Mais

combien ? Huit as. Ah! mourir de son mal ou de

vol et de brigandages, qu'importe ? »

Qui donc est sage ? Celui qui n'est pas fou. Et

l'avare ? C'est un fou, un insensé. Donc, si l'on

n'est pas avare, par là même on est sage ? Pas du tout.

Et pourquoi, stoïcien ? Je vais te le dire. Voilà un

malade, dit, je suppose, le médecin Cratérus il ne souffre

pas de l'estomac. Tout est donc bien et il va se lever ?

Non, dit le médecin, car il a une pleurésie ou une

néphrite.— Tel n'est ni parjure ni d'une avarice crasse;

peut-être même fait-il aux Lares le sacrifice d'un porc;

mais c'est un ambitieux qui ne craint rien. Alors, qu'il

fasse voile pour Anticyre 6. Jeter son avoir dans un

Page 185: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE II187

gouffre et ne jamais user de ce que l'on a, où est la diffé-rence ?

Servius Oppidius, de Canusium 679,était, à l'estimationdes gens d'autrefois, un homme riche; à son lit de mort,il partagea, dit-on, ses deux domaines entre ses deux filset leur parla en ces termes « Je t'ai vu, toi, Aulus, porterdes osselets et des noix dans ta tunique sans la serrer,puis en faire cadeau à d'autres ou les jouer; toi, au

contraire, Tibérius, tu en faisais le compte, et, d'un air

sombre, tu les cachais. J'ai alors craint de vous voirentraînés chacun par votre folie, en suivant l'exemple,toi, de Nomentanus 6RO,et toi, de Cicuta. Je vous en sup-plie donc l'un et l'autre par les dieux Pénates veillez,toi, à ne pas diminuer, toi, à ne pas accroître cette fortune

que votre père trouve suffisante et qui se tient dans leslimites fixées par la nature. D'ailleurs, pour être sûr quevous ne vous laisserez pas chatouiller par la vanité, jevous lierai tous deux par un serment. Que celui de vous

qui sera édile ou préteur soit infâme et livré aux dieuxde l'enfer. » Vas-tu gaspiller ton bien dans des distribu-tions de pois chiches, de fèves, de lupins, pour promenerta majesté dans le cirque et te voir coulé en bronze,après avoir perdu, insensé, les terres et les écus laissés

par ton père ? Et tout cela, afin de recueillir des applau-dissements comme Agrippa °8', et de singer le noble lion,quand tu n'es qu'un renard rusé ?

Tu défends, fils d'Atrée, d'ensevelir Ajax pourquoi ?Je suis roi. Je n'insiste pas, je ne suis, moi, qu'un

pauvre diable. Et puis, mes ordres sont équitables;si, d'ailleurs, quelqu'un les trouve injustes, je lui permetsde donner son sentiment il n'a rien à craindre. 0 le

plus grand des rois, puissent les dieux, après la prise de

Troie, t'accorder le retour de ta flotte! Je puis donc inter-

roger et répondre ? Tu le peux. Pourquoi laisser

pourrir le corps d'Ajax, un héros presque égal à Achille,qui s'est illustré pour avoir sauvé tant de Grecs ? Est-ceafin de donner à Priam et à son peuple la joie de voir sans

sépulture l'homme qui a privé tant de soldats d'untombeau dans leur patrie ? Mais c'était un fou il amassacré mille brebis, en criant que c'était à l'illustre

Ulysse, à Ménélas et à moi-même qu'il donnait la mort.Et toi, quand, à Aulis, sur l'autel, tu substitues à une

génisse ta fille chérie et que tu répands sur sa tête lesmiettes de la galette salée, es-tu dans ton bon sens ?

Que veux-tu dire ? Que fait Ajax dans sa folie ? S'il

Page 186: Horace - Oeuvres

188 HORACE

tue des brebis, il épargne sa femme et son fils; tout en

appelant mille maux sur les Atrides, il ne touche ni Teu-

cer, ni même Ulysse. Mais moi, c'est pour arracher

à un rivage ennemi mes vaisseaux immobiles que j'ai,

dans ma sagesse, apaisé les dieux en versant le sang.

C'est le tien, fou furieux! — C'est le mien, oui! mais je ne

suis pas un fou furieux!

Accueillir pêle-mêle de vaines images qui se succèdent

en désordre, c'est passer pour timbré; que cette confu-

sion vienne de la sottise ou de la colère, peu importe.

Ajax est un fou quand il massacre des brebis qui n'en

peuvent mais; lorsque, de sang-froid, tu commets un

crime pour obtenir de vaines inscriptions triomphales,

as-tu ton bon sens ? ton cœur, gonflé d'orgueil, est-il pur

de tout mal ? Si un homme prenait avec lui dans sa litière

une blanche brebis, l'habillait comme sa fille, lui donnait

des servantes, de l'or, l'appelait Rufa ou Posilla 682et cher-

chait à lui donner un mari de bonne race, le préteur

prononcerait contre lui l'interdit, le priverait de ses droits

et le placerait sous la tutelle de parents raisonnables. Et

celui qui sacrifie sa fille à la place d'une brebis muette,

celui-là a-t-il le cerveau solide ? Tu ne le prétends pas.

Donc, là où il y a méchanceté et sottise, là est le comble

de la folie; le criminel est un fou furieux; quand on se

laisse séduire par l'éclat fragile de la renommée, on

entend gronder autour de soi la foudre de la sanglante

Bellone 683.Poursuivons prenons maintenant la luxure et Nomen-

tanus. Ma doctrine apportera la preuve que les débauchés

sont des fous et des insensés.

En voici un qui vient de recueillir son patrimoine

mille talents 884. Il convoque le pêcheur,le marchand de

fruits, d'oiseaux, le parfumeur,tous les fripons

de la rue

de Toscane e»b, le rôtisseur avec les bouffons, tout le mar-

ché avec le Vénabre; il les fait venir de bon matin. Et

ensuite? Ils arrivent, nombreux; le marchand de

femmes prendla parole

« Tout ce que nous avons chez

nous, ces honnêtes gens et moi, est à toi; tu n'as qu'àle

demander, aujourd'hui ou demain. » Tu veux connaître

la réponsede cet excellent jeune homme, écoute « Toi,

tu dors avec tes bottes dans la neige de la Lucanie, pour

fournir à ma table un sanglier; toi, pendantla tempête,

tu me pêchesdu poisson. Je suis, moi, un fainéant qui

ne mérite pas de posséder une fortune. Tiens, prendsun

million de sesterces °ae, toi, autant; toi, le triple, car c'est

Page 187: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVREII 189

à ta femmequej'en ai; elleviendrametrouverau milieude la nuit. »

Le filsd'Esope687enlevaà l'oreilledeMétellauneperlemerveilleuseet, sans doute, pour avaler d'un coup unmillionde sesterces,il la fit dissoudredans du vinaigre;était-il plus sageque s'il l'avait jetée dans la rivièreoudans l'égout?

Et les filsde QuintusArrius,deuxfrèresbien connus,vrais jumeauxpar la méchanceté,la frivolitéet l'amourdu mal, achetaientbien cher, pour leur déjeuner, desrossignols.Où les ranger ceux-là? Les marquer à lacraie,commegensraisonnables? ou au charbon,commeinsensés?

Bâtir de petites maisons,atteler des souris à un petitchar, jouerà pair impair,se mettre à chevalsur un longroseau, ce sont, si l'on a barbe au menton, jeux à vousfaire traiter de fou. Mais si notre doctrine fournit la

preuve que l'amour est encore plus puéril; que jouerdans la poussièrecomme lorsqu'on avait trois ans, ou

pleurer d'inquiétude par amour pour une courtisane,c'est la même chose; ne devrais-tu pas faire, je te ledemande, comme Polémon688

quand il se convertitrenoncerà touslessignesextérieursde tonmal,bas,cous-sins, cravates68g.C'est ce que fit, paraît-il, ce Polémon,qui, aprèsboire,arrachaen se cachant ses couronnesdeson cou, quand le surprit la voixde son maître qui, lui,n'avait rien bu.

Offredes fruits à un enfant grognon il n'en veutpas.«Prends, monpetit chat. » Il refuseencore.Cessede lesoffrir, il les demande.C'est exactementcommel'amant

que sa maîtresseempêched'entrer; il se demande s'ilreviendraou non dans cette maisonoù certainementil

retournerait, même si on ne l'appelait pas; il ne peuts'éloignerde cette porte odieuse.ccN'irai-je pas aujour-d'hui qu'elle me rappelle? Mais ne vaut-il pas mieuxmettre un terme à mon tourment? Elle me refuse,puisme rappelle.Retournerai-je? Non, mêmesi ellemesup-pliait. » Mais son esclave,beaucoupplus sage « Monmaître, dit-il, il ne faut pas traiter par la raison et lamesurece qui n'admet ni mesure,ni sagesse.Ce sont làles maux de l'amour la guerre, puis la paix. Vouloirsoumettreà une règlefixedessentimentsmobilescomme

le vent, aveugleset incertains, c'est prétendre imposerà la folieles loisde la raisonet de la mesure.»

Eh quoi! quand tu t'amuses à frapper le plafonddt

Page 188: Horace - Oeuvres

190 HORACE

ta chambre avec les pépins d'une pomme du Picénum '90,es-tu dans ton bon sens ? Et quand, de tes lèvres de

vieillard, sortent des paroles tendres, es-tu plus raison-nable que celui qui bâtit de petites maisons ? Que sera-cesi à la sottise s'ajoute le goût du sang et qu'on gratte lefeu avec une épée ? Ainsi, ces jours-ci, Marius poignardeHellade, puis se jette d'une fenêtre en n'était-il pas pos-sédé ? Prétendras-tu qu'il n'avait pas l'esprit fêlé et letraiteras-tu comme un criminel, expliquant les faitscomme le vulgaire, par deux mots différents, qui semblenttous deux convenir ?

Il y avait une fois un vieil affranchi qui, le matin debonne heure, à jeun et les mains purifiées, parcourait lescarrefours et faisait cette prière « Dieux, je ne vousdemande qu'une chose (est-ce donc si difficileà obtenir ?)soustrayez-moi à la mort c'est chose aiséepour les dieux!Il avait bon œil, bonne oreille; mais son maître, en le

vendant, avait dû faire des réserves pour sa cervelle, s'ilne voulait pas s'exposer à un procès. Des gens de cette

espèce, Chrysippe les met encore dans la nombreusefamille de Ménénius 692.

« Jupiter, toi qui donnes, puis supprimes les grandesdouleurs, disait la mère d'un enfant alité depuis cinqmois, si cette fièvre quarte tombe, le matin du jour où tunous prescris de jeûner, je plongerai mon fils tout nudans le Tibre. Que le hasard ou le médecin tire le maladede ce mauvais pas, cette mère absurde lui redonnera lafièvre et le tuera en le tenant sur la rive glacée du fleuve.

Quel mal lui a fêlé le cerveau ? La peur des dieux.

DAMASIPPE

Telles sont les armes que me donna mon ami Sterti-

nius, le huitième sage, pour ne pas me laisser insulter

sans avoir de quoi répondre. Qui m'appellera insensé,sera traité de même et je lui apprendrai à regarder la

queue qui pend dans son dos sans qu'il la voie.

HORACE

Stoïcien, puisses-tu, après ta déconfiture, vendre un

bon prix toute ta marchandise! Mais puisqu'il n'y a pas

qu'un seul genre de folie, révèle-moi la mienne. Moi,

je me trouve raisonnable.

DAMASIPPE

Evidemment! Quand Agavé693tient dans ses mains la

Page 189: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE II191

HORACE

tête tranchée de son malheureux fils, se croit-elle atteintede folie furieuse ?

HORACE

Je confesseque je suis un sot (il faut bien s'inclinerdevantlavérité)et mêmeuninsensé.Maisenfinapprends-moi la maladiede mon âme.

DAMASIPPE

Ecoute d'abord tu bâtis, pour faire comme les grands,toi qui, de la tête aux talons, as tout juste deux piedsde haut; et tu te moques de Turbon e94, dont la fière

démarche, quand il est sous les armes, ne va pas avec sa

petite taille es-tu moins ridicule que lui ? Es-tu raison-nable d'imiter tout ce que fait Mécène, toi qui lui res-sembles si peu ? Convient-il que tu rivalises, toi chétif,avec un homme pareil ? Une grenouille avait un momentlaissé ses petits un veau les écrasa tous sous ses pieds,sauf un, qui raconta à sa mère qu'une énorme bête avaittué tous ses frères. « Une bête ? de quelle taille ? Est-ce

que, en me gonflant, je suis aussi grosse qu'elle ? Plus

petite de moitié! Etait-elle donc si grosse? » Et elles'enfle de plus en plus. « Même au risque de crever, ditle petit, tu ne l'égalerais pas 695.» C'est, ou bien peu s'en

faut, ton portrait. Ajoute à cela ta manie d'écrire, c'est-à-dire mets de l'huile sur le feu. Si jamais poète a été

raisonnable, tu l'es. Je ne parle pas de tes effroyablesemportements.

HORACE

Assez!DAMASIPPE

de ton genre de vie qui détonneavec ta fortune.

HORACE

Damasippe,mêle-toide tes affaires

DAMASIPPE

de ton goût prononcé pour toutes les filles, tous lesjeunes garçons.

HORACE

Epargne-moi,toi qui m'es tellement supérieur. enfolie!

Page 190: Horace - Oeuvres

192HORACE

IV

HORACE

D'où vient Catius? Où va-t-il ?

CATIUS

Ce n'est pas le moment de m'interroger je cherche

les moyensde retenir de nouveauxpréceptes,biensupé-rieurs à ceux de Pythagore,de Socrate696et du docte

Platon.HORACE

J'ai tort, jé le reconnais,de t'adresser la paroleà un

mauvaismoment;aie,je te prie,labontéde mepardonner.Si par hasard tu laisseséchapper quelque chose, tu le

retrouverasvite, soit naturellement,soit par l'effet de

ton art, car tu es, des deuxcôtés,merveilleusementdoué.

CATIUS

Précisément,je cherchaisun moyende nerienoublier;ce sontchosessubtiles,exposéesdansune languesubtile.

HORACE

Dis-moi le nom de ton homme. Est-ce un Romain?

un étranger?CATIUS

Jevaiste révélerlespréceptes,sansrienomettre lenom

du maître,je le tairai.Fais servir sur table des œufs de forme allongée;ils

ont meilleur goût que les ronds, et le blanc est plusblanc; la coquilleen est plus dure, et ils renfermentun

germemâle.Lechouquipousseenpleinecampagne,dans

des terressèches,est plusagréableque celuides jardinsrien de plus fade que ce qui vient dans un jardin troparrosé. Si, le soir, un hôte te surprend à l'improvisteet

que tu lui fassesmanger une poule, pour que la chair

n'en soit pas trop dure et résistante,plonge-lavivante

dansduFalernetrempéd'eau elle seraplus tendre. Les

meilleurschampignonssontceuxdesprés;il ne fautpasse

fierauxautres.Un moyendepasserl'étésansêtremalade,c'estdeterminerson repaspar desmûresnoires,cueillies

sur l'arbre avantque le soleilsoit trop chaud.Aufidius697

mêlaitdu mielau vin fort de Falerne c'est un tort; à

Page 191: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE II193

l'estomac vide, il convient de ne donner que du doux,un mélange doux lave mieux l'intestin. Dans la cons-

tipation, aie recours, pour pousser les matières, auxmoules, aux petits coquillages, à l'oseille aux feuillescourtes, mais n'oublie pas le vin blanc de Cos e9o.A lanouvelle lune, les coquillages, qui passent facilement, sont

plus pleins; mais toutes les mers n'en donnent pas égale-ment d'excellents. La palourde du Lucrin vaut mieux quele murex de Baies; l'huître vient de Circé, l'oursin de

Misène; la voluptueuse Tarente 6" est fière de ses pétoncleslargement ouvertes.

On ne saurait sans impudence se vanter de connaître

l'art des repas, si l'on n'est passé maître dans la science

subtile des saveurs. Il ne suffit pas d'enlever àprix d'or

des poissons pour sa table; il faut connaître la meilleure

saucepour les accommoder et savoir ceux qui, grillés,

amèneront les convives fatigués à se remettre sur le coude.

Chez qui n'aime pas une viande molle, le sanglier d'Om-

brie 70°, nourri des glands de chêne, pèse de tout son poidssur la table; celui de Laurentum, engraissé de roseaux

et d'herbes des marais, est médiocre. Les chevreuils des

pays vignobles ne sont pas toujours bons à manger. C'est

l'épaule du lièvreprolifique que recherchera le gastro-

nome. La qualité et l'âge des poissons et des oiseaux, voilà

une recherche et une découverte que pas un palais n'avait

faites avant le mien. Il y a des gens dont toute l'ingénio-sité se borne à inventer des pâtisseries nouvelles. Il ne

suffit pas de donner tous ses soins à un seul objet il

ne faut pas, par exemple, se préoccuper uniquement de la

qualité des vins, sans s'inquiéter de l'huile dont on arro-

sera le poisson.

Si, par temps clair, on laisse dehors le Massique pen-dant la nuit, l'air le

dépouillera de tout ce qu'il a d'épais,et son bouquet, qui fait mal aux nerfs, tombera; mais

on le gâtera et on lui fera perdre sa saveur spéciale en

le passant dans un linge. Le vin de Sorrente, habilement

mélangé avec la lie du Falerne, gagnera à être collé avec

un œuf de pigeon le jaune fera tomber au fond toutes

les impuretés.

Les crabes rôtis et les escargots d'Afrique redonneront

del'appétit aux convives alourdis par le vin; quand on

a bu, la laitue donne des aigreurs et nage dans l'estomac

qui, pour se refaire, réclame surtout du jambon et du

saucisson, et préférerait encore les ratatouillesapportées

brûlantes d'un sale cabaret.

Page 192: Horace - Oeuvres

194HORACE

C'est chose importante de très bien savoir ce qu'est une

sauce double la sauce simple est faite avec de l'huile

douce mêlée à du gros vin et à une saumure 701qui a

laissé son odeur dans un vase de Byzance; pour la sauce

double, on fait bouillir dans ce mélange des herbes

hâchées on laisse refroidir, on saupoudre de safran du

Mont Corycus, et on ajoute de l'huile venue du pressoir

du Vénafre.

Les fruits du Picenum 702sont meilleurs que ceux de

Tibur, mais ils n'ont pas un aussi bel aspect. Le raisin

de Vénuncle se conserve dans des pots; celui d'Albe reste

plus ferme à la fumée. C'est moi le premier qui ai eu

l'idée de mettre ensemble du raisin d'Albe et des pommes,

de la lie et de la saumure, du poivre blanc non criblé et

du sel gris, et de faire servir tout cela dans de petits plats

bien propres.C'est un crime impardonnable de dépenser au marché

trois mille sesterces pour amonceler dans un plat trop

petit des poissons qui se plaisent au large. On a le cœur

soulevé à voir un esclave manier une coupe avec ses

mains grasses, qu'il lèche en se cachant, ou tenir un vieux

cratère où reste attachée une antique couche de crasse.

Faut-il donc tant d'argent pour acheter des balais d'un

prix modique, des torchons, de la sciure ? Ne pas le faire

est une faute très grave. Peut-on nettoyer avec un balai

sale un pavé de mosaïque et tendre des étoffes tyriennes

autour de coussins qu'on n'a pas lavés ? Peut-on oublier

que, moins ces soins sont coûteux, plus sont légitimes

les critiques auxquelles on s'expose pour tout ce luxe

qui ne se trouve que sur les tables des riches ?

HORACE

Savant Catius, au nom de notre amitié, au nom des

dieux, je t'en prie, conduis-moi vers cet homme, où

qu'il soit je veux l'entendre. Sans doute, ta mémoire

fidèle m'a tout rapporté; pourtant je n'ai pas le même

plaisir à t'entendre reproduire ses paroles il y a sa

physionomie, son allure, toutes choses dont tu fais peu

de cas, parce que tu as eu le bonheur de le voir; mais,

j'en ai, moi, le plus vif désir je veux pouvoir m'approcher

de cette source cachée et y puiser les préceptes d'une

vie bienheureuse.

Page 193: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE II195

V

ULYSSE

Un mot encore, Tirésias tu as déjà répondu à mesquestions j'ai perdu ma fortune, indique-moi les voieset moyens de la refaire. Qu'est-ce qui te fait rire ?

TIRÉSIAS

Ne suffit-il plus au rusé Ulysse de revenir à Ithaque etde revoir ses Pénates paternels ?

ULYSSE

O devinqui n'a jamaismenti, tu voiscommes'accom-plit ta prédiction jerentrechezmoinu et sansressources,et, là-bas,lesprétendantsn'ont laisséintactni moncellier,ni mon troupeau; or, noblesseet courage, si l'on n'arien, valentmoins que l'algue.

TIRÉSIAS

Puisque tu confessessi franchementton horreur pourla pauvreté, apprends le moyen de t'enrichir. Si l'ont'envoie,pour toi, une griveou une autre douceur,expé-die-laà un vieillardqui a largementde quoi faire; quecerichard te soit plus sacré que le dieu Lare '°3,et qu'ilgoûte,avant lui, les fruits mûres704et les plus beauxpro-duits de ton jardin. Cet homme sera peut-être parjure,sansnaissance,couvertdu sangfraternel,ceserapeut-êtreun esclavequi s'est enfui qu'importe? Sors avec lui,et s'il l'exige,laisse-luile haut du pavé.

ULYSSE

Moi! que je prennela gauched'un immondeDama705!Ce n'est pas ce que je faisais à Troie, où je rivalisaistoujours avec les meilleurs.

TIRÉSIAS

Alorstu seraspauvre.

ULYSSE

Eh bien!jecontraindraimonâmecourageuseà suppor-tercetaffront j'enaiparfoisaffrontédeplus durs. Allons,vite,devin,dis-moioù je peuxpuiser des richesses. desmonceauxd'argent.

Page 194: Horace - Oeuvres

196HORACE

TIRÉSIAS

Je te l'ai dit et te le redis aie l'habileté de capter les

testaments des vieillards. Si tu tombes sur un ou deux

personnages assez finauds pour avaler l'appât sans se

laisser prendre à l'hameçon, ne perds pas toute espérance

et ne renonce pas au métier sous prétexte que tu as été

joué.

Qu'une affaire, importante ou non, se discute au forum

si l'un des deux plaideurs est riche, sans enfants, d'une

honnêteté douteuse; si c'est lui qui a eu l'audace d'appeler

en justice un homme plus honorable que lui, sois son

défenseur; écarte-toi du citoyen dont la réputation et la

cause sont meilleures, mais qui a un fils et une femme

capable de lui en donner d'autres. Tu lui dis par exemple

« Quintus, Publius (les oreilles délicates aiment qu'on

emploie le prénom), c'est ton mérite qui a fait de moi ton

ami. Je connais tous les détours du droit et sais plaider

une affaire. Je me ferai arracher les yeux avant de te

laisser humilier et appauvrir d'une coquille de noix. Je

m'y emploierai tu ne perdras rien, et on ne se moquera

pas de toi. » Invite-le à rentrer chez lui et à soigner sa

petite santé; fais-toi son fondé de pouvoirs; persiste,

tiens bon, que la canicule en feu fonde les statues muettes

ou, comme dit Furius 706dont l'énorme panse est près

d'éclater, que les Alpes hivernales soient couvertes des

crachats de la neige blanche. « Vois, dira de toi un oisif

à son voisin, en le touchant du coude, vois comme il est

patient, complaisant pour ses amis, ardent à les défendre. »

Alors, les thons nageront plus nombreux de ton côté '°',

et tes réserves se rempliront.

Si, dans une riche maison,a été élevéun filsde santé

délicate,afin de ne pas montrer trop crûment ton goût

pour leshommessansenfants,insinue-toitout doucement

en vue de l'héritage; rends des services,tu seras portéautestamentcommesecondhéritier;et, siun accidentfait

descendrele fils chez Platon, tu prends sa place; c'est

une chance qui trompe bien rarement.

Si l'on te donne à lire un testament, refuseet écarte

l'écrit; mais tâche, par un regard de côté, de lire la

secondelignede la premièrepage708 voisd'un coupd'oeil

si tu es seul héritier ou si vous êtes plusieurs. Il arrive

que l'ancienquinquévir devenugreffier,se moquedu

corbeau et le laisse avec le bec ouvert; c'est Coranus

riant de Nasica, qui voulait capter sa fortune.

Page 195: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE III97

ULYSSE

Tu délires ? ou bien, si tu as ton bon sens, tu te moquesde moi avec tes oracles inintelligibles.

TIRÉSIAS

Fils de Laërte, tout sera ou ne sera pas, suivant ce queje dirai. Car c'est le grand Apollon qui m'accorde le donde divination.

ULYSSE

Soit! Mais alors dis-moi, si le dieu le permet, le sensde cette histoire.

TIRÉSIAS

Au temps où un jeune guerrier, la terreur des Parthes'lodescendant de l'illustre Enée, aura l'empire sur terreet sur mer, Nasica donnera en mariage sa fille vigou-reuse au brave Coranus; mais il espérera bien ne paspayer le capital de la dot. Alors, voici ce que fera songendre il présentera son testament à son beau-père enle priant de le lire. Nasica fera d'abord des manières,puis il le prendra et le lira à voix basse. et il constateraque Coranus ne laisse à lui et aux siens que les yeux pourpleurer.

Voici encore un autre conseil; si une femme rusée ouun affranchi mènent par le nez un vieillard qui n'a plussa tête, fais-toi leur associé; flatte-les; on te flatteraquand tu ne seras pas là, et c'est pour toi une bonneaffaire; mais il importe surtout de prendre d'assautl'homme lui-même. A-t-il la sottise d'écrire de méchantsvers ? fais-lui des compliments. Est-ce un coureur ?N'attends pas qu'il te demande rien; sois complaisant,et offre ta Pénélope à qui t'est supérieur.

ULYSSE

Crois-tu que je pourrai lui livrer une femme si honnête,si chaste, que les prétendants n'ont pu écarter du droitchemin ?

TIRÉSIAS

C'est que les jeunes gens qui allaient chez toi ne vou-laient pas faire de beaux cadeaux; ils aimaient mieuxta cuisine que ta femme. Voilà pourquoi Pénélope estrestée honnête. Mais qu'elle goûte une fois d'un vieil-lard, en partageant avec toi les bénéfices, elle sera commele chien de chasse, qui ne se laisse pas prendre un morceaude viande bien gras.

Page 196: Horace - Oeuvres

198HORACE

J'étais déjà vieux quand se passa le fait suivant à

Thèbes, une méchante vieille avait, par testament, pres-

crit de la porter au bûcher dans les conditions que voici

l'héritier devait charger sur ses épaules nues le cadavre

largement frotté d'huile sans doute, voulait-elle, une

fois morte, lui glisser dans les mains, parce qu'il l'avait,

je pense, serrée de trop près pendant sa vie.

Sois avisé ne néglige aucun soin officieux; mais

sache garder la mesure. Un bavard importune un homme

morose, de caractère difficile; mais ne garde pas trop le

silence; comme le Dave de la comédie 711, tiens-toi la

tête inclinée, aie l'air d'avoir peur. Pousse-toi dans ses

bonnes grâces par les petits soins; si le vent fraîchit, dis-

lui de prendre des précautions et de couvrir une tête si

chère; joue des épaules pour le sortir de la foule. Prête

l'oreille à ses bavardages. Un égoïste aime les louanges

jusqu'au moment où il lèvera les bras en disant « C'est

bien! » ne le lâche pas, et continue à remplir de tes éloges

cette outre qui ne cesse pas de grossir.

Lorsque enfin sa mort t'aura délivré d'un long escla-

vage et de tout souci, et que, bien éveillé, tu apprendras

que tu hérites du quart de sa fortune, pousse, de temps

en temps, des exclamations Il nous a donc quittés,

mon ami Dama! Où en trouverai-je un autre, aussi

brave, aussi sûr ? »; et, si tu le peux, vas-y de quelques

larmes; il n'est pas impossible de dissimuler la joie que

trahit le visage. Ne sois pas chiche pour le tombeau

laissé à ta discrétion les voisins ne tarissent pas d'éloges

devant un bel enterrement. Si par hasard tu as pour

cohéritier un vieillard qui a une mauvaise toux, dis-lui,

au cas où il voudrait acheter une terre ou une maison de

ton lot, que tu te feras un plaisir de les lui céder en simu-

lant une vente. Mais je sens l'impérieuse Proserpine

qui m'entraîne. Adieu! bonne santé!

VI

Mes souhaits ? Les voici une terre dont l'étendue ne

serait pas tellement grande, un jardin, près de la maison

une source, enfin un bouquet de bois. Les dieux m'ont

donné plus et mieux. C'est bien. Je ne demande, fils

de Maïa 71",que de conserver ces présents. Je n'augmente-

rai pas mon bien par des moyens malhonnêtes, je ne

l'amoindrirai pas par mes vices ou mes fautes. Je n'adres-

Page 197: Horace - Oeuvres

SATIRES. — LIVRE III99

serai pas aux dieuxde sottes prières, comme celle-ci«Si jepouvaisacquérirle petit champvoisinqui rendraitmon domaine plus régulier! Si le hasard me faisaitdécouvrirune urne pleined'argent, commeà cet hommequi trouvaun trésoret acheta,pour le cultiver,le champmêmeoù il travaillaità salaire!Si le bon Herculem'en-richissait713!))Je borneraima joieet mon bonheurà ceque je possède. Je puis donc, Mercure, te faire cetteprière «Engraissemes troupeauxet tout ce que je pos-sède, sinonmon esprit; et, commetu l'as toujours fait,sois mon protecteur et mon gardien! » En quittant laVillepour chercherun abridansmesmontagnes,qu'ai-jede mieuxà faire que des satires,inspiréespar ma musefamilière714? Là, je ne suis pas la victimede l'ambitionmauvaise,de l'Auster715,ce vent de plomb, du mauvaisair de l'automne, qui fait l'affaire de la mort cruelle.

Dieu du matin, Père ou Janus (si tu préfèresce nom),toi qui, par la volonté des dieux, veillesaux premierstravauxde la viehumaine,que ton nomsoitau début demon poème! Lorsque je suis à Rome, c'est toi qui mefais leverpour apporterà un ami ma caution «Allons,hâte-toisi tu ne veuxpas être devancédans ton office.»L'Aquilonpeut racler la terre, les jours d'hiver peuventdevenirde plus en plus courts, il faut marcher. Puis,lorsquej'ai, à hautevoix,prononcéla formule, ce queje regretteraipeut-être un jour, j'ai à lutter contre lafoule et à écarter ceux qui m'empêchent d'avancer.« Que veux-tu, espèce de fou, que fais-tu? » me criequelque impertinent en colère. « Vas-tu renverser toutce quiestdevanttoi,pour arriverplusvitechezMécène?Tu ne pensesqu'à lui! »Voilà,sans mentir,un reprochequi m'est toute joie et tout miel. Mais, sitôt que je suisarrivéau sombreEsquilin716,milleaffaires,qui me sontétrangères,me reviennenten tête. De tous côtés,je suisassailli «Rosciuste rappelleque, demainmatin, avantsept heures, tu as rendez-vousavec lui, au Putéal717,pour lui servirde témoin. Les scribeste demandaient,Quintus, d'aller aujourd'hui, sans faute, au siègesocial,pour une affaireimportanteet nouvelleintéressanttoutela corporation. Fais signer ce placet à Mécène. »Tu réponds «Je verrai.»Mais l'autre insisteet ajoute« Si tu le veux, c'est chosefaite. »

Près de huit ans se sont écoulésdepuis que Mécènem'a admisparmises familiers,surtout pour m'emmeneravec lui en voiture dans ses déplacements;il me confie

Page 198: Horace - Oeuvres

200 HORACE

alors de graves secrets, ceci, par exemple « Quelle heure

est-il ? Le Thrace Gallina vaut-il Syrus 71B? — Le

froid du matin pique, il faut faire attention », et autres pro-

pos qu'on peut, sans inconvénient, glisser dans une oreille

percée. Et pendant ces sept ans, le pauvre Horace a vu,

chaque jour, chaque heure, croître le nombre de ses

envieux. Regardait-il les jeux avec Mécène? Jouait-il

avec lui au Champ de Mars ? « Fils de la Fortune! »

entendait-il de tous côtés. Un bruit inquiétant se répand-il

du Forum à travers les rues, tous les passants m'inter-

rogent « Moncher, fatalement tu es au courant, puisque tu

approches des dieux; c'est des Daces 719que l'on parle ?

Je ne sais rien. Tu as toujours le mot pour rire! —

Que tous les dieux m'accablent si je sais quelque chose!

Voyons les terres promises aux soldats par César sont-

elles en Triquêtre'2° ou en Italie ? » Je jure que je ne

sais rien; ils s'étonnent, mais c'est de trouver un homme

qui sache, mieux que personne, garder un silence absolu.

Ma journée se perd dans ces misères, et je fais des

souhaits « 0 campagne, quand te reverrai-je ? quand

pourrai-je oublier ces agitations et goûter la douceur

d'un vieux livre, d'une bonne sieste, des heures passées à

ne rien faire ? Quand verrai-je sur ma table la fève, parente

de Pythagore 721,et un bon plat de légumes, avec une

tranche de lard bien gras ? »

O nuits! repas des dieux! Nous mangeons,mes amis

et moi, devantmes dieuxlares,laissantle reste desplatsauxesclaves,qui viventfamilièrementavecmoi. Chaqueconvive, affranchide lois stupides'2z, vide autant de

coupesqu'il veut; celui-ci,bon buveur, met peu d'eau

dans son vin; cet autre préfère s'humecter le gosierdevin mouillé;puis nous causons,non des autres, de leurs

villas,de leurs maisons,ni de Lépos723et de sa danse,bonne ou mauvaise,mais de sujets qui nous intéressent

davantageet qu'il est fâcheuxde ne pas traiter est-ce la

richesseou la vertu qui donne le bonheur? est-cel'inté-

rêt ou le bien qui est le fondementde l'amitié? qu'est-ce que le bien? qu'est-ce que le souverainbien? voilà

l'objet de nos discussions.A ce propos, mon voisinCervius724nous racontedes

histoiresde vieillefemme.Si l'un de nous,sansconnaître

lessoucisd'Arellius,vantesa situationopulente,Cerviuscommenceen ces termes «Un jour, le rat des champs

reçut, dit-on, le rat de ville dans son misérabletrou

c'étaientde vieuxamisqui sevoyaientdepuislongtemps.

Page 199: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE II 201

Le rat des champs était rude, il ne gaspillait pas ses pro-visions mais, quand il recevait, il se relâchait de seshabitudes d'économie. Bref, il n'épargna ni sa réservede pois chiches, ni son avoine au grain allongé; il présentades grains de raisin sec, des morceaux de lard à demi

rongés, cherchant à vaincre par la variété des mets les

dégoûts de son ami, qui touchait chaque plat du bout desdents. L'amphitryon lui-même, couché sur la paille de

l'année, mangeait du blé et de l'ivraie, laissant à son hôteles meilleurs morceaux. A la fin, le rat de ville parla « Quelplaisir, mon ami, peux-tu bien trouver à vivre de priva-tions sur le flanc de ce bois escarpé ? Ne préférerais-tupas la ville et la société des hommes à tes forêts sauvages ?Crois-moi, viens avec moi tout ce qui vit sur terrea reçu du sort une âme mortelle; grand ou petit, on

n'échappe pas à la mort; donc, mon bon, pendant quetu le peux, vis heureux dans la joie, et rappelle-toi com-bien la vie est brève. » Ces propos ont ébranlé notre paysanqui, légèrement, saute de son trou. Tous deux se mettenten route, pour se glisser, de nuit, sous les murs de laville. Et déjà la nuit était à la moitié de sa carrière dans le

ciel, quand ils posent le pied dans une riche demeure où,sur des lits ornés d'ivoire, brillaient des étoffes écarlates;il y avait là, à part, dans des corbeilles mises les unessur les autres, des restes abondants d'un grand dînerdonné la veille. Le rat de ville fit étendre le paysan surun tapis de pourpre. Lui-même, relevant sa ceinture,court de tous côtés, sert sans s'arrêter tous les plats,et s'acquitte des fonctions de l'esclave qui goûte le pre-mier tout ce qu'il apporte. L'autre, étendu, jouit dece changement et, la situation étant bonne, se montretout joyeux. Mais tout à coup un grand vacarme de portesouvertes fait sauter du lit les deux amis; épouvantés,ils trottent de tous côtés dans la pièce et perdent lesouffle de frayeur en entendant la grande maison retentirdes aboiements de quelques chiens molosses. Alors le

paysan « Oh! oh! dit-il, cette vie ne fait pas mon affaire.Adieu. A l'abri du danger dans mon trou de forêt, jeme consolerai avec mes maigres lentilles. »

VII

DAVE

Je t'écoute depuis un bon moment; je voudrais bien

Page 200: Horace - Oeuvres

202 HORACE

te dire quelque chose; mais je suis ton esclave, et j'ai

peur.HORACE

C'est Dave?DAVE

Oui, Dave, un esclaveque son maîtreaime et trouve

juste assezhonnête pour ne pas le croire condamnéàune mort prématurée.

HORACE

Eh bien! nous sommesen décembre profite,commel'ont voulunos ancêtres,de ta liberté; parle.

DAVE

Parmi les hommes, les uns sont vicieux constamment,

et font le mal sans relâche. D'autres, plus nombreux,

flottent, tantôt tournés vers le bien, tantôt inclinés au

mal. Ainsi Priscus se fait souvent remarquer par ses trois

anneaux, mais parfois il n'en a pas même un à la main

gauche 725 il a vécu inconstant, changeant de toge d'heure

en heure, sortant d'une belle maison pour se terrer, tout

d'un coup, dans un taudis d'où n'oserait pas sortir un

affranchi ayant quelque tenue. Coureur de femmes à

Rome, il vivait à Athènes en philosophe c'était un être

abandonné de tous les Vertumnes 726.Au contraire, Vola-

nérius 727le bouffon eut un jour, et ce fut bien fait,

les articulations nouées par la goutte; il paya et nourrit un

homme pour ramasser à sa place les dés et les mettre

dans le cornet; d'autant moins malheureux qu'il était

plus constant dans ses vices, et bien supérieur à celui

qui a peine à se tenir sur une corde tantôt raide et tantôt

lâche.

HORACE

Ne diras-tu pas enfin, porte-fourche·ze, à quis'adressentcesplatitudes?

DAVE

Maisc'est à toi.HORACE

Et comment,maroufle?

DAVE

Tu vantes la destinée et les mœurs des anciens. Or, si

un dieu te ramenait à ces temps reculés, tu ne le voudrais

Page 201: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE II203

pas; soit que tu n'aies pas le sentiment d'une vie plushonnête à cette époque si vantée, soit que tu n'aies pasla force de défendre le bien, et que tu restes empêtrédans la boue malgré ton désir d'en retirer les pieds. ARome, tu souhaites la campagne; à la campagne, laville te manque, et, dans ton inconstance, tu la portes auxnues. Si par hasard personne ne t'a invité à dîner, tuvantes la douceur d'un repas paisible composé d'un platde légumes, et, comme si, pour te faire sortir, il fallaitte porter pieds et poings liés, tu te dis heureux de resterchez toi et content de ne pas avoir à aller boire chez unami. Mais Mécène t'a-t-il invité, même au dernier

moment, quand les flambeaux s'allument, alors tu poussesde grands cris « L'huile de la lanterne! allons, plus vite!m'a-t-on entendu ? » Et tu brailles, et tu cours comme unvoleur. Milvius 729et tes bouffons s'écartent, proférantdes propos qu'il est difficile de te rapporter. « Je le

confesse, dit Milvius, je suis frivole, je me laisse conduire

par mon ventre, je lève le nez pour flairer les bonnesodeurs; je suis faible, sans vigueur; si l'on veut même, jesuis un ivrogne; mais alors qu'il ne vaut pas mieux quemoi, et même moins peut-être, de quel droit s'en prend-ilà moi, sans provocation de ma part, comme s'il m'étaitsupérieur, et pourquoi cache-t-il ses vices sous de bellesparoles ? » Que dirais-tu si je te démontrais que tu esplus sot que moi, l'esclave acheté pour cinq centsdrachmes ?. Allons ne me regarde pas de cet air terribleNe lève pas la main, calme-toi; je ne fais que répéter les

leçons du portier de Crispinus 720.Tu convoites la femme d'un autre; c'est à une petite

drôlesse que Dave en a lequel de nous deux mérite leplus d'être attaché en croix ? Quand je suis en rut et que,à la clarté d'une lanterne, je plante mon membre gonflédans une femme toute nue, qui répond, l'effrontée, enremuant les fesses aux mouvements du cavalier, je laquitte, ma besogne terminée, sans que ma réputation ensouffre, et peu m'importe qu'un autre, plus riche ouplus beau que moi, aille ensuite jouir au même endroit.Et toi, quand tu quittes tout ce qui peut te faire recon-.naître, ton anneau de chevalier, ta toge, quand tu astout l'air, non d'un magistrat, mais d'un Dama731, tatête parfumée dissimulée sous une capuche, n'es-tu pas,en réalité, ce que tu parais être ? Tu entres en tremblantchez ta belle, ta peur lutte contre ton désir et tu claquesdes dents. Qu'importe alors que tu sois vendu comme

Page 202: Horace - Oeuvres

204HORACE

gladiateur, brûlé, fouetté, poignardé ou honteusement

caché dans un coffrem, où t'aura fourré une servante

complicede sa maîtresse,le corpsramasséet la tête dans

les genoux? Le mari de la femmeadultère n'a-t-il pasun pouvoirlégitimesur elleet son complice,sur ce der-

nier surtout, qui est le corrupteur? La femme,elle,ne

changepas de costume,elle ne quitte pas sa maison;ce

n'est pas ellequi se couchesur toi; elle te craint et ne

se fie pas à ton amour. Mais toi, tu sais bien que tu vas

passersous la fourcheet que tu livresà la fureur du mari

ton bien, ta vie, ta réputation.As-tu réussià échapper?Tu continueras,je pense, à trembler, et ton expériencete feraprendredesprécautions? Maisnon! tu chercheras

seulementune nouvelleoccasiond'avoir peur et de ris-

quer la mort, tu courras à un nouvelesclavage.Quellebêtesauvage,si ellea une foisbriséseschaînes,est assez

abjectepourretournerà saservitude?Tu me diras «Je ne suispasun débauché.» Moinon

plus, parbleu, je ne suis pas un voleur quand j'ai la

prudencede passer,sansy toucher,à côtéde l'argenterie.Le dangerécarté,la nature est sansfrein pour se donner

carrière à l'aventure. Es-tu vraiment mon maître, toi

qui subissans cesseet si durement la loi des hommeset

des choses,et que troisouquatrecoupsdebaguette733ne

délivreraientpas de tes misérablesterreurs? A toutes

ces raisons,ajouteencorecette autre, qui n'a pas moins

d'importance qu'on donne, commevous le faites,vous

autres,le nom de remplaçant734à l'hommeque l'esclave

achètepour l'aider, ou le nom de camaraded'esclavage,

que suis-jeen somme,moi,pour toi ?Tu es mon maître

et en mêmetemps le misérableesclaved'un autre; tu es

une marionnettedont les mouvementssont réglés pardesficellesétrangères.

Qui donc est libre? Le sage, qui se commandeà lui-

même, ne s'effraieni de la pauvreté, ni de la mort, ni

des entraves, a le couragede résister aux passions,de

mépriser les honneurs, ne demanderien au-dehors il

ressembleà une boulelisseet ronde735;sur cette surface

polie rien d'étrangern'a de prise; la fortuneest impuis-santeà lasaisir.De touscestraits,n'en est-ilpasun qui te

convienne? Une femme te demande cinq talents, te

tourmente,te chasse,te jette sur la tête de l'eau glacée,

puisellete rappelle.Soustrais-toià ce joughonteux;dis

«Je suis libre, oui, bien libre! »Mais tu ne le peuxpas;tu as un maîtrequi te poussesansdouceur,se moquede

Page 203: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE II205

ta fatigue, te pique de l'aiguillon et te fait tourner malgréta résistance.

Tu bâilles d'admiration devant un tableau de Pau-sias736;es-tu moins sot que moi qui admire, le jarrettendu, l'afficheoù les combats de Fulvius, de Rutubaoude Placidéianus sontpeintsenrougeouen noiravectant de véritéqu'on croiraitvoircesgladiateursse battreet parer les coupsde l'adversaire.On dit alorsque Daveestun vaurienetunfainéant,tandisquesonmaîtreappré-cie les vieillesœuvresen finconnaisseur.

Je suis un hommede rien, si je me laisseattirer parl'odeur d'un gâteaufumant; mais toi, as-tu la force, lecourage,de résister à un bon repas? Ma gourmandisemefait pasmalde tort pourquoi? Parcequ'elleme vautdes coups de bâton. Mais n'es-tu pas puni toi aussi,quand tu recherchesces festinsqui ne sont pas pour lespetites bourses? Ces aliments avalés sans mesure tedonnent de mauvaisesdigestions,tes pieds vacillentetrefusent de porter ton corps malade. Est-ce une faute,pour un esclave, d'échanger en cachette une strigilecontre un raisin? Et n'en est-cepas une de vendresonbien et de sacrifierservilementà sagourmandise? Enfin,tu es incapablede resterune heureavectoi-même,d'em-ployerhonnêtementtes loisirs,tu fuis ta société,commeun esclavefugitif ou vagabond,tu cherchesà tromperton inquiétudedans le vin ou le sommeil;maisen vain;le noir soucine te quittepas; il te suit, il te poursuitdansta course.

HORACE

Donnez-moiune pierre!

DAVE

Pour quoi faire?HORACE

Des flèches!DAVE

Il perd la raison. Peut-êtrefait-il des vers!

HORACE

File,etplusvite!Sinon,je t'envoieen Sabine,travailleravecles huit autres!

Page 204: Horace - Oeuvres

206 HORACE

VIII

HORACE

Le dîner du riche Nasidienus a-t-il été agréable ? Hier,

je voulais t'inviter on m'a répondu que tu étais chez

lui, occupé à boire, dès le milieu du jour.

FUNDANIUS

C'est vrai de ma vie, je ne me suis tant amusé.

HORACE

Si tu le veux bien, décris-moi le premier service com-

ment avez-vous calmé votre première faim ?

FUNDANIUS

On servit d'abord un sanglier de Lucanie738,pris, nous

dit notre hôte, par un léger vent du midi; tout autour,

de petits plats de raves piquantes, de laitues, de radis,

tous mets qui réveillent l'estomac fatigué, de la raiponce,de l'allec, de la lie de vin de Cos739. On desservit, puisun esclave, retroussé haut, essuya avec un torchon de

pourpre la table en bois d'érable; un autre ramassa tout

ce qui était tombé et aussi tout ce qui ne servait plus à

rien et pouvait gêner les convives. Comme la vierge

athénienne ayant dans les mains les objets consacrés à

Cérès740, Hydaspe s'avance, l'esclave noir, portant du

Cécube, pendant qu'Alcon apporte un vin de Chio coupéd'eau de mer. Alors l'amphitryon « Si aux vins qu'onvient de présenter, tu préférais, Mécène, du vin d'Albe

ou du Falerne, j'ai l'un et l'autre. »

HORACE

Quelle pitié que ces richards Et avec qui, Fundanius,

as-tu fait ce repas succulent ? Je voudrais bien le savoir.

FUNDANIUS

J'étais sur le lit supérieur; j'avais à côté de moi Viscus

Thurinus, et au-dessous, si je me souviens bien, Varius 741;

au lit du milieu, Mécène, avec ses deux ombres, Servilius

Balatron et Vibidius "2; au troisième lit, Nasidienus, entre

Nomentanus et Porcius743 ce dernier faisait le loustic en

avalant les galettes d'une seule bouchée; quant à Nomen-

Page 205: Horace - Oeuvres

SATIRES. LIVRE II207

tanus, il avait la charge de nous montrer du doigt les

plats que nous pouvions n'avoir pas remarqués. Nous

autres, le menu fretin, nous mangions oiseaux, coquil-lages, poissons, apprêtés de façon à ne pas nous permettrede reconnaître leur goût habituel. Mon ignorance fut

visible, quand Nomentanus me fit passer des filets de

plie et de turbot, tels que je n'en avais jamais mangé.C'est encore lui qui m'apprit ensuite que les pommes de

paradis sont plus rouges quand on les cueille au déclinde la lune; pour quelle raison ? tu le lui demanderas. AlorsVibidius s'adressant à Balatron « Buvons, et ne nous

arrêtons que lorsque notre hôte sera réduit à la mendicité;

sinon, nous mourrons sans vengeance! » et il demande

de plus grands verres. Notre fournisseur 744 blêmit il

ne redoute rien tant que les buveurs intrépides, soit

parce qu'ils ont, après boire, la dent plus mauvaise, soit

parce que la chaleur du vin émousse la finesse du palais.Vibidius et Balatron vident toutes les cruches dans des

coupes d'Allifae et tout le monde en fait autant, saufles convives du dernier lit, qui ne firent pas grand malaux bouteilles.

