Fiction - Érudit · Nuit blanche, le magazine du livre ISSN 0823-2490 (print) 1923-3191 (digital)...

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Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 2011 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 06/03/2021 10:58 p.m. Nuit blanche, le magazine du livre Fiction Réjean Ducharme Number 124, Fall 2011 URI: https://id.erudit.org/iderudit/65127ac See table of contents Publisher(s) Nuit blanche, le magazine du livre ISSN 0823-2490 (print) 1923-3191 (digital) Explore this journal Cite this review (2011). Review of [Fiction]. Nuit blanche, le magazine du livre,(124), 15–22.

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  • Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 2011 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit(including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can beviewed online.https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/

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    Nuit blanche, le magazine du livre

    Fiction

    Réjean DucharmeNumber 124, Fall 2011

    URI: https://id.erudit.org/iderudit/65127ac

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    Publisher(s)Nuit blanche, le magazine du livre

    ISSN0823-2490 (print)1923-3191 (digital)

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    Lynda DionLA DÉVORANTESeptentrion, Québec, 2011, 219 p. ; 21,95 $

    Voici la poignante confession d’une femmequi n’a « pas d’autres territoires d’autreslieux d’autres lits que la page noircie avecles mots de [sa] faim ». Cette quinqua-génaire seule vient d’enterrer sa mère etvoit sa fille quitter le nid ; elle reste enarrière donc, l’enveloppe charnelle etl’âme frustrées. Mais n’allez pas la croiredépressive : la narratrice a envie de sentirce corps, qui lui correspond de moinsen moins, de jouir encore, et son espritd’apprendre, ne serait-ce que la langueespagnole pour flirter avec le bel étrangeren voyage.Elle se raconte donc par touches

    intimistes dans une parataxe sansponctuation, laissant le lecteur suivre lecours de sa pensée. Organisé en courts

    chapitres dont chacun aborde un thèmeprécis, ce monologue évite ainsi lesallures de logorrhée désarticulée.

    La dévorante est un fort joli premierroman sans fausse pudeur et bien maî-trisé, d’une auteure qui a saisi l’essenceprécieuse de la création littéraire.

    Suzanne Desjardins

    José SaramagoCAÏNTrad. du portugais par Geneviève LeibrichSeuil, Paris, 2011, 170 p. ; 27,95 $

    Dernière œuvre du Prix Nobel portugais,Caïn nous amène sur un terrain nouveaupour ce grand sceptique qu’est JoséSaramago : celui de Dieu ! Vingt ans aprèsL’Évangile selon Jésus-Christ – où cen’est pas tant Dieu qui l’avait alorsintéressé mais bien l’humanité de Jésus –,il se penche cette fois sur la figure tor-

    turée de Caïn, converti ici en éternelerrant, en juge impitoyable de son temps,en dénonciateur des injustices et desimpostures, mais surtout, sous la plumesans merci de Saramago, en critiqueféroce de Dieu lui-même. Comme il y avingt ans, certains crieront sans doute auscandale, ou vont peut-être cette fois setaire, l’homme n’étant plus là avec sonineffable sourire pour alimenter leuraigreur... S’il touche à une nouvelle thé-matique, il va sans dire qu’il la traite à safaçon : l’ironie, l’indignation, la douceursont présentes ; et avec son style bien à lui :phrases sinueuses, dialogues entremêlés,changements fréquents d’interlocuteursau moyen de majuscules soudain inséréesdans le texte, philosophie et narrationcroisées, clins d’œil historiques et narra-tifs, style baroque parfois, mais sobreaussi, alliant envolées lyriques et froidesobservations, ce qui n’est pas toujoursune mince affaire.Comme toujours l’historien rencontre

    ici le romancier, et comme toujours c’estle romancier qui l’emporte. Le souci del’exactitude, la cohérence dans l’élabo-ration de la trame narrative, Saramago neprend pas cela à la légère, et il ne fait pasde doute qu’il connaît son histoire bibli-que. Mais justement pour cela, il s’amusemanifestement à parsemer son récitd’invraisemblances, de coups de gueule,de règlements de compte avec lesatrocités de l’histoire, voire avec le clergéde jadis et d’aujourd’hui. Mais c’est sansdoute lorsqu’il s’en prend directementà Dieu que sa charge porte davantage :« Qui es-tu donc pour mettre à l’épreuve

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    premier roman, dernier Saramago

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    ce que tu as créé toi-même ? » dira-t-ilsans ménagement. Et dans la foulée de latriste histoire d’Abraham et d’Isaac, ilassénera ses critiques les plus féroces :« Et quel seigneur est-ce là qui ordonne àun père de tuer son propre fils » ; « Et sice seigneur avait un fils, ordonnerait-ilaussi de le tuer », laissant ensuite lenarrateur trancher, dans un humourdoux-amer bien typique de Saramago :« L’avenir le dira ».

