Du héros au trickster dans Tristan als Mönch : entrelacement et ...

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SUIVIE DE LA RÉFÉRENCE (JOUR, SESSION)

22e CONGRÈS DE LA SOCIÉTÉ

INTERNATIONALE ARTHURIENNE, 22nd

CONGRESS OF THE INTERNATIONAL ARTHURIAN SOCIETY

Rennes 2008

Actes Proceedings Réunis et publiés en ligne par

Denis Hüe, Anne Delamaire et Christine Ferlampin-Acher

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SUIVIE DE LA RÉFÉRENCE (JOUR, SESSION)

Du héros au trickster dans Tristan als Mönch : entrelacement et contrepoint

Tristan le moine, texte germanique du XIIIe siècle, fait partie des

épisodes indépendants de la légende de Tristan. La particularité de ce texte

ne consiste pas seulement à catalyser brillamment les éléments de trickster

du personnage, mais aussi à dresser de nouveau son portrait comme héros

chevaleresque sans reproche en l’opposant au fripon transgresseur

picaresque. Au moyen d’une construction où les deux aspects s’entrelacent,

on démontre qu’il s’agit de parties indissociables de sa personnalité. On

assiste également a la transformation de l’histoire elle-même en un texte

trickster qui déstabilise les genres, en passant de la narration courtoise du

début au ton burlesque de la fin, en une structure très proche de celle des

brefs récits comiques tels que les fabliaux ou les nouvelles.

Le Tristan ministril de Gerbert de Montreuil1 décrit comment, pour

rencontrer Iseut, Tristan apparaît à la cour du roi Marc, accompagné de

Voir ci-dessus, note 42.

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douze chevaliers de la Table Ronde, tous déguisés en ministrils. Le héros se

présente donc, devant sa dame, en piteux équipage, affublé de vêtements

déchirés, mal taillés, de guingois, et paré d’un œil fermé (vers 3812-38852).

Néanmoins, une fois satisfaits ses désirs amoureux, la reine le pourvoit

d’armes pour qu’il participe avec ses amis à un tournoi où les chevaliers du

roi Marc n’ont cessé de souffrir des échecs. Prenant le parti des hommes de

son oncle, Tristan et ses compagnons arthuriens se présentent au combat

munis d’armes superbes mais gardant leurs instruments musicaux

suspendus au cou (vers 4239). Ce fait rend leur victoire particulièrement

humiliante pour leurs ennemis, qui se croient déconfits par de simples

musiciens de cour3.

Ce n’est pas l’unique fois que Tristan prendra un masque, mais on

remarquera ici l’intention de l’auteur de souligner le contrepoint entre les

prouesses militaires accomplies et les emblèmes musicaux. Nous sommes

aussi surpris par la présentation du héros déguisé en jongleur loqueteux

donnant sa parole de guetteur au roi Marc, pour le trahir immédiatement

avec son épouse, qui se superpose au portrait de l’invincible vainqueur érigé

en défenseur de son oncle durant le tournoi, et triomphe sur ses ennemis à

1 Il s’agit du premier texte épisodique en vers (écrit entre 1226 y 1230) à intégrer le personnage de

Tristan à l’univers arthurien (tout comme le feront, bien sûr, le Tristan en prose et le Tristan le Moine germanique). Toutes les versions en français de Tristan ici citées se retrouvent dans Tristan et Iseut. Les premières versions européennes, MARCHELLO-NIZIA Ch. (éd.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 1023-1057 ; ici citée comme « Pléiade ». 2 La négligence de Tristan est mise en évidence par le fait qu’il apparaît affublé d’une coiffe déchirée

dont les pendants sont de travers (vers 3882-85). L’intention d’avoir l’air ridicule et bouffon révèle aussi le rejet des règles élémentaires de la présentation en société, symptôme de son je ultérieur. 3 « Si le tienent en grant vielté/Quant ensi sont desbareté/Par menestrex, ce lor est vis » (vers 4281-

4283, Montreuil-Pléiade, p. 997). Il faudrait néanmoins rappeler l’importance des implications du rôle de musicien de Tristan, comme Philippe WALTER l’analyse en détail dans son Tristan et Yseut. Le porcher et la truie.

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ses côtés, sans lâcher les instruments de musique —nous rappelant qu’il n’a

cessé d’être l’amant de la reine—. Voilà qui encadre la transgression du

pìcaro entre deux démonstrations épiques mémorables dans l’épisode de

Tristan ministril4.

Le motif des déguisements5, sur lequel nous reviendrons, semble

répondre aux complexités de la personnalité du personnage de Tristan qui,

on l’a vu, tout en étant un héros à la prouesse incomparable, est capable

d’adopter des accoutrements et des attitudes indignes d’un chevalier, et

d’introduire des clins d’œil burlesques même dans la description des

combats arthuriens.

Il convient de se souvenir que pendant l’épisode du Mal Pas, dans

la version de Béroul, on avait déjà assisté à la mise en scène d’un Tristan

lépreux et irrévérencieux, qui dévoilait l’ambiguïté essentielle du

personnage.

De cette manière, non content de souligner la duplicité du Tristan

lépreux bernant toute la cour, Béroul superpose à son jeu cynique, la

démonstration de la supériorité chevaleresque du héros qui, sans plus

attendre, abandonne le déguisement dégradant afin de vaincre incognito

durant le tournoi de la Blanche Lande. Il résulte, en outre, intéressant de

constater que les couleurs sous lesquelles se déroule le combat sont le noir

4 Il convient de rappeler que, dans l’épisode de Tristan Ministril, l’auteur fait apparaître Tristan incognito,

déroutant de surcroît plusieurs champions de la Table Ronde avant qu’il soit reconnu, ceci dans le but de l’introduire auréolé de gloire. Ainsi, le texte insiste sur la présentation du personnage en héros exceptionnel, et même doté de pouvoirs surnaturels. 5 Il semblerait que l’allusion au déguisement soit omise par deux textes seulement, à savoir les cent vers

sur Tristan dans le Roman de la Poire et le Tristan le Nain, dont on conserve uniquement 158 vers.

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et le blanc6, contraste qui nous remet en mémoire le costume des fous et

des bouffons, divisé en général par deux tonalités opposées pour bien

souligner la duplicité de leur personnalité scindée. Il est fait ainsi allusion

non seulement à l’identité cachée de Tristan, mais encore à l’incontournable

double vie que doivent mener les amants, sans parler de la multiple

signification du prochain serment de la reine7.

S’il est bien vrai, que les contradictions de Tristan sont évidentes

dès le début de la tradition littéraire8, c’est surtout dans les Folies que l’on est

habitué à rechercher l’image grotesque du personnage. Comme si c’était

dans ces épisodes isolés de la légende, que les gestes bouffons pouvaient

mieux s’épanouir. Nous nous proposons donc de démontrer dans cet article

que c’est en effet, dans un autre récit bref, le texte germanique de Tristan le

Moine, que cette caractérisation équivoque prendra tout son poids dans une

démarche double qui construit à la fois le personnage héroïque et le pícaro,

6 Poirion commente l’alternance du noir et du blanc lors de la bataille (vid. la note au texte Béroul-

Pléiade, p. 1202). Il est par ailleurs, intéressant de trouver dans la Folie d’Oxford une mention similaire faite au contraste de couleurs (cf. la description des murs de Tintagel à l’arrivée de Tristan au château de son oncle, où il incarne, d’emblée un fou [vers 109, Oxford-Pléiade]). 7 Encore ici, comme dans le Tristan Ministril, les exceptionnelles prouesses du héros et de Governal sont

telles qu’ils sont alors considérés comme des êtres surnaturels (vers 4019, 4061, 4072, Béroul-Pléiade). L’importance des liens avec l’autre monde fait partie de la caractérisation du trickster, à qui incombe parfois le rôle de psychopompe accompagnant les âmes vers l’au-delà; ou c’est encore lui qui introduit la mort sur terre. Dans ce cas, Tristan et Governal n’apparaissent pas seulement comme des vengeurs féeriques, mais ils sont des justiciers furtifs et de nouveaux trickstérils, étant donné qu’ils défendent une transgression de l’ordre social. 8 Il convient aussi de rappeler la description par Thomas de l’aspect contradictoire, passif, de doute

constant et d’indécision du héros (i.e. quand, face aux souffrances que lui cause la séparation de son aimée, il décide de se marier avec Iseut aux Blanches Mains, pour ensuite ne pas consommer le mariage), cf. FRANCESCHINI B., « Ephémeros. Per un’analisi dei caratteri nel Tristano di Thomas e di Béroul », Cultura Neolatina, no 61 (3-4), 2001, p. 275-299, même si BLAKESLEE M. donne une autre interprétation à ces traits de personnalité, cf. « Tristan the Trickster in the Old French Tristan Poems », Cultura Neolatina, no 44, 1984, p. 167-190.

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quand encore une fois, le héros s’accoutre d’une apparence trompeuse et de

nouveau indigne pour un paladin, arborant tonsure et habits religieux9.

Tristan le Moine est une courte narration versifiée du XIIIe siècle,

d’auteur anonyme10 qui a été peu abordée par la critique, peut-être pour

plusieurs éléments troublants dont nous traiterons ici, et qui, en partie, ont

à voir, précisément, avec la duplicité du personnage. Le texte fait partie de

ces courtes anecdotes liées à la légende de Tristan qui émergent en parallèle

à la mise par écrit de l’histoire intégrale11 et qui rendent un passage isolé qui

ne se retrouve conservé dans aucune des premières versions françaises12.

