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Falaka Youssef Toundam

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Falaka

Falaka

Youssef Toundam

12.5 639928

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 150 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 12.5 ----------------------------------------------------------------------------

Falaka

Youssef Toundam

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Ce jour-là, ma mère ne pouvait pas accoucher

toute seule. Ce fut très compliqué pour elle. Mon père insista pour qu’on la fasse patienter encore un peu, mais la voisine qui s’occupait de l’accouchement affirma que le bébé présentait ses pieds, et que ma mère allait mourir si on ne la transportait pas à l’hôpital. Mon père demanda à un voisin d’aller chercher l’ambulance. Vers la fin de l’après-midi, celle-ci emmena ma mère à la maternité du centre-ville de Casablanca. Ce soir de l’année mille neuf cent soixante et un, mon petit frère Mostafa est né.

Moi, j’avais cinq ans. À cinquante-sept ans aujourd’hui, j’entends

encore dans ma tête la sirène de l’ambulance qui avait emmené ma mère à l’hôpital. Le son diminuait peu à peu au fur et à mesure qu’elle s’éloignait de la maison. Moi, je pleurais devant la porte de la maison. Une main se posa sur mon épaule et une voix de femme me chuchota à l’oreille :

– Rentre à la maison mon enfant ! Tes frères sont à l’intérieur !

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Je poussai alors la porte en bois, et en face de moi une allée boueuse qui menait directement vers une autre porte, moins grande, ouverte au fond. Tout au long à gauche, une étable où trois vaches étaient en train de ruminer de la paille. Leur odeur très forte emplissait l’atmosphère. J’entrai par la porte ouverte de l’unique pièce de la maison. C’est là où nous étions nés mon frère aîné Laârbi, son cadet Saïd et moi. La petite pièce était sombre avec une toute petite fenêtre à ras du plafond. Je découvris à peine mon frère Saïd assis par terre sur une couverture sale et usée ; il jouait avec un morceau de bois. L’aîné, allongé sur le grand lit en bois de mes parents, une sorte de banc sans dossier avec de longs pieds pour pouvoir en exploiter le dessous ; on y mettait de la farine, du sucre, des couvertures en laine que tissaient ma mère avec les voisines et le panier en osier, avec son couvercle en cloche qui servait à garder le pain. Mon frère Laârbi m’ordonna de m’asseoir, j’obéis.

Plus tard dans la soirée, l’épouse de mon oncle rentra dans la pièce et alluma une bougie ; elle nous offrit chacun un bol de lait de vache frais que nous bûmes d’un seul trait, tellement nous avions faim. Le lendemain matin, notre père nous annonça que nous avions un nouveau frère. Nous sommes désormais quatre garçons dans la famille. Pas de sœur.

C’était la seule fois que ma mère avait subi une césarienne. D’habitude, elle accouchait à la maison sans même l’assistance d’une sage-femme, c’étaient les

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voisines qui l’aidaient à mettre bas avec les moyens dont disposait mon père à la maison, souvent de l’eau et même pas de savon. Son premier bébé était une fille qui n’avait pas pu survivre aux maladies plus de six mois ; le second était né en mille neuf cent quarante neuf et c’était un garçon qu’on avait baptisé : Houcine. Le pauvre avait vécu le même sort que sa sœur ; il mourut durant sa première année. Mon père n’avait pas déclaré son décès. Après deux ans, mon frère aîné était né. Là aussi mon père n’avait pas non plus déclaré sa naissance à l’Etat civil. Pour éviter à son nouveau-né de subir le même sort que le défunt Houcine, ma mère lui avait donné le nom de Laârbi. Ainsi, on appelait mon frère aîné Laârbi alors que dans l’Etat civil on avait gardé la date de naissance et le nom de Houcine. C’était une supercherie que mon père expliquait par l’absence de bureau d’Etat civil pendant les années cinquante, ce qui n’était pas vrai.

