Histoires indiennes

12
EHESS Histoires indiennes: Avancées et lacunes d'une approche éclatée Author(s): Serge Gruzinski Source: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 57e Année, No. 5 (Sep. - Oct., 2002), pp. 1311-1321 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/27587015 . Accessed: 31/10/2014 12:21 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Annales. Histoire, Sciences Sociales. http://www.jstor.org This content downloaded from 193.54.110.35 on Fri, 31 Oct 2014 12:21:07 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

description

Gruzinski

Transcript of Histoires indiennes

  • EHESS

    Histoires indiennes: Avances et lacunes d'une approche clateAuthor(s): Serge GruzinskiSource: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 57e Anne, No. 5 (Sep. - Oct., 2002), pp. 1311-1321Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/27587015 .Accessed: 31/10/2014 12:21

    Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

    .JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

    .

    EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Annales. Histoire, SciencesSociales.

    http://www.jstor.org

    This content downloaded from 193.54.110.35 on Fri, 31 Oct 2014 12:21:07 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

    http://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=ehesshttp://www.jstor.org/stable/27587015?origin=JSTOR-pdfhttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

  • Histoires indiennes

    Avanc?es et lacunes d'une approche ?clat?e

    Serge Gruzinski

    Faire le point sur l'histoire des populations indiennes de la M?so-Am?rique des

    origines ? nos jours n'est gu?re une entreprise ais?e. C'est pourtant l'objectif que se sont fix? les deux gros volumes que viennent de publier les presses de

    Cambridge sous la direction de Richard E. W. Adams et Murdo J. MacLeod. Ils

    rendent compte d'une production consid?rable et offrent au lecteur des cl?s pour s'orienter dans l'histoire du Mexique et d'une vaste portion de l'Am?rique centrale.

    Du premier volume, consacr? ? l'?poque pr?hispanique, nous dirons peu de

    choses, sinon que ses qualit?s, ses r?ussites et ses d?fauts r?apparaissent dans

    le second tome, qui couvre l'?poque coloniale et contemporaine. Un classement

    g?ographique et chronologique ordonne une dizaine de chapitres confi?s ? autant

    de sp?cialistes anglo-saxons. Le ma?tre d'oeuvre, R. E. W. Adams, est un arch?o

    logue sp?cialiste du monde maya qui enseigne l'anthropologie ? l'universit? du

    Texas (San Antonio). Son introduction indique d'entr?e de jeu la tonalit? arch?o

    logique qui sera celle de l'ensemble des contributions de ce premier volume. Elle

    aligne des consid?rations sur les rapports de l'arch?ologie et de l'anthropologie,

    propose une d?finition de la M?so-Am?rique et des p?riodisations qui lui sont

    propres, pour se clore sur une br?ve histoire de la discipline au cours de la seconde

    moiti? du XXe si?cle.

    A propos de The Cambridge History of the Native Peoples of the Americas, vol. II, Richard

    E. W. Adams et Murdo J. MacLkod (dir.), Mesoamerica, Cambridge, Cambridge Uni

    versity Press, 2000, t. 1, 571 p. et t. 2, 455 p. 1311

    An-nales HSS, septembre-octobre ?00 ?, n?5, pp. IM1-1321.

    This content downloaded from 193.54.110.35 on Fri, 31 Oct 2014 12:21:07 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

    http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

  • SERGE GRUZINSKI

    Notons la m?fiance affich?e d'une arch?ologie pure et dure face ? certaines

    avanc?es de l'?pigraphie et de l'iconographie: ?Aucun ensemble de

    travaux n'a

    fait preuve d'autant de talent pour des r?sultats aussi vains ?, et cette condamnation

    sans appel des ? sp?culations effr?n?es qui se pr?sentaient comme des interpr? tations s?res qu'on a fait passer r?cemment pour

    autant de perc?es et d'id?es

    neuves? (HT, pp. 23 et 25). La supr?matie des Etats-Unis dans la discipline et

    les ?tudes m?so-am?ricaines est une r?alit? incontestable qui porte des noms ?vo

    cateurs de grandes entreprises scientifiques : Tikal Project pour le Guatemala, Barton Ramie Project sur le Belize, Flannery's Oaxaca Project centr? sur la r?gion de Monte Alban... Les ressources du grand voisin du Mexique et les avanc?es

    effectu?es par ses chercheurs tendent ? faire de cette r?gion de l'Am?rique ancienne une chasse gard?e qui ne laisse qu'une faible visibilit? aux sp?cialistes latino-am?ricains et europ?ens.

    Parcourant les mill?naires qui s?parent les origines de la conqu?te espagnole, les collaborateurs choisis par R. E. W. Adams nous introduisent dans les soci?t?s

    archa?ques de cette r?gion du globe, puis nous guident du golfe du Mexique aux

    terres mayas, du centre de Valtiplano ? Oaxaca en passant par les fronti?res septen trionales et m?ridionales de la M?so-Am?rique. Chaque texte regorge de donn?es

    et d'indications bibliographiques qui aideront le profane ? naviguer dans ces

    domaines en constant renouvellement.

    On aurait pourtant appr?ci? une d?marche intellectuellement plus ambi

    tieuse, ? la hauteur de la collection dans laquelle elle s'inscrit. La cultural history

    que nous annonce la jaquette reste embryonnaire. La perspective strictement

    arch?ologique qui gouverne l'organisation du volume nous en livre l'explication. Si le parti pris est compr?hensible pour les soci?t?s les plus recul?es dont ne

    nous sont parvenus que des vestiges ? jamais muets, il appauvrit l'exploration des mondes indig?nes des XVe et XVIe si?cles. La documentation recueillie aux

    lendemains de la conqu?te espagnole offre pourtant des informations d'une excep tionnelle richesse dont les historiens ont su depuis longtemps tirer profit. Voil?

    sans doute pourquoi ces mises au point d'ordre arch?ologique nous laissent parfois sur notre faim, en particulier celles qui concernent le Post-classique.