Quant au récit du Tristan le moine13, objet de notre présente étude, il apparaît,

dans le seul manuscrit qui le transmet, situé entre le Tristan de Gottfried de

Strasbourg et l’un de ses continuateurs, Ulrich de Türheim, même si,

9 Comme on le commentera plus tard, les derniers vers du texte soulignent la déconsidération de ce

déguisement (Tristan als Mönch, vers 2703-2705, cf. Tristan le moine, p. 1058 et Tristan as a Monk, p. 144. Toutes les citations des vers de la version originelle de Tristan als Mönch viennent de l’édition de Classen de 1994 ; la traduction en français faite par Buschinger vient de la Pléiade [p. 1023-1058] et sera citée comme Tristan le moine. On inclut aussi la référence de la traduction en anglais de THOMAS J. W., « Tristan as a Monk », Tristania, no 16, 1995, p. 104-144). 10 Le texte est écrit en langue francique, peut-être du territoire alsacien ou de la zone frontière avec la

Suisse (vid. note de Buschinger à son édition de Tristan le moine, p. 1579). 11 Comme on le sait déjà, quelques-uns ont donné lieu à une diffusion autonome sous forme de récits

indépendants (Folies, Lai du chèvrefeuille de Marie de France) ; ou alors ils se présentent insérés dans des textes plus longs (Tristan Ministril, Donnei des amants, ou la centaine de vers consacrés à Tristan dans le Roman de la poire). 12 En fait, seulement les Folies ont comme antécédent un épisode du Tristrant d’Eilhart, où le dernier

déguisement du héros pour retrouver la reine est celui d’un fou (vers 8655-9032, Pléiade, p. 377-381), et où l’on introduit déjà quelques motifs que les deux Folies développeront : Tristan raconte la vérité et personne, pas même Iseut ne le croit ; le héros reçoit des coups et des moqueries. Toutefois, Eilhart ne mettra en scène aucune insulte contre Marc –que l’on verra seulement dans la Folie de Berne–. Parfois, dans les versions plus tardives, on fait une brève allusion à ces épisodes, considérant qu’ils étaient connus de tous (tel est le cas de l’évocation, dans le Donnei des amants aux mauvais traitements reçus par Tristan dont nous ferons mention plus tard). 13 Il n’y avait que deux manuscrits du XVe —dont l’un est disparu— qui aient conservé le texte de

Tristan le Moine, daté entre 1210 et 1260.

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comme on le commentera plus tard, le style et les intentions de la courte

narration (2,705 vers) semblent bien éloignés des deux autres auteurs.

Dans tous les récits indépendants se tient une réunion des amants

pour laquelle Tristan, exilé de la cour de son oncle et, plus ou moins

désespéré de retrouver sa bien-aimée, se voit obligé d’employer l’astuce14.

Dans Tristan le Moine, ce sera grâce à la mise en scène de sa fausse mort,

que, déguisé en chapelain, le personnage pourra s’approcher d’Iseut. En

effet, lors d’une festivité à la cour d’Arthur, accablé par la nostalgie, Tristan

part à la recherche de sa dame et trouve par hasard le cadavre d’un chevalier

méconnu. Il décide sur le champ de le défigurer pour qu’on le ramène

comme s’il s’agissait du corps de Tristan mort au combat. Ainsi, en habit de

moine, tonsuré et sous le faux nom de frère Wit, il réussira de son côté à

rejoindre Iseut pendant les funérailles du pseudo-Tristan. La reine, une fois

au courant de la ruse, feindra une maladie que seul le moine Wit pourra

guérir15. De cette façon, il leur sera possible de demeurer ensemble jusqu’à

ce qu’il puisse rendre la santé à la reine, d’après l’ordre explicite du roi Marc

lui-même au moine16.

14 Bien que, dans les épisodes indépendants, le héros parvienne à rencontrer Iseut grâce à un

quelconque stratagème, il nous faut cependant préciser qu’ils ne mettent pas tous en scène les caractéristiques trickstériles ou picaresques du personnage mises en valeur dans Tristan le moine. Le Lai du chèvrefeuille, le Donnei et le Roman de la Poire, et, bien sûr, le Tristan Ministril se différencient donc par ce souci de préserver le registre soutenu et le ton courtois que les Folies ne respectaient pas tout le temps. 15 Elle contribue à la supercherie montée par Tristan en ajoutant l’invention des études faites à Salerne

par le moine Wit, qui le rendent le seul capable de la guérir. Dans une scène de comédie, Tristan même semble surpris par la conviction du roi au sujet de ses supposées connaissances médicales, et il en éprouve de véritables instants d’angoisse. 16 Marc pria à l’abbé « d’ordonner à frère Wit de rester là jusqu’à ce qu’il eût rendu la santé à la reine »

(Tristan le moine, p. 1058) [« das er bruoder Witen/by yme hiesse biten,/untze er generte die koningin. » (Tristan als Mönch, vers 2647-2650), cf. Tristan as a Monk, p. 143]. Et juste après ces affirmations, le narrateur se lamente, ironique, de l’espèce de médecin choisi par Marc pour sa femme, en le comparant

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Il s’agit, nous l’avons déjà mentionné, d’un texte que la critique n’a

pas assez commenté, peut-être parce que, comme McDonald l’a précisé17, il

est quelque peu incommode, car il semble aller contre la tradition qui l’a

produit et se moque particulièrement des thèmes les plus prisés par les

auteurs auxquels on l’associe (Gottfried et Türheim).

Divers études, comme celles de Classen et MacDonald18, ont

signalé que l’ironie pénètre chaque vers, surtout à la suite des discours

funéraires en l’honneur du héros, comme ceux de Marc, qui se sent

responsable de la mort de son neveu et retire tout soupçon pouvant porter

sur lui ; ce qui ne cesse d’inviter le lecteur à lire entre les lignes. Il y a même

des moments où les protagonistes profèrent des affirmations qui seraient

impensables dans l’histoire originelle —même si le public n’a cessé de

s’interroger à ce sujet de tout temps—. Ainsi, Marc semble reconnaître le

droit de son neveu à l’amour de la reine, avouant au pseudo-cadavre de

Tristan: «tu as conquis la reine au péril de ta vie et tu me l’as amenée

jusqu’ici. Par amour pour toi je te l’aurais volontiers laissée» (Tristan le moine,

p. 104419). Une idée qu’Iseut paraît reprendre quand, dans son planctus,

devant la cour réunie, elle rappelle l’aspiration du sénéchal frauduleux à sa

au pauvre Ysengrin, victime de Renart (vers 2655, la référence est faite à la version germanique de Reinhart Fuchs, qui reste l’un des fripons les plus célèbres de la littérature médiévale). 17 McDONALD W. C., The Tristan Story in German Literature of the Late Middle Ages and Early Renaissance,

Lewiston/Queenston/Lampeter, The Edwin Meller Press, 1990. 18 À part le livre mentionné dans la note précédente, vid. deux articles de Classen A.: « Humor in

German Literature: Revisiting a Critical Issue with Special Emphasis on the Grotesque in Tristan als Mönch and Heinrich von dem Türlin’s Diu Crône», Tristania, no 21, 2002, p. 59-91, et « Moriz, Tristan, and Ulrich as Master Disguise Artists: Deconstruction and Reenactement of Courtliness in Moriz von Craûn, Tristan als Mönch, and Ulrico von Liechtenstein’s Frauendienst », Journal of English and Germanic Philology, no 103-4, octobre 2004, p. 475-504. 19 « du gaebe mir die koningin/und erwurbe siu ängestliche./die mochte ich willecliche/durch dich dir

han gelossen » (Tristan als Mönch, vers 1585-1588), cf. Tristan as a Monk, p. 127.

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main, et la façon dont Tristan a démontré qu’il avait lui-même tué le

dragon: « Tu as aussitôt prouvé que je devais être tienne. Maintenant je

n’appartiens plus à toi, ni toi à moi, car la mort nous sépare » (Tristan le

moine, p. 104820).

La plus grande ironie du récit consiste peut-être dans le fait que

cette narration s’inscrit certes dans le monde arthurien des chevaliers

courtois qui se battent pour rehausser la gloire de leur bien-aimée, mais finit

par tendre imperceptiblement vers la parodie presque licencieuse des

principes qui soutenaient cet univers. Le noyau de la légende, la mort des

amants, est, par exemple, renversé de façon irrévérencieuse avec ce faux

défunt qui, loin d’inspirer la mort à son amie, finit plutôt par ressusciter lui-

même pour la ramener à la vie des plaisirs charnels —il y a diverses

mentions explicites de ces dichotomies : mort/vie, mort des sens/plaisirs ;

on reviendra plus tard sur ces oppositions—. Aussi, le thème des

souffrances causées par l’amour qui nuance toutes les versions de la

légende, dans ce texte qui débute avec un Tristan complètement accablé par

les tourments amoureux, finit par être oublié dans un dénouement teinté

d’une totale satisfaction sexuelle et d’une espèce de joie de vivre (unis à la

possibilité de nouvelles rencontres, dont on reparlera plus loin).

La transition, d’abord presque insensible, entre le récit courtois et

l’histoire drôle est reliée à la structure de quelques fabliaux et, surtout,

nouvelles dont les effets comiques reposent en général sur l’inversion des

20 « das beredetest du zuohant,/das ich solte wesen din./nuo bin ich din, noch du myn,/wenne unß

scheidet der dot. » (Tristan als Mönch, vers 1961-1964), cf. Tristan as a Monk, p. 132. Affirmation téméraire qu’elle n’aurait pas osé faire si elle n’avait pas eu la certitude que les courtisans étaient à tel point submergés de douleur, qu’ils ne se rendraient compte de rien (vers 1850-1853).

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expectatives du lecteur effectuée, en partie, au moyen d’un renversement

stylistique qui passe du registre noble à un autre plus prosaïque21. Tout

comme Tristan le moine s’ouvre par une introduction au ton élégant propre à

l’univers courtois qui devient ―dans les 300 derniers vers22― un récit

burlesque aux équivoques grivoises. En fait, c’est à partir du moment où la

reine apprend le stratagème de Tristan, que l’action se centre sur les

manèges nécessaires à la réunion amoureuse, et le récit se surcharge de

traits propres aux textes comiques : allusions à double sens concernant la

guérison de la reine grâce aux bons services du moine Wit, sur le compte du

narrateur et des personnages, qui de manière comique font écho à l’emploi

du motif ovidien de l’union des amoureux comme remède d’amour

présente chez Gottfried23. Notre texte choisit, en outre, de décrire les

rendez-vous des amants à l’aide d’images érotiques dignes du Décaméron

lorsqu’on affirme que « Le moine, frère Wit, dit ses prières avec Isolde

chaque fois qu’il le pouvait sans éveiller les soupçons » (Tristan le moine, p.

105824). On est aussi en droit de se demander si le nom du faux moine

21 Classen mentionne le rapport du texte aux brefs récits comiques « Humor in German Literature», cit.

Quant aux changements de registre dans les nouvelles, cf. SOZZI L., « La nouvelle française au XVe siècle », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, no 21, 1971, et AZUELA C., Del Decamerón a las Cent Nouvelles nouvelles. Relaciones y transgresiones en la nouvelle medieval, México, UNAM, 2005. 22 Cf. notamment les vers 2591, 2606-08, et ss.

