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1 551 route de la royale 30100 Alès Tél. : 04 66 34 13 81 Fax : 04 66 30 62 36 [email protected] www.blannaves.fr FEUILLETS D’AUTOMNE 2012 : LE TEMPS ET LE TEMPO Rencontre annuelle le mardi 16 octobre 2012 L’objectif de la démarche des feuillets année après année : convivialité, vitalité, ressourcement par le partage d’une réflexion avec nos partena ires, prétexte à renforcer notre lexique commun Petit rappel des thèmes de nos précédentes éditions : 2007 : L’articulation des professionnels amont et aval du séjour en CTR 2008 : Conjuguer ensemble le temps du séjour en centre thérapeutique résidentiel 2009 : Addicts, addictions, addictologie 2010 : La courte échelle en addictologie 2011 : La part du rêve en addictologie

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551 route de la royale 30100 Alès Tél. : 04 66 34 13 81 Fax : 04 66 30 62 36 [email protected] www.blannaves.fr

FEUILLETS D’AUTOMNE 2012 : LE TEMPS ET LE TEMPO

Rencontre annuelle le mardi 16 octobre 2012

L’objectif de la démarche des feuillets année après année : convivialité, vitalité, ressourcement par le partage d’une réflexion avec nos partenaires, prétexte à

renforcer notre lexique commun

Petit rappel des thèmes de nos précédentes éditions :

2007 : L’articulation des professionnels amont et aval du séjour en CTR

2008 : Conjuguer ensemble le temps du séjour en centre thérapeutique

résidentiel

2009 : Addicts, addictions, addictologie

2010 : La courte échelle en addictologie

2011 : La part du rêve en addictologie

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En cette année 2012, nous aimerions vous proposer une réflexion sur le

temps et le tempo en addictologie : « Du Tango à la Valse à mille temps »

Ont répondu à notre invitation des participants d’Alès et des environs mais aussi de Toulouse, d’Aix, de Béziers, de Limoux…Parmi eux, des services

d’Addictologie, de justice SPIP, d’Exclusion- Clède, du Services personnes

handicapées SAVA, de Réséda, et 2 familles d’accueil du réseau de Blannaves.

Comme chaque année nous avons proposé aux personnes accueillies de participer à nos échanges, mais aucune n’a souhaité accepter notre invitation.

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Nos remerciements en particulier aux intervenants qui ont accepté de donner

leur témoignage professionnel, à Grégoire Tacussel chargé de la sonorisation,

aux représentants du comité de pilotage qui ont préparé depuis plus de 6 mois ces feuillets d’automne « blannaviens », des précieux collaborateurs « chargés

des nourritures terrestres », des services techniques sans qui nous serions dans le

chaos, bien avant Chronos si j’en crois la mythologie grecque !

En préambule, quelques mots sur le choix du thème. Nous chercherons à

réfléchir sur la prise de conscience de nos multiples temporalités, de leurs

rencontres forcément asynchrones et de « l’absence de temps dans le psychisme », selon Freud.

Beaucoup de bruit pour rien aurait dit Shakespeare, nous répondons, si !!! Car

tous ces rythmes confondus font qu’on y danse, qu’on y danse…

Pour compléter notre programme, nous pourrons, si nous en avons le temps,

nous interroger sur la problématique des admissions, sur le dialogue asynchrone

médical/éducatif, et faire quelques rappels mythologiques.

La question en addictologie des temps et des rythmes croisés :

Ceux du sujet accueilli

Ceux de son entourage

Ceux de l’équipe professionnelle

Ceux des partenaires

Ceux des financeurs

Ceux des faits sociaux

Est la commande passée aux intervenants.

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Nous ferons part de leurs réflexions :

Corine NOTELTEERS, directrice, « TIME IS MONEY »

Patrick PERRAT, chef du service éducatif, « Le temps, le temps, le tien, le mien… «

Noémie MOLINIER et LAURE PAGEIX, éducatrices spécialisées, « Quelques

pas ensemble, répétitions, variations représentations à Blannaves »

Hélène LARROUDE, psychologue au CSAPA de BLANNAVES, « SE SOIGNER/ENTREZ DANS LE DANSE ? »

Gilles BURNET, psychologue au CPASA LOGOS « Voyez comme on danse ! »

Pour finir, nous vous proposerons de feuilleter quelques écrits d’usagers

TIME IS MONEY – Corine NOTELTEERS, directrice Track01.cda

Messe pour le temps présent ou marche militaire ?

Puisqu’il s’agit aujourd’hui, d’évoquer la question du temps, de notre place

professionnelle, je veux commencer par excuser par avance la trivialité de mon

propos.

Etre directrice, c’est se coltiner à des réalités parfois très malséantes, j’ai

signé…dont acte

Comment la question du temps vient traverser nos institutions Cela ressemble au

début à la messe pour le temps présent de Pierre Henry….un peu le chaos , pour des

oreilles non averties !

1 La lenteur inexorable des rouleaux compresseurs

Il y a tout d’abord les rouleaux compresseurs, lents, qui avancent dans l’ombre, mais

qui lorsqu’ils surgissent, s’imposent sans possibilité de retour.

Je ne crois pas être plus paranoïaque que la moyenne, mais les directives

européennes en sont un bon exemple ;

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Il y a près de 10 ans nous commencions à entendre parler de RGPP et de LOLF en

lien direct avec les dictats européens et les traités internationaux (OMC, AGCS) qui

étaient ratifiés nuitamment par nos députés.

Aujourd’hui, ces traités ne sont plus discutables.

À l’époque du référendum sur le traité européen, leur représentation concrète n’était

claire que sur une image médiatique, le plombier polonais, mais concernant la

déclinaison au niveau de l’ensemble des organisations de l’exécutif des Etats, c’était

moins visible ; depuis, les ARS, les DIRRECTE et autre corps d’Etat s’imposent avec

la même logique de fonctionnement de rationalisation des coûts, de demande de

contrôle, de traçabilité, de performance.

Des images concrètes ?

Fonction publique tendant à être ramenée à sa plus simple expression –(les

missions dites régaliennes, police, justice, armée), Vente de certains domaines au secteur privé (télécommunication, transports

publics) Privatisation même de certaines actions du social (le médical avait déjà pris

un peu d’avance, mais c’est seulement il y a peu que nous avons vu des hôpitaux publics refuser de prendre en charge certaines affections non rentables),

Le modèle entrepreneurial a le vent en poupe, réputé moins cher, plus opérationnel,

compréhensible car en correspondance avec le mode d’intelligence des faiseurs de

lois et réglementations. Les nouvelles agences d’Etat ont fleuri, toutes avec la même

philosophie.

Le temps des institutions et par conséquence de nos établissements et services est

indissociable de ce mouvement qui amène les conventions collectives à s’étioler de

plus en plus et nos établissements à se regrouper et à faire appel aux prestataires de

services extérieurs plutôt que d’embaucher. Certains travailleurs sociaux

commencent à proposer leurs services sous le régime de l’auto-entrepreneur sans

référence aucune aux conventions collectives.