    Le Saramago politique n’est parailleurs jamais loin. Quelques citations envrac : « Comme toujours les femmes sontles victimes par excellence. De toutefaçon, les innocents ont déjà l’habitude depayer pour les pécheurs » ; « L’histoire deshommes est l’histoire de leurs mésenten-tes avec Dieu » ; « Qui châtiera le seigneurpour tous ces morts ».

    Et pour finir, l’homme qui allait nousquitter peu après l’écriture de ce magni-fique roman nous laisse avec cette phrasesibylline, ou visionnaire, c’est selon lesgoûts, sur la relativité du temps : « Per-sonne ne peut être dans le futur, alors nel’appelons pas futur, appelons-le un autreprésent ».

    Certains croient que sa traductriceespagnole – et au demeurant épouse –,Pilar Del Río, a quelques textes inéditsdans un coffre de leur maison desCanaries, voire dans sa Grenade natale(ville qui se promet d’ailleurs de rendrehommage au grand ami de l’Andalousiequ’était Saramago). Ou alors est-ce safidèle et toujours excellente traductricefrançaise Geneviève Leibrich qui aquelques bribes cachées qu’elle nousdévoilera un jour ? Cela reste à voir. Pour

    ma part, j’en doute. Saramago sansSaramago, cela sonne faux. Et ce n’est passon genre. M’est avis qu’il faudra s’y faire :c’est bien là le dernier roman deSaramago, et cette fois, la plate réalité nefait guère de la belle fiction.

    Louis Jolicœur

    Roy JacobsenLES BÛCHERONSTrad. du norvégien par Alain GnaedigGallimard, Paris, 2011, 192 p. ; 27, 95 $

    D’où vient cette fascination grandissantepour la Seconde Guerre mondiale ? On necompte plus les romans sur le sujet écritspar des auteurs nés après le conflit.Pensons aux Bienveillantes de JonathanLittell, à L’offense de Ricardo MenéndezSalmón et à ce petit livre du NorvégienRoy Jacobsen, Les bûcherons. Est-ce laquête d’un monde intense, tragique, oùles profondeurs inconscientes du malcôtoient ce qu’il y a de plus élevé enl’humain ? Il y aurait un peu de cela dansl’œuvre de Jacobsen. Mais aussi le désirde retrouver l’homme, un homme, tra-versé malgré lui par une histoire devenuemythe. Un homme qui, le 7 décembre1939, a tout bonnement décidé de ne pasquitter sa ville incendiée par ses compa-triotes finlandais alors qu’approchaientles troupes soviétiques. Ainsi sera-t-il letémoin privilégié de ce que l’on nommeraplus tard la bataille de Suomussalmi, quifut par ailleurs gagnée par une poignéede Finlandais opposés à l’invasion del’Armée rouge, et où périrent quelque27 000 soldats russes, pris dans un étau

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    Seconde Guerre mondiale, Donald Alarie

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    sur une terre glacée et inhospitalière.L’intérêt de ce livre, outre le fait qu’il nousfait entrer avec beaucoup de réalismedans la grande histoire, réside dans cepersonnage que tout le monde prend pourun idiot. Comme l’idiot de Dostoïevski, ill’est sans doute moins qu’on ne le prétend.Mais lui-même, le sait-il ? Avec une sorted’humilité, il arrive à survivre au froid(moins 40 degrés Celcius le jour), à lafaim, aux violences, à l’absurdité. Ildeviendra même le « chef » d’un groupede bûcherons russes qui, comme lui,seront jugés inutiles à la guerre. Idiot, ill’est peut-être un peu lorsqu’il néglige deprendre position et veut croire enl’amitié. Mais certains seront aussi idiotsque lui, voilà toute la beauté.