23 Cf. Gottfried-Pléiade, p. 543-545. Buschinger suppose que ces images ovidiennes ont pu naître chez

Eilhart (vers 2712-2719, Eilhart-Pléiade, p. 299), mais l’emploi parodique du motif se retrouve partout dans les récits comiques (cf. nouvelles 20, 21, 55 et 90 des Cent Nouvelles nouvelles). 24 « der münch bruoder Wite,/der sprach sin gezite/Isote zuo aller stunde,/wenne er mit fuogen kunde.

» (Tristan als Mönch, vers 2660-2663, cf. Tristan as a Monk, p.143. Cf. BOCCACE, Le Décaméron, BOURCIEZ J. (trad.), Paris, Bordas, 1988 ; VII-3, § 39, 40: « […] Le compagnon avait enseigné à la fille le pater, non pas une, mais quatre fois, peut-être plus… » ). Un vers plus loin, dans le texte germanique on trouve encore une autre allusion que pour Classen fait référence à la satisfaction érotique de la dame: « Il lui offrit un tel amour qu’elle put aller sans bâton partout où elle voulait » (Tristan le moine, p. 1058) [« eine

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« Wit » n’éveillait pas chez les auditeurs/lecteurs des échos liés aux

acceptions de jeu et blague du terme « Wizzi25 ». Il apparaît également que

le roi Marc lui-même enjoint le pseudo-clerc à servir la reine, puisque,

comme il le dit, «refuser d’accéder à cette prière est agir contre Dieu»

(Tristan le moine, p. 105726); plus tard il déclare satisfait que «C’est le meilleur

médecin qu’il y ait à Salerne. C’est Dieu qui nous l’a envoyé ici. » (Tristan le

moine, p. 105727); et, à la fin, il lui offre une récompense pour

l’extraordinaire guérison de son épouse28.

Un autre trait typique des brefs récits comiques consiste à dégrader

les notions de l’amour à la simple fonction pragmatique de l’activité

sexuelle. Des amants qui souffrent et partagent ―ou non― les angoisses et

les gloires de la passion, mais qui se présentent l’endurant ou en jouissant

d’un point de vue très idéalisé, on passe au couple soucieux de résoudre les

détails pratiques les plus prosaïques de la rencontre charnelle. Celle-ci

semble constituer la fin ultime de leur relation —contrairement à l’élévation

mynne er ir gap,/das siu ging one stap/war so siu duchte guot.» (Tristan als Mönch, vers 2664-2666), vid. CLASSEN A., « Moriz, Tristan… », cit., p. 500. 25 En ce qui concerne le nom Wit, il est curieux qu’en allemand moderne le mot witz se relie aux idées

de blague, jeu, intelligence et ruse (à partir du XVIIe siècle). Au XVIe siècle on documente l’acception de « sagesse, connaissances »; néanmoins, dans le moyen haut allemand, l’ancien wizzi est le terme lié à ces idées de jeu et blague. Ainsi du point de vue sonore, le nom du faux moine se rapproche des deux acceptions et le public médiéval n’ignorait peut-être pas l’ironie éveillée par ce moine savant, seul capable de guérir Iseut de sa maladie feinte, lui qui en fait ignorait tout de la médecine. Je mentionne cela dans travail en cours d’impression où je m’occupe de ce texte [AZUELA C., «Variantes, reescritura y transgresión en la literatura medieval (el ejemplo de Tristán como monje) »]. 26 « das ir suß übel zerbittende sit,/das duont ir sere wider got./es enist nit gottes gebot» (Tristan als

Mönch, vers 2573-2577), cf. Tristan as a Monk, p. 142. 27 « diß ist der beste artzat/den alles Salerne hat./got hat in har gesant. » (Tristan als Mönch, vers 2606-

2608), cf. Tristan as a Monk, p. 143. 28 L’ironie de l’offre est évidente : « si vous désirez quelque chose qui nous appartient, cela vous sera

accordé. » (Tristan le moine, p. 1058) [« …geruochent ir/von uns icht des wir han,/das ist alles iuch getan. » (Tristan als Mönch, vers 2686-2689), cf. Tristan as a Monk, p. 144].

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spirituelle et à l’inspiration visant à obtenir gloire et honneurs, fomentée par

la dame chez son chevalier dans les genres courtois—. Dans Tristan le moine,

il arrive que des premières digressions tourmentées du Tristan accablé par

son amour, l’on passe au cynique moine dont le seul souci est de trouver un

lit où il pourra prendre du plaisir avec Iseut29.

Le texte part de même d’une situation caractéristique des modes de

vie à la cour, les fêtes et tournois, où les luxes du cortège et des

compagnons de Tristan décrits minutieusement servent à louer ses hôtes,

Guenièvre et Arthur30, pour terminer par une description, dépouillée de

détails concernant les vêtements ou le décor, rapprochée plutôt de

n’importe quel fabliau ou nouvelle, qui expose juste les ressorts de l’action,

et dont toute minutie est relatée en fonction de l’intrigue. Il ne reste à la fin

du texte, presque aucun détail spécifique, à l’exception des cheveux de

Tristan qui ont repoussé, incident significatif car il thématise deux éléments

éloignés du registre aristocratique : la honte de s’être tonsuré, et la

possibilité de retrouver Iseut au moyen d’une nouvelle ruse31.

Le texte abandonne, pareillement, la thématique extraordinaire

typique du roman courtois où le héros monte un magnifique cheval,

29 Face au chagrin d’Iseut qui le croit mort, le moine affirme, moqueur : « il se pourrait bien que nous

recouvrions tous deux la joie, si nous nous arrangions pour partager un lit » (ma traduction, cf. Tristan le moine, p. 1049) [« so möchte ich noch vil wol genesen/und kaeme lichte wol also,/das wir beide wurden fro,/befinge uns beide ein bettestro. » (Tristan als Mönch, vers 1967-1972), cf. Tristan as a Monk, p. 133]. 30 Buschinger souligne cela dans son article « Tristan le Moine », Tristan et Iseut, Mythe européen et mondial.

(Actes du Colloque des 10, 11 et 12 janvier 1986), Göppingen, Kümmerle Verlag, 1987, p. 75-86. 31 Comme on en reparlera, la régénération des cheveux constitue une double métaphore : de leur amour

éternel, d’une part, et de la perspective de multiples aventures à suivre.

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merveilleusement harnaché, qu’une mystérieuse reine lui avait offert32, pour

une vision prosaïque du monde qui réemploi malicieusement des motifs tels

que « la dame qui rend la vie à son amant ». De façon identique, quand

Iseut aux Blanches Mains pleure des « larmes de sang », pour la mort de son

mari, dont elle ne pourra pas se consoler, selon ses dires, elle ajoute en

passant, qu’elle avait reçu elle-même grands biens et grandes joies en son

mariage malgré la coutume de Tristan d’aimer d’autres femmes33. Cet aveu

confère à ses preuves irréfutables de douleur un semblant d’ironie confirmé

par de petits écarts verbaux: dix vers plus loin, elle profère des adjectifs tels

que « fidèle » en se référant à son époux qui, on le sait, lui était tout sauf

fidèle (cf. vers 129634). Cependant, sa déclaration s’aggrave quand on

comprend qu’elle prive la relation de Tristan et de la reine des traits

d’exclusivité et d’amour absolu qui l’élevaient au rang du mythe. Il ne

s’agissait donc pas, d’après l’épouse, du « Grand Amour », mais seulement

d’un parmi tant d’autres, ce qui faisait du modèle du tragique et loyal amant

de la reine (comme le décrira par la suite Guenièvre dans son discours35), un

« don Juan » ordinaire qui avait eu une multitude d’aventures banales, en

32 La monture de Tristan avec ses divers ornements surnaturels est largement décrite (vers 355-439; cf.

Tristan le moine, p. 1028-1029 et Tristan as a Monk, p. 110). 33 « J’étais constamment inquiète et soucieuse parce que toi, Tristan, mon seigneur et mon époux, tu

aimais de nombreuses autres femmes plus que moi » (Tristan le moine, p. 1040) [« ouwe, grosser not,/der ich han, vil armes wip./in jomer, in sorgen was mir ye der lip,/Tristan, herre und man,/das du manige soltest han/michel lieber denne mich. » (Tristan als Mönch, vers 1286-1291), cf. Tristan as a Monk, p. 123]. 34 « getruwer man » (Tristan als Mönch, vers 1296) [que l’on peut traduire comme « mon fidèle époux »]

(cf. Tristan as a Monk: « loyal husband », p. 123). Il est curieux que Buschinger, se rendant peut-être compte du contre-sens, évite d’employer les termes « fidèle » ou « loyal » dans sa traduction (vid. Tristan le moine, p. 1040).

35 L’amour disparut du royaume arthurien au moment où Tristan mourut, affirme Guenièvre, et elle

ajoute: « Toi seul tu apprenais à tous les hommes comment ils devaient s’efforcer d’aimer » (cf. Tristan le moine, p. 1039) [« du eine lertest alle man,/wie siu mynne solten han. » (Tristan als Mönch, vers 1147-48), cf. Tristan as a Monk, p. 121].

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plus de l’avoir trompée avec l’autre Iseut. Il est donc clair que tout ceci

pourrait faire partie des multiples ressources des versions du XIIIe siècle qui

visaient à « normaliser » la subversion du mythe36.

Les ironies apparaissent constamment sur le compte du narrateur

lui-même, qui s’amuse, ailleurs, à interrompre les planctus funèbres, tout

comme l’insolence des commentaires du moine pendant ces mêmes

discours rappelle qu’il ne s’agit que d’une farce37. On y décèle, en tout cas,

une claire intention d’empêcher l’émoi des lecteurs…38.