On apporte une murène, dressée sur un plat entre des

squilles nageant dans la sauce. A ce moment, l'amphitryonprend la parole « Quand on l'a pêchée, elle était pleine;après le frai, la chair eût été moins délicate. Quant à lasauce, voici ce qu'on y a mis de l'huile vierge du Vénafre,du garum fait avec les intestins du poisson d'Espagne 746;pendant la cuisson, du vin de cinq ans, récolté en Italie;une fois le poisson cuit, du vin de Chios (aucun autre nele remplacerait), du poivre blanc, un peu de vinaigrefait avec du vin de Méthymne 747.J'ai le premier fait pré-parer ainsi la roquette verte, l'aunée amère, comme Cur-tiIlus 74Bl'avait fait pour les oursins, sans les laver c'estbien préférable à la saumure ordinaire, parce que le

coquillage rend son eau, pendant la cuisson. »A ce moment, un baldaquin suspendu au-dessus de la

table s'abat lourdement sur le plat de poisson, soule-vant un nuage de poussière noire plus épais que ne fait

l'Aquilon dans les champs campaniens. Nous croyons àune catastrophe; mais bientôt, constatant qu'il n'y a pasde danger, nous nous remettons. Rufus baisse la tête,comme si une mort prématurée lui avait enlevé son fils

et sanglote. Il pleurerait encore, si Nomentanus, le vrai

sage, n'avait en ces termes relevé le moral de son ami« Hélas! Fortune, tu es pour nous plus cruelle que tous

Page 206: Horace - Oeuvres

208 HORACE

les dieux. Commetu te plais toujoursà te moquer des

mortels! » Varius pouffaitde rire dans sa serviette.Et

Balatronse moquant de tout « Telle est, disait-il, la

conditionde la vie humaine jamaisla gloirene répondà la peine que l'on prend! Ainsitoi, pour nousrecevoir

avecélégance,tu as eu millesoucis; tu t'es mis à la tor-

ture pour que le pain ne soit pas brûlé, la sauce mal

assaisonnée;tu nous as fait servirpar des esclaveslestes

et bienpeignés.Et voilàdes accidentsqui se produisent,un baldaquinqui tombe,commetout à l'heure, un pale-frenier dont le pied glisse,et qui casseun plat149.Mais

chez un maître de maison, commechez un général, le

géniese révèledans l'adversité;dans le bonheur,il reste

caché.»« Puissent les dieux, lui répond Nasidiénus,exaucer

toutestes prières tu es un hommede bien et un convive

aimable!» Et il demandesessandalespour sortir. Et les

invités,sur leslits,de chuchoteret dese parler à l'oreille.

HORACE

Ce devait être un spectacle bien amusant. Y a-t-il eu

encore quelque chose de risible ? Voyons, dis-le-moi.

FUNDANIUS

Vibidius demande aux esclaves si l'on a aussi cassé

les bouteilles, puisque, malgré ses demandes répétées,

on ne lui donne rien à boire. On rit des histoires racontées

par Balatron. Alors, nous te voyons reparaître, Nasi-

diénus, la figure changée, comme un homme qui sait,

par son art, corriger la fortune. Des esclaves le suivent,

porteurs d'un grand plat creux contenant les membres

découpés d'une grue, couverts de sel et de farine, le foie

d'une oie blanche engraissée avec des figues, des épaules

de lièvre détachées du reste du corps, sous prétexte que,

servies avec les râbles, ce serait un morceau moins fin.

Puis apparaissent sur table des squelettes brûlés de merles

et de pigeons sans croupion, mets délicats sans doute,

s'il ne fallait entendre l'hôte en exposer les vertus 750 et

donner ses raisons. Aussi, nous sommes-nous vengés en

prenant la fuite sans toucher à rien, comme si Canidie,

à l'haleine plus venimeuse que les serpents d'Afrique,

avait soufflé sur eux.

Page 207: Horace - Oeuvres

ÉPITRES

Page 208: Horace - Oeuvres
Page 209: Horace - Oeuvres

LIVRE PREMIER

i

A MÉCÈNE

Mécène, toi qu'ont chanté les premiers accents de maCamène et que célébreront les derniers, tu veux ramenerdans l'arène de sa jeunesse le gladiateur qui s'est long-temps donné en spectacle et a obtenu son congé. Mes

goûts ont changé, comme mon âge. Véianius 751a sus-

pendu ses armes à une colonne du temple d'Hercule etvit ignoré à la campagne; il ne tient pas à redemander,au bout de la piste, sa récompense aux spectateurs. J'en-tends toujours le même propos qui touche mon oreilleattentive « Sois assez sage pour dételer à temps toncheval vieillissant; sinon, il bronchera avant la fin, s'es-soufflera et provoquera le rire. »

Oui, aujourd'hui j'ai renoncé aux vers et aux autresfantaisies le vrai et l'honnête, voilà l'objet de mes médi-

tations, de mes recherches; je m'y donne tout entier; jeramasse, j'arrange mes provisions, pour m'en servir aubesoin.

Tu vas peut-être me demander quel est mon chef, etsous quel Lare je m'abrite or, je ne me suis lié à aucun

maître, je n'ai prêté serment à personne, je me laisseconduire où me mène l'état du ciel; mais, même là, je nesuis qu'en passant. Tantôt je vis dans l'action et me baignedans la politique, j'observe rigoureusement et pratiquela vraie vertu; tantôt au contraire, je glisse, sans avoirl'air de rien, dans les principes d'Aristippe 752,et essaiede soumettre les faits à ma volonté, au lieu de me laisserdominer par eux. La nuit est longue pour celui que samaîtresse a trompé; le jour paraît interminable à ceux

Page 210: Horace - Oeuvres

212HORACE

qui sont condamnésau travail,et l'année n'en finit plus

pour le mineur soumis à la dure poigne de sa mère;ainsipourmoi, s'écoulentpéniblementet sansplaisirtous

les momentsoù je dois ajournermes espéranceset mes

projetsde travailleraveccœuràcequiestutileauxpauvrescommeaux riches, à ce que jeuneset vieuxsouffriront

d'avoir négligé.Du moins,me reste-t-il cetteconsolation

de réglermavie sur lespremiersprincipesde la sagesse.Sous prétexte qu'on n'a pas la vue perçantede Lyn-

cée753,on nerefuserapasde soignersesyeuxmalades;de

ce que l'on n'a aucun espoirde l'emporter sur Glycon,l'athlète invaincu,on ne conclurapas qu'il n'y a rien à

fairepour seguérirde la goutte. Il est possibled'avancer

jusqu'à un point donné,s'il ne l'est pas d'aller plus loin.

Le cœurhumainest rongépar lacupiditéet demisérables

convoitises eh bien! il y a desmotset desformulespourcalmer la souffranceet guérir, au moins en partie, la

maladie.L'amour de la gloire te tourmente il est des

cérémoniesqui te rendront la force,quandtu auras,trois

fois,lu avecpiété tel petit livre. Jaloux,emporté,pares-

seux, buveur, sensuel, personne n'est indomptable au

point de ne pouvoirse laisserapprivoiser,pourvu qu'ilait la patiencede se prêter aux leçons. C'est déjà de la

vertu que de fuir le vice; c'est déjà de la sagesseque de

combattrel'erreur. Vois tes efforts,les dangers que tu

cours pour éviter ce que tu regardescommedes maux

intolérables,une fortunemédiocre,la honte d'un échec;vois le marchandcourir sans se lasser jusqu'aux Indes,au bout du monde,s'exposantaux périlsde la mer, des

rochers,des incendies,pour fuir la pauvreté.Et pour ne

plus avoir le souci de ces faux biens que ta sottisesou-

haite et admire, tu refuseraisde t'instruire, d'écouter et

de suivrequi vaut mieuxque toi ?

Quelherculede villageou de foiremépriseraitla cou-

ronne des nobles jeux d'Olympie,s'il espérait s'assurer

la palme,sansavoirà lutter ?

L'argent vaut moins que l'or, mais l'or vaut moins

que la vertu. « Citoyens,citoyens,commencezpar vous

enrichir,la vertu après les écus!»Voilàce qu'on entend

d'un boutà l'autre dela galeriede Janus 'b°,voilàlachan-

son des vieuxet des jeunes,tous ayant, penduesau bras

gauche,leur cassetteet leur tablette.Tu as du cœur, du

caractère,de l'éloquence,de la loyauté,maisil temanquesix ou sept mille sestercespour faire les quatre cent

mille réglementaires755 tu resteras dans la plèbe. Ah!

Page 211: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE I213

comme j'aime mieux les enfants dans leurs jeux « Seraroi, disent-ils, qui fera le mieux. » N'avoir pas de reprocheà s'adresser, n'avoir pas fait de faute dont on ait à rougir,voilà notre mur d'airain. Vraiment, qu'est-ce qui vautle mieux, la loi Roscia 756,ou bien les couplets enfantinsqui donnent le trône aux meilleurs, et que chantaientjadis les mâles Curius et les mâles Camille 7" ? Quel estle meilleur conseiller ? Celui qui te pousse à faire fortune,honnêtement, si possible, sinon, par tous les moyens, afind'être plus près de la scène quand on joue les drameslarmoyants de Pupius ? ou bien l'homme qui, debout àcôté de toi, t'engage et te prépare à faire face, libre et latête haute, aux coups de la Fortune ?

Si le peuple romain s'avisait de me demander pourquoije n'épouse pas ses jugements comme je fréquente sesportiques, et pourquoi mes préférences et mes répu-gnances ne sont pas les siennes, je lui ferais la réponseque fit jadis le renard avisé au lion malade « C'est queje suis effrayé de voir les traces de pas toutes tournéesvers ton antre, sans qu'aucune marque un retour enarrière 758.»Tu es, Rome, le monstre aux cent têtes. Quefaire ? Qui suivre ? Les uns sont impatients d'affermerles revenus publics; d'autres, avec des friandises et desfruits, font la chasse aux femmes non mariées et avares 769

ou jettent leurs filets sur des vieillards, pour les mettreen réserve dans leurs parcs à gibier; la plupart s'enri-chissent en cachette par des prêts usuraires. Je veuxbien admettre que chacun ait ses goûts et ses préférences;mais une même personne ne pourrait-elle, une heure desuite, garder le même sentiment ? « Il n'y a pas sur terre,dit un richard, de plage plus agréable que Baïes 760

», et,sans retard, le lac Lucrin et la mer éprouvent les effets desa préférence; puis un caprice maladif agit sur lui commeun présage « Demain, ouvriers, c'est à Téanum quevous porterez vos outils! » Le lit de pariade762est-il dansl'atrium, rien ne vaut la vie de célibataire; n'y est-il pas,les maris seuls sont proclamés heureux. Quels liens ima-giner pour retenir ce Protée aux cent visages 763? Etle pauvre ? tu vas sourire! lui aussi change de logement,de lit, de bain, de barbier; il paie sa place sur un bateau

pour avoir le mal de mer, comme le riche sur sa trirème.Si tu me rencontres, Mécène, avec des cheveux mal

coupés par le barbier, je te vois sourire; si j'ai, sous une

tunique neuve, une chemise usée, si les plis de ma togene tombent pas bien, tu souris encore. Et, quand mes

Page 212: Horace - Oeuvres

214HORACE

idées ne sont pas d'accord, quand je renonce à ce que

j'ai voulu, puis que je veux encore ce que je viens de

laisser, quand je flotte au hasard et que tout mon train

de vie est fait de contradictions, quand je démolis, puis

rebâtis, et fais rond ce qui était carré, tu me crois atteint

de la folie de tout le monde, et tu ne songes pas à rire, ni

à m'envoyer le médecin, ni à demander pour moi un

curateur au préteur; et cependant tu es mon tuteur!

Mais qu'il ait les ongles mal taillés, cet ami dont la vie

est suspendue à la tienne, cet ami qui n'a d'yeux que pour

toi, et te voilà de mauvaise humeur!

Bref, le sage n'a qu'un maître, Jupiter il est riche,

libre, comblé d'honneurs, beau, c'est le roi des rois;

surtout il est bien portant. sauf quand la pituite le tra-

casse.

il

A LOLLIUS

Mon cher Lollius Maximus,pendant qu'à Rome tu

t'exercesà l'éloquence,j'ai, à Préneste,relu le chantrede

la guerrede Troie. Ce grandhommenousmontrece quiest honnête ou honteux, utile ou nuisible,plus pleine-

ment, avecplus de justesseque n'ont fait Chrysippeet

Crantor -,64.Pourquoime suis-je fait cette opinion? Jevaiste le dire, si rien ne te retient.

Le poème où est racontée la longue guerre que la

passionde Pâris alluma entre Grecs et Barbares,nous

montre la sottiseet lesviolencesdes roiset des peuples.L'avis d'Anténorest qu'il faut supprimerla causemême

de la guerre. Et Pâris? Il déclare,lui, que nul ne peutl'obligerà régner tranquilleet à vivreheureux. Nestor

apportesessoinsà calmerledifférendquiséparelePéléide

de l'Atride,emportés,le premierpar son amour,et tous

deux égalementpar la colère.Les Grecs expient toutes

les sottisesde leurs rois. La désunion,la fourberie, le

crime, la passion,la colèreexercentleurs ravagesdans

Troie et hors de Troie.A ce tableau,Homèreopposeles effetsde la vertu et

de la sagesse,en nous proposant,commeun exempleà

suivre,le prudent Ulyssequi, vainqueurde Troie, par-courut beaucoupde pays, visita beaucoupde peuples,et, tout en travaillantà franchirla vastemer pour revenir

danssonîleet y ramenersescompagnons,eutà supporter

Page 213: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE I 2I5

mille maux, sans se laisser submerger par l'adversité. Tu

connais les chants des Sirènes et les breuvages de Circé.

Si Ulysse avait eu la sottise et l'imprudence de boire,comme firent ses compagnons, il serait devenu l'esclave

d'une courtisane, et aurait pris la forme d'une bête privéede raison, d'un chien immonde, d'un pourceau vautré

dans la boue.

Pour nous, nous ne sommes que de pauvres hommes,faits seulement pour manger; nous sommes les préten-dants de Pénélope, ces vauriens, ou ces jeunes gens de

la cour d'Alcinoüs 765,uniquement occupés du soin de

leur personne, et qui trouvaient bon de dormir jusqu'aumilieu du jour et de se laisser bercer dans un demi-som-

meil par le chant de la cithare.

Pour étrangler un homme, les escarpes se lèvent au

milieu de la nuit, et pour assurer ton salut, tu ne te

lèverais pas de bonne heure? Mais si tu ne veux pascourir en bonne santé, il te faudra le faire avec ton hydro-

pisie, et si tu ne demandes pas de la lumière pour lire

avant le jour, si tu ne t'appliques pas à l'étude de la

morale, l'envie et la passion te tiendront éveillé et te

tortureront. Eh quoi! quand un objet blesse ton œil, tu

te dépêches de l'enlever. Et si une passion ronge ton cœur,tu ajournes indéfiniment le remède ? C'est avoir fait la

moitié de l'ouvrage que d'avoir commencé. Aie l'énergied'être sage, commence. Remettre à plus tard le moment

de vivre avec sagesse, c'est faire comme le paysan quiattend que le fleuve ait fini de couler mais le fleuve

coule et coulera éternellement.

Que recherchent les hommes ? De l'argent, une femme

riche pour leur donner des enfants, des boqueteauxincultes à faire défricher par la charrue. Quand on a le

nécessaire, on ne devrait rien désirer de plus. Ce n'est

pas une maison, une propriété, un tas d'or et de bronze,

qui guériront ton corps de la maladie et de la fièvre, ton

âme du tourment. Si l'on veut jouir des biens que l'on a

amassés, il faut commencer par se bien porter. Lorsqu'onest ravagé par le désir ou la crainte, on éprouve, à être un

riche propriétaire, tout juste le plaisir que fait un tableau

à l'homme qui a mal aux yeux, des linges fins à un gout-

teux, le son de la cithare à celui dont les oreilles sont

malades et pleines d'humeurs. Quand un vase n'est pas

propre, tout ce qu'on y verse devient aigre. Méprise la

volupté c'est un mal, la douleur en est le prix. L'avare

est toujours dans le besoin fixe un terme à tes désirs.

Page 214: Horace - Oeuvres

216 HORACE

L'envieux maigrit du bonheur d'autrui; les tyrans de

Sicile 766n'ont pas inventé de supplice pire que l'envie.

Si l'on ne sait pas mettre un frein à sa colère, on regrettera

un jour d'avoir obéi à son ressentiment et à son humeur

et d'avoir, pour assouvir sa haine, voulu hâter sa ven-

geance. La colère est une courte folie. Maîtrise ta passion

si elle n'obéit pas, c'est elle qui commande, impose-lui

un frein, mets-lui une chaîne.

C'est quand le cheval est jeune qu'on le dresse et qu'on

lui apprend à suivre le chemin où veut le faire passer

le cavalier. Le chien de chasse a d'abord, dans la cour

de la maison, aboyé à un cerf empaillé; ensuite, il sait

chasser dans la forêt. Dès aujourd'hui, alors que tu es

encore jeune et que ton cœur est pur, pénètre-toi de mes

préceptes, confie-toi à qui vaut mieux que toi. L'amphore

neuve conserve l'odeur du liquide qu'on vient d'y verser.

Si tu tardes, je ne t'attendrai pas; si tu cours pour aller

devant, je ne ferai rien pour te rattraper.

III

A JULIUS FLORUS

Julius Florus,dans quellescontréesest le corpsexpé-ditionnaire conduit par Tibère, beau-fils d'Auguste?Je voudraisbien le savoir.Etes-vousen Thrace? Etes-vousbloquéspar les glacesde l'Hèbre 767? arrêtéspar ledétroit dont les flots courent entre les tours '66de ses

deux rives, ou par les grassesplaineset les collinesde

l'Asie?Et voustous, les jeunesgensde l'entouragede Tibère,

quelssontvostravauxlittéraires? Celaaussim'intéresse.

Lequel a pris pour lui le récit des exploitsd'Auguste?

Quise chargede faireconnaîtreà la postéritéles œuvres

de la guerre et de la paix? Que fait Titius, dont Rome

bientôt célébrerala renommée,lui qui n'a pas craint de

se mesurerà Pindare769et a eu le couragede dédaignerles étangs, les ruisseaux,ces sourcesbanalesde l'inspi-ration? Commentse porte-t-il? Se souvient-ilde moi?Travaille-t-ilà adapter,sous les auspicesde la Muse, le

rythmethébainà la lyre latine? ou au contrairese livre-t-il aux fureurset aux déclamationsde la tragédie? Quefait mon bon ami Celsus? Je lui ai dit, je ne me lasserai

pas de lui répéter, qu'il doit se contenterde son bien et

Page 215: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE I2I7

éviter d'emprunter aux œuvres de la bibliothèque pala-tine. Sinon, le jour où les oiseaux viendront redemanderleurs plumes, la corneille, dépouillée de son plumaged'emprunt, prêtera à rire à tout le monde. Et toi-même

quel travail entreprends-tu ? Actif comme l'abeille, quellesfleurs butines-tu? Tu n'as pas un esprit médiocre ni

grossier; tu ne manques point de culture; que tu aiguiseston éloquence en vue de procès à plaider, que tu préparestes consultations de droit civil, que tu polisses d'aimables

poésies, tu obtiendras la couronne de lierre, récompensedu vainqueur. Si tu pouvais renoncer à tous les soucis

qui refroidissent ton élan, tu irais aussi loin que peut teconduire la divine philosophie. Acquérir la sagesse, ytravailler, voilà notre but à tous, grands et petits, si nousvoulons vivre chers à notre patrie et à nous-mêmes.

Dis-moi aussi, dans ta réponse, si tu as pour Munatiustoute l'affection qui convient; votre réconciliation a-t-elletenu ? ou la plaie a-t-elle été mal cicatrisée et s'est-ellerouverte ? Est-ce la chaleur de votre sang, est-ce un mal-entendu qui vous rend tous deux si farouches et ne vous

permet pas de vaincre vos emportements ? Où que vous

soyez, vous ne devez pas rompre une affection frater-

nelle pour moi, j'engraisse une génisse que j'ai fait vœude sacrifier pour fêter votre retour.

IV

A TIBULLE

Tibulle, critique sincère de mes satires, que peux-tubien faire en ce moment dans la campagne de Pedum ?Ecris-tu des vers plus beaux que les petits ouvrages deCassius deParme "° ?ou bien te promènes-tu à petits pas àl'ombre salutaire des bois tranquilles, sans autre souci quela méditation du sage et de l'homme de bien ?

Tu' n'as jamais été un corps sans âme. Les dieux t'ontdonné la beauté; ils t'ont donné aussi la richesse et l'artd'en jouir. Que peut souhaiter une nourrice pour soncher petit, s'il a la sagesse, le don d'exprimer ses senti-ments, le crédit, la réputation, la santé, une vie éléganteet une bourse bien garnie ? Au milieu des espérances etdes soucis, des craintes et des colères, persuade-toi quechaque jour qui luit est pour toi le dernier; elles te serontdouces toutes les heures sur lesquelles tu n'auras pas

Page 216: Horace - Oeuvres

2i 8 HORACE

compté. Pour moi, tu me trouveras gras, la peau soignée

et bien brillante, et tu pourras te moquer de moi, vrai

pourceau du troupeau d'Epicure.

v

A TORQUATUS

S'il ne te déplaît pas de venir t'étendre à ma table, sur

de petits lits fabriqués par Archias, si tu ne crains pas de

manger des légumes dans une vaisselle ordinaire, je

t'attendrai chez moi, Torquatus, à la fin du jour. Le vin

que tu boiras, mis en fût sous le second consulat de

Taurus, a été récolté entre les marais de Minturnes et

Pétrinum, près de Sinuesse. Si tu as mieux, apporte-le;

sinon, soumets-toi à mon autorité. Déjà le foyer brille

et, en ton honneur, tout reluit dans la maison. Laisse à la

porte toute futile espérance, toute rivalité d'intérêts, le

procès de Moschus c'est demain jour de fête pour

l'anniversaire de César; nous pourrons dormir; rien ne

nous empêche de passer cette nuit d'été dans une cau-

serie amicale.

A quoi bon la fortune, s'il n'est permis d'en jouir?

Epargner pour ses héritiers, se priver à l'excès, c'est se

mettre au rang des insensés. Je serai le premier à boire,à répandre des fleurs; je consentirai même à passer pour

extravagant. Que n'ose point l'ivresse ? Elle ouvre la voie

aux secrets, réalise les espérances, pousse le lâche au

combat, décharge l'âme du poids des soucis, enseigne les

beaux-arts. Quand la coupe est pleine, qui ne devient

éloquent ? Qui ne se sent libéré des liens de la pauvreté ?

Quant à moi, voici mon rôle je n'y réussis pas mal,et je m'en charge bien volontiers je veillerai à la pro-

preté des lits; on n'aura pas à froncer le nez devant une

nappe sale, on pourra se mirer dans les coupes et les plats;il n'y aura là que des amis sûrs, sans que personne songeà répéter nos propos; je placerai les convives suivant leur

convenance; j'inviterai, pour t'être agréable, Butra, Sep-

ticius, et aussi Sabinus, s'il n'est pris par une invitation

antérieure, ou retenu par quelque fille. Il restera des

places pour des « ombres"2» mais, s'il y a trop de monde,l'odeur des aisselles est vite insupportable. Dis-moi com-

bien de personnes tu comptes amener, puis laisse là les

Page 217: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE I 219

affaires, et échappe, par la porte de derrière, au client quit'attend dans l'atrium.

VI

A NUMICIUS

Ne s'émouvoir de rien, c'est, Numicius, le meilleur

moyen et même presque le seul de trouver et de conser-

ver le bonheur. Le soleil, les étoiles, le cours régulier des

saisons, voilà des spectacles que certaines gens contemplentsans effroi. Quelle impression leur feront alors les pré-sents de la terre, les richesses qui se cachent dans les mers

lointaines de l'Arabie et des Indes, les plaisirs des jeux,les applaudissements, les faveurs du Quirite ? De quels

yeux les regarderont-ils ? dans quelle pensée ? de quel

visage ?Celui qui redoute de perdre ces avantages éprouve à

peu près la même angoisse que celui qui les désire. Dans

les deux cas, il y a crainte et peine, et sitôt que s'offre à

nous, d'une manière inattendue, l'une ou l'autre image,nous sommes tout troublés. Joie ou douleur, désir ou

crainte, qu'importe ce que nous éprouvons, si, devant

des résultats meilleurs ou pires que notre attente, nous

restons hébétés, les yeux fixes, l'esprit et le corps

engourdis.Il faut donner au sage le nom d'insensé, au juste le

nom d'inique, s'il est excessif, même dans la recherche

de la vertu.

Et maintenant, contemple l'argent ciselé, les statues

anciennes, les bronzes, toutes les œuvres d'art; admire

les gemmes et la pourpre de Tyr; sois heureux d'attirer,en parlant, des milliers de regards; sois actif, va au forum

de bon matin, rentre tard chez toi, dans la crainte que

Mutus, sur les terres que sa femme lui a apportées en

dot, ne récolte plus de blé que toi et (chose abominable,

puisque sa naissance ne vaut pas la tienne) qu'il ne te

faille l'admirer au lieu d'exciter son admiration; avec le

temps, ce qui, aujourd'hui, est sous terre arrivera au

grand jour; ce qui brille sera enfoui et disparaîtra aux

regards; quand tout le monde te connaîtra et t'aura bien

vu sous le portique d'Agrippa et sur la voie Appienne 773,

il te restera toujours à aller là-bas, rejoindre Numa et

Ancus.

Si tu souffres d'une pleurésie ou d'une néphrite,

Page 218: Horace - Oeuvres

220 HORACE

cherche un remède. Veux-tu bien vivre? et qui ne leveut? Si la vertu seule peut te donner le bonheur, sois

courageux,renonceaux plaisirset pratique la vertu. Au

contraire,pour toi lavertu n'est-ellequ'un mot? un boissacrén'est-ilquedubois?alorsmetstoustessoinsàarriverle premierau port, pour assurer le succèsde tes affairesà Cibyra"4 ou en Bithynie;arrondiston premiermillierde talents, auquel tu en ajouterasun second, puis un

troisième, en attendant qu'un quatrième complète lecarré.

Naturellement,l'argent est roi il donne une femmeavec une belle dot, du crédit, des amis, il donne lanoblesse,il donne la beauté; la Persuasion et Vénusembellissentl'homme qui a des écus. Le roi de Cappa-doce"b, riche en esclaves,n'a point d'argent; ne lui res-semble pas. Fais plutôt comme Lucullus776.Un ami,paraît-il, lui demandaits'il pouvait,pour une représen-tation dramatique,prêter cent chlamydes.« Commentle pourrais-je? répondit-il. Pourtant, je chercherai et

j'enverraitout ce quej'ai. Peu après,il écritqu'il a, chez

lui, cinq mille chlamydes on pouvaitprendre le toutou seulementune partie. Une maisonest vide,quand on

n'y trouvepas beaucoupd'objets inutilesdont le maître

ignorele nombre,et qui ferontl'affairedesvoleurs.Ainsidonc,si la fortuneseulepeut donneret maintenirle bon-heur,soislepremierà laconquérir,ledernierà lanégliger.

Si l'éclatdeshonneurs,si lecréditdonnentle bonheur,achetonsun esclavepournousnommerlesgensquenousrencontrons, nous pousser du coude le côté gauche etnous forcer à serrer la main aux marchandspar-dessusleurétalage «Untel a une grosseinfluencedansla tribuFabienne; cet autre dans la tribu Vélina; ce troisièmedonnera le consulatà qui bon lui semble,et enlèveralachaisecuruleà qui il voudraen se déclarantcontre lui.»Ne crainspas d'ajouter en leur parlant «Frère, père »,suivant leur âge; c'est une façongracieusede les faireentrer dans ta famille.

Si bien vivre, c'est bien manger,le jour brille, allonsoù nous mène notre goinfrerie,à la pêche, à la chasse,commejadisGargilius lematin,quandle forumestpleinde monde,il le traversaitavecses filets,ses épieux, sesesclaves;et lesoir,il rapportaitsur un uniquemulet,sousles yeux de la foule, un sanglierqu'il avait acheté aumarché.Allonsau bain quand la digestionn'est pas faiteet que l'estomacest encoreplein; oublionsce qu'il faut

Page 219: Horace - Oeuvres

ÉPITRFS. LIVRE 1 221

faire ou ne pas faire; méritons une mauvaise notre 177.

Soyons comme les détestables compagnons du roi

d'Ithaque, qui préférèrent à leur patrie un plaisir dont

Ulysse voulait lespriver.

Si, comme le croit Mimnerme 778,il n'y a pas de plaisirsans amour et sans jeux, passe ta vie dans les jeux et

dans les amours.

Adieu, bonne santé! Si tu as mieux à me dire, fais-m'en

part en toute franchise; sinon, use avec moi des conseils

que je t'ai donnés.

VII

A MÉCÈNE

Je t'avais promis de ne rester à la campagne quequelques jours; j'ai manqué à ma parole et me suis fait

désirer tout le mois d'août. Mais si tu me souhaites une

bonne et vigoureuse santé, tu ne me refuseras pas, Mécène,au moment où je redoute d'être malade, la grâce que tum'accordes quand je le suis; or, nous sommes au tempsdes premières figues et des chaleurs; on ne rencontre quel'ordonnateur des pompes funèbres, escorté de ses noirs

licteurs; père et mère tremblent pour leurs enfants; lesdevoirs de la clientèle, les petits services rendus au forum

multiplient les fièvres et font ouvrir les testaments.

Quand, au solstice, les monts Albains se couvriront

de neige, c'est sur le bord de la mer que descendra ton

poète, il se ménagera et s'enfermera avec ses livres; puis,mon doux ami, il retournera vers toi, si tu le veux bien,

quand souflieront les zéphyrs, au retour des hirondelles.

Lorsque tu m'as enrichi, tu n'as pas, je pense, fait

comme cet hôte calabrais qui offrait ses poires « Mange,je te prie. J'en ai assez. Eh bien! emporte tout ce

qui te fera plaisir. Merci. C'est peu de chose ces

fruits feront plaisir à tes enfants. Je te suis aussi obligéde ton offre que si je partais avec ma charge. A ton gré;dès aujourd'hui je vais les donner aux cochons. » Le pro-

digue, qui est un sot, fait cadeau de ce qui le gêne et le

dégoûte. Procéder ainsi, c'est semer, aujourd'hui et tou-

jours, l'ingratitude. L'homme de bien, le sage se déclare

prêt à obliger qui le mérite; et pourtant il n'ignore pas la

différence qu'il y a entre l'argent et de simples jetons.Pour moi, je saurai me montrer digne de l'homme de bien

qui est mon bienfaiteur. Mais, si tu ne me permets pas de

Page 220: Horace - Oeuvres

222 HORACE

te quitter quelquefois, alors, rends-moi ma large poitrine,

mes cheveux noirs sur mon front étroit, rends-moi mon

doux langage, rends-moi mon joli sourire et même le

chagrin que j'éprouvais à voir, dans nos orgies, m'échap-

per l'effrontée Cinare.

Un jour, un jeunerenard, très mince,s'était, par une

fenteétroite,glissédansune jarre pleinede blé 779;puis,bien repu et le corps tout rond, il essayait,maisen vain,de sortir. Une belette était près de là. « Si tu veux, lui

dit-elle,partird'ici, il te faut,maigre,franchirlepetittrou

par lequelmaigretu as passé.» Si cette fables'appliqueàmoi,je te rends tout; je ne suispashommeà célébrerle

sommeildu peuple quand je suis rassasié de gibier,ni à échangermes loisirs et mon indépendancecontre

toutes les richessesde l'Arabie.Souventtu as louémaréserve;souventtu m'asentendu

te donnerles nomsde roi et de père; et, quandtu n'étais

pas là, je n'hésitaispasà employerlesmêmesexpressions.Vois,dèslors, si j'auraisplaisirà te rendrece que tu m'as

donné. Il n'était pasun sot, Télémaque,le filsdu patient

Ulysse780.1\Ithaque n'est pas un payspour les chevaux;on n'y trouve ni vastesplaines,ni richesprairies; je te

laissetesprésents,Ménélas,ils te conviennentmieuxqu'àmoi.»A un hommesimplepeu de chosesuffit.Pour moi,

je n'ai aucun goût pour Rome, la royale; je préfèrela

tranquilleTibur ou la molleTarente.L'illustre avocatPhilippe actif et énergique,reve-

naitdesesaffairesverslahuitièmeheure782;déjàsurl'âge,il trouvait bien longuesles rues qui vont du forum aux

Carènes783.Il aperçut,dit-on,dans laboutiquevided'un

barbierun hommequivenaitdesefaire raseret qui, avec

un canif,se taillaittranquillementlesongles.« Démétrius,dit-il à l'esclavequi, adroitement,exécutaitses ordres,

va, interrogecet homme,et viensme dire son pays,son

nom, sa situation,le nomde sonpère ou de sonpatron. »

L'autre va, revientet rapporteque c'est un nomméVul-téius Ménas,crieur public, de peu de fortune, de bonne

réputation;qu'il travailleà certainsmoments,se reposeà

d'autres; qu'il gagnesa vie, dépenseson argent,se plaîtdansla sociétédespetitesgens,a un domicilefixe,va aux

jeux publics, et, les affaires terminées, au Champ de

Mars.«Je veuxl'entendremedirelui-mêmecequetu me

racontes.Va l'inviter à dîner. »Ménasn'en croitpas ses

oreilles,il s'étonne et ne dit mot. Mais enfin? « Il m'a

répondu merci. Comment? il me refuse? Il

Page 221: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE 1223

refuse, le malappris; tu ne l'intéresses pas, ou peut-êtrea-t-il un peu peur. Le lendemain matin, Philippe voitVultéius occupé à vendre de vieilles nippes à de pauvresacheteurs en tunique; il s'avance et, le premier, lui ditbonjour. L'autre s'excuse, sur sa besogne, sur les empê-chements de son métier, de n'être pas allé chez lui, lematin de bonne heure, et, à l'instant même, de ne l'avoirpas vu le premier. t( Ehbien! je te pardonne, si tu veuxvenir, aujourd'hui, dîner avec moi. Comme il te plaira.

Viens donc après la neuvième heure. Maintenant, jete laisse, fais vivement tes affaires. » Au dîner, notrehomme parle à tort et à travers; enfin, on l'envoie au lit.Plus d'une fois, dès lors, on le vit, comme le poisson,courir à l'hameçon caché dans l'eau; client le matin, ilne manque pas, le soir, un repas. Aux féries latines 784,Philippe l'invite à l'accompagner dans la banlieue. Montésur un bidet, il ne tarit pas d'éloges sur le sol et le climatde la Sabine. Philippe le regarde et sourit; il veut se don-ner une distraction et une occasion de rire. Il fait don àVultéius de sept mille sesterces 785,lui en promet septmille autres, finit par lui persuader d'acheter une petitecampagne. Notre homme l'achète. Inutile d'allonger monrécit plus qu'il ne faut, j'abrège. D'élégant qu'il était,Vultéius devient un paysan, il n'a plus à la bouche quesillons et vignobles; il prépare ses ormeaux, se tue à lapeine, et devient vite un vieillard, si grand est son amourdu gain. Mais, quand on lui vola ses moutons, que seschèvres moururent de maladie, que sa moisson trompason attente, que ses bœufs tombèrent, épuisés de tirer lacharrue, accablé par toutes ces pertes, il sauta à cheval,au milieu de la nuit, et, furieux, courut chez Philippe.Sitôt que celui-ci l'aperçut, sale, la barbe et les cheveuxlongs a Vultéius, lui dit-il, tu t'éreintes sans mesure, tues trop serré. Par Pollux, c'est malheureux que tum'appellerais, mon patron, si tu voulais me donner monvrai nom. Je t'en prie et t'en supplie par ton Génie, parta main droite, par tes dieux Pénates, rends-moi ma vied'autrefois! ),

Quand, une fois, on a constaté que l'on a eu tort dechanger, il n'y a qu'à faire demi-tour et à récupérer cequ'on a laissé. Prendre exactement sa mesure, choisirune chaussure à son pied, voilà le vrai.

Page 222: Horace - Oeuvres

224HORACE

VIII

A CELSUSALBINOVANUS

Muse, je t'en prie, va porter mes souhaits de bonheur

et de prospéritéà Celsus Albinovanus, compagnon et

secrétaire de Néron. S'il te demande ce que je fais, dis-

lui que toutes mes belles promesses ne me font pas mener

une vie sage et agréable, non que la grêle ait haché mes

vignes, ou que la canicule ait séché mes oliviers, ou que

mes bœufs aient la maladie dans de lointaines contrées;

mais parce que je suis plus malade d'esprit que de corps;

je ne veux rien écouter, rien savoir de ce qui pourrait me

soulager, je m'irrite contre les médecins de l'âme et leurs

avis si sûrs, j e m'emporte contre mes amis, qui ne négligent

rien pour me guérir d'une funeste léthargie; je fais ce

qui me nuit, je néglige ce que je sais m'être profitable;

mobile comme le vent, je souhaite d'être à Tibur quand

je suis à Rome; à Rome, quand je suis à Tibur.

Après quoi, demande-lui de ses nouvelles. Comment

vont ses affaires ? Comment se gouverne-t-il lui-même ?

Est-il bien avec le jeune prince et avec son entourage ?

S'il te répond « C'est parfait! » montre d'abord toute ta

joie; puis, n'oublie pas de lui glisser avec précaution ce

conseil à l"oreille « Comme tu agiras avec la fortune,

ainsi, Celsus, nous tous agirons avec toi. »

IX

A TIBÈRE

1.1faut croire, Claude, que Septimius sait mieux que

personne le cas que tu fais de moi; car il m'a demandé,

et je me suis laissé forcer la main, de te le présenter

et de te le recommander; il ne se croit pas au-dessous de

la faveur et de la noblesse du vertueux Néron; en m'at-

tribuant auprès de toi l'influence que peut avoir un ami

intime, il connaît évidemment mieux que moi-même tout

mon pouvoir. Je n'ai pas manqué de lui donner toutes

sortes de raisons pour m'esquiver. Mais j'ai craint, en

rabaissant mon influence, de laisser croire que je voulais

la diminuer par souci de ma propre tranquillité. Alors,

Page 223: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE 1 225

pour ne pas m'exposer à un reproche plus grave, j'aiconsenti à payer d'audace, comme font les gens de la

ville. Si tu veux bien m'excuser d'avoir renoncé à ma

réserve pour obliger un ami, je te demande de prendre

Septimius avec toi c'est un honnête homme.

x

A FUSCUSARISTIUS

Horace, ami de la campagne, envoie son salut à Fuscus,ami de la ville. Bien entendu, c'est le seul point qui nous

divise absolument; en tout le reste, nous sommes frères,

presque frères jumeaux. Quand l'un dit non, l'autre dit

non; quand l'un approuve, l'autre aussi. Nous sommes

comme les pigeons de la fable connue toi, tu restes au

nid, moi, je préfère la campagne, le charme des ruisseaux,les rochers tapissés de mousse, les bois. Que veux-tu ?

Je vis, je suis mon maître, dès que j'ai laissé tout ce quevous vantez et portez jusqu'aux nues. Comme l'esclave

du temple qui a pris la fuite, je ne veux plus de gâteaux;c'est du pain que je demande; je l'aime mieux que le miel

et toutes les douceurs.

Si la règle est de vivre conformément à la nature, si la

première chose à faire, quand on veut bâtir une maison,est d'en choisir l'emplacement, connais-tu un endroit où

l'on soit plus heureux qu'à la campagne ? En est-il où

l'hiver soit plus tiède, où le zéphyr adoucisse plus agréa-blement la rage de la Canicule "Il,, et les mouvements du

Lion, quand il devient furieux sous les coups du soleil ?

En est-il un où le souci, jaloux de notre sommeil, réussisse

moins à le troubler ? Les fleurs ont-elles moins de parfumou d'éclat que les pavés de marbre de la Libye ? L'eau

qui, dans les quartiers des villes, remplit, à les faire écla-

ter, les conduites de plomb, coule-t-elle plus pure quecelle du ruisseau qui murmure et suit la pente en courant ?

N'arrive-t-il pas aux gens de la ville de planter des arbres

entre les colonnes aux couleurs variées 'e' ? Et ne vante-

t-on pas une maison quand, des fenêtres, on a, au loin,une belle vue sur la campagne ? Chassez la nature, même

violemment, elle reviendra toujours 788,elle sera la plus

forte, et sans bruit, aura raison de tous les mépris et de

tous les dédains.

Celui qui n'est pas assez fin pour distinguer de la

Page 224: Horace - Oeuvres

226 HORACE

pourpre de Tyr 789 la laine trempée dans la teinture d'Aqui-

num n'éprouvera pas un dommage plus certain et qui

l'atteigne plus profondément que l'homme incapable de

discerner le vrai du faux. Quand on s'est trop plu dans la

prospérité, on est accablé si le malheur survient. Si tu

te laisses éblouir par quelque chose, tu n'y renonceras

que malgré toi. Fuis les grandeurs on peut, sous un toit

misérable, être plus heureux que les rois et les amis des

rois.

Le cerf, plus fort que le cheval, l'avait chassé des

pâturages qu'ils avaient jusqu'alors partagés; celui-ci,

vaincu à la suite d'une longue lutte, demanda secours à

l'homme et accepta le mors. Vainqueur à son tour, il

écarta orgueilleusement son ennemi; mais il ne put plus

se débarrasser de son cavalier ni se délivrer du mors.

Ainsi celui qui, par crainte de la pauvreté, se prive de la

liberté, ce bien supérieur à la richesse, aura la honte de se

donner un maître et il sera éternellement esclave pour

n'avoir pas su se contenter de peu. Ne pas proportionner

ses désirs à sa situation, c'est avoir une chaussure qui ne

va pas trop grande, elle fait tomber; trop petite, elle

blesse.

Sois sage, Aristius, et vis heureux de ta destinée; ne

manque pas de me gronder, si tu me vois, un jour, amas-

ser sans relâche au-delà de mes besoins. La richesse est

reine ou esclave il vaut mieux la tenir en laisse que de

lui laisser prendre la corde.

Je viens de dicter cette lettre derrière le vieux temple

de Vacuna 790. Je serais tout à fait heureux, si tu étais près

de moi.

XI

A BULLATIUS

Que te semble,Bullatius,de Chios,de la célèbreLes-

bos,de l'éléganteSamos,de Sardes,la capitalede Crésus,de Smyrne, de Colophon791? Tous ces lieux valent-ils

plus ou moinsque leur réputation? Te semblent-ilsinfé-rieurs au Champ de Mars et au Tibre? ou bien est-ceunedesvillesd'Attalequi fixetesdésirs? oubien,fatiguéde lamer et desvoyages,te résignes-tuà Lébédos? Non,tu connaistrop bien Lébédos792,un trou plus désertqueGabiesou Fidènes.Pourtant,c'est làque j'aimeraisvivre,

Page 225: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE 1 227

oubliant les autres, oublié d'eux; c'est là que je voudrais

contempler du rivage la mer en fureur.

Pourtant, quand on vient de Capoue à Rome, trempé

de pluie et couvert de boue 7M, on ne consent pas pour cela

à vivre éternellement dans l'auberge où l'on s'est abrité;

quand on a pris froid, on n'aura pas l'idée de prétendre

que le bonheur consiste à passer toute sa vie dans le four-

nil et dans les bains. Sous prétexte que l'Auster t'a vio-

lemment secoué sur mer, tu n'iras pas, une fois la mer

Egée traversée, vendre ton bateau. Lorsqu'on aéchappé

au naufrage, la beauté de Rhodes et de Mytilène fait le

même effet qu'une cape de laine en été, un caleçon de toile

par un temps de neige, les bains du Tibre en décembre,

un bon feu en août. Tant que nous le pouvons et que la

fortune nous sourit, restons à Rome pour vanter Samos,

Chios et Rhodes.

A quelque heure que les dieux t'envoient le bonheur,

reçois-le avec gratitude et ne remets pas à plus tard la

douceur de vivre; ainsi, où que tu sois, tu pourras dire

que tu as vécu satisfait; si, en effet, c'est le bon sens et

la sagesse qui dissipent les soucis, et non une vue étendue

sur l'Océan, il est certain qu'à traverser la mer, on change

de pays, on ne change pas d'âme. N'ayant rien à faire,

nous nous agitons, et nous demandons le bonheur aux

vaisseaux et aux chars le bonheur, il est ici, il est même

à Ulubres 79\ si notre âme est bien équilibrée.

XII

A ICCIUS

Si tu saisbien profiterdes produitsque tu récoltesenSiciledans lespropriétésd'Agrippa,il n'est pas possible,Iccius, à Jupiter lui-mêmede t'en donner davantagecessedoncde te plaindre.On n'est pas pauvre,quand on

a de quoi satisfaireses besoins. Si tu as bon estomac,bon souffle,bonnes jambes, une fortune royale ne te

donnerarien de plus. Si tu sais t'abstenir de ce qui est

à ta portéepour vivresimplementde légumeset d'orties,c'est ainsique tu vivrastoujours,mêmequand un fleuve

chargé de paillettes d'or t'apporterait tout de suite la

richesse,soit parce que l'argent ne saurait modifierla

nature, soit parce qu'à tout tu préfères la vertu.Pouvons-nousnous étonner que Démocrite795laisse

Page 226: Horace - Oeuvres

228 HORACE

ses troupeaux ravager ses champs et ses cultures, pendantque son esprit voyage à l'aventure loin de son corps ?Mais nous te voyons, toi, au milieu de cette lèpre conta-

gieuse qu'est la soif de l'or, ne penser à rien de bas et,maintenant encore, te livrer à de hautes spéculationscomme celles-ci Pourquoi la mer ne se répand-elle pashors de ses rivages ? Qu'est-ce qui règle les différentes

parties de l'année ? Le mouvement des étoiles est-il libreou déterminé? Qu'est-ce qui alternativement cache etremet en lumière le disque de la lune ? A quelle fin, pourquels résultats l'harmonie discordante de l'univers ? Est-ce

Empédocle qui dit des sottises ou Stertinius à l'espritaiguisé 796?

Au demeurant que, pour te nourrir, tu massacres797despoissons,desoignonsoudespoireaux,faisbonaccueilà PompéiusGrosphus;et, s'il te demandequelquechose,aiel'obligeancede le luiaccorder.Grosphusne te deman-dera rien que de raisonnableet de juste. On se procure,à basprix, desamisquandon rend serviceà desgensdebien.

Je ne veux pas te laisser sans nouvellesdes affairespolitiques la vigueur d'Agrippaa eu raison des Can-tabres celle de Claude des Arméniens.Phraate a dûaccepterà genouxla loi d'Augusteet se soumettreà sonautorité. L'Abondancerépand sur l'Italie les richessesdont sa corned'or est remplie.

XIII

A VINIUS

Commeje te l'ai dit et répété, Vinius,au momentdeton départ, tu remettrasàAugustemesrouleauxcachetés,maisseulements'il estbienportant, biendisposé,et qu'ilte les demande.Ne va pas, pour me servir, commettreun impairet, par excèsde zèleet pour vouloirtrop fairel'empressé, rendre importun mon petit livre. Si parhasard tu trouves la chargetrop lourde,débarrasse-t'enplutôt que de la porter jusqu'aubout ne va pas heurterviolemmentl'empereur de ton bât, rappeler, pour lajoiedesassistants,le surnomd' «Asina»que t'a transmiston père, et t'exposeraux quolibets.

Mets toute ta vigueurà traversercollines,ruisseaux,flaquesd'eau. Puis, quand tu auras vaincu les obstacles

Page 227: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE 1 229

et que tu seras arrivé, tiens bien ton paquet de livres et

ne le porte pas sous ton bras comme un paysan porteraitun agneau, Pyrria, qui a trop bu, le peloton de laine volé

à sa maîtresse, ou le campagnard invité par un citoyende sa tribu, son bonnet et ses sandales 798.Ne raconte pasà tout le monde que tu as sué à porter des vers capablesde charmer les yeux et les oreilles de César. Ne réponds

pas à toutes les questions qu'on pourra te faire en route

et poursuis ton chemin. Adieu, va, ne bronche pas, ne

brise pas l'objet que je t'ai confié.

XIV

A SON FERMIER

O mon fermier, gérant de mes bois et de cette petite

propriété qui me rend à moi-même, tu la dédaignes,

parce que le hameau n'a que cinq feux et qu'il envoie à

Varia seulement cinq chefs de famille. Eh bien riva-

lisons d'ardeur pour arracher les épines, moi de mon âme,toi de mon champ, et voyons qui vaut le mieux, d'Horace

ou de son domaine.

Je suis retenu ici par mon affection pour Lamia et le

souci qu'il me donne il vient de perdre son frère; sa

peine et sa douleur ne veulent pas être consolées. Mais

c'est là où tu es que m'emportent mes goûts et mes

désirs, et je voudrais briser les barrières qui m'empêchentde partir. J'affirme que le bonheur est à la campagne, tu

prétends qu'il est à la ville. Souhaiter la destinée d'autrui,

et, par suite, souffrir de la sienne, c'est une sottise, et

c'est aussi une injustice d'accuser les lieux où l'on vit

ils n'en peuvent mais; c'est l'âme qui est coupable

jamais elle ne se fuit elle-même. Quand tu étais un esclave

à tout faire, sans en rien dire tu désirais la campagne.