2. Les politiques publiques nationales

Concernant les politiques publiques nationales, soit elles confirment cette dynamique

générale comme

la loi 2002-2 qui voit sa focale de départ se concentrant sur la qualité

des services rendus « mettre l’usager au centre du dispositif » évoluer vers une focale de performance …selon quels critères ou indicateurs, des commissions ad hoc, ou jamais aucun acteur de terrain n’est

interrogé sauf s’il est réputé acquis à la cause, apparaissent dans le triste reflet des appels à projet - qui ne reflètent en rien sur ce qui

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parait utile aux usagers mais plus ce que l’idéologie ambiante a envie de communiquer à une population qui a envie d’y croire…

Ce qui est sûr c’est que nos rythmes institutionnels sont donnés

Rythme des évaluations, 5, 7, 10, 14 et 15 ans, autant d’arrêts sur image où se joue

l’avenir des structures financées par les fonds publics

Rythme de la logique budgétaire, fin octobre, fin avril,

Rythme des rendus des comptes par les indicateurs de convergence tarifaire

s’adjoignant aux comptes administratifs.

La décentralisation Nous assistons à un jeu de surplace, un pas en avant un pas en arrière, concernant

les projets liés à la décentralisation et, comme le signifiait l’Uriopss du Languedoc

Roussillon le 1er oct. dernier, on ne changera plus grand-chose : les dés sont joués,

quant aux enjeux de l’acte 3 de la décentralisation,

Quant à la loi de 70,

je vous renvoie à vos journaux pour voir comment on s’amuse à la sortir comme un

épouvantail à moineaux plutôt que de réellement poser la question des usagers de

nos CSAPA et de santé publique, de réponse judiciaire, de politique de la ville ;

chacun a une idée puisqu’il a sa propre théorie, et comme pour le champ de

l’éducation, nous avons en France 60 millions d’experts en addictologie….

3 La crise financière

Forcément, nous sommes et serons gravement impactés, mais ne nous trompons pas, il aurait fallu vivre au pays des Bisounours pour ne pas s’y attendre. Il nous faut donc travailler plus tout en dépensant moins...

Au-delà des efforts financiers, s’ajoute, dans le secteur associatif, la crise de

confiance, depuis l’affaire de l’ARC, très persistante dans les mémoires, mais pas

seulement.au moment où une majorité de français compte ses sous ! Notre système

de solidarité est interrogé sur son utilité même : êtes vous utiles ?, combien s’en

sortent ?, quels sont vos résultats ?, légitimant par cette question sociétale les

indicateurs de performance actuellement dans les tuyaux de l’ANAP.

Il est de bon ton de réduire les temps d'accueil, favoriser le turn-over, faire du chiffre pour faire oublier qu'on triche sur l'ambition ou l'intensité de la démarche thérapeutique pour des publics cibles de plus en plus loin d'une inclusion possible

dans les systèmes de droits communs

Les Conventions Collectives s'étiolent sur fond de culpabilisation des personnels concernés, puisqu’ils devraient bien reconnaitre qu’ils sont des privilégiés !

Chacun craignant pour son emploi dans un contexte délétère, on s’empresse de répondre aux questions plutôt que de les retourner à ceux qui les posent, car, enfin,

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si nous existons et sommes financés c’est bien parce qu’il y a eu en son temps des décisions politiques qui ont justifié la création des structures, Non ? Nous devons donc non seulement rendre un service public mais en même temps

justifier de son utilité….au risque d’être qualifié inutile et de faire partie de cette

marge existante au niveau du médico-social financé par l’ONDAM, sorte de

mauvaise graisse dénoncée par l’IGAS dans sa dernière analyse de l’ONDAM, en

vue de faire des économies.

4. La logique assurantielle

Contrôles et ouvertures de parapluie avec comme conséquence

La kyrielle de procédures, protocoles, réglementations, bonnes pratiques, qu’il

convient de connaitre et d’appliquer …vous voyez le rythme de la marche militaire

qui commence à se faire entendre.

Listes des espaces contrôlés : contrôles de conformités techniques, projets, qualifications du personnel, respect des procédures, contrôle financier, contrôle

fiscal, contrôles du respect des droits, du travail, des usagers, de l'accessibilité, de la sécurité, de l'électricité, de l'alarme incendie, de qualité de l'eau, présence d’amiante, de plomb....

Chaque acteur voit son champ de créativité professionnelle réduite par l’obligation

d’entrer dans un moule et de produire les éléments d’auto-évaluation si possible en

leur donnant un air appétissant.

5. La communication externe ou l’art d’accommoder les restes…

Un repas pris sur un groupe de vie devient alors

Un temps de socialisation

Un temps de prévention à l’obésité

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Un temps de réparation psychologique

Un espace de cadrage,

Etc. ; etc.

L’éducateur qui sait y faire peut en 30 minutes remplir au moins 5 ou 6 missions

nobles par le simple partage de repas.

Le directeur n’a plus qu’à valoriser ces actions quotidiennes pour justifier les fonds

reçus, il ne s’agit pas de mensonge mais de « com. ! »

En conclusion, plus la crise nécessiterait des acteurs responsables et une

orientation des énergies vers la réponse personnalisée hic et nunc, plus on propose

un cadre qui s’apparente au carcan, contentant les technocraties par la production

de chiffres gratifiants mais laissant sur le terrain de plus en plus de personnes

exclues des filières cloisonnées qui ont été pensées pour traiter une mais pas deux

des difficultés de celles-ci.

Là où nous devrions pouvoir créer au rythme de la « Messe pour le temps présent »

de Pierre Henry à l’instar de Maurice Béjart, sinon dans le talent, au moins dans la

liberté et l’engagement, nous sommes renvoyés au taylorisme des temps modernes

et aux pas cadencés de la marche militaire.

Pourtant, tout le monde sait que les ponts s’écroulent à ce rythme, ponts entre la

société et ses publics les plus fragiles...

Nos Feuillets d’Automne, cette année, veulent démontrer que nous souhaitons

encore mener la danse, très humblement, à notre niveau, dans le champ qui est le

nôtre, notre tempo est aussi celui des personnes qui viennent vers nous. Mais,

croyez-moi, ça ne va plus de soi !!!!!

Après ce petit tour d’horizon des réalités- parfois un peu déprimantes, j’en ai bien

conscience, - vues de la place d’une directrice d’un CSAPA, je vous propose un

menu plus vivifiant, au travers des témoignages des professionnels de terrain.

Merci de votre attention

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Patrick Perrat, chef du service éducatif:

"Le temps , le temps, le tien, le mien... " Track02.cda

AZNAVOUR chante :

Que la vie est faite

Du temps des uns Et du temps des autres

Le tien, le mien

Peut devenir nôtre

Bien avant lui, il y a eu la mythologie grecque et plus précisément CHRONOS, Dieu du temps et de la destinée. Au tout début, il croyait être seul et se morfondait dans son coin. Jusqu’à ce que des horloges apparaissent autour de lui. Il s’en

est lentement approché et y a distingué, sur chacune, un nom. Il y en avait une qui portait le sien, et les autres, ceux de ses frères et sœurs. Il comprit alors qu’il n’était pas seul et quitta son endroit pour partir à la recherche des autres.

Cette histoire m’a intéressé, l’idée qu’il y ait plusieurs horloges et donc différents

temps sied bien au travail que nous proposons à Blannaves. La personne qui vient nous trouver, est à la fois un sujet qui souffre et qui vit de

lourdes situations d’exclusion : rupture des liens familiaux, sans domicile, santé précaire, droits sociaux non acquis, problèmes judiciaires. Ce sont à ces problématiques plurielles que se proposent de répondre les CTR, Centres

Thérapeutiques Résidentiels lors d’un accompagnement dans un espace, pour donner du « temps au temps ».