36 Comme l’explique BERTHELOT A. (« Le Tristan en prose : normalisation d’un mythe », CRÉPIN A. et

SPIEWOK W. (éd.), Tristan-Tristrant. Mélanges en l’honneur de Danielle Buschinger à l’occasion de son 60 e anniversaire, Greifswald, Reineke, 1996, p. 37-45). Cf. aussi PAYEN Ch. [« Lancelot contre Tristan : la conjuration d’un mythe subversif (réflexions sur l’idéologie romanesque au moyen âge) », Mélanges offerts a Pierre le Gentil, Paris, SEDES et CDU, 1973, p. 617-632]; et BAUMGARTNER E., La harpe et l’épée. Tradition et renouvellement dans le Tristan en prose, Paris, SEDES, 1990, p. 7-24, 152-159. On pourrait même avoir quelque doute sur le fait que, dans ses lamentations, Guenièvre se réfère aux amours de Tristan et la reine Iseut comme s’il s’agissait d’un secret à commenter très discrètement, ce qui ôte de nouveaux à l’histoire son caractère universel. Buschinger se sert de ce renseignement, tout comme de l’insistance sur le bonheur conjugal d’Iseut aux Blanches Mains, pour se demander si l’on pourrait parler, dans Tristan le moine d’une « réhabilitation de l’amour conjugal ». Le texte paraîtrait, en effet, montrer une image positive autant de Marc que d’Iseut aux Blanches Mains dont les relations avec leurs conjoints, s’affichent comme harmonieuses (BUSCHINGER D., « Tristan le Moine », cit., p. 80-81, qu’elle reprend dans Pléiade). Cependant, on ne peut omettre le fait que les amants persistent dans leur infidélité, plaçant leur amour au-dessus de toute obligation matrimoniale, d’autant plus que le texte lui-même teint d’ironie tous les discours où le roi Marc essaie d’ignorer la culpabilité de son neveu, jusqu’à parfois frôler le ridicule —à l’aide, bien sûr, des ruses et des équivoques sur le compte du narrateur et des amants. 37 Vid. par exemple, les vers 1697-17000, 1703, 1714, 1889.

38 Ainsi, après les lamentations de la reine, ignorante de la vérité, le narrateur déclare, sournois : « Si la

plainte de la dame déplaisait à quelqu’un, celui-là me paraîtrait bien malavisé, car la terre n’a jamais porté de héros plus valeureux que Tristan —je parle du moine qui était assis à côté d’elle, alors qu’elle s’imaginait qu’il était couché devant elle dans la bière » (Tristan le moine, p. 1051, cf. Tristan als Mönch, vers 2120-2126, et Tristan as a Monk, p. 135). De même, quelques vers auparavant, il avait affirmé au sujet d’Iseut : « À la manière de toutes les nobles dames elle se fit prier de faire ce que de toute façon elle aurait fait volontiers » (Tristan le moine, p. 1046, cf. Tristan als Mönch, vers 1793-1795 et Tristan as a Monk, p. 130). Phrase dont l’effet redouble si l’on pense que le narrateur ne parle point du thème érotique, mais de la peur de la dame de révéler sa profonde douleur pour la mort de son ami. Elle s’était, en effet, refusée de pleurer en feignant qu’elle n’en était pas émue et Marc la force à exprimer son deuil. Le commentaire du narrateur semble, donc, de mauvais goût dans un moment où la reine souffre tellement,

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On voit, en outre, dévalorisés d’autres traits traditionnels qui

occupaient une place importante dans la légende, telle l’idée des amants

perçus comme miroir aux amoureux. Ici, par contre, on ne voit qu’une

simple argutie pour tromper un mari et la société, sans la moindre intention

d’exemple. De même, la prouesse du héros, fondamentale pour la

caractérisation de Tristan et mentionnée dans toutes les versions ainsi que

dans les nombreuses lamentations funèbres de Tristan le moine, ne se

concrétise pas dans ce récit où par contre, le seul fait d’armes de Tristan se

réduit au macabre dépècement du visage d’un mort39 (on est donc loin de

ce Tristan ministril capable de triompher glorieusement de ses ennemis

malgré sa paradoxale déloyauté envers son oncle).

Quoi qu’il en soit, et pour en revenir aux contrastes stylistiques, de

même que le texte insère des changements de ton et de registre littéraire, le

récit, quant à lui, se structure à partir de l’affrontement d’éléments opposés

mais instaure, en même temps, un jeu à plusieurs niveaux de signification, où l’on remarque encore une fois, l’intérêt à maintenir la distance esthétique chez le lecteur. 39 Cette défiguration du chevalier mort semblerait, à la fois, dénaturer la leçon civilisatrice de vénerie

que Tristan avait lui-même introduit en Cornouailles. Comme je le remarque ailleurs ce geste se relie à la

caractérisation du personnage comme trickster dont on reparlera plus loin (cf. AZUELA C., « Variantes, reescritura… », cit.). En effet, le trickster est un transformateur capable de rendre le monde habitable en le libérant des monstres ou en trouvant des moyens ingénieux de faciliter la vie humaine (tels que le feu ou diverses astuces pour capturer des animaux). Notre héros remplit les deux fonctions : il est tueur de dragons et géants, mais ce sont ses apports à l’art de la chasse qui nous intéressent ici. Tout comme Loki avait inventé le filet de pêche, Tristan est présenté par Eilhart comme « le premier homme à pêcher à la ligne »; dans l’épisode de la forêt (Béroul) il invente, en outre, « l’arc infaillible » et entraîne son chien à chasser sans faire de bruit. Mais, surtout, il apprend aux chasseurs de Cornouailles à préparer la viande

des animaux tout juste attrapés. Pratiquement toutes les versions tristaniennes mettent en valeur les talents de chasseur et de veneur de Tristan (vid. surtout, la Saga et Gottfried, et même, dans le ton railleur du fou, la Folie d’Oxford). Il faut remarquer, d’ailleurs, que d’autres tricksters, comme Prométhée et Hermès, censés avoir modifié le rituel sacrificiel, se sont occupés de cette significative activité qui consiste à dépecer les bêtes immolées. Il s’agit de l’articulation de ce monde et de l’au delà à travers le sacrifice (Hyde L. affirme ainsi que le dieu messager est l’inventeur de l’art du sacrifice, dans Trickster Makes this World, New York, North Point Press, 1999, p. 34 et 256-7].

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DU HÉROS AU TRICKSTER

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repris tout le long de la narration : outre la dualité implicite des

déguisements du personnage qui de plus, transite entre la vie et la mort, il y

a de constantes allusions au contraste entre la joie de la cour et la tristesse

que le décès du chevalier provoque, entre la vérité et le mensonge, l’amour

et l’indifférence, la fortune et l’infortune, l’honneur et le déshonneur, le

rêve et la réalité. Ces pairs contrastants pourraient évoquer ironiquement les

oxymores chers au discours courtois (i.e. Gottfried et Thomas), mais en

même temps, ils font partie constitutive de l’essence ambiguë de la

personnalité de Tristan, évidente dans toutes les versions et qui a donné lieu

à diverses interprétations. Néanmoins, Nancy Freeman Regalado et Merrit

Blakeslee40, ont essayé d’expliquer les polarités du personnage à partir du

lien avec le trickster ou joueur de tours41, ce tricheur ou filou picaresque,

parfois considéré comme diabolique alors que, par ailleurs, il peut

40 D’abord, FREEMAN-REGALADO N. (« Tristan and Renart: two tricksters», L’esprit créateur, no 16 (1-

Spring), 1976, p. 30-38) et BLAKESLEE M., plus tard, dans un examen détaillé, (« Tristan the Trickster… » , cit.) ont travaillé sur ce thème. Bien que ce dernier réalise une minutieuse étude comparative de Tristan avec les tricksters, il rapproche le héros à la figure archétypique développée par Jung. Pour que Tristan s’encadre dans le schéma junguien, Blakeslee force un peu son analyse, surtout lorsqu’il fait emphase sur l’aspect de victime sacrificielle que Makarius découvrit à propos du trickster mythique. Cette section du travail de Blakeslee constitue, selon moi, la partie la moins convaincante de sa recherche (vid. également BLAKESLEE M., Love’s Masks. Identity, Intertextuality and Meaning in the Old French Tristan Poems, Cambridge, D. S. Brewer, 1989). 41 Makarius précise que la traduction « joueur de tours » n’a pas la « nuance de malice » qu’implique

l’expression anglaise (vid. « Le mythe du ‘trickster’ », Revue de l’histoire des Religions, no 175, 1969, p. 17-46). S’il est vrai que l’étude des tricksters apparaît dans l’anthropologie du XIXe siècle, il s’épanouit à partir du travail canonique de Paul Radin sur le trickster chez les Indiens nord-américains de Winnebago (The Trickster. A Study in American Indian Mythology [1956], New York, Schocken Books, 1972), publié avec les essais de Karl Kerényi analysant le rapport de ce personnage avec l’Hermès de la mythologie gréco-latine, et celui de Carl Jung qui procède à une caractérisation de l’archétype universel du trickster. L’histoire des religions, l’anthropologie et l’ethnologie l’ont abordé à travers les mythes de toutes les cultures. Quant au domaine littéraire, vid. WILLIAMS A., Tricksters and Pranksters. Roguery in French and German Literature of Middle Ages and Renaissance, Amsterdam-Atlanta, Rodopi, 2000. Dans un autre article (AZUELA C., «Les traces de la figure du trickster dans la littérature médiévale»), dont je reprends ici quelques considérations, je m’occupe des relations de personnages médiévaux comme Loki, Renart, Tristan, Merlin ou Robin des Bois avec la figure du trickster.

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représenter un héros culturel qui apporte des éléments essentiels à la société

à laquelle il appartient42.