    Judy Quinn

    Donald AlarieJ’ATTENDS TON APPELXYZ, Montréal, 2011, 131 p. ; 18 $

    Après David et les autres (2008) etThomas est de retour (2010), DonaldAlarie nous revient, toujours publié chezXYZ, avec J’attends ton appel. Dans cetroisième titre de ce qui se lit désormaiscomme une suite romanesque, leslecteurs retrouveront plusieurs des per-sonnages déjà rencontrés dans les deuxprécédents : David, son ami Antoine,sa fille Annie, son petit-fils Benoît etThomas, le père de l’adolescent, dont lestouchantes retrouvailles étaient au cœurdu second roman. Cependant, la trame dece nouvel opus tourne essentiellementautour de Yolande, la « visiteuse » entre-

    out aficionado d’Andreï Makine, cet auteur croulantsous les prix littéraires, dont le Goncourt et le Médicis1995, attend son dernier roman avec impatience. Né

    en Sibérie en 1957, l’écrivain s’installe à Paris en 1987 etécrit depuis directement en français, prodige d’adaptationqui ne cesse de nous émerveiller.

    Pourtant,Le livre des brèves amours éternelles, quinzièmeouvrage de l’auteur, est loin de faire l’unanimité. Les huitnouvelles qui le composent ramènent le lecteur sous les régimes politiques plusou moins totalitaires de la Russie, anciens et moins anciens, et abordent évidem-ment la thématique de l’amour, tel que le titre l’indique. Il faudrait d’ailleursparler des amours, au pluriel, sous forme symbolique ou pas, sous l’angle desenfants ou des adultes. Des nouvelles dans lesquelles baigne cette tendressecaractéristique de Makine : « Un homme qui n’avait pas eu le temps d’aimer ».

    Histoire soviétique et rencontres particulières sont typiques de l’univers del’écrivain franco-russe qui les aborde souvent avec maestria. Qu’est-ce quiaccroche alors ? Le ton, peut-être. Ni l’imaginaire ni la sensibilité de l’auteur nefont défaut ici ; ni sa puissante capacité évocatrice : « Je suis encore ébloui par laviolence lumineuse du mistral, dans ces villes blanches de soleil, qui semblaientêtre dessinées sur des voiles de bateau ». Peut-on trop maîtriser son écriture et lastructure d’une histoire jusqu’à les affadir ? Les rendre précieuses ? Jusqu’à enaffaiblir le récit ?

    Du début à la fin du livre, pourtant, la vie des héros de l’auteur nous intéresse,autant que ce qu’ils dénoncent : « [...] voir mes concitoyens sommeiller autourd’une bauge m’est particulièrement intolérable ».À lire donc,mais avec un bémol.Et pour qui veut découvrir le grand romancier qu’est Makine, peut-êtrecommencer par une autre de ses œuvres.

    Michèle Bernard

    Andreï MakineLE LIVRE DES BRÈVES AMOURS ÉTERNELLESSeuil, Paris, 2011, 195 p. ; 27,95 $

    Des nouvelles d’Andreï Makine

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    vue dans Thomas est de retour, et deColette, un nouveau personnage qui ferason apparition dans la vie de David.

    À l’aube de la soixantaine, Davidpoursuit sa double vie : homme à toutfaire très apprécié de sa clientèle dont ilprend grand soin et écrivain discret. Maisvoilà qu’il commence à refuser certainestâches, se jugeant moins apte à bien lesmener. Voilà aussi qu’il ressent davantagele poids des ans, non sans garder cettefaçon de voir un peu ironique qui lecaractérise. « Quand je m’amusais dans larue avec mes copains, je ne savais pasqu’un jour je serais si vieux… De toutefaçon, si on me l’avait fait remarquer, jene l’aurais pas cru ! » À sa manièrecontemplative, il continue aussi d’ob-server la vie et les gens qui l’entourent.Les confidences amoureuses de son petit-

    fils le surprennent par leur candideintimité. Les relations entre sa fille et lepère de Benoît lui semblent un peuétranges. Son ami Antoine, qui va d’unefemme à l’autre depuis toujours, l’étonneencore. « Antoine et moi, nous avonsvieilli, mais avons-nous vraiment changé ?Je ne me souviens plus qui a écrit quevieillir est l’occasion de devenir vraimentqui nous sommes. »