Il faut accepter de prendre du temps, et dans bien des cas, même si nous en sommes persuadés et avons le souci de pouvoir le faire, les contraintes administratives et budgétaires sont là qui nous en empêchent. Il faut aller vite, nous

dit-on, au double motif qu’il faut lutter contre la dépendance institutionnelle et

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permettre au plus grand nombre d’accéder aux soins, sans pour autant augmenter les dépenses publiques.

Nos pratiques professionnelles nous ont appris qu’on ne pouvait pas faire l’économie de prendre le temps nécessaire pour traiter la pathologie aiguë, pour accompagner les personnes dans cette démarche difficile qui les ferait passer d’une souffrance à

une vie assumée sans la référence omniprésente au produit consommé. Cela ne peut se faire rapidement, nous le savons.

On ne peut faire l’économie d’un travail psychologique, lequel requiert du temps, un engagement, une disponibilité tout comme de la technicité et une prise en charge transversale associant le médical, le psychologique, l’éducatif et le social.

Cet accompagnement qui sera nécessairement long ne peut se faire qu’à travers l’instauration d’une relation de confiance pour qu’enfin, à un moment donné, la personne puisse être suffisamment assurée (rassurée) pour pouvoir envisager de

s’engager un peu plus dans un processus de changement. Combien de rechutes ne s’expliquent-elles pas par le fait qu’on n’a pu prendre le temps de la consolidation des choses et de la consolation de l’état de souffrance ?

Ici nous ne sommes plus dans le temps de l’urgence du toxicomane où l’autre est exclu. Nous savons ce que chacun peut exprimer de sentiment d’abandon, de colère, de

révolte, au moment de la fin du séjour mais aussi à chacune des étapes quand nous leur permettons de les expérimenter.

Différentes horloges repérées à Blannaves : De manière générale le temps du séjour à Blannaves est pensé en 3 périodes : un

temps pour arriver, un temps pour se poser et un temps pour (se) quitter quand les personnes se et nous le permette. Dans un premier temps je pense que nous recevons une personne toxicomane qui, petit à petit laisse émerger le sujet avec ses

émotions et nous l’espérons son désir. Celle de la personne incarcérée pour qui le temps s’est arrêté, s’est suspendu. La

temporalité carcérale nécessite un temps d’adaptation pour la personne arrivant au CTR de Blannaves : il lui faut rattraper le temps perdu. Celui-ci pourra être en difficulté pour se poser, il est déjà dans l’après. Je pense à P., qui vient d’arriver et

qui voudrait que tout soit réglé ce premier mois, qui n’a pas le temps. L’horloge de la personne toxicomane en CTR : regardez comme elle nous met en

situation d’urgence ; nous notons facilement cette ébullition qui règne assez souvent au centre collectif quand nous arrivons de l’extérieur, également parfois dans le bureau des éducateurs des Appartements ; il me semble aussi que cela peut arriver

dans les Familles d’accueil ! Comment repérer le vrai et le faux des urgences ou priorités qui nous sont sans cesse présentées ? Ceci en lien avec la question du manque et de la satiété pour les personnes addictes. Nous avons sans doute tous vu

un accueilli que nous connaissons, un usager à la recherche de son produit : il guette, il est à l’affut de son dealer, il est "dérythmé" : ce qui l’intéresse c’est la prochaine prise.

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Le temps des partenaires : il me paraît parfois un peu long quand untel nous dit : "J’ai pensé à une personne pour chez vous" et qu’on ne voit rien venir ; c’est que ce qui se construit entre un éducateur qui travaille en ambulatoire et une personne

toxicomane c’est lent, c’est fait de rencontres, de disparition, d’envie de se soigner, d’envie de produit, ça se tisse, ça se tricote… Et dans le même temps il peut paraître long le temps pour nos partenaires qui nous adressent un dossier et le moment où

on leur répond, le temps où nous étudions le dossier, où nous posons des questions et le temps où enfin on dit non et pourquoi et parfois oui. En aval, nous sommes parfois surpris de la rapidité avec laquelle une personne

quittant le centre trouve une place dans une autre structure mais il y a aussi "le temps du SIAO" (Système Intégré d’Accueil et d’Orientation, qui a pour vocation de simplifier les démarches d’accès à l’hébergement et au logement, de traiter avec

équité les demandes, de coordonner les différents acteurs de la veille sociale et de l’accès au logement, de contribuer à la mise en place d’observatoires locaux.) qui est beaucoup trop long pour les personnes en soins et nous professionnels.

Le temps des familles : il me semble que la plupart du temps elles voudraient que ce soit plus rapide ; cela fait tellement de temps que "ça" dure, ils pensent parfois que

c’est une histoire de volonté : « et ce traitement quand vas-tu l’arrêter ? »,c’est une question qui revient souvent « Et le travail quand vas-tu en chercher ? », celle-ci aussi, mais ce n’est pas si simple, ils sont usés, cela fait tant d’années qu’ils

voudraient que ça se finisse…Et pourtant nous voyons aussi combien un changement de la personne qui porte le symptôme, bouleverse le système. Je pense à B. dont la sœur veut qu’il cesse ses consommations et l’appelle du côté de

comportements délinquants dont il ne veut plus. Le temps des financeurs nous le connaissons : le séjour est d’un an maximum pour

notre structure quelle qu’en soit la modalité et il est vrai que parfois la personne aurait besoin d’un peu plus de temps mais évidemment attention à la chronicisation. Pourtant la personne a besoin de temps…Comment peut-elle à la fois se poser et

déjà être en route pour l’après ? Le temps des professionnels du centre : l’équipe éducative, médicale, la

psychologue, le service technique, le secrétariat, les cadres. Y a-t-il une uniformité entre nous tous ? Evidemment non ! Alors qui donne le tempo au risque d’un brouhaha où personne ne s’y retrouverait ? Les médecins, les éducateurs, les

cadres, la personne en soins ? Nous tentons que ce soit le Projet Individuel de la personne, la directrice et le CSE ont la responsabilité de l’élaboration et de l’actualisation du Projet Individuel de la personne. L’éducateur référent accompagne

et met en œuvre le projet individualisé en lien avec l’équipe et en faisant contrôler son travail. Mais il y parfois des débats, des discussions afin de repérer quel doit être le projet pour cette personne.

Alors comment trouver un rythme "commun" entre la personne et nous, équipe de professionnels, familles, partenaires, financeurs, société ? Et le faut-il ? Comment

articuler le rythme qui vient de l’intérieur et celui qui vient de l’extérieur ? Qui sera le chef d’orchestre pour que la mélodie soit agréable à entendre et surtout utile ou plutôt bénéfique pour elle, opérante pour la personne ? Que cherche-t-elle au fond :

lâcher ce symptôme qui a été son drapeau, sa bannière pendant tout un temps. Comment allons-nous créer un espace-temps favorisant la rencontre entre les

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usagers et les professionnels ? Un espace où nous allons pouvoir reprendre notre respiration, reprendre notre souffle, une inspiration et qui peut nous y aider sinon nos partenaires qui vont, avec le recul qui est le leur, nous aider à "trianguler", comme on

dit dans notre jargon, à mettre du tiers, pour éviter que nous soyons à la place du produit dans notre relation à la personne addicte, pour empêcher la confusion, la symbiose qui empêche de travailler. Nous savons combien la personne toxicomane

aime occuper cette place où il n’y a plus d’autre, où nous serions le même.