    C'est ce qui ressort du chapitre que consacre Thomas H. Charlton aux

    Azt?ques1. La lecture de ces pages soul?ve plusieurs interrogations. Etait-il indis

    pensable de nous apprendre que lorsqu'ils p?n?tr?rent dans ce qui deviendra le

    Mexique, Cort?s et les conquistadores y d?couvrirent ? une situation culturelle

    extr?mement complexe ? (p. 510) ? Fallait-il user et abuser du terme ? cultures ?

    quand c'est bien de soci?t?s ? en chair et en os ? qu'il s'agit ? Comme si le jargon

    anthropologique pouvait se substituer ? l'analyse et ? l'interpr?tation. Enfin, pourquoi s'en tenir ? la coupure canonique et europ?ocentrique de 1519 alors que s'imposent

    aujourd'hui d'autres termini ad quem, variables selon les groupes et selon les

    1312 1-Thomas H. Charlton, ?The Aztecs and their Contemporaries: the Central and

    Eastern Mexican Highlands?, II-l, pp. 500-557.

    This content downloaded from 193.54.110.35 on Fri, 31 Oct 2014 12:21:07 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

    http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

  • LA M?SO-AM?RIQUE

    r?gions2 ? Le lecteur devra se contenter de consid?rations m?thodologiques gu?re convaincantes sur les rapports de l'arch?ologie et de l'histoire, ou plus exactement

    d'une histoire qu'on voudrait r?duire ? l'interpr?tation des chroniques coloniales.

    On ne saurait reprocher ? un arch?ologue de discuter la datation des c?ra

    miques et de penser en termes de p?riodisation. Mais de l? ? sacrifier les dimensions

    politiques, sociales, ?conomiques, religieuses des soci?t?s mexicaines ? la veille

    de la Conqu?te ? De l? ? passer sous silence des apports aussi consid?rables que ceux de Alfredo L?pez Austin dont l' uvre a si profond?ment transform? notre

    approche des soci?t?s, des croyances et des mythes du monde nahua ? Peut-on

    valablement r?fl?chir sur les mondes pr?hispaniques sans discuter Cuerpo humano e ideolog?a. Las concepciones de los antiguos nahuas1, sans revenir sur Hombre-Dios.

    Religi?n y pol?tica en el mundo n?huatl* ? Tout aussi intrigante est l'absence de r?f?

    rences aux trois volumes dirig?s par Linda Manzanilla et Leonardo L?pez Lujan, Historia antigua de M?xico5. On se demande comment, sauf erreur de notre part,

    pr?s de mille deux cents pages publi?es cinq ans auparavant ont pu ?chapper ?

    l'attention des auteurs de la Cambridge History of the Native Peoples. Le lecteur que ne

    rebute pas l'espagnol trouvera pourtant dans ce pendant mexicain de la Cambridge

    History des perspectives moins ?troitement arch?ologiques et des d?veloppements

    suggestifs sur des domaines aussi capitaux que l'art, la religion et le comput du temps. Le second volume r?unit une s?rie de neuf contributions introduites par

    l'historien M. J. MacLeod. Le professeur de l'universit? de Floride y rappelle la

    libert? qu'il a laiss?e ? ses collaborateurs de d?finir les limites g?ographiques de

    leur enqu?te et les th?mes de leur contribution. Les avantages de cet ?clectisme

    sont patents : ?

    chaque chapitre offre ses accents et ses interpr?tations propres ?

    (II-2, p. 1), ses inconv?nients ?galement. L'organisation de l'ouvrage reprend celle

    du volume pr?c?dent. Un d?coupage g?ographique de la M?so-Am?rique sert de

    cadre ? une s?rie de synth?ses plus ou moins d?taill?es sur l'histoire des popula tions indig?nes de la conqu?te espagnole ? nos jours6. Chaque auteur s'est efforc?

    de r?unir les donn?es qui lui paraissaient essentielles et de clore sa contribution

    par une bibliographie s?lective en guise d'?tat des lieux.

    Commen?ons par le meilleur, le chapitre que Maria de Los Angeles Romero

    Frizzi consacre ? la r?gion de Oaxaca7. Voil? un bon exemple de ce que peut rendre

    2 - Comme le sugg?re ce type d'observation sur la continuit? des productions mat?rielles

    bien apr?s la conqu?te espagnole : ? Aztec III ceramics continued for about a hundred

    years after the Conquest? {Ibid., II-l, p. 519).

    3-Mexico, UNAM, 1980.

    4-Mexico, UNAM, 1973.

    5-Mexico, INAH/UNAM/Miguel Angel Porrua, 1994-1995.

    6-Seule l'histoire des Indiens du centre du pays est partag?e entre deux contributions

    qui, malencontreusement, r?introduisent la coupure entre ?poque coloniale et Mexique

    ind?pendant: Sarah L. Clink, ?Native Peoples of Colonial Central Mexico?, II-2,

    pp. 187-222; Frans J. Schryer, ?Native Peoples of Central Mexico Since Ind?pen

    dance?, II-2, pp. 223-273.

    7-Mar?a de los Angeles Romero Frizzi, ?The Indigenous Population of Oaxaca

    from the Sixteenth Century to the Present?, II-2, pp. 302-345. 1313

    This content downloaded from 193.54.110.35 on Fri, 31 Oct 2014 12:21:07 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

    http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

  • SERGE GRUZINSKI

    l'histoire d'une r?gion indienne saisie dans ses dynamiques et ses interactions

    incessantes avec le contexte colonial au sens le plus large du terme : souci des

    rythmes s?culaires, des transformations de la hi?rarchie sociale, capacit? d'alterner

    le point de vue local avec l'insertion des populations indig?nes de Oaxaca dans le

    cadre de la Nouvelle-Espagne et dans celui, plus vaste encore, du commerce inter

    national. Les handicaps r?gionaux - difficult?s des transports, faible circulation de

    la monnaie, solvabilit? m?diocre des acheteurs potentiels - n'ont pas emp?ch? le

    commerce de forger des liens ?

    qui unissaient Oaxaca avec le monde ? (II-2, p. 319).