    La belle et sensuelle Yolande l’aidera-t-elle à devenir vraiment ce qu’il est ?Pourra-t-il se contenter de ses visitesimpromptues et épisodiques, sa petitevalise à la main. « Une petite valise quisignifiait qu’elle était peut-être là pourquelques jours, mais pas plus. On ne peutpas mettre toute sa vie dans une si petitevalise. » Ou alors la présence de Colette,chez qui il effectuera des travaux,

    prendra-t-elle un autre sens ? Cette fois,David ne pourra plus se laisser porter parles événements…

    Avec son écriture toute en pointillé,Donald Alarie nous propose une plongéeétonnante au cœur des émois amoureuxd’un homme à la croisée des cheminsentre la maturité et la vieillesse qui s’an-nonce, entre un bonheur d’occasion et unattachement tranquille. Rarement dansnotre littérature le désir et la sexualité descinquantenaires et des sexagénaires ont-ils été abordés avec autant de simplicité etde finesse. Et puis, quel plaisir de retrouverla petite musique inimitable d’Alarie…On ne peut qu’attendre avec impatiencede revoir David, Benoît, Thomas,Yolande,Antoine, Colette et Annie dans un pro-chain roman !

    Linda Amyot

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    premier roman

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    François BlaisLA NUIT DES MORTS-VIVANTSL’instant même, Québec, 2011, 172 p. ; 22,95 $

    Les romanciers pouvant passer dusubjonctif imparfait au joual ou citerSchopenhauer et Hannah Montana dansla même page sont des oiseaux rares.François Blais est de ceux-là. Il pratiquece qu’il appelle le « métissage de tons », etil le fait avec intelligence et brio.

    Contrairement à ce que suggère letitre, La nuit des morts-vivants n’a rien(ou presque rien) à voir avec les zombies.

    Du moins, ceux de Romero, le réalisateurdu film-culte dont Blais a repris le titre. Ilest plutôt question, çà et là, des zombiesde Lucio Fulci, cette icône du cinéma goreitalien, mais à titre anecdotique. Les véri-tables morts-vivants dont il est questionici n’ont rien de surnaturel. Ce sont deuxnoctambules mi-trentenaires, résidantsde Grand-Mère et narrateurs de ce trucu-lent récit.

    Ils se nomment Pavel et Molie. Ils fontà tour de rôle la chronique de leur quoti-dien. Le premier est employé de nuit chezMaintenance des Chutes. Il nettoie lesplanchers de grands magasins. Céliba-taire sans réseau social, il a choisi devivre de nuit même pendant les week-ends. Molie, pour sa part, pratique la fai-néantise à plein temps. Assistée sociale,elle passe ses journées encabanée,préférant sortir à la nuit tombée. Commenarratrice, elle imite Molly Bloom, l’hé-roïne d’Ulysse, et sa technique du mono-logue intérieur. Elle a les mêmes goûts etles mêmes opinions que Pavel, notam-ment en matière de films d’horreur. Bien

    qu’ils soient visiblement faits l’un pourl’autre, ces deux déclassés suivent desvoies parallèles : dans la même directionmais sans se croiser.

    Le fil événementiel est mince dans Lanuit des morts-vivants. Il ne s’y passepresque rien : le bâtiment d’un anciendisquaire a brûlé ; Pavel sirote deuxpintes de bière en admirant Zoé labarmaid ; une polémique éclate pourdéterminer si le Jägermeister goûte l’anisou le clou de girofle ; un get togetherinformel réunit d’anciens finissants de lapolyvalente du Rocher. Voilà le typed’événements que rapporte ce livre. Le filréférentiel, en revanche, est beaucoupplus dense. De Goldorak à la console dejeu Sega, de George Eliot à NatsumeSseki, de la micro-brasserie Le Trou duDiable au restaurant Stratos, de Facebookà l’enlèvement de la petite Cédrika,François Blais a écrit un roman résolu-ment rivé sur son époque, dont il a sudégager l’improbable poésie. La monoto-nie n’a jamais été aussi trépidante.

