Florence Rigaudière Eliane Delouvrier Jean-François Le Gargasson - Institut de...

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Œil et Physiologie de la Vision - VII-2 VII-2 :ELECTROPHYSIOLOGIE PEDIATRIQUE : EXEMPLES Florence Rigaudière Eliane Delouvrier Jean-François Le Gargasson Collaborations : Anne Jacob & David Lebrun : prise en charge des enfants et enregistrements des bilans ; Dr Pierre Bitoun, Hôpital Jean Verdier, Bondy, AP-HP : analyses génétiques ; Dr Monique Elmaleh-Bergès, Hôpital Robert Debré, Paris, AP-HP : imagerie pédiatrique. Pour citer ce document Florence Rigaudière , Eliane Delouvrier et Jean-François Le Gargasson, «VII- 2 :ELECTROPHYSIOLOGIE PEDIATRIQUE : EXEMPLES», Oeil et Physiologie de la Vision [En ligne], VII-Electrophysiologie pédiatrique, mis à jour le : 26/06/2009, URL : http://lodel.irevues.inist.fr/oeiletphysiologiedelavision/index.php?id=162 Texte intégral Les circonstances de mise en œuvre d’un bilan électrophysiologique sont différentes selon les signes d’appel : déficit visuel ou pathologie systémique au premier plan. Elles sont également différentes selon les âges, nourrisson ou grand enfant. Elles ont cependant un point commun, la recherche, l’évaluation, le diagnostic ou le pronostic d’une déficience visuelle. Le but de ce chapitre n’est pas de reprendre de façon exhaustive toute la pathologie ophtalmo-pédiatrique, mais de présenter quelques exemples illustrant l’intérêt du bilan électrophysiologique chez l’enfant. Absence d’éveil visuel ou comportement visuel anormal chez le nourrisson En l’absence d’antécédents pathologiques néonataux ou périnataux, l’éveil visuel normal du nourrisson est très précoce, avant l’âge de deux mois. Une absence de fixation, de sourire ou d’intérêt, de poursuite, un strabisme constant, une photophobie intense, un nystagmus [Lambert et al., 1989c], une errance du regard, des signes digito-oculaires ou des mouvements stéréotypés, déclenchent une consultation spécialisée en ophtalmologie et/ou en neurologie. Eléments cliniques à rechercher L’examen clinique ophtalmologique doit être rigoureux. Une anomalie des annexes ou des globes oculaires peut être évidente. L’oculomotricité doit être soigneusement analysée. Tous les systèmes sont évalués en fonction de l’âge de l’enfant, fixation, saccades, poursuite, mais aussi réflexes vestibulo- oculaires et nystagmus opto-cinétique en monoculaire et binoculaire. On recherche un strabisme, des mouvements anormaux : nystagmus, dyskinésie des saccades, déviation du regard, crises oculogyres évocatrices d’une épilepsie. 1

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  • Œil et Physiologie de la Vision - VII-2

    VII-2 :ELECTROPHYSIOLOGIE PEDIATRIQUE : EXEMPLES Florence Rigaudière

    Eliane Delouvrier

    Jean-François Le Gargasson

    Collaborations : Anne Jacob & David Lebrun : prise en charge des enfants et enregistrements des bilans ; Dr Pierre Bitoun, Hôpital Jean Verdier, Bondy, AP-HP : analyses génétiques ; Dr Monique Elmaleh-Bergès, Hôpital Robert Debré, Paris, AP-HP : imagerie pédiatrique.

    Pour citer ce document

    Florence Rigaudière , Eliane Delouvrier et Jean-François Le Gargasson, «VII-2 :ELECTROPHYSIOLOGIE PEDIATRIQUE : EXEMPLES», Oeil et Physiologie de la Vision [En ligne], VII-Electrophysiologie pédiatrique, mis à jour le : 26/06/2009, URL : http://lodel.irevues.inist.fr/oeiletphysiologiedelavision/index.php?id=162

    Texte intégral

    Les circonstances de mise en œuvre d’un bilan électrophysiologique sont différentes selon les signes d’appel : déficit visuel ou pathologie systémique au premier plan. Elles sont également différentes selon les âges, nourrisson ou grand enfant. Elles ont cependant un point commun, la recherche, l’évaluation, le diagnostic ou le pronostic d’une déficience visuelle.

    Le but de ce chapitre n’est pas de reprendre de façon exhaustive toute la pathologie ophtalmo-pédiatrique, mais de présenter quelques exemples illustrant l’intérêt du bilan électrophysiologique chez l’enfant.

    Absence d’éveil visuel ou comportement visuel anormal chez le nourrisson

    En l’absence d’antécédents pathologiques néonataux ou périnataux, l’éveil visuel normal du nourrisson est très précoce, avant l’âge de deux mois. Une absence de fixation, de sourire ou d’intérêt, de poursuite, un strabisme constant, une photophobie intense, un nystagmus [Lambert et al., 1989c], une errance du regard, des signes digito-oculaires ou des mouvements stéréotypés, déclenchent une consultation spécialisée en ophtalmologie et/ou en neurologie.

    Eléments cliniques à rechercher

    L’examen clinique ophtalmologique doit être rigoureux.

    Une anomalie des annexes ou des globes oculaires peut être évidente.

    L’oculomotricité doit être soigneusement analysée. Tous les systèmes sont évalués en fonction de l’âge de l’enfant, fixation, saccades, poursuite, mais aussi réflexes vestibulo-oculaires et nystagmus opto-cinétique en monoculaire et binoculaire. On recherche un strabisme, des mouvements anormaux : nystagmus, dyskinésie des saccades, déviation du regard, crises oculogyres évocatrices d’une épilepsie.

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    On observe les pupilles : anisocorie, réflexes photomoteurs, recherche d’un déficit du réflexe pupillaire afférent qui ferait craindre une neuropathie optique unilatérale.

    Une réfraction sous cycloplégie est indispensable ; elle peut mettre en évidence une forte amétropie, myopie ou hypermétropie dont la correction amènera rapidement la résolution de la symptomatologie.

    On examine à la lampe à fente les cornées taille, transparence , les cristallins, -cataracte partielle ou complète, uni ou bilatérale, ectopie , les iris colobome, aniridie , un iris trans-illuminable chez un bébé nystagmique permet d’affirmer l’albinisme avec son hypoplasie maculaire.

    On recherche des signes indirects d’hypertonie oculaire qui imposent une mesure de la pression oculaire sous anesthésie générale.

    L’examen du fond d’œil peut être normal ou mettre en évidence des anomalies du vitré, des anomalies maculaires ou rétiniennes d’origines héréditaires (suspicion d’amaurose congénitale de Leber…), infectieuses (toxoplasmose…), tumorales (rétinoblastome…), traumatiques (maltraitance), malformatives, des séquelles d’embryo-foetopathies (rubéole…) ou des anomalies de la papille (colobome, hypoplasie…).

    L’association à des signes généraux est aussi soigneusement recherchée : retard psychomoteur, surdité, polydactylie…

    Au terme de cet examen, deux cas bien différents peuvent se présenter selon que l’on retrouve ou non des anomalies des globes oculaires expliquant le déficit visuel.

    Anomalies visibles des globes oculaires

    Microphtalmie

    Exemple P., 4 mois présente une microphtalmie gauche avec micro-cornée et luxation partielle du cristallin gauche.

    L’exploration fonctionnelle visuelle est demandée pour apprécier la fonction visuelle de l’œil droit qui est cliniquement normal et celle, potentielle, de l’œil gauche après que sont connus les résultats de l’échographie et de l’IRM.

    Echographie Figure VII-2-1. P., 4 mois : échographie de l’œil droit et de l’œil gauche. L’œil droit est normal avec un diamètre antéro-postérieur de 17,7 mm. L’œil gauche présente une microphtalmie avec micro-cornée, un diamètre antéro-postérieur de 16 mm, une petite chambre antérieure et un relativement volumineux cristallin d’aspect immature, subluxé, avec persistance du vitré primitif et artère hyaloïde.

    IRM Figure VII-2-2. L’IRM cérébrale de cet enfant montre de plus une hypoplasie de la partie gauche de son chiasma et des bandelettes optiques gauches (tractus optique gauche), une hypoplasie du bulbe olfactif gauche, une dilatation ventriculaire et des petites zones d’hérérotopie nodulaire en regard des carrefours avec un relatif hypersignal de la substance blanche périventriculaire. Le corps calleux est complet, le lobe cérébelleux gauche paraît un peu moins volumineux que le droit avec une méga grande citerne asymétrique.

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    Analyse des résultats Figure VII-2-3. ERG flash : à droite, il est discernable ; les réponses sont sensiblement normales. A gauche, les réponses sont d’amplitudes diminuées. Ce résultat montre que la rétine droite est correctement fonctionnelle mais que la rétine gauche présente un dysfonctionnement important, probablement en relation avec la surface rétinienne restreinte due à la microphtalmie. PEV flash : après stimulation binoculaire ou de l’œil droit, il y a une réponse discernable en regard du lobe droit mais pas de réponse en regard du lobe gauche ; après stimulation de l’œil gauche, il n’y a pas de réponse discernable. Ces résultats suggèrent l’existence d’un trouble majeur de la conduction en zone juxta et/ou rétrochiasmatique gauche.

    Synthèse On peut conclure 1- que la fonction visuelle de l’œil gauche se réduit au mieux à une perception lumineuse et 2- que le chiasma et le tractus gauche trouvés hypoplasiques aux examens neuroradiologiques, ne sont pas fonctionnels.

    Cornée, cristallin, iris

    L’opacification partielle ou totale de la cornée, la présence d’une cataracte congénitale, la persistance du vitré primitif ou la présence de malformations iriennes peuvent être associées à des anomalies rétiniennes qui sont recherchées par électrophysiologie.

    Albinisme oculaire

    Exemple [Russell-Eggitt et al., 1990]. J., 5 mois présente un nystagmus. L’iris est bleu trans-illuminable, la peau est claire, les cheveux et les phanères sont blonds. Les zones maculaires semblent atypiques. Il s’agit vraisemblablement d’un albinisme oculaire (figure VII-1-5, figure VII-1-6).

    Analyse des résultats Figure VII-2-4. L’ERG flash est normal, reflet d’un fonctionnement rétinien global normal. Les PEV flash sont bien discernables ; après stimulation de l’œil droit, la réponse enregistrée en regard du lobe droit est moins ample que celle enregistrée en regard du lobe gauche ; après stimulation de l’œil gauche, c’est l’inverse.

    Synthèse A cet âge, ce résultat peut être physiologique, (figures VII-1-36, VII-1-37, VII-1-38) mais, dans le contexte clinique, il est plutôt la traduction de l’hyperdécussation des voies croisées qui sous tend l’albinisme oculaire. On note (flèche verte) que l’amplitude de la réponse binoculaire est comparable à celles des réponses monoculaires, suggérant que la maturation des mécanismes binoculaires n’est pas encore suffisante pour modifier l’amplitude des PEV, ce qui est compatible avec l’âge.