    L'effort de synth?se est rondement men? : ni la complexit? des destins indig?nes ni la diversit? des sous-r?gions ne sont jamais sacrifi?es. D?clin de la noblesse ?

    l'?poque coloniale, mont?e de macehuales enrichis au XVIIIe si?cle, crise des villages au XIXe si?cle - ? ils furent les grands perdants de cette derni?re p?riode ? (II-2,

    p. 321) -, avanc?e des rancheros, m?tis ou riches Indiens, essor des groupes issus

    d'une nouvelle classe moyenne, paup?risation des masses indig?nes en particulier dans la Mixt?que, les transformations sociales sont toujours intelligemment sugg? r?es. L'auteur revient avec insistance sur le r?le majeur d'un XIXe si?cle, longtemps

    mal ?tudi? et mal ?valu?: ?Le XIXe si?cle a mis ? bas l'?quilibre que les Natifs

    avaient atteint pendant l'?poque coloniale ? (II-2, p. 323). Les transformations du

    XIXe si?cle mettent en sc?ne la lutte rapidement victorieuse des teintures et des

    textiles anglais contre les vieilles productions indig?nes : indigo, cochenille et cou

    vertures de laine. Encore s'agit-il d'une histoire complexe, incompr?hensible sans

    l'intervention des populations indiennes dans la croissance ?conomique depuis les

    ann?es 1860 jusqu'au d?but des ann?es 1890, avant que la dictature de Porfirio

    Diaz n'exerce ses effets d?l?t?res : ? L'h?ritage du Porfiriat fut d?sastreux pour Oaxaca ? (II-2, p. 328). La R?volution mexicaine laisse en place une partie des

    structures porfiriennes, et le programme agraire de C?rdenas n'am?liore gu?re la

    situation tant il multiplie les parcelles minuscules et accentue les diff?rences

    sociales dans une r?gion o? le taux de mortalit? s'accrut entre 1930 et 1940.

    Comment expliquer le ? retard ? de l'?tat de Oaxaca dans la seconde moiti?

    du XXe si?cle ? La forte dominante indig?ne de la r?gion a incit? ? attribuer diffi

    cult?s s?culaires et mauvais r?sultats ?conomiques ? des causes ethniques. L'auteur

    met au contraire l'accent sur les efforts d'une population contrainte, dans un contexte

    particuli?rement ingrat, ? s'adapter aux formes successives qu'a prises la modernit?

    ?conomique. Une adaptation coup?e de r?voltes et associ?e ? de multiples formes

    de r?sistances qui se traduisent aujourd'hui par la vitalit? des organisations indi

    g?nes. Malgr? la difficult? de l'exercice, on ne perd jamais de vue l'imbrication

    des mondes m?tis et indien, et moins encore les contradictions internes ? la soci?t?

    indig?ne - ? l'int?rieur des villages, entre les villages, entre les groupes sociaux.

    ? l'exception du texte de Eric Van Young8, les autres chapitres sont moins

    convaincants. Sans doute en e?t-il ?t? autrement si l'entreprise avait r?pondu ?

    13U 8-Eric Van Young, ?The Indigenous Peoples of Western Mexico from the Spanish Invasion to the Present?, II-l, pp. 136-186.

    This content downloaded from 193.54.110.35 on Fri, 31 Oct 2014 12:21:07 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

    http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

  • LA M?SO-AM?RIQUE

    un v?ritable projet intellectuel. Le d?coupage g?ographique et le refus - ou peut

    ?tre l'incapacit? - de lancer des th?mes de r?flexion communs diminuent l'int?r?t

    des contributions qui tendent ? devenir des recueils de donn?es distribu?es par

    peuple et par r?gion. Si elle attire l'attention sur la diversit? ethnique et g?o

    graphique des situations et des trajectoires, la fragmentation syst?matique du pass? de la M?so-Am?rique en histoires r?gionales entrave toute r?flexion d'ensemble

    sur l'exp?rience coloniale -

    la Nouvelle-Espagne, la capitainerie du Guatemala -

    ou sur l'impact des XIXe et XXe si?cles. Elle bloque ?galement tout effort de dia

    logue, de comparaison et de confrontation entre les auteurs des divers volumes.

    N'?tait-il pas temps de saisir ce qui rapproche et ce qui distingue les Indiens de

    l'Am?rique du Nord de ceux de la M?so-Am?rique, de r?examiner les destins

    des soci?t?s nahuas, mayas et p?ruviennes, de reposer ? l'?chelle continentale la

    question de la d?mographie, des moyens d'expression (??criture? maya, picto

    graphies m?so-am?ricaines, quipus des Andes, ?

    images coloniales ?...), des diff?

    rentes formes de soci?t?s (terres basses, terres hautes...) ? Les acquis de la recherche

    dispers?s dans ces milliers de pages n'auraient-ils pas gagn? ? ?tre repris et

    embrass?s d'un m?me regard ? L'introduction de M. J. MacLeod ne saurait en

    tenir lieu9. Ce d?coupage et cette fragmentation apparaissent d'ailleurs souvent si

    contestables qu'ils embarrassent m?me certains des collaborateurs10.