    Patrick Bergeron

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    Gilles VidalLES PORTES DE L’OMBRECoups de tête, Montréal, 2011,266 p. ; 17,95 $

    Le commissaire français Marc Berchetenquête sur une troublante série de décèsqui a tout du jeu de massacre : la petiteville côtière de Chanelet devient du jourau lendemain le théâtre peu recommandéde suicides, d’assassinats et d’exécutions.Véritable hécatombe où périt de façonspectaculaire la lie de la société, comme siune justice immanente jetait, écœuréepour de bon, sa cape funeste sur les âmesnoires des plus pervers sévissant ici-bas.Une mystérieuse entité vengeresse quine fait pas dans les nuances ni dans lesdemi-teintes prend ainsi forme humaineet se donne pour mission d’exécuter sestâches meurtrières avec une extrêmeviolence.Quand le Bien s’évertue à faire lemal…

    Gilles Vidal a tâté à peu près de tousles métiers dans le domaine du livre : il aété au fil des ans libraire, éditeur, auteurd’une trentaine de romans, réviseur lin-guistique. Le prolifique écrivain françaisvient de s’associer à un éditeur montréa-lais en faisant paraître chez Coups de têteune œuvre hybride où se côtoient fantas-tique mystique et roman policier procé-dural : un mélange des genres bien doséqui agrafe les doigts du lecteur conquis

    aux pages de ce roman ténébreux. Lesportes de l’ombre confirme que l’on peutproduire un thriller noir ambitieux sansfaire de compromis sur la qualité du styleet la sensibilité de l’écriture, un savoir-faire qui permet au roman d’atteindreune pénétrante profondeur.

    Malgré son côté manichéen,Les portesde l’ombre demeure une œuvre capti-vante qui joue insolemment sur le terrainpréféré de Patrick Senécal, celui de lamise en scène esthétisée de l’horreur,humour subtil et sentimentalité mascu-line assumée en prime. Bien qu’il failleforcer son esprit cartésien à adhérer àl’invraisemblable et à concéder une priseau surnaturel sur notre monde connu(reconnaissons du coup que cette con-torsion n’a guère empêché l’appréciationcritique et le succès populaire de Sur leseuil, par exemple), la lecture de ce romande Gilles Vidal s’enrichit de son éruditionsur le sujet inquiétant du mal et s’offrecomme une variation métaphysique, éso-térique, sur la traque classique du tueuren série.

    Simon Roy

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    thriller noir

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    œuvre de Martin Page mérite tellement, tellement plus qu’un commentaire. Elle mériterait despages et des pages d’éloges et de remerciements. Des fleurs, des câlins, des clins d’œil. Des motsd’amour. Des tonnes de mots d’amour. Et du silence aussi, comme lorsque l’on s’incline devant la

    beauté fulgurante d’un coucher de soleil au mois de mai.Depuis maintenant dix ans,Martin Page nous fait don de petits bijoux de parole et de pensée, d’humour

    et de folie. Ses livres – chacun d’entre eux –, qu’ils se destinent à un public adulte ou à un public enfantin,sont l’œuvre d’un esprit sans pareil, au sein duquel l’imagination se pose, se dresse même, tel un défi, unpied de nez magnifique à la bête, l’unique, l’écrasante réalité. Et les nouvelles qui composent La mauvaise habitude d’être soi,illustrées de très belle façon par Quentin Faucompré, ne font certes pas exception.On y trouve des êtres à la fois d’une force inébranlable et d’une infinie fragilité. Il y a celui qui a élu domicile à l’intérieur de

    lui-même ; il y a cet autre qui, soudain, le temps d’une courte pause, choisit de n’être plus personne. Il y a également celui quiapprendra qu’il est le dernier survivant d’une rare espèce en voie de disparition. Puis celui qui s’évertuera à tenter deconvaincre un lieutenant venu enquêter sur son meurtre que, de toute évidence, il ne peut pas avoir été assassiné puisqu’il estlà, bien vivant, debout devant lui, et qu’il lui parle… Pris dans l’absurdité de leur condition, tous doivent se débattre avec etcontre le réel contraignant (bureaucratie, monde du travail, identité, obsession de la célébrité).Aussi toutes les préoccupationsles plus chères à l’auteur se déploient-elles ici de manière tout simplement splendide : lucidité à toute épreuve, compassionsans bornes pour les compagnons de délire et de déroute, triomphe de l’humour dans l’adversité.Or, si l’humour de Martin Page est noir, l’ensemble n’en demeure pas moins lumineux, c’est-à-dire éblouissant. Oui, la