On affirme que toutes les civilisations ont besoin d’un

trickster dont les transgressions remettraient en question les normes et les

croyances essentielles de la communauté, ce qui renforcerait, par là même,

leur obéissance. En introduisant le désordre dans le monde, la figure du

trickster laisse à découvert les contradictions inhérentes à la structure

complexe de la société ; il articule, de plus, des espaces et des contrastes

irréconciliables. Par ailleurs, il oppose la réalité et l’idéal, rappelant que le

malpropre et le laid font aussi partie du monde, même s’il est de mauvais

goût de le mentionner. Et finalement, il use de pièges et de tromperies,

procurant, à maintes reprises, un dénouement comique aux tensions issues

des règles. Hermès et Loki parmi les dieux, ou Ulysse et Renart en

littérature43, constituent les exemples les plus remarquables de ce

personnage habile, rusé, polymorphe, bon orateur et par conséquent,

excellent manipulateur du langage, toujours en mouvement, qui se moque si

42 L. Makarius fait une description du trickster:

« […]le Civilisateur, qui transforme la nature et parfois crée le monde et l’espèce humaine, est en même temps un pitre, un bouffon. Le héros indomptable qui arrête la course du soleil, pourfend les monstres et défie les dieux, est aussi le protagoniste d’aventures obscènes, dont il sort humilié et avili. L’inventeur de tant d’ingénieux stratagèmes est victime de ses propres ruses. Le maître du pouvoir magique est représenté comme un pauvre bougre, se traînant sur un chemin, allant de déconvenue en déconvenue. Il donne aux hommes les arts, les outils et les autres biens culturels, mais leur joue des tours pendables dont ils font les frais. Il dispense les médecines qui guérissent et qui sauvent, et introduit la mort dans le monde. On dirait que chaque qualité et chaque défaut qui lui sont attribués font surgir automatiquement leur opposé. Le Bienfaiteur est aussi le Malin. Le malintentionné. Tout le bien et tout le mal se rapportent à lui. » (Le sacré et la violation des interdits, Paris, Payot, 1974, p. 215-216). 43 On ne saurait oublier que lorsque les personnages littéraires de la littérature européenne sont

confrontés au trickster mythique, ils ont déjà perdu la signification et les fonctions primordiales de celui-ci –comme l’a noté BALLINGER M. (« Ambigere: The Euro-American Picaro and the Native American Trickster », Melus, no 17 (Spring), 1991-2, p. 21-38)-. Ils ne cessent pas pour autant d’être ses évidents descendants, tel Tristan, qui, même éloigné des mythes primitifs, partage plusieurs traits caractéristiques de la figure mythique.

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irrévérencieusement de tout, qu’il nous fait rire, même s’il semble parfois

méchant et qu’il ne cesse de nous inquiéter. C’est, sans doute, une figure

difficile à définir, dont Tristan semble avoir hérité les traits tout en

partageant de nombreuses polarités44 parmi lesquelles, la plus remarquable

serait précisément l’amalgame du héros et du trompeur.

Bien que Tristan commence sa carrière comme n’importe quel

héros de la littérature courtoise chevaleresque, on a affirmé que c’est à

partir de sa relation illicite avec Iseut qu’il se transforme en trickster45.

Cependant, il convient de préciser que le personnage avait des empreintes

trickstériles bien avant. En effet, à l’instar de plusieurs héros, Tristan jouit

d’une naissance exceptionnelle46, mais la sienne est marquée, dès l’origine,

du sceau de la transgression : il est conçu hors des liens du mariage et sa

naissance illégitime oblige à lui cacher son nom et sa noble lignée47. En

outre, s’il est vrai que sa réputation de vaillant matador de dragons et de

44 Quant aux caractéristiques du trickster, même s’il s’avère complexe de définir précisément ses traits en

raison de sa propre vocation à enfreindre les limites et à renverser les situations, il existe d’importants travaux de classification des composantes principales de son identité, vid. par exemple la description de HYNES W. J.(« Mapping the Characteristics of Mythic Tricksters: A Heuristic Guide», HYNES W. et DOTY G. (éd.), Mythical Trickster Figures, Alabama/London, University of Alabama Press, p. 33-45), qui fournit également un répertoire des traits communs à tous les tricksters, qui sont : 1) ambigus et anormaux ; 2) menteurs et tricheurs ; 3) protéiformes ; 4) renversant des situations ; 5) messagers et imitateurs des dieux ; 6) factotum du sacré et du libertin. On ajoutera ici leur marginalité et liminalité, qui leur permet d’articuler espaces et contradictions, trait souligné par HYDE L. (op. cit.) que WILLIAMS A. (op. cit.) reprend aussi. 45 Vid. FREEMAN REGALADO N., op. cit., p. 33-34.

46 Dans quelques versions, il naît au tours d’un voyage en mer et sa génitrice meurt au moment même

où il voit le jour (vid. Saga norvégienne). Cependant dans les Folies, déguisé en fou, il prétend provenir d’une ascendance plus complexe : il se déclare fils d’une baleine et d’un morse (vers 161-162, Folie de Berne-Pléiade, p. 249), mais dans la Folie d’Oxford, il compare sa mère « baleine » à une sirène, et continue par affirmer avoir été allaité par une tigresse (vers 273-281, Folie d’Oxford-Pléiade p. 224; cf. les notes très détaillées p. 1333-1334 et 1350). 47 Cette ignorance est un trait commun à quelques héros.

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chevalier aux incomparables prouesses lui confère un énorme prestige, il est

surtout connu comme le protagoniste d’une histoire d’amour subversive

considérée même anti-sociale puisqu’elle menace ouvertement les structures

traditionnelles.

En effet, contrairement aux héros capables de sacrifier leurs

intérêts personnels pour se mettre au service d’autrui, les tricksters ne

semblent chercher que la satisfaction de leurs appétits élémentaires

(nourriture/sexe). Dans ce sens-là, il est évident que dès les premiers textes

de la légende le personnage se préoccupe à tel point de satisfaire ses

impulses passionnels qu’il semble oublieux de sa prouesse et des activités

propres à son rang. Blakeslee a longuement commenté les traits trickstérils

du Tristan des plus anciennes versions, dont l’idéal chevaleresque du

combat armé semble être remplacé par la ruse, la tromperie et le

mensonge48 ; dont le rôle de victime souvent battu et humilié contredit la

dignité chevaleresque ; dont l’inconstance lors de la décision de se marier

avec l’autre Iseut semble contredire l’idéal de fidélité courtoise (Love’s

Masks, cit., p. 116). Tel un trickster, Tristan ne cesse pas de se déplacer, dans

une errance permanente qui, parallèle à celle des chevaliers, s’en détache et

48 Cf. Pedrosa J. M., « La lógica de lo heroico: mito, épica, cuento, cine, deporte…, (modelos

narratológicos y teorías de la cultura) », Los mitos y los héroes, Urueña, Centro Etnográfico de Castilla y León, 2003, pp. 37-63. Il suffit de comparer Tristan à un autre amant adultérin comme Lancelot dans le Chevalier de la charrette de Chrétien de Troyes, pour apprécier les différences entre le héros courtois et le trickster comme transgresseur impertinent. En effet, même obsédé par la délivrance de sa dame et amoureux d’elle à un degré que l’auteur lui-même caricature, Lancelot ne se rabaisse pas au niveau du bouffon quand bien même il subit, par amour, l’humiliation d’être monté dans la charrette des délinquants ―il en va tout autrement chez Tristan au Mal Pas, ou dans les Folies―. Lancelot choisit de faire preuve de courage et non d’astuce pour retrouver Guenièvre, reconstruisant ainsi son image héroïque au moyen d’innombrables exploits qui lui permettent de plus, de revendiquer, ou tout au moins, de laisser au second plan, la culpabilité de l’adultère grâce à la libération de tous les habitants de Logres et non seulement de sa bien-aimée. Ces différences seront, bien sûr, mitigées dans les versions en prose.

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semble plutôt sa version dégradée quand il ne s’agit que de satisfaire une

passion incontrôlable. Et, enfin, il se transforme constamment49. La variété

de déguisements constitue un des traits les plus saillants des tricksters, et se

relie à leur ambiguïté50. Ce n’est pas par hasard si, dans Tristan le moine, le

héros décide de se faire remplacer par un chevalier défiguré comme s’il

savait que seul cet homme dépourvu de visage pourrait le représenter51

(Merlin lui-même, un autre personnage aux traits de trickster, semble ne pas

avoir d’apparence fixe52).

En fait, si les déguisements concrétisent la constante mobilité, la

versatilité et l’ambivalence du trickster, ce qui intéresse dans le cas de

Tristan, c’est que malgré son prestige et l’admiration dont il est l’objet il a

une persistante tendance à adopter des masques dégradantes —celui du

lépreux, du mendiant, du fou et même du ministril— qui lui valent les

mauvais traitements que ces gens souffraient à l’époque (ne va-t-on pas lui

49 Il a été dit que ses différents déguisements constituent un aspect fondamental de sa nature (cf.

BUSCHINGER D., « Le motif du déguisement de Tristan dans les oeuvres médiévales allemandes des XIIe et XIIIe siècles », OLLIER M. L. (éd.), Masques et déguisements dans la littérature médiévale, Presses de l'Université de Montréal, 1988, p. 35-41 ; KJAER J. « Le déguisement dans les Folies Tristan et la mort chez Thomas d’Angleterre », OLLIER M. L. (éd.), Masques et déguisements dans la Littérature Médiévale, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1988, p. 65-73 ; et PASTRE J.M., « Les métamorphoses de Tristan », CREPIN A. et SPIEWOK W. (éd.), Tristan-Tristrant. Mélanges en l’honneur de Danielle Buschinger à l’ occasion de son 60e anniversaire, Greifswald, Reineke, 1996, p. 409-422). 50 Même si tous les analystes de cette figure se voient obligés à traiter le thème de l’ambiguïté, voir en

particulier, SPINKS C. W., « Trickster and Duality », SPINKS C.W. (éd.), Trickster and Ambivalence : The Dance of Differentiation, Madison, Atwood Publishing, 2001, p.7-19. 51 Ce qui ne manque de rappeler la façon de se présenter « incognito » au combat de la Blanche Lande

chez Béroul (ainsi que chez Montreuil et dans les versions en prose). 52 Sans jamais donner une description explicite de sa personne, Boron utilise souvent des périphrases

pour expliquer comment le mage prenait « la samblance en quoi la gent de la terre le conoissoient » (BORON, Merlin, MICHA A. (éd.), Genève, Droz, 1979, §39, voir aussi §63).

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renverser, en effet, le bouillon de soupe sur sa personne53?). Ainsi, dans

Tristan le moine l’habit du religieux ressemble à une marque d’opprobre

soulignée54.

Ces identités infamantes se relient, en outre, à la position marginale

des tricksters. Néanmoins, elles lui permettent à leur tour, de ridiculiser

ouvertement les valeurs les plus sacrées d’un ton effronté indigne d’un

chevalier55. S’il s’avère évident que le personnage a pu piétiner toutes les

règles (il a manqué à sa parole, à l’honneur de son seigneur, à sa lignée…),

c’est sous le couvert du masque qu’il peut s’en vanter insolemment56.