Le lundi dix décembre mille neuf cent cinquante six, journée mondiale de la déclaration des droits de l’homme, ma mère enceinte de neuf mois, était très souffrante. Une fièvre accompagnée d’une tremblote l’obligeait à rester au lit. Elle hallucinait et priait Dieu de l’aider à mettre bas très vite. Sa prière fut exaucée. Très tard dans la soirée, elle ne pouvait pas dormir tant que son mari n’était pas encore rentré. Elle devait lui ouvrir la porte de la pièce, mais la pauvre, très fatiguée, s’endormait.

Quand il fut là, elle entendit le grincement de sa

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bicyclette et sauta de son lit pour lui ouvrir ; elle trébucha sur quelque chose entre ses pieds et tourna la clé en poussant la porte. Celui-ci en entrant vit un bébé qui bougeait entre les pieds de ma mère et lui lança :

– Qu’est-ce que c’est ? La pauvre baissa la tête et découvrit parterre un

bébé tout barbouillé de liquide orange qui commença à pleurer.

Je venais de naître. Elle me ramassa et me prit dans ses bras, ensuite

elle s’allongea sur le lit. Mon père sortit chercher quelqu’un et ramena avec lui l’épouse de mon oncle et une voisine qui aidèrent ma mère à se nettoyer et à nettoyer le bébé. On me baptisa Youssef ! Mon père m’avait expliqué par la suite qu’il aimait beaucoup le Sultan du Maroc qu’on appelait Ben Youssef.

Ma mère avait beaucoup de fièvre et délirait tout le temps. On m’avait posé près d’elle et durant les trois mois où elle fut clouée au lit, on ne me fit changer de côté que rarement, jusqu’à ce que mon oreille droite se déforme et durcit en flèche. Elle me racontait que durant toute sa maladie je n’avais tété que sa mamelle gauche. Mon père ne songeait guère à la faire examiner par un médecin. Il avait assez d’argent, mais il était dur et par-dessus très avare. Comme d’habitude, il perdait patience et montrait tout le temps sa colère. Sa femme était malade et ne servait plus à rien. C’était elle qui s’occupait de la

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maison, des enfants, de l’eau, des vaches et des courses à l’extérieur.

Mon père lui en faisait voir de toutes les couleurs. La pauvre supportait souvent ses menaces et il l’avait même battue avec sa ceinture dure en cuir qu’il portait toujours. Il disait que le châtiment corporel est le remède efficace contre l’indiscipline et la désobéissance ; il guérissait même les maux les plus incurables, et que le bâton fut sorti du Paradis.

Je me rappelle très bien du jour où ma mère m’avait emmené au « M’sid », pour la première fois en compagnie de mon frère Saïd, plus âgé de dix-neuf mois, plus grand de taille, costaud et toujours en colère. J’avais trois ans et demi. C’était une petite baraque en bois, très sombre et sans fenêtre, on y accédait par une toute petite porte et il y sentait mauvais ; elle était pleine à craquer de petits enfants, et toute cette ribambelle coassait inlassablement. La plupart des gens n’étaient pas raccordés au réseau de l’eau potable et ne disposaient pas de salles d’eau. Leurs progénitures dégageaient des odeurs très fortes de sueur.

Ma mère me fit asseoir à côté de mon frère. Lorsqu’elle voulut partir, je me suis levé et je me suis agrippé à son haïk. Le fqih me fit asseoir à ma place et demanda à ma mère de s’en aller ; il m’offrit une datte que j’ai jetée en criant de toutes mes forces, et craignant que ma mère ne m’abandonne pour toujours, j’avais beaucoup pleuré. Enfin, serré contre

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mon frère je me suis endormi. À mon réveil, j’ouvrais peu à peu mes yeux et je

distinguais des visages de gamins et de gamines tout barbouillés de taches, toutes les bouches s’ouvraient et se fermaient en récitant des versets de coran dont je ne comprenais aucun mot. Un peu sourd, je cherchais mon frère Saïd ; il était juste à côté de moi en train de répéter les mêmes versets. Quelques jours après, j’avais pris l’habitude d’aller au M’sid avec mon frère ; et c’était là qu’avait commencé mon long et dur voyage avec l’apprentissage.