    Mais la fragmentation de l'ouvrage a une autre origine : la volont? de traiter

    des peuples indiens de l'Am?rique et d'en faire les protagonistes ? part enti?re

    d'une histoire dont, le plus souvent, ils furent exclus. L'int?r?t port? aux popula tions indig?nes de l'Am?rique, conquises, exploit?es et encore aujourd'hui oppri

    m?es, est incontestablement justifi?. Il est ?videmment regrettable qu'elles ne

    soient pas en mesure d'?crire leur histoire et qu'elles demeurent encore colonis?es

    par le regard de l'autre11. La constitution d'une histoire indig?ne est donc au c ur

    de ce second volume. C'est probablement la raison pour laquelle l'introduction de

    M. J. MacLeod exp?die en quelques pages l'histoire de la colonisation pour s'attar

    der sur l'apparition d'une ?nouvelle histoire vue depuis l'int?rieur?, ?du point

    de vue des Natifs ? (II-2, p. 13). Rapidement ?voqu?, le pass? colonial n'en inspire

    pas moins quelques affirmations qui laissent perplexe. Est-il exact que les Espagnols ? cherch?rent ? tuer tous les membres de la noblesse imp?riale ou toutes les per sonnes influentes, capables de soulever quantit? de r?gions et cit?s

    ? (II-2, p. 6),

    que les ?crits des auteurs m?tis soient ?biaises et ambigus?, que Las Casas ait

    ?t? un humaniste ? en avance sur son temps ? ? En revanche, M. J. MacLeod a

    raison de s'appesantir sur les derniers d?veloppements d'une recherche qui exploite

    9-MuRDO J. MacLeod, ?Mesoamerica since the Spanish Invasion. An Overview?,

    II-2, pp. 1-43.

    10 - E. Van Young est le premier ? reconna?tre l'h?t?rog?n?it? de la r?gion - le Centre

    Ouest - qui lui a ?t? confi?e. C'est la pr?sence europ?enne, la conqu?te et la colonisation

    qui ont donn? son sens et imprim? son histoire ? cette macro-r?gion.

    11 -Mais la mani?re d'?crire l'histoire, les choix th?oriques et les objectifs ne p?sent

    ils pas davantage que l'identit?, les origines et, risquons le mot, la race de celui qui

    ?crit l'histoire ? De ce c?t? de l'Atlantique, la r?ponse va de soi. En est-il de m?me pour

    tous les collaborateurs de la Cambridge History ? La question aurait m?rit? d'?tre abord?e. 1315

    This content downloaded from 193.54.110.35 on Fri, 31 Oct 2014 12:21:07 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

    http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

  • SERGE GRUZINSKI

    syst?matiquement les documents en langue indig?ne, celle qu'alimentent les

    tra

    vaux de la ? N?huatl school ? dont la contribution majeure serait ? de faire ?merger une perspective et

    une voix indiennes pour une histoire autochtone12 ?. Au cours

    de ces vingt derni?res ann?es, les Indiens sont ainsi r?apparus comme les acteurs

    ? part enti?re de ? leur ? histoire, tout aussi capables de r?sister aux forces du

    colonialisme et de l'oppression que de prendre des initiatives ou de maintenir

    des continuit?s avec le pass?. Mais quitte ? rappeler la dette contract?e envers des

    auteurs comme James Scott et Edward Thompson, sans compter l'influence des

    subaltern studies, pourquoi ne pas ?voquer ce que ces avanc?es doivent aussi ?

    l'?cole de la ? Vision des vaincus ? (Miguel Le?n Portilla et Nathan Wachtel), m?me

    si ces approches n'appartiennent pas au monde universitaire anglo-saxon ?

    Donc une histoire indienne, privil?giant 1'? Indian voice ? ? Pourquoi pas,

    m?me si le propos recouvre de fait une forte pr?dominance anglo-saxonne et nord

    am?ricaine (six collaborateurs sur neuf) et si la portion congrue est r?serv?e ? la

    recherche mexicaine pour ne rien dire des Centro-Am?ricains, absents de l'entre

    prise. Faut-il dans ce cas se borner ? regretter qu'il n'y ait pas d'historiens indig?nes (?Native Americans?)? C'est dire l'ambigu?t? du projet et de sa r?alisation.

    Comment ?crire l'histoire des Indiens de leur propre point de vue et concevoir ? une histoire d'en bas ?, alors que les mani?res de penser le pass?, les cat?gories, les grilles demeurent de bout en bout platement occidentales ? Il y a l? de quoi faire r?fl?chir et m?me douter l'un des collaborateurs de l'ouvrage, quand il s'inter

    roge sur ? notre capacit? d'?crire une histoire exclusivement indienne13

    ?.

    Mais le choix de faire l'histoire des Indiens a d'autres cons?quences, plus embarrassantes. ? force d'?tre braqu? sur les soci?t?s indig?nes, le projecteur laisse

    dans l'ombre les autres acteurs de la soci?t?. Non seulement les Europ?ens, riches

    ou petits Blancs, mais ?galement les Noirs, les mul?tres et les m?tis dont le nombre

    ne fit que cro?tre au fil des si?cles. Peut-on raisonnablement extraire les populations indiennes de la gangue ?conomique, sociale, culturelle profond?ment m?lang?e

    et composite, dans laquelle, et parfois contre laquelle, elles ?voluent ? Les histoires

    ici r?unies incitent ? penser que la t?che est irr?alisable, qu'elle ne sert pas les

    Indiens et qu'elle dessert parfois l'histoire. M. J. MacLeod d?plore que le XIXe si?cle

    indig?ne soit encore un si?cle m?connu, et on reconna?tra avec lui que l'histoire

    d?mographique, ?conomique, sociale, religieuse des populations indiennes de la

    M?so-Am?rique reste ? entreprendre pour cette p?riode. Or c'est en grande partie, avouons-le, parce qu'il est fort difficile de s'accorder sur ce qu'est un Indien dans

    le contexte des Etats n?s de l'Ind?pendance. Si le r?le des peuples indig?nes dans la R?volution mexicaine a ?t? si mal d?gag?, n'est-ce pas parce que ceux-ci

    ne constituaient pas des acteurs historiques autonomes ? On peut se pr?occuper

    de la ? situation d?sesp?r?e dans laquelle se trouvent maintenant les populations

    1316

    12 - M. J. MacLeod, ? Mesoamerica... ?, art. cit., pp. 14 et 39. Cette ?cole s'est consti

    tu?e autour des travaux majeurs de James Lockhart, dont on relira The Nahuas After the Conquest. A Social and Cultural History of the Indians of Central Mexico, Sixteenth Through

    Eighteenth Centuries, Stanford, Stanford University Press, 1992.