« Car le temps de l’amour C’est long et c’est court

Ça dure toujours on s’en souvient »

Je voulais finir par ce refrain de Françoise Hardy pour dire que le travail proposé à

Blannaves n’est pas une question d’amour même si on s’en souvient. Mais Hélène Larroudé, la psychologue du centre me rappelle que Freud disait "L’amour de transfert" en précisant c’est un amour véritable (dans le sens ce n’est pas factice).

Mon repère, moi qui accompagne les éducateurs, qui accompagnent les personnes c’est le conseil que donnait Freud: il convient de ne pas répondre, c'est-à-dire de ne

pas se situer à la place de l'interlocuteur qu'il suppose

INTERVENTION DE NOEMIE MOLINIER, Educatrice spécialisée

« Quelques pas ensemble, répétitions, variations représentation à

Blannaves » Track03.cda Track04.cda

Je me demande souvent en quoi le métier d’éduc recouvre une mission d’agent de normalisation.

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En se penchant sur la question du rythme dans le soin, comment ne pas constater une position d’entre-deux ? Je me sens toujours tiraillée entre l’aspect normatif et intégratif du rythme

social et le respect des rythmes singuliers de chacun. Le rythme, le temps, le quotidien, l’urgence, le passé, le présent, le futur, l’aléatoire,

l’imprévu, l’épisodique, etc. Je parlerais de l’éducateur comme d’un passeur, entre un passé, prégnant, et un

futur, à construire. « Artisan du quotidien » pour reprendre l’expression de Zina, qui traverse le temps pour faire émerger l’unicité et la multidimentionalité, permettre la simultanéité, réagir à l’urgence, accepter les incertitudes et les doutes.

Et à la fois, en parler ainsi nous met au milieu : D’un côté la société, de l’autre l’individu,

D’un côté la commande sociale, la norme, la demande, la dimension collective ; et en face une personne, son histoire, son parcours, ses fragilités et ses compétences. L’éducateur devient alors tout autant adaptateur à la conformité qu’émancipateur des

singularités. Alors, au milieu, je préfère parler de la rencontre, du lien, dynamique, vivant, flottant,

dansant. Aussi, l’image du tango illustre bien cette histoire possible de la rencontre. Un tango durant lequel on marche ensemble, l’un avance, l’autre recule, on tourne, celui qui reculait maintenant avance et celui qui avançait recule.

Tourner ensemble, freiner, se déplacer, se décaler… Telle une piste de danse, le scénario du soin se déroule dans les mêmes termes : une chorégraphie naît et nous

implique dès le premier contact. Le silence du début cède alors le pas au langage des gestes tandis que la musique des mots commence à résonner.

Etre à l’écoute de la personne, de ses besoins, de ses ressources, tout en l’entraînant dans la danse de la vie, à vive allure parfois ! Et qui décide du rythme ? Difficile pour ma part de rompre avec l’idée qu’il y a quelque chose de précis à faire,

à dire, une réponse ou une question adaptée et pertinente, et d’autres inappropriées. Loin de moi l’idée de me positionner comme experte, experte de la relation, experte du soin de la toxicomanie. Pour autant, lutte permanente pour ne pas construire de

compartiments étanches, ne pas interpréter et pour accepter que l’insécurité conditionne l’incertitude, pour renoncer à l’objectivité, à la compréhension, à la maitrise, pour admettre qu’il n’existe pas de réalité présupposée, mais qu’il existe

des individus qui se rencontrent, à un instant T, dans un contexte précis, à un moment de vie particulier et que c’est ça qui opère, plus que les savoirs et les théories.

Ces rencontres sont prétextées et rythmées, aux appartements et en familles d’accueil, par des temps repérés socialement (Noël, l’été…), par des temps

institutionnalisés (la délivrance des médicaments ou des forfaits alimentaires, les visites dans les FA…), par des temps plus ou moins formalisés lors des entretiens ou des accompagnements divers.

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Et dans ces temps, il s’agit de permettre que les répétitions ne soient pas une spirale infernale aspirante, mais un socle à l’expérimentation de réactions autres, de lectures et de narratives nouvelles pour permettre à chacun et chacune de se trouver une

place ; une place qui cesse d’osciller entre la stigmatisation et le déni d’existence, le trop de visibilité et l’invisibilisation

INTERVENTION de Laure Pageix, Éducatrice spécialisée « Quelques

pas ensemble… » Track06.cda Track07.cda

Lourde légèreté

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Le temps passe Nos jours se remplissent

De choses légères

Et de tout ce qui est si important Libre de penser comme on veut

On finit par ne penser que comme on peut

Comme un flocon de neige

Qui tremble dans l’air

La chute est lente Le vent déroute

Mais le chemin reste inexorable

Jules Delavigne « Confessions ».2008

Avant que d’arriver au Centre collectif, il t’a fallu te préparer, imaginer et construire

avec une équipe, comment arrêter la spirale infernale où t’enfermes le toxique.

Tu dis vouloir « rompre avec ton environnement, tes fréquentations », c’est en finir

avec un mode de vie où tu ne te reconnais plus, ne te retrouves plus.

Tu veux rompre avec une vie faite de repères binaires (manque satiété, stress et

sentiment de plénitude).

Tu veux changer, aller ailleurs. Tu arrives …pour un temps dont on te fixe la durée

possible : 6 mois renouvelables, tu peux aussi faire le choix d’un séjour plus court,

d’un séjour séquentiel où les allers retours entre Blannaves et l’extérieur nous

permettrons de mesurer là où tu en es.

Je t’appelle accueilli c’est ainsi que nous avons choisi de nommer les personnes

que nous accueillons le temps d’un séjour, le temps du soin, un temps du soin.

Car il faut être précis le temps du soin à Blannaves s’imbrique dans une notion bien

plus vaste et bien plus imprécise : le temps du parcours de soin, de ton parcours de

soin, de ta vie…

Tu arrives, et l’on t’accueille.

Tu découvres le Centre Collectif, son quotidien rythmé par des temps déterminés : le

lever, la réunion du matin, les repas, les activités et autres rendez-vous.

Tu trouves ou retrouves des repères qui se veulent rassurants et parfois

t’exaspèrent. Immuables, répétitifs les temps de l’institution se succèdent. On te

demande de te poser, et si tu aspires à ce besoin de repos du corps et de l’âme ce

n’est pas si facile de s’y laisser porter. D’autant plus que tu le sais et l’on n’oublie pas

de te le rappeler, il te faut composer avec le temps d’avant celui de ton histoire bien

souvent chaotique et parsemée de souffrance, et ne pas oublier de préparer l’après

fait d’incertitude et d’étapes à franchir.

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Mais tu es là, pour qu’ensemble nous puissions toi et nous laisser dans ce temps

déterminé l’aléatoire, la surprise, venir bousculer la temporalité figée dans ses rites et

ses rythmes.

C’est dans un cocon soigneusement préparé et pensé que tu t’autorises à rejouer

ton histoire. Et dans les rouages bien huilés du quotidien elle pourrait rouler tranquille

te laissant aussi démuni qu’à ton arrivée.

Le quotidien du Centre Collectif, les moments partagés nous conduisent à tisser des

liens ceux qui t’apaisent mais font aussi parfois rejaillir des souffrances sourdes .Et

là, il faut arrêter le temps, suspendre son cours inexorable pour l’ici et maintenant de

tes angoisses de ton désarroi. Pouvoir saisir ces moments d’apparence anodins où

tout peut basculer : un pas de côté simplement parce que tu te sens en confiance.