    Remarque Dans ce cas, le diagnostic pouvait être affirmé cliniquement. Dans l’albinisme oculaire cependant, –albinisme « brun » ou tyrosinase-positive en particulier- la décoloration de l’iris, de la peau et des phanères peut être modérée voire très modérée et l’iris difficilement trans-illuminable [Apkarian, Bour, 2006], [Gronskov et al., 2007]. Dans ces cas difficiles, si les résultats électrophysiologiques montrent une asymétrie de réponses entre les lobes après stimulation de chaque œil, l’albinisme oculaire est fortement probable.

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    Aniridie

    Exemple S., 3 mois présente une aniridie bilatérale. A droite, il a une caratacte partielle qui laisse voir une papille droite hypolasique et atrophique et, à gauche, une cataracte totale. La question est de savoir s’il est légitime d’enlever le cristallin gauche, l’aniridie étant souvent associée à une hypoplasie papillaire et maculaire [Ndoye Roth et al., 2005] dont le mécanisme est différent de celui de l’albinisme [Neveu et al., 2005].

    Analyse des résultats Figure VII-2-5. L’ERG flash issu de l’œil droit ou gauche est normal, témoin d’un fonctionnement rétinien global normal à droite et à gauche. Les PEV flash sont discernables, asymétriques après stimulation de l’œil droit et de l’œil gauche. A droite, on observe une réponse atypique avec persistance de l’onde N 300 en regard du lobe droit et une réponse asymétrique enregistrée en regard du lobe gauche. A gauche, on observe une réponse de morphologie normale avec ses deux ondes P2 et N3, enregistrée en regard du lobe droit et une réponse asymétrique en regard du lobe gauche.

    Synthèse Ces résultats montrent que derrière la cataracte totale, la rétine gauche est normalement fonctionnelle ; ils mettent aussi en évidence un trouble de la conduction plus important le long du nerf optique droit que gauche à relier probablement à l’hypoplasie de la papille droite. Les asymétries de réponses observées entre des deux lobes après stimulation de chaque œil peuvent être le reflet d’une asymétrie interhémisphèrique comme observée au cours des hypoplasies fovéales [Neveu et al., 2008] et donc suggérer la présence d’hypoplasies fovéales bilatérales.

    Ces éléments aideront le chirurgien à prendre sa décision opératoire.

    Colobome papillaire

    Signes cliniques Le colobome papillaire est une anomalie de développement de la papille liée à un défaut de fermeture de la fente embryonnaire à son extrémité postérieure. Il se présente comme une excavation blanche, à bords bien limités, décentrée vers le bas. L’anomalie peut s’étendre et englober la choroïde et la rétine inférieure adjacente ; le colobome papillaire est alors souvent associé à un colobome de l’iris et/ou à une microphtalmie.

    Le plus souvent, il n’y a pas de corrélation entre le déficit fonctionnel et l’aspect anatomique, soulignant l’intérêt de l’examen électrophysiologique pour apprécier précocement la fonction visuelle et, en cas de colobome unilatéral, pour évaluer les chances de récupération d’une éventuelle amblyopie fonctionnelle surajoutée [Tormene, Riva, 1998].

    Exemple J., 3 mois présente un nystagmus horizontal depuis sa naissance. Le segment antérieur est normal ; on observe un petit colobome papillaire bilatéral.

    Analyse des résultats Figure VII-2-6. ERG flash : les réponses sont discernables, symétriques entre l’œil droit et l’œil gauche, de morphologie et d’amplitude normales. Le fonctionnement des rétines est donc normal. PEV flash : après stimulation binoculaire, les réponses sont discernables avec une asymétrie d’amplitude entre les recueils effectués en regard du lobe droit (moins ample) et du lobe gauche. Après stimulation de l’œil droit puis gauche, les réponses sont discernables, l’asymétrie d’amplitude entre les recueils effectués en regard de chacun des lobes est retrouvée.

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    Synthèse Cette asymétrie d’amplitude des réponses doit être contrôlée. En effet, elle peut être physiologique compte tenu de l’âge ou bien liée à une possible désorganisation de la répartition des différentes fibres du nerf optique, même s’il n’y a habituellement pas d’atteinte rétrochiasmatique anatomiquement visible dans les cas de colobome papillaire.

    De plus, un enregistrement avec mise en œuvre de PEV damier vers l’âge de deux ou trois ans -si le nystagmus diminue- permettra d’apprécier les capacités de détection des voies maculaires et fournira des indications quant aux chances de récupération de l’amblyopie fonctionnelle surajoutée.

    Anomalies associées La présence d’un colobome papillaire doit faire rechercher un certain nombre d’anomalies systémiques [Brodsky, 1994], [Daufenbach et al., 1998]. L’association à un syndrome de CHARGE en particulier Coloboma, Heart, Atresia choanale, Retarded growth, Genital anomalies, Ear anomalies [Traboulsi, 2006], [Blake, Prasad, 2006], [Pedersen, Skovby, 2007] est retrouvée chez 15 à 30% des patients atteints de microphtalmie avec colobome papillaire.

    Exemple A. est testé pour la première fois à l’âge de 2 ans -puis contrôlé à l’âge de 10 ans- pour évaluation de sa fonction visuelle potentielle dans le cadre d’un syndrome de CHARGE, associant chez lui, un large colobome papillaire et chorio-rétinien bilatéral asymétrique, plus important à droite qu’à gauche (figure VII-2-7), avec strabisme, nystagmus et une surdité appareillée. Cette évaluation précoce est d’autant plus importante que l’acuité visuelle de cet enfant malentendant ne sera appréciable que tardivement. Il est essentiel de faire la part de ses différents déficits sensoriels pour mieux adapter la prise en charge.

    Analyse des résultats Figure VII-2-8. ERG flash : Les réponses des deux systèmes sont discernables, d’amplitudes diminuées pour le système photopique (ERG cone) et très diminuées pour le système scotopique (ERG conjoint et ERG syst scotopique), en relation probable avec la diminution de surface rétinienne.

    Figure VII-2-9. Les PEV flash, enregistrés à l’âge de 2 ans puis de 10 ans sont bien discernables du bruit de fond, symétriques après stimulation de l’œil droit ou du gauche. On observe une diminution d’amplitude des ondes entre l’âge de 2 ans et de 10 ans qui est normale, compte tenu de la maturation des enveloppes traversées par le signal électrophysiologique, associée à une diminution des temps de culmination, reflet de la maturation normale des voies visuelles. Les PEV damier enregistrés à titre systématique à 2 ans et 10 ans (non figurés ici) ne sont pas discernables, ce qui est compatible avec le nystagmus.

    Synthèse L’ensemble de ces résultats indiquent que la surface rétinienne restante est fonctionnelle (ERG flash) et que les signaux générés au niveau des zones centrales des deux rétines sont bien transmis le long des voies visuelles jusqu’aux aires visuelles primaires. Ils ne permettent cependant pas d’apprécier les capacités de détection des zones maculaires à l’origine de l’acuité visuelle.

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    Remarque Ces deux exemples montrent que la réponse rétinienne (ERG flash) correspond sensiblement à la surface visible restante. Dans ce cas, l’exploration visuelle apporte des informations sur le fonctionnement des voies maculaires. Les PEV flash sont discernables dans les deux cas, augurant d’un fonctionnement correct des voies maculaires. Les PEV damier sont toujours non discernables en présence d’un nystagmus ; il ne faut pas en conclure que les capacités de détection des zones maculaires sont nulles.

    Absence d’anomalies visibles des globes oculaires

    Apraxie oculo-motrice

    Signes cliniques Jusque vers l’âge de 3 mois, le bébé semble n’avoir aucun contact visuel. Il est adressé à l’ophtalmologiste pour suspicion de déficience visuelle profonde or l’examen clinique est normal. Si l’on sollicite plus précisément cet enfant en se plaçant face à lui, on s’aperçoit qu’il accroche le regard et répond au sourire. Le diagnostic d’apraxie oculo-motrice congénitale est évoqué. Il s’agit non pas d’un déficit sensoriel mais d’un trouble oculo-moteur, défaut d’initiation des saccades que l’enfant compensera par des mouvements de tête dès qu’il aura acquis un contrôle suffisant des muscles du cou, rendant alors le diagnostic évident.

    L’apraxie oculo-motrice congénitale (AOMC), depuis sa description par Cogan [Cogan, 1952], a été considérée comme une affection relativement bénigne. Elle peut cependant s’accompagner de difficultés neuro-développementales et s’associer à des anomalies structurelles, essentiellement cérébelleuses (hypoplasie du vermis) et du tronc cérébral, ainsi qu’à des maladies systémiques (maladie de Gaucher, ataxie-télangiectasie, syndrome de Joubert, CDG syndrome –Congenital Disorder of Glycolysation- etc) qui, elles-mêmes, s’accompagnent souvent de lésions du cervelet et du tronc cérébral. La détection de mutations NPHP1 dans l’apraxie oculo-motrice congénitale et dans le syndrome de Joubert compliquent encore le problème [Marr et al., 2005], [Kondo et al., 2007].

    Exemple J. testée à 2,5 mois et contrôlée à 8 mois. J. est adressée à 2,5 mois pour un comportement de cécité, avec absence de poursuite oculaire. Le bilan ophtalmologique est normal par ailleurs ; il existe une fixation correcte et une réponse au sourire dans le regard de face. L’examen neurologique est normal.

    Analyse des résultats Figure VII-2-10. L’ERG flash enregistré à l’âge de 2,5 mois avec des électrodes sclérocornéennes est discernable ; les réponses sont normales, excluant un dysfonctionnement rétinien majeur.

    Figure VII-2-11. A 2,5 mois, les PEV flash enregistrés uniquement avec des stimulations binoculaires, sont bien discernables avec une morphologie et des amplitudes normales pour l’âge. Ceux enregistrés à l’âge de 8 mois montrent une évolution normale : diminution des temps de culmination pour les PEV flash binoculaire et sommation binoculaire attestée par les PEV flash binoculaire plus amples que les PEV flash monoculaire (œil droit ou œil gauche).

    La normalité du premier examen pratiqué à 2,5 mois pouvait évoquer un retard de maturation simple. Mais dans le contexte clinique, elle oriente plutôt vers le diagnostic d’apraxie oculomotrice congénitale.

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    IRM Figure VII-2-12. L’IRM pratiquée montre un aspect dysplasique des folioles cérébelleux avec kystes sous corticaux, une diminution de volume du vermis, une horizontalisation des pédoncules cérébelleux supérieurs et des plages d’anomalies de signal de la substance blanche ; ces anomalies sont souvent retrouvées dans l’apraxie oculo-motrice [Sargent et al., 1997], [Kondo, et al., 2007].