Aujourd'hui, tu es aux champs et tu souhaites la ville,les jeux, les bains. Mais tu sais bien que mes sentiments,à moi, ne changent pas je suis tout triste de quitter mon

petit domaine, chaque fois que d'odieuses affaires me

rappellent à Rome.

Nos impressions, à toi et à moi, ne sont pas les mêmes

et il y a désaccord entre nous. Les endroits qui, pour toi,sont déserts, incultes, inhospitaliers, l'homme qui sent

comme moi les juge charmants, et il abhorre ceux quetu trouves beaux. Ce sont, je le vois bien, les mauvais

Page 228: Horace - Oeuvres

230 HORACE

lieux et les sales cabarets qui te font regretter la ville;c'est aussi d'avoir à cultiver, dans ton coin de terre, du

poivre et de l'encens, et non de la vigne; c'est de nepas

trouver, dans le voisinage, d'auberge où tu puisses boire,ni de drôlesse qui te fasse danser lourdement avec sa

flûte; et de plus, tu dois t'éreinter à défoncer des terres

que depuis longtemps le hoyau n'a pas touchées, t'occu-

per à dételer les bœufs et à cueillir des feuilles pour les

nourrir. Le ruisseau te donne encore de la besogne et

secoue ta paresse, quand la pluie vient à tomber; il te

faut faire un mur pour protéger la prairie.Et maintenant, veux-tu savoir ce qui nous empêche

d'être d'accord ? Ecoute-moi. L'homme que tu as connu

autrefois, heureux de porter de fins vêtements, de se

parfumer les cheveux, d'avoir, sans rien dépenser, plu à

Cinare, pourtant si rapace, de boire le Falerne dès le

milieu du jour, cet homme-là, aujourd'hui, aime les

repas courts, le sommeil sur l'herbe, au bord d'un ruis-

seau il ne rougit pas de s'être autrefois amusé, mais il

rougirait de n'avoir pas su mettre un terme à ses amuse-

ments.

Là-bas où tu es, personne ne regarde de travers ma

vie tranquille; personne ne m'empoisonne en cachette

de propos méchants et de médisances; mes voisins se

contentent de rire quand ils me voient remuer, avec mes

esclaves, les mottes de terre et les pierres.

Toi, tu aimes mieux grignoter ta ration quotidienneavec les esclaves de la ville; c'est au milieu d'eux quetu t'élances de tout ton désir; et pendant ce temps, le

dernier des valets, qui n'est pas bête, est jaloux de toi

et voudrait bien s'occuper du bois, du troupeau, du

jardin. Le bœuf, qui marche péniblement, souhaite la

selle; le cheval, la charrue. Or, mon avis, c'est qu'ilsfassent tous deux le métier qu'ils connaissent.

xv

A C. NUMONIUS VALA

Qu'est l'hiver à Vélie, la température à Salerne, cher

Vala ? Quelle espèce de gens habite ces pays ? Dans quelétat est la route ? Je te prie de me le dire. Antonius

Musa juge que Baïes 800ne me vaut rien; et son ordon-

Page 229: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE I 23I

nance, que je me borne à suivre, me fait détester ici quandon me voit, au milieu de l'hiver, prendre des bains d'eau

froide. On est furieux dans le village de me voir abandon-

ner les bois de myrte et renoncer aux eaux sulfureuses

qui ont la réputation de guérir un mal chronique; on

en veut aux malades qui ne craignent pas de se doucher

la tête et l'estomac aux sources de Clusium et qui partent

pour les froides campagnes de Gabies 801. Oui, il faut

changer de place; il faut que mon cheval passe, sans s'y

arrêter, devant les hôtelleries bien connues. « Où vas-tu ?

lui dirai-je en tirant, furieux, les rênes à gauche; ce n'est

pas à Cumes que je vais, ni à Baïes. » Quand on a mis le

mors à un cheval, c'est à sa bouche qu'on parle, non à

son oreille. Lequel des deux pays est le plus riche en blé ?

Boit-on de l'eau de citerne, ou de l'eau de source, quicoule sans fin ? Quant au vin de ces contrées, je n'en ai

cure. Chez moi, à la campagne, tout m'est bon et je me

contente de n'importe quoi; mais quand je vais à la mer,

je veux un vin à la fois généreux et doux, qui dissipemes soucis, coule dans mes veines et dans mon cœur

en y répandant tous les trésors de l'espérance, qui me

rende éloquent, qui me donne la jeunesse pour plaire à

la Lucanienne, mon amie. Quelle est des deux régionsla plus riche en lièvres, en sangliers ? Où la mer cache-t-elle

dans ses profondeurs plus de poissons et plus d'oursins ?

Tout cela pour que je puisse rentrer chez moi gras comme

un Phéacien 802.Voilà ce que je te prie de m'écrire, bien

décidé à m'en rapporter à toi.

Ménius, après avoir, sans s'arrêter un instant, engloutison héritage paternel et maternel, voulut se faire para-site. C'était un bouffon errant, qui n'avait pas un râte-

lier fixe. A jeun, il ne savait pas distinguer un ami d'un

ennemi, il tournait contre n'importe qui ses méchancetés

et ses injures; c'était la peste, le fléau, l'enfer du marché;tout ce qu'il trouvait, il l'avalait sans jamais se rassasier.

Quand il n'avait pu rien ou presque rien arracher à ceux

qui favorisaient son vice ou qui avaient peur de lui,il dînait d'un plat de tripes, d'une mauvaise viande

d'agneau trois ours en auraient eu assez. Alors, naturel-

lement il pensait comme le dissipateur Bestus qui,

après sa conversion, condamnait les débauchés à avoir

le ventre brûlé au fer chaud. Mais le même homme, quandil avait fait un butin plus ample et qu'il avait tout converti

en cendre et en fumée « Par Hercule, disait-il, je ne

m'étonne pas qu'on mange tout ce qu'on possède

Page 230: Horace - Oeuvres

232HORACE

rien de meilleur qu'une grive bien grasse; rien de plusbeau qu'un ventre de truie bien large. »

Eh bien! je suis comme Ménius. Je célèbre la tranquil-lité et la pauvreté quand tout me manque, et je supportela misère avec assez de courage. Mais quand j'ai la chance

de trouver quelque chose de meilleur et de plus succulent,alors je proclame que seuls vous avez la sagesse et savez

bien vivre, vous qui avez placé votre fortune en bonnes

terres.

XVI

A QUINCTIUS HIRPINUS

Tu vas peut-être me demander, excellentQuinctius,si ma campagnea assezde blé pour nourrir son maître,si ellel'enrichitde sesolives,de ses présbordés de pom-miers, de ses vignes mêléesaux ormeaux; je ne veux

pas que tu aiescettepeineet jevaiste faire la descriptiondétailléede la positionet du site.

C'est unechaînedecollines,quecoupeen un seulpointune valléeboisée,éclairéeà droite par le soleil levant,ouatée à gauchepar les vapeursdu crépuscule.L'air yest excellent.Sais-tu que les buissonssont couvertsde

rouges cornouilleset de prunes? que les chêneset les

yeuses abondent en glands pour la joie des bêtes etdonnent une ombre épaisseau propriétaire? On dirait

quelesombragesdeTarente°°3sesontrapprochésdemoi.Il y a une sourceassezabondantepour donner son nomau ruisseauqui en sort; l'Hèbre ne coulepas en Thrace

plus frais et plus pur; l'eau en est excellentepour lesmauxde tête ou d'estomac.Telle est la retraite si douceet si agréable, tu peuxm'en croire, quime conservela santé pendant les journéesde septembre.

Toi, tu vis en sage,si tu travaillesà justifierce qu'ondit de toi. Tous, à Rome,depuislongtempsnousvantonston bonheur. Mais ne t'en rapportes-tu pas là-dessusaux autres plus qu'à toi-même? Le bonheur, pour toi,consiste-t-iluniquement dans la sagesse et la vertu?

Quand tout le monde répète que tu es vigoureuxetbienportant,ne cherches-tupas,au momentde te mettreà table, à dissimulerun accès de fièvre, qui se révèlebien vite au tremblementde tes mains, toutes grassesde nourriture? Ainsilessots, par stupidehonte, cachentleur mal au lieu de le soigner.

Page 231: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE I 233

Je suppose qu'on proclame ta valeur sur terre et sur

mer et qu'on enchante en ces termes tes oreilles ouvertes

à la flatterie « Ton bonheur est-il plus cher au peupleromain que celui du peuple romain ne te l'est à toi-

même ? Puisse Jupiter, qui veille sur toi et sur la ville,

ne jamais donner de réponse à cette question 804!» à coupsûr tu reconnaîtras là l'éloge d'Auguste. Et quand tu te

laisses appeler l'homme sage, l'homme parfait, répon-

dras-tu, dis-moi, par ton nom ? Sans doute, j'ai, comme

toi, plaisir à entendre ces noms de sage, d'homme de

bien. Mais le peuple, qui me le donne aujourd'hui,

demain, s'il le veut, me les enlèvera, comme il arrachera

les faisceaux, après les lui avoir donnés, à celui qui ne les

mériterait pas « Abandonne tout cela, c'est à moi »,

dira-t-il. Je l'abandonne et m'en vais tristement. Mais

que ce peuple se mette à crier que je suis un voleur, que je

n'ai point de pudeur, que j'ai étranglé mon père, me

'sentirai-je atteint par d'aussi fausses accusations et,

comme un coupable, changerai-je de couleur ? Qui fait

sa joie d'honneurs immérités ? Qui s'effraie d'imputations

mensongères ? Qui, sinon les menteurs et les malades ?

Pour la foule, qu'est l'homme de bien ? C'est celui qui

observe les sénatus-consultes, les lois, les textes, celui

qui sait quelle juridiction tranche les procès les plus

importants, par quels témoignages une affaire réussit au

civil et au criminel. Mais cet homme-là, toute sa famille,

tous ses voisins savent que c'est en réalité un coquin,

qui n'a que de beaux dehors.

Qu'un esclave me dise « Je n'ai pas volé, je ne me

suis pas sauvé! Bien! lui répondrai-je, voici ta récom-

pense tu n'auras pas le fouet! Je n'ai tué personne.Tu ne seras pas mis en croix et dévoré par les cor-

beaux. Je suis un honnête homme! » Ah! non! le

Sabin regimbe. Car il sait que le loup prend ses précau-tions et s'écarte de la fosse, l'épervier du filet suspect, la

dorade de l'hameçon caché. Les vrais gens de bien

détestent le vice par amour de la vertu; les autres s'abs-

tiennent de mal faire par crainte du châtiment.

Qu'on ait seulement l'espoir d'échapper; on ne distin-

guera plus le sacré du profane. J'ai mille mesures de

fèves on m'en soustrait une; mon dommage est ainsi

plus facile à supporter,le crime n'est pas

moindre. Ce

prétendu homme de bien, que tout le monde regarde

au forum et au tribunal quand il fait aux dieux le sacri-

fice d'un porc ou d'un bœuf, crie à haute et intelligible

Page 232: Horace - Oeuvres

234 HORACE

voix « 0 père, Janus, Apollon! puis, remuant les

lèvres,pour qu'on ne l'entendepas «BelleLavernae°s,déesse,accorde-moide tromper le public,de passerpourun homme juste et pieux, répands la nuit commeun

nuagesur mesfauteset sur mes larcins »En quoivaut-ilmieuxqu'un esclaveet est-ilplus libre

que lui, cet avare qui, sur les places, se baisse pourramasserun souscellédansle pavé806?Je ne le voispas.Car désirer, c'est craindre; et vivre toujours dans la

crainte, c'est, à mes yeux, renoncerà être jamais libre.Il a perdu ses armes et abandonnéson poste celui qui,toujours,met toute sonardeur et emploietout sontempsà accroître sa fortune. C'est un prisonnier de guerre,qu'on ne tue pas, quand on peut le vendre il rendraservice; il mènera la dure existencedu pasteur ou du

laboureur; il navigueraet, même en hiver, traverserales mers pour faire du commerce;il fournira Rome de

blé, importera les céréaleset toutes les provisions.Le vrai hommede bien, le vrai sage aura le courage

de dire CiPenthée, roi de ThèbesH07,quel traitement,quel supplice me feras-tu subir? Je t'enlèverai tesbiens. Eh bien! mes troupeaux,mes terres, mes lits,monargenterie,tu peuxtout meprendre. Je chargeraide chaînes tes mains et tes pieds; un farouchegardiente tiendra en prison. Mais, dès que je le voudrai,ledieului-mêmeme délivrera.»Ce qui veutdire, jepense« Je mourrai. » En toute chose,la mort est la dernièrelimite.

XVII

A SCÉVA

Quoique tu te gouvernesfort bien tout seul, et quetu saches, Scéva, comment il faut en somme en useraveclesgrands,écoutel'avisd'un amiquiauraitpourtantencorebesoind'apprendre, commeun aveuglequi vou-drait montrer à d'autres le chemin oui, examinemes

précepteset voissi tu ne veuxpas les prendre pour toi.Si tu aimes le repos, s'il te plaît de dormir jusqu'au

lever du jour, si tu es gêné par la poussièreet le bruitdes voitures, par le vacarme des auberges, va-t'en àFérentinum808;lesrichesn'ont paslemonopoleduplaisir,et il n'a pas mal vécu, l'homme dont la vie et la mortont passé inaperçues.Mais si tu veuxfaire l'affairedes

Page 233: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE I 235

tiens et vivre toi-même un peu plus largement, tu iras,

toi, l'homme maigre, trouver l'homme gras.« Si Aristippe 809, [disait Diogène,] se contentait de

légumes, il n'aurait pas l'idée de fréquenter les rois.

Si celui qui me blâme, [répondait Aristippe,] savait

vivre avec les rois, il ferait fi des légumes. » Aqui donnes-

tu raison ? dis-le-moi; ou plutôt, puisque tu es mon cadet,

écoute pourquoi je préfère l'avis d'Aristippe. Au fond, il

se dérobait, comme on dit, devant les attaques caustiquesdu Cynique u C'est dans mon intérêt que je fais le pitre;

toi, c'est pour le public, ma manière est sensiblement

meilleure et plus brillante. J'offre mes services pour me

faire porter à cheval et nourrir par le roi; toi, tu te contentes

des bas morceaux; mais tu dépends quand même de

celui qui te donne, tout en te vantant de n'avoir besoin

de personne. Il Tout convenait à Aristippe l'apparence,la position, la fortune; toujours il visait plus haut, mais

il savait s'accommoder du présent. L'autre, au contraire,

qui supportait d'avoir pour vêtement un morceau d'étoffe

plié en deux, n'accepterait pas, ou j'en serais bien

surpris, un changement d'existence. Aristippe n'atten-

dra pas qu'on lui fasse cadeau d'un manteau de pourpre;il s'habillera n'importe comment pour aller dans les

endroits les plus fréquentés; et dans l'un ou l'autre

costume, il tiendra, non sans distinction, son personnage.

Diogène éprouvera pour la fine chlamyde de Milet "'0plus

d'horreur que pour un chien ou un serpent, et s'exposeraà mourir de froid, si on ne lui rend pas ses guenilles.

Qu'on les lui rende donc! et qu'il continue à vivre dans

sa sottise!

Exercer le commandement suprême, traîner à son

char, sous les yeux des Romains, les prisonniers de guerre,c'est arriver au trône de Jupiter, c'est atteindre le ciel;

mais plaire aux grands n'est pas un mince honneur. Il

n'est pas donné à tout le monde d'aller à Corinthe. Il ne

fait rien celui qui a peur d'un échec. Soit! Mais celui

qui réussit, n'agit-il pas en homme ? C'est là qu'est le

point et non ailleurs. Le premier ne veut pas se chargerd'un fardeau, qu'il trouve trop lourd pour son faible

courage et ses épaules débiles; le second le soulève et le

porte jusqu'au bout. Ou la vertu est un mot vide de sens,

ou l'honneur et la récompense reviennent de plein droit

à celui qui a tenté l'épreuve.

Ceux qui, devant leur protecteur, ne soufflent pasmot de leur pauvreté, obtiennent plus que ceux qui

Page 234: Horace - Oeuvres

236 HORACE

demandent. Il y a un abîme entre recevoir avec modestie

et extorquer par ses doléances; là est le principal, l'essen-

tiel. « Ma sœur est sans dot, ma mère est presque dans

la misère, mon bien ne peut pas se vendre, il ne suffit

pas à nous faire vivre! » Crier ainsi, c'est dire « Donnez-

moi à manger! » Un autre arrive et c'est la même chan-

son « A moi aussi! » Alors on partage en deux la miche

qu'on allait me donner. Si le corbeau pouvait mangersans rien dire, sa part serait plus grosse et il n'aurait

pas à se battre pour la défendre contre les oiseaux quila lui disputent.

Celui qui, accompagnant un homme riche à Brindes

ou à l'aimable Sorrente 8", se plaint des mauvais chemins,du froid piquant, de la pluie, prétend qu'on lui a frac-

turé sa cassette, volé ses provisions, celui-là réédite les

ruses bien connues des courtisanes qui disent en pleurant

qu'on leur a pris une chaîne, un bracelet; elles le disent

si souvent que bientôt on ne les croit plus, même si le

dommage est véritable et le chagrin sincère. Quand on

a été trompé une fois, on ne se dérange plus pour relever

sur la place un saltimbanque qui se plaint de s'être cassé

la jambe. Il a beau verser des torrents de larmes et

attester, par serment, Osiris d'2 «Vous pouvez me croire,

je ne badine pas; vous êtes cruels; je suis boiteux, rele-

vez-moi Adresse-toi à quelqu'un qui ne soit pas d'ici! »

lui répond, jusqu'à s'égosiller, tout le voisinage.

XVIII

A LOLLIUS

Si je connais bien, Lollius, ton esprit d'indépendance,tu n'admets pas de te donner l'air d'un vil flatteur, quandtu veux être un ami véritable. Une honnête femme ne

ressemble pas, même de vêtement, à une courtisane;

ainsi, l'ami diffère du flatteur, en qui on ne peut avoir

confiance. Mais, si la flatterie est un vice, le contraire

en est un autre, presque plus grave; je veux dire cette

rudesse sans souplesse, pénible, qui sent le paysan, veut

se faire valoir par des cheveux coupés ras, des dents

noires, et a la prétention de se confondre avec la pure

indépendance et la vraie vertu. La vertu, c'est un moyenterme entre deux extrêmes, également éloigné de l'un

et de l'autre. Le flatteur approuve tout sans raison; du

Page 235: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE I 237

dernier lit de la table où on l'a placé, il cherche à faire

rire les convives; mais il frémit au moindre mouvement

de son patron, il redit tout ce qu'il dit, relève les parolesen l'air qui lui échappent on dirait un enfant reprodui-sant mot à mot la leçon d'un maître sévère, ou un acteur

de second ordre copiant un premier rôle. Le rustre est

tout prêt à se battre, si l'on dit devant lui « laine » et non

« poils » de chèvre; il fait flèche de sottises « Oui ou

non, n'est-ce pas moi d'abord qu'il faut croire? » et

« Que je ne crie pas de toutes mes forces, pour proclamermon opinion ? Je ne le voudrais pas, même si on me

donnait en récompense une seconde vie! » Et quel est

l'objet de la discussion ? C'est de savoir lequel est le plushabile gladiateur, de Castor ou de Docilis, ou quelleroute il vaut mieux prendre pour aller à Brindes, la

voie de Minucius ou la voie d'Appius.Celui qui se fait ruiner par les femmes et se jette, tête

baissée, dans le jeu, qui, par vanité, a des vêtements et

des parfums au-dessus de ses moyens, que dévorent sans

relâche la faim et la soif de l'or, la honte de la pauvretéet le désir d'y échapper, celui-là devient un objet de répul-sion et de dégoût pour son riche patron, souvent beaucoup

plus vicieux que lui; ou bien, si son patron n'a pas pourlui de dégoût, alors il le régente, et comme ferait une

bonne mère, il exige de lui plus de sagesse et de vertu

qu'il n'en a lui-même. Il lui dit et ce n'est pas telle-

ment faux «N'essaie pas de rivaliser avec moi; ma richesse

me permet des sottises; ta fortune, à toi, est infime;

un client, quand il est raisonnable, se contente d'une

toge plus courte; renonce à lutter avec moi. » Eutrapé-

lus 813,s'il voulait faire tort à quelqu'un, lui donnait de

riches vêtements; cet homme-là, pensait-il, se croyant

riche, fera, avec sa belle tunique, des projets; il se laissera

aller à de belles espérances, restera au lit jusqu'au milieu

du jour, négligera ses devoirs pour une drôlesse; bientôt,

il empruntera, paiera des intérêts; en fin de compte, il

deviendra Thrace BUou conduira, moyennant salaire, la

charrette du marchand de légumes.Il ne faut jamais chercher à arracher ses secrets à

son protecteur; il ne faut pas les révéler,si on en a reçuconfidence,même mis à l'épreuve du vin, ou dans unmouvementde colère.

Ne fais pas l'élogede tes goûts et la critiquede ceuxd'autrui. Quandton protecteurveut allerà la chasse,nete metspas à écriredesvers, C'est pour un désaccordde

Page 236: Horace - Oeuvres

238 HORACE

ce genre que fut rompu l'accord fraternel des deux

jumeaux, Amphion et Zéthus "15.Amphion imposa silenceà sa lyre que le rude Zéthus détestait. Il fit, dit-on, cetteconcession à son frère. Cède, toi aussi, aux douces exi-

gences de ton patron quand il entrera en campagne avecses chevaux chargés de filets étoliens 816

pour la chasse au

sanglier, avec ses chiens, lève-toi, laisse ta muse impor-tune, laisse ton humeur grondeuse, et va te lasser, pourmanger ensuite la fricassée avec lui. Aussi bien, la chasseest-elle un exercice aimé des Romains; elle donne unebonne réputation, la santé, la vigueur, surtout lorsque,comme toi, on est robuste et qu'on peut lutter de vitesseavec un chien et de force avec un sanglier. De plus, iln'est personne qui manie les armes avec plus de grâceque toi; tu sais comme le public t'acclame aux jeux du

Champ de Mars; enfin, tout jeune encore, tu as supportéles rigueurs du service et de la guerre des Cantabres 817,sous les ordres d'un chef qui a tapissé nos temples des

drapeaux parthes et soumet aujourd'hui aux arméesromaines ce qui, dans le monde, reste encore à conquérir.Tu n'aurais point d'excuse à donner pour rester à lamaison et refuser d'aller à la chasse. Sans doute, tu as

toujours soin d'agir avec mesure et convenance; mais onsait qu'il t'arrive, à la campagne, chez ton père, de t'amuserà des jeux qui rappellent la chasse entre jeunes gens,vous vous partagez les barques et vous jouez à la bataille

d'Actïum; des deux troupes ennemies tu commandes l'une,ton frère l'autre; une pièce d'eau est l'Adriatique, et labataille dure jusqu'au moment où la Victoire ailée cou-ronne du laurier l'un ou l'autre. Quand ton protecteursera convaincu que tu t'inclines devant ses goûts, il

applaudira ton jeu des deux mains.

Autre conseil encore (si toutefois tu en as besoin)réfléchis bien à ce que tu dis; vois de qui et à qui tuparles. Evite le questionneur; c'est un bavard; ses oreillescurieuses ne savent pas garder un secret, et, quand unefois le mot est parti, il s'envole sans qu'on puisse lerattraper. Arrange-toi pour ne pas te laisser prendre lecœur par une servante ou un jeune esclave dans la somp-tueuse maison de l'homme à qui tu dois le respectcar le maître du bel enfant ou de l'aimable jeune fillet'en fera don, et ce sera un mince cadeau; ou il te lesrefusera, et tu en souffriras.

Avant de recommander quelqu'un à ton patron, réflé-chis, et longuement, si tu ne veux pas avoir bientôt à

Page 237: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE I 239

rougir des fautes d'autrui. Parfois on nous trompe, et

nous présentons une personne qui ne le mérite pas. Dès

lors, si l'on t'a induit en erreur, cesse de protéger un

coupable, et réserve ton influence à un homme que tu

connais à fond, et que tu pourras, en conscience, défendre

de toute ton autorité contre la calomnie. Quand la dent

de Théon 818s'acharne contre quelqu'un, ne sens-tu pas

qu'il y a, à brève échéance, danger pour toi ? Ta maison

court des risques lorsque la voisine brûle; et l'incendie

augmente de violence si on ne travaille pas à l'éteindre.

Il y a du charme à cultiver l'amitié des riches, tant

qu'on n'en a pas fait l'expérience; à l'épreuve, c'est

chose plus redoutable. Tant que ton navire est à l'abri

des écueils, fais ce qu'il faut pour qu'un changement de

vent ne te ramène pas en arrière. Quand on a un carac-

tère sombre, on n'aime pas les gens qui rient, ni,

si l'on est gai, ceux qui sont tristes; l'homme vif déteste

la lenteur; le nonchalant, la vivacité et l'activité; le

buveur qui, au milieu de la nuit, lampe du Falerne, n'a

aucune sympathie pour celui qui refuse le verre qu'onlui tend et qui s'excuse en jurant qu'il redoute les fièvres

nocturnes. Chasse les nuages de ton front trop souvent,

la modestie prend air de dissimulation, le mutisme, de

malveillance.

Surtout, lis les livres des philosophes; informe-toi

auprès de ceux que tu connais demande-leur par quels

procédés tu peux rendre douce ton existence; qu'ils te

disent si vraiment tu dois, toujours misérable, te laisser

agiter et tourmenter par la cupidité, par la crainte de

perdre, par l'espoir d'acquérir des biens indifférents; si

la vertu s'obtient par l'étude, ou est un don de la nature;

comment diminuer tes soucis, te procurer le contente-

ment de toi-même, la tranquillité, la sérénité; s'il faut,

pour atteindre ce but, rechercher les honneurs ou se

contenter d'un petit gain, réalisé sans peine, aimer les

chemins écartés, les sentiers d'une vie ignorée.Pour moi, chaque fois que je vais me refaire sur les

bords de la Digence"19, ce frais ruisseau qui arrose le

bourg de Mandela, où le froid vous ride la peau, sais-tu

quels sont mes sentiments, mes prières aux dieux ? « Puis-

sé-je garder ce que je possède aujourd'hui, et même moins

encore! Puissé-je vivre pour moi pendant les années quime restent, si les dieux m'en accordent encore, avoir des

livres en quantité suffisante, des provisions jusqu'à la

prochaine récolte, pour n'éprouver ni crainte ni inquié-

Page 238: Horace - Oeuvres

240 HORACE

tude devant les incertitudesde l'avenir!»Voilàles biensqu'il suffitde demanderà Jupiter; il peut nousen fairedon ou nous les enlever.Qu'il me donne la vie et lesmoyensde vivre!mais l'égalitéd'âme, c'est mon affaire!

XIX

A MÉCÈNE

S'il en faut croire le vieux Cratinus des vers ne

peuvent, docte Mécène, durer et plaire longtemps, s'ils

ont été écrits par des buveurs d'eau. Depuis que Bacchus

a enrôlé parmi les Satyres et les Faunes 821les poètes en

mal d'inspiration, presque toujours les douces Muses ont,dès le matin, senti le vin. L'éloge qu'Homère fait du vin

prouve qu'il en buvait volontiers; Ennius lui-même,Ennius le père, n'a jamais chanté qu'après boire les armes

romaines. « J'abandonne le forum et la barrière deLibon 822 à ceux qui ne savent pas boire; aux gens sobres,il est défendu de faire des vers. » Aussitôt cet édit pro-clamé, les poètes ont, sans désemparer, lutté pendant la

nuit à qui boirait le plus, et ont pué le vin durant le jour.Mais quoi ? Suffira-t-il de se donner la figure rude ettourmentée de Caton, d'aller pieds nus comme lui, dedemander comme lui au tisserand une toge étriquée, pourréaliser le caractère et la vertu de Caton ? Iarbitas veut,dans un concours de déclamation, lutter avec Tima-

grène823; mais il se rompt une veine, tant il se travailleet fait d'efforts pour paraître distingué et éloquent. Unmodèle que ses défauts rendent facile à imiter trompe,parce qu'on n'imite que ses défauts. S'il m'arrive de pâlir,mes gens pour devenir pâles boiront du cumin. 0 imi-

tateurs, servile troupeau, que de fois vos agitations ont

soulevé ma bile ou mon rire!

C'est moi qui le premier ai librement marché sur un

sol que nul n'avait foulé; là où j'ai mis mon pied, nul

autre ne l'avait mis avant moi. Quand on a confiance en

soi, on est comme la reine des abeilles, on conduit l'essaim.

Oui, c'est moi qui ai le premier révélé au Latium l'iambe

de Paros; j'ai emprunté à ArchiloqueHU son mètre et

son souffle, sinon ses sujets et ses invectives contre

Lycambès. Il ne faudrait pas me réserver une couronne

plus modeste, sous prétexte que je n'ai rien osé changerà la mesure et à la versification d'Archiloque je vois la

Page 239: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE 124I

mâle Sapho, je vois Alcée 825régler leur pas sur ceux de ce

poète, tout en ne lui prenant ni ses sujets, ni son état

d'esprit; Alcée, par exemple, n'a pas l'idée de noircirun beau-père dans ses vers, ni de tresser dans un poèmeinjurieux le lacet dont s'étranglera une malheureusefiancée. Eh bien! cet Alcée, que personne avant moi ne

connaissait, c'est moi, ce sont mes œuvres lyriques quil'ont fait connaître. Il me plaît d'avoir mis en honneurun genre oublié et de voir mes vers dans les mains et sousles yeux des gens distingués.

Peut-être veux-tu savoir pourquoi le lecteur ingrat,tant qu'il est chez lui, aime mes œuvrettes et en fait

l'éloge, puis se contredit et les déprécie quand il estdehors. C'est que je ne sais pas, par des invitations àdîner et le cadeau d'une tunique usée, capter une canailleinconstante et me mettre à l'affût de ses suffrages; c'est

que, auditeur et défenseur des grands écrivains, je nem'abaisse point à faire le siège des coteries de critiqueset de l'estrade des lecteurs. De là leur dépit. « J'auraishonte, dis-je, de lire devant une foule assemblée deslivres qui n'en valent pas la peine et de donner du prixà des bagatelles. Tu veux rire, me répond-on; c'estaux oreilles de Jupiter

826que tu les réserves; tu as la

prétention d'être seul à distiller le miel de la poésie; tute trouves beau. » A ces sottises, j'ai peur de riposter pardes railleries, et, pour éviter les griffes de mon adver-

saire, je m'exclame « Ce lieu me déplaît » et je demandeun répit; car un assaut de traits piquants dégénère habi-tuellement en violences et en colère, la colère elle-même,en inimitié farouche et en guerre à mort "27.

xx

A SONLIVRE

O mon livre, tu regardes, ce semble, le temple deVertumne H2Het le passage de Janus tu veux sans doutealler chez les Sosies 82ate faire polir à la pierre ponce etmettre à l'étalage. Tu ne tiens pas à rester sous clef, dansl'armoire où tu te plairais, si tu étais modeste. Tu pleuresde n'avoir que quelques lecteurs, tu préfères les endroits

fréquentés. Ce n'est pas dans ce dessein que je t'avaisélevé. Cours donc où tu veux aller; mais, une fois parti,tu ne pourras plus revenir. « Infortuné, qu'ai-je fait?

Page 240: Horace - Oeuvres

242HORACE

qu'ai-je souhaité ? » diras-tu à la première critique. Tu

n'ignores pas qu'après t'avoir goûté, on fera de toi un

paquet quand l'ennui viendra.

Si mon irritation contre ta sottise n'obscurcit pas mon

jugement, voici ce que sera ta destinée tu plairas à Rome

tant que tu seras jeune; mais quand on t'aura bien manié,

froissé et sali, tu seras mis de côté et mangé aux vers qui,

eux, ne savent pas lire; ou tu iras te cacher à Utique; ou

bien l'on fera de toi un ballot qu'on enverra à Lérida 830.

Alors il rira bien, celui dont tu n'auras pas voulu écou-

ter les avis; ce sera l'histoire de l'homme qui, furieux,

précipita dans un ravin son âne qui ne voulait pas obéir.

A quoi bon s'évertuer à sauver les gens malgré eux ? Ce

qui peut encore t'arriver, c'est de tomber là-bas dans un

faubourg, entre les mains d'un vieux maître d'école qui,

tout bredouillant, t'emploiera à apprendre leurs lettres

aux enfants.

A l'heure où la chaleur est moins forte et où les gens

seront plus nombreux à t'écouter, tu diras que mon père

était un affranchi, que je suis de petit avoir, mais que j'ai

su voler plus haut que ne le laissait supposer mon nid

qu'ainsi ce dont me privait ma naissance, mon mérite

me l'a donné; tu ajouteras que, à la guerre comme pen-

dant la paix, j'ai été bien vu des puissants; tu diras enfin

que je suis de petite taille, blanc avant l'âge, ami du soleil,

prompt à la colère, mais facile à calmer. Si on te demande

mon âge, réponds que j'avais fini mon quarante-quatrième

hiver, l'année où Lollius eut Lépidus pour collègue au

consulat.

Page 241: Horace - Oeuvres

LIVRE DEUXIÈME

i

A AUGUSTE

Alors que, seul, tu as la charge de tant d'intérêts

importants, que tu défends l'empire italien par les armes,le redresses en épurant les mœurs, l'améliores par les

lois, je ferais tort au bien public, si par de longs discours,César, je te faisais perdre ton temps.

Romulus, le vénérable Liber, Castor et Pollux"31

furent admis, après leurs exploits, dans les demeures

célestes; mais, tant qu'ils vécurent sur terre, civilisèrentles hommes, mirent fin aux guerres sanglantes, créèrent

l'agriculture, fondèrent des villes, ils eurent la douleurde constater que la faveur publique, sur laquelle ilsavaient compté, ne répondait pas à leurs services. Celui

qui écrasa l'hydre de Lerne et se vit imposer par ledestin les douze fameux travaux, apprit par expérienceque, seule, la mort peut triompher de l'envie. C'est que le

génie blesse de son éclat les talents qui lui sont inférieurs;

qu'il disparaisse, on lui fera fête. Pour toi, c'est autre

chose tu es encore parmi nous, et au moment voulu,nous te prodiguons les honneurs, nous t'élevons des

autels, nous attestons par serment ta divinité; nous pro-clamons qu'il n'y a jamais eu, qu'il n'y aura jamais ailleurs

personne d'aussi grand que toi.

Mais ce peuple romain, ton peuple, s'il fait preuve de

sagesse et d'équité en te plaçant, toi seul, au-dessus de

nos autres chefs et des Grecs, ne montre pas, dans ses

autres jugements, la même justesse, la même mesure; et,

pour tout ce qui n'est pas mort, pour tout ce qui n'a pasencore achevé sa destinée, il ne professe que dégoûtet répulsion; il a pour le passé une telle admiration que,d'une voix unanime, il attribue aux Muses, qu'il place

Page 242: Horace - Oeuvres

244HORACE

sur le mont Albain, ces Tables, rédigées par deux fois

cinq hommes "32pour empêcher le mal, les traités signés

par les rois avec Gabies ou avec les rudes Sabins 833,

les livres des Pontifes 834, les vieux recueils de prophé-ties.

Si, sous prétexte qu'en Grèce les ouvrages les plusanciens sont aussi les meilleurs, il faut peser à la mêmebalance les écrivains latins, je n'ai plus rien à dire

proclamons que l'olive n'a point de noyau, la noix, pointde coquille Aas;que, du moment où Rome a conquisl'empire, les Romains sont plus habiles que les Grecs

frottés d'huile, comme lutteurs, peintres et musiciens.

Si le temps rend meilleurs les vers, comme le vin, jevoudrais bien savoir combien il faut d'années pour donneraux écrits de la valeur. Un écrivain mort depuis cent ansdoit-il être rangé parmi les anciens, ces modèles, ou parmiles modernes, ces misérables auteurs ? Pour éviter toute

discussion, fixons une limite. Est ancien, et par suite

estimable, celui qui est mort depuis cent ans. Eh quoi!S'il ne lui a manqué qu'un mois ou une année, où faudra-

t-il le placer ? Est-ce parmi les anciens, ou parmi ceux

que rejette le temps présent, que repoussera la postérité ?Eh bien! sera honorablement mis au rang des anciens

tout écrivain à qui il ne manque qu'un petit mois, ou

même une année. J'use de la permission, et fais commecelui qui arrache à la queue d'un cheval les crins l'un

après l'autre; j'ôte une année, puis une autre; c'est le

raisonnement du tas de blé, qui finit par n'en être plusun Ha.;ainsi j'ai raison de celui qui fait de la chronologie,ne juge le mérite que par les années et limite son admi-ration à ce que la mort a consacré.

Ennius, le sage et mâle Ennius 837,cet autre Homère,comme disent les critiques, semble assez peu s'inquiéterde savoir où aboutissent ses promesses et ses rêveries

pythagoriciennes. Et Névius 83S,n'est-il pas dans toutesles mains, dans toutes les mémoires, comme s'il étaitnotre contemporain ? tant est sacrée une œuvre ancienne!

Quand on discute sur la valeur respective de l'un et de

l'autre, Pacuvius a la palme pour son art, Accius 839pour

l'élévation de sa pensée. On dit que la toge d'Afranius 840

aurait pu convenir à Ménandre, que Plaute 841, commeleSicilien Epicharme, court à son dénouement, que Céci-lius"'2 l'emporte en force, Térence, en soin. Voilà lesauteurs qu'on apprend par cœur, voilà ceux qu'on se

presse pour entendre au théâtre, dans la Rome impériale;

Page 243: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE II 245

voilà les seuls qu'on tient pour poètes, depuis Livius

Andronicus 843jusqu'au temps présent!

Parfois le vulgaire voit juste; il est des cas où il fait

erreur. S'il admire les anciens et fait l'éloge de leurs

vers au point de ne rien leur préférer ni même leur égaler,il se trompe. S'il estime que leur langue est vieillie, leur

style ordinairement dur et souvent lâche, alors il fait

preuve de goût, il est de mon avis et porte un jugementsain. Certes, je ne vais pas m'acharner contre Livius

Andronicus et demander la destruction de ses poésies

je me souviens qu'Orbilius me les faisait écrire, à coupsde verge, quand j'étais petit; mais qu'on en loue la pureté,la beauté, presque la perfection, voilà ce qui me surprend.Si de ce fatras se détachent une belle expression, un ou

deux vers un peu plus élégants que le reste, ce n'est pasune raison suffisante pour faire passer l'ensemble et

vendre le livre. J'enrage à voir critiquer une œuvre, non

parce qu'on la juge écrite sans finesse et sans grâce, mais

simplement parce qu'elle est moderne, et d'entendre

réclamer pour les anciens, non de l'indulgence, mais des

honneurs et des récompenses.Si j'hésite à me prononcer sur la beauté d'une comédie

d'Atta H44,misse à la scène parmi le safran et les fleurs,tous les vieillards, ou presque, crient que j'ai perdu toute

pudeur en critiquant une pièce jouée autrefois par le

vigoureux Esope et le docte Roscius 845 c'est qu'ils ne

trouvent beau que ce qui leur a plu jadis, ou qu'ils rou-

gissent de recevoir la loi de plus jeunes qu'eux et de recon-

naître dans leur vieillesse qu'il leur faut oublier ce qu'ilsont appris au moment où ils n'avaient pas de barbe au

menton. Il y a plus celui qui vante les chants saliens de

Numa 846et a la prétention d'être seul à comprendre ce

qu'il ignore comme moi, celui-là, en réalité, est moins

le partisan enthousiaste des génies disparus que l'ennemi

des écrivains d'aujourd'hui; c'est nous, ce sont nos

ouvrages qu'il envie et qu'il combat.

Si les Grecs avaient eu pour la nouveauté autant

d'antipathie que nous, qu'est-ce qui serait ancien aujour-d'hui ? Qu'est-ce que chaque lecteur pourrait, à son gré,lire et relire ? Dès que, les guerres médiques terminées, la

Grèce se mit à cultiver les arts, ces bagatelles, et, par

la faveur et la fortune, tomba dans la mollesse, on la vit

s'enthousiasmer tantôt pour les athlètes, tantôt pour les

chevaux, goûter la sculpture en marbre, en ivoire, en

bronze, s'attacher, de tous ses yeux, de toute son âme,

Page 244: Horace - Oeuvres

246 HORACE

à la peinture, applaudir soit les joueurs de flûte, soit les

acteurs tragiques. Elle ressemblait à la petite fille jouantaux pieds de sa nourrice, et qui, vite fatiguée de ce qu'ellea ardemment désiré, le laisse, alors qu'elle en pourraitjouir encore. Comment croire que nos goûts, que nosaversions resteront toujours sans changement ? Voilà ce

qu'apportèrent à la Grèce les bienfaits de la paix, les

années de prospérité.A Rome, ce fut longtemps une joie et une habitude de

se lever tôt, d'ouvrir sa porte de bon matin, de donner aux

clients des consultations de droit, de prêter son argentsur signatures régulières, d'écouter les aînés, d'enseigneraux plus jeunes le moyen d'accroître leur fortune et de

refréner leurs passions coûteuses. Mais ce peuple léger

changea de goût, et aujourd'hui, il ne brûle que de lafureur d'écrire. Tous les Romains, enfants, graves pèresde famille, se mettent à table la tête couronnée de laurier

et récitent des vers. Moi-même, qui déclare ne point en

composer, je me montre plus menteur qu'un Parthe, et

debout avant le lever du soleil, je demande des plumes,du papier, ma cassette. Quand on ne sait pas conduire un

bateau, on ne s'y risque pas; quand on n'a pas fait

d'études, on ne hasarde pas à donner de l'aurone à un

malade; les médecins s'engagent pour tout ce qui est

médecine; les forgerons font des travaux de forgeron;mais tous indistinctement, savants et ignorants, nousfaisons des vers.

C'est une marotte, une douce folie, qui a néanmoinsdes avantages, et nombreux; conviens-en avec moi

rarement, le poète est cupide; il aime les vers c'est sa

seule passion; les pertes, la fuite de ses esclaves, l'incendie,il s'en moque; il ne songe pas à faire tort à son associé

ou à son pupille; il vit de légumes, de pain bis; sans

doute, c'est un soldat médiocre, mal entraîné; pourtantil est utile à la cité, si tu veux bien me concéder que les

petites choses peuvent servir aux grandes; c'est le poètequi façonne la langue encore hésitante et balbutiante du

petit enfant; dès les premières années, il détourne de sonoreille les propos grossiers, puis il forme son cœur pardes préceptes qui lui plaisent, il le guérit de la violence,de l'envie, de la colère; il fait connaître les belles actions,il fortifie l'âme des jeunes générations par un choix de

beaux exemples, il console les misérables et les malades.

Qui apprendrait les hymnes religieux aux jeunes garçonset aux jeunes filles, si la Muse n'avait inspiré les poètes ?

Page 245: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE II247

Le chœur demande l'aide des dieux et se fait écouter

d'eux; il implore la pluie par les douces prières que luia apprises le poète, il détourne les maladies, écarte les

dangers redoutables, obtient la paix et des moissonsabondantes. Ce sont les vers qui apaisent les dieux duciel et les dieux des enfers.

Les paysansd'autrefois,âpres au travail, contentsdepeu, unefoisengrangéesles récoltes,sedélassaient,corpset âme, aux jours de fête, avec leurs enfants et leursfemmes, comme ils avaient, avec eux, supporté lesfatigues dans l'espoir d'en voir le terme. Ils offraientalorsune truie à la déesseTellus847,du lait à Silvain,desfleurset du vin au Génie, qui connaît la brièvetéde lavie. Dans cesfêtes, furent crééslesvers fescennins"48,silibres, où les paysans échangeaientabondammentdesinjures. A chaque année nouvelle, on acceptait cetteliberté commeun jeu aimable,jusqu'au momentoù elledevintvraimentméchanteet enragée,et apparut commeun danger,les maisonshonnêteselles-mêmesn'étant pasprotégées par la loti849.Ceux que déchiraient, parfoisjusqu'ausang,lesméchantspropos,se plaignirent;mêmeceux qui étaient encore indemnesse préoccupèrentdel'intérêt général; enfinon fit une loi et on fixaun châti-ment pour interdire les poésiescalomnieuses;les poètes,par craintedu bâton, changèrentde ton, ils s'attachèrentà écrireaveccharmeet avecsoin.

La Grèceconquiseconquitsonfarouchevainqueur850;elleimportalesarts dans l'agresteLatium; ainsidisparutcet horrible vers saturnien851;l'éléganceprit la placed'une hideuseviolence;maispendant longtempssubsis-tèrent et subsistentencoreaujourd'huides tracesde l'an-cienne rusticité. C'est tardivementque Rome s'attachaaux œuvresgrecques; tranquilleenfin après les guerrespuniques852,elle chercha dans Thespis853,Eschyle etSophoclece dont elle pouvait tirer parti; elle essayadeles fairepassersur la scène latine; elle fit ce travailavecgoût, étant naturellementportée à la noblesseet à lavigueur;ellea vraimentle souffletragiqueet d'heureusesaudaces;elleest malheureusementignorante,elle rougitd'une rature et a peur de corriger.Quant à la comédie,commeelleemprunte sessujetsà la réalitécourante,oncroitqu'elledonnemoinsde peine;maiselleest d'autantplus difficilequ'on est moins indulgentpour elle. VoisPlaute854,vois ses rôles de jeunes amoureux,de pèresqui serrent les cordonsde leurs bourses,d'entremetteurs

Page 246: Horace - Oeuvres

248HORACE

louches; c'est un Dossennus 856 dans la peinture de ses

parasites aux dents longues; ah! il n'est pas bien serré au

pied, le brodequin dont il parcourt les planches. Ce poète

n'a qu'une préoccupation faire tomber dans son sac le

plus d'écus possible, sans s'inquiéter de la chute ou du

succès de la pièce.

Que sur son char la Gloire capricieuse fasse de toi un

poète dramatique, alors l'indifférence du spectateur te

fera perdre connaissance, son attention te gonflera d'or-

gueil il faut bien peu de chose à une âme avide de

louanges pour être abattue ou renaître à la vie. Adieu

le théâtre, si je dois rentrer à la maison amaigri pour

un échec, engraissé pour un succès.

Souvent aussi, malgré son courage, le poète est mis en

fuite et effrayé, quand il voit la majorité des spectateurs,

je veux dire la canaille ignorante, stupide et toujours

prête à jouer du poing en cas de désaccord avec le public

éclairé, réclamer, pendant la pièce, des ours ou des

boxeurs; car, ce sont là les amours de la plèbe. Il est

vrai que, même chez les chevaliers, tout le plaisir du

spectacle est passé des oreilles aux yeux il leur faut des

joies changeantes et vaines. Le rideau reste tiré trois ou

quatre heures pendant que défilent des escadrons de

cavaliers, des bataillons de fantassins, suivis de grands rois

vaincus, les mains liées derrière le dos; puis, viennent

des chars bretons, étrusques ou gaulois, des navires, des

objets d'ivoire pris à l'ennemi, des bronzes de Corinthe.

Si Démocrite revenait sur terre, il rirait bien de voir une

girafe ou un éléphant blanc attirer tous les regards; mais

c'est la foule, plutôt que les jeux, qu'il regarderait avec

attention, parce qu'elle lui fournirait plus de sujets d'ob-

servation à coup sûr, il jugerait que le poète raconte sa

pièce à un âne sourd. Quelles paroles, en effet, pourraient

dominer le bruit de nos théâtres ? On croirait entendre

mugir la forêt de Garganus856 ou la mer de Toscane,

tant sont bruyants les applaudissements qui accueillent

les œuvres d'art, les richesses étrangères, tous les orne-

ments dont est couvert l'acteur, debout sur la scène.

Qu'est-ce qu'il a dit ? Rien du tout encore. Alors,

qu'est-ce qu'on applaudit ? Sa robe de laine, à laquelle

la teinture de Tarente a donné ce beau ton violet.

Ne m'accuse pas de malveillance, si je loue modéré-

ment des poèmes dramatiques où d'autres ont excellé, et

que je n'ai pas voulu faire moi-même; non, il me donne

au contraire l'impression de marcher sur une corde raide,

Page 247: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE II249

le poète, qui, avec des événements imaginaires, me tour-

mente, m'excite, me calme, m'épouvante, comme feraitun magicien, et me fait vivre, tantôt à Thèbes, tantôt àAthènes.

Passons à d'autres poètes, à ceux qui aiment mieuxs'adresser aux lecteurs que de s'exposer au dédain et au

mépris des spectateurs; à ces poètes accorde un momentd'attention alors ils rempliront de leurs ouvrages la

bibliothèque du temple d'Apollon 857, et prendront unnouvel élan pour atteindre avec plus d'ardeur les som-mets boisés de l'Hélicon.

En vérité, nous autres poètes,nous nous faisonssou-vent tort à nous-mêmes(je jette, tu le vois, des pierresdansmonjardin858)ainsi,noust'apportonsnosouvragesjuste au moment où tu es préoccupéou fatigué; nousnous blessonsd'une critique amicalefaite à un de nosvers; nous recommençons,sans qu'on nous en prie, lalecture de passagesdéjà lus; nous déploronsqu'on nese rende pas comptede la peine que nous avons prisepour tisser la trame délicatede notrepoème; nousespé-rons avoir la chance de t'entendre nous appeler avecbienveillanceauprèsde toi, dès que tu nous saisoccupésà faire des vers, pour nous enrichir et nous obliger àécrire encore.