L’endroit où nous vivions ressemblait à une grande ferme, entourée de champs où on cultivait des céréales et bordés à l’est par une rangée de petites maisons. Chaque maison se composait d’une étable avec au fond à droite, un coin cuisine et à gauche, une grande pièce. Mon père élevait des vaches, elles étaient au nombre de trois, et ma mère prenait soin de les traire chaque matin vers six heures ; lui, il versait le lait dans des bidons qu’il transportait sur sa bicyclette, pour le distribuer ensuite à des colons moyennant de l’argent. Vers neuf heures, ma mère préparait le déjeuner, ensuite elle faisait sortir les vaches dans les pâturages derrière la maison, et les laissait paître jusqu’à onze heures. Il faut dire que nous n’avions ni eau, ni électricité ni toilettes à la maison. L’eau, c’était ma mère qui allait la chercher chaque jour à la fontaine, qui était d’ailleurs assez loin de chez nous. Elle remplissait deux seaux, l’un, elle le mettait sur sa

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tête et l’autre, elle le portait à la main. Elle faisait deux fois par jour le même trajet entre les étables et la fontaine. La cuisson, elle la faisait sur le feu de bois ou de charbon. Pour la lumière, on allumait des bougies chaque soir. Mon père possédait une grande radio qui fonctionnait grâce à une batterie bleue aussi grande que la radio elle-même, il écoutait toujours « Radio Londres » qui émettait en arabe des informations sur la « Palestine ».

Le plus dur dans ces étables était l’absence des toilettes. Par conséquent, chaque soir, tout comme nos voisins, des bougies à la main et dans une procession nocturne et silencieuse, on sortait derrière pour nous acquitter de nos besoins. On faisait tout à l’extérieur ; à la belle étoile comme on dit. C’était une vie très dure que menaient les habitants des étables.

Un jour, alors que notre mère nettoyait l’étable, je jouais avec mon frère Saïd avec une pièce de dix francs, que mon père avait laissée pour les courses. J’ai mis la pièce dans ma bouche et Saïd me renversa sur le dos. La pièce avait disparu dans mon ventre, je l’avais avalée. Ma mère nous gronda sévèrement et nous conseilla de ne rien dire à notre père. Très tôt le lendemain matin, un morceau de bois à la main, elle sortit derrière les étables et ramena la pièce qu’elle rinça abondamment à l’eau.

Mon oncle Brahim était notre voisin mitoyen. Le frère aîné de mon père qui possédait un chariot avec un cheval de trait. Il transportait des marchandises,

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des meubles et même des personnes ; il avait le même caractère que mon père et il avait épousé une femme plus jeune que lui. Il était violent, ignorant et têtu. Il avait déjà eu deux enfants avec sa première femme et avec la seconde, il en avait six, trois garçons et trois filles. Il mourut en laissant les petits sans toit ni pension, ils n’étaient pas scolarisés et n’avaient pas de travail stable. Les filles s’étaient mariées très jeunes et l’une d’elles est actuellement l’épouse de mon frère Mostafa, femme au foyer avec deux enfants qui avancent difficilement dans leurs études. Pour les nourrir, ma cousine travaille aujourd’hui comme femme de ménage.

Ma mère nous racontait qu’un matin très tôt, ils entendirent des pleurs derrière les étables. Une fois sortis, ils découvrirent trois enfants abandonnés par leurs parents à cause de la famine. Les voisins décidèrent alors de s’occuper d’eux et de les nourrir comme ils pouvaient jusqu’au retour de leurs parents. Pendant cette période, des sécheresses successives sévissaient dans toutes les régions du Royaume, les récoltes étaient insuffisantes et il y avait une grande pénurie de denrées. Les gens creusaient la terre et déterraient des racines de plantes qu’ils faisaient sécher, après, ils les écrasaient et en obtenaient une sorte de pâte qu’ils pétrissaient et mangeaient. L’Etat distribuait des bons pour un quart ou un demi-pain rond et une part de sucre pour chaque famille. On appela cette année : « L’année des bons ».