    Evolution et contrôle A l’âge de 8 mois, le diagnostic d’apraxie oculo-motrice est devenu cliniquement évident devant les grands mouvements de tête typiques qui compensent le déficit oculo-moteur ; il y a eu apparition d’un strabisme convergent et l’aspect des rétines est normal.

    Figure VII-2-10 en bas : les ERG sont toujours normaux ; les rétines sont donc normalement fonctionnelles. Ces résultats ne sont pas en faveur d’un syndrome de Joubert qui associe des mouvements anormaux, des anomalies cerébelleuses et des aspects rétiniens dystrophiques avec anomalies à l’ERG pour Lambert et al. [Lambert et al., 1989a], cependant non retrouvés dans la série publiées par Khan et al. [Khan et al., 2008].

    Synthèse L’ensemble des résultats, l’évolution clinique et l’absence d’anomalie rétinienne visible et à l’ERG, étaye le diagnostic évoqué d’apraxie oculomotrice congénitale.

    Retard de maturation

    Sans nystagmus

    Clinique Le nourrisson n’accroche pas le regard ; il ne réagit que faiblement à la lumière. Il n’y a pas de nystagmus et son fond d’œil est normal ; les antécédents et l’examen clinique général sont normaux. Le plus souvent, l’ophtalmo-pédiatre se contente de suivre l’évolution visuelle et observe une récupération totale quelques semaines plus tard. Il s’agit d’un simple retard de maturation des voies optiques dit syndrome de Beauvieux. Si les ERG et PEV sont enregistrés, ils sont normaux d’après Lambert [Lambert et al., 1989b].

    Exemple PL. 3 mois est né à 36 semaines d’aménorrhée, il présente une mauvaise fixation. Il n’y a pas de nystagmus, l’examen ophtalmologique est normal. S’agit-il d’un simple retard de maturation ?

    Analyse des résultats Figure VII-2-13. L’ERG flash est normal. Les PEV flash après stimulation binoculaire et monoculaire sont bien discernables du bruit de fond et normaux.

    Synthèse Ces résultats sont en faveur d’un simple retard de maturation ou syndrome de Beauvieux.

    Avec nystagmus Même idiopathique, le nystagmus peut s’accompagner d’un retard de maturation.

    Exemple AC. 3 mois présente une indifférence visuelle avec un nystagmus, le reste de l’examen ophtalmologique est normal.

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    Analyse des résultats Figure VII-2-14. L’ERG flash est normal, le fonctionnement global des deux rétines est donc normal. PEV flash : Après stimulation de l’œil droit, on constate une asymétrie d’amplitude des réponses entre les lobes, moins ample à droite qu’à gauche ; puis après stimulation de l’oeil gauche, inversion de cette asymétrie d’amplitude : la réponse est plus ample en regard du lobe droit que du gauche. Cette asymétrie de réponse peut être physiologique ou suggérer l’existence d’un syndrome chiasmatique comme dans le cadre de l’albinisme.

    Contrôle 3 mois après AC. est alors âgée de 6 mois. Le nystagmus a diminué et l’éveil visuel du bébé progresse normalement.

    Figure VII-2-15. L’ERG flash est toujours normal. PEV flash : les réponses sont symétriques que l’œil droit ou le gauche soit stimulé, avec symétrie d’amplitude des réponses recueillies en regard du lobe droit ou du gauche. L’asymétrie précédemment observée était donc physiologique, il ne s’agissait pas d’un albinisme oculaire. On observe aussi une augmentation des amplitudes des PEV flash lors de la stimulation binoculaire par rapport aux amplitudes enregistrées après stimulations monoculaires. Cette augmentation traduit la mise en place des mécanismes binoculaires, témoin d’une maturation normale des voies visuelles.

    Synthèse Cette enfant a donc un nystagmus accompagné d’un retard de maturation visuelle [Hoyt et al., 1983].

    Déficience visuelle d’origine cérébrale

    Signes cliniques La déficience visuelle d’origine cérébrale est actuellement la cause la plus fréquente de malvoyance de l’enfant dans les pays occidentaux [Dutton et al., 1996]. Elle est liée à une atteinte des voies visuelles postérieures, rétrogéniculées et/ou des aires corticales et sous-corticales visuelles ou associatives.

    Elle peut être isolée ou associée à une atteinte des voies visuelles antérieures, à une rétinopathie du prématuré, une hypoplasie ou une atrophie optique par exemple, à des anomalies oculomotrices, à un strabisme ou un nystagmus en particulier, à une apraxie oculomotrice. Elle s’inscrit souvent dans le cadre d’une atteinte neurologique globale. Les causes sont dominées par l’hypoxie-ischémie périnatale [Good et al., 1994], [Huo et al., 1999] et par la leucomalacie périventriculaire liée à la prématurité [Jacobson et al., 1996], [Jacobson, Dutton, 2000], [Hoyt, 2003].

    Rappels anatomo-fonctionnels Les voies visuelles cognitives comprennent la voie dorsale et la voie ventrale [Dutton, Jacobson, 2001].

    La voie dorsale relie le cortex occipital et pariétal postérieur, le cortex moteur et le cortex frontal. Le cortex occipital intègre les données visuelles afférentes, le cortex pariétal postérieur traite de la scène visuelle et de l’analyse des détails. Le cortex moteur participe aux tâches de coordination visuomotrice : perception des objets en mouvement ou du mouvement relatif du sujet par rapport à l’espace visuel. Le cortex frontal permet au sujet de porter son attention vers des détails choisis de la scène visuelle.

    La voie ventrale va du lobe occipital au lobe temporal. Elle permet la reconnaissance des objets et des visages, participe à l’orientation et à la mémoire visuelle.

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    Une ou plusieurs lésions des voies visuelles sur tout ou partie de leur trajet entraîne des anomalies fonctionnelles qui peuvent s’associer de façon variable : baisse d’acuité visuelle, anomalies du champ visuel, anomalies de la perception du mouvement, déficits visuo-spatiaux ou cognitifs.

    Tableau clinique des déficiences d’origine cérébrale Le tableau clinique est celui d’un nourrisson qui ne manifeste aucun intérêt visuel en dehors des lumières vives qu’il regarde fixement. L’examen des globes oculaires est normal. Un strabisme, un nystagmus sont inconstamment retrouvés ; le réflexe photomoteur direct et consensuel est normal ; en effet, les fibres pupillaires quittent les voies visuelles au niveau des corps géniculés. L’interrogatoire retrouve des antécédents de prématurité et/ou de souffrance périnatale. Le diagnostic de déficience visuelle d’origine cérébrale peut alors être suspecté. La récupération fonctionnelle est fréquente, au moins de façon partielle [Watson et al., 2007].

    Exemple chez un prématuré A. est né prématurément, à 34 semaines d’aménorrhée, en état de mort apparente. Il a présenté une détresse respiratoire traitée par 2 jours d’assistance ventilatoire puis a récupéré, tant sur le plan respiratoire que neurologique. Cependant, à l’âge de 3 mois, il ne suivait pas la lumière, ne s’intéressait pas aux objets ni au visage de sa maman.

    L’examen ophtalmologique était normal, en dehors de papilles pâles au fond d’œil. A. s’est comporté comme s’il était totalement aveugle jusque vers l’âge de 1 an. A 13 mois, il a commencé à suivre la lumière et à attraper des objets de taille moyenne et de couleur vive. Un strabisme divergent alternant était alors noté. Le réflexe photomoteur était présent mais lent. Par la suite, A. a conservé un handicap visuel sévère associant un déficit perceptif avec une acuité limitée à 2 ou 3/10ième aux 2 yeux, un déficit oculomoteur et une atteinte des fonctions visuelles cognitives, anomalies de la structuration spatiale, simultagnosie (difficulté à comprendre la signification d’une scène globale), troubles de la reconnaissance : agnosie des animaux et prosopagnosie (trouble de reconnaissance des animaux et des visages).

    IRM Figure VII-2-16. L’IRM montre une leucomalacie périventriculaire touchant les régions temporales et pariéto-occipitales.

    Analyse des résultats Figure VII-2-17. Les ERG flash, enregistrés à l’âge de 4 ans, 6,5 ans et 9,5 ans sont bien discernables et de morphologies normales en relation avec l’âge.

    Figure VII-2-18. Les PEV flash, enregistrés à l’âge de 4 ans, 6,5 ans et 9,5 ans sont discernables du bruit de fond. Leurs amplitudes et temps de culmination diminuent avec l’âge, reflet probable de la maturation des voies visuelles rétino-corticales.

    Figure VII-2-19. PEV damier, enregistrés à l’âge de 4 ans, 4,5 ans, 6,5 ans et 9,5 ans. On n’observe une réponse discernable qu’à l’âge de 4,5 ans, de morphologie atypique et de temps de culmination augmenté lors de la stimulation binoculaire. Les enregistrements effectués à 6,5 ans puis à 9,5 ans ne permettent pas d’affirmer qu’il y a une réponse discernable, avec peut être une ébauche de réponse après stimulation de l’œil droit…

    Synthèse Ces résultats montrent que la neurorétine et l’ensemble des voies visuelles maculaires de conduction sont globalement fonctionnelles cependant associés à un dysfonctionnement des voies maculaires rétino-corticales qui participent à l’analyse des forts contrastes lumineux dit sens morphoscopique (PEV damier non discernables). Ils sont cohérents

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    avec l’acuité visuelle mesurée cliniquement qui est limitée à quelques dizièmes ; ils orientent vers une déficience probablement située au niveau des aires visuelles occipitales, compatible avec le diagnostic de cécité corticale.

    Syndrome de West

    Clinique Le syndrome de West ou syndrome des spasmes infantiles associe chez un nourrisson de moins de un an, des spasmes infantiles typiquement en flexion, un arrêt du développement psychomoteur et une hypsarythmie (anomalie de l’activité cérébrale à l’électroencéphalogramme) [Thomas et al., 2003]. La régression psychomotrice précède parfois les spasmes.

    Il arrive que l’enfant soit alors adressé à l’ophtalmologiste en première intention pour une impression de cécité : le nourrisson qui se développait jusque-là normalement, ne réagit plus aux stimuli visuels, une perte d’intérêt visuel étant classiquement associée aux spasmes infantiles [Hammoudi et al., 2005]. L’examen oculaire est normal, le réflexe photomoteur présent. Il ne s’agit pas d’un problème ophtalmologique mais d’une urgence neurologique.

    Quand demander un bilan électrophysiologique ? Un bilan électrophysiologique est parfois demandé, soit à titre diagnostique devant ce tableau d’indifférence visuelle, soit à titre de surveillance thérapeutique du vigabatrin dont le syndrome de West est l’indication privilégiée. De plus, dans un certain nombre de cas, le syndrome de West est symptomatique de lésions cérébrales et un bilan électrophysiologique est alors nécessaire pour orienter le diagnostic étiologique.