Et pourtant, c'est une affairede bien choisirles gar-diensdu temple859où esthonoréton mérite,civiloumili-taire c'est une tâcheà ne pasconfierauxmauvaispoètes.Le roiAlexandrele Grandavaitdu goûtpour Chérilus86°,ce poète qui inscrivaitsur son livre de comptestous lesphilippes, présent vraiment royal, que lui rapportaientsesvers informeset malbâtis.Mais,commel'encrelaissesur les doigtsune marque,une tache, de mêmede mau-vais verssouillenthabituellementles plus bellesactions.Ce mêmeroi, qui dépensaittant d'argentpour payertrèscher un poème si ridicule, défendit par décret à toutautre pemtre qu'Apelle, à tout autre sculpteur queLysippe de reproduire l'imaged'Alexandrele brave. Sil'on avaitdemandéà ce prince,d'un goût si fin dans lesarts plastiques, de juger les livres, et en particulier lapoésie,on aurait juré qu'on avaitaffaireà un épaisBéo-tien861.

Toi, au contraire,tu t'es fait honneuren apprécianteten récompensanttes chers poètes, Virgileet Varius862,qui t'ont remerciéen chantant tes louanges.Le bronzen'exprimepas mieuxles traits des grandshommes,que

Page 248: Horace - Oeuvres

250HORACE

la poésie ne fait connaître leur caractère et leurs senti-

ments. Pour moi, plutôt que d'écrire mes œuvres fami-

lières, si terre à terre, j'aurais préféré chanter tes exploits,

les terres et les fleuves conquis par tes armes, les mon-

tagnes couvertes de forêts, les empires barbares, les

guerres achevées sous tes auspices dans le monde entier,

la porte enfin fermée du temple de Janus, gardien de la

paix, et les Parthes tremblant devant Rome sous ton

principat 863, si mon talent était au niveau de mon

désir; mais ta majesté ne saurait accueillir un humble

poème; et ma réserve ne me permet pas de m'essayer à

une tâche à laquelle mes forces ne peuvent suffire.

Par un zèle indiscret, on importune ceux qu'on aime,

surtout quand on veut se faire valoir par des vers harmo-

nieux et élégants. Il est plus facile d'apprendre et plus

agréable de se rappeler des vers qui prêtent à rire qu'une

poésie qu'on aime et qu'on admire. Je n'ai aucun goût

pour un hommage qui me fatigue; je.ne tiens pas du tout

à voir mon visage enlaidi dans une figure en cire ou à

m'entendre célébrer dans de mauvais vers "e;; je ne veux

pas avoir à rougir du cadeau grossier qu'on prétend me

faire, et, enfermé dans une boîte avec mon poète, partir

pour le quartier où se vendent l'encens, les parfums, le

poivre, toutes les denrées qu'on enveloppe dans les

méchants écrits.

Il

A JULIUSFLORUS

Florus, ami de confiance du bon et illustre Néron, sup-

posons qu'on veuille te vendre un esclave originaire de

Tibur ou de Gabies 665,et que le marchand te dise

Vois, il est beau et bien fait, de la tête aux pieds; il sera

à toi pour huit mille sesterces "66.Il est né dans ma mai-

son je l'ai dressé à obéir au doigt et à l'œil; je lui ai donné

une teinture des lettres grecques et l'ai rendu propre à

toutes les besognes; c'est une molle argile dont tu feras

tout ce que tu voudras. Pendant le repas, il chante, sans

art, mais agréablement. Sans doute, à trop promettre, on

diminue l'autorité de ses paroles; on a l'air d'exagérer la

valeur de sa marchandise pour s'en débarrasser plus vite.

Mais moi, rien ne me presse; je ne suis pas riche, mais

ce que j'ai est à moi. Tu ne trouverais pas un autre mar-

chand d'esclaves pour te faire les conditions que je te

Page 249: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE II251

fais; un autre client aurait du mal à les obtenir de moi.Une seule fois, il a bronché, et, comme de juste, il s'estcaché dans l'escalier par peur du fouet. Allons! donne ton

argent; car je pense bien que, cette tentative de fuite

exceptée, tu n'as rien à lui reprocher. Le marchand,qui te parlerait ainsi, cher Florus, serait, je suppose, bien

tranquille il toucherait ton argent, sans avoir à redouter

plus tard de réclamations. En faisant ton achat, tu savaisles défauts de la marchandise; tu connaissais les condi-tions. Et pourtant, tu exerces contre moi des poursuites,et tu me fais, sans droit, un procès. A ton départ, jet'avais dit que j'étais un paresseux et que, pour les devoirs

mondains, j'étais à peu près manchot; je voulais éviter tesrécriminations et tes reproches, au cas où tu ne recevraisrien de moi. Qu'ai-je gagné, si tu discutes la loi, quandelle est pour moi ? Et tu te plains que j'ai manqué de

parole et que je ne t'ai pas envoyé les poésies lyriques quetu attendais ?

Un soldat de Lucullus H67 avait au prix de grandesfatigues amassé un petit pécule; une nuit, il ronflait,éreinté; on lui vola ce qu'il avait, jusqu'au dernier sou;à son réveil, ce fut un loup enragé, furieux et contrel'ennemi et contre lui-même; les dents aiguisées par le

jeûne, il délogea, dit-on, la garde royale de Mithridated'un poste fortement retranché et largement approvi-sionné. Cet exploit le fit connaître; il fut décoré et, en

outre, gratifié de vingt mille sesterces 868.A peu près aumême moment, le général en chef projetait de jeter bas

je ne sais plus quel fort; il le fit appeler et se mit àl'exciter en propos de nature à donner du cœur mêmeà un lâche « Va, mon brave, où ton courage t'appelle;va, tu réussiras; ta récompense ne sera pas au-dessousde ton mérite. Qu'attends-tu donc? » Mais notre fin

matois, tout paysan qu'il fût, lui répondit c Envoie,envoie là-bas, un soldat qui a perdu sa ceinture.

J'ai eu la chance d'être élevé à Rome et d'y faire mes

études; alors je maudissais la colère d'Achille et le tort

qu'elle faisait aux Grecs 659.Puis l'aimable Athènes merendit un peu plus habile; j'y appris du moins à distin-

guer la ligne droite de la ligne courbe, et je me mis en

quête de la vérité, dans les bosquets d'Académus H'°.Maisla dureté des temps me chassa de cette agréable résidence;les troubles civils jetèrent le pauvre soldat que j'étaisdans une armée qui ne devait pas tenir contre le bras

d'Auguste. Abattu par la bataille de Philippes 871,je me

Page 250: Horace - Oeuvres

252HORACE

traînai à terre, les ailes coupées, ayant perdu la maison

et les biens paternels c'est alors que l'audace de la pau-

vreté me poussa à faire des vers. Mais aujourd'hui que

j'ai le nécessaire, quelle dose de ciguë pourrait me calmer,

si je n'aimais mieux dormir que d'écrire ?

Les années, dans leur course, nous enlèvent, un à un,

tous nos avantages; elles m'ont déjà ravi la gaieté,

l'amour, les plaisirs de la table, le jeu; elles cherchent

maintenant à m'arracher le goût de la poésie. Que veux-tu

que je fasse ?

Enfin, tous les goûts ne sont pas les mêmes tu aimes,

toi, la poésie lyrique; tel autre, les iambes; un troisième,

les satires et les saillies méchantes, à la façon de Bion 872.

Vous me faites l'effet de trois invités qui n'aiment pasles mêmes plats, et en demandent de tout différents,

chacun suivant son goût. Que servir ? Qu'écarter ? Toi,tu refuses ce que le second réclame; et ce que tu veux,certainement les deux autres le trouvent acide et n'en

veulent point.Autre chose encore crois-tu vraiment qu'à Rome on

puisse faire des vers, au milieu de tant d'ennuis et de

tracas ? L'un sollicite mon témoignage en justice, l'autre

me prie d'aller, toute affaire cessante, entendre la lecture

de son livre; celui-ci est malade au Quirinal 1173celui-là

au bout de l'Aventin il faut leur faire visite à tous deux

tu vois comme c'est facile et le chemin qu'il faut faire.

Mais, me diras-tu, il y a peu de monde dans les rues, et

on peut méditer à son aise. Ah! bien oui! Un entrepre-neur court, comme s'il avait la fièvre, avec ses mulets et

ses portefaix; une grue élève en l'air, ici une pierre de

taille, là une énorme poutre; un convoi funèbre se heurte

à un lourd chariot; un chien enragé détale par cette rue;une truie couverte de boue se précipite par cette autre 874.

Tu peux aller dans ces conditions et méditer des vers

harmonieux! Non, non tous les poètes aiment la cam-

pagne et fuient la ville ce sont, suivant l'antique usage,des clients de Bacchus, le dieu ami du sommeil et de

l'ombre. Et tu voudrais que, dans ce vacarme qui ne cesse

ni le jour ni la nuit, j'écrive des vers et cherche à suivre,

sans pouvoir la retrouver, la trace des poètes ? Un homme

de talent, qui a choisi comme résidence la tranquille

Athènes, y a travaillé pendant sept ans, et a vieilli dans

la lecture et la méditation, sort généralement de chez lui

plus muet qu'une statue et par son allure, fait rire les gens

qu'il rencontre. Et tu voudrais qu'à Rome, dans le flot

Page 251: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE II253

des affaires et l'agitation de la ville, je trouve la libertéd'écrire des poésies lyriques ?

Il y avait à Rome deux frères, l'un jurisconsulte, l'autre

avocat; quand ils parlaient l'un de l'autre, c'étaient des

compliments sans réserve pour le jurisconsulte, son

frère était un Gracque; pour l'avocat, son frère était unMucius 875.Les poètes à l'harmonieux langage ne sont-ils

pas atteints de la même folie ? Je fais des odes, cet autredes élégies. « 0 merveille! c'est un bijou, ciselé par les

neuf Muses » Mais regarde-nous d'abord, et vois notre

allure de gens supérieurs, notre air important, notre

regard circulaire sur la bibliothèque du temple 876,où il

y a encore de la place pour nos livres. Puis, si tu as le

temps, suis-nous, et, à distance, tu nous entendras tousles deux nous tresser des couronnes, et à quel prix ?C'est un assaut chacun, comme un lourd gladiateur

samnite, crible de traits son adversaire, et le duel se pour-suit longtemps, jusqu'à l'heure du dîner. Quand nous

nous quittons, je suis un Alcée g". Et lui, que peut-il être,sinon un Callunaque 87S ? S'il veut davantage, j'en fais

un Mimnerme 879 c'est le surnom qu'il souhaitait il

se dilate! Lorsque j'écrivais et que j'essayais par mes

prières d'obtenir les suffrages du public, je supportaistous les ennuis, afin d'apaiser la race irritable des poètes.Mais aujourd'hui que j'ai recouvré mon bon sens et queje ne fais plus de vers, je veux, sans avoir rien à risquer,fermer aux ouvrages mes oreilles que, naguère, j'ouvrais

largement pour les écouter.

On se moque de ceux qui font de mauvais vers; maiseux sont tout heureux d'en composer; ils s'admirent,et, si l'on se tait, ils font, sans qu'on les en prie, l'élogede tout ce qu'ils ont eu le bonheur d'écrire. Mais l'auteur

qui veut faire un poème régulier, aura pour ses tablettes

l'impartialité d'un censeur; il s'armera de courage; tousles passages qui manquent d'éclat, de force, qui neméritent pas de figurer en bonne place, il les changera,même s'ils résistent, et bien qu'ils soient encore cachésau public, comme dans un sanctuaire de Vesta 880.Alors ilaura plaisir à déterrer pour ses lecteurs de vieux termesrestés longtemps dans l'oubli; il ramènera à la lumière cesmots expressifs employés jadis par Caton et Céthégus

8S1

et aujourd'hui tout déformés par la rouille, la vieillesseet l'abandon. Il adoptera des mots nouveaux, créés etillustrés par l'usage, de ces mots vigoureux, limpides,semblables à une eau pure, qui enrichiront heureusement

Page 252: Horace - Oeuvres

254HORACE

la langue latine; il élaguera le superflu, aura la sagesse de

polir ce qui est trop rude, montera de ton ce qui est sans

force, aura, en faisant tout cela, l'air de se jouer, et pour-tant se mettra à la torture, comme le mime qui exécute

la danse du Satyre ou du rustique Cyclope.

Je préférerais passer pour un écrivain sans bon sens

et sans art, à la condition d'aimer ou d'ignorer mes

défauts, plutôt que d'avoir du goût et d'enrager. Il y

avait à Argos un grand personnage qui était tout heureux

d'aller s'asseoir dans un théâtre vide, pour y applaudird'admirables acteurs qu'il croyait entendre. Au demeu-

rant, il était homme à remplir parfaitement ses devoirs

sociaux; c'était un bon voisin, un hôte aimable; il était

doux pour sa femme, capable de pardonner à un esclave,

de ne pas déraisonner de colère pour une bouteille déca-

chetée, de ne pas se heurter à un rocher, de ne pas tomber

dans une citerne ouverte devant lui. Ses parents s'em-

ployèrent à le soigner on guérit son mal et sa manie en

lui faisant absorber de l'ellébore pur. Une fois revenu à

lui « Par Pollux, dit-il, c'est ma mort que vous avez

voulue, mes amis; non, non, vous ne m'avez pas sauvé;

vous m'avez seulement privé d'un plaisir; et vous avez,

par force, extirpé de mon esprit une erreur qui m'était

bien chère. »

Peut-être bien que ce qui est vraiment utile, c'est de

renoncer aux fadaises pour cultiver la sagesse, de laisser

aux enfants les jeux de leur âge, de ne pas courir aprèsdes mots à ajuster sur la lyre latine, et d'apprendre à fond

le rythme et la mesure de la vraie vie.

C'est pourquoi, quand je me tais et que je médite,

voici ce que je me dis Si tu n'arrivais pas à calmer ta

soif, tu en parlerais au médecin. Et, quand tes désirs

augmentent avec tes richesses, tu n'as pas le courage d'en

faire l'aveu ? Si on t'avait indiqué, pour la guérison d'une

plaie, une racine ou une herbe qui ne t'apporterait aucun

soulagement, tu ne voudrais plus te soigner avec cette

herbe ou cette racine parfaitement inefficace. Or, tu as

entendu le vulgaire prétendre qu'en donnant à un homme

la richesse, les dieux le guérissent de la méchanceté et de

la sottise; et, quand tu constates que tu n'es pas devenu

plus sage pour être plus riche, tu persistes à consulter les

mêmes maîtres ? Mais, si les richesses pouvaient donner

la sagesse et diminuer la cupidité et la crainte, tu rougirais

sans doute d'apprendre qu'il y a sur terre un homme plus

cupide que toi.

Page 253: Horace - Oeuvres

ÉPITRES. LIVRE II 255

HORACE 9

Si l'on possède en toute propriété ce que l'on a acquispar le procédé ordinaire de la balance et de la pièce demonnaie 882,si, d'autre part, à en croire les jurisconsultes,l'usage vaut titre, alors je peux dire que le champ qui tenourrit t'appartient, et que le fermier d'Orbius, en her-sant les terres qui doivent bientôt te donner du blé,comprend que son maître, c'est toi. Tu donnes ton

argent et reçois en échange des raisins, des poulets, des

œufs, un tonneau de vin c'est une façon d'acquérir endétail une terre qui a peut-être coûté trois cent mille ses-terces ou même davantage. Peu importe que l'argent aitété dépensé récemment par petites sommes, ou jadis,en une seule fois. Avoir acheté une terre près d'Aricie 883

ou de Véies, c'est acheter, quoi qu'on pense, les légumespour sa table, c'est acheter le bois dont on se chauffe

pendant les nuits froides. Mais on continue à appeler sonbien tout le terrain qui va jusqu'au peuplier planté pourmarquer la limite de la propriété et éviter toute contes-tation avec les voisins, comme si le nom de propriété pou-vait être donné à ce qui, à toute heure, soit par donation,soit par achat, soit par violence, soit par la mort, peutchanger de maître et passer aux mains d'autrui. Dès lors,puisqu'il n'est donné à personne de jouir éternellementd'un bien, puisque, comme les vagues de la mer, les héri-tiers se succèdent les uns aux autres, à quoi sert de pos-séder des villages entiers et de vastes greniers ? pourquoiaux pâturages de Calabre" en ajouter d'autres en

Lucanie, si le dieu de la Mort, que l'on ne saurait fléchir,fait toujours la moisson, petite ou grande.

Il ya des gens qui n'ont ni brillants, ni marbre, ni ivoire,ni statuettes étrusques, ni tableaux, ni trésors d'argen-terie, ni étoffes teintes de la pourpre d'Afrique; j'enconnais un qui ne se soucie pas de posséder ces richesses.De deux frères, pourquoi l'un préfère-t-il aux riches pal-meraies des jardins d'Hérode885, la flânerie, le jeu, les

parfums, tandis que l'autre, riche cependant, mais dur

pour lui, comme pour les autres, travaille de l'aube à la

nuit, et défriche son champ en arrachant et en brûlant lesbroussailles ? Pourquoi ? Le Génie le sait, ce compagnonde chaque homme, qui détermine l'heure de sa naissance,gouverne sa vie, meurt avec lui, et avec lui change de

visage, tantôt gai, tantôt triste.

Pour moi, je veux jouir et prendre, pour mes besoins,sur ma modeste fortune; peu m'importe ce que penserade moi mon héritier, quand il constatera que mon bien ne

Page 254: Horace - Oeuvres

256 HORACE

s'est pas accru; et pourtant, il ne me déplairaitpas de

connaîtrela différenceentre un débauchéet un homme

qui prend la vie avecsimplicitéet bonne humeur, entre

un avare et un hommequi sait épargner.C'est que la

distanceest grandeentre le prodiguequi dissipece qu'il

possèdeet l'homme qui, sans regret, dépensece qu'ilfaut et ne se tue pasà augmentersonavoir.Faisonsplu-tôt commelesenfants auxQuinquatries886,ilssehâtentde

jouir de ces vacances,si courteset si douces.Puissema

maisonnepas connaîtrelapauvretéet seslaideurs!Mais,

que le navire qui me porte soit petit ou grand, je n'en

ferai pas moins le voyage. Si l'Aquilon favorable ne

gonflepasnosvoiles,du moinsnousne passonspasnotre

vie à lutter contre l'Auster.A tous points de vue, santé,

esprit,éclatextérieur,vertu, rang,fortune, noussommes

lesderniersdu premierrang, maisnoussommestoujoursavantceuxdu dernierrang.

Tu ne tienspasauxbiensmatériels? Soit! Mais t'es-tu

corrigéen mêmetemps des autresvices? As-tu délivréton cœur des miragesde l'ambition, de la craintede la

mort, de la colère? les songes,les terreurs magiques,les

prodiges,les sorcières,les revenantsqui se montrent la

nuit, les miraclesde Thessalie887,te moques-tude tout

cela? Comptes-tu sans te plaindre tes anniversaires?Es-tu indulgent à tes amis? Deviens-tu plus doux et

meilleurà l'approchede lavieillesse?Quesert d'arracherune épinesi on laissetoutes lesautres? Si tu ne saispasvivreen sage,cèdela placeà de plushabiles.Tu asassez

joué, assezmangé,assezbu; c'est le momentde partir;si tu restes trop à table, les jeunesse moquerontde toi

et te chasseront cesjeux conviennentmieuxà leur âgequ'au tien.

Page 255: Horace - Oeuvres

ART POÉTIQUE

Page 256: Horace - Oeuvres
Page 257: Horace - Oeuvres

ÊPITRE AUX PISONS

Si un peintre voulait ajuster à une tête d'homme un

cou de cheval et recouvrir ensuite de plumes multicolores

le reste du corps, composé d'éléments hétérogènes, de

sorte qu'un beau buste de femme se terminât en laide

queue de poisson, à ce spectacle, pourriez-vous, mes amis,ne pas éclater de rire ? Croyez-moi, chers Pisons, un tel

tableau donnera tout à fait l'image 'd'un livre dans lequelseraient représentées, semblables à des rêves de malade,des figures sans réalité, où les pieds ne s'accorderaient

pas avec la tête, où il n'y aurait pas d'unité. Mais,

direz-vous, peintres et poètes ont toujours eu le droit de

tout oser. Je le sais; c'est un droit que nous réclamons

pour nous et accordons aux autres. Il ne va pourtant pas

jusqu'à permettre l'alliance de la douceur et de la bruta-

lité, l'association des serpents et des oiseaux, des tigreset des moutons.

Souvent, à un noble début, plein de grandes promesses,on coud une ou deux draperies éclatantes qui brillent de

loin c'est le bois sacré et l'autel de Diane; ou bien un

ruisseau qui court en serpentant dans les riantes cam-

pagnes ou encore une description du Rhin, ou le tableau

de l'arc-en-ciel. Mais tout cela n'est pas à sa place. Peut-

être es-tu habile à dessiner les cyprès qu'importe à

celui qui te paie pour le peindre au moment où son navire

est brisé par le flot et où il va perdre l'espoir d'échapperau naufrage ? Tu as commencé à tourner une amphorela roue tourne; pourquoi ne vient-il qu'une cruche ?

Bref, écris ce que tu voudras; que du moins ton sujetait simplicité et unité.

Nous autres poètes, mon cher Pison et vous, ses dignes

Page 258: Horace - Oeuvres

260 HORACE

fils, nous sommes pour la plupart, abusés par l'apparencedu bien je fais effort pour être concis, je deviens obscur;à chercher l'élégance, je perds la force et le souffle;

je veux atteindre le sublime, je tombe dans l'enflure;il rampe à terre, celui qui est trop préoccupé de sa sûreté

et redoute la tempête; pour vouloir apporter, par des

détails hors nature, de la variété dans un sujet un, on

en vient à peindre un dauphin dans les bois, un sangliersur les flots; on veut éviter une faute, on tombe dans un

mal, si l'on n'est pas habile. Près de l'école émilienne 888,il y a un statuaire qui excelle à faire les ongles et à repro-duire en bronze la souplesse des cheveux, mais son sujetest manqué, parce qu'il ne sait pas camper un ensemble.

Eh bien! si je songeais à écrire, je ne voudrais pas plusressembler à cet artiste, que je n'aimerais un nez de

travers avec de beaux yeux et de beaux cheveux noirs.

Vous qui écrivez, prenez une matière proportionnéeà vos forces; soupesez longuement ce que vos épaules

peuvent ou ne peuvent pas porter. Si vous choisissez un

sujet qui vous convienne, vous ne manquerez ni d'abon-

dance, ni de cette clarté qui vient de l'ordre.

L'ordre aura cette vertu et ce charme, ou je me

trompe fort, d'amener à dire tout de suite ce qui doit

être dit tout de suite, de faire renvoyer le reste en le

laissant de côté pour le moment; s'attacher à une idée,en abandonner une autre, voilà ce qu'il faut faire quandon a entrepris un poème.

Pour l'arrangement des mots dans la phrase, il convient

d'être minutieux et attentif ce sera une belle réussite

de donner de la nouveauté à un terme par une habile

alliance de mots. Il peut être nécessaire de représenter

par de nouveaux signes des idées jusqu'alors inconnues

on pourra créer des mots que ne connaissait pas le vieux

Céthégus B89,on y sera autorisé à condition de le faire

avec réserve; ces mots nouveaux, récemment créés,

prendront crédit, si on les dérive discrètement du grec.

Pourquoi, en effet, avoir donné à Cécilius et à Plaute 89°

un droit qu'on refuserait à Virgile et à Varius 891 ? Quellesraisons de me contester les quelques acquisitions que je

puis faire, quand Caton xsz et Ennius ont enrichi la languenationale et créé des termes nouveaux ? On a toujours

eu, on aura toujours la liberté de mettre en circulation

un mot marqué au coin de l'année. Les forêts changent de

feuilles à mesure que l'année décline, et les premièrestombent ainsi meurent les vieilles générations de mots,

Page 259: Horace - Oeuvres

ART POÉTIQUE 261

et les nouvelles, comme des jeunes gens, s'épanouissentet prennent force. Nous sommes voués à la mort, nous

et nos œuvres. Nous pouvons creuser des ports pourabriter nos vaisseaux contre les vents c'est une œuvre

digne d'un roi; des marais longtemps stériles et quiportaient bateau, nourrissent aujourd'hui les villes voi-sines et sont sillonnés par la charrue; le cours d'unerivière a été modifié parce qu'elle ravageait les cultures;on lui a donné une meilleure direction toutes ces œuvres

sont mortelles et condamnées à disparaître; à plus forte

raison, les mots ne conserveront-ils pas un éclat et uncrédit éternels. Beaucoup renaîtront, qui ont aujourd'hui

disparu, beaucoup tomberont, qui sont actuellement en

honneur, si le veut l'usage, ce maître absolu, légitime,régulier de la langue.

Quel vers peut chanter les exploits des rois et des

chefs, la guerre et ses tristesses, c'est Homère qui l'amontré. Le distique a exprimé d'abord la plainte funèbre,puis a été consacré à l'ex-voto. Qui a, le premier, fait ser-vir ce mètre modeste à l'élégie, les grammairiens en dis-cutent encore, et le procès est toujours pendant. La fureurarma Archiloque de l'iambe893, qui est sa création; ce

pied fut ensuite adopté par les socques et les hautscothurnes 894,comme bien approprié au dialogue, fait pourdominer les bruits de la foule et convenant naturellementà l'action. La Muse donna à la lyre la mission de chanterles dieux et les enfants des dieux, l'athlète vainqueur,le cheval arrivé le premier à la course, les amours des

jeunes gens, le vin qui délie les langues. Si je ne puis nine saisobserver le rôle de chaque mètre, tel que je viensde le décrire, ni leton propre àchaque œuvre, pourquoi melaisser appeler poète ? pourquoi, par mauvaise honte, pré-férer l'ignorance à l'étude?

Un sujet comique ne veut pas être traité en vers de

tragédie, comme il serait choquant de raconter le festinde Thyeste896dans des vers faits pour un simple parti-culier, chaussé du brodequin. Que chaque sujet gardedonc le ton qui naturellement lui convient. Parfois cepen-dant la comédie élève la voix Chrémès, dans sa colère,enfle le ton pour gourmander son fils. Souvent, d'autre

part, un personnage tragique exprime sa douleur en un

langage familier Télèphe et Pélée 898,misérables et

exilés, renoncent aux termes ampoulés, aux mots d'un

pied et demi, afin de toucher par leurs plaintes le cœurdu spectateur.

Page 260: Horace - Oeuvres

262 HORACE

Il ne suffitpas que l'œuvre poétiquesoit belle; elledoit être émouvanteet conduireoù il lui plaît l'âme du

spectateur.L'hommerit en voyantrire, pleureen voyantpleurer. Si tu veuxme tirer des pleurs, tu doisd'aborden verser toi-même;alors seulementje serai touché detesmisères,Télèphe,et destiennes,Pélée;si,aucontraire,tu tiens mal ton rôle, je dormiraiou rirai. Les parolesdoivents'accorderà l'air du visage;tristes dans l'afflic-

tion, menaçantesdans la colère, badinesdans l'enjoue-ment, sérieuses dans la gravité. La nature, en effet,commencepar nous façonner intérieurement à toute

espècede situation, elle nous pousse à la joie ou à lacolère,nousabatet noustorturesousle poidsdu chagrin,puis elle fait jaillirnos sentimentsdans nos paroles. Sile langagede l'acteur détonne avec son état, tous les

spectateurs,chevaliersou autres,éclaterontde rire. Il ya une grandedifférencede langageentre un dieu et un

héros; un vieillardrassiset un jeunehommetout bouil-lant d'ardeur; une dame importante et une nourrice

empressée; un marchand voyageuret un paysan quicultive son petit champ; un habitant de Colchideou

d'Assyrie; un indigènede Thèbes ou d'ArgosEcrivain,suis la tradition; ou, si tu crées des carac-

tères, qu'ils soient d'accord avec eux-mêmes.Veux-tu

représenter Achille couvert de gloire? Il sera actif,emporté,inexorable,violent;il affirmerasavolontédene

point se soumettreauxlois,il ne demanderarien qu'auxarmes;Médéeserafaroucheetinflexible;Ino,gémissante;Ixion, perfide, Io, errante; Oreste,sombre Veux-tumettre à la scèneun sujet qui n'a pas encoreété traité,et te sens-tu assez fort pour créer un personnagenou-veau? que ce personnagereste jusqu'au bout tel qu'ils'est montré au début, qu'il demeure semblableà lui-même. Il est difficilede donner une vie individuelleàdes sentimentsabstraits; et tu risquerasmoinsà mettreen actes des épisodesde l'Iliade qu'à traiter le premierun sujet inconnu,que nul avant toi n'a traité. Desmaté-riaux qui sont le bien de tous deviendrontta propriété,si tu ne t'attardes pas dans un cerclebanal, accessibleà tous, si tu ne t'astreins pas dans ta traduction à unservilemot à mot, si tu ne te jettes pas dans une étroiteimitation,d'où tu ne pourras sortir par défiancede tesforcesou par respectpour l'économiede l'ouvrage.

Bien entendu, tu ne commenceraspas, commejadisle poètecycliqueK99«Je chanteraila destinéede Priam

Page 261: Horace - Oeuvres

ART POÉTIQUE263

et la guerre fameuse 900. » Comment tenir une promessefaite d'une voix si éclatante ? La montagne va accoucherd'une ridicule souris. Comme il est plus habile, le poètequi commence, sans exagération maladroite « Dis-moi,Muse, le héros qui, après la prise de Troie, vit tantd'hommes de caractères différents et tant de cités! »Chez lui, la fumée n'étouffe pas la flamme, mais c'est dela fumée que jaillit la lumière; alors apparaissent des

beautés, des merveilles Antiphate, Scylla, Charybde, le

Cyclope 901; et puis, il ne remonte pas à la mort de

Méléagre pour raconter le retour de Diomède; son récitde la guerre de Troie ne commence pas à l'œuf desjumeaux; toujours il vole au dénouement, et entraîneson auditeur au cœur du sujet, qu'il suppose connu,laissant de côté tout ce qu'il n'espère pas pouvoir traiteravec éclat. Et il imagine si bien ses fictions, il a un telart de mêler invention et réalité, que jamais le milieu nejure avec le début, la fin avec le milieu.

Pour toi, veux-tu savoir ce que nous réclamons, le

public et moi écoute-moi bien, et tu verras alors les

spectateurs attendre, en applaudissant, la fin de la pièce,et rester assis jusqu'au moment où le joueur de flûteleur demandera d'applaudir. Il faut marquer exactementles traits de chaque âge et peindre de couleurs conve-nables les caractères qui changent avec les années. L'en-

fant, quand il sait répéter ce qu'on lui a appris et mar-cher d'un pas assuré, brûle de jouer avec ses camarades;il se met en colère et se calme sans motifs; il change àtout instant. L'adolescent imberbe, enfin libéré de son

précepteur, aime les chevaux, les chiens, la piste ensoleil-lée du Champ de Mars; comme une cire molle, il selaisse façonner au vice, regimbe aux avertissements, met

longtemps à songer à l'utile, dépense sans compter, ade l'orgueil, des désirs extrêmes; il abandonne vite ce

qu'il a aimé. Quand vient l'âge d'homme, les goûts etle caractère changent on recherche le crédit, les rela-

tions, on sacrifie tout aux honneurs; on se garde d'une

faute, pour n'avoir pas ensuite la peiné de revenir enarrière. Le vieillard est sujet à d'innombrables maux; il

amasse, puis, ô pitié! met de côté son argent et n'ose pass'en servir, il administre ses affaires avec lenteur et timi-

dité, remet au lendemain, apeu d'espoirs, peu d'acti-

vité, voudrait être maître de l'avenir; il est difficile à

vivre, grondeur, fait l'éloge du temps où il était enfant,ne cesse de critiquer et de reprendre les jeunes. Les

Page 262: Horace - Oeuvres

264HORACE

années apportent avec elles maints avantages, qu'elles

nous enlèvent quand nous sommes sur le retour. Ne

confie donc pas à un jeune homme un rôle de vieil-

lard, à un enfant un rôle d'homme, et donne à chaque

âge la vie extérieure et le caractère qui lui conviennent.

Tantôt l'action se passe sur la scène, tantôt elle fait

l'objet d'un récit. L'esprit est moins vivement frappé de

ce que l'auteur confie à l'oreille, que de ce qu'il met sous

les yeux, ces témoins irrécusables le spectateur apprend

tout sans intermédiaire. Cependant ne mets pas sur la

scène ce qui doit se passer dans la coulisse, et soustrais

aux regards certains faits, que viendra raconter un

témoin oculaire. Ce n'est pas devant le public que Médée

doit massacrer ses enfants 902,l'exécrable Atrée faire cuire

les membres de ses fils 903,Procné se changer en oiseau,

Cadmus en dragon 904. Je n'ajoute aucune foi à de tels

spectacles et je ne les admets pas.

Que la pièce ait cinq actes, ni plus ni moins c'est

le seul moyen de la voir redemandée et jouée de nou-

veau. Pas d'intervention divine, à moins que le dénoue-

ment n'exige un dieu. En scène, trois personnages au

plus.Le chœur tiendra son rôle et sera vraiment un per-

sonnage. Il ne dira entre les actes rien qui ne tienne au

sujet et n'y soit étroitement lié. Son rôle est d'appuyeret de conseiller en ami les honnêtes gens, de calmer les

colères, de réserver sa sympathie aux personnages scru-

puleux, de célébrer la sobriété, la justice tutélaire, la loi,la paix. Il gardera les secrets et demandera aux dieux,dans ses prières, de rendre le bonheur aux misérables,de l'enlever aux superbes.

Autrefois, la flûte n'était pas, comme aujourd'hui, faite

de plusieurs pièces unies les unes aux autres par du

cuivre blanc, elle ne rivalisait pas avec la trompette; elle

avait un son grêle, était toute simple, et avec ses quatretrous donnait le ton au chœur, le soutenait, et pouvaits'entendre de toutes les places du théâtre, où la foule ne

s'entassait pas encore; les spectateurs, peu nombreux,

pouvaient aisément se compter; c'étaient d'honnêtes gens,

religieux, purs. Mais bientôt la victoire accrut les terri-

toires, agrandit les villes; chacun put, sans risque, les

jours de fête, faire, même de jour, des libations à son

Génie905; alors le rythme et la mesure usèrent de plusde liberté. Quel goût, en effet, attendre d'un public où les

paysans grossiers, leur travail terminé, se mêlaient aux

Page 263: Horace - Oeuvres

ART POÉTIQUE 265

citadins, où se confondaient le rustre et l'homme cultivé ?Dès lors, à l'art ancien le joueur de flûte ajouta la danseet le luxe du costume, et traîna sa longue robe d'un boutà l'autre de la scène. La lyre, elle aussi, jadis si sévère,vit croître le nombre de ses cordes; on entendit sur le

théâtre un langage inaccoutumé, d'une audacieuse abon-

dance. Le chœur donna d'utiles conseils, prophétisa l'ave-

nir, tout à fait comme la pythonisse rendant ses oracles

à Delphes.Celui qui, pour un vil bouc, disputa le prix du poème

tragique, montra ensuite les Satyres dans leur rustiquenudité, et fit l'essai, sans nuire à la gravité de la tragédie,d'un jeu plus rude: il fallait, par le charme d'une agréable

nouveauté, retenir le spectateur après le sacrifice et les

copieuses libations où il laissait sa raison. Mais on doit

présenter ces satyres rieurs et bavards et mêler le plai-sant au sérieux, sans aller jusqu'à conduire dans unesombre taverne, au milieu de gens au langage grossier,un dieu ou un héros qu'on vient de voir couvert, comme

un roi, d'or et de pourpre. Cependant, pour éviter de

ramper, il ne faut pas se perdre dans les nuages. Il ne

convient pas à la tragédie de débiter des vers sans dignité,comme une dame qui, un jour de fête, danse pour

remplir un devoir religieux; elle ne fréquentera qu'avecune certaine réserve les Satyres effrontés. Pour moi, chers

Pisons, si j'écrivais un drame satyrique, je ne me borne-

rais pas à l'expression simple et au mot propre, et je ne

travaillerais pas simplement à proscrire le ton de la

tragédie 9os, en donnant à Dave et à l'effrontée Pythias,

quand elle fait cracher un talent au vieux Simon son

maître, le même langage qu'à Silène, nourricier, gardienet serviteur de Bacchus. Je prendrais dans la languecourante les éléments dont je façonnerais celle de mes

vers; si bien que tout le monde croirait pouvoir en faire

autant, mais verrait à l'expérience que les efforts pour yréussir n'aboutissent pas toujours tant a d'importancele choix et l'arrangement des termes, tant peuvent prendred'éclat des expressions empruntées au vocabulaire ordi-

naire Les Faunes ne doivent pas, à mon sens, au sortir

de leurs forêts, imiter les habitués des carrefours ou ceuxdu forum; ils n'ont pas à tenir, comme de jeunes poseurs,des propos délicats ou, inversement, se faire remarquer

par un langage obscène et dégoûtant. Ce serait le moyende choquer les chevaliers, les hommes libres, les riches;et les applaudissements des mangeurs de noix et de pois

Page 264: Horace - Oeuvres

266 HORACE

chiches ne leur vaudraient ni la faveur du public, ni la

couronne.

Une brève suivie d'une longue s'appelle iambe; c'est

un pied rapide 907. Cette rapidité a même fait donner

au vers le nom de trimètre iambique, alors que c'est un

sénaire. Il n'y a pas très longtemps, tous les pieds étaient

des iambes; puis, afin d'arriver aux auditeurs plus lent et

plus grave, il admit le lourd spondée, mais ne poussa pas

la complaisance et la bonne volonté jusqu'à lui céder

aimablement la seconde ou la quatrième place. L'iambe

est rare dans les nobles trimètres d'Accius 908,et la lour-

deur des vers qu'Ennius lance sur la scène prouve ou que

l'ouvrage a été fait trop vite et sans soin, ou que le poète

ignorait fâcheusement son métier. Le premier venu n'est

pas capable d'apprécier le rythme d'un poème; aussi les

poètes latins ont-ils bénéficié d'une indulgence qu'ils ne

méritaient pas. Est-ce une raison pour aller au hasard

et écrire sans observer les règles ? ou bien vais-je penser

que, mes fautes sautant aux yeux de tous, je serai tran-

quillement à l'abri dans l'espoir du pardon ? En somme,

j'évite la critique, mais je ne mérite aucun éloge. Pour

vous, feuilletez jour et nuit les livres grecs. Mais,

direz-vous, vos pères goûtaient le rythme de Plaute et

ses plaisanteries. Sans doute, mais leur admiration

était excessive et un peu sotte; vous et moi, nous savons

faire la distinction entre une locution grossière et une

expression gracieuse, et reconnaître au doigt et à l'oreille

un son régulier.C'est Thespis qui inventa, dit-on, la tragédie, inconnue

avant lui 909;il promena sur un chariot des acteurs qui, le

visage barbouillé de lie, chantaient et jouaient ses pièces.

Après lui, Eschyle créa le masque et la longue robe; il

installa la scène sur de petits tréteaux, donna aux acteurs

une voix imposante et les chaussa du cothurne. Vint

ensuite la comédie ancienne 910,qui n'est pas médiocre-

ment estimable; mais la liberté dégénéra en licence et

les excès durent être refrénés par une loi cette loi fut

portée, en effet, et le chœur, privé du droit de nuire, dut

se soumettre et se taire.

Nos poètes n'ont laissé aucun genre sans s'y essayer.

Leur gloire n'a rien perdu à l'abandon des sujets grecs

et à la représentation de la vie romaine, sous la robe

prétexte comme sous la toge 9, et le Latium n'aurait pas

été moins grand par sa littérature que par son courage

et l'éclat de ses armes, si le lent travail de la lime ne rebu-

Page 265: Horace - Oeuvres

ART POÉTIQUE 267

tait tous nos poètes. Vous donc, qui êtes du sang de

Pompilius m, reprenez vos vers tant que vous n'aurez paspassé de longues journées à raturer, à élaguer, à repolirvingt fois votre ouvrage.

Pour Démocrite 918,l'homme de génie est plus favorisédu sort que le malheureux qui peine à devenir habile, et

l'Hélicon n'est pas fait pour les poètes raisonnables. Sousce prétexte, la plupart des écrivains ne se taillent plusles ongles, laissent pousser leur barbe, cherchent la soli-

tude, fuient les bains. Ah! le beau moyen d'obtenirle nom glorieux de poète que de ne pas confier au bar-bier Licinus une tête que ne guérirait pas l'ellébore destrois Anticyres 9U! Je suis un beau maladroit, moi, deme purger au printemps Si je ne le faisais pas, personnene me surpasserait comme poète! Eh bien non! je joueraile rôle de la pierre; impuissante elle-même à couper, elle

sert à aiguiser la lame. Sans rien écrire moi-même, jedirai la tâche et le devoir du poète; comment il peutenrichir, nourrir, façonner son talent; ce qui est bon, ce

qui est mauvais, où mène le mérite, où conduit la sottise.La raison, voilà le principe et la source de l'art d'écrire

tu trouveras les idées dans la philosophie de Socrate.

Quand tu la posséderas bien, les mots n'auront pas de

peine à suivre. Connais-tu tes devoirs envers ta patrie ettes amis, l'amour dû à tes parents, à ton frère, à ton

hôte, les obligations d'un sénateur, d'un juge, le rôle du

général à la guerre ? Alors, sûrement, tu sauras donner à

chaque personnage son vrai caractère, tu observeras lavie et les hommes comme en un miroir, tu reproduirasce que tu auras vu; ce sera le langage même de la vie.Parfois une pièce renferme de beaux passages, avec descaractères bien dessinés, mais elle n'a ni grâce, ni vigueurdans la construction; pourtant, elle charmera plus sûre-ment le public et réussira mieux à le retenir que des verssans pensée ou d'harmonieuses futilités.

Les Grecs, ces Grecs qui ne prisaient que la gloire, ont

reçu de la Muse le génie et une élocution parfaite. A

Rome, au contraire, les enfants apprennent, par de longscalculs, à diviser un as en cent parties. « Voyons, filsd'Albinus de cinq onces, j'en retranche une, que reste-t-il ?. Tu hésites ?. Un tiers d'as. -Allons, tu pourrasadministrer ton bien, J'ajoute une once. Qu'est-ce quej'obtiens ? Un demi-as. » Quand une fois cette rouille,cette obsession du gain auront empoisonné les esprits,espérons-les capables d'écrire des vers dignes d'être

Page 266: Horace - Oeuvres

268 HORACE

parfumés à l'huile de cèdre ou conservés dans de brillants

coffres de cyprès 9111

Les poètes veulent instruire ou plaire; parfois plaire

et instruire en même temps. Pour instruire, sois concis;

l'esprit reçoit avec docilité et retient fidèlement un court

précepte; s'il est trop long, il laisse échapper tout ce qu'ila reçu de trop. La fiction, imaginée pour amuser, doit, le

plus possible, se rapprocher de la vérité; elle n'a pourtant

pas le droit de nous entraîner partout où il lui plaît, par

exemple devant une Lamie 916qui retirerait de ses entrailles

un enfant vivant qu'elle vient de dévorer. Les vieillards

ne veulent pas d'un poème sans enseignement moral; les

Ramnès dédaigneux ne vont pas voir un drame trop aus-

tère 911; mais il obtient tous les suffrages celui qui unit

l'utile à l'agréable, et plaît et instruit en même temps;

son livre enrichit Sosie le libraire, va même au-delà des

mers, et donne au poète une notoriété durable.

Il y a pourtant des fautes pardonnables. La corde de

la lyre ne donne pas toujours le son que demandent la

pensée et les doigts; on veut une note grave, trop souvent

celle qu'elle renvoie est aiguë. La flèche n'atteint pas

toujours son but. Mais si, dans un poème, les beautés

l'emportent, quelques taches ne me choqueront pas

l'inattention ou la faiblesse humaine les a laissé échapper.

Qu'est-ce à dire ? Le copiste qui, malgré tous les aver-

tissements, fait toujours la même faute, ne mérite pas

l'indulgence; on se moque du joueur de cithare qui

bronche toujours sur la même corde. De même, celui qui

toujours se néglige est pour moi comme ce Chérilus 918,

chez qui je suis, en souriant, tout surpris de trouver deux

ou trois bons vers; et pareillement, je suis furieux quandle bon Homère quelquefois somnole, sans songer que,dans un long poème, il est permis de se laisser un peu aller

au sommeil. Un poème est comme un tableau tel plairaà être vu de près, tel autre à être regardé de loin; l'un

demande le demi-jour, l'autre la pleine lumière, sans

avoir à redouter la pénétration du critique; l'un plaît une

fois; l'autre, cent fois exposé, plaira toujours.

O toi, Pison l'aîné, je sais que ton père a développé en

toi un goût naturel; pourtant, écoute ce précepte et

retiens-le bien; tel art supporte la médiocrité un juris-

consulte, un avocat peut ne pas avoir la puissance de

l'éloquent Messala, ni la science d'Aulus Cascellius 919,

sans cesser d'être estimable. Mais les poètes n'ont pas le

droit d'être médiocres; il leur est refusé par les dieux, par

Page 267: Horace - Oeuvres

ART POÉTIQUE 269

les hommes, par la publicité 920. Dans un repas, d'ailleursbien servi, on est choqué par de la mauvaise musique, des

parfums formant pommade, des pavots au miel de Sar-

daigne 921, parce que le repas pouvait se passer de cesaccessoires. De même, dans un poème, dont le seul objetest l'agrément de la vie, si l'on s'écarte un peu du premierrang, on tombe au dernier. Quand on ne sait pas jouer,on ne va pas au stade; quand on ignore le maniement dela paume, du disque, du cerceau, on reste tranquille;sinon, les spectateurs, pressés dans l'amphithéâtre, ontle droit de se moquer. Et si l'on ne sait pas faire des vers,on a l'audace d'en écrire! « Et pourquoi pas ? Je suis unhomme libre de naissance, je paie le cens des chevaliers,je suis sans reproche. » C'est possible, mais tu ne diras nine feras rien malgré Minerve.

C'est bien là ton sentiment et le fond même de tapensée. Je vais plus loin si un jour tu écris, soumets tonpoème à l'oreille exercée d'un Mécius 922,à celle de tonpère, à la mienne; puis renferme neuf ans ton parchemindans la cassette; tu pourras le détruire, tant qu'il n'aurapas vu le jour; mais le mot une fois parti ne revient plus.

Les hommes vivaient dans les bois, lorsqu'un poètesacré, interprète des dieux, les dégoûta du sang et d'unerépugnante nourriture c'était Orphée; de là, cettelégende, qu'il charmait les tigres et les lions pleins de rage.Autre légende Amphion923, fondateur de Thèbes, met-tait, au son de sa lyre, les rochers en mouvement, et,par la séduction de ses prières, les menait où il voulait.Distinguer l'intérêt général des intérêts privés, le sacrédu profane, interdire les unions vagabondes, régler lacondition des époux, fonder les villes, graver les lois surdes tables de bois, tels furent les premiers effets de lasagesse, telle fut l'origine des honneurs et du caractèredivin attribué au poète. Ensuite, l'illustre Homère etTyrtée924donnèrent par leurs vers du courage aux guer-riers c'est en vers que fut dévoilé l'avenir; c'est au lan-gage des muses qu'eut recours la morale, la cour faiteaux rois; c'est la poésie qui inventa les représentationsdramatiques, ce délassement qui suit les longs travaux.Il n'y a donc pas à rougir de servir la Muse experte à lalyre et Apollon chanteur.

Est-ce à la nature, est-ce à l'art que la poésie doit sonmérite ? On se l'est demandé. Pour moi, je ne vois pas ceque pourrait l'effort sans une fertile veine, ni le géniesans culture; l'un a besoin de l'autre, tous deux s'en-

Page 268: Horace - Oeuvres

270 HORACE

tendent et collaborent.Pour atteindreà la course le but

désiré, on s'astreint dès l'enfance aux fatigueset à la

peine,onbravelechaudet le froid,ons'abstientdeVénuset du vin; le joueur de flûte, qui chante aux jeux

Pythiques925,a commencépar apprendreet par obéir àun maître. Et aujourd'hui, l'écrivainse borne à dire« Moi, je fais des vers admirables!Le dernier est un

galeux!Il n'y a pour moiqu'une honte,melaisserdépas-ser et confesserque j'ignorevraimentce que je n'ai pointappris.»

