EMBELLIR PARIS

Note de motivation Embellir Paris est un projet qui ne peut que séduire les amoureux de la capitale, et en premier lieu ses habitants. Vu de loin, il peut sembler difficile d’embellir une ville déjà aussi riche en beautés, en sites pittoresques, en brillants témoignages du passé, en gestes du génie contemporain. Mais tous les Parisiens n’habitent pas place des Vosges, l’île Saint-Louis, rue de Rivoli, au Champ de Mars, les collines de Montmartre ou de Chaillot, place de la Madeleine, place du Tertre ou place de la Bastille, etc. Comme toute grande métropole, Paris compte aussi des sites moins favorisés, des coins mal aimés, inconnus des touristes, médiocrement appréciés des Parisiens eux-mêmes. Celles et ceux qui les habitent ou les pratiquent dans leur vie quotidienne peuvent souhaiter qu’on les embellissent, qu’une intervention les valorise, les rende plus agréables à vivre, mais c’est à juste titre qu’ils peuvent être soucieux que l’embellissement ait une justesse qui ne contrarie pas l’identité du lieu, même modeste. En effet, bon nombre sont attachés à la rue qu’ils habitent, ont de l’affection pour leur quartier, même si la rue et le quartier sont ignorés de celles et ceux qui n’ont rien à y faire. Ainsi, les personnes qui trouvent leur bonheur de tous les jours et le plaisir de leurs habitudes dans un lieu susceptible d’être embelli, préfèrent qu’une beauté nouvelle soit révélée en relation avec ce qui existe, qu’imposée de façon autoritaire. Il est sans doute plus difficile d’embellir une ville par des gestes discrets, émouvants, délicats, que par des interventions à caractère monumental et spectaculaire dans des sites qui les appellent à l’évidence. Pour de telles opérations, l’artiste intervenant doit non seulement aimer la ville, le quartier, la rue, mais aimer la vie des habitants là où elle a fini par s’installer, même dans les lieux les moins grandioses ou les moins charmants. Embellir Paris semble à la fois un projet immodeste et une proposition qui réclame de la justesse dans un souci de justice. Je suis sûr que tout un chacun est resté attaché au souvenir de son école primaire, du conservatoire où il a appris à jouer d’un instrument de musique, ou de la place où il a pris le métro chaque jour, pendant des années. Ce sont ces sentiments qui ont déterminé mon choix des trois sites et la nature des interventions.

ECOLE PRIMAIRE KELLER PROPOSITION Une école est toujours un lieu de souvenirs déterminants. L’école de la rue Keller n’est pas celle où je fus écolier à Paris. Mais il m’est facile d’imaginer qu’elle le fut. La rue Keller n’est pas particulièrement attachante, ni par son aspect ni par les activités qu’elle abrite : très peu de commerces, de cafés, ni bureau de Poste, ni cinéma, ni librairie, etc. Par contre, elle est un lieu de passage, de communication au sein d’un quartier très animé, très vivant, entre la rue de la Roquette et la rue de Charonne, tout cela non loin de la Place de la Bastille. Le triste mur gris de l’école occupe une longueur importante de la rue. Evoquant un lieu d’enfermement, il inspire plutôt la tristesse. Seuls celles et ceux qui pratiquent l’autre côté du mur, savent qu’on peut aimer être là des écoliers. La proposition consiste à inviter tous les enfants de l’école Keller, leurs enseignants, leurs familles et tous les voisins du quartier à venir apposer sur toute la longueur du mur, l’empreinte de leurs deux mains. Les peintures-laque seront proposées en plusieurs couleurs et chacun aura le choix. Quand toutes les empreintes auront été apposées, un vernis protecteur très dur sera appliqué sur toute la surface du mur. On peut espérer que cette action à la fois sentimentale et décorative, sans prétention et avec les moyens les plus simples, ne suscite pas le vandalisme. On peut envisager que certaines empreintes soient réalisées en peinture phosphorescente, ce qui les rendrait lumineuses pendant la nuit. Il s’agit donc de recueillir les traces des personnes les plus concernées par cette école et par ce mur, à commencer par les écoliers, mais aussi par toutes celles et tous ceux qui longent ce mur dans leur circulation quotidienne. L’action elle-même d’apposer l’empreinte de ses mains, et le recours à des couleurs variées, donneront à l’opération une tonalité joyeuse. On peut envisager que l’œuvre soit un work in progress, et que de nouvelles séries d’empreintes viennent s’ajouter aux précédentes au fil des époques.

VARIANTE Au lieu d’être appliquées directement sur le mur, les empreintes pourraient être déposées sur des plaques de plexiglass épais, rétro-éclairés dans des caissons lumineux. Ceux-ci seraient installés sur la suite de panneaux du mur. Avec ses teintes joyeuses, l’œuvre serait ainsi visible aussi bien la nuit que le jour.

ARGUMENTAIRE Cette proposition s’inscrit dans une longue tradition de l’empreinte dans l’histoire de l’art, à commencer par les mains positives ou négatives sur les parois des grottes de la Préhistoire. Par la suite, peintres, sculpteurs et photographes ont interrogé par quelles diverses façons un corps peut imprimer sa trace par contact. Dans la période moderne et contemporaine, on peut penser aux Anthropométries d’Yves Klein, ou aux empreintes dans la terre glaise de Giuseppe Penone. Cette œuvre est un hommage à la main humaine, aussi bien celle du travailleur manuel, que celle de l’artisan, de l’artiste, de l’écrivain ou du musicien. La main est l’organe qui manœuvre les machines et les appareils, aussi bien ceux de la production industrielle que ceux de la vie privées, comme les commandes d’une automobile, le clavier d’un ordinateur ou d’un piano. Par ailleurs, la main est l’organe dont, en priorité, l’école primaire fait faire l’apprentissage : apprendre à écrire, à dessiner, à modeler, à se servir de ses mains dans l’exercice physique et la pratique de nombreux sports. La main est l’organe majeur de la communication par signes – y compris le langage des sourds-muets –, et de la gestuelle symbolique : tendre la main pour en serrer une autre, porter la main à son cœur, faire un signe d’adieu, saluer, désigner, applaudir. Son rôle est également important dans la relation aux animaux : caresser un chien ou un chat… Un texte évoquant ce rôle de la main dans l’histoire humaine, et célébrant l’école primaire comme lieu d’apprentissage des usages de la main, pourrait être inscrit comme une sorte de cartel de l’œuvre. L’œuvre sera aussi une façon de montrer que toutes les mains humaines sont semblables quelles que soient les origines ou la couleur de la peau.