    Exemple G. 4,5 mois présente à plusieurs reprises des malaises avec perte de contact visuel, hypertonie des membres supérieurs et inférieurs et cyanose, évocateurs de crises convulsives avec retard psychomoteur, sans anomalie à l’IRM. L’examen ophtalmologique trouve une cataracte nucléaire à minima à gauche et des fonds d’yeux normaux. Un mois après, surviennent des spasmes en flexion à l’occasion de l’endormissement ou du réveil. L’EEG montre un tracé proche de l’hypsarythmie. Les éléments cliniques et des examens complémentaires font poser le diagnostic de syndrome de West. Un traitement par vigabatrin est institué à l’âge de 5,5 mois et poursuivi avec adaptation des doses en fonction de l’intensité des spasmes. A 10 mois, l’enfant commence à suivre et à fixer les objets de très près avec un strabisme convergent alternant, astigmatisme et hypermétropie.

    Analyse des résultats à 4,5 mois Figure VII-2-20. ERG flash enregistrés à l’âge de 4,5 mois et contrôlés à 10 mois, alors que l’enfant prend du vigabatrin depuis plus de 4 mois. Les résultats sont normaux et comparables. Il convient de prêter essentiellement attention à l’amplitude de l’ERG flicker, réponse rétinienne qui tend à diminuer s’il y a atteinte du champ visuel par le vigabatrin [Harding et al., 1998], [Harding et al., 2002].

    Figure VII-2-21. G. à 4,5 mois. PEV flash : les réponses semblent discernables et de morphologie atypique mais le bruit de fond, enregistré à plusieurs reprises, est perturbé par de grandes ondes, ce qui rend délicat l’interprétation des ondes des PEV flash. Est-ce que les ondes des PEV flash sont des réponses aux stimulations lumineuses ou bien sont-elles dues aux perturbations corticales ? Il n’est pas possible de trancher, donc d’affirmer qu’il y a une réponse, traduction du fonctionnement des voies visuelles.

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    Contrôle à 10 mois Figure VII-2-22. G. 10 mois : le bruit de fond (3 enregistrements) comporte toujours de grandes ondes survenant de façon aléatoire. La morphologie des PEV flash se normalise, elle est reproductible pour les stimulations binoculaire et monoculaire, les temps de culmination sont augmentés pour l’âge.

    Les ondes des PEV flash sont, cette fois, reproductibles et suffisamment différentes de celles du bruit de fond pour permettre de dire qu’elles correspondent à une réponse à la stimulation visuelle et qu’elles sont le témoin d’un certain degré de fonctionnement des voies visuelles.

    Figure VII-2-23. La comparaison des PEV flash, enregistrés à l’âge de 4,5 mois et de 10 mois, montre une normalisation des morphologies avec l’âge et le traitement, reflet possible d’une amélioration du fonctionnement des voies visuelles (y compris des aires visuelles primaires).

    Commentaires Cet exemple montre d’une part l’importance chez tous les petits d’enregistrer un « bruit de fond » et d’autre part, dans le cas d’épilepsie même sous traitement, de la difficulté d’interprétation des ondes des PEV. En effet, la présence d’ondes atypiques pour les PEV flash et les bruits de fond ne permet pas d’affirmer que les voies visuelles fonctionnent correctement...

    Atteintes rétiniennes de présentation précoce

    Clinique Chez un nourrisson en bonne santé dont l’examen ophtalmologique et le développement neurologique sont normaux mais qui présente un déficit visuel souvent associé à un nystagmus, une photophobie et une amétropie importante, le diagnostic d’atteinte rétinienne doit être évoqué.

    Niveaux d’atteintes possibles Le dysfonctionnement peut porter sur tout ou partie du système photopique -achromatopsie ou monochromatisme à cônes S-, le nystagmus et la photophobie étant alors au premier plan. Il peut toucher majoritairement le système scotopique et partiellement le système photopique -rétinopathie congénitale de type rod-cone dystrophy- ou massivement les deux systèmes -amaurose congénitale de Leber. Il peut se situer au niveau des couches internes de la rétine -héméralopie congénitale essentielle, rétinoschisis.

    Protocoles mis en oeuvre L’ERG flash est enregistré de première intention avec des électrodes collées et un protocole court ; il pourra être enregistré avec des électrodes sclérocornéennes si les réponses précédentes sont de faibles amplitudes voire difficilement discernables. Il permet de tester le fonctionnement des différents systèmes et des niveaux réceptoral (photorécepteurs) et post-réceptoral. Les PEV flash précisent le fonctionnement de la zone maculaire.

    Une orientation diagnostique est souvent possible aux vus de ces résultats fonctionnels. Ils sont toujours à contrôler plus tard à l’aide de protocoles complets pour affiner, confirmer ou infirmer les premières conclusions.

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    Absence de fonctionnement de tous les cônes : Achromatopsie

    Clinique C’est une affection rare autosomique récessive avec une incidence de 1/50.000. Elle se manifeste tôt par un nystagmus de faible amplitude et de fréquence élevée, une photophobie, une acuité visuelle limitée à 0.5 ou 1/10ième. Le fond d’œil est d’aspect normal, associé à une myopie ou, plus souvent, à une hypermétropie [Haegerstrom-Portnoy et al., 1996].

    L’achromatopsie correspond à une absence de fonctionnement des trois types de cônes alors qu’ils sont probablement présents dans la rétine expliquant l’aspect normal du fond d’œil. L’évolution se fait souvent vers une diminution du nystagmus et de la photophobie.

    Physiopathologie Plusieurs mécanismes possibles ont été mis en évidence à partir du schéma normal de la transduction des cônes (figure VII-2-24). Figure VII-2-25. La présence d’une transducine anormale arrête la cascade de transduction ; la fermeture des canaux sodium situés sur la membrane des cônes est impossible ; il y a absence de fonctionnement des cônes. Un autre mécanisme est également possible. Figure VII-2-26. Les sites de fixation des GMPc sont anomaux, rendant leurs mécanismes d’ouverture-fermeture impossible [Kohl et al., 2005] [Nishiguchi et al., 2005].

    Dans les deux cas, les photons lumineux sont bien absorbés par les photopigments des cônes, mais il n’y a pas de codage de la lumière : les cônes sont présents mais ne sont pas fonctionnels d’où la photophobie. Seuls les bâtonnets peuvent coder la lumière dans une gamme limitée de niveaux lumineux et de longueurs d’onde selon leur probabilité d’absorption par le photopigment des bâtonnets c'est-à-dire la rhodopsine. Ce relai pris dans la vision photopique par le système des bâtonnets explique le résultat de l’électrophysiologie, mais surtout celui de la vision des couleurs (figure VII-2-35, avec un axe « scotopique » typique du fonctionnement du système des bâtonnets).

    Exemple S. présente depuis la naissance, une photophobie importante, un nystagmus, des fonds d’yeux normaux ; l’ensemble fait suspecter la présence d’une achromatopsie.

    Analyse des résultats… ° ERG à l’âge de 22 mois

    Figure VII-2-27. Le premier ERG de S. est effectué à l’âge de 22 mois ; il montre une réponse discernable du système scotopique et non discernable du système photopique, compatible avec le diagnostic.

    Un bilan complet avec électrophysiologie et génétique est effectué à l’âge de 8 ans. Le nystagmus et la photophobie sont toujours présents. L’acuité visuelle est faible, chiffrée à 1.5/10ième pour l’œil droit et le gauche.

    ° ERG et EOG à l’âge de 8 ans

    Figure VII-2-28. S. à 8 ans. ERG flash. Pour le système scotopique : la rod-response est normale, la mixed-response montre une onde-b d’aspect atypique, mais typique de l’absence de fonctionnement du système des cônes. Pour le système photopique, une réponse est discernable à la séquence 4 -cone-response- alors que le système photopique ne fonctionne pas. Cette réponse est souvent enregistrée chez les sujets achromates et probablement liée à la réponse issues les bâtonnets.

    En effet, dans les conditions du protocole clinique standard mis en oeuvre, le fond lumineux utilisé pour saturer les bâtonnets (30 cd/m-²) est d’un niveau probablement insuffisant pour saturer leur réponse qui peut alors émerger au cours de cette séquence. (chapitre V-4, Protocole standard, « Ambiance photopique pour les séquences-3 à 5 »)

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    L’EOG a une cinétique normale malgré la dispersion des saccades observée durant l’ambiance photopique, liée à la photophobie. Ce résultat confirme la normalité des bâtonnets, déclencheurs de l’EOG. Il indique aussi que l'épithélium pigmentaire fonctionne normalement.

    Remarque importante Dans ce contexte clinique, la présence d’une réponse au cours de la séquence cone-response est un piège à connaître ; comme il a été dit, au cours de cette séquence, la réponse enregistrée est probablement celle initiée par les bâtonnets, à ne pas confondre avec une impossible réponse du système des cônes qui n’est pas fonctionnel…

    ° P-ERG et PEV à 8 ans

    Figure VII-2-29. S. 8 ans. Le P-ERG et les PEV damier 60’, 30’ et 15’ enregistrés à titre systématique ne sont pas discernables, ce qui est cohérent avec le nystagmus d’une part et l’absence de fonctionnement des cônes d’autre part. Par contre les PEV flash sont discernables, avec des morphologies pratiquement normales ; les temps de culmination des ondes sont augmentés par rapport à la normale. Dans ce cas très spécifique, il est probable que les PEV flash correspondent à la réponse amplifiée des bâtonnets maculaires qui prennent le relais des cônes dans le traitement cependant limité des niveaux lumineux photopiques.

    Synthèse et bilan génétique Pour cette enfant, le diagnostic d’achromatopsie a été confirmé par les résultats de l’analyse génétique moléculaire ; il a été trouvé une mutation du gène CNGA3 qui code pour les sites de fixation du GMPc [Reuter et al., 2008].

    Remarque sur l’achromatopsie et l’impossible ERG multifocal Figure VII-2-30. Exemple de O. 18 ans, dont l’achromatopsie a été diagnostiquée à l’âge de 2 mois devant un retard d’éveil visuel, une photophobie, un nystagmus vertical, un strabisme convergent et une forte hypermétropie. Les résultats électrophysiologiques pratiqués à la fin de la première année confirmaient le diagnostic. Actuellement la patiente a 18 ans, sa photophobie a diminué, le nystagmus a pratiquement disparu, son acuité visuelle est de l’ordre de 2/10ième. Ses fonds d’yeux sont normaux. L’ERG multifocal enregistré alors à titre pédagogique montre la difficulté de cet enregistrement dans ce cadre d’une fixation centrale instable due à l’absence de cônes fovéolaires et au nystamus ; les résultats parasités ne sont pas interprétables.