Pour mieux examiner la métamorphose du héros en trickster, il

faudrait commencer par réviser les toutes premières lignes du texte, qui

laissent déjà entrevoir la voie qui suit cette réécriture de la légende:

« Il est bon que vous appreniez qu’en Bretagne régnait un roi qui avait nom Artus. Son pays jouissait d’une grande réputation […] Ce roi avait une épouse qui possédait le corps le plus splendide qu’eut jamais une femme. » (Tristan le moine, p. 1023, cf. Tristan als Mönch vers 1-8).

53 Vers 667-672, Donnei-Pléiade, p. 972.

54 « Toute sa honte fut oubliée quand ses cheveux eurent repoussé comme auparavant. Plus jamais par

la suite il ne fut moine » (Tristan le moine, p. 1058) [« do was der schanden frie/untze yme das hor gewuochß also e./dar noch wart er nie münch me. » (Tristan als Mönch, vers 2703-2705), cf. Tristan as a Monk, p. 144]. McDonald souligne que les moines appartiennent à un ordre en marge du monde chevaleresque (Arthur and Tristan, On the Intersection of Legends in German Medieval Literature, Lewiston/Queenston/Lampeter, The Edwin Meller Press, 1991, p. 182). D’ailleurs, ce n’est pas par hasard que dans le Tristan de Pierre Sala (1525-29) ce même accoutrement du héros s’ajoute au reste d’éléments dévalorisants de l’ouvrage. 55 Et à réaliser toutes sortes d’acrobaties verbales irrévérencieuses, plutôt propres aux bouffons.

56 Sous l’apparence d’un lépreux, chez Béroul, ou déguisé en fou, dans les Folies, où il en arrive même à

traiter ouvertement le roi Marc de « cocu » (« … cist cous ait mal dahé » Folie de Berne-Pléiade, vers 227; cf. aussi vers 255).

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Le récit se situe donc dans l’ambiance arthurienne pour introduire

une histoire vraisemblablement chevaleresque. Toutefois, la mention à

Guenièvre ne touche que « son corps splendide57 », pour faire

immédiatement référence à ses amours et, sans transition, à son projet

d’organiser une festivité, à laquelle tous les chevaliers devraient assister

accompagnés de leurs dames ―qui n’étaient pas toujours leurs épouses,

comme c’était justement le cas de Tristan, dont la décision d’emmener Iseut

aux Blanches Mains déchaînera l’éternel conflit entre le devoir et l’amour―.

On voit donc que la focalisation du texte sur le corps et les amours de la

femme du roi Arthur porte sur la thématique matérielle et charnelle qui

sera, en fait, le thème principal de l’histoire : la rencontre sexuelle de Tristan

et Iseut58.

En général, tous les épisodes tristaniens indépendants partagent ce

même objectif, mais ils se rangent dans les limites d’un registre plus ou

moins élevé, tandis qu’ici, on appréciera un glissement progressif vers le

burlesque.

Dans Tristan le moine, les premières descriptions du héros

correspondent, également, au modèle de perfection courtoise du

57 L’original [« wunneclichesten lip », (Tristan als Mönch, vers 9)] nous permet de choisir entre divers adjectifs

qui vont de « gracieux/ beau/ charmant/ magnifique/ splendide/ ravissant » jusqu’à « excitant/ irritant/ troublant/ émouvant/ délicieux » (je tiens à remercier Carl Böhne, pour cette précision). Il faudrait donc savoir si le narrateur ironique et provocateur de notre récit pensait à évoquer un corps délicieux et troublant ou simplement beau, charmant ou splendide. J’ai l’impression que ce choix permettrait à la traduction de récupérer un premier clin d’œil au lecteur. Si bien la version en français récupère « le plus beau corps » [tout comme la traduction à l’allemand moderne, qui reprend elle aussi le motif du corps, mais sans la nuance érotique « den schönsten Körper », la version anglaise évite la problématique et propose « the most beautiful woman » [« la femme la plus belle » (Tristan as a Monk, p. 104)]. 58 À part l’introduction du thème des amours illicites. De plus, Guenièvre ne pense pas tant à la gloire

de la chevalerie, qu’à son plaisir. Classen et McDonald ont révisé les éléments de critique à l’univers arthurien.

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personnage, mais de petites marques du déplacement vers un registre moins

élégant ne cessent pas d’apparaître59, tout comme le désordre des combats,

sauts, danses et cris effrénés auxquels se livrent les chevaliers après le dîner

(quand les dames se sont déjà retirées); activité bruyante qu’ils poursuivent

jusqu'à s’effondrer, endormis sur le sol jonché d’herbe et de paille, Tristan

parmi les autres60 (Tristan als Mönch, vers 647-659, cf. Tristan le Moine, p.

1031-1032 et Tristan as a Monk, p. 104). Buschinger a qualifié le passage

« d’interlude burlesque », « élément grotesque61 »; mais il se pourrait que

cette scène marque la transition explicite au registre moins soigné, d’autant

plus qu’immédiatement après Tristan trouvera le cadavre qui lui fournira le

stratagème pour revoir Iseut, et le texte commencera à se nuancer

fortement du ton ironique et d’humour62.

Dans ce sens, il est également curieux de constater, par exemple, au

début du Tristan le moine, dans la section qui peint le personnage comme le

modèle de chevalier héroïque, la présence d’une isotopie liée à la diversion

qui le caractérise: d’abord, au moment d’arriver à Tintagel, ses élégants

accompagnateurs racontent des « histoires amusantes » et non de hauts faits

59 Comme les histoires « drôles » que ses compagnons racontent pour se distraire, quand on aurait pu

mentionner d’autres divertissements plus distingués (vers 484, cf. Tristan le moine, p. 1030 et Tristan as a Monk, p. 112). 60 Buschinger en commente la gratuité, puisque une scène analogue chez Eilhart était justifiée par

d’autres motifs. Cette gratuité pourrait se lier aux tricksters, à la fois qu’elle sert à nuancer le texte des marques qui ne sont pas courtoises. 61 La scène ferait partie des deux ou trois dissonances du texte avec l’atmosphère courtoise, qu’elle a

trouvées (vid. Pléiade, p. 1585 et son article «Tristan le Moine… », cit.). 62 Classen et MacDonald ont commenté ces nuances qui se sont prêtées à diverses interprétations (cf.

Classen A., «Humor in German Literature…», cit., p. 74-75). Dans un autre article le critique met l’accent sur l’analyse de la théâtralité du texte: Tristan assigne à tous les personnages, y compris lui-même, un rôle que chacun joue, consciemment ou non. Cette théâtralité résulterait d’une notion du monde arthurien comme simple illusion et représentation idéalisée de certaines valeurs qui n’étaient plus en vigueur au XIIIe siècle (« Moriz, Tristan… », cit., p. 502-504).

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d’armes. Puis, le cortège s’approche de la cour au rythme d’une joyeuse

musique des tambourins, comme on en n’avait pas entendue depuis

longtemps63. S’il est vrai que la gaîté est une qualité courtoise, il semblerait

qu’il s’agit, dans ce texte, d’accentuer l’aspect festif lié au personnage, et

non ses qualités héroïques. À tel point que, lorsque Tristan avoue à

Kornewal sa peur d’avoir trahi Iseut en conduisant son épouse à la fête,

celui-ci l’accuse d’être aigri et, lui reprochant son humeur maussade, lui

déclare son refus de servir un maître si triste64. Il est, en outre, intéressant

de voir qu’afin d’accentuer les contradictions, le personnage est reconnu a

la fois pour la désinvolture et la allégresse qui l’accompagnent, alors qu’il est

le seul à ne pas jouir de tous les plaisirs et festivités de la cour, qui ne

cessent de lui rappeler l’absence de son amie et le font sombrer dans la

mélancolie. Ainsi, durant les fêtes arthuriennes, Tristan ne fait que soupirer

tandis qu’aux moments les plus pathétiques des lamentations funèbres en

son honneur, il multiplie les commentaires spirituels soulignés par le

narrateur. Cette habitude d’adopter une attitude contraire à celle des autres

parait coïncider avec la position marginale du trickster, qui a coutume de se

situer dans des positions d’exclusion lui permettant de critiquer et

déstabiliser le statu quo.

En fait, ce n’est que quelques vers plus tard, quand le héros décide

de se faire passer pour mort, que sa caractérisation se scinde en deux

portraits opposés: d’un côté, les discours funèbres des courtisans

construisent la mémoire du Tristan héroïque, caractéristique des versions en

63 Vers 500-505, cf. Tristan le moine, p. 1030 et Tristan as a Monk, p. 112.

64 Vers 814-827, cf. Tristan le moine, p. 1034 et Tristan as a Monk, p. 116.

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prose, en remaniant son histoire de façon à laisser en marge ou a voiler

élégamment tous les éléments perturbateurs et gênants liés à la

transgression de son amour coupable (lors de l’arrivée de Tristan à la cour

d’Arthur on avait déjà commencé à chanter les louanges du parfait

chevalier, mais après « sa mort », la glorification s’accentue). Pendant la

reconstruction de la vie du faux cadavre, celui-ci devient « le père de toutes

le plus nobles vertus » (Tristan le moine, p. 104065) et les louanges qu’on lui

dédie ne peuvent pas être plus dithyrambiques. Toutefois, cette même

réélaboration panégyrique de l’histoire du personnage souligne la distance

entre son portrait anobli et idéal et la conduite ignoble et hyper réelle du

trompeur (et bientôt de sa dame), qui, bafouant toutes les règles et

interdictions, parviendra à tromper tous et chacun d’une façon

particulièrement effrontée.

À travers les deux hommes d’armes qui gardent la civière du faux

Tristan, le texte fournit, à cet égard, une espèce de concrétisation de la

double présentation du protagoniste : l’un vient d’Espagne et l’autre

d’Angleterre, mais ils ne comprennent pas la langue des protagonistes66.

Kurnewal explique à son seigneur qu’ils « ne savent dire que oui et non ».

Quelques vers plus loin, le narrateur, railleur, choisit de les nommer « Non »

65 « der tugende vatter was und hieß » (Tristan als Mönch, vers 1254 cf. Tristan as a Monk, p. 123. Il

faudrait ajouter que la charge ironique de la phrase redouble si l’on se rappelle que ces mots apparaissent dans un contexte tout à fait sérieux dans la Chanson des Nibelungen (d’après ce que Carl Böhne me l’a signalé). Par ailleurs, Iseut aussi sera considérée par Marc lui-même comme « la plus pure de toutes les femmes » (Tristan le moine, p. 1044) [« die reinest aller wibe » (Tristan als Mönch, vers 1636), cf. Tristan as a Monk, p. 128], ou bien, dame « irréprochable » dont « on ne dit que du bien… » (Tristan le moine, p. 1056) [« man sprach dir nye wenne alles guot. » (Tristan als Mönch, vers 2537), cf. Tristan as a Monk, p. 141], bien que le lecteur ne saurait oublier comment l’adultère de la reine a alimenté les conversations des courtisans et du peuple. 66 On se demande quelle était cette langue.