    13 - E. Van Young, ? The Indigenous Peoples... ?, art. cit.

    This content downloaded from 193.54.110.35 on Fri, 31 Oct 2014 12:21:07 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

    http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

  • LA M?SO-AM?RIQUE

    natives m?so-am?ricaines?, mais l'historien ne manquera pas de se demander si

    parler aujourd'hui de ? Mesoamerican Native Peoples ? n'est pas une nouvelle

    manifestation de ? l'occidentalo-centrisme ? dont sont victimes depuis cinq si?cles

    les descendants des populations de l'Am?rique pr?hispanique. En fait, autant le processus complexe de m?tissage, qui ?tablit des transitions

    et des nuances infinies entre les Indiens des sierras et les m?tis biologiques et

    culturels des villes, que les stratifications sociales, qui ont toujours model? les

    soci?t?s indiennes, interdisent d'appr?hender le monde indig?ne comme un tout.

    D?s la conqu?te et le XVIe si?cle, se multipli?rent les alliances entre l'aristocratie

    autochtone et les milieux dirigeants espagnols, tandis qu'en bas de l'?chelle sociale

    les mis?res partag?es m?langeaient Indiens pauvres, m?tis, petits Blancs ruin?s,

    mul?tres et esclaves, formant un paysage autrement complexe et appelant des

    questionnements bien plus vastes et plus novateurs.

    Voil? de quoi expliquer la frustration que laissent, par exemple, les pages

    que Grant D. Jones consacre aux Basses-Terres mayas14. L'auteur se contente d'un

    parcours principalement ?v?nementiel qui s'?tend des temps pr?hispaniques ?

    l'?poque contemporaine. Son insistance sur les r?voltes l'oblige ? sacrifier la des

    cription de l'organisation sociale, politique et religieuse des populations dont, au

    d?but des ann?es 1980, Nancy M. Farriss nous avait donn? un panorama rest?

    insurpass?15. Comme dans d'autres chapitres de l'ouvrage, les Indiens des villes

    sont ignor?s et les ph?nom?nes de m?tissage -

    d?sign?s comme ? le m?lange des

    traditions culturelles ? (II-2, p. 378) -

    esquiss?s d'une mani?re si approximative

    qu'on saisit mal la sp?cificit? des r?actions mayas ? la domination espagnole, puis

    r?publicaine. L'?vocation des usages de l'?criture alphab?tique ? l'?poque colo

    niale et les formes prises par la modernit? dans la seconde moiti? du XXe si?cle

    auraient ?galement pu faire l'objet d'une attention plus pouss?e. Au lieu de quoi, on nous explique que la t?l?vision est une force immanquablement destructrice et l'Internet, un outil d'innovation culturelle. Quand le clich? tient lieu d'ana

    lyse contemporaine...

    Revenons au th?me des Indiens des villes, globalement absents de l'ouvrage alors qu'ils ont toujours repr?sent?, des origines ? nos jours, une portion appr?ciable de la population indig?ne. Au moment de la conqu?te espagnole, la ville de Mexico

    ?tait l'une des plus grandes agglom?rations du monde. Sa seule existence soul?ve une foule d'interrogations : comment appr?hender des soci?t?s qui disposaient des

    moyens d'entretenir de si importantes concentrations humaines ? Qu'avaient-elles en commun avec les communaut?s indig?nes d'aujourd'hui, immerg?es dans des

    univers ruraux, cantonn?es dans des zones de refuge ou ?chou?es dans les bidon

    villes post-modernes du Mexique et des ?tats-Unis ? Ces Indiens des villes ont

    ?t? soumis ? une acculturation pr?coce, particuli?rement intense, qui s'est exerc?e

    dans tous les domaines de l'existence quotidienne. Les macehuales de Mexico, de

    14-Grant D. Jones, ?The Lowland Maya, from the Conquest to the Present?, II-2,

    pp. 346-391.

    15-Nancy M. Farriss, Maya Society under Colonial Rule. The Collective Enterprise of

    Survival, Princeton, Princeton University Press, 1984. 1317

    This content downloaded from 193.54.110.35 on Fri, 31 Oct 2014 12:21:07 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

    http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

  • SERGE GRUZINSKI

    Puebla ou de M?rida se sont ainsi progressivement transform?s en une pl?be

    urbaine, proche de celle que l'on rencontre dans les villes europ?ennes de l'Ancien

    R?gime. Comment d?crire et expliquer cette mutation ? Comment aborder les

    rapports que les Indiens des villes nouaient avec leurs voisins m?tis, noirs, mul?tres

    et parfois asiatiques ? Ou avec d'autres indig?nes venus des campagnes et des

    sierras de la Nouvelle-Espagne16? Le r?le moteur des ?lites indig?nes est tout aussi mal d?gag?, noy? dans des

    consid?rations globales qui font bon march? des changements qu'elles ont connus

    depuis le XVIe si?cle. Des pistes sont pourtant esquiss?es quand E. Van Young

    ?voque l'?mergence d'une ? strate sociale de type koulak dans les villages impor tants ? qui en vient ? dominer la vie politique et ?conomique des communaut?s

    (II-2, p. 157). Les m?tis et les groupes d'origine africaine figurent donc, par la force des

    choses, parmi les grands exclus ou les oubli?s de ce second volume. Vouloir rendre

    justice aux vaincus doit-il se faire au prix d'autres escamotages ? Noirs ou m?tis, on les rencontre immanquablement au d?tour des pages, lorsque des esclaves noirs

    font une apparition ?clair dans la r?gion de Zacatecas vers 1600 (II-2, p. 154), quand des mul?tres comme Gordiano Guzm?n, des m?tis comme Manuel Lozada se

    retrouvent ? la t?te d'insurrections (en partie) indig?nes, sans qu'on nous en

    explique pour autant la raison ? Il ne suffit pas d'indiquer au passage que ? des

    hommes ? l'ascendance m?lang?e (surtout des m?tis) ?taient aussi souvent membres

    de l'?lite autochtone17?. Ni de se contenter de formulations aux r?sonances un

    rien ?quivoques comme celle qui d?crit la submersion des Indiens des villages ?