    Cet examen ne doit pas faire partie du bilan électrophysiologique lors de difficultés de fixation centrale et/ou de nystagmus…

    Absence de fonctionnement des cônes L et M, fonctionnement des seuls cônes S : Monochromatisme à cônes S

    Clinique C’est une affection très rare, liée à l’X (1/100.000). Elle correspond à une absence de photopigment L et M donc à des cônes L et M non fonctionnels [Deeb, 2004], [Michaelides et al., 2005]. La vision photopique est essentiellement gérée par les cônes S restants (pour une discussion voir [Crognale et al., 2004]). Cette affection associe un nystagmus congénital qui peut être modéré voire léger ou pratiquement absent [Zrenner et al., 1988], une photophobie certaine ou modérée, une myopie fréquente [Haegerstrom-Portnoy, et al., 1996], une acuité visuelle limitée, entre 1 et 3/10ième et un fond d’œil normal [Weiss, Biersdorf, 1989]. Elle peut être découverte à l’occasion de l’exploration d’une acuité visuelle non améliorable ou de celle d’un nystagmus à fond d’œil normal. Au cours des ans, le nystagmus peut devenir pratiquement imperceptible ; c’est une affection stable.

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    Exemple C. présente dès la naissance un nystagmus de grande fréquence et de faible amplitude, une importante photophobie, un fond d’œil normal associé à une myopie. Son frère présente les mêmes symptômes. De nombreux cas d’atteintes familiales similaires sont retrouvés chez des sujets mâles à la même génération ou aux générations précédentes, en faveur d’une affection liée à l’X.

    Résultats à 6 mois Un ERG enregistré à l’âge de 6 mois montre des réponses discernables pour le système scotopique mais non discernables pour le système photopique, en faveur d’une absence de fonctionnement du système photopique. Les signes cliniques et l’ERG sont compatibles avec une achromatopsie ou un monochromatisme à cônes S. Le mode de transmission lié à l’X plaide en faveur d’un monochromatisme à cônes S, mais à vérifier.

    Analyse des résultats à 16 ans Un bilan complet est effectué à l’âge de 16 ans ; le nystagmus est alors léger, l’acuité visuelle non améliorable : 2/10ième à l’œil droit, P10 à 30 cm et P2 à 5 cm, 1/10ième à l’œil gauche, P10 à 30 cm et P3 à 5 cm, la photophobie modérée est associée à une myopie corrigée de 8 dt pour l’œil droit et 7 dt pour le gauche ; les fonds d’yeux sont normaux.

    ° Electrorétinogramme

    Figure VII-2-31. ERG flash du système scotopique : seule la rod-response est normale ; la mixed-response présente une onde-b de morphologie atypique qui s’explique par son mode de genèse normalement lié à la dépolarisation conjointe des bipolaires ON de cônes et de bâtonnets (figure V-4-13). Ici, les bipolaires ON de cônes sont réduites à celles, peu nombreuses, des cônes S. La morphologie de l’onde-b dépend donc essentiellement de la dépolarisation des bipolaires ON de bâtonnets ; or leur cinétique étant plus lente que celle des bipolaires ON de cônes, il en résulte une augmentation, significative, du temps de culmination de l’onde-b de la mixed-response. L’EOG est normal, confirmant la normalité du fonctionnement des bâtonnets, déclencheurs de l’EOG.

    Figure VII-2-32. ERG flash du système photopique : La réponse est caractéristique. On recueille 1- trois potentiels oscillatoires, de faibles amplitudes culminant après les Phot-OPs du sujet normal, probablement évoqués par les seuls cônes S, 2- une cone-response de morphologie atypique avec absence d’onde-a et une onde-b de morphologie atypique, réponse probable des cônes S (et des bâtonnets ?), 3- une absence de flicker-response par absence des réponses des bipolaires ON et OFF des cônes L et M, la réponse des bipolaires ON de cônes S est probablement d’amplitude trop faible pour être discernable.

    ° Commentaires sur la réponse du système des cônes S

    Chez un sujet normal et dans des conditions d’examen standard, la réponse des cônes S n’est habituellement pas discernable à la séquence cone-response car les cônes L et M inhibent partiellement le fonctionnement des cônes S [Zrenner, 1983b]. En l’absence des cônes L et M, la réponse des cônes S devient discernable. Il est aussi possible que les bâtonnets prennent part à cette réponse [Crognale, et al., 2004]. En effet, dans le cas de monochromatisme à cônes S, comme au cours de l’achromatopsie, les bâtonnets participent au codage de la luminance pour des niveaux lumineux où ils sont normalement saturés [Simunovic et al., 2001], [Haegerstrom-Portnoy, Verdon, 1999], [Young, Price, 1985].

    Remarque Les cônes S ont un fonctionnement beaucoup plus proche de celui des bâtonnets que des deux autres types de cônes (voir chapitre III) [Zrenner, 1983a]; il est intéressant de noter que comme pour le système des bâtonnets (rod-response), la réponse des cônes S (« cone-response » à l’ERG flash ) comporte, dans ce cas particulier, une absence d’onde-a ou une onde-a d’amplitude réduite.

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    ° P-ERG et PEV

    Figure VII-2-33. Le P-ERG, les PEV flash et damier qui ont normalement pour déclencheur tous les cônes sont des réponses de morphologie et temps de culmination nécessairement modifiés. Le P-ERG et les PEV damier ne sont pas discernables ; c’est principalement la conséquence du nystagmus qui ne permet pas à la structure d’être projetée de façon stable sur la rétine et accessoirement celle du déficit maculaire en cônes.

    Par contre, les PEV flash après stimulation achromatique (W) ou « bleue » (B) sont discernables avec des morphologies simplifiées et des temps de culmination des ondes augmentés. Ce sont les réponses corticales initiées uniquement des cônes S et véhiculées par l’unique voie K, de petit calibre, de conduction lente d’où le temps de culmination augmenté des ondes. Ce résultat montre que les maculas et les voies maculaires sont correctement fonctionnelles même si leurs capacités de détection sont réduites.

    Les ondes de ces PEV flash sont d’origine différente de celles enregistrées au cours de l’achromatopsie (figure VII-2-29).

    Synthèse et bilan génétique L’ensemble de ces résultats intégrés aux signes cliniques et aux atteintes familiales, plaide en faveur d’un monochromatisme à cônes S ; ils peuvent être confortés par les résultats de l’analyse moléculaire génétique qui n’est pas systématiquement effectuée.

    Ici, l’analyse moléculaire génétique de C. a montré la présence d’un seul gène d’opsine hybride rouge-vert avec la classique mutation en Cys203Arg donnant un gène non fonctionnel ; il en résulte l’absence des photopigment L et M [Nathans et al., 1993], [Reyniers et al., 1995] typique du monochromatisme à cônes S.

    Les résultats électrophysiologiques de son frère cadet qui présente les mêmes symptômes, sont comparables, ceux de leur mère sont sensiblement normaux. Seule la vision des couleurs de la mère, effectuée avec un test 15 HUE désaturé présente quelques inversions selon un axe bleu-jaune tant pour l’œil droit que pour l’œil gauche. C’est un signe à minima classiquement retrouvé chez les femmes conductrices [Farley, Heckenlively, 1991].

    Stabilité de ces affections dans le temps Ces affections sont à l’origine d’une acuité visuelle limitée, mais elles sont stables, c'est-à-dire non évolutives dans le temps, même si quelques cas d’évolution du monochromatisme à cônes S vers une maculopathie ont été décrits [Fleischman, O'Donnell, 1981], [Ayyagari et al., 2000], [Michaelides, et al., 2005]

    Remarque : Intérêt de la vision des couleurs pour différencier un monochromate à cônes S d’un achromate Les sujets achromates comme les monochromates à cônes S n’ont pas à proprement parler de vision des couleurs, bien qu’ils soient capables de nommer les couleurs de certains objets par éducation aux différences de contrastes lumineux renvoyés par ces objets. Pour voir en couleur, il est indispensable d’avoir au moins deux catégories différentes de cônes qui permettent la comparaison des signaux issus de deux types différents de cônes [Rigaudiere et al., 2006].

    Le test de la vision des couleurs en complément du bilan clinique

    Les signes cliniques, l’approximation de l’arbre généalogique et les résultats électrophysiologiques ne permettent pas toujours de trancher entre ces deux affections.

    Au cabinet, le test le plus simple à réaliser, à partir de 5-6 ans, est une vision des couleurs à l’aide du test de rangement 15 HUE de Farnsworth dit aussi Panel D 15 ou encore D 15 Standard (figure VII-2-34). Le rangement des 15 pions, le suivant devant être perçu très semblable au précédent, permet de mettre directement en évidence le ou les axes de confusion de ces deux catégories de sujets et, partant, de bien les différencier [Leid, 2008].

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    Deux axes de confusion pour le monochromate à cônes S, un axe pour l’achromate

    Pour le sujet monochromate à cônes S, le résultat du test montre la présence de deux axes de confusion associés, l’un protan et l’autre deutan (figure VII-2-35 à gauche) puisque le sujet cumule en effet une protanopie par absence de fonctionnement de ses cônes L, ex : figure VII-2-36 à gauche et une deutéranopie par absence de fonctionnement de ses cônes M, ex : figure VII-2-36 à droite [Rigaudiere, et al., 2006].

    Alors que pour les achromates, le résultat de ce test met en évidence un axe scotopique, caractéristique du fonctionnement des seuls bâtonnets (figure VII-2-35 à droite).

    Dysfonctionnement des deux systèmes : scotopique et photopique : dystrophies rétiniennes progressives

    Clinique Les Rod-cone dystrophies ou dysfonctionnement des deux systèmes rétiniens, scotopique et photopique, sont un groupe de rétinopathies cliniquement et génétiquement hétérogènes. Il y a perte progressive du fonctionnement du système des bâtonnets puis plus tardivement de celui des cônes tant il a été démontré que les bâtonnets ont un rôle trophique important pour la survie des cônes [Sahel et al., 2005], leur involution conduisant à la perte de l’acuité visuelle.

    Rétinopathie congénitale de type rod-cone dystrophy Exemple de AD., 15 mois ; elle présente un nystagmus depuis la naissance avec un strabisme convergent ; elle ramasse de petits objets situés à 20 cm ; elle suit un peu la lumière, le réflexe photomoteur est faible à droite et à gauche ; les fonds d’yeux paraissent normaux ; le scanner est normal.

    Analyse des résultats Figure VII-2-37. L’ERG flash enregistré avec des électrodes sclérocornéennes n’est pas discernable attestant le dysfonctionnement bilatéral majeur des deux systèmes neurorétiniens. Les PEV flash sont discernables après stimulation de chacun des deux yeux ; dans ce cas où l’ERG flash n’est pas discernable, les PEV flash traduisent l’amplification du signal issu des maculas si les voies visuelles sont supposées normales, ce qui est probablement le cas. Ces résultats montrent donc que les maculas fonctionnent. Ils sont compatibles avec le comportement de l’enfant.