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et « Oui67 ». Ces gardiens sont incapables de déchiffrer rien de ce qu’on

leur dit, pas plus que le roi Marc, et avec lui, le reste des personnages

arthuriens, arrivent à saisir la portée ironique de la situation et des discours

funéraires qu’ils prononcent.

De cette manière, nous assistons en parallèle à la reconstitution

sublimée de la mémoire du héros et à la matérialisation de l’image prosaïque

du pícaro qui s’est dévoilée peu à peu depuis ces quelques premiers clins

d’œil déjà mentionnés. La transition passe par l’étonnante décision de

défigurer le cadavre inconnu, profanation empreinte sans aucun doute de la

vocation du trickster comme perturbateur de l’ordre, combinée avec ses

rapports avec la mort (soulignés ci-dessus, dans la note 9), qui, dans ce

texte, sont devenus encore un autre élément de dérision (de même que la

leçon de vénerie du Tristan civilisateur est devenue ici un dépiècement

brutal). Volonté perturbatrice, celle-là, confirmée par chaque geste insolent

du moine face aux lamentations funéraires en son honneur, qu’il commente

de manière irrespectueuse. La dernière étape du parcours culmine dans les

derniers vers par la rencontre des amants sur un ton éloigné de la courtoisie

et qui curieusement se trouve superposée aux funérailles du faux Tristan

(vid. vers 2610-2640)68.

67 Vid. vers 2257 et 2270-2271, cf. Tristan le moine, p. 1053 et Tristan as a Monk, p. 137.

68 Voici un bref schéma de l’une des parties centrales de cette structure entrelacée, où il est c lair que

s’intercalent les louanges adressées au mort et la douleur ressentie pour sa perte, agrémentées des commentaires de Tristan lui-même ou du narrateur qui contestent sa grandeur en dressant le portrait cynique du picaro, incapable d’émotion, pas même face à la souffrance de sa bien-aimée. (On avait déjà mentionné les vers 1697-17000, 1703, 1714 qui interrompent le ton sérieux): vers 1880-82: Iseut désespérée embrasse le faux cadavre. vers 1883-91: Tristan-chapelain réagit avec une colère railleuse au fait qu’un autre que lui reçoive les baisers qui lui reviennent de droit. Commentaires ironiques du narrateur.

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On n’assiste donc pas seulement, à travers les lamentations de la

cour, à la reprise des moments importants de la légende qui, comme dans

les Folies, se racontaient sous forme de mise en abîme, mais encore à la

double construction discursive du héros et du trickster, dont les traits

opposés de manière drastique, restent inextricablement liés dans la trame

narrative. La duplicité de ces gardiens « Oui » et « Non » dont on a parlé

auparavant, faisait ainsi référence, justement, à l’impossibilité de capter en

une image unidimensionnelle l’identité complexe du personnage. Le texte

rend, d’ailleurs, explicite cette impossibilité à travers le dialogue entre les

trois identités de Tristan, lorsque, après avoir passé quelque temps à jouir

de la compagnie d’Iseut, le « moine » et le « médecin » ayant reconnu les

risques qu’ils encouraient, se mettent d’accord avec le « chevalier » pour

abandonner la cour de Marc.

Si bien ce jeu de trois personnes en une seule, pourrait même

paraître blasphématoire, ce qu’il faut remarquer, c’est qu’une telle confusion

d’identités semble avoir contaminé aussi la rédaction des derniers vers du

texte:

« Le moine et le médecin bénéficiaient de l’aide du chevalier, leur ami Tristan. Si quelqu’un reconnaissait l’un des trois, cela causerait la perte de tous trois. C’est ainsi que l’un tomba de plein gré d’accord avec les deux autres sur cette solution : ils devaient s’en aller, il était temps […] C’est ainsi que le bon

vers 1892-1965: discours éploré d’Iseut. vers 1966-72: Tristan-chapelain pense au lit qu’il voudrait partager avec Iseut. vers 1973-2132: discours éploré d’Iseut. vers 2135-2158: Tristan-chapelain pleure de tout son coeur… mais pour que Dieu fasse qu’Iseut le reconnaisse, suite à quoi il trame un plan pour la retrouver. vers 2161-2163 : échange comique en mauvais latin entre l’abbé et Tristan-chapelain. vers 2275-2320 : Iseut a pleuré son ami jusqu’à l’épuisement. Kornewal lui rend la lettre de Tristan qui révèle le stratagème.

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moine se mit en route, mais malheureusement il ne put retrouver le chemin de su cellule [du monastère]. Il prit un autre chemin qui faisait la frontière entre deux pays, la Cornuailles et

l’Angleterre. Il le suivit jusqu’en Parménie69, son pays. Toute sa

honte fut oubliée quand ses cheveux eurent repoussé comme

auparavant70. Plus jamais par la suite il ne fut moine. » (Tristan le

moine, p. 105871).

Le déroulement du récit avait clairement mis en évidence,

premièrement, la polarité de la caractérisation du personnage et ensuite, le

dédoublement de ses identités. Les dernières lignes pour leur part, mettent

en lumière le passage, dans le texte, d’un sujet à l’autre. Tandis que c’est le

moine qui réfléchit et décide de s’en aller, et qui trouve de fait, la direction

de son pays, la phrase : « Toute sa honte fut oubliée » ne correspond plus

au religieux. C’est donc déjà pour l’homme d’armes et pas pour le chapelain

que l’honneur est un souci important ; voilà pourquoi il est fait mention

explicite des cheveux qui repoussent et du déshonneur que la tonsure

impliquait pour le chevalier qui, à l’avenir, n’adoptera plus jamais un

semblable masque, comme le précise le dernier vers: « Plus jamais il ne fut

moine » (au début de l’histoire, rappelons-nous, d’ailleurs, la décision de ne

pas manquer l’invitation du roi Arthur avait obéi surtout aux inquiétudes du

héros de ne pas se déshonorer [vers 149-151, Tristan le Moine, p. 1025]).

69 Gottfried et le Sir Tristrem anglais sont les seuls à situer l’origine de Tristan en Parmenie (dans la

Bretagne française. Le toponyme celte: Ar-men (« terre de montagne ») [Pléiade, p. 1641], est curieusement relié au terme grec désignant la « persévérance »). Chez Béroul le lépreux affirme provenir de l’Écosse (comme dans la tradition en prose). 70 La version anglaise omet les allusions à la honte dont le chevalier doit se défaire; on ne renvoie qu’au

fait que «l’honnête chevalier» [honest knight] attendit que ses cheveux eurent repoussé. 71 Vers 2667-2705, cf. Tristan as a Monk, p. 144.

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Le glissement imperceptible d’une identité à l’autre, que la syntaxe

aide à voiler, rend explicite l’élément structurant du texte, qui nous a menés

de la construction du héros à travers la mémoire de ses hauts faits à celle du

trickster, toutes deux entrelacées pour donner une idée de simultanéité (la

seconde dressée à coups de pinceau par les commentaires insolents et

dédaigneux du faux chapelain face aux honneurs funèbres).

Le texte apparaît donc structuré de manière tripartite :

-1er volet. Milieu arthurien, décrit en termes ambigus: gloire et honneur,

mais aussi amours illicites (de Guenièvre et de Tristan lui-même), festivités

et frivolité vides. Tristan se situe entre une double isotopie, d’un côté, le

tourment amoureux, et de l’autre, les joyeux divertissements des parfaits

chevaliers.

-2e volet. La ruse de la défiguration du cadavre, qui révèle des nuances

perturbatrices de la figure du héros, même si sa soi disante mort mène à

l’élaboration des discours funéraires qui contrasteront de plus en plus avec

le comportement de facto du personnage. C’est ainsi que naît l’entrelacement

des deux portraits antithétiques.

-3e volet. Dénouement trickstéril, le portrait du héros a disparu dans les

trois cent derniers vers pour faire place au trickster et à ses joyeuses

retrouvailles avec la reine.

Remarquons, toutefois, la clôture du cercle lors du retour du

chevalier dans les trois ultimes vers qui, implicitement, rend possible la mise

en oeuvre d’une nouvelle ruse pour retrouver Iseut, ce qui permet de

récupérer la facette sporadique mais inévitable du trickster.

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L’entrelacement constitue un des procédés essentiels de la structure

narrative du roman arthurien, qui permet la relation d’épisodes simultanés

menés par divers personnages dans des lieux distincts. Il résulte

particulièrement intéressant de le voir aussi utilisé par Tristan le moine pour

édifier la construction de son personnage au moyen de l’enlacement

d’actions parallèles certes, mais plutôt des deux personnalités du

protagoniste, qui se superposent progressivement l’une à l’autre durant

toute la narration.

Il faudrait également souligner que cet entrelacement semble

répondre au désir de démontrer l’impossibilité de séparer le héros du

trickster. Nul n’ignore qu’au cours du XIIIe siècle, la légende de Tristan fut

domestiquée dans les versions en prose. À travers l’imbrication simultanée

de deux aspects du personnage, l’auteur du Tristan le moine semblerait mettre

en question cette « normalisation » de l’histoire, en soulignant que, tout en

étant scandaleux, cet amalgame, ne pourrait qu’appartenir à l’essence même

du personnage ; ce qui d’ailleurs, concorde tout à fait avec l’ambivalence

propre au trickster traditionnel.

Du point de vue de la forme, quelques-uns des genres qui

accueillent les tricksters représentent eux aussi une sorte d’insubordination

envers la littérature officiellement acceptée, la parodiant ou la maintenant, à

l’aide de l’ironie, à distance. Tel est le cas du Roman de Renart, des fabliaux et

d’autres brefs récits comiques. Il n’est pas étonnant, donc, que Tristan le

moine transgresse aussi la forme en transformant le récit courtois qui semble

amorcer l’histoire, en une narration au style burlesque qui métamorphose le

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tout en un texte hybride difficile à définir72, à l’instar des identités de

Tristan qui le scindent en un personnage ambigu impossible à étiqueter.