Tu essayes, tu bricoles avec des professionnels du quotidien des morceaux de vie

qui te sortent grandi.

Tu te laisses porter et nous devons prendre garde à ne pas nous laisser dériver,

embarquer par Chronos qui déroule irrémédiablement la chaine du temps.

Car vient le temps de la séparation, celui qui te conduis vers un ailleurs vers d’autres

rencontres. Vient-il trop vite ce moment où le lien qui s’est établi au fil du séjour doit

te permettre de continuer ta route ?

Tu es souvent balloté entre l’envie de rester encore un peu plus et celle de partir comme dans une fuite, laissant un parfum de déchirure, de blessure. Nous sommes

à tes côtés pour t’aider à accorder, à réassurer tes pas.

INTERVENTION D’ HELENE LARROUDE, psychologue au CPASA de

Blannaves, « Se soigner/Entrez dans la danse ? » Track05.cda

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Partie de l’idée du temps du toxicomane, temps du soin, temps du sujet, j’ai

rapidement associé à cela l’idée de la syncope comme si pour parler du rapport au

Réel du temps, on avait besoin de trébucher.

Pourquoi est-il difficile d’appréhender la question du temps ?

FREUD : « Les processus inconscients sont intemporels. Ils ne sont pas coordonnés ou modifiés par l’écoulement du temps »

[« Métapsychologie » P 97] Le temps passe. Le névrosé le sait mais le refoule, comme la castration. Ça le renvoie à l’absolu de sa finitude.

Le toxicomane (j’en fais artificiellement une entité homogène) lui, dénie la question du temps par un mécanisme axé sur la synchronie de l’objet : manque / satiété / maque / …. Une répétition qui vise sa propre disparition en

tant que sujet dans une sorte de présent perpétuel.

La syncope

Je suis partie d’une expérience avec une petite fille IMC qui ne parlait pas, mais qui s’intéressait à la musique, battait le rythme avec son pied : 1 coup, 1 coup……c’était signifiant. Il y avait une structure. Elle acceptait donc d’être

assujettie au signifiant dans ce discours musical et s’y appuyait. J’ai joué du rythme sur son corps en passant du binaire à du ternaire (jazz) jusqu’à introduire une syncope. - Syncope médicale : perte momentanée de la conscience, sensibilité….. - Syncope linguistique : retranchement d’un phonème dans le corps d’un

mot - Syncope musicale : figure où le rythme tient de la disparition d’un temps

fort en décalant son appui sur le temps faible suivant. La note prend « du

retard » et anticipe dynamiquement la suite du mouvement. Cette syncope sert surtout dans les danses, au déhanchement, au swing…

Mais elle est surtout l’emblème du tango, sa métaphore érotisée. Si l’homme ne joue

pas son rôle de pivot, la femme tombe. Catherine CLÉMENT dit : « L’homme fait la

3ème jambe de la femme ».

Tomber, c’est ce qui a failli arriver à la petite fille quand le temps fort lui a manqué, je

l’ai vue s’affaisser, mais elle s’est rattrapée dans un rebond réflexe. Quand nous

nous sommes rejointes sur le temps fort suivant, elle était hilare !

Cette expérience m’avait permis d’éprouver plusieurs choses :

1°) Que nous étions bien en communication, que nous partagions un même

discours (rythmique).

2°) A quel point tout discours (en l’occurrence la musique avec sa grammaire : le

solfège) prend au corps. Et c’est de là qu’on passe à la danse.

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3°) l’Intérêt de la rupture de rythme et de son effet de surprise.

La surprise

En installant un rythme régulier, j’avais créé une attente chez elle. De là, j’ai introduit

un écart comme une surprise, comme jeu et non comme tromperie.

Surprise → ce qui est pris en sus. 1294 : un impôt supplémentaire. On peut ne pas

aimer les surprises !

On peut aimer ou pas tomber amoureux, tomber enceinte, s’entendre faire un lapsus

(qui est tombé)…toujours une chute !

La surprise coupe, arrête le blabla, ouvre à une rencontre Autre. L’écart ainsi créé

laisse la place à un ailleurs, à du tiers….à autre chose que du même.

Se soigner

Se soigner pour un toxicomane pourrait être une façon d’entrer dans la danse, mais

pas n’importe comment, n’importe quand, avec n’importe qui.

Pourrait-on lire ainsi musicalement un séjour de soin à Blannaves ? Instaurer de la

répétition pour que de la surprise advienne, des temps d’apaisement et des temps

d’excitation.

Pourrait-on faire des liens ?

- « je voudrais gérer mes émotions » comme un trop plein d’excitation qui

appellerait un apaisement - « Je sais pas passer le temps » comme un trop plein de vide, d’ennui, qui

appellerait des stimulations

Avec les auto médications ?

- sédative : héro, benzos….

- excitantes, dopantes : cocaïne, amphétamines….

*******************

Pour que la partition avance, se développe, fasse des reprises etc.…, il s’agirait d’inventer une

pratique du solfège, de la ponctuation ?

« Entrer dans la danse » donc, mais pas sans l’Autre.

Et même si c’est une ronde, que ce ne soit pas pour tourner en rond.

http://www.youtube.com/watch?v=xqg_BA2qyiY&feature=related

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INTERVENTION DE GILLES BURNET, Psychologue au CPASA LOGOS,

« Voyez comme on danse ! ». Track01.cda Track02.cda

J'ai choisi d'intituler ce petit exposé: Voyez comme on danse. Titre piqué à Jean

D’Ormesson qu'il a lui même emprunté à une comptine qui se chante en tournant en rond et qui se termine par « Embrassez qui vous voulez ». Celui qui est au centre du cercle choisi un, ou une, participant(e) qui du coup sort du cercle par l'effet d'un

baiser libérateur. Avec en exergue : Dansez, dansez, dansez sinon vous êtes perdu. De Pina Bauch.

Danser c'est imposer au corps un rythme, un temps et un espace grâce aux quels

peut se libérer un langage, se dérouler un discours.

-o-

Le temps comme ça dans l'absolu, je ne sais pas trop qu'en dire. Ça m'a fait beaucoup réfléchir... Tout d'abord il m'est venu l'idée de parler de ce qui se posait

comme un problème à Logos, la chronicisation, or c'est un mot qui est dans le dictionnaire dont on nous dit qu'il désigne le fait de devenir chronique de rendre chronique, ça se dit à propos d'un processus de guérison qui résiste au temps.

Toujours est-il que, dans le champ qui nous préoccupe, ça indique la difficulté à guérir, à changer, à évoluer. Je me suis questionné également sur les notions de changement et de permanence.

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J'ai pensé que ce que dit Freud au sujet du travail de deuil pouvait nous aider à saisir un processus de guérison qui s'opère en fonction du temps qu'il différencie de la mélancolie qui constitue un état chronique. Ce qui m'a servi à approcher ce qui

empêche un processus de guérison et à me dire qu'il n'est pas impossible d'envisager qu'un certain type de rapport d'objet y soit à l'œuvre.