    Synthèse Il s’agit d’une rétinopathie congénitale de type rod-cone dystrophy avec atteinte majeure et prépondérante du système des bâtonnets.

    Une rod-cone dystrophy de présentation précoce doit faire rechercher un certain nombre de maladies systémiques associées, nous y reviendrons.

    Amaurose congénitale de Leber

    Clinique C’est une rod-cone dystrophy très précoce, qui se caractérise par une indifférence visuelle, un nystagmus de type pendulaire, des signes digito-oculaires fréquents, une photophobie, une absence de réflexe photomoteur. On retrouve une forte myopie ou plus fréquemment une hypermétropie. Les fonds d’yeux sont normaux ou présentent quelques pigments qui augmentent avec l’âge. L’évolution se fait vers un rétrécissement des vaisseaux et une pâleur papillaire. Les enfants atteints sont précocement non voyants. Les ERG flash et PEV flash ne sont pas discernables [den Hollander et al., 2008].

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    Hétérogénéité clinique Cette rétinopathie forme un groupe hétérogène, de transmission le plus souvent autosomique récessive. En 2008, 14 gènes mutés sont impliqués dans 70% des cas d’amaurose congénitale de Leber. Les protéines normalement codées jouent des rôles variés à toutes les étapes du fonctionnement rétinien comme la morphogenèse des photorécepteurs, la phototransduction, le cycle de la vitamine A, la synthèse de la guanine, la phagocytose des segments externes, mais également dans le transport à l’intérieur des photorécepteurs [den Hollander, et al., 2008]. Dans le cas d’une mutation du gène RPE65 (rôle dans le cycle de la vitamine A), une thérapie génique a été mise en œuvre avec succès chez l’animal et des expériences ont été menées chez l’adulte. Si quelques améliorations subjectives sont ressenties à court terme [Hauswirth et al., 2008], aucune réponse rétinienne (ERG) n’est devenue discernable [Koenekoop, 2008]…

    Il convient de réserver le terme d’amaurose congénitale de Leber a une atteinte isolée de la rétine, sans association à des troubles neurologiques ou à des anomalies systémiques [Michaelides, 2005].

    Dysfonctionnement de système et héméralopie

    L’héméralopie : signe clinique… C’est un symptôme qui se traduit cliniquement par un trouble de la vision nocturne, c'est-à-dire une vision déficiente lorsque les stimulations sont de faibles niveaux lumineux et délivrées en ambiance sombre : mésopique ou scotopique. L’héméralopie peut s’accompagner d’une acuité visuelle normale ou non, d’un fond d’œil d’aspect normal ou non, de nystagmus ou non. Elle peut s’observer au cours de tout dysfonctionnement impliquant le système scotopique associé ou non à celui du système photopique.

    Congénitale, elle est souvent méconnue du petit enfant qui n’a pas de point de comparaison. Son hésitation à se mouvoir dans des circonstances de faibles éclairements peut alerter les parents en l’absence d’autres signes visibles comme une acuité visuelle basse et/ou un nystagmus.

    L’héméralopie congénitale essentielle L’héméralopie est dite congénitale essentielle stationnaire si elle est associée à un déficit de fonctionnement des bâtonnets ou du système des bâtonnets plus ou moins associé à celui des cônes non évolutif, en dehors de rares exceptions [Nakamura, Miyake, 2004]. Elle exclut donc les rétinopathies évolutives de type rod-cone dystrophies auxquelles s’associe cependant le signe clinique d’héméralopie.

    On connaît trois formes d’héméralopie congénitale essentielle : 1- l’héméralopie congénitale essentielle stationnaire dite « Congenital Stationnary Night Blindness » ou « CSNB », à fond d’œil normal, avec ses sous-types décrits ci-dessous, 2- le fundus albipunctatus et 3- la maladie d’Oguchi qui associent une héméralopie à des anomalies des fonds d’yeux.

    Seule la CSNB possède des points d’appel qui déclenchent des investigations chez l’enfant. Le fundus albipunctatus et la maladie d’Oguchi, bien que congénitaux, sont de découverte plus tardive au cours de l’exploration d’une héméralopie de d’adolescent ou de l’adulte, l’acuité visuelle associée étant normale et le nystagmus absent. Les fonds d’yeux sont caractéristiques [Miyake, 2006a], [Miyake, 2006b], [Audo et al., 2008]. Leur diagnostic est essentiellement clinique, le recours à l’électrophysiologie est secondaire chez l’adulte et exceptionnel chez l’enfant.

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    Congenital Stationnary Night Blindness : CSNB Plusieurs types de dysfonctionnements et modes de transmission sont regroupés sous ce vocable. Ils ont pour origine un dysfonctionnement situé (figure VII-2-38) : (1) au niveau des bâtonnets, ou (2) au niveau synaptique entre les bâtonnets (B) et les cônes (C) et toutes leurs cellules bipolaires sous-jacentes, ou (3) au niveau des récepteurs au glutamate des voies ON de bâtonnets et de cônes, ou (4) au niveau des voies ON de bâtonnets et de cônes [Michaelides M, Moore AT, 2006].

    Dysfonctionnement des bâtonnets : CSNB autosomiques dominantes

    Elles sont dues à une modification du fonctionnement des bâtonnets (figure VII-2-38 (1)) en relation avec une rhodopsine mutée. Il y a alors arrêt de la cascade de la transduction en différents niveaux selon les gènes mutants responsables : RHO correspondant à une composition anormale de la rhodopsine, GNAT1, une transducine anormale, PDE6B, une phospho-di-estérase mutée, permettant l’identification en différents types de CSNB autosomiques dominantes selon les mutations observées [Muradov, Artemyev, 2000],[Zeitz et al., 2008]. Par exemple, la mutation du gène GNAT1 est trouvée dans la CSNB autosomique dominante de la famille Nougaret, CSNB dite « de Nougaret ».

    Ce type de dysfonctionnement des bâtonnets induit la sensation d’héméralopie mais n’entraîne pas leur dégénérescence à long terme, contrairement aux rod-cone dystrophies. Le fonctionnement du système des cônes est et reste normal [Zeitz, et al., 2008]. Les sujets atteints ont une acuité visuelle normale, pas de nystagmus, leur fond d’œil et leur champ visuel restent normaux tout au long de la vie. Tout se passe comme si les sujets atteints n’avaient qu’un seul système rétinien fonctionnel : le système photopique.

    Rappel. La normalité du champ visuel central et périphérique s’explique par la normalité du système photopique. En effet, le relevé du champ visuel qu’il soit central ou périphérique, statique ou dynamique s’effectue en ambiance photopique avec une stimulation de taille et d’intensité lumineuse variable, mais de niveau lumineux toujours supérieur à celui de l’ambiance. Les bâtonnets fonctionnent alors en mode saturé. Les relevés du champ visuel sont le reflet du fonctionnement du système photopique contrairement aux idées reçues mais fausses, qu’ils sont le reflet du fonctionnement des bâtonnets. Cette erreur provient probablement du classique scotome situé dans l’aire de Bjerrum au cours des rod-cone dystrophies. Ce scotome annulaire est le reflet indirect du dysfonctionnement des bâtonnets qui y sont situés. En effet, les bâtonnets déficients n’assurent plus leur rôle trophique pour leurs cônes voisins ; ces derniers présentent alors un degré certain de dysfonctionnement qui apparaît sur le relevé du champ visuel…

    Ces CSNB dominantes sont recherchées chez un enfant dans le cadre d’une atteinte familiale, rarement chez le tout petit enfant, rien ne presse. Elles peuvent même être découvertes chez l’adulte alors qu’il prend conscience de difficultés à se mouvoir dans une ambiance de faible niveau lumineux.

    L’ERG flash du système scotopique est, pour la rod-response, non discernable, pour la mixed-response, de morphologie normale mais l’amplitude des ondes-a et -b est diminuée puisque issue du seul fonctionnement du système des cônes ; l’ERG flash du système photopique est normal bien que cette assertion soit à nuancer [Sandberg et al., 1998]. La sensation d’héméralopie, l’atteinte familiale et son mode de transmission, les anomalies de l’ERG flash confirment que cette héméralopie a bien pour origine une absence de fonctionnement des bâtonnets.

    Dysfonctionnement synaptique : CSNB incomplète ou de type II

    Elle est due à une mutation du gène CACNA1F qui est à l’origine d’anomalies des canaux calcium situés au niveau des synapses des bâtonnets et des cônes vers leurs cellules bipolaires. Ces canaux jouent un rôle majeur dans les processus de libération du glutamate des zones présynaptiques des photorécepteurs dans les zones

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    intersynaptiques, vers les cellules bipolaires de bâtonnets et de cônes (figure VII-2-38 (2) et figure VII-2-39). Cette affection est toujours liée à l’X [Miyake, 2002], [Nakamura, Miyake, 2004].

    Il y a donc un trouble de la transmission du signal des photorécepteurs vers les cellules bipolaires ON de bâtonnets et les cellules bipolaires ON et OFF de cônes.

    Il s’agit d’une atteinte partielle du fonctionnement de la voie ON du système scotopique et également d’une atteinte partielle du fonctionnement des deux voies ON et OFF du système photopique. Cette atteinte partielle des deux systèmes explique les résultats trouvés à l’ERG flash (figure VII-2-44).

    La dénomination ambiguë de « CSNB incomplète » se comprend à la lumière du dysfonctionnement partiel des deux voies (ON des bâtonnets et des cônes et OFF des cônes). Miyake [Miyake, 2002] a proposé de remplacer cette dénomination par celle de « CSNB de type II » (pour dysfonctionnement des deux voies). Actuellement, ces deux dénominations cohabitent…

    Dysfonctionnements post-synaptiques : CSNB complète ou de type I

    Ils correspondent (figure VII-2-38 (3) et (4)) :

    ° à un trouble majeur du fonctionnement des récepteurs métabotropiques (mGLuR6) au glutamate des cellules bipolaires ON, qu’elles soient de bâtonnets ou de cônes [Dryja et al., 2005], [Zeitz et al., 2007] par mutation du gène GRM6 (figure VII-2-38 (3) et figure VII-2-40). La transmission de cette affection est autosomique récessive ; elle est dite CSNB complète ou de type I, autosomique récessive ;

    ° à un trouble important du développement et donc du fonctionnement des voies ON de la rétine qu’elles soient sous la dépendance des bâtonnets ou sous celle des cônes, par mutation du gène NYX qui code pour la nyctalopine [Bech-Hansen et al., 2000], [Morgans et al., 2006] (figure VII-2-41). Cette dernière est connue pour son rôle important dans le développement et le fonctionnement des voies ON. La transmission de cette affection est liée à l’X ; elle est dite CSNB complète ou de type I, liée à l’X.