Semblableau crieur public qui ramassela foulepourune vente, le poète, s'il est gros propriétaireou riche

rentier,appelleautourde lui lesflatteursenfaisantmiroi-ter à leurs yeux un bénéfice926.Qu'il soit, en outre,habileà bien ordonner un plantureuxrepas, à caution-ner un malheureux,à l'arracherauxfâcheusesdifficultésd'un procès,ce sera miracle,s'il est assezheureuxpourdistinguerun menteur d'un ami véritable.Si tu as faitun cadeauouque tu te préparesà en faireun, ton hommesera tout content ce n'est pas le momentde lui lire tes

vers, il ne manquerait pas de s'exclamer Bien! Trèsbien! Parfait! Ton poème amènera la pâleur sur son

visage, de douces larmes dans ses yeux, des trépigne-ments dans ses jambes.Ainsi, dans un convoifunèbre,les pleureusesà gagescrient et gesticulentplus que la

famille,dont la douleurestvraie.Le flatteur,qui au fondsemoque,semontreplusémuqueceluiqui,sincèrement,

approuve.Quand les rois de ce monde veulent savoir si quel-

qu'un mérite leur amitié, ils le soumettent,dit-on, à la

questiondu vin et lui font avalermaintesrasades.Si tufaisdesvers,ne te laissejamaistromperpar desgensquise dissimulentsousune peaude renard. Quandon venaitlire desversà QuintiliusVarus927:«Je t'en prie,disait-il,faiscettecorrection,puis cetteautre. »Répondais-tuquetu ne pourraismieuxfaire, que tu avaistrois ou quatrefois essayéen vain, il te disait alors de tout effaceretde remettre sur l'enclumeles versmal venus. Aimais-tumieux défendreta faute que de la corriger,il n'ajoutaitpas un mot, renonçait à toute insistanceinutile, et telaissait t'admirer tout seul et sans rivaux. L'honnête

homme,le sage,critiqueralesversfaitssansart, condam-neraceuxquisont durs, effacerad'un traitdeplumeceux

qui manquentde grâce,supprimeralesornementsambi-

tieux, demandera qu'on éclaire les passages obscurs,

Page 269: Horace - Oeuvres

ART POÉTIQUE 271

dénoncera les expressions ambiguës, notera les change-ments nécessaires; il deviendra un Aristarque 928; il nedira pas « Pourquoi blesser un ami à propos de baga-telles ? » Ces bagatelles feront un jour le malheur du

poète, quand le public l'accueillera par des moqueries etdes sifflets.

On redoute et on évite le malheureux en proie à la gale,à la jaunisse, aux fureurs fanatiques, à la colère de

Diane 929; le sage ne fait pas autrement pour le poèteinsensé; les enfants le tourmentent et le poursuivent sansse garer des coups. Lui, la tête en l'air, hurle ses vers etva à l'aventure. Qu'il lui arrive, comme à l'oiseleur quiguette les merles, de tomber dans un puits ou une fosse,laissez-le s'égosiller à crier « Au secours, citoyens »,gardez-vous de le retirer. A ceux qui voudraient lui veniren aide et lui lancer une corde, je dirai « Savez-vous s'ilne s'est pas jeté à dessein dans ce trou, et s'il veut vrai-ment qu'on le sauve ? » et je raconterai la légende du

poète de Sicile, Empédocle, qui voulut se faire passerpour un dieu, et, de sang-froid, se précipita dans lesflammes de l'Etna. Le poète a la liberté et le droit de sedonner la mort; le sauver, malgré lui, c'est le tuer. Cen'est pas la première fois qu'on en voit agir ainsi sauvez-

le, il ne redeviendra pas un simple mortel, et ne renon-cera pas à la gloire d'une mort fameuse. On ne voit d'ail-leurs pas bien pourquoi il s'acharne à écrire en versa-t-il donc sali le tombeau de ses pères ? souillé l'endroitredoutable marqué par la foudre ? ce qui n'est pas dou-

teux, c'est qu'il est fou comme un ours qui a réussi àbriser les barreaux de sa cage, il met, par ses odieuses

déclamations, ignorants et savants en fuite; qu'un mal-heureux se laisse prendre, il s'agrippe à lui et ne le lâche

que mort; la sangsue ne se détachera de la peau quegorgée de sang.

Page 270: Horace - Oeuvres
Page 271: Horace - Oeuvres

NOTES

Page 272: Horace - Oeuvres
Page 273: Horace - Oeuvres

ODES

LIVRE PREMIER

I

L'ode première est adressée à Mécène. Elle sert de

dédicace au premier recueil comprenant les trois premiers

livres des odes.

Horace y énumère les goûts divers des hommes et reven-

dique pour lui la gloire de poète lyrique.

I. Mécène descendait de chefs étrusques, les Lucu-

mons, qui avaient l'autorité royale dans Arretium.

2. Les trois magistratures en question sont l'édilité,la préture et le consulat.

3. La provincede Libye était le meilleurgrenierdeRome.

4. Les richessesdes Attales,rois de Pergame,étaientconsidérable,etAttaleIII avaitléguéàRomesonroyaume(133av. J.-C.).

5. L'île de Myrtoest au sud de l'Eubée.6. Le vin de Massique,récoltéau N.-O. de la Campa-

nie, étaitfameux.

7. Il y avait beaucoupde sangliersdans le pays desMarses (Samnium),au N.-E. du Latium.

8. Le lierreétait consacréà Bacchus.

9. Euterpe, muse de la Musique;Polymnie,muse dela poésielyrique.

10. Lebarbitonétaitunegrandelyre;il avaitété inventépar Terpandre,de Lesbos.

II

Ecriteprobablementen 29 av. J.-C., cetteode évoquetoutes les calamitésqui suivirentla mort de César.Quel

Page 274: Horace - Oeuvres

276HORACE

dieu délivrera Rome de ces misères ? Ce sera, sans doute,sous les traits de Mercure, Auguste qui mettra fin aux

guerres et rétablira la concorde entre les citoyens.

I:I. Les deux cimes du Capitole.

12. Pyrrha, femme de Deucalion, qui, seule avec lui,échappa au déluge.

13. Protée, dieu marin, gardien du troupeau de Nep-tune.

14. Une inondation du Tibre qui avait désolé la rive

gauche, assez basse, tandis que la droite est escarpée,avait renversé l'Atrium et le temple de Vesta, peu aprèsla mort de César.

15. Ilia (Rhéa Silvia), mère de Romulus et de Rémus,jetée dans le Tibre, qui l'épousa.

15 bis. C'est ainsi que le poète nomme les Parthes.

16. Vénus, à qui un temple était élevé sur le mont

Eryx, en Sicile.

17. Mars, le père des Romains.

18. Mercure, identifié ici avec Auguste.

III

Les trois premiers livres d'odes parurent en 23. Or,Virgile ne devait faire qu'un seul voyage en Grèce, quatreans plus tard, en 19,au retour duquel ilmourut à Brindes.Il faut donc supposer qu'il songeait à ce voyage depuisplusieurs années et qu'Horace écrivit cette ode à unmoment où il projetait de se mettre en route, mais où ilne donna pas suite à ce projet.

Après des vœux d'heureux voyage, Horace s'emportecontre l'audace des hommes qui ont osé affronter les

dangers de la mer, et, en général, contre leur folie, quiles pousse à tout entreprendre contre la volonté divine.

19. La déesse de Chypre, Vénus.

20. Castor et Pollux.

21. Eole.

22. L'Iapyx, vent du N.-O., favorable à la traversée

d'Apulie ou Iapygie en Grèce.

23. Les Hyades, étoiles dont le lever et le coucher

s'accompagnaient de tempêtes. Le Notus, vent du Sud.

24. Les roches acrocérauniennes, promontoire de

l'Epire, aujourd'hui le cap de la Chimère.

25. Le fils de Japet, Prométhée.

Page 275: Horace - Oeuvres

NOTES 277

IV

Cette ode a été adressée par Horace, à une date incon-

nue, à un de ses plus anciens amis, Sestius. Le poète ychante le retour du printemps; la vie est courte, il faut

profiter de ce qu'elle nous donne.

26. Les mânes, ou âmes des morts, ne sont que desvisions.

27. Tout, dans le monde des Enfers, est vain et insai-

sissable.

v

La courtisane Pyrrha a englué un jouvenceau, qui souf-frira plus tard de ses trahisons. Horace, lui, est heureu-

sement guéri de l'amour qu'il eut pour elle.Date incertaine.

VI

Agrippa, ami et plus tard gendre d'Octave, avait sansdoute demandé à Horace de chanter ses vertus guerrières.Horace s'excuse la poésie épique lui fait peur; il préfèreles chansons à boire ou la poésie érotique. Ode écrite

probablement en -30.

28. Varius, poète tragique, ami de Virgile, avait écrit

une tragédie de Thyeste (vers 8).

29. Homère, né en Méonie ou Lydie.

30. Mérion, conducteur du char d'Idoménée.

31. Diomède, fils de Tydée, lutte avec l'aide de Minervecontre Mars (Arès) et Vénus (Aphrodite) [Iliade, V,330 sq., 596 sq.].

VII

Cette ode, composée vers 29, est adressée à MunatiusPlancus, qui avait maintes fois, sous le premier et lesecond triumvirat, changé de camp. Il songe alors às'exiler. Horace lui conseille de choisir, moins les villesgrecques, que la douce retraite de Tibur, et il lui cite

l'exemple de Teucer.

32. De la grotte d'Albuna, près de Tibur, sortait une

eau sulfureuse. L'Anio prend sa source dans cette grotteet tombe en cascade d'une hauteur de soixante mètres.

33. Tiburnus, fondateur de Tibur.

Page 276: Horace - Oeuvres

278 HORACE

34. Teucer, fils de Télamon, roi de Salamine, fut, au

retour de la guerre de Troie, chassé par son père, parce

qu'il n'avait pas empêché le suicide de son autre fils,

Ajax.

35. Lyée, « Bacchus libérateur ». Le vin délivre des

soucis.

36. Cette autre Salamine fut fondée par Teucer dans

l'île de Chypre.

VIII

Dans cette ode, écrite à une date inconnue, Horace

reproche à Lydie d'efféminer Sybaris et de l'éloignerdes exercices virils auxquels il se plaisait avant de laconnaître.

37. Les dents de loup (lupata frena) sont des morsarmés de pointes qui servaient à dompter les chevaux

fougueux, notamment les chevaux gaulois.

38. Achille, fils de Thétis, elle-même fille de Nérée,le vieillard de la mer (marinae), avait été caché par sa

mère à Scyros, sous des vêtements de femme, parmi les

filles du roi Lycomède. Il y fut découvert par le rusé

Ulysse.

IX

Ecrite probablement en -30, cette ode, imitée d'Alcée,est adressée à un personnage de fantaisie, Thaliarque. C'est

l'hiver, il convient de se chauffer et de boire, de ne passe préoccuper du lendemain et de jouir de la jeunesse.

39. Le Soracte, montagne de la campagne romaine,

aujourd'hui Monte San Oresto.

X

Cette ode fut écrite à une date inconnue. C'est l'élogede Mercure, identifié à l'Hermès grec, et dont so.it rap-

pelés la plupart des attributs. Elle est imitée d'Alcée.

40. Il s'agit ici de la démarche faite par Priam auprèsd'Achille, pour que lui soit rendu le cadavre d'Hector en

échange de riches présents.

XI

Leuconoé, à qui est adressée cette ode, à une date

incertaine, est peut-être un personnage imaginaire. En

Page 277: Horace - Oeuvres

NOTES 279

tout cas, la croyance à l'astrologie commençait à se répandrebeaucoup à Rome, surtout parmi les femmes. C'est cettetendance que combat Horace. Jouissons du présent, sanschercher à connaître l'avenir.

41. Les nombres babyloniens ou chaldéens, la Chaldéeétant le pays de l'astrologie.

XII

Cette ode, écrite après le mariage (25) et avant la mort

(23 av. J.-C.) de Marcellus, et qui est, au début, uneimitation de Pindare, est composée à la gloire des dieux,des demi-dieux, des héros, des grands personnages de

Rome, et se termine par la glorification d'Auguste.

42. Clio, muse de l'histoire, qui célèbre la gloire.

43. L'Hélicon, en Béotie; le Pinde, entre la Thessalie et

l'Epire; l'Hémus, entre la Thrace et la Mésie, montagnesconsacrées aux Muses.

44. Vierge redoutable aux bêtes, Diane.

45. Les fils de Léda, Castor et Pollux.

46. Enumération de héros romains, célèbres à la fois

par leurs vertus guerrières et la noble simplicité de leur

caractère.

47. La bataille de Cannes, où fut tué le consul Paul-Emile.

48. Il s'agit de Marcellus, le vainqueur de Syracuse,mais c'est en même temps une allusion au jeune beau-fils d'Auguste.

49. Les Sères habitaient le Tibet, la Tartarie et la

Chine.

XIII

Chanson d'amour, où la passion persistante du poète

s'emporte contre le rival qui l'a supplanté dans l'amourde Lydie.

Date incertaine.XIV

Imitation d'Alcée, mais, en même temps, allusion très

probable aux guerres civiles. Puisse le vaisseau de l'Etatne pas s'exposer de nouveau à la tempête. Ecrite proba-blement en 32, au moment où se préparait la guerre quidevait finir à Actium.

50. Les forêts du Pont fournissaient un bois excellent

pour la construction des navires.

Page 278: Horace - Oeuvres

280 HORACE

5I. Le marbre des Cyclades donnait aux îles un aspectétincelant.

XV

Nérée, divinité de la mer, prophétise à Pâris les mal-

heurs qui, à la suite de l'enlèvement d'Hélène, doivent

fondre sur Troie. Sans affirmer qu'il y ait ici une allusion

à la lutte d'Octave contre Antoine et Cléopâtre, on peut

placer cette ode en 30.

52. Dardanus, ancêtre des Troyens.

y3. Cnosse, capitale de la Crète, pays célèbre par l'ha-

bileté de ses archers.

5¢. Tous les personnages énumérés ici sont des héros

de l'lliade Ajax, fils d'Oïlée; Ulysse, fils de Laërte;le vieux Nestor, roi de Pylos; Teucer, fils de Télamon

(cf. Odes I, VII, 20); Sthénélus, fils de Capanée; Mérion

(cf. Odes I, vi, 15); Diomède (cf. Odes I, VI, 16).

55. La colère d'Achille retient le héros loin du combat

et retarde la victoire des Grecs; tant que dure sa colère,sa flotte reste éloignée de la lutte.

XVI

Cette ode, dont la date est incertaine, est un exemplede palinodie (rétractation). Horace demande à une femme

qu'il a autrefois injuriée, d'oublier ses injures et de lui

rendre son affection. La colère engendre mille maux; on

a tort de s'y laisser aller.

56. Le mont Dindyme, près de Pessinonte en Asie

Mineure, sur lequel Cybèle avait un temple.

57. Apollon adoré à Pytho, ancien nom de Delphes.

58. Bacchus libérateur.

59. Les Corybantes ou Galles, prêtres de Cybèle, se

livraient, dans les montagnes, à des danses furieuses en

frappant sur leurs cymbales.

60. La Norique (Bavière ou Tyrol) avait des mines de

fer réputées (cf. Epodes, XVII, 21).

61. Thyeste servit à son frère Atrée les membres de

ses fils, Plisthène et Tantale, dans un festin où il pré-tendait se réconcilier avec lui.

XVII

Horace invite Tyndaris à venir dans sa maison de cam-

Page 279: Horace - Oeuvres

NOTES 281

pagne; elle y trouvera une vie douce, abondante et facile,et sera à l'abri des violences et de la jalousie de Cyrus.Peut-être 28 av. J.-C.

62. Le Lucrétile, montagne de la Sabine, près de la

maison d'Horace.

63. Le Lycée, montagne de l'Arcadie, consacrée à Pan,

qui est assimilé à Faunus.

64 Ustica, colline voisine de la maison d'Horace.

65. La lyre de Téos, patrie du poète grec Anacréon.

66. Pénélope et la magicienne Circé aiment toutes

deux Ulysse.L'épithète de vitrea, donnée à Circé, est appliquée

à tout ce qui concerne la mer.

67. Les deux noms de Sémélé et de Thyonée étaient

donnés à la mère de Bacchus.

XVIII

Dans cette pièce, imitée d'Alcée, Horace chante le vin;mais il en condamne l'usage immodéré. Le Varus à quielle est adressée est sans doute celui dont il déplore la

mort dans l'ode xxiv du livre I, à Virgile. Cette mort est

de 24 av. J.-C. La présente pièce est sans doute de l'année

précédente.

68. Catilius ou Catilus, un des fondateurs de Tibur,avec son frire Tiburtinus (cf. Odes I, VII).

69. Les Lapithes, peuple de Thessalie, avaient pourroi Pirithoüs. Lors du mariage de ce dernier avec Hip-

podamie, les Centaures, invités à la noce, s'enivrèrent et

cherchèrent querelle aux Lapithes, qui furent les plusforts.

70. Les Sithoniens, peuplade thrace ainsi nommée de

son ancien roi Sithon, se battaient après boire. Evius,surnom de Bacchus (du cri des Bacchantes Evohé).

71. Bassareus, autre surnom de Bacchus; c'est le nom

de la peau de renard portée par les Bacchantes.

72. Le mont Bérécynthe, en Asie Mineure, où était

adorée Cybèle.

XIX

Chanson d'amour en l'honneur de Glycère. Date incer-

taine.

73. La mère des Désirs, Vénus, qui fait souffrir.

Page 280: Horace - Oeuvres

282 HORACE

74. Bacchus.

75. Une des manœuvres les plus ordinaires des Parthesconsistait à fuir devant l'ennemi, puis à se retourner

brusquement de temps en temps pour lancer des flèches.

xx

Billet d'invitation adressé à Mécène, probablement en26. Horace profite de l'occasion pour rappeler à son amiun souvenir qui doit lui être cher, celui des applaudis-sements qui l'accueillirent, en 30, au théâtre, après une

grave maladie.

76. Le vin de la Sabine était âpre au goût. Horaceavait amélioré le sien en le conservant dans des amphoresqui avaient contenu du vin grec.

77. La canthare est une coupe évasée peu profonde.

78. Mécène ne remplissait aucune fonction officielle;c'était un simple chevalier. Le Tibre était le fleuve deson pays, l'Etrurie.

79. Horace énumère quatre crus cëlèbres le Cécube,le Falerne, le Calès étaient des vins du Sud (Campanie).Le Formies était un vin latin.

XXI

Cette ode, peut-être écrite en 28, pour la célébrationdes premiers jeux quinquennaux, institués en l'honneurd'Actium, est une invitation faite par le poète aux jeunesgens et aux jeunes filles de chanter les louanges de Dianeet d'Apollon.

80. Le Cynthe, montagne de Délos, l'île natale deDiane et d'Apollon.

81. L'Algide, montagne du Latium; l'Erymanthe,montagne d'Arcadie; le Cragus, montagne de Lycie,toutes trois consacrées à Diane.

82. La vallée de Tempe, en Thessalie, où Apollon étaithonoré, s'étant jadis, après avoir tué le serpent Python,purifié dans l'onde du Pénée.

83. Apollon avait reçu la lyre de son frère Hermès(Mercure), qui l'avait inventée.

84. Les Parthes (Perses) et les Bretons, aux deux extré-mités de l'empire, constituaient un danger pour lesfrontières.

Page 281: Horace - Oeuvres

NOTES283

XXII

Cette ode, écrite peut-être en 25, est adressée à AristiusFuscus (cf. Epîtres 1, x). Quand on a la conscience pure,on n'a rien à redouter. En quelque endroit' qu'il soit,Horace peut chanter son amour pour Lalagé.

85. Les deux Syrtes, au nord de l'Afrique, aujourd'huigolfes de Sidra et de Kabs.

86. L'Hydaspe, sous-affluent de l'Indus, sur lequelcouraient de merveilleux récits. C'est, de nos jours, leDjelem.

87. L'Apulie, colonisée jadis par Daunus, beau-pèrede Diomède, terre de guerriers.

88. La terre de Juba, Numidie (Algérie), s'il s'agit deJuba Jer, ou Mauritanie (Maroc), s'il s'agit de Juba II, sonfils.

89. Jupiter ici signifie l'air malus mauvais, méchant,glacial.

XXIII

Petite pièce, ode amoureuse, imitée, à une date incer-taine, d'Anacréon.

90. La Gétulie, actuellement la Kabylie.

XXIV

Dans cette ode adressée à Virgile, en 24 av. J.-C.,Horace déplore la mort de leur ami commun, QuintiliusVarus, excellent critique, dont nous retrouvons l'élogedans l'Art poétique(438).

9I. Melpomène, muse de la tragédie, qu'Horace invoquehabituellement dans les odes graves et sérieuses.

xxv

Dans cette pièce, de date incertaine, Horace exhale unejoie méchante à voir vieillir une ancienne maîtresse dontil s'est détaché.

92. Le vent de Thrace Boréas, vent froid du Nord-Est.

93. L'Eurus, vent du Sud-Est, qui provoquait d'ordi-naire la tempête.

Page 282: Horace - Oeuvres

284HORACE

XXVI

Petite odelette dans laquelle Horace, probablement en

30 av. J.-C., invoque la Muse pour chanter la gloire de

Lamia. Il y avait deux frères de ce nom, Nlius et Lucius,

sans qu'on puisse dire avec certitude duquel il est ici

question.

94. La mer de Crète était particulièrement orageuse.

95. Tiridate, roi des Parthes, qui connut des alterna-

tives de succès et de revers.

96. Le mont et la ville de Pimpla, en Macédoine, lieu

consacré aux Muses.

97. La poésie lesbienne, celle d'Alcée et de Sapho,

qu'Horace se glorifie d'avoir fait connaître à Rome.

XXVII

Ecrite à une époque incertaine, cette ode est un petit

tableau pittoresque et animé. Horace imagine qu'il rejoint

des amis à table au moment où, ayant trop bu, ils se

querellent. Pour faire cesser la dispute, il questionne un

des convives sur ses amours et le plaint d'être mal tombé.

98. L'Opontienne, parce qu'elle est née à Oponte, ville

grecque de Locride.

99. Charybde, l'un des deux gouffres du détroit de

Messine, l'autre est Scylla.

100. La Thessalie était célèbre par ses magiciens et ses

poisons.

101. La Chimère, que tua Bellérophon, monté sur

Pégase, était un monstre, lion par le haut du corps, chèvre

par le milieu, serpent par le bas.

XXVIII

Cette ode, dont l'interprétation a été très discutée,

semble être, non comme plusieurs l'ont dit, un dialogue

entre Archytas et un matelot, mais un monologue dans

lequel un naufragé, après une invocation à Archytas,

demande à un matelot de ne pas le laisser sans sépulture.

Ensevelir les morts est un devoir, puisqu'il n'est pas un

homme qui ne soit condamné à mourir. La date de cette

pièce n'est pas connue.

102. Archytas de Tarente, homme d'Etat et géomètre

Page 283: Horace - Oeuvres

NOTES 285

(IV siècle av. J.-C.), ami de Platon, disciple de Pythagore,enseveli près du mont Matinus, sur la côte d'Apulie.

103. Le père de Pélops, Tantale.

104. Tithon, frère de Priam, époux de l'Aurore.

105. Minos, un des juges des Enfers, roi de Crète, qui

reçut de Jupiter même les lois de son pays.

106. Le fils de Panthoos, Euphorbe, qui mourut au

siège de Troie. Suivant la doctrine de la métempsychose,

Pythagore prétendait que l'âme d'Euphorbe s'était réin-carnée en lui; et il en donnait comme preuve le fait qu'ilavait, sans être éclairé par un signe extérieur, reconnu le

bouclier d'Euphorbe suspendu dans le temple de Junon,à Argos.

107. Il en est qui sont tués à la guerre, c'est un spectacleque les Furies donnent au dieu Mars.

I08. Quand, au mois de novembre, la constellationd'Orion descendait à l'horizon, les tempêtes étaient sou-levées par le Notus, vent du Midi.

109. Tarente, sur la mer Ionienne, fondée par Taras,fils de Neptune.

XXIX

Iccius, à qui est adressée cette ode, est le même que le

destinataire de l'épître xII du livre I (voir cette épître).Horace s'étonne de le voir prêt à faire la guerre, alors queses goûts le portaient vers la philosophie.

IIO. Le pays sabéen, une des plus riches régions del'Arabie.

III. Les Sères, cf. Odes I, XII, 56.

112. Quel enfant sera préposé au cyathe, ce nom étantdonné au vase à anse avec lequel l'échanson puisait dansle cratère le vin qu'il versait ensuite dans les coupes.

113. Panétius de Rhodes (IIe siècle av. J.-C.), ami de

Scipion et de Lélius, philosophe stoïcien, que Cicérondevait imiter dans le De Officiis.

114. Les fers espagnols étaient réputés.

xxx

Invocation à Vénus, qui avait un temple à Cnide, en

Carie, et à Paphos, dans l'île de Chypre. Date incertaine.

115. L'Enfant ardent, Cupidon.

Page 284: Horace - Oeuvres

286 HORACE

XXXI

Au moment où, en 28, est dédié le temple élevéà Apol-lon en souvenir d'Actium, Horace n'oublie pas qu'à ce

temple est adjointe une bibliothèque publique. Aussi, eninvoquant le dieu, ne lui demande-t-il pas la richesse,mais une vie simple, la santé, une verte vieillesse etl'amour des vers.

116. La Sardaigne était, comme la Sicile, un des

greniers de Rome.

117. En Calabre les troupeaux allaient passer l'hiver.

118. Le Liris, aujourd'hui le Garigliano, limite méri-dionale du Latium.

II9. Calès sur la Voie Latine, cf. Odes I, xx, 9.

XXXII

Composée peut-être vers 27 av. J.-C., cette ode, dans

laquelle Horace invoque sa lyre, chante la gloire d'Alcée,qui a écrit aussi bien des odes bachiques et amoureuses

que des poésies guerrières.

120. Barbiton, grande lyre à sept cordes, cf. Odes I,1,34-

121. Le citoyen de Lesbos, Alcée.

122. Lycus, éphèbe chanté par Alcée.

XXXIII

Ode adressée sans doute à Tibulle, à une date incer-

taine. Horace lui conseille de ne pas se désoler des refusde Glycère. Vénus prend plaisir à contrarier les vœuxdes amants et à rapprocher les êtres les moins faits pours'entendre.

xxxiv

La philosophie d'Epicure (insaniens sapientia) avaitdétourné le poète des croyances religieuses. Un danger

qu'il a couru l'y ramène. Date inconnue.

123. Le Ténare, aujourd'hui cap Matapan, au sud duPéloponnèse. Là, se trouvait, disait-on, une des entrées desEnfers.

Page 285: Horace - Oeuvres

NOTES 287

HORACE 10

xxxv

Cette ode, composée en 27, au moment où Auguste

préparait une expédition contre les Bretons et en projetaitune autre contre les Arabes, est une invocation à la For-tune. Horace chante cette déesse, ses bienfaits, son cor-

tège habituel, et lui demande de réparer les malheurs des

guerres civiles en protégeant le prince et son armée.

124. Antium, ville du Latium où s'élevait un templeà la Fortune avec deux statues celle de la Fortune équestre,c'est-à-dire guerrière, et de la Fortune fertilisante.

125. La Bithynie fournissait d'excellent bois pour lesnavires. L'île de Carpathos était située entre Rhodes etla Crète.

126. Carpathos, aujourd'hui Scarpanto, est une îleentre la Crète et Rhodes.

127. La Dacie, actuellement la Roumanie. La Scythie,Russie du Sud.

128. La Nécessité est représentée avec ses attributshabituels clous, crocs, coins, plomb fondu, tout ce quiest nécessaire à la construction.

129. Il arrive que la Fortune abandonne ceux qu'ellea jusqu'alors favorisés; même à ce moment, l'Espéranceet la Bonne Foi restent auprès des infortunés, qui ne sont

quittés que par les êtres faibles et les faux amis.

130. Les pays de l'Orient et l'océan Rouge (mer Rouge,golfe Persique et mer d'Oman).

131. Les Massagètes, sur les bords de la Caspienneet de la mer d'Aral.

xxxvi

Horace invite à dîner son ami Numida, que nous neconnaissons pas autrement, au moment où il revient dese battre en Espagne (probablement 25 av. J.-C.). Cesera pour tout le monde un jour de fête.

132. L'Hespérie désigne ici, non l'Italie, comme d'or-

dinaire, mais l'Espagne.

133. Lamia, cf. Odes I, xxvi.

134. Les Saliens, prêtres de Mars, dansaient en portantles boucliers sacrés.

135. La coupe thrace, assez grande, était remplie jus-qu'au bord et il fallait la vider d'un trait.

Page 286: Horace - Oeuvres

288 HORACE

XXXVII

La victoire d'Actium est de septembre 3I. Cette odefut écrite aussitôt que la nouvelle en arriva à Rome. Sans

parler d'Antoine, Horace s'en prend uniquement à Cléo-

pâtre du danger que courut alors la République; mais ilne manque pas d'opposer aux folles ambitions de l'Egyp-tienne son courage dans la défaite et l'héroïque beautéde son suicide. La grandeur même de celle qui a été vain-

cue rend plus beau le triomphe du vainqueur.

136. Les repas corporatifs des Saliens étaient réputés

pour leur magnificence.

137. Le Cécube, cf. Odes I, xx, 9.

138. Ce sont en réalité les vaisseaux d'Antoine quifurent incendiés. Ceux de Cléopâtre échappèrent par lafuite.

139. Le territoire de Maréa, près d'Alexandrie, pro-duisait un vin doux et capiteux.

140. L'Hémonie, ancien nom de la Thessalie.

141. Les Liburnes, pirates d'Illyrie, avaient des bateaux

légers et rapides, dont un certain nombre avaient combattuà Actium dans la flotte d'Octave.

XXXVIII

Cette jolie petite pièce, écrite à une date incertaine,témoigne des goûts simples d'Horace. Le myrte lui suffitcomme couronne quand il boit sous sa vigne; il suffit éga-lement à son échanson, qui lui verse à boire.

Page 287: Horace - Oeuvres

LIVRE DEUXIÈME

I

Asinius Pollion, grand jurisconsulte, grand orateur,grand général, avait été un ami d'Antoine. Quand lalutte éclata entre ce dernier et Octave, il refusa de prendreparti et désormais se consacra aux lettres créateur deslectures publiques, auteur tragique, il avait écrit unehistoire des guerres civiles, dont nous n'avons que quelquesfragments. C'est de cette œuvre que parle ici Horace,et le tableau qu'il brosse lui-même de cette triste époqueest plein d'énergie et de couleur. L'œuvre est postérieureà 30, sans qu'il soit possible de préciser.

142. Le premier triumvirat fut conclu sous le consulatde Métellus, en ~6o. C'est vraiment la cause initiale desguerres civiles.

143. La muse de la tragédie, Melpomène, sera absentedu théâtre tant que Pollion n'écrira pas de tragédie.

144. Cécrops est le premier roi d'Athènes; la tragédieest athénienne.

145. En 39, Pollion, vainqueur des Parthéniens, peu-plade dalmate, avait eu les honneurs du triomphe.

146. Caton d'Utique se tua pour ne pas se soumettreà César.

147. Suivant les idées anciennes, un peuple vaincu étaitabandonné par ses dieux protecteurs. Junon et les autresdieux quittent donc l'Afrique après la ruine de Carthageet la défaite de Jugurtha. Mais les Romains vainqueursreviennent en Afrique pour se battre entre eux victoirede César à Thapsus (-46) sur les Pompéiens et leur allié,Juba, roi de Numidie.

148. La Daunie ou Apulie, pour l'Italie tout entière.

149. Simonide de Céos (vIe siècle av. J.-C.), auteurde thrènes ou chants de deuil.

Page 288: Horace - Oeuvres

290HORACE

150. Dioné, mère de Vénus.

II

L'avarice est, comme l'hydropisie, un mal dont il faut

savoir se guérir; l'argent n'a de valeur que par le bon

usage qu'on en fait. C'est ce qu'Horace expose à Sallustius

Crispus, petit-neveu et fils adoptif du grand historien,

qui avait hérité des immenses richesses de son oncle et

n'en mésusait pas. Ecrite probablement en 24.

151. Les frères de Proculéius ayant été ruinés par les

guerres civiles, celui-ci partagea entre eux son patrimoine.

152. Gadès, aujourd'hui Cadix en Espagne. Les Car-

thaginois avaient, avant la deuxième guerre punique,

conquis le sud de l'Espagne. Les deux Carthage sont

celle d'Afrique et celle d'Espagne, « la nouvelle Carthage »,

Carthagène.

153. Phraate, roi des Parthes, chassé par Tiridate, avait

été rétabli sur le trône en 25.

III

A Q. Dellius qui, pendant les guerres civiles, avait

passé d'un parti à un autre, Horace adresse, probablement

en 24, cette profession de foi épicurienne. La vie est

courte, jouissons-en, mais que la modération règle nos

désirs. C'est l'une des plus jolies odes d'Horace.

154. Les vins les plus vieux, portant une étiquette

(nota) avec le nom des consuls, sont au fond du cellier

(interiore).

155. Inachus, fils de l'Océan et de Téthys, premierroi d'Argos, un des personnages mythiques les plus anciens.

IV

Horace avait plus de 40 ans quand il écrivit cette ode

où, s'adressant probablement à un personnage de fan-

taisie, il l'engage à ne pas rougir d'avouer son amour

pour une jolie servante; peut-être d'ailleurs celle qu'ilaime est-elle d'origine royale.

156. Agamemnon, fils d'Atrée, obtint pour sa part

Cassandre, fille de Priam, qu'il emmena à Mycènes.

157. Achille était roi des Myrmidons, peuplade de

Thessalie.

Page 289: Horace - Oeuvres

NOTES 291

v

Dans cette ode, dont il est difficile de fixer la date, etdont certains vers sont inspirés d'Anacréon, Horace,s'adressant à lui-même ou à un de ses compagnons habi-

tuels, déclare que Lalagé est encore trop jeune pourl'amour et qu'il faut savoir attendre.

158. Gygès, de Cnide. A Cnide, ville de Carie, s'éle-

vait un temple dédié à Vénus. Gygès est comparé au filsde Vénus, Cupidon.

159. Le poète fait ici allusion à Achille, caché parmiles filles de Lycomède et qu'Ulysse reconnut pourtant.

VI

Cette ode gracieuse, d'une poésie familière, est adressée,en 27, à Septimius (cf. Epîtres I, ix). A son ami, qui est

prêt à l'accompagner au bout du monde, Horace déclarequ'il ne met rien au-dessus de Tibur ou de Tarente, etc'est bien là qu'il espère finir sa vie.

160. Le Galèse (Galaso) se jette dans la mer à Tarente.On entourait d'une peau les brebis de Tarente, afin depréserver leur laine, qui était très recherchée. Tarente futfondée, au vxlle siècle, par le Lacédémonien Phalanthe.

161. L'Hymette, montagne de l'Attique, dont lesabeilles faisaient un miel universellement connu.

162.Vénafre, ville de la Campanie, près d'une montagneplantée d'oliviers.

163. L'Aulon, coteau vignoble voisin de Tarente.

vil

Ecrite probablement en 30, après l'amnistie qui suivitActium, cette ode, adressée à Pompéius Varus, dont nousne savons rien de plus que ce qu'Horace nous dit ici,évoque la bataille de Philippes, où la jeunesse romainefut défaite avec Brutus et Cassius. Le poète se réjouitdu retour de son ami et se dispose à le fêter avec lui.

164. Sur la conduite d'Horace à Philippes, cf. Intro-duction.

165. Mercure aime les poètes; c'est lui qui a inventéla lyre.

Page 290: Horace - Oeuvres

292 HORACE

166. Le ciboire était une grande coupe, à pied et à deux

anses, étroite en bas, évasée en haut.

167. Massique, cf. Odes I, i,

r68. Les Edoniens, peuplade thrace.

VIII

Bariné a l'habitude de manquer à ses serments; et ilsemble qu'à chaque parjure elle soit plus belle. Date

incertaine.

IX

C. Vulgius Rufus avait une réputation bien établie de

poète, grammairien, rhéteur, voire médecin. Il avait perduun jeune esclave et s'affligeait outre mesure de cette perte.Horace, probablement en 24, lui conseille la modérationet lui demande de s'intéresser plutôt, avec lui, aux succès

militaires d'Auguste.

169. Le Garganus (Monte Gargano), promontoired'Apulie.

170. Le vieux Nestor perdit son fils au siège de Troie.

171. Troïlos, fils de Priam et d'Hécube.

172. Le Niphate, montagne d'Arménie. Pour Lucain,Silius Italicus et Juvénal, c'était un fleuve.

173. Le fleuve mède est l'Euphrate.

174. Les Gélons, peuplade sarmate ou scythe desbords orientaux du Tanaïs, le Don actuel.

x

Adressée à Licinius Muréna, fils du consul défendu

par Cicéron, beau-frère de Mécène, et qui devait êtrecondamné à mort, en 22, pour complot contre Auguste,cette ode, comme l'ode III du livre II, célèbre cette philo-sophie du juste milieu, chère à Horace. Une âme égale,telle est la vraie source du bonheur.

175. L'aurea mediocritas d'Horace, c'est le juste milieu,préférable à toute autre condition, comme l'or est supé-rieur à tous les métaux, et non, comme on le dit souvent,la médiocrité dorée.

XI

Encore une ode où respire la plus pure doctrine épicu-

Page 291: Horace - Oeuvres

NOTES293

rienne. Laissons de côté la politiqne, et jouissons de la

vie, tant que nous ne sommes pas encore trop vieux.Le destinataire est le perssonnage à qui es adressée

l'épître xvi du livre I (cf. cette épître). Les événementsauxquels il est fait allusion (guerre des Cantabres, guerredes Parthes) permettent de dater cette ode de -25.

176. Le nard est une plante d'où est tiré le parfum dumême nom. Assyrien pour Syrien.

177. Evius (Euhius), cf. Odes I, XVIII, 9.

XII

Mécène avait sans doute demandé à Horace de chanterles guerres d'Auguste. Le poète s'y refuse. Sa muse n'estpas faite pour les grands sujets; elle dira plutôt l'amourde Mécène et de Licymnie, ce nom paraissant désignerTérentia, la femme de son ami. Cette ode a été com-

posée en -29.

178. La guerre de Numance (Espagne), en 141 av. J.-C.,et les guerres puniques (me siècle av. J.-C.).

179. Les Lapithes, cf. Odes I, xvm, 8.

180. Hylée, un des Centaures, qui prit part à la lutteentre les Centaures et les Lapithes.

181. Les fils de la Terre, les Géants, qui luttèrentcontre les dieux; Hercule prit parti pour ces derniers.

182. Achéménès, chef de la famille des Achéménides,qui donna des rois à la Perse.

183. Le roi phrygien Mygdon combattit les Amazones.

184. Comme les Perses et les Phrygiens, les Arabesétaient réputés pour leurs richesses.

XIII

Horace avait failli, en 30, être écrasé par la chute d'unarbre, dans son domaine de la Sabine. C'est de cet acci-dent qu'il nous entretient ici, comme il le fera encore

(Odes II, xvii et III, iv). Il maudit l'arbre qui aurait pu letuer et envoyer aux Enfers le poète lyrique de Rome,qui y aurait retrouvé Sapho et Alcée, ses modèles grecs.

185. Le village de Mandéla, voisin de sa propriété.

186. La Colchide, près du Caucase, pays de Médée, lacélèbre magicienne.

187. Le Bosphore désigne ici toute mer orageuse,comme le marin carthaginois, un navigateur quelconque.

Page 292: Horace - Oeuvres

294HORACE

188. La bête aux cent têtes, Cerbère, représentée ordi-

nairement avec trois têtes seulement, mais avec cent parPindare (fragm. 62).

189. Orion, fameux chasseur béotien, qui continuait à

se livrer aux Enfers aux occupations de sa vie terrestre.

XIV

Nous ne savons rien de Postumus, à qui cette ode est

adressée. Elle a été écrite vraisemblablement en 30. C'est

une de celles où il exprime avec le plus de mélancolie

la tristesse de la condition humaine. Nous sommes tous,hélas condamnés à mourir et à perdre tous les biens

qui faisaient notre joie sur la terre.

19°. Le géant Géryon, à trois corps, fut tué par Her-cule. Le géant Tityos, qui avait injurié Diane, fut tué

par Apollon et subissait dans les Enfers un supplice ana-

logue à celui de Prométhée.

191. Le vent du midi, l'Auster, était funeste à la santé.

192. Le Cocyte, fleuve des gémissements, aux Enfers.Les cinquante filles de Danaüs avaient toutes, sauf une,tué leurs époux; elles étaient condamnées, aux Enfers,à remplir un tonneau sans fond.

193. Sisyphe devait rouler jusqu'au sommet d'une col-line un rocher qui retombait sans cesse.

xv

Cette ode, écrite à une date incertaine, proteste contrele luxe que, surtout depuis un certain temps, les Romains

apportaient dans la construction et la décoration desmaisons particulières. Agir ainsi, c'est sacrifier l'agricul-ture.

194. Le lac Lucrin, qui était une partie du golfe de

Campanie, était séparé de la mer par une digue longue de

huit stades. Les huîtres du Lucrin étaient très estimées.

195. Le platane donne plus d'ombre que l'ormeau;mais il ne peut, comme ce dernier, soutenir la vigne.

196. C'est au temps de Caton l'Ancien que les pre-miers barbiers parurent à Rome; naturellement, Catonn'obéit pas à la mode.

197. La perche de dix pieds, mesure de longueur.Horace emploie ce terme pour faire ressortir la hauteurdes portiques.

Page 293: Horace - Oeuvres

NOTES295

XVI

Le destinataire de cette ode est Pompéius Grosphus,dont il est question dans l'épître xII du livre I. Que demandel'homme ? Le repos, l'otium; mais, généralement on

s'expose, pour l'atteindre, aux tracas, aux dangers; on lecherche dans la richesse. On l'obtiendrait plus sûrementen menant une vie calme et en se contentant de sa destinée.

198. Tecta laqueata, des plafonds à caissons, richement

peints et décorés.

199. Tithon avait épousé l'Aurore. Elle avait obtenu

pour lui de Jupiter l'immortalité; mais il restait exposéaux décrépitudes de la vieillesse; il se dessécha chaquejour davantage, jusqu'au moment où il fut métamorphoséen cigale.

XVII

D'une santé très délicate, Mécène avait peur de mou-rir. Il se plaignait souvent. Horace essaie de lui redonner

quelque courage. Si Mécène mourait, il ne lui survivraitpas ces sentiments se retrouvent un peu partout dansl'œuvre d'Horace, notamment dans la première ode dulivre I. Date incertaine.

200. Gyas, un des Géants hécatonchires, frère deBriarée et de Cottos.

201. La Balance, le Scorpion, le Capricorne, trois

constellations, la première bienfaisante, les deux autres

funestes, comme aussi Saturne, dont il est questionquelques vers plus loin. Horace ne croyait peut-être pasà l'astrologie, mais Mécène y croyait.

202. Cf. Odes I, xx.

203. Cf. Odes II, XIII.

204. Cf. Odes I, x.

XVIII

L'idée maîtresse de cette ode est celle qu'on retrouvesi souvent chez Horace à quoi bon chercher la richesse,puisque la mort attend tous les hommes, pauvres etriches ? Le mieux est de se contenter de son sort. Date

inconnue.

205. Le marbre bleuté de l'Hymette et le marbre

jaune de Numidie.

Page 294: Horace - Oeuvres

296 HORACE

206. Héritier inconnu d'Attale. Ce roi de Pergameavait, à sa mort, légué son héritage au peuple romain.

207. La pourpre de Laconie, très appréciée, se trou-vait sur les rivages de Cythère et près de Gythium.

208. Il s'agit de constructions élevées sur des chaussées

lancées sur la mer.

209. Le ministre d'Orcus (Pluton) est Charon.

210. Les descendants de Tantale sont, en quatre géné-rations successives, Pélops, Atrée, Agamemnon, Oreste.

XIX

Cette pièce, débordante de lyrisme, est une invocation

à Bacchus, protecteur des poètes et en particulier d'Ho-race. Le dieu n'est pas moins terrible dans ses colères

qu'enjoué et caressant avec ceux qu'il aime. Malheur à

ses ennemis Date inconnue.

211. Le thyrse, fer de lance entouré de lierre et de

feuilles de vigne.

212. Les Thyades, ou Ménades, ou Bacchantes, qui

accomplissaient les prodiges indiqués dans les trois verssuivants.

213. Penthée, roi de Thèbes, voit sa maison frappéede la foudre parce qu'il n'a pas voulu permettre dans son

pays la culture de la vigne.

214. Le roi de Thrace, Lycurgue, fut, pour la même

raison que Penthée, puni par Bacchus, qui le rendit fou.

2,I5. On trouvait les Bacchantes chez le peuple thracedes Bistons.

216. Dans la guerre des Géants contre Jupiter, Bac-

chus prit la forme d'un lion pour repousser Rhétus, l'undes assaillants.

217. Bacchus descendit aux Enfers pour en retirer samère Sémélé, qu'il fit monter dans l'Olympe.

xx

Fier de son talent et sûr d'obtenir par ses vers l'immor-

talité, Horace, dans cette ode finale du deuxième livre,adressée, peut-être en 30, à Mécène, imagine, par unefiction un peu bizarre, que, au lieu de mourir, il sera

changé en cygne, et se fera connaître du monde entier,barbare ou civilisé.

218. Icare, fils de Dédale, s'échappa avec son père du

Labyrinthe où ils avaient été enfermés tous deux, au

Page 295: Horace - Oeuvres

NOTES297

moyen d'ailes en cire fabriquées par Dédale. Il péritpour avoir voulu trop s'approcher du soleil.

219. L'extrême Nord, comme les Syrtes représentaientle Midi extrême.

220. La Colchide, cf. Odes II, XIII, 8.

221. Les Marses, peuple italiote, bien connu par son

courage. Les Daces, cf. Odes I, xxxv, 9. Les Gélons,cf. Odes II, ix, 23.

Page 296: Horace - Oeuvres
Page 297: Horace - Oeuvres

LIVRE TROISIÈME

i

Les six premières odes du troisième livre, dont le mètreest le même, se ressemblent par le sujet traité. Horacey oppose la vie simple des ancêtres, la douceur d'uneexistence modeste, à la folie de désirs, de luxe et d'im-piété qui sévit chez ses contemporains.

Toutes ont été sans doute écrites en 27.Dans l'œuvre d'Horace, elles occupent une place à

part et témoignent de l'ardeur avec laquelle le poète,d'accord avec son ami Virgile, se fit le collaborateur d'Au-guste dans l'œuvre d'assainissement et de reconstitutionde l'empire. Rappeler le passé, évoquer les mœurs simpleset les vertus guerrières d'autrefois, c'était pour Horace,comme pour Virgile, indiquer le remède à apporter auxmisères présentes. L'événement prouva qu'il était impos-sible de remonter le courant; mais la noblesse de la tenta-tive demeure.

Dans la première, qui débute comme un hymne reli-gieux, le poète chante l'égalité de tous les hommes devantla mort, la vie tourmentée de ceux qui ne savent pasborner leurs désirs, la vie tranquille des simples.

222. Allusion à l'histoire, connue de tous, de Damo-clès, que Denys de Syracuse avait invité à un repas magni-fique et sur la tête de qui il avait fait suspendre, par unfil, une épée nue.

223. La Sicile était réputée pour sa bonne chère.

224. La vallée de Tempé, en Thessalie; ici, une valléequelconque.

225. L'Arcture, la Grande Ourse. Le Chevreau oules Chevreaux, constellation. Des tempêtes sévissaient aucoucher de la Grande Ourse (fin d'octobre), au lever duChevreau (fin de septembre).

Page 298: Horace - Oeuvres

300 HORACE

226. Le marbre blanc de Synnada, en Syrie, tacheté de

pourpre.

227. Le costum achéménien (persan), cf. Odes II,xn,2i.

II

Dans la deuxième ode, Horace recommande aux jeunes

gens les vertus militaires; puis, dans l'avant-dernière

strophe, il fait, sans que ce développement soit attendu,l'éloge de la discrétion.

228. Il est presque superflu d'insister sur la beautéde ces vers, dont l'accent se retrouve chez les plus grands

poètes Tyrtée et Simonide en Grèce, Hugo en France,

beaucoup d'autres encore.

229. Les haches dans les faisceaux que portaient leslicteurs devant le consul. Ici, le pouvoir.

230. Ce vers est la traduction littérale d'un vers de

Simonide qu'Auguste, selon Plutarque, aimait à répéter.

231. Il n'y avait pas de plus grande impiété que de

dévoiler les mystères sacrés à ceux qui n'étaient pasinitiés.

III

Justice et fermeté, telles sont les vertus qui mettent

l'homme au-dessus des dieux mêmes. C'est ainsi queRomulus a pu monter au ciel. Discours de Junon, quipardonne enfin aux Troyens et aux Romains, leurs des-

cendants. Rome sera grande et forte à la condition de ne

pas vouloir relever les ruines de Troie.

232. Rappel des héros qui, par leur fermeté, ont méritéde devenir des dieux Pollux, Hercule, Auguste lui-

même, Bacchus, enfin Romulus (Quirinus).

233. C'est Junon, alliée à Minerve, qui a déchaînéla guerre de Troie, Pâris, sur le mont Ida, leur ayant pré-féré à toutes deux Vénus.

234. Remarquer les termes méprisants dont se sert

Junon pour désigner Pâris (incestus judex) et Hélène

(mulier peregrina, et plus bas Lacoenae adulterae).

235. Apollon et Neptune avaient construit les mursde Troie, dont le roi Laomédon refusa de verser le prixconvenu.

236. Parmi les dieux, les uns tiennent pour Troie, les

autres, pour la Grèce.