A l'aide de quelques exemples tirés de la clinique, d'un cartoon et, si toutefois j'en ai le temps, de mes réflexions en voyage qui m'ont entrainé à questionner sur ce qu'il en est de la certitude et de ces implications au regard de la vérité et de son statut,

une certaine manière de mettre les idéologies dans la même série que la mélancolie et l'addiction. Je vais donc vous emmener avec moi sur ce chemin pas toujours linéaire.

Tout d'abord quelques variations sur le thème du temps.

1/ Le temps -Temps réel.

Il est infini et linéaire, il ne circule pas, il n'y a pas de circularité du temps réel, il ne revient pas en arrière: le temps réel passe comme un fluide régulier, il n’accélère pas plus qu'il ne ralentit, intangible et pourtant on le ressent et surtout, il ne va que dans un sens. C'est ce qui passe quand rien ne se passe disait Jean Giono. C'est le temps

de l'expansion de l'univers dont on dit qu'il est infini. Or la notion d'infini est contradictoire avec celle d’expansion, et pourtant...

C'est par exemple une scène où ne règne que silence et immobilité. -Temps évènementiel. C'est le temps d'Héraclites : Tu ne peux pas descendre deux fois dans les mêmes

fleuves, car de nouvelles eaux coulent toujours sur toi.

Les eaux du fleuve figurent le temps réel, on peut très bien descendre un fleuve et ensuite en remonter le cours, par exemple aller d'Avignon à Beaucaire en

descendant le Rhône et ensuite remonter à Avignon. Mais les eaux que l'on retrouve à notre point de départ sont d'autres eaux. Le Rhône que l'on retrouve est donc un autre Rhône. Celui sur lequel on était parti s'est déjà perdu en mer.

Un événement ne se répète jamais deux fois dans le même temps. La succession des évènements implique que le temps s'articule à l'espace: On a posé une horloge sur la scène quelque chose bouge, on entend le tic tac, le temps

est compté, définissant ainsi un avant et un après. Les aiguilles se déplacent sur un cadran qui figure la circularité apparente de la course des astres que Giono appelait « La rondeur des jours » eux non plus ne reviennent jamais dans le même vide

sidéral. La météo peut entrer sur la scène: le temps qu'il fait survient dans le temps qui passe. Les évènements se déroulent, circulent, font des retours en arrière, provoquent des ruptures, des accidents, la scansion. Tout ça c'est le temps

évènementiel. Et pourtant... On dit que les évènements se répètent...

-Un temps « chronique » La chronicité. Les états chroniques

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En médecine, un état persistant et accablant est appelé chronique (du grec chronos). Par exemple, une maladie est chronique si elle

persiste dans le temps, en général plus de six mois. Par analogie, l'adjectif en est arrivé à décrire des problèmes qui ne peuvent être résolus sur une courte période, ou qui réapparaîtront quelle que soit l'action. (Wikipédia)

Il existe un terme français pour dire le processus qui entraine une chronicité : « la chronicisation » Ne dit-on pas qu'un tel se « chronicise », qu'une prise en charge se

« chronicise ». C'est curieux que l'on soit obligé d'inventer un mot pour ça, tout processus inclus la

dimension du temps, pourtant nous avons le sentiment qu'un certain style, un certain genre de temps circulaire s'installe dans les accompagnements évoquant ainsi une chronicité particulière, une chronicité qui tourne en rond. Tourner en rond c'est déjà

pas si mal, ça défini un temps, celui d'un tour, et un espace pour tourner. Mais on a le sentiment que le temps ne passe pas puisque tout revient toujours à la même place. Rien n'a bougé. Bouger impose comme dans la danse, le temps, le rythme. Un

temps mort? Est-ce cela qui est visé, la mort du temps? Le temps ayant pour compagne la mort, (confère la figure de Chronos dévorant ses enfants.) plus de temps plus de mort ? On peut entendre cette formule comme le permet l'ambigüité

de la langue française : plus de temps égal plus de mort.

Les processus de changement, processus de guérison, ne se déroulent pas malgré

l'écoulement du temps. La pathologie résiste au soins. La toxicomanie, une maladie chronique ?

Le temps de la drogue.

L'usage répété d'une drogue installe une horloge au sein d'un organisme. Il y a le temps de l'effet comme temps plein, celui de son usure, donc le temps du vidage, le temps imprimant son effet sur la drogue elle s'use avec le temps. L'usage l'use si l'on

veut jouer avec les mots. Et puis il y a le temps du manque comme temps du vide qui entraine l'appel d'un renouvellement. On a donc à faire avec un temps évènementiel en boucle, cyclique mais de même qu'on ne se baigne jamais deux fois dans le

même fleuve, on ne se drogue jamais deux fois dans le même contexte. Le temps évènementiel cyclique n'empêche nullement le temps réel de poursuivre son chemin linéaire. Et pourtant... La toxicomanie doit être considérée comme un comportement

chronique dont on a dit qu'il était persistant, est-il pour autant accablant ? A la différence des maladies psychiatriques chroniques endogènes subies passivement, elle concerne l'usage d'un objet recherché activement censé procurer quelque chose

qui est à définir soit comme une jouissance soit à l'inverse comme un état de plaisir annulant toute jouissance. En tout cas un usage orienté vers un effet recherché. Pourtant l'accablement n'en n'est pas écarté pour autant.

Le parcours d'un toxicomane n'est pas simplement une boucle refermée sur elle même et ne se déroule pas hors d'un contexte social. Ce ne sont pas des personnes

complètement isolées et cela indique les multiples défauts de la drogue. Elle n'a d'efficacité que partielle, elle ne provoque pas une rupture complète avec le monde.

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Alors comment font-ils ? Ils ne font pas, je veux dire qu'ils font mal et ils souffrent en d'autres termes : ils sont accablés. Et c'est cette souffrance cet accablement qui les

poussent à demander du soin. Mais on ne peut guérir sans changer et on ne peut changer sans renoncer. Changer ou évoluer ?

2/ Le changement et la permanence.

Guérir implique sinon une transformation, du moins un changement. La notion de changement s'oppose à celle d'identité. Identique à elle même l'identité,

reste immuable. Et pourtant...

L'identité.

C'est une notion difficile à définir. On dit de l'identité qu'elle se construit et pourtant... Ne sommes-nous pas le même depuis toujours ? L'identité c'est ce qui persiste à travers les changements et pourtant c'est une instance dynamique. On la trouve à

plusieurs niveaux, au niveau du Moi elle est la résultante des identifications, plastique elle évolue au cours du développement. Qu'en est-il de l'identité au niveau du sujet, du noyau dur qui lui ne change pas. Ce n'est pas celle de l'identité

subjective dont on sait qu'on a tant de peine à la saisir. Est-ce ce qui apparaît au stade du miroir ? N'est-elle pas une identité d'apparence en un autre lieu : je ne suis pas là où je me vois, et attachée à un nom qui la symbolise? « Regarde ! C'est toi

Pierre, qui ressemble à tonton Paul...» Il y a donc dans l'identité, des traits qui se transmettent, qui nous parviennent du fond des âges.

Une psychanalyste ayant travaillé au plus près cette question proposait la chose suivante : L'identité se constituerait pour un sujet au niveau de la trace inconsciente laissée par la séparation d'avec l'objet (a), une cicatrice singulière, chacun la sienne,

le poinçon en quelque sorte. Ce qui expliquerait la place que J. Lacan donne au dit poinçon dans la formule du fantasme. Il nomme poinçon ce qui relie et sépare en même temps le sujet dans sa division subjective (S barré) d'avec l'objet (a). L'identité

pour un sujet aurait donc la forme singulière du poinçon et aurait le lien le plus étroit avec une autre singularité celle du fantasme fondamental, à chacun le sien. C'est curieux cette idée que ce qui fonde mon identité c'est ce lien particulier que j'aurai

avec mon fantasme fondamental. Voilà pour l'identité, si quelqu'un a une meilleure définition... Mais qu'en est-il du changement ?