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Lorsque les Américains avaient débarqué au port de Casablanca au cours de la deuxième guerre mondiale, ils ramenèrent avec eux des aides alimentaires et vestimentaires. Ils avaient distribué de la farine, du sucre et des vêtements aux habitants. On avait appelé cet événement : « La rentrée des Américains ».

Juste devant les étables où nous vivions, il y avait un précipice creusé en long dans la roche de quatre ou cinq mètres de profondeur, et qui bordait l’ancienne route de Rabat, et c’était là où les vaches parfois attendaient qu’on leur ouvrît la porte pour entrer à l’étable. Un après-midi, l’une des vaches qu’on avait baptisée « Shama », avait glissé dans le ravin. La pauvre s’était cassé les pattes et les côtes. On appela le boucher et l’animal fut sacrifié. On divisa la viande en parts et tous les voisins ont eu chacun sa part bon marché. Mon père disait qu’une demi-perte valait mieux qu’une perte totale. La grande part nous revint et ma mère la fit saler et sécher au soleil, et la conserva durant trois mois plus tard.

Depuis mon très jeune âge, mon père avait comme une manie à me terrifier. Il ne ratait jamais l’occasion pour me faire peur et déclarait souvent que j’étais un faible. La nuit, j’avais peur des vaches et des contes que ma mère nous racontait. C’étaient des histoires infestées d’ogres et d’ogresses, de forêts pleines d’arbres géants qui parlaient et qui bougeaient

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la nuit. De grands rocs qui planaient et qui atterrissaient au milieu de la jungle. J’étais pétrifié, et ma mère nous racontait ces histoires pour nous faire peur et non pour nous faire dormir. Et si quelqu’un d’entre nous osait lui demander à boire, elle disait à voix basse :

– Dors ! L’ogre est dans la maison ! Moi, je mourrais de peur et j’urinais dans mes

vêtements. J’urinais souvent la nuit et cela avait duré jusqu’à mes onze ans. Toute ma famille se moquait de moi, et mes parents m’insultaient tout le temps. Je me culpabilisais et me sentais responsable de ce délit que je commettais la nuit, et que je ne pouvais par conséquent pas éviter. En réalité, il ne s’agissait que d’une réaction normale que beaucoup d’enfants de mon âge pouvaient avoir, et que la peur et la terreur qu’imposait mon père à la maison, y étaient pour quelque chose. Ma mère changeait rarement mes couvertures et mes vêtements ; mes habits sentaient l’urine et j’en avais même parfois sur tout le corps. Les enfants m’insultaient dans la rue en m’appelant : « Alboual » : le Pisseux.

Un vendredi matin, nous étions invités pour manger le couscous chez mes tantes Aïcha et Ouezza, qui habitaient dans les bidonvilles des Carrières centrales. Ma tante Aïcha était mariée et avait quatre garçons et une fille. Son mari était jardinier chez des colons à « Benslimane ». Amti Ouezza comme je l’appelais, était une femme célibataire qui ne s’était

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jamais mariée ; elle mourut célibataire. Ma tante Aïcha nous a accueillis chaleureusement

et nous sommes entrés dans la baraque. C’était une grande maison construite tout en bois avec deux petites fenêtres bricolées à droite de la porte d’entrée. Le hall était un peu sombre, et je distinguais peu à peu mon cousin Laârbi qui était en train de coudre le boyau avant de sa bicyclette de course. Il se leva et vint nous saluer ; son frère Driss, plus jeune, était au fond du hall, en train de graisser les plateaux de la sienne. Mes deux cousins étaient des champions cyclistes ; ils avaient participé à la première course organisée à « hay al Mohammadi » à l’occasion de la première fête du Trône pendant les années soixante. Par la suite, ils avaient rejoint l’équipe nationale et avaient participé au Tour du Maroc plusieurs fois. C’étaient des champions, les coéquipiers de « Mohamed El Gourch » et de « Abdallâh Farak ». Ils avaient vécu des moments très difficiles et ils étaient vite oubliés et effacés des annales du sport marocain.