    par un raz-de-mar?e de gens de couleur18?. Certes, il ne s'agit pas de tomber ?

    notre tour dans le pi?ge de la ? political correctness ? et d'exiger syst?matiquement

    pour chaque groupe exclu la place et le traitement cens?s lui revenir. Mais simple ment de rappeler les principes et les contraintes d'une recherche historique portant sur une soci?t? coloniale ou post-coloniale. Faute de quoi l'historien des Indiens

    risque de s'engager dans de p?rilleuses d?constructions19. Plut?t que de s'attacher

    obstin?ment ? la question de la ? diff?renciation ethnique ?, n'aurait-il pas mieux

    valu relire l' uvre d'un Hugo Nutini - sur les f?tes des morts, sur le compadrazgo1^

    -

    1318

    16-Voir, par exemple, les travaux de Solange Alberro, Les Espagnols dans le Mexique colonial. Histoire d'une acculturation, Paris, Armand Colin, ?Cahiers des Annales ?, 1992, et Id., El ?guila y la cruz. Or?genes religiosos de la conciencia criolla. M?xico, siglos xvi-xvil,

    Mexico, Fondo de Cultura Econ?mica, 1999.

    17 - S. L. Cline, ? Native Peoples... ?, art. cit., II-2, p. 202.

    18-E. Van Young, ?The Indigenous Peoples... ?, art. cit., II-2, p. 172.

    19-Ainsi l'int?r?t qu'un anthropologue de la stature de Robert Redfield a t?moign? aux populations m?tisses

    - ? et aux centres administratifs municipaux largement accultur?s ou occup?s surtout par des m?tis

    ? - devient un obstacle qui emp?cherait d'atteindre les hameaux o? se trouvent encore des ? native peoples ?. Et voil? l'historien

    des Indiens invit? ? lire entre les lignes de l'anthropologue pour retrouver les objets de

    sa recherche, au risque de nier ou de ne pas voir la nature profond?ment m?tisse des

    soci?t?s rurales du Mexique (F. J. Schryer, ? Natives Peoples... ?, art. cit., II-2, p. 262).

    20-Hugo G. Nutini et Befit Bell, Ritual Kinship, Princeton, Princeton University

    Press, 1984.

    This content downloaded from 193.54.110.35 on Fri, 31 Oct 2014 12:21:07 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

    http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

  • LA M?SO-AM?RIQUE

    et cesser de lui reprocher de trop mettre en valeur ? l'uniformit? et l'hom?g?n?it? culturelles ? des communaut?s qu'il a si magistralement ?tudi?es ?

    Il est, ? vrai dire, impossible de d?couper la soci?t? mexicaine en secteurs

    s?par?s si l'on pr?tend en restituer les dynamiques historiques : occidentalisations,

    syncr?tismes, m?tissages, globalisations, appropriations et r?sistances. Souvent

    mentionn?s (II-2, p. 168), ces processus sont rarement analys?s en tant que tels.

    Le chapitre de Susan M. Deeds n'?chappe pas ? ce travers21, m?me si l'auteur

    n'est pas insensible aux multiples manifestations du m?tissage, f?t-ce dans le loin

    tain Nord-Ouest, une r?gion longtemps p?riph?rique et bien moins fr?quent?e des Espagnols que le centre de X*altiplano11. D?s la fin du XVIIe si?cle, nous explique S. M. Deeds, des villages indig?nes

    ? semblaient en grande partie m?tis ? et des

    ?Indiens purs choisissaient de passer pour m?tis23?. Encore e?t-il fallu d?passer ces constats et approfondir ces transformations qui ne se r?duisent jamais ? une

    lutte s?culaire entre tradition et modernit?. On aurait de la sorte ?vit? d'assimiler

    de mani?re pr?cipit?e le m?tissage aux effets d'un ? d?veloppement et d'une

    modernisation capitalistes, sans cesse et le plus souvent destructeurs ?, comme le

    sugg?re la conclusion du chapitre (II-2, p. 79). Ainsi que le remarquent plusieurs des collaborateurs de M. J. MacLeod,

    m?tissage, indianit? et paysannerie sont indissociables. Qu'il s'agisse encore de

    S. M. Deeds quand elle ?crit: ? La plupart des Indiens devinrent des paysans, ils se distinguaient de moins en moins de leurs homologues m?tis car leur mode de

    vie, quoique traditionnel et syncr?tique, conservait peu de traits qu'on puisse consid?rer comme uniquement indig?nes

    ? (II-2, p. 66), ou de E. Van Young qui ne peut s'emp?cher de faire allusion ? un ? processus continu de m?tissage24

    ?

    (? continuing mestieization ?, II-2, pp. 169, 171). Il est vrai que le passage de l'india

    nit? ? la paysannerie via le m?tissage n'a rien d'une d?couverte, m?me si la recherche a eu longtemps tendance ? privil?gier la dimension paysanne aux d?pens des

    21 -Susan M. Dkeds, ?Legacies of Resistance, Adaptation and Tenacity: History of

    the Native Peoples of Northwest Mexico ?, II-2, pp. 44-88.