237. Romulus, fils de Mars et de Rhéa Silvia, descen-dant d'Enée.

Page 299: Horace - Oeuvres

NOTES30I

238. Le détroit de Gibraltar.

IV

Horace demande à Calliope, la muse de l'épopée, demontrer que la force n'est rien si elle n'est dirigée parla sagesse. Il sera son interprète, lui que, depuis son

enfance, les muses ont favorisé, comme elles favorisent

Auguste. Rien ne prouve mieux cette vérité que la lutte

entreprise contre Jupiter par les Géants et les Titans;ils ont été vaincus parce qu'ils ne comptaient que surla force brutale. Jupiter a été vainqueur et a pacifié le

monde, comme a fait Auguste, après Actium.

239. Le Vultur, montagne sur les confins de l'Apulieet de la Lucanie.

240. Les trois villes d'Achéruntia, de Bantia et deForentum étaient voisines de Venouse.

241. A côté de sa villa de la Sabine, Horace cite troisstations d'été Préneste et Tibur dans le Latium, Baïessur le golfe de Campanie.

242. Philippes, cf. Odes II, VII, 9.

243. L'arbre qui a failli le tuer, cf. Odes II, XIII.

244. Palinure, aujourd'hui cap Spartivento, en Luca-nie.

245. Les Concaniens, peuple barbare de l'Espagne can-

tabrique.

246. Les Gélons, cf. Odes II, ix, 23.

247. Le Tanaïs, aujourd'hui le Don.

248. Auguste aimait les lettres; il écrivait en prose etmême en vers (cf. Suétone, Auguste, 84 et 85).

249. Les Géants, dont les principaux sont cités dansles vers suivants, essayèrent d'escalader l'Olympe en

Thessalie, en se servant du mont Pélion.

250. La fontaine de Castalie dans le Parnasse, mon-

tagne consacrée aux Muses.

251. Apollon honoré dans l'île de Délos et à Patara, en

Lycie.

252. Gyas, cf. Odes II, XVII, 14. Orion, cf. Odes II,XIII, 39.

253. Le feu de l'Etna est vomi par Encelade, ensevelisous la montagne.

254. Tityus, cf. Odes II, xiv, 8.

Page 300: Horace - Oeuvres

302HORACE

255· I'irithoüs avec Thésée essaya d'enlever Proser-

pine.

v

Rome ne peut être grande que si ses enfants sont réso-

lus à la défendre au prix même de leur vie; c'est ce quen'ont pas compris les soldats de Crassus, défaits en -53

par les Parthes, et qui, pour vivre, ont accepté même

d'épouser des barbares; mais, c'est ce que savait bien

Régulus, dont le dévouement est admirablement célébré

par Horace.

356. Les Marses et les Apuliens sont choisis ici comme

étant particulièrement braves.

257. Dans la première guerre punique, le consul Régu-lus (256 av. J.-C.), battu par les Carthaginois, resta pri-sonnier pendant cinq ans, puis fut envoyé à Rome pour

négocier l'échange des captifs, mais à la condition de

revenir si ses propositions n'étaient pas acceptées. Il

conseilla lui-même au Sénat de les repousser, et rentra

à Carthage où il périt dans les tortures.

258. Le Vénafre, cf. Odes II, VI, 16.

259. Tarente, cf. Odes II, VI, 10.

VI

Dans cette ode, d'un ton grave et sévère, qui termine

et résume le groupe des six premières odes, Horace

déplore l'impiété et l'impudicité de ses contemporains,et il oppose à la décadence présente les mâles vertus de

l'ancienne Rome. Ainsi, il collabore à l'œuvre d'Auguste,au moment où celui-ci, en sa qualité de magister morum,relevait les temples et préparait les lois destinées à res-

taurer la famille.

260. Horace n'entend pas dire que ses contemporainssoient parfaits; il dit seulement que, suivant la loi antique,les enfants sont punis justement pour les fautes de leurs

pères, tant qu'ils ne les ont pas réparées.

261. Monésès et Pacorus, chefs parthes qui contri-

buèrent, le premier à la défaite de Crassus en 53, le

second, en -36, au massacre des deux légions d'Antoine.

262. Les colliers étroits où les Parthes suspendaientleurs décorations.

263. Les Daces et les Ethiopiens auxiliaires d'Antoineà Actium.

264. La danse ionique était particulièrement lascive.

Page 301: Horace - Oeuvres

NOTES 303

265. La première guerre punique. Pyrrhus, roi d'Epire,vaincu en -275. Antiochus, roi de Syrie, qui donne asile

à Hannibal.

VII

Chanson d'amour Horace invite Astérie à ne pas se

laisser séduire par Enipée, qui la courtise, et à rester

fidèle à Gygès, qui revient d'Asie et refuse d'écouter les

déclarations amoureuses que lui transmet, par intermé-

diaire, son hôtesse d'Oficum, en Epire. Date inconnue.

266. En Bithynie ou Thynie, riche contrée d'Asie

Mineure, où l'on trouvait de beaux bois et des pierres

précieuses.

267. La constellation de la Chèvre, visible en septembre,

époque des tempêtes.

268. Bellérophon, faussement accusé par la femme de

Prétus, roi de Tyrinthe, fut envoyé par celui-ci combattre

la Chimère. Pélée fut laissé parmi les Centaures sur

une fausse dénonciation d'Hippolyte, femme d'Acaste,roi d'Iolcos.

269. Le fleuve toscan, le Tibre, dont la source est enEtrurie.

VIII

Billet adressé à Mécène à la fin de février 29, pourl'inviter à venir fêter avec lui l'anniversaire du jour où il

échappa miraculeusement à la mort (cf. Odes II, XIII).Rien dans les affaires politiques n'est actuellement denature à inspirer des inquiétudes; on peut donc se réjouir

tranquillement.

270. Aux calendes de mars, se célébraient les Matrona-

lia, fête des femmes mariées, en l'honneur de Junon. Uncélibataire n'avait évidemment pas à y prendre part. Et

Mécène, quelque savant qu'il fût, ne pouvait connaître

aucune légende qui expliquât la conduite de son ami.

271. Sous le consulat de Tullus, en '"66, un an avant lanaissance d'Horace; donc, du vin de 37 ans.

272. Le cyathe, cf. Odes I, xxix, 8.

273. Les Daces battus par M. Crassus en 29; chez les

Parthes, Phraates et Tiridate se disputaient le trône. Les

Cantabres et les Gélons venaient d'être vaincus.

IX

Cette ode est le seul exemple que nous offre l'œuvre

Page 302: Horace - Oeuvres

304 HORACE

lyrique d'Horace de chants dialogués ou amébées. Maisle poète trouvait chez les Lesbiens et les Alexandrins des

modèles de cette forme poétique. Horace et Lydie,autrefois amants, se sont brouillés; ils chantent, en termes

presque identiques, leurs amours nouvelles, et tentent deréveiller en eux leur ancienne ardeur. Date inconnue.

274. Ilia ou Rhéa Silvia, mère de Romulus.

275. Thurium, ville de Lucanie.

x

Lycé, née en Etrurie, c'est-à-dire dans un pays auxamours faciles, ne peut prétendre être une Pénélope. Et

pourtant, elle se refuse à écouter Horace, et le laisse à sa

porte par un très mauvais temps. Il finira peut-être par selasser d'attendre. Date inconnue.

276. Le Tanaïs, aujourd'hui le Don.

277. Une roue, actionnée par une manivelle, sert àmonter les grosses charges; si on lâche la manivelle, laroue tourne en arrière et la corde redescend. Aujourd'hui,Lycé est inflexible, mais un accident peut la faire « tomber

de son haut ».

278. Du mont Pierus en Thessalie (Macédoine).

XI

Invocation à la lyre, inventée par Mercure, et dont lesaccents ont donné la vie aux rochers et aux arbres et ontcharmé même les damnés aux Enfers. Que la lyre adou-

cisse de même l'intraitable Lycé, qui deviendra moinscruelle à écouter l'histoire des Danaïdes. Les statues deces héroïnes avaient été placées sous le portique du templed'Apollon consacré en 28. Cette date est probablementcelle de l'ode.

279. Amphion, cf. Epîtres I, XVIII, 41.

280. Ixion, attaché sur une roue qui tournait sans arrêt,

parce qu'il avait outragé Junon. Tityos, cf. Odes II,XIV,8.

281. Danaüs, fils de Bélus, roi de Babylone, était venuà Argos pour fuir son frère Egyptus. Les cinquante filsde celui-ci l'y suivirent et lui demandèrent en mariageses cinquante filles. Il y consentit, mais donna l'ordre aux

jeunes femmes de tuer leurs maris, la première nuit deleurs noces. Elles obéirent toutes, sauf une, Hypermnestre,qui sauva Lyncée, et fut absoute par les juges. Les quarante-

Page 303: Horace - Oeuvres

NOTES 305

neuf sœurs furent condamnées aux Enfers à verser de l'eau

dans un tonneau sans fond (cf. Ovide, Héroïdes, XIV).

XII

Chanson d'amour où se retrouvent des souvenirs d'Al-

cée et de Sapho. C'est sans doute un monologue d'une

jeune femme, Néobulé, qui se plaint d'être trop étroite-

ment surveillée par son oncle et de ne pouvoir répondre

comme elle voudrait à l'amour du bel Hébrus. Date

inconnue.

282. L'oncle paternel exerçait, à Rome, sur les enfants

de son frère, une surveillance plus sévère que le père

lui-même.

283. L'île de Lipara, aujourd'hui Lipari, au nord de

la Sicile.

284. Bellérophon, monté sur Pégase, tua la Chimère.

XIII

Hommage à la fontaine de Bandusie, dans la campagne

qu'Horace possédait en Sabine, et qu'il avait ainsi nom-

mée en souvenir d'une source de même nom à Venouse,

son pays natal. Ecrite peut-être en -30.

285. On offrait aux Nymphes des fontaines du vin, des

fleurs, des chevreaux, des porcs. Ces fêtes avaient lieu en

octobre. Beaucoup de fontaines étaient célèbres Castalie,

Egérie, Aréthuse, d'autres encore.

XIV

Cette ode bachique, dont le début est peut-être un peu

lent, fut écrite par Horace, en 24, au moment où Auguste,

absent de Rome depuis trois ans, revient ayant à peu

près terminé la guerre d'Espagne.

286. Sa femme Livie.

287. Sa sœur Octavie, mère du jeune Marcellus, dont

la mort fut un deuil pour l'Empire.

288. La bandelette des suppliants. A son retour d'Es-

pagne, Auguste refusa les honneurs du triomphe, et se

contenta d'une supplicatio ou action de grâces.

289. La guerre sociale (-91) où les Marses jouèrent un

rôle essentiel. Quelques années plus tard, en 74, éclatait

Page 304: Horace - Oeuvres

3°6 HORACE

la guerre des esclaves, avec Spartacus à la tête des révoltés.

290. Plancus fut consul en 42. Horace avait 23 ans.

xv

Chanson d'amour ou plutôt invective amoureuse, ana-logue à pas mal de pièces de l'anthologie. Chloris est tropvieille; qu'elle laisse à sa fille les travaux de l'amour et yrenonce pour elle-même. Date incertaine.

291. Une Thyiade ou Bacchante, cf. Odes II, xix, 9.292. Lucérie, ville d'Apulie; toute la région était répu-tée pour ses moutons.

XVI

L'or permet de faire bien des choses, honnêtes ou non;la mythologie et l'histoire en fournissent des preuvesabondantes. Cependant, à ce bonheur prétendu, Horacepréfère sa condition modeste qui lui donne des satisfac-tions que de plus opulents ne connaissent pas. L'ode aété composée en 24, peut-être au moment où le poètea décliné l'offre que lui a faite Auguste d'être son secré-taire (cf. vers 38).

293. Danaé, fille d'Acrisius roi d'Argos. Celui-ci, avertipar l'oracle que son petit-fils le tuerait un jour, enfermala jeune fille dans une tour où Jupiter pénétra sous formed'une pluie d'or et lui donna pour fils Persée. L'oraclefut donc accompli.

294. Le devin argien, Amphiaraüs, qui se cacha pourne pas participer à une expédition contre Thèbes, maisdont la cachette fut révélée par sa femme Eriphyle, à quiPolynice avait donné un collier. Amphiaraüs fut engloutiavec son char, sa femme tuée par son fils, massacré lui-même par ses oncles. Toute la famille disparut ainsi.

295. Philippe, roi de Macédoine, qui se vantait de netrouver aucune ville fermée devant lui, s'il y faisait entrerun âne chargé d'or.

296. Allusion à Menas, commandant de la flotte deSextus Pompée, qu'il trahit pour Octave; il revint encoreà Pompée pour l'abandonner une seconde fois.

297. Les abeilles de Calabre donnaient un miel excel-lent.

298. Le vin de Formies était excellent; cette ville avaitété fondée par le roi des Lestrygons, peuplade féroce deSicile.

Page 305: Horace - Oeuvres

NOTES 307

299. On prisait beaucoup les moutons de la Gaule

Cisalpine pour l'épaisseur de leur toison.

300. Les terres phrygiennes (mygdoniennes), cf. OdesII, XII,22. Alyatte, père de Crésus, roi de Lydie, dont lerègne se situe de 617 à 560 av. J.-C.

XVII

Petit billet envoyéà l'un des frères de Lamia (cf. Odes I,xxvi), aux approches de l'hiver; qu'il fasse, avec ses servi-teurs, un sacrificeà son génie. Le ton des deux premièresstrophes est intentionnellement un peu pompeux. Datepossible 24.

301. Formies, cf. ode XVI,34.

302. Marica, vieille divinité italique, déesse des Marais,qui avait un temple sur les bords du Liris (aujourd'huile Garigliano).

XVIII

Invocation au dieu Faunus, confondu avec Pan, dontla fête, qui tombait le 13 février, semble être célébrée,ici, le 15 décembre; peut-être était-ce un usage local du

bourg (pagus v. 12) de Mandela, voisin de la maison

d'Horace. Date inconnue.

303. Faunus est appelé compagnon de Vénus parce

que souvent leurs cultes étaient associés.

304. Ter, trois fois; il s'agit d'une danse à trois temps.

XIX

Chanson bachique. Un pédant, dans un festin,raconte des légendes mythologiques ce n'est pas le mo-ment. Il s'agit de boire, et de perdre la raison et de sefaire des confidences amoureuses. Petite scène pleine de

vie et de naturel. Ecrite peut-être en 25.

305. Inachus, cf. Odes II, III, 21.

306. Codrus, dernier roi d'Athènes, qui se fit tuer sousun déguisement pour donner à son pays la victoire contreles Doriens.

307. Les descendants d'Eaque, un des trois juges desEnfers 1° Pélée, Achille, Pyrrhus; 2° Télamon, Ajax,Teucer.

308. Le vin de Chio, très capiteux, ne pouvait se boire

que mélangé à l'eau.

Page 306: Horace - Oeuvres

308HORACE

309. Dans les repas en question, chacun devait appor-ter quelque chose; ce n'est pas un repas sur invitations.

310. Les froids des Pélignes, peuple du Samnium, dans

les montagnes.

311. La lune nouvelle, donc aux calendes d'un mois

d'hiver.

312. On fêtait sans doute Muréna (cf. Odes II, x)pour son entrée dans le collège des Augures.

313. Ce sont les nombres impairs qui sont chers aux

Muses (neuf) et aux Grâces (trois).

314. Le cyathe, cf. Odes I, xxix, 8.

3 15. Le mont Bérécynthe en Phrygie, consacré à Cybèle.

316. La syrinx, flûte de Pan.

xx

Pyrrhus a enlevé le beau Néarque à sa maîtresse. Celle-

ci, furieuse comme une lionne, veut le reconquérir. Quisera vainqueur ? En attendant, Néarque lui-même regardela lutte avec indifférence. Date inconnue.

317. La Gétulie, province d'Afrique, la Kabylieactuelle.

318. Nirée, roi de Naxos, le plus beau, après Achille,des Grecs qui combattirent sous Troie. Ganymède,enlevé sur le mont Ida par l'aigle de Jupiter.

XXI

Encore une chanson bachique. Cette fois, Horaces'adresse à l'amphore qui contient un vieux vin de Mas-

sique contemporain du poète. Quelle plus belle occasion

pour Horace de vider tout à fait cette amphore, que derecevoir à sa table son vieux camarade M. Valérius Mes-sala Corvinus, qui a étudié avec lui à Athènes, s'est,comme lui, battu à Philippes, puis a suivi successivementAntoine et Octave, jusqu'au moment où, renonçant jeuneencore à la politique, il cultiva les lettres et protégea lesécrivains et surtout Tibulle Date inconnue.

319. Il s'agit certainement ici de Caton le Censeur.

320. Le nom de Lyée donné ici à Bacchus est biencelui qui convient, puisque le vin est considéré commedéliant la langue.

321. Les cornes du bœuf ou du taureau symbolisent laforce.

Page 307: Horace - Oeuvres

NOTES309

XXII

Petite épigramme dans laquelle Horace consacre àDiane le pin qui domine sa villa. Date inconnue.

322. Déesse à la triple forme Diane sur la terre; laLune au ciel; Hécate aux Enfers. C'était elle qui, sous lenom de Lucine, présidait aux accouchements.

XXIII

Il n'est pas nécessaire, pour gagner la bienveillance des

dieux, surtout des dieux domestiques, Lares et Pénates,de sacrifier des bêtes de prix. Une humble offrande

suffit, si la main est innocente. C'est ce que dit Horacedans cette ode aimable et simple adressée à Phidylé, unebonne ménagère de la campagne.

323. La rouille, maladie du blé, qui dessèche les épis.

324. L'automne est la saison des fièvres dans la cam-

pagne romaine. C'est une indication qu'on retrouvemaintes fois chez Horace (cf. Epîtres I, VII, 5).

325. L'Algide, cf. Odes I, xxi, 6.

XXIV

Cette belle ode, d'un ton si noble et si élevé, malgrésa fin un peu prosaïque, se rattache aux six premièresodes du troisième livre, et doit avoir été composée à peuprès à la même date. A la licence effrénée des mœurs

romaines, à cette soif de richesses qui ne recule devantrien pour se satisfaire, Horace oppose les mœurs simplesdes barbares, et va jusqu'à faire l'éloge un peu surpre-nant sous sa plume du communisme. A tous ces

maux, un seul remède une réforme énergique des mœurs,avec un châtiment exemplaire pour ceux qui ne se sou-mettront pas, et un changement radical dans l'éducationde la jeunesse.

326. Les moellons jetés dans la mer pour servir defondements à des chaussées sur lesquelles s'élèveront desconstructions nouvelles (cf. Odes II, XVIII, 20).

327. Les Gètes, sur le Pont-Euxin, à l'embouchure duDanube.

328. Allusion évidente à Auguste et à son œuvre deréformation morale. Toutes les villes s'associeront à

l'hommage qui lui sera rendu.

Page 308: Horace - Oeuvres

310 HORACE

329. Idée chère à Horace (cf. Epîtres II, I, 5 et suivants).

330. Ce qui frappe Horace, c'est, non l'activité du

marchand ou du marin, mais sa cupidité qui est plusforte que tous les dangers auxquels il s'expose.

331. Allusion à une donation magnifique d'Auguste

qui avait fait porter des sommes considérables dans le

temple de Jupiter Capitolin (cf. Suétone, Auguste).

332. Un cerceau en fer, orné de clochettes, que les

enfants et les jeunes gens s'amusaient à faire rouler.

xxv

Encore une sorte de dithyrambe en l'honneur de Bac-

chus, comme dans l'ode xix du livre II. Mais la pièce est

plus courte, moins personnelle et n'est peut-être qu'uneimitation grecque. Une allusion, cependant, à Augusteet sans doute à la victoire d'Actium, ce qui permettraitde placer en ~30 la composition de cette ode.

333. L'Eviade la Bacchante, Evhius étant le surnom

de Bacchus.

334. Le Rhodope, montagne des Balkans, au nord de

la Macédoine, fréquentée par les Ménades.

335. Les Naïades ou déesses des fontaines faisaient

partie du cortège de Bacchus.

336. Lénée, dieu des pressoirs, un des surnoms de

Bacchus.

XXVI

L'âge se fait sentir, et le poète, repoussé par Chloé, va

suspendre ses armes amoureuses dans le temple de Vénus

marine; mais il demande à la déesse de punir celle quin'a plus voulu de lui. Date inconnue.

337. La comparaison avec le vétéran qui prend sa

retraite se retrouve ailleurs (cf. notamment Epîtres I,

1, 4).

338. Les flambeaux qui éclairaient les expéditions noc-

turnes, les leviers dont on se servait pour fracturer les

portes fermées; l'arc était sans doute simplement l'arme

habituelle de Cupidon.

339. Les Sithons étaient un peuple de la Thrace.

XXVII

L'ode xi du troisième livre racontait l'histoire d'Hy-

Page 309: Horace - Oeuvres

NOTES 311

permnestre; dans celle-ci est traitée la légende d'Europe.Ce récit est amené par les vœux d'heureux voyage queforme Horace pour une jeune femme, Galathée. Redou-

tant, pour elle, la fureur des flots, il songe à Europe, aumoment où, transportée en Crète, sur le taureau dont

Jupiter avait pris la forme pour la séduire, elle se lamentesur la faute qu'elle a commise, jusqu'au moment oùVénus lui apprend qu'elle est, sans le savoir, la femmedu maître des dieux; elle sera la mère de Minos, de Rha-damante et de Sarpédon. Date inconnue.

340. La vieille ville de Lanuvium, dans le Latium, étaitsituée sur une hauteur.

341. La corneille.

342. Orion, cf. Odes I, XXVIII,21.

343. Iapyx, cf. Odes I, III, 4.

344. L'Auster, cf. Odes II, xiv, 16.

345. Le fils de Vénus, Cupidon.

XXVIII

Invitation à Lydé de venir célébrer avec lui, le verreen main, les fêtes de Neptune (juillet). Date inconnue.

346. C'est au grenier, dans la partie supérieure de la

maison, que le vin était conservé dans les amphores.

347. Le consulat de Bibulus, en 59 av. J.-C. Peut-êtreHorace fait-il un jeu de mots sur le nom de ce consulcelui qui aime à boire.

348. Diane, née sur le Cynthe, dans l'île de Délos.

349. Vénus a des temples à Cnide, en Asie Mineure;dans les Cyclades, à Paphos; dans l'île de Chypre.

350. Les nénies sont, ici, non des chants funèbres, maisdes chansons populaires, connues de tous.

XXIX

Dans cette ode, l'une des plus belles d'Horace, le poèteinvite Mécène à venir se reposer chez lui des soucis quelui donne l'administration de l'Empire, et, avec un tact

parfait, il lui conseille de jouir du présent, sans s'inquiéterà l'excès d'un avenir qui n'appartient à personne. LaFortune est inconstante; le seul moyen de lui être supé-

rieur, c'est de régler ses désirs et d'être maître de soi.On retrouve là, dans sa dignité et sa noblesse, toute la

philosophie d'Horace. L'ode est probablement de -26ou -.25.

Page 310: Horace - Oeuvres

3I2HORACE

35i. Cf. Odes I, I, i.

352. La vieille ville latine d'Efula était sur une colline.

353. Tusculum avait été fondée par Télégone, fils

d'Ulysse et de Circé. Envoyé par sa mère à la recherche

de son père et jeté par la tempête dans l'île d'Ithaque, il

avait tué Ulysse, sans le connaître, dans une rixe.

354. Le père d'Andromède, Céphée, constellationvisible en juillet, comme Procyon et comme le Lion.

355. Les Sères, cf. Odes I, XII, 56.

356. Les Bactres, peuplade perse. Le Tanaïs ou Don

arrosait le pays des Parthes.

357. Le Tibre, qui se jette dans la mer de Toscane.

358. Les vins de Chypre, la pourpre de Tyr.

xxx

Cette ode, dont chaque mot respire une fierté légitime,termine le recueil des trois premiers livres; elle est écrite

dans le même mètre que la pièce par laquelle débute ce

recueil et elle a vraisemblablement été composée en

même temps. Maints poètes ont, comme Horace, affirmé

leur indéfectible confiance dans l'immortalité de leur

œuvre.

359. La Grande Vestale qui, dans les circonstances

solennelles, accompagne le Grand Pontife au Capitole.

360. L'Aufide, rivière de Venouse. Daunus, roi d'Apu-lie, qualifié d'aride, alors que l'épithète convient à la terresur laquelle il régnait.

36I. Le principal sanctuaire d'Apollon était à Delphes.

362. Horace s'est sans doute souvenu ici des GrecsSimonide et Pindare

Pour les soldats morts aux Thermopyles. point de larmes,

rrtais des hymnes; point de gémissements, mais des odes

monument que rte pourront détruire rzi la rouille ni le temps

dévorant.

SIMONIDE, fragment IV.

Sur le trésor des ltytnttes les pluies d'hiver _0 impitoyablearmée des nuages aux grondements sourds peuvent fondreavec furie; les vents avec tous les débris qu'ils emportentpêle-mêle peuvent le battre en même temps jamais ils

ne l'engloutiront aux gouffres de la mer.

PINDARE, VI, 10-14.

Page 311: Horace - Oeuvres

NOTES 313

Lui-même a été imité par Ovide et maints autres poètesde chez nous

J'ai maintenant achevé un ouvrage, que ne pourrontabolir rti le courroux de Jupiter, ni le feu, rzi le fer, ni la

rongeuse vétusté. Que le jour fatal qui n'a de droit que surmon corps mette fin, quand il voudra, ait cours de ma vie

incertaine, néanmoins par la partie la plus noble de moi-même je m'élèverai pour l'éternité au-dessus des astresaériens, et mon nom sera indestructible; et partout où la

puissance romaine s'étend sur la terre domptée, j'aurai un

public pour me lire, et si les pressentiments des poètes ontdu vrai, je vivrai dans la gloire à travers tous les siècles.

OVIDE,Epilogue des Métamorphoses, XV,

Plus dur que fer j'ai fini mon ouvrage,Que l'an dispos à démener les pasNi l'eau rongearde ou des frères la rageL'injuriant ne rueront pas à bas;Quand ce viendra que mon dernier trépasM'assoupira d'un somme dur, à l'heureSozts le tombeau tout Ronsard n'ira pas,Restant de lui la part qui est meilleure.

Toujours, toujours, sans que jamais je meure,Je volerai tout vif par l'univers.

RONSARD,Odes de 1550, IV, ode xviii.

Apollon à portes ouvertesLaisse indifféremment cueillirLes belles palmes toujours vertes

Qui gardent les noms de vieillir;Mais l'art d'en faire des couronnesN'est pas su de toutes personnes;Et trois ou quatre seulementAu nombre desquels on me rangePeuvent donrzer une louangeQui demeure éternellement.

MALHERBE,Ode à Marie de Médicis, 1610.

Tout passe. L'art robusteSeul a l'éternité.

Le busteSurvit à la cité.

Th. GAUTIER,Art, à la fin d'Emaux et Camées.

Page 312: Horace - Oeuvres
Page 313: Horace - Oeuvres

LIVRE QUATRIÈME

I

Horace se plaint que Vénus ranime en lui des désirsque l'âge devrait avoir éteints. Il la prie d'aller plutôtchez les jeunes gens, surtout chez Paulus Maximus, amiet confident d'Auguste, qui a tout pour plaire. Et pourtant,en terminant, il ne peut se taire de la passion que luiinspire le jeune Ligurinus. Horace avait 5o ans, quandil écrivit cette ode, qui peut donc être datée de l'an 15.

363. Les lacs Albains, au nombre de quatre, parmilesquels le lac de Némi; les bords de ces lacs étaient deslieux de villégiature très fréquentés et ornés de sanc-tuaires.

364. La flûte bérécynthienne, cf. Odes I, XVIII,13.

365. Cf. Odes III, xvni, 16.

il

Cette ode fut écrite en 14, au moment où Auguste,absent depuis trois ans pour refouler les Sicambres au-delà du Rhin et organiser le nord de la Gaule, va revenirà Rome. Jullus Antoine, personnage considérable mariéà Marcella, nièce d'Auguste, et qui devait plus tard êtremis à mort pour crime d'adultère avec Julie, fille del'Empereur, avait sans doute demandé à Horace decomposer un poème où seraient célébrés les victoires etles hauts faits du conquérant et de l'organisateur. Le poètese récuse c'est à Jullus auteur d'un poème épiqueen douze chants, une Diomédie que revient une sinoble entreprise. La Muse d'Horace n'est pas compa-rable à celle de Pindare et ne peut s'élever à ces sommets.

366. Pindare, le plus grand lyrique grec, né en Béotie,en 520, mort vers 440. Horace s'est toujours défendude vouloir rivaliser avec lui, et, sans renoncer à s'inspirer

Page 314: Horace - Oeuvres

316Ei HORACE

de son lyrisme, il a maintes fois proclamé sa volonté deborner son ambition à l'imitation des lyriques lesbiens,Alcée et Sapho.

367. Dédale et Icare, cf. Odes II, xx, 13.

368. Dans les quatre strophes qui suivent, Horacecaractérise chacun des genres où a brillé Pindare 1° les

dithyrambes, chants en l'honneur de Bacchus, soumis àdes règles métriques, aujourd'hui connues, mais ignoréesdes Romains; 2° les hymnes ou péans en l'honneur desdieux ou des héros; 3° les épinicies, où sont célébrés les

vainqueurs des grands jeux grecs; les thrènes ou chantsde deuil. Nous ne possédons que les épinicies; des autres

poèmes, nous n'avons que des fragments.

369. La mort des Centaures, cf. Odes I, XVIII,8.

370. La Chimère, cf. Odes I, XXVII,24.

371. Les jeux d'Olympie, en Elide.

372. La fontaine de Dircé, près de Thèbes.

373. Le mont Matinus, cf. Odes I, xxvIII, 2.

374. Les jours de fête, les tribunaux chômaient.

III

Comme dans la dernière ode du troisième livre, Horace

invoque ici Melpomène, la muse de la poésie tragique,voulant indiquer par là que la gloire dont il jouit mainte-

nant, d'une manière incontestée, il la doit à la noblesseet à la gravité de son lyrisme. Que Melpomène soit remer-ciée pour le don qu'elle lui a fait. L'ode a été vraisembla-blement écrite en 13.

375. Les grands jeux isthmiques, en l'honneur d'Apol-lon.

376. Le char achéen, ce nom étant couramment donnéaux Grecs depuis la conquête romaine.

377. Apollon est né à Délos.

378. Ce sont les paysages riants de la campagne romaine

qui inspirent le poète lyrique, imitateur des Lesbiens.

379. Les Muses étaient honorées sur le mont Piérus,en Macédoine.

IV

Cette ode est un chant de victoire, imité de Pindare,du moins dans la première partie, qui n'est pas la meil-

leure. Au début, une double comparaison, un peu banale

et trop longue; ensuite, un petit problème archéologique,

Page 315: Horace - Oeuvres

NOTES317

comme on aimait à les poser, chez les érudits du temps;ce n'est pas de quoi justifier l'admiration qu'on a autrefoisprofessée pour cette partie du poème. Heureusement, leton s'élève à partir du vers 22. Nous entendons l'éloged'Auguste et de la sage éducation qu'il a donnée à sesdeux beaux-fils, Drusus et Tibère; et par un heureux

procédé, nous assistons à la glorification des mâles vertusde Rome dans un panégyrique prononcé par Hannibal.Toute cette seconde partie de l'ode est à ranger parmiles plus belles pages qu'Horace ait écrites.

Drusus, dont il est question ici, était fils de Livie et deTibérius Néro. A 23 ans, il mena à bien contre les Vin-délices la campagne dont le chargea Auguste. Il devaitmourir d'un accident, en 9.

L'ode a été composée en 14.

380. Ganymède, cf. Odes III, xx, 16.

381. Les Alpes Rétiques, limites de la Vindélicie, payscorrespondant aujourd'hui à des parties de la Bavière, du

Tyrol et de la Suisse.

382. Sur les bords du Métaure, petite rivière d'Ombrie,les consuls C. Claudius Néro et M. Livius Salinator rem-

portèrent en 207 sur les Carthaginois une grande victoire;Hasdrubal fut tué. Tite-Live raconte qu'Hannibal, à lanouvelle de cette défaite, déclara que l'issue de la guerreserait funeste aux Carthaginois.

383. L'Algide, cf. Odes I, xxi, 6.

384. L'hydre de Lerne, dont les têtes repoussaient àmesure qu'Hercule les tranchait.

385. Le dragon qui gardait la toison d'or en Colchide.L'autre dragon fut tué près de Thèbes, par Cadmus; deses dents ensemencées dans le sol naquirent des guerriers,parmi lesquels Echion.

386. Les messages orgueilleux d'Hannibal. Il s'agit sur-tout de celui que le Carthaginois envoya après Cannes.

v

Eloge vif et ardent d'Auguste, qui a rétabli en Italiela paix et la moralité et a rendu à tous les Romains la

joie de vivre. Depuis trois ans, il a quitté Rome pouraller refouler les Germains et organiser la Gaule septen-trionale. Tout le monde désire son retour. Qu'il ne tarde

pas à revenir C'est donc en -13 que cette ode a été écrite,

387. Le Notus, ou vent du sud, gêne les bateaux qui,pour revenir en Italie, ont à traverser la mer de Carpathos,entre Rhodes et la Crète.

Page 316: Horace - Oeuvres

318HORACE

388. Cette déesse, dont le nom paraît ici pour la pre-mière fois, est sans doute la même que Fausta Felicitas.

389. La loi et la coutume, allusion à la Lex Julia de

adulteriis, promulguée en 18.

39°. Les quatre peuples qui, aux extrémités de l'Em-

pire, troublaient encore la tranquillité des frontières.

391. Autrefois et aujourd'hui encore, la vigne, en Italie,est soutenue par des arbres, ormeaux ou peupliers, quise marient avec elle.

VI

Dans cette pièce, contemporaine du Chant Séculaire

(17) dont elle est comme la préface, et composée dans

le même mètre, Horace chante un hymne en l'honneur

d'Apollon et de Diane. Il rappelle notamment qu'Apollonfut le protecteur des Troyens, ancêtres des Romains, et

insiste sur la mort d'Achille, qui a permis à Enée de sur-

vivre à la ruine de Troie et d'apporter ses pénates en

Italie. Il glorifie son génie lyrique, et donne des conseils

aux jeunes choristes qui doivent exécuter le Chant Sécu-

laire.

392. Niobé, femme d'Amphion, qui avait sept garçonset sept filles, s'était moquée de Latone qui n'avait quedeux enfants, Apollon et Diane. Apollon tua les sept

garçons et Diane les sept filles; Niobé fut changée en

rocher. Tityos, cf. Odes II, xiv, 8.

393· Achille, de la Phtiotide, au sud de la Thessalie.

394. La légende du cheval de Troie est connue

(cf. Virgile, Enéide, chant II).

395. Enée était fils de Vénus.

396. Thalie, muse de la poésie pastorale, puis de la

comédie.

397. Le Xanthe, fleuve de Lycie, en Asie Mineure.

398. Phébus Apollon, le dieu des rues, était sous le

nom d'Agyeus.

399. Diane, la déesse de Délos, où elle est née, ainsi

qu'Apollon.

400. La déesse des nuits, Diane ou la Lune; c'est la

déesse aux trois formes (cf. Odes III, XXII, 4).

VII

Cette pièce, écrite à une date inconnue, développe,sous une forme grave, une idée chère à Horace. Le temps

Page 317: Horace - Oeuvres

NOTES 319

fuit, rapide, et notre vie est brève; sachons donc jouirde l'heure qui passe. Le poète s'adresse à Torquatus,sans doute le destinataire de l'épître v du livre I.

401. Tandis que chaque année la nature se renouvelle,l'homme, une fois mort, est bien mort.

402. Tullus Hostilius et Ancus Martius, le troisièmeet le quatrième rois de Rome.

403. Minos, Eaque et Rhadamante composaient le tri-bunal qui, aux Enfers, jugeait les morts à leur arrivée.

404. Hippolyte, fils de Thésée, tué par un monstremarin après avoir été faussement accusé par Phèdre, la

femme de son père, d'avoir voulu la séduire (cf. la Phèdrede Racine).

405. Pirithoüs, cf. Odes III, IV, 80.

VIII

Aux calendes de Mars ou aux Saturnales, on se faisaitde petits cadeaux, vases, statuettes, menus objets d'art.Horace n'a pas les moyens d'en faire à son ami Censorinus,qui devait être consul en l'an 8, et qui est plus riche

que lui. Il lui envoie comme présent des vers; et ce n'est

pas un petit cadeau; car, seule, la poésie donne à ceux

qu'elle célèbre l'immortalité; c'est elle qui divinise les

héros. Date inconnue.

406. Souvent les vainqueurs des grands jeux, en Grèce,recevaient un trépied comme récompense.

407. Parrhasius, grand peintre, né à Ephèse, vécut à

Athènes vcrs 400 av. J.-C. Scopas, sculpteur, né à

Paros, vécut vers 350.

408. Ennius, né à Rudies en Calabre, a chanté la gloirede Scipion l'Africain. Il a, de même, dans ses Annales,célébré Romulus, fils de Mars et de Rhéa Silvia (Ilia).

409. Rappel des exploits de Scipion l'Africain qui, en

débarquant en Afrique, obligea Hannibal à abandonnerl'Italie. Mais c'est Scipion Emilien qui détruisit Car-

thage. Il semble qu'Horace, sans vouloir distinguer entrel'un et l'autre, se soit simplement attaché à célébrer la

gloire des deux Scipions.

410. Eaquc, roi d'Egine, un des juges des Enfers.

411. Castor et Pollux, fils du roi Tyndare.

IX

Le personnage à qui est adressée cette ode, M. Lollius,

Page 318: Horace - Oeuvres

320HORACE

ne paraît pas, à en croire Velléius Paterculus et Tacite,mériter les éloges que lui adresse Horace. Consul en 21,il avait été, en 16, vaincu par les Sicambres, et c'est sa

défaite qui avait déterminé Auguste à quitter Rome. Il

était cupide et hypocrite et avait capté la confiance de

l'Empereur comme celle d'Horace. Il devait s'empoi-sonner, en 2 av., J.-C., après avoir noué des intelligencesavec les Parthes.

Horace, l;lorifiant les grands lyriques grecs, affirme que,

.seul, le poète donne aux hommes l'immortalité; voilà

pourquoi il chantera les vertus et les mérites de Lollius.

L'ode a été écrite en 16, peut-être au moment de

l'échec de Lollius contre les Sicambres.

412. L'Aufide, cf. Odes III, xxx, 12.

413. Pindare, cf. Odes IV, II, i.

414. Simonide, de Céos, cf. Odes II, 1, 38.

415. Stésichore d'Himère, en Sicile (vie siècle av. J.-C.),dont la poésie lyrique avait la gravité de l'épopée.

416. Anacréon, de Téos (VIe siècle av. J.-C.), chante le

plaisir, le vin et l'amour.

417. Sapho, cf. Odes II, XIII, 25.

418. Teucer, cf. Odes I, VII, 21. Cydon, ville de Crète.

419. Idoménée et Sthénélus, héros grecs de la guerrede Troie.

420. Hector et son frère Déiphobe, héros troyens.

x

Petite épigramme, à la manière des Alexandrins. Le

Ligurinus dont il est ici question est évidemment le même

que celui dont parle le poète à la fin de la première odedu livre IV. Il dédaigne l'amour d'Horace; il le regrettera

plus tard. Date inconnue.

XI

Ecrite peut-être en 17, cette ode est une invitation à

Phyllis de venir fêter avec le poète l'anniversaire de

Mécène. Il aime Phyllis, il n'aimera aucune femme aprèselle; qu'elle oublie, avec lui, le jeune Télèphe, qui n'est

pas fait pour elle.

421. Le vin d'Albe n'est pas un des grands crus ita-

liens c'est encore un vin estimable.

422. Le mois d'avril est consacré à Vénus, née de la

Page 319: Horace - Oeuvres

NOTES321

mer; les ides tombent le 13; ce mois est coupé en deuxparties presque égales.

423. Hommage délicat à Mécène que torturait la pen-sée de la mort; il peut encore compter.sur de nombreusesannées.

424. Phaéton, fils d'Apollon, faillit embraser la terreen s'en approchant avec le char du soleil; Jupiter le fou-droya.

425. Bellérophon, monté sur Pégase, tua la Chimère.Il voulut encore se servir du cheval ailé pour monteraux cieux; mais il fut désarçonné et tué.

XII

Virgile était mort en 19, et cette ode a vraisemblable-ment été écrite en 14. Il est donc peu probable que cesoit au poète son ami qu'Horace l'ait adressée; au surplus,certaines expressions « client de nobles jeunes gens« ne songe pas au bénéfice possible » rendent l'hypothèseinadmissible.

Résignons-nous à ignorer ce qu'était ce Virgile. Horacel'invite à venir boire chez lui, et rappelant sa conditionmodeste, il lui demande d'apporter son écot sous formede parfums.

426. Les vents de Thrace coïncident avec le retourdu printemps.

427. Procné, femme de Térée, roi de Thrace, tua leurfils Itys pour se venger de l'outrage que son mari avaitfait subir à sa sœur Philomèle. Celle-ci fut changée enrossignol et Procné en hirondelle. Toute la strophe revientdonc à dire c'est le retour des hirondelles.

428. Pan, honoré en Arcadie.

429. Calès, cf. Odes I, xxxi, 9.

43°. Grands entrepôts appartenant à Sulpicius Galba.

XIII

Les dieux ont vengé Horace de cette Lycé qui, jadis,se montrait pour lui si cruelle (cf. Odes III, x). Aujour-d'hui elle est vieille et laide et excite, non plus l'amour,mais le rire.

431. Dans l'île de Cos, on teignait des tissus précieuxdans une pourpre très belle.

432. Cinare, cf. Odes IV, I, 4.

Page 320: Horace - Oeuvres

322HORACE

XIV

Dans la quatrième ode du même livre, Horace célébrait

la victoire de Drusus sur les Vindélices; ici, il chante

son frère Tibère, vainqueur des Rètes. Ainsi sont glorifiés

les deux beaux-fils d'Auguste. Mais c'est surtout de

l'Empereur que le poète entreprend la louange; et il

rappelle avec enthousiasme les campagnes victorieuses

menées aux extrémités de l'Empire. L'ode a été composée

à la même époque que la quatrième.

433. Les Génaunes et les Breunes, dans les Alpes du

Tyrol.

434. L'aîné des Nérons, Tibère, plus âgé de quatre

ans que son frère Drusus.

435. Les Rètes dans le Tyrol et la Suisse.

436. L'Auster, cf. Odes II, xiv, 16. Les Pléiades, cons-

tellation de sept étoiles, dont le coucher, au début de

novembre, coïncidait avec la période des tempêtes.

437. L'Aufide (cf. Odes III, xxx, 12), est appelé tauri-

forme, les Anciens représentant les fleuves sous la forme

d'un taureau, en raison de leur impétuosité.

438. Daunus, cf. Odes III, xxx, 12.

439. Le I"r août 30, après la victoire d'Actium,

Alexandrie se rendit à Octave; Cléopâtre avait abandonné

le palais royal.

440. Dans les trois dernières strophes sont rappelés

tous les pays et tous les peuples soumis par Auguste ou

par ses lieutenants, dans les années qui se sont écoulées

depuis Actium.

xv

Cet hymne en l'honneur d'Auguste, composé probable-

ment en 13, clôt dignement les odes civiques du poète.

L'empire est pacifié; des lois nouvelles, inspirées des

anciens principes, mettent un frein à la licence il y a

lieu de se réjouir et d'exprimer à la famille des Jules des

sentiments de gratitude.

441. La mer de Toscane était particulièrement dange-

reuse.

442. Le temple de Janus n'avait été fermé que deux fois

avant Auguste. L'Empereur le ferma trois fois.

443. Tous les peuples qui sont aux frontières de l'Em-

pire, et dont les noms reviennent si souvent dans les Odes.

444. Le mode lydien, intermédiaire entre le dorien, plus

grave, et l'ionien, plus sensuel.

Page 321: Horace - Oeuvres

CHANT SÉCULAIRE

Les jeux séculaires, institués primitivement en l'honneurdes divinités infernales, remontaient à une assez hauteantiquité, au V siècleav. J.-C., semble-t-il. Quand Augusteentreprit de les célébrer, en l'an 17,on chercha dans leslivres sacrés des textes qui permissent de justifier la datechoisie. La durée du siècle fut, d'après les livres sibyllinsconservés par les quindécemvirs, fixée à 110 ans; onconstata que les jeux avaient été donnés pour la dernièrefois en 126;il eût donc fallu les célébrer en t6. La datefut avancéed'un an, sans doute pour des raisons politiques.

Ils commencèrent le 31 mai 17 et durèrent trois jourset trois nuits. Le détail nous en est connu par trente-sept verssibyllins qui nous ont été conservés par Zosime, historienbyzantin du V°siècle après J.-C., et surtout par un pro-cès-verbal détaillé découvert à Rome en 1890. Les fêtesde nuit étaient consacrées surtout aux divinités infernales;celles de jour, aux divinités supérieures et notamment àJupiter, Junon, Apollon et Diane. Le chant officiel, dontHorace avait été chargé, fut chanté le troisième jour parvingt-sept jeunes gens et vingt-sept jeunes filles, defamille noble et dont les parents étaient encore vivants.Vraisemblablement, il fut entonné sur le Palatin, devantle temple d'Apollon, continué pendant que la processionse déroulait au Forum et au Capitole, et terminé quand onrevint au Palatin. Il est malaisé de dire s'il fut, dans touteson étendue, chanté par le chœur tout entier, ou si cer-taines parties furent chantées par les jeunes gens, d'autrespar les jeunes filles.

Le Chant Séculaire célèbre les divinités protectrices del'Empire; et le poète, plus tourné vers l'avenir que versle passé, chante la prospérité et la grandeur réservées àRome par la politique d'Auguste.

445. Dans les trois strophes qui commencent ici, Dianeest célébrée sous les noms qui rappellent une de ses fonc-tions essentielles elle présidait aux accouchements. Pour

Page 322: Horace - Oeuvres

324HORACE

que Rome soit prospère, il faut que les enfants y soient

nombreux. L'allusion aux lois sur le mariage et contre le

célibat est donc bien à sa place.

446. On sacrifiait aux Parques et à Cérès dans les fêtes

de nuit.

447. Ici reprend l'hommage à Apollon et à Diane, et

aussi aux autres dieux protecteurs de la ville.

448. La périphrase désigne Auguste.

449. Le poète rappelle diverses fonctions d'Apollonil rend des oracles, il porte l'arc, préside le chœur des

Muses, est le père d'Esculape, inventeur de la Médecine.

45°. Diane avait un temple sur l'Aventin; elle en avait

un autre sur l'Algide, montagne du Latium.

Page 323: Horace - Oeuvres

ÉPODES

i

Mécène devait suivre l'expédition navale qui se ter-mina par la victoire d'Actium. Au moment où fut conçule projet qui, d'ailleurs, ne se réalisa pas Horace,admis, depuis plusieurs années, dans l'intimité de Mécène,dit à son ami les appréhensions qu'il éprouve à le voirpartir, et, dans sa tendresse inquiète, se déclare prêt àle suivre partout où il ira. L'épode a été écrite en-31

451. Les vaisseaux liburnes, cf. Odes I, XXXVII,30.452. Les troupeaux passaient l'hiver dans les chauds

pâturages de la Calabre,et montaient l'été dans les collines

453. Tusculum, dans le Latium, avec ses blanchesvillas de marbre ou de pierre, avait été fondée par Télé-gonos, fils d'Ulysse et de Circé.

454. Chrémès, personnage de comédie.

II

Ce tableau, où est peinte de vives couleurs la douceurde la vie champêtre, rappelle, sans trop d'infériorité, lesplus belles pages qu'ait écrites Horace sur ce sujet qui,toujours, lui a tenu à cœur. Mais, ce qu'il y a de piquantdans ces pages c'est qu'il faut arriver au vers 67 (sur 70que renferme l'épode) pour s'apercevoir que ces parolessont prononcées par un usurier, qui ne songe guèrequ'au placement de ses fonds. L'idylle finit donc enépigramme. Rien, d'ailleurs, n'empêche de croire quel'usurier est sincère quand il fait l'éloge de la campagne,comme il l'est quand il fait son métier. Il y a là une deces contradictions fréquentes chez l'homme, et que laphilosophie souriante d'Horace notait, non sans malice

Page 324: Horace - Oeuvres

326HORACE

455. Allusion aux rapports connus entre patrons et

clients.

456. Priape, dieu des jardins; Silvain, dieu des bois et

gardien des propriétés.

457. A l'automne, les rivières sont basses et les rives

plus hautes.

458. Les femmes de la Sabine étaient connues pour leur

moralité et leur amour du travail.

459. Le lac Lucrin abondait en coquillages estimés.

460. La pintade ou poule d'Afrique. Le francolin

ou gélinotte.

461. Aux fêtes du dieu Terme, célébrées en février,

on immolait un agneau.

462. Les ides et les calendes étaient l'époque des

échéances.

III

Horace avait, à la table de Mécène, mangé un plat

fortement assaisonné d'ail. Il lance contre ce véritable

poison de plaisantes invectives. Date incertaine.

463. Tout ce que mangeait le paysan italien était

accompagné d'ail.

464. Canidie, cf. Epodes, v.

465. Pour permettre à Jason de soumettre au joug, sans

danger pour lui, les taureaux gardiens de la Toison d or,

Médée le frotta d'une préparation spéciale. Plus tard,

abandonnée par le héros qui voulait épouser Créuse, elle

fit présent à sa rivale d'une robe et d'une couronne empoi-

sonnées.