    Ces deux types de dysfonctionnement, bien que d’origine différente, ont des conséquences identiques sur les réponses des systèmes rétiniens : une absence complète de fonctionnement de la voie ON des bâtonnets et de celle des cônes, associé à un fonctionnement normal de la voie OFF des cônes [Khan et al., 2005], d’où la dénomination de « CSNB complète » (atteinte complète de fonctionnement des voies ON). Il a été proposé de remplacer cette terminologie par « CSNB de type I » c'est-à-dire absence de fonctionnement d’un seul type de voie.

    Ce ne sont pas les résultats de l’ERG flash (figure VII-2-42) mais ceux de l’analyse moléculaire génétique qui pourront déterminer si une CSNB de type I est autosomique récessive ou liée à l’X…

    Diagnostic d’une héméralopie congénitale essentielle chez un tout petit L’électrorétinographie prend tout son sens pour ce diagnostic lorsqu’un tout petit enfant présente un nystagmus congénital à fond d’œil normal associé, dans 30% des cas environ, à un strabisme ou lorsqu’on est face à une seule acuité visuelle non améliorable à fond d’œil normal, chez un enfant de 3 ou 4 ans avec doute sur une héméralopie.

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    Ces signes peuvent être associés à °une myopie de 1dt à 15dt -l’aspect du fond d’œil est alors celui d’une myopie- pour la CSNB de type I (jamais d’hypermétropie) ou à °une myopie ou hypermétropie modérées, jusqu’à 5 dt, pour la CSNB de type II. Dès qu’elle est estimable, l’acuité visuelle est non améliorable, comprise en moyenne entre 2 et 5/10ième mais allant de

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    Analyse des résultats ° ERG flash et EOG

    Figure VII-2-46. L’ERG flash standard enregistré avec des électrodes collées, montre pour la rod-response, une disparition de l’onde-b et pour la mixed-response une diminution d’amplitude de l’onde-b, compatible avec l’absence de fonctionnement de la voie ON des bâtonnets. L’EOG est normal, avec une genèse du Light peak ; on observe pour ce dernier, une dispersion des saccades due au nystagmus et au jeune âge. Ces résultats objectivent le trouble majeur du fonctionnement de la voie ON des bâtonnets de niveau post-réceptoral avec un fonctionnement normal des bâtonnets (l’EOG normal confirmant la normalité de son déclencheur : les bâtonnets).

    La réponse du système photopique montre une absence d’ondes OP2 et OP3 avec une onde OP4 normale, une diminution d’amplitude de l’onde-b de la cone-response et une amplitude normale de la flicker-response. Ces résultats sont cohérents avec l’absence de fonctionnement de la voie ON des cônes -qui génèrent OP2 et OP3, participe à la genèse de l’onde-b de la cone-response- et avec un fonctionnement normal de la voie OFF qui génère l’onde OP4 et la flicker-response.

    En effet on se rappelle que la flicker-response est une sommation de la réponse des voie ON et OFF des cônes. Ici, en l’absence de fonctionnement de la voie ON, la voie OFF normale est seule responsable de la flicker-response, apparaissant d’amplitude normale.

    ° ERG ON-OFF

    Figure VII-2-47. ERG ON-OFF : la réponse est sous la dépendance des voies ON et OFF de cônes. Il y a normalité de l’onde-a, due à l’hyperpolarisation des cônes et des cellules bipolaire OFF, absence de l’onde-b-ON, due à l’absence de fonctionnement de la voie ON des cônes, avec les ondes d1 et d2 normales -d1 correspondant à la dépolarisation de la voie OFF des cônes et d2 à la repolarisation des cônes.

    ° Vision des couleurs

    Figure VII-2-48. La vision des couleurs effectuée avec un test 15 HUE désaturé, montre des inversions selon un axe de bleu-jaune à droite et à gauche, compatible avec l’absence de fonctionnement des cônes S, ce qui est cohérent avec l’atteinte des voies ON dans la CSNB complète ou de type I puisque les cônes S ne possèdent qu’une voie ON (non fonctionnelle dans ce cas).

    Synthèse et association indispensable à un OCT L’ensemble de ces résultats électrophysiologiques est cohérent avec les mécanismes physiopathologiques actuellement connus de l’héméralopie congénitale essentielle complète ou de type I (figure VII-2-40 & figure VII-2-41) et les modes de genèse des ondes de l’ERG, réponses globales de toute la neurorétine (ERG flash, figure V-4-12 à 16) et réponse globale des voies ON et OFF des cônes (ERG ON-OFF figure V-4-20).

    Cependant les résultats électrophysiologiques ne permettent pas de trancher formellement entre une CSNB et un rétinoschisis dont la présentation clinique et les résultats électrophysiologiques peuvent être similaires, avec comme caractéristique notoire une diminution importante de l’onde-b de la mixed-response, typique des dysfonctionnements des « couches internes » de la rétine. Seul l’OCT permet d’éliminer formellement l’existence d’un schisis qui peut, dans certains cas, ne pas être visible cliniquement (figure VII-2-69, figure VII-2-70, figure VII-2-88 et figure VII-2-90).

    Résultat de l’OCT Figure VII-2-49. Fond d’œil de L. 4,5 ans présente un aspect compatible avec sa myopie, son OCT est normal. Les résultats électrophysiologiques et l’OCT normal permettent d’affirmer que L. est atteint d’une CSNB de type I et non pas d’un retinoschisis comme ce qui avait été initialement suggéré.

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    Analyse génétique Les résultats de l’électrophysiologie et le mode d’atteinte familiale -orientant plutôt vers une CSNB liée à l’X- ont permis d’orienter dans un premier temps, les recherches à l’analyse du gène NYX. Leurs résultats montrent que les deux enfants sont porteurs de la mutation c.770G>C prédisant la mutation p.R257P du gène NYX à l’état hémizygote, la mère étant, elle, porteuse de la mutation c.770G>C du gène NYX à l’état hétérozygoye simple.

    Peut-on confondre une CSNB avec une rod-cone dystrophy ?

    C’est la question que se posent en conscience tous les ophtalmologistes lorsqu’ils sont face à un enfant qui a une acuité visuelle limitée, un fond d’œil peu parlant et une héméralopie, tant le devenir de ces deux pathologies est radicalement différent : stable pour une CSNB et évolutive pour une rod-cone dystrophy avec la dramatique perspective d’un rétrécissement du champ visuel et d’une cécité à plus ou moins long terme.

    Les résultats du bilan électrophysiologique associés à ceux de l’OCT permettent de les différencier avec certitude.

    Dans les rares cas de CSNB dominantes, le système des cônes reste normal, sans modification de la vision photopique avec le temps.

    Pour les CSNB incomplète ou complète, l’aspect électronégatif de la mixed-response et de la cone-response avec conservation d’une onde-a, signe la persistance du fonctionnement des photorécepteurs et l’atteinte des couches internes de la rétine mais surtout, la normalité de l’EOG assure que le fonctionnement des bâtonnets est normal. Le résultat de l’OCT permet de différencier formellement ce résultat d’un rétinoschisis, comme il a déjà été dit. Alors que dans la rod-cone dystrophy, la dégénérescence progressive des bâtonnets entraîne précocement une diminution d’amplitude des ondes-a et -b des réponses de l’ERG flash, bien différentes des réponses précédentes et, surtout, une diminution d’amplitude du Light Peak de l’EOG, voire conduit à un EOG plat… tout un arsenal à l’appui du diagnostic différentiel.

    Baisse d’acuité visuelle chez l’enfant ou l’adolescent

    Pathologies héréditaires de manifestation juvénile

    La période 2 ans–12 ans peut être celle de la découverte de déficiences visuelles, d’acuités visuelles non améliorables, d’échec d’un traitement d’amblyopie ou de dégradation visuelle progressive. Des dysfonctionnements rétiniens ou des voies visuelles peuvent être en cause, révélés ou confortés par le bilan électrophysiologique.

    Entre 2 et 5 ans, le protocole est adapté à l’âge en privilégiant l’utilisation d’électrodes collées pour les ERG flash ; après 5 ans, il est possible de mettre en œuvre un protocole complet et d’utiliser des électrodes sclérocornéennes d’emblée pour l’ERG. Seuls l’ERG multifocal ne peut être enregistré qu’après 10-12 ans.

    Dysfonctionnement de l'épithélium pigmentaire : Dystrophie maculaire juvénile de Best

    Signes cliniques Elle se manifeste par une acuité visuelle qui peut être limitée, associée à des lésions maculaires au fond d’œil qui apparaissent souvent très tôt dans la vie ; sa transmission est autosomique dominante le plus souvent liée à une mutation du gène VMD2 sur le chromosome 11q13 [Petrukhin et al., 1998].

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    Elle correspond à une absence de fonctionnement des canaux chlore de la membrane basale de l'épithélium pigmentaire [Hartzell et al., 2008] (chapitre V-3 et figure V-3-23, figure V-3-24) avec accumulation de lipofuschine dans la région maculaire et de fluide entre °l’épithélium pigmentaire et les photorécepteurs, °l’épithélium pigmentaire et la membrane de Bruch puis détachement avec dégénérescence secondaire des photorécepteurs, visibles à l’OCT [Michaelides et al., 2003], [Pianta et al., 2003].

    L’enfant atteint met en place une stratégie visuelle précoce avec fixation sus-lésionnelle, l’acuité visuelle développée pouvant être correcte voire pratiquement normale ou limitée. La découverte de la lésion peut se faire lors de la recherche de la cause d’une acuité visuelle limitée, fortuite à l’occasion d’un examen ophtalmologique systématique ou effectuée dans le cadre d’une atteinte familiale.

    Exemple E. 4,5 ans a une l’acuité visuelle droite et gauche limitée à 8/10ième. A 2,5 ans, lors d’un examen systématique, on a découvert aux deux fonds d’yeux, une dystrophie maculaire ressemblant à un kyste vitellin. L’examen électrophysiologique est demandé à 4,5 ans pour préciser le diagnostic ; s’agit-il bien d’une dystrophie maculaire juvénile de Best ?

    Analyse des résultats Figure VII-2-50. L’ERG flash est normal, attestant que le fonctionnement rétinien global des deux systèmes est normal. Puisque le système scotopique est normal, le déclencheur de l’EOG est normal et son résultat correspond donc bien au reflet du fonctionnement de l’épithélium pigmentaire.

    L’enregistrement de l’EOG peut s’effectuer dès l’âge de 4-5 ans en surveillant que l’enfant suit bien des yeux le point cible, alternativement à droite et à gauche. Ici, l’enfant a eu quelques difficultés à effectuer des mouvements réguliers en début d’examen, puis a suivi régulièrement le point cible. L’absence de genèse du Light Peak à l’EOG témoigne d’un dysfonctionnement majeur de l’épithélium pigmentaire, qui, associé aux lésions du fond d’œil, est pathognomonique d’une dystrophie maculaire juvénile de Best.