    22 -Au fil des pages, l'auteur ?voque les ? fusions syncr?tiques de Dieu, du d?mon, du

    soleil, de la lune et du Christ... ? (II-2, p. 71), elle observe que les Mayos finissent par ? ressembler en tous points ? une soci?t? m?tisse

    ? (II-2, p. 75) et mentionne l'impor tance d'un mouvement mill?nariste dirig? par une m?tisse, Teresa Urrea, sans que le

    mot soit jamais prononc?. Tout comme elle constate la pr?sence d'?l?ments indig?nes dans la culture m?tisse qui domine ces r?gions septentrionales et ne manque pas de

    relever les modalit?s de leur absorption au sein de la ? soci?t? m?tisse ? (II-2, p. 78).

    23 -Ibid. : ? Certaines ?conomies paysannes perdaient leur caract?re indien en acc?dant

    ? la propri?t? priv?e... ? (II-2, pp. 56 et 63).

    24 - E. Van Young a pris soin de faire pr?c?der sa contribution d'une s?rie de remarques

    qui mettent implicitement en cause la perspective de l'ouvrage : difficult? ? appliquer les cat?gories de

    ? Natifs ?, ? indig?nes ? et ? Indiens ?, n?cessit? de prendre en compte

    ? l'important et vigoureux m?tissage de cette r?gion ?, imbrication totale et pr?coce

    des groupes indig?nes et non indig?nes (II-2, p. 138). Et d'insister sur les obstacles

    analytiques que rencontre tout chercheur ?

    qui essaie de distinguer les indig?nes du

    reste de la paysannerie, que ce soit dans les domaines de la d?mographie, des formes

    de la vie ?conomique ou de l'action collective? (II-2, p. 138). 1319

    This content downloaded from 193.54.110.35 on Fri, 31 Oct 2014 12:21:07 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

    http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

  • SERGE GRUZINSKI

    sp?cificit?s culturelles que les groupes ou les individus ?taient parvenus ? pr?server ou ? r??laborer. Une r?flexion sur le devenir des populations indig?nes25 ne saurait

    faire l'?conomie de cette question, ? condition de d?passer le stade de la description ou de l'inventaire pour s'atteler ? leur explication26. Bien des informations et des

    situations originales envisag?es dans cet ouvrage auraient pu y contribuer - comme

    celles que nous livre David Frye dans le chapitre qu'il consacre ? l'installation

    des Tlaxcalt?ques dans le nord-est du Mexique27. Des formes de m?tissages s'y

    d?velopp?rent non seulement entre Europ?ens et Indiens, mais ?galement entre

    les diff?rents groupes indig?nes. Ici comme dans d'autres r?gions du Mexique, la

    diffusion du n?huatl comme lingua franca fraya la voie au triomphe bien plus tardif

    du castillan. Les particularit?s religieuses de certains groupes indig?nes comme

    les Tlaxcalt?ques semblent d?couler davantage de cadres institutionnels - le statut

    de pueblo que revendiquent les communaut?s -

    que d'une quelconque indianit?

    (indianness) ; il appara?t que ce sont des crit?res de classe plus que des crit?res

    ethniques (ethnie status) qui rendent compte de la diffusion des traits d'origine m?so-am?ricaine. En somme, les dimensions m?tisses de cette culture de la fron

    ti?re proviennent moins de leur condition de populations vaincues et opprim?es que de processus de circulations g?n?ralis?s. Impossible une fois de plus de tracer

    une ligne nette entre les groupes indig?nes et m?tis28.

    D'autres domaines de recherche tout aussi suggestifs auraient pu nourrir

    cette approche dynamique. Ils n'ont gu?re suscit? l'int?r?t. L'analyse du religieux en est un. Peut-on encore examiner la christianisation des Indiens sous la rubrique ?

    religion ? sans prendre en compte l'impact de la nouvelle foi sur les relations

    matrimoniales, la famille et la sexualit? mais ?galement sur l'?ducation et l'appren

    tissage ? A r?duire la question du religieux ? celle de la croyance individuelle et ?

    s'interroger sur la r?ussite de la christianisation en l'abordant ? travers la qualit? de l'adh?sion personnelle, l'?tude de Sarah L. Cline p?tit des m?faits crois?s de

    l'ethnocentrisme et de l'ignorance bibliographique29. La diffusion de l'?criture et

    de l'image europ?ennes apparaissent aujourd'hui comme des ph?nom?nes majeurs

    1320

    25 - E. Van Young ?voque le passage des ? identit?s ethniques [...] vers une sorte d'india

    nit? g?n?rique [...] et, de l?, vers une paysannerie rarement pure et jamais simple ?

    (II-2, p. 159).

    26- Une description en termes de dilution, d'effacement (David C. Grove, II-l, p. 167) ou d'absorption (Robert N. Zeitlin et Judith Francis Zeitlin, II-l, p. 93) ne peut tenir

    lieu d'interpr?tation. 27 - David Fryk, ? The Native People of Northeastern Mexico ?, II-2, pp. 89-135.

    28 - Le r?le de l'artisanat et du tourisme, qui occupent une place grandissante dans

    l'existence et la subsistance des groupes indig?nes et m?tis, aurait m?rit? autre chose

    que de br?ves remarques. Les transformations des mani?res de faire, de produire, de

    c?l?brer des f?tes et des rites, l'exposition continuelle des individus au regard des

    visiteurs, les ressources nouvelles d?gag?es par le tourisme, le r?le de l'Etat et en

    particulier de l'INAH au Mexique auraient pu ?tre mieux abord?es si le volume n'avait

    pas d?lib?r?ment fragment? ou pulv?ris? son objet. On sait que ces ph?nom?nes peu vent se r?v?ler destructeurs comme ils sont susceptibles de r?activer des modes d'ex

    pression h?rit?s du pass? et de la tradition.

    29-S. L. Clink, ?Native peoples... ?, art. cit., II-2, p. 202.