466. Déjanire, abandonnée par Hercule, lui envoya une

tunique trempée dans le sang de l'hydre de Lerne; c est

cette tunique qui causa la mort d'Hercule.

IV

Horace s'emporte violemment contre un ancien esclave,

devenu riche, mais qui reste universellement méprisé. Il

s'agit sans doute de Ménas, dont il est question, Odes III,

XVI, 15. L'épode a été sans doute écrite en -38, quand

Octave préparait son expédition contre Sextus Pompée.

467. Des cordes faites avec du jonc d'Espagne.

468. La Voie Sacrée, une des promenades les plus fré-

quentées de Rome.

Page 325: Horace - Oeuvres

NOTES 327

469. Les triumvirs, magistrats de police, qui surveil-laient la ville pendant la nuit. Un crieur public publiaitles condamnations avec les motifs.

470. Une loi votée en 67, sur la proposition du tribunRoscius Othon, réservait aux seuls chevaliers, à l'exclu-sion des affranchis, les quatorze premiers gradins duthéâtre.

471. La flotte de Sextus Pompée avait été recrutéesurtout parmi les esclaves et les gens sans aveu.

v

Tableau d'un violent effet dramatique, dans lequel le

poète dépeint une effroyable scène de magie dont l'hé-roïne est la fameuse Canidie. Un enfant noble a été ravi

par elle et par trois autres mégères; il est soumis à un lent

supplice jusqu'à ce que mort s'ensuive; puis sa moelleet son foie serviront à la préparation d'un breuvage des-tiné à retenir auprès de Canidie un vieil amoureux quilui échappe. La scène n'est pas invraisemblable, et nous

connaissons, par des inscriptions, des faits analogues.Date inconnue.

472. La robe prétexte des jeunes nobles était bordéed'une bande de pourpre.

473. Canidie, de son vrai nom Gratidie, était une par-fumeuse napolitaine.

474. Iolchos, ville de Thessalie, connue pour ses magi-ciennes. L'Hibérie désigne, ici, les rives de la merNoire.

475. La Colchide, pays de la magicienne Médée.

476. L'Averne, lac de Campanie, où se trouvait unedes entrées des Enfers.

477. Le quartier de Subure, où se passe la scène, étaitmal famé.

478. Cf. Epodes, Ill, xi.

479. Les incantations marses. Les Marses charmaientles serpents.

480. L'Esquilin, jusqu'au temps d'Auguste, était horsde Rome; c'était le quartier des cimetières; et on jetaitdans des espèces de fosses communes les cadavres des

suppliciés et des esclaves.

VI

Quel est le personnage contre qui est dirigée cette

Page 326: Horace - Oeuvres

328HORACE

violente invective ? Peut-être Mévius, dont il sera ques-tion dans la dixième épode. Date incertaine, peut-être 34.

481. Les molosses d'Epire et les lévriers de Laconie

étaient d'excellents chiens de bergers.

482. Archiloque, cf. Art poétique, 79.

483. L'ennemi de Bupalos, Hipponax d'Ephèse, poète

iambique (Vf siècle), laid et contrefait; Bupalos fit sa

caricature. Hipponax se vengea par des vers si violents que

Bupalos se donna la mort.

VII

Ecrite probablement en 38, au moment où Octave va

reprendre la guerre contre Sextus Pompée, cette épodenous fait connaître les sentiments d'Horace il déplore ce

recommencement des guerres civiles et se lamente sur la

destinée de Rome, toujours prête à se détruire elle-même,

plutôt que de lutter contre ses ennemis.

484. Les captifs étaient traînés au triomphe en descen-

dant la Voie Sacrée, qui conduisait des arènes au Forum.

VIII

Horace, dans cette épode, qui doit être une des plus

anciennes, fait preuve d'un cynisme qu'on ne retrouve

pas souvent, heureusement, dans son œuvre.

IX

Ecrite à la fin de l'année 31, au moment où arrive à

Rome la première nouvelle de la victoire d'Actium, cette

épode est une invitation, adressée à Mécène, à fêter avec

lui le triomphe d'Octave.

485. Le mode dorien, sur la lyre, était fait pour chanter

les exploits guerriers; le mode barbare (phrygien), sur la

flûte, convenait aux festins et au plaisir.

486. Sextus Pompée, qui se faisait appeler le fils de

Neptune, vaincu en -36, par Agrippa, au nord de la

Sicile. Ses équipages étaient formés d'esclaves.

487. Une femme, Cléopâtre.

488. Les Galates, Gaulois alliés d'Antoine, l'avaient

abandonné pour se rendre à Octave.

489. Marius, vainqueur de Jugurtha.

490. Scipion Emilien, destructeur de Carthage, le

second Africain.

Page 327: Horace - Oeuvres

NOTES329

491. Les vins de Chio et de Lesbos étaient doux; leCécube, plus capiteux, était mélangé à l'eau dans uneproportion déterminée.

492. Lyée, Bacchus.

x

Invective d'une violence extrême contre le mauvais

poète Mévius, déjà stigmatisé par Virgile (Bucoliques, III,90). Le ton d'Archiloque n'est d'ailleurs pas moins violentdans la pièce qu'Horace a imitée en écrivant cette épodeà une date inconnue.

493. Allusion aux tempêtes qui assaillirent la flotte

grecque, au retour de Troie. Ajax, fils d'Oïlée, qui avait

outragé Pallas, périt dans un naufrage.

494. Ton énorme cadavre. Allusion à l'embonpoint deMévius.

XI

Dans cette épode, adressée à Pettius, personnage dontnous ne savons rien, Horace rappelle l'amour qu'il eut

naguère pour Inachia, une Argienne avide qui lui préféraitdes jeunes gens plus riches que lui; c'est le jeune Lyciscusqu'il aime aujourd'hui. Date inconnue.

495. Bacchus qui délie les secrets (Lyée).

XII

Même sujet, même ton, même cynisme que dans lahuitième épode. S'agit-il de la même femme ? On ne sait

et, d'ailleurs, peu importe. Nous sommets d'autant pluschoqués de la crudité de tous ces détails, qu'Horace nenous paraît pas sans reproche. De cette mégère il ne

rougissait pas d'accepter de petits cadeaux.La pièce est de la même époque que la huitième épode.

XIII

Dans cette épode, peut-être l'une des plus anciennes,Horace demande à ses amis, comme il le fera si souventdans les Odes, de noyer dans le vin la tristesse et les soucis.Certains commentateurs ont pensé que le ton un peudésenchanté de cette petite pièce prouvait qu'elle avait étéécrite après la bataille de Philippes.

496. Le nard achéménien, cf. Odes III, 1, 44.

Page 328: Horace - Oeuvres

330HORACE

497. Mercure, inventeur de la lyre, avait un templesur le mont Cyllène, en Arcadie.

498. Le Centaure Chiron, qui avait élevé Achille.

499. Assaracus, grand-père d'Anchise. La terre d'As-

saracus est la Troade.

500. Ta mère azurée. On applique à Thétis, déesse

marine, une épithète qui convient à la mer.

XIV

Epode amoureuse, adressée à Mécène. Si Horace n'écrit

plus, c'est qu'il aime une affranchie; Mécène, lui aussi,

est amoureux; mais sa maîtresse est plus digne de lui.

Date inconnue.

5oi. Le Léthé, fleuve des Enfers, dont l'eau faisait tout

oublier.

5°2. Anacréon de Téos, cf. Odes IV, IX, 9.

503. Hélène.

XV

Chanson d'amour. Néère a fait serment d'aimer tou-

jours Horace, et elle l'abandonne pour un autre. Mais

cet autre sera, lui aussi, abandonné un jour; alors, le

poète rira bien. Date inconnue.

504. Orion, cf. Odes I, xxvIII, 21.

505. Le Pactole, fleuve de Lydie, qui roulait des pail-lettes d'or.

506. Pythagore, cf. Odes I, xxvIII, !O.

507. Nirée, cf. Odes III, xx, 15.

XVI

Ecrite vraisemblablement en 41, au moment de la

guerre de Pérouse, cette épode, dans laquelle Horace

s'adresse aux Romains, évoque les craintes que faisait

concevoir pour l'avenir de Rome ce recommencement des

luttes civiles. Un seul moyen d'y échapper abandonner

la ville et aller chercher dans les îles Fortunées un plusheureux séjour. Les Romains y trouveront les douceurs

de l'âge d'or, dont le poète fait un tableau enchanteur,

qui rappelle la quatrième bucolique de Virgile, composée

en 40.

508. Les Marses avaient joué un rôle prépondérantdans la guerre sociale.

Page 329: Horace - Oeuvres

NOTES33

509. Porsenna, roi d'Etruric, essaya vainement, en 510,de rétablir sur son trône Tarquin le Superbe.

510. Dans la seconde guerre punique, Capoue essayade se poser en rivale de Rome et prit le parti d'Hannibal.

Spartacus, le chef de la guerre des Esclaves.

511. Au moment de la conjuration de Catilina, lesAllobroges qui avaient d'abord écouté les propositions desconjurés, les révélèrent au consul Cicéron.

512. Les Cimbres et les Teutons, vaincus à Aix parMarius.

513. En 534 av. J.-C., les habitants de Phocée, villed'Asie Mineure, assiégés par les troupes de Cyrus, quit-tèrent leur ville pour s'enfuir vers l'Ouest. Un certainnombre revinrent, malgré les serments par lesquels ilss'étaient interdit le retour. D'autres allèrent fonder Mar-seille.

514. Le cap Matinus, cf. Odes I, xxvm, 2.

515. Le navire qui porta les Argonautes en Colchidc.

516. Médée.

XVII

Un des rares exemples de dialogue qui se rencontrentdans l'œuvre lyrique d'Horace. Dans les cinquante-deuxpremiers vers, le poète rétracte ironiquement toutes lesaccusations qu'il a portées contre Canidie (cf. Epodes, v).Dans la seconde partie, Canidie refuse d'écouter cetterétractation; en réalité, elle reconnaît l'exactitude detous les griefs du poète. L'épode est donc une violentesatire personnelle, qui complète la cinquième. C'est vrai-semblablement une des dernières épodes, peut-être ladernière.

517. Le fuseau de la magicienne produisait, en tour-nant dans un sens, certains sortilèges, dont l'effet étaitannulé, si on le faisait tourner en sens contraire.

518. Télèphe, fils d'Hercule, blessé par la lance d'Achille,fut guéri par la même lance, dont la rouille cicatrisa sablessure. Achille, petit-fils de Nérée, par sa mèreThétis.

519. Achille se laisse fléchir par le vieux Priam, venude Troie lui redemander le cadavre d'Hector.

520. Les compagnons d'Ulysse, changés en pourceauxpar Circé, reprirent, avec son agrément, la forme humaine

(Homère, Odyssée, VIII, 388).

521. Il y avait en Sabine de nombreuses sorcières.

522. Sur les incantations marses, cf. Epodes, v, 76.

Page 330: Horace - Oeuvres

332HORACE

523. Le poète Stésichore avait attaqué violemment

Hélène, dont les frères, les Gémeaux, le rendirent aveugle

jusqu'au moment où il se rétracta.

524. Les cérémonies funèbres durant huit jours, c'est

le neuvième jour que Canidie allait chercher les cendres

des pauvres gens enterrés dans l'Esquilin (cf. Epodes, v,

98).

ç;2g. Cotytto, déesse thrace, dont les mystères don-

naient lieu aux pires orgies.

526. Les Pélignes, peuple voisin des Marses.

527. Les légendes de Tantale, de Prométhée et de

Sisyphe sont connues.

528. L'épée norique, cf. Odes I, xvi, 9.

Page 331: Horace - Oeuvres

SATIRES

LIVRE PREMIER

i

Rien ne permet de déterminer avec précision la datede la première satire, adressée à Mécène, comme la pre-mière ode et la première épître. Horace y développecomplaisamment un thème connu. Personne n'est contentde son sort; et pourtant personne n'en voudrait changer.Les hommes se tuent à acquérir, sans savoir profiter dece qu'ils ont acquis. Cupidité et avarice sont les vices lesplus ordinaires. Or le bonheur consiste dans le juste milieu.

529. Fabius, de Narbonne, chevalier romain, philo-sophe stoïcien, auteur de traités de morale longs et diffus.

530. Le soleil entre au milieu de janvier dans la cons-tellation du Verseau (Aquarius).

531. L'Aufide (Ofanto), fleuve d'Apulie, pays d'Horace.

532. Les filles de Tyndare, Hélène et Clytemnestre.Cette dernière tua Agamemnon d'un coup de hache.

533. Névius, probablement l'avare qu'a raillé Lucilius.Nomentanus, prodigue dont Horace s'est souvent

moqué (Satires I, VIII,II; II, 1, 22; II, ni, 175et 224).

534. Tanaïs, affranchi de Munatius Plancus, était uneunuque; le beau-père de Visellus avait une hernie.

535. Cf. La Fontaine, Fables, VIII, i, la Mort et leMourant.

Je voudrais qu'à cet âgeOn sortît de la vie ainsi que d'un banquet,Remerciant son hôte.

536. Horace a lui-même emprunté le trait à Lucrèce

(III, 935). Crispinus, philosophe stoïcien, comme Fabius,et aussi bavard que lui, aimait raconter des « histoires ».

Page 332: Horace - Oeuvres

334HORACE

II

La deuxième satire est, sans qu'on puisse en déterminer

la date avec précision, une des plus anciennes. Jeune

encore, Horace n'a pas acquis le goût qui lui fera, plus

tard, proscrire les détails et même les développements

cyniques; ici, il y insiste avec complaisance.Le point de départ est le suivant « Souvent la peur d'un

mal nous conduit dans un pire. » L'homme ne sait pas se

fixer dans un juste milieu. De cette idée découlent de

longues suites de vers sur les dangers auxquels on s'exposeen prenant pour maîtresse une femme mariée, sur la sécu-

rité dont on jouit et les satisfactions qu'on éprouve à

recourir aux affranchies et aux courtisanes.

537. Le chanteur Tigellius, dit le Sarde ou l'Ancien

cf. la satire suivante.

538. A Rome, l'intérêt légal était de un pour cent parmois. L'usurier Fufidius demande cinq pour cent parmois payés d'avance, ou soixante pour cent par an.

539. Les jeunes gens prennent la toge virile à dix-sept

ans; mais les billets signés par eux n'ont effet légal que

lorsqu'ils ont vingt-cinq ans.

540. La pièce de Térence dont il est ici question est

l'Heautontimoroumenos, « le Bourreau de soi-même ». Méné-

dème a, par ses violences, obligé son fils à partir pourl'Asie. Désolé de ce départ, il mène une vie très dure pourse punir.

541. Les personnages cités sont inconnus.

542. Le célèbre jurisconsulte Sulpicius Galba s'était

lui-même trouvé dans ce cas.

543. Salluste, neveu et fils adoptif de l'historien,

(cf. Odes II, il).

544. Villius avait pour maîtresse Fausta, fille de Sylla,femme de Milon.

545. Longarénus, autre amant de Fausta.

546. Lyncée, personnage mythique, dont la vue était

si perçante qu'il voyait au travers des murs.

547. Plautia Hypsea était connue pour avoir la vue

faible.

548. Les tissus de soie fabriqués dans l'île de Cos

étaient très fins et transparents.

549. Les Galles, prêtres de Cybèle, très efféminés et

eunuques. Philodène de Gadara, philosophe et rhéteur

Page 333: Horace - Oeuvres

NOTES335

épicurien, auteur de vingt-quatre épigrammes qu'a recueil-lies l'Anthologie grecque.

550. Ilia, la mère de Romulus; Egérie, la nymphe quiconseillait Numa.

SSI. Le jurisconsulte Fabius avait, lui aussi, été surprisen flagrant délit.

III

Dans toute la première partie de la troisième satire,écrite sans doute en -36, Horace montre combien est dif-ficile la vie sociale, si les hommes ne savent pas être indul-gents les uns pour les autres; non seulement ils ne par-donnent pas à leurs amis les légers travers qu'ils peuventavoir, mais ils transforment leurs qualités en défauts.Les stoïciens sont plus fous encore (deuxième partie dela satire), eux qui, sans tenir compte de l'histoire dumonde, des origines du droit, du bon sens, de la réalité,défendent l'absurde principe de l'égalité des fautes. Ilsprétendent que, seuls, ils ont la sagesse et la science;que, seuls, ils sont rois des rois ridicules, dont se moquentles enfants. Combien un simple particulier est plus heu-reux, s'il sait être raisonnable

S.S2. Tigellius, de Sardaigne, musicien et chanteur, pro-tège d abord par César, puis par Octave.

553. Les Latins disaient des œufs aux fruits; nousdisons du potage au dessert (du commencement à la findu repas).

554. La corde supérieure (summa) du tétracorde, pluslongue et plus grave; la corde inférieure (ima), pluscourte et plus aiguë.

555. Ménius, cf. Epîtres I, xv, 25. Novius, inconnu.

556. Le serpent était consacré à Esculape, qui avaitun temple à Epidaure, ville d'Argolide.

557. Rapprocher ces vers du couplet célèbre d'Eliante,dans le Mzsarztlzrope de Molière (II, 5). Les amants

Comptent les défauts pour des perfectionsEt savant y donner de favorables noms.La pâle est au jusnzin en blancheur cornparable,La noire à faire peur, une brune adorable.

558. Sisyphe, nain d'Antoine, le triumvir.

559. Labéon, sans doute celui qui devait devenir unjurisconsulte célèbre, appartenait à une famille réputéepour sa dureté envers les esclaves.

560. Ruson, usurier connu, auteur d'historiettes.

Page 334: Horace - Oeuvres

336HORACE

56I. Evandre, le vieux roi grec de Pallantée qui accueil-

lit Enée en Italie. Horace veut dire simplement un vase

ancien; on commençait à avoir la manie des vieux objets.

562. Chrysippe (IlIe siècle av. J.-C.), un des chefs de

l'école stoïcienne.

563. Le chanteur Tigellius Hermogène.

564. Alfénus était un cordonnier de Crémone, qui quitta

sa boutique pour venir faire son droit à Rome, devint un

jurisconsulte distingué et fut consul en 39.

565. Crispinus, déjà pris à partie par Horace, cf. Satires

I, 1, 120.

IV

Ecrite, selon toutes probabilités, en 38, la quatrième

satire est une apologie d'Horace et du genre satirique.

C'est Lucilius qui, imitant les poètes grecs de la comédie

ancienne, introduit à Rome la satire, qu'on peut appeler

à peine un genre poétique, la langue y étant très voisine

de la prose et les sujets étant empruntés à la réalité la

plus courante. Sans avoir la facilité de Lucilius, Horace

aime, comme lui, à dire ce qu'il pense et ne craint pas de

citer des noms; de là, les nombreux ennemis qu'il s'est

faits par les premières satires. Mais rien ne l'empêchera

d'exprimer son sentiment il doit ce trait de caractère à

l'éducation que lui a donnée son père cet excellent homme

l'exhortait au bien et le détournait du mal en lui citant

l'exemple des jeunes gens de son âge; et ainsi s'est déve-

loppé chez le poète l'amour de la vertu, l'horreur du vice

et aussi le goût de l'observation.

Cette très belle satire a été imitée par Perse (Sat. I),

Juvénal (Sat. I), surtout Boileau (Sat. VII et IX).

566. Les trois grands poètes de la comédie ancienne,

à Athènes (ve et Ive siècles av. J.-C.). D'Eupolis et de

Cratinus, il ne reste que des fragments. D'Aristophane,

il nous reste onze comédies. Aucune différence entre ce

genre de comédie et la poésie satirique.

567. Lucilius (11e siècle av. J.-C.), ami de Scipion

Emilien, le premier en date des satiriques latins.

568. Crispinus, cf. Satires I, I, 120.

569. Fannius, mauvais poète, parasite du chanteur

Tigellius Hermogène.

570. Albius, inconnu.

571. Il a du foin aux cornes c'est le procédé qu'on

employait pour les bœufs dangereux.

572. Ce sont là des sujets traités fréquemmenr par la

Page 335: Horace - Oeuvres

NOTES 337

comédie nouvelle en Grèce, et, à Rome, par Plaute et

Térence (cf. Art poétique, 93).

573. Sulcius et Caprius, deux avocats qui étaient moins

des défenseurs que des accusateurs. On sait qu'à Rome

il n'y avait pas de ministère public. Les accusateurs

étaient, en général, peu estimés; ce fut pis quand, sous

Claude et ses successeurs, ils devinrent des délateurs.

574. Tigellius Hermogène, cf. Satires I, in, 129.

575. C'est le vers 27 de la deuxième satire.

576. Capitolinus, contemporain d'Horace, convaincu

de concussion, et qui échappa, grâce à de hautes influences.

Rapprocher tout ce passage de Boileau (Sat. IX, 157).

577. Tous les noms cités sont évidemment ceux de

jeunes gens que tout le monde à Rome connaissait.

578. Les Juifs, très nombreux à Rome au temps

d'Horace, étaient connus pour se soutenir les uns les autres

et pour intervenir en groupe dans maintes affaires.

v

Ce voyage à Brindes est un modèle de joli reportage.Il se fit en .r 37, au moment où Sextus Pompée soulevait

la Sicile contre les triumvirs. Octave envoya à Brindes,

Mécène, Coccéius et Fontéius Capito pour négocier avec

Antoine une nouvelle réconciliation, que rendait indispen-sable le danger couru par Rome. Horace et quelques autres

amis de Mécène accompagnaient les négociateurs. Le

voyage semble avoir duré treize jours; les différentes

étapes en sont marquées avec précision.L'itinéraire d'Horace a été le suivant Départ de Rome

par la Voie Appienne, et

Ire étape Aricie, à 16 milles.

2e étape Forum Appi, à 43 milles.

3e étape après un voyage nocturne à travers les Marais

Pontins et un déjeuner à la fontaine Féronie, coucher à

Terracine (Anxur), 59 milles.

4e étape par Fundi, 72 milles, coucher à Formies,

85 milles.

5e étape par Simiessa, 102 milles, le Pont Campanien,

129 milles.6e étape par Capoue, 146 milles, Caudium, 167 milles.

7e étape par Bénévent (déjeuner), 178 milles, coucher

à Trivicum, 203 milles.

8e étape Asculum, 227 milles.

9e étape Canusium, 262 milles.

ioe étape Rubi, 285 milles.

Page 336: Horace - Oeuvres

338HORACE

IIe étape Bari, 308 milles.

i2e étape Egnatia, 345 milles.

13e étape Brindes, 376 milles.

579. Aricie, près du lac de Némi, est à seize milles de

Rome.

580. Au Forum d'Appius, on quitte la voie Appiennepour prendre le canal qui traversait les Marais Pontins.

581. On reprend la route de Féronia. Ce nom est celuid'une vieille déesse italiote, protectrice des affranchis.

582. Anxur ou Terracine (Anxur est le nom volsque,Terracine le nom latin).

583. Coccéius et Fontéius Capito, amis des deux trium-

virs, avaient déjà une première fois, à Brindes, en 40,

négocié entre eux un rapprochement.

584. A Fundi, les voyageurs s'amusent d'un magistratmunicipal qui veut singer les magistrats romains, en por-tant la robe prétexte, le laticlave (tunique des sénateursavec deux bandes de pourpre) et le petit réchaud (un desattributs du préteur urbain).

585. Muréna, cf. Odes II, x.

586. Varius, cf. Odes I, vi. Plotius Tucca fut chargé,avec Varius, de publier l'Enéide, après la mort de Virgile.

Sinuesse, comme Formies (v. 37), était un centre de

villégiature.

587. Les Osques, peuple de Campanie, n'avaient pasune excellente réputation. L'un des deux bouffons était

Osque; l'autre était un ancien esclave. Observer, à

propos de cette petite scène, que les Romains, même quandc'étaient des gens distingués, s'amusaient de plaisanteriesqui aujourd'hui ne nous font pas rire.

588. Le mal campanien il est assez malaisé de déter-

miner ce qu'il faut entendre par là; mais on peut conjec-turer qu'il s'agit de grosses verrues ou de loupes.

589. On arrive en Apulie c'est le pays d'Horace;Venouse est tout près.

590. La ville dont il est question est Asculum, sur le

versant de l'Adriatique, aujourd'hui Ascoli.

591. A Egnatie, comme dans plusieurs villes déjà tra-

versées, on manquait d'eau.

592. Allusion à la philosophie épicurienne, célébrée

par Lucrèce (v, 82; VI, 56) si les dieux existent, ils ne se

préoccupent pas de ce qui se passe sur terre.

Page 337: Horace - Oeuvres

NOTES 339

VI

La sixième satire ressemble à une épître. Composéeprobablement en 37, peu après qu'Horace eut été admisdans l'intimité de Mécène, elle nous renseigne avec pré-cision sur les origines de cette amitié, sur la façon dontnotre poète fut élevé par un père affectueux et intelligent,sur la vie simple qui a toutes ses préférences. C'est une

autobiographie écrite sur le ton de la conversation fami-lière. Nous sommes heureux, sinon surpris, d'entendreHorace proclamer sa fierté d'avoir eu un père qui ait sufaire de lui l'honnête homme qu'il se vante d'être; nousl'aimons davantage pour ce sentiment de gratitude qu'ila si bien exprimé.

593. Cf. Odes I, i, i. Suivant la légende, les Lydiensavaient colonisé l'Etrurie, sous la conduite de Tyrrhénos.

594. L'expression latine, littéralement tanir quelqzs'unsusperzdu à son nez aquilirz, a pour équivalent françaisregarder quelqu'un de haut.

595. Servius Tullus avait pour mère une esclave pri-sonnière de guerre.

596. Valérius Lxvinus ne put jamais dépasser la ques-ture, quoique descendant de Valérius Publicola qui fit avecBrutus la révolution de 510 et chassa les rois de Rome.

597. Décius, en 340 av. J.-C., se dévoua pour sauverl'armée.

598. Tillius, inconnu. Un fils de chevalier pouvaitêtre autorisé, à titre honorifique, à revêtir le laticlave; il

y renonçait quand il briguait une magistrature supérieureet ne le reprenait que s'il était élu. Un des moyens d'ar-river au Sénat était de se faire nommer tribun.

599. Le brodequin noir, attaché par quatre courroies,jusqu'à mi-jambe, était la chaussure des sénateurs.

600. Dama, Denys, noms d'esclaves.

601. Un cheval de Saturium, région de pâturages dansles environs de Tarente.

602. L'école de Flavius, à Venouse, sa ville natale.

603. Il suppose que ce Tillius, dont il nous a parléplus haut, est arrivé à la préture, l'une des plus hautes

magistratures; mais il n'a pas gagné en tenue; et, quand il

voyage, il emporte avec lui, pour éviter les hôtelleries, ce

qu'il faut pour faire sa cuisine.

604. Il y avait sur le forum une statue de Marsyas,excellent joueur de flûte, qu'Apollon avait fait écorcher

Page 338: Horace - Oeuvres

34aHORACE

vif pour le punir d'avoir voulu rivaliser avec lui. Marsyasn'était pas beau; il était représenté dans une telle attitude,

qu'il avait l'air de ne pas vouloir regarder la boutique de

l'usurier Novius le jeune, qui se trouvait près de la statue.

605. Natta, un avare, dont nous ne savons rien.

VII

Cette satire, l'une des plus anciennes, fut écrite vers

41, au retour d'Horace en Italie, après Philippes. C'est

une scène comique on y voit deux hommes d'affaires

qui, devant le tribunal de Brutus, propréteur en Asie,

s'injurient copieusement. L'œuvre n'est pas parfaiteune longue parenthèse d'une dizaine de vers est tout à fait

inutile.

606. Rupilius Rex, ancien préteur proscrit par les trium-

virs, alla trouver Brutus en Asie.

607. Les gens qui n'ont rien à faire ceux qui ont mal

aux yeux sortent, ne pouvant pas travailler; les bavards se

retrouvent chez les coiffeurs.

608. Persius était un sang mêlé (grec et romain). Il

doit à son origine grecque d'être un peu plus fin que son

adversaire c'est lui qui trouvera le calembour de la fin.

609. Clazomènes, en Asie Mineure, près de Smyrne.

610. Sisenna et Barrus, inconnus. Les chevaux blancs

avaient la réputation d'être plus rapides que les autres.

611. Le Lycien Glaucus n'était pas un lâche, mais un

sot. Echangeant ses armes avec Diomède, il lui fait un

don d'une valeur dix fois supérieure à celui qu'il reçoit.

612. Bithus et Bacchius, célèbres gladiateurs contem-

porains.

613. Préneste, ville du Latium.

614. La vigne en Italie devait être taillée avant l'arrivéedu coucou. Quand un vigneron était en retard, les passantsse moquaient de lui, en imitant le chant de l'oiseau.

L'autre ripostait de l'arbre sur lequel s'appuyait la vigne.De là, des lazzi et même des injures.

615. Brutus est le meurtrier de César; un autre Bru-

tus a chassé de Rome Tarquin le Superbe. L'attribution

essentielle des gens qui portent ce nom semble donc être de

supprimer les rois que Brutus supprime celui-ci (Rex).

VIII

Ecrite à une date inconnue, la huitième satire est

Page 339: Horace - Oeuvres

NOTES341

une attaque nouvelle contre Canidie et les sorcières(cf. Epodes, v), dont les méfaits sont exposés par une statueen bois de figuier représentant le dieu champêtre Priape.

616. Pantolabus, inconnu; Nomentanus, cf. Satires I,I, 101.

617. Une inscription sur les tombeaux indiquait quele sol même de la tombe ne pouvait être vendu avec lereste de l'héritage.

618. Le mont Esquilin était un quartier mal famé;on y faisait les exécutions capitales; on y enterrait lesesclaves et les misérables. Mécène en fit un des quartiersles plus élégants de Rome on y dessina des jardins, ony construisit des villas; celle de Mécène était célèbreAuguste, malade, vint y séjourner.

619. La poupée de laine représente la personne quidoit bénéficier de l'opération magique; la poupée de cire,celle contre qui l'opération est faite.

620. Hécate, ou la Lune, ou Proserpine. Tisiphone,une des trois Furies.

621. Les plaisanteries de Priape manquent de distinction(cf. plus haut).

IX

Composée peu après l'année 37, où Horace fut admisdans l'intimité de Mécène, cette satire, dont on peutrapprocher la satire vIII de Régnier, est un modèle de viva-cité et d'esprit. Le poète y met en scène un fâcheux quise saisit de lui pendant une promenade et dont tous sesefforts ne peuvent le débarrasser. En passant, un beléloge de Mécène et de la société qu'on rencontrait chezlui.

622. Bolanus, inconnu.

623. Ils s'étaient rencontrés sur la Voie Sacrée prèsdu Forum, sur la rive gauche du Tibre. Il s'agit d'allerde l'autre côté, au pied du Janicule, où se trouvaient lesjardins donnés au peuple par César. La course est longue.

624. Viscus, chevalier romain, ami d'Auguste et dontun fils était l'ami d'Horace. Varius, cf. Odes I, vi.

625. Hermogène, cf. Satires I, III, 129.

626. Le temple de Vesta, non loin du Forum; près delà, le tribunal.

627. L'assignation avait été lancée, et la caution versée.Le plaideur qui ne répondait pas à l'appel de son nomperdait sa caution et son procès.

628. Le fâcheux est en même temps un sot. Il com-

Page 340: Horace - Oeuvres

342HORACE

prend, non que Mécène ne se lie pas facilement, mais

qu'il fait garder sa porte par des serviteurs qu'il suffit

d'acheter pour pouvoir arriver jusqu'à lui.

629. Aristius Fuscus, cf. Odes I, xxn, et Epîtres I, x.

630. Le trentième jour du mois, donc la nouvelle lune,

jour de la fête juive du sabbat. Naturellement, les Juifs

ne traitaient aucune affaire ce jour-là.

631. Il s'agit de celui avec qui il était en procès.

x

La dixième satire tient dans l'œuvre d'Horace une

grande place elle complète et parfois corrige la qua-

trième elle est comme la préface de l'Art poétique. Luci-

lius garde le mérite d'avoir créé la satire nul ne peut le

lui disputer, ce qui ne veut pas dire qu'il n'ait pas de

défauts. Il faut savoir en convenir et réserver le premier

rang parmi les écrivains à ceux qui, sévères pour eux-

mêmes, consentent à travailler lentement, à ne pas reculer

devant les corrections, à prendre leurs modèles en Grèce,

non chez les Alexandrins, comme fit Catulle, mais chez

les plus grands; à chercher l'approbation, non du vulgaire,

mais des honnêtes gens. C'est ce que ne manquent pas

de faire les meilleurs auteurs contemporains.

Cette satire fut probablement écrite peu avant la publi-

cation du premier livre, en -35.

632. Labérius, auteur de mimes, petites pièces réalistes

et violentes, pleines de personnalité. César contraignit

Labérius à monter en personne sur le théâtre pour y jouer

ses mimes.

633. Le personnage, désigné ici par le mot de singe, sera

nommé plus bas (v. 79) c'est Démétrius.

634. Catulle, mort en 54, auteur d'épigrammes, fut,

avec Lucrèce, le plus grand poète de son temps; c'est

un imitateur des Alexandrins. Calvus, contemporain

et ami de Catulle, auteur de violentes épigrammes dirigées

contre César.

635. Pitholéon, sans doute l'affranchi d'Otacilius, a

écrit des épigrammes contre César.

636. Pétillius, cf. Satires I, iv, 96.

637. Pédius et Corvinus Poplicola (Messala), juris-

consultes et orateurs célèbres. Le raisonnement d'Ho-

race est le suivant aurait-on l'idée de louer chez un

orateur le mélange constant du grec et du latin ? Evidem-

ment non; car le discours serait fatigant et peu intelligible.

Ce n'est pas un moindre défaut chez les poètes.

Page 341: Horace - Oeuvres

NOTES343

638. Canusium, ville de la Grande Grèce, dont leshabitants mêlaient en parlant le grec et le latin.

639. Furius Bibaculus, contemporain de Catulle, avaitfait un poème sur la guerre des Gaules, dont le début, oùil est question en même temps des Alpes, de Memnon etdu Rhin, était emphatique et ridicule.

640. Tarpa jouait un rôle de censeur et choisissait lespièces qui devaient être représentées dans les cérémoniespubliques ou les théâtres.

641. Fundanius, poète comique contemporain. Pol-lion, cf. Odes II, i.

642. Dave, Chrémès, personnages de l'Ardrienne deTérence.

643. Varius, cf. Odes I, vi.

644. Varron de l'Atax, qui venait de mourir, auteurd'un poème épique et de satires dont il ne nous est rienresté.

645. Cassius l'Etrusque. Son œuvre, semble-t-il, étaitassez abondante pour qu'on pût en faire un bûcher.

646. Par auctor, il faut entendre non le créateur (inven-tor de la satire, que fut Lucilius, mais Ennius, qui neréussit pas à donner au genre sa forme fixe.

647. Arbuscula, nom d'une mime célèbre, dont a parléCicéron.

648. Pantilius, Démétrius, inconnus.

6;9. Rapprocher toute cette fin de la satire et l'évoca-tion des hommes de goût dont Horace souhaite l'appro-bation, de la septième épître de Boileau (ill fine) où l'ontrouve un mouvement semblable. Plotius, cf. Satires I, v,40. Valgius, cf. Odes II, IX. Octavius Musa, poète ethistorien. Aristius Fuscus, cf. n'pitres I, x. Viscus,cf. Satires I, IX, 22. Bibulus, ami d'Antoine, plusieursfoi. négociateur entre les deux triumvirs. Servius,peut-être le fils du grand jurisconsulte, ami de Cicéron.

Furnius, historien et orateur.

650. Démétrius ci Tigellius sont présentés ici commeprofesseurs de chant.

Page 342: Horace - Oeuvres
Page 343: Horace - Oeuvres

LIVRE DEUXIÈME

1

La première satire, dialoguée comme quelques autresdu second livre, a sans doute été écrite en 30, peu avantla publication du recueil, et pour lui servir de prologue.Elle traite à nouveau du genre satirique (cf. satires IVet Xdu premier livre) et, sous la forme d'une consultationde droit, présente, dans un dialogue animé et vivant, ladéfense du poète, à qui la publication du premier livreavait fait de nombreux ennemis. Le jurisconsulteTrébatius, de vingt-cinq ans environ plus âgé qu'Horace,avait été un ami de Cicéron et de César; il était très estimé

par Auguste.

651. Répétition du vers i de la huitième satire dupremier livre.

652. Milonius, inconnu.

653. Ces vers ne sont pas un hors-d'œuvre. J'apportedans le genre satirique, dit Horace, la véhémence d'unde ces colons envoyés jadis dans les pays récemmentconquis, pour protéger Rome contre un retour offensifdes vaincus. Venouse était sur les confins de la Lucanieet de l'Apulie.

654. Cervius, délateur contemporain d'Horace.

655. Canidie la sorcière, fille, femme ou maîtresse d'Al-bucius, lequel ne valait pas mieux qu'elle et avait empoi-sonné sa mère.

656. Turius, juge prévaricateur.

657. Scæva, inconnu.

658. Lucilius vécut dans l'intimité de Lélius et de

Scipion Emilien (le second Africain). Il avait attaquéviolemment Cécilius Métellus, le vainqueur de la Macé-doine, et Cornélius Lentulus Lupus, consul, condamnéplus tard comme concussionnaire.

Page 344: Horace - Oeuvres

346 HORACE

659. Horace reproduit presque textuellement la loi desDouze Tables.

II

Horace, dans cette satire écrite vers l'année 33, rap-porte les propos d'un voisin de campagne, Ofellus,dépouillé de sa terre au profit d'un soldat, pendant les

guerres civiles, et qui garde, malgré tout, la sage philo-sophie d'un paysan de l'ancien temps. C'est folie de fairesans cesse trop bonne chère la santé en souffre, et aussila fortune et la réputation. Ce n'est pas une raison pourvivre dans une avarice sordide là, comme toujours, lavertu est dans un juste milieu.

660. Le loup de mer remontait le Tibre; on l'appré-ciait davantage quand il avait été pêché dans le fleuve,surtout entre les ponts Fabricius et Cestius, où le poissons'engraissait de tous les débris que lui apportait la CloacaMaxima.

661. Les Harpyes, monstres ailés, moitié femmes, moi-tié oiseaux, très voraces, dépeints par Virgile (lin ¿ideIII, 225).

662. L'Auster, vent du sud, fait tourner très vite lesaliments.

663. Gallonius, gourmand célèbre, attaqué par Lucilius.

664. Rufus, candidat malheureux à la préture, avait,le premier, servi sur sa table des cigognes.

665. Avidiénus, et plus bas Albucius, Naevius sont desvoisins de campagne.

666. Trausius, inconnu.

III

Satire dialoguée, écrite en 31 ou 30. C'est l'œuvre laplus longue d'Horace (326 vers) après l'Art poétique (476vers). Le poète y traite des folies humaines (cf. la neu-vième satire de Boileau, qui porte ce titre, mais est moinsvive d'allure et plus monotone). Le poète imagine qu'unstoicien, Damasippc (peut-être celui dont parle Cicérondans ses lettres à Atticus, peut-être un personnage de fan-

taisie), vient le trouver dans sa maison de la Sabine, pour luidémontrer qu'il est fou, comme d'ailleurs tous les hommes,exception faite pour les disciples du Portique. Ce Dama-

sippe lui rapporte un long discours que lui a tenu Ster-tinius (cf. Epitres I, XII, 20), pour l'empêcher de se suiciderau moment où il venait de se ruiner. Stertinius divise enquatre classes les folies des hommes, suivant qu'elles sontcausées par l'amour de l'or (v. 82-157), par l'ambition

Page 345: Horace - Oeuvres

NOTES347

(v. 158-223), par la luxure (v. 224-280), par la supersti-tion (v. 281-295). A la fin, quand Damasippe croit avoirconvaincu son interlocuteur, celui-ci fait une pirouetteet lui rit au nez.

667. Les Saturnales, à la fin de décembre; c'étaient

cinq jours d'orgie. Horace n'a pas voulu faire comme toutle monde (sobrius).

668. Les Stoïciens laissaient pousser cheveux et barbe.

669. La galerie de Janus, la Bourse.

670. Sisyphe, fondateur et roi de Corinthe, avait la

réputation d'un homme rusé.

671. Mercure, dieu du commerce et protecteur des

fripons.

672. Au pont Fabricius, les suicides étaient nombreux.

673. Chrysippe, cf. Satires I, ni, 127.

674. Dans une tragédie de Pacuvius, l'ombre de Déi-

pyle, tué par son père, apparaît à sa mère Iliona et luidemande la sépulture. Le rôle d'Iliona était tenu parl'acteur Fufius, celui de l'ombre par Catiénus. Fufius, ivre,s'était endormi, et comme il ne répondait pas aux appels,les spectateurs se joignirent à Catiénus en criant Mater,te appello.

675. Nérius, banquier. Cicuta, surnom de Pérellius

(v. 75), autre banquier.

676. Aristippe, cf. Fpîtres I, i, 18.

677. Opimius, inconnu. Le vin de Véies était un petitvin.

678. Anticyre, au nord du golfe de Corinthe. La régionproduisait l'ellébore en abondance.

679. Oppidius, inconnu. Canusium, cf. Satires I, v, 9 t.

680. Nomentanus, cf. Satires 1, 1, 103. Cicuta, v.

plus haut v. 69.

681. C'est en 33 qu'Agrippa fit, comme édile, exécuterde grands travaux.

682. Rufa et Posilla, noms courants de femmes.

683. Bellone, déesse de la guerre.

684. Mille talents, plus de trente mille francs-or envi-ron.

685. La rue de Toscane, populeuse et commerçante,dans le quartier du Vélabre.

686. Un million de sesterces, soit zoo 00o francs-or.

687. Esope, l'acteur célèbre.

Page 346: Horace - Oeuvres

348HORACE

688. Polémon (IIIe siècle av. J.-C.), stoïcien, converti

par Xénocrate, à qui il succéda comme chef de l'école.

689. Fasciolas, bandes qui servaient de bas; cubital,

coussin pour appuyer le coude à table; focalia, cravates.

Tous objets dont n'usaient que les gens efféminés.

690. Le Picénum, région italienne sur le versant adria-

tique elle produisait de bons fruits.

691. Nous ne savons rien de l'événement mentionné

ici par Horace.

692. Ménénius, inconnu.

693. Agavé, mère de Penthée, roi de Thèbes. Rendue

folle par Bacchus, elle tua son fils, et prit sa tête dans ses

mains, en disant qu'elle venait de tuer un lion.

694. Turbon, gladiateur.

695. Cf. La Fontaine, Fabln,s, I, III, la Grenouille quiveut se faire aussi grosse que le bœuf.

IV

Aucun détail ne permet de déterminer la date de la

quatrième satire, dialoguée comme plusieurs autres du

même livre. L'interlocuteur d'Horace est un nommé

Catius, qui ne semble pas être le contemporain de Cicéron,dont Quintilien parle comme d'un non injucundus auctor

(X, 1, 124). Mais c'est un épicurien, comme lui, qui donne

à Horace des préceptes de gastronomie et de cuisine. Alors

« les dîners avaient pris beaucoup d'importance et on les

regardait comme une véritable affaire d'Etat. C'était une

science très compliquée dans l'entourage de Mécène, on

se piquait de la pratiquer en perfection. Horace s'est moquéde cette prétention ». (G. Boissier, Nouvelles promenades

archéologiques, p. 49.)

696. Socrate accusé devant les juges par Anytus, Méli-

tus et Lycon.

697. Aufidius, gourmet dont il est fait mention dans

l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien (X, 45).

698. Cos, île de la mer Egée.

699. Baies, cf. Odes II, xVIII, 20. Le Lucrin, cf. Odes II,

xv, 3. Circé, ville du Latium. Misène, ville de Cam-

panie. — Tarente, cf. Epîtres I, VII, 45.

700. L'Ombrie est un pays montagneux; Laurentum est

dans une région marécageuse, sur le bord de la mer Tyrrhé-nienne.

701. La saumure était préparée avec le thon qu'on

pêchait dans le Bosphore.

Page 347: Horace - Oeuvres

NOTES 349

702. Le Picénum, région montagneuse sur le versantde l'Adriatique.

v

L'aventure de Coranus et Nasica (vers 62) permet defixer exactement la date de la cinquième satire; cette aven-ture est de 30. L'œuvre lui est postérieure de très peu.

Dans un cadre grec (dialogue entre Ulysse et le devin

Tirésias), Horace fait avec une verve amusante le portraitdu captateur de testaments. Aucun détail ne manque surcette pratique déjà très courante sous Auguste, et quidevait encore s'amplifier et se perfectionner par la suite.

C'est un tableau de mœurs, très animé, très vivant.

703. C'était au dieu lare que l'on offrait les prémicesdes fruits.

704. Le procédé sera rappelé encore dans les Epîtres I,

i, 78.

705. Dama, nom d'esclave.

706. Le poète Furius, cf. Satires I, x, 36.

707. D'autres vieillards viendront s'ajouter à celui donttu as fait ta dupe.

708. La première ligne du testament donnait le nomdu testateur; la seconde, celui de l'héritier.

709. De quinquévir, agent de police, il était devenu

greffier; cette corporation était plus relevée.

710. Auguste.

711. Dave, l'esclave bien connu de la comédie.

VI

Une des satires les plus aimables d'Horace, écrite dansl'hiver 31-30. Familier de Mécène, qui lui a donné saterre de Sabine, le poète se soustrait tant qu'il peut auxtracas de la ville, pour se réfugier à la campagne; là, il

mène une vie tranquille, réunit à sa table quelques amis,cause familièrement avec eux des questions de morale quil'intéressent, et prend plaisir à écouter l'un d'eux raconteravec une verve pittoresque la fable « Le Rat de ville etle Rat des Champs ». L'apologue de La Fontaine paraîtsec et étriqué à côté du récit abondant et varié d'Horace.

712. Fils de Maïa, Mercure, que les Anciens remer-

ciaient de ce qui leur arrivait d'heureux.

713. Hercule veille sur les trésors.

714. Ce poème est sans doute une satire; mais il n'en

Page 348: Horace - Oeuvres

350 HORACE

a que le tour enjoué et familier; aucune invective, aucune

violence; c'est déjà le ton des Epîtres.

715. L'Auster, cf. Odes II, xiv, 15.

716. C'est dans le quartier autrefois mal famé (atras)de l'Esquilin qu'étaient la maison et le jardin de Mécène.

717. Le Putéal, cf. Epïtres I, XIX, 8.

718. Gallina et Syrus, deux gladiateurs.

719. C'est le moment où les Daces sont un danger pourl'Empire (cf. Odes III, vi, 14I.

720. La Sicile est appelée Triquètre, l'île des trois

pointes.

721. On se rappelle que, dans la doctrine pythagori-cienne de la métempsychose, les âmes, après la mort, émi-

graient dans le corps d'autres êtres vivants et souvent mêmedans les plantes.

722. Les lois stupides imposées par le roi du festindans les dîners ordonnés à la grecque.

723. Lépos, danseur, favori d'Auguste.

724. Cervius, un voisin de campagne.

VII

Cette satire est un dialogue entre Horace et son esclave

Dave, qui profite de la liberté des Saturnales pour dire àson maître ce qu'il pense de lui. Le portrait n'est pasflatté; mais il ne faut pas le prendre au pied de la lettre.Horace a des travers, notamment l'inconstance et un cer-tain goût pour le libertinage et la bonne chère. Sous laforme plus libre de la satire, le poète fait une de ces confes-sions qui abondent dans les Bpîtres et sont pour nous

pleines de charme. Il est impossible de préciser la datede cette satire.

725. Priscus, inconnu. L'anneau était d'abord porté à lamain gauche, par les chevaliers et les sénateurs. Plus tard,les élégants s'en couvrirent les doigts des deux mains.

726. Vertumne, le dieu qui préside aux changementsde la nature.

727. Volanérius, inconnu.

728. Pour punir les esclaves, on leur passait au cou unefourche, aux extrémités de laquelle on attachait leursmains; on les promenait ainsi dans tout le voisinage (cf. plusbas v. 66).

729. Milvius, un bouffon.

Page 349: Horace - Oeuvres

NOTES 351

HORACE 12

730. Crispinus, cf. Satires I, I, 120.

731. Dama, cf. Satires II, v, 18.

732. Celui qui se vendait comme gladiateur acceptaitpar le contrat de vente d'être, dans certaines conditions,brûlé, fouetté, poignardé.

733. Proprement de la baguette dont on touchait l'es-clave au moment de l'affranchir.

734. L'esclave pouvait, sur son pécule, acheter un autreesclave pour l'aider dans son travail (vicarius); tous deuxétaient en réalité les esclaves du maître.

735. L'image de la bille ou de la boule était familièreaux Stoïciens.

736. Pausias, peintre grec (ive siècle av. J.-C.).

737. Fulvius, Rutuba, Placidéianus, gladiateurs.

VIII

Sous la forme d'un dialogue avec son ami Fundanius

(cf. Satires I, x, 42), Horace, dans la huitième satire, dontaucun détail ne permet de donner la date précise, raconteun repas ridicule (cf. Régnier, Sat. X et Boileau, Sat. III).C'est une scène de comédie, alerte et spirituelle Horace

s'y moque agréablement des parvenus qui veulent singerles grands seigneurs et ne réussissent pas à concilier leur

goût de l'ostentation et leur avarice.