    Les P-ERG (non enregistrés ici), PEV flash et surtout PEV damier (figure VII-2-51) précisent le degré de fonctionnement maculaire résiduel. Seuls les PEV damier cases 60’ sont discernables pour l’œil droit, suggérant que la zone préférentielle de fixation à droite est capable d’une détection moyenne [Guez et al., 1993].

    Synthèse L’aspect clinique et le bilan électrophysiologique sont très en faveur d’une dystrophie maculaire juvénile de Best. L’acuité visuelle mesurée cliniquement est meilleure que l’évaluation par les PEV damier des capacités de détection présumées qui pourraient correspondre à 3-4/10ième.

    Enquête familiale comme aide au diagnostic Parfois, l’aspect du fond d’œil n’est pas typique ; dans le cas où l’on suspecte une dystrophie maculaire juvénile de Best, l’examen clinique et électrophysiologique des parents peut aider au diagnostic comme dans l’exemple suivant.

    Exemple S. fillette de 6 ans consulte pour exploration d’une baisse d’acuité visuelle récente de l’œil droit associée à une acuité visuelle gauche basse, connue depuis l’âge de 2 ans. L’acuité visuelle est à droite, 2,5/10ième +2 (-2,25 à 0°) et à gauche, 1,6/10ième +1 (-2 à 0°).

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    Analyse des résultats La figure VII-2-52 montre les photos de ses fonds d’yeux avec un remaniement maculaire bilatéral de type atrophie centrale, avec un dépôt jaune grisâtre en zone périfovéolaire. Les photos faites en autofluorescence montrent que des lésions fluorescentes sont largement étendues au-delà des arcs vasculaires, témoignant d’une accumulation de lipofushine dans l'épithélium pigmentaire.

    Figure VII-2-53. L’ERG flash montre une diminution minime d’amplitude de l’onde-b à gauche de la rod-response et une diminution d’amplitude de l’onde-a de la mixed-response à droite et à gauche, témoin d’un dysfonctionnement discret du système scotopique de niveau réceptoral (bâtonnets). L’EOG est « plat », avec absence de genèse du Light peak, attestant le dysfonctionnement majeur de l’épithélium pigmentaire. Les réponses du système photopique sont moins amples à gauche qu’à droite. Il y a absence d’OP2 et OP3, signe de dysfonctionnement maculaire et diminution d’amplitude de l’onde-b de la cone-response et de la flicker-response, suggérant la présence d’un dysfonctionnement modéré des couches internes de la rétine.

    Figure VII-2-54. Le P-ERG n’est pas discernable ; les PEV damier le sont pour les cases 30’ avec un temps de culmination très augmenté et non discernables pour les cases 15’, confirmant le dysfonctionnement maculaire bilatéral.

    OCT Figure VII-2-55. L’OCT montre la disparition du creux fovéolaire, l’épaississement de la rétine maculaire avec des logettes allant de la plexiforme externe à la plexiforme interne -rappelant l’aspect OCT d’un rétinoschisis- et un décollement séreux de la neurorétine.

    Synthèse des résultats et interrogations L’aspect des fonds d’yeux et de l’OCT n’est pas typique d’une dystrophie maculaire vitelliforme de Best. A ce stade, l’ensemble des résultats est évocateur d’une épithéliopathie avec maculopathie.

    Analyse des résultats de son père et de sa mère Pour aider à un diagnostic plus précis, les parents sont explorés ; ils sont non consanguins. Leur bilan clinique est normal, leurs fonds d’yeux, l’imagerie en autofluorescence (figure VII-2-56) et leurs OCT (figure VII-2-57) sont normaux.

    Figure VII-2-58. Pour la mère N. 30 ans : L’ERG flash est normal, sauf pour la séquence Phot-OPs où seule l’OP4 et discernable, reflet d’un dysfonctionnement maculaire infra clinique ; l’EOG montre une absence de genèse du Light Peak. Pour le père L. 34 ans, si l’ERG flash est normal pour toutes les séquences, l’EOG montre également une absence de genèse du Light Peak…

    Synthèse et diagnostic Chez les porteurs sains de la mutation dans le gène VMD2, l’acuité visuelle est normale, les fonds d’yeux sont normaux ou montrent des anomalies maculaires minimes ; par contre, leur EOG présente toujours une genèse anormale du Light Peak [Michaelides, et al., 2003]. Dans l’exemple présenté, l’absence de genèse du Light Peak chez les deux parents de cette enfant qui souffre d’une épithéliopathie et maculopathie atypiques, suggère fortement qu’elle est bien atteinte d’une dystrophie maculaire juvénile de Best…

    Dysfonctionnement de l'épithélium pigmentaire et des photorécepteurs : Maladie de Stargardt

    Signes cliniques C’est la plus fréquente des dégénérescences maculaires juvéniles de transmission autosomique récessive, rarement dominante. Elle débute entre 7 et 15 ans, parfois plus

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    tard, par une baisse régulière de l’acuité visuelle. Le fond d’œil peut être discrètement modifié avec perte du reflet fovéolaire ou présenter un discret remaniement pigmentaire ou un aspect en « bave d’escargot » ; les vaisseaux et la papille sont normaux.

    Physiopathologie Elle correspond à un dysfonctionnement mixte de l'épithélium pigmentaire et des photorécepteurs. Il y a absence de transport transmembranaire des rétinoïdes entre les photorécepteurs et l’épithélium pigmentaire par mutation du gène ABCA4 codant pour la protéine-transporteur ABCR [Michaelides, et al., 2003], [Klevering et al., 2005]. De ce fait, il y a accumulation de matériel dans les photorécepteurs ; l’épithélium pigmentaire continuant sa fonction de phagocytose, ce matériel en concentration excédentaire favorise la formation de A2E (N-rétinolydène-N-retinyl-phosphatydyléthanolamine). Ce dernier est le principal constituant de la lipofushine, il est toxique pour l'épithélium pigmentaire. Il y a alors mort progressive des cellules de l'épithélium pigmentaire et dégénérescence secondaire des photorécepteurs (chapitre V-3 et figure V-3-27, figure V-3-28, figure V-3-29) [Molday, 2007]. L’angiographie fluorescéinique est caractéristique si elle montre le silence choroïdien de Bonnin mais il n’est présent que dans 50 à 80% des cas.

    Exemple S. 11 ans consulte pour une baisse d’acuité visuelle récente avec, à droite 8/10ième et, à gauche 1/10ième ; l’aspect du fond d’œil est évocateur de la maladie de Stargardt. Le diagnostic suggéré par de premiers résultats électrophysiologiques est celui de dystrophie des cônes, l’angiographie montre un anneau de piquetés fluorescents entourant la zone fovéolaire.

    Compte tenu de l’âge de l’enfant, un bilan électrophysiologique complet a été pratiqué : ERG flash, EOG, ERG multifocal, P-ERG, PEV flash et damier. Il permet de quantifier les altérations globales et maculaires ; en effet, les altérations anatomiques et celles évaluées par autofluorescence peuvent différer et ne refléter que partiellement les zones rétiniennes qui dysfonctionnent [Sunness, Steiner, 2008].

    Analyse des résultats Figures VII-2-59. L’ERG flash montre des réponses du système scotopique discrètement diminuées pour la rod-response et restant dans les limites de la normale pour la mixed-response, associées à une diminution de toutes les réponses du système photopique. La dynamique de genèse du Light Peak de l’EOG est anormale à droite et dans les limites de la normale à gauche.

    Figure VII-2-60. L’ERG multifocal montre que les réponses sont diminuées dans toutes les zones des 30 degrés centraux (y compris les zones fovéales), ne laissant correctement fonctionnel que le 4ième anneau situé en dehors des arcs vasculaires et dont l’aspect est pratiquement normal au fond d’œil (figure VII-2-60).

    Figure VII-2-61. Le P-ERG n’est pas discernable, ce qui confirme le dysfonctionnement des 15 degrés centraux déjà trouvé à l’ERG multifocal ; les PEV flash sont discernables mais non pas les PEV damier confirmant le dysfonctionnement des différents secteurs maculaires, déjà constatés par l’ERG mf et le P-ERG.

    Difficultés diagnostiques Cependant, les résultats du bilan électrophysiologique pratiqué ne permettent pas de trancher absolument entre une dystrophie des cônes et une maladie de Stargardt, tant ces pathologies ont de points communs [Kitiratschky et al., 2008], [Shastry, 2008].

    Plusieurs arguments plaident cependant en faveur d’une maladie de Stargardt plutôt que d’une dystrophie des cônes. 1- il existe une discrète diminution d’amplitude des réponses du système scotopique (rod-response), alors que le fonctionnement du système scotopique est habituellement normal dans la dystrophie des cônes à

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  • Œil et Physiologie de la Vision - VII-2

    l’âge de l’enfant ; 2- il y a une asymétrie dans la dynamique de l’EOG entre l’œil droit et l’œil gauche pouvant suggérer un dysfonctionnement débutant de l'épithélium pigmentaire à droite, ce qui n’est habituellement pas constaté dans la dystrophie des cônes ; 3- l’amplitude de la flicker-response, témoin du fonctionnement du système des cônes est diminuée mais moins que dans la classique dystrophie des cônes (figures VII-2-66 à 68) ; 4- l’ERG multifocal montre que le quatrième anneau testant le fonctionnement du système des cônes situés au-delà des 40 degrés centraux du pôle postérieur répond correctement, ce qui n’est pas le cas au cours de la dystrophie des cônes, le dysfonctionnement touchant tous les cônes, ceux situés en dehors des arcs vasculaires nétant pas épargnés.

    Résultat de l’OCT Figure VII-2-62. L’OCT montre un amincissement de l’épithélium pigmentaire en zone maculaire laissant percevoir des structures sclérales sous-jacentes ainsi que des dépôts irréguliers entre l’épithélium pigmentaire et la rétine. Ces résultats ne sont pas spécifiques d’une maculopathie de la maladie de Stargardt.

    Résultat génétique L’analyse moléculaire génétique du gène ABCA4 dont les résultats ont été connus après le bilan électrophysiologique, a montré que S. est porteur d’une mutation unique à l’état hétérozygote de ce gène pouvant expliquer les déficiences visuelles. Ce résultat ne permet pas non plus d’étiqueter de façon absolue la pathologie en cours ; en effet, il a été montré que la dystrophie des cônes ou la cone-rod dystrophy présentaient dans 30% des cas, des mutations du gène ABCA4 [Kitiratschky, et al., 2008]…

    L’évolution tranchera… L’évolution fonctionnelle déterminera si l'épithélium pigmentaire et les bâtonnets sont secondairement davantage impliqués (voir exemple de l’évolution d’une maladie de Stargardt au chapitre VI) ou si le dysfonctionnement constaté rest