Vers onze heures du matin, ma tante avait besoin de safran pour son couscous, et il n’y avait personne sauf moi à la maison. Je suis allé chercher le safran, mais je n’avais pas fait attention aux petites ruelles qui transformaient le bidonville en labyrinthe. Elles se ressemblaient toutes et je ne connaissais ni le numéro de la rue, ni celui de la maison. À mon retour je me suis perdu, et j’avais couru dans tous les sens en pleurant ; un homme me prit par la main et me

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demanda chez qui j’étais venu, j’avais répondu : – Chez ma tante Aïcha. L’homme essaya de m’aider mais personne ne

connaissait ma tante, alors il m’emmena au poste des forces auxiliaires. L’un des agents me fit asseoir sur une chaise et me demanda de rester tranquille.

Moi, je pleurais en silence. Tout d’abord les femmes à la maison avaient cru

que j’étais en train de jouer dans la rue. Après une demi-heure, ma tante était allée chercher son safran et remarqua que je n’étais pas dans la rue mais ne dit rien. À l’heure du repas, on commença à s’inquiéter de mon absence et on envoya un parent me chercher. Après le déjeuner tout le monde était à ma recherche et mon père leur disait :

– Quand il reviendra, il aura affaire à moi ! À cinq heures de l’après-midi, mon cousin se

présenta au poste et me ramena chez ma tante, j’avais reçu une gifle et un bonbon, et je leur avais tendu le safran que j’avais gardé serré dans ma main. Depuis ce jour ma tante m’appelait : « zaâfran » : safran.

En février soixante et un, juste après la mort du Roi Mohammed V, ma mère et moi en compagnie de quelques voisines, on était allés voir le cortège funèbre du Roi qui devrait emprunter la route de Rabat. J’avais quatre ans et deux mois ; je ne me rappelle plus avoir vu de cortège. Tout ce dont je me souvenais c’était des femmes qui couraient dans tous les sens. De temps en temps, elles s’arrêtaient pour ramasser

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par terre des poignées de poussière et les propageaient sur leurs cheveux ; elles avaient toutes enlevé leurs foulards en guise de chagrin. Des hommes qui précipitaient le pas, en montrant de leur doigt quelque chose devant eux et lançaient tous à la fois des mots incompréhensibles. En réalité, il n’y avait rien à l’horizon sauf de la poussière. La foule apeurée, courait dans tous les sens, j’avais l’impression que les gens avaient perdu la raison. Une femme surgit de la foule, courut précipitamment et se jeta par terre et continua de se rouler sur elle-même dans un nuage de poussière ; d’autres la suivirent dans sa démonstration et griffèrent leurs visages jusqu’au sang. Ma mère et ses voisines lançaient des cris et des youyous, arrachaient leurs cheveux et déchiraient leurs habits comme des hystériques. Après deux heures de marche, je me sentais très fatigué et je commençais à pleurer. Ma mère décida de rentrer à la maison. Toutes les voisines pleuraient et riaient en même temps. Je n’avais rien compris.

Le jour de « l’Achoura », la fête des jouets pour les enfants musulmans ; j’avais quatre ans et cinq mois lorsque mon père nous a acheté mon frère Saïd et moi, deux pistolets noirs qui tiraient des cartouches en liège, avec une petite boule en poudre concentrée au centre. Ces pistolets faisaient autant de bruit qu’un fusil de chasse. On enfonçait la cartouche au bout du canon, on appuyait sur la détente qui actionnait le percuteur, celui-ci percute violemment la poudre qui