Changer pour aller mieux. Évoluer, s'adapter, guérir...

Le changement, l'impermanence sont antinomique avec le chronique qui, lui, s'apparente à ce qui ne change pas, au permanent. Bien que paradoxalement l'identité ne soit pas statique. Ce qui fonde l'identité d'un sujet s'inscrit dans un

processus de changement. Quand on danse parfois on change de pieds ou de rythme mais la danse continue.

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Parfois le temps passe sans que rien ne change ?

Pour l'illustrer je vais partir d'une image. Il s'agit d'un dessin tiré d'un cartoon qui présente la scène suivante : un homme est assis à une table, effondré sur lui même, représenté de dos, de toute évidence accablé il se tient la tête à l'aide de sa main

gauche, son coude appuyé sur la table, l'autre bras pend à son côté. Le mobilier nous indique qu'il s'agit d'une cuisine visiblement en désordre. Face à l'homme, un frigo mal fermé, une cuisinière sale et un évier dans lequel de la vaisselle est empilée

alors qu'à droite on voit une poubelle dont les détritus dépassent, quelques mouches tournent autour d'une ampoule qui pend au bout d'un fil. A côté de lui sur la table, une bouteille pas tout à fait vide et un verre. Sous le dessin une légende : « Ça fait déjà

quatorze ans qu'elle est partie...».

Que se passe-t-il ? Angoisse du temps qui passe, du temps passé et de celui qui vient ? Peut-être pas. Peut-être ne s'agit-il que d'un présent qui ne passe pas... En

réalité cela fait quatorze ans qu'elle est là, absente depuis quatorze ans mais présente comme jamais elle n'avait été. Et lui, il ne peut que lui rendre ce perpétuel culte mélancolique, ce « Bonheur d'être triste » disait Victor Hugo. Voilà une situation

qu'on pourrait ranger parmi les maladies chroniques, celles qui ne montrent pas ou peu d'améliorations en fonction du temps.

Le temps a passé mais le deuil ne s'est pas fait. On ne peut dire s'il s'agit d'une prise de conscience ou d'une ritournelle, peut être se la répète-il chaque jour à moins qu'il ne réalise enfin qu'elle n'est plus là parce que bon... avec le temps il devient sans

doute de plus en plus difficile de faire tenir une image. Autre exemple.

Un jeune homme est venu me voir dans mon bureau. Il voulait me remettre quelque chose disait-il, puis il a sorti de sa poche un kit d'injection, « je vous le donne parce

que je ne veux pas me défoncer ce weekend... » J'ai donc accepté de récupérer le kit et je lui ai demandé ce qui l'avait décidé à renoncer à cette défonce hebdomadaire. Il faut dire que ce jeune homme fréquente le Caarud et le Csapa depuis deux ou trois

mois dans un état de défonce continuel. Dés qu'il s'assied sur une chaise ou un fauteuil il s'endort, sinon il déambule en titubant, l'œil droit complètement fermé et l'autre entre ouvert.

De plus il a d'évidentes difficultés à articuler de sorte qu'on n'entend généralement qu'un bafouillage plus ou moins audible. Il m'a répondu que son état l'inquiétait, que ça ne lui était plus possible de continuer à dormir ainsi. Le connaissant peu je lui ai

demandé ce qu'il consommait et à quelle fréquence, il me dit prendre quelques fois du speed, de la kéta et d'autre stimulants et aussi beaucoup de médicaments mais qu'il va faire une cure très bientôt. Je lui demande s'il peut me dire pour quelle raison

il consomme ainsi. Il dit que quand il est défoncé le temps passe plus vite... Sinon vous vous ennuyez ? Il ne répond pas... Je lui repose ma question : qu'est ce qui l'a décidé à arrêter? « Ma mère elle travaille à l'hôpital, elle m'a dit que si je ne me

faisais pas hospitaliser il fallait que je remonte dans le Nord et moi je veux pas, il y a des gens que je ne veux pas voir.» Je lui dis « C'est important pour vous ce que dit

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votre mère ». Il répond que oui, qu'elle donne de bons conseils... Puis il quitte mon bureau me disant qu'il reviendra me voir...

J'ai appris par la suite par son éducateur que c'est la mère de ce jeune homme qui « tient les cordons de la bourse ». Il m'apprend également que ce jeune homme lui aurait dit se défoncer pour que le temps passe plus vite alors que d'autre part il ne

supporte plus de dormir toute la journée... Le travail de deuil me semble bien choisi pour illustrer un processus se déroulant sur

le vecteur du temps. Ce qui m'a entrainé à penser qu'on appelle « chronique » un état qui reste fixé sur l'objet lorsqu'un deuil est impossible. Lorsque l'objet ne peut être perdu. La mélancolie ce « bonheur d'être triste » est une sorte de collage à

l'objet, tant qu'elle dure, l'objet est présent/absent, présent en creux, son trou dans l'eau ne se referme pas dirait G. Brassens. Elle est partie, c'est ce que dit le principe de réalité, mais au nom d'un autre principe qui interdit son absence, il ne l'a pas

quittée. Il entretient avec elle un lien psychique. L’alcool suggéré par la présence de la bouteille permet d'entretenir cet état de replis psychique régressif imposé par le principe de plaisir. L'addiction consiste-t-elle en une sorte de déplacement de l'objet

du deuil infaisable sur un objet tangible consommable et compensateur ? En revanche le travail du deuil est un travail qui mène à un renoncement, un décollage, on peut l'entendre dans le sens du mouvement, curieux ce mot décollage

qui désigne autant le fait que le sujet se décolle de l'objet et dit aussi que le sujet décolle, se détache du sol où il était resté planté.

La différence, nous dit Freud entre la personne en deuil et le mélancolique c'est que ce dernier a perdu une partie de son moi, une partie qui constitue pour lui une qualité essentielle. Du côté du manque à être ce qui explique la forte dépréciation dont il

s'affuble. Pourrait-on dire que durant le collage à l'objet in-détachable le temps est resté figé du coup on est autorisé à considérer que la sortie du deuil est un retour du temps

comme conséquence de la prise en considération de la réalité. (À reprendre) parce que le replis mélancolique est une fermeture au monde du fait de sa prise dans le

principe de plaisir.

Le travail qu'accompli le deuil consiste à défaire un lien, à désinvestir un lien d'un « trop de libido » dont il était chargé. Ce n'est donc pas tant sur l'objet lui même que

sur le type de lien que le deuil travaille, un lien libidinal (c'est un pléonasme) exclusif, c'est à dire un lien qui érige un objet au rang d'objet d'amour unique et irremplaçable. On sait tout ce que cet objet doit au narcissisme « dans son essence l'amour est

narcissique... » (J. Lacan séminaire Encore) et donc à l'idéal du Moi en tant qu'il

représente ce qui manque au sujet pour atteindre cet idéal. Un manque à être qui trouve sa résonance dans les auto-reproches du mélancolique. Ce

désinvestissement ne peut se réaliser qu'au prix d'un renoncement or l'objet disparu dans la réalité peut continuer à être investi par la libido du Moi, c'est à dire psychiquement, sous sa forme absente. Il me semble que c'est également sous cette

forme là qu'il a la plus grande proximité avec l'objet (a) comme objet perdu. Différencier deuil et mélancolie.