738. Le sanglier de Lucanie, assez apprécié, commecelui d'Ombrie (cf. Satires II, IV, 40).

739. Le vin de Cos, cf. Satires II, iv, 29.

740. Les canéphores, à Athènes, portaient dans les

processions des corbeilles où se trouvaient les objets sacrésservant au culte de Cérès.

741. Viscus Thurinus, cf. Satires l, x, 83. Varius,cf. Odes I, vi, i.

742. Servilius Balatron et Vibidius, inconnus.

743. Nomentanus, adjudicataire des dîmes de Sicile;Porcius, collecteur d'impôts.

744. Nasidiénus est plaisamment comparé à un de cesfonctionnaires dont il est question, Satires I, v, 46.

745. Des coupes d'Allifae, ville du Samnium; ces coupesétaient très grandes.

746. Le poisson d'Espagne, le maquereau.

747. Méthymne, dans l'île de Lesbos.

748. Curtillus, inconnu.

Page 350: Horace - Oeuvres

352 HORACE

749. Peut-être Nasidiénus avait-il pris même son pale-frenier pour servir à table.

750. Rapprocher de ce vers le Misanthrope, de Molière

(acte II, sc. v)

ELIANTE. — Il prend soin de servir des mets fort délicats.

CÉLIMÈNE. Oui, mais je voudrais bien qu'il ne s'y servît

[pas.C'est un fort méchant plat que sa sotte per-

[sonne

Et qui gâte, à mon gré, tous les repas qu'il

[donne.

Page 351: Horace - Oeuvres

ÉPITRES

LIVRE PREMIER

I

A MÉCÈNE

Aucune date certaine pour cette épître. Elle fut vraisem-blablement écrite pour servir de préface au premier livre,à peu près en même temps que la vingtième et dernière

(en 21 av. J.-C.). Elle est, comme la première ode et la

première satire, adressée à Mécène.Celui-ci avait demandé au poète de nouvelles odes.

Horace répond que le temps de la poésie lyrique est passépour lui. C'est la morale qui désormais l'intéresse. Cher-cher quelques règles générales de vie, se corriger de ses

défauts, dédaigner la richesse, travailler à rendre son carac-tère plus stable et plus calme, voilà, aujourd'hui, son uniquepréoccupation.

751. Véianius, gladiateur connu qui, retiré du cirque,suspend ses armes en ex-voto dans le temple d'Hercule.

752. Aristippe, de Cyrène, disciple de Socrate, place lesouverain bien dans les plaisirs des sens; il est, en quelquemanière, le précurseur d'Epicure.

753. Lyncée, un des Argonautes, avait une vue perçante.Son nom était universellement connu.

754. La galerie de Janus, passage couvert qui conduisaitau forum, et où se tenaient les marchands et les changeurs.

755. Il fallait 400 000 sesterces (environ 80 00o francs-

or) pour être inscrit dans la classe des chevaliers.

756. La loi Roscia (proposée par le tribun Roscius)réservait, au théâtre, les quatorze premiers gradins aux

chevaliers, derrière les sénateurs, qui occupaient l'orchestre.

757. M. Curius Dentatus (llle siècle av. J.-C ), vainquitles Samnites. M. Furius Camillus (IVe siècle), plusieursfois dictateur, vainqueur dans les guerres contre Véies etcontre les Gaulois.

Page 352: Horace - Oeuvres

354HORACE

758. Voir la fable de La Fontaine, VI, xiv, le Lion

malade et le Renard.

759. Les captateurs de testaments s'attaquaient auxfemmes non mariées et aux vieillards sans famille. Ces

derniers sont comparés à un gibier qu'on enferme dans un

parc pour le chasser à loisir.

760. Baïes, près de Naples, nombreuses sources ther-

males centre de tourisme. Le lac Lucrin, au N.-O. de

Baïes.

761. Téanum, à 39 milles de Baïes, dans l'intérieur des

terres.

762. Le lectus genialis, placé dans l'atrium et consacré

au génie de la maison, ne se trouve que chez les hommes

mariés.

763. Protée, demi-dieu qui changeait sans cesse de

forme pour échapper aux poursuites (cf. Virgile, Géorg., IV,

440).

II

A LOLLIUS

Le destinataire de cette épître, Lollius Maximus, est

encore un tout jeune homme, puisqu'il est à l'école des

rhéteurs, où, suivant l'habitude des jeunes Romains, il lit

Homère. C'est donc à l'Iliade et à l'Odyssée qu'Horace

emprunte, à l'usage de son correspondant, ses leçons de

morale il faut mettre, à combattre nos passions, toute

l'ardeur que nous mettons d'ordinaire à les satisfaire. Le

ton de l'épître est grave et sérieux, comme il convient quandon s'adresse à un jeune homme. La date possible est 26.

764. Chrysippe (111e siècle av. J.-C.), philosophe grec,fondateur de l'école stoïcienne. Crantor, contemporainde Chrysippe, disciple de Platon, un des philosophes de

l'Académie.

765. Alcinoüs, roi des Phéaciens (Odyssée, VIII). Ce

peuple était réputé pour mener une vie plantureuse etfacile.

766. Les tyrans de Sicile, Denys de Syracuse, Phalarisd'Agrigente, étaient réputés pour leur cruauté raffinée.

III

A JULIUSFLORUS

Le beau-fils d'Auguste, le futur empereur Tibère, avait,en 20, été envoyéen Arménie, pour rétablir Tigrane surle trône dece pays(cf. Tacite, Annales,II, 3). Il était accom-

pagné d'un certain nombre de jeunes patriciens, qui for-

Page 353: Horace - Oeuvres

NOTES 355

maient autour de lui commeune petite cour (cohors) juliusFlorus, à qui est adressée cette épître, en faisait partie; ilcultivait les lettres. Horace lui demande de ses nouvelles,il s'enquiert également des occupations de quelques-unsde ses compagnons. L'épître est, naturellement, de .r 20.

767. L'Hèbre, aujourd'hui la Maritza.

768. Les deux tours de Sestos et d'Abydos, élevéessur les deux rives de l'Hellespont (Dardanelles).

769. Pindare, cf. Odes IV, II.

IV

A TIBULLE

Le poète élégiaque Tibulle, mort vers -19, à l'âge de

35 ans environ, avait sa maison de campagne près de Tibur,non loin de celle d'Horace. Il avait sans doute porté surles Satires un jugement favorable. Dans ce petit billet,Horace l'engage à secouer sa tristesse et à jouir de l'heure

présente. Il l'invite à venir le voir. Date incertaine.

770. Cassius de Parme, auteur d'épigrammes et d'élé-

gies, prit parti pour Brutus et Cassius contre Antoine etOctave et fut mis à mort sur l'ordre de ce dernier.

v

A TORQUATUS

Le personnage à qui est adressée cette invitation à dîner,est peu connu. Le dîner sera simple, mais, Horace l'espère,agréable. Il aura soin de tout préparer pour recevoir sonami avec quelques convives bien choisis. Le lendemainétant un jour de fête, on pourra passer la nuit à boire età causer. Date possible 20.

771. Le rhéteur Moschus, accusé d'empoisonnement,fut défendu par Torquatus et Asinius Pollion.

772. Le nom de « Ombres » était donné à des convivesnon invités, venus au dernier moment c'étaient généra-lement des parasites.

VI

A NUMICIUS

Numicius n'est pas connu; il semble seulement que cesoit un jeune homme. Horace lui donne une jolie et spiri-

Page 354: Horace - Oeuvres

356 HORACE

tuelle leçon de morale. Le vrai sage est l'homme modéré;tout excès, même de vertu, est un défaut. On peut sansdoute vivre autrement, rechercher la richesse, les honneurs,les plaisirs de la table, de l'amour. Mais, dans toute cette

partie de l'épître, les traits de satire abondent, et c'est la

preuve que, contrairement à ce que certains ont affirmé,Horace n'y prêche pas une seconde morale, en contradic-tion avec la première. L'idée essentielle est bien, jusqu'aubout, celle-ci Nil admirari. L'épître est postérieureà 25.

773. Le portique, élevé en 25 par Agrippa près dutemple deNeptune, était un des lieux de promenade les plusfréquentés. La voie Appienne, qui menait en Campanie,était, elle aussi, une des principales promenades de Rome.

774. Cibyra, ville d'Asie Mineure, près de laquelleétaient des mines de fer. La Bithynie, province d'AsieMineure, avait plusieurs ports de commerce.

775. Archélaüs, roi de Cappadoce, épuisé, comme tousles souverains d'Asie Mineure, par les lourds tributs exigésdes Romains, n'avait point d'argent. Sa seule richesseconsistait en esclaves, d'ailleurs assez peu estimés.

776. Lucullus, cf. Epîtres II, 11,26.

777. La ville de Céré, en Etrurie, avait rendu serviceà Rome pendant les invasions gauloises, et elle avait étérécompensée par l'octroi du droit de cité, mais sans ledroit de suffrage. C'est cette dernière idée seule que retientHorace; nous mériterons d'être privés par les censeursdu droit de suffrage, c'est-à-dire, en somme, d'être malnotés.

778. Mimnerme, cf. Epîtres II, II, 101.

VII

A MÉCÈNE

Cette délicieuse épître, adressée à Mécène, probable-ment en 20, fait autant d'honneur au destinataire qu'aupoète. Horace reconnaît qu'il doit son aisance à Mécène,mais il ne suppose pas un instant que son protecteur aitentendu, par ses bienfaits, enchaîner la liberté de son ami.Plutôt que d'accepter cette sujétion, le poète préféreraitrendre tout ce qu'il a reçu. Cette réponse, déférente, maisferme, est illustrée par des apologues contés avec esprit.

779. Comparer cet apologue avec la fable de La Fon-taine, III, XVII, la Belette entrée dans un grenier.

780. Au quatrième livre de l'Odvssée, Télémaquerefuse les présents que veut lui faire Ménélas.

Page 355: Horace - Oeuvres

NOTES 357

781. Rapprocher tout ce récit de la fable de La Fon-

taine, VIII, n, le Savetier et le Financier. -Philippe fut undes orateurs les plus célèbres de son temps. Il fut consulen 91. Cicéron parle de lui avec éloge dans le De Oratoreet dans le Brutus.

782. La huitième heure correspond à 2 heures de l'après-midi (14 heures).

783. Le quartier des Carènes, situé sur le mont Esqui-lin, n'était pas, en réalité, très éloigné du forum, mais la

pente qui y conduisait était assez rude. C'était un quartierélégant et riche.

784. Les féries latines, célébrées au mois d'avril, surle mont Albain, duraient quatre jours. Les affaires chô-

maient, et on allait à la campagne.

785. 7000 sesterces 1400 francs-or.

VIII

A CELSUS ALBINOVANUS

Celsus Albinovanus est un de ces jeunes gens qui accom-

pagnaient Tibère en Arménie. Dans l'épître III du Ier livre,Horace avait déjà parlé de lui. Ici, il lui donne de ses nou-

velles, et lui dit qu'il est plus malade d'esprit que de corps.Il lui demande comment il se porte et lui donne, en termi-

nant, le conseil d'être modeste. Epître écrite en 20.

IX

A TIBÈRE

Dans ce petit billet adressé à Tibère, Horace s'excuseavec esprit de recommander au jeune prince un de sesamis. Tibère avait déjà un caractère renfermé et soupçon-neux, et il fallait user d'habileté pour éviter de l'indisposer.Date probable 20 ou 21.

x

A FUSCUSARISTIUS

Aristius Fuscus, très lié avec Horace, était connu comme

poète et grammairien. Contrairement à notre poète, iln'avait pas beaucoup de goût pour la campagne. Ce dissen-timent fait l'objet de cette belle épître Horace loue lavie des champs et montre que, là seulement, il est possible

Page 356: Horace - Oeuvres

358HORACE

de cultiver la sagesse. Aucune indication ne permet de

déterminer la date de cette épître.

786. Le 23 juillet, le soleil entrait dans la constellationdu Lion.

787. Dans les cours des riches demeures, entourées decolonnes aux couleurs variées, on plantait des arbres.

788. Destouches a dit, mais dans un sens différent« Chassezle naturel, il revient au galop. »

789. La pourpre préparée dans la ville latine d'Aqui-num ne valait pas, tant s'en faut, celle qui venait de Tyr.

790. Vacuna, déesse sabine, que Varron assimile à laVictoire.

XI

A BULLATIUS

Le personnage à qui est adressée cette épître, et quenous ne connaissons pas autrement, cherchait sans doute

le bonheur dans les voyages, et il avait visité l'Orient.

Horace lui dit avec enjouement que le bonheur est en nous,non au-dehors, et que c'est une œuvre vaine de changerde lieu pour tenter de le découvrir. Date incertaine.

791. Iles et villes de la mer Egée, cités connues de l'Asie

Mineure.

792. A toutes les cités brillantes qu'il vient d'énumérer,il oppose le bourg de Lébédos, en Asie Mineure, habituel-

lement désert.

793. Voici le raisonnement d'Horace on n'est vrai-

ment bien que chez soi. Si un accident vous a obligé à

chercher, un instant, un refuge ailleurs, ce n'est pas une

raison pour passer sa vie dans l'endroit, souvent peu confor-

table, où l'on s'est momentanément abrité.

794. Ulubres, petit village à peu près désert du Latium,

près des marais Pontins.

XII

A ICCIUS

Iccius, qui avait autrefois voyagé en Arabie, est, au

moment où Horace lui adresse cette épître, intendant, en

Sicile, des domaines d'Agrippa. Peut-être s'était-il plaintet d'être pauvre et de ne pouvoir se livrer aux hautes spé-culations qu'il aimait. Horace lui répond que, même s'il

lui arrivait de devenir riche, sa vie ne serait pas changéeet qu'il ne ferait rien de plus que ce qu'il fait actuellement.

Page 357: Horace - Oeuvres

NOTES 359

Il termine en lui recommandant son ami Grosphus, et en

lui donnant les dernières nouvelles politiques ce qui per-met de dater l'épître de 20.

795.Démocrite, d'Abdère, en Thrace (vesiècleav. J.-C.),philosophe grec, qui enseignait que le monde est forméd'atomes tourbillonnant dans le vide. Horace dit plai-samment qu'il n'y a rien d'étonnant à voir Démocrite

négliger sesintérêts matériels pour se livrer à sesrecherches;mais Iccius lui est bien supérieur, puisque ses occupationsordinaires ne l'empêchent pas de philosopher.

796. Empédocle d'Agrigente (ve siècle av. J.-C.), philo-sophe grec pythagoricien, qui, pour cacher samort, se jeta,dit-on, dans le cratère de l'Etna. —Stertinius, à qui Horacefait jouer un rôle ridicule dans la troisième satiredu livre II,est ici ironiquement désigné comme un stoïcien de marque.

797. Le mot trucidare, massacrer, employé à proposde poissons et surtout de légumes, s'explique par une allu-sion à la doctrine pythagoricienne de la métempsychoseou transmigration des âmes. Après la mort, les âmes deshommes passaient dans le corps des bêtes et même dansles plantes.

XIII

A VINIUS

C. Vinius, dont le père était surnommé « Asina », étaitsans doute un paysan, qu'Horace charge de remettre à

Auguste les trois premiers livres des Odes.Peut-être n'ya-t-il, dans le choix du destinataire, qu'une fiction; et cebillet est-il destiné, non à Vinius, mais à Auguste lui-même.Horace veut simplement indiquer à l'Empereur avec quellediscrétion il lui envoie ses œuvres. L'épître est sans doute

de 23.

798. Les citoyens riches, inscrits dans les tribus de la

campagne, invitaient à leur table des hommes du peuple,afin de soigner leur popularité. Ceux-ci apportaient eux-

mêmes, n'ayant pas d'esclave à leur service, les sandales

qu'ils devaient mettre pour entrer dans la salle à manger,et le bonnet dont ils se couvraient la tête pour rentrer chez

eux, après le repas.

XIV

A SON FERMIER

Dans cette épître, qui a donné à Boileau l'idée d'écrire

l'épître à son jardinier, Horace revient sur des idées quilui sont chères et qu'il a déjà développées précédemment

Page 358: Horace - Oeuvres

36o HORACE

(épître x A Aristius Fuscus, épître xII A Iccius). On estplus heureux à la campagne qu'à la ville; le bonheur,d'autre part, consiste à se plaire là où l'on est et non à vou-loir changer de lieu. Pour lui, s'il a, autrefois, été incons-tant dans ses goûts, l'âge l'a rendu plus calme, et la simpli-cité des champs lui plaît plus que les tracas de la ville.Ces sentiments semblent prouver que cette épître est unedes dernières.

799. Les jours d'élection, les chefs de famille allaientvoter au village voisin de Varia; ils y allaient également lesjours de marché.

xv

A C. NUMONIUSVALA

Nous ne savons rien de Vala, à qui est adressée cette

épître. Horace nous laisse seulement entendre qu'il habi-tait l'Italie méridionale, non loin de Vélie et de Salerne,en Campanie. C'est sur le climat et les ressources de cesdeux villes que le poète interroge son ami. Son médecinAntonius Musa lui a prescrit de quitter Baïes et d'aller,pendant l'hiver, faire dans le Midi de l'hydrothérapiefroide, régime alors fort à la mode. Il ajoute que si, chezlui, il sait se contenter de ce qu'il a, il aime bien, quand ilest en déplacement, ne rien se refuser il est comme le

parasite Ménius. Date probable: 23.

800. Baïes, cf. Epîtres II, 1, 83.

80I. Les villes de Clusium et de Gabies étaient dansdes régions froides, la première en Etrurie, la seconde dansle Latium.

802. Un Phéacien, cf. Epîtres I, il, 28.

XVI

A QUINCTIUSHIRPINUS

Rien ne permet de déterminer exactement qui est le

personnage à qui cette épître est adressée. Horace lui décritd'abord sa maison de campagne de la Sabine; il y estheureux. Mais qu'est-ce qu'un homme heureux ? Ce n'estpas celui à qui le vulgaire donne ce nom; le vrai bonheurest dans la vertu; elle seule nous met à l'abri des passionset nous conserve notre liberté. Aucun détail ne permetde donner à cette épître une date certaine.

803. La ville de Tarente, sur le golfe de ce nom, étaitréputée pour la douceur de son climat et pour ses beauxombrages.

Page 359: Horace - Oeuvres

NOTES 361

804. Ces vers sont de Varius, l'ami de Virgile et d'Ho-

race, et se trouvent dans un panégyrique d'Auguste.

805. Laverna, ancienne déesse de Rome, qui protégeaitles voleurs.

806. Le raisonnement d'Horace est le suivant l'ava-

rice, la cupidité nous enlèvent toute liberté; nous sommesalors comme les esclaves, qu'on ne tue pas, mais qu'onemploie aux travaux les plus humbles et les plus pénibles.

807. Penthée, roi de Thèbes. Dans la tragédie des

Bacchantes, Euripide montre Dionysos (Bacchus) compa-raissant, sous l'aspect d'un de ses prêtres, devant Penthée,qui le menace. Le dieu lui fait les nobles réponses rappor-tées par Horace.

XVII

A SCÉVA

Scéva, à qui est adressée cette épître, est inconnu. Aucuneindication ne permet de déterminer la date de l'ouvrage.Quelle conduite convient-il de tenir à l'égard des grands ?Faut-il, comme Diogène, affecter de n'avoir aucune rela-tion avec eux ? ou, comme Aristippe, s'attacher, tout en

gardant son indépendance, à ceux qui peuvent vous êtreutiles ? C'est cette dernière attitude que recommande

Horace, semblant par là vouloir justifier sa situation vis-à-vis de Mécène.

808. Férentinum, petit bourg du Latium, dans les mon-

tagnes.

809. Aristippe, cf. Epîtres I, 1, 18. Diogène le Cynique(vP siècle av. J.-C.) professait le mépris des convenancessociales. On rapportait sur son compte maintes anecdotes.

810. Milet, ville d'Asie Mineure, dont les fins tissusétaient réputés.

811. Brindes, cf. Satires I, v, 100. Sorrente, sur le golfede Naples, en face de l'île de Caprée.

812. Osiris, dieu égyptien. Les saltimbanques et lesbateleurs étaient, en général, des Orientaux.

XVIII

A LOLLIUS

Lollius, à qui avait été déjà adressée la deuxième épîtredu livre I, était le fils d'un personnage de rang élevé. Enlui donnant des conseils sur la manière de vivre avec les

Page 360: Horace - Oeuvres

362 HORACE

grands, Horace ne répète pas ce qu'il disait dans l'épîtreprécédente à Scéva, qui était de condition modeste. Lolliusdoit surtout travailler à adoucir sa rudesse naturelle etun esprit d'indépendance qui peut lui nuire; il devra

s'attacher à être discret, complaisant, réservé. Qu'il liseles écrits des sages, qu'il fréquente les philosophes; ilarrivera à la modération, cette vertu chère à Horace. Vrai-

semblablement écrite en 20.

813. P. Volumnius, ami d'Antoine, était appelé Eutra-

pelus (le spirituel), en raison de son esprit plaisant et mêmemordant.

814. De Thrace venaient à Rome des gladiateurs répu-tés.

815. Amphion, roi de Thèbes, excellait, comme Orphée,à faire mouvoir les rochers au son de sa lyre. Son frère

Zéthus n'aimait que la chasse et la vie rurale.

816. C'est en Etolie, région de la Grèce continentale,

que Méléagre tua le sanglier de Calydon. De là, le nom

d'étolien donné au filet destiné à la capture du sanglier.

817. La guerre contre les Cantabres, en Espagne, fut

dirigée par Auguste en personne, en 26-25. LesParthes et leur roi Phraates furents réduits en 20.

818. Théon, le nom de ce calomniateur dont nous nesavons rien, devait être bien connu des contemporainsd'Horace.

8I9. La Digence (Licenza) arrosait la maison de cam-

pagne d'Horace, située près du bourg de Mandela.

XIX

A MÉCÈNE

Cette épître, probablement l'une des plus anciennes,

puisqu'il semble que la réputation du poète soit encore

discutée, est la seule épître littéraire du premier livre. Elleest adressée à Mécène. Après avoir dit son fait au troupeauservile des imitateurs, Horace revendique fièrement la

gloire d'avoir introduit à Rome l'iambe d'Archiloque etla poésie lyrique d'Alcée. Il dédaigne les suffrages de la

foule comme ceux des critiques en renom, et ne tient à

plaire qu'à quelques lecteurs d'élite.

820. Cratinus, cf. Satires I,, iv, i.

821. Les Satyres et les Faunes composaient le cortègeordinaire de Bacchus.

822. La barrière (puteal) mise par Scribonius Libonautour d'un lieu frappé par la foudre, près du forum. Là,

Page 361: Horace - Oeuvres

NOTES363

se tenaient les avocats, les plaideurs, les gens d'affaires.

823. Iarbitas, rhéteur africain; Timagène, rhéteuralexandrin, tous deux contemporains d'Horace.

824. Archiloque de Paros, cf. Art poétique, 79; Epodes,VI, 13. C'est des Epodes qu'Horace veut ici parler.

825. Sapho et Alcée, poètes lyriques grecs du VIe siècle.Les strophes qui portent leur nom ont été employées avecéclat par Horace dans ses Odes.

826. Jupiter, entendez Auguste.

827. La discussion est assimilée à un combat de gladia-teurs. Ceux-ci pouvaient demander que la lutte fût inter-rompue un instant pour reprendre ensuite.

xx

A SON LIVRE

Cette épître, qui est probablement la dernière en date,est un épilogue; elle est adressée par Horace à son livre.Il l'avertit des dangers qu'il va courir, lui reproche sonimprudence, et lui confie enfin un certain nombre de ren-seignements sur lui-même, sur sa naissance, sa fortune,son humeur; il fait son portrait physique et indique sonâge. Elle a été imitée par Ovide (Tristes, I, 1) Martial (Epi-grammes, I, III) et Boileau (Ep. X).

828. Vertumne, le dieu qui préside au cours des saisonset des années (vertere); son temple était près du Forum,dans le quartier des affaires. Le passage de Janus,cf. Epïtres I, I, 54.

829. Les Sosies, fameux libraires.

830. Utique, en Afrique; Lérida, en Espagne.

Page 362: Horace - Oeuvres
Page 363: Horace - Oeuvres

LIVRE DEUXIÈME

I

A AUGUSTE

Cette épître, adressée à Auguste, est vraisemblable-ment l'une des dernières œuvres d'Horace. Ce qui est cer-tain, c'est qu'elle est postérieure au Chant Spéculaire, auquelil est fait allusion (vers 132). Il y traite de la querelle desAnciens et des Modernes, montre avec verve les défautsdes premiers, se fait le défenseur chaleureux des seconds.A partir du vers 177, il parle des lettres contemporaines,surtout du théâtre et du mauvais goût public; il relèvechez les auteurs un certain nombre de défauts, et termineen faisant l'éloge d'Auguste, qui a mérité d'être chantépar Varius et Virgile.

831. Auguste est assimilé aux héros romains ou grecsqui avaient, après une vie souvent difficile, obtenu leshonneurs divins.

832. Les lois des Douze Tables (ve siècle av. J.-C.),rédigées par les décemvirs, sont le fondement du droitromain.

833. Il s'agit des traités signés avec les Sabins par Tul-lus Hostilius, troisième roi de Rome, et avec Gabies par leroi Tarquin le Superbe.

834. Sur les livres des Pontifes étaient mentionnés lesactes administratifs et les événements notables. Lesvieilles prophéties étaient rédigées en vers saturniens.

835. Ce qui revient à dire c'est une absurdité; maisnous ne la discutons pas.

836. C'est le raisonnement connu si on arrache, unà un, les poils d'une queue de cheval, à quel momentla queue cessera-t-elle d'en être une ? Si on enlève, un à un,les grains d'un tas de blé, à quel moment n'y aura-t-ilplus de tas ?

837. Ennius (iiie-ile siècle av. J.-C.), poète épique avec

Page 364: Horace - Oeuvres

a66HORACE

les Afnnales, résumé de l'histoirede Rome; poète philosophe

et didactique dans d'autres œuvres dont nous n avons que

des fragments.

838. Névius (IIIe siècle av. J.-C.), poète épique, auteur

d'une Guerre Punique, et poète tragique.

839. Pacuvius et Accius (Ilje siècle av. J.-C.), auteurs de

tragédies, dont les sujets étaient empruntés à la Grèce

(fabulae palliatae).

840. Afranius (vers 100 av. J.-C.), poète comique, dont

les comédies étaient à sujets romains (fabulae togatae).

Ménandre (IVe siècle av. J.-C.), poète comique grec, créa-

teur de la comédie nouvelle, remarquable par la pureté

de sa langue et son atticisme.

84I.Plaute (iie siècle av. J.-C.), célèbre poète latin, dont il

nous reste vingt comédies; il excelle en force comique.

Epicharme (première moitié du ve siècle), illustre repré-

sentant en Grèce, comme Ménandre, de la comédie

moyenne.

842. Cécilius (11esiècle av. J.-C.), poète comique, imita-

teur de Ménandre. Térence (iie siècle av. J.-C.), grand

poète latin, dont il nous reste six comédies, avec des frag-

ments d'autres pièces. Ami de Scipion Emilien, il est

surtout célèbre par la vérité de ses caractères, l'élégance

et la pureté de son style.

843. Livius Andronicus (IIIe siècle av. J.-C.), Grec de

Tarente, le véritable introducteur de l'hellénisme à Rome,

auteur de fabulae palliatae.

844. Atta (commencement du Ier siècle av. J.-C.), auteur

de fabulae togatae et de Satires.

845. Esope et Roscius, acteurs célèbres du début du

Ier siècle av. J.-C.

846. Numa, second roi de Rome, créa le collège des

prêtres saliens, chargés du culte de Mars.

La déesse Tellus (la Terre) était une des douze

divinités adorées par les cultivateurs (Varron, De re rus-

tica, I, 1, 4). Silvain, dieu des bergers, protecteur des

bois. Le Génie, dieu particulier à chaque individu, qui

l'accompagnait durant la vie et mourait avec lui (de là

l'expression memorembrevisaevi).

848. Les vers fescennins, vraisemblablement importésà Rome de Fescennie, ville d'Etrurie, étaient composésen forme de dialogue. C'étaient des sarcasmes et de grosses

plaisanteries qu'on échangeait au temps de la moisson.

Ils avaient à peu près disparu au temps de l'Empire.

849. C'est la loi des Douze Tables (ve siècle av. J.-C.)

Page 365: Horace - Oeuvres

NOTES 367

qui frappa de la peine de mort les auteurs des vers diffa-

matoires (Cicéron, De Rep., IV, 12).

850. Vers célèbre, qui condense, dans une heureuse

formule, l'introduction de l'hellénisme à Rome (conquêtede la Grande Grèce, me siècle av. J.-C.; prise de Corinthe,11esiècle av. J.-C.).

851. Le vers saturnien, dont on faisait remonter l'ori-

gine à Saturne, fut encore employé par le poète Névius

dans son poème sur la première guerre punique. Enniusle remplaça par l'hexamètre.

852. Après la bataille de Zama, fin de la deuxième guerre

punique, 202 av. J.-C.

853. Thespis (VIesiècleav. J.-C.), créateur de la tragédiegrecque. Eschyle et Sophocle (ve siècle av. J.-C.), les plusillustres représentants, avec Euripide, du théâtre tragiquegrec.

854. Plaute, cf. plus haut v. 58.

855. Dossennus, personnage d'atellane (la farce ita-lienne ancienne), bossu, gourmand et bouffon Plaute estun vrai Dossennus dans la peinture de ses parasites.

856. Le cap Garganus, en Apulie.

857. La bibliothèque d'Apollon, cf. Epîtres II, 11,94.

858. Ut vineta egometcaedam mea, mot à mot pourcouper moi-même mes propres vignes; proverbe latin dont

l'équivalent français est pour jeter des pierres dans monjardin.

859. Ædituus, gardien du temple. Les poètes sont commeles gardiens du temple élevé à la gloire d'Auguste.

860. Chérilus, poète médiocre, dont on sait peu dechose. Il accompagna dans son expédition Alexandre, quipayait quelques-uns de ses vers de pièces d'or macédo-niennes (des philippes).

861. Les Béotiens (ville principale Thèbes) passaientpour avoir l'esprit épais et grossier. Le mot est encoreaujourd'hui employé dans ce sens.

862. Varius, poète tragique, épique et élégiaque, ami deVirgile et d'Horace. Varius était peut-être mort (14 av.J.-C.) quand cette épître fut écrite; Virgile l'était certai-nement (19 av. J.-C.).

863. Les Parthes, cf. Epïtres I, XII,27.

864. Horace se met à la place de tous ceux qu'on prétendhonorer par de mauvais vers. Aucun homme, dit-il, ne

peut éprouver de plaisir à voir les livres qui font son éloge,mis au rebut et employés à des «cornets de papier » oùsontenveloppées, sur le marché, les denrées qu'on achète(cf. Boileau, Ep. I, 36).

Page 366: Horace - Oeuvres

368HORACE

II

A JULIUS FLORUS

Le destinataire de cette épître est le même que celui à

qui a été adressée la troisième épître du livre I (cf. cette

épître). J. Florus avait accompagné Tibère dans une de

ses missions en Orient. Il s'était plaint à Horace de ne pasrecevoir d'odes que, disait-il, le poète lui avait promises.Celui-ci se défend d'avoir fait des promesses. Il a, pour de

multiples raisons, renoncé à la poésie lyrique et est devenu

philosophe il recommande et pratique la modération

dans les désirs, il combat surtout l'amour des richesses.

Cette épître est vraisemblablement des dernières années

d'Horace (Accedente senecta, v. 211). On peut la placeren -12.

865. Tibur et Gabies, villes du Latium, dont les esclavesétaient plus appréciés que les étrangers.

866. 8 00osesterces = I 600francs-or.

867. Lucullus, général en chef des armées romaines qui,en -67, triomphèrent de Mithridate; mort en -57, ilvécut dans le luxe et protégea les lettres; ses richessesétaient devenues proverbiales.

868. 20 00osesterces 4 ooofrancs-or.

869. La périphrase signifiequ'il lisait l'Iliade. Les jeunesRomains commençaient leurs études par la lecture d'Ho-mère.

870. Académus,héros athénien, qui avaitprès d'Athènesun temple voisin d'un parc. C'est dans ce parc qu'ensei-gna Platon. De là, le nom d'Académie.

871. La bataille de Philippes, en Macédoine, où Antoineet Octave défirent Brutus et Cassius, et 42.

872. Bion, poète bucolique grec (IIIe siècle av. J.-C.)né à Syracuse, vivait en Sicile; était renommé pour sesmots âpres et mordants.

873. Le Quirinal au N.-E. de Rome, l'Aventin au S.-O.C'était toute la ville à traverser.

874. Rapprocher de ce passage la sixième satire deBoileau, les Embarras de Paris, et la troisième satire deJuvénal, ZesEmbarras de Rome.

875. Les Gracques (IIe siècle av. J.-C.), tribuns de la

plèbe, étaient célèbres par leur éloquence. Mucius Scé-vola (fin du IIe siècle av. J.-C.), grand pontife, étaitconnu comme jurisconsulte.

Page 367: Horace - Oeuvres

NOTES 369

876. La bibliothèque du temple d'Apollon Palatin où

n'étaient admis que les meilleurs ouvrages.

877. Alcée, cf. Epïtres I, xix, 29.

878. Callimaque (IIIesiècleav. J.-C.), poète grec alexan-

drin, dont il reste des hymnes et des épigrammes.

879. Mimnerme (VIe siècle av. J.-C.), poète grec, a

composé des élégies amoureuses.

880. Les vers qui ne sont pas encore publiés sont commeles objets sacrés enfermés dans le sanctuaire de Vesta, oùseul le grand prêtre peut pénétrer.

881.Caton le Censeur (fin du Ijje, début du IIe siècle av.

J.-C.), hostile aux influencesétrangères, orateur véhément,auteur d'un traité sur l'agriculture. Céthégus, contem-

porain de Caton, consul, orateur, dont Cicéron fait l'élogedans le Brutus.

882. Il y avait deux façons de devenir propriétaire1° la mancipatioaere et libra: en présence de cinq citoyens,l'acquéreur touchait une balance (libra) avec une piècede monnaie (aes), qu'il remettait au vendeur; 2" l'usucapio:l'usage incontesté d'un bien créait le droit de propriété,après un ou deux ans, suivant les cas. Le raisonnementd'Horace est le suivant nous avons aussi bien la propriétéd'une terre en achetant, suivant nos besoins, ce qu'elleproduit, qu'en achetant cette terre elle-même à deniers

comptants. Aussi bien, qu'est-ce que la propriété, puisque,en une heure, un accident ou la mort peut tout nousenlever ?

883. Aricie, ville du Latium; Véies, ville d'Etrurie.

884. La Calabre, province d'Espagne; la Lucanie, régionde l'Italie, au nord de la Grande Grèce, à l'ouest de Tarente.

885. Les jardins d'Hérode, roi de Judée, contempo-rain d'Horace, étaient situés près de Jéricho; ils étaient

plantés de beaux arbres, surtout de palmiers; ils donnaientde riches revenus.

886. Les Quinquatries, fêtes de Minerve, étaient célé-brées le 19 mars, et duraient cinq jours; de là, leur nom.Les écoliers avaient congé pendant les cinq jours.

887. La Thessalie, pays de lamagie, était en outre célèbre

par ses poisons.

Page 368: Horace - Oeuvres
Page 369: Horace - Oeuvres

ART POÉTIQUE

ÉPITRE AUX PISONS

L'Epïtre aux Pisons reçut dès l'antiquité (Quintilien) le

nom d'Art poétique. Il est malaisé de déterminer qui sont

exactement les frères Pison à qui elle est adressée; la ques-tion a été discutée, sans qu'une réponse satisfaisante y ait

été faite. Ce qui paraît plus assuré, c'est que cette épîtreest probablement l'une des dernières œuvres d'Horace;elle est comme son testament littéraire et se rattache natu-

rellement aux deux épîtres littéraires du second livre.

Mais ce n'est pas un traité didactique, comme les nom-

breux Arts poétiques qu'elle a inspirés, et notamment celui

de Boileau. C'est bien une lettre familière, où les idées

sont exposées, sinon au hasard, du moins avec la liberté

qui convient à une lettre. On peut, à la rigueur, y trouver

trois développements principaux 1° du début au vers 72,des préceptes généraux; 2° du vers 73 au vers 294, l'étude

des différents genres et en particulier de la poésie drama-

tique 3° du vers 295 à la fin, des conseils relatifs à la

conduite du poète.La partie la plus importanteest la seconde.Il semble

qu'Horaceait vouluengagersescorrespondantsà travaillerpour le théâtre, surtout pour la tragédie,et même pourledramesatyrique,dont la littératurelatinen'offraitaucunexemple.La poésiedramatiquea, moins que les autresgenres, sollicité la curiositéet l'activité des Romains;c'est donc de ce côté qu'il convientde se tourner, en semettantà l'écoledesGrecs.

On reconnaîtlà les idées maîtressesd'Horace, cellesqu'il a indiquéesou développéesdansmaintspassagesdesonœuvre.Ellesrésultentde son expériencepersonnelle,fortifiéepar lesthéoriesd'Aristote,dont il s'est, danscetteépître,régulièrementinspiré.

888. Il s'agit de l'écoleet casernede gladiateurscréée

par ÆmiliusLepidus.

889.Céthégus,cf.EpîtresII, II, 117.Lecinctusétaitune

Page 370: Horace - Oeuvres

372 HORACE

partie du vieux vêtement romain il consistait en une pièced'étoffe roulée autour de la poitrine et qui laissait les braslibres.

890. Plaute, cf. Epîtres II, I, 58. Cécilius, II, 1, 59.

891. Varius, cf. Epîtres II, 1, 247.

892. Caton, cf. Epîtres II, u, 117. Ennius, cf. EpîtresII, 1, 50.

893. Archiloque de Paros, viiie siècle, créateur de lapoésie iambique. Un nommé Lycambès lui ayant refusésa fille Néobulé, Archiloque écrivit contre eux des vers siviolents, que le père et la fille se pendirent.

894. Les socques sont les brodequins de l'acteur

comique; les cothurnes, la chaussure des tragédiens.

895. Thyeste, cf. Odes I, xvi, 17.

896. Télèphe et Pélée, personnages des temps héroïquesde la Grèce, dont les malheurs avaient été mis à la scènepar des poètes tragiques grecs et latins.

897. La Colchide, entre le Caucase et le Pont-Euxin,pays barbare; l'Assyrie sur les rives du Tigre, région richeet efféminée. L'Argien est fin et spirituel; le Thébain,épais et lourd.

898. Tous ces personnages appartiennent à l'époquemythique; leurs aventures étaient encore, au temps d'Ho-race, connues de la majorité des spectateurs.

899. Le nom de poètes cycliques était donné aux écri-vains, ou dramatiques, ou plutôt épiques, qui avaientemprunté leur sujet à l'Iliade et à l'Odyssée. Tous n'étaientpas des étoiles de première grandeur. C'est un poètemédiocre, non nommément désigné, qu'Horace vise ici.

900. Imitation libre des premiers vers de l'Odyssée.

901. Personnages mythiques chantés par Homère dansl'Odyssée.

go2. Médée tua les enfants qu'elle avait eus de Jason.Euripide a écrit une tragédie de Médée.

903. Atrée tua le fils de son frère Thyeste et le lui fitmanger dans un festin. Le sujet a été traité par Sophocledans une tragédie perdue.

904. Procné fut changée en hirondelle ou en rossignol(tragédie de Sophocle). Cadmus, roi de Thèbes, changé endragon ailé (tragédie d'Euripide).

905. Faire, de jour, des libations au Génie, ce qui signi-fie simplement se mettre à table avant la fin du jour, pra-tique qu'avaient toujours condamnée les vieux Romains.

906. Voici le raisonnement d'Horace il ne s'agit pas

Page 371: Horace - Oeuvres

NOTES373

seulement de distinguer, par le ton, le drame satyrique dela tragédie; mais, dans le drame satyrique lui-même, ilfaut faire parler les valets et les servantes autrement queSilène, serviteur d'un dieu.

907. Le vers iambique est un sénaire, puisqu'il estcomposé de six iambes. Mais l'iambe est un pied si vifque l'unité métrique paraît être une dipodie (u—u—);trois dipodies par vers justifient le nom de trimètre.

908. Accius, cf. Epîtres II, 1, 56. Ennius, cf. Epîtres II,I, 50.

909. On peut dire de Thespis (vie siècle av. J.-C.) qu'ilest l'inventeur de la tragédie, non parce qu'il a promené surun chariot les acteurs barbouillés de lie, ce qui est l'originede la comédie; mais parce qu'il a, pour la première fois,opposé au chœur un acteur dialoguant avec lui.

910. Sur la comédie ancienne, cf. Satires I, iv, i.

911. La robe prétexte, vêtement des magistrats romains,habillait sur le théâtre les acteurs des tragédies à sujetnational (fabulae praetextae). La toge, vêtement ordinairedes Romains, était réservée aux acteurs qui jouaient descomédies romaines, non imitées du grec (fabulae togatae).

912. Les Pisons (gens Calpurnia) avaient la prétentionde remonter à Numa Pompilius, second roi de Rome.

913. Démocrite, cf. Epîtres I, XII, 12.

914. Il y avait en Grèce trois villes d'Anticyre, toutestrois voisines du massif montagneux situé au nord dugolfe de Corinthe, où l'ellébore poussait en abondance.

915. On employait l'huile de cèdre pour préserver desinsectes les rouleaux de papyrus, qu'on enfermait, pour lamême raison, dans des coffres en bois de cyprès.

916. Lamie, espèce de croquemitaine, à figure de jeunefille et pattes d'âne, qui passait pour dévorer les enfants.

917. Ramnès. L'une des tribus primitives de Rome, oùse recrutaient les chevaliers.

918. Chérilus, cf. Epîtres II, 1, 233.

919. M. Valérius Messala Corvinus, mêlé aux luttesciviles au moment du second triumvirat, renonça à la poli-tique après 27, et se consacra aux lettres; c'est le dernierdes grands orateurs romains. Aulus Cascellius, contem-porain de Cicéron, était célèbre comme jurisconsulte.

920. Sur les columnae (colonnes) ou les pilae (piliers des

portiques), les libraires affichaient les nouveautés.

921. Le miel de Sardaigne était de qualité très médiocre.

922. Spurius Mécius Tarpa, contemporain de Cicéron,

Page 372: Horace - Oeuvres

374HORACE

critique célèbre, un des censeurs qui jugeaient quelles

pièces de théâtre pouvaient être représentées.

923. Amphion, cf. Epîtres I, XVIII,41.

924. Tyrtée (VIIe siècle av. J.-C.), né à Athènes, composa

des élégies guerrières pour exciter le courage des Lacédé-

moniens dans la guerre de Messénie.

925. Aux jeux pythiques, célébrés à Delphes en l'hon-

neur d'Apollon, vainqueur du serpent Python, avaient lieu

des concours de gymnastique et de musique.

926. Allusion probable aux lecturespubliques

récem-

ment instituées par Asinius Pollion, et qu Horace n'aa

jamais beaucoup goûtées.

927. Quintilius Varus était un critique très distingué.Quand il mourut, en -23, Horace envoya à Virgile, en

forme de consolation, l'ode célèbre I, xxiv.

928. Aristarque (IIe siècle av. J.-C.) qui enseignait à

Alexandrie, connu par ses jugements avisés et judicieuxsur les épopées homériques.

929. La colère de Diane s'acharnait, dit-on, sur les

épileptiques; d'où le nom de lunatiques donné à ces mal-

heureux.

Page 373: Horace - Oeuvres

TABLE DES MATIÈRES

Page 374: Horace - Oeuvres
Page 375: Horace - Oeuvres

Introduction. 5

Note sur cette édition

ODES 47

Livre premier 49Livre deuxièmeLivre troisième 85Livre quatrième 109

CHANT SÉCULAIRE 123

ÉPODES 127

SATIRES

Livre premier

Livre deuxième 175

ÉPITRES209

Livre premier 2ILivre deuxième 243

ART POÉTIQUE 257

Notes 273

Page 376: Horace - Oeuvres
Page 377: Horace - Oeuvres

PUBLICATIONSNOUVELLES

BALZACUndébutdanslavie (613).

BAUDELAIRELesFleursdu mal(527).

BECCARIADesDélitset des peines(633).

CALDERONLaVieest un songe(693).

CASTI6UONELeLivredu courtisan(651).

CHATEAUBRIANDViede Rancé(667).

CHRÉTIENDETROYESLeChevalierau lion(569).Lancelotoulechevalierà la charrette(556).

CDHRADNostromo(560).Sousles yeuxde 1'0ccI-dent(602).

CUYIERRecherchessurlesossementsfossilesde

quadrupèdes(631).

DANTEL'Enfer(725). Le Purgatoire(724).LeParadis(726).

DARWIN

L'Originedes espèces(685).

DOSTOTEYSIOL'EternelMari(610).Notesd'unsouter-rain(683).

DUMASLesBordsdu Rhin(592).

FIELDING

JosephAndrews(558).

FITZGERALDAbsolution.Premiermai.Retourà Baby-lone(695).

FLAUBERT

Mémoiresd'unfou.Novembre(581).

FROMENTINUne année dans le Sahel (591).

GAUTIERLe Capitaine Fracasse (656).

GOETHELes Affinitésélectives (673).

GOGOL

Tarass Boulba (577). Les Ames mortes

(576).

HUMEEnquête sur les principes de la morale

(654). Les Passions. Traité sur la nature

humaine, livre II Dissertationsur les pas-sions (557).

JAMES

Histoires de fantômes (697).

KAFKA

Dans la colonie pénitentiaire et autresnouvelles (564).

KANT

Vers la paix perpétuelle. Que signifies'orienter dans la pensée. Qu'est-ce queles Lumières ? (573).

KtfIST

La Marquise d'O (586). Le Prince de

Hombourg(587). MichelKohlhaas (645).

IAXNESS

La Cloche d'Islande (659).

LOCKELettre sur la tolérance et autres textes

(686).

LOPEDEVERA

Fuente Ovejuna (698).

LOTIMadame Chrysanthème (570). Le

Mariage de loti (583).

LUTHER

Les Grands Ecrits réformateurs (661).

MACHIAVEL

L'Art de la guerre (615).

MALAPARTE

Sang(678).MALTHUS

Essai sur le principe de population (708et 722).

Page 378: Horace - Oeuvres

MARIVAUXLes Acteursde bonnefoi. La Dispute.

L'Epreuve(166). La FausseSuivante.

L'Ecoledes mères.La Mèreconfidente

(612).

MAUPASSANTNotrecœur(650).Boulede suif(584).Pierreet Jean (627).

MELVILLEMardi(594). Omoo(590).BenitoCere-

no-LaVeranda(603).

MICHELETLePeuple(691).

MORAVIA

Agostino(396).La Ciociara(535).Les

Indifférents(662).

MORANDHiverCaràibe(538).

NERVALAuréliaetautrestextesautobiographiques

(567).

NOVALISHenrid'Ofterdingen(621).

NIEIZSCHELeLivreduphilosophe(660).Eccehomo

NietzschecontreWagner(572).

PÉREZGALDOSTristana(692).

PLATONMénon(491). Phédon (489). Timée-

Critias(618).

PIJIUTEThéâtre(600).

PREVOSTHistoired'unegrecquemoderne(612).

QUESNAYPhysiocratie(655).

RILKE

Elégiesde Duino-Sonnetsà Orphée

(674).

SÉNÈQUELettresà Lucilius,1-29(599).

SHAKESPEARE

HenryV(658).LaTempête(668).Beau-

coupde bruitpourrien(670).Roméoet

Juliette(669).

SMITHLaRichessedes nations(626 et 598).

STAELDel'Allemagne(166et 167).Dela litté-

rature(629).

STEVENSONL'lleau Trésor(593).Voyageavec un

ânedansles Cévennes(601).

STRINOBERGTschandala (575).

TCHEKHOV

Mailre et serviteur (606).

TÉAENCE

Théâtre (609).

THACKERAY

Barry Lyndon (559). Le Livredes snobs

(605).

TOLSTOT

La Steppe (714).

VILLIERSDEL'ISLE-ADAM

L'Eve future (704).

Vous trouverez chez votre libraire le catalogue complet des livres de poche

GF-Flammarionet Champs-Flammarion.

GF TEXTE INTÉGRAL GF

93/03/M1430-IV-1993 Impr. MAURY Eurolivres SA, 45300 Manchecourt.

N° d'édition 14363. 4° trimestre 1967. Printed in France.

Page 379: Horace - Oeuvres

HORACE

Œuvres

« Ce que vous avez de merveilleux, c'est la

variété. Vos odes sont tendres, gracieuses, sou-

vent véhémentes, rapides, sublimes. Vos satires

sont simples, naïves, courtes, pleines de sel on

y trouve une profonde connaissance de

l'homme, une philosophie très sérieuse, avec un

tour plaisant, qui redresse les mœurs des

hommes et les instruit en se jouant. »

Fénelon

Texte intégral

Couverture

Pompéi Villa des Mystères.

Jeune fille portant un plat d'offrandes.

Cliché Roger-Viollet.

Catégorie 5