    This content downloaded from 193.54.110.35 on Fri, 31 Oct 2014 12:21:07 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

    http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

  • LA MESO-AMERIQUE

    auxquels les sp?cialistes du milieu du XXe si?cle n'avaient gu?re attach? d'impor tance. Et qui le leur reprocherait? On s'?tonnera, en revanche, que l'on puisse encore aujourd'hui d?lib?r?ment faire l'impasse sur ces th?mes ou se contenter

    de rep?rer la pr?sence de quelques ? croix, statues et images de saints ? dans les

    foyers indig?nes. La surprenante diffusion de l'?criture chez les populations du

    Mexique espagnol et plus encore son appropriation syst?matique auraient pu inspi rer des r?flexions pr?cieuses ? qui pr?tend s'inqui?ter de la perspective indienne

    et exprimer le ? point de vue des Natifs30 ?.

    Synth?se honn?te mais d?pourvue d'imagination, d?nu?e du souffle et de

    l'?rudition des grands pionniers (Charles Gibson, Robert Ricard, Silvio Zavala), le

    travail de S. L. Cline, comme d'autres chapitres de ce second volume, refl?te les

    acquis et les lacunes d'une recherche majoritairement nord-am?ricaine qui peine ? int?grer dans le tissu de ses questionnements les apports de l'anthropologie

    historique, de l'histoire culturelle ou de l'histoire des mentalit?s31.

    Mines d'informations souvent pr?cieuses, ces deux volumes de la Cambridge History of the Native Peoples of the Americas constituent donc sans nul doute des

    guides utiles, mais que l'on maniera avec discernement, en les prenant pour ce

    qu'ils sont, le fruit d'une production et d'une mani?re de faire l'histoire qui use et parfois abuse des avantages d'une position largement dominante. Le v?n?

    rable et toujours pr?cieux Handbook of Middle American Indians a encore de longues ann?es devant lui32.

    Serge Gruzinski

    CNRS/EHESS

    30 - La question des cantares et celle des t?tulos primordiales sont trop superficiellement abord?es (II-2, pp. 215, 216).

    31-Pour de rien dire des apports europ?ens qui n'ont pas l'heur de conna?tre une

    traduction anglaise. 32 - Robert Wauchopk (?d.), Handbook of Middle American Indians, Austin, Texas Uni

    versity Press, 16 vols, 1964-1976. 1321

    This content downloaded from 193.54.110.35 on Fri, 31 Oct 2014 12:21:07 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

    http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

    Article Contentsp. 1311p. 1312p. 1313p. 1314p. 1315p. 1316p. 1317p. 1318p. 1319p. 1320p. 1321

    Issue Table of ContentsAnnales. Histoire, Sciences Sociales, 57e Anne, No. 5 (Sep. - Oct., 2002), pp. 1149-1418, I-XIFront MatterAnthropologie historique de la mmoireLes contours de la mmoire dans l'Inde brahmanique [pp. 1151-1162]

    Du gouvernement des princesPhilippe Auguste. Un roi de la fin des temps? [pp. 1165-1190]Les Miroirs des princes islamiques: une modernit sourde? [pp. 1191-1206]

    Noblesses: Comptes rendusReview: untitled [pp. 1209-1212]Review: untitled [pp. 1212-1214]Review: untitled [pp. 1214-1216]Review: untitled [pp. 1216-1218]Review: untitled [pp. 1218-1219]Review: untitled [p. 1220-1220]Review: untitled [pp. 1221-1222]Review: untitled [pp. 1223-1224]Review: untitled [pp. 1224-1226]Review: untitled [pp. 1226-1228]Review: untitled [pp. 1228-1229]Review: untitled [pp. 1229-1232]Review: untitled [pp. 1232-1234]Review: untitled [pp. 1234-1235]Review: untitled [pp. 1235-1237]Review: untitled [pp. 1237-1238]Review: untitled [pp. 1239-1241]Review: untitled [pp. 1241-1243]Review: untitled [pp. 1243-1246]Review: untitled [pp. 1246-1247]Review: untitled [pp. 1247-1248]

    Chiapas Une socit en mutationChiapas Une socit en mutation [p. 1249-1249]Chiapas 1993. Tentative d'analyse d'une situation insurrectionnelle [pp. 1251-1289]

    Quel amricanisme aujourd'hui?Quel amricanisme aujourd'hui? [pp. 1291-1292]L'amricanisme l'heure du multiculturalisme: Projets, limites, perspectives [pp. 1293-1310]Histoires indiennes: Avances et lacunes d'une approche clate [pp. 1311-1321]L'histoire des Amrindiens au Brsil [pp. 1323-1335]L'histoire des autochtones d'Amrique du Nord: acquis et tendances [pp. 1337-1355]

    Vie quotidienne: Comptes rendusReview: untitled [pp. 1359-1360]Review: untitled [pp. 1361-1362]Review: untitled [pp. 1362-1365]Review: untitled [pp. 1365-1367]Review: untitled [pp. 1367-1369]Review: untitled [pp. 1369-1370]Review: untitled [pp. 1370-1371]Review: untitled [pp. 1371-1373]Review: untitled [pp. 1373-1374]Review: untitled [pp. 1374-1376]Review: untitled [pp. 1376-1378]Review: untitled [pp. 1379-1380]Review: untitled [pp. 1380-1383]Review: untitled [pp. 1383-1384]Review: untitled [pp. 1384-1386]Review: untitled [pp. 1386-1388]Review: untitled [pp. 1388-1390]Review: untitled [pp. 1390-1391]Review: untitled [pp. 1392-1394]Review: untitled [pp. 1395-1397]Review: untitled [pp. 1397-1399]Review: untitled [pp. 1399-1400]Review: untitled [pp. 1400-1402]Review: untitled [pp. 1402-1404]Review: untitled [pp. 1404-1407]Review: untitled [pp. 1407-1409]Review: untitled [pp. 1409-1410]Review: untitled [pp. 1410-1412]Review: untitled [pp. 1413-1414]Review: untitled [pp. 1414-1415]Review: untitled [pp. 1415-1416]Review: untitled [pp. 1416-1418]

    Rsums/Summaries [pp. I-III]Livres reus [pp. VII-XI]Back Matter