« L'analogie avec le deuil, nous dit Freud, nous menait à conclure que le mélancolique avait subi une perte concernant l’objet ; ce qui ressort de ses dires

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c'est une perte concernant son moi. » « L'aversion morale du malade par rapport à son propre moi. » « L'ombre de l'objet tomba ainsi sur le moi qui put alors être jugé par une instance

particulière comme un objet, comme l'objet abandonné »

Mélancolie et addiction.

Il y aurait me semble-t-il un lien à faire entre la mélancolie et les addictions qui constituent tout deux un mode d'échapper au désir. Car le désir se constitue de

l'espace laissé entre le peu de jouissance obtenue par la consommation d'un objet et celle qui en était attendue. On sait le statut particulier de l'objet addictif. Unique, pourvoyeur d'une jouissance irremplaçable, non substituable, toujours à portée de

main, docile et pourtant persécuteur. De même Freud nous dit le mélancolique a construit un lien avec la part idéale de son moi, présente/absente à l'instar de l'objet du deuil à cette différence près que

dans ce dernier un travail psychique est à l'œuvre qui permettra au sujet de construire de nouveaux liens avec des objets substitutifs inscrits donc dans la série des objets sociaux.

Il m'a semblé que la mélancolie pouvait constituer un paradigme des états chroniques de même que les addictions en tant que ces dernières pourraient en être

une solution, un déplacement de l'investissement sur le moi ou du moins sur une de ses caractéristiques idéales, d'un trait idéal du moi, vers un objet tout autant idéalisé, tout autant persécuteur mais possiblement consommable.

L'enjeu du travail de deuil c'est donc le désir, en d'autres termes l'inscription dans le temps et dans l'espace social.

Alors quel rapport avec le sujet du jour, le temps? Ce qui inscrit dans le temps psychique c'est la séparation.

On pourrait dire que le point de départ, l'entrée du sujet dans le temps, ce qui fonde le sujet, l'instant l'évènement inaugural du sujet c'est la séparation. Sinon, si la

séparation ne se produit pas on a à faire avec un sujet addicté, collé à son objet à qui il ne reste que le choix entre la mélancolie et l'addiction. C'est important par exemple si l'on veut agir dans la prévention dite primaire dont on sait qu'elle ne peut

s'envisager que pendant le plus jeune âge quand il s'agit de traiter les pathologies du lien parent/enfant.

Alors en quoi cette séparation inaugurale de l'entrée du sujet dans le temps et dans l'espace social consiste-elle ? Quel en est l'enjeu ?

Revenons en à ce que j'ai dis au sujet de l'identité. Le trait identitaire aurait un rapport avec la trace laissée par la séparation. Je vais serrer un peu les choses et faire l'hypothèse qu'il s'agit de ce que le sujet a repéré comme ce qui pourrait

combler le désir de l'Autre. Soit ce qui aurait pu constituer son être parfait. C'est de cette séparation là dont il s'agit pour fonder un sujet désirant. Tout d'abord parce que c'est d'un manque fondamental que le désir se fonde ensuite c'est du manque dans

l'autre que ça s'inaugure. Je vais prendre un risque en disant que c'est le statut du manque chez la mère, sa

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manière, son style dans l'évocation, dans sa manière singulière de l'exprimer et dans sa manière singulière d'en montrer l'orientation vers un tiers qui indique pour le futur sujet le chemin de son désir. Et c'est ce que Freud dit quand il parle des mélancoliques : « Dans le deuil le monde est devenu pauvre et vide, chez le mélancolique c'est le moi lui même »

L'enjeu en est donc le désir. L'ouverture à la réalité : « Le fait est que le moi, après avoir achevé le travail de deuil redeviens libre et sans inhibition. » Nous dit encore

Freud.

Et puis,

Que se passe-t-il dans nos institutions ? -Qui « chronicise » qui? L'institution entre-t-elle dans le temps des toxicomanes, y

est-elle aspirée ? Sommes nous pris nous aussi dans la répétition ? Pourrions-nous avoir la prétention d'y échapper ? Non bien sûr, mais la repérer, la travailler pour tenter de s'en déprendre semblerait nécessaire.

A la différence de la situation du deuil dans laquelle l'objet élu a disparu, dans celle de l'addiction il est toujours à portée de main.

Proposer un objet plus ouvert qui trouve sa place dans une série, voire dans une construction fantasmatique, ou pourquoi pas des objets transitionnels.

Comment faire pour que le temps, qu'il soit celui d'une prise en charge, d'un accompagnement, d'un accueil, de la construction d'un lien ou d'un séjour en hébergement soit celui d'un travail équivalent au travail du deuil.

Avec des objets de substitution, un cadre, un contrat social, un dispositif qui laisse à désirer, débats, négociation...

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ÉCRITS D’USAGERS

Le temps d'un être qui veut prendre son temps.

Le temps est une partie?........... de jeu d’échecs.

Si je veux prendre mon temps je le prends.

Tout dépend de ce que j'ai à faire.

Parfois, j'aimerai qu'il s'arrête pour reprendre mon souffle, face au temps pressé.

Je serai plutôt le coureur que le flâneur, qui lui le prend son temps.

Mais en fait je suis les deux. Le flâneur est aussi en moi.

Alors je pense au temps qui passe, que je vais perdre si je ne bouge pas.

Je voudrai bien en faire mon ami pour qu'il sache quoi faire lorsque l'ennuie s'installe.

En attendant, le temps passe, passe, passe, passe et moi je reste sur

place…………………. pas question de baisser les bras tant qu'il y aura du temps, je

prendrai ce temps et j'en ferai un feu d'artifice, le final dans un arc en ciel.

Je relèverai la tête quoi qu'il se passe.

J’ai compris que le temps était le mien et que c'est à moi de le modeler à ma guise.

Ah!!!! Tout le temps que j'ai perdu!!

Ah!!!!Tout le temps que je voudrai reprendre!!

Mais le temps ne se rattrape plus. Il est donc temps de tirer ma révérence au temps

passé, aux lames aiguisées, car, il est temps de construire le temps avenir.

K.

Le temps.

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Le temps est un concept abstrait mais d'une utilité évidente.

Les hommes ont découpé le temps en années et en jours par référence à des

phénomènes naturels: le temps de rotation de la Terre et de la Lune.

Mais cette référence ne permet pas de définir le temps, elle en donne simplement la

mesure.

Comment établir l'existence même du temps?

Au cours de la vie d’un homme, des événements se produisent. Après leur

achèvement, il nous reste le souvenir de ces événements.

Ces souvenirs plus ou moins lointains, font surgir l’idée du passé, c'est-à-dire du

temps passé. Ainsi, le temps s'écoule au cours de la vie d’un homme, depuis sa

naissance jusqu'à sa mort.

Et le souvenir des évènements remarquables de sa vie donne à l’homme la

conscience du temps qui passe.

Si le temps était une couleur, ce serait selon moi le blanc, un fil blanc qui se

déroulerait à l'infini.

Et sur ce fil blanc, chacun pourra y déposer ses propres couleurs en fonction de ce

qu'il vit

A.