C’est de fait en multipliant les identités du héros dans le texte que

se récupère sur un ton comique, un jeu de substitutions caractéristique de la

tradition tristanienne73. Au cours de cet échange de personnalités, qui vont

du héros au mort, au moine et au médecin, pour revenir au chevalier, le

texte ferme le boucle qui permettra au trickster de récupérer la condition

d’« honnête » homme d’armes, même si le texte s’achève véritablement à

partir de la possibilité de voir resurgir à tout instant, un nouveau stratagème

trickstéril pour pouvoir retrouver sa bien-aimée. C’est ainsi qu’il apparaît

dans l’expression « plus jamais par la suite il ne fut moine » du vers final,

qui débouche sur un avenir riche en nouvelles ruses, à l’exception, bien sûr,

du masque du moine.

Il a été fait emphase sur cette caractéristique propre aux histoires

de tricksters, d’être racontées sous forme de brefs récits référant une intrigue

ou anecdote indépendante susceptible de s’enchaîner à d’autres épisodes :

composition ouverte aux suites infinies, dans lesquelles le pícaro réapparaît

toujours disposé à jouer un nouveau tour. De même, les épisodes

indépendants de Tristan qui narrent les diverses rencontres amoureuses,

72 Les essais des critiques se sont heurtés à la difficulté de définir le genre de ce récit à cause du mélange

des traits de divers genres (des planctus de la poésie héroïque et la tradition arthurienne et tristanienne aux fabliaux, pour ne mentionner que quelques-uns). 73 Bien qu’il s’agisse pareillement d’un motif classique des récits comiques, on peut affirmer que, dans la

légende de Tristan, c’est l’un des éléments-clés récurrents dans les passages les plus importants. Marc permet à Tristan de le remplacer pour conquérir Iseut, ce qui conduit au reste des substitutions illicites réalisées par le héros ; et le roi délègue ultérieurement la responsabilité du châtiment de la reine aux lépreux, ou la laisse aller entre les mains du harpeur; ainsi comme Iseut est remplacée par Brangien pendant la nuit de noces, et finalement par l’autre Iseut, etc.

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pourraient se reproduire indéfiniment à condition d’être intercalés avant la

mort tragique des protagonistes74.

Ainsi le trickster, et comme lui, Tristan, recourt constamment aux

masques pour réaliser ses nouvelles aventures, ce qui le rend toujours pareil

(la ruse toujours à portée de main) et toujours distinct (il s’agit toujours

d’une nouvelle argutie), mais surtout, insaisissable dans sa totalité. D’autant

moins par un simple discours funéraire composé de formules, qui, par-

dessus le marché prétend dépouiller le personnage de sa vérité essentielle,

essayant d’occulter ses aspects les plus inquiétants. Comme nous l’avons

commenté auparavant, lorsque Iseut aux Blanches Mains tente de

minimiser l’importance de la relation de Tristan et de la reine, en atténuant

le poids de l’amour légendaire qui les unissait, ce qu’elle veut au fond, c’est

nier l’histoire telle qu’elle a eu lieu. Néanmoins, le texte même prouve que

la mémoire ressurgie des paroles officielles et des efforts pour substituer,

dans le discours, les traits transgressifs de la légende et du héros par d’autres

moins menaçants socialement, ne peuvent empêcher que, dans les faits, les

amants conservent leur amour intact et se comportent à nouveau, de

manière très peu convenable. Ce que le récit souligne, d’ailleurs, en

rabaissant le registre à la limite de la farce.

L’entrelacement ne se relie donc pas seulement au thème de la

personnalité polarisée de Tristan, ou aux contrastes des opposés, vie et

mort, etc., qui structurent le texte; le récit entrelace également, les diverses

74 Vid. AZUELA C., « Variantes, reescritura… », cit., et VALVASSORI M., «El personaje trickster o

‘burlador’ en el cuento tradicional y en el cine de dibujos animados », Culturas Populares, Revista Electrónica, no 1, enero-abril, 2006, p. 1-27.

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significations des ambiguïtés et des jeux de mots, analogues aux corps

durant la rencontre sexuelle.

Le fait que ce soit Tristan lui-même qui défigure le chevalier

inconnu vise une idée analogue. Selon Hyde, le trickster déplace les indices

de différenciation et articule les contradictions. Dans cette histoire où il

n’est pas facile de trancher entre ce qui est bon ou mauvais, ceci s’avère

évident puisque ceux qui disent la stricte vérité sont traités de félons, tandis

que les amants transgresseurs sont protégés de Dieu lorsqu’ils la

dissimulent75. Sans compter l’insertion d’éléments de désordre dans l’ordre

idéal76. Voilà comment la relation avec les tricksters permet de donner

cohérence aux ambiguïtés qui entourent la figure Tristan.

Pour conclure, nous pouvons rappeler l’affirmation de Classen

selon laquelle l’ironie et le grotesque dans Tristan le moine mettent en relief le

caractère obsolète des valeurs idéalisées de la cour arthurienne. Mais on

pourrait peut-être supposer que l’auteur de cet épisode voulait aussi

75 S’il s’agissait chez Béroul de miracles subjectifs ―d’après l’expression de Frappier J. (« Structure et Sens du Tristan », Cahiers de Civilisation Médiévale, no 6, 1963, p. 255-280 et 441-454)―, dans le cas de Gottfried, la Saga norvégienne et Sir Tristrem, la contradiction résulte encore plus concrète, puisque Iseut se soumet à l’épreuve du fer rouge. 76 Ce n’est pas un hasard si Tristan ramène Iseut d’un pays distant et même ennemi, et que ce soit elle qui introduise le désordre dans la cour. Hyde L. (Trickster makes, cit) parle de la déstabilisation des marques de différenciation réalisée par les tricksters, personnages charnières, habitués des seuils et des unions contraires. Ce n’est pas non plus pure coïncidence que les textes tristaniens constituent par eux-mêmes des carrefours entre langues et cultures: tel l’anglo-normand de Thomas, mais aussi la confluence de thèmes et des espaces celtiques qui s’opposent, à la fois qu’ils se mêlent, avec d’autres traditions féodales et christianisées qui essaient de les neutraliser. Il est également curieux que Gottfried de Strasbourg lui-même pourrait appartenir à une région alsacienne, creuset culturel entre des zones dialectales germaniques et françaises, tout comme la langue du Tristan le moine se rapproche du dialecte alsacien. On peut aussi rappeler, suivant les travaux de Ph. WALTER, le rôle de porcher du Tristan des triades galloises, qui fait référence aux stades archaïques du mythe. Le cochon étant sacré entre les celtes (« animal de l’Autre Monde… initié à la science de l’éternité » [Tristan et Yseut. Le porcher et la truie, p. 258]), les porchers avaient donc une dignité druidique ; et ils gardaient, justement, les frontières et la souveraineté des royaumes —ils étaient donc des personnages des seuils, et comme les tricksters, des médiateurs (ibid, p. 58).

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DU HÉROS AU TRICKSTER

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démasquer les tentatives de domestication d’une figure et d’une histoire qui,

à l’origine, étaient fondamentalement subversives. Buschinger a analysé la

manière dont celui qui rédigeait le texte connaissait la tradition d’Eilhart et

de Gottfried (Buschinger, « Tristan le Moine », cit.), et il semblerait même

qu’il anticipe Türheim, le premier continuateur de ce dernier. Bien que le

copiste qui interpola le récit de Tristan le moine entre la version inachevée de

Gottfried et la suite moralisante à la manifeste orientation religieuse de

Türheim77, ne donne aucun signe d’avoir saisi les énormes différences de

ton et d’intention de l’histoire qui nous occupe, il est concevable d’imaginer

que, par contre, celle-ci essayait de mettre en question les versions qui

prétendaient faire de Tristan un exemple négatif à l’instar de Türheim. Ainsi

donc, Tristan incarne toujours et encore un chevalier accompli et

exceptionnel malgré ses manœuvres trickstériles ; c’est pour cela que le

texte de cet auteur, qui s’amuse autant que son personnage, propose la

fusion des deux aspects de la personnalité tristanienne en recourant au

procédé de l’entrelacement. Il souligne avec ceci l’arbitraire de ceux qui,

comme les successeurs et les créateurs des versions en prose, tentèrent de

séparer les traits du héros trickster pour le rendre socialement acceptable.

Dans Tristan le moine, la critique visant les contradictions des principes qui

soutenaient l’univers chevaleresque reste indéniable et l’auteur du bref texte

ne prend pas seulement partie de façon explicite contre les tentatives de «

normalisation » de la contestataire légende, mais il reconnaît aussi, d’après

77 Vid. Buschinger D., «La légende de Tristan en Allemagne après Eilhart et Gottfried : quelques jalons », Littérature et Société. Actes du Colloque 5-6 mai, 1978 du Centre, Paris, Champion, 1978, p. 35-49.

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ACTES DU 22e CONGRÈS DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ARTHURIENNE, RENNES, 2008

PROCEEDINGS OF THE 22nd CONGRESS OF THE INTERNATIONAL ARTHURIAN SOCIETY, 2008

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l’habitude des tricksters, que son protagoniste, en accédant à ses désirs les

plus défendus, concrétise les paradoxes inhérents à la nature humaine dans

son ensemble.

CRISTINA AZUELA

CENTRO DE POÉTICA,

INSTITUTO DE INVESTIGACIONES FILOLÓGICAS,

UNIVERSIDAD NACIONAL AUTÓNOMA DE MÉXICO78

RÉFÉRENCES

TEXTES:

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78 Je tiens à remercier Carl Böhne (UNAM) pour la révision de toutes les citations de l’allemand

médiéval et Monique Landais (UNAM) en tout ce qui concerne la traduction en français de ce texte. Toute ma reconnaissance, aussi, pour mes étudiants Karina Castañeda, Paulina Matamoros, Esteban Pomposo et Daniel Cid, qui, en diverses étapes, m’ont procuré une précieuse assistance technique pendant l’élaboration de ce travail.

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DU HÉROS AU TRICKSTER

DANS TRISTAN ALS MÖNCH,

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Tristan et Iseut. Les premières versions européennes, MARCHELLO-NIZIA Ch. (éd.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 1023-1057.

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