    puissance de l’œuvre est telle qu’elle oblige à plisser le front, à détourner le regard du mille et une fois déjà vu, afin de le portervers la blancheur inouïe d’autres mondes : ceux de l’esprit sans repos, du cœur infatigable. Car c’est ainsi, le front plissé, leregard légèrement décalé du monde, que l’on acquiert sur celui-ci la connaissance la plus riche, la plus intime et la plusoriginale. C’est également ainsi que l’intelligence apprend à être inquiète, méfiante, à ce point éprise de liberté qu’elle n’arriveplus à prendre au sérieux quiconque ou quoi que ce soit prétendant l’être. Alors, enfin, ce qui se donne pour stable, acquis,officiel ou sérieux se révèle-t-il pour ce qu’il est vraiment : une construction mentale, un jeu social – bref, rien d’autre qu’unmirage de plus dans le désert de la connaissance.C’est en acceptant d’éprouver cette intenable légèreté que nous pouvons espérer effleurer la profondeur et la véritable gravité

    de l’expérience humaine. Le savoir, l’instinct de cette gravité : c’est cela, la lucidité. Et c’est pour cela qu’il faut oser dire, ici,maintenant, à son porteur, son gardien : Martin Page, je vous aime.Martin Page,merci pour tout. Et surtout tenez bon.

    Alexandre Lizotte

    Martin Page et Quentin FaucompréLA MAUVAISE HABITUDE D’ÊTRE SOIL’Olivier, Paris, 2010, 147 p. ; 24,95 $

    De petits bijoux de parole...

    L’

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    Bruno BayenFUGUE ET RENDEZ-VOUSChristian Bourgois, Paris, 2011,165 p. ; 24,95 $

    Qu’est-ce qu’exister, sinon se heurter àdes murs, des frontières, des obstacles –et mourir d’envie de les contourner,quand ce n’est pas carrément de les fairevoler en éclats ? Oui, qu’est-ce qu’existersinon apprendre « l’art de la fuite » ?Marcher, courir, traîner, faire un pas puisun autre, n’est-ce pas toujours, de toutefaçon, fuir ? Quitter un présent pour unautre, être en perpétuel transit entre ici etlà, ou jadis et désormais ?Fugue et rendez-vous, le dernier

    roman de Bruno Bayen, est littéralementhanté par toutes ces questions. Chroniquede la fin d’une enfance, le récit du narra-teur, subtilement, tout doucement maisavec une efficacité redoutable, nousaspire dans les « zones de silence » et lesvastes plages d’errance et de désœuvre-ment propres à ce moment de la vie,quand on ne fait rien qu’être là, et diffi-cilement... Quand on a la voix au bord de

    la mue, le corps remué, troublé par undésir nouveau. Et qu’on n’a plus, soudain,son âge « mais un autre, indéchiffrable »…

    C’est cette année du tournant quenous confie le narrateur. Et quel privilègenous avons : 1961, vue à travers son regardà lui, interrogée par sa voix à lui, entrejustesse et vacillement. Privilège, disons-nous, et ce, pour la raison suivante : lors-qu’on se laisse glisser, tomber dans cettebrèche entre enfance et adolescence,lorsqu’on accepte d’embrasser cette sorted’état de suspens, on devient le meilleurtémoin des choses. Car on interrompt sapropre construction identitaire pourprendre un peu de recul, on se met un

    peu de côté et on observe le monde et saréalité – ses étaux, ses limites, ses fron-tières – et, croulant sous le poids de sesobservations, on s’éclipse. On prend congéd’une certaine sociabilité et, pour lapremière fois, on se rencontre. On s’é-puise à coups de nuits blanches et on sefait des promesses murmurées à soi seul.Et, surtout, devenu presque invisiblepuisque tellement silencieux, on devientattentif à tout. Et on apprend à décrypterles codes, à déjouer les conventions, àpressentir également que, derrière toutespace, autour de tout lieu (y comprissoi-même), se dresse une frontière. Cesera l’attrait fumant, brûlant du lointain,de l’inconnu, comme l’impossibilité d’enstopper la fuite, d’en rattraper le mou-vement ; ce sera, de même, l’épaisseur deson propre épiderme ou la si faibleétendue de ses bras,même grands ouverts.

    Le chapitre consacré à l’édification dumur de Berlin se termine d’ailleurs surune réflexion infiniment riche qui noushantera pendant des jours, des siècles :« Sans des frontières décourageantesnous ne saurons jamais qui nous sommeset ce que nous voulons ». Et ce sont desphrases comme celle-ci qu’on reçoitcomme des coups de poing dans lescôtes, qui font que, même à bout desouffle et à court de sens, on continue delire, d’écrire – bref, de fuguer, encore etencore, du mieux qu’on le peut.

    Alexandre Lizotte

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    l’art de